Accueil > Union européenne > Commission des affaires européennes > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Consulter le sommaire
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des affaires européennes

mardi 19 janvier 2016

16 h 30

Compte rendu n° 251

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente

I. Examen du rapport d’information de M. Jean-Patrick Gille sur l’assurance chômage européenne

II. Communication de la Présidente Danielle Auroi sur le financement du développement

III. Examen de textes soumis à l’Assemblée nationale en application de l’article 88-4 de la Constitution

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mardi 19 janvier 2016

Présidence de Mme Danielle Auroi,

La séance est ouverte à 16 h 30

I. Examen du rapport d’information de M. Jean-Patrick Gille sur l’assurance chômage européenne

M. Jean-Patrick Gille, rapporteur. Madame la Présidente, mes chers collègues, je vous remercie de m’avoir confié le sujet, passionnant, de l’assurance chômage européenne, sur lequel j’ai travaillé pendant plus d’un an, tant les fils à dérouler de cette pelote économico-sociale européenne sont nombreux et emmêlés.

Je n’avais pas vraiment cerné toutes les composantes et les enjeux de ce sujet lorsque j’ai accepté cette mission en arrivant dans cette commission, et c’est pourquoi mon travail a été plus long que je ne l’avais envisagé au départ ; mais je suis heureux de pouvoir aujourd’hui vous faire part de ce que j’ai compris du projet – encore très embryonnaire – d’assurance chômage européenne. Alors que nous avons reporté cette réunion, prévue initialement en juillet dernier, le calendrier finalement n’est pas si mauvais, puisque la Cour des comptes appelle à réformer l’assurance-chômage et que va s’engager la renégociation de la convention Unédic.

Bien que faisant l’objet de débats dans les sphères dites initiées, l’assurance chômage européenne est un sujet encore confidentiel, non seulement en Europe mais surtout en France ; j’espère que notre rapport pourra permettre de lancer plus avant le débat sur la question. Le risque est grand, en effet, que nous prenions du retard par rapport à nos partenaires et aux institutions européennes, et que nous devions collectivement faire un choix sur une question à laquelle nous n’aurions pas suffisamment réfléchi au préalable. Nos partenaires n’y croient pas forcément mais creusent le sujet.

Cette question de l’assurance chômage européenne est moins simple qu’il n’y parait, que ce soit du point de vue de son opportunité que de sa faisabilité.

Du point de vue de son opportunité tout d’abord : on pourrait croire qu’il s’agit d’un sujet social, alors qu’il s’agit d’abord et surtout d’un sujet économique. Tout le débat actuel sur l’assurance chômage européenne a en réalité été initié et est encore animé par des économistes, qui réfléchissent sur les moyens de créer un stabilisateur automatique à l’échelle de l’UEM. Ce désir de stabilisation de l’euro est partagé par les principaux responsables politiques européens, pour lesquels il va de pair avec l’objectif de long terme d’intégration de l’Union européenne, et, parfois, avec la nécessité de doter l’Europe d’une capacité budgétaire propre.

C’est en effet en évaluant les différents scénarios possibles de stabilisation de l’euro que les chercheurs se sont aperçus que – on l’a vu face à la crise – le meilleur d’entre eux serait une assurance chômage à l’échelle européenne. Certes, l’argument d’incarnation de l’Europe sociale est aussi avancé par les experts, mais presque en deuxième intention. La note de la DG Trésor de juin 2014, principal « papier » français sur le sujet, fait ainsi dès son introduction la part belle aux questions de solidarité : « la mutualisation au niveau de la zone euro d’une composante de l’assurance chômage permettrait de doter la zone euro d’un instrument de solidarité nouveau, à même de donner une véritable incarnation à l’Europe sociale tout en renforçant la stabilisation de la zone euro dans son ensemble ». Mais, dès la phrase suivante, il est clair que les motivations de cette note sont avant tout liées à la nécessité de stabiliser la zone euro : « la crise des dettes souveraines en zone euro a en effet rappelé que la zone euro manquait d’un instrument budgétaire central capable d’atténuer l’effet des chocs macroéconomiques. La mise en place d’un régime d’assurance chômage commun constituerait une réponse ambitieuse à cette situation, porteuse d’un symbole politique fort pour les citoyens et ayant des effets structurants sur la zone euro ».

Il est toutefois permis de s’interroger sur l’opportunité même de la création de cette assurance chômage dans sa fonction de stabilisation de l’euro. Certes, l’assurance chômage a, dans notre pays, joué un rôle contracyclique fort, mais nous avons un régime beaucoup plus généreux et protecteur que celui de l’ensemble de nos autres partenaires européens. En outre, la fonction contracyclique de l’assurance chômage serait fonction de son niveau ; son efficacité dépendrait de son niveau et donc du financement alloué, lequel reste hypothétique étant donné que les finances publiques des États membres sont loin d’être florissantes. On peut aussi s’interroger sur l’opportunité d’utiliser un outil social – l’assurance chômage – à des fins économiques – la stabilisation de la zone euro –, et ainsi de prendre le risque de déstabiliser un outil qui fonctionne bien – l’assurance chômage – pour un objectif qui pourrait être satisfait par d’autres outils tels que la création d’une capacité budgétaire propre. Enfin, il est permis de s’inquiéter sur les conséquences que la création d’une assurance chômage européenne aurait sur les organisations des systèmes nationaux d’assurance chômage, et notamment, pour notre pays, sur la gestion paritaire du système. On pourrait craindre, peut-être, que se cache là une volonté de l’État de remettre la main sur une assurance chômage actuellement gérée par les partenaires sociaux et qui impacte la dette publique dans le cadre du respect des critères de Maastricht.

Mais je me montre critique alors même que je ne vous ai pas encore exposé les trois systèmes envisagés. Je me fais là l’avocat du diable, alors qu’en définitive, et comme je vous l’exprimerai dans la deuxième partie de mon propos, je suis convaincu au terme de cette année de travail que nous devons et ne pouvons que soutenir le projet d’assurance chômage européenne.

Quels sont donc les modèles envisagés par les économistes ? Le premier – les transferts monétaires directs entre États membres – n’est exposé que pour la forme car il n’est pas assez efficace en matière de stabilisation économique.

Les deux autres sont ceux qui font débat.

Premier d’entre eux : la création d’un fonds assurantiel, de réassurance, qui permettrait de protéger les États membres contre les baisses potentielles de revenu ou les hausses de dépenses du fait des variations de la conjoncture économique. Il s’agirait donc de transferts budgétaires directs et temporaires entre États membres de la zone euro en fonction de leurs situations économiques internes, à partir d’une sorte de caisse centrale de régulation. Selon les simulations disponibles, un fonds de ce type dont le budget serait égal de 0,2 % à 0,5 % du PIB de la zone euro permettrait de réduire les écarts entre PIB et PIB potentiel de 40 % par rapport à la moyenne de ces écarts dans la zone euro.

Un tel fonds a pour inconvénient de ne pas répondre à l’objectif de visibilité de l’Europe sociale ; en outre, très technocratique, il ne rapprocherait pas l’Europe de ses citoyens.

Troisième système – le plus ambitieux mais aussi sans doute le plus difficile à mettre en œuvre – : la création d’un socle commun d’assurance chômage – qui serait dans chaque État un pourcentage du salaire médian ou du SMIC national – et qui serait complété par l’assurance chômage nationale de chaque État membre. Ce système a ma préférence. Chaque État pourrait garder sa politique, qui irait de pair avec le système européen.

Ce système suscite beaucoup d’interrogations quant à ses conséquences et à sa faisabilité. La première crainte est celle de la création d’une machine technocratique qui viendrait bouleverser des systèmes nationaux pour l’instant globalement efficaces. La deuxième crainte est que les régimes nationaux soient de facto amenés à converger – ce qui ne se ferait sans doute pas au bénéfice, il faut bien le reconnaître, de notre propre système national, de loin le plus favorable aux allocataires – et que la mise en place d’un nouveau système bouleverse, dans chaque pays, les équilibres politiques, les marchés du travail et les modèles de politique sociale. La troisième crainte porte sur la manière d’éviter les effets de transferts budgétaires permanents entre États membres. Comment s’assurer que la mise en place d’une assurance chômage européenne ne se traduise pas par une redistribution massive en Europe au profit des pays les plus en difficulté mais au détriment des pays émetteurs ? Autrement dit du Nord vers le Sud, même si les chercheurs estiment que l’Allemagne en aurait profité au moment de la réunification de son pays.

Ces craintes s’expriment d’autant plus fortement que la faisabilité même du système n’est en rien évidente. Il pose en effet des questions quant à sa gouvernance, tant au niveau national qu’au niveau européen : qui piloterait le projet ? qui définirait les différents paramètres du système ? qui en assurerait l’effectivité et le contrôle ?

Enfin, dernier obstacle et non des moindres : en l’état actuel des traités, la mise en œuvre de ce type d’assurance n’est pas de la compétence de l’Union européenne, que ce soit pour la zone euro ou pour l’Union à 28. Il ne vous a pas échappé que la renégociation des traités est un sujet sensible…

Qu’en est-il de l’état du débat et des positions des uns et des autres sur la question ? La Commission européenne, longtemps motivée par le sujet lorsque M. László Andor était commissaire, affiche à présent une position plus en retrait ; si les services continuent à travailler pour être prêts, selon leurs propres termes « au cas où », Mme Marianne Thyssen, sans être hostile, semble plus réservée sur le sujet que son prédécesseur.

Le Parlement a, de son côté, confié à la Commission le soin de coordonner un projet pilote, remporté par le CEPS – Centre for European political studies – , qui doit examiner dix-huit scénarios pour déterminer lequel serait le meilleur d’entre eux.

Qu’en est-il des États membres ? Je n’ai malheureusement pas la possibilité de vous faire part d’un panorama exhaustif des opinions des vingt-huit gouvernements des États de l’Union, mais je crois pouvoir vous informer sur le point de vue de notre Gouvernement ainsi que sur celui de notre principal partenaire, l’Allemagne.

Je me suis rendu à Berlin, et, pour dire les choses rapidement, j’ai bien compris que les Allemands ne sont pas favorables à cette idée, qu’ils voient comme une espèce d’entourloupe qui permettrait aux pays les moins vertueux de leur faire assumer le coût de leur propre chômage sans mener de réformes du marché du travail – cela a été dit très clairement, notamment à la Chancellerie. Les Allemands n’en veulent pas, mais travaillent sur le sujet. Ils posent en outre de manière très ferme comme condition préalable et absolue l’assainissement des finances publiques avant la création de tout mécanisme d’assurance chômage européen quel qu’il soit.

Quid des acteurs français ? Il faut souligner au préalable que ce sujet, lancé par la direction du Trésor il y a un an et demi, en juin 2014, n’a fait à l’époque l’objet d’aucun arbitrage interministériel. Ce sujet était surtout avancé par le ministre Moscovici, appelé depuis à d’autres fonctions.

Par ailleurs, l’assurance chômage européenne n’a pas depuis été portée sur la table des négociations avec nos partenaires européens, et, particulièrement, avec l’Allemagne. Les deux contributions franco-allemandes de 2013 et de 2015 n’en font pas mention, et se concentrent sur la question plus large de l’approfondissement de l’UEM.

Il n’y a donc pas de position officielle de la France sur cette question, qui n’apparaît pas explicitement dans le débat et n’a toujours fait l’objet d’aucun arbitrage. C’est un paradoxe, étant donné que nous avons lancé le sujet ! Nous portions le sujet, nous l’avons retiré.

Ceci n’empêche pas les différents ministères d’avoir une opinion sur la question.

Du côté du ministère du Travail, on estime que la création d’une assurance chômage européenne serait un atout à la fois économique – la stabilisation de la zone euro – et politique – la promotion d’un projet fédérateur pour l’Europe sociale. En revanche, on marque un certain nombre de réserves : d’une part, la création d’un tel mécanisme risque d’affecter le système français d’assurance chômage, et sa composante paritaire ; d’autre part, elle impliquerait une nécessaire convergence des principes d’organisation des différents systèmes d’assurance chômage (répartition assurance-solidarité, taux des cotisations, gouvernance,..) ce qui nécessiterait au préalable une discussion intergouvernementale approfondie sur ces paramètres.

Du côté du secrétariat d’État aux affaires européennes, dans la lignée du ministère de tutelle, on estime que la complexité du système ainsi que la nécessité de réviser les traités n’en font pas un objectif prioritaire, et que l’urgence est plutôt d’agir rapidement en renforçant la capacité d’investissement et d’amplifier le plan Juncker.

Du côté de l’Élysée, il n’y a pas de position tranchée non plus sur un sujet qualifié « d’intéressant ».

Qu’en est-il des partenaires sociaux, très concernés dans notre pays ? Autrefois assez hostiles, car craignant pour la pérennité du système paritaire et que la création de cette assurance chômage permette aux États, par des effets de « tours de passe-passe » soit de détourner de l’argent de l’assurance chômage au profit d’autres budgets, soit d’exercer une main mise plus forte sur les sommes dévolues à cette assurance, ceux-ci sont à présents plus volontaires, notamment la CFDT, dont la place en matière de gestion d’assurance chômage est particulièrement importante. Seule la CFTC a manifesté une nette opposition à ce projet, de peur qu’il ne cache un jeu de dupes ; mais peut-être était-ce juste notre interlocuteur qui était très en retrait.

Il semble que les syndicats français soient en contact réguliers avec leurs homologues allemands, lesquels, s’ils sont très mobilisés sur le sujet, sont globalement assez hostiles à la création d’une assurance chômage. Je m’attendais à des positions plus circonspectes.

Du côté du patronat, après avoir été un temps très allant sur la question, le MEDEF semble considérer à présent que c’est un projet de moyen terme qui sera difficile à faire passer au niveau européen et que l’urgence est de se concentrer sur les réformes structurelles de nature à assurer le sauvetage et la pérennité de la zone euro. Le Medef est favorable au projet mais ce n’est pas sa priorité.

La CGPME, de son côté, est réservée, car elle estime que le système français fonctionne bien et qu’il n’y a pas d’intérêt à créer de la complexité supplémentaire avec un niveau européen.

Pourquoi alors suis-je convaincu que le débat sur l’assurance chômage doit être relancé et soutenu au niveau européen et au niveau national ? Nous n’avons pas vraiment le choix, sauf à assister passivement à l’éclatement de la zone euro et peut être même de l’Union européenne dont les économies divergent de plus en plus. Il faut bien trouver des éléments de convergence.

Nous sommes au milieu du gué. Nous avons fait une Europe avec une monnaie unique, mais sans budget commun. Depuis 2008, la crise de la zone euro a mis en lumière son incomplétude, mais les réformes entreprises demeurent partielles car l’Union et surtout la zone euro n’ont toujours pas de capacité budgétaire commune.

La nécessité de doter la zone euro d’un outil de stabilisation est réelle et l’assurance chômage européenne pourrait être un premier pas vers un fédéralisme budgétaire nécessaire.

Deuxièmement, l’Europe a besoin de convergence sociale. Nous ne pouvons pas rester dans la situation actuelle, où l’Europe est perçue comme ultralibérale et uniquement contraignante – certains diraient : « Prussienne ».

Porter l’assurance chômage européenne, c’est aussi se donner les moyens de donner un contenu à l’Europe sociale, au-delà des discours convenus sur la dimension sociale de l’Union ou la nécessité de rendre l’Europe plus sociale. Une assurance chômage européenne ce serait du concret, du palpable pour nos concitoyens ; ce serait un vrai instrument de solidarité européenne.

Cet instrument ne pourrait toutefois voir le jour qu’à moyen terme, car il nécessite deux avancées majeures. D’une part, la construction d’une législation sociale européenne, qui prenne en compte tous les aspects de la vie des travailleurs que ce soit le temps de travail, le salaire minimum, ou encore la lutte contre la fraude au travail détaché : il faut affronter clairement la question de la convergence européenne du droit du travail. C’est le vrai sujet ; il faut se poser clairement la question de la convergence ; on ne peut pas avoir les biens, les capitaux, les travailleurs qui circulent sans harmonisation sociale. D’autre part, et c’est lié, nous ne pouvons plus éluder le débat sur un prélèvement social européen sous la forme d’une cotisation sociale sur les salaires plutôt que d’une contribution fiscale.

Je suis convaincu que nous avons besoin pour sauver le projet européen. Je suis bien conscient évidemment que l’assurance chômage européenne ne verra pas le jour à court terme, pour toutes les raisons que je viens d’évoquer longuement. Ce n’est pas pour cela que nous devons nous abstenir de porter original d’un stabilisateur économico- social.

Mon rapport va d’ailleurs être d’ici quelques semaines suivi par celui de notre collègue Philip Cordery, sur la question du salaire minimum européen. Nous avons le projet de vous soumettre ensuite une proposition de résolution européenne sur les priorités sociales de l’Union, car nous pensons essentiel de faire bouger les lignes en Europe sur ces sujets qui sont cruciaux pour sa survie.

La Présidente Danielle Auroi. Merci pour ce rapport dont on voit bien l’importance aujourd’hui. Je voudrais ajouter deux mots relatifs à ce sujet épineux et attirer votre attention sur ce qui se passe actuellement au forum de Davos, où l’on évoque les réflexions actuelles autour du fractionnement du salariat et les nécessités de développer de nouvelles réponses face aux évolutions de l’emploi dans les années à venir. Effectivement, les réflexions que nous menons au sein de notre commission, aujourd’hui sur l’assurance chômage européenne, demain sur le salaire minimum européen, sont bienvenues et devront être suivies aussi de la question du revenu minimum d’activité. Il nous faut trouver de nouvelles réponses. Il est quand même assez étonnant que ce soit à Davos que Philippe Aghion, professeur d’économie à Harvard, lance le débat sur le revenu minimum d’activité… Rappelons que, il y a quelques temps, poser cette question paraissait totalement utopique : les temps changent. Il est important de se poser les bonnes questions pour construire l’Europe sociale et non uniquement sauver la zone euro. A l’heure actuelle, l’Union européenne est attaquée de toutes parts. La construction européenne, et notamment sociale, doit repartir. Ces sujets sont imbriqués et nécessaires, même si nous sommes dans une réflexion de moyen terme.

M. Arnaud Richard. Je salue le travail du rapporteur et l’honnêteté qui est la sienne de nous avoir fait part de ses doutes. L’assurance chômage européenne est une idée française, d’économistes, qui mêle considérations économiques et sociales. C’est un aspect de l’Europe qui nous importe beaucoup. Je partage l’avis du rapporteur sur le caractère très entremêlé du sujet et sur le fait que sa mise en œuvre puisse être compliquée. Laisser échapper aux partenaires sociaux la gestion de l’assurance chômage paraitrait pour le moins délicat. En outre, cela signifierait la création d’une nouvelle administration, ce qui aurait un coût que les Français ne seraient sans doute pas disposés à accepter. Enfin, se poser cette question revient à dire qu’on a pas de réponse à la nécessité d’harmonisation du droit du travail en Europe ; comme l’a très bien dit la Présidente, la problématique sur le fractionnement du salariat est réelle. Ce sont des bruits faibles, mais sur lesquels il faut effectivement se poser beaucoup de questions. N’oublions pas que notre système d’assurance chômage est très favorable, ce qui n’est pas le cas dans tous les pays. Le risque est de tirer les « avantages acquis », comme disait François Mitterrand, vers le bas. Il faut faire attention à cette « bonne idée » qui n’en est peut-être pas une.

M. Philippe Armand-Martin. Merci au rapporteur pour ce travail important. Avez-vous rencontré les partenaires sociaux de tous les États membres de l’Union ? Avez-vous l’avis des partenaires sociaux des autres États membres ? L’assurance chômage est une réponse au chômage en Union européenne. Mais cela pose problème, notamment en termes de gouvernance. Les exemples de cohérence et de cohésion en matière économique et sociale en Union européenne ne sont pas légions, nous le savons bien ; pouvez-vous dans ce contexte nous préciser les raisons de croire à un tel projet et surtout les délais d’une mise en œuvre effective, qui va être très difficile ? Enfin, quels sont les États qui seraient favorables ?

Mme Chantal Guittet. Merci au rapporteur car il défriche une nouvelle piste, ce qui est aussi notre rôle. J’ai une question sur le troisième modèle : est-ce qu’on aurait un prélèvement social ad hoc ? Quel serait le mode de financement ? En outre, quelle est l’articulation avec le revenu minimum universel, débat qui monte actuellement, notamment en Finlande ?

M. Marc Laffineur. Merci au rapporteur, qui nous permet de travailler sur un sujet qui montre la réalité de l’hétérogénéité de l’Union. Les Irlandais par exemple indemnisent tous les chômeurs à 150 euros par semaine pendant six mois. L’harmonisation va être compliquée… En outre, deux systèmes, cela signifie deux administrations ; cela me parait difficile. Je crois beaucoup au fédéralisme, mais je ne pense pas que ce projet soit la priorité. D’ailleurs, le rapport montre bien toutes les réticences qui pourront se faire jour.

M. Philip Cordery. Je me réjouis car nous avons des propositions concrètes sur la table en matière d’Europe sociale : c’est important. On voit la nécessité d’aller plus loin en termes de convergence salariale, fiscale, des droits du travail. L’harmonisation ne doit pas être que monétaire. Je pense que cette proposition est bonne : elle allie la stabilisation économique et la concrétisation de l’Europe sociale. Le rapporteur a souligné les difficultés, réelles ; mais ce n’est qu’un socle ! Il n’est pas question de transférer toute l’assurance chômage à l’Union européenne. Je serai heureux de bientôt finaliser le rapport sur le salaire minimum européen, qui est complémentaire.

M. Jacques Myard. Ce rapport a une vertu : celle du contre-exemple. C’est exactement ce qu’il ne faut pas faire. L’Union européenne est hétérogène et nous ne pouvons pas converger : vouloir à tout prix avoir des économies qui convergent de manière doctrinaire est dramatique. Ce n’est pas ça, l’Europe ! Tout comme avec l’euro, vous être en train de gérer l’Europe de manière idéologique et doctrinaire. Vouloir lier cette question à l’euro : les bras m’en tombent ! En réalité si vous voulez sauver l’Europe, il faut lui laisser avoir de la diversité. Cela ne signifie pas qu’on ne puisse pas avoir de nombreux échanges, comme on l’a fait en matière de sécurité sociale, qui est réglée de manière pragmatique. Si vous voulez améliorer le sort des travailleurs en Europe, commencez par régler le problème de la directive sur le détachement des travailleurs !

Mme Estelle Grelier. Merci au rapporteur, qui a pris le risque de porter ce sujet difficile avec de faibles chances d’aboutir. L’Europe sociale suscite des attentes légitimes, il faudra faire attention aux déceptions à la hauteur des attentes suscitées… Les déceptions ont été fortes sur la question de l’allongement du congé maternité, sujet dont on parle depuis 2011 et qui n’a toujours pas abouti. En matière d’Europe sociale, il nous faut un cadre, un calendrier, des chances d’aboutir sur les sujets.

Mme Isabelle Bruneau. Merci pour ce rapport complet et détaillé qui porte l’amorce d’une convergence sociale qu’on attend depuis des années. Cette idée est une bonne idée, mais qui appelle des réserves quant à sa forme. L’acceptation par l’ensemble des pays européens ne va-t-elle pas être assujettie à une flexibilisation des marchés du travail ? Ne va-t-on pas réduire les durées d’indemnisation et aller vers un système d’indemnisation a minima ? Notre pays est le plus protecteur, ce projet est risqué pour nous, comme l’a souligné notre collègue Marc Laffineur.

M. Jean-Patrick Gille, rapporteur. Je constate, qu’au-delà des sensibilités politiques, les interrogations sont convergentes. Je précise que nous avons fait le choix d’un rapport court – pour qu’il soit lu et pédagogique – et vous serez peut-être déçus de ne pas avoir un comparatif détaillé entre les pays. J’ai beaucoup hésité avant de me faire une opinion, et je suis d’accord avec Jacques Myard sur le fait que c’est une question politique : quel modèle veut-on ? Souvent en Europe, parce que c’est compliqué à 28 ou à 19, on invente un objet qui est un peu complexe et technocratique, en pensant que les convergences et les harmonisations se feront – elles ne se font pas nécessairement ou alors dans la douleur. Ce n’est pas la bonne démarche. Il faut inverser les choses et au contraire clairement poser les débats. Je comprends des interventions que je n’ai peut-être pas assez exposé – et peut être pas assez traité dans mon rapport – l’élément suivant. Il faut avoir en tête que, dans la plupart des pays, l’assurance chômage ne fonctionne pas comme chez nous : elle repose en premier lieu sur un socle, qui garantit un minimum, et, ensuite, sur une assurance chômage. En France, c’est l’inverse, le socle – l’ASS – arrive en fin de droits. Il faut avoir ce modèle-là en tête pour comprendre la problématique européenne. C’est pour nous que le socle serait le plus compliqué. Bien sûr, et je rassure à cet égard notre collègue Richard, les partenaires sociaux en France continueraient à gérer l’assurance chômage au niveau national ; les politiques nationales demeureraient, mais il y aurait un socle européen. Ce n’est pas le moment d’inquiéter les partenaires sociaux ! Tout individu bénéficierait d’un socle forfaitaire. Ce socle serait lié au niveau des revenus du pays, et serait déterminé en fonction du salaire minimum de chaque pays ou du salaire médian de chaque pays – et le lien avec la question du salaire minimum européen est évident ; l’assurance nationale viendrait en plus. Rassurez-vous, monsieur Myard, chaque pays continuerait de piloter sa politique d’assurance chômage : nous n’envisageons pas un système d’égalitarisme soviétisant ! Je ne dis pas que les économies doivent converger, mais je constate, au contraire, que – et nous ne l’avions pas prévu – l’euro, que l’on pensait être un instrument de convergence, a en réalité renforcé la divergence entre les économies, entrainant une sorte de division du travail entre les pays de la zone. Cela pose de vrais problèmes, notamment de dumping social et de déplacement des travailleurs. Si on veut maintenir la stabilité de la zone euro, il nous faut des régulateurs. Les États-Unis, pays libéral par excellence, a ce genre de système, avec l’État fédéral qui vient soutenir l’État fédéré en cas de problème. Il n’y a pas, monsieur Myard, la lumière d’un côté, et l’obscurité dogmatique de l’autre.

Comme je vous l’ai dit, les partenaires sociaux sont très ouverts sur ce sujet ; la CFDT notamment est à la pointe du combat sur ce sujet-là. L’enjeu est de construire l’Europe du travail – je n’ose dire des travailleurs. Concernant nos partenaires, on a vu les Allemands extrêmement au point et avec un discours homogène que ce soit au niveau du patronat, des syndicats ou du Gouvernement. Le discours est partout le même, y compris dans le déroulement du raisonnement. Ils ne croient pas à ce projet, mais ont travaillé pour opposer des arguments. Il y a un consensus sur le fait que la France, avant de porter ce sujet, doit d’abord améliorer ses finances publiques et le fonctionnement de son marché du travail, et par ailleurs, sur l’idée que la priorité est dans l’investissement. Il faut comprendre aussi que le sujet n’a pas la même résonnance en Allemagne qu’en France, où les dépenses d’assurance chômage sont deux fois supérieures en valeur absolue aux dépenses outre-Rhin ; la France collecte 32 milliards et en dépense 37, l’Allemagne collecte et dépense 16 milliards, avec une population active plus importante. Cela s’explique par les différences de taux de chômage et d’indemnisation. L’assurance chômage en Allemagne n’a ni le même poids dans l’économie, ni le même rôle qu’en France ; l’approche du sujet et le raisonnement y sont différents.

Pourquoi y croire ? C’est vrai que c’est un vaste sujet… mais je suis convaincu que ce n’est pas une question de croyance mais une question politique. Je pense, comme Européen convaincu, qu’il faut prendre ce sujet au sérieux. Il faut aller à la Commission européenne pour voir leur forte inquiétude sur la fragilité de la zone euro et la nécessité de trouver une réponse pour assurer sa pérennité... Or, l’assurance chômage, avec seulement 0,5 % du PIB – et non 10 % comme pour un vrai budget – aurait un réel effet de stabilisation, et sans la complexité et le caractère technocratique de mécanismes tels que le MES… C’est là tout l’intérêt du dispositif. L’Italie, comme la Slovénie, l’ont compris et sont allantes sur cette question.

Pour répondre à Mme Guittet, l’idée est bien d’avoir un socle européen, forfait par pays indexé sur le salaire minimum ou le salaire médian, et puis un complément qui serait régi par les systèmes nationaux. Je pense – c’est mon idée et non celle du Trésor – que le socle devrait être assis sur une cotisation européenne.

La question de la convergence par le bas, évidemment, inquiète tout le monde ; mais de toute façon la convergence se fera, et nous risquons de la subir. Il vaut mieux l’organiser. Je partage vos interrogations et vos inquiétudes, mais ces processus sont déjà en train de se dérouler. Comment faire une zone économique commune sans un minimum de règles sociales et de droit du travail en commun ? On voit bien cette difficulté avec les problèmes liés aux travailleurs détachés. Nous ne sommes pas par principe contre ces travailleurs, et nous en avons beaucoup en France ; mais les fraudes sont nombreuses et possibles car nous n’avons pas d’harmonisation sociale ! Par rapport à ces problématiques, très prégnantes, et notamment dans notre pays, la seule solution est d’aller vers une harmonisation des règles qui concernent les salariés. Une forme d’assurance chômage dont une partie serait commune à l’ensemble de l’Europe est aussi à cet égard un début de réponse.

La Présidente Danielle Auroi. C’est d’ailleurs ce que dit le Président Juncker : l’absence de construction d’Europe sociale porte en germe l’éclatement de l’Union. Nous attendons maintenant le rapport de notre collègue Philip Cordery, et, si même à Davos on s’interroge sur le revenu minimum, c’est le signe que les positionnements évoluent. Il faudra faire le point lorsque vous présenterez votre proposition de résolution sur l’Europe sociale.

II. Communication de la Présidente Danielle Auroi sur le financement du développement

La Présidente Danielle Auroi. 2015 a été consacrée « année européenne du développement ». Elle a aussi et surtout été marquée par trois grandes réunions internationales qui ont jeté les bases d’une approche renouvelée du développement pour les quinze prochaines années : la conférence d’Addis Abeba sur le financement du développement en juillet, le sommet de l’ONU à New York sur l’agenda du développement post-2015 en septembre et, enfin, la COP21 en décembre à Paris.

En effet, 2015 était la dernière année pour atteindre les objectifs du millénaire pour le développement (OMD) définis en 2000. Un bilan de ceux-ci a donc été fait à New York en septembre. Celui-ci est globalement satisfaisant, même s’il faut reconnaître que les résultats positifs découlent plus de la croissance économique de l’Inde et de la Chine que de l’action de l’ONU en faveur du développement. Toutefois, si je me réjouis bien sûr de ces résultats, je suis également consciente que les OMD visaient avant tout à lutter contre la pauvreté et à améliorer les conditions sociales et sanitaires des populations des pays en développement. C’est ainsi qu’un enjeu comme la lutte contre le réchauffement climatique et, plus généralement, la protection de l’environnement, n’étaient pas considérés à l’époque comme des objectifs prioritaires de la politique de développement, ni en Europe, ni ailleurs.

La situation a radicalement changé aujourd’hui. Le sommet de New York en septembre dernier a en effet défini 17 objectifs de développement durable (ODD) visant à mettre fin à la pauvreté, à lutter contre les inégalités et l'injustice et, surtout, à faire face au changement climatique tout en contribuant à limiter celui-ci, comme l’a acté la COP21, à 2° par rapport à l’ère préindustrielle.

Toutefois, s’il faut se féliciter de l’ambition portée par ces nouveaux objectifs, encore faut-il les financer. Selon les estimations de la CNUCED, les besoins en investissements des pays en développement pour atteindre les ODD au cours de la période 2015-2030 s’élèvent à 3 900 milliards de dollars, dont 2 500 milliards ne sont pas financés. Or, dans le même temps, la source traditionnelle de financement qu’est l’aide publique au développement est de plus en plus contrainte. Trouver ces financements était l’objet de la conférence d’Addis Abeba à laquelle je me suis personnellement rendue en juillet dernier.

C’est peu dire que les négociations ont été difficiles. La conférence s’est achevée sur la définition d’un « Programme d’action prenant la forme d’une résolution par l’Assemblée générale de l’ONU le 27 juillet dernier. La lecture attentive de celle-ci laisse un goût amer. En effet, si elle est pleine de bonnes intentions et montre une juste compréhension des enjeux, les engagements qu’elle comporte sont généralement vagues et non-contraignants ; le seraient-ils d’ailleurs qu’ils resteraient très en deçà desdits enjeux. En d’autres termes, si les ODD sont ambitieux, on peut légitimement douter que le Programme d’action suffise à dégager les financements nécessaires.

Trois éléments m’ont amené à cette conclusion. Le premier, c’est que les engagements d’aide publique au développement sont très en deçà des besoins des pays en voie développement. Ainsi, les pays développés, dont l’Union européenne, se sont engagés à contribuer à hauteur de 0,7% de leur Revenu national brut pour le financement du développement, dont 0,15 à 0,20% pour les pays les moins avancés (PMA).

Certes, cet objectif est très supérieur à ce que les pays développés consacrent aujourd’hui à l’APD : 0,41 % pour l’Union européenne par exemple en 2014. Toutefois, il n’y a pas lieu de se réjouir. En effet, cet objectif de 0,7 % est ni plus ni moins que l’objectif défini en 2002 à Monterrey pour 2015. Treize plus tard, les promesses faites à l’époque n’ont pas été tenues et voir cet objectif repris à Addis Abeba constitue ni plus ni moins qu’un nouveau report de quinze ans. En outre, rien ne dit que l’objectif sera atteint en 2030 car il n’est pas contraignant.

Or, je tiens à insister sur un point. Aider les pays en voie de développement n’est pas seulement un impératif moral, c’est aussi dans notre intérêt. . Il est ainsi vain d’espérer éradiquer les mouvements terroristes qui ensanglantent l’Afrique et menacent nos soldats et nos ressortissants sans soutenir le développement économique de ces pays qui, plus que la guerre, est la seule réponse viable à long terme contre le terrorisme.

De même, l’Union européenne connaît, depuis plusieurs années, une vague croissante d’immigration. Si les migrants syriens ont monopolisé l’attention en raison des tragiques évènements se déroulant dans leur pays, nombreux sont les migrants poussés jusqu’à nos côtes par la misère qui sévit chez eux. Or, à ces migrants économiques pourraient s’ajouter, si rien n’est fait pour lutter contre le changement climatique, des migrants environnementaux poussés à fuir leurs pays en raison de catastrophes climatiques toujours plus nombreuses.

Enfin, on peut s’interroger sur la pertinence même de cet objectif de 0,7 %. En effet, à Monterrey en 2002, l’objectif de 0,7 % du RNB consacré à l’APD avait été jugé nécessaire pour des OMD centrés sur la lutte contre la pauvreté, le soutien à la scolarisation et l’amélioration des conditions sanitaires. Or, les ODD non seulement reprennent largement les OMD mais, en plus, intègrent dans le développement durable la lutte contre le changement climatique qui, à elle seule, exige des investissements considérables.

En d’autres termes, alors que les objectifs de développement ont été élargis, l’objectif d’APD reste au même niveau. Je crains donc que, le principe d’additionnalité des fonds pour lutter contre le changement climatique n’ayant pas été mentionné, il ne faille à l’avenir faire un choix entre la lutte contre la pauvreté et la lutte contre le changement climatique alors même que la réussite de chacune dépend de celle de l’autre.

En outre et c’est peut-être aussi grave, comme l’a démontré la fédération d’ONG européennes CONCORD dans un rapport publié le 24 novembre dernier, non seulement l’APD européenne n’atteint pas les 0,7 % du RNB mais elle est de plus en plus détournée de son objectif pour couvrir, notamment, le coût des migrations.

Bien sûr, cette reprise à l’identique de l’objectif de 0,7 % du RNB consacré à l’APD en dépit des besoins croissants a été justifié par le recours accru à d’autres modes de financement et, notamment les prêts et le secteur privé. Si les prêts d’institutions publiques comme l’AFD ou la BEI et le secteur privé, d’une manière générale, sont évidemment utiles, ces modes de financement ne peuvent être une excuse pour diminuer la véritable aide au développement, c’est-à-dire un don, d’origine publique et inconditionnel.

Le deuxième point sur lequel je voudrais insister est la taxe sur les transactions financières. Comme vous le savez, dix pays de l’Union européenne, dont la France et l’Allemagne, ont mis en place une coopération renforcée pour créer une TTF européenne. Les discussions se poursuivent difficilement depuis 2013 et, lors du sommet ECOFIN du 8 décembre dernier, aucun accord n’a pu être trouvé malgré quelques progrès sur des points précis. En particulier, les États-membres sont divisés sur le champ d’application de la taxe, son taux et, surtout, son affectation. En outre, à supposer qu’elle soit effectivement créée, le Royaume-Uni a menacé de saisir la Cour de justice s’il apparaissait que cette taxe nuisait à la City.

Face à cette situation, il faut se réjouir que notre pays ait joué le rôle de pionnier et créé une TTF nationale en 2012. Son produit s’élève à environ 900 millions d’euros, affectés désormais pour moitié au financement du développement grâce, notamment, à un amendement de nos collègues Sergio Coronado et Pouria Amirshahi au PLF 2016. Toutefois, le chemin est encore long pour respecter l’objectif fixé par le Président de la République d’une augmentation de 4 milliards d’euros de l’APD française d’ici à 2020.

Enfin, le troisième point sur lequel je voudrais attirer votre attention est la cohérence des politiques de l’Union européenne. Celle-ci est une obligation découlant directement des traités. C’est ainsi qu’elle oblige l’Union à tenir compte des objectifs du développement dans l’ensemble des politiques susceptibles d’affecter les pays en voie de développement. L’objectif d’une telle cohérence est, logiquement, de minimiser les contradictions entre celles-ci et d’accroître les synergies au bénéfice des pays en voie de développement.

Tous les deux ans, un rapport de la Commission européenne évalue l’action de l'Union dans le domaine de la cohérence des politiques au service du développement. Le plus récent est paru en août dernier et, sans surprise, il se félicite des progrès enregistrés depuis 2013, notamment dans la cohérence entre la politique de développement et la politique commerciale.

En ce qui me concerne, je ne partage pas l’autosatisfaction de la Commission. En effet, pour ne prendre qu’un seul exemple, l’accord de libre-échange avec la Colombie, en vigueur depuis 2013, s’est traduit par l’ouverture réciproque de nombreux marchés qui a largement bénéficié aux exportateurs européens. Ainsi, selon les propres statistiques de la Commission, entre 2013 et 2014, les importations européennes de produits agricoles depuis la Colombie ont crû de 10,3 % mais les exportations vers ce pays de 30,1 %. Il est évident que les petites exploitations colombiennes ne peuvent rivaliser avec une agriculture européenne hautement subventionnée et compétitive.

L’ouverture réciproque des marchés agricoles s’est ainsi faite au bénéfice exclusif des grandes exploitations, tant européennes que colombiennes et menace la survie des petites exploitations dont dépendent des millions de personnes. C’est donc très logiquement qu’un mois après la signature de l’accord, une grande grève nationale des agriculteurs a bloqué Bogota, sans susciter aucune réaction de la part de la Commission européenne. De même, l’accord favorise les investissements dans le secteur minier dont les conséquences sur l’environnement et les populations locales sont généralement catastrophiques.

Je rappelle sur ce point que MM. Gaymard et Pueyo se rendront en mai prochain en Colombie dans le cadre de leur mission d’évaluation des accords de libre-échange de l’Union européenne, afin d’analyser sur place les conséquences de cet accord avec la Colombie.

En conclusion, le financement du développement, bien qu’essentiel pour atteindre les objectifs de développement durable, ne me semble pas assuré par le Programme d’action défini à Addis Abeba. Certes, la COP21 a confirmé qu’au moins 100 milliards de dollars par an seront mobilisés, à partir de 2020, pour aider les pays en voie de développement à faire face au défi du changement climatique. Toutefois, encore faut-il que cet engagement soit tenu et, surtout, qu’il ne serve pas de prétexte à une diminution de l’aide publique au développement que les États versent par ailleurs à d’autres fins que la lutte contre le changement climatique.

M. Jacques Myard. Je remercie notre Présidente pour son rapport mais ne peut m’empêcher de penser que les mêmes propos sont répétés depuis des lustres sans jamais aborder la véritable question – il est vrai très délicate car touchant à l’intime – qui est celle de la croissance démographique. Il ne faut pas se voiler la face. Un pays qui enregistre une croissance de sa population supérieure à 2 % par an ne pourra jamais se développer ou alors très difficilement. Le préalable au développement, c’est donc la maîtrise des naissances à travers l’éducation, en particulier celle des femmes, et des programmes dédiés. Or, aujourd’hui, il n’y en a pas.

Mme Estelle Grelier. J’approuve l’analyse de la Présidente et voudrai revenir sur deux points. S’agissant de la taxe sur les transactions financières, je constate qu’elle n’est pas encore créée mais que chaque État-membre a ses idées sur l’affectation de son produit, idées qui sont d’ailleurs souvent contradictoires. Par ailleurs, l’exemple cité de l’accord de libre-échange avec la Colombie et le Pérou est bien loin du « juste échange » ; il révèle aussi une certaine contradiction de l’Union européenne : d’un côté, elle libéralise les échanges, avec des conséquences sociales et environnementales parfois dramatiques dans les pays concernés, et de l’autre, elle aide ces mêmes pays à faire face à ces conséquences.

La Présidente Danielle Auroi. La maîtrise de la croissance démographique est un vrai sujet. Celle-ci repose évidemment sur l’éducation des femmes. Celle-ci nécessite des financements qui, comme je l’ai constaté, sont globalement insuffisants. Il faut toutefois être conscient que les financements à eux seuls ne peuvent suffire car c’est la culture même de ces pays qui s’oppose à la régulation des naissances. S’agissant de la TTF, Je rejoins Estelle Grelier. Avant de se disputer sur son produit, créons-la ! Depuis le temps qu’on en parle ! Enfin, j’ai été frappé, à Addis Abeba, par les positions des pays développés : moins d’aide publique au développement et plus d’initiatives privées ; celles des pays nouvellement développés, comme la Chine et l’Inde, ne valaient d’ailleurs guère mieux : eux aussi veulent à leur tour pouvoir exploiter les richesses des pays en voie de développement. Voilà qui augure mal du respect des objectifs du développement durable.

III. Examen de textes soumis à l’Assemblée nationale en application de l’article 88-4 de la Constitution

Sur le rapport de la Présidente Danielle Auroi, la Commission a examiné des textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Textes « actés »

Aucune observation n’ayant été formulée, la Commission a pris acte des textes suivants :

Ø COMMERCE EXTERIEUR

- Proposition de Décision du Conseil établissant la position à prendre par l'Union européenne au sein de la conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce en ce qui concerne la concurrence à l'exportation, la transparence et les questions liées au développement (COM(2015) 622 final – E 10788).

Ø COMMERCE INTERIEUR et SERVICES

- Proposition de Directive du Parlement européen et du Conseil concernant certains aspects des contrats de fourniture de contenu numérique (COM(2015) 634 final – E 10800).

- Proposition de Directive du Parlement européen et du Conseil concernant certains aspects des contrats de ventes en ligne et de toute autre vente à distance de biens (COM(2015) 635 final – E 10801).

Ø ELARGISSEMENT et VOISINAGE

- Proposition de Décision du Conseil relative à la signature, au nom de l’Union européenne et de ses États membres, et à l’application provisoire d'un protocole à l’accord euro-méditerranéen instituant une association entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et la République libanaise, d’autre part, afin de tenir compte de l’adhésion de la République de Croatie à l’Union européenne (COM(2015) 640 final – E 10816).

- Proposition de Décision du Conseil relative à la conclusion, au nom de l'Union européenne et de ses États membres, d'un protocole à l'accord euro-méditerranéen établissant une association entre la Communauté européenne et ses États membres, d'une part, et la République libanaise, d'autre part, afin de tenir compte de l'adhésion de la République de Croatie à l'Union européenne (COM(2015) 641 final – E 10817).

Ø ENVIRONNEMENT

- Règlement de la Commission modifiant, aux fins de son adaptation au progrès technique et scientifique, le règlement (CE) nº 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil relatif à la classification, à l'étiquetage et à l'emballage des substances et des mélanges (D040178/04 – E 10808).

- Proposition de Décision du Conseil relative à la position à adopter au nom de l'Union européenne, au sein du Comité mixte de l'EEE, sur une modification de l'annexe XX (Environnement) de l'accord EEE (Émissions de CO2) (COM(2015) 661 final – E 10824).

Ø ESPACE LIBERTE SECURITE JUSTICE

- Projet de budget de SISNET pour l'exercice 2016 (VISION) (14772/15 – E 10795).

- Proposition de Décision du Conseil concernant la conclusion de l'accord entre l'Union européenne et la République populaire de Chine relatif à l'exemption de visa de court séjour pour les titulaires d'un passeport diplomatique (COM(2015) 643 final – E 10805).

- Proposition de Décision du Conseil concernant la signature, au nom de l'Union européenne, et l'application provisoire de l'accord entre l'Union européenne et la République populaire de Chine relatif à l'exemption de visa de court séjour pour les titulaires d'un passeport diplomatique (COM(2015) 645 final – E 10806).

- Proposition de Décision du Conseil arrêtant la position de l'Union européenne au sujet d'une recommandation du comité de réadmission mixte institué par l'accord de réadmission entre la Communauté européenne et la Fédération de Russie, relative aux demandes de réadmission nécessitant l'organisation d'auditions (COM(2015) 666 final – E 10826).

Ø FISCALITE

- Proposition de Décision du Conseil relative à la conclusion, au nom de l'Union européenne, du Protocole de modification de l'Accord entre la Communauté européenne et la Principauté d'Andorre prévoyant des mesures équivalentes à celles prévues dans la directive 2003/48/CE du Conseil en matière de fiscalité des revenus de l'épargne sous forme de paiements d'intérêts (COM(2015) 631 final – E 10814).

- Proposition de Décision du Conseil relative à la signature, au nom de l'Union européenne, du Protocole de modification de l'Accord entre la Communauté européenne et la Principauté d'Andorre prévoyant des mesures équivalentes à celles prévues dans la directive 2003/48/CE du Conseil en matière de fiscalité des revenus de l'épargne sous forme de paiements d'intérêts (COM(2015) 632 final – E 10815).

Ø INSTITUTIONS COMMUNAUTAIRES

- Décision du Conseil portant délégation au secrétaire général du Conseil du pouvoir de délivrer des laissez-passer aux membres, aux fonctionnaires et autres agents du Conseil européen et du Conseil, ainsi qu'aux demandeurs spécifiques prévus à l'annexe II du règlement (UE) n° 1417/2013, et abrogeant la décision 2005/682/CE, Euratom (12321/15 – E 10628).

- Décision du Conseil modifiant le règlement intérieur du Conseil (13612/15 – E 10740).

Ø TRANSPORTS

- Règlement (UE) de la Commission complétant le règlement (CE) n° 1071/2009 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne la classification des infractions graves aux règles de l'Union pouvant porter préjudice à l'honorabilité des transporteurs par route, et modifiant l'annexe III de la directive 2006/22/CE du Parlement européen et du Conseil (D041992/02 – E 10789).

- Règlement de la Commission modifiant le règlement (UE) n° 1332/2011 établissant des exigences communes pour l'utilisation de l'espace aérien et des procédures d'exploitation communes pour l'évitement de collision en vol (D042245/03 – E 10803).

- Proposition de Décision du Conseil relative à la position à adopter, au nom de l'Union européenne, au sein du comité pour le contrôle par l'État du port créé en vertu du mémorandum d'entente de Paris sur le contrôle par l'État du port (COM(2015) 664 final – E 10825).

Procédure d’examen en urgence

Par ailleurs, la Commission a pris acte de la levée de la réserve parlementaire, selon la procédure d’examen en urgence, du texte suivant :

Ø POLITIQUE ETRANGERE ET DE SECURITE COMMUNE (PESC)

Décision du Conseil concernant la date d'application de la décision (PESC) 2015/1863 modifiant la décision 2010/413/PESC concernant des mesures restrictives à l'encontre de l'Iran (5166/16 – E 10843).

Textes « actés » de manière tacite

Accords tacites de la Commission

En application de la procédure adoptée par la Commission les 23 septembre 2008 (textes antidumping), 29 octobre 2008 (virements de crédits), 28 janvier 2009 (certains projets de décisions de nominations et actes relevant de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) concernant la prolongation, sans changement, de missions de gestion de crise, ou de sanctions diverses, et certaines autres nominations), et 16 octobre 2012 (certaines décisions de mobilisation du fonds européen d’ajustement à la mondialisation), celle-ci a pris acte tacitement du document suivant :

Ø BUDGET COMMUNAUTAIRE

- Proposition de virement de crédits n° DEC 46/2015 à l'intérieur de la section III - Commission - du budget général pour l'exercice 2015 (DEC 46/2015 – E 10836).

Accords tacites de la Commission liés au calendrier d’adoption par le Conseil

La Commission a également pris acte de la levée tacite de la réserve parlementaire, du fait du calendrier des travaux du Conseil, pour les textes suivants :

Ø ELARGISSEMENT et VOISINAGE

- Décision du Conseil relative à la signature et à la conclusion de l'accord entre le Conseil des ministres de la République d'Albanie et l'Union européenne sur les procédures de sécurité pour l'échange d'informations classifiées et leur protection (14259/1/15 – E 10838).

- Décision du Conseil autorisant l'ouverture de négociations avec le Royaume du Maroc en vue de la conclusion d'un accord entre le Royaume du Maroc et l'Union européenne sur la sécurité des informations (14260/15 – E 10839).

Ø POLITIQUE ETRANGERE ET DE SECURITE COMMUNE (PESC)

- Décision du Conseil modifiant la décision 2010/413/PESC concernant des mesures restrictives à l'encontre de l'Iran (5104/1/16 – E 10840).

- Décision du Conseil modifiant la décision 2010/413/PESC concernant des mesures restrictives à l'encontre de l'Iran (5105/1/16 – E 10841).

- Règlement du Conseil modifiant le règlement (UE) n° 267/2012 concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran (5122/1/16 – E 10842).

La séance est levée à 17 h 50

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mardi 19 janvier 2016 à 16 h 30

Présents. - Mme Danielle Auroi, Mme Isabelle Bruneau, M. Philip Cordery, Mme Sandrine Doucet, M. William Dumas, M. Jean-Patrick Gille, Mme Estelle Grelier, Mme Chantal Guittet, M. Marc Laffineur, M. Philippe Armand Martin, M. Jacques Myard, M. Arnaud Richard

Excusés. - Mme Marietta Karamanli, M. Pierre Lequiller