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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2016-2017

Compte rendu
intégral

Première séance du mardi 04 octobre 2016

SOMMAIRE

Présidence de M. Claude Bartolone

1. Ouverture de la session ordinaire

2. Questions au Gouvernement

Alstom

M. Frédéric Reiss

M. Manuel Valls, Premier ministre

Alstom

M. Frédéric Barbier

M. Manuel Valls, Premier ministre

Situation à l’Agence France-Presse

Mme Marie-George Buffet

Mme Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication

Projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2017

M. Jacques Krabal

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé

Plan d’urgence pour l’agriculture

M. Alain Chrétien

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Association des élus locaux à la lutte contre la radicalisation

M. Yves Jégo

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement

Engagement militaire de la France en Libye et en Irak

M. Pierre Lellouche

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense

Situation à Alep

Mme Élisabeth Guigou

M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international

Conséquences du Brexit

M. Daniel Fasquelle

M. Michel Sapin, ministre de l’économie et des finances

Plan d’urgence pour l’agriculture

M. Dominique Potier

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Signalement des personnes fichées « S »

Mme Françoise Guégot

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice

Plans de convergence

M. Philippe Gomes

Mme Ericka Bareigts, ministre des outre-mer

Transport des animaux vivants

M. Philippe Noguès

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Lieux de culte salafistes

M. Claude Goasguen

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement

Égalité réelle outre-mer

Mme Monique Orphé

Mme Ericka Bareigts, ministre des outre-mer

Mesures en faveur de l’emploi

M. Michel Liebgott

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Suspension et reprise de la séance

3. Cessation du mandat d’une députée et reprise de l’exercice du mandat d’un ancien membre du Gouvernement

4. Remplacement d’un député nommé membre du Gouvernement

5. Démission d’un député

6. Égalité réelle outre-mer

Présentation

Mme Ericka Bareigts, ministre des outre-mer

M. Victorin Lurel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

M. Serge Letchimy, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques

Présidence de Mme Sandrine Mazetier

Mme Monique Orphé, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales

M. Jean-Claude Fruteau, président de la délégation aux outre-mer

Discussion générale

Mme Huguette Bello

M. Ibrahim Aboubacar

M. Daniel Gibbes

Mme Maina Sage

M. Stéphane Claireaux

M. Jean-Philippe Nilor

M. Bruno Le Roux

M. Philippe Gosselin

M. Napole Polutélé

M. Thierry Robert

M. Jacques Bompard

Mme Gabrielle Louis-Carabin

Mme George Pau-Langevin

Présidence de M. David Habib

M. Philippe Gomes

M. Boinali Said

Mme Ericka Bareigts, ministre

Discussion des articles

Article 1er

Mme Brigitte Allain

Mme Marion Maréchal-Le Pen

M. Jacques Bompard

M. Serge Letchimy, rapporteur pour avis

Amendements nos 301 , 1 , 199 , 44 , 302

Article 2

Amendements nos 60 , 280 (sous-amendement) , 200 , 201

Après l’article 2

Amendement no 25

Article 3

Mme Brigitte Allain

7. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Ouverture de la session ordinaire

M. le président. Conformément au premier alinéa de l’article 28 de la Constitution, j’ai pris acte de l’ouverture de la session ordinaire de 2016-2017 au Journal officiel du dimanche 2 octobre 2016.

2

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Alstom

M. le président. La parole est à M. Frédéric Reiss, pour le groupe Les Républicains.

M. Frédéric Reiss. Monsieur le Premier ministre, l’annonce de l’arrêt de la production sur le site de Belfort a été un choc rude pour les salariés d’Alstom. Le Gouvernement semble enfin avoir mesuré l’ampleur du problème. L’État va commander en direct quinze TGV destinés aux lignes Intercités Bordeaux-Marseille et Montpellier-Perpignan. Ils rouleront à 200 kilomètres à l’heure, et non à 320 kilomètres à l’heure, leur vitesse commerciale habituelle. Cette réponse à court terme est d’autant plus surprenante qu’on attendait la pérennisation des activités d’Alstom à Belfort et sur les différents sites français.

À l’été 2015, le Gouvernement suscitait beaucoup d’espoirs en annonçant 1,5 milliard d’euros d’investissement pour renouveler les trains Intercités. Mais l’État, qui, en tant qu’autorité organisatrice, détient un rôle décisionnaire en matière de renouvellement du matériel roulant, a renoncé aux contrats-cadres signés en 2009 avec Alstom et Bombardier. Le Gouvernement a décidé d’un nouvel appel d’offres, synonyme de destruction d’emplois industriels, à cause des délais et de surcoûts financiers, dus à des frais incompressibles de développement, d’adaptation et d’homologation. À Reichshoffen, le ralentissement actuel de la production a découlé du trou réel du plan de charge pour début 2018 – 1 000 emplois sont concernés.

À de multiples reprises, M. Alain Vidalies a annoncé, à propos de la convention TET – trains d’équilibre du territoire –, une commande de trente trains supplémentaires dans le cadre du marché existant entre la SNCF et Alstom. La parole de l’État sera-t-elle respectée ? Pouvez-vous, monsieur le Premier ministre, confirmer la date de cette commande ? Les annonces concernant le site de Belfort permettront-elles de préserver l’excellence de la filière ferroviaire française ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le député, c’est bien volontiers que je vais vous répondre – et j’y reviendrai juste après – à propos de ce dossier qui nous a mobilisés, avec Michel Sapin, Alain Vidalies et Christophe Sirugue, lequel se trouvait encore ce midi à Belfort.

Sur un tel sujet, il faut éviter la polémique et les approximations…

M. Christian Jacob. Ce serait bien d’éviter aussi la démagogie !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …comme celles que j’ai entendues aujourd’hui, et qui viennent d’ailleurs de responsables politiques de tous bords.

Vous le savez, le Gouvernement avait pris l’engagement que l’activité ferroviaire serait maintenue sur le site Alstom de Belfort, avec la volonté de préserver et de développer l’activité du groupe sur les autres sites. Avec le plan présenté ce matin, cet engagement est tenu. Il est essentiel pour notre pays, pour nos grandes entreprises de transport, la RATP et la SNCF, comme pour l’avenir de la filière ferroviaire dans son ensemble et pour Alstom, de préserver le site de Belfort et ses compétentes ; c’est un enjeu majeur pour l’emploi et pour notre politique industrielle.

C’est sur la base de cette conviction que nous avons ouvert un dialogue avec Alstom, après une décision qui a surpris tout le monde, et que nous avons mené une concertation étroite avec les élus locaux et les organisations syndicales. Et c’est ce travail qui a permis de faire émerger aujourd’hui une solution collective. Le plan repose sur trois axes concrets : une modernisation profonde de la production ferroviaire de Belfort ; un développement des activités de services ; des investissements significatifs pour une diversification du site, avec des apports de l’État, des collectivités territoriales et de l’entreprise.

Il va de soi que de nombreuses questions restent encore en suspens, vous venez de les évoquer. Néanmoins, ce qui me paraît essentiel, je veux insister sur ce point, c’est le maintien de la charge de travail à Belfort et de notre avance technologique en matière ferroviaire, qui passe par une transformation et une modernisation de la production sur le site, comme cela a été annoncé ce matin.

Comme je ne veux pas être plus long, je me contenterai, monsieur le député, de faire une remarque. Les mêmes qui ont mis en cause le Gouvernement, il y a quelques jours, parce qu’il ne prendrait pas ses responsabilités, parce qu’il ne jouerait pas son rôle d’actionnaire ou tout simplement parce qu’il ne viendrait pas au secours d’entreprises d’État comme la SNCF et la RATP, évoquent aujourd’hui – y compris un ancien ministre des transports – un « bidouillage ». C’est assez étonnant ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste. – Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Nous avons assumé nos responsabilités incombant à l’État actionnaire : sans l’intervention de l’État, mesdames et messieurs les députés, l’entreprise Alstom n’aurait pas été en position d’annoncer aujourd’hui, non seulement qu’elle allait développer le site de Belfort, mais aussi que ses salariés, sur tous ses sites de production, pouvaient voir l’avenir d’une autre manière. Nous assumons toujours nos responsabilités.

M. Sylvain Berrios. Avec nos impôts !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Cette critique est du reste assez étonnante car je ne l’ai jamais entendue à propos des Rafale et de Dassault. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain. – Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) Vous avez une drôle de vision de ce qu’est le rôle de l’État actionnaire. Il assume ses responsabilités quand il s’agit du Rafale, grâce notamment à l’action de Jean-Yves Le Drian en faveur des exportations, ce qui n’avait jamais été fait jusqu’à présent. Et nous assumons aussi nos responsabilités quand il s’agit d’Alstom. (Mêmes mouvements.)

M. Yves Fromion. Quelle malhonnêteté !

Alstom

M. le président. La parole est à M. Frédéric Barbier, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.

M. Frédéric Barbier. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre. Je veux y associer le président du groupe socialiste, écologiste et républicain, Bruno Le Roux, puisque le siège d’Alstom se trouve dans sa circonscription.

Le 7 septembre, le PDG d’Alstom annonçait la fermeture, d’ici 2018, de son site historique de Belfort.

M. Pierre Lellouche. On n’a qu’à y construire des Rafale !

M. Frédéric Barbier. Immédiatement, le Président de la République et le Gouvernement, d’une façon très volontariste, se sont saisis du dossier. Avec 400 emplois directs et 800 emplois dans la sous-traitance, ce sont plus de 1 000 familles et tout un territoire qui vivaient avec la terrible crainte de voir disparaître leur avenir familial, professionnel et économique. L’État doit s’engager en faveur des salariés pour que le site de production de Belfort, avec son ingénierie, sa filière de recherche et développement ainsi que ses services, soit pérennisé. Nous voulons encore être fiers de notre savoir-faire à la française, de nos technologies, et de notre expérience.

Oui, il faut plus d’État, pour reconstruire l’outil industriel excessivement dégradé que nous a laissé le précédent gouvernement de droite.

M. Jacques Myard. Oh !

M. Frédéric Barbier. Oui, il faut des mesures qui permettent de sauvegarder à moyen terme le site de Belfort puis de le pérenniser. Oui, il faut un État stratège, qui intervient, protège et permet à nos entreprises de renouer avec le succès. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Christian Jacob. Un gouvernement stratège, ce serait une bonne chose aussi !

M. Frédéric Barbier. L’État l’a fait lors du sauvetage de Peugeot Citroën, dès 2012.

Oui, enfin, la solidarité, cette valeur en laquelle nous croyons, continuera d’irriguer notre action, malgré les cris de ceux qui veulent souvent y voir de l’assistanat.

Monsieur le Premier ministre, je tiens à vous remercier, vous et le gouvernement que vous dirigez, pour l’effort important que vous consacrez au sauvetage de l’usine de Belfort et de la filière du transport ferroviaire. L’État doit jouer son rôle dans l’histoire industrielle de la France. Alstom est l’histoire ; Alstom est la France. Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous détailler le plan proposé par le Gouvernement et négocié avec Alstom ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le député, vous connaissez bien ce dossier et vous avez eu raison de rappeler que l’État stratège doit s’engager. J’ai déjà évoqué les trois axes qui permettent aujourd’hui de voir l’avenir avec plus d’optimisme pour ce groupe et pour ses salariés.

Je l’ai dit, le maintien de la charge de travail à Belfort et celui de notre avance technologique en matière ferroviaire passe d’abord par une transformation, une modernisation de la production sur le site. Ainsi, Alstom et l’État consacreront 30 millions d’euros, d’ici deux ans, aux activités d’ingénierie touchant au développement du TGV du futur. Alstom investira également 30 millions, d’ici 2018, pour développer et industrialiser une plate-forme de locomotives de manœuvre hybrides ou diesel, bien adaptées au marché.

Ce n’est donc en rien, messieurs Busserau et Hamon, du « bricolage » ; c’est de la stratégie. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) Si vous connaissiez le dossier et si vous aviez écouté les annonces présentées ce matin par le PDG d’Alstom et le secrétaire d’État Sirugue, vous n’auriez pas utilisé cette expression. Oui, grâce à cette vision stratégique, nous avons pérennisé le site d’Alstom.

M. Jean-Luc Laurent. Très bien !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Le deuxième axe repose sur le développement des activités de maintenance et de nouvelles activités de services. Belfort doit devenir le centre européen de référence de la maintenance des locomotives du groupe Alstom. Nous avons obtenu que cette activité emploie 150 salariés, contre 60 initialement prévus par l’entreprise.

Le troisième axe, enfin, concerne la diversification des activités du site et l’investissement dans les activités d’avenir : d’ici 2020, Alstom investira 5 millions d’euros pour préparer la production à Belfort d’autres types de véhicules, plus modernes et innovants.

Vous le voyez, l’État et l’entreprise ont su travailler ensemble. Il s’agit bien d’engager une transformation profonde du site de Belfort, en lui offrant de nouvelles opportunités de croissance.

Mais, nous le savons, cette transformation prendra du temps, et, dans l’intervalle, il est nécessaire de garantir l’activité du site. Or cette activité sera, et nous l’assumons, assurée par des commandes nouvelles. Nous avons consulté la SNCF pour faire le point sur les commandes en cours et donner de la visibilité à Alstom, et il y aura des commandes.

Nous, nous assumons le rôle de l’État stratège, nous, nous assumons le rôle des services publics, quand l’opposition, elle, propose de faire des économies de 150 milliards et de mettre en cause à la fois l’État stratège et les services publics. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mesdames et messieurs les députés de l’opposition, je le dis avec d’autant plus de conviction que, comme de nouvelles études le montrent, nous avons stoppé le déclin industriel de notre pays. (Mêmes mouvements.) Et si cela a été possible, c’est parce que nous avons agi, vous connaissez bien ces dossiers, monsieur Barbier : nous avons agi sur PSA Peugeot Citroën ; nous avons agi sur Renault ; nous agissons sur les chantiers navals STX ; nous agissons sur DCNS ; nous agissons sur Alstom.

Mme Laure de La Raudière. Et sur Florange ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Nous avons une vision stratégique qui permet à la France de garder son industrie, son indépendance, ses salariés, ses entreprises. Voilà ce qui nous différencie de ceux qui ne savent que critiquer, au moment où nous rencontrons des succès, de ceux qui n’ont pas la bonne vision du monde. Notre vision du monde, c’est celle d’un État qui regarde le monde tel qu’il est et qui agit pour sauver notre industrie et nos emplois. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Christian Jacob. Détendez-vous, plus que trois mois avant Noël !

Situation à l’Agence France-Presse

M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Mme Marie-George Buffet. Madame la ministre de la culture et de la communication, l’Agence France-Presse – AFP – fait partie de l’exception culturelle. Issue de la Résistance, sa première dépêche date d’avril 1944. Le Parlement lui confère à l’unanimité, en 1957, un statut spécifique pour garantir son indépendance au service d’une information libre.

Aujourd’hui, l’AFP n’a pas d’équivalent, tant par l’étendue de sa couverture générale que par la compétence de sa rédaction et les garanties qu’elle offre en termes de qualité et de pluralité de l’information. Dans un monde où la vitesse de l’information peut primer sur son contenu, ce professionnalisme est plus que jamais nécessaire à notre démocratie.

Pourtant, l’Agence est, selon la présidente de sa commission financière, « dans une situation d’alerte », une alerte que les syndicats avaient auparavant dénoncée. Son endettement est passé de 26 millions d’euros en 2010 à 71 millions en 2015. Un déficit de plus de 5 millions est annoncé pour 2016. On peut s’interroger sur les choix de gestion passés et actuels, et s’inquiéter pour l’avenir de cet établissement.

En effet, sous la pression de la Commission européenne et au nom de la libre concurrence, le contrat entre l’État et l’AFP a été modifié par la loi de 2015 : mise en place d’une double comptabilité, création d’une filiale, réduction du champ des missions d’intérêt général relevant d’un financement public, et surtout impossibilité pour l’État de substituer comme auparavant sa responsabilité à celle de l’AFP face aux créanciers. Un statut fragilisé et une inquiétante situation financière remettent en question la pérennité de l’Agence.

Aussi, madame la ministre, pouvez-vous nous confirmer le versement par l’État, au titre des missions d’intérêt général de 1’Agence, de 5 millions d’euros supplémentaires en 2017 ? Pourriez-vous également nous indiquer quel sera l’engagement de l’État sur le long terme, aux côtés de l’AFP et de ses salariés, pour le droit à l’information de nos compatriotes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la culture et de la communication.

Mme Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication. Madame la députée, votre question me donne d’abord l’occasion de saluer l’AFP, qui est l’un de nos champions nationaux et la seule agence de presse francophone parmi les trois meilleures agences mondiales, ce dont nous devons être fiers. Ce gouvernement soutient l’AFP et est à ses côtés. Depuis 2015, vous l’avez dit, nous accompagnons la stratégie de l’Agence jusqu’en 2018 dans le cadre d’un contrat d’objectifs et de moyens. Ensuite, je vous le confirme, nous avons prévu, pour 2017, d’allouer 5 millions d’euros supplémentaires à la consolidation du financement des missions d’intérêt général de l’Agence. Si on y ajoute les abonnements de l’État pour ses propres services, on passe à un soutien de 132,5 millions d’euros.

M. Christian Jacob. Le Gouvernement a même créé une chaîne de télévision : « Télé Hollande » !

Mme Audrey Azoulay, ministre. Je rappelle également que ce gouvernement soutient la presse de l’amont, depuis l’AFP, à l’aval, jusqu’au marchand de journaux. Nous présenterons, dans le projet de loi de finances rectificative de la fin de l’année, un ambitieux plan de soutien aux marchands de journaux, qui sont un maillon essentiel de la diffusion de la presse. L’exonération de la contribution économique territoriale – CET – qui était jusqu’à présent facultative, sera désormais obligatoire et prise en charge par l’État.

M. Christian Jacob. Une presse complètement indépendante !

Mme Audrey Azoulay, ministre. Enfin, nous soutenons les éditeurs de presse pour développer le pluralisme, l’innovation, la presse émergente et de proximité.

M. Christian Jacob. Vous préparez la présidentielle !

Mme Audrey Azoulay, ministre. Nous veillerons particulièrement aux garanties procédurales prévues par la loi de 1881, qui sont essentielles à la liberté de la presse. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2017

M. le président. La parole est à M. Jacques Krabal, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Jacques Krabal. Madame la ministre des affaires sociales et de la santé, vous allez présenter demain, au conseil des ministres, le budget de la Sécurité sociale. Vous avez annoncé des comptes sans déficit pour 2017, une première depuis 2001. Mais n’oublions pas ce qu’écrivait Jean de La Fontaine dans la fable Le Renard et le bouc : « En toute chose, il faut considérer la fin ».

Ainsi, au-delà de ces perspectives positives, il est urgent de revoir le financement de nos hôpitaux, qui n’en peuvent plus. En outre, à l’heure de la campagne d’« Octobre rose » sur la prévention du cancer du sein, après le remboursement des prothèses mammaires, comment ne pas réévaluer la prise en charge des prothèses capillaires et du matériel d’appareillage indispensable au bien-être des patientes ? Enfin, nous n’avons pas compris l’annonce, en plein mois d’août, d’un plan de 200 millions d’euros d’économies prévues sur la santé à domicile, qui concerne 1,5 million de patients ; 250 prestations doivent baisser, avec des conséquences pour certains services à domicile, comme les lits médicalisés ou les perfusions.

Ainsi des malades d’Alzheimer ou des diabétiques verraient-ils les remboursements de prestations médicalisées diminuer d’au moins 10 %. Pour les 800 000 malades de l’apnée du sommeil, les remboursements baisseraient de 30 % en six ans. La prise en charge à domicile des patients et le virage ambulatoire, que vous défendez et qui est souhaité par les Français, seraient de fait pénalisés. De plus, les entreprises de ce secteur, qui sont dynamiques et créent des emplois qualifiés, non délocalisables – je peux le vérifier sur mon territoire – seraient freinées dans leur développement alors que le chômage remonte.

Madame la ministre, vous avez récemment communiqué sur la conclusion d’un accord entre les prestataires de santé à domicile et le Comité économique des produits de santé sur les tarifs des dispositifs médicaux, ce dont nous nous félicitons. Pouvez-vous nous dire ce qu’il en est des mesures annoncées cet été ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le député, je vous remercie d’avoir salué les résultats en termes de rétablissement des comptes de la Sécurité sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.– Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Claude Greff. Mensonge !

M. le président. S’il vous plaît !

Mme Marisol Touraine, ministre. C’est une première depuis 2001 et c’est un succès à mettre à l’actif de ce gouvernement et de cette majorité, d’autant que cela s’est fait sans renier les droits de nos concitoyens. C’est pour cela, monsieur le député, que je veux répondre très précisément à votre question sur les tarifs de certains dispositifs médicaux à domicile. Je ne peux pas vous laisser dire que lorsque nous baissons certains tarifs, qu’il s’agisse des dispositifs médicaux ou des médicaments, nous baissons les remboursements pour nos concitoyens.

Mme Claude Greff. Il a pourtant raison !

Mme Marisol Touraine, ministre. Un accord a été trouvé avec les industriels et les prestataires de santé à domicile. Je me réjouis que nous allions ensemble de l’avant, au service des patients. Monsieur le député, les patients sont remboursés sur la base de ces tarifs.

Mme Claude Greff. C’est faux !

Mme Marisol Touraine, ministre. Il n’y a pas de déremboursement et la Sécurité sociale prend en charge les prestations sur la base des tarifs déterminés.

Mme Claude Greff. Menteuse !

Mme Marisol Touraine, ministre. Monsieur le député, vous avez également évoqué la situation des malades du cancer. À l’heure où nous engageons la campagne d’Octobre rose pour les femmes victimes du cancer du sein, c’est l’une de mes préoccupations. Nous avons revalorisé les tarifs des prothèses mammaires et mis en place un nouveau traitement pour les malades, non pas du cancer du sein, mais de la prostate. Nous faisons en sorte d’améliorer la prise en charge du dépistage.

Vous le voyez, monsieur le député, la prise en charge des malades est une priorité de tous les jours de ce gouvernement et nous agissons dans ce sens tout en rétablissant les comptes de la Sécurité sociale. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Plan d’urgence pour l’agriculture

M. le président. La parole est à M. Alain Chrétien, pour le groupe Les Républicains.

M. Alain Chrétien. Ma question, à laquelle j’associe Mme Laure de La Raudière, députée d’Eure-et-Loir, s’adresse à M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

Monsieur le ministre, vous avez ce matin présenté votre plan d’urgence pour l’agriculture française. Si elles constitueront peut-être un ballon d’oxygène pour la profession, ces mesures ne résolvent en rien les difficultés structurelles auxquelles les exploitants sont confrontés.

Comme pour Alstom, en quatre ans, vous avez couru après les problèmes et les crises alors qu’il fallait les anticiper et anticiper un nouveau modèle agricole (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains) : volatilité des cours, compétitivité en berne, contractualisation des filières et complexité administrative sans cesse croissante.

Par exemple, monsieur le ministre, l’arrêté que vous vous apprêtez à prendre sur l’extension des zones non-traitées fera perdre près de 4 millions d’hectares cultivables à notre pays. C’est inadmissible ! Non, monsieur le ministre, les agriculteurs ne sont pas des empoisonneurs ; ils veulent juste vivre de leur travail. Ce n’est pas avec une mesure aussi dogmatique et uniforme que vous redonnerez confiance à la profession.

Monsieur le ministre, ma question est simple : comptez-vous revenir sur cet arrêté funeste pour la profession agricole ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, vous me parlez d’un arrêté.

Mme Laure de La Raudière. Un projet d’arrêté.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Je voudrais rappeler que celui-ci a été remis en cause à la demande d’une association de la FNSEA. La discussion est en cours ; aucun arrêté n’a été décidé aujourd’hui.

M. Christian Jacob. Demandez à Mme Royal !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Mais je veux revenir sur la question que vous me posez : en termes de bilan, encore faudrait-il être capable de mettre quelque chose sur la table. Vous me parlez de problèmes structurels. S’agissant du lait, qui a supprimé les quotas, sans se préoccuper des conséquences ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Antoine Herth. Rétablissez-les donc !

M. Stéphane Le Foll, ministre. À quel gouvernement appartient le ministre qui a obtenu la maîtrise volontaire de la production laitière depuis la fin des quotas laitiers ? À celui-ci !

Par ailleurs, j’ignore qui vous soutenez dans la primaire de la droite. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. Mes chers collègues, ménagez vos cordes vocales, vous allez en avoir besoin…

M. Stéphane Le Foll, ministre. Monsieur le député, il faudra expliquer comment, avec 100 ou 150 milliards d’économies de dépense publique, vous pouvez nous donner des leçons en matière de plan de sauvetage de l’agriculture. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain. – Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) Allez expliquer aux agriculteurs qu’en diminuant de 300 000 à 1 million le nombre de fonctionnaires, vous serez capable de traiter les dossiers de l’agriculture. Allez expliquer ensuite que les mesures libérales que vous proposez répondent aux enjeux actuels des agriculteurs de France.

Quand on est dans l’opposition, on a un certain confort, monsieur le député.

Un député du groupe Les Républicains. Vous y retournerez bientôt !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Encore faut-il être capable, au bout du compte, de s’expliquer. Or vous en êtes incapables. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Le plan qui a été présenté a été commenté par la profession agricole elle-même : en dehors des rangs de l’opposition, qui se croit autorisée à parler en son nom, la profession agricole a considéré que ce plan répond aux grands enjeux de l’agriculture française aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et sur quelques bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste. – Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Association des élus locaux à la lutte contre la radicalisation

M. le président. La parole est à M. Yves Jégo, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Yves Jégo. En l’absence de M. le ministre de l’intérieur, retenu en Guyane, ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

Monsieur le Premier ministre, imaginez le maire d’Évry cherchant désespérant depuis des semaines et des semaines de l’information sur le nombre de radicalisés de sa commune. Imaginez le maire d’Evry interroger les services de l’État, le procureur, la presse, pour connaître des informations majeures, au moins statistiques, pour savoir comment adapter la réponse à cette menace. Imaginez le maire d’Evry découvrant dans un journal, par hasard, une carte de son département avec, commune par commune, le chiffre précis des personnes radicalisées, ce qui montre, s’il en est besoin, que la presse a plus d’informations que les élus.

M. Jacques Myard. Ce n’est pas nouveau.

M. Yves Jégo. Eh bien, cette aventure est arrivée au maire non pas d’Évry mais de Montereau, qui a l’honneur de vous parler, monsieur le Premier ministre : malgré des demandes répétées et le souhait de participer, avec les autorités de l’État, au combat contre le terrorisme, j’ai découvert dans la presse des chiffres qui me semblent surprenants concernant ma commune.

Ma question est simple : pourquoi ne faites-vous pas confiance aux maires ? Pourquoi ne faites-vous pas confiance aux élus locaux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.) Pourquoi n’avez-vous pas la volonté d’associer les élus locaux pour faire de la coproduction en matière de sécurité, pour adapter les dispositifs locaux, qui sont souvent puissants, à la menace ?

Nous sommes prêts à travailler avec vous. La question, monsieur le Premier ministre, est : êtes-vous prêt à travailler avec les maires de France ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le député, à mon tour, je voudrais excuser Bernard Cazeneuve, retenu, vous le savez, par une mission en Guyane. Je tiens à la fois à rapporter sa préoccupation et à témoigner de celle du Gouvernement, qui est effectivement d’associer les élus, notamment les maires, à tout le travail réalisé en matière de prévention de la radicalisation et de bonne circulation de l’information, comme cela doit être fait, monsieur le député. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.)

Mme Claude Greff. La preuve avec Montereau !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Vous êtes un républicain : vous savez donc que l’État a la responsabilité de la sécurité et que celle-ci n’est pas déléguée, en l’occurrence, s’agissant du terrorisme, à des élus municipaux. Il est toutefois très important de les associer. C’est pourquoi le ministre de l’intérieur a réuni les présidents des principales associations d’élus, notamment de l’Association des maires de France, pour mettre en œuvre avec eux les dispositifs préfectoraux de prévention de la radicalisation. Et il a demandé aux préfets – j’espère que l’ensemble d’entre eux ont ce souci – de se manifester auprès des élus locaux pour leur communiquer toutes les informations nécessaires à la mise en place des plans utiles de ce point de vue.

Vous le savez, il y a un mais dans cette affaire : c’est l’article 11-2 du code de procédure pénale, qui autorise à donner des informations, mais seulement dans un cadre précis. Le décret, vous vous en souvenez, a été adopté en 2010, sous la précédente législature. C’est dans le cadre de la loi que l’information est transmise, je l’espère avec diligence, aux élus locaux concernés, parce que la mobilisation de tous sur ce sujet est nécessaire.

Un député du groupe Les Républicains. Zéro applaudissement !

Engagement militaire de la France en Libye et en Irak

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche, pour le groupe Les Républicains.

M. Pierre Lellouche. Monsieur le Premier ministre, après les déclarations de M. Ayrault devant la commission des affaires étrangères réunie à huis clos la semaine dernière, je souhaite vous interroger sur deux points de notre politique étrangère qui ont un impact direct sur la lutte contre le terrorisme.

En Libye, d’abord, alors que nous soutenons officiellement le gouvernement Sarraj à Tripoli, nous apprenons que des forces spéciales françaises combattent à l’autre bout du pays aux côtés de son rival, le général Haftar. Nous avons d’ailleurs perdu trois soldats au mois de juillet. Première question, donc : quelle est la politique de la France en Libye ?

Deuxième question : quelle est la politique de la France en Irak ? Le 24 septembre 2014 puis le 13 juillet 2015, alors que vous demandiez ici même l’autorisation du Parlement pour intervenir en Irak, vous avez explicitement spécifié que l’intervention française serait uniquement aérienne et qu’elle porterait accessoirement sur la formation de combattants peshmergas. Je vous cite, monsieur le Premier ministre : « Nous n’engagerons pas de troupes françaises au sol. » Or nous apprenons par la bouche de M. Ayrault qu’en plus des 500 hommes déjà présents en Irak a été déployée, il y a quelques jours, une batterie d’artillerie accompagnée de sa force de protection de 150 soldats.

Nous sommes en train de changer d’époque. Vous mettez le doigt dans un engrenage, celui de la participation de la France à des opérations au sol en Irak. Est-il raisonnable pour notre pays de participer à une guerre contre les sunnites, aux côtés des forces iraniennes, irakiennes et du Hezbollah ? Est-ce notre intérêt national ? Cela mérite un débat.

Vous avez outrepassé l’autorisation qui vous a été donnée l’an dernier. Nous vous demandons, monsieur le Premier ministre, de respecter la Constitution et d’ouvrir ce débat devant l’Assemblée nationale, comme l’exige l’article 35, alinéa 2, de notre Constitution. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la défense.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le député, notre intervention au Levant repose sur des bases juridiques claires et des bases constitutionnelles solides. Lorsque le Gouvernement a décidé, dans sa déclaration du 15 septembre 2015, l’engagement des forces aériennes, il a expressément exclu une intervention au sol en Syrie. Cette exclusion a été réitérée au moment du vote d’autorisation le 25 novembre 2015. En revanche, la prolongation de l’intervention des forces françaises en Irak accordée par le Parlement le 13 janvier 2015 n’opère pas une telle distinction.

M. Pierre Lellouche. C’est faux !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. En outre, le Premier ministre avait explicitement indiqué que le dispositif français dans ce pays continuerait d’évoluer.

M. Pierre Lellouche. Il a prononcé la phrase que j’ai citée !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. D’ailleurs, depuis de nombreux mois, des éléments terrestres sont chargés de la formation et du soutien à l’armée irakienne. Le déploiement d’une unité d’artillerie dans la région de Mossoul est simplement une extension du mode opératoire de l’engagement des forces françaises en Irak, en soutien des forces irakiennes. La nécessité d’un vote du Parlement n’est donc pas avérée.

En revanche, il importe d’informer le Parlement de l’évolution de la situation. C’est ce que j’ai fait moi-même le 26 juillet dernier : devant les commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat, j’ai fait un point complet sur les opérations extérieures au Levant, y compris sur l’usage des canons CAESAR dont vous avez parlé il y a un instant. Le compte rendu en ligne de cette réunion en témoigne.

M. Pierre Lellouche. Je me réfère aux déclarations du Premier ministre !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Vous avez également évoqué la Libye. La France a toujours soutenu le gouvernement d’union nationale. Vous avez fait allusion à des actions militaires : il n’y en a pas. La France mène des actions de renseignement, comme elle le fait dans d’autres régions du monde. Sur ce point, je me tiens à la disposition de la Délégation parlementaire au renseignement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Situation à Alep

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Guigou, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.

Mme Élisabeth Guigou. Monsieur le ministre des affaires étrangères et du développement international, depuis le 22 septembre dernier, la population d’Alep subit un martyre inhumain. Même les hôpitaux sont bombardés. Les morts sont toujours plus nombreux. De nombreux blessés ne sont plus soignés. L’eau potable manque. Des milliers de personnes sont piégées dans cet enfer. Nous sommes à la veille d’un drame équivalent à celui de Srebrenica. Il faut que cela s’arrête.

Depuis 2011, 700 casques blancs syriens sont morts, dont 142 dernièrement à Alep en portant secours à la population. Monsieur le président, mes chers collègues, nous devons non seulement saluer leur courage en recevant leurs représentants ici, à l’Assemblée nationale, comme je l’ai fait en commission des affaires étrangères en novembre dernier, mais aussi soutenir leur candidature au prix Nobel de la paix.

Nous devons faire comprendre à la Russie que ce sont des crimes de guerre, et même sans doute des crimes contre l’humanité qui sont commis à Alep.

Cette sauvagerie ne peut que renforcer Daech et le Fatah al-Sham, que nos pilotes combattent courageusement, en Syrie comme en Irak, dans le respect des autorisations données par le Parlement.

Alors que Russes et Américains ont cessé leur dialogue, c’est l’honneur de la France de tenter de parvenir à une solution diplomatique dans le cadre du Conseil de sécurité. La France reste heureusement un interlocuteur reconnu par tous les États de la région. Monsieur le ministre, quelles initiatives est-il possible de prendre aux niveaux national et européen pour sauver Alep ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain, et sur plusieurs bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international.

M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international. Madame la présidente de la commission des affaires étrangères, notre priorité absolue, aujourd’hui en Syrie, est de tout faire pour mettre fin au déluge de violence qui submerge Alep.

M. Pierre Lellouche. C’est un minimum !

M. Jean-Marc Ayrault, ministre. Le régime syrien et ses soutiens agissent dans une logique de guerre totale : il s’agit d’une situation sans précédent dans ce conflit. Ce déchaînement de violence, qui cible en particulier les hôpitaux et les personnels de santé, se caractérise en effet par des actes constitutifs de crimes de guerre, dont les auteurs devront répondre devant la justice internationale.

Comment y mettre un coup d’arrêt ? Certains préconisent un alignement total sur Moscou, au nom de la lutte contre le terrorisme. D’autres, à l’inverse, estiment que nous devrions rompre avec la Russie. Aucune de ces deux options ne permettra de mettre fin au drame qui se déroule sous nos yeux. Nous mettons les Russes devant leurs responsabilités : au Conseil de sécurité, nous sommes engagés dans la négociation d’une résolution afin d’établir un cessez-le-feu et de permettre aux populations civiles d’Alep de recevoir une aide humanitaire. Il est vrai que la négociation est compliquée, mais elle se poursuit en ce moment même. Le moment de vérité approche.

Sur le plan humanitaire, l’Union européenne a lancé une initiative en lien avec les Nations unies. Je me suis entretenu hier avec Mme Mogherini. Les moyens ont été réévalués. Nous sommes prêts à soutenir des transports d’aide humanitaire, mais encore faut-il que les conditions de sécurité soient réunies à Alep, ce qui n’est pas le cas.

Aujourd’hui, ces deux initiatives se rejoignent. Ces deux pistes poursuivent le même objectif : mettre fin au martyre d’Alep. Je dis aux Russes que le sort de cette ville est entre leurs mains. S’ils s’obstinent, le drame d’Alep restera dans les mémoires comme une infamie et ils en porteront la responsabilité. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. Yves Fromion. Ça va leur faire peur !

M. Jean-Marc Ayrault, ministre. Quant aux casques blancs, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, vous avez raison de rendre hommage à ces hommes et ces femmes dont le courage est exemplaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et sur quelques bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Conséquences du Brexit

M. le président. La parole est à M. Daniel Fasquelle, pour le groupe Les Républicains.

M. Daniel Fasquelle. Monsieur le Premier ministre, il y a maintenant cent jours, le 23 juin dernier, les Britanniques votaient, par référendum, leur sortie de l’Union européenne. Cette décision, lourde de conséquences, appelait une réaction forte de la part de la France. Vous-même, vous déclariez, dix jours après le Brexit : « Welcome in Paris ! Venez investir en France ! » Néanmoins, depuis, non seulement vous avez été incapable de convaincre les autres pays de l’Union de relancer la construction européenne, mais encore vous n’avez proposé aucun texte, aucune mesure convaincante pour rendre le pays plus attractif.

Dimanche dernier, les Britanniques ont franchi une nouvelle étape, Theresa May affirmant que la Grande-Bretagne voulait une rupture franche avec l’Union européenne. D’où quatre questions.

Un, de nombreuses entreprises, de nombreux cadres, de nombreux investisseurs étrangers ont préféré, depuis quatre ans, la Grande-Bretagne à la France. Allez-vous enfin réorienter en profondeur votre politique fiscale et économique pour restaurer la compétitivité de notre pays ?

Deux, alors que la Grande-Bretagne veut durcir sa politique en matière de flux migratoires, allez-vous enfin déclencher l’article 23 des accords du Touquet, qui prévoit une renégociation en cas de « circonstances exceptionnelles », ou allez-vous continuer à envoyer un peu partout en France des réfugiés voulant se rendre en Grande-Bretagne ?

Trois, on sait qu’une partie des activités de la City pourrait se redéployer sur le continent ; les experts évoquent 100 000 emplois. Quelles initiatives allez-vous prendre pour que Paris ne soit pas écarté au profit d’autres places financières ?

Quatre, quels sièges d’autorités européennes installées outre-manche voulez-vous attirer en France ?

Bref, monsieur le Premier ministre, alors que Mme Theresa May nous promet un Brexit dur, allez-vous, une fois encore, lui opposer une France molle, ou prendrez-vous enfin toute la mesure de l’enjeu que représente cet événement politique et économique le plus important depuis la chute du Mur de Berlin ? Nous attendons vos réponses, monsieur le Premier ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Michel Sapin, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le député, une bonne partie de votre question, vous en conviendrez, touchait aux conséquences éventuelles du Brexit pour la France et l’Europe en ce qui concerne les activités financières. C’est à cette partie de votre question que je souhaite répondre.

M. Christian Jacob. Remboursez vos indemnités ! Rendez l’argent !

M. Michel Sapin, ministre. Vous le savez, nous n’avons pas souhaité – et vous non plus, je pense – que le peuple britannique se prononce en faveur du Brexit. Après l’avoir fait, il doit maintenant en tirer toutes les conséquences. Nous trouvons que la Première ministre britannique prend beaucoup de temps, peut-être un peu trop, avant d’engager les négociations. Mais, si cela lui permet de se préparer, cela nous permet aussi, du côté européen et français, de faire de même.

Un député du groupe Les Républicains. Concrètement ?

M. Michel Sapin, ministre. Monsieur le député, en parlant d’une « France molle », vous avez, de manière inconsidérée, porté un jugement presque injurieux envers l’ensemble des acteurs français de la place de Paris, qui se sont immédiatement mobilisés pour faire en sorte que l’argument de l’attractivité de Paris, dès aujourd’hui, puisse être avancé et permette de convaincre – car nous n’allons pas les y contraindre – un certain nombre de grands sièges financiers installés à Londres de venir s’établir en France ou de transférer des activités en France. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Christian Jacob. Quant à vous, remboursez vos indemnités !

M. Michel Sapin, ministre. Nous avons ouvert des guichets uniques, avec la région Île-de-France et Mme Pécresse, avec la mairie de Paris et Mme Hidalgo, ainsi qu’avec l’ensemble des ministères et des services concernés, pour faciliter la réimplantation et l’accueil d’un certain nombre de ceux qui travaillent là-bas.

Nous proposerons, dans le projet de loi de finances – peut-être le voterez-vous –, un certain nombre de dispositions visant à renforcer l’attractivité et faciliter l’installation de jeunes ou de moins jeunes qui travaillent en Grande-Bretagne et qui voudraient venir en France.

M. Sylvain Berrios. Bla-bla-bla !

M. Michel Sapin, ministre. Vous avez encore quelque temps pour modifier votre jugement et voter le projet de loi de finances. Ainsi, vous montrerez que vous n’appartenez pas à la droite molle ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain. – Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. S’il vous plaît, ménagez vos cordes vocales en vue des semaines qui viennent !

Plan d’urgence pour l’agriculture

M. le président. La parole est à M. Dominique Potier, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.

M. Dominique Potier. Monsieur le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement, votre prédécesseur Edgar Pisani disait que pour nourrir le monde, nous aurions « besoin de toutes les agricultures du monde ». Serons-nous aux côtés des nôtres ?

En 2015 et 2016, des catastrophes naturelles sans précédent se sont produites : inondations, sécheresses – depuis les années 1980, on n’avait rien connu de tel. Mais les vents mauvais qui ont soufflé sur l’agriculture étaient aussi d’une autre nature : nous avons récolté les fruits de mesures ultralibérales – loi de modernisation de l’économie, quotas laitiers –, dont nous avons payé très cher les conséquences. Pour ce courant de pensée, lorsqu’il restera deux agriculteurs en Europe, cela fera encore un de trop. Telle n’est pas notre pensée, telle n’est pas notre vision. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Le cri du monde agricole, c’est d’abord celui de ces hommes et de ces femmes qui luttent pour leur survie économique et leur dignité. C’est le cri de ceux qui souffrent et qui nous interpellent. C’est également notre « commun » qui est fragilisé : celui de l’économie rurale, celui de nos écosystèmes, celui d’une nation qui a été le berceau de la gastronomie et de l’agronomie.

Un député du groupe Les Républicains. Baratin !

M. Dominique Potier. Face à cette marque de civilisation, face à ce laboratoire du futur, nous avons besoin, monsieur le ministre, de mesures pour tenir et de perspectives pour investir. Quelles décisions avez-vous prises, aux plans humain et économique, pour nos entreprises ? Quelles perspectives tracez-vous pour la PAC 2020,…

Mme Claude Greff. Il serait temps !

M. Dominique Potier. …pour une nouvelle politique agricole européenne, qui mette l’homme au centre, qui garantisse une alimentation de qualité, qui permette une production intégrée ainsi que le renouvellement des générations ?

Le monde agricole a un esprit d’entreprise et de fraternité. Il a besoin de régulation. Il ne demande pas la charité mais la justice. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Dino Cinieri. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, vous avez évoqué le nom d’Edgar Pisani. Ce n’était pas mon prédécesseur, mais un ancien ministre de l’agriculture, qui a marqué l’histoire de l’agriculture.

M. Jacques Myard. On avait compris.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Mon prédécesseur n’est pas présent aujourd’hui ; il est en campagne pour les primaires de la droite. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Je propose de vous expliquer ce plan d’urgence, qui comporte plusieurs volets.



L’un d’eux concerne la garantie bancaire qui sera apportée aux agriculteurs devant renouveler les emblavements après les inondations du printemps. Il s’agit d’1,5 milliard d’euros garantis par la Banque publique d’investissement, BPIFRANCE – organisme, je le rappelle, qui a été créé par ce gouvernement, il y a trois ans déjà. Cette garantie permettra de relancer les exploitations par le biais de prêts relais, afin qu’elles surmontent les moments difficiles qu’elles connaissent.

Par ailleurs, l’ensemble des cellules d’urgence seront mobilisées pour reporter les fameuses années blanches – demandées par tous les agriculteurs – jusqu’au 31 décembre.



Ce plan comporte aussi des mesures d’exonération de taxe sur le foncier non bâti, en faveur à la fois des cultures végétales et des prairies.



Comme vous l’avez dit, est aussi prévu un plan d’aides directes du FAC – fonds d’allégement des charges –, liées aux mesures européennes que nous avons obtenues dans le cadre de la maîtrise laitière.

M. Marc Le Fur. Ce n’est pas la question.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Celles-ci s’appliqueront en outre à la viande bovine, qui a également besoin de soutien avec de la promotion et du crédit à l’export.

Enfin, des mesures de droit commun s’appliqueront à tous ceux qui souffrent et connaissent des difficultés, au niveau du RSA ou de la prime d’activité.

Tout cela est mobilisé en faveur des agriculteurs. Et nous rajouterons 4 millions d’euros pour permettre à ceux qui connaissent des difficultés de pouvoir être remplacés afin de pouvoir souffler.

Avec ce plan, plus de 150 millions d’euros sont mobilisés. Aussi, encore une fois, je demande à l’opposition de nous expliquer comment elle fera avec 150 milliards de dépenses économisées. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Yves Fromion. Irresponsable !

Signalement des personnes fichées « S »

M. le président. La parole est à Mme Françoise Guégot, pour le groupe Les Républicains.

Mme Françoise Guégot. Monsieur le Premier ministre, le mercredi 21 septembre, un homme d’une vingtaine d’années, fiché « S », a été interpellé après avoir été signalé par un étudiant en raison de son comportement suspect devant l’université de Rouen, où il avait déjà été aperçu à plusieurs reprises au cours de ces derniers mois. Âgé de dix-huit ans et de nationalité française, cet homme a été mis en examen et placé sous contrôle judiciaire. Une semaine plus tard, le mercredi 28 septembre, il a été interpellé en Bulgarie, à proximité de la frontière avec la Turquie, et a manifesté clairement son intention de se rendre en Syrie.

Madame la ministre de l’éducation nationale a fait état la semaine dernière de plus de 600 signalements d’élèves soupçonnés de radicalisation. En tant que vice-président de la région Normandie en charge de l’enseignement supérieur, je vous ai adressé en date du 23 septembre un courrier vous demandant de communiquer précisément le nom des personnes fichées « S » aux présidents d’université. Comment se fait-il qu’une personne fichée « S », connue des services de renseignement, puisse tranquillement se poster à plusieurs reprises aux abords d’un établissement d’enseignement sans être inquiétée ?

M. Guy Geoffroy. Très bien !

Mme Françoise Guégot. Comment, sous contrôle judiciaire, parvient-elle à échapper aux radars, au point d’être interpellée en Bulgarie ? Contrairement à la réponse que M. le ministre de l’intérieur a faite à mon collègue Laurent Wauquiez la semaine dernière, il ne s’agit en rien de faire peur (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain), mais bien de confirmer une réalité qui vous dérange : tous les moyens ne sont pas mis en œuvre pour assurer, face à ces menaces terroristes, la sécurité de nos concitoyens, et tout particulièrement celle de nos jeunes étudiants.

Après l’assassinat atroce du Père Hamel à Saint-Étienne-du-Rouvray, ce sont bien les Normands qui ont peur.

Monsieur le Premier ministre, ma question est donc simple : à quoi sert ce fichier « S », s’il ne peut même pas contribuer à la mise en place de mesures de surveillance efficaces ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la députée, je pensais que, depuis le temps que nous parlons de ce sujet, il était à peu près compris par tout le monde. Je vais donc redire que le fichier « S » est un morceau d’un gros fichier, le fichier des personnes recherchées, où figurent 400 000 personnes. Le fichier « S » en est donc une subdivision, un outil administratif à vocation préventive. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) Ce n’est pas l’arme la plus absolue du pouvoir arbitraire, comme l’aurait dit Mirabeau en parlant des lettres de cachet. Il s’agit donc d’un élément de police qui sert uniquement à indiquer une mise sous tension. (Mêmes mouvements.)

Dans le cas d’espèce que vous évoquez, il est tout à fait exact que ce jeune homme était fiché « S ». Il a été mis en garde à vue et placé sous contrôle judiciaire, et je ne doute pas que vous vous félicitiez avec moi du fait qu’ayant rompu son contrôle judiciaire, il ait été interpellé en vertu d’un mandat d’arrêt lancé par un juge d’instruction. Le mandat d’arrêt a été appliqué et cette personne est aujourd’hui placée sous l’autorité de la police. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.) Dans le cas d’espèce, tout ce qui s’est passé est donc parfaitement convenable.

M. Claude Goasguen. Pourquoi est-il parti ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Peu importe pourquoi il est parti : il a été interpellé lorsqu’il n’a pas respecté son contrôle judiciaire. Je comprendrais que vous m’interpelliez s’il n’y avait pas eu d’action de police, mais il s’agit ici d’un cas parfaitement rigoureux, qui a démontré la vertu du système. J’insiste sur le fait que l’autorité judiciaire ne peut placer une personne en rétention que s’il existe des éléments de preuve. Or, le fichier n’est pas un élément de preuve. Le Conseil d’État vous l’a redit le 15 décembre. Vous ne voulez pas l’admettre. Nous continuerons à vous l’expliquer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Plans de convergence

M. le président. La parole est à M. Philippe Gomes, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Philippe Gomes. Madame la ministre des outre-mer, cet après-midi débutera dans notre hémicycle l’examen de la loi de programmation sur l’égalité réelle outre-mer. Cette loi pose un principe qui résonne agréablement aux oreilles de tous les Ultramarins : la République reconnaît le droit à l’égalité réelle au sein du peuple français. Sur ce socle, la réduction des écarts de développement que connaissent les populations d’outre-mer et qu’il convient de combler est une priorité de la nation.

Il était temps ! L’indice de développement humain range en effet la France au vingtième rang mondial, mais tous les Français ne se situent pas, à cet égard, sur un même pied. La Guadeloupe occupe ainsi le trente-huitième rang mondial, la Nouvelle-Calédonie le cinquantième, la Polynésie française le soixante-quinzième et Mayotte le cent septième. Derrière ces chiffres, tant de retards se sont accumulés en matière d’éducation, de santé et de développement économique ! Derrière ces chiffres, tant de souffrances humaines, dont témoignent des taux de pauvreté ou de chômage avoisinant le double ou le triple de ceux de l’Hexagone.

Dans ce cadre, les plans de convergence prévus par la loi et que l’État doit co-construire avec les collectivités constituent indéniablement de bons outils. Dès lors, cependant, que la réduction des écarts de développement est une priorité pour la nation, ces plans de convergence doivent comporter une obligation de résultat. Sans ce corollaire, cette priorité n’est qu’une incantation. Madame la ministre, les plans de convergence prévus par la loi seront-ils donc contraignants ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des outre-mer.

Mme Ericka Bareigts, ministre des outre-mer. Monsieur le député, cher Philippe Gomes, je me réjouis d’abord d’entendre que le projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer plaît aux oreilles de nos parlementaires ultramarins. Vous avez raison : les inégalités criantes entre territoires sont insupportables pour notre République et le combat et l’engagement de ce gouvernement consistent précisément à contribuer à réduire ces écarts et ces retards. Vous évoquez à juste titre l’obligation de résultat. « Il était temps ! », dites-vous. J’en suis d’accord. En effet, nous subissons encore aujourd’hui les tristes conséquences du désengagement de l’État sous la précédente mandature. (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Ces résultats, nous les atteindrons ensemble, grâce aux outils de la programmation que nous allons mettre en place. Les plans de convergence sont une innovation au service du développement économique et social des outre-mer, et cela pour trois raisons.

Tout d’abord, ils mettront en place une trajectoire vers l’égalité, respectueuse des spécificités caractéristiques et des aspirations de chaque territoire, car les attentes de la Nouvelle-Calédonie et celles de Mayotte ne sont pas identiques.

Ensuite, ces outils s’inscriront dans la durée, car ce combat pour le progrès exige que nous le menions progressivement, par étapes. C’est un véritable calendrier de l’égalité réelle qui s’ouvre aujourd’hui et qui ne se refermera que lorsque nous aurons atteint l’égalité formelle.

Enfin, monsieur le député, cette démarche sera placée sous le sceau de la représentation nationale et sera inscrite dans le code général des collectivités territoriales. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Transport des animaux vivants

M. le président. La parole est à M. Philippe Noguès, au titre des députés non inscrits.

M. Philippe Noguès. Monsieur le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement, la commission d’enquête parlementaire sur les conditions d’abattage des animaux de boucherie vient à peine de rendre son rapport qu’une nouvelle vidéo, mise en ligne la semaine dernière par l’organisation non gouvernementale CIWF, dévoile les conditions sordides de transport de bovins, convoyés vers la Turquie depuis différents pays européens, dont la France, pour y être engraissés puis abattus.

Ce type de transport longue durée d’animaux vivants est pourtant régi par un règlement européen : encadrement des temps de route et de repos, avec notamment un temps de transport continu maximal de vingt-neuf heures, ce qui reste encore extrêmement long ; contrôles lors du trajet par les autorités nationales ; prise en compte, en termes d’infrastructures de transport, des particularités de chaque animal.

Or, à la suite de la série d’enquêtes dévoilées par CIWF, il s’avère que ce règlement européen n’est absolument pas appliqué en France. Je ne donnerai qu’un seul exemple, celui du transport de veaux non sevrés, dont la France est le second exportateur en Europe : ces veaux encore au lait, âgés de 10 à 15 jours, sont transportés sur des milliers de kilomètres pendant une durée dépassant le plus souvent la limite européenne, dans le seul but de rejoindre des centres d’engraissement en Italie ou en Espagne.

Alors que seul 1 % des contrôles par les autorités ont lieu durant la phase même du transport routier, les manquements constatés ne peuvent être sanctionnés en France, faute de base juridique applicable en droit français, alors que le règlement européen l’exige.

Vous avez proposé, monsieur le ministre, dans le cadre du projet de loi Sapin 2, un amendement visant à créer un délit de mauvais traitement pour les entreprises de transport d’animaux vivants, qui va dans le bon sens. Mais est-ce vraiment suffisant au vu des infractions quasi systématiques lors des transports d’animaux vivants en France et lors des trajets, qui peuvent parfois durer des jours, comme pour les exports vers la Turquie ?

Monsieur le ministre, en cette journée mondiale des animaux, je vous demande ce que vous comptez faire pour que ce règlement européen soit effectivement appliqué en France mais également pour que les lacunes de l’encadrement législatif actuel soient comblées, afin qu’il soit enfin mis un terme à cette insupportable souffrance animale.

Mme Laurence Abeille, Mme Sylvie Andrieux, Mme Danielle Auroi et M. Sergio Coronado. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, j’ai à chaque fois condamné ceux qui se prêtaient aux types de traitement envers des animaux apparaissant dans les nombreuses vidéos que vous évoquez. J’ai demandé à la direction générale de l’alimentation du ministère de l’agriculture de préparer un plan sur le bien-être animal dès 2014, avant même que ces vidéos soient rendues publiques, parce que j’avais parfaitement conscience de l’importance de l’enjeu pour assurer la confiance du consommateur dans la viande et les filières animales.

À propos de cette dernière vidéo, tout d’abord, je ne veux pas laisser dire qu’il pourrait s’agir d’animaux ou d’entreprises français pris à la frontière avec la Turquie. En effet, depuis la FCO, la fièvre catarrhale ovine, nous n’exportons plus vers la Turquie. Je ne sais pas ce qui s’est passé, je ne connais pas l’origine de ces animaux, mais je vous donne cette information.

Par ailleurs, vous évoquez un règlement européen relatif au transport des animaux. Pour vous répondre de manière très claire, ce texte doit s’appliquer en France : il n’y a pas de dérogation à un règlement européen, qui s’applique partout. Comment peut-on laisser penser que la France n’appliquerait pas la règle européenne ? Elle doit justement être au cœur des actions à conduire par la France et donner lieu à des contrôles. On peut toujours considérer que les contrôles sont insuffisants, même si j’ai augmenté de soixante le nombre de postes de vétérinaires à trois reprises au cours des trois dernières années. L’engagement du ministre est total sur la question du bien-être animal.

Vous l’avez rappelé, la loi Sapin 2, que l’Assemblée nationale vient de voter, crée un délit qui vaut pour les abattoirs comme pour les entreprises de transport, lesquelles seront maintenant pénalement responsables si elles ne respectent pas les règles tant européennes que françaises. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Lieux de culte salafistes

M. le président. La parole est à M. Claude Goasguen, pour le groupe Les Républicains.

M. Claude Goasguen. Monsieur le ministre de l’intérieur, ma question porte sur les lieux de culte musulman. Je voudrais vous rappeler les propos que vous avez tenus lors du débat parlementaire du mois de juillet. Dans un article du 1er août, vous avez annoncé qu’une vingtaine de mosquées et salles de prières avaient été fermées depuis décembre 2015. Selon le même article, il existerait 120 salles de prières et mosquées diffusant une idéologie salafiste, au sens général du terme.

Depuis cette période, et malgré les nombreuses questions posées – en particulier les miennes –, nous n’avons reçu pratiquement aucune information sur les décisions prises de fermeture de mosquées et de lieux de culte. Ce mutisme, dans le climat actuel, ne peut qu’inquiéter une population qui vit en état d’urgence.

Un député du groupe socialiste, écologiste et républicain. Vous faites tout pour nous rassurer !

M. Claude Goasguen. Les Français s’interrogent. Que s’est-il passé depuis le 1er août ? Combien de mosquées et de lieux de culte ont été fermés ? Combien d’associations salafistes ont été sanctionnées et dissoutes ? Combien de fameuses écoles madrassas ont été sanctionnées ? Votre silence témoigne à l’évidence d’un certain embarras.

Je suppose d’ailleurs que les difficultés d’ordre juridique sont très importantes. Nous avions signalé, lors du débat, le 21 juillet, que les articles 6 et 8 de la loi relative à l’état d’urgence seraient de toute évidence insuffisants dans ce domaine. Après les attaques terroristes, ce silence est vraisemblablement lié à certains atermoiements devant les tribunaux – je l’espère, du moins. On ne peut croire objectivement que, dans l’état actuel des choses, les mosquées salafistes seraient tout d’un coup devenues des endroits fréquentables.

Monsieur le ministre, où en êtes-vous sur les chiffres ? Où en êtes-vous sur les décisions juridiques ? Que comptez-vous faire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le député, le but d’une politique de lutte contre le terrorisme et la radicalisation n’est pas en soi de fermer tel ou tel lieu de culte ; à vous entendre présenter ainsi les choses, on aurait pu penser que c’était en soi un objectif. Toutefois, en appelant l’attention du Gouvernement, vous avez centré votre propos sur un certain nombre de mosquées qui pourraient abriter – c’est ainsi que je le comprends – des prêcheurs de haine. Je vous répondrai précisément, avec des chiffres, pour vous indiquer comment nous mettons en œuvre une politique visant à écarter ces prêcheurs de haine.

Cela étant, il convient de le rappeler, et vous le reconnaîtrez avec moi, nous devons aussi préserver la liberté de culte et ne pas mener de procès d’intention d’ordre purement intellectuel, mais faire en sorte de fonder juridiquement nos décisions.

Monsieur le député, je tiens à vous dire que neuf mosquées ou salles de prières radicalisées ont été fermées sur le fondement de l’article 8 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence. Trois associations prétendument vouées à l’exercice du culte ont fait l’objet d’une dissolution en Conseil des ministres sur le fondement des sixième et septième points de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure. Une bonne nouvelle, enfin, va dans le sens de la consolidation de notre droit : le tribunal administratif de Melun a confirmé, vendredi dernier, la validité de l’arrêté de fermeture de l’une de ces mosquées. Cela est à comparer au fait que, précédemment, aucune mosquée n’avait été fermée.

Nous sommes en train non seulement d’agir mais également de créer du droit permettant d’écarter les prêcheurs de haine. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Égalité réelle outre-mer

M. le président. La parole est à Mme Monique Orphé, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.

Mme Monique Orphé. Madame la ministre des outre-mer, dans quelques heures nous allons examiner le projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle entre les outre-mer et l’Hexagone. Ce projet de loi est issu d’un engagement du Président de la République et a été élaboré à partir d’un rapport présenté par le député Victorin Lurel. Je tiens à saluer tout d’abord le travail accompli de façon accélérée par le Gouvernement, puis par les députés en commission. Ce travail a été constructif et a permis d’enrichir la loi puisque celle-ci est passée de 15 articles à 112.

Bien sûr, madame la ministre, vous auriez pu ne plus rien faire puisque nous sommes en campagne et vous satisfaire d’un bilan plutôt positif pour nos territoires. Je rappelle que, depuis 2012, les budgets de l’outre-mer sont épargnés par la rigueur ; ils ont même augmenté. Des mesures importantes ont été prises pendant ces cinq années pour soutenir nos entreprises – renforcement du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, défiscalisation, lutte contre le chômage – et les résultats sont là : reprise économique, augmentation du pouvoir d’achat, baisse du chômage.

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Hé oh ! Réveillez-vous !

Mme Monique Orphé. Mais, nous le savons vous et moi, malgré ces améliorations, la situation reste très fragile et les inégalités demeurent importantes et ce n’est pas parce que nous sommes en fin de mandat qu’il faut cesser d’agir : il faut intensifier le combat contre les inégalités. C’est l’objectif même de cette loi qui propose une stratégie et des objectifs de convergence pour réduire les écarts de développement. Elle propose aussi des actions concrètes dans les domaines social, économique, éducatif, environnemental et culturel.

Cependant certaines mesures qui visent à parachever l’égalité sociale n’ont pas pu être débattues car l’article 40 de la Constitution leur a été opposé. Je pense notamment au complément familial ou au régime des prestations familiales. Quelles avancées majeures le Gouvernement entend-t-il proposer sur ces sujets ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des outre-mer.

Mme Ericka Bareigts, ministre des outre-mer. Madame la députée, nous avons tous entendu un jour cette petite musique : « les outre-mer coûtent mais ne comptent pas. » Savez-vous, mesdames, messieurs les députés, que les inégalités sociales existent encore bel et bien dans les outre-mer ?

Un député du groupe Les Républicains. Non, c’est vrai ?

Mme Ericka Bareigts, ministre. En voici quelques exemples. Vous l’avez dit, les montants du complément familial sont encore très inférieurs dans les outre-mer à ceux servis dans l’Hexagone. S’agissant de l’assurance vieillesse du parent au foyer – AVPF –, elle avait dans les départements d’outre-mer été étendue aux seuls parents d’enfants handicapés, à la différence de l’Hexagone.

Oui, le Gouvernement, sous l’impulsion du Président de la République et du Premier ministre, souhaite faire taire cette petite musique et j’ai souhaité qu’une grande partie de l’égalité sociale soit dans ce projet de loi relatif à l’égalité réelle.

Ainsi, les employeurs et travailleurs indépendants des DOM percevront dès l’an prochain les prestations familiales comme tous leurs collègues de l’Hexagone. Concernant les montants du complément familial, ils seront d’ici à 2020 progressivement alignés sur les montants hexagonaux pour 34 000 familles et les plafonds de ressources seront alignés dès 2017, ce qui permettra à 2400 foyers d’être éligibles à cette prestation.

Enfin, une première trajectoire d’alignement de l’AVPF a été actée en rendant éligibles deux autres publics : les bénéficiaires de l’allocation journalière de présence parentale – AJPP – et de la prestation partagée d’éducation de l’enfant – PreParE – en 2017 et 2018. Ce sont ainsi, madame la députée, 5000 personnes qui verront leur pension augmenter de 20 %. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Mesures en faveur de l’emploi

M. le président. La parole est à M. Michel Liebgott, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.

M. Michel Liebgott. Madame la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, la politique de soutien de l’emploi et de lutte contre le chômage demeure une priorité dans le projet de budget pour 2017. Ce poste budgétaire va augmenter de 1,8 milliard d’euros, représentant à lui seul 53 % de la croissance des dépenses de l’État. Bien que la facture budgétaire de la droite ait pesé sur ses marges de manœuvre, le Gouvernement fait donc face à ses obligations.

Depuis cinq trimestres consécutifs, la France crée des emplois : elle en a créé 185 000. Le moral des employeurs repart à la hausse, soutenu par la montée en charge de l’aide Embauche PME. Les marges des entreprises retrouvent leur niveau d’avant la crise et la prévision de croissance pour 2016 reste à 1, 5 %. Nous sommes sur la bonne voie, même si le chiffre du mois d’août a démontré que la bataille se mène dans la durée. Chers collègues, madame la ministre, c’est un mouvement positif qui tranche avec l’héritage de la droite.

Pourtant, la droite persiste. Ainsi, cette primaire des candidats de droite conduit à une sorte d’hystérie collective (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains) pour déterminer qui sera non seulement le plus « courageux », c’est-à-dire en réalité le plus dur, le plus violent, le plus régressif en matière de droits sociaux, mais aussi malheureusement le plus irréaliste. Demain, si elle en avait l’occasion, la droite proposerait la fin des emplois aidés, des allocations chômage dégressives, les trente-neuf heures payées trente-cinq et un dialogue social au rabais !

M. Alain Chrétien. N’importe quoi !

M. Michel Liebgott. Madame la ministre, nos concitoyens en difficulté, les jeunes en recherche d’emploi notamment, attendent de l’État le soutien qui leur permette de prendre leur destinée en main. Pouvez-vous détailler les mesures que vous entendez prendre pour leur redonner confiance ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le député, je vous remercie d’avoir bien voulu rappeler que notre pays a créé 185 000 emplois en cinq trimestres consécutifs. Il s’agit là de créations nettes, soit du solde entre les destructions et les créations.

Agir pour l’emploi : voilà ma feuille de route. En effet, et vous avez raison de le signaler, avec 15,3 milliards d’euros, ce budget marque un effort sans précédent, en hausse de 1,8 milliard d’euros.

Ce budget, c’est d’abord des priorités claires : priorité à l’aide Embauche PME, qui a fait l’objet de près de 720 000 demandes depuis le 18 janvier dernier, et à l’aide à l’embauche d’un premier salarié pour les TPE.

Notre deuxième priorité est bien évidemment l’insertion des jeunes. Grâce aux 747 millions d’euros qui lui sont consacrés, soit 176 millions d’euros supplémentaires par rapport à la loi de finances de 2016, le budget pour 2017 concrétise le droit à la Garantie jeunes pour les jeunes précaires qui s’engagent dans ce dispositif d’accompagnement. Nous prévoyons également d’augmenter de 15 millions le budget de fonctionnement des missions locales pour qu’elles puissent s’engager dans cet accompagnement.

S’agissant de l’apprentissage, nous avons, avec Clotilde Valter, souhaité dédier 80 millions d’euros supplémentaires à la rémunération des apprentis. Et puis, avec Najat Vallaud-Belkacem, nous avons créé l’aide à la recherche du premier emploi. Nous nous engageons par ailleurs pour l’autonomie et l’amélioration des conditions de vie.

Pour la formation, autre priorité, ce sont 196 millions supplémentaires qui sont prévus en 2017. Quant au compte personnel d’activité, cette grande réforme sera mise en œuvre.

C’est aussi le choix de conforter une politique publique, les contrats aidés mais également l’insertion par l’activité économique et l’expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée ».

Enfin, permettez-moi de parler, au moment où la primaire de droite tourne au concours Lépine de la régression sociale, d’un budget pour l’emploi et l’activité.

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

3

Cessation du mandat d’une députée et reprise de l’exercice du mandat d’un ancien membre du Gouvernement

M. le président. J’informe l’Assemblée nationale que j’ai pris acte de la cessation, le 30 septembre 2016 à minuit, du mandat de député de Mme Fanélie Carrey-Conte et de la reprise de l’exercice du mandat de Mme George Pau-Langevin dont les fonctions gouvernementales ont pris fin par décret du 30 août 2016.

4

Remplacement d’un député nommé membre du Gouvernement

M. le président. J’ai également pris acte de la cessation, le 1er octobre 2016 à minuit, du mandat de député de M. Christophe Sirugue, nommé membre du Gouvernement par décret du 1er septembre 2016. J’ai été informé par le ministre de l’intérieur du remplacement de M. Sirugue par M. Didier Mathus, élu en même temps que lui à cet effet.

5

Démission d’un député

M. le président. J’ai pris acte de la démission de M. Mathus de son mandat de député de la cinquième circonscription de Saône-et-Loire au Journal officiel du 4 octobre 2016.

6

Égalité réelle outre-mer

Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique (nos 4064, 4000, 4054, 4055).

Présentation

M. le président. La parole est à Mme la ministre des outre-mer.

Mme Ericka Bareigts, ministre des outre-mer. Monsieur le président de l’Assemblée nationale, monsieur le président de la délégation aux outre-mer, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, mesdames et messieurs les députés, le combat pour l’égalité est constitutif de l’histoire de la nation française. Le refuser, le nier, c’est se placer en dehors de la communauté nationale.

« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. » C’est à l’issue d’une soixantaine d’années de combats incessants que ce texte fondateur fut appliqué à l’ensemble des Françaises et des Français. Après les abolitions de l’esclavage, en 1848, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen possédait enfin une portée universelle, au-dessus des considérations sur l’inégalité des êtres.

Universelles, ces luttes du passé, celles du progrès et de l’égalité, éclairent notre présent et tracent la voie pour l’avenir.

Tout au long de cette partie de l’histoire de France, ces combats se sont heurtés à deux murs. Le premier était érigé par les partisans de l’esclavage, de l’inégalité naturelle entre les hommes, des intérêts financiers, particuliers et égoïstes.

Le second est, quant à lui, beaucoup plus insidieux puisqu’il n’a pas de visage, pas de couleur : il s’agit de la lâcheté collective. On trouve toujours des raisons pour s’accommoder de l’insupportable. Et quand l’injustice est à ce point enracinée dans la nature des choses, on passe alors pour un fauteur de désordre à vouloir la dénoncer.

Victor Schœlcher, lui, avec quelques autres, ne s’est jamais résigné à la fatalité, à une certaine nature excluante des choses. Il fut l’honneur de la République française en s’acharnant à faire aboutir le décret d’abolition. Il avait notamment une conviction : celle que la prudence, les petits calculs, ferment la marche du progrès et qu’au contraire l’audace et le courage sont émancipateurs.

Bien sûr, si les abolitions sont un jaillissement libérateur, il ne faut pas oublier les combats, des siècles durant, de ces milliers d’hommes et de femmes, résistants de l’intérieur, en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à La Réunion, à Mayotte, en Haïti, à Saint-Louis du Sénégal et partout où l’horreur esclavagiste s’abattait.

Sans le sacrifice des Nèg’marrons risquant leur vie pour la liberté, les combats des résistants de l’intérieur comme Louis Delgrès, longtemps méconnus, souvent occultés, le combat de Schœlcher aurait été bien inaudible.

Plus de 150 ans après, le combat pour la dignité, la fierté, rassemblé dans le combat pour l’égalité, n’est pas terminé. Et c’est pleinement conscient de cet enjeu que le Gouvernement continue de le mener.

Jean-Paul Sartre disait : « Quand une fois la liberté a explosé dans une âme d’homme, les dieux ne peuvent plus rien contre cet homme-là. »

Nos 2 750 000 compatriotes résidant outre-mer vivent, au quotidien, les différences de niveau de vie entre leur territoire et l’Hexagone, et nous ne pourrions nous résoudre à leur faire croire que la République, souvent évoquée et invoquée, soit devenue une illusion, surtout pour eux. L’égalité, elle, ne se dilue pas.

Le constat est celui d’écarts et de retards, toujours très importants, avec l’Hexagone : le taux de pauvreté y est encore deux fois plus important – six fois supérieur à Mayotte, où je viens de me rendre en déplacement officiel –, tout comme les taux de chômage. Beaucoup trop de jeunes – entre trois et sept fois plus qu’ailleurs – s’y trouvent en situation d’illettrisme. Quant à la mortalité infantile, les taux constatés dans les DOM sont ceux observés dans l’Hexagone il y a 23 ans. Dans aucun département hexagonal une telle situation ne serait tolérée.

Face à cette dure réalité, le Gouvernement souhaite récuser l’hypocrisie et faire taire une petite musique lancinante, trop souvent entendue : « Les outre-mer coûtent mais ne comptent pas ; on ne peut pas comparer avec la métropole. »

L’apologie de la résignation ne constitue pas notre programme politique. De l’engagisme en Inde à l’apartheid sud-africain, du droit de vote des femmes en France aux droits civiques américains, ce sont les arguments attentistes et les attitudes condescendantes qui ont été opposés aux tenants du progrès. Refusons ensemble cette petite musique, les appels timorés qui tiennent les outre-mer en périphérie de la République.

« Souvent l’injustice n’est pas dans le jugement, elle est dans les délais », écrivait Montesquieu. Les outre-mer ont trop attendu et en ont assez de quémander leur dignité. Pour eux, pour nous, pour tous, l’égalité réelle n’a pas vocation à demeurer une lueur aussi lointaine qu’inaccessible. Si tel était le cas, alors la France ne serait plus la France.

Nous voici rassemblés aujourd’hui pour affirmer avec force l’objectif d’égalité réelle. Il y a soixante-dix ans, Aimé Césaire, Léopold Bissol, Gaston Monnerville et Raymond Vergès étaient aussi réunis dans un combat politique pour la reconnaissance des outre-mer et l’affirmation de la République. La loi de départementalisation a permis de franchir des étapes essentielles sur le chemin de l’égalité – des droits sociaux notamment. Mais tous le savaient : sans l’égalité, la liberté est hors de portée des citoyens.

Le Gouvernement, sous l’impulsion du Président de la République et du Premier ministre, souhaite aujourd’hui écrire une nouvelle page de cette histoire. Chacun des volets de la loi est une marche, solide, ferme, vers l’égalité.

C’est avec émotion que je monte aujourd’hui à la tribune pour présenter, au nom du Gouvernement, le projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer.

Ce texte n’est pas un texte des outre-mer pour les outre-mer. Il s’agit d’un texte de la République, une République qui ne s’arrête pas aux rivages hexagonaux, mais qui affirme ses principes sur tous les océans.

Cet engagement, c’est celui du Président de la République, qui missionna Victorin Lurel pour écrire un rapport dont les enseignements, issus d’une large consultation, ont constitué la base de réflexion du futur projet de loi.

Ainsi, l’œuvre législative que nous nous apprêtons à bâtir, en un temps record, est le fruit d’un travail collectif que j’ai voulu fidèle à ce que j’avais déclaré lors de mon audition en commission. Et je tiens à remercier tous ceux qui ont permis, en liaison très étroite avec le Gouvernement, d’enrichir substantiellement le texte initial.

Je tiens, à ce titre, à remercier George Pau-Langevin, avec qui j’ai impulsé, avec enthousiasme et détermination, ce projet de loi ; les assemblées locales qui ont été consultées ; le Conseil économique, social et environnemental, pour son avis très pertinent ; les citoyens qui, à travers la consultation numérique, ont exprimé des préoccupations et formulé des propositions.

Plusieurs membres de votre assemblée ont plus particulièrement animé cette réflexion commune et méritent, à ce titre, quelques remerciements : Victorin Lurel, rapporteur, pour sa pugnacité et ses propositions ; Monique Orphé, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales, pour avoir fait avancer des combats anciens et difficiles ; Serge Letchimy, pour sa connaissance et son expérience du développement territorial et économique ; Dominique Raimbourg, président de la commission des lois, qui a animé nos travaux avec talent ; Jean-Claude Fruteau, président de la délégation aux outre-mer, qui a présidé avec sagesse les travaux de celle-ci ; Ibrahim Aboubacar, pour son implication de grande qualité en tant que responsable du groupe socialiste pour ce texte.

Si ce projet de loi est bien sûr un résultat collectif, il me revient de vous en présenter le contenu. Plusieurs lignes de forces le composent.

La première, c’est la définition d’un horizon commun pour les outre-mer ainsi que d’une méthode novatrice et participative.

L’horizon est celui de l’égalité réelle. Il permet de fixer un cadre pour la conduite des politiques publiques dans les outre-mer.

L’égalité est bien sûr inscrite dans nos principes républicains ; mais elle reste encore trop éloignée pour certains Français. Il nous faut donc, ensemble, assurer à toutes les citoyennes et à tous les citoyens, quels que soient leur lieu d’habitation, leur couleur de peau, leur identité culturelle ou cultuelle, les moyens adaptés pour se réaliser et progresser dans notre société, et faire prévaloir la solidarité nationale.

Dès ma nomination au secrétariat d’État à l’égalité réelle auprès du Premier ministre, en février dernier, je l’avais déclaré : l’égalité ne se décrète pas, elle se bâtit. Elle est un processus, un projet de société qui s’inscrit dans une dynamique de moyen et long terme. C’est ce concept que je me suis attachée à promouvoir et qui est aujourd’hui au cœur de nos objectifs.

Le projet de loi contient ainsi des mesures de programmation pour l’égalité réelle et affirme que l’égalité réelle entre les outre-mer et l’Hexagone constitue une priorité pour la nation.

La méthode innovante est celle du plan de convergence. De fait, les plans de convergence permettront de définir une méthode commune entre tous les acteurs pour concrétiser l’égalité réelle. Ils seront le fruit d’un travail de co-construction qui impliquera les citoyens, les associations, les acteurs économiques, les collectivités, les corps constitués. Le travail parlementaire a permis d’ajouter une dimension, celle de l’égalité femmes-hommes, et la lutte contre l’illettrisme aux objectifs stratégiques et au volet opérationnel des plans de convergence. L’association forte des principales collectivités, cosignataires des plans aux cotés de l’État, témoigne bien de la volonté du Gouvernement de donner une réponse adaptée pour chaque territoire car les attentes et les besoins sont partout différents.

La deuxième ligne de force, c’est la poursuite de la marche vers l’égalité sociale.

La recherche de l’égalité sociale constitue un thème toujours actuel et attendu par nos concitoyens ultramarins. Bien sûr, de nombreuses avancées ont eu lieu. Je pense à l’action de Louis Le Pensec combattant pour l’alignement des allocations familiales sur les montants hexagonaux en 1993, trois ans avant l’alignement du SMIC parachevé grâce à l’intervention personnelle du président Chirac. Je pense également à la loi d’orientation pour l’outre-mer qui, sous l’autorité de Lionel Jospin, a procédé en deux ans à un alignement du RMI. Néanmoins, en 2016 encore, l’égalité sociale n’est toujours pas parachevée, contrairement aux idées reçues.

Le projet de loi initial s’est d’abord consacré à l’égalité sociale à Mayotte. Deux articles y améliorent la politique familiale et consolident la mise en place d’un système complet d’assurance vieillesse mais les quatre départements d’outre-mer « historiques » et les trois collectivités d’outre-mer de l’Atlantique où, je viens de le dire, l’égalité sociale n’est toujours pas achevée, ne sont pas oubliés. L’égalité réelle a également vocation à s’appliquer en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna, dans le respect des statuts de ces collectivités.

J’ai la conviction qu’il n’y a pas de progrès économique sans progrès social. C’est pour cela que j’ai défendu des avancées très importantes lors d’intenses discussions interministérielles grâce au soutien décisif du Président de la République et du Premier ministre. Elles ont été obtenues en matière de complément familial, d’assurance vieillesse du parent au foyer, d’égal accès des travailleurs indépendants aux prestations familiales. Je reviendrai sur ces bonnes nouvelles pendant nos débats.

La troisième ligne de force, c’est de promouvoir et de consolider le développement économique de nos outre-mer. Valoriser les atouts, les compétences et les excellences ultramarines : voilà notre stratégie. Cela passe par une véritable stratégie de croissance pour nos outre-mer. Selon moi, il faut développer une économie productive pleinement insérée dans le projet républicain. Les outre-mer disposent chacun de singularités constituant autant d’atouts pour l’attractivité de ces territoires : montrons-les, revendiquons-les, faisons-les éclore avec fierté, la tête haute.

Je le dis, nous entrons aujourd’hui dans une nouvelle étape de notre histoire pour qu’un modèle économique et social dynamique, puissant, solidaire, davantage tourné vers l’environnement régional de chaque territoire permette aux ultramarins de libérer pleinement leur potentiel. Ce projet de loi y participe largement.

S’agissant de ces questions économiques, certaines dispositions financières et fiscales ne manqueront pas d’être abordées dès les mois de novembre et de décembre en loi de finances et lors de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Là aussi, j’y reviendrai dans le cadre de nos discussions.

Les nouvelles opportunités économiques n’ont de sens que si elles s’inscrivent dans une éthique écologique de préservation de notre environnement, de la biodiversité unique au monde que présentent nos territoires d’outre-mer. C’est pourquoi je me réjouis que le travail parlementaire ait pu enrichir le projet de loi à travers des dispositions en ce sens.

La quatrième ligne de force, enfin, consiste à construire une connectivité au service de nos territoires et de leurs habitants. Nous souhaitons agir en faveur de la mobilité et de la continuité territoriale et numérique : c’est la clé d’une intégration pleine et entière des outre-mer dans la République, mais aussi d’une connexion des DOM et des COM avec leur environnement régional.

Pour compléter les dispositifs en faveur de la jeunesse ultramarine, le projet de loi définit un nouveau dispositif de continuité territoriale financé par l’Agence de l’outre-mer pour la mobilité – LADOM. Par exemple, à Mayotte, je propose de renforcer l’accès des personnes à la formation puis à des emplois de haut niveau avec un dispositif de type « cadres avenir », inspiré du modèle calédonien mis en place avec succès sous l’égide de Michel Rocard.

Mais, au-delà des mobilités traditionnelles « vers l’Hexagone », il faut aussi rendre la mobilité réciproque. Concrètement, les ultramarins partis en étude, en formation ou en stage pourront désormais être aidés pour le retour dans leur collectivité d’origine jusqu’à cinq ans après la fin de leur formation ou de leur stage. Un territoire ne saurait se développer s’il se vide de ses forces vives. C’est pourquoi il me semble important de casser une fatalité historique, celle d’un aller sans retour pour les ultramarins.

M. Serge Letchimy, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Bravo !

Mme Ericka Bareigts, ministre. Cela passe aussi, lors du décès d’un proche, par la mise en place d’une aide au voyage pour obsèques – que j’ai souhaitée –, de même qu’une aide au transport de corps. Je sais que ces mesures sont très attendues par les familles.

Il existe bien d’autres attentes. Il faut vaincre la tyrannie des espaces et limiter les contraintes du temps, ce à quoi nous travaillons. D’ores et déjà, j’ai obtenu que la péréquation tarifaire soit étendue dans les DOM aux lettres entre 20 grammes et 100 grammes ; c’est un premier pas qui en appellera d’autres.

J’ai entendu également les attentes pour aller encore plus loin sur le plan de la continuité intérieure pour des territoires aussi spécifiques que la Polynésie française, qui est aussi étendue que l’Europe. Il faut certes respecter les compétences statutaires des autorités locales mais, moyennant un surcroît de solidarité nationale, il faudra sans doute à l’avenir imaginer encore de nouvelles solutions et innover.

Mesdames et messieurs les députés, j’ai toujours refusé la fatalité. Je n’ai jamais considéré que les outre-mer étaient réduits à courir après leurs droits légitimes. Chaque jour, je trouve dans mes racines, dans ma chair, la force de casser les logiques d’exclusion. Nous nous tenons, tous ensemble, armés de ce projet de loi. Certes, ce texte ne résoudra pas tous les problèmes – d’ailleurs, aucun texte de loi ne le peut ; certes, il ne représente qu’une étape dans la marche vers l’égalité réelle mais nous pouvons tous compter sur la volonté du Gouvernement, sous l’impulsion du Président de la République et du Premier ministre, sur la richesse des propositions parlementaires, bref, sur ce travail de co-construction attendu qui permettra de répondre aux attentes des millions d’ultramarins.

Ce débat est une étape importante que j’aborde avec responsabilité. Certains pourraient penser que nous nous inscrivons dans une démarche électoraliste et, à ce titre, que nous aurions écrit un inventaire à la Prévert, jusqu’à prendre le risque de revenir sur notre parole plus tard. Au contraire, je crois que cet acte politique sans précédent ouvre une nouvelle page : l’écriture y est franche, courageuse, sincère, elle ne tremble pas, sans quoi nous prendrions le risque de désespérer ceux qui attendent non des promesses mais des actes.

En un mot, ce texte est bel et bien un commencement qui marque une ambition nouvelle. Au-delà, il réaffirme le lien très fort qui unit les territoires et les habitants d’une France présente dans tous les océans. Abd Al Malik disait : « La véritable irrévérence aujourd’hui, c’est faire du lien dans une époque qui sépare les êtres. » Irrévérencieux, soyons ensemble les défenseurs d’une certaine idée de la France, une France qui se regarde telle qu’elle est, forte et unie dans toute sa diversité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, ainsi que sur certains bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Victorin Lurel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, je vous remercie pour votre présence en ouverture de cette discussion. Nous sommes très sensibles à cette marque que je dirais presque d’affection.

Madame la ministre – chère Ericka –, madame et monsieur les rapporteurs pour avis – chère Monique, cher Serge –, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le président de la délégation aux outre-mer – cher Jean-Claude –, mesdames et messieurs, chers collègues, je suis né voilà longtemps d’une famille nombreuse d’origine modeste. Je sais ce que je dois à la République.

Cette République, c’est celle qui, en 1848, garantissait à mes ancêtres, après de longues luttes, une égalité civique. C’est celle qui, en 1946, permettait à Léopold Bissol, Gaston Monnerville, Raymond Vergès et Aimé Césaire de s’unir pour demander et obtenir une égalité administrative et institutionnelle des quatre vieilles colonies de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de La Réunion. Cette République, c’est celle qui, sous le gouvernement de Lionel Jospin et la présidence de Jacques Chirac, a permis la conquête de nouveaux droits sociaux pour nos concitoyens ultramarins. Si la France est d’abord et surtout une idée, c’est la République qui en garantit la traduction concrète.

Voici une trentaine d’années que je suis engagé dans la vie politique et je n’ai pas perdu mes rêves. Nous sommes tous ici des républicains, non pas pour des raisons institutionnelles ou économiques mais parce que nous croyons à la promesse de la République, qui se résume souvent dans le triptyque « liberté, égalité, fraternité ». Bien plus qu’une devise, c’est le fondement de notre appartenance à une même nation. Mon rêve, aujourd’hui, est donc bien de contribuer, avec mes collègues et ce gouvernement, à offrir après l’égalité civique, politique et sociale, une égalité économique et sociale réelle permettant la convergence des niveaux de vie des ultramarins – terme que je n’aime pas trop – vers le niveau de vie national.

Il ne s’agit pas là d’un projet égalitariste mais bien d’une politique de réelle égalité des chances. Il ne s’agit point d’obtenir les mêmes chiffres, à la virgule près : ce serait utopique. Pour parler comme les statisticiens, il s’agit de se situer dans un intervalle de confiance autour des standards et moyennes nationaux.

Ainsi, j’assume l’idée selon laquelle, si la République offre à tous ses citoyens une égalité continue des chances tout au long de leur vie, il pourrait à terme exister des inégalités considérées comme justes – je sais que cela peut choquer – parce que justifiées par le mérite ou le talent de celles et ceux qui auront su saisir les opportunités de réussir leur parcours de vie, de citoyenneté, de scolarité ou leur parcours professionnel, que sais-je encore.

Parler aujourd’hui d’égalité réelle, ce n’est pas reconnaître qu’il existerait une égalité virtuelle – certains ont évoqué une égalité irréelle – mais admettre qu’il existe encore dans certains territoires français des inégalités bien réelles, externes et internes, qui n’offrent pas les mêmes chances à tous les enfants de la République de s’émanciper et de s’épanouir.

Je ne reviendrai pas sur les nombreux chiffres qui témoignent de ce phénomène, mais je tiens à affirmer qu’en dépit d’indéniables progrès, de forts écarts persistent entre les outre-mer et l’Hexagone, essentiellement dans le domaine socio-économique.

En tant que représentants de la nation et élus de terrain, tous les membres de cette assemblée peuvent comprendre l’engagement des élus ultramarins, qui sont confrontés quotidiennement à la souffrance de nos concitoyens. Imaginez que partout en France plus de 50 % des jeunes soient sans emploi ; que la richesse par habitant soit de 30 % à 73 % inférieure à la moyenne nationale actuelle ; que le taux de pauvreté atteigne partout 92 %, comme c’est le cas à Mayotte ; que l’écart de richesse entre les plus pauvres et les plus fortunés soit contenu non pas dans un rapport de un à trois, mais de un à dix, comme c’est le cas en Guyane. Si c’était le cas, la France tout entière serait au bord de l’implosion, voire de l’explosion. Et pourtant c’est cette France que nous, députés ultramarins, rencontrons tous les jours dans nos circonscriptions.

Il ne s’agit point, ici, de sombrer dans le dolorisme, ni de demander quelque assistance ; il s’agit de respecter une promesse républicaine : celle de l’égalité réelle. J’y insiste : ce texte répond donc à une promesse, celle de la République.

Ce texte répond aussi à une ambition, celle du Président de la République et du Gouvernement : celle d’assurer, sur une génération, l’égalité des chances entre tous les Français, quels que soient les statuts et régimes législatifs sous lesquels ils vivent. Comme l’a dit le Président de la République, l’égalité transcende les statuts. Cette quête de l’égalité est une question sociale lancinante, récurrente et parfois obsédante pour la famille politique à laquelle j’appartiens – mais aussi pour toutes les populations de nos outre-mer.

Dès 2007, réagissant aux injustices et aux inégalités qui étaient devenues insupportables, François Hollande, alors premier secrétaire du Parti socialiste, signait un éditorial dans le cadre de la campagne présidentielle, pour qu’une nouvelle frontière soit atteinte outre-mer : celle de l’égalité réelle. Cinq ans plus tard, François Hollande, alors candidat à l’élection présidentielle, s’engageait – c’était l’engagement n29 de son programme présidentiel – en faveur d’« un nouveau modèle de développement de l’outre-mer », comportant notamment un programme d’investissement. Le peuple a souscrit à cet engagement du candidat de 2012 ; il nous revient à présent, à nous parlementaires, de lui donner corps.

Cette intervention me donne l’occasion de vous remercier, madame la ministre – et, au-delà, de remercier aussi le Président de la République et le Premier ministre –, pour m’avoir confié la lourde tâche de préfigurer un texte de loi pour l’égalité réelle outre-mer, texte censé dessiner les contours d’une politique volontariste de long terme pour nos territoires. Je tiens également à saluer l’engagement de votre prédécesseur, George Pau-Langevin, qui s’est pleinement engagée pour ce grand projet. Selon leur volonté, j’ai, pendant plus de huit mois, largement consulté les élus, de manière transpartisane. J’ai également consulté les forces vives et les experts, pour aboutir à la remise d’un rapport que j’ose qualifier d’ambitieux et de courageux.

Ambitieux, car il s’agissait d’engager un travail sans précédent de recensement des inégalités affectant l’outre-mer, tant vis-à-vis de l’Hexagone que sur le plan interne. Le rapport dresse ainsi la liste de l’ensemble des inégalités en matière de dépenses d’investissements, d’infrastructures de base, d’accès aux services publics et de prestations sociales. Outre cet inventaire des retards accumulés, qui hypothèquent bien souvent l’avenir de nos territoires, il importait de démontrer en quoi ces inégalités – parfois criantes – avec l’Hexagone sont dues à un important retard initial qu’il a été difficile de combler, en raison de la pression démographique et des bouleversements des modes de vie. À cause de ces deux facteurs, pendant des décennies, chaque investissement réalisé s’avérait insuffisant après quelques années.

J’avoue avoir aussi réalisé ce diagnostic exhaustif afin d’enterrer un certain nombre de poncifs, largement répandus ici, en France hexagonale, au sujet du prétendu coût des outre-mer. Il faut combattre ce cartiérisme lancinant qui s’exprime un peu partout. Le rapport révèle ainsi que, contrairement aux idées reçues, les dépenses d’investissement de l’État par habitant sont en moyenne inférieures d’un tiers en outre-mer par rapport aux sommes dépensées dans l’Hexagone. Ainsi, l’effet multiplicateur des dépenses publiques d’investissement de l’État – élément lié au développement de l’activité économique – bénéficie proportionnellement davantage à l’Hexagone qu’aux territoires ultramarins. Ces données m’ont conduit à plaider en faveur d’un rééquilibrage important des dépenses de l’État outre-mer.

Pour établir notre diagnostic, nous ne pouvions, par ailleurs, ignorer une autre caractéristique des outre-mer : le fait que ces territoires ont été dès l’origine des terres profondément et institutionnellement inégalitaires. Le statut des populations autochtones – soumises au code de l’indigénat –, des populations réduites en esclavage – soumises au « code noir » –, des bagnards – soumis au travail forcé, aboli il y a soixante-dix ans par la loi Houphouët-Boigny – illustrent cette profonde inégalité originelle. Dans ces terres de violence, la condition humaine a longtemps et profondément été marquée par une inégalité voulue ; la marche vers l’égalité ne pouvait donc qu’être longue et difficile.

Après avoir dressé ce constat, terrifiant à de nombreux égards, il me fallait proposer une trajectoire de réformes durables. Tout au long des travaux, j’ai recherché le consensus, sans pour autant tomber dans la facilité, qui aurait consisté à ne proposer qu’un catalogue de mesures timides, comme l’évoquait Mme la ministre. Le rapport a donc proposé au Gouvernement de faire adopter par le Parlement une loi d’orientation relative à l’égalité réelle outre-mer, comportant un volet interne et un volet externe de réduction des inégalités. Il vise, au-delà, à faire de cette politique une priorité pour la nation.

Concrètement, nous proposions de décliner, dans des plans de convergence, des engagements contractualisés entre les collectivités intéressées et l’État. Les travaux de la commission des lois ont permis de concrétiser cette proposition, en créant les plans de convergence, qui seront de nouveaux instruments de planification pluriannuels à la disposition de l’État et des collectivités. Conclus pour des durées inédites par leur ampleur – de dix à vingt ans –, ils se placeront dans une perspective transverse de long terme. Votre commission a, par ailleurs, souhaité décliner ces plans de convergence en contrats de convergence. Conclus pour des durées plus courtes – six années au maximum –, ces contrats devront constituer les actions opérationnelles des plans.

Dans le rapport, je proposais que les plans de convergence définissent les politiques publiques à mettre en œuvre pour corriger les inégalités externes et internes, ainsi que les moyens budgétaires et fiscaux nécessaires à leur réalisation. Cette orientation a été reprise dans le projet de loi. Les travaux de la commission ont permis de renforcer les dispositifs d’évaluation de la mise en œuvre de ce texte, par la publication de rapports annuels par la CNEPEOM – la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État outre-mer – et par la possibilité, pour les chambres régionales des comptes, de suivre la programmation financière des engagements, et pour les préfets, de vérifier la sincérité des documents budgétaires soumis à leur contrôle. Ces éléments permettent de répondre à l’une des questions posées par Philippe Gomes.

Je ne vous présenterai pas dans le détail toutes ces recommandations et ces propositions, mais j’insisterai sur quelques mesures qui sont à mes yeux capitales. Nous préconisions, tout d’abord, d’établir une égalité réelle en matière de droits sociaux, en alignant progressivement le niveau de certaines prestations sociales avec la France métropolitaine. Le Gouvernement vient de répondre à cette demande par la voix de Mme la ministre. Les différences actuelles de niveau entre les prestations sociales sont en effet des discriminations qui participent fortement au sentiment d’inégalité. Sans préjuger de l’issue des débats, je crois pouvoir dire que cet alignement est désormais acquis.

Nous proposions de mettre à niveau les infrastructures de base : les collèges et lycées, les réseaux numériques, d’électricité, d’alimentation en eau potable et d’assainissement, et les transports publics. Nous préconisions, enfin, diverses mesures pour déclencher un véritable big bang économique, en décrétant l’état d’urgence sociale. Ce sera désormais intégré dans les plans et les contrats de convergence soumis à votre agrément.

Au terme de longs mois de travail, et après avoir été digéré – si vous me passez l’expression – par les différents ministères, c’est ce rapport qui a inspiré le texte dont nous sommes saisis. Grâce à la créativité de nos collègues, ce texte est aussi le fruit d’une belle coproduction législative : le projet de loi déposé par le Gouvernement ne comptait que 15 articles, répartis en quatre titres ; le texte adopté par la commission en compte 91 – et non pas 112 comme je l’ai entendu dire –, répartis en treize titres.

Je le répète : ce projet de loi ne doit pas être le lancement d’une simple politique de rattrapage, qui tendrait à plaquer sur des populations et des territoires différents un modèle de développement uniforme. Il s’agit bien de changer de prisme, et de mettre en place des actions adaptées à chaque territoire, par des stratégies de convergence adaptées aux besoins des populations et aux réalités des territoires.

Des investissements massifs sont nécessaires, notamment en matière d’infrastructures et d’alignement des droits sociaux – il faudra, pour cela, solliciter exceptionnellement les leviers de la solidarité nationale. Mais au-delà de ces investissements, nous souhaitons donner une forte impulsion pour lancer une dynamique de croissance territoriale propre et auto-entretenue. Nous avons confiance en l’émancipation de ces territoires, au sein de notre République, et cette confiance est nécessaire pour que nos compatriotes ultramarins s’approprient ce texte, les nouvelles libertés qu’il offre et les nouveaux droits qu’il octroie.

Madame la ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris : par ce texte, nous ambitionnons d’ouvrir de nouvelles voies au progrès, à un progrès social, économique et culturel, soutenu par les mécanismes de la solidarité nationale, pour offrir à chacun les mêmes chances de réussir, et à chaque territoire les moyens de définir ses propres voies de développement au sein de la République.

Vous le savez, je ne crois pas au grand soir. Je ne partage pas l’idée selon laquelle seul un choc brutal, qu’il soit institutionnel ou économique, permettrait d’améliorer la vie des gens. La révolution des esprits, des pratiques et des vies se fait à petit pas, sûrement mais irréversiblement. Le texte qui nous est soumis aujourd’hui s’inscrit dans cette démarche.

Il me semble que nous, parlementaires, avons pris la mesure de l’enjeu, de l’ampleur de la tâche qui nous est assignée. Dès l’examen de ce texte en commission, nombre de députés, de tous les bords politiques, ont souhaité apporter leur pierre à ce grand édifice. Faisant pièce à l’idée selon laquelle ce texte serait l’occasion de pointer la responsabilité des retards de développement accumulés depuis de trop nombreuses années, nous l’avons collectivement, substantiellement et de manière responsable, enrichi. Notre commission a notamment apporté une attention particulière aux amendements déposés par nos collègues de l’opposition : nombre d’entre eux ont été adoptés. Au-delà des critiques et des déceptions, il importe, alors que nous entamons le débat en séance publique, de poursuivre ce travail d’enrichissement.

Beaucoup de mesures concrètes, tant en matière économique qu’en matière sociale et culturelle, ont été inscrites dans ce texte ; je tiens à en remercier mes collègues. Je pense à l’égalité de représentativité des syndicats locaux : longtemps attendue par nombre de travailleurs ultramarins et leurs syndicalistes, cette reconnaissance syndicale est l’œuvre de cette majorité. Je pense au renforcement des continuités postale et funéraire, évoquées par Mme la ministre, qui permettront de donner du pouvoir d’achat et de soulager financièrement des familles endeuillées. Je pense aux nouvelles opportunités offertes aux acteurs économiques et institutionnels pour engager une nouvelle dynamique de croissance propre.

Citons, à ce sujet, l’extension du champ de collecte du fonds d’investissement de proximité dans les départements d’outre-mer – le FIP-DOM –, le renforcement de la lutte contre la vie chère, la reconnaissance de la pluriactivité, la création à terme de zones franches globales, l’introduction de mesures fiscales destinées à redonner du souffle aux entreprises et à relancer la construction. Citons encore la création d’un Small business act outre-mer pour ouvrir de nouveaux marchés à nos entreprises locales. Citons enfin le raccourcissement des délais de paiement, qui permettra de soulager la trésorerie de nos entreprises.

Je tiens à remercier du fond du cœur Mme la ministre des outre-mer, Ericka Bareigts. Je tiens à saluer, à cette tribune, l’ardeur et la pugnacité avec lesquelles elle a travaillé depuis sa nomination en qualité de secrétaire d’État chargée de l’égalité réelle – intitulé prémonitoire ! – et sa nomination, plus récente, au ministère de l’outre-mer.

J’ai le sentiment qu’au terme de nos travaux, nous nous serons hissés à la hauteur de la promesse dont je parlais au début de mon intervention. Cette loi sera belle et grande. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, ainsi que sur certains bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Serge Letchimy, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques.

M. Serge Letchimy, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il y a soixante-dix ans, à cette tribune, s’exprimait Aimé Césaire. Soutenu par les députés de la Guadeloupe et de La Réunion, il revendiquait le droit à l’égalité. Soixante-dix ans après, les choses ont changé ; nous avons parcouru un très long chemin.

Aimé Césaire ne demandait ni l’assimilation – il faut le rappeler clairement – ni l’aliénation, mais la départementalisation – néologisme dont il fut l’auteur. Il y avait alors une très forte attente en matière d’égalité. Il s’agissait non seulement de droits sociaux, mais aussi de droits civiques, politiques et économiques. Cette égalité a été acquise par des efforts menés au niveau national, mais aussi par des combats, des luttes sociales très dures : jusqu’à présent, on n’a pu dénombrer les personnes mortes lors des événements de mai 1967 en Guadeloupe, et l’on se rappelle aussi les tueries survenues en décembre 1959 en Martinique.

Aujourd’hui, soixante-dix ans après l’intervention d’Aimé Césaire, on ne peut pas dire que l’égalité ait été atteinte. Comment accepter que, sur beaucoup de plans – c’est le moins que l’on puisse dire –, des inégalités persistent ?

Je prendrai plusieurs exemples en matière de droits sociaux : le montant du complément familial, qui diffère pour ce qui est du plafond et des conditions d’attribution ; les bénéficiaires de petites retraites, qui sont en grande difficulté ; le minimum vieillesse, dont le nombre d’attributaires est trois à quatre fois supérieur ; l’assurance vieillesse du parent au foyer ; quant à l’aide personnalisée au logement, elle n’est généralement pas appliquée et, lorsqu’elle l’est, c’est dans des conditions d’inégalité assez remarquables.

De surcroît – Mme la ministre et Victorin Lurel l’ont rappelé –, le contexte socio-économique est extrêmement difficile outre-mer : proportionnellement, nous avons trois fois plus de chômeurs que dans l’Hexagone, notamment pour les jeunes. Je ne parle même pas de Mayotte, où le taux est encore plus élevé – à cet égard, je salue les initiatives prises dans ce texte en faveur de l’île. Le PIB est inférieur de 30 %, le taux d’illettrisme très élevé, tandis que – Victorin Lurel l’a souligné – une dépense publique en matière d’investissements de l’État inférieure de 30 % par rapport au niveau national.

Il est donc important de rappeler, madame la ministre, que, à la suite du rapport de Victorin Lurel, vous avez, avec le Gouvernement et le président François Hollande, franchi une nouvelle étape. En effet – il faut le dire très clairement et c’est le message que je veux faire passer ici –, vous sortez les outre-mer, lesquels ont connu une longue errance et ont dû mener un dur combat, de leur difficulté d’accès à ce qui constitue pourtant un droit. Il faut, selon moi, que ce texte représente un socle, une fondation inébranlable pour la suite, tout en sachant que les délais de convergence pourront être déclinés localement. Si tel n’était pas le cas, on raterait quelque chose d’important. C’est pourquoi je salue l’initiative du Gouvernement, mais aussi l’ambition qu’il a affichée pendant la préparation de ce texte et nos débats en commission, car au début certaines de ses propositions n’étaient pas suffisantes. L’ouverture du Gouvernement nous permet tout à la fois d’avoir un socle pour l’accès à l’égalité et des perspectives de croissance et de développement relativement importantes.

Je l’ai déjà dit très souvent, comme vous-même à l’instant madame la ministre : l’égalité ne se décrète pas, elle se conquiert. À ce titre, l’égalité n’est pas ce qui gomme les différences. En effet, elle n’efface pas les retards d’un coup. Mais elle est ce qui, dans la diversité, émerge d’une égale dignité, de la même capacité d’agir, d’imaginer, d’intervenir sur son destin, d’actionner toutes les interdépendances ; elle se nourrit des capacités d’initiative et de responsabilité. Pour cette raison, je dis oui à l’égalité réelle, mais oui aussi au progrès interne, au développement endogène, à l’émancipation économique. Les deux sont absolument nécessaires car ne parler que d’égalité et pas de développement risque d’imposer des limites à la réalisation du projet.

Je considère donc que ce texte n’est qu’un début. Vous avez dit, madame la ministre, qu’il s’agit avant tout d’un socle, d’une fondation. Aussi faut-il absolument que notre débat ouvre des perspectives s’agissant du soutien à la pluriactivité, de l’appui à une politique de logement beaucoup plus audacieuse, de la sécurisation des investissements, notamment à travers la programmation de la loi d’orientation pour le développement économique des outre-mer – la LODEOM –, de l’économie circulaire, de la détaxe – avec, certainement, l’extension des zones franches – et du soutien au BTP, pour parvenir à un dispositif de mutation économique souhaité par tout le monde.

Pour conclure, je me référerai à Condorcet : « Il ne peut y avoir ni vraie liberté ni justice dans une société si l’égalité n’est pas réelle. » C’est la voie de la liberté et du progrès que vous allez ouvrir, mes chers collègues. C’est pour cela que je vous invite, ainsi que l’ensemble des parlementaires et non seulement le Gouvernement, à l’audace, et le peuple de l’outre-mer à l’innovation, à faire preuve d’un sens de l’initiative et de détermination parce que sa propre survie est en jeu. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, ainsi que sur certains bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

(Mme Sandrine Mazetier remplace M. Claude Bartolone au fauteuil de la présidence.)

Présidence de Mme Sandrine Mazetier

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Orphé, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales.

Mme Monique Orphé, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le président de la délégation outre-mer, mes chers collègues, nous entamons aujourd’hui l’examen du projet de loi en faveur de l’égalité réelle outre-mer, que nous avons examiné dans nos commissions respectives la semaine passée.

La commission des affaires sociales s’est, pour sa part, saisie du titre III de ce texte, qui s’attaque aux inégalités sociales. C’est un volet très important, au moins autant que le volet économique, car force est de constater que malgré les progrès importants réalisés dans les outre-mer depuis la départementalisation en 1946, la situation de nos territoires reste très fragile et surtout accuse un retard encore important par rapport à l’Hexagone, tant sur le plan économique que sur le plan social.

Madame la ministre, nous avons mis cinquante ans pour tendre vers l’égalité sociale, mais il reste encore un petit bout de chemin à parcourir pour l’atteindre. Les inégalités restent criantes dans les DOM. Sans entrer dans le détail, je tiens à rappeler que l’indice de développement humain des territoires ultramarins est bien inférieur à celui de l’Hexagone. Ce dernier s’établit en effet à 0,883, plaçant la France hexagonale au vingtième rang mondial, alors qu’il place la Guadeloupe au trente-huitième rang, la Martinique au trente-neuvième, La Réunion au cinquante-quatrième, la Guyane au soixante-treizième et Mayotte au cent septième rang. Le taux de chômage se situe globalement entre 20 % et 30 % de la population active ultramarine, et même 50 % à 60 % à Mayotte, et le taux de pauvreté y est aussi plus important que dans l’Hexagone. Les inégalités internes à ces territoires sont aussi beaucoup plus fortes : le coefficient de Gini est ainsi de 0,39 à La Réunion et de 0,42 en Nouvelle-Calédonie, contre 0,29 dans l’Hexagone.

Ces quelques éléments suffisent à rendre compte de l’importance pour les populations des outre-mer que revêt ce projet de loi qui a pour ambition de parachever l’égalité réelle, et à quel point il suscite une grande attente. Ce gouvernement n’a toutefois pas attendu 2016 pour agir en faveur des territoires ultramarins, traduisant les engagements pris sur ce plan par le Président de la République puisque, depuis le début du quinquennat, le plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté a largement concerné les outre-mer, tandis que le budget de l’État qui leur est consacré a été constamment renforcé. Du chemin reste néanmoins à parcourir, et c’est l’ambition de ce texte que d’initier ce parcours en faveur de l’égalité réelle, en particulier sur le plan social.

La commission des affaires sociales a souhaité renforcer ce volet du texte qui, je le rappelle, ne concernait initialement que Mayotte : de ce point de vue, les travaux menés en commission comportent des avancées majeures : de deux articles initialement, le titre III en comporte désormais seize, et de nouveaux titres ont été créés pour inscrire dans la loi des mesures en faveur de la formation mais aussi de l’égalité entre les femmes et les hommes. Je souhaite évoquer rapidement quelques-unes de ces mesures, dont la plupart émanent à l’origine de notre commission.

En premier lieu, la politique de prévention en santé publique, avec des mesures de lutte contre l’obésité et l’alcoolisme : le projet inclut en effet une mesure d’interdiction de la publicité en faveur des boissons alcooliques à proximité des écoles des territoires d’outre-mer.

En matière d’égalité entre les femmes et les hommes, il pose le principe de l’expérimentation d’observatoires ultramarins des violences faites aux femmes ; les plans de convergence devront également porter sur l’égalité entre les femmes et les hommes.

S’agissant de Mayotte, nous souhaitons la ratification de l’ordonnance d’adaptation de la prime d’activité et rappelons l’importance de travailler à l’élargissement de la couverture maladie universelle complémentaire à ce territoire.

Plusieurs mesures proposées par la commission des affaires sociales sont destinées à améliorer l’accès aux soins pour les populations d’outre-mer, notamment en termes de santé publique.

En outre, la commission des lois a bien voulu apporter une réponse à ce qui constitue l’une de mes plus grandes préoccupations : celle des petites retraites, qui sont, en raison de la convergence tardive des SMIC et de la jeunesse relative des systèmes de retraite, beaucoup moins élevées que dans l’Hexagone. Le texte propose aussi de retravailler la question du recours sur succession au titre de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, l’ASPA.

Il est aussi bien sûr prévu plusieurs mesures en matière de santé publique, d’accès aux soins et de formation.

Je souhaite vous remercier, madame la ministre, ainsi que l’ensemble de votre cabinet, pour votre mobilisation au service de ce texte. Je remercie également mes collègues rapporteurs pour leur disponibilité permanente, et l’ensemble des collègues avec qui nous avons travaillé pour l’améliorer – puisque mes amendements ont été pour la plupart cosignés par nombre d’entre eux. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, ainsi que sur certains bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Fruteau, président de la délégation aux outre-mer.

M. Jean-Claude Fruteau, président de la délégation aux outre-mer. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, madame, monsieur les rapporteurs pour avis, chers collègues, nous arrivons à la dernière étape d’un processus qui a mobilisé de nombreuses énergies : celle de nos trois rapporteurs et des commissions qui ont travaillé sur leurs conclusions, celle du Gouvernement qui a défini le cadre de la discussion, et celle des députés qui, par leurs propositions, ont réalisé concrètement la coproduction législative souhaitée par la ministre des outre-mer. La densité des débats préalables, la quantité et la qualité des amendements déposés montrent, madame la ministre, que votre appel a été largement entendu. La contribution des députés à l’élaboration du texte définitif promet d’être substantielle.

Fidèle à sa vocation d’expression institutionnelle des outre-mer dans cette assemblée, notre délégation a tenu sur ce projet de loi une réunion dont il me paraît important de rappeler quelques conclusions.

La première est un constat : après soixante-dix ans de départementalisation, les inégalités, bien d’autres l’ont déjà dit avant moi, demeurent bien réelles entre les outre-mer et la métropole. Certes, depuis quatre ans, d’importants efforts ont été accomplis pour les combattre. Le Président de la République avait, dès son entrée en fonctions, pris la mesure des défis auxquels sont confrontés les outre-mer et s’était engagé à les relever. Les moyens budgétaires dégagés par chaque loi de finances, les plans d’action pour la sécurité, la jeunesse et le logement, la stratégie de santé outre-mer ont décliné, année après année, cette volonté politique. Mais il reste beaucoup d’efforts à faire.

L’ambition qui porte ces efforts a désormais un nom : l’égalité réelle. Pour la délégation aux outre-mer, il s’agit tout autant de l’égalité des chances, de l’égalité des conditions de vie que de l’égalité institutionnelle. Car nous subissons les injustices d’un droit appliqué de manière différenciée au détriment des citoyens ultramarins. Quelle que soit leur couleur politique, les députés d’outre-mer veulent que la loi soit effectivement le support de l’égalité, et non pas le contraire. Je crois que ce projet de loi porte cette ambition et c’est pour cela, madame la ministre, qu’il incarne l’engagement politique le plus fort à l’égard des outre-mer depuis la départementalisation. Certains disent, non sans condescendance, voire mépris : « Les outre-mer en veulent toujours plus. » Non, les outre-mer n’en veulent pas toujours plus : ils veulent l’égalité, objectif qui n’est pas encore atteint au moment où nous discutons. Oui, c’est vrai, nous nous battons toujours, en 2016, pour l’égalité, laquelle découlait en fait de la loi de 1946.

Ici se place le deuxième message de la délégation : l’égalité réelle ne se fera pas à l’économie. C’est en investissant que l’on récolte des fruits. Pour que les plans de convergence aient tout leur sens, il faudra dégager les moyens de leur réalisation.

Le troisième message de la délégation est un rappel de l’exigence de justice sociale. Il n’est pas acceptable que les règles fixant les critères et le taux d’un certain nombre d’aides sociales soient trop souvent défavorables aux outre-mer. Il est inadmissible que les retraités agricoles ne bénéficient pas, en outre-mer, de l’augmentation générale à 75 % du SMIC. Il est inadmissible que les règles de cotisations pour les travailleurs indépendants ne soient pas les mêmes pour les travailleurs métropolitains et ultramarins, à la défaveur bien sûr de ces derniers. Où est l’égalité ?

La réalisation de l’égalité réelle est confrontée – c’est le quatrième constat – aux effets négatifs d’une situation économique et géographique particulière, sans aucune commune mesure avec ce que connaît l’Hexagone.

Pour les surmonter, il conviendrait de mieux appuyer les très petites entreprises et les petites et moyennes entreprises qui portent notre dynamisme, d’ouvrir nos territoires à leur environnement régional et d’assurer une meilleure continuité territoriale. Le Gouvernement a déjà pris quelques mesures en ce sens ; il faut continuer.

Je terminerai par une préoccupation souvent soulevée pendant les travaux de la délégation : la qualité de vie, qui passe par un environnement préservé, une bonne santé des citoyens, un accès à l’eau potable, des stratégies pour faire face au changement climatique, une bonne gestion et un recyclage des déchets, une nourriture de qualité, produite dans des conditions satisfaisantes et vendue à des prix équilibrés, l’accès à un logement décent et la nécessité de voir s’épanouir nos richesses culturelles.

En traitant bon nombre des sujets que je viens d’évoquer, la délégation aux outre-mer me semble avoir rempli la fonction de veille institutionnelle qui lui avait été confiée en 2012. Ainsi s’est trouvée vérifiée la justesse de l’intuition qui a conduit le président Bartolone à suggérer la création de cette instance nouvelle. C’est pourquoi j’ai pris l’initiative à cette occasion d’en proposer la consécration par la loi. Je souhaite que notre assemblée fasse sienne cette proposition désormais incluse dans le texte soumis à son examen.

Je forme le vœu que la délégation, ainsi consolidée, puisse accompagner les territoires ultramarins et la France hexagonale dans la construction de cette égalité réelle que nous appelons collectivement de nos vœux et à laquelle, je l’espère, les gouvernements et les parlementaires consacreront tous leurs efforts. Comme l’a dit un jeune député de La Réunion, trop tôt disparu, dans une langue qui est parlée sur le territoire de la République – le créole –, « nou lé pas plus, nou lé pas moins, respect a nou ! » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, ainsi que sur certains bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Huguette Bello.

Mme Huguette Bello. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « l’aspiration des Réunionnais à l’égalité est constante. C’est en son nom que tant de batailles ont été menées. Égalité entre ceux, de toutes origines, qui sont venus, de gré ou de force, vivre sur cette terre. Égalité des droits sociaux, égalité entre les hommes et les femmes. Égalité, toutes les égalités. Il n’est rien à quoi les jeunes aspirent davantage en ces temps où la juste émulation a été vicieusement remplacée par une compétition brutale qui fait de chacun l’ennemi de tous ». Voilà les mots que j’avais prononcés à l’intention du candidat François Hollande alors en déplacement à La Réunion. C’était, vous vous en souvenez, madame la ministre, à Champ-Fleuri, en mars 2010. S’il ne me revient pas de dire si ce texte constitue une réponse à la réalité ainsi exprimée il y a un peu plus de cinq ans, il est évident que la loi qui résultera de nos travaux sera examinée et évaluée avec la plus grande minutie.

Ce projet est un défi. Il arrive à un moment où les écarts ne cessent de s’accroître partout dans le monde et où, dans les outre-mer, de nouvelles inégalités s’ajoutent aux anciennes. Relancer la marche vers l’égalité suppose donc une volonté politique durable, soucieuse de redonner du souffle à un processus en perte de vitesse. Autrement dit, nos travaux devront déboucher sur une loi qui s’inscrive dans la longue durée, sur une loi qui inspire, qui irrigue, qui impulse.

Qu’on le veuille ou non, la référence qui s’impose à nous aujourd’hui est la loi de 1946, à l’origine des transformations les plus importantes enregistrées par nos territoires. Mais soixante-dix ans plus tard, nous légiférons dans un contexte différent par au moins trois aspects : d’abord, l’absence de ferveur populaire ; ensuite, des moyens budgétaires contraints ; enfin, une économie mondialisée et dominée par la finance.

Nous devons avoir conscience de ce qui reste à faire pour que les citoyens s’approprient cette nouvelle loi car chacun sait qu’il s’agit là d’un puissant gage de réussite de toute politique. Par définition, l’égalité réelle ne se limite pas au seul rattrapage. Si elle vise à la résorption des trop nombreux écarts qui persistent à des niveaux élevés, elle récuse d’emblée la voie de l’uniformisation.

L’égalité réelle est antithétique à l’assimilation. Elle est un appel à innover. S’inscrire dans ce mouvement, c’est d’abord réfléchir et agir à partir de nous-mêmes. C’est, comme aurait dit Charles Péguy, s’inspirer de notre réalité réelle. C’est permettre à l’ensemble de nos potentialités de se déployer. C’est lever les obstacles qui bloquent le développement. À cet égard, la récente jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, qui vient s’ajouter aux procédures nationales d’expérimentation et surtout d’habilitation, ouvre des perspectives d’adaptation que nous devons saisir sans frilosité.

L’égalité réelle c’est aussi, je le répète, les retrouvailles avec la géographie. Celle-ci a été la grande oubliée de ces dernières décennies. Le développement de La Réunion passera nécessairement par l’articulation la plus juste entre nos deux appartenances, à l’océan Indien et à l’Union européenne. Ce texte est l’occasion d’acter de manière officielle la fin des oppositions binaires mais aussi stériles.

Retrouver la géographie, c’est inscrire réellement nos territoires dans leur environnement et nous engager de manière plus déterminée dans la coopération régionale. C’est devenir des acteurs de la politique européenne de grand voisinage. C’est participer aux échanges Sud-Sud, qui ne cessent de s’intensifier. C’est considérer à nouveau notre domaine maritime et ses immenses potentialités.

Réaffirmer la géographie impose une politique exigeante en faveur de tous les désenclavements, qu’ils soient aériens, maritimes ou encore numériques. Ce que l’on appelle désormais les « connectivités » doit également être considéré comme un facteur de production.

Les Réunionnais savent à quel point une politique aérienne inadaptée et onéreuse est un obstacle à leur mobilité et un verrou pour la production locale. Ils savent aussi que le numérique mérite la plus grande attention car cette technologie offre enfin l’occasion de lever toutes les difficultés liées à l’éloignement, à l’insularité, à l’absence d’économie d’échelle, à ces fameux handicaps structurels qui entravent la création de richesses et d’emplois.

Mais force est de constater qu’en dépit de leur apparition relativement récente, ces technologies donnent déjà lieu à des inégalités. Alors que, d’une certaine manière, tous les territoires se trouvent sur la même ligne de départ, les outre-mer subissent déjà la fracture numérique. La continuité numérique, comme tout ce qui concourt au désenclavement, devra être un marqueur fort de l’égalité réelle.

« La crise consiste justement dans le fait que l’ancien meurt et que le nouveau ne peut naître », écrit Gramsci. Puissions-nous, tout au long de ces débats, ne pas oublier ce propos. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Mme la présidente. La parole est à M. Ibrahim Aboubacar.

M. Ibrahim Aboubacar. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, madame la rapporteure pour avis, chers collègues, l’article 1er de la Constitution dispose que la France « est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale » et précise qu’elle « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Alors que la Constitution fête aujourd’hui ses cinquante-huit ans, force est de constater que l’objectif d’égalité n’est atteint dans aucun de nos territoires ultramarins, pas même dans ceux engagés dans cette démarche depuis soixante-dix ans.

À la demande du Président de la République, Victorin Lurel a remis un rapport, salué par tous, sur cette thématique et les ministres Mmes Pau-Langevin et Bareigts, dont nous saluons le travail, ont déposé ce projet de loi, dans un calendrier très contraint. Dès le départ, ce texte était appelé à être enrichi par le travail parlementaire et soumis à une consultation numérique citoyenne. C’est ce que la commission des lois a fait et nous continuerons à en faire de même dans les moments qui viennent.

Notre objectif est d’ouvrir une nouvelle page dans le développement des outre-mer et dans l’approche qui préside à ce développement. Celle-ci concerne à la fois les départements d’outre-mer et les collectivités régies par l’article 74 de la Constitution : c’est une grande innovation. Chaque catégorie de collectivité, chaque collectivité peut-être, doit pouvoir et pourra déterminer avec l’État son chemin pour parvenir à cet objectif commun, qu’il s’agisse des quatre vieux départements ou du jeune département de Mayotte, en achevant au passage l’égalité sociale ou des collectivités de l’article 74, lorsqu’elles le souhaitent et selon le chemin que chacune d’elles aura retenu avec l’État.

Mais pour toutes ces collectivités, la dimension économique est cruciale.

Dès lors, il fallait une définition claire de ce que nous voulons faire, de cette égalité réelle : le texte l’a donnée. Il fallait des objectifs clairs et des outils précis pour y parvenir au travers des plans de convergence : le texte les a également donnés. Mais il faudra parachever ceux-ci, par un pilotage et un suivi efficaces. Nous devons poursuivre ce travail, notamment en renforçant notre capacité à disposer de données statistiques appropriées sur tous les territoires.

Il faudra surtout entraîner les forces vives, économiques, sociales et culturelles, de nos territoires dans cette démarche : ce sera un combat de tous les jours.

Il faudra innover tout en étant crédible ; avoir de l’ambition tout en étant responsable ; donner des perspectives élevées tout en étant réaliste. Dans le même temps, il faudra améliorer concrètement les conditions de vie de nos populations outre-mer – c’est ce qu’elles nous demandent – et amplifier le développement économique. À cet égard, la consultation numérique parvient à des résultats très pragmatiques.

Des objectifs communs peuvent être au centre de nos travaux, même si leur mise en œuvre peut être différenciée. Je citerai notamment les nouvelles opportunités économiques qui s’offrent à nous en matière numérique, énergétique et environnementale ; l’exploitation de nos atouts maritimes et régionaux ; la recherche partout – et surtout – de l’égalité entre les femmes et les hommes ; la formation massive des citoyens ; la lutte contre l’illettrisme ; la lutte contre la vie chère, qui demeure une exigence forte des ultramarins.

Dans tous les cas, la crédibilité de notre démarche est un préalable à son succès. Elle passe tout d’abord par notre capacité à mettre en place des outils permanents pour certains, expérimentaux pour d’autres afin de soutenir cette démarche. Mais elle exige aussi le respect du dialogue local et de la parole donnée par l’État aux acteurs locaux. Je pense non seulement aux démarches partenariales, telles que le projet Mayotte 2025, le pacte d’avenir pour la Guyane, qui est en cours d’élaboration, ou celui que réclame la Polynésie française, mais aussi aux engagements donnés à la Nouvelle-Calédonie.

L’examen de ce texte en commission a permis d’enrichir et de préciser celui-ci. Je ne doute pas que son examen en séance aujourd’hui et les jours à venir soit l’occasion de parachever ce travail.

Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste, écologiste et républicain s’engage dans ce débat avec force et détermination, convaincu que les orientations qu’il contient permettront des avancées considérables dans le lien entre l’Hexagone et les outre-mer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, ainsi que sur certains bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gibbes.

M. Daniel Gibbes. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, madame et messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, le projet de loi relatif à l’égalité réelle outre-mer, soumis à notre examen cet après-midi, part du constat que les écarts de niveaux de vie entre nos territoires ultramarins et l’Hexagone demeurent considérables et qu’ils justifient une action volontariste en faveur de l’égalité réelle pour les outre-mer.

Soixante-dix ans après la départementalisation, vingt ans après l’égalité sociale, nos outre-mer restent la lanterne rouge des territoires de la République, comme l’illustrent la grande majorité des indicateurs socio-économiques : un actif sur cinq au chômage dans les départements d’outre-mer, une jeunesse aux abois, un taux de pauvreté trois à quatre fois plus élevé que dans l’Hexagone, une crise du logement sans précédent, des retards considérables en matière de santé, d’éducation, de développement économique… J’arrête là l’inventaire à la Prévert de nos handicaps : celles et ceux qui siègent dans l’hémicycle aujourd’hui n’en sont que trop conscients.

Quel que soit notre camp politique, nous nous accordons à dire que notre collègue Victorin Lurel avait proposé il y a quelques mois dans son rapport un état des lieux précis et des pistes de réflexion audacieuses. Comme nombre de parlementaires sans doute, la très faible traduction des recommandations de ce rapport dans le projet de loi est loin de me satisfaire. Difficile de voir, dans la version initiale proposée par le Gouvernement, autre chose qu’un texte pauvre, à visée clairement électoraliste, pour des outre-mer purement et simplement instrumentalisés à quelques mois de l’élection présidentielle – mais passons.

Le texte promet de réduire, à un horizon de dix ou vingt ans, les écarts de développement entre les populations des outre-mer et celles de l’Hexagone – un objectif, soit dit en passant, particulièrement audacieux vu le niveau de croissance actuel de notre pays et la crise démographique outre-mer. Cela passerait par la mise en place de plans de convergence, élaborés et contractualisés à l’échelle de chaque territoire ; ces plans seraient ensuite déclinés en contrats de convergence de six ans entre l’État et les collectivités locales, avec des objectifs contraignants et des contrôles sur l’état d’avancement de la réalisation de ces objectifs.

Ces contrats et ces plans ne pourront, à mon sens, faire l’économie, en amont, d’une collecte de statistiques et de données fiables. Un travail important de mise en place et de coordination des outils statistiques doit être fait dans nos territoires si l’on veut viser un réel objectif d’efficacité. Certes, les articles 52 à 54 du texte de la commission traitent de dispositions relatives à la statistique et à la collecte de données, mais j’insiste sur ce point : il faut dresser au préalable un véritable état des lieux des collectes de statistiques et de données dans les territoires ultramarins. Il faut faire fonctionner efficacement ces outils. On a pu constater, au cours des débats en commission des lois, mardi dernier, que ce sujet préoccupait l’ensemble des parlementaires des outre-mer et j’attends du Gouvernement une vraie mobilisation sur ce sujet, crucial pour nos territoires.

Plus spécifiquement, pour les collectivités régies par l’article 74 de la Constitution, il m’apparaît nécessaire qu’un véritable état des lieux des transferts de charges et de compétences soit réalisé. Sans statistiques fiables et sans état des lieux des transferts de charges et de compétences, les dispositions du présent texte n’auraient purement et simplement aucun sens. Les collectivités d’outre-mer naviguent à vue depuis trop longtemps ; si l’on veut leur donner les moyens de piloter des politiques publiques dignes de ce nom, d’élaborer des plans et des contrats de convergence, il faut au préalable leur fournir des outils solides.

En outre, alors que ce texte aurait dû prendre la relève de la loi de développement économique des outre-mer, on ne peut, à ce stade de la discussion, que regretter la faiblesse des aspects économiques, même à l’issue de l’examen du texte par la commission des lois. Si l’on peut trouver des défauts à la LODEOM – elle a ses limites, j’en conviens –, au moins avait-elle l’intérêt de stimuler l’initiative privée. Or je ne retrouve pas cette dimension dans la présente loi de programmation, laquelle, en outre, ne met pas assez de garde-fous aux écarts de développement entre nos territoires ultramarins. L’activité, la croissance et l’emploi ne se décrètent pas. Pour en favoriser l’essor, l’État doit offrir aux outre-mer des conditions favorables à leur développement, en dépassant la simple transposition de schémas hexagonaux, en sortant de l’alignement sur un modèle métropolitain, pour s’engager dans une autre voie, à l’écoute des potentialités propres à chaque territoire.

Reste que le texte du Gouvernement, fortement amendé par la commission des lois la semaine dernière, propose fort heureusement quelques avancées pour nos territoires ultramarins. Je pense ainsi à l’objectif de construction de 150 000 logements dans nos outre-mer dans les dix prochaines années, au rapport visant à la mise en œuvre de zones franches globales d’ici au 1er janvier 2019, en substitution aux dispositifs actuels, ou à l’intégration du secteur du bâtiment et des travaux publics dans les secteurs prioritaires de la LODEOM. Je pense aussi aux mesures en faveur des étudiants, aux dispositifs de lutte contre l’alcoolisme, comme l’interdiction de l’affichage publicitaire pour les boissons alcoolisées près des écoles, ou encore aux mesures contre les violences faites aux femmes.

Nous sommes donc passés d’un texte initial pauvre à un texte issu de la commission extrêmement dense, parfois verbeux. Le Gouvernement s’est clairement déchargé de sa responsabilité d’écrire la loi en ouvrant les vannes aux amendements – quelque 200 amendements restent d’ailleurs à discuter en séance publique. Ce texte, que je qualifierai de « fourre-tout », comporte certes de bonnes dispositions et des avancées pour les outre-mer, mais aurait mérité d’être mieux préparé en amont afin, notamment, de mieux mesurer l’impact et le coût éventuel des nouvelles mesures.

En conclusion, vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe Les Républicains réserve sa position sur ce projet de loi, qui aurait dû faire consensus et favoriser un véritable développement économique des outre-mer en libérant la croissance et l’emploi, mais qui n’est pas, à ce stade, à la hauteur des enjeux soulevés par la situation des outre-mer.

Mme la présidente. La parole est à Mme Maina Sage.

Mme Maina Sage. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, madame et messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, en cinq minutes, il est bien difficile de décrire ce que l’on peut ressentir sur le thème de l’égalité réelle et de le partager avec vous. Et, pour ce qui est du temps de parole, ce n’est pas très égal, aujourd’hui…

Je veux néanmoins dire que, pour nous, les écarts constatés dans nos territoires sont inacceptables – cela a déjà été dit, mais je le répète. Par surcroît, ces écarts sont méconnus ; ils sont minimisés, banalisés dans l’Hexagone. Certains de mes collègues, de tous bords, vont jusqu’à dire : « Mais tu sais, il y a aussi des inégalités dans l’Hexagone… ». Il faut donc mettre en place des stratégies de promotion de nos territoires, et que nous puissions expliquer cette démarche, afin qu’elle soit partagée par l’ensemble de la représentation nationale, et pas seulement par les représentants des outre-mer.

Nous ne sommes pas, en effet, que des élus des outre-mer, nous sommes aussi des élus de la nation et, à ce titre, bien qu’issus des collectivités d’outre-mer, donc un peu en dehors du périmètre du présent projet de loi, nous soutiendrons celui-ci, car il propose des avancées majeures, notamment dans le domaine social, pour les départements d’outre-mer. Toutefois, je ressens une profonde déception pour ce qui est du traitement des collectivités d’outre-mer, et je ne voudrais pas que ce texte instaure une forme d’inégalité entre les DOM et les COM – d’autant qu’à l’origine, il avait pour philosophie de transcender les statuts. J’espère donc que la discussion en séance publique permettra d’ouvrir le débat sur les avancées nécessaires pour nos territoires qui, je le rappelle, figurent à l’article 72 de la Constitution : que l’on soit régi par l’article 73 ou par l’article 74, que l’on vive en Nouvelle-Calédonie ou dans un autre territoire de la République, nous avons tous droit à la solidarité nationale.

J’ai de ce fait tenu, avant, pendant et après l’examen en commission, à souligner l’importance que représenterait pour nous un enrichissement de l’article 1er, afin que l’on donne des fondements solides à ce texte et que l’on précise ce que l’on en attend, en faisant comprendre que l’État et l’ensemble de nos collectivités doivent travailler ensemble et qu’il convient de prendre en considération les réalités géographiques et nos handicaps structurels, notamment notre éloignement par rapport à l’Hexagone. Je vous le proposerai par voie d’amendement. Je soulignerai, bien entendu, l’exception que constitue la Polynésie ; il s’agit, vous devez le comprendre, d’une situation unique dans la République : notre territoire est grand comme l’Europe, c’est une surface maritime fragmentée en 118 îles. J’espère donc que je pourrai compter sur votre soutien pour que ce paramètre soit intégré dans le texte dès l’article 1er.

La question de notre vulnérabilité au changement climatique fait aussi partie des demandes de notre groupe – nous avons eu l’occasion d’en débattre la semaine dernière, madame la ministre.

Je vous remercie pour les avancées obtenues en commission, à l’instigation notamment de nos collègues Philippe Gomes, Jean-Paul Tuaiva, Jonas Tahuaitu et Sonia Lagarde, qui ont pu faire entendre des demandes issues de leurs territoires.

Le principe de ces amendements découle de l’article 72 de la Constitution. Il consiste à dire que, bien sûr, nous sommes autonomes, que, bien sûr, nous sommes compétents dans la plupart des domaines, mais que les handicaps structurels liés à l’éloignement géographique et à la taille de nos populations font qu’il nous est impossible d’y arriver seuls. Tel est l’essentiel du message délivré aujourd’hui par les collectivités d’outre-mer : nous disons que nous portons un regard solidaire sur les DOM et que nous attendons une réciprocité.

Des propositions ont été faites à propos de la continuité territoriale, du partage des cultures, ou encore de la promotion de nos territoires dans l’Hexagone ; nous aurons l’occasion d’en débattre. Mais vous avez dit, madame la ministre, qu’il ne pouvait y avoir de progrès économique sans progrès social, et c’est peut-être là l’obstacle principal – je l’espère surmontable. Pour nous, en effet, c’est exactement l’inverse : il ne peut y avoir de progrès social sans progrès économique. Voilà, en résumé, notre sentiment sur la partie du texte consacrée au développement économique, que nous trouvons bien trop faible – je rejoins sur ce point Daniel Gibbes.

Dans l’attente du débat sur les propositions que nous faisons, et sous réserve que l’on ne revienne pas sur les amendements adoptés en commission – nous serons très attentifs sur ce point, car on vient de nous demander d’inclure nos demandes de rapports, qui sont autant de petites avancées que nous avions obtenues, dans un seul rapport « fourre-tout » –, nous apporterons plutôt notre soutien à ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants, du groupe Les Républicains et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, ainsi que sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Claireaux.

M. Stéphane Claireaux. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, madame, monsieur les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour l’examen du projet de loi relatif à l’égalité réelle en outre-mer. Ce texte, qui concrétise et confirme l’engagement fort du président François Hollande pour nos territoires, est évidemment très attendu en outre-mer.

Comme M. le rapporteur Victorin Lurel, dont je tiens à saluer ici le travail, l’a souligné dans son rapport rendu en mars dernier au Président de la République, le concept d’« égalité réelle » consiste à combler les inégalités de condition, de situation et de position entre les outre-mer et l’Hexagone. Nous entendons ainsi réduire les inégalités économiques et sociales importantes qui subsistent entre les territoires ultramarins et la métropole et, ce faisant, faire nôtre la devise de la République française, qui proclame la liberté et l’égalité des citoyens, les distinctions sociales ne pouvant être fondées que sur l’utilité commune.

Toutefois, les députés ultramarins avertis que nous sommes le savent bien – en particulier mes collègues Ary Chalus pour la Guadeloupe et Thierry Robert pour La Réunion –, nos territoires sont tous spécifiques ; ils ont une histoire, des statuts et des problématiques propres, qui imposent une adaptation de la notion d’« égalité réelle » à chacune des collectivités qui les composent.

Comme l’a souligné notre collègue rapporteur Victorin Lurel lors des débats en commission, l’égalité réelle transcende les statuts et les régimes législatifs ; et, comme l’a réaffirmé tout à l’heure Mme la ministre Ericka Bareigts, l’égalité ne se décrète pas, elle se bâtit. Or, si certaines problématiques se retrouvent dans la majorité des outre-mer, telles que l’éloignement par rapport à l’Hexagone et la capitale, l’insularité – voire parfois la « double insularité », comme pour Miquelon, Marie-Galante en Guadeloupe ou la Polynésie –, la vie chère – notamment pour les produits de première nécessité –, la gestion des frontières, un environnement économique difficile corrélé à un taux de chômage important, je suis en revanche bien placé pour dire que chaque territoire ultramarin a ses propres revendications et sa propre acception de l’égalité réelle.

Ainsi, à Saint-Pierre-et-Miquelon, contrairement à une grande partie de nos concitoyens ultramarins, nous évoluons dans un environnement économique riche et développé lié à la proximité immédiate du Canada et des États-Unis. Comme j’ai pu le dire au cours des auditions menées en 2015 par Victorin Lurel, à Saint-Pierre-et-Miquelon, les questions d’éducation, de sécurité, d’immigration, de taux de mortalité et même de chômage ne sont pas aussi prégnantes qu’ailleurs en outre-mer ; mais cela ne signifie pas pour autant que le plus petit territoire ultramarin – avec 242 kilomètres carrés –, le moins peuplé – 6 200 habitants – et le moins éloigné de la métropole – 4 300 kilomètres – ne connaît pas de difficultés. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai déposé, dans le cadre de ce projet de loi, un certain nombre d’amendements à caractère social et économique, mais également en matière de santé ou d’égalité des chances.

Je souhaite, à titre d’exemple, insister sur deux problématiques importantes pour mon territoire. Bien que Saint-Pierre-et-Miquelon soit, je l’ai dit, le territoire ultramarin le plus proche de la métropole, il ne bénéficie d’aucune ligne aérienne directe vers Paris. Nous sommes donc contraints de transiter par le Canada voisin. Or, à partir de cet automne, l’accès à Saint-Pierre-et-Miquelon se trouvera conditionné par l’obligation d’obtenir au préalable un visa ou une autorisation de voyage électronique délivrée par le Canada. Aussi, en l’absence de desserte aérienne directe entre Saint-Pierre-et-Miquelon et la métropole, nous serions les seuls citoyens français à dépendre de l’autorisation d’un pays tiers pour circuler entre deux points du territoire national, ce qui est, à mon sens, inacceptable. Aussi, je me félicite que la commission des lois ait pris en compte cette difficulté en adoptant l’article 3 bis portant définition de la continuité territoriale, celle-ci devant être assurée indépendamment de l’obtention d’une autorisation préalable émanant d’un pays tiers.

De même, je salue l’insertion dans le texte, à l’instigation de mon collègue Thierry Robert, de la fixation des orientations fondamentales en matière d’accès à la mobilité dans les plans de convergence.

En revanche, et ce sera mon deuxième point, je regrette que d’autres problématiques, non moins handicapantes, n’aient pu trouver leur place dans ce projet de loi. Je pense en particulier aux nombreux acteurs économiques et sociaux qui souffrent de l’inadaptation des normes et règles françaises et européennes imposées sur les biens et produits commercialisables et utilisables dans l’archipel, ce qui entraîne des surcoûts ou des situations ubuesques, alors que la grande majorité de notre approvisionnement se fait naturellement auprès du Canada voisin.

Comme vous le voyez, mes chers collègues, les difficultés sont aussi diverses que les territoires ultramarins eux-mêmes, et si les attentes sont grandes chez nos concitoyens, toutes ne trouveront évidemment pas réponse dans ce projet de loi. Nous souhaitons cependant profiter de l’occasion qu’il nous donne pour trouver un maximum de solutions, avec le rapporteur et le Gouvernement, afin de répondre aux besoins de tous nos compatriotes français ultramarins.

Pour conclure, je veux remercier Mme la ministre des outre-mer, Ericka Bareigts, pour son écoute et le soutien de son cabinet, qui s’est véritablement investi pour trouver des réponses à certains de mes amendements, s’agissant notamment de l’extension des aides au logement à Saint-Pierre-et-Miquelon. Plus généralement, nous tenons à saluer l’esprit de co-construction qui a prévalu lors de nos discussions, comme en témoigne l’ajout d’une centaine d’articles lors de l’examen en commission des lois, et nous espérons bien poursuivre cet enrichissement dans l’hémicycle durant les jours à venir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et sur quelques bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Philippe Nilor.

M. Jean-Philippe Nilor. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, madame, monsieur les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, « la France a toujours cru que l’égalité consiste à trancher ce qui dépasse », disait l’académicien Jean Cocteau. C’est, hélas, ce que m’inspire pour l’instant le présent texte, qui, au-delà des grandes déclarations d’intention, n’apparaît pas à même de satisfaire l’ambition d’un développement endogène.

L’égalité réelle est un mythe ou un Graal fondé sur le principe d’une convergence vers un modèle – celui de la métropole – présenté comme un idéal. Mais en quoi la réduction des écarts entre nos territoires et la France devrait-elle constituer, pour nous, la voie du salut ? Un tel modèle, à son apogée, conduirait irrémédiablement à la destruction de nos identités et de nos cultures. On dit souvent que nous sommes une richesse ou un atout pour la France ; mais je refuse, pour ma part, de n’être que cela : je veux avant tout être une richesse pour moi-même, pour mon pays, pour mon peuple, de façon à devenir, aussi, une richesse pour la France et pour l’Europe.

Nous faisons fausse route. Une vision prospective impose de rompre définitivement avec l’analyse de nos difficultés structurelles en termes d’écarts ou de retards de développement par rapport à une métropole idéalisée, et de les analyser objectivement en termes de blocages du développement. Les plans de convergence visent à faire de nous des photocopies d’un modèle situé de l’autre côté de l’Atlantique : ils n’ont pas pour vocation de lever ces blocages.

Pour défaire les territoires ultramarins de leurs carcans, nous devons résolument opter pour des plans de développement réels, pensés, élaborés et mis en œuvre par les acteurs locaux, en concertation avec l’État. Ce développement réel suppose de réduire la dépendance, de sortir de la logique de surconsommation et d’améliorer les taux de couverture entre importations et exportations ; de favoriser l’émergence d’une agriculture nourricière plutôt que d’exportation, et de permettre l’autosuffisance alimentaire ; de faire en sorte qu’il y ait moins de profitation et de casser les monopoles dont les abus impactent cruellement le niveau de vie de nos concitoyens, qu’il s’agisse de l’alimentation, des pièces détachées pour les automobiles, des tarifs bancaires, des abonnements à internet ou encore des accès à la TNT, la télévision numérique terrestre.

Il impose aussi de nous donner la liberté – réelle, celle-là – de signer des accords avec nos voisins et de déverrouiller ainsi la coopération économique, culturelle et médicale avec notre environnement géographique ; d’offrir plus de justice sociale, notamment en revoyant les modes de calcul injustes des retraites qui pénalisent en particulier nos agriculteurs et marins pêcheurs ; de permettre un meilleur accès à la santé de tous, notamment de ceux qui subissent les conséquences de l’empoisonnement au chlordécone ou de l’empoisonnement qui résulte d’un usage abusif de sucre dans les denrées alimentaires ; de décloisonner nos territoires au moyen d’un abaissement du tarif des opérateurs, en vue d’améliorer l’accès au numérique ; de permettre à nos ligues sportives d’adhérer aux fédérations internationales afin que les sélections locales puissent participer aux compétitions et bénéficier de leurs retombées financières ; d’appliquer, enfin, la préséance absolue du principe de précaution dans nos territoires quant aux projets d’implantation d’usines qui utilisent des technologies polluantes.

Contrairement à la convergence, le développement réel appelle à libérer notre potentiel, à nous donner plus de liberté réelle dans nos choix et nos orientations en faveur d’une équité elle aussi réelle, plutôt qu’à viser une égalité-assimilation. À l’évidence, nous sommes loin de cette exigence, et tout porte à croire que nous devrons nous consoler avec un « assimilationnisme » revisité ; car, manifestement, le changement de paradigme n’est pas pour maintenant. Or un tel changement s’appuierait sur la faculté à concevoir des modèles performants, qui diffèrent des conceptions centralisatrices, technocratiques et élitistes, ou rompent avec elles.

Le texte initial était désespérément pauvre. Je reconnais que l’important travail en commission lui a donné un peu de consistance ; mais, malgré votre bonne volonté, madame la ministre, les progrès demeurent cosmétiques, et nous serons particulièrement attentifs à l’accueil qui sera réservé à nos amendements.

Pour l’heure, en l’absence d’engagements financiers de l’État, le texte se réduit à une déclinaison de rapports à l’issue incertaine, compte tenu des changements politiques à venir. Il m’apparaît extrêmement dangereux, à la veille d’échéances électorales majeures, de susciter, une fois de plus, une fois de trop, l’espérance chez les peuples d’outre-mer sans avoir ni l’intention ni l’assurance de tenir les promesses. Si certains ont pris le parti du mutisme ou de l’allégeance, il est de ma responsabilité et de mon devoir de vous alerter sur le fait qu’au vu de la situation sociale, économique et démographique que connaissent nos territoires, nous sommes au bord d’une énième explosion sociale.

Mme Maina Sage. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Le Roux.

M. Bruno Le Roux. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, madame, monsieur les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, cinq minutes, c’est peu sur un sujet comme celui dont nous sommes saisis ; aussi commencerai-je, en regardant Serge Letchimy, par ma phrase de conclusion (Sourires) : « Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. » M. Letchimy sait pourquoi je fais cette citation, et il connaît mes références.

Comme vous tous, mes chers collègues, je suis député de la nation tout entière, mais je suis le premier, parmi les orateurs qui s’expriment aujourd’hui à cette tribune, à n’être pas quotidiennement confronté aux difficultés particulières que vous avez exposées. Tous les territoires ont leurs difficultés, certes, mais celles dont on vient de parler sont particulières : on en parle depuis le début de notre discussion, mais, plus généralement, depuis des années ; et n’y étant pas confronté, disais-je, je puis tenir, vis-à-vis de l’outre-mer, un discours de fierté. Oui, je veux souligner la richesse des outre-mer et les atouts qu’ils représentent pour la France. Mais je dis en même temps ma fierté de voir notre pays posséder, grâce à eux, une façade maritime qui devrait nous ouvrir bien plus de perspectives qu’aujourd’hui.

Oui, je suis fier de ce que les outre-mer représentent, pour nous, en matière de biodiversité, donc d’enjeux pour la planète. Je n’ai jamais pensé que, si nous avons eu un rôle de leader pour parvenir à l’accord de la COP21, c’était seulement pour la satisfaction d’obtenir un accord – l’accord de Paris : son importance est bien plus grande, pour notre République dans son ensemble, mais surtout pour certains de ses territoires, confrontés au réchauffement climatique.

Il y a donc, pour l’outre-mer, des enjeux spécifiques. Parmi eux, celui de l’égalité est central. C’est pour cette raison que je ne veux pas être le premier député élu de l’Hexagone à prendre la parole – d’autres suivront après moi – sans dire cette fierté.

Mais cette fierté a été mise à mal : lors de certains de mes déplacements, j’ai été confronté à des situations que je n’imaginais pas, et que je ne veux pas voir – ou plus voir – dans notre République. Si je ne dis pas cela, je ne dis pas la vérité. Oui, lors de certains déplacements en outre-mer – à l’occasion de réunions ou d’autres événements –, je n’ai pas été fier de la République. C’est pour cette raison que ce projet de loi me paraît être d’une importance capitale.

Ce texte vient en effet après des périodes d’oubli. Mais, notamment depuis 2012, et je veux en féliciter ceux qui prennent part à notre débat, parmi lesquels Victorin Lurel et George Pau-Langevin, un certain nombre de mesures ont été prises. Elles ont consacré une volonté qui n’était pas encore inscrite dans le texte découlant de la mission confiée à Victorin Lurel mais qui va vers ce qui me semble absolument essentiel : un rattrapage. Il s’agit de faire en sorte que, face à des situations de misère et aux difficultés, la République réponde en affirmant qu’il n’y a pas de raison que son engagement soit moins fort qu’il ne l’est dans l’Hexagone. Cela a été le cas dans le cadre du plan national de lutte d’action contre l’habitant indigne et du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, avec le taux préférentiel. Faire progresser l’égalité était en effet nécessaire. Il nous faudra d’ailleurs mesurer les progrès accomplis dans ce domaine lorsque nous examinerons, à travers des rapports, les effets des décisions que nous aurons prises.

Pour atteindre l’égalité républicaine, certaines mesures peuvent nécessiter outre-mer des investissements plus conséquents. Dans mon département, par exemple, on voit bien que l’égalité républicaine en matière d’éducation implique plus d’investissements qu’ailleurs, tout simplement parce que les résultats y sont, en la matière, moins bons.

L’égalité n’est donc pas le nivellement. Vouloir l’atteindre ne peut se résumer à se donner bonne conscience en choisissant un ratio ou un autre instrument qui la démontre : c’est, d’abord, des résultats qui permettent à la République d’être fière lorsqu’elle met en place des politiques et qu’elle peut se dire qu’elles touchent tous nos concitoyens de façon uniforme.

Ces politiques ont pour objet de parvenir à ce que, dans certaines parties de notre territoire, nos concitoyens ne soient pas moins bien traités par la République qu’ailleurs. Il faudra, bien entendu, vérifier que c’est le cas et que nous ne sommes pas cantonnés à une égalité de moyens mais que nous avons atteint une égalité de situations et de résultats.

Nous pourrons alors être fiers de ces rattrapages, puisque nous évoquons certains d’entre eux qui doivent être rapidement mis en place dans notre République.

Madame la ministre, ce projet de loi a été élaboré grâce à une méthode – celle de la convergence – que je partage. Oui, l’objectif est important. Nous voterons bien entendu l’article 1er, mais nous serons attentifs à la façon dont il sera mis en œuvre, à la manière dont nous avancerons, dont les engagements de la République seront tenus. En effet, nous sommes ici pour prendre des engagements dans le temps, et pas seulement pour les six prochains mois.

La méthode de la convergence est particulièrement importante car elle s’apparente à une forme de programmation. Nous devons donc être vigilants, constants et tenaces. Or cette ténacité – je terminerai mon propos par là – ne saurait se résumer à celle de nos collègues d’outre-mer. C’est la République – et non nos seuls collègues d’outre-mer, qui viennent périodiquement nous rappeler notre retard, notre pusillanimité et le non-respect de nos engagements – qui, une fois ce projet de loi voté et amélioré dans le cours de la navette avec nos collègues du Sénat, sera comptable de son application.

Je voulais donc monter à cette tribune pour dire que je me sens personnellement comptable, aujourd’hui en tant que président de groupe, demain peut-être comme simple député, de l’application de ce projet de loi une fois que nous l’aurons adopté.

L’égalité réelle outre-mer ne doit en effet pas rester qu’un titre de loi : elle doit constituer un objectif partagé par toute la population de la République française vivant outre-mer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et sur quelques bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, madame, monsieur les rapporteurs pour avis, chers collègues, j’ai grand plaisir à intervenir dans cette discussion générale sur le projet de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer. Ce texte nous offre une occasion de nous intéresser publiquement aux outre-mer français, ce qui n’est pas si fréquent dans cette enceinte – alors même que notre regard sur eux devrait être quotidien –, ces territoires et ces habitants trop souvent méconnus, parfois même oubliés.

Or, au même titre que la Normandie – vous m’excuserez de prendre cette référence un peu chauvine –, ces territoires font la France. La France ne saurait être elle-même sans eux, sans cette histoire parfois douloureuse car faite, il est vrai, d’heurs et de malheurs, qui fait notre destin commun.

Ce destin est également maritime – le président Le Roux le rappelait à l’instant, et je souhaite le faire moi aussi – et marqué par les enjeux de la biodiversité comme, tout simplement, de la diversité. Lorsque nous parlons des outre-mer, nous faisons France.

Le rapport qui a été remis au Premier ministre par notre collègue Victorin Lurel en mars 2016 a constitué le point de départ. Il mettait en avant trente-cinq recommandations, ce qui est conséquent, afin de rendre plus palpable, plus concrète l’égalité entre les outre-mer et l’Hexagone. Ce rapport a introduit un concept un peu particulier, mais qui se justifie : celui de l’égalité réelle.

En la matière, nous ne partons pas de rien. Qu’il me soit permis, à cet égard, de citer la LODEOM, qui a eu un certain nombre d’effets positifs, même s’il faut sans doute remettre l’ouvrage sur le métier. En effet, les écarts de niveau de vie constatés entre la France continentale et les outre-mer demeurent, vous le savez, très importants.

Les chiffres sont connus : rapporté à celui de l’Hexagone, le PIB est en moyenne inférieur de 31 % en Martinique, de 38 % en Guadeloupe, de 49 % en Guyane, de 36 % à La Réunion et de 76 % à Mayotte, ce cent unième département français qui, à n’en pas douter, cherche aujourd’hui encore sa place.

Ce projet de loi a une ambition réelle : rappeler le principe d’égalité – une égalité qui n’est autre, en réalité, que l’égalité républicaine, celle que la France doit à chacun de ses enfants et qui s’impose comme une évidence.

Sur tous les bancs, nous partageons cette ambition : réaffirmer qu’il ne saurait y avoir de citoyens de seconde zone, de populations négligées, oubliées et, pour tout dire, en souffrance. La République, la nation doit cette égalité à l’ensemble de ses enfants.

Pour autant, le projet de loi que le Gouvernement nous a présenté nous laissait réellement sur notre faim. Comme d’autres, Daniel Gibbes l’a dit : il n’était pas tout à fait, je le dis sans esprit de polémique, à la hauteur des besoins et des enjeux de l’outre-mer.

Notre collègue Victorin Lurel avait mis en avant trente-cinq recommandations. En réalité, elles ont un peu été passées à la moulinette – si vous me permettez cette expression – car seules une quinzaine d’entre elles ont été retenues.

Bien sûr, un rattrapage s’impose par rapport à l’Hexagone : les chiffres sont éloquents. Toutefois, on avait par exemple laissé de côté le développement économique. Or le rattrapage, qui est nécessaire, et l’égalité, qui est une évidence, passent non seulement par des convergences avec un certain nombre de statistiques métropolitaines mais aussi, bien évidemment, par le développement économique et social. N’oublions ni la croissance ni l’emploi. Or le volet qui leur était initialement consacré était plutôt maigre.

À l’évidence, ce texte a été enrichi par son parcours parlementaire. Toutefois, je me tourne à cet instant vers le président de la commission des lois pour lui dire que la jurisprudence Urvoas, du nom de son prédécesseur, n’a pas été tout à fait respectée, puisque dix-huit rapports au Parlement figurent dans le texte adopté par la commission des lois. (Sourires.) Or, nous le savons, Jean-Jacques Urvoas n’aime pas les rapports demandés au Gouvernement, lesquels alourdissent l’action de l’exécutif. Cela dit, nous avons bien compris qu’il s’agissait d’une façon de tendre la perche et d’avancer.

M. Serge Letchimy, rapporteur pour avis. C’est bien cela !

M. Philippe Gosselin. Quoi qu’il en soit, le texte dont nous débattons aujourd’hui est donc beaucoup plus complet : je m’y retrouve notamment s’agissant des convergences qui peuvent constituer un moyen efficace d’assurer l’égalité ou des mesures favorisant le désenclavement des outre-mer.

Je me réjouis également, en tant que vice-président de la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État outre-mer – la CNEPEOM – de voir qu’elle aura davantage de pouvoirs d’analyse. Ceux qui en sont membres disposeront d’un outil plus performant.

Cela étant, je m’interroge réellement sur certaines mesures, dont je ne suis pas sûr qu’elles aient leur place dans ce projet de loi ou qu’elles soient d’une grande utilité : il en va ainsi, par exemple, de l’expérimentation portant sur la scolarité obligatoire de trois à dix-huit ans.

M. Victorin Lurel, rapporteur. C’est important !

M. Philippe Gosselin. Certes, la question du décrochage scolaire se pose réellement, mais est-ce là la bonne réponse à lui apporter ? Une bonne formation est nécessaire, mais pense-t-on réellement qu’un jeune qui a décroché à quinze ou seize ans et qui est analphabète trouvera miraculeusement une solution parce que sa scolarité sera prolongée jusqu’à sa majorité ? Je n’en suis pas sûr.

Pour conclure, et sans procéder à un examen exhaustif du contenu de ce projet de loi, il suscite, s’agissant de Mayotte, des interrogations et des inquiétudes. J’ai participé, avec d’autres membres de cette assemblée, à sa départementalisation. Je connais ce territoire pour l’avoir visité à deux reprises. S’y pose, à l’évidence, une vraie question d’égalité et d’intégration de nos concitoyens qui y vivent dans la République. Mais nous avions prévu un peu de temps, et peut-être ne faut-il pas aller trop vite. J’ai bien conscience du fait que mon discours peut paraître un peu particulier, quand tant de besoins demeurent insatisfaits, mais de vrais risques existent, vous le savez, compte tenu de l’immigration comme des relations avec les Comores, qui ne sont pas satisfaisantes – ce point doit également, et simultanément, être mis sur le métier.

Bref, nous sommes en présence d’un texte encore imparfait, qui essaie néanmoins d’apporter un certain nombre de réponses. Cette démarche me paraît logique et normale. Quoi qu’il en soit, il reste encore beaucoup de chemin à faire avant d’arriver à ce que l’égalité avec les outre-mer devienne une réalité car, une fois encore, c’est là la République que nous appelons de nos vœux. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Mme la présidente. La parole est à M. Napole Polutélé.

M. Napole Polutélé. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, madame, monsieur les rapporteurs pour avis, chers collègues, il y a longtemps que le mot « égalité » ponctue les soubresauts de l’histoire mondiale et particulièrement celle de notre pays. Nous faisons, en la matière, figure de modèle.

Vous avez rappelé en préambule de vos propos, madame la ministre, combien il a fallu que nos prédécesseurs mènent de combats dans cet hémicycle pour conquérir l’égalité. Et pourtant, la voilà associée au qualificatif de « réelle » : c’est dire qu’elle n’a toujours pas, à cette heure, la même signification pour tous et qu’elle ne renvoie pas à une notion claire pour chacun.

C’est parce que le Président de la République, M. François Hollande, s’est rendu dans chacun des territoires d’outre-mer au cours de son mandat qu’il a pu mesurer la grande diversité de nos situations. Il a souhaité que nous puissions réfléchir à ce concept d’« égalité réelle » pour nos territoires et nos concitoyens : qu’il en soit remercié. Je remercie également notre collègue Victorin Lurel d’avoir orchestré si rapidement ce travail. Je vous remercie vous aussi, madame la ministre, de vous être saisie avec autant d’enthousiasme et d’énergie de ce projet de loi.

Ce mot d’« égalité » – fût-elle réelle – ne peut avoir une seule interprétation, tant l’outre-mer français recouvre des réalités différentes. Nos territoires sont tout d’abord différents par leur taille : la Polynésie s’étale par exemple – comme l’a rappelé Maina Sage, députée de Polynésie – sur une superficie équivalente à celle de l’Europe. La Guyane, quant à elle, est grande comme plusieurs fois la France. Wallis-et-Futuna pourrait, elle, être tout entière bordée par le périphérique parisien.

Cependant, sous l’angle maritime, Wallis-et-Futuna recouvre également une zone économique exclusive de 300 000 kilomètres carrés. De ce fait, l’archipel ne se situe plus sur la même échelle : au lieu d’occuper 110 kilomètres carrés, il en occupe plus de 300 000, c’est-à-dire une surface représentant la moitié de celle de la France métropolitaine.

Nos territoires se différencient également par leur éloignement de la métropole, par leur climat ainsi que par leurs richesses. En ce qui concerne mon territoire, l’éloignement, le décalage horaire et la superficie sont des contraintes extrêmement prégnantes – mais qu’ici on mesure mal – et qui rendent difficile de vivre au sein de la République.

Nous sommes en outre différents en ce qui concerne le temps que nous avons passé au sein de la République. Notre territoire est celui qui a adhéré le plus récemment à la République et nous conservons toute notre affection à nos rois. Ils étaient sur les Champs-Élysées le 14 juillet dernier, à l’invitation du Président de la République. La plupart des territoires d’outre-mer peuvent parler de leurs relations avec le pouvoir central en siècles ; pour Wallis-et-Futuna, ce n’est qu’en 1961 que notre statut précise nos rapports avec la République.

Madame la ministre, nous sommes fiers de l’accueil que nous avons réservé à vos prédécesseurs, comme à M. le Président de la République, premier Président depuis 1961 à venir à Futuna, territoire le plus éloigné de la République. L’un des orateurs précédents a expliqué qu’il n’y avait pas de sous-citoyens, pas de différence entre les citoyens. Que ce petit territoire de Futuna, éloigné de 22 000 kilomètres de la métropole, ait attendu plus de cinquante ans pour qu’un Président vienne rendre visite à ses habitants, doit nous faire réfléchir sur cette notion d’égalité réelle. Je ne doute pas que vous ayez aussi à cœur de venir constater sur place ce qu’est notre territoire et combien nos concitoyens savent se montrer accueillants.

L’assemblée territoriale a accompli un travail de réflexion et de proposition pour tendre vers cette égalité réelle. Elle s’est engagée à relever le défi d’un développement durable par le désenclavement territorial, économique et maritime, nécessaire pour nous insérer dans l’économie mondiale et régionale.

Notre situation tient en une réalité : nos îles se vident, les jeunes partent trouver du travail à l’extérieur, nos anciens partent trouver des soins adaptés et de l’affection dans des territoires équipés, auprès de leurs enfants. Entre 2003 et 2013, le solde de population a été négatif de 18 %. Le texte de loi, par l’importance qu’il donne à l’île de Mayotte, s’attache aux problèmes liés à l’explosion démographique. Dans notre cas, c’est bien à l’implosion qu’il faut faire face. Notre objectif est simple : stopper l’hémorragie démographique et nous donner les moyens d’affronter le monde moderne sans perdre notre culture. La stratégie de développement votée par l’assemblée est pour nous une feuille de route. C’est pourquoi, madame la ministre, j’ai souhaité qu’elle puisse être citée dans ce texte, dès son vote définitif, comme référence du plan de convergence pour notre territoire.

Lors de sa venue à Wallis-et-Futuna en début d’année, le Président de la République a défini les urgences. Avec vos services, je suis régulièrement l’application de cette feuille de route. Si des dossiers progressent, d’autres stagnent. Alors que le financement du centre de dialyse de Futuna était sur le point d’aboutir, voici que Bercy nous conteste la possibilité d’obtenir un prêt de l’Agence française de développement. Il faut que nous puissions financer ce centre de dialyse, pour un territoire qui compte le plus grand pourcentage de dialysés du pays.

Madame la ministre, nous aurons très bientôt l’occasion de voir, dans le budget, si les moyens nécessaires promis par le Président de la République sont là. Nous serons vigilants mais il est nécessaire que cette loi nous ouvre des perspectives d’avenir et réponde aux urgences.

Mme la présidente. Merci de conclure, mon cher collègue.

M. Napole Polutélé. Je termine, madame la présidente.

Certains dossiers ne peuvent attendre. La première des égalités à respecter est l’accès aux soins. Les Wallisiens et des Futuniens envoyés en métropole pour des raisons particulièrement graves, vous l’imaginez, sont confrontés à des situations iniques. Je ne peux accepter que la Caisse nationale d’assurance maladie refuse aux quelques Wallisiens et Futuniens évacués sanitaires l’accueil dont bénéficie chaque Français. Force est de constater que, sur le sujet, tout est bloqué.

Madame le ministre, ce texte situe clairement la problématique, et c’est nécessaire, mais, par-delà l’espérance ouverte, il faut persévérer dans l’effort entrepris.

Une avancée extrêmement concrète de cette égalité a été obtenue lors de l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte : Wallis-et-Futuna a pu bénéficier de la péréquation tarifaire, ce qui est une véritable avancée pour nos populations. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Robert.

M. Thierry Robert. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le président de la délégation aux outre-mer, monsieur le rapporteur, madame, messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, nous sommes réunis pour examiner le projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer. Notre mission, à nous, députés de la nation, ultramarins et hexagonaux, est d’enrichir ce texte du mieux qu’il nous est possible, afin d’atteindre ce but tant attendu, je pense que nous en sommes tous conscients.

La diversité de nos outre-mer est reconnue dans le projet puisque ses titres IER et II définissent le cadre, la stratégie et les instruments pour y parvenir : des plans de convergence contractés entre l’État et les collectivités, à raison d’un plan par territoire, et donc l’assurance que nous aurons les moyens, demain, de prendre en compte les spécificités de chacun de ces territoires dans les politiques publiques qui seront menées.

En consacrant la possibilité de recourir aux habilitations, expérimentations et adaptations dans le cadre de ces plans de convergence, il est donné aux collectivités d’outre-mer la possibilité légale de participer à la construction active de leur avenir.

Le débat sur les moyens que l’État consentira à donner à cette construction devra quant à lui déboucher sur la possibilité matérielle d’atteindre cet objectif. En aucun cas, l’égalité réelle ne pourra être atteinte si le cadre posé aujourd’hui n’est pas nourri d’une volonté assumée de l’État d’y participer activement, tant sur le plan technique que sur le plan financier.

J’ai pour ma part l’espoir de voir notamment l’instrument de l’adaptation déverrouiller nos scléroses, lever des obstacles jusqu’à présent impossibles à éviter, afin, par exemple, de servir la production locale. Adapter les dispositions législatives et réglementaires à nos spécificités et à la réalité géographique et démographique de nos territoires, c’est la condition d’un nouveau souffle économique, j’en suis convaincu.

Beaucoup de définitions ont été données à l’égalité réelle. Elle passe par l’achèvement nécessaire de l’égalité des droits : je pense aux bénéficiaires de très faibles retraites, du fait des retards pris dans l’égalité sociale ; je pense aux agriculteurs, dont les pensions sont anormalement faibles en outre-mer. Mais l’égalité réelle passe dorénavant surtout par l’égalité des chances, car il n’est pas de plus grande inégalité aujourd’hui entre l’Hexagone et les outre-mer que dans l’accès aux opportunités, qu’elles soient économiques, culturelles, qu’elles concernent le mouvement vers l’extérieur, l’accès au numérique et bien d’autres domaines. Les outre-mer ne demandent pas de vivre du transfert de ressources, ils demandent les moyens d’exister, les moyens de provoquer leur propre chance.

À ce titre, notre mission est notamment d’agrandir le cadre des futurs plans de convergence. Je remercie d’ailleurs mes collègues, qui, sur ma proposition, ont bien voulu intégrer à la liste des orientations fondamentales de ces plans de convergence la lutte contre l’illettrisme et la question de la mobilité.

En effet, il n’est pas acceptable de laisser proliférer, sur le territoire national, l’illettrisme, dont la réalité des proportions est bien supérieure en outre-mer qu’en métropole. L’égalité passe par ce combat, qui rend les hommes libres et autonomes.

La question de la mobilité est elle aussi essentielle. L’ouverture du ciel à davantage de concurrence afin de faire baisser structurellement les prix et de réduire l’effet d’aubaine créé par les aides financières à la continuité territoriale doit être traitée dans ces futurs plans de convergence.

Sur le même sujet, je me réjouis de l’adoption en commission des lois de l’article 12 quinquies, qui prévoit la remise au Parlement par le Gouvernement d’un rapport sur le processus de formation des prix des billets d’avion entre les outre-mer et la France hexagonale. Le travail initié par la DGCCRF – la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes – devrait pouvoir révéler ces éléments rapidement puisque le ministre de l’économie en poste en février dernier, lorsque je l’avais interpellé sur ce sujet dans l’hémicycle, avait promis une enquête de ses services.

S’agissant des dispositions d’ordre social, chez un grand nombre d’entre nous, les idées ont évidemment foisonné en commission, mais elles se sont heurtées à l’article 40 de la Constitution. J’avais pour ma part proposé l’indexation du montant de l’allocation de solidarité aux personnes âgées sur le niveau des prix des biens de première nécessité constaté par les observatoires des marges et des prix territorialement compétents. Je regrette qu’il n’ait pas été possible d’intégrer cette disposition en faveur d’une population disposant de très faibles revenus. J’espère que nous pourrons au moins en étudier la possibilité grâce à un amendement demandant un rapport sur le sujet, que je défendrai.

Le temps des plans de convergence n’est pas le temps des gens. J’espère donc sincèrement que nous pourrons encore enrichir le texte dans cet hémicycle, afin d’envoyer à nos concitoyens ultramarins des messages concrets et d’éviter les déceptions après les nombreux espoirs suscités dans l’amélioration de leur quotidien.

« La démocratie, c’est l’égalité des droits, mais la République, c’est l’égalité des chances. » Je reprends ici les mots d’un ancien Président de la République, Jacques Chirac, et je nous invite à suivre cette inspiration afin de donner à nos outre-mer, dans quelque mer ou océan, sous quelque latitude et aussi éloignés soient-ils de la mère patrie, toutes les chances d’atteindre cette égalité. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bompard.

M. Jacques Bompard. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, bien que n’étant pas un parlementaire d’outre-mer, je trouve que nous abordons un sujet dont la hauteur dépasse le niveau habituel de nos travaux. Ici point de totalitarisme en rêvant d’un délit d’entrave sur internet et aucune provocation envers les catholiques par les voix de Mme Rossignol ou de Mme Belkacem. (Murmures.) Non, pour une fois, le titre de ce texte augure d’une importance stratégique et politique remarquable.

Pourquoi remarquable ? Parce que, preuve de la réalité de la plus grande France, loin de l’idéalisme gaullien et du cosmopolitisme de la gauche, l’outre-mer assoit le propos de Jacques Bainville à propos de la France : « C’est mieux qu’une race. C’est une nation. » C’est justement de cette phrase de Bainville qu’il nous faut partir car l’outre-mer conserve des habitudes, des résistances, qui rendent parfois là-bas la France davantage possible qu’ici.

Le maintien de la famille traditionnelle, la préservation absolue de la dignité humaine, au cœur même de toutes les fragilités des êtres, le respect de la vie à naître sont les conditions pour qu’un ordre social soit possible. Et nous savons, depuis Saint Thomas d’Aquin, qu’en dehors de la défense de l’ordre naturel, aucun bien n’est plus possible, parce que les familles n’y sont pas libres.

Dès lors, cette restauration des libertés devrait être au cœur de votre texte : mise en avant des langues vernaculaires, reconnaissance que la France est composée de peuples et pas d’un peuple, restauration du pays réel contre les artifices du pays légal. C’est à ce prix que nous verrions l’égalité réelle en outre-mer, c’est-à-dire une égalité qui n’est pas le fruit d’un égalitarisme, mais bien une égale disposition de l’État à respecter l’indépendance et l’absolue liberté de chaque famille des outre-mer.

La convergence des développements et la lutte contre les inégalités sur les territoires ultramarins ne seraient pas critiquables en elles-mêmes si elles procédaient d’abord d’une action de la société rendue à sa liberté et à sa dynamique. Qu’allez-vous accomplir, à l’inverse, avec cette loi ? Des plans d’État, des services préfectoraux, des associations téléguidées viendront satisfaire les réseaux qui, trop souvent, tiennent le pouvoir à la place du peuple sur ces territoires, comme sur les nôtres d’ailleurs.

En Nouvelle-Calédonie, nous savons que l’abaissement de notre puissance militaire, singulièrement de nos équipements maritimes, réduit la puissance de la France. Nous savons même que le diktat du libre-échange y fait primer des sociétés étrangères sur les entreprises de notre pays. Concernant l’île de Mayotte, comment voulez-vous qu’il soit facile pour la métropole d’accepter logiquement les dispositions de l’article 9 sur les prestations familiales, alors que l’immigration illégale n’y est pas combattue efficacement et que la place de l’islamisme n’y est pas clarifiée ?

Grâce à ces territoires et à leurs populations, la France est un archipel et, si elle n’était servie par une classe politique qui a fait un mode de vie du combat des factions et de la trahison, elle pourrait tenir la dragée haute à toutes les puissances du monde. On comprend alors que la France consacre 10 % des contrats de plan État-Région à ces territoires. Mais encore faudrait-il que ces investissements s’articulassent autour d’objectifs nationaux affirmés, conséquents, et pas à la seule alimentation d’un traitement social de la dépendance économique qui obère toute autonomie des familles.

Je veux le dire à nos amis ultramarins : la République, c’est la chose commune, l’organisation du pouvoir comme une délégation de l’autorité des familles et de la société à un État qui se charge de les gérer. Aujourd’hui, elle est instrumentalisée par certains clans, cercles et factions pour être l’excuse à l’arasement, à la négation du réel, à la violence faite à l’intimité des foyers. C’est contre cela que nous devons lutter, notamment sur vos territoires, mes chers collègues, pour que l’État n’applique pas des principes idéologiques mais une politique au service des gens. Sans cette disposition d’esprit, toute loi n’est qu’une négociation de plus entre l’assistanat et la vassalisation.

Le présent texte a-t-il su atteindre ce niveau indispensable ? Je n’en suis pas certain mais nous pouvons toujours l’espérer.

Mme la présidente. La parole est à Mme Gabrielle Louis-Carabin.

Mme Gabrielle Louis-Carabin. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, madame et messieurs les rapporteurs pour avis, chers collègues, en France hexagonale, 14 % de la population vit avec un niveau de revenu net mensuel inférieur à 60 % du revenu médian, c’est-à-dire sous le seuil de pauvreté, soit 1 000 euros pour une personne seule et 1 500 euros pour un couple. En France d’outre-mer, en moyenne, 25 % de la population vit en dessous de ce revenu médian, donc du seuil de pauvreté, soit près du double, comparé à la France hexagonale.

Avec un taux de chômage de 45 % en Guadeloupe, en Martinique, à La Réunion et en Polynésie française et de 55 % à Mayotte, le chômage dans les outre-mer, notamment celui des jeunes, est de 2,5 fois supérieur à celui de l’Hexagone. Cette situation est d’autant plus inquiétante qu’elle frappe de plein fouet nos jeunes, dont le niveau de formation reste plus faible que dans l’Hexagone : 22 à 25 % des jeunes qui ont un emploi, qui sont au chômage ou qui sont inactifs non scolarisés, n’ont pas de diplôme.

Avec une précarité dominante, une paupérisation dont les proportions atteignent, dans les outre-mer, le double des niveaux constatés en France hexagonale et un emploi non sécurisé, il est difficile, pour une frange importante de la population ultramarine, d’assumer ses obligations sociales et familiales.

Madame la ministre, les chiffres sont parlants : en dépit des politiques publiques volontaristes menées depuis plus de cinquante ans, des bienfaits de la départementalisation dès 1946 ou encore des initiatives entrepreneuriales audacieuses, les écarts de niveau de vie entre la France hexagonale et la France des outre-mer persistent. L’égalité demeure une réalité trop lointaine pour bon nombre de nos compatriotes. Nos économies ultramarines fragiles, caractérisées par des entreprises de petite taille, ne favorisent pas toujours la création d’emplois.

Ce constat justifie l’urgence à agir pour relancer les objectifs de rattrapage économique et la nécessité de repenser les politiques publiques et d’appliquer une nouvelle méthode plus structurée : celle des plans de convergence contractualisés, à l’échelle de chaque territoire, inscrits dans ce projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique.

Il est important de s’emparer d’un sujet sensible et fondamental, celui de la réduction des inégalités pour tendre vers une égalité réelle, à l’image de chaque territoire. Il s’agit pour nous de respecter la Déclaration des droits de l’homme et des citoyens de 1789, qui indique très clairement que l’appartenance à un territoire ne doit en aucun cas être source d’inégalité entre citoyens de la République. Il faut aussi respecter l’article 72-3 de la Constitution, lequel dispose : « La République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d’outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité. »

Il s’agit de répondre à l’engagement numéro 29 du programme présidentiel du candidat François Hollande, qui prévoit un « nouveau modèle de développement de l’outre-mer ». Ce nouveau modèle prend forme avec les plans de convergence contractualisés et les autres dispositions économiques et sociales, inscrits dans le projet de loi qui nous est soumis.

Ces plans s’attaquent aux multiples causes des inégalités qui perdurent et gangrènent nos sociétés. Il s’agit donc d’assurer à tous les Français, qu’ils vivent dans l’Hexagone ou dans les outre-mer, les mêmes chances d’accéder aux principaux services de la vie quotidienne : à la santé, à l’éducation, à la qualification, à la formation et à l’emploi durable. Tel est l’objectif principal du présent texte.

Madame la ministre, chers collègues, pour répondre aux attentes de nos compatriotes, il faut rompre avec la transposition d’un modèle de développement inadapté à nos réalités, car égalité ne veut pas dire uniformité. Le principe d’égalité inscrit à l’article 2 de la Constitution le confirme bien, en n’interdisant pas « l’application de règles différentes à des situations non identiques ».

Partir de chaque réalité locale conduit à mettre en œuvre des solutions toujours plus concrètes pour lutter contre la précarité des jeunes et des personnes âgées, contre l’illettrisme, contre le chômage, pour donner du pouvoir d’achat aux plus précaires, pour lutter aussi contre les conditions de paiement des cotisations sociales et pour que les travailleurs indépendants de nos territoires bénéficient des allocations familiales au même titre que les travailleurs indépendants de la France hexagonale. C’est une injustice sociale que nous demandons à gommer – je le fais, pour ma part, depuis 2008.

Si j’ai pu avoir parfois des doutes sur cette formule d’« égalité réelle », au point de demander à Victorin Lurel pourquoi il avait accepté la responsabilité de ce rapport (Sourires), après le travail en commission et après avoir écouté, cet après-midi, certains de nos collègues et vous, madame la ministre, je peux dire que ce projet de loi est une nouvelle page qui s’ouvre pour nos territoires et une nouvelle espérance pour nos populations. Je voterai ce projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Mme la présidente. La parole est à Mme George Pau-Langevin.

Mme George Pau-Langevin. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, madame, monsieur les rapporteurs pour avis, monsieur le président de la délégation aux outre-mer, chers collègues, permettez-moi d’abord d’exprimer le plaisir et l’émotion qui sont les miens aujourd’hui, en retrouvant parmi vous mon siège de députée, à l’occasion de ce texte sur l’égalité réelle, sur lequel j’ai eu l’occasion de beaucoup travailler. Bien entendu, il n’est pas parfait – j’ai entendu les critiques – mais je suis persuadée qu’il marquera une étape essentielle dans le droit des outre-mer.

L’expérience de l’exécutif m’a appris que, pour agir, si certains disent qu’il faut souffrir – les cabinets ministériels en savent quelque chose –, il faut surtout maîtriser l’art du compromis, qui n’est pas la compromission, mais l’occasion d’une confrontation salutaire avec le principe de réalité. Nos idéaux ne doivent pas nous empêcher d’agir mais nous permettre de négocier au mieux les inévitables insatisfactions, de respecter et d’intégrer l’avis de ceux qui veulent plus, de ceux qui veulent moins et de ceux qui ne veulent pas.

Nos concitoyens d’outre-mer doivent savoir que j’ai tâché de les servir dans le souci constant d’améliorer le quotidien de leur existence présente comme à venir. Je les laisse entre de bonnes mains puisque ce sont celles d’Erika Bareigts.

L’année 2016 a été l’occasion, pour quatre régions d’outre-mer, de célébrer le soixante-dixième anniversaire de leur départementalisation. Cette loi, adoptée à l’unanimité en 1946, fut un succès moral, économique et social ; elle a mis fin à des injustices intolérables.

Mais, des années plus tard, que demandent nos concitoyens d’outre-mer ? À être traités en Français comme les autres : ni plus, ni moins. À ce que la France, où qu’elle se trouve sur la terre, ne soit pas moins la France.

L’expression d’« égalité réelle », si elle a été popularisée au cours des dernières décennies par le philosophe américain John Rawls et par le prix Nobel d’économie Amartya Sen, est apparue pour la première fois, vous le savez, dans le Journal d’instruction sociale, que tenait Nicolas de Condorcet en plein drame de la Terreur. À l’idée abstraite du peuple, Condorcet préférait les individus singuliers qui le composent. Pour lui, l’égalité réelle n’était ni un slogan, ni un concept, mais une alarme pour rappeler qu’un idéal non suivi d’effets concrets n’est qu’une illusion parmi d’autres, que la République n’est plus républicaine si elle ne tient pas elle-même ses promesses.

La gauche a toujours porté une attention particulière à nos concitoyens d’outre-mer et, depuis 2012, le Président de la République s’est attaché à réaliser les engagements qu’il avait pris envers les ultramarins. Je dois dire que des avancées réelles ont scandé la vie de nos concitoyens. Cependant, nous avons besoin d’un principe normatif qui commandera toutes les futures politiques gouvernementales pour les vingt années à venir. C’est dans cette perspective que le Président de la République et le Premier ministre ont chargé Victorin Lurel du rapport qui a posé les jalons de ce projet de loi.

Vous connaissez le tableau des outre-mer ; je n’y reviendrai donc pas. Je crois qu’il faut que l’État se dote de perspectives à long terme pour que les gouvernements successifs, quelle que soit leur tendance politique, soient tenus par ces plans de convergence entre les territoires d’outre-mer et l’Hexagone, et qu’il soit engagé, comme les collectivités territoriales, pour les dix ou vingt prochaines années.

Contrairement à l’un de nos collègues, je pense que ces plans doivent être territorialisés, parce qu’ils sont précisément un accord négocié entre les élus et l’État. Par conséquent, il ne s’agira pas de calquer ce qui se fait dans l’Hexagone mais d’adapter des stratégies et des démarches permettant à chaque territoire d’outre-mer, en fonction de ses caractéristiques propres, d’arriver à un niveau de développement équivalent à celui de la métropole, même s’il n’imite pas absolument ce qui se fait dans tel ou tel département métropolitain.

Par ailleurs, il est également important d’avoir un suivi rigoureux, afin de mesurer la contribution de ces plans et de ces interventions, pour réduire les écarts de développement avec l’Hexagone mais également les écarts internes, qui sont un problème réel, nous le savons.

Aujourd’hui, ce dont nous avons besoin dans les outre-mer, c’est d’un volontarisme républicain. Nous devons nous dire que les valeurs d’égalité ne sont ni un acquis ni une rente, mais un combat à mener sans relâche, une promesse à tenir inlassablement. Les ultramarins ne veulent pas d’une égalité de principe mais d’une égale dignité de toutes les personnes, d’une égalité devant la loi, d’une égalité des droits, d’une égalité sociale et d’une égalité des chances. Ils l’espèrent, ils l’exigent et, je crois, ils y ont droit. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain, du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

(M. David Habib remplace Mme Sandrine Mazetier au fauteuil de la présidence.)

Présidence de M. David Habib

vice-président

M. le président. La parole est à M. Philippe Gomes.

M. Philippe Gomes. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de commission, monsieur le rapporteur, madame et messieurs les rapporteurs pour avis, je suis heureux de m’exprimer, après ma collègue Maina Sage, au nom du groupe UDI, sur cette loi porteuse de tant de promesses, d’espoirs, voire de rêves.

Cette loi vise l’égalité réelle, qu’on nous dit être désormais une priorité de la nation ; ces mots sont lourds et ce n’est pas rien de l’affirmer, même si les mots se vident de leur sens à notre époque. Ce texte fera-t-il partie des ruines de la République incantatoire – que se partagent la droite et la gauche – ou marquera-t-il au contraire le point de départ d’un véritable chemin vers moins d’écarts de développement entre les populations de l’Hexagone et les populations ultramarines ? La question vaut dans le domaine économique, qui est important, mais aussi et surtout dans ceux de l’éducation et de la santé, où ces écarts sont massifs. Comment, au XXIsiècle, les Français d’outre-mer peuvent-ils se trouver dans une situation pareille ? Cela nous interpelle à propos du regard et de l’action pour l’outre-mer de la part des différents gouvernements qui se sont succédé au cours des trois dernières décennies, au-delà de leur sensibilité politique.

Pour ce qui concerne plus particulièrement les collectivités relevant de l’article 74 de la Constitution et la Nouvelle-Calédonie, le texte de loi n’évoque pas l’État qui élabore, mais l’État qui « propose […] un plan de convergence ». La terminologie n’est peut-être pas aussi adaptée qu’elle devrait l’être et j’espère, madame la ministre, monsieur le rapporteur, que des suggestions seront faites au cours des débats pour y remédier.

S’agissant des collectivités françaises du Pacifique, beaucoup de choses dépendent de nous. On ne peut pas à la fois demander l’émancipation, l’affirmation de notre singularité dans la République et l’octroi de compétences de plus en plus importantes – sans compter, pour la Nouvelle-Calédonie, un processus de décolonisation négociée au sein de la République, au travers de l’accord de Nouméa –, et au bout du compte se plaindre de ne pas avoir réussi à rattraper certains retards alors que nous avons les compétences en main. Certes, nous ne disposons pas toujours des moyens nécessaires, locaux ou nationaux, pour rendre certaines de ces compétences effectives. Néanmoins, en tout état de cause, nous sommes aujourd’hui, dans bien des domaines, en situation de responsabilité et il nous appartient, en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie, d’exercer ces compétences du mieux possible : nous devons aussi faire notre chemin pour que l’égalité devienne une vraie réalité pour nos concitoyens.

L’État a évidemment vocation à continuer de nous aider et de nous accompagner, notamment dans le cadre de la nouvelle générations des contrats de développement, qui, pour la Nouvelle-Calédonie, doivent être passés avec le pays, les provinces et les communes d’ici la fin de l’année, pour la période 2017-2021.

Je voudrais toutefois attirer l’attention de l’Assemblée sur plusieurs sujets que j’avais déjà évoqués en commission ; je tiens, à ce propos, à remercier mes amis et collègues qui ont bien voulu soutenir les amendements que j’avais déposés. Ces sujets relèvent encore chez nous – je parle aussi pour le compte de la Polynésie – de l’État stricto sensu, et le chemin vers l’égalité réelle dans ces domaines nécessiterait de l’énergie et de la volonté.

Ainsi en va-t-il du prix de l’électricité : en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, nous payons deux fois plus cher que dans les DOM ou en France métropolitaine, ce n’est pas rien. En France métropolitaine ou dans les DOM, la dépense en électricité représente environ 7 % des revenus d’un ménage moyen ; chez nous, 12 %. L’écart est significatif pour le portefeuille des ménages. Un amendement a été adopté pour corriger cette situation : je souhaiterais qu’à l’instar de ce qui a été fait pour Wallis-et-Futuna, nous puissions, à l’horizon 2020, bénéficier d’un prix de l’électricité identique.

Je voudrais également évoquer les tarifs bancaires. Avec 3 % de créances douteuses dans les établissements financiers pour une moyenne de 7 % dans les outre-mer, nous sommes les meilleurs payeurs de la République. Nous sommes pourtant les plus maltraités puisque nos tarifs bancaires sont deux à dix fois supérieurs à ceux en vigueur en métropole et dans les DOM. Quelque chose ne va pas dans ce système. Il en va de même pour les taux d’intérêt : en Nouvelle-Calédonie, les taux pour un prêt immobilier sont 50 % plus chers ; pour les découverts des entreprises, 200 à 300 % plus chers. Pourquoi est-on pénalisé lorsqu’on paie régulièrement ce que l’on doit aux établissements financiers ? Là aussi, l’égalité réelle mériterait de se concrétiser.

Pourquoi les collectivités françaises du Pacifique sont-elles systématiquement exclues des enquêtes statistiques ? Ne faisons-nous donc pas partie de la France ? La grande enquête statistique sur les violences faites aux femmes concerne l’ensemble de l’Hexagone et quelques départements d’outre-mer mais non les collectivités françaises du Pacifique. La dernière enquête dont nous disposons est celle que l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM, avait réalisée en 2003. De même, l’enquête sur la vie chère, réalisée par l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’INSEE, et rendue en avril 2016, couvre l’ensemble de l’Hexagone et les DOM ; les collectivités françaises du Pacifique n’y figurent pas. La dernière enquête dont nous disposons date de 2010. Là aussi, un amendement a été adopté, j’en remercie la commission.

Je voudrais maintenant évoquer la Banque publique d’investissement, BPIFRANCE. En effet, financer des entreprises et l’économie d’un pays est un enjeu important. En 2012, le Premier ministre de l’époque s’était engagé à ce que les produits de BPIFRANCE soient mis en place en Nouvelle-Calédonie rapidement et efficacement ; quatre ans après, c’est le cas pour seulement deux d’entre eux, soit un résultat fort limité… Nous souhaitons que, comme dans les DOM, l’ensemble des produits de BPIFRANCE soient disponibles en Nouvelle-Calédonie. BPIFRANCE finance aujourd’hui 20 % des besoins des entreprises françaises ; nous en avons besoin en Nouvelle-Calédonie, a fortiori à ce moment de notre histoire, où, comme chacun sait, la croissance est atone, étant donné les cours du nickel.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Philippe Gomes. Enfin, monsieur le président, je voudrais parler de la continuité territoriale, une catastrophe en matière d’inégalité réelle. Nous avons réussi, en abaissant le seuil de revenus censé prouver qu’on ne peut pas payer un billet vers la France métropolitaine, à réduire de 12 000 à 3 000 personnes le nombre des bénéficiaires de l’aide à la continuité territoriale. Aux termes de cette réforme – qui est, je le concède volontiers, à mettre au crédit de la majorité précédente –, l’aide à la continuité territoriale ne coûte pratiquement plus rien à l’État. De plus, s’agissant d’archipels, il faut également prendre en considération la desserte intérieure.

Le projet de loi qui a été examiné en commission et l’est maintenant par notre assemblée apportera, je l’espère, des réponses concrètes à toutes ces questions, pour que la République incantatoire devienne, en ce qui concerne d’outre-mer, une République de l’égalité réelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Boinali Said.

M. Boinali Said. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, madame et messieurs les rapporteurs pour avis, chers collègues, malgré les politiques volontaristes mises en œuvre par l’État, depuis plusieurs décennies, pour réduire les inégalités entre les outre-mer et l’Hexagone, des écarts demeurent, notamment en matière de produit intérieur brut, d’indice de développement humain, de niveau de revenus, de taux de pauvreté, de taux de décrochage scolaire et, en général, en matière de niveau de vie.

Cependant, le mouvement de réforme engagé en faveur des outre-mer depuis soixante-dix ans a permis de garantir aux ultramarins l’égalité des droits civiques et politiques. L’extension du système de protection sociale, la création de nouveaux droits sociaux et, entre autres, la convergence des salaires minimums ont engagé le mouvement d’égalité sociale.

Pour autant, ces efforts n’ont pas suffi à garantir à l’ensemble des collectivités ultramarines une égalité réelle. Le Gouvernement a donc décidé de légiférer pour définir une méthode et mettre en place des outils, afin que les politiques publiques élaborées tendent vers les convergences économiques, sociales, culturelles et environnementales. L’objectif d’égalité réelle ainsi poursuivi est, dans le respect des statuts de chaque collectivité ultramarine, de réduire les écarts de développement à un horizon de dix à vingt ans. À cet effet, le projet de loi pose les bases d’une stratégie capable de réduire les écarts de développement entre la métropole et les outre-mer, ainsi que les écarts de niveau de vie et de revenus constatés au sein de chacun de ces derniers. Cette politique de convergence vise également à inclure nos collectivités dans leur environnement régional et à contribuer à leur rayonnement international.

Par ailleurs, le projet de loi prévoit des dispositions relatives à l’éducation et à la formation, des mesures de soutien à l’emploi et de lutte contre la vie chère, des dispositions relatives à la fonction publique, ainsi que des mesures visant à doter les régions ultramarines de schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires. Ce texte propose aussi des mesures sociales en faveur de l’égalité réelle pour les territoires qui ne sont pas encore couverts par les droits sociaux fondamentaux, comme Mayotte.

Cependant, il contribuerait davantage au développement de nos territoires s’il exposait, à travers le plan de convergence, des instruments de changement de paradigme. Ce changement conduirait à un modèle articulé autour de la modernisation de nos économies traditionnelles et tourné vers la mondialisation, permettant d’aboutir à l’égalité en matière de niveau de revenus et d’indice de développement humain, et de réduire le taux de pauvreté. En effet, l’État a longtemps agi en outre-mer comme un État social et ce modèle classique utilisé jusqu’ici a échoué.

Un autre modèle durable doit être mis en place, qui, selon toute vraisemblance, amènerait non seulement la réduction des écarts, mais également la stabilisation des productions locales, grâce à la création de richesses qu’il induirait. Ce modèle s’appuierait sur la modernisation des secteurs traditionnels, la diversification des services – qu’il faudrait orienter vers l’économie de la mer –, la transition énergétique, l’exploitation de la biodiversité, la communication et l’informatique, les services aux entreprises et à la personne. Il faudrait notamment développer les segments économiques liés au vieillissement de la population et au bien vieillir.

À Mayotte, nous avons depuis longtemps insisté sur l’économie sociale et solidaire, à travers le développement des entreprises d’insertion par l’activité économique, des coopératives, des régies de quartier et des petites entreprises, qui peuvent participer à la modernisation des secteurs traditionnels, notamment dans la transformation des économies informelles.

Pour clore mon propos, je dirai que les dispositions de ce projet de loi sont déterminantes pour le projet d’égalité réelle. Mais il reste à soutenir nos collectivités locales, nos départements et nos régions en les aidant à impliquer les acteurs locaux dans la construction des plans de convergence, afin de garantir à l’ensemble des territoires d’outre-mer une égalité effective avec l’Hexagone. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Ericka Bareigts, ministre. Sans prendre trop de temps, je voudrais revenir sur quelques éléments qui me semblent importants pour la suite des débats.

Tout d’abord, monsieur le rapporteur Lurel, je vous remercie pour vos remarques et encouragements. Conscients de l’urgence, nous avons en effet engagé une démarche volontariste et décidé d’adopter un rythme rapide nous permettant d’être dès aujourd’hui au rendez-vous législatif. Il n’est jamais trop tard pour agir en faveur des populations qui attendent des réponses sur des sujets aussi importants que ceux évoqués par tous les orateurs.

Ultramarine, je connais tant l’histoire de ces sujets que leur réalité quotidienne. Je suis très fière, et je voulais le redire ici, de faire partie d’un gouvernement qui mène aujourd’hui ce combat, en n’oubliant aucune de ses dimensions.

Nous avons effectué des avancées, et je souhaite saluer le Premier ministre et le Président de la République pour leur soutien, mais je tiens aussi à ce que le travail de co-construction que nous avons engagé au cours de cette première étape se poursuive dans le cadre du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la Sécurité sociale.

Monsieur le rapporteur pour avis Letchimy, vous avez parlé d’« émancipation économique », idée qui me semble fondatrice. Nous parlons beaucoup de parachever l’égalité sociale, parce qu’il ne peut y avoir de développement économique sans égalité sociale – en tout cas sans les moyens donnés à chacun de réaliser son propre destin –, mais l’émancipation économique est une idée nouvelle, dynamique, que j’assume et que je défends. Si vous le permettez, je la partagerai donc avec vous.

Madame Orphé, toutes les questions touchant au développement humain sont très importantes à mes yeux – je pense à l’alcoolisme, au statut des femmes ou encore à l’accès aux soins, évoqués aussi à l’instant par Philippe Gomes. Les travaux que vous avez menés, en tant que rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales, ont grandement contribué à enrichir le texte, nous y reviendrons au fil des débats. Nous reprendrons notamment votre amendement sur le rapatriement des corps ; je sais que ce sujet, très important pour nos populations, vous tient à cœur.

Monsieur le président Fruteau, vous l’avez dit, avec la sagesse qui vous caractérise : le travail que nous accomplissons est aussi important – peut-être pas davantage, mais aussi important – que celui réalisé au moment de la départementalisation, et je suis la première à dire qu’il ne pourra pas se faire à l’économie. Nous nous sommes tous battus, moi comprise, pour obtenir les premiers moyens importants en vue d’ouvrir cette perspective d’égalité réelle. Nous allons continuer à nous battre, cela va de soi, parce que nous sommes des combattants de l’égalité, mais un pas important a d’ores et déjà été franchi.

Madame Bello, très exactement soixante-dix ans après la loi de 1946, nous entrons dans une nouvelle dynamique. C’est, vous l’avez dit, la fin de l’assimilation. Le changement de mentalité est grand : on change de lunettes, de perspective, d’approche. Comme tout grand changement, celui-ci sera libérateur, mais il faudra savoir l’accompagner et l’expliquer.

Monsieur Aboubacar, vous avez raison, toutes ces démarches pragmatiques existaient déjà un peu en amont de la loi, avec le plan Mayotte 2025 ou le Pacte d’avenir pour la Guyane. Cela signifie que les choses étaient mûres, et tant mieux, car cela nous permettra d’accélérer la cadence pour construire cette égalité réelle.

Monsieur Gibbes, vous prenez une posture, je le vois et je l’entends, mais, honnêtement, je ne vous comprends pas. Vous nous dites qu’il existe des inégalités, des injustices, des difficultés. Nous vous répondons en agissant – je trouve cela plutôt positif – et en agissant dans la co-construction, en respectant le fonctionnement de nos institutions tout en opérant des distinctions entre les territoires, parce qu’il n’y a pas de vérité unique, parce qu’il y aura des outils distincts, des stratégies distinctes. S’agissant de la méthode, il est absolument nécessaire, dès le départ, d’engranger des connaissances et de dessiner des convergences sur chacun des territoires.

Cela vaut aussi pour l’économie : nous ne définirons pas un outil économique unique, parce que nous voulons rester dans l’esprit de stratégies différentes pour chaque territoire. Choisir un outil unique ne serait pas très ambitieux. Cette loi doit être plus ambitieuse que la LODEOM, je le dis. Prenons le temps d’élaborer ces outils. Cela nous permettra de mieux les construire, en étant mieux éclairés grâce au recueil des chiffres dont nous ne disposons pas toujours, en prenant du recul, en gagnant en solidité grâce à l’analyse soigneuse des différentes situations. Comme l’a dit Huguette Bello, il nous faut de bonnes fondations, sans quoi notre entreprise n’ira pas bien loin.

Madame Sage, l’État doit en effet travailler aux côtés des collectivités, en prenant en compte leur handicap structurel. Et les critères de distance et d’insularité – je pense à la situation particulière de votre territoire – doivent évidemment être pris en compte. Je tiens également à vous dire que, pour moi, il n’y a pas d’opposition entre le progrès économique et le progrès social : nous devons les construire ensemble.

Monsieur Claireaux, j’ai bien entendu votre appel à la co-construction. Je vous assure que telle sera notre démarche, dans cet hémicycle, tout au long des débats.

M. Nilor n’est plus là mais je tiens à lui répondre. Je veux lui rappeler que je suis engagée en politique depuis maintenant trente ans, que j’ai assumé des responsabilités politiques locales et aujourd’hui nationales. Je suis ultramarine et jamais je n’ai construit froidement une stratégie électoraliste. J’ai beaucoup trop de respect pour mes frères et pour mes sœurs, et pour la mission que j’assume avec responsabilité au sein de ce gouvernement.

Monsieur Polutélé, je me joins à vous pour remercier le Président de la République de s’être rendu sur vos terres, à Wallis-et-Futuna, et d’avoir rendu les arbitrages importants dont vous avez parlé. Je suis moi aussi très préoccupée par la décroissance démographique que connaissent les territoires de Wallis-et-Futuna. Nous construisons ensemble des stratégies de développement – je pense au câblage avec les îles Fidji, pour construire une dynamique économique nouvelle et retenir les populations. Il s’agit bien, là aussi, d’une stratégie locale s’apparentant à un plan de convergence.

Monsieur Robert, vous voulez mettre fin à la sclérose de l’habilitation législative et réglementaire. J’avais essayé de le faire en tant que députée. Vous voulez, à La Réunion, réparer l’erreur originelle, cette vision politique qui a eu pour effet, il y a quelques années, de nous figer dans un état du droit nous empêchant d’utiliser l’outil mis à la disposition d’autres territoires. Il nous reste toujours l’expérimentation, en attendant qu’une réforme constitutionnelle ne vienne changer les choses.

S’agissant des tarifs aériens et des connectivités – car c’est bien sous cet angle beaucoup plus large qu’il faut aborder le sujet –, je suis persuadée que nous devons avant tout travailler sur la transparence. J’entends me pencher sur ce sujet avec méthode, mais aussi avec célérité, en priorité, car nos concitoyens attendent des décisions très concrètes.

Madame Louis-Carabin, je suis vraiment ravie que nous ayons pu, vos collègues et moi-même, vous convaincre que nous allions réaliser, avec cette loi, l’engagement n29 du candidat François Hollande sur l’égalité réelle : sur ce sujet qui vous tient à cœur, nous aurons avancé, les débats le montreront.

J’en profite pour remercier George Pau-Langevin, avec qui j’ai travaillé à l’élaboration de cette loi.

Monsieur Gomes, cette loi est un point de départ ; dans quelque temps, nous nous retrouverons peut-être pour parachever ce travail, c’est aussi notre responsabilité à tous les deux. Les mots ont leur sens, vous avez raison, et nous ferons en sorte que certains d’entre eux soient modifiés au cours de l’examen de ce texte. Et nous reviendrons sur de nombreux sujets importants et difficiles ; peut-être les avancées, sur certains points, ne vous sembleront-elles pas suffisantes au regard de vos attentes, mais il m’importe que nous puissions ouvrir des perspectives sérieuses sur ces sujets, notamment sur l’énergie.

Monsieur Said, vous avez souligné que ce texte se penche sur l’ensemble des sujets sociaux dont nous avons parlé ensemble, notamment lors de mon déplacement à Mayotte : la santé, la lutte contre l’économie informelle, la formation, la lutte contre les exclusions. Vous avez également insisté sur la nécessité de donner au plan de convergence une cohérence territoriale. C’est la raison pour laquelle je souhaite que le débat préalable soit le plus large possible.

Voilà, mesdames et messieurs les députés, les quelques remarques que je souhaitais formuler en réponse à vos interventions.

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.

Article 1er

M. le président. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article 1er.

La parole est à Mme Brigitte Allain.

Mme Brigitte Allain. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, madame et messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, je tiens à saluer la démarche positive de ce projet de loi, visant à pallier les inégalités dans les départements d’outre-mer. Je voudrais toutefois souligner le manque d’ambition de ce projet de loi.

L’orientation des politiques publiques pour soutenir un développement économique durable n’est pas suffisamment affirmée. Le Conseil économique, social et environnemental recommandait d’ailleurs de modifier l’article concerné en indiquant que le« développement économique, social et environnemental » devait être « durable ».

Le secteur primaire, à savoir le secteur agricole, à la base du développement économique, est le grand absent de ce projet de loi. Or il fait face à un problème de taille, souligné dans l’avis du CESE, qui tire ce constat : « En outre-mer, la dépendance vis-à-vis des produits de la métropole est souvent trop forte et empêche le développement d’une production locale. » Nous savons que ces territoires connaissent de grandes difficultés pour développer un projet alimentaire, du fait de l’importation des produits et de la constitution de marchés de dégagement, comme celui des cuisses de poulet à La Réunion ou des ailes de poulet – les mabawas – à Mayotte. Dans le même temps, les accords commerciaux fragilisent leurs productions destinées à l’exportation. Il me semble par conséquent primordial de développer l’agro-écologie pour assurer un développement durable sur ces territoires, l’alimentation étant tout de même à la base des besoins. Le mentionner à l’article 1er aurait été opportun.

De même, pour favoriser les emplois, l’autonomie et un développement économique durable, développer le secteur des énergies renouvelables me semble indispensable. C’est la meilleure façon de rattraper le retard dans le niveau de vie des citoyens.

Monsieur le rapporteur, dans votre discours de présentation du projet de loi, vous nous avez invités à faire preuve d’audace. Cependant, lors des réunions de la délégation aux outre-mer, nombre de députés se sont exprimés pour défendre des amendements visant à instaurer l’égalité réelle, que seul le Gouvernement peut intégrer au texte.

M. le président. Il faut conclure, madame Allain.

Mme Brigitte Allain. En quelques semaines, les parlementaires ont enrichi le projet de loi. Je ne doute pas que le Gouvernement l’enrichira également et aura l’audace de mettre en place les conditions de la justice réelle dans les départements d’outre-mer, en attendant peut-être des états généraux.

M. le président. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. À chaque fois que le Gouvernement présente un nouveau texte dans l’hémicycle, c’est remarquable, il le présente comme une priorité : la lutte contre le chômage est une priorité, l’éducation est une priorité, la jeunesse est une priorité et, aujourd’hui, les outre-mer sont une priorité. L’adage se vérifie : « Qui trop embrasse, mal étreint. »

M. Patrick Lemasle. Ce n’est pas toujours vrai !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. En définitive, ce texte est extrêmement décevant, il ne faut pas mentir aux gens. Ce n’est ni une rupture ni une révolution. On nous dit qu’il s’agit d’un commencement ; il est regrettable qu’il intervienne précisément huit mois avant l’élection présidentielle.

Si vous aimez les outre-mer comme vous l’affirmez – et vous avez raison de les aimer –, pourquoi avez-vous pris des décisions, notamment sur le plan économique, qui ont eu des conséquences dramatiques ? Je vous donne deux exemples, parmi tant d’autres. D’abord, le Gouvernement français, sous l’injonction de Bruxelles, d’ailleurs, a multiplié les accords de libre-échange mettant en péril la filière canne à sucre et ses 40 000 emplois locaux. Ensuite, l’État n’a rien fait quand l’OMC – l’Organisation mondiale du commerce – et l’Union européenne ont remis en cause les accords préférentiels pour le marché de la banane. Voilà des combats qu’il aurait fallu mener mais le Gouvernement français a malheureusement laissé faire.

Si vous aimez à ce point les territoires d’outre-mer, pourquoi occultez-vous totalement la question de l’immigration clandestine ? Pour des raisons idéologiques ? C’est malheureux car ce fléau qui frappe un certain nombre de nos territoires a des conséquences désastreuses sur les plans social et économique, et il aggrave les problèmes du chômage et de l’insécurité. Non seulement vous n’en parlez pas du tout mais, pire encore, vous mettez en place des mesures qui créeront des incitations supplémentaires à l’immigration clandestine. C’est vrai à Mayotte, où vous prévoyez d’augmenter le nombre de bénéficiaires et le montant des prestations sociales. L’augmentation de ces prestations n’est pas un problème mais, dans ce cas, faites en sorte que les Mahorais les obtiennent de façon prioritaire, pour ne pas dire exclusive ; mettez en place le droit du sang pour éviter ces incitations à l’immigration clandestine, dont ils souffrent énormément.

En outre, je suis étonnée de l’absence, dans le projet de loi initial, de la notion de continuité territoriale et surtout de celle de puissance maritime, dont vous savez mieux que moi que c’est un levier de développement extraordinaire.

M. le président. La parole est à M. Jacques Bompard.

M. Jacques Bompard. Nous sommes gênés par certains échecs de la métropole en outre-mer, certes, mais également par la perspective politique qui préside à la rédaction de l’article 1er. Ce n’est pas à la loi de déterminer les priorités de la nation, c’est à la nation de décider de ses priorités, sans quoi vous tombez dans une conception dangereuse de l’organisation politique de notre pays. Je sais combien les outre-mer ont souffert des excès de prétention parisienne au cours de la Révolution française. Fuyons donc ces accents, qui peuvent déclencher des drames !

L’alinéa 2 dévoile l’un des problèmes majeurs soulevés par le texte : la complexité de toute mise en œuvre efficace de réformes souhaitables dans les outre-mer, du fait du mille-feuille des strates administratives françaises. La gauche a largement aggravé la situation, sous prétexte d’une volonté de modernisation qui s’est vite dissipée sous la pression des influentes fédérations.

Essayons donc de préserver les territoires ultramarins de ces deux maladies des partis parisiens : le jacobinisme et l’inertie administrative, qui détruit la France.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Serge Letchimy, rapporteur pour avis. Je viens d’entendre une barbariedans les propos de Mme Maréchal-Le Pen : la référence au droit du sang sur nos territoires. Cela enlève tout sens au caractère multiculturel de l’organisation de la République, puisque nous vivons bien dans une société multiculturelle, au-delà de sa diversité.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. La naturalisation, cela existe aussi !

M. Serge Letchimy, rapporteur pour avis. Cette barbarie qui s’est introduite dans notre hémicycle rompt avec nos principes d’unité, de respect de l’humanité et de ceux qui, en raison d’impératifs majeurs, sont contraints de venir vivre sur le sol national et doivent y être acceptés. Il faut absolument, je pense, extirper ce type de barbarie de toute pensée positive.

On a entendu tant d’autres barbaries, comme l’affirmation de la supériorité de certaines civilisations… La banalisation du racisme et de toutes les discriminations en France passe par des paroles d’une telle barbarie et d’une telle sauvagerie !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Je ne vous permets pas ! Cela n’a rien strictement à voir ! Vous êtes ridicule !

M. Serge Letchimy, rapporteur pour avis. Je suis prêt à en débattre quand vous voulez, madame.

M. le président. Madame Maréchal-Le Pen, vous venez de vous exprimer. M. Letchimy est maintenant le seul à avoir la parole.

Poursuivez, mon cher collègue.

M. Serge Letchimy, rapporteur pour avis. Un pas très important a été franchi…

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Vous n’êtes pas obligé de m’insulter ! Vous dites n’importe quoi !

M. Serge Letchimy, rapporteur pour avis. Personne ne vous a interrompu quand vous vous êtes exprimée, alors calmez-vous !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Je ne vous ai pas insulté !

M. Serge Letchimy, rapporteur pour avis. Une étape fondamentale a été franchie en 1946. Avec ce projet de loi, je considère que nous franchissons une étape supplémentaire. À l’article 1er, deux droits extrêmement intéressants sont mentionnés. D’abord, le droit à l’égalité, dont la revendication semble aujourd’hui presque tautologique ; c’est un droit qui est permanent et évolue. Ensuite, le droit à un développement différencié me semble essentiel, car il renvoie à l’émancipation économique. Ces termes sont sans doute étrangers à la conception de certains responsables politiques.

Quoi qu’il en soit, l’émancipation ne fait pas référence à l’indépendance ou à un statut quelconque, nous pouvons nous retrouver sur ce point. L’égalité, qui peut être décrétée, ne saura être effective sans une dynamique interne de développement faisant toute leur place à la richesse, à l’initiative, à la combativité individuelle et collective. Faire peuple au sein de la République, c’est avoir une République unie sans être obligatoirement totalement indivisible. C’est pourquoi je trouve l’article 1er très audacieux ; il s’agit du socle du texte, que l’on doit à François Hollande et à ce gouvernement.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 301 et 1.

La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n301.

M. Victorin Lurel, rapporteur. Cet amendement vise à résorber les inégalités d’accès aux technologies et à l’audiovisuel, mais il ne réglera pas tous les problèmes, puisque certaines disparités subsistent : vingt-sept chaînes de télévision numérique terrestre – TNT – sont diffusées gratuitement dans la métropole, contre dix dans les outre-mer.

J’ajoute que nous avons tenu à revoir la rédaction de l’article 1er telle que proposée par le Gouvernement, parce que nous voulions définir un socle fondateur et affirmer clairement, à l’intérieur de la République, le droit au développement différencié et à l’établissement d’un modèle propre. Cela va mieux en le disant et en l’écrivant. J’ai tenu personnellement à revoir l’article 1er pour fonder, si j’ose dire, deux droits nouveaux – le droit à l’égalité et le droit à la différenciation au sein de la République – et à lister toutes les possibilités désormais ouvertes.

M. le président. La parole est à M. Serge Letchimy, pour soutenir l’amendement n1.

M. Serge Letchimy, rapporteur pour avis. Cet amendement est fondé sur trois axes.

D’abord, l’inégalité d’accès à la TNT entre l’Hexagone, où elle est gratuite, et les outre-mer est une disparité inacceptable.

Ensuite, il convient de rétablir l’égalité d’accès à la haute définition – qui ne résulte pas seulement d’un déficit d’investissement –, sans pour autant bouleverser l’organisation de l’audiovisuel en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane, où, vous le savez, il existe de petites chaînes locales. À travers un protocole, nous devons favoriser le développement des chaînes gratuites tout en protégeant, pour ce qui concerne la Martinique, les deux petites chaînes, qui assurent la cohésion et la proximité.

Enfin, alors que les fréquences de radio sont saturées sur le territoire hexagonal, certaines radios internationales ne diffusent pas dans les outre-mer. C’est une injustice ; il faut absolument développer la radio numérique dans nos territoires.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur ces amendements identiques ?

Mme Ericka Bareigts, ministre. Je comprends tout à fait leur objet mais je distingue la question de la haute définition – la HD – de celle de la TNT. Développer la qualité HD ouvre donc les horizons en favorisant la commercialisation des productions audiovisuelles, y compris locales, et leur diffusion.

Néanmoins, s’agissant de la TNT, j’appelle votre attention sur les chaînes télévisées locales, auxquelles M. Letchimy vient de faire référence, qui pourraient être fragilisées par l’arrivée massive d’autres chaînes, notamment sur le plan publicitaire. Je m’interroge sur l’impact de ces amendements, même si j’en comprends la démarche.

J’émets donc un avis de sagesse.

(Les amendements identiques nos 301 et 1 sont adoptés.)

M. le président. La parole est à Mme Maina Sage, pour soutenir l’amendement n199.

Mme Maina Sage. Comme je l’ai dit lors de la discussion générale, cet amendement vise à préciser, à l’article 1er, la notion de handicaps structurels des outre-mer, qui doivent absolument être pris en compte dans tous leurs aspects. Le premier d’entre eux est, selon nous, celui de la situation géographique. On banalise souvent la distance, qui est pourtant de 20 000 kilomètres pour la Polynésie et de 22 000 kilomètres pour Wallis-et-Futuna.

Le présent amendement vise donc à inscrire à l’alinéa 7 la nécessité de prendre en compte nos réalités géographiques, notre isolement, notre superficie, la fragmentation de nos territoires et, point important pour tous les outre-mer, notre vulnérabilité particulière aux changements climatiques.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Victorin Lurel, rapporteur. Avis favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Ericka Bareigts, ministre. Avis favorable. Je tiens simplement à rappeler que le Gouvernement est particulièrement attaché à la lutte contre le réchauffement climatique et qu’il s’est mobilisé dans le cadre de la COP21, la 21Conférence des parties. Puisque, en vertu du droit international, vous n’êtes, hélas ! pas éligible au Fonds vert pour le climat, nous avons créé des outils équivalents. Dans ce contexte, l’adoption de cet amendement, auquel je suis très favorable, est plus que symbolique, car il permettra de prendre en compte durablement le changement climatique dans la construction de l’égalité réelle.

(L’amendement n199 est adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 44 et 302, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen, pour soutenir l’amendement n44.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. C’est un amendement rédactionnel mais je pense que les mots sont importants. Il vise, à l’alinéa 7, à substituer aux mots : « à leur rayonnement national et international », les mots : « au rayonnement de la nation ». Il importe en effet, je pense, de redéfinir avec clarté le rôle de chaque collectivité : contribuer au rayonnement de la France. Les outre-mer ne sont pas plusieurs nations ; nous constituons tous une même nation et l’objectif est évidemment de la faire rayonner. Je propose de lever cette ambiguïté rédactionnelle.

Par ailleurs, je suggère à M. Letchimy de se rendre à la maternité de Mayotte et d’y expliquer tous les bienfaits du droit du sol : aujourd’hui, 70 % des femmes qui y accouchent sont des Comoriennes, souvent entrées illégalement sur le territoire français, et cela met en grande difficulté le personnel hospitalier, qui n’arrive plus à prodiguer les soins dans de bonnes conditions.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n302.

M. Victorin Lurel, rapporteur. Après avoir écouté les parlementaires, les élus, la population, les associations, j’ai tenu personnellement à réécrire l’article 1er, dans l’esprit de ce que le Gouvernement avait proposé mais en élargissant sa portée. Je crois que cet article répond parfaitement à ce que nous recherchons.

J’émets un avis défavorable sur l’amendement n44 parce que l’amendement n302 lève toute ambiguïté. La participation évidente des outre-mer au rayonnement de la nation est rappelée à d’autres endroits du texte. Là, il convient d’être encore plus clair en précisant qu’ils participent à leur propre rayonnement « à l’échelle nationale et internationale », ce qui permet, je le répète, de lever toute ambiguïté.

M. Victorin Lurel, rapporteur. C’est pourquoi je vous demande d’adopter l’amendement n302.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur ces deux amendements ?

Mme Ericka Bareigts, ministre. Défavorable à l’amendement n44 et favorable à l’amendement n302.

M. le président. La parole est à M. Ibrahim Aboubacar.

M. Ibrahim Aboubacar. Il faudrait éviter, au cours des débats, de dériver en imaginant voir écrit dans le texte ce qui n’y est pas et en soulevant des problèmes là où il n’y en a pas. À l’alinéa 7, rien ne permet de penser que les collectivités d’outre-mer sont considérées comme des nations.

Je refuse par ailleurs de voir Mayotte prise en otage dans des débats comme celui-ci. Régulièrement, à certaines échéances, reviennent des thématiques importantes pour Mayotte, qui font mal et ont des conséquences graves. Ces thématiques ne peuvent pas être jetées ainsi à la légère dans le débat. Je demande qu’on traite les Mahorais avec respect et qu’on arrête de les instrumentaliser.

C’est pourquoi j’ai décidé, par la voie d’un amendement à ce texte, de purger cette question une fois pour toutes devant la représentation nationale.

Mme Brigitte Allain. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Philippe Nilor.

M. Jean-Philippe Nilor. Madame Le Pen, vous devriez revoir votre histoire : personne ici ne devrait oublier que Comoriens et Mahorais sont cousins et qu’il n’y a pas si longtemps, ils formaient une même nation.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Les uns sont français, les autres ne le sont pas.

M. Jean-Philippe Nilor. Je ne vois pour ma part aucune ambiguïté dans le texte et votre amendement n’est pas aussi rédactionnel que vous le prétendez.

Mais voici la réalité : il faut bien comprendre les répercussions directes de ces problématiques sur nos territoires lorsqu’ils se vendent, notamment en matière touristique, à l’international. Lorsqu’on vend l’image de la France à l’international, on ne vend pas celle de la Martinique. Il convient de prendre cette réalité en compte. Nous sommes contraints de mener des politiques bien ciblées, ne serait-ce que pour attirer les touristes sur nos territoires.

La seule ambiguïté que je vois dans votre amendement figure à la dernière ligne de l’exposé sommaire, où vous écrivez : « Toute ambiguïté rédactionnelle doit être écarté. » Il manque un « e » à « écarté ». (Sourires.)

M. le président. La parole est à Mme Maina Sage.

Mme Maina Sage. Pour ma part, je ne donnerai pas de cours d’orthographe.

Madame Le Pen, si votre objectif est différent de celui auquel on pense en lisant l’exposé des motifs, alors vous êtes bien maladroite. La façon dont vous avez rédigé votre amendement démontre votre méconnaissance de nos territoires, ce qui confirme ce que j’ai dit dans la discussion générale : nous avons besoin, en informant nos collègues, de partager avec eux ce que nous vivons au quotidien. D’avoir pu comprendre les mots « leur rayonnement national et international » de cette façon est la démonstration d’une vraie méconnaissance.

Mais je vous pardonne, même si vous vous en moquez certainement.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Je n’ai rien à me faire pardonner !

Mme Maina Sage. Très franchement, je trouve votre amendement très maladroit et je désirerais que vous le compreniez. Vos propos tombent à côté de nos réalités.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Les vôtres sont vides de sens.

Mme Maina Sage. C’est la rédaction de votre amendement qui est vide de sens. Vous venez ici réaliser votre shopping politique. Je me rappelle que vous étiez déjà passée, l’an dernier, lors de l’examen du projet de LODEOM, faire une petite intervention de même nature avant de repartir. J’espère que vous suivrez la totalité des débats, ce qui vous permettra de mieux comprendre nos réactions à votre amendement, contre lequel nous voterons, bien évidemment.

(L’amendement n44 n’est pas adopté.)

(L’amendement n302 est adopté.)

(L’article 1er, amendé, est adopté.)

Article 2

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n60, qui fait l’objet d’un sous-amendement n280.

La parole est à M. Boinali Said, pour soutenir l’amendement n60.

M. Boinali Said. Cet amendement a pour objet d’insérer, dans le titre IER du présent projet de loi, les acteurs économiques et sociaux en leur qualité de véritables acteurs du dialogue social, disposant d’une certaine légitimité pour s’exprimer au nom de la société civile et accompagner les décisions publiques.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour donner l’avis de la commission sur l’amendement n60 et soutenir le sous-amendement n280.

M. Victorin Lurel, rapporteur. Je suis favorable à l’amendement n60, sous réserve de l’adoption du sous-amendement de précision n280, qui vise à supprimer l’adjectif « locaux », qui est superfétatoire.

M. le président. La parole est à M. Boinali Said.

M. Boinali Said. J’accepte la suppression du mot « locaux ».

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n60 et le sous-amendement n280 ?

Mme Ericka Bareigts, ministre. Avis favorable à l’amendement ainsi sous-amendé.

(Le sous-amendement n280 est adopté.)

(L’amendement n60, sous-amendé, est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Maina Sage, pour soutenir l’amendement n200.

Mme Maina Sage. Cet amendement vise à évoquer les dimensions terrestre et maritime, ce qui n’est pas sans rappeler la discussion que nous avons eue en commission sur l’utilisation du mot « Hexagone » et sur les îles périphériques. Cette précision permet d’inclure toute la ZEE – zone économique exclusive – nationale. Ce rappel est important pour faire comprendre que nos réalités ne sont pas les mêmes que celles de la métropole. La Polynésie, c’est 1 % de terres émergées pour 99 % d’eau ; cette dimension maritime, pour nous, est donc fondamentale.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Victorin Lurel, rapporteur. Je suis d’accord pour intégrer la dimension maritime. Avis favorable.

(L’amendement n200, approuvé par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Maina Sage, pour soutenir l’amendement n201.

Mme Maina Sage. Cet amendement vise à ajouter la notion de superficie. Il convient en effet de prendre en considération non seulement le lieu géographique mais également la taille de nos territoires.

(L’amendement n201, approuvé par la commission et le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 2, amendé, est adopté.)

Après l’article 2

M. le président. La parole est à M. Jean-Philippe Nilor, pour soutenir l’amendement n25, portant article additionnel après l’article 2.

M. Jean-Philippe Nilor. La valeur de la médecine cubaine est reconnue. Or des chercheurs de Cuba, île géographiquement proche de la Martinique, ont mis au point un médicament qui permet d’éviter de façon spectaculaire les amputations liées à l’ulcère du pied diabétique.

Chacun connaît l’histoire des taux de sucre légalisés, légitimés sur nos territoires : dans l’ensemble des départements d’outre-mer, les taux de diabète sont supérieurs à toutes les moyennes. Le diabète a ainsi été identifié en Martinique comme une priorité de santé publique inscrite au cœur du plan stratégique régional de santé.

La maladie de l’ulcère du pied diabétique est d’autant plus difficilement traitable qu’elle est récidivante et le diabète a été reconnu comme la deuxième cause d’amputation, laquelle est une solution extrêmement coûteuse du point de vue financier comme du point de vue moral, pour ceux qui sont amenés à la subir.

Ce médicament est aujourd’hui breveté dans plus de trente pays, dont quatorze de l’Union européenne. Plus de 200 000 personnes ont déjà bénéficié du traitement. Il est inconcevable qu’en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane, situées dans le bassin caribéen, on continue d’amputer à tour de bras, si vous me permettez l’expression, alors que cela coûte bien plus cher et qu’aucune expérimentation de ce médicament n’a été tentée.

Cela donne lieu à un trafic : des Martiniquais se rendent à Cuba pour se procurer le médicament sous cape, se soignant ainsi dans des conditions qui ne sont pas toujours correctes.

Mon amendement vise à demander au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport sur la possibilité d’utiliser ce médicament sur nos territoires, à titre expérimental.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Victorin Lurel, rapporteur. Nous entendons et comprenons bien l’objet de votre amendement. Celui-ci relève toutefois du pouvoir réglementaire. Je suis sûr que votre proposition pourra être évoquée dans le cadre des plans de convergence. Avis défavorable, pour cette raison.

(L’amendement n25, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Article 3

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Allain, inscrite sur l’article.

Mme Brigitte Allain. L’outre-mer est constitué d’une grande diversité de territoires, de climats et d’opportunités. Le secteur des énergies renouvelables pourrait y prendre toute sa place et y connaître un véritable développement. L’autonomie des territoires en serait renforcée d’autant.

Nous avons affirmé, dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, la nécessité de développer les énergies renouvelables en fonction du potentiel de chaque territoire. Lutter contre la pauvreté ne peut pas se réduire à ramener les droits sociaux à l’égalité réelle avec la métropole, ce qui est la moindre des choses. Si prendre les décisions justes qui permettent de supprimer les inégalités sociales accumulées au fil des dernières décennies est essentiel, il l’est tout autant de favoriser les investissements qui permettront à ces départements d’adopter une véritable stratégie de développement humain et environnemental, fondée sur un développement économique et énergétique reposant sur les potentiels endogènes, les savoir-faire locaux et les innovations énergétiques.

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

7

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly