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Edition J.O. - débats de la séance

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2015-2016

Compte rendu
intégral

Première séance du mercredi 30 mars 2016

SOMMAIRE

Présidence de M. Claude Bartolone

1. Questions au Gouvernement

Fin de la trêve hivernale

Mme Véronique Massonneau

Mme Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l’habitat durable

Révision constitutionnelle

M. Philippe Vigier

M. Manuel Valls, Premier ministre

Révision constitutionnelle

M. Bruno Le Roux

M. Manuel Valls, Premier ministre

Dette publique

M. Gilles Carrez

M. Manuel Valls, Premier ministre

Personnes radicalisées dans les métiers sensibles

M. Laurent Furst

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Transparence et lutte contre la corruption

M. Romain Colas

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Manifestations contre la réforme du code du travail

M. Marc Dolez

Mme Myriam El Khomri, ministre

Sécurité dans les stades pour l’Euro 2016

M. Paul Salen

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Garantie jeunes

Mme Marie-Thérèse Le Roy

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Autisme

M. Daniel Fasquelle

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion

Mise en œuvre de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques

M. Richard Ferrand

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Finances locales

M. Bernard Gérard

M. Jean-Michel Baylet, ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales

Mobilisation en faveur des quartiers populaires

Mme Marie-Anne Chapdelaine

M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports

Sélection en master

M. Patrick Hetzel

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche

Allocation aux adultes handicapés et revenus des personnes handicapées

M. Joël Giraud

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion

Suspension et reprise de la séance

Présidence de M. Marc Le Fur

2. Débat sur le coût de la filière nucléaire et la durée d’exploitation des réacteurs

M. Denis Baupin

M. André Chassaigne

Mme Marie-Hélène Fabre

M. Bernard Accoyer

M. Jacques Krabal

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement

M. Denis Baupin

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État

M. André Chassaigne

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État

M. Christophe Premat

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État

M. Michel Sordi

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État

M. Jean-Pierre Decool

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État

M. Jacques Krabal

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État

Suspension et reprise de la séance

3. Débat sur le développement d’AREVA et l’avenir de la filière nucléaire

Table ronde

Mme Marie-Claire Cailletaud, responsable des questions énergétiques et industrielles à la Fédération nationale des mines et de l’énergie-CGT

M. Dominique Minière, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction du parc nucléaire et thermique

M. François Lévêque, professeur d’économie au Centre d’économie industrielle des Mines-Paris Tech

M. André Chassaigne

M. Dominique Minière, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction du parc nucléaire et thermique

M. Xavier Ursat, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction ingénierie et projets nouveau nucléaire

M. Denis Baupin

M. François Lévêque, professeur d’économie au Centre d’économie industrielle des Mines-Paris Tech

M. Dominique Minière, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction du parc nucléaire et thermique

M. Xavier Ursat, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction ingénierie et projets nouveau nucléaire

M. Jean-Paul Chanteguet

M. Xavier Ursat, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction ingénierie et projets nouveau nucléaire

M. Dominique Minière, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction du parc nucléaire et thermique

M. François Lévêque, professeur d’économie au Centre d’économie industrielle des Mines-Paris Tech

Mme Marie-Claire Cailletaud, responsable des questions énergétiques et industrielles à la Fédération nationale des mines et de l’énergie-CGT

Mme Marie-George Buffet

M. Xavier Ursat, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction ingénierie et projets nouveau nucléaire

M. Dominique Minière, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction du parc nucléaire et thermique

Suspension et reprise de la séance

Débat

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du numérique

Mme Marie-George Buffet

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État

M. André Chassaigne

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État

M. André Chassaigne

4. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par une question du groupe écologiste.

Fin de la trêve hivernale

M. le président. La parole est à Mme Véronique Massonneau.

Mme Véronique Massonneau. Madame la ministre du logement, ce jeudi 31 mars prendra fin la trêve hivernale. Instaurée il y a soixante ans par l’abbé Pierre, elle interdit pour une durée de cinq mois toute expulsion de locataire, l’objectif étant d’empêcher que davantage de personnes incapables de payer leur loyer ne se retrouvent à la rue, exposées à des conditions climatiques difficiles.

Si la trêve hivernale est une mesure à préserver, elle pose néanmoins deux questions, celle des mesures préventives à mettre en œuvre pour éviter les expulsions qui interviennent au mois de mars et celle de l’accompagnement des personnes qui seront effectivement expulsées. Celles-ci, faute d’accompagnement, risquent de devoir être hébergées en urgence l’hiver prochain.

Aujourd’hui, une expulsion sur deux est liée à une perte ou à un changement d’emploi, une personne expulsée sur trois est une personne seule avec enfant. Face à ces situations de détresse, il est essentiel de développer au plus vite l’hébergement d’urgence.

La médiatisation de l’opposition égoïste de certains riverains de quartiers huppés parisiens ne doit pas nous faire perdre de vue l’essentiel de ce que nous sommes. Humaniser les dispositifs d’accueil n’est pas seulement un impératif moral, c’est aussi et avant tout un devoir républicain. Il n’est pas acceptable de refuser d’accueillir les personnes en situation de grande précarité avec comme seul argument que la misère doit être cantonnée aux portes de nos villes, dans certains quartiers.

Dès vendredi, quelque 40 000 foyers seront susceptibles d’être expulsés. Que compte faire le Gouvernement pour limiter le plus possible les expulsions à venir et quelles mesures d’accompagnement seront proposées dès vendredi ? (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du logement et de l’habitat durable.

Mme Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l’habitat durable. Vous m’interrogez, madame la députée, sur l’action du Gouvernement en matière d’hébergement d’urgence et de lutte contre les expulsions locatives alors que nous sortons de la trêve hivernale.

L’État doit mener une action volontaire pour mettre à l’abri les personnes qui se trouvent à la rue et, en amont, éviter des expulsions locatives.

Il y a aujourd’hui environ 12 000 expulsions locatives par an. Plus on préviendra les impayés de loyer, moins il y aura de personnes qui se retrouveront à la rue. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a lancé hier le plan national de prévention des expulsions, qui vise à coordonner l’ensemble des moyens de l’État et l’ensemble des acteurs du logement pour trouver des solutions dès les premières difficultés de règlement des locataires. Chaque département, en lien avec les acteurs associatifs, va se doter d’une antenne de prévention des expulsions locatives et assurer un conseil juridique aux locataires mais également aux propriétaires, qui sont évidemment concernés par ces impayés.

M. Guy Geoffroy. Personne n’y croit !

Mme Emmanuelle Cosse, ministre. Ce plan complète par ailleurs un grand nombre de mesures qui ont été mises en place au cours des derniers mois, comme le renforcement de la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives.

En matière d’hébergement d’urgence, le Gouvernement a agi de manière inédite en faisant passer le nombre de places d’hébergement pérenne de 80 000 à 110 000 en quatre ans, soit une augmentation de 40 %. Il a décidé hier de pérenniser 2 300 places supplémentaires afin d’éviter que des gens ne soient mis à la rue à la fin de la période hivernale, c’est-à-dire le 31 mars. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons demandé à l’ensemble des préfets d’éviter toute sortie des centres d’hébergement d’urgence sans proposition de relogement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)

Révision constitutionnelle

M. le président. La parole est à M. Philippe Vigier, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Philippe Vigier. Monsieur le Premier ministre, le lundi 16 novembre 2015, lorsque François Hollande a annoncé sa volonté de réformer la Constitution suite aux attentats, je me suis levé pour l’applaudir, comme beaucoup de membres de mon groupe et comme l’immense majorité des parlementaires. Au nom de l’intérêt général et de l’unité nationale, notre groupe a soutenu cette réforme. Nous avons pris nos responsabilités, et nous le ferons chaque fois que les Françaises et les Français devront être protégés contre la menace terroriste.

François Hollande, en annonçant ce matin qu’il renonçait au Congrès, a préféré les intérêts de la gauche à l’intérêt supérieur de la nation. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Il renonce ainsi à étendre la déchéance de nationalité, mais surtout à adapter le régime de l’état d’urgence, indispensable pendant les attaques terroristes, comme viennent de nous le rappeler, malheureusement, les attentats de Bruxelles.

Le Président de la République porte seul l’échec de cette réforme.

M. Guy Geoffroy. Absolument !

M. Philippe Vigier. En la lançant de manière improvisée, alors même que sa propre majorité refusait de le suivre, il a créé les conditions de son échec et enlisé notre pays dans des débats interminables et stériles. Quatre mois après le discours de Versailles, il n’y a pas de nouvelle possibilité de déchoir un terroriste de sa nationalité et notre régime d’état d’urgence, qui date de 1955, reste inadapté.

Monsieur le Premier ministre, il est urgent de mieux armer notre pays, qui est exposé aux dangers du terrorisme. Il faut s’assurer de l’efficacité de l’état d’urgence, qui doit être mieux contrôlé par le Parlement – vous savez que le groupe UDI est très attaché à cette mesure. Monsieur le Premier ministre, ce qui reste de votre majorité y est-il prêt ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président Vigier, comme vous l’avez rappelé, ce matin, après avoir rencontré les présidents des deux assemblées – le vôtre, Claude Bartolone, et Gérard Larcher –, le Président de la République a en effet décidé de clore le processus de révision constitutionnelle. Il l’avait engagée devant le Parlement réuni en Congrès, le 16 novembre 2015, trois jours après les terribles attentats de Paris et de Saint-Denis, le terrorisme ayant de nouveau frappé la France en faisant 130 victimes et des centaines de blessés.

Ce jour-là, avec vous et d’autres, nous avions dit, de la manière la plus forte, notre volonté de nous rassembler pour faire face au terrorisme, pour combattre le djihadisme et l’islamisme radical, et pour protéger les Français. Nos compatriotes, j’en suis convaincu, se souviennent de notre unité, de nous tous debout. Ce jour-là, nous nous sommes retrouvés derrière la nécessité de l’état d’urgence…

Mme Claude Greff. Pour quels résultats ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. …pour traquer les criminels, démanteler les filières et déjouer les projets d’attentats sur notre sol, ce que la police, la gendarmerie et les services de renseignement font pratiquement tous les jours.

Nous nous sommes retrouvés unis…

Mme Claude Greff. Non ! Pas la gauche !

M. Manuel Valls, Premier ministre. … pour garantir la sécurité de nos compatriotes. Ce jour-là, nous savions tous qu’il fallait intensifier les frappes militaires contre l’État islamique, pour détruire ses bastions au Levant, en Syrie comme en Irak.

M. Guy Geoffroy. Heureusement qu’il y a les Russes !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Ce jour-là, à Versailles, monsieur le président Vigier, nous étions tous rassemblés, offrant l’image de responsables politiques, de la majorité et de l’opposition, de tous les groupes, unis et soudés autour du seul objectif qui vaille : protéger les Français.

Quatre mois après, cette unité n’est plus au rendez-vous. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. Pierre Lellouche. À qui la faute ?

M. le président. Monsieur Lellouche, s’il vous plaît !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je vous le dis sincèrement : c’est un immense regret. Comment ne pas déplorer cette incapacité à nous rassembler et à nous mettre à la hauteur de l’attente et de l’exigence des Français ?

M. Sylvain Berrios. C’est toujours pareil !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Cette exigence, chacun d’entre vous, chacun d’entre nous, en janvier comme en novembre 2015, l’a exprimée. La droite sénatoriale s’oppose à une mesure que les Français ont parfaitement comprise (Vives protestations sur les bancs du groupe Les Républicains) :…

Mme Claude Greff. Mais qu’a fait la gauche ?

M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues, écoutez la réponse !

M. Manuel Valls, Premier ministre. … l’extension de la déchéance de nationalité pour les terroristes qui prennent les armes pour tuer leurs compatriotes.

Cette mesure avait été voulue par l’opposition. Le Président de la République et l’exécutif, dépassant les frontières partisanes,…

M. Guy Geoffroy. C’est tout l’inverse !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …ont voulu la mettre en œuvre dans un souci d’unité. Elle a coûté à la gauche ! Elle n’a pas été facile à introduire dans les débats ! Je le sais, puisque c’est moi, avec les ministres de l’intérieur et de la justice, qui avons mené la discussion.

M. Guy Geoffroy. C’est un échec !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Cette main tendue a été refusée au Sénat. (« Non ! » sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Claude Greff. Ce n’est pas vrai ! C’est la gauche !

M. le président. Madame Greff, s’il vous plaît !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je le regrette amèrement. (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.) Comment les Français pourraient-ils le comprendre, alors qu’à l’Assemblée nationale une majorité des trois cinquièmes…

M. Guy Geoffroy. Il ne s’agit pas du même texte !

M. Manuel Valls, Premier ministre. … s’était dégagée aussi bien sur l’article 1er relatif à l’état d’urgence que sur l’article 2 concernant la déchéance de nationalité ? Sur tous les bancs, malgré des camps politiques eux-mêmes divisés sur cette question, nous avions réussi à obtenir ici, dans cet hémicycle, une majorité des trois cinquièmes.

Mme Claude Greff. Grâce à nous !

M. Guy Geoffroy. Mais ce n’était pas le même texte !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je vous le dis sincèrement : nous avons raté (« Vous avez raté … » sur les bancs du groupe Les Républicains) cette opportunité, et je connais parfaitement le jeu politique qui va consister à se renvoyer en permanence la responsabilité. (Mêmes mouvements.)

M. Yves Fromion et M. Pierre Lellouche. C’est la faute du Président ! La faute de M. Hollande !

M. le président. Mes chers collègues, un peu de silence, s’il vous plaît !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Ici, à l’Assemblée nationale, une majorité des trois cinquièmes avait été trouvée. Le Sénat et sa majorité ne l’ont pas voulue et ils n’ont pas réussi à l’obtenir. Il était donc impossible, à cause des différences de points de vue, d’aller plus loin sur cette question de la déchéance.

M. Pierre Lellouche. C’est malhonnête !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Mais j’ai une conviction : quoi qu’il arrive, nous devons continuer à faire face ensemble. Comme je l’ai dit hier, face à l’islamisme radical, face au terrorisme, face à la menace qui n’a jamais été aussi élevée – le ministre de l’intérieur l’a rappelé hier –, nous n’avons pas cessé d’armer le pays, pour reprendre vos mots, monsieur le député, et nous continuerons de le faire.

M. Guy Geoffroy. Assumez vos boulettes !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Deux lois antiterroristes ont été votées : l’une en décembre 2012, par une grande majorité de cette assemblée ; l’autre, présentée par Bernard Cazeneuve en décembre 2014. Avant même les attentats de janvier 2015, nous avions considérablement augmenté les moyens pour la police, la gendarmerie, les forces armées et les services de renseignement. J’ai mené une réforme de ces services, lesquels avaient été malmenés et étaient en difficulté à cause de la suppression des renseignements généraux, sur la base d’un rapport bipartisan, rédigé par Jean-Jacques Urvoas et Patrice Verchère.

M. Christian Jacob. Et nous l’avons votée, mais pas votre majorité !

M. Yves Censi. Rassemblez la majorité !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Nous avons continué après les attentats de janvier, puis après ceux de novembre, à donner plus de moyens aux forces de sécurité de ce pays. Nous continuerons ! Face à la menace terroriste, face à cette guerre qu’on nous mène, nous devons être à la hauteur des exigences.

M. Sylvain Berrios. Ça suffit !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Nous aurions pu l’être, en menant cette réforme constitutionnelle. Certains ne l’ont pas voulu. Mais l’exigence de rassemblement et de protection des Français demeure, quant à elle, intacte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et quelques bancs du groupe écologiste.)

M. Sylvain Berrios. C’est la honte !

Révision constitutionnelle

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Roux, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Bruno Le Roux. Le Président de la République a rappelé ce matin deux nécessités pour notre pays : celle du soutien sans faille que nous devons à nos forces de sécurité, engagées sur notre territoire et à l’extérieur de celui-ci pour combattre et éradiquer le terrorisme ; celle de l’unité nationale…

M. Yves Fromion. Mais regardez votre camp !

M. Bruno Le Roux. … qui, au-delà des clivages et dans une période historique en ce qu’elle est nouvelle, doit s’imposer à tous pour défendre ce que nous sommes, les valeurs qui nous animent et la volonté du vivre-ensemble que nous avons en commun et qui fonde notre société.

Cette double nécessité, l’Assemblée nationale a su la partager et permettre l’adoption à une large majorité du texte de loi constitutionnelle de protection de la nation.

M. Olivier Audibert Troin. Grâce à la droite !

M. Bruno Le Roux. La majorité sénatoriale a choisi une autre voie, qui ne permet pas de faire aboutir le processus de révision constitutionnelle.

Il n’en reste pas moins, monsieur le Premier ministre, que la nécessité de doter nos procédures de la plus grande sécurité juridique pour combattre le terrorisme demeure entière. Il n’en reste pas moins que la nécessité, pour la nation, de montrer sa pleine détermination à punir ceux qui tuent nos concitoyens et attaquent nos valeurs républicaines est vivement ressentie par notre population.

Monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, quels que soient les mauvais blocages sur cette révision constitutionnelle, nous restons ici tous comptables de cette double nécessité : protéger notre pays et punir ceux qui l’attaquent.

M. Guy Geoffroy. C’est un peu sommaire !

M. Bruno Le Roux. En rendant hommage une nouvelle fois à ceux qui assurent notre sécurité, je vous interroge, monsieur le Premier ministre, sur les moyens et les outils que nous mettons aujourd’hui à leur disposition. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre. (« Allô ! Allô ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Yves Fromion. Dur, dur !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président Le Roux, ici, à l’Assemblée nationale, vous avez pleinement contribué au débat (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains) sur cette révision, alors qu’elle était discutée dans les deux principaux groupes. Ce débat a été long, mais ce sont les délais constitutionnels qui nous l’imposaient. Il était légitime, car il touchait à quelque chose de très profond, en voulant tenter de répondre à cette question complexe : qu’est-ce qu’être Français dans de tels moments ?

Les Français y ont répondu, en montrant leur amour de la République, en janvier, leur amour de la nation, en novembre. Ce débat devait être mené et, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire en répondant aux différentes questions ici même, il a été à la hauteur.

Nous avons réussi, ici même, encore une fois, à trouver la voie de l’unité, celle que vous avez évoquée, monsieur Le Roux, quoi qu’il en ait coûté aux deux camps. Malgré les divisions, la majorité des trois cinquièmes a été trouvée. Nous avons recherché, j’ai recherché les bases d’un accord. Mais, au Sénat, comme j’aurai l’occasion de le lui dire demain, cela n’a pas été possible, car il n’y a pas eu de la part de la majorité sénatoriale la moindre main tendue, ni la moindre recherche d’un accord avec le groupe socialiste. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Pierre Lequiller. C’est à vous de rassembler la majorité !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Ce que je regrette profondément, ce n’est pas seulement l’échec de la révision, c’est le regard que portent les Français sur nous tous (Mêmes mouvements)

M. Jean Leonetti. Assumez !

M. Manuel Valls, Premier ministre. … dans cette période, où ils nous demandent de l’exigence, de l’unité et de l’engagement. Ce que je regrette, c’est que nous ne soyons pas capables de la hauteur nécessaire, et – pardon de vous le dire – les interpellations et le spectacle que vous donnez, dans l’opposition, vont malheureusement dans ce sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Vous avez oublié la leçon de vos électeurs ! Le mardi 17 novembre, au lendemain du Congrès, votre attitude avait révélé que vous n’aviez pas compris l’exigence d’unité et de rassemblement, et les Français vous l’ont fait savoir. (Mêmes mouvements.) Cette exigence est à chaque fois nécessaire, aussi bien dans les débats de fond, comme celui que nous avons eu, que dans notre engagement.

Je m’honore d’être chef d’un gouvernement qui a donné des moyens considérables. Jamais un gouvernement, une majorité ni une assemblée n’avaient autant fait pour rétablir les moyens de la police et de la gendarmerie !

M. Christian Jacob. Grâce à nous !

M. Philippe Meunier. Pas vous, pas ça !

M. le président. Monsieur Meunier, s’il vous plaît !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Des milliers de postes de policiers et de gendarmes ont été créés, alors que près de 13 000 avaient été supprimés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Des moyens ont été donnés aux services de renseignement, dont je veux saluer le travail et auxquels je veux réaffirmer, avec le ministre de l’intérieur, la confiance absolue que nous avons dans le travail qu’ils mènent. (Mêmes mouvements.) Des moyens supplémentaires ont été donnés à nos forces armées, qui protègent nos compatriotes ici, avec l’opération Sentinelle, mais qui interviennent aussi à l’extérieur.

Je veux rappeler que nous menons cette guerre contre le terrorisme en Irak et en Syrie, mais qu’elle a commencé lorsque le Président de la République a décidé d’intervenir au Mali en janvier 2013 (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen – Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains), alors que certains doutaient d’un tel engagement, voire le mettaient en cause.

Nous continuerons de donner des moyens à la police et à la gendarmerie, aux services de renseignement, à la justice et à nos forces armées, et à lutter contre la radicalisation pour faire vivre la République, parce que la République est, dans ces moments-là, une et indivisible. Elle a besoin de tous, de l’unité et d’un comportement à la hauteur de ce que les Français attendent ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Dette publique

M. le président. La parole est à M. Gilles Carrez, pour le groupe Les Républicains.

M. Gilles Carrez. Ma question s’adresse au ministre des finances : cela laissera au Premier ministre le temps de se calmer. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. – Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Sébastien Denaja. Lamentable !

M. Gilles Carrez. Le déficit public de la France est de 3,5 % du PIB en 2015, soit près de 80 milliards d’euros.

M. Bernard Roman. Ce n’est pas Balladur !

M. Gilles Carrez. C’est l’un des plus mauvais résultats de tous les pays de la zone euro, et pourtant vous vous en glorifiez. La dette publique continue donc d’augmenter. Elle atteint 2 100 milliards d’euros et va laisser à nos enfants et à nos petits-enfants un fardeau insoutenable. Et ce mauvais résultat, cette dette qui enfle ne vous empêchent pourtant pas d’ouvrir tout grand le carnet de chèques, le carnet de chèques en blanc.

M. Nicolas Bays. Sous Sarkozy, la dette a augmenté de 650 milliards d’euros !

M. Gilles Carrez. En quelques semaines, vous venez de décider l’augmentation du point d’indice pour 5 millions de fonctionnaires – dépense non financée ; la généralisation de la garantie jeunes (« Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen) – non financée ; la multiplication des contrats aidés sans perspectives de débouchés (« Bravo ! » sur les mêmes bancs) – dépense non financée.

Les élections présidentielles approchent, c’est vrai. Mais est-ce une raison pour dégrader encore plus nos finances publiques ? Monsieur le ministre, il n’y a pas de cagnotte cachée pour verser des allocations clientélistes avant les élections. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains.) Il n’y a qu’une montagne de dettes. Quand deviendrez-vous enfin sérieux et responsable dans la gestion des finances publiques de notre pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le député, je réponds toujours avec passion quand il s’agit de la République, de la nation et de l’unité. Pardonnez-moi, mais si j’y mets de la passion, c’est parce que j’ai des convictions…

M. Jean Leonetti. Nous aussi, nous avons des convictions !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …et que je pensais qu’en effet, face au terrorisme, l’unité et le rassemblement auraient dû s’imposer au-delà des calculs. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. Christian Jacob. Vous êtes minoritaire dans votre propre groupe !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Parce que je vous connais bien et que je connais votre sérieux et votre engagement dans ce domaine, je pourrais parfaitement rappeler, monsieur le président, vous qui étiez rapporteur général du budget, ô combien moins exigeant vous vous montriez à l’égard du gouvernement et de la majorité précédents et de l’accumulation des déficits et des dettes à cette époque. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. – Exclamations et « C’est faux ! » sur les bancs du groupe Les Républicains).

Oui, je veux saluer le travail fait, au sein du Gouvernement, par Michel Sapin et Christian Eckert pour le rétablissement progressif de nos comptes publics. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Vous qui êtes profondément responsable : au moment où nous obtenons, en matière de déficit public, un résultat meilleur que celui qui était prévu par la Commission européenne…

M. Guy Geoffroy. Un résultat moins mauvais que prévu !

M. Christian Jacob. Vous êtes le dernier de la classe, vous êtes le plus mauvais !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …un résultat que vous-même aviez d’ailleurs mis en doute ici même, pourquoi le dénigrez-vous ? Pourquoi ne pas saluer une fois, au cours de cette législature, le travail, l’engagement et la réussite de ce gouvernement ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Jean-Claude Perez. Vous êtes de mauvaise foi !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Enfin, monsieur le président, j’assume et nous assumons pleinement le fait de vouloir donner un signe et marquer notre confiance à l’égard des fonctionnaires et des agents publics de ce pays. Oui, nous le faisons. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.) Après les événements terribles du mois de janvier et de novembre, tout le monde, vous y compris, ainsi que nos compatriotes, ont salué l’engagement des policiers, des gendarmes, du personnel de santé, des enseignants, du personnel des collectivités territoriales.

M. Yves Nicolin. Ce n’est pas vous qui payez ! Ce n’est pas votre argent !

M. Manuel Valls, Premier ministre. L’augmentation du point d’indice de 1,2 % ne relève pas d’un geste électoral et ne consiste pas à jeter l’argent par la fenêtre. Nous l’assumons. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Le pays entrera bientôt dans la phase importante de l’élection présidentielle ; alors pour que le débat soit clair, proposez ! Dites-nous comment faire, avec moins de 100 à 150 milliards d’euros sur cinq ans, pour avoir plus de sécurité, plus d’écoles, plus de République dans les territoires urbains et ruraux ! Comment faire en baissant en même temps les impôts ?

M. Christian Jacob. En faisant moins de démagogie !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Vous, vous avez augmenté les impôts et les déficits. Nous, aujourd’hui, nous réduisons les déficits et les impôts, pour les entreprises comme pour les particuliers.

M. Jean Leonetti. Ce n’est pas vrai !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Voilà ce qui change, voilà la différence entre ce que vous dites et ce que nous faisons. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Mme Claude Greff. Menteur !

Personnes radicalisées dans les métiers sensibles

M. le président. La parole est à M. Laurent Furst, pour le groupe Les Républicains.

M. Laurent Furst. Monsieur le Premier ministre, après la passion, essayons de mettre un peu de raison au cœur de cet hémicycle. Il y a, dans le contexte actuel, des questions difficiles à poser mais qu’il faut poser. Il y a dans la police, la gendarmerie, l’armée et chez les gardiens de prison de nombreux jeunes Français musulmans qui ont été recrutés parce qu’ils avaient les aptitudes et les qualités nécessaires. J’aimerais leur dire ici notre confiance et notre amitié. Mais il y a aussi cette infime minorité aveuglée par les promesses qui représentent pour nous des dérives religieuses, promesses partagées par ailleurs par certains convertis à l’islam. Parce que ces quatre métiers supposent des missions extrêmement sensibles, parce qu’ils donnent accès à des armes et à des informations, parce qu’ils sont au cœur de notre système de défense civil et militaire, je voudrais savoir si le Gouvernement a entamé une démarche active, volontaire et organisée d’identification de ces personnes.

Avez-vous pris des mesures pour éviter demain tout problème, toute dérive ou tout drame ? Considérez-vous avoir les moyens juridiques pour le faire ? Monsieur le Premier ministre, la presse s’est fait l’écho de problématiques concernant les forces de l’ordre. J’ai entendu, avec des collègues, des gardiens de prison nous faire part de leur désarroi sur le sujet. La question est trop grave pour se livrer à des polémiques. La question est trop sensible car blesser des concitoyens qui ne le mériteraient pas serait insupportable. Mais la question est trop importante pour ne pas être évoquée. Monsieur le Premier ministre, que pouvez-vous dire à la représentation nationale à ce sujet ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, vous m’interrogez sur les dispositions que nous avons prises pour faire face à la présence de personnes radicalisées dans les services publics et au-delà, partout où des dangers peuvent se présenter. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire devant la commission des lois de l’Assemblée nationale, après les attentats du mois de janvier, nous avons décidé de créer un dispositif très particulier qui s’est traduit par la mise en place d’un état-major rassemblant l’ensemble des services de renseignement et de police, incluant aussi la gendarmerie, directement rattaché à mon cabinet et investi d’une mission et d’une seule : passer en permanence en revue la liste des personnes radicalisées. Ce dispositif centralisé permet un examen extrêmement minutieux de cette liste, sous l’autorité des départements et des préfets de zone, de manière à pouvoir à tout moment procéder aux investigations nécessaires, prendre les mesures qui s’imposent et assurer un suivi attentif de chacune de ces personnes.

Comment se traduit cette action ? Nous avons par exemple constaté, grâce à l’examen attentif de ce fichier qui comporte plusieurs milliers de noms, que des individus radicalisés travaillaient dans des sociétés sous-traitantes de transport aérien, au sein de grands aéroports. Leur agrément d’accès aux aéroports leur a été immédiatement retiré. Plusieurs dizaines d’individus se sont ainsi vu priver de la possibilité d’accéder aux plates-formes aéroportuaires. Le même dispositif existe dans l’armée, la police et la gendarmerie. Le recrutement de nos policiers et de nos gendarmes fait l’objet d’un criblage ; en cas de problème, un dispositif d’inspection générale est déclenché. Cela permet d’être dans une attitude d’attention vigilante et d’éviter les difficultés que vous redoutez. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et quelques bancs du groupe écologiste.)

Transparence et lutte contre la corruption

M. le président. La parole est à M. Romain Colas, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Romain Colas. Ma question s’adresse à M.le ministre des finances.

Indépendance de la justice, loi bancaire, transparence de la vie publique, non-cumul des mandats, parité dans les conseils départementaux, lutte contre l’évasion et la fraude fiscales : aussi bien en matière de fonctionnement des institutions qu’en matière économique et financière, sous l’impulsion du Président de la République et du Gouvernement, notre majorité agit depuis le début de cette législature pour moderniser notre République, et donner corps à une exigence que nous devons toutes et tous partager : l’éthique.

Ce matin, lors du conseil des ministres, vous avez présenté le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Ce texte permettra d’améliorer la régulation et la transparence, par la création d’un répertoire numérique des représentants d’intérêts auprès des pouvoirs publics, et l’accroissement de la protection des lanceurs d’alerte – question chère à notre collègue Yann Galut. Il permettra aussi d’agir plus efficacement contre la corruption, grâce à la création d’une Agence nationale de prévention et de détection. Il adaptera notre droit pour le mettre en conformité avec les standards internationaux en matière de lutte contre la délinquance financière.

Ce texte permettra de mieux protéger les consommateurs, les épargnants et les investisseurs, par le renforcement des pouvoirs de l’Autorité des marchés financiers et l’interdiction de la publicité en faveur des produits financiers à risques élevés. Enfin, pour soutenir les agriculteurs et les éleveurs, il répond au besoin d’une plus grande transparence des prix dans le secteur de l’agroalimentaire, et dans les rapports entre producteurs, transformateurs, distributeurs et consommateurs. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous éclairer sur les grands objectifs de votre projet de loi, et nous dire dans quelle mesure celui-ci s’inscrit dans une démarche plus large – soutenue par notre majorité – de régulation et de protection ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des finances et des comptes publics.

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Comme vous l’avez dit, le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique a été présenté ce matin en conseil des ministres. Ce texte vous sera soumis dans les semaines qui viennent. Il vise à améliorer la transparence de la vie publique, l’efficacité des moyens de lutte contre la corruption, notamment à l’étranger – il est légitime de chercher à conquérir des marchés, mais pas par n’importe quels moyens – et la sécurité des épargnants aussi bien que des consommateurs.

Concernant ce dernier point, vous avez fait allusion à une réforme très importante menée par Stéphane Le Foll dans le domaine de l’agriculture, qui vise à améliorer la transparence dans les circuits de vente, et dans la redistribution des richesses ainsi créées. Nous savons combien ces problèmes pèsent sur les épaules des producteurs eux-mêmes, au bénéfice de quelques autres.

Vous avez eu raison de dire que ce n’est pas un texte isolé : il a une histoire. Je me permets de vous dire que cette histoire, c’est celle de la gauche. (« Cahuzac ! Cahuzac ! » sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

Il s’agit de faire sorte qu’il y ait plus de transparence dans la vie publique, plus de capacité à lutter contre la corruption. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Ayez l’honnêteté d’examiner quelles ont été, dans l’histoire récente de la France, les grandes étapes de la lutte contre la corruption : vous verrez que les textes les plus importants ont été adoptés par des majorités de gauche – avec l’appui, le plus souvent, d’une opposition de droite. Vous avez parfaitement le droit de partager notre volonté, nos engagements dans ce domaine.

M. Yves Censi. C’est trop d’honneur ! Merci monseigneur !

M. Michel Sapin, ministre. Avec ce projet de loi, nous agirons pour que les représentants d’intérêts – les lobbys, selon le terme le plus courant – soient nommés et donc connus, afin qu’il n’y ait pas de pression inconnue. Nous agirons pour que la prévention de la corruption à l’extérieur soit plus efficace ; nous agirons pour que les lanceurs d’alerte – vous l’avez dit – soient mieux protégés qu’ils ne le sont aujourd’hui, car ils sont indispensables à la révélation de la vérité. Voilà le travail qui vous attend, les uns et les autres ; je pense que sur tous les bancs, vous pouvez partager nos objectifs ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Manifestations contre la réforme du code du travail

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Monsieur le Premier ministre, les jeunes de notre pays manifesteront une nouvelle fois demain contre la réforme du code du travail.

M. Alain Chrétien. Certains jeunes, pas tous !

M. Marc Dolez. Depuis plusieurs semaines, leur mobilisation traduit une forte inquiétude quant à leur avenir. Cette inquiétude n’est pas absurde, madame la ministre du travail : elle est réellement fondée. Les jeunes ont en effet bien perçu le danger d’une loi de précarisation de l’emploi dont ils seront les premières victimes. Faut-il rappeler que 23 % des jeunes vivent déjà sous le seuil de pauvreté ? Que 73 % travaillent pour financer leurs études ? Que plus de 2 millions sont aujourd’hui sans diplôme, sans formation, et sans emploi ?

Leur colère est juste : ils refusent d’être précarisés à vie. Comment analyser autrement un texte qui, comme le CPE en 2006, prétend combattre la précarité avec toujours plus de flexibilité ? Comment croire, comme on nous l’annonce, que la garantie jeunes sera la panacée, alors que son financement ne permettra pas de la généraliser,…

M. David Douillet. C’est vrai !

M. Marc Dolez. …et que les crédits des missions locales chargées de la mettre en œuvre sont chaque année revus à la baisse ?

Bref, votre projet de loi va à l’encontre de la profonde aspiration de la jeunesse à travailler et à vivre autrement, à pouvoir envisager et construire son avenir. Pour y répondre, il n’y a pas d’autre voie que de retirer ce texte, et d’engager une véritable concertation autour des autres propositions défendues par les organisations de jeunesse. Monsieur le Premier ministre, il en est encore temps ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Myriam El Khomri, ministre. Monsieur le député, nous comprenons, bien entendu, les inquiétudes de la jeunesse, et nous sommes particulièrement vigilants, avec Patrick Kanner et Najat Vallaud-Belkacem. Le constat que vous avez dressé quant à la précarité de la jeunesse s’impose à nous tous.

C’est pourquoi depuis 2012, le Gouvernement agit concrètement – et ce ne sont pas là des paroles en l’air ! Qu’avons-nous fait pour la jeunesse ? Nous avons d’abord mis en place, par exemple, la prime d’activité, à laquelle 300 000 jeunes peuvent avoir recours depuis le 1er janvier. Nous avons mis en place les emplois d’avenir, la garantie jeunes. Concrètement, chez vous, dans le département du Nord, près de 25 000 jeunes bénéficient de ces contrats aidés, dans le secteur marchand comme dans le secteur non marchand.

M. Christian Jacob et M. Claude Goasguen. Il ne le connaît pas, son département !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Ces 25 000 jeunes bénéficient des politiques publiques que nous avons mises en œuvre. Chez vous, toujours, 1 500 jeunes ont recours à la garantie jeunes.

Partons d’un constat : aujourd’hui, 92 % des embauches se font en CDD. Qui sont les victimes ? Ce sont les jeunes les moins qualifiés, et les femmes, qui sont les plus précaires. L’âge de signature du premier CDI est passé de 22 ans à 27 ans en quinze ans. Ce projet de loi vise précisément à développer l’embauche et l’emploi durable.

M. Christian Jacob. Retirez-le, ce projet de loi, au point où vous en êtes ! Faites comme pour la révision constitutionnelle !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Nous savons bien, en effet, que lorsqu’une personne signe un CDI, elle a ensuite accès au logement et au crédit. C’est principalement cela que vise ce projet de loi.

M. Marc Dolez. Ce ne sont que des mots !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Non, monsieur le député, ce ne sont pas que des mots ! Ce projet de loi tend à généraliser la garantie jeunes, et à permettre le droit à la qualification. Certaines organisations de jeunesse ont reconnu, justement, qu’il contient des avancées majeures pour les jeunes les moins qualifiés de notre pays.

Je suis fière de défendre ce projet de loi…

M. le président. Merci, madame la ministre.

Mme Myriam El Khomri, ministre. … qui permettra véritablement d’améliorer… (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Sécurité dans les stades pour l’Euro 2016

M. le président. La parole est à M. Paul Salen, pour le groupe Les Républicains.

M. Paul Salen. Monsieur le Premier ministre, le Président de la République l’a réaffirmé hier : l’Euro 2016 aura bien lieu. Cependant, étant donné le contexte que nous connaissons, la question quant à la sécurité dans les stades mais aussi aux abords, que ce soit pour le public ou pour les joueurs, se doit d’être posée.

Le ministère de l’économie s’apprêtait la semaine dernière à envoyer un courrier à l’ensemble des acteurs économiques pour leur rappeler de faire preuve d’une vigilance renforcée pendant cette période. Par ailleurs, selon le porte-parole du syndicat national des entreprises de sécurité, il risque d’y avoir des problèmes d’effectifs du côté des prestataires de sécurité privés. En parallèle, se pose la question de la sécurité des fans zones, espaces dans lesquels les matchs seront diffusés au cœur des villes et qui accueilleront de 10 000 à 100 000 personnes… Des mesures de sécurité ont été confirmées : palpation systématique à l’entrée par des agents de sécurité privés, interdiction d’objets volumineux, détection éventuelle d’objets métalliques, intervention de services de déminage et installation d’un important dispositif de vidéosurveillance.

Monsieur le Premier ministre, toutes ces mesures ont un coût financier important. Pouvez-vous nous dire comment seront-elles réparties et financées au niveau de l’État mais aussi au niveau des villes qui accueilleront les matchs de l’Euro ? En effet, dans certaines d’entre elles, les moyens de surveillance aux abords des stades et des fans zones qui leur sont demandées entraîneront un retard pour les autres équipements qu’elles avaient prévus.

Des mesures de sécurité ont été confirmées : palpation systématique à l’entrée par des agents de sécurité privés, interdiction d’objets volumineux, détection éventuelle d’objets métalliques, intervention de services de déminage et installation d’un important dispositif de vidéosurveillance.

Par ailleurs, d’autres dispositifs de sécurité seront-ils prévus en dehors des villes accueillant les matchs et les fans zones ?

Enfin, avez-vous envisagé, dans le cas où certaines rencontres pourraient créer de nombreuses tensions ou faire l’objet de menaces plus ciblées, que des matchs puissent se jouer à huis clos ?

Monsieur le Premier ministre, voilà toutes les précisions que nous souhaitons que vous nous nous apportiez sur la sécurité autour de l’Euro 2016 afin que cet événement puisse rester uniquement un grand moment de rassemblement sportif. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, le Gouvernement partage bien entendu chacune des préoccupations que vous avez exprimées dans votre question et il n’est pas le seul puisque Alain Juppé, président du club d’accueil des villes de l’Euro 2016 et avec lequel nous travaillons étroitement, et en qui je suppose vous avez toute confiance, partage totalement nos préoccupations.

M. Bernard Accoyer. Bien joué ! (Sourires.)

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Que faisons-nous ensemble pour que l’Euro 2016 se passe dans de bonnes conditions ? Tout d’abord, comme vous l’avez évoqué, nous nous employons à sécuriser au mieux les fans zones. Cela suppose une mobilisation très forte des forces de sécurité intérieure, l’emploi important de personnels du ministère du travail, ainsi que l’emploi d’agents de sécurité privés dont vous avez raison de rappeler qu’ils sont déjà très sollicités et il faut nous assurer que nous disposerons à cet égard de la ressource humaine nécessaire.

Cela appelle aussi, et vous m’interrogez sur ce point, une participation de l’État : il participera à hauteur de 80 % des frais de vidéoprotection nécessaires pour la sécurisation des fans zones et des épreuves. De plus, de manière à ce que les collectivités locales ne soient pas laissées seules face au coût du financement des agents de sécurité privés dans lesdites zones, j’ai décidé avec Alain Juppé la semaine dernière, après un arbitrage du Premier ministre, de répartir ce financement en faisant appel aux instances du football et à l’État pour que les villes concernées n’aient à fournir qu’un apport marginal.

M. Jean-François Lamour. Et que faites-vous des prestataires ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je vous confirme que, dans les fans zones, nous prenons toutes précautions pour procéder aux palpations de sécurité afin que personne ne puisse y pénétrer avec des sacs et des bagages, tout en permettant une fluidité à l’entrée pour éviter des files d’attente qui pourraient servir de cibles.

J’ajoute que bien entendu, en fonction des éléments dont nous disposerons des services de renseignement, nous adapterons à tout moment notre stratégie à la réalité du risque. (Applaudissements sur divers bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Garantie jeunes

M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Le Roy.

Mme Marie-Thérèse Le Roy. Ma question s’adresse à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Expérimentée depuis 2013 dans toute la France, la Garantie jeunes est un contrat réciproque d’engagements, qui débute par un accompagnement collectif intensif avec une présence quotidienne à la mission locale pour la recherche d’une formation ou d’un emploi. Elle permet aux jeunes de bénéficier d’un stage ou d’une période d’immersion dans l’entreprise, ce qui leur permet de se confronter au monde de la vie professionnelle et peut aboutir à un contrat de travail. C’est une étape importante pour envisager son avenir. J’ajoute qu’une allocation mensuelle de 461 euros permet aux jeunes de sécuriser leur quotidien et ouvre le droit à l’aide au logement, ce qui constitue un premier pas vers l’autonomie. Par exemple, depuis 2013, la mission locale du pays de Cornouaille a permis à environ 600 jeunes de bénéficier de la Garantie jeunes, autant ainsi pris en charge et à qui les missions locales ont donné les outils pour construire leur avenir.

Par exemple, depuis 2013, la mission locale du pays de Cornouaille a permis à environ 600 jeunes de bénéficier de la garantie jeunes – autant de jeunes ainsi pris en charge et à qui les missions locales ont donné les outils pour construire leur avenir. L’objectif est de l’étendre au plus grand nombre. La loi relative au travail, au dialogue social et à l’emploi, que vous avez présentée en commission cette semaine, va généraliser ce dispositif. Il va devenir un droit universel pour la jeunesse. Tout jeune remplissant les conditions et qui en fera la demande en bénéficiera.

Madame la ministre, à tous ces jeunes qui attendent et qui espèrent, pouvez-vous leur dire comment la généralisation du dispositif va être mise en place et à partir de quelle date ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Madame la députée, je l’ai évoqué il y a quelques instants, et vous venez de le rappeler dans votre question, que nous consacrons à travers ce projet de loi que j’ai présenté hier devant la commission des affaires sociales le droit universel à la Garantie jeunes.

M. Marc Dolez. Ce n’est pas vrai !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Cela veut dire concrètement qu’à partir du 1er janvier 2017, tous les jeunes qui ne sont ni en emploi, ni en études ni en formation et qui répondent aux critères d’éligibilité, notamment en matière de précarité, pourront demander à entrer dans le dispositif, bien évidemment s’ils acceptent de suivre un dispositif d’accompagnement intensif. En effet, la Garantie jeunes sera un contrat donnant-donnant, pas seulement le versement d’une allocation.

M. Christian Jacob. Démagogie électorale !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Ce sera vraiment un dispositif intensif (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains) qui permettra pendant une année d’être volontaire et motivé en acceptant une mise en situation professionnelle au sein de l’entreprise.

Par conséquent, d’ici la fin de cette année, 80 % des missions locales devraient déjà avoir développé la Garantie jeunes, et 100 000 jeunes en bénéficieront. Si près de 200 000 jeunes demandent à entrer dans le dispositif en 2017, cela représentera autour de 600 millions d’euros, prélevés bien évidemment sur des économies dans le budget de l’État.

À travers la généralisation de ce dispositif, nous entendons consacrer à la fois le savoir-faire des missions locales car il apporte déjà de véritables résultats, c’est du cousu main, un contrat donnant-donnant…

M. Christian Jacob. Un contrat donnant-perdant !

Mme Myriam El Khomri, ministre. … puisqu’ils percevront l’allocation en échange d’un accompagnement, et nous ne voulons pas abandonner cette spécificité, et, par ailleurs, le projet de loi prévoit aussi le droit au retour à une formation qualifiante. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Autisme

M. le président. La parole est à M. Daniel Fasquelle, pour le groupe Les Républicains.

M. Daniel Fasquelle. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre. Avant de la poser, je voudrais vous dire, monsieur le Premier ministre que, faire l’unité nationale suppose déjà d’être capable de faire l’unité de sa majorité. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

À quelques jours de la Journée mondiale de l’autisme du 2 avril, la France va malheureusement encore se faire remarquer en raison de son incapacité à rattraper ses quarante ans de retard en matière de prise en charge de ce handicap, qui frappe 600 000 personnes dans notre pays.

Certes, depuis 2012, année où l’autisme a été déclaré grande cause nationale, certains progrès ont été réalisés grâce au troisième Plan autisme, notamment.

Mais les chiffres sont là et ils sont accablants : en 2014, selon une étude publiée par le Collectif autisme, 44 % des personnes autistes étaient victimes soit de mauvais traitements, soit de carences en matière de soins. La maltraitance reste donc la norme, comme vient de le rappeler le Comité des droits de l’enfant de l’ONU dans ses observations finales publiées le 4 février dernier.

Il est donc plus que temps de réagir, d’entendre le cri de détresse des familles et de répondre à leurs attentes.

Monsieur le Premier ministre, quand allez-vous rendre enfin opposables en France les recommandations de bonnes pratiques de la Haute Autorité de santé – HAS –, donc imposer les méthodes éducatives et comportementales, les seules efficaces et reconnues partout dans le monde ?

M. Bernard Accoyer. C’est vrai !

M. Daniel Fasquelle. Quand allez-vous enfin financer sur fonds publics des éducateurs formés pour permettre aux 80 000 enfants atteints de troubles autistiques d’aller à l’école ou, à défaut, de recevoir une éducation adaptée ?

Quand allez-vous enfin fermer les établissements maltraitants et interdire les formations non conformes, qui sont encore aujourd’hui imposées dans nombre d’établissements en France ? Quand allez-vous enfin interdire le packing, une pratique moyenâgeuse dont notre pays devrait avoir honte ?

Quand la France pourra-t-elle être fière de s’associer enfin à la Journée mondiale de l’autisme ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion.

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion. Monsieur le député, comme votre collègue, Gwendal Rouillard, vous connaissez bien le sujet de l’autisme, puisque vous co-présidez ensemble le groupe d’études de l’Assemblée nationale sur l’autisme. Vous savez donc que les associations considèrent 2012 comme l’année zéro de l’autisme, parce qu’à cette date ont été diffusées les recommandations de la Haute Autorité de santé et de l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux – ANESM.

Puisque vous connaissez bien le sujet, vous savez aussi que c’est ce Gouvernement qui a engagé 205 millions d’euros dans le troisième Plan autisme, plan qui met scrupuleusement en œuvre les recommandations de la Haute Autorité de santé, malgré les polémiques et les remises en cause, y compris dans la presse, il y a quelques jours, dans un grand quotidien national.

C’est ce Gouvernement qui a décidé que la scolarisation des enfants avec autisme était une priorité, conduisant notamment à la création de 110 unités d’enseignement en maternelle. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Catherine Coutelle. Absolument !

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État. C’est ce Gouvernement qui a décidé que la formation massive de l’ensemble des professionnels de l’autisme était une priorité, soutenant chaque année la formation de milliers de professionnels aux recommandations de la Haute Autorité de santé.

C’est ce Gouvernement…

M. Christian Jacob. Arrêtez ! Non, ce n’est pas ce Gouvernement qui a tout fait !

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État. … qui a décidé d’organiser des inspections, dans les services pédopsychiatriques des hôpitaux de jour, pour vérifier la mise en œuvre des recommandations de la Haute Autorité de santé dans ces structures.

Bien entendu, le packing est concerné par ces inspections car cette méthode n’est absolument pas recommandée. Sur ce point, ce Gouvernement partage exactement la position de la Haute Autorité de santé et de l’ONU. Des mesures seront prises prochainement pour aller plus loin sur ce sujet.

M. Axel Poniatowski. N’importe quoi !

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État. Comme vous le voyez, monsieur le député, le Gouvernement est absolument déterminé à poursuivre cette révolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mise en œuvre de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques

M. le président. La parole est à M. Richard Ferrand, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Richard Ferrand. Monsieur le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a été promulguée voici sept mois.

Comme vous le savez, l’Assemblée nationale a créé une mission d’information commune sur l’application de cette loi : d’une part, pour veiller à ce que les textes réglementaires soient publiés dans les délais annoncés, afin de permettre une mise en œuvre rapide de la loi ; d’autre part, pour s’assurer que le contenu de ces textes soit bien conforme à l’intention du législateur.

Aujourd’hui, sur les 300 articles de la loi, 232 sont intégralement applicables, soit plus de 80 % de ceux-ci : l’objectif fixé est donc atteint. Nous sommes certes satisfaits de ce niveau d’entrée en vigueur, mais le rythme doit être tenu.

Des mesures produisent d’ores et déjà des effets concrets, qu’il s’agisse de l’ouverture du transport par autocar, avec son 1,5 million de passagers et son millier d’emplois créé, ou des professions réglementées, dont les premières installations libres verront le jour cet été.

Pour autant, d’autres secteurs attendent encore leurs textes d’application. Aussi, monsieur le ministre, quand et comment s’opérera concrètement le prêt inter-entreprises, dérogation majeure au monopole bancaire, qui diversifie les possibilités de financement des entreprises ?

Où en sont le recrutement et la formation des inspecteurs du permis de conduire ainsi que la modification de la méthode d’attribution des places, afin que les délais et les coûts diminuent drastiquement ?

Enfin, où en sont la concrétisation de l’engagement et l’obligation collective de couverture des zones blanches de téléphonie mobile ? Vous le savez, ce dernier point est un enjeu fondamental pour l’égalité des territoires, notamment le développement économique des zones rurales.

Je vous remercie de vos réponses concrètes à nos questions concrètes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Monsieur le député, je partage le souci qui est le vôtre de voir la volonté du législateur s’appliquer réellement et, ce faisant, avoir un impact direct. Comme vous l’avez rappelé, 80 % des textes d’application ont été publiés aujourd’hui. Une évaluation permanente est en cours : à cet égard, France Stratégie et des universitaires indépendants ont déjà publié de premiers textes sur ce sujet.

Vous m’avez posé trois questions précises. La première portait sur le prêt inter-entreprises. Le 5 avril prochain, le Conseil d’État examinera le décret que Michel Sapin et moi-même avons préparé, ce qui permettra de le publier d’ici à la fin du mois d’avril. Il autorisera les entreprises d’une même filière à déroger au monopole bancaire. Vous le savez, mesdames et messieurs les députés, cette dérogation est parfois nécessaire, dans vos territoires, lorsque la trésorerie de l’entreprise prêteuse le permet, avec des plafonds qui s’élèveront à 10, 50 et 100 millions d’euros.

Vous m’interrogiez ensuite, monsieur le député, sur le sujet du permis de conduire. C’est d’ailleurs, je le rappelle, une initiative parlementaire en première lecture, à l’Assemblée, qui a conduit à renforcer le texte, avec l’objectif de réduire les délais d’attente à l’examen. Le décret, présenté par le ministre de l’intérieur, visant à externaliser l’examen théorique du code, donc à libérer du temps pour les inspecteurs afin de faire passer l’examen pratique, sera publié dès le début du mois d’avril. Il portera effet dès le 1er juillet prochain.

Comme vous l’avez souhaité, cinquante agents de La Poste ont été libérés pour être formés. Depuis le 1er mars, ils sont sur le terrain, aux côtés des inspecteurs, afin de réduire les délais. Toutes les mesures de transparence que vous avez souhaitées, pour ce qui concerne le passage de l’examen, seront prises d’ici à l’été.

Enfin, s’agissant de la couverture mobile, j’ai réuni, avec Jean-Michel Baylet et Axelle Lemaire, les 268 communes qui n’étaient pas couvertes par la 2G. Les mesures sont en train d’être prises et les décisions concernant les financements, aussi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Finances locales

M. le président. La parole est à M. Bernard Gérard, pour le groupe Les Républicains.

M. Bernard Gérard. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question, à laquelle j’associe de très nombreux parlementaires du Nord de tous bords,…

M. Bernard Roman. Non, pas de tous bords !

M. Bernard Gérard. …s’adresse à M. le Premier ministre.

Les élus du conseil départemental du Nord, et leur président Jean-René Lecerf, présent dans les tribunes, manifestent aujourd’hui devant l’Assemblée nationale pour dénoncer la double sanction financière qu’inflige l’État au département du Nord.

D’abord, comme pour nos communes, la baisse de la dotation globale de fonctionnement – DGF – est catastrophique pour les finances du premier département de France : 53 millions d’euros en moins en 2015, 90 millions en moins en 2016, 127 millions en moins en 2017.

En outre, une seconde peine vient asphyxier financièrement les départements : l’envolée des dépenses sociales et l’absence de compensation juste et pérenne des allocations individuelles de solidarité, notamment le revenu de solidarité active – RSA. En 2015, le reste à charge du RSA non compensé par l’État s’élevait ainsi à 288 millions d’euros, et cela malgré les 11 millions d’euros d’aide exceptionnelle de l’État, qui ne représentent en réalité que cinq jours de RSA.

En décidant de ne rien faire et en condamnant ainsi les départements, l’État étranglerait les populations les plus fragiles et abandonnerait les territoires qui comptent un nombre important de personnes sans emploi allocataires du RSA. Bien au-delà de la situation des départements, c’est toute la politique sociale de la France qui n’est plus financée. Sans solution pérenne, notre modèle social ne pourrait plus être garanti. Le pacte républicain serait rompu.

Ma question est double, monsieur le Premier ministre. Le Gouvernement souhaite la renationalisation du RSA. Reste une question essentielle pour les départements : quelle sera l’année de référence retenue par le Gouvernement pour le reste à charge du RSA : 2014 ou 2016 ? La différence est de 100 millions !

Par ailleurs, le vendredi 25 mars, le Président de la République annonçait sur les ondes la fin de la baisse de la DGF, ce qui représenterait un gain de 37 millions d’euros pour le département du Nord ; mais quelques heures plus tard, Bercy démentait cette annonce via un communiqué de presse.

M. Jean-Luc Laurent. Hélas.

M. Bernard Gérard. Quelle est la position précise du Gouvernement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales.

M. Jean-Michel Baylet, ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales. Monsieur le député, le Premier ministre vient de vous rappeler l’ardente obligation qui est la nôtre de redresser les finances publiques.

M. Jacques Myard. Aïe aïe aïe !

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Dès lors, il est légitime que les collectivités locales participent à ce redressement, aux côtés de l’État.

M. Jean-Luc Laurent. Non, ce n’est pas légitime !

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Le Premier ministre a d’ailleurs rappelé qui portait la responsabilité de la situation actuelle ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Christian Jacob. Qu’est-ce qu’il ne faut pas dire pour un maroquin !

M. le président. Monsieur Jacob, s’il vous plaît !

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Concernant la DGF, je vous rappelle que la loi de finances pour 2016 en prévoit la réforme. Dès mon arrivée au ministère, je me suis mis en situation de consulter le plus largement possible. Hier, j’ai rencontré l’ensemble des associations d’élus et le président du Comité des finances locales ; la semaine dernière, je suis allé au Sénat pour rencontrer le groupe de députés et sénateurs qui travaillent sur la réforme de la DGF. Nous allons faire, d’une manière qui sera je l’espère consensuelle, une proposition équitable.

M. Yves Nicolin. Baratin !

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Concernant la recentralisation du RSA, ce n’est pas le Gouvernement qui l’a souhaitée, c’est l’Association des départements de France, et le Premier ministre a donné son accord.

M. Dominique Le Mèner. Et pour 2014 ?

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Naturellement, au nom du parallélisme des formes, de même que le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin avait, en décentralisant le RSA en 2004, pris comme année de référence l’année 2003, vous comprendrez que si nous parvenons à un accord et que le RSA est recentralisé en 2017, nous prendrons tout naturellement l’année 2016 comme année de référence.

M. Jean-Luc Laurent. Oh, que c’est laborieux !

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Enfin, je n’ai pas très bien compris ce que vous avez dit concernant les propos qu’aurait tenus le Président de la République.

M. Christian Jacob. Si vous-mêmes n’y comprenez rien…

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Nous ne devons pas écouter les mêmes stations de radio ni regarder les mêmes chaînes de télévision : je n’ai jamais entendu de tels propos dans la bouche du Président de la République ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mobilisation en faveur des quartiers populaires

M. le président. La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Monsieur le ministre de la jeunesse et des sports, la question des quartiers populaires revient au centre du débat public après les attentats qui ont frappé la Belgique. Loin des polémiques et des caricatures savamment entretenues par celles et ceux qui veulent abaisser le niveau du débat, notre majorité de gauche a engagé une action résolue pour lutter contre toutes les formes de ségrégations sociales, territoriales et ethniques qui frappent notre pays.

Tel est le sens de notre politique en matière d’éducation, qui vise à réhabiliter le rôle de l’école dans nos quartiers par le renforcement des moyens et la réduction des inégalités face au savoir.

Tel est le sens de notre politique en matière de sécurité, avec la création des zones de sécurité prioritaires pour protéger les habitants, qui sont les premières victimes des trafics et de la violence.

Tel est le sens, bien évidemment, de la refonte de la géographie prioritaire, qui concentre les moyens en direction des quartiers qui en ont le plus besoin.

Chers collègues, pendant trop longtemps, les responsables publics ont détourné le regard face à l’accumulation des difficultés dans certains quartiers de la République. Cet échec dépasse les débats politiciens et les clivages artificiels. Il appelle une prise de conscience.

Au fond, le cœur du problème, c’est la résignation et le fatalisme. Oui, nous pouvons et nous devons réparer l’ascenseur social. Oui, la promesse républicaine et l’adhésion à ses valeurs demeurent des aspirations fortes dans nos quartiers.

Monsieur le ministre, réparer l’ascenseur social, recréer des dynamiques individuelles et collectives, promouvoir l’égalité dans toutes ses dimensions, lutter contre le communautarisme : les défis à relever sont considérables. C’est le sens de votre engagement au sein du Gouvernement, et vous pouvez compter sur notre soutien pour vous accompagner dans cette voie. Quelle est votre feuille de route pour les mois à venir ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports.

M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports. Madame la députée, il nous faut nommer les choses, assumer nos responsabilités…

M. Bernard Accoyer. Ce serait bien !

M. Patrick Kanner, ministre. …et agir pour l’unité de la République. Le risque de radicalisation que vous évoquez est un phénomène complexe, nous le constatons chaque fois que nous nous penchons sur le parcours de ces jeunes qui ont basculé. Ce sont des parcours singuliers : ces jeunes viennent de milieux socioculturels et de territoires très différents. Nous savons qu’il existe dans nos quartiers des lieux qui ont souffert et qui souffrent encore d’une relégation sociale, culturelle, territoriale, qui est source de frustrations et de déceptions.

En soulignant cet état de fait, je ne fais que rappeler l’exigence absolue qui est la nôtre : faire en sorte qu’aucun territoire ne soit en marge de la République. Je n’accuse personne. Je rappelle simplement qu’il nous faut agir, comme le fait le Premier ministre.

Nous agissons en menant des réformes de fond, qui nous permettent de cibler les besoins là où ils se trouvent, en concentrant notre action sur 1 500 quartiers dans tout le pays.

Nous agissons à travers les 435 contrats de ville aujourd’hui signés, avec un objectif : que là où l’on a retiré des services publics, là où l’on a retiré des enseignants, là où l’on a retiré des policiers et des animateurs, tous soient de retour devant la population.

Mme Marie-George Buffet. Oui, ce serait bien !

M. Patrick Kanner, ministre. Ce sont 60 000 postes d’enseignants supplémentaires qui ont été créés par l’actuel gouvernement,…

M. Claude Goasguen. Ce n’est pas vrai !

M. Patrick Kanner, ministre. …ainsi que 4 000 emplois d’éducateurs aux côtés des jeunes, et aussi 80 zones de sécurité prioritaires, qui permettent de revoir enfin des policiers sur la voie publique dans les territoires concernés.

Il faut continuer à agir, comme nous le faisons, avec le monde associatif,…

M. Yves Durand. Bien sûr !

M. Patrick Kanner, ministre. …qui a récupéré les 100 millions d’euros de crédits que lui avait supprimés la droite.

M. Bernard Roman. Eh oui, c’est ça, la gauche !

M. Patrick Kanner, ministre. Oui, madame Chapdelaine, dans ces quartiers, il y a des forces vives, qu’il faut savoir protéger des démons que vous avez évoqués. La feuille de route est simple ; elle se poursuivra, sous la houlette du Premier ministre, le 13 avril prochain, à l’occasion du comité interministériel « Égalité et citoyenneté » et de la présentation de l’avant-projet de loi « Égalité et citoyenneté » devant le Conseil des ministres. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Bernard Roman. Très bien !

Sélection en master

M. le président. La parole est à M. Patrick Hetzel, pour le groupe Les Républicains.

M. Patrick Hetzel. Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il y a quelques semaines, le Conseil d’État a indiqué que, sans décret, il ne serait plus possible de sélectionner à l’entrée de la deuxième année de master, comme cela se fait depuis la création des masters dans toutes les universités françaises.

Suite à une concertation avec les présidents d’université, M. le secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche indiquait qu’il était disposé à régler cette question par la publication d’un décret qui comporterait, en annexe, la liste intégrale de tous les masters pour lesquels les universités souhaitent maintenir les dispositions actuelles.

Cette orientation était de nature à rassurer tout le monde. Or, à la surprise générale, madame la ministre, vous avez tenu, ici même, des propos déconcertants et très étonnants sur la sélection en master, précisant qu’elle serait rétrograde et inutile. Vos déclarations ont dérouté au plus haut point les responsables universitaires et suscité l’incompréhension générale. Refuser la sélection à l’entrée des formations, c’est laisser se mettre en place une sélection par l’échec à l’université ; sans compter que cela peut créer des flux dans certains masters qui seront en total décalage avec le marché de l’emploi. Ainsi, on ne rendrait service à personne : ni aux étudiants, ni aux employeurs, ni aux universités.

Alors, madame la ministre, allez-vous enfin nous dire quelles sont désormais vos intentions en la matière ? En effet, il devient urgentissime pour nos universités de savoir comment s’organisera la prochaine campagne de recrutement en deuxième année de master. Les universités veulent savoir. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. C’est toujours un plaisir de vous écouter, monsieur le député Patrick Hetzel, je vous l’avoue.

M. Christian Jacob. Ah, au moins un point d’accord !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Il y a en effet quelque chose de savoureux à vous entendre nous donner des leçons sur l’organisation des études dans l’enseignement supérieur,…

M. Christian Jacob. Vous devriez en prendre, des leçons !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. …vous qui avez occupé d’éminentes responsabilités au ministère de l’enseignement supérieur entre 2007 et 2012, si mes souvenirs sont bons.

M. Bernard Accoyer. M. Hetzel est un député de la nation !

M. le président. Monsieur Accoyer, s’il vous plaît.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Notre pays, vous le savez bien, accusait un retard très important en matière d’organisation de ces études, la mise aux normes du « LMD » – Licence-Master-Doctorat – remontant à 2002, il y a quatorze ans. Cela fait donc quatorze ans que l’on aurait dû clarifier la situation, mais on ne l’a pas fait. Nous nous apprêtons donc, moi-même et M. le secrétaire d’État Thierry Mandon, à la clarifier enfin par l’adoption de ce décret qui précisera la liste limitative des masters où une sélection sera possible entre le M1 – master 1 – et le M2 – master 2.

Que signifie une liste limitative, puisque le Conseil d’État, dans la décision que vous rappeliez, a signifié que notre système ne comportait pas de sélection à l’université ? Une liste limitative permettra à certains masters d’accueillir un nombre plus restreint d’étudiants en M2 qu’en M1, ce que justifient notamment les débouchés dans des professions réglementées. Notre idée, avec ce décret, est de partir de la situation telle qu’elle existe, ni plus ni moins, autrement dit de reproduire, par écrit, la liste des masters concernés, afin de sécuriser la prochaine rentrée universitaire.

M. Claude Goasguen. Vous allez tuer les autres masters !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Je veux donc vous rassurer. Tout se passe bien, d’ailleurs, avec les présidents d’université que nous avons consultés sur le sujet. Nous sommes en train d’adopter le décret, et nous irons même plus loin pour parachever un travail qui aurait dû être fait depuis bien longtemps,…

M. Claude Goasguen. Mais non !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. …celui de la restructuration totale du master.

De fait, un certain nombre de questions se posent sur la capacité des masters à recruter, sur la mobilité géographique et sociale des étudiants, sur le droit des étudiants à poursuivre leurs études jusqu’à un master, puisque c’est ce que leur permet la loi…

M. le président. Merci.

Allocation aux adultes handicapés

et revenus des personnes handicapées

M. le président. La parole est à M. Joël Giraud, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Joël Giraud. Ma question s’adresse à Mme la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées.

À l’heure où je vous parle certains décrets d’application de la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ne sont toujours pas parus. Cela engendre un imbroglio administratif digne des plus grandes heures de Kafka. En effet, nous sommes toujours en attente des décrets d’application relatifs à la prestation de compensation du handicap, la PCH. Les conseils départementaux improvisent et font ce qu’ils veulent ou peuvent avec les moyens que vous connaissez, de plus en plus restreints, et la chimérique péréquation.

De 2007 à 2012, l’allocation aux adultes handicapés – AAH –, revalorisée de 25 %, est passée de 62 % à 71 % du SMIC. Aujourd’hui, l’augmentation de l’AAH est bloquée au montant de l’inflation. Dans le même temps, les nouvelles dispositions pour les chômeurs relatives à la prime d’activité ne sont toujours pas en place pour les travailleurs handicapés, au motif que le simulateur de la caisse d’allocations familiales n’est toujours pas opérationnel.

J’appelle donc votre attention sur l’urgence à publier tous les décrets d’application de la loi de 2005, mais aussi sur l’urgente nécessité de faciliter, pour ces travailleurs handicapés, le cumul entre leur AAH et leur salaire, soumis, à l’heure actuelle, à de trop nombreuses contraintes et à des plafonnements indécents : on impose par exemple à un handicapé moteur ayant fait de longues études de ne pas dépasser 800 euros par mois de salaire.

Rappelons qu’une personne en situation de handicap qui occupe un emploi coûte bien moins cher qu’une personne placée en institution, sans compter, bien entendu – bénéfice qui n’est pas le moindre –, la plus-value psychologique liée à l’estime de soi et le sentiment d’être utile que procure tout travail.

L’augmentation du pouvoir d’achat des personnes handicapées permettrait une croissance de leur contribution à l’économie, la création de richesse, une meilleure insertion sociale de ces citoyens, l’assurance d’un revenu décent et une égalité de traitement avec les personnes valides.

Aussi, je souhaiterais connaître le calendrier de la publication des derniers décrets d’application de la loi de 2005 ainsi que les dispositions qui seront prises pour corriger les injustices que je viens de citer. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. Arnaud Richard. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion.

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion. Votre question, monsieur le député Joël Giraud, en comporte en réalité plusieurs. Vous m’avez notamment interrogée sur les ressources des bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés et, plus largement, sur l’accès à l’emploi des personnes handicapées.

Marisol Touraine et moi avons en effet souhaité que la prime d’activité soit cumulable avec l’AAH. Pour que les choses soient plus claires, j’illustrerai mon propos par un exemple concret, celui d’une personne handicapée qui vivrait seule et travaillerait, et dont le salaire serait de 800 euros nets par mois. Cette personne, bénéficiaire de l’AAH à hauteur de 231 euros par mois, aura droit, le cas échéant, à une prime d’activité de 136 euros par mois, soit un montant total plus élevé que celui de la prime pour l’emploi, laquelle ne dépassait pas en moyenne 60 euros par mois pour les travailleurs handicapés.

Je veux donc vous rassurer : la prime d’activité est d’ores et déjà opérationnelle, y compris pour les travailleurs handicapés. Le simulateur dédié ne bloque en rien : il est accessible à tous, y compris aux personnes aveugles et aux déficients visuels. Le versement de la prime interviendra en septembre, mais le calcul, rétroactif, se fera à partir du er janvier 2016. Vous n’avez donc aucune inquiétude à avoir sur le sujet.

Pour ce qui concerne les décrets ayant trait à la prestation de compensation du handicap prévus dans la loi de 2005, un seul d’entre eux n’a pas été publié à ce jour ; et, comme vous l’avez souligné, ce décret, qui vise à limiter le reste à charge des bénéficiaires de la PCH à 10 % de leurs revenus, aurait dû être adopté depuis très longtemps.

J’ai donc décidé qu’une concertation était nécessaire avec les départements et les associations sur ce sujet, car les choses ont pu évoluer depuis dix ans. Cette concertation est engagée, et les conclusions seront rendues en septembre. Les choses pourront alors avancer.

M. Joël Giraud. Très bien !

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Marc Le Fur.)

Présidence de M. Marc Le Fur

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Débat sur le coût de la filière nucléaire et la durée d’exploitation des réacteurs

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le rapport de la commission d’enquête sur le coût de la filière nucléaire et la durée d’exploitation des réacteurs.

La conférence des présidents a décidé d’organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le Gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.

Je vous rappelle que la durée des questions, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes.

La parole est à M. Denis Baupin.

M. Denis Baupin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, s’il est une légende qui a vécu, c’est celle du nucléaire bon marché.

Les rapports de la Cour des comptes, la quasi-faillite d’AREVA comme la vulnérabilité désormais impossible à cacher d’EDF ont fait tomber le mythe, révélant un colosse aux pieds d’argile. L’ensemble de ces éléments confirment les conclusions du rapport de notre commission d’enquête relative aux coûts du nucléaire, dont le titre est, plus que jamais, d’actualité : « De l’âge d’or à la transition ».

M. Bernard Accoyer. C’est scandaleux !

M. Denis Baupin. Le coût de cette chimère, entretenu pendant des décennies, s’avère redoutablement élevé. Comble de l’injustice, ce ne sont pas ceux qui ont consommé l’essentiel de l’électricité atomique qui vont payer la facture – puisque les prix ont été artificiellement maintenus à un bas niveau, y compris à cause des sous-investissements – mais les contribuables d’aujourd’hui et de demain.

Plus grave encore, nous sommes rattrapés par la vérité des prix au pire des moments. C’est en effet au moment où le monde entier se détourne des vieilles énergies de stock pour passer aux énergies de flux qu’il faudrait réinvestir des dizaines de milliards d’euros pour rafistoler des installations vétustes à la technologie obsolète.

M. Bernard Accoyer. Comment un élu de la nation peut-il tenir de tels propos ! Quel scandale !

M. Denis Baupin. Pendant ce temps, nos voisins et concurrents potentiels investissent dans l’innovation et les énergies d’avenir : l’éolien et le solaire de nouvelle génération à fort rendement, les réseaux intelligents, l’effacement et l’efficacité énergétiques, le stockage, l’auto-production, la domotique, afin d’accroître la capacité du consommateur à piloter sa production comme sa consommation.

Au moment où le monde entier passe à l’« électricité 2.0 », nous devons choisir : en rester à une France pompidolienne, organisée de façon jacobine et centralisée, ou passer à la modernité et au XXIsiècle.

Vous trouvez ces propos exagérés, mes chers collègues ? Écoutez ce qu’en disait il y a quelques jours, dans le journal Les Échos, Jacques Repussard, directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l’IRSN : « C’était le schéma stratégique d’il y a trente ans, or le marché est devenu européen, avec des prix de l’électricité en baisse. Il y a un dogme ancien auquel on n’ose pas toucher et comme une peur collective d’ouvrir ces dossiers. »

Oui, les signaux d’alerte s’accumulent : sortie d’EDF du CAC 40 ; démission fracassante du directeur financier du groupe en pleine négociation sur l’un des investissements les plus lourds de l’histoire de l’entreprise ; chute du cours de l’action sous les 10 euros ; 150 milliards d’euros de valeur boursière partis en fumée en sept ans, dont 85 % aux dépens de l’État, donc des contribuables ; multiplication par trois des coûts de maintenance et d’entretien de notre parc vieillissant ; mur d’investissements colossal, avec, pour commencer, le grand carénage, dont le coût, initialement chiffré à 55 milliards d’euros par EDF, a été réévalué par la Cour des comptes à 100 milliards d’euros, soit l’équivalent du coût de construction du parc existant ; endettement d’EDF, que le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, la semaine dernière, lors de son audition en commission, n’a pas hésité à estimer à 60 milliards d’euros.

On pourrait ajouter la sous-évaluation des dépenses du CIGÉO – le centre industriel de stockage géologique – et du coût du démantèlement, le rachat d’une partie des actifs d’AREVA, dont toutes les usines font l’objet d’un audit pour défaut de fabrication, l’explosion des budgets et des coûts des réacteurs de Flamanville et de Finlande, les défauts génériques récurrents sur des réacteurs vétustes, notamment sur des équipements aussi indispensables à la sécurité que les diesels de secours, ainsi que la vulnérabilité aux attaques terroristes, qui entraînera inévitablement des surcoûts liés à la protection des installations.

En effet, s’agissant du nucléaire, on en revient toujours à la même question : si ses coûts explosent, si son business model s’est écroulé, s’il a été nécessaire de créer l’Autorité de sûreté nucléaire – l’ASN –, qui a droit de vie et de mort sur chaque installation, ce n’est pas tant en raison de son rendement énergétique, des plus mauvais, ou de notre dépendance à 100 % vis-à-vis des importations d’uranium, mais du fait de sa dangerosité intrinsèque, liée au risque d’accident majeur. L’ASN ne cesse de répéter qu’un tel risque existe en France, que cet accident soit provoqué par une catastrophe naturelle, un attentat, un crash d’avion, une erreur humaine, ou encore qu’il résulte de la vétusté des installations, des déchets, radioactifs pendant des millénaires, ou de la prolifération atomique.

C’est ce qui rend cette technologie si particulière : fascinante d’un point de vue scientifique, la capacité à faire péter l’atome s’avère bien trop instable pour un usage industriel et sécurisé.

À quelques semaines du cinquième anniversaire de Fukushima et du trentième anniversaire de Tchernobyl, il suffit d’écouter Naoto Kan, Premier ministre du Japon au moment de la catastrophe nucléaire dans ce pays, et Mikhaïl Gorbatchev : l’un et l’autre militent pour l’abandon de l’industrie nucléaire, tant les ravages d’un accident nucléaire dépassent largement les bénéfices de cette technologie.

M. Bernard Accoyer. Alors pourquoi le Japon remet-il en service ses réacteurs nucléaires ?

M. Denis Baupin. Eu égard à l’omniprésence de ce risque, il est toujours fascinant d’entendre les commentateurs dérouler immuablement des analyses fondées sur l’idée que le nucléaire a l’éternité devant lui.

Je n’aurai pas la cruauté de rappeler l’incapacité de notre industrie à construire de nouvelles installations nucléaires, en tous cas dans des délais et un cadre budgétaire ayant un quelconque rapport avec ceux annoncés au moment de leur lancement.

Personne, pas même EDF, ne se hasarde aujourd’hui à prévoir le prix du mégawattheure qui sera produit dans les EPR – evolutionary pressurized power reactor – en construction. Pour nous rassurer, on nous assure que l’effet tête de série serait en cause. Les EPR prévus à Hinkley Point – qui, selon EDF, seraient pourtant censés bénéficier du retour d’expérience des premiers réacteurs construits selon le même modèle – produiraient une électricité trois fois plus chère que celle actuellement vendue en Grande-Bretagne : 30 % de plus que l’énergie éolienne d’aujourd’hui, c’est-à-dire 50 % de plus que celle de demain.

On croit d’ailleurs tellement peu à l’EPR que si ceux d’Hinkley Point étaient construits un jour, ils seraient les derniers de ce type. On nous parle en effet dorénavant un EPR nouveau modèle, pompeusement rebaptisé « EPR 2.0 ». Promis, craché, juré : ce dernier sera bon marché et compétitif. Mais qui peut encore y croire ?

Parce que le nouveau nucléaire est hypothétique et prohibitif, l’industrie s’est résolue, alors que ce n’était pas son hypothèse de départ, à tenter de prolonger la durée de vie des réacteurs existants. Elle applique dorénavant la méthode Coué pour faire croire qu’il s’agit d’une simple formalité.

Mais c’est bien là que réside la principale hypothèque sur l’avenir d’EDF, bien plus lourde que toutes celles que j’ai déjà citées. L’ASN le réaffirme à chaque occasion : il n’existe aucune garantie de prolongation au-delà de quarante ans. D’abord, il n’est nullement démontré que la cuve et l’enceinte de confinement puissent tenir plus de quarante ans – rappelons que le plus vieux réacteur du monde, à Beznau, en Suisse, vieux de quarante-cinq ans, a été arrêté à cause des nombreuses fissures de sa cuve. De plus, l’ASN a toujours dit qu’elle exigerait des travaux supplémentaires et Pierre-Franck Chevet, lors de son audition en commission, il y a quinze jours, a indiqué que certains d’entre eux ne sont pas inclus dans les 100 milliards du grand carénage.

L’hypothèque qui pèse sur le passage des quarante ans est donc double. Elle est d’abord technique : les installations peuvent-elles tenir dix ans de plus ? Elle est aussi économique : est-il plus rentable d’investir des milliards pour rafistoler et prolonger de dix ans de vieilles installations que de bâtir des unités de production neuves ?

Il en découle une question, que tout responsable, industriel ou politique, doit se poser : si ces risques, ou même une partie d’entre eux, s’avéraient insurmontables, faut-il attendre d’être le nez contre le mur, vers 2020, pour réagir, ou bien anticiper et prévoir un plan B ?

Ce plan B, nous l’avons, du moins ses orientations : c’est la loi de transition énergétique qui les fixe, en prévoyant la réduction d’un tiers de la part du nucléaire. Encore faut-il qu’elle se traduise dans les faits, qu’une programmation pluriannuelle de l’énergie conforme à la loi, organisant cette transition progressive, soit publiée.

Mais cela ne saurait suffire. La France possède des fleurons industriels en matière énergétique. On l’a vu, certains d’entre eux souffrent ; pour la première fois, leurs salariés ont compris qu’ils étaient mortels. Nous pensons qu’il est encore possible de les sauver mais il ne faut pas se tromper de diagnostic : leur crise n’est pas conjoncturelle ; elle est structurelle, comme pour toute entreprise énergétique. Tant qu’elles considéreront que la transition à l’œuvre dans tous les autre pays du monde est une hérésie, elles continueront de creuser leur tombe. On ne peut gagner en restant attaché à son vieux minitel quand le monde entier passe à internet. D’autres méga-entreprises, supposées insubmersibles, comme Kodak, ont été emportées en quelques années, faute d’avoir pris le virage technologique.

Notre majorité a eu raison de faire le choix de la transition énergétique. Il est donc contre-productif de laisser notre principal industriel s’enfoncer plus loin dans sa « nucléarite » aiguë. Alors qu’il devrait se diversifier, sa courbe d’investissement prévoit un accroissement supplémentaire de son exposition au risque nucléaire, qui dépasse déjà 70 %. C’est d’autant plus incohérent –l’entreprise elle-même le souligne – que les surcapacités actuelles sont responsables de la baisse des prix sur les marchés européens. Douze de nos réacteurs servent uniquement à l’exportation et contribuent à cette surcapacité, de même que nombre de centrales à charbon allemandes. Alors faisons d’une pierre deux coups : mettons-nous d’accord avec notre voisin, réduisons nos surcapacités de part et d’autre de la frontière, en commençant par Fessenheim !

M. Bernard Accoyer. Et pourquoi donc ? La centrale est en parfait état de marche !

M. Denis Baupin. Nous réduirons nos coûts de mise aux normes et garantirons une meilleure rentabilité grâce à la remontée des prix. Nous montrerons ainsi qu’il est possible d’ébaucher une Europe de l’énergie.

Enfin, remettons à plat le projet pharaonique d’Hinkley Point ! Les révélations de ce week-end sur le rapport d’audit interne confirment les risques inconsidérés pris par EDF. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que les syndicats s’opposent unanimement, pour la première fois de leur histoire, à un projet nucléaire. Il n’est pas étonnant que le titre en bourse ne cesse de chuter et que les agences de notation s’apprêtent à dégrader EDF – en tout cas, pour leur part, elles n’ont pas l’air de voir dans ce projet l’affaire du siècle.

La meilleure preuve est, comme on nous l’indique, qu’EDF aurait besoin d’une recapitalisation par l’État pour le réaliser – outre qu’elle confirme le coût très lourd du nucléaire pour le contribuable, cette aide publique supplémentaire risque fort d’être recalée par Bruxelles, soulignons-le au passage. Permettez-moi surtout de m’interroger : si l’on accorde des milliards à EDF, seront-ils mieux utilisés à construire un nucléaire déjà dépassé en Grande-Bretagne ou à investir dans les technologies d’avenir sur nos territoires ?

La mutation est en cours, je le répète. Elle ne nous attendra pas. Pour la première fois, les capacités renouvelables installées en 2015 dans le monde ont dépassé le total des autres énergies. D’après l’IRENA – International Renewable Energy Agency –, les énergies renouvelables pourraient être à l’origine de 24 millions d’emplois d’ici à 2030. D’ores et déjà, en France, elles créent des milliers d’emplois chaque année, quand les entreprises nucléaires accumulent les suppressions d’emplois. Le potentiel est gigantesque ; il nous revient d’organiser les transitions professionnelles qui seront induites par cette mutation.

Pour nos emplois, notre industrie, notre pouvoir d’achat, nos territoires, notre environnement, mais aussi pour notre souveraineté nationale, il est temps, mes chers collègues, de mettre en œuvre la loi de transition énergétique.

Mme Brigitte Allain. Très bien !

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dix-huit mois après la conclusion de la commission d’enquête conduite par notre assemblée, nos collègues du groupe écologiste nous convient de nouveau à débattre du coût de la filière nucléaire, dans un contexte d’incertitude à propos de l’avenir d’EDF et du devenir de notre parc vieillissant de centrales.

La polémique sur les coûts de la filière n’est pas nouvelle – elle est presque aussi ancienne que l’industrie nucléaire. Elle porte à la fois sur les coûts de production, le coût de la maintenance des cinquante-huit réacteurs répartis sur le territoire, les charges de démantèlement, les coûts de l’investissement dans un nouveau parc, les coûts de traitement et d’enfouissement des déchets.

Dans un rapport publié en 2014, la Cour des comptes avait estimé le coût global de production de l’électricité nucléaire à 60 euros le mégawattheure en 2013, en prenant en compte tant les dépenses d’exploitation que les investissements sur le parc existant, la provision pour gestion des déchets et du combustible usé et la provision pour démantèlement.

Toujours d’après la Cour des comptes, la hausse du coût de production de l’électricité nucléaire – le tarif du mégawattheure a grimpé d’une dizaine d’euros entre 2010 et 2013 – devrait se poursuivre dans les années à venir, notamment parce que le coût du grand carénage, chantier de maintenance et de sûreté, pourrait atteindre 100 milliards d’euros d’ici à 2030.

Dans ces investissements, la Cour inclut les travaux nécessaires dans l’après-Fukushima mais aussi les dépenses liées au prolongement de la durée d’exploitation des centrales actuelles au-delà de quarante ans. Les investissements avaient déjà plus que doublé par le passé : ils expliquent la moitié de la hausse du coût de production entre 2010 et 2013.

Au-delà du coût de production du nucléaire exploité, se pose la question du coût final de la mise en service future des réacteurs de nouvelle génération. Nous pouvons, je crois, nous accorder sur ces constats et sur les incertitudes pesant à cet égard sur l’avenir.

Je voudrais toutefois souligner deux choses. Le nucléaire nous est aujourd’hui indispensable. Le secteur du nucléaire civil – troisième filière industrielle du pays – constitue, au-delà même de la question du coût, un atout stratégique,…

M. Bernard Accoyer. Bien sûr !

M. André Chassaigne. …qui doit être conforté pour relever les défis d’une énergie décarbonée et accessible à tous.

M. Bernard Accoyer. C’est l’évidence !

M. André Chassaigne. Si le coût du nucléaire semble exorbitant au regard des autres formes de production d’énergie, il faut néanmoins nous rendre à l’évidence : il n’est pas souhaitable de nous orienter vers le recours accru aux énergies fossiles, qui s’amplifie à la faveur de la chute des cours du charbon ; il faudrait au contraire les réduire massivement.

Il n’est pas davantage envisageable, à court et à moyen termes, de substituer au nucléaire les énergies renouvelables.

M. Denis Baupin. C’est faux !

M. André Chassaigne. Non seulement ces énergies nécessitent des subventions massives mais elles ne peuvent toujours pas être stockées.

M. Bernard Accoyer. Bien sûr !

M. André Chassaigne. Pour mener à bien le projet de mix énergétique diversifié, garant de notre indépendance énergétique, de la transition énergétique et de prix accessibles, nous devons également accepter de revenir sur la libéralisation du marché de l’énergie.

Aux yeux des marchés, nous le savons, le nucléaire n’est pas rentable. De fait, le nucléaire français est le fruit de choix stratégiques bien antérieurs au mouvement de dérégulation opéré depuis quinze ans. Je vais citer à mon tour des propos tenus récemment par Jacques Repussard, directeur général de l’IRSN : « Le nucléaire fait partie des grandes infrastructures nationales et doit être traité comme tel. […] Le nucléaire exige un modèle économique qui tienne compte du long terme. »

Il est certes essentiel que la part des énergies renouvelables progresse rapidement, mais dans un cadre mieux régulé et dans la perspective de construction d’un mix énergétique où le nucléaire aurait aussi toute sa place, en ayant éventuellement recours à des réacteurs moins puissants.

Il exige de sortir de la loi du marché, de la course au moindre coût. Comme l’ensemble des filières énergétiques françaises, le nucléaire doit faire l’objet d’un plan de développement industriel ambitieux, sous maîtrise publique. Car la maîtrise publique est le meilleur garant de la réponse aux besoins, d’un développement harmonieux du territoire et d’une maîtrise démocratique des enjeux de développement durable.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Fabre.

Mme Marie-Hélène Fabre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le contexte économique mondial dans lequel s’inscrivent les grands énergéticiens français est contraint. Toutes les entreprises du secteur ont souffert des suites de Fukushima, de la baisse du prix du pétrole, du développement massif du gaz de schiste aux États-Unis puis de sa stagnation, et de toutes les autres circonstances géopolitiques et macroéconomiques qui, ces dernières années, ont profondément perturbé toutes les composantes de notre mix énergétique.

Face à cette situation, le Gouvernement et la majorité parlementaire ont appuyé le développement des énergies renouvelables. On ne peut que s’en féliciter et je tiens, à ce titre, à saluer le soutien apporté à la filière éolienne lors de l’examen du projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine.

Il n’en demeure pas moins que le nucléaire reste le cœur de l’indépendance énergétique de la France ; il constitue l’essentiel de nos ressources et cela continuera à l’avenir. Or cette filière a été victime de difficultés conjoncturelles mais aussi d’erreurs de gestion commises sur de grands projets et de la déficience de l’État actionnaire.

Sous la pression des événements, il a fallu réorganiser les relations entre deux acteurs : EDF, qui maîtrisera l’ensemble de l’ingénierie des services nucléaires, et AREVA NP –AREVA Nuclear Power –, qui sera chargé de produire les réacteurs. Ce dernier sera majoritairement détenu par EDF, avec une participation minoritaire d’AREVA et des investisseurs tiers – des actionnaires japonais et chinois.

Nous avons longuement milité aux côtés du Gouvernement pour que les intérêts d’EDF soient réorientés vers AREVA, sans quoi ces deux entreprises auraient pu entrer en concurrence frontale sur le marché des réacteurs. Du point de vue du marché mondial, cette alliance est cohérente. De nombreuses questions sont cependant soulevées dans le cadre de la fusion avec EDF, qui investit déjà dans deux autres EPR au Royaume-Uni et dans le grand carénage en France. Avec sa situation financière problématique, EDF est-il le meilleur allié d’Areva ? Concernant les partenariats financiers, existe-t-il des pistes françaises ? Peut-on penser, par exemple, à la Caisse des dépôts, voire à de grandes collectivités, celles qui avaient participé à la recapitalisation de la Compagnie nationale du Rhône ?

Si la fusion est heureuse pour le développement futur de cette filière française, on peut s’inquiéter du devenir d’AREVA historique. En effet, le troisième acteur d’AREVA NP est l’AREVA historique du cycle du combustible et des mines, hors production de réacteurs.

Les salariés et les sous-traitants expriment de vives inquiétudes à propos de l’avenir de cette filière d’excellence qu’est le nucléaire ; cela doit évidemment retenir notre vigilante attention. Les suppressions d’emploi envisagées dans le cadre du plan de compétitivité peuvent interroger, notamment quant à la préservation des savoir-faire dans plusieurs métiers de pointe. Le problème s’est malheureusement déjà posé, ces dernières années, avec des départs à la retraite anticipés – les successeurs n’avaient pas tous été formés de manière efficiente. Pour préserver les compétences qui existent dans la filière et les emplois qui leur correspondent, pour éviter des déperditions trop importantes et pour que ce secteur coexiste avec le développement des énergies renouvelables, quelles stratégies de formation le Gouvernement entend-il mettre en œuvre ?

Par ailleurs, des investissements doivent être réalisés pour assurer la sûreté du parc, d’autant que la loi relative à la transition énergétique vient de renforcer le rôle de l’ASN et le contrôle sur cette question. Dans le rapport parlementaire relatif aux coûts de la filière nucléaire, il était préconisé, par souci de sécurité, d’harmoniser la protection des sous-traitants avec celle des entreprises-mères. Ces recommandations ont-elles été suivies d’effets ? En outre, Mme la ministre de l’environnement a demandé un audit sur l’état d’avancement du démantèlement. Pourrait-on en connaître les résultats, monsieur le secrétaire d’État ?

M. le président. La parole est à M. Bernard Accoyer.

M. Bernard Accoyer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, deux ans après son rapport à charge, au nom d’une commission d’enquête instrumentalisée pour justifier le parti pris des Verts contre le nucléaire, Denis Baupin reprend sa croisade pour démanteler cette filière d’excellence. Son intervention est une provocation. (Sourires sur les bancs du groupe écologiste.)

Au-delà de l’habituel objectif mortifère de nourrir les peurs de nos compatriotes, les Verts entendent surtout, à travers ce débat organisé à leur initiative, rappeler aux responsables socialistes les promesses et marchandages électoraux passés.

Rappelons la promesse inconsidérée, inscrite dans l’accord électoral passé en novembre 2011 entre les Verts et le PS, de fermer vingt-quatre réacteurs nucléaires d’ici à 2025, celle du candidat François Hollande, en 2012, de fermer la centrale de Fessenheim – mon collègue Michel Sordi y reviendra – et de réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité de 75 à 50 % à l’horizon 2025, objectif que le Gouvernement et sa majorité ont décidé, contre toute raison, d’inscrire dans la loi relative à la transition énergétique du 17 août 2015.

Pourtant, jour après jour, cette loi apparaît pour ce qu’elle est principalement : un texte idéologique, dogmatique, inapplicable, éloigné des réalités économiques, sociales et surtout environnementales ; un tribut payé par les socialistes à leurs alliés Verts, un tribut dangereux pour la France.

Pourtant, en 1997 déjà, la centrale expérimentale de quatrième génération Superphénix, qui nous donnait vingt ans d’avance, avait été sacrifiée sur l’autel des marchandages entre les mêmes Verts et Lionel Jospin, pris en otage par sa majorité plurielle. Quel gâchis !

En se prononçant en faveur du prolongement de la durée de vie des centrales françaises – sous réserve de l’avis de l’ASN –, puisque la filière française est la plus sécurisée au monde, Ségolène Royal a sonné l’heure du retour aux réalités. Pour justifier ce choix, qui ferait consensus national en dehors des Verts, la ministre a mis en avant l’argument économique : « Ces centrales, déjà amorties, produiront donc une énergie meilleur marché. » Elle a raison puisque les coûts de production de l’énergie nucléaire restent inférieurs à ceux des énergies renouvelables,…

M. Denis Baupin. Faux !

M. Bernard Accoyer. …contrairement à ce que voudrait nous faire croire Denis Baupin.

Au-delà, au moins cinq arguments justifient un tel choix : notre indépendance énergétique ; l’excellence de la filière industrielle ; l’emploi, avec 400 000 salariés directs et indirects ; la compétitivité de nos entreprises ; le pouvoir d’achat des ménages, puisque le coût du kilowattheure, en France est de loin le moins élevé d’Europe ;…

M. Denis Baupin. Encore faux !

M. Bernard Accoyer. …surtout, l’atout que représente le nucléaire en matière environnementale, pour atteindre les objectifs fixés par la COP21.

Dans les quinze prochaines années, nous le savons, la demande mondiale en énergie va croître inéluctablement de plus de 50 %. Cette progression, si elle est alimentée par le recours aux énergies fossiles, entraînera une augmentation considérable des émissions de gaz à effet de serre. Or, chacun le sait, la montée en puissance des énergies renouvelables sera lente et coûteuse.

Mieux vaudra donc recourir à une énergie d’origine nucléaire, que l’on peut qualifier de « propre », puisque n’émettant pas de CO2. Rappelons en effet que la production d’un kilowattheure électrique dégage 7 à 8 grammes de CO2 par la filière nucléaire, alors que l’on atteint 400 grammes avec le gaz et 900 grammes avec le charbon ! L’empreinte carbone du mix électrique français est sept fois inférieure à la moyenne mondiale et cinq fois et demi inférieure à la moyenne européenne, il convient de le marteler ici.

Pourtant, les Verts nous proposent de renoncer au nucléaire, comme l’ont fait nos voisins allemands en 2011.

M. Denis Baupin. Mme Merkel !

M. Bernard Accoyer. Or les conséquences environnementales de cette décision sont catastrophiques et sans appel : elle a contribué à l’augmentation massive des émissions de CO2 comme de microparticules outre-Rhin.

M. Denis Baupin. Faux !

M. Gérard Menuel. Vrai !

M. Bernard Accoyer. Ainsi, par leur parti pris contre la filière nucléaire, les Verts, qui prétendent s’ériger en seuls défenseurs de l’environnement, se sont paradoxalement transformés en un parti pro-charbon, un parti pro-pétrole, un parti anti-COP21 !

M. Denis Baupin. Faux !

M. Gérard Menuel. Vrai !

M. Bernard Accoyer. Ce n’est pas la conception que le groupe Les Républicains se fait de la protection de l’environnement ni surtout de l’intérêt national. (Exclamations sur divers bancs.)

M. le président. Je vous prie d’écouter le Président Accoyer. Chaque groupe pourra s’exprimer.

M. Bernard Accoyer. Nous espérons donc, monsieur le secrétaire d’État, que vous saurez nous rassurer quant à l’avenir de la filière nucléaire française, de ses principaux acteurs et de ses emplois. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Krabal.

M. Jacques Krabal. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes appelés à débattre des coûts de la filière nucléaire. Si la question est centrale, nous savons bien que la détermination de ces coûts se révèle très difficile. Mais « ce n’est point parce qu’il est difficile que nous n’osons pas ; c’est parce que nous n’osons pas qu’il est difficile », nous enseigne Sénèque. Alors, osons !

La France compte aujourd’hui cinquante-huit réacteurs de différentes puissances, répartis entre dix-neuf centrales nucléaires, ce qui en fait le parc nucléaire le plus important du monde au regard de sa population. Selon le bilan de Réseau de transport d’électricité – RTE –, ils ont produit 416 térawattheures en 2014, soit 77 % de la production d’énergie totale. Cette production nucléaire d’électricité est réputée peu coûteuse, ce qui a favorisé une forte consommation électrique, souvent au détriment de la maîtrise de l’énergie ou du développement de nouvelles sources énergétiques.

Le tarif de l’électricité fait l’objet de discussions ; comme on le dit très souvent, il est sous-évalué. Si l’on en croit les chiffres fournis par l’Agence internationale de l’énergie –l’AIE – dans son dernier rapport, publié en 2015, 1 mégawattheure coûte aujourd’hui un peu plus de 82 dollars, soit environ 74 euros.

Le tout sans compter le coût éventuel d’un accident nucléaire, que la Cour des comptes avait intégré à son chiffrage. Elle avait ainsi évalué le coût de l’énergie atomique entre 70 et 90 euros le mégawattheure – mais en prenant comme hypothèse un coût de construction de l’EPR de 4 milliards d’euros, alors qu’il risque de revenir à plus de 10 milliards d’euros.

Au-delà des coûts de production, n’oublions pas que la moyenne d’âge des équipements du parc nucléaire français approche des trente ans. La question de la durée de vie de nos réacteurs et de leur prolongation à quarante voire soixante ans se pose aujourd’hui. Mais à quel prix ?

Au vu des investissements nécessaires dans les prochaines années, pour démanteler les centrales ou les prolonger, le coût de l’énergie électrique devrait nécessairement augmenter. D’ores et déjà, l’évaluation complémentaire de sûreté menée par l’ASN suite à la catastrophe de Fukushima est venue ajouter près de 10 milliards d’euros à la facture des opérateurs. Au vu du coût d’un accident nucléaire en France, évalué par l’IRSN entre 120 et 430 milliards d’euros, si l’on inclut une assurance liée au risque, on réalise que le coût global du mégawattheure n’est plus du tout le même.

Au-delà des positions caricaturales et idéologiques, nous pouvons aujourd’hui affirmer que la belle histoire de l’énergie nucléaire, dont le coût serait nettement plus faible que celui des autres énergies, n’est plus d’actualité.

Après Fukushima et les normes de sécurité à repenser, les nombreuses difficultés rencontrées par l’EPR de Flamanville ou celui de Finlande, les fluctuations du marché de l’énergie en fonction des crises et des tensions internationales, les déboires et les échecs d’AREVA, les coûts des démantèlements, du grand carénage et du stockage des déchets, la filière nucléaire présente une addition qui ne permet plus d’affirmer avec certitude que le coût de l’électricité produite constitue un argument d’autorité, s’imposant à tous sans débat.

L’occasion nous est donnée, à travers nos discussions, de dépassionner un débat qui en a bien besoin et d’éviter les caricatures. En effet, la simple prononciation du mot « nucléaire » électrise soudainement l’audience et déchaîne les passions, d’un côté comme de l’autre.

Ce débat nous amène à nous interroger : comment garantir notre indépendance énergétique en produisant une énergie décarbonée, au plus faible coût possible pour nos concitoyens et nos entreprises, avec un risque avoisinant zéro ?

Compte tenu de notre histoire et des spécificités du secteur, les députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste sont favorables, à ce stade, à la poursuite d’une stratégie industrielle incluant certes le nucléaire, mais se dirigeant progressivement vers un mix plus équilibré, avec un soutien aux énergies renouvelables les plus efficaces, celles présentant le plus d’intérêt en termes de bilan carbone, de marge de progression et de stockage.

Mais, mes chers collègues, quel que soit le modèle que nous retiendrons, quelles que soient les orientations politiques que nous prendrons, n’oublions pas que le nucléaire aura toujours un coût. En tant que rapporteur budgétaire sur le programme 181, qui comprend les crédits dévolus à la sûreté nucléaire, j’ai estimé que la sanctuarisation des fonds alloués allait dans le bon sens. J’ai cependant prévenu que le coût de la sûreté nucléaire risquait de s’alourdir dans les prochaines années. Je serai particulièrement attentif à ce que la sûreté de nos installations soit garantie par l’indépendance financière et statutaire de l’ASN.

Nos concitoyens ont le droit de savoir et nous avons le devoir de dire les choses. N’ayons pas peur de la transparence, de la clarté et de la vérité, sur quelque sujet que ce soit. Soyons au contraire à l’offensive : ce sont là des exigences éthiques, au service de notre démocratie.

« Rien ne pèse tant qu’un secret », écrivait Jean de La Fontaine, né à Château-Thierry, dans sa fable « Les femmes et le secret ». Il est temps, monsieur le secrétaire d’État, de donner du sens à nos décisions politiques, en toute transparence, surtout en ce qui concerne la filière nucléaire. Telle est la volonté des députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le Président, mesdames, messieurs les députés, citer La Fontaine au cours d’un débat relatif au nucléaire nous invite à nous méfier des mauvaises fables pour ne retenir que les bonnes. (Sourires.)

La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte engage la diversification du mix énergétique et électrique français. L’essor des énergies renouvelables et les efforts de maîtrise de la consommation en énergie engageront la France vers l’objectif, fixé par la loi, d’un mix électrique comprenant 50 % de nucléaire à l’horizon 2025 et 40 % d’énergies renouvelables en 2030. La priorité de la transition énergétique est le développement des énergies renouvelables, qui permettra de créer des dizaines de milliers d’emplois dans le domaine de la croissance verte.

Gardons-nous cependant d’opposer les énergies les unes aux autres. C’est ce qui fait la force du nouveau modèle énergétique français posé par la loi. Le nucléaire restera ainsi le socle de notre mix électrique.

L’objectif de 50 % à l’horizon 2025 se traduira par des fermetures de réacteurs et par des prolongations. D’ores et déjà, vous le savez, le Gouvernement a indiqué que le décret d’abrogation de l’autorisation d’exploiter la centrale de Fessenheim serait pris en 2016, engageant ainsi la procédure de mise à l’arrêt définitif de ses deux réacteurs.

En application du plafonnement de la capacité nucléaire installée à 63,2 gigawatts, fixé par la loi, l’EPR de Flamanville ne pourra pas être mis en service avant la mise à l’arrêt définitif de la centrale de Fessenheim. Tel est le calendrier prévu.

Par ailleurs, la prolongation d’une partie du parc nucléaire existant sera nécessaire pour assurer la sécurité de l’approvisionnement. Les prolongations ne pourront être autorisées, sur demande de l’exploitant, qu’après validation de l’ASN, réacteur par réacteur.

Dans le respect le plus strict des exigences de sûreté, les prolongations peuvent constituer une opportunité pour les consommateurs d’électricité, ménages et entreprises. En effet, l’utilisation des centrales amorties permet de produire de l’électricité à coût bas, avec des investissements inférieurs à ceux qui seraient nécessaires pour de nouvelles installations de production d’électricité. On voit même qu’aux États-Unis, cette durée peut être portée jusqu’à quatre-vingts ans.

Pour répondre efficacement à ces perspectives, le Président de la République a engagé, le 3 juin 2015, la refondation de la filière nucléaire française, articulée autour du rapprochement entre EDF et AREVA, afin que la filière, forte de ses 220 000 emplois sur le territoire national, soit plus solidaire et plus performante. Le Gouvernement accorde sa confiance à la direction d’AREVA pour conduire son plan de performance, dans le respect des engagements du Président de la République en matière de dialogue social. Le Gouvernement soutient également AREVA et EDF dans le renforcement des coopérations industrielles avec des partenaires internationaux.

Depuis les décisions du 3 juin 2015, plusieurs étapes essentielles ont été franchies.

Tout d’abord, un accord entre EDF et AREVA a été annoncé, le 27 janvier, à propos du prix de cession d’AREVA NP.

Vient ensuite l’augmentation de capital d’AREVA de 5 milliards d’euros, annoncée le même jour, à laquelle l’État s’est engagé à souscrire en tant qu’actionnaire de contrôle, aux côtés d’investisseurs tiers. L’État assurera le plein succès de cette augmentation de capital, dans le respect des procédures et règles européennes applicables aux opérations de ce type. Cela permettra de repartir sur des bases assainies, avec une société désendettée et recentrée sur les activités du cycle et de la mine.

Enfin, des discussions prometteuses sont engagées entre AREVA, Siemens et Teollisuuden Voima – TVO – en vue de terminer la construction de la centrale finlandaise d’ici à 2018 et de mettre fin, à l’amiable, à la procédure d’arbitrage en cours.

Grâce à AREVA, la France maîtrise l’ensemble du cycle du nucléaire. Les efforts doivent donc être maintenus, avec la mise en œuvre du plan de performance d’AREVA, qui porte ses premiers fruits, la création du nouvel AREVA, l’aboutissement de la négociation avec TVO et la signature avec EDF du contrat de vente d’AREVA NP.

J’en viens à EDF, grande entreprise disposant de nombreux atouts mais qui doit relever d’importants défis, dans des conditions de marché difficile, en particulier au plan européen. Elle travaille à améliorer sa performance et à trouver les moyens de financer ses investissements, par nature importants et de long terme.

La situation financière d’EDF est d’abord liée à la faiblesse des prix de l’électricité en Europe et en France. Les prix bas du pétrole, du gaz et du charbon, ainsi que du carbone, tirent vers le bas les prix de l’électricité. S’y ajoute la désorganisation du marché européen de l’électricité, sujet que les instances communautaires ne jugent manifestement pas prioritaire : celles-ci se gardent bien d’organiser les capacités de transfert d’un pays à l’autre, ce qui pourrait constituer un avantage compétitif pour notre pays et sa production électrique.

C’est pourquoi le Gouvernement souhaite que soit renforcé, au niveau européen, le signal donné par le prix du carbone, moyennant la définition d’un tarif plancher. Toutefois, au vu des politiques adoptées par certains pays européens, je doute que cela soit si simple à mettre en place…

Par ailleurs, EDF est en passe de signer le contrat du projet Hinkley Point, en Angleterre, pour deux EPR. Le projet dispose de fortes garanties de la part des autorités britanniques, sur trente-cinq ans. Il s’agit d’un contrat stratégique à l’export non seulement pour EDF mais pour toute la filière nucléaire française. Il permettra de nourrir les carnets de commandes du tissu industriel français, au service de l’emploi et du maintien des compétences indispensables aux travaux à venir sur le parc nucléaire en France.

C’est pourquoi le Président de la République et le Premier ministre britannique ont renouvelé leur soutien à ce projet lors du sommet franco-britannique du 3 mars dernier. Il reviendra au conseil d’administration d’EDF de prendre la décision finale d’investissement au début du mois de mai, dès lors que les conditions, en particulier en matière de maîtrise des risques, seront assurées.

L’État suivra attentivement le déroulement du chantier, la maîtrise des risques, du calendrier ainsi que des enjeux techniques et financiers. Il veillera également à ce que cet investissement soit sans conséquences sur les investissements prévus par EDF dans les énergies renouvelables.

EDF est un acteur clé de la transition énergétique : l’entreprise investit aujourd’hui autant dans les énergies renouvelables que dans le nouveau nucléaire. Sa branche énergies renouvelables est bénéficiaire en 2015 et contribue positivement aux résultats du groupe. Il faut donc fortement l’encourager.

La stratégie de l’État dans le domaine du nucléaire s’inscrit donc dans une vision d’ensemble, cohérente avec les objectifs de diversification du mix électrique, de sécurité de l’approvisionnement électrique et de compétitivité de l’approvisionnement fixés par la loi. Elle s’appuie sur la refondation de la filière nucléaire engagée par le Président de la République, qui prend tout son sens dans des conditions de marché difficiles et alors que doivent être conduits de grands projets à l’export et sur le territoire national.

Elle se nourrit en outre des recommandations formulées par la commission d’enquête que présidait François Brottes, présentées à l’Assemblée nationale en amont des débats parlementaires portant sur la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte – vous connaissez bien ce rapport, monsieur Baupin. Je veux m’arrêter maintenant sur certaines de ces recommandations structurantes et sur leur mise en œuvre.

La commission d’enquête recommandait que l’État se saisisse pleinement de sa compétence en matière de politique énergétique et organise une évolution du mix énergétique vers un meilleur équilibre au profit des énergies renouvelables : la loi a fixé l’objectif d’une part de 50 % d’électricité d’origine nucléaire dans la production électrique et a défini les conditions d’une diversification du mix.

La commission d’enquête recommandait une plus grande implication citoyenne dans la sûreté nucléaire : la loi a renforcé la concertation au cours des procédures relatives aux installations nucléaires, notamment s’agissant de la prolongation de la durée de vie des réacteurs après quarante ans, et a donné une meilleure assise aux commissions locales d’information.

M. Denis Baupin. Absolument !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Le rôle de l’ASN a été renforcé.

La commission d’enquête appelait l’État à veiller à la diversification des champions industriels nationaux dont il est partie prenante, dans le sens d’une meilleure contribution à la transition énergétique, et à mettre en place les conditions de marché favorables à cette transition : l’État exerce une vigilance constante au sein des organes de gouvernance d’EDF – je viens de faire référence à l’attention portée aux investissements dans les énergies renouvelables – et travaille à l’heure actuelle sur le sujet de l’organisation appropriée des marchés de l’électricité, notamment via la mise en place de marchés de capacité.

La commission d’enquête soulignait l’importance de sécuriser le financement des charges futures du nucléaire et saluait l’audit relatif aux coûts du démantèlement lancé par le ministère chargé de l’environnement : la loi a renforcé le contrôle sur les provisions constituées dans les comptes des opérateurs, en autorisant l’autorité administrative à consulter l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution à propos des hypothèses économiques du financement des charges de long terme.

M. Denis Baupin. Exact.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Les travaux sont en cours, afin d’obtenir un premier avis à l’été 2016.

L’administration lancera par ailleurs d’autres audits sur les charges de long terme, conformément au programme demandé par le rapport de la Commission nationale d’évaluation du financement des charges de démantèlement des installations nucléaires de base et de gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs, que l’on appelle plus simplement la CNEF – les acronymes ont parfois du bon…

La commission d’enquête évoquait également les évaluations du coût du projet CIGÉO : la ministre chargée de l’énergie a adopté, le 15 janvier 2016, un arrêté fixant à l’ANDRA – l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs – un objectif de 25 milliards d’euros.

La commission d’enquête recommandait de mieux expertiser les coûts d’un accident nucléaire et de mettre en place de manière opérationnelle les dispositifs permettant la prise en charge des coûts lors de la survenance d’un tel événement : la France participe activement aux travaux sur les coûts des accidents nucléaires, notamment par le biais de l’IRSN, à la pointe dans ce domaine ; par ailleurs, la loi a significativement relevé le plafond de responsabilité de l’exploitant en matière d’accidents nucléaires, puisque celui-ci doit désormais s’assurer à hauteur de 700 millions d’euros, contre 91,5 millions d’euros auparavant.

Enfin, la commission d’enquête appelait l’attention des pouvoirs publics sur la situation des industries électro-intensives : la loi a prévu la possibilité de définir des catégories d’entreprises fortement consommatrices d’électricité, afin de les faire bénéficier de conditions d’approvisionnement en électricité particulières, en contrepartie d’efforts en termes de performance énergétique. Car oui, notre compétitivité et le pouvoir d’achat des ménages doivent bénéficier des coûts bas de l’électricité permis par le nucléaire.

Vous le voyez, mesdames, messieurs les députés, les recommandations de la commission d’enquête ont apporté un éclairage précieux sur la situation de l’industrie nucléaire française et les défis qu’elle devait relever, conduisant à la réorganisation de la filière. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Jean-Yves Le Déaut. Très bien !

M. le président. Nous en venons maintenant aux questions, en commençant par le groupe écologiste.

La parole est à M. Denis Baupin.

M. Denis Baupin. Puisque M. Accoyer et, de façon incidente, M. le secrétaire d’État ont évoqué l’Allemagne, je me permets de rappeler que le gouvernement qui mène aujourd’hui l’Energiewende est composé de la CDU et du SPD. Si les Verts n’y participent pas, c’est précisément à cause de leur désaccord concernant le charbon. Je ne suis donc nullement gêné à ce propos.

Cela étant, le moins que l’on puisse dire de l’économie allemande, c’est qu’elle n’a pas l’air de beaucoup souffrir du fait que le pays est en train de sortir du nucléaire…

M. Bernard Accoyer. Son bilan carbone est calamiteux !

M. Denis Baupin. En remplaçant le nucléaire par des énergies renouvelables, ce qui est bien le cas, l’Allemagne a su organiser une transition énergétique bénéfique pour son économie, et c’est bien pour cela qu’elle a accéléré le mouvement.

M. Michel Sordi. Et les centrales au charbon et au lignite ?

M. Denis Baupin. Vous avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, l’objectif fixé par la loi de passer à 50 % d’électricité nucléaire. Nous attendons la programmation pluriannuelle de l’énergie, qui, d’après nos informations, prévoit un accroissement de 25 mégawatts de la puissance de la production éolienne et solaire à l’horizon 2023. Or, de son côté, l’entreprise EDF n’a prévu que 5 mégawatts supplémentaires d’ici à 2030, soit pour une période deux fois plus longue. Nous sommes donc dans un rapport de 1 à 10 entre les prévisions d’investissement d’EDF et celles de la programmation pluriannuelle de l’énergie. On peut imaginer que les 90 % restants soient réalisés par d’autres opérateurs, mais il nous semble extrêmement inquiétant que la première entreprise française du secteur investisse si peu dans les énergies renouvelables, laissant ainsi la place à ses concurrents.

M. Bernard Accoyer. Vous l’avez mise à genoux !

M. Denis Baupin. Si elle reste avec ses seules capacités nucléaires, elle se mettra en danger. Il est exact, monsieur le secrétaire d’État, qu’elle investit beaucoup dans le renouvelable, mais malheureusement à l’étranger ; en France, cela reste le parent pauvre.

Je vous poserai donc deux questions. Quand la programmation pluriannuelle de l’énergie sera-t-elle mise en discussion ? Que compte faire le Gouvernement pour qu’EDF investisse réellement, en France, dans les énergies renouvelables, notamment dans l’éolien et le solaire ?

M. Bernard Accoyer. Prenez toutes les réponses maintenant, monsieur le président !

M. le président. Non, M. le secrétaire d’État répondra question par question.

Vous avez la parole, monsieur le secrétaire d’État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. En écoutant vos nombreux considérants, monsieur Baupin, je pensais aussi à la manière dont nous avons essayé de développer, à juste titre, une filière d’éolien offshore et aux difficultés que nous rencontrons pour la concrétiser.

M. Denis Baupin. En Grande-Bretagne et en Allemagne, ils réussissent !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. J’entends bien, mais nous connaissons tous, et vous plus que tout autre, le coût et la complexité que cela représente pour l’Allemagne. Les installations offshore étant installées au nord – chacun peut comprendre qu’elles ont davantage leur place en mer du Nord qu’en Méditerranée –, il est difficile d’acheminer l’électricité au sud de l’Allemagne.

M. Bernard Accoyer. Eh oui, les gens ne veulent plus de lignes à haute tension !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Pour cela, il faut des réseaux, et pour que ceux-ci voient le jour, il faut que les gens les acceptent. C’est tout de même assez compliqué mais nos échanges sont d’autant plus utiles que nous sommes capables de mesurer cette complexité.

J’en viens plus précisément à vos questions.

Comme vous le savez, le Président de la République a engagé, le 3 juin 2015, la refondation de la filière nucléaire française. Les compétences doivent être préservées, voilà un aspect que l’on n’a pas toujours l’habitude de prendre en compte. Il est très compliqué, à mesure que les années passent, de maintenir des compétences industrielles.

M. Bernard Accoyer. Tout à fait !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. On ne peut s’en tenir à l’idée, ou à l’intuition, allais-je dire, que l’on continuera forcément à savoir fabriquer quelque chose, dès lors que l’on sait le faire aujourd’hui. Des ruptures se produisent, d’où la nécessité d’une réflexion sur les processus industriels, qui ajoute encore à la complexité de nos discussions.

Le Gouvernement est donc particulièrement attentif à la consolidation des entreprises, à leurs efforts en matière de redressement financier et à la mise en œuvre de ces orientations dans le cadre des organes de gouvernance des entreprises.

Ainsi, EDF devra détenir au minimum 51 % du capital et des droits de vote d’AREVA NP, filiale d’AREVA spécialisée dans la construction de réacteurs, la fabrication des assemblages de combustibles et les services de maintenance.

Le plan de redressement d’AREVA s’articule autour de plusieurs axes : un plan de performance, qui porte ses premiers fruits avec l’amélioration du résultat opérationnel et des cessions d’actifs non stratégiques.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur le secrétaire d’État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Je reconnais, monsieur le président, avoir été un peu long…

M. le président. Il semble surtout que vous ne répondiez pas à la question…

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Je crois, au contraire, y avoir répondu très directement ! (Exclamations sur divers bancs.)

M. Bernard Accoyer. En tout cas, c’était très intéressant !

M. le président. Vous avez répondu par anticipation à une autre question ; même les Américains ne le font pas. (Sourires.)

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Je reprendrai donc la parole plus tard, monsieur le président.

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. André Chassaigne. Monsieur le secrétaire d’État, je pose cette question au nom de mon collègue Gabriel Serville, député de la Guyane, qui ne peut être présent cet après-midi. Elle doit entrer dans le champ de notre débat : celui-ci porte sur « le coût de la filière nucléaire », intitulé qui n’exclue pas le nucléaire militaire.

La France consacre chaque année 3,6 milliards d’euros à l’entretien et à la modernisation de sa force de frappe nucléaire, soit l’équivalent de l’effort demandé à nos collectivités du fait de la baisse de leurs dotations – voilà une comparaison intéressante.

Selon un rapport, publié en 2012, de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, cette force de frappe nous a ainsi déjà coûté 300 milliards d’euros et il nous coûtera encore 32 milliards dans les quinze prochaines années.

Notre stratégie de dissuasion peut pourtant être garantie par d’autres moyens que les armes. Selon un sondage réalisé en octobre 2015 par l’IFOP, 74 % des Français sont favorables à une interdiction totale des armes nucléaires dans le monde. Le peuple français n’a cependant jamais été consulté sur ce sujet majeur.

M. Bernard Accoyer. Cette question n’a rien à voir avec notre débat !

M. Michel Sordi. Nous devons lutter contre le terrorisme !

M. André Chassaigne. Aussi, Gabriel Serville vous demande de bien vouloir nous éclairer à propos de la position du Gouvernement concernant l’interdiction et l’élimination complète des armes nucléaires.

M. Benoist Apparu. Notre collègue est favorable au désarmement unilatéral ! C’est ridicule !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Cette question relève certes d’un autre ordre…

M. Benoist Apparu. C’est le moins qu’on puisse dire !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. …mais il est de mon devoir de répondre aux interrogations de M. Serville, transmises par l’intermédiaire de M. Chassaigne.

M. Bernard Accoyer. M. le secrétaire d’État est bien aimable !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Effectivement !

La période 2014-2019 prévoit la poursuite de la modernisation des composantes aéroportées et océaniques, ainsi que la préparation de leur renouvellement.

M. Bernard Accoyer. Hors sujet !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Mais cela vous intéresse aussi !

Le budget 2016 s’inscrit dans cette dynamique. Les ressources consacrées à la dissuasion dans le projet de loi de finances pour 2016 sont conformes à celles qui étaient inscrites dans le projet de loi de programmation militaire, à savoir 3,6 milliards d’euros en crédits de paiement.

L’entretien des forces de la dissuasion vise au maintien en condition opérationnelle des systèmes d’armes et des infrastructures nucléaires, afin de respecter dans la durée des exigences toujours plus draconiennes en matière de sécurité.

En 2016, environ 1,5 milliard d’euros sont consacrés à l’entretien des forces de la dissuasion, soit 40 % de l’ensemble du programme de dissuasion. Cet effort budgétaire consacré à l’entretien est globalement sanctuarisé pour toute la période couverte par la loi de programmation.

Vous comprendrez, monsieur le député, que je ne n’aille pas plus avant dans ma réponse, votre question soulevant des points sans rapport direct avec notre débat, à savoir la pertinence de l’appui de la stratégie de défense française sur la dissuasion nucléaire et la position de la France sur le sujet complexe du désarmement nucléaire mondial.

M. Bernard Accoyer. Vaste sujet !

M. André Chassaigne. Au nom de M. Serville, je vous remercie pour votre réponse, monsieur le secrétaire d’État.

M. le président. La parole est à M. Christophe Premat, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Christophe Premat. Monsieur le secrétaire d’État, ma question porte sur les moyens de valoriser notre expertise en matière de sécurisation des installations nucléaires, c’est-à-dire, en fait, sur le coût de cette sécurisation.

La sûreté des installations est remise en cause par une double tension. Avec une moyenne d’âge de vingt-huit ans, le parc nucléaire mondial vieillit ; d’ici à une décennie, la moitié des réacteurs nucléaires dans le monde avoisineront les quarante ans, sans que soient vraiment connues les conditions et les coûts liés à leur prolongation éventuelle jusqu’à soixante ans. À ce vieillissement s’ajoute la pression de la rentabilité, incitant les opérateurs à réduire les coûts, par exemple en ayant recours à une sous-traitance bon marché, ce qui peut avoir un impact sur la sûreté des installations.

La filière nucléaire française connaît quelques succès importants ; je pense au réacteur EPR d’Olkiluoto 3, en Finlande, dont vous avez parlé, monsieur le secrétaire d’État – à ce jour, le projet accumule neuf ans de retard par rapport au calendrier initialement prévu – ou aux deux EPR britanniques, pour lesquels EDF a fait appel à des partenaires étrangers finançant le coût de la construction à hauteur d’un tiers. Toutefois, les exportations françaises restent limitées, face à l’émergence de la Chine sur le marché de l’énergie et à la solidité de la filière nippo-américaine.

M. Bernard Accoyer. Sans oublier les Russes !

M. Christophe Premat. S’il y a un point sur lequel nous pourrions gagner en crédibilité sur la scène internationale, c’est bien celui de la sécurité de la filière. La France est dotée d’une autorité spécialisée, l’ASN, dont le rôle est fondamental mais qui, contrairement à la Nuclear Regulatory Commission américaine, n’a pas les moyens d’être présente sur le plan international. Cette dernière a en effet la capacité d’édicter et d’imposer des normes mais aussi de fournir les cadres réglementaires et de sûreté. Le Président de la République se rendra d’ailleurs jeudi et vendredi à Washington pour assister à un sommet sur la sécurité nucléaire, au cours duquel seront évoqués les différents types de risque.

Au regard de tous ces éléments, est-il envisageable de réformer l’ASN et l’IRSN afin de leur donner les moyens publics d’améliorer leur capacité de prescription, pour qu’ils puissent conseiller les entrants dans la filière et assurer à celle-ci une position internationale et européenne plus avantageuse ?

M. Jean-Yves Le Déaut. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Monsieur le député, le Gouvernement, vous l’avez rappelé, considère la sûreté nucléaire comme un élément incontournable de sa politique énergétique.

Au niveau national, il est ainsi attentif à ce que le dispositif public en matière d’expertise et de contrôle, constitué par l’ASN et l’IRSN, dispose de moyens proportionnés aux enjeux de sûreté. La loi relative à la transition énergétique a d’ailleurs considérablement renforcé les pouvoirs de l’ASN ainsi que la transparence des systèmes de contrôle, par exemple en rendant publics les avis de l’IRSN.

Sur le plan international, l’expertise française en matière de sûreté constitue un atout, et même un atout majeur, pour la compétitivité de notre offre nucléaire globale. Tout à l’heure, j’ai entendu l’énumération des pays qui, bizarrement, continuent, à la fois sur le plan industriel et sur le plan de la production énergétique, d’investir dans le domaine nucléaire.

M. Denis Baupin. « Bizarrement » : le mot est bien trouvé !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. L’un des éléments majeurs de la compétitivité française, vous avez eu raison de le souligner, monsieur Premat, est le degré de sûreté de la filière et sa qualité d’expertise, tant en matière de construction que de vérification.

M. Bernard Accoyer. Tout à fait !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Il faut le rappeler – sans pour autant faire preuve d’arrogance – car nous n’avons pas souvent l’occasion d’exprimer notre satisfaction…

L’ASN et l’IRSN, ainsi que l’ANDRA, sont d’ores et déjà impliqués dans de nombreuses coopérations internationales, notamment là où il existe des enjeux industriels et commerciaux pour la France.

Le Gouvernement, comme il l’a fait par le passé, continuera à accompagner le rayonnement à l’international de ces compétences françaises.

Vous avez également pointé les enjeux de sécurité liés à la sous-traitance. Je tiens à souligner que la loi relative à la transition énergétique a apporté plusieurs avancées s’agissant des conditions d’exercice de la sous-traitance dans le nucléaire. Elle a introduit dans le code de l’environnement un article prévoyant l’encadrement du recours à des prestataires ou à la sous-traitance : l’exploitant ne peut dorénavant confier à un prestataire la maîtrise d’œuvre de la sûreté de son installation et limite la sous-traitance à trois niveaux pour les activités liées au fonctionnement et au démantèlement des sites.

Vous avez raison, monsieur le député, de m’interroger à propos des organismes de contrôle et de sûreté. Croyez bien que nous avons la volonté de faire rayonner l’expertise française en la matière, pour des raisons éthiques mais également industrielles et commerciales.

M. le président. Nous en venons aux questions du groupe Les Républicains.

La parole est à M. Michel Sordi.

M. Michel Sordi. La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte prévoit de porter à 50 % la part d’électricité d’origine nucléaire à l’horizon 2025. Tout le monde sait que cet objectif est inatteignable, d’autant que, pour l’atteindre, il faudrait mettre à l’arrêt quinze réacteurs sur le territoire national, ce qui est impossible à réaliser – et évidemment plus encore à financer.

M. Denis Baupin. Ah bon ?

M. Michel Sordi. Je rappelle que l’énergie nucléaire est aussi une énergie propre, avec un impact nul en termes de rejets de gaz à effet de serre, et que le prix de l’électricité est moitié moins cher en France que chez nos voisins allemands, qui remettent d’ailleurs en service des centrales au charbon, très polluantes.

L’arrêt de Fessenheim entraînera le paiement d’indemnités à EDF mais également à nos voisins suisses et allemands, partenaires à hauteur respectivement de 15 et de 17,5 %.

Outre le volet financier, cet arrêt poserait un gros problème social. Nous considérons comme une véritable hérésie de supprimer 2 000 emplois directs et indirects, liés à une usine qui fonctionne bien et est bénéficiaire pour EDF. (Exclamations sur les bancs du groupe écologiste.)

Les conséquences pour le bassin de vie sont impressionnantes : perte de 50 millions d’euros d’impôts et taxes versés aux différentes collectivités, dont les recettes sont actuellement en baisse ; fermetures de classes, de commerces, d’hôtels, de fournisseurs ; abandon de plusieurs centaines de maisons par leurs occupants, puisque les salariés quitteront le secteur.

Je rappelle que la centrale Fessenheim a fait l’objet d’un investissement de 300 millions d’euros pendant la troisième visite décennale et que 15 millions d’euros ont été dépensés dans les travaux post-Fukushima, pour améliorer encore et toujours la sûreté des installations. Cela a conduit l’ASN à classer cette centrale parmi celles qui intègrent le niveau d’exigence le plus récent, monsieur Baupin.

Pour conclure, il n’existe aujourd’hui aucun projet concret en vue d’installer des entreprises et de recréer les 2 000 emplois qui seraient supprimés.

Pouvez-vous me dire, monsieur le secrétaire d’État, combien coûterait l’arrêt des deux réacteurs nucléaires ? Pouvez-vous me dire si le Gouvernement a un plan de revitalisation du secteur de Fessenheim ? Pouvez-vous me dire combien la France devrait verser à ses partenaires suisses et allemands si Fessenheim devait fermer ?

Il est certain qu’il faudra un jour fermer Fessenheim, lorsque l’ASN l’aura décidé. En attendant, utilisons donc les bénéfices de cette centrale pour financer les énergies renouvelables.

M. Bernard Accoyer et M. Jean-Pierre Decool. Très bien !

M. Éric Straumann. Bravo !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. En octobre 2015, à la suite de la demande d’EDF de reporter la date de mise en service de l’EPR de Flamanville, la ministre de l’environnement a formellement demandé à EDF de déposer la demande d’autorisation d’exploiter l’EPR de Flamanville accompagnée d’une demande d’abrogation de l’autorisation d’exploiter des réacteurs d’une capacité équivalente dès l’été 2016. La ministre a également pris note de ce que la fermeture de deux réacteurs du site de Fessenheim était l’unique hypothèse d’EDF.

Par conséquent, après consultation de ses instances, EDF déposera une demande d’abrogation de l’autorisation d’exploiter pour les deux réacteurs de Fessenheim. Sur cette base, le Gouvernement prendra en 2016 les actes administratifs engageant la mise à l’arrêt définitive de la centrale, qui sera évidemment conduite dans le respect des prescriptions de sûreté édictées par l’ASN.

M. Bernard Accoyer. Il serait raisonnable d’attendre que les Français se prononcent !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. En application du plafonnement de la capacité nucléaire installée à 63,2 gigawatts, prévue par la loi, l’EPR de Flamanville ne pourra pas être mis en service avant la mise à l’arrêt définitive de la centrale de Fessenheim, ce qui laisse un certain temps… (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Éric Straumann. Trois ou quatre ans !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. C’est vous qui nous avez expliqué qu’il était important de prévoir de nouvelles centrales.

M. Bernard Accoyer. C’est la méthode des Verts : ils disent des contrevérités et intoxiquent tout le monde !

M. le président. Mes chers collègues, seul le secrétaire d’État a la parole !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. La centrale de Fessenheim sera donc démantelée au plus vite, dans le respect des prescriptions imposées.

D’ici à la mise à l’arrêt définitive de la centrale, des mesures de reclassement des emplois qui lui sont liés et de reconversion du site seront prises.

M. Éric Straumann. Financés à partir de quelle enveloppe ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Le Gouvernement, en collaboration avec les collectivités locales, a d’ores et déjà étudié ces mesures de revitalisation économique qui feront suite à la fermeture.

M. Éric Straumann. Nous ne sommes pas au courant ! Jamais nous n’avons été contactés !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Tout d’abord, EDF continuera d’employer plusieurs centaines de personnes pendant toute la phase de démantèlement – elle devrait durer une vingtaine d’années, ce qui offre une certaine perspective.

Par ailleurs, le Gouvernement travaille depuis 2013 à recourir aux contrats de plan État-région afin de soutenir l’emploi, de renforcer l’attractivité économique et de développer les sites européens d’innovation, en lien avec les États voisins outre-Rhin.

M. Éric Straumann. C’est scandaleux !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. S’agissant des retombées fiscales, durant toute la phase de démantèlement, la centrale de Fessenheim continuera de s’acquitter d’un montant significatif de taxes. Les coûts techniques de la fermeture de Fessenheim – démantèlement, gestion des déchets, etc. –sont d’ores et déjà provisionnés par EDF.

La discussion est donc dès à présent engagée.

M. Bernard Accoyer. Ce n’est pas seulement un scandale, c’est une trahison !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.

M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le secrétaire d’État, l’Allemagne a fait le choix d’une transition énergétique en se fixant l’objectif de 80 % d’électricité issus de sources renouvelables d’ici à 2022, ambition louable, certes. Toutefois ses émissions de CO2 sont en hausse de 3 %.

M. Denis Baupin. Faux !

M. Jean-Pierre Decool. Du fait d’un recours accru au charbon, l’Allemagne est devenue, ces dernières années, l’un des pays européens les plus pollueurs.

M. Denis Baupin. Faux !

M. Jean-Pierre Decool. La transition énergétique à l’allemande a donc montré ses limites.

Pour la France, tant que d’autres énergies bon marché, peu polluantes et en quantité suffisamment abondantes n’auront pas été trouvées, le Gouvernement a fait le choix du nucléaire, je m’en félicite.

Ce choix n’est pourtant pas sans poser de problème, notamment en ce qui concerne la durée de vie des centrales nucléaires. Notre pays exploite cinquante-huit réacteurs, dont la moyenne d’âge est de trente ans et qui sont conçus pour en fonctionner quarante. Leur démantèlement théorique est donc tout proche.

Le Gouvernement a récemment décidé de repousser de dix ans la fermeture des centrales mais nous ne pourrons pas indéfiniment rallonger les délais, monsieur le secrétaire d’État. Un jour ou l’autre, il faudra bien démanteler les centrales nucléaires pour en construire d’autres.

Quel sera le coût de ce démantèlement ? Avez-vous un montant précis à nous annoncer ?

Se pose également la question du stockage des déchets, qui représente un coût non négligeable.

M. Denis Baupin. Absolument !

M. Jean-Pierre Decool. Là encore, quel en sera le montant précis ?

Plus précisément, la centrale nucléaire de Gravelines, située dans ma circonscription, a plus de trente-cinq ans de service. À ce sujet, je veux rendre hommage à l’ensemble de l’encadrement et du personnel technique, ainsi qu’au président et aux membres de la commission locale d’information, dont je salue la vigilance.

J’ai eu à plusieurs reprises l’opportunité de visiter cette centrale et de constater sa très bonne gestion. Quel est son avenir ?

Je vous remercie par avance des réponses claires et précises que vous serez en mesure de m’apporter, monsieur le secrétaire d’État.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Monsieur le député, le parc nucléaire français est constitué de cinquante-huit réacteurs, dont un nombre important va atteindre quarante ans de fonctionnement. La loi française encadre la méthode de constitution des provisions, je l’ai déjà dit tout à l’heure.

Au 31 décembre 2014, EDF évaluait le coût du démantèlement de son parc de cinquante-huit réacteurs à 19 milliards d’euros, correspondant à une provision de 11 milliards d’euros. Cette évaluation repose sur une durée de vie des centrales de quarante ans.

Le système français de contrôle des charges de long terme est robuste, nous l’avons dit. À ce titre, les coûts de démantèlement des réacteurs ont été expertisés pendant un an par des tiers, sous le contrôle de l’administration. Le rapport est public : ces travaux renforcent la transparence sur le coût de démantèlement du parc d’EDF, sur lequel porte votre première question. L’audit conforte globalement l’estimation par EDF du coût du démantèlement de son parc nucléaire.

La deuxième partie de votre question porte sur la gestion des déchets. Les matières et les déchets radioactifs doivent être gérés de façon durable, dans le respect de la protection de la santé des personnes, de l’environnement et de la sécurité. La limitation des charges qui seront supportées par les générations futures doit être recherchée.

Aussi, le cadre législatif français a confié la gestion des déchets radioactifs à un établissement public indépendant, l’ANDRA. Il est possible d’estimer que 90 % du volume des déchets radioactifs disposent déjà d’une filière de gestion en exploitation.

Afin de progresser dans la gestion des déchets et de préparer la mise en place les nouvelles filières, le Gouvernement travaille à la mise à jour du Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs. En application du principe pollueur-payeur, toutes les charges des solutions de gestion des déchets radioactifs sont financées par les producteurs actuels des matières et déchets radioactifs.

Le troisième volet de votre question touche à la centrale de Gravelines. Sur le parc actuel, il y aura des prolongations, des arrêts, pour des raisons de sûreté et d’économies, et aussi, à plus long terme, des constructions de nouveaux réacteurs. C’est à EDF de déterminer progressivement les options générales et les propositions pour chaque centrale.

Gravelines est une centrale importante puisqu’elle rassemble six réacteurs de 900 mégawatts, qui atteindront leur quarante ans dans la deuxième partie de la décennie 2020. Dans quelques années, la question de la prolongation se posera donc, dans le cadre d’une vision globale et au cas par cas, pour chacun des six réacteurs. On ne peut préjuger, à ce stade, des décisions d’EDF.

Je ferai seulement remarquer que le site de Gravelines représente 9 % de notre capacité nucléaire. Il semble donc logique d’imaginer qu’il perdurera au moins en partie par prolongation ou en fonction de nouvelles évolutions.

M. Éric Straumann. Pourquoi ferme-t-on Fessenheim, alors ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Je viens d’expliquer un peu rapidement que…

M. le président. S’il vous plaît ! La discussion se déroule dans un cadre organisé.

La parole est à M. Jacques Krabal, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Jacques Krabal. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre débat suscite des exaltations et, si ces passions sont souvent exacerbées, c’est non seulement pour des raisons idéologiques mais aussi à cause des risques entraînés par le nucléaire et des angoisses que cela suscite. Il présente un défaut majeur, rédhibitoire pour certains : il fait courir des risques potentiellement graves. Les risques naturels et industriels sont innombrables. Ils ne constituent pas un fait nouveau et sont mêmes aggravés par l’activité humaine.

Dans le nucléaire, le risque est une seconde nature ; il est permanent. Devant l’impossibilité du risque zéro, le soupçon et l’inquiétude progressent. Nous demandons la plus grande protection à la technique, qui devient elle-même source d’incertitude et d’angoisse.

Pour limiter cet auto-entretien du risque dans le secteur nucléaire, des acteurs indépendants remarquables sont chargés du contrôle, de la sûreté et de la protection, mais aussi de l’expertise. Je pense à l’ASN et bien évidemment à l’IRSN. Ces acteurs ont une histoire. Leur rôle, leur organisation, leur indépendance, leurs missions ont beaucoup évolué ces dix ou quinze dernières années, pour participer à la réduction maximale du risque. Leur expertise est reconnue internationalement.

Quelles que soient nos divergences, il me semble que nous devons nous rassembler pour affirmer que ces acteurs doivent pouvoir remplir leurs missions dans les meilleures conditions possibles. C’est l’une des dernières recommandations de l’excellent rapport Brottes-Baupin, que j’appuie volontiers, en ma qualité de rapporteur budgétaire du programme 181 « Prévention des risques ».

Même si le niveau de sécurité en France demeure parmi les plus élevés au monde, je pense qu’il faut le dire : les crédits ont baissé ces dernières années. Nous avons, je crois, de bonnes raisons d’être préoccupés. Même si le budget de l’ASN a été sanctuarisé et même si trente postes ont été accordés pour 2015-2017, cet effort me paraît insuffisant au regard des enjeux.

Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous dire comment le Gouvernement compte prioriser, dans les prochains budgets, la mission primordiale de la sûreté nucléaire ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Les moyens humains et financiers consacrés au contrôle de l’ASN et de l’IRSN ont augmenté régulièrement et fortement depuis plus de dix ans, plus particulièrement, bien sûr, à la suite de l’accident de Fukushima. Chacune de ces structures a vu ses effectifs renforcés de vingt-deux emplois et ceux de l’ASN seront encore complétés par trente équivalents temps plein au cours de la période 2015-2017.

La diminution de la subvention pour charge de service public allouée à l’IRSN est compensée par la contribution payée par les exploitants nucléaires depuis 2011, qui a atteint 62 millions d’euros en 2015. Par ailleurs, cet institut bénéficie de financements complémentaires, au titre des investissements d’avenir, pour ses actions de recherche post-Fukushima, ce qui représente un montant de 18 millions d’euros sur une période de six à huit ans.

Voilà qui démontre que la sûreté nucléaire reste une priorité absolue du Gouvernement.

Régulièrement formulée, la proposition de créer une taxe affectée à l’ASN a été expertisée à plusieurs reprises par le ministère des finances. Il apparaît qu’elle présente sans doute plus d’inconvénients que d’avantages ; elle va notamment à l’encontre de la politique de maîtrise des taxes affectées, suivie par le Gouvernement.

Je crois avoir répondu, monsieur le député, à vos préoccupations bien légitimes.

M. Jacques Krabal. Merci !

M. le président. Le débat sur le coût de la filière nucléaire et la durée d’exploitation des réacteurs est clos.

Je vous rappelle que nous poursuivons nos travaux salle Lamartine.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-sept heures cinquante en salle Lamartine.)

M. le président. La séance est reprise.

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Débat sur le développement d’AREVA et l’avenir de la filière nucléaire

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le rapport d’information de la commission des finances sur les perspectives de développement d’AREVA et l’avenir de la filière nucléaire.

La conférence des présidents a décidé d’organiser ce débat en deux parties. Nous commencerons par une table ronde d’une durée d’une heure en présence des personnalités invitées, puis nous procéderons, après une intervention liminaire du Gouvernement, à une séquence de questions et de réponses, avec d’éventuelles répliques et contre-répliques.

Je vous rappelle que, dans cette seconde partie, les interventions ne devront pas dépasser deux minutes.

Nous avons la chance d’accueillir quatre invités. Nous vous remercions de votre présence et, comme nous en sommes convenus, nous vous proposons de vous exprimer chacun durant cinq minutes. La suite des débats sera plus interactive.

Table ronde

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claire Cailletaud, responsable des questions énergétiques et industrielles à la Fédération nationale des mines et de l’énergie-CGT.

Mme Marie-Claire Cailletaud, responsable des questions énergétiques et industrielles à la Fédération nationale des mines et de l’énergie-CGT. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, la FNME-CGT vous remercie de cette initiative qui va lui permettre de vous livrer son point de vue sur un sujet aussi important que l’avenir de la filière nucléaire française.

Répondre aux besoins énergétiques du pays dans le cadre de la diminution des émissions de gaz à effet de serre, mais également de notre empreinte carbone, implique d’utiliser le mix énergétique le plus approprié à l’aune de critères économiques, sociaux et environnementaux.

Dans ce cadre, la production nucléaire devrait conserver une part décisive dans la production d’électricité, laquelle va être sollicitée par le développement de nouveaux usages. C’est un atout industriel de notre pays qu’il nous faut préserver. Rappelons que la pauvreté énergétique conduit 11 millions de personnes, en France, à se priver d’une part de certaines consommations de première nécessité. Par ailleurs, un coût compétitif de l’électricité concourt à la performance des entreprises et est un atout pour la réindustrialisation du pays. En outre, rappelons que la filière nucléaire reste solidement implantée sur le territoire national et qu’elle emploie environ 400 000 salariés.

Alors que l’avenir de la production d’électricité en France requiert une stratégie et un engagement de long terme de la puissance publique, les gouvernements successifs ont, depuis vingt ans, laissé faire les directions d’EDF et d’AREVA et soutenu toute une série d’initiatives qui déstabilisent le secteur et fragilisent sa capacité à répondre aux enjeux. Le Gouvernement actionnaire ne voit dans les entreprises qu’une source de dividendes pour son budget et affaiblit leur capacité à investir pour l’avenir. Les directions d’EDF et d’AREVA ont mené des politiques à courte vue qui ont conduit à la situation actuelle : elles sont concurrentes alors que leurs métiers et leurs compétences sont complémentaires ; elles ne prennent pas en compte les pertes de connaissances et les caractéristiques du tissu industriel ; enfin, les aventures à l’international ont fait perdre beaucoup d’argent.

S’agissant plus précisément d’EDF, le rapport parlementaire de Mme Valter, rendu public le 5 mars 2015, élaboré dans le cadre de la commission d’enquête sur les tarifs de l’électricité présidée par M. Gaymard, évoque un « État incohérent et perturbateur » qui « a tour à tour considéré EDF soit comme une vache à lait, soit comme un pompier ». Après avoir estimé qu’« EDF a supporté – et continue de supporter – des charges de service public », le rapport évoque, à propos de l’État, un « actionnaire faiblement impliqué dans la gestion de l’entreprise », « trop boulimique » et qui, « en dépit de la situation financière de l’entreprise, de son endettement et de son niveau élevé d’investissement, […] continue de prélever un dividende qui contribue au redressement des finances publiques ». L’année 2016 marque, il est vrai, une exception.

À cela s’ajoutent les ravages causés par la déréglementation du secteur énergétique impulsée par l’Europe libérale et mise en œuvre par nos gouvernements. Ce phénomène conduit à une forme de désorganisation et fait courir le risque, à moyen terme, de la survenance de tensions et d’une situation de dépendance énergétique en Europe, tant la vue financière à court terme du marché est inadaptée à une industrie qui demande des investissements conséquents et se caractérise par des retours sur le temps long.

Par ailleurs, le manque de vision de l’État concernant les questions industrielles et, en particulier, le sujet énergétique, est dramatique. Ouverture des concessions hydrauliques à la concurrence, fermeture des moyens thermiques classiques, régionalisation de l’énergie, fermeture – relevant de l’affichage – de moyens de production nucléaire au titre de considérations politiciennes : cela fait tout de même beaucoup !

Enfin, les dernières déclarations de M. Macron en disent long sur sa méconnaissance du sujet. Le ministre de l’économie a en effet mené une charge contre les prétendus avantages des salariés d’EDF, alors que les salaires ne représentent que 9 % du chiffre d’affaires de la société.

C’est ce contexte global qu’il faut appréhender pour apprécier l’opportunité du projet nucléaire anglais de Hinkley Point. Nos analyses ont été élaborées avec les salariés des différents métiers impliqués, qui connaissent particulièrement bien le sujet. Notre raisonnement, qui englobe les volets industriel, social et financier, est partagé par les personnels des entreprises, au vu des résultats de la consultation que nous avons engagée et des réponses que nous avons obtenues. Elles sont également partagées par d’autres organisations syndicales, comme la CGC et FO, dont plusieurs représentants assistent d’ailleurs à notre débat. C’est parce que nous pensons qu’il est impératif pour la filière nucléaire française que la construction du réacteur anglais soit une réussite, que nous devons lancer ce projet en mettant le maximum d’atouts de son côté.

Les réacteurs pressurisés européens – EPR – en construction, et parmi eux celui de Flamanville, subissent des dérives de planning et de coût. Cela n’est pas pour nous étonner, puisqu’à plusieurs reprises nous avons essayé d’alerter sur ce sujet.

Permettez-moi de retracer, en quelques traits, l’histoire de ce dossier. Alors que les équipes françaises ont su construire un parc nucléaire unique au monde et qu’elles commençaient à étudier le modèle suivant, le Président de la République de l’époque a imposé une alliance avec Siemens pour élaborer un modèle franco-allemand. Nous avons alors largement alerté sur cette décision politique dépourvue de réelle vision industrielle. Nous avions prévenu que cette démarche conduirait à complexifier le processus de travail, avec toutes les conséquences négatives que cela peut entraîner.

Entre-temps, Siemens a quitté le navire et les ressources humaines ont subi de plein fouet le moratoire nucléaire, ce qui a entraîné des pertes de compétences précieuses. La désindustrialisation de la France a compromis notre capacité à gérer de grands chantiers et a tari les ressources au sein du tissu industriel des PME-PMI. La désorganisation du travail et la sous-traitance à outrance ont affaibli encore davantage notre capacité à mener à bien ce projet industriel. De fait, nous sommes confrontés non pas à un problème nucléaire, mais bien à un problème industriel.

L’affaiblissement des entreprises et la crise majeure que traverse AREVA ont conduit le Gouvernement à décider d’un sauvetage financier d’AREVA par EDF, avec la prise de contrôle d’AREVA Nuclear Power – AREVA NP. La CGT a montré, non seulement l’opération présentait un caractère essentiellement financier et conduisait à des organisations complexifiées, mais que, de surcroît, aucune stratégie de reconstruction d’une filière du nucléaire n’était envisagée. Ce processus, déjà engagé, est loin d’être stabilisé.

Il nous semble crucial, si nous voulons être en mesure de remettre en ordre de marche la filière nucléaire française, de recréer les collectifs de travail, de mettre de nouveau à disposition les compétences manquantes et d’offrir rapidement des perspectives claires à toute la filière. Nous serons ainsi à même de mener à son terme au mieux le chantier de Flamanville et d’en tirer les premiers retours d’expérience, de concentrer les moyens humains et financiers, au cours des années à venir, au bénéfice de la prolongation du parc nucléaire et de la mise au point d’un EPR optimisé, plus rapide à construire et représentant un outil permettant de renouveler le parc actuel.

C’est ce modèle qui permettrait d’entamer la coopération avec la Grande-Bretagne dans les meilleures conditions, d’ici deux à trois ans, si l’on y met les moyens. On nous dit que ne pas engager ce projet conduirait à tuer la filière nucléaire française. Nous affirmons, pour notre part, que l’échec technique et le préjudice financier – le risque est réel en la matière – porteraient un coup terrible à la filière française. Aussi proposons-nous de renégocier avec le gouvernement britannique sur la base d’un nouveau modèle fondé sur un coût et des délais réalistes.

On nous dit que l’Angleterre pourrait se tourner vers d’autres fournisseurs nucléaires. Lesquels ? Seul l’EPR est certifié par l’autorité de sûreté anglaise et seul EDF possède les terrains préparés et l’autorisation de construire. Si un concurrent voulait mener à bien un tel projet, il serait contraint d’engager des démarches durant plusieurs années.

Tout en étant conscients que cette proposition et les constats que nous dressons s’agissant de l’EPR sont utilisés par ceux qui veulent en finir avec l’industrie nucléaire et avec EDF, nous estimons nécessaire d’exposer, sans rien en dissimuler, la réalité contradictoire de la filière nucléaire, pour éclairer des décisions lourdes de conséquences pour la survie des entreprises EDF et AREVA, et pour l’avenir du système électrique en France.

M. le président. La parole est à M. Dominique Minière, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction du parc nucléaire et thermique.

M. Dominique Minière, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction du parc nucléaire et thermique. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, j’interviendrai en ma qualité de directeur du parc nucléaire et thermique d’EDF ainsi qu’au nom de Xavier Ursat, directeur de l’ingénierie et des projets du « nouveau nucléaire » à EDF.

Je vous remercie tout d’abord de me donner l’occasion de venir exposer notre vision de la filière nucléaire française. Il me semble important, dans un premier temps, de vous parler de cette filière. Je développerai ensuite ce que je considère être un programme industriel dimensionnant en France : le « grand carénage », qui constitue un socle pour la réussite de la transition énergétique. Je terminerai sur le développement du nucléaire, en France et à l’international.

Rappelons tout d’abord que nous assumons aujourd’hui la responsabilité de l’exploitation du premier parc nucléaire au monde. De fait, EDF exploite en France un parc de 58 réacteurs, répartis sur 19 sites, ainsi que 15 réacteurs au Royaume-Uni, par l’intermédiaire d’EDF Energy – à rapporter à un parc mondial qui compte environ 450 réacteurs.

La France maîtrise l’ensemble de la chaîne de valeur de la production nucléaire, de l’extraction de l’uranium à la construction de centrales nucléaires, en passant par la fabrication et le retraitement du combustible, la déconstruction et le conditionnement des déchets. L’indépendance énergétique de la France se trouve donc consolidée par l’autonomie technologique de l’industrie nucléaire, qui maîtrise tous les procédés qu’elle utilise.

En 2015, les 19 centrales nucléaires françaises ont dépassé leur objectif de production en atteignant en toute sûreté près de 417 térawattheures, une performance supérieure aux 416 kilowattheures de l’année précédente, qui était déjà une très bonne année. Nous sommes parvenus à ce résultat grâce à la qualité de préparation des arrêts de tranche, fruit d’une collaboration quotidienne et performante entre nos sites de production, nos centres d’ingénierie et nos partenaires industriels.

Nous avons le souci de l’excellence ; c’est ce qui nous guide, c’est ce qui fait aujourd’hui notre réputation. Notre compétence d’exploitant nucléaire et la performance de notre parc sont reconnues en France et à l’échelle internationale. Nous bénéficions d’un véritable rayonnement sur la scène internationale. Le rôle clé que nous jouons aujourd’hui dans WANO – World Association of nuclear operators, l’Association mondiale des exploitants nucléaires – en témoigne, puisque nous en présidons les destinées depuis maintenant presque dix ans.

Notre parc nucléaire fournit une électricité sûre, bas carbone, compétitive, qui contribue à l’indépendance énergétique de notre pays et autour de laquelle s’est constituée une filière industrielle elle-même exceptionnelle. La filière nucléaire constitue, avec ses 220 000 salariés, le troisième secteur industriel français après l’automobile et l’aéronautique et s’appuie sur un réseau de 2 500 entreprises, dont une part importante d’entreprises de taille intermédiaire, de PME et de PMI bien placées à l’exportation. Il s’agit d’emplois hautement qualifiés dans différents domaines, comme la métallurgie, la mécanique et l’électronique. Ces emplois sont largement répartis sur le territoire français. Une part d’entre eux est locale, située au plus près des centrales, dans des territoires souvent déshérités sur les plans économique et industriel.

Plusieurs États européens – notamment la France et le Royaume-Uni – et américains ont décidé de réaliser d’importants plans d’investissements pour prolonger la durée d’exploitation de leur parc nucléaire en toute sûreté. C’est tout l’enjeu en France du grand carénage, programme industriel qu’a engagé EDF sur son parc nucléaire existant pour le rénover, en augmenter encore la sûreté et prolonger sa durée de fonctionnement. Le caractère exceptionnel de ce programme industriel tient à deux raisons principales : d’une part, le cycle de vie du parc existant, et, d’autre part, les améliorations significatives de sûreté.

S’agissant du cycle de vie des centrales, le parc français a été construit pour l’essentiel sur une période extrêmement courte – une dizaine d’années – à compter du début des années quatre-vingt. Le renouvellement de certains gros composants se trouve donc concentré lui aussi sur une dizaine d’années, environ trente ans plus tard. Concernant par exemple les remplacements des transformateurs de puissance, cinquante-deux opérations sont concentrées sur la période 2015-2019.

En ce qui concerne les améliorations significatives de sûreté, à la suite notamment de l’accident de Fukushima, elles doivent être réalisées suivant un calendrier industriel et réglementaire très exigeant. Les diesels dits d’ultime secours doivent par exemple être opérationnels avant la fin de l’année 2018 pour les 58 réacteurs. À ces améliorations s’ajoutent les avancées significatives qui nous sont demandées en termes de sûreté pour exploiter les réacteurs au-delà des quarante ans, à savoir rapprocher autant que possible le niveau de sûreté des réacteurs existants de celui des réacteurs de troisième génération.

Ce programme visant à permettre la prolongation de la durée de fonctionnement du parc au-delà de quarante ans s’appuie sur une réalité technique déjà mise en œuvre dans d’autres pays tels que la Suisse, la Belgique et les États-Unis. À titre d’exemple, la centrale de Beaver Valley, qui a servi de référence pour notre palier 900 mégawatts, a obtenu de l’équivalent de l’Autorité de sûreté nucléaire aux États-Unis, la NRC – Nuclear Regulatory Commission –, l’extension de licences à soixante ans en 2009.

Le programme grand carénage est un programme industriel d’une ampleur exceptionnelle qui revêt des enjeux importants pour la France. Il permet la transition énergétique, car son engagement est progressif et sera en ligne avec la programmation pluriannuelle de l’énergie prévue par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

L’effort financier du grand carénage représente la solution la plus compétitive pour le client final. Nous optimisons et lissons en permanence notre trajectoire d’investissements. Nous estimons aujourd’hui que ce programme nécessitera environ 51 milliards d’euros d’investissements sur la période 2014-2025, une estimation en diminution par rapport l’estimation initiale de 55 milliards d’euros. Ce montant renvoie à un niveau récurrent d’investissements de maintenance et d’amélioration d’environ 3 milliards d’euros par an sur un parc tel que le nôtre et à des investissements supplémentaires de l’ordre de 1 à 2 milliards d’euros par an liés au caractère exceptionnel du programme. Après 2025, les investissements devraient décroître progressivement pour retrouver le rythme récurrent d’environ 3 milliards d’euros par an à l’horizon de 2030.

Dans son rapport public annuel de 2016, la Cour des comptes avance un montant global de 100 milliards d’euros, mais ce chiffre porte sur un horizon temporel plus éloigné – 2030 – et un périmètre plus large, qui inclut, en sus des investissements, certaines dépenses d’exploitation. La Cour précise d’ailleurs clairement dans son rapport que son estimation est en parfaite cohérence avec le montant de 55 milliards d’euros d’investissements que nous retenons pour la période 2014-2025.

Quel que soit le périmètre de coûts considéré, le nucléaire existant est plus compétitif. Cette approche économique reflète l’intérêt de la collectivité.

Enfin, ces investissements constituent aussi et surtout, en cette période de crise économique, une véritable opportunité pour notre industrie. À titre d’exemple, la première des troisièmes visites décennales des centrales 1 300 mégawatts à Paluel, pour laquelle 28 % des entreprises mobilisées titulaires de marchés sont locales, a donné lieu à 4 millions d’heures de travail environ, 8 000 heures de formation spécifique VD3 prévues en 2015 et, d’un point de vue industriel, à des chantiers d’envergure exceptionnelle tels que le remplacement des quatre générateurs de vapeur.

Ce programme permet de maintenir un haut niveau de qualité de fabrication, d’exploitation et de savoir-faire dans un contexte de plus en plus exigeant. Pour accompagner ce programme industriel, dès janvier 2012, l’État a demandé au comité stratégique de la filière nucléaire de rédiger un cahier des charges social. Ce dernier traite des conditions d’exercice de la sous-traitance au sein des installations nucléaires de base exploitées par AREVA, l’ANDRA – l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs –, le CEA – le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives – et EDF. Il est applicable sur nos marchés depuis janvier 2013. C’est un document engageant à la fois pour nous, les exploitants nucléaires, et pour les prestataires.

L’ensemble de ces dispositions accompagne un programme d’investissements d’ampleur qui doit nous permettre de développer un nouveau nucléaire sûr, propre et compétitif, de façon à nous mettre en situation de renouveler tout ou partie de notre parc nucléaire à partir de la fin des années 2020. Ce développement d’un nouveau nucléaire passe prioritairement par la finalisation du projet Flamanville 3. Mener ce projet à son terme dans le cadre du nouvel échéancier annoncé est une priorité absolue pour nous tous. Toute l’expérience acquise bénéficiera aux projets d’EPR à venir, au premier rang desquels Hinkley Point, en Grande-Bretagne, et à la préparation de l’EPR nouveau modèle, qui sera le fer de lance du renouvellement total ou partiel du parc existant. La crédibilité d’EDF en tant qu’exploitant nucléaire de premier plan sera renforcée par la réalisation de nos nouveaux réacteurs, tant à l’international qu’en France, qui permettront de fournir dans de nombreux endroits du monde une électricité sûre, compétitive, bas carbone et porteuse d’emplois.

M. le président. La parole est à M. François Lévêque, professeur d’économie au Centre d’économie industrielle des Mines-Paris Tech.

M. François Lévêque, professeur d’économie au Centre d’économie industrielle des Mines-Paris Tech. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je suis très heureux d’être convié à partager avec vous quelques réflexions d’économiste sur l’avenir du nucléaire.

Je dispose de cinq minutes, qui seront bien suffisantes pour aborder cinq points.

Premier point, le nucléaire existant a un avenir. Il ne faudrait pas se focaliser uniquement sur la construction de nouveaux réacteurs, car du point de vue macroéconomique, c’est-à-dire pour ce qui concerne la situation de l’emploi, des entreprises et des ménages, le futur du nucléaire est lié à l’exploitation du nucléaire existant, qui est le moyen le plus économique pour produire de l’électricité par rapport à l’ensemble des technologies concurrentes ou par rapport à de nouveaux concurrents. Le futur du nucléaire français, c’est donc aussi le nucléaire existant.

Deuxième point, le nouveau nucléaire bascule hors de l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques. Historiquement, 80 % de la flotte de centrales nucléaires est installée dans les pays de l’OCDE. L’Agence internationale de l’énergie prévoit qu’à l’horizon de 2040, trois quarts des nouvelles capacités seront installées dans les pays hors OCDE. Par conséquent, les entreprises de la filière doivent suivre ce déplacement de la demande.

Troisième point, le futur du nouveau nucléaire dépend des autorités de sûreté. Le coût de construction dépendra bien évidemment des exigences et de la façon de travailler des autorités de sûreté, de la façon dont elles se coordonnent et se complètent les unes les autres. La filière nucléaire française pourrait également être touchée par une nouvelle catastrophe qui se déroulerait à des dizaines de milliers de kilomètres. La France doit donc faire en sorte que des autorités de sûreté puissantes, compétentes, indépendantes, transparentes œuvrent sur l’ensemble de la planète, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui ; je pense en particulier à l’Arménie, à l’Ukraine ou au Pakistan.

Quatrième point, consolider le futur du nucléaire nécessite de conjurer la malédiction des coûts croissants. Historiquement, on observe qu’aux États-Unis le coût fixe de construction par kilowatt ou par mégawatt augmente en monnaie constante. Dans le cas français, il n’augmente pas ou très faiblement, mais il ne diminue pas non plus, alors qu’on parvient à diminuer le coût fixe d’installation par kilowatt des technologies concurrentes grâce à des effets d’apprentissage. La compétitivité relative du nucléaire, donc le futur du nucléaire, dépend de la façon dont les industriels réussiront à conjurer cette malédiction des coûts croissants qui implique qu’un nouveau modèle de réacteur est toujours plus cher à construire qu’un ancien modèle. Les mots clés de cette réussite sont la standardisation, l’optimisation et la modularité.

Cinquième et dernier point, l’avenir du nucléaire sera facilité par la globalisation de son industrie et de son commerce. L’avenir du nucléaire national passe à mes yeux par des alliances internationales et la participation à des consortiums internationaux. Il faut faire attention à l’image, trop souvent utilisée, par facilité, d’une « équipe de France ». Certes, les entreprises de la filière du nucléaire en France doivent mieux coopérer, mieux travailler ensemble, et être plus solidaires entre elles, mais les entreprises françaises de la filière nucléaire doivent aussi coopérer avec des entreprises étrangères. La globalisation de cette industrie permettra en effet de réaliser des gains en termes d’efficacité et constitue une des options pour la réduction des coûts de la construction de nouvelles unités.

M. le président. Afin que les échanges soient les plus interactifs possible, je vais à présent donner la parole à M. André Chassaigne, qui est à l’origine de ce débat.

M. André Chassaigne. J’aimerais tout d’abord, au nom des députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, remercier vivement les intervenants d’avoir répondu à notre invitation pour débattre avec nous ce soir de l’avenir de la filière nucléaire, secteur qui connaît une situation financière préoccupante.

L’actualité nous porte naturellement à centrer notre propos sur la situation d’EDF. Le groupe doit en effet résoudre une équation financière compliquée. Il est appelé au sauvetage d’AREVA et il doit supporter la charge du chantier grand carénage, c’est-à-dire la maintenance de ses 58 réacteurs nucléaires pour que ses derniers puissent fonctionner au-delà des quarante années pour lesquelles ils avaient été conçus. Il faut ajouter à cela le projet Hinkley Point.

Dans ce contexte, ma première question porte sur la situation financière et les effectifs d’EDF. Le groupe a confirmé en janvier dernier, lors d’un comité central d’entreprise, qu’il allait supprimer 5 % de ses effectifs en France, soit 3 350 postes qui ne seront pas remplacés d’ici à 2018. Pour justifier ces suppressions de postes, la direction d’EDF évoque la nécessité d’optimiser ses ressources et de réduire ses dépenses d’exploitation dans le cadre de la mise en place de son plan stratégique cap 2030.

Les décisions stratégiques en matière d’énergie sont nombreuses depuis le début des années 2000 : l’ouverture à la concurrence pour les fournisseurs d’énergie, dont les syndicats estiment qu’elle a fait grimper les prix de l’électricité et du gaz, l’ouverture à la concurrence des concessions hydrauliques, que Bruxelles appelle de ses vœux, ainsi que l’éclatement du groupe en petites entités à la faveur de la diversification de ses activités.

Auditionné la semaine dernière par la commission des affaires économiques de notre assemblée, le ministre de l’économie a mentionné le chiffre de 4 200 suppressions de postes dans tous les secteurs de l’entreprise, y compris la recherche. Il a souligné que ces suppressions d’effectifs seraient toutefois compatibles avec la sûreté nucléaire.

Pouvez-vous nous préciser quelles sont les intentions de la direction s’agissant d’une décision qui semble répondre davantage à une logique financière qu’à des préoccupations industrielles ou à un objectif d’amélioration de l’offre de service public ? Vous l’aurez compris, cette question s’adresse aux représentants de la direction du groupe, MM. Dominique Minière et Xavier Ursat.

M. le président. La parole est à M. Dominique Minière.

M. Dominique Minière, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction du parc nucléaire et thermique. Nous sommes confrontés, probablement pour quelques années, à des prix de marché bas : alors qu’ils étaient encore, il y a quelques semaines, de 40 euros environ le mégawattheure, ils se situent désormais aux alentours de 26 euros. En outre, la partie de nos ventes exposée aux prix de marché est plus importante qu’auparavant. Cette situation s’explique d’abord par la baisse des prix des commodités, c’est-à-dire le pétrole et surtout le gaz et le charbon. Le prix de marché est en effet basé sur le coût marginal de production du mégawattheure à partir du charbon ou du gaz. Or, comme le prix de ces matières a beaucoup diminué récemment, celui de l’électricité est tombé à 26 euros environ le mégawattheure. Cette évolution affecte non seulement EDF, mais aussi l’ensemble des énergéticiens en Europe et dans le monde. Plusieurs grands pétroliers réduisent actuellement leurs dépenses d’exploration et de production afin de se consacrer uniquement à la production pour un certain nombre de mois voire d’années.

Cette période de prix de marché bas durera probablement deux ou trois ans. Pour faire face à cette situation, nous devons réduire nos dépenses d’exploitation – tout en préservant, bien sûr, la sûreté de nos installations. Nous avons commencé à y travailler dans le détail, tout en sachant que nos dépenses d’exploitation comportent deux composantes : la masse salariale et les achats externes. Les réduire supposera donc probablement – nous avons commencé à y réfléchir – de procéder à une réduction des effectifs, qui exclura toutefois tout plan de licenciement : il s’agirait de ne compenser qu’en partie les départs en retraite. Par ailleurs, nous devrons procéder à une certaine optimisation de nos achats d’exploitation au cours des années à venir.

M. le président. La parole est à M. Xavier Ursat.

M. Xavier Ursat, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction ingénierie et projets nouveau nucléaire. J’ajoute à ce que vient de dire M. Minière que cette trajectoire de réduction d’effectifs par départs volontaires n’affecte en aucun cas la sûreté nucléaire ni même l’exploitation nucléaire au sens large et est complètement en ligne avec nos projets d’ingénierie nucléaire en général. Il faut également souligner que cette réduction des effectifs a lieu après que ces derniers ont connu une très forte augmentation, due en particulier à de nombreux départs en retraite qui se sont traduits par un important et nécessaire renouvellement des compétences au sein d’EDF entre 2009 et 2015. Au cours de cette période, nous avons ainsi mis le pied à l’étrier de toute une jeune génération.

M. le président. La parole est à M. Denis Baupin.

M. Denis Baupin. Je croyais que cette séance était consacrée à AREVA mais j’ai l’impression que son ordre du jour a un peu évolué !

M. le président. Tout dépend de vos questions, cher collègue !

M. Denis Baupin. Certes, mais faute d’intervenants issus d’AREVA, il faudra s’adapter. Cela dit, j’ai plusieurs questions à poser, en particulier à M. Minière.

Premièrement, vous affirmez, monsieur Minière, que l’énergie nucléaire concourt à l’indépendance nationale de la France. Pouvez-vous indiquer la part de l’uranium extrait en France utilisée dans les centrales nucléaires françaises ?

Ma deuxième question porte également sur l’indépendance nationale. Le ministre de l’économie a indiqué la semaine dernière en commission que la cuve du réacteur d’Hinkley Point, s’il est construit, serait construite non pas au Creusot mais au Japon. Pouvez-vous confirmer cette information et expliquer pourquoi si tel est le cas ?

Troisièmement, vous avez fait référence, pour justifier la prolongation des réacteurs, aux décisions prises aux États-Unis à propos de réacteurs semblables aux réacteurs de 900 mégawatts qui se trouvent en France. Proposez-vous que l’Autorité de sûreté nucléaire abandonne son référentiel de sûreté au profit de celui des États-Unis ? Je n’ai pas bien saisi la comparaison que vous avez établie. Compte tenu de l’énorme différence séparant ces référentiels de sûreté, se baser sur des décisions prises aux États-Unis pour en prendre en France ne me semble pas recevable.

Quant à l’EPR nouveau modèle, dont il paraît qu’il faut désormais l’appeler « EPR 2.0 », dans quels délais pensez-vous obtenir l’aval de l’Autorité de sûreté nucléaire sur son modèle ? Quelle durée de construction envisagez-vous pour ces nouveaux réacteurs ? Quel sera le coût du mégawattheure produit par les EPR nouveau modèle ?

Vous avez par ailleurs fait allusion aux diesels de secours à propos des évolutions faisant suite à la catastrophe de Fukushima. Que pouvez-vous dire des notes internes relatives aux diesels de secours du parc EDF, plutôt alarmantes, publiées récemment dans la presse ? J’entends bien qu’elles relèvent en partie de l’alerte interne en la matière mais leur contenu, à propos d’équipements essentiels en cas d’accident, n’est pas très rassurant.

Je souhaite également poser une question à M. Levêque.

Vous avez indiqué que le parc nucléaire existant – et prolongé, j’imagine – constitue la façon la plus compétitive de produire de l’électricité, à périmètre constant et sans prendre en compte les coûts d’assurance. Pouvez-vous indiquer sur quelle base – en particulier quel prix du mégawattheure nucléaire, éolien ou solaire – vous avancez cette affirmation qui me semble légèrement péremptoire ?

Ma dernière question porte sur AREVA, mais je ne sais si quelqu’un pourra y répondre. De quelle évaluation disposons-nous en ce qui concerne l’aval du cycle nucléaire ? La France est le seul pays ayant choisi de procéder au retraitement de l’uranium par fabrication du MOX et stockage à Bure. Quelle est la rentabilité de cette solution par rapport au stockage direct des combustibles usés ? Les autres pays, notamment les États-Unis, ont récemment décidé d’abandonner cette partie de la filière car elle n’est pas rentable. Ne serait-il pas pertinent que la France s’interroge sur l’impact socio-économique et le coût, y compris pour la filière nucléaire d’ailleurs, du maintien sous cette forme de l’aval du cycle nucléaire ?

M. le président. La parole est à M. François Lévêque.

M. François Lévêque, professeur d’économie au Centre d’économie industrielle des Mines-Paris Tech. La question qui m’est adressée par le député Denis Baupin m’invite à expliquer pourquoi le parc nucléaire existant produit un kilowattheure meilleur marché que celui produit par toutes les solutions alternatives possibles. Parce qu’il existe, tout simplement ! Les centrales existent d’ores et déjà et l’Autorité de sûreté nucléaire se prononce sur sa sûreté – positivement ou négativement, d’ailleurs. Quoi qu’il en soit, elles existent et l’exploitant considère qu’il est rentable de les faire tourner pour produire des kilowattheures. S’ils ne sont pas produits par ce qui existe, il faut les remplacer en construisant du neuf. Or les nouvelles installations, qu’elles soient nucléaires, éoliennes, solaires ou gazières, coûtent toujours plus cher que l’existant. Le mégawattheure produit dans ce cas coûte entre 80 et 130 euros.

M. Denis Baupin. Dans quelle filière ?

M. François Lévêque, professeur d’économie au Centre d’économie industrielle des Mines-Paris Tech. Toutes : entre 90 et 100 euros dans la filière nucléaire, entre 80 et 110 euros dans l’éolien onshore selon le vent…

M. Denis Baupin. Il y a toujours du vent !

M. François Lévêque, professeur d’économie au Centre d’économie industrielle des Mines-Paris Tech. …et beaucoup plus dans la filière solaire. Grâce à l’Agence internationale de l’énergie, entre autres, nous disposons de connaissances très précises sur les coûts de production du neuf, qui diffèrent de ceux de l’ancien. Le meilleur investissement possible pour produire des kilowattheures, c’est le grand carénage qui, ramené à la production, aboutit à environ 10 euros le mégawattheure. Rien n’est plus économique que de dépenser 55 milliards d’euros pour produire un mégawattheure à 10 euros.

M. Denis Baupin. La Cour des comptes, qui évoque 60 milliards d’euros, s’est donc complètement trompée ?

M. François Lévêque, professeur d’économie au Centre d’économie industrielle des Mines-Paris Tech. Il n’y a donc pas plus économique, y compris les mesures d’efficacité énergétique. En effet, s’il est évidemment préférable de produire des « négawattheures », c’est-à-dire d’investir pour réduire la consommation d’électricité, cette réduction suppose toutefois des investissements plus importants que la rénovation de l’existant. Si une centrale fonctionne et qu’une autorité – pas n’importe laquelle, en l’occurrence, puisque nous parlons de l’Autorité de sûreté nucléaire française – considère que sa sûreté est satisfaisante, le plus économique est de la maintenir en fonctionnement afin qu’elle continue à produire de l’électricité. Tel était le sens de mon raisonnement, purement économique.

M. le président. La parole est à M. Dominique Minière.

M. Dominique Minière, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction du parc nucléaire et thermique. Je répondrai à trois questions et laisserai M. Ursat répondre aux deux questions relatives à la cuve du réacteur d’Hinkley Point et à l’EPR nouveau modèle. À propos de la part d’uranium extraite en France, il faut évaluer la dépendance énergétique par rapport à celle que nous avons à l’égard du gaz, du pétrole et des autres sources d’énergie. Il n’y a pas plus d’uranium que de gaz ou de pétrole extrait en France.

M. Denis Baupin. Mais si !

M. Dominique Minière, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction du parc nucléaire et thermique. Seules les parts respectives de l’uranium et du gaz – par exemple – dans le prix du mégawattheure électrique diffèrent. La part du gaz est de près de 60 % du coût de production, celle de l’uranium pur, sans compter le traitement ni l’enrichissement, est de l’ordre de 3 %. Là réside la vraie indépendance énergétique car on trouve de l’uranium en grande quantité partout dans le monde, en particulier dans des pays stables politiquement comme le Canada, l’Australie, certains pays d’Afrique et le Kazakhstan où se trouvent de grandes mines. En outre, la production de nos 420 térawattheures n’exige pas une grande quantité d’uranium.

Quant au référentiel de sûreté français, il n’est pas question de le remettre en cause. En tant qu’exploitant, nous sommes les premiers responsables de la sûreté nucléaire et adhérons pleinement au référentiel de sûreté nucléaire français qui consiste à améliorer régulièrement le niveau de sûreté de nos réacteurs. En effet, notre logique consiste non pas à maintenir le niveau de sûreté mais à l’augmenter tous les dix ans, ce qui est très important pour l’acceptation du nucléaire dans notre pays, comme pour la sûreté nucléaire d’ailleurs. Je rappelle à titre d’exemple que nous avons divisé par dix le risque de fusion du cœur en trente ans.

Cela étant, d’un point de vue technique, les composants non remplaçables des centrales françaises et américaines, c’est-à-dire la cuve du réacteur et l’enceinte de confinement, sont identiques et on constate que les Américains, dont les cuves sont d’une qualité un peu moins bonne que celle des nôtres, ont obtenu l’accord permettant de les utiliser jusqu’à leurs soixante ans. De même, en Belgique, plusieurs réacteurs ont obtenu l’autorisation d’atteindre cinquante ans de fonctionnement.

M. Denis Baupin. Par exemple ?

M. Dominique Minière, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction du parc nucléaire et thermique. Tihange 1 ainsi que Doel 1 et Doel 2 ont l’autorisation de fonctionner jusqu’à leurs cinquante ans. En Suisse également, plusieurs réacteurs fonctionneront jusqu’à leurs cinquante ans.

M. Denis Baupin. On verra !

M. Dominique Minière, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction du parc nucléaire et thermique. Lorsque nous procéderons à la quatrième visite décennale, nous demanderons l’autorisation de prolonger la durée de fonctionnement non pas de vingt ans mais de dix ans supplémentaires. En effet, tous les dix ans, nous devons démontrer que la centrale peut fonctionner pendant dix années supplémentaires. Nous l’avons fait lors de la troisième visite décennale des réacteurs de 900 mégawatts et 1 300 mégawatts ; nous le ferons de nouveau lors de la quatrième visite décennale et, pour ceux qui la réussiront, lors de la cinquième. Le référentiel français n’est pas du tout remis en cause.

Au sujet des diesels de secours et d’ultime secours, vous avez fait allusion, monsieur le député, aux fameuses notes parues dans la presse, dans le Journal de l’énergie me semble-t-il. Elles traitent directement de la méthode de maintenance que nous suivons dorénavant pour surveiller nos diesels. La méthode de maintenance classique s’apparente à celle d’une voiture, qui après 7 500 kilomètres doit subir une vidange et certains actes de maintenance. La méthode que nous suivons dorénavant permet d’anticiper certaines visites en fonction des composants considérés. Certaines auront lieu à l’instant précis qui a été prévu, d’autres pourront être différées selon qu’on est en code rouge, orange ou vert – ces codes de couleur sont à présent assez traditionnels, et sont utilisés notamment en France et aux États-Unis dans le cadre de ce que l’on appelle la « maintenance prédictive », par opposition à la maintenance préventive.

Les termes affichés en face des couleurs et employés par nos ingénieurs peuvent certes être un peu anxiogènes, mais cela ne remet à aucun moment en cause la sûreté du diesel au moment où l’on en a besoin. Nous testons régulièrement nos diesels de secours et leur fiabilité est dix fois supérieure aujourd’hui à la moyenne mondiale – ce sont des données auxquelles nous avons accès puisque, comme je le disais tout à l’heure, nous faisons partie de l’Association mondiale des opérateurs nucléaires.

En ce qui concerne le MOX, la question est moins, selon moi, celle de sa rentabilité que de l’acceptabilité et du recyclage. Nous souhaitons beaucoup recycler dans le nucléaire, de manière à réduire le volume des déchets, préoccupation qui, je pense, nous honore et qui est largement partagée, j’espère, dans cette assemblée.

Pour cela, il y a le retraitement, qui nous permet d’extraire le matériau le plus longtemps radioactif, le plutonium, pour le réutiliser dans nos assemblages MOX. Nous recyclons ainsi une grande quantité de matière. C’est pour cette raison que l’on fait du retraitement, pas uniquement dans un souci de rentabilité économique.

M. le président. La parole est à M. Xavier Ursat.

M. Xavier Ursat, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction ingénierie et projets nouveau nucléaire. Pour Hinkley Point, nous avons choisi de faire forger le couvercle et le fond de la cuve des deux réacteurs au Japon. Je crois beaucoup à la coopération nucléaire internationale – François Lévêque en a parlé tout à l’heure.

La France coopère historiquement de façon importante avec la Chine et avec le Japon. Vous savez qu’AREVA a co-développé il y a plusieurs années avec l’industrie japonaise un modèle qui s’appelle l’ATMEA. Ce modèle a des perspectives intéressantes dans plusieurs pays dans le monde, en particulier un projet très concret et d’ores et déjà financé en Turquie, qui pourrait servir de base au renouvellement du parc nucléaire japonais le moment venu.

Le fait d’entretenir une coopération intense et importante avec le Japon a clairement un intérêt pour l’avenir de la filière nucléaire française. Il se trouve, par ailleurs, que les Japonais disposent de forges de très grande taille, qui sont très adaptées à la fabrication de pièces comme le fond et le couvercle de la cuve d’un EPR, qui sont des pièces de grande taille. Nous leur avons donc confié le forgeage de ces pièces, mais la réalisation sera en très grande partie assurée dans les usines d’AREVA en France. Pour mémoire, la réalisation d’un fond et d’un couvercle de cuve représente environ 1 % du coût de la prestation d’AREVA sur un îlot nucléaire. Un tel choix n’a donc pas une incidence économique considérable mais permet d’entretenir des liens intéressants avec une industrie sidérurgique qui est tout de même l’une des meilleures du monde.

L’objectif premier de l’EPR nouveau modèle – c’est son nom officiel pour le moment, nous verrons le jour venu comment on le baptisera exactement – est de réduire les coûts, en partant de l’EPR et en modifiant le moins possible le design.

Cela nous renvoie directement à la question qui a été abordée tout à l’heure, à savoir : comment faire une génération moins chère que la précédente, dans la perspective du renouvellement du parc nucléaire français, avec les premières mises en service à la fin de la décennie 2020 ? Des équipes communes d’EDF et d’AREVA travaillent sur ce projet. Il y a plusieurs pistes : quelques modifications de design, mais surtout l’industrialisation et la standardisation des équipements, en travaillant, dès l’origine, avec les fournisseurs.

Prenez cette réponse avec les précautions d’usage puisque nous sommes encore en train d’en discuter avec l’Autorité de sûreté mais l’idée serait d’avoir une première étape de licensing de ce réacteur dans les trois ans, de manière à pouvoir ensuite choisir un site et démarrer un chantier au début de la décennie prochaine.

Ce réacteur, nous devons pouvoir le réaliser en plusieurs exemplaires. Pour faire du nucléaire pas trop cher, il faut faire du copier-coller, et non réinventer la poudre à chaque fois que l’on construit un réacteur. Notre objectif, pour l’EPR-NM, est donc de mettre en service un réacteur à la fin de la prochaine décennie.

Je ne peux pas vous donner de coût précis parce que cela fait encore partie des secrets industriels mais cela veut dire clairement un coût total de moins de 70 euros le mégawattheure, incluant évidemment tous les engagements liés au nucléaire, pour une durée de réalisation entre le premier béton de sûreté et la mise en service à pleine puissance inférieure à six ans.

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Chanteguet.

M. Jean-Paul Chanteguet. J’aimerais vous interroger sur les délais de mise en service et sur les coûts de l’EPR de Flamanville. On nous parle aujourd’hui de 2020. L’objectif sera-t-il tenu ? C’est malgré tout relativement lointain puisqu’il devait être mis en service en 2012. Quant au coût, il devait être de 3,2 milliards, c’est peut-être 10 milliards aujourd’hui. S’arrêtera-t-on à ce chiffre, qui est tout de même particulièrement impressionnant ?

On a parlé du renouvellement du parc nucléaire français, d’EPR nouveau modèle. Si, demain, on construit une centrale ou des EPR, les construira-t-on sur les sites nucléaires actuels ou cherchera-t-on d’autres sites ?

Je rappelle qu’il y avait un second projet d’EPR, celui de Penly. La décision avait été prise par le président Sarkozy ; le président Hollande a pour sa part décidé d’abandonner le projet. Ce second EPR était-il nécessaire ? On n’avait pas estimé les besoins électriques. C’était une décision à caractère politique, comme l’ont toujours été les décisions dans le domaine du nucléaire.

On a évoqué le coût du mégawattheure. Prend-on bien en compte tous les coûts ? On a parlé bien sûr du grand carénage, du démantèlement, du coût de gestion des déchets radioactifs. EDF a-t-elle provisionné correctement tous ces coûts ?

Ma dernière question concerne le démantèlement des centrales nucléaires. Pour moi, c’est une grande inquiétude.

Un certain nombre de réacteurs ont été arrêtés. Le plus ancien, c’est celui de Brennilis, dont on parle toujours. Ce petit réacteur – sa puissance était de 70 mégawatts – n’est toujours pas démantelé. D’autres réacteurs ont également été arrêtés. À ma connaissance, ils ne sont pas non plus démantelés et j’aimerais bien savoir comment on fera demain pour démanteler nos 58 réacteurs lorsqu’ils seront arrêtés. Dans quels délais le ferons-nous, combien cela coûtera-t-il à EDF ou, plutôt, à la collectivité ?

Si, financièrement et techniquement, nous n’en sommes pas capables, nous savons comment les choses se termineront. On fera comme à Tchernobyl, c’est-à-dire qu’on construira au-dessus d’eux une grande coque. On les isolera mais on ne les démantèlera pas, et c’est pour moi une grande inquiétude.

M. le président. La parole est à M. Xavier Ursat.

M. Xavier Ursat, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction ingénierie et projets nouveau nucléaire. Nous avons annoncé le 3 septembre un planning sur le projet de Flamanville 3. Il y a déjà eu plusieurs reports mais nous nous tenons à ce dernier planning.

Nous avions prévu pour le 31 mars de cette année la fin de la construction du circuit primaire principal. Elle est terminée depuis le début du mois. Il nous restera une reprise d’une soudure à réaliser, ce qui sera fait dans les mois qui viennent. Il y aura ensuite, le 31 mars 2017, dans un an, la fin de la construction de l’aménagement, le début des chasses en cuve, les essais à froid, la mise en pression de l’installation dans les conditions réelles mais à froid pour commencer. Selon les informations dont je dispose et une revue de projet que j’ai encore faite la semaine dernière, nous pouvons parfaitement atteindre cet objectif. Il y aura enfin le chargement du combustible puis le démarrage de l’installation au quatrième trimestre de 2018.

Pour un projet qui a connu déjà de nombreux reports, il nous paraît fondamental de respecter le planning. L’ensemble des fournisseurs travaillent en ce sens. Les délais sont tenus depuis que nous l’avons annoncé début septembre et j’ai toutes les raisons de penser qu’ils le seront jusqu’au bout.

Pour le coût, nous avons annoncé 10,5 milliards, ce qui est évidemment très élevé, en raison des reports multiples qu’a connus le projet dans le passé. Celui-ci est aujourd’hui réalisé à 75 % et nous avons toutes les raisons de penser que le coût que nous avons annoncé sera tenu. Nous en aurons la quasi-certitude au début de l’année prochaine puisque nous aurons presque fini l’intégralité de la construction, la phase d’essais ne demandant pas de ressources significatives.

Pour le renouvellement du parc, notre stratégie actuelle est d’utiliser les sites nucléaires existants et le foncier disponible, en particulier au sein d’EDF.

M. le président. La parole est à M. Dominique Minière.

M. Dominique Minière, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction du parc nucléaire et thermique. Le projet de Penly 3 a été lancé à une époque où les débats sur la transition énergétique n’avaient pas eu lieu. Ces débats permettent de mieux voir vers quelle énergie et quel mix énergétique on s’oriente dans les années à venir.

L’intérêt de ce projet pour nous, en tant qu’industriels, était de poursuivre la filière industrielle de construction de réacteurs. Je pense que l’on n’a pas suffisamment rappelé à quel point le fait d’arrêter de construire des réacteurs pendant quinze ans a posé problème quand il s’est agi de construire un nouveau réacteur comme celui de Flamanville 3. Nos collègues chinois, qui construisent des réacteurs depuis plusieurs dizaines d’années de façon continue, ont eu probablement moins de difficultés à Taishan. D’où l’importance de continuer de construire dans la période qui vient, notamment dans les dix prochaines années, de manière à ne pas reperdre cette filière industrielle que nous avons recréée pour faire du nouveau nucléaire.

Tous les coûts sont-ils pris en compte ? Un rapport de la Cour des comptes montre bien que tel est le cas et qu’il n’y a pas de coûts cachés. Même si l’on imaginait des coûts de stockage de déchets ou de déconstruction plus élevés, l’impact en euros par mégawattheure serait relativement faible, de l’ordre de 5 %. Le rapport de la Cour des comptes en la matière est extrêmement clair.

Quant à la déconstruction elle-même, paradoxalement, il est plus compliqué de déconstruire les réacteurs de première génération que ceux de deuxième génération.

Sont aujourd’hui en déconstruction Brennilis, des réacteurs à l’uranium naturel graphite gaz, ceux de Saint-Laurent, de Chinon et du Bugey, et le réacteur de Chooz A, réacteur à eau pressurisée comme les 58 réacteurs existants. Comme on le constate aussi aux États-Unis, il est plus facile de déconstruire des réacteurs à eau pressurisée. Pour celui de Chooz A, il n’y a pas de retard, tout se passe comme on avait prévu. C’est plus compliqué de trouver les bonnes techniques de déconstruction pour des réacteurs comme celui de Brennilis, à eau lourde, ce qui est un autre type de technique.

C’est effectivement plus compliqué de déconstruire les réacteurs de première génération, non pas globalement mais surtout la partie pile, c’est-à-dire l’empilement de graphite, et il faut regarder avec précision comment on va la déconstruire. Dans de nombreux endroits dans le monde, elle n’est pas déconstruite aujourd’hui. On fait ce qu’on appelle un safe storage, on la met en cocon pendant soixante ans avant d’y revenir. Notre objectif, dans l’esprit de la loi française, est de déconstruire au contraire le plus rapidement possible, avec la meilleure technique.

M. le président. La parole est à M. François Lévêque.

M. François Lévêque, professeur d’économie au Centre d’économie industrielle des Mines-Paris Tech. Ma remarque sonnera sans doute, dans vos oreilles, comme un plaidoyer pro domo.

J’ai bien compris ce que vous entendiez par décision politique. J’ai un grand respect, une grande admiration pour les décideurs politiques, dont le métier est beaucoup plus difficile que celui des économistes et des experts, lesquels ne prennent jamais de décision mais disent parfois – je ne crois pas que ce soit mon cas – ce que les autres devraient faire.

Dans tout ce qui touche au nucléaire, il est extrêmement important d’informer la décision politique par l’économie. Je ne veux pas dire qu’il faille prendre cette décision en fonction d’une analyse coût-bénéfice réalisée par des économistes, mais que vous sachiez, mesdames, messieurs les députés, qu’une décision – par exemple faire passer à 50 % la part du nucléaire dans la production énergétique d’ici à 2025 ou encore remonter le plafond du parc existant – coûtera telle ou telle somme. Que cette décision coûte 10 millions d’euros ou bien qu’elle permette d’en gagner 30 ou d’en perdre 100, il faut que vous ayez des ordres de grandeur.

Or, à ma connaissance, tant pour le plafond de la capacité nucléaire en France que pour l’objectif des 50 % en 2025, les calculs économiques n’ont pas vraiment été faits. Je termine sur ce plaidoyer pro domo, en faveur d’une information : la décision politique doit aussi se fonder sur le calcul économique. Des anciens, comme Marcel Boiteux ou Maurice Allais, en ont fait. Il peut, je le répète, contribuer modestement à la prise de décision politique.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claire Cailletaud.

Mme Marie-Claire Cailletaud, responsable des questions énergétiques et industrielles à la Fédération nationale des mines et de l’énergie-CGT. Même si elle ne m’était pas adressée, je voudrais revenir sur la question de la baisse des effectifs. Il est vrai que la situation d’EDF, comme celle d’autres grands énergéticiens, est difficile, à cause notamment du paramètre que vous avez rappelé, à savoir la situation du marché, mais également de la déréglementation et des politiques des gouvernements et des directions successifs, que je ne souhaite pas exonérer ici. La baisse des effectifs d’EDF, par exemple, est due à la perte des parts de marché liée à la fin des tarifs réglementés pour les gros consommateurs au 1er janvier 2016.

Pourtant, l’électricité continuera d’être vendue et il y aura donc toujours des emplois. Ils ne seront plus chez EDF, mais ailleurs – entre autres, dans des entreprises où les salariés n’ont pas le statut. Cette situation va conduire à transférer des emplois statutaires vers des emplois non statutaires. C’est ce qui s’est passé avec l’ouverture à la concurrence de France Télécom ; c’est aussi ce qui se passera à la SNCF. Ce phénomène tend à réduire les emplois statutaires et à appauvrir, de fait, le service public.

La situation du secteur de la recherche, qui fait partie des premiers touchés, témoigne de la schizophrénie de l’État actionnaire : d’un côté, en effet, le Président de la République met en avant la nécessité de la recherche – lors de la COP21, mais aussi à l’occasion de ses vœux aux forces vives de la nation, au Conseil économique, social et environnemental –, tandis que, de l’autre, la politique qu’il conduit entraîne une baisse conséquente des effectifs.

M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet.

Mme Marie-George Buffet. Je vous remercie, madame, messieurs, de vos réponses. Nous parlons de transition énergétique et de mix énergétique, mais nous avons besoin, dans ce cadre, du nucléaire.

Monsieur Lévêque, vous avez parlé de la malédiction des coûts croissants, non seulement à cause de la hausse des coûts d’exploitation, liés à l’entretien et à la nécessité de faire des travaux pour garantir la sécurité, mais aussi parce que le fait de n’avoir que de nouvelles installations pourrait coûter encore plus cher que le maintien des installations existantes.

Le Gouvernement a dit que l’on ouvrirait de nouvelles centrales, une fois que nous serions arrivés au bout des anciennes. Mais quelle est, pour la direction de l’entreprise elle-même, la bonne stratégie de renouvellement du parc nucléaire ?

Vous avez évoqué des pays où les autorités de sûreté indépendantes n’existent pas : quel chemin emprunter pour parvenir à créer ces autorités dans les pays qui produisent de l’énergie nucléaire ?

Enfin, alors que les départs en retraite sont nombreux, comment préserver le savoir-faire, la connaissance collective et, pour ainsi dire, l’héritage de l’entreprise ?

M. le président. La parole est à M. Xavier Ursat.

M. Xavier Ursat, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction ingénierie et projets nouveau nucléaire. S’agissant de la stratégie de renouvellement du parc que j’ai commencé d’esquisser tout à l’heure, il existe de notre point de vue plusieurs conditions.

Tout d’abord, il faut disposer d’un nouveau modèle sur le marché. D’où l’idée, à partir de l’EPR, de construire l’EPR NM, un modèle un peu plus simple et plus industrialisé, doté de moins de références d’objets à l’intérieur de l’installation, pour le rendre plus facile et moins cher à construire, et afin de mieux maîtriser le planning de construction.

Deuxièmement, il faut disposer d’une filière bien organisée, avec des acteurs ayant l’habitude de travailler en collaboration et de se partager les rôles de manière harmonieuse. La filière avait un peu perdu cette habitude, comme le disait Dominique Minière tout à l’heure, car elle avait construit peu de centrales pendant un certain nombre d’années avant de se lancer dans la construction de Flamanville. Elle a douloureusement appris de cette expérience, mais elle est désormais de nouveau bien organisée. Le projet Hinkley Point lui fournit également, de ce point de vue, une bonne occasion qui lui permettra d’être performante dans la perspective d’un renouvellement du parc nucléaire français, pour lequel des chantiers s’ouvriront entre 2022 et la fin de la prochaine décennie.

Troisièmement, il faut refaire ce que nous avons fait au moment de la création du parc : des standards et des paliers. Au moment de la construction de l’EPR NM, il faudra essayer d’en construire un nombre significatif exactement sur le même modèle, par copier-coller, de sorte que la construction du dixième coûtera significativement moins cher que celle du premier.

À ces trois conditions, nous pourrons renouveler le parc nucléaire français et assister aux premières mises en service vers 2028 ou 2029, dans des conditions de marché correctes. Nous mettrons peut-être également fin à la malédiction dont M. Lévêque parlait tout à l’heure, en obtenant une génération moins chère que la précédente. C’est, en tout cas, ce à quoi nous travaillons.

M. le président. La parole est à M. Dominique Minière.

M. Dominique Minière, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction du parc nucléaire et thermique. S’agissant des deux autres questions, il est difficile pour un exploitant de se prononcer sur la meilleure manière de disposer d’autorités de sûreté indépendantes dans d’autres pays. En matière de sûreté nucléaire, trois acteurs sont essentiels : les États, les autorités de sûreté et l’exploitant, qui est toujours le premier responsable de la sûreté de ses réacteurs. Nous essayons de fédérer ces acteurs autour d’une gouvernance commune, chacun à leur niveau.

S’agissant des États, l’Agence internationale de l’énergie atomique – l’AIEA – définit, en matière de sûreté, des règles devant s’appliquer dans tous les États qui y sont fédérés.

Au niveau des exploitants, nous avons une place privilégiée dans l’Association mondiale des exploitants nucléaires – WANO, en anglais –, créée juste après l’accident de Tchernobyl. Elle employait alors environ 90 personnes en permanence. Aujourd’hui, après sa rénovation, à la suite de l’accident de Fukushima, plus de 450 personnes se consacrent à des contrôles entre pairs – car nous nous contrôlons entre nous pour faire progresser la sûreté dans le monde. De fait, un accident nucléaire, où que ce soit, est un accident pour le monde entier. L’essentiel pour nous est d’éviter tout accident.

Je crois savoir que l’Autorité de sûreté française essaie de créer un peu la même chose avec les autorités de sûreté dans le monde. Elle est à l’origine de l’Association des autorités de sûreté nucléaire des pays d’Europe de l’Ouest – la WENRA, en anglais – et elle essaie d’étendre ce principe de rapprochement à l’ensemble des autorités de sûreté nucléaires ; de la même façon, la WANO s’occupe des réacteurs au Pakistan ou en Iran. Aujourd’hui, des ingénieurs d’EDF font des revues de pairs dans ces pays. Nous voulons absolument éviter tout accident nucléaire dans le monde. Il est important que les autorités de sûreté nucléaire essaient de se fédérer et d’avoir la même approche.

Quant au maintien du savoir-faire, c’est une excellente question. Nous devons réussir à réduire les effectifs sans pour autant remettre en cause la sûreté nucléaire ni perdre du savoir-faire. Il faut agir avec la plus grande précaution. Nous avons pu, dans le passé, aller un peu trop vite, proposer trop rapidement des solutions. Aujourd’hui, nous sommes soucieux d’agir de manière maîtrisée.

Heureusement, comme l’a dit tout à l’heure Xavier Ursat, nous avons bien anticipé le renouvellement des compétences, en créant en augmentant nos effectifs pour préparer les départs en retraite, et en formant des jeunes. Toutefois, nous devons veiller à bien gérer la décroissance des effectifs, avec pour seule préoccupation de garantir la sûreté nucléaire.

M. le président. Je remercie nos invités. Nous allons maintenant passer à la seconde partie de ce débat.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante-cinq, est reprise à dix-neuf heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

Débat

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée du numérique.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du numérique. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de m’accueillir. Je remplace les ministres Ségolène Royal et Emmanuel Macron, qui n’ont pas pu être présents, pour vous présenter la position du Gouvernement quant à l’avenir de la filière nucléaire française.

Je m’attacherai d’abord à décrire brièvement la situation d’Areva et les décisions prises par le Gouvernement pour maintenir la cohérence de la filière, en parlant du bilan et des comptes de résultat de l’entreprise, avant de faire quelques observations sur la filière en général. En quoi est-elle importante ? Comment le projet de Hinkley Point s’insère-t-il dans cette perspective ?

Le Gouvernement a décidé de remettre de l’ordre dans la filière nucléaire française car les comptes d’AREVA pour les années 2014 et 2015 ont révélé une situation dégradée. Celle-ci est due à plusieurs facteurs : une évolution défavorable du marché du nucléaire, directement liée à l’accident de Fukushima qui a entraîné l’arrêt des centrales japonaises et la décision de l’Allemagne de sortir du nucléaire ; mais également des erreurs stratégiques des dirigeants d’AREVA, comme la volonté de positionner l’entreprise sur le secteur de l’architecte ensemblier ou l’acquisition d’Uramin. Vous connaissez aussi les difficultés rencontrées dans le cadre de la construction du réacteur Olkiluoto 3 – dit OL3 – et de l’EPR de Flamanville. Au total, AREVA a affiché des pertes à hauteur de 4,8 milliards d’euros en 2014, et encore 2 milliards en 2015.

Nous avons donc hérité d’une filière endettée, déchirée et désorganisée. Il fallait en prendre acte, regarder cette situation en face, sans aucun déni, et prendre de manière méthodique les décisions nécessaires – et souvent difficiles – pour y remettre de l’ordre, dans l’objectif de donner un avenir à AREVA tout en maintenant la pérennité de la filière nucléaire. Pour cela, il fallait régler deux problèmes : celui des comptes de résultat de l’entreprise et celui de son bilan.

Dès 2012, nous nous sommes penchés sur la question de l’export puisque AREVA et EDF se faisaient la guerre – il n’y a pas d’autre terme –, au détriment de l’ensemble de la filière, notamment des sous-traitants. Pour clarifier les rôles de chaque acteur économique, le 3 juin 2015, le Président de la République a décidé la refonte de la filière, marquée par la cession de l’activité réacteurs d’AREVA à EDF. Cette décision visait à aligner les intérêts des acteurs de la filière et à redonner à celle-ci la cohérence qui lui manquait. Les deux entreprises se sont mises d’accord sur les paramètres de cette cession ; EDF fera une offre ferme dès que la situation relative à l’EPR OL3 en Finlande aura été clarifiée. Dans cette configuration, AREVA conservera 15 % d’AREVA NP – la filiale de l’entreprise spécialisée dans l’ingénierie des réacteurs –, EDF en recevra 51 % et des actionnaires industriels japonais et chinois entreront au capital.

S’agissant du bilan de l’entreprise, AREVA sera recentrée sur les activités du cycle dans une nouvelle structure – on peut parler du « nouvel AREVA » – qui sera créée à cette fin. L’État a l’intention de recapitaliser le groupe à hauteur de 5 milliards d’euros.

Le Gouvernement a également dû œuvrer pour trouver une solution aux problèmes du projet OL3 en Finlande. Des contacts ont été pris et maintenus ; un dialogue très étroit s’est engagé avec le Gouvernement de ce pays et directement entre les entreprises. Nous espérons formaliser un accord avec les Finlandais au mois d’avril afin de refonder la filière nucléaire française sur les bases juridiques les plus solides possible. L’objectif est de mettre fin à l’arbitrage en cours sur ce sujet.

Pour ce qui est du compte de résultat, AREVA doit restaurer sa compétitivité. Un plan de performance vise ainsi à économiser 1 milliard d’euros d’ici à 2017. À cet égard, l’entreprise fait des progrès satisfaisants. L’autre objectif du plan de performance est d’adapter l’entreprise à la situation des marchés, ce qui implique – ces chiffres sont connus et publics – une baisse des effectifs de quelque 15 % à 18 %, soit une suppression 6 000 emplois au niveau mondial, dont 4 000 en France.

Les conditions fermes, quoique négociées, que le Gouvernement a posées en vue de cet accord ont toutes été respectées. Il faut souligner la qualité du dialogue social dans cette situation difficile : l’accord a été signé par quatre des cinq organisations syndicales, qui représentent 75 % du personnel de l’entreprise. Signé le 19 octobre 2015, cet accord favorise la production, les réductions de postes touchant principalement les emplois au siège et les fonctions de support ; aucun site de production ne sera fermé et il n’y aura aucun départ contraint. L’ensemble des relations commerciales entre EDF et AREVA ont été revues. Ainsi, l’on a rééquilibré les contrats en matière de combustible, en particulier dans la conversion et le retraitement, pour permettre au nouvel AREVA de se construire sur des bases plus saines.

J’évoquerai maintenant la filière nucléaire dans son ensemble et la nécessité de la refonder, qui passe par la conquête de nouveaux marchés à l’export et le renouvellement du parc nucléaire de notre pays.

Cette filière représente 220 000 salariés et plus de 2 500 entreprises sur notre territoire. Elle engrange un chiffre d’affaires de 46 milliards d’euros, dont 15 milliards de valeur ajoutée. L’investissement, en particulier en recherche et développement, est crucial dans cette filière qui figure au quatrième rang des filières industrielles les plus innovantes en France du point de vue de la dépense consacrée à cette activité. C’est ainsi qu’EDF investit chaque année plus de 3 milliards d’euros pour la maintenance du parc existant. C’est aussi une filière qui embauche : la pyramide des âges montre qu’une grande partie des salariés qui ont, au départ, participé à sa construction est aujourd’hui en train de partir à la retraite. Le transfert des compétences représente donc un enjeu important, tout comme le développement de nouveaux emplois, en particulier pour accompagner le démantèlement des centrales.

La signature du contrat Hinkley Point est déterminante pour la filière nucléaire. Ce projet est parfois contesté au motif qu’il mettrait EDF en danger ; pourtant, jusqu’à l’année dernière, la soutenabilité de la trajectoire financière d’EDF ne faisait aucun doute. L’entreprise n’est pas en difficulté et ses résultats 2015 sont bons ; mais le monde a changé et les activités d’EDF doivent désormais évoluer dans une situation de concurrence qui n’était pas la même il y a encore quelques années. Ce n’est donc pas Hinkley Point qui fait problème, mais ce contexte, lié à la baisse des prix de marché et au changement de l’environnement économique, notamment en raison des bouleversements du marché de l’énergie.

Face à cette situation mouvante, le compromis nécessaire autour d’EDF n’a pas encore permis de préparer l’avenir. L’État s’est pendant longtemps octroyé des dividendes élevés, alors que les consommateurs bénéficiaient des tarifs les plus bas d’Europe. Encore aujourd’hui, les tarifs d’EDF sont en moyenne de 14 % inférieurs à ceux des autres pays européens. Les salariés enfin ont bénéficié d’une progression salariale déconnectée de la productivité réelle de l’entreprise, du fait de la croyance collective selon laquelle on pourrait toujours, à l’avenir, augmenter les tarifs.

Ce compromis montre aujourd’hui ses limites. Ses recettes étant en baisse à cause du prix de marché, EDF doit réaliser des investissements importants pour pérenniser son avenir. Pour assurer la soutenabilité de la trajectoire financière de l’entreprise, l’État, l’entreprise et ses salariés, ainsi que les consommateurs doivent tous consentir des efforts partagés. Ces efforts sont déjà engagés, mais il faudra certainement aller plus loin. Ainsi, le Gouvernement travaille sur des chantiers de régulation pour sécuriser notre approvisionnement énergétique et réduire nos émissions de gaz à effet de serre, conformément à nos engagements internationaux ; ces évolutions pourront avoir un impact indirect sur les prix de l’électricité. Le travail est en cours au sein du Gouvernement pour actionner l’ensemble de ces leviers qui permettront à EDF de s’adapter à son nouvel environnement et de continuer à accomplir ses missions. Tous ces efforts forment une perspective cohérente.

Le Gouvernement soutient la filière électronucléaire française et le projet d’investissement à Hinkley Point pour tout un ensemble de raisons. D’abord, EDF travaille depuis plusieurs années sur ce projet qui ne représente que 15 % des investissements prévus par l’entreprise dans les prochaines années. Ensuite, le gouvernement britannique s’est engagé auprès d’EDF à acquérir l’électricité produite à un prix garanti pendant trente-cinq ans – une réponse attendue et nécessaire à la situation actuelle de prix de marché bas. Cet engagement, validé par la Commission européenne, permet de sécuriser la rentabilité du projet.

La France n’entend pas sortir du nucléaire, qui reste le principal moyen de production de l’électricité dans notre pays, et le Gouvernement s’est engagé à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Dans ces conditions, alors qu’EDF est le premier exploitant mondial du nucléaire et que le chantier de Hinkley Point bénéficie d’une technologie 100 % française, il serait difficile de comprendre que la France ne soit pas présente dans ce premier investissement nucléaire post-Fukushima en Europe.

Dans ces conditions, pour qu’EDF assure le nécessaire renouvellement d’une partie de son parc nucléaire, il n’est pas possible de renoncer à ses ambitions à l’export. Bien entendu, EDF doit s’assurer que toutes les conditions sont réunies avant de prendre la décision finale : c’est aussi le rôle de l’État actionnaire, qui sera particulièrement vigilant sur ce dossier. Quoi qu’il en soit, le Gouvernement a déjà indiqué à plusieurs reprises son objectif, en l’occurrence que la décision relative au projet Hinkley Point soit prise dans les prochains mois – normalement, en mai.

Voilà les premiers éléments que je souhaitais porter à votre connaissance ; je suis à présent disponible pour répondre à vos questions.

M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet.

Mme Marie-George Buffet. Madame la secrétaire d’État, chacun conviendra que l’entreprise EDF a joué un rôle très important dans le développement de notre pays et dans le développement de la filière nucléaire. Comme vous l’avez dit vous-même, nous avons besoin de cette filière, y compris dans le cadre de la transition énergétique. Cette entreprise a effectué un travail remarquable grâce à la grande qualification de ses personnels. Sa conception du service public consiste à apporter aux usagers, dans leur vie quotidienne, les fruits du progrès technologique.

Vous avez évoqué la nécessité de maintenir cette entreprise du point de vue financier, de préserver sa compétitivité. Dans cette perspective, vous avez parlé d’une baisse des effectifs ; vous avez considéré que les salaires, dans cette entreprise, seraient un peu hors norme, et que les consommateurs ne paieraient pas assez cher. Je suis un peu étonnée, tout de même, par ce discours.

J’aurais aimé vous entendre définir la stratégie du Gouvernement concernant l’avenir de la filière nucléaire. Vers quelle solution vous orientez-vous : la prolongation de la durée de vie des équipements actuels, ou un renouvellement plus rapide de ces équipements, avec la mise en service de nouvelles centrales ? L’État est actionnaire principal d’EDF ; les choix stratégiques dépendent donc aussi de sa volonté. Vous avez plaidé pour le projet en Grande-Bretagne, et nous avons entendu, tout à l’heure, des personnes très qualifiées s’interroger sur la conception d’un EPR nouveau modèle, qui serait moins coûteux que l’EPR actuel. Je voudrais donc vous entendre à propos des projets stratégiques que l’État pense confier à cette entreprise.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Peut-être n’ai-je pas assez insisté sur le rôle qu’EDF a joué, continue de jouer et doit continuer de jouer dans le paysage industriel français. C’est une tête de pont du secteur énergétique, qui fournit chaque jour de l’électricité à des millions de nos concitoyens, qui éclaire des millions de foyers, qui permet à nos entreprises de produire et à nos services publics de fonctionner, et ce vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept.

Vous avez parlé d’une « conception du service public ». C’est plus qu’une conception, c’est une mission de service public qui est pour partie assurée par cette entreprise. C’est cela qui permet à EDF de garantir notre indépendance et notre souveraineté énergétiques : c’est plus que jamais nécessaire du fait de la multiplication des zones de conflit dans le monde, et du fait de la volatilité – particulièrement marquée en ce moment – de la conjoncture économique internationale.

Vous avez raison, peut-être aurais-je dû souligner d’emblée le rôle du personnel d’EDF dans l’accomplissement de cette mission de service public, de ces 105 000 personnes qui, dans toute la France, permettent de créer de l’activité dans tous nos territoires. Toutefois, vous savez comme moi qu’EDF n’est plus dans une situation de monopole dans le champ de ses missions historiques. La concurrence est désormais directe sur certaines de ses activités ; cela nous oblige à avoir une vision stratégique pour l’avenir.

Cette vision stratégique est claire. Tout d’abord, EDF doit rester l’exploitant nucléaire du parc français. Ensuite, l’entreprise doit porter son offre nucléaire à l’international ; c’est dans le cadre de cette stratégie d’export que s’insère le projet d’Hinkley Point. De plus, EDF doit continuer à se diversifier dans la production d’énergies renouvelables.

EDF est aujourd’hui immédiatement en concurrence avec des entreprises qui représentent, pour les consommateurs, une autre possibilité : elle doit donc trouver un nouveau positionnement sur ces secteurs. EDF doit rester, naturellement, un acteur important des réseaux, mais il n’est pas nécessaire, pour cela, qu’elle détienne 100 % des réseaux. Ce secteur fait d’ailleurs partie de ceux qui ont été ouverts à la concurrence.

Enfin, EDF doit rester un fournisseur d’énergie en France, de manière équitable par rapport aux autres fournisseurs, afin de continuer à permettre l’innovation, qui est un moteur de la croissance, et afin de personnaliser toujours plus son offre, conformément à la demande, aux attentes des consommateurs dans notre pays.

Sur tous ces volets, l’entreprise doit décliner sa stratégie pour l’avenir.

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Madame la secrétaire d’État, vous avez dit, lors de votre présentation liminaire, que le Gouvernement a décidé de « remettre de l’ordre dans la filière nucléaire ». Il est bien évident que cette remise en ordre causera des dépenses particulièrement importantes.

À ce sujet, dans la première partie de ce débat, nous avons évoqué la prolongation de l’activité des réacteurs, dont le coût est estimé à 55 milliards d’euros par EDF et à 100 milliards d’euros par la Cour des comptes. Nous avons aussi évoqué l’acquisition, par EDF, d’AREVA NP, la branche « réacteurs » d’AREVA, dans le cadre du plan de sauvetage de cette dernière entreprise. Le prix de cette branche est évalué à 2,5 milliards d’euros. Il faut aussi prendre en compte le fameux projet d’Hinkley Point, dont le coût de construction est évalué à 24 milliards d’euros.

Je me suis limité, dans cette énumération, à tout ce qui peut toucher au nucléaire ; j’aurais pu évoquer la montée en puissance des énergies les plus subventionnées, comme l’éolien ou l’énergie solaire. Dans ce contexte, il apparaît évident, nécessaire, de recapitaliser EDF. Cette entreprise devra en effet assumer des responsabilités nouvelles, et faire face à ce que l’on pourrait appeler un « mur d’investissements ». Dans votre exposé liminaire, vous avez estimé cette recapitalisation à hauteur de 5 milliards d’euros, alors que, jusqu’à présent, il était question – il me semble – d’un montant de 12 milliards d’euros. Cela signifie-t-il qu’il faudra trouver d’autres modalités de financement ?

Passons en revue ces autres possibilités qui s’offrent à EDF et à l’État. Les tarifs réglementés augmenteront-ils, ce qui aboutirait à faire payer la facture aux consommateurs ? Envisagez-vous de vendre certains actifs – je pense notamment à Réseau de transport d’électricité, RTE, dont la valeur est estimée à 10 milliards d’euros ? Le passage de RTE au secteur privé pose beaucoup de questions. Autre élément : l’allongement de la durée de vie des centrales nucléaires – je n’y reviens pas car il en a été beaucoup question cet après-midi. Michel Sapin a par ailleurs expliqué qu’il serait possible de financer cette recapitalisation par la vente de participations de l’État dans d’autres entreprises, et non par l’endettement public. Quelles sont ces entreprises ?

Toutes ces questions sont très précises, mais elles peuvent se résumer en quelques mots : d’où viendra l’argent ? Quelles seront les conséquences sur le service public de l’énergie ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Monsieur le député, vous avez insisté sur la situation actuelle d’EDF. Nous sommes d’accord avec le constat que vous avez dressé. J’aimerais cependant le replacer à une échelle plus large, européenne et internationale. J’ai brièvement mentionné ce contexte plus large, permettez-moi d’y revenir.

En France, EDF est exposée à hauteur de 60 % au prix de marché, et est en concurrence avec d’autres fournisseurs pour les 40 % restants. Sur ces 40 %, la concurrence empêche d’augmenter les tarifs réglementés, sans quoi les clients délaisseraient EDF pour les offres concurrentes. Or les prix de marché ont baissé de 40 % en un an. La situation en France, à cet égard, est comparable à ce qui est observé dans les autres pays européens – la baisse des prix de marché s’est produite chez nous avec un certain retard, mais c’est un élément essentiel.

Pour schématiser, le prix de marché du mégawattheure est aujourd’hui de 26 euros, alors que le plan à moyen terme d’EDF a été bâti sur une prévision de prix de 37 euros par mégawattheure, en sachant que le coût historique du mégawattheure produit par le nucléaire était de 42 euros. Cette évolution cause une franche baisse de recettes, qui durera probablement au cours des prochaines années. En effet, le prix de l’électricité issue des centrales au charbon est au plus bas ; or c’est ce prix qui détermine en grande partie le prix de l’électricité.

Il se trouve, de plus, que la production européenne d’électricité est en surcapacité. Il est important de rappeler ces éléments de conjoncture économique ; c’est dans ce contexte que nous devons considérer la situation d’EDF.

Vous avez évoqué un montant de 5 milliards d’euros de recapitalisation ; il y a peut-être eu un malentendu : je parlais bien d’AREVA, et non d’EDF.

Je vais à présent répondre plus précisément aux questions que vous avez posées concernant la hausse des tarifs réglementés, RTE et la vente de participations de l’État dans d’autres entreprises.

Concernant les tarifs réglementés : pour les particuliers, le tarif représente le coût complet de l’ensemble du système électrique français. Il est calculé par empilement de plusieurs composantes : tout d’abord, le coût complet de production du parc nucléaire ; ensuite, le coût de production du reste du parc, auquel s’ajoute le coût des réseaux électriques ; puis les coûts commerciaux d’EDF et des autres fournisseurs. Cette méthode de calcul dite « par empilement » a été adoptée en 2015 par le Gouvernement et a été validée par Bruxelles.

Les règles prévoient explicitement que c’est la Commission de régulation de l’énergie, la CRE, qui doit appliquer la formule et calculer ce tarif. Le Gouvernement ne peut donc pas modifier le résultat de ce calcul : il ne peut pas geler les tarifs, il ne peut empêcher une éventuelle hausse. La seule possibilité qui s’offrirait au Gouvernement serait de modifier de nouveau la méthode de calcul, alors même que celle-ci vient d’être définie pour tenir compte de la réalité de la conjoncture. Nous ne l’envisageons pas ; ce serait une procédure longue et très incertaine ; or dans le contexte actuel, nous n’avons pas besoin d’incertitude.

À l’heure actuelle, la CRE ne dispose pas de tous les éléments nécessaires pour aboutir au résultat définitif. Les spéculations quant à ce résultat sont donc inutiles. On peut noter, cependant, que la variation de chacune des composantes de ce calcul devrait être minime, que ce soit une variation à la hausse ou à la baisse.

Il faut distinguer la question du tarif réglementé pour les particuliers de celle du prix de marché, dont je vous ai parlé il y a quelques instants. Je vous ai expliqué que le prix de marché est lié à la conjoncture. Il y a donc un écart entre le tarif réglementé et le prix de marché ; le premier, formé de nombreux éléments, dépend très peu du second, car il représente un coût complet calculé sur 40 ans. L’enjeu, pour EDF, est d’affronter la baisse du prix de marché, car il affecte ses ventes, et ne dépend pas du tarif réglementé. Quand on envisage l’avenir de la filière, de ses emplois, ce qui importe, c’est donc d’influer sur le prix de marché. Faire remonter le prix de marché, cela ne signifie pas augmenter le tarif réglementé ; inversement, le prix de marché a pu baisser de 40 % en un an sans que le tarif réglementé diminue.

Quant à RTE, c’est la société qui gère le réseau des lignes à haute tension. Vous savez qu’elle est filiale à 100 % d’EDF, mais les directives européennes qui régulent le secteur imposent une séparation des activités de transport d’électricité d’une part, des activités de production et de fourniture d’électricité d’autre part, ces dernières relevant d’EDF. Cette séparation est nécessaire pour garantir que celle-ci ne dispose pas d’informations privilégiées par rapport à ses concurrents dans le secteur de la production ou de la fourniture. Par conséquent, EDF ne peut consolider RTE dans ses comptes et, pour la même raison, il y a étanchéité au niveau des personnels, y compris du management, et elle n’a pas de droit de regard sur les décisions courantes qui concernent RTE, et ce alors même qu’elle en détient, je le répète, 100 % du capital. Vous conviendrez comme moi qu’une telle situation n’est pas totalement optimale ni pour EDF ni pour RTE.

C’est pourquoi François Brottes, dorénavant président du directoire de RTE, travaille à définir un projet industriel pour cette entreprise qu’il devrait présenter avant l’été. Ce projet pourrait se traduire par une évolution du capital du RTE, évidemment dans les limites prévues par la loi, à savoir que RTE restera contrôlé par la puissance publique comme il se doit, mais pas forcément détenu à 100 % par EDF – la Caisse des dépôts, par exemple, pourrait prendre une participation, de même que le secteur privé. Mais il va de soi qu’EDF resterait l’actionnaire majoritaire. Le Réseau de transport d’électricité a une valeur stratégique et doit demeurer dans la sphère publique. Ce projet industriel sera avant tout défini dans l’intérêt de RTE ; il ne s’agira en aucun cas d’un pur schéma financier présenté pour renflouer EDF. Ma réponse sur ce point a peut-être été quelque peu longue, mais elle illustre la complexité juridique qui régit les relations entre les deux entreprises.

Par ailleurs, vous avez évoqué les propos tenus par mon collègue Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, sur la vente éventuelle par l’État de participations qu’il détient dans d’autres entreprises publiques. Sur ce point, le Gouvernement a une politique active et volontaire en la matière : il s’agit de céder des participations là où sa présence n’est pas considérée comme nécessaire, par exemple dans le cas des sociétés gestionnaires des aéroports de Nice ou de Lyon. D’autres cessions sont possibles, mais le Gouvernement ne peut les annoncer par avance car cela mettrait en cause les intérêts patrimoniaux de l’État, c’est-à-dire des Français.

M. le président. Brièvement, monsieur Chassaigne …

M. André Chassaigne. Une seule phrase, monsieur le président : qu’en termes élégants ces choses-là sont dites, mais au final on voit bien quelles sont les orientations.

M. le président. Le débat est clos.

4

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Questions sur le bilan du CICE.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly