SOMMAIRE
Présidence de M. Claude Bartolone
Délinquance en Nouvelle-Calédonie
M. Bruno Le Roux, ministre de l’intérieur
Rapports entre la police et la population
M. Bruno Le Roux, ministre de l’intérieur
Armement des forces de sécurité
M. Bruno Le Roux, ministre de l’intérieur
Enquête sur l’agression de policiers à Viry-Châtillon
M. Bruno Le Roux, ministre de l’intérieur
Dumping social dans les transports routiers en Europe
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche
Avenir du site Alstom de Belfort
M. Christophe Sirugue, secrétaire d’État chargé de l’industrie
Mme Ericka Bareigts, ministre des outre-mer
Reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle sur la côte atlantique
M. Bruno Le Roux, ministre de l’intérieur
Métiers de l’aide à domicile aux personnes âgées
Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État chargée des personnes âgées et de l’autonomie
M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget et des comptes publics
Couverture des territoires ruraux par le très haut débit
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du numérique et de l’innovation
Accueil des réfugiés de Calais
M. Bruno Le Roux, ministre de l’intérieur
Revalorisation des carrières d’enseignants
M. Christophe Sirugue, secrétaire d’État chargé de l’industrie
Suspension et reprise de la séance
Présidence de Mme Catherine Vautrin
2. Approbation d’une convention internationale
Adhésion de la France au deuxième protocole relatif à la convention de La Haye de 1954
M. Bruno Le Roux, ministre de l’intérieur
M. Bruno Le Roux, ministre de l’intérieur
M. le président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.
M. le président. La parole est à Mme Sonia Lagarde, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Mme Sonia Lagarde. Ma question s’adresse au ministre de l’intérieur. La délinquance en Nouvelle-Calédonie progresse et inquiète les Calédoniens. Fortement marquée par la consommation d’alcool et de cannabis, elle se traduit chaque semaine, à Nouméa, par son lot d’écoles dégradées, de cambriolages, de home jacking, de voitures volées puis brûlées, de violences routières, de rixes et de troubles divers.
Nous avons à faire face à des délinquants sans foi ni loi, désinhibés par l’alcool, qui agissent avec violence y compris contre les forces de l’ordre. Si L’État a pris conscience de la situation en renforçant les effectifs de police et de gendarmerie dont l’arrivée est prévue ce mois-ci, la police nationale n’est toujours pas en capacité de recevoir l’ensemble des auteurs de délits en état d’ivresse publique et manifeste, faute de places dans les cellules de dégrisement.
Les ivresses publiques et manifestes n’ont rien de comparable avec la métropole où l’on compte 95 personnes interpellées par an par tranche de 100 000 habitants. Nouméa se distingue tristement, car elle compte en moyenne 4 500 personnes interpellées par an pour ses 100 000 habitants, soit cinquante fois plus qu’en métropole et monopolise plus de la moitié du temps de travail des policiers.
Monsieur le ministre, j’ai, à plusieurs reprises, évoqué ce manque de cellules de dégrisement, sans qu’aucune solution n’ait été trouvée. Alors, je vous renouvelle ma demande : il faut une solution rapide pour faire face à une situation devenue intolérable, insupportable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)
M. Dominique Bussereau. Très bien.
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Bruno Le Roux, ministre de l’intérieur. Madame la députée, le constat que vous faites est particulièrement juste sur la hausse de la délinquance liée notamment à l’alcool et à la consommation de drogues en Nouvelle-Calédonie et la violence que cela entraîne sur les comportements individuels ainsi que dans les filières qui s’organisent autour des trafics. Les éléments de réponse ne dépendent pas simplement du ministère de l’intérieur ; ils relèvent également d’une politique globale de santé publique.
Lors de la discussion du projet de loi qui va suivre relatif à la sécurité publique, j’aurai l’occasion de dire que je souhaite, à côté des responsabilités des forces de l’ordre – police et gendarmerie – sur l’île, confier aux forces de police municipale – vous en êtes, madame la députée, une défenseure – la possibilité de procéder à des contrôles afin de faire reculer la consommation d’alcool et de cannabis. Dans le cadre du plan de sécurité publique qui a été mis en œuvre, je souhaite une gestion des cas d’ivresse publique et manifeste par la médecine de ville en permettant à celle-ci de se déployer très rapidement sur votre territoire. Je prendrai attache avec la ministre de la santé pour répondre en parfaite coordination à cette problématique pour l’ensemble de la Nouvelle-Calédonie.
Enfin, puisque vous me posez la question des forces de sécurité, je veux vous confirmer que s’agissant de l’ordre public, un cinquième escadron de gendarmerie mobile a été accordé à la Nouvelle-Calédonie – trente gendarmes supplémentaires vont rejoindre aujourd’hui ce territoire –, et vingt-trois policiers seront déployés sur le territoire afin de résoudre les questions non seulement de drogue et de cannabis, mais aussi de sécurité publique, notamment sur la route provinciale 1. Telle est la préoccupation du Gouvernement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Goldberg, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.
M. Daniel Goldberg. Monsieur le ministre de l’intérieur, je voudrais vous parler de M. Théodore Luhaka, que tous ceux qui le connaissent appellent « Théo ». M. Luhaka est un jeune homme sans histoire, passionné de football, serviable, vivant dans le quartier de la Rose-des-Vents à Aulnay-sous-Bois, dans une famille où le respect de l’autre est une valeur forte.
La vie de M. Luhaka a basculé jeudi dernier, au milieu de l’après-midi, quand des fonctionnaires de police ont, selon son témoignage, délibérément attenté à sa dignité. Ils l’ont insulté et frappé avec une volonté constante de l’humilier.
Dès le lendemain, monsieur le ministre, je vous ai dit mon exigence de vérité pour faire cesser un sentiment d’impunité par lequel ces policiers, et ceux-là seulement, se sentaient visiblement protégés. Depuis lors, l’enquête interne de votre ministère a été rapide et transparente. Trois jours après les faits, ces policiers ont été mis en examen. La justice doit maintenant passer pleinement et sans pression d’aucune sorte : c’est notre conception du fonctionnement de la République.
Je veux ici rendre hommage à la grande majorité des policiers, qui sont tous les jours sur le terrain pour nous protéger en étant parfois eux-mêmes agressés, mais je veux aussi souligner la dignité dont fait preuve la famille de Théo.
Comme tout un quartier, comme des milliers de mères et de pères de famille qui pensent que cela aurait pu arriver à leur fils, au-delà de la colère et du dégoût, je me demande comment on a pu en arriver là. Une relation de confrontation permanente, installée depuis la fin de la police de proximité, mine la République.
J’en appelle donc à une prise de conscience nationale pour changer les rapports entre la police et la population dans ces quartiers, notamment pour ce qui concerne les motifs et les techniques de contrôle. Être « avec Théo » aujourd’hui, c’est exiger ce respect mutuel entre citoyens et policiers. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et sur plusieurs bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Bruno Le Roux, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, les faits que vous venez de décrire sont d’une gravité évidente. Mes premières pensées s’adressent naturellement à ce jeune garçon, Théo, à sa famille et à ses amis, qui souffrent de son hospitalisation et des graves menaces qui pèsent aujourd’hui sur son futur et sur ses perspectives de vivre normalement.
Je ne veux bien entendu formuler ici aucune déclaration ni appréciation sur les conditions de son interpellation et sur ce qui s’est passé : c’est aujourd’hui au magistrat instructeur de dire la vérité. Je vous assure, monsieur le député, que tous les éléments ont été transmis, qu’il s’agisse des éléments vidéo ou de ceux qui permettent de retracer cette intervention dans son cadre – avant, pendant et après –, afin que la justice puisse sans délai mener l’enquête, au rythme qui est le sien.
Je suis très ferme, et le Gouvernement veut l’être lui aussi, s’agissant de tragiques événements de ce genre. J’ai donc procédé sans attendre à la suspension des quatre policiers concernés. Je veux également rappeler à leur devoir d’exemplarité tous les fonctionnaires de police et de gendarmerie. Je sais que, dans beaucoup d’endroits et dans la très grande majorité des cas, je n’ai pas besoin de le faire, mais le lien entre la population et eux est central dans le pacte républicain qui doit être le nôtre aujourd’hui dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.) Cela doit être affirmé haut et fort.
Enfin, monsieur le député, puisque la justice est saisie et qu’elle dispose de tous les éléments, j’invite chacun à appeler à la sérénité, comme vous venez de le faire. Il n’est pas de bonne politique de mettre en cause l’État ou la justice au nom d’une prétendue capacité à s’intéresser aux problèmes des quartiers. Je souhaite que ces problèmes soient traités avec la plus grande sérénité. C’est ce que nous faisons, vous-même comme le Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon, pour le groupe Les Républicains.
M. Philippe Goujon. Monsieur le ministre de l’intérieur, Paris, déjà meurtri par des attentats d’une ampleur inégalée, a subi une nouvelle attaque terroriste visant l’un de ses principaux sites touristiques. Seuls le sang-froid et la réactivité de la patrouille sauvagement agressée au Louvre ont permis d’éviter le pire. Je voudrais donc d’abord exprimer ici notre reconnaissance et notre soutien à nos soldats, comme à toutes les forces de sécurité engagées depuis de si longs mois, à l’intérieur et à l’extérieur de nos frontières, dans une guerre contre la barbarie. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur de nombreux bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
Cette agression nous rappelle non seulement que la menace est persistante, mais aussi que les forces de l’ordre en sont l’une des cibles privilégiées. Notre devoir est donc de les en prémunir dans l’accomplissement de leurs périlleuses missions.
Le malaise des policiers en colère dans nos rues provient aussi d’un cadre d’usage des armes inadapté. Mes collègues Éric Ciotti, Guillaume Larrivé et moi-même avons pourtant déposé pas moins de quatre propositions de loi, qui ont toutes été rejetées, et il aura fallu attendre ce jour pour examiner un projet de loi qui reconnaîtra enfin aux policiers un droit renforcé à l’usage des armes.
Comme l’a prouvé l’assassinat de Clarissa Jean-Philippe, les terroristes ne font pas la différence : tous les effectifs en uniforme sur la voie publique sont menacés et les policiers municipaux de Nice ont dû eux aussi affronter le tueur au camion fou.
« Porter un uniforme, c’est être une cible », avez-vous déclaré, monsieur le ministre. Vous ne pouvez donc écarter d’un revers de main nos amendements qui étendent ce nouveau droit aux policiers municipaux et aux agents de sécurité armés des services publics de transport, les habilitant notamment à interrompre un périple meurtrier. Eux aussi protègent la vie des Français : ne les empêchez pas de sauver la leur ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Bruno Le Roux, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, vous me permettrez d’abord de souligner avec vous la très grande responsabilité et le professionnalisme dont ont fait preuve les militaires de l’opération Sentinelle, ainsi que la grande réactivité des fonctionnaires de la préfecture de police de Paris qui, moins de dix-sept minutes après cette attaque, avaient mis à l’abri plus de 1 200 personnes – touristes et visiteurs présents sur place –, afin d’éviter un surattentat, une nouvelle attaque, très possible dans une telle situation. C’est donc dans une coordination parfaite qu’ils ont mis ces personnes à l’abri et arrêté le terroriste qui s’apprêtait, bien évidemment, à commettre un attentat.
Vous m’interrogez sur le cadre d’usage des armes à feu, dont nous allons discuter dans quelques minutes. Je tiens d’abord à vous rassurer : je ne balaie aucun amendement d’un revers de main. Je pense que ce débat doit avoir lieu.
Permettez-moi cependant de vous renvoyer une interrogation : alors que nous sommes à la fin de la session parlementaire, est-il utile que votre groupe dépose une motion de renvoi en commission dont l’adoption aurait pour effet de faire en sorte que ce texte ne serait pas adopté du tout ? Je vous renvoie à cet égard à une forme de cohérence qui doit inviter chacun dans l’hémicycle à prendre ses responsabilités. Compte tenu de ce dont notre pays a besoin, il n’est pas responsable de déposer sur ce texte une motion de renvoi en commission – je vous le dis de la façon la plus claire qui soit.
Pour le reste, les règles de la police nationale et des polices municipales ne sont pas les mêmes : il y a homogénéité d’un côté et hétérogénéité de l’autre – nous aurons l’occasion d’en débattre. Pour ce qui concerne l’usage des armes en légitime défense, vos propositions ne soulèvent pas de difficultés. Elles en suscitent en revanche pour ce qui relève, par exemple, du périple meurtrier, notion que nous avons déjà abordée lors de l’examen des précédents textes. J’en exposerai les raisons dans le débat et j’espère que celui-ci pourra être serein. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Michel Pouzol, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.
M. Michel Pouzol. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur. Le 8 octobre dernier, des individus armés de cocktails Molotov ont attaqué un véhicule de policiers à Viry-Châtillon, en Essonne. Deux agents ont été grièvement blessés dans ce qui s’apparente à une tentative d’assassinat. Permettez que mes premières pensées soient pour eux et leurs familles.
Le Gouvernement, à cette occasion, a une nouvelle fois pris ses responsabilités en faisant rapidement des annonces fortes, notamment sur la mise à disposition de blindage « anti-caillassage » pour les voitures de police en zone sensible ainsi que d’uniformes résistants au feu.
Sans minimiser en rien ce drame, je souhaite toutefois rappeler que nous n’avons pas l’indignation sélective. De même que nous ne tolérons pas les violences policières subies par le jeune Théo à Aulnay-sous-Bois – je partage totalement l’émotion de mon collègue Daniel Goldberg –, nous ne tolérons pas non plus les violences à l’encontre des policiers.
Il ne s’agit pas ici de renvoyer dos à dos ces deux événements tragiques, mais bien de dénoncer l’attitude choquante de certains politiciens, qui viennent aujourd’hui même dans des commissariats de l’Essonne pour instrumentaliser la colère liée à ces drames. Je veux rappeler que si nous sommes unis pour condamner ces actes barbares, nous ne laisserons pas Marine Le Pen s’en servir pour sa campagne présidentielle ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
La France a besoin de sa police, d’une police exemplaire, mais aussi d’une police respectée : ces deux dernières années nous l’ont particulièrement démontré. Cela étant, le malaise entre policiers et population, notamment dans les quartiers populaires, ne cesse de s’accroître.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous informer sur l’avancée de l’enquête liée à cette tentative d’assassinat de Viry-Châtillon, ainsi que les mesures mises en œuvre pour répondre à ce malaise grandissant entre police et population ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Bruno Le Roux, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, je condamne à nouveau la tentative d’assassinat du 8 octobre dernier contre quatre fonctionnaires. Au nom du Gouvernement et, singulièrement, au nom de Bernard Cazeneuve – alors ministre de l’intérieur, il s’est chaque jour préoccupé des policiers présents dans cette voiture, qui ont été gravement brûlés –, je veux renouveler à chacun, et particulièrement à l’un d’entre eux, tous mes vœux de prompt rétablissement.
Cela étant, le temps médiatique n’est pas celui de l’enquête : l’on demande des résultats dans les heures qui suivent, alors qu’il est nécessaire de mener des enquêtes très fines et des procédures afin de déférer et ensuite punir les auteurs de cette tentative d’assassinat.
Le 17 janvier dernier, il a été procédé à l’arrestation de onze individus suspectés d’avoir participé à cette agression. À l’issue des gardes à vue prolongées, sept d’entre eux ont été mis en examen puis placés en détention provisoire. Les 30 janvier et 2 février derniers, deux autres suspects ont été placés en garde à vue, puis mis en examen et placés en détention provisoire. Enfin, le 6 février 2017, une nouvelle opération d’interpellation a été mise en place, engageant 100 policiers de la sûreté départementale de votre département, l’Essonne, des investigateurs en cybercriminalité et la compagnie républicaine de sécurité CRS 37 : six nouveaux suspects ont été interpellés et placés en garde à vue. Je tiens à féliciter les enquêteurs de la sûreté départementale et de la direction départementale de la sécurité publique de l’Essonne, ainsi que la CRS 37.
Aucun crime, quel qu’il soit, contre qui que ce soit, ne restera impuni. Il faut laisser aux enquêteurs le temps de mener leurs procédures ; j’ai grande confiance dans le travail qu’ils accomplissent. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Christophe Léonard, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.
M. Christophe Léonard. Ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État aux transports. « La France est ma patrie, l’Europe est notre avenir », aimait à rappeler le président François Mitterrand. L’avenir radieux s’est depuis passablement assombri : le Brexit en témoigne ! La montée de l’extrême droite et de l’abstention aussi ! L’austérité budgétaire européenne est passée par là. C’est pourquoi, avec d’autres, je considère qu’il est urgent de refonder l’Europe autour de la défense, de l’énergie, d’un plan massif d’investissements et d’une nouvelle gouvernance de la zone euro pour réussir enfin l’harmonisation fiscale et sociale.
À titre d’exemple, le dumping social exerce une tension extrême dans le transport routier de marchandises. Ce sujet est tout sauf anecdotique puisque cela concerne 600 000 emplois en France, répartis dans 40 000 entreprises et, en particulier, 2 722 salariés dans le département des Ardennes. Victimes du cabotage illégal, comme du cabotage légal d’ailleurs, mais aussi de la prolifération des véhicules inférieurs à 3,5 tonnes non astreints à la réglementation européenne sur le temps de conduite et de repos, les entreprises françaises ferment les unes derrière les autres.
Les solutions existent pourtant. En avril dernier, la commission des transports du Parlement européen a ainsi adopté un texte volontariste prônant la création d’une agence européenne de contrôle dans le transport routier de marchandises. La question du contrôle est de fait cruciale pour lutter contre le dumping social et fiscal, le travail détaché et donc pour sauvegarder le made in France.
Mais contrôler les entreprises qui fraudent et les donneurs d’ordres complices suppose des fonctionnaires pour effectuer ces contrôles en toute impartialité. C’est pourquoi je doute que la solution pour la France soit les « moins 500 000 fonctionnaires » comme le prônent par certains.
Monsieur le secrétaire d’État, le 31 janvier dernier, à votre initiative, se sont réunis à Paris l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, la France, l’Italie, le Luxembourg, la Norvège et la Suède pour lancer un plan d’action dénommé « Alliance du routier ». Pouvez-vous nous dire concrètement ce qu’il faut en attendre ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche.
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le député, le transport routier de marchandises en Europe est aujourd’hui victime d’une concurrence déloyale, dont vous avez cité un certain nombre d’exemples. Cela est vrai de la fraude sophistiquée consistant à équiper les camions de systèmes de chronotachygraphes truqués. Cela est vrai également du non-respect des règles sociales sur le temps de travail : chacun a pu observer, sur les parkings, des conducteurs passant tout le week-end dans la cabine de leur camion. Cela est vrai aussi de l’utilisation massive de véhicules de moins de 3,5 tonnes pour contourner les règles sur le cabotage. Tout cela est une réalité à laquelle l’ensemble de nos pays sont confrontés.
J’ai réuni huit pays européens la semaine dernière pour adresser un message très clair à la Commission. Dans cette situation, s’il n’y a pas de réponse européenne, alors ceux qui prônent le repli à l’intérieur les frontières nationales l’emporteront. Nous ne voulons pas une Europe de la loi de la jungle ; nous voulons une Europe qui soit un marché, mais dans lequel les règles de la concurrence sont équilibrées par le respect des règles sociales. Voilà le message que nous avons voulu, avec cette « Alliance du routier », adresser à la Commission.
Avec Myriam El Khomri, nous nous sommes rendus au Parlement européen, il y a quelques semaines, pour porter ce message. Je le dis très clairement à la Commission : avec les autres pays, nous n’accepterons pas une nouvelle étape de libéralisation du transport routier s’il n’y a pas, préalablement, un règlement sur la question sociale. Avec cet exemple, c’est toute une conception de l’Europe que nous voulons affirmer : l’une Europe est certes un marché, mais elle partage également des valeurs, notamment des valeurs sociales. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Damien Meslot, pour le groupe Les Républicains.
M. Damien Meslot. Monsieur le secrétaire d’État chargé de l’industrie, le 7 septembre dernier, la direction d’Alstom annonçait la fermeture du site Alstom de Belfort, voulant mettre fin à 137 ans d’histoire industrielle dans notre ville. La forte mobilisation des élus, des salariés, des organisations syndicales et de la population a permis de défendre ce site historique.
Nous vous avons rencontré à plusieurs reprises et un plan de sauvetage a pu être mis en place le 4 octobre 2016. Ce plan prévoyait un volet local, avec l’investissement des collectivités territoriales pour l’électrification d’une ligne permettant aux TGV d’arriver directement sur le site de Belfort, faisant de celui-ci le centre européen de maintenance des TGV et pérennisant 150 emplois. Cette convention a été signée hier, en présence du préfet et des représentants des collectivités territoriales. Ce plan de sauvetage prévoyait également un volet national avec des investissements nouveaux pour diversifier le site, l’achat de quinze rames TGV en plus des six prévues pour le Paris-Turin-Milan et l’achat par la SNCF de vingt locomotives diesel.
Or, un grand quotidien national d’économie a publié une note interne de Bercy remettant en cause le plan de commande des TGV. Le Gouvernement s’est engagé et nous ne pouvons pas croire que la parole donnée ne sera pas respectée. Pouvez-vous nous dire, monsieur le secrétaire d’État, quand les commandes de TGV par la SNCF seront passées et ce qu’il en est de l’achat des rames TGV par l’État ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de l’industrie.
M. Christophe Sirugue, secrétaire d’État chargé de l’industrie. Monsieur le député, votre question fait suite à une publication dans la presse, hier, laissant penser que l’engagement pris par le Gouvernement concernant la poursuite de l’activité sur le site Alstom de Belfort serait remis en cause.
Je vous le confirme ici, devant la représentation nationale : l’engagement du Gouvernement n’est nullement remis en cause. La note qui a été diffusée fait état d’un scénario que le Gouvernement n’a pas retenu puisque ce dernier n’a jamais souhaité acheter directement ces quinze rames de TGV, mais a préféré signer un contrat-cadre avec la SNCF, comme cela a été dit dès le début de nos discussions.
Je tiens donc à vous assurer à la fois de notre détermination et, bien évidemment, de notre volonté de continuer à vous associer, vous, monsieur le député-maire, mais également les organisations syndicales, les autres collectivités locales – région, département, agglomération – à ce travail que nous avons commencé ensemble, dans le respect des engagements qui ont été pris.
Je vous réunirai donc le 17 février prochain – cette date avait été fixée préalablement – pour faire le point sur ces engagements, comme la dernière fois. Nous dialoguons en permanence avec la SNCF pour que les choses soient enclenchées conformément au calendrier que je vous ai déjà présenté.
Je vous le dis ici : ce qui nous motive, ce qui nous mobilise, c’est de faire en sorte que l’activité soit maintenue sur le site Alstom de Belfort. Et elle le sera, je vous prie de le croire, monsieur le député. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Ary Chalus, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
M. Ary Chalus. Ma question, à laquelle j’associe mes collègues de la Martinique, s’adresse au Premier ministre.
Monsieur le Premier ministre, vendredi dernier, un séisme de magnitude 5,8 a été ressenti en Guadeloupe et en Martinique à 15 h 54, soit vingt minutes après la sortie des classes. L’école de Rivière Lézarde, au Gros-Morne, en Martinique, est d’ailleurs fermée depuis, suite à la chute de nombreuses plaques de béton – la principale cause de blessures ou de décès en cas de séisme est due à l’effondrement des infrastructures.
En 2007, le Gouvernement a mis en place le plan séisme Antilles pour le renforcement et la reconstruction des bâtiments publics vulnérables aux séismes et, singulièrement, nos écoles primaires et maternelles. L’objectif : 100 écoles terminées pour un montant estimé à 97 millions. Fin 2013, 30 % des objectifs en nombre d’écoles ont été atteints en utilisant 75 % des moyens financiers prévus.
En Guadeloupe, 298 établissements scolaires restent encore à traiter. Près de 70 % d’entre eux présentent une vulnérabilité très forte ou extrême aux séismes. Les travaux restant à effectuer sont très importants et le plan séisme Antilles II lancé l’année dernière ne semble pas couvrir les besoins d’ores et déjà identifiés.
Nos collectivités s’inscrivent avec détermination dans la prospective et l’anticipation des impacts de ces phénomènes. Nous sommes d’ores et déjà engagés techniquement et financièrement. En moins d’un an, la région Guadeloupe, que je préside, s’est investie dans l’accompagnement des communes en œuvrant à la réduction de la vulnérabilité des établissements scolaires publics, effort salué notamment par Mme la ministre Erika Bareigts en visite officielle à Deshaies, en Guadeloupe, le 21 octobre dernier. Néanmoins, nous risquons d’être freinés en raison du manque de moyens.
Monsieur le Premier ministre, de quelle manière le Gouvernement entend-il renforcer ce plan pour mettre en sécurité les enfants de nos régions bien plus rapidement ? De nombreux établissements ont plus de soixante-dix ans. Rappelez-vous de ce qui s’est passé en Italie ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des outre-mer.
Mme Ericka Bareigts, ministre des outre-mer. Monsieur le député, vous le savez, nous sommes parfaitement conscients du risque sismique aux Antilles. C’est parce que nous suivons la situation avec la plus grande attention que le Président de la République a relancé le plan séisme Antilles en mai 2015. De 2016 à 2020, près de 450 millions d’euros seront ainsi consacrés à la reconstruction de 120 établissements scolaires, d’une quinzaine de casernes de pompiers et de près de 3 000 logements sociaux. L’État mobilise ainsi des crédits conséquents, à la hauteur des enjeux, pour adapter nos équipements publics.
Bien entendu, il faut que chacun mobilise ces fonds mis à disposition du territoire pour cet impératif absolu qu’est la protection des populations. J’ai pu constater l’efficacité de notre action lors de l’inauguration de l’école de Deshaies – qui a été mise aux normes parasismiques grâce à l’intervention de l’État – à l’occasion de ma visite officielle en Guadeloupe.
M. Pierre Lequiller. Qu’est-ce qu’elle raconte ?
Mme Ericka Bareigts, ministre. J’ai rencontré ce matin même les représentants de l’Agence des cinquante pas géométriques qui m’ont rappelé leur satisfaction et leur engagement pour sécuriser les populations exposées aux risques majeurs. Là aussi, nous devons travailler collectivement.
Par ailleurs, j’ai voulu soutenir les travaux de mises aux normes parasismiques dans le cadre du projet de loi de finances rectificative 2016 en prorogeant de cinq ans le dispositif d’abattement de 30 % de la taxe foncière sur les propriétés bâties. Il s’agit d’un soutien décisif et, même, crucial pour nos 800 000 compatriotes des Antilles. Les acteurs locaux doivent là aussi s’approprier davantage ce dispositif insuffisamment utilisé à l’heure actuelle.
Vous le voyez, monsieur le député, le Gouvernement et les services de l’État se mobilisent quotidiennement pour protéger les populations du risque sismique. L’adaptation des infrastructures, cependant, ne suffit pas. Il faut développer et valoriser une véritable culture de la prévention et du risque sismique dans les Antilles.
M. le président. La parole est à M. Didier Quentin, pour le groupe Les Républicains.
M. Didier Quentin. Après les séismes ultramarins, les tempêtes métropolitaines !
Monsieur le ministre de l’intérieur, les littoraux charentais et girondins, ainsi que le département de la Charente, ont subi une série de tempêtes hivernales au cours de ce week-end : Kurt, vendredi ; Leiv, samedi et Marcel, dimanche. Ce sont surtout les deux dernières, qui se sont combinées, avec des rafales de 120 kilomètres par heure sur la côte, et des pointes à près de 150 kilomètres par heure, qui ont provoqué des dégâts sur toutes les communes côtières de la Gironde et de la Charente-Maritime, mais aussi, plus à l’intérieur des terres, en Charente.
Des toits ont été emportés, notamment sur deux lycées de ma circonscription, à Royan et à Bourcefranc-le-Chapus, des baies vitrées ont volé en éclat et des panneaux de signalisation ont été arrachés. De nombreuses habitations privées ont été touchées, ainsi que des biens publics. Les réseaux ont, eux aussi, été fortement endommagés, et l’on compte encore aujourd’hui des foyers privés d’électricité, et des entreprises sans accès à internet et sans téléphone, et ce malgré le déploiement des équipes d’Enedis et d’Orange.
J’imagine que les services de l’État, dont je tiens à saluer la mobilisation efficace, sont en train de procéder à l’évaluation du montant des dégâts. C’est pourquoi, monsieur le ministre, je vous serais reconnaissant de nous indiquer dans quels délais vous entendez enclencher la procédure de catastrophe naturelle, afin que les entreprises et les particuliers puissent faire expertiser, par les compagnies d’assurances, les sinistres subis. Pouvez-vous, d’autre part, nous dire si vous entendez faire jouer la solidarité nationale, en mettant en place un fonds de concours pour les bâtiments publics dégradés ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Bruno Le Roux, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, vous l’avez dit, le passage de trois tempêtes hivernales, le week-end dernier, a occasionné de nombreux dégâts, notamment en Charente-Maritime, et dans les départements de la Charente et de la Gironde. Je voudrais, tout comme vous, saluer les services d’incendie et de secours pour leur engagement. Ils ont procédé à plus de 2 500 interventions durant ces trois tempêtes, principalement liées à des chutes d’arbre, à la dégradation de fils électriques ou à la présence de mobilier urbain sur la voie publique. Vous avez rendu hommage à l’État, et je vous en remercie, mais je souhaite également saluer les opérateurs d’énergie, ainsi que les collectivités, qui ont été mobilisées pour rétablir l’électricité, ainsi que la circulation routière et ferroviaire – qu’elles en soient remerciées.
La procédure « catastrophe naturelle », sur laquelle vous m’interrogez, est fondée, vous le savez, sur la loi du 13 juillet 1982. Relèvent de ce dispositif les événements naturels d’une intensité anormale, qui ne peuvent pas être couverts par un contrat d’assurance dommage. Je vous rappelle, mais vous le savez, qu’un sinistré n’est éligible à la garantie « catastrophe naturelle » qu’à condition d’avoir souscrit un contrat de type multirisques. La loi du 25 juin 1990 élargit les contrats d’assurance dommage aux effets du vent dû aux tempêtes, ouragans et cyclones.
Pour l’instant, nous procédons, avec les services de l’État, à l’évaluation des dégâts. Il ne convient pas, pour l’heure, que les communes recourent à la procédure de demande de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle. Il convient en revanche d’inviter tous les administrés à se rapprocher, dans un premier temps, de la compagnie d’assurances auprès de laquelle ils ont souscrit un tel contrat. Bien entendu, l’État interviendra pour soutenir les collectivités locales pour leurs biens non assurables, et nous procéderons ensemble à l’évaluation. Cela nous permettra de prendre les décisions au plus près des intérêts des collectivités, et de ceux de nos concitoyens vivant dans ces trois départements. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Julie Sommaruga, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.
Mme Julie Sommaruga. Madame la secrétaire d’État aux personnes âgées et à l’autonomie, les prévisions démographiques témoignent d’une réalité qui est une bonne nouvelle pour notre société : l’espérance de vie de nos concitoyens s’allonge. Voilà pourquoi nous avons le devoir de mobiliser la société tout entière autour du défi du vieillissement. Nous le savons, les conditions dans lesquelles nos aînés vieillissent peuvent s’avérer parfois, et même souvent, difficiles. C’est pourquoi, afin de lutter contre l’isolement, nous avons définitivement adopté, en décembre 2015, la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement.
Pour accompagner les personnes âgées, il y a tout d’abord la famille et les proches. Parce qu’il est indispensable de les soutenir dans leur implication quotidienne, nous avons instauré un droit au répit et un droit à un congé supplémentaire. Mais, au-delà de la famille et des proches, il y a aussi les auxiliaires de vies, qui accompagnent nos parents et nos grands-parents. C’est grâce à ces auxiliaires de vie que nos aînés ont la possibilité de rester, et de vivre pleinement, à leur domicile. Les aides à domicile contribuent à rendre notre société plus juste et plus solidaire, à en faire une société qui n’exclut personnel, dans laquelle vieillir dans la dignité est un droit pour chacun.
Ce métier, à la fois indispensable et plein d’humanité, est également porteur d’avenir. On estime en effet à 300 000 le nombre de créations d’emploi d’ici 2030, sans compter le remplacement des départs à la retraite. Aussi, afin d’anticiper les besoins de nos aînés, vous avez, madame la secrétaire d’État, lancé la semaine dernière une campagne de valorisation des métiers de l’aide à domicile. Pouvez-vous nous présenter les grands axes de cette campagne et nous dire comment vous comptez valoriser ce beau métier ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)
M. Joël Giraud. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des personnes âgées et de l’autonomie.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État chargée des personnes âgées et de l’autonomie. Madame la députée, le 4 octobre 2016, à l’occasion de la « Semaine bleue », le Président de la République s’était engagé à revaloriser l’image des métiers d’aide à domicile, dont il est très peu question dans nos débats, alors même que ce sont des milliers de personnes – à 90 % des femmes – qui les exercent.
Le 1er février, j’ai effectivement lancé une campagne nationale dédiée à la revalorisation des métiers de l’aide à domicile auprès des personnes âgées, avec un slogan : « Aider les autres, c’est mon métier. » C’est effectivement un métier. Le rappeler, c’est signifier que nous ne confions pas nos aînés à n’importe qui, mais à de vrais professionnels, en qui nous avons pleinement confiance.
Permettez-moi de donner quelques chiffres. Aujourd’hui, 80 % des personnes âgées souhaitent vivre le plus longtemps possible à leur domicile. En 2017, 23 % de la population française a plus de 60 ans et, en 2030, les personnes âgées représenteront un tiers de notre population. Il faut donc être à la hauteur de ce défi démographique, à la hauteur de nos responsabilités politiques. C’est ce que nous faisons et, avec Clotilde Valter, secrétaire d’État chargée de la formation professionnelle, nous avons adressé un courrier à l’ensemble des acteurs – collectivités territoriales, associations, structures diverses – afin qu’elles relaient cette campagne d’information, car nous aurons besoin, vous l’avez dit, de quelque 300 000 aides à domicile supplémentaires dans les dix ans qui viennent.
Ce sont des emplois non délocalisables, qui ne nécessitent pas de diplôme, mais pour lesquels il existe une formation. Nous avons d’ailleurs créé, en janvier 2016, le diplôme d’État d’accompagnant éducatif et social. Madame la députée, vous l’aurez compris : mieux reconnaître et mieux former ces métiers, c’est un plus pour les personnes âgées, un plus pour leurs proches, mais aussi pour les professionnels qui travaillent dans ce secteur. Et c’est un vrai défi pour nous. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Gabriel Serville, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Gabriel Serville. Monsieur le secrétaire d’État chargé du budget et des comptes publics, comme vous le savez, sur les 83 500 kilomètres carrés que compte le territoire guyanais, moins de 1 % relève des collectivités territoriales, 9 % du secteur privé et 90 % du domaine privé de l’État, qui est, par ailleurs, totalement exonéré de taxe. Il s’agit là d’une situation inédite en France, qui traduit une profonde injustice doublée d’une réelle iniquité face aux besoins de ce territoire. Ainsi, les procédures en vue de l’obtention des titres fonciers, qui permettent d’accéder à la terre, demeurent de véritables parcours du combattant.
Or, depuis juin 2012, je n’ai eu de cesse de vous alerter sur les conséquences désastreuses de cette gestion, par trop jalouse, du foncier par l’État en Guyane, notamment du fait de la pression foncière insupportable qui en résulte. Pour rappel, la Guyane, dont la densité est faible, est la région qui supporte le plus fort taux de suroccupation des logements, sans compter les profondes difficultés rencontrées par le monde agricole pour accéder à des parcelles exploitables.
Désormais, cette situation fait craindre le pire pour la stabilité sociale. En effet, pas un jour ne passe sans que les élus soient sollicités sur des dossiers illustrant un profond sentiment de ras-le-bol généralisé face à un cadre normatif et une gestion inadaptée aux réalités géographiques et sociales guyanaises. Des avancées avaient pourtant été obtenues dans le cadre du projet de loi relatif à l’égalité réelle outre-mer, avant que le Sénat ne décide de faire marche arrière.
Vraiment, je m’en désole, d’autant plus que les 100 000 hectares transférés aux collectivités dans le cadre du pacte d’avenir pour la Guyane, qui à ce jour n’est toujours pas signé, sont loin d’être la solution pérenne. Aujourd’hui, je réclame, au bénéfice de la Guyane, la tenue des assises du foncier, afin de rétablir la justice. Aussi, monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de nous éclairer sur la volonté et la capacité du Gouvernement à nous accompagner sur ce projet, dont nous souhaiterions la réalisation avant l’élection présidentielle. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget et des comptes publics.
M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget et des comptes publics. Monsieur le député, chaque territoire ultramarin a ses spécificités. Qui n’a jamais été en Guyane ne peut mesurer l’immensité de ce territoire. Au printemps 2015, j’ai eu la chance de pouvoir y aller dans le cadre de mes fonctions, et j’ai mesuré les problèmes démographiques –– avec le Suriname et le Brésil –, économiques, sociaux, et en matière de logement – vous les avez mentionnés. L’un de vos collègues a l’habitude de dire que dans une seule des vingt-deux communes que compte la Guyane peuvent être logées à la fois la Martinique, la Guadeloupe, La Réunion, et il reste de la place. C’est dire l’acuité du problème que vous soulevez !
Le Gouvernement n’est pas resté inactif, même s’il reste du chemin à parcourir. Un décret du 14 décembre 2016 a prévu le lancement d’une opération d’intérêt national visant à favoriser la production de logements sociaux. Vous avez évoqué le pacte d’avenir pour la Guyane, sur lequel vous travaillez avec ma collègue Ericka Bareigts. Mais, vous l’avez rappelé, il reste à régler un certain nombre de problèmes en matière de transfert de foncier, avec la double mission qui est la mienne : non seulement servir votre territoire, qui le mérite, mais aussi préserver les intérêts patrimoniaux de l’État, dans le cadre de la réglementation et de la constitution actuelle. Certains problèmes ont parfois pu nous rappeler la responsabilité en matière de foncier d’un transfert de propriété.
Mais vous m’avez posé une question précise. Ma réponse est claire : oui, je suis prêt à examiner, avec vous, les parlementaires de Guyane et les représentants de la collectivité territoriale de Guyane, les difficultés opérationnelles qui pourraient subsister. Je m’engage à le faire dans un délai d’un mois maximum. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Laure de La Raudière, pour le groupe Les Républicains.
Mme Laure de La Raudière. Monsieur le Premier ministre, ma question porte sur le retard pris par la France pour la couverture par le très haut débit de son territoire. Alors qu’en 2012, notre pays était en avance sur ses partenaires européens, il est aujourd’hui classé en vingt-sixième position, derrière l’Angleterre, l’Allemagne ou l’Espagne. Sur ce sujet aussi, mes chers collègues, la France décroche.
M. Guénhaël Huet. Bravo la gauche !
Mme Laure de La Raudière. D’un côté, on se glorifie du succès de la French tech au Consumer electronic show de Las Vegas, et de l’autre, on laisse crever nos territoires ruraux. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
Aujourd’hui, seulement 30 % des habitations situées dans les zones rurales ont accès au très haut débit, contre plus de 65 % en ville. Mais croyez-vous vraiment qu’un collégien ou un lycéen habitant à la campagne n’a pas les mêmes besoins d’accès à la formidable base de connaissances qu’est internet qu’un collégien ou un lycéen des villes ? Croyez-vous qu’une petite entreprise industrielle ou un entrepreneur du Perche n’a pas les mêmes besoins qu’un entrepreneur de banlieue ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)
Croyez-vous que les agriculteurs puissent se passer du numérique et de la révolution des objets connectés pour rendre leur exploitation plus compétitive ? Croyez-vous que nous puissions nous passer du développement de la télémédecine dans nos territoires ruraux, alors que vous les avez laissés devenir des déserts médicaux ? Alors, que faites-vous ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
Les habitants des zones rurales n’en peuvent plus d’être les oubliés de la politique numérique de ce gouvernement. Heureusement, certaines collectivités locales prennent le relais, mais vous les avez étranglées financièrement avec la baisse des dotations. L’argent prévu dans le cadre du Plan France très haut débit va manquer en 2017 pour financer l’ensemble des projets, et rien n’a été fait. Monsieur le Premier ministre, on a l’impression que vous avez baissé les bras. C’est pourtant l’une des trois attentes prioritaires de la ruralité. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée du numérique et de l’innovation.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du numérique et de l’innovation. Madame la députée, vous avez cité un pays, le Royaume-Uni, que je connais bien, et qui a affiché récemment son ambition de lancer un plan de couverture numérique du territoire national à hauteur de 400 millions de livres sterling.
Mme Laure de La Raudière. Ce pays a de l’avance !
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Ce n’est pas très loin de l’ambition affichée lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités en 2012, puisque le plan du gouvernement précédent s’élevait à 900 millions d’euros.
M. Jacques Myard. Cela fait cinq ans que vous êtes aux responsabilités !
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Avec le lancement du Plan France très haut débit, qui vise à couvrir en priorité toutes les zones rurales de notre pays, ce sont 3,3 milliards d’euros que nous avons investis dans les campagnes de France. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
M. Christian Jacob. Allez-y, dans les zones rurales !
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Certes, si l’on se fie aux études européennes internationales statiques, et non dynamiques, on peut considérer que la France a du retard, mais ce serait polémiquer sur un sujet qui fait habituellement l’objet d’un consensus sur ces bancs. Il se trouve que le Gouvernement, demain (« Demain, on aura du très haut débit ! » sur les bancs du groupe Les Républicains)…
M. le président. S’il vous plaît !
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. Nous nous inscrivons dans l’avenir. Le plan France très haut débit couvrira 100 % de la population française et 100 % des entreprises en très haut débit d’ici à 2022. En 2022, grâce à l’investissement de l’État, mais aussi de toutes les collectivités locales, car 100 % des départements se sont engagés à financer à nos côtés et aux côtés de la Commission européenne ce plan très ambitieux, c’est tout un pays qui sera couvert.
Mme Marie-Christine Dalloz. Qu’avez-vous fait, vous ?
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. La France fera partie des pays les mieux couverts du monde et se positionnera très certainement en tête des pays européens à cet horizon de cinq ans. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
M. Yves Nicolin. Baratin !
M. le président. La parole est à Mme Michèle Delaunay, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.
Mme Michèle Delaunay. Monsieur le ministre de l’intérieur, tous les Français ont en mémoire les images de l’accumulation à Calais des réfugiés qui voulaient gagner le Royaume-Uni, images difficiles, douloureuses, inhumaines et qui ne témoignaient pas de la tradition d’accueil de la France.
En octobre 2016, le Président de la République et votre prédécesseur, M. Bernard Cazeneuve, ont décidé le démantèlement – mot terrible – de ce qu’on appelait alors la jungle de Calais, tellement les accidents, les drames, l’insalubrité et la souffrance des réfugiés comme des habitants de la ville étaient grandes.
Le démantèlement fut réalisé en trois jours, sans incident rapporté : 6 000 personnes, dont 1 500 mineurs isolés, furent dirigés vers différents lieux de notre territoire préparés en accord avec les communes qui s’étaient portées candidates. Si la ville de Bordeaux n’a pas souhaité participer à cet accueil, plusieurs communes de Gironde l’ont fait et témoignent aujourd’hui de la qualité de l’accueil des habitants comme du remarquable déploiement des services de l’État.
Mais cette expérience locale n’est pas suffisante. Acceptez-vous, monsieur le ministre, de présenter aux Français un bilan concret et précis de cette opération ?(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain. - Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur, dont on écoute la réponse.
M. Philippe Cochet. Quelle est la question ?
M. Bruno Le Roux, ministre de l’intérieur. Madame la députée, vous m’avez interrogé sur l’opération de démantèlement de Calais qui, c’est vrai, a été unanimement reconnue comme étant un grand succès, tranchant avec la façon dont des réfugiés s’étaient accumulés durant des années sur les frontières sans qu’il leur soit porté la moindre attention et dans des conditions absolument déplorables. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.) C’est à la fois dans le respect des règles et avec toute l’humanité dont il sait faire preuve que le Gouvernement, notamment sous l’autorité, à ce moment-là, de M. Bernard Cazeneuve, a su procéder à cette opération de démantèlement dont je veux vous donner les chiffres précis.
Elle a concerné 7 424 personnes : 5 466 majeurs ont été orientés en centres d’accueil et d’orientation et 1 952 mineurs en centres d’accueil et d’orientation pour mineurs isolés. Depuis, une question est centrale pour les mineurs : leur départ au Royaume-Uni, puisqu’ils fondaient leur présence à Calais sur l’espoir de pouvoir partir pour ce pays. Avant la procédure de démantèlement, 400 transferts de mineurs avaient été réalisés. Après la procédure, il y en a eu 485, auxquels il faut ajouter plus de 400 dossiers en contestation qui, je le répète chaque semaine aux autorités britanniques, doivent être jugés sur les deux critères qui ont fondé l’examen des dossiers : l’existence de relations familiales aujourd’hui au Royaume-Uni et le critère de vulnérabilité tel qu’il est défini dans l’amendement Dubs.
Je demande aux autorités britanniques de respecter strictement ces critères, sans quoi ces mineurs auront un sentiment d’injustice qui les empêchera de fonder avec nous, dans le cadre des dispositifs de protection de l’enfance, de nouveaux projets.
M. Claude Goasguen. Alors faites-le ! C’est incroyable !
M. Bruno Le Roux, ministre. Madame la députée, je tiens enfin à vous confirmer que nous mettons tout en œuvre aujourd’hui pour qu’il ne soit procédé à aucun nouveau campement sur la zone de Calais. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
M. Claude Goasguen. C’est faux.
M. le président. La parole est à M. Frédéric Reiss, pour le groupe Les Républicains.
M. Frédéric Reiss. Madame la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, à l’heure du bilan de fin de quinquennat, il apparaît clairement que la prétendue refondation de l’école a débouché sur des réformes idéologiques et dogmatiques qui affaiblissent notre école.
M. Michel Herbillon. Ce n’est pas un bilan, c’est une catastrophe !
M. Frédéric Reiss. Le fossé continue de se creuser entre les meilleurs élèves et les moins bons en dépit de tous vos efforts de communication. Aujourd’hui, nous assistons à un véritable syndrome de manque de confiance des familles dans vos réformes : les polémiques sur l’école se succèdent allègrement.
Après celle des rythmes scolaires, une réforme qui reste très inégalitaire selon les régions, après celle des EPI, une invention qui vole des heures aux matières fondamentales, voilà celle du prédicat. De nombreux enseignants y voient de la complexification dans l’apprentissage du français…
Un député du groupe Les Républicains. Ils ont raison.
M. Frédéric Reiss. …et, surtout, un nivellement par le bas. Les enfants en difficulté vont devoir d’abord intégrer le nouveau prédicat puis les anciens compléments d’objet direct et indirect : c’est le choc de simplification socialiste.
M. Michel Herbillon et M. Guénhaël Huet. Rendez-nous Hamon à l’éducation !
M. Frédéric Reiss. Dans un contexte où les familles fuient de plus en plus dans le privé, voire le secteur indépendant, vous ne trouvez rien de mieux que de tenter de battre en brèche le principe constitutionnel de la liberté d’enseignement.
Dans votre loi relative à l’égalité et à la citoyenneté, une loi fourre-tout de fin de législature, deux articles portaient atteinte à la liberté d’enseignement, parce qu’ils voulaient non seulement restreindre les modalités d’ouverture des écoles, mais aussi mettre en péril les bonnes conditions d’exercice de l’instruction à domicile. Heureusement, le Conseil constitutionnel a censuré ces dispositions. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)
Comment comptez-vous enfin mettre l’école sur de bons rails, madame la ministre ? Je vous laisse deviner le prédicat de ma question. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le député, merci pour votre question. Je vous ai entendu sur les bancs de l’Assemblée nationale très souvent déplorer le fait que puissent se développer dans certains territoires de notre pays des enseignements contraires aux valeurs de la République. Je vous ai entendu souvent déplorer que, sous le prétexte d’éduquer autrement des enfants, on puisse les embrigader dans telle ou telle religion.
M. Yves Durand. Absolument !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Alors, j’ai souhaité mieux contrôler l’ouverture des écoles hors contrat et c’est ce que je vous ai proposé de faire dans le cadre de la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
M. Yves Durand. Vous avez eu raison !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. En quoi cela consistait-il ? À en finir avec le fait accompli qui conduit aujourd’hui, dans notre pays, de plus en plus d’établissements qu’on ne contrôle pas à ouvrir leurs portes, avec pour tous critères d’acceptation, pour celui qui ouvre un établissement, qu’il soit titulaire du baccalauréat et de nationalité française. C’est tout ce qui est contrôlé aujourd’hui.
M. Bernard Accoyer. Vous oubliez l’autorisation du maire.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Cela signifie qu’il est plus facile d’ouvrir un établissement scolaire dans ce pays que d’ouvrir un bar ou un tabac. Voilà la réalité à laquelle j’ai souhaité mettre fin. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.) Une fois qu’on est devant le fait accompli – les maires de France le savent bien, eux qui réclament une législation –, il est très difficile de faire fermer un établissement qui pose de sérieux problèmes, sauf si on va devant la justice, ce qui prend des années.
Je vous ai donc proposé cet amendement. Mesdames et messieurs les députés de l’opposition nationale, fidèles à votre double discours et à votre hypocrisie légendaire (Vives protestations sur les bancs du groupe Les Républicains),…
M. Marc Le Fur. C’est lamentable !
M. Alain Marty. Intolérable !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. …vous l’avez refusé. Vous vous y êtes opposés et avez saisi le Conseil constitutionnel. Cet article de la loi a donc été retoqué. Je le regrette. En ce qui me concerne, je continuerai de contrôler ces établissements. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain. - De nombreux députés du groupe Les Républicains quittent l’hémicycle.)
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Maquet, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.
Mme Jacqueline Maquet. Madame la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, les enseignants sont les piliers de notre République. Ils passent leurs journées à donner aux enfants et aux jeunes les outils qui leur permettront de construire leur avenir.
Si les élèves ont besoin d’accompagnement, les professeurs ont besoin d’appui dans leur mission de transmission. Pour enseigner à une classe, il faut avoir suivi une formation complète, il faut pouvoir compter sur des auxiliaires de vie scolaire quand il y en a besoin, il faut que les professeurs ne soient pas seuls face à un trop grand nombre d’élèves, surtout dans les quartiers difficiles.
Voilà pourquoi nous avons fait de l’éducation nationale, depuis 2012, le premier budget de la nation. Voilà pourquoi nous avons créé, depuis 2012, 60 000 postes d’enseignants là où la droite compte supprimer 500 000 fonctionnaires, ce qui touchera de plein fouet l’éducation nationale. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.) Voilà pourquoi nous avons rétabli, depuis 2013, la formation initiale des professeurs qui avait été supprimée par la droite et le gouvernement Fillon. (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
Alors que notre société perd parfois ses repères, nous avons besoin, plus que jamais, d’enseignants qui soient fiers de leur métier, qui aient les moyens de transmettre leurs connaissances, qui aient les moyens de vivre dignement. Les maîtres, les maîtresses et les professeurs sont le terreau de notre République, et non son caveau, comme certains le laissent entendre.
Les professeurs de l’enseignement supérieur sont indispensables pour préparer l’avenir des étudiants, pour les amener vers un métier (« Bravo ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain), pour mener à bien des recherches indispensables au rayonnement de notre pays, la France. Pour ces professeurs du supérieur, pour tous ceux qui consacrent leur vie professionnelle à l’université, nous avons mis en place une revalorisation des carrières ; nous avons fait en sorte que les avancements et les affectations soient clairs.
Madame la ministre, pouvez-vous nous préciser les résultats de l’action de votre ministère depuis 2012, ainsi que les perspectives qu’ils ouvrent ? (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Madame la députée, merci pour votre question qui nous ramène aux vrais sujets de l’éducation nationale, notamment à la considération que l’on doit porter à ces enseignants qui, au quotidien, transmettent des connaissances et font progresser les élèves que nous voulons tous voir réussir, car c’est bien la mission de l’école.
J’en reviens à ce que nous avons fait pour les enseignants, car beaucoup de choses ont été faites durant ce quinquennat.
M. Michel Herbillon. Ce quinquennat a été un échec ! Vous êtes bien obligée de le reconnaître !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Nous avons d’abord rétabli la formation initiale des enseignants, qui avait été étrangement supprimée pendant le quinquennat précédent.
M. Michel Herbillon. Rendez-nous Hamon !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Nous avons ensuite revalorisé les salaires des enseignants du premier degré qui ont pu bénéficier, à la rentrée 2016, d’indemnités du même niveau que leurs collègues du second degré, soit 1 200 euros annuels en plus de leur salaire.
Notre action se poursuit avec la mise en œuvre du protocole PPCR – parcours professionnels, carrières et rémunérations – qui va concerner l’ensemble du million d’agents de l’éducation nationale, pour un montant de 1 milliard d’euros. Cela représente une revalorisation salariale inédite depuis trente ans !
M. Michel Herbillon. Et pour la ministre, quel parcours professionnel, quelle carrière et quelle rémunération ?
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Ce milliard d’euros permettra une meilleure reconnaissance de chacun, à chaque indice et à chaque échelon. À terme, la rémunération de l’année de stage – la première année dans le métier – sera augmentée de 1 400 euros. Sur une carrière entière, un professeur certifié gagnera en moyenne 24 000 euros supplémentaires.
M. Yves Nicolin. Clientélisme !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Cette revalorisation des carrières s’est accompagnée d’une meilleure reconnaissance de l’engagement des enseignants, permettant par exemple à ceux qui exercent en zone d’éducation prioritaire ou assument la fonction de directeur d’école d’être encore mieux reconnus et encore mieux rémunérés. Je crois que c’était justice.
M. Dominique Dord. Il faut faire encore plus !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Au-delà de la revalorisation et de la reconnaissance, les créations de postes changent le quotidien des enseignants, car on enseigne mieux lorsque les effectifs des classes sont moindres.
Je veux également saluer la création d’un nouveau corps dans l’éducation nationale : le corps de psychologues de l’éducation nationale, qui sera doté de 300 postes ouverts cette année. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
M. Dominique Dord. Il était temps !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. C’est une très belle nouveauté, attendue depuis des années. (Mêmes mouvements.)
M. le président. La parole est à M. Martial Saddier, pour le groupe Les Républicains.
M. Martial Saddier. Monsieur le Premier ministre, depuis plusieurs années, le Gouvernement envoie des signaux négatifs à l’égard des pôles de compétitivité. J’en veux pour preuve la réforme des pôles annoncée le 4 janvier 2016 par M. Emmanuel Macron, à l’époque ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Dès mars 2016, cette réforme devait débuter par une évaluation individuelle des soixante et onze pôles, sans pour autant que nous sachions à ce jour où nous en sommes réellement.
J’ai déjà eu l’occasion d’interroger le Gouvernement à ce sujet le 18 mai 2016. Écoutez bien, mes chers collègues ! Dans sa réponse, Emmanuel Macron avait indiqué : « Aucun pôle de compétitivité ne sera supprimé : notre intention est, tout au plus, de déléguer leur gestion et leur animation aux régions, avec les crédits afférents. Comme j’ai eu l’occasion de le dire il y a quelques semaines, lorsque, avec Jean-Michel Baylet, nous avons annoncé cette initiative, il s’agit d’organiser ces pôles sur le territoire, de façon que neuf ou dix d’entre eux soient coordonnés par l’État. »
Depuis ces effets d’annonce, aucune stratégie n’a été arrêtée par l’État et, contrairement à ce qui avait été annoncé, aucun nouveau crédit de financement spécifique n’a été transféré aux nouvelles régions. Depuis le 1er janvier 2017, ce sont donc ces nouvelles régions qui doivent faire face, seules, au désengagement total de l’État quant à la question du financement de ces structures qui constituent pourtant le cœur de l’économie de demain.
Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous nous indiquer quelles solutions votre majorité compte mettre en œuvre pour assurer la pérennité financière de ces pôles ? Je ne vous cache pas que l’absence de lisibilité politique au sujet de ces structures nous inquiète énormément.
Une autre question est posée, elle aussi toujours sans réponse : celle de l’extension territoriale des pôles de compétitivité au périmètre des nouvelles régions. Ce sujet concerne tous les pôles situés à cheval sur plusieurs régions. Là aussi, pouvez-vous nous préciser votre vision politique à propos de ces structures et nous rassurer quant à votre action en faveur de l’emploi, de l’industrie et du développement économique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de l’industrie.
M. Christophe Sirugue, secrétaire d’État chargé de l’industrie. Monsieur le député, je veux d’abord dire très clairement, au nom du Gouvernement, que nous saluons le travail réalisé par les différents pôles de compétitivité. Nous reconnaissons le rôle qu’ils jouent dans leur écosystème : en encourageant l’innovation et la recherche, ils permettent de traiter des enjeux relatifs à la production, qui sont particulièrement importants.
À partir de 2013, nous avons voulu relancer notre politique d’innovation et avons donc demandé à France Stratégie d’évaluer les dispositifs en place. L’évaluation réalisée montre la pertinence de l’engagement public dans les pôles de compétitivité, puisqu’un euro investi par le secteur public entraîne deux euros investis par les entreprises. L’effet de levier ainsi constaté est donc extrêmement positif. Cependant, la même étude montre que ces pôles de compétitivité sont chargés de fonctions multiples : on leur demande non seulement de favoriser l’innovation et la recherche, mais aussi d’accompagner les entreprises, que ce soit dans leurs recherches de financements ou à l’international.
M. Dominique Dord. C’est le bordel !
M. Christophe Sirugue, secrétaire d’État. Nous devons prendre en compte tous ces éléments mis en avant par l’étude de France Stratégie. Cela doit nous permettre d’engager, avec l’Association des régions de France, dont j’ai rencontré le président, une réflexion sur l’équilibre entre la participation de l’État et celle des régions.
M. Éric Straumann. Quelle est votre vision ?
M. Michel Herbillon. C’est un peu confus !
M. Christophe Sirugue, secrétaire d’État. Alors que cette discussion doit nous permettre de déterminer le niveau dont relèveront les pôles de compétitivité, je m’étonne toujours que certaines régions nous expliquent qu’il serait moins pertinent de leur confier la gestion de ces pôles que d’assurer celle-ci au niveau national.
M. Martial Saddier. Quel financement ?
M. Christophe Sirugue, secrétaire d’État. Il est important de nous mobiliser pour accompagner les pôles de compétitivité, pour leur permettre de réussir et pour faire en sorte qu’ils perdurent. En tout cas, c’est notre volonté. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
M. Yves Nicolin. Baratin !
M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de Mme Catherine Vautrin.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, selon la procédure d’examen simplifiée, du projet de loi autorisant l’adhésion de la France au deuxième protocole relatif à la convention de La Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé (nos 4263, 4226).
Ce texte n’ayant fait l’objet d’aucun amendement, je mets directement aux voix son article unique.
(L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble du projet de loi.)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à la sécurité publique (nos 4420, 4431).
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Bruno Le Roux, ministre de l’intérieur. Madame la présidente, monsieur le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, mesdames, messieurs les députés, vous comprendrez aisément que je commence mon intervention en saluant une nouvelle fois le courage, le jugement et la détermination des militaires du premier régiment de chasseurs parachutistes de Pamiers, déployés dans le cadre de l’opération Sentinelle. Ils ont fait face la semaine dernière avec bravoure, sang-froid et un grand professionnalisme, à l’agression terroriste dont ils étaient la cible au Carrousel du Louvre. Je veux leur rendre hommage et les féliciter, comme j’ai eu l’occasion de le faire, le jour même, avec Jean-Yves Le Drian et Audrey Azoulay, pour leur réactivité et leur parfaite maîtrise de la situation.
Je veux également souligner le sang-froid et la parfaite maîtrise, là aussi, des personnes qui étaient présentes sur les lieux, dans ce cœur battant de la France touristique et culturelle que représente le musée du Louvre – cette foule de Parisiens, de Parisiennes et de touristes venus du monde entier. Le Président de la République l’a dit : « La menace est là, elle demeure. » Elle se situe à un niveau particulièrement élevé et mobilise pleinement toutes nos forces de sécurité.
Celles-ci restent, dans le même temps, pleinement mobilisées pour assurer leurs missions de sécurité publique, de lutte contre le crime et la grande criminalité, contre les réseaux et les trafiquants. Elles restent mobilisées pour contribuer à la gestion de la crise migratoire que nous connaissons en Europe. Nos forces de sécurité restent également pleinement mobilisées pour veiller à la sécurité quotidienne et à la tranquillité de nos concitoyens.
Je souhaite, mesdames et messieurs, que nous puissions tous ensemble, à l’orée de l’examen de ce texte, remercier chaque fonctionnaire de police, chaque gendarme. Les uns et les autres sont en toute première ligne pour garantir la paix publique et ils remplissent leurs missions dans des conditions souvent éprouvantes. Ils le font au risque de leur vie. Ne l’oublions pas !
L’attentat de vendredi dernier le prouve une fois de plus : porter un uniforme fait de vous une cible. L’année dernière, vingt-six policiers et gendarmes ont perdu la vie en service, tandis que plus de 16 000 d’entre eux ont été blessés. À cet instant, je pense notamment aux fonctionnaires de police gravement blessés à Viry-Châtillon. Je pense à Jean-Baptiste Salvaing, à Jessica Schneider et au major de gendarmerie Christian Rusig.
Je veux aussi revenir quelques instants sur ce qui s’est passé à Aulnay-sous-Bois. La justice est saisie. Je veux le dire brièvement mais avec la plus grande fermeté : il revient désormais à la justice d’établir très clairement et sans aucune ambiguïté les conditions de cette interpellation. J’ai, pour ma part, pris les mesures administratives nécessaires.
M. Pascal Popelin. C’est vrai !
M. Bruno Le Roux, ministre. Je veux rappeler ici avec la plus grande solennité le devoir d’exemplarité qui doit guider l’action des forces de sécurité, même et surtout lorsque la force et la contrainte légitimes doivent être employées. C’est dans le rapport respectueux entre la population et les forces de l’ordre que notre pacte républicain puise toute sa force. J’aurai l’occasion d’y revenir au cours de notre débat.
J’en viens, mesdames, messieurs les députés, au texte qui nous occupe aujourd’hui et qui se veut précisément l’une des réponses aux difficultés d’exercice du métier de policier, de gendarme et plus généralement de tout dépositaire de l’autorité publique. Répondre à ces difficultés et conforter nos forces de sécurité, c’est aussi leur donner plus de sérénité et favoriser par là même un exercice plus apaisé des missions.
Je dois le dire : je suis très heureux et très fier de défendre ce projet de loi devant vous. C’est un des derniers textes importants de cette mandature et il porte sur la sécurité publique. Je veux y voir le signe d’une mandature pleinement déterminée à faire des enjeux de la sécurité intérieure l’un des socles du pacte républicain qui nous unit tous, dans cet hémicycle et bien au-delà.
Entre 2012 et 2016, mesdames et messieurs les députés, vous aurez voté quatre lois sur le renforcement de la lutte antiterroriste et contre la criminalité organisée, ainsi que sur le renseignement. Chacun de ces textes a été adopté par une large majorité, à l’issue de débats et d’échanges constructifs. C’est là, à n’en pas douter, sur ces questions de sécurité publique, le signe d’une maturité démocratique qui peut nous permettre de dessiner les contours d’un consensus républicain autour de cette nécessité centrale pour la cohésion de la Nation qu’est la sécurité de nos compatriotes. Je vous invite tous à essayer d’y contribuer une nouvelle fois. J’y reviendrai à la fin de mon intervention.
Avant de présenter les principales dispositions du texte qui nous occupe aujourd’hui et qui s’inscrit pleinement, vous l’aurez compris, dans la continuité des lois précédemment votées, je veux remercier le président de la commission des lois, Dominique Raimbourg, pour le travail remarquable qui a été fait et, si vous me le permettez, au-delà de ce texte, pour l’ensemble du travail conduit sous sa présidence au cours de la mandature. Je veux également remercier chaleureusement Yves Goasdoué, le rapporteur, et l’ensemble des membres de la commission des lois, tout particulièrement Pascal Popelin, pour leurs apports constructifs. Je veux enfin souligner l’esprit républicain qui a prévalu lors de l’examen du projet de loi au Sénat et en commission à l’Assemblée nationale. Il a permis l’adoption d’un texte équilibré, malgré l’introduction le Sénat de certaines dispositions que le Gouvernement ne souhaite pas retenir.
Je l’ai dit, le texte qui est soumis à votre examen se veut une réponse à la demande légitime de protection exprimée par les fonctionnaires de police. Il constitue le volet législatif d’un plan pour la sécurité publique décidé à l’automne dernier par le Gouvernement et qui a permis de déployer 250 millions d’euros pour remplacer et moderniser les équipements de protection, les armes et les véhicules mis à la disposition des fonctionnaires de la police nationale et de la gendarmerie. D’autres mesures vont être prises à la lumière des conclusions de la concertation qui a été conduite pendant plusieurs mois.
Introduites par le texte initial du Gouvernement, trois dispositions visent à augmenter le niveau de protection des forces de l’ordre. Il s’agit d’abord de la création d’un cadre juridique stabilisé et modernisé d’usage des armes, commun aux policiers, aux gendarmes, mais aussi aux douaniers et aux militaires déployés dans le cadre de l’opération Sentinelle, auxquels j’ai rendu hommage au début de mon intervention.
Le deuxième élément est la protection de l’identité des policiers et des gendarmes, dès lors que sa révélation constituerait un danger pour eux-mêmes ou pour leur famille. Nous sommes, je crois parvenus, avec le texte actuel, à un dispositif conciliant protection, respect des droits de la défense et simplicité de la procédure, ce qui est particulièrement important.
Enfin ce texte tend à augmenter le quantum des peines encourues en cas d’outrage à toute personne dépositaire de l’autorité publique. Des dispositions complémentaires concernant les peines encourues pour les faits de rébellion et de refus d’obtempérer ont été introduites par le Sénat. Elles rejoignent – je veux le dire très clairement – l’objectif de protection et de respect des forces de l’ordre poursuivi par le Gouvernement : je les ai donc accueillies favorablement. Des amendements seront également proposés pour adapter les pénalités encourues pour d’autres infractions portant atteinte aux dépositaires de l’autorité publique mais également aux sapeurs-pompiers, eux aussi trop régulièrement victimes dans l’exercice de leurs missions. J’ai pris connaissance avec attention de chacun de ces amendements et certains d’entre eux me semblent équilibrés et pertinents.
Je m’arrête un instant sur le cadre commun d’usage des armes, tel que prévu à l’article 1er de la loi, pour apporter trois précisions en réponse à certaines critiques que j’ai pu entendre.
Premier élément, ce cadre nouveau d’usage des armes ne se substitue pas au cadre général de la légitime défense. Deuxième précision, il est régi par les règles d’absolue nécessité et de stricte proportionnalité. L’article décrit d’ailleurs précisément les situations dans lesquelles les forces de sécurité peuvent faire usage de leur arme. Troisième élément, il présente toutes les garanties exigées par les jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de cassation, notamment celles qui sont relatives aux conditions d’absolue nécessité et de proportionnalité, que je viens d’évoquer. Ce texte, dont la qualité a été soulignée par le Conseil d’État, traduit notre volonté de parvenir à un point d’équilibre. Les interrogations suscitées par la rédaction des troisième et quatrième alinéas de l’article 1er ont conduit à l’adoption d’une nouvelle formulation qui me semble lever les doutes.
Enfin – nous en débattrons –, le Sénat a souhaité étendre aux polices municipales les cadres d’usage des armes prévus aux premier et cinquième alinéas de l’article 1er. Si je m’en suis remis à la sagesse de la Haute Assemblée s’agissant du premier alinéa, j’ai fait part de mon profond désaccord quant au cinquième. Nous devons en effet veiller scrupuleusement à ne pas glisser vers une confusion des missions, cette vigilance n’excluant nullement, et le Gouvernement l’a montré, une attention particulière au cadre d’exercice des policiers municipaux. Je n’oublie ni Clarissa Jean-Philippe, ni Aurélie Fouquet.
Mais nous y reviendrons au cours du débat, comme nous reviendrons sur la disposition que souhaite introduire M. Fenech et qui permettrait aux policiers et aux gendarmes porteurs de leur arme hors service de pénétrer dans un établissement privé accueillant du public sans que l’exploitant puisse s’y opposer. Je comprends le souhait que vous exprimez, monsieur le député, mais il me paraît délicat à concrétiser pour des raisons que j’aurai l’occasion de développer au cours de l’examen du texte.
Je voudrais également, mesdames et messieurs les députés, aborder les autres dispositions du texte.
Le projet de loi entend compléter des dispositions de la loi Savary du 22 mars 2016, relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs. Il se propose notamment de tirer les conséquences des enquêtes administratives visant les salariés qui occupent des emplois en lien direct avec la sécurité des personnes au sein de certaines entreprises de transport. Le Sénat a introduit des garanties supplémentaires.
Je comprends parfaitement les interrogations que vous avez exprimées sur le caractère obligatoire ou facultatif du licenciement du salarié occupant un emploi pour lequel un avis d’incompatibilité aura été émis ; je les ai eues également, monsieur le rapporteur. Le Conseil d’État est d’avis qu’en raison de considérations de sécurité publique, le licenciement doit être automatique. Si le Gouvernement n’a pas fait ce choix dans la rédaction initiale du projet de loi, c’était pour laisser ce débat prospérer au Parlement. La commission des lois a tranché et le Gouvernement n’entend nullement revenir sur cette décision.
Si le développement des enquêtes administratives permis par la loi du 22 mars 2016 est pertinent, je veux néanmoins mettre en garde contre la tentation d’un recours trop large à cet outil, qui n’a de véritable pertinence que pour certaines professions présentant un risque particulier et à la condition que le volume des enquêtes permette d’en préserver la qualité.
C’est ce même souci d’efficacité qui me conduit à vous inviter à la plus grande prudence dans l’élargissement du partage de l’information en matière de prévention de la radicalisation et de lutte contre le terrorisme. Si les sénateurs ont introduit des possibilités bienvenues de partage encadré de l’information entre autorités judiciaires et autorités administratives, ils ont rejeté un amendement relatif à la transmission des fiches dites «fiches S » aux maires. Ces fiches – je veux, là encore, être précis – résultent d’une activité de renseignement et celle-ci doit rester une prérogative exclusive de l’État, comme le rappelle d’ailleurs la loi relative au renseignement du 24 juillet 2015.
L’activité de renseignement, mesdames et messieurs les députés, se nourrit d’informations confidentielles venant notamment de services étrangers. Toute action qui laisserait à penser que le résultat de ces échanges n’est pas hermétiquement protégé nuirait gravement à la collaboration entre services de renseignement. Le travail de renseignement ne peut s’inscrire que dans un impératif de confidentialité qui conduit à limiter le partage d’information aux strictes nécessités. Vouloir partager le renseignement, c’est remettre en cause l’activité de renseignement en prenant le risque de dévoiler à ceux qui sont surveillés qu’ils le sont effectivement. Pour ces raisons essentielles – j’espère avoir l’occasion de vous en convaincre au cours du débat –, il ne me paraît pas opportun de partager ces informations avec les collectivités locales.
M. Jean-Luc Laurent. Ce serait utile !
M. Bruno Le Roux, ministre. Les élus locaux sont associés aux dispositifs de prise en charge et de prévention de la radicalisation, conformément à plusieurs circulaires récentes sur ce sujet, et c’est là une très bonne chose. Ils peuvent l’être encore davantage mais ne mélangeons pas les responsabilités des uns et des autres. Ne créons pas des zones de confusion. Ne bridons pas, surtout en cette période, l’action de nos services de renseignement ! Ils sont d’une importance capitale pour la protection de notre territoire et de nos concitoyens.
M. Pascal Popelin. C’est vrai !
M. Bruno Le Roux, ministre. Par ailleurs, le texte prévoit d’ouvrir, de manière strictement encadrée, la possibilité d’un armement des agents de sécurité privée exerçant des activités de protection des personnes, lorsque celles-ci sont exposées à des risques exceptionnels d’atteinte à leur vie ou à leur intégrité physique. Des dispositions introduites par le Sénat créent une filière spécifique de surveillance armée. Le Gouvernement ne s’y est pas opposé s’agissant de dispositions s’appuyant sur un principe préexistant mal encadré, fixant un cadre très strict d’exercice de cette activité sous le contrôle de l’autorité administrative et n’induisant pas de confusion entre les missions des uns et des autres.
M. Jean-Luc Laurent. Tout à fait !
M. Bruno Le Roux, ministre. Des amendements ont été déposés pour encadrer encore mieux l’activité de sécurité privée. Ils recevront le soutien du Gouvernement.
Le projet de loi complète ou précise certains dispositifs de lutte contre le terrorisme. Ces dispositions ont été enrichies et, pour aller au bout de cette logique, le Gouvernement vous proposera un amendement visant à ratifier l’ordonnance du 1er décembre 2016 renforçant le dispositif français de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Le président Raimbourg, dans le prolongement des travaux qu’il a conduits sur la mise en œuvre de l’état d’urgence, propose un ajustement de certaines dispositions de la loi de 1955. J’en salue dès à présent la pertinence.
Le projet de loi contient également deux articles qui concernent plus particulièrement le ministère de la justice, et un article relevant du ministère de la défense.
En ce qui concerne le service public de la justice, le texte prévoit tout d’abord d’étendre les prérogatives de certains agents de l’administration pénitentiaire, afin de leur permettre d’exercer des missions de contrôle et de surveillance autour des établissements pénitentiaires. Cette mesure, qui doit permettre de mieux lutter contre l’introduction illicite d’objets dans les prisons, procède d’une logique d’efficacité et de complémentarité avec l’action de la police et de la gendarmerie dans la lutte contre ces actes de délinquance.
Par ailleurs, nous proposons d’élargir, à titre expérimental et pour trois ans, les missions de la protection judiciaire de la jeunesse, afin de lui permettre d’intervenir dans la prise en charge, au titre de l’assistance éducative, de certains mineurs, notamment ceux qui reviennent de Syrie ou d’Irak. Le garde des sceaux aura bien sûr l’occasion de revenir sur chacune de ses dispositions.
L’article relatif à la défense porte sur le service militaire volontaire : il vise à créer un statut spécifique combinant celui de militaire et celui de stagiaire de la formation professionnelle. Vos inquiétudes s’agissant de l’appellation de ce nouveau dispositif ont été entendues et le Gouvernement veillera à la préservation de l’existant.
Pour conclure, je voudrais rapidement revenir sur ce que j’ai esquissé au début de mon intervention.
Je le dis sans naïveté car je connais les emballements politiques sur la question de la sécurité – je connais la facilité qu’il y a à utiliser ces questions pour se démarquer, pour cliver, dans l’espoir, toujours vain, de grappiller quelques voix – mais je le dis ce soir, dans cet hémicycle, de manière un peu solennelle : je crois que nous pouvons aujourd’hui bâtir un consensus républicain autour de ce que j’appelle un « socle de sécurité », nécessaire à notre pays dans les temps présents et pour les années qui viennent.
Je ne veux pas nier les différences d’approche qui existent entre nous, en particulier sur la nature de la réponse pénale qu’il convient d’apporter à certains faits. Mais je crois que nous pouvons, malgré cela, définir ensemble ce « socle de sécurité » nécessaire à notre pays face à une menace durable et une exigence de sécurité légitimement exprimée par chacune et chacun de nos concitoyens. S’agissant du niveau des effectifs, de la doctrine d’emploi, de la nécessité d’un effort budgétaire soutenu pour rehausser le niveau des matériels et de fonctionnement des services, de la stabilisation des structures du renseignement, s’agissant de tous ces sujets et d’autres encore que je pourrais évoquer, nous aurions intérêt à dégager un cadre commun et républicain.
Ce consensus permettrait de conforter le travail des policiers et des gendarmes, comme ce texte se propose de le faire. Ce projet de loi n’a d’autre finalité que de dire à ceux qui assurent la sécurité et la protection des Français et de notre territoire que nous les soutenons dans l’activité quotidienne qui est la leur. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
M. Joël Giraud et M. Olivier Falorni. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Goasdoué, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
M. Yves Goasdoué, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais, à l’instar de M. le ministre, commencer par saluer nos forces de l’ordre. Depuis l’instauration de l’état d’urgence, elles ont été soumises à rude épreuve. Elles ont été frappées à Magnanville, à Viry-Châtillon, et l’on pourrait multiplier les exemples. Les forces de l’ordre méritent notre soutien, notre respect et notre considération.
L’objet de cette loi n’est pas simplement de répondre à une colère. Lorsque l’on regarde l’évolution de la criminalité et des agressions contre les forces de l’ordre – gendarmes, militaires, policiers, douaniers –, on voit que les digues ont sauté et que l’agression la plus violente ne fait plus peur aux voyous.
Il faut donc aider nos forces de l’ordre, et réagir. Certes, lorsque l’on regarde les chiffres, on s’aperçoit que la magistrature fait son travail et que la réponse judiciaire est adéquate, mais cela n’empêche pas l’évolution dont je viens de parler.
Comment réagir ? D’abord, en protégeant les forces de l’ordre ; ensuite en protégeant les établissements pénitentiaires et ceux qui y travaillent ; enfin en protégeant les citoyens. Il faut en outre, parce que le tout-répressif ne suffit pas, aider les jeunes, les prendre en charge lorsqu’il y a un risque de dérapage avéré.
Protéger les forces de l’ordre, c’est – vous l’avez dit, monsieur le ministre – créer le régime unique d’usage des armes. Le remarquable rapport de Mme Hélène Cazaux-Charles distingue bien entre, d’un côté la légitime défense prévue par le code pénal pour l’ensemble des citoyen et de l’autre, l’ensemble des dispositions et autorisations législatives figurant dans le code de la sécurité intérieure pour permettre à nos forces de l’ordre de faire face.
Aux termes du code de la sécurité intérieure, les forces de l’ordre pourront employer la force armée dans cinq cas. Ces dispositions sont très largement calquées sur celles prévues par le code de la défense pour les forces de gendarmerie. J’ai dit « calquées », et non « décalquées » car leur rédaction a été améliorée. Tout d’abord, elles sont placées sous le chapeau de la stricte proportionnalité et de l’absolue nécessité, afin de répondre aux exigences légitimes de la chambre criminelle de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l’homme.
Elles ont en outre été améliorées par le Sénat et par la commission des lois de l’Assemblée nationale, qui a travaillé de manière apaisée et constructive. J’ai essayé, dans la mesure du possible, d’accueillir favorablement les amendements déposés par nos collègues de l’opposition – du moins ceux qui étaient susceptibles de l’être. Je tiens à remercier François Grosdidier, le rapporteur de ce texte au Sénat, pour notre belle collaboration.
Ces dispositions ont été améliorées sur deux points. Au Sénat, d’abord, à propos de la notion d’ « imminence », qui ne trouve pas à s’appliquer en la matière et dont le président de la chambre criminelle de la Cour de cassation me disait de me méfier au plus haut point ; en commission des lois de l’Assemblée nationale ensuite, concernant la notion de « probabilité », qui ne trouve pas non plus à s’appliquer en matière d’usage des armes.
Protéger les forces de l’ordre, c’est aussi permettre l’anonymat des procédures, plus exactement l’anonymat de l’enquêteur, mais pas dans n’importe quelle procédure. Un anonymat trop étendu, totalement généralisé, donnerait une fausse assurance et ne pourrait être appliqué car jamais le juge constitutionnel ne l’autoriserait. Il est pratiqué en Espagne, mais à ma connaissance la solidité juridique de ce régime n’a jamais été vérifiée, en particulier par la Cour européenne des droits de l’homme.
Il faut concilier la nécessité de protéger nos forces de l’ordre et le respect des droits de la défense et du principe du contradictoire. C’est ce que j’ai essayé de faire, avec l’accord de la commission des lois, en rétablissant le quantum de la peine à trois ans mais aussi en élargissant les possibilités, pour les enquêteurs, de recourir à l’anonymat – nous y reviendrons au cours de nos débats.
Enfin, bien sûr, ce texte vise à augmenter le quantum des peines applicables en cas d’outrage, de rébellion et de refus d’obtempérer. Sur ce dernier point, je regrette un peu d’avoir soufflé cette idée au rapporteur de ce texte au Sénat, qui me l’a chipée. Quoi qu’il en soit, c’est une bonne mesure et elle figurera dans la loi : c’est bien l’essentiel.
M. Jean-Frédéric Poisson. C’est la loi du bicamérisme, monsieur le rapporteur !
M. Yves Goasdoué, rapporteur. Je plaisantais !
M. Jean-Frédéric Poisson. Je n’en doute pas !
M. Yves Goasdoué, rapporteur. Nous devons par ailleurs protéger les établissements pénitentiaires et ceux qui y travaillent : c’est tout l’enjeu de ce que l’on appelle la « sécurité périmétrique » des prisons. Nous y reviendrons car nous sommes confrontés sur ce point à une difficulté : le Sénat a élargi aux « abords immédiats » de l’emprise des bâtiments les prérogatives des agents de l’administration pénitentiaire. Ce n’est pas neutre du tout : pour prendre un exemple, à Paris, la rue de la Santé peut être considérée comme l’abord immédiat de la prison du même nom ! L’initiative sénatoriale autoriserait ainsi des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire à intervenir sur la voie publique alors qu’ils ne sont pas formés à cela. En revanche, la sécurisation des abords et des glacis dans les prisons modernes situées à la campagne pose moins de problèmes. Nous en discuterons au cours de nos débats.
L’impératif de protection de nos concitoyens nous conduit à aborder la question du « criblage » – mot assez malheureux, je le concède –, c’est-à-dire la possibilité de vérifier que le comportement d’un individu est compatible avec le poste qu’il occupe, spécialement dans le secteur des transports. À ce propos, je salue Gilles Savary, ici présent, qui est spécialiste de cette question. Vous avez accepté, monsieur le ministre, que cette décision de nature essentiellement sécuritaire s’impose au chef d’entreprise : j’en suis satisfait. Ce n’est pas, en effet, au chef d’entreprise de prendre cette responsabilité.
Nous reviendrons, par ailleurs, sur le renforcement du contrôle des personnes de retour de théâtres d’opération de groupements terroristes ainsi que sur la fluidité de la transmission des informations entre l’autorité judiciaire et les services de renseignement. C’est une grande avancée car on nous a toujours reproché ce manque de fluidité. Vous l’avez, monsieur le ministre, encouragée : je vous en remercie.
De vrais problèmes se posent quant à l’information des maires. Sur la transmission aux maires des fiches S, monsieur le ministre, je partage totalement votre sentiment : ce n’est pas possible. Il faut néanmoins reconnaître que les maires de France ressentent une discordance entre les discours qui les placent au centre du dispositif et le fait qu’on ne leur donne pas accès aux éléments propres à leur permettre d’exercer leurs responsabilités. Je sais à quel point cette question est complexe.
Je voudrais pour finir sortir un peu du cadre sécuritaire en évoquant deux belles dispositions de ce projet de loi. La première concerne les quatre cents mineurs qui pourraient revenir de Syrie ou d’Irak dans les prochains mois. Doit-on les considérer comme définitivement perdus pour le pays ? Je crois que non. Doit-on garder sur eux un œil extrêmement attentif ? Je crois que oui. C’est pourquoi la protection judiciaire de la jeunesse sera habilitée à travailler avec les départements afin de coordonner l’ensemble des mesures relatifs à ces jeunes.
La seconde relève du champ du ministère de la défense : elle vise à créer, sous le couvert du service national volontaire, un statut du volontariat militaire d’insertion. Ce statut combinera celui de militaire et de stagiaire de la formation professionnelle. Je m’adresse à tous ceux d’entre vous qui ont été maires : cette disposition permettra d’atteindre des taux de placement des jeunes de 80 % à 85 %. C’est une belle aventure !
Voilà ce que je voulais dire pour lancer nos débats, monsieur le ministre, mes chers collègues. J’espère que ceux-ci seront fructueux. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)
Mme la présidente. J’ai reçu de M. Pouria Amirshahi une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à M. Pouria Amirshahi, pour une durée qui n’excédera pas trente minutes.
M. Pouria Amirshahi. Mesdames et messieurs les députés, mes chers collègues, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, l’Histoire retiendra peut-être – sauf si nous en décidons autrement – qu’au cours de ses quinze derniers jours, l’actuelle législature se sera conclue par l’examen d’un énième texte sécuritaire, poursuivant ainsi une triste dérive théorisée principalement par Nicolas Sarkozy en 2002, lors de son arrivée au ministère de l’intérieur.
Si je demande le rejet de votre projet de loi, c’est parce qu’il est déséquilibré, une fois de plus ; c’est parce qu’il tente de répondre d’une mauvaise façon au mal-être des policiers dans l’exercice de leur fonction, sans tenir compte du malaise grandissant à l’égard des policiers chez de nombreux citoyens. Plutôt que de permettre un débat neuf et moderne sur la police, qui réconcilie et redonne confiance – ce qui est d’autant plus nécessaire dans ces temps difficiles où nous devrions être plus unis que jamais – votre projet de loi, en renforçant les possibilités de tir à vue, risque par là même de causer des morts supplémentaires. En alourdissant les peines encourues pour outrage et rébellion, elle risque d’aggraver les fractures et d’aviver les plaies.
Le Défenseur des droits lui-même a exprimé cette inquiétude et je ne suis pas le seul dans cet hémicycle à ressentir ces doutes et à m’inquiéter de la portée de ce texte, ne serait-ce qu’à cause des dispositions que je viens d’ évoquer.
Disons-le clairement : les violences policières, qu’elles aient lieu lors de manifestations ou lors d’interpellations, doivent cesser. C’est une condition de la confiance, que vous avez vous-même appelée de vos vœux, monsieur le ministre. Or votre projet de loi ne permettra pas d’y mettre fin, au contraire.
Mon histoire personnelle a été marquée par l’assassinat de Malik Oussekine le 6 décembre 1986. Je me souviendrai longtemps aussi du comportement qui fut celui de certains agents des forces de l’ordre lors des manifestations qui ont jalonné mon parcours militant. Il m’a fallu, à chaque fois, faire un effort sur moi-même – j’étais jeune alors – pour faire la part des choses, trier le bon grain de l’ivraie et continuer à croire dans les vertus de la police républicaine, dans les vertus républicaines de nos agents de sûreté publique.
J’ai fait cet effort parce que, comme beaucoup, je crois – je sais – que les policiers ne sont pas tous, loin de là, responsables des mauvais comportements de certains de leurs collègues. Le problème, en effet, ne tient pas seulement au fait que certains policiers ne respectent pas les règles ; il tient surtout au fait que le système lui-même est mauvais en ce qu’il permet à des policiers de s’affranchir du droit commun.
Bien sûr, le métier de policier est difficile : on l’imagine et on le voit bien, surtout dans ces temps où vous leur demandez tant, et toujours plus. L’état d’urgence, en vigueur depuis novembre 2015, épuise les forces de police : fatigue, heures supplémentaires, impossibilité de prendre des jours de congé sans être rappelé, congés pour maladies rares… En outre l’interminable plan Vigipirate, peu efficace de l’avis de nombreux spécialistes en matière de sécurité, oblige les forces de l’ordre à rester debout pendant de nombreuses heures : les épuisements professionnels sont de plus en plus nombreux depuis un an – vous disposez des chiffres qui l’attestent, monsieur le ministre.
Deux tendances se conjuguent pour alourdir la tâche des policiers : la focalisation du débat politique sur les questions d’ordre et de sécurité et une situation économique difficile pour les catégories les moins qualifiées de la fonction publique, qui multiplient les heures supplémentaires mal payées, voire pas payées du tout. Mais rien de tout cela ne justifie les discriminations, les violences, les viols ni les meurtres, quand bien même ils ne sont le fait que d’une minorité irresponsable.
Car il est temps de mettre des mots sur toutes les violences subies, que ce soit lors de manifestations citoyennes ou lors d’interpellations opérées dans certains quartiers populaires où la ségrégation sociale se manifeste par le racisme. J’ai également en tête la répression de certains mouvements sociaux ou manifestations syndicales. Au printemps dernier, de simples citoyens, des militants ou des journalistes ont été brutalisés jusqu’à perdre un œil, voire la vie – je pense à Rémi Fraisse.
Je pourrais évoquer aussi l’évacuation brutale des migrants du nord-est de Paris. J’ai encore en tête l’interpellation mortelle d’Adama Traoré à Beaumont-sur-Oise ou le viol du jeune Théo à Aulnay-sous-Bois ce week-end. Ces drames ont un point commun : ils donnent l’impression que les gendarmes et les policiers ont un sentiment d’impunité, sans lequel ils respecteraient le droit et les procédures d’interpellation et d’intervention, telles qu’ils les ont apprises au cours de leur formation – à commencer par l’exigence de politesse à l’égard des citoyens et de proportionnalité absolue de leurs actes au regard d’un danger avéré.
Nos concitoyens, dont la majorité estime la police républicaine, ont le sentiment que les violences policières sont plus nombreuses et plus intenses qu’avant. Je veux le dire, ici, à tous les républicains sincères : il n’y a pas de bonnes et de mauvaises violences policières. Toutes sont condamnables car toutes entament, parfois de façon irréversible, la confiance et le respect qui doit prévaloir entre la police et les citoyens.
C’est une erreur coupable de réduire les crimes et les délits commis par des agents de la sûreté publique à de banals faits divers, de relativiser les critiques suscitées par les mauvais comportements de la police et de résumer la colère qui en découle à des violences illégitimes. C’est une faute car lorsque la police dérape, c’est notre démocratie qui vacille, c’est l’autorité de l’État qui faiblit, c’est l’amour de la République qui recule.
L’Organisation des Nations Unies elle-même nous met en garde. Son comité contre la torture a ainsi rendu publique, le vendredi 13 mai 2016, à Genève, une série d’observations qui passent au crible la multiplication des perquisitions, l’accueil des migrants et les décès liés aux violences policières.
Ce comité appelle la France à protéger ses citoyens victimes d’une augmentation de la violence et des actes criminels, en particulier depuis les dernières attaques terroristes, frappant notamment les Roms, les musulmans, les Juifs et les migrants. Longtemps admirée par les autres démocraties pour ses capacités de gestion des foules, notamment depuis 1968, la police française – au sens large du terme – a progressivement, et sans que cela soit dit de manière explicite, changé de doctrine et de pratiques au point d’être devenue l’une des plus répressives, voire agressives, du monde démocratique.
Certes, toutes les polices sont conduites à user de la contrainte, voire de la force ; toutes font face à des résistances, voire à des agressions. C’est aussi le cas en Allemagne, par exemple, mais il y a une différence majeure entre la police de nos voisins d’outre-Rhin et notre police nationale : on n’y menotte pas les manifestants, on ne frappe pas les citoyens, on ne les met pas à terre, on ne les injurie pas ; on n’use pas de la matraque dans le dos, pas plus qu’on ne jette des gaz de façon indiscriminée.
En Allemagne c’est la stratégie de la désescalade qui est en vigueur, c’est-à-dire une réduction de la conflictualité par la communication et la coopération avec les protestataires. Elle a été édictée par une décision rendue en 1985 par le tribunal constitutionnel, la décision « Bockdorf ». Cette culture provient du travail social et elle a fait ses preuves. Retenez bien cette comparaison car elle sera importante pour la suite de nos réflexions dans les mois et les années qui viennent, alors qu’elle a été totalement occultée dans notre pays ces dernières années.
En France, où l’on est moins dans la gestion des pratiques sociales et plus dans l’édiction des règles, Pierre Joxe, alors ministre de l’intérieur, avait souhaité à la même époque affirmer les missions républicaines de la police. C’est pour cette raison que le code de déontologie de la police nationale du 18 mars 1986 stipulait, dès son article 1er, que la police nationale concourait à la garantie des libertés individuelles et, dans son article 2, qu’elle « s’acquitte de ses missions dans le respect de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, de la Constitution, des conventions internationales et des lois ». Les contrôles d’identité, les fouilles au corps ou de véhicule et autres interpellations devaient rester exceptionnels.
Malheureusement, contrairement aux Allemands, nous n’avons pas su tenir une ligne intelligente, pondérée ni même tempérée ; c’est au contraire un glissement sécuritaire et son corollaire, les restrictions des libertés, qui ont marqué ces quinze dernières années, pour finalement recevoir une traduction dans le nouveau code de déontologie, voulu par Nicolas Sarkozy puis par Manuel Valls et entré en vigueur en 2014.
Dans ce nouveau code la référence aux libertés individuelles souhaitée par Pierre Joxe a purement et simplement été supprimée. L’action du fonctionnaire procède même désormais d’une transformation sémantique lourde de conséquences, à laquelle je vous demande d’être attentifs : avant 2014, il devait agir « dans le respect […] des lois » ; depuis 2014, il lui est demandé seulement d’« assurer […] le respect des lois ». L’inversion des termes de la mission des policiers et des gendarmes dit tout de la fuite en avant sécuritaire de ces quinze dernières années : nous sommes passés des gardiens de la paix aux forces de l’ordre.
Le code de 2014 a été précédé de tant de lois et suivi de tant d’autres textes, chaque fois plus répressifs – vous l’avez rappelé vous-même, monsieur le ministre –, sans que soit jamais renforcé le contrôle des agissements de certains policiers, cadres ou agents de terrain. Chaque loi sécuritaire est systématiquement et rapidement complétée par une autre, dans une vertigineuse course à l’abîme de notre État de droit. Vous nous proposez aujourd’hui de voter une nouvelle loi sécuritaire, une de plus, sans que les précédentes aient vraiment été évaluées, quand elles n’ont pas fait la preuve manifeste de leur inefficacité.
Vous nous demandez de légiférer sous le coup de l’émotion, à la suite des graves incidents de Viry-Châtillon, que nous avons tous ici condamnés, et vous le faites en pleine campagne présidentielle, à un moment où, on le constate déjà, toutes les démagogies se donnent libre cours, certains n’hésitant pas à hystériser le débat public.
Ce projet de loi s’inscrit dans un contexte d’hypertension cumulant la grande fatigue des policiers, une médiatisation à outrance des angoisses et des peurs mais aussi l’humiliation vécue par de nombreux jeunes de France, brutalisés par le racisme. Dans un contexte aussi explosif, mes chers collègues, proposer un tel texte, en procédure accélérée qui plus est, est irresponsable et totalement inefficace. Qui peut affirmer qu’avec cette loi les choses se seraient passées différemment à Viry-Châtillon ? Le directeur général de la police nationale, Jean-Marc Falcone, lui-même reconnaît que les textes actuels ouvrent déjà le droit à la légitime défense. En réalité, avec ce projet de loi, vous ne répondez qu’aux revendications les plus dures entendues ces dernières semaines.
D’autant que – c’est un comble ! – vous nous le proposez alors que la France est toujours sous le régime de l’état d’urgence, qui accorde aux forces de l’ordre des pouvoirs exorbitants du droit commun. Vous continuez ainsi à banaliser le recours à la force et à faire entrer dans le droit commun des dispositions qui devraient pourtant rester exceptionnelles, si tant est qu’elles soient réellement nécessaires.
Enfin, et c’est sans doute là le plus inquiétant, cette loi renforcera le sentiment d’impunité qui a malheureusement été inoculé chez certains à force de lois et de discours sécuritaires. Cette impunité a conduit les plus fragiles des agents à se croire autorisés à tirer à vue, à tuer, à étouffer, à frapper, à rudoyer, à violer, à humilier. C’est d’un autre projet de loi que nous devrions débattre aujourd’hui : un projet de loi de lutte contre ces agissements, contre les mauvais comportements, et renforçant la formation des policiers – ils le demandent eux-mêmes – et les procédures de contrôle ainsi que les droits des citoyens face à la police.
Pour comprendre mon inquiétude et celle de nombre de citoyens et d’institutions démocratiques, il faut revenir sur la folle régression de ces dernières années, dont la police n’a été qu’un instrument parmi d’autres. Nous assistons en effet depuis 2002 à une surenchère répressive qui a permis, d’un côté d’alourdir démesurément l’arsenal répressif et de l’autre d’accroître les pouvoirs de la police, au détriment des libertés individuelles et parfois des libertés fondamentales.
Démarrée sous Nicolas Sarkozy, cette surenchère s’appuie sur plusieurs piliers, et tout d’abord sur l’affaiblissement des droits de l’accusé et l’alourdissement de l’arsenal répressif. Les gouvernements qui se sont succédé depuis 2002 n’ont cessé de créer de nouveaux délits, d’aggraver les peines existantes et de réformer à intervalles réguliers la procédure pénale : loi Perben du 9 septembre 2002 et loi Perben II du 9 mars 2004, loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme, loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, et j’en passe, jusqu’aux plus récentes lois de surveillance et de réforme de la procédure pénale qui, sous couvert d’une lutte contre le terrorisme par ailleurs nécessaire, ont parachevé les piliers de l’État sécuritaire : surveiller et punir.
Elle s’appuie aussi sur le renforcement des pouvoirs d’investigation de la police : une tendance lancée par M. Sarkozy en 2003 avec la loi pour la sécurité intérieure, qui a instauré la possibilité d’inscrire dans les fichiers de police des informations nominatives sur les personnes mises en cause dans des affaires judiciaires, donné la possibilité aux officiers de police judiciaire d’accéder directement à toutes les données informatiques qu’ils désirent par simple demande au fournisseur d’accès internet et donné de nouveaux pouvoirs aux forces de l’ordre, en matière de fouille des véhicules notamment. Cette tendance fut confirmée par la loi Perben II et la loi du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite « LOPPSI 2 ».
Ces mêmes lois ont renforcé les dispositifs coercitifs. Ainsi la loi Perben permet de placer sous surveillance électronique mobile les personnes mises en examen et non plus seulement celles définitivement condamnées. La loi Perben II rend possible la prolongation des gardes à vue jusqu’à quatre-vingt-seize heures en matière de criminalité en bande organisée. La loi du 10 mars 2010, qui vise à « amoindrir le risque de récidive criminelle », étend les possibilités de placement sous surveillance de sûreté et de surveillance judiciaire. La LOPPSI 2 étend les dispositifs de surveillance des récidivistes, notamment le port du bracelet électronique, et ouvre la possibilité d’imposer par décision administrative le port dudit bracelet aux étrangers en voie d’expulsion.
Les gouvernements de Manuel Valls se hâteront malheureusement de parachever cet édifice par une série de mesures que je juge liberticides et qui ont été inscrites dans la loi souvent sous couvert de la lutte contre le terrorisme.
Ainsi, la loi relative au renseignement du 24 juillet 2015, qui a pour objectif d’ « encadrer les activités existantes du renseignement et lutter contre le terrorisme », a en réalité un périmètre bien plus large : elle entérine des pratiques jusque-là illégales ; elle élargit le champ d’action du renseignement ; elle concentre le pouvoir de décision au bénéfice du Premier ministre, le tout sans contrôle réel et sérieux et au travers d’une collecte généralisée des données internet collectées par des algorithmes dont la puissance dépasse les êtres humains chargés de ce contrôle. De telles mesures ne manquent pas d’inquiéter.
À cela s’ajoute la loi du 30 novembre 2015 relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales, qui prévoit que « peut être autorisée, aux seules fins de défense et de promotion des intérêts fondamentaux de la Nation […] la surveillance des communications qui sont émises ou reçues à l’étranger ». J’ai déjà eu l’occasion de dire combien ces termes étaient flous et dangereux.
Enfin, la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement fait entrer dans le droit commun les dispositions, pourtant graves et exceptionnelles, spécifiques à l’état d’urgence.
Elle permet ainsi aux forces de l’ordre, à l’occasion d’un contrôle ou d’une vérification d’identité, de retenir une personne alors même qu’elle a justifié de son identité et sans même qu’elle soit liée à des activités suspectes avérées ni concernée par une procédure judiciaire, dès lors que son seul « comportement » apparaît suspect au policier. Voilà un coup porté comme rarement à la présomption d’innocence, laissant par ailleurs craindre des retenues arbitraires – jusqu’à quatre heures sans avocat ! – de la part des forces de l’ordre chargées du contrôle. La même loi crée un nouveau cas d’irresponsabilité pénale applicable aux policiers et aux gendarmes ayant fait usage de leur arme.
Cette surenchère n’est pas raisonnable, dans le sens qu’elle n’est pas fondée sur la raison, et elle n’est pas efficace. Une loi en amène une autre qui réduit l’espace de nos libertés et augmente le champ d’action de la police. Pas de caricature : il ne s’agit évidemment pas de critiquer le renforcement en soi des prérogatives de l’autorité répressive mais de questionner son usage lorsque celui-ci n’apparaît ni nécessaire, ni proportionné, ni soumis à un contrôle juridictionnel effectif, et de le mettre en regard avec la faiblesse de l’action préventive.
Examinons votre projet de loi de plus près.
Le chapitre Ier fixe un cadre commun d’usage des armes par les policiers et les gendarmes ainsi que par les douaniers et par les militaires déployés sur le territoire national dans le cadre des réquisitions prévues au titre d’opérations telles que l’opération Sentinelle ou pour la protection d’installations militaires. Le projet de loi prévoit ainsi que les policiers pourront faire usage de leur arme dans quatre cas supplémentaires : en cas de menace ou d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique des forces de l’ordre ou d’autrui ; après deux sommations, pour défendre les postes ou les personnes sous leur responsabilité ; après deux sommations, pour contraindre une personne risquant de porter atteinte à leur vie ou leur intégrité physique ou à celle des tiers à s’arrêter ; enfin pour immobiliser un véhicule dont le conducteur risque de porter atteinte à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles de tiers.
Rappelons qu’en juin dernier nous avions déjà modifié la législation dans ce sens en inscrivant dans le code pénal un nouveau cas d’irresponsabilité pénale pour les policiers et les gendarmes. Mais sa reconnaissance est strictement encadrée par des conditions issues d’un important débat parlementaire qui a modifié de fond en comble la disposition initiale. Elle n’est en effet admise qu’en cas d’ « usage absolument nécessaire et strictement proportionné [de son] arme dans le but exclusif d’empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d’un ou plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d’être commis, lorsque l’agent a des raisons réelles et objectives d’estimer que cette réitération est probable au regard des informations dont il dispose au moment où il fait usage de son arme »
Le chapitre II du présent projet de loi prévoit deux mesures visant à protéger des risques de menaces ou de représailles, d’une part les agents dressant des actes de procédure en matière de police judiciaire, et, d’autre part les signataires de décisions administratives fondées sur des motifs en lien avec le terrorisme. Ces mesures, trop floues et mal encadrées, ne permettront pas de protéger des policiers menacés chez eux alors que c’est cela que nous recherchons. En revanche, elles représentent un danger pour le droit de la défense, comme l’indique lui-même le Défenseur des droits.
Parmi les diverses dispositions que comprend le chapitre III, je m’arrêterai en particulier sur la répression des outrages aux personnes dépositaires de l’autorité publique.
Le projet de loi double les peines encourues pour outrage. Permettez-moi de rappeler que l’augmentation des outrages envers les dépositaires de l’autorité publique n’est qu’un symptôme du fossé qui se creuse chaque jour un peu plus entre les citoyens et les forces de l’ordre, d’autant que les personnes poursuivies sont souvent impuissantes à apporter la preuve contraire devant les tribunaux, si bien que 99,5 % d’entre elles sont condamnées. Augmenter les peines encourues ne servirait qu’à aggraver cette fracture, au risque de la rendre un jour irréparable. Ne nous leurrons pas : le durcissement des peines dans ce domaine aura pour conséquence de masquer une autre réalité, celle des brutalités non proportionnées et illégitimes auxquelles se livrent certains policiers non vertueux.
Je vous informe d’ailleurs, monsieur le ministre, que le délit d’outrage a déjà été supprimé de la législation de plusieurs États où il est considéré comme une atteinte aux droits des citoyens et un facteur de tension plutôt que d’apaisement : c’est le cas au Royaume-Uni, en Italie, aux États-Unis, en Argentine, au Pérou et au Paraguay.
Citons enfin d’autres mesures de votre projet de loi : l’armement des agents exerçant une activité privée de protection de l’intégrité physique des personnes ; les prérogatives conférées à certains personnels de surveillance de l’administration pénitentiaire pour le contrôle de personnes autres que les détenus ; l’expérimentation du cumul d’une mesure de placement à l’aide sociale à l’enfance avec une mesure d’action éducative en milieu ouvert – si je devais retenir une mesure positive dans votre projet, ce serait celle-là.
Monsieur le ministre, je ne me résoudrai pas au fétichisme des armes ni au culte de l’uniforme. Je n’accepte pas non plus que, plutôt que de diriger la police, vous ne fassiez qu’accompagner ses revendications corporatistes les moins légitimes au regard du principe fondamental d’équilibre des pouvoirs, que nous avons hérité de notre grande révolution. En acceptant de faire du ministre de l’intérieur « le premier flic de France », selon l’expression de Nicolas Sarkozy, reprise par ses successeurs place Beauveau, le ministre de l’intérieur ne s’assume plus comme le chef de son administration, capable de recadrer, de réformer, de sanctionner, mais comme le simple porte-parole de ses agents.
M. Jean-Frédéric Poisson. N’importe quoi !
M. Pouria Amirshahi. On risque ainsi de se laisser commander plutôt que de commander.
M. Franck Marlin. N’exagérons rien !
M. Pouria Amirshahi. Ce fut le cas du Premier ministre Manuel Valls quand il déclara qu’il ne donnerait « aucune consigne de retenue » aux policiers à l’occasion des manifestations contre la loi « Travail », risquant là encore de gonfler le sentiment d’impunité qui sévit déjà dans d’autres domaines, et d’abord en matière de contrôles d’identité sur une base raciale. Quand le policier prend le pas sur le politique, la société est extrêmement fragilisée, voire en danger.
C’est d’autant plus vrai que la multiplication des lois sécuritaires, le primat, depuis si longtemps, de l’idéologie du Front national dans le débat public, une culture médiatique spectaculaire et anxiogène imprègnent de plus en plus l’opinion commune d’un imaginaire sécuritaire hégémonique. C’est là, sur ce terreau, que se développent les tentations autoritaires ; c’est cela que les partis aux bruits de bottes attendent comme on attend que le fruit mûr tombe de l’arbre.
Par ce projet de loi, enfin, vous ne rendez pas service aux policiers vertueux dont personne ne parle, hormis quelques rares sociologues tels Fabien Jobard, qui nous avertit : « les policiers qui consacrent leur temps à faire de la médiation dans des conflits conjugaux ou de voisinage, le policier réserviste qui fait un travail de délégué à la cohésion entre police et population ou l’officier qui décide d’ouvrir une permanence d’écoute au sein du commissariat ou bien de faire une réunion avec les parents d’élèves : ils et elles ne s’inscrivent pas dans ce récit sécuritaire. Ils traversent l’institution comme une ombre. »
Pour ma part, vous l’aurez compris, je propose une autre approche et je vous suggère une autre méthode, plutôt que de légiférer dans l’urgence – vous avez en effet choisi la procédure accélérée – : je demande une nouvelle fois dans cet hémicycle la tenue d’un grand débat national.
Afin d’éviter toute instrumentalisation des forces de l’ordre tout comme leur mise en cause systématique, je propose que le Défenseur des droits soit investi d’une mission d’analyse du rôle et des missions de la police, comme le permet l’article R. 434-24 du code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale. Celui-ci prévoit en effet que la police nationale et la gendarmerie nationale sont soumises au contrôle du Défenseur des droits conformément au rôle que lui confère l’article 71-1 de la Constitution. C’est en ce sens que nous avions, avec mon collègue Noël Mamère, saisi le président de l’Assemblée nationale.
Trois éléments pourraient être étudiés, et tout d’abord la chaîne de commandement : quel est et quel devrait être le rôle du pouvoir politique dans le commandement des actions de la police ? Pourquoi n’en débattons-nous jamais ?
Deuxième question : quels principes régissent les contacts entre les policiers et les citoyens dans le cadre des manifestations ou des interpellations ? J’ai tout à l’heure fait état du changement de doctrine intervenu en matière de gestion de foules comme dans les techniques d’interpellation sans qu’il ait été véritablement explicité. Nous sommes en effet passés de la mise à distance à la conflictualité : une telle inflexion mérite un débat.
Enfin qui contrôle la police ? Un travail commun entre l’inspection générale de la police nationale, l’IGPN, et le Défenseur des droits pourrait être envisagé : je suis persuadé qu’il s’avérerait fécond.
La méthode de la comparaison européenne est sans doute la plus adaptée pour dresser un tableau des différentes doctrines existantes dont pourraient résulter des pistes d’évolution pour notre pays.
L’intérêt d’un tel travail est sa persistance dans le temps. Le Défenseur des droits n’étant pas remis en cause à chaque nouvelle législature, il pourra aborder ce travail avec le recul nécessaire.
Il est temps de cesser de cultiver l’idée d’une police virile ou chevaleresque et de privilégier notamment le rétablissement d’une police de proximité, c’est-à-dire d’une police du lien plutôt qu’une police de l’affrontement.
Dans une période où les démocraties libérales glissent parfois vers l’ordre, le fichage et les tentatives incessantes de contrôle des libertés nouvelles et où les régimes autoritaires filtrent, contrôlent et emprisonnent, soyons, nous, élus de la Nation française, les premiers à donner par notre vote un coup d’arrêt à une dérive insensée : un coup d’arrêt pour un nouveau départ !
Mme Laurence Abeille, Mme Cécile Duflot et M. Noël Mamère. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Bruno Le Roux, ministre de l’intérieur. Je veux répondre à M. le député Amirshahi, autant par courtoisie que pour donner quelques éléments précis.
M. Yannick Moreau. Le Parlement vous remercie.
M. Bruno Le Roux, ministre. Vous savez le respect que j’ai pour lui, l’ayant tout de même fréquenté très longtemps. (Sourires.)
Je veux d’abord donner quelques chiffres qui reflètent le lourd tribut acquitté chaque année par nos forces de sécurité à leur mission de protection de nos concitoyens.
En 2016, 10 178 policiers et 5 903 gendarmes ont été blessés en mission, ce qui porte à bien plus de 16 000 le nombre d’agents des forces de l’ordre blessés en service, sachant qu’au cours de la même année, huit policiers sont décédés dans l’exercice de leur mission, ainsi que dix-huit gendarmes, dont deux du fait d’agressions et seize à la suite de circonstances accidentelles.
Si je veux rappeler ce lourd tribut c’est que je n’ignore rien, depuis très longtemps, des questions que se posent nos concitoyens, et singulièrement ceux, habitants des banlieues, que j’ai représentés ici, à l’Assemblée nationale, pendant dix-neuf ans. Mais je connais aussi depuis très longtemps le quotidien des policiers et des gendarmes. Sans vouloir jouer ici les anciens combattants, je vous rappelle que j’ai été le rapporteur de la loi du 6 juin 2000 portant création de la Commission nationale de déontologie de la sécurité. M’intéressant à toutes les questions touchant au travail des policiers, ainsi qu’à leurs relations avec la population, il m’avait semblé nécessaire de porter ce projet de loi et d’accorder à la question de la déontologie une importance toute particulière.
Je n’ai pas changé : je mets toujours cette exigence de déontologie au cœur de ce que doit être la responsabilité de l’État républicain. Elle s’exprime par des principes qui sont rappelés au cours de la formation dispensée aux agents des forces de l’ordre, quelles que soient les circonstances, par les commandements de police ou de gendarmerie, mais aussi par un certain nombre de sanctions.
Là encore, je ne veux pas laisser penser, après les chiffres que je viens de vous communiquer quant au nombre d’agents des forces de sécurité blessés ou tués en service, qu’il y aurait à côté de cela une tendance à intervenir en s’affranchissant du respect des procédures. Cela n’est pas le cas, vous l’avez d’ailleurs noté, de la très grande majorité, voire de la quasi-totalité des policiers et des gendarmes.
Ceci étant dit, à chaque fois que les choses ne se passent pas de la bonne façon, des enquêtes sont menées et des sanctions sont prononcées. En 2016, plus de 2 000 sanctions ont été infligées par l’IGPN à l’encontre de policiers et plus de 3 500 à l’encontre de gendarmes. S’agissant de la police nationale, nos concitoyens ont aujourd’hui la possibilité de saisir directement l’IGPN par l’intermédiaire d’une plate-forme en ligne en cas de présomption de violation de la déontologie.
Je veux absolument mettre à bas toute idée qui pourrait, de façon d’ailleurs fort dangereuse aujourd’hui, laisser penser qu’il y aurait un emploi inconsidéré de la force. La question n’est pas de savoir s’il y a des plaintes de nos concitoyens, c’est de savoir si elles sont prises en compte aujourd’hui par l’État et s’il leur est donné une suite. La réponse est positive aux deux questions.
Mme Cécile Duflot. Non !
M. Bruno Le Roux, ministre. Si, lesdites plaintes sont prises en compte et une suite leur est donnée. En le niant, madame Duflot, vous ne faites que pointer du doigt ceux qui représentent l’autorité sur le terrain. Cela n’apporte rien au débat que de dire aujourd’hui qu’il n’y a pas de réponse de l’État à chaque fois qu’une intervention ne respecte pas le cadre qui a été enseigné au cours de la formation alors que la réponse est systématique.
Mme Cécile Duflot. Il y a une réponse quand il y a un enregistrement vidéo, voilà la vérité !
M. Thierry Benoit. Chut ! On écoute le ministre !
M. Bruno Le Roux, ministre. Nous allons bien entendu proposer des améliorations, notamment à l’occasion de l’examen des amendements, en ce qui concerne par exemple le recours aux caméras pour sécuriser les interventions et qui va être obligatoire dans le cadre des contrôles. Cela représente une avancée, dont nous avons déjà longuement discuté au sein de cette assemblée. Cela va permettre, là encore, de fortifier les relations entre la population et la police.
Je vous renvoie, pour la clarté de nos débats, à l’avis du Conseil d’État sur ce projet de loi. Il fait là encore table rase de tous les arguments quant à l’absence de respect de la stricte nécessité ou de la proportionnalité de l’usage de la force, notamment des armes à feu.
J’irai moi-même, dans les prochains jours, s’il le souhaite, défendre ce point de vue – qui n’est pas seulement le point de vue du Conseil d’État, mais également celui du ministre que je suis – auprès du Défenseur des droits tant j’ai de considération pour l’action qui est la sienne. On ne peut à aucun moment parler d’impunité des forces de l’ordre.
Je dis souvent que je suis également, depuis que la gendarmerie a été placée sous l’autorité du ministre de l’intérieur, le premier gendarme de France, tout comme le premier agent de préfecture et le premier préfet, tant le ministère de l’intérieur est aussi celui des territoires. S’il m’arrive – rarement – de dire que je suis le premier flic de France, ce n’est pas Nicolas Sarkozy que je cite puisque le premier à s’être présenté comme tel est Georges Clemenceau. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
M. Joël Giraud. Absolument.
Mme la présidente. Mes chers collègues, je suis saisie de plusieurs explications de vote. La parole à M. Thierry Benoit pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
M. Thierry Benoit. Il y a, comme M. le ministre vient de le rappeler, urgence à agir. Pendant des semaines les policiers ont manifesté leurs préoccupations. Le travail mené sur ce texte en commission des lois a été consensuel et on s’oriente vers une convergence d’idées, notamment sur trois points : en ce qui concerne l’usage des armes par les forces de l’ordre en général et par nos policiers en particulier ; en ce qui concerne la légitime défense, qui est un sujet crucial et qui fait débat depuis de nombreuses années, et concernant la disproportion entre les moyens et la gravité des faits.
Nous gardons tous en mémoire un certain nombre de désastres, qui ont été relayés par un certain nombre de médias. À cette occasion, on a jeté le discrédit sur les forces de sécurité, notamment les policiers. Le projet de loi qui nous est proposé aujourd’hui vise à apporter des éclaircissements et un cadre juridique qui permette d’agir avec plus de sérénité et de quiétude.
Pour toutes ces raisons, le groupe de l’Union des démocrates et indépendants repoussera cette motion de rejet préalable.
Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Capdevielle, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.
Mme Colette Capdevielle. En réalité, monsieur Amirshahi, vous n’avez pas défendu une motion de rejet préalable : vous vous êtes livré à un exposé très généraliste qui aurait sa place sur une estrade plutôt qu’à la tribune de l’Assemblée nationale.
M. Jean-Frédéric Poisson. Ah bon ?
M. Noël Mamère. Le débat démocratique a toute sa place à l’Assemblée nationale !
Mme Colette Capdevielle. Je rappelle quand même qu’une motion de rejet préalable a pour objet de faire reconnaître qu’un texte est contraire à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles ou de faire décider qu’il n’y a pas lieu de délibérer.
M. Jean-Frédéric Poisson. Parole d’experte !
Mme Colette Capdevielle. Notre groupe attendait par conséquent une analyse précise du projet de loi et non une critique globale de l’action du Gouvernement depuis 2012.
L’expression de « tir à vue » que vous avez employée au début de votre propos est absolument inadmissible : je tenais à l’indiquer tant il nous a choqués. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
M. Sébastien Pietrasanta, et M. Pascal Popelin. Scandaleux !
M. Noël Mamère. Soyez donc choqués par la chose plutôt que par le mot !
Mme Colette Capdevielle. S’agissant d’un métier aussi difficile, dangereux et risqué, il faut se garder des outrances, des mots qui peuvent dépasser notre pensée comme des caricatures
Il faut également cesser de confondre, comme vous l’avez fait, M. Amirshahi, des faits divers qui n’ont rien à voir les uns avec les autres tant les situations diffèrent, d’abord par respect pour les victimes quelles qu’elles soient et de quelque côté qu’elles se trouvent, ensuite parce que cela n’a aucun sens.
Les violences policières doivent évidemment être très sévèrement réprimées, tout comme les outrages et les rébellions.
Un député non-inscrit. Un outrage doit être aussi sévèrement réprimé qu’un viol ?
Mme Colette Capdevielle. Ce texte est équilibré. C’est une juste réponse aux difficultés rencontrées par les professionnels de la sécurité. Le fait qu’il soit l’objet à la fois d’une motion de rejet préalable de la part de M. Pouria Amirshahi et d’une motion de renvoi en commission de M. Éric Ciotti confirme son caractère équilibré.
Ce texte encadre bien les situations dans lesquelles les policiers pourront faire usage de leurs armes. Le Défenseur des droits est favorable à une uniformisation des règles en la matière. Par ailleurs ce texte respecte la jurisprudence constante, bien établie et protectrice de la Cour européenne des droits de l’homme.
J’indique pour conclure que, depuis quelque temps, les policiers que nous rencontrons nous expliquent qu’ils ont enfin intégré les notions de déontologie.
M. Franck Marlin. Vous voulez entrer dans la police ? (Sourires.)
Mme Colette Capdevielle. En outre, la profession s’est considérablement féminisée et rajeunie. Si vous aviez été soucieux d’équilibre, monsieur Amirshahi, vous auriez également pu évoquer les outrages, le sexisme tout comme les propos discriminatoires dont les femmes policières sont, malheureusement, quotidiennement victimes.
M. Noël Mamère. Vous voulez dire au sein de la police ?
Mme Colette Capdevielle. La police effectue un véritable travail social dans les quartiers.
Ce projet de loi étant équilibré, je demande que nous passions à son examen en rejetant la motion de rejet préalable qui nous a été présentée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson pour le groupe Les Républicains.
M. Jean-Frédéric Poisson. Le groupe Les Républicains ne votera pas la motion de rejet préalable présentée par M. Amirshahi, mais je lui reconnais parfaitement le droit de développer ses arguments : c’est le propre de la liberté des parlementaires que de leur permettre de s’exprimer comme ils l’entendent.
Cela étant dit, monsieur le député, nous sommes tous soucieux de trouver un équilibre entre la protection des forces de l’ordre d’un côté et les droits des citoyens de l’autre. Accordez-nous au moins que dans la période que nous vivons, et dans certaines des circonstances auxquelles les policiers comme les gendarmes sont confrontés, un tel équilibre est très difficile à trouver. Pour le moment en tout cas, il est clair qu’il existe un déséquilibre entre le régime auquel les gendarmes sont soumis et celui qui vaut pour les policiers et que nous nous apprêtons à modifier.
Voilà plus de quatre ans que notre groupe demande au Gouvernement d’aligner ces deux régimes, pour des motifs qui, pour certains, ont été rappelés par le ministre et le rapporteur. Nous sommes satisfaits de voir que le Gouvernement vient à résipiscence – et sa majorité avec lui. Mieux vaut tard que jamais ! Comme disait l’autre, les ouvriers de la onzième heure seront traités comme ceux de la première.
M. Pascal Popelin. C’est une réécriture !
M. Jean-Frédéric Poisson. Toutefois, cela est bien tardif et il est regrettable qu’un sujet de cette importance soit traité en fin de mandat, dans le cadre d’une procédure accélérée et avec tous les travers attachés à la précipitation.
Je laisserai le soin à notre collègue Éric Ciotti d’expliquer pourquoi il faut, malgré tout, renvoyer le texte en commission – ce qui n’est pas du tout une preuve d’équilibre, madame Capdevielle : c’est la preuve qu’il est contesté de toutes parts, ce qui n’est pas tout à fait la même chose !
En attendant, mesdames et messieurs, le groupe Les Républicains ne votera pas la motion de rejet présentée par notre collègue Amirshahi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
M. Pascal Popelin. On vous a connu plus inspiré !
(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.)
Mme la présidente. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe Les Républicains une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.
La parole est à M. Éric Ciotti, pour une durée qui ne devra pas excéder trente minutes.
M. Éric Ciotti. Le texte que vous nous présentez, monsieur le ministre, dans le cadre de vos nouvelles responsabilités, est un texte important.
D’abord, il nous donne l’occasion d’exprimer collectivement notre reconnaissance à ceux qui exercent la difficile et exigeante mission de protéger nos concitoyens, tous ceux qui sont investis de la parcelle d’autorité républicaine procurée par le port de l’uniforme. Au moment où nous abordons ce débat, je veux, au nom des députés du groupe Les Républicains, exprimer notre reconnaissance à nos policiers et à nos gendarmes – cette reconnaissance que nous devons à ceux qui, depuis plusieurs mois, plusieurs années, font, dans l’exercice de responsabilités particulièrement difficiles et dangereuses, constamment face à de graves périls. Ils le font avec courage et détermination, notamment face à la menace terroriste. Nous leur devons cette reconnaissance, ainsi qu’une attitude responsable durant ce débat.
C’est cette attitude que nous adopterons, comme nous l’avons toujours fait, depuis 2012, lorsqu’il s’est agi d’examiner des textes visant à améliorer la sécurité des Françaises et des Français, notamment face au terrorisme. Le groupe Les Républicains n’a jamais fait défaut au Gouvernement lorsqu’il s’est agi de renforcer notre dispositif de sécurité : il a toujours soutenu les mesures proposées. C’est dans cet esprit de responsabilité et de reconnaissance envers ceux qui nous protègent que nous engageons la discussion du présent projet de loi.
Notre intention n’est pas d’en contrarier l’adoption – adoption qui, au demeurant, sera trop tardive.
M. Jean-Frédéric Poisson. En effet !
M. Éric Ciotti. Ce texte sera sans doute le dernier adopté au cours de cette législature : cela signifie qu’il ne sera pas appliqué avant le début de la prochaine, compte tenu des délais d’application et des décrets nécessaires.
M. Jean-Frédéric Poisson. Absolument !
M. Éric Ciotti. Cela signifie aussi que le Gouvernement et la majorité auront traversé la législature sans écouter les propositions de l’opposition. Vous y venez aujourd’hui ; nous ne pouvons que nous en réjouir, mais que de temps perdu ! Trop de temps perdu s’agissant d’une question aussi grave.
Monsieur le ministre, nous présentons une motion de renvoi en commission, non parce que nous nous opposerions au texte – je vous annonce tout de suite que nous le voterons –, mais pour faire en sorte qu’il soit amélioré, que vous étudiiez les amendements que nous proposerons et que vous reveniez sur les décisions de la commission des lois, qui a annulé le travail utile, opportun, intelligent qu’avait fait le Sénat afin de consolider juridiquement le texte et de concevoir un dispositif beaucoup plus utile et sûr pour nos policiers et nos gendarmes.
Voilà quel est notre état d’esprit. Il n’est en rien le symétrique des positions extrémistes défendues dans le cadre de la motion de rejet préalable, où l’on sentait une défiance idéologique envers les policiers de la République. Nous avons la volonté d’étayer un dispositif qui protégera enfin les policiers et qui, au-delà, leur permettra d’accomplir leur mission avec une plus grande efficacité.
M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !
M. Éric Ciotti. Jamais la situation n’a été aussi grave dans notre pays en matière de sécurité et de terrorisme. La menace est partout et ce qui s’est passé au Louvre la semaine dernière en est un nouveau et triste témoignage. La menace est là, elle se manifeste par l’horreur de la barbarie islamiste qui, au début de l’année 2015, nous a déclaré une guerre terrifiante. Depuis cette date, 238 personnes, françaises ou étrangères, ont péri sur le territoire national, victimes de la barbarie islamiste, et plusieurs milliers de nos concitoyens ont été blessés.
Dans le même temps, la délinquance et la criminalité générales, celles du quotidien, celles qui, très souvent, frappent les plus modestes d’entre nos concitoyens, n’ont cessé d’augmenter. Entre 2012 et 2016, les violences se sont accrues de 10 %, les cambriolages, de 12 % : concrètement, cela signifie qu’il se produit un cambriolage toutes les deux minutes dans notre pays. Voilà la réalité de votre bilan ! Voilà la réalité de la situation !
Cette situation a engendré un mouvement inédit des forces de police, qui ont exprimé dans la rue leur colère, face à une situation qu’ils ne comprenaient plus et, surtout, qu’ils n’acceptaient plus. D’un côté, il y avait le sentiment que la réponse pénale était incroyablement diluée et marquée par une faiblesse chronique, alors que l’on se trouvait confronté au quotidien à une augmentation de la violence. De l’autre côté, on notait une diminution des moyens. Car, contrairement aux discours que vous avez assénés, à la fin de l’année 2015, on comptait 800 policiers et gendarmes de moins qu’en 2012, lorsque vous êtes arrivés aux responsabilités ; ce n’est pas moi qui le dis, c’est la Cour des comptes. Voilà la réalité ! De surcroît, les efforts – bien tardifs, au demeurant – consentis en matière d’effectifs l’ont été au détriment des moyens matériels. (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
M. Yann Galut. Alors ça ! Vous ne manquez pas d’air ! Qui a supprimé 13 000 postes ?
M. Éric Ciotti. C’est ce que vous ont dit les policiers ! Vous pouvez nous attaquer, prétendre que nous tenons un discours politique, vous ne pouvez pas dire la même chose aux policiers !
M. Yann Galut. C’est le résultat de votre politique !
M. Éric Ciotti. C’est ce qu’ont dit les policiers, par cette colère inédite !
M. Jean-Frédéric Poisson. Il a raison !
M. Guy-Michel Chauveau. Non, il a tort !
M. Éric Ciotti. Vous avez enfin entendu cette colère, monsieur le ministre, puisque vous nous présentez ce texte. Bien entendu, je ne peux qu’en saluer le contenu. Les dispositions qu’il contient vont dans le bon sens ; ce sont des dispositions utiles. Mais la position de notre groupe – et c’est dans cet état d’esprit que nous engageons la discussion –, c’est qu’il faut aller plus loin. Nous souhaitons profiter de ce dernier vecteur législatif pour apporter aux policiers, aux gendarmes, mais aussi aux policiers municipaux, à tous ceux qui participent de la chaîne de la sécurité – dont tous les maillons, depuis la justice jusqu’à la police, doivent être solidaires –, des moyens, une considération et une protection renforcés.
N’oublions pas les attaques dont les policiers de notre pays ont été l’objet. Cette tragique actualité inclut aussi ce qui s’est passé à Aulnay. Une enquête est nécessaire, qui permettra de faire toute la vérité et si des fautes ou des délits ont été commis, voire pire encore, de prononcer des condamnations – mais ne caricaturons pas l’action de la police, ne faisons pas de généralisations. La police républicaine fait son travail d’une façon exemplaire.
N’oublions pas les drames qu’ont vécus nos policiers : ceux qui protégeaient les journalistes de Charlie Hebdo et qui ont été victimes de leur devoir ; les agents de la préfecture de police de Paris qui sont intervenus en première ligne lors de l’attentat contre Charlie Hebdo ; la jeune policière municipale qui a été abattue ; la jeune femme agent administratif dans un commissariat et son mari officier de police assassinés à Magnanville, à leur domicile, devant leur enfant de trois ans. N’oublions pas ces policiers qui, à Viry-Châtillon, ont été victimes d’un guet-apens tendu par de vrais barbares, qui les ont empêchés de s’extraire de leur véhicule enflammé.
Les voilà, les images qui ont frappé les policiers, qui les ont, légitimement, traumatisés et qui ont provoqué leur colère. C’est sans doute pour cela que nous légiférons aujourd’hui. C’est pour cela, c’est pour eux, que nous devons adopter une attitude de responsabilité et répondre enfin à leurs attentes, sans ces hésitations qui, pendant trop longtemps, ont caractérisé votre position – disant cela, je ne vous vise pas personnellement, monsieur le ministre, je vise ceux qui vous ont précédé. Cela étant, vous présidiez alors un groupe qui n’a pas été guidé par la lucidité nécessaire, sinon il aurait voté en faveur des quatre propositions de loi que Guillaume Larrivé, Philippe Goujon et moi avons défendues et que vous reprenez aujourd’hui presque mot pour mot ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
M. Jean-Frédéric Poisson. Il a raison ! Excellent !
M. Yannick Trigance. On croit rêver !
M. Éric Ciotti. Nous vous en remercions : c’est un bel hommage que vous nous rendez. Mais cet hommage aurait été plus pertinent si vous aviez accepté d’adopter ces textes lorsque nous vous les avons présentés. Vous auriez fait œuvre utile pour les policiers ! Malheureusement des obstacles idéologiques vous ont empêchés de vous rendre à nos arguments. Vous y venez aujourd’hui, et c’est une bonne chose, bien que ce soit particulièrement tardif.
M. Philippe Goujon. Eh oui ! Que de temps perdu !
M. Éric Ciotti. Je le répète, monsieur le ministre : votre projet de loi contient des dispositions utiles. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
Mme Brigitte Bourguignon. Tout ça pour ça !
M. Éric Ciotti. Bien sûr qu’il en contient ! Et c’est d’ailleurs pour cela que nous le voterons, mes chers collègues : ces dispositions utiles, pour la plupart d’entre elles, sont celles que nous avons défendues par quatre fois et que vous avez rejetées à cause de l’idéologie qui aveuglait certains ! (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
Je regrette toutefois que vous ayez décidé de revenir sur les avancées adoptées fort opportunément par le Sénat.
Nombre de dispositions proposées aujourd’hui avaient été présentées par les députés de l’opposition tout au long de cette mandature. C’est le cas de l’article 1er, qui introduit dans le code de la sécurité intérieure un cadre d’usage des armes commun aux agents de la police nationale et aux militaires de la gendarmerie nationale. Il est bien dommage que vous ayez attendu le dernier moment pour le faire ! Permettez-moi de vous rappeler à quelles dates nos propositions de loi ont été examinées : le 2 avril 2015, le 4 février 2016, le 13 octobre 2016.
Vous aviez alors des mots très durs à l’encontre de ces propositions d’évolutions législatives. Ainsi le ministre de l’intérieur de l’époque, M. Cazeneuve, aujourd’hui Premier ministre déclarait le 2 avril 2015, ici même, à cette tribune : « Il faut être extrêmement précis sur ces sujets, sous peine de nous retrouver avec des propositions de loi qui certes peuvent faire plaisir mais qui entraîneraient ceux auxquels elles s’adressent dans une impasse juridique. Ce n’est pas le souhait du Gouvernement. »
M. Cazeneuve ajoutait, le 2 mars 2016 : « Si je n’ai pas retenu votre proposition, c’est qu’elle ne me paraissait pas répondre aux défis nouveaux auxquels la police nationale se trouve confrontée […] »
Vous avez franchi un pas et je vous en remercie, monsieur le ministre, mais nous ne pouvons pas accepter que la commission des lois ait exclu du bénéfice de cette nouvelle mesure les policiers municipaux, qui ont pourtant payé un lourd tribut à l’insécurité ces dernières années. Le Sénat a fait en sorte de les inclure dans les dispositions de l’article 1er…
M. Jean-Frédéric Poisson. Et il a bien fait !
M. Éric Ciotti. … mais la commission des lois a refusé cette mesure. Aussi défendrons-nous plusieurs amendements pour donner à ces policiers le droit de se défendre…
M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !
M. Éric Ciotti. … parce qu’ils participent de la chaîne de la sécurité et que nous leur devons, à eux aussi, une indéfectible reconnaissance.
M. Meyer Habib. Très bien !
M. Éric Ciotti. En refusant d’aller plus avant sur ce point, vous leur retirez, selon le mot de l’un d’eux, « le droit de protéger leur propre vie et la vie des administrés ».
M. Jean-Pierre Blazy. Confusion !
M. Éric Ciotti. Nous demandons que ce projet de loi traite également de la protection des policiers municipaux.
M. Philippe Goujon. Tout à fait !
M. Éric Ciotti. Le deuxième objectif du texte est de limiter les risques d’identification des agents exposés à des risques de représailles. C’est bien entendu une bonne chose mais, là encore, je n’aurai pas la cruauté de rappeler le chemin parcouru depuis l’époque où vous réclamiez, chers collègues de la majorité – ou au moins une partie d’entre vous –, la délivrance d’un récépissé pour les contrôles d’identité : c’était au début de la présente mandature…
M. Jean-Frédéric Poisson. Eh oui !
M. Éric Ciotti. …et cela témoignait de votre aveuglement idéologique.
Mme Cécile Duflot. Au contraire !
M. Pouria Amirshahi. C’est une très bonne mesure !
M. Éric Ciotti. Aujourd’hui, vous êtes revenus à la raison : tant mieux. Mais, je veux le souligner, le Sénat avait adopté une mesure permettant aux agents de police de bénéficier de cette protection, quelle que soit la peine encourue par les individus appréhendés. De fait, comment distinguer entre les peines encourues ? Nous défendrons donc un amendement visant à rassurer les forces de l’ordre sur ce point : ce sera un signe très clair en faveur d’une meilleure protection des policiers. Les agents de la force publique ont des devoirs et ils doivent bien entendu rendre des comptes quand ils commettent des fautes, mais les drames qu’ils ont vécus, et que je rappelais il y a quelques instants, doivent nous conduire à faire en sorte qu’ils ne puissent pas être soumis à des pressions. Alors oui, cette anonymisation des procédures est nécessaire, et elle l’est quels que soient les délinquants en cause, en dépit de la position restrictive qui est la vôtre. C’est pourquoi nous défendrons la position du Sénat, position de bon sens qui mérite d’être suivie.
M. Philippe Goujon. Absolument !
M. Éric Ciotti. L’article 4, autre mesure centrale du projet de loi, complète la loi Savary du 22 mars 2016 en tirant les conséquences des enquêtes administratives. C’est le cas pour les salariés des entreprises de transport ; nous souhaitons aller plus loin, de façon à ce que les recrutements dans l’éducation nationale fassent l’objet d’une procédure similaire. Un président de conseil régional ou départemental, qui a la responsabilité des lycées et des collèges, ou un maire, qui a celle des écoles, doivent savoir qui ils recrutent, s’agissant notamment des personnels de services, ouvriers ou techniciens. Lorsque nous recrutons – je porte pour quelques mois encore la casquette de président d’une collectivité territoriale –, des personnels administratifs dans des services liés à la petite enfance, nous vérifions que ces personnes ne figurent pas dans le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, le FIJAISV. Cette disposition opportune a été adoptée de façon consensuelle. Nous réclamons de la même façon, pour les recrutements de personnels en contact avec des enfants, une procédure qui nous permette notamment de vérifier, via l’autorité administrative compétente, que les candidats au recrutement ne sont pas inscrits dans le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste – FSPRT. C’est là une mesure concrète et j’espère monsieur le ministre, que, conformément à l’esprit de consensus qui préside à l’examen de ce texte, vous entendrez nos arguments sur ce point.
Je salue certes la qualité de votre écoute, monsieur le rapporteur et monsieur le président de la commission des lois, mais l’ouverture et le consensus qui auraient pu présider à nos débats se sont finalement limités à l’adoption d’un de mes amendements tendant à conférer la qualité d’officier de police judiciaire aux directeurs d’établissements pénitentiaires et aux chefs de détention. Je m’en félicite et j’espère que vous ne reviendrez pas sur cette décision, les prisons constituant, hélas, l’un des lieux de la radicalisation, et les moyens dont disposent les autorités carcérales étant aujourd’hui bien insuffisants pour s’y opposer.
Monsieur le ministre, au-delà des pétitions de principe, nous attendons du Gouvernement qu’il prenne toute la mesure de la gravité de la situation à laquelle sont confrontées les forces de l’ordre. Vous franchissez certes un premier pas en alignant les conditions de légitime défense des policiers sur celles des gendarmes mais il faut aller plus loin.
En effet, la masse des faits de délinquance à traiter constitue un défi quotidien pour les enquêteurs, à qui l’on impose le suivi de procédures devenues trop lourdes et chronophages. Protéger les forces de l’ordre signifie aussi leur donner les moyens de mieux réprimer la délinquance, avec rapidité : la crainte que doit inspirer la force de la loi, détenue par ceux qui portent l’uniforme de la République, commence là.
Nous appelons tout d’abord de nos vœux une vraie simplification de la procédure pénale pour les policiers. Ce souhait n’est pas le mien mais celui de l’ensemble des représentants des forces de l’ordre. Tous nous enjoignent avec force de simplifier la procédure pénale ; tous nous disent qu’ils ne peuvent plus conduire les enquêtes tant les procédures administratives, les délais de présentation ou ceux liés à la garde à vue les privent d’un temps précieux pour les actes essentiels à l’élucidation des faits et pour l’exercice d’une enquête équitable.
À contre-courant de ce que la situation exige, la loi du 3 juin 2016, par exemple, a introduit toute une série de nouveaux droits au profit des personnes mises en cause, multipliant les actes administratifs à la charge des policiers et des gendarmes, au détriment de l’efficacité de l’enquête : je pense, entre autres, à la possibilité donnée à toute personne gardée à vue de s’entretenir avec un tiers pendant une durée maximale de trente minutes, disposition que les policiers considèrent – hâtivement peut-être – comme un droit de consulter un complice.
L’officier de police judiciaire peut certes s’opposer à cet entretien mais à la condition de motiver son refus. Pour les forces de l’ordre, ces mesures ne font que saper encore davantage la position de l’enquêteur dans le processus judiciaire. Aussi avons-nous déposé des amendements tendant à simplifier la procédure pénale et j’espère que vous les accepterez.
Il est également devenu indispensable, monsieur le ministre, de recentrer les forces de l’ordre sur leur cœur de métier : la sécurité des Français. Actuellement, une part importante du temps des forces de l’ordre est détournée au profit de missions qui ne relèvent pas de ce cœur de métier et qui pourraient être efficacement assurées par d’autres acteurs.
En 2014, le volume de ces missions périphériques représentait presque 10 % de l’activité opérationnelle de la police : c’est considérable ; c’est trop. Nous défendrons par conséquent des amendements visant à confier certaines de ces missions à des entreprises de sécurité privée ou à la police municipale. Ces amendements ayant été rejetés en commission, j’espère, monsieur le ministre, que vous ferez preuve d’ouverture pour répondre à des attentes qui, bien au-delà des parlementaires de l’opposition, sont exprimées par les représentants de nos forces de police.
Face à une situation inédite, face au terrorisme, face à la violence exacerbée, face au malaise des policiers, toutes les forces de sécurité nationale doivent être mobilisées. Le rôle des polices municipales, essentiel et croissant en matière de tranquillité et de sécurité publiques, doit être accru. Le Sénat avait, en cette matière aussi, adopté des avancées significatives. À la demande du rapporteur, la commission des lois est revenue sur chacune d’entre elles.
Pourtant les polices municipales jouent un rôle de plus en plus essentiel en matière de sécurité, mais aussi de prévention. Dans cette optique, la qualité d’agent de police judiciaire devrait être conférée aux directeurs de police municipale. De plus, les policiers municipaux devraient être autorisés à procéder à des contrôles d’identité. Je n’ignore pas les difficultés d’ordre constitutionnel que de telles dispositions soulèvent, mais nous devons dès aujourd’hui ouvrir ce débat majeur.
Nous avons également déposé un amendement essentiel tendant à imposer le port d’arme aux policiers municipaux après qu’ils auront reçu une formation. En matière de terrorisme, vous connaissez l’importance des premiers intervenants sur le lieu d’un attentat. Les policiers municipaux, parce qu’ils sont présents sur la voie publique et portent un uniforme, peuvent être des cibles mais aussi ces primo-intervenants. Ils doivent donc être mieux protégés et, pour cela, être armés, et l’être obligatoirement : c’est la contrepartie que nous leur devons, en considération des missions de protection qu’ils assurent.
Enfin, il est pour le moins surprenant que le texte ne prévoie rien pour donner de nouvelles prérogatives utiles aux forces de l’ordre. Sur ce point encore nous défendrons des amendements, visant, en l’espèce, à assouplir les règles relatives aux contrôles d’identité, aux fouilles de véhicules et de bagages, l’objectif étant de doter les policiers et les gendarmes des mêmes prérogatives que celles dont disposent les agents des douanes, qui bénéficient d’un « droit de visite général ». Le cadre juridique en vigueur, bien trop contraint, n’est plus adapté à l’évolution de la criminalité et de la délinquance.
Depuis longtemps, les députés du groupe Les Républicains vous demandent d’aller plus vite et plus loin dans le combat contre le terrorisme et la délinquance en général. Pendant cinq ans vous avez hésité, tergiversé même, refusant nos propositions avant de les faire vôtres à plusieurs reprises, souvent trop tard malheureusement. Ces allers et retours permanents ont fait perdre du temps à notre pays et je crains que vous ne persévériez dans cette erreur.
On citera, comme exemples de mesures proposées par notre groupe et celui de l’UDI, auxquelles vous vous opposiez et que vous avez fini par adopter, la perpétuité incompressible pour acte de terrorisme : vous vous y opposiez ? Vous avez fini par nous suivre. La suppression de toute automaticité de réduction de peine en matière de terrorisme : vous vous y opposiez ? Vous avez fini par y venir. Le rétablissement de l’autorisation de sortie du territoire pour les mineurs : vous vous y êtes opposés ? Vous avez fini par l’adopter. L’automaticité de la peine complémentaire d’interdiction de territoire français pour les étrangers condamnés pour un acte de terrorisme …
Mme Pascale Crozon. Quel discours répétitif !
M. Éric Ciotti. Vous vous y êtes opposés ? Vous avez fini par l’adopter. La création d’un délit de consultation habituelle de certains sites internet faisant l’apologie du terrorisme : vous vous y opposiez ? Vous avez fini par l’adopter, sans parler du droit au port d’arme pour les policiers et gendarmes volontaires en dehors de leur service.
Ces nombreux exemples, monsieur le ministre, doivent vous inciter à changer d’attitude sur le texte dont nous débattons. Écoutez-nous, écoutez les voix constructives qui n’expriment qu’un objectif, qu’une motivation : mieux protéger ceux qui nous protègent.
C’est cet objectif qui guidera notre vote, c’est cette exigence de responsabilité et de reconnaissance qui nous animera tout au long des débats. J’espère donc – c’est le vœu que je forme, monsieur le ministre – que vous saurez nous entendre, de façon que ce texte, le dernier sans doute de la présente législature, donne à nos policiers et à nos gendarmes des armes à la hauteur du courage et de la détermination dont ils font quotidiennement preuve pour protéger nos concitoyens. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains.)
M. Meyer Habib. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Roux, ministre. Je voudrais vous féliciter, monsieur le député, pour cette intervention particulièrement charpentée, qui dénote un important travail, de vous-même et de vos assistants parlementaires. (Sourires.)
M. Jean-Frédéric Poisson. Parole d’expert !
M. Thierry Benoit. Il a dû en lire, des notes !
M. Olivier Falorni. Et des fiches de lecture !
M. Bruno Le Roux, ministre. Tout en vous en remerciant, monsieur le député, je voudrais préciser quelques points.
Le premier, qui est d’importance, concerne l’application de ce texte. Vous avez raison de dire que le présent projet de loi est le dernier de cette législature et qu’il vient après plusieurs textes ayant permis, à chaque fois que la menace était réévaluée, d’adapter nos dispositifs, de sécurité et de renseignement en particulier.
Les six décrets d’application nécessités par ce texte sont tous prêts ou presque. Ils pourront donc être publiés dans les plus brefs délais dès le vote de la loi.
En outre, certains articles du projet de loi sont d’application immédiate. C’est le cas de l’article 1er sur l’usage des armes à feu ou de celui relatif au renforcement des peines pour des faits visant les forces de l’ordre. Je veux donc rassurer les policiers et gendarmes : si ce texte n’est pas renvoyé en commission, comme vous le proposez, monsieur le député, il pourra être voté et mis en application sans délai.
Ma seconde précision porte sur les effectifs. Sans relancer une polémique qui a déjà eu lieu, je rappellerai que Bernard Cazeneuve avait commandé à l’inspection générale des finances et à l’inspection générale de l’administration un rapport sur le sujet. Respectant l’engagement de mon prédécesseur, je me suis engagé à rendre public ce document, qui me sera remis dans quelques jours : il indiquera l’évolution des effectifs des forces de police et de sécurité durant ce quinquennat et le précédent. Pour Bernard Cazeneuve en effet, vos propos sur l’évolution de ces chiffres, que vous avez répétés aujourd’hui à la tribune, sont un mensonge et les mensonges doivent simplement être combattus par la vérité des chiffres. La Cour des comptes réfute totalement la lecture qui est la vôtre, monsieur le député, et vous le savez.
Plusieurs députés du groupe socialiste, écologiste et républicain. Très bien !
M. Éric Ciotti. Vous accusez la Cour des comptes !
M. Yann Galut. Vous tordez la vérité !
M. Bruno Le Roux, ministre. S’agissant du nombre des cambriolages, monsieur le député, il a augmenté en 2016, et c’est pourquoi il sera nécessaire d’apporter des corrections au Plan cambriolage, en particulier en ce qui concerne les zones périurbaines et rurales, où nous devrons adapter notre réponse. Cependant, je souhaite rétablir la vérité des chiffres : l’augmentation de 4 % intervenue en 2016 suit plusieurs années de baisse significative. Entre 2008 et 2012, en revanche, le nombre des cambriolages avait augmenté de 18 %.
S’il nous faut renforcer notre action, je peux toutefois dire à ceux qui nous écoutent que le volume des cambriolages dans notre pays en 2016 est inférieur à celui de 2012. Je ne m’en félicite pas et il faut continuer notre action en la matière mais j’observe, là encore, une évolution favorable.
Telles sont les précisions que je souhaitais apporter à ce stade. Je vous apporterai d’autres éléments lorsque nous débattrons des amendements. Bien qu’étant totalement disponible pour un échange républicain et serein, je ne laisserai cependant pas dire ce qui n’est pas vrai.
S’agissant ainsi des armes à feu, aucune de vos propositions n’était rédigée comme l’est l’article 1er.
M. Pascal Popelin. C’est vrai !
M. Bruno Le Roux, ministre. Outre les incertitudes juridiques voire les erreurs manifestes qui les entachaient, elles péchaient par un manque d’équilibre que l’on ne retrouve pas dans le texte qui est aujourd’hui celui du Gouvernement.
Nous aurons l’occasion d’en débattre, en toute bonne foi, durant les heures qui viennent, monsieur le député. Je demande donc à ce que nous puissions poursuivre l’examen de ce texte, pour l’adopter le plus rapidement possible. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
Mme la présidente. Dans les explications de vote sur la motion de renvoi en commission, la parole est à M. Thierry Benoit, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
M. Thierry Benoit. Comme nous l’avons fait pour la motion de rejet, nous rejetterons cette motion, malgré les propositions pertinentes de notre collègue Éric Ciotti.
Ce texte, qui a été débattu en première lecture au Sénat, a donné lieu à des débats approfondis en commission des lois. Nous pourrons encore l’enrichir et l’approfondir dans l’hémicycle sur les sujets qui demeurent en discussion, notamment l’extension de certaines dispositions relatives à la légitime défense aux policiers municipaux ; la façon de mieux lutter contre le terrorisme et de protéger plus efficacement nos concitoyens – un point crucial que vous venez d’aborder, monsieur le ministre – ; l’amélioration du partage d’informations entre les élus municipaux, notamment les maires, et les préfets, en particulier pour ce qui concerne les personnes inscrites au fichier « S » – j’espère, monsieur le ministre, que vous serez très attentif aux amendements de l’UDI sur ce sujet – ou les dispositions visant celles et ceux que l’on appelle parfois les « revenants », qui, après avoir combattu dans les rangs de Daech, veulent revenir sur le territoire français.
Il y a urgence à débattre de ces sujets dans l’hémicycle parce que nous arrivons en fin de législature. C’est pourquoi le groupe UDI rejettera cette motion de renvoi en commission.
M. Olivier Falorni. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Popelin, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.
M. Pascal Popelin. Je comprends mal le sens de cette motion de renvoi en commission, qui tranche avec le travail mesuré et constructif du Sénat…
M. Éric Ciotti. Vous n’avez pas conservé son texte !
M. Pascal Popelin. … comme, notre collègue de l’UDI l’a dit, avec la tonalité de nos échanges en commission. Il est vrai que nous sommes en séance publique, à quelques semaines d’une élection. La tentation était sans doute trop grande, monsieur le député, pour laisser passer l’occasion de tenter, une nouvelle fois, de redorer votre blason, sur un sujet où vous n’avez guère laissé un bon souvenir durant les deux précédentes législatures.
M. Jean-Frédéric Poisson. Et cette tentation n’existe pas chez vous, monsieur le député ?
M. Pascal Popelin. Vous dites que nous n’avons pas assez fait. Je vous avoue, monsieur le député, que j’ai toujours du mal à entendre ceux qui, après avoir gravement dégradé une situation, reprochent ensuite à leurs successeurs de ne pas faire assez pour réparer leurs propres dégâts.
Plusieurs députés du groupe socialiste, écologiste et républicain. Très bien !
M. Christophe Priou. Professoral !
M. Pascal Popelin. Vous nous avez aussi reproché au début de votre intervention de ne pas vous écouter assez, avant d’énumérer toutes celles de vos propositions que nous avions fini par reprendre. Il faut choisir entre ces deux arguments : ce ne peut pas être l’un et l’autre.
Que voulez-vous, monsieur Ciotti, vous n’avez pas toujours de bonnes idées. Vous n’avez pas non plus toujours de la suite dans les idées. Je me souviens, moi, du sujet de la déchéance de nationalité et je vous avoue que je n’en garde pas un assez bon souvenir pour me sentir obligé d’écouter toutes les propositions que vous pourriez faire.
M. Jean-Frédéric Poisson. Pas sûr que ce soit un bon exemple !
M. Éric Ciotti. Vous avez déjà enterré Manuel Valls !
M. Pascal Popelin. C’est vrai, nous avons aussi nos limites, monsieur Ciotti : nos limites, ce sont la Constitution, les engagements internationaux de la France, les principes généraux de notre droit, les décisions de nos plus hautes instances, parce que nous sommes, plus que jamais, attachés au respect de l’État de droit, ce qui n’empêche en rien l’efficacité.
Enfin, vous nous avez reproché – ce n’est pas le moindre ni le dernier de vos paradoxes – de ne pas aller assez vite. Si vous voulez aller vite, monsieur Ciotti, ne demandez pas le renvoi de ce texte en commission. S’il était renvoyé en commission, nous ne pourrions pas l’adopter d’ici la fin de cette législature, alors que c’est ce que nous souhaitons : comme le ministre l’a indiqué, les décrets d’application sont prêts.
M. Jean-Frédéric Poisson. Cela ne changera rien !
M. Pascal Popelin. Débattons donc de ce texte sereinement : nous avons toute la séance pour le faire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Gérard.
M. Bernard Gérard. Je ne dirai que quelques mots après le brillant exposé de notre collègue Éric Ciotti.
Franchement, monsieur le ministre, nous présenter en fin de mandature ce texte sur la sécurité publique démontre à quel point vous vous êtes laissé le temps de la réflexion. Dans la précipitation, vous adoptez enfin certaines des mesures que nous avions proposées.
M. Jean-Luc Laurent. Pourquoi alors renvoyer le texte en commission ?
M. Bernard Gérard. Que n’avons-nous entendu en commission des lois lorsque nous proposions une avancée en matière de légitime défense !
Sans revenir sur tout ce qui a été dit, ce texte pèche par ses lacunes, notamment en ce qui concerne les policiers municipaux, qui, vous le savez, sont incontestablement en première ligne aujourd’hui. La police nationale est appelée à assurer des missions tellement lourdes, tellement importantes que nous devons aujourd’hui nous appuyer davantage sur la police municipale.
Mme Elisabeth Pochon. Pourquoi ne l’avez-vous pas fait avant ?
M. Bernard Gérard. Certes, ce texte est une avancée mais une avancée bien faible. S’agissant de la sécurité de l’ensemble des Français, il faut que tous les acteurs soient mobilisés. On est loin du compte aujourd’hui et c’est la raison pour laquelle notre groupe votera ce renvoi en commission.
M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !
(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.)
Mme la présidente. Dans la discussion générale, plusieurs orateurs sont inscrits.
La parole est à M. Thierry Benoit.
M. Thierry Benoit. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la protection de celles et ceux qui consacrent leur vie à garantir notre sécurité – policiers, gendarmes, agents pénitentiaires – doit être au cœur de notre pacte républicain. Nous ne pouvons accepter, impassibles, que des drames aussi violents que l’attaque de Viry-Châtillon, puissent se reproduire sur le territoire national. Mon collègue Meyer Habib reviendra plus longuement tout à l’heure sur l’impérieuse nécessité d’une refonte de la légitime défense.
Dans un contexte de menace terroriste particulièrement élevée, le groupe UDI se félicite que ce texte privilégie une approche plutôt collégiale et constructive. La menace terroriste prend chaque jour un nouveau visage. Elle est protéiforme, diffuse, et émane aussi bien de groupes évoluant à l’étranger que d’individus présents sur notre territoire. Dans un tel contexte, il apparaît pleinement légitime de renforcer les moyens d’action de nos forces de l’ordre. Faire en sorte qu’elles soient le mieux armées possible, au sens propre comme au sens figuré, pour anticiper et réagir. Ainsi je me félicite, au nom de mon groupe, que ce texte permette d’octroyer aux policiers municipaux le pouvoir de procéder à des inspections visuelles ainsi qu’à la fouille de bagages ou à des palpations de sécurité.
Autre disposition utile, ce projet de loi entend agir pour un meilleur contrôle du recrutement et des affectations dans les entreprises de transport. Il prévoit notamment qu’un employeur pourra licencier tout salarié dont le comportement serait jugé « incompatible avec l’exercice des missions pour lesquelles il a été recruté ou affecté » et auquel aucun autre poste ne pourrait être proposé. Si cette mesure ne permet pas d’informer directement les employeurs de l’inscription de certains employés sur le fichier S, comme l’a proposé le groupe UDI à plusieurs reprises, elle répond néanmoins à la même préoccupation d’assurer la protection de nos concitoyens en détectant et en contrôlant la présence éventuelle de personnes dangereuses dans les entreprises de transport par des enquêtes administratives.
Pour réussir la lutte contre le terrorisme, tous les acteurs compétents doivent y être associés, dans un esprit d’engagement et de responsabilité collective. À ce titre, il apparaît indispensable d’améliorer le partage d’informations entre les maires et les préfets au sujet des personnes « fichées S ». Or, la situation reste encore bien confuse et une certaine forme d’opacité demeure : de nombreux élus se plaignent de ne pas pouvoir disposer d’informations critiques qui, au demeurant, engagent la sécurité de leurs communes et de leurs ressortissants.
À cet égard, j’espère que le Gouvernement répondra favorablement aux amendements que présentera mon collègue Yves Jégo. Ces amendements visent à permettre aux maires de disposer d’informations sur les personnes radicalisées et potentiellement dangereuses résidant dans leurs communes ou, plus spécifiquement, sur les personnes employées par la commune. Nous éviterions ainsi, par exemple, la situation dans laquelle un maire ignorerait totalement la dangerosité d’un agent municipal employé dans une école.
Nous tenons à préciser que ce droit serait strictement encadré et limité. Le maire ne pourrait utiliser les informations transmises que dans le cadre de ses missions légales et pour les besoins exclusifs des missions qui lui sont confiées. Il serait en outre tenu au respect la confidentialité des données transmises.
Anticiper le retour massif sur le territoire national de Français ayant combattu dans les rangs de Daech en Irak et en Syrie est un autre enjeu majeur de sécurité publique.
La loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé a prévu un contrôle administratif de ces personnes. Dans le présent texte, le Gouvernement prend en compte le retour des mineurs, dont le nombre est évalué à quatre cents. Il propose d’expérimenter un dispositif qui permette aux juges des enfants de prononcer à la fois un placement auprès de l’aide sociale à l’enfance et une mesure d’assistance éducative en milieu ouvert.
Une telle proposition paraît plutôt positive. Elle permettrait d’assurer un suivi de situations particulièrement complexes qui nécessitent une expertise spécifique.
Pour le groupe UDI, cependant, cette disposition est encore insuffisante. Il faudrait aller beaucoup plus loin, quitte à autoriser dans certains cas une interdiction de retour sur le territoire national, notamment des individus jugés particulièrement dangereux. Ce sera le sens de l’amendement déposé par mon collègue Meyer Habib. Un projet de loi sur la sécurité publique ne peut faire l’impasse sur ce sujet.
En conclusion, le groupe UDI accueille avec bienveillance un texte qui, de toute évidence, permettra de renforcer notre sécurité et celle des forces de l’ordre. Nous le voterons, en espérant que le Gouvernement et la majorité se montreront attentifs aux propositions de notre groupe. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Falorni.
M. Olivier Falorni. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, face aux menaces croissantes que connaît notre pays et aux attaques survenues sur notre territoire, toutes les forces de sécurité, policiers, gendarmes, militaires des trois corps d’armée ou encore douaniers, ont été mises à contribution et ont été confrontées à de nombreuses situations délicates.
En tant que premier rempart contre la criminalité et la violence, notamment terroriste, ces dépositaires de l’autorité publique ont fait montre d’une maîtrise de leurs réactions et permettent à nos compatriotes et aux touristes de se sentir protégés sur notre territoire. Nous tenons à ce stade à féliciter et à saluer à nouveau la mobilisation, l’engagement et l’action de nos forces de l’ordre.
Face aux difficultés rencontrées par nos forces de sécurité, après le meurtre d’un couple de fonctionnaires de police le 13 juin 2016 à leur domicile de Magnanville et la tentative d’assassinat de quatre policiers le 8 octobre 2 016 à Viry-Châtillon, il est apparu nécessaire au Gouvernement de sécuriser le statut des dépositaires de l’autorité publique, notamment contre ceux qui contestent leur travail, mais aussi de revaloriser les moyens d’action mis à leur disposition.
Pour ce faire, le texte que nous examinons aujourd’hui prévoit en son article 1er la création d’un régime juridique commun de l’usage des armes par les policiers, gendarmes, douaniers et militaires déployés sur le territoire national dans le cadre de réquisitions ou dans le but de protéger des installations militaires.
Dans l’exercice de leurs fonctions et revêtus de leur uniforme ou des insignes extérieurs et apparents témoignant de leur qualité, ces agents peuvent faire usage de leurs armes en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée dans cinq cas : lorsque des atteintes à la vie ou à l’intégrité physique sont portées contre eux ou contre autrui ; lorsque, après deux sommations faites à haute voix, ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent ; lorsque, immédiatement après deux sommations adressées à haute voix, ils ne peuvent contraindre à s’arrêter des personnes autrement que par l’usage des armes ; lorsqu’ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l’usage des armes, des véhicules dont les conducteurs n’obtempèrent pas, ou encore dans le but exclusif d’empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d’un ou de plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d’être commis, lorsqu’ils ont des raisons réelles et objectives d’estimer que cette réitération est probable.
Nous l’avons déjà dit, la survenance de nombreux événements dramatiques a renforcé le besoin de sécurité et de protection des individus contre les grands délinquants et les terroristes. Nous savons aussi que ces délinquants ont de plus en plus recours aux armes lourdes et qu’ils font de plus en plus fréquemment usage du feu.
Ainsi, nous sommes satisfaits qu’un consensus républicain, souhaité par l’ensemble des membres de notre hémicycle, puisse être trouvé afin de renforcer la protection des forces de l’ordre, tout en satisfaisant à l’exigence de proportionnalité entre la défense et l’attaque pour les policiers. Les inqualifiables événements survenus à Aulnay-sous-Bois jeudi 2 février doivent malheureusement nous rappeler la nécessité d’assurer en permanence cet équilibre.
Par ailleurs, ce texte comporte un volet pénitentiaire très important.
Les pouvoirs de contrôle et de retenue des membres des équipes de sécurité pénitentiaire en vue de sécuriser les abords des prisons sont consolidés. La répression du délit de communication irrégulière avec un détenu est également prévue.
Par ailleurs, l’article 9 bis clarifie les conditions de mise en œuvre du régime du renseignement pénitentiaire et renforce les garanties applicables, notamment à l’égard des activités de renseignement à visée judiciaire. Ainsi, le contrôle du procureur de la République sur les activités de renseignement à visée judiciaire est amélioré afin de permettre une meilleure judiciarisation des infractions éventuellement constatées.
Ce dispositif relatif au renseignement ainsi que d’autres dispositifs concernant les mineurs, notamment pour lutter contre leur radicalisation, font de ce texte un texte solide et cohérent. Notre groupe, favorable au consensus et au dialogue, souhaite que le débat qui s’ouvre soit fécond. Nous espérons que nos amendements permettront de renforcer ce projet, que nous soutenons.
M. Joël Giraud. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez.
M. Marc Dolez. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi est présenté comme une réponse au mouvement de protestation des policiers qui a débuté à l’automne dernier, à la suite de la dramatique agression de quatre d’entre eux à Viry-Châtillon.
Notre groupe tient d’abord à saluer le travail des forces de l’ordre, particulièrement éprouvées depuis les attentats et la mise en œuvre de l’état d’urgence. Il souhaite rendre hommage à leur dévouement au service de nos concitoyens.
Ce projet de loi, qui a été élaboré dans un contexte particulier et difficile, fait aujourd’hui l’objet d’un examen en procédure accélérée, à quelques jours de la fin de la législature. Je ne suis pas sûr que cela favorise un débat suffisamment éclairé, sachant aussi que les principales revendications des forces de l’ordre sont avant tout matérielles et salariales.
M. Pascal Popelin. Nous nous en sommes occupés aussi !
M. Marc Dolez. Cela étant précisé, j’en viens au fond du texte.
La première évolution concerne l’élaboration d’un cadre commun d’usage des armes pour les policiers, les gendarmes, les douaniers et les militaires déployés sur le territoire national pour exercer des missions de sécurité intérieure.
Nous nous interrogeons sur l’utilité et la portée de cette mesure puisque la jurisprudence nationale et européenne a déjà considérablement unifié le régime applicable à la police et à la gendarmerie, en exigeant en particulier que soient réunis les critères d’absolue nécessité et de proportionnalité, quel que soit le cas de recours aux armes. L’Union syndicale des magistrats, dans ses observations sur le projet de loi, rappelle d’ailleurs que le droit jurisprudentiel en matière de légitime défense « est empreint des notions de nécessité absolue et de proportionnalité applicables indistinctement aux policiers et aux gendarmes. Ainsi, la différence de régime juridique apparaît purement théorique et dépourvue d’incidence pratique ».
De même, la mission indépendante de réflexion sur la protection fonctionnelle des policiers et des gendarmes présidée par Mattias Guyomar et instituée en juin 2012 conclut que « les critères de la légitime défense priment finalement la question du respect des cas légaux d’ouverture du feu puisque, quoi qu’il en soit du respect du cadre légal, l’atteinte à la vie doit toujours, sous le contrôle des juges, être strictement proportionnée à la menace qui la justifie ».
J’ajoute que l’extension de l’usage des armes par les forces de l’ordre a fait l’objet de plusieurs initiatives parlementaires ces dernières années, qui ont toutes été rejetées, le Gouvernement considérant alors, au regard des jurisprudences convergentes et constantes de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de cassation, que l’harmonisation était déjà réalisée, de fait, dans l’ordre juridique français.
À vrai dire, le dispositif proposé n’apporte pas de protection supplémentaire mais il pourrait donner l’illusion aux policiers qu’ils pourraient user plus facilement de leurs armes alors même que les principes de la légitime défense, absolue nécessité et proportionnalité, resteront primordiaux.
Enfin, pour notre part, nous sommes opposés à toute extension à des fonctionnaires de police municipale, police nationale et police municipale ayant des missions diamétralement différentes. C’est pourquoi nous sommes satisfaits que la commission des lois ait supprimé une disposition introduite par le Sénat et qui allait dans ce sens.
La deuxième évolution proposée vise à protéger l’identité des agents de la police et de la gendarmerie lorsque sa révélation constitue un danger pour eux-mêmes ou pour leur famille. Alors que l’anonymat est aujourd’hui limité aux questions de terrorisme et aux unités spécialisées, il sera étendu à de nombreuses procédures. Or, selon une jurisprudence constante de la CEDH sur le respect des droits de la défense, imposé par le troisième paragraphe de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’anonymat des témoins appartenant aux forces de l’ordre doit répondre à des exigences de nécessité et de proportionnalité et ne doit être utilisé que dans des circonstances exceptionnelles.
L’autorisation de l’anonymat sera délivrée par un responsable hiérarchique d’un niveau suffisant, défini par décret. Comme le souligne le défenseur des droits, « cela constitue un changement majeur par rapport à l’autorisation actuellement délivrée en matière de terrorisme, qui relève du procureur général près la cour d’appel de Paris. Ici, l’autorisation sera seulement communiquée au parquet. En outre, la qualité du responsable hiérarchique reste à définir par décret ».
Là aussi, nous sommes dubitatifs. Les conditions de délivrance de l’autorisation par un supérieur hiérarchique et l’étendue du champ d’application de cette mesure permettront-elles réellement de garantir le caractère exceptionnel de l’anonymat qu’exige le respect des droits de la défense ? Je serais heureux de vous entendre sur ce point précis, monsieur le ministre.
Le texte propose par ailleurs de doubler les peines encourues en cas d’outrage à toute personne dépositaire de l’autorité publique, en les alignant sur celles qui sont prévues en cas d’outrage à magistrat. L’objectif de cette mesure, adoptée au Sénat, est la protection et le respect des forces de l’ordre. Cependant, comme l’a précisé la mission présidée par Hélène Cazaux-Charles, le taux de réponse pénale pour les outrages atteint déjà 95,5 % : on peut s’interroger sur l’utilité d’une telle disposition.
Nous sommes par ailleurs défavorables à la réduction du nombre d’assesseurs dans la composition de la cour d’assises spéciale et réservés quant à l’élargissement des prérogatives des agents de surveillance de l’administration pénitentiaire.
En revanche, nous approuvons l’expérimentation tendant à la création d’un volontariat militaire d’insertion et nous saluons l’expérimentation d’une double prise en charge des mineurs en danger par l’aide sociale à l’enfance et la protection judiciaire de la jeunesse, qui permet de réaffirmer la possibilité pour la PJJ d’intervenir en assistance éducative.
Pour conclure, compte tenu de l’ensemble de ces réflexions, réserves et interrogations, les députés du Front de gauche s’abstiendront sur ce projet de loi, à condition toutefois, bien sûr, que l’équilibre du texte tel qu’il est issu de la commission des lois ne soit pas remis en cause à l’issue de nos travaux.
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Popelin.
M. Pascal Popelin. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, alors que s’approche le terme des travaux de cette législature, il nous revient de compléter une nouvelle fois notre droit, pour renforcer la protection et la sécurité des Français. Il s’agit là de notre dernière contribution à une œuvre législative très dense, en raison des besoins criants qui existaient en 2012, des attentes de nos compatriotes et d’une actualité dramatique, marquée par de nouvelles menaces.
Habitant et élu d’un territoire où les questions de sécurité constituent une préoccupation quotidienne, j’ai voulu consacrer une part conséquente de mon travail parlementaire à ce sujet. Parce que c’est d’abord dans les quartiers populaires que l’attente d’un État qui protège est forte.
Je me souviens de ma première intervention à cette tribune, le 7 novembre 2012 : nous examinions les crédits de la mission « Sécurités » du premier projet de loi de finances proposé par notre majorité. Et déjà, nous parlions de la nécessaire restauration des moyens consacrés à nos forces de l’ordre, dont nous avions conscience des besoins, après les saignées causées par la révision générale des politiques publiques mises en œuvre de 2007 à 2012.
Presque cinq ans plus tard, bien que notre Nation demeurera à jamais meurtrie par les drames qu’elle a vécus et les attaques qu’elle a subies en son cœur, je veux dire à quel point je revendique le chemin que nous avons parcouru et l’ampleur du travail que nous avons réalisé collectivement.
En dépit de la situation budgétaire dont nous avons hérité en 2012 et qui n’autorisait rien, nous avons immédiatement engagé l’indispensable mouvement de création de postes qui avaient été supprimés au sein de la police et de la gendarmerie. Nous avons aussi relancé l’investissement en faveur des équipements, du matériel, de l’armement des locaux, qui souffrent encore aujourd’hui d’une décennie de restrictions.
Cet effort, nous l’avons amplifié à l’occasion du vote de chaque budget. Durant la législature, 9 000 postes ont été ouverts, quand plus de 13 000 avaient été supprimés lors du précédent quinquennat. Les crédits hors personnel ont augmenté de près de 15 % en cinq ans, ce qui représente plus d’un milliard d’euros supplémentaires.
Ce bilan, nous le portons avec fierté, parce que nous avons la conviction d’avoir posé des fondations solides, mais aussi avec humilité, car nous savons les efforts qui restent à fournir pour combler les retards du passé et sans cesse adapter nos outils de protection à l’évolution des menaces qui pèsent sur la France et ses habitants.
Manuel Valls, Bernard Cazeneuve et aujourd’hui Bruno Le Roux, ont mis en œuvre des choix pragmatiques tels que les zones de sécurité prioritaires ou le plan anti-cambriolage qui ont permis d’attaquer de front la délinquance de droit commun, celle qu’il est si difficile de déloger, celle qui empoisonne le quotidien de nos compatriotes, en particulier – mais pas seulement – dans les quartiers populaires.
Pour apporter des réponses à la hauteur de la menace terroriste qui pèse à un niveau inégalé sur notre sûreté, nous avons ajusté, pierre après pierre, un cadre législatif cohérent, plus adapté, plus clair. Cinq textes importants ont été adoptés : trois lois antiterroristes en 2012, 2014 et 2016 ; une loi qui fera date sur le renseignement en 2015 ; une loi sur la sécurité dans les transports en 2016.
Nous avons mobilisé en responsabilité le régime juridique d’exception de l’état d’urgence depuis la fin de l’année 2015 et jusqu’au terme des prochaines élections présidentielle et législatives, pour conférer aux autorités la célérité et l’efficacité particulières qu’exigeait la répétition d’attaques terroristes massives. Nous l’avons fait sans jamais trahir les principes de notre état droit, notre Constitution, nos engagements internationaux, tout ce qui fait que nous sommes et entendons demeurer une véritable démocratie.
Sur ces questions essentielles, nous avons toujours su débattre, dans la confrontation bien sûr, mais toujours – ou presque toujours – avec le souci partagé de faire de la diversité de nos opinions une force et un atout, plutôt qu’un ralentisseur ou un facteur d’empêchement. De ce travail commun, je retiens que les caricatures – même si elles ont parfois la vie dure – ont perdu de leur pertinence et de leur impact. Je retiens que nous pouvons ensemble revendiquer un bilan législatif de qualité, en faveur de la sécurité des Français.
Aussi solide que soit cet inventaire, il ne nous autorise toutefois pas à nous satisfaire de la situation. Ce serait ne pas regarder en face les attentes toujours fortes de nos concitoyens. Ce serait ignorer ce qu’expriment – de manière diverse, mais convergente – les policiers, les gendarmes et plus généralement toutes celles et tous ceux qui ont la difficile responsabilité de nous protéger, qui ont tant donné à la Nation depuis deux ans, faisant face à une accumulation de situations particulièrement éprouvantes.
Nous ne pouvons ni nous affranchir d’un contexte, ni balayer d’un revers de main un ressenti général qui est – que nous le voulions ou non – en décalage avec les efforts et les actions déployés depuis cinq ans.
Pour continuer de faire évoluer nos outils de protection face à un péril terroriste en constante évolution, face à une délinquance toujours aussi enracinée, face à une certaine violence qui se banalise, nous devons intégrer dans notre droit des éléments nouveaux, nécessaires à l’efficacité de nos politiques de sécurité. Tel est le premier objet de ce texte.
Répondre aux préoccupations et aux revendications légitimes de nos forces, leur apporter de meilleures garanties de protection à l’heure où elles constituent plus que jamais une cible, leur témoigner davantage de considération : c’est l’ambition portée notamment par ce projet de loi.
Il propose ainsi une remise à plat du droit des règles d’emploi des armes. Il ne s’agit pas par là – et il ne pourra jamais s’agir pour nous – de délivrer un quelconque permis de tuer – de tir à vue comme quelqu’un a osé le dire tout à l’heure – à ceux qui assurent notre sécurité. Ce n’est d’ailleurs pas ce qu’ils demandent ! Il ne s’agit pas non plus d’un alignement général sur le cadre d’usage qui s’applique aux seuls gendarmes, comme nos collègues de l’opposition l’ont proposé à plusieurs reprises, s’attribuant à tort la paternité de ce projet. Tout simplement parce que cette doctrine d’emploi a été rendue obsolète par la jurisprudence et qu’une telle proposition eût été totalement inopérante. Au demeurant, elle n’avait pas seulement été rejetée durant ce quinquennat, elle l’a été aussi lors de la précédente législature.
Ce que nous proposons, c’est une harmonisation, une simplification et une clarification des règles, qui met à jour notre droit au regard de nos engagements internationaux et des principes rappelés régulièrement par l’ensemble de nos plus hautes juridictions.
Nous pensons que le contour pertinent de cette nouvelle doctrine d’emploi doit être limité aux agents de l’État : police nationale, gendarmes, douaniers et militaires déployés sur le territoire. Oui, cela fait une différence entre la majorité et l’opposition.
Cela n’entrave en rien l’action des policiers municipaux, qui relèvent d’autorités hiérarchiques différentes, ne sont pas investis des mêmes missions et ne disposent pas des mêmes prérogatives. Ce qui en rien ne les entrave et les empêche de se défendre, d’assumer la sécurité dans le cadre de leurs missions.
M. Jean-Pierre Blazy. Très bien.
M. Pascal Popelin. Ce texte prévoit également de prévenir le risque de représailles auquel sont exposés les agents dont l’identité apparaît dans certains actes de procédure pénale. Il introduit ainsi un dispositif d’anonymisation, étendu aux signataires de décisions administratives prises dans le cadre d’affaires de terrorisme.
Nous voulons enfin consolider le régime de l’outrage aux personnes dépositaires de l’autorité publique, en aggravant les peines encourues par les individus qui se rendent coupables de tels faits, en les alignant sur les sanctions qui répriment aujourd’hui le seul outrage aux magistrats.
Ces évolutions de notre droit témoignent de l’attachement que nous portons à l’ordre républicain et à ceux qui en ont la charge. Elles ne donnent en rien le droit de tout. Dans un État de droit, ceux qui sont investis de certaines prérogatives parce qu’ils incarnent l’autorité se doivent d’être tout particulièrement exemplaires. Voilà pourquoi un code de déontologie modernisé a été mis en place dès 2014. Voilà pourquoi nous avons rétabli le port visible du matricule. Voilà pourquoi nous avons expérimenté, puis généralisé – c’est en cours – le principe des caméras mobiles. Voilà pourquoi nous avons réformé l’Inspection générale de la police nationale. Voilà pourquoi nous avons mis en place le système de dépôt de pré-plaintes en ligne.
Voilà pourquoi, lorsqu’il y a doute, les structures de contrôle interne de l’administration d’une part et la justice d’autre part, doivent établir sereinement et librement la vérité et en tirer toutes les conséquences en termes de sanctions. C’est ce que nous attendons, tout près de chez moi à Aulnay-sous-Bois. C’est ce que nous devons tous exiger sur l’ensemble du territoire de la République.
Ce texte comporte de nombreuses autres dispositions nécessaires. Je pense en particulier aux possibilités d’écarter des affectations ou du recrutement dans certaines entreprises de transport, des individus susceptibles de représenter une menace, selon des éléments mis en lumière au terme d’une enquête administrative. Le dispositif proposé a posé question dans nos débats. Nous sommes parvenus, me semble-t-il, à une écriture équilibrée entre l’indispensable respect des droits et la non moins indispensable nécessité de protection de ces activités qui constituent des cibles terroristes.
Pour toutes ces raisons, et beaucoup d’autres que nos débats ne manqueront pas de mettre en lumière, le groupe socialiste, écologiste et républicain, sera à vos côtés, monsieur le ministre de l’intérieur, pour soutenir ce projet de loi, l’enrichir et le voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé.
M. Guillaume Larrivé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, si nombreux sur ce sujet important, mieux protéger ceux qui consacrent leur vie à protéger les Français : c’était l’objectif de la première proposition de loi que j’ai présentée dans cet hémicycle, en 2012, avec Éric Ciotti et Philippe Goujon.
Nous proposions alors d’unifier les régimes d’emploi des armes applicables aux policiers et aux gendarmes. Cette évolution est nécessaire au plan opérationnel ; et c’est la conséquence logique du rapprochement des deux forces de sécurité intérieure, depuis 2009, sous le commandement unique du ministre de l’intérieur. Aussi, nous vous avions soumis un premier texte, il y a déjà près de cinq ans. Le ministre de l’intérieur de l’époque, Manuel Valls, s’y était opposé. Et d’autres tentatives, tout au long du quinquennat, se sont heurtées au même mur d’incompréhension de la part du Gouvernement et des députés socialistes.
Vous avez enfin, il y a quelques mois, changé d’avis et le projet de loi que vous nous présentez, monsieur le ministre de l’intérieur, s’inspire très directement des propositions formulées, sur ce point, par le groupe Les Républicains. Nous vous en donnons acte ; j’exprimerai cependant, à cet égard, un regret et un avertissement.
Il est regrettable, d’abord, que vous n’acceptiez pas d’inclure les policiers municipaux dans le périmètre des agents publics bénéficiant de ce nouveau régime d’emploi des armes.
M. Jean-Pierre Blazy. Il ne faut pas introduire de confusion.
M. Guillaume Larrivé. Ma conviction profonde est que les policiers municipaux, lorsqu’ils sont spécialement formés et habilités à porter une arme, doivent pleinement participer à la communauté sécuritaire, c’est-à-dire aux forces de sécurité intérieure, aux côtés des militaires de la gendarmerie nationale et des fonctionnaires de la police nationale. La rédaction adoptée par le Sénat en première lecture était pertinente sur ce point et j’appelle notre Assemblée à la rétablir.
Un avertissement me semble, en outre, devoir être formulé. Quelle que soit l’habileté de la rédaction juridique que nous nous apprêtons à adopter, l’application de la règle nécessitera, non seulement une formation rigoureuse des hommes et des femmes qui auront vocation à l’appliquer, mais aussi un réel discernement de l’autorité judiciaire. Je veux dire solennellement, ici, mon soutien à ceux des policiers et des gendarmes qui sont parfois injustement mis en cause dans des procédures particulièrement éprouvantes alors qu’ils n’ont fait que leur devoir, en tentant de protéger leur vie et celle des victimes de délinquants très dangereux.
Il est indispensable, en outre, que le projet de loi soit complété. C’est le sens des deux principaux amendements que je présenterai avec mes collègues du groupe Les Républicains.
Nous proposons, d’une part, de renforcer la répression des menaces proférées, non seulement contre les policiers, les gendarmes ou toute autre personne dépositaire de l’autorité publique, mais aussi contre leur famille. Premier amendement important.
Deuxième amendement important : nous proposons de criminaliser les actes de destruction ou de dégradation, par incendie ou par explosif, d’un commissariat, d’une brigade de gendarmerie ou de tout autre siège de l’autorité publique. La République française doit se donner les moyens de mettre hors d’état de nuire ceux qui veulent la défier en son cœur régalien.
Ne nous y trompons pas, cependant. Même s’il est amendé, ce projet de loi ne sera qu’un ajustement ponctuel, de fin de législature. Ce n’est pas ce soir, ce n’est pas cette nuit, avec cette majorité, que nous pourrons voter le texte refondateur permettant de réussir la transformation sécuritaire, en engageant enfin l’indispensable réarmement pénal qui est nécessaire pour solder le passif des années Taubira (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain) …
Mme Colette Capdevielle. Ah ! Il y avait longtemps !
M. Georges Fenech. Très bien. Il a raison.
M. Guillaume Larrivé. …et améliorer l’efficacité de l’appareil d’État.
J’ajoute qu’à cet effort juridique et opérationnel devra s’ajouter, dans les mois et les années qui viennent, une plus grande préoccupation, monsieur le ministre, pour les territoires ruraux.
Nous devrons, dans la France des petites villes et des villages, mieux lutter contre la délinquance quotidienne qui empoisonne la vie des honnêtes citoyens subissant toujours plus de cambriolages. Je tiens à redire à cet égard, en qualité de député de l’Yonne, que je regrette vivement que le gouvernement socialiste ait décidé de fermer, en 2013, les brigades de gendarmerie de Saint-Sauveur-en-Puisaye et de Bléneau. (Ah ! sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain).
Nous payons très chèrement les conséquences de cette erreur commise par Manuel Valls lorsqu’il était ministre de l’intérieur. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
M. Éric Ciotti. Il a raison !
M. Guillaume Larrivé. Je prends cet exemple à dessein, car il me semble, hélas, bien illustrer les erreurs commises par une majorité socialiste oublieuse de la ruralité.
M. Éric Ciotti. Malgré les efforts de M. Larrivé !
M. Guillaume Larrivé. J’ai certes pu obtenu du directeur général de la gendarmerie nationale qu’il ne ferme pas la brigade de Courson-les-Carrières, mais je suis convaincu que, dans les années qui viennent, le maillage territorial de la gendarmerie devra être renforcé dans nos campagnes.
M. Jean-Luc Laurent. En supprimant massivement des postes !
Un député du groupe socialiste, écologiste et républicain. C’était mieux quand vous étiez aux affaires !
M. Guillaume Larrivé. Cela est vrai également en zone de police pour des quartiers pavillonnaires subissant des cambriolages qui pourraient être évités, demain, par une meilleure mobilisation au quotidien des forces de sécurité publique nationales et municipales.
M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Avec 500 000 postes de fonctionnaires en moins ?
M. Guillaume Larrivé. Il me semble tout aussi indispensable de faire progresser les taux d’élucidation. Il n’est pas acceptable que, dans la France de 2017, 90 % des cambriolages ne soient pas élucidés, car cette impunité est un encouragement à la récidive.
Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, mes chers collègues, en m’apprêtant à voter ce soir ce projet de loi – si, comme je l’espère, il est amendé –, je souhaite exprimer notre reconnaissance et notre respect envers les professionnels de la sécurité intérieure, mais j’ai également conscience du très long chemin juridique et pratique qui restera à parcourir, dans les années qui viennent, pour mieux protéger les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Meyer Habib.
M. Meyer Habib. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la sécurité est la première des libertés. Elle est la condition d’une société digne de ce nom. Policiers nationaux ou municipaux, gendarmes, agents des douanes, agents de l’administration pénitentiaire, tous exercent avec courage, professionnalisme et disponibilité des missions qui sont une impérieuse nécessité pour assurer la sécurité des Français.
Ils sont exposés à une menace terroriste particulièrement élevée, comme nous l’avons encore vu, malheureusement, vendredi dernier où, attaqué à coups de machette et aux cris de « Allah Akbar ! », un militaire de l’opération Sentinelle a réagi avec un grand héroïsme et neutralisé la menace. On pense aussi, évidemment, à Ahmed Merabet, policier assassiné en janvier 2015 devant le siège de Charlie Hebdo, à Jean-Baptiste Salvaing et Jessica Schneider, ce couple de policiers assassinés en juin dernier à Magnanville devant leur fils de trois ans, et à d’autres encore.
Cibles privilégiées des djihadistes, policiers et gendarmes sont aussi confrontés à un crime organisé qui n’hésite pas à ouvrir le feu. On se rappelle ainsi ce policier de la brigade anti-criminalité – BAC – grièvement blessé durant une intervention en Seine-Saint-Denis, en octobre 2015, par un braqueur fiché S armé d’une kalachnikov.
Plus encore, nos forces de l’ordre sont aujourd’hui fréquemment agressées, dans ces territoires perdus de la République, par une petite délinquance de plus en plus violente, comme l’a tristement illustré en octobre dernier, à Viry-Châtillon, cette stupéfiante agression où quatre de nos policiers ont été visés par des cocktails Molotov.
Permettez-moi d’avoir ici, monsieur le ministre, et bien que cela n’ait pas de rapport direct avec l’agression que je viens d’évoquer, une pensée émue pour ce serveur de la buvette de l’Assemblée nationale qui s’est efforcé de défendre une vieille dame et qui se bat aujourd’hui entre la vie et la mort.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2016, 26 policiers et gendarmes sont morts en service et 16 000 ont été blessés. Face à l’émotion de l’opinion publique, le Gouvernement a décidé de réagir – enfin !
Il est toujours difficile, dans une société démocratique, d’aborder le sujet de l’usage légal de la force armée. Cette question a trait à l’essence même de notre pacte républicain, qui veut que la puissance publique dispose du monopole de la violence légitime. L’enjeu est simple, mais fondamental : concilier l’exercice de la puissance publique, de la violence légitime, et le respect absolu du droit à la vie. Les terroristes et le grand banditisme exploitent notre système de protection des libertés publiques comme autant de failles. Le projet de loi que nous examinons consacre donc l’usage de la force armée en cas d’« absolue nécessité » et de « stricte proportionnalité ».
Comme je le rappelais dans cet hémicycle voilà deux ans, il s’agit de trouver le juste équilibre entre le modèle américain, dont nous connaissons et rejetons les excès, et notre système actuel, où les règles d’emploi de la force armée ne sont pas claires et ne permettent pas toujours de répondre efficacement aux menaces auxquelles nous faisons face.
C’est la raison pour laquelle, le 2 avril 2015 déjà, je défendais la proposition de loi de notre collègue Éric Ciotti visant à soumettre aux mêmes règles policiers et gendarmes dans l’emploi de la forcée armée. Votre Gouvernement s’y est opposé. Les 2 et 3 mars 2016, lors de l’examen du projet de loi de lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, j’ai déposé, comme d’autres, un amendement visant à harmoniser le régime de la légitime défense des gendarmes et des policiers nationaux. Votre gouvernement l’a également rejeté, alors même que le Conseil d’État, que vous aviez saisi pour avis, recommandait le 3 février d’« harmoniser les règles applicables aux policiers et aux gendarmes, ces deux forces étant désormais placées sous une même autorité » : la vôtre, monsieur le ministre. Qu’en avez-vous fait ? Rien, hélas.
Votre prédécesseur, aujourd’hui Premier ministre, affirmait même dans l’hémicycle que « la jurisprudence a largement aligné les deux régimes, au point de faire disparaître presque totalement les différences qui pouvaient exister entre eux ». Pourquoi, alors, un tel revirement, si tardif ? Parce que les attaques récentes contre nos forces de l’ordre vous ont fait réagir.
Ce projet de loi est, en définitive, à l’image de la politique de lutte antiterroriste menée par les gouvernements socialistes depuis quatre ans : toujours, hélas, dans une posture de réaction et jamais dans une logique d’anticipation. Il aura ainsi fallu quinze ans de lutte des syndicats policiers,…
M. Jean-Pierre Blazy. Dont dix sous des gouvernements de droite !
M. Meyer Habib. …et des centaines d’heures de débat dans cet hémicycle pour qu’enfin pragmatisme et raison l’emportent sur les conservatismes.
Je salue donc aujourd’hui, monsieur le ministre, votre volonté, même tardive, de clarifier les règles d’emploi des armes à feu par les forces de l’ordre. C’est pourquoi nous soutenons la création, dans le code de la sécurité intérieure, d’un chapitre unique sur le régime de légitime défense des policiers, intitulé « Règles d’usage des armes ».
J’ai toutefois amendé cet article pour l’étendre aussi, dans certains cas, aux policiers municipaux, car toutes les forces de l’ordre doivent être pleinement mobilisées pour assurer la protection des Français.
Je me permettrai de citer l’exemple d’un pays que je connais bien : Israël, où nous nous sommes rendus, dans le cadre de la commission Fenech, avec Sébastien Pietrasanta et d’autres parlementaires. Nourri hélas par des décennies d’expérience, Israël fait aujourd’hui de plus en plus largement référence dans le monde en matière de lutte antiterroriste.
Le modèle israélien en la matière est fondé notamment sur un impératif essentiel : sauver des vies justifie l’emploi immédiat de la force armée pour neutraliser un assaillant. Résultat : sur des centaines d’attaques terroristes, il s’écoule en moyenne moins d’une minute entre le début de l’attaque et la neutralisation des auteurs, avec très peu de bavures ou de victimes collatérales.
M. Jean-Pierre Blazy. Quel modèle !
M. Meyer Habib. Israël autorise également l’armement des agents de sécurité privée exerçant des activités de protection physique des personnes ou de surveillance des lieux, avec, là encore, des résultats incontestables. C’est exactement ce que prévoient les articles 6 et 6A bis du présent projet de loi, avec toutes les garanties nécessaires.
Chers collègues, il est temps d’oublier nos débats partisans. Sur ces questions, il n’y a ni droite ni gauche : des vies sont en jeu ; appliquons les méthodes qui marchent.
Vous l’avez donc compris, monsieur le ministre, le groupe UDI soutiendra ce projet de loi dans son ensemble. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Giraud.
M. Joël Giraud. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur mes chers collègues, en ces temps troubles marqués par la menace terroriste qui pèse sur notre pays, nous devons nous montrer à la hauteur et prendre les mesures nécessaires pour préserver la sécurité de nos concitoyens, sans bafouer pour autant leurs droits et leurs libertés.
Ce gouvernement l’a fait dans le cadre de l’état d’urgence, déjouant plusieurs attentats grâce aux perquisitions, aux arrestations et aux saisies d’armes qui ont été permises. Militaires en patrouille, présence policière accrue, fouilles systématiques aux abords des lieux publics et contrôles aux frontières sont autant de situations imposant plus de moyens pour les forces de l’ordre, moyens qui leur ont été octroyés. Loin de faire de notre République un état policier, comme on peut l’entendre parfois sur certains bancs, le Gouvernement a pris ses responsabilités et nous pouvons nous féliciter de l’avoir soutenu afin de protéger nos compatriotes, nos valeurs, notre État et, en définitive, notre République.
Je tiens en revanche à vous mettre en garde, mes chers collègues, contre la surenchère opposée, la surenchère sécuritaire qui nous amènerait à menacer notre pacte républicain en prétendant vouloir le défendre. Le « toujours plus de sécurité » est électoraliste et n’est pas acceptable. Il nous aveugle, fausse les débats qui se tiennent dans cet hémicycle et ne peut que nous mener à des lois incohérentes, privatrices de libertés, sans fondement légitime et donc, au bout du compte, sans résultat satisfaisant.
Je me réjouis donc d’examiner aujourd’hui un projet de loi de cohérence, définissant un cadre d’usage des armes commun aux policiers et gendarmes, ainsi qu’aux douaniers et militaires déployés sur le territoire national, comme c’est d’ailleurs le cas dans de nombreux pays voisins. Il s’agit d’un encadrement équilibré de ce droit à l’usage des armes, qui garantit une meilleure protection de nos agents dépositaires de l’autorité publique sans laisser libre cours pour autant aux dérapages qui ne sont le fait que d’une infime minorité et à propos desquels ce gouvernement a toujours fait preuve de transparence et de fermeté.
Ce projet de loi permet également de préserver l’identité des agents et des décisionnaires dans les cas où sa révélation pourrait porter atteinte à leur intégrité physique ou à celle de leurs proches. Nous avons tous en mémoire, en effet, la tragédie de Magnanville et la dignité dont ont fait preuve deux familles dans la douleur.
Il renforce également, entre autres, le contrôle administratif du retour sur le territoire des personnes dont il existe des raisons sérieuses de penser que les déplacements avaient pour but de rejoindre un théâtre d’opérations de groupements terroristes.
Il s’agit donc d’une loi mesurée, qui adapte notre droit au contexte actuel pour garantir la sécurité publique sans verser dans la dérive autoritaire.
À ce titre, je tiens à évoquer la réintroduction de l’obligation pour les mineurs de disposer d’une autorisation parentale préalable de sortie du territoire, dans le cadre de la loi du 3 juin dernier renforçant la lutte contre le crime organisé. Si j’entends aisément l’inquiétude légitime qui s’exprime à propos des mineurs passant une frontière pour rejoindre des filières terroristes à l’étranger, je doute que ces derniers empruntent les points de passage ménagés aux frontières ordinaires, en présentant leurs papiers d’identité !
De plus, on ne peut occulter les complications auxquelles donne lieu cette obligation inconditionnelle, notamment dans les territoires frontaliers. En effet, des milliers d’enfants passent quotidiennement les frontières pour leurs études et je ne crois pas qu’on doive les contraindre à se munir en permanence d’une autorisation parentale, au risque de les priver de leur droit fondamental d’accès à l’éducation. Ainsi, lorsqu’on habite Briançon et que l’on est scolarisé au lycée agricole de Chambéry, il faut franchir deux fois la frontière entre la France et l’Italie.
De même, dans les espaces frontaliers, l’accès aux zones touristiques peut parfois exiger un passage par l’étranger. Tel est le cas de la station des Rousses, accessible par la gare de Vallorbe, en Suisse, ou du Briançonnais, qui l’est par la gare TGV d’Oulx, en Italie. On en arrive déjà à refuser l’accès à des mineurs accompagnés d’adultes n’exerçant pas l’autorité parentale, comme des parents emmenant leurs neveux faire du ski avec leurs enfants.
C’est la raison pour laquelle je défendrai, au nom du groupe RRDP, deux amendements permettant d’assouplir cette obligation d’autorisation parentale de sortie du territoire pour les mineurs souhaitant rejoindre un pays limitrophe dans le strict cadre de leurs études ou s’ils n’y sont qu’en transit. Il y va de la crédibilité et de l’efficacité de nos décisions. Veillons donc à ne pas prendre de mesures posant des problèmes de cohérence dans leur application concrète et qui relèvent plus de la démagogie sécuritaire que d’une une réelle sécurité.
Je ne doute pas que nos fructueux et féconds débats nous aideront à nous prémunir contre de tels écueils et que nous parviendrons à voter une loi juste, équilibrée, et efficace sur un sujet aussi important que celui de la sécurité publique. C’est en tout cas le souhait du groupe RRDP.
M. Olivier Falorni. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Yann Galut.
M. Yann Galut. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons les mesures du plan pour la sécurité publique, qui doivent sécuriser le cadre d’intervention des policiers et des gendarmes, mieux les protéger et accroître leur efficacité. Ce volet juridique et institutionnel prend tout son sens au regard d’un autre volet, budgétaire celui-là, qui fait apparaître près de 250 millions d’euros de moyens matériels supplémentaires dans les services de la sécurité publique.
Cet apport s’inscrit dans la continuité de l’effort budgétaire majeur engagé depuis le début de la législature en faveur des forces de sécurité. Je tiens, en particulier après l’intervention de M. Ciotti, à rappeler les chiffres qui attestent que notre majorité a fait de la sécurité une priorité, après des années de délaissement par la législature précédente.
M. Vincent Burroni. Très bien !
M. Yann Galut. Les budgets de la police et de la gendarmerie sont passés, en crédits de paiement, de 17,06 milliards d’euros en 2012 à 18,25 milliards en 2016 et atteindront 18,87 milliards en 2017, soit 1,81 milliard d’euros de plus qu’il y a cinq ans.
La priorité budgétaire est incontestable : entre 2012 et 2016, le budget de l’État a globalement augmenté de 1,6 %, alors que celui des forces de sécurité augmentait, quant à lui, de 7 %. En tenant compte du budget pour 2017, l’augmentation atteint 11 % pour la police et 9 % pour la gendarmerie. La part des dépenses de sécurité intérieure dans le budget de l’État passe ainsi de 4,49 % en 2012 à 4,86 % en 2017.
Oui, cette priorité a permis de lutter contre les inégalités face à la délinquance, qui nourrissent les sentiments d’injustice, de relégation et d’abandon par la République. Oui, nous avons, dès 2012, remis sur pied des services de renseignement gravement fragilisés et nous avons accru de façon massive les moyens des forces placées en première ligne face à la menace terroriste qui a frappé notre pays.
Dès le premier projet de loi de finances rectificative, voté à l’été 2012, notre majorité a donné un coup d’arrêt à l’hémorragie des effectifs après la destruction de 13 000 emplois par les gouvernements de François Fillon, entre 2007 et 2012.
Pour les deux forces, plus de 9 000 emplois ont été créés depuis 2013. Fin 2017, les effectifs compteront 149 000 policiers, contre 143 800 en 2012. Nous compterons 98 500 gendarmes, contre 95 000 il y a cinq ans. Le total pour les deux forces de sécurité atteindra 247 600 effectifs, contre 239 000 en 2012.
Les entrées massives en écoles l’attestent : pour la police, 5 300 élèves gardiens de la paix sont incorporés cette année, contre seulement 500 en 2012. En 2016 et 2017, plus de 28 000 nouveaux policiers et gendarmes arriveront sur le terrain pour compenser les départs en retraite et augmenter les effectifs. Ce changement d’échelle, qui constitue un défi, est mis à profit pour repenser et moderniser la formation initiale et la formation continue des personnels.
Les choix budgétaires ont permis de reconnaître la mobilisation des personnels par les protocoles sociaux, sans précédent, du 11 avril 2016. L’effort, sur la durée, atteint 865 millions d’euros pour améliorer les parcours et mieux rémunérer les sujétions des personnels.
Les créations de postes appuient une organisation et une stratégie profondément renouvelées en matière de renseignement et de déploiement des forces d’intervention. De même, les forces mobiles, très sollicitées, retrouvent des marges de manœuvre, alors que quinze escadrons de gendarmerie mobile avaient été supprimés sous la précédente législature.
Pour préserver la capacité opérationnelle des forces, nous avons engagé un rattrapage indispensable en matière d’équipement et de maintenance. Alors que le budget de fonctionnement et d’investissement de la police nationale avait diminué de 16 % entre 2007 à 2012, il a augmenté de 15 % entre 2012 et 2017. Pour la gendarmerie, ces moyens avaient diminué de 18 % de 2007 à 2012 et auront augmenté de 10 % de 2012 à 2017.
Depuis 2015, le plan de lutte antiterroriste et le pacte de sécurité ont consacré plus de 700 millions d’euros à acquérir de nouveaux équipements, prioritairement pour les services du renseignement et les forces d’interventions antiterroristes. Mais pour l’ensemble des services, les retards accumulés jusqu’en 2012 se comblent progressivement pour renouveler les véhicules et augmenter les dotations de matériels. Un seul exemple : la gendarmerie nationale n’avait pu passer commande que de 865 véhicules en 2012 ; ce chiffre a été porté à 2 000 véhicules pour l’année 2015 et à plus de 3 000 véhicules pour les années 2016 et 2017.
Mes chers collègues, le volet juridique du plan pour la sécurité publique que nous allons examiner bénéficie d’ores et déjà d’une solide assise : les moyens matériels supplémentaires que des choix budgétaires courageux apportent aux forces de sécurité. Gardons ces faits à l’esprit pour écarter les caricatures habituelles, qui sont indignes de la réalité des efforts accomplis et de la mobilisation des policiers et des gendarmes, auxquels je veux rendre hommage. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Georges Fenech.
M. Georges Fenech. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il s’agit de la dernière loi du quinquennat portant sur la sécurité, après quatre lois antiterroristes, dont la grande loi sur le renseignement, auxquelles l’opposition a apporté son soutien.
Ce quinquennat a été traversé par de nombreux événements tragiques, conduisant notre pays à se rassembler mais également à se diviser : souvenons-nous des manifestations de policiers, inédites, notamment devant la place Vendôme, où siégeait votre ex-collègue Christiane Taubira, pour des motifs qui nous ont opposés.
Je pense, comme l’a rappelé Guillaume Larrivé à l’instant, à la dévitalisation du système répressif, à la suppression des peines planchers pour les récidivistes, à l’alignement du régime des réductions de peine des récidivistes sur celui des primodélinquants, à la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, à l’abandon du programme de construction des 20 000 places de prison manquantes, à l’invention de pseudo-peines comme la contrainte pénale en lieu et place de la prison – j’en passe. Ce bilan, monsieur le ministre, il faudra l’expliquer et le défendre devant les Français lors des prochaines échéances nationales.
Mme Colette Capdevielle. Vous, vous devrez leur expliquer les emplois fictifs et la délinquance financière !
M. Georges Fenech. Monsieur le ministre, j’approuve dans toutes ses dispositions ce dernier projet de loi – le vôtre –, même s’il comporte des insuffisances, même s’il arrive tardivement, comme cela a été souligné par notre collègue Meyer Habib.
J’ai toutefois un regret sur la question du port d’armes, mais je ne désespère pas que le Gouvernement fasse sienne ma position. Je déposerai d’ailleurs un amendement sur le port d’armes des fonctionnaires de police et des militaires de la gendarmerie. Lors de votre audition devant la commission des lois, et encore tout à l’heure, monsieur le ministre, vous m’aviez répondu que vous préciseriez ce point en séance.
De quoi s’agit-il ? Face à une menace terroriste élevée, il est nécessaire, dans le cadre de l’État de droit, d’étendre la possibilité aux forces de l’ordre de porter leurs armes hors de l’exercice de leur fonction, en tout lieu, compte tenu de leur devoir premier d’assurer la protection des citoyens, des biens et des institutions, dans le respect de nos grands principes.
Je rappelle que les fonctionnaires actifs des services de la police nationale reçoivent en dotation une arme individuelle, qu’ils portent en service et qu’ils peuvent désormais porter hors service, suivant leur volonté. Son usage est assujetti aux règles de la légitime défense et aux dispositions législatives et réglementaires.
En revanche, le port de leur arme hors service est limité par certains exploitants d’établissements ouverts au public, alors même qu’il serait de nature à prévenir la commission d’attentats ou à en diminuer l’impact. Je propose donc, monsieur le ministre, d’amender votre texte, dont j’approuve toutes les autres dispositions, de façon à permettre aux fonctionnaires de police, sans l’accord exprès des propriétaires de ces établissements, de pouvoir conserver leur arme de service.
Lors de votre audition par la commission des lois, j’ai rappelé l’exemple tragique du Bataclan : le commissaire Arnaud Beldon, âgé de 38 ans et aujourd’hui paraplégique, a eu un comportement héroïque qui lui a valu d’être décoré de la Légion d’honneur. Il ne portait pas son arme de service sur lui – il ne le pouvait pas puisqu’une salle de concert est un lieu privé. Compte tenu du contexte actuel, je demanderai donc une modification de ces dispositions.
D’une manière plus générale, monsieur le ministre, vous vous êtes récemment félicité d’une « tendance globale à la baisse de la délinquance depuis le début du quinquennat ». Or vous avez aussitôt été démenti par les résultats publiés par l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales. Et quand bien même nous admettrions une lecture, sans doute erronée, des chiffres et statistiques – ils sont toujours sujets à controverse, il faut bien le reconnaître –, une simple comparaison avec d’autres pays européens démontre, hélas, votre incapacité à assurer une meilleure sécurité des Français. Selon les chiffres rendus publics par Eurostat – l’INSEE de l’Union européenne – dans une récente étude comparative pour 2014, la France a compté 114 000 vols avec armes et vols avec violence, l’Allemagne 45 000, le Royaume-Uni 52 000 et l’Italie 58 000. Nous faisons deux fois moins bien que nos grands voisins : nous avons donc une large marge de progression.
Enfin, comment ne pas évoquer le terrible bilan des attentats, avec 240 morts depuis 2015 ? La commission d’enquête que j’ai présidée, dont M. Sébastien Pietrasanta était le rapporteur, a formulé quarante propositions. Nous aurons d’ailleurs l’occasion de procéder à votre audition, monsieur le ministre – je vous remercie de l’avoir acceptée –, le 10 février à neuf heures dans le cadre du suivi de nos préconisations.
Si, incontestablement, des mesures importantes ont été prises – je pense notamment à l’équipement des forces intermédiaires et au nouveau schéma d’intervention des forces d’élite –, nous regrettons fortement qu’il n’y ait pas eu de prise en compte de la refonte des services de renseignement, avec la création suggérée d’une agence nationale de lutte contre le terrorisme.
Dans la réponse à notre questionnaire, vous avez été très clair : le poids des enjeux liés à la lutte antiterroriste ne permet pas d’envisager de supprimer ce qui fonctionne bien en la matière. Comment pouvez-vous invoquer le bon fonctionnement de nos services de renseignements quand les patrons de la DGSI – direction générale de sécurité intérieure – et de la DGSE – direction générale de la sécurité extérieure – eux-mêmes ont honnêtement dit, devant notre commission d’enquête, que les attentats étaient un échec de leurs services ? Ce sera, j’en suis convaincu, le prochain chantier – parmi tant d’autres – de la majorité qui sortira des urnes.
Mme la présidente. La parole est à M. Pouria Amirshahi.
M. Pouria Amirshahi. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ayant déjà eu l’occasion d’intervenir assez longuement un peu plus tôt, je tâcherai d’être bref et surtout plus opérationnel. J’aborderai donc les différents points sur lesquels j’aimerais que nous discutions et que j’approfondirai lors de la défense de mes amendements.
Pour ma part, j’aurais aimé que la dernière grande loi de cette législature soit consacrée à la défense des libertés, à la lutte contre les discriminations – je pense notamment aux contrôles au faciès – et à bien d’autres aspects, qui concernent tout autant la police que les citoyens.
J’aurais également préféré une autre loi, dans la mesure où celle-ci est fondée sur l’émotion. Vous-même, monsieur le ministre, avez évoqué un texte issu d’une colère. Comme beaucoup, je pense que la colère n’est pas bonne conseillère. Je regrette que nous ayons, à notre tour, cédé à cette dérive consistant à légiférer sous le coup de l’émotion.
Vous avez par ailleurs qualifié cette loi d’« utile pour la reconnaissance du travail des policiers ». Je veux bien, avec vous, reconnaître que ce travail, chaque jour, sur le terrain, est difficile et complexe, mais je ne crois pas que la loi ait pour objet de se substituer à la gestion des ressources humaines de la police nationale. Ce n’est pas l’objet d’une loi.
Cela étant, ce projet de loi existe : nous devons donc l’enrichir puisqu’il est désormais soumis à notre souveraine délibération. Sur certains de ses aspects, je m’évertuerai soit à proposer la suppression de certaines dispositions, soit à les enrichir par des amendements.
Premier point : l’usage étendu des armes à feu. Cet axe important, déjà évoqué, comporte des risques. Il est demandé aux policiers d’intervenir avec discernement dans des circonstances exceptionnelles – il s’agit de tirs –, en ayant rapidement des informations sur le profil du suspect, tant sur ses antécédents, qui prouveraient sa dangerosité, que sur ses intentions. Les contestations risquent d’être nombreuses, tout comme les contentieux. Cela peut faire craindre une multiplication des contentieux et une augmentation de l’insécurité juridique pour les policiers. Le Défenseur des droits en personne craint que ce projet de loi ne « complexifie le régime juridique de l’usage des armes, en donnant le sentiment d’une plus grande liberté des forces de l’ordre, au risque d’augmenter leur utilisation ».
Deuxième point : la légitime défense, que vous avez voulu aligner, dans son principe, sur le régime applicable aux gendarmes. Il eût été plus facile d’aligner le régime des gendarmes comme des policiers sur le droit commun, c’est-à-dire sur le code pénal et son article 122-5, qui permet déjà à toute personne menacée, qu’elle soit dépositaire de l’autorité publique ou non, de se défendre lorsque son intégrité physique et sa vie sont mises en danger.
Cette loi, qui se justifie, ainsi que vous l’avez vous-même reconnu, par les incidents graves qui se sont produits à Viry-Châtillon, a pour but de corriger un fait ; or ce fait n’a pas besoin de cette loi. Le directeur général de la police nationale lui-même explique que les dispositions actuelles relatives à la légitime défense étaient parfaitement applicables aux policiers menacés dans leur véhicule. Là encore, c’est un excès de législation : il vaudrait mieux, pour les raisons de contexte que j’ai évoquées tout à l’heure, apaiser les esprits et renforcer les dispositions de droit commun existantes, lesquelles seraient très utiles aux policiers lorsqu’ils ont besoin de se défendre.
Je le dis d’autant plus volontiers que la légitime défense est souvent invoquée et reconnue aux policiers en cas de dépôt de plainte : ils ont souvent raison d’un point de vue procédural, au terme de la plupart des contentieux, au grand dam parfois de certaines familles.
Troisième point : l’anonymat. Ce n’est pas, selon moi, une garantie de protection car rien ne peut empêcher, malheureusement, les filatures mal intentionnées de policiers sortant de leur lieu de travail destinées à les menacer.
Enfin, il y a une contradiction importante, monsieur le ministre, avec le souhait de recréer une police de proximité.
On ne peut d’un côté vouloir une police de proximité qui créé un lien avec les habitants et leur permet donc d’identifier les policiers présents dans un quartier ou un territoire et, de l’autre, mettre en place et systématiser l’anonymat qui, certes, peut être réservé à des circonstances exceptionnelles mais qui me semble inutile lorsque l’on cherche à pacifier les relations entre la police et les habitants d’un quartier ou d’un territoire.
C’est sur l’ensemble de ces questions, entre autres – je ne voulais pas être trop long – que je présenterai des amendements afin d’enrichir ce texte.
Je me permets de conclure par un point très rapide.
Le droit que nous écrivons suppose un soubassement philosophique. Comme nous discutons de la dernière loi sécuritaire de la législature, je vous invite à réfléchir sur un point. J’ai trop souvent entendu dire que la sécurité est la première des libertés. Or, mesdames et messieurs les parlementaires, je ne crois pas que cela soit le cas – et telle n’est pas ma philosophie quoi qu’il en soit. La liberté, c’est d’aller, de venir, de penser, de voter, de croire, de ne pas croire mais la sécurité n’est pas une liberté en soi : c’est la condition de toutes les libertés. Je rappelle qu’entre le camp du progrès et le camp de la réaction, la divergence est fondamentale depuis 1789 : la sécurité est-elle la première des libertés – pendant longtemps, ce fut la version de l’extrême droite et du Front national – ou, au contraire, est-ce la liberté qui permet la sécurité de chaque citoyen ? Chacun comprendra, chacun sait par expérience que ce n’est pas dans les régimes autoritaires que l’on est le plus libre et le plus en sécurité.
J’insiste vraiment : ayons à cœur, alors que nous commençons cette dernière délibération d’une loi portant sur la sécurité, de ne pas inverser dans la hiérarchie philosophique les principes fondamentaux qui fondent nos institutions. Je tenais à le dire en ces termes-là car ce dévoiement principiel a malheureusement suscité de nombreux dérapages.
Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Capdevielle.
Mme Colette Capdevielle. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chères et chers collègues, ce texte relatif à la sécurité publique ne constitue pas qu’une réaction aux légitimes revendications des policiers ou à des fait divers précis. Il répond à une revendication ancienne, récurrente et, surtout, à la nécessité de mettre en place un cadre juridique stable et cohérent concernant l’usage des armes par les policiers.
Nos policiers exercent leurs missions dans des conditions particulièrement difficiles. La réalité terroriste a modifié les conditions d’exercice d’un métier complexe et très éprouvant. Celles et ceux dont la mission est de nous protéger ont aussi le droit de demander à être eux-mêmes protégés. Depuis plus de deux ans, éloignés de leurs familles et de leurs lieux de vie, les policiers doivent être présents sur tous les fronts. Nous leur demandons beaucoup, donc, nous leur devons beaucoup.
Dès le début de cette législature, des efforts financiers importants ont été réalisés en matière de sécurité et nous avons sans cesse adapté notre législation pour mieux lutter contre le terrorisme tout en préservant chaque fois les libertés publiques et accorder de nouvelles garanties. Ce texte de clarification parachève toutes les mesures déjà prises.
D’une manière assez étonnante, nous constatons que le droit positif en vigueur encadre toujours différemment les statuts des policiers et des gendarmes et, ce, sans justification qui tienne. Jusqu’à ce jour, les policiers ne disposent pas d’un texte de référence précis en ce qui concerne l’usage des armes – c’est le droit commun de la légitime défense qui s’applique.
L’article 1er crée enfin un cadre commun clair et intelligible pour les différentes forces de sécurité – policiers, gendarmes, militaires et douaniers, qui ne peuvent faire usage de leur arme qu’en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée en application de la jurisprudence constante et jamais démentie de la cour européenne des droits de l’homme.
La semaine dernière, notre commission des lois a recadré le champ d’application : il ne faut pas que la menace soit seulement probable ni que la personne visée soit jugée intrinsèquement dangereuse ; il est impératif que le comportement de la personne, dans sa fuite, soit dangereux et rende absolument nécessaire l’usage de la force armée pour écarter ce danger.
La commission des lois a également supprimé les extensions du champ des dispositions aux policiers municipaux et je souhaite qu’il en soit de même en séance publique car cela me paraît conforme à notre droit et à la réalité des situations : la police municipale n’a pas les mêmes missions ni les mêmes prérogatives que la police nationale.
Une fois définitivement voté, ce texte nécessitera d’être bien expliqué à nos concitoyens mais aussi et surtout aux policiers, lesquels devront être formés. Ce renforcement de la formation, qui est très justement demandé par les policiers, est devenu indispensable car la formation est insuffisante et, en tout cas, inadaptée. Nous ne pourrons pas non plus faire l’économie des légitimes revendications de nos services de police, qu’il s’agisse de leurs pénibles conditions de travail ou de la vétusté des locaux et des matériels.
S’agissant des autres dispositions de ce texte visant à protéger des risques de menaces ou de représailles des agents dressant des actes de procédure en matière de police judiciaire et les signataires de décisions administratives fondées sur des motifs liés au terrorisme, la commission des lois a très justement encadré sur le plan juridique ces mesures très dérogatoires au droit commun. Je tiens à rappeler qu’il faut se montrer prudents quant à ce type de dispositif, lequel doit absolument rester exceptionnel et donc ne pas être généralisé.
Sur proposition de son président Dominique Raimbourg, notre commission des lois a aussi enrichi le texte initial de dispositions nouvelles nécessitées par des questions prioritaires de constitutionnalité ayant annulé certains textes.
Enfin, nous avons été nombreux à soutenir par nos amendements une nouvelle disposition qui n’est que la reprise d’une expérimentation jamais mise en place : la protection des femmes victimes de violence par un dispositif électronique de protection anti-rapprochement, lequel a montré sa réelle efficacité dans d’autres pays européens, particulièrement en Espagne, pays que je connais bien. Je vous assure qu’il fonctionne et que toutes les femmes qui l’ont utilisé ont été réellement protégées – elles n’ont été victimes d’aucun récidiviste. Ce dispositif protège donc effectivement la victime.
Je souhaite que nous puissions aboutir en la matière et que nous terminions cette mandature par ce texte nécessaire, courageux et équilibré. Je rappelle toutefois que cette loi n’est pas la dernière que nous examinons puisque nous attendons la discussion, dans quelques jours, d’une loi de liberté, voulue par de nombreuses victimes, qui réforme profondément la prescription pénale.
Nous parachevons donc un travail législatif très sérieux, très complexe et, surtout, très courageux : nous n’avons pas cédé aux sirènes, nous avons répondu en systématiquement et avec à-propos à toutes les situations tout en demeurant très respectueux des principes qui fondent le droit français. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Savary.
M. Gilles Savary. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce projet de loi relatif à la sécurité publique qui survient au terme de la discussion de nombreux projets – déjà évoqués – visant à mieux protéger nos concitoyens constitue une réponse à l’agression au cocktail Molotov de quatre policiers à Viry-Châtillon et à la légitime revendication des forces de police pour disposer de moyens juridiques de légitime défense identiques à ceux de la gendarmerie. L’agression du Louvre dont ont été victimes des militaires du dispositif « Sentinelle » vendredi dernier en souligne la nécessité et la légitimité.
Plus directement, d’après moi, il constitue aussi par son article 4 et désormais son article 9 bis issu d’un amendement adopté en commission une forme d’achèvement juridique de la loi du 22 mars 2016 relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs.
Cette loi, je vous le rappelle, visait à tirer les conséquences de l’attentat évité du Thalys, le 21 août 2015, en renforçant très sensiblement le dispositif de contrôle des passagers des transports terrestres urbains afin d’y prévenir, autant que possible, les actes terroristes.
J’ai toujours pris la précaution, à cette tribune comme à d’autres, de préciser qu’il s’agit de resserrer au maximum les mailles du filet sans pour autant prétendre instaurer une sûreté totale dans des modes de transport utilisés par des milliards de passagers/kilomètre, chaque année, et grâce auxquels nous sommes libres de circuler. Chaque jour, pour plus de dix millions de personnes, ils offrent un service de première nécessité.
À cet égard, je voudrais dissiper ici une contre-vérité tenace selon laquelle la loi que je viens d’évoquer attendrait encore ses décrets d’application. En réalité, seules deux de ses dispositions, d’une grande complexité, ne sont pas encore opérationnelles. Je le réaffirme ici : les agents de sûreté de la SNCF et de la RATP peuvent d’ores et déjà procéder à des palpations de sécurité, à des inspections visuelles de bagages, à l’issue desquelles ils peuvent interdire l’accès à un train, un métro, un bus, à ceux qui n’y consentent pas ; ils peuvent retenir une personne récalcitrante à un relevé d’identité pour en confier le contrôle ou la vérification à un officier de police judiciaire ; ils peuvent opérer des missions en civil et en arme dans les véhicules de transport ; ils peuvent déclencher leurs caméras-piétons lors de contrôle de personnes.
Les maires qui le souhaitent peuvent quant à eux confier à leurs polices municipales – sur une ligne ou l’ensemble d’un réseau de transport – la compétence de police des transports leur permettant d’opérer en province avec les mêmes prérogatives que la SUGE – surveillance générale – à la SNCF ou le GPSR, groupe de protection et de sécurisation des réseaux, à la RATP.
Enfin, les agents de police et les forces de gendarmerie disposent désormais de la prérogative de police des transports. Ils peuvent effectuer des vidéo-surveillances, des fouilles de bagages et de véhicules dans les emprises des entreprises de transports terrestres.
Toutes ces dispositions sont désormais pleinement applicables et se déploient au fur et à mesure de la formation des personnels. Au 31 décembre 2016, la seule SNCF avait réalisé 17 787 inspections visuelles de bagages, 6 524 fouilles, et opposé 5 241 interdictions d’accès aux trains.
Je l’ai évoqué : deux grandes dispositions de la loi doivent encore être mises en œuvre.
La première concerne la lutte contre la fraude et la plateforme d’interrogation en cours de mise en place par l’union des transports publics pour pouvoir « tracer » un fraudeur et remonter jusqu’à son compte en banque. La seconde nous intéresse ici, en particulier l’article 4 de la loi dont nous débattons aujourd’hui : elle consiste à s’assurer que des individus potentiellement terroristes occupant des fonctions sensibles et susceptibles d’être utilisés pour perpétrer des attentats de masse en soient éloignés afin de prévenir un risque important pour les usagers.
L’article 4, amendé par le Sénat et par notre commission des lois, introduit à cet effet un nouveau motif réel et sérieux de licenciement si le reclassement du salarié « potentiellement dangereux » est impossible, soit en raison du refus de ce dernier, soit en raison de l’incapacité de l’entreprise à lui proposer un nouveau poste. Cette procédure dite de « criblage », qui peut être déclenchée par l’autorité administrative à la demande ou non de l’employeur, propose un détour procédural par les juridictions administratives qui doivent se prononcer, en première instance comme en appel, sur la validité du motif de licenciement afin que l’entreprise puisse l’invoquer. C’est donc en quelque sorte l’État, au titre de ses prérogatives régaliennes de sécurité publique, qui prendra et assumera la responsabilité du licenciement – si licenciement il y a – l’entreprise devant impérativement le mettre en œuvre si elle ne trouve pas de solution de reclassement interne, comme l’a opportunément permis l’adoption en commission d’un amendement de notre collègue Goasdoué.
Ainsi, par le vote de cet article 4, la loi sera complétée d’un dispositif essentiel à la prévention des risques terroristes qui pourrait faire école dans d’autres secteurs d’activité si nécessaire.
Enfin, toujours dans le domaine des transports, nous avons introduit en commission après l’article 9 un amendement permettant aux agents de la SUGE comme à ceux du GPSR de poursuivre une action contre un contrevenant sur l’emprise de l’une ou l’autre entreprise – vous savez qu’aujourd’hui, les agents de sécurité sont limités à la domanialité de chacune d’entre elles. Cet amendement est extrêmement important en Île-de-France où, désormais, les polices de la RATP et de la SNCF pourront indistinctement prolonger leurs actions sur l’ensemble du réseau.
M. Philippe Goujon. Très bien !
M. Gilles Savary. Mes chers collègues, ces dispositions de l’article 4 et de l’article 9 achèveront de doter la France du dispositif juridique de sûreté des transports terrestres le plus abouti d’Europe. Comme je l’ai dit et me plais à le répéter, la mobilité, c’est la liberté, et le droit de se déplacer sera toujours plus vulnérable qu’un couvre-feu ; mais ce que nous mettons en œuvre ici, précisément, c’est un compromis entre la sauvegarde d’une liberté essentielle et le maximum de prévention des risques envisageables.
Monsieur le ministre, si je devais formuler un vœu, c’est que forte de ces dispositions en matière de transport, la France défende ces dernières auprès de la Commission européenne. Si les domaines maritime et aérien sont couverts – ce dernier depuis bien longtemps et de façon exemplaire – il en est un seul pour lequel la Commission européenne n’a pas ouvert le chapitre de la sûreté – en particulier – et de la sécurité : celui des transports terrestres, probablement parce qu’il est plus compliqué. Il y a là néanmoins quelque chose d’extrêmement pertinent à faire.
Je vous prie de m’excuser, madame la présidente, pour avoir été un peu long.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Goujon.
M. Philippe Goujon. Madame la présidente, monsieur le ministre, l’actualité tragique, avec l’attentat du Louvre, rappelle à quel point les forces de l’ordre, qui sont exposées et ciblées par les terroristes islamistes, méritent une protection juridique qui leur permette notamment d’user de leur arme pour se défendre, sans encourir le risque d’être sanctionnées.
Ce projet de loi, même s’il arrive bien tard – comme beaucoup d’autres –, et principalement en réaction au malaise policier qui continue à s’exprimer dans la rue, offre enfin aux forces de police et de gendarmerie un cadre d’usage des armes unifié, comme nous l’avions proposé sans succès depuis 2012, au travers de quatre propositions de loi, avec mes collègues Éric Ciotti et Guillaume Larrivé.
Mais, nous le savons tous, les terroristes, tout comme les délinquants qui veulent « casser du flic », qu’ils soient derrière un ordinateur pour livrer à des déséquilibrés une liste de « têtes à couper », qu’ils tendent des guets-apens à des voitures de police ou qu’ils recourent à la guérilla, comme l’avait dénoncé la commission d’enquête sur le maintien de l’ordre, ne font pas la différence entre un policier municipal, un policier national et un gendarme. À travers l’uniforme, ils attaquent l’autorité de l’État et la République elle-même.
M. Patrick Hetzel. Très juste !
M. Philippe Goujon. Vous l’avez dit vous-même, monsieur le ministre : porter un uniforme, c’est être une cible.
C’est pourquoi, après le meurtre de Clarissa Jean-Philippe et la tuerie de Nice, vous ne pouvez exclure du cadre protecteur de l’article 1er les polices municipales, qui concourent à la sécurité publique à risque égal avec les forces nationales, pas plus que, après l’attentat du Thalys et du métro de Bruxelles, vous ne pouvez refuser aux agents armés des services de sécurité des transports publics la possibilité de recourir aux armes pour interrompre un périple meurtrier – ce sera l’objet de l’un de mes amendements.
Victimes de violences croissantes, en hausse de 16 % entre 2011 et 2015 puis de 27,2 % entre 2015 et 2016, policiers et gendarmes recourent pourtant peu à la force armée, et seules cinquante-neuf procédures ont été engagées à leur encontre depuis 2010. Mais, mis en cause dans l’exercice de leurs missions, ils ne doivent pas se sentir abandonnés par leur hiérarchie, ni livrés à des traitements dégradants. C’est pourquoi je vous proposerai plusieurs amendements visant à mieux encadrer la procédure devant le défenseur des droits, à faire de l’audition – définie à l’article 61-1 du code de procédure pénale – la règle, et de la garde à vue, l’exception, et à leur donner accès, dans les deux cas, à l’assistance d’un conseil pris en charge par la protection fonctionnelle.
Si vous avez clarifié le cadre d’usage des armes du personnel pénitentiaire et reconnu à celui-ci de nouvelles prérogatives, comme le contrôle de l’emprise foncière des prisons, notion à laquelle le Sénat a ajouté les « abords immédiats », qui méritent d’être réintroduits en séance, vous devez aller plus loin dans la reconnaissance des nouvelles missions de sécurisation auxquels sont désormais astreints les personnels pénitentiaires, en leur attribuant de nouveaux pouvoirs – un amendement d’Éric Ciotti propose ainsi de conférer la qualité d’officier de police judiciaire – OPJ – aux directeurs de prison.
M. Patrick Hetzel. Très bien !
M. Philippe Goujon. Ainsi, pour faire face au fléau des projections illicites, vous devez leur permettre, sur le modèle des agents de sécurité des transports, de fouiller les véhicules suspects stationnés ou circulant dans ce périmètre. Vous devez également porter au niveau législatif l’interdiction des téléphones portables et terminaux de connexion internet, qui servent dans 20 % des cas, au moins, à des fins malveillantes, et dont on sait l’utilisation qu’en font les terroristes, comme en témoignent le drame d’Osny et les parcours de Mehdi Nemmouche ou de Salah Abdeslam. Que de temps perdu, cependant, alors que vous avez rejeté, voici un an, ma proposition de loi visant à reconnaître le renseignement pénitentiaire et à isoler électroniquement les détenus !
M. Patrick Hetzel. Eh oui !
M. Philippe Goujon. La protection de l’identité des policiers et gendarmes intervenant dans les procédures judiciaires est désormais indispensable, et la limiter via un quantum de peine, que vous avez réintroduit alors que le Sénat l’avait opportunément supprimé, comme le recommandent d’ailleurs la Direction générale de la gendarmerie nationale – DGGN – et la Direction générale de la police nationale – DGPN –, reviendrait à priver cette mesure d’effet. L’exemple espagnol, cité dans l’étude d’impact, prouve que l’identification par matricule de tout agent des forces de l’ordre en raison de cette seule qualité n’est pas contraire à la Constitution, ni susceptible d’être condamné par la Cour européenne des droits de l’homme.
Pour conclure, tout en attendant du nouveau cadre que nous créons pour les forces de l’ordre, qu’il les sécurise davantage dans l’exercice quotidien de leurs missions, et qu’il soit accompagné des formations nécessaires, je vous appelle à rétablir les améliorations introduites par le Sénat, car toute réforme inachevée reviendrait à abandonner les forces de l’ordre à leurs agresseurs, et vous n’aurez pas le temps, à présent que la législature s’achève, de reprendre nos propositions dans un nouveau texte – comme ce fut souvent le cas – pour pallier les insuffisances de celui que vous nous présentez aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
M. Patrick Hetzel. Excellent !
Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Pietrasanta.
M. Sébastien Pietrasanta. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, permettez-moi de vous dire toute mon émotion et ma fierté de monter une dernière fois à la tribune de l’Assemblée nationale.
Durant ces cinq années, j’ai défendu comme député, et comme rapporteur, de nombreux textes renforçant la sécurité de nos concitoyens. Ce quinquennat a été marqué par les nombreuses attaques terroristes qui ont particulièrement touché notre pays, la France, encore récemment à proximité du Louvre. Je souhaite adresser tous mes vœux de rétablissement au militaire de l’opération Sentinelle blessé vendredi dernier.
J’ai d’abord une pensée, ce soir, pour toutes les victimes, leurs familles et leurs proches. Ma seconde pensée va évidemment en direction des policiers, des gendarmes, des douaniers, des services de renseignement, des secours, de toutes celles et tous ceux qui œuvrent au quotidien pour protéger notre patrie. Ils savent qu’ils ont la reconnaissance de toute la représentation nationale. Ils font un travail indispensable pour la cohésion de notre pays.
Je sais que nos services de renseignement sont meurtris, lorsqu’un attentat n’a pu être déjoué. Je sais que nos policiers et nos gendarmes sont également meurtris, quand la violence anti-flic se développe et se manifeste sur notre territoire. Ce travail si difficile, si stressant et si indispensable, nous le mesurons pleinement. À l’Assemblée nationale, nous avons accompagné l’effort sans précédent du Gouvernement, en légiférant pour renforcer l’action de nos forces de l’ordre.
Mais nous avons aussi l’exigence d’avoir une police et une gendarmerie exemplaires. Si difficile que soit leur tâche, rien ne justifie que celles et ceux qui doivent faire respecter l’ordre à nos concitoyens ne respectent pas eux-mêmes la loi et la déontologie. C’est particulièrement vrai dans nos banlieues.
Mes chers collègues, depuis cinq ans, la gauche a légiféré, renforcé les effectifs de la police, de la gendarmerie et de nos services de renseignement. Nous avons réorganisé nos services. Nous avons réarmé les forces de l’ordre. Nous avons débloqué des moyens supplémentaires en protection et en véhicules. Jamais nous n’avions fait autant pour nos forces de sécurité intérieure. Parce qu’il fallait réparer ce qui avait été cassé par le passé, avec la diminution des effectifs, avec l’affaiblissement de nos services de renseignement, que l’on avait désorganisés, mais aussi, parce que la période que nous avons connue a été, reconnaissons-le, sans précédent.
Qui, aujourd’hui, peut faire le procès en laxisme de la gauche, en général, et du gouvernement, en particulier ? Personne, sauf peut-être les démagogues, les « sans-vergogne », les petits politiciens n’ayant aucun sens de l’État. Car le sens de l’État, nous, nous l’avons eu. Lorsque nous avons légiféré, nous l’avons fait avec sérieux, détermination et respect.
Sérieux, en refusant de tomber dans la facilité qui consiste à flatter constamment une opinion publique qui en demande toujours plus. Nous avons voulu légiférer en étant utiles et concrets. Détermination, parce qu’il a fallu s’adapter à la nouvelle menace et aux modes opératoires qui s’adaptent de plus en plus vite. Notre main n’a jamais tremblé, lorsqu’il a fallu combattre les terroristes et le crime organisé. Respect, aussi, car notre Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme ne sont ni des gros mots, ni des arguties juridiques. Nous les avons respectés, et nous avons toujours refusé de franchir la ligne jaune.
J’ai été fier d’appartenir à une majorité qui a permis d’éviter que notre pays ne bascule dans l’arbitraire. Il n’y a qu’à voir certains amendements ou propositions de loi déposés depuis cinq ans pour comprendre tout l’enjeu de l’élection présidentielle à venir !
Mes chers collègues, le texte sur la sécurité publique présenté par le ministre de l’intérieur, que je salue dans ses nouvelles fonctions, s’inscrit dans ce triptyque : sérieux, détermination et respect. Il permet de mieux protéger nos policiers et poursuit l’adaptation nécessaire de notre arsenal judiciaire. Ce texte devra encore être amélioré : c’est le sens de plusieurs amendements que je défendrai. Je suis convaincu, par exemple, que face à cette menace terroriste, nous devons accompagner la montée en puissance des sociétés privées, en leur donnant davantage de prérogatives, tout en renforçant leur formation et leur contrôle.
Certains trouvent que ce texte renie nos libertés fondamentales – ils se sont exprimés. J’ai entendu ce genre de critique à chaque fois que nous avons eu à légiférer en matière de sécurité et de terrorisme. Je me souviens que, en 2014, lors de l’examen de la loi sur le terrorisme, j’avais été accusé de vouloir bloquer internet en France, en légiférant sur le blocage administratif des sites faisant l’apologie du djihad. Il n’en fut évidemment rien. Il en va de même de ce texte : il ne renie aucune liberté fondamentale. Certains trouveront au contraire que ce texte ne va pas assez loin, ou qu’il intervient trop tard. Ceux qui jugent qu’il arrive trop tard sont les mêmes, qui ont soutenu la motion de renvoi en commission, qui aurait pu nous faire perdre un temps précieux. En réalité, ce texte est équilibré, et cet équilibre devra être préservé en séance.
Mes chers collègues, je le répète une dernière fois, du haut de cette tribune de l’Assemblée nationale : nous devons tous être à la hauteur de l’enjeu. Victor Hugo disait, en 1870 : « Étouffez toutes les haines, éloignez tous les ressentiments, soyez unis, vous serez invincibles. Serrons-nous tous autour de la république en face de l’invasion, et soyons frères. Nous vaincrons. C’est par la fraternité qu’on sauve la liberté. » Ce seront aussi mes derniers mots. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Blazy.
M. Jean-Pierre Blazy. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons est souhaité de manière consensuelle par les policiers. Il doit permettre de clarifier l’usage des armes, particulièrement des armes létales. Pour l’essentiel, je suis d’accord avec les dispositions qu’il contient. Mon intervention portera sur les questions que pose son application. La fixation d’un cadre commun d’usage des armes ne saurait en effet se faire sans une transformation profonde de la formation dispensée aux forces de sécurité. C’est l’une des recommandations du rapport de Mme Hélène Cazaux-Charles, et une exigence de la Cour européenne des droits de l’homme, en application des dispositions des articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, sans cesse confirmée par la jurisprudence de cette dernière.
Le Gouvernement, monsieur le ministre, doit donc s’interroger rapidement sur les modalités de modification des modules de formation initiale, en adéquation avec le nouveau cadre du régime unique qui va être créé. Il convient également de repenser la formation continue, dans le cadre de laquelle des milliers de fonctionnaires, déjà en poste, devront réapprendre les règles qui entourent les possibilités de défense face aux agressions. De même, l’entraînement au tir, qui est aujourd’hui trop peu fréquent, devra être intensifié pour permettre aux policiers et aux gendarmes de maintenir un niveau de préparation optimal tout au long de leur carrière. Nous devons également nous saisir de l’occasion offerte par ce projet de loi pour mettre en place une formation juridique à destination des forces de l’ordre, en concertation avec les magistrats.
La réussite de la mise en œuvre de ce projet de loi est conditionnée par l’introduction de modules de mise en situation dans la formation commune entre policiers et gendarmes. C’est le sens de la recommandation no 8 du rapport de Mme Cazaux-Charles, qui propose de confier à l’Inspection générale de la police nationale – IGPN – et à l’Inspection générale de la gendarmerie nationale – IGGN – un audit destiné à évaluer la formation des policiers et gendarmes en matière d’usage des armes, ou encore de mettre en place une doctrine de formation cohérente commune aux deux corps principaux.
En tant que représentant de cette assemblée auprès de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice – INHESJ –, je crois également que cet institut devrait se voir confier la conduite d’une étude qualitative des violences dont sont victimes les forces de sécurité, pour que l’évolution législative se fonde sur des analyses précises de la situation sur le terrain – c’est la recommandation no 15 du rapport que j’ai déjà cité.
Mieux protéger les forces de l’ordre, ce n’est donc pas uniquement poursuivre les évolutions législatives. C’est aussi réfléchir à l’exercice professionnel des forces de sécurité dans leur globalité.
La généralisation ou non des caméras-piétons est également une des conditions de la réussite de la mise en œuvre du texte que nous examinons, car celles-ci peuvent être un élément de preuve supplémentaire et, en même temps, un outil d’apaisement dans les relations entre la police et la population. Les forces de police peuvent, aux termes de la loi du 3 juin 2016, en être équipées, mais ce n’est pas obligatoire. Les forces de l’ordre et les syndicats, qui étaient initialement réticents à leur utilisation, les voient désormais comme un dispositif efficace. Il faut pourtant aller plus loin que la simple autorisation prévue par la loi du 3 juin 2016 pour répondre au besoin de protection juridique qu’elles constituent pour les fonctionnaires comme pour les personnes interpellées. L’actualité aurait pu être différente si les policiers d’Aulnay-sous-Bois avaient été équipés de ce dispositif.
Je suggère que le port des caméras-piétons devienne immédiatement obligatoire dans les zones de sécurité prioritaire et dans les quartiers sensibles. J’avais déjà formulé, monsieur le ministre, cette recommandation dans un rapport d’information sur la lutte contre l’insécurité sur tout le territoire, déposé en 2014. De même, nous devons répondre aux questions suivantes : dans quelles circonstances l’enregistrement de la caméra doit-il débuter ? Dès le début du service, avant une intervention ? Surtout, qui a autorité sur la mise en marche de la caméra ? L’agent lui-même ? La hiérarchie ? Nous devons rapidement apporter des réponses à ces questions, comme nous avons commencé à le faire dans la loi « égalité et citoyenneté ». Monsieur le ministre, peut-être pourrez-vous établir un état des lieux de l’expérimentation des caméras-piétons, dont la généralisation pourrait s’avérer une absolue nécessité dans le cadre du présent projet de loi.
En 2012, nous avons créé les zones de sécurité prioritaire, pour lutter contre la délinquance sur les territoires où elle était particulièrement forte. Depuis deux ans, le large consensus sur la nécessaire lutte contre le terrorisme a pu laisser croire, tant aux forces de l’ordre qu’à une partie de nos concitoyens, que la sécurité du quotidien n’était plus la priorité. Je regrette qu’on ne soit pas parvenu à faire des ZSP les laboratoires qu’elles auraient pu être. Je regrette qu’on n’ait pas démocratisé la production de sécurité. Enfin, je regrette que les rapports de la police avec les Français ne se soient pas améliorés. Il existe pourtant des solutions. De nombreux rapports remis au Gouvernement, mais aussi, plus récemment, l’étude publiée en novembre 2016 par Terra nova, formulent des recommandations pertinentes et applicables.
Le texte que nous allons examiner est nécessaire, mais il ne sera pas suffisant pour répondre tant au malaise des forces de l’ordre qu’à la demande de protection au quotidien des Français. Il faut adopter une approche plus généraliste du métier de policier, fondée sur un recentrage des fonctionnaires sur le cœur de métier, et dont le lien avec la population sera une condition essentielle d’une production partenariale de sécurité avec les collectivités locales, dans une approche territoriale indispensable. À défaut d’un consensus républicain sur le plan politique, il y aurait là, j’en suis sûr, la possibilité de trouver un consensus républicain tant avec les citoyens qu’avec les forces de sécurité.
Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Viala.
M. Arnaud Viala. Madame la présidente, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’actualité fournit malheureusement un contexte particulièrement approprié à l’examen de ce texte par notre assemblée. La semaine dernière, en effet, la menace terroriste maximale sous laquelle nous vivons depuis de longs mois se rappelait une nouvelle fois à nous et à nos forces de l’ordre et de sécurité, placées sous tension extrême depuis près de deux ans. Sans verser dans la polémique, je tiens aussi à dire ici que les événements d’Aulnay-sous-Bois, sur lesquels je ne ferai aucun commentaire de fond car la justice investigue, soulignent, si besoin en est, la difficulté extrême de l’exercice de leurs fonctions par nos forces de l’ordre.
Avec mes collègues, nous n’avons eu de cesse, depuis des mois, de plaider pour le renforcement des mesures de sécurité et de l’autorité de celles et ceux qui l’incarnent. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)
Nous avons voté tous les textes s’inscrivant dans cette logique, en regrettant souvent, d’ailleurs, qu’ils n’aillent pas plus loin, tant les menaces, l’atmosphère qui règne dans notre pays, mais aussi les terribles accrocs qui ont émaillé les derniers mois nous paraissent justifier la plus grande fermeté.
M. Patrick Hetzel. Tout à fait !
M. Arnaud Viala. La question qui se pose à nous, à travers ce texte, est triple. Il s’agit d’abord d’harmoniser les règles régissant les différents corps de forces de l’ordre, afin d’homogénéiser les réponses apportées aux actes de malveillance et de sécuriser juridiquement les interventions. Il s’agit également de protéger les représentants de l’autorité publique, tant dans l’exercice de leurs fonctions que dans leur vie privée et celle de leurs proches. Enfin, il convient de renforcer les moyens dédiés à la mise en sécurité des personnes et des biens dans notre pays. (« Excellent ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)
En tant qu’élu de la nation, mais aussi d’une circonscription rurale que l’on pourrait– à tort – penser à l’abri de certains fléaux actuels, je suis très attentif aux conditions d’exercice de nos policiers et gendarmes, que je rencontre régulièrement et avec lesquels nous pouvons parler de l’augmentation des faits de délinquance, y compris en milieu rural. J’ai récemment visité l’établissement pénitentiaire de Rodez. Je voterai ce texte sans réserve, mais soutiens des amendements visant à l’enrichir encore. La police municipale doit pouvoir disposer de prérogatives, notamment en matière d’usage des armes, plus proches de ceux des autres corps. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)
Il convient également de durcir l’arsenal judiciaire qui permet de sanctionner ceux qui s’en prennent aux personnes dépositaires de l’autorité et à leurs proches. Enfin, l’allégement de certaines procédures doit rendre l’exercice professionnel de nos militaires et de nos policiers plus conforme à la réalité du terrain et à l’exigence de résultat.
Notre pays traverse une crise sécuritaire sans précédent pendant les décennies récentes. Ce texte est aussi l’occasion, pour nous, de dire à chacun de nos concitoyens que la sécurité de notre pays, notre sécurité individuelle et collective, est l’affaire de tous. À son niveau, chaque Français a un rôle à jouer pour la garantir, en contribuant à l’effort de vigilance qui s’impose à nous, en acceptant les contraintes que fait peser sur notre vie quotidienne le niveau de contrôle actuel, et en témoignant respect et coopération aux forces de l’ordre lors des opérations banales de contrôle. Ne laissons jamais s’installer l’idée que les représentants de l’autorité incarnent autre chose que les valeurs sur lesquelles reposent notre vie collective et notre société. Plus largement, les Français doivent avoir conscience que tout refus d’obtempérer, tout affront, toute remise en cause de cette autorité, même en apparence bénigne, porte en elle les germes d’une insécurité que chacun décrie.
Ce message me paraît aussi fondamental dans l’éducation de nos enfants, auxquels nous devons rappeler tous les jours que des femmes et des hommes travaillent chaque jour, au péril de leur vie, pour garantir notre sécurité. Les images insuffisamment commentées de scènes de répression en tous genres et l’apologie de la violence sous toutes ses formes rendent souvent cette vérité inaudible.
J’en reviens aux forces de l’ordre et de sécurité, qui expriment des besoins sur le plan non seulement matériel, mais aussi humain. Il y a quelques semaines, j’ai interrogé dans l’hémicycle M. le ministre de l’intérieur et M. le garde des Sceaux sur les raisons et, surtout, sur les conséquences de la mise en application récente d’une directive européenne alourdissant considérablement le déroulement des procédures judiciaires consécutives à l’interpellation. Je n’ai toujours pas de réponse de M. Urvoas, mais me permets d’insister ici – je ne savais pas que vous seriez présent, monsieur le ministre : pour que nos forces de l’ordre puissent garder confiance dans ce qu’elles font au quotidien, elles ont besoin, au-delà des moyens matériels et répressifs, que le législateur soit attentif aux outils juridiques qui leur sont confiés, afin de conduire leurs procédures à leur terme. Sans remettre en cause le principe de la présomption d’innocence, ne laissons pas s’installer le sentiment que les victimes ont toutes les chances de passer à travers les mailles du filet. Si tel est le cas, le désespoir s’emparera vraiment de nos agents de la force publique, et garantir notre sécurité deviendra vraiment un pari perdu d’avance.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Elkouby.
M. Éric Elkouby. Madame la présidente, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, le projet de loi relatif à la sécurité publique qui nous est soumis aujourd’hui, et qui a été adopté par le Sénat le 24 janvier dernier, renforce l’arsenal juridique en matière de protection de nos concitoyens. En effet, face à la menace terroriste, toujours présente, aux violences et à la délinquance, la première mission de l’État est de les protéger efficacement. C’est ainsi que toutes les dispositions que nous avons prises depuis 2012 visent à améliorer la législation permettant d’assurer aux Français une sécurité réelle, dans un contexte qui reste alarmant, comme le démontre malheureusement encore l’exemple récent du Carrousel du Louvre.
Parallèlement à l’état d’urgence, qui doit rester limité dans le temps, l’ensemble des réformes dans ce domaine est réalisé pour renforcer la lutte contre le terrorisme, ce mal qui ronge notre société. Notre texte a pour but d’organiser la légitime défense des policiers. Ainsi, à l’instar des gendarmes, ils pourront désormais faire usage de leur arme à feu lorsqu’ils seront personnellement agressés ou réellement menacés par une personne armée. Cette revendication des policiers a refait surface après les événements d’octobre 2016 dans l’Essonne et répond à des agressions de plus en plus violentes. Même si cette nouvelle mesure semble en inquiéter certains, le temps de l’angélisme doit céder le pas à celui de la réaction proportionnée, mais exigeante, pour répondre à l’impératif de lutte permanente contre l’insécurité en milieux urbain ou rural. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)
Il est néanmoins essentiel, pour éviter toute dérive, d’encadrer cette mesure, afin qu’elle soit appliquée dans le respect absolu des droits de l’Homme et conformément à la jurisprudence de la CEDH, dont le siège est à Strasbourg. Vous nous avez rassurés à ce sujet, monsieur le ministre de l’intérieur, mais il semble important de le présenter comme une nécessité impérative du texte.
Certes, pour cela, il y a lieu de s’interroger, au-delà du présent dispositif, sur les conséquences de la suppression de la police de proximité, qui remplissait des missions de prévention, d’écoute et de répression. Nos quartiers ont besoin d’une police plus proche des citoyens pour anticiper certaines réactions, notamment en lui donnant des moyens supplémentaires. On peut regretter la fermeture des bureaux d’îlotiers ou le manque de volonté dans l’ouverture d’antennes de police dans les quartiers sensibles.
À titre d’exemple, dans le faubourg de Koenigshoffen, à Strasbourg, au sein de ma circonscription, il n’y a qu’un seul bureau de police pour couvrir tout l’ouest de Strasbourg, à savoir Hautepierre, l’Elsau, la Montagne-Verte, Koenigshoffen, le Hohberg, les Poteries et Cronenbourg. C’est bien trop peu ! C’est pourquoi un quartier comme l’Elsau – 6 500 habitants –, qui accueille la maison d’arrêt de Strasbourg et qui concentre de nombreuses difficultés, mériterait l’ouverture réclamée et attendue d’une antenne de police nationale ou la réouverture de son bureau d’îlotiers, fermé par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur.
Toujours à Strasbourg, dans le secteur de l’Orangerie, où l’accueil des personnalités étrangères des institutions européennes mobilise les forces de l’ordre – et je me réjouis, bien entendu, de ce statut de capitale européenne –, il faudrait peut-être également renforcer leur rôle de prévention, indissociable de leur mission de service public. Nous devons unanimement rendre hommage à notre police. C’était le but de mon passage et de mon message au commissariat central de Strasbourg, en juillet dernier, après les attentats de Nice, où j’ai voulu témoigner une nouvelle fois mon soutien aux forces de l’ordre.
Chers collègues, la lutte contre le terrorisme, les incivilités et les atteintes aux biens et aux personnes est notre exigence. La police, guidée par notre triptyque républicain, sait et doit répondre au souhait des Français de vivre en paix. C’est dans cet esprit que je souhaite rappeler la devise présente sur l’un des bâtiments emblématiques de Strasbourg : « Plus fort que le glaive est mon esprit ». Cette devise sonne comme un hommage à l’Homme, un message de confiance en l’Homme et d’espérance en sa capacité d’agir.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Laurent.
M. Jean-Luc Laurent. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, j’aurais aimé comme beaucoup d’entre vous que nous légiférions sur ce projet de loi dans la sérénité. Chacun aimerait que les conditions d’un débat serein soit réunies, mais, nous le savons bien, elles ne le sont pas toujours. Ce projet de loi est né après les manifestations policières de l’automne, qui nous ont tous interpellés, et après l’agression dont ont été victimes les forces de l’ordre à Viry-Châtillon. Malheureusement, nous légiférons aussi quelques jours après deux événements de nature très différente : l’agression terroriste au Louvre et la mise en examen de policiers à Aulnay-sous-Bois.
La tâche de la police, nous le savons tous, est immense. Je veux à mon tour saluer l’ensemble des forces de sécurité intérieure, qui ont été extrêmement sollicitées depuis 2015, directement visées à Viry-Châtillon et moralement atteintes par les faits graves qui sont reprochés à quatre policiers à Aulnay-sous-Bois.
Je me félicitais que nous puissions enfin parler de sécurité publique dans cette législature, après que le terrorisme eut accaparé l’agenda législatif. Je forme le vœu qu’au cours de ces débats nous ne mélangions pas tout et que nous parlions le moins possible de terrorisme pour parler surtout de sécurité publique.
Nous avons en effet légiféré cinq fois, à juste titre, pour renforcer les moyens des forces de sécurité et de la justice en vue d’assurer la sécurité des citoyens et la protection de la France face au terrorisme. Nous avons trop peu parlé de sécurité publique. Nous l’avons laissée en jachère. La mobilisation antisyndicale de l’année dernière doit nous alerter sur l’état du problème, au-delà du recrutement, qui a été effectué et dont nous devons nous féliciter, de 9 000 policiers. Mais disons-le clairement, le Gouvernement et le législateur se sont beaucoup préoccupés de haute police : je ne dirais pas que la police du quotidien a été oubliée, mais elle est passée au second plan, parfois même au troisième, après les questions du maintien de l’ordre posées par les mouvements politiques et sociaux qui ont également marqué le quinquennat.
Nous sommes dans l’impasse, faute, monsieur le ministre, d’avoir dressé un véritable bilan des années Sarkozy au sens large, c’est-à-dire de 2002 à 2012, notamment d’un quinquennat de mainmise politique sur une institution dont la seule victime n’a pas été les Renseignements généraux puisqu’elle a vu également la suppression de 13 000 postes au titre de la révision générale des politiques publiques. Cette décennie Sarkozy nous a légué une police d’intervention dont les fonctionnaires ne manquent pas de mérite pour agir mais qui se trouvent collectivement dans une impasse, dont on ne sortira pas par la surenchère. Non, on n’en sortira pas par la surenchère.
À l’évidence, avec ce projet de loi, nous ne conduirons pas une grande réforme à trois semaines de la suspension de nos travaux parlementaires. Toutefois, ce texte va dans le bon sens en créant le régime unique d’utilisation des armes ou l’anonymisation de certaines procédures. C’est pourquoi je ne peux que regretter le rejet de mon amendement de nature budgétaire visant à renforcer la formation au tir des policiers. Les règles extrêmement strictes qui doivent s’imposer à eux ne prendront, mes chers collègues, tout leur sens qu’avec un entraînement technique et psychologique qui est aujourd’hui trop limité.
Je note avec satisfaction la présence dans le projet de loi de dispositions d’origine gouvernementale ou parlementaire concernant la sécurité privée. La demande de sécurité est importante et il est évident qu’à côté d’un service public de sécurité fort il y a de la place pour des acteurs privés, sur des missions spécifiques prévues par la loi.
La plupart des programmes électoraux de la gauche, et même du centre, visent la création d’une police de proximité sans qu’on sache toujours de quoi il retourne ni qu’on connaisse les voies pour y parvenir. Je me félicite toutefois de cet état d’esprit.
Je défendrai une idée très concrète, dont la représentation nationale a déjà débattu l’année dernière dans l’examen du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, sans parvenir à une solution satisfaisante : le récépissé de contrôle d’identité. Instituer un récépissé destiné non pas seulement à lutter contre les discriminations et les dérives, mais également à refonder le travail policier, c’est faire le choix d’un véritable service public de la sécurité.
Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Trigance, dernier orateur inscrit.
M. Yannick Trigance. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, il me revient d’intervenir le dernier dans la discussion générale. Le groupe socialiste, écologiste et républicain soutiendra ce texte pour les raisons qu’ont déjà développées le ministre de l’intérieur, le rapporteur et le président de la commission, ainsi que plusieurs collègues ici présents, avec leurs nuances et dans leur diversité.
Nous en sommes persuadés, la sécurité en France doit pouvoir s’appuyer sur un dispositif législatif cohérent et performant. À cette fin, nous ne devons pas hésiter, comme cela nous l’est proposé, à le compléter par un nouveau texte. Ce n’est pas la première fois que notre assemblée débat de textes visant à renforcer et à améliorer les moyens de l’État dans sa lutte contre la délinquance sous toutes ses formes et nous avons entendu les interrogations relatives à la multiplication des textes liés à la problématique de la sécurité.
Au lieu de nous en inquiéter, nous devons nous en réjouir, tout d’abord parce que la cohésion et le consensus ont présidé à cette œuvre législative : cela est trop peu fréquent pour que nous ne le soulignions pas avec force. Nous devons nous en réjouir également parce que l’histoire ne pourra pas nous reprocher d’avoir bâti un dispositif législatif à la va-vite, dans l’urgence des menaces et des atteintes à notre sécurité : nous prenons au contraire le temps d’en discuter et d’avancer par étapes. Nous devons nous en réjouir enfin parce qu’à aucun moment, comme l’a rappelé Pascal Popelin, les principes posés par notre Constitution et notre État de droit n’ont été, de quelque manière que ce soit, égratignés par ces textes. Débat, respect des textes fondamentaux, consensus : nul doute que ce nouveau texte s’inscrive dans la lignée positive des précédents.
Alors, mes chers collègues, en quoi répond-il aux besoins légitimes de sécurité dans notre pays ? Tout d’abord, ce projet du Gouvernement entend réformer l’usage des armes par les forces de l’ordre. Il s’agit de définir un usage commun des armes aux deux forces de l’ordre, la police et la gendarmerie, en alignant la première sur la seconde. C’est une revendication ancienne émanant de ceux qui assurent notre protection au quotidien, auxquels nous rendons hommage et qui estiment avec légitimité pouvoir l’assurer plus efficacement avec la création de ce cadre unique et clair.
En outre, ce texte entend protéger des risques de menaces ou de représailles les agents de la sécurité mobilisés sur des affaires liées au terrorisme. Ces agents le méritent et nous veillerons évidemment à préserver les principes juridiques, comme le droit de la défense et le principe contradictoire.
Ce projet de loi prévoit également les cas d’incompatibilité entre une enquête administrative sur un salarié et le maintien de celui-ci dans une entreprise de transport public : sujet délicat dans sa définition, mais indispensable à traiter au regard de la menace terroriste sur ce secteur.
Enfin, ce texte prévoit les conditions d’armement des sécurités privées, non pas pour développer l’armement individuel de cette activité, mais pour mettre un terme au flou actuel.
Nous le voyons bien, ce texte s’engage à trouver les équilibres nécessaires, d’un côté, à la liberté individuelle et, de l’autre, aux moyens à déployer face à l’ampleur de la menace. Pour résumer, en ce qu’il répond aux inquiétudes des Français, il renforce la construction d’un dispositif législatif adapté aux nouvelles menaces tout en complétant les efforts budgétaires réalisés, d’où son caractère éminemment important.
Alors que la France traverse une période de menace terroriste élevée, comme l’a encore récemment montré l’attaque d’un militaire vendredi dernier au Louvre, ce projet de loi est un signal positif envoyé à nos concitoyens : il permet de renforcer la sécurité publique en s’inscrivant dans cette volonté du Gouvernement de disposer d’un arsenal législatif complet, aussi adapté au contexte évolutif qu’équilibré.
Monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, pour toutes ces raisons, je le répète, notre groupe votera ce texte avec détermination et conviction. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Roux, ministre. Madame la présidente, je tiens seulement à remercier tous les orateurs et à leur dire que, compte tenu des sujets qui ont été abordés et afin de ne pas allonger la discussion, je m’exprimerai au cours de l’examen des articles. Cela me permettra non seulement de bénéficier de leur présence ce soir en répondant à leurs questions mais également d’être plus précis que je ne pourrais l’être à cette heure-ci dans la réponse que je leur ferais.
Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
Mme la présidente. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif à la sécurité publique.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures dix.)
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly