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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2015-2016

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mercredi 02 mars 2016

SOMMAIRE

Présidence de M. Marc Le Fur

1. Lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement

Discussion des articles (suite)

Article 19 (appelé par priorité)

Amendements nos 343 , 432 , 440 , 514

M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Amendements nos 279 rectifié , 108 , 143 , 539 , 540 , 452

Après l’article 19 (amendements appelés par priorité)

Amendements nos 109 , 277 , 510

Article 20 (appelé par priorité)

M. Pierre Lellouche

M. Olivier Marleix

M. Guillaume Larrivé

M. Bernard Cazeneuve, ministre

Amendements nos 4 , 166 , 334 , 433 , 549 , 541 , 57 , 80, 60 , 154 , 405 , 111 , 238 , 76 , 61 , 77 , 115 , 42 , 570 (sous-amendement) , 434 , 43 rectifié , 407 rectifié , 436, deuxième rectification , 543 rectifié. , 116 , 65 , 305 rectifié , 236 rectifié

Après l’article 20 (amendement appelé par priorité)

Amendement no 339

Article 21 (appelé par priorité)

Amendements nos 423 , 408 , 409

Après l’article 21 (amendements appelés par priorité)

Amendements nos 67 , 88

Avant l’article 32 A (amendements appelés par priorité)

Amendement no 400

M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mme Colette Capdevielle, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Amendements nos 359 rectifié , 406 , 399, 403, 402 , 456 rectifié , 578 (sous-amendement)

Article 32 (appelé par priorité)

Amendements nos 454 , 254 , 120

Après l’article 32 (amendements appelés par priorité)

Amendements nos 555 , 473

Article 1er

Amendements nos 544 , 123

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice

Amendements nos 442 , 218 , 124 , 444 , 545 , 125 , 194 , 290 , 427 , 291 , 126

2. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Marc Le Fur

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement

Suite de la discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale (nos 3473, 3515, 3510).

Discussion des articles (suite)

M. le président. Cet après-midi, l’Assemblée a commencé la discussion des articles du projet de loi, s’arrêtant à l’article 19.

Article 19 (appelé par priorité)

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements identiques, nos 343, 432, 440 et 514, tendant à la suppression de l’article 19.

La parole est à M. Noël Mamère, pour soutenir l’amendement n343.

M. Noël Mamère. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cet amendement vise à supprimer l’article 19, qui instaure une présomption d’irresponsabilité pénale pour les gendarmes, les policiers et les militaires.

Nous considérons qu’il y a là un grave danger pour la sécurité des Français. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il s’agit d’un permis de tuer, mais nous retrouvons dans cette disposition quelque chose qui a déjà été tenté par les précédents gouvernements de la droite, lesquels souhaitaient instituer la légitime défense pour les policiers, les militaires et les gendarmes dans toutes les situations, du moment qu’ils avaient une arme à la main et qu’ils s’en servaient.

Le droit français comporte aujourd’hui tous les outils permettant de contrôler l’usage de ces armes tout en donnant aux policiers, aux gendarmes et aux militaires la possibilité d’assurer la sécurité des Français. En effet, le droit pénal prévoit deux cas d’irresponsabilité pénale : la légitime défense et l’état de nécessité.

Tel qu’il est rédigé, cet article 19 donne à l’état de nécessité un champ d’application très large. Il peut être livré à toutes les interprétations : c’est la raison pour laquelle nous demandons sa suppression. D’ailleurs, le Conseil d’État, dans son avis du 28 janvier 2016 sur ce projet de loi, a bien perçu les risques qu’entraîne l’extension de ce droit de tuer et en a fixé des limitations très précises.

La France a déjà été rappelée à l’ordre par la Cour européenne des droits de l’homme. L’arrêt en question concerne un gendarme qui avait tué une personne tentant de fuir lors d’une garde à vue, en lui tirant dans le dos alors qu’elle était menottée, et qui n’avait pas été condamné par la justice française. Nous le savons, les policiers sont armés et encourent fort peu de risques judiciaires, si l’on regarde l’histoire récente.

M. le président. Merci, monsieur le député.

M. Noël Mamère. Nous demandons donc la suppression de l’article 19, parce que nous considérons qu’il ouvre une boîte de Pandore extrêmement dangereuse.

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez, pour soutenir l’amendement n432.

M. Marc Dolez. Notre groupe a également déposé un amendement de suppression de cet article 19, qui étend l’usage des armes par les forces armées et les forces de sécurité. Cette extension nous paraît juridiquement inutile au regard de la législation et de la jurisprudence actuelles, comme le Défenseur des droits l’a d’ailleurs très clairement souligné dans son avis du 12 février dernier, en indiquant que les dispositifs actuels « permettent déjà aux intéressés d’invoquer la légitime défense ou l’état de nécessité et de bénéficier de l’irresponsabilité pénale ».

M. le président. La parole est à Mme Catherine Coutelle, pour soutenir l’amendement n440.

Mme Catherine Coutelle. Il est défendu mais je ne souhaite pas intervenir.

M. le président. La parole est à M. Denys Robiliard, pour soutenir l’amendement n514.

M. Denys Robiliard. Il faut prendre la mesure de l’article que nous examinons. Les policiers, gendarmes et douaniers exercent un travail très difficile : ils peuvent être exposés à des risques qui, malheureusement, se réalisent parfois. Par conséquent, il est légitime de s’interroger sur les conditions dans lesquelles ils peuvent faire usage de leur arme. Cependant, le régime juridique actuel, celui de la légitime défense, est extrêmement balisé et connu. Il est sans doute imparfait, compte tenu de la notion de proportionnalité, qui nécessite de mener des enquêtes, mais il est stable et parfaitement connu par les agents des services de police, de gendarmerie et de douanes.

Changer de régime, ce serait s’exposer à l’incertitude, à l’évolution de la jurisprudence et à une complexité nouvelle. Les nouvelles dispositions seraient difficiles à mettre en œuvre : par définition, l’agent qui fait usage de son arme est soumis à une situation stressante, et il n’a pas franchement le temps d’un raisonnement juridique complexe. L’article 19 essaie d’apporter une solution, mais il crée davantage de problèmes qu’il n’en règle. C’est la raison pour laquelle je souhaite sa suppression.

M. le président. La parole est à M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission sur ces amendements de suppression.

M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Je reprendrai les termes employés par le Premier ministre : « Aux avant-postes de la République, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, 365 jours par an, les forces de l’ordre exposent leur vie au quotidien. En 2014, 5 834 policiers ont été blessés en mission de police. 1 769 gendarmes l’ont été par agression. Les atteintes graves à leur intégrité physique, par arme à feu ou par arme blanche, atteignent des niveaux inacceptables. »

Mes chers collègues, l’objectif de cet article n’est en rien de donner aux forces de l’ordre un permis de tuer. Il ne s’agit pas non plus de les insécuriser par une présomption de légitime défense qui paraîtrait à première vue protectrice, mais qui serait battue en brèche par la jurisprudence nationale et conventionnelle. En revanche, nous voulons leur donner les moyens de s’adapter à une menace qui évolue, en particulier lors des périples meurtriers comme à l’occasion des attentats de novembre.

Le I de l’article 19 crée un nouvel article L. 434-2 du code de la sécurité intérieure instituant un nouveau régime d’irresponsabilité pénale en raison de l’état de nécessité. Cette insertion dans le code de la sécurité intérieure plutôt que dans le code pénal se justifie par le fait que le dispositif proposé est une doctrine d’emploi de la force armée propre aux forces de l’ordre.

Ce régime bénéficie aux fonctionnaires de la police nationale et aux militaires de la gendarmerie nationale qui font un usage de leur arme rendu absolument nécessaire pour empêcher l’auteur d’un ou plusieurs homicides volontaires ou tentatives d’homicides volontaires dont il existe des raisons réelles et objectives de penser qu’il est susceptible de réitérer d’autres crimes dans un temps rapproché.

Ces dispositions répondent aux exigences conventionnelles et constitutionnelles. En effet, la Cour européenne des droits de l’homme juge qu’en principe, il ne peut y avoir nécessité absolue de mettre en danger les vies humaines que lorsque la personne qui doit être arrêtée représente une menace pour la vie ou l’intégrité physique de quiconque et qu’elle est soupçonnée d’avoir commis une infraction à caractère violent. De même, la Cour a été amenée à juger l’usage de la force meurtrière compatible avec l’article 2 de la convention européenne des droits de l’homme s’il existe « une menace réelle et sérieuse pour la vie ».

Le II de l’article 19 complète l’article L. 4123-12 du code de la défense pour prévoir l’application du I aux militaires des formes armées déployés sur le territoire national dans le cadre des réquisitions légales pour les besoins de la défense et de la sécurité civiles.

Le III complète l’article 56 du code des douanes pour appliquer aux agents des douanes les dispositions du I.

Voilà pourquoi je souhaite le rejet de ces amendements de suppression de l’article 19. On peut probablement améliorer encore la rédaction de cet article, mais sa suppression constituerait à mon sens une erreur grave.

Lors de l’examen du texte en commission, nous avons déjà adopté un amendement apportant des précisions destinées à éclairer les raisons réelles et objectives pouvant conduire à justifier l’usage des armes dans le cadre du nouvel état de nécessité. L’appréciation faite par le fonctionnaire de police ou le militaire de gendarmerie au moment du tir doit prendre en compte à la fois des circonstances de la première agression, du caractère déterminé de leur auteur et de ses motivations, de la certitude d’une réitération des homicides ou tentatives d’homicides dans un temps rapproché, et de la nécessité de faire obstacle à la réitération.

Vous le voyez, nous sommes loin des possibilités d’ouvrir le feu dans n’importe quelles conditions. Nous répondons à des situations précises, qui ont été vécues, et qui posent des problèmes de droit que nous nous efforçons de résoudre, avec le souci d’apporter tant aux policiers qu’aux citoyens toutes les garanties nécessaires…

M. le président. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur.

M. Pascal Popelin, rapporteur. …pour que les interventions des forces de l’ordre soient efficaces, mais qu’elles ne soient pas effectuées dans n’importe quel cadre. C’est pourquoi la commission a donné un avis défavorable à ces amendements de suppression.

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur, pour donner l’avis du Gouvernement.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Je suis, moi aussi, défavorable à ces amendements.

Les événements de janvier et de novembre 2015 ont donné lieu à l’utilisation par les terroristes de modes opératoires qui n’avaient jamais été observés jusqu’à présent dans notre pays : je veux parler du port et de l’activation de ceintures explosives, de manière autonome ou combinés à des meurtres de masse commis avec des armes de guerre.

De plus, ces entreprises meurtrières ont pu se poursuivre pendant plusieurs heures, voire, dans le cas des frères Kouachi et d’Amedy Coulibaly, pendant plusieurs jours avant que les auteurs ne soient neutralisés, non sans avoir commis ou tenté de commettre d’autres crimes. C’est avec une assurance et une désinvolture glaçantes que les Kouachi, tout comme certains des auteurs des attentats du 13 novembre, ont pu, entre deux tueries, se mouvoir sur la voie publique ou dans les transports en commun, porteurs de leur arme ou de leur ceinture d’explosifs. Il ne faut pas oublier ces mots lancés par Mohammed Merah au négociateur du Raid quelques heures avant l’assaut final : « La mort, je l’aime comme vous aimez la vie. »

À ce jour, le seul cadre permettant aux policiers d’ouvrir le feu est celui de la légitime défense. Dès lors qu’ils ne sont pas directement menacés ou que le malfaiteur ne menace pas directement un tiers, les agents ne sont pas habilités à faire usage de leur arme. Or, dans les cas de figure très spécifiques que je viens d’évoquer, il est vital de donner aux forces de l’ordre la possibilité de faire usage de leur arme pour neutraliser des individus qui recommenceront à tuer, parce qu’ils l’ont déjà fait dans les minutes ou les quarts d’heure qui ont précédé. Ils continueront à tuer quand l’occasion se présentera de nouveau, et ils n’hésiteront pas à se donner la mort, si possible en causant de nouvelles victimes.

La disposition présentée par le Gouvernement vise à sécuriser l’action des forces de l’ordre en cas de périple meurtrier. La rédaction proposée emprunte aux décisions de la Cour européenne des droits de l’homme et s’inscrit dans sa jurisprudence : elle impose en effet aux policiers et aux gendarmes de remplir la condition d’absolue nécessité pour faire usage de leur arme.

Il s’agit de circonscrire le plus précisément possible l’hypothèse dans laquelle l’état de nécessité trouvera à s’appliquer. Cette hypothèse est celle d’un auteur ayant déjà commis ou tenté de commettre une atteinte volontaire à la vie, et dont la détermination réitérée, telle qu’elle ressort des circonstances des premiers crimes, est quasi certaine au regard des informations dont dispose l’agent au moment de son intervention. Il s’agira pour le juge d’apprécier concrètement l’honnête conviction que peut se faire l’agent, dans la position où il se trouve, lorsqu’il est en présence d’un criminel.

Il faudra donc que le but principal de la personne visée, dans son périple, soit bien de tuer. Ceci exclut le meurtre commis par voie de conséquence, par exemple celui du braqueur en fuite.

Il faudra également que les premiers crimes et l’usage des armes par les forces de l’ordre aient lieu dans un temps rapproché, c’est-à-dire qu’il existe une forme de continuité dans l’enchaînement de ces différentes actions.

Il n’est pas question par exemple de faire utilisation de cette disposition pour intervenir plusieurs semaines ou plusieurs mois après les faits si ceux-ci se sont interrompus dans l’intervalle.

Il me semble que la rédaction à laquelle nous avons abouti, avec la commission des lois, constitue un compromis qui précise suffisamment l’hypothèse envisagée par le Gouvernement tout en ménageant le caractère opérationnel de la mesure. En effet, il apparaît trop complexe et finalement trop insécurisant d’exiger de l’agent qui ne dispose ni de la formation ni des éléments complets de l’affaire qu’il se livre à une analyse juridique complexe, en quelques secondes.

C’est la raison pour laquelle nous sommes défavorables à l’insertion d’une qualification terroriste dans le texte. Nous sommes également défavorables à l’obligation de procéder à des sommations préalables, précisément parce que les cas de figure rencontrés ne s’y prêtent absolument pas, sauf à mettre en péril la vie de l’agent lui-même et la vie des tiers qu’il est censé protéger.

Face à un individu porteur d’une ceinture d’explosifs, prêt à se faire exploser en quelques centièmes de secondes, la sommation n’est pas du tout appropriée. De même, le tireur d’élite qui se trouve à plusieurs centaines de mètres et qui est le seul à pouvoir neutraliser l’auteur avec un minimum de risque ne se trouve pas en position de procéder à des sommations.

Enfin, très concrètement, face à un Kouachi, un Coulibaly en train de déambuler en étant porteur d’un fusil d’assaut, si des sommations avaient été proférées, il est certain que les terroristes auraient aussitôt ouvert le feu, tuant passants et auteurs de la sommation.

Les fonctionnaires de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale font preuve au quotidien d’un discernement exemplaire, en ne faisant usage de leur arme que dans des conditions de stricte nécessité. Il n’existe aucune raison pour qu’ils n’agissent pas avec le même discernement s’agissant de la mise en œuvre de cette disposition qui sera précédée et accompagnée par des actions de formation et d’entraînement adaptées au nouveau cadre juridique.

Enfin, loin de constituer un quelconque permis de tuer, l’usage de l’arme en état de nécessité restera soumis au contrôle de l’autorité judiciaire qui appréciera, comme elle le fait aujourd’hui, si les conditions d’absolue nécessité et de proportionnalité ont été remplies en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

L’équilibre auquel nous sommes parvenus au terme du travail de la commission des lois et du rapporteur sur ces sujets difficiles est un bon équilibre. Pour cette raison, je propose de ne pas adopter ces amendements de suppression de l’article. Restons dans l’équilibre du texte tel qu’il est présenté au Parlement.

M. le président. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Monsieur le ministre, pardonnez-moi d’avoir un peu de mémoire. Vous venez d’expliquer longuement qu’il s’agit d’un texte équilibré nous invitant à respecter cet équilibre. C’est exactement ce à quoi nous invitait, loi après loi votée dans l’émotion, l’ancienne majorité.

Votre gêne est du reste à l’image de la longueur de votre explication, tout comme celle du rapporteur. Vous êtes parfaitement conscients d’être en train d’ouvrir une porte sur un domaine dangereux. Vous faites croire à cette assemblée qu’un policier, un gendarme, un militaire ne pourraient pas tirer sur un terroriste.

Or le code pénal est très précis à cet égard et prévoit qu’un policier, un gendarme, un douanier, un militaire peuvent tirer sur un terroriste dans deux cas qui lui accordent l’irresponsabilité pénale : la légitime défense et l’état de nécessité. Dans les arguments que vous invoquez figure la question du temps rapproché. Pour ma part, j’attends que l’on m’explique le contenu du « temps rapproché » et la façon dont on peut le déterminer !

Vous ne cessez d’invoquer des références européennes en indiquant que cet article 19 y serait parfaitement conforme. La réponse est non. C’est la raison pour laquelle j’insiste, mais je ne suis pas le seul même si les amendements en ce sens n’ont pas tous été défendus en raison de l’absence de leur auteur dans l’hémicycle. En tout état de cause, c’est la preuve que même dans cette majorité, nous sommes un certain nombre à ne pas accepter une telle dérive.

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Le sujet est incontestablement très complexe car il s’agit du droit de vie ou de mort. Il est également très complexe car jamais les juristes n’arriveront à convaincre un jury. L’avocat que je suis constate que, décision après décision des cours d’assises, il y a systématiquement des acquittements en matière de légitime défense alors même que cela ne concerne pas les forces armées.

Nous devons tenir compte dans le texte que nous allons voter des réalités. Il faut bien savoir qu’en ce qui concerne les forces armées, la question de la légitime défense ne se pose pas dans les mêmes termes que pour un civil. J’ai toujours été interloqué par le problème du tireur d’élite auquel a fait allusion M. le ministre. Par définition, le tireur d’élite n’est pas menacé. Il est protégé et il a la possibilité de tuer ou de ne pas tuer.

Dès lors la seule chose qu’il a à faire, c’est d’abord d’obéir aux ordres qui lui sont donnés – mais cela ne fait que renvoyer le problème de la responsabilité pénale –, puis, d’apprécier si, oui ou non, il empêche la commission d’un crime par la personne sur laquelle il va tirer. Ce cas de figure n’existe pas dans le droit habituel de la légitime défense pour tout un chacun.

Or les tireurs d’élite doivent être protégés sinon on en fait des assassins. C’est ou l’un ou l’autre. Soit, on en fait des héros, soit on en fait des assassins. Il n’est pas aussi facile de trancher. La limite entre la décision qui est prise et le moment où il est répondu à l’ordre de tirer pose question.

Je pense qu’il est nécessaire – et vous avez ouvert la voie, monsieur le ministre – de prévoir une formation rigoureuse, non seulement au maniement des armes, mais également aux règles du droit afin que celui qui est amené à prendre une telle décision le fasse en pleine connaissance de cause.

Le texte qui nous est proposé ne s’applique pas à tout un chacun, il ne s’applique pas aux civils, mais à des militaires et des forces de l’ordre. Mais il doit être pris en considération quitte, éventuellement, à l’amender, notamment en ce qui concerne la formation indispensable de ceux qui reçoivent l’ordre de tuer.

M. le président. La parole est à M. Denys Robiliard.

M. Denys Robiliard. Il s’agit d’un problème de principe. Vous avez, monsieur le ministre, évoqué des situations extrêmement concrètes, celle des frères Kouachi, de Mohammed Merah dans lesquelles à chaque fois, en l’état du droit positif, les forces de police ou de gendarmerie ont pu faire le nécessaire.

Le droit actuel n’a ainsi pas besoin d’être modifié pour appréhender des criminels de ce type. Nulle nécessité donc d’instaurer la nécessité absolue à laquelle vous avez fait référence ; l’état du droit actuel le permet.

Je ne vois pas dans les annales judiciaires des arrêts définitifs, des arrêts de condamnation qui mettraient indûment en cause la responsabilité de policiers ou de militaires à raison de l’usage de leurs armes.

Il me semble que nous cherchons à régler un problème qui en droit ne se pose pas. L’état de notre droit est suffisant pour répondre à la menace dont j’ai parfaitement conscience que nous faisons tous l’objet.

M. Noël Mamère. Très bien !

(Les amendements identiques nos 343, 432, 440 et 514 ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements, nos 279 rectifié, 108 et 143, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Meyer Habib, pour soutenir l’amendement n279 rectifié.

M. Meyer Habib. Légiférer sur la question de l’usage légal de la force, de la légitime défense dans une société démocratique et humaniste comme la nôtre est une question difficile et très sensible. Mais un constat s’impose, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre de l’intérieur. Les policiers exercent leurs missions dans des conditions de plus en plus difficiles et risquées. Dans l’immense majorité des cas, ils le font avec courage, professionnalisme, disponibilité, et c’est un devoir pour l’État que de leur donner des moyens adaptés pour remplir leurs missions.

Les faits sont là : nous vivons dans un monde où l’on peut de plus en plus facilement se procurer des armes de guerre, y compris sur internet, et s’en servir dans le but de tuer.

Le projet de loi se propose de faire évoluer le régime de l’usage légal de la force applicable aux policiers en substituant l’état de nécessité au droit commun de la légitime défense actuellement en vigueur.

Cet état de nécessité répond à plusieurs conditions : le danger auquel fait face le fonctionnaire de police doit être actuel, imminent et réel. Le danger ne doit pas être la conséquence d’une faute préalable. L’infraction commise par l’officier de police doit avoir été le seul moyen d’éviter le danger. Enfin, l’infraction commise ne doit pas être disproportionnée à la gravité de la menace.

Mes chers collègues, imaginez ce que c’est que d’évaluer une situation en une fraction de secondes. Le cadre actuel est trop flou, trop complexe, trop restrictif dans certains cas. Les policiers jouent souvent leur carrière. Ils interviennent dans des conditions d’urgence, de tension extrême. Il est de notre devoir, si l’on a confiance en eux, de leur fournir un cadre parfaitement clair leur permettant de prendre des décisions qui s’imposent pour concilier préservation de la vie d’autrui et protection des forces de l’ordre.

Outre les risques encourus dans le cadre de leurs fonctions et pour permettre aux forces de l’ordre d’accomplir leurs missions, il ne faut pas qu’ils soient systématiquement exposés à un risque juridique. La solution serait d’aligner les conditions d’utilisation de la force armée de la police sur les régimes existants de la gendarmerie.

M. Denys Robiliard. Non !

M. Meyer Habib. En effet, les gendarmes disposent d’un cadre légal plus clair et plus adapté permettant l’utilisation de leurs armes. L’article 2338-3 du code de la défense prévoit que les officiers et les sous-officiers de gendarmerie peuvent, en l’absence de l’autorité judiciaire ou administrative, d’employer la force armée dans quatre cas précis.

M. le président. Merci, monsieur le député.

M. Meyer Habib. C’est la raison pour laquelle je demande que les deux alinéas de ce texte soient étendus aux fonctionnaires de police.

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n108.

M. Éric Ciotti. Le sujet que nous abordons est majeur puisqu’il s’agit d’apporter une protection à ceux qui, au péril de leur vie, assument la protection de nos concitoyens. Malheureusement, plusieurs affaires y compris récemment devant une cour d’assises ont démontré que la responsabilité pénale des policiers, des militaires de la gendarmerie pouvait être engagée dans le cadre des actions qu’ils conduisaient en exerçant leur mission.

Vous avez, monsieur le ministre et je vous en remercie, souhaité avancer sur ce sujet. Par trois fois, notre groupe a ouvert des discussions dans cet hémicycle en déposant trois propositions de loi. Pour ma part, j’en ai défendu deux au nom de mon groupe : le 2 avril 2015 et le 4 février dernier.

Vous avez, enfin, souhaité répondre à nos attentes en faisant avancer le dispositif de protection de ceux qui nous protègent. C’est une bonne chose et je m’en réjouis. Mais à bien des égards le dispositif que vous nous proposez nous paraît imparfait. Nous ne sommes pas les seuls à être de cet avis.

Le Conseil d’État a considéré que l’usage des armes par les forces de l’ordre « devrait être redéfini plus globalement. » En fait, il a émis un avis assez réservé sur ce texte. Par notre amendement, nous voulons poser un cadre plus global. Vous avez exprimé votre position, monsieur le ministre, en évoquant le cas limité à la réponse à apporter aux tueurs de masse dans le cadre d’une répétition d’actions criminelles dans un temps rapproché et il fallait en effet traiter ce cas de figure.

Outre l’avis réservé du Conseil d’État, les syndicats de police, notamment le syndicat Alliance, ont indiqué que le dispositif que vous proposez entraînerait plus de difficultés qu’il n’apporterait de solutions.

C’est pourquoi nous souhaitons aller plus loin et, en particulier, prendre en considération à la fois les cas de danger imminent auquel pourraient avoir à faire face tant les policiers que les gendarmes et les cas de violences graves. Ce que nous proposons est par conséquent un élargissement du dispositif. J’espère que vous nous entendrez, car, je le répète encore une fois, il importe de mieux protéger ceux qui nous protègent.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement n143.

M. Guillaume Larrivé. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je comprends quelle fut l’intention du Gouvernement lorsqu’il a rédigé cet article, et c’est la raison pour laquelle je n’ai pas voté les amendements tendant à le supprimer. Toutefois, cette rédaction me paraît bien imparfaite.

Nous avons lu avec attention l’avis public de l’assemblée générale du Conseil d’État. Éric Ciotti en a rappelé la conclusion, j’en citerai pour ma part l’introduction : « Le Conseil d’État relève que la disposition proposée n’apportera qu’une sécurité juridique relative aux interventions des forces de l’ordre, compte tenu de la marge d’appréciation laissée pour chacune des situations susceptibles de se produire ; la combinaison de cette disposition avec les règles préexistantes pourrait s’avérer délicate tout spécialement pour les gendarmes qui seront soumis à trois régimes juridiques différents ». Le Conseil d’État appelle fort justement le législateur à travailler à une uniformisation des régimes d’emploi des armes des militaires de la gendarmerie nationale et des fonctionnaires de la police nationale.

Pour ce qui nous concerne, nous nous y employons depuis bientôt quatre ans : j’ai rapporté dans cet hémicycle, en décembre 2012, une proposition de loi de notre groupe qui allait dans ce sens, mais qui, ayant recueilli l’avis défavorable du ministre de l’intérieur de l’époque, Manuel Valls, a été rejetée ; deux autres tentatives, émanant d’Éric Ciotti et de notre groupe, ont par la suite elles aussi été rejetées.

Nous ne prétendons pas, messieurs les ministres, que la rédaction que nous proposons aujourd’hui soit parfaite, mais nous avons, comme l’assemblée générale du Conseil d’État, la conviction qu’il convient de s’atteler à une harmonisation des régimes d’emploi des armes des gendarmes et des policiers qui, s’agissant de son champ d’application, irait bien au-delà de la disposition que vous proposez.

Cette disposition nous paraît d’ailleurs d’autant plus fragile que sa rédaction très fine risque d’engendrer un certain nombre d’a contrario. Cette rédaction est en effet tellement ciselée, elle comprend tant de conditions, qu’elle pourrait donner lieu, je le crains, à des interprétations dangereuses pour les forces de l’ordre, dans la mesure où des a contrario seraient soulevés par un texte un peu trop subtil pour être pleinement opérationnel.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Je n’ai pas repris la parole tout à l’heure, monsieur le président, mais je veux dire à M. Mamère, qui a interprété une réponse détaillée et, je l’espère, argumentée, de ma part comme une forme d’embarras, que dans l’hypothèse où ma réponse eût été laconique, il aurait estimé que je manquais de respect envers les parlementaires qui présentent des amendements. Même si j’ai conscience de l’immense difficulté de ma tâche, je lui assure que ces longues explications n’exprimaient nullement une forme d’embarras, mais plutôt la préoccupation d’être didactique et, si possible, convaincant.

Je voudrais ensuite donner quelques éléments de réponse à M. Habib. Les jurisprudences nationales et conventionnelles ont largement atténué les différences entre les régimes d’emploi de la force armée. Il me semble que ce serait envoyer un message trompeur aux policiers que de leur promettre un régime aligné sur celui des gendarmes, alors qu’en pratique c’est plutôt le régime des gendarmes qui s’est rapproché, pour des raisons jurisprudentielles, du régime des policiers.

Quant à vous, messieurs Ciotti et Larrivé, les rédactions que vous proposez me paraissent poser plusieurs problèmes.

D’abord, aucune ne reprend le critère du temps rapproché dans le cadre d’un périple meurtrier, qui est pourtant la principale novation de l’article 19.

Ensuite, elles reprennent toutes deux en partie la définition de l’article L. 2338-3 du code de la défense, mais en partie seulement, ce qui poserait des difficultés aux gendarmes, qui seraient soumis à la fois à cet article et à celui que vous proposez.

D’autre part, la Cour de cassation considère que l’usage d’une arme ne peut être justifié que s’il s’avère absolument nécessaire au regard de la situation. C’est pourquoi elle apprécie au cas par cas, dans les affaires dans lesquelles des policiers ou des gendarmes, sans distinction, ont eu recours à leurs armes de service, si ces derniers se trouvaient ou non en état de légitime défense. Cette jurisprudence s’applique aussi bien aux policiers en état de légitime défense qu’aux gendarmes utilisant leurs armes dans le cadre des dispositions du code de la défense : cela illustre ce que je viens de dire à M. Habib. Laisser entendre aux policiers que grâce à une réécriture du code pénal, ils pourraient faire usage de leurs armes en dehors du cadre de la légitime défense, sous couvert d’un alignement de leur régime sur celui réputé plus permissif de la gendarmerie, constituerait une impasse sur le plan juridique.

Autre problème : ces rédactions ne font pas référence à un usage « absolument nécessaire ».

M. Guillaume Larrivé. Mais si !

M. Pascal Popelin, rapporteur. La vôtre peut-être, monsieur Larrivé, mais pas l’autre.

Il s’agit pourtant d’un des critères retenus par la Cour européenne des droits de l’homme pour valider le recours à la force armée et l’une des conditions du respect par notre législation de la Convention européenne des droits de l’homme.

En outre, l’amendement de M. Ciotti institue une présomption de légitime défense au bénéfice des forces de l’ordre. Cette idée a pu représenter une hypothèse séduisante pour certains : en effet, les forces de l’ordre sont plus fréquemment exposées que le reste de la population à des agressions contre elles ou contre autrui et, de ce fait, peuvent être amenées à faire usage de la force. L’introduction d’un nouveau cas de présomption de légitime défense a néanmoins été écartée par le rapport de M. Mattias Guyomar sur la protection fonctionnelle des policiers et des gendarmes, ainsi que par le présent projet de loi. Elle comporterait en effet de nombreux inconvénients sans apporter véritablement de solutions au cas de figure d’un périple meurtrier. Elle serait, en outre, d’un maniement pour le moins délicat dans les cas de plus en plus fréquents d’un port d’arme factice. Surtout, elle bouleverserait le régime de la légitime défense, qui est fondé, non pas sur la qualité de l’auteur de l’acte, mais sur la nature de la situation à laquelle celui-ci était confronté. Enfin, elle ne modifierait en rien le droit au recours aux armes à feu tel qu’il est interprété par les juridictions françaises et européennes.

Voilà toutes les raisons qui ont conduit la commission à donner un avis défavorable à ces trois amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Meyer Habib.

M. Meyer Habib. J’essaie de vous suivre, monsieur le rapporteur… Vous dites que la jurisprudence tend à aligner le régime des policiers sur celui des gendarmes, mais nous avons aujourd’hui la possibilité de faire en sorte que la loi soit plus claire. Que dit l’article L. 2338-3 du code de la défense ? Que la force armée peut être utilisée « lorsque des violences ou des voies de fait sont exercées contre eux ou lorsqu’ils sont menacés par des individus armés » ou « lorsqu’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent, les postes ou les personnes qui leur sont confiés ou, enfin, si la résistance est telle qu’elle ne puisse être vaincue que par la force des armes ». Un policier ne peut attendre qu’un délinquant ou un terroriste pointe son arme sur lui, car c’est déjà trop tard – nous l’avons vérifié récemment, hélas !

J’entends ce que vous dites, monsieur le rapporteur, mais, je le répète, nous avons aujourd’hui la possibilité de clarifier les choses en alignant le régime des forces de police sur celui des gendarmes. C’est pourquoi je maintiens mon amendement.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Monsieur le ministre de l’intérieur, je souhaiterais que vous précisiez les intentions du Gouvernement pour les mois à venir, jusqu’au terme du quinquennat. Le débat de ce soir sur l’emploi des armes par les forces de l’ordre et l’uniformisation par la loi des régimes d’emploi des armes par, d’une part, les fonctionnaires de la police nationale, d’autre part, les militaires de la gendarmerie nationale sera-t-il le dernier de la législature ? Autrement dit, considérez-vous que la question est close ? Le présent article 19 correspond-il à son règlement définitif, referme-t-il le débat sur l’emploi des armes ou les groupes de travail réunis place Beauvau ont-ils vocation à déboucher un jour sur un autre texte ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur le député Larrivé, nous avons déjà eu ce débat à l’occasion de l’examen de la proposition de loi présentée par le député Ciotti. Celle-ci reposait sur l’idée qu’il fallait aligner le régime applicable à la police sur celui qui prévalait pour la gendarmerie, considérant que les conditions d’engagement des armes étaient plus favorables pour la gendarmerie, notamment dans le cas d’un périple meurtrier – bien que ce ne fût pas le seul sujet évoqué par la proposition de loi. J’ai répondu que la jurisprudence avait largement aligné les deux régimes, au point de faire disparaître presque totalement les différences qui pouvaient exister entre eux, mais qu’il me paraissait qu’un autre problème se posait, qui était l’exposition de policiers et de gendarmes à des tueries de masse. J’ai ajouté que, vu ce que nous avions constaté à l’occasion des actes terroristes perpétrés récemment dans notre pays, il convenait d’adopter une démarche pragmatique, qui permette aux forces de sécurité d’être protégées de ces tueurs qui tuent de façon mécanique, avec sang-froid, sans que rien ne puisse les arrêter, et qu’il importait notamment que les policiers puissent les neutraliser afin de se protéger eux-mêmes et de protéger les citoyens qui risqueraient d’être atteints par des tirs. J’ai enfin indiqué que les dispositions que nous arrêterions devraient être parfaitement conformes aux principes du droit de l’Union européenne et aux principes du droit constitutionnel.

Le texte que nous vous proposons aujourd’hui est le résultat de la réflexion que nous avons conduite en fonction des considérants que je viens d’indiquer.

Nous sommes donc partis d’une réflexion parlementaire, engagée par votre groupe. Si je n’ai pas retenu votre proposition, c’est qu’elle ne me paraissait pas répondre aux défis nouveaux auxquels la police nationale se trouve confrontée, que, même si elle traitait de sujets pendants, elle ne faisait pas le tour de la question, enfin, qu’elle n’apportait rien au plan du droit puisque la jurisprudence avait déjà fait avancer les choses.

M. Guillaume Larrivé. Ce n’est pas l’avis du Conseil d’État !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Ce que je vous propose donc, c’est d’adopter la disposition gouvernementale, qui représente une avancée considérable, obtenue au terme d’une réflexion approfondie engagée entre nous et qui tient compte de ces deux réalités que sont les nouvelles formes de crime et l’État de droit. Toutefois, si dans les mois et les années qui viennent, nous devions être confrontés à de nouvelles situations, rien n’interdirait aux parlementaires et au Gouvernement de continuer à réfléchir.

(Les amendements nos 279 rectifié, 108 et 143, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Popelin, pour soutenir l’amendement n539.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Cet amendement rédactionnel vise à reprendre la qualification utilisée par l’article 221-1 du code pénal et à remplacer « homicides volontaires » par « meurtres ».

(L’amendement n539, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 540 et 452, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Pascal Popelin, pour soutenir l’amendement n540.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.

M. le président. La parole est à M. Yves Goasdoué, pour soutenir l’amendement n452.

M. Yves Goasdoué. Je n’ai pas pris la parole tout à l’heure, mais je profite de cet amendement pour dire que le problème que nous avons à résoudre est celui auquel sont confrontées les forces de l’ordre à l’occasion des périples meurtriers, et rien d’autre. Le déroulement de ces périples ne permet pas de les traiter convenablement sur la base de la légitime défense, pas même de la légitime défense d’autrui. Il faut les traiter sur la base de l’état de nécessité, mais en précisant les conditions dans lesquelles les choses doivent se dérouler, afin que tous les acteurs soient protégés, et plus particulièrement les policiers et les gendarmes, qui sont les défenseurs de la République.

Je serai bref et clair : ce qui doit être évité, c’est la réitération. Le projet de loi, en l’état, ne le précise pas : il mentionne une simple « situation ». Notre amendement propose donc de substituer, à la fin de l’alinéa 2, au mot « situation », les mots « réitération d’actes de violence ». C’est bien la certitude que des actes de violence seront réitérés qui justifie l’usage des armes.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Ces deux amendements en discussion commune témoignent du même esprit. Je n’ai pas développé d’argumentation à l’appui de mon amendement n540, car il s’agit à mon sens d’un simple amendement rédactionnel. Mon amendement propose la formulation « la réitération de ces actes », l’adjectif démonstratif « ces » renvoyant aux actes décrits plus haut par l’alinéa 2, tandis que l’amendement de M. Goasdoué propose la formulation « réitération d’actes de violence ».

Je pense que mon amendement est le plus précis, puisqu’il renvoie à ce qui est écrit un peu plus haut dans le même article. Je demande donc à M. Goasdoué de bien vouloir retirer son amendement au profit de celui que j’ai défendu.

M. le président. La parole est à M. Yves Goasdoué.

M. Yves Goasdoué. Je retire l’amendement n452.

(L’amendement n452 est retiré.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n540, qui reste en discussion ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Favorable.

(L’amendement n540 est adopté.)

(L’article 19, amendé, est adopté.)

Après l’article 19 (amendements appelés par priorité)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 109 et 277, pouvant être soumis à une discussion commune, et visant à introduire un article additionnel après l’article 19.

La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n109.

M. Éric Ciotti. Il s’agit de donner un cadre légal aux dispositions prises par M. le ministre de l’intérieur par circulaire pour autoriser le port d’arme hors service par les forces de l’ordre. Puisque la menace terroriste à laquelle notre pays est exposé est maximale, des policiers hors service sont confrontés à des situations dans lesquelles ils pourraient être des primo-intervenants. On l’a vu notamment au Bataclan. Dans ces cas, ils auraient à faire usage de leur arme pour protéger nos concitoyens d’une attaque terroriste.

M. le président. La parole est à M. Meyer Habib, pour soutenir l’amendement n277 en discussion commune.

M. Meyer Habib. Notre pays est depuis plusieurs années la cible d’attentats terroristes d’une violence inédite dont l’année 2015 a marqué le point d’orgue. Les djihadistes mettent à feu et à sang le Moyen-Orient, et nous ont à présent déclaré la guerre sur notre sol. Ils ont des fusils d’assaut, des kalachnikovs, des lance-roquettes, des grenades, des explosifs, etc.

Les terroristes menacent en tout lieu, en toute heure : combien d’attentats ont avorté ? Combien d’échecs dus parfois à la chance – on se souvient de l’incompétence d’un Sid Ahmed Ghlam –, parfois à l’intervention héroïque de touristes étrangers – comme dans l’attaque du Thalys. Comme le disait Einstein, le hasard, la chance, c’est « Dieu qui se promène incognito ».

Face à l’ampleur et à l’imminence de la menace, monsieur le ministre, vous avez demandé que nos policiers puissent être armés y compris en dehors du service pendant la durée de l’état d’urgence. Jean-Marc Falcone, directeur général de la police nationale, a ainsi, le 19 novembre 2015, fait adopter un régime temporaire et dérogatoire permettant aux policiers qui le souhaitent d’être armés en dehors de leurs heures de service. C’est un début, mais il me semble que ce dispositif doit être pérennisé. C’est aussi la position des syndicats de policiers, qui appellent à rendre cette mesure permanente, de façon que le dépôt d’arme soit l’exception.

Inspirons-nous de ceux qui connaissent bien, hélas, ces questions, qui en ont l’expérience : les Israéliens. Je les connais particulièrement bien ; ils vivent avec cette menace depuis près de soixante-dix ans. Il y a énormément de tentatives d’actes terroristes, et les interventions sont toujours très rapides. Le port d’arme hors service a ainsi permis de sauver des dizaines de vies ces dernières années.

Si les policiers étaient autorisés à être armés en dehors du service, il y aurait quelque 110 000 fonctionnaires de police armés dans les transports en communs, dans les salles de concert, etc. Je vous rappelle que le soir du 13 novembre, deux policiers étaient présents au Bataclan. L’un a été tué, l’autre grièvement blessé. Ils étaient spectateurs, et non armés ce jour-là. S’ils avaient été armés, peut-être le bilan aurait-il été un peu moins lourd.

Une vraie question se pose : je demande, par cet amendement, qu’elle fasse l’objet d’un rapport approfondi.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements en discussion commune ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Concernant l’amendement n109 de M. Ciotti, la commission a considéré que cette question relève du domaine réglementaire, bien qu’elle ne soit pas neutre, ni dénuée d’importance. Elle est en effet régie par l’arrêté du 6 juin 2006 portant règlement général d’emploi de la police nationale. L’expérience récente, à laquelle vous avez fait référence vous-même, mon cher collègue, atteste que ce type de décision relève du pouvoir réglementaire confié au ministre de l’intérieur pour l’exercice de ses prérogatives.

Concernant l’amendement n277, monsieur Habib, je ne me prononcerai pas sur le fond. Il me semblerait profitable d’investiguer sur les questions que vous soulevez. Cependant je vous rappelle, monsieur le député, la doctrine dont M. le garde des sceaux a été à l’origine, lorsqu’il était président de notre commission des lois : nous refusons, par principe, d’inscrire dans la loi des demandes de rapport au Gouvernement. Nous considérons que l’Assemblée nationale dispose des moyens nécessaires pour se constituer sa propre expertise – elle l’a montré en particulier dans le cadre du contrôle de l’état d’urgence. Elle peut notamment avoir recours aux missions d’évaluation, au comité d’évaluation et de contrôle, aux commissions d’enquête.

Par ailleurs, rien n’empêche le Gouvernement, s’il le souhaite, de communiquer des éléments à la représentation nationale sous la forme d’un rapport. Il n’est nul besoin de l’y contraindre par la loi. Fidèle à cette doctrine que les manuels de droit appelleront peut-être, un jour, la « doctrine Urvoas », la commission des lois a donné un avis défavorable à l’amendement que vous proposez.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

(Les amendements nos 109 et 277, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Coutelle, pour soutenir l’amendement n510, qui est également une demande de rapport.

Mme Catherine Coutelle. Cet amendement concerne la légitime défense et concerne M. le garde des sceaux, Jean-Jacques Urvoas. La délégation aux droits des femmes, par cet amendement, demande « un rapport chiffré et sexué sur l’état de la jurisprudence en matière de légitime défense, comprenant notamment le nombre de cas concernant les femmes et les hommes, et une interprétation jurisprudentielle des critères légaux et des éléments de droit comparé » si possible avec la Suisse, le Canada et d’autres pays.

Je m’explique très brièvement, car cette question n’entre pas tout à fait dans le thème des débats de ce soir – sauf pour ce qui concerne la jurisprudence. Vous le savez : ce que l’on a appelé l’« affaire Sauvage » a beaucoup donné à réfléchir. Comment prendre en compte la situation de ces femmes victimes de violences pendant quarante années et qui se retournent contre leur conjoint pour le tuer ? Nous comprenons bien que Jacqueline Sauvage n’était pas, en l’espèce, en légitime défense, mais comment prendre en compte ce qu’elle a subi pendant de trop nombreuses années ?

La délégation aux droits des femmes a réalisé un rapport d’information sur les violences faites aux femmes, afin de réfléchir de manière calme, en réalisant des auditions, à l’opportunité de modifier la loi. Il s’agissait notamment d’examiner la jurisprudence en matière de légitime défense.

Nous pensons qu’il faut vraiment conforter la lutte contre les violences au sein des couples et la protection des femmes victimes de violences. Des politiques ont déjà été engagées à cet effet. Nous réfléchissons, sans avoir donné de réponse, à une adaptation éventuelle du droit en termes de légitime défense. À l’issue des auditions que nous avons menées, nous avons acquis la conviction que nous ne souhaitons pas introduire dans la loi la notion avancée par certains de « légitime défense différée », qui ne nous paraît pas opportune. Nous nous interrogeons quant à la prise en compte de la notion d’emprise par la jurisprudence.

Monsieur le garde des sceaux, nous avons auditionné des membres de votre ministère qui nous ont dit qu’ils ne pouvaient pas, à l’heure actuelle, répondre à nos questions sur la jurisprudence – qui a été condamné, à quoi, pour quelles violences. C’est pourquoi nous vous soumettons cet amendement : ce ne serait pas un énième rapport, mais un rapport utile pour que la délégation aux droits des femmes puisse continuer à travailler sur ce sujet avec vos services.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Ma fidélité à la doctrine que j’évoquais est indéfectible ; les mêmes causes produisant les mêmes effets, j’apporterai à Mme Coutelle la même réponse qu’à M. Habib. Avis défavorable.

(L’amendement n510, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Article 20 (appelé par priorité)

M. le président. Plusieurs orateurs se sont inscrits sur l’article.

La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Monsieur le ministre, je me suis inscrit sur cet article parce que les amendements que j’avais déposés ont été rejetés par la commission des finances en vertu de l’article 40 de la Constitution.

J’avais notamment déposé un amendement aux termes duquel toute personne revenant d’un théâtre d’opérations terroristes, ayant participé ou ayant pu participer à des actions terroristes loin de chez nous – en Syrie, en Irak, en Libye, au Yémen ou ailleurs – était automatiquement retenue en rétention administrative le temps que sa situation judiciaire soit examinée.

M. Alain Tourret. Une quarantaine, en somme.

M. Pierre Lellouche. On peut l’appeler comme cela, si vous le souhaitez, monsieur Tourret. C’est une mesure de sûreté pour protéger nos concitoyens contre ce que je considère comme le plus grand risque qui nous attend au cours des prochaines années. Paradoxalement, en effet, le problème commencera avec la victoire contre Daech. Ce jour-là, vous verrez revenir vers l’Europe des milliers de personnes dotées de passeports européens, dont 1 500 Français. Ces individus fanatisés, aguerris, sont formés à des techniques de combat dont nous n’avons encore aucune idée en France, mais qui sont utilisées là-bas quotidiennement par l’État islamique – je pense aux engins explosifs improvisés et aux voitures béliers bourrées d’explosifs.

Pour l’instant, votre texte ne prévoit que deux régimes d’obligations, qui ne sont tous deux qu’une faculté à la disposition du ministre de l’intérieur. Le premier régime consiste, pendant une durée d’un mois, à déclarer son domicile et, éventuellement, à se présenter aux forces de l’ordre trois fois par semaine. Le second consiste, pendant une durée d’un an, à déclarer son domicile et éventuellement son identifiant électronique. Tout cela doit se faire dans l’idée d’un retour à « une vie familiale et professionnelle normale ».

J’ai beaucoup travaillé sur les questions liées au terrorisme, et beaucoup voyagé dans les zones où se battent ces gens-là. Quand j’ai lu cette expression dans votre projet de loi, je suis littéralement tombé de ma chaise. Pensez-vous réellement que les terroristes de retour du djihad en Syrie et en Irak aspirent à une vie familiale et professionnelle normale ? Qu’ils reprendront une vie de bon Français, qu’ils pointeront à Pôle emploi et toucheront tranquillement leurs droits sociaux – puisque les contribuables continueront, naturellement, à payer comme avant ? Pensez-vous vraiment que c’est cela qui se produira ?

Si c’est ce que vous pensez, alors vous vivez sur une autre planète !

M. Alain Fauré. Une autre planète que vous, c’est certain !

M. Pierre Lellouche. Nous faisons face à un danger mortel pour notre pays. Ces combattants fanatisés se sont livrés dans ces pays aux pires atrocités, ils ont assassiné et vu leurs camarades se faire exploser. Ils sont prêts à tout. Pensez-vous qu’ils soient disposés à se réinsérer ? Pensez-vous qu’il suffira de leur demander de se présenter à la gendarmerie trois fois par semaine ?

M. le président. Il faut conclure, monsieur le député.

M. Pierre Lellouche. J’avais proposé de mettre en place, au moins, une « gare de triage » avant de savoir si l’on peut judiciariser leur cas – car bien entendu, la justice française est incapable de dire qui a participé à quoi à 4 500 kilomètres d’ici.

M. le président. Nous aurons l’occasion d’y revenir, monsieur Lellouche…

M. Pierre Lellouche. Je vous demande, monsieur le ministre de l’intérieur, d’instaurer cette mesure de sûreté. Il est impensable de nous répondre qu’il n’y a pas d’argent pour bloquer les terroristes de retour en France, mais d’en trouver assez pour l’installation des migrants. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. Merci, monsieur le député.

La parole est à M. Olivier Marleix.

M. Olivier Marleix. M. Lellouche a raison : le sujet, bien évidemment central, mérite que l’on s’y arrête quelques instants.

Le Gouvernement nous propose enfin une mesure, certes timide encore, sur les retours de djihadistes engagés en Syrie. Cela fait plus d’un an, faut-il le rappeler, que l’opposition demande des mesures nouvelles pour faire face à ce phénomène.

Vous exprimant hier à la tribune de notre assemblée, monsieur le ministre, vous avez mentionné deux chiffres : 254 retours du djihad recensés par les services – le chiffre n’est donc peut-être pas exhaustif –, et seulement 143 procédures judiciaires en cours ; autrement dit, tous les cas ne sont pas traités. Je vous ai au demeurant trouvé un peu moins triomphant que lors de votre réponse à une question au Gouvernement que j’avais posée, voici quelques semaines, sur le même sujet.

Nul ne peut nier – et je suppose que vous ne le faites pas – que ces djihadistes, de retour de Syrie ou d’Irak, font peser sur les Français une menace réelle, menace d’autant plus inquiétante qu’elle est diffuse et pas totalement contrôlée.

L’article 20 prévoit un contrôle administratif des retours via une assignation à résidence. La vraie mesure, en vérité, résiderait sans doute, comme vient de l’indiquer Pierre Lellouche, dans des poursuites judiciaires plus à la hauteur des faits. Les personnes qui se rendent en Syrie n’y vont pas pour faire du tourisme : elles sont attirées par des images que nous avons tous vues à la télévision, et qui montrent les atrocités commises sur des populations civiles.

Les faits dont nous parlons constituent des crimes très sévèrement punis par le code pénal, et plus précisément par son livre IV bis, les peines pouvant très souvent aller jusqu’à la réclusion criminelle à perpétuité. Le simple fait d’être complice de ces crimes est généralement puni de vingt-cinq ans d’emprisonnement. Bref, les peines sont très lourdes.

Toutefois la doctrine Taubira,…

M. Pascal Popelin, rapporteur. Et voilà : à chaque fois qu’on l’attaque, on marque un point !

M. Olivier Marleix. …qui jusqu’à nouvel ordre s’applique encore – et qui est d’ailleurs la seule que le Gouvernement ait adoptée par circulaire –, consiste à poursuivre les djihadistes sur le seul fondement de l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste.

On est donc très loin des solutions qu’il faudrait apporter. Le Gouvernement, conscient de cette difficulté, se contente une fois de plus d’un entre-deux, d’une solution normande.

M. Pascal Popelin, rapporteur. C’est un fait personnel ! (Sourires.)

M. le président. Merci, monsieur Marleix…

M. Olivier Marleix. À l’évidence, monsieur le ministre, nous devons changer de logiciel.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. M. Marleix a exprimé nos préoccupations avec précision ; je veux compléter son propos par une remarque d’ordre technique.

Au fond, deux raisonnements sont possibles. Le premier, défendu ici par le Gouvernement, consiste à dire que le régime pénal est si contraignant qu’il ne permet que peu de judiciarisations ; d’où la nécessité d’un régime administratif nouveau sur le problème du retour des djihadistes en France.

Seconde possibilité : retravailler le champ des incriminations afin de mieux poursuivre ces djihadistes. À cet égard, monsieur le garde des sceaux, il me paraît nécessaire de bien évaluer la portée de l’article 421-2-6 du code pénal qui, issu de la loi antiterroriste de novembre 2014, définit le délit d’entreprise terroriste individuelle. Comme nous en avions débattu ici même il y a dix-huit mois, certaines conditions, parce qu’elles sont cumulatives, rendent cette incrimination très restrictive : pour être poursuivi, il faut non seulement détenir des armes, mais aussi avoir séjourné dans la zone irako-syrienne ou consulter tel ou tel site de façon habituelle. Aucune de ces conditions, disais-je, ne se suffit à elle-même : elle doit toujours s’ajouter aux autres. Le champ du délit est donc si restrictif que les poursuites restent peu nombreuses.

Au lieu d’inventer un régime administratif incertain, mieux vaudrait resserrer les critères du délit d’entreprise terroriste individuelle, pour s’assurer que l’ensemble des djihadistes de la zone irako-syrienne peuvent être pénalement poursuivis et mis hors d’état de nuire par l’autorité judiciaire.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Sur de tels sujets, monsieur Marleix, il faut dire des choses vraies et précises ; or vous me prêtez des propos que je n’ai pas tenus. J’ai donné, hier, des chiffres très précis fournis par les services.

Les 143 cas dont vous parlez correspondent à des individus mis sous écrou, non à des procédures. La stratégie de la direction générale de la sécurité intérieure consiste à judiciariser tout individu ayant été intégré dans un groupe terroriste djihadiste en Syrie. Actuellement, 1 073 individus font ainsi l’objet d’un suivi judiciaire de la part de la DGSI pour leur implication dans des activités à caractère terroriste. Ces individus peuvent s’être rendus sur le théâtre d’opérations puis revenir en France, ou avoir contribué à l’acheminement de ressortissants français vers ce théâtre d’opérations, ou encore avoir contribué à des actes d’apologie du terrorisme.

Comme je l’ai dit plusieurs fois, il est faux de prétendre que les djihadistes de retour en France sont insuffisamment judiciarisés.

M. Olivier Marleix. Je n’ai pas dit cela !

M. Yann Galut, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Si, vous avez parlé de la « doctrine Taubira » !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. En effet, vous l’avez dit, et c’est totalement faux. Vous avez parlé de l’insuffisance de la judiciarisation et de la politique pénale, vous appuyant sur des chiffres faux que je me permets donc de corriger.

M. Olivier Marleix. Tout va donc très bien !

M. Yann Galut, rapporteur pour avis. Ce n’est pas ce qu’il a dit !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. En effet, ce n’est pas ce que j’ai dit ; mais je vous réponds avec précision, monsieur Marleix.

M. Olivier Marleix. Ce sont vos chiffres que j’ai cités !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Non, ce sont ceux de la direction générale de la sécurité intérieure. Je vous vois lever les yeux au ciel : ce n’est tout de même pas au siège du parti Les Républicains que l’on tient ces statistiques !

M. Yann Galut, rapporteur pour avis. Nous sommes dans la réalité, pas au cinéma !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Ceux qui sont investis d’un pouvoir de contrôle sur pièce peuvent tout à fait vérifier, en se rendant sur place, la véracité de mes propos ; mais la vérité ne vous intéresse pas : ce qui vous intéresse, c’est la propagande.

M. Yann Galut, rapporteur pour avis. Exactement !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Pour ma part, seule la vérité m’intéresse.

Aujourd’hui, l’activité judiciaire est intense. Pour vous donner un autre chiffre, depuis le début de l’année, cinquante personnes ont été judiciarisées : par là j’entends qu’elles ont été, non pas entendues par les juges, mais interpellées, placées en garde à vue puis écrouées pour plus de la moitié d’entre elles, et placées sous contrôle judiciaire pour plus d’un tiers.

M. Pierre Lellouche. Et combien de retours, au total ?

M. Olivier Marleix. Regardez les décisions de justice au cas par cas !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Les retours concernent 250 individus, dont 168 sont mis sous écrou.

M. Pierre Lellouche. Voilà !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le solde correspond à des contrôles judiciaires ou à des mises en surveillance. Tels sont les chiffres.

Dire qu’il y a une sous-activité judiciaire au regard du risque terroriste…

M. Sergio Coronado. C’est faux !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …n’est donc pas vrai. Je rends hommage, à cet égard, au travail de la direction générale de la sécurité intérieure et de la sous-direction antiterroriste, car c’est grâce à ce travail considérable que les individus qui reviennent font l’objet, lorsque nous sommes informés de ce retour, d’actions judiciaires très fortes.

L’accord conclu à l’automne 2014 avec les autorités turques nous permet d’être informés en amont du retour des terroristes et de procéder à leur judiciarisation dès leur arrivée sur le sol français. Cependant, un certain nombre d’individus se sont rendus en Syrie, pour lesquels nous ne disposons pas de preuve d’un engagement dans des opérations terroristes.

M. Pierre Lellouche. Voilà, c’est ce que je disais !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Pour ceux-là, plutôt que de ne rien faire faute de preuve, nous avons pris un certain nombre de mesures : soit des mesures de police administrative qui, incluses dans la loi de novembre 2014, consistent à interdire le retour sur le territoire national d’individus étrangers qui y avaient résidé avant de partir sur les théâtres d’opérations terroristes ; soit des mesures de police administrative destinées à traiter leur cas en attendant de récupérer les éléments permettant leur judiciarisation, s’ils peuvent être récupérés.

M. Pierre Lellouche. En attendant, ces individus sont dans la nature !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Enfin, comme je l’ai dit en réponse à l’une de vos collègues tout à l’heure, nous mettons en place des centres de déradicalisation.

M. Alain Tourret. « Déradicalisation », le mot ne me plaît guère ! (Sourires.)

M. le président. Nous en venons aux amendements.

Je suis saisi de cinq amendements identiques, nos 4, 166, 334, 433 et 549, tendant à la suppression de l’article.

La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n4.

M. Sergio Coronado. M. le ministre vient de développer une excellente défense de cet amendement de suppression.

Comme on l’a rappelé, l’article 20 instaure un contrôle administratif à l’égard des personnes qui se sont déplacées à l’étranger afin de participer à des activités terroristes et qui, de retour sur le territoire national, seraient susceptibles de constituer une menace pour la sécurité publique.

La loi de 2014 a créé une interdiction de sortie du territoire, que Noël Mamère et moi avions votée – je me permets de le rappeler à M. le ministre, qui a dit que nous n’avions jamais voté aucune mesure de ce genre. Quoi qu’il en soit, les critères permettant de recourir au contrôle judiciaire dont nous parlons demeurent vagues, et aucun cadre contradictoire n’est prévu.

Actuellement, les personnes de retour de Syrie ou d’Irak peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire – ou d’une détention provisoire – pour association de malfaiteurs à caractère terroriste ou pour entreprise terroriste individuelle. Le juge peut en effet, en se fondant sur l’article 421-2-1 du code pénal, ordonner une mise en examen et un contrôle judiciaire.

Le point problématique de l’article 20 est le nouveau transfert du contrôle judiciaire vers la mesure administrative. De fait, la justice administrative n’offre pas les mêmes garanties et n’intervient qu’a posteriori.

Vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, la judiciarisation des retours s’effectue normalement : rien ne justifie donc une mesure d’ordre administratif qui, une fois encore, contournera l’autorité du juge d’instruction.

M. le président. La parole est à M. Denys Robiliard, pour soutenir l’amendement n166.

M. Denys Robiliard. La lecture de l’article 20 conduit à s’interroger sur l’opportunité d’un régime administratif, dès lors que le régime judiciaire suffit. Le texte visera « toute personne qui a quitté le territoire national pour accomplir […] des déplacements à l’étranger ayant pour objet la participation à des activités terroristes » ; or une personne qui se déplace à l’étranger dans cette perspective commet une infraction.

Il visera aussi les « déplacements à l’étranger sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes […] dans des conditions susceptibles de la conduire à porter atteinte à la sécurité publique […] ». Là encore, c’est une infraction liée à une entreprise terroriste.

Une assignation pourrait donc être prononcée dans des cas de figure qui, à l’évidence, caractérisent une infraction pénale. Pourquoi, dès lors, offrir une alternative à la judiciarisation dont vous venez de dire avec force détails, monsieur le ministre, qu’elle était largement, voire systématiquement mise en œuvre ?

M. Sergio Coronado. Tout à fait !

M. Denys Robiliard. Il y a eu, avez-vous dit, quelque 250 retours et 160 mises sous écrou, les autres individus faisant l’objet d’un contrôle judiciaire, auquel le Gouvernement envisage ici une alternative. J’avoue ne pas comprendre. Les termes de l’assignation à résidence, je le répète, sont caractéristiques d’infractions pénales. Tels sont les motifs de cet amendement de suppression.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je tiens à apporter, dès à présent, des éléments que je souhaite voir consignés précisément au compte rendu.

Les dossiers judiciaires suivis par la DGSI sont au nombre de 231, et ils concernent 1 073 individus. Il y a eu 325 interpellations, 13 mandats d’arrêt internationaux, 201 mises en examen, 155 mises sous écrou très exactement et 46 contrôles judiciaires. Tels sont les chiffres précis qui témoignent de l’activité de nos services.

En ce qui concerne les retours, certains individus font donc l’objet d’une judiciarisation ; pour d’autres – même si leur nombre est marginal : 30 ou 40 –, nous ne disposons pas d’assez d’éléments de preuve pour procéder à leur judiciarisation immédiate. La disposition proposée donnerait du temps pour récupérer ces éléments : dans le doute, nous ne pouvons laisser sans surveillance des individus qui peuvent à tout moment nous frapper. Sur ce sujet comme sur les autres, le principe de précaution et de prévention doit s’appliquer.

M. Pierre Lellouche. C’est de l’irresponsabilité !

M. le président. La parole est à Mme Florence Delaunay, pour soutenir l’amendement n334.

Mme Florence Delaunay. Défendu.

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez, pour soutenir l’amendement n433.

M. Marc Dolez. Défendu.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine, pour soutenir l’amendement n549.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Il est retiré.

(L’amendement n549 est retiré.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements de suppression ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Nos débats ont déjà largement permis de déflorer le sujet. On nous dit d’un côté que nous ne judiciarisons pas assez, et, de l’autre, que tout peut être judiciarisé. La réalité est celle des chiffres que le ministre a donnés et qui prouvent que l’on judiciarise beaucoup mais que, dans certains cas, il n’est pas possible de le faire immédiatement. D’où cet article 20.

M. Sergio Coronado. Comme l’a dit Marleix, il faudrait les enfermer !

M. Pascal Popelin, rapporteur. Les procédures judiciaires visant les personnes revenant d’une zone de combat se fondent sur deux qualifications juridiques : la première est constituée par l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, définie à l’article 421-2-1 du code pénal qui nécessite l’existence « d’un groupement formé ou d’une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un des actes de terrorisme mentionnés aux articles précédents ».

Seconde possibilité : l’entreprise terroriste individuelle, définie à l’article 421-2-6 du même code, qui suppose le fait de préparer, en relation avec une entreprise individuelle et dans un but terroriste, la commission de certaines infractions terroristes comme les atteintes les plus graves aux personnes et aux biens ou les actes graves de terrorisme écologique.

Ces qualifications rendent néanmoins nécessaire d’apporter la preuve que les personnes s’étant rendues en Syrie ou en Irak – car c’est le sujet qui nous intéresse principalement aujourd’hui, mais cela pourrait à l’avenir concerner d’autres théâtres d’opération – l’ont fait en vue de rejoindre un groupe terroriste. Pour illustrer les sujets qui nous préoccupent aujourd’hui, il peut s’agir de Jabhat al Nusra ou de Daech.

L’établissement de la matérialité des faits peut être rendue complexe du fait, par exemple, de la situation en Syrie où combattent plusieurs groupes, dont l’Armée syrienne libre, qui n’a pas un caractère terroriste.

Nous rencontrons également, parfois, des difficultés à recueillir des renseignements fiables et rapides en provenance de pays tiers : je pense en particulier à la Turquie. Voilà pourquoi l’article 20 crée, en conséquence, un contrôle administratif du retour sur le territoire national de ces personnes.

S’il s’avère possible, dès ce retour, de prononcer immédiatement à leur encontre une mesure judiciaire, elle l’est : le ministre a donné les chiffres et les exemples. Quand cela n’est pas possible, il me paraît nécessaire de se donner le temps de recueillir, le cas échéant, les éléments nécessaires qui justifieraient une telle mesure.

Je précise par ailleurs que la commission a adopté deux amendements qui visent précisément à mieux coordonner les procédures administrative et judiciaire applicables aux personnes revenant sur le territoire national après s’être rendues sur un théâtre d’opérations terroriste, ou qui ont tenté de gagner un tel théâtre.

Le premier de ces éléments est, avant toute chose, d’imposer l’information préalable du parquet avant toute mesure de contrôle administratif. Cela permet, si le parquet estime que des éléments suffisants pour prononcer une mesure judiciaire ont été réunis, de la prononcer.

Le deuxième élément est de faire primer l’ouverture d’une procédure judiciaire sur la mesure de police administrative, cette dernière devant cesser dès l’ouverture d’une telle procédure à l’encontre d’une personne visée par le contrôle administratif des retours sur le territoire national.

D’autres amendements viendront encore préciser la mise en œuvre de ce contrôle administratif. Voilà pourquoi je vous demande, car la commission les a repoussés, de ne pas adopter ces amendements de suppression.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Christophe Cavard.

M. Christophe Cavard. Je vais expliquer pourquoi je soutiens cet article 20, et donc pourquoi je ne voterai pas en faveur de sa suppression. Il me semble cependant que peut se discuter la raison d’être même de cet article, compte tenu des nombreux débats que nous avons eu depuis quelques années et dont le rythme risque de s’accélérer au vu des situations que nous rencontrons.

Je rappelle d’abord, et cela me semblait intéressant quant à l’équilibre recherché, que les personnes concernées peuvent faire l’objet d’un contrôle administratif : il n’y a donc pas d’automaticité. Il faut effectivement qu’un certain nombre d’éléments et de renseignements soient réunis afin de permettre non une judiciarisation, mais un contrôle administratif.

Je trouve intéressant le principe même d’un pouvoir administratif intervenant à titre préventif, puisque l’alinéa 18 prévoit que les obligations « sont prononcées pour une durée maximale de trois mois, renouvelable une fois ». Nous nous situons donc bien dans une logique préventive.

Effectivement, si au cours de cette période sont réunis les éléments justifiant une judiciarisation, l’autorité judiciaire prendra le relais. Dans le cas contraire, l’ensemble des procédures sera levé à l’expiration du délai prévu au même alinéa.

Il me semble intéressant de considérer que nous conservons la logique préventive de l’action administrative. Je le dis d’autant plus que l’alinéa 20 prévoit que les mêmes obligations « peuvent être en tout ou partie suspendues lorsque la personne accepte de participer, dans un établissement habilité à cet effet, à une action destinée à permettre sa réinsertion et l’acquisition des valeurs de citoyenneté. »

Nous aurons l’occasion d’y revenir mais je vous avoue, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, qu’un certain nombre de ces dispositifs nous interrogent. Je ne suis en effet pas sûr que tout soit aujourd’hui en œuvre – mais vous nous en direz sans doute plus – pour que ces processus de réinsertion soient réellement efficaces.

Ils doivent l’être afin de permettre aux personnes concernées, qui sont souvent jeunes, de reconnaître leur erreur d’avoir participé à de telles entreprises et de prendre ainsi leurs responsabilités.

Il est normal qu’elles subissent un certain nombre de contraintes, compte tenu des choix qu’elles ont fait, mais le but n’est pas de les garder à vie dans une logique d’enfermement, sauf si elles ont commis des actes appelant une réponse judiciaire.

Dans le cas contraire, il faut leur laisser une chance de se réinsérer. Contrairement à M. Lellouche, je pense en effet que nous avons intérêt à espérer qu’un certain nombre d’entre elles reviennent à la raison.

M. Pierre Lellouche. On peut toujours espérer...

M. le président. La parole est à M. Denys Robiliard.

M. Denys Robiliard. Je voulais reprendre la parole après avoir entendu l’argumentation très précise de M. le rapporteur sur les infractions susceptibles d’être constituées, et je partage son analyse. On pourrait même aller plus loin si l’on sait que des actes précis ont été commis dans le pays où se situe le théâtre d’opération concerné.

Je voulais également réagir aux propos du ministre qui a parlé du principe de précaution : un régime d’assignation à résidence pourrait donc, en portant atteinte aux libertés, être fondé sur un tel principe. Or je ne crois pas que ce principe ait vocation à s’appliquer en la matière, ni que le Conseil constitutionnel – en tout cas je l’espère – pourrait l’accepter.

Je vais plus loin : la rédaction de l’article 20 n’est pas de nature à voir un tel principe s’appliquer. Pour pouvoir employer l’assignation à résidence, il faut que l’administration détienne la preuve que la personne a quitté le territoire national, qu’elle a effectué un déplacement à l’étranger ayant pour objet de participer à des activités terroristes.

Je pourrais reprendre chaque alinéa de l’article 20 pour démontrer que la preuve est, à chaque fois, nécessaire. Et donc si une judiciarisation s’avère impossible, c’est-à-dire si un juge d’instruction ne dispose pas de charges suffisantes lui permettant de mettre en examen ou d’accorder le statut de témoin assisté à une personne à laquelle on reproche de s’être rendue en Syrie, pour reprendre l’exemple de ce pays, je crois que, pour le coup, nous étendons considérablement, bien au-delà de sa lettre, la portée de cet article.

La lettre de l’article – il faut, en matière de libertés, apprécier les choses de façon restrictive – suppose qu’on établisse les conditions de sa mise en œuvre, et par conséquent qu’on établisse, dans chaque cas particulier, les infractions commises le cas échéant. S’il y en a, ce n’est encore une fois pas à l’administration d’en connaître mais au juge judiciaire, et à lui seulement.

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Je voudrais revenir au principe de précaution évoqué par le ministre pour lui demander de nous dire combien de personnes de retour de théâtres d’opérations font l’objet de mesures judiciaires. Quel en est le pourcentage sur les 200, 300 ou 1 000 personnes concernées, sachant que plus de 1 500 Français sont là-bas ?Monsieur le ministre, combien de personnes pourraient selon vous faire l’objet de telles mesures ?

M. Yann Galut, rapporteur pour avis. Il l’a dit !

M. Pierre Lellouche. Je voudrais en être sûr, car si 40 % ou 50 % des personnes concernées ne peuvent faire l’objet de telles mesures, que deviennent-elles alors ?

J’en viens à ce que vient de dire M. Robiliard et qui est très important en droit, c’est-à-dire aux conditions qui permettent la mise en œuvre des mesures de contrôle, et pas de rétention, car vous y êtes hostile puisque vous avez retoqué mon amendement qui la proposait. Il n’y a donc pas de rétention, mais soit une judiciarisation, et soit rien du tout et quelques mesures de contrôle optionnelles, contraintes dans le temps et très limitées.

Les personnes concernées se retrouvent donc dans la nature, avec l’espoir – qu’entretient M. Cavard – de les voir se réinsérer toutes seules. On peut toujours l’espérer, mais si on à cœur le principe de précaution, on ne peut pas les laisser dans la nature.

Monsieur le ministre, comment votre système fonctionne-t-il au vu des conditions d’un contrôle qui sont extrêmement limitatives ? Il faut en effet apporter la preuve que ces personnes ont soit quitté le territoire national dans le but de se livrer à des activités terroristes avec des groupements terroristes, soit essayer de gagner un tel théâtre d’opération.

S’il n’est pas possible d’apporter la preuve de leur engagement dans un groupe terroriste, ni celle de leur volonté de quitter le territoire national à des fins terroristes, comment allez-vous mettre en place ce système de contraintes qui est déjà minimal ?

Autrement dit, quel est le risque – c’est tout de même le point-clé de ce projet de loi, et c’est cela qui m’intéresse – encouru ? Que va-t-on faire des citoyens français qui se sont battus à l’étranger, qui reviennent au pays et qui sont extrêmement dangereux ? S’agissant de certains, dans la mesure où nous disposerons d’écoutes, de vidéos ou d’interceptions les concernant, la preuve de leur association à une entreprise terroriste pourra être apportée.

Mais que faisons-nous de tous les autres ? La rédaction actuelle du projet de loi ne vous permettra même pas de prouver qu’ils sont partis dans un but terroriste. Donc, malheureusement, cette rédaction nous conduit dans une impasse.

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Je parlerai très brièvement, car je me retrouve assez dans l’intervention de notre collègue Robiliard. Tout d’abord, s’agissant de l’interrogation portant sur l’utilisation du principe de précaution en droit pénal, d’importants travaux de Mme Delmas-Marty dénoncent la pente suivie depuis trente ans par le droit pénal.

Celui-ci vise à sanctionner la commission de faits, mais, sous l’effet d’une peur parfois justifiée des attentats terroristes, notamment depuis le 11 septembre, il devient un droit préventif. Cette pente me paraît un peu dangereuse, et peut nous préparer des lendemains tout à fait inquiétants.

S’agissant des éléments figurant à l’article 20, le rapporteur donne l’impression, en donnant un avis négatif sur les amendements de suppression, que la mesure administrative pourrait se baser sur quasiment rien. Il s’agirait alors d’une mesure arbitraire : non, en temps normal suffisamment d’éléments permettraient l’ouverture d’une enquête ou la mise en examen par un juge d’instruction de la personne concernée.

Ce n’est donc pas, contrairement à ce que vous avez dit, monsieur le rapporteur, une mesure administrative qui viendrait pallier un manque : il existe suffisamment d’éléments de judiciarisation dans la rédaction actuelle de cet article.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Mais non ! En outre, l’amendement suivant répond à votre préoccupation.

M. Pierre Lellouche. C’est tout le problème de ce texte.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je voudrais dire à M. Lellouche qu’il n’y a pas 1 700 personnes se trouvant actuellement sur les théâtres d’opération en Irak et en Syrie. Les derniers chiffres de la Direction générale de la sécurité intérieure sont les suivants : 243 individus sont revenus sur le territoire national après avoir été engagés dans des opérations à caractère terroriste. Il reste sur place, en Irak et en Syrie, 601 personnes.

Nous ne nous situons donc pas du tout dans l’ordre de grandeur que vous indiquiez.

M. Pierre Lellouche. Il n’y a pas eu 600 morts ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Non, pas du tout, 600 Français ne sont pas morts sur ces mêmes théâtres : le dernier chiffre dont nous disposons à ce sujet est de 165 : nous sommes donc très loin des 1 700.

Je souhaite vraiment que nous puissions raisonner sur des éléments précis : les chiffres que je viens de vous indiquer sont les bons.

Vous me demandez ensuite combien parmi les personnes concernées ont fait l’objet de mesures judiciaires, mais j’ai donné le chiffre tout à l’heure. Très exactement, nous comptons 231 dossiers judiciaires en cours, qui concernent 1 073 individus, c’est-à-dire plus d’individus que ceux qui se sont rendus – ou qui sont encore – sur les théâtres d’opération que j’ai mentionnés.

Pourquoi ? Parce que ces dossiers concernent aussi des individus qui ont acheminé des terroristes et qui résident en France, ou des gens qui appellent ou provoquent au terrorisme.

M. Éric Ciotti. Oui.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Ainsi, 325 interpellations ont eu lieu, 13 mandats d’arrêt internationaux exécutés, 201 mises en examen, 155 écrous judiciaires et 40 contrôle judiciaires prononcés. Il s’agit de chiffres qui sont donc tout à fait considérables.

M. Pierre Lellouche. Mais sur les 243, combien font l’objet de mesures judiciaires ?

M. le président. Monsieur Lellouche, M. le ministre a la parole, et lui seul.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je vous fournirai cet élément dont je ne dispose pas au moment où je vous parle. Les chiffres que je viens de donner montrent, quoi qu’il en soit, qu’au regard de ceux qui sont sur les théâtres d’opération, le nombre de dossiers ouverts et judiciarisés est extrêmement important.

Par conséquent, une activité judiciaire intense conduit, de la part des services, à des mises sous écrou significative et à des placements sous contrôles judiciaire non négligeables visant ceux qui sont engagés sur les théâtres d’opération terroristes.

Monsieur Lellouche, je vous donnerai le complément d’information dont vous souhaitez disposer, ce qui est normal. Cela vous permettra de vous rendre compte que la proportion de judiciarisation parmi ceux qui sont rentrés, qu’il s’agisse du suivi judiciaire, de l’incarcération, du placement sous contrôle judiciaire ou du suivi en renseignement en vue de la judiciarisation, est considérable.

Je peux vous donner d’ores et déjà cette information et je vous donnerai les chiffres précis demain, ou ce soir si on peut me les communiquer.

Dès lors qu’il y a un haut niveau de judiciarisation, qui contraste tout à fait avec l’idée qu’on s’emploie à répandre qu’il n’y aurait pas d’activité judiciaire et de mobilisation, ce qui est faux, on peut se demander quel est l’intérêt des mesures administratives.

Des individus partis sur le théâtre des opérations terroristes reviennent parfois en expliquant qu’ils ne participaient pas aux combats mais s’étaient engagés dans des opérations à caractère humanitaire, ce qui, généralement, est faux. En attendant de récupérer des preuves, nous pouvons avoir besoin de cette mesure à caractère préventif.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Au fil de nos débats, messieurs les ministres, il serait très intéressant que vous puissiez nous indiquer précisément l’application qui est faite par vos services et par l’autorité judiciaire du délit d’entreprise individuelle terroriste que nous avons institué en 2014, à l’article 421-2-6 du code pénal.

Je rappelle en effet, nous en avions alors beaucoup débattu et c’est là toute la difficulté, que le fait de s’être rendu en Syrie ou en Irak sur un théâtre d’opérations d’une organisation terroriste n’est pas suffisant pour poursuivre. Il faut au moins une autre condition, la détention d’armes ou la recherche de la détention d’armes.

Vous paraît-il totalement pertinent de maintenir ce cumul de conditions au regard de l’application faite par vos services de cet article ? C’est une question qu’il me semble utile d’aborder.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je vous donnerai ces éléments très vite.

Très peu d’individus se sont engagés seuls dans des opérations à caractère terroriste. Lorsque l’on analyse très finement les éléments qui résultent du travail de renseignement ou des informations qui nous parviennent par d’autres biais sur les activités terroristes, on se rend compte que ceux qui ont été recruteurs, recrutés, engagés étaient généralement en lien avec d’autres acteurs terroristes et que le loup solitaire, dont on a beaucoup parlé, est très marginal dans la réalité du terrorisme en France.

(Les amendements identiques nos 4, 166, 334 et 433 ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Popelin, pour soutenir l’amendement n541.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Maintenant que nous avons décidé de maintenir les dispositions de l’article 20, je voudrais m’efforcer de contribuer à en améliorer la rédaction, l’objectif, qui est, je crois, une préoccupation partagée à peu près par tous les orateurs, qu’ils aient été pour ou contre, étant de tracer une ligne claire entre le champ de compétence judiciaire et celui de l’administration.

Le projet de loi prévoit le cas de « toute personne qui a quitté le territoire national pour accomplir des déplacements à l’étranger ayant pour objet la participation à des activités terroristes ». Comme cela a été souligné en commission, cela constitue déjà en soi une situation pouvant être passible d’un traitement pénal.

En conséquence, et cela répond à la préoccupation qui a été exprimée tout à l’heure, je vous propose de réécrire les motifs afin de bien faire la différence entre les situations judiciarisables et celles qui ne le sont pas immédiatement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Favorable.

M. le président. La parole est à M. Olivier Marleix.

M. Olivier Marleix. Je regrette que l’on n’aille pas au bout de la logique, monsieur Popelin. Une solution pourrait être, c’est l’objet d’ailleurs d’une proposition de loi de Philippe Bas au Sénat, d’instaurer un délit qui serait constitué dès lors qu’on s’est rendu sur un théâtre d’opérations dans lequel la France est engagée, dans lequel la France est en guerre. Aujourd’hui, comme l’a précisé une circulaire sur le terrorisme de Mme Taubira, le seul fait de s’être rendu sur un théâtre d’opérations dans lequel la France est pourtant en guerre n’est pas suffisant en soi pour constituer l’infraction. C’est l’un des éléments seulement. Je pense qu’il faudrait faire d’un voyage en Syrie un motif suffisant d’incrimination.

(L’amendement n541 est adopté et les amendements nos 351 et 338 tombent.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche, pour soutenir l’amendement n57.

M. Pierre Lellouche. Les amendements nos 57, 80 et 60 doivent être examinés ensemble, monsieur le Président, et je souhaite donc en faire une présentation groupée.

M. le président. Je vous en prie, mon cher collègue.

M. Pierre Lellouche. Ces amendements n’ont de sens, monsieur le ministre, que si vous nous donnez des éléments très précis sur le traitement des personnes quand il n’y a pas de preuves.

Encore une fois, c’est le dilemme. On tourne autour du même problème depuis deux ans. J’ai regardé nos débats d’il y a deux ans, je pourrais vous citer très exactement les interventions de M. Larrivé, de M. Ciotti, les miennes et d’autres, et vos réponses. Il y a deux options. Soit aller se battre en Syrie et en Irak est un délit ou un crime et, dès le retour, on est incarcéré et judiciarisé, soit il faut en apporter la preuve, on reste dans l’esprit du temps de paix et, dans ce cas, une partie des gens échapperont aux mailles du filet.

Vous dites que vous ouvrez un grand nombre d’actions judiciaires mais les autres personnes concernées, vous les assignez à résidence pour une période très courte. Ce que je propose dans mes amendements, c’est d’allonger les périodes de contrôle, de durcir ce dernier le plus possible et de vous donner les moyens de savoir où sont ces individus parce que le risque, naturellement, c’est qu’ils repartent dans la nature et que vous ne les retrouviez jamais. C’est cela mon souci, mais le débat juridique n’a pas été tranché.

Comme je vous l’ai dit il y a dix-huit mois, dès lors qu’il y aura d’autres attentats, que ce sera encore plus dramatique, vous serez obligé de revenir à une ligne beaucoup plus dure. Toutes les personnes rentrant de Syrie, d’Irak, du Yémen ou de Libye, pour ne se limiter qu’à ces quatre théâtres mais il y en aura d’autres, malheureusement, seront automatiquement déférées devant le juge pour entreprise terroriste.

Comme le suggérait tout à l’heure Guillaume Larrivé, il faut ouvrir la qualification plutôt que de la restreindre. Plus vous la restreignez, plus vous rentrez dans des systèmes de contrôle administratif, qui, de toute façon, ne seront jamais suffisants. Je vous demande d’y réfléchir parce que vous êtes dans une impasse. Le but de mes amendements est de souligner cette faiblesse.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Vos propositions auraient eu un objet si votre amendement n56 avait franchi la barre redoutable de l’article 40 mais, en l’occurrence, tel n’est pas le cas. Il m’est difficile d’être favorable à des amendements qui parlent de l’issue d’une rétention administrative prévue à un article que nous n’avons pas créé parce que votre amendement n’a pas été déposé et examiné mais auquel, je pense, nous n’aurions pas été favorables.

En tout cas, là, vos amendements tombent d’une certaine manière puisque l’amendement que vous souhaitiez déposer n’a pas été présenté.

(Les amendements nos 57, 80 et 60, repoussés par le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 154 et 405.

La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement n154.

Mme Isabelle Attard. Cet amendement vise à préciser que les obligations d’assignation doivent permettre à la personne de mener une vie scolaire normale, en plus de la vie professionnelle et familiale. Des lycéens et des étudiants pourraient en effet être concernés par ces assignations.

Nous sommes à l’opposé de ce que vient de nous dire M. Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Ah oui, totalement !

Mme Isabelle Attard. Certains comprennent leurs erreurs, et il y en a beaucoup. J’espère, monsieur le ministre, que vous pourrez nous donner un ordre de grandeur. Si nous décidions de mettre une croix définitive sur eux, je ne comprendrais même pas alors qu’on les surveille ou même qu’on les mette dans un camp. Supprimez-les directement pendant que vous y êtes, puisque vous considérez qu’ils sont irrécupérables et ne cherchent pas à être réinsérés. On peut de la même façon supprimer la réinsertion en prison en considérant que personne n’est récupérable.

M. Pierre Lellouche. Je crois que vous auriez intérêt à rencontrer ces gens !

Mme Isabelle Attard. C’est tout de même intéressant de laisser à certains une chance de se réinsérer dans notre société. Ce sont nos jeunes. Nous sommes coresponsables de ce qui s’est passé.

M. Pierre Lellouche. Non !

Mme Isabelle Attard. En partie !

M. Pierre Lellouche. Je n’accepterai jamais qu’on dise ça !

Mme Isabelle Attard. Nous avons une responsabilité et, ensuite, nous faisons de notre mieux pour réparer et, en tout cas, réinsérer.

M. le président. La parole est à M. Christophe Cavard, pour soutenir l’amendement n405.

M. Christophe Cavard. Je ne parlerai pas de coresponsabilité. Par contre, il y a une réalité, c’est que ces individus sont là.

S’ils sont judiciarisés, ils seront jugés et incarcérés, mais pas toute leur vie, vous le savez comme moi. Il y aura donc aussi la question du rôle de la prison. Là, nous sommes sur l’article 20, c’est le droit administratif qui s’applique à un moment donné pour savoir s’il y aura ou pas judiciarisation.

J’ai rencontré un certain nombre de ces individus, monsieur Lellouche. Ces personnes, qui ne sont pas libres de faire ce qu’elles veulent, qui font l’objet d’une surveillance, nous avons intérêt à travailler avec elles, à éviter qu’elles ne deviennent des bombes humaines comme on pourrait malheureusement parfois le craindre, à faire en sorte qu’elles entrent dans une logique plus saine que celle qui les a amenées, à quinze, seize, dix-sept ou dix-huit ans parfois, à faire de tels choix. Aucune d’elles n’a le même profil.

La question scolaire joue un rôle, on le sait, on en a d’ailleurs débattu à chaque fois qu’il y a eu un événement dans ce pays. Nous voulons juste qu’elle ne soit pas abandonnée dès le départ lorsque l’on prend des mesures de droit administratif en attendant de savoir s’il y a des suites ou pas.

Il n’est pas question de faire de ces individus des victimes mais ce sont des personnes à part entière et il faut essayer de faire en sorte qu’elles ne soient pas dangereuses pour l’avenir de notre société.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Je suis d’accord avec vous sur le fond. En droit, une assignation n’a pas vocation à empêcher de poursuivre une vie scolaire normale. Mais les inventaires à la Prévert ne me paraissent pas opportuns d’un point de vue juridique. La jurisprudence du droit au respect à la vie privée et à la vie familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme montre que cette conception fait l’objet d’une interprétation extensive. Dès lors, il me semble superflu de faire mention du terme « scolaire ». En cas de problème d’interprétation, ce qui me semble peu probable, ma réponse serait en tout cas de nature à éclairer l’intention du législateur.

La commission a donc donné un avis défavorable à ces amendements, pour des raisons de forme, vous l’avez compris. Il n’y a aucun problème sur le fond. Simplement, juridiquement, ce n’est pas nécessaire.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Sans prolonger les débats, je voudrais dire solennellement à notre collègue, Mme la députée Attard, que nous sommes très nombreux sur ces bancs à considérer, contrairement à elle, que la France n’est en rien – en rien ! – coresponsable des attentats terroristes, qu’elle n’est en rien coresponsable des actes criminels ou délictuels commis par ces individus sur le théâtre irako-syrien.

M. Pierre Lellouche. C’est évident !

M. Guillaume Larrivé. Je voudrais même vous rappeler, madame la députée Attard, qu’en vertu de l’article 51 de la Charte des Nations unies, la France, comme toutes les nations, est fondée à exercer là-bas son droit à la légitime défense, lequel est un droit naturel des nations, qui permet de légitimer la destruction physique d’individus sur ce théâtre d’opérations extérieures qu’est aujourd’hui la zone irako-syrienne. Le ministre de la défense, M. Le Drian, a invoqué à juste titre la légitime défense et la Charte des Nations unies à cet égard. Je tenais à vous le rappeler, car les propos que vous venez de tenir sont indignes d’un membre de la représentation nationale. La France n’est pas coresponsable du terrorisme islamiste.

M. Jean-Luc Laurent. C’est juste !

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Madame Attard, je fais partie de ceux qui ont été transplantés dans leur enfance dans ce que l’on appelait à l’époque la métropole, qui ont bénéficié de l’école de la République, de ses aides, et qui ont pu faire un parcours honorable. Ce parcours est ouvert à tous. La France accueille chaque année 212 000 personnes légalement et 80 000 demandeurs d’asile. Nous les accueillons, nous les logeons, nous les éduquons et nous les soignons gratuitement. Il n’y a pas un pays au monde qui soit aussi généreux que la France,…

M. Gérard Sebaoun et Mme Isabelle Attard. N’exagérez pas !

M. Pierre Lellouche. …et où le parcours républicain d’intégration soit ouvert à tous. Quand j’entends aujourd’hui que nous avons un problème avec une petite partie de la communauté musulmane de ce pays, qui a appris à détester la France au point de prendre les armes pour tuer d’autres Français, d’autres jeunes Français, cela doit nous interroger au plus profond de nous. Mais qu’en tant qu’élue de la nation, vous considériez que nous sommes coresponsables de ce drame, c’est inacceptable. Je ne l’accepterai jamais !

Mme Isabelle Attard. Vous pouvez continuer à polémiquer !

M. Pierre Lellouche. Je crois que nous avons un problème avec le retour de ces Français.

M. le président. Veuillez conclure.

M. Pierre Lellouche. Que faire d’eux ? Cette question explique notre débat sur la déchéance de nationalité. C’est une question de fond. Il faut des mesures de sûreté. J’ai visité des centres de déradicalisation dans des pays musulmans, où les taux de réussite sont minimes. J’aimerais d’ailleurs connaître les projets du Gouvernement à cet égard, car la déradicalisation est très difficile.

M. le président. Merci…

M. Pierre Lellouche. Penser qu’une vie familiale et scolaire normale est la solution est complètement illusoire.

(Les amendements identiques nos 154 et 405 ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements, nos 111, 238 et 76, pouvant être soumis à une discussion commune.

Les amendements nos 111 et 238 sont identiques.

La parole est à M. Pierre Lellouche, pour soutenir l’amendement n111.

M. Pierre Lellouche. Il est défendu.

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n238.

M. Éric Ciotti. La procédure d’assignation à résidence que vous proposez a le mérite d’exister. Mais elle est très loin de répondre à la menace que représentent ceux qui reviennent des théâtres de guerre. Il faudra, monsieur le ministre, sans que je ne mésestime les problèmes juridiques que cela pose, aborder la question du traitement des personnes qui reviennent et que l’on ne peut pas judiciariser, alors qu’elles représentent une menace majeure pour notre pays. Nous redisons que le principe de précaution doit s’appliquer à elles.

L’assignation à résidence de huit heures est une première réponse, qui va dans le bon sens et dont nous prenons acte. Nous la voterons ; mais elle est très largement insuffisante. Il faudra aller beaucoup plus loin, comme nous le réclamons avec constance depuis 2012 dans cet hémicycle. Cet amendement, de repli puisque vous ne prenez pas en compte la problématique globale, s’inscrit en cohérence avec celui que j’avais fait adopter au moment de la prorogation de l’état d’urgence le 20 novembre dernier, après les attentats de Paris, lequel visait à faire passer la durée de l’assignation de huit à douze heures. Il avait été adopté par le Parlement dans le cadre de l’application de l’état d’urgence. Dans un souci de cohérence, je propose donc que nous fassions passer de la même façon le temps de l’assignation de huit à douze heures, ce qui rendrait cette mesure un peu plus opérante.

M. le président. Vous gardez la parole, monsieur Ciotti, pour soutenir l’amendement n76.

M. Éric Ciotti. Il est défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. La question de la durée de l’assignation à résidence est un sujet dont nous avons longuement débattu, lorsque nous avons modifié la loi de 1955 par la loi du 20 novembre 2015 prorogeant une première fois l’état d’urgence. Mais c’est bien parce que la durée a été fixée à douze heures dans le cadre de l’état d’urgence qu’il est nécessaire, comme l’a très clairement exprimé le Conseil d’État, que celle de l’assignation hors état d’urgence soit moindre. Quoi qu’il en soit, à partir du moment où nous nous entendons sur ce qu’est une assignation à résidence, huit, neuf, dix, onze ou douze heures ne changeront pas la réalité de cette mesure.

Je rappelle ce qui est écrit dans l’avis du 17 décembre 2015 du Conseil d’État : l’assignation « devrait être prévue par la loi et comporter un degré de contrainte inférieur aux mesures prévues par l’article 6 de la loi n55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence ». C’est pourquoi la commission a donné un avis défavorable à votre amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Défavorable également, pour des raisons de proportionnalité, puisque M. Ciotti propose d’aligner la durée de l’assignation sur celle existant dans le cadre de l’état d’urgence. Or, elles ne sont pas exactement de même ambition. L’un des deux cas possède un caractère plus exceptionnel et contraignant, ce qui ne justifie pas un alignement. La durée maximale de huit heures paraît donc proportionnée à l’objectif.

M. Pierre Lellouche. Ce n’est pas raisonnable !

(Les amendements identiques nos 111 et 238 ne sont pas adoptés.)

(L’amendement n76 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche, pour soutenir l’amendement n61.

M. Pierre Lellouche. Il est défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Olivier Marleix.

M. Olivier Marleix. J’aurais aimé que nous profitions de l’article 20 pour que le ministre de la justice nous éclaire sur la politique pénale du Gouvernement à l’égard des Français djihadistes qui sont partis, avec des intentions criminelles, rejoindre les rangs de l’État islamique contre lequel la France est aujourd’hui en guerre. Nous partageons l’esprit de cet article, relativement au diagnostic selon lequel il faut prendre du temps pour établir la matérialité des faits, car nous n’avons pas aujourd’hui tous les éléments de preuve permettant de poursuivre, de manière pleine et entière, ces individus. Comme l’a rappelé le rapporteur il y a quelques instants, le fondement des poursuites et de la politique pénale se limite à deux incriminations : l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ou l’entreprise individuelle.

Néanmoins, on peut considérer que les Français qui partent faire le djihad sont complices, au sens où la jurisprudence définit ce terme, d’atrocités beaucoup plus graves relevant, selon la lecture que j’en fais, du livre IV bis du code pénal, qui réprime les crimes de guerre, notamment contre les populations civiles. Je vous demande donc, très sincèrement, à partir de quel moment le Gouvernement demandera au procureur d’ouvrir des poursuites à l’encontre de ces crimes plus graves et non plus seulement des deux motifs d’incrimination qui sont les vôtres.

Si les individus concernés savaient qu’à leur retour en France ils seraient poursuivis pour des crimes appelant des condamnations beaucoup plus lourdes que celles auxquelles ils sont exposés – la simple complicité de la plupart de ces crimes est punie de vingt-cinq ans de réclusion –, cela aurait un effet dissuasif qui aurait pu vous éviter de vous embarquer dans l’épineux débat de la déchéance de nationalité... J’aimerais vraiment connaître la doctrine du Gouvernement en la matière.

(L’amendement n61 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Marleix, pour soutenir l’amendement n77.

M. Olivier Marleix. Il est défendu.

(L’amendement n77, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement n115.

Mme Isabelle Attard. Cet amendement vise à supprimer l’alinéa qui impose à la personne retenue de « déclarer [l]es identifiants de tout moyen de communication électronique dont il dispose ou qu’il utilise, ainsi que tout changement d’identifiant ». Cette innovation juridique va largement au-delà de la simple surveillance. Elle serait une intrusion lourde dans la vie privée des individus, sans aucun contrôle. Par ailleurs, aucune précision n’est apportée quant à la destination et à l’utilisation des identifiants récoltés.

(L’amendement n115, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n42 qui fait l’objet d’un sous-amendement n570.

La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement.

Mme Isabelle Attard. S’il est actuellement prévu, par l’alinéa 19, que les décisions initiales fixant les obligations seront écrites et motivées, ce n’est pas le cas pour le renouvellement des obligations de l’article 225-3.

M. le président. La parole est à M. Pascal Popelin, rapporteur, pour soutenir le sous-amendement n570.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Je suis favorable à ce que les décisions soient motivées. C’est pourquoi je trouve inutile de préciser que la décision soit « expresse et motivée » : si elles sont motivées, elles sont motivées… Sous réserve de l’adoption de mon sous-amendement, je suis favorable à l’amendement proposé par Mme Attard.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement et le sous-amendement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Favorable.

(Le sous-amendement n570 est adopté.)

(L’amendement n42, sous-amendé, est adopté ; en conséquence, l’amendement n435 devient sans objet.)

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez, pour soutenir l’amendement n434.

M. Marc Dolez. Cet amendement a pour but de mieux encadrer le dispositif de l’article. Il propose de préciser que la mesure d’assignation à résidence, ainsi que les autres obligations prononcées, leur durée et leurs conditions de mise en œuvre sont non seulement écrites et motivées, mais également proportionnées au but poursuivi.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. J’ai peur qu’en partant d’une bonne intention, vous nous proposiez un a contrario. Toutes les mesures de restriction des libertés doivent être proportionnées au but poursuivi. Si nous le précisons seulement ici, nous risquons d’avoir l’effet inverse de ce que vous recherchez. Je vous suggère donc de retirer votre amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Je le retire.

(L’amendement n434 est retiré.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 43 rectifié et 407 rectifié.

La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement n43 rectifié.

Mme Isabelle Attard. Cet amendement vise à prévoir, suivant une recommandation du Défenseur des droits, que les décisions prononçant des obligations liées au contrôle administratif lors du retour sur le territoire national doivent être immédiatement levées s’il apparaît que les conditions ne sont plus satisfaites. Cette précision est d’ailleurs déjà prévue pour l’interdiction de sortie du territoire instaurée par la loi du 13 novembre 2014.

M. le président. La parole est à M. Christophe Cavard, pour soutenir l’amendement n407 rectifié.

M. Christophe Cavard. Il est défendu, monsieur le président.

(Les amendements identiques nos 43 rectifié et 407 rectifié, acceptés par la commission et le Gouvernement, sont adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 436, deuxième rectification, et 543 rectifié.

La parole est à M. Marc Dolez, pour soutenir l’amendement n436, deuxième rectification.

M. Marc Dolez. Cet amendement reprend la formulation de l’article L. 224-1 du code de la sécurité intérieure relatif à l’interdiction de sortie du territoire afin d’inscrire dans le texte que la personne visée dispose de la possibilité d’un recours devant le tribunal administratif.

M. le président. La parole est à M. Pascal Popelin, pour soutenir l’amendement n543 rectifié.

M. Pascal Popelin. Il est défendu, monsieur le président.

(Les amendements identiques nos 436, deuxième rectification, et 543 rectifié, acceptés par le Gouvernement, sont adoptés.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement n116.

Mme Isabelle Attard. Les recours contre les assignations à résidence prononcées dans le cadre de l’état d’urgence ont montré la forte hostilité de l’autorité administrative vis-à-vis des décisions en référé. Ainsi, le ministère de l’intérieur a continué jusqu’en janvier, malgré la décision du Conseil d’État, à soutenir dans ses mémoires en défense que la condition d’urgence n’était pas remplie. Dès lors, il s’agit de préciser qu’elle est réputée remplie. En effet, vu les délais ici prévus et l’atteinte importante dont fera l’objet la personne concernée, il ne semble pas opportun de prévoir des délais identiques à ceux fixés pour l’interdiction de sortie du territoire, ces derniers étant plus longs.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Il appartient davantage au ministre de l’intérieur de répondre sur ce point à Mme Attard. Quoi qu’il en soit, les amendements que nous venons à l’instant d’adopter fixent le cadre du recours contre les décisions de contrôle administratif, que ce soit devant le juge administratif – ou le juge des référés s’il y a urgence pour sauvegarder une liberté fondamentale. Ce dispositif a été, vous l’avez vous-même évoqué, ma chère collègue, adopté en miroir de celui de l’interdiction de sortie du territoire. Il n’est donc pas utile de prévoir une présomption d’urgence. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

(L’amendement n116 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche, pour soutenir l’amendement n65.

M. Pierre Lellouche. Il est défendu.

(L’amendement n65, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 305 rectifié et 236 rectifié, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Meyer Habib, pour soutenir l’amendement n305 rectifié.

M. Meyer Habib. Il est défendu.

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n236 rectifié.

M. Éric Ciotti. Il s’agit d’introduire ce que nous demandons avec constance : un dispositif d’interdiction de retour sur le territoire pour les djihadistes binationaux. Ils sont allés dans des zones de guerre combattre les valeurs essentielles de notre République et il est dès lors totalement légitime de procéder à cette interdiction. Vous avez ouvert ce débat, monsieur le ministre, lors de l’examen de la déchéance de nationalité. Je l’ai soutenue et il y a une vraie cohérence à ne pas laisser revenir ceux qui ont décidé de déclarer une guerre à notre civilisation, à ce que nous sommes, à notre pays, voire de porter les armes contre des militaires français, contre des citoyens français. Ces individus représentent une menace majeure, ce sont de véritables bombes humaines. Lorsqu’ils ont une double nationalité, et dès lors qu’ils ont attaqué notre pays, ils n’ont plus rien à faire sur le territoire national.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Je tiens à rappeler, monsieur Ciotti, quelles sont nos obligations en droit international, en particulier les termes de l’article 3 du protocole n4 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Nul ne peut être privé du droit d’entrer sur le territoire de l’État dont il est le ressortissant. » Voilà la raison pour laquelle la commission ne peut qu’être défavorable à votre amendement.

M. Éric Ciotti. Cet article ne s’applique qu’en cas de risque d’apatridie !

M. Pascal Popelin, rapporteur. Voilà aussi pourquoi il est utile et opportun de prévoir un contrôle administratif comme proposé à l’article 20 du présent projet de loi.

(Les amendements nos 305 rectifié et 236 rectifié, repoussés par le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

(L’article 20, amendé, est adopté.)

Après l’article 20 (amendement appelé par priorité)

M. le président. je suis saisi d’un amendement, n339, portant article additionnel après l’article 20.

La parole est à M. Olivier Marleix, pour le soutenir.

M. Olivier Marleix. Je voudrais d’abord indiquer que je reste un peu sur ma faim s’agissant de la compréhension de la politique pénale du Gouvernement : à partir de quel moment le ministre de la justice demandera au procureur d’ouvrir le livre IV bis du code pénal pour traiter des crimes de guerre dont des Français se sont rendus complices en Irak ou en Syrie ? Vous sembliez dire tout à l’heure, monsieur le ministre, que je polémiquais pour le plaisir, mais j’espère vous n’avez pas une telle image de moi.

Ce sourire me fait de la peine… Mon inquiétude est en effet réelle, partagée par de très nombreux compatriotes, vous le savez fort bien, du fait des atrocités dont des Français sont complices. Que certains de nos compatriotes puissent être attirés par l’idée même d’y participer dépasse l’entendement.

Le Parlement a donc besoin d’être informé régulièrement et de manière très précise par le Gouvernement des poursuites engagées contre ces individus. Pierre Lellouche a, lui aussi, exprimé cette préoccupation. Je rappelle au passage que le Gouvernement l’a fait spontanément s’agissant des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence. Cette loi prévoyant des mesures pour l’après état d’urgence, il s’agirait donc de remettre un rapport au Parlement qui soit un compte rendu très précis des mesures mises en œuvre au titre de l’article 20 que nous venons de voter, y compris l’opposition.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. C’est la troisième de demande de rapport de la soirée… Sans me prononcer sur le fond ni sur la pertinence de votre amendement, mon cher collègue, je rappelle que pour les raisons que j’ai déjà indiquées, j’ai fait une réponse défavorable à une demande similaire des députés du groupe UDI et à celle d’une collègue du groupe SRC. Si des députés d’autres groupes proposent, eux aussi, un rapport, mes refus seront encore plus équilibrés.

(L’amendement n339, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Article 21 (appelé par priorité)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement n423.

Mme Isabelle Attard. S’agissant de grands événements dont traite cet article, l’amendement vise à éviter l’application aux journalistes des mesures de criblage prévues. Dans son avis, le Conseil d’État a bien souligné qu’en l’état actuel du texte, ceux-ci seraient concernés.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Si le journaliste accède aux mêmes zones que le public, il est considéré comme un spectateur même si c’est dans le cadre de sa mission professionnelle. Par contre, s’il s’agit de zones réservées à l’organisation, il ne faut pas le dispenser des mesures de sécurité prises pour s’assurer que tous ceux qui y accèdent ne présentent pas de danger. En conséquence, il n’est pas nécessaire de mentionner les journalistes car leur situation sera appréciée en fonction des droits d’accès qui leur seront conférés. L’avis est donc défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Mme Attard a fait référence à l’avis du Conseil d’État mais pour lui faire dire exactement le contraire de ce qu’il dit. Je vais donc le citer : « Au regard des exigences de la prévention des infractions terroristes et des garanties dont est assortie cette disposition », il a estimé qu’« elle ne portait une atteinte disproportionnée ni à la liberté d’entreprendre ni à la liberté d’expression dans l’hypothèse où elle serait appliquée à des journalistes ». 

M. Pierre Lellouche. Comme quoi on a toujours besoin d’un collègue membre du Conseil d’État !

(L’amendement n423 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Christophe Cavard, pour soutenir l’amendement n408.

M. Christophe Cavard. Il faut que les organisateurs de grands événements soient couverts s’agissant du recrutement d’intermittents, que ce soit pour la surveillance ou plus généralement pour leur bon déroulement. Cet article va sans doute s’appliquer à bon nombre événements, à court terme pour l’Euro 2016 mais il peut aussi s’appliquer à des festivals d’été, etc. C’est pourquoi l’amendement propose que soit précisé à l’alinéa 6 que le décret prévu fixe non seulement les modalités d’application de l’article mais aussi les délais pour permettre aux professionnels concernés de pouvoir éventuellement se retourner. On imagine bien que si aucun délai n’est prévu, cela risque de les mettre en difficulté en cas de changement de personnel.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Votre intention est tout à fait louable, monsieur Cavard. Néanmoins, l’impératif de la sécurité publique impose d’éviter des décisions favorables implicites. L’administration devra faire son travail, et dans des délais qu’il est difficile de définir a priori. Je vous demande donc de retirer votre amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

M. le président. Monsieur Cavard ?…

M. Christophe Cavard. Je le retire, monsieur le président.

(L’amendement n408 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Christophe Cavard, pour soutenir l’amendement n409.

M. Christophe Cavard. L’administration doit travailler le plus vite possible et au mieux, je ne dis pas le contraire, mais je ne vois pas pourquoi le décret ne pourrait pas fixer des délais en accord avec elle. Cet amendement s’inscrit dans le même esprit que le précédent en proposant que le décret mentionne aussi les voies de recours possible pour les personnes concernées. Si des membres du personnel, pour des motifs qui ne seront d’ailleurs pas toujours donnés à l’employeur, ne peuvent pas se trouver parmi ceux qui vont organiser l’événement, ils doivent pouvoir le contester.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. L’avis est défavorable précisément parce qu’il s’agira ici d’un avis de l’autorité administrative et non d’une décision. Cet avis éclairera la décision de l’employeur. On ne peut pas attaquer juridiquement un avis puisque celui-ci ne fait pas grief.

(L’amendement n409, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

(L’article 21 est adopté.)

Après l’article 21 (amendements appelés par priorité)

M. le président. Je suis saisi de plusieurs amendements portant articles additionnels après l’article 21.

La parole est à M. Pierre Lellouche, pour soutenir l’amendement n67.

M. Pierre Lellouche. Cet amendement s’inspire d’abord de ce que j’observe dans ma propre circonscription puisque j’ai l’honneur de représenter une partie du centre de Paris et donc des quartiers très fréquentés tous les jours par une population qui vient de banlieue et par beaucoup de touristes. Par conséquent, il me paraît raisonnable, au vu de ce qui s’est passé au Bataclan où les terroristes ont pu pénétrer faute de surveillance à l’entrée, de protéger tout lieu accueillant du public d’une surface supérieure à 400 mètres carrés. Cette surface a été retenue dans le plan local d’urbanisme à Paris pour définir la limite des surfaces commerciales moyennes.

C’est pourquoi je vous propose qu’à tout le moins dans les villes, on puisse contraindre les entreprises qui reçoivent beaucoup de public à mettre en place un minimum de contrôle à l’extérieur des bâtiments.

J’ajoute que les mesures dont je parle existent dans un certain nombre de pays où je me suis rendu récemment pour étudier ces questions. En Israël, par exemple, une loi oblige toute surface commerciale à se protéger ; des gardes de sécurité sont présents pour éviter qu’une personne armée puisse commettre un massacre dans un lieu très fréquenté.

Ma circonscription abrite la gare Saint-Lazare, les Champs-Élysées, des grands magasins, un certain nombre de rues très commerçantes ; vous comprendrez donc que je sois très inquiet. Chaque fois que je regarde les concentrations humaines en ces lieux, je me dis qu’une ou deux personnes y entrant avec des armes pourraient faire un massacre.

C’est une mesure de précaution, complémentaire au travail de la police, qui éviterait, me semble-t-il, beaucoup de drames. Aussi souhaiterais-je qu’elle soit examinée sérieusement par le Gouvernement. Cette disposition ne figurait pas dans le projet de loi d’origine. Vous comprenez bien qu’elle n’est animée par aucune arrière-pensée politique de quelque sorte que ce soit et qu’elle a pour seul objet de protéger nos concitoyens de la façon la plus efficace possible. Je souhaiterais donc qu’elle soit examinée sérieusement, et non pas balayée d’un revers de main, comme je crains qu’elle le soit dans un instant.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Monsieur Lellouche, je vais m’efforcer de vous répondre du mieux possible, sans aucunement balayer d’un revers de main votre proposition. Je comprends votre préoccupation, je perçois les objectifs de votre amendement, j’entends les éléments de comparaison que vous nous fournissez mais, en même temps, je mesure l’immense difficulté que pose cette mesure, tant d’un point de vue juridique que pratique.

À ma connaissance, des recommandations existent déjà s’agissant des précautions utiles à prendre pour l’accès à des lieux fréquentés par le public, ce qui est une première chose. L’introduction de cette obligation dans la loi en est une autre. Votre amendement vise à instaurer l’obligation de prévoir une protection de tout lieu accueillant du public d’une surface supérieure à 400 mètres carrés, assortie de la fouille des effets personnels de toute personne souhaitant y accéder. Il me semble que c’est une proposition extrêmement globalisante, formulée de manière trop générale et imprécise.

Elle est d’abord trop générale, car l’obligation de faire assurer la surveillance de certains lieux, qu’il s’agisse de locaux administratifs ou de surfaces commerciales, est déjà prévue par l’article L. 271-1 du code de la sécurité intérieure, lorsque l’importance de ces immeubles ou leur situation justifie que soient prises des « mesures permettant d’éviter les risques manifestes pour la sécurité et la tranquillité des locaux ». Votre amendement fixe un seuil bien en deçà des 3 000 à 6 000 mètres carrés mentionnés à l’article R 273-1 du même code, selon qu’il s’agisse de commerces de détail ou de centres commerciaux. En deçà de ces seuils, il est bien sûr possible, voire souhaitable, selon les cas, de prendre des mesures, mais il me semble qu’elles doivent plutôt être décidées au cas par cas, selon la réalité, l’enjeu et les risques, que systématisées dans la loi ; cette inscription légale imposerait par ailleurs aux propriétaires des obligations, soit inappliquées – mais sanctionnables –, soit inapplicables. Il y a donc là une vraie difficulté.

Votre proposition est également formulée de manière trop imprécise. L’amendement prévoit la fouille systématique des effets personnels de toute personne souhaitant accéder à ces lieux : il y aurait là, aux yeux, me semble-t-il, de toute juridiction, une atteinte manifestement disproportionnée au principe de liberté d’aller et de venir.

Par ailleurs, il n’est fait aucune distinction quant à la qualité des personnes qui ont accès aux sites. Imposerait-on aussi la fouille systématique et quotidienne aux personnes qui travaillent dans ce lieu ? À défaut, le dispositif présenterait une faille, au regard de la logique que vous poursuivez. Mais une telle mesure paraîtrait manifestement disproportionnée.

Bref, monsieur Lellouche, je ne rejette pas d’un revers de main ce que vous proposez. Il me semble que, dans de nombreux cas, ce sont des mesures souhaitables, qu’il faut encourager. Mais l’écrire dans la loi, tel que vous le souhaitez, ne me paraît pas la réponse la plus adaptée aux périls face auxquels nous nous efforçons de nous protéger. Voilà pourquoi la commission a émis un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Tous les arguments qui viennent d’être développés par le rapporteur sont justes. J’en ajouterai deux. Votre objectif, que nous partageons évidemment, est de faire en sorte que, dans un certain nombre de surfaces où peuvent se trouver rassemblées des personnes, on évite des tueries de masse. Cela suppose que l’on aille plus loin dans le raisonnement. D’abord, ceux qui protègent ces lieux sont des agents de sécurité privés, qui ne sont pas armés. Si des tueurs de masse arrivent, ils se trouveront face à des personnes surveillant les lieux mais n’ayant aucun moyen de faire face à ces individus lourdement armés. Ne rajouterait-on pas, en adoptant votre amendement, des cibles devant des bâtiments, face à des terroristes lourdement armés, qui parviennent déjà, en présence de forces de l’ordre qui portent également des armes, à commettre des crimes épouvantables ? C’est une question que je livre à votre réflexion.

Par ailleurs, le fait de placer des personnes devant des bâtiments est-il plus ou moins efficace que des préconisations susceptibles d’être arrêtées en liaison avec les propriétaires, lorsqu’il s’agit de lieux culturels ou commerciaux ? Les dispositions ainsi adoptées pour protéger les bâtiments peuvent se révéler plus efficaces que la mise en place de dispositifs humains.

Les préoccupations que vous avez à l’esprit en présentant cet amendement sont exactement celles que nous avons au ministère de l’intérieur. C’est la raison pour laquelle nous diligentons des audits et adressons des recommandations aux responsables de ces bâtiments afin qu’ils prennent des dispositions. C’est également la raison pour laquelle nous souhaitons adapter en permanence les dispositifs de protection aux informations dont nous disposons sur la nature de la menace. C’est enfin la raison pour laquelle je ne souhaite pas inscrire dans la loi des dispositions à caractère réglementaire, car l’efficacité du dispositif de protection dépend de son adaptabilité ; or, on ne saurait adapter en permanence ce dispositif devant le législateur. Je préfère donc garder la main sur ce sujet, en rappelant que la préoccupation à laquelle entend répondre votre amendement est celle du Gouvernement, et que nous la traitons dans l’esprit que je viens de vous indiquer.

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Merci, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, de vos réponses. Je suis naturellement conscient de la difficulté que cette mesure pose, du désagrément qu’entraîne, pour nos concitoyens, le fait de devoir ouvrir leurs sacs, du coût supplémentaire que cela peut induire pour un certain nombre d’exploitants et de l’efficacité moyenne, il faut le reconnaître, de cette mesure, puisque, de fait, les gardes ne sont pas armés.

Cela étant dit, monsieur le ministre, je vais vous citer un exemple. Dans ma circonscription se trouve la salle des ventes de Drouot, qui accueille, chaque jour, des milliers de personnes. Or, depuis les attentats, vous ne pouvez y entrer qu’en vous soumettant à une fouille systématique des sacs et à un contrôle de gens non armés. Cela entraîne certes un coût, mais cela a un effet dissuasif et ces agents peuvent donner l’alerte. En revanche, si l’on prend l’exemple de Marionnaud, sur les Champs-Élysées, où passent aussi des milliers de personnes, ou d’autres grandes surfaces de ce type, qui s’étendent sur plusieurs centaines de mètres carrés, on voit bien qu’un problème de sécurité se pose. Je sais qu’il est difficile aux policiers du VIIIe arrondissement affectés à ce quartier, à cette avenue, d’assurer la protection de ces bâtiments. Aussi conviendrait-il d’établir un premier écran de sécurité, même imparfait, mais qui assurerait un minimum de dissuasion. C’est pourquoi la mesure que je vous propose, qui a été adoptée par un certain nombre de pays qui vivent avec le terrorisme, n’est pas aussi légère ou insuffisante que vous voulez bien le décrire.

Par ailleurs, je comprends bien l’argument tiré de la distinction entre les articles 34 et 37 de la Constitution, entre les domaines de la loi et du règlement, mais qu’est-ce qui empêche, monsieur le ministre, d’introduire dans le texte, avant sa transmission au Sénat, une disposition qui, tout en renvoyant au règlement, permette cette protection dans un certain nombre de quartiers. Je vous cite un exemple : dans la loi Macron, on a créé des zones touristiques internationales à Paris. Il se trouve que beaucoup de quartiers, dans ma circonscription, abritent de telles zones, et connaissent une forte densité de fréquentation. Pourquoi n’introduirait-on pas dans cette loi une disposition permettant de prendre certaines précautions dans ces zones à haute fréquentation touristique ? Voilà ce que je souhaiterais y voir. Tout en étant conscient qu’une telle mesure n’est parfaite, il me semble qu’elle serait un complément indispensable au travail des forces de police.

(L’amendement n67 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n88.

M. Éric Ciotti. Il est défendu.

(L’amendement n88, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Avant l’article 32 A (amendements appelés par priorité)

M. le président. La parole est à M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois, pour soutenir l’amendement n° 400.

M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Il s’agit d’un amendement présenté conjointement par M. Blazy, Mme Mazetier et moi-même, qui a reçu un avis défavorable de la commission des lois. Il a pour objet de modifier le régime de la répression des attroupements dans les halls d’immeuble. Ces attroupements, qui sont des sources de troubles et de nuisances, constituent depuis plusieurs années un délit, ce qui autorise théoriquement leur répression. Toutefois, cette répression ne fonctionne pas, car ce délit est extrêmement difficile à caractériser. En conséquence, il est proposé de descendre dans l’échelle des peines et de transformer ce délit en contravention, afin de faciliter la répression. En effet, d’une part, les règles de preuve sont différentes en matière contraventionnelle, et, d’autre part, la commission de l’infraction conduirait au prononcé d’une amende ; l’accumulation de ces amendes serait sans doute plus dissuasive que les peines de prison, qui ne sont jamais prononcées, eu égard au faible nombre de poursuites. Telles sont les raisons qui nous ont conduits – M. Blazy en étant le principal rédacteur – à déposer cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Colette Capdevielle, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission.

Mme Colette Capdevielle, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président Raimbourg, vous avez déposé, avec M. Blazy et Mme Mazetier, plusieurs amendements visant à contraventionnaliser un certain nombre de délits. La commission n’y a pas donné un avis favorable, mais cela ne s’explique pas véritablement par des raisons de fond : c’est plutôt un avis d’attente. De fait, je suis assez d’accord sur l’analyse que vous faites quant à l’efficacité de la répression. Vous soulevez là un sujet important, qui suscite d’ailleurs un débat. Il ne faut pas se tromper : ce que l’on cherche, c’est l’efficacité. Mieux vaut aller plus vite et réprimer par une amende réelle que de s’en remettre à une hypothétique peine de prison. Cette demande est faite de manière récurrente par les services de police, mais aussi par la magistrature, car cela permettrait de désengorger nombre de juridictions qui s’épuisent à traiter des procédures excessivement longues. Je pense qu’il faut entamer le débat avec le Gouvernement, tant avec M. le ministre de l’intérieur qu’avec M. le garde des sceaux. Nous serons d’ailleurs amenés à examiner un texte relatif à la « justice du XXIe siècle ». Il me semble qu’il faut d’ores et déjà travailler sur ce sujet : vous avez bien fait de l’évoquer et de déposer cet amendement aujourd’hui. L’avis de la commission est donc défavorable dans l’attente de l’identification des infractions, des délits, qu’il serait utile et efficace de contraventionnaliser.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Dominique Raimbourg.

M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois. Je retire l’amendement au bénéfice de ces explications.

(L’amendement n400 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Luc Belot, pour soutenir l’amendement n359 rectifié.

M. Luc Belot. Je souhaiterais que nous profitions de l’examen de ce texte pour aborder la question des solutions d’alerte en présence de situations très spécifiques – outre les attentats, il peut s’agir de catastrophes naturelles, de séismes, d’inondations. Il convient de réfléchir à la manière dont on peut aujourd’hui utiliser les outils technologiques, notamment l’ensemble des téléphones portables situés dans une zone déterminée.

On sait en effet que les opérateurs ont connaissance des appareils susceptibles de recevoir un message d’alerte autour des antennes-relais. Dans le cas du Bataclan, par exemple, il était assez simple techniquement de faire en sorte que l’antenne-relais située sur le toit de la salle et la dizaine d’autres situées aux alentours envoient, au moment où les services préfectoraux et les services de l’État l’auraient jugé utile, un message d’alerte à l’ensemble des personnes se trouvant dans le secteur, quel que soit leur opérateur – ils sont au nombre de quatre –, informant chacun d’un danger imminent et lui enjoignant de ne pas sortir et de rester protégé jusqu’à réception de nouvelles informations. Le même processus pourrait être mis en œuvre en cas de séisme ou de diverses catastrophes naturelles.

Nous avons aujourd’hui cette capacité technique, mais le droit empêche de géolocaliser les usagers et d’utiliser ce type d’appareils, de telle sorte que les solutions envisagées jusqu’à présent n’ont jamais été mises en œuvre.

Il serait bon cependant de prévoir très spécifiquement, autour de l’article L. 33-1 du code des postes et des communications électroniques, que les opérateurs puissent, à la demande des services préfectoraux, envoyer un message d’alerte à l’ensemble des utilisateurs situés dans une zone géographique déterminée.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Colette Capdevielle, rapporteure. Monsieur Belot, je vous demande de retirer cet amendement, faute de quoi je serais contrainte de formuler un avis défavorable.

Tout d’abord, en effet, je vois mal le lien entre cet amendement et l’objet du projet de loi que nous examinons.

En outre, l’objectif louable que vous poursuivez est déjà satisfait. La loi, je vous le rappelle, dispose en effet que les opérateurs sont soumis aux règles relatives à « l’acheminement des communications des pouvoirs publics destinées au public pour l’avertir de dangers imminents ou atténuer les effets des catastrophes majeures ». Rien n’interdit donc de limiter géographiquement cet avertissement et de l’envoyer à tous les abonnés en définissant la zone concernée.

En troisième lieu, la précision que vous demandez me semble relever bien plus du champ réglementaire que du champ législatif.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Luc Belot.

M. Luc Belot. Bien que vous n’ayez pas cité le mot, chacun comprendra que vous avez visé un « cavalier législatif ». Cependant, je ne partage pas votre avis quant au fait que cette mesure aurait un caractère réglementaire, car il s’agit bien de permettre à un opérateur de localiser les utilisateurs autour d’une zone spécifique, ce qui relève aujourd’hui de la loi.

M. le ministre semble adhérer à vos arguments et je souhaite quant à moi que nous puissions poursuivre ce travail, car aucun des textes que nous pourrons aborder ne saurait traiter spécifiquement de cette situation d’alerte – ce n’était du reste pas davantage le cas pour les textes relatifs à la République numérique et à la lutte contre le terrorisme. Nous devons pouvoir aborder spécifiquement cette question, qui sera cependant toujours un cavalier.

Je souhaite donc que nous ayons l’engagement que cette mesure sera prise afin de pouvoir protéger des personnes et sauver des vies. C’est tout l’enjeu de cet amendement. Si malheureusement des incidents identiques devaient se produire demain, je souhaiterais avoir la garantie que l’on recourrait à cette solution technique pour protéger nos concitoyens.

M. le président. La parole est à M. Nicolas Dhuicq.

M. Nicolas Dhuicq. Je comprends votre intention, monsieur Belot, mais je suis très dubitatif quant aux mesures de ce type. D’abord, il pourrait se trouver sur zone des personnes animées de mauvaises intentions, qui recevraient le même message. Or, nous redoutons toujours le surattentat.

En deuxième lieu, je redoute aussi des mouvements de panique. Si en effet vous informez la population qu’il existe une zone à risques, vous devez aussi disposer d’un plan indiquant aux habitants où se réfugier. Votre amendement compliquerait donc la tâche des services sécurité plus qu’elle ne la faciliterait.

M. le président. La parole est à M. Luc Belot.

M. Luc Belot. Je le retire.

(L’amendement n359 rectifié est retiré.)

M. le président. La parole est à Mme Elisabeth Pochon, pour soutenir l’amendement n406.

Mme Elisabeth Pochon. Cet amendement se situe dans le droit fil d’un amendement précédent et d’autres qui suivront. L’embolisation de la justice par certains délits nous pousse à réfléchir à des contraventionnalisations. Nous sommes tous très attentifs à ne pas envoyer de signaux de laxisme en matière de sécurité routière, mais nous avons observé que, pour certains délits routiers, comme le défaut d’assurance, le résultat obtenu après parfois un long parcours devant la justice était toujours une amende. Il est donc peut-être plus opérationnel de contraventionnaliser ce délit et de proposer qu’il fasse l’objet d’une amende forfaitaire, en faisant par ailleurs en sorte de pouvoir identifier plus rapidement les personnes non assurées au moyen d’un fichier des assurances, afin de protéger de futures victimes en pourchassant beaucoup plus rapidement et efficacement les personnes dépourvues d’assurance.

Il ressort des rapports commandés par Mme Taubira – qu’il s’agisse de celui de M. Jacques Beaume ou celui de M. Jean-Louis Nadal – et des auditions auxquelles nous avons procédé en vue de la réforme pénale que les professionnels de la justice et de la police sont prêts à adopter cette démarche et peut-être est-il temps que nous y pensions.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Colette Capdevielle, rapporteure. Madame Pochon, je formulerai les mêmes commentaires que tout à l’heure à propos de l’amendement de M. Raimbourg : je ne discute pas le fond de votre proposition, mais il faut trouver le bon véhicule législatif. Pour toute une série d’amendements concernant certains types de délits, il faut bien affiner l’analyse et voir ce qui est efficace, ce qui désengorge les juridictions.

En l’état, donc, avis défavorable, mais je souhaite que cette question puisse être travaillée dans les jours et les semaines à venir avec le Gouvernement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à Mme Elisabeth Pochon.

Mme Elisabeth Pochon. Je retire donc mon amendement.

(L’amendement n406 est retiré.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements, nos 399, 403 et 402, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.

La parole est à M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois, pour les soutenir.

M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois. Compte tenu des explications fournies, je retire les amendements nos 309, 403 et 402, en vue de leur examen dans le cadre de la réforme de la justice intitulée « justice du XXIsiècle ».

(Les amendements nos 399, 403 et 402 sont retirés.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n456 rectifié qui fait l’objet d’un sous-amendement n578.

La parole est à Mme Elisabeth Pochon, pour soutenir l’amendement.

Mme Elisabeth Pochon. Cet amendement vise à simplifier les modalités de saisine du juge chargé d’autoriser les contrôles antidopage réalisés la nuit au domicile des sportifs. Autorisés en France depuis l’ordonnance du 30 septembre 2015 relative aux mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer le respect des principes du code mondial antidopage, les contrôles de nuit sont réalisés dans des conditions prévues au code du sport. En particulier, si un sportif n’a pas préalablement consenti à un contrôle antidopage de nuit, l’article L. 232-14-4 du code du sport prévoit que seuls le juge des libertés et de la détention et le procureur de la République territorialement compétents peuvent être sollicités pour mettre en œuvre un tel contrôle à son domicile.

Nous demandons que les pôles de santé publique de Paris et de Marseille, particulièrement compétents en matière de dopage, soient seuls habilités à autoriser ces contrôles de nuit, pour des raisons pratiques et pour en garantir l’efficacité.

M. le président. La parole est à Mme Colette Capdevielle, rapporteure, pour donner l’avis de la commission et soutenir le sous-amendement n578.

Mme Colette Capdevielle, rapporteure. En la matière, le juge des libertés et de la détention est saisi pour les contrôles antidopage réalisés la nuit au domicile du sportif, car il s’agit d’une mesure qui touche aux libertés. Il est sollicité pour autoriser expressément ces opérations lorsqu’elles sont menées par surprise et que le sportif visé peut s’y opposer.

Les agences internationales chargées de contrôler le respect des règles sportives souhaitent – et on peut le comprendre – une plus grande clarté dans la détermination du juge des libertés et de la détention territorialement compétent, afin de savoir précisément quel est celui auquel elles doivent s’adresser sans avoir à faire le Tour de France de la carte judiciaire.

Votre demande d’assigner une attribution spéciale à Paris et à Marseille va donc dans le sens de l’efficacité et de la simplification, car elle prend modèle sur ce qui existe déjà en matière de ce contentieux spécialisé de la santé publique ou de l’environnement.

Il s’agit d’une idée judicieuse, au moment où la France s’apprête à accueillir des compétitions internationales majeures, avant une compétition nationale tout aussi majeure dans un autre sport. La commission a donc donné un avis favorable à votre amendement, que je formule sous réserve de l’adoption de l’amendement de précision n578.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement et le sous-amendement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Favorable.

(Le sous-amendement n578 est adopté.)

(L’amendement n456 rectifié, sous-amendé, est adopté.)

Article 32 (appelé par priorité)

M. le président. La parole est à Mme Elisabeth Pochon, pour soutenir l’amendement n454.

Mme Elisabeth Pochon. Cet amendement nous permet d’aborder à nouveau la question du contrôle d’identité, mais sous un jour très différent de celui sous lequel nous l’avons fait cet après-midi. Il s’agit en effet d’imaginer des relations apaisées entre la police et la population.

Nous avons suivi en commission les résultats d’une expérimentation menée dans les zones prioritaires, où la police, qui avait pu bénéficier de caméras « piéton », a constaté que l’utilisation de cet équipement produisait des rapports apaisés avec la population et que chacun, se sentant contrôlé sous le regard d’une caméra, contrôlait son éventuelle agressivité. Ces caméras « piéton », devenues des caméras mobiles – même les policiers à cheval peuvent en être équipés – seront généralisés pour toute la police.

Le moment me semble venu de prévoir le déclenchement systématique de cette caméra lors d’un contrôle d’identité. Nous cherchions cet après-midi un procédé susceptible de répondre à des arguments invoquant des discriminations et des contrôles au faciès, ou aux dysfonctionnements : ce dispositif me semble être, de part et d’autre, un gage du bon déroulement des contrôles d’identité.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Colette Capdevielle, rapporteure. Avec cet amendement, nous remettons une nouvelle fois l’ouvrage sur le métier concernant les contrôles d’identité. J’ai noté ce qu’a dit M. le ministre tout à l’heure ; dans leur immense majorité, ces contrôles se passent bien car nous avons la chance d’avoir une police formée et compétente. Comme vous le savez, il y a peu de difficultés – heureusement, d’ailleurs !

Vous souhaitez rendre obligatoire le fonctionnement des caméras mobiles lors des contrôles d’identité diligentés par les forces de police. Je vois mal pourquoi le systématiser uniquement pour ces contrôles d’identité : je ne le comprends pas car rien ne le justifie en l’état de notre droit et au vu des éléments qui nous ont été présentés par le ministre de l’intérieur.

Pourquoi le demander pour les contrôles d’identité mais pas pour les interpellations sur la voie publique, ou en matière de police des étrangers ? Pourquoi pas lors des contrôles routiers ? Qu’est-ce qui justifierait ce caractère systématique ? Je n’ai pas trouvé dans votre amendement de motivation spéciale.

S’il était voté, cet amendement proposerait une lecture très stigmatisante et très dévalorisante des services de police et de gendarmerie. Je ne crois pas qu’en l’état et au vu des débats qui ont eu lieu tout à l’heure, notre assemblée puisse envoyer ce type de message à la police, qui fait un travail difficile.

Il n’est pas facile de faire des contrôles d’identité. Nous verrons bien ce que donnera l’utilisation par la police nationale et par la gendarmerie de la caméra mobile lorsqu’elles le décident. On m’explique que l’expérimentation dans les zones de sécurité prioritaire est un succès, que l’on veut généraliser à l’ensemble du territoire avec les dispositions contenues dans cet article 32. Nous verrons bien, en laissant la décision aux policiers. En l’état, madame Pochon, je donne un avis défavorable à votre amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis que celui de Mme la rapporteure, qui a été très complète.

M. le président. Madame Pochon, retirez-vous votre amendement ?

Mme Elisabeth Pochon. Je le maintiens.

M. le président. La parole est à M. Christophe Cavard.

M. Christophe Cavard. Je sais qu’il est un peu tard, que ce sujet est compliqué et que nous avons déjà débattu tout à l’heure du récépissé – n’y revenons pas puisque cela vient d’être traité.

Mais la question du déclenchement, obligatoire ou pas, est un véritable enjeu. Je ne sais pas si cela peut être adopté ainsi, par voie d’amendement, à minuit et quart, dans un texte aussi lourd, car le débat doit aussi avoir lieu avec ceux qui sont concernés, c’est-à-dire les forces de l’ordre, afin d’envisager comment elles peuvent intégrer un certain nombre de ces dispositifs.

La plupart d’entre nous avons essayé, depuis le départ, de trouver un bon équilibre – c’est pour cela que je soutiens ce type d’amendement – entre les forces de l’ordre et les publics contrôlés dont certains, parfois, les remettent en cause – à tort ou à raison, mais le plus souvent à tort, d’ailleurs, ceux qui estiment être bafoués étant souvent ceux qui crient le plus contre les forces de l’ordre.

Je ne dis pas qu’ils ont automatiquement raison mais la caméra permettrait au contrôle de bien se dérouler en apaisant les deux parties – en particulier les personnes contrôlées, qui ne pourront pas faire valoir tout et n’importe quoi dès lors qu’elles peuvent être contrôlées par l’image.

Il faut prêter attention à ce type d’amendement, qui présente quand même un véritable intérêt, monsieur le ministre. Je ne sais pas si on pourra pousser plus loin cette réalité : les forces de l’ordre, confrontées au quotidien à des contrôles qui, selon les zones, ne sont pas toujours évidents, devraient apprécier, non pas que l’on ait un doute sur leur capacité à bien faire le contrôle, mais précisément que le contrôle se passe bien, des deux côtés, et que la situation soit apaisée – y compris pour elles – au moment du contrôle.

C’est comme cela qu’il faut le prendre, madame la rapporteure, et non comme une défiance vis-à-vis des forces de l’ordre.

Mme Elisabeth Pochon. Absolument !

M. Christophe Cavard. Ainsi, la personne contrôlée saura qu’elle ne peut pas faire ou dire n’importe quoi, ce qui peut arriver parfois aux forces de l’ordre avec certaines personnes ou dans certains endroits.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je comprends tous les arguments de Mme Pochon et de M. Cavard, mais les « caméras piétons » existent depuis peu de temps. Nous mettons en place ce dispositif, qui n’était pas de nature législative ; le Conseil d’État demande qu’on le mette dans la loi.

Je ne suis absolument pas hostile à des évolutions mais je propose simplement, dans un contexte particulier pour les forces de l’ordre qui sont extrêmement sollicitées, avec des discours systématiquement réitérés de suspicion à leur encontre, dans un contexte où elles sont sous une pression extrême, que l’on prenne cette disposition, que l’on mette l’expérimentation en œuvre et que nous regardions les conditions dans lesquelles elle s’applique.

Si l’on veut l’apaisement dans la relation entre la police et la population – je n’ai aucun doute que cela soit votre souhait –, il ne faut pas donner le sentiment aux forces de l’ordre que nous prenons des dispositions de nature à faire peser un doute sur les conditions dans lesquelles elles remplissent leur mission, alors même qu’elles le font dans des conditions qui n’ont jamais été aussi difficiles qu’aujourd’hui.

Je propose donc que l’on soit pragmatique ; avançons pas à pas et évitons d’envoyer aux forces de l’ordre, dans un contexte extrêmement difficile pour elles, le signal d’une suspicion ou d’une interrogation quant aux conditions dans lesquelles elles assument leurs responsabilités.

(L’amendement n454 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Sebaoun, pour soutenir l’amendement n254.

M. Gérard Sebaoun. Sans rouvrir le débat un peu animé que nous avons eu tout à l’heure sur le récépissé, les caméras mobiles – que je soutiens, pour ma part – sont un nouvel outil au service de la prévention et de l’action des forces de l’ordre sur le terrain.

Dans la mesure où l’enregistrement n’est pas permanent mais à la main des forces de l’ordre, voire à la demande du contrôlé, il ne m’apparaîtrait pas aberrant que toute personne enregistrée puisse se voir, dans ce cadre et seulement dans ce cadre, remettre un récépissé identifiant l’agent ou le militaire qui déclenche la caméra et précisant la date et l’heure de début et de fin de cet enregistrement.

En effet, ces enregistrements seront gardés six mois, selon des modalités à définir. Imaginons un individu qui est filmé, à un moment donné, pendant dix ou quinze minutes – peu importe. Il est suspecté ou incriminé dans une affaire X : il pourra peut-être, lui, se prévaloir du fait que, à telle heure, à tel endroit, il avait été filmé par les forces de police lors d’un contrôle. Cela ne m’apparaît pas aberrant car cela donne un droit à celui qui est filmé, écouté. Pour la police, c’est évidemment très restrictif par rapport au récépissé systématique, mais dans ce cadre, cela me paraît tout à fait indiqué.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Colette Capdevielle, rapporteure. Nous n’allons pas rouvrir le débat sur le récépissé, mais vous soulevez une question importante. Il y a la personne interpellée, mais il y a aussi les personnes filmées, qui ne sont pas forcément les mêmes.

La généralisation posera de nombreuses questions de droit et il est probable que des évolutions auront lieu en application de la jurisprudence : cela me paraît évident, tel que le texte est rédigé aujourd’hui.

J’entends ce que vous dites : vous souhaitez un justificatif de la nature de l’enregistrement, de la date, de l’heure, etc. On ne reviendra pas sur la question du récépissé parce que le débat a eu lieu mais, concernant l’accès aux enregistrements, le dispositif de l’article 32 n’a pas pour objet de le garantir à tout un chacun.

En revanche, les fichiers pourront servir en cas de procédure judiciaire ou en cas de procédure disciplinaire pour le policier concerné, mais pas sur demande des personnes filmées.

En l’état, la délivrance d’un récépissé n’est donc pas prévue, mais, sans être devin, je pense qu’il y aura des évolutions sur ce texte au vu de la pratique et de la jurisprudence qui en découlera.

(L’amendement n254, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement n120.

Mme Isabelle Attard. Cet amendement vise à donner au Défenseur des droits un plein accès aux enregistrements des « caméras piétons ». Dès lors que le Défenseur des droits doit veiller au respect de la déontologie par les personnes exerçant des activités de sécurité, son activité n’est pas forcément disciplinaire. Il s’agirait donc d’insérer à l’alinéa 9, après le mot : « disciplinaire », les mots : « ou par le Défenseur des droits ».

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Colette Capdevielle, rapporteure. Madame Attard, je vous demande de retirer cet amendement puisqu’il est satisfait. En effet, le Défenseur des droits pouvant investiguer sur les questions de discipline des forces de l’ordre et sur les éléments filmés par les caméras mobiles, les films seront mis à sa disposition.

Initialement, je souhaitais réduire de six à un mois le délai de conservation des enregistrements, que je considérais comme trop long. J’y ai renoncé lorsque j’ai appris que ce délai de six mois correspondait précisément au délai de saisine du Défenseur des droits et que c’est pour cette raison que le Gouvernement avait fait correspondre les deux durées.

Le Défenseur des droits est donc au cœur du dispositif que le Gouvernement nous propose. Votre amendement étant satisfait, je vous invite donc à le retirer.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

M. le président. Madame Attard, retirez-vous votre amendement ?

Mme Isabelle Attard. Je le retire.

(L’amendement n120 est retiré.)

(L’article 32 est adopté.)

Après l’article 32 (amendements appelés par priorité)

M. le président. La parole est à M. le ministre, pour soutenir l’amendement n555.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le présent amendement vise à instaurer une procédure d’enregistrement pour trois produits dits « précurseurs d’explosifs ». Les précurseurs d’explosifs sont des produits de consommation courante pouvant être utilisés de manière détournée pour la fabrication illicite d’explosifs artisanaux.

Le règlement communautaire du 15 janvier 2013 a prévu plusieurs dispositions pour limiter l’accès des particuliers à ces produits. Il laisse aux États membres le soin d’opter pour une procédure d’enregistrement des transactions concernant trois produits particulièrement utilisés dans la vie courante : le peroxyde d’hydrogène, que chacun utilise chaque jour ; le nitrométhane, utilisé comme carburant en modélisme et comme solvant ; l’acide nitrique, employé dans la fabrication d’engrais ou encore comme nettoyant en imprimerie.

Seules les acquisitions par des particuliers sont concernées. La mise en place de la procédure déclarative nécessite d’être prévue par la loi : c’est l’objet du présent amendement.

(L’amendement n555, accepté par la commission, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Florent Boudié, pour soutenir l’amendement n473.

M. Florent Boudié. En adoptant l’article 32, nous avons généralisé l’usage des caméras mobiles par les forces de police et la gendarmerie. Le présent amendement propose une expérimentation de ce dispositif dans les quatre-vingts zones de sécurité prioritaire, pour deux années seulement, pour la police municipale.

Ce dispositif a fait ses preuves pour la police nationale et la gendarmerie dans le cadre d’une expérimentation. La question de l’apaisement des relations entre la police, la gendarmerie et la population se pose aussi pour la police municipale.

Je rappelle les chiffres : 20 000 policiers municipaux, près de 4 000 communes concernées, une augmentation assez considérable des effectifs de police municipale au cours des dernières années et, dans le cadre des zones de sécurité prioritaire, ainsi identifiées en raison de la dégradation de l’ordre et de la tranquillité publics, une mise sous pression de cette police qui coopère avec les forces de l’ordre de l’État dans le cadre des cellules de coordination opérationnelle du partenariat.

Certes les polices municipales ne peuvent pas effectuer des contrôles d’identité mais elles ont la faculté de relever les identités dans des cas précis – par exemple à l’occasion d’établissements de procès-verbaux constatant des contraventions aux arrêtés de police municipaux ou au code de la route.

J’ajoute qu’un certain nombre de communes ont pris l’initiative ces dernières années de proposer ce dispositif à leurs agents de police municipale hors de tout cadre juridique. Il y a là un vide qu’il nous revient de combler. La première étape, celle que je propose avec un certain nombre de signataires, est de procéder à titre expérimental pour une durée de deux ans.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Colette Capdevielle, rapporteure. Il me semble que cet amendement tend à étatiser la police municipale.

Ce sont deux conceptions de la police municipale qui s’opposent ici. En France il y a toujours eu deux polices. La République a voulu une police d’État et une maréchaussée pour les affaires communales, à l’exception de Paris, dotée d’une lieutenance de police depuis Colbert.

Pensez-vous qu’une caméra embarquée sur l’oreillette ou l’uniforme permettra véritablement un rapprochement avec la population ? Ne risque-t-on pas au contraire d’accroître la distance ?

Votre amendement, qui a été rejeté par la commission, ne me paraît pas pertinent, d’abord parce qu’un tel équipement, qui coûte 1 200 euros hors taxes, me paraît très onéreux à un moment où les finances de nos communes ne sont pas florissantes.

Ensuite je ne suis pas sûre que ce qui est ma philosophie de la police municipale est compatible avec la mise en place sur l’heure, même de façon expérimentale, d’un tel dispositif.

La police municipale, monsieur Boudié, n’a pas vocation à se substituer à la police nationale. Elle n’exerce pas du tout les mêmes missions d’investigation et en matière d’ordre public. Elle n’a pas vocation à intervenir sur les points chauds ; elle n’a pas à procéder aux interpellations ni à effectuer des contrôles d’identité, sauf en cas d’infraction au code de la route.

Son rôle est d’être au contact de la population. Je suis pour ma part favorable à ce qu’elle reste présente à la sortie des écoles, dans les stades, proche de la population. Elle n’est pas là pour intervenir dans les conflits mais pour les prévenir.

Vous l’avez dit à l’instant, monsieur le ministre, l’expérience est récente et on doit d’abord en dresser le bilan. Si vous ne souhaitez pas, et je suis d’accord avec vous, qu’il y ait une remise de récépissé, c’est justement parce que c’est très récent.

Vous qui évoquez certaines expériences, voulez-vous que je vous parle de Vitrolles ? Voulez-vous que je vous dise ce que cela a donné dans cette commune ? Cela a abouti à une surveillance des policiers. La fonction a été complètement pervertie et c’est pourquoi les exemples que vous avez cités ne me paraissent pas les bons.

C’est pourquoi, monsieur Boudié, si vous ne retirez pas cet amendement, j’y réserverai un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le Gouvernement est favorable à cet amendement.

M. Nicolas Dhuicq. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous sommes dans un contexte où les relations entre les polices municipales et la police nationale ont beaucoup évolué puisqu’il y a désormais des conventionnements entre elles.

Par ailleurs, vous avez beaucoup insisté, les uns et les autres, sur l’intérêt qu’il y avait à utiliser ces outils pour rapprocher la police de la population. Le rapprochement de la police municipale avec la population des communes est un objectif que l’on peut atteindre.

Je suis désolée de ne pas être d’accord avec vous, madame la rapporteure, mais je suis très favorable à cet amendement. Il est très attendu des polices municipales. Il est très utile pour l’articulation entre les polices municipales et la police nationale et pour le rapprochement entre la police municipale et la population. J’invite donc les parlementaires à l’adopter.

M. le président. La parole est à M. Nicolas Dhuicq.

M. Nicolas Dhuicq. Je vous remercie, monsieur le ministre, et je remercie mon collègue d’avoir déposé cet amendement. C’est enfin reconnaître que les polices municipales sont la troisième force de sécurité, aux côtés de nos gendarmes et de nos policiers nationaux.

Accessoirement il me semble que la police nationale est née de la fusion d’anciennes polices municipales et que la gendarmerie a une certaine antériorité.

Je m’interroge cependant sur la rédaction de l’amendement. On ne parle pas de mutualisation de polices municipales, mais de polices intercommunales et dans ce cadre il me semble que c’est à un vice-président que revient la compétence en matière de sécurité et non au président de l’intercommunalité. Je me demande s’il ne faudrait pas, pour une plus grande clarté juridique, que l’amendement précise qu’il faut l’accord de l’ensemble des maires.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Le groupe Les Républicains votera cet amendement, qui conforte les polices municipales, mais il est vrai qu’au cours de la navette il faudrait peut-être en préciser le champ. Il n’est pas certain notamment qu’il ne doive s’appliquer qu’aux zones de sécurité prioritaire : on pourrait envisager que toutes les polices municipales puissent en bénéficier.

M. le président. La parole est à M. Florent Boudié.

M. Florent Boudié. Je voudrais faire quelques remarques en réponse aux observations de la rapporteure.

Historiquement la distinction essentielle est celle qui oppose les forces de l’ordre civiles – la police nationale – et militaires, à savoir la gendarmerie nationale, et non celle entre les forces de l’ordre nationales et la police municipale, qui est plus récente, dans sa forme actuelle en tout cas.

Je suis étonnée, madame la rapporteure, de vous voir mettre en doute l’opportunité de l’usage de caméras mobiles par les policiers municipaux sous prétexte qu’elle risquerait d’accroître les tensions avec nos concitoyens. C’est là un argument qui pourrait s’appliquer aux policiers nationaux et à la gendarmerie et ce raisonnement vaut pour l’article 32 que nous venons d’adopter avec votre soutien.

Vous m’opposez le coût d’un tel équipement, mais l’amendement dit très clairement que l’initiative en revient aux maires. Ce sont eux qui sont en capacité de déterminer si cette charge est supportable pour le budget de leur commune. En tant que donneurs d’ordre, ce sont eux qui sont les garants du bon emploi des deniers communaux. Il leur reviendra, si le budget communal le permet, de prendre l’initiative de demander l’autorisation d’user de caméras mobiles, à titre expérimental et pour deux ans seulement, dans quatre-vingts zones de sécurité prioritaire.

Je suis le député d’une circonscription qui compte parmi les premières zones de sécurité prioritaires, établies dès l’automne 2012 : Libourne, Castillon-la-Bataille, Sainte-Foy-la-Grande. C’est l’une des plus grandes de France et vous vous êtes, monsieur Cazeneuve, rendu à Libourne il y a quelque temps, après votre prédécesseur, Manuel Valls.

Dans les zones de sécurité prioritaire, les missions des policiers municipaux sont extrêmement élargies. Elles sont déterminées dans des cellules de coordination opérationnelle. Elles sont mêmes déterminées dans les anciens conseils locaux ou conseils intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance.

Il y a même dans ma circonscription des policiers municipaux qui sont appelés sur des situations de flagrant délit, à la demande des forces de l’ordre d’État, madame la rapporteure.

Vous parlez de Vitrolles, mais combien de situations où l’État de droit est respecté ? Dans le cas de Vitrolles, l’État de droit s’en est préoccupé et des sanctions ont été prises, qui ont été tout à fait efficaces.

M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Je voudrais dire que notre groupe est défavorable à cette extension à la police municipale.

La première raison est qu’on en est encore au stade de l’expérimentation s’agissant de la police nationale. Menons d’abord cette expérimentation à son terme et tirons-en les conclusions avant d’envisager de l’étendre à la police municipale.

Certes l’expérimentation que vous proposez est limitée à une durée de deux ans mais son périmètre est vaste, comprenant quatre-vingts zones de sécurité prioritaire.

Par ailleurs elle contredit la mission de proximité de la police municipale, que nous souhaitons préserver pour notre part. Certes des missions de police administrative lui sont confiées, au même titre qu’à la police nationale, mais elle les exerce sous le contrôle du maire. Les données qu’elle collectera seront donc gérées par la municipalité : on imagine les risques de conflits d’intérêts au détriment des citoyens.

M. Florent Boudié. Et la vidéoprotection ?

Mme Cécile Untermaier. La police municipale, ce n’est pas seulement la protection ; c’est le contact. C’est elle qui veille à la sécurité des enfants quand ils traversent la rue ou au bon déroulement des matchs de football.

Je crains que nous ne nous perdions dans une conception entièrement sécuritaire de la police municipale, qui en fait une police nationale bis.

Pour notre part, nous considérons qu’il est trop tôt pour se prononcer sur l’opportunité de ce dispositif. Attendons de connaître les résultats de sa généralisation au niveau de la police nationale et travaillons à remettre sur pied une véritable police de proximité, car c’est cela qui nous manque.

(L’amendement n473 est adopté.)

M. Éric Ciotti. Il a été adopté grâce à nous !

Article 1er

M. le président. La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine, pour soutenir l’amendement de suppression n544.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Il est retiré.

(L’amendement n544 est retiré.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement n123.

Mme Isabelle Attard. La première partie de l’article 1er prévoit d’autoriser les perquisitions de nuit en enquête préliminaire.

Le renforcement constant des pouvoirs autorisés en enquête préliminaire pose divers problèmes. D’une part, faute de révision constitutionnelle, le parquet ne bénéficie toujours pas des garanties constitutionnelles des magistrats du siège. D’autre part, l’ouverture de l’instruction, qui offre à la justice des moyens supplémentaires, mais qui ouvre des droits pour le justiciable, est de plus en plus retardée.

Le juge d’instruction se retrouve ainsi pris entre le parquet et le juge des libertés et de la détention, à qui on demande de valider les enquêtes demandées. La situation statutaire et matérielle des JLD ne leur permet pourtant pas d’exercer pleinement ce rôle de juge de l’enquête. Il y a également un paradoxe à faire du JLD un juge de l’enquête, alors que ce juge a été créé pour séparer la conduite de l’enquête du pouvoir de décision en matière de détention provisoire.

Les pouvoirs importants reconnus au parquet en enquête préliminaire par ce projet de loi vont aggraver la tendance, sans qu’une véritable réflexion accompagne cette évolution lourde.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Je rappelle que la possibilité ouverte par cet article de procéder sous des conditions strictes à des perquisitions domiciliaires de nuit en enquête préliminaire et au cours d’une instruction répond à un besoin réel des services judiciaires de l’antiterrorisme, sans porter atteinte aux droits et aux libertés.

Il y a d’abord une limitation stricte du champ de la mesure : pour les besoins de la répression des actes à caractère terroriste, en cas d’urgence, afin de prévenir un risque d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique.

Deuxièmement, il faut une autorisation impérative du juge d’instruction ou du juge de la liberté et de la détention, magistrat du siège indépendant dont les conditions statutaires devraient être prochainement renforcées par le projet de loi organique relatif aux garanties statutaires et obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature.

Troisièmement, les garanties procédurales prévues aux articles 706-92 et 706-94 du code de procédure pénale sont applicables de plein droit à peine de nullité : il faut une ordonnance écrite et motivée comportant les considérations de droit et de fait fondant l’autorisation. Les autorisations ne peuvent pas avoir d’autre objet que la recherche de la constatation des infractions visées dans l’autorisation et la possibilité existe pour le juge d’instruction ou le juge de la liberté et de la détention de se déplacer sur les lieux pour tout contrôler.

Pourquoi s’agit-il d’un besoin ? Parce que la majorité des enquêtes ouvertes du chef d’association de malfaiteurs en vue de commettre des actes de terrorisme le sont sous la forme préliminaire. Face à des perspectives imminentes de passage à l’acte, il est impératif de ménager un effet de surprise et de pouvoir pénétrer en urgence dans un local d’habitation.

Enfin, il n’y a pas de marginalisation de l’instruction, puisque les mêmes pouvoirs sont reconnus au juge d’instruction lors d’une information judiciaire. Au contraire, il s’agit d’un rééquilibrage entre enquête et information judiciaire.

La suppression des perquisitions domiciliaires nocturnes en matière terroriste durant l’enquête préliminaire n’est pas souhaitable et d’ailleurs la vice-présidente du tribunal de grande instance de Paris chargée de l’instruction a salué cette disposition. La commission a donc repoussé cet amendement de suppression partielle.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice, pour donner l’avis du Gouvernement.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Un mot, monsieur le président, puisque c’est le premier amendement qui permet de rappeler la philosophie du Gouvernement. L’amendement présenté par Mme Attard repose sur des considérations à mes yeux erronées puisque le procureur est un magistrat de l’ordre judiciaire dont l’indépendance a été patiemment construite et récemment renforcée par l’actuel Gouvernement. Nous pensons qu’il doit pouvoir conduire des enquêtes dans des domaines si sensibles et si stratégiques pour la sécurité de nos concitoyens.

Il est vrai qu’il n’est pas un juge : il demeure une autorité d’enquête dans le domaine judiciaire et son action sera pleinement placée sous l’autorité du juge de la liberté et de la détention.

Ma détermination est donc totale pour conforter le modèle français de lutte antiterroriste qui place le judiciaire au cœur du dispositif. Avis défavorable.

(L’amendement n123 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Sebaoun, pour soutenir l’amendement n442.

M. Gérard Sebaoun. Je présente un amendement qui aurait été défendu par M. Le Borgn’ s’il avait été présent. Les perquisitions nocturnes, particulièrement intrusives et attentatoires au droit et au respect de la vie privée et familiale, semblent ne pas obéir aux strictes exigences conventionnelles en matière de perquisition selon la Cour européenne des droits de l’Homme.

Afin de se conformer à la jurisprudence européenne, il est nécessaire d’insérer une référence claire à l’autorisation préalable du juge de la liberté et de la détention : c’est le sens de cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Avis défavorable, parce que les dispositions existent dans un autre article du code procédure pénale.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Même avis : c’est l’article 706-92 du code procédure pénale qu’évoquait le rapporteur à l’instant.

M. le président. La parole est à M. Gérard Sebaoun.

M. Gérard Sebaoun. L’amendement est retiré.

(L’amendement n442 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n218.

M. Éric Ciotti. Il est défendu.

(L’amendement n218, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de plusieurs amendements, nos 124, 444, 545, 194 et 125, pouvant être soumis à une discussion commune.

Les amendements nos 124, 444 et 545 sont identiques.

La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement n124.

Mme Isabelle Attard. Il vise à préciser les cas dans lesquels une perquisition nocturne est possible. Ce risque doit être sérieux et imminent pour justifier la nécessité d’une telle perquisition, lorsqu’on ne peut attendre le lendemain matin. C’est d’ailleurs une des suggestions du défenseur des droits dans son avis sur le présent projet de loi.

M. le président. La parole est à M. Gérard Sebaoun, pour soutenir l’amendement n444.

M. Gérard Sebaoun. Il est défendu.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine, pour soutenir l’amendement n545.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Défendu.

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement n125.

Mme Isabelle Attard. Défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Avis défavorable, mais je souhaite reprendre à mon compte l’amendement n194 de M. Tourret.

M. le président. Il n’a pas été défendu.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Je le reprends.

Je vous donne ainsi satisfaction de manière incomplète, mais en restant dans l’esprit de vos amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Avis favorable à l’amendement n194 et défavorable aux autres.

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Attard.

Mme Isabelle Attard. J’aimerais comprendre notre rapporteur sur le sens des adjectifs « sérieux » et « imminent ». Vous privilégiez le caractère sérieux, alors que c’est justement parce que le risque d’attentat est imminent qu’on fait une perquisition de nuit. J’ai un peu de mal à comprendre.

M. le président. La parole est à M. Pascal Popelin, rapporteur.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Le caractère imminent du risque est déjà couvert par l’inscription à cet article de la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel qui est proposée dans votre amendement n126 à l’alinéa 6, selon lequel les perquisitions nocturnes ne sont justifiées que si celles-ci ne peuvent être réalisées dans d’autres circonstances de temps.

M. le président. La parole est à M. Gérard Sebaoun.

M. Gérard Sebaoun. Est-ce parce qu’on ne peut les faire à un autre moment qu’on les fait de nuit, ou bien est-ce un choix de celui qui perquisitionne ? Je ne comprends pas très bien.

(Les amendements identiques nos 124, 444 et 545 ne sont pas adoptés.)

(L’amendement n194 est adopté et l’amendement n125 tombe.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement n290.

Mme Isabelle Attard. Il est défendu.

(L’amendement n290, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez, pour soutenir l’amendement n427.

M. Marc Dolez. Il fait écho à une recommandation du Défenseur des droits. Il vise à prendre un certain nombre de précautions afin de limiter les traumatismes des enfants qui, parfois très jeunes, peuvent être présents lors d’une perquisition.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Je comprends la préoccupation de l’auteur de cet amendement, mais il paraît compliqué de s’informer préalablement de la présence éventuelle d’enfants au domicile visé, sauf à devoir mettre en œuvre d’autres techniques spéciales de renseignement ; mais je ne crois pas que ce soit le but recherché par l’auteur de cet amendement. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Avis défavorable aussi. Le Gouvernement est très attentif aux préoccupations du Défenseur des droits, relayées ici par M. Dolez. Néanmoins, nous considérons que cette question ne relève pas du domaine de la loi puisqu’elle concerne la mise en œuvre de dispositions déjà existantes. Au demeurant, les forces de l’ordre prennent en considération la présence d’enfants et y apportent une attention particulière, comme cela a pu être observé lors des opérations de contrôle qui ont été conduites par votre Assemblée.

(L’amendement n427 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement n291.

Mme Isabelle Attard. Il est défendu.

(L’amendement n291, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Attard, pour soutenir l’amendement n126.

Mme Isabelle Attard. Cet amendement vise à inclure dans la loi, pour l’ensemble des perquisitions nocturnes, une réserve d’interprétation qu’a émise le Conseil constitutionnel en 2004. Le Conseil a considéré que les perquisitions nocturnes n’étaient justifiées que si celles-ci ne pouvaient être réalisées dans d’autres circonstances de temps.

Le Conseil constitutionnel a rappelé cette exigence au sujet des perquisitions administratives de l’état d’urgence : « Une perquisition se déroulant la nuit dans un domicile doit être justifiée par l’urgence ou l’impossibilité de l’effectuer le jour. »

On peut noter que le présent projet de loi ne prévoit d’inclure cette réserve que pour les seules perquisitions à l’initiative du parquet. Il s’agit a contrario de généraliser cette réserve.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Avis favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement n’est pas opposé à cet amendement qu’il estime être de précision. Cette exigence de motivation résulte déjà de la lecture combinée du premier alinéa de l’article 706-92 du code de procédure pénale et de l’article 1er de ce projet. Pour le Gouvernement, vous avez satisfaction, d’où un avis de sagesse.

(L’amendement n126 est adopté.)

(L’article 1er, amendé, est adopté.)

M. le président. J’informe l’Assemblée qu’à la demande du Gouvernement, les articles 12 à 16 du projet de loi ainsi que les amendements portant article additionnel après l’article 16 qui relèvent de la compétence du ministre des finances seront examinés demain au début de la séance de l’après-midi.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, demain, à neuf heures trente :

Suite du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.

La séance est levée.

(La séance est levée, le jeudi 3 mars 2016, à zéro heure cinquante-cinq.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly