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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2016-2017

Compte rendu
intégral

Séance du mercredi 08 février 2017

SOMMAIRE

Présidence de M. Claude Bartolone

1. Hommage à un agent de l’Assemblée nationale

2. Questions au Gouvernement

Déficit commercial

M. Guillaume Chevrollier

M. Matthias Fekl, secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger

Sécheresse à Mayotte

M. Ibrahim Aboubacar

Mme Ericka Bareigts, ministre des outre-mer

Situation d’EDF

M. Patrice Carvalho

M. Christophe Sirugue, secrétaire d’État chargé de l’industrie

Avenir de la zone euro

M. Joël Giraud

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre

Rapport annuel de la Cour des comptes

M. Bernard Perrut

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre

« Ubérisation » du transport marchand

M. Éric Alauzet

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget et des comptes publics

Bilan du quinquennat

M. Alain Suguenot

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre

Lutte contre le décrochage scolaire

M. Philippe Kemel

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche

Évolution du rôle des polices municipales

M. Jean-Christophe Lagarde

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre

État du parc d’hélicoptères militaires

M. Philippe Vitel

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense

Protection sociale complémentaire des fonctionnaires

M. Charles de Courson

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé

Dotations de l’État aux collectivités territoriales

M. Laurent Furst

Mme Estelle Grelier, secrétaire d’État chargée des collectivités territoriales

Produits issus de l’agriculture biologique dans la restauration collective

Mme Brigitte Allain

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Réseaux numériques en milieu rural

Mme Brigitte Bourguignon

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du numérique et de l’innovation

Crise de l’agriculture

M. Gérard Menuel

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Entreprise NLMK

Mme Marie-Françoise Bechtel

M. Christophe Sirugue, secrétaire d’État chargé de l’industrie

Suspension et reprise de la séance

3. Dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes

M. le président

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mme Valérie Rabault, rapporteure générale de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Suspension et reprise de la séance

Présidence de M. Marc Le Fur

4. Sécurité publique

Discussion des articles (suite)

Article 6 bis (précédemment réservé)

Amendement no 91

M. Yves Goasdoué, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Article 6 ter (précédemment réservé)

Après l’article 6 ter (amendements précédemment réservés)

Amendement no 113 rectifié

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice

Amendements nos 56 rectifié, 14 rectifié, 57 rectifié, 52 rectifié, 58 rectifié

Article 6 sexies A (précédemment réservé)

Amendement no 95

Article 6 sexies B (précédemment réservé)

Amendements nos 79 , 92

Article 6 sexies C (précédemment réservé)

Amendements nos 93 , 94

Article 8 (précédemment réservé)

Amendements nos 59 , 67

Après l’article 8 (amendement précédemment réservé)

Amendement no 16

Article 8 bis (précédemment réservé)

Amendements nos 101 , 100

Article 9 (précédemment réservé)

Amendement no 131

Après l’article 9 (amendement précédemment réservé)

Amendement no 41

Article 9 bis A (précédemment réservé)

Article 9 bis B (précédemment réservé)

Amendement no 104

Article 9 bis (précédemment réservé)

Amendements nos 77 , 74 rectifié

Après l’article 9 bis (amendements précédemment réservés)

Amendements nos 78 , 62 rectifié , 120 rectifié , 119 rectifié

Article 10 ter (précédemment réservé)

M. Sébastien Pietrasanta

Amendements nos 105, 106, 107

Vote sur l’ensemble

5. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Hommage à un agent de l’Assemblée nationale

M. le président. Vendredi dernier, un agent de notre assemblée, Jean-Michel Gaudin, chef de rang à la buvette parlementaire, a été sauvagement attaqué dans le quartier de la Bastille, alors qu’il portait secours, avec un très grand courage, à deux personnes âgées agressées par quatre individus. Il a été roué de coups avec une brutalité effrayante. Très grièvement blessé, il demeure aujourd’hui dans un état critique. Son pronostic vital est engagé. Chacun de nous ici le connaît et l’apprécie pour sa gentillesse, sa disponibilité et son engagement au service de l’Assemblée nationale. En notre nom à tous, je voudrais dire à Joëlle, son épouse, à Marine et Maëlle, ses filles, à toute sa famille et à ses collègues notre émotion, notre révolte face à une telle sauvagerie et notre soutien dans cette terrible épreuve. Je suis sûr que vous vous associerez tous à cette déclaration. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent longuement.)

2

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Déficit commercial

M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour le groupe Les Républicains.

M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le Premier ministre, le déficit commercial de la France est reparti à la hausse l’an dernier. Encore une mauvaise nouvelle économique ! Il s’établit à 48,1 milliards d’euros, dépassant très nettement vos prévisions. Les conditions étaient pourtant favorables, avec la baisse de l’euro et une diminution de plus de 8 milliards de la facture énergétique. Les exportations ont diminué en dépit de gros contrats, comme les ventes d’armement qui ont rapporté 20 milliards d’euros.

Cette dégradation est préoccupante. Elle montre combien votre gouvernement a été incapable de donner à nos entreprises le soutien et la confiance nécessaires. Après un début de quinquennat qui n’a été que ponctions et impôts, votre gouvernement a institué le CICE, système compliqué, lourd et à effet non immédiat, au lieu de procéder aux baisses de charges que nous proposions. Notre agriculture a également été touchée de plein fouet, avec une baisse des exportations, mais aussi une hausse conséquente des importations qui mécontente légitimement nos agriculteurs dans le contexte de crise qu’ils traversent. Ce déficit commercial illustre les problèmes de notre industrie et la dégradation de la situation des services.

M. Jean-Paul Bacquet. Et les PME ?

M. Guillaume Chevrollier. Ces chiffres montrent combien la compétitivité de la France est atteinte, d’autant plus que nos voisins européens, eux, ont su réagir, comme l’Espagne ou l’Allemagne, dont l’excédent commercial a atteint 234 milliards d’euros ! C’est donc un constat d’échec magistral de votre majorité et de tous vos ministres de l’économie, dont je tairai la longue liste.

M. Jean-Paul Bacquet. C’est faux !

M. Guillaume Chevrollier. Nous ne pouvons que souhaiter l’alternance pour notre pays, seule capable d’apporter le redressement économique dont la France a besoin. Il est temps de redonner la liberté, le souffle indispensables à notre pays. En conclusion, monsieur le Premier ministre, un vrai projet de redressement s’impose ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger.

M. Matthias Fekl, secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger. Mesdames, messieurs les députés, si vous le permettez, je veux d’abord m’associer à l’émotion que vous avez exprimée, monsieur le président, souhaiter à M. Gaudin le meilleur rétablissement possible, le plus vite possible, et penser à mon tour à ses proches. Nous le connaissons, nous l’apprécions et nous espérons pouvoir le voir bientôt à nouveau ici.

S’agissant du commerce extérieur, j’ai eu l’occasion de m’exprimer hier lors de la présentation des chiffres, et je l’ai fait à plus de vingt reprises devant le Parlement pour présenter systématiquement l’évolution de la situation. Les chiffres pour 2016, vous avez raison, ne sont pas bons. Nous constatons une dégradation de la balance commerciale mais aussi de la balance des services que, pour la deuxième fois depuis l’an dernier, nous présentons pour disposer ensemble d’une vraie approche de la réalité de notre pays et de son insertion dans la mondialisation. En définitive, le déficit est de 48 milliards d’euros sur les biens, tandis que nous sommes à peu près à l’équilibre sur les services, après un excédent l’an dernier de plus de 8 milliards, l’évolution étant due principalement à celle du tourisme.

Mais vous oubliez de dire, et je le regrette, que lorsque nous sommes arrivés au pouvoir, le déficit était à plus de 70 milliards d’euros !

M. Jean-Paul Bacquet. Soixante-quinze milliards !

M. Matthias Fekl, secrétaire d’État. Un tiers du déficit a été résorbé pendant ce quinquennat, alors que la part de marché française, qui était de plus de 5 % au début des années 2000, a subi une érosion permanente tout au long des dix années de pouvoir de la droite. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Bernard Gérard. Cinq ans !

M. Matthias Fekl, secrétaire d’État. Nous avons assisté sous ce quinquennat à une stabilisation de la part de marché des entreprises françaises dans le monde, à 3,5 % en moyenne. C’est un des succès de notre diplomatie économique.

Mme Marie-Christine Dalloz. Arrêtez !

M. Matthias Fekl, secrétaire d’État. Le nombre des entreprises exportatrices n’a cessé d’augmenter : de 117 000 en 2011, elles sont passées à 124 000 l’an dernier. Il y a des situations difficiles, un effort de redressement à poursuivre, mais aussi des éléments de stabilité…

M. Jacques Myard. Stabilité dans la crise !

M. Matthias Fekl, secrétaire d’État. …et une diplomatie économique qui a répondu présente tout au long de ces années. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Sécheresse à Mayotte

M. le président. La parole est à M. Ibrahim Aboubacar, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.

M. Ibrahim Aboubacar. Monsieur le Premier ministre, depuis deux mois, Mayotte connaît une pénurie d’eau potable d’une gravité exceptionnelle. La population de huit communes du sud n’est alimentée en eau qu’un jour sur trois, et, d’ici une semaine, c’est l’ensemble du territoire qui pourrait passer sous ce régime, pour une durée indéterminée. Les conséquences humaines et économiques de cette situation sont désastreuses, et le problème est appelé à perdurer au moins pendant les quatre prochaines années puisqu’il dépend du niveau des précipitations, dont le caractère aléatoire devient la règle.

Après concertation avec les acteurs concernés, le Gouvernement a annoncé une série de mesures d’urgence, correspondant, pour beaucoup, aux décisions qui n’ont pas été prises durant les années passées, ce qui nous place dans cette malheureuse situation. Il s’agit, entre autres, d’inscrire au contrat de plan État-région 2015-2020 la construction d’une troisième retenue collinaire. En outre, la possibilité d’assurer un apport d’eau extérieur à l’île par tanker est en cours d’examen.

Tout en saluant ces mesures, je me dois de souligner qu’elles ne sont pas à la hauteur du drame qui se joue sur le territoire pour les prochaines années. En effet, le volume d’eau nécessaire pour couvrir les besoins de la population étant en augmentation continue, les décisions relatives à la production d’eau doivent être réexaminées : forages supplémentaires ; renforcement des réseaux de distribution entre le sud et le centre de l’île ; programmation d’une quatrième retenue collinaire dès maintenant, dans l’espoir de la voir opérationnelle dans dix ans ; et même construction d’une seconde usine de dessalement.

Ainsi, c’est une enveloppe de l’ordre de 70 millions d’euros, en plus des sommes inscrites au CPER, qui serait nécessaire. La résorption du retard du territoire en équipements d’assainissement, autre chantier important, ne peut se concevoir avec un approvisionnement en eau incertain. Ce point étant lié aux engagements pris lors de la « rupéisation » de Mayotte, les ajustements à mi-parcours des programmes européens, en cours d’examen, doivent inclure cette contrainte.

C’est pourquoi j’appelle de mes vœux des décisions plus vigoureuses, transparentes et responsables ; elles sont incontournables, sans quoi la population de Mayotte, dans les prochaines années, sera exposée à des risques sanitaires et d’hygiène publique inacceptables. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des outre-mer.

Mme Ericka Bareigts, ministre des outre-mer. Monsieur Aboubacar, croyez-le, je m’implique au quotidien pour garantir à tous les Mahorais un accès à l’eau, face à la pénurie actuelle mais également à plus long terme, car les réponses transitoires, vous l’avez souligné, ne sauraient suffire. Et j’insiste sur le fait que le problème ne peut être résolu qu’avec la mobilisation des élus.

À court terme, l’étude sur la faisabilité d’un approvisionnement en eau par tanker sera achevée la semaine prochaine. En plus des 500 000 euros annoncés la semaine dernière pour l’achat de bouteilles et de citernes d’eau destinées à assurer la scolarisation des enfants du premier degré, plus de 5 millions d’euros pourront être disponibles dès 2017 au titre du fonds exceptionnel d’investissement, pour des projets fléchés remontant du territoire.

Sur le long terme, des crédits importants ont été débloqués par l’État pour subvenir aux besoins en eau du département. Je rappelle à cet égard que les 400 000 euros de crédits d’étude pour la troisième retenue collinaire n’ont été consommés qu’à hauteur d’un tiers. De même, 14 millions d’euros dédiés à l’adduction d’eau potable dans le cadre du FEDER, le Fonds européen de développement régional, sont actuellement encore entièrement disponibles, aucun projet n’ayant été engagé. J’invite les acteurs locaux compétents à se saisir pleinement des opportunités qui leur sont offertes, et je pense, comme vous, qu’il est important de requestionner, à mi-parcours, les projets inscrits au CPER.

Je tiens enfin à saluer la qualité des échanges, lors des fréquentes réunions avec les services de l’État et les élus locaux, pour avancer sur cette question.

Vous le voyez, monsieur le député, le Gouvernement est à la hauteur des enjeux et pleinement mobilisé auprès des élus locaux pour répondre aux besoins en eau des Mahorais. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Situation d’EDF

M. le président. La parole est à M. Patrice Carvalho, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Patrice Carvalho. Merci, monsieur le président, pour ces mots chaleureux à l’égard du courageux M. Gaudin.

La direction d’EDF a annoncé, jeudi dernier, un nouveau plan de réduction des effectifs – 3 900 postes entre 2017 et 2019 –, qui s’ajoute à celui déjà conduit l’an dernier avec la suppression de 2 000 postes. L’objectif serait de réduire les coûts d’1 milliard d’euros, ce qui fait des salariés une variable d’ajustement. Cette stratégie apparaît de surcroît bien dérisoire face à la situation économique et financière du groupe, et préoccupante au moment où celui-ci doit relever les défis de la transition énergétique.

EDF paie au prix fort la libéralisation du marché européen de l’énergie, qui conduit à ce que les prix ne couvrent plus les coûts. Au bout du compte, la facture est pour les usagers, dont un nombre croissant – 11 millions de personnes en 2016 – connaissent la précarité énergétique. Le groupe est endetté à hauteur de 38 milliards d’euros, à un moment où il doit faire face à de colossaux investissements, dont certains sont aventureux. Il est ainsi confronté au chantier de prolongation de dix ans de l’activité des cinquante-huit réacteurs nucléaires, pour un coût de 55 milliards d’euros. Il est appelé au secours d’Areva pour 2,7 milliards d’euros. Il y a enfin le fameux projet d’Hinkley Point : deux EPR en Grande-Bretagne, dont le coût est estimé à 24 milliards d’euros.

EDF est face à des choix stratégiques : soit le groupe s’enfonce dans la logique de la déréglementation, soit nous recouvrons la maîtrise de ce secteur. C’était le sens de notre proposition de loi visant à créer un établissement public dénommé « France Énergie », rassemblant toutes les participations de l’État dans les entreprises du secteur.

Monsieur le secrétaire d’État chargé de l’industrie, ces nouvelles réductions d’effectifs sont-elles la contrepartie exigée par le Gouvernement aux 3 milliards d’euros de recapitalisation, ou êtes-vous prêt à demander à EDF de revoir sa copie et à assurer l’avenir du service public ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Mme Delphine Batho et Mme Linda Gourjade. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de l’industrie.

M. Christophe Sirugue, secrétaire d’État chargé de l’industrie. Monsieur Carvalho, EDF définit sa stratégie, à intervalles réguliers, pour tenir compte de l’environnement dans lequel se développent ses activités. Cette stratégie a permis, entre 2011 et 2016, de créer 20 000 emplois dans cette entreprise. Une nouvelle feuille de route a été élaborée pour accompagner les mutations du secteur de l’énergie et permettre à EDF de devenir le leader de la croissance bas carbone.

C’est dans ce cadre et compte tenu de ces évolutions que l’entreprise a annoncé ces mesures, qui consistent en des départ organisées sur la base du volontariat – je rappelle en effet qu’EDF ne prévoit aucun licenciement. J’ajoute que, si ces départs volontaires se traduisent bien par une baisse d’effectifs, EDF procède dans le même temps à des recrutements, à hauteur de 1 500 salariés en 2017 et 1 000 en 2018, notamment sur des postes d’ingénieurs et de techniciens dans les productions et les systèmes d’information. La situation est donc plus équilibrée que vous ne le laissez entendre.

Je veux néanmoins appeler votre attention sur le soutien de l’État à EDF parce que c’est un élément déterminant dans le choix de restructuration de la filière nucléaire qui a été effectué. Nous voulons faire d’EDF le pilote de cette filière et c’est dans ce cadre que nous avons souhaité procéder à une recapitalisation. Celle-ci représentera 4 milliards d’euros, dont 3 milliards apportés par l’État. Je crois, monsieur le député, que c’est le meilleur indice que vous – comme l’ensemble de la représentation nationale – puissiez avoir de la détermination du Gouvernement à soutenir EDF et la filière nucléaire, et à aider cette entreprise dans son adaptation stratégique aux enjeux auxquels elle est confrontée. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Avenir de la zone euro

M. le président. La parole est à M. Joël Giraud, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Joël Giraud. Monsieur le président, permettez-moi, avant tout, de dire que notre groupe partage votre émotion devant l’agression de Jean-Michel Gaudin.

Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie et des finances. Le 17 février 2002, il y aura quinze ans la semaine prochaine, le franc disparaissait. Un mois et demi plus tôt, le 1er  janvier 2002, s’était produit une véritable révolution monétaire et sociétale : l’euro, en tant que monnaie fiduciaire, prévue dix ans plus tôt par le traité de Maastricht, qui créait l’Union économique et monétaire. Nous étions alors douze pays à nous lancer dans l’aventure de la monnaie unique, nous sommes aujourd’hui dix-neuf.

En bon frontalier, je me débarrassai alors de la money box aimantée de ma voiture, qui me permettait de payer les parcmètres chez tous nos voisins. (Sourires.) Aujourd’hui, près de 340 millions de citoyens européens peuvent voyager au sein de la zone euro sans avoir à changer de devise. Leur attachement à la monnaie unique est réel : environ 70 % des Européens se déclarent favorables à l’euro, qui représente une garantie de stabilité.

Mais cet attachement reste précaire : le Brexit, la crise des réfugiés et la montée des populismes et des souverainismes dans beaucoup des États membres de l’Union témoignent d’un recul de l’espérance européenne qui s’ajoute à la terrible crise financière qui a frappé la zone euro en 2007. Depuis cette crise, des mesures ont été prises pour sauver la zone euro : renforcement du Mécanisme européen de stabilité, de l’union bancaire, et de la coordination en matière de politique économique, notamment au moyen de la « règle d’or ».

Mais ces mesures, tout comme une pièce de monnaie, ont à la fois un avers et un revers ; le revers, c’est l’exaspération croissante des populations marginalisées. Récemment, l’Institut Jacques-Delors, pourtant peu suspect d’euroscepticisme, estimait que « dans sa forme actuelle, l’UEM n’est pas viable à long terme. »

C’est pourquoi, monsieur le ministre, au nom de tous les radicaux, qui ont toujours défendu une construction européenne plus intégrée, je vous demande quelles actions mène le Gouvernement à l’échelle européenne pour renforcer la zone euro, notamment concernant la création d’un gouvernement économique disposant d’un budget européen plus étoffé, mais aussi en faveur de l’harmonisation fiscale et sociale et de la création d’un Parlement de la zone euro, permettant de prendre des décisions plus démocratiques et concertées. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. Paul Molac. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre. Monsieur le député, votre question renvoie à la construction européenne. Pour des raisons tenant à l’évolution du contexte international, notamment la position du président des États-Unis, la construction européenne se trouve en effet confrontée à de nouveaux défis, qui l’obligent à intégrer davantage ses politiques si elle veut résister à ces attaques et répondre aux interrogations des citoyens européens.

Je voudrais tout d’abord insister sur l’attachement très fort des Européens à la monnaie unique. Plus de quinze ans après sa mise en circulation, elle a permis d’intégrer davantage le marché intérieur, d’accompagner le développement de filières industrielles d’excellence, de développer l’activité de nos services. Elle a aussi permis aux pays d’Europe d’être plus solidaires pour résoudre les crises qui peuvent frapper certains d’entre eux.

Vous m’interrogez sur les mesures que nous préconisons, sur celles que nous avons prises et celles que nous prendrons, pour que cette monnaie continue d’être un extraordinaire atout, et pour renforcer l’Union européenne face aux défis qu’elle affronte.

Premièrement, si nous voulons que la monnaie unique reste aussi populaire qu’aujourd’hui, il est impératif de trouver des modalités plus performantes pour résoudre les crises, pour faire face aux difficultés. De ce point de vue, les dispositifs de solidarité que le Mécanisme européen de stabilité offre aux économies en difficulté ont maintenu l’unité, l’intégrité de la zone euro. Cela a été le cas, notamment, des trois programmes en faveur de la Grèce ; le dernier d’entre eux, de 86 milliards d’euros, est mis en œuvre en contrepartie des efforts faits par la Grèce pour engager les réformes structurelles attendues d’elles pour rendre sa dette soutenable.

Dans quelques jours, je me rendrai en Grèce avec le ministre de l’économie et des finances, Michel Sapin, le ministre des affaires européennes, Harlem Désir, et le commissaire européen aux affaires économiques et monétaires, Pierre Moscovici, afin de manifester de nouveau la solidarité de la France.

Deuxièmement, il est impératif d’avoir des mécanismes de résolution des crises bancaires. La supervision bancaire, la garantie des dépôts et les autres dispositifs de résolution des crises bancaires sont des éléments clés de l’Union économique et monétaire ; ils ont été mis sur le métier grâce à l’action de la France et de l’Allemagne depuis 2012, et sont montés en puissance. Ils représentent aujourd’hui une garantie considérable.

Il faut, troisièmement, davantage d’harmonisation sociale et fiscale : vous l’avez dit. Nous y travaillons.

Enfin, il faut multiplier les initiatives pour la croissance. Je me suis rendu avant-hier à Bruxelles pour rencontrer le président Juncker : nous avons fait le point sur les 300 milliards d’euros du « plan Juncker », dont bénéficient cinquante-sept projets français stratégiques, dans l’industrie et les services, auxquels 20 milliards d’euros ont été alloués. Il faut faire monter ce plan en puissance.

Mais pour être économiquement forte, l’Europe doit être aussi sociale : c’est pourquoi il faut mettre en place un socle de droits sociaux, dont un salaire minimum européen, des dispositifs de mobilité pour les apprentis et la carte d’étudiant européen. Il faut aussi lutter contre le travail détaché, en révisant la directive de 1996. Tel est notre programme : nous sommes déterminés à le mettre en œuvre, dans une relation étroite et exigeante avec les institutions de l’Union européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Rapport annuel de la Cour des comptes

M. le président. La parole est à M. Bernard Perrut, pour le groupe Les Républicains.

M. Bernard Perrut. Monsieur le Premier ministre, les rapports de la Cour des comptes se suivent et – malheureusement – se ressemblent. Depuis cinq ans, vous ne suivez pas ses avis éclairés, et le résultat est accablant : non seulement nos comptes publics ne se portent pas mieux à la fin de votre quinquennat, mais surtout vous allez laisser tous les voyants au rouge pour vos successeurs.

Le rapport annuel que la Cour a rendu public ce matin est sans détour ; il porte un jugement sévère sur votre bilan. Il estime que l’objectif de maintenir le déficit en dessous de 3 % du PIB pour 2017 sera « très difficile à atteindre ».

En effet, les économies promises ne seront pas réalisées, et des « risques importants de dépassement pèsent sur d’autres dépenses » : la Cour cite, par exemple, les dépenses d’assurance maladie et les tours de passe-passe du Gouvernement pour boucler son budget. Et que penser, chers collègues, de la masse salariale de l’État, qui a augmenté de 3 % en 2017, c’est-à-dire autant qu’entre 2011 et 2016 ?

D’un côté, des dépenses sous-estimées, de l’autre, des recettes surestimées ; le message de la Cour des comptes est clair : le prochain Président de la République et sa majorité devront faire les réformes nécessaires et courageuses que vous n’avez pas faites. Il faudra un effort drastique sur la dépense publique !

M. Marcel Rogemont. Comptez sur nous !

M. Bernard Perrut. Ce rapport résume votre quinquennat : un dérapage du déficit sans réforme, c’est-à-dire un dérapage pour rien, et des milliards de dépenses pour certaines politiques publiques, sans résultats. En fin de mandat, monsieur le Premier ministre, vous ouvrez les vannes comme si vous ne vous sentiez responsable de rien, alors que vous êtes responsable – oui, responsable ! – de la situation catastrophique que vous allez laisser, et les Français veulent vous entendre sur ce sujet. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains. – Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre. Monsieur le député, vos questions sont toujours un moment absolument irremplaçable de délice. (Sourires sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.) Il y a à cela une raison très simple : ils me donnent l’occasion – rare – de comparer ce que vous avez fait avec ce que nous avons fait.

M. Éric Ciotti. Cinq ans !

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre. Je vais donc saisir l’occasion et le faire cette comparaison, avec une précision que l’on ne retrouve pas dans la question que vous m’avez adressée.

M. Philippe Cochet. Mais arrêtez !

M. Dominique Le Mèner. « Tout va bien » : c’est leur credo !

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre. Premier point : il est tout à fait normal que la Cour des comptes ait, à l’égard d’un gouvernement, des exigences. Elle en a toujours eu. Le dialogue avec le Gouvernement fait partie des missions de la Cour des comptes ; il appartient à celui-ci de répondre à celle-là, ce qu’il a toujours fait. C’est à quoi je m’emploie aujourd’hui, en répondant tout à la fois à la Cour et à votre question.

Tout d’abord, vous nous donnez des leçons de bonne gestion budgétaire, comme si vous étiez légitime pour le faire. Laissez-moi, monsieur le député, rappeler un certain nombre d’éléments objectifs : lorsque la majorité que vous avez soutenue a quitté le pouvoir, le déficit public était de 5,1 %, et à l’époque, vous vous en pâmiez de satisfaction !

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Le contexte était différent !

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre. Le déficit pour l’année 2016 est de 3,3 %, et pour l’année 2017, nous atteindrons l’objectif de le ramener en deçà de 3 %. Je remarque que cela vous fait de la peine lorsque nous avons un déficit de 3,3 %, alors que vous étiez contents d’un déficit de 5,1 % lorsque vous étiez au pouvoir – sachant que le déficit a même dépassé les 7 % en 2010, si j’ai bonne souvenance. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain. – Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Un député du groupe Les Républicains. Il y avait alors une crise économique mondiale !

M. Dominique Le Mèner. Et le chômage ?

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre. Ensuite, vous avez parlé des dépenses publiques. Vous avez eu tout à fait raison de le faire, puisque vous les avez accrues de 170 milliards d’euros lorsque vous étiez aux responsabilités, soit une augmentation de 3 %. Et à cette époque, votre satisfaction tangentait l’apothéose ! (Exclamations persistantes sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Aujourd’hui, nous avons divisé par trois le rythme d’augmentation de la dépense publique, nous avons maîtrisé les déficits publics,…

M. Patrice Verchère. On se demande pourquoi François Hollande ne se représente pas !

M. le président. Monsieur Verchère ! Un peu de calme !

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre. …le déficit du régime général de la Sécurité sociale est réduit quasiment à néant, et vous continuez, en racontant des bobards à longueur de questions, à laisser à penser que vous avez bien géré les comptes publics, alors que c’est nous qui avons accompli les efforts nécessaires à leur rétablissement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. Marc Le Fur. Avec un bilan aussi éclatant, pourquoi François Hollande ne se représente-t-il pas ?

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre. Vous nous dites que la Cour des comptes s’interroge pour l’année 2017. Mais, monsieur le député, elle avait exactement les mêmes interrogations pour l’année 2016 ! Or en 2016, alors même que, pour des raisons tenant notamment au terrorisme, nous avons dû augmenter les effectifs des forces de sécurité et accroître les dépenses pour qu’elles puissent faire face à la situation et assurer la sécurité des Français, nous avons respecté les objectifs que nous nous étions assignés à nous-mêmes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain. - Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Claude Greff. Les deux situations n’ont rien de comparable !

M. Dominique Le Mèner. Et le chômage ?

M. Philippe Cochet. Où est M. Valls ?

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre. Ils le seront à nouveau en 2017 et en 2018, grâce à l’action de Michel Sapin et de Christian Eckert, qui ont, sur ces questions, œuvré avec la rigueur la plus absolue, dans la transparence la plus complète. Je serai avec vous, monsieur le député, de la plus grande franchise : je vous laisse votre auto-satisfaction, votre contentement de vous-même, alors que vous avez laissé la dette s’alourdir de 25 points de PIB ! (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Nous avons, pour notre part, travaillé de façon transparente et respectueuse des Français. Votre bilan est tel que vous n’avez d’autre solution que de faire campagne avec des bobards ! (Mmes et MM. les députés du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste se lèvent et applaudissent vivement. – Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

« Ubérisation » du transport marchand

M. le président. La parole est à M. Éric Alauzet, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.

M. Éric Alauzet. Monsieur le ministre de l’économie et des finances, l’« ubérisation » ultralibérale se répand dans l’ensemble de l’économie ; un à un, chacun des secteurs est concerné. Ainsi, les entreprises classiques sont de plus en plus concurrencées sur internet. Tout le monde craint de se faire « ubériser », faute d’être en capacité de maîtriser cette évolution. Cette nouvelle économie s’affranchit des règles et des taxes, elle propose des services simples à prix cassés, au risque de concurrencer de façon déloyale, voire de faire disparaître, les autres acteurs du secteur. (M. Jean Lassalle applaudit continûment.)

L’hôtellerie, la SNCF, les libraires, le prêt-à-porter, les services à domicile, la location, l’éducation, la santé – j’en passe – sont menacés et doivent s’adapter très vite. Plus récemment concerné, avec la plate-forme Convargo, créée en 2016, le secteur du transport de marchandises s’inquiète, alors qu’il est déjà sous tension à cause du travail détaché.

Certes, cette économie crée de la valeur, mais celle-ci est souvent détournée et accaparée au profit d’une minorité mondialisée, à travers des rémunérations excessives des dirigeants ou des actionnaires de ces plates-formes, pire, par le biais de l’évasion fiscale, si facile d’accès pour ces multinationales dématérialisées.

En outre, elle favorise le travail indépendant à faible protection sociale ; on a déjà connu cette situation avec les artisans et les paysans.

Le risque est patent : épuisement des hommes, des protections sociales, des États et du modèle démocratique.

Voici donc mes questions, monsieur le ministre : quelles mesures le Gouvernement entend-il mettre en œuvre pour réguler l’« ubérisation », en France et au sein de l’Union européenne ? comment soutenir l’émergence d’un modèle d’internalisation des plates-formes plus maîtrisé et un développement local et en circuits courts, pour contourner cette « ubérisation » ultralibérale et conserver la valeur sur nos territoires ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget et des comptes publics, à qui je souhaite en votre nom à tous un joyeux anniversaire. (Exclamations et applaudissements sur divers bancs.)

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget et des comptes publics. Je vous remercie, monsieur le président.

Monsieur Alauzet, vous soulevez là une question qui me semble essentielle pour les années à venir.

M. Pascal Terrasse. Absolument !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. La réflexion et l’action du Gouvernement sont guidées par trois principes.

Tout d’abord, il ne faut pas s’opposer au développement. Les Françaises et les Français sont en attente d’innovation et, comme vous l’avez dit, ces activités créent de la valeur ajoutée.

Deuxième principe : l’équité. Elle est nécessaire entre les différentes formes d’exercice d’un métier, d’une profession, dans des secteurs concurrentiels où tous doivent avoir les mêmes droits et les mêmes devoirs.

Troisièmement, celles et ceux qui tirent leur revenu de ce type d’activité doivent être protégés, y compris en termes d’assurance maladie, d’assurance chômage et de retraite. Or l’on voit tous les jours les difficultés que cela a pu poser.

Par rapport à ces trois principes, le Gouvernement a agi. En loi de finances et en loi de financement de la Sécurité sociale pour 2017, nous avons clarifié les choses en distinguant ce qui relève du partage de frais – donc ce qui est non imposable – de ce qui relève des revenus d’activité – donc ce qui est imposable –, et en définissant les caractéristiques et les statuts nécessaires pour pouvoir imposer des cotisations sociales ouvrant des droits aux utilisateurs de ces plates-formes. Ces informations sont en ligne, depuis quelques jours, sur les sites mêmes de ces dernières : elles doivent informer les utilisateurs des principes déclaratifs qui leur permettent à la fois de se conformer à l’équité et d’ouvrir des droits.

Concernant les entreprises, sur le sujet que vous avez évoqué, il y a une obligation de communication aux administrations des revenus tirés de l’utilisation des plates-formes ; ce droit est appliqué et produit des résultats.

Voilà comment le Gouvernement entend accompagner une évolution majeure, qui conduit à l’exercice d’activités professionnelles non salariées dans une économie que certains appellent « virtuelle ». (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Bilan du quinquennat

M. le président. La parole est à M. Alain Suguenot, pour le groupe Les Républicains.

M. Alain Suguenot. Monsieur le Premier ministre, vous arrivez à la fin de cette législature. Le Président de la République ayant renoncé depuis longtemps déjà, vous êtes le seul à assumer le bilan de ces cinq années.

Mme Sylvie Tolmont. Non !

M. Jean Launay. Nous assumons !

M. Alain Suguenot. Les trois candidats socialistes ou assimilés à l’élection présidentielle dénoncent, eux, allègrement les échecs de cette politique : échec économique, puisque le chômage n’a pas baissé, bien au contraire, malgré les plans de formation et quelques artifices de présentation ; échec sur le plan de la croissance ; échec pour notre balance commerciale ; échec sur le plan de la dette, qu’il va falloir rembourser avec des taux d’intérêt remontant dangereusement pour la France ; échec pour le pouvoir d’achat des ménages, qui ne cesse de baisser, avec, au surplus, la menace d’une inflation qui remonte allègrement ; échec diplomatique, la voix de la France n’étant plus audible, on l’a vu dans la partie de ping-pong que se livrent M. Trump et M. Poutine, on le voit avec notre partenaire allemand, on l’a déjà vu en Syrie.

Et puis il y a l’échec institutionnel, monsieur le Premier ministre : la polémique actuelle met gravement en cause l’indépendance du pouvoir législatif et donc l’État de droit – déjà mort avec Notre-Dame-des-Landes –, et je n’évoque même plus l’indépendance de la justice.

Mais le plus gros échec est sans doute celui de l’unité nationale, je veux parler de nos territoires : la France des territoires est à l’agonie ; les réformes engagées depuis cinq ans n’ont pas été réclamées par nos compatriotes ; la baisse des dotations et la réforme des rythmes scolaires ont ruiné les collectivités locales et augmenté, de fait, la fiscalité ; les nouveaux découpages cantonaux et intercommunaux, imposés sans concertation, ont contribué à éloigner le citoyen des pouvoirs de décision (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains; l’agriculture française n’a jamais subi une crise aussi grave qu’en 2016, et aucune solution d’avenir ne lui a été proposée ;…

M. Marc Le Fur. Tout à fait !

M. Alain Suguenot. …la couverture internet, à nouveau promise hier pour l’horizon 2022, a été la grande carence de ce quinquennat, et personne ne croit à cette nouvelle échéance.

Monsieur le Premier ministre, il manque à la France une vraie volonté, une vraie politique d’aménagement des territoires ruraux. (Mêmes mouvements.) Alors que vous allez bientôt atteindre le troisième âge de la civilisation, c’est-à-dire, après l’âge de pierre et l’âge du bronze, l’âge de la retraite, avez-vous, devant cette échéance, un regret et, pourquoi pas, une idée dont les candidats, quels qu’ils soient, pourraient s’inspirer pour sauver enfin la ruralité ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. Jean Lassalle. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre. Votre question, monsieur le député, est une véritable œuvre d’art. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Charles de La Verpillière. Vous êtes un connaisseur !

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre. Arriver, en deux minutes, à évoquer autant de sujets, entremêlés les uns dans les autres, sans qu’on comprenne vraiment où vous voulez en venir, fut un exercice de très haute voltige rhétorique et parlementaire, auquel, malgré tout, je vais essayer de répondre.

Le premier point sur lequel je vous répondrai est la situation de l’économie. Je m’y suis déjà efforcé tout à l’heure, même si le temps nous est toujours compté pour aller au fond des choses, en évoquant la situation budgétaire, mais je peux aussi parler de la situation des entreprises, que vous avez évoquée.

M. Bernard Accoyer. Parlez-nous des taux d’intérêt, monsieur le Premier ministre !

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre. Lorsque nous sommes arrivés en situation de responsabilité,…

M. Dominique Le Mèner. Il y a cinq ans !

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre. …les marges des entreprises étaient totalement effondrées, leur compétitivité continûment dégradée, elles avaient perdu 150 000 emplois industriels. (« Assumez ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues ! On a écouté la question ; maintenant, écoutez la réponse !

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre. Qu’avons-nous fait ? Contrairement à ce que vous avez sous-entendu dans votre question, monsieur Suguenot, nous avons agi, en mettant en place un dispositif d’allégement des charges des entreprises, à travers le Pacte de responsabilité et de solidarité, ce qui a permis de leur consacrer 40 milliards d’efforts et de créer les conditions d’une restauration de 2 points de leur marge. Ainsi, elles sont aujourd’hui dans une situation meilleure que celle d’avant la crise de 2008.

M. Claude Goasguen. Pourquoi Hollande est-il parti alors ?

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre. Et c’est parce que nous l’avons fait, monsieur le député, que l’investissement industriel est reparti et progresse aujourd’hui de 3,4 %, alors qu’il reculait quand vous étiez en situation de responsabilité. C’est aussi parce que nous avons mené cette action que le chômage, en 2016, a reculé de 107 000 personnes et que le chômage des jeunes est désormais inférieur à ce qu’il était pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy.

M. Claude Goasguen. Vous feriez mieux d’assumer votre bilan !

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre. Mais, bien entendu, vous ne parlez pas de cela, parce que vous faites campagne avec une idée et une seule : abaisser continûment l’image de notre pays aux yeux du monde, pour des raisons politiciennes, en essayant de nier les efforts sans cesse accomplis par le Gouvernement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. Claude Goasguen. Hollande ne prend pas ses responsabilités ! Ça manque d’allure !

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre. Vous évoquez les milieux ruraux, la présence sur place de l’administration et des services publics. Mais permettez-moi de vous donner, là aussi, des chiffres : pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, du fait de la révision générale des politiques publiques, vous avez supprimé, dans les seules préfectures, 2 700 emplois. Sachant qu’il y a 280 emplois, en moyenne, dans chaque préfecture, ce fut l’équivalent de treize préfectures supprimées en cinq ans. Par conséquent, les services de certaines sous-préfectures ne sont plus en mesure de répondre aux demandes des élus locaux et d’accompagner les collectivités locales dans leurs projets. Le Gouvernement a mis en œuvre une réforme, le plan « préfectures nouvelle génération », qui, par la mise en place de plates-formes d’instruction des demandes de titres, aura créé les conditions d’un rehaussement de l’administration préfectorale. Grâce à cette réforme, nous sommes aujourd’hui en situation de recréer 750 emplois dans les préfectures et les sous-préfectures. Mais vous n’en faites jamais état dans vos questions, tout simplement parce que vous êtes, sur tous les sujets, dans l’instrumentalisation de la peur et dans la falsification des faits, comme si, vous aussi, vous aviez décidé de mener une campagne niant les faits et la réalité.

M. Bernard Accoyer. Parlez-nous des taux d’intérêt !

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre. Enfin, pour ce qui concerne les services publics en milieu rural, ce que nous avons fait s’agissant de la dotation d’équipement des territoires ruraux, des maisons de santé et des maisons de services au public nous permet aujourd’hui d’ouvrir sur tous les territoires de nouveaux services publics.

Croyez-moi, au moment du bilan, au moment de regarder la situation en face, les Français sauront voir la différence entre ce que vous avez fait et ce que nous faisons, entre vos mensonges et notre discours de vérité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Lutte contre le décrochage scolaire

M. le président. La parole est à M. Philippe Kemel, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.

M. Philippe Kemel. Madame la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, diminuer à l’horizon de 2017 le nombre de ceux qui quittent le système scolaire prématurément était l’un des engagements du Président de la République lors de son élection.

À l’heure du bilan, les différentes mesures instaurées, qui sont significatives, ont porté leurs fruits : si, en 2010, 140 000 élèves sortaient du système scolaire sans diplôme ni avenir, les efforts engagés par votre ministère ont permis l’année dernière de ramener ce nombre à 98 000.

Le plan « Tous mobilisés pour vaincre le décrochage scolaire » a permis de mettre à la disposition de l’éducation nationale de nombreux moyens destinés à accompagner et à former les décrocheurs, mais aussi à repérer ceux qui pourraient potentiellement le devenir. Vous êtes d’ailleurs, madame la ministre, venue dans le Pas-de-Calais pour présenter ce plan.

Malgré cela, ceux qui ont d’ores et déjà échappé aux radars de l’école et des services sociaux empruntent un chemin pavé de difficultés. Ces dizaines de milliers de jeunes qui quittent l’école de la République sans formation se perdent souvent dans la rue, avec les risques que nous connaissons : être, pour presque toute une vie, écarté du marché du travail ou, pire, basculer dans la délinquance.

Beaucoup a été entrepris pour favoriser leur entrée en apprentissage, avec la mise en place d’une véritable politique de qualification et de professionnalisation. Naturellement, la Garantie jeunes y contribue aussi.

Madame la ministre, comment peut-on faire en sorte que ces beaux résultats soient encore amplifiés dans les prochaines et les prochains mois ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le député, élever le niveau global de formation et de qualification dans notre pays constituait en effet, en 2012, notre objectif.

M. François Rochebloine. C’est réussi !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. C’est le sens de chacune des réformes que nous avons adoptées. Vous avez raison, on ne peut atteindre cet objectif si l’on ne prend pas – comme nous l’avons fait – à bras-le-corps la question du décrochage scolaire.

Nous avons, en effet, mis le paquet. Jamais l’école ne se sera autant engagée dans cette voie : formation des enseignants à la détection des signes avant-coureurs du décrochage et aux remèdes à y apporter ; présence de « référents décrocheurs » dans chaque établissement ; possibilité donnée aux élèves de plus de quinze ans en voie de décrochage de prendre une respiration en effectuant un stage en entreprise pendant quelques semaines ou quelques mois, le temps de retrouver une motivation, tout en bénéficiant du statut scolaire et d’un parcours adapté ; possibilité offerte aux élèves arrivant en classe de seconde professionnelle de changer d’orientation si celle-ci ne leur convient pas, afin d’éviter de la subir toute leur vie et donc de tomber dans l’échec.

Quand le décrochage a eu lieu, c’est-à-dire pour les jeunes déjà sortis du système scolaire sans qualification, nous avons prévu un droit au retour en formation, s’accompagnant de bourses de reprise d’études. Il a fait ses preuves, puisque des milliers de jeunes ont pu, ces deux dernières années, l’expérimenter, notamment dans le cadre des structures de retour à l’école du type « microlycées », que nous avons voulu développer : leur nombre est passé de douze en 2012 à quarante-quatre aujourd’hui.

Toutes ces actions ont permis à notre pays d’atteindre, s’agissant des jeunes âgés de dix-huit à vingt-quatre ans et sortis sans qualification du système scolaire, une moyenne de deux points inférieure à celle des pays européens.

Désormais, année après année, le flux de décrocheurs se tarit puisqu’il ne s’élève plus – comme autrefois – à plus de 140 000 mais avoisine les 98 000.

Pour conclure, ce dernier chiffre ne marque pas la fin de notre quinquennat : à la prochaine rentrée 2017, vous pourrez constater que le nombre total de décrocheurs sortant annuellement sans qualification du système scolaire sera plus proche des 80 000. Pour une raison simple : désormais, ceux qui échouent au baccalauréat ou au certificat d’aptitude professionnelle ont le droit de recommencer dans leur établissement d’origine : il s’agit d’une véritable nouveauté dans la lutte contre le décrochage. Il y a de quoi être fier ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Évolution du rôle des polices municipales

M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Jean-Christophe Lagarde. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre ou à M. le ministre de l’intérieur.

Monsieur le Premier ministre, l’ensemble de forces de l’ordre assure quotidiennement la sécurité de nos concitoyens, dans un contexte de menace terroriste extrêmement élevée, comme nous l’avons, hélas, encore constaté la semaine dernière au Louvre.

Nous débattons actuellement d’un projet de loi relatif à la sécurité publique qui a pour but de donner, en matière d’usage des armes, et notamment en cas d’attentat ou de risques d’attentat, les mêmes droits à la police nationale, à la gendarmerie nationale et à l’armée.

C’est une très bonne idée, et c’est le président d’un parti de l’opposition qui vous le dit.

Cependant, ce projet de loi que vous nous proposez ne concerne en réalité pas toutes les forces de sécurité intérieure : une fois de plus, vous oubliez en effet les agents de police municipale, auxquels vous refusez le droit de disposer des mêmes moyens juridiques et matériels. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et sur quelques bancs du groupe Les Républicains – M. Jean Lassalle applaudit.)

Monsieur le Premier ministre, de par vos fonctions antérieures, vous savez pourtant que les 21 000 policiers municipaux sont, tout autant que leurs homologues, indispensables, et qu’ils sont mobilisés et naturellement exposés, lorsqu’il s’agit de terrorisme, aux mêmes dangers.

C’est si vrai que vos préfets viennent – la semaine dernière – d’écrire aux maires de France en leur demandant de mobiliser davantage les polices municipales dans les zones à risques d’attentats.

Un député du groupe Union des démocrates et indépendants. C’est vrai !

M. Jean-Christophe Lagarde. Mais dans ces conditions, pourquoi, lorsqu’il y a atteinte à la vie, c’est-à-dire en cas d’absolue nécessité, un policier municipal formé et disposant d’une autorisation de port d’arme n’a-t-il pas le droit de se servir de son arme, contrairement à un policier national, à un gendarme ou un militaire ?

Ce même policier municipal devra-t-il, dans ces circonstances, assister simplement au meurtre, ou se cacher ? De la même façon, pourquoi un policier municipal ayant suivi les mêmes formations n’aurait-il pas le droit de porter des armes d’épaule alors que les agents des autres forces de l’ordre le peuvent, face à des terroristes qui prennent tout uniforme pour cible et qui sont parfois équipés de gilets pare-balles de type militaires rendant inefficaces leurs armes de poing ?

Votre ministre de l’intérieur affirme que les missions, les structures et les doctrines de la police municipale sont très différentes des autres forces. C’est vrai, j’en conviens, sauf en cas d’attentat, une situation dans laquelle vous souhaitez d’ailleurs vous-même que cette force soit mobilisée.

Face au terrorisme, les missions et les dangers sont les mêmes. C’est pourquoi, monsieur le premier ministre, le groupe de l’Union des démocrates et indépendants vous demande d’accorder à toutes les forces de sécurité publiques les mêmes droits et les mêmes armes pour protéger les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. Jean Lassalle. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre. Monsieur le président, je voudrais tout d’abord, à mon tour, exprimer à Jean-Michel Gaudin ainsi qu’à sa famille ma solidarité et mes vœux de prompt rétablissement.

Monsieur le député, je vous remercie pour votre question, et j’en profite pour évoquer les événements qui se sont produits il y a quelques jours dans votre département.

Au cours des derniers mois, j’ai eu l’occasion à plusieurs reprises, alors que j’occupais d’autres responsabilités comme ministre de l’intérieur, de prendre la défense des forces de sécurité lorsqu’elles étaient injustement mises en cause.

M. François Rochebloine. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre. Il m’est arrivé alors de dire parfois, en réponse à des campagnes de presse ou à des interpellations, que la mise en cause des forces de l’ordre devait toujours être assortie d’une exigence de vérité.

M. Jean Lassalle, M. Arnaud Richard et M. François Rochebloine. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre. Dans le même temps, j’ai également toujours affirmé que les forces de l’ordre, en raison de l’uniforme qu’elles portent, devaient être impeccables dans l’exercice de leurs missions et se conformer, à chaque instant, aux principes du droit.

Aucune violence ne peut jamais être acceptée de la part de ceux qui sont investis de la responsabilité de maintenir l’ordre et qui doivent se conformer rigoureusement aux principes du droit.

Je tiens par conséquent, au nom du Gouvernement, à exprimer à ce jeune garçon qui est sur son lit d’hôpital notre solidarité et notre respect profond pour les propos qu’il a tenus hier. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste, écologiste et républicain, sur du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et de l’Union des démocrates et indépendants, et sur quelques bancs du groupe des groupes de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe Les Républicains.)

M. Jean Lassalle. Bravo !

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre. En effets, ces propos étaient empreints de responsabilité et de dignité, et leur force républicaine doit lui assurer le respect de tous ceux qui, dans cet hémicycle, sont attachés aux valeurs de la République.

Lorsqu’il y a des manquements, la plus grande fermeté doit s’exercer à l’encontre de ceux qui s’en trouvent à l’origine, car sinon, il ne peut y avoir d’ordre républicain possible. Je tenais, monsieur le député, à saisir l’occasion que vous me donnez pour l’affirmer.

L’usage des armes est, quant à lui, un débat très ancien : nous l’avions fait progresser lors de l’examen de la loi portée par Jean-Jacques Urvoas, en définissant de nouvelles conditions pour cet usage, sans aller jusqu’à la présomption de légitime défense, qui ne nous paraît pas correspondre à ce qui souhaitable dans la République ni conforme aux principes définis par la Convention européenne des droits de l’homme et aux autres principes constitutionnels auxquels nous devons nous conformer.

À l’issue du débat destiné à surmonter la crise entre le Gouvernement et les représentants des organisations syndicales, nous avons décidé, pour permettre à la police de se protéger dans un certain nombre de situations de violence, de faire évoluer la législation. Nous avons, pour ce faire, recherché le consensus entre l’ensemble des forces politiques – car sur ces sujets républicains, il faut créer les conditions d’un tel consensus –, et nous y sommes parvenus.

Pour ce qui concerne les polices municipales, lorsque j’étais ministre de l’intérieur, nous avons fait considérablement évoluer les conditions d’exercice de leurs missions et leur armement.

J’avais ainsi fait mettre des armes à la disposition des polices municipales qui souhaitaient s’en équiper – et ce sans remettre en cause le principe de libre administration des collectivités locales.

En outre, en abondant chaque année de 20 millions d’euros supplémentaires le Fonds interministériel de prévention de la délinquance, nous avons rendu possible l’achat, par les maires, de gilets pare-balles au bénéfice des polices municipales, l’État finançant donc une grande partie de ces investissements.

Il est cependant vrai, comme l’a dit le ministre de l’intérieur, que les polices municipales sont placées sous l’autorité des maires et qu’elles ont, face au terrorisme, des missions différentes de celles de la police nationale.

La lutte contre le terrorisme appelle, en outre, un niveau de formation très abouti qui a justifié la re-création, au sein du ministère de l’intérieur, d’une direction de la police nationale chargée de la formation.

Nous avons, par conséquent, décidé de ne pas aller vers un alignement : cela me paraît sage, responsable et de nature à créer les conditions d’une bonne complémentarité, dans la protection des Français, entre police nationale et police municipale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

État du parc d’hélicoptères militaires

M. le président. La parole est à M. Philippe Vitel, pour le groupe Les Républicains.

M. Philippe Vitel. Monsieur le ministre de la défense, le rôle des hélicoptères dans nos opérations extérieures est de plus en plus important. Totalement engagées dans des environnements hostiles, les machines souffrent – comme souffrent d’ailleurs nos soldats, auxquels vous me permettrez de rendre hommage. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Cela conduit à des taux de disponibilité que vous-même qualifiez d’« insupportables ». Pour les 303 hélicoptères de l’aviation légère de l’armée de terre, il n’est que de 38 % ; il atteint même 30 % pour les Puma, 26 % pour les Caracal, 24 % pour les Tigre et 21 % pour les Cougar. Seuls cent hélicoptères décollent au quotidien, pour un contrat opérationnel de cent-quarante-neuf machines. La situation de la marine n’est guère plus enviable, puisque, sur les dix-sept Caïmanlivrés, dix sont immobilisés pour maintenance et un pour des problèmes structurels.

Quelles sont les causes de cette situation inquiétante ? Elles sont multiples, et très bien détaillées dans les rapports produits par nos collègues François Lamy et Gwendal Rouillard. À l’évidence, les contrats de soutien sont sous-calibrés par rapport aux besoins réels et des goulets d’étranglement existent dans le circuit industriel de la maintenance, ce qui accroît les durées d’immobilisation, jusqu’à les doubler. L’organisation de la chaîne du maintien en condition opérationnelle est, quant à elle, bien trop complexe, car elle fait intervenir un trop grand nombre de partenaires publics et privés.

Monsieur le ministre, devant ce terrible constat, vous avez décidé de lancer un plan d’urgence, dont, à l’évidence, l’on ne ressent pas encore bien les effets. Pouvez-vous éclairer la représentation nationale sur les réformes que vous avez engagées et sur la situation actuelle de notre capacité de manœuvre aéroterrestre, dont nous savons tous qu’elle contribue grandement au succès des opérations extérieures et qu’elle constitue une priorité pour nos armées ?(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la défense.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur Vitel, nous connaissons, l’un et l’autre, très bien le sujet. Vous avez exposé les causes de la situation actuelle. La première raison est la dégradation structurelle de la disponibilité de ces machines depuis de nombreuses années. La deuxième raison est leur forte sollicitation dans des milieux extrêmement hostiles. Le taux de disponibilité n’est donc pas bon.

M. Pierre Lellouche. Et en cinq ans, qu’avez-vous fait ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. J’ai eu l’occasion de vous dire, à plusieurs reprises, en commission, que j’étais très mécontent de cette situation ; je le répète ici. Dans un premier temps, j’ai pris une série de mesures : d’abord, renforcer les moyens du maintien en condition opérationnelle – MCO – ; ensuite, demander l’acquisition de plusieurs Tigre et NH90 supplémentaires.

Néanmoins, vous l’avez bien dit, la principale question n’est pas celle de la vétusté – elle est marginale – mais celle des délais, avec la lenteur des visites et des approvisionnements en pièces détachées ;…

M. Pierre Lellouche. Il y a aussi le problème des crédits !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. …bref, la chaîne ne marche pas. Les mesures que j’avais prises antérieurement ne suffisaient donc pas.

J’ai par conséquent décidé, comme vous le savez, de lancer un plan de restructuration, une véritable révolution culturelle et technique dans la chaîne du maintien en condition opérationnelle de ces machines, qu’il s’agisse des industriels, des services ou des armées. Ces mesures sont engagées mais il faudra beaucoup de détermination, tant les habitudes en la matière sont tenaces. Or les hélicoptères sont un outil indispensable au combat moderne.

J’ajouterai un dernier point. Une des raisons des difficultés actuelles, c’est la diversité du parc. Dans l’avenir, il faudra mettre fin à cette dispersion et unifier les parcs : c’est ce que nous allons faire, avec l’hélicoptère interarmées léger. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Pierre Lellouche. Il faut aussi augmenter le budget de la défense !

Protection sociale complémentaire des fonctionnaires

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Charles de Courson. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la fonction publique.

Madame la ministre, depuis le mois de septembre 2016, votre gouvernement a lancé un processus de référencement des organismes de protection sociale complémentaire des agents publics dans la quasi-totalité des ministères. Il est vrai que la Cour des comptes avait sévèrement critiqué le dispositif initial, via un référé au Gouvernement daté du 21 février 2012. Par suite de ce référé, votre prédécesseur avait saisi trois inspections générales, le 17 décembre 2014, pour dresser le bilan de la protection sociale complémentaire des fonctionnaires et élaborer des propositions de réformes. Le rapport des trois inspections n’a, hélas ! pas été rendu public, semble-t-il parce que ses conclusions étaient gênantes pour les partisans du statu quo. De plus, en mai dernier, vous aviez annoncé aux organisations syndicales que vous alliez demander un bilan de la protection sociale complémentaire des fonctionnaires, qui aurait dû être rendu public en novembre 2016. Or, à ce jour, il n’a toujours pas été établi.

Les sommes d’argent en jeu sont importantes, et cette procédure doit protéger les intérêts de tous les agents publics. Pourtant, il semble que le respect de la transparence et de la concurrence entre les organismes candidats laisse à désirer. En effet, lors des deux premiers référencements, qui viennent d’avoir lieu et concernent le ministère de l’agriculture et le ministère des affaires étrangères, aucune audition des candidats n’a été réalisée, contrairement à toutes les règles des marchés publics.

Madame la ministre, j’ai trois questions à vous poser. Premièrement, pourriez-vous communiquer à la représentation nationale le rapport des inspections générales de novembre 2015, ainsi que le bilan que vous leur aviez demandé ? Deuxièmement, pourquoi avoir déclenché le renouvellement des référencements au mois d’août dernier, sans avoir attendu le bilan que vous aviez vous-même commandé ? Troisièmement, pouvez-vous garantir à la représentation nationale que les règles de la concurrence ont été et seront respectées ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. Philippe Vigier. Bravo !

M. Jean Lassalle. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur de Courson, je vous prie d’excuser la ministre de la fonction publique ; étant empêchée, elle m’a demandé de vous apporter les éléments de réponse suivants.

Pour les agents de la fonction publique de l’État, c’est le décret du 19 septembre 2007 qui organise la participation financière des administrations de l’État à la protection sociale complémentaire des agents publics ; elle le fait à travers un dispositif de référencement.

Les procédures de référencement en vigueur expirent courant 2017. C’est pourquoi une circulaire du 27 juin 2016 a rappelé le cadre juridique applicable à leur renouvellement. Plusieurs ministères lui ayant adressé des questions, la ministre de la fonction publique a adressé une lettre à chacun de ses collègues, en octobre dernier, afin de préciser les conditions du référencement. Les différents ministères ont mis en œuvre ces dispositifs dans le respect de la réglementation.

Vous évoquez deux procédures en particulier.

Au ministère de la culture et de la communication, comme cela avait été précédemment le cas, la procédure est commune avec le ministère de l’éducation nationale et celui de la jeunesse et des sports. Il y aura une convention par ministère, avec une participation financière distincte pour chacun. Les organismes avaient jusqu’au 23 janvier dernier pour candidater. La décision n’a pas été prise.

Au ministère des affaires étrangères, l’appel d’offres est clos depuis fin décembre 2016. Deux candidats se sont présentés. Le choix s’est porté sur la Mutuelle des affaires étrangères et européennes. Le choix d’un seul organisme est lié à la taille de la population à couvrir. Pour la première fois, les partenaires sociaux ont été tenus informés.

Comme la ministre de la fonction publique s’y est engagée, un bilan sera dressé, en mars, de l’avancement des procédures dans les ministères, et il sera rendu public. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Dotations de l’État aux collectivités territoriales

M. le président. La parole est à M. Laurent Furst, pour le groupe Les Républicains.

M. Laurent Furst. Monsieur le ministre des collectivités territoriales, avant de vous poser ma question, je veux rendre hommage à tous les députés-maires qui vont disparaître dans quinze jours, lorsque la session parlementaire aura pris fin. (« Oh ! » sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain. – Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

C’est une page de l’histoire de la République qui va se tourner, et ce sera aussi, j’en suis persuadé, une moins-value pour la qualité du travail parlementaire. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Jacques Myard. Il a raison !

M. Laurent Furst. Je veux citer ici un ancien député-maire, François Hollande, qui, dans la proposition n54 de son projet, promettait qu’un pacte de confiance serait conclu entre l’État et les collectivités, en garantissant des dotations à un niveau qui était celui de 2012.

S’il y a une promesse qui n’aura pas été tenue, c’est bien celle-là. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.) Car, finalement, vous aurez imposé aux collectivités une véritable purge budgétaire, qui s’est traduite par un effondrement de leurs investissements. Toutes dotations confondues, la baisse des concours de l’État aura été, de 2013 à 2017, de 20,7 %.

Monsieur le ministre, vous êtes un remarquable illusionniste. Alors que, de vos deux mains, vous étranglez les collectivités, notamment les communes, vous avez abondé les dotations, la DETR – dotation d’équipement des territoires ruraux – et le FSIL – Fonds de soutien à l’investissement public local. D’un côté, vous prélevez 100, de l’autre vous rendez 20 ; et, à force d’insister, vous faites croire que l’on n’en a jamais fait autant pour les territoires ruraux.

M. Jean-Paul Bacquet. Et c’est vrai !

M. Laurent Furst. Mes chers collègues, il y a pire encore. Ce sont désormais les sous-préfets et les préfectures qui attribuent des subventions vitales à des collectivités en apnée financière. La liberté des communes consiste désormais à quémander des subventions auprès des services de l’État, qui créent ainsi un lien de dépendance.

Pour les collectivités locales, monsieur le ministre, le volet financier du quinquennat de François Hollande est dramatique. Et demain, il n’y aura plus de maires dans cette assemblée pour défendre les communes de France. Parce qu’elles sont au cœur de notre démocratie, cela est plus qu’un problème. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. Jean Lassalle. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des collectivités territoriales.

Mme Estelle Grelier, secrétaire d’État chargée des collectivités territoriales. Votre question est très audacieuse, monsieur le député. (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.) Elle ne manque pas non plus d’un certain culot. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) Comme vous le savez, le candidat que vous soutenez pour la prochaine élection présidentielle propose un plan d’austérité de 100 milliards d’euros – et je m’adresse à un spécialiste. Cela revient à supprimer l’allocation de la dotation globale de fonctionnement forfaitaire pour toutes les communes. À cela, le même candidat ajoute la suppression de nombreux postes de fonctionnaires territoriaux, en contravention totale avec le principe de libre administration des collectivités territoriales.

M. Patrice Verchère. Et votre bilan ? Ce serait bien de le faire !

Mme Estelle Grelier, secrétaire d’État. L’article de presse où figure l’interview dans laquelle M. Fillon préconisait, de manière autoritaire, la suppression de 30 000 communes devrait vous conduire à poser vos questions sur un autre ton et avec un peu plus de modestie. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Nous avons, monsieur le député, fait participer les collectivités à l’effort de redressement des comptes publics de la nation ; mais, comme vous le savez, cet effort s’est accompagné d’un renforcement inédit de la péréquation, qu’il s’agisse de la dotation de solidarité rurale – vous avez, me semble-t-il, voté la mesure –, de la dotation de solidarité urbaine ou du Fonds de péréquation intercommunal et communal, à hauteur de 1 million d’euros. Nous avons aussi renforcé l’investissement local, en abondant de 1,2 milliard d’euros le Fonds de soutien à l’investissement local, et en portant le montant de la DETR à 1 milliard.

Quant à la gestion déconcentrée des fonds, c’est une demande des maires eux-mêmes : elle leur permet d’éviter de répondre à des appels à projet, et de travailler avec des sous-préfets qui connaissent particulièrement bien la situation.

Vous le voyez, votre critique est exagérée : nous avons mis en œuvre, en faveur des collectivités, une réforme territoriale structurelle et irréversible. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Produits issus de l’agriculture biologique dans la restauration collective

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Allain, au titre des députés non inscrits.

Mme Brigitte Allain. Monsieur le ministre de l’agriculture, le Conseil constitutionnel a censuré, le 26 janvier dernier, une grande avancée que nous avions votée ici, à l’unanimité et à deux reprises, issue d’une proposition de loi des députés écologistes : je veux parler de l’article 192 de la loi « Égalité et citoyenneté », relatif à l’introduction de 20 % de produits biologiques et de 40 % de produits durables en restauration collective publique.

Le Conseil constitutionnel a considéré que cet article ne correspondait pas à l’« esprit de la loi ». Pourtant, quoi de plus citoyen que l’égal accès de tous à une nourriture saine et de qualité ? Nous en sommes là suite à la saisine de parlementaires rétrogrades de droite (Protestations sur quelques bancs du groupe Les Républicains), qui refusent de voir les défis alimentaires et agricoles de ce siècle.

Cependant, la vague devient une déferlante. Un peu partout en France, les initiatives se multiplient pour faire de la restauration collective un levier de développement local, et l’agriculture biologique connaît un essor sans précédent.

Comme en Bergeracois, de nombreuses collectivités mettent en place leur projet alimentaire territorial. Nos concitoyens ont compris tout l’intérêt de la reprise en main de notre politique alimentaire et de la transition écologique que nous portons. Aussi, je reste fière du travail accompli pour porter haut dans le débat public la nécessité de se tourner vers une alimentation durable, produite au plus près des consommateurs, créatrice d’emplois et moins énergivore.

Monsieur le ministre, pour la santé des citoyens, pour le dynamisme de notre économie rurale, pour favoriser des installations viables et durables, pour la production d’aliments « bio » et locaux, la Politique agricole commune – PAC – ne devrait-elle pas engager sa mutation, lors de sa prochaine réforme, pour devenir la « Politique alimentaire et agricole commune » ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Mme Laurence Abeille, Mme Isabelle Attard, Mme Danielle Auroi, Mme Cécile Duflot, M. Noël Mamère et M. Jean-Louis Roumégas. Bravo !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Vous avez évoqué, madame la députée, la remise en cause d’une disposition que vous aviez vous-même présentée, et qui avait été votée à l’unanimité à l’Assemblée nationale et à une large majorité au Sénat. On peut regretter, en l’espèce, la saisine du Conseil constitutionnel car nous avions quelques craintes quant à une possible abrogation de cette mesure, compte tenu du cadre de la loi dans laquelle elle figurait.

M. Claude Goasguen. Il n’y a pas lieu de regretter une décision du Conseil constitutionnel ! Il n’est pas de droite, que je sache !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Cependant la chose est faite. Nous devrions néanmoins pouvoir nous mettre d’accord sur la dynamique engagée par la loi d’avenir pour l’agriculture, notamment à travers un amendement que vous aviez déposé, là encore, sur les projets alimentaires territoriaux grâce auxquels chacun, dans les territoires, prend désormais en charge la production, la consommation et l’approvisionnement locaux.

Les projets alimentaires territoriaux sont donc en marche, et l’on constate tous les jours, dans les collectivités locales comme dans un certain nombre de lieux de restauration collective, des progrès très importants.

Outre ces projets, nous avons aussi développé des stratégies permettant la localisation de la consommation et de la production, à travers différentes plateformes, en particulier la dernière en date, Localim, qui, créée par le ministère, offre tous les moyens d’acheter des produits locaux sur la base de critères spécifiques – cette plateforme propose aussi un guide spécifique sur les marchés publics. La dynamique que j’évoquais est donc aussi à l’œuvre à travers un instrument comme celui-ci.

Au fond, nous avons fait bouger les choses ensemble. La qualité des produits et des repas servis s’améliore, et la part des produits d’origine biologique en leur sein ne cesse d’augmenter. Cette prise de conscience, nous la devons, je le répète, à ce que nous avons fait ensemble.

Pour ce qui concerne la Politique agricole commune, la vraie difficulté est que, si l’on bascule dans l’alimentation, on quitte l’agriculture proprement dite. Je vois bien le lien entre les deux, mais l’orientation fixée à Chambord, où étaient présents de vingt à vingt-deux ministres, intègre précisément la question alimentaire à la future PAC de 2020. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Réseaux numériques en milieu rural

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Bourguignon, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.

Mme Brigitte Bourguignon. Ma question s’adresse à Mme la secrétaire d’État chargée du numérique et de l’innovation.

Madame la secrétaire d’État, les politiques que nous menons doivent prendre en compte les particularités des divers territoires de la France. On ne vit pas de la même manière quand on habite dans une ville, un village voire un hameau. Mais, partout, on doit avoir les mêmes droits, on doit pouvoir bénéficier des mêmes services.

M. Jean Lassalle. Très bien !

Mme Brigitte Bourguignon. Aujourd’hui, les territoires ruraux, contrairement au discours démagogique et misérabiliste ambiant, sont innovants et tournés vers l’avenir, grâce à l’engagement passionné de leurs élus.

Pour eux – pour nous –, le numérique et internet sont des outils indispensables pour l’accès élémentaire aux services publics et à la connaissance, pour le développement des entreprises et des commerces dans les zones rurales.

Dans ma circonscription du Pas-de-Calais, où l’économie touristique est très importante, cet outil est devenu indispensable. De même, c’est un élément déterminant du combat que je mène avec les élus pour l’installation des jeunes médecins en milieu rural.

Depuis 2012, un plan de lutte contre les zones blanches – celles où internet ne passe pas – est en cours. Je sais l’engagement pris pour que tout le territoire français soit couvert par le haut débit d’ici à dix ans, afin que les écoles bénéficient du numérique et que les enfants sachent s’en servir.

Madame la secrétaire d’État, vous avez pu constater, lors de votre venue sur mon territoire, cette attente forte de tous ces acteurs de la ruralité. Pouvez-vous faire un état de l’avancée de votre action ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée du numérique et de l’innovation.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du numérique et de l’innovation. Madame Bourguignon, vous avez raison, l’absence d’accès à un réseau numérique de qualité est particulièrement préjudiciable aux zones rurales. Le sentiment d’abandon est très aigu quand la couverture internet ou en téléphonie mobile n’est pas au rendez-vous. Ce n’est pas accepté ; ce n’est pas acceptable.

C’est la raison pour laquelle la priorité absolue et constante de ce gouvernement a justement été de miser sur l’investissement dans ces zones. Le plan « France très haut débit », ce n’est ni un petit peu de numérique dans les campagnes, ni surtout du numérique dans les campagnes, mais un effort global de solidarité nationale et publique, sans précédent, qui se porte sur ces zones : 3,3 milliards d’euros. Ce montant ne parle peut-être pas beaucoup mais c’est quatre fois plus que ce que le précédent gouvernement avait attribué aux réseaux numériques pour les campagnes, et cela permettra, par exemple, d’apporter la fibre optique à 700 000 foyers dans le Pas-de-Calais.

M. Marcel Rogemont. Voilà !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État. On ne le répétera jamais assez, les territoires sont la chance de la France dans la mondialisation. Quant au numérique, il est la chance des territoires pour permettre leur renaissance. C’est ce pari que nous avons fait partout, avec vous, madame la députée : à Arleux-en-Gohelle, à Fontaine-l’Étalon, à Vacquerie-le-Boucq, à Buire-au-Bois, et j’en passe. Avec la télémédecine, avec les services publics dématérialisés, avec le petit commerce, qui « e-exporte », avec l’agriculture connectée, avec les entreprises innovantes, nous préparons l’avenir. Nous refusons cette vision misérabiliste de la droite, qui ose dire que nous laissons « crever » les zones rurales. Quel mensonge ! Quelle aberration grossière !

Certes, la montée en débit, l’arrivée de la fibre, la construction des pylônes, la formation des ouvriers et le creusement des tranchées prennent du temps, mais nous sommes au rendez-vous de l’avenir des campagnes, pour notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Mme Brigitte Allain. Très bien !

Crise de l’agriculture

M. le président. La parole est à M. Gérard Menuel, pour le groupe Les Républicains.

M. Gérard Menuel. Monsieur le Premier ministre, il y a tout juste un an, le monde agricole était massivement dans la rue. Le Gouvernement avait promis de soutenir les agriculteurs. Le résultat, aujourd’hui, est particulièrement édifiant.

Le journal Les Echos rappelait ce matin que l’agriculture est la seule activité économique où les défaillances d’entreprises se sont aggravées en 2016, avec une hausse de 4 %. Tous les secteurs sont touchés, de la filière fruits et légumes aux filières viande, en passant par les céréales.

M. Paul Molac. Oui !

M. Gérard Menuel. Revenus en forte baisse, défaillances d’entreprises en forte hausse : c’est le bilan de votre action au bout de cinq ans de pouvoir.

Bien sûr, la météo du printemps 2016 n’a pas été favorable, mais elle n’explique pas que le lait soit payé 320 euros la tonne en moyenne en France, c’est-à-dire 20 % de moins qu’aux Pays-Bas. Elle n’explique pas, dans un monde globalisé, que les agriculteurs français soient les seuls à être assommés par autant de charges et de réglementations. Elle n’explique pas non plus que les agriculteurs allemands doivent s’acquitter de charges nettement inférieures aux nôtres.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Ce n’est pas vrai !

M. Gérard Menuel. Notre pays, champion de la surtransposition, et ses agriculteurs, paient aujourd’hui les choix politiques de votre gouvernement. Rappelez-vous, il y a encore quelques années, la France était le deuxième pays exportateur de produits agricoles au monde ; aujourd’hui, elle est rétrogradée à la cinquième place.

Sur le plan humain, cela se traduit par de nombreux drames, des faillites nombreuses. Des agriculteurs surendettés se tournent une ultime fois vers les banques, qui se montrent de plus en plus réticentes, et, trop souvent, la seule réponse est de mettre la clé sous la porte. Pour cette seule année 2017, on prévoit encore 20 000 fermetures d’exploitations agricoles.

Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, devant cette situation à laquelle vous n’avez pas répondu, quelles mesures entendez-vous prendre pour soutenir les agriculteurs ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur Menuel, vous avez dressé une liste, bien longue,…

M. Antoine Herth. Tellement vraie !

M. Stéphane Le Foll, ministre. …visant à rejeter la responsabilité de la crise sur le ministre de l’agriculture et le Gouvernement.

Je vous rappellerai simplement les crises que nous avons traversées.

Vous avez évoqué la crise du lait, dont nous pouvons tout à fait discuter. En 2008, la décision de supprimer les quotas laitiers a entraîné un processus menant dès 2013 à une surproduction. Nous avons redressé la situation en 2014, puis elle s’est aggravée en 2015, avant de se redresser de nouveau aujourd’hui, grâce à l’action de la France et du ministre de l’agriculture – je le dis tout de même au passage –, qui a consisté à remettre de la régulation là où il n’y en avait plus. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.) Sur ce point, monsieur le député, chacun doit assumer ses responsabilités.

Vous avez aussi évoqué d’autres crises : crise sanitaire, grippe aviaire, deux ans de suite ; crise des céréales, dont le cours, à l’échelle mondiale, s’établit à Chicago ; inondations l’an dernier, mettant en cause 30 % de la production de céréales – il est de notre responsabilité de venir en aide aux agriculteurs mais, jusqu’à nouvel ordre, je ne suis heureusement pas responsable du temps qu’il fait en France.

Pour ce qui concerne la crise bovine, avec l’actuelle épidémie de FCO – fièvre catarrhale ovine –, nous avons connu des difficultés, en effet. Il y a encore la crise porcine, en Bretagne, dont nous sortons aujourd’hui, avec des prix qui se sont redressés.

À chaque fois, nous sommes intervenus pour apporter des aides, que ce soit avec le plan de soutien à l’élevage ou avec celui de consolidation et de refinancement de l’agriculture. Je suis parfaitement conscient que ces aides ne compensent pas la baisse de prix. Néanmoins, monsieur le député, ne venez pas porter une charge aussi lourde, quand ceux qui ont pris des décisions il y a dix ans portent une part de responsabilité dans la situation actuelle.

M. Paul Molac. Tout à fait !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Dans ce domaine, chacun doit conserver un peu de rationalité et d’objectivité. L’État et le Gouvernement ont été à chaque fois présents pour apporter des solutions aux agriculteurs.

Quant aux chiffres parus ce matin, produits par la société Altares, il est difficile de comprendre l’année prise pour référence afin de comparer les faillites dans différents secteurs. Je donnerai à la représentation nationale les chiffres du ministère. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Entreprise NLMK

M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État chargé de l’industrie.

Monsieur le secrétaire d’État, dans le contexte de la désindustrialisation qui touche le département de l’Aisne depuis une vingtaine d’années maintenant, je voulais vous interroger sur le devenir du site de l’usine NLMK, à Beautor. L’an dernier, cette usine de coating automobile, propriété d’un groupe russe, a mis fin à son activité en invoquant le rétrécissement du marché européen de l’automobile. Je note d’ailleurs qu’elle n’avait pas investi, quelques années auparavant, dans les techniques modernes de laminage.

Il reste désormais quinze mois pour une reprise, alors qu’un PSE – plan de sauvegarde de l’emploi –, d’ailleurs moyennement satisfaisant pour les salariés, et une convention de revitalisation sont en vigueur. Cette dernière a permis, à ce jour, l’installation de deux entreprises significatives du sud de l’Aisne, ce qui n’est pas rien. Pour le reste, comme cela arrive souvent avec de tels dispositifs, elle a conduit à un éparpillement de petits projets, qui n’ont créé que peu d’emplois jusqu’à présent.

Je viens donc vous demander de me confirmer, monsieur le secrétaire d’État, que la détermination de l’État ne faiblit pas en ce qui concerne la réindustrialisation éventuelle de ce site. Celui-ci offre de vaste bâtiments, un outillage de qualité, et il est bien desservi par voie ferrée et voie routière, puisqu’il est situé près de l’autoroute – il fut même naguère approvisionné par un canal. Les possibilités de reprise ayant jusqu’ici échoué, les salariés et la commune peuvent-ils encore espérer le maintien d’une activité industrielle sur ce site ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de l’industrie.

M. Christophe Sirugue, secrétaire d’État chargé de l’industrie. Je vous remercie, madame Bechtel, de m’interpeller régulièrement à propos de la situation de l’industrie dans le département de l’Aisne ; je sais qu’il s’agit là d’un sujet qui vous préoccupe, notamment après la fermeture du site de l’usine NLMK, qui représentait un enjeu important, et de ses lourdes conséquences.

Ce groupe, vous le savez, madame la députée, est évidemment tenu à l’obligation de rechercher des repreneurs. Nous échangeons régulièrement avec ses responsables pour vérifier leur activité dans ce domaine.

En outre, vous avez évoqué fort justement la convention de revitalisation, qui a été établie en septembre 2016. Elle a en effet permis à des entreprises de s’implanter – certes, en créant un nombre d’emplois insuffisant – pour compenser les emplois perdus.

Pour autant, nous avons la chance de disposer d’un site dont vous avez rappelé les qualités. J’ajoute qu’il se situe dans une zone bénéficiant des AFR – aides à finalité régionale –, ce qui le rend attractif pour des investissements.

Il existe donc une vraie volonté du Gouvernement de poursuivre ce plan de revitalisation ainsi qu’une vraie mobilisation régulière de mes services, avec ceux de l’État dans la région et dans les départements, et avec les acteurs locaux – dont vous faites partie, madame la députée, vous qui êtes très active sur ce dossier –, pour que des repreneurs soient trouvés ou que, du moins, des entreprises s’installent sur ce site.

Les services de mon secrétariat d’État continuent donc de suivre de près tous les dossiers qui nous sont présentés. Début avril, nous effectuerons un point sur la recherche de repreneurs en cours car des délais courent et les engagements pris doivent être respectés. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures vingt-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

3

Dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes

M. le président. L’ordre du jour appelle le dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes.

Mes chers collègues, je souhaite, en votre nom à tous, la bienvenue au Premier président de la Cour des comptes.

Monsieur le Premier président, comme chaque année à la même période, le dépôt de votre rapport est l’occasion de témoigner à la fois de l’étroitesse des relations entre la Cour et notre Assemblée et de l’importance de la mission constitutionnelle de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques, que la révision de 2008 est venue consacrer.

Le regard que l’institution que vous présidez porte sur ces questions est important pour l’ensemble des députés. L’Assemblée et ses organes, à commencer par les commissions permanentes, et, en particulier, la commission des finances, ainsi que le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, en tirent bien évidemment le meilleur profit. L’Assemblée nationale est très attentive aux travaux exposés dans le rapport annuel que vous allez nous présenter.

La parole est à M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, madame la rapporteure générale, mesdames, messieurs les députés, les juridictions financières publient de nombreux rapports tout au long de l’année, mais la présentation du rapport public annuel demeure un rendez-vous inéluctable, un point culminant de notre calendrier.

En effet, ce rapport permet à la Cour et aux chambres régionales de rendre compte d’une partie de leurs constats, de leur impact effectif sur l’action publique et de leur activité, tout en satisfaisant à leur obligation constitutionnelle de contribuer à l’information des citoyens.

Au sujet de l’activité des juridictions, je veux citer quelques éléments.

En 2016, le champ des compétences juridictionnelles de la Cour et des chambres régionales couvrait plus de 17 000 organismes. Les chambres régionales ont publié 612 rapports d’observations définitives portant sur la gestion et les comptes des collectivités territoriales, des hôpitaux, d’autres institutions locales, auxquels s’ajoutent les avis de contrôle budgétaire et les jugements, et plus de 1 000 travaux correspondant à nos différents métiers ont été conduits par les chambres de la Cour.

Parmi ces métiers, vous l’avez rappelé, monsieur le président, figure l’évaluation des politiques publiques, à laquelle la Cour contribue, sur laquelle nous faisons le point dans ce rapport public annuel. En 2016, à votre demande, nous avons évalué la régulation des jeux d’argent et de hasard et les aides à l’accession à la propriété. J’en profite pour me réjouir avec vous de la qualité des relations entre la Cour et le Parlement, qui témoigne de l’intensité et de la portée de la mission d’assistance de notre institution à la représentation nationale.

Naturellement, nous ne nous contentons pas de poser tous ces travaux sur la table, nous en suivons très attentivement les effets, en analysant les suites apportées à nos recommandations : 72 % des recommandations émises au cours des trois dernières années ont été au moins partiellement mises en œuvre et près de 25 % l’ont été entièrement.

Ce que mesurent ces constats, c’est à la fois la réalité des efforts des agents publics pour appliquer nos recommandations, et donc l’impact effectif sur l’action publique des travaux des juridictions financières, et le chemin qu’il reste à parcourir pour améliorer l’efficacité et l’efficience de nos services publics.

Je voudrais à présent vous faire part des idées-forces que je retiens des travaux présentés aujourd’hui.

Premièrement, les progrès constatés depuis 2010 dans la situation de nos finances publiques sont réels mais demeurent fragiles. Des efforts accrus de maîtrise des dépenses seront nécessaires pour que la France soit capable de stabiliser puis de réduire son niveau de dette, et de respecter la trajectoire sur laquelle elle s’est engagée à travers son Gouvernement et son Parlement.

Deuxièmement, pour accroître l’efficacité et l’efficience des services publics, une dynamique de modernisation s’est amorcée dans de nombreux secteurs. Elle demande à être amplifiée et doit concerner tous les domaines de l’action publique.

Troisièmement et enfin, pour accompagner et renforcer cette dynamique, les juridictions financières s’attachent à identifier les freins persistants qui l’entravent et à mettre en valeur les conditions de sa réussite.

J’en viens maintenant à mon premier message, qui concerne la situation de nos finances publiques, appréciée au regard des derniers éléments disponibles.

À première vue, on pourrait se réjouir et se satisfaire de l’évolution récente de nos grands agrégats financiers. En 2016, le déficit public devrait à nouveau se réduire selon les prévisions du Gouvernement. Le solde public s’établirait pour l’année 2016 à 3,3 points de PIB, ce qui représente une amélioration de 0,2 point par rapport à 2015.

Plusieurs éléments conduisent néanmoins à relativiser la portée des progrès enregistrés, qui demeurent fragiles. Tout d’abord, la France est, avec l’Espagne, le Portugal et la Grèce, l’un des quatre pays de la zone euro qui sont encore placés en procédure de déficit public excessif.

Ensuite, la maîtrise apparemment accrue de nos dépenses publiques doit être mise en perspective. Au-delà des efforts d’économies qui ont été engagés, et que nous constatons, des facteurs indépendants de la volonté des pouvoirs publics ont contribué à une maîtrise accrue des dépenses et au respect de la trajectoire : l’évolution à la baisse des taux d’intérêt, à laquelle sont dus 40 % de la réduction du déficit public intervenue depuis 2011, et la baisse de notre contribution au budget européen.

En dernier lieu, le niveau de notre dette publique est toujours préoccupant. Établi à quatre-vingt-seize points de PIB, il est supérieur au niveau de dette moyen des États de la zone euro.

Sa stabilisation en 2016, telle qu’elle a été prévue par le Gouvernement, a été facilitée par des facteurs exceptionnels et par la poursuite de l’utilisation, par l’Agence France Trésor, d’un volume élevé d’émissions sur des souches anciennes, c’est-à-dire à des taux supérieurs à ceux du marché actuel. Cette pratique, qui freine dans un premier temps l’évolution de l’endettement en permettant l’encaissement de primes à l’émission, aura comme contrepartie d’alourdir corrélativement dans les années à venir la charge de la dette et le besoin de financement de l’État – c’est en tout cas un risque.

M. Charles de Courson. Hélas !

M. Didier Migaud, Premier président. Enfin et surtout, s’il se stabilise, le niveau de notre dette ne se replie pas, alors même que celui de certains de nos voisins européens, comme l’Allemagne ou les Pays-Bas, a continué de baisser en 2016.

En 2017, selon les prévisions du Gouvernement, l’amélioration de nos comptes devrait s’accentuer plus sensiblement. En effet, alors que l’objectif de réduction du déficit était de 0,2 point en 2016, celui de 2017 a été fixé à un niveau beaucoup plus ambitieux, à 0,6 point.

Si les juridictions financières appellent à nouveau à faire preuve de prudence vis-à-vis de ces prévisions, ce n’est pas parce qu’elles font profession de pessimisme. C’est au contraire parce qu’elles considèrent que, sans prévisions réalistes, il n’existe pas de choix éclairés. Or les prévisions actuelles ne semblent pas assez prudentes.

Elles comportent une évaluation optimiste des recettes publiques. Celle-ci repose d’une part sur une prévision de croissance économique pour 2017 qui avait été jugée un peu élevée par le Haut Conseil des finances publiques en septembre dernier et sur l’hypothèse d’une croissance spontanée des prélèvements obligatoires supérieure à ce que dicterait la prudence.

Du côté des dépenses publiques, les prévisions de déficit intègrent effectivement une nette accélération, qui s’explique notamment par une progression de plus de 3 % de la masse salariale de l’État en 2017. La Cour estime néanmoins que cette prévision de croissance des dépenses risque d’être sous-estimée, aussi bien pour l’État que pour la Sécurité sociale. En définitive, l’objectif d’un déficit à 2,7 points de PIB en 2017 sera très difficile à atteindre.

Comme j’ai eu l’occasion de le souligner il y a quelques semaines lors de notre audience solennelle de rentrée, le respect de la trajectoire adoptée par vous-mêmes dans la dernière loi de programmation des finances publiques appellera des efforts supplémentaires en matière de dépenses. Ceux-ci seront d’autant plus exigeants que plusieurs tendances lourdes s’apprêtent à peser comme autant de contraintes supplémentaires sur la situation des finances publiques.

Je veux parler ici de la remontée des taux d’intérêt, qui est en train de se concrétiser, de l’évolution de notre contribution au budget de l’Union européenne, qui, selon les prévisions même de la Commission, devrait recommencer à s’accroître, et enfin du choix souverain de notre pays de renforcer ses efforts en matière de sécurité intérieure et extérieure, ce qui ne manquera pas d’avoir des conséquences budgétaires.

Maîtriser les dépenses publiques, cela ne signifie pas qu’il faille sacrifier la qualité du service public offert aux citoyens. Au contraire, ce que montrent de nombreux exemples du rapport public annuel, ce sont des démarches d’amélioration possibles, qui reposent sur le souci d’accroître la capacité des organismes publics à répondre aux besoins réels des citoyens, tout en utilisant plus efficacement chaque euro dépensé.

Les pouvoirs publics ne sont pas restés inactifs face au défi de la modernisation. Des efforts réels ont souvent été engagés par les administrations pour accroître la performance des services publics. C’est mon deuxième message.

Certains de ces efforts manifestent une volonté de mieux organiser les politiques publiques par la formalisation d’une stratégie reposant sur des priorités et des instruments explicites, ainsi que par la clarification des rôles de chacun. Si ces réformes sont parfois très récentes, elles constituent des avancées dont la Cour sera attentive à suivre les effets.

Je citerai rapidement deux exemples. Tout d’abord, la création par regroupement du nouvel opérateur Business France, qui a permis un meilleur centrage des actions de l’État en matière d’appui à l’internationalisation de l’économie française, grâce à un partage des rôles avec les chambres de commerce et d’industrie, et à la définition d’axes stratégiques prioritaires.

Second exemple : la réforme de l’externalisation du traitement des demandes de visa à l’étranger, qui a atteint son objectif de désengorgement des consulats tout en offrant un service de bien meilleure qualité sans peser sur les finances publiques.

La Cour constate également, dans certains secteurs, des efforts d’amélioration des processus de gestion, destinés à les rendre plus rigoureux et plus efficients. Les exemples sont divers. Ils concernent entre autres le sujet sensible des achats de maintenance et du maintien en condition opérationnelle des matériels militaires, ou le recours par Pôle emploi à des opérateurs privés, dont les limites avaient été soulignées dans un rapport remis par la Cour au Parlement en 2014.

Vous le voyez, des progrès de nature diverse sont à l’œuvre, et nous les relevons chaque fois que nous les constatons, en soulignant les contraintes fortes auxquelles les administrations ont parfois dû faire face.

C’est le cas, par exemple, de la politique d’hébergement des personnes sans domicile. La Cour relève que cette politique a enregistré des progrès notables en matière de capacité d’accueil et de conditions de prise en charge des bénéficiaires. Toutefois, l’impact de la crise économique et du contexte international n’a pas permis une adaptation suffisante à des besoins sans cesse croissants, le nombre de personnes sans domicile ayant augmenté de façon massive – plus précisément de 44 % – en dix ans.

Au-delà d’un contexte difficile, le rapport public annuel relève que les initiatives prises pour améliorer la performance des politiques publiques se heurtent trop souvent à des obstacles d’ordre interne. Ceux-ci ont parfois dévoyé ou limité les effets des réformes nécessaires. Dans certains cas, ils les ont tout à fait empêchées d’advenir.

La Cour et les chambres régionales des comptes s’attachent à les identifier et à mettre en valeur les conditions à réunir pour les dépasser. C’est l’objet de mon troisième et dernier message.

Le premier frein est le défaut d’adaptation des missions et des objectifs prioritaires des administrations publiques. C’est la principale conclusion du chapitre portant sur le Muséum national d’histoire naturelle, qui n’a pas su faire face à la multiplicité des sites qu’il gère et à la nécessité de choisir un axe stratégique de développement.

Le deuxième frein identifié par la Cour est le caractère inadapté de l’organisation institutionnelle, autrement dit, le manque de clarté ou de pertinence du partage des responsabilités et des tâches.

À cet égard, l’exemple des travaux portant sur le stationnement urbain est particulièrement significatif. Il montre en effet l’incohérence de la répartition des compétences entre les communes et les structures intercommunales, qui peut entraîner une incohérence dans l’action.

Autre exemple : le projet de constitution du pôle scientifique et technologique de rang mondial Paris-Saclay, qui ne repose sur aucune stratégie ou gouvernance d’ensemble, et dont les différents volets évoluent donc de façon très inégale, insuffisamment coordonnée et rythmée.

M. François Cornut-Gentille. Oui !

M. Didier Migaud, Premier président. La Cour recommande donc, entre autres, de déterminer un nouveau mode d’organisation, reposant sur la désignation par l’État d’un responsable interministériel d’un niveau adapté aux enjeux.

La troisième difficulté récurrente que relève la Cour est le choix d’instruments inadéquats pour répondre aux objectifs fixés.

La politique de soutien aux débitants de tabac en est un exemple révélateur. Depuis les derniers travaux de la Cour, en 2013, la situation économique de ces débitants s’est globalement améliorée, du fait de l’augmentation des prix du tabac et de la part qui revient aux buralistes, la remise nette.

L’État a choisi d’augmenter fortement cette dernière tout en maintenant l’aide directe aux revenus. Pourtant, la remise nette profite à tous les buralistes, y compris à ceux dont les chiffres d’affaires sont les plus élevés. En outre, cette mesure n’encouragera en rien l’indispensable réorientation de l’activité des débitants de tabac, pourtant dictée par nos objectifs de santé publique.

Le dernier frein que je citerai est peut-être le plus important : il s’agit du défaut d’une volonté politique clairement exprimée et durable, pourtant nécessaire pour surmonter les résistances au changement et conduire les réformes jusqu’à leur terme.

Bien entendu, il n’appartient pas, il n’appartiendra jamais aux juridictions financières de décider à la place des représentants du suffrage universel. Toutefois, nombre de leurs travaux mettent en évidence les opportunités ratées, voire le coût qu’emporte un manque de constance dans la décision.

Ce constat apparaît nettement dans le chapitre consacré à l’écotaxe poids lourds. Son abandon s’est en effet avéré extrêmement coûteux pour les finances publiques, à hauteur d’au moins 1 milliard d’euros. Les recettes prévues et non collectées ont en outre été compensées, de façon très insatisfaisante au regard des objectifs initiaux, par un accroissement de la fiscalité pétrolière dont le produit est inégalement réparti entre l’État et les collectivités territoriales, et dont le coût a été supporté presque entièrement par les poids lourds français et les automobilistes.

Plusieurs autres travaux témoignent de l’immobilisme ou du retard avec lequel certains organismes font face à des difficultés de gestion pourtant évidentes, et même dénoncées par la Cour. C’est le cas des chapitres consacrés à la situation de la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse des professions libérales, la CIPAV, et des finances des hôpitaux d’Ajaccio et de Bastia. Notre rapport fait apparaître au sujet de ces derniers un abandon systématique de toute volonté de redresser la situation face aux résistances rencontrées.

M. Charles de Courson. On le constate dans bien d’autres domaines !

M. Didier Migaud, Premier président. En mettant en évidence ces freins, les juridictions financières identifient aussi en creux les remèdes, les meilleures pratiques qui pourraient contribuer à des réformes efficaces.

Je voudrais, pour conclure mon propos, vous en présenter quelques éléments, qui apparaissent dans le rapport public de cette année.

Tout d’abord, les projets réussis sont les projets bien préparés. Cela suppose d’accorder plus d’attention aux résultats obtenus par les politiques qui existent déjà, avant d’annoncer des politiques nouvelles.

Mme Valérie Rabault, rapporteure générale de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. C’est clair !

M. Didier Migaud, Premier président. Cela signifie qu’il faut adopter réellement, et pas seulement en apparence, le réflexe de l’évaluation, en intégrant dans le processus de réforme le temps nécessaire pour l’examen de ses résultats. Cela requiert enfin de renforcer considérablement le contenu des études d’impact.

Cette observation réitérée des juridictions financières trouve son illustration dans le chapitre sur les autoroutes ferroviaires, dont la Cour souligne le bilan mitigé. Alors que leur développement a représenté un effort financier significatif pour la collectivité, la Cour recommande que soit menée rapidement une évaluation de l’impact environnemental et économique de chaque projet.

Les réformes doivent par ailleurs reposer sur une stratégie connue par les acteurs, construite sur la base d’une analyse partagée des besoins, des priorités d’action pour y répondre et un partage des rôles clair.

C’est tout le sens des recommandations formulées par la Cour dans ses travaux sur la politique de contrôle et de lutte contre la fraude en matière de formation professionnelle continue des salariés. Pour construire cette politique qui n’existe pas aujourd’hui, il paraît nécessaire de mettre en place une véritable stratégie de contrôle, reposant sur une analyse des risques, une programmation annuelle et une organisation plus adaptée aux enjeux.

La qualité de la préparation d’une réforme est cruciale. Il ne s’agit pas pour autant de céder au mirage des planifications parfaites et de détourner pudiquement le regard à l’heure de la mise en œuvre.

Les travaux présentés aujourd’hui permettent d’illustrer deux facteurs qui ont un rôle essentiel dans la mise en œuvre réussie d’un projet. Ces deux éléments sont les suivants : la responsabilisation des acteurs du changement et l’instauration d’un pilotage réactif par les résultats.

Le chapitre portant sur le renouvellement des moyens aériens et navals de la douane est le contre-exemple exact d’une responsabilisation réussie des agents. La Cour a constaté à leur sujet une longue et grave série d’erreurs et d’échecs, produits d’une culture autarcique de la douane et d’un défaut réitéré de contrôle des services locaux par l’administration centrale.

Enfin, l’exemple de l’indemnisation amiable des victimes d’accidents médicaux prouve la nécessité d’instaurer un pilotage réactif par les résultats, qui permette de tirer la sonnette d’alarme lorsque les objectifs ne sont pas remplis.

Mise en œuvre dans la foulée de la loi du 4 mars 2002, cette politique a en effet été dévoyée. Si la loi institue un droit à réparation des accidents médicaux même en l’absence de faute, ce qui constitue un grand progrès, les résultats obtenus dans le cadre de la procédure amiable ne sont pas à la hauteur des objectifs attendus. Le nombre de demandeurs d’indemnisation amiable reste en effet modeste au regard de la population potentielle, car les victimes se détournent de cette procédure. Cela s’explique par des défaillances lourdes dans le positionnement et la gestion de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, établissement public chargé d’indemniser les victimes.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je voudrais à présent conclure en rappelant trois messages.

Le premier, c’est que la situation de nos finances publiques demeure fragile et vulnérable, malgré des progrès constatés. Les efforts pour maîtriser les dépenses publiques devront être poursuivis et intensifiés si notre pays veut préserver sa capacité à faire des choix souverains et à rester crédible dans le concert européen grâce au respect de ses engagements. Les rapports de la Cour et des chambres régionales des comptes montrent des marges d’efficacité et d’efficience dans nombre de politiques publiques.

Le deuxième message, c’est qu’une modernisation effective de notre action publique est possible. Elle a été engagée dans plusieurs secteurs et peut prendre appui sur des atouts importants, au premier rang desquels se trouvent les compétences et la force de l’engagement d’un grand nombre d’agents publics. Elle doit se systématiser en prenant en compte les meilleures pratiques.

Enfin – et c’est un message réitéré des juridictions financières –, le succès des démarches de modernisation dépend d’une sorte de révolution copernicienne, qui consisterait à prêter plus d’attention aux résultats effectifs de l’action publique, à l’impact des politiques publiques pour leurs bénéficiaires, et à fonder les décisions sur la mesure de ces résultats plutôt que sur le souci d’annoncer systématiquement des mesures nouvelles.

Pour accomplir cette révolution, les pouvoirs publics peuvent compter sur les juridictions financières, qui souhaitent continuer à remplir avec une grande vigilance les missions que leur ont confiées les représentants du suffrage universel. (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Monsieur le président, monsieur le Premier président, messieurs les magistrats de la Cour des comptes, madame la rapporteure générale, mes chers collègues, je voudrais souligner d’emblée la qualité et la nécessité des relations étroites qui existent entre notre Assemblée, et plus particulièrement la commission des finances, et la Cour des comptes.

Puisque nous sommes en fin de législature, je vous livre rapidement quelques chiffres. Depuis 2012, la Cour nous a communiqué 136 référés et 128 rapports particuliers. Les rapporteurs spéciaux, qui sont destinataires de ces rapports, peuvent témoigner de leur qualité et de l’intérêt qu’ils présentent pour la conduite de leurs travaux de contrôle et d’évaluation de la dépense publique.

Elle nous a également remis 21 rapports d’enquête en application du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, dite LOLF, qui nous permet de vous saisir sur des sujets qui nous paraissent particulièrement importants.

Plutôt que de les citer, vous me permettrez de prendre un seul exemple. Dans quelques semaines, au cours de ce qui sera probablement l’une des dernières réunions de notre commission, nous entendrons nos collègues Alain Fauré et Marie-Christine Dalloz sur l’évaluation de la loi du 13 juin 2014 relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d’assurance vie en déshérence. Cette loi est issue d’un travail qui avait été demandé à la Cour des comptes au titre du 2° de l’article 58 de la LOLF par le rapporteur général de l’époque, Christian Eckert. À la suite de ce travail, il a préparé et déposé une proposition de loi qui a été adoptée à l’unanimité par la commission des finances, puis ici même. Nous procédons aujourd’hui à une évaluation des résultats de cette loi, que l’on peut dès à présent qualifier de succès – car ce n’est pas parce que le succès a été au rendez-vous, avec une démarche exceptionnellement rigoureuse, que nous ne devons pas procéder à cette évaluation.

C’est à dessein que j’ai pris cet exemple, car, vous l’avez fort bien dit, monsieur le Premier président, sur de multiples sujets, nous travaillons bien trop rapidement, sans étude d’impact et sans assumer nos décisions.

M. François Cornut-Gentille. Oui.

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Avant d’évoquer la situation de nos finances publiques, je voudrais m’attarder sur la désastreuse affaire de l’écotaxe poids lourds.

M. Bertrand Pancher. Très bien !

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. À mes yeux, cette affaire engage notre responsabilité collective. Ce n’est pas la faute de la droite, ce n’est pas la faute de la gauche…

M. Bertrand Pancher. Ni celle du centre ! (Sourires)

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. …c’est une responsabilité que nous devons assumer collectivement.

M. Éric Alauzet. Très bien !

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Nous devons l’assumer, car, sur des réformes de ce type, lourdes, qui engagent l’avenir, il faut un portage politique. Or, si nous avons voté ce texte – sans véritable étude d’impact – en 2009, nous en avons renvoyé l’application à la législature suivante. Soit dit en passant, je ne critiquerai pas le prélèvement à la source sur le fond, mais je trouve anormal que des réformes de ce type soient renvoyées – en termes de responsabilité politique – aux législatures suivantes.

Mme Véronique Louwagie. Et votées en fin de mandat !

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Surtout, cette réforme – l’écotaxe poids lourds – a été menée sans véritable étude d’impact, de façon centralisée. Vous avez raison de dire, monsieur le Premier président, que nous devrions raisonner de façon plus décentralisée. Si des régions volontaires en avaient pris l’initiative, peut-être cette réforme aurait-elle pu fonctionner ; si elle avait été expérimentée ici ou là, peut-être serions-nous arrivés à un résultat. Au lieu de cela, c’est un échec colossal…

Mme Claudine Schmid. Onéreux !

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. …qui coûte 1 milliard d’euros à court terme. J’entendais dire à la radio que cela coûtait 1 milliard d’euros à l’État. Non, cela coûte 1 milliard d’euros aux contribuables que nous sommes : ce sont les automobilistes, notamment, qui payent, à travers l’augmentation du prix des carburants. L’objectif, qui était de faire contribuer les poids lourds étrangers traversant la France aux investissements en matière d’infrastructures, n’a absolument pas été atteint.

Cet exemple plaide à nouveau en faveur des études d’impact. Mieux vaut prendre un peu plus de temps avant de décider. Et une fois la décision prise, il faut qu’il y ait un portage politique absolu : il ne s’agit pas de renvoyer à d’autres le soin de mettre la réforme en œuvre.

Je voudrais maintenant évoquer la situation de nos finances publiques. Dans votre rapport, un graphique m’a frappé : celui qui montre le niveau de la dépense publique dans notre pays, comparé à la moyenne de la zone euro. En 2010, l’écart est de 7,5 points ; en 2015, il est passé à 10,7 points. La dépense publique représente plus de 57 % du PIB en France pour un peu plus de 46 % pour la moyenne des pays de la zone euro. On voit donc bien, chers collègues, qu’il faut faire porter tous nos efforts sur l’efficacité de la dépense publique. J’irai même plus loin, en reprenant une phrase que le Premier président avait mise en exergue d’un célèbre rapport en 2000 : il faut dépenser moins en dépensant mieux. C’est cela notre travail, collectivement, que ce soit à la commission des finances ou ailleurs, et sur tous les bancs.

Comme le dit la Cour des comptes, dont je partage en tout point l’analyse sans concession, la situation de nos finances publiques est très préoccupante. Cet excès de dépense publique et de réglementations conduit à un décrochage sur la croissance. Un chiffre devrait tous nous interpeller : en 2016, la croissance n’aura été que de 1,1 % en France, contre 1,9 % en Allemagne. Depuis cinquante ans, nos deux pays ont toujours évolué de manière à peu près parallèle. Parfois, nous faisions un peu mieux que l’Allemagne – ce fut notamment le cas à la fin des années 1990, de 1998 à 2001 ; à d’autres moments, nous faisions un peu moins bien ; mais, en moyenne, nous cheminions de conserve. Or nous perdons désormais inexorablement chaque année 0,5 ou 0,6 – et cette année 0,8 – point de croissance par rapport à l’Allemagne.

Ce n’est plus possible : nous devons absolument prendre les mesures de redressement nécessaires. Celles-ci passent nécessairement par la maîtrise de la dépense publique. Nous savons bien que nous ne pouvons plus continuer à augmenter les prélèvements obligatoires. Nous pouvons les rendre plus efficaces, peut-être les redéployer, mais nous ne pouvons plus les augmenter.

Comme la Cour des comptes, je suis inquiet. Le Premier président vient de nous dire que 40 % de la réduction du déficit opérée depuis 2012 s’expliquait par la baisse des taux d’intérêt, donc de la charge des intérêts. Cette baisse nous tombe du ciel, mais durera-t-elle ?

Que nous dit par ailleurs le Premier président sur l’année 2017 ? Que la masse salariale de l’État va augmenter autant sur cette seule année qu’entre 2011 et 2016.

M. Marc Le Fur. C’est fou !

M. Éric Alauzet. Avant, c’était bloqué !

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Autant qu’en cinq ans ! On se rend bien compte de la vulnérabilité extrême de notre pays. Le déficit a baissé, je suis le premier à le reconnaître. Lorsque cette majorité est arrivée aux responsabilités, le déficit public était légèrement supérieur à 5 points de PIB. En 2016, l’objectif de 3,3 % sera atteint et je m’en réjouis. Mais il était de 3,5 points en 2015. En une année, alors que les taux d’intérêt sont bas, que le prix du pétrole était particulièrement bas, que tous les astres étaient alignés, nous n’aurons gagné, en termes de baisse de déficit, que 0,2 point de PIB ! C’est une très médiocre performance.

Est-il normal que notre pays soit en procédure de déficit excessif depuis 2009 ? Quels sont les autres États qui le sont aujourd’hui ? La Grèce, le Portugal et l’Espagne, mais cette dernière est en train de progresser rapidement. Il faut absolument qu’il y ait un sursaut. Or, comme le dit la Cour des comptes, l’objectif de 2,7 points en 2017 est très difficile à atteindre. Ne nous leurrons pas : nous savons tous que les recettes ont été un peu surestimées. Nous n’avons pas voulu trop insister, car il est normal qu’un gouvernement ait un minimum de volontarisme et d’optimisme dans ses prévisions ; mais, même si la prévision de croissance est passée de 1,5 à 1,4 %, le résultat très médiocre de 2016 – 1,1 point – laisse penser qu’elle reste un peu au-dessus de ce que l’on peut raisonnablement espérer. C’est d’ailleurs ce qu’estime le Haut Conseil des finances publiques.

Les recettes sont donc un peu surévaluées, tandis que les dépenses ont plutôt tendance à être sous-estimées. Un certain nombre de charges sont ainsi reportées sur 2018 et les années ultérieures à coup de crédits d’impôts et de dépenses fiscales. C’est le cas du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE. On constate que, sur ce sujet de la maîtrise de la dépense fiscale, cher à l’ancien président de la commission des finances et qui avait pourtant fait l’objet d’un rapport qui avait eu quelques effets en 2009, les choses n’ont pas changé.

M. Charles de Courson. Certes non !

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Au contraire, la dépense fiscale continue de progresser.

Nous devons prendre conscience que, avec des déficits qui restent largement supérieurs aux 3 %, notre pays est conduit à emprunter chaque année 60 à 70 milliards. En réalité, on joue à la marge, on emprunte un peu moins parce qu’on fait des primes d’émission ; comme l’explique très bien la Cour des comptes, il y a des décalages entre les engagements et l’emprunt réel, grâce au CICE ou au programme d’investissements d’avenir. On ouvre par exemple 10 milliards d’engagements juridiques sur le programme d’investissements d’avenir en 2017 ; mais il y a zéro en crédits de paiement – donc zéro emprunt. Et, comme par hasard, c’est à partir de 2018 que cela va commencer à peser !

M. Marc Le Fur. Cela s’appelle de la cavalerie !

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Tout cela conduit notre pays à s’endetter, avec un besoin de financement annuel qui est de l’ordre de 200 milliards d’euros. Comme le disait à l’instant le Premier président, si les taux d’intérêt devaient remonter – et ils commencent à remonter –, notre pays se retrouvera confronté à un problème budgétaire gravissime – je me refuse à utiliser le mot faillite. Et là, croyez-moi, il faudra prendre des mesures, violentes et immédiates, qui n’auront pas été réfléchies et qui pénaliseront, comme toujours, les plus vulnérables de nos concitoyens. C’est cela qu’il nous faut éviter.

La Cour des comptes est là pour nous rappeler que les finances publiques doivent en permanence être scrutées, analysées, contrôlées par les députés que nous sommes. Je citerai cette phrase prononcée ici par Pierre Mendès France sous la IVe République, en pleine tourmente : « Des comptes en désordre sont le signe d’une nation qui s’abandonne. » Je ne voudrais pas que la France s’abandonne. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à Mme Valérie Rabault, rapporteure générale de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.

Mme Valérie Rabault, rapporteure générale de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Monsieur le président, monsieur le Premier président, monsieur le rapporteur général de la Cour des comptes, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, je salue à mon tour le dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes, dont les observations – qui participent de ses missions d’assistance du Parlement dans le contrôle de l’action du Gouvernement, notamment au titre de l’exécution des lois de finances et de l’évaluation des politiques publiques –, sont toujours très riches d’enseignements. Je souhaiterais également saluer l’action des chambres régionales des comptes, qui, en 2016, ont publié 613 rapports d’observations définitives, eux aussi riches d’enseignements.

Pour aborder ce rapport, je souhaiterais privilégier trois thèmes. Premièrement, la gestion des finances publiques est-elle sincère et conforme aux objectifs que notre majorité a votés ? Deuxièmement, les recommandations formulées par la Cour des comptes sont-elles suivies, lorsqu’elles ont été acceptées ? Troisième préoccupation, qui me tient beaucoup à cœur et qui est, me semble-t-il, partagée par le président de la commission des finances : l’argent public, c’est-à-dire l’impôt versé par nos concitoyens, est-il utilisé de manière pertinente ?

À la première question – la gestion des finances publiques est-elle conforme à ce que nous avons voté ? –, la Cour semble répondre par l’affirmative, au moins pour 2016. De fait, vous écrivez que le déficit public, en 2016, devrait être « proche de l’objectif du Gouvernement », soit moins de 3,3 % du PIB. Vos observations se fondent sur les résultats provisoires de l’exécution du budget de l’État communiqués par le Gouvernement. Le déficit serait ainsi à son plus faible niveau depuis le déclenchement de la crise financière, en 2007 – je rappelle qu’il a reculé de 1,5 point de PIB entre 2012 et 2016. Toutefois, j’ai lu aussi, dans le rapport de la Cour, que des doutes demeuraient, que cette réduction du déficit public apparaissait « modeste ».

Pour ma part, je souhaiterais insister sur trois points. Premièrement, le redressement des comptes publics ne doit jamais se faire au détriment de la création de richesse économique. De fait, lorsque l’on va trop vite en termes de réduction des dépenses publiques, le risque d’un effet récessif ne peut jamais être écarté.

Deuxièmement, cette réduction du déficit public aura été opérée concomitamment à une baisse très légère, mais bien réelle, des prélèvements obligatoires et à un allégement de charges de 40 milliards d’euros par an par le biais du CICE et du pacte de responsabilité en direction des entreprises.

Troisièmement, cette réduction s’est faite sans augmenter les reports de dépenses d’une année sur l’autre, ce qui peut être une tentation, comme l’a souligné le président de la commission des finances. De fait, ces reports sont demeurés pratiquement constants entre 2015 et 2016 : ils ne sauraient donc expliquer la diminution du déficit. Cela n’a pas toujours été le cas.

Mme Véronique Louwagie. Nous verrons ce qu’il en sera en 2017 !

Mme Valérie Rabault, rapporteure générale. La Cour se livre également à une analyse de l’évolution du déficit structurel – composante du déficit nominal calculée hors impact de la conjoncture. À cet égard, je ne partage pas l’analyse qui est présentée, et je regrette que, sous cette législature, nous n’ayons pas réussi à faire vivre cette composante structurelle du déficit, ou, pour dire les choses autrement, à l’appréhender sous l’angle purement économique, pour que la politique macro-économique puisse bénéficier d’une vraie boussole.

M. Charles de Courson. Cette composante existe-t-elle ? L’avez-vous rencontrée ? (Sourires.)

Mme Valérie Rabault, rapporteure générale. Elle existe bel et bien, mon cher collègue ! Cette boussole repose sur le déficit structurel. Je forme le vœu que, sous la prochaine législature, on soit en mesure de le faire vivre plus que nous ne l’avons fait.

Deuxième question : les recommandations formulées par la Cour des comptes sont-elles mises en œuvre, et de quelle façon ? De fait, cette dernière présentation du rapport public annuel est également l’occasion de dresser le bilan de leur application. Comme l’a fait le président Carrez, il est intéressant de repartir du début de la législature.

Selon l’indicateur utilisé dans le rapport, il apparaît que des progrès ont été enregistrés, puisque 72 % des 1 623 recommandations de la Cour ont été mises en œuvre en 2016 – soit une progression de 10 % par rapport à 2013, année au cours de laquelle 61,8 % des recommandations avaient été suivies, partiellement ou totalement. Vous citez plusieurs exemples, qui ont d’ailleurs été rappelés par le président de la commission des finances : la gestion des avoirs bancaires, la réorganisation du fonctionnement de Tracfin, l’organisme interministériel de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, la limitation des frais de gestion des retraites complémentaires de l’AGIRC – Association générale des institutions de retraite des cadres – et de l’ARRCO – Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés –, obtenue grâce à l’accord national interprofessionnel du 30 octobre 2015, qui prévoit une réduction des charges de gestion de 300 millions d’euros d’ici à 2022.

La troisième question concerne l’utilisation de l’argent public, c’est-à-dire des impôts acquittés par nos concitoyens. Bien évidemment, votre rapport annuel met en lumière les dysfonctionnements que vous constatez, les cas dans lesquels l’argent public pourrait être utilisé de meilleure façon. Votre rapport 2017 contient de nouveau une analyse très approfondie de certaines politiques publiques et de la gestion de certaines entreprises publiques. J’aborderai ici certaines de ces analyses. Vous consacrez – je crois que c’est une première, monsieur le Premier président – un chapitre entier à la gestion d’une ville : Levallois-Perret.

M. Charles de Courson. La ville la plus endettée de France !

Mme Valérie Rabault, rapporteure générale. Il arrive, bien entendu, que votre rapport annuel présente des analyses relatives à des territoires, des régions, mais jamais encore cela n’a été le cas concernant une ville. Les constats que vous dressez sont d’une sévérité sans appel : ainsi « la Chambre régionale des comptes d’Île-de-France a relevé de multiples irrégularités dans les conditions de passation et d’exécution de plusieurs marchés attribués par la commune de Levallois-Perret » ; « des élus municipaux [sont] exposés à des situations de conflits d’intérêts » ; vous relevez également « des pratiques porteuses de risques et d’irrégularités ».

M. Charles de Courson. Il faut une saisine au pénal !

Mme Valérie Rabault, rapporteure générale. Face à ces constats d’une importante gravité, surtout au regard des sommes en jeu, la Cour formule deux recommandations, l’une en direction de la commune, l’autre à l’attention de l’État. À la commune, elle demande de mettre fin à la multiplication des structures associatives ou privées qui se voient confier des missions de service public qui, normalement, devraient être réalisées par la ville. À l’État, elle demande de procéder à un contrôle de la légalité des actes de la commune.

Je vous avoue, monsieur le Premier président, être quelque peu restée sur ma faim au regard du caractère très général de ces recommandations, alors même que vous avez mis en évidence des faits d’une gravité  assez saisissante. Pour ma part, je regrette que la Cour, dans ce type de cas – qu’elle a choisi délibérément de faire figurer dans son rapport annuel –, lorsqu’elle constate des manquements aussi importants en matière d’utilisation d’argent public, ne saisisse pas la Cour de discipline budgétaire et financière. Monsieur le Premier président, envisagez-vous de saisir cette juridiction si, d’aventure, vos recommandations n’étaient pas suivies d’effet ?

M. Charles de Courson. Et d’intenter une action au pénal !

Mme Valérie Rabault, rapporteure générale. Une deuxième analyse, extrêmement intéressante, concerne la gestion du stationnement des véhicules automobiles en milieu urbain. Vous constatez – sans toutefois donner de chiffres précis – que cette gestion est « fréquemment » confiée à un délégataire, via une délégation de service public. Vous estimez que, dans « de nombreux cas », cette délégation de service public est établie au détriment du contribuable. Vous dites que l’équilibre économique du contrat est établi en faveur du délégataire et vous reconnaissez que le suivi du contrat est, dans de nombreux cas, très défaillant.

Vous n’avez pas cité cet exemple dans votre rapport, mais la ville de Montauban, que je connais bien, a fait l’objet des mêmes remarques sur sa délégation de service public par la chambre régionale des comptes de Midi-Pyrénées, qui a même employé le terme d’ « illégalité » à propos de l’exonération de redevance opérée de manière temporaire. Là encore, monsieur le Premier président, je me permets de vous poser de nouveau la question : envisagez-vous, dans ces cas-là, lorsque vous observez une utilisation de l’argent public non conforme à notre droit, une saisine de la Cour de discipline budgétaire et financière ?

Le président de la commission des finances en a parlé : vous êtes revenu très longuement sur l’échec de l’écotaxe poids lourds, qui représente un coût extrêmement élevé pour les finances publiques. Vous avez établi un état financier très précis, et je crois que chacun, sur ces bancs, aura à cœur de lire ce chapitre extrêmement éclairant.

Enfin, vous soulignez combien il est important de mener une politique de contrôle et de lutte contre la fraude en matière de formation professionnelle. En effet, vous avez relevé de fausses facturations, ainsi que des formations fictives, sans toutefois préciser le montant que pourrait atteindre cette fraude – je rappelle que la formation professionnelle représente 11 milliards d’euros.

Vos observations sont extrêmement documentées et précises. L’une des très grandes forces de notre démocratie est de pouvoir compter sur la Cour et le réseau des chambres régionales des comptes, qui diffusent ces informations.

J’invite les rapporteurs spéciaux budgétaires à se saisir de vos travaux, car ils y trouveront de nombreux éclairages et des pistes variées pour orienter les mesures et les politiques que nous souhaitons mettre en œuvre.

Monsieur le Premier président, je vous remercie à nouveau pour ce travail d’éclairage indispensable et très utile au Parlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et sur quelques bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. Monsieur le Premier président, l’Assemblée nationale vous donne acte du dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures dix, est reprise à dix-sept heures vingt, sous la présidence de M. Marc Le Fur.)

Présidence de M. Marc Le Fur

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

4

Sécurité publique

Suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’un projet de loi adopté par le Sénat

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à la sécurité publique (nos 4420, 4431).

Discussion des articles (suite)

M. le président. Hier soir, l’Assemblée a commencé la discussion des articles du projet de loi, s’arrêtant à l’article 6 bis, précédemment réservé.

Article 6 bis (précédemment réservé)

M. le président. La parole est à M. Yves Goasdoué, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour soutenir l’amendement n91.

M. Yves Goasdoué, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. C’est un amendement rédactionnel.

(L’amendement n91, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 6 bis, amendé, est adopté.)

Article 6 ter (précédemment réservé)

(L’article 6 ter est adopté.)

Après l’article 6 ter (amendements précédemment réservés)

M. le président. Je suis saisi de plusieurs amendements portant article additionnel après l’article 6 ter.

L’amendement n113 rectifié est défendu.

La parole est à M. Yves Goasdoué, rapporteur.

M. Yves Goasdoué, rapporteur. Il s’agit de la peine complémentaire d’interdiction temporaire d’accès à tout établissement scolaire, culturel, sportif ou religieux pour toute personne condamnée pour terrorisme.

Cet amendement étant déjà satisfait, j’émets un avis défavorable à son adoption.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Avis défavorable.

(L’amendement n113 rectifié n’est pas adopté.)

M. le président. Les amendements nos 56 rectifié, 14 rectifié, 57 rectifié, 52 rectifié et 58 rectifié sont défendus.

(Les amendements nos 56 rectifié, 14 rectifié, 57 rectifié, 52 rectifié et 58 rectifié, repoussés par la commission et le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

Article 6 sexies A (précédemment réservé)

M. le président. La parole est à M. Yves Goasdoué, rapporteur, pour soutenir l’amendement n95.

M. Yves Goasdoué, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer l’article 6 sexies A, résultat d’un amendement adopté en commission des lois à une très courte majorité. L’article confère la qualité d’officier de police judiciaire – OPJ – aux directeurs de prison et aux chefs de détention. Il apparaît excessif et prématuré de mettre en œuvre cette mesure, à moins de remettre en cause l’articulation des missions confiées aux autorités judiciaire et pénitentiaire.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement est favorable à cet amendement de suppression de l’article, dans la mesure où, comme l’a très bien dit M. le rapporteur, l’administration pénitentiaire détient des prérogatives de police administrative nécessaires à la prévention des évasions, mais n’a pas de compétences en matière judiciaire. Cette question de principe a souvent été discutée, mais elle dépasse très largement l’objet du projet de loi, et une réflexion approfondie serait nécessaire au regard des exigences constitutionnelles, des missions confiées à l’administration pénitentiaire, de l’articulation de celles-ci avec l’autorité judiciaire et des moyens qu’elles supposent.

(L’amendement n95 est adopté et l’article est supprimé.)

Article 6 sexies B (précédemment réservé)

M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon, pour soutenir l’amendement n79.

M. Philippe Goujon. L’article 6 sexies B vise à répondre à la censure constitutionnelle, intervenue par la voie d’une question prioritaire de constitutionnalité – QPC. Au quatrième alinéa de l’article 41-1-1 du code de procédure pénale, la valeur maximale du vol pouvant donner lieu à une transaction pénale est fixée à 300 euros.

La transaction pénale est une procédure excessivement complexe qui a pour effet non seulement de mettre un terme au suivi pénal des délinquants puisque le paiement de l’amende éteint les poursuites, mais également de susciter un sentiment d’impunité chez eux : en effet, ils n’encourent qu’un tiers de l’amende prévue pour les délits passibles d’un an de prison et pouvant donner lieu à une transaction pénale. Ces délits couvrent de nombreux contentieux de masse, comme les occupations de halls d’immeuble, les ventes à la sauvette, les vols, la mendicité agressive, etc.

On sait que la lourdeur procédurale décourage les policiers de recourir à ce mécanisme de transaction pénale, dont l’expérimentation dans plusieurs arrondissements de Paris a été arrêtée par le procureur de la République et le préfet de police à cause de son extrême complexité.

Cet amendement propose de supprimer la transaction pénale pour les délits passibles d’un an de prison, les magistrats pouvant de toute façon recourir à l’ordonnance pénale, qui a le mérite de ne pas faire reposer sur les policiers les tâches administratives qui relèvent du ministère de la justice, et dont l’emploi est beaucoup plus souple.

M. le président. La parole est à M. Yves Goasdoué, rapporteur.

M. Yves Goasdoué, rapporteur. Cher collègue, vous souhaitez revenir sur l’une des dispositions de la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales. La transaction pénale n’est qu’une possibilité placée sous le contrôle du procureur de la République, ce dernier devant homologuer les propositions de transaction qui lui sont soumises.

La procédure peut effectivement s’avérer un peu lourde, mais elle permet une répression effective d’infractions mineures ou techniques, les sanctions appliquées étant plus dissuasives pour l’auteur des faits et plus efficaces que certaines amendes pénales, dont le taux de recouvrement demeure faible ; de même, les peines de prison encourues sont rarement prononcées. Cette procédure permet également d’éviter le passage devant les juridictions pénales, dont on connaît l’encombrement, pour les infractions dont la gravité ne le mérite pas toujours. C’est la raison pour laquelle j’émets un avis défavorable à l’adoption de votre amendement.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement a le même avis que M. le rapporteur. Nous n’avons pas de raison de vouloir limiter l’emploi de la procédure de transaction par OPJ, qui a été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision concernant la QPC du 23 septembre 2016. Il suffit de préciser dans la loi, comme le fait l’article 6 B, le plafond de valeur des biens volés pouvant donner lieu à cette procédure. Cette dernière paraît adaptée pour les petits délits, car elle est un peu plus simple que celle de composition pénale qu’elle vient utilement compléter.

M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon.

M. Philippe Goujon. Monsieur le ministre et monsieur le rapporteur, je comprends bien vos arguments, mais ils sont purement théoriques. Je ne dis pas que la procédure de transaction pénale est inutile en elle-même, mais son application concrète est rendue impossible par sa lourdeur : le procureur doit la déclencher et ne peut le faire que pendant les heures de fonctionnement des juridictions à Paris ; ensuite, il faut obtenir l’accord du prévenu, puis le dossier est transféré au tribunal de grande instance – TGI – ; en outre, la police doit recueillir les fonds, alors qu’elle n’a aucun moyen pour le faire.

Il ne faut peut-être pas jeter le bébé avec l’eau du bain, mais le procureur de la République de Paris et le préfet de police, qui croyaient en cette procédure puisqu’ils l’ont expérimentée pendant plusieurs mois, y ont renoncé car elle ne fonctionnait pas, malgré ses avantages théoriques que vous exposez de manière convaincante.

(L’amendement n79 n’est pas adopté.)

M. le président. L’amendement n92 est rédactionnel, monsieur le rapporteur ?

M. Yves Goasdoué, rapporteur. Oui, monsieur le président.

(L’amendement n92, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 6 sexies B, amendé, est adopté.)

Article 6 sexies C (précédemment réservé)

M. le président. L’amendement n93 est rédactionnel.

(L’amendement n93, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. L’amendement n94 est un amendement de précision.

(L’amendement n94, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 6 sexies C, amendé, est adopté.)

Article 8 (précédemment réservé)

M. le président. Nous en venons aux amendements à l’article 8.

La parole est à M. Philippe Goujon, pour soutenir l’amendement n59.

M. Philippe Goujon. Cet amendement tend à revenir à la version adoptée par le Sénat concernant le périmètre géographique sur lequel les personnels affectés aux équipes de sécurité pénitentiaire pourraient procéder au contrôle des personnes soupçonnées de commettre des infractions.

Le Sénat a étendu ce périmètre aux « abords immédiats » de l’établissement. La commission des lois de notre assemblée a supprimé cette précision, pourtant très opportune.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Yves Goasdoué, rapporteur. Cher collègue, mon avis ne vous étonnera pas, puisque j’étais à l’origine de la suppression des termes insérés par le Sénat.

Je le rappelle, le Sénat a étendu le périmètre concerné, initialement défini par la notion d’« emprise foncière », aux « abords immédiats », ce qui emporte des conséquences non négligeables : cette extension reviendrait, s’agissant des prisons de centre-ville, à faire intervenir directement sur la voie publique des personnels pénitentiaires qui n’y ont pas été formés. Il en va différemment des prisons plus récentes situées en périphérie des villes, car celles-ci disposent d’un glacis, d’un domaine bien déterminé.

C’est pourquoi cet amendement a reçu un avis très défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. J’aimerais convaincre M. Goujon de retirer son amendement.

Comprenez bien la démarche du Gouvernement, monsieur le député : l’objectif est, d’une part, de décharger les forces de sécurité de ce qu’on appelle traditionnellement – le vocable n’est sans doute pas le plus adapté dans le cas d’espèce – les charges indues, et, d’autre part, de renforcer la sécurité périmétrique des bâtiments de l’administration pénitentiaire.

La plupart de nos établissements disposent en réalité d’une emprise foncière qui sert de glacis. C’est le plus souvent à l’intérieur de ces glacis que des individus pénètrent pour projeter notamment des téléphones. Or, selon la réglementation en vigueur, les personnels de l’administration pénitentiaire chargés de surveiller les abords des établissements ne peuvent que constater ces faits. En permettant à ces derniers d’intervenir sur le domaine pénitentiaire, de retenir les individus en cause en attendant que les forces de sécurité, police ou gendarmerie, interviennent, nous introduisons une complémentarité des fonctions.

Vous nous proposez de revenir à la rédaction qui a été votée par le Sénat, mais je vais essayer de faire revenir François Grosdidier sur sa position, car je pense que, sur le fond, nous sommes d’accord. Je crains tout d’abord que la notion d’« abords immédiats » soit extrêmement difficile à définir juridiquement, tandis que celle d’« emprise foncière » a été validée par le Conseil d’État. À quel moment peut-on considérer qu’on ne se situe plus aux abords immédiats d’un établissement ? À cinq mètres, six mètres ? On ne peut tout de même pas placer des panneaux indiquant la limite de ce périmètre. Inscrire ces termes dans le droit viendrait en réalité le brouiller et introduirait une nouvelle difficulté au lieu de permettre un travail complémentaire dont l’intérêt est bien compris par les forces de police, de gendarmerie et l’administration pénitentiaire.

Parce que je ne voudrais pas être contraint de donner à votre amendement un avis défavorable, monsieur Goujon, car je vous sais sensible à ces aspects, je vous demanderai de bien vouloir le retirer.

M. le président. La parole est à M. Joaquim Pueyo.

M. Joaquim Pueyo. Je souscris aux propos de M. le rapporteur et de M. le ministre. J’aimerais m’adresser à mon collègue en tant que parlementaire, avec un œil d’expert sur cette question.

Adopter cet amendement serait une grosse erreur. Faire intervenir les personnels sur le domaine pénitentiaire dans l’état actuel du droit n’est déjà pas simple. Leur donner pouvoir d’intervenir aux alentours de ce domaine est vague, imprécis, et ne prémunit aucunement contre les incidents. Un certain nombre d’établissements ont en effet leur entrée sur le trottoir de la voie publique. Les agents de sécurité qui patrouillent dans les gares SNCF, par exemple, n’interviennent quant à eux que dans l’enceinte des gares, jamais autour de celles-ci. De même, les agents de sécurité des centres commerciaux n’interviennent jamais autour de ces centres, où seules la police ou la gendarmerie peuvent intervenir.

J’invite donc mon collègue à retirer son amendement. À défaut, j’appellerai à son rejet. Il faut toujours penser aux conséquences. On distingue dans le jargon la situation ex ante et la situation ex post ; il me semble que, sur ce sujet, le Sénat n’a pas prêté suffisamment attention à la situation ex post.

M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon.

M. Philippe Goujon. Les arguments qui viennent d’être développés sont opportuns.

M. Jean-Luc Laurent. Percutants !

M. Philippe Goujon. La situation est compliquée s’agissant du périmètre autour des prisons. Ce que nous souhaitons, c’est que tout soit mis en œuvre sur les plans humain, matériel et juridique pour que la projection de divers objets dans les établissements pénitentiaires soit rendue impossible, ou du moins très difficile. Cela suppose de modifier les fonctions des personnels pénitentiaires, ce à quoi nous réfléchissons tous utilement. Étant donné la difficulté de définir les abords immédiats, je vais retirer mon amendement, et répondre ainsi à la demande du garde des sceaux.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je vous remercie !

(L’amendement n59 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon, pour soutenir l’amendement n67.

M. Philippe Goujon. Le présent amendement est assez semblable au précédent : il vise à autoriser les personnels pénitentiaires à effectuer la fouille des véhicules qui stationnent non pas aux abords immédiats de l’établissement pénitentiaire, mais bien sur l’emprise foncière de celui-ci, par parallélisme avec les dispositions votées dans la loi Savary, qui permettent d’effectuer de tels contrôles sur les emprises foncières des sociétés de transports.

On peut opposer à cette proposition, et M. Pueyo l’a d’ailleurs fait en commission, qu’elle nécessiterait pour être mise en œuvre un accroissement du nombre de surveillants pénitentiaires recrutés. Je le comprends parfaitement, et n’y vois rien à redire. Il faudra de toute façon y parvenir, étant donné la faible disponibilité des forces de l’ordre, qui, vous le savez, sont accaparées par des missions de toutes sortes, et qu’il serait opportun de soutenir par ce moyen.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Yves Goasdoué, rapporteur. Je remercie tout d’abord M. Goujon d’avoir accepté de retirer son amendement précédent.

Je comprends bien le sens de l’amendement défendu à présent, mais celui-ci suscite plusieurs questions ou problèmes. En réalité, vous voulez étendre la compétence des personnels des équipes de sécurité pénitentiaire à la fouille des véhicules stationnés sur l’emprise foncière des établissements.

L’objectif de l’article 8 est de donner à ces personnels des prérogatives de contrôle et de retenue à l’encontre d’individus suspectés de préparer la commission d’infractions sur le domaine affecté à la prison. Dans la mesure où ces personnels pénitentiaires n’ont la qualité ni d’OPJ ni d’APJ – agent de police judiciaire –, il n’est pas possible d’étendre davantage leurs prérogatives, qui ne s’exercent, comme vous le savez, que le temps nécessaire à ce que l’OPJ compétent donne les instructions à suivre.

En tout état de cause, si la fouille des véhicules s’avère nécessaire, les dispositions des articles 78-2-2, 78-2-3 et 78-2-4 du code de procédure pénale, relatives notamment à la visite des véhicules, s’appliqueraient de plein droit, avec l’intervention des OPJ compétents ou sous leur contrôle. D’une certaine manière, votre demande est déjà satisfaite dans notre droit positif, mais pas dans le dispositif que nous évoquons.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. J’aimerais tout d’abord remercier Philippe Goujon d’avoir retiré l’amendement précédent.

S’agissant du présent amendement, il pose problème en termes de parallélisme des formes. Les policiers et les gendarmes peuvent procéder aux opérations de contrôle dont vous souhaitez étendre la compétence à l’administration pénitentiaire sur réquisition du procureur de la République. On voit mal comment justifier que, pour ce que nous appellerons dorénavant les équipes de sécurité pénitentiaire, une simple autorisation par un OPJ suffise. Tel qu’il est conçu, l’amendement est donc disproportionné. Pour ces raisons, le Gouvernement a émis un avis défavorable.

(L’amendement n67 n’est pas adopté.)

(L’article 8 est adopté.)

Après l’article 8 (amendement précédemment réservé)

M. le président. La parole est à Mme Claudine Schmid, pour soutenir l’amendement n16, portant article additionnel après l’article 8.

Mme Claudine Schmid. Il a été prévu dans la loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, entrée en vigueur en juin 2016, une base légale pour le regroupement des détenus radicalisés au sein d’unités dédiées. Il ne s’agit cependant pas d’une mise à l’isolement de ces détenus, car ceux-ci conservent la possibilité de communiquer entre eux.

Les mesures d’isolement proposées dans cet amendement concernent à la fois l’hébergement – d’où la précision sur l’encellulement individuel – et les activités des détenus condamnés pour terrorisme et faisant du prosélytisme.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Yves Goasdoué, rapporteur. Chère collègue, l’amendement que vous défendez comporte deux aspects. Il vise d’abord à inclure dans le dispositif les personnes détenues qui « exercent des pressions graves ou réitérées sur autrui en faveur d’une religion, d’une idéologie ou d’une organisation violente ou terroriste ». Or elles sont déjà visées par les termes plus généraux d’« atteinte au maintien du bon ordre de l’établissement », inscrits dans le droit en vigueur.

Ensuite, sur le régime de l’incarcération, et sans vouloir par ces précisions me substituer au ministre, je vous indique qu’ont été annoncés à la suite d’un certain nombre d’expérimentations le remplacement des UPRA, les unités de prévention de la radicalisation, par six quartiers d’évaluation de la radicalisation, la création de 300 places pour l’accueil et la mise à l’isolement des détenus les plus dangereux, un dispositif de prise en charge spécifique dans vingt-sept établissements avec des conditions de sécurité renforcées pour des détenus moins dangereux, et la mise en place de programmes de prise en charge dédiés pour les autres détenus, pour lesquels l’expérience montre que le contact avec le reste de la détention facilite le désistement.

Les mesures prises sont donc déclinées à raison de la dangerosité des détenus. Il convient par conséquent de laisser au chef d’établissement, après avis de la commission disciplinaire unique, la compétence d’apprécier au cas par cas l’opportunité d’étendre l’isolement aux activités réalisées en détention. C’est la raison pour laquelle j’émettrai un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Dans le même état d’esprit qu’au sujet de l’amendement de M. Goujon, j’aimerais convaincre Mme la députée de bien vouloir retirer le sien.

La lutte contre la radicalisation en prison est encore expérimentale : nous ne sommes sûrs de rien en la matière, si ce n’est qu’il y a surpopulation carcérale – 68 000 détenus pour 58 000 places – et que le nombre de personnes détenues radicalisées est en augmentation ; entre 1 300 et 1 350 détenus de droit commun sont radicalisés, et 411 personnes sont détenues pour association de malfaiteurs à but terroriste, donc criminalisées par le parquet de Paris.

Pour ces détenus, nous avons essayé de bâtir une doctrine. Elle vise dans un premier temps à évaluer la dangerosité du détenu. Six quartiers seront créés pour les détenus violents. Dans vingt-sept établissements, des conditions de détention spécifiques ont été imaginées pour ceux qui sont dangereux mais sur lesquels nous pensons qu’un encadrement précis et une prise en charge individuelle pourraient être efficaces. Un certain nombre de détenus, enfin, resteront dans des conditions ordinaires de détention, avec un accompagnement pluridisciplinaire en binôme pour lequel les recrutements ont d’ores et déjà été effectués.

Je ne suis donc pas hostile par principe à ce que vous proposez, madame la députée. Cependant, la gestion de la détention a été compliquée par la création, dans le cadre de la loi du 3 juin 2016 sur laquelle vous vous appuyez, du statut des UPRA, des unités dédiées, contre l’avis du Gouvernement. Nous avons d’ailleurs indiqué que ces unités, telles qu’elles ont été imaginées, seraient supprimées, car la concentration qu’elles ont permise, notamment à Osny, était détonante et ne produisait pas les effets attendus. Nous avons donc mis fin à l’expérimentation, et nous sommes à présent dans une deuxième phase.

L’adoption de votre amendement reviendrait à créer un nouveau régime qui viendrait rigidifier le droit pénitentiaire, et raidir la fluidité à laquelle j’aspire pour procéder à une expérimentation susceptible d’aboutir à une doctrine sur laquelle nous pourrions nous appuyer durablement.

Parce que, convaincu que nous sommes d’accord, je ne voudrais pas donner un avis défavorable à votre amendement, madame la députée, je préférerais que vous le retiriez.

M. le président. La parole est à M. Joaquim Pueyo.

M. Joaquim Pueyo. Je souscris aux propos tenus par M. le rapporteur et M. le garde des sceaux et rappelle à notre collègue que l’isolement n’est pas une punition. Les détenus à l’isolement relèvent du droit commun.

Mme Claudine Schmid. Je l’ai dit !

M. Joaquim Pueyo. En outre, l’isolement obéit à une procédure prévue par le code de procédure pénale prévoyant que le condamné est entendu par une commission et peut être assisté par un avocat. Sa mise en œuvre est donc longue. Il n’en demeure pas moins que les chefs d’établissement pénitentiaire peuvent déjà proposer la mise à l’isolement des détenus les plus radicalisés et les plus violents. Comme l’a rappelé M. le ministre, des expérimentations seront menées dans le cadre des quartiers pour détenus violents. Il sera intéressant de les évaluer. Leur objectif est de les éloigner du reste de la population carcérale pour éviter la contagion.

Au demeurant, on ne peut pas les généraliser. Je rappelle que le droit positif pénitentiaire impose d’individualiser l’exécution des peines. En outre, il est matériellement impossible, pour des raisons techniques et logistiques, de systématiser le régime de l’isolement. Il faut donc procéder très progressivement. Attendons la mise en place des quartiers pour détenus violents et évaluons-les ; s’il s’avère alors qu’il faut modifier le code de procédure pénale sur ce point, il sera encore temps de le faire. Je vous suggère donc, chère collègue, de retirer l’amendement en tenant compte du fait que les dispositions en vigueur répondent bien à vos préoccupations.

M. le président. La parole est à M. Sébastien Pietrasanta.

M. Sébastien Pietrasanta. Je souscris à l’argument de M. le garde des sceaux selon lequel il importe de ne pas rigidifier la loi. J’y suis particulièrement sensible car j’ai été de ceux qui ont prôné, il y a maintenant quelques années, la création des unités dédiées sur le modèle de l’expérience menée à Fresnes à l’automne 2014. La situation a évolué depuis lors. Le nombre de détenus a augmenté et augmentera plus encore au cours des années à venir en raison de l’augmentation du nombre de procédures visant ceux qui reviennent en France.

Par ailleurs, le public en détention, préventive ou définitive après condamnation, présente une certaine diversité, comme je l’ai constaté lors de déplacements dans le cadre de la mission que m’a confiée le Premier ministre en 2015 mais également grâce au travail que nous avons mené dans le cadre de la commission d’enquête présidée par Georges Fenech. On y trouve des prosélytes, qu’il faut en effet isoler. Tel est le sens de la nouvelle expérimentation évoquée par M. le garde des sceaux. Il s’agit de détenus potentiellement dangereux susceptibles de contaminer une prison et de porter atteinte aux surveillants.

Mais on trouve aussi parmi ceux qui ont été condamnés ou qui sont détenus pour des faits de terrorisme des individus sous influence, d’esprit plus faible, qui doivent faire l’objet de programmes spécifiques, ce qui est le cas : il existe des programmes de désengagement ou de déradicalisation – leur nom importe peu – permettant d’agir. Il importe que les directeurs d’établissement pénitentiaire puissent apprécier au cas par cas, grâce à la mise en place des quartiers d’évaluation de la radicalisation, la dangerosité ou le degré de radicalisation de tel ou tel individu.

Je rappellerai enfin deux choses. D’une part, il existe une constante : on ne peut pas décalquer le même système à tous les détenus. En prison comme à l’extérieur, il faut adopter une approche individualisée et pluridisciplinaire, ce qui explique l’importance des programmes et de l’évaluation de la dangerosité.

D’autre part, certains détenus sortiront de prison au cours des prochaines années car, même si la politique pénale a évolué depuis un an, ceux qui rentraient de Syrie ou d’Irak étaient jusqu’à présent condamnés à six ou sept ans de prison. En dépit de la criminalisation de ces faits par le procureur de la République, qui permet de les condamner à des peines plus longues, certains détenus sortiront donc de prison au cours des années à venir. Il faut dès lors éviter qu’il s’agisse de sorties sèches, pour ainsi dire, dépourvues d’accompagnement par des programmes de désengagement. Il y a là un véritable enjeu.

Je pense comme vous que le milieu carcéral est un enjeu particulier, chère collègue, sur lequel la France a essayé d’avancer, mais il n’existe aucun système en Europe ou ailleurs dans le monde sur lequel nous calquer.

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech.

M. Georges Fenech. Arrivé en retard – j’en demande pardon – je n’ai pas entendu l’avis de M. le garde des sceaux sur cet amendement. Vous avez annoncé la fin des unités dédiées, monsieur le ministre, arguant qu’elles ne répondent pas aux nécessités et souffrent d’une certaine inefficacité. Vous avez également annoncé, me semble-t-il, la création de quartiers spécifiques, non pas de haute sécurité mais permettant du moins d’exercer un véritable contrôle de ces individus voire de les soumettre à une forme d’isolement s’ils sont trop dangereux. Il me semble que cet amendement répond au souhait que vous avez vous-même formulé lorsque vous avez annoncé la fin de l’expérience des unités dédiées. C’est pourquoi je suis surpris que vous ne lui fassiez pas droit.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je réponds bien volontiers à Georges Fenech. Comme je le disais à l’instant à Mme Schmid, je ne suis pas hostile à l’amendement. Je rappelle simplement que notre capacité d’expérimentation est forte car nous n’avons pas rigidifié le droit pénitentiaire. Par exemple, la mention des unités dédiées dans la loi du 3 juin 2016 en complique le fonctionnement, comme je le rappelais tout à l’heure.

Je ne suis pas hostile à l’idée de l’isolement, dont procèdent les quartiers pour détenus violents, puisque tel sera le nom des structures destinées à incarcérer les plus prosélytes et les plus déterminés sur lesquels il faudra exercer la pression la plus forte. D’ailleurs, ils se trouveront souvent dans les maisons centrales, car la culture pénitentiaire de sécurité y est plus forte et leur architecture le permet.

Toutefois, si nous les mentionnons dans la loi, mon éventuel successeur pourrait dans six mois se trouver gêné par cette rigidification. Voilà pourquoi je n’émets pas un avis défavorable sur l’amendement, dont je préfère le retrait, quitte à modifier le texte de loi une fois la doctrine établie.

M. le président. La parole est à Mme Claudine Schmid.

Mme Claudine Schmid. À mes yeux, monsieur le rapporteur, le bon ordre de l’établissement, dont vous avez fait état, n’est pas équivalent à une activité de prosélytisme.

M. Yves Goasdoué, rapporteur. Je n’ai jamais dit cela !

Mme Claudine Schmid. Monsieur le ministre, vous m’avez opposé l’argument de la surpopulation carcérale. Je le conçois ; vous avez d’ailleurs prévu de construire des places de prison. Il me semble toutefois que la situation que nous vivons et les actes de terrorisme auxquels nous sommes confrontés interdisent d’avancer cet argument. En revanche, j’ai bien entendu ceux selon lesquels vous menez actuellement une expérimentation afin de bâtir une doctrine. Nous attendrons donc son évaluation. Je retire l’amendement.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Merci beaucoup, madame la députée !

(L’amendement n16 est retiré.)

Article 8 bis (précédemment réservé)

M. le président. La parole est à M. Yves Goasdoué, pour soutenir l’amendement n101.

M. Yves Goasdoué, rapporteur. Il est de précision.

(L’amendement n101, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Yves Goasdoué, pour soutenir l’amendement n100.

M. Yves Goasdoué, rapporteur. Amendement de coordination.

(L’amendement n100, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 8 bis, amendé, est adopté.)

Article 9 (précédemment réservé)

M. le président. La parole est à M. Christophe Premat, pour soutenir l’amendement n131.

M. Christophe Premat. Cet amendement vise à supprimer, au premier alinéa de l’article, les mots « sur réquisitions écrites du ministère public » car la protection judiciaire de la jeunesse – PJJ – peut intervenir en matière d’assistance éducative. Nous avons eu ce débat à plusieurs reprises. Certes, dans le cadre de la décentralisation de la protection de l’enfance, les départements mettent en œuvre les mesures d’assistance éducative depuis 1983.

Néanmoins, en vue de l’amélioration du texte, il nous semble adéquat de supprimer la mention de réquisitions écrites car il faut favoriser l’intervention de plusieurs services éducatifs autour d’un enfant. Il n’est pas souhaitable de conditionner son prononcé à des réquisitions écrites du ministère public, qui d’ailleurs sont assez rares dans les procédures d’assistance éducative.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Yves Goasdoué, rapporteur. Je suis sensible à votre amendement, cher collègue. J’en avais moi-même écrit un presque identique avant les auditions auxquelles j’ai procédé, en particulier celle des personnels de la PJJ qui sont particulièrement sensibles à cette mesure et en comprennent la portée. Comme je l’ai dit hier soir, on ne peut pas considérer les quelque 400 jeunes susceptibles de revenir de Syrie ou d’Irak comme définitivement perdus pour la patrie. Il faut conserver des mesures éducatives particulièrement serrées et savoir ce qu’ils deviennent.

J’émets néanmoins un avis défavorable sur votre amendement car je crains que l’absence de réquisitions écrites amène ce service à être rapidement débordé alors qu’il est obligé de se consacrer à des tâches connues pour lesquelles il a la compétence mais pas forcément les effectifs, je le dis très simplement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Vous auriez raison, monsieur Premat, s’il ne s’agissait pas d’une expérimentation de trois ans. Hors de ce cadre, le parquet n’a en effet pas sa place. Nous essayons ici de construire une réponse au retour de ces mineurs sur le territoire national et estimons qu’il est sain que l’État développe une politique publique par le biais de la PJJ, alors même que la protection de l’enfance relève pour l’essentiel des conseils départementaux. Nous imaginons des mesures relevant à la fois de la PJJ et de l’ASE – Aide sociale à l’enfance –, ce qui est exceptionnel.

Dans ce cadre, nous mettons ceinture et bretelles, si vous me passez l’expression, en associant les réquisitions du procureur et les décisions du juge pour enfant afin de nous protéger au maximum, y compris d’ailleurs dans la forme qui souligne le caractère exceptionnel de cette disposition par la mention du procureur ! Comme il s’agit d’une expérimentation de trois ans, je souhaite le maintien de l’écriture telle quelle. Si vous ne retirez pas votre amendement, je serai donc contraint d’émettre un avis défavorable.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Pertinent !

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech.

M. Georges Fenech. Je comprends parfaitement l’avis du Gouvernement mais conserve un doute que vous pourrez sans doute lever, monsieur le ministre. La formule « sur réquisitions écrites du ministère public » ne remet-elle pas en cause la capacité de s’autosaisir du juge des enfants ? Que je sache, l’ordonnance de 1958 relative à l’assistance éducative prévoit non seulement que le substitut des mineurs saisisse le juge des enfants, y compris en matière d’assistance éducative, mais ménage aussi à celui-ci la possibilité de s’autosaisir, par exemple sur la base d’un signalement de la famille, et d’ordonner une mesure de placement dans une famille d’accueil. J’entends bien que le rôle du parquet, qui sera coordinateur d’une action publique, est important, mais il ne faudrait pas pour autant priver le juge des enfants du pouvoir de décider par lui-même si une mesure d’assistance éducative est nécessaire ou non.

M. le président. La parole est à M. Christophe Premat.

M. Christophe Premat. Je vous remercie de ces éclaircissements, monsieur le ministre. Vous avez compris l’esprit constructif de l’amendement. En tout état de cause, l’alinéa 2 mentionne l’expérimentation. Quant aux effectifs de la PJJ, ils ont à nouveau augmenté alors qu’ils avaient sensiblement diminué de 2008 à 2012. Il s’agit donc d’un amendement d’appel, dont nous tenions à ce qu’il soit débattu à cette étape de la discussion. Compte tenu de la mention de l’expérimentation à l’alinéa 2 et de vos explications, je le retire.

(L’amendement n131 est retiré.)

(L’article 9 est adopté.)

Après l’article 9 (amendement précédemment réservé)

M. le président. La parole est à Mme Claudine Schmid, pour soutenir l’amendement n41.

Mme Claudine Schmid. Nous l’avons découvert avec effroi ces dernières années, le djihadisme n’affecte plus exclusivement des jeunes hommes déséquilibrés. Un nombre croissant de femmes, mais aussi des mineurs, de moins de 15 ans parfois, rejoignent les zones de combat.

L’article 9 traite précisément de la prise en charge des mineurs impliqués dans le djihad et de retour des théâtres de combats. Comme l’a rappelé M. le rapporteur, ce sont près de 400 enfants qui pourraient rentrer de Syrie ou d’Irak. Le texte vise à expérimenter un placement auprès de l’aide sociale à l’enfance et une mesure d’assistance éducative en milieu ouvert confiée à la protection judiciaire de la jeunesse. Mais il faut compléter cette mesure.

Cet amendement s’appuie sur une conviction forte : la lutte contre la radicalisation des jeunes n’aboutira que si les parents sont pleinement associés à cette démarche. Il existe une plate-forme de signalement, qui fonctionne bien, mais cela reste insuffisant. Les parents sont tenus d’assurer l’éducation des enfants. Aucun enfant ne naît raciste, aucun enfant ne naît djihadiste. Certes, dans ces circonstances, des parents sont dépassés par la radicalisation de leur enfant. Mais la loi doit dresser des barrières et les parents doivent prendre leurs responsabilités.

C’est pourquoi cet amendement vise à autoriser dans certains cas le juge, après examen minutieux, à suspendre le bénéfice des allocations familiales, perçues non seulement pour l’enfant djihadiste ayant commis des actes de terrorisme, mais aussi pour l’ensemble des enfants de la famille. J’ai entièrement confiance dans la sagesse du juge, qui saura apprécier la situation au cas par cas.

Enfin, à ceux qui m’opposeront l’argument factice de la non-conformité de cet amendement à la Constitution, je répondrai que la loi du 28 septembre 2010 relative à la suspension des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire visait aussi à responsabiliser les parents. Il ne s’agit pas d’une punition collective mais d’une responsabilité familiale, pour la sécurité de tous.

M. Erwann Binet. C’est si facile !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Yves Goasdoué, rapporteur. Madame, le compte rendu montrera clairement que je n’ai jamais dit, ainsi que vous l’avez déclaré, que la tranquillité des prisons passait par le prosélytisme.

Vous le savez très bien, en vertu du principe d’égalité, il n’est pas possible de remettre en cause le bénéfice d’une allocation sans que ce soit en rapport avec l’objet pour lequel elle est versée.

Sur le fond, cet amendement me choque profondément – je dis les choses comme je le pense, outrepassant ma qualité de rapporteur. Pour avoir participé à beaucoup de commissions, avec Georges Fenech et d’autres, et assuré la vice-présidence de la commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes, je sais la détresse qui peut être celle des familles qui voient leur enfant déraper, se radicaliser, et qui n’arrivent pas à enrayer ce phénomène. À l’image de cette famille de Nice qu’a rencontrée Éric Ciotti, elles demandent de l’aide, auprès des autorités judiciaires ou politiques. Cet amendement me choque profondément. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Sébastien Pietrasanta.

M. Sébastien Pietrasanta. Proposer cet amendement, c’est méconnaître la situation des familles et la réalité de notre pays. Près de 2 000 ressortissants français, dont des mineurs, sont impliqués dans les filières irako-syriennes. Mais lorsque les mineurs sont embrigadés, parfois à 13 ou 14 ans, à l’insu de leurs parents, avec des faux profils Facebook – je pense à cette jeune fille d’Argenteuil de 14 ans, qui s’est mariée avec un combattant djihadiste sur internet avant de le rejoindre en Syrie – quelle est la responsabilité de la famille ? Certes, des familles sont impliquées. Mais quelle est la responsabilité de celles qui découvrent la radicalisation de leur enfant, alors qu’elles n’avaient pas jusque-là de soupçons particuliers ?

Votre voisin Georges Fenech pourra peut-être vous expliquer ce qu’est la taqîya – la dissimulation en arabe –, qui vise à camoufler à leurs parents les véritables intentions des mineurs. C’est une pratique constante, de plus en plus développée et prônée par Daech.

En outre, les parents qui se rendent compte du processus de radicalisation composent d’eux-mêmes le numéro vert, faisant preuve de courage et d’un grand sens des responsabilités. Non, cet amendement n’est pas le bienvenu et révèle une méconnaissance totale de la réalité du terrain.

M. le président. La parole est à M. Christophe Premat.

M. Christophe Premat. Le site Stop-Djihadisme.gouv.fr recèle des témoignages tout à fait intéressants sur ce processus nécessaire de reconstruction, de resocialisation. La suspension des allocations familiales est une double peine, qui participe de l’idée que l’ostracisme social permet aux personnes qu’il vise de prendre conscience. En outre, il s’agit d’un phénomène social, pas uniquement familial. Lisez les témoignages de ce site, regardez comment les anthropologues travaillent sur le retour et vous verrez que cela est bien loin de la réalité dont vous faites état !

M. Yannick Moreau. Caricatural !

M. le président. La parole est à Mme Claudine Schmid.

Mme Claudine Schmid. J’ai bien entendu vos arguments, même si je m’oppose à certains propos de Christophe Premat. J’ai bien dit que certains parents étaient dépassés par la radicalisation de leur enfant. Je ne demande pas une suspension systématique des allocations, mais une suspension qui serait décidée par le juge dans certains cas, après examen minutieux. J’ai dit aussi que j’avais entièrement confiance en la sagesse du juge. Il ne faudrait pas mésinterpréter mes propos !

(L’amendement n41 n’est pas adopté.)

Article 9 bis A (précédemment réservé)

(L’article 9 bis A est adopté.)

Article 9 bis B (précédemment réservé)

M. le président. La parole est à M. Yves Goasdoué, pour soutenir l’amendement n104.

M. Yves Goasdoué, rapporteur. Amendement de précision.

(L’amendement n104, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 9 bis B, amendé, est adopté.)

Article 9 bis (précédemment réservé)

M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon, pour soutenir l’amendement n77.

M. Philippe Goujon. Cet amendement vise à ce qu’un détenu qui utilise un téléphone clandestin introduit en toute illégalité ne soit pas prévenu que cet appareil est surveillé et sera détruit, sauf si cette surveillance débouche sur des suites judiciaires.

Il n’y a pas là atteinte à la vie privée ou aux droits de la défense. Les personnes extérieures savent que les personnes détenues ne peuvent communiquer avec elles par l’intermédiaire d’un téléphone portable. Dans ces conditions, j’estime qu’il ne peut pas être reproché à l’administration pénitentiaire l’absence d’informations sur le fait que des conversations, par nature interdites par la loi, puissent être écoutées, que leur transcription puisse être versée dans un dossier judiciaire et que les matériels, qui n’ont aucune raison de se retrouver en possession d’un détenu, soient saisis et détruits.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Yves Goasdoué, rapporteur. Présenté ainsi, votre amendement semble de pur bon sens ! Pourquoi irait-on prévenir un détenu que son téléphone, introduit de manière illégale, sera saisi et éventuellement détruit ? Cela n’a pas de sens. En réalité, les choses sont un tout petit peu plus compliquées et le garde des sceaux ne manquera pas de préciser ma réponse.

Il existe deux situations : soit la surveillance est à visée judiciaire, soit elle vise aux renseignements administratifs. Dans le premier cas, l’article 727-1 du code de procédure pénale contient un certain nombre de garanties, prévues à l’article 9 bis. Si l’administration ne souhaite pas informer le détenu de la surveillance dont il fait l’objet, elle recourra aux techniques de renseignement administratif, ce qui impliquera d’autres garanties – celles de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je corrobore ce que vient de dire le rapporteur. Le renseignement pénitentiaire, un dispositif que vous avez autorisé, permet de recueillir des renseignements administratifs. L’article 727-1 vise le cas où un téléphone, détenu de façon illicite, est saisi : un rapport est fait à l’administration, le procureur informé. Il n’est pas préjudiciable que le détenu soit prévenu, dans la mesure où l’on ne cherche pas à surveiller ses communications mais à exploiter le contenu de son téléphone. Vous savez que cela me fait de la peine, monsieur le député, mais le Gouvernement est défavorable à votre amendement. (Sourires.)

(L’amendement n77 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon, pour soutenir l’amendement n74 rectifié.

M. Philippe Goujon. Là encore, il s’agit de discussions que nous avons eues maintes fois avec le garde des sceaux et le président de la commission des lois. Je défends depuis de nombreuses années l’interdiction dans la loi du téléphone portable et de l’accès autonome à internet en prison. Nous en avons débattu le 8 octobre 2015, lors d’une niche parlementaire, dans le cadre de l’examen de la proposition de loi visant à garantir l’isolement électronique des détenus et à renforcer les moyens du renseignement pénitentiaire, et en octobre 2016, dans le cadre de l’examen de la proposition de loi renforçant la lutte contre le terrorisme.

L’interdiction existe aujourd’hui, mais elle n’est actée qu’au plus bas niveau de nos normes, au niveau réglementaire, voire infraréglementaire, dans la circulaire du 9 juin 2011. Cette disposition pourrait être aisément supprimée – on peut certes se demander pourquoi elle le serait, mais un certain nombre de personnalités, du côté de la majorité, ont évoqué la possibilité d’autoriser les portables en prison – en modifiant seulement le règlement.

Cette interdiction serait plus forte si elle était validée au niveau législatif. Les introductions frauduleuses se comptent par dizaines de milliers et l’on peut considérer que chaque détenu dispose d’un téléphone, même si l’on n’en saisit qu’un sur trois. L’administration pénitentiaire estime qu’au moins 20 % de ces appareils sont utilisés à des fins malveillantes, pour harceler les victimes, poursuivre des trafics depuis la prison, visionner des sites djihadistes et contribuer à la radicalisation des détenus – je peux vous citer les cas très précis de Mehdi Nemmouche, des frères Kouachi ou d’Amedy Coulibaly – ou préparer des attentats terroristes, comme l’avait indiqué le juge Trévidic dans l’une de ses interventions.

Ces outils de communication jouent un rôle particulièrement néfaste en matière de trouble à l’ordre public et sont dangereux, en premier lieu pour la sécurité des établissements pénitentiaires. Il est donc légitime d’ériger leur interdiction au niveau législatif.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Yves Goasdoué, rapporteur. Notre collègue Goujon a raison – comme souvent – de dénoncer l’utilisation de téléphones portables en prison. Nous avons tous, en visitant des établissements et en discutant avec les chefs d’établissement, constaté le nombre de téléphones et leur miniaturisation : leur utilisation est à mon avis beaucoup plus prégnante que le « parloir sauvage ». Le vrai parloir sauvage, c’est celui-là !

Cela étant, à vieille discussion, réponse constante et cohérente : qu’est-ce que cela changerait de l’inscrire dans la loi ? Absolument rien ! Cela ne me semble donc pas nécessaire. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Nous avons l’habitude d’entendre que 30 000 téléphones portables sont saisis – c’est le chiffre de 2016. Vous savez que je suis très soucieux de garantir la plus grande précision dans les informations dont dispose l’Assemblée nationale. En réalité, ce chiffre de 30 000 intègre aussi les câbles de téléphone, ce qui crée un effet de massification qui n’est pas la réalité de ce qui a été saisi. Mais peu importe : ces appareils n’en demeurent pas moins illicites et n’ont pas de raison de se trouver en prison.

Monsieur le député, comme je sais que l’univers pénitentiaire vous intéresse, je vous invite à vous rendre à la prison de Gradignan, près de Bordeaux, où je suis allé vendredi. Nous avons visité, avec les élus de la région, un quartier de peines aménagées ayant vocation à devenir un quartier de préparation à la sortie. Le but est d’éviter les « sorties sèches », dont nous savons qu’elles sont la garantie de la récidive.

Or, ce centre de Gradignan propose un accès à internet aux détenus, naturellement sous contrôle, avec la présence des personnels de l’administration pénitentiaire : c’est un facteur de préparation à la sortie. Ainsi, en utilisant sous contrôle ces téléphones et ces ordinateurs, ils peuvent se repérer dans la ville, prendre des rendez-vous à Pôle emploi ou à la mission locale. La salle que j’ai visitée contenait dix ordinateurs, avec des personnels de l’administration pénitentiaire. Si votre amendement était voté et devenait la loi, cela serait interdit demain. Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Joaquim Pueyo.

M. Joaquim Pueyo. Notre collègue pose en effet la bonne question : comment faire pour que les portables n’entrent pas dans les établissements pénitentiaires ? À plusieurs reprises, les directions successives ont pris des mesures comme l’utilisation de brouilleurs, des contrôles renforcés, des portiques plus précis – par exemple les portiques à ondes millimétriques, qui peuvent tout détecter –, mais ce n’est pas simple. Le problème est réel.

Cela étant, la réglementation est très claire : c’est interdit. Or, dans les centres de semi-liberté, le détenu part le matin avec son portable et revient le soir avec son portable. Faut-il lui dire que, désormais, le portable doit être enfermé pour la nuit dans un casier ? Lorsque le centre de semi-liberté est autonome, c’est-à-dire qu’il n’est pas attaché à un établissement pénitentiaire, la question peut se poser, mais pourquoi lui enlever le portable dans la mesure où il peut l’utiliser dans la journée ? Il ne faut donc pas légiférer car nous nous interdirions toute évolution pour les centres de semi-liberté autonomes ou les centres pour peines aménagées, dont la vocation est l’insertion.

Le problème de fond demeure : il faut mettre en place des mesures techniques et logistiques afin d’empêcher l’entrée des portables dans les maisons d’arrêt ou dans les établissements pour peine. Les détenus peuvent téléphoner : la loi que vous avez votée a fait évoluer ce point. Auparavant, seuls les condamnés pouvaient téléphoner dans des cabines dédiées ; vous avez ensuite autorisé les prévenus à téléphoner, sous réserve de l’accord du magistrat instructeur, car cela peut contribuer à favoriser la préparation à la sortie. Voilà ce que je souhaitais vous dire. Je comprends bien l’objectif de cet amendement mais les textes actuels y répondent déjà amplement.

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech.

M. Georges Fenech. La détention illégale de téléphones portables dans des établissements pénitentiaires n’est pas du tout anodine. Il ne s’agit pas uniquement, pour un détenu, de communiquer avec son conjoint ou avec des amis : nous savons tous que l’accès à internet signifie l’accès à Daech, si vous me permettez ce raccourci.

Avec 1 500 détenus radicalisés dans nos prisons susceptibles d’écouter les messages de Daech, il est important d’empêcher ceux-ci de parvenir dans les lieux de détention – nous sommes bien d’accord. D’aucuns prétendent même que certains des attentats auraient pu être coordonnés depuis les établissements pénitentiaires. Ce n’est donc pas une mince affaire !

L’amendement que dépose notre collègue Philippe Goujon n’est pas anodin : il est vraiment au cœur du sujet de la détention, où se produit la radicalisation et où les contacts se font avec les djihadistes à l’extérieur. Il est vraiment inacceptable et intolérable que les communications avec l’extérieur se poursuivent.

Mais vous n’avez pas répondu, monsieur le ministre, ni vous, monsieur le rapporteur, dans votre argumentation sur le rejet de cet amendement. Selon vous, cet amendement empêcherait la réinsertion et l’accès à internet sous contrôle : or cet amendement n’a jamais eu cet objet et ne propose pas d’interdire l’usage d’internet sous contrôle. La question n’est pas là.

Le rapporteur n’a pas répondu, indiquant simplement qu’il ne servait à rien d’inscrire cette disposition dans la loi, sans argumenter ce rejet. Je suis désolé mais l’interdiction résulte de l’article R. 57-6-18 du code de procédure pénale et d’une simple circulaire en date du 9 juin 2011 – on sait très bien ce que vaut une circulaire ! Donnez-nous une réponse ! Pourquoi ne voulez-vous pas consolider et renforcer cette interdiction par la loi, alors qu’il s’agit d’un sujet majeur ? Telle est la question, à laquelle vous n’avez pas répondu, monsieur le rapporteur.

M. Yannick Moreau. Il a raison !

M. le président. La parole est à M. Pascal Popelin.

M. Pascal Popelin. Ce débat ne doit pas donner lieu à des interprétations fallacieuses. Nous sommes d’accord sur un point : il n’est pas souhaitable que des détenus utilisent sans contrôle des téléphones portables, avec toutes les dérives que vous avez décrites. C’est interdit.

La préoccupation première qui devrait tous nous animer n’est pas de savoir si cela relève du domaine réglementaire ou du domaine de la loi, d’une circulaire ou d’autre chose.

M. Philippe Goujon, M. Georges Fenech et M. Yannick Moreau. Si, cela relève de la loi !

M. Pascal Popelin. Je souhaite bien du plaisir, en l’état actuel, à quelque gouvernement que ce soit qui prendrait l’initiative de rendre licite l’usage de ces appareils dans un établissement pénitentiaire.

La préoccupation qui devrait tous nous animer, et sur laquelle nous avons buté les uns et les autres, au cours des années précédentes, en raison des évolutions de la technologie, c’est de trouver les moyens de rendre inopérants les appareils introduits clandestinement – car ces appareils sont une réalité et elle n’est en effet pas mineure. Mais il n’est pas simple d’y parvenir : il ne faudrait pas non plus brouiller l’ensemble du système de communication d’un établissement pénitentiaire. Pour autant, nous savons que la technologie permet aujourd’hui un certain nombre de choses.

Ce n’est cependant pas une question de hiérarchie des normes mais de gros sous, de budget. Le garde des sceaux, dès sa prise de fonction, a souligné la nécessité d’abonder, dans les années qui viennent, les crédits de l’administration pénitentiaire, afin de combler le retard important pris dans ce domaine – c’est ce que nous avons fait dans le projet de loi de finances pour 2017. Sur ce sujet, nous pouvons tous être d’accord et mettre fin à la fausse querelle consistant à savoir si c’est écrit là ou ailleurs, parce que personne n’ira à l’encontre de cette interdiction.

M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon.

M. Philippe Goujon. Mon amendement n’a pas la prétention de régler le problème, sinon nous y passerions des heures. Je fais bien entendu confiance au Gouvernement et au garde des sceaux pour mettre en œuvre tous les moyens possibles pour empêcher l’utilisation de ces appareils. Mais l’objet de cet amendement est autre : il s’agit de garantir que nous ne reviendrons pas sur cette interdiction.

Du reste, monsieur le garde des sceaux, vous dites que si mon amendement était voté, nous ne pourrions plus expérimenter à Gradignan un certain nombre de dispositifs. Or l’interdiction existe déjà : elle est réglementaire ! Je propose non pas d’instaurer une interdiction qui existe déjà, mais de la renforcer sur le plan normatif.

La raison, pour tout vous dire, monsieur le garde des sceaux, tient à votre prédécesseur, avec laquelle nous ne pouvions pas débattre à l’époque – nous pouvons heureusement le faire aujourd’hui avec vous, ce qui constitue une avancée sensible et significative ! Votre prédécesseur ainsi que la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté ont proposé que les détenus puissent disposer de tels appareils en détention, aussi bien les portables que les terminaux autonomes d’internet, ce qui n’est évidemment pas souhaitable. Il s’agit donc simplement d’élever cette interdiction dans la norme afin de mieux la garantir.

M. Popelin dit que nous sommes tous d’accord : non, nous ne sommes pas tous d’accord ! C’est peut-être vrai dans cet hémicycle, parce que nous sommes très responsables et soucieux avant tout de la sécurité des établissements, mais il existe en dehors des personnalités importantes qui souhaitent justement mettre un terme à cette interdiction.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je souhaite simplement dire aux parlementaires que la rédaction de l’article 727-1 du code de procédure pénale, telle que nous l’envisageons, satisfait amplement l’amendement puisque cet article disposerait que « le procureur de la République est immédiatement avisé de la découverte, dans un établissement mentionné au I, de tout équipement terminal […] dont la détention est illicite. » Cela revient donc au même.

(L’amendement n74 rectifié n’est pas adopté.)

(L’article 9 bis est adopté.)

Après l’article 9 bis (amendements précédemment réservés)

M. le président. La parole est à M. Yannick Moreau, pour soutenir l’amendement n78.

M. Yannick Moreau. Les cartes bancaires prépayées et anonymes, instrument financier relativement nouveau dans notre pays, représentent un risque considérable pour la sécurité des Français. Apparues en France en 2010, ces cartes bancaires permettent d’effectuer des paiements sans connexion avec un compte bancaire. Il suffit en effet à l’utilisateur de se procurer une carte en supermarché ou auprès d’un buraliste, par exemple, puis d’acquérir des coupons recharges d’un certain montant dans les mêmes points de vente.

Si ces cartes présentent un intérêt certain pour le consommateur, elles permettent d’effectuer des achats et de transférer des fonds dans l’anonymat le plus complet. Les cartes bancaires prépayées sont ainsi devenues un outil de paiement privilégié pour des escroqueries de plus en plus nombreuses, pour le crime organisé ainsi que pour les terroristes.

Les terroristes de Daech semblent en effet avoir recours à ces cartes prépayées pour financer leurs activités. Les sympathisants du groupe, contactés par les réseaux sociaux, transfèrent ainsi des dons à l’organisation en Syrie. De même, Salah Abdeslam, terroriste du 13 novembre, avait lui-même utilisé ce moyen de paiement lors des semaines précédant son arrestation.

Il apparaît donc nécessaire et urgent d’encadrer davantage ces cartes prépayées. C’est pourquoi le présent amendement vise, premièrement, à limiter le montant maximal stocké sur ces cartes à 500 euros et à limiter chaque opération à 100 euros, deuxièmement, à accorder à Tracfin l’accès aux informations relatives aux opérations financières ainsi réalisées à partir d’un seuil de 100 euros et, troisièmement, à supprimer la dérogation dont bénéficient les établissements de monnaie électronique quant à l’identification de leurs clients. Il s’agit désormais de lever l’anonymat, de permettre la connaissance du domicile et de pouvoir clairement connaître les clients et leur domicile.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Yves Goasdoué, rapporteur. Cet amendement, intéressant, revient sur la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement – nous avons tous beaucoup travaillé sur cette loi –, laquelle traitait de l’utilisation de ces cartes prépayées, afin d’éviter les dérives que vous avez décrites, à juste titre.

Cette loi a permis de soumettre les établissements de crédits et les établissements de monnaie électronique à l’obligation de recueillir et de conserver les informations et les données techniques relatives à l’activation, au chargement et à l’utilisation de la monnaie électronique au moyen de ladite carte.

Votre amendement est évidemment de nature réglementaire. L’encre du décret n’est même pas sèche puisqu’il date du 15 décembre 2016 ! Les seuils ne sont pas les mêmes, je vous le concède, puisque peuvent être stockés 10 000 euros et peuvent être retirés 1 000 euros là où vous proposez 100 euros pour les retraits. Il appartient au Gouvernement d’examiner la question et, le cas échéant, de modifier le décret. Je n’ai personnellement pas d’avis à ce sujet. Le seuil de 1 000 euros est peut-être élevé, mais il existe également un risque lié à la capacité de Tracfin : si vous voulez que cet organisme contrôle chaque transaction à partir de 100 euros, vous provoquerez l’embolie complète du dispositif. Du reste, vous l’avez vous-même reconnu et c’est pourquoi je me permets d’y revenir.

M. Yannick Moreau. Non : l’amendement vise simplement à donner à Tracfin un accès aux informations.

M. Yves Goasdoué, rapporteur. Le problème est de fixer le bon seuil en déterminant au-dessous de quel montant on n’a plus que des signaux faibles.

Pour ces raisons, qui ne sont nullement de fond mais d’ordre technique, avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. En réalité, cet amendement ne porte pas sur des règles essentielles mais sur des modalités d’application. Nous avons déjà beaucoup fait en la matière, notamment en prenant deux décrets, l’un du 10 novembre 2016, l’autre du 15 décembre. Je ne pense pas que cette proposition ait sa place dans un texte de loi : elle relève plutôt du domaine réglementaire. Pour cette raison de forme, avis défavorable.

(L’amendement n78 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, pour soutenir l’amendement n62 rectifié.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. La préservation de la sécurité publique implique de combattre plus efficacement les sources de financement des activités terroristes ainsi que le blanchiment des activités criminelles. À cette fin le Gouvernement, en application de l’article 118 de la loi du 3 juin 2016, a publié le 1er  décembre 2016 une ordonnance visant à transposer la quatrième directive européenne relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme. Cet amendement a pour objet de ratifier cette ordonnance tout en lui apportant des corrections formelles.

(L’amendement n62 rectifié, accepté par la commission, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Moreau, pour soutenir l’amendement n120 rectifié.

M. Yannick Moreau. Il vise à revenir sur les conditions et le régime juridique de la légitime défense, notamment en ce qui concerne les particuliers.

En plus de leur accroissement inquiétant ces dernières années, les cambriolages prennent aussi de nouvelles formes préoccupantes. Certains cambrioleurs n’attendent ni la nuit ni l’absence de leurs victimes. Au contraire, ils recherchent le contact, l’affrontement avec ces dernières pour les violenter et dérober leurs biens. Ce phénomène, qualifié parfois de home-jacking, est en pleine expansion. Il est donc indispensable d’adopter un cadre juridique plus dissuasif vis-à-vis de ces agresseurs d’un nouveau type et plus protecteur pour les victimes.

Par ailleurs, monsieur le garde des sceaux, vous n’ignorez pas que de nombreuses infractions délictuelles peuvent, au cours de la réalisation de l’acte, se transformer en crimes d’opportunité.

C’est pourquoi cet amendement vise à étendre la présomption de la légitime défense à l’ensemble de la journée alors qu’elle est actuellement limitée à la nuit.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Yves Goasdoué, rapporteur. Je vois bien l’objet de votre amendement, monsieur le député. Il est exact que ces techniques de home-jacking se multiplient. Pour autant, la solution que vous proposez est-elle la bonne ?

Nous avons tous appris, dans nos études de droit, des cas comme celui de l’escalade de nuit. Vous voudriez que la disposition du code pénal s’applique désormais aux actes commis de jour. Le problème, c’est que la présomption est de toute façon réfragable : le juge appréciera de toute manière et quoi qu’on écrive l’absolue nécessité et la stricte proportionnalité. Le risque est que s’installe dans la tête des gens l’idée d’une présomption acquise dès lors que quelqu’un entre dans leur maison. La distinction entre présomption réfragable et présomption irréfragable n’étant sans doute pas connue de tous, certains pourront comprendre cette disposition comme une autorisation de faire feu.

Aussi risquez-vous de mettre des personnes en difficulté puisqu’une telle autorisation n’existe pas : de toute façon, la chambre criminelle de la Cour de cassation appréciera sur la base des deux critères que j’ai mentionnés.

Si l’idée est peut-être louable, je rappelle que nous avons écarté les présomptions tout au long de l’examen de ce texte, y compris dans le nouveau cadre unifié d’usage légal des armes pour les forces de l’ordre. Nous n’allons donc pas étendre ici une présomption pour le simple citoyen, quelque compréhensible que soit votre souhait.

M. Jean-Pierre Blazy. Très bien !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement qui reviendrait à déséquilibrer le régime général de la légitime défense. Nous ne souhaitons pas nous engager dans cette voie.

M. le président. La parole est à M. Yannick Moreau.

M. Yannick Moreau. Je ne comprends pas du tout vos arguties, monsieur le rapporteur et monsieur le garde des sceaux. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Pascal Popelin. Ce n’est pas parce que vous ne comprenez pas que ce sont des arguties !

M. Yannick Moreau. Vous expliquez que le juge apprécierait les faits de la même façon, qu’ils aient eu lieu le jour ou la nuit,…

M. Yves Goasdoué, rapporteur. Pas du tout !

M. Yannick Moreau. …et dans le même temps vous refusez d’étendre la présomption pour des cas strictement limités, je le rappelle, au home-jacking, c’est-à-dire à l’agression à domicile, à propos de laquelle il n’y a pas de réelle raison de distinguer la commission de jour et la commission de nuit. Il est pourtant nécessaire de prévoir des peines dissuasives pour ces infractions en pleine croissance. La présomption d’innocence de jour comme de nuit serait de nature, me semble-t-il, à dissuader les agresseurs.

(L’amendement n120 rectifié n’est pas adopté.)

M. le président. Vous avez de nouveau la parole, mon cher collègue, pour présenter l’amendement n119 rectifié.

M. Yannick Moreau. Il a pour but de créer un droit d’appel pour les victimes.

La victime a pendant longtemps été la « grande oubliée du procès pénal ». Toutefois, elle a acquis au cours des quarante dernières années un certain nombre de droits qui tendent à la consécration d’un véritable statut juridique, à l’instar de ceux existant pour le ministère public et le mis en cause. L’exercice de son action civile devant les juridictions répressives, que ce soit par la constitution de partie civile devant le juge d’instruction ou par la citation directe devant la juridiction de jugement, permet de mettre la justice pénale en mouvement. Pour autant, des limitations injustifiées restreignent toujours l’exercice des droits de la partie civile durant le procès pénal. L’une de ces limitations a d’ailleurs été censurée par le Conseil constitutionnel en 2010.

La limitation la plus choquante est bien connue : c’est l’impossibilité, pour la partie civile, d’interjeter appel d’une décision d’acquittement ou de relaxe. La loi réserve en effet cette faculté au parquet et à la défense. La victime peut uniquement, si elle s’est constituée partie civile, faire appel d’une décision portant sur les dommages et intérêts, c’est-à-dire sur ses intérêts civils. La partie civile n’a pas le droit d’exercer cette voie de recours quant à l’action publique. Elle est totalement tributaire de l’action ou de l’inaction du ministère public. Or la position du parquet n’est pas toujours intelligible. Tel est le cas lorsqu’un appel n’a pas été interjeté à la suite d’un acquittement alors qu’une lourde peine avait été requise à l’audience, ou lorsque, suite à une relaxe, l’appel de la partie civile a abouti à la caractérisation de l’infraction et à la condamnation du prévenu à réparer le préjudice causé.

La possibilité, pour la partie civile, d’interjeter appel d’une décision d’acquittement ou de relaxe s’inscrit dans le prolongement direct des droits conférés aux victimes dans le cadre du procès pénal. Le dépôt de plainte avec constitution de partie civile permet à la victime de surmonter un éventuel classement sans suite du procureur. Une fois constituée partie civile, la victime peut faire appel des ordonnances de non-lieu du juge d’instruction. Cette évolution n’est donc que la mise en cohérence de notre procédure pénale. La victime doit pouvoir surmonter l’inertie du parquet en ayant le droit de demander la tenue d’un nouveau procès. D’autant plus que loin d’être cantonnée à la recherche d’une réparation pécuniaire, l’action ou l’intervention de la victime peut n’être motivée que par « l’établissement de la culpabilité de l’accusé ou du prévenu ».

La situation actuelle est la cause d’une profonde souffrance morale pour les victimes. Le droit de s’exprimer et de participer à l’établissement de la vérité concourt à leur reconstruction. C’est la raison pour laquelle nous vous demandons de créer ce droit d’appel.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Yves Goasdoué, rapporteur. Nous comprenons la philosophie de votre amendement, mon cher collègue. Je commencerai donc par rappeler que dans cet hémicycle, tout le monde a le respect de la victime.

Néanmoins, l’amendement appelle de ma part deux observations.

Sur la forme, il me semble assez éloigné du texte. On pourrait même considérer qu’il n’a pas de rapport avec lui.

Sur le fond, c’est en réalité la philosophie générale de notre droit pénal que vous voulez changer.

M. Yannick Moreau. Mais non !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Bien sûr que si ! Vous remettez en cause l’exercice de l’action publique !

M. Yves Goasdoué, rapporteur. Le principe est en effet que l’action publique appartient à l’État, le parquet étant le défenseur des intérêts de la société. Cela ne signifie pas que les parties civiles n’ont aucun droit, puisque la victime est acteur à part entière de la procédure pénale et peut exercer un certain nombre de droits : possibilité de déclencher elle-même les poursuites en se constituant partie civile, possibilité de bénéficier de l’aide juridictionnelle – parfois, pour certaines infractions graves, sans condition de ressources –, droit d’obtenir des réparations pour le dommage qu’elle a subi, droit, bien entendu, de faire appel des décisions rendues sur ses intérêts civils.

J’ai bien conscience que ces arguments n’épuisent ni ne tranchent la question. Mais, et cela rejoint mon objection de forme, il faudrait un texte entier pour traiter d’un sujet qui met en cause les fondements mêmes de notre droit pénal et de notre procédure pénale.

Avis défavorable, donc.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Vous l’avez dit vous-même, monsieur le député, il s’agit d’un amendement « d’appel ». Vous ne vous faites donc guère d’illusions sur le sort que l’Assemblée lui réservera. (Sourires.)

C’est heureux, d’ailleurs ! Comme vient de le dire très justement le rapporteur, notre procédure pénale repose sur des équilibres séculaires.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Bien sûr !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. La victime, qui a naturellement toute notre compassion pour les souffrances qu’elle a pu endurer, défend un intérêt qui reste un intérêt privé, aussi respectable soit-il. Le ministère public, lui, défend l’intérêt général. On ne saurait introduire une confusion dans les compétences des uns et des autres.

À votre amendement d’appel, je réponds donc par une position de principe.

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech.

M. Georges Fenech. Une fois n’est pas coutume – et j’en ai prévenu mon collègue Yannick Moreau –, je partage totalement l’avis du Gouvernement. La sanction, dans son principe, est réparatrice non pas pour la victime, mais pour la société.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Sinon, c’est la loi du talion.

M. Georges Fenech. C’est donc le représentant du ministère public qui réclame une peine au nom de la société. Toute la construction de ce que l’on appelle la justice d’État, et non plus la justice privée, découle de ce principe. Le rôle de la partie civile dans le procès doit être entièrement reconnu, qu’il s’agisse de la réparation de son préjudice ou de la reconnaissance de son statut de victime – et Dieu sait que les droits de la victime ont été accrus par différentes réformes ces dernières années ! Mais ouvrir à la partie civile le droit d’interjeter appel des sanctions prononcées par le tribunal correctionnel ou par la cour d’assises reviendrait, à mon sens, à dénaturer totalement ce qu’est un procès pénal et la notion même de justice rendue par l’État.

(L’amendement n119 rectifié n’est pas adopté.)

Article 10 ter (précédemment réservé)

M. le président. La parole est à M. Sébastien Pietrasanta, inscrit sur l’article.

M. Sébastien Pietrasanta. Les deux amendements que j’avais déposés sur cet article ayant été « retoqués », de même que l’amendement de M. Gosselin, sur le fondement de l’article 40 de la Constitution, je me permets d’intervenir à ce stade du débat.

L’article 10 ter, introduit en commission par un amendement de M. Gosselin, vise à permettre d’expérimenter à nouveau le dispositif électronique de protection anti-rapprochement – DEPAR – pour les personnes ayant commis des violences à l’encontre de leur conjoint. La loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants prévoyait d’expérimenter ce dispositif pour une durée de trois ans, mais cela n’a pas marché.

Si elle n’a pas marché, c’est parce que le décret d’application de la loi de 2010 n’a été publié que deux ans plus tard, en février 2012, d’une part, et parce que le quantum des peines permettant la mise en œuvre effective de l’expérimentation n’était pas adapté, d’autre part. La loi réservait en effet le dispositif aux victimes dont l’agression était passible ou avait été condamnée à une peine d’au moins cinq ans d’emprisonnement. Or une telle peine n’est quasiment jamais prononcée.

L’article 10 ter, qui ouvre la voie à une nouvelle expérimentation du dispositif pour une durée de trois ans, ne modifie pas le seuil des peines à partir duquel il est possible de proposer un placement sous surveillance électronique dans les cas de violences conjugales. Mon amendement, comme celui de Philippe Gosselin, visait précisément à modifier ce seuil. En effet, les condamnations à cinq ans d’emprisonnement – seuil actuel pour pouvoir proposer un placement sous surveillance électronique mobile – étant très rares, le seuil de trois ans nous paraît plus adapté pour permettre un déploiement effectif du dispositif. Ce seuil reste élevé, puisque seules 25 % des peines prononcées en correctionnelle sont égales ou supérieures à trois ans : retenir ce seuil ne reviendrait donc pas à systématiser le recours à ce dispositif.

Enfin, il est utile de rappeler que 200 000 femmes sont victimes de violences conjugales chaque année en France, et que ces violences demeurent hélas la première cause de mortalité des femmes de seize à quarante-quatre ans. Peut-être serai-je entendu dans le cadre d’une commission mixte paritaire : mon idée, je le répète, serait d’abaisser, pour cette expérimentation, le seuil de peine de cinq à trois ans. La précédente expérimentation a échoué, parce que le seuil de cinq ans n’a pas permis qu’elle soit réellement mise en œuvre. Nous avons voté un amendement qui permet de renouveler cette expérimentation. Mais cela ne sert à rien de voter des dispositifs dont on sait qu’ils ne seront pas appliqués – je sais que M. le garde des sceaux n’aime pas les lois bavardes.

M. le président. Je suis saisi de trois amendements, nos 105, 106 et 107, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.

La parole est à M. Yves Goasdoué, rapporteur, pour les soutenir.

M. Yves Goasdoué, rapporteur. Il s’agit de trois amendements de précision, monsieur le président.

(Les amendements nos 105, 106 et 107, acceptés par le Gouvernement, sont successivement adoptés.)

(L’article 10 ter, amendé, est adopté.)

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je ne suis saisi d’aucune demande d’explication de vote.

Je mets donc aux voix l’ensemble du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

5

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, demain, à neuf heures trente :

Discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer ;

Discussion du projet de loi ratifiant diverses ordonnances relatives à la collectivité de Corse ;

Discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi ratifiant les ordonnances relatives à l’autoconsommation d’électricité ;

Discussion de la proposition de loi relative aux modalités de calcul du potentiel fiscal agrégé des communautés d’agglomération.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures quarante-cinq.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly