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Commission des affaires européennes

mardi 28 juin 2016

17 h 15

Compte rendu n° 292

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente,

I. Communication de la Présidente Danielle Auroi sur les résultats du référendum britannique

II. Examen du rapport d’information de M. Gilles Savary sur la stratégie européenne pour l’aviation (COM(2015) 613 final – E 10833) 

III. Examen du rapport d’information de M. Gilles Savary sur le détachement des travailleurs

IV. Examen de textes soumis à l’Assemblée nationale en application de l’article 88-4 de la Constitution

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mardi 28 juin 2016

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 17h45

I. Communication de la Présidente Danielle Auroi sur les résultats du référendum britannique

La Présidente Danielle Auroi. Évidemment, nous ne pouvions pas ne pas parler des résultats du référendum britannique cet après-midi dans notre commission, continuant ainsi le débat que nous venons d’avoir dans l’hémicycle. Ces résultats constituent un tournant majeur dans l’histoire de l’Union européenne.

J’ai eu l’occasion de rappeler en séance quelle est la réponse que doivent selon moi apporter les gouvernements européens, et le moteur franco-allemand en premier lieu, à cette décision du peuple britannique.

Nous devons désormais, à mon sens, nous engager sur la voie d’une Union plus sociale et plus démocratique si nous voulons regagner la confiance des peuples européens. Il faut recentrer le projet européen sur son objectif initial : reconstruire avec les États membres volontaires une Europe de la solidarité, des libertés, de la paix et du partage de la prospérité. Il faut remettre l’Europe au service d’un véritable projet politique, et de sa capacité à porter nos valeurs dans le monde.

Nous devons agir ensemble pour garantir la liberté de circulation, pour construire l’Union de l’énergie, pour lutter contre le dumping social et mener une véritable convergence fiscale. Sur beaucoup de ces sujets, la voix du Royaume-Uni a longtemps été un frein, et il faut saisir cette opportunité malheureuse pour avancer sur tous ces sujets.

Mais si nous voulons que l’Union soit ambitieuse, il faudra lui donner les moyens de cette ambition, à la fois financiers et juridiques. Il faudra également que nous repensions l’Europe de la défense, alors que la deuxième armée européenne va quitter l’Union.

Pour cela, il faudra probablement accepter une Europe différenciée, autour d’un noyau dur porteur d’une intégration renforcée.

Notre commission travaille déjà depuis longtemps sur l’ensemble de ces sujets.

Mais je voulais revenir dans cette communication sur l’analyse de ce référendum et sur les suites juridiques et institutionnelles qui vont lui être données au niveau de l’Union, car il me semble nécessaire de synthétiser tout ce qui a été dit ou écrit au cours des derniers jours. Je pense que nous nous posons tous aujourd’hui beaucoup de questions sur la suite des événements.

Ce vote laisse le Royaume-Uni plus désuni que jamais.

En effet, les résultats de ce référendum mettent en exergue des disparités régionales sans appel : l’Angleterre, région de loin la plus peuplée, a voté pour le « Leave » à 53,4 %, à l’exception de Londres qui s’est prononcé largement pour le maintien, avec 60 % des suffrages. Le Pays de Galles à également voté pour le Brexit, avec 52,5 % des suffrages. L’Écosse a massivement voté pour le « Remain » à 62 %, de même que l’Irlande du Nord avec 55,8 % des voix.

De tels résultats remettent potentiellement en cause la cohésion du Royaume-Uni.

En Irlande, le Sinn Féin a aussitôt plaidé pour la tenue d’un nouveau référendum portant sur l’unification des deux Irlande.

Comme elle l'avait laissé entendre pendant la campagne, la première ministre écossaise Nicola Sturgeon a déclaré qu'une telle divergence entre l'Écosse et le reste du Royaume-Uni justifie une nouvelle consultation du peuple écossais sur sa propre indépendance, et souhaite que l’Écosse reste dans l’Union européenne. Elle a également déclaré qu’Holyrood, le Parlement écossais, pourrait apposer son veto à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Le Brexit rendra en effet nécessaire d’amender le « Scotland Act » de 1998. Même si la décision finale reviendra très probablement à Westminster in fine, cette menace n’est pas à prendre à la légère.

Ce vote ne montre pas seulement un État divisé géographiquement : il révèle également un clivage générationnel très fort, ainsi qu’un clivage ville-campagne.

Avant tout, pour moi, ce vote britannique est avant tout un cri des plus précaires, des plus démunis, des laissés pour compte de la mondialisation, auquel nous devons répondre.

La classe politique britannique est aujourd’hui en complète recomposition, et fait face à de nombreuses incertitudes. Les tourments du parti travailliste et du parti conservateur ne sont plus seulement une affaire de politique intérieure : l’évolution politique de Westminster et du 10, Downing Street joueront un rôle déterminant dans la manière dont les négociations seront menées.

Le Premier ministre David Cameron a annoncé sa démission dès vendredi matin. Le nom du nouveau Premier ministre devrait être connu au plus tard le deux septembre prochain, et non plus début octobre comme initialement annoncé. Boris Johnson est évidemment un candidat naturel pour ce poste, mais il est loin de faire l’unanimité au sein du parti conservateur. Le nom de Teresa May, ministre de l’intérieur depuis six ans, plutôt eurosceptique mais ayant fait campagne du côté du « Remain », est également évoqué.

Au Labour, vingt membres du gouvernement fantôme ont démissionné hier pour protester contre le leadership de Jérémy Corbyn.

Hier, lors de son intervention à la Chambre des communes, David Cameron n’a pas écarté l’idée d’élections générales anticipées, même s’il a rappelé que cette décision reviendrait au futur Premier ministre.

De nombreuses réunions et prises de position se sont succédé au niveau européen depuis vendredi matin. Le Conseil européen qui a lieu ce soir sera déterminant.

Ce qui est certain, c'est que David Cameron n’invoquera pas ce soir au Conseil européen l’article 50 du traité, et se limitera à expliquer le vote du peuple britannique. À la Chambre des communes hier, il a rappelé que la décision d’invoquer l’article 50, tout comme la position du Royaume-Uni lors des prochaines négociations, reviendrait au prochain Premier ministre. Tout paraît donc gelé d’ici septembre, et, du côté britannique, les responsables politiques semblent vouloir « prendre le temps ».

Pour le moment, la question du calendrier de cette notification fait encore débat. Alors que le président de la République française et les présidents de la Commission européenne et du Parlement européen ont appelé à aller vite, la Chancelière allemande a mis en garde contre « toute décision hâtive ». Peter Altmaier, ministre proche de la chancelière, a même déclaré dans un entretien à la presse régionale que « Londres devrait avoir la possibilité de réfléchir encore une fois aux conséquences d’une sortie ».

Vendredi, le président de la République a appelé lors de sa conférence de presse à « prendre lucidement conscience des insuffisances du fonctionnement de l’Europe et de la perte de confiance des peuples dans le projet qu’elle porte » et à ce que « l’Europe se concentre sur l’essentiel : la sécurité et la défense de notre continent pour protéger nos frontières et pour préserver la paix face aux menaces ; l’investissement pour la croissance et pour l’emploi pour mettre en œuvre des politiques industrielles dans le domaine des nouvelles technologies et de la transition énergétique ; l’harmonisation fiscale et sociale pour donner à nos économies des règles et à nos concitoyens des garanties ; enfin le renforcement de la zone euro et de sa gouvernance démocratique. »

Peu après, la Chancelière allemande est intervenue en estimant que la décision britannique était « un coup porté au processus d'unification européenne ». Elle a souligné que les citoyens européens devaient pouvoir « ressentir concrètement en quoi l’UE contribue à améliorer leur vie » et que l’Union européenne devait agir dans les domaines où elle était susceptible d’apporter une plus-value pour régler des problèmes qui excédent les capacités des États pris individuellement, comme le chômage des jeunes et la sécurité.

Samedi, les ministres des affaires étrangères des six États fondateurs se sont réunis à Berlin pour apporter une première réponse. Ils ont reconnu l’existence de « plusieurs niveaux d’ambition entre les États membres pour ce qui est du projet d’intégration européenne » et la nécessité de « trouver de meilleurs moyens de traiter ces niveaux d’ambition différents afin de faire en sorte que l’Europe réponde mieux aux attentes de tous ses citoyens ». Ils ont également considéré qu’il était nécessaire de concentrer les « efforts communs sur les défis qui ne peuvent être traités qu’au moyen de réponses européennes communes, tout en laissant d’autres tâches au niveau national ou régional ».

Comme vous le savez, hier, une réunion a également eu lieu à Berlin entre Angela Merkel, Matteo Renzi et François Hollande. Dans leur déclaration commune, les trois chefs d’État et de Gouvernement insistent sur trois priorités : la sécurité intérieure et extérieure ; une économie forte et une cohésion sociale forte ; des programmes ambitieux pour la jeunesse.

Pour mieux comprendre ce que nous sommes en train de vivre, il me semble essentiel de souligner les divergences au sein de la Grande coalition allemande sur le sujet.

Ainsi, alors que la Chancelière a insisté sur la nécessité d’avancer à vingt-sept, le format choisi par le ministre des affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier d’une réunion des ministres des États fondateurs samedi dernier est révélateur d’un autre point de vue.

Par ailleurs, Sigmar Gabriel, ministre allemand de l’économie et Martin Schultz, Président du Parlement européen, ont publié une tribune conjointe identifiant dix points pour relancer l’Union. Ils appellent ainsi à un « tournant économique », à un « pacte de croissance » et à une Europe porteuse de plus de justice sociale. Ils plaident également pour une mise en commun de la politique étrangère, pour une politique d’immigration commune, pour le renforcement de la sécurité européenne, et pour une protection effective des droits fondamentaux à l'heure du numérique.

Même au sein du parti de la Chancelière, les avis sont divisés : par exemple, mon homologue au Bundestag, Gunther Kirchbaum, s’est montré beaucoup moins « souple » qu’Angela Merkel vis-à-vis des Britanniques.

Quelles suites institutionnelles, enfin ?

Pour le moment, l’heure est avant tout à la décision politique. Nous avons quelques pistes sur les aspects juridiques, mais en réalité, tout reste encore à inventer, car l’article 50 du traité reste assez évasif.

Le Commissaire britannique, Jonathan Hill, a démissionné ce week-end. À la Chambre des communes hier, David Cameron a indiqué qu’il souhaitait que celui-ci soit remplacé, car le Royaume-Uni reste encore pour deux ans un membre à part entière de l’Union.

Le Conseil a déjà désigné son négociateur, un diplomate belge, Didier Seeuws. Le départ du Royaume-Uni durera a minima deux ans. Depuis le traité de Lisbonne, l’article 50 du traité sur l’Union européenne permet à un État de faire le choix, de manière unilatérale, de quitter l’UE. Le Royaume-Uni devra d’abord notifier au Conseil européen sa décision de retrait. Des négociations s’engageront ensuite entre l’Union européenne et le Royaume-Uni afin d’aboutir à un accord fixant les conditions de son retrait et ses relations futures avec l’Union. Cet accord doit être approuvé selon la procédure de l’article 218 du traité sur le fonctionnement de l’Union, autrement dit conclu par le Conseil statuant à la majorité qualifiée après approbation du Parlement européen.

Les représentants du Royaume-Uni ne pourront pas participer aux négociations internes au Conseil concernant cet accord de retrait.Si cet accord n’est pas conclu au bout de deux ans, ce qui est très probable, les traités devront cesser de s’appliquer au Royaume-Uni, sauf si un délai supplémentaire est autorisé par le Conseil européen, statuant à l’unanimité et en accord avec l’État membre concerné.

Durant la période nécessaire à la négociation, à la signature et à la ratification de l’accord de retrait entre l’Union et le Royaume-Uni, ce dernier restera membre à part entière de l’Union, et le droit européen continuera à s’appliquer de la même manière au Royaume-Uni.

Les ressortissants britanniques pourront continuer à exercer pleinement leurs droits au sein de toutes les institutions de l'Union, sauf en ce qui concerne les négociations de l’accord de retrait.

Sur quoi portera cet accord de retrait ? Ce contenu reste largement à définir. Une des principales questions que devra régler cet accord de retrait est celle de la situation des Britanniques dans l’Union, et des résidents de l’Union au Royaume-Uni. De nombreuses questions très concrètes devront être réglées : sur les modalités de la fin de la participation au budget de l’Union, sur le sort réservé aux fonctionnaires britanniques au sein des institutions, sur la répartition des bâtiments, sur la présidence britannique de l’Union prévue pour le deuxième semestre 2017…

L’article 50 précise que si l’État ayant exercé son droit de retrait souhaite à nouveau adhérer, sa demande doit être soumise à la procédure d’adhésion de droit commun.

Indépendamment de la procédure de retrait, le Royaume-Uni devra maintenant renégocier ses relations avec l’Union. L’article 50 du traité ne prévoit pas de statut d’État associé spécifique pour un État décidant de quitter l’Union. Les articles sur l’Union et les pays de son voisinage seront donc applicables pour définir les contours de cette nouvelle relation.

Quelles sont les différentes options envisagées pour le moment ? A priori, aucune qui permette au Royaume-Uni d’avoir un large accès à notre marché intérieur sans accepter en contrepartie la libre circulation des travailleurs et de payer une contribution à l’Union.

L’option « norvégienne » permettrait au Royaume-Uni, alors membre de l’Espace économique européen au même titre que la Norvège et que le Lichtenstein, d’avoir accès au marché unique et de jouir des quatre libertés fondamentales, sans pour autant s’engager dans les autres politiques communautaires. Dans ce cas, le Royaume-Uni serait soumis à un ensemble de règles affectant le marché intérieur, sans pouvoir participer aux prises de décision. Par ailleurs, il devrait continuer de contribuer au budget communautaire, en versant une somme quasiment équivalente à sa participation actuelle. La libre circulation des travailleurs s’appliquerait également.

Une deuxième option est l’option « suisse » : le Royaume-Uni conclurait avec l’Union une multitude d’accords bilatéraux sectoriels fondés sur le droit international classique. Sur la base de la contribution suisse, on estime que dans ce scénario le Royaume-Uni devrait verser une somme équivalente à 55 % de sa contribution actuelle. Londres ne serait pas lié par les décisions de la CJUE. En pratique, elle serait cependant contrainte d’appliquer plusieurs règlements et directives de l’Union, sans participer à leur élaboration.

L’option d’un accord de libre-échange ou d’association ad hoc négocié avec l’Union : ce scénario permettrait au Royaume-Uni de ne plus participer à certaines politiques communautaires, tout en ayant accès au marché communautaire, sans pouvoir de décision sur la réglementation. La contribution britannique serait alors à définir. Londres devrait négocier séparément des accords commerciaux avec les pays tiers et les organisations extérieures à l’Union.

Mais face à un cas totalement inédit, tout reste possible…

Je voulais faire le point sur les suites du « Brexit » à l’Assemblée nationale.

Dans notre commission, nous auditionnerons le 6 juillet prochain M. Harlem Désir, sur le Conseil européen d’aujourd’hui et de demain, et l’ambassadrice de France à Londres le 13 juillet prochain, en fin de matinée ou en début d’après-midi.

Nous prévoirons notamment pour la rentrée des déplacements à Londres et à Bruxelles.

Au niveau de l’Assemblée, la conférence des Présidents, qui s’est réunie ce mardi, a décidé, sur la proposition du Président de l’Assemblée nationale, la création d’une mission d’information sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Cette mission d’information, présidée par M. Claude Bartolone, doit accompagner le processus, la méthode et les modalités de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.

M. Joaquim Pueyo. Je vous remercie Madame la présidente de nous avoir éclairés sur ces aspects techniques. Je voudrais revenir sur les résultats de ce référendum, qui pour moi, comme pour beaucoup de nos concitoyens, ont été un choc.

Ce référendum établi un précédent inquiétant mais souligne également des éléments que nous devons prendre en compte. La campagne menée par les partisans du Brexit a été concentrée sur les problématiques migratoires, et très peu sur ce qu’est vraiment l’Union européenne. Je déplore qu’une certaine presse britannique si particulière ait relayé des idées fausses et les mensonges d’hommes politiques plus préoccupés par leur carrière politique que par le bon fonctionnement de l’Union européenne. Mais nous ne pouvons pas renvoyer la faute sur les seuls populistes, car de nombreux responsables politiques en France comme à l’étranger ont utilisé l’Union européenne comme un bouc émissaire, ne cessant de répéter « c’est de la faute à Bruxelles ». C’est à chacun d’entre nous de répéter que rien ne se fait, en Europe, dans l’Union européenne, sans l’aval des États membres et que ce sont eux qui conservent le rôle de définition des orientations politiques.

Des éléments d’espérance existent malgré tout. Les jeunes britanniques ont voté dans leur grande majorité en faveur du maintien dans l’Union européenne. Les générations futures restent attachées à la construction européenne et aux idées que sont l’action commune et l’ouverture au monde. Cela ne veut pas dire que tout le système européen actuel leur convient, mais que leur avenir sera plus sûr et plus épanouissant à travers l’Union européenne que dans un pays isolé.

L’Union européenne a de grands défis à relever en matière de sécurité et de contrôle des frontières, et c’est pourquoi la Haute Représentante a présenté une nouvelle stratégie pour la sécurité. Je pense que cette stratégie répond avec justesse aux besoins de mettre en place une politique européenne intégrée en matière d’asile et de contrôle des frontières.

Il ne faut pas tenir un simple discours défensif pour contrer les arguments des eurosceptiques, mais prendre l’initiative, faire des propositions, être proactifs, et porter une vision positive de ce qui a été fait malgré tout – je pense aux droits de l’homme, à l’environnement, à Erasmus. Il est indispensable de saisir ce moment pour définir une nouvelle stratégie globale pour l’Europe qui définira ce que nous souhaitons, avec comme impératif le progrès et l’espoir pour l’ensemble des citoyens européens. Malgré le Brexit, je suis donc optimiste. L’Union reste notre futur.

Une question cependant : la Première ministre de l’Ecosse demande à rencontrer les présidents des institutions européennes. Que pensez-vous de cette initiative ? Quel avenir pour l’Ecosse au sein de l’Union ?

M. Philip Cordery. Je ne vais pas répéter ce que je viens de dire à l’instant dans le débat en séance. Le premier point sur lequel je souhaite insister est la nécessaire rapidité des négociations. Tout le monde l’a souligné dans le débat en séance. Ça ne sera pas facile, vous avez souligné à l’instant les aspects juridiques de ce processus complexe. Dès que le Royaume-Uni déclenchera le processus de l’article 50, il faudra aller très vite pour montrer que les référendums sont des processus sérieux et qu’ils doivent être écoutés.

Je me réjouis de l’initiative de Claude Bartolone de lancer une mission d’information sur ce sujet. Je pense également que notre commission devra jouer son plein rôle de suivi des négociations et d’information. Il faudra être très vigilant sur l’impact de cette sortie sur les politiques européennes mais également pour la France, et notamment pour notre économie.

J’interviendrai demain dans le cadre du groupe de travail sur l’information différenciée, car il est nécessaire de rebondir et de transformer cette crise en opportunité. Si les Britanniques ont voté non, c’est aussi parce que l’Union européenne est au milieu du gué, inachevée.

Il faudra également que nous suivions de près ce qui va se passer en Écosse et en Irlande du Nord. Je pense que l’Écosse va souhaiter rejoindre l’Union européenne après un nouveau référendum sur son indépendance. Il ne faudra pas fermer les yeux face à cette demande, au contraire. Mais la situation nord-irlandaise m’inquiète encore plus. Depuis vingt ans, la situation nord-irlandaise s’était pacifiée, mais le pompier-pyromane Cameron a peut-être réveillé le conflit. On a vu ces derniers jours un certain nombre de ressortissants d’Irlande du Nord demander des passeports de la République d’Irlande. L’Union européenne aura un rôle à jouer pour s’assurer que la situation reste pacifique, et nous devrons suivre l’évolution de la situation.

Mme Isabelle Bruneau. Je voudrais rappeler l’importance du projet européen, qui est avant tout un projet de paix, mais aussi un projet économique formidable, impulsé à une époque où la mondialisation n’était certainement pas encore aussi violente qu’elle l’est maintenant. Je voudrais rappeler ce qu’ont dit notre président de la République, la Chancelière allemande Angela Merkel et le Premier ministre italien Matteo Renzi hier soir, lorsqu’ils ont rappelé les trois domaines prioritaires pour l’Union, autour desquels nous devons rester unis. La sécurité intérieure et extérieure, tout d’abord, face aux menaces fondamentalistes qui nous menacent. L’investissement et la croissance, qui doit être créatrice d’emploi et intégratrice. Nous devons aussi poursuivre l’harmonisation sociale, fiscale, environnementale, pour lutter contre les dumpings.

L’Europe c’est aussi un projet collectif pour la jeunesse, et il faut dire à la jeunesse que pour agir juste, il faut penser loin, à long terme.

Interrogeons-nous encore sur le processus politique qui a conduit à ce Brexit : des normes souvent déconnectées de ce qu’attendent les citoyens, les chefs d’entreprise, les agriculteurs, et des inégalités fiscales et sociales qui sont très ressenties – je pense notamment au travail détaché. L’Europe doit rester un projet de progrès. L’austérité a aussi conduit à la montée des populismes en Europe. Mais face à cette montée des populismes, continuons à véhiculer les mêmes idées de progrès et d’espoir.

M. Gilles Savary. Je suis personnellement très peiné de voir la Grande-Bretagne nous quitter. C’est le pays de notre liberté. On célébrera très prochainement le centième anniversaire la bataille de la Somme. Et pendant la Seconde guerre mondiale, les Anglais ont tenu seuls, pendant deux ans, alors que les nazis étaient prêts à pactiser avec eux après Dunkerque. Sans leur résistance héroïque, sans Churchill, l’histoire aurait sans doute été très différente. Pour moi c’est donc un moment de deuil. Je sais qu’il y a une anglophobie latente dans notre pays, mais je ne la partage pas. J’en veux d’autant plus à David Cameron d’avoir allumé tout seul cet incendie. Il l’a fait sous la pression de Nigel Farage : quelle leçon pour tous ceux qui seraient tentés de céder à la pression de nos propres populistes ! Il a voulu faire plus et mieux, et pour gagner les élections, il a promis à son peuple qui ne lui demandait rien un référendum sur la sortie, le donnant en gage à l’extrême droite. On a vu ce qu’il en est advenu : il est battu au bout du compte, et le seul vainqueur de ce référendum, c’est Farage, et tous les populistes d’Europe avec lui. David Cameron est une anti-figure de Winston Churchill, lui qui était capable de dépasser ses propres intérêts du moment pour la liberté du monde. Il a pris l’immense responsabilité d’allumer du petit bois sur la braise des populismes à une époque où les peuples sont angoissés, où la mondialisation bouleverse tout, où l’Europe est déclassée par rapport à la Chine et à d’autres grands émergents, où l’ultra-libéralisme exacerbe une violence sociale considérable. Toutes ces peurs sont évidemment latentes et conduisent à un réflexe de repli national.

Pourtant, cette remarquable construction européenne était sans doute le projet le plus exaltant que ma génération pouvait penser léguer aux générations futures. Remarquable, parce que c’était la paix ! Mes parents eux ont connu la guerre, et la différence entre la pire des barbaries et de la quiétude privilégiée dont nous avons bénéficié. Un bonheur absolu ! On se plaint toujours, car plus on est gâté et plus le désir est inassouvi. Et nos enfants ont eu la chance formidable de vivre dans une Europe dans laquelle les frontières étaient abolies, la chance de se connaître mieux, de voyager beaucoup moins cher, d’avoir des camarades à Barcelone et en Suède, bref d’appartenir à cette grande diversité culturelle qu’est la grande Europe. C’est aussi, et je souhaite insister là-dessus, le plus beau projet social que l’on ait connu ! Je n’ai jamais connu d’acte politique qui a fait progresser aussi vite le niveau de vie d’autant de citoyens en aussi peu de temps, que ce soit à l’Est, au Sud ou chez nous. L’Union a fait sortir beaucoup d’Européens de la misère et de la pauvreté. Les Britanniques ont un produit intérieur brut deux fois plus important que lorsqu’ils sont rentrés dans l’Union !

Mais c’est un sujet qu’on a traité sans les peuples. C’est le lot de toute coopérative : les intercommunalités en France sont en fait dans la même situation ! C’est extrêmement compliqué de faire de la démocratie directe quand on décide de rester indépendant. On n’a pas décidé de créer une Europe fédérale, donc qu’est-ce que l’on voit à la télévision ? Des conciliabules qui prennent un temps fou, entre les Allemands qui marchent sur les pieds des Français, qui négocient avec les Italiens, les Espagnols…

Les États membres ont pris la responsabilité de s’en tenir au marché, mais le marché ce n’est pas chaleureux ! Ce n’est pas convivial, ce n’est pas la chair des peuples. Nous avons négligé ce que la France avait pourtant demandé de longue date : de travailler sur la défense, sur la protection des frontières.

Il va falloir rebattre les cartes, mais l’équation va être difficile. Je ne vois pas aujourd’hui comment on pourrait faire adopter un nouveau traité par vingt-sept États membres sans que l’un d’entre eux dise non. Le faire ratifier sans les peuples poserait un problème. Mais un nouveau traité semble essentiel. Il va falloir beaucoup d’imagination et de solidarité de la part des États membres pour passer quelques paliers d’intégration. Il faut repenser le partage des compétences, ne pas hésiter à en reprendre certaines à l’Union dans des domaines qui sont jugés trop bureaucratiques, trop tatillons. Mais il faut aussi lui en demander de nouvelles, ce qui nous demandera un très grand effort de partage des responsabilités. Je pense en priorité à l’Europe de la défense, nécessaire au vu du désengagement américain. Cette Europe de la défense ne pourra pas marcher si nous considérons que la France restera la seule à décider de l’engagement des forces, sinon cela n’a aucune chance de marcher ! Il faut que nous arrivions à exorciser une certaine Europe franco-française et que les Allemands exorcisent une certaine Europe allemande. Il faut remettre la main sur une certaine partie de nos intérêts et mettre en place une certaine Europe qui nous protège.

L’Europe de la jeunesse est cruciale et essentielle. Il faut démultiplier l’effort d’échange entre les jeunes.

En matière migratoire, je ne suis personnellement pas très fier de ce qu’a fait l’Europe en matière d’accueil des réfugiés, mais ça ne dispense pas d’avoir conscience que nous sommes à la veille de flux migratoires constants vers nos pays. Il n’y a pratiquement que nous qui nous plaignions de notre condition, tous les autres pays du monde l’envient ! Il faut absolument que nous parvenions à avoir une politique d’asile identique dans tous les États membres, à renforcer Schengen, à défendre nos frontières, à accueillir sereinement ces réfugiés qui fuient la mort.

Pour revenir à la situation britannique, je pense personnellement qu’il faut que cela aille vite. Un scénario peut se présenter : les Britanniques peuvent vouloir faire ce qu’a fait la France en repassant par leur Parlement. Même si nous pourrions nous réjouir qu’ils choisissent finalement de rester, je pense que ce serait en fait délétère de refaire encore ce qu’ont fait la France et l’Irlande en trahissant un référendum populaire. Nous n’avons malheureusement pas d’autres solutions si nous voulons éviter d’alimenter les populismes.

Mme Michèle Bonneton. Merci de m’accueillir dans votre commission. Évidemment, la campagne référendaire britannique n’a pas porté sur les vrais enjeux, cela a été très bien dit déjà et je ne vais pas y revenir. Cependant, il ne faut pas négliger le fait que si cette campagne a trouvé un écho, c’est aussi parce que les citoyens britanniques ont une certaine perception de l’Union européenne, qu’ils jugent responsables d’aggravation de la pauvreté et des inégalités. Un enfant sur cinq au Royaume-Uni et un travailleur sur quatre est un travailleur pauvre ! Depuis quelques années, les Grecs se sont aussi considérablement appauvris, je suis désolée de contredire mon collègue Gilles Savary là-dessus. Je ne suis pas non plus sûre que les Portugais et les Espagnols se soient beaucoup enrichis dans les dernières années…

Ici en France, j’entends beaucoup les citoyens ne pas faire confiance à l’Union européenne pour améliorer leurs conditions de vie. Il est important de les entendre, et de ne pas se contenter de dire que ce référendum est une erreur d’un responsable politique qui aurait instrumentalisé tout le monde. C’est pour cela qu’il est indispensable de refonder le projet européen, car la paix ne suffit plus. Il faut aller plus loin, vers une meilleure harmonisation fiscale, sociale, environnementale, mieux partager les richesses, éradiquer la pauvreté, mieux protéger notre économie, mieux protéger nos citoyens. Tout cela est-il possible avec les traités actuels ? Ce dont je suis sûre, c’est qu’il faut donner plus de pouvoirs au Parlement européen, qui représente les peuples, et dont je trouve les positions souvent proches des attentes des citoyens européens, des Français en tout cas. Faire un nouveau traité, peut-être, mais cela prendra des années et des années…Il faut trouver d’autres solutions à plus court-terme d’ici là.

M. Pierre Lequiller. Ce référendum a porté essentiellement sur l’immigration, et notamment sur l’immigration polonaise. Je pense que la première des choses, c’est de refaire Schengen, ce n’est pas possible d’améliorer Schengen à la marge, il faut une véritable refonte de Schengen, en faire un véritable organe politique avec une présidence stable. Il faut aussi poursuivre l’harmonisation du droit d’asile en Europe, et pour aujourd’hui, pas pour demain !

Avec ce vote, ce sont les personnes âgées qui ont voté contre les jeunes. L’un des principaux slogans du Brexit, ne l’oublions pas, était « Get Britain Great again », référence à 1940 et à Churchill. Ce n’est pas par hasard que Boris Johnson avait écrit un livre sur Churchill juste avant !

Aujourd’hui, le Royaume-Uni est groggy, et les conséquences de ce vote sur la politique intérieure britannique sont dramatiques, notamment vis-à-vis de l’Écosse.

Il faut être clairs, fermes, et en même temps réalistes et lucides. Pour le moment, les Britanniques restent dans l’Union pour encore deux ans, et on ne doit pas chercher à les punir. Le Royaume-Uni reste un partenaire privilégié.

Nous avons beaucoup travaillé dans cette commission sur le renforcement de la zone euro, la politique industrielle, la croissance, l’investissement… Il faut que l’Europe arrête de rentrer dans les détails ! Il faut lutter contre l’Europe technocratique. Jean-Claude Juncker lui-même m’a dit qu’il pensait que la manière dont fonctionne la comitologie n’est pas satisfaisante d’un point de vue démocratique. Il faut aussi redonner un rôle aux parlements nationaux, alors que la distance se creuse aujourd’hui entre ceux-ci et le Parlement européen…

La Présidente Danielle Auroi. Je vois que nos points de convergence sont assez forts.

Pour répondre à la question de Joaquim Pueyo sur l’Écosse, cela me paraît difficile. Il faudrait d’abord que l’Écosse obtienne son indépendance, par la voie d’un nouveau référendum, que Londres devrait accepter. Ensuite, il faudrait que l’Écosse demande à intégrer l’Union européenne, et que tous les États l’acceptent. Pour le moment, je vois mal l’Espagne et la Belgique l’accepter, au vu de leurs propres tensions intérieures, notamment en Catalogne. Je rejoins Philip Cordery sur la question nord-irlandaise.

La paupérisation d’une partie de la population britannique est en grande partie responsable du Brexit. Et ceux qui vivent cette paupérisation se cherchent un bouc émissaire, en l’occurrence les immigrés polonais ! C’est ce qui est à l’œuvre dans tous nos pays, le populisme se nourrit de cela. Je crois aussi que l’exemple de David Cameron doit faire réfléchir tous les responsables politiques européens : ne courrons pas après les populismes !

Nous souhaitons tous la refondation de l’Union, mais je ne suis pas sûre que nous mettions tous les mêmes mots derrière cela. Il y a aujourd’hui un grand rejet de l’ultra-libéralisme partout en Europe, y compris par les petites et moyennes entreprises. Nous devons continuer à réfléchir sur le dumping social, sur le détachement des travailleurs ! Nous devons mettre en place un revenu minimum européen.

Où est-ce qu’on met le curseur ? Sur des compétences que l’Union n’a pas, comme la défense, l’immigration ?

Je pense qu’il peut y avoir un premier cercle européen qui partage une volonté d’avancer ensemble, pour donner un volet social à l’économie, pour lutter contre le changement climatique.

Nous devons traiter les réfugiés de la même manière que nous aimerions être traités si nous devions fuir notre pays. Mais il faut aussi augmenter l’aide au développement, de manière bien plus substantielle que ce qu’elle l’a été à Addis-Abeba… Il ne faut pas oublier non plus les réfugiés climatiques.

N’ayons pas d’esprit revanchard par rapport à la Grande-Bretagne, car je ne suis pas sûre de ce que donnerait aujourd’hui un tel référendum en France et en Italie…Et apportons notre pierre à l’édifice pour ne pas qu’il s’effondre.

M. Gilles Savary. Sur le groupe de travail constitué autour du président de l’Assemblée, je pense que notre commission doit être bien représentée. Au moment où les choses deviennent sensibles, il ne faut pas que notre commission se fasse écarter de ces réflexions.

Notre commission doit également avoir son propre programme de travail sur le sujet. Nous devons envisager des auditions d’assez haut niveau rapidement, et ensuite tenir un fil continu sur le suivi du Brexit, à la fois sur les institutions mais aussi dossier par dossier…

La présidente Danielle Auroi. J’ai bien signalé au président de l’Assemblée nationale que notre commission devrait prendre sa pleine part dans cette mission. Mais il faut aussi que vous vous signaliez auprès de vos groupes ! Pour le moment, nous ne savons pas comment cette mission sera composée.

Nous avons déjà prévu d’auditionner le secrétaire d’État aux affaires étrangères et l’ambassadrice de France à Londres, mais je pense qu’il faudra également que nous auditionnions des personnalités extérieures, peut-être plus généralistes. Nous pourrions nommer deux rapporteurs pour assurer avec moi une « veille Brexit ».

M. Pierre Lequiller. Il faut que notre commission ait une place en tant que telle dans cette mission. Pourrait-on auditionner David Lidington, le ministre britannique des affaires européennes ? Cela serait intéressant pour y voir plus clair, même si on ne sait pas quel rôle il aura dans le futur gouvernement. Ou au moins l’ambassadeur du Royaume-Uni en France !

La Présidente Danielle Auroi. Oui, nous allons auditionner l’ambassadeur du Royaume-Uni en France.

II. Examen du rapport d’information de M. Gilles Savary sur la stratégie européenne pour l’aviation (COM(2015) 613 final – E 10833) 

La Présidente Danielle Auroi. Enfin, nous examinons aujourd’hui le rapport de notre collègue Gilles Savary sur la stratégie européenne pour l’aviation présentée par la Commission le 7 décembre dernier.

M. Gilles Savary, rapporteur. Permettez-moi de commencer mon propos par une rapide description de ce que l’Europe a apporté au secteur aérien, qui, je le rappelle fut le premier à être libéralisé.

D’abord, une certification européenne des aéronefs, avec l’Agence Européenne de Sécurité Aérienne(AESA), qui remplace les vingt-huit - bientôt vingt-sept, hélas…- certifications nationales. C’est un avantage pour le secteur de la construction aéronautique, quelle que soit la nationalité du constructeur d’ailleurs, mais l’A380 en a particulièrement bénéficié.

Ensuite, une certaine rationalisation d’un « Ciel européen » en voie d’embolisation. L’idée visée au départ était un espace aérien unique avec pour objectif d’optimiser les flux de trafic aérien – ce qui permet de diminuer la consommation des avions – et d'augmenter l'efficacité des services de navigation en Europe. Les questions sociales et l’enjeu financier pour les États lié au contrôle des redevances de navigation aérienne ont conduit au choix d’un processus plus progressif, avec des blocs d’espaces aériens fonctionnels, les fameux FAB (Fonctionnal Air Space Block).

Enfin, le choix d’un modèle économique, avec un marché intérieur complètement ouvert, une séparation stricte entre les aéroports et les compagnies et la prise en compte de la notion de « juste rentabilité » des investissements aéroportuaires pour la détermination des redevances payées par ces dernières.

Mais le secteur du transport aérien européen est confronté à des mutations qui mettent à l’épreuve le modèle économique des compagnies nationales historiques et des grands hubs européens. Les compagnies traditionnelles sont prises en étau entre, d’une part, les compagnies à bas coûts qui ont révolutionné l’offre aérienne européenne sur le point à point, et, d’autre part, les compagnies du Golfe sur le marché long-courrier, grâce à des offres commerciales agressives et des prestations luxueuses, qui reposent sur des stratégies étatiques de diversification post-pétrole et un modèle économique intégré.

La stratégie dévoilée par la Commission en décembre dernier se veut une réponse, et vise à améliorer la compétitivité du secteur de l’aviation.

Le premier axe d’action est celui de la concurrence inéquitable externe. Le premier outil, ce sont des mandats de négociation d’accords globaux. La Commission en avait demandé six en décembre, le Conseil Transports en a décidé quatre le 7 juin dernier : avec l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE), la Turquie, le Qatar et les Émirats arabes unis. Mais se pose aujourd’hui la question de l’impact du Brexit sur cette tentative pourtant bienvenue de présenter un front européen uni sur la question des droits de trafic.

Quant à la proposition de révision des outils existants, elle est modeste, puisque s‘il est bien question d’une révision cette année du règlement sur la protection contre les subventions et les pratiques tarifaires déloyales, la Commission envisage d’assouplir la notion de « contrôle effectif » d’une compagnie européenne par une compagnie étrangère par le biais de l’adoption de lignes directrices interprétatives du règlement 1008/2008, alors qu’il conviendrait, au contraire, de renforcer ces dernières. Il ne s’agit pas là d’une simple question théorique, au vu de la stratégie déployée par la compagnie Etihad, bien plus subtile que celle du choc frontal adoptée par Emirates. Ses prises de participation dans diverses compagnies aériennes, Air Berlin, Air Serbia et Alitalia par exemple, pourraient à terme donner lieu à une recomposition et une consolidation.

Le deuxième axe est celui de l’efficacité du marché intérieur, avec la rénovation de l’architecture européenne en matière de sécurité et de sûreté via l’extension des compétences de l’AESA à toute la chaîne de valeur du transport aérien.

C’est un signal fort de soutien à l’industrie européenne, établie ou naissante, avec une réglementation davantage fondée sur la performance avec une nouvelle approche fondée sur les risques, mais il faudra veiller à concilier le maintien du haut niveau de sécurité aérienne et l’exigence d’une réglementation agile.

Trois points en particulier me semblent importants dans les propositions faites par la Commission : la création du premier cadre juridique à l’échelle de l’Union pour garantir la sécurité d’utilisation des drones et leur intégration dans l’espace aérien, absolument nécessaire face à la multiplication d’incidents préoccupants, mais qui doit être proportionné et articulé avec les règles nationales et internationales existantes, pour ne pas brider une industrie innovante et évolutive ; la disponibilité des ressources budgétaires et des effectifs nécessaires à l’AESA, et pour cela, au minimum, les règles communautaires de plafonnement ne doivent s’appliquer que sur la partie du financement de l’agence qui relève du budget communautaire ; et, enfin, le maintien du partage actuel des responsabilités en matière de sûreté, même s’il convient, clairement, de faciliter les échanges d’informations entre États membres afin d’améliorer collectivement la capacité d’analyse des menaces, en particulier pour ce qui concerne la question des zones de survol.

Il y en a aussi un quatrième, « en creux » si je puis dire : il est pour le moins paradoxal de rénover l’architecture européenne de sécurité par l’extension des compétences de l’AESA, tout en tardant à rénover des conditions sociales dont l’impact négatif sur la compétitivité des compagnies historiques ainsi que les éléments de risque pour la sécurité ont été démontrés. Le simple état des lieux juridique proposé est très éloigné de la nécessaire coordination des régimes de sécurité sociale et du traitement des cas atypiques. Il y a deux priorités d’action : faire du lieu de travail réel du salarié la base d’affectation et de la base d’activité réelle de la compagnie le lieu d’établissement, avec les droits sociaux qui l’obligent, et lutter contre les artifices juridiques en matière de recrutement de personnels navigants.

Enfin, et j’en termine, Madame la Présidente, cette stratégie comporte un volet environnemental. Au lendemain de la COP 21, renforcer la base industrielle de l’Europe en matière aéronautique et permettre à l’Union européenne de continuer à jouer un rôle prééminent au niveau mondial dans ce secteur ne peut se concevoir sans accorder une haute priorité à la protection de l’environnement et aux enjeux climatiques. Mais plutôt qu’un leadership solitaire, l’Union européenne doit faire le choix de la coopération, tant en ce qui concerne l’extension des compétences de l’AESA en matière environnementale que pour la mise en place d’un système de régulation mondial des émissions de CO2.

Voilà les raisons qui m’ont conduit à vous présenter cette proposition de résolution, sur laquelle je vous propose l’amendement no 1, rédactionnel, qui complète les visas, et l’amendement no 2, « conjoncturel » celui-là, qui appelle à ce que les conséquences du résultat du référendum britannique du 23 juin soient tirées rapidement et cette stratégie réorientée si nécessaire.

La Présidente Danielle Auroi. Je vous remercie pour ce travail très approfondi, je n’ai pas de demande de parole, aussi je mets aux voix les amendements.

(Les amendements sont adoptés).

Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de résolution.

Levant la réserve parlementaire sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant des règles communes dans le domaine de l’aviation civile et instituant une Agence de la sécurité aérienne de l'Union européenne, et abrogeant le règlement (CE) no 216/2008 du Parlement européen et du Conseil (COM(2015) 613 final), la Commission a adopté à l’unanimité la proposition de résolution suivante :

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu l’article 151-5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, en particulier ses articles 90, 100 §2 et 218,

Vu le « paquet aéroports » du 1er décembre 2011, comprenant la communication de la Commission « Politique aéroportuaire de l’Union européenne — résoudre les problèmes de capacité et de qualité pour favoriser la croissance, la connectivité et la mobilité durable » (COM(2011) 823 final), la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur les services d’assistance en escale dans les aéroports de l’Union et abrogeant la directive 96/67/CE du Conseil (COM(2011) 824 final), la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil fixant des règles communes en ce qui concerne l’attribution des créneaux horaires dans les aéroports de l’Union européenne (refonte) (COM(2011) 827 final) et la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l’établissement de règles et procédures concernant l’introduction de restrictions d’exploitation liées au bruit dans les aéroports de l’Union, dans le cadre d’une approche équilibrée, et abrogeant la directive 2002/30/CE du Parlement européen et du Conseil (COM(2011) 828 final),

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) no 261/2004 établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, ainsi que le règlement (CE) no 2027/97 relatif à la responsabilité des transporteurs aériens en ce qui concerne le transport aérien de passagers et de leurs bagages (COM(2013) 130 final),

Vu le paquet « Ciel unique 2+ », composé de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) no 216/2008 dans le domaine des aérodromes, de la gestion du trafic aérien et des services de navigation aérienne (COM(2013) 409 final), d’une part, et de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la mise en œuvre du ciel unique européen (refonte) (COM(2013) 410 final), d’autre part,

Vu le « paquet compétitivité des transports aériens » présenté le 7 décembre 2015 comprenant la communication de la Commission « Une stratégie de l’aviation pour l’Europe » (COM(2015) 598 final), d’une part, et la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant des règles communes dans le domaine de l’aviation civile et instituant une Agence de la sécurité aérienne de l'Union européenne, et abrogeant le règlement (CE) no 216/2008 du Parlement européen et du Conseil (COM(2015) 613 final), d’autre part,

Vu la communication de la Commission du 8 avril 2014 intitulée « Une nouvelle ère de l’aviation – Ouvrir le marché de l’aviation à l’utilisation civile de systèmes d’aéronefs télépilotés, d’une manière sûre et durable » (COM(2014)0207),

Vu la résolution du Parlement européen du 29 octobre 2015 sur l’utilisation sûre des systèmes d’aéronefs télépilotés (RPAS), plus connus sous le nom de véhicules aériens sans pilote (UAV), dans le domaine de l’aviation civile,

Vu la résolution du Parlement européen du 11 novembre 2015 sur l’aviation,

Vu le rapport d’information sur l’application à l’aviation civile du système communautaire d’échange d’émission (SCEQE) de Mme Annick Girardin, au nom de la commission des affaires européennes, du 11 juin 2013,

Vu les conclusions adoptées le 18 septembre 2013 par la commission des affaires européennes sur la consultation sur le projet de lignes directrices concernant les aides d’État aux aéroports et aux compagnies aériennes engagée par la Commission européenne,

Considérant l’importance des transports aériens pour promouvoir les échanges commerciaux mais aussi les liens entre populations, et donc la nécessité de favoriser l’essor du transport aérien, notamment par la mise en place de réseaux de transport aérien offrant des services aériens répondant aux besoins des passagers et des expéditeurs de fret, tout en mettant en place des conditions de concurrence équitables,

Considérant l’impact de la compétitivité du transport aérien sur le devenir de l’industrie aéronautique, qui est un contributeur important à la croissance et à l’emploi en Europe,

Considérant la nécessité de garantir le plus haut niveau de sécurité et de sûreté dans le transport aérien international, face à des actes et menaces dirigés contre la sûreté des aéronefs qui mettent en danger la sécurité des personnes et des biens, nuisent au bon fonctionnement des aéronefs et minent la confiance des passagers dans la sécurité de l’aviation civile,

Considérant que la politique aéronautique européenne doit inclure un volet environnemental ambitieux et, en particulier, participer à la lutte contre le changement climatique,

1. Se félicite, face au constat de la perte de connectivité directe de l’Europe, de la prise de conscience de l’Union européenne de la nécessité d’une action pour rétablir des conditions de concurrence équitable ;

2. Observe toutefois que l’écart de compétitivité entre compagnies européennes et celles du Golfe tient aussi pour une part aux différences de modèles de régulation choisis, et ne saurait en tout état de cause dispenser les compagnies européennes d’efforts intrinsèques de productivité et d’innovation dans un environnement concurrentiel particulièrement mouvant ;

3. Note de surcroît que, compte tenu de l’impact sur les compagnies de ce pays, la décision britannique, le 23 juin, de sortir de l’Union européenne risque, en fonction des modalités qui seront définies pour cette séparation, d’affecter le marché unique du transport aérien européen et donc de remettre en cause les équilibres de ce secteur, tant pour les différents acteurs que pour les consommateurs ;

4. Souhaite une évaluation rapide de l’impact de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne sur le marché intérieur et sur les accords internationaux de l’Union européenne, tant pour les acteurs du secteur aérien que pour les passagers, et souligne la nécessité de réorienter en conséquence la stratégie européenne pour l’aviation ;

5. Approuve la proposition de révision dès cette année du règlement no 868/2004 du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant la protection contre les subventions et les pratiques tarifaires déloyales causant un préjudice aux transporteurs aériens communautaires dans le cadre de la fourniture de services de transport aérien de la part de pays non-membres de la Communauté européenne, et demande la mise en place d’un outil de sanction anti-dumping spécifique au transport aérien, reposant sur une approche globale ;

6. Juge inapproprié en revanche d’assouplir la notion de « contrôle effectif » par le biais de l’adoption proposée de lignes directrices interprétatives du règlement (CE) no 1008/2008 du 24 septembre 2008 établissant des règles communes pour l’exploitation de services aériens dans la Communauté, notamment sur la propriété et le contrôle des compagnies aériennes européennes, et appelle au contraire à la plus grande vigilance sur cette question ;

7. Salue les mandats de négociation d’un accord global dans le domaine des transports aériens avec, respectivement, l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est, les Émirats Arabes Unis, le Qatar et la Turquie, dont le contenu prend en compte tant les préoccupations relatives à la concurrence loyale exprimées à l’occasion du Conseil des ministres franco-allemand du 7 avril 2016 en matière de transport aérien que la nécessité de garantir un rythme approprié à ces négociations ;

8. Regrette que la question du traitement des investissements étrangers ne soit pas abordée en parallèle, l’Union européenne pratiquant aujourd’hui une discrimination communautaire à l’encontre de ses propres États, en n’étendant pas l’application de la règle de l’investisseur avisé aux investissements en provenance d’un État tiers ;

9. Souligne l’apport que représente l’extension des compétences de l’Agence européenne de sécurité aérienne sur toute la chaîne de valeur du transport aérien (certification, environnement, sûreté) afin de lui permettre d’assurer une surveillance plus efficace, mais note l’appréciation partagée portée sur une réglementation davantage fondée sur la performance avec une nouvelle approche fondée sur les risques, et juge que le partage réglementaire actuel des responsabilités en matière de sûreté devrait rester inchangé, tout en améliorant la capacité collective d’analyse des menaces, en particulier pour ce qui concerne la question des zones de survol ;

10. Appelle à cet égard à la vigilance quant aux moyens de l’Agence européenne de sécurité aérienne en termes d’expertise, et considère justifié et nécessaire de ne pas soumettre les activités financées par l’industrie aux mêmes contraintes que celles affectant le budget financé par l’Union européenne ;

11. Se félicite de la mise en place d’une réglementation européenne ciblée sur l’utilisation sécurisée des drones à usage civil dans l’espace aérien dont le caractère proportionné est essentiel pour, tout en réglant les questions de vie privée, de protection des données et de responsabilité, garantir l’essor industriel du secteur ;

12. Regrette profondément que la volonté affichée de la Commission européenne de promouvoir le dialogue social et les conditions d’emploi dans le secteur de l’aviation ne s’accompagne pas d’outils efficaces pour la porter, et appelle en conséquence cette dernière ainsi que les États membres à agir dans deux directions : d’une part, faire du lieu de travail réel du salarié la base d’affectation et de la base d’activité réelle de la compagnie le lieu d’établissement et, d’autre part, lutter contre les artifices juridiques en matière de recrutement de personnels navigants ;

13. Est attachée à ce que les règles européennes garantissent un haut niveau de protection de l’environnement mais souligne toutefois l’importance de prendre en compte le contexte mondial dans lequel ce secteur économique s’insère et appelle donc à ce que, en matière de certification, l’Agence européenne de sécurité aérienne ne s’écarte pas des normes de l’Organisation de l’aviation civile internationale ;

14. Rappelle l’apport considérable que constituerait tant pour la lutte contre le changement climatique que pour le secteur aéronautique la mise en place d’un cadre international stable, de long terme et non discriminatoire à l’échelle mondiale en matière d’émission de CO2 et souhaite que l’Organisation de l’aviation civile internationale parvienne à conclure un accord avec un haut niveau d’ambition.

III. Examen du rapport d’information de M. Gilles Savary sur le détachement des travailleurs

M. Gilles Savary, rapporteur. Il y actuellement une initiative, appelée de ses vœux par la France depuis la Commission Barroso, pour réviser la directive sur le détachement des travailleurs de 1996. On se souvient que la Commission Barroso avait atermoyé, aboutissant sur la directive dite « d’application » de la directive de 1996.

Pour bien comprendre la portée de la résolution que je vous propose aujourd’hui, il faut revenir aux sources du détachement. Le détachement est vieux comme le monde, contrairement à ce que disent ses détracteurs. Aux termes de la directive de 1996, il y a détachement quand un employeur, quel que soit son secteur (administration, orchestre, …) envoie un travailleur en mission temporaire dans un autre pays pour y exercer un emploi en rapport avec son activité principale dans son pays d’origine. Les missions exercées dans le cadre du détachement sont diverses : prospection commerciale, service après-vente, collaboration scientifique, artistique, maçonnerie… Le détachement accompagne ainsi dès l’origine les échanges de biens et services entre les nations. L’Union européenne s’est avisée en 1996 d’encadrer cela, et a ainsi défini le détachement comme étant temporaire – mais sans fixer de date – du personnel d’une entreprise dans un pays étranger. Elle a aussi défini le détachement intra-groupe, qui doit aussi faire l’objet d’une déclaration de détachement, par exemple pour un personnel qui dans le même groupe part de Bratislava pour travailler en détachement en France. Il existe un troisième type de détachement : le détachement d’intérim. Une société d’intérim peut aussi détacher dans le cadre du détachement d’intérim un de ses « personnels » - on y reviendra.

Les règles du détachement sont simples : le travailleur détaché doit être payé au salaire minimum du pays d’accueil et l’exercice de sa fonction doit satisfaire à un « noyau dur » de règles impératives du pays, telles que les règles relatives à l’hygiène et la sécurité et au temps de travail. En revanche, il continue à dépendre de son pays d’origine pour sa retraite et son régime de sécurité sociale, et ne cotise donc pas, comme son employeur, en France. Cela veut dire qu’un travail détaché, même quand il est légal, constitue le plus souvent un avantage comparatif pour l’entreprise qui détache, mais pas pour le pays d’accueil, pour lequel s’exerce une concurrence sur son marché du travail tandis que les personnes en détachement ne cotisent pas à son système social dont il tarit le financement. Notons que les bureaux de liaison entre les administrations des différents pays censés contrôler la réalité de l’emploi des travailleurs détachés dans le pays d’origine, mis en place par la directive de 1996, n’ont jamais fonctionné correctement.

Voilà l’essentiel de la directive de 1996, qui a été assez considérablement renforcée par sa directive d’application de 2014, qui a instauré la responsabilité du donneur d’ordre – il ne peut plus être désintéressé de ce qui se passe sur son chantier et doit s’assurer que les travailleurs sur son chantier sont en règle – mais uniquement pour le BTP et uniquement sur la première chaîne de sous-traitance. La directive de 2014 a par ailleurs renforcé les échanges d’information entre les bureaux de liaisons, c’est-à-dire, par exemple, la possibilité pour l’Inspection du travail française de communiquer sur des cas particuliers avec son homologue d’un autre pays, par exemple la Roumanie.

En France, la loi de juillet 2014, dont nous avons été à l’initiative, a instauré la responsabilité conjointe et solidaire du donneur d’ordre, financière pour ce qui est du salaire, pour ce qui est des conditions de logement des travailleurs – qui doivent être dignes – et, au-delà, sur le fait de bien vérifier que le travailleur est déclaré comme travailleur détaché auprès de l’Inspection du travail. À la différence de la directive, nous avons instauré cette responsabilité sur toute la chaîne de sous-traitance et sur tous les secteurs, et nous l’avons accompagnée de la mise en place des sanctions administratives très lourdes – qui sont mobilisables par les préfets ou les Dirrecte - comme la fermeture administrative d’un mois de l’établissement en cas de fraude grave, ou financière, avec une amende pouvant aller jusqu’à 500 000 euros pour le donneur d’ordre. La loi a en outre mis en place un fichier électronique de suivi des travailleurs détachés, et exigé la présence d’un correspondant de langue française dans l’entreprise identifiable, ainsi que les travailleurs soient notés dans les registres de l’entreprise. Ces dispositions ont été renforcées par loi « Rebsamen », qui a mis en place des unités spécialisées dans le travail détaché dans les régions, qui font un énorme travail, sans préjudice des recours judiciaires qui fonctionnent difficilement du fait de l’encombrement de la justice. La loi « Macron » a renforcé les actions administratives et mis en place la carte de congé payé pour les travailleurs détachés – de façon à ce qu’ils soient suivis par la Caisse de congés et donc mieux identifiés –, et la loi « El Khomri » se propose d’aller un peu plus loin, notamment dans les contrôles.

Le résultat de tout cela est contradictoire. Avec 369 recours pendants devant la justice, une quinzaine de chantiers interrompus, le mouvement de régularisation a abouti à une augmentation statistique du travail détaché en France, soit 286 000 en France actuellement. En outre, comme le souligne un rapport très intéressant de la direction du Trésor, du fait des exonérations sur les bas salaires en France (CICE notamment), ajouté aux obligations de logement, le travail détaché n’est pas forcément meilleur marché, notamment le travail détaché au SMIC.

La Commissaire Thyssen, sous la pression de certains pays dont le nôtre, voyant les législations unilatérales nationales se mettre en place, a proposé une nouvelle directive – j’ai d’ailleurs beaucoup été travailler à Bruxelles avec le DG emploi, Michel Servoz – , visant d’une part à fixer un délai maximal de deux ans au détachement, d’autre part à mettre en place – ce qui était une demande de la France - un bureau de contrôle à Bruxelles qui pourra se substituer aux défaillances des fameux bureaux de liaison, notamment des pays qui n’ont pas une administration très structurée, et par ailleurs à mettre en place un fichier électronique des travailleurs européens – qui mettra sans doute du temps à être finalisé – et, enfin, à faire en sorte que le détachement d’intérim soit soumis aux mêmes conditions d’emploi que le travail local. Par ailleurs, et ceci est très important en l’absence d’harmonisation des salaires minima en Europe, le projet de directive a pour ambition de mettre en place la règle « à travail égal, salaire égal », avec pour objectif que dans un pays donné, la rémunération des travailleurs détachés soit la même que la rémunération moyenne des travailleurs du pays. Ce point est très important : cela signifie que dans un pays qui n’a pas de salaire minimum, il y a en réalité un salaire minimum de branche ou de fait sur lequel doit s’aligner le travail détaché. Cette disposition aurait été décisive pour les abattoirs, par exemple.

Voici les grandes lignes du projet de directive que nous avons accueilli avec beaucoup de ferveur. Ce projet ne traite pas du transport routier, qui a été renvoyé à la Commissaire européenne aux transports, Mme Violeta Bulc. C’est une question très compliquée, pour des travailleurs « hyper mobiles ». Nous avons encouragé le travail de Mme Thyssen, mais – et c’est là que l’on voie les difficultés de l’Europe – onze pays ont activé la procédure dite du « carton jaune », qui contraint la Commission soit à retirer son projet, soit à le renégocier, soit, au moins, à répondre aux critiques soulevées. En tout état de cause, elle ne peut plus redéposer le projet initial. J’avais prévu cette proposition de résolution avant que le carton jaune ne soit déposé. C’est ce projet de résolution qui vous est soumis aujourd’hui.

En voici les grandes lignes.

La proposition de résolution, se félicitant de la démarche accomplie par la commissaire Thyssen – notamment pour le principe « à travail égal, salaire égal » -, relève les limites de la directive de 1996, et son dévoiement avec la mise en place d’un marché de main-d’œuvre low cost et intérimaire. La proposition de résolution relève en outre que les dérives du détachement des travailleurs sont contraires à la libre concurrence, et donc sont également un problème en termes de concurrence. Le point fort de cette résolution – c’est un peu « mon dada » depuis deux ans – concerne la prestation de service internationale, c’est-à-dire le détachement d’intérim. Les prestataires de services internationaux (PSI) sont en réalité des sociétés d’intérim ad hoc qui viennent démarcher, y compris par voie publicitaire, nos entrepreneurs, leur vantant les mérites des intérimaires détachés : contrat commercial – et donc sortie du droit du travail – engagement sur les délais et les prix. C’est un soulagement dans beaucoup de secteurs, notamment l’agriculture, où l’on peut conclure un contrat de PSI par exemple pour 3 hectares et 3 jours, à prix fixe.

J’affirme, comme nous l’avons débattu avec Chantal Guittet à haut niveau à Berlin, que le détachement d’intérim est le ver dans le fruit européen. En réalité, c’est du déplacement de main-d’œuvre. Ce sont des entreprises qui récupèrent des gens qui n’ont pas de travail permanent et qui les placent dans un autre pays, comme ils placeraient des chômeurs, souvent qualifiés, pour faire de la prestation low cost. Ce phénomène est devenu invasif, et les chefs d’entreprise dans beaucoup de secteurs, n’ont pas le choix : accepter le système ou mourir. La concurrence ne se fait plus par la qualité ou le savoir-faire, mais par le coût très bas qui est proposé par le prestataire international.

Le détachement d’interim doit rester un détachement d’accompagnement, alors qu’il a créé un marché du travail low cost et dévoyé le marché intérieur de son sens, par le nivellement social. Ceci crée des déséquilibres injustifiables pour les marchés du travail locaux – même si métiers que nos compatriotes ne veulent plus faire, ne parlons donc pas du chômage que cela crée… Si cela se généralisait, on n’aurait plus de cotisations sociales et donc plus de Sécurité sociale… C’est une situation que la Commission européenne ne peut pas ignorer.

Je vous propose que la France soit très proactive sur le sujet. Le rapport a été rédigé il y a quelques semaines ; je ne pensais pas qu’il aurait une telle actualité – cela fait partie des thèmes qui ont pesé dans la campagne anglaise. Je vais en Pologne à titre personnel la semaine prochaine voir des sociétés d’intérim. Que disent les Polonais ? Pour eux, il s’agit de discrimination. Ce n’est pas vrai : il ne s’agit pas d’interdire aux travailleurs Polonais de venir travailler en France, ni que des sociétés polonaises ne peuvent pas venir s’établir en France, mais que, simplement, on ne peut pas récupérer des chômeurs pour les placer à moindre coût sur un marché extérieur. C’est la même chose à Chypre avec de la main-d’œuvre bulgare. Il y a aussi des Français qui trichent dans les zones frontalières, par exemple en Lorraine où certaines entreprises demandent à leurs ingénieurs de s’inscrire dans des sociétés d’intérim luxembourgeoises, pour les employer via ses sociétés. Cela leur coûte moins cher tandis que les salariés bénéficient d’une couverture sociale supérieure. Tout cela est évidemment extrêmement choquant.

Voilà pour les points 1 à 5.

Sur la procédure du « carton jaune », j’ai une autre interprétation de la subsidiarité : s’il y a quelque chose qui n’est pas contrôlable par un seul État membre, c’est bien la mobilité des travailleurs et le détachement des travailleurs, et notamment des travailleurs ultramobiles, pour lesquels les fraudes sont difficiles à contrôler. Mais si c’est subsidiaire, c’est subsidiaire, et donc on pourra établir des législations nationales unilatérales. On pourrait donc interdire l’intérim dans le cadre de la PSI en France !

Concernant la réforme du règlement de sécurité sociale, la proposition prend acte de reporter à plus tard ce projet. C’est un sujet important : combien coûtent les travailleurs détachés à nos systèmes de sécurité sociale ? Et comment cela peut-il être compensé ? Dans mon esprit, si on ne parvenait pas à réguler le détachement d’intérim, il faudrait au moins demander des compensations pour les systèmes de sécurité sociale.

La proposition de résolution soutient la limitation à 24 mois du détachement ainsi que l’extension à tous les secteurs de la responsabilité du donneur d’ordre. Il s’agit là d’ailleurs d’une sorte de transposition à l’envers du droit français par la Commission européenne, puisque ces dispositions existent déjà dans notre droit national.

Enfin, la proposition de résolution soutient l’instauration d’une durée préalable d’emploi de trois mois avant le détachement du travailleur – c’est une lutte contre l’intérim –, regrette que la proposition ne renforce pas l’encadrement du détachement intragroupe, réitère la proposition de création d’une agence de contrôle du travail mobile en Europe, se félicite que la Commission consolide sa structure de coordination des administrations, invite la Commission à envisager la création d’une carte électronique du travailleur européen, félicite Mme Thyssen pour son initiative et l’encourage, et considère que la France restera vigilante sur l’éventualité d’une subsidiarité sur ces questions, et que, le cas échéant, elle s’autorisera à durcir sa législation.

La Présidente Danielle Auroi. Je partage votre analyse sur cette question délicate du détachement des salariés. Je voudrais néanmoins présenter un amendement à la résolution que vous proposez pour à nouveau insister sur les abus existants pour l’emploi des chauffeurs routiers. Je sais bien que cette proposition de directive ne traite pas de la réglementation relative aux transporteurs routiers mais il convient de ne pas oublier de mentionner que ce secteur est fortement impacté par les dévoiements de la réglementation européenne, ainsi que par l’absence de contrôles réels des conditions de cabotage.

M. Gilles Savary, rapporteur. Je suis d’accord sur votre formulation et vous pointez du doigt un vrai problème, mais ce projet de directive ne doit pas régler la question des conditions d’emploi des chauffeurs routiers. Je dois préciser que je ne partage pas la position du Gouvernement français sur ce point qui aurait voulu traiter cette question dans ce texte. Ce serait contre-productif. Il y a déjà de fortes oppositions sur ce texte et plusieurs pays ont fait jouer la procédure du « carton jaune ». Si ce projet de directive concernait aussi le cabotage routier, les oppositions seraient encore plus nombreuses car les pays périphériques pourraient s’y opposer, comme l’Espagne, qui estime que sa position géographique lui occasionne déjà de multiples surcoûts dans les transports.

M. Pierre Lequiller. Je tiens à vous féliciter pour la qualité du travail réalisé et voudrais poser une question peut-être quelque peu naïve. Ce texte sur le détachement conduit à rendre les conditions d’emploi et de rémunération des travailleurs détachés de plus en plus proches de celles des travailleurs nationaux et, à terme, n’est-ce pas une manière de supprimer le détachement ?

M. Gilles Savary, rapporteur. Il s’agit de lutter contre les abus du système qui ont dévoyé le détachement. C’est en fait une manière de décourager le placement à l’international de salariés « low cost », tandis que le véritable détachement, qui suppose une prestation technique de main-d’œuvre et des échanges matériels, reste tout à fait utile et doit être évidemment toujours possible. Il est par exemple indispensable que certains industriels puissent envoyer des techniciens dans un autre pays européen pour assurer des réparations sur des matériels lourds qui ne peuvent être renvoyés sur le site de fabrication. Lorsque des entreprises polonaises remportent des appels d’offres dans le bâtiment par exemple, il est tout à fait normal qu’elles puissent détacher des salariés polonais dans le pays où se déroule le chantier.

M. Pierre Lequiller. Connaissons-nous la part des agences d’intérim dans les procédures de détachement de salariés ?

M. Gilles Savary, rapporteur. Il n’existe pas de statistiques précises mais dans le secteur du bâtiment et travaux publics, c’est une pratique dominante.

La Présidente Danielle Auroi. Le détachement est d’autant plus dévoyé qu’il se conjugue avec le phénomène des sous-traitants en cascade qui contribuent à un véritable dumping social.

M. Gilles Savary, rapporteur. Il faut bien avoir conscience que le développement du détachement s’accompagne souvent de techniques variées de travail dissimulé. Ces gens qui viennent faire des chantiers à l’étranger souhaitent rentabiliser au maximum leur mission et acceptent de travailler bien au-delà de 35 heures par semaine et réalisent de nombreuses heures de travail non déclarées. Il nous a été rapporté que ces travailleurs ont souvent un deuxième emploi clandestin comme celui de déménageur, les transports étant réalisés par des véhicules de moins de 3,5 tonnes qui ne sont pas concernés par l’interdiction du cabotage pour les activités de déménagement.

Les États membres tels que la Bulgarie, la Pologne, la Roumanie, dont sont originaires beaucoup des travailleurs détachés, sont opposés à un texte trop contraignant car le détachement représente un nombre d’emplois important. Mais au plan des principes du droit de la concurrence et pour la sauvegarde de nos régimes de protection sociale, il est impératif d’encadrer la procédure de détachement.

Je voudrais conclure en indiquant que suite à mon voyage en Allemagne, il a été décidé de créer un groupe de contact avec nos homologues du Bundestag sur cette question et notre Commission en sera la cheville ouvrière, côté français.

Puis la Commission a adopté à l’unanimité la proposition de résolution ainsi amendée et, par conséquent, a autorisé la levée de la réserve parlementaire sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (COM(2016) 128 final –E 11010).

L’Assemblée Nationale,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu l’article 151-5 du règlement de l‘Assemblée nationale,

Vu l’article 5 du traité sur l’Union européenne,

Vu l’article 114 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE),

Vu le protocole no 2 sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, annexé au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu la communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil : « Proposition d’accord interinstitutionnel relatif à l’amélioration de la réglementation » (COM(2015) 216 final),

Vu la directive 96/71/CE du 16 décembre 1996 du Parlement européen et du Conseil concernant le détachement des travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services,

Vu la directive 2014/67/UE du Parlement européen et du Conseil relative à l’exécution de la directive 96/71/CE concernant le détachement des travailleurs,

Vu la proposition de directive du 8 mars 2016 du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (COM(2016) 128 final),

Se félicitant que la Commission européenne propose de réviser la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services, sans préjudice du respect des dispositions de la directive 2014/67/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 relative à l'exécution de la directive 96/71/CE,

Considérant en effet que la directive de 1996 a trouvé ses limites dans les différences considérables de niveau de salaires et de législations du travail qui perdurent au sein de l'Union européenne à vingt-huit, permettant la mise en place d'un véritable marché européen du travail « low cost » en dévoyant la notion même de détachement qui doit se rapporter à l'exercice d'un métier salarié en mission temporaire à l'étranger pour le compte d'une entreprise ou de ses établissements du pays d’origine, qui l’emploient à titre principal,

Se félicitant également que la Commission européenne place sa proposition de révision de la directive « détachement » sous le principe directeur « salaire égal pour travail égal », en lui incluant, outre le niveau de salaire en usage dans chaque État membre, les conditions de travail et d'emploi de sa législation, mais fait observer que le détachement ne permet pas de satisfaire au principe économique « coût égal pour salaire égal », du fait que les charges sociales sont acquittées dans le pays d'envoi, et considère en conséquence que le détachement ne doit pas constituer un marché du travail parallèle, mais demeurer un accompagnement des échanges réels de biens et de services sur les marchés internationaux,

Considérant que les dérives du détachement de travailleurs sont contraires au principe de concurrence libre et non faussée du marché intérieur européen, en cela qu'elles tendent à contourner le principe de subsidiarité des politiques salariales et sociales en proposant sur les marchés du travail nationaux une main d'œuvre qui ne bénéficie ni des mêmes conditions d’emploi et de travail, ni de la même couverture sociale que les travailleurs nationaux,

Regrettant que la Commission européenne, d'habitude si sourcilleuse sur le respect de conditions de concurrence équitables au sein du marché intérieur européen, ait réagi si tardivement à la dérégulation sauvage introduite sur les marchés du travail européen, qui a conduit notamment à déstabiliser des secteurs entiers, comme les abattoirs ou le bâtiment, au profit d'entreprises qui ont opté pour des prestataires de services internationaux, qui font commerce et profit pour eux-mêmes, de l'exploitation de travailleurs précaires dans des conditions indignes des principes de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne,

Considérant qu’il en a résulté des conditions de concurrence insoutenables, basées exclusivement sur le coût de la main d’œuvre, au détriment des vertus habituellement reconnues à la concurrence d'amélioration de la qualité des biens et services fournis,

Comprenant que le principe « salaire égal pour travail égal » s'entend pour tous niveaux de salaires, en considération des conditions salariales moyennes observables sur les marchés du travail dans les différentes catégories d'emplois ;

Sur le détachement d’intérim

1. Observe que le « détachement d'intérim », encore appelé « prestation de service internationale » a dévoyé le détachement de son sens et de sa raison d'être en accompagnement des échanges internationaux réels, en créant un véritable marché parallèle européen de main d'œuvre « low cost », qui génère des distorsions de concurrence insoutenables, évince des travailleurs nationaux de l'emploi, menace le financement des systèmes sociaux nationaux, et alimente un populisme anti-européen au sein des travailleurs et de leurs familles victimes de cette concurrence par nivellement social ;

2. Estime, en considération des différents qui ont opposé certains États membres, s’agissant des conditions de concurrence dans l'abattage, l'agriculture et l'agro-alimentaire, et en considération des législations unilatérales dont se dotent certains États membres, comme la France, qu'il y a urgence à ce que l'Union européenne assume ses responsabilités en la matière ;

3. Exprime sa reconnaissance à la Commission européenne de proposer enfin une réglementation du détachement d'intérim, mais considère qu'il serait plus simple de le supprimer purement et simplement des trois occurrences de détachement définies à l’article 3 de la directive de 1996, car il constitue un dévoiement manifeste de la notion même de détachement et constitue la source principale de l'instauration d'un marché du travail « low cost » en Europe. Seul le détachement de professionnels de l'intérim à des fins de missions temporaires concernant l'exercice de leur métier peut être envisagé au titre du détachement stricto sensu, à l'exclusion du placement de main d'œuvre exerçant d'autres métiers, inscrits dans des agences d'intérim ;

4. Réfute tout argument de discrimination à l'égard de tel ou tel État membre, ou de telle nationalité, concernant les dérives associées au détachement d'intérim, du fait qu'il est loisible à toute société d'intérim européenne de s'établir dans tout État membre de son choix et d'y exercer son activité de prestation de main d'œuvre étrangère dans le respect de sa législation sociale interne ;

5. Considère à cet égard qu'une définition plus précise du détachement référant à l'exercice réel et sincère d'un métier identifié dans l'entreprise ou de ses établissements du pays d’origine et pour son compte régulier et exclusif serait particulièrement bienvenue à la faveur de cette révision ;

Sur la procédure du « carton jaune » de contrôle de subsidiarité

6. Observe que le principe de subsidiarité, consacré par l’article 5 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), très souvent opposé pour préserver des prérogatives nationales aux dépends de la Commission européenne, vaut dans les deux sens, et qu'il trouve opportunément matière à s'appliquer au profit d'un accroissement des règles et des compétences communautaires dans un domaine comme le travail international ;

Sur le champ de la réforme proposée par la Commission européenne

7. Prend acte du choix de la Commission européenne de reporter à des initiatives législatives ultérieures la révision du règlement européen de coordination de sécurité sociale no 883-2004, ainsi que la définition d’un statut des travailleurs hautement mobiles, mais considère que ces réformes sont complémentaires aux dispositions prévues par la présente proposition de directive, et absolument essentielles à la pleine effectivité de la lutte contre le dévoiement du détachement de travailleurs ;

8. Soutient la proposition de fixer dans la directive une durée maximale de détachement de vingt-quatre mois, et surtout d'en définir la validité et le contrôle en fonction de cette durée maximale légale par mission, et non pas de l'identité des travailleurs qui pourraient se succéder sur une même mission ;

9. Considère cependant qu’il serait opportun d’apprécier la durée « limitée » du détachement de vingt-quatre mois à l’aune d’une période de référence de trente-six mois pour éviter que des employeurs ne multiplient des situations de détachement qui dépasseraient au total la durée limitative de vingt-quatre mois ;

10. S’interroge à cet égard sur la pertinence du seuil de six mois qui a été choisi pour comptabiliser le temps de détachement du ou des travailleurs remplaçant le premier salarié détaché (au même poste et au même endroit) dans la durée maximale de détachement de vingt-quatre mois, alors que la durée moyenne d’un détachement au sein de l’Union européenne est de quatre mois environ, et prône à cet effet la suppression du seuil susmentionné ;

11. Se félicite que la proposition de directive envisage d'étendre la responsabilité du donneur d'ordres ou du maître de l'ouvrage à tous les secteurs d'activité pouvant accueillir des travailleurs détachés, et autorise officiellement les États membres à adopter des dispositions visant à l’étendre à toute la chaîne de sous-traitance, à l’instar de la loi française no 2014-790 du 10 juillet 2014 visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale ;

12. Exprime la nécessité de préciser les obligations et la responsabilité juridique des donneurs d'ordres et maîtres d'ouvrage en regard du noyau dur des conditions de travail et d'emploi proposé à l’alinéa a du paragraphe 2 de l’article 1er de la proposition de directive ;

13. Appuie sans réserve la nécessité d'une définition européenne du noyau dur minimum des conditions de travail et d'emploi proposée à l'article premier du projet de directive, mais regrette que la prise en charge des frais particuliers afférents et inhérents au détachement – transport, hébergement et nourriture – n’y figure pas explicitement ;

14. Se déclare favorable à l’instauration d’une durée minimale d’emploi préalable de trois mois avant le détachement de travailleurs ;

15. Regrette que la proposition de directive ne renforce pas l’encadrement du détachement intra-groupe, alors que cette modalité de détachement fait l’objet de fraudes de plus en plus fréquentes et sophistiquées, consistant à créer un établissement dans le pays d’accueil avec un effectif minimal pour ensuite y détacher des salariés d’établissements situés dans des pays aux standards économiques et sociaux inférieurs ;

16. Déplorant l’absence de législation européenne sur les opérations de cabotage autorisées à l’occasion d’un transport international, réitère la proposition qu’elle avait faite dans sa résolution européenne du 11 juillet 2013, de créer une Agence européenne de contrôle du travail mobile en Europe, permettant une coordination européenne des bureaux et des procédures de coordination interétatiques mises en place par la directive de 1996 et renforcées par celle de 2014, de pallier leurs éventuelles difficultés de liaisons et d'échanges d'informations dans des délais opérationnels, et éventuellement de s'y substituer en cas de carence avérée ;

17. Invite de nouveau la Commission européenne à envisager la création d’une carte électronique du travailleur européen, personnalisée et documentée, dont les données seraient centralisées au sein d’un registre européen consultable par les services de contrôles des États membres et géré par l’Agence mentionnée à l’alinéa précédent. Un tel dispositif permettrait de vérifier plus facilement et en temps réel la conformité du travailleur aux réglementations européennes et nationales ;

18. Félicite chaleureusement Mme Marianne Thyssen, Commissaire européenne pour l'emploi, les affaires sociales, les compétences et la mobilité des travailleurs, pour le courage et la portée sans précédent, bien que tardive, de sa proposition législative, et l'assure du complet soutien de l'Assemblée nationale ;

19. Considère que la France, qui s’est dotée de la législation la plus contraignante d’Europe en la matière, dans le respect des principes et de la réglementation européens, doit se réserver le droit de la durcir unilatéralement, si les avis de subsidiarité adoptés par un certain nombre de parlements nationaux devaient bloquer ou vider de son contenu l’initiative de la Commission européenne.

IV. Examen de textes soumis à l’Assemblée nationale en application de l’article 88-4 de la Constitution

Sur le rapport de la Présidente Danielle Auroi, la Commission a examiné des textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Textes « actés »

Aucune observation n’ayant été formulée, la Commission a pris acte des textes suivants :

Ø BUDGET COMMUNAUTAIRE

- Budget rectificatif nº 1 pour SISNET (VISION) pour l'exercice 2016 (9282/16 – E 10795-1).

Ø ESPACE LIBERTE SECURITE JUSTICE

- Décision du Conseil portant approbation de la conclusion, par l'Office européen de police (Europol), de l'accord sur la coopération stratégique entre le ministère de la sécurité publique de la République populaire de Chine et Europol (8364/16 – E 11174).

- Proposition de décision d'exécution du Conseil arrêtant une recommandation pour remédier aux manquements constatés dans l'évaluation de 2015 de l’application, par le Liechtenstein, de l’acquis de Schengen dans le domaine de la politique de retour (COM(2016) 252 final LIMITE – E 11206).

- Proposition de décision d'exécution du Conseil arrêtant une recommandation pour remédier aux manquements constatés dans l'évaluation de 2015 de l'application, par la Pologne, de l'acquis de Schengen dans le domaine de la gestion de la frontière terrestre extérieure avec l'Ukraine (COM(2016) 102 final LIMITE – E 11230).

- Proposition de décision du Conseil établissant la position à prendre au nom de l'Union européenne au sein du comité mixte institué par l'accord entre l'Union européenne et la Géorgie visant à faciliter la délivrance des visas aux citoyens de Géorgie, en ce qui concerne l'adoption de lignes directrices communes pour la mise en œuvre de l'accord (COM(2016) 304 final – E 11238).

Ø POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE

- Proposition de décision du Conseil relative à la position à adopter au nom de l'Union européenne dans le cadre du comité Cariforum-UE "Commerce et développement" de l'accord de partenariat économique entre les États du Cariforum, d'une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d'autre part, en ce qui concerne l'établissement d’un comité spécial de l'agriculture et de la pêche (COM(2016) 286 final – E 11210).

Ø POLITIQUE ECONOMIQUE, BUDGETAIRE ET MONETAIRE

- Proposition de décision d'exécution du Conseil modifiant la décision d'exécution 2013/676/UE autorisant la Roumanie à continuer à appliquer une mesure particulière dérogeant à l'article 193 de la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (COM(2016) 354 final – E 11233).

Ø RELATIONS EXTERIEURES

- Proposition de décision du Conseil relative à la position à adopter par l'Union européenne au sein du Comité des ambassadeurs ACP-UE concernant la révision de l'annexe III de l'accord de partenariat ACP-UE (JOIN(2016) 28 final LIMITE – E 11235).

- Proposition de décision du Conseil relative à la position à adopter, au nom de l'Union européenne, au sein du comité d'association UE-Amérique centrale à propos des notes explicatives de l'article 15 de l'annexe II de l'accord établissant une association entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et l'Amérique centrale, d'autre part (COM(2016) 262 final – E 11237).

- Proposition conjointe de décision du Conseil relative à la conclusion de l'accord de partenariat et de coopération renforcé entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et la République du Kazakhstan, d'autre part (JOIN(2016) 26 final – E 11244).

- Proposition de décision du Conseil relative à la position à adopter, au nom de l'Union européenne, au sein du comité d'association UE-Amérique centrale à propos du remplacement de l'appendice 2 de l'annexe II de l'accord établissant une association entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et l'Amérique centrale, d'autre part (COM(2016) 261 final – E 11246).

Procédure d’examen en urgence

Par ailleurs, la Commission a pris acte de la levée de la réserve parlementaire, selon la procédure d’examen en urgence, du texte suivant :

Ø POLITIQUE ETRANGERE ET DE SECURITE COMMUNE (PESC)

- Décision du Conseil modifiant la décision 2014/512/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (10370/16 – E 11278).

Textes « actés » de manière tacite

Accords tacites de la Commission, du fait de la nature du texte

En application de la procédure d’approbation tacite, dite procédure 72 heures, adoptée par la Commission les 23 septembre 2008 (textes antidumping), 29 octobre 2008 (virements de crédits), 28 janvier 2009 (certains projets de décisions de nominations et actes relevant de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) concernant la prolongation, sans changement, de missions de gestion de crise, ou de sanctions diverses, et certaines autres nominations), 16 octobre 2012 (certaines décisions de mobilisation du fonds européen d’ajustement à la mondialisation), et 1er décembre 2015 (mesures de dérogations en matière de TVA, de décisions relatives à la réduction facultative de droits d’accise et de décisions relatives aux contributions nationales pour financer les tranches du Fonds européen de développement), celle-ci a approuvé tacitement le document suivant :

Ø POLITIQUE ECONOMIQUE, BUDGETAIRE ET MONETAIRE

Proposition de décision du Conseil relative aux contributions financières à verser par les États membres pour financer le Fonds européen de développement, notamment la deuxième tranche pour 2016 (COM(2016) 389 final – E 11263).

Accords tacites de la Commission liés au calendrier d’adoption par le Conseil

La Commission a également pris acte de la levée tacite de la réserve parlementaire, du fait du calendrier des travaux du Conseil, pour les textes suivants :

Ø POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE

- Proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (UE) nº 1370/2013 établissant les mesures relatives à la fixation de certaines aides et restitutions liées à l'organisation commune des marchés des produits agricoles, en ce qui concerne la limitation quantitative applicable à l'achat de lait écrémé en poudre (COM(2016) 384 final – E 11253).

Ø POLITIQUE ETRANGERE ET DE SECURITE COMMUNE (PESC)

- Décision du Conseil relative à la signature et à la conclusion de l'accord sous forme d'échange de lettres entre l'Union européenne et la République islamique d'Afghanistan sur la prorogation de l'accord concernant le statut de la mission de police de l'Union européenne en Afghanistan (EUPOL AFGHANISTAN) (9861/16 LIMITE – E 11260).

La séance est levée à 19 h 45.

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mardi 28 juin 2016 à 17 h 45

Présents. - Mme Danielle Auroi, Mme Isabelle Bruneau, M. Philip Cordery, M. Jean-Patrick Gille, Mme Chantal Guittet, M. Pierre Lequiller, M. Joaquim Pueyo, M. Gilles Savary

Excusés. - M. Kader Arif, M. Bernard Deflesselles, M. Lionnel Luca, M. Philippe Armand Martin, M. Jacques Myard, M. Michel Piron

Assistait également à la réunion. - Mme Michèle Bonneton