Accueil > Travaux en séance > Les comptes rendus > Les comptes rendus de la session > Compte rendu intégral

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2016-2017

Compte rendu
intégral

Première séance du lundi 10 octobre 2016

Présidence de M. François de Rugy

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à 16 heures.)

1

Modernisation, développement et protection des territoires de montagne

Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne (nos 4034, 4067, 4056).

Présentation

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales.

M. Laurent Wauquiez. Heureusement que les députés du groupe Les Républicains sont là pour vous applaudir, monsieur le ministre ! (Sourires.)

M. Jean-Michel Baylet, ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires économiques, chère Frédérique Massat, mesdames les rapporteures de la commission des affaires économiques, chère Annie Genevard, chère Bernadette Laclais, madame la rapporteure pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, chère Béatrice Santais, mesdames et messieurs les députés, que je remercie pour vos applaudissements nourris a priori – c’est rare et j’y suis sensible –, la montagne est tout à la fois majestueuse, mystérieuse et magique.

De tout temps, elle a exercé sur les hommes une forme de fascination, mêlée de crainte et d’attirance. Elle a même parfois, dans certaines civilisations, pu faire l’objet d’une vénération. De sorte que, lorsque nous l’admirons, nous éprouvons la même sensation que Victor Hugo lorsqu’il découvrit le cirque de Gavarnie – que vous connaissez bien, madame la députée des Hautes-Pyrénées. La vue de cet amphithéâtre naturel, d’ailleurs inscrit depuis 1997 au patrimoine mondial de l’humanité, lui avait inspiré les lignes suivantes : « C’est une montagne et une muraille tout à la fois. C’est l’édifice le plus mystérieux du plus mystérieux des architectes ; c’est le Colosseum de la nature ».

Ces territoires grandioses se caractérisent aussi par leur rudesse et sont parfois inhospitaliers. Historiquement, ils ont constitué une frontière, autant qu’un refuge. Par leurs paysages et leurs richesses naturelles, ils participent donc grandement au patrimoine commun de la nation. Mais, plus prosaïquement, leur environnement est aussi marqué par d’importantes contraintes, qu’elles soient géographiques, climatiques ou liées aux risques naturels. Ces univers reposent donc sur des équilibres fragiles, et ils sont d’ailleurs les plus affectés par les conséquences du changement climatique.

Ces conditions de vie, plus difficiles qu’ailleurs, ont contribué à forger le caractère de ceux qui habitent la montagne, et à leur transmettre des valeurs communes de respect, de solidarité et de dépassement. Je sais, pour la pratiquer assidûment, que la montagne n’est pas un territoire comme les autres. Elle n’est d’ailleurs pas uniforme, mais englobe des espaces très divers. Mais, au-delà de la puissance et de la beauté qu’ils inspirent, ces milieux, du fait de leur fragilité, de leurs contrastes et de leur sensibilité, appellent une attention sans cesse renouvelée. Il est donc de notre devoir de répondre aux évolutions rapides que connaît notre société et aux besoins des populations qui vivent sur ces territoires.

Mesdames et messieurs les députés, telle est l’ambition que je veux donner à ce second acte de la loi Montagne.

M. Laurent Wauquiez. Très bien !

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Les députées Annie Genevard et Bernadette Laclais, dans le rapport remarquable qu’elles ont remis, en septembre 2015, au Premier ministre, évoquaient un nouveau pacte de la nation avec les territoires de montagne.

M. Laurent Wauquiez. Excellent !

M. Jean-Michel Baylet, ministre. C’est bien ce dont il s’agit, et cela explique le caractère transversal du présent texte, qui entend traiter toutes les dimensions de la vie dans nos massifs. Il importait donc d’opérer cette mise à jour, afin de répondre aux nouveaux enjeux qui se posent aujourd’hui, sans remettre en cause, bien sûr, les grands équilibres de la loi de 1985.

Cette dernière avait su concilier protection de l’environnement et des richesses naturelles, d’une part, développement économique et social, d’autre part. Notre volonté a donc été d’actualiser cette loi fondatrice, afin de donner à ces territoires la capacité de faire face aux multiples mutations à l’œuvre. J’ai eu l’occasion de le dire en commission, le projet de loi ne résume pas, à lui seul, la politique du Gouvernement en faveur de la montagne. Cette dernière est inscrite dans la feuille de route que le Premier ministre a présentée, en septembre 2015, à Chamonix, à l’occasion de la réunion du Conseil national de la montagne. Nombre des dispositions qu’elle contient sont d’ores et déjà entrées en application, notamment dans le cadre des comités interministériels aux ruralités, qui visent à déployer, à travers 104 mesures, autant d’actions concrètes.

Je pense, par exemple, à l’accès aux services publics dans les territoires les plus enclavés, à travers le programme des maisons de services au public, dont 200 maillent aujourd’hui les massifs de montagne. En matière d’accès aux soins, je pourrais évoquer les 156 maisons de santé pluridisciplinaires ouvertes dans ces zones, auxquelles 35 nouvelles maisons, encore en projet, viendront bientôt s’ajouter. Concernant la téléphonie mobile, le comité interministériel aux ruralités prévoit l’équipement de tous les centres bourgs en 3G d’ici la mi-2017, et celui de 1 300 sites supplémentaires en 3G, puis en 4G, d’ici 2019. Dans les deux cas, l’État participe au financement des pylônes.

Le présent projet de loi vient compléter ces actions déjà engagées. Il inscrit en outre dans le droit les principes qui doivent guider ces interventions et, lorsque c’est nécessaire, il en précise le cadre. Il apporte, dans certains domaines, des compléments qui s’avèrent aujourd’hui indispensables, en raison des évolutions de la société et de l’économie.

Sans revenir sur l’historique de ce texte, je veux rappeler devant la représentation nationale qu’il n’est pas seulement le fruit d’une concertation, mais d’une véritable co-construction. Elle a impliqué les parlementaires, les élus locaux, leurs associations et, plus largement, les acteurs publics ou privés : bref, tous ceux qui font vivre nos montagnes. Le présent projet de loi résulte de cette approche que j’ai voulue transpartisane – et je remercie les députés de droite comme de gauche de l’avoir acceptée. Elle a consisté à associer les élus de tous bords et des différents massifs, avec lesquels les échanges ont été constants.

M. Laurent Wauquiez. Très bien !

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Je souhaite que cet état d’esprit continue de régner durant nos travaux en séance, comme ce fut largement le cas durant nos débats en commission.

M. Martial Saddier. Tout à fait !

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Mesdames et messieurs les députés, j’en viens aux dispositions du projet de loi, à proprement parler. Je ne détaillerai pas, dans ce propos liminaire, l’ensemble des mesures qui le composent – nous aurons largement l’occasion d’y revenir lors de l’examen des articles. Je veux simplement en rappeler les grands axes, qui font, chacun, l’objet d’un titre distinct.

Le titre Ier englobe les mesures permettant la prise en compte des spécificités des zones de montagne et celles pouvant exister au sein de chaque massif. Il réaffirme le principe d’une adaptation des politiques publiques et prévoit qu’elles puissent prendre la forme d’expérimentations. Prenant acte des modifications apportées par les récents textes portant réforme territoriale et des nouvelles répartitions de compétences, il comprend également de nombreuses dispositions renforçant les missions et la représentation du Conseil national de la montagne ou des comités de massif.

Le titre II traite plus spécifiquement des soutiens à l’emploi et au dynamisme économique. Parmi eux, le numérique et la téléphonie mobile tiennent une place centrale, en raison de leur omniprésence dans nos pratiques individuelles et de leur rôle crucial dans le développement économique local.

M. Laurent Wauquiez. C’est bien de le reconnaître !

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Ces problèmes se posent avec une acuité plus grande encore en zone de montagne.

Ce titre II comporte également de véritables avancées concernant le travail saisonnier et la pluriactivité. Il permet ainsi une meilleure prise en compte de la saisonnalité de l’activité économique et des besoins qui en découlent, en termes de formation professionnelle ou d’accès aux services publics. Il prévoit notamment l’expérimentation d’un dispositif d’activité partielle pour les agents contractuels saisonniers de régie. Cette disposition vise à mieux sécuriser leurs parcours professionnels et répond à une demande des régies dans les stations de ski.

Enfin, et c’est une avancée notable, plusieurs mesures concernent le logement des travailleurs saisonniers. Chaque année, des drames viennent nous rappeler leurs conditions de vie parfois indignes. Nous nous devions de leur apporter une réponse adaptée. Celle-ci passera par la mobilisation de logements vacants par les bailleurs sociaux, afin de les attribuer en intermédiation locative, et par la mise en place de plans d’action concertés entre les communes et les acteurs locaux du logement.

Favoriser le développement économique des massifs implique aussi d’encourager deux secteurs vitaux : l’agriculture et le tourisme. S’agissant du second, je veux citer la dérogation au transfert de compétence « Promotion du tourisme », pour les communes classées « station de tourisme ».

M. Laurent Wauquiez. Merci !

M. Jean-Michel Baylet, ministre. La perspective de ce transfert automatique aux EPCI, au plus tard au 1er  janvier 2017, tel que prévu par la loi NOTRe, a suscité l’opposition de certaines communes, attachées à leur notoriété et à leur identité propre. Nous les avons entendues. L’article 18 vient donc apporter une souplesse, en permettant aux communes stations classées de tourisme, ou en cours de classement, de conserver cette compétence, sous réserve d’une délibération adoptée par le conseil municipal avant le 1er  janvier 2017. J’ajoute néanmoins que celles qui n’obtiendraient pas ce label perdront le bénéfice de la mesure et rebasculeront, tout naturellement, dans le droit commun.

Au titre III, le texte aborde la question centrale de la réhabilitation de l’immobilier de loisir. Nous poursuivons ainsi l’objectif de lutter contre le phénomène dit des « lits froids », c’est-à-dire durablement inoccupés, dont nous constatons qu’il s’est fortement développé ces dernières années.

Le texte vise aussi à assouplir le dispositif des opérations de réhabilitation de l’immobilier de loisir, les ORIL, en ouvrant le bénéfice des aides des collectivités aux propriétaires qui s’engagent à louer par eux-mêmes leur logement. Cette mesure sera complétée par la réorientation du dispositif fiscal Censi-Bouvard en direction de la réhabilitation des résidences de tourisme, telle que prévue dans le projet de loi de finances pour 2017.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Très bien !

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Madame la présidente de la commission, mesdames et messieurs les députés, l’important travail mené en commission a permis un réel enrichissement du texte – et je m’en réjouis. Je rappelle qu’il a vu l’adoption de 160 amendements, et je note que beaucoup l’ont été avec un avis favorable du Gouvernement, conformément à l’état d’esprit avec lequel j’ai voulu aborder ce débat. Parmi les modifications apportées, vous avez entendu préciser les différents domaines dans lesquels les spécificités de la montagne doivent être prises en considération dans la conduite des politiques publiques. Vous avez également voulu que ces espaces soient reconnus comme source d’aménités. Des sujets cruciaux comme ceux de la santé ou de l’éducation ont ainsi été mieux pris en compte qu’ils ne l’étaient dans le texte initial. Une reconnaissance renforcée de l’agriculture de montagne, et des soutiens qui lui sont nécessaires, trouvent également leur place dans le projet enrichi.

En commission, toujours, vous avez accordé à la Corse, chère à M. Paul Giacobbi, le statut d’ « île-montagne », reconnaissant ainsi la particularité de ce magnifique territoire.

M. Paul Giacobbi. Vous la connaissez bien, monsieur le ministre !

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Je m’y étais d’ailleurs engagé auprès des élus corses, qui m’avaient convaincu lors de mon récent déplacement dans l’île. D’autres s’y sont également rendus, comme le président de l’Association nationale des élus de montagne, l’ANEM.

Vous avez aussi élargi à l’ensemble des communes touristiques les dispositions relatives aux plans d’action locaux en faveur du logement des travailleurs saisonniers.

Enfin, une attention particulière a été réservée aux activités nordiques par une reconnaissance de leur association nationale et une définition élargie de leur champ d’activité.

Ces différents exemples montrent bien la richesse et l’intensité de nos échanges, et j’ai tenu personnellement à participer à l’intégralité des travaux en commission des affaires économiques, dans un esprit d’écoute et d’ouverture. Je crois donc avoir démontré, lors de cet examen, ma volonté et celle du Gouvernement d’avancer de manière pragmatique, sans éluder certaines divergences, mais en œuvrant toujours pour les dépasser et en cherchant à les transformer en convergences. Nous avons ainsi poursuivi la démarche de co-contruction qui est, depuis le début, l’un des marqueurs de ce texte.

Ainsi, certains amendements ont été retirés en commission, avec l’engagement qu’ils seraient retravaillés avec les ministères concernés et les trois rapporteures. La période qui a suivi l’adoption du texte en commission a donc vu d’importants échanges interministériels. Je pense en particulier aux dispositions relevant de l’éducation nationale – relatives aux écoles situées dans les zones de montagne –, de l’agriculture – nous avons beaucoup travaillé avec Stéphane Le Foll –, du logement ou des affaires sociales.

Je tiens à rendre un hommage appuyé aux deux rapporteures, Annie Genevard et Bernadette Laclais, pour l’immense travail qu’elles ont réalisé et qu’elles continuent d’accomplir, avec opiniâtreté. (Applaudissements sur tous les bancs.) C’est beau comme l’antique que de voir la majorité et l’opposition travailler main dans la main ! Je n’en dirai pas plus dans la période actuelle. (Sourires.) Vous connaissez ma vision des choses et ma pensée en la matière.

J’ai pu compter sur leur implication de tous les instants et apprécier l’extrême attention qu’elles déploient pour trouver des points d’accord. Je sais qu’elles auront à cœur de poursuivre le travail dans ce même état esprit. J’associe bien évidemment à mes remerciements la présidente de la commission des affaires économiques, Frédérique Massat, qui s’est remarquablement mobilisée, y compris pour que nous terminions dans des délais raisonnables. Je remercie enfin la rapporteure pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, Béatrice Santais.

J’aborde pour ma part cette séance dans les dispositions et avec la méthode qui sont les miennes depuis février. J’y demeurerai donc fidèle dans les prochains jours, car j’estime que les enjeux auxquels sont confrontées les zones de montagne doivent nous conduire à transcender les clivages partisans. Je remercie celles et ceux qui ont œuvré en ce sens.

Sur la question du numérique, tout d’abord, quelques compléments ont déjà été apportés au texte initial. Mais, dans ce domaine, je souhaite que l’examen en séance nous permette d’aller plus loin, dans une véritable logique d’aménagement du territoire, car le numérique en est aujourd’hui devenu une des composantes centrales.

Le projet de loi prévoit, ensuite, une disposition qui permet, sans toutefois la rendre obligatoire, la création dans les parcs nationaux et les parcs naturels régionaux de montagne d’espaces visant à préserver les espèces végétales et animales. Sur ce sujet également, la discussion en commission a fait évoluer la rédaction initiale, sans toutefois parvenir à un consensus. Nous devrons donc y revenir en séance, mais j’ai cru comprendre que nous n’en étions pas loin.

Enfin, l’examen en commission ne nous a pas permis d’arriver à un accord sur la réforme des unités touristiques nouvelles – UTN. Un amendement des rapporteures a néanmoins déjà permis de simplifier cette procédure, et je les en remercie. Je rappelle qu’il s’agit d’une revendication forte des deux auteures du rapport pour un acte II de la loi montagne. À la demande de nombreux élus, en particulier du président de l’Association nationale des élus de montagne, j’ai donc interrompu le processus de rédaction d’ordonnances pour inscrire cette réforme dans le projet de loi et, ce faisant, approfondir la concertation avec Mme la présidente de la commission et Mmes les rapporteures.

Notre objectif est bien de soutenir les élus et de leur donner les moyens d’avoir une vision plus globale des projets d’aménagement, tout en conservant la souplesse nécessaire pour permettre de mener à bien de nouvelles opérations dans des délais raisonnables. Ces derniers jours, nous avons beaucoup échangé et beaucoup œuvré avec les rapporteures et avec les services pour rapprocher les positions de chacun. L’amendement que le Gouvernement soumettra à votre examen est le fruit de ce travail. J’ai la conviction qu’il est de nature à emporter l’adhésion sur tous les bancs.

Mesdames et messieurs les députés, le texte reste fidèle, en tous points, à l’équilibre général que nous avions trouvé lors de son élaboration. Les discussions en commission, je le répète, ont permis bien des avancées – j’en ai évoqué certaines. Les points d’achoppement ne concernent, à ce stade, que quelques sujets, que chacun identifie parfaitement. Le débat qui s’ouvre va devoir les trancher. En commission, j’ai déjà eu l’occasion de faire des propositions pour rapprocher les positions. Plusieurs amendements en séance constituent un pas supplémentaire.

En conclusion, je souhaite que chacun sur ces bancs puisse prendre ses responsabilités pour s’accorder sur des solutions raisonnables, satisfaisantes et utiles, ce qui permettrait l’adoption du texte par la majorité la plus large possible – c’était notre objectif au début de nos discussions sur la loi Montagne. Espérons que cela soit le cas, pour le meilleur intérêt de la montagne et des 10 millions de Français qui y vivent. (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. le président. La parole est à Mme Bernadette Laclais, rapporteure de la commission des affaires économiques.

Mme Bernadette Laclais, rapporteure de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, madame la co-rapporteure, chère Annie Genevard, madame la rapporteure pour avis, chère Béatrice Santais, chers collègues, à nouveau, et après trente ans déjà, le Parlement va débattre des territoires de montagne et mettre à l’honneur leurs habitants. Je veux dire à cette tribune combien l’ouverture de cette discussion est émouvante pour tous ceux qui vivent en montagne et pour tous ceux – ils sont nombreux dans notre pays et dans le monde entier – qui aiment ces territoires.

Territoire singulier, la montagne est une terre de contrastes, et peut-être vaudrait-il mieux, d’ailleurs, parler « des montagnes », plutôt que de « la montagne », qui est un terme générique désignant une seule situation. Il est vrai que nos massifs de métropole et d’outre-mer sont divers par leur topographie et leurs paysages, leurs coutumes et leur histoire. Cette diversité est une richesse extraordinaire pour notre pays. Mais, par-delà cette diversité, existent des traits d’union qui rassemblent ces territoires autour de problèmes communs et autour de conditions de vie partagées par les montagnards de tous les massifs de France : la pente, le climat, les difficultés d’accès sont des points communs à tous nos massifs.

Longtemps, en effet, les montagnes sont restées des territoires à la marge de notre pays, des contrées isolées, habitées par des populations pauvres, qui ont été bien souvent incomprises, parfois méprisées. Montagnes, pays de misère, périphéries d’une France en développement : telle est, il est vrai, une part de l’histoire de ces territoires. Mais ce n’est qu’une part de leur histoire – j’insiste sur ce point. Il y a aussi une contribution essentielle des territoires de montagne au rayonnement politique, culturel, scientifique et technique de la France, car les montagnes de France sont aussi des terres de liens, historiquement tournées vers l’ailleurs, des points de passage pour le commerce et des lieux stratégiques pour la défense de notre pays. Les montagnes de France ont été et sont encore des lieux de refuge pour des populations traquées, des terres de solitude pour des ermites et des lieux de cachette pour des semeurs de libertés. Protestants des Cévennes, Vaudois du Briançonnais, relégués du maquis corse, esclaves en fuite de la Martinique, résistants du maquis du Vercors, moines chartreux : tous ont trouvé dans les montagnes un lieu d’accueil, un havre de paix provisoire, un espace entre terre et ciel, lieu de possibles pour la rencontre d’un absolu. Les montagnes de l’Hexagone et d’outre-mer ont été des terres de liberté, de résistance et d’espérance, mais aussi des lieux d’intelligence, d’intense création et d’innovation, facteurs de développement et de prospérité pour l’ensemble de notre pays.

Terre fertile pour l’imagination et la création, la montagne a été et reste encore aujourd’hui une source d’inspiration. Ces territoires sont non seulement des lieux sublimés et des ressources pour le rêve, mais aussi des terres d’innovations scientifiques et techniques. À la suite de scientifiques de talent, tels Pascal ou Dolomieu, des aménageurs et des industriels ont su exploiter le génie des lieux, jouant des contraintes de l’espace et de la force générée par la verticalité. Ils ont creusé des tunnels, ouvert des cols et établi des ponts pour favoriser les liens et développer le commerce. Mais c’est encore l’hydroélectricité, la houille blanche, qui, au seuil du XXème siècle, a fait de la chute naturelle des torrents une force pour faire tourner les machines et éclairer les villes.

Les montagnes, enfin, ont été une terre d’ambition pour une France en recherche de symboles politiques pour la nation. Utiles conquêtes que celles réalisées par toute une génération d’alpinistes français : Herzog, Terray et Lachenal. Ces noms raisonnent encore sur les cimes enneigées des massifs alpins, andins ou himalayens. Ils ont porté haut le succès de la France.

Voilà, brossée à grands traits, un peu de l’histoire de ces territoires. Que dire des changements récents qu’ont connus les montagnes ? Et comment exprimer les défis qui s’imposent à elles aujourd’hui ?

Les dernières décennies ont été marquées par une phase d’intense développement, qui a notamment conduit à la construction des grands barrages, puis des stations de sports d’hivers. Les montagnes ont été aménagées pour fournir le pays en énergie et pour accueillir de nombreux touristes venus découvrir le ski. Bien sûr, ce développement a été et reste une fierté pour ces territoires et une source de richesse pour notre économie nationale. Mais il faut aussi savoir regarder ce modèle économique avec du recul et le replacer dans un contexte plus global. Ce contexte, c’est celui de toutes les montagnes de métropole et d’outre-mer. Ce focus plus large permet d’apprécier toutes les implications de ce développement sur le plan politique, économique, social et environnemental.

Pour définir ce modèle de développement, il faut remonter à sa source, celle qui fait de la pratique du ski moins un sport qu’un loisir de masse. Faire du ski comme on va à la mer, c’est bien cela qui est à la base de la construction de nos stations de sports d’hiver. La montagne devient donc un lieu de villégiature pour le grand public, qui l’habite sur un espace-temps très limité : celui des vacances d’une semaine au cours de la saison d’hiver.

D’emblée, on mesure l’écueil que présente cette approche de la montagne : elle se fonde sur une vision que l’on pourrait qualifier de consumériste, de surcroît souvent construite sans grande concertation avec les élus locaux. En effet, ce développement a d’abord été conduit par l’État. Les collectivités locales, et par là même les montagnards qu’elles représentent, ont souvent été exclues du fameux « plan neige », ce qui a induit chez bien des habitants un sentiment de dépossession, sentiment renforcé par la rupture que ces aménagements ont provoquée dans les paysages, mais aussi avec les traditions et les coutumes qui faisaient en montagne la cohésion des villages.

Mais ce qui est plus contestable encore, c’est que cette vision de la montagne s’est traduite par l’émergence d’inégalités pour ces territoires et les populations montagnardes. Les stations de ski ne résument pas toutes les problématiques de la montagne. Je veux le dire avec force, les stations ne doivent pas épuiser tous les sujets montagnards ; elles ne concernent en réalité qu’une partie du territoire de nos montagnes, quand bien même, et il faut le s’en réjouir, elles génèrent de gros chiffres d’affaires, des emplois et de la médiatisation.

De ce sentiment de dépossession, du souci écologique et de la volonté de permettre un développement de tous les espaces montagnards, est né le premier acte de la loi montagne adoptée en 1985 et articulée autour des notions d’équilibre entre préservation et développement et le concept d’auto-développement. Cette loi a été votée par tous les partis politiques. Ce consensus n’a pourtant pas été fait au prix d’un mauvais compromis : la loi montagne reflétait une vision engagée de ces espaces et proposait un vrai projet pour ses habitants. Ce consensus et cet engagement ont été une réussite. Ils ont permis à la montagne d’équilibrer son développement : les handicaps naturels de ces territoires ont été compensés, ce qui a permis aux montagnards de rester au pays. L’agriculture de montagne a su se diriger vers des productions de qualité. Les élus locaux ont pris leurs responsabilités et des parcs naturels régionaux ont permis la préservation de sites d’une extraordinaire qualité environnementale.

Bien sûr, des problèmes existent encore en montagne comme ailleurs ; certains n’ont pas été résolus par la loi, d’autres sont apparus plus récemment. La montagne est aujourd’hui confrontée à des défis nouveaux que nous devons identifier pour y répondre avec autant de force.

Le premier défi est encore et toujours celui de l’égalité, et cette question doit être entendue au moins sous deux de ses aspects. Le premier est celui de l’égalité entre les territoires de montagne et le reste du pays. Il est encore aujourd’hui, dans nos montagnes, des terres isolées, des zones blanches, où les réseaux de téléphonie mobile ne sont pas installés. Il existe aussi une montagne des fonds de vallée qui connaît la désindustrialisation. Il y a, enfin, des villages de piémont qui voient les services publics se raréfier et rencontrent des difficultés à maintenir les écoles ou à attirer les professions libérales médicales en raison des temps de parcours longs et difficiles pour les enfants, les patients et les professionnels.

Le second aspect est celui de l’égalité sociale, notamment s’agissant des saisonniers, qui restent des travailleurs précaires et dont les conditions de logement sont encore trop souvent indécentes. Chaque année, nos communes de montagne sont le théâtre de drames. Cela est inadmissible.

Le deuxième défi est celui de l’aménagement de nos montagnes. Plus que jamais, le développement économique de la montagne doit être pensé, étudié en profondeur et planifié au niveau des intercommunalités. Nos espaces naturels sont trop sensibles pour que nous continuions à procéder au coup par coup, au gré des projets.

Il convient aussi d’améliorer les structures des logements touristiques existants en les rénovant et en les redimensionnant pour répondre aux exigences des demandes touristiques nouvelles, et ainsi rester attractif sur un marché désormais mondialisé.

Cette question de l’attractivité de nos massifs ne doit pas se focaliser sur la seule procédure des UTN, même si, je le dis très clairement ici, nous devons être attentifs aux messages des porteurs de projets quant à la nécessité de réactivité des autorisations et documents d’urbanisme, afin de ne pas décourager les investissements dont nous avons besoin dans un domaine où la concurrence est très forte.

M. Joël Giraud. Très bien.

Mme Bernadette Laclais, rapporteure. L’attractivité de nos territoires de montagne doit également être pensée au travers de la gestion qualitative des forêts, du développement des filières agricoles reconnues pour leur production et du redéploiement du tourisme sur les quatre saisons, de la desserte numérique et de la qualité et de la sécurité des accès.

Le troisième défi est tout autant patrimonial qu’écologique. Le réchauffement climatique, plus sensible encore dans les territoires fragiles comme la montagne, et la protection de la biodiversité et des sites naturels doivent être des priorités. Toutefois, cette question ne doit pas se réduire à une politique de sanctuarisation. Ce serait une contre-vérité, car les paysages de montagne que nous aimons ont été façonnés par les hommes au fil des siècles. Il me semble que la question est avant tout d’ordre patrimonial, et doit donc être posée en termes d’authenticité.

Une nouvelle page de l’histoire de la montagne doit désormais s’écrire à l’aune de ces enjeux. C’est pourquoi ma collègue Annie Genevard, que je tiens à remercier, car il n’est pas toujours évident de travailler en bonne coordination et en bonne entente avec des collègues de l’opposition (Sourires), et moi-même avons rédigé ensemble, à la demande du Premier ministre, en 2015, un rapport visant à faire le bilan des trente années écoulées depuis l’entrée en vigueur de la précédente loi. Nous avons également fait une centaine de propositions dans une logique de volonté et de détermination. Bien que le bilan ait été reconnu positif par tous nos interlocuteurs, nous souhaitions adapter ce texte aux enjeux d’aujourd’hui et savoir tirer les enseignements des difficultés d’application des mesures audacieuses de l’époque sans les dénaturer.

Je ne reviendrai pas sur les propos du ministre. Je tiens simplement à le remercier très chaleureusement pour sa disponibilité et sa volonté de co-construire le texte avec les rapporteurs. Je tiens aussi à remercier les ministres qui ont bien voulu anticiper ou adopter parallèlement les dispositions de la feuille de route du Premier ministre du 25 septembre 2015. Je pense au décret dit GAEC, relatif aux groupements agricoles d’exploitation en commun, aux avancées de la loi travail pour les saisonniers, à celles du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 pour la tant attendue caisse pivot ou à celles du projet de loi de finances pour 2017 sur la réorientation du Censi-Bouvard. Comme pour la rédaction du rapport, il a été décidé de réaliser le travail législatif de manière consensuelle et transpartisane : c’est dans cet esprit qu’Annie Genevard et moi-même avons été nommées co-rapporteures de ce texte. Je salue également Béatrice Santais, rapporteure savoyarde, et Frédérique Massat, qui connaît parfaitement le sujet.

Tels sont les propos que je voulais tenir devant vous au moment où nous ouvrons le débat en séance publique. L’histoire des montagnes que j’ai déroulée devant vous, un peu à gros traits, je l’avoue, a mis en lumière un récit fait de contrastes, mais surtout en mouvement. La montagne est un lieu habité, elle est un lieu de vie, qui se réinvente chaque jour. C’est bien un peu de l’imaginaire de la montagne de demain que nous allons peut-être alimenter dans cette assemblée. Comment ne pas rappeler que la capacité d’imaginer préside à l’esprit et à la force d’une cordée ? « Souvent une ascension est née d’un rêve, d’une exaltation, d’un désir spontané, parfois irraisonné : un joli nom, une forme, une histoire, un souvenir et nous voilà à l’ancre d’un sommet. » Puissions-nous, à la suite de Gaston Rebuffat, mener à bien notre travail et conduire nos débats jusqu’au sommet. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

M. le président. La parole est à Mme Annie Genevard, rapporteure de la commission des affaires économiques.

Mme Annie Genevard, rapporteure de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires économiques, madame la co-rapporteure, madame la rapporteure pour avis, mes chers collègues, les lois votées à l’unanimité sont fort rares dans cette enceinte.

M. Paul Giacobbi. Heureusement !

Mme Annie Genevard, rapporteure. Il y en eut pourtant une en particulier, il y a trente ans, portée avec toute l’énergie dont les montagnards sont capables. Cet événement législatif allait inspirer une façon de faire dont vous ne retrouverez pas mention dans le règlement de notre assemblée, mais à l’efficacité redoutable : quand le sujet concerne la montagne, les appartenances politiques s’organisent pour faire avancer sa juste cause. Cela agace parfois, mais fonctionne presque toujours.

C’est en tout cas en vertu de cet état d’esprit, auquel il a été sensible à Chambéry, que le Premier ministre a décidé de confier une mission sur l’acte II de la loi Montagne de 1985 à un duo politiquement mixte, Bernadette Laclais et moi-même, dont une large part des préconisations a été reprise dans le texte que nous examinons aujourd’hui. Beaucoup doutaient que dans des délais aussi courts, nous parvenions à un texte. Je crois que la bonne volonté de chacun y a pourvu.

Deux originalités méritent d’être soulignées. La première est que le texte du Gouvernement a été coécrit avec le Conseil national de la montagne – je tiens à saluer le président de sa commission permanente, Joël Giraud –, l’Association nationale des élus de la montagne – dont je salue le président, Laurent Wauquiez, et la secrétaire générale, Marie-Noëlle Battistel – et sur la base du rapport remis au Premier ministre par vos deux rapporteures.

La seconde est la désignation de deux rapporteurs, l’un de la majorité, l’autre de l’opposition, pour l’examen de ce texte. C’est la première fois de mémoire de cette assemblée qu’un tel fonctionnement est adopté.

Mme Frédérique Massat, présidente de la commission des affaires économiques. Tout à fait.

Mme Annie Genevard, rapporteure. Dans une maison dont le fonctionnement politique est habitué à l’affrontement des points de vue, la chose ne va pas de soi et a suscité dans chacun de nos groupes, bien qu’ils aient validé la démarche, des interrogations sur cet attelage inédit. Merci, monsieur le ministre. Vous dire que c’est chose facile serait mentir, car il demeure des sujets sur lesquels les sensibilités respectives ne sont pas parvenues à s’accorder. Y parviendront-elles ? Je ne peux le dire. Je l’espère. En tout cas, la discussion permettra de mettre les sujets en débat.

Le texte comprend vingt-cinq articles organisés en cinq titres : la reconnaissance des spécificités de la montagne ; des dispositions qui encouragent le développement économique, social et environnemental de la montagne ; des dispositions visant à réhabiliter l’immobilier de loisir ; les politiques environnementales dans les parcs ; diverses dispositions.

Permettez-moi une incise sur le premier titre : notre surprise fut grande, à Bernadette Laclais et à moi-même, lors des auditions que nous avons menées dans le cadre de la mission confiée par le Premier ministre. La plupart des administrations sollicitées avaient en effet presque totalement perdu de vue la spécificité de la montagne, à l’exception peut-être de l’agriculture, pour des raisons évidentes : la montagne est un territoire d’élevage et de productions agricoles souvent de renom. Toutes les autres nous objectaient ruralité ou dispositifs communs. Or l’intuition magnifique, qui a prévalu il y a trente ans et qui s’était progressivement estompée, était que la montagne avait des contraintes, une spécificité et une culture propres qui justifiaient qu’on lui consacrât une loi.

C’était l’idée socle de la loi de 1985. Cette évidence s’est perdue dans le temps, et c’est la vocation de cette loi de la rappeler et de lui donner un caractère plus opérationnel – je pense en particulier à la question de l’adaptabilité des normes. C’est ce qui est rappelé dans l’article 3 : non seulement les dispositions de portée générale, mais aussi les politiques publiques et leurs applications, sont adaptées à la spécificité de la montagne. Le texte ne réduit pas l’ambition de 1985 : tout au contraire, il lui donne la chance d’être appliquée.

Compenser le handicap est une question d’équité. Toutefois, la loi de 2016 veut accompagner la compensation, idée toujours pertinente, de la reconnaissance de ce que la montagne apporte à la nation, ce que l’on appelle les aménités. Le terme figure désormais dans l’article 1er. C’est une des innovations de la loi. Encore faut-il, monsieur le ministre, qu’elle trouve une application dans la loi de finances et les dotations. C’est d’ailleurs l’avis de Christine Pires Beaune, qui a piloté la mission de réforme de la dotation globale de fonctionnement, et qui reconnaît que cette dernière, je la cite, « devra être plus ambitieuse pour les communes de montagne ». Nous souscrivons parfaitement à ce constat.

L’accord s’est opéré sur la quasi-totalité des vingt-cinq articles que nous avons examinés en commission et qui ont été grandement améliorés par les amendements de nos collègues ou de vos rapporteures. Cela a permis de donner de la densité au texte, qui en manquait sur certains sujets. Je pense en particulier aux domaines très attendus de l’école, du numérique ou de l’agriculture. Il reste toutefois du chemin à parcourir pour approfondir le texte : je pense en particulier à la santé, à l’agriculture encore ou à l’urbanisme.

C’est ainsi que nous avons pu faire entrer dans le texte, ou que nous allons vous proposer en séance, des amendements sur des dispositions attendues de tous bords : sur l’école, pour que soit enfin reconnue une organisation scolaire qui tienne compte des conditions climatiques et de pente ainsi que de la dispersion de l’habitat ; sur le numérique, sujet tellement sensible, sur lequel nous ne pouvons plus nous contenter de l’indifférence ou de l’impuissance commodément avancée des opérateurs ; sur l’agriculture, pour laquelle des amendements en séance, en sus de ceux de la commission, redonneront à ce domaine stratégique le rang qu’il mérite ; sur le tourisme, enfin, avec l’avancée indéniable du retour de la compétence office de tourisme dans les stations classées, qu’il convient de saluer, monsieur le ministre,…

M. Charles-Ange Ginesy. Parfait ! Merci !

Mme Annie Genevard, rapporteure. …avec l’assouplissement du dispositif ORIL, ou l’orientation vers la réhabilitation du Censi-Bouvard. Les stations, cher Charles-Ange Ginesy, auront matière à impulser des opérations de réhabilitation, dont notre patrimoine touristique immobilier a tant besoin si notre pays veut garder la place éminente qui est la sienne et qui est aujourd’hui âprement disputée.

M. Charles-Ange Ginesy. C’est vrai !

M. Éric Ciotti. Très pertinent !

Mme Annie Genevard, rapporteure. Ne nous le cachons pas : il reste un point dur, celui de l’urbanisme, à l’article 19, qui vise à modifier la procédure des unités touristiques nouvelles en substituant aux anciennes catégories deux nouvelles – les UTN structurantes et les UTN locales. Leur définition en est élargie et porte sur toute opération de développement touristique en montagne et contribuant aux performances socio-économiques de l’espace montagnard. Elles doivent prendre en compte la vulnérabilité de l’espace montagnard et faire l’objet d’études spécifiques quand elles sont situées en discontinuité de l’urbanisation. En cas d’absence de document de planification, la disposition dérogatoire d’autorisation administrative demeure.

Le travail en commission a tenté d’apporter des réponses à une difficulté sur laquelle, je crois, tout le monde tombe d’accord. Comment concilier le temps long de la planification avec le temps rapide des projets touristiques, cher Martial Saddier, qui sont indispensables à l’équilibre économique de la montagne et aux populations qui y travaillent et y vivent ? Comment concilier les procédures complexes dont la France s’est fait la championne avec l’encouragement des porteurs de projets, qui pourraient se détourner non seulement de nos massifs mais même de notre pays pour investir ? Comment leur demander de prévoir des années à l’avance leurs investissements ? Il faut de la souplesse et de la réactivité. C’est ce que permettait le dispositif actuel, dont beaucoup ne comprennent pas l’abandon. Il fonctionnait sans porter préjudice au respect du milieu naturel, qui doit naturellement continuer d’inspirer notre travail.

M. Laurent Wauquiez. Bien dit !

M. Martial Saddier. Parfaitement résumé !

Mme Annie Genevard, rapporteure. Je sais que ce sujet préoccupe au plus haut point certains de nos collègues très concernés, qui y reviendront, ainsi que les acteurs du tourisme dont la voix est, elle aussi, légitime. Du reste, madame la présidente de la commission, c’est bien dans la commission des affaires économiques que le texte a été examiné au fond, ce qui en précise bien une des vocations majeures.

M. Martial Saddier. Vous avez raison de le rappeler, madame la rapporteure.

Mme Annie Genevard, rapporteure. Le ministre, à notre demande réitérée, a fait des propositions pour garantir les délais qui seront mentionnés dans la loi et accélérer les procédures, en vue de prendre en compte les projets qui ne seraient pas prévus dans la planification. Ces propositions constituent des avancées – je veux l’en remercier. Cela sera-t-il suffisant pour lever les fermes oppositions qui se sont exprimées ? Je ne puis l’affirmer à ce stade, tout en formant le souhait que le débat nous permette de progresser vers une solution raisonnable et consentie. Chacun pressent que le sort de ce texte est lié à ce point crucial. 

Je conclurai mon propos en empruntant à Winston Churchill cette citation : « Agissez comme s’il était impossible d’échouer. » Nous avons collectivement le devoir de réussir, non pour faire triompher tel ou tel camp, puisque la cause est partagée, mais pour ne pas trahir les précurseurs, qui ont su trouver les voies étroites, comme le sont parfois celles de l’ascension d’une paroi rocheuse périlleuse : les voies étroites d’une loi fondatrice. Le texte que nous allons examiner, et améliorer, je n’en doute pas, est une nouvelle page que nous écrivons pour la montagne. Je forme le vœu que nos successeurs parlent de cette loi, de notre loi, avec la même reconnaissance que celle que nous témoignons à son illustre aînée. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

M. le président. La parole est à Mme Béatrice Santais, rapporteure pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

Mme Béatrice Santais, rapporteure pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires économiques, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, le projet de loi soumis à notre discussion aujourd’hui s’inscrit dans le prolongement de la loi Montagne de 1985. Cette loi, adoptée à l’unanimité, était la marque d’une volonté et d’une solidarité de la nation pour fixer les bases d’une politique digne d’une montagne que l’on veut vivante, c’est-à-dire « productive et accueillante », comme l’écrivait alors Louis Besson, et permettre une harmonieuse conciliation des impératifs de protection et de développement. Cette loi avait marqué un tournant majeur pour la reconnaissance des contraintes spécifiques des territoires de montagne et de leurs atouts considérables, qu’il convenait de mieux valoriser. Elle a participé à une réelle renaissance de ces territoires, dans toutes leurs spécificités, dès le début des années 1990.

Si les élus de la montagne sont tous très attachés à cette loi de 1985, ils sont aussi conscients que ce texte mérite aujourd’hui d’être adapté aux évolutions administratives, qui voient l’émergence de régions et d’intercommunalités fortes, et aux évolutions économiques, sociales et surtout environnementales de ce début de XXIsiècle. Il apparaît aujourd’hui nécessaire de faire progresser les dispositions en vigueur pour permettre un nouveau développement durable de la montagne.

Je souhaite saluer le travail mené par Bernadette Laclais et Annie Genevard. À travers leur rapport de 2015 sur l’acte II de la loi Montagne, nos deux collègues ont très précisément cerné toutes les transformations de nos territoires, en particulier celles qui nécessitent une évolution législative. Leur détermination a été reconnue par tous et a permis d’engager l’élaboration de ce projet de loi, qui a fait l’objet d’un long travail préparatoire et d’une co-construction voulue par le Gouvernement, en concertation avec tous les partenaires et acteurs de la montagne. Merci, monsieur le ministre, pour le réel dialogue que vous avez favorisé.

Les travaux en commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, saisie pour avis sur le projet de loi, ont légitimement permis d’apporter un éclairage spécifique sur certaines questions et d’enrichir le texte. Un grand nombre de ces apports ont ensuite été confirmés en commission des affaires économiques, et je remercie les rapporteures et la présidente de la commission saisie au fond pour la très bonne coordination de nos travaux.

Parmi les amendements qui n’ont pas été retenus, je souligne dès à présent que j’ai souhaité déposer à nouveau les amendements visant à interdire l’embarquement de passagers par aéronef à des fins de loisirs en zone de montagne. La dépose est déjà interdite depuis près de quarante ans : il est désormais temps de mettre à jour les textes, compte tenu de l’évolution des pratiques.

Les amendements adoptés en commission du développement durable et de l’aménagement du territoire ont permis de préciser certains éléments et de tenir compte des remarques formulées par les acteurs et l’ensemble des élus.

S’agissant en particulier de la question de l’eau, la commission du développement durable a adopté des amendements permettant de mentionner les ressources aquatiques à l’article 1er, de prévoir la prise en compte des schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux – SDAGE – dans le schéma interrégional d’aménagement et de développement de massif, et de prévoir que ces schémas comprennent un volet transversal consacré à l’eau.

La préservation du patrimoine naturel a été ajoutée dans les finalités de la politique de l’État, dès l’article 1er.

En matière de gouvernance, les parlementaires seront présents au sein des comités de massif. Nous avions également souhaité que les associations de protection de l’environnement et les fédérations agréées soient explicitement citées dans la composition du Conseil national de la montagne, le CNM.

Le champ de l’article 3, qui modifie le fameux article 8 de la loi Montagne de 1985 sur l’adaptation des normes aux spécificités de la montagne, a été renforcé et étendu aux dispositions de portée générale et aux décisions d’application des politiques publiques. Espérons qu’il trouve ainsi davantage à s’appliquer !

Nous avons également souhaité assortir les autorisations d’urbanisme délivrées pour la réalisation d’UTN d’une obligation de démantèlement à la cessation de l’activité. Nous avons proposé d’élargir les évaluations environnementales au thème du changement climatique et d’étendre les possibilités de condamner un propriétaire à la destruction des constructions irrégulières en zone de montagne, à l’initiative du président Jean-Paul Chanteguet.

À l’article 23, j’ai souhaité revoir le dispositif de zones spécifiques dans les parcs naturels régionaux, qui ne seraient plus des zones de tranquillité mais des zones de conciliation des différents usages, car nous ne pouvons y développer le même type d’encadrement que dans les parcs nationaux. Le président Chanteguet propose d’améliorer encore la rédaction de cet article, et je soutiendrai son amendement.

Pour conclure, je tiens à souligner que l’état d’esprit qui a présidé à nos travaux était celui d’un débat constructif. L’article 1er a été renforcé, à l’initiative de l’opposition, en particulier de M. Saddier, sur les questions de développement des grappes d’entreprises et de prise en compte des préoccupations transfrontalières.

M. Martial Saddier. Merci de l’avoir rappelé, madame la rapporteure pour avis !

Mme Béatrice Santais, rapporteure pour avis. L’article 3 mentionnera les politiques en matière d’agriculture et d’environnement. Le champ des articles 9 et 18 a également été précisé par des amendements portés, en particulier, par M. Ginesy.

En matière de santé, d’enseignement, de secours aux personnes et de mutualisation des réseaux d’initiative publique, notre commission du développement durable a adopté des amendements sur lesquels les discussions se sont poursuivies et se poursuivent peut-être encore avec le Gouvernement, en particulier avec vous, monsieur le ministre.

Ne doutant pas que nos travaux se dérouleront dans le même esprit de consensus que celui qui a prévalu en commission, mais surtout que celui qui a prévalu il y a un peu plus de trente ans, je souhaite que ce texte porte une belle et nouvelle ambition montagnarde. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires économiques.

M. Laurent Wauquiez. Ma présidente préférée ! (Sourires.)

Mme Frédérique Massat, présidente de la commission des affaires économiques. Comme vous le disiez tout à l’heure, mesdames les rapporteures, c’est avec beaucoup d’émotion que nous, parlementaires de la montagne, travaillons aujourd’hui à l’actualisation de la loi Montagne trente et un an après sa promulgation.

Merci, monsieur le ministre ! Nous en avions rêvé : vous l’avez fait. Cela fait des années que nous parlons de l’actualisation de la loi Montagne… C’était déjà le cas lorsque je n’étais pas encore parlementaire : vous voyez comme cette question a traversé les générations ! (Sourires.) Je suis fière que nous nous attelions à ce travail, collectivement, au cours de cette législature.

La montagne est un patrimoine vivant : nous le disons et nous le revendiquons. Il s’agit d’un territoire exceptionnel. Les massifs montagneux français couvrent une part importante de notre territoire national – plus du quart de celui-ci – et abritent près de 10 millions d’habitants. Autant dire que le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui concerne un grand nombre de nos concitoyens !

La montagne apporte une valeur ajoutée incontestable au territoire national et à sa population. Exposés à un relief et à des caractéristiques physiques, naturelles, culturelles ou économiques qui sont à la fois des contraintes et des atouts à valoriser, ses habitants y relèvent quotidiennement de nombreux défis. Il revient donc à l’État de protéger et de dynamiser ces massifs montagneux, dans l’intérêt de la nation et dans le cadre de sa mission de solidarité sociale et territoriale.

Montesquieu écrivait, dans L’Esprit des lois : « Les lois doivent être relatives au physique du pays, au climat […], au genre de vie des peuples, laboureurs, chasseurs ou pasteurs. » La loi du 9 janvier 1985, votée à l’unanimité, lui a donné raison : dans ce texte fondateur était reconnue pour la première fois la spécificité des territoires de montagne. Trente et un an après, il s’agit d’adapter son contenu à nos réalités actuelles. La seule mention des « services de radiodiffusion sonore ou de télévision par voie hertzienne », à l’article 16 de la loi de 1985, montre son degré d’obsolescence.

L’actualisation de la loi de 1985 est un sujet sur lequel nous avons été nombreux à nous pencher. Effectivement, dès ma prise de responsabilités au sein de l’Association nationale des élus de la montagne, j’ai plaidé en ce sens. Le 29 avril 2013, devant le Conseil national de la montagne réuni à Foix, dans l’Ariège – n’est-ce pas, monsieur Giraud ? –,…

M. Joël Giraud. Absolument ! Je me souviens qu’il pleuvait beaucoup ! (Sourires.)

Mme Frédérique Massat, présidente de la commission des affaires économiques. …j’avais proposé d’élaborer, en coproduction entre le Gouvernement et les élus, un projet d’actualisation de la loi Montagne. J’avais alors défendu la réaffirmation de la politique de la montagne, le raffermissement des institutions représentatives, l’amélioration de l’offre et de l’attractivité des territoires, le renforcement de l’accès aux services publics tels que la santé et l’éducation, l’adaptation du statut des travailleurs saisonniers aux réalités du travail en montagne, la réhabilitation de l’immobilier de loisir et, bien sûr, la couverture du territoire montagnard par le très haut débit – autant de sujet mis à l’honneur aujourd’hui dans ce projet de loi.

Comme l’a rappelé M. le ministre, ce texte est le fruit d’un travail de longue haleine, réalisé en co-construction, ce qui est effectivement une première ! Les élus de la montagne de tous bords ont travaillé à l’élaboration de ce texte, et je les en remercie.

Merci encore, monsieur le ministre, d’avoir eu la volonté politique de porter ce texte. Je remercie également le Premier ministre, Manuel Valls, et le Président de la République, qui a annoncé lui-même ce projet de loi devant le congrès de l’Association des maires de France, en juin 2016.

En 2014, lors du trentième congrès de l’ANEM – n’est-ce pas, mon cher Laurent ? –,…

M. Laurent Wauquiez. Eh oui ! J’étais assis devant vous !

Mme Frédérique Massat, présidente de la commission des affaires économiques. …le Premier ministre, Manuel Valls, s’était engagé à lancer une réflexion sur l’actualisation de la loi Montagne. Pendant des mois et des mois, nous l’avions fortement incité à emprunter cette voie… Une mission parlementaire a alors été confiée à nos deux collègues députées Annie Genevard et Bernadette Laclais, dont le rapport a largement inspiré ce nouveau projet de loi.

Le Gouvernement et la majorité parlementaire à l’Assemblée nationale ont voulu s’inscrire dans l’esprit transpartisan qui a présidé à l’élaboration de ce texte et en gouverne l’examen. C’est ainsi que Mme Genevard et Mme Laclais ont toutes deux été nommées rapporteures de ce projet de loi. Comme nous l’avons déjà dit tout à l’heure, la chose est suffisamment rare pour être soulignée… Elle n’en est pas forcément des plus aisées, pour l’une comme pour l’autre ! Je tiens à les remercier pour l’excellent travail qu’elles ont mené, ainsi que pour l’équilibre ou le consensus qu’elles ont essayé de trouver à chaque fois au sein de la majorité et de l’opposition. Je crois qu’elles y sont arrivées sur de nombreux sujets, et qu’elles y parviendront dans l’ensemble… Je leur fais totalement confiance !

La commission des affaires économiques a été saisie au fond de ce projet de loi, ce qui a évidemment du sens. Nous vous avons auditionné, monsieur le ministre, le 21 septembre dernier. Et je vous remercie une fois de plus, car vous avez tenu à être présent tout le temps de l’examen du texte par notre commission, qui a quand même duré trois jours !

M. Laurent Wauquiez. Il y a des complicités régionales ! (Sourires.)

Mme Frédérique Massat, présidente de la commission des affaires économiques. Ces quelques heures, de nuit comme de jour, ont permis à la commission d’adopter un texte déjà bien étoffé, qui est aujourd’hui présenté à notre examen en séance publique. Nous avons examiné en commission 484 amendements, dont 160, issus de tous les bancs de notre assemblée, ont déjà été adoptés. Notre texte a donc été enrichi : il compte désormais quarante articles, alors que le projet de loi déposé par le Gouvernement n’en comprenait que vingt-cinq.

Je ne reviendrai pas dans le détail sur ces amendements et sur ces avancées, qui ont été longuement exposés.

Je ne dirai que quelques mots sur l’article 1er, car il est très important et contient une disposition que nous demandions depuis de nombreuses années : « La montagne est source d’aménités patrimoniales, environnementales, économiques et sociétales. » Les grands principes de la politique de la montagne y sont réaffirmés. Les défis que représente le changement climatique et les enjeux de la reconquête de la biodiversité y sont également intégrés. Sur proposition de Mmes les rapporteures, le principe d’autodéveloppement ainsi qu’une meilleure prise en compte « des disparités démographiques et de la diversité des territoires » y ont été insérés. L’île de Beauté s’est vue reconnaître le statut d’« île-montagne ».

Je salue la qualité du travail de notre rapporteure pour avis, Béatrice Santais, notamment sur la thématique de l’eau.

Nous avons également mis l’accent sur le développement économique : des mesures favorisant le tourisme, le regroupement d’entreprises, la promotion de la recherche et de l’innovation, ainsi que l’accès aux services publics de l’école, de la santé et aux transports en montagne ont fait l’objet d’importantes discussions en commission. Un chapitre spécifique a d’ailleurs été inséré sur ce sujet. En matière d’éducation notamment, une disposition visant à faciliter l’adaptation de l’organisation scolaire aux spécificités de la montagne a été adoptée ; elle était très attendue.

Concernant la santé, les amendements déposés par nos rapporteures vont contribuer à des avancées significatives.

L’agriculture est un secteur important dans nos territoires de montagne, puisqu’elle représente 5 millions d’hectares de surface utile et 100 000 exploitations. Nous avions déjà travaillé sur ce sujet dans le cadre de la loi d’avenir pour l’agriculture, mais il fallait compléter les dispositions adoptées – ce qui a été fait –, notamment pour reconnaître les spécificités des territoires de montagne.

Le déploiement du numérique et de la téléphonie mobile a occupé nos débats et n’a pas fini de les occuper, puisque d’autres amendements portant sur ces sujets seront examinés en séance publique.

M. Laurent Wauquiez. Tout à fait !

Mme Frédérique Massat, présidente de la commission des affaires économiques. Effectivement, il s’agit d’une revendication forte et tout à fait importante des populations de nos territoires. Des avancées ont déjà été permises : je pense notamment à la clause de revoyure adoptée à l’initiative de nos rapporteures. Ces sujets sont sensibles.

Nous allons donc poursuivre le débat en séance. Il faut le dire : ce texte comporte actuellement deux sujets de blocage.

Le premier concerne l’article 19 portant sur la rénovation de la procédure applicable aux unités touristiques nouvelles. Il y a déjà eu des avancées au niveau de la commission – il faut le rappeler également –, mais des progrès doivent encore être faits de chaque côté.

Au final, je pense que nous obtiendrons des avancées consensuelles – et M. le ministre nous présentera un amendement en ce sens. Je forme d’ores et déjà le vœu que l’article 19 ne réduise pas la qualité de notre travail et les avancées de ce texte à cette unique orientation et à ce seul éclairage. Au regard de l’engagement de tous les députés en commission et pendant la séance…

M. Laurent Wauquiez. Vous avez tout notre soutien.

Mme Frédérique Massat, présidente de la commission des affaires économiques. ...quelque part, la fête serait gâchée.

M. Laurent Wauquiez. Exactement ! Il faut écouter Mme Massat.

Mme Frédérique Massat, présidente de la commission des affaires économiques. Or nous sommes là pour que la fête soit belle. À cet égard, je fais confiance aux élus de la montagne et à leur bon sens.

S’agissant de l’article 23, des inquiétudes demeurent. Mais les deux rapporteures tout comme la rapporteure pour avis ont travaillé sur ce sujet. Je souscris totalement à leurs propositions, et pour ce qui concerne la création des zones de tranquillité dans les parcs nationaux et les parcs naturels régionaux, où cela est peut-être moins indispensable, je crois que nous arriverons à une solution qui corresponde à nos attentes et, surtout, aux besoins de la montagne.

En conclusion, je rappelle que nous sommes parvenus à un équilibre consensuel – et nous sommes là pour y travailler sans arrière-pensée. Ce texte doit être adopté, et, nous en avons tous conscience, à une très large majorité, non pour satisfaire les intérêts des uns ou des autres, mais dans l’intérêt national, dans l’intérêt de la montagne, de ses populations et de ses espaces. De longues heures de débat s’ouvrent devant nous : 463 amendements seront examinés.

Je nous souhaite à tous, collectivement, des travaux constructifs qui fassent honneur à la montagne, et à celles et ceux pour qui nous nous engageons au quotidien dans notre mandat d’élu. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Philippe Folliot.

M. Philippe Folliot. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, 1985 fut une année fondatrice pour la politique de la montagne dans notre pays. En effet, nos prédécesseurs avaient adopté à l’unanimité un texte important qui a fait date dans l’histoire parlementaire. Ce texte a marqué un coup d’arrêt important à la désertification de nos territoires de montagne, en dotant notre arsenal juridique d’éléments législatifs qui ont permis de mieux tenir compte de la spécificité de ces territoires.

M. Laurent Wauquiez. Très bien.

M. Philippe Folliot. Plus de trente ans après, il était essentiel d’actualiser cette loi, et c’est à ce travail que l’ensemble des acteurs s’est attelé : vous-même au premier chef, monsieur le ministre, vos services, l’Association nationale des élus de montagne, que je tiens à saluer pour sa forte implication dans ces débats, et enfin vous, chères collègues rapporteures du texte. On ne peut que saluer votre implication et le travail de fond que vous avez conduit. Vous avez essayé de rechercher le cadre le plus large et le plus consensuel possible. Dans ces moments un peu troubles et difficiles pour notre pays, il est important que nous sachions faire preuve d’unité. Espérons que l’esprit de montagne qui a soufflé sur nos travaux se retrouve dans d’autres cadres.

S’agissant de la méthode, nous pouvons toutes et tous nous retrouver eu égard aux résultats obtenus. Je veux profiter de ce débat pour rappeler qu’il n’y a pas « une », mais « des » montagnes dans notre pays. Les situations sont différentes entre les secteurs de haute montagne, qui bénéficient d’atouts, notamment touristiques avec les sports d’hiver, certains secteurs qui possèdent un tissu industriel particulièrement développé et d’autres, plus ruraux, plus agricoles, qui souffrent davantage à bien des égards.

Ce qui caractérise tous les massifs montagneux, c’est d’avoir été des terres de refuge. La montagne tarnaise s’inscrit tout à fait dans ce schéma historique, avec la Réforme d’abord, puis pendant la Seconde guerre mondiale, avec les premiers maquis du sud-ouest qui s’y sont développés. Un certain nombre de Juifs sont venus se réfugier dans cette montagne tarnaise car ils avaient des liens avec l’industrie textile de notre montagne. Bref, ce caractère de refuge est important du point de vue historique et mérite non seulement d’être souligné, mais encore d’être cultivé. Ces terres sont authentiques. Certes, le climat y est parfois rude, mais il existe un certain nombre de valeurs qui caractérisent les populations de montagne, particulièrement fières de leurs origines,…

M. Laurent Wauquiez. Très bien.

M. Philippe Folliot. …particulièrement fières de leur appartenance à ce milieu montagneux. Cette singularité mérite d’être soulignée et mise en avant.

Sur le fond, même si chacun estime que ce texte est éminemment positif, force est de constater, monsieur le ministre, qu’il n’est pas la grande loi que l’on aurait pu espérer. Sur bien des points, nous restons en effet dans le déclaratif, dans la déclaration de bonnes intentions. Manquent un certain nombre de moyens pour mettre en œuvre un certain nombre de préconisations et faire en sorte qu’existe une réelle compensation des handicaps naturels des secteurs de montagne, enjeu essentiel pour nos territoires.

Y figurent cependant des avancées éminemment positives, cela mérite d’être souligné. Au cours des longues heures de débat qui nous attendent, nous devrons essayer d’enrichir ce texte et de le faire progresser dans le bon sens. C’est tout l’objet des interventions qui seront les nôtres pour défendre nos amendements. Certes, bon nombre de points ont déjà été actés lors du très positif et très constructif travail conduit en commission entre l’exécutif et le législatif.

Je voudrais en particulier me féliciter de l’adoption de l’amendement qui a permis de faire figurer dans la loi une circulaire concernant ce que j’appelle le « protocole montagne » pour l’éducation, visant à tenir compte des spécificités de ces territoires de montagne. Nous y sommes d’autant plus sensibles que la première expérimentation de ce protocole a eu lieu précisément dans la montagne tarnaise, ce dès 2008. Nous ne pouvons que nous en féliciter, car cela fonctionne. C’est la preuve que lorsque les administrations et les élus locaux travaillent suffisamment en amont, la main dans la main, pour anticiper un certain nombre d’évolutions plutôt que de subir les contraintes ensuite, le résultat est très positif.

De la même façon, nous avons été sensibles au fait qu’un amendement de l’UDI relatif à la problématique des agences de l’eau, de leur financement et des investissements en matière d’adduction d’eau potable et d’assainissement ait été retenu en commission. Je prendrai l’exemple d’une commune qui m’est chère, celle – pour ne pas la nommer – de Saint-Pierre-de-Trivisy dans le Tarn. Cette commune est en train de réaliser un projet intercommunal d’adduction d’eau potable dans lequel plusieurs centaines de milliers d’euros seront prochainement investis afin de desservir une petite dizaine d’abonnés, avec des linéaires très importants. Ceci est lié à la faible densité de population et au fait que la déclivité des terrains entraîne des coûts d’investissement un peu plus élevés. Il est donc essentiel que ces spécificités soient prises en compte, ne serait-ce que par rapport au taux des subventions qui peuvent être accordées aux collectivités pour réaliser de tels projets.

Nous vous proposerons d’autres amendements pour faire évoluer ce texte, notamment un amendement concernant la téléphonie mobile. Lorsque les grands opérateurs prétendent qu’ils couvrent 98 % de la population…

M. Jean-Pierre Vigier. C’est faux !

M. Philippe Folliot. …ils disent peut-être vrai, mais les 2 % qui ne sont pas couverts par la téléphonie mobile sont toujours les mêmes, à savoir les habitants des secteurs ruraux de montagne. Afin d’assurer une meilleure couverture, et alors que la loi impose un point par commune – situé devant la mairie – où le téléphone portable doit passer, nous proposerons d’en imposer un second, choisi par le conseil municipal, pour permettre une meilleure couverture. Ce serait nous semble-t-il une bonne avancée.

De la même façon, accélérer « l’opticalisation », c’est-à-dire relier par la fibre optique les nœuds de raccordement des abonnés – les NRA – doit constituer un objectif majeur. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Jeanine Dubié et M. Laurent Wauquiez. Très bien.

M. Philippe Folliot. Le fait d’être toujours les derniers à être desservis...

M. Laurent Wauquiez. Ce n’est pas acceptable.

M. Philippe Folliot. …a immanquablement des conséquences négatives aussi bien pour les habitants que pour les entreprises et les acteurs des services publics et privés de nos territoires de montagne.

Par ailleurs, il serait nécessaire de mener une réflexion sur les possibilités d’expérimentation dans les secteurs de montagne, dans le but de développer des pôles en matière d’éducation, pour la jeunesse, et de proposer un certain nombre de services qui pourraient être mutualisés. Cela permettrait de faire utilement avancer un certain nombre d’objectifs dans ce domaine.

En outre, je défendrai des amendements relatifs aux problématiques de santé, notamment par le biais d’un élément très spécifique qui concerne quasi exclusivement la montagne et les secteurs insulaires, notamment les petites îles du territoire, à savoir les propharmacies, particulièrement utiles en termes de services à la population dans un certain nombre de communes. Nous y reviendrons lors de la discussion.

Il me paraît également important que nous adaptions un certain nombre de textes – je pense à tout ce qui a trait aux parcs résidentiels de loisirs. En zone de montagne, du fait de conditions climatiques particulières, il faudrait pouvoir assouplir les règles : permettre par exemple que dans un camping, il y ait davantage de bungalows que ce qui est autorisé en bord de mer.

Cependant, permettez-moi, monsieur le ministre, de pousser un cri de colère. Il ne sert à rien de faire des déclarations ici, dans cet hémicycle, de faire preuve de bonnes intentions, lorsque l’on voit la façon dont se comportent les administrations sur le terrain. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Wauquiez. Oui, c’est scandaleux !

M. Philippe Folliot. Prenons l’exemple de la trésorerie de Vabre. Il y a quelques jours, j’ai reçu une lettre de M. Galvain, directeur départemental des finances publiques du Tarn, qui annonce qu’il va fermer cette trésorerie…

M. Laurent Wauquiez. Scandaleux !

M. Philippe Folliot. …et qu’il rompt le bail liant l’État à notre communauté de communes.

Cette décision a été prise sans réelle concertation avec les élus locaux ou, du moins, n’a pas tenu compte de leur avis. Nous n’avons pas contesté l’annonce qui nous a été faite qu’il ne resterait, à l’issue de la fusion de deux communautés de communes, qu’une seule trésorerie. L’une des deux trésoreries actuelles étant située en périphérie de Castres, à dix kilomètres de cette ville, en zone de piémont, et l’autre en secteur de montagne, un consensus s’était exprimé parmi l’ensemble des élus du territoire pour que soit préservée celle qui était située en secteur de montagne – celle de Vabre. Or, l’administration, sans tenir compte de l’avis des élus, a décidé de fermer cette dernière et de maintenir l’autre, située en zone de piémont. Ce n’est pas acceptable. Il ne sert à rien que nous prenions ici des décisions si les orientations prises sur le terrain vont en sens contraire. Bercy est certes un État dans l’État, mais il faut, en la matière, une logique et une cohérence générales au niveau des services publics et au niveau de la politique et de la stratégie de l’État et de l’administration. C’est donc un cri du cœur, un cri de colère que je pousse à ce propos. Nous nous étions déclarés ouverts au dialogue sur cette fermeture de trésorerie. En outre, nous savons très bien que, dans quelques mois, on nous dira que cette trésorerie, située à dix kilomètres de la ville-centre qu’est Castres, sera fermée. C’est tout simplement inacceptable.

Ce dont nous aurions besoin, monsieur le ministre, dans ce texte comme d’une manière plus générale, c’est de lou biais, le bon sens paysan de nos montagnes tarnaises. (Sourires.) Si nous pouvions l’inscrire dans la loi, nous contribuerions à faire évoluer bien des choses.

Je terminerai par des éléments plus positifs. Si en effet nos montagnes ont des difficultés, elles sont aussi des territoires d’opportunité, avec des jeunes qui se battent pour tenter de créer des activités, des entreprises. Nos montagnes se caractérisent par un environnement protégé, préservé et, pour nombre d’entre elles, par un chômage peut-être moindre qu’ailleurs et par une insécurité bien moindre. Tous ces éléments nous laissent à espérer.

Pour conclure, permettez-moi simplement de chanter :

« Pourtant, que la montagne est belle,

Comment peut-on s’imaginer,

En voyant un vol d’hirondelles,

Que l’automne vient d’arriver ? » (Sourires.)

Monsieur le ministre, au-delà de l’automne, c’est un printemps pour la montagne que nous attendons. Espérons que ce texte sera gage de vols d’hirondelles qui nous l’apportent. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

M. le président. La parole est à M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires économiques, mesdames les co-rapporteures, madame la rapporteure pour avis, chers collègues, il est des dates qui marquent indéniablement la vie d’un élu dans ses convictions les plus profondes. Rassurez-vous toutefois : compte tenu de ma façon de chanter, je ne chanterai pas à cette tribune ! (Sourires.)

Mme Frédérique Massat, présidente de la commission des affaires économiques et M. Paul Giacobbi. Quel dommage !

M. Joël Giraud. Je vous remercie pour cette approbation ! (Sourires.)

Issu de plusieurs générations de montagnards originaires de plusieurs massifs et de plusieurs pays européens, je ne peux que me réjouir de l’intensité du moment que notre gouvernement nous donne aujourd’hui de vivre. En 1986, je faisais mes premiers pas en politique, à vingt-six ans, dans le sillon de mon père brutalement décédé, pour entrer au conseil municipal d’une bourgade haut-alpine, l’Argentière-la-Bessée, en plein effondrement économique, avant d’en être élu maire. Dans ces années-là, mon prédécesseur dans cet hémicycle, Robert de Caumont, portait, avec d’autres collègues parlementaires parmi lesquels je tiens à citer Louis Besson, Augustin Bonrepaux et René Souchon, la voix des montagnards, ce qui a abouti à l’adoption à l’unanimité, le 9 juillet 1985, de loi Montagne. À l’époque, je n’imaginais pas – ou peut-être l’espérais-je – qu’à mon tour, je serais l’un des porte-parole de la cause de la montagne. Trente ans plus tard, je suis heureux et fier de participer au renouveau de ce texte et de soutenir ce gouvernement, qui a décidé d’œuvrer à ce projet.

Permettez-moi d’avoir une pensée pour notre ancienne ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité, Sylvia Pinel, qui affirmait le jeudi 16 octobre 2014 à Chambéry, devant les élus de la montagne, que la politique de la montagne avait été « d’une certaine manière précurseur de la notion d’égalité des territoires » et qu’« à bien des égards, la montagne [était] en avance dans la gestion de certaines problématiques qui toucheront plus tardivement d’autres espaces de notre pays ».

Oui, innover en montagne ou « innover la montagne » a souvent conduit la France tout entière sur la voie de l’innovation. Le Premier ministre a été l’un des premiers convaincus, et je demeure très sensible à l’engagement qu’il a pris à Chamonix, le 7 octobre 2015, devant l’ensemble des membres du Conseil national de la montagne. Je lui renouvelle mes remerciements pour la confiance qu’il m’a accordée dans ma mission au sein du Conseil national de la montagne – une fonction dans laquelle j’ai succédé à Martial Saddier dans une continuité plus que républicaine.

M. Martial Saddier. Merci, monsieur Giraud ! Je vous le rendrai !

M. Joël Giraud. Le Premier ministre avait annoncé dans sa feuille de route l’ambition du Gouvernement d’engager l’acte II de la loi Montagne. Il a tenu sa promesse. Désormais, cher monsieur le ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales, c’est avec vous que, tous ensemble, nous construirons ce beau projet de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne. Je connais votre pugnacité et votre amour pour la France de nos territoires. Vous avez donc toute ma confiance pour mener à bien la mission qui vous a été confiée.

Je tiens à remercier tout particulièrement nos collègues Annie Genevard et Bernadette Laclais, qui ont mené avec enthousiasme, passion et collégialité l’étude dont nous avons tous pu apprécier la qualité, avant de devenir très légitimement les co-rapporteures du texte. Je remercie aussi, monsieur le ministre, votre cabinet, dont les cernes témoignent de l’engagement avec lequel, jour et nuit, ils ont travaillé en faveur de ce texte.

Aujourd’hui s’ouvre devant nous une nouvelle ère pour bâtir ensemble la montagne de demain. La période de gestation étant terminée, nous entamons désormais le débat sur ce grand projet, afin de réaffirmer d’une seule et même voix, forte et claire, le caractère spécifique de la montagne et la nécessité d’y adapter nos textes. Les dispositions institutionnelles ou économiques doivent s’harmoniser avec ses spécificités, qui peuvent également se décliner à l’échelle de chaque massif. Nous devons offrir la possibilité d’adapter toutes les dispositions de portée générale aux enjeux des territoires de montagne.

En effet, monsieur le ministre, chers collègues, si la montagne est singulière, elle est aussi plurielle. Aussi notre groupe de travail conjoint avec l’Association nationale des élus de la montagne, dont je salue le président, Laurent Wauquiez, et la secrétaire générale et future présidente, Marie-Noëlle Battistel, s’est-il attaché à réfléchir à différents aspects afin de peaufiner le texte initial qui nous est présenté et de proposer quelques modifications de la lettre tout en respectant, cela va de soi, son esprit.

C’est la raison pour laquelle je ne me livrerai pas aujourd’hui à une analyse exhaustive du texte, exercice où ont excellé tant le ministre que nos trois rapporteures – Bernadette Laclais, Annie Genevard et la rapporteure pour avis de la commission du développement durable, Béatrice Santais –, ainsi que la présidente de la commission des affaires économiques, Frédérique Massat, dont la qualité d’ancienne présidente de l’ANEM transparaissait dans son intervention. Ma collègue Jeanine Dubié détaillera tout à l’heure les volets agricole et numérique, qu’elle connaît parfaitement, ainsi que les amendements du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, avec la sensibilité pyrénéenne que nous lui connaissons.

J’aborderai quant à moi directement quelques sujets qui me semblent essentiels. Tout d’abord, les esprits chagrins qui ne voient pas dans ce texte un texte fondateur font une simple erreur d’analyse : nul n’a en effet voulu, dans cet exercice, détricoter la loi Montagne de 1985 et l’équilibre précieux trouvé à l’époque entre aménagement et préservation. C’est donc bien un texte d’actualisation d’une loi fondatrice d’un droit à la différence que nous examinons aujourd’hui. Il faut le regarder à l’aune des textes réglementaires également issus de ce texte et qui sont déjà en cours d’élaboration, voire déjà promulgués – j’y reviendrai tout à l’heure.

Ce texte doit également être analysé à la lecture de l’article 174 du Traité de Lisbonne, qui établit, à partir de l’expérience française, le droit à la différence pour la montagne, les îles et les zones à très faible densité de population.

Je tiens également à souligner l’importance d’une phrase du titre I qui prévoit la possibilité de saisine du Conseil national d’évaluation des normes par le président de la Commission permanente du CNM. Cette phrase n’est pas anodine, car la montagne se meurt des normes qu’elle ne peut appliquer, en raison principalement de la pente. Comment, en effet, peut-on gérer la sécurité d’un refuge de montagne et l’accès à celui-ci dans un cadre classique d’établissement recevant du public ?

M. Martial Saddier. Très bien !

M. Joël Giraud. Comment peut-on utiliser dans des zones arboricoles un escabeau normalisé qui ne fonctionne que sur un sol plat ?

M. Martial Saddier. Il a raison !

M. Joël Giraud. Comment peut-on créer une pente pour traverser en souterrain une route, avec une pente maximale inférieure à celle des trottoirs qui y conduisent ?

M. Martial Saddier. Très bon exemple !

M. Joël Giraud. Cette phrase est donc porteuse des espoirs d’un territoire qui se trouve confronté à des monuments d’incompréhension dans une société qui a trop tendance à tout uniformiser, avec les conséquences qui en découlent en termes de judiciarisation de cette société. Cette simple phrase est donc à elle seule, monsieur le ministre, le symbole d’un droit à la différence, pour peu que les présidents qui se succéderont la présence de la commission permanente du CNM veuillent bien l’utiliser efficacement.

Permettez-moi aussi d’insister sur l’effet bénéfique de ce texte sur d’autres lois et textes réglementaires. Les discussions engagées sur la pluriactivité et la saisonnalité, notamment grâce au travail du groupe de travail éponyme réuni sous l’autorité de la ministre du travail, Myriam El Khomri – je salue, là encore, mes collègues Bernadette Laclais et Marie-Noëlle Battistel, ainsi que la sénatrice Annie David – ont permis que soient déjà prises dans la loi Travail des mesures importantes, co-construites avec les parlementaires de montagne et qui bénéficient à toute la nation.

Aujourd’hui, le CDD saisonnier renouvelable devient la règle et le CDD saisonnier non renouvelable l’exception – c’est important. D’ici aux élections présidentielles, les branches où la négociation n’aura pas abouti se verront imposer des règles par ordonnance, y compris en termes de compensation financière.

Votre texte, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, ajoute des éléments très importants, dont l’expérimentation de la mise en place du chômage partiel dans les stations gérées en régie, qui sont souvent les plus fragiles sur le plan tant économique que social, et où ces mesures permettront notamment de généraliser les CDD renouvelables. Jusqu’à présent, en effet, la seule arme cas d’aléa météorologique était de ne pas embaucher le personnel, partiellement ou totalement, privant ainsi de couverture sociale des femmes et des hommes vivant dans des territoires déjà paupérisés.

Ce texte prévoit aussi des dispositions relatives aux caisses pivots, qui trouveront dans quelques jours leur traduction dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale – PLFSS. En effet, ce texte contraindra enfin l’une des caisses à se porter fort pour toutes les autres, afin d’assurer une cohérence dans le traitement des dossiers des saisonniers et pluriactifs, y compris de ceux qui relèvent du régime social des indépendants – RSI.

Je ne passerai pas sous silence le décret du ministre de l’agriculture qui permet de relever de 536 à 700 le plafond du nombre d’heures travaillées non agricoles pour les agriculteurs membres d’un groupement agricole d’exploitation en commun – GAEC –, ce qui serait très important pour l’agriculture de montagne, et particulièrement de haute montagne.

Mme Frédérique Massat, présidente de la commission des affaires économiques. Tout à fait !

M. Joël Giraud. Quand il gèle plus de six mois par an le matin, il est en effet difficile de cultiver la terre.

Un autre effet bénéfique de la loi Montagne est l’accélération d’un processus que nous attendions tous et qui tardait à se concrétiser : la promulgation de l’instruction de l’éducation nationale relative aux écoles de montagne et aux écoles rurales. La rédaction que nous proposera le Gouvernement en séance reprendra littéralement l’amendement adopté à l’unanimité en commission, sans rien dénaturer de l’intention de celles et ceux qui y ont défendu ce principe. Je salue ce pas en avant considérable réalisé dans l’approche territoriale de l’éducation, qui nous avait tant manqué jusqu’à présent dans les textes législatifs.

Pour ce qui est du volet consacré au tourisme, et plus particulièrement de la modification de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République – NOTRe – qui permet à des stations classées ou en cours de classement de conserver leur office de tourisme, il s’agissait là d’un élément important, attendu par M. Charles-Ange Ginesy. J’insiste toutefois sur le fait que le tourisme peut aussi fonctionner dans le cadre d’une solidarité intercommunale. Il importe donc, avant que les intercommunalités ne fassent les choix définitifs, que soit précisée la notion de station intercommunale classée de tourisme.

Et puisqu’il est question ici de la loi NOTRe, j’évoquerai aussi la question, cruciale pour les montagnards, de la gestion publique de l’eau. C’est là un choix quasi unanime en montagne, car le lien entre la vie en montagne et cette ressource naturelle est quasi viscéral. La crainte des populations de montagne est aujourd’hui de se voir imposer des choix politiques dans le cadre de grandes intercommunalités qui incluent parfois des villes importantes n’ayant pas la même approche de la gestion de l’eau.

M. Jean-Michel Baylet, ministre et M. André Chassaigne. C’est juste !

M. Joël Giraud. C’est le bon sens même car, dans la plaine, le réseau et la ressource sont bien différents des problèmes de captage, gestion des risques naturels que connaissent les équipes municipales et les employés de la commune – il n’y en a parfois qu’un seul.

Pour gérer les transports routiers de proximité et les transports scolaires, les régions peuvent faire le choix de déléguer cette gestion au département. Il convient de dire clairement que les intercommunalités pourront faire de même sur les territoires de montagne.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Très bien.

M. Joël Giraud. J’en viens maintenant à l’économie des stations et aux unités touristiques nouvelles. Il me semble que nous avons trouvé un équilibre avec l’amendement du Gouvernement qui permet, au cas où une UTN ne serait pas prévue par le plan local d’urbanisme – PLU – ou le schéma de cohérence territoriale – SCoT –, de mettre en place une procédure de déclaration de projet ou de projet d’intérêt économique majeur. Reste toutefois à régler dans le décret le cas des communes dépourvues de PLU ou de SCoT approuvé, pour lesquelles la procédure actuelle doit pouvoir continuer de s’appliquer, notamment pour celles ouvrant à urbanisation, et celui des projets mineurs, qui ne feront jamais l’objet d’une déclaration de projet bien qu’ils soient soumis au régime des UTN. Il convient enfin de favoriser les ascenseurs de type urbain sans piste de retour : les contraintes ne doivent pas être plus nombreuses que pour un transport urbain classique en ville.

Monsieur le ministre, vous avez lancé voilà quelques années, en qualité de ministre du tourisme, le slogan : « La montagne, ça vous gagne ». Faisons le pari qu’à l’issue de ce débat parlementaire, ce soit la montagne qui gagne, car la nation tout entière gagnera avec elle. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires économiques, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, en débutant l’examen en séance publique de ce projet de loi de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne, je me réjouis tout d’abord de revoir sur le devant du travail parlementaire un projet de loi touchant directement aux problématiques d’aménagement du territoire, et spécifiquement à nos territoires ruraux de montagne. Nous sommes nombreux ici à être des élus de la montagne : de sensibilités différentes, nous n’en sommes pas moins des « frères de planète », comme l’écrivait Albert Camus à René Char malgré leurs divergences.

Pour autant, je ne me limiterai pas à cette envolée lyrique, parce que nous savons bien que tout finit en politique – fort heureusement ! Aussi n’aborderai-je pas ce débat sans rappeler le très douloureux triptyque gouvernemental de la réforme territoriale, qui marquera profondément la vie et la dynamique de l’ensemble de nos territoires ruraux. Je parle bien entendu de la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, de la loi relative à la délimitation des régions et de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, dont les effets se font maintenant connaître sans que l’ensemble des élus locaux et des populations n’aient eu leur mot à dire.

Comment pourrait-on également aborder un texte qui entend constituer l’acte II de la loi Montagne de 1985 et faire du « développement équitable et durable de ces territoires » un « objectif d’intérêt national », sans faire référence aux terribles coups portés ces dernières années aux moyens financiers de ces mêmes territoires ? La baisse de 11 milliards d’euros des dotations aux collectivités, d’ailleurs plutôt évaluée à 28 milliards de pertes par l’Association des maires de France,…

M. Jean-Pierre Vigier. Il a raison !

M. André Chassaigne. …contraint aujourd’hui l’immense majorité des communes rurales et de montagne à revoir de façon drastique leurs investissements et les moyens assurant les services du quotidien aux administrés. Il s’agit d’une injustice flagrante : les collectivités de proximité ne sont pas responsables de l’endettement public, mais sont au contraire moteurs de l’activité économique en réalisant 70 % de l’investissement public.

Cette double peine infligée aux collectivités de proximité est d’autant plus économiquement inefficace et socialement injuste qu’elle est la conséquence directe des orientations du pacte de responsabilité, avec le déploiement du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – le CICE –, dont les premières évaluations sont sans appel : près de 30 milliards d’euros engagés, octroyés sans contrepartie, en priorité versés aux grands groupes, et sans effet sur l’emploi dans notre pays !

M. Laurent Wauquiez. Très bien !

M. André Chassaigne. Imaginons un instant que ces 30 milliards d’euros aient été utilisés au service du développement de nos territoires ruraux et de montagne et de l’activité économique locale. Les effets sur l’emploi auraient été immédiats, au service de la qualité de vie et de l’attractivité de ces territoires qui éprouvent aujourd’hui tant de difficultés !

Mais, monsieur le ministre, il n’est jamais trop tard pour revenir aux fondamentaux ! Pour citer René Char, après avoir cité Albert Camus, « il faut souffler sur quelques lueurs pour faire de la bonne lumière. » Je me réjouis donc de ce temps de débat sur un texte dans lequel l’aménagement du territoire peut reprendre quelques jours – et même plus longtemps, je l’espère – le pas sur les seuls principes libéraux de concurrence territoriale et de concentration des richesses dans les territoires les plus compétitifs.

Je ne vous cache pas cependant que le contenu du projet de loi qui nous est présenté ne répond pas totalement au volontarisme affiché autour d’un acte refondateur au service des territoires de montagne. Certes, le travail qui a été le vôtre – celui des rapporteures comme le travail en commission – a permis de l’enrichir, en reprenant certaines propositions déjà formulées grâce à l’excellent travail mené par nos rapporteures en 2015 et présenté dans leur rapport Un acte II de la loi Montagne pour un pacte renouvelé de la Nation avec les territoires de montagne. Tous les élus de la montagne conviendront toutefois qu’il y a un véritable besoin de prendre en compte concrètement le vécu dans nos communes classées en zone de montagne pour répondre aux besoins des populations.

Ayant conduit sur le terrain un travail préparatoire avec une participation citoyenne, j’ai relevé des avis partagés et même des inquiétudes sur la portée limitée du texte. La co-construction avec les élus de la montagne est une réalité, mais aboutit finalement à un texte de consensus qui a naturellement écarté, de par son élaboration même, certaines problématiques. Fort heureusement, à la suite du passage en commission, quelques problématiques très concrètes ont pu trouver un débouché législatif, même si certains sujets restent abordés de façon très parcellaire.

Je pense ainsi à la question centrale de la présence et du maintien de nos services publics en zone de montagne. Un chapitre III spécifique a été introduit, avec une avancée importante en faveur de la carte scolaire en zone de montagne. Cette avancée mérite d’être confortée en faisant clairement référence aux temps de parcours des élèves entre leur domicile et leur établissement scolaire. Nous aurons l’occasion d’y revenir lors de nos débats, puisque j’ai souhaité déposer, comme d’autres parlementaires, un amendement en ce sens. Mais il aurait été tout aussi indispensable de faire des propositions concrètes en matière d’accès aux soins et de maintien des hôpitaux de proximité dans le cadre de la création des groupements hospitaliers de territoire, tout comme en matière d’accès aux services déconcentrés de l’État ou encore en matière de présence postale et d’amplitude horaire des points de contact.

La question de l’adaptation des règles d’urbanisme aux spécificités et à la diversité des territoires de montagne a aussi occupé très largement nos débats en commission. Il s’agit en effet d’une préoccupation constante des élus et des habitants de la montagne – en particulier des élus de la moyenne montagne, qui est la mienne. Ainsi, les conditions particulièrement strictes d’élaboration et de révision des plans locaux d’urbanisme ne correspondent pas toujours aux problématiques réelles des territoires ruraux éloignés et souvent en perte de démographie.

J’ai déposé plusieurs amendements relatifs à cet enjeu, par exemple en ce qui concerne les possibilités de changement de destination de certains bâtiments pour faciliter la reprise d’activité. Un bâtiment agricole qui n’a plus cet usage ne peut pas être repris par une entreprise artisanale, ni même par une entreprise forestière : c’est un véritable problème, qu’il faut évoquer.

J’ai également déposé des amendements pour la prorogation de la validité des plans d’occupation des sols existants, afin d’éviter certaines dérives déjà constatées du fait du retour à l’application du règlement national d’urbanisme, dans l’attente des plans locaux d’urbanisme intercommunaux, ou PLUI.

Un autre enjeu longuement abordé par la commission des affaires économiques est celui des modalités de la gestion de l’eau potable en zone de montagne. Il s’agit d’une préoccupation très forte des élus des communes concernées, qui vivent avec beaucoup d’inquiétude le transfert obligatoire de cette compétence aux intercommunalités, transfert acté par la loi NOTRe, au regard des conséquences probables pour le service rendu aux habitants et les futurs prix de l’eau. J’y reviendrai dans le débat sur les articles avec plusieurs propositions d’amendements, mais j’appelle d’ores et déjà l’attention de l’ensemble de la représentation nationale sur ce point.

Monsieur le ministre, sans vouloir défaire ce qui a été voté hier, il apparaît indispensable que nous sachions collectivement faire acte de réalisme et de raison dans ce domaine au regard de ce qui est en jeu sur le terrain et des conséquences très concrètes que nous font remonter tous les élus municipaux dévoués au quotidien à une gestion d’un bien commun fondamental pour leurs concitoyens.

Monsieur le ministre, mesdames les rapporteures, sans rien renier du travail effectué sur ce texte – je l’ai d’ailleurs salué –, je regrette qu’une série d’enjeux concernant directement les territoires de montagne fassent figure de grands absents.

Tout d’abord, la question de l’accessibilité en termes d’infrastructures de transports, tout comme en matière d’offre et de services de transports collectifs pour nos zones de montagne : alors que des coups très rudes sont portés à la continuité du service public ferroviaire et que des largesses exorbitantes sont une nouvelle fois accordées aux sociétés concessionnaires d’autoroutes, l’absence de ces thématiques dans le texte est saisissante. Il s’agit pourtant d’un sujet prioritaire pour qui cherche à favoriser l’attractivité de ces territoires ruraux par l’accueil de nouveaux actifs, parallèlement au problème du déploiement du numérique – j’aurai l’occasion d’y revenir.

Il est tout aussi regrettable de ne pas aborder de façon approfondie l’enjeu central du réchauffement climatique et de ses incidences sur les activités et l’attractivité des territoires de montagne. Quelques mois seulement après la COP21 de Paris, nos politiques publiques doivent clairement marquer une attention et consacrer des moyens spécifiques aux territoires de montagne dans ce domaine. Ils figurent en effet parmi les espaces les plus impactés : hausse des températures, contrastes pluviométriques accrus, diminution de l’enneigement, hausse des phénomènes météorologiques violents, évolution et érosion accélérée de la biodiversité, la montagne est en première ligne à travers les activités agricoles, forestières et touristiques. Or ce texte n’y fait quasiment pas référence, ou du moins très peu, ou indirectement. À travers l’amendement que je propose, je souhaite a minima que nous fassions figurer cet enjeu central parmi les objectifs généraux de cette loi.

J’ajouterai, pour conforter mon propos, que cet enjeu est crucial pour toute la filière forestière, comme je l’ai souligné dans mon rapport pour avis sur les crédits de la mission « Forêt » du projet de loi de finances pour 2016. Le changement climatique aura en effet des répercussions majeures sur l’état de nos forêts, dont il convient de prendre, dès maintenant, toute la mesure en raison de l’inscription de la gestion forestière dans le temps long. C’est aujourd’hui que se préparent la forêt et les récoltes de l’après-2050, période qui devrait voir, selon les prévisions, les changements les plus importants de notre environnement.

Une autre problématique n’a pas trouvé directement de traduction législative dans ce texte : le soutien aux activités commerciales et artisanales de proximité. Il aurait mérité un travail concerté avec l’ensemble des acteurs concernés pour parvenir à assurer un minimum de ressources aux professionnels installés sur des territoires très peu peuplés – je pense une nouvelle fois à tous nos territoires de moyenne montagne, comme dans le Massif central.

Enfin, et sans vouloir abaisser le travail fourni présenté aujourd’hui, il y a un autre absent : il s’agit bien entendu du nerf de la guerre de l’aménagement du territoire, en l’occurrence les moyens financiers spécifiques accordés à ces politiques différenciées.

M. Laurent Wauquiez. Les Auvergnats sont d’accord !

M. André Chassaigne. Comment ne pas voir un risque flagrant d’aboutir à un acte II manqué, malgré notre engagement commun et, je le crois, partagé en faveur de la montagne ? Quand près d’un quart du territoire national fait l’objet d’une ambition législative spécifique, l’on ne peut raisonnablement faire fi du volet financier qui devrait accompagner cette ambition – d’autant plus quand nous connaissons, comme je l’ai rappelé en introduction, les sommes colossales qui viennent d’être soustraites aux moyens de l’État à travers le CICE, dont une part certaine a sans doute filé vers des territoires bien éloignés de nos massifs, lesquels fondent pourtant une partie de l’histoire et de l’identité singulière de notre pays.

Mes chers collègues, vous connaissez mon attachement particulier aux politiques publiques en faveur de la ruralité et de la montagne. C’est donc une nouvelle fois dans un esprit constructif et au service du bien vivre de tous leurs habitants que je souhaite que nous puissions enrichir ce projet de loi au regard de ses avancées comme de ses nombreuses insuffisances.

Pour l’essentiel, les amendements que j’aurai l’occasion de défendre lors de l’examen des articles sont issus de la réflexion partagée avec les élus et habitants de la circonscription dont je suis élu, qui compte pas moins de 108 communes classées en zone de montagne sur un total de 132. Je formule ainsi le vœu que nos travaux puissent réellement prendre en compte le vécu de tous ces élus et habitants si attachés à « leur montagne » et qui en sont souvent, malgré les vents contraires, de si ardents défenseurs. C’est le cas des Auvergnats, grands défenseurs de la montagne. Certes, pour reprendre Alexandre Vialatte, que je cite souvent, « l’Auvergnat vend son torrent au détail ».

M. Laurent Wauquiez. Il le fait gratuitement !

M. André Chassaigne. Mais il sait également que, face à la roche, le ruisseau l’emporte toujours, non par la force, mais par la persévérance. Aussi, même si le lyrisme et le consensus sont en vogue cet après-midi, nous serons d’une fermeté persévérante et montagnarde pour apprécier les réelles avancées de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. Du haut de mon perchoir, je serai d’une neutralité également ferme sur le respect du temps de parole – vous l’avez d’ailleurs parfaitement respecté, monsieur Chassaigne !

La parole est à Mme Marie-Noëlle Battistel.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires économiques, mesdames les rapporteures, chers collègues, je ressens beaucoup d’émotion, comme vous tous ici ce soir, en entamant l’examen de ce texte trente ans après nos aînés. Nous savons bien, nous montagnards, qu’il ne suffit pas de marcher longtemps pour atteindre un sommet : il faut aussi marcher ensemble, être attentif à toute la cordée ; il faut faire preuve de persévérance et de lucidité face aux obstacles les plus difficiles ; il faut toujours s’assurer et garder la tête rivée vers l’objectif que l’on s’est donné. Si nous touchons aujourd’hui probablement au but, le chemin fut long et le travail rigoureux avant la lecture de cet acte II de la loi Montagne dans notre hémicycle.

Dans nos villes et nos villages, sur les plateaux, les sommets et dans les vallées, l’évolution de la loi de 1985 était attendue, par les élus, bien sûr, qui y sont confrontés tous les jours, mais aussi par les entreprises, les associations, les 10 millions de citoyens qui vivent en montagne et la font vivre.

Vous me permettrez de souligner la volonté politique forte, partagée de chaque côté de l’hémicycle, pour atteindre cet objectif. Vous me permettrez également de rappeler, au-delà de la volonté, le chemin tracé d’abord par le Président de la République dès 2012, et qui affirmait en juin dernier, à l’occasion du congrès des maires, la nécessité d’un « projet de loi montagne qui permettra (…) de tenir compte de la diversité de nos territoires, des paysages et aussi de la valeur irremplaçable de ce patrimoine, avec des règles qui devront être adaptées en conséquence ».

Après les déclarations du Premier ministre devant le trentième congrès de l’ANEM, à Chambéry, en octobre 2014, réitérées dans la feuille de route du Gouvernement présentée au Conseil national de la montagne le 25 septembre 2015 à Chamonix, nous avions la capacité de dépasser les mots et d’engager ce travail. Mobilisés depuis plusieurs années pour obtenir un acte II de la loi de 1985, les parlementaires ont été à pied d’œuvre pendant des mois à vos côtés, monsieur le ministre, pour co-rédiger le texte dont nous débattons aujourd’hui.

En tant que secrétaire générale de l’Association nationale des élus de montagne, dont je salue le président – cher Laurent –, je tiens à en témoigner et à vous rendre hommage. Depuis votre entrée au Gouvernement en février dernier, votre écoute est permanente et votre investissement dans la co-construction de ce projet de loi est total.

Nous avons pendant des mois multiplié les rencontres hebdomadaires avec vous et votre cabinet, ainsi que les sessions de travail avec les deux auteures du rapport de 2015, aujourd’hui rapporteures du projet de loi, Annie Genevard et Bernadette Laclais, que je salue et remercie pour leur détermination et leur pugnacité. Le travail de préparation s’est également déroulé dans le cadre de la commission permanente du Conseil national de la montagne, présidée par notre collègue Joël Giraud. L’objectif que nous nous sommes tous fixé est de parvenir à l’adoption de la loi avant la fin de l’année.

En tant que porte-parole du groupe SER sur ce texte, il me semble important de signaler également que ce texte est une parfaite illustration de l’esprit consensuel et transpartisan qui a présidé à nos travaux avec le Gouvernement et avec nos deux rapporteures issues de la majorité et de l’opposition – une première –, unies pour défendre une vision partagée de l’avenir de la montagne. Je ne doute pas que cette volonté et cette méthode de travail trouveront un écho là où, face aux difficultés, les maires mettent souvent leurs couleurs politiques de côté pour se ranger ensemble derrière celles de la République.

Venons-en au projet de loi qui nous réunit aujourd’hui dans cet hémicycle. Ce texte, qui compte désormais quarante articles, déjà bien amendé en commission des affaires économiques et en commission du développement durable, doit permettre des avancées significatives et très attendues dans de nombreux domaines. Je pense notamment au renforcement de la gouvernance des comités de massif…

M. Laurent Wauquiez. Tout à fait !

Mme Marie-Noëlle Battistel. …et du Conseil national de la montagne, à l’affirmation d’une politique nationale de la montagne adaptée à la spécificité des massifs, à la réhabilitation de l’immobilier de loisirs, la pluriactivité, la question de l’accès au logement des saisonniers, au maintien de l’indemnité compensatoire de handicap naturel pour les agriculteurs, à la possibilité pour les stations classées de conserver leur office de tourisme communal. Je note aussi l’expérimentation de l’indemnisation chômage pour les régies municipales en cas de manque de neige, très attendue également.

Pour ce qui est de l’école, le travail en commission a permis d’intégrer dans la loi les principes contenus dans une circulaire de 2011, qui prévoit que le directeur académique des services de l’éducation nationale procède à l’identification des écoles relevant de l’application de modalités spécifiques d’organisation, notamment en termes de seuils d’ouverture ou de fermeture de classe et d’allocation de moyens au regard de leurs caractéristiques montagnardes. La concertation menée depuis avec Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, devrait permettre d’améliorer encore cette disposition que tous les montagnards saluent.

J’ajoute qu’en matière numérique, l’article 9 prévoit que, compte tenu des contraintes d’accessibilité liées à l’altitude, à la pente ou au climat, des innovations permettant le développement d’un « mix » technologique seront expérimentées prioritairement dans les zones de montagne en vue de leur déploiement.

Concernant l’accès aux soins, monsieur le ministre, il faudrait sûrement aller plus loin car les distances doivent être mieux prises en considération, ainsi que les critères de financement des maisons de santé pluridisciplinaires.

Concernant la couverture en téléphonie et internet mobiles, nous voulons également passer à la vitesse supérieure pour améliorer la couverture de nos territoires, et je crois que vous partagez cette volonté. Nous devons nous attacher à l’efficacité des mesures prises, et pour cela les rendre plus contraignantes.

Le nouveau programme de couverture des « zones blanches », applicable dans 268 nouvelles communes et 1 300 sites stratégiques, est certes très important, mais je ne suis pas certaine qu’il reflète complètement les besoins réels de nos territoires. La vraie question aujourd’hui est celle de la résorption des zones grises, ces zones où il n’y a qu’un ou deux opérateurs ou une qualité de service médiocre. Si pour obtenir une couverture complète de nos territoires, nous devons passer par le partage d’infrastructures, il faudra y réfléchir. Nous l’avons dit aux opérateurs, avec qui nous avons un dialogue de vérité. Nous observons leurs efforts spontanés de mutualisation dans les zones blanches de montagne, mais il nous faut aujourd’hui des engagements forts pour améliorer de façon significative et rapide une situation injuste pour les montagnards.

Quoi qu’il en soit, la commission a intégré dans le texte de loi une clause de revoyure, avec la remise d’un rapport d’évaluation de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, sur le déploiement en montagne des réseaux à très haut débit ouverts au public en comparaison avec les autres zones du territoire. Au vu du constat objectif qui sera dressé par l’autorité administrative compétente, nous serons alors fondés à décider si l’organisation et la définition des modalités de cette mutualisation doivent être confiées à l’ARCEP.

Enfin, il conviendrait de faire en sorte que l’adaptabilité des normes réponde mieux aux contraintes induites par la pente et l’altitude, concernant notamment les chalets d’alpage et l’accès des mineurs aux refuges situés en montagne, sujet cher à mon collègue Joël Giraud.

Je terminerai par le sujet de l’urbanisme, toujours sensible en montagne. La règle de construction en continuité pose souvent de gros problèmes au quotidien, aussi bien aux élus qu’aux services.

M. Laurent Wauquiez. Eh oui !

Mme Marie-Noëlle Battistel. Nous estimons nécessaire un certain nombre de précisions, d’ordre législatif si nécessaire, dans la définition de la continuité de l’habitat et des îlots. J’aurai l’occasion d’y revenir au cours des débats.

Si je salue une fois encore l’importance de ce texte, tant par la réaffirmation des principes fondateurs de la loi de 1985 que par leur actualisation ou leur évolution, je veux aussi rappeler que l’esprit de la loi, sa raison d’être, doit se décliner largement pour ne pas être trahi. C’est bien, me semble-t-il, la volonté du Gouvernement.

La réflexion menée a déjà été concrétisée par plusieurs textes déjà votés ou qui viendront en débat prochainement. Ainsi la loi Travail, portée par votre collègue Myriam El Khomri et votée tout récemment, comporte de sérieuses avancées, réclamées de longue date par les travailleurs saisonniers, notamment la généralisation de la reconduction des contrats à durée déterminée aux branches et aux entreprises qui emploient un grand nombre de saisonniers, avec prise en compte de l’ancienneté.

La même loi prévoit aussi que les employeurs pourront, jusqu’en 2019 à titre expérimental, signer des contrats à durée indéterminée intermittents, ou CDII, même sans accord de branche préalable. Avec ce CDII, une personne qui travaille l’hiver et l’été obtient un contrat sur l’année, renonçant à l’indemnité de chômage saisonnier mais avec des droits comparables à ceux du CDI, ce qui améliorera à coup sûr l’accès à certains autres droits de la vie courante.

Je note aussi que l’article 39 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2017 contient des dispositions qui sont un pas important vers la « caisse pivot » et le guichet unique, attendus depuis 1985.

Quant au projet de loi de finances pour 2017, il réoriente le dispositif Censi-Bouvard en faveur de la réhabilitation de l’immobilier de loisir. Nous le demandions depuis longtemps. C’est une très bonne nouvelle, car cela va impulser une nouvelle dynamique et permettre de traiter la question des friches immobilières, d’autant que le dispositif en vigueur n’a pas totalement prouvé son efficacité.

Je dois signaler aussi le décret du 23 septembre dernier, aboutissement de la concertation que Joël Giraud, Bernadette Laclais, Frédérique Massat, Béatrice Santais et moi-même avons menée avec votre collègue Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture et de la forêt. Des dérogations pour le travail extérieur à l’exploitation agricole pour des activités saisonnières hivernales en haute montagne pourront désormais être accordées aux associés des groupements agricoles d’exploitation en commun, les GAEC, dans la limite de 700 heures par an, contre 536 actuellement.

Pour conclure, j’évoquerai la modification du régime des unités touristiques nouvelles. L’objectif du Gouvernement est de rendre cohérentes les règles applicables sur tout le territoire national, qui prévoient une couverture intégrale, à terme, de celui-ci par les documents d’urbanisme, qu’il s’agisse des schémas de cohérence territoriale, les SCoT, ou des plans locaux d’urbanisme, les PLU, en intégrant les UTN à ces documents de planification, le Gouvernement ayant accepté le maintien de la procédure UTN en l’absence de SCoT et de PLU. Dès lors que ces derniers seront applicables, toute UTN qui n’aurait pas été programmée entraînera leur modification.

En raison des difficultés que risque de susciter le caractère aléatoire et excessif des délais nécessaires, les opérateurs de remontées mécaniques se sont élevés contre cette disposition. Ils ont été entendus par les parlementaires, et le Gouvernement proposera en séance un amendement. Nous attendons un dispositif qui permette une réactivité de la mise en œuvre des projets de développement de la montagne. Je ne doute pas que chacun sur ces bancs fera un pas pour trouver cet équilibre.

Monsieur le ministre, chers collègues, le texte qui nous est proposé nous donne en tout cas un outil pour défendre une vision fédératrice de nos territoires de montagne. Espace de rêve, de loisir pour certains, poumon écologique, lieu de production agricole pour d’autres, nous réaffirmons clairement que la montagne est avant tout un lieu de vie. Ni réserve d’Indiens ni zone de non droit, les territoires de montagne sont une chance pour la République, à condition que l’on tienne compte de leurs spécificités, de leurs handicaps naturels parfois, de leur richesse et de leurs aménités toujours, de leur besoin de développement et de la nécessité de les protéger.

C’est l’esprit du pacte renouvelé de la nation avec la montagne, cher au Premier ministre, à vous-même, monsieur le ministre, à nous tous ici, et nous sommes très fiers d’y avoir contribué.

Chers collègues, notre groupe votera bien évidemment ce texte, et nous espérons que chacun sur ces bancs aura à cœur qu’il soit adopté à une très large majorité, voire à l’unanimité. On peut rêver – d’autant que la montagne porte souvent au rêve.

Pour la montagne, pour les montagnards, pour les Français, merci ! (Applaudissement sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Wauquiez.

M. Laurent Wauquiez. Monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mesdames les rapporteures, c’est, comme les autres orateurs l’ont souligné, pour nous, les élus de la montagne, un moment empreint d’une dimension toute particulière, qui nous renvoie à 1985, une histoire à laquelle vous aviez d’ailleurs, monsieur le ministre, déjà contribué dans vos précédentes fonctions. Je n’aime pas quand on emploie à tort et à travers le terme « historique », mais ce qu’il y a de sûr, c’est que cette loi est hors-norme, particulière, et qu’elle traduit l’esprit qui est le nôtre.

D’abord par son mode d’élaboration. Vous me permettrez de rappeler, monsieur le ministre, que cette loi a été à l’origine portée par les élus de la montagne, voulue par eux, et qu’elle est issue d’un travail constant que nous avons porté de président de l’ANEM en président de l’ANEM. Je me permets ici d’associer Martial Saddier, Frédérique Massat, qui a été ma présidente bien-aimée et avec laquelle j’ai eu énormément de plaisir à travailler, et désormais Marie-Noëlle Battistel, à laquelle je passerai cette semaine le flambeau.

Ce travail s’est concrétisé lors de l’anniversaire de notre association, à Chambéry, et nous en avions fait notre objectif commun, Frédérique Massat, moi-même et Marie-Noëlle Battistel. Nous sommes donc particulièrement heureux de voir aboutir ici, dans l’hémicycle, une initiative qui est d’abord partie, parce que c’est la force des élus de la montagne, des multiples réunions que nous avons tenues dans tous les massifs.

Je me permets d’associer à ce travail tous les élus convaincus de la montagne sur la durée. Je pense à Charles-Ange Ginesy, ici présent ; je pense à Joël Giraud, qui préside la commission permanente de notre Conseil national de la montagne ; je pense à Dino Cinieri, Jean-Pierre Vigier, Arnaud Viala, Sophie Dion. Je pense aussi, bien entendu, à des personnalités telles que nos deux rapporteures, qui ont joué un rôle absolument décisif dans l’élaboration de ce texte. Merci à vous, Annie Genevard, Bernadette Laclais, pour le temps que vous y avez consacré.

Je pense aussi à des élus comme André Chassaigne, avec lequel j’ai en partage la passion pour le Massif central, ou encore Philippe Folliot, qui a si bien parlé, avec les convictions qui sont les siennes, Jeanine Dubié ou encore Paul Giacobbi, pour la partie qui concerne la Corse. C’est le monde de la montagne qui vous entoure et qui soutient et porte ce projet.

Ensuite, quand nous avons pris cette initiative, force est de relever, monsieur le ministre, que nous n’avions aucune réponse. Force est de relever que nous avons eu peur et qu’à un moment, nous ne sommes pas passés loin de l’échec.

Et c’est votre arrivée qui a tout changé : votre arrivée en tant que ministre nous a permis enfin de trouver une écoute déterminée, un soutien et un poids politique qui a permis d’inscrire cette loi à l’agenda parlementaire.

M. Jean-Pierre Vigier. C’est vrai.

M. Laurent Wauquiez. J’apprécie votre état d’esprit, qui est fait de franchise et de dialogue. Nous n’avons pas les mêmes idées sur tout, loin s’en faut, mais nous sommes capables de nous respecter l’un l’autre et je me souviendrai de la manière dont vous avez abordé ce projet de loi, en nous donnant du temps, de la considération et en mettant au service de la montagne votre influence au sein du Gouvernement.

La montagne s’en souviendra et j’aurai l’occasion de le dire, dans les Vosges, aux côtés de Marie-Noëlle Battistel, lorsque se tiendra, en fin de semaine, notre congrès.

Ce projet de loi est particulier en raison de l’état d’esprit qui nous anime. Il est rare, dans cet hémicycle, que nous ayons la possibilité d’adopter une loi à l’unanimité. Et tel est mon souhait. Vous le savez, ce que je souhaite ardemment, c’est que ce projet sur la montagne puisse être soutenu par tous les élus. Mais pour cela il y a une condition : il faut s’entendre sur l’épineuse question des unités touristiques nouvelles – les UTN.

M. Dino Cinieri. Très bien !

M. Laurent Wauquiez. Vous le savez, les élus de la montagne ont l’habitude de dire qu’entre nous, le premier parti est d’abord celui de la montagne. J’espère que ce dossier ne se mettra pas en travers de la route et que nos discussions permettront d’aboutir, car c’est le seul point d’achoppement ; mais il est important.

Pour le reste, cette loi nous parle, parce qu’elle rappelle que la montagne est une chance pour la République : vous y avez veillé vous-même, à travers des articles qui sont très clairs. Nous ne demandons pas l’aumône, nous ne demandons pas juste la compensation du handicap naturel, comme cela était le cas dans la première loi sur la montagne, celle de 1985. Ce projet est différent parce qu’il reconnaît que la montagne représente d’abord un potentiel, une chance, des territoires qui peuvent apporter leur dynamisme.

Ce sur quoi porte ce texte, c’est sur la volonté de valoriser nos atouts. C’est son premier aspect, qui me semble central.

Le deuxième réside dans la volonté de nous donner une autonomie de développement. La montagne n’est pas une réserve d’indigènes. Les montagnards demandent à pouvoir décider eux-mêmes de leur sort, au lieu d’être les otages d’une politique appliquée depuis Paris. C’est là aussi une approche complètement différente, souvent défendue par mon collègue Lassalle qui porte avec force la voix de la montagne.

Dans ce projet, il y a des acquis au plan théorique, des avancées concrètes et des points sur lesquels nous souhaitons encore progresser.

Les acquis sont importants. La loi parle non seulement d’adaptation, mais d’expérimentation : c’est un changement profond dans la conception de la loi. Jusqu’alors nous avions une loi marquée au fer du centralisme parisien et caractérisée par l’incapacité de nos administrations centrales à accepter et à comprendre qu’on pouvait faire des expérimentations différenciées sur le territoire. Vous avez fait avancer cette idée et vous l’avez inscrite dans la loi. Nous ne nous bornons pas au principe d’adaptation, nous pouvons dire : « Toutes les lois ne sont pas les mêmes sur le territoire de la République », ce qui n’affaiblit en rien notre conception commune de ce que doit être la République.

Deuxième point important, je l’ai dit : nous parlons de développement économique, de progrès, d’innovation. Les territoires de montagne ne sont pas des territoires archaïques, ce sont des territoires d’innovation, d’initiative, de prise de risque. C’est cette dimension que vous avez su reconnaître et nous vous en sommes très reconnaissants.

Au-delà de ces acquis, les montagnards aiment les choses concrètes. Les avancées sont là, sur des sujets de vie quotidienne : l’école, les saisonniers, la pluri-activité, la téléphonie et internet. Comment ne pas relever à quel point il est indigne que dans les grandes villes, internet soit installé à très haut débit gratuitement et immédiatement, alors que dans des territoires de montagne, avec les contraintes qui sont les nôtres, nous soyons obligés de payer et d’attendre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Martial Saddier. Il a raison !

M. Laurent Wauquiez. Il est indispensable de changer d’approche.

Sur des sujets qui ont été abordés de manière idéologique, vous faites bouger les lignes : je pense à la question des prédateurs, sur laquelle nous nous sommes si souvent retrouvés avec Frédérique Massat.

La question de la reconnaissance de l’irrigation, en matière agricole, a trop souvent constitué un tabou. Je pense encore au problème des stations de ski, sur lequel vous avez évolué en reconnaissant l’importance des marques attachées à des stations et non à des territoires trop vastes : l’intercommunalité n’est pas adaptée au marketing touristique.

Enfin, je pense, en associant à mes propos notre collègue Giacobbi, à l’importance de la Corse et à la reconnaissance de son statut de montagne dans la mer. C’est un sujet qui nous tenait à cœur, puisque nous avons eu l’occasion d’organiser plusieurs séances de travail en Corse, et je suis heureux que ce point-là soit inscrit dans le projet.

Restent maintenant les sujets sur lesquels nous voulons progresser. En premier lieu, vous le savez, il me tient à cœur que nous puissions inscrire pour la première fois dans la loi que la République n’est pas faite que d’habitants, mais aussi de territoires. Nous nous sommes trop souvent heurtés à une jurisprudence du Conseil constitutionnel – qu’il s’agisse de la ruralité ou de la montagne – raisonnant de manière purement arithmétique en fonction du nombre des habitants. Nous avons besoin de faire évoluer cette jurisprudence et il est important qu’à cette occasion, l’organisation de la République prenne en compte les territoires et pas uniquement les habitants.

M. Dino Cinieri. Très bien !

M. Laurent Wauquiez. Deuxième point, André Chassaigne l’a évoqué : on ne peut pas faire une loi d’aménagement du territoire sans qu’il y ait des dispositions budgétaires. Nous sommes très conscients des contraintes qui sont les vôtres, c’est pourquoi nous ne demandons pas des moyens en net. Ce que nous demandons en revanche, c’est qu’à l’occasion de cette loi sur la montagne, des garanties soient données, notamment sur la prise en compte, dans le calcul des dotations aux collectivités locales, du surcoût de la pente. De même, il faut revoir le fonctionnement des agences de l’eau : j’ai l’habitude de dire que lorsqu’on trouve une ressource naturelle quelque part, on ne la prend pas sans payer. La montagne offre son eau à la totalité du territoire national : il est normal que ce rôle soit reconnu.

Enfin, il y a trois sujets qui sont importants pour nous. D’abord, celui des zones grises. C’est l’un des problèmes emblématiques qui nourrissent le sentiment d’abandon de nos territoires. Nous devons travailler sur cette question et voir comment, dans un certain nombre de cas, on peut demander aux opérateurs de mutualiser des équipements. Aujourd’hui, trop souvent, ils n’acceptent pas de les mutualiser. On traite les zones blanches, mais les zones grises restent. Assumons d’opérer une transgression sur ce sujet.

Deuxièmement, on ne peut légiférer sur la montagne sans aborder les thématiques de santé. Nous nous sommes souvent battus sur cette question, les élus savoyards en particulier.

Restent enfin les UTN : de grâce, monsieur le ministre, n’alourdissez pas la procédure ! Il y a un accord sur celle-ci. Je comprends votre souhait de faire bouger les lignes, mais faisons-le sans alourdir la procédure. C’est tout le sens des lettres envoyées par le Président de la République : pas d’alourdissement des procédures.

Pour nous, c’est un point fondamental pour le vote du texte. Les stations de ski font partie de l’économie de la montagne, avec des centaines de milliers d’emploi en jeu sur l’ensemble du territoire national. Des procédures trop lourdes tueraient ce qu’est une station de ski, c’est-à-dire en réalité une petite entreprise.

M. Martial Saddier. Très bien !

M. Laurent Wauquiez. Je voudrais finir, monsieur le ministre, sur un point très simple : depuis des années, l’aménagement du territoire a reculé. C’est une profonde erreur de croire que nous construirons la République de demain autour de métropoles. Vous avez compris – et vous envoyez ce message – que nous renouons avec la promesse de la IIIRépublique : celle de l’équité pour tous les habitants, où qu’ils soient.

C’est cette vision que nous voulons défendre.

La seconde vision, sur laquelle vous créez une rupture et qui restera dans l’histoire de la législation, consiste à comprendre que les territoires sont différents : l’ambition et les valeurs de la République leur sont communes, mais leur déclinaison doit se faire de manière adaptée. La montagne, de ce point de vue, montre en éclaireur ce que peut être la République de demain. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains, du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Jeanine Dubié.

Mme Jeanine Dubié. La loi sur le développement et la protection de la montagne votée en 1985, texte fondateur pour l’ensemble des montagnards, était le fruit d’une ambition : celle d’élus visionnaires et solidaires, convaincus qu’il fallait dépasser leur appartenance politique pour servir les intérêts de la montagne, défendre ces territoires et faire reconnaître leur spécificité. Ce texte est devenu la charte de la montagne française qui, rappelons-le, représente un cinquième du territoire français.

Trente-deux ans plus tard, nous accueillons avec une grande satisfaction cet acte II de la montagne, qui permettra d’actualiser et de compléter le droit en vigueur, afin de mieux répondre aux besoins quotidiens des habitants.

Avant toute chose, notre groupe a particulièrement apprécié la méthode de co-construction entre le Gouvernement, le Parlement et les associations d’élus lors de l’élaboration de ce texte. Ce processus a permis de donner avant tout la parole aux élus de terrain, et notamment à ceux de l’ANEM, sous le pilotage du président Wauquiez et la vigilance sans faille de sa secrétaire générale Marie-Noëlle Battistel.

Monsieur le ministre, je veux vous remercier très sincèrement d’avoir su insuffler cet état d’esprit et je tiens également à saluer votre engagement personnel, pour que l’excellent rapport de nos collègues députées Annie Genevard et Bernadette Laclais ne reste pas lettre morte. Je voudrais aussi les remercier pour le travail réalisé tout au long de l’élaboration du texte, tout comme je remercie Béatrice Santais.

Nous avons la conviction que les mesures contenues dans ce texte vont faire avancer concrètement les dossiers sur lesquels nous nous battons au quotidien, pour que les montagnards puissent bénéficier d’un égal accès aux soins, aux services publics, à l’école, aux transports, à l’emploi ou encore aux infrastructures numériques.

Disons-le d’emblée, nous sommes satisfaits du travail effectué en commission.

À l’article 1er, sur les grands principes de la politique nationale de la montagne, l’adoption d’amendements importants qui précisent les finalités auxquelles doivent répondre les politiques publiques, mais aussi la reconnaissance de la notion d’aménités, c’est-à-dire des contributions positives apportées par l’espace montagnard à l’ensemble du territoire français, sont à saluer.

Ces grandes orientations traduisent des revendications légitimes pour améliorer concrètement la vie quotidienne des habitants des zones de montagne et nous sommes particulièrement attentifs aux enjeux agricoles, scolaires, touristiques ainsi qu’au déploiement du numérique.

Nous nous sommes attachés à favoriser le déploiement du numérique et de la téléphonie mobile, et à renforcer l’effort de couverture numérique sur l’ensemble du territoire. Nous avons réaffirmé dans le texte la nécessité de soutenir la transition numérique dans les territoires de montagne. Nous saluons également l’adoption d’un amendement particulièrement important qui précise que les territoires ruraux et notamment de montagne doivent pouvoir bénéficier d’un soutien de l’État plus important en matière de raccordement, dans la mesure où les coûts induits sont plus élevés en zone de montagne. Une fois encore, je regrette profondément que l’aménagement numérique en France se soit construit sur le principe concurrentiel, ce qui inévitablement sert d’abord les zones rentables, la construction d’infrastructures suivant la règle du marché.

En matière agricole ensuite, le présent projet de loi réaffirme l’importance de soutiens spécifiques aux zones de montagne permettant une compensation économique des handicaps naturels par une aide directe aux revenus, mais aussi en faveur des outils de stockage, de production et de transformation. Il prévoit aussi la nécessité de favoriser une politique équilibrée de stockage de l’eau pour un usage partagé. Il apporte également des précisions sur la gestion différenciée des moyens de lutte contre les prédateurs, prenant en compte les spécificités des massifs concernés, notamment en matière d’élevage.

À titre personnel, je veux enfin dire ma satisfaction de savoir adoptées les dispositions qui permettront de moderniser la gestion des biens et des droits indivis par les commissions syndicales, ces ancêtres des intercommunalités spécifiques aux Pyrénées qui ont montré leur efficacité.

Sur le maintien des écoles de montagne, un amendement, adopté à l’unanimité, a permis d’inscrire dans la loi les dispositions de la circulaire du 30 décembre 2011 relative aux écoles situées en zone de montagne. Nous vous proposerons de le préciser en séance, en formulant un certain nombre d’indicateurs qui justifient l’application de modalités spécifiques, en termes de seuil d’ouverture et de fermeture de classe, au regard de leurs caractéristiques montagnardes, de la démographie scolaire et des conditions d’accès par les transports scolaires.

Enfin, si nous sommes satisfaits du texte enrichi par le travail parlementaire en commission, il reste cependant des ajustements à effectuer : nous le ferons ensemble.

Permettez-moi de former le vœu que, tout au long de l’examen dans l’hémicycle, et par-delà nos divergences légitimes, nous veillions à la sérénité de nos débats, pour préserver cette juste exigence demandée par nos concitoyens, dans le souci d’avancer ensemble vers le bien commun pour nos territoires de montagne, que nous portons tous ici dans notre cœur.

Je terminerai en citant un proverbe chinois : « Veut-on savoir ce qui se passe dans les montagnes ? Il faut interroger ceux qui en viennent. » C’est ce que vous avez fait, monsieur le ministre. Merci ! (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe socialiste, écologiste et républicain, et sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Alain Calmette.

M. Alain Calmette. Ce projet de loi de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne vient, comme chacun le sait, compléter, approfondir, adapter et enrichir le texte fondateur de janvier 1985.

À cet instant, je voudrais rendre un hommage appuyé à l’un des inspirateurs de ce texte fondateur puisqu’il était au banc du Gouvernement, à votre place monsieur le ministre : je veux parler de René Souchon, ministre délégué à l’agriculture et à la forêt qui, dès 1982, alors député du Cantal, en tant que président d’une commission d’enquête parlementaire sur l’économie des zones de montagne, avait avancé les concepts novateurs à l’époque de politique différenciée et d’auto-développement.

Plus de trente ans après, une nouvelle étape était nécessaire pour aller plus loin autour de deux préoccupations principales. D’abord, il fallait intégrer les évolutions économiques, institutionnelles et technologiques qui ont bouleversé le paysage montagnard : l’explosion du tourisme, l’évolution de l’organisation territoriale, l’émergence de l’exigence écologique ou l’avènement du numérique. La deuxième préoccupation de ce texte, me semble-t-il, est de changer l’appréhension des territoires de montagne. Si la loi de 1985 insistait principalement sur la compensation des handicaps, le présent projet de loi insiste aussi sur la valorisation des atouts de la montagne, sur une vision offensive, optimiste, valorisante de nos territoires montagnards qui sont une richesse et une chance pour notre pays en matière de qualité de vie, de croissance économique et d’emploi et, surtout, peut-être, de capacité d’innovation.

Ce projet de loi pourrait sembler incomplet ou partiel – c’est un sentiment que l’on peut avoir à sa lecture – si on ne le met pas en perspective. Or, il n’a pas l’ambition, par ailleurs irréaliste, de traiter tous les sujets relatifs à la montagne. Il faut, je crois, l’envisager pour ce qu’il est, c’est-à-dire d’abord un texte qui complète les dispositifs existants – la loi de 1985 – et qui s’articule avec d’autres lois ou dispositifs adoptés récemment qui s’intéressent aux problématiques spécifiques de la montagne mais dans un cadre plus général. Je veux parler par exemple du travail saisonnier – en partie traité dans la loi « travail » –, des schémas départementaux d’accessibilité des services au public inclus dans la loi NOTRe, des conventions ruralités développées par la ministre de l’éducation nationale ou des nouveaux contrats de ruralité que vous avez initiés, monsieur le ministre.

Toutes ces avancées concernent la ruralité en général mais s’appliquent bien entendu – et parfois surtout – dans les territoires de montagne, en particulier en zone de moyenne montagne en proie à une déprise démographique car la montagne est diverse, comme la ruralité : s’il y a des ruralités, il y a aussi des montagnes qui se portent plus ou moins bien et dont les dynamiques économiques et démographiques sont très contrastées, pour ne pas dire contraires.

Alors, ce texte vise à compléter ces mesures différenciées au profit des territoires les plus fragiles et je ne doute pas que le débat qui nous occupera ces prochaines heures permettra d’aller encore plus loin sur les trois sujets qui, lors de nos discussions en commission, sont apparus comme fondamentaux : le numérique dont le déploiement, absolument crucial, ne doit pas faire oublier les problématiques de couverture de téléphonie mobile ; l’éducation, dont le caractère prioritaire dans le budget de la nation doit être décliné dans les territoires de montagne, et le secteur de la santé dont les situations sont spécifiques, je songe par exemple aux hôpitaux isolés ou à la menace des déserts médicaux.

S’agissant de l’agriculture, je suis un peu plus circonspect. Je pense, en effet, que nous aurions pu discuter d’un label « montagne » mieux défini et encadré, capable de générer une valorisation des produits qui en sont issus, valorisation moins importante que pour les produits bio, IGP ou AOP bien entendu, mais valorisation permettant néanmoins une plus-value par rapport aux produits conventionnels.

Enfin, comme tous mes prédécesseurs à cette tribune, je voudrais me féliciter et vous féliciter, monsieur le ministre, de la méthode que vous avez employée pour élaborer ce projet de loi, celle du consensus, de la concertation et du dialogue qui permettra, je l’espère, de réunir la plus large majorité pour l’adopter. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Joël Giraud. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Martial Saddier.

M. Martial Saddier. Monsieur le ministre, mesdames les rapporteures de la commission des affaires économiques, madame la rapporteure pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, mes chers collègues, je souhaite à mon tour remercier l’ensemble des acteurs qui ont permis que cet acte II de la loi « Montagne » voie le jour et soit discuté dans cet hémicycle. Je remercie bien évidemment les différents présidents de l’ANEM : le combat a en effet commencé avec François Brottes et s’est poursuivi jusqu’à Laurent Wauquiez – sans oublier un salut à Frédérique Massat ici présente. Je salue aussi les différents présidents de la commission permanente du conseil national de la montagne – Michel Bouvard a commencé – je salue l’actuel président Joël Giraud – et Mmes les rapporteures Annie Genevard, Bernadette Laclais et Béatrice Santais, qui ont réalisé un travail remarquable. Je vous salue également, monsieur le ministre, car comme le président Wauquiez l’a fort bien dit, sans votre arrivée, nous n’en serions pas là.

M. Dino Cinieri. C’est vrai.

M. Martial Saddier. Je suis fier, quant à moi, d’avoir représenté ma famille politique au col du Lautaret lors de l’un des actes fondateurs qui a présidé au lancement de ce débat.

Cet acte II respecte la loi de 1985 – il s’agit d’une mise à jour, d’une révision, d’une modernisation, entre respect de la protection et développement de la montagne.

Je suis beaucoup intervenu, j’étais très présent lors des réunions de la commission du développement durable et de la commission des affaires économiques, je ne dispose que d’un temps de parole de cinq minutes.

Je vous remercie d’avoir accepté les amendements concernant l’eau, le fait industriel en zone de montagne, le fait frontalier – nous partageons ces préoccupations avec Mmes Santais et Genevard –, ces amendements que nous avons défendus avec Lionel Tardy, Dino Cinieri et Charles-Ange Ginesy, le président des maires de stations de ski.

Je vous remercie donc pour ces échanges mais vous comprendrez que, compte tenu du temps dont je dispose, je m’en tienne à un sujet très particulier, très technique – je vous prie de m’en excuser d’autant plus qu’il s’agit d’une discussion générale. Cette question concerne essentiellement les départements de Haute-Savoie, de Savoie et, à la marge, chère Marie-Noëlle Battistel, de l’Isère. Je veux parler plus particulièrement de l’article 19 et des UTN, les unités touristiques nouvelles.

À ce stade, nous avons un désaccord de fond mais je ne désespère pas que nous puissions y remédier pendant la discussion du texte au Sénat, en CMP ou dans cette Assemblée.

Tout d’abord, il est à mes yeux difficile d’accepter qu’une loi « Montagne » détricote une procédure spécifique à la montagne, de telles procédures étant dans l’ADN des élus de la montagne et du combat que nous menons ensemble depuis 1985. Or, tel est bien ce à quoi tend l’article 19 : il s’agit de détricoter une procédure spécifique pour rejoindre le droit commun. Je me permets de soulever ce point comme je l’ai fait en commission, monsieur le ministre, vous le savez.

Deuxième désaccord de fond : certains pensent que nous pouvons planifier le développement des zones les plus dynamiques – c’est-à-dire les stations de ski – et d’autres, comme moi, considèrent que c’est très difficile, voire, impossible notamment en raison d’une concurrence accrue…

M. Laurent Wauquiez. Lui sait ce dont il parle.

M. Jean-Pierre Vigier. Très bien !

M. Martial Saddier. …puisqu’il s’agit d’un secteur marchand. Le président de l’ANEM, Laurent Wauquiez, l’a dit : les maires de stations sont aussi des chefs d’entreprise. C’est cela, le cœur du débat ! Les stations de ski sont des entreprises et les maires sont des chefs d’entreprise ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.) Il n’est donc pas possible de planifier le développement comme, ailleurs, on peut planifier l’urbanisme.

J’espère que nous pourrons lever les ambiguïtés avant la discussion de l’article 19 : que se passe-t-il en l’absence de PLU, de PLUi, de SCoT ?

M. Éric Ciotti. Très pertinent !

M. Dino Cinieri. Absolument !

M. Martial Saddier. Que se passe-t-il dans les communes qui sont encore sous le régime des plans d’occupation des sols, les POS ?

Le débat de fond, c’est que nous ne devons pas non plus « noyer » la montagne dans des périmètres plus grands où les urbains commanderont. Là est le point fort que j’ai soulevé avec le SCoT, là est ce qui m’inquiète, au plus haut point : la « dilution » de la montagne dans le fait urbain. Je n’ai eu de cesse de soulever ce problème.

M. Laurent Wauquiez. C’est le point fondamental.

M. Martial Saddier. Je le dis amicalement et sincèrement – vous savez comment j’ai occupé les fonctions de président de la commission permanente du CNM et de l’ANEM : je ne voudrais pas que l’article 19 soit pris en otage par l’article 18. Il n’est pas possible de négocier le retour des offices de tourisme avec les UTN. Je ne dis pas que cela nous est proposé mais, lors de la discussion de la loi NOTRe, tous les élus de la montagne ont pointé les problèmes liés aux offices du tourisme et, aujourd’hui, il ne faut pas profiter de la loi « Montagne » pour revenir sur cette question : il faut absolument que nous parvenions à régler le problème des UTN.

Un exemple concret que je n’ai pas voulu, ni vous. Entre la discussion du texte en commission et en séance, un préfet de l’un des départements les plus dynamiques nous a proposé un périmètre de SCoT. C’est pour moi un don du ciel, monsieur le ministre, et Dieu sait que je ne l’ai pas voulu ! Il étaye toutes les explications que j’ai données en commission : un SCoT qui inclut 18 stations de ski, 32 communes, 115 000 habitants ; les stations de ski représentent 35 % de la population pour près de 27 % de la surface du département alors que l’on compte 230 000 lits touristiques. Je répète : 35 % de la population ! Le fait urbain sera donc majoritaire alors que les lits touristiques ne compteront plus. Nous sommes très inquiets car le fait urbain conditionnera l’urbanisme.

Au début de nos discussions j’étais le seul, avec Charles-Ange Ginesy, à soulever ce débat. Je gage que l’exemple concret que je viens de citer montre, si ce n’est que j’ai raison, du moins, que je n’ai pas forcément tort.

Je souhaite voter cette loi mais que se passe-t-il en l’absence de SCot ? Que se passe-t-il lorsque les communes sont encore sous le régime des POS, que se passe-t-il lorsqu’elles sont sous celui des PLU non compatibles avec le Grenelle de l’environnement ? Que se passera-t-il avec l’évolution et la mise à jour des SCoT sur les territoires que je viens de citer ? Dix UTN sont en cours et il faudra en prévoir dix. Est-ce vraiment compatible avec l’article 19 tel qu’il est rédigé ?

Je ne vous demande qu’une chose, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est de ne pas « geler » les stations de ski, si vous me passez l’expression, et les parties les plus dynamiques de la montagne.

Je le souhaite et j’en suis persuadé : nous parviendrons à trouver un accord. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Dino Cinieri. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Jacques Bompard.

M. Jacques Bompard. Monsieur le ministre, mesdames les rapporteures, chers collègues, pour moi, la montagne est la zone frontière par excellence. Ce texte montre également qu’elle est une zone frontière de nos lacunes institutionnelles et politiques. Doit-on par exemple accepter les sommets idéologiques tels que ceux qui composent les trois premiers articles ?

Je cite un passage pour que ceux qui nous regardent perçoivent le cancer technocratique qui mine nos travaux : « La République française reconnaît la montagne... ». Vous en êtes donc arrivés au point ou une construction contractuelle et administrative par ailleurs largement discutée aujourd’hui voudrait négocier avec un élément réel s’il en est pour qu’il soit parfaitement reconnu ! Messieurs, c’est vraiment témoigner là d’un étrange manque de cohérence. Il faut faire ce détour important par les idées politiques pour comprendre comment vous tombez de velléités déséquilibrées en cadeaux d’usage.

À l’article 2 se déploient des formalités pour le conseil national de la montagne. Au chapitre II quelques béotiens, dont je suis, peinent à comprendre l’intitulé : « Moderniser la gouvernance des territoires de montagne ». À l’article 6, vous présagez déjà des entourloupes entre l’État, les conseils régionaux, le conseil de la montagne et les fonds européens.

Est-ce maladif ? Est-ce là une volonté marquée d’imposer une philosophie de l’artificiel contre tous les tenants de la primauté de la nature et de son harmonie sur les constructions idéales ou est-ce simplement un détournement du pouvoir de décision politique par des technocrates incapables d’employer un autre vocabulaire que le sabir de leurs cabinets ?

Sous le verbiage, il y a des gens, des familles, des paysans et des artisans, qui ne veulent ni d’une reconnaissance jacobine, ni d’une visite annuelle de commissaires européens. Au contraire, ils veulent moins d’intrusions de l’État, plus de libertés et une trêve à la guerre fiscale que les partis politiques mènent au pays réel et qui le détruit.

Je suis hilare en voyant votre article 4 bis ouvrant des possibilités pour les conseillers régionaux afin de nommer des vice-présidents de la montagne ! Sans doute est-ce une possibilité de plus pour quelques factions de négocier ralliements et abandons.

Le texte confine à l’hallucination collective quand on comprend que du Massif central aux Pyrénées en passant par le mont Ventoux, un projet de loi vise à normaliser des manières de vivre et de travailler qui diffèrent singulièrement entre elles. Nous en revenons d’ailleurs au départ de mon discours : le Ventoux de Giono n’est pas l’alpage de Rousseau – et c’est leur force – mais il fallait bien qu’ils s’uniformisassent pour qu’un conseiller ministériel s’écrie, fier et fort : « Grâce à mon texte, l’Assemblée reconnaît la montagne » !

Alors, puisqu’il nous faut bien discuter au sein de ce cadre artificiel, voici quelques propositions.

Je dirais que la France est victime d’une sédation profonde par l’injection constante du centralisme parisien. Qu’à cela ne tienne, libérez les hauts fonctionnaires de ces questions et laissez les municipalités représentatives des montagnards négocier directement avec les régions ! À quoi vous répondrez – article 8 ter : il faut bien aménager les services publics ! Tous les voisins du Ventoux ont subi leur désertion depuis des décennies, ont réclamé leur maintien et ont vu l’argent filer vers les offices HLM d’Avignon et de Carpentras. Dès lors, ils ne vous croient plus un instant.

Enfin, chers collègues, puisque vous avez toujours l’écologie au coin de la bouche, rappelez-vous qu’elle est d’abord le respect que l’homme doit au cadre de vie dont il a été institué le maître. En ce cas, la montagne ne présente pas des handicaps mais des limites ; en ce cas, le travail saisonnier est par définition prisonnier des cycles et l’immobilier de loisir se développera par le contrôle et le dynamisme – non par des reconnaissances de l’Assemblée nationale mais parce que les montagnards auront pu en décider librement ainsi, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. En un mot, plus de Jean Lassalle et moins de Jacobins, les brebis n’en seront que mieux gardées !

M. le président. La parole est à Mme Sophie Dion.

Mme Sophie Dion. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames les rapporteures, madame la présidente de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, pour les populations qui vivent à la montagne, la loi du 9 janvier 1985 constitue un texte fondateur, un texte emblématique, innovant et ambitieux, véritable reconnaissance de la spécificité territoriale et de notre identité montagnarde.

Trente ans après, ce sentiment d’appartenance à un territoire hors du commun est toujours aussi fort. Ce projet de loi en est la concrétisation.

Il est aussi le résultat des promesses tenues par le Premier ministre lors du trentième congrès de l’Association nationale des élus de la montagne, puis à Chamonix, en ouverture du Conseil national de la montagne, dont je salue bien entendu le président, Joël Giraud. Il est, enfin, le résultat de l’action sans relâche de l’ANEM, de son président, Laurent Wauquiez, et de sa secrétaire générale, ainsi que de l’ensemble des élus de la montagne.

Je veux bien sûr saluer aussi très sincèrement mes deux collègues Bernadette Laclais et Annie Genevard pour le travail remarquable qu’elles ont mené avec beaucoup de détermination, de sérieux et d’esprit de consensus.

La montagne, c’est vrai, n’est ni de droite, ni de gauche ; mais, comme l’a joliment dit Laurent Wauquiez, elle est une chance pour la France. La difficulté, dès lors, est de faire valoir un double impératif : que l’on vienne à la montagne, mais aussi que l’on y vive. Cela appelle deux remarques de ma part.

En premier lieu, il faut donc que l’on vienne à la montagne ; sur ce point, le projet de loi comporte des avancées indéniables, s’agissant en particulier des offices de tourisme communaux. Je vous remercie, monsieur le ministre, d’avoir défendu cette exception à la loi NOTRe, comme je remercie le président Charles-Ange Ginesy pour la mobilisation qu’il a menée.

M. Éric Ciotti. Ça, c’est vrai !

M. Charles-Ange Ginesy. Merci !

Mme Sophie Dion. Mais tout n’est pas réglé. Vous l’avez compris, un sujet bloquant demeure – même si j’espère que ce ne sera pas le cas – avec l’article 19. Il faut en effet, monsieur le ministre, trouver une solution : vous devez le comprendre. On ne peut continuer à proclamer que nous sommes les meilleurs dans le domaine du tourisme sans donner à nos entreprises de tourisme les moyens d’être compétitives et de faire valoir une économie au plus haut niveau. Sur cette question, j’espère donc que la discussion parlementaire permettra d’avancer dans un sens qui satisfasse chacun d’entre nous.

Il faut aussi, disais-je, pouvoir vivre à la montagne. Sur ce point encore, le texte comporte des avancées, mais pas assez à mon goût. Il n’est pas acceptable, en effet, de voir nos jeunes dans l’obligation de quitter la montagne et, avec elle, ce qu’ils aiment tant, leur famille, leur milieu de vie, à cause des effets dévastateurs, pour la montagne, de la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite « ALUR ». Celle-ci prend en compte l’urbanité, mais elle a, je le répète, des effets pervers pour la montagne et les politiques qui devraient y être menées.

Il n’est pas non plus acceptable que nos hôpitaux de proximité ferment, et que nos territoires deviennent des déserts médicaux faute de médecins généralistes et spécialistes. Je regrette que les critères de distance ne soient pas pris en compte : chacun, ici, sait bien qu’un kilomètre en montagne n’est pas un kilomètre en plaine.

M. Laurent Wauquiez. Tout à fait !

Mme Sophie Dion. On ne raisonne pas, pour les territoires de montagne, comme on le fait pour les territoires plats : ce sont, là encore, des vérités d’évidence.

L’accès aux soins est certes essentiel, mais n’oublions pas non plus l’accès aux transports publics. La suppression de lignes et de dessertes ferroviaires n’est pas non plus acceptable, car elle est un facteur d’enclavement de nos territoires et contribue à former des nids de recrudescence de la pollution atmosphérique.

Troisièmement et enfin, nos montagnes doivent faire l’objet de politiques avant-gardistes. Il nous faut réfléchir au niveau de l’arc alpin comme au niveau de certains massifs. Rappelons en particulier que l’Europe de la montagne existe. On constate aussi, dans certains territoires, que des gens quittent la montagne sans avoir la possibilité d’y mener une vie décente. Sur ce point, nous pourrions partager les bonnes pratiques et les savoir-faire, car l’on apprend parfois des autres : cela nous permettrait de mener cette politique ambitieuse de la montagne et, plus généralement, de l’Europe de la montagne. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Roig.

M. Frédéric Roig. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour débattre du projet de loi de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne.

Nous le savons, les territoires ruraux, et particulièrement les zones de montagne, présentent des aspects spécifiques sur le territoire français : pleines de richesses, ces zones subissent aussi de nombreuses contraintes liées à leur nature même. Pour compenser ces handicaps, après la loi fondatrice de développement et de protection de la montagne de 1985, l’actualisation d’une législation adaptée était nécessaire et attendue par l’ensemble des acteurs montagnards : c’est tout l’objet du projet de loi que nous examinons.

Transversal, celui-ci donne les outils pour penser l’avenir et valoriser les massifs montagneux, secteurs stratégiques au grand potentiel de développement sur de multiples plans : économique, environnemental et social, mais aussi touristique.

Il s’agit tout d’abord, avec ce texte, de réaffirmer la particularité des territoires montagneux et de leurs enjeux spécifiques. La reconnaissance de ces particularités géographiques et des « handicaps naturels » permet de poser comme objectif d’intérêt national le développement équitable et durable de la montagne. Je veux saluer tous ceux qui, au quotidien, participent au développement de ces territoires, qu’il s’agisse des agriculteurs, des artisans, des professionnels du tourisme, des chasseurs ou des pêcheurs.

Dans le sud du Massif central, nous avons obtenu l’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO, comme paysages culturels, des Causses et des Cévennes. Le développement de l’agropastoralisme permet de conforter l’agriculture, l’entretien de l’espace, la préservation de l’environnement et le renforcement du tourisme. Les parcs naturels, nationaux et régionaux, ainsi que les grands sites, contribuent à la dynamique économique de la montagne.

C’est la raison pour laquelle il faut soutenir les acteurs. Je pense en particulier au problème spécifique du défrichement, pour lequel, je l’espère, une solution sera trouvée au cours de l’examen des articles. Si la loi d’avenir pour l’agriculture a permis des avancées notables sur le sujet, des assouplissements en zone de montagne pourraient être mis en place, dans l’esprit de ce texte qui concilie soutien de l’emploi et préservation de l’environnement. Ces éléments sont essentiels pour maintenir une agriculture performante, productrice de qualité, notamment à travers les produits d’appellation d’origine, tels que le Pélardon ou le Roquefort dans le sud du Larzac – chers aussi à mon collègue Arnaud Viala –, mais aussi les vins du Pic Saint-Loup ou des terrasses du Larzac. La proposition de loi relative à l’ancrage territorial de l’alimentation, en cours d’examen, favorisera la mise en place de circuits courts.

Le soutien aux acteurs qui font vivre nos massifs passe aussi par la lutte contre les prédateurs, en particulier les loups, dont le nombre et les attaques sont en croissance, de même que les zones touchées. La présence du loup est totalement incompatible avec l’agropastoralisme : je ne veux pas que le loup remplace nos éleveurs. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Jeanine Dubié. N’oublions pas non plus l’ours !

M. Frédéric Roig. En complément du plan d’action national « loup », le présent texte permet une gestion différenciée des moyens de lutte contre les prédateurs dans les zones de montagne.

La reconnaissance de la spécificité des zones de montagne s’accompagne de mesures de compensation afin d’apporter toute l’aide nécessaire à ces territoires pour les conduire vers un développement dynamique. Dans cette perspective, le texte permet d’adapter les politiques publiques et renforce le rôle des régions, dans l’optique du maintien de nos populations et de l’attractivité des territoires.

Cela passe, on l’a dit, par le déploiement des nouvelles technologies. Nous le savons, nos territoires ne sont pas épargnés par les difficultés, voire par l’absence de couverture du réseau de téléphonie mobile, certains secteurs étant même dépourvus d’accès à internet. Il arrive que des opérateurs mettent plusieurs semaines pour intervenir sur des pannes, ce qui est inadmissible et incompatible avec le développement économique. Ce texte doit favoriser le déploiement des communications numériques et de la téléphonie mobile, à travers les technologies les plus récentes.

Dans l’Hérault, le Conseil départemental, sous l’impulsion de Kléber Mesquida, a engagé un projet offensif de couverture à court terme de tout le département par le très haut débit. L’amélioration de l’accès au numérique, que ce texte permettra, signifiera un quotidien facilité pour les habitants et une incitation à l’installation d’entreprises sur les territoires concernés.

Selon une enquête menée dans mon département avec mon collègue sénateur Henri Cabanel, 93 % des maires interrogés estiment que, depuis dix ans, les besoins des populations évoluent, l’accès au numérique et l’accès aux soins étant désormais regardé comme des priorités.

Dans nos circonscriptions, nous rencontrons systématiquement des maires qui s’efforcent de garder sur place des agences postales et de développer des centres hospitaliers dotés de scanners ou de véritables services d’urgence.

M. Jean-Pierre Vigier. C’est en effet capital !

M. Frédéric Roig. Malgré des procédures de dématérialisation de plus en plus performantes, il importe en effet de maintenir le lien avec les habitants.

Des schémas sont en cours d’élaboration pour l’accès aux services ; ils sont conjointement mis en œuvre par l’État et les conseils départementaux. Vous avez lancé, monsieur le ministre, les contrats de ruralité et les maisons de services : autant de réalisations qui mettent en cohérence le travail effectué en zone de montagne.

Le présent texte est le fruit d’un travail considérable mené par tous les élus de la montagne – notamment au sein de l’ANEM, on l’a rappelé –, le fruit, aussi, d’un travail collaboratif. Pour conclure, je veux remercier Mmes les rapporteures pour leur travail, le Gouvernement pour la qualité du texte qu’il nous soumet, et chacun pour son investissement au service de l’avenir de la montagne. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

(M. David Habib remplace M. François de Rugy au fauteuil de la présidence.)

Présidence de M. David Habib

vice-président

M. le président. La parole est à M. Charles-Ange Ginesy.

M. Charles-Ange Ginesy. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, il y a trente ans, nos prédécesseurs sur ces bancs adoptaient à l’unanimité la loi montagne : j’espère que nous pourrons en faire de même avec le texte qui nous est soumis aujourd’hui. La loi montagne, acte législatif fondateur élaboré avec l’ensemble des acteurs de la montagne, avait été bâtie, déjà, grâce à une « co-construction ». Pour la première fois, il incluait une dimension de développement durable, ce qui, en 1985, n’avait pas le même retentissement qu’aujourd’hui. L’exception montagnarde, néanmoins, était née.

Trente ans plus tard, le monde a changé, qu’il s’agisse des offres de loisir, des évolutions technologiques, des mutations sociétales et démographiques ou du climat, dont l’évolution nous préoccupe. Surtout, la révolution du numérique a fait naître un monde nouveau. C’est à partir de ce constat que nous demandions, depuis plusieurs années, la révision et l’adaptation de la loi de 1985 : demande entendue, cher Joël Giraud, lors du Conseil national de la montagne, réuni au sommet du Montenvers. Nous nous sommes tous mis à l’ouvrage ; Laurent Wauquiez, l’ensemble des parlementaires présents, parmi lesquels Martial Saddier et Lionel Tardy : tous plaidaient pour la révision de la loi de 1985.

Nous avons besoin, monsieur le ministre, d’une loi spécifique, car la montagne est particulière. Certains de nos amendements sont rejetés au motif qu’ils contreviennent au principe d’égalité entre les territoires : selon moi, c’est le cœur même du débat. Je connais, monsieur le ministre, votre conviction, en tant qu’élu rural. Nous comptons bien entendu sur vous pour que le présent texte soit élaboré en tenant compte de cette exception.

Je pense notamment à l’économie des stations de sports d’hiver, dont Martial Saddier s’est fait l’écho tout à l’heure, et au sujet de laquelle Laurent Wauquiez a, si je puis dire, enfoncé le clou. Nous sommes plusieurs à le rappeler aujourd’hui : plus de 9 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 120 000 emplois, ce n’est pas rien.

Je dirai, me tournant vers Bernadette Laclais, que cette richesse se partage avec l’ensemble des territoires : ce que nous gagnons avec les stations de sports d’hiver, avec cet esprit d’entreprise et les dirigeants qui le font vivre, irradie l’ensemble des territoires. Il faut donc aider ces chefs d’entreprise que sont les maires.

M. Laurent Wauquiez. Absolument !

M. Charles-Ange Ginesy. La France dispute le leadership : notre pays est la première destination mondiale, la plus attractive, pour le ski ; ou plutôt il l’était puisque, peu à peu, une compétition l’oppose avec le continent nord-américain, derrière lequel il est repassé cette année. Alors merci, monsieur le ministre, de nous avoir entendus sur la compétence relative au tourisme : un transfert aux intercommunalités eût été l’arrêt de mort de certaines marques et de certaines stations.

Avec les élus de la montagne, nous avons battu le fer ; et, monsieur le ministre, vous nous avez entendus. Nous défendrons quelques amendements d’ajustement, s’agissant notamment de la prise en compte des offices de tourisme de première catégorie : nous en débattrons lors l’examen des articles.

Les enjeux posés par le numérique sont également une chance. Je me bats, en particulier, pour le déploiement de la fibre optique.

Je l’ai dit en commission, il y a là une technologie qu’il faut déployer sur l’ensemble du territoire. Avec Éric Ciotti, nous en avons, grâce à un schéma départemental qui va amener le très haut débit partout, fait la démonstration dans le département des Alpes-Maritimes.

Aujourd’hui, moins de la moitié des stations françaises ont une couverture partielle en téléphonie de quatrième génération et seules 20 % d’entre elles ont un accès à la fibre très haut débit. Nous avons donc besoin de progresser sur ce sujet.

Le tourisme a également un impact sur l’aménagement du territoire comme sur les équipements de montagne : si nous en avons longuement parlé en commission, il faudra y revenir en séance au moment de la discussion des articles. Cet impact ne doit pas être minoré dans la réforme des Unités touristiques nouvelles prévues à l’article 19. Martial Saddier, qui a été l’un des porteurs de ce projet de loi, en est le principal défenseur.

Monsieur le ministre, comme vous l’avez compris, nous avons besoin de co-construire cette loi montagne. Je serai de ceux qui exprimeront ce besoin. Je le ferai d’autant mieux que nos amendements seront acceptés.

Je suis persuadé qu’ensemble, nous marquerons encore plus, avec cet acte II de la loi montagne, la spécificité de la montagne et surtout que nous ferons en sorte que la montagne française soit une montagne gagnante. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Laurent Wauquiez. Très bien !

M. le président. La parole est à M. François de Rugy.

M. François de Rugy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames les co-rapporteures, madame la présidente de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, j’ai l’impression d’être l’un des rares intervenant au cours de ce débat à ne pas être élu d’une région de montagne. L’un de mes collègues bretons disait récemment que le point culminant de notre région se trouvait à une altitude de 3 850 décimètres. (Sourires.)

Évidemment, cela fait quelque peu changer d’échelle. Mais tout élu de la République et de la nation française a en partage un territoire dans lequel la montagne joue évidemment un rôle extrêmement important. Tous les Français sont, en outre, attachés à nos différents massifs montagneux, à leur protection comme à leur développement. Ils souhaitent que la vie y soit à la fois possible et de qualité.

Ceci étant dit, comme plusieurs orateurs l’ont rappelé, la précédente loi montagne remonte à plus de trente ans : il était donc assez logique qu’au terme de ces trois décennies nous soyons amenés à la réviser.

Autant il faut évidemment saluer que la loi de 1985 ait été votée à l’époque à l’unanimité, autant il faut admettre que les réalités ont changé. Comme vous l’avez dit – en tant que co-rapporteure – dans Le Dauphine libéré de ce matin, Madame Laclais, on n’aménage plus aujourd’hui comme on aménageait dans les années 1970.

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Heureusement !

M. François de Rugy. Cela me paraît bien résumer les enjeux actuels, en montagne comme ailleurs. En plaine non plus, on n’aménage plus – et c’est heureux – comme on le faisait au cours des années 1970. En effet, certains erreurs – notamment dans le domaine environnemental – ont à l’époque été commises, et il est heureux qu’elles ne soient pas répétées aujourd’hui. Je peux en témoigner en évoquant notamment le cas de Nantes, où, encore une fois, le point culminant doit à peine dépasser les soixante-dix mètres.

Ce projet de loi, cela a également été dit, ne sort pas de nulle part. Dès son élaboration, les territoires tout autant que les élus locaux y ont été associés, et c’est une excellente chose.

Il s’appuie d’ailleurs très largement, mesdames les co-rapporteures, sur les conclusions du rapport que vous avez déposé en vue de préparer l’examen de ce projet de loi.

La question de l’égalité nous rassemble toutes et tous, et aller vers une plus grande égalité d’accès aux réseaux de communication est une excellente chose. De nos jours, il s’agit d’un enjeu, à l’évidence, crucial.

En effet, il n’est pas possible de s’en remettre sur ce point à la seule logique du marché : j’ai entendu certains de nos collègues – qui habituellement la défendent avec beaucoup de vigueur – se ranger à cet avis. Si nous le faisions, ce sont évidemment les zones les plus peuplées et les plus faciles d’accès, notamment les grandes villes, qui seraient bien desservies, et évidemment pas la montagne.

Au-delà du développement économique, ainsi que des possibilités d’emplois qu’offre cet accès, il a un impact sur la qualité de vie des habitants de tout le territoire et évite à ceux qui habitent dans des zones montagneuses de nourrir le sentiment d’être coupés du reste du monde.

C’est également dans cette optique qu’un volet du projet de loi est consacré aux emplois saisonniers : il s’agit, là encore, sinon d’une spécificité, sinon d’une réalité, forte dans les zones de montagne.

Créer des maisons des saisonniers, veiller à ce qu’ils aient – et l’on sait qu’il s’agit, pas seulement en montagne d’ailleurs, d’un problème aigu – accès au logement, et leur faciliter l’accès à la location va donc dans le bon sens. D’autres zones géographiques pourront s’inspirer de cette évolution.

Je voudrais, enfin, saluer à mon tour la reconnaissance, dans ce projet de loi, de la Corse comme île-montagne, car je sais qu’elle était voulue et portée par les élus de collectivité territoriale. Cette reconnaissance est donc une bonne chose.

Ce projet de loi vise également à mieux maîtriser l’activité touristique qui aujourd’hui est évidemment centrale et primordiale pour beaucoup de territoires de montagne. Mais son développement ne doit pas se faire à n’importe quel prix.

Car, effectivement, si l’on laisse les choses se faire n’importe comment, on le regrette ensuite amèrement. On pourrait ensuite dresser l’amer constat qu’on a tué la poule aux oeufs d’or.

En effet, nos massifs montagneux sont des joyaux naturels. Si l’on peut profiter d’aussi beaux espaces, c’est parce que la nature – et personne d’autre – les a fabriqués et nous les a donnés en héritage.

Nous devons, avant même de songer à l’exploiter, protéger cet héritage. Il est important que les enjeux liés à la nature comme à la biodiversité dans les zones de montagne soient défendus à l’occasion de l’examen de ce projet de loi.

Comme notre collègue André Chassaigne l’a dit tout à l’heure, il faut absolument anticiper les effets du changement climatique car aujourd’hui, les massifs montagneux, y compris en France, y sont de plus en plus soumis. Il nous faut donc absolument anticiper les conséquences de ce changement.

Je conclus : un certain nombre d’amendements ont été déposés – certains de nos collègues y ont fait allusion – sur des sujets épineux. Je pense, pour ma part, qu’il ne faut pas casser l’équilibre qui a été trouvé à propos de l’urbanisation ou d’autres aspects liés à la biodiversité.

Nous y veillerons. Dans cet esprit, nous, députés écologistes réformistes, voterons pour ce projet de loi en faveur de la montagne. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et sur quelques bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

(M. François de Rugy remplace M. David Habib au fauteuil de la présidence.)

Présidence de M. François de Rugy

vice-président

M. le président. La parole est à M. Arnaud Viala.

M. Arnaud Viala. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames les co-rapporteures, madame la présidente de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à vous remercier pour le travail effectué pour revisiter cette loi de 1985 fort bien connue des territoires de montagne, tant ses dispositions sont omniprésentes dans le quotidien des élus qui administrent ces zones, mais aussi de toutes celles et tous ceux qui y vivent et qui y développent leurs activités.

En trente années d’existence, cette loi a pris quelques rides, mais c’est surtout la montagne, comme d’ailleurs le reste de la France, qui a beaucoup évolué. Elle a évolué à la fois dans ses rapports avec les autres territoires, qui ne sont pas soumis aux mêmes dispositions légales, mais aussi, tout simplement, dans ses propres approches, dans ses dynamiques et dans ses attentes.

À cet égard, il me faut souligner à quel point il est crucial que perdure, encore aujourd’hui, et pour longtemps, des dispositions spécifiques à ces territoires. Ils oeuvrent en effet chaque jour pour faire de ce qui pourrait être perçu comme des handicaps naturels liés à leur altitude – et au reste des éléments qui composent leur réalité – de véritables atouts, tant sur le plan de leur aménagement que sur le plan de leur essor agricole, économique ou touristique.

Il me faut, également, souligner, à cette tribune, l’incroyable diversité de la montagne française : il n’y a pas une mais des montagnes. Dans les amendements qu’avec Pierre Morel à l’Huissier et quelques autres collègues nous défendrons dans les heures qui viennent, nous souhaitons porter la voix de la moyenne montagne, cette montagne qui n’en a pas vraiment l’allure – si on la compare aux très hauts sommets des Alpes ou des Pyrénées – mais qui attend pourtant énormément du travail qui débute ici dans l’hémicycle.

M. Laurent Wauquiez. C’est bien !

M. Arnaud Viala. À cet égard, je tiens cet après-midi à faire trois séries de remarques. Sur le plan agricole tout d’abord, je rappelle avec force que l’activité, en particulier d’élevage, est vitale en territoire de montagne. Or la rédaction actuelle de l’article 23 lui ferait courir, si l’on ne la modifiait pas, un grave péril en augmentant encore le nombre et la rigueur des contraintes qui pèsent sur elle.

C’est de la loi montagne de 1985 qu’est né le concept d’Indemnité compensatoire des handicaps naturels qui a objectivé la nécessité de l’exercice d’une solidarité visant à ce que nos territoires ne soient pas progressivement en proie à une inexorable déprise agricole.

Ne commettons surtout pas l’erreur de leur reprendre d’une main ce qu’on leur donne de l’autre en accroissant les contraintes auxquelles ils ont à faire face. Quelques formulations du projet de loi doivent par conséquent être à tout prix retirées ou revues.

Sur le plan de la gouvernance institutionnelle et administrative, le constat est, au terme d’une période extrêmement agitée de modifications des périmètres régionaux, cantonaux et surtout inter-communautaires, implacable : les territoires de montagne, y compris de moyenne montagne, sont les plus lourdement impactés par les contrecoups de la séquence de réformes que nous venons de traverser. Au sein de nos immenses régions, ils sont, en l’absence de dispositions spécifiques, quantité négligeable.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. C’est vrai.

M. Laurent Wauquiez. Je suis d’accord.

M. Arnaud Viala. Les découpages cantonaux basés sur la démographie les ont privés d’un poids au sein des conseils départementaux, et les agrégats inter-communautaires élargis risquent aujourd’hui de leur faire perdre leur identité.

Un seuil dérogatoire de 5 000 habitants a parfois pu être sauvé – de haute lutte – au sein des commissions départementales de la coopération intercommunale, les CDCI, selon le bon vouloir des préfets et en dépit d’une procédure pour le moins complexe et hasardeuse dans ses résultats.

Il faut, à l’occasion de l’examen de ce projet de loi, sanctuariser ce seuil afin de donner à ces territoires la sérénité indispensable à la mise en œuvre de leurs projets. Il en va de même, monsieur le ministre, d’une notion dont j’ai maintes fois discuté avec votre prédécesseur, celle de SCoT rural.

Votre gouvernement la reconnaît dans sa définition et dans son concept, comme en témoignent notamment les comptes-rendus de mes échanges ici avec Mme Sylvia Pinel – lorsqu’elle se trouvait à votre place, il y a bientôt un an – lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2016.

Or votre administration les réfute trop souvent, comme en témoigne aujourd’hui la carte des SCoT validés ou en cours d’élaboration sur le territoire national.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Très bien !

M. Arnaud Viala. À l’approche de la date butoir définie par le Parlement pour la couverture totale du territoire national par ces documents de planification – à défaut de quoi certains verraient tous leurs espoirs de développement partir en fumée – je tiens à dire ici que nos territoires de montagne, et peut-être surtout de moyenne montagne, sont les plus en danger.

Ils le sont en effet en raison du double effet d’une densité de population plus faible qu’ailleurs, et du relatif éloignement des ensembles urbains, qui génère des effets d’attraction multipolaires. Ils sont, de fait, laissés pour compte et n’ont pas de SCoT en vue.

Profitons, Monsieur le ministre, de ce projet de loi pour ouvrir une vraie possibilité pour eux de programmer et de modéliser leur développement, en lien étroit avec les zones qui les jouxtent et dans le cadre de procédures vivantes et positives de collaboration entre SCoT. Il y a là un vrai travail partenarial et expérimental à proposer aux élus de nos territoires ainsi qu’aux services déconcentrés de l’État.

Sur les plan économique et touristique enfin, ce texte doit lever des incertitudes pesant sur la capacité de nos territoires à créer, à accompagner et à soutenir un développement économique et touristique.

Cela passe d’abord par la possibilité d’utiliser un peu de notre espace de montagne à cet effet, sans que l’accumulation des interdits ne confine au blocage total, blocage que laissent craindre certaines dispositions du projet de loi.

Cela passe ensuite par la prise en compte des particularités de nos zones en la matière puisqu’elles ne peuvent pas se développer selon les critères et les axes d’un modèle canonique dont il faut bien convenir qu’il est un modèle urbain et de plaine.

Il passe ensuite par une vraie solidarité en matière d’infrastructures, notamment dans le domaine des nouvelles technologies, sur lequel je serai bref puisque le sujet a été largement évoqué. Il est cependant absolument nécessaire que le projet de loi soit assorti des moyens nécessaires aux ambitions que nous affichons.

En conclusion, je tiens à dire que notre volonté unanime de consensus ne doit pas nous faire perdre de vue notre objectif : donner à la montagne une vraie chance de développement dans le monde moderne et rapide où nous vivons. Consensus ne doit pas signifier tiédeur, statu quo, ou pire encore, régression.

Aujourd’hui, nos territoires ont des projets, de l’ambition, des envies. Leurs acteurs, qu’ils soient agricoles, économiques, touristiques, associatifs ou institutionnels savent se fédérer pour exprimer d’une voix positive cette autre forme de développement que notre pays peut encourager et accompagner.

Ne nous privons pas de l’occasion qui nous est donnée par ce projet de loi pour esquisser un premier pas dans une direction qui devrait nous conduire à prêter une oreille beaucoup plus attentive à l’intelligence territoriale, et ce jusque dans l’élaboration des projets politiques nationaux en vue des échéances futures. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Dino Cinieri.

M. Dino Cinieri. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames les co-rapporteures, madame la présidente de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, ce projet de loi de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne a fait l’objet d’un travail de concertation important.

Il a associé les élus de tous les bords, notamment au sein de l’ANEM et du CNM, ce dont nous nous réjouissons tous. Ainsi, pour la première fois sous cette législature, deux co-rapporteures, issues l’une de la majorité et de l’opposition, ont pu travailler ensemble.

J’en profite pour saluer et remercier mes collègues présents ce soir : le président Laurent Wauquiez, Martial Saddier, Lionel Tardy, Charles-Ange Ginesy, Pierre Morel-A-L’Huissier et Jean-Pierre Vigier, sans oublier Marine Brenier.

Cette unanimité montre bien l’urgence qu’il y avait à lancer un acte II de la loi Montagne. Trente ans après cette loi de 1985, il est en effet indispensable de donner un nouveau souffle à la législation relative aux territoires de montagne.

Comme mes collègues l’ont souligné, ces territoires, dans lesquels vivent 15 % de nos concitoyens, doivent non seulement faire l’objet d’adaptations des politiques publiques afin de prendre en compte leurs spécificités géo-climatiques mais aussi avoir les moyens d’assurer leur développement économique, social et culturel pour garantir leur dynamisme et leur attractivité. Je pense en particulier à l’internet haut débit et à la téléphonie mobile 3 G, dont les montagnards sont encore trop souvent privés.

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Absolument !

M. Dino Cinieri. Ce texte est un bon début, mais il ne va malheureusement pas assez loin en dépit de quelques avancées en commission. Ont été ainsi affirmées l’importance d’accorder aux zones de montagne des soutiens spécifiques permettant une compensation économique des handicaps naturels et garantissant un développement équilibré des territoires ou celle de favoriser une politique de stockage de l’eau, comme le rappelait Laurent Wauquiez.

Quelques articles posent de sérieux problèmes, en particulier l’article 19, qui réforme la procédure d’autorisation des unités touristiques nouvelles, et l’article 23, qui instaure des zones de tranquillité alors qu’il existe déjà une douzaine de zonages environnementaux, dont quatre créés par la loi relative à la biodiversité.

Chaque zonage représente des contraintes pour les agriculteurs et interdit toute forme d’activité et d’exploitation pour protéger la biodiversité alors que c’est l’exploitation agricole de ces territoires, notamment par le pâturage et la mise en culture, qui leur permet aujourd’hui d’accueillir la biodiversité.

La montagne est un atout pour la France. Il faut que le texte qui sortira de cet hémicycle soit véritablement une aide, qu’il simplifie la vie des élus, des entreprises et des administrés.

M. Laurent Wauquiez. C’est évident !

M. Dino Cinieri. La loi Montagne est importante car elle a permis de reconnaître une spécificité de la montagne et de mettre en place des mesures adaptées. Cependant, faute de gouvernance suffisante, elle a été sous-utilisée.

L’agriculture constitue le socle du développement économique et des équilibres écologiques des territoires de montagne.

La reconnaissance en commission du handicap naturel en zone de montagne a été une bonne chose. Pour le secteur agricole, les aides sont vitales et permettent de maintenir un maillage régulier d’exploitations agricoles ainsi que de garantir un développement équilibré sur ces territoires soumis aux contraintes naturelles.

L’agriculture doit être reconnue comme activité économique importante et doit être préservée. Ainsi, la politique agricole de montagne doit permettre un développement commun et harmonieux de toutes les activités, favoriser l’adaptation des normes aux spécificités de la montagne, avec, par exemple, une flexibilité des réglementations dans certains domaines, favoriser des investissements adaptés, avec, par exemple, un montage administratif simplifié pour les petites structures de montagne, favoriser des aides spécifiques au maintien de l’activité agricole en montagne, avec, par exemple, une prise en compte de la pente dans les soutiens accordés à la montagne.

L’agriculture génère une économie à très haute valeur ajoutée : offre de produits alimentaires diversifiés, mise en place de circuits courts, comme en région Auvergne-Rhône-Alpes, transformation des produits agricoles.

À l’heure des grands enjeux du maintien des activités agricoles durables et viables dans notre pays, le soutien à l’agriculture en zone de montagne doit figurer parmi les grandes priorités de ce projet de loi. C’est pourquoi, avec mes collègues, nous avons déposé un certain nombre d’amendements sur ce sujet. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Je ne vais pas, vous le comprendrez, répondre individuellement à chacun d’entre vous, nous aurons l’occasion d’échanger et de préciser nos positions lors de la discussion des articles.

Je voudrais surtout vous remercier parce que, même si, comme Laurent Wauquiez, je n’aime pas être trop dans l’emphase et parler de moment historique, nous sommes tout de même dans un moment inédit de la vie parlementaire où nous dépensons notre énergie pour trouver des raisons non de nous affronter mais de nous entendre. C’est suffisamment rare pour être souligné, ce sont des moments que l’on ne vit pas tous les jours. (Applaudissements sur de nombreux bancs.) J’en remercie naturellement la majorité mais je veux remercier tout autant l’opposition de cette bonne volonté affirmée.

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Merci.

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Je ne doute pas que tout cela, qui est de bon aloi, débouchera sur une unanimité.

Vous avez naturellement réaffirmé votre attachement à la montagne, dont celles et ceux qui se sont exprimés sont très largement les élus, avec une formule : vivre et venir à la montagne.

Effectivement, il faut vivre à la montagne, et il faut donc créer les conditions pour trouver certains équilibres qui doivent permettre à tout un chacun de vivre de son métier, de profiter de ces sites magnifiques, mais qui doivent aussi nous permettre de respecter la montagne dans sa diversité, diversité patrimoniale avec les sites, diversité de la faune, de la flore, de respecter également celles et ceux qui y travaillent, et je pense en particulier aux agriculteurs, dont vous avez beaucoup parlé et qui sont effectivement les premiers acteurs de la montagne. Nous traitons tous ces sujets dans notre projet.

Vivre à la montagne, c’est naturellement avoir les services publics nécessaires, en tout premier lieu les écoles. Nous avons avancé, en lien étroit avec ma collègue Mme la ministre de l’éducation nationale et des universités. Il est vrai qu’il y a un problème pour les hôpitaux, qui, au passage, ne se pose pas qu’en montagne, car le problème des hôpitaux de proximité est malheureusement posé sur l’ensemble du territoire. Le ministre de l’aménagement du territoire, par nature, s’occupe de tous les territoires, y compris la montagne dont nous parlons plus précisément aujourd’hui.

Vous avez insisté sur l’importance de maîtriser l’eau, de créer des réserves d’eau, de les gérer le mieux possible et de gérer l’eau en général. Vous avez raison. Nous avons avancé sur ces sujets en commission, et je tiens une fois de plus à remercier la présidente de la commission, Frédérique Massat, les trois rapporteures, Annie Genevard, Bernadette Laclais et Béatrice Santais, ainsi que toutes celles et tous ceux qui ont travaillé en commission. Je pense à Joël Giraud, à Jeanine Dubié qui ont été très présents, à vous toutes et vous tous, comme Charles-Ange Ginesy.

Certains thèmes ont été plus longuement évoqués, comme la place des stations de sports d’hiver dans la vie en montagne. Je suis tout à fait d’accord. Nous respectons cette économie qui est extrêmement fructueuse non seulement pour les régions concernées mais encore pour l’ensemble du territoire national en nous permettant de recevoir de nombreux étrangers. Nous la respectons tellement que nous essayons de trouver les bons équilibres pour ce faire.

Vous avez évoqué bien sûr les offices de tourisme. Je crois que nous avons trouvé la bonne solution avec cette dérogation. Je sais que vous souhaitez aller un peu plus loin, nous en parlerons dans le débat.

J’entends bien, monsieur Saddier, que les maires des stations de sports d’hiver sont des chefs d’entreprise. Mais les chefs d’entreprise, comme tout un chacun, doivent aussi respecter des règles et des lois, et j’en viens donc à la discussion sur les UTN, qui est le point le plus délicat de notre discussion parce que, si nous arrivons à nous rapprocher sur ce sujet, je pense que nous ne serons pas loin d’un vote à l’unanimité.

M. Lionel Tardy. C’est vrai !

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Il faut tout de même rappeler, soyons objectifs, qu’il y avait un consensus sur tous les bancs pour demander une réforme de cette procédure UTN. Que ce soit dans la majorité ou dans l’opposition, lorsque je suis arrivé, tout le monde m’a dit qu’il fallait la modifier. Je vous ai écoutés et j’ai stoppé la procédure de l’ordonnance qui était à ma signature et qui prévoyait tout simplement de la supprimer, mais en disant bien que, comme pour tous les chefs d’entreprise, il fallait poser un certain nombre de règles.

On ne peut pas accepter que, lorsqu’il n’y a pas de SCoT ou de PLU, aucun droit ne s’impose, il faut tout de même fixer un certain nombre de règles et c’est d’ailleurs le cas aujourd’hui. Les collectivités préparent, discutent et votent leur SCoT ou leur PLU, mais, je vous ai entendus, il faut trouver une solution pour les UTN nouvelles.

La principale critique qui a été faite en commission ne portait pas finalement sur le fond, elle concernait plus la forme. Vous expliquiez, monsieur Saddier, monsieur Giraud et beaucoup d’autres, que la procédure de déclaration de projet traînait en longueur et que cela finissait par « planter » les dossiers.

J’ai donc déposé un amendement prévoyant d’encadrer le délai de la procédure. Nous aurons l’occasion d’en discuter et je pense que nous pourrons nous entendre sur cette disposition, qui est le fruit de nos discussions et d’un long travail. Vous m’avez convaincu, il n’est pas pensable de laisser des procédures traîner des années et des années sans que les élus ou les promoteurs voient le bout du tunnel.

Il faut pouvoir continuer à construire en montagne, mais pas dans n’importe quelles conditions. Il faut avoir une véritable vision quant aux délais. Dans cet amendement, je propose des délais et je ne doute pas que nous arriverons à nous mettre d’accord. Nous avons bien réussi, monsieur Giacobbi, à faire de la Corse une île-montagne. Les UTN, ce n’est pas plus insurmontable, j’en suis sûr.

Continuons donc à travailler en bonne intelligence, dans la confiance comme nous le faisons depuis le début de l’examen de ce texte. Je suis sûr que celles et ceux qui habitent la montagne nous seront reconnaissants d’avoir toiletté la loi Montagne, ce qui est nécessaire, avec un seul objectif, l’intérêt général. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.

Article 1er

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Vigier, inscrit sur l’article 1er.

M. Jean-Pierre Vigier. Le texte que nous discutons aujourd’hui répond à trois objectifs ambitieux et légitimes : modernisation, développement et protection des territoires de montagne.

Cependant, afin d’y satisfaire, il est essentiel que ces territoires soient connectés,…

M. Dino Cinieri. Absolument !

M. Jean-Pierre Vigier. …il est fondamental qu’ils soient attractifs et il est essentiel qu’on leur donne les moyens d’être dynamiques.

Nous répondons aujourd’hui aux besoins de 10 millions d’habitants, soit 15 % de la population française. Ce projet de loi doit donc être le reflet d’une véritable politique d’aménagement du territoire.

Aussi, il faut assurer une couverture numérique intégrale de la montagne. Moderniser, c’est mettre fin à la fracture numérique. Ce projet de loi doit donc s’enrichir afin d’apporter des réponses concrètes aux habitants en matière de téléphonie et de très haut débit.

M. Dino Cinieri. Très bien !

M. Jean-Pierre Vigier. Monsieur le ministre, comment voulez-vous assurer le développement économique d’un territoire sans couverture numérique ?

Une autre attente de nos montagnards est que ce projet de loi soutienne l’agriculture, secteur d’activité, vous l’avez dit, à la base de l’économie montagnarde. Cela nécessite bien évidemment de valoriser le savoir-faire de nos agriculteurs et de leur donner les moyens de vivre de leur activité, y compris en réduisant les contraintes.

M. Dino Cinieri. Absolument !

M. Jean-Pierre Vigier. Il est totalement inacceptable que nos agriculteurs travaillent et perdent de l’argent, comme c’est le cas aujourd’hui. Il est de notre devoir de développer et de moderniser la montagne, pour que les montagnards ne soient pas obligés de « s’en aller gagner leur vie loin de la terre où ils sont nés. »

M. le président. Veuillez conclure, monsieur le député !

M. Jean-Pierre Vigier. Pour terminer, monsieur le président, je voudrais saluer le travail de tous les élus de l’ANEM, y compris de son président, Laurent Wauquiez, qui nous a permis d’aboutir à ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Dino Cinieri. Et de son ancienne présidente !

M. le président. Je vous invite, mes chers collègues, à respecter assez strictement votre temps de parole, car la discussion générale a déjà été un peu plus longue que prévu. La parole est à M. Pierre Morel-A-L’Huissier pour deux minutes.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. À l’occasion de l’examen de l’article 1er, qui est purement déclaratif et très peu normatif, je voudrais, monsieur le ministre, saluer votre lyrisme en faveur de la montagne. Vous avez insisté sur la notion de pacte de la nation, mais surtout lancé, comme mon collègue Philippe Folliot, un véritable cri de colère contre ce que nous vivons dans nos montagnes : baisse des dotations de l’État, fermeture de perceptions et de gendarmeries, restriction des effectifs d’agents publics, à cause de la loi MAP, complexité des normes et j’en passe.

Cela dit, je souhaite appeler votre attention sur l’impérieuse nécessité d’enrichir ce texte en termes de démographie médicale, de normes de présence des services publics, de compensation financière voire juridique en matière de téléphonie mobile et d’internet, et de culture administrative, laquelle doit cesser d’imposer et de contrôler pour accompagner. La pente sera raide, car il nous sera difficile d’arbitrer sur des problématiques interministérielles qui polluent notre vie et celle de nos concitoyens depuis de très nombreuses années.

L’ensemble des amendements que j’ai déposés, notamment sur le droit d’alerte des préfets, procède de cette vision objective et positive de nos territoires de montagne. Si j’en crois votre souci d’accueillir favorablement tel ou tel amendement dans une volonté transpartisane, je garde quelque espoir dans la discussion qui s’engage.

En conclusion, permettez-moi de regretter toutefois que cette loi non budgétaire ait conduit à rejeter certains amendements sans discussion, qu’il s’agisse de l’institution d’une charte de services publics dans le milieu montagnard, du soutien à l’aménagement des gîtes ruraux pour les artisans et les commerçants, à l’instar de ce qui existe pour les agriculteurs, de la création d’une prime de maintien pour le dernier commerçant en milieu rural, du soutien à la petite hôtellerie rurale, des zones franches montagnardes ou de la reconnaissance de la pénibilité pour les médecins en milieu rural. J’attendrai la fin de la discussion législative pour apprécier les avancées et vous remercier éventuellement, monsieur le ministre, de la coproduction finale, n’étant pas hostile par principe au consensus exprimé cet après-midi.

M. le président. La parole est à Mme Michèle Bonneton.

Mme Michèle Bonneton. L’article 1er fixe les grands objectifs de l’ensemble du texte. Il est le socle de ce projet de loi. La montagne est un territoire à vivre. Avec ses spécificités, elle offre des richesses très appréciées des touristes, tandis que d’autres, discrètes, passent parfois inaperçues – par exemple, les compétences des hommes qui y habitent et y travaillent, l’origine de l’eau que nous buvons ou encore sa biodiversité remarquable.

De ce fait, on ne peut se contenter d’exploiter les ressources de la montagne. Il faut trouver un juste équilibre entre essor et préservation, tout en requérant l’avis de tous ses acteurs. C’est un développement économique durable que nous avons à instaurer, avec ses trois piliers économique, social et environnemental. Je regrette que nous n’ayons pas réussi à faire introduire l’expression de « développement économique durable », mais je ne désespère pas.

Je salue les évolutions très positives du texte depuis sa première version. Les spécificités de la montagne, en ce qui concerne les services publics, sont bien prises en compte, comme dans le cas des écoles ou de l’accès aux soins – tant mieux. Le sujet de l’accès au numérique est encore un peu flou et des progrès restent à accomplir. Les conditions pour les travailleurs saisonniers sont nettement améliorées dans le texte que nous examinons par rapport à l’existant.

Cependant, la réhabilitation des logements anciens, appelés « lits froids » ou « volets clos », n’est que timidement abordée. On nous a promis que des mesures seraient inscrites en loi de finances. Nous y serons attentifs. Elles devront être fortes et programmées sur plusieurs années et accorder une place primordiale à la rénovation thermique. Pourquoi ne pas avoir l’ambition de rénover en « bâtiment basse consommation » ?

Je regrette aussi que le développement de la montagne ne s’inscrive pas davantage dans la perspective du changement climatique qui devrait affecter à court terme nos stations de moyenne montagne, selon les spécialistes, comme, par exemple, les responsables des agences de l’eau. Aussi avons-nous déposé avec mes collègues écologistes des amendements sur ces points et sur d’autres.

M. le président. La parole est à M. Jean Lassalle.

M. Jean Lassalle. Je me retrouve dans les propos tenus. J’ai eu la chance moi aussi, dans une vie antérieure, de faire partie, il y a plus de trente ans, des fondateurs de l’association nationale des élus de la montagne, qui ne sont plus très nombreux dans cet hémicycle. Des progrès considérables avaient été accomplis avec la première loi ; j’espère qu’il en sera de même dans celle-ci. Je tiens à saluer Laurent Wauquiez, notre président, et Marie-Noëlle Battistel pour leur travail considérable. Personnellement, mon mérite est mince. Occupé à d’autres missions, je n’ai pas pu m’impliquer autant que je l’aurais voulu.

Comme un bonheur ne vient jamais seul, nous avons avec nous M. le ministre, venu de la ville rose, qui comprend bien les pierres des montagnes des Pyrénées, ainsi que toutes les autres montagnes de France et peut-être du monde.

Si je fais mien le texte de la commission, je dois dire aussi que la montagne continue à souffrir considérablement, comme j’aurai l’occasion de le répéter. L’une des causes de sa souffrance, c’est sa perte d’influence politique. Elle n’a plus celle qu’elle a pu avoir il y a trente ou quarante ans. Très loin s’en faut. Les dernières lois lui ont fait très mal, tout comme la disparition des crédits européens et surtout la présence des ours, des loups et des lynx, dont on sourit parfois, mais qui nous obligent à mentir tellement souvent à nos populations.

M. le président. La parole est à M. Martial Saddier.

M. Martial Saddier. Je vais prendre plusieurs fois la parole. Cela préparera, dans la douceur, mes interventions sur l’article 19, monsieur le ministre. (Sourires.)

M. Jean-Pierre Vigier. Excellent !

M. Martial Saddier. L’article 1er est très important, en réaffirmant le principe de la loi de 1985 : ni le tout laisser-faire, ni le gel des territoires de montagne. C’est le fameux principe d’équilibre entre protection et développement. Je vous remercie, mesdames les rapporteures, ainsi que le président de la commission du développement durable et la présidente de la commission des affaires économiques, et vous, monsieur le ministre, puisque trois de mes amendements, cosignés avec mes collègues Tardy et Cinieri, ont été adoptés avec l’aval des rapporteures, sur cette image de l’équilibre.

Il faut couvrir la montagne de schémas d’aménagement et de gestion collégiale des eaux, laquelle doit nous permettre de les stocker en toute intelligence avec l’ensemble des partenaires. Par ailleurs, il faut réaffirmer que la montagne est historiquement une terre industrielle, du fait notamment de la force motrice de l’eau, qui a donné naissance aux moulins agricoles, ayant eux-mêmes donné naissance aux moulins qui ont alimenté les machines industrielles.

Le dernier fait, qui n’existait pas en 1985, c’est le fait frontalier. Les territoires de montagne font, dans leur majorité, l’objet du mouvement pendulaire d’hommes et de femmes qui habitent en montagne et travaillent dans les pays voisins et amis de l’Union européenne, mais aussi en Confédération helvétique. Je vous remercie d’avoir complété l’article 1er en ce sens.

M. le président. La parole est à M. Jacques Bompard, pour soutenir l’amendement n412, qui vise à supprimer l’article.

M. Jacques Bompard. Comme je vous l’ai longuement exposé dans mon intervention en discussion générale, la définition contenue dans l’article 1er n’est absolument pas intelligible. Je connais bien les gens de ma circonscription, de Saint-Léger-du-Ventoux ou de Malaussène. Je puis vous assurer qu’ils n’ont pas attendu une intervention divino-républicaine pour reconnaître leur cadre de vie, ses contingences et ses forces. La représentation nationale signe avec cette première définition tout le drame du texte. Qu’avons-nous, quand nous aurions dû y voir une application de la décentralisation et du localisme ? Je vous cite le propos d’un Provençal : « L’histoire du XIXe siècle et celle du XXe siècle aussi montrent bien l’impuissance d’un découpage administratif pour créer des groupements homogènes, justes équivalents de ces communautés qui naissent spontanément de la nature des choses. »

Vous aimez les contrats et les artifices administratifs ; nous, nous aimons l’harmonie entre une terre, son organisation et son peuple. Voilà une différence qui biaise toutes les dispositions de votre texte. C’est ce manque d’esprit que je trouve regrettable dans un texte extrêmement important par ailleurs.

M. le président. La parole est à Mme Annie Genevard, rapporteure, pour donner l’avis de la commission.

Mme Annie Genevard, rapporteure. L’avis est défavorable, parce que cet article 1er porte vraiment l’ambition de la loi. Il ajoute à celle de 1985 la prise en compte des enjeux du changement climatique, lesquels relèvent d’une problématique nouvelle, des enjeux transfrontaliers auxquels les députés montagnards de territoires frontaliers sont très attachés, et ils voient là la reconnaissance de la spécificité de leurs territoires, des bouleversements économiques et technologiques, en soutenant la transition numérique et les innovations, et enfin d’une meilleure connaissance des territoires de montagne, en affirmant l’importance des travaux d’observation et de recherche.

Pour terminer, monsieur le député, nous avons fait entrer dans cet article 1er la notion d’aménité, afin de reconnaître ce que la montagne apporte à l’ensemble de la nation. C’est quelque chose de tout à fait nouveau par rapport à la loi de 1985.

M. le président. La parole est à M. le ministre, pour donner l’avis du Gouvernement.

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Également défavorable.

(L’amendement n412 n’est pas adopté.)

M. le président. Vous conservez la parole, monsieur Bompard, pour soutenir l’amendement n421.

M. Jacques Bompard. C’est un amendement de repli, mais aussi une occasion de vous alerter, chers collègues, contre la folle inertie qui guide ce texte. Je discute complètement ce passage du texte : « La montagne est source d’aménités patrimoniales, environnementales, économiques et sociétales. » Le choix du terme « aménités » pourrait être opportun, car l’aménité, c’est l’amoenitas latine, soit le charme, la merveille de la création. Or, vous faites une grave erreur en reprenant cette racine, puisque les mots ont un sens et que celui-ci a inspiré l’exact inverse de votre politique.

L’aménité de la nature, son charme, c’est justement ce qui conduit l’homme à la respecter naturellement, spontanément, sans qu’aucun cadre légal ne vienne lui imposer des crédits pour le faire ou, pis, une taxinomie des droits dont il disposerait pour jouir de ce présent. La forme du régime politique et les institutions budgétivores n’ont strictement rien à voir avec cela. Il est d’ailleurs significatif que vous n’employiez pas « aménités sociales », qui eût été la seule expression valable. Encore eût-il fallu sortir du matérialisme et du constructivisme qui broient notre peuple.

Je reproche, in fine, l’esprit dans lequel ce texte est écrit. Je ne discute pas les objectifs qui sont effectivement partagés la plupart du temps, mais bien la forme, qui aurait mérité plus de simplicité pour être plus intelligible et plus profitable à l’objectif défendu.

M. le président. La parole est à Mme Bernadette Laclais, pour donner l’avis de la commission.

Mme Bernadette Laclais, rapporteure. Défavorable. Vous visez à supprimer l’alinéa 2, auquel nous tenons tout particulièrement. Je voudrais vous rassurer, puisqu’il ne s’agit pas, comme vous le dites dans votre exposé des motifs, que la République reconnaisse la nature, mais bien les spécificités des zones de montagne. C’était déjà le combat des pères fondateurs, si je puis m’exprimer ainsi, en 1985, et cela reste d’actualité. D’ailleurs, l’article que vous vouliez supprimer dans l’amendement précédent est largement inspiré de la loi de 1985. Il est complété, parce que trente ans se sont écoulés et que de nouvelles problématiques ont émergé, mais nous ne sommes pas revenus sur sa logique que nous avons confortée.

Vous voulez également supprimer la caractérisation du développement équitable et durable de la montagne, en tant qu’objectif d’intérêt national, alors que c’est, là aussi, l’un des principes fondateurs de la politique de la montagne depuis 1985.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Même commentaire et même position.

(L’amendement n421 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Morel-A-L’Huissier, pour soutenir l’amendement n345.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Il s’agit, monsieur le ministre, d’ajouter dans le texte la formule « et en liaison avec les chambres consulaires ». Les chambres consulaires, vous le savez, sont des établissements publics administratifs qui représentent les différentes catégories socio-professionnelles auprès des pouvoirs publics et apportent leur appui au développement des entreprises. Travaillant au quotidien avec les acteurs socio-économiques des territoires de montagne, elles sont très sensibilisées à leurs problèmes. De ce fait, il apparaît nécessaire d’en faire des partenaires privilégiés de l’État et des collectivités territoriales dans le cadre de la mise en œuvre des politiques spécifiques aux territoires de montagne. Il s’agit d’une demande forte des différents représentants que j’ai pu rencontrer.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Annie Genevard, rapporteure. Monsieur le député, votre amendement exprime votre souci d’appuyer le développement des entreprises, et nous le comprenons. Cette loi donne d’ailleurs une large part à la vie économique, qu’il s’agisse de l’agriculture, du tourisme, de l’industrie ou de l’artisanat. Toutefois, nous considérons que l’article 1er doit rester très général ; il n’est pas question de citer tous les partenaires privilégiés de l’État et des collectivités. Le projet de loi reconnaît par ailleurs le rôle primordial des chambres puisque les établissements consulaires sont représentés au Conseil national de la montagne et dans les comités de massif, comme indiqué aux articles 5 et 6. Le projet de loi précise donc bien la place que doivent occuper les trois établissements consulaires ; pour cette raison, l’avis est défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Défavorable, car le Conseil national de la montagne et les comités de massif sont bien entendu – c’est leur raison d’être – les interlocuteurs privilégiés de l’État et des collectivités dans la définition et la mise en œuvre des politiques publiques, y compris en faveur de la montagne. Les chambres consulaires en sont partie prenante et peuvent y jouer un rôle important ; il n’est donc pas utile d’aller plus loin.

M. le président. La parole est à M. Pierre Morel-A-L’Huissier.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Je retire l’amendement.

(L’amendement n345 est retiré.)

M. le président. Je suis saisi de plusieurs amendements, nos 104, 121, 243 et 14, pouvant être soumis à une discussion commune.

Les amendements nos 104, 121 et 243 sont identiques.

La parole est à M. Jean-Pierre Vigier, pour soutenir l’amendement n104.

M. Jean-Pierre Vigier. Cet amendement, comme les autres de cette série, est très important. Il s’agit de prendre en compte les besoins et surtout les spécificités des territoires de montagne dans l’organisation de la République, et ainsi – je l’espère –, par la suite, y appliquer une véritable politique de développement. Je le redis : cet amendement est vraiment très important.

M. Dino Cinieri. Exactement ! Parfait.

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement n121.

M. Lionel Tardy. Je me réjouis tout d’abord du travail constructif réalisé en amont, qui s’est poursuivi entre élus de la montagne lors des débats en commission. Plusieurs avancées ont pu être obtenues, et j’espère que d’autres vont suivre au cours des séances à venir. Comme le note le Conseil d’État, les premiers articles sont purement déclaratifs ; même si je n’en suis pas ravi, il faut reconnaître que c’était déjà le cas dans la loi Montagne de 1985. Autant veiller à les rendre le plus exacts possible et surtout faire en sorte que les principes énoncés soient ensuite bien transformés en mesures concrètes.

Ce projet de loi est l’occasion de rappeler que les territoires de montagne sont des territoires à part car en plus d’être situés dans des zones souvent rurales, ils ont une spécificité géographique qui rend plus complexe la mise en œuvre de certaines politiques. En d’autres termes, les communes de montagne sont des villages avec une faible densité de population ; cet amendement vise à prendre en compte cet aspect. Cet état de fait doit nous amener à une priorité : plus que jamais, les territoires de montagne ont besoin de normes et de règles simples. J’insiste sur ce point ; cette remarque sera valable pour tout le texte.

M. le président. La parole est à M. Laurent Wauquiez, pour soutenir l’amendement n243.

M. Laurent Wauquiez. Je voudrais apporter un autre éclairage. Ces amendements ne se réduisent pas à une pure déclaration d’intention. Lors de nos discussions avec vos prédécesseurs à propos du découpage cantonal, on nous avait opposé la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui considère, en fonction des principes d’organisation contenus dans la loi – et non d’un principe inscrit dans la Constitution –, qu’il faut imposer une égalité démographique pure et simple. Or le secrétaire général du Conseil constitutionnel nous a lui-même indiqué, à l’époque, que si des lois précisaient que l’égalité purement démographique pouvait être complétée par un principe d’équité territoriale, le Conseil constitutionnel en prendrait acte dans son approche des grands principes des lois de la République. Pour nous, il est très important que ces pierres soient petit à petit posées, pour amender le principe d’organisation institutionnelle que constitue l’égalité démographique. Cela nous donnera plus de marges de manœuvre et d’adaptabilité. En effet, on se retrouve aujourd’hui avec des cantons qui noient les vallées, et des principes d’organisation qui font reculer l’aménagement du territoire. Cette mesure nous paraît importante pour acter l’inflexion dans l’approche et la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

M. le président. La parole est à M. Martial Saddier, pour soutenir l’amendement n14.

M. Martial Saddier. Cet amendement est rédigé dans le même esprit que celui que vient de rappeler le président Wauquiez. Je compléterai son raisonnement par d’autres exemples. Pour le découpage des circonscriptions législatives, la pratique, historiquement, était qu’il ne pouvait pas y avoir moins de deux députés par département. Le Conseil constitutionnel a pourtant décidé que dans certains départements – de montagne –, il ne devait y en avoir qu’un seul. C’est par exemple le cas de la Lozère, et notre collègue Pierre Morel-A-L’Huissier a subi cette décision.

Deuxième exemple : Du débat dans les commissions départementales de la coopération intercommunale, les CDCI, il ressort indéniablement que les communautés de communes et les communautés d’agglomérations deviennent de plus en plus grandes, et ont tendance à diluer les territoires de montagne. En effet, en CDCI, les décisions se prennent à la majorité simple, mais également à la majorité qualifiée – soit les deux tiers des voix –, notamment lorsqu’il s’agit de revenir sur des décisions prises par le préfet. Vous imaginez, monsieur le ministre, que lorsqu’il s’agit d’un débat sur la montagne, c’est quasiment impossible.

Le dernier exemple, que je vous ai fait transmettre, concerne un périmètre de schéma de cohérence territoriale, SCoT, où les stations de ski, majoritaires en nombre, ne représentent que 35 % de la population, mais comptent plus du double de lits touristiques : 230 000 lits pour 115 000 habitants sur l’ensemble du périmètre. Pour autant, Chamonix – probablement une des stations les plus prestigieuses – ne pèserait que 10 % dans la prise de décision finale au sein de la communauté de communes. Vous comprendrez que nous avons absolument besoin de ce signal dans cet acte II de la loi Montagne.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur cette série d’amendements ?

Mme Bernadette Laclais, rapporteure. Ce sera un avis défavorable. Je ferai une réponse en deux temps pour essayer de vous donner satisfaction. Tout d’abord – nous avons déjà eu ce débat en commission –, il existe un risque d’inconstitutionnalité puisqu’il est en effet considéré…

M. Laurent Wauquiez. Eh bien, prenons ce risque !

Mme Bernadette Laclais, rapporteure. Laissez-moi aller jusqu’au bout de mon explication. Pour être représentatifs d’un territoire, les découpages électoraux doivent être opérés sur des bases essentiellement démographiques ; nous l’avons évoqué lors du débat sur le découpage des cantons. La jurisprudence fait que ces amodiations réalisées selon le critère démographique doivent tenir compte de l’intérêt général et être précisément encadrées. Tel n’est pas le cas de la rédaction que vous proposez, qui avait déjà été débattue en commission. Nous avons adopté un amendement consistant à insérer, à l’alinéa 6 de l’article 1er, un 1° bis nouveau ainsi rédigé : « prendre en compte les disparités démographiques et la diversité des territoires ». On intègre donc bien la notion de diversité des territoires, à laquelle l’association nationale des élus de la montagne, par la voix de son président et de sa secrétaire générale, a rappelé tout à l’heure son attachement. On inclut également l’idée de la prise en compte des disparités démographiques ; mais nous ne faisons aucunement référence à l’organisation territoriale. Cette version de la rédaction ne risque pas l’inconstitutionnalité, contrairement aux amendements que vous proposez ; c’est la raison pour laquelle on vous propose d’en rester à cet alinéa 6.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Même avis, pour les mêmes raisons d’ordre constitutionnel. Au terme du long débat en commission, nous avons trouvé une solution équilibrée qui nous évite de nous opposer à la Constitution.

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Pour ma part, je voudrais soutenir cet amendement qui renvoie à un véritable problème : l’organisation institutionnelle.

M. Lionel Tardy. Mais oui !

M. Martial Saddier. Merci !

M. André Chassaigne. J’aurai deux observations. D’abord, on l’a déjà indiqué, le nouveau découpage des cantons confère aux conseillers départementaux, qui ne sont pas des élus à temps plein, un territoire très important à gérer. Cela met en cause la proximité et la démocratie que l’on essaie de faire vivre, notamment dans les territoires ruraux. Deuxième élément : le découpage des circonscriptions se basant sur un équilibre de quelque 125 000 à 130 000 habitants, on arrive à des circonscriptions où la partie périurbaine ou urbaine domine, du point de vue démographique, la partie rurale. Les élus ruraux qui, comme moi, sont choisis parce qu’ils ont une forme d’antériorité, n’existeront plus. Nous serons les derniers des Mohicans.

M. Jean-Pierre Vigier. Mais oui, il a raison !

M. André Chassaigne. Les circonscriptions seront de plus en plus urbaines, pour des questions d’équilibre démographique, et il n’y aura bientôt plus d’élus ruraux dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Pierre Vigier. Très juste !

M. le président. La parole est à M. Laurent Wauquiez.

M. Laurent Wauquiez. Avec tout le respect que l’on doit au Conseil constitutionnel, ne nous autocastrons pas ! Dans les échanges qu’on a eus – Frédérique Massat peut en témoigner –, les membres du Conseil ont eux-mêmes invité le législateur à leur envoyer des signaux indiquant qu’il sortait du raisonnement de pure égalité territoriale. Si le Conseil constitutionnel censure finalement cette disposition, eh bien qu’il le fasse ; mais ce n’est pas à nous d’anticiper cette décision et de devenir les scribouillards du Conseil constitutionnel ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Très bien !

(Les amendements identiques nos 104, 121 et 243 sont adoptés et les amendements nos 14, 84, 232 et 364 tombent.)

M. le président. Je suis saisi de plusieurs amendements, nos 158, 365, 233 et 366, pouvant être soumis à une discussion commune.

Les amendements nos 233 et 366 sont identiques.

La parole est à M. Pierre Morel-A-L’Huissier, pour soutenir l’amendement n158.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Il s’agit d’ajouter à l’article la formule suivante : « De reconnaître et soutenir l’organisation collective agricole et pastorale dans sa diversité en les prenant en compte dans toute évolution réglementaire ». En zone de montagne, les contraintes naturelles – le relief, les accès routiers, etc. – sont susceptibles d’affecter la rentabilité des projets économiques, la création d’ateliers de transformation ou d’outils de travail collectif.

M. le président. Je laisse la parole à M. Morel-A-L’Huissier, pour soutenir l’amendement n365.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Il est défendu.

M. le président. Dans cette discussion commune, je suis saisi de deux amendements identiques, nos 233 et 366.

La parole est à Mme Jeanine Dubié, pour soutenir l’amendement n233.

Mme Jeanine Dubié. Par cet amendement, je propose d’ajouter à cet article un alinéa ainsi rédigé : « De reconnaître et de soutenir l’organisation collective pastorale dans sa diversité, de la prendre en compte dans toute évolution règlementaire ». En effet, les structures chargées de l’organisation collective pastorale sont souvent des établissements publics gérés par des bénévoles. Ceux-ci doivent assumer la valorisation de surfaces d’intérêt général, tâche souvent délicate et conflictuelle, au bénéfice de tous les acteurs de la montagne.

À cause de leur manque de ressources, ces associations foncières se retrouvent isolées, et confrontées à des difficultés techniques de gestion. Leur faible capacité d’investissement pénalise ainsi lourdement leurs actions.

M. le président. La parole est à M. Pierre Morel-A-L’Huissier, pour soutenir l’amendement n366.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. J’ai préparé cet amendement avec Arnaud Viala, député de l’Aveyron.

La gestion des espaces pastoraux de montagne est souvent conduite de façon collective par les groupements d’éleveurs, les collectivités locales, et les associations foncières pastorales, qui regroupent les propriétaires publics et privés dans un projet pastoral commun. Ces espaces collectifs et les pratiques d’élevage qui y sont associées représentent des atouts environnementaux déterminants pour la préservation des ressources, notamment en eau, pour le maintien de paysages ouverts et la limitation des risques naturels – érosion, glissements de terrain, avalanches, risques d’incendie sur les versants les plus secs.

Le maintien d’habitats et d’espèces protégés à l’échelle nationale est souvent reconnu d’intérêt européen : cela permet de conforter les réseaux nationaux et régionaux de la trame verte et bleue. Ces espaces font l’objet d’un accompagnement par les services pastoraux, organismes en charge de l’appui auprès des professionnels et des collectivités pour le maintien d’un haut niveau d’investissement et de modernisation de l’activité pastorale. Ces investissements tiennent compte des enjeux économiques, sociaux et environnementaux déterminants pour la préservation à long terme d’une montagne dynamique et habitée.

Il semble opportun de reconnaître les apports de la gestion collective de ces patrimoines fonciers.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur tous ces amendements en discussion commune ?

Mme Annie Genevard, rapporteure. Concernant la reconnaissance de l’organisation collective agricole et pastorale, nous partageons la préoccupation exprimée par M. Morel-à-L’Huissier. Cette demande sera satisfaite par l’amendement n508 que nous avons déposé à l’article 15 A.

Concernant les surcoûts inhérents à la production agricole des exploitations de montagne : ils sont d’ores et déjà pris en compte par ce projet de loi, à l’article 15 A. Concernant l’adaptation des normes, l’article 3 de ce projet de loi a été modifié en commission pour y intégrer les conditions spécifiques d’élevage et d’agriculture en montagne. Enfin, la notion de soutien spécifique à l’agriculture de montagne est déjà présente dans ce projet de loi : elle figure à l’article 15 A.

Toutes ces demandes sont donc déjà satisfaites, ou le seront après l’adoption de l’amendement n508 que nous examinerons plus tard.

M. le président. La commission est donc défavorable à l’ensemble de ces amendements, nous sommes bien d’accord ?

Mme Annie Genevard, rapporteure. C’est bien cela, monsieur le président.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Le Gouvernement est tout à fait d’accord avec les commentaires faits par Mme la rapporteure, et a la même position.

(Les amendements nos 158 et 365, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

Mme Jeanine Dubié. Je retire mon amendement.

(L’amendement n233 est retiré.)

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Je retire l’amendement n366.

(L’amendement n366 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Dino Cinieri, pour soutenir l’amendement n29.

M. Dino Cinieri. Je supplée mon collègue Damien Abad. La montagne est un territoire directement touché par le dérèglement climatique. Elle doit donc disposer de financements spécifiquement dédiés à ce problème, ainsi que d’un plan d’action. La loi montagne doit prendre en considération le volet « agriculture et climat », en cohérence avec l’objectif de la COP 21.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Bernadette Laclais, rapporteure. Nous avons déjà examiné cet amendement en commission. Nous avons alors considéré que le dix-huitième alinéa de cet article permettait déjà de répondre à cette demande. Il s’agit en effet de « favoriser les travaux de recherche et d’observation portant sur les territoires de montagne et leurs activités. » Puisqu’il est dit, quelques alinéas plus haut, que les territoires de montagne sont touchés par les évolutions climatiques, il nous semble que cela répond à la préoccupation que traduit votre amendement. La commission y est donc défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Même avis, pour les mêmes raisons : le dix-huitième alinéa prévoit, parmi les finalités de l’action de l’État, « de favoriser les travaux de recherche et d’observation portant sur les territoires de montagne et leurs activités. » Cela répond déjà à votre préoccupation.

(L’amendement n29 n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements pouvant être soumis à une discussion commune, nos 213 et 187.

La parole est à M. André Chassaigne, pour soutenir l’amendement n213.

M. André Chassaigne. Cet amendement est assez proche de celui qui vient d’être présenté, à propos de la recherche. Je pense qu’il y a là un vrai problème, qui est sous-estimé : je l’évoquais tout à l’heure dans mon intervention lors de la discussion générale. J’ai également abordé ce problème dans le rapport pour avis que j’ai rendu l’an dernier sur le programme « Forêt » du projet de loi de finances.

Il ne suffit pas d’auditionner ceux qui cherchent à prendre en compte la question du réchauffement climatique, y compris les chercheurs, pour saisir le problème à bras-le-corps. Voici un élément qui aurait pu servir à la discussion de l’amendement précédent : l’ONF et le Centre national de la propriété forestière ont été à l’origine d’un programme dénommé « adaptation de la forêt au changement climatique », doté de 100 000 euros par an ; or les représentants de ces institutions que j’ai auditionnés l’an dernier m’ont dit que ce montant est très insuffisant.

Si vous vous contentez d’afficher des intentions de façon très superficielle dans ce texte, cela aura des effets sur la répartition des espèces, sur le cycle de développement des arbres, et donc sur leur physiologie, sur les écosystèmes… Il faut vraiment prendre ce problème à bras-le-corps. C’est l’objet de cet amendement, qui aborde aussi d’autres questions que la forêt.

M. le président. La parole est à M. Pierre Morel-A-L’Huissier, pour soutenir l’amendement n187.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Annie Genevard, rapporteure. Ces amendements posent la question légitime de l’attention que l’on doit porter changement climatique. Or cet aspect figure déjà au troisième alinéa de cet article : « Le développement équitable et durable de la montagne s’entend comme une dynamique » qui « doit répondre aux défis du changement climatique ». Cette dimension est également présente au sixième alinéa, de même qu’au quatrième alinéa, où il est question de répondre « aux enjeux liés au changement climatique ».

Nous considérons donc, messieurs les députés, que vos amendements sont satisfaits. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Même avis, pour les mêmes raisons. J’insiste sur le fait que cette question est prise en compte par le sixième alinéa ; il ne me paraît donc pas nécessaire de prévoir un alinéa spécifique. La rédaction actuelle me semble même plus large que les alinéas proposés par ces amendements.

(L’amendement n213 est adopté et l’amendement n187 tombe.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 13 et 249, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Martial Saddier, pour soutenir l’amendement n13.

M. Martial Saddier. Lors des travaux de la commission du développement durable, j’ai présenté un amendement au sujet de l’industrie en zone de montagne. Un petit problème sémantique s’est glissé dans nos discussions : bien entendu, nous voulons rappeler que la montagne est riche de ses industries, mais pas seulement celles qui sont liées à la montagne en tant que telle. Il y a bien évidemment de l’industrie liée à la montagne – je pense au secteur de l’outdoor : certaines grandes marques, dont je ne citerai pas ici les noms, sont directement liées aux sports de montagne –, mais pas seulement. Je dirais même que l’industrie liée à la montagne en tant que telle est minoritaire, dans les zones de montagne elles-mêmes, par rapport aux entreprises du secteur industriel en général.

Je pense, à cet égard, aux industries dites électro-intensives dans la vallée de la Maurienne, en Savoie, à l’énergie solaire, aux nanotechnologies, à l’électronique, en Isère, à la mécatronique, dans la vallée de l’Arve, en Haute-Savoie, la plasturgie, dans l’Ain… Autant de bastions industriels en zone de montagne qui font de la France un leader mondial. Il est donc impératif de soutenir non seulement les industries liées aux activités de montagne stricto sensu, mais plus largement, l’ensemble du secteur industriel dans ces territoires.

M. le président. La parole est à Mme Annie Genevard, rapporteure, pour soutenir l’amendement n249.

Mme Annie Genevard, rapporteure. Nous avons été sensibles à l’objection formulée par M. Saddier. C’est pourquoi nous présentons, Mme Laclais et moi, un amendement qui s’inspire du sien, mais plus complet. Il vise à la fois les industries « liées à la montagne » et celles qui sont « présentes en montagne ». Il ne s’agit donc pas, comme vous le proposez par votre amendement, de substituer une expression à une autre, mais de compléter l’alinéa 7, de façon à embrasser l’intégralité des industries.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Le Gouvernement se rallie à l’amendement de Mmes les rapporteures.

M. le président. La parole est à M. Martial Saddier.

M. Martial Saddier. Je retire mon amendement.

(L’amendement n13 est retiré.)

(L’amendement n249 est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Michèle Bonneton, pour soutenir l’amendement n385.

Mme Michèle Bonneton. Par cet amendement, je propose de modifier la rédaction de l’alinéa 8, afin qu’il soit ainsi rédigé : « De réaffirmer l’importance de soutiens spécifiques aux zones de montagne, permettant une compensation économique des handicaps naturels notamment dans le secteur agricole et garantissant un développement équilibré de ces territoires et le maintien des populations actives. »

Il s’agit donc d’ajouter deux éléments à cet alinéa : d’une part, que les soutiens spécifiques sont importants « notamment dans le secteur agricole », et d’autre part, qu’il faut veiller au « maintien des populations actives » dans ces territoires.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Bernadette Laclais, rapporteure. Nous avons eu un large débat, en commission, à propos de la prise en compte du dynamisme de l’agriculture en montagne. Nous avons en conséquence déposé un amendement, n289, qui sera examiné dans quelques instants, afin de soutenir le dynamisme de l’agriculture en montagne. Je précise en outre que nous avons déjà adopté en commission un amendement tendant à ajouter à ce projet de loi un nouvel article 15 A précisant que « Les soutiens spécifiques à l’agriculture de montagne sont mis en œuvre dans le cadre d’une approche territoriale garantissant le développement économique et le maintien d’une population active sur ces territoires. »

Je pense donc, madame la députée, que votre demande est satisfaite.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à Mme Michèle Bonneton.

Mme Michèle Bonneton. Je suis satisfaite de voir que les idées que nous proposons ont été reprises : je retire donc cet amendement.

(L’amendement n385 est retiré.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements pouvant être soumis à une discussion commune, nos 26, 289 et 28.

La parole est à M. Dino Cinieri, pour soutenir l’amendement n26.

M. Dino Cinieri. Les politiques publiques concernant les territoires de montagne doivent être dynamiques, en particulier en ce qui concerne l’agriculture. Pour cela, il convient d’ajouter, à l’alinéa 8, après le mot « équilibré », les mots : « et dynamique ».

M. le président. La parole est à Mme Annie Genevard, rapporteure, pour soutenir l’amendement no 289.

Mme Annie Genevard, rapporteure. En commission, nous avons été sensibles à l’amendement présenté par M. Abad concernant la nécessité de réaffirmer le dynamisme de l’agriculture, plutôt que la dynamique de l’agriculture. La formulation diffère un peu, mais l’idée est la même. Par cet amendement, nous proposons d’insérer à l’alinéa 8, après la mention de la « compensation économique des handicaps naturels », les mots : « assurant le dynamisme de l’agriculture ». Je pense que cette proposition permettra de satisfaire l’ensemble des amendements portant sur ce sujet.

M. le président. La parole est à M. Pierre Morel-A-L’Huissier, pour soutenir l’amendement n28.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. On ne comprendrait pas que le député de la Lozère ne dît pas un mot de l’agriculture de montagne, compte tenu des difficultés qu’elle rencontre, tant dans la filière laitière qu’en ce qui concerne les viandes. Il est important de dire et de répéter que le socle économique de nos montagnes, c’est l’élevage et l’agriculture.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Le Gouvernement est favorable à l’amendement de Mmes les rapporteures.

(L’amendement n26 n’est pas adopté.)

(L’amendement n289 est adopté et l’amendement n28 tombe.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly