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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2015-2016

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 19 mai 2016

SOMMAIRE

Présidence de M. Marc Le Fur

1. Approbation de conventions et d’accords internationaux

Adhésion au protocole à la convention d’Athènes de 1974 relative au transport par mer de passagers et de leurs bagages

Normes de formation des gens de mer

Convention du Conseil de l’Europe sur la contrefaçon des produits médicaux

Accord France-Royaume-Uni sur la liaison fixe transmanche

2. Prorogation de l’application de la loi relative à l’état d’urgence

Suspension et reprise de la séance

Présentation

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Discussion générale

M. François de Rugy

M. André Chassaigne

M. Olivier Falorni

M. Guillaume Larrivé

M. Michel Zumkeller

M. Yves Goasdoué

M. Sergio Coronado

Mme Marie-Françoise Bechtel

M. Éric Ciotti

M. Pierre Lellouche

Mme Marion Maréchal-Le Pen

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Discussion des articles

Article unique

M. Gilbert Collard

M. Bernard Cazeneuve, ministre

Mme Isabelle Attard

M. Jean-Luc Laurent

M. Noël Mamère

M. Éric Ciotti

M. Bernard Cazeneuve, ministre

M. Guillaume Larrivé

M. Bernard Cazeneuve, ministre

Rappel au règlement

M. Guillaume Larrivé

Article unique (suite)

M. Pierre Lellouche

M. Jacques Myard

M. Jean-Frédéric Poisson

M. Bernard Cazeneuve, ministre

M. Alain Marsaud

M. Patrick Hetzel

Mme Marion Maréchal-Le Pen

M. Bernard Cazeneuve, ministre

Amendements nos 9 , 1 , 7 , 10 , 11 , 2 , 3 , 13 , 12 , 14 , 8

Vote sur l’ensemble

3. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Marc Le Fur

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Approbation de conventions et d’accords internationaux

Procédure d’examen simplifiée

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, selon la procédure d’examen simplifiée, en application de l’article 103 du règlement, de quatre projets de loi autorisant l’approbation de conventions et accords internationaux (nos 3694, 3744, 3760, 3734).

Ces textes n’ayant fait l’objet d’aucun amendement, je vais mettre aux voix chacun d’entre eux, en application de l’article 106 du règlement.

Adhésion au protocole à la convention d’Athènes de 1974 relative au transport par mer de passagers et de leurs bagages

(L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble du projet de loi.)

Normes de formation des gens de mer

(L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble du projet de loi.)

Convention du Conseil de l’Europe sur la contrefaçon des produits médicaux

(L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble du projet de loi.)

Accord France-Royaume-Uni sur la liaison fixe transmanche

(L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble du projet de loi.)

2

Prorogation de l’application de la loi relative à l’état d’urgence

Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’un projet de loi adopté par le Sénat

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, prorogeant l’application de la loi n55-385 du 3 avril 1955 relative à l’État d’urgence (nos 3732, 3753).

La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, je demande une suspension de séance.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue pour cinq minutes.

(La séance, suspendue à neuf heures trente-cinq, est reprise à neuf heures quarante.)

M. le président. La séance est reprise.

Présentation

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, en raison de la persistance de graves menaces terroristes susceptibles de frapper l’ensemble du territoire national, le Gouvernement soumet à votre examen une troisième loi de prorogation de l’état d’urgence, pour une durée supplémentaire limitée à deux mois.

Je tiens, tout d’abord, à remercier le président Raimbourg et le co-rapporteur Poisson pour le suivi très méticuleux de l’état d’urgence qu’ils ont conduit depuis plusieurs mois. En commission des lois, le président Raimbourg nous a présenté un compte rendu très exhaustif qui permet d’avoir une photographie précise des mesures que nous avons mises en œuvre : cela a été précieux pour la tenue des débats en commission.

Le contrôle du Parlement a, vous le savez, permis de faire la transparence et de lever les craintes et les inquiétudes qui s’étaient exprimées, ici ou là, au sujet de la mise en œuvre de l’état d’urgence.

Chacun a pu constater que l’état d’urgence n’est pas synonyme d’arbitraire et que les actes et les décisions pris sur son fondement étaient tous prévus et strictement encadrés par le droit, tout comme les raisons justifiant d’y avoir recours et de le prolonger.

Je veux que les choses soient ici clairement dites : les mesures de police administrative que nous prenons en application de l’état d’urgence présentent un caractère exceptionnel. Elles sont, conformément aux principes constitutionnels et de droit, strictement proportionnées à la nature de la menace ainsi qu’au contexte d’ordre public qui en découle.

Le Conseil constitutionnel l’a d’ailleurs très clairement rappelé dans sa décision du 19 février dernier : les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence doivent concilier la prévention des atteintes à l’ordre public avec le respect des droits et des libertés, parmi lesquels figurent le droit et la liberté d’expression des idées et des opinions.

L’État et les forces de l’ordre disposent, du reste, des moyens juridiques et matériels nécessaires pour réprimer, avec la fermeté la plus grande, les débordements survenus à l’occasion des récentes manifestations, ainsi que pour interpeller, systématiquement, les casseurs qui se rendent coupables d’agissements intolérables.

J’en veux pour preuve le très grand nombre d’interpellations réalisées depuis le début de ces événements il y a deux mois : plus de 1 400 individus ont en effet été interpellés pour des faits de violence commis lors des manifestations contre le projet de loi travail. J’ajoute que 885 d’entre eux ont été placés en garde à vue et que 61 ont d’ores et déjà été condamnés par la justice, en comparution immédiate.

Quant aux manifestations qui se sont déroulées hier à Paris, et qui avaient été interdites, elles se sont traduites par six interpellations ayant donné lieu à six gardes à vues, dont trois pour participation à une manifestation interdite et détention de substances ou de produits incendiaires ou explosifs, deux pour participation à une manifestation interdite et une pour outrage à personne dépositaire de l’autorité publique.

Je veux le redire ici, solennellement, devant la représentation nationale : ce qui s’est produit hier à Paris, c’est-à-dire l’agression de deux policiers et l’incendie de leur véhicule, constitue des actes criminels d’une extrême gravité pour lesquels le procureur de la République a enclenché l’action publique pour des motifs qualifiant les actes en question de tentative d’homicide à l’encontre de personnes détentrices de l’autorité publiques.

Ces actes appellent la plus grande sévérité : c’est la raison pour laquelle de premières interpellations ont eu lieu dès hier. Elles permettront, à travers l’enquête et les auditions en cours, de déterminer la responsabilité exacte des interpellés dans les violences intervenues hier.

Je ne m’attarderai pas sur l’enquête : il convient, en ces matières, de respecter rigoureusement la séparation des pouvoirs. Il appartiendra donc, bien entendu, au procureur de la République de Paris de communiquer sur les faits qui se sont produits ainsi que sur le résultat des gardes à vue.

Je veux néanmoins d’ores et déjà dire que la police judiciaire, notamment la direction de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris procède, sous l’autorité du procureur de la République, à l’exploitation de l’ensemble des éléments qui ont été rassemblés hier par les services, de manière à ce qu’il puisse être procédé à d’autres interpellations afin que tous ceux qui se trouvent à l’origine de ces actes en répondent devant la justice, de manière à ce que le droit passe rapidement et avec la plus grande sévérité.

Je me suis rendu hier soir au chevet du policier qui, avec beaucoup de maîtrise et de sang-froid, a protégé sa collègue et s’est protégé lui-même face à des actes de haine que j’ai trouvés d’une extrême barbarie. J’ai aussi trouvé extrêmement choquant de voir des individus autour du véhicule récupérer des images au moyen de caméras, sans bouger, sans intervenir, comme si c’était l’ordre normal des choses. Alors que des policiers étaient agressés avec la violence que l’on a vue, il y avait autour d’eux des individus en nombre, qui filmaient et ne bougeaient pas.

J’aurais énormément de difficulté à considérer qu’il y a chez ces hordes sauvages quelque chose qui ressemble à de l’humanité ou, a fortiori, à un début d’idéal. Il n’y a derrière tout cela que de la violence, de la brutalité, et cela traduit un abandon de tous les principes d’humanisme qui sont le fondement de notre civilisation et des valeurs républicaines.

Je veux aussi dire très calmement à l’opposition et à ceux qui la représentent ici que des violences dans des manifestations, il y en a eu souvent. Lorsqu’il y a un tel niveau de tension, on peut préférer les charmes de la politique à l’exigence éthique de vérité, mais, dans la responsabilité qui est la mienne, il n’y a qu’une chose qui compte, c’est l’exercice de l’État, au nom des principes républicains, avec pour seule boussole le sens de l’État et l’application du droit dans sa plus grande rigueur. Laisser penser qu’il y aurait, au sein de l’administration ou, a fortiori, du Gouvernement une forme de mansuétude à l’égard de ceux qui commettent de tels actes est faux et très injuste à l’égard des préfets qui, placés sous mon autorité, travaillent quotidiennement à la sécurité des Français, à l’identification des casseurs et à la judiciarisation de leur situation.

Si nous avons interpellé 1 400 personnes et procédé à des gardes à vue en nombre comme je viens de l’indiquer, si 71 personnes ont d’ores et déjà été lourdement condamnées, notamment dans les villes où les exactions ont été les plus nombreuses, c’est parce qu’il y a un travail inlassable de la police judiciaire, un travail inlassable des préfets, un travail d’investigation continu des services placés sous la responsabilité du ministère de l’intérieur.

Je le dis amicalement à Éric Ciotti, à Guillaume Larrivé et à l’ensemble des parlementaires du groupe Les Républicains et à leurs leaders, y compris à un certain nombre de membres de leur organisation qui ont exercé des responsabilités au sein du ministère de l’intérieur, si l’on veut apprécier les consignes données par un ministre à son administration, il y a une manière très simple de le faire, c’est d’exercer le contrôle parlementaire, de récupérer les télégrammes adressés aux préfets, les ordres d’opération donnés par les préfets aux forces de l’ordre sur la base des consignes qui leur sont adressées. Alors, grâce à un effort de transparence et à la bonne foi, il sera possible d’établir très clairement ce qu’il en est.

Mme Élisabeth Guigou. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je comprends que la passion de la politique, les échéances qui se préparent, la volonté de positionnement des uns et des autres puissent conduire à d’autres discours et à d’autres comportements mais moi, devant les Français, je ne veux m’assigner qu’un seul et unique devoir, protéger les Français contre les violences et rendre compte scrupuleusement devant la représentation nationale de l’action qui est conduite et de la fermeté qui est celle du Gouvernement sur ces questions.

En même temps, ce qui fait la force, la fermeté, l’autorité de l’État lorsqu’il y a une situation difficile comme celle à laquelle nous sommes confrontés, c’est le respect rigoureux et scrupuleux de tous les principes de droit lorsque l’État agit car c’est dans la force du droit que l’État puise aussi son autorité. Je ne peux donc pas prendre de disposition qui ne soit pas en toute occasion conforme aux principes de droit, et je vais prendre un exemple extrêmement concret.

Comme hier soir, j’avais donné avant-hier des instructions pour qu’une interdiction de paraître dans des manifestations soit notifiée à des individus violents…

M. Christophe Caresche. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …et pour que leur judiciarisation soit facilitée au cas où ils s’y présenteraient, afin de protéger aussi les manifestants sincères de la violence des casseurs. L’un de ceux qui ont été interpellés hier soir avait fait l’objet d’une décision cassée par le juge.

Je ne commente pas la chose jugée, je la respecte. Je ne cherche pas à faire pression sur les juges, ce qui, dans la responsabilité qui est la mienne, serait totalement inconvenant et contraire au principe de la séparation des pouvoirs. Je cherche simplement à faire œuvre de pédagogie et à montrer la difficulté du problème à tous ceux qui, dans le vacarme, s’emploient à laisser penser, parfois avec la plus grande démagogie, que ce qui doit être fait ne l’est pas, ou que c’est une façon d’essayer d’être plus efficace.

Non, notre détermination est totale, notre volonté d’acier, et le respect du droit doit être la modalité d’intervention.

M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Sinon, il n’y a plus de République, d’État de droit, de principes. Un ministre de l’intérieur qui veut faire en sorte que le droit passe ne peut pas s’éloigner des principes de droit en faisant preuve de démagogie. Face à un tel niveau de tension, il ne peut pas puiser son inspiration dans la pensée et les comportements de Donald Trump, même si ce dernier semble inspirer d’autres acteurs dans la classe politique française.

Mme Élisabeth Guigou. Très bien !

M. Pascal Popelin, rapporteur. Il fallait le dire !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je voudrais maintenant dire quelques mots du bilan de l’état d’urgence.

L’état d’urgence, je le rappelle, s’est traduit par 594 suites judiciaires après des perquisitions administratives, 223 pour infraction à la législation sur les armes, 206 pour infraction à la législation sur les stupéfiants. En outre, 28 informations judiciaires ont été ouvertes, 67 peines ont été prononcées à l’issue de ces procédures, et 56 personnes ont été placées en détention, soit des résultats particulièrement significatifs.

L’efficacité des mesures que nous avons prises va bien au-delà du bilan chiffré et des suites judiciaires. En effet, elles participent d’une stratégie cohérente et accélérée de détection et de déstabilisation des filières terroristes qui opèrent dans notre pays ou bien qui recrutent et acheminent des combattants vers les zones de conflit au Moyen-Orient. Nous avons ainsi pu empêcher ou retarder des projets de départ vers les théâtres d’opérations djihadistes, limiter les contacts entre les individus signalés comme appartenant à des groupes terroristes ou encore entraver des actions de soutien à ces mêmes groupes. Depuis 2013, pas moins de douze attentats ont été déjoués, dont sept depuis janvier 2015.

Je veux par conséquent saluer le travail réalisé par les services de renseignement, notamment la Direction générale de la sécurité intérieure, qui est saisie en propre ou avec la police judiciaire du suivi de 261 dossiers judiciaires concernant 1 157 individus pour leur implication dans des activités liées au terrorisme djihadiste. Parmi eux, 353 ont d’ores et déjà été interpellés, 13 font l’objet d’un mandat d’arrêt international, 223 ont été mis en examen, 171 ont été écroués et 52 font l’objet d’un contrôle judiciaire.

Ces chiffres montrent bien à quel point l’action quotidienne des services, sous l’autorité de la justice, porte ses fruits, permettant ainsi d’empêcher que des actions violentes et des attentats ne soient commis sur notre sol.

J’en viens à présent à la prorogation de l’état d’urgence et aux raisons pour lesquelles nous le croyons à nouveau absolument nécessaire.

Au cours des derniers mois, plusieurs attentats, qu’ils soient d’ampleur comparable ou bien inférieure à ceux du 13 novembre, ont été commis à l’étranger, visant les intérêts nationaux ou ceux de nos ressortissants. Les groupes djihadistes ont également visé des alliés directs de la France.

Le 22 mars, la Belgique a été frappée par un attentat d’une extrême gravité perpétré à Bruxelles, à l’aéroport de Zaventem et à la station de métro de Maelbeek. Grâce aux investigations menées, nous savons que les terroristes impliqués dans cet attentat appartenaient à la cellule qui a planifié et exécuté les attentats du 13 novembre à Paris et à Saint-Denis. En outre, le parquet fédéral belge a confirmé que les attentats du 22 mars avaient initialement été envisagés et programmés pour la France, avant que les terroristes, pris de cours par les investigations judiciaires menées en Belgique, ne soient contraints de précipiter leur action dans la capitale belge.

Daech a donc toujours le projet et les capacités de conduire des opérations terroristes d’envergure sur le sol européen, et a d’ailleurs, au mois de décembre dernier, explicitement appelé à cibler un certain nombre de sites.

La menace terroriste demeure donc à un niveau élevé. La France, comme l’Union européenne, représente une cible, en raison du combat résolu qu’elle mène contre les djihadistes au Sahel, en Irak et en Syrie, mais aussi, plus profondément, en raison des principes universels de liberté, de laïcité et d’émancipation qui sont les nôtres depuis plus de deux siècles et qui font horreur aux terroristes djihadistes.

Pour toutes ces raisons, et quelles que soient les précautions que nous prenons, il ne nous est pas permis de nous croire à l’abri, ni de considérer que le péril imminent qui a justifié en novembre dernier la proclamation de l’état d’urgence a disparu.

J’ajoute que, dans les mois qui viennent, les enjeux de sécurité seront particulièrement importants pour des raisons qui tiennent à l’organisation de cette grande manifestation qu’est l’Euro 2016 et d’autres manifestations estivales, qui devront mobiliser toute notre vigilance et faire l’objet de notre part de toutes les précautions.

C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité que soit maintenu et poursuivi le contrôle aux frontières. C’est la raison pour laquelle nous maintenons le déploiement sur le territoire national de 110 000 policiers, gendarmes et militaires de nos armées dans le cadre de l’opération Sentinelle. C’est la raison pour laquelle a été adoptée la proposition de loi présentée par votre collègue Gilles Savary, qui va permettre à notre pays de se doter de moyens supplémentaires dans la lutte contre l’insécurité dans les transports. C’est la raison pour laquelle nous avons fait adopter le projet de loi de Jean-Jacques Urvoas renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme, son financement, texte qui améliore l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.

Je veux enfin vous apporter certaines précisions concernant les mesures que nous comptons mobiliser dans le cadre de cette troisième prorogation de l’état d’urgence.

Comme l’autorise la loi du 3 avril 1955, le Gouvernement envisage de ne pas activer, dans ce cadre, l’article 11, qui permet de mettre en œuvre des perquisitions administratives dans des lieux que l’on pense fréquentés par des individus constituant une menace pour l’ordre et la sécurité publics.

Cette mesure, que nous avons largement utilisée en essayant de jouer sur la stratégie de la sidération après les attentats du 13 novembre, ne présente plus le même intérêt opérationnel, la plupart des lieux identifiés ayant déjà fait l’objet d’investigations poussées. En outre, l’invalidation par le Conseil constitutionnel de la disposition permettant de réaliser la copie des données informatiques recueillies au cours des perquisitions administratives fait perdre une partie de son utilité à cette mesure.

En revanche, les autres mesures continueront d’être mobilisées pour maintenir les individus assignés à résidence, interdire à ceux qui font l’objet d’une interdiction de sortie du territoire mais qui n’ont pas été assignés à résidence de se trouver à proximité de certains lieux jugés particulièrement sensibles, ou encore établir des périmètres de protection. Ces mesures de maintien de l’ordre public en situation de crise grave seront bien sûr activées si elles se révèlent nécessaires.

Cette nouvelle prorogation de l’état d’urgence, dont nous sollicitons l’approbation par le Parlement, a de nouveau pour objet de concilier la protection de l’ordre et de la sécurité publics, dans le contexte d’une grave menace terroriste, avec ce à quoi nous tenons tous le plus ici, la protection des droits et des libertés garantis par notre Constitution.

Si nous sommes si déterminés sur la sécurité, c’est parce que nous savons qu’elle est la condition de la protection de nos valeurs et de nos principes républicains et démocratiques. C’est pour permettre au Gouvernement d’atteindre ces objectifs que nous proposons la prolongation de l’état d’urgence.

Je veux conclure mon propos en rendant une nouvelle fois un hommage vibrant aux forces de sécurité, qui, avec une énergie considérable et une grande dignité, – je l’ai encore vu hier soir à l’hôpital Bégin où j’ai rendu visite au policier qui avait été agressé – remplissent des missions dans un contexte extrêmement difficile et tendu. J’invite tous les théoriciens des violences policières à regarder les images d’hier,…

Mme Élisabeth Guigou. Des images honteuses !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …à voir où était la violence et à voir aussi la manière très digne dont ce policier s’est protégé…

M. Yves Goasdoué. Tout à fait !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …sans à aucun moment sortir son arme ou même y toucher.

Lorsque je l’ai vu hier soir, il m’a dit l’avoir fait pour des raisons qui tenaient à la formation qui lui avait été donnée, aux principes républicains auxquels il est attaché et à la volonté d’exemplarité qui est la sienne, comme policier, face à des violences qui sont autant de provocations destinées à engendrer d’autres violences, dont la manipulation permet ensuite de théoriser les violences policières.

Dans le contexte particulier dans lequel nous nous trouvons, il n’y a qu’une attitude à avoir – et quel que soit le contexte, elle sera la mienne – : la sagesse plutôt que l’outrance ; le respect du droit plutôt que la démagogie ; la protection des forces de l’ordre, exemplaires et magnifiques dans leurs missions, parce qu’on leur doit cette gratitude plutôt que la stigmatisation ; la fermeté et la détermination les plus grandes à l’égard de ces casseurs qui ne sont que des hordes violentes et barbares et qui doivent être punis par la loi avec la plus grande rigueur. Je veux, à ce propos, adresser également mes remerciements aux préfets, aux forces de l’ordre et aux procureurs de la République qui, par leur action, permettent l’application du droit.

Enfin, je veux aussi souhaiter que, dans ce contexte particulier – je n’ai aucune naïveté et je connais les échéances –, nous puissions toujours privilégier par notre discours l’attachement, qui doit être à chaque instant le nôtre, aux valeurs et aux principes de la République, plutôt que de nous laisser aller à l’abaissement de la politique dans des polémiques qui n’ont pas lieu d’être. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Élisabeth Guigou. Très bien !

M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le ministre de l’intérieur, je vous remercie des mots de sagesse que vous venez de prononcer. Comme vous venez de le rappeler, notre Assemblée est saisie pour la troisième fois d’une demande de prorogation de l’état d’urgence.

Personne n’a oublié la terrible soirée du 13 novembre, ni les tueries perpétrées en Seine-Saint-Denis et à Paris. Le souvenir de ces attentats meurtriers, après ceux de janvier 2015, demeure vif dans toutes les mémoires. Chacun se souvient aussi de la décision immédiate du Président de la République de décréter l’état d’urgence, et de la mobilisation totale des pouvoirs publics qui a suivi. Depuis six mois, la détermination du Gouvernement n’a pas faibli. Les forces de l’ordre sont mobilisées nuit et jour, au premier rang desquelles les services de renseignement français et européens, auxquels je veux à mon tour rendre hommage.

Il nous appartient aujourd’hui de nous prononcer sur le renouvellement du régime d’exception qui sous-tend cette mobilisation. La procédure de prorogation de l’état d’urgence est connue, après nos débats de novembre puis ceux de février. C’est au Parlement, et à lui seul, qu’il revient de proroger l’application de la loi du 3 avril 1955.

Les travaux conduits par la commission des lois, depuis le début de l’état d’urgence, constituent de ce point de vue un utile point d’appui. Elle a en effet mis en place un contrôle parlementaire inédit, désormais assuré par son président Dominique Raimbourg et par son co-rapporteur Jean-Frédéric Poisson, dont je salue le travail. Les quatre communications rendues publiques dans le cadre de ce contrôle ont permis de dresser, mois après mois, et encore avant-hier, un inventaire complet de la mise en œuvre de l’état d’urgence. Cette évaluation enrichit le bilan que vient de dresser M. le ministre de l’intérieur, pour guider notre réflexion.

Chacun a pu constater l’utilité, mais aussi les limites, d’un cadre légal que nous avons adapté à son temps en novembre 2015, et dont le juge administratif précise peu à peu les modalités d’application. L’état d’urgence, tel que nous le concevons, c’est un choix de responsabilité, de fermeté et d’efficacité. C’est un choix difficile, mais assumé, que nous avons voulu inscrire, comme vous l’avez encore rappelé avec force à l’instant, monsieur le ministre, dans le strict respect de l’État de droit.

À la lueur de ces éléments, la première question à laquelle il nous appartient de répondre est bien évidemment celle-ci : proroger de nouveau l’état d’urgence est-il nécessaire ?

Le constat me semble pouvoir être partagé, au-delà de nos différences : la France demeure l’une des cibles privilégiées de la nébuleuse terroriste. Douze projets d’attentats ont été déjoués en France depuis 2013. Ceux perpétrés sur notre territoire en janvier et en novembre 2015 ont été terribles. Beaucoup d’autres ont depuis ensanglanté le monde : au Proche et au Moyen-Orient, en Afrique de l’Ouest, en particulier en Côte d’Ivoire, le 13 mars dernier, où des ressortissants et des intérêts français ont été frappés.

Mais ce sont les attentats de Bruxelles, le 22 mars, qui illustrent le plus la persistance de la menace, par leur proximité géographique d’une part, mais aussi parce qu’il apparaît établi que leurs auteurs étaient en lien direct, pour ne pas dire davantage, avec ceux des opérations terroristes dont la France a été victime.

Comme l’a relevé le Conseil d’État, dans son avis du 28 avril 2016, la persistance de ce péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public est accentuée par la coïncidence entre l’intensité de cette menace terroriste et l’organisation de deux manifestations sportives d’ampleur exceptionnelle : le championnat d’Europe de football, du 10 juin au 10 juillet, et le Tour de France, du 2 au 24 juillet.

Ces compétitions, vous l’avez dit, monsieur le ministre, comportent un risque élevé, car elles offriront une grande visibilité médiatique. Elles peuvent donc constituer, nous le savons, une cible pour les organisations terroristes, mais aussi – il ne faut pas sous-estimer ce risque – pour des individus radicalisés susceptibles de trouver dans cet événement une occasion de passer à l’acte. Le directeur de la sécurité intérieure, auditionné récemment devant la commission de la défense de notre assemblée, n’a pas dit autre chose. Ces éléments répondent à mes yeux, dans le contexte, sans le moindre doute, à la question de la permanence de la menace.

La deuxième question qu’il nous faut trancher est la durée à retenir pour cette troisième prorogation. Le Gouvernement propose deux mois supplémentaires, soit jusqu’au 25 juillet 2016 à minuit. Dans son avis du 2 février 2016, portant sur le projet de loi autorisant la deuxième prorogation, le Conseil d’État avait souligné que « les renouvellements de l’état d’urgence ne sauraient se succéder indéfiniment » et que « l’état d’urgence devait demeurer temporaire ».

Personne, dans cet hémicycle, n’accepterait que l’état d’urgence puisse être prorogé au-delà du strict nécessaire. Si chacun peut avoir sa propre appréciation de ce strict nécessaire, nous sommes collectivement désireux de revenir à la légalité ordinaire, dès lors que la sécurité de nos concitoyens pourrait être pleinement assurée par les moyens du droit commun.

De ce point de vue, j’observe que la durée proposée pour cette troisième prorogation englobera exactement les deux grands événements sportifs internationaux que je viens d’évoquer. Elle doit permettre de recourir, durant leur déroulement, à des moyens renforcés, sur le fondement en particulier de l’article 5 de la loi de 1955, qui donne des pouvoirs particuliers permettant d’encadrer et de sécuriser les grands mouvements de foule inhérents à ce type de manifestation.

Pour l’Euro 2016, nous parlons de cinquante et un matchs programmés dans dix villes, dont Paris, où sont attendus 2,5 millions de spectateurs. À ces spectateurs s’ajouteront plusieurs millions de participants aux manifestations entourant l’événement sportif – les fans zones officielles ou des regroupements plus spontanés, sur l’ensemble du territoire national. Pour le Tour de France, il s’agira, comme chaque année, de dizaines de milliers de spectateurs qui afflueront chaque jour le long du parcours et dans les dix-sept sites et villes d’étape.

Du point de vue du calendrier toujours, je rappelle que notre assemblée débattra tout à l’heure du texte issu de la commission mixte paritaire sur le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, dont j’ai l’honneur d’être le co-rapporteur, avec notre collègue Colette Capdevielle.

Cette loi devrait être promulguée très prochainement et entrer en vigueur dans les semaines à venir. Sans transposer, bien évidemment, dans le droit commun les dispositions d’exception de l’état d’urgence, elle permettra de doter l’autorité judiciaire et l’administration d’outils mieux adaptés à la prévention et à la répression du terrorisme. Deux mois me semblent être, en conséquence, une durée convenablement calibrée.

Ma dernière question porte sur les éléments de droit de cette prorogation, si nous l’autorisons. Il est proposé de passer de « l’état d’urgence aggravé », pour reprendre l’expression du professeur Roland Drago en 1955, à un état d’urgence « simple », c’est-à-dire sans perquisitions administratives. L’article 11 de la loi de 1955 prévoit en effet que celles-ci doivent être autorisées par une disposition expresse, laquelle ne figure pas dans ce projet de loi, approuvé très largement par le Sénat.

Durant les premières semaines qui ont suivi le 13 novembre, les perquisitions administratives ont été nombreuses. Elles ont permis de chercher et de trouver les renseignements nécessaires pour désorganiser les réseaux terroristes. Elles ont aussi été l’occasion de lever des doutes. Au cours de la deuxième période, à compter du 26 février, elles ont été bien moins nombreuses, mais davantage ciblées.

Désormais, elles ne bénéficient plus ni de l’effet de surprise, ni de l’utilité spécifique qui les justifiaient au cours des six derniers mois. Rappelons, en outre, que l’intérêt opérationnel de cette mesure a été largement amoindri par la décision du Conseil constitutionnel du 19 février 2016 qui a interdit la copie des supports informatiques lors des perquisitions administratives.

La décision d’abandonner cet outil exceptionnel m’apparaît appropriée à la situation,…

M. Guillaume Larrivé. C’est une décision bien légère !

M. Pascal Popelin, rapporteur. …la norme du droit commun que constituent les perquisitions judiciaires étant désormais suffisante pour faire face aux nécessités. C’est en dressant sans doute l’ensemble de ces constats que le Sénat, la semaine dernière, a fait le choix d’adopter sans modification le texte présenté par le Gouvernement. Mardi, après avoir auditionné M. le ministre de l’intérieur, la commission des lois a adopté, à son tour, ce projet en l’état, à une très large majorité.

Voilà pourquoi je vous propose, mes chers collègues, d’adopter conforme ce projet de loi prorogeant l’application de l’état d’urgence, pour une durée de deux mois supplémentaires, soit jusqu’au 25 juillet à minuit. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. François de Rugy.

M. François de Rugy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre débat relatif à la prorogation de l’état d’urgence s’inscrit dans un contexte particulier. D’une part, la menace terroriste est élevée et bien réelle. Rien ne permet d’affirmer, à l’heure où nous parlons, que l’accident d’avion qui s’est produit cette nuit, en Méditerranée, est dû à un attentat, mais c’est une hypothèse. Vous avez rappelé, monsieur le ministre, ce qui s’est passé en Belgique il y a quelques semaines et ce qui se passe, malheureusement, dans d’autres pays. Nous savons que la France reste une cible privilégiée des mouvements terroristes.

D’autre part, il y a également le contexte des manifestations, dont certaines sont violentes et dans lesquelles des individus commettent des actes qu’il faut bien qualifier de criminels. À cette occasion, je voudrais saluer votre action, monsieur le ministre, celle des préfets, celle des responsables de la police et celle de chaque fonctionnaire de la police et de la gendarmerie, puisque celle-ci est également impliquée dans la nécessité du maintien de l’ordre, qui est l’une des fonctions premières de l’État, comme le citoyen le sait.

Vous agissez, monsieur le ministre, tout comme les responsables préfectoraux et ceux de la police, sous le feu croisé des critiques de l’opposition de droite, mais aussi de ceux qui se saisissent de la moindre occasion – je dis bien de la moindre – pour ressortir toujours le même discours sur les violences policières. Il peut y avoir des bavures policières. Mais c’est la responsabilité particulière des fonctionnaires des forces de l’ordre, qui ont cette lourde tâche d’assurer la sécurité, que de le faire évidemment dans le respect le plus strict de leur déontologie. C’est le cas de l’écrasante majorité d’entre eux.

Chaque fois que des bavures ont eu lieu, des procédures judiciaires ont été engagées. Je peux en témoigner : dans ma circonscription, à Nantes, la police des polices a lancé un appel à témoins pour un cas présumé de violences policières, placardant des affichettes dans les rues. Je vous laisse imaginer, mes chers collègues, quelles auraient été les réactions si les mêmes autorités policières avaient placardé des affichettes demandant aux citoyens de témoigner sur les violences dont ont été victimes, à de nombreuses reprises, les fonctionnaires de police, particulièrement à Nantes !

Mme Marie-Françoise Bechtel. C’est vrai.

M. François de Rugy. Aujourd’hui plus que jamais, les attaques incessantes et préméditées contre les policiers constituent une réalité. Je voudrais d’ailleurs, monsieur le ministre, que nous cessions de parler de casseurs. Certes, il y a des casseurs dans certaines manifestations, dans différentes villes ; à toutes les époques, l’on rencontre des gens qui profitent des manifestations pour aller casser des vitrines, voire piller des magasins. C’est un phénomène bien connu. Mais il existe également des militants qui appartiennent à des organisations politiques…

M. Pascal Popelin, rapporteur. À des groupuscules !

M. François de Rugy. …qui sont dans une logique d’affrontement avec la police, et à travers celle-ci, avec l’État, qui portent une idéologie…

M. Pascal Popelin, rapporteur. Absolument !

M. François de Rugy. …et qui se placent dans une posture de provocation systématique. Ce qu’ils cherchent, c’est l’affrontement et la réponse policière forte. Vous l’avez dit, monsieur le ministre, c’est le cas pour ce qui s’est passé hier à Paris, mais également pour ce qui s’est passé à Nantes la semaine dernière. Ces actes peuvent être qualifiés, d’un point de vue judiciaire – il ne s’agit pas d’un propos politique ! –, de tentatives de meurtre, de tentatives d’homicide sur des policiers parce qu’ils sont policiers. C’est le déni de l’humanité la plus élémentaire que de commettre des actes de cette nature et de cette exceptionnelle gravité.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Très bien !

M. François de Rugy. Nous sommes nombreux à être extrêmement choqués par les propos qui ont été tenus ce matin, publiquement, sur une radio, par M. Péchenard – je dis son nom.

M. Pascal Popelin, rapporteur. C’est vrai.

M. François de Rugy. Je voudrais savoir, mes chers collègues de l’opposition, si vous assumez ces propos qui consistent à accuser le ministre de l’intérieur, les préfets et les responsables de la police d’avoir donné des consignes de non-intervention. Ces propos sont extrêmement graves. Tous les gouvernements sont, ont été ou seront confrontés à ces groupes violents. Ne soyons pas politiciens en cette matière, c’est une réalité.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Certains ne peuvent pas se vanter d’un bilan particulièrement brillant dans ce domaine…

M. François de Rugy. Chacun devrait faire preuve d’un esprit de responsabilité. Les policiers le font : on a vu ce fonctionnaire de police, hier, se protéger avec un calme impressionnant de la violence dont il a fait l’objet. Le Gouvernement le fait. Les uns et les autres devraient s’interroger sur leurs responsabilités lorsqu’ils multiplient les manifestations, y compris quand, comme aujourd’hui, on n’en voit plus tellement l’objet ou l’intérêt. Ceux qui placardent des affiches qui entretiennent la mobilisation et qui appellent à la haine contre les policiers, ces récidivistes… (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe écologiste.)

Mme Marie-George Buffet. Quel amalgame ! Incroyable…

M. André Chassaigne. Quelle dérive !

M. François de Rugy. Je voudrais conclure. Que n’avons-nous pas entendu sur le prétendu état d’exception ! Le contrôle parlementaire s’exerce au jour le jour, par nos débats et par nos votes. Pour ma part, je voterai la prorogation de l’état d’urgence car dans ce contexte, les Français ne comprendraient pas que l’on ne se donne pas les moyens d’assurer leur sécurité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Marie-George Buffet. Lamentable !

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, chers collègues, manifestement tenté par un abus de droit, celui de prolonger indéfiniment l’état d’urgence, le Gouvernement nous demande aujourd’hui de proroger, pour la troisième fois consécutive, un régime d’exception.

Au lendemain des attentats du 13 novembre, c’est en responsabilité que les députés du Front de gauche avaient voté l’urgence. Mais nous avions été très clairs : nous refusions toute prolongation au-delà de trois mois, exprimant notre refus d’une pérennisation de cette disposition. L’état d’urgence est, par définition, exceptionnel. Aussi ne peut-il être que provisoire. C’est la raison pour laquelle nous avions refusé sa prorogation en février dernier. Aujourd’hui, c’est encore en responsabilité que nous nous opposons à cette nouvelle prorogation, tant au nom de nos principes qu’au regard de considérations pratiques.

Nous refusons la banalisation de l’état d’exception et la mise en place d’un état d’urgence permanent. Or c’est clairement ce qui est à l’œuvre dans le projet de loi contre le crime organisé et le terrorisme. Malheureusement, après ce débat, le texte issu de la CMP sera selon toute vraisemblance adopté. Nos voix manqueront à l’appel car c’est précisément dans les périodes troublées, comme celle que nous vivons, que le respect de la séparation des pouvoirs, le respect les libertés individuelles et leur contrôle ne doivent présenter aucune brèche. Or ce texte sur le crime organisé et le terrorisme, qui prévoit l’introduction dans notre droit pénal de dispositifs toujours plus dérogatoires, écarte l’autorité judiciaire, garante des libertés individuelles.

Cette dérive incontestable traduit l’émergence d’un ordre sécuritaire obsédé par la menace terroriste qui pèse sur notre société. Si cette menace est réelle, doit-elle pour autant dicter notre vie ? Indexer la durée de l’état d’urgence sur la menace terroriste est d’autant plus dangereux que, par nature, cette menace est permanente et illimitée dans le temps, même si sa gravité peut être variable. Mais précisément, nous ne devons pas céder à cette peur, l’esprit de terreur ne saurait devenir la norme à laquelle nous devrions nous soumettre. Nous pensons en conscience et avec humilité, sans nous poser en donneurs de leçons, que notre République démocratique vaut mieux qu’un tel modèle de société. En effet, céder à la peur, c’est instaurer un ordre sécuritaire fondé sur l’arbitraire, un ordre qui représente lui aussi une menace pour nos droits et libertés. Car la raison et la lucidité nous commandent de faire confiance à notre État de droit. Celui-ci prévoit un arsenal juridique suffisamment efficace pour lutter contre le terrorisme, y compris pour garantir la sécurité des événements sportifs tels que l’Euro 2016 et le Tour de France. Je le dis avec gravité et non en donneur de leçons : la sécurité en général et la lutte contre le terrorisme ne passent pas par une régression de nos droits et libertés, mais par l’amélioration de nos dispositifs de renseignement et par le renforcement de la coopération avec nos partenaires européens et internationaux.

Notre refus de proroger l’état d’urgence ne procède pas d’une posture purement dogmatique et idéologique. De fait, force est de reconnaître que les mesures de l’état d’urgence s’avèrent aujourd’hui d’une utilité discutable et d’une efficacité à bout de souffle. Le 9 février dernier, vous indiquiez vous-même, monsieur le ministre, que sur les 3 340 perquisitions effectuées, un cinquième seulement avait donné lieu à la constatation d’infractions, et très rares étaient les infractions liées au terrorisme, seulement six personnes étant en procédure judiciaire pour cette raison. Il y a deux jours, le quatrième point d’étape du contrôle parlementaire de l’état d’urgence nous a été présenté. Celui-ci prouve que nous en avons épuisé les effets. M. Raimbourg et M. Poisson constatent ainsi que « les mesures de l’état d’urgence ne présentent plus le même intérêt aujourd’hui ».

D’ailleurs, dès janvier dernier, Jean-Jacques Urvoas, alors président de la commission de contrôle parlementaire de l’état d’urgence, avait déjà noté : « L’essentiel de l’intérêt que l’on pouvait attendre des mesures dérogatoires me semble à présent derrière nous ». Il poursuivait : « L’arrêt de l’état d’urgence ne sera pas synonyme d’une moindre protection des Français ». Du reste, prenant acte du caractère infondé de la poursuite des perquisitions administratives dans le cadre de l’état d’urgence, le projet de loi n’envisage pas – vous l’avez confirmé, monsieur le ministre – de reconduire la mesure prévue à l’article 11 de la loi de 1955 concernant les perquisitions administratives. Nous considérons, pour notre part, que c’est la prorogation de l’ensemble de ce régime d’exception qui doit être abandonnée.

L’état d’urgence a, du reste, donné lieu à des dérapages constatés contre des militants associatifs et contre des familles musulmanes sur la seule base de dénonciations ou de notes inconsistantes. Des personnes ont été mises en cause sur des questions qui n’ont rien à voir avec la lutte contre le terrorisme. L’exécutif se laisse dangereusement aller à l’utilisation de l’état d’urgence pour des mesures qu’il faut bien qualifier de liberticides, et ce à des fins manifestement autres que la lutte contre le terrorisme. Ainsi, dans le contexte de la COP21, non seulement différents arrêtés ont-ils interdit les manifestations à caractère revendicatif ou protestataire, mais des militants écologistes ont dans ce cadre fait l’objet de perquisitions, voire d’assignations à résidence. Le risque d’une dérive liberticide, à la fois antidémocratique et antisociale, est concret puisqu’il vise désormais les citoyens opposés à la Loi Valls-El Khomri. Ainsi, c’est au nom de l’état d’urgence que plus d’une cinquantaine de militants engagés dans les défilés contre la réforme du code du travail se sont vu notifier une interdiction de manifester lors de la journée d’action de mardi dernier. Ces mesures individuelles, prenant la forme d’arrêtés préfectoraux d’interdiction de séjour dans certains lieux et à certains horaires, ne relèvent pas à nos yeux de l’état d’urgence.

De nombreuses voix se sont prononcées contre ces mesures restrictives des libertés publiques et individuelles. Magistrats, avocats, défenseurs des droits de l’homme, syndicalistes refusent cette mise sous tension de la société. Vendredi dernier, le défenseur des droits et le haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations unies ont également fait part de leur vive préoccupation quant à la fragilisation actuelle du précieux équilibre entre les exigences légitimes de sécurité et les garanties pour le respect des droits fondamentaux afin d’éviter l’effritement de l’État de droit et des libertés. Les forces de l’ordre elles-mêmes sont exténuées par l’effort continu et répété que ce régime d’exception leur demande.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Mais non…

M. André Chassaigne. Leur état de fatigue, réel – vous le dites souvent, monsieur le ministre –, n’est pas sans expliquer les difficultés à gérer les mouvements sociaux qui s’opposent en particulier à la loi travail. Aussi, soutenons-nous leurs revendications d’accroissement des effectifs et d’amélioration des conditions de travail. Bien évidemment ces difficultés indéniables ne doivent en aucun cas justifier les violences policières constatées sur nos concitoyens qui manifestent pacifiquement. Je pense que tout le monde en convient ici. De même, c’est avec la plus grande fermeté et sans ambiguïté que nous condamnons les violences des casseurs, quelles que soient leurs motivations. Ces violences, dont les policiers sont la première cible, jettent le discrédit sur l’ensemble de la mobilisation contre la loi travail. Je pense notamment à la terrible agression, hier, de deux policiers dans leur voiture. S’agissant plus particulièrement des manifestations syndicales, monsieur le ministre, et quelles que soient les difficultés, l’État doit prendre toutes ses responsabilités, sans être tenté de les déléguer aux services d’ordre des syndicats. Ce serait là ouvrir la porte à tous les dérapages.

À défaut de justification réelle, je crains, monsieur le ministre, que votre demande de prorogation de l’état d’urgence ne soit guidée par la volonté de satisfaire certaines franges de l’opinion publique, partisanes précisément d’un discours d’autorité et appelant à un ordre sécuritaire.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Cela me semble une appréciation bien légère !

M. André Chassaigne. Non seulement votre Gouvernement ne cesse de reculer sur le front économique et social, mais il cède aux sirènes identitaires et sécuritaires. Inquiétante dérive que de considérer les dérogations aux droits fondamentaux comme des effets collatéraux acceptables dans notre État de droit ! C’est pourquoi, mes chers collègues, monsieur le ministre, les députés du Front de gauche voteront contre la prorogation de l’état d’urgence.

Mme Marie-George Buffet. Très bien.

M. le président. La parole est à M. Olivier Falorni.

M. Olivier Falorni. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes réunis ce matin pour proroger, pour la troisième fois consécutive, l’état d’urgence. Le Sénat a adopté, sans modification, le présent projet de loi le 10 mai, et il nous revient, après le vote de la commission des lois le 17 mai, de faire de même. Je ne reviendrai pas sur les causes qui ont présidé à l’instauration de l’état d’urgence, à compter du 14 novembre 2015, prolongée pour trois mois et jusqu’au 25 février, puis de nouveau prolongée pour trois mois jusqu’au 25 mai 2016.

La nouvelle prorogation qu’il nous est demandé d’accepter vaut, cette fois-ci, pour deux mois, jusqu’au 25 juillet 2016.

Lors de l’examen du projet de loi prorogeant, pour la deuxième fois, l’état d’urgence, les députés du groupe Les Républicains avaient proposé de le proroger pour une durée, non de trois mois, mais de six mois ; cela nous aurait évité, selon eux, d’avoir à délibérer à nouveau sur cette question. C’est oublier, mes chers collègues, que le Conseil d’État examine avec soin l’existence d’un péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public de nature à justifier une telle prorogation, et que l’existence d’un tel péril ne peut se préjuger pour une durée aussi longue.

Autant l’on peut soutenir qu’une durée de six mois était envisageable lors du vote de la première prorogation, soit à partir du 26 novembre 2015 – c’est d’ailleurs ce que les membres du groupe RRDP avaient proposé, autant, alors que l’état d’urgence s’installait progressivement, fixer une telle durée à partir du 26 février 2016 eût fragilisé ce régime d’exception. Les attentats survenus à Bruxelles le 22 mars 2016, initialement envisagés sur le territoire national, ont évidemment conduit le Gouvernement à demander prudemment cette prorogation.

Le Gouvernement ne souhaitait pas prolonger à outrance le régime de l’état d’urgence. Le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé et le terrorisme, que nous examinerons, dans le texte issu de la commission mixte paritaire, juste après celui-ci, pourrait être définitivement adopté avant le 26 mai 2016, ce qui aurait pu éviter au Gouvernement d’avoir à demander une troisième prorogation de l’état d’urgence. En effet, ce texte renforce très sensiblement l’efficacité des investigations judiciaires : il permet notamment de mener des perquisitions de nuit, il autorise le recours à des dispositifs de captation de données de connexion et de données informatiques, il améliore la lutte contre le trafic d’armes et la cybercriminalité, et renforce considérablement l’enquête et le contrôle administratifs.

Il contient également des dispositions relatives à la sécurisation des grands événements sportifs, en prévoyant la possibilité de restreindre, par décret, l’accès aux abords et dans les stades. Ces dispositions, qui nous intéressent particulièrement, figurent à l’article 20 bis du projet de loi que j’ai mentionné ; je ne m’y étends pas davantage : nous les examinerons plus tard au cours de cette journée.

Je rappelle, en tout état de cause, que le pouvoir exécutif conserve la possibilité de mettre fin à l’état d’urgence de manière anticipée. En ce cas, le Gouvernement sera tenu d’en rendre compte au Parlement. Nous pouvons d’ores et déjà affirmer qu’après que la loi renforçant la lutte contre le crime organisé et le terrorisme aura été promulguée et appliquée, il faudra évaluer immédiatement le maintien du régime de l’état d’urgence.

En ce qui concerne cette troisième prorogation, le projet de loi ne mentionne pas la possibilité pour l’autorité administrative de décider des perquisitions administratives, faculté qui nécessite une mention expresse dans le texte. Comme le note le rapporteur du Sénat, Michel Mercier, il apparaît que le Gouvernement s’est interrogé sur la présence de cette disposition, puisque le premier texte soumis pour avis du Conseil d’État contenait cette mention expresse ; le Conseil a ensuite été saisi d’une version rectifiée du texte ne la contenant plus. Il est vrai que du 26 novembre 2015 au 25 février 2016, 3 427 perquisitions administratives ont été effectuées, alors qu’entre le 26 février et le 25 avril 2016, seules 132 perquisitions administratives ont eu lieu.

même si leur intérêt en termes de constatations d’infractions pénales et de déstabilisation des filières terroristes est réel, comme l’a souligné M. le ministre de l’intérieur, mais il s’est estompé, car la décision du Conseil constitutionnel du 19 février 2016, rendue dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, est venue amoindrir la faculté de recueillir des données au cours de telles perquisitions. Le Conseil constitutionnel a en effet censuré les dispositions permettant de copier les données informatiques présentes sur les terminaux se trouvant dans les lieux perquisitionnés, assimilant cette pratique à une saisie. L’intérêt de recourir à de telles perquisitions est désormais bien mince.

Il s’agit donc essentiellement de permettre aux autorités administratives de faire jouer l’article 5 de la loi de 1955 pour interdire la circulation dans certains lieux et pour instituer des périmètres de protection autour de sites sensibles, principalement les stades et les fan zones dans le cadre de l’Euro 2016 et aux abords du circuit du Tour de France. Les millions de spectateurs concernés sont autant de cibles potentielles : il nous revient de tout faire pour les protéger. Nous approuvons donc cette troisième – et a priori ultime – prorogation de l’état d’urgence.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous me permettrez de témoigner, dans le contexte actuel, toute ma gratitude et toute ma reconnaissance aux forces de l’ordre. J’étais présent hier à la manifestation des policiers, pour leur apporter tout mon soutien : je l’assume et je le revendique. La police, la gendarmerie, ne sont le monopole de personne ; au contraire, elles appartiennent à chacune et à chacun d’entre nous. Elles sont les garantes de notre liberté, car la sécurité est la première de nos libertés. Elles nous protègent chaque jour ; elles protègent la République ; elles protègent nos principes démocratiques.

Nous ne sommes pas amnésiques : nous n’oublions pas Charlie, non plus que l’Hyper-Cacher, non plus que le Bataclan.

M. Guillaume Larrivé. Très bien !

M. Olivier Falorni. Nous n’oublions pas le courage, l’héroïsme, le professionnalisme de ces hommes et de ces femmes.

Je suis né en politique après le drame de Malik Oussekine ; je dénonce donc toujours les violences policières qui peuvent se produire – vous avez toujours été intraitable, monsieur le ministre, avec les bavures policières. Mais je dénonce avec la même force les violences faites aux policiers.

Je respecte totalement les manifestants qui défilent pacifiquement, donc légitimement. Mais je veux m’adresser aux quelques abrutis haineux qui agressent, qui attaquent la police, qui parfois même attentent à la vie des policiers ou des gendarmes ; je veux parler à ces incultes, à ces décérébrés qui osent crier « CRS, SS ! » et d’autres slogans stupides. Je ne leur souhaite qu’une chose : de ne pas se retrouver, un jour, dans une salle de concert, attaqués par des djihadistes,…

M. Yves Goasdoué. Très juste !

M. Olivier Falorni. …à un moment où leur vie ne dépendra que de l’intervention de policiers ou de gendarmes. Demandez aux rescapés du Bataclan s’ils détestent les flics ! Demandez-leur !

Monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’occasion de ce débat, je me permets de dire, ici : oui, j’aime les flics. Nous les soutenons, nous leur témoignons notre reconnaissance, et nous serons toujours à leurs côtés. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, et sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, il y a quelques jours, la ville de Rennes a connu des scènes de guérilla urbaine. Hier, en plein cœur de Paris, une voiture de la police nationale a été incendiée ; des policiers ont échappé de justesse à la mort. Chaque jour, chaque nuit, des individus organisés, déterminés, et entraînés défient les forces de l’ordre et ceux qui les commandent – le préfet, le ministre de l’intérieur, le Premier ministre et jusqu’au Président de la République lui-même. Jusqu’à quand ? Il est temps de remettre l’État à l’endroit !

Vous nous demandez ce matin, monsieur le ministre, d’autoriser le Gouvernement à continuer à disposer de pouvoirs de police administrative renforcés. Nous le ferons. Vous le savez, le groupe Les Républicains a voté, en novembre comme en février, les lois relatives à l’état d’urgence. C’est un esprit de responsabilité qui guide notre conduite sur chacun des textes présentés par le ministre de l’intérieur ou le garde des sceaux. Nous nous tenons à l’écart des vaines polémiques, des querelles artificielles : notre seule exigence, c’est l’efficacité de l’État face au péril qui menace la Nation.

C’est dans cet esprit que nous abordons ce débat. Nous n’oublions pas que notre pays est tout autant menacé par les terroristes islamistes aujourd’hui qu’il y a six mois, au lendemain des attentats de novembre. Nous n’avons pas gagné la guerre qui nous a été déclarée : bien des batailles sont encore devant nous. C’est pourquoi je tiens, au nom des députés du groupe Les Républicains, avec Éric Ciotti et Pierre Lellouche, à exprimer notre reconnaissance envers les fonctionnaires de la police nationale et des militaires de la gendarmerie nationale, ainsi qu’aux soldats de l’armée de terre mobilisés dans le cadre de l’opération Sentinelle. Ils sont en première ligne, sur notre territoire, pour protéger les Français. Ils ne ménagent pas leurs efforts, ils assument leurs missions avec une maîtrise de soi, une dignité et un professionnalisme remarquables. Ils risquent leur vie, et sont la cible de crapules sans morale, et d’individus sans scrupules. Ils ne méritent pas, bien évidemment, les insultes scélérates de la CGT, qui est aujourd’hui emportée dans une dérive gauchiste.

Les policiers et les gendarmes sont mobilisés pour faire face à la menace terroriste islamiste, mais ils doivent aussi affronter, au quotidien, les conséquences des actes de groupuscules n’ayant visiblement aucune conscience de leurs propres responsabilités. La multiplication des rassemblements sur la voie publique est totalement irresponsable, place de la République et ailleurs, puisque ces manifestations attirent, non seulement des faux penseurs, mais surtout des vrais casseurs, qui tirent prétexte de ces manifestations pour détruire des biens et agresser des personnes. Tous ceux qui, à gauche de la gauche, entretiennent la flamme de la contestation sociale, seraient bien inspirés de réfléchir aux conséquences de leurs actes.

M. André Chassaigne. C’est du même niveau que de Rugy !

M. Guillaume Larrivé. L’état d’urgence n’a évidemment ni pour objet ni pour effet d’interdire, partout et toujours, toutes les manifestations,…

Mme Marie-George Buffet. Encore heureux !

M. Guillaume Larrivé. …mais il serait raisonnable que les organisateurs de manifestations s’interrogent sur leur propre responsabilité, au moment où la Nation doit faire face à un péril terroriste imminent lié à la menace islamiste.

M. André Chassaigne. C’est trop facile !

M. Guillaume Larrivé. Il est tout autant nécessaire que le ministre de l’intérieur continue de donner instruction aux préfets d’interdire certains rassemblements, d’interdire à certaines personnes d’y paraître, et d’assigner à résidence des individus signalés, lorsqu’ils sont susceptibles de créer des troubles à l’ordre public.

Mme Marie-George Buffet. Vous voulez remettre en cause le droit de manifester !

M. Guillaume Larrivé. Il vous appartient, monsieur le ministre, de faire appel des décisions des tribunaux administratifs qui seraient contraires à l’intérêt de l’État : chacun doit prendre ses responsabilités, y compris les juges de première instance. Ils doivent en conscience mettre en balance la nécessité du respect des libertés, et les nécessités tout aussi impératives du maintien de l’ordre public. Nous n’avons pas à nous en excuser, même si cela déplaît à tel ou tel professionnel de l’indignation droit-de-l’hommiste. Les Français, dans leur immense majorité, attendent que le pouvoir exerce pleinement le pouvoir.

Dès lors, la question juridique qui nous est posée aujourd’hui est simple à énoncer : faut-il continuer, dans les mois qui viennent, à donner au ministre de l’intérieur, aux préfets et aux forces de l’ordre les pouvoirs de police administrative renforcés qui sont autorisés par l’état d’urgence ? Oui, nous le croyons nécessaire, pour ne priver l’État d’aucun des instruments qui lui permettent de faire face à la menace. Le groupe Les Républicains votera donc la prolongation de l’état d’urgence. Nous tenons néanmoins, à la suite des échanges que nous avons eus en commission, à formuler une interrogation, une demande et une préoccupation.

Nous nous interrogeons toujours, monsieur le ministre, sur le volume des assignations à résidence. Vous nous avez indiqué que seulement 69 personnes en font aujourd’hui l’objet. Personne ne propose que tous les individus fichés pour atteinte à la sûreté de l’État ou pour radicalisation islamiste soient assignés à résidence, pour la simple raison que certains d’entre eux ne se trouvent pas sur le territoire, et que d’autres sont d’ores et déjà incarcérés. Mais personne ne comprend pourquoi 99 % des 12 000 ou 13 000 individus d’ores et déjà fichés ne sont pas assignés à résidence.

Nous vous demandons, plus encore, de maintenir la possibilité de recourir à des perquisitions administratives sous l’empire de l’état d’urgence ; notre groupe présentera un amendement à cette fin. Rien ne justifie que l’État soit privé, monsieur le ministre, de la possibilité d’effectuer ne serait-ce qu’une seule perquisition administrative, par exemple avant un match de l’Euro 2016, dans le cas où un renseignement rendrait nécessaire et absolument urgente une vérification.

La décision du Conseil constitutionnel du 19 février n’a pas privé les perquisitions administratives de toute portée. Je comprends bien qu’elle a annulé la possibilité d’opérer des saisies informatiques administratives, mais elle n’a en rien supprimé l’objet ni les effets des perquisitions. Les perquisitions permettent toujours, par exemple, de saisir des armes, ou de lever des doutes.

Nous ne comprenons pas les motifs qui ont poussé le Gouvernement à renoncer à cette faculté, et non sans y avoir réfléchi et hésité puisque l’avant-projet de loi dont vous aviez saisi le Conseil d’État incluait la possibilité des perquisitions administratives avant qu’une saisine rectificative ne la retire. Je précise, notamment à l’endroit du rapporteur, que l’argument qui a repris selon lequel il y a eu moins de perquisitions administratives en avril qu’en décembre est totalement inopérant en l’espèce puisque ce n’est évidemment pas le volume des perquisitions passées qui importe, mais la possibilité d’éviter tout nouvel attentat : même si une seule perquisition administrative était nécessaire demain, pourquoi s’interdire aujourd’hui cette faculté qui pourrait sauver des vies dans le cadre de la prorogation de l’état d’urgence ?

Je tiens, enfin, à exprimer notre vive préoccupation quant à la sécurisation de ce qu’il est convenu d’appeler les fans zones. Nous avons déjà évoqué cette question ici même lors de l’examen, le 28 avril 2016, de la proposition de loi renforçant le dialogue avec les supporters et la lutte contre le hooliganisme que notre groupe avait proposée et qui a été votée à l’unanimité de l’Assemblée nationale. Nous avions alors soulevé la question, mais celle-ci n’a pas encore obtenu de réponse. En liaison avec un certain nombre d’élus locaux, le Gouvernement a fait le choix de ne pas interdire ces « fans zones ». Mais est-il vraiment raisonnable d’organiser au pied de la Tour Eiffel, sur le Champ de Mars, une « fan zone » de 100 000 personnes tous les soirs pendant un mois ? Poser la question, hélas, c’est déjà y répondre.

M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Mais non !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il y en aura aussi une à Bordeaux !

M. Guillaume Larrivé. Monsieur le ministre, mes chers collègues, ne nous payons pas de mots : l’état d’urgence, ce ne doit pas être de la communication virtuelle, mais de l’action réelle. C’est pourquoi nous souhaitons que le Gouvernement l’applique pleinement, sous le contrôle de l’Assemblée nationale, sans faux-semblant, avec toute la force de l’État de droit. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Michel Zumkeller.

M. Michel Zumkeller. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, six mois après les terribles attentats qui ont touché notre territoire et provoqué la mort tragique de 130 personnes, notre Assemblée est de nouveau saisie d’un projet de loi de prorogation de l’état d’urgence. Il y a six mois jour pour jour, le 19 novembre 2015, nous adoptions le texte qui réformait la loi du 3 avril 1955 afin de l’adapter à la nouvelle génération de menaces à laquelle nous devons faire face et prolongions de trois mois l’état d’urgence déclaré le 14 novembre, puis, par la loi du 19 février 2016, de trois mois supplémentaires. Le 26 mai, nous arriverons au terme de ces trois mois. Le Gouvernement nous soumet donc un nouveau projet de loi de prorogation de l’état d’urgence, cette fois-ci pour une durée de deux mois.

Les mesures ont-elles été efficaces et sont-elles encore nécessaires ? Décider de prolonger ou non l’état d’urgence implique de faire au préalable un bilan des mesures mises en œuvre dans ce cadre et des résultats qu’elles ont d’ores et déjà permis d’obtenir. La communication d’étape sur le contrôle de l’état d’urgence, faite par nos collègues Dominique Raimbourg et Jean-Frédéric Poisson, ainsi que votre audition, M. le ministre, nous ont permis de disposer d’un certain nombre d’éléments : entre le 14 novembre 2015 et le 13 mai 2016, 3 579 perquisitions administratives ont été conduites, permettant la découverte de 756 armes, la constatation de 557 infractions et la réalisation de 420 interpellations ayant conduit à 364 gardes à vue ; au cours de cette même période, 404 personnes ont fait l’objet d’une mesure d’assignation à résidence, dont 374 au titre de leur implication dans la mouvance islamiste radicale, et, depuis le 26 février, soixante-neuf assignations ont été renouvelées et trois nouvelles décidées. Ces chiffres démontrent que l’action quotidienne des services porte ses fruits.

Partant de ces constats, l’usage de ces mesures exceptionnelles est-il encore nécessaire ? Peut-on encore à ce jour parler de péril imminent ? Nous sommes tous conscients que la menace plane encore, que la France demeure une cible privilégiée en raison non seulement du combat qu’elle mène contre les djihadistes mais également des valeurs qu’elle représente. Ainsi, au cours de ces derniers mois, plusieurs attentats qui visaient nos intérêts, nos ressortissants ou des alliés directs de la France ont été commis à l’étranger. Ceux qui ont eu lieu en Belgique le 22 mars illustrent particulièrement la pertinence de la menace en France du fait de leur proximité géographique mais surtout en raison de leurs liens directs avec ceux de Paris. Il existe donc bel et bien à ce jour un péril imminent, condition essentielle à la mise en place et à la prorogation de l’état d’urgence.

En outre, la France va accueillir un nombre important de visiteurs à l’occasion du championnat d’Europe de football qui se tiendra du 10 juin au 10 juillet 2016. La priorité est donc d’assurer la sécurité de tous les supporters qui constituent de potentielles cibles. De même, le traditionnel Tour de France rassemblera un nombre important de personnes du 2 au 24 juillet, lesquelles représentent, elles aussi, des cibles potentielles. La menace est donc d’autant plus forte dans le cadre de ces grands événements sportifs. Certes, connaissant déjà leurs dates, notre Assemblée aurait pu, dès le mois de février, prolonger l’état d’urgence jusqu’en juillet. Cependant, soumettre à nouveau à la représentation nationale un projet de loi de prorogation permet de renforcer le contrôle du Parlement,…

M. Pascal Popelin, rapporteur. Tout à fait !

M. Michel Zumkeller. …auquel le groupe UDI tient tout particulièrement. Je veux d’ailleurs rappeler que, dans le cadre de la défunte révision constitutionnelle, nous avions souhaité la constitutionnalisation de l’état d’urgence, considérant que la majorité, quelle qu’elle soit, ne devrait pas empêcher l’opposition de contrôler les moyens extraordinaires qui sont donnés en l’espèce au Gouvernement et à l’État.

Enfin, innovation par rapport aux textes précédents, ce projet de loi ne fait pas référence à la disposition de la loi du 3 avril 1955 qui permet aux préfets d’ordonner des perquisitions administratives en tous lieux, de jour comme de nuit. Si la faculté de recourir aux perquisitions judiciaires dans les conditions de droit commun n’est pas remise en cause, toute nouvelle perquisition administrative ordonnée à compter du 26 mai sera illégale. Cette suppression ne signifie pas pour autant que le niveau de menace est devenu plus faible, bien au contraire ; elle s’explique par une diminution de l’efficacité de ces mesures depuis novembre 2015 : en effet, sur 3 579 perquisitions administratives conduites entre novembre 2015 et mai 2016, seules 152 ont été conduites pendant la première prorogation, soit une nette baisse. En outre, la décision du Conseil constitutionnel du 19 février 2016 a réduit l’efficacité de ces mesures puisqu’elle a rendu impossible la réalisation de copies informatiques dans le cadre de nouvelles perquisitions administratives et a mis fin à l’exploitation des données déjà copiées. Il nous paraît donc cohérent de limiter les pouvoirs de police exceptionnels en ce qui concerne les perquisitions administratives puisqu’elles ne bénéficient plus de l’effet de surprise et ont perdu de leur utilité.

Cela étant, mes chers collègues, nous ne pourrons pas proroger l’état d’urgence indéfiniment. L’éventualité d’un attentat commis au lendemain de sa levée ne doit pas nous conduire à rester trop longtemps en dehors du cadre du droit commun. Nous devons donc préparer l’après-état d’urgence. Certes, sortir de l’état d’urgence ne signifiera pas que la menace aura disparu, mais pas non plus que les moyens des services de police, de gendarmerie ou de renseignement seront réduits. Les forces de l’ordre, auxquelles nous tenons bien évidemment à rendre un hommage appuyé en ces temps particulièrement difficiles, devront continuer à disposer des moyens leur permettant d’assurer la protection de nos concitoyens. Il s’agit donc envisager la lutte à moyen et à long terme contre le terrorisme dans le cadre normal de l’État de droit,…

M. André Chassaigne. Tout à fait !

M. Michel Zumkeller. …et de doter à cet effet notre arsenal législatif de suffisamment de moyens pour assurer une lutte efficace contre le terrorisme.

Nous espérons que le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, dont nous débattrons cet après-midi, saura répondre à ces défis.

Désormais, l’urgence est de préparer l’après-état d’urgence en assurant la lutte contre le terrorisme par les moyens du droit commun.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe UDI votera en faveur de ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Pascal Popelin, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Yves Goasdoué.

M. Yves Goasdoué. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, permettez-moi à mon tour de saluer, au nom du groupe socialiste, républicain et citoyen, le professionnalisme, le sang-froid et le courage des forces placées sous l’autorité du ministère de l’intérieur. Je ne reviendrai pas sur les images que nous avons malheureusement pu voir hier soir les uns et les autres, car tout a été dit : le courage de ce policier visiblement formé, qui, bien que menacé de mort, garde son calme et ne touche même pas à son arme, se contentant de repousser l’agresseur pour ensuite regagner ses rangs, sachant que les personnes concernées seront poursuivies et que la justice passera, est remarquable.

M. Olivier Falorni. Tout à fait !

M. Yves Goasdoué. Je veux aussi, monsieur le ministre, puisque vous êtes attaqué de toutes parts, vous confirmer le soutien non seulement du groupe socialiste, républicain et citoyen mais aussi, je le sais, celui de nombreux collègues sur tous les bancs.

M. Olivier Falorni. Absolument !

M. Gérard Bapt. Je confirme !

M. Yves Goasdoué. Lorsque l’on inspire comme vous le respect des forces de l’ordre que vous commandez ainsi que, je le vois bien, totalement celui du corps préfectoral, cela signifie que nous avons un ministre de l’intérieur républicain qui, en ces temps troublés, représente à la fois la détermination et l’État de droit.

J’en viens au projet de loi.

J’entends une petite musique laissant entendre que l’état d’urgence ne sert pas à grand-chose… Il faut interrompre cette petite musique en y apportant un démenti catégorique. Il suffit de regarder les chiffres que vous avez donnés et que mon collègue Michel Zumkeller vient de rappeler pour bien comprendre que, sans l’état d’urgence, il est probable que les douze attentats déjoués ne l’auraient pas été, pas plus que les doutes n’auraient été levés grâce des perquisitions administratives ou à des assignations à résidence. Il est en outre certain que les armes d’épaule – y compris de guerre – ou de poing saisies ne l’auraient pas été, pas plus que n’auraient été relevées les trente et une infractions rattachables au terrorisme, dont les auteurs courraient toujours dans la nature – je rappelle que six d’entre elles le sont du chef d’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste. Oui, l’état d’urgence a une efficacité.

Depuis six mois, l’état d’urgence a-t-il été de nature à mettre à mal ne serait-ce qu’une seule de nos libertés fondamentales, collectives ou individuelles, constitutionnellement protégées ? Le contrôle mené par Dominique Raimbourg et Jean-Frédéric Poisson a encore clairement démontré, dans son quatrième point d’étape dont les conclusions sont sans ambiguïtés, qu’il n’en était rien. Par conséquent, l’état d’urgence est utile et ne met nullement en cause lesdites libertés.

Pour autant, il nous faut vérifier, en fait comme en droit, parce que c’est la mission et, je le crois, l’honneur du Parlement, le bien-fondé et l’intérêt de cette prorogation de deux mois. Existe-t-il un péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public ? Les dispositions de la loi de prorogation sont-elles proportionnées à la menace et strictement nécessaires et, par ailleurs, de nature à conduire à un retour au droit commun ?

Concernant tout d’abord l’existence d’un péril imminent résultant d’atteintes grave à l’ordre public, vous avez démontré, monsieur le ministre, la hauteur de la menace, ce dont personne ne disconvient, même parmi les plus réticents. La France représente encore une cible en raison même de son combat contre le terrorisme. Cette menace risque bien entendu de durer, d’autant plus que s’y ajoutent, et c’est l’objet de cette prorogation, la perspective de l’Euro et du Tour de France.

Je préfère pour ma part les avis précis du Conseil d’État, héritier d’une grande tradition juridique, aux donneurs de leçons, d’où qu’ils viennent. Le Conseil d’État considère clairement que le péril imminent résulte de la hauteur de la menace et de la concomitance de ces deux événements à portée internationale. Qu’on se rende bien compte de la cible : l’Euro doit en effet rassembler 2,5 millions de personnes et de nombreux étrangers ; quant au Tour de France, c’est une manifestation qui fait la France, qui est télévisée. Comment pourrions-nous laisser le pays sans protection à ce moment ?

Les dispositions du projet de loi de prorogation sont-elles proportionnées à la menace et strictement nécessaires ? Sont-elles de nature à conduire à un retour au droit commun ? Oui, elles sont proportionnées. Oui, elles sont nécessaires.

Elles sont proportionnées non seulement parce que la durée de l’état d’urgence est limitée aux deux événements que je viens de citer mais aussi parce que l’article 11 de la loi de 1955 n’est plus mis en œuvre, car, comme cela a été dit et répété, les perquisitions ont perdu une partie de leur intérêt. Bien entendu, rien n’interdit de recourir à des perquisitions judiciaires.

L’urgence n’a pas vocation à perdurer. Le Conseil d’État indique dans son avis : « L’état d’urgence perd son objet dès lors que s’éloignent les atteintes graves à l’ordre public » – cela n’est pas le cas – « ou que sont mis en œuvre des instruments qui, sans être de même nature que ceux de l’état d’urgence, sont fondés sur des moyens de police administrative et judiciaire ayant vocation à répondre de façon permanente à la menace qui l’a suscité ».

Ces instruments ont été co-construits ces derniers mois et années par le Gouvernement et le Parlement. C’est la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, dont les deux décrets viennent d’être pris. C’est également la loi du 22 mars 2016 relative à la prévention et la lutte contre les actes terroristes dans les transports publics de voyageurs. C’est enfin le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et son financement et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, dont nous allons discuter dans quelques instants.

M. Olivier Falorni. Très bien !

M. Yves Goasdoué. Ce sont ces dispositions, lorsqu’elles produiront leur plein effet, qui nous permettront de sortir de l’état d’urgence en assurant à nos concitoyens le niveau de protection que leur doit l’État. C’est pourquoi, en pleine responsabilité, le groupe socialiste votera la prorogation de l’état d’urgence telle qu’elle nous est proposée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, je voudrais tout d’abord condamner à cette tribune les violences dont les policiers ont été victimes. Nous en avons tous vu des images, qui sont d’une très grande brutalité. Je sais par ailleurs que les violences qui ont été commises à l’encontre des manifestants seront sanctionnées. Vous en avez pris l’engagement, monsieur le ministre.

L’état d’urgence dont le Gouvernement demande une nouvelle prorogation aujourd’hui a été instauré le 14 novembre, à la suite des attentats meurtriers perpétrés à Paris. Cet état d’exception, théoriquement provisoire, se prolonge et perdure dans notre pays.

Il s’accompagne d’un durcissement répressif notable de notre législation. Dans la foulée de ce débat, notre assemblée aura en effet à se prononcer sur les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé et le terrorisme.

Ce texte donne au ministre de l’intérieur que vous êtes des prérogatives qui s’inspirent de l’état d’urgence. Il octroie la possibilité d’assigner à résidence pendant trois mois une personne revenant du théâtre des opérations terroristes, sans élément constitutif d’un délit ; il consacre un nouveau régime d’irresponsabilité pénale pour les policiers et les gendarmes ; il autorise le procureur à ordonner des écoutes téléphoniques, de la vidéosurveillance, des captations de données informatiques ou des perquisitions de nuit ; il permet aux juges d’instruction et aux procureurs de recourir aux IMSI-catchers en matière de criminalité organisée ; enfin, il autorise une retenue de quatre heures sans la présence d’un avocat et une peine de sûreté de trente ans.

En quelques mois, nous avons construit l’une des législations les plus répressives d’Europe, sous le coup d’une émotion générale provoquée par les attentats.

L’état d’urgence est-il le seul outil pour lutter contre le terrorisme ? Nous ne le pensons pas, d’une part parce que l’état de droit n’est pas un état de faiblesse, d’autre part, parce que des nations frappées par le terrorisme ont fait d’autres choix. La Belgique, qui a connu, hélas, des attentats meurtriers après nous, n’a pas eu recours à l’état d’urgence.

L’état d’urgence sert-il encore à lutter contre le terrorisme ? C’est en fait une question légitime. Je voudrais rappeler ici les mots mesurés, et éclairants de l’ancien président de la commission des lois le 13 janvier dernier. Tirant devant elle un premier bilan de l’application de l’état d’urgence, il évoquait une véritable dérogation, seulement justifiée par l’évidence et le caractère strictement temporaire de l’état d’urgence, avant de conclure : « En sortir sera un acte délicat. Arrêter l’état d’urgence ne sera pas synonyme de moindre protection car en réalité l’essentiel de l’intérêt de ce que l’on pouvait attendre de ces mesures semble, à présent, derrière nous ».

Surtout, il pointait en filigrane le risque que l’état d’urgence ne se banalise, et devienne en fait un outil des temps normaux. Et il avait raison de pointer ce risque, parce que le Gouvernement n’a eu de cesse de marteler l’idée que, pour lutter contre le terrorisme, on ne peut se passer de l’état d’urgence. Pourquoi, dans ce cas, nous en proposer aujourd’hui une version allégée ? C’est en effet un état d’urgence amputé qui est soumis au vote, alors que les perquisitions administratives nous ont toujours été présentées comme le principal outil de ces mesures d’exception.

En fait, pour reprendre l’interrogation partagée par le président de la commission des lois, Dominique Raimbourg, nous sommes passés d’un état d’urgence dont la finalité était la lutte contre la menace terroriste à un dispositif de maintien de l’ordre. La tentation pointait déjà avec les assignations à résidence de militants écologistes lors de la tenue de la COP21 à Paris en décembre dernier.

Selon le Gouvernement, les conditions posées par la loi de 1955, c’est-à-dire le péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, seraient réunies jusqu’au 26 juillet, notamment pour assurer la sécurité de l’Euro de football et le Tour de France.

Chers collègues, le texte que nous avons à adopter vise essentiellement à permettre la prorogation des mesures d’assignation à résidence régulièrement contestées car fondées essentiellement sur l’utilisation des notes blanches, érigées en reines des preuves. Sur les 268 décisions d’assignation encore en vigueur, à la fin de la première période de prorogation de l’état d’urgence, 198 n’ont pas vu cette décision renouvelée. De plus, pour 154 personnes, la mesure d’assignation, pourtant très lourde, n’a connu aucune suite : ni judiciarisation du dossier, ni interdiction de sortie du territoire, ni procédure d’expulsion. En outre, 53 arrêtés préfectoraux d’interdiction de séjour ont été signés en un week-end, dont 41 notifiés à Paris, suite aux manifestations contre la loi Travail. N’est-ce pas là utiliser les moyens de l’état d’urgence pour assurer le maintien de l’ordre public ?

Chers collègues, il est temps de sortir de cet état d’exception. Aussi, comme lors du précédent vote, la majorité du groupe écologiste votera contre cette nouvelle prorogation de l’état d’urgence. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. André Chassaigne. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à l’heure où il est demandé à votre assemblée de proroger une nouvelle fois, et pour deux mois, l’état d’urgence, nous sommes dans une situation assez différente de celle que nous avons connue lors des votes précédents. En premier lieu, la vague puissante d’émotion qui a suivi les attentats horribles que nous avons connus à la fin de l’année dernière est largement retombée. Cela ne veut naturellement pas dire que l’inquiétude ne subsiste pas parmi nos concitoyens. Cependant, comme nous l’avons entendu dans certaines interventions, la zone grise qui accompagne la menace reste, dans l’esprit de beaucoup, une éventualité moins perceptible.

Contrairement aux précédents votes, nous disposons aujourd’hui, notamment grâce au contrôle parlementaire, de données précises sur la manière dont l’état d’urgence a été réellement conduit. Ces données, quantitatives et qualitatives, telles que les interventions du juge administratif, éclairent la portée et la nature de certaines décisions. Rien ne vaut de se confronter aux réalités, à la consistance et à la portée des mesures prises.

Je tire deux constats de ces chiffres, qui ont été abondamment cités et sur lesquels je ne reviendrai pas. Le premier est que, si l’émotion s’est éloignée, le danger serait de croire qu’il n’y a plus de danger. De ce point de vue, je le dis avec netteté, nous pouvons et nous devons faire confiance au Gouvernement. Tout d’abord, c’est l’exécutif, non le législatif, qui dispose des instruments de pilotage et de contrôle, du renseignement ou encore de cette trame judiciaire évoquée tout à l’heure par le ministre.

Ensuite, je salue le sang-froid impeccable dont font preuve les pouvoirs publics, au premier rang d’entre eux, le ministre de l’intérieur. Il nous incline à donner notre confiance. La simple lecture des informations publiques nous conduirait à comprendre, à moins de manquer totalement de bon sens, qu’une menace persiste bien dans notre pays. De la même manière, l’organisation de deux très grands événements, dont l’un est de portée internationale – l’Euro de foot et le Tour de France – nous incline à ne pas rester dans une situation où nous n’aurions pas donné au Gouvernement une autorisation d’agir, alors que des accidents extrêmement graves pourraient se produire.

Une seconde considération emporte mon adhésion au projet, tel qu’il est proposé. Comme je l’ai déjà dit, nous sommes ici à la croisée de l’exercice des pouvoirs respectifs de l’exécutif et du législatif. D’un côté, le Gouvernement, dans l’exercice de sa fonction régalienne, conduit l’ensemble du dossier sécuritaire par la prévention, par l’information, puis par l’action, elle-même autorisée par le Parlement. De l’autre, le Parlement autorise, mais également, il contrôle. C’est là un élément nouveau, qui est extrêmement important, dans la manière dont nous appréhendons le nouvel état d’urgence.

C’est la raison pour laquelle je regrette vivement que nous n’ayons pas pu constitutionnaliser cet état d’urgence. Les malentendus sur ce point ont été nombreux. Constitutionnaliser, ce n’est pas permettre, au contraire !

M. Marc Dolez. Bien sûr !

Mme Marie-Françoise Bechtel. C’est limiter la permission, et la limiter notamment pour le futur. De plus, l’amendement que j’avais présenté en commission ayant été voté, nous aurions introduit le contrôle parlementaire dans la Constitution, préservant ainsi l’état d’urgence de certaines tentations futures, sur lesquelles il n’est pas besoin de s’étendre.

Quant au texte que le Gouvernement nous propose, il est parfaitement acceptable. Il est simple et expédient de l’adopter tel qu’il est. L’heure n’est pas aux ratiocinations. Nous désirons adopter un texte conforme à celui qui a été adopté par le Sénat, de manière à aller vite et avec efficacité.

Le seul point qui a pu chagriner ici ou là est la question des perquisitions. Là encore, il faut faire confiance à ceux qui tiennent les rênes de l’exécutif, lorsqu’ils nous disent que les perquisitions ne seraient pas d’une utilité manifeste et que, dans ces conditions, il n’y a pas lieu de les intégrer au projet de loi par une disposition explicite.

Mes chers collègues, si personne n’a à se satisfaire de la nécessité de proroger l’état d’urgence, c’est à raison non du contenu de celui-ci, qui est contrôlé, à la fois dans sa dimension quantitative et qualitative, mais des motifs qui nous poussent aujourd’hui à le voter une dernière fois. J’ai évoqué l’intervention respective de l’exécutif et du législatif. L’un et l’autre sont des éléments de l’État. Or les Français sont légitimement attachés à un État qui les protège. Ce point est extrêmement important : nous nous rendons bien compte, dans nos circonscriptions, que les Français voient cela.

Oui, mes chers collègues, je ne crains pas de le dire : les Français sont en demande d’État. L’État doit répondre présent à cette demande. C’est ce qu’il fait aujourd’hui.

Pour finir, je ne crois pas à un État démocratique qui n’assurerait pas la sécurité de ses concitoyens ; mais ces nécessités à court terme doivent être prolongées par une vision à long terme de ce que serait un État digne des défis qui se posent à notre pays, et en premier lieu du grand défi de l’intégration. Pour ma part, j’ai proposé, avec un certain nombre de collègues, que l’on étudie sérieusement la question de la restauration d’un service national obligatoire et universel. Cette proposition reste sur la table.

Pour aborder un sujet plus proche de vos compétences, monsieur le ministre, je pense que la reconstitution d’un renseignement territorial – auquel vous êtes, je le sais, attaché, puisque vous lui avez déjà donné des moyens – serait d’une importance majeure sur le long terme, de même que celle d’une police de proximité, laquelle a malheureusement été retirée de nos quartiers, ce qui a eu les conséquences négatives que nous connaissons. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Marie-George Buffet. Eh oui !

M. Jean-Luc Laurent. Très juste !

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, nous voterons cette troisième prolongation de l’état d’urgence. Nous la voterons dans l’esprit de responsabilité qui a toujours caractérisé l’opposition dans cet hémicycle – car je tiens à vous le dire, monsieur le ministre : notre voix ne vous a jamais fait défaut lorsqu’il s’est agi d’affirmer l’unité nationale contre le terrorisme. Vous avez tenu tout à l’heure des propos mettant en cause l’opposition, dans ses discours et dans ses actes. Les actes, ils se jugent ici, devant la représentation nationale : aucune voix de l’opposition ne vous a fait défaut pour combattre le terrorisme. Vous ne pouvez pas en dire autant ! Il n’en était pas de même lorsque vous étiez, vous et vos amis, dans l’opposition...

M. Philippe Goujon. C’est vrai !

M. Éric Ciotti. Nous voterons donc, pour la troisième fois, la prolongation de l’état d’urgence, alors que nous avions demandé – je l’avais fait personnellement d’abord le 19 novembre, puis le 16 février – une durée plus longue. Vous aviez refusé ces amendements qui visaient à porter à six mois la durée de l’état d’urgence.

M. Philippe Goujon. Quel manque de clairvoyance !

M. Éric Ciotti. Finalement, vous nous proposez aujourd’hui un état d’urgence au rabais, en mode dégradé ; un état d’urgence d’une durée plus brève, privé, comme l’a souligné Guillaume Larrivé, d’un de ses outils essentiels : les perquisitions administratives.

M. Philippe Goujon. Évidemment !

M. Éric Ciotti. Pourquoi ? Nous ne le comprenons pas. Nous vous le disons solennellement, monsieur le ministre : c’est une erreur, une nouvelle erreur, d’autant que vous n’avez pas utilisé l’un des principaux outils juridiques que vous offrait l’état d’urgence, l’interdiction de manifester. C’eût pourtant été utile, pertinent, et même indispensable, dans le contexte que vous avez rappelé, face à la menace, aux violences terrifiantes que subissent nos policiers. Oui, certaines manifestations auraient dû être interdites ; oui, vous auriez dû utiliser cette arme que vous offrait l’état d’urgence.

Nous sommes aujourd’hui dans une situation de menace maximale. Je veux citer les propos de M. Patrick Calvar, le patron de la Direction générale de la sécurité intérieure – auquel je veux rendre hommage, ainsi qu’à tous ceux qui, au sein des services de renseignement, de police et de gendarmerie et au sein de nos armées protègent nos concitoyens. M. Patrick Calvar affirmait trois choses : premièrement, je le cite, « la France est aujourd’hui, clairement, le pays le plus menacé » ; deuxièmement, « nous savons que Daech planifie de nouvelles attaques, en empruntant les mêmes routes qui facilitent l’accès à notre territoire » ; et, pour finir, « nous risquons d’être confrontés à une nouvelle forme d’attaque : une campagne terroriste caractérisée par le dépôt d’engins explosifs dans des lieux où est rassemblée une foule importante, ce type d’action étant susceptible de se multiplier ». Tout est dit.

Nous sommes confrontés à une menace maximale ; nous sommes au cœur de cette menace. Bien entendu, il convient de ne pas baisser la garde. « Gouverner, c’est prévoir », disait Émile de Girardin. Oui, il faut prévoir, monsieur le ministre ; or on a le sentiment que lorsque les événements tragiques s’éloignent, il n’y a plus la même détermination, la même énergie.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Comment ça ?

M. Éric Ciotti. Pourquoi certaines dispositions, qui avaient été utilisées quelques jours après le 13 novembre, ne le sont-elles plus aujourd’hui ? La menace a-t-elle diminué ? Non, elle n’a pas diminué : le patron des services de renseignements nous l’a dit le 10 mai. Il faut donc faire preuve de la plus grande détermination, et nous défendrons des amendements visant à rétablir les perquisitions et à avoir un état d’urgence qui dure. Vous l’avez dit, et le Premier ministre l’a dit lui aussi : il faudra garder les outils de protection tant que la menace sera maximale. Je regrette que vous prévoyiez la sortie de l’état d’urgence.

Je voudrais, pour terminer, souligner le contexte tragique que connaît notre pays. Vous avez évoqué tout à l’heure, avec des mots justes, les policiers. Je tiens ici à leur témoigner, au nom des Républicains, notre considération, notre reconnaissance infinie, notre respect. Monsieur le ministre, nous devons protéger ceux qui nous protègent. Les images, qui ont défilé hier sur tous les écrans de télévision, de l’attaque, du traquenard dans lequel sont tombés des policiers sont terrifiantes. Il s’agit d’une tentative d’assassinat – les mots ont un sens ; il y avait préméditation, tout cela avait été conçu pour tuer. Je souhaite – même si ce sera bien entendu à l’autorité judiciaire de prendre ses responsabilités – que les auteurs de ces faits soient traduits en cour d’assises.

M. Philippe Goujon. Absolument !

M. Éric Ciotti. Il faut mettre un coup d’arrêt à cette violence ! Il faut interdire ces manifestations ! (Exclamations sur les bancs du groupe écologiste.) Il faut dissoudre les groupuscules d’extrême gauche !

M. Philippe Goujon. Il a raison !

M. Éric Ciotti. Vous vous refusez à le faire. Pourquoi les antifas ne sont-ils pas encore dissous ? Il faut dissoudre ces groupes, monsieur le ministre ! (Mêmes mouvements.)

Les mots ne suffisent plus : il faut des actes. Vous avez évoqué tout à l’heure 1 300 interpellations, mais il y eut à peine 61 comparutions immédiates. Il faut une réponse pénale plus claire, plus adaptée, plus déterminée. Et oui, l’opposition est dans son rôle quand elle pose ces questions ! Nous ne créons pas de fausses polémiques, contrairement à d’autres. Je n’aurai pas la cruauté de rappeler le tweet rédigé par un membre éminent de votre gouvernement au moment de l’assaut contre Mohammed Merah ; je n’aurai pas la cruauté de rappeler les propos de François Hollande contre le ministre de l’intérieur de l’époque au moment des émeutes urbaines. Nous sommes derrière les policiers ; nous ne les mettons pas en cause. Ce sont eux qui ont évoqué, par la voix de leurs syndicats, des consignes tardives. Alors, n’inversez pas les responsabilités ; n’inversez pas les rôles ! (Exclamations sur les bancs du groupe écologiste.– M. Philippe Goujon applaudit.)

Monsieur le ministre, nous vous soutenons et nous voterons ce texte.

M. le président. Merci de conclure, cher collègue.

M. Éric Ciotti. Nous voterons aussi celui renforçant la lutte contre le crime organisé. Mais ne mettez pas en cause l’opposition, car l’opposition est responsable et elle est dans son rôle quand elle vous demande des comptes et qu’elle réclame des actes afin de protéger les policiers qui protègent notre société ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Colette Capdevielle. Toujours plus !

M. Philippe Goujon. Excellente intervention, très juste !

Mme Brigitte Allain. Hum…

Mme Marie-Françoise Bechtel. Très surprenante, surtout…

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Monsieur le ministre, vous nous demandez de proroger pour la troisième fois et pour deux mois l’état d’urgence qui a été instauré dans notre pays, le 14 novembre dernier, par décret du Président de la République, et qui a été prorogé une première fois par la loi du 20 novembre 2015 et une deuxième fois la loi du 19 février 2016, au vu de la situation que connaît notre pays en matière de sécurité – et que vient de décrire Éric Ciotti. Face à la stratégie des organisations terroristes islamistes qui vise à diviser les Français, à les jeter les uns contre les autres, il est difficile pour un parti de gouvernement comme Les Républicains de faire autre chose que de soutenir l’unité nationale, à un moment où la sécurité de nos concitoyens est en jeu. L’objectif de la protection des Français doit primer ; c’est la raison pour laquelle il va de soi que nous voterons la prorogation, en étant convaincu que l’exécutif, que vous représentez, monsieur le ministre, possède les informations et renseignements nécessaires pour justifier une telle prorogation, informations dont par définition nous ne disposons pas – Mme Bechtel l’a rappelé.

Cela posé, je ne vous cache pas que votre démarche n’est pas sans susciter chez moi quelques interrogations.

Dans le discours qu’il avait prononcé, à Versailles, le 16 novembre 2015, devant le Parlement réuni en Congrès, le chef de l’État avait proposé cette mauvaise affaire de l’inscription dans la Constitution de la déchéance de nationalité pour les binationaux, y compris ceux nés en France, une affaire qui a pollué le débat politique dans notre pays quatre mois durant ; mais il avait aussi proposé de constitutionnaliser l’état d’urgence, précisément pour en encadrer les effets et éviter d’y avoir recours de façon quasi permanente, comme vous le faites aujourd’hui, ce qui finit par dénaturer son caractère même : l’urgence ne peut être en démocratie le droit ordinaire et permanent.

Dans cet esprit, le Premier ministre, Manuel Valls, indiquait le 5 février, à l’occasion de son discours de présentation de la révision constitutionnelle, que celle-ci poursuivait l’objectif suivant : « Adapter notre Constitution, le plus haut de nos textes de droit, celui qui s’impose à tous les autres, à la réalité de la menace. […] Ce sera l’article 36, alinéa 1. […] Cet article ne modifie en aucun cas les conditions qui actuellement justifient la mise en œuvre de l’état d’urgence. Il encadrera au contraire strictement les motifs de son déclenchement et de sa prorogation. Ils ne pourront plus, comme c’est aujourd’hui le cas, être modifiés par une loi ordinaire. Nous graverons ainsi dans le marbre le caractère exceptionnel de l’état d’urgence. » Force est de constater que ce caractère exceptionnel dure au point de devenir ordinaire !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Absolument !

M. Pierre Lellouche. Dans un deuxième temps, vous avez engagé début mars une réforme importante du code de procédure pénale, ainsi que d’autres aspects de notre droit, de façon précisément à augmenter les moyens d’investigation des forces de sécurité et de la justice pour lutter contre le terrorisme. Si je comprends bien, vu votre souhait de proroger l’état d’urgence, vous considérez que les dispositions que nous avons votées en première lecture début mars et dont nous achèverons aujourd’hui même l’examen ne vous paraissent pas suffisantes compte tenu du degré de gravité de la menace. Dans ce cas, pourquoi vous interdire dans le texte que vous proposez aujourd’hui de mener des perquisitions administratives ? Et pourquoi, comme le notait tout à l’heure Guillaume Larrivé, faire en sorte que la plupart des personnes qui sont des djihadistes soient en liberté au lieu d’être assignées à résidence ? J’avoue avoir du mal à comprendre votre logique !

En troisième lieu, dans son discours du 16 novembre, le Président de la République avait parlé de « guerre » : « La France est en guerre. Les actes commis vendredi soir à Paris et près du Stade de France sont des actes de guerre », avait-il déclaré. À plusieurs reprises, le Premier ministre a explicité cette notion. Alors, comment expliquer qu’un pays en guerre accueille, un mois durant, une manifestation aussi considérable que le championnat d’Europe de football, en laissant organiser des rassemblements humains de grande ampleur, ce qui serait compréhensible en temps de paix, mais est difficilement imaginable en cas de guerre ? Si l’on peut considérer que les stades, qui sont des enceintes closes et protégées, peuvent être adéquatement surveillés aux points d’entrée, n’est-ce pas prendre un risque exorbitant que de laisser organiser par des entreprises privées, dans des lieux publics emblématiques, comme l’esplanade du Champ-de-Mars, la concentration de plusieurs dizaines de milliers de personnes pendant un mois ?

M. Philippe Goujon. C’est une évidence !

M. Pierre Lellouche. C’est la raison pour laquelle les élus Les Républicains du Conseil de Paris ont à plusieurs reprises suggéré aux pouvoirs publics de déplacer la fan zone dans un lieu clos, par définition mieux protégé – par exemple, le stade Charléty.

M. Philippe Goujon. Très bien !

M. Pierre Lellouche. Surveillant de très près ces questions de terrorisme, je note que chaque semaine, en Syrie, des armes chimiques sont utilisées par les deux parties : du côté du régime de Bachar, mais aussi du côté des djihadistes de Daech. Ces armes chimiques sont fabriquées à Mossoul par un certain Abou Malik, qui était le chef chimiste de Saddam Hussein. Elles peuvent se retrouver en France demain. Êtes-vous conscient, monsieur le ministre, des risques que vous faites courir à nos concitoyens en laissant organiser de telles concentrations humaines dans des lieux emblématiques ? Et quid des autres retransmissions télévisées dans des lieux publics : cafés, commerces, associations ?

J’ai sous la main une lettre du préfet de police de Paris, datée du 9 mai 2016, dans lequel il est écrit, noir sur blanc, que de telles manifestations, hors fan zones, ne pourront pas, faute de moyens suffisants, solliciter l’appui de la police, sauf « en situation d’urgence ».

M. Philippe Goujon. Eh oui !

M. Pierre Lellouche. Autrement dit, pour toutes les autres manifestations, l’État s’en remet aux organisateurs qui devront louer les services des services de sécurité privés !

En quatrième lieu, comment imaginer que dans le cadre de l’état d’urgence, vous laissiez perdurer dans nos rues une situation qui relève de la chienlit ? (Exclamations sur les bancs du groupe écologiste.) On est arrivé à un niveau de violence contre les policiers inacceptable, et nous le déplorons. Je dénonce ces attaques.

M. le président. Merci, monsieur Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Bien sûr, nous sommes aux côtés des policiers.

Nous allons voter ce texte, mais franchement, monsieur le ministre, j’ai du mal à comprendre la cohérence de votre politique !

M. Philippe Goujon. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, centres-villes livrés à des émeutiers, saccage des commerces, des biens publics et des moyens de transport, agressions à l’encontre de militaires et de membres des forces de l’ordre – pas moins de 360 policiers blessés, dont certains gravement, depuis fin mars – : le moins que l’on puisse dire, monsieur le ministre, c’est que la dure réalité tranche avec votre discours de satisfaction quant aux résultats et à l’efficacité de l’état d’urgence.

Les manifestations et occupations de places perdurent, les violences s’exacerbent, alors même que l’état d’urgence permet l’interdiction de manifester sur la voie publique. Pourtant, ces démonstrations de sauvagerie demeurent et s’enracinent ; ces casseurs sont les mêmes qui assiégeaient Calais en janvier en soutien aux clandestins. Cette semaine, une vidéo montrait des anarchistes attaquant des policiers et des militaires devant le musée de l’Armée. Hier encore, une voiture de police a été incendiée, alors que des agents de police se trouvaient à l’intérieur.

Vous n’avez de cesse de rendre hommage, à juste titre, à nos forces de l’ordre. Mais qu’attendez-vous pour les protéger réellement ? CNT, Black Blocs, No Borders et autres ne sont toujours pas dissous ! Pourtant, l’état d’urgence permet, depuis la loi du 20 novembre 2015, de dissoudre par décret en conseil des ministres « les associations ou groupements de fait qui participent à la commission d’actes portant une atteinte grave à l’ordre public ou dont les activités facilitent cette commission ou y incitent. » Monsieur le ministre, à quoi sert donc votre état d’urgence, alors que vous refusez par ailleurs de mettre en place les mesures de fond, permanentes, qui s’imposent ?

Vous demandez la reconduction de l’état d’urgence, alors que notre pays, dépourvu de ses frontières, reste à la merci de l’infiltration d’une internationale anarchiste et d’une internationale djihadiste, ainsi que du trafic d’armes. Bon nombre de ces hors-la-loi viennent en effet d’Allemagne et des Pays-Bas. Par ailleurs, vous continuez d’accueillir en masse les migrants, c’est-à-dire les clandestins…

Mme Brigitte Allain. En masse ?

Mme Marion Maréchal-Le Pen. …parmi lesquels se sont infiltrés une partie des terroristes qui ont frappé hier la France. Logiquement, la première mesure, monsieur le ministre, consisterait à sortir de Schengen, pour restaurer définitivement les contrôles aux frontières nationales. Sans cela, rien ne sera possible.

J’ai voté l’état d’urgence, ainsi que sa reconduction. Oui, sa promulgation fut utile : 3 427 perquisitions, 268 assignations à résidence, 588 saisies d’armes, 402 interpellations lors de la première partie. Nos services ont pu réactualiser leurs fichiers. Mais force est de constater que le dispositif déployé dans le cadre de l’état d’urgence s’essouffle : depuis le 26 février, on compte seulement 140 perquisitions administratives, 72 assignations et 155 armes saisies.

Vous annoncez d’ailleurs que, lors de cette troisième reconduction, les perquisitions administratives seront abandonnées. Vidé de sa substance, banalisé, l’état d’urgence semble désormais être davantage une arme médiatique pour le Gouvernement qu’un bouclier protégeant efficacement les Français d’une éventuelle attaque terroriste.

Invoquer sa reconduction eu égard aux événements sportifs à venir est un alibi bien chancelant, révélateur de l’incapacité du Gouvernement à prendre des mesures ambitieuses dans la pérennité. Le paradoxe veut même que nous ayons moins de forces de police cette année pour encadrer les zones de regroupement des supporters ! La réalité est que nos policiers, nos militaires, sont déjà mobilisés par un plan Vigipirate devenu permanent, qui les use physiquement et psychologiquement.

Commençons donc par les réarmer juridiquement : je pense notamment à la présomption de légitime défense pour les policiers, à la réécriture de la légitime défense pour une application plus réaliste et moins restrictive, à l’augmentation des heures de formation au maniement des armes, au droit de circuler gratuitement dans les transports en commun. Les outrages à agents devraient être systématiquement poursuivis, ce qui n’est malheureusement pas le cas à l’heure actuelle. Le Gouvernement doit à nouveau considérer la sécurité comme une priorité budgétaire, plutôt que de dilapider notre budget dans les contributions à Bruxelles ou dans des politiques migratoires complètement folles ! Il devrait se concentrer sur la création de postes, que Nicolas Sarkozy a rabotés allègrement en 2009. Je rappelle que nous comptons seulement 356 policiers pour 1 00 000 habitants, soit moins qu’en Espagne, au Portugal ou en Italie.

Si nous souhaitons être efficaces contre le terrorisme, il faut aussi revoir d’urgence notre politique étrangère. Le Gouvernement prétexte d’une intensification des attaques terroristes en Afrique de l’ouest et au Moyen-Orient pour proroger l’état d’urgence. Au Sahel, l’opération Barkhane voit 3 500 de nos militaires isolés sur une surface gigantesque. Qu’attendez-vous pour réorganiser Barkhane et revoir la question des effectifs de nos armées ? Le ralentissement de la diminution du nombre de nos soldats par la loi de programmation militaire de juin 2015 est déjà obsolète. Au Moyen-Orient, nous devons renverser nos alliances et mener une politique réaliste. Le prisme pro-sunnite du Quai d’Orsay empêche de voir que le wahhabisme, version ultra-radicale de l’Islam, ensemence sa mauvaise graine au Sahel, s’embarque dans les flottes de migrants et s’infiltre dans les mosquées de notre pays.

L’État doit contrôler les fonds qui financent les imams, lieux de cultes, associations cultuelles et culturelles, en particulier lorsqu’ils viennent de pays comme le Qatar ou l’Arabie Saoudite. Malgré les grandes déclarations, seulement neuf mosquées radicales ont été fermées, alors qu’une centaine sont classées salafistes. Le tristement célèbre imam de Brest, dont on nous a dit qu’il avait été interdit de prêche, continue de prêcher au sein de sa mosquée sans que rien ne soit fait.

Monsieur le ministre, nous ne nous opposerons pas à cet état d’urgence mais nous attendons toujours que vous fassiez la démonstration de sa plus-value en stoppant la chienlit qui prospère hors de ces murs(Murmures sur les bancs du groupe écologiste), et enfin que vous preniez en parallèle toutes les mesures durables qui s’imposent à l’intérieur comme à l’extérieur de nos frontières.

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Comme à l’accoutumée, j’ai écouté avec beaucoup d’intérêt et d’attention les interventions ; des questions, en séance et en commission, ont été posées et appellent de la part du Gouvernement des réponses très circonstanciées.

Monsieur Larrivé, vous critiquez le fait que 99 % des personnes figurant dans le fichier des signalés pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste – FSPRT – ne fassent pas l’objet d’une assignation à résidence. Vous êtes juriste et savez parfaitement qu’un gouvernement ne peut prendre des arrêtés d’assignation à résidence sans tenir compte de la jurisprudence du juge administratif.

Toutes les personnes fichées au FSPRT ne relèvent pas de l’assignation à résidence ; certaines émettent des signaux faibles. Or l’assignation à résidence doit reposer sur le principe de proportionnalité. Nous avons tenu compte de ce principe pour assigner à résidence toutes les personnes qui devaient l’être en début de période. Lorsque ces décisions ont été attaquées, le juge administratif, notamment le Conseil d’État, a considéré que les éléments concourant à l’assignation devaient être beaucoup plus accusatoires, alors que les mesures initiales avaient un caractère préventif.

Une assignation à résidence, dans le cadre d’une mesure de police administrative, n’est pas le résultat d’une condamnation. Il s’agit d’une mesure de prévention d’un risque, prise en raison d’informations dont on dispose. Récemment, le Conseil d’État a demandé que lui soient communiqués des éléments inclus dans des dossiers à caractère judiciaire – ce que le procureur de la République a accepté de faire dans un cas et refusé dans un autre.

S’il existe moins d’assignations à résidence que de personnes fichées au FSPRT, c’est que toutes ne relèvent pas de l’assignation à résidence et que nous devons tenir compte de la jurisprudence administrative. Je le redis à l’opposition, avec solennité ; je ne peux adhérer à ce raisonnement qui tend à faire croire que le Gouvernement est faible lorsqu’il respecte le droit – voté par le législateur et interprété par le juge. La force de l’État, face à ceux qui se dressent contre son autorité, est de toujours être dans la conformité au droit !

Mme Marie-George Buffet. Exactement.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. J’appelle chacun à la responsabilité. Monsieur Ciotti, vous avez énoncé à la tribune un certain nombre de choses fausses. Vous m’avez demandé pourquoi la manifestation d’hier n’avait pas été interdite. Mais elle l’était, monsieur le député ! La manifestation d’hier, à laquelle un certain nombre d’organisations ont appelé, était interdite.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Je n’ai pas dit cela !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Vous m’avez demandé les raisons pour lesquelles nous ne profitons pas de l’état d’urgence pour procéder à l’interdiction des manifestations. Je vous réponds très clairement : nous avons interdit toutes les manifestations qui, en droit, pouvaient l’être. Lorsqu’une manifestation de casseurs est organisée à Rennes, nous l’interdisons.

M. Éric Ciotti. C’est la première fois !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous avons interdit une manifestation à Nantes.

M. Pierre Lellouche. Mais vous n’avez pas interdit Nuit debout !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Lellouche, les raisons pour lesquelles nous ne l’avons pas fait tiennent à la décision du Conseil constitutionnel du 19 février, rendue au terme d’une question prioritaire de constitutionnalité, qui définit très clairement le cadre juridique dans lequel il peut être procédé à des interdictions.

M. Éric Ciotti. Vous n’avez pas même essayé !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. La différence entre l’opposition et le Gouvernement, c’est que le Gouvernement entend faire tout ce qui doit être fait dans la plus grande fermeté, mais dans le respect rigoureux des principes de droit, et notamment des principes constitutionnels.

M. Pierre Lellouche. Commencez par agir, vous vous interrogerez sur la conformité ensuite !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous estimons, avec raison, que si nous procédons à des interdictions en contravention avec les principes de droit définis par le législateur et rappelés par le Conseil constitutionnel, nous nous exposons à l’annulation des décisions. Dans le contexte actuel, annuler ces interdictions serait de nature à affaiblir l’autorité de l’État et à créer des tensions supplémentaires. Alors que la tension prévaut, nous considérons que nous devons veiller à ce que chaque décision soit rigoureusement conforme au droit. C’est là que réside la différence entre vous et nous !

On ne peut confondre le droit et le tordu : le droit doit s’appliquer pleinement. Préempter ces sujets en les instrumentalisant à des fins politiques, au risque de créer des tensions, est totalement irresponsable. Je le répète : laisser accroire qu’un gouvernement qui se conforme rigoureusement aux principes de droit, sans autres marges de manœuvre juridiques que celles dont il dispose, fait montre de faiblesse est de nature à créer dans le pays un climat délétère. Je vous appelle donc de nouveau à la responsabilité !

M. Pierre Lellouche. Vous êtes le Gouvernement, agissez !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. De la même manière, je considère qu’il est irresponsable d’affirmer, sur internet, dans la presse, ou dans des prises de position politique, que la violence est consubstantielle à la police. Lorsque l’on écrit à longueur d’éditoriaux que les policiers sont des individus par nature violents, il ne faut pas s’étonner ensuite des réactions auxquelles nous avons assisté hier ! Ce sont de véritables appels à la violence qui sont lancés, dans l’irresponsabilité la plus totale.

M. Gérard Bapt et M. Jean-Luc Laurent. Très juste !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je vous rappelle aussi, messieurs de l’opposition, que toute personne dans cet hémicycle peut être appelée à exercer des responsabilités gouvernementales. Des violences, à l’occasion d’autres manifestations, se sont déjà produites ! Je pense aux manifestations contre le CPE, qui ont donné naissance aux groupes radicaux qui agissent aujourd’hui. Je pense aussi aux émeutes urbaines qui ont duré trois semaines, en plein état d’urgence, et alors que des couvre-feux avaient été instaurés. Aucun d’entre vous, alors, n’était dans la théorisation de la chienlit !

M. Éric Ciotti. Et vous, que disiez-vous ? Je vais vous citer !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Dans l’opposition, je me suis bien gardé, sur tous les sujets que j’ai eus à traiter, de tomber dans la démagogie et les discours à l’emporte-pièce.

M. Éric Ciotti. Ce n’était pas le cas de François Hollande !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Un jour ou l’autre, on se retrouve en situation de siéger au banc du Gouvernement, et les choses deviennent beaucoup moins simples.

Vous avez été dans la majorité et un certain nombre d’entre vous au Gouvernement. Vous savez la complexité des choses, la difficulté de faire face à ces groupes, pour des raisons qui tiennent à leur organisation et à ce qui est l’état du droit. Pourtant, des responsables de l’opposition, dont certains ont exercé des responsabilités éminentes dans l’administration du ministère de l’intérieur, tiennent des propos irresponsables. Ils laissent à penser que les instructions n’ont pas été données de manière à ce qu’il y ait la plus grande fermeté à l’égard des casseurs.

M. Éric Ciotti. Non !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Pour être clair, c’est ce que dit M. Péchenard ! C’est de la petite politique, monsieur Ciotti, mais je vais vous dire ce que j’ai fait : je viens de transmettre aux présidents des commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat la totalité des instructions signées par mes soins et qui font l’objet d’ordres d’opération donnés par les préfets aux forces de police. Vous exercerez ainsi votre contrôle parlementaire, et j’espère que le Parlement rétablira la vérité.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Les personnes qui s’expriment de la sorte devraient feraient preuve d’un esprit de responsabilité d’autant plus prononcé qu’elles ont exercé des fonctions importantes au sein du ministère de l’intérieur. Lorsqu’elles s’expriment ainsi, elles mettent en cause leurs anciens collègues, ce qui traduit d’ailleurs une culture de la confraternité assez curieuse. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.) Je tenais à le dire. Il faut un minimum de déontologie lorsque l’on exerce des responsabilités politiques. Ce genre de choses ne se font pas, ne sont pas convenables. Afin de mettre fin à cette campagne de manipulation, je transmets ce matin la totalité des instructions qui ont été adressées, par mes soins, par télégramme, à l’ensemble des préfets de France.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Vous pourrez consulter les ordres d’opérations. Je pense que l’on pourra ainsi mettre fin à une polémique aussi irresponsable que totalement indigne (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste), je le dis à regret. On ne peut pas dire en permanence que les policiers sont formidables, qu’ils font preuve d’un grand professionnalisme, qu’ils font tout ce qu’ils doivent faire, mais que cela est le fruit du hasard.

Mme Pascale Crozon et Mme Cécile Untermaier. Très juste !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. En d’autres termes, ils ne feraient pas tout cela parce qu’ils reçoivent des instructions, sont encadrés et appliquent une politique publique, mais par hasard. Eh bien, non : ils ne le font pas par hasard ! Ils le font parce qu’il y a des directeurs généraux dans cette maison, des préfets, que, pour ma part, je respecte. Je respecte les préfets, je respecte le directeur général de la police nationale, je respecte le directeur général de la gendarmerie nationale, je respecte les directeurs des services de renseignements. Ils travaillent quotidiennement avec moi, ils appliquent les instructions, ils sont dans la loyauté, et le discours que vous tenez, je le redis, ne correspond pas à la réalité – on va l’établir – et n’est pas responsable. J’appelle encore une fois chacun à la responsabilité.

Mme Cécile Untermaier. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Ensuite, vous dites qu’aucune mesure n’est prise pour éviter ces heurts : c’est faux ! Nous avons pris des arrêtés d’interdiction de paraître dans des manifestations qui concernaient des membres de groupes violents.

M. Éric Ciotti. Oui, avant-hier !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous l’avons fait à l’occasion des manifestations qui se sont révélées les plus violentes, ce qui montre que nous avons eu raison. Nous avons ainsi pris, pour le 17 mai, cinquante-quatre interdictions de manifester, dont quarante et une pour Paris et treize pour les autres départements. Aujourd’hui, nous en avons pris quarante.

M. Jacques Myard. Il faut dissoudre tous ces malfrats !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je vous fais remarquer, messieurs les députés, que les interdictions de paraître que nous avons prises ont fait l’objet de recours et qu’un certain nombre d’entre elles ont été annulées. C’est bien la preuve qu’il faut veiller constamment à la conformité au droit des dispositions que l’on arrête et que l’on ne peut pas prendre de risque. Monsieur Larrivé, vous me reprochez de n’avoir pas fait appel. Mais il s’agissait de référés-liberté ! On n’était donc pas au fond, et le résultat de l’appel serait intervenu à une date où l’interdiction aurait perdu tout intérêt.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Bien sûr !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Voilà pourquoi nous n’avons pas fait appel – non que nous ne souhaitions pas conduire la démarche à son terme, mais, dans le cadre de ce dispositif, nous n’avions pas la possibilité temporelle de le faire. À chaque fois que nous prenons des décisions de police administrative pour protéger le pays contre des casseurs et qu’il nous est possible d’interjeter appel, nous le faisons systématiquement. Je vous ferai d’ailleurs remarquer, monsieur Larrivé, que j’ai repris, concernant les mêmes individus que ceux qui ont fait l’objet d’arrêtés cassés par la justice, des interdictions de paraître – les mêmes, ce qui atteste notre persévérance. Chacun doit prendre ses responsabilités ; je prends les miennes. Au moment où nous parlons, où vous êtes dans la polémique vis-à-vis du Gouvernement, le préfet de police de Paris, le procureur de la République de Paris, le directeur de la police judiciaire de Paris sont en train de conduire des investigations nuit et jour pour identifier les individus, les judiciariser et les mettre hors d’état de nuire. Eh bien, pour ma part, je leur rends hommage pour le travail qu’ils font sous la direction du procureur de la République et la mienne. Telle est la vérité, et la vérité doit être dite aux Français !

M. Pierre Lellouche. Elle n’est pas brillante !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Si nous laissons à penser aux Français que, face à des actes d’une telle violence, la fermeté la plus réelle ne s’applique pas, nous risquons de créer, dans le pays, un climat de violence renforcée, de susciter des réactions d’autodéfense, de provoquer des antagonismes encore plus violents, ce qui est le contraire de la République. C’est la raison pour laquelle, je veux dire, en toute sincérité, devant la représentation nationale, à quel point je suis indigné de ces campagnes qui ne correspondent pas à la réalité de ce que nous faisons. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Madame Maréchal-Le Pen, vous m’interrogez, vous aussi, et je respecte tout à fait vos interrogations, auxquelles j’ai d’ailleurs répondu pour partie. Mais je voudrais à mon tour vous faire quelques remarques. En effet, vous appelez de vos vœux la plus grande fermeté mais, lorsque nous avons présenté les projets de loi antiterroristes, dans lesquels nous proposions de bloquer les sites qui appellent et provoquent au terrorisme, de combattre les terroristes en les identifiant sur internet, vous avez voté contre, au nom de la liberté d’expression, reprenant ici les propos de ceux qui sont les plus irresponsables face à la lutte contre le terrorisme.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Vous me parlez sans daigner me regarder !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Lorsque je suis allé devant la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures – LIBE – du Parlement européen et que j’ai demandé le soutien des parlementaires pour le vote de la directive sur les données concernant les passagers aériens, dite PNR, de manière à établir la traçabilité de ceux qui rentrent des théâtres de combat terroriste, la présidente de votre parti s’est fait désigner rapporteure pour avis de ce texte, pour s’y opposer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.) Lors du vote sur la loi renseignement, qui permet, afin de prévenir les actes terroristes, de doter les services de renseignement des moyens nécessaires pour comprendre les messages cryptés que s’échangent les terroristes en vue de nous frapper, qui s’est opposé, dans cet hémicycle, à ce texte ? Vous, madame Maréchal-Le Pen, ainsi que le député Collard. Et vous venez aujourd’hui nous donner des leçons de fermeté et de sécurité ! (Mêmes mouvements.)

M. Christophe Caresche. Démasquée !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Madame Maréchal-Le Pen, la présidente de votre parti a demandé hier ma démission.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Vous persistez à ne pas vouloir me regarder ; je suis là, monsieur le ministre !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je lui dis aujourd’hui, compte tenu de ses actes, de ses propos, ainsi que des propos manipulateurs de toutes les organisations d’extrême-droite (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste) – que vous reprenez à votre compte, par exemple en laissant entendre, sur France Inter, en frelatant la réalité, que j’aurais indiqué, lors d’une émission de radio à laquelle je n’ai jamais participé, que prôner le djihad n’était pas un délit – : non seulement je ne démissionnerai pas,…

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Dommage !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …mais je combattrai ce que vous faites et ce que vous dites, qui reposent sur la manipulation, le mensonge, l’extrémisme, le contraire de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe écologiste, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Je vous le dis, dans cet hémicycle, avec la plus grande fermeté et la plus grande netteté : quand on prend des positions comme les vôtres, qui visent à créer des problèmes partout, en votant contre toutes les solutions, on ne donne aucune leçon de sécurité à ceux qui sont en charge de la sécurité des Français ! (Mêmes mouvements. - Les députés du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste se lèvent et applaudissent.)

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Incroyable !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Permettez-moi d’ajouter quelques mots qui iront dans le même sens que ceux prononcés par M. le ministre. En tant que coauteur d’un rapport sur l’application de l’état d’urgence, je ferai trois observations.

Premièrement, le Gouvernement est critiqué pour avoir abandonné l’idée de conduire des perquisitions. Mais comme nous l’avons expliqué dans ce rapport, que j’ai rédigé avec un député de l’opposition, les perquisitions perdent beaucoup de leur intérêt dès l’instant où l’on ne peut pas les faire suivre de poursuites judiciaires. Or pour que l’on puisse intenter de telles poursuites, la perquisition doit être réalisée selon certaines formes, ce qui est devenu difficile depuis la décision du Conseil constitutionnel.

Ma deuxième observation concerne les mesures que l’on essaie d’imputer à l’état d’urgence. La possibilité d’interdire de manifester existe de très longue date dans notre droit, indépendamment de l’état d’urgence. L’état d’urgence ne justifie ni n’empêche une telle interdiction. Il en va de même de la dissolution de certains groupes armés. Si ma mémoire est bonne, cette faculté existe depuis 1936. Les critiques sur ce point sont donc également dépourvues de fondement.

Troisièmement, enfin : il est faux de dire que toutes les personnes fichées sont des djihadistes : ce sont des personnes surveillées à différents titres. Il est donc absurde de réclamer l’assignation à résidence de tout cet ensemble.

M. Guillaume Larrivé. Personne ne l’a fait !

M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois. Ces précisions me paraissent importantes. En effet, madame Le Pen, quand on se prétend la porte-parole du seul vrai parti des patriotes de France, quand on prétend, monsieur Lellouche, nous rappeler que c’est la guerre, on a à cœur de vraiment favoriser l’unité nationale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe écologiste. - Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Pierre Lellouche. C’est François Hollande qui l’affirme ! C’est le Premier ministre !

Qui parle de guerre sinon le Président lui-même ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, l’article unique du projet de loi.

Article unique

M. le président. La parole est à M. Gilbert Collard, inscrit sur l’article.

M. Gilbert Collard. Monsieur le ministre, je vous ai écouté, tout à l’heure, vibrionnant, héroïque comme un chanteur d’opéra dans les grands moments (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen)

M. Sébastien Denaja. Vous, c’est de l’opérette !

M. Gilbert Collard. …répondre à Mme Marion Maréchal-Le Pen.

M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues !

M. Gilbert Collard. Monsieur le ministre, le problème, c’est que vous n’êtes pas à la hauteur de l’état d’urgence. Le vêtement est trop grand pour vous, et vous disparaissez sous les loques de l’état d’urgence, qui est aujourd’hui la grande rigolade.

M. Christophe Caresche et M. Olivier Falorni. Vous, vous êtes un clown !

M. Gilbert Collard. À quoi sert l’état d’urgence, veuillez me le dire ! Alors que la CGT insulte les forces de police, avez-vous porté plainte, vous si prompt à saisir le procureur de la République pour un simple tweet ? Non, vous ne l’avez pas fait. Avez-vous procédé à la dissolution de tous ces groupes violents ? Non, vous ne l’avez pas fait. Avez-vous empêché l’imam de Brest de continuer à prêcher sa haine ? Non, vous ne l’avez pas fait.

M. Olivier Falorni. Et vous, qu’avez-vous voté ?

M. Gilbert Collard. Nous n’avons pas voté certaines lois dont nous considérons qu’elles sont liberticides et ne protègent personne. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Quelle contradiction !

M. Gilbert Collard. Vous qui passez votre temps à donner des leçons de liberté, vous votez des lois qui tuent la liberté sans apporter aucune protection. Vous êtes absolument incapable de maintenir l’ordre. Vous êtes, monsieur le ministre, l’homme du désordre, l’homme qui ne tient pas dans les vêtements de l’ordre.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Très bien !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Collard, c’est tout et son contraire !

Mme Élisabeth Guigou. Les vociférations ne font pas une politique

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur le député, je vous remercie d’abord de rappeler que vous n’avez voté aucune loi visant à protéger les Français contre le terrorisme.

M. Gilbert Collard. Ces textes ne règlent rien, et vous le savez !

M. le président. Monsieur Collard, nous vous avons écouté, veuillez laisser le ministre s’exprimer !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous n’aurons pas, ainsi, de divergence, puisque vous le reconnaissez vous-même. C’est la stricte vérité.

Vous m’interrogez par ailleurs sur un point important…

M. Gilbert Collard. Que faites-vous contre le terrorisme ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Si vous voulez bien ne pas m’interrompre, je vous répondrai.

M. Gilbert Collard. Je vous écoute avec beaucoup d’intérêt et de respect !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Très bien, nous progressons. Vous parlez de la dissolution des groupes qui appellent à la violence. C’est un vrai sujet.

M. Gilbert Collard. Vous ne le faites pas ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. Monsieur Collard, veuillez écouter le ministre !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Collard, je peux parfaitement comprendre que la réponse ne vous intéresse pas, auquel cas je me rassieds…

M. Gilbert Collard. Si, elle m’intéresse, mais vous ne la donnez pas ! (Mêmes mouvements.)

M. Pascal Popelin, rapporteur. C’est cela que vous appelez le respect ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Laissez-moi m’exprimer, alors !

Monsieur Collard, puis-je vous poser une question ? Pouvez-vous m’indiquer quels sont les fondements, en droit, de la dissolution des associations extrémistes ?

M. Gilbert Collard. Oui, les atteintes à l’ordre public.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Mais plus précisément ?

M. Gilbert Collard. Les atteintes à l’ordre public !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Non, ce n’est pas du tout cela. Depuis le fond de l’hémicycle, vous faites de grandes déclarations d’avocat, mais, en réalité, vous ne connaissez pas le droit, ce qui pour un avocat est un problème considérable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe écologiste. - M. Gilbert Collard proteste.)

M. Sébastien Denaja. Comme Mme Le Pen, qui n’a pas fini ses études !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Quand un avocat plaide, il doit connaître le droit. À défaut, son argumentation risque d’être faible. Votre discours est d’ailleurs emblématique de celui du Front national, fait de propos à l’emporte-pièce et d’outrances convoquées. En définitive, derrière les outrances, il n’y a rien.

Mme Élisabeth Guigou. Il est nul !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je vais vous répondre précisément, monsieur Collard. Deux types de dispositions permettent de procéder à la dissolution de tels groupes : des dispositions de droit commun, figurant à l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, très encadrées, et qui appellent des procédures extrêmement rigoureuses, sans lesquelles aucune dissolution n’est possible...

M. Gilbert Collard. Ça touche à l’ordre public !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Collard, je suis un républicain…

M. Gilbert Collard. Et moi, je suis quoi ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Vous, vous êtes un gouailleur, et vous n’êtes visiblement pas respectueux des règles du débat parlementaire, ni des textes de loi ou des principes constitutionnels.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Vous étiez hystérique il y a quelques instants !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Les dispositions de droit commun figurant à l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure prévoient les conditions dans lesquelles il peut être procédé à la dissolution. Il y a un alinéa – un seul – permettant de procéder à la dissolution de groupes qui commettent des violences dans la rue ; il s’agit, je cite, des « groupes qui provoquent à des manifestations armées dans la rue ».

M. Gilbert Collard. Ce n’est pas l’ordre public, ça ? On croit rêver ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. Monsieur Collard, s’il vous plaît !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Ces dispositions très anciennes concernaient, à l’origine, des groupes paramilitaires armés. On ne peut pas procéder à la dissolution sans que des éléments, de nature à nourrir un dossier, aient été constatés. À défaut, nous ne respecterions pas le droit. Compte tenu des événements qui se sont produits, nous sommes en train d’examiner les conditions dans lesquelles il est possible de procéder, dans le respect rigoureux du droit, à la dissolution de groupes qui ont provoqué des violences dans la rue. Oui, nous le faisons.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Combien de semaines vous faudra-t-il ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Et pour cela, nous n’avons pas besoin de verser dans l’outrance, dans l’excès. Car lorsqu’on est républicain et qu’on veut protéger les Français, je le répète ici, on ne le fait pas en usant de démagogie, d’amalgames, de mensonges ou de manipulations. Face à la violence, on s’appuie sur la force de la République, dans le respect rigoureux des principes de droit.

M. Gilbert Collard. Ce n’est pas vrai !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Telle est la vraie différence entre vous et nous : nous, nous ne négocions pas avec le droit de la République. Nous l’appliquons rigoureusement…

M. Gilbert Collard. Non, vous ne l’appliquez pas !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …parce que nous considérons que c’est dans le respect des principes républicains que la République puise sa force. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Alain Marsaud. Monsieur le ministre, les dissolutions ne servent à rien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Dites-le à M. Collard !

M. Gilbert Collard. Quand on est incapable de sauvegarder l’ordre public, on n’est pas ministre ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Attard.

Mme Isabelle Attard. Monsieur le ministre, vos services préfectoraux ont tenté d’interdire de manifestation des citoyens français au mépris de notre Constitution. Dix de ces citoyens ont décidé mardi dernier de vous poursuivre en justice. Neuf de vos arrêtés ont été cassés par le tribunal administratif pour absence totale de preuve établissant la dangerosité des citoyens visés.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. On en reparlera !

Mme Isabelle Attard. Je vois deux explications possibles, monsieur le ministre : soit ces gens étaient de dangereux casseurs, et dans ce cas vos services ont échoué dans leur mission de protection des forces de l’ordre et des autres manifestants, ce qui serait grave, soit ces gens étaient de simples opposants que vous avez tenté de museler sous des prétextes fallacieux et vos services savaient que ces interdictions ne reposaient sur rien, ce qui serait encore plus grave.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Mesurez vos propos !

Mme Isabelle Attard. Vous avez tenté de priver des citoyens de leur liberté d’aller et venir, de leur liberté de rassemblement, sur la foi de notes blanches de vos services qui ont été produites au tribunal. Mes chers collègues, une note blanche est une note émise par les services de renseignement sans mention de son origine, du service dont elle provient, ou du nom du fonctionnaire qui l’a rédigée.

M. Jacques Myard. Voulez-vous donc qu’on donne les sources ?

Mme Isabelle Attard. La représentation nationale a plusieurs fois demandé la suppression de ces notes blanches, qui nous a été plusieurs fois confirmée par les ministres de l’intérieur successifs ; en 2002 par Nicolas Sarkozy, en 2004 par Dominique de Villepin en réponse à une question au Gouvernement et en 2007 par Michèle Alliot-Marie en réponse à la question écrite n01720 du sénateur socialiste Michel Moreigne. Je répète ici les questions que je vous ai adressées voilà quatre mois et auxquelles vous n’avez toujours pas daigné répondre, monsieur le ministre : qui a rétabli l’utilisation des notes blanches, quand et pourquoi ?

M. Jacques Myard. N’importe quoi !

Mme Isabelle Attard. Monsieur le ministre, quand comptez-vous supprimer ces notes blanches qui n’ont pas leur place dans une démocratie digne de ce nom ? Enfin, quand comptez-vous cesser d’utiliser l’état d’urgence à des fins de basse politique ? Créer des opposants pour mieux les museler ensuite ne donnera ni à vous ni au Président de la République une stature d’homme d’État.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Allez voir ce qui s’est passé à Rennes !

M. Pascal Popelin, rapporteur. Nous changeons de style de caricature !

M. Pierre Lellouche. Ce n’est pas à nous qu’il faut parler de responsabilité !

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Laurent.

M. Jean-Luc Laurent. Nous avons cette discussion sur l’état d’urgence dans un contexte très particulier, après la multiplication d’actes de violence ces derniers jours et alors que les images de ce véhicule de police incendié et le sort de deux policiers qui ont été agressés hier ont frappé les esprits et indigné l’immense majorité des Français.

M. Jacques Myard. Surtout les policiers !

M. Jean-Luc Laurent. La haine qui intervient contre la police de la part de casseurs est inacceptable.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Jean-Luc Laurent. Nous avons ce contexte en tête. Beaucoup l’ont évoqué dans le débat de ce matin, et c’est l’occasion d’exprimer notre soutien total aux forces de l’ordre qui sont présentes et engagées sur tous les fronts.

Nous avons ce contexte en tête, mais nous avons le devoir de faire preuve de sagesse et de sang-froid. L’état d’urgence ne concerne pas ces événements. Comme j’ai eu l’occasion de le dire voilà un mois, je suis favorable à la procédure de l’état d’urgence car elle constitue un outil de défense de l’État et de l’ordre public. J’ai voté l’état d’urgence au lendemain des attentats du 17 novembre, mais ce dispositif a un défaut, nous le savons bien,…

M. Alain Marsaud. Il n’est pas appliqué !

M. Jean-Luc Laurent. …c’est la difficulté à en sortir. Pourtant, c’est nécessaire. Si ce n’est pas aujourd’hui, ce sera demain, peut-être au creux de l’été. La juxtaposition de l’état d’urgence et de la vague intolérable de violence en cours est absolument incompréhensible pour le citoyen. Elle est incompréhensible parce qu’elle est inexplicable et, je le répète, totalement inacceptable.

Nous ne sommes plus, en fait, en état d’urgence, mais nous le sommes encore en droit. Je vous propose aujourd’hui, avec l’amendement que je présenterai dans quelques instants, de mettre en accord le fait et le droit.

M. le président. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Vous avez fait appel à notre responsabilité, monsieur le ministre ; les écologistes ici présents vont donc l’exercer en votant contre la prorogation de l’état d’urgence. Et je crains fort que le 19 mai 2016 reste un jour de triste mémoire dans l’histoire de notre République puisque, aussitôt après la prorogation de l’état d’urgence, l’Assemblée sera appelée à se prononcer sur la réforme du code de procédure pénale, qui ne vise pas à autre chose qu’à introduire dans le droit commun cet état d’exception.

Le brouillard sécuritaire dont nous sommes entourés a l’effet suivant : alors que nous sommes dans un État de droit, qui, comme l’a souligné mon collègue Sergio Coronado tout à l’heure, n’est pas un état de faiblesse, vous allez vous dispenser du contrôle du juge judiciaire. J’aimerais rappeler à mes collègues, notamment à ceux qui siègent sur les bancs de la droite, que M. Michel Debré, dans son avant-projet de Constitution, avait dit à peu près ceci : le peuple français déclare que le fait de priver un individu de sa liberté dépend de la décision du juge compétent, qui est le juge judiciaire. Or, vous faites reculer la place du juge judiciaire derrière celle du procureur, du préfet et du policier.

M. Éric Ciotti. C’est faux !

M. Noël Mamère. J’aimerais dire à notre collègue Laurent que les violences auxquelles nous avons pu assister hier sur nos écrans de télévision ne sont pas les premières – M. le ministre de l’intérieur l’a souligné tout à l’heure en rappelant l’épisode du CPE – et que ce n’est pas l’état d’urgence qui les empêchera. Nous devons être les premiers à les condamner.

Aujourd’hui, on essaie de mithridatiser notre pays, qui va peu à peu s’habituer à l’état d’urgence, à un état d’exception permanent, en écornant un certain nombre des principes qui ont fondé notre pacte républicain. C’est la raison pour laquelle nous nous opposons avec tant de force à cette prorogation de l’état d’urgence, qui n’est que le maquillage, le brouillard cachant la réforme du code de procédure pénale à laquelle nous nous sommes opposés.

M. le ministre de l’intérieur peut toujours, devant l’Assemblée nationale, devant ces bancs, nous traiter d’irresponsables sans nous nommer parce que nous n’avons pas voté un certain nombre de lois supposées lutter contre le terrorisme. Nous avons constaté que leur effet est de minoriser l’état de droit. Or nous savons que pour nous défendre, nous devons d’abord protéger nos libertés.

Je suis originaire de Gironde, du pays de Montesquieu, qui affirmait que pour éviter les abus de pouvoir, il fallait mettre en place les conditions permettant au pouvoir d’arrêter le pouvoir. Ce principe, vous l’avez oublié : le juge judiciaire ne sera désormais plus compétent. Vous avez fait reculer l’État de droit. C’est la raison pour laquelle nous voterons avec détermination contre cette prorogation, comme nous l’avons fait lorsque vous avez demandé une première prorogation de trois mois. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

M. Pouria Amirshahi. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Monsieur le ministre, vous avez mis en cause l’opposition tout à l’heure dans des termes totalement inacceptables qui appellent des excuses. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Il faut garder son calme, dans ce contexte.

Ce n’est pas l’opposition qui a mis hier dans la rue, pour la deuxième fois en six mois, tous les syndicats de police de France, quel que soit leur rattachement idéologique, lequel est d’ailleurs souvent artificiel. C’est la troisième fois depuis 2001 que les policiers manifestent. Ils l’ont fait en 2001 contre votre loi, madame Guigou. Ils l’ont fait en novembre dernier, après une attaque dont l’un de leurs collègues avait été victime. Ils l’ont fait hier massivement.

M. Patrick Hetzel. Très bien !

M. Christophe Caresche. Ils n’ont pas manifesté contre le Gouvernement !

M. Éric Ciotti. Ce n’est pas l’opposition qui pose des questions. Vous avez évoqué la question des consignes, monsieur le ministre, mais nous sommes bien en droit de vous demander des comptes !

Nous ne vous mettons pas en cause personnellement. Hier, je ne l’ai pas fait, et je ne l’ai pas fait à l’égard du Premier ministre non plus. On peut toutefois s’interroger sur l’attitude du Président de la République aujourd’hui.

M. Sébastien Denaja. Mais qu’est-ce que c’est que cette mise en cause du Président de la République ?

M. Éric Ciotti. Permettez-moi de vous citer trois déclarations de syndicalistes, monsieur le ministre ; ce ne sont pas celles d’élus de l’opposition. Un policier affirmait le 18 mai dernier sur France Info : « Lorsque vous voyez des casseurs détruire les vitrines, saccager des panneaux publicitaires […] pour attaquer les forces de l’ordre et que des policiers mobilisés sont en face d’eux et qu’ils doivent attendre une heure en face d’eux pour intervenir […] on se demande bien pourquoi. » Selon Jean-Claude Delage, le patron du premier syndicat de police de France, « L’État doit prendre ses responsabilités, ne pas nous laisser attendre des heures face à des casseurs identifiés qu’on pourrait même peut-être préventivement assigner à résidence dans le cadre de l’état d’urgence ou interpeller. » Alexandre Langlois, secrétaire général de la CGT-Police – vous constaterez que j’ai des références éclectiques –, affirmait quant à lui : « Certains de ces groupes sont identifiés avant qu’ils n’intègrent la manifestation ».

Ces questions sont posées, et ce n’est pas nous qui les posons. Nous avons néanmoins le devoir de vous demander, dans cet hémicycle, de prendre vos responsabilités.

Vous nous renvoyez à nos responsabilités politiques, monsieur le ministre. J’aimerais à cet égard rapporter certains propos. C’était le 6 novembre 2005, au cœur des émeutes urbaines auxquelles était confronté le ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy. Il y a fait face sans qu’aucun manifestant ne soit blessé,…

M. Pascal Popelin, rapporteur. Vous avez la mémoire bien sélective !

M. Éric Ciotti. … sans qu’il y ait de victime,…

M. Sébastien Denaja. Il n’y aurait pas eu deux morts ?

M. Éric Ciotti. …grâce à l’attitude de la police, alors même qu’il y a eu trois semaines de violence absolue. François Hollande, alors premier secrétaire du parti socialiste, disait souhaiter que Nicolas Sarkozy cesse ses provocations.

M. le président. Merci, mon cher collègue. (Claquements de pupitres sur les bancs du groupe écologiste.)

M. Éric Ciotti. Pour notre part, nous avons voté tous les textes. Nous avons pris nos responsabilités, contrairement à certains membres de la majorité. Nous vous demandons aujourd’hui des excuses pour cette mise en cause.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Ciotti, je ne sais pas si vous avez en mémoire tout ce qui s’est passé en 2005, mais les émeutes ont eu lieu à la suite du décès de deux personnes.

M. Éric Ciotti. Ces décès n’ont pas eu lieu pendant les émeutes !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il n’y a donc pas eu de blessé, mais il y a eu des morts.

M. Jacques Myard. Les policiers ont été acquittés !

M. Éric Ciotti. C’est scandaleux !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Vous ne pouvez donc pas tenir de tels propos dans l’hémicycle sans travestir la réalité.

M. Pierre Lellouche. Est-ce à dire que ce sont les policiers qui ont provoqué ces décès ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Par ailleurs, monsieur Ciotti, vous indiquez que des manifestations de policiers ont eu lieu, mais celles d’hier n’étaient pas dirigées contre le Gouvernement.

M. Christophe Caresche. Bien sûr que non !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Puisque vous voulez des explications, monsieur Ciotti, je vais vous les donner. Les policiers de France sont parfaitement conscients que 13 000 emplois ont été supprimés dans la police et dans la gendarmerie entre 2007 et 2012.

Mme Cécile Untermaier. Eh oui !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Et ils sont parfaitement conscients que 9 000 postes auront été créés au cours de ce quinquennat. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Les policiers et les gendarmes de France sont parfaitement conscients que vous avez diminué de 17 % les crédits de fonctionnement de la police et de la gendarmerie sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, et ils sont parfaitement conscients que nous les avons augmentés de 17 %.

Mme Colette Capdevielle. C’est la réalité !

Mme Cécile Untermaier. Demandez-leur !

M. Éric Ciotti. Mais ils manifestent contre vous !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Les policiers et les gendarmes de France sont parfaitement conscients que vous avez laissé le parc de véhicules, les armements et les gilets de protection à l’abandon, équipements que nous sommes en train de renouveler. Le renouvellement de la totalité des moyens des BAC, les brigades anti-criminalité, et des PSIG, les pelotons de surveillance et d’intervention de la gendarmerie, sera effectif d’ici à la fin du mois de juin.

Voilà trois semaines, les policiers de France ont signé avec moi, presque toutes organisations syndicales confondues, lesquelles représentent plus de 60 % de la profession, un protocole qui prévoit des bonifications et des mesures catégorielles pour un montant de 800 millions d’euros. Vous aviez signé un protocole de moindre importance que vous aviez financé en supprimant 13 000 emplois. Les policiers de France sont donc parfaitement conscients de tout cela.

M. Patrick Hetzel. Et malgré tout cela, ils manifestent ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Lors de mes visites sur le territoire, quand je leur fais part de l’engagement de leur donner davantage de moyens, de créer des postes, d’augmenter les crédits, de leur donner les moyens de se protéger, de leur donner des moyens juridiques pour agir, de leur donner les moyens d’une reconnaissance de ce qu’ils font professionnellement, ils ne le contestent pas. Et ils font parfaitement la différence entre 13 000 suppressions d’emploi et 9 000 créations de postes, entre une diminution de 17 % de leurs crédits et une augmentation à l’identique de ceux-ci, entre des bonifications indiciaires financées par des suppressions d’emploi et des bonifications indiciaires qui s’ajoutent à des créations d’emploi en masse.

M. Patrick Hetzel. Pourquoi manifestent-ils, dans ce cas ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Ciotti, cessez donc de travestir la réalité comme vous le faites au sein de cet hémicycle !

M. Patrick Hetzel. C’est vous qui la travestissez !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Et je trouve offensant que vous, M. Péchenard et d’autres responsables de votre organisation aient laissé entendre aux Français que les consignes que j’ai données, qui sont transparentes et que j’ai transmises à l’instant au président de la commission des lois, ne l’auraient pas été, car un tel sous-entendu est de nature à créer dans notre pays un climat dont celui-ci n’a pas besoin. Je tiens à répéter ici que c’est irresponsable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Monsieur le ministre, vous avez tort de céder à de vaines querelles. Vous avez tort de laisser entendre que siégeraient sur les bancs du groupe socialiste et du Gouvernement ceux qui respectent le droit, et sur les bancs de l’opposition ceux qui le piétinent. Oui, il y a une vraie différence entre vous et nous, car nous pensons que c’est non pas au juge des référés du tribunal administratif de Paris de faire la Constitution, mais au constituant, à nous, parlementaires.

M. Pascal Popelin, rapporteur. On vous l’a proposé !

M. Guillaume Larrivé. C’est non pas au juge de faire la loi, mais au législateur. C’est non pas au juge de gouverner, mais au Gouvernement, qui doit assumer ses responsabilités.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Cela ne veut rien dire !

M. Sébastien Denaja. Vous piétinez donc non pas le droit, mais les juges, c’est bien cela ?

M. Guillaume Larrivé. Alors oui, nous vous appelons, monsieur le ministre, à interdire plus de rassemblements susceptibles de troubler l’ordre public. Oui, nous vous appelons à ordonner plus de perquisitions administratives, car celles-ci permettent de mieux protéger les Français. Oui, nous vous appelons à faire plus de dissolutions de mosquées salafistes. Et nous vous avons pour cela donné des moyens.

Si le Premier ministre a émis en novembre dernier un avis favorable à un amendement du groupe des Républicains permettant d’accélérer les procédures de dissolution des mosquées salafistes, c’était précisément pour faire en sorte que l’état d’urgence ait un effet et pour compléter les dispositions permanentes du code de la sécurité intérieure ! Pourquoi n’avez-vous aucunement utilisé les dispositions spéciales de la loi relative à l’état d’urgence pour accélérer les procédures de dissolution des mosquées salafistes ? Voilà la réalité ! Nous voulons, nous, députés républicains, que le Gouvernement rompe avec l’impuissance publique dans laquelle il s’est enferré ! Souffrez que l’opposition s’exprime de façon responsable au nom de l’efficacité de l’État et de la protection des Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois et M. Sébastien Denaja. En effet, on souffre !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous n’allons pas prolonger cet échange indéfiniment, monsieur Larrivé. Nous avons procédé à des dissolutions de mosquées salafistes et à des expulsions de prêcheurs de haine.

M. Guillaume Larrivé. De deux mosquées !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Non, dix. Nous vous en communiquerons la liste. Mais je voudrais vous poser une question, monsieur Larrivé. Pouvez-vous m’indiquer combien de mosquées salafistes ont été dissoutes au cours du quinquennat précédent ? (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Frédéric Poisson. Ça recommence !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Vous ne me répondrez rien du tout, car il n’y en a eu aucune !

M. Pierre Lellouche. Et de quand datent les attentats terroristes ?

Mme Marie-Françoise Bechtel. Elles existaient, pourtant !

M. Patrick Hetzel. Quelle mauvaise foi !

M. Christian Jacob. Démagogue !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Vous expliquez donc que nous n’en faisons pas assez alors que nous utilisons tous les moyens de droit pour agir. Nous avons dissous, dans le respect rigoureux du droit, dix mosquées dont les imams appelaient et provoquaient au terrorisme. Vous, qui appelez à en faire plus à grand renfort de communication, vous n’en avez dissous aucune. Voilà la réalité !

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour un rappel au règlement.

M. Guillaume Larrivé. Comme M. le ministre m’interpelle directement, je vais lui répondre dans le cadre d’un rappel au règlement.

M. Sébastien Denaja. Sur la base de quel article ?

M. Guillaume Larrivé. Les députés socialistes ont-ils voté la loi antiterroriste du 24 janvier 2006 présentée par Nicolas Sarkozy ? La réponse est non ! Vous vous y êtes opposés ! Les députés socialistes ont-ils voté en 2005 la loi relative à l’état d’urgence ? La réponse est non ! Vous vous y êtes opposés ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Sébastien Denaja. Ce n’est pas un rappel au règlement !

M. le président. Merci de conclure, monsieur Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Vos leçons, monsieur le ministre, sont donc parfaitement inopérantes !

Article unique (suite)

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Je rappelle à M. Raimbourg que le terme « guerre », d’ailleurs approprié compte tenu de la situation, a été prononcé pour la première fois par le Président de la République lui-même devant le Congrès le 16 novembre dernier. Il est donc inutile d’affirmer que c’est moi ! Ce sont plutôt le Premier ministre et M. Le Drian qui l’ont prononcé ici même un grand nombre de fois ! Je m’interroge simplement sur la cohérence entre l’état de guerre et un certain nombre de choses que vous laissez faire, monsieur le ministre.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Cette guerre n’est pas symétrique ! Cela change beaucoup de choses !

M. Pierre Lellouche. Alors que nous sommes en guerre, vous nous demandez de proroger l’état d’urgence. Nous notons pourtant qu’un certain nombre d’organisations factieuses sont toujours en opération et que vous laissez se développer depuis des semaines une véritable chienlit dans les rues de Paris ! J’ai entendu Mme le maire de Paris affirmer que « Nuit debout », c’est formidable, et que c’est l’expression de la démocratie ! Eh bien, soit ! On a vu ce que ça a donné ensuite dans d’autres villes !

Mme Cécile Untermaier. Un peu de discernement !

M. Pierre Lellouche. Par ailleurs, je vous ai posé une question précise à laquelle vous n’avez pas répondu, monsieur le ministre de l’intérieur. Est-il raisonnable de laisser 100 000 personnes se rassembler au pied de la Tour Eiffel pendant un mois pour le bien de sociétés commerciales qui vont gagner de l’argent alors même que nous sommes en état d’urgence, d’autant plus que toutes les informations provenant du Proche-Orient sont très inquiétantes, tant au sujet des techniques explosives, comme le montre le rapport du patron de la DGSI cité tout à l’heure, que des moyens non conventionnels ? Les armes chimiques sont utilisées chaque semaine par Daech et vous laissez 100 000 personnes se rassembler au pied de la Tour Eiffel ? Est-ce cela, l’état d’urgence ?

Nous vous avons proposé de prendre au moins des mesures de sécurité, mais vous n’avez pas répondu. J’ai cité une lettre invraisemblable du préfet de police de Paris adressée aux élus selon laquelle la police ne pourra pas contrôler les diffusions de matches dans les commerces et les associations qui recevront du public et compte sur les organisateurs privés pour faire la police à la place de l’État ! C’est une curieuse façon de concilier la guerre, l’état d’urgence et ce qu’il faut bien appeler une situation d’irresponsabilité dans la conduite des affaires !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. N’importe quoi !

M. Pierre Lellouche. Par conséquent, ne nous accusez pas de faire notre métier de contrôle du Gouvernement, monsieur le ministre !

M. Christian Jacob. Et cessez d’être condescendant !

M. Xavier Breton. Bravo !

M. le président. Merci de conclure, cher collègue.

M. Pierre Lellouche. Je trouve que votre façon d’interpeller l’opposition n’est pas convenable. Vous qui êtes d’habitude un homme calme et pondéré, j’allais dire patelin, vous avez perdu ce matin le contrôle de vous-même, ce qui montre votre désarroi.

M. le président. La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard. Nous savons tous que la vague de terrorisme qui déferle actuellement en France, en Europe et dans le monde n’est pas près de s’arrêter. Seuls les gogos du droit-de-l’hommisme et de l’euro-béatitude, si je puis m’exprimer ainsi, peuvent croire qu’elle va cesser, mais ces gens-là ne sont pas chez les Républicains, ils sont sur vos bancs, chers collègues de la majorité ! Nous les avons d’ailleurs entendus tout à l’heure proférer certaines contrevérités. À l’heure où la France s’apprête à recevoir l’Euro de football, le seul acceptable, il est légitime de prendre des mesures. Prétendre que l’état d’urgence évacue le juge, comme nous venons de l’entendre, est une contrevérité manifeste.

Plusieurs députés du groupe écologiste. Le juge judiciaire !

M. Jacques Myard. La preuve en est que certains arrêtés ont été annulés et que chacun peut bien entendu défendre ses libertés, car nous demeurons un État de droit.

Il n’en demeure pas moins que l’on peut se demander si vous appliquez tout l’arsenal que le législateur a mis à votre disposition, monsieur le ministre, comme nous l’avons rappelé sur les bancs des Républicains, notamment Éric Ciotti et Pierre Lellouche. Il est clair qu’il faut appliquer les lois, non avec sévérité mais directement, et ne pas céder à une sorte de démagogie ambiante selon laquelle on a le droit de manifester. Non ! À un moment donné, en état d’urgence, lorsque la menace est à nos portes et peut frapper à tout moment, on doit interdire certaines manifestations, car il ne s’agit pas véritablement d’un droit qui doit primer sur la sécurité des Français ni surtout sur ce à quoi sont confrontés les policiers, qui est inacceptable. Voilà pourquoi nous, députés du groupe des Républicains, voterons bien sûr la prorogation de l’état d’urgence. Nous regrettons simplement qu’elle soit limitée à deux mois. Je crains fort, compte tenu de ce que vous savez et que nous savons, que la menace frappe encore dans deux mois, malheureusement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Il est regrettable qu’un débat de cette importance prenne cette tournure.

M. Pascal Popelin, rapporteur et M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois. C’est vrai !

M. Jean-Frédéric Poisson. Je suis un peu surpris d’entendre des échanges d’invectives et des comparaisons de bilan. Les chiffres et les données, nous les connaissons tous. Il est légitime que le Parlement débatte de la politique que vous menez, des choix que vous faites et de leurs conséquences et les conteste s’il estime qu’ils sont contestables, monsieur le ministre. Je m’apprête à voter contre la prorogation de l’état d’urgence, comme je l’ai déjà fait lors du vote précédent, pour les raisons que j’ai indiquées à Jean-Jacques Urvoas qui présidait alors la commission des lois lors du bilan, en janvier dernier, des premières semaines d’application de ce que j’appelle une dérogation à l’état de droit commun et habituel.

Ce vote s’explique par plusieurs raisons. La première, c’est que les arguments que vous invoquez pour justifier cette prorogation ne tiennent pas, monsieur le ministre. Le péril imminent et la menace, personne n’en doute. Chacun ici est conscient que la menace terroriste non seulement ne disparaîtra pas demain mais s’accroît sans doute chaque jour. Si l’on se range à votre argument, il n’y a pas de raison de se limiter au lendemain du Tour de France. Nous courons le risque d’entrer dans une forme d’état d’urgence permanent qui n’est pas compatible avec les principes de l’État de droit car ce qui fait la justification, l’utilité et la légitimité de l’état d’urgence, c’est sa brièveté et non son installation dans la longue durée.

M. Noël Mamère et M. Pouria Amirshahi. C’est juste !

M. Jean-Frédéric Poisson. Deuxièmement, vous avez eu recours aux dispositifs prévus par l’état d’urgence, mais ce que je vous reproche, comme d’ailleurs un certain nombre de mes collègues du groupe des Républicains l’ont fait tout à l’heure, c’est de demander la prorogation d’un état d’urgence dont vous n’utilisez pas tous les outils, ce qui est tout de même problématique. Nous avons débattu en commission des interdictions de manifester, nous avons échangé par écrit et oralement, mais tout de même, si vous demandez la prorogation de l’état d’urgence pour ne pas utiliser les perquisitions ni interdire de manifester, on se demande à quoi elle sert !

M. Sergio Coronado. Il a raison !

M. Jean-Frédéric Poisson. En définitive, si je conjugue une certaine forme d’invalidité de vos arguments de principe et la manière dont vous vous apprêtez à faire usage de l’état d’urgence, rien ne justifie à mes yeux sa prorogation. Je voterai donc contre.

Mme Isabelle Attard. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Les sujets qu’a évoqué le député Poisson méritent des éléments de réponse précis. Tout d’abord, il est faux de dire que nous n’utilisons pas les moyens prévus par l’état d’urgence.

M. Éric Ciotti. Oui, en mode dégradé !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Les perquisitions administratives ont été utilisées au début de l’état d’urgence avec des résultats très positifs, notamment en termes de saisies d’armes. Nous avons joué sur la sidération. Nous constatons que les perquisitions ayant eu lieu au cours des dernières semaines donnent beaucoup moins de résultats que celles effectuées dès le premier jour de l’état d’urgence, pour une raison très simple : ceux qui sont susceptibles d’être perquisitionnés se sont adaptés. Si nous avons fait le choix de procéder à des perquisitions au tout début de la période, c’est précisément parce que nous anticipions cette adaptation. Nous avons eu raison d’adopter cette stratégie consistant à effectuer un maximum de perquisitions administratives au tout début de la période.

Quant à l’assignation à résidence, nous y aurons encore recours. Il n’est pas question de ne pas avoir recours à cet outil mais nous le ferons bien entendu en tenant compte de la jurisprudence du juge administratif. Nous ne pouvons pas nous mettre en situation de décider d’assignations qui seraient cassées, car cela affaiblit l’État de droit. Je ne renonce pas du tout aux assignations à résidence. Nous en décréterons, dans le respect des principes de la jurisprudence. Quant aux interdictions de manifester, nous y avons procédé et nous y procéderons encore si nécessaire, dans le cadre juridique défini par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 19 février dernier. Je répète que des décisions de cette nature doivent être rigoureusement conformes au droit. Nous utiliserons la totalité des dispositions prévues par l’état d’urgence dans le respect rigoureux de la règle de droit.

Par ailleurs, comme la menace va durer longtemps, il faudrait selon vous, monsieur Poisson, proroger l’état d’urgence à l’infini. Je rappelle que la stratégie du Gouvernement a consisté à prendre des dispositions législatives depuis le 13 novembre 2015 jusqu’à la loi présentée cette semaine par mon collègue Jean-Jacques Urvoas offrant des moyens de police administrative qui prendront le relais de l’état d’urgence. Compte tenu du caractère durable de la menace, il faut trouver dans le droit commun les moyens de lutter durablement contre une menace qui a elle aussi vocation à durer très longtemps.

M. le président. La parole est à M. Alain Marsaud.

M. Alain Marsaud. J’aimerais revenir sur le débat que vous avez eu avec mon collègue tout à l’heure au sujet de la dissolution de certains groupes, monsieur le ministre. Je fais partie de ceux qui estiment qu’elle ne sert strictement à rien. Dieu sait que j’ai vu, au cours de ma vie professionnelle, des groupes dissous renaître sous d’autres appellations, souvent plus violents encore. Vous disposez bien, aux termes de la loi du 20 novembre 2015 que vous avez fait voter, si mes souvenirs sont exacts, de la capacité de dissoudre les groupes qui troublent gravement l’ordre public, mais cela ne servira à rien.

M. Gilbert Collard. Ah ! Pour qui, la leçon de droit ?

M. Alain Marsaud. Votre action de ministre présente selon moi deux lacunes. La première, c’est le respect de l’opposition. Nous nous adressons à vous de façon très policée. Il nous arrive bien sûr de formuler des critiques, car nous sommes les députés de l’opposition. Mais au-delà de cet hémicycle, dans la rue, le respect de l’ordre public manque. Compte tenu des images de ce qui s’est passé hier dans les rues de Paris, imaginez-vous un seul instant être à même d’obtenir un véritable succès lors de la coupe d’Europe de football ? Pour ma part, je ne m’y intéresse pas mais vous, même si vous n’êtes pas en charge des sports, vous devriez vous inquiéter ! Quant aux touristes des mois de juillet et d’août, ce qui se passe à Paris les incitera vraiment à aller ailleurs, peut-être à Bruxelles voire à Molenbeek, plus tranquilles ! (Rires sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

Il me semble, monsieur le ministre, que vous avez la main qui tremble, sans doute parce que vous êtes pris en otage par vos amis, au premier rang desquels les écologistes, comme on le verra tout à l’heure. Au demeurant, j’ai écouté avec beaucoup d’intérêt M. Mamère, dont les propos étaient frappés au coin du bon sens. Vous êtes aussi pris en otage par les zadistes à cause desquels l’État est absent d’une bonne partie du territoire de la République !

Mme Brigitte Allain. Ce n’est pas la même chose ! Il ne faut pas tout confondre !

M. Alain Marsaud. C’est pareil ! Tout cela me fait penser à la situation politique de 1992. L’État était déliquescent, mais il existait encore, se faisait respecter et faisait respecter l’ordre. Je rappelle qu’à 1992 a succédé 1993. Certains devraient s’en inquiéter ! Je voterai tout à l’heure votre texte, monsieur le ministre, même s’il est sans objet ni intérêt !

M. le président. La parole est à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Vos propos, monsieur le ministre, étaient particulièrement insultants pour l’opposition : cela est assez insupportable. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Cécile Untermaier. C’est vous qui êtes insultant !

M. Patrick Hetzel. Bien que notre argumentation ait été très claire, vous nous avez invectivés. Ce n’est pas très digne.

Mais venons-en au fond. Vous agissez, argumentez-vous, en faveur des policiers ; mais la vraie question, celle que vous devriez vous poser, est la suivante : pourquoi, malgré tout ce que vous dites, hier, ces mêmes policiers ont-ils décidé de manifester ? Sans doute manifestaient-ils contre l’opposition !… À vous entendre, c’est en tout cas ce que l’on pourrait croire… Mais la réalité, que vous refusez d’avouer, est qu’ils manifestaient contre votre politique. (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. Pascal Popelin, rapporteur. Mais non !

M. Patrick Hetzel. Nos concitoyens ne comprennent plus du tout de voir des policiers attaqués dans les rues de Paris alors même que l’état d’urgence a été décrété.

M. Yves Censi. Tout à fait !

M. Patrick Hetzel. Cela montre clairement que vous n’êtes plus en situation d’exercer votre mission.

Nous vous avons donné les outils permettant d’instaurer l’état d’urgence ; vous les utilisez, nous dites-vous : permettez-nous au moins de vous répondre que vous ne le faites pas de façon cohérente et, surtout, que vous le faites selon une modalité très dégradée. L’ordre public et la protection de nos concitoyens devraient pourtant être votre souci ; or ces derniers s’interrogent, ils ne comprennent pas les images que nous avons vues hier, alors que l’état d’urgence a été décrété.

Mme Brigitte Allain. Vous dites vraiment n’importe quoi !

M. Patrick Hetzel. Il y a donc un vrai problème ; et le problème, vous le savez, vient du chef de l’État, qui ne donne pas de direction claire. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Permettez-moi, monsieur le président, de répondre à M. le ministre, qui a été très virulent tout à l’heure.

M. Christophe Caresche. Vous, ça ne vous arrive jamais, par contre…

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Il n’a pas même daigné s’adresser à moi, sans doute parce qu’il cherchait du soutien dans les ricanements arrogants de sa majorité, sur un sujet qui est pourtant très grave. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Il s’est même permis de donner des leçons de droit à M. Gilbert Collard. J’ai donné tout à l’heure, monsieur le ministre – mais sans doute ne m’avez-vous pas écouté – le fondement de droit, issu de votre loi de 2015, visant « les associations ou groupements de fait qui participent à la commission d’actes portant une atteinte grave à l’ordre public »…

M. Gilbert Collard. « À l’ordre public » !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. …« ou dont les activités facilitent cette commission ou y incitent ».

Vous avez interdit, nous expliquez-vous, un certain nombre de manifestations. J’entends bien, c’est probablement vrai ; mais pourquoi, alors, permettre ces regroupements ? Hier, des attroupements interdits ont eu lieu aux abords de la manifestation de soutien aux policiers, à laquelle nous participions avec un certain nombre d’élus ; mais, visiblement, aucun ordre n’avait été donné pour interpeller et embarquer immédiatement les individus concernés.

Lors de la « Manif pour tous » ou la manifestation des « Veilleurs », je m’en souviens pour y avoir participé aussi, des arrestations préventives avaient eu lieu par centaines, croyez-moi. (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.) Cela avait été particulièrement efficace : on peut y voir des motifs politiciens, mais je ne vous prêterai pas de telles intentions.

Nous nous permettons donc de vous interpeller forts d’un certain nombre de témoignages de policiers et de gendarmes, qui nous expliquent qu’ils n’ont pas reçu d’ordre précis, voire qu’ils ont reçu l’ordre de ne pas intervenir, alors qu’ils assistent à des cassages et à des dégradations.

Bref, monsieur le ministre, permettez-nous d’exiger de votre part un peu de respect et de calme : n’imitez pas votre Premier ministre, dont la main tremble. (« Oh ! » sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C’est nul !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il ne faut pas considérer, madame la députée, qu’un Gouvernement mis en cause en permanence par une série de responsables politiques qui s’expriment sur les ondes, comme c’est leur droit, n’ait pour sa part qu’un seul droit, celui de ne pas se défendre et de ne pas expliquer ce qu’il fait.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Exactement.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Lorsque j’entends dire que des ordres de fermeté à l’égard des casseurs ne sont pas donnés, alors que j’ai ici la totalité des télégrammes envoyés relativement à des ordres répercutés par les préfets aux forces de police, je me vois obligé de rétablir la vérité.

M. Jean-Frédéric Poisson. Pourquoi les syndicats le disent-ils, alors ?

M. Gilbert Collard. Nous parlons d’atteintes à l’ordre public !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Contrairement à ce que certains peuvent penser, la politique n’est pas un art de la manipulation et du mensonge : lorsqu’un pays est dans une situation aussi sérieuse que le nôtre, la responsabilité doit être un élément de l’éthique politique.

M. Jean-Frédéric Poisson. Nous nous appuyons sur ce que disent les syndicats !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je ne suis nullement énervé,…

M. Éric Ciotti. À peine… Vous avez eu un moment d’énervement, dirons-nous.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …et n’ai pas davantage perdu mon tempérament patelin, monsieur Lellouche : je suis seulement ferme et déterminé quant aux positions que nous défendons. L’ensemble des collaborateurs du ministère de l’intérieur, les préfets, les directeurs généraux et les policiers placés sous ma responsabilité travaillent sans trêve ni relâche, vous devez bien l’avoir à l’esprit, depuis des mois et donnent le meilleur d’eux-mêmes. Lorsque l’on essaie de faire au mieux, on n’est jamais sûr d’y parvenir ; mais nous sommes concentrés sur notre tâche.

Je me dois aussi, en tant que patron de cette maison, de dire : stop.

M. Patrick Hetzel. Stop aux casseurs !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Ceux qui travaillent à mes côtés, mes collaborateurs, les membres de mon ministère, ont le droit au respect inhérent à leur mission.

M. Yves Censi. Il faut être plus ferme avec les casseurs !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Vous pouvez bien entendu contester la politique que je mène, c’est votre droit – et vous l’exercez très bien –, mais vous ne pouvez le faire sur la base de mensonges. (Protestations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.) Vous dites que des instructions ne sont pas données ; or j’ai ici, je le répète, tous les télégrammes qui les contiennent. Je vous demande donc de ne plus proférer de propos qui ne correspondent pas à la réalité. (Mêmes mouvements.)

M. Gilbert Collard. Et sur l’ordre public, vous ne répondez pas ?

M. le président. Sur l’article unique, je suis saisi par le groupe écologiste d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Nous en venons à l’examen des amendements.

La parole est à M. Jean-Luc Laurent, pour soutenir l’amendement n9, tendant à la suppression de l’article unique.

Cet amendement, monsieur Laurent, a déjà été présenté, me semble-t-il...

M. Jean-Luc Laurent. Je l’ai en effet présenté, mais j’ajouterai quelques mots.

L’état d’urgence, je veux le redire, est une bonne procédure, qui aurait gagné à être constitutionnalisée et consacrée par une loi organique.

M. Alain Marsaud. En l’occurrence, il ne sert à rien !

M. Jean-Luc Laurent. Il faut y entrer vite, le Président de la République l’a fait, et agir vite et fort : vous l’avez fait vous-même, monsieur le ministre, avec talent et maîtrise. Mais il faut en sortir dès que possible : là réside mon désaccord. La procédure ne peut devenir permanente, et ni l’État, ni les citoyens ne doivent s’habituer à vivre sous son empire.

Le risque terroriste est élevé et durable, nous le savons bien. Les Français vivent avec, et nous devons y faire face via la procédure ordinaire, en la renforçant, comme nous le ferons tout à l’heure en votant le projet de loi de lutte contre le terrorisme et le crime organisé, que je soutiens totalement.

Je regrette donc cette troisième prorogation de l’état d’urgence, mais formule l’espoir que ce soit la dernière.

M. Yves Censi. C’est plutôt le terrorisme qu’il faut regretter !

M. Jean-Luc Laurent. Le délai retenu et l’abandon des perquisitions administratives sont peut-être les indices d’une sortie de cette procédure au cœur de l’été : ce serait un peu une façon de répondre aux questions que soulève mon amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Cet amendement tendant à supprimer l’article unique, la commission des lois, à une large majorité, l’a logiquement rejeté : il empêcherait par définition la prorogation de l’état d’urgence jusqu’au 25 juillet à minuit.

Nous avons donc un désaccord, même si je partage l’idée qu’il faudra mettre un terme à l’état d’urgence, comme je l’ai rappelé lors de la discussion générale. Le moment ne me semble toutefois pas venu, à l’heure où notre pays accueillera, à partir du 10 juin prochain, l’Euro de football.

(L’amendement n9, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n1.

M. Éric Ciotti. Je vais donc défendre, pour la troisième fois, cet amendement que j’avais déjà présenté le 18 novembre 2015 et le 16 février 2016 : il vise à allonger la durée de l’état d’urgence.

Vous avez eu tort, monsieur le ministre, le 18 novembre 2015 comme le 16 février 2016, de vous opposer à cette proposition de porter la durée de l’état d’urgence à six mois : notre présence ce matin, pour examiner ce projet de loi, le prouve. Je ne vous fais pas de faux procès, mais le fait est que nous avions anticipé la durée de la menace. L’opposition avait raison, la séance de ce matin en témoigne, lorsqu’elle demandait, en novembre, de porter la durée de l’état d’urgence à six mois. Nous savions alors que la menace allait, hélas, perdurer, et nous le savions encore en février dernier.

Est-il raisonnable de prôner aujourd’hui un état d’urgence au rabais, et de ne l’instaurer que pour deux mois ? Lors de son audition le 10 mai dernier, il y a quelques jours, le directeur général de la sécurité intérieure, Patrick Calvar, a souligné l’ampleur inédite de la menace et rappelé que la France était la première cible au monde. Il a aussi évoqué de nouveaux risques terroristes, liés à des explosifs visant des foules – ce sera bien entendu un risque pour l’Euro de football. On ne peut ignorer ce contexte. Pourquoi donc s’enfermer dans un délai de deux mois ? C’est là, me semble-t-il, une erreur, à laquelle s’ajoute celle de limiter le contenu même de l’état d’urgence.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Défavorable. La première raison est de forme : nous avons exprimé, à une très large majorité – puisque vous avez vous-même voté le texte, monsieur Ciotti –, le vœu d’un vote conforme à celui du Sénat, qui lui-même n’a pas modifié le texte du Gouvernement, pour des raisons de calendrier. Quelle que soit la configuration retenue – état d’urgence à format réduit ou complet –, une navette parlementaire provoquerait en effet un trou dans le calendrier.

D’autre part, lors de l’examen du projet de loi constitutionnelle de protection de la nation – dont je regrette personnellement qu’il n’ait pu cheminer jusqu’à son terme –, nous nous étions accordés, s’agissant de l’état d’urgence, sur une durée maximale de quatre mois, toute prolongation étant subordonnée à un aval du Parlement.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ce n’est pas dans la loi !

M. Jacques Myard. Pourquoi ne pas prolonger de quatre mois, alors ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Nous sommes donc, monsieur Ciotti, au-delà des six mois que vous proposez.

M. le président. Merci, monsieur le rapporteur.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Pour ma part je considère bienvenu, comme M. Zumkeller l’a souligné dans la discussion générale, que le Parlement soit régulièrement consulté sur ces mesures d’exception.

M. Pierre Lellouche. Ce que vous dites ne veut rien dire !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Gilbert Collard.

M. Gilbert Collard. Tout à l’heure, avec beaucoup d’assurance, vous m’avez donné, monsieur le ministre, une leçon de droit. Tout cela n’est pas bien grave, et je vous appelle à repentance : vous devriez en effet savoir que la loi du 20 novembre 2015 permet de dissoudre « les associations ou groupements de fait qui participent à la commission d’actes portant une atteinte grave à l’ordre public […] ».

On peut se laisser emporter dans le débat, je le sais bien, mais évitez de donner des leçons qui vous reviennent comme une petite fessée… (« Oh ! » sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard. J’ai noté, de la part du rapporteur, un peu d’imprécision et d’embarras face au présent amendement.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Pas du tout !

M. Jacques Myard. De fait, on le voit bien, une durée de deux mois n’a guère de sens, d’autant que la menace va aller croissant.

Le Parlement, nous dit-on, doit être saisi : je le comprends d’autant mieux que je suis moi-même parlementaire, et soucieux de défendre nos droits bec et ongles. Il n’en demeure pas moins que, grâce au président de la commission des lois et à M. Poisson, nous pouvons suivre l’évolution de la situation : si, par bonheur, elle devait s’améliorer, il pourrait être mis fin, par un simple décret adopté en Conseil des ministres, à l’état d’urgence.

Comme chacun sait, le Parlement travaille déjà beaucoup : pourquoi ne pas instaurer directement une durée de six mois ? On a, je le répète, les garanties d’un suivi parlementaire efficace, et le Gouvernement peut mettre un terme à l’état d’urgence avant la fin de la durée prévue.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Pour procéder à la dissolution d’un groupe sur la base de l’article auquel vous avez fait référence, monsieur Collard, plusieurs conditions de droit doivent être réunies. En premier lieu, la dissolution doit se fonder sur les actions du groupe lui-même, non sur celles des individus qui le composent. Deuxièmement, il faut un nombre suffisant d’éléments pour rendre le dossier incontestable.

C’est précisément ce que nous sommes en train d’examiner.

M. Gilbert Collard. Nous parlons de l’ordre public !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Si les conditions sont réunies, je le redis solennellement devant votre assemblée, nous procéderons à la dissolution de ces groupes. Mais nous ne pouvons pas le faire sans la garantie que le dossier de dissolution apporte la preuve de tous ces éléments.

Je vous le répète, monsieur Collard, les arguments que je vous présente sont rigoureusement conformes au droit. Il ne suffit pas que des individus se rendent coupables de violences, encore faut-il que ces violences se rattachent à l’activité collective du groupe que l’on dissout, sinon la dissolution ne serait pas légale.

M. Gilbert Collard. Je me demande qui vous conseille ! Vous devriez nous choisir comme juristes !

(L’amendement n1 n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 7 et 10.

Sur ces deux amendements identiques, je suis saisi par le groupe Les Républicains d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement n7.

M. Guillaume Larrivé. Cet amendement tend à autoriser les services du ministère de l’intérieur à procéder à des perquisitions administratives. Nous n’avons pas déposé cet amendement pour en faire un sujet de colloque ou de débat partisan, mais pour répondre aux inquiétudes des acteurs opérationnels qui, au sein même de vos services, ont appelé notre attention sur cette carence du projet de loi.

Vous-même avez hésité, puisque vous aviez inclus les perquisitions administratives dans l’avant-projet de loi relatif à l’état d’urgence dont vous avez saisi le Conseil d’État il y a quelques semaines. La section de l’intérieur du Conseil d’État vous avait donné son feu vert mais vous êtes revenu en arrière et vous les avez retirées par une saisine rectificative.

Vos arguments ne nous convainquent pas. Le fait d’avoir procédé en décembre et en janvier à un grand nombre de perquisitions administratives ne doit pas vous interdire d’y recourir à nouveau, ne serait-ce qu’une seule fois, notamment à l’approche de cet événement à date fixe qu’est l’Euro 2016. Si vos services, monsieur le ministre, vous alertent avant le match France-Roumanie du 10 juin, sur un élément qui nécessite une vérification en urgence absolue, vous serez, au cas où cet amendement n’est pas adopté, privé de la faculté de procéder en urgence à une perquisition administrative. Ce n’est pas raisonnable.

On m’objectera que le Sénat a voté une autre version. Je le regrette, mais rien n’interdirait de modifier l’ordre du jour parlementaire pour que le Sénat procède rapidement à une adoption conforme du texte sur l’état d’urgence, que nous voterions ici afin de donner à l’État les moyens nécessaires de procéder à des perquisitions administratives ciblées.

M. Jean-Frédéric Poisson. Bien évidemment !

M. Jacques Myard. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Rien n’interdirait, en effet, une navette parlementaire mais reconnaissez que les délais sont relativement courts pour le faire.

M. Jean-Frédéric Poisson. Nous avons déjà fait bien pire !

M. Pascal Popelin, rapporteur. Par ailleurs, nous avons déjà largement débattu de cette question et de l’opportunité de maintenir ou non la possibilité de procéder à des perquisitions administratives. Nous n’avons pas la même approche du sujet, nous le savons. Avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Laurent, pour soutenir l’amendement n10.

M. Jean-Luc Laurent. Vous le savez, je ne partage pas l’analyse du Gouvernement quant à la pertinence de proroger l’état d’urgence, mais dès lors qu’une majorité est réunie pour en décider ainsi, comme l’atteste le vote intervenu, il convient de retenir l’ensemble des moyens administratifs permis par la loi de 1955, afin de permettre au Gouvernement et aux forces de sécurité de donner toute sa puissance à l’outil mis à leur disposition, en ordonnant en particulier des perquisitions administratives. Cet amendement tend par conséquent à restaurer la plénitude des droits mis à la disposition du Gouvernement par la loi de 1955.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je voudrais apporter mon soutien à Guillaume Larrivé. Si le Gouvernement demande la prorogation de l’état d’urgence, qu’il la demande complètement. S’il est vrai qu’une seule perquisition pourrait donner des résultats – vous n’avez d’ailleurs pas dit autre chose devant la commission des lois puisque vous leur reconnaissez la même efficacité malgré leur diminution, soixante-dix ou quatre-vingts ayant été ordonnées ces derniers temps – qu’attendez-vous pour maintenir ce dispositif ? On a du mal à comprendre que des opérations qui ont été efficaces hier ne le soient plus demain au motif qu’il n’y en aurait plus d’ordonnées. Dès lors que les perquisitions sont le principal outil de l’état d’urgence, il faut pouvoir y recourir. Cela ne vous oblige pas en ordonner tous les jours mais vous donne la possibilité de le faire en cas de nécessité.

Par ailleurs, ce ne serait pas la première fois dans l’histoire de la navette parlementaire que l’on inscrirait un texte du matin à l’ordre du jour de l’après-midi du Sénat, pour y revenir à l’Assemblée dans la nuit, voire le lendemain matin. Si l’obstacle n’est qu’une question de temps, il peut être facilement levé, car il nous reste une semaine pleine ! Le Parlement a déjà adopté des textes autrement plus compliqués en un tel délai !

M. Jacques Myard. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Nous sommes là au cœur de l’incohérence que je ne cesse de dénoncer depuis ce matin.

M. Jean-Yves Caullet. Sans succès !

M. Pierre Lellouche. Soit les perquisitions administratives sont utiles, comme vous avez pu en attester, monsieur le ministre, et il faut alors les conserver…

M. Jacques Myard. Bien sûr !

M. Pierre Lellouche. …soit, ce que vous avez dit également, elles ne l’auraient essentiellement été qu’au cours du premier mois de l’état d’urgence et ne serviraient plus à rien à présent, et il ne faut pas demander la prorogation de l’état d’urgence ! C’est l’un ou l’autre. Soit nous votons la prorogation de l’état d’urgence avec l’ensemble des outils prévus par la loi de 1955, soit vous décidez de faire autre chose, ce qui serait aberrant compte tenu de la gravité des menaces qui pèsent sur la sécurité de notre pays. Depuis ce matin, je ne comprends pas la logique qui commande l’action du ministre de l’intérieur et du Gouvernement.

M. Jacques Myard. Votez pour ! S’il arrive un pépin, vous l’aurez dans les dents !

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 7 et 10.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants63
Nombre de suffrages exprimés62
Majorité absolue32
Pour l’adoption17
contre45

(Les amendements identiques nos 7 et 10 ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Laurent, pour soutenir l’amendement n11.

M. Jean-Luc Laurent. Une interprétation assez large de la procédure d’état d’urgence a pu conduire à des décisions qui n’ont pas été comprises, ce qui a affaibli la légitimité de cette procédure pourtant utile à la protection des Français et à la défense de l’État de droit. Depuis la déclaration de l’état d’urgence, le Gouvernement a ainsi pris des mesures contre des personnes sans lien direct avec les attaques terroristes qui ont frappé la France en 2015. Cet amendement tend par conséquent à ce que les mesures prises en application de loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence ne puissent concerner que des personnes physiques ou morales ayant un lien, direct ou indirect, avec les faits qui ont motivé la déclaration et la prorogation de l’état d’urgence.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Vous proposez en quelque sorte, cher collègue, de finaliser l’état d’urgence, ce qui reviendrait à limiter les mesures susceptibles d’être prises sur le fondement de la loi de 1955. Nous avons déjà eu ce débat à l’occasion de l’examen de l’article 1er du projet de loi constitutionnelle de protection de la nation. Nous avions alors rejeté des amendements qui étaient similaires, sans être identiques.

Les jurisprudences du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel, en matière d’état d’urgence, distinguent entre le péril imminent, qui permet la déclaration de l’état d’urgence – en l’espèce, la menace de récidive d’un attentat terroriste – et les finalités poursuivies ensuite dans la mise en œuvre des mesures de la loi de 1955, c’est-à-dire la prévention des menaces à l’ordre et à la sécurité publics. Cette distinction est un gage d’efficacité. Elle n’exonère d’ailleurs pas du contrôle du juge administratif – qui ne s’en prive guère, ce qui est très bien –, éventuellement en référé, du caractère adapté et proportionné des mesures administratives. Le juge administratif s’y plie scrupuleusement, et dans un État de droit, bien évidemment, le Gouvernement respecte non moins scrupuleusement lesdites décisions.

Avis défavorable.

(L’amendement n11, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n2.

M. Éric Ciotti. Cet amendement tend à ajouter à la liste de l’article L. 222-1 du code de la sécurité intérieure le fichier des antécédents judiciaires et les bases de données utilisées par le renseignement de proximité – PASP, prévention des atteintes à la sécurité publique, pour la police nationale et base de données de sécurité publique, BDSP, pour la gendarmerie nationale – afin de permettre à nos services de renseignements d’y accéder.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Vous proposez là une mesure pérenne qui aurait plutôt vocation à être débattue à l’occasion d’un autre projet de loi que celui visant à proroger l’état d’urgence.

Sur le fond, l’article 20 de la loi relative au renseignement du 24 juillet 2015 satisfait partiellement votre demande, en ouvrant l’accès du fichier des antécédents judiciaires aux principaux services de renseignements des premier et second cercles. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je suis bien évidemment d’accord avec l’objectif de cet amendement mais il est déjà satisfait par le droit en vigueur. J’invite dès lors M. Ciotti à le retirer.

M. Éric Ciotti. Je le maintiens.

(L’amendement n2 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement n3.

M. Éric Ciotti. Dans la perspective de l’Euro 2016, qui justifie la prorogation de l’état d’urgence, cet amendement tend à autoriser le recours aux techniques de reconnaissance faciale, particulièrement efficaces pour améliorer la protection de nos concitoyens dans les grands rassemblements de masse. Il n’est pas possible aujourd’hui d’utiliser un tel procédé, quel que soit le lieu, même pour un temps limité. Nous vous proposons de remédier à cette situation en introduisant un lien juridique entre les moyens de vidéoprotection disponibles dans beaucoup de villes et l’accès aux fichiers, notamment celui des empreintes digitales puisqu’il est le seul à afficher des photographies normalisées et que l’on peut facilement recouper avec les vidéoprotections.

M. Noël Mamère. Et l’accès au cerveau ?

M. Éric Ciotti. Les technologies sont aujourd’hui au point. Une expérimentation est possible à Nice. Le maire de Nice a d’ailleurs saisi le Premier ministre pour mettre en place ce dispositif dès l’Euro 2016. Si nous adoptons cet amendement, nous rendrons possible cette mesure de protection indispensable pour assurer la sécurité d’un tel événement. J’en appelle à la responsabilité du Gouvernement.

M. Philippe Goujon. Très bien !

M. Christophe Caresche. Ces technologies coûtent cher !

(L’amendement n3, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Mariani, pour soutenir l’amendement n13.

M. Thierry Mariani. Il est défendu.

(L’amendement n13, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Mariani, pour soutenir l’amendement n12.

M. Thierry Mariani. Défendu.

(L’amendement n12, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Mariani, pour soutenir l’amendement n14.

M. Thierry Mariani. Défendu.

(L’amendement n14, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon, pour soutenir l’amendement n8.

M. Philippe Goujon. Nous nous réjouissons évidemment du choix de la France pour accueillir l’Euro 2016, mais on ne saurait ajouter un risque supplémentaire, voire inconsidéré, en maintenant une « fan zone » de 100 000 supporters au pied de la tour Eiffel, accessible sans billets pendant un mois, alors que cette initiative ne conditionne nullement le succès de l’Euro et qu’elle n’empêchera pas les supporters de se regrouper partout dans Paris pour assister aux retransmissions.

Guillaume Larrivé et Pierre Lellouche l’ont dit avant moi mais vous n’avez pas répondu, monsieur le ministre. Ne sommes-nous pas en état de guerre ? La disparition tragique de l’avion d’EgyptAir qui a décollé de Paris ne risque-t-elle pas de le confirmer cruellement aujourd’hui encore ? La cellule terroriste de Bruxelles n’avait-elle pas envisagé de frapper l’Euro, tout comme deux terroristes arrêtés en Italie voilà quinze jours ? Les effectifs mobilisés autour des fan zones ne seraient-ils pas mieux employés à protéger les sites sensibles, les stades, les gares, les aéroports ?

Pourtant, le nombre de vigiles prévu dans la fan zone du Champ-de-Mars est deux à trois fois inférieur au ratio habituel, avec 400 personnels alors qu’il en faudrait 1 000. Les grandes sociétés de sécurité se sont d’ailleurs retirées du marché, refusant de prendre un tel risque. Le CNAPS – Conseil national des activités privées de sécurité – a recommandé unanimement la suppression des fan zones, considérant, je cite, « que les effectifs de surveillance n’étaient pas au rendez-vous ».

Pourquoi ne pas implanter la fan zone dans un ou deux stades sécurisés, par exemple Charléty comme nous l’avons proposé avec Rachida Dati en tant que maires riverains, plutôt que dans un espace libre de 15 hectares ceint d’une simple clôture de 2,40 mètres, où l’on s’entassera de plus dans les files d’attente face aux six entrées prévues ?

Et je n’évoque pas les multiples problèmes, loin d’être encore résolus, quant à la capacité à préserver dans le quartier environnant la tranquillité publique, la propreté, l’hygiène, à quoi il faut ajouter les entraves gigantesques à la circulation, au stationnement, au commerce, au tourisme, ou encore la dégradation du Champ-de-Mars lui-même, interdit d’accès à ses usagers habituels pendant un mois d’été, sachant que l’alcool y sera autorisé.

La France, a déclaré le directeur général de la sécurité intérieur, est le pays le plus menacé au monde. (Murmures sur les bancs du groupe écologiste.)

M. le président. Terminez, mon cher collègue.

M. Philippe Goujon. Je termine, monsieur le président.

Renoncez, monsieur le ministre, à faire courir à des centaines de milliers de supporters et de Parisiens le risque que la fête se transforme en cauchemar !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Vous proposez, monsieur Goujon, de compléter la loi de 1955 pour interdire les retransmissions d’événements sportifs dans des lieux publics, autrement dit pour interdire les « fan zones ». Je ne suis pas favorable, pour ma part, à une interdiction a priori. Au-delà du symbole qu’elle constituerait, une telle décision poserait des difficultés pratiques bien plus grandes, puisqu’elle inciterait à des regroupements spontanés de supporters dans des lieux non prévus à cet effet.

M. Jean-Frédéric Poisson. Il y en aura quand même. Les bistrots seront pleins, monsieur le rapporteur !

M. Pascal Popelin, rapporteur. En outre, la rédaction actuelle des articles 5 et 8 de la loi de 1955 permet de sécuriser ce type de manifestation, et je sais que le Gouvernement y travaille en liaison avec les maires des communes concernées. Ces moyens de sécurisation seront la réglementation de l’accès des personnes et des véhicules, l’interdiction de séjour de certains individus identifiés, en particulier les hooligans et les interdits de stades, ainsi que la possibilité de fermer, en cas de désordres, des lieux de réunion en y interdisant tout rassemblement.

M. Jean-Frédéric Poisson et M. Thierry Mariani. Comme pour les manifestations d’hier ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. La nécessité de faire face aux aléas de l’organisation d’un événement tel que l’Euro 2016 est d’ailleurs une des raisons de la prorogation de l’état d’urgence.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Messieurs les députés Goujon et Lellouche, cet amendement me donne l’occasion de répondre à vos interrogations concernant l’Euro 2016.

L’Euro 2016 est une manifestation dont l’organisation a été négociée il y a très longtemps. Il fait l’objet d’un cahier des charges très précis, avec des clauses qui nous engagent et dont il serait utile que chacun lise le contenu. En particulier, une des clauses de cet accord ancien précise que les circonstances ne peuvent porter atteinte aux engagements pris – même si, à la limite, il y a un contexte particulier…

M. Pierre Lellouche et M. Jean-Frédéric Poisson. Oui, les circonstances sont tout de même particulières !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’est ainsi que le contrat a été signé, mais le contexte est certes particulier.

La question qu’il faut se poser, c’est celle de la signification du signal que nous envoyons si nous procédons à l’interdiction de ces fan zones. De même, nous nous étions demandé quelle aurait été la signification du message envoyé lorsqu’il a été proposé par certains responsables politiques d’annuler la COP21.

Nous sommes en guerre contre le terrorisme. Nous avons en face de nous des groupes très déterminés qui veulent remettre en cause notre art de vivre, qui veulent s’en prendre à nos valeurs et qui veulent que la France cesse d’être la France. Dans ce contexte-là, devons-nous envoyer à ces groupes, notamment à Daech, le signal que nous sommes impressionnés par les menaces qu’ils adressent à la France au point de renoncer à tout ? Non !

M. Philippe Goujon. Mais je ne demande pas l’annulation de l’Euro, monsieur le ministre !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Personne ne songe à faire cela. Vous conviendrez avec moi, monsieur Goujon, monsieur Lellouche, que si nous envoyions, par des décisions de cette sorte un tel signal, sur la détermination psychologique que nous devons afficher face aux terroristes, la France y perdrait beaucoup.

M. Philippe Goujon. Je le répète, je ne demande pas l’annulation de l’Euro !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Du reste, ni le président du club des villes hôtes de l’Euro 2016, Alain Juppé, avec qui nous travaillons en étroite relation, ni aucun maire des villes concernées n’a demandé que nous procédions à cette interdiction.

Au terme du dialogue entre l’UEFA – Union des associations européennes de football –, les villes, leur président et l’État, nous avons fait le choix – également, comme je l’ai dit, pour montrer notre détermination face au terrorisme – de ne pas renoncer à ces fan zones.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est autre chose. Nous discutons ici d’une mesure législative.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Bien entendu, ce choix implique que nous les sécurisions avec un maximum de précautions. C’est ce que nous faisons en mobilisant les forces de sécurité, les sociétés de sécurité privées et les organismes internationaux de football de manière à assurer la sécurité maximale. Le dispositif de pilotage et la mobilisation de tous les acteurs sont destinés à garantir cette sécurité.

Ensuite, ce n’est pas parce que nous n’organisons pas de fan zones que ceux qui veulent nous frapper renonceront à le faire.

M. Pierre Lellouche. Certes, mais il est inutile de leur offrir cette occasion !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Ils peuvent très bien le faire en dehors des fan zones à tout moment. Il y a une menace, mais l’idée que nous devrions, au nom de cette menace, renoncer à tout faute de pouvoir tout sécuriser nous met dans un contexte où la France n’est plus la France.

C’est pourquoi nous avons choisi de demeurer ce que nous sommes, de tenir nos engagements internationaux et de prendre le maximum de précautions pour que l’événement se passe le mieux possible. Et, croyez-moi, cela appelle une mobilisation considérable du ministère de l’intérieur et de tous les autres ministères concernés !

M. Philippe Goujon. Les effectifs seraient mieux employés ailleurs !

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche. (Murmures sur les bancs du groupe écologiste.)

M. Pierre Lellouche. Ce que nous demandons, ce n’est pas que la France cesse d’être la France, ce n’est pas l’annulation de l’Euro, ni même la suppression des fan zones. Ce que nous demandons, M. Goujon et moi ainsi que beaucoup d’autres élus, notamment parisiens, c’est que le lieu le plus emblématique de Paris, la tour Eiffel, connu dans le monde entier, ne serve pas de cible à des attaques terroristes qui, du même coup, seraient les plus spectaculaires de l’histoire.

Bref, c’est une mesure de précaution que nous vous demandons. Vous faites voter ce matin la prorogation de l’état d’urgence. D’accord ! Nous ne sommes même pas opposés à ce que vous organisiez des fan zones si vous y tenez absolument pour respecter les contrats passés avec la Fédération.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Ce n’est pas le débat d’aujourd’hui.

M. Pierre Lellouche. Mais faites-le ailleurs, dans des lieux que vous saurez protéger ! Les stades conviennent parce qu’ils ont des entrées. Lors de l’attentat du stade de France le 13 novembre, on a constaté que l’on savait à peu près les protéger. Mais un simple grillage et 100 000 personnes rassemblées dans l’endroit le plus emblématique de Paris pendant un mois, c’est quelque chose d’extraordinairement risqué.

Vous voulez maintenir, nous l’avons compris, cette décision déraisonnable. Pour ma part, je dis simplement que je nous souhaite d’avoir de la chance dans le mois qui vient. Sans cela, vous aurez pris un risque incalculable pour la suite !

(L’amendement n8 n’est pas adopté.)

M. le président. Je crois que tout a été dit, mes chers collègues. Si tout le monde en convient, nous pouvons passer au vote.

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants68
Nombre de suffrages exprimés66
Majorité absolue34
Pour l’adoption46
contre20

(Le projet de loi est adopté.)

3

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement ;

Suite de la discussion du projet de loi de modernisation de la justice du XXIsiècle.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures dix.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly