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Commission des affaires européennes

mercredi 9 décembre 2015

14 heures

Compte rendu n° 246

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente

Communication de Mme Estelle Grelier sur la proposition de règlement du Conseil établissant, pour 2016, les possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux de l’Union et, pour les navires de l’Union, dans certaines eaux n’appartenant pas à l’Union (COM(2015) 559 final)

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 9 décembre 2015

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission,

La séance est ouverte à 14 heures

Communication de Mme Estelle Grelier sur la proposition de règlement du Conseil établissant, pour 2016, les possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux de l’Union et, pour les navires de l’Union, dans certaines eaux n’appartenant pas à l’Union (COM(2015) 559 final)

Mme Estelle Grelier, rapporteure. Je présente aujourd’hui devant la commission mes conclusions sur la proposition de règlement qui fixe les possibilités de pêche pour 2016 dans l’Atlantique et dans la mer du Nord. La proposition de règlement concerne à la fois les stocks halieutiques dans les eaux européennes et les stocks partagés avec des partenaires internationaux comme la Norvège. Et elle s’inscrit dans le cadre des traditionnelles négociations de fin d’année des totaux admissibles de captures (TAC) et de leur répartition entre États membres pour l’ensemble des pêcheries européennes par quotas nationaux , dites négociations « TAC et quotas ».

C’est la troisième année, je crois, que la commission des Affaires européennes donne sa position et je me félicite de cette procédure.

Ces possibilités de pêche seront discutées au Conseil agriculture et pêche des 14 et 15 décembre 2015.

Le règlement dit « TAC et quotas » encadre la majorité des stocks des eaux européennes de l’Atlantique mais ne couvre pas la Méditerranée. Je propose que la commission des Affaires européennes puisse se saisir également de la proposition de règlement qui concerne la Méditerranée.

Premièrement, je tiens à indiquer que nous devons faire face cette année à des contraintes de calendrier exceptionnelles peu propices à une négociation sereine et efficace entre les États-membres et la Commission. Le ministre Vidalies lui-même a évoqué ce point hier devant notre commission, pour le regretter.

La Commission européenne a présenté le 10 novembre sa proposition sur les TAC et quotas pour 2016.

D’emblée, il convient de noter que cette proposition est incomplète par rapport aux années précédentes en termes de stocks visés en raison d’avis scientifiques rendus tardivement et du retard pris pour les espèces partagées, dans les négociations avec les pays tiers, notamment le cabillaud avec la Norvège. Aussi, il a fallu attendre les 25 et 26 novembre, sous le format « non papier » – c’est-à-dire des transmissions de la Commission qui ne sont pas publiques –, les propositions relatives aux stocks à enjeux pour les pêcheries françaises : la sole Manche-est, la sole du Golfe de Gascogne, la langoustine en zones VII et VIII. Ces contraintes de calendrier pèsent sur les négociations de l’avant-Conseil et créent un climat anxiogène pour les pêcheurs.

De la même façon, les quotas qualifiés en bon français de « top-ups », c’est-à-dire les quotas additionnels crées afin de tenir compte de l’obligation de débarquement ont été transmis le 26 novembre. Ces quotas « zéro rejet » étaient très attendus du fait de leur nouveauté (première année d’existence) et de la complexité de leur mode de calcul. Ces TAC spécifiques sont applicables lors des pêches d’espèces démersales (merlu, merlan, cabillaud, sole …) à compter du 1er janvier 2016 et dépendent donc de la quantité de poissons qui sont débarqués. Les zones concernées sont : Atlantique Nord-Ouest, Sud-Ouest de l’Atlantique et mer du Nord.

Il m’est revenu que de telles contraintes de calendrier avaient notamment pour origine un sous-effectif chronique de personnel sur le secteur de la pêche à la Commission européenne. Une telle situation ne manque de m’interroger. Pourquoi la Commission ne mobilise-t-elle pas davantage ses services sur un secteur aussi important ?

La Commission a évoqué pendant deux semaines la possibilité d’un report à mars des majorations en raison du caractère insuffisant des données de rejet transmises par les groupes régionaux. Elle a finalement renoncé à sa proposition de réévaluation en deux temps des quotas de stocks soumis à obligation de débarquement en 2016 et a fait une proposition de quotas « top-up » en utilisant les données du Comité scientifique, technique et économique de la pêche (CSTEP). Reste à ce jour à trouver un accord sur la méthodologie générale de calcul de ces « top-up ».

Les possibilités de pêche proposées par la Commission européenne reposent sur des avis scientifiques qui ne sont plus contestables et ont pour objectif principal de limiter la surexploitation des ressources halieutiques.

La proposition de la Commission européenne s’appuie sur les avis scientifiques rendus par le Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM). Je tiens à rappeler qu’il y a désormais une véritable adhésion des pêcheurs au principe des avis scientifiques.

Je suis bien évidemment favorable à cette nouvelle dynamique de la politique européenne de la pêche fondée sur les données scientifiques et approuve ainsi l’accroissement du nombre de stocks gérés au rendement maximal durable (RMD). Je me félicite de la même façon du nombre en augmentation de stocks dont les données scientifiques permettent d’estimer le niveau de mortalité assurant le rendement maximal durable.

Les avis scientifiques nous autorisent quelque espoir pour bon nombre de stocks en voie de reconstitution.

Pour autant, d’autres tendances sont sans conteste préoccupantes : ainsi, un tiers des stocks restent très dégradés ou surexploités. Cette année comme l’an dernier, le nombre de stocks pour lesquels les avis scientifiques conseillent de réduire les captures au niveau le plus bas possible a par conséquent augmenté.

Dans ce contexte, les hausses des limites de captures de poissons dans les eaux européennes sont très limitées. La Commission européenne propose d’augmenter les limites de captures pour seulement quatre stocks ayant atteint le niveau du rendement maximal durable (RMD) : les stocks de la cardine en mer du Nord (+ 26 %) et en Ouest Écosse (+ 18 %) et le chinchard dans les eaux ibériques (+ 27 %) et les eaux portugaises (+ 15 %). C’est le témoignage d’une bonne gestion des ressources.

Dans la proposition de la Commission, il y a par ailleurs très peu de quotas stables, à part l’anchois dans les eaux espagnoles et portugaises.

Les réductions de quotas sont un peu plus nombreuses que l’an dernier. La Commission indique ainsi que le cabillaud en mer d'Irlande et dans les eaux de mer Celtique continue à être dans un mauvais état. Les stocks de sole en mer d'Irlande ou dans le golfe de Gascogne sont « très vulnérables ». Les avis pour l'églefin et le cabillaud en mer Celtique demandent des baisses considérables des TAC pour les porter aux niveaux du rendement maximal durable. De plus, la Commission conseille aux pêcheurs de mer Celtique et des eaux occidentales d'améliorer les techniques de sélectivité des engins de pêche, afin d’éviter les prises de jeunes poissons et de mettre en péril la reproduction et la reconstitution des stocks de poissons.

Parmi les baisses de TAC proposées, citons  19,6 % pour le hareng en mer Celtique, 29,6 % pour le cabillaud en mer Celtique, 20 % pour la limande, 12 % pour la lotte aussi bien en zone VII que dans le golfe de Gascogne, 27 % pour l'églefin dans les eaux espagnoles et portugaises, 20 % pour le merlan dans le golfe de Gascogne, 19,8 % pour la langoustine en mer du Nord, 20 % pour la plie en mer d'Irlande, 20 % pour le lieu jaune, 20 % pour les raies, 100 % pour la sole en mer d'Irlande.

La Commission propose, avec ces chiffres, d'atteindre le rendement maximal durable (RMD) d'ici à 2016 « lorsque cela est possible » pour tous les stocks où les scientifiques ont donné un avis RMD, sauf pour le bar.

En effet, pour le bar la Commission a proposé un dispositif sans précédent : un moratoire sur la pêche au bar pendant six mois. Cette interdiction s’appliquerait aussi bien aux navires commerciaux qu’à la pêche récréative, pêche de loisirs et de plaisance. Pour la seconde partie de l’année 2016, la Commission propose un TAC d’une tonne par mois pour les navires de pêche ciblant le bar et une limite d’un poisson par jour contre un sac de trois bars selon les règles actuelles pour les pêcheurs récréatifs.

La recherche par la Commission du rendement maximal dès 2016 n’est pas satisfaisante à mon sens.

La nouvelle PCP prévoit que les totaux admissibles de capture doivent être fixés de manière à obtenir le RMD en 2015 quand cela est possible, et au plus tard en 2020 pour tous les stocks. 

Si je suis favorable à l’atteinte du RMD comme principe de gestion des stocks de l’Union européenne, je suis très réservée quant à la recherche systématique du RMD dès 2016.

La France s’est toujours opposée aux propositions de la Commission européenne comportant des variations considérables de TAC d’une année sur l’autre.

Pour certains stocks, l’évolution des possibilités de pêche doit se faire progressivement et par paliers de manière à ne pas compromettre la viabilité sociale et économique des flottes de pêche concernées. Et cette année encore, certains stocks correspondent à ce cas de figure.

Ainsi, je souhaite attirer votre attention sur trois stocks dont le respect des TAC parait « insoutenable » sur le plan socio-économique pour les pêcheries françaises. Il s’agit du stock de sole en Manche orientale, du stock de langoustine dans le Golfe de Gascogne et du stock de bar.

Pour le stock de sole en Manche Orientale, la Commission européenne propose une diminution de la limite de capture de 32 % sans le quota « top-up ». Selon le Comité national des pêches, une telle diminution entamerait de manière non négligeable le chiffre d’affaires du fileyeur « moyen ».

Selon moi, le TAC doit être réajusté compte tenu des efforts considérables menés les pêcheries de la Manche orientale en France et en Belgique depuis le 1er janvier 2015. La Commission a pris acte le 9 janvier des mesures de gestion prises par la France « visant à réduire sans retard la pression exercée par la pêche sur le stock de sole en Manche orientale ». Ces mesures ont fait l’objet d’un arrêté du 3 avril 2015 modifiant l'arrêté du 22 janvier 2015 créant un régime national de gestion pour la pêcherie de la sole commune en Manche Est et ont convaincu la Commission d’ajuster le niveau de TAC proposé pour 2015.

Ce plan de gestion conçu rapidement et mis en œuvre efficacement par les professionnels s’inscrit dans une logique pluriannuelle et doit être un exemple à suivre. Je considère que les TAC et quotas ne doivent pas être le seul prisme d’une meilleure gestion des ressources halieutiques.

Ce plan de gestion qui associe la recherche de l’atteinte de RMD, des mesures techniques favorables à la ressource et une perspective pluriannuelle pourrait utilement être généralisé à d’autres zones du littoral.

Pour mémoire, les mesures techniques comportent la soumission des navires de pêche français capturant plus de 300 kg de sole par an à une licence spécifique, la réduction de 10 % du nombre de jours en mer admissibles pour les navires ciblants, l’installation d’un système de surveillance des navires sous licence par satellites, la meilleure protection des zones de nurseries , la limitation de la taille des filets de fond.

Pour le stock de la sole dans le Golfe de Gascogne, la Commission indique que son état continue à se détériorer.

En 2013, le CIEM avait retenu des mesures de précaution proposées par les parties prenantes (limitation de jours de pêches, fermeture de certaines zones de frayage ….) pour la gestion à long terme. Le TAC 2015 est fondé sur ces mesures qui visent à maintenir le TAC constant tout en réduisant progressivement les taux de mortalité par pêche à des niveaux viables.

Cependant, étant donné que la mortalité par pêche a augmenté ces dernières années et que la biomasse est désormais inférieure au niveau de précaution, la diminution de TAC pour 2016 proposée est de 37 %.

Le stock de sole du golfe de Gascogne représente un enjeu majeur pour la France, au regard de son importance socioéconomique considérable et de la dépendance d’un nombre important de navires artisanaux côtiers à celui-ci.

Je souhaite une réduction moindre et sur la base d’une atteinte d’une RMD postérieure à 2016. Il serait judicieux et intelligent que les professionnels puissent prendre l’initiative de mesures de gestion similaires à celles menées en Manche orientale pour la sole.

 Pour le stock nord de bar, la Commission propose une mesure qui n’est pas acceptable pour les pêcheries françaises : un moratoire de la pêche pendant 6 mois.

La négociation s’annonce difficile car la France est le principal pays concerné, voire le seul. En effet, le bar est principalement exploité par la France sur la façade Manche Atlantique et en mer du Nord pour ce qui est des pêcheries commerciales.

Je suis réellement surprise et surtout inquiète face à une telle proposition qui aura des conséquences très pénalisantes sur les métiers de la pêche artisanale fortement dépendants de cette espèce et tout particulièrement les ligneurs. En effet, on estime que les ligneurs dépendent du bar à plus de 80 %, sans aucune possibilité de diversification dans la mesure où il n’existe pas d’autre espèce à pêcher à la ligne et, la plupart des bateaux sont trop petits pour une reconversion au filet ou au casier. Environ 200 bateaux sont concernés.

Le Comité national des pêches a fustigé les propositions de la Commission qu’il juge « disproportionnées, irresponsables, inacceptables » et suggère une limite trimestrielle de captures basée sur les limitations mensuelles appliquées en 2015, soit 5,4 tonnes pour les chalutiers de fond, 3,9 tonnes pour les métiers de l’hameçon, 3 tonnes pour les fileyeurs, 9 tonnes par navire pour les chalutiers pélagiques.

Quant à elle, la Plateforme de la petite pêche artisanale française que j’ai entendue à Fécamp propose des mesures reprenant celles de l’organisation représentative des petits pêcheurs européens Life. Il s’agit de mesures d’urgence concrètes et soucieuses de la durabilité du stock de bar : un moratoire de 2 mois pour toutes zones et pour tous les métiers du 15 janvier au 15 mars, un moratoire supplémentaire de deux mois pour le large, ou s’opère la reproduction du 15 décembre au 15 avril, une limite mensuelle inchangée de 1,3 tonnes mais avec la possibilité de la gérer sur trois mois afin d’éviter toute course au poisson.

Je rappelle à toutes fins utiles que le règlement de la nouvelle politique commune de la pêche permet de favoriser la petite pêche artisanale dans son article 17.

Toutefois, la Commission indique que « compte tenu de la gravité de l’avis du CIEM de 2015, il apparaît clairement qu’il est nécessaire de poursuivre les actions visant à protéger ce stock et de s’appuyer sur les progrès accomplis en 2015, ainsi que de protéger le stock reproducteur, d’augmenter le recrutement au maximum et de réduire les captures de bar. »

Cette argumentation n’est pas recevable tant les conséquences d’un moratoire seraient pénalisantes pour la pêche artisanale et à très court terme. Je préconise donc une atteinte progressive du RMD pour le stock de bar nord.

Enfin, si la pêche récréative doit être mise à contribution au même titre que la pêche professionnelle, elle doit l’être, dans des proportions moindres que ce qui est proposé par la Commission. La pêche récréative en mer est un élément important de valorisation de nos littoraux et constitue une pêche responsable comme le souligne l’IFREMER dans sa dernière enquête sur la pêche récréative.

Dernièrement, l’application systématique par la Commission du principe de précaution pour les stocks aux données scientifiques incomplètes n’est pas justifiée.

La Commission européenne a choisi l’approche de précaution lorsque les avis scientifiques font défaut. Dans ce cas, les TAC ont été réduits de 20 % à titre conservatoire.

Je m’interroge sur cette approche pour les stocks ayant déjà fait l’objet de baisses de leurs possibilités de pêche ces dernières années ou dont certains indices témoignent du bon état. L’application répétée de baisses de possibilités décidées par précaution a conduit parfois à des baisses disproportionnées comme par exemple pour le stock de raies. De nombreux indices témoignent de l’abondance du stock de raies à l’heure actuelle après une baisse du TAC de 2009 à 2015.

En conclusion, je suis défavorable à la proposition de règlement, contraire au principe de proportionnalité.

La proposition de règlement comporte le risque de fragiliser les équilibres économiques de nos territoires littoraux et d’éroder le consentement des pêcheurs mais également des citoyens européens aux mesures légitimes de maîtrise de l’effort de pêche en vue d’une meilleure préservation des ressources halieutiques.

Ma proposition de conclusions est la suivante :

Je demande à ce que le rendement maximal durable puisse être atteint jusqu’ en 2020 (article 2 du règlement du 11 décembre 2013 relatif à la politique commune de la pêche) pour les stocks dont la gestion est soumise à des contraintes socioéconomiques fortes.

Je souhaite que l’approche pluriannuelle de la gestion des stocks soit privilégiée et suis défavorable à de fortes variations annuelles, déstabilisantes et insécurisantes pour les pêcheries.

Je souhaite que davantage de plans pluriannuels de gestion des stocks s’appuyant sur l’expertise du Comité scientifique , technique et économique de la pêche(CSTEP) soient mis en place et ce afin de sortir d’une logique du « tout TAC ».

J’estime que l’adoption des possibilités de pêche telles que proposées par la Commission européenne nuirait à l’équilibre socio-économique des pêcheries françaises, en particulier en ce qui concerne les stocks de sole en Manche orientale et dans le Golfe du Gascogne.

Je m’oppose à la proposition de la Commission européenne visant à fixer un moratoire sur la pêche du bar pendant les six premiers mois de l’année 2016, en raison notamment des retombées sociales et économiques très pénalisantes pour la pêche artisanale française qui est très dépendante de la pêche au bar.

Je suis également défavorable à l’interprétation large donnée par la Commission européenne du principe de précaution qui mène à la baisse systématique de 20 % des TAC pour les stocks dont les données scientifiques sont incomplètes.

M. Yves Daniel. Je ne comprends pas pourquoi que les avis scientifiques soient incomplets ou rendus si tardivement. Ces avis sont très attendus par les différents acteurs. N’y aurait-il pas moyen à agir afin que ces avis soient données en temps et en heure ?

Mme Annick Le Loch. Je partage les conclusions de la rapporteure sur la proposition de la Commission européenne « TAC et quotas » 2016. Le Ministre Vidalies, entendu hier par la commission des affaires européennes, est d’ailleurs sur la même ligne que la rapporteure et a rappelé toute sa détermination à négocier afin d’obtenir des quotas qui permettent la viabilité économique et sociale des entreprises de pêche.

Pour le bar, les propositions du Comité national des pêches concernent tous les métiers mais je tiens à indiquer que la situation des ligneurs en Normandie et en Bretagne est celle qui est la plus préoccupante. Ces ligneurs sont dépendants à 80 % de la pêche du bar et un moratoire signifie pour eux l’arrêt de leur activité. Une centaine de pêcheurs de la pointe de Bretagne seraient très menacés par un tel moratoire.

Le Ministre Vidalies a d’ailleurs indiqué qu’il allait hiérarchiser les demandes de la France en fonction des métiers et c’est ce qu’il faut faire.

Concernant le bar, il y avait eu en 2014 et en 2015 une alerte sur le stock et la Commission européenne avait invité les États-membres concernés, la France et la Belgique à mener une initiative en commun. Les États ne l’ont pas fait et je le regrette.

Pour ce qui est du stock de bar dans le Golfe de Gascogne, il n’y a pas de contrainte de pêche, pas de moratoire, pas de limitation de la taille du poisson. Je me demande si cela ne va pas mener à une détérioration du stock dans les années à venir. Des avis scientifiques plus poussés pourraient peut-être être menées dans cette zone ?

Enfin, la rapporteure a-t-elle pu obtenir l’avis des pêcheurs récréatifs sur le bar ? Je n’ai pas entendu les associations de pêcheurs récréatifs réagir aux propositions restrictives de la Commission.

La Présidente Danielle Auroi. Je vais intervenir à un double titre : au nom de mon groupe et à titre personnel en tant que Présidente de la commission.

Je rappelle que nous sommes en pleine négociation COP 21, que le Pape François vient de publier une encyclique qui concerne directement la préservation de l’océan. En tant qu’écologiste, je suis convaincue qu’il est fondamental de maintenir des objectifs ambitieux en termes de préservation de la ressource halieutique.

Je suis favorable à une écoute très attentive des problématiques de la petite pêche artisanale. J’ai reçu les représentants de la Plateforme de la petite pêche artisanale française et leur proposition d’un moratoire écourté à deux mois me parait intéressante.

J’ai le sentiment que l’approche de la rapporteure est principalement économique et sociale. L’approche environnementale, halieutique ne me semble pas suffisamment présente dans cette proposition de résolution. Pour cette raison, mon groupe est défavorable à la proposition de résolution proposée par notre collègue Estelle Grelier.

Concernant le principe de précaution, j’ai tout d’abord une question très naïve : pourquoi n’avons-nous pas d’avis scientifiques pour certaines espèces de poissons ? Les écologistes considèrent que le principe de précaution doit s’appliquer lorsque les données scientifiques sont inexistantes ou incomplètes. À force de privilégier l’aspect socioéconomique et non celui de précaution, tous les jours des espèces disparaissent.

La remise en cause du principe de précaution n’est pas acceptable.

Opposer les emplois à l’environnement est une approche stérile. En effet, lorsque la ressource aura disparu, les emplois disparaitront.

Il semble que l’on procède en matière de pêche comme en matière d’agriculture en mettant en avant les plus fragiles, les petits pour protéger en fait les industriels, même si je suis consciente ce n’est pas l’intention de la rapporteure.

Il me semble néfaste de s’opposer aussi durement aux propositions de la Commission qui ont pour objectif de limiter la surexploitation de nos ressources halieutiques. Il faut rappeler que les ressources halieutiques de la Méditerranée sont dans un état déplorable et il ne faudrait que ce soit le cas bientôt pour l’océan.

En conclusion, je vais m’abstenir, notamment parce que les préoccupations des ligneurs, qui sont soucieux de la durabilité du stock de bar, sont légitimes.

Mme Estelle Grelier, rapporteure. Je tiens à rappeler que la proposition de résolution s’inscrit dans le cadre de la nouvelle PCP. La PCP précise bien que la gestion des stocks halieutiques a un triple objectif : social, environnemental et économique et ce point est d’ailleurs un de mes deux considérants.

La nouvelle PCP a débouché sur une démarche résolument environnementale puisque les TAC et quotas sont proposés en se fondant sur les avis scientifiques. Ainsi, j’ai indiqué dans mon rapport que pour certains stocks comme la cardine et le chinchard, cette politique a déjà remporté des succès. Les totaux admissibles de capture peuvent être augmentés tout en restant dans le rendement maximal durable.

Cela prouve que lorsque les avis scientifiques sont justes et permettent des plans de gestion de la ressource efficaces, la PCP fonctionne. Je tenais à le dire.

Le Ministre Vidalies dans sa détermination à négocier au mieux les TAC et quotas s’inscrit aussi dans le cadre de la PCP. Il l’a bien souligné lors de son audition devant notre commission qui visait à préparer le Conseil Agriculture et pêche des 14 et 15 décembre.

Pour ce qui est de l’application systématique par la Commission de mesures conservatoires de 20 % pour les stocks dont les données scientifiques sont incomplètes, voire inexistantes j’ai deux interrogations.

Premièrement, lors des auditions que j’ai menées j’ai demandé les raisons de cette absence d’avis scientifiques dans certains cas et je n’ai pas obtenu de réponses. Deuxièmement, je me demande pourquoi les avis scientifiques arrivent aussi tardivement. Nous devrions interroger précisément sur ces questions la commission et le CIEM.

« On » nous dit que certains stocks sont très compliqués à évaluer.

Pour rassurer la Présidente sur le principe de précaution, le stock de raie n’a pas d’avis scientifique mais tous les indices vont dans le sens d’une véritable reconstitution du stock suite aux baisses constantes du TAC à titre conservatoire de 2009 à 2015.

Je conclue en rappelant que la PCP ne prévoit pas une obligation de baisse de 20 % du TAC pour les stocks dont les données scientifiques sont incomplètes. Il s’agit là d’une mesure prise par la seule Commission qui invoque pour la justifier le principe de précaution. Je ne souhaite pas une remise en cause du principe de précaution, je m’interroge simplement sur cette règle de la baisse systématique de 20 %.

Concernant le bar qui sera certainement le stock le plus « compliqué » dans les négociations de la France, je suis également très étonnée, comme ma collègue Annick Le Loch, de l’absence de réaction des associations représentatives de la pêche récréative. L’an dernier, ces dernières n’avaient pas hésité à se manifester vivement face aux restrictions des possibilités de pêche du bar qui avaient été proposées par la Commission européenne. J’ai le sentiment que cette année eu égard aux contraintes de calendrier que j’ai évoquées précédemment les informations ne soient pas encore suffisamment parvenues aux associations.

Le volume de bar pêché par les pêcheurs récréatifs est singulièrement important. Aussi, j’ai indiqué dans le rapport que cette pêche récréative doit aussi être mise à contribution sans préciser dans quelle proportion. Je laisse au Ministre qui a tous les éléments pour évaluer précisément la part prise par la pêche récréative dans la pêche au bar l’appréciation de négocier.

Comme l’a souligné Mme Le Loch, la proposition du Comité national des pêches est difficile à soutenir. En effet, l’alerte sur le stock du bar remonte maintenant à plusieurs années. C’est pourquoi, à mon sens, il faudrait faire pour le bar ce que nos pêcheries en partenariat avec les Belges ont su faire pour le stock en Manche orientale : des mesures de gestion dans une perspective pluriannuelle. Pour ce stock, la Commission a acté les efforts consentis par une moindre baisse des quotas.

La Commission a proposé le moratoire de 6 mois en raison notamment de la relative inaction des États et des professionnels sur le stock de bar. Et ce moratoire aurait pour effet de « tuer » l’activité économique des ligneurs.

C’est pour cela que dans mon rapport j’ai voulu avoir une position plus équilibrée que celle du Comité national des pêches en privilégiant des mesures prises dans le cadre d’un plan de gestion à direction de la petite pêche artisanale qui dépend à 80 % de la pêche du bar. LA PCP prévoit de favoriser la petite pêche artisanale plus respectueuse des enjeux environnementaux à l’article 17 du règlement. La Commission pourrait utilement se reposer sur cet article.

Je reste donc défavorable à cette proposition de règlement mais je tiens à rappeler, afin de rassurer une nouvelle fois la Présidente, que je reste bien dans le cadre de la PCP qui a pour objectif de limiter la surexploitation des ressources halieutiques.

La Présidente Danielle Auroi. Étant donné les forces en présence, les propositions de conclusion présentées par la rapporteure sont adoptées et je me félicite du travail de qualité d’une part et d’un réel dialogue avec la rapporteure d’autre part, qui nous éloigne des débats plus difficiles que nous avions eus l’an dernier toutes les deux sur les filets maillants dérivants.

M. Yves Daniel. Je tiens à souligner que ma question sur les avis scientifiques n’avait pas pour objet de remettre en cause le principe de précaution, bien au contraire.

La Commission a ensuite adopté les conclusions suivantes :

« La commission des Affaires européennes,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu l’article 43, paragraphe 3 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu le règlement (UE) n° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 relatif à la politique commune de la pêche, modifiant les règlements (CE) n° 1954/2003 et (CE) n° 1224/2009 du Conseil et abrogeant les règlements (CE) n° 2371/2002 et (CE) n° 639/2004 du Conseil et la décision 2004/585/CE du Conseil,

Vu la proposition de règlement du Conseil établissant, pour 2016, les possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux de l'Union et, pour les navires de l'Union, dans certaines eaux n'appartenant pas à l'Union et abrogeant le règlement (UE) n° 10713 [COM(2015) 559 final],

Vu la communication de la Commission européenne au Parlement européen et au Conseil concernant une consultation sur les possibilités de pêche pour 2015 au titre de la politique commune de la pêche du 2 juin 2015 [COM(2015) 239 final],

Vu la résolution européenne sur la réforme de la politique commune de la pêche du 7 avril 2013 (TA n° 102),

Considérant que la gestion des stocks halieutiques doit avoir un triple objectif : social, environnemental et économique ;

Considérant que la pêche joue un rôle majeur pour l’économie littorale française et qu’un haut niveau d’emploi doit être maintenu dans ce secteur ;

1. Demande à ce que le rendement maximal durable puisse être atteint jusqu’ en 2020 (article 2 du règlement du 11 décembre 2013 relatif à la politique commune de la pêche) pour les stocks dont la gestion est soumise à des contraintes socioéconomiques fortes ;

2. Souhaite que l’approche pluriannuelle de la gestion des stocks soit privilégiée et est défavorable à de fortes variations annuelles, déstabilisantes et insécurisantes pour les pêcheries ;

3. Souhaite que davantage de plans pluriannuels de gestion des stocks s’appuyant sur l’expertise du Comité scientifique , technique et économique de la pêche(CSTEP) soient mis en place et ce afin de sortir d’une logique du « tout TAC » ;

4. Estime que l’adoption des possibilités de pêche telles que proposées par la Commission européenne nuirait à l’équilibre socio-économique des pêcheries françaises, en particulier en ce qui concerne les stocks de sole en Manche orientale et dans le Golfe du Gascogne ;

5. S’oppose à la proposition de la Commission européenne visant à fixer un moratoire sur la pêche du bar pendant les six premiers mois de l’année 2016, en raison notamment des retombées sociales et économiques très pénalisantes pour la pêche artisanale française qui est très dépendante de la pêche au bar ;

6. Est également défavorable à l’interprétation large donnée par la Commission européenne du principe de précaution qui mène à la baisse systématique de 20 % des TAC pour les stocks dont les données scientifiques sont incomplètes. »

Compte tenu des observations précédemment formulées, la commission a rejeté la proposition d’acte COM(2015) 559 final (document E 10713).

La séance est levée à 14 h 45

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 9 décembre 2015 à 14 heures

Présents. - Mme Danielle Auroi, M. Yves Daniel, Mme Estelle Grelier

Excusés. - M. Jean-Luc Bleunven, M. Yves Fromion, M. Pierre Lequiller

Assistait également à la réunion. - Mme Annick Le Loch