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N° 2618

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 mars 2015

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE sur les tarifs de l’électricité

Président

M. Hervé GAYMARD

Rapporteure

Mme Clotilde VALTER

Députés

——

La commission d’enquête relative aux tarifs de l’électricité est composée de : M. Hervé Gaymard, président ; Mme Clotilde Valter, rapporteure ; Mmes Viviane Le Dissez, Jeanine Dubié, MM. Jean Grellier et Alain Leboeuf, vice-présidents ; MM. Denis Baupin, Patrice Carvalho et Guillaume Chevrollier, secrétaires ; M. Joël Aviragnet, Mme Marie-Noëlle Battistel, MM. Philippe Bies, François Brottes, Mme Marie-Anne Chapdelaine, MM. Michel Destot, Daniel Fasquelle, Jean-Pierre Gorges, Marc Goua, Henri Guaino, David Habib, Jacques Kossowski, Mmes Isabelle Le Callennec, Annick Le Loch, MM. Franck Reynier, Boinali Said, Mme Béatrice Santais, MM. Michel Sordi, Lionel Tardy, Stéphane Travert et Jean-Paul Tuaiva.

SOMMAIRE

___

PAGES

INTRODUCTION 9

I. UN DISPOSITIF EN « BOUT DE COURSE » 13

A. UN TARIF DE L’ÉLECTRICITÉ À VOCATION MULTIPLE 13

1. Couvrir les coûts des fournisseurs d’électricité 13

a. De la méthode de « couverture des coûts comptables » à la méthode « par empilement » 14

b. La couverture des coûts liés au nucléaire historique 14

c. Le complément à la fourniture d’électricité et les coûts commerciaux et de structure 14

d. Le coût de la capacité 15

2. Couvrir les coûts des gestionnaires de réseau 15

a. Les coûts propres des gestionnaires du réseau de transport et des réseaux de distribution 15

b. Les coûts supportés par les autorités concédantes du réseau de distribution 16

c. Bilan : le poids financier de la part « acheminement » 16

3. Assurer la péréquation géographique du prix de l’électricité 17

4. Préserver le pouvoir d’achat des ménages 18

5. Favoriser la compétitivité des entreprises 19

6. Mettre en œuvre la transition énergétique 20

7. Influer sur la consommation énergétique des utilisateurs 21

8. Dégager des ressources fiscales pour les collectivités territoriales et l’État 21

9. Financer les retraites des personnels des IEG 22

10. Synthèse : que paie le consommateur d’électricité ? 22

B. UN SYSTÈME BAROQUE : LA FIN DU MONOPOLE SANS VÉRITABLE CONCURRENCE 22

1. Un « saucissonnage » du secteur de l’électricité 23

a. La multiplication des producteurs et des fournisseurs alternatifs 23

b. Le démantèlement d’EDF 24

c. La répartition du rôle de régulateur entre l’État et la Commission de régulation de l’énergie 24

2. Une concurrence marginale et coûteuse 25

a. Une ouverture à la concurrence limitée 25

b. Les facteurs explicatifs d’une absence de concurrence réelle 25

c. Une augmentation au lieu d’une baisse des prix 26

C. UN OPÉRATEUR HISTORIQUE AU PIED DU MUR 27

1. 1996-2015 : de l’âge d’or à l’état d’alerte 27

a. De mauvais choix stratégiques 27

b. Des coûts d’exploitation insuffisamment maîtrisés 29

c. L’explosion des coûts de l’EPR de Flamanville 30

2. Une situation financière sur le fil du rasoir 30

a. Une trajectoire d’investissements difficile à tenir 30

b. Des investissements insuffisants dans les énergies renouvelables 31

3. Un État incohérent et perturbateur 31

a. Les comptes d’EDF, outil d’ajustement bien utile 32

b. Un État actionnaire trop indifférent à l’intérêt social de l’entreprise 32

D. UN CADRE JURIDIQUE EUROPÉEN UNANIMEMENT CONTESTÉ 34

a. Une approche « tout-concurrence » qui fait fi de la réalité mondiale du secteur de l’énergie 34

b. Le prix de marché, signal défaillant pour guider les investissements 34

c. Marché unique et politique climatique : la schizophrénie de l’Union européenne de l’énergie 36

E. LES DÉFIS DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE 36

1. Faire face à la baisse de la consommation 36

2. Intégrer les nouveaux moyens de production décentralisés 37

a. Un système qui a fait preuve de sa robustesse, malgré l’importance de la pointe électrique 37

b. La décentralisation des moyens de production est-elle de nature à améliorer la situation actuelle ? 38

II. REMETTRE DE LA COHÉRENCE 41

A. DONNER À EDF LES MOYENS D’AFFRONTER LES DÉFIS DU FUTUR 41

1. Clarifier la position de l’État à l’égard de l’opérateur 41

a. Compenser les charges liées aux obligations de service public. 41

b. Distinguer l’État actionnaire de l’État-tutelle et de l’État régulateur 42

c. Donner un sens à la participation de l’État dans EDF 42

2. Diminuer les coûts d’EDF pour maîtriser la trajectoire tarifaire et dégager des marges de manœuvre financière 43

a. La demande d’EDF : augmenter fortement l’ARENH pour financer les investissements 43

b. L’alternative : diminuer les coûts 43

c. Les moyens d’y parvenir 44

3. Permettre à EDF de jouer son rôle de leader mondial dans les énergies décarbonées 46

a. Une réduction des coûts nécessaire, mais qui doit être complétée par des modes de financement complémentaires 46

b. Pour une implication plus forte de l’entreprise dans le domaine des énergies renouvelables. 48

B. PORTER UNE VISION INTÉGRÉE DE L’EUROPE DE L’ÉLECTRICITÉ 51

1. Un cadre européen qui ne satisfait personne 51

2. Bâtir une solution ambitieuse, à la hauteur des menaces pesant sur la sécurité du système électrique européen 53

C. REVOIR LA STRUCTURE DES TARIFS DE L’ÉLECTRICITÉ 55

1. Faire évoluer les tarifs sans changer les fondamentaux : la réforme de la CSPE 55

a. Une question technique : la consolidation juridique du dispositif. 55

b. Reporter tout ou partie de la taxe sur l’ensemble des consommations énergétiques 55

2. Intégrer dans le tarif les évolutions plus profondes du monde de l’énergie 57

a. La prédominance des charges fixes sur les charges variables : vers une logique de forfait ? 57

b. Revoir les frontières entre les trois grands postes du tarif pour limiter les risques d’« évasion de tarif » 60

c. Des évolutions qui devraient redynamiser la concurrence, mais faire naître de nouvelles formes de « fracture électrique » 61

CONCLUSION 64

EXAMEN EN COMMISSION 65

CONTRIBUTION DES DÉPUTÉS DU GROUPE UMP 71

CONTRIBUTION DE MME JEANINE DUBIÉ, AU NOM DU GROUPE RRDP 75

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 77

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS 85

1. Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) 87

2. Audition, ouverte à la presse, de M. Bruno Léchevin, président de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), M. José Caire, directeur « Villes et territoires durables » et M. Damien Siess, directeur adjoint « Productions et énergies durables » 98

3. Audition, ouverte à la presse, de M. Henri Proglio, président-directeur général d’EDF 109

4. Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Pierre Roncato, président du consortium Exeltium, et de M. Édouard Oberthur, responsable des opérations d’Exeltium 123

5. Audition, ouverte à la presse, de M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d’électricité (RTE) et de M. Vincent Thouvenin, directeur du département « Régulation, tarifs et finances » 134

6. Audition, ouverte à la presse, de M. Fabien Choné, président de l’Association nationale des détaillants en énergie (ANODE) et directeur général de Direct Énergie 150

7. Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Monloubou, président d’ERDF, de M. Éric Peltier, chef de département à la direction des finances d’ERDF et de M. Pierre Guelman, directeur des affaires publiques 160

8. Audition, ouverte à la presse, de M. Robert Durdilly, président de l’Union française de l’électricité (UFE), de M. Jean-Jacques Nieuviaert, conseiller économie et marché, de Mme Anne Chenu, directrice de la communication et des affaires européennes et de Mme Hélène Pierre, chargée de mission 170

9. Audition, ouverte à la presse, de M. Marcel Boiteux, président d’honneur d’EDF et ancien président de l’Académie des sciences morales et politiques 180

10. Audition, ouverte à la presse, de M. Thomas-Olivier Léautier, professeur des universités (Université de Toulouse I Capitole), membre de l’École d’économie de Toulouse 187

11. Audition, ouverte à la presse, de M. François Roussely, président d’honneur d’EDF 200

12. Audition, ouverte à la presse, de M. Jean Desessard, sénateur de Paris, ancien rapporteur d’une commission d’enquête sénatoriale sur le coût de l’électricité (juillet 2012) 212

13. Audition, ouverte à la presse, de M. Xavier Pintat, sénateur, président de la Fédération nationale des collectivités concédantes et des régies (FNCCR), et de M. Pascal Sokoloff, directeur général 218

14. Audition, ouverte à la presse, de Mme Anne Houtman, conseillère principale auprès du directeur général en charge de l’énergie de la Commission européenne 225

15. Audition, ouverte à la presse, de M. Jean Gaubert, Médiateur national de l’énergie 240

16. Audition, ouverte à la presse, de M. Stéphane Kilbertus, administrateur de l’Association nationale régie services publics organismes constitués (ANROC), de M. Christophe Chauvet, administrateur de la Fédération des sociétés d’intérêt collectif agricole d’électricité (FNSICAE) et président de l’Association des distributeurs d’électricité de France (ADEEF), et de M. Gérard Lefranc, président de l’Union nationale des entreprises locales d’électricité et de gaz (UNELEG) 250

17. Audition, ouverte à la presse, de Mme Céline Gauer, directrice de la direction « Marchés et cas 1 : énergie et environnement » à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne 261

18. Audition, ouverte à la presse, ouverte à la presse, de M. Thierry Dahan, vice-président de l’Autorité de la concurrence, de M. Umberto Berkani, rapporteur général adjoint et de M. Édouard Leduc, rapporteur 272

19. Audition, ouverte à la presse, de M. Laurent Michel, directeur général à la Direction générale du climat et de l’énergie du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie 279

20. Audition, ouverte à la presse, de M. Marc Boudier, président de l’Association française indépendante de l’électricité et du gaz (AFIEG) 288

21. Audition, ouverte à la presse, de M. Gérard Mestrallet, président de GDF Suez 293

22. Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Yves Le Dreff, président du Syndicat français de l’industrie cimentière (SFIC) et président des Ciments Calcia, de M. Jean-Philippe Bénard, responsable « électricité » du groupe Lafarge, de M. Éric Bourdon, directeur France « Performances et investissements » du groupe Vicat et de Mme Anne Bernard-Gély, déléguée générale du SFIC. 310

23. Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Philippe Bucher, président de FerroPem, de M. Luc Baud, directeur de l’énergie de FerroPem, et de M. Jean-Paul Aghetti, directeur « Énergie » de Rio Tinto Alcan 316

24. Audition, ouverte à la presse, de Mme Myriam Maestroni, présidente d’Économie d’Énergie SAS et de M. Hugues Sartre, secrétaire général du GPC2E 324

25. Audition, ouverte à la presse, de M. Guy Piolé, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes, de M. Jean-Luc Vialla, président de section, et de Mme Michèle Pappalardo, conseiller maître 329

26. Audition, ouverte à la presse, de M. François Carlier, délégué général de l’association de consommateurs et d’usagers CLCV (Consommation, logement et cadre de vie) 341

27. Audition, ouverte à la presse, de M. Alain Bazot, président et M. Nicolas Mouchnino, chargé de mission « Énergie » de l’UFC-Que Choisir 347

28. Table ronde, ouverte à la presse, avec la participation des syndicats : Fédération nationale des Mines et de l’Énergie CGT : Mme Marie-Claire Cailletaud, responsable du pôle « Politique énergétique et industrielle », M. Bruno Bosquillon, Délégué syndical central d’ERDF, Mme Valérie Goncalves, responsable de la Commission « Droit à l’énergie-Précarité énergétique » et M. Serge Vidal, (Pôle « Politique énergétique et industrielle ») ; Fédération Chimie-Énergie de la CFDT : M. Dominique Bousquenaud, secrétaire général de la fédération FCE-CFDT, M. Vincent Rodet, délégué fédéral de la branche IEG, M. Philippe Lèbre, membre du bureau de la branche IEG, et M. Bernard Gérin, chargé de mission ; CFTC-CMTE (Chimie, mines, textiles, énergie) : M. Francis Orosco, président fédéral Chimie Mines Textile Énergie, M. Pierre Carrié, président secteur « Energie », Mme Isabelle Guglielmacci, représentante « EDF Commerce » et M. Pascal Prouff, animateur fédéral ; FO Énergie et Mines : M. Jacky Chorin, administrateur FO d’EDF, membre du CESE, M. Rémy Scoppa, délégué fédéral, membre du Conseil supérieur de l’Énergie et M. Yves Giquel, assistant confédéral ; CFE-CGC : M. Alexandre Grillat, secrétaire national confédéral, M. Dominique Labouré, secrétaire général adjoint de la CFE-CGC Énergies, Mme Catherine Halbwachs, déléguée fédérale de la CFE-CGC Énergies et M. Frédéric Letty, secrétaire national fédéral de la CFE-CGC Énergies 354

29. Audition conjointe, ouverte à la presse, de M. Vincent Maillard, directeur général énergie et règlementation de Budget Télécom et ancien responsable des tarifs d’EDF, M. Grégory Lamotte, fondateur et président de Comwatt, et M. Pierre Bivas, président du syndicat professionnel Cathode et fondateur de l’entreprise Voltalis 392

30. Audition, ouverte à la presse, de M. Wolfram Vogel, directeur des affaires publiques et de la communication d’EPEX Spot, la bourse des marchés spot de l’électricité, et M. Philippe Vassilopoulos, économiste responsable du service études 402

31. Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Romieu, président, et M. Alain Raoux, secrétaire général de l’Union professionnelle des industries privées du gaz (UPRIGAZ), et de M. Francis Duseux, président, Mme Isabelle Muller, déléguée générale et M. Bruno Ageorges, directeur des relations institutionnelles et des affaires juridiques de l’Union Française des Industries Pétrolières (UFIP) 410

32. Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Bernard Lévy, président-directeur général d’EDF 419

33. Audition, ouverte à la presse, de M. Alexis Zajdenweber, directeur des participations « Énergie » et M. Thomas Gosset, directeur-adjoint à l’Agence des participations de l’État (APE) 428

34. Audition, ouverte à la presse, de Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie 436

INTRODUCTION

La Commission des affaires économiques de l’Assemblée Nationale a voté en juillet 2014 une résolution demandant la création d’une commission d’enquête sur les tarifs de l’électricité, elle-même adoptée par l’Assemblée Nationale le 9 octobre de la même année.

Cette initiative est intervenue suite aux débats nés à la fois :

– de la hausse continue de la facture des usagers, de l’ordre de 30 % depuis 2007 ;

– de la bataille juridique qui se joue, désormais systématiquement, à l’occasion de la fixation, par arrêté interministériel, des tarifs réglementés de vente.

À travers cet « imbroglio tarifaire » et cette impression de hausse inexorable des prix, c’est à la fois l’État, en tant que puissance publique régulant le secteur, mais aussi tout le dispositif électrique français et son fonctionnement qui sont mis en cause. En effet, les tarifs de l’électricité sont constitués, au sens strict, de l’ensemble des composantes régulées de la facture d’électricité (les tarifs de réseau, l’ARENH, les taxes, le prix de la capacité). Mais ils peuvent être également définis comme le mode de couverture des charges des opérateurs du secteur de l’énergie, la « tarification électrique », et ainsi englober les tarifs réglementés de vente et les offres de marché.

L’augmentation constatée depuis 2007 tient son origine dans l’inflation des composantes régulées des prix. Si rien de change, ce mouvement d’augmentation des prix perdurera jusqu’en 2020, avec des conséquences lourdes pour les ménages et les entreprises. Cinq millions de foyers sont touchés par la précarité énergétique, soit onze millions de personnes.

Pour les entreprises, l’énergie est un facteur de production souvent essentiel. Le cas des « électro-intensifs » est emblématique, mais le double enjeu de la sécurité d’accès à l’électricité et de la stabilité des prix est déterminant pour beaucoup d’autres activités commerciales, artisanales ou agricoles. À ce titre, la disparition, au 1er janvier 2016, des tarifs réglementés « vert » et « jaune » suscite l’inquiétude de milieux professionnels. Plus généralement, notre capacité à préserver un avantage comparatif décisif inquiète : alors que la très grande qualité du système électrique français a toujours compté parmi les moyens de lutter contre la désindustrialisation de notre territoire, il ne faudrait pas que cet atout décisif se perde.

La hausse des prix est concomitante à l’ouverture à la concurrence des marchés de l’électricité. Contrairement au « credo » européen qui affirme avec constance que la concurrence est le gage d’obtention du meilleur prix assorti du meilleur service, l’ouverture à la concurrence ne s’est pas traduite, dans les faits, par une baisse tendancielle des prix. Plus subie qu’assumée, cette évolution a suscité l’incompréhension de nombreux consommateurs.

En difficulté face à la hausse des factures, dont ils ne comprennent pas l’origine, nos concitoyens perdent confiance dans les tarifs réglementés devenus illisibles.

La fixation des tarifs réglementés de vente (TRV) a été particulièrement perturbée par les conséquences de recours quasi-systématiques des fournisseurs alternatifs contre les arrêtés tarifaires, au motif que ces derniers ne leur laissaient pas d’espace économique suffisant pour survivre. Derrière ces recours se cache l’intention de prouver une collusion d’intérêt entre l’État, qui souhaiterait limiter au maximum les hausses de tarif pour les usagers, et EDF, pour qui cette modération tarifaire permettrait d’éteindre les ambitions de ses concurrents. Les décisions d’annulation d’arrêtés tarifaires, intervenues à quatre reprises, exigent des rattrapages sur les factures passées et nourrissent l’exaspération des usagers autour de la question des tarifs de l’électricité. Ainsi, pour l’opinion, le système français de fixation des tarifs est devenu une opération technocratique, incompréhensible voire arbitraire.

Pire, malgré ces hausses de facture, les tarifs réglementés de vente ne couvrent pas les coûts d’EDF, alors que la loi le prévoit explicitement, et empêchent les autres opérateurs de survivre.

Pour l’Union Européenne, les tarifs doivent refléter les coûts complets, de la production jusqu’aux points de distribution et permettre à tous les fournisseurs de générer une marge d’exploitation suffisamment rémunératrice pour se développer et investir. Dans le cas français, le tarif réglementé de vente, proposé par l’opérateur historique – EDF et les ELD, sur leur zone de desserte exclusive –, constitue la référence sur laquelle se calent l’ensemble des acteurs de marché. Un tarif fixé trop bas pour couvrir les coûts de l’opérateur historique constituerait une atteinte à la concurrence, car empêcherait les fournisseurs alternatifs de proposer des offres compétitives.

LA GRANDE BATAILLE JURIDIQUE DES TARIFS DE L’ÉLECTRICITÉ

 

Conseil d’État

Conseil d’État

Conseil d’État

Conseil constitutionnel

Autorité de la concurrence

Date de la décision

01/07/2010

22/10/2012

28/11/2012

11/04/2013

17/12/2013

Requérant

Sté POWEO

SIPPEREC*

SIPPEREC

 

Solaire Direct

Décision

Annulation partielle de l’arrêté du 12/08/2008

Annulation de l’arrêté du 13/08/2009

Annulation du TURPE 3

Censure de la loi « système énergétique sobre »

Abus de position dominante par EDF

Apport juridique

Les tarifs réglementés ont vocation à couvrir totalement les coûts de production, tarif par tarif

La différenciation tarifaire doit s’appuyer des critères clairs et objectifs.

Le calcul du TURPE doit coller à la réalité comptable d’EDF pour établir les coûts réels de distribution.

L’instauration d’un mécanisme de « bonus-malus » sur la consommation domestique d’électricité ne doit pas générer une rupture d’égalité devant les charges publiques entre particuliers et professionnels.

Une distinction nette est de rigueur chez les opérateurs historiques entre leurs anciennes activités monopolistiques et leurs activités relevant du champ concurrentiel, sous peine d’abus de position dominante.

* SIPPEREC : Syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour l’électricité et les réseaux de communication.

 

Cour de justice de l’UE (question préjudicielle)

Conseil d’État

Conseil d’État

Conseil d’État (ordonnance de référé)

Conseil d’État

(ordonnance de référé)

Date de la décision

19/12/2013

19/12/2013

28/05/2014

12/09/2014

07/01/2015

Requérant

Conseil d’État (affaire : Ass. Vent de colère !

Fédération nationale)

Conseil d’État (affaire : Ass. Vent de colère !

Fédération nationale)

Ass. Vent de colère ! Fédération nationale

ANODE **

ANODE

Décision

Aide d’État

Aide d’État

Aide d’État

Rejet de la requête

Rejet de la requête

Apport juridique

Les tarifs d’achats constituent des aides d’État.

Les tarifs d’achats constituent des aides d’État.

Les tarifs d’achats constituent des aides d’État.

Le gel temporaire de l’augmentation de l’un des tarifs ne justifie pas la suspension immédiate de l’arrêté ministériel qui l’institue.

La fin de l’obligation de couverture des coûts d’EDF ne supprime pas l’obligation de procéder aux rattrapages, tarif par tarif, des écarts observés sur la période écoulée. La non prise en compte de cette obligation pour un tarif ne justifie pas pour autant la suspension de l’arrêté du 30/10/2014).

** ANODE : Association nationale des opérateurs détaillants en énergie.

Enfin, la transition énergétique complexifie davantage encore la situation. D’un côté, le secteur est confronté à un phénomène nouveau avec la baisse de la consommation électrique. La consommation française d’électricité a globalement régressé de 6 % en 2014 par rapport à l’année précédente, selon le bilan annuel de RTE, pour s’établir à 465 térawattheures (TWh). Ce ralentissement est aussi constaté dans la plupart des pays européens De l’autre, de nouvelles technologies – énergies renouvelables, effacement et, bientôt, stockage – tirent parti des aides publiques au détriment des activités traditionnelles dont l’existence est purement et simplement menacée.

La réalité, c’est que le secteur de l’électricité est à la croisée des chemins. Dans ce contexte et malgré les critiques, la puissance publique est le seul recours pour surmonter la crise, et les tarifs le seul outil dont elle dispose.

Nous sommes aujourd’hui rattrapés par les faits : les tarifs électriques sont à la fois une source de confusion pour les usagers et de perturbations graves pour la survie de notre système électrique, mais également le seul espoir de remettre de la cohérence dans notre dispositif.

Pour cela, il importe de revenir aux fondamentaux en apportant des réponses claires aux questions suivantes : à quoi servent les tarifs de l’électricité ? Quels principes pour les fixer ? Quelles modalités pour l’action publique ?

Le présent rapport :

– dresse un diagnostic de notre dispositif électrique, qui semble aujourd’hui en bout de course, tant au niveau européen que français ;

– ouvre des perspectives d’évolution susceptibles de répondre aux enjeux qui sont devant nous.

I. UN DISPOSITIF EN « BOUT DE COURSE »

A. UN TARIF DE L’ÉLECTRICITÉ À VOCATION MULTIPLE

Historiquement, tarifs réglementés de vente, tarifs, et prix de l’électricité sont trois notions identiques. Le tarif réglementé de vente, c’est-à-dire le prix de l’électricité fixé par la puissance publique, s’imposait à tous les consommateurs. Il était déterminé de manière intégrée, en référence aux coûts globaux de l’opérateur historique qui jouait tout à la fois les rôles de producteur, transporteur, distributeur et fournisseur.

À travers la création de politiques publiques spécifiques et la dérégulation du marché de l’électricité, la situation s’est complexifiée :

– le tarif réglementé de vente a progressivement évolué vers une structure par empilement, distinguant des « briques tarifaires » par fonction ; chaque brique vise à couvrir des coûts spécifiques, que ce soit des coûts engendrés par une politique publique ou des coûts de fonctionnement des opérateurs ;

– les consommateurs peuvent faire le choix de ne pas souscrire le tarif réglementé de vente, en se tournant vers une offre de marché développée par un fournisseur alternatif. Dans ce cas, ils sont néanmoins soumis aux mêmes « briques tarifaires » ; dans le prix qui leur est proposé par leur fournisseur, la majeure partie demeure régulée – la contribution au service public de l’électricité (CSPE), les taxes locales et la TVA, les tarifs d’acheminement, et le prix de l’accès au nucléaire historique –, le reste étant laissé au libre jeu du marché – prix de l’électricité non nucléaire, coûts de commercialisation et, bientôt, prix de la capacité.

À travers ces différentes « briques tarifaires », les tarifs de l’électricité, que ce soit les tarifs réglementés de vente ou les offres de marché, remplissent une multitude de fonctions.

1. Couvrir les coûts des fournisseurs d’électricité

La part « énergie » des tarifs correspond aux charges supportées par les fournisseurs d’électricité. Elle regroupe trois éléments distincts :

– le coût d’approvisionnement en électricité nucléaire ;

– le coût du complément à la fourniture d’électricité ;

– le coût de commercialisation.

a. De la méthode de « couverture des coûts comptables » à la méthode « par empilement »

Jusqu’à la loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (loi NOME), le code de l’énergie prévoyait que la part « énergie » des tarifs réglementés de vente était calculée sur la base d’une méthode dite de « couverture des coûts comptables » d’EDF. Chargée de la mise en œuvre de cette méthode, la Commission de régulation évaluait, dans un premier temps, le coût comptable de fourniture de l’entreprise EDF, composé des charges de capital liées à l’activité de fourniture d’électricité, des charges fixes et variables d’exploitation et des coûts commerciaux. Dans un second temps, elle procédait à la répartition de ce coût entre les clients en offre de marché et les clients aux tarifs réglementés puis, au sein de ces derniers, entre chaque couleur tarifaire (tarifs bleu, vert et jaune).

Le décret du 28 octobre 2014, pris en application de l’article L. 337-6 du code de l’énergie modifié par la loi NOME, impose une nouvelle méthode, dite par « empilement » : la part « énergie » des tarifs réglementés de vente doit être représentative des charges supportées par n’importe quel fournisseur d’électricité. En faisant directement référence aux prix de gros, cette méthode garantit la « contestabilité » des tarifs réglementés de vente par des fournisseurs alternatifs.

b. La couverture des coûts liés au nucléaire historique

Depuis le 1er juillet 2011, les fournisseurs alternatifs peuvent bénéficier de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) en achetant de l’électricité produite par EDF à un prix et pour des volumes déterminés par la CRE. L’objectif est de permettre à tout consommateur, quel que soit son fournisseur, de bénéficier de l’avantage de compétitivité qui résulte des investissements publics passés dans le parc nucléaire historique. EDF a l’obligation de vendre aux autres fournisseurs qui en font la demande un volume d’électricité produit par ses centrales nucléaires historiques. En contrepartie, l’entreprise conserve le monopole de l’exploitation nucléaire sur le territoire français.

Le dispositif a été institué pour une période transitoire courant jusqu’à 2025. Le volume global maximal pouvant être cédé par EDF est de 100 TWh par an, soit environ un quart de la production nucléaire française. Le prix est fixé à 42 €/MWh depuis le 1er janvier 2012.

c. Le complément à la fourniture d’électricité et les coûts commerciaux et de structure

Dans le cadre des tarifs réglementés de vente, le coût du complément d’approvisionnement est calculé en référence aux prix de marché, en fonction des caractéristiques moyennes de consommation et des prix de marché à terme constatés. Une telle méthode est représentative des coûts supportés par les fournisseurs alternatifs.

Le même raisonnement est appliqué pour la prise en compte des coûts de commercialisation : ils correspondent aux coûts de commercialisation d’un fournisseur d’électricité « au moins aussi efficace » qu’EDF.

d. Le coût de la capacité

La loi NOME prévoit la mise en place d’un mécanisme de capacité. Chaque fournisseur a l’obligation, à tout moment, de justifier qu’il est en mesure de mettre à disposition du réseau une capacité de production équivalente à la capacité de consommation de son portefeuille de client. L’obligation de capacité est en quelque sorte une assurance qui pèse sur les opérateurs, destinée à garantir l’équilibre offre-demande instantanée du réseau électrique national.

Le coût de la capacité est un élément à part, car il n’est pas proportionnel à la quantité d’électricité vendue et ne peut être mesuré comptablement. Néanmoins, comme l’obligation de capacité s’impose aux fournisseurs d’électricité et qu’elle constitue l’une de leurs charges, ce coût peut être considéré comme un élément de la part « énergie » du tarif.

2. Couvrir les coûts des gestionnaires de réseau

a. Les coûts propres des gestionnaires du réseau de transport et des réseaux de distribution

Les tarifs d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) sont déterminés par la CRE selon un principe simple, inscrit à l’article L. 341-2 du code de l’énergie : ils doivent couvrir l’ensemble des coûts supportés par les gestionnaires de ces réseaux dans la mesure où ces coûts correspondent à ceux d’un gestionnaire de réseau efficace.

Le TURPE est ainsi calculé par période de 4 ans, la période actuelle (TURPE 4) s’étendant de 2013 à 2017. Il comprend trois composantes :

– l’accès au réseau de transport : ce coût est principalement supporté par les gestionnaires du réseau de distribution mais les consommateurs directement raccordés au réseau de transport paient également une contribution ;

– la couverture des charges d’exploitation des gestionnaires du réseau de distribution, incluant les charges de personnel, les redevances versées aux autorités organisatrices de la distribution d’électricité, les impôts et taxes (1), ainsi que l’achat des pertes sur le réseau ;

– la couverture des charges du capital investi, soit la somme du remboursement des provisions pour renouvellement et amortissement et de la rémunération des actifs par le gestionnaire de réseau.

b. Les coûts supportés par les autorités concédantes du réseau de distribution

Le rôle des autorités organisatrices de la distribution d’énergie (AODE) est très étendu en zone rurale : sur le réseau basse tension, les AODE sont chargées de la maîtrise d’ouvrage pour les travaux d’extension, de renforcement et de sécurisation – seul le renouvellement reste à la charge du concessionnaire. Pour financer les travaux dont elles ont la maîtrise d’ouvrage, elles disposent de plusieurs sources de revenus :

– les subventions octroyées dans le cadre du Fonds d’amortissement des charges d’électrification, le FACE (377 M€ en 2015) ; héritage de la IIIe République, le FACE est un maillon essentiel de la péréquation tarifaire, car les subventions accordées sont financées par une contribution sur la consommation électrique dont le taux est plus élevé en zone urbaine qu’en zone rurale ;

– les redevances de concession (325 M€), versées par les gestionnaires de réseau aux collectivités pour couvrir les frais de structure des syndicats d’électricité et participer au financement des investissements sur les réseaux ;

– les taxes locales sur la consommation finale d’électricité ; les syndicats d’électricité sont destinataires de 19 % du produit de ces taxes ;

– la contribution des tiers au raccordement.

Hormis cette dernière contribution, ces financements pèsent sur le tarif final payé par le consommateur : le FACE et les redevances sont intégrés dans le TURPE et leur coût est donc couvert par les tarifs. Les taxes locales sont, pour leur part, acquittées directement par le consommateur.

c. Bilan : le poids financier de la part « acheminement »

Au total, les charges d’ERDF et de RTE à compenser par le TURPE passeront de 13,4 Mds€/an à 14,8 Mds€/an sur l’ensemble de la période du TURPE 4, soit une augmentation comprise entre 2,9 et 3,9 %/an.

 

2014

2015

2016

2017

Charges ERDF

9 298

9 611

9 885

10 254

Δ N/N-1

 

+ 3,4 %

+ 2,9 %

+ 3,7 %

Charges RTE

4 185

4 266

4 369

4 555

Δ N/N-1

 

1,9 %

2,4 %

4,3 %

Total

13 483

13 877

14 254

14 809

Δ N/N-1

 

+ 2,9 %

+ 2,7 %

+ 3,9 %

(*) hors accès au réseau public de transport.

3. Assurer la péréquation géographique du prix de l’électricité

La péréquation tarifaire, ou tarification « timbre-poste », est un principe qui s’impose à l’ensemble du territoire français. Elle permet à chaque citoyen de bénéficier d’une électricité au même prix, quel que soit son lieu de résidence et le type de contrat souscrit par l’usager (tarif réglementé ou offre de marché). Il y a donc une forte composante de service public et d’aménagement du territoire dans les tarifs de l’électricité (raccordement des nouveaux logements, maintien d’un bon niveau de qualité de l’électricité pour les activités économiques et agricoles, même en milieu très rural).

La mise en œuvre de la péréquation tarifaire passe par deux canaux principaux :

– le tarif d’acheminement est le même pour tout consommateur, qu’il réside dans une zone dense ou soit « en bout de ligne » ;

– la péréquation géographique à destination des zones non interconnectées (ZNI), et en particulier des Outre-mer, est prise en charge par la CSPE, pour un montant estimé à 1,4 milliard d’euros en 2013. Cette dernière couvre la différence entre le coût de la fourniture d’électricité dans les ZNI – assurée, en monopole, par EDF SEI et Électricité de Mayotte –, et la part « énergie » du tarif réglementé de vente. Le rapport d’information de nos collègues Éricka Bareigts et Daniel Fasquelle sur l’adaptation du droit de l’énergie aux Outre-mer, présenté en septembre 2014 devant la commission des affaires économiques (2), rappelle utilement les enjeux liés à la péréquation tarifaire pour les ZNI. La péréquation tarifaire est une politique de solidarité nationale qui tire son origine dans les trente années de retard du service public de l’électricité ultra-marin. Elle bénéficie à des territoires par ailleurs en difficulté sur le plan économique, où le niveau de vie reste inférieur à la moyenne nationale. Enfin, c’est un élément favorable aux entreprises locales du point de vue de leur compétitivité vis-à-vis de leurs concurrentes au sein de leurs zones géographiques respectives.

4. Préserver le pouvoir d’achat des ménages

Historiquement, le tarif réglementé de vente est un outil de la puissance publique. Il permet de maîtriser l’évolution des prix du bien essentiel qu’est l’électricité. C’est pourtant avec le même objectif de préserver le pouvoir d’achat des ménages que les directives européennes de libéralisation du secteur de l’électricité ont porté des coups successifs aux tarifs réglementés.

Source : Commission de régulation de l’énergie.

Néanmoins, parce qu’ils permettent aux ménages de se protéger contre la volatilité des marchés et de disposer d’une référence dans la « jungle tarifaire », la France est parvenue à obtenir un maintien sine die des tarifs réglementés de vente pour les particuliers (tarifs « bleus »), en dépit de la volonté de la Commission européenne de les supprimer.

Les États membres peuvent également prévoir des dispositifs spécifiques à destination des ménages les plus précaires. La France a ainsi mis en place des tarifs sociaux dans le domaine de l’énergie. Pour l’électricité, il s’agit du « tarif de première nécessité » (TPN) : créé par la loi du 10 février 2000 et entré en vigueur le 1er janvier 2005, il prend la forme d’une déduction forfaitaire sur la facture d’électricité.

Constatant que le nombre de ménages éligibles n’était pas suffisant au regard de l’ampleur du phénomène de la précarité énergétique et que le nombre de ménages jouissant réellement du TPN était très inférieur au nombre théorique de bénéficiaires, le législateur et le pouvoir réglementaire ont apporté plusieurs évolutions au dispositif : un élargissement du périmètre des éligibles, l’ouverture du bénéfice du TPN aux offres de marché et la mise en place d’une procédure d’attribution automatique. Conséquence de ces évolutions, le nombre de bénéficiaires effectifs a augmenté, de 1,7 million de foyers en 2013 à 2,6 millions fin août 2014. Mais l’impact sur le prix de l’électricité pour les ménages en situation de précarité énergétique reste modeste : l’aide apportée est de 90 euros par an en moyenne, à comparer avec les 700 euros de facture moyenne d’électricité (3).

Le TPN est pris en charge par la CSPE, pour un coût estimé à 350 millions d’euros en 2015.

5. Favoriser la compétitivité des entreprises

Contrairement aux particuliers, les entreprises ne pourront plus souscrire d’offres de tarif réglementé, à partir du 1er janvier 2016, à l’extinction des tarifs verts et jaunes. La suppression des tarifs jaunes, proposés aux sites de taille moyenne (puissance souscrite comprise entre 36 et 250 kVA) et des tarifs verts, destinés aux gros consommateurs (puissance supérieure à 250 kVA), est la conséquence d’une action de la Commission européenne contre la France, cette dernière les assimilant à des aides d’État. La commission d’enquête sur les coûts du nucléaire a déjà souligné que la suppression des tarifs verts et jaune est source d’inquiétude pour les entreprises concernées, désormais soumises aux variations du prix de marché sans « corde de rappel » (4). Elle mentionne également les problèmes que pose la position très défavorable de la Commission européenne vis-à-vis des contrats de long terme.

Pour autant, la facture des entreprises comportera encore une grande partie d’éléments régulés : les tarifs de transport et de distribution, l’ARENH, les obligations de capacité et les certificats d’économie d’énergie. En outre, les dispositifs d’effacement et d’interruptibilité leur permettront d’obtenir des déductions sur leur facture.

La défense des industries électro-intensives, dont le maintien sur le territoire français dépend directement du niveau des prix de l’électricité, est vitale. Elles subissent directement la concurrence de pays qui pratiquent des offres très avantageuses en garantissant des prix bas pendant de longues périodes. Les pays les mieux placés sont ceux qui disposent d’abondantes ressources hydrauliques, comme le Canada, l’Islande ou la Norvège. Le Moyen-Orient, zone productrice de gaz, et les États-Unis, bénéficiant de l’effet du gaz de schiste, sont également compétitifs en raison des coûts de revient très faibles de leurs centrales à gaz. Enfin, avec une production d’électricité très majoritairement à base de charbon, la Chine développe une industrie électro-intensive très carbonée, mais qui, profitant de l’absence de régulation internationale du prix du carbone, se retrouve très favorisée en termes de compétitivité.

La perte de compétitivité du site France s’explique en partie par la hausse du coût de production de l’électricité, liée au Grand carénage. Mais les règles imposées par l’Union européenne équivalent à « se tirer une balle dans le pied », que ce soit à travers la suppression des tarifs verts, qui entraîne la fin de contrats très avantageux (tarifs verts option EJP), la limitation des contrats de long terme, outils offrant une grande visibilité aux industriels, ou encore l’interdiction de pratiquer des subventions croisées entre catégories de consommateurs, pratique très courante chez nos concurrents étrangers.

6. Mettre en œuvre la transition énergétique

À travers la CSPE, le consommateur d’électricité finance la quasi-totalité des investissements dans les nouveaux moyens de production renouvelables. Cette contribution permet en effet de compenser les surcoûts engendrés par les dispositifs de soutien au développement d’énergies renouvelables.

Les sommes en jeu montrent que la France s’est résolument lancée dans la transition énergétique. Les surcoûts liés aux obligations d’achat et aux appels d’offres s’élevaient à 3,4 milliards d’euros en 2013. Ils représentaient 60 % des 5,3 milliards d’euros de charges totales de service public compensées par la CSPE. Toutefois, sur ces 5,3 milliards, une grande partie représente un héritage très lourd à porter. Les premiers contrats photovoltaïques ont bénéficié de conditions d’achat extrêmement favorables, garanties pendant vingt ans : les trois quarts des installations rémunérées au tarif de 2006 disposent d’un tarif d’achat moyen de 612 €/MWh. Par conséquent, en raison du mauvais pilotage des aides par le pouvoir réglementaire d’alors, les surcoûts liés à la filière photovoltaïque ont été multipliés par près de 8 entre 2010 et 2012, passant de 220 à 1700 millions d’euros.

Déjà majoritaire, le soutien aux ENR représentera une part croissante des charges couvertes par la CSPE. Selon les prévisions de la CRE, sur un montant de charges qui devrait doubler entre 2013 et 2025 pour atteindre près de 11 milliards d’euros à cette date, les énergies renouvelables deviendront largement prépondérantes à cette échéance.

Source : CRE.

7. Influer sur la consommation énergétique des utilisateurs

Le niveau global du tarif de l’électricité agit comme un signal-prix : il doit refléter, pour chaque consommateur, le niveau de charges que ce dernier fait supporter au système électrique. Si le tarif est calibré de façon adéquate, tout usager supporte lui-même les coûts engendrés par ses propres décisions de consommation. Les tarifs de l’électricité agissent à la fois sur la quantité d’électricité consommée par les usagers et sur les moments de consommation :

– le tarif est un indicateur de la rentabilité des économies d’électricité ; il détermine également l’arbitrage entre les différentes sources d’énergie lorsqu’elles sont substituables (essentiellement pour l’énergie de chauffage). Au sein du tarif, la fiscalité joue un rôle particulier : elle est plus élevée pour l’électricité (34 % de la facture) que pour le gaz naturel (21 %) (5), en raison de la faible composante carbone de la fiscalité énergétique française. L’électricité est aussi défavorisée par la prise en compte de l’énergie primaire, et non de l’énergie finale, dans la réglementation sur la construction. La publication de la RT 2012 a ainsi engendré une baisse de la part de marché du chauffage électrique dans la construction neuve d’un peu plus de 50 % en 2010 à 35 % en 2013 ;

– les offres différenciées de type « effacement tarifaire » incitent les consommateurs à déplacer leur consommation électrique vers les moments de moindre tension sur le réseau.

8. Dégager des ressources fiscales pour les collectivités territoriales et l’État

Outre la CSPE, qui est juridiquement un prélèvement obligatoire, deux taxes sont prélevées sur la facture d’électricité :

− les Taxes sur la Consommation Finale d’Électricité (TCFE). À l’origine, elles visent à assurer aux collectivités locales des ressources pour financer les opérations d’investissement sur les réseaux électriques. En réalité, elles abondent le budget général des collectivités : sur un rendement total de 2,1 Mds€, les syndicats d’électricité reçoivent 400 M€ de recettes issues de la taxe départementale et de la taxe communale.

− tous les fournisseurs et toutes les offres sont concernés par la TVA. L’abonnement est taxé sur la valeur ajoutée à 5,5 %, ce taux s’appliquant également à la CTA. La partie variable de la facture d’électricité est taxée pour sa part à 20 %, de même que les taxes qui s’appliquent sur la consommation (CSPE et TCFE). L’usager paie donc une taxe sur la taxe.

9. Financer les retraites des personnels des IEG

La contribution tarifaire d’acheminement (CTA) permet de financer les droits spécifiques relatifs à l’assurance vieillesse des personnels relevant du régime des industries électriques et gazières. Le montant de la CTA est égal à 27,04 % de la partie fixe du tarif d’acheminement hors taxes appliqué par les gestionnaires des réseaux de distribution d’électricité.

10. Synthèse : que paie le consommateur d’électricité ?

En 2014, la facture moyenne annuelle d’un client résidentiel était estimée par EDF à 787 € TTC. Ce montant revient, d’après l’opérateur historique, à ce que les particuliers français ayant souscrit au tarif bleu payent ainsi une facture d’électricité d’un niveau 32 % moins élevé que dans le reste de la zone euro.

La décomposition de la facture s’établit ainsi :

Source : EDF.

B. UN SYSTÈME BAROQUE : LA FIN DU MONOPOLE SANS VÉRITABLE CONCURRENCE

Les choix opérés au niveau européen, il y a près de vingt ans, marquent une rupture dans l’organisation du secteur de l’électricité, caractérisé jusqu’alors par l’existence de monopoles verticalement intégrés.

L’ouverture à la concurrence s’est mise en place de façon graduelle, en application de trois directives européennes (6) (7) (8). Elle se traduit par une libéralisation du segment amont, la production, et du segment aval, la commercialisation. S’agissant des activités de réseaux – le transport et la distribution –, elles ne sont pas ouvertes à la concurrence du fait de leur caractère de monopole naturel ; elles sont néanmoins soumises à une régulation étroite, destinée à garantir leur indépendance vis-à-vis des producteurs et des fournisseurs.

Quinze ans après, l’ouverture du marché français apparaît encore très partielle et le poids du groupe EDF y reste prépondérant. En tout état de cause, là où des bénéfices étaient escomptés pour le client final en termes de baisse des prix, la concurrence semble paradoxalement avoir été génératrice de coûts nouveaux.

1. Un « saucissonnage » du secteur de l’électricité

En imposant l’évolution de l’architecture des systèmes électriques de chaque État membre, les directives européennes donnent lieu à l’arrivée de nouveaux acteurs du secteur, ce qui complexifie sensiblement la gouvernance de ce-dernier.

a. La multiplication des producteurs et des fournisseurs alternatifs

Pour garantir l’ouverture à la concurrence des segments de la production et de la fourniture, un marché de gros de l’électricité est mis en place au début de la décennie 2000. Le prix sur ce marché est déterminé en fonction des principes de la tarification marginale. Les moyens de production sont appelés successivement en commençant par les moins coûteux, jusqu’à ce que l’ensemble de la demande soit couverte. C’est le coût variable du dernier moyen appelé qui détermine le prix de gros.

Disposant d’un marché de gros, de nouveaux acteurs ont pu entrer dans le jeu de l’électricité, que ce soit des fournisseurs alternatifs, acquéreurs sur le marché, ou des producteurs, qui peuvent écouler leur production. Ils ont ainsi pu proposer des « offres de marché », concurrentes des tarifs réglementés. Le droit européen a cherché à accélérer ce passage, en réduisant progressivement le champ des consommateurs protégés par les tarifs réglementés de vente, jusqu’à le limiter aux particuliers.

b. Le démantèlement d’EDF

Pour respecter les règles posées par les directives sur la libéralisation du secteur de l’électricité, EDF a été contrainte de filialiser ses activités de transport et de distribution :

– RTE (Réseau de Transport d’Électricité), créé dès le 1er juillet 2000 à partir de l’ancien service du transport d’EDF, devient une société anonyme à capitaux publics le 1er septembre 2005. RTE demeure une filiale à 100 % d’EDF, la France ayant obtenu, lors de la discussion de la directive de 2009, que l’entreprise puisse demeurer la propriété de l’opérateur historique, sans qu’il y ait d’obligation de séparation patrimoniale (modèle « ITO »). Mais ce régime impose en contrepartie des règles très strictes : séparation des personnels, des équipements, etc. Surtout, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) approuve le programme d’investissements de RTE (schéma décennal de développement du réseau).

– ERDF (Électricité Réseau Distribution France) a été créée le 1er janvier 2008 par la scission des activités de distribution d’EDF, entreprise dont elle demeure néanmoins elle aussi filiale à 100 %. S’agissant des gestionnaires de réseaux de distribution (GRD), les règles de séparation sont beaucoup moins strictes.

Il faut ajouter à cette réorganisation du secteur une seconde « secousse » : la séparation entre EDF et GDF, liée à la transformation des deux entités en sociétés anonymes. Historiquement, deux de leurs activités étaient mutualisées, la distribution et les services client, ce qui permettait de réaliser des gains de productivité importants et d’améliorer la qualité du service rendu aux usagers. Dans une logique de concurrence entre les deux groupes, la scission est inévitable : EDF comme GDF Suez veulent disposer de « leurs » équipes. Malgré la réaffirmation du principe d’un service commun de la distribution, par la loi du 9 août 2004 relative au service public de l’électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, ce service commun est, en pratique, très malmené. Quant aux services clients, ils sont désormais clairement distincts. L’usager en est la première victime : sa qualité de service est dégradée, et il subit les coûts de la duplication sur ses factures. Compte tenu des effectifs concernés – 46 000 salariés dans le cas du service commun de distribution –, ces coûts sont importants, même s’ils n’ont jamais fait l’objet d’une évaluation.

c. La répartition du rôle de régulateur entre l’État et la Commission de régulation de l’énergie

Dernier facteur de complexification de la gouvernance du secteur, la répartition des rôles entre l’État et la Commission de régulation de l’énergie, autorité administrative indépendante sectorielle, n’est pas encore clairement définie, dès lors que peuvent s’opposer une vision technique et une vision politique des dispositifs de régulation.

La fixation des tarifs réglementés de vente en est l’exemple le plus flagrant. La Commission de régulation de l’énergie établit des propositions sur une base objective (jusqu’au 7 décembre 2015, ces propositions prennent la forme d’un avis ; à partir de cette date, la CRE formulera des propositions motivées). Le pouvoir exécutif a la possibilité d’aller à l’encontre des propositions de la CRE, pour des motifs d’opportunité, mais doit rester dans le cadre des directives européennes, qui sont appliquées strictement par la CRE. Pour l’État, répondre aux attentes des acteurs tout en respectant le droit s’apparente à un exercice d’équilibriste…

En apparence, tous les éléments sont donc là, pour que la concurrence fonctionne. Les mécanismes de marché sont supposés conduire à une diminution du poids de l’acteur historique au profit de nouveaux entrants. Pourtant, cela n’a pas été le cas.

2. Une concurrence marginale et coûteuse

a. Une ouverture à la concurrence limitée

Le bilan dressé par la CRE de l’ouverture du marché français de l’électricité au 3ème trimestre 2014 est sans équivoque. Par le biais des tarifs réglementés, le poids des fournisseurs historiques (EDF et les ELD) reste prédominant, que l’on raisonne en nombre de sites ou en consommation. Ainsi, au 30 septembre 2014, 90 % des sites, toutes catégories confondues, sont aux tarifs réglementés (9), ce qui correspond à 71 % de la consommation totale d’électricité. Hormis chez les plus gros clients, où la part de marché des fournisseurs alternatifs atteint 30 %, les opérateurs historiques se taillent la part du lion.

b. Les facteurs explicatifs d’une absence de concurrence réelle

Un attachement culturel aux entreprises publiques

Profondément attachés au service public et aux entreprises qui l’incarnent, les Français se tournent encore naturellement vers l’opérateur historique. L’absence de visibilité des autres acteurs et de différenciations fortes entre les offres ne lui fournissent pas non plus de bonnes raisons de lui faire des infidélités.

Le pouvoir politique joue également un rôle important dans cette ouverture à la concurrence timide. Selon la Cour des comptes la mise en œuvre du marché de l’électricité a, depuis le début des années 2000, pris la forme, d’une « construction juridique laborieuse, conséquence des tergiversations de l’État » (10). De fait, la France a choisi de transposer les obligations minimales contenues dans les directives, afin de protéger son opérateur historique, qui plus est souvent avec retard. Plusieurs dispositions adoptées ont contribué à freiner la concurrence (absence de droit à changer de fournisseur pour l’État, les collectivités territoriales et leurs établissements publics, instabilité législative du principe de réversibilité permettant de revenir aux tarifs réglementés) tandis que d’autres, de nature transitoire, ajoutaient à la complexité de la situation.

Les faibles marges de manœuvre des fournisseurs alternatifs

La faible pénétration de la concurrence s’explique aussi par des facteurs structurels : les fournisseurs alternatifs ont en réalité peu de leviers pour jouer sur la facture et proposer des offres intéressantes financièrement. Excepté dans le cas des plus gros consommateurs, 60 % du montant de la facture moyenne correspond en effet aux charges de réseau et aux taxes, qui sont les mêmes quelle que soit l’offre. Quant à la partie « énergie » proprement dite, sur laquelle les fournisseurs alternatifs pourraient en théorie se différencier, les caractéristiques spécifiques du mix électrique français rendent là encore la pénétration du marché très difficile. Si l’on considère la part de la production électrique relevant du nucléaire et de l’hydroélectricité, 85 % de la production se trouve encore aujourd’hui quasi-intégralement hors du champ de la concurrence. L’ARENH, qui visait pourtant à permettre aux fournisseurs alternatifs d’avoir accès à une part de la « rente nucléaire », entretient cette logique en fermant le champ de la production à la concurrence et en cantonnant cette dernière à une activité de type achat-revente.

c. Une augmentation au lieu d’une baisse des prix

Marginale, la concurrence a dans le même temps généré des coûts importants, même si aucun document n’en dresse d’évaluation précise et exhaustive.

La séparation des différentes entités du groupe EDF a conduit à une désoptimisation globale du système électrique. Auparavant, l’intégration verticale des entreprises électriques permettait une gestion d’ensemble tenant compte à la fois des réseaux, de la production et de la fourniture. Le déploiement des réseaux était « pensé » en fonction de la production, les différentes centrales étaient gérées en lien les unes des autres, et les offres tarifaires proposées tenaient compte des fondamentaux liés à la production et aux réseaux. Deux exemples de réussites passées, qui n’auraient pas pu voir le jour dans le cadre juridique actuel, permettent de comprendre les bénéfices de la gestion intégrée d’un parc de production :

– par la capacité de stockage qu’il offre, le parc hydraulique constitue un outil très précieux d’ajustement, permettant de lisser les arrêts de tranche des centrales nucléaires dans le temps ;

– le développement des chauffe-eau électriques chez les particuliers, à partir des années 1970, est indissociable de la construction du parc nucléaire historique : il fallait rentabiliser cette énorme capacité de production en base en développant la consommation aux heures creuses.

Ensuite, l’ouverture à la concurrence a engendré des coûts administratifs, que ce soit pour la séparation entre les différentes entités d’EDF ou, de manière générale, pour l’adaptation des règles liées à la concurrence. Par exemple, la CRE évoque le coût de la duplication des systèmes informatiques entre EDF, ERDF et RTE, estimé à 84 millions d’euros (11).

Le bilan de l’ouverture à la concurrence est une question lancinante dans le débat. Concrètement, force est de constater que la libéralisation du marché de l’électricité en France est une source de complexité sans avoir apporté de bénéfices réels.

C. UN OPÉRATEUR HISTORIQUE AU PIED DU MUR

1. 1996-2015 : de l’âge d’or à l’état d’alerte

La situation actuelle d’EDF est l’héritage de près de 20 ans d’une gestion insuffisamment maîtrisée. L’entreprise se trouve de ce fait soumise aujourd’hui à de fortes contraintes.

a. De mauvais choix stratégiques

Au sortir de la décennie 1990, EDF était assise sur un véritable « trésor ». L’amortissement du parc nucléaire sur une période plus courte que sa durée de vie dégageait des marges de manœuvre financières considérables. Après une période de fort investissement, l’entreprise pouvait tirer les bénéfices des efforts passés. Rétrospectivement, il apparaît que la direction d’EDF et l’État n’ont pas fait les bons choix et que les décisions passées mettent aujourd’hui l’entreprise en difficulté.

Des baisses de tarif inconsidérées, un développement international peu couronné de succès

À la fin de la décennie 1990 et jusqu’au milieu des années 2000, EDF a arrêté d’investir en France, et ce pour deux raisons.

Délibérément, les tarifs réglementés de vente, fixés par le pouvoir réglementaire, ont baissé continument entre 1996 et 2006. À la veille de l’ouverture du marché européen à la concurrence, M. Edmond Alphandéry, alors président d’EDF, annonçait une baisse des tarifs de l’ordre 14 % sur la période 1997-2000. Il en est résulté un manque à gagner pour l’entreprise d’environ 56 milliards de francs.

ÉVOLUTION DES TARIFS RÉGLEMENTÉS DE VENTE

(en euros constants, hors taxes)

Source : CRE et Observatoire des marchés de l’électricité et du gaz naturel T3 2014.

Non seulement les revenus d’EDF ont diminué, mais ils ont été consacrés à des investissements à l’étranger. Sur 15 milliards de francs d’investissements budgétés, 13 milliards devaient être consacrés au développement international de l’entreprise en Europe et en Amérique latine, réduisant la part des investissements en France à la portion congrue. Les investissements à l’étranger réalisés durant cette période auraient pu se traduire par une implantation dans des pays en croissance, mais aucun ne s’est avéré pérenne.

Un « mur d’investissements » à surmonter

Devant la dégradation du réseau électrique français, rendue manifeste lors des différentes tempêtes de la décennie 2000, puis à la suite de la catastrophe de Fukushima, en 2011, la prise de conscience a été brutale. Faute d’avoir été lissés sur longue période, en profitant des revenus dégagés par le parc nucléaire, des investissements colossaux doivent désormais être engagés sur un intervalle de temps restreint, d’où une trajectoire de montée en puissance très rude.

S’agissant des investissements sur le réseau de distribution, les montants annuels d’investissements délibérés – c’est-à-dire hors investissements imposés – d’ERDF, avaient été divisés par trois entre 1992 et 2004. Ils ont doublé depuis cette date, passant de 1,6 Md€ à 3,4 Mds€. L’augmentation devrait se poursuivre au cours de la prochaine période tarifaire, sur un rythme de 2,5 %/an.

S’agissant des investissements nécessaires dans le parc nucléaire, la pyramide des âges des réacteurs du parc nucléaire historique contraint EDF à réaliser son programme du « Grand carénage » dans un intervalle de temps très rapproché. La Cour des comptes a évalué pour sa part le montant total des investissements à consentir sur la période 2011-2033 à 110 Mds€ courants.

b. Des coûts d’exploitation insuffisamment maîtrisés

La « culture du monopole »

EDF a longtemps vécu à l’abri d’une réelle contrainte. En l’absence de concurrence, l’entreprise n’a pas été poussée dans ses retranchements, contrairement à d’anciens monopoles d’État, dont l’exemple le plus frappant est Orange, qui a dû s’adapter face à des concurrents sérieux. En l’absence de véritable concurrence, à quoi bon réduire ses coûts d’exploitation ?

Les pouvoirs publics ont une part de responsabilité dans cet état de fait. La tutelle s’est montrée trop peu pressante. Sans doute rassurée par des prix de l’électricité française perçus comme les plus bas d’Europe, alors même qu’ils avaient été tenus artificiellement à ce niveau par un manque d’investissements, elle a laissé la direction de l’entreprise gérer cette question. Au demeurant, la méthode « comptable » de couverture des coûts par les tarifs n’était pas en mesure de favoriser un réel effort de rationalisation des coûts. Jusqu’à un certain point, elle pouvait même encourager l’augmentation de ces derniers.

Des critiques émises par la Cour des comptes qui ne doivent pas occulter la disponibilité des salariés pour les missions de service public

Au fil de plusieurs rapports et référés (12) (13) (14), la Cour des comptes a sévèrement critiqué la gestion sociale d’EDF, en évoquant une politique salariale « généreuse », un décalage croissant entre les tarifs de l’électricité et le « tarif agent », des règles relatives au temps de travail très favorables aux salariés et des problèmes de gestion de la Caisse centrale d’activité du personnel (CCAS).

Votre rapporteure tient à souligner que l’analyse de la Cour des comptes, purement financière, sous-estime le poids de l’histoire du groupe d’EDF, les spécificités du secteur de l’énergie et, surtout, ne rend pas justice à la disponibilité sans limite des salariés. Quelle entreprise autre qu’EDF aurait pu rappeler ses agents retraités pour porter secours aux Français privés d’électricité lors des tempêtes des années 2000 ? Il doit en être tenu compte.

Pour votre rapporteure, la Représentation nationale n’a pas à s’immiscer dans ce qui relève des relations sociales au sein de l’entreprise. Il n’est pas non plus concevable de remettre en cause les acquis sociaux des salariés, dès lors qu’ils ne se distinguent pas des pratiques les plus courantes des grandes entreprises.

En revanche, deux modalités du « tarif agent » génèrent des conséquences qui interpellent le législateur. D’une part, le bénéfice du tarif n’est pas plafonné, ce qui peut conduire à subventionner de véritables gaspillages énergétiques. La consommation moyenne annuelle par point de distribution est ainsi de 13,4 MWh (15), à comparer à la consommation moyenne d’un client résidentiel, de 4,9 MWh. Alors que le pays souhaite s’engager dans une politique d’efficacité énergétique ambitieuse, le non-plafonnement du tarif agent est incompatible avec les exigences de la transition énergétique.

D’autre part, les bénéficiaires du « tarif agent » sont les seuls consommateurs exonérés de CSPE à titre individuel. En considérant la croissance attendue de la CSPE dans les années à venir et les objectifs de solidarité assignés à ce prélèvement – tarif de première nécessité, péréquation en faveur des zones non interconnectées et même soutien aux énergies renouvelables –, la légitimité du maintien d’un système d’exonération individuelle paraît fragile au regard du principe constitutionnel d’égalité des citoyens devant les charges publiques.

c. L’explosion des coûts de l’EPR de Flamanville

La construction de l’EPR de Flamanville, autorisée par décret en avril 2007, après la loi d’orientation sur l’énergie du 13 juillet 2005, a donné lieu à une dérive inquiétante des coûts. La mise en service, prévue pour 2012, a été repoussée à de multiples reprises, pour être désormais fixée à 2016. Outre les coûts liés aux intérêts intercalaires engendrés par ces retards, la commission d’enquête sur les coûts du nucléaire a relevé dans son rapport l’explosion des coûts du projet en lui-même. D’un coût initial estimé à 3,3 milliards d’euros, correspondant à un coût complet de production d’environ 46 €/MWh, les prévisions de coût pour l’EPR de Flamanville ont par la suite été relevées à plusieurs reprises pour aboutir, en décembre 2012, à un coût estimé à 8,5 milliards d’euros.

2. Une situation financière sur le fil du rasoir

La question des coûts d’exploitation d’EDF ne mériterait pas que l’on y accorde une telle importance si elle ne s’inscrivait pas dans un contexte financier tendu pour l’entreprise.

a. Une trajectoire d’investissements difficile à tenir

Selon Jean-Bernard Lévy, l’endettement d’EDF « s’accroît chaque année de 3 milliards d’euros, et si les formules de calcul de prix ne sont pas modifiées, nous devrons faire face à une dette additionnelle de 30 milliards d’euros au titre de l’activité française en fin de période ».

Cette trajectoire d’endettement dégrade significativement le ratio « dette/EBE » – indicateur de la capacité de l’entreprise à dégager suffisamment de revenus pour rembourser ses dettes. La question de la soutenabilité d’un tel effort d’endettement pour l’entreprise est posée.

L’évolution vers la tarification par empilement, qui s’accompagne d’une situation de prix très bas, joue un rôle particulier dans la fragilisation financière d’EDF. En effet, on devrait assister à un effet de ciseau entre la baisse soudaine des prix de marché et la prochaine hausse du prix de l’ARENH (16).

Par conséquent, le tarif réglementé de vente, construit en partie sur l’ARENH, deviendra moins attractif aux yeux des consommateurs particuliers par rapport à des offres construites intégralement sur des prix de marché. Quant aux fournisseurs alternatifs, d’ores et déjà, ils parient sur le marché plutôt que sur l’ARENH pour se « sourcer ». Ces éléments sont corroborés par la baisse sans précédents du guichet ARENH, qui représentait 16 TWh au 1er semestre 2015, contre 37 TWh au 1er semestre 2014. L’alternative pour EDF est simple : perdre des clients en vendant au prix de l’ARENH, ou bien vendre à perte au prix de marché.

Enfin, il est important de noter que ces scénarios, intégrant un endettement déjà lourd, ne prennent pas en compte une possible consolidation du projet d’Hinkley Point dans les comptes d’EDF.

b. Des investissements insuffisants dans les énergies renouvelables

Les investissements d’EDF sont quasi-exclusivement consacrés à l’activité nucléaire, dans deux pays, la France et le Royaume-Uni. Cette concentration des moyens sur une seule branche, dans la même zone géographique, pose la question de la diversification de l’activité d’EDF et de son positionnement à l’international, en comparaison, par exemple, d’un groupe comme GDF Suez.

Les fortes contraintes sur la trajectoire d’investissement remettent en cause le positionnement d’EDF sur le segment des énergies renouvelables, au travers de sa filiale EDF-EN. Centré sur le nucléaire, le groupe EDF ne présente pas un profil suffisamment diversifié, ce qui pose la question de sa résilience sur le long terme.

3. Un État incohérent et perturbateur

L’État a tour à tour considéré EDF soit comme une vache à lait, soit comme un pompier. Sa part de responsabilité dans la situation actuelle ne peut être négligée.

a. Les comptes d’EDF, outil d’ajustement bien utile

EDF est régulièrement appelée à venir en aide d’entreprises du secteur de l’énergie, à la demande de l’État, alors même que ça n’était pas son cœur de métier. Marcel Boiteux a ainsi raconté, devant la commission d’enquête, comment, en tant que président d’EDF, il avait dû venir en aide aux Charbonnages de France. Cet exemple entre en résonnance avec les cas plus récents de l’entreprise Photowatt et du site de production d’aluminium de Saint-Jean de Maurienne. EDF immobilise ainsi du capital supplémentaire, alors même qu’elle est confrontée à un besoin de capital important.

EDF a supporté – et continue de supporter – des charges de service public sans pour autant recevoir de compensation. L’exemple le plus marquant est bien évidemment la dette de CSPE, qui a atteint près de 4,9 milliards d’euros. Entre le début du creusement du déficit de CSPE et l’accord trouvé entre l’État et EDF sur une reconnaissance de dette, en janvier 2013, il aura fallu près de quatre ans. Moins « spectaculaire », l’absence de compensation des charges liées à la gestion des obligations d’achat n’en est pas moins réelle. En effet, ces charges ne sont pas incluses dans le calcul de la CSPE (art. L. 121-7 du code de l’énergie), alors que les charges de gestion des tarifs sociaux le sont bien, (art. L. 121-8), ce qui s’explique par le fait que les fournisseurs alternatifs sont impliqués dans le dispositif. Ainsi, il suffit qu’EDF soit seule responsable de l’exécution d’une mission de service public pour que les règles changent. Les effets sont très pénalisants pour l’entreprise : ils diminuent son résultat net, grèvent sa trésorerie ou alourdissent ses frais de structure – la structure EDF-OA gère l’ensemble des contrats d’achats sans que le groupe touche une quelconque compensation.

Enfin, il est indéniable qu’EDF subit le « risque politique » qui pèse sur la fixation des tarifs réglementés de vente. La tentation est grande, pour le pouvoir exécutif, de préserver le pouvoir d’achat des usagers en choisissant de ne pas couvrir intégralement les coûts de l’opérateur historique. Comme votre rapporteure l’a rappelé plus haut, les décisions de baisse des tarifs entre 1996 et 2006 ont ainsi été très préjudiciables pour l’investissement dans les réseaux d’électricité. Les usagers en subissent aujourd’hui les conséquences, sous la forme d’une hausse du TURPE et d’une hausse des temps de coupure.

b. Un État actionnaire trop indifférent à l’intérêt social de l’entreprise

Un actionnaire faiblement impliqué dans la gestion de l’entreprise

L’État actionnaire n’a accordé que trop peu d’attention à la gestion de l’entreprise :

– la maîtrise des coûts n’a pas été, dans la durée, au cœur de ses préoccupations ; la Cour des comptes en fournit une illustration à travers l’exemple des rémunérations des dirigeants (17) : « ni l’agence des participations de l’État, ni la direction du budget n’ont d’autres informations sur les rémunérations servies aux dirigeants du groupe EDF que celles données au comité des rémunérations (…). L’État a perdu une connaissance fine de l’évolution de la rémunération des dirigeants de l’entreprise dans son ensemble, et singulièrement des plus hauts dirigeants. En 2010, il n’a plus connaissance que des éléments de rémunération fixe et variable du président-directeur général d’EDF SA, que le ministre chargé de l’économie approuve » ;

– il n’a sans doute pas non plus accordé suffisamment de vigilance aux conditions de suivi des projets d’investissement. Ainsi en a-t-il été du projet d’EPR de Flamanville dont il n’a pas anticipé les insuffisances s’agissant tant de la maîtrise du calendrier que des coûts.

Un actionnaire trop boulimique

En dépit de la situation financière de l’entreprise, de son endettement et de son niveau élevé d’investissement, l’État continue de prélever un dividende qui contribue au redressement des finances publiques.

MONTANT TOTAL DU DIVIDENDE DISTRIBUÉ PAR EDF*

(en Mds€, déduction faite des actions auto-détenues)

Année

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Montant global

1,4

2,1

2,3

2,3

2,1

2,1

2,1

2,3

*  Les montants correspondent au dividende total distribué : le versement à l’État est proportionnel au montant de sa participation dans le capital d’EDF (au 1er janvier 2015 : 84,49 %).

Ce prélèvement de dividende contribue à l’augmentation de la dette nette :

ÉVOLUTION DE L’ENDETTEMENT FINANCIER NET D’EDF SUR L’EXERCICE 2014

ndettement financier

Source : EDF, information financière.

Compris dans une fourchette entre 55 et 65 %, le taux de prélèvement des dividendes, constitue, selon l’APE, une pratique « normale » du secteur.

Pour autant, il est significatif de constater que ce prélèvement est demeuré remarquablement constant depuis 2006, alors même que la situation de l’entreprise a considérablement évolué. Est-ce bien raisonnable ?

Dans une situation de fort endettement, le taux de distribution devrait tenir compte des contraintes auxquelles EDF fait face, au lieu d’amputer significativement sa capacité d’autofinancement. La CRE considère ainsi qu’une réduction du taux de prélèvement de 20 points (de 60 à 40 %) permettrait de réduire l’endettement net d’EDF à l’horizon 2025 de 7,1 Mds€.

La stratégie poursuivie par l’État apparaît ainsi très court-termiste. Certes, les contraintes budgétaires actuelles pèsent et il n’est pas illégitime que l’État se rémunère de ses investissements, au même titre qu’un autre actionnaire. Pour autant, le poids de l’endettement de l’entreprise, conjugué aux incertitudes liées au coût de la prolongation de la durée de vie au-delà de 40 ans, ainsi qu’aux charges de démantèlement et de gestion des déchets, devraient conduire l’APE à être plus raisonnable.

D. UN CADRE JURIDIQUE EUROPÉEN UNANIMEMENT CONTESTÉ

a. Une approche « tout-concurrence » qui fait fi de la réalité mondiale du secteur de l’énergie

L’Union européenne a édicté pour elle-même des règles que les autres régions du monde ne s’imposent pas, alors même qu’elle est moins dotée en ressources naturelles et que ses membres ont un modèle social qui pèse nécessairement sur les coûts de production.

Hors de l’Union européenne, des pays comme l’Islande, la Norvège, le Canada ou encore le Brésil font bénéficier aux électro-intensifs de prix très bas. Le risque est très fort pour l’Europe de voir ses propres industriels déserter son territoire, à défaut d’avoir pris en compte le danger de délocalisation dans sa politique énergétique.

b. Le prix de marché, signal défaillant pour guider les investissements

La crise du système électrique européen est désormais avérée. Dans un rapport éponyme du Commissariat général à la stratégie et à la prospective (18), Fabien Roques souligne, que l’une des faiblesses les plus criantes de l’Europe de l’électricité est d’avoir poursuivi l’objectif d’un marché unifié de l’électricité qui reposerait sur le seul prix de marché de l’électricité. Or, ce dernier est insuffisant pour donner un signal de long terme sur l’investissement, notamment lorsque ce prix est très bas, comme c’est le cas aujourd’hui. Le problème, complexe, peut néanmoins être résumé simplement.

La théorie de la libéralisation du marché de l’électricité a été élaborée pour correspondre aux technologies des années 1980, essentiellement thermiques selon le principe suivant : le prix de marché est déterminé par le coût marginal de la dernière unité appelée, et les coûts fixes sont compensés pendant les périodes de forte pointe, durant lesquelles le prix de l’électricité est élevé. Cette théorie est de moins en moins adaptée à la réalité des investissements énergétiques. La plupart des technologies de production ont des coûts fixes très élevés, et des coûts variables très faibles, ce qui conduit à un prix de marché très bas. Le cas des énergies renouvelables électriques ajoute de la complexité. Elles diminuent les temps d’appel des autres moyens de production car non seulement elles ont un coût marginal de production très faible, mais elles bénéficient d’une priorité d’injection.

L’EFFET DES ENR SUR LE « MERIT ORDER »

Par son ampleur, ce phénomène a pris un caractère structurel. Il aboutit même à des prix négatifs, lors des périodes où la production renouvelable est forte tandis que la consommation est atone. Certaines capacités, pourtant utiles au réseau, sont « mises sous cocon » en raison de leur manque de rentabilité.

Confrontés à une telle situation, les énergéticiens réclament de nouveaux mécanismes complémentaires de rémunération (tarifs d’achat, mécanisme de capacité, etc…), qui leur sont accordés par les États, conscients des risques qui pourraient se poser sur le long terme si les investissements dans le secteur électrique s’arrêtaient. L’exemple le plus frappant est celui des contrats conclus, à la fin de l’année 2014, pour la construction de deux EPR au Royaume-Uni.

Un marché sur lequel plus aucun investissement ne peut se faire sans le soutien de la puissance publique peut-il encore être qualifié de marché ?

c. Marché unique et politique climatique : la schizophrénie de l’Union européenne de l’énergie

En contradiction avec la logique de marché prévue par les directives européennes, la progression constante des énergies renouvelables dans le mix électrique est pourtant préconisée par une autre directive, le « paquet Énergie-climat ».

Dans le même temps, l’Union européenne n’a pas été capable d’imposer un prix du carbone suffisant, pour limiter la place du charbon, notamment en Pologne et en Allemagne, ce qui aurait pu permettre aux centrales à gaz de recouvrer une partie de leur rentabilité. La Commission européenne, écartelée entre les directions « concurrence » et « climat », incarne ainsi la schizophrénie du monde européen de l’électricité.

E. LES DÉFIS DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

1. Faire face à la baisse de la consommation

La crise des énergéticiens est-elle seulement conjoncturelle ? On observe une stabilisation de la consommation électrique depuis 2011, alors que la tendance 2001-2008 était plutôt une hausse de 1,4 %/an.

CONSOMMATION CORRIGÉE DES ALÉAS EN FRANCE CONTINENTALE

Source : bilan prévisionnel de l’équilibre offre-demande d’électricité, édition 2014, RTE.

La diminution de l’intensité énergétique de l’économie française montre que cette baisse de la consommation d’électricité ne peut pas seulement être imputée à la crise économique, qui explique néanmoins une baisse brutale en 2009.

ÉVOLUTION DE L’INTENSITÉ ÉNERGÉTIQUE DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE
ENTRE 1950 ET 2010

Source : bilan prévisionnel de l’équilibre offre-demande d’électricité, édition 2014, RTE ;

Ces éléments remettent en cause la tarification traditionnelle, fondée sur la quantité d’énergie consommée : le nombre de kWh vendus diminuant, l’assiette sur laquelle sont répartis les coûts à couvrir se rétrécit, faisant augmenter le coût unitaire. Les énergéticiens sont confrontés à une véritable révolution de leur business model : ils ne peuvent plus s’appuyer sur la croissance du nombre de kWh vendus pour faire progresser leur chiffre d’affaires mais doivent plutôt rechercher la valorisation de services énergétiques associés.

2. Intégrer les nouveaux moyens de production décentralisés

a. Un système qui a fait preuve de sa robustesse, malgré l’importance de la pointe électrique

Le réseau français est robuste et historiquement bien construit. Son architecture est optimisée : des centrales de grande capacité ont été réparties sur le territoire en tenant compte des zones de consommation ; elles sont reliées à ces zones par du réseau haute tension, de façon à diminuer les pertes. L’interconnexion au réseau européen représente également un acquis majeur : par le biais du foisonnement de la production et de la consommation, la « plaque de cuivre européenne » apporte un bénéfice considérable en termes de qualité d’alimentation (proportionnellement, les moyens de réserve doivent être moins importants) et de coût de l’électricité (les moyens appelés sont ceux qui sont le moins coûteux sur l’ensemble de la plaque européenne). L’exemple des zones non interconnectées le montre bien : un petit réseau est beaucoup moins stable et performant. Les aspirations à une plus grande autonomie électrique de chaque territoire se heurtent à cette réalité physique.

Le système électrique français présente néanmoins une faiblesse : la pointe électrique. À elle seule, la France représente près de la moitié de la thermosensibilité européenne, ce qui s’explique par la pénétration importante du chauffage électrique dans les logements français. Dans les prochaines années, la progression de la pointe fait naître une crainte sur la sécurité d’approvisionnement.

b. La décentralisation des moyens de production est-elle de nature à améliorer la situation actuelle ?

La transition énergétique repose sur un nouveau paradigme énergétique fondé sur une logique de territoire : produire localement, en fonction des gisements d’énergies renouvelables, et adapter la consommation locale à cette production, de façon à limiter le recours au réseau. Ce nouveau modèle décentralisé offre de véritables alternatives d’optimisation du système, en contribuant à améliorer deux sources de coûts : les pertes en ligne et la pointe électrique. Il faut pour cela parvenir à mieux lier consommation et production d’un point de vue géographique – consommer là où l’électricité est produite – et temporel – consommer quand l’électricité est disponible. Cela nécessite de mettre en place des instruments tarifaires permettant d’orienter les comportements vers cet idéal.

Mais aujourd’hui, la montée en puissance des moyens de production décentralisés est plutôt synonyme de coûts car le système n’a pas été conçu pour les recevoir et n’est pas encore adapté à leurs spécificités.

– Les nouveaux moyens de production sont implantés là où les gisements naturels sont les plus avantageux, ce qui ne correspond ni à la disponibilité des réseaux existants, ni aux lieux de consommation. Par conséquent, les coûts des infrastructures de réseau pour intégrer les énergies renouvelables augmentent. Depuis 2002 et les premiers développements de capacités de production renouvelables, ERDF y a consacré près de 1,4 milliard d’euros.

– Les courbes de charge des moyens de production électriques renouvelables ne correspondent pas aux courbes de consommation électrique. Par conséquent, dans la grande majorité des cas, les installations de production ENR revendent l’intégralité de leur production sur le réseau, dont elles dépendent pour trouver une rentabilité ; dans le même temps, des bâtiments ou des quartiers dits « autonomes en énergie » comptent en réalité sur le réseau au moment de leur pointe de consommation, en raison de l’absence de moyens de stockage. Si la décentralisation énergétique peut apporter de réels bénéfices, l’autonomie énergétique est aujourd’hui encore illusoire.

– Les moyens de piloter la consommation sont encore très insuffisants. Les procédés de comptage – une relève de compteur manuelle bisannuelle dans la très grande majorité des cas – sont encore très rudimentaires. En attendant le déploiement de Linky, ils ne permettent en aucun cas de faire du pilotage fin de la demande.

Enfin, la décentralisation des moyens de production pose la question du devenir de la péréquation tarifaire. Si l’on considère que la consommation locale doit être incitée pour diminuer les pertes, cela implique que l’on accepte de déroger à la tarification « timbre-poste ». Au-delà de ce débat de fond, la décentralisation de l’énergie ne doit pas se faire pour de mauvaises raisons : il faut veiller à ce qu’elle ne se traduise pas par une prise en main, par les collectivités les plus riches, des moyens de production et des réseaux de leur territoire, au détriment de l’unité et de la souveraineté énergétique nationales.

*

* *

En conclusion de cette première partie, votre rapporteure reprend à son compte le diagnostic, émanant des acteurs du secteur, d’une crise profonde du secteur de l’électricité. À l’échelle européenne, tous les énergéticiens sont confrontés à une situation qui les empêche d’investir sans subvention. En France en particulier, les caractéristiques d’un mix électrique dominé par le nucléaire et l’importance de l’opérateur public historique mènent à un système baroque particulièrement complexe à piloter.

Cette crise est un symptôme de l’inadaptation du cadre de régulation aux évolutions de la réalité du monde électrique. La tarification mise en place selon un logiciel libéral faisant la part belle au prix de marché ne correspond plus aux fondamentaux de la production. Au niveau français, alors que la détention d’une participation majoritaire dans EDF aurait dû permettre à l’État-actionnaire de mieux agir dans l’intérêt social de l’entreprise, il s’avère en réalité que cette relation accentue les difficultés.

Malgré un diagnostic convergent, les solutions proposées pour s’attaquer aux racines des problèmes sont peu nombreuses. Les réactions sont pour l’instant inadaptées. Se plaignant de l’impossibilité de vivre, les acteurs du secteur ne remettent pas en cause pour autant le cadre défini par les directives européennes de libéralisation. Essayant de venir à leur secours, le législateur n’a eu de cesse de complexifier sans cesse les dispositifs (mise en place de l’ARENH, du marché de capacité, du complément de rémunération, etc.) sans pour autant régler les problèmes de fond.

II. REMETTRE DE LA COHÉRENCE

La puissance publique a un rôle crucial à jouer pour remettre le système sur de bons rails, en définissant un cadre de régulation pertinent qui réponde à trois objectifs :

– Permettre aux producteurs et au gestionnaire de réseaux de couvrir leurs coûts de court terme, et de leur donner une visibilité suffisante pour investir dans les moyens de production et les réseaux nécessaires à la sécurité d’approvisionnement.

– Mettre les consommateurs, particuliers et entreprises, à l’abri de hausses subites des prix et leur assurer la sécurité sur la fourniture de ce bien essentiel qu’est l’électricité.

– Parvenir à réaliser les objectifs de la transition énergétique, énoncés dans l’article 1er du projet de loi sur la transition énergétique.

C’est sur ces bases, qu’il faut recomposer notre dispositif en agissant sur les différents éléments du diagnostic présenté en première partie.

A. DONNER À EDF LES MOYENS D’AFFRONTER LES DÉFIS DU FUTUR

1. Clarifier la position de l’État à l’égard de l’opérateur

Comme votre rapporteure l’a montré plus haut, le fait que l’État ne distingue pas son rôle d’actionnaire de la responsabilité qu’il exerce au titre de la puissance publique est un facteur de perturbation pour l’entreprise. D’un côté, l’État ne joue pas son rôle d’actionnaire, en ne défendant pas suffisamment l’intérêt social de l’entreprise au travers d’une gestion plus rigoureuse. De l’autre, il joue de ses prérogatives d’actionnaire pour obtenir d’EDF qu’elle remplisse certaines missions de service public sans contrepartie. Il convient de clarifier la situation en distinguant les acteurs en charge des différents rôles impartis : à l’État actionnaire (APE) le contrôle de la gestion de l’entreprise, à l’État régulateur la définition des missions de service public et la régulation du secteur de l’électricité (ministère de l’écologie).

a. Compenser les charges liées aux obligations de service public.

L’exercice des missions de service public ne peut plus résulter d’un contrat implicite avec l’État et de décisions d’opportunité. Elles doivent intervenir dans un cadre défini, celui de contrats de service public renouvelés.

b. Distinguer l’État actionnaire de l’État-tutelle et de l’État régulateur

Lorsque l’État-régulateur prend des décisions qui conduisent à augmenter les revenus de l’État actionnaire, il y a une vraie difficulté. Ce type de situations est fréquent. Le cas le plus courant est celui de la fixation du tarif réglementé de vente par arrêté conjoint des ministres chargés de l’économie et de l’énergie. Mais d’autres dispositions réglementaires ont un impact tout aussi déterminant sur l’équilibre financier d’EDF, comme les règles relatives aux « actifs dédiés » au financement des charges nucléaires de long terme. Afin de mettre fin à toute confusion, on peut envisager :

– de limiter l’intervention de l’État actionnaire dans les fonctions de régulation du secteur de l’énergie. Il ne devrait pas être associé en tant que tel aux discussions interministérielles destinées à arbitrer des dispositions réglementaires ayant un impact sur les revenus ou la situation financière d’EDF, réservant cette responsabilité à l’État régulateur et à l’État puissance publique.

– d’accroître le rôle de la CRE et, corrélativement, diminuer celui du pouvoir exécutif dans la fixation du niveau des différentes composantes du tarif réglementé de vente, le pouvoir législatif et réglementaire conservant la responsabilité de fixer les règles.

c. Donner un sens à la participation de l’État dans EDF

Les situations problématiques sont en réalité les réminiscences d’une époque où, l’intégralité du capital d’EDF étant détenue par l’État, l’entreprise était considérée comme le véritable bras armé de ce dernier.

L’ouverture du capital d’EDF a changé la donne : la présence d’actionnaires minoritaires au capital d’EDF limite la possibilité de faire porter à EDF des missions de service public sans contrepartie car il s’agirait d’une décision contraire à l’intérêt social de l’entreprise. Le cas de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim montre bien qu’une décision de politique publique ne peut plus être imposée sans que l’intérêt de l’entreprise soit pris en compte. Alors que la situation capitalistique a changé, les réflexes sont demeurés les mêmes.

Mais cette situation traduit peut-être aussi la nécessité de trouver une signification aux seuils de participation pour chaque entité du groupe. Sans doute serait-il opportun de garantir un contrôle de l’État sur les activités du groupe EDF qui revêtent un intérêt essentiel pour la Nation. Le périmètre de ces activités doit donc être précisément défini (nucléaire, hydroélectricité, réseaux ?), de façon à envisager une détention intégrale de ces activités par l’État, afin de ne pas être bridé par l’obligation de respecter les intérêts des actionnaires minoritaires.

ACTIVITÉS DU GROUPE EDF PRÉSENTANT UN INTÉRÊT STRATÉGIQUE POUR L’ÉTAT

Activités du groupe EDF

Intérêts stratégiques pour l’État

Réseau de transport d’électricité (RTE)

Sécurité d’approvisionnement

Libre accès au réseau électrique

Réseaux de distribution (ERDF)

Qualité d’alimentation sur l’ensemble du territoire

Péréquation tarifaire

Nucléaire

Sûreté nucléaire

Diversification du mix électrique

Hydroélectricité

Contrôle de la rente hydraulique

Gestion des usages de l’eau

Sécurité d’approvisionnement (capacités flexibles et stockage)

La participation de l’État au capital du groupe EDF doit avoir un sens : la cotation est-elle compatible avec la volonté de s’engager dans la transition énergétique ? Le seuil de participation, à 85 %, est-il bien calibré ? Doit-il être adapté pour chaque filiale ? Il faut y réfléchir sur la base du critère des intérêts stratégiques de la Nation.

1. Diminuer les coûts d’EDF pour maîtriser la trajectoire tarifaire et dégager des marges de manœuvre financière

a. La demande d’EDF : augmenter fortement l’ARENH pour financer les investissements

Pour EDF, la clé du redressement de l’entreprise réside dans l’augmentation du prix de l’ARENH. Pour justifier méthodologiquement une telle demande, EDF considère que ce prix doit être représentatif du « coût courant économique » du nucléaire. C’est la position exprimée par Jean-Bernard Lévy lors de la commission d’enquête : « EDF, premier énergéticien français et européen, a un rôle à jouer dans la transition énergétique ; mais comment investir dans cette transition si le mode de calcul de nos tarifs crée mécaniquement de la dette ? Comment investir également dans la rénovation de notre parc nucléaire historique ? Nous souhaitons donc que le prix de l’ARENH atteigne le plus rapidement possible le niveau du coût économique complet du parc. Nous estimons, comme la Cour des comptes, que celui-ci devrait s’élever à 55 euros par MWh ».

b. L’alternative : diminuer les coûts

La position d’EDF est à la fois erronée et inadaptée à la réalité à laquelle l’entreprise fait face.

Augmenter le prix de l’ARENH :

– n’est pas justifié sur le plan méthodologique. Comme le démontrent la Cour des comptes et la CRE, s’appuyer sur le coût courant économique ne correspond pas à la nature de l’ARENH, qui doit traduire le fait qu’une part de l’actif est déjà en grande partie amortie ;

– ne résoudrait pas le problème de la trajectoire financière d’EDF, en raison des risques d’arbitrage entre prix de l’ARENH et prix de marché. Augmenter le niveau de l’ARENH accroît le risque de pertes de marché d’EDF, risque aujourd’hui bien réel compte tenu de la baisse des prix de marché.

– ne résoudrait pas non plus le problème du financement de l’EPR, qui n’entre pas dans le périmètre de l’ARENH. Comme l’indique le rapport d’enquête sur les coûts de la filière nucléaire de Denis Baupin, « Dans son rapport de janvier 2012, la Cour des comptes avait estimé le coût de production de l’EPR dans une fourchette de 70 à 90 euros par MWh, sur la base du coût global alors retenu par EDF, à savoir 6 milliards d’euros, et pour la durée d’exploitation prévue de 60 ans (…) ». La production de l’EPR sera vendue sur un marché de gros européen où le mégawattheure se négocie entre quarante et soixante euros. Sa compétitivité est donc loin d’être garantie.

Cet exemple de l’ARENH illustre à quel point un changement de logiciel est nécessaire. Alors qu’auparavant, les problèmes soulevés par une augmentation des coûts de l’entreprise trouvaient automatiquement une solution à travers une augmentation corrélative des tarifs, une telle option n’est plus possible dans une situation où les prix de marché exercent une réelle pression concurrentielle. Pour maintenir la compétitivité de l’ARENH vis-à-vis des prix de marché, la seule solution réside dans la diminution des coûts d’exploitation.

c. Les moyens d’y parvenir

Les insuffisances de la régulation incitative

Devant la Commission d’enquête, Jean-Bernard Lévy a souligné les efforts déjà entrepris par EDF pour diminuer ses coûts :

« Il existe des marges de manœuvre pour améliorer les bases de coût chez EDF, même si de gros efforts ont déjà été consentis comme le programme Spark, initié par mon prédécesseur, qui a produit des résultats importants puisque le montant des économies a atteint 1,3 milliard d’euros en 2012 et 2013. Nous continuerons d’améliorer nos offres de service et la gestion de nos achats, de nos systèmes d’information et de notre parc immobilier tout en accroissant la productivité de nos installations. »

Pour approfondir ces efforts, il plaide pour la mise en place de mécanismes incitatifs régulés : « Des mécanismes d’incitation à maîtriser les coûts ont été déployés pour certains opérateurs d’infrastructures essentielles – ou utilities –, ce dont bénéficient les consommateurs, l’entreprise concernée et ses collaborateurs. Un tel mécanisme n’existe pas aujourd’hui pour EDF et peut-être votre commission pourrait-elle en imaginer ». M. Lévy fait référence à la régulation incitative mise en place dans le cadre du TURPE, et applicable aux charges d’exploitation des gestionnaires de réseaux.

Votre rapporteure ne partage pas cette proposition. La régulation a encore un impact très faible chez les gestionnaires de réseau : elle porte sur une part minoritaire des charges d’exploitation et donne lieu à des montants faibles. Son effet sur la performance des entreprises est donc limité. Surtout, un tel système est justifié dans le cadre d’un monopole dont le cadre tarifaire garantit une couverture intégrale des coûts, pas dans le cadre d’une activité soumise à la concurrence. Même si EDF dispose du monopole de l’exploitation nucléaire en France, la production nucléaire est en concurrence avec d’autres moyens de production dans un contexte de prix de marché bas.

Un actionnaire qui joue son rôle.

Le contexte exige d’EDF des économies de coûts d’exploitation. À ce titre, un contrôle accru de la part de l’actionnaire serait de nature à conforter cette évolution. Deux voies sont possibles :

– Mieux défendre l’intérêt social de l’entreprise. L’analyse des vingt dernières années montre que l’État n’a pas suffisamment joué son rôle d’actionnaire dans l’intérêt de l’entreprise en exerçant par exemple sa vigilance sur la maîtrise des coûts ou sur le suivi des grands programmes d’investissement. La création de l’APE, désormais dotée d’une doctrine reprise pour l’essentiel dans l’ordonnance du 20 août 2014, permet d’avoir un cadre clair. Il conviendrait maintenant de réfléchir aux moyens auxquels l’APE pourrait avoir recours pour exercer ses responsabilités et aux contrôles qui pourraient être exercés tant par la Cour des comptes que par le Parlement.

La gouvernance de la Caisse des dépôts doit servir de modèle. Placée « de la manière la plus spéciale, sous la surveillance et la garantie de l’autorité législative » (art. L. 518-2 du code monétaire et financier), la CDC est contrôlée par une commission de surveillance composée de parlementaires, de membres du Conseil d’État et de la Cour des comptes, d’un représentant de la Banque de France, du Trésor ainsi que de personnalités qualifiées.

– Réfléchir à l’entrée de nouveaux partenaires institutionnels au capital des entités du groupe EDF. Les lacunes de l’État actionnaire conduisent à s’interroger sur l’opportunité de faire entrer d’autres actionnaires au capital de la maison-mère EDF, mais aussi de ses filiales RTE et ERDF. Les enjeux sont particulièrement importants pour ces dernières. En raison des règles de séparation prévues par la 3ème directive, EDF ne peut pas réellement exercer son rôle d’actionnaire sur RTE. Sa participation dans le gestionnaire du réseau de transport est assimilable à une détention d’actif financier. S’agissant d’ERDF, le contrôle exercé par EDF sur les remontées de dividendes demeure contesté, malgré les améliorations proposées par le projet de loi relatif à la transition énergétique et à la croissance verte. De plus, la structure du bilan de l’entreprise, particulièrement complexe en raison des spécificités du régime des concessions, doit être clarifiée. En particulier, il existe des incertitudes sur l’adéquation entre le montant des provisions pour renouvellement inscrites au passif d’ERDF (environ 10 milliards d’euros) et la réalité des renouvellements à effectuer avant la date d’échéance de la concession.

Envisager l’entrée au capital de RTE et d’ERDF d’autres acteurs publics (Caisse des dépôts, collectivités concédantes, gestionnaires de réseau de transport européens) pourrait à la fois permettre d’améliorer la gestion de ces filiales, à travers l’arrivée d’acteurs plus fermes dans la défense de l’intérêt social de l’entreprise, et de favoriser le bon accomplissement de leurs missions de service public.

1. Permettre à EDF de jouer son rôle de leader mondial dans les énergies décarbonées

a. Une réduction des coûts nécessaire, mais qui doit être complétée par des modes de financement complémentaires

En se lançant dans la construction du parc nucléaire, EDF et l’État ont pris un risque mesuré : l’entreprise pouvait reporter intégralement ses coûts sur les tarifs sans craindre la concurrence. Le risque étant faible, le taux d’endettement pouvait être accru en conséquence. Ce qui était possible pour une entreprise en monopole détenue à 100 % par l’État ne l’est plus aujourd’hui. Avec l’ouverture de son capital, EDF est désormais soumise aux contraintes des marchés, et ne peut supporter des taux d’endettement équivalents à ceux connus auparavant. La libéralisation du marché de l’électricité prive également l’entreprise d’un tarif garanti qui assurerait à l’investissement nucléaire un retour sur investissement dans le long terme.

Un important travail reste donc à faire pour garantir la soutenabilité de la trajectoire d’investissements de l’entreprise. Les difficultés d’EDF résident en grande partie dans le fait que l’entreprise est la seule à porter l’effort considérable que constitue le Grand carénage, par la voie de l’endettement. Deux alternatives pourraient être envisagées :

L’augmentation de capital

Dès lors qu’il s’agit de financer un important programme d’investissements, la question du ratio dettes/fonds propres dans le bilan de l’entreprise doit être ouverte.

L’émission de dette hybride, intervenue en deux temps en 2013, illustre l’intérêt pour l’entreprise de faire bouger les lignes. Cette opération, portant sur un total de 1,3 milliard d’euros, est assimilable à une création de quasi-fonds propres.

L’absence d’apport de l’actionnaire majoritaire au capital d’EDF pose question en période d’endettement massif. Dans un contexte de fortes contraintes sur les finances publiques, une telle intervention financière ne semble pas envisageable. Dès lors, tant l’arrivée d’un acteur institutionnel que le recours au marché pourraient apporter une réponse.

Le co-investissement dans le parc nucléaire historique.

Le co-investissement est une solution éprouvée, qui a déjà été pleinement utilisée par EDF pour financer le parc nucléaire historique. L’entreprise a ainsi développé une coopération industrielle avec des opérateurs européens pour dix tranches nucléaires :

CONTRATS D’ALLOCATION DE PRODUCTION SUR LE PARC NUCLÉAIRE HISTORIQUE

Tranches nucléaires

Partenaires

Quote-part de partage des coûts

Fessenheim 1-2

EnBW et CNP (groupement d’électriciens suisses)

15%

Cattenom 1-2

EnBW

5%

Bugey 2-3

Électricité de Laufenbourg (société appartenant au groupe suisse Axpo)

17,5 %

Tricastin 1 à 4

Electrabel

12,5 %

Chooz B1-B2

EDF Luminus (filiale belge d’EDF)

3,3 %

Source : EDF, Document de référence, rapport financier annuel 2013.

Le principe de ces contrats d’allocation de production, au niveau de chaque tranche concernée, est de mettre à disposition des partenaires – en contrepartie du règlement de leur quote-part des coûts de construction, des coûts annuels d’exploitation (incluant les coûts amont et aval du combustible), des taxes locales et spécifiques au nucléaire et des coûts liés à sa déconstruction – la part de l’énergie produite leur revenant effectivement. Dans ces opérations, les partenaires ont partagé avec EDF les risques industriels lors du développement du parc (trois têtes de série sont concernées) et assument les risques sur la performance liés à l’exploitation actuelle des centrales. En revanche, ils n’ont aucun rôle opérationnel.

EDF a également mis en place un mécanisme de ce type dans le cadre du contrat Exeltium (19).

Trois éléments plaident pour l’évolution du mécanisme de l’ARENH vers un dispositif de co-investissement :

– l’ARENH a l’inconvénient d’entretenir les fournisseurs alternatifs, sans qu’ils supportent un quelconque risque lié à l’investissement. Avec le droit d’option que constitue l’ARENH, leur métier en est considérablement simplifié : lorsque les prix de marché sont bas, ils se fournissent sur le marché ; dans le cas contraire, le prix de l’ARENH agit comme un plafond ;

– les bas prix de marché offrent une fenêtre de tir idéal ; l’ARENH étant peu utilisée aujourd’hui, son évolution ne remettrait pas en cause la survie des fournisseurs alternatifs ;

– plus on se rapproche de l’échéance de la 4ème visite décennale, plus l’ARENH devient rentable pour EDF. Conformément à la loi NOME, la période de régulation de l’ARENH s’arrête en 2025. La CRE considère que cette date est pour l’instant pertinente, compte tenu des incertitudes qui entourent la prolongation de la durée de vie des réacteurs au-delà de la 40ème année. En revanche, si ces incertitudes venaient à être levées (notamment à travers la publication des prescriptions de l’ASN pour le prolongement au-delà de 40 ans, vers 2018), cela modifierait l’équilibre du dispositif : EDF bénéficierait d’une couverture intégrale de ses dépenses sur quelques années alors que les « bénéfices » de cet investissement se prolongeront au-delà.

En outre, un dispositif de type Exeltium II présenterait quatre avantages :

– il conduirait à un partage de l’effort financier et des risques entre plusieurs opérateurs, allégeant d’autant les perspectives d’endettement d’EDF ;

– il permettrait d’associer des fournisseurs alternatifs, mais également des consommateurs électro-intensifs attirés par des perspectives de prix de long terme ;

– le cadre Exeltium a déjà été validé par la Commission européenne ;

– le principe d’un « droit de tirage » en électricité, sans remise en cause du monopole d’exploitation d’EDF, représenterait une garantie forte en termes de sûreté.

Enfin, il convient de souligner que la loi NOME avait déjà prévu une telle possibilité. L’article L. 336-8 du code de l’énergie dispose ainsi que : « Les ministres proposent, le cas échéant, au regard de [l’évaluation du dispositif, réalisée avant le 31 décembre 2015] :

(…) c) Des modalités permettant d’associer les acteurs intéressés, en particulier les fournisseurs d’électricité et les consommateurs électro-intensifs, aux investissements de prolongation de la durée d’exploitation des centrales nucléaires ».

b. Pour une implication plus forte de l’entreprise dans le domaine des énergies renouvelables.

Que ce soit l’augmentation de capital ou le co-investissement, ces deux solutions auraient l’avantage de dégager des marges de manœuvre afin qu’EDF puisse se projeter dans le domaine des énergies renouvelables avec ambition. EDF-EN doit rapidement disposer des moyens nécessaires pour exister sur la scène nationale et internationale, sans quoi la France serait distancée dans ces domaines, ainsi que le montrent les prévisions effectuées par l’Agence internationale de l’énergie (20).

« Bénéficiant de baisses de coûts rapides et d’un soutien continu, les énergies renouvelables représentent près de la moitié de la hausse totale de production d’électricité jusqu’en 2040. (…) Leur augmentation correspond à la hausse nette totale de l’approvisionnement électrique de l’OCDE. Mais la production à partir de sources d’énergies renouvelables croît deux fois plus dans les pays hors OCDE, au premier rang desquels on retrouve la Chine, l’Inde, l’Amérique latine et l’Afrique. Globalement, l’énergie éolienne occupe la plus grosse part de la hausse de production basée sur les énergies renouvelables (34 %), suivie de l’hydroélectricité (30 %) et du solaire (18 %) ».

Dans le domaine de l’hydroélectricité, EDF peut engager de gros investissements lorsqu’il dispose d’une visibilité sur la durée des concessions. Le projet de loi relatif à la transition énergétique et à la croissance verte permet de repousser les échéances de remise en concurrence des concessions à la condition notamment que l’exploitant réalise un programme d’investissements. Pour conserver le contrôle de son parc hydraulique, EDF est donc contrainte de consacrer les moyens nécessaires à sa modernisation. À ce titre, le projet Romanche-Gavet constitue un exemple à suivre : suite au prolongement de la concession de la Romanche en 2010 pour une durée de dix ans, EDF a pu engager des travaux dont le coût est estimé à 250 millions d’euros.

EDF, parmi les premiers exploitants hydrauliques au monde, a également une carte à jouer dans le développement de nouveaux ouvrages à l’international.

L’éolien offshore et le photovoltaïque sont des secteurs offrant de forts potentiels de développement dans le monde. EDF-EN fait partie du consortium européen ayant remporté trois des cinq lots du premier appel d’offres pour le développement de l’éolien offshore en France, pour une puissance installée de 1500 MW. La réalisation de ces projets doit rapidement aboutir, afin de constituer une vitrine internationale.

EDF, déjà le 1er exploitant mondial dans le nucléaire et le 1er exploitant européen dans les énergies renouvelables électriques, a tous les atouts pour se positionner comme un leader mondial des énergies décarbonées. Pour faire ressortir une nouvelle orientation stratégique, il pourrait être envisagé de structurer EDF autour de deux pôles d’égale importance : le nucléaire et les renouvelables.

Proposition n° 1. Distinguer les fonctions d’État-actionnaire, d’État régulateur et d’État-puissance publique

– Limiter la participation de l’État actionnaire lors des arbitrages interministériels ayant un impact financier sur EDF.

– Redonner vie aux contrats de service public définissant les missions confiées aux entreprises publiques et les moyens de compenser les charges correspondantes.

– Accroître le rôle de la CRE dans la fixation du niveau des tarifs réglementés de vente.

Proposition n° 2. Envisager d’adapter la structuration du groupe EDF et la participation de l’État dans ses différentes entités, au regard des intérêts stratégiques de la Nation.

– Étudier la possibilité d’une structuration en deux pôles, nucléaire et renouvelables, de façon à garantir le financement des activités renouvelables d’EDF.

– Envisager d’adapter le niveau de la participation de l’État au capital de chacune des activités du groupe, au regard de leur importance respective pour les intérêts stratégiques de la Nation.

Proposition n° 3. Mieux défendre l’intérêt social du groupe EDF

– Renforcer le contrôle exercé par l’APE sur la gestion des entreprises au capital desquelles l’État détient une participation.

– Sur le modèle de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts, créer une commission chargée du contrôle de l’APE.

– Réfléchir à l’arrivée de nouveaux acteurs institutionnels au capital d’EDF ou de ses filiales.

Proposition n° 4. Étudier la possibilité de solutions alternatives au financement du Grand carénage : augmentation de capital d’EDF ou co-investissement.

A. PORTER UNE VISION INTÉGRÉE DE L’EUROPE DE L’ÉLECTRICITÉ

1. Un cadre européen qui ne satisfait personne

a.  Une régulation fondée sur les prix de marché trop instable pour les acteurs

La hausse des prix résoudrait une partie des problèmes, mais peut très bien ne jamais se produire

La crise du système électrique européen repose en grande partie sur la baisse des prix de marché. Or, cette baisse peut être analysée comme passagère, car elle s’explique par une conjonction de facteurs conjoncturels :

– la baisse de la demande électrique, en raison de la crise économique, mais aussi des efforts de maîtrise de la demande d’énergie ;

– la diminution du prix du charbon sur le marché mondial, conjuguée à la faiblesse du prix du carbone ; la substitution de centrales à charbon à des centrales à gaz se lit de façon très directe dans les évolutions statistiques de la production électrique ; la progression du charbon dans le mix électrique est d’autant plus forte que le prix du carbone est insuffisant ;

– la progression du parc de production renouvelable.

Considérant l’ensemble de ces facteurs, une inversion du marché est tout à fait possible, à un horizon de temps plus ou moins long. Il suffirait qu’un ou plusieurs des événements suivants se produisent : des fermetures de centrales charbon (pour des raisons environnementales), gaz (pour des raisons économiques) ou nucléaire (pour des raisons économiques ou de sûreté), une augmentation du prix du carbone, une hausse de la demande électrique en raison de la reprise de la croissance ou de transferts de consommation des produits fossiles vers l’électricité.

Si les prix venaient à se redresser, les imperfections et la complexité du système électrique deviendraient moins criantes : la CSPE diminuerait mécaniquement, car le niveau des aides dépend de la différence entre les contrats d’achat et le prix de marché ; la rentabilité des travaux engagés dans le cadre du Grand carénage serait renforcée, et la soutenabilité de la trajectoire d’investissements d’EDF en serait garantie ; le recours aux dispositifs régulés deviendrait moins nécessaire pour les énergéticiens.

Néanmoins, la remontée des prix peut aussi ne pas se produire. D’un côté, la croissance électrique atone ne semble pas être un phénomène passager, mais plutôt une tendance durable. La consommation annuelle globale à l’échelle de l’ENTSO-E (21) est en recul de 0,6 % entre juin 2012 et juin 2013. En particulier, la baisse de la consommation cumulée de l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne est de l’ordre de 2,7 % et la consommation de la Grande-Bretagne est plutôt stable. Cette tendance orientée à la baisse s’explique par l’effet conjoint de la crise économique et des mesures d’efficacité énergétique (22).

De l’autre, les États membres continuent à développer des moyens de production renouvelables. Si elle n’est pas nécessaire d’un point de vue physique, leur progression dans le bouquet électrique répond à une attente forte de diversification et de décarbonation. Dans le cadre du projet de loi sur la transition énergétique, la France a conforté cette orientation : la baisse de la part du nucléaire dans le mix électrique, à 50 % d’ici 2025, devra s’accompagner d’une montée en régime concomitante des énergies renouvelables. Au niveau européen, cet effort sera également poursuivi : l’Union européenne s’est fixée comme objectifs pour 2030 une réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 40 % par rapport au niveau de 1990 et un objectif contraignant pour l’ensemble de l’Union concernant la part des énergies renouvelables, qui devra être portée à 27 %.

Le système électrique européen apparaît à un tournant, ce qui fait douter d’une quelconque remontée des prix. Un tel scénario conforterait les éléments préoccupants du diagnostic effectué plus haut par votre rapporteure.

Au regard de ces éléments, il semble donc impossible de favoriser une hypothèse plutôt qu’une autre. Cette conclusion est, en soi, une indication pour la puissance publique : pour ne pas dépendre des aléas de la conjoncture, cette dernière doit faire reposer son action sur des mécanismes de long terme.

Par le passé, le législateur a toujours agi en réaction au marché, ce qui s’est traduit par une instabilité incroyable des dispositifs.

Tour à tour, ce sont les consommateurs qui ont réclamé des mécanismes de limitation des prix ou les énergéticiens qui ont demandé des subventions pour pouvoir investir.

En 2000, les acteurs industriels sont les meilleurs avocats de la libéralisation du secteur de l’énergie pour profiter d’un effondrement des prix de l’électricité. Quelques années plus tard, à partir de 2005, ils demandent au législateur d’intervenir pour les protéger de la hausse des prix, ce qui mène à la mise en place du TaRTAM (tarif réglementé transitoire d’ajustement du marché).

En 2010, la France crée le dispositif de l’ARENH dans un contexte où les prix de marché élevés font apparaître une « rente nucléaire ». Quatre ans plus tard, cette rente n’existe plus, et les prix de marché sont plus bas que ceux de l’ARENH, rendant le dispositif peu utilisé.

Une même attente du côté des consommateurs comme des investisseurs : la visibilité sur le long terme

Les investisseurs et les consommateurs ont une même attente : ils ont besoin de visibilité sur le long terme, ce que les prix de marché sont incapables de leur garantir car ils sont fondamentalement imprédictibles. C’est d’autant plus le cas que le marché de l’électricité interagit avec d’autres marchés (gaz, pétrole, charbon, prix du carbone), rendant toute prospective fiable impossible.

b.  Une politique « tout-concurrence » ne permet ni le respect de la souveraineté énergétique de chaque État membre, ni le maintien de l’équilibre électrique sur la « plaque de cuivre » européenne

Le cadre énergétique européen doit trouver le point d’équilibre entre deux exigences :

– permettre à chaque État membre de mettre en œuvre la politique énergétique qu’il souhaite, ce qui passe par le choix du mix électrique et l’arbitrage entre prévisibilité et niveau des prix (un pays peut préférer avoir des prix plus élevés mais stables sur le long terme ou, à l’inverse, des prix en moyenne plus bas mais volatils).

– assurer que les décisions de chaque État membre n’influent pas sur celles des autres États membre en déstabilisant les flux physiques sur le réseau électrique.

De ce point de vue, la situation actuelle est très insatisfaisante. D’un côté, la Commission européenne contrôle très sévèrement tout mécanisme de subvention accordé par un État membre, quand bien même ce type de mécanisme lui est nécessaire pour mettre en œuvre sa politique énergétique, en raison de l’échec de la régulation européenne. De l’autre, alors que les États membres deviennent de plus en plus interdépendants en raison du développement des interconnexions, le dispositif européen n’a aucun contrôle sur les politiques énergétiques nationales dès lors qu’elles respectent les règles concurrentielles, quand bien même elles auraient des effets déstabilisants pour l’ensemble de la « plaque de cuivre européenne ».

1. Bâtir une solution ambitieuse, à la hauteur des menaces pesant sur la sécurité du système électrique européen

Nous avons mis en place l’euro avant de créer les mécanismes d’harmonisation nécessaires entre les États membres interconnectés. Les conséquences furent graves lors de la crise financière. Nous sommes en train de reproduire la même erreur dans le secteur de l’énergie. De la même manière que la stabilité de la zone euro exige de lutter contre les « passagers clandestins », le couplage des marchés électriques demande une véritable intégration des politiques énergétiques. En l’absence d’une telle coordination, chaque État subit les décisions de ses voisins.

Nous ne sommes pas à l’abri d’une crise électrique dont les conséquences économiques seraient comparables à celles de la crise financière de 2007. Le manque d’incitations à l’investissement peut créer de la tension sur les marchés électriques. Cette tension est déjà perceptible en Belgique, en raison de la mise à l’arrêt des réacteurs de Doel 3 et Tihange 2 pour des raisons de sûreté ; elle est également perçue en France par RTE.

Comment expliquer cette inaction au niveau européen ? Elle provient essentiellement des réticences des États membres, qui s’arc-boutent sur la notion de souveraineté énergétique pour refuser d’aller plus en avant vers une Europe de l’énergie intégrée. Mais une telle résistance est en grande partie illusoire. Si la Commission européenne ne dispose pas explicitement d’un pouvoir d’action sur les mix électriques de chaque État membre, en réalité, elle exerce un contrôle très strict par le biais des règles techniques qu’elle met en place pour le fonctionnement des marchés. Avec la préparation d’un 4ème paquet de directives, qui ira encore plus loin dans les prescriptions techniques, cette logique devrait s’accentuer. Plutôt que d’envisager de s’entendre sur l’essentiel, c’est-à-dire une mise en commun des politiques énergétiques, les États préfèrent faire le choix d’abandonner le pouvoir à la technocratie.

Là encore, la comparaison avec la mise en place de l’euro peut être éclairante. Pour accompagner la création de la monnaie unique, chaque État membre s’est engagé à respecter le pacte de stabilité et de croissance, qui prévoyait des critères précis de déficit public et dette publique. La situation commande que la France porte l’idée d’un « Pacte électrique de sécurité d’approvisionnement et de transition énergétique ». Ce pacte reposerait sur une programmation pluriannuelle des investissements partagée par l’ensemble des États membres, qui :

– serait cohérente avec les objectifs de développement des énergies renouvelables électriques et de décarbonation du mix ;

– tout en garantissant, à moindre coût et selon des critères techniques unifiés, la sécurité de l’approvisionnement électrique au niveau européen, et pays par pays.

Une fois ce cadre fixé, au niveau politique, la Commission européenne aurait un rôle à jouer dans le contrôle du respect de la programmation des investissements.

Proposition n° 5. Porter au niveau européen une vision intégrée de l’Europe de l’énergie, reposant sur une programmation pluriannuelle des investissements partagée par l’ensemble des États membres et conforme aux orientations de la transition énergétique.

A. REVOIR LA STRUCTURE DES TARIFS DE L’ÉLECTRICITÉ

Aujourd’hui le tarif de l’électricité a de multiples fonctions. Il importe de : clarifier et, à la fois, de dire ce que l’on attend des tarifs : quel rôle, quelle fonction leur donne-t-on ? et distinguer ce qui relève des coûts au sens strict de ce qui relève des politiques publiques.

Pour parvenir à un tel objectif, plusieurs chemins sont possibles. La puissance publique peut choisir de s’inscrire dans la continuité, en demeurant sur la trajectoire actuelle, ou bien envisager des changements plus profonds dans les modes de tarification, par l’intégration des mutations de notre système électrique.

1. Faire évoluer les tarifs sans changer les fondamentaux : la réforme de la CSPE

a. Une question technique : la consolidation juridique du dispositif.

La transformation du mécanisme actuel en un compte d’affectation spéciale serait de nature à assurer la sécurité juridique du dispositif en garantissant sa constitutionnalité. En effet, le régime de la CSPE pose des problèmes au regard du principe de légalité de l’impôt. Un vote des crédits lors du débat budgétaire renforcerait aussi le contrôle du Parlement sur les dépenses.

Une telle clarification est donc souhaitable. Le travail a été engagé par le pouvoir exécutif. Suite à une mission de l’Inspection générale des finances, un diagnostic a été établi, et des scénarios sont en cours d’élaboration.

Toutefois, la transformation de la nature de la CSPE ne modifierait pas les équilibres économiques : dans ce cas, l’assiette de financement serait toujours la même, et le niveau des charges à financer également.

b. Reporter tout ou partie de la taxe sur l’ensemble des consommations énergétiques

La conjoncture offre une vraie opportunité pour cette réforme : alors que les prix de l’électricité sont en hausse, celui des hydrocarbures est en baisse. Est-ce suffisant pour engager une réforme de cette ampleur ?

D’un côté, il n’est pas satisfaisant de constater que l’électricité, est le vecteur énergétique au contenu carbone le plus faible mais aussi le plus taxé : les taxes représentent ainsi 34 % de la facture d’électricité, contre seulement 21 % de la facture de gaz naturel. De plus, l’électricité supporte à titre principal le financement du déploiement des énergies renouvelables car ce sont les énergies renouvelables électriques dont le potentiel est le plus important ; pourtant, la transition énergétique est multi-énergies, et le système énergétique forme un tout qu’il est difficile de compartimenter en segments hermétiques. Cette logique systémique devrait d’ailleurs s’accroître avec le développement de solutions de type power to gas. Il est donc légitime de plaider pour des mécanismes de solidarité entre les différentes sources d’énergie.

De l’autre, le consommateur d’électricité doit néanmoins supporter les coûts qu’il engendre pour le système électrique. Il est indéniable que la péréquation tarifaire à destination des zones non interconnectées constitue une charge des opérateurs du secteur – en l’occurrence, EDF SEI et Électricité de Mayotte. Quant aux charges de CSPE liées aux énergies renouvelables, ce sont en réalité des financements attribués aux moyens de production. Les parcs d’ENR bénéficiant d’obligations d’achat contribuent au fonctionnement du système électrique, et l’on a même vu qu’ils participaient des dysfonctionnements constatés. L’intégration de la part ENR de la CSPE à la facture électrique est donc tout aussi justifiée.

Pour parvenir à un équilibre satisfaisant, il est nécessaire d’aller jusque dans le détail des charges couvertes par la CSPE. Il y a une différence de nature entre, d’une part, les premiers contrats d’achat photovoltaïques, très coûteux et dont le poids dans le mix énergétique est quasi-nul, et, d’autre part, les derniers contrats attribués par appel d’offres, dont le prix est très compétitif. Les uns peuvent être rattachés à une politique publique – le soutien à une filière naissante » –, les autres font partie intégrante du mix électrique.

L’ensemble de ces éléments conduisent votre rapporteure à proposer une évolution de la ventilation des charges de CSPE sur les consommations énergétiques, en fonction d’un critère précis : les charges couvertes relèvent-elles des coûts des opérateurs du secteur électrique, ou bien d’une politique publique ?

NOUVELLE RÉPARTITION DES CHARGES DE SERVICE PUBLIC : PROPOSITIONS

 

Périmètre de la charge de service public

Estimations de coût

Proposition d’assiette de financement

Justification

Chèque énergie

Financement d’un titre de paiement utilisable pour le règlement des dépenses énergétiques liées au logement

TPN : 350M€

TSS : 113 M€

(Estimations 2015)

Contribution sur l’ensemble des consommations énergétiques liées au logement (électricité, gaz naturel, GPL, bois énergie, fioul)

Adéquation entre assiette de financement et bénéficiaires

Péréquation tarifaire ZNI

Compensation de la différence du coût de la fourniture d’électricité entre ZNI et France continentale

1 480 M€

(Estimations 2015)

Contribution sur la facture d’électricité

Application du principe de péréquation tarifaire

Contrats d’achat technologies mâtures

Financement de la production électrique renouvelable :

– Cogénération

– Filières ENR mâtures (éolien terrestre, nouveaux contrats PV, petite hydroélectricité, biomasse, biogaz)

– Éolien offshore ?

Cogénération : 550 M€

Éolien terrestre : 640 M€

Nouveau PV : 120 M€

Petite hydro : 130 M€

Biomasse : 120 M€

Biogaz : 80 M€

(Coûts constatés 2013)

Contribution sur la facture d’électricité

Filières mâtures ayant un impact sur le système électrique.

Faire porter sur le consommateur d’électricité les charges des opérateurs du secteur.

Contrats d’achat filières en développement

Soutien aux filières émergentes :

– Historique des contrats PV

– Éolien offshore ?

PV historique : 1,8 Md€

(2013)

Contribution sur l’ensemble des consommations énergétiques, avec une composante carbone

Financement de la transition énergétique à partir de la fiscalité écologique.

Là encore, une telle réforme, tout en ayant potentiellement des impacts très importants, serait incomplète : elle ne modifierait pas les fondamentaux du secteur de l’électricité et ne ferait que reporter des charges existantes sur d’autres assiettes de financement.

1. Intégrer dans le tarif les évolutions plus profondes du monde de l’énergie

a. La prédominance des charges fixes sur les charges variables : vers une logique de forfait ?

Une vision renouvelée de la consommation électrique

Dans notre système électrique les charges fixes tendent à devenir dominantes par rapport aux charges variables :

– si l’on met de côté les pertes en ligne, les charges de réseau sont essentiellement des charges non proportionnelles à la quantité d’électricité transitant dans les lignes ; la diminution du trafic sur les réseaux en raison de la localisation de la production à proximité des zones de consommation met en péril un financement des réseaux assis sur le nombre de kWh ;

– avec un mix électrique ancré sur du nucléaire, d’une part, et des renouvelables, d’autre part, la production sera essentiellement assurée par des moyens de production réclamant de forts investissements et de faibles coûts de fonctionnement.

Le principe de répercussion des coûts sur l’usager induit, à terme, une évolution vers une logique de forfait : une consommation quasi gratuite pendant la plupart des heures, mais des coûts de consommation très élevés à certaines périodes.

Tout en veillant à ce qu’un tel mode de facturation n’incite pas au gaspillage, le forfait ouvrirait de nouvelles perspectives : en permettant aux usagers de bénéficier d’une consommation à bas prix sur des plages horaires étendues, la transition énergétique ne serait plus envisagée sous l’angle du consommer moins mais sous celui du consommer mieux.

Un dispositif public d’aide au déploiement de l’effacement à consolider

Les offres de type forfait seraient particulièrement avantageuses pour les consommateurs dotés d’outils permettant de piloter leur consommation, ce qui rend encore plus nécessaire la généralisation de moyens de stockage et d’effacement.

Les dispositifs généraux de soutien à la R&D, à l’innovation technologique et à la constitution de filières industrielles doivent jouer leur rôle pour permettre un développement à moyen terme de la filière du stockage de l’électricité. L’accent doit être mis tout particulièrement sur les zones non interconnectées, qui sont confrontées au problème du seuil de déconnexion de 30%.  

S’agissant de l’effacement, les technologies sont mâtures, mais aucune offre n’est encore parvenue à s’imposer compte tenu du manque de structuration de la filière. Dans le cadre actuel, les opérateurs ne sont encore prêts à lier la fourniture d’électricité à des dispositifs technologiques de maîtrise de la consommation. Cette situation s’explique notamment par les réticences qu’ils éprouvent à faire évoluer leur business model vers la diminution des consommations de leurs clients. Dans le cas d’EDF, les règles concurrentielles sont également un frein : elles découragent l’entreprise de tirer parti de sa position de fournisseur historique pour consolider le secteur par l’acquisition de start up dans le domaine des smart grids, proposer des offres innovantes et agressives – à ce titre, la récente décision de l’Autorité de la concurrence sur les fichiers clients de GDF Suez n’incite pas EDF à prendre des risques.

C’est pourquoi les filières de l’effacement doivent faire l’objet d’un soutien public, par le biais d’appels d’offre, de façon à faire émerger des acteurs porteurs de solutions innovantes. Avec ces solutions, le consommateur deviendra un acteur impliqué dans le bon fonctionnement du réseau.

Un cadre adapté aux électro-intensifs

La France doit proposer un cadre tarifaire adapté aux électro-intensifs les mettant à l’abri des hausses de tarifs, pour trois raisons :

– contrairement aux autres usages, l’activité industrielle électro-intensive comporte une part de consommation irréductible liée aux procédés utilisés ; malgré tous les efforts qui peuvent être faits en termes de rationalisation des processus de production et d’investissement dans des équipements économes en énergie, les entreprises ne peuvent descendre en-deçà d’un plancher de consommation. Par conséquent, contrairement aux autres consommateurs, le « signal-prix » a des limites pour les électro-intensifs, qui ne sauraient compenser une hausse du coût unitaire du MWh par une diminution de leur consommation ;

– dans la plupart des cas, les sites électro-intensifs présentent des profils de consommation dont l’impact est positif sur le système électrique ; les activités nécessitant une consommation stable n’induisent pas de surcoûts liés au dimensionnement de la pointe ; les activités à la consommation anti-cyclique contribuent à l’absorption des excédents de production. De plus, ces sites se dotent généralement de mécanismes de pilotage de leur process permettant de s’arrêter instantanément en cas de tension du système électrique (capacité d’interruptibilité).

– les entreprises électro-intensives sont fortement exposées à la concurrence internationale ; ne pas leur prévoir de cadre adapté, c’est se priver de plusieurs milliers d’emplois industriels sur nos territoires. La délocalisation de ces entreprises engendrerait des dommages collatéraux pour le financement du système électrique : ce seraient autant de (gros) contributeurs en moins pour couvrir les charges des opérateurs.

Par rapport à nos voisins allemands et espagnols, notre pays a pris conscience avec retard de la nécessité de mettre en œuvre un dispositif adapté. Ce retard devrait être comblé grâce au projet de loi relatif à la transition énergétique et à la croissance verte. Le texte met en place une « boîte à outils » qui donne aux électro-intensifs toute leur place dans le système électrique français et leur offre des perspectives favorables sur le long terme. Quatre leviers sont actionnés :

– un rabais de tarif de transport, qui peut aller jusqu’à 90 % en fonction du profil de production ;

– une valorisation plus importante de l’interruptibilité, jusqu’à 120 000 euros par mégawatt ;

– à l’occasion du renouvellement ou de la prolongation de concessions, une diminution du taux de redevance sur l’électricité hydroélectrique cédée dans le cadre d’un contrat de co-investissement ou de partage des risques d’exploitation ;

– la compensation des surcoûts liés à la mise en place du marché européen des quotas d’émissions de gaz à effet de serre.

Votre rapporteure est particulièrement satisfaite de l’introduction de ces mesures, qui placent la France sur un pied d’égalité avec ses voisins européens. Leur traduction concrète passe néanmoins par la publication très rapide des textes d’application.

b. Revoir les frontières entre les trois grands postes du tarif pour limiter les risques d’« évasion de tarif »

Jusqu’à présent, la tarification reposait sur une logique en tuyau d’orgues, avec une distinction forte entre trois types de composantes :

– le financement du réseau, via le TURPE ;

– la rémunération des producteurs « traditionnels », rentables, via l’ARENH ou les prix de marché ;

– le financement des moyens de production d’électricité renouvelable, non rentables, à travers la CSPE.

Cette architecture est battue en brèche par l’arrivée à maturité des énergies renouvelables. Avec la baisse des coûts de production des ENR, le système électrique parvient dans une zone d’ombre : par rapport à l’addition du prix de marché et de la part ENR de la CSPE, le coût complet de moyens de production renouvelables peut devenir compétitif. Peut-on, dans ce cas, envisager que certains fournisseurs puissent proposer des offres d’électricité verte, sans contrat d’achat, mais exonérées de la part ENR de la CSPE ? Cela reviendrait à définir une « obligation ENR » dont chaque consommateur serait redevable, et qu’il pourrait remplir soit en s’acquittant de sa part de CSPE soit en présentant la garantie d’une production renouvelable équivalente. Toutefois, un tel système aurait l’inconvénient de reporter sur les autres consommateurs le coût des contrats d’achat les plus anciens, et donc les plus coûteux.

Dans le cas d’une consommation auto-produite, le consommateur ne paie pas de réseau ni de CSPE. Même si le coût complet de production de son installation est plus important que le prix de marché, l’autoconsommation atteint le seuil de rentabilité dès lors que l’on compare ce coût complet à l’ensemble de la facture TTC.

Le fait de ne payer ni réseau ni taxes est assimilable à une subvention indirecte. Le montant des charges de réseau et de CSPE à couvrir au niveau national étant réparti entre les consommateurs proportionnellement à leur consommation, si des consommateurs limitent en partie ou intégralement leur appel au réseau, l’assiette de financement se restreint, ce qui augmente la contribution unitaire de TURPE et de CSPE des autres consommateurs. La tarification peut être adaptée à ce nouveau type de prestations, de façon à limiter ce report sur les autres usagers :

– en réévaluant la répartition entre part fixe et part variable du tarif d’acheminement, de façon à ce que le tarif de réseau payé par l’auto-consommateur soit déterminé en fonction de sa puissance d’injection et de soutirage, c’est-à-dire les variables déterminant les coûts de réseau ;

– en considérant que les auto-consommateurs remplissent leur obligation ENR en propre car, dans la plupart des cas, les solutions d’autoconsommation font appel à des moyens de production renouvelables.

La question de la TVA et des taxes locales doit être traitée à part : quel régime fiscal doit-on prévoir pour les auto-consommateurs ? Les exonérer réduirait d’autant les recettes de l’État et des collectivités territoriales. Mais peut-on légitimement imposer l’auto-consommation, dès lors que le consommateur a déjà été imposé sur l’achat du matériel de production ?

c. Des évolutions qui devraient redynamiser la concurrence, mais faire naître de nouvelles formes de « fracture électrique »

L’ouverture à la concurrence a pour l’instant été évaluée sous le seul critère du prix. Mais elle peut apporter d’autres bénéfices : elle doit notamment inciter les fournisseurs alternatifs à développer les services associés à la consommation d’énergie, de type effacement et maîtrise de la demande d’énergie. Les perspectives ouvertes par les réseaux intelligents et les moyens de production décentralisés sont susceptibles de faire naître une véritable concurrence, et d’apporter ainsi une réelle plus-value, comme cela s’est produit dans le secteur des télécoms.

Alors qu’auparavant, les producteurs ne pouvaient agir que sur une faible part de la facture, dans un futur proche, ils pourraient proposer des offres en autoconsommation parfaitement concurrentielles par rapport au tarif. De même, en mettant à disposition des moyens de maîtrise de la consommation efficaces, ils auraient la possibilité de proposer des offres innovantes, de type forfaits (consommation quasi illimitée durant certaines périodes, mais avec un surcoût important pendant les périodes de pointe).

Tout en se réjouissant du développement prochain de ces services innovants et bénéfiques pour le système électrique, il faut avoir conscience des risques liés au développement d’une nouvelle forme de concurrence :

– la mise au point de solutions fondées sur l’autoconsommation constitue une privatisation du développement des énergies renouvelables ; seront favorisés ceux qui ont accès à des gisements renouvelables à proximité. Un tel mouvement conduira progressivement à la remise en cause du principe de la péréquation tarifaire.

– seront également privilégiés les consommateurs qui sont suffisamment solvables pour se doter d’équipements de maîtrise de la consommation, et ainsi consommer aux heures où l’électricité coûte très peu cher.

C’est pourquoi le ciblage des actions sur les ménages précaires reste plus que jamais d’actualité : les dispositifs leur permettant de piloter leur consommation électrique, par des systèmes actifs (compteurs intelligents, affichage déporté, etc.), mais également par des systèmes passifs (l’isolation des logements étant par exemple le meilleur moyen de reporter de la consommation grâce à l’inertie thermique) doivent faire l’objet d’un développement prioritaire.

L’article 7 bis du projet de loi relatif à la transition énergétique et à la croissance verte fait un premier pas en ce sens. Il prévoit que les ménages éligibles au tarif de première nécessité seront équipés d’un dispositif de suivi de leur consommation en temps réel et en euros, au moyen d’un affichage déporté. Cette initiative pourrait être approfondie : en complément du chèque énergie, les aides aux personnes en situation de précarité énergétique pourraient prendre la forme d’une installation de dispositifs de maîtrise de la consommation d’électricité.

Proposition n° 6. Réformer la CSPE.

– Réaliser les ajustements juridiques nécessaires à la stabilité du dispositif

– Définir précisément, en fonction de critères objectifs, quelles sont les charges de CSPE qui doivent demeurer à la charge du consommateur d’électricité, en allant dans le détail de chacun des postes de charges.

Proposition n° 7. Anticiper les effets des nouveaux modes de production en les intégrant aux tarifs ;

– Réexaminer la répartition entre part fixe et part variable des tarifs d’acheminement, de façon à prendre en compte de façon fidèle l’impact des pointes de soutirage et d’injection sur les charges de réseau.

– Dans la perspective de l’arrivée à la « parité réseau » des énergies renouvelables, s’interroger sur l’équilibre financier de long terme de la CSPE et sur l’opportunité de trouver des équivalences entre paiement de la CSPE ou respect d’une « obligation ENR »

– Définir un cadre fiscal adapté à l’auto-consommation.

Proposition n° 8. Déployer dès aujourd’hui des dispositifs de maîtrise de la consommation d’électricité

– Lancer rapidement des appels d’offre pour parvenir à structurer la filière de l’effacement

– Prévoir un accompagnement particulier des ménages précaires.

Proposition n° 9. Veiller à la mise en place rapide des mesures à destination des électro-intensifs prévues par le projet de loi relatif à la transition énergétique et à la croissance.

CONCLUSION

Comme l'a souligné la Ministre de l'écologie à l'occasion de son audition, la complexité des conditions de fixation des tarifs de l'électricité est « un problème pour la démocratie ».

C'est ce à quoi la commission d'enquête sur les tarifs de l'électricité a voulu répondre au travers du présent rapport, qui poursuivait plusieurs objectifs.

Objectif pédagogique tout d'abord, pour permettre que s'ouvre un débat au Parlement et dans le pays dans des termes clairs pour nos concitoyens.

Volonté de lucidité ensuite, car il s'agit d'un enjeu majeur pour l'avenir de notre pays sur le plan économique, social, industriel mais aussi stratégique. Nous avons voulu dire les choses telles qu'elles sont et identifier ce à quoi nous avons à répondre.

Esprit de responsabilité enfin, car nous avons voulu prendre nos responsabilités devant le pays en notre qualité de parlementaires. La situation que nous avons à traiter est difficile. Notre dispositif est à la croisée des chemins. Il faut agir vite et s’engager sur la bonne voie.

Au cours des vingt dernières années notre dispositif électrique a reçu trois « chocs » successifs : celui du marché, celui du changement de statut d'EDF et de la séparation d'avec GDF et enfin celui de la transition énergétique.

Il nous appartient aujourd'hui de construire une réponse qui permette de faire face aux enjeux de demain au travers de tarifs et d'un cadre de régulation adapté afin :

– de permettre aux producteurs d'investir sur la durée pour assurer notre sécurité d'approvisionnement,

– d'assurer aux usagers, ménages ou entreprises des prix stables et lisible dans la durée,

– de réussir la transition énergétique.

C'est dans cette perspective que les membres de la commission d'enquête mettent le fruit de leur travail au débat.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 4 mars 2015, la commission d’enquête, sous la présidence de M. Hervé Gaymard, a procédé à l’examen du rapport présenté par Mme Clotilde Valter.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Je tiens tout d’abord à remercier de leur investissement les membres de la Commission d’enquête.

La question que nous avons traitée est importante pour nos concitoyens comme pour les entreprises. Elle représente un enjeu majeur pour le pays aux plans économique, social, industriel et stratégique. De plus, comme l’a souligné lors de son audition Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, sa grande complexité pose un problème de démocratie.

L’objectif que nous nous sommes fixé pour la rédaction du rapport est tout d’abord pédagogique : nous désirons y intéresser non seulement nos collègues parlementaires, mais également les nombreux acteurs du pays. Le rapport se veut aussi lucide sur la situation et les enjeux. Nous n’avons pas voulu nous payer de mots, mais prendre nos responsabilités devant le pays comme parlementaires, dans la mesure où le dispositif actuel est à la croisée des chemins et qu’il doit relever de nombreux défis. C’est pourquoi il nous faut débattre des réponses à apporter.

François Brottes a rappelé devant Mme Royal les trois chocs successifs que notre dispositif a dû absorber : l’ouverture du marché, le changement de statut d’EDF et la transition énergétique. C’est un bon résumé historique. Il est de la responsabilité des parlementaires de préparer les enjeux de demain, d’autant que les choix que nous ferons pèseront sur le long terme. Aujourd’hui, nous supportons encore les conséquences des choix effectués il y a dix, voire il y a vingt ou trente ans.

La première partie du rapport pose un diagnostic en décrivant un dispositif en bout de course. Non seulement les tarifs répondent à des vocations multiples – couvrir les coûts des fournisseurs, assurer la péréquation géographique, préserver le pouvoir d’achat des ménages, favoriser la compétitivité des entreprises, préparer la transition énergétique ou dégager des ressources fiscales pour les collectivités locales –, mais la situation a ceci de baroque que la fin du monopole n’a pas ouvert la voie à une véritable concurrence, celle-ci ayant plutôt eu pour effet, en France, d’accroître les coûts. L’opérateur historique est aujourd’hui au pied du mur, après avoir connu l’âge d’or du monopole. Il importe donc de préparer EDF aux enjeux de l’avenir. Outre la complexité de sa situation financière, ses relations avec l’État, qui est à la fois tutelle, régulateur et actionnaire, sont incohérentes. Le cadre juridique européen est, par ailleurs, unanimement contesté, car il ne semble plus répondre aux enjeux du moment. Enfin, les défis de la transition énergétique nous imposent de nous orienter vers, sinon une baisse, du moins une maîtrise de la consommation énergétique, ce qui implique d’intégrer les nouveaux moyens de production, notamment l’autoconsommation et la production décentralisée.

Pour relever les défis à venir, il importe tout d’abord de remettre de la cohérence afin de résoudre les problèmes, tant de démocratie que de fonctionnement, posés par la situation actuelle. Nous proposons trois grandes pistes de travail.

La première est de donner à EDF les moyens d’affronter les défis du futur en clarifiant ses relations avec l’État, en réduisant ses coûts pour dégager des marges de manœuvre financières et en lui permettant de jouer un rôle de leader non seulement dans le secteur du nucléaire mais également dans celui des énergies décarbonées : EDF doit accroître la part de ses investissements consacrés aux énergies renouvelables.

Deuxième piste : la France doit porter une vision intégrée de l’Europe de l’électricité. C’est une proposition dont nous mesurons l’ambition. Il faut rompre avec une politique européenne bâtie autour de la seule concurrence, qui n’intègre pas les autres aspects de politique publique, tels que le climat ou la compétitivité des industries électro-intensives. Une bataille est à mener pour construire l’Europe de l’énergie que nous souhaitons.

La troisième piste consiste à revoir la structure des tarifs de l’électricité. Il convient, tout d’abord, de faire évoluer les tarifs sans modifier les fondamentaux – tel est l’objet de la réforme de la CSPE – et, pour ce faire, de distinguer ce qui relève de l’usager et ce qui relève des politiques publiques de solidarité. C’est le chantier des mois à venir – Mme Royal l’a confirmé. Il convient également d’intégrer dans les tarifs les évolutions importantes du monde de l’énergie. Le monde a changé depuis quarante ans, avec notamment l’introduction de la concurrence et l’apparition des énergies nouvelles, d’une production décentralisée et de l’autoproduction. Le bouleversement de l’ensemble des paramètres n’est pas sans poser notamment la question du forfait ou celle des risques liés à d’éventuelles « évasions de tarifs ». La décentralisation de la production peut également redynamiser la concurrence.

Avec ces pistes de travail, le rapport ouvre un champ de réflexions.

Nous avons, je pense, atteint nos différents objectifs, qu’il s’agisse du diagnostic ou des orientations concrètes. Nous avons voulu susciter le débat au sein de l’Assemblée nationale pour préparer de manière responsable les enjeux futurs. La nécessité de revenir aux fondamentaux des tarifs est le fil rouge du rapport. Il convient de déterminer avec précision tant les principes qui doivent présider à leur fixation que les modalités de l’action publique, dont la responsabilité en la matière est pleine et entière.

M. Denis Baupin. Je parle au nom du groupe écologiste, unanime sur le sujet.

Cette commission d’enquête a permis de poser un diagnostic pertinent de l’état et de la complexité de la tarification de l’électricité. Les pistes de réflexions qui ont été dégagées sont intéressantes.

J’ai toutefois sursauté en lisant, dans la synthèse du rapport, que « l’injection des énergies renouvelables […] n’est pas adaptée aux mécanismes de marché ». Est-ce à dire que les énergies renouvelables sont par essence des énergies de service public ? Boutade mise à part, ne faudrait-il pas plutôt préciser que c’est la logique de marché qui n’est pas adaptée à l’injection des énergies renouvelables ? Je ne vois pas en quoi ce serait à la forme d’organisation de la régulation et non à la pertinence de nos choix de dicter le mix énergétique. Il n’est pas question de nous incliner devant des directives : notre souhait n’est-il pas de mettre en œuvre la transition énergétique ? Il convient donc d’adapter les mécanismes de régulation à l’introduction des énergies renouvelables.

Je partage, en revanche, complètement l’idée selon laquelle il est nécessaire de modifier le business model des énergéticiens, qui ne doivent plus chercher à vendre le plus grand nombre possible de kilowattheures. Je partage également le diagnostic s’agissant des relations empreintes de contradictions entre l’État et EDF – le rapport de la commission d’enquête sur les coûts du nucléaire, qui évoque la « schizophrénie de l’État », a déjà soulevé la question. Il convient également de poser celle de la gouvernance des tarifs, qui sont aujourd’hui fixés par l’État en fonction de considérations multiples – sociales, politiques, économiques –, sans aucune transparence ni aucun contrôle du Parlement. Or si on entend souvent demander que celui-ci soit consulté sur la fixation de la CSPE, une telle demande est plus rare s’agissant de la fixation des tarifs eux-mêmes, alors que leur impact social est plus important que celui de la seule CSPE.

L’État devrait d’autant mieux assurer son contrôle de l’Agence des participations de l’État (APE), via la création d’une commission dédiée à cette fin, que des choix devront être effectués en matière d’investissement. Assurément, Mme la ministre a souligné, hier, au cours de son audition qu’ils le seront dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) : toutefois, la courbe des tarifs ne saurait suivre celle des financements nécessaires à tous les investissements dans lesquels EDF veut s’engager, même si l’on tient compte de l’endettement. Leur trop-plein n’est pas compatible avec les objectifs du projet de loi relatif à la transition énergique, notamment les 50 % de nucléaire en 2025. Il convient, du reste, que l’entreprise EDF équilibre ses investissements entre le nucléaire, qui ne doit plus constituer son cœur de métier, et les énergies renouvelables.

Il ne faudrait pas, par ailleurs, que la logique de la tarification au forfait soit une invitation au gaspillage ou, du moins, exonère ceux qui en bénéficieront de l’obligation de réaliser des économies d’énergies – j’ai déjà évoqué le sujet lors de l’examen de la proposition de loi de M. Brottes instaurant une tarification progressive de l’énergie. Quant à la participation des autoproducteurs et autoconsommateurs aux frais du réseau, rappelons que le développement de l’autoproduction réduira les coûts de réseau : plus nombreux seront les quartiers ou les entreprises qui y recourront, moins les besoins d’investissement dans le réseau seront importants.

Enfin, s’agissant de l’évolution de la CSPE, il faudrait distinguer l’époque où les énergies renouvelables n’étaient pas encore matures de la situation présente qui a vu leurs coûts baisser de manière significative. Le mélange de ces deux périodes ne serait ni cohérent ni lisible pour le consommateur.

Mme Jeanine Dubié. La synthèse du rapport résume bien l’ensemble des enjeux, je tiens à le souligner.

Toutefois, alors que les représentants de Réseau de transport de l’électricité (RTE) ont souligné, au cours de leur audition, que la transition énergétique entraînerait une modification de l’architecture du réseau représentant des coûts d’investissements importants, ce point n’apparaît pas dans la synthèse : peut-être figurera-t-il dans le rapport lui-même.

S’agissant des hyper électro-intensifs, les propos de Mme la ministre au cours de son audition, hier soir, n’ont pas été de nature à totalement me rassurer : je n’ai pas l’impression, en effet, que les hyper électro-intensifs aient été entendus et qu’au 1er janvier 2016 ils paieront le mégawatt en dessous de 25 euros afin de rester compétitifs. Or des centaines d’emplois sont en jeu. Certes, le soutien public à l’effacement apporte une partie de la réponse : des préconisations spécifiques aux hyper électro-intensifs figureront-elles dans le rapport ?

M. François Brottes. L’Assemblée nationale et le Sénat ont considérablement amendé le texte relatif à la transition énergétique, notamment pour permettre aux pouvoirs publics de recourir à des dispositifs adaptés à toutes les industries électro-intensives et pas seulement aux hyper électro-intensives. L’interruptibilité, l’effacement, le transport, le traitement du CO2 et la rente hydraulique sont des leviers de nature à servir nos industries dans des conditions leur permettant de rester compétitifs, ces instruments différents étant adaptés au profil de consommation de chacun, ce que prend en compte la nouvelle version du projet de loi. En outre, le système assurera le maintien des tarifs actuels. Cette question ne se trouve pas au cœur du sujet de la commission d’enquête, d’où son absence du rapport, madame Dubié.

J’avais porté la résolution demandant la création de cette commission d’enquête et je suis pleinement satisfait de son travail. Je félicite Mme la rapporteure et M. le président d’avoir traité le fond du sujet sans éluder ses dimensions délicates et dans un langage accessible à tous – ce qui n’est pas toujours le cas des rapports des commissions d’enquête. Ce document secouera peut-être un certain nombre d’acteurs, car il pose l’ensemble des problèmes de manière pertinente.

Le rapport rappelle opportunément que l’entreprise EDF, à qui l’on demande tout et son contraire, a subi les trois chocs de l’ouverture du marché, du changement de statut et de la séparation d’avec GDF, et doit faire face aujourd’hui au défi de la transition énergétique. On ne peut pas tout exiger de cette entreprise, ce que le rapport indique clairement.

Alors que l’essentiel du financement de RTE provient du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) et est garanti par la Commission de régulation de l’énergie (CRE), que la ressource d’ERDF est, elle aussi, assise et connue, EDF vit des recettes de la vente d’électricité. Il n’est donc pas anormal que ces entreprises n’aient pas été traitées sur le même plan.

Le rapport confirme avec raison que le consommateur doit devenir pleinement acteur du réseau, quel que soit le mode de contribution – y compris forfaitaire, monsieur Baupin. On doit rémunérer en conséquence le consommateur, partie prenante de l’équilibre général du réseau.

De fait, les énergies renouvelables (EnR) ont déstabilisé le marché, avec même cette nouveauté que des acteurs paient pour qu’on achète leur énergie. Nous sommes tous favorables à une forte montée en puissance des EnR, et il faudra bien que les directives et le marché s’adaptent au nouveau mix énergétique, et non l’inverse. Nous en sommes tous d’accord, mais la période est compliquée pour tout le monde.

Le Parlement et le Gouvernement pourront puiser dans les propositions, très riches et diverses, du rapport pour faire bouger les lignes. La clarification du rôle de l’État dans tous les domaines dont il assume la responsabilité s’avère absolument indispensable pour ne pas demander aux opérateurs publics de se livrer à des acrobaties auxquelles ils ne pourraient pas survivre.

J’encourage chacun à approuver ce rapport.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Je souhaite saluer la sérénité qui a accompagné nos débats, réussite qui vous est due, monsieur le président et madame la rapporteure.

Ma préoccupation concerne la conciliation des tarifs sociaux et des exigences du marché. Lorsque nous voterons des dispositions législatives ou lorsque le Gouvernement arrêtera des mesures réglementaires, il ne faudra pas oublier que, pour certains de nos concitoyens, les charges représentent 30 % du revenu du ménage ; des foyers parviennent à payer leur loyer, mais ne peuvent plus faire face aux charges associées.

M. le président Hervé Gaymard. J’indique que les responsables des groupes ont jusqu’au vendredi 6 mars pour remettre à Mme la rapporteure leur contribution qui sera adjointe au rapport de la commission d’enquête.

Je tiens à remercier Mme la rapporteure pour le formidable travail effectué, ainsi que les services de l’Assemblée nationale l’ayant aidée dans sa tâche. Comme vient de le dire M. Brottes, le rapport est clair et lisible ; il recense avec exhaustivité les problèmes qui se posent – même si chacun peut avoir son appréciation sur la manière de les résoudre. Il élabore des propositions qui font, je le crois, l’objet d’un consensus entre l’ensemble des groupes composant cette commission d’enquête.

Ce sujet politiquement important a longtemps souffert d’ambiguïtés et de contradictions imputables à l’évolution du paysage institutionnel et économique de ces dernières années. Il était donc important de dresser aujourd’hui cet état des lieux.

Je regrette simplement que ce travail n’ait pas précédé l’élaboration du projet de loi relatif à la transition énergétique, même si le parcours parlementaire de ce texte n’est pas achevé.

La Commission adopte le projet de rapport et se déclare favorable à sa publication

CONTRIBUTION DES DÉPUTÉS DU GROUPE UMP

Le 10 septembre 2014, l'Assemblée nationale a créé une commission d'enquête relative aux tarifs de l'électricité. Après six mois d’auditions, qui – il faut le souligner – se sont déroulées de manière constructive et sereine, les membres de la commission d’enquête ont adopté un rapport à l’unanimité.

Les députés UMP souhaitent faire part de quelques observations complémentaires sur les prescriptions du rapport mais aussi plus généralement sur le secteur de l’énergie. Le rapport porte sur un sujet essentiel pour l’économie française, notamment son industrie, pour l’indépendance nationale et pour la vie quotidienne des Français, notamment ceux qui souffrent de la précarité énergétique.

Il nourrit des critiques souvent justes à l’encontre des Gouvernements et des majorités qui se sont succédé depuis trois décennies. La France n’a jamais accepté de tirer toutes les conséquences de l’ouverture des marchés de l’énergie et les entreprises souffrent des multiples contradictions qui en résultent, notamment le dispositif imparfait de l’ARENH, qui consiste à traiter un outil de production en concurrence comme une infrastructure essentielle et qui produit de nombreux effets pervers.

Le rapport souligne notamment que les Gouvernements successifs ont généralement fixé le niveau des tarifs réglementés de vente de l’électricité en dessous des coûts d’EDF ; les dernières décisions prises en cette matière par le Gouvernement ne dérogent d’ailleurs pas à cette tentation. La baisse de ces tarifs a en effet commencé au milieu des années 1990 et notamment durant la période où M. JOSPIN était Premier ministre. Le rapport conteste également le processus de libéralisation des marchés imputé à l’Union européenne, alors que toutes les décisions importantes ont été approuvées par les autorités françaises, en particulier l’ouverture complète du marché de détail à la concurrence lors du Sommet de Barcelone de 2002, auquel participaient M. JOSPIN, Premier ministre, et M. CHIRAC, Président de la République. La disparition des tarifs réglementés de vente, au moins pour les entreprises, est alors devenue irrémédiable. Occulter ces faits et donner à penser que ces décisions ont été imposées à la France contre son gré nourrit la défiance envers les gouvernants et favorise la montée des extrêmes. Il serait aussi illusoire que dangereux de chercher dans le passé les solutions aux problèmes d’aujourd’hui et de demain.

Il convient, de ce point de vue, de relever plusieurs approximations.

Les tarifs réglementés de vente ne sont pas historiquement des outils politiques de préservation du pouvoir d’achat des ménages, puisqu’ils ont été fondés à partir des années 1960 sur la règle purement économique de la tarification au coût marginal de long terme comme l’a rappelé Marcel BOITEUX. Ce qui est exact, c’est que le monopole a permis de lisser leur évolution, tant que le Gouvernement se bornait à entériner l’évolution proposée par EDF.

La notion de « tarif » qui est retenue n’est pas juridiquement correcte, puisqu’elle méconnaît la distinction entre « prix » fixés par la rencontre de l’offre et de la demande sur un marché et « tarifs » fixés par les pouvoirs publics. Il en découle une forme de confusion entre tarifs, prix, impositions (CSPE) et taxes, alors qu’il convient au contraire d’analyser chacun de ces éléments de la facture des Français pour imputer les responsabilités et surtout trouver les remèdes à une probable augmentation dans les années qui viennent.

Le coût de la capacité n’a pas de rapport avec la part énergie des tarifs ou des prix, puisque l’obligation de capacité ne porte précisément pas sur l’énergie, mais sur la puissance des moyens de production disponibles. Les faibles prix, voire les prix négatifs sur les marchés de gros ne sont pas la conséquence d’une trop grande libéralisation, mais celle du développement massif des énergies renouvelables, généralement sur fonds publics, dans un contexte de stagnation économique.

Enfin, le problème principal posé par les nécessaires investissements d’EDF n’est pas leur coût : la construction du parc nucléaire a été au moins aussi coûteuse ; c’est le fait que la construction a pu être intégralement financée par emprunt sur les marchés internationaux, tandis qu’un tel financement du Grand carénage relèverait aujourd’hui la dette publique au sens « maastrichtien », alors que la France a épuisé ses marges de manœuvre.

Fondamentalement, le secteur de l’énergie est à la fois stratégique et original. Il n’est pas raisonnable de lui appliquer purement et simplement un processus de libéralisation inspiré d’autres secteurs économiques très différents. Mais, dans une économie ouverte, le retour à la gestion publique ou au monopole intégré l’est encore moins, d’autant que le plus grand bouleversement qu’il subit résulte de l’encouragement massif au développement des moyens de production à partir de sources d’énergie renouvelables, en France et ailleurs en Europe. L’étatisation n’est pas la solution aux problèmes, même si l’intervention régulatrice de pouvoirs publics informés, lucides et courageux peut contribuer à dessiner un avenir plus satisfaisant. À cet égard, il est d’ailleurs indispensable de clarifier les missions d’EDF, d’autant plus que l’actualité récente et diverses prises de position politiques évoquent des rapprochements avec d’autres entreprises du secteur. Il pourrait être préjudiciable, pour l’entreprise comme pour les consommateurs finaux, d’étendre les perspectives d’EDF et de dénaturer ses missions premières. Il est tout aussi dangereux de donner à croire que la fixation des prix par l’Etat permettrait de faire échapper les entreprises et les ménages à la couverture des coûts engendrés par les investissements nécessaires dans les moyens de production et dans les réseaux : en revanche, le lissage de ces augmentations doit pouvoir passer par des partenariats industriels entre producteurs et grands consommateurs, que la Commission européenne considère pourtant avec suspicion. Une réelle prise en compte des spécificités de l’électricité et du gaz doit indubitablement, néanmoins, être l’une des orientations de la France dans le débat que lance la Commission Juncker avec son projet d’Union de l’énergie.

Ce que le constat ici dressé traduit bien, c’est l’absence de vision industrielle intégrée et de prise en considération de l’impact sur le système électrique de politiques diverses (environnementale, sociale, fiscale…) dont le point commun est d’être financées in fine par le consommateur d’électricité ou, transitoirement, par EDF. L’attitude de l’Etat en tant qu’actionnaire d’EDF, concentrée sur les dividendes de ce qui reste l’unique grande entreprise publique, est à la mesure de son incapacité à raisonner à long terme et dans une logique industrielle. Pour autant, les précédents étrangers doivent inciter à la plus grande prudence quant aux idées de découper EDF en plusieurs entités, que ce soit selon le cycle économique (amont, négoce, aval) ou la nature des moyens de production (nucléaire, hydraulique, thermique à flamme, renouvelables intermittents) : au Royaume-Uni, à une exception près, les entreprises énergétiques sont passées sous contrôle étranger et le Gouvernement subventionne désormais EDF UK pour construire des centrales nucléaires. La R&D publique devrait enfin faire des défis énergétiques une priorité (notamment le stockage d’électricité à grande échelle).

Plus largement, le rapport invite avec pertinence le législateur et le Gouvernement à intégrer dans une vraie politique énergétique des préoccupations d’investissement et de sécurité d’approvisionnement au moindre coût, ainsi qu’à combiner une logique de puissance installée à celle de la régulation par les prix, en tenant compte des spécificités de l’électricité. Il reste à rendre cela cohérent avec les dispositions de la loi relative à la transition énergétique et à la croissance verte, en particulier quant au rythme de transformation du parc de production français (le montant de la CSPE dépend directement de la puissance éolienne et photovoltaïque installée et les réseaux doivent être adaptés, comme le souligne le rapport), quant à une gouvernance plus industrielle d’EDF (le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte envisage de donner un droit de véto au commissaire du Gouvernement), quant à son équilibre entre moyens de production stables et moyens de production intermittents, quant aux moyens de réduire la consommation à confort constant (effacements de consommation, efficacité énergétique, isolation des bâtiments, développement des véhicules électriques ou hybrides) et, enfin, quant à la participation active de consommateurs ou d’autoproducteurs à l’équilibre d’un système électrique plus complexe mais globalement moins onéreux et plus respectueux de l’environnement.

Il convient enfin de prêter la plus grande attention à la péréquation tarifaire, qui joue un rôle essentiel de solidarité tant sociale que géographique. Le rapport souligne que les évolutions techniques peuvent la remettre en cause. Pour le coup, il appartient à l’Etat de veiller à ce que, même sous des formes renouvelées, la solidarité soit préservée.

S’ils partagent le diagnostic et les conclusions du rapport de la commission d’enquête, les députés du Groupe UMP n’avaient pas pris part au vote lors de la création de cette commission d’enquête en séance publique à l’Assemblée nationale. En effet, nous nous interrogions sur la pertinence du recours à l’outil de la commission d’enquête dont l’usage, pour ne pas être dévoyé, doit rester exceptionnel et destiné à relever des dysfonctionnements graves – d’autant plus que l’étude des coûts de la filière nucléaire a fait l’objet d’une précédente commission d’enquête il y a moins d’un an.

Par ailleurs, les députés UMP craignent que les travaux de cette commission d’enquête restent « lettre-morte ».

En effet, le constat dressé par ce rapport aurait dû constituer un préalable au débat sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte qui fixe des objectifs volontaristes dans de nombreux domaines sans s’interroger sur leur faisabilité, ni sur leurs conséquences économiques et sociales. Or, à l’heure où la commission d’enquête met un terme à ses travaux, ce projet de loi a déjà été adopté en première lecture par le Parlement.

De même, ce rapport aurait dû permettre d’élaborer de nouvelles pistes pour la réforme de la méthode de calcul des tarifs règlementés qui est, quant à elle, d’ordre règlementaire. Or, une nouvelle méthode de construction des tarifs réglementés de vente de l'électricité a d’ores-et-déjà été définie par le décret n°2014-1250 du 28 octobre 2014.

Nous ne pouvons donc que regretter l’absence d’harmonisation entre le calendrier parlementaire et les prérogatives du Gouvernement. Un tel décalage ne permet pas aux parlementaires d’utiliser les conclusions de leurs travaux de contrôle dans l’exercice de leurs fonctions législatives.

CONTRIBUTION DE MME JEANINE DUBIÉ,
AU NOM DU GROUPE RRDP

La commission d’enquête relative aux tarifs de l’électricité a été créée le 10 septembre 2014 pour établir un diagnostic sur les dysfonctionnements globaux du dispositif de fixation des tarifs de l’électricité. En effet, ces tarifs, en hausse continue depuis 2007, sont devenus illisibles pour les usagers et ne remplissent plus leur mission de couverture des coûts de production.

Les travaux menés par la commission d’enquête étaient nécessaires et les nombreuses auditions ont permis de mieux circonscrire ce sujet, certes technique mais primordial dans un contexte d’ouverture du marché de l’électricité à la concurrence. Le groupe RRDP est donc satisfait de la méthode utilisée lors de ces travaux et des réponses formulées par le rapport qui répondent aux objectifs fixés au préalable.

Nous souhaiterions insister sur le problème spécifique des industries électro-intensives, qui a interpelé les membres de la commission d’enquête dès le début des travaux. Il s’agit d’entreprises pour lesquelles la consommation électrique représente une part très importante de leurs coûts de production sans qu’elles puissent disposer d’alternatives techniques ou économiques du fait de leur « process » de production.

Au regard des enjeux industriels, les membres de la commission d’enquête ont constaté que l’industrie électro-intensive doit faire face à un double défi :

- Celui du bouleversement du paysage énergétique mondial suscité par l’essor rapide de la production de gaz de schiste et la baisse concomitante du prix du charbon qui ont considérablement avantagé certaines industries, notamment sur le continent nord-américain, avec des productions massives d’électricité à bas prix ;

- Celui de l’existence dans certains pays de ressources hydroélectriques ou géothermiques exceptionnelles qui autorisent pour des activités fortement consommatrices d’électricité des conditions d’approvisionnement hors norme, parfois proche de la gratuité (Canada, Islande, Norvège, Russie, Brésil…).

Nous avons choisi de soulever cet enjeu essentiel qui porte en lui un risque massif de délocalisations transcontinentales d’industries pourtant implantées de longue date en France. Nous sommes d’autant plus inquiets que nous avons été surpris de constater que les responsables des directions générales « Concurrence » et « Energie » de la Commission européenne ne semblent pas avoir pris conscience de la singularité de la situation des industriels électro-intensifs.

Cette situation est d’autant plus inquiétante qu’au plan européen, l’Allemagne et l’Espagne, deux des pays les plus directement concurrents de la France sur le marché européen, ont réussi à convaincre la Commission européenne d’avaliser des dispositifs favorables à leurs industries consommatrices d’énergie, ce qui accentue l’indéniable distorsion de concurrence dont souffrent les industriels français.

Dès lors, avec la fin des tarifs réglementés, ces industries électro-intensives sont obligées de renoncer aux tarifs adaptés à leur spécificité, dont certains relèvent de contrats historiques arrivant à terme et qui, à ce jour, ne seraient compensés que de manière partielle dans les « projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte » et « projet de loi pour la croissance et l’activité », notamment par des plafonnements de versement au titre de la CSPE.

La question de la survie de l’activité électro-intensive en France se pose. Il est donc devenu urgent pour la France de trouver une solution « euro-compatible » qui permettrait de réduire le coût d’approvisionnement de ces industriels et de préserver leur compétitivité en leur assurant une visibilité et une stabilité tarifaire à moyen et long termes. L’engagement et donc la rentabilité des investissements à venir dans le secteur électro-intensif restent subordonnés à une fourniture d’électricité à des prix compris entre 20 et 30€/MWh sur la base de contrats de long terme.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Mercredi 15 octobre 2014

Commission de régulation de l’énergie (CRE) *

M. Philippe de Ladoucette, président

Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME)

M. Bruno Léchevin, président

M. José Caire, directeur « Villes et territoires durables »

M. Damien Siess, directeur-adjoint « Productions et énergies durables »

Mercredi 22 octobre 2014

EDF *

M. Henri Proglio, ancien président-directeur général

Jeudi 23 octobre 2014

Consortium Exeltium

M. Jean-Pierre Roncato, président

M. Édouard Oberthur, responsable des opérations d’Exeltium

M. Emmanuel Rodriguez, directeur en charge de l’énergie d’ArcelorMittal

Réseau de transport d’électricité (RTE) *

M. Dominique Maillard, président du directoire

M. Vincent Thouvenin, directeur du département « Régulation, tarifs et finances »

Mme Anne-Sophie Zambeaux, chargée des relations avec les collectivités territoriales

Mercredi 29 octobre 2014

Association nationale des détaillants en énergie (ANODE)

M. Fabien Choné, président de l’ANODE et directeur général de Direct Énergie

M. Nicolas Milko, président-directeur général Planète Oui

M. Tom Van de Cruys, directeur général de Lampiris

M. Julien Tchernia, directeur de développement de Lampiris

Électricité réseau distribution France (ERDF)

M. Philippe Monloubou, président

M. Éric Peltier, chef de département à la direction des finances

M. Pierre Guelman, directeur des affaires publiques

Mercredi 5 novembre 2014

Union française de l’électricité (UFE)

M. Robert Durdilly, président

M  Jean-Jacques Nieuviaert, conseiller économie et marché

Mme Hélène Pierre, chargée de mission (auditeur libre)

Mme Anne Chenu, directrice des affaires européennes et de la communication mission.

EDF *

M. Marcel Boiteux, président d’honneur d’EDF et ancien président de l’Académie des sciences morales et politiques

Jeudi 6 novembre 2014

Université de Toulouse I Capitole

M. Thomas-Olivier Léautier, professeur des universités (Université de Toulouse I Capitole), membre de l’École d’économie de Toulouse

EDF *

M. François Roussely, président d’honneur d’EDF

Mercredi 12 novembre 2014

M. Jean Desessard, sénateur de Paris, ancien rapporteur de la commission d’enquête du Sénat sur le coût réel de l’électricité (juillet 2012)

Fédération nationale des collectivités concédantes et des régies (FNCCR)

M. Xavier Pintat, sénateur de la Gironde, président

M. Pascal Sokoloff, directeur général

Mercredi 19 novembre 2014

Commission européenne

Mme Anne Houtman, conseiller principal auprès du directeur général en charge de l’énergie

Médiateur national de l’énergie

M. Jean Gaubert, médiateur national de l’énergie

Mme Catherine Lefrançois, responsable du service études et recommandation

Mme Aurore Gillmann, responsable du service communication et relations institutionnelles.

Jeudi 20 novembre 2014

Association nationale régie services publics organismes constitués (ANROC)

M. Stéphane Kilbertus, administrateur

Union nationale des entreprises locales d’électricité et de gaz (UNELEG)

M. Gérard Lefranc, président

M. Didier Rebischung, administrateur

Fédération des sociétés d’intérêt collectif agricole d’électricité (FNSICAE)

M. Christophe Chauvet, administrateur de la FNSICAE et président de l’Association des distributeurs d’électricité de France (ADEEF)

M. Francesco Delfini, secrétaire général de la FNSICAE, délégué général adjoint de l’UNELEG

Syndicat professionnel des entreprises locales d’énergie (ELE)

M. Marc Loisel, administrateur

M. Claude Bourdet, délégué général

M. Guillaume Tabourdeau, délégué général de l’ANROC et de l’UNELEG

Mercredi 26 novembre 2014

Commission européenne

Mme Céline Gauer, directrice de la direction « Marchés et cas 1 : énergie et environnement » de la direction générale de la concurrence

Autorité de la concurrence

M. Thierry Dahan, vice-président

M. Umberto Berkani, rapporteur général adjoint

M. Édouard Leduc, rapporteur.

Mercredi 3 décembre 2014

Ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie

Direction générale du climat et de l’énergie

M. Laurent Michel, directeur général

M. Julien Tognola, sous-directeur des marchés de l’énergie et des affaires sociales

M. Thibaut Leinekugel, chef de bureau marchés de l’électricité

M. Antoine Caron, adjoint au chef de bureau marchés de l’électricité

Association française indépendante de l’électricité et du gaz (AFIEG) *

M. Marc Boudier, président

Mme Emmanuelle Carpentier, directrice de la réglementation et des affaires publiques d’E.On France

M. Géry Lecerf, responsable des affaires publiques et de la communication d’Alpiq France *

Jeudi 4 décembre 2014

GDF Suez

M. Gérard Mestrallet, président

M. Bruno Bensasson, président d’Énergie France

M. Raphael Contamin, chargé de mission à la direction de la stratégie

Mme Valérie Alain, directeur des relations institutionnelles

AUDITION COMMUNE INDUSTRIES CIMENTIÈRES

M. Jean-Yves Le Dreff, président du Syndicat français de l’industrie cimentière (SFIC) et président des Ciments Calcia,

M. Jean-Philippe Bénard, responsable « électricité » du groupe Lafarge *,

M. Éric Bourdon, directeur France « Performances et investissements » du groupe Vicat,

Mme Anne Bernard-Gély, déléguée générale du SFIC

Mercredi 10 décembre 2014

FerroPem

M. Jean-Philippe Bucher, président

M. Luc Baud, directeur Énergie

Rio Tinto Alcan

M. Jean-Paul Aghetti, directeur Énergie

Groupement des professionnels du certificat d’économies d’énergie (GPC2E)

Mme Myriam Maestroni, présidente d’Économie d’Énergie SAS

M. Hugues Sartre, secrétaire général du GPC2E, responsable de la communication institutionnelle de GEO PLC

Mercredi 17 décembre 2014

Cour des comptes

M. Guy Piolé, président de la 2ème chambre

M. Jean-Luc Vialla, président de section

Mme Michèle Pappalardo, conseiller maître

Mercredi 14 janvier 2015

Consommation, logement et cadre de vie (CLCV)

M. François Carlier, délégué général

UFC-Que Choisir

M. Alain Bazot, président

M. Nicolas Mouchnino, chargé de mission « Énergie »

Jeudi 15 janvier 2015

Table ronde syndicats

CFE-CGC

M. Alexandre Grillat, Secrétaire national confédéral de la CFE-CGC

M. Dominique Labouré,  Secrétaire général adjoint de la CFE-CGC Énergies

Mme Catherine Halbwachs, Déléguée fédérale de la CFE-CGC Énergies

M. Frédéric Letty,  Secrétaire national fédéral de la CFE-CGC Énergies

FO Énergie et Mines

M. Jacky Chorin, administrateur FO d’EDF, membre du CESE

M. Rémy Scoppa, délégué fédéral, membre du Conseil supérieur de l’Énergie

M. Yves Giquel, assistant confédéral

CFTC-CMTE (Chimie, mines, textiles, énergie)

M. Francis Orosco

M. Pierre Carrié, président secteur « Énergie »

Mme Isabelle Guglielmacci, représentante « EDF Commerce »

M. Pascal Prouff, animateur fédéral

Fédération Chimie-Energie de la CFDT

M. Dominique Bousquenaud, secrétaire général de la fédération FCE-CFDT

M. Vincent Rodet, délégué fédéral de la branche IEG

M. Philippe Lèbre, membre du bureau de la branche IEG

M. Bernard Gérin, chargé de mission

M. Jean-Luc Rigo, chargé de mission

Fédération nationale des Mines et de l’Énergie CGT

Mme Marie-Claire Cailletaud, responsable du pôle « Politique énergétique et industrielle »

M. Bruno Bosquillon, délégué syndical central d’ERDF

Mme Valérie Goncalves, responsable de la Commission « Droit à l’énergie/Précarité énergétique »

M. Serge Vidal du Pôle « Politique énergétique et industrielle ».

Mercredi 28 janvier 2015

Table ronde

M. Vincent Maillard, directeur général énergie et règlementation de Budget Télécom et ancien directeur de tarifs EDF

M. Grégory Lamotte, fondateur et président de Comwatt

M. Pierre Bivas, président du syndicat professionnel Cathode et fondateur de Voltalis.

Mercredi 4 février 2015

EPEXSPOT

M. Wolfram Vogel, directeur des affaires publiques et de la communication

M. Philippe Vassilopoulos, économiste responsable du service études

Mercredi 11 février 2015

Union professionnelle des industries privées du gaz (UPRIGAZ)

M. Michel Romieu, président

M. Alain Raoux, secrétaire général

accompagnés de Me Nicolas Autet, avocat

Union Française des Industries Pétrolières (UFIP) *

M. Francis Duseux, président

Mme Isabelle Muller, déléguée générale

M. Bruno Ageorges, directeur des relations institutionnelles et des affaires juridiques

Mercredi 18 février 2015

Électricité de France (EDF) *

M. Jean-Bernard Lévy, président-directeur général

M. Bertrand Le Thiec, directeur des affaires publiques

M. Philippe Méchet, directeur des relations institutionnelles

M. Patrice Bruel, directeur aux régulations

M. Raymond Leban, directeur économie tarifs et prix

Agence des participations de l’État (APE)

M. Alexis Zajdenweber, directeur des participations Énergie

M. Thomas Gosset, directeur adjoint

Mardi 3 mars 2015

Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de l’Assemblée nationale, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

1. Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe de Ladoucette,
président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE)

(Séance du mercredi 15 octobre 2014)

M. le président Hervé Gaymard. Monsieur Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) depuis 2006, vous avez vu évoluer tous les problèmes auxquels est confrontée une autorité régulatrice dans le secteur de l’énergie, désormais largement déréglementé. C’est pourquoi il nous a paru indispensable de vous rencontrer dès le début de nos travaux. Deux rapports étudiés, ce matin même, par le collège de la CRE montrent que les questions tarifaires sont au cœur de vos missions. L’un concerne la contribution au service public de l’électricité (CSPE) ; l’autre, les questions tarifaires.

Concernant les modes de fixation et les conditions d’entrée en vigueur des évolutions tarifaires, des recours sont venus perturber la procédure et le calendrier, ce qui s’est également produit pour le gaz. Les recours sont le fait de fournisseurs alternatifs, d’associations ou de syndicats de distribution.

Comment envisagez-vous l’évolution du régime de fixation des tarifs de rachat de l’électricité produite par le secteur du renouvelable, principalement l’éolien et le solaire ?

Plus généralement, quelles voies vous semblent les plus indiquées pour améliorer la régulation du secteur de l’électricité ? Quelles sont les attentes des régulateurs européens vis-à-vis des services de la concurrence de Bruxelles ? Existe-t-il des voies de clarification sur lesquelles il conviendrait de prendre de nouvelles décisions ?

En vertu de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve, notamment, des dispositions de l’article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel. Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu’elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous demande de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(M. Philippe de Ladoucette prête serment.)

M. Philippe de Ladoucette, président de la CRE. Avant d’aborder la situation d’aujourd’hui, il est utile de rappeler dans quel contexte évoluent les tarifs réglementés de vente d’électricité depuis l’ouverture du marché, en 2000.

L’ouverture progressive du marché qui a été complète le 1er juillet 2007, en application de la directive européenne de 2003, a eu pour premier effet de donner à la CRE par la loi du 10 février 2000 et le décret du 26 juillet 2001, puis celui du 14 août 2009, la responsabilité d’émettre un avis sur les arrêtés tarifaires pris par les ministres de l’économie et de l’énergie. Depuis cette date, la CRE a eu à examiner dix arrêtés tarifaires. Elle a vérifié qu’ils permettaient de couvrir, d’une part, les coûts de production, d’approvisionnement et de commercialisation ainsi qu’une marge raisonnable et, d’autre part, les coûts d’utilisation des réseaux publics de transport et de distribution.

Le contexte actuel est également marqué par une judiciarisation croissante de la question des tarifs réglementés. Le premier recours devant le Conseil d’État a concerné l’arrêté du 12 août 2008. Sept autres ont suivi. Le Conseil d’État a annulé totalement ou partiellement trois arrêtés, et deux recours sont pendants. Sans revenir sur chacun d’eux, je rappellerai la jurisprudence actualisée des différentes décisions du Conseil d’État, sur laquelle la CRE fonde ses avis.

Il en ressort trois principes essentiels : celui de la couverture des coûts par le tarif, celui de l’ajustement ou du rattrapage, enfin celui de la convergence dans le cadre la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, dite loi NOME.

Un attendu du Conseil d’État résume la question est ces termes : « Il appartient aux ministres compétents, à la date à laquelle ils prennent leur décision, pour chaque tarif, premièrement, de permettre au moins la couverture des coûts moyens complets des opérateurs afférents à la fourniture de l’électricité à ce tarif, tels qu’ils peuvent être évalués à cette date, deuxièmement, de prendre en compte une estimation de l’évolution de ces coûts sur l’année à venir, en fonction des éléments dont ils disposent à cette même date, et troisièmement, d’ajuster le tarif s’ils constatent qu’un écart significatif s’est produit entre tarif et coûts, du fait d’une surévaluation ou d’une sous-évaluation du tarif, au moins au cours de la période tarifaire écoulée. » Ces considérations ont amené le Conseil d’État à prononcer sa première annulation.

Pendant l’application de la loi NOME, c’est-à-dire jusqu’au 31 décembre 2015, chaque mouvement tarifaire devra réduire l’écart entre le niveau des tarifs réglementés de l’électricité et les coûts de fourniture de l’électricité distribuée à un tarif de marché.

Ces éléments démontrent, s’il en était besoin, l’importance d’une bonne connaissance des coûts. C’est pourquoi en 2013, la CRE a réalisé une analyse approfondie des coûts de production et de fourniture d’EDF. Ces travaux venaient en préparation de l’entrée en vigueur de deux dispositions importantes de la loi NOME renforçant nos pouvoirs : la proposition au Gouvernement d’un prix de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) à partir du 8 décembre 2013, et la proposition d’évolution des tarifs bleus, à compter du 1er janvier 2016. Afin d’éclairer les choix du Gouvernement, Mme Batho, alors ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, avait souhaité que la CRE réalise cet exercice en examinant les coûts tant passés que futurs.

Ce rapport que j’ai présenté à la commission des affaires économiques en juin 2013, à la demande du président François Brottes, met en lumière une hausse très significative des coûts, portée essentiellement par trois facteurs :

– la reprise des investissements dans l’outil de production et la mise en œuvre d’un lourd programme de grand carénage du parc nucléaire, dans la perspective d’une prolongation de sa durée d’exploitation ;

– le recrutement massif dans les métiers du nucléaire pour faire face à d’importants départs à la retraite et assurer le maintien des compétences ;

– l’augmentation des coûts commerciaux en raison du déploiement du dispositif de certificats d’économie d’énergie (CEE) et de l’augmentation des irrécouvrables, conséquence de l’augmentation de la précarité énergétique.

Sur la base des hausses tarifaires que nous avions calculées et publiées dans notre rapport, le Gouvernement a proposé deux hausses successives de 5 % pour les clients bleus. La première a eu lieu au 1er août 2013. La seconde, prévue pour le 1er août 2014, a été récemment annulée par Mme Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Bien que ces hausses importantes ne permettent pas de couvrir les coûts comptables, la CRE avait tenu compte de leur caractère inédit et exceptionnel, et n’avait pas formulé d’avis défavorable.

Cette année, nous avons réactualisé notre analyse. Je détaillerai, si vous le souhaitez, les évolutions que nous avons relevées et qui figurent de manière exhaustive dans le rapport que je vous communiquerai à l’issue de mon intervention.

De façon générale, les grands fondamentaux ne sont pas bouleversés pour les trois années à venir, l’activité nucléaire restant le facteur d’évolution structurant des coûts de l’entreprise. Toutefois, trois effets conjoncturels sont mis en évidence.

Les prévisions de dépenses d’investissement sont revues à la baisse, grâce au travail d’optimisation auquel EDF s’est livré l’année dernière pour la préparation de son grand carénage.

Cette baisse est partiellement compensée par la requalification de certaines charges d’exploitation en dépenses d’investissement, évolution commencée l’an dernier, mais qui a pris de l’ampleur.

Les coûts commerciaux connaissent une hausse modérée due pour partie à des effets réglementaires, pour partie à une meilleure gestion du dispositif des CEE.

Ces évolutions par rapport à l’exercice précédent montrent, d’une part, qu’EDF éprouve une certaine difficulté pour estimer ses coûts futurs, difficulté qui sera encore renforcée par les incertitudes liées à la préparation et au contenu des quatrièmes visites décennales des trente-quatre centrales du palier de 900 MW. Elles prouvent, d’autre part, qu’il existe dans l’entreprise de réels leviers d’actions permettant de flexibiliser les dépenses et de maîtriser les coûts.

Ces deux éléments revêtiront une acuité toute particulière pour la fixation du prix de l’ARENH, dont le calcul repose en partie sur la prise en compte de chroniques d’investissement et de coûts d’exploitation allant jusqu’en 2025. Cette échéance coïncide avec la fin du dispositif de l’ARENH prévu par la loi NOME. Sur de telles échelles de temps, les facteurs d’incertitude d’ordre technico-économique sont très significatifs.

Pour répondre aux critiques émises sur la capacité de la CRE à contrôler, voire à réguler les coûts d’EDF, nous avons renforcé, cette année, cet aspect de notre analyse, même si nous considérons toujours qu’une telle mission incombe à l’actionnaire principal plus qu’au régulateur sectoriel.

Sur la question de l’affectation des coûts, nous avons effectué d’importants retraitements tant sur les coûts constatés des années 2012 et 2013, que sur les coûts prévisionnels pour 2014. D’autre part, nous avons demandé à EDF de clarifier le traitement de certains postes de coût, d’améliorer ses prévisions et de réaliser un audit approfondi de ses coûts commerciaux, le dernier datant de 2011 et portant seulement sur leur affectation et non sur leur montant. En attendant les résultats de l’audit, nous avons limité à 2,6 % par an la hausse des coûts commerciaux, dans le calcul des hausses tarifaires pour 2014-2016.

Les dépenses d’investissement et les charges fixes et variables d’exploitation devraient donc augmenter respectivement à un rythme de 12,9 %, 1,5 % et 3,6 % par an, en léger ralentissement par rapport à la tendance mesurée au cours de la période 2007-2012, où leur hausse était respectivement de 15,8 %, 5,1 % et 3,8 % par an.

La CRE anticipe une relative stabilité du coût comptable prévisionnel de fourniture pour l’année 2014, lequel ne progresse que de 0,6 %, avant de repartir à la hausse les années suivantes, à plus de 5 % par an.

En termes de hausse tarifaire, si nous étions restés dans le système de la couverture des coûts comptables, il aurait été nécessaire d’appliquer, en 2014, une hausse de 5,6 % pour les clients bleus – soit 6,7 % pour les consommateurs domestiques et 1,3 % pour les petits professionnels –, de 2,9 % pour les jaunes et de 4,2 % pour les verts. La hausse de 5 % prévue par le Gouvernement l’an dernier n’aurait donc pas permis de couvrir les coûts comptables prévisionnels de 2014.

Enfin, puisque cette tâche relève de sa responsabilité, la CRE a définitivement établi les coûts constatés au titre des années 2012 et 2013, puis calculé le manque à gagner que représente pour EDF l’absence de couverture des coûts par les tarifs pour ces deux années. Celui-ci, qui s’élève à 1,136 milliard, devra faire l’objet d’un rattrapage.

J’en viens à la réforme du mode de construction des tarifs, telle qu’elle a été annoncée par Mme Royal, en anticipation des dispositions de la loi NOME.

Cette loi prévoit la mise en place progressive de quatre dispositifs fondamentaux : l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, la suppression des tarifs jaunes et verts au 1er janvier 2016, le mécanisme d’obligation de capacité et la tarification par empilement. Cette nouvelle organisation du marché de l’électricité emporte des conséquences importantes pour tous les acteurs du marché.

Elle transforme les équilibres économiques de l’activité de production d’EDF. Elle accroît l’espace économique des fournisseurs alternatifs en vue d’accélérer leur développement. Elle modifie les composantes de la facture du consommateur d’électricité.

On s’intéressera ici à la composante tarifaire, pour laquelle la loi a prévu la convergence progressive des tarifs, au plus tard à la fin de 2015, vers un empilement du prix de l’ARENH, du complément de fourniture d’électricité au prix de marché, des coûts d’acheminement de l’électricité, des coûts de commercialisation ainsi que d’une rémunération normale. Dans cette approche, il s’agit non plus de couvrir les coûts comptables de l’opérateur historique EDF, mais d’être représentatif de ceux que supporte un fournisseur alternatif pour construire ses offres de marché, compte tenu des sources d’approvisionnement dont il dispose.

Le Gouvernement a souhaité mettre en œuvre dès le prochain mouvement tarifaire cette tarification par empilement. En raison principalement de prix de marché déprimés, celle-ci entraîne une forte limitation des hausses par rapport à celles qui sont obtenues par la couverture des coûts comptables.

Cette situation inédite sur le marché de l’électricité français résulte de prix de marché bas et du renchérissement des coûts comptables à mesure qu’EDF déploie son programme d’investissement. Ces prix se situent autour de 42 à 43 euros, contre 58 à 60 euros en 2011, lors du vote de la loi NOME. Ils s’établissaient à 22 euros lors de l’ouverture du marché en 2000.

La méthode de calcul que la CRE a développée et amplement détaillée dans le rapport fournit une estimation des hausses à réaliser en application de cet empilement de coûts. Il ne s’agit bien sûr que d’une estimation, puisque nos calculs ne couvrent pas le cas des clients bénéficiant de tarifs spécifiques, notamment de tarifs « EJP » (effacement des jours de pointe) et Tempo. Selon cette méthode, la hausse serait, pour une partie des clients aux tarifs bleus résidentiels, de 1,6 %. Ce chiffre est un minimum et ne prend pas en compte les rattrapages tarifaires à réaliser au titre des années 2012 et 2013.

La tarification par empilement génère deux effets principaux.

Elle entraîne une certaine sensibilité aux variations des prix de marché. Le résultat n’est évidemment pas le même selon que le prix du marché se situe à 58 euros ou à 22.

Le fait que cette méthode ne repose plus seulement sur ses coûts comptables réduira dans un premier temps la rémunération d’EDF.

Comme je l’avais annoncé dans l’édition 2013 du rapport, la CRE a analysé les conséquences de l’application de cette tarification sur les équilibres économiques et financiers d’EDF. Les résultats sont très sensibles aux hypothèses retenues. De plus, les données comme les prix de marché sont difficiles à appréhender sur les dix prochaines années. Nous relevons néanmoins un accroissement significatif de l’endettement de l’entreprise sur le périmètre production commercialisation France, qui découle essentiellement de la mise en œuvre du grand carénage.

La situation pourrait devenir préoccupante si des efforts de maîtrise des dépenses d’investissement et des coûts d’exploitation n’étaient pas mis en œuvre et si les prix de marché restaient durablement déprimés.

Enfin, le niveau d’endettement d’EDF dépend fortement du niveau des dividendes versés aux actionnaires, qui s’élève actuellement à 60 % du résultat net de l’entreprise. C’est pourquoi les futures augmentations tarifaires, même si elles ont des effets positifs sur le résultat d’exploitation d’EDF, donc sur l’appréciation que les marchés peuvent avoir de la situation de l’entreprise, sont très largement absorbées par les prélèvements de l’État.

Tels sont les éléments essentiels qui ressortent du rapport. Il s’agit cependant d’un des aspects important mais incomplet de la facture d’électricité du consommateur. La facture d’un consommateur résidentiel se décompose de façon schématique en trois tiers qui varient un peu en fonction de l’abonnement et de la consommation : 30 % pour les réseaux
– transport et distribution –, 36 % pour la fourniture – le tarif réglementé couvre ces deux premières composantes – et 34 % pour les taxes.

Il est intéressant de regarder l’évolution, entre 2000 et 2014, de la facture hors taxe et toutes taxes comprises d’un consommateur au chauffage électrique, qui consomme 8 500 kWh par an. En euros constants, cette facture a diminué d’environ 14 %, alors qu’elle a augmenté à peu près de 5 % toutes taxes comprises. En euros courants, elle a augmenté de plus de 10 % hors taxes et d’environ 34 % toutes taxes comprises.

Parmi ces taxes, il en est une sur laquelle nous venons de terminer un rapport exhaustif. Il s’agit de la CSPE, qui est calculée chaque année par la CRE, et qui représente 10 % à 13 % de la facture TTC d’un consommateur résidentiel. Instaurée en 2003 et acquittée par l’ensemble des consommateurs d’électricité, elle vise à financer les charges résultant des missions de service public que la loi impose aux fournisseurs.

Ces charges sont constituées en premier lieu des surcoûts résultant des politiques de soutien aux énergies renouvelables et à la cogénération. Ces surcoûts résultent de la différence entre le tarif d’achat pour la filière considérée et les prix de marché de gros de l’électricité. Elles sont constituées deuxièmement des surcoûts de production d’électricité dus à la péréquation nationale des tarifs dans les zones non interconnectées (ZNI), et troisièmement des charges liées à la mise en œuvre du tarif de première nécessité (TPN) en faveur des personnes en situation de précarité, ainsi qu’une partie de la contribution des fournisseurs aux fonds de solidarité logement. La CSPE finance également le budget du médiateur national de l’énergie, les frais de gestion de la Caisse des dépôts et le versement de la prime aux opérateurs d’effacement prévue par la loi.

La CRE propose chaque année au ministre chargé de l’énergie le montant des charges prévisionnelles de l’année suivante, et le montant de la contribution unitaire permettant de les financer. Jusqu’en 2010, la contribution unitaire était reconduite d’une année sur l’autre en l’absence d’arrêté du ministre. Elle a ainsi été maintenue à 4,50 euros par MWh de 2004 à 2010.

Toutefois, depuis 2011, à défaut d’arrêté, la loi prévoit que la proposition de la CRE entre en vigueur dans la limite d’une augmentation annuelle de trois euros par MWh. Dans un contexte marqué par une augmentation significative des charges de service public, ces dispositions ont conduit à appliquer à partir de 2009 un taux de CSPE inférieur au taux nécessaire pour couvrir les charges. Le décalage s’est nettement aggravé depuis lors. Ainsi, la CSPE en vigueur en 2014, de 16,50 euros par MWh, est inférieure de six euros au niveau calculé par la CRE, qui se monte à 22,50 euros.

Le déficit qui en résulte est exclusivement supporté par EDF. Il a progressé rapidement depuis 2009. Fin 2013, la dette s’élevait, selon le calcul de la CRE, à 4,3 milliards d’euros et, selon celui d’EDF, à 5,2 milliards. Un accord entre EDF et le Gouvernement, matérialisé par un arrêté publié il y a quelques jours, prévoit la rémunération des coûts de portage associés jusqu’à fin 2012, à un taux de 5,3 %, soit un total de 627 millions.

Cette dette devrait commencer à se résorber en 2015 et pourrait être apurée en quatre ans d’après nos dernières estimations, sous réserve que le rythme annuel d’augmentation de la contribution de trois euros par MWh soit maintenu.

Le sous-jacent de l’augmentation de la CSPE est l’augmentation des charges de service public qu’elle finance. Celles-ci ont quadruplé entre 2003 et 2014, passant de 1,4 à 6,2 milliards d’euros. Le montant total cumulé des charges de service public s’élève à 30 milliards d’euros au cours de la période 2003-2014.

Le rapport détaille l’évolution des différentes filières.

S’agissant tout d’abord du soutien aux énergies renouvelables et à la cogénération, le principal fait marquant a été la bulle du photovoltaïque. Plus de 4 GW ont été installés en l’espace de trois ans, ce qui génère aujourd’hui plus de 2 milliards d’euros de charges annuelles, soit 60 % des surcoûts liés aux énergies renouvelables. La situation a été stabilisée à l’issue du moratoire de 2011. Le cadre de soutien actuel, basé sur des tarifs d’achat auto-ajustables pour les petites installations, et sur des appels d’offres pour des installations de moyenne et grande puissance, permet de réguler le développement de la filière et de répercuter au consommateur la baisse des coûts.

Dans le calcul actuel de la CSPE, c’est le paiement du stock pour le photovoltaïque qui coûte cher. Il correspond à la différence entre le prix de référence que nous payons tous, qui est de 480 euros, et le prix de gros actuel, qui est de 43 euros. Chaque fois qu’un nouvel appel d’offre est lancé sur le photovoltaïque, le prix s’établit environ à 150 euros. Il est donc en diminution, mais il faut toujours évacuer le stock, ce qui maintient un prix élevé.

La filière éolienne a bénéficié d’une grande stabilité de ses conditions de rémunération, dont la CRE a souvent souligné qu’elles induisaient des rentabilités excessives, surtout pour les parcs bénéficiant des conditions de vent favorables. Le ralentissement récent du développement de la filière est principalement lié aux contraintes réglementaires ; elles ont été en partie levées, et on s’attend désormais à une reprise de son développement, qui pourrait intervenir dès cette année.

La filière cogénération, qui représentait la majorité des charges à l’origine du dispositif, a également bénéficié de conditions de rémunération avantageuses. Les contrats d’achat de la plupart des installations sont arrivés à échéance en 2012. Toutefois, certaines dispositions réglementaires leur permettent, sous réserve de réaliser des investissements de rénovation représentant 50 % de l’investissement dans une installation neuve, de bénéficier d’un nouveau contrat d’achat. Les installations de plus de 12 MW bénéficient quant à elles d’une prime ad hoc. Ces installations, déjà largement rentabilisées, restent donc dans le cadre subventionné de la CSPE.

La baisse du prix de marché de gros de l’électricité observée au cours des dernières années a également concouru à l’augmentation de ces charges, puisque ce prix sert de référence pour le calcul des surcoûts. Une baisse d’un euro par MWh sur le marché induit une augmentation des surcoûts de l’ordre de 60 millions d’euros. En 2008, on pariait sur un prix du marché de gros aux alentours de 100 euros, ce qui ne se traduirait pas par les mêmes résultats pour la CSPE.

S’agissant maintenant de la péréquation tarifaire dans les ZNI, les charges ont progressé régulièrement, passant de 410 millions en 2003 à 1,7 milliard en 2014. Les principales raisons de cette augmentation sont l’augmentation de la consommation électrique et celle l’augmentation des prix de combustible, puisque le parc de production dans ces zones est majoritairement composé de moyens thermiques. La revalorisation du taux de rémunération du capital investi dans les moyens de production, qui est passé en 2006 de 7,5 % à 11 %, a également joué, pour un montant total d’environ 250 millions sur la période 2006-2013.

Le développement des énergies renouvelables, principalement du solaire, a été rapide dans les ZNI entre 2011 et 2012. Depuis, il s’est ralenti. Le seuil de pénétration maximal de 30 % des énergies fatales à caractère aléatoire, au-delà duquel les installations peuvent être déconnectées, est la principale raison de ce ralentissement.

Enfin, l’augmentation du nombre de ménages en situation de précarité bénéficiant de dispositions sociales a fait progresser le montant de la charge, qui représente 350 millions en 2014, soit 6 % du montant total des charges.

Sous sa forme actuelle, le dispositif est d’une grande complexité. Il implique de nombreux acteurs et le croisement important de bases de données, ce qui le rend partiellement inopérant. La CRE est favorable à une simplification de l’aide aux ménages en situation de précarité énergétique. La création du chèque énergie permettra de résoudre ce problème.

J’en viens aux principales conclusions de l’analyse prospective d’évolution de la CSPE à horizon de 2025. Les charges de service public devraient croître régulièrement pendant la période, pour atteindre près de 11 milliards en 2025. Le montant total cumulé des charges de service public entre 2014 et 2025 s’élève à 100 milliards d’euros courants.

Le poids du passé est prépondérant dans ces charges, puisque 60 % sont liées au parc actuellement en service ou à des décisions d’investissement passées. Le parc photovoltaïque installé fin 2013 devrait générer à lui seul 25 milliards d’euros de surcoûts pour la période.

Les charges liées à de nouvelles installations résultent en grande partie de la mise en service des parcs éoliens en mer lauréats des deux derniers appels d’offres, qui devraient représenter 10 milliards d’euros de charges jusqu’en 2025. La construction de nouveaux moyens de production dans les ZNI pour répondre à l’équilibre offre-demande devrait conduire à un montant total de charges de 3,8 milliards d’euros.

Dans ce scénario, l’augmentation annuelle de la contribution unitaire est capée à 3 euros par MWh jusqu’en 2017, date à laquelle elle atteint 25,50 euros par MWh. En 2025, la CSPE devrait atteindre 30 euros par MWh.

Je terminerai en évoquant la question du recouvrement de la CSPE, et de la mise en œuvre des mécanismes d’exonération des entreprises électro-intensives. Ces opérations sont assurées par la Caisse des dépôts et supervisées par la CRE. Les enjeux financiers sont considérables : plus de 5 milliards d’euros ont été recouvrés en 2013, et les diverses exonérations de CSPE représentent un montant total d’environ 1 milliard.

Les enjeux financiers que représente la CSPE justifieraient que ces missions soient confiées à une administration disposant de moyens de contrôle plus larges que la CRE.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. On mesure, quand on vous écoute, les conséquences qu’ont nos choix tant sur le montant des coûts et des charges que sur les mécanismes de fixation du prix. Pouvez-vous intégrer à votre analyse la première étape de la loi sur la transition énergétique ? La question est certes très complexe, mais elle intéresse au premier plan notre commission d’enquête.

De quels leviers dispose l’opérateur historique pour réduire ses coûts ?

La CRE mentionne, comme la Cour des comptes, la difficulté de saisir la totalité des coûts ou regrette un manque relatif de transparence. Quelle incidence à cette imprécision ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. La loi sur la transition énergétique, que nous venons de voter, donnera naissance à de nouveaux dispositifs, qu’il faut encadrer au mieux pour éviter une nouvelle explosion de la CSPE. Est-ce à ceux qui n’utilisent pas l’énergie du réseau – mais peuvent à tout moment en avoir besoin – de financer les boucles locales ? Doit-on appliquer aux auto-consommateurs le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) ?

Vous avez annoncé dans un autre contexte que les compteurs Linky indiqueraient bientôt en temps réel le niveau de consommation, ce qui permettra au client d’ajuster celle-ci et de réduire sa facture. Qui bénéficiera de cette information ? Quel en sera le prix ? Faut-il modifier la loi pour que tous puissent y accéder ?

Pouvez-vous déceler d’éventuels manquements aux contrats ? La possibilité pour les acheteurs de suspendre leur contrat est-elle nécessaire à la maîtrise de la CSPE ?

Comment évaluez-vous les besoins humains de la CRE, dont les actions sont appelées à se développer ?

M. Denis Baupin. Selon la CRE, le coût de fonctionnement du parc nucléaire augmentera de 3 % à 5 %, alors qu’il serait de 21 % selon la Cour des comptes. Pourquoi ces deux évaluations diffèrent-elles autant ? Les deux instances travaillent-elles sur le même périmètre ?

Je vous remercie d’avoir rappelé que 60 % des surcoûts entrant dans le calcul de la CSPE sont liés au stock d’électricité photovoltaïque, imputable à de mauvaises décisions que nous payerons les conséquences pendant vingt ans. Ils ne peuvent en aucun cas être attribués aux énergies renouvelables, actuellement en développement.

À quel moment interviendra le décret relatif à l’ARENH, qui devait entrer en vigueur le 8 décembre 2013 ? Quel sera le montant retenu ?

Abordant la question de la péréquation tarifaire dans les ZNI, vous avez indiqué que le taux de rémunération du capital investi dans les moyens de production était passé en 2006 de 7,5 % à 11 %, ce qui représente entre 2006 et 2013 un montant de 250 millions. D’où vient cette augmentation, qui ne s’est traduite par aucun service supplémentaire pour nos concitoyens ?

La Commission européenne risque d’autoriser la construction de deux EPR au Royaume-Uni, pour un coût qu’EDF évalue à 20 milliards et la Commission européenne à 30 milliards. Cette aggravation de l’endettement d’EDF pèsera-t-il sur le consommateur français ?

Enfin, le TURPE finance-t-il réellement ce à quoi il est destiné ? En d’autres termes, l’argent perçu est-il totalement affecté aux réseaux de transport et de distribution, ou revient-il partiellement à une société mère, qui peut en user pour servir des dividendes ? La CRE est-elle capable de mesurer l’écart éventuel entre les investissements prévus, qui justifient le montant du TURPE, et les sommes réellement investies ?

M. Philippe de Ladoucette. Madame la rapporteure, les coûts d’EDF sont transparents. Nous avons pu consulter tous ses comptes et accéder à toutes les données dont nous avions besoin. Ce n’était pas le cas, il y a encore cinq ans. Entre 2000 et 2006, la CRE a émis deux avis tarifaires, l’un en 2003, l’autre en 2004. À l’époque, les éléments d’information dont elle disposait étaient réduits : il n’y avait ni comptabilité analytique ni comptabilité séparée. Nous avons acquis progressivement une parfaite connaissance des coûts de l’entreprise. Pour autant, il ne nous revient pas de lui indiquer qu’elle pourrait utiliser différemment les sommes qu’elle investit.

Si nous n’avons pas identifié les leviers dont dispose EDF, nous savons qu’ils existent, puisque, depuis l’an dernier, ses coûts ont changé. Il est légitime qu’une entreprise évolue dans sa manière d’envisager ses investissements, ou cherche à les lisser, ce qui est manière d’optimiser la dépense. Quant à décider par quels moyens s’y prendre, ce rôle revient généralement à l’actionnaire. Les comptes sont certifiés par les commissaires aux comptes et validés par l’assemblée générale et le conseil d’administration, au sein duquel l’État est représenté.

Madame Battistel, nous n’avons pas intégré dans le calcul de la CSPE les dispositions créées par la loi relative à la transition énergétique, toujours en première lecture. Nos prévisions à l’horizon de 2025 sont conservatrices, puisqu’elles se fondent sur la programmation pluriannuelle des investissements (PPI), qui semble en retard pour l’éolien et très en avance pour le photovoltaïque.

Nous avons souvent parlé avec les autorités du tarif des infrastructures se raccordant aux boucles locales ou reliant les auto-consommateurs au réseau. Il faut poser le problème en termes d’assurance. Si les auto-consommateurs peuvent totalement se passer du réseau, ils n’ont aucune raison de payer le TURPE. S’ils ne peuvent fonctionner en boucle fermée, ils doivent l’acquitter, ce qui revient à assumer le coût marginal des installations.

Aux termes de la loi relative à la transition énergétique, les personnes en situation de précarité énergétique seront averties si leur consommation dépasse un seuil. Auparavant, il était prévu qu’elles soient informées soit par ERDF, via internet, soit par le fournisseur, qui devrait aménager un dispositif spécifique sur les compteurs Linky. L’installation de ceux-ci ne faisant que commencer, je ne sais ni quand ni comment ni à quel coût le client sera pleinement informé de sa consommation.

Je suppose que les « manquements aux contrats » que vous avez évoqués concernent le photovoltaïque. Nous ne sommes pas plus équipés qu’il y a quelques mois pour identifier ces fraudes. Il n’existe d’ailleurs aucun contrôle possible, sinon par les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL).

De récents arbitrages envisagent non d’augmenter mais de réduire le personnel de la CRE, à laquelle on demande un effort plus important qu’aux autres départements du ministère des finances. Nos moyens ont continuellement baissé depuis 2010. La loi pour la transition énergétique prévoit cependant que nous puissions faire payer certaines études par des entreprises, ce qui nous permettra de continuer à assumer nos missions nationales ou européennes.

Monsieur Baupin, je ne veux pas vous répondre trop vite sur les différences entre l’estimation de la CRE et celle réalisée par la Cour des comptes. Nous n’avons probablement pas travaillé sur le même périmètre, mais c’est un point qu’il faudra vérifier. Je vous répondrai donc par écrit.

Pour les ZNI, c’est une décision gouvernementale qui a augmenté de 7,5 % à 11 % le taux de rémunération du capital investi dans les moyens de production. Nous demandons la révision de ce taux incitatif, afin de prendre en compte la spécificité de chaque zone.

M. Denis Baupin. Quand la décision a-t-elle été prise ?

M. Philippe de Ladoucette. En 2006, me semble-t-il, mais je vous confirmerai cette date.

J’ignore si le décret relatif à l’ARENH paraîtra assez tôt pour que nous puissions définir un montant applicable au 1er janvier. Le rapport fait état d’hypothèses de travail élaborées à partir de connaissances non définitives. À titre indicatif, nous tablons sur une augmentation de deux euros par an pour 2015 et 2016, ce qui portera l’ARENH à 44 euros en 2015 et 46 euros en 2016.

Le TURPE finance ce qu’il doit financer, c’est-à-dire les investissements effectivement réalisés. Si une évolution intervient à la hausse ou à la baisse, le rattrapage s’effectue par le biais du compte de régulation des charges et des produits (CRCP). La question de la remontée de dividendes d’ERDF vers EDF, que vous avez soulevée, pose indirectement celle de la remontée des dividendes d’EDF vers l’État.

Les investissements étrangers d’EDF n’ont pas d’impact direct sur le consommateur français. L’ARENH, qui sert de base au calcul des évolutions tarifaires, reflète le parc nucléaire historique français. C’est à la dimension nationale de l’entreprise que nous nous intéressons.

M. Denis Baupin. Si l’entreprise doit emprunter massivement pour investir, cela se retrouvera dans ses comptes.

M. Philippe de Ladoucette. Nous le verrons à ce moment-là, mais nous ne pouvons pas traiter une hypothèse comme une donnée effective.

M. Jean-Pierre Gorges. Je regrette que l’Assemblée nationale ait examiné le projet de loi sur la transition énergétique sans attendre les conclusions ni de notre commission d’enquête ni de celle qui a examiné les coûts de la filière nucléaire ni du rapport d’information sur le coût de la fermeture anticipée de réacteurs nucléaires, à partir de l’exemple de Fessenheim.

Existe-t-il un tableau simple indiquant clairement le coût du kW produit par l’eau, le soleil, le vent et le nucléaire ? À mon sens, c’est à ce type de présentation qu’il faut arriver, en précisant si le prix payé par l’usager couvre le coût de production et comment se répartissent les différents postes.

Le projet de loi pour la transition énergétique indique une direction. Il réduit le parc nucléaire pour 2025 en pariant que notre consommation d’énergie diminuera, comme la part du nucléaire dans notre production énergétique, mais il ne s’agit que d’un vœu pieux, comme ceux que nous formulons sur le taux de croissance.

Je le répète : votre propos est très technique. Il faut arriver à une présentation plus simple, dont nous pourrons extraire des éléments compréhensibles par tous les Français. Ce n’est pas facile, mais le rôle des parlementaires est de savoir vulgariser les débats.

M. Hervé Gaymard, président. Merci pour cette suggestion de bon sens !

Mme la rapporteure. Je rejoins M. Gorges : pour déterminer des tarifs lourds de conséquences sur le pouvoir d’achat des consommateurs ou les coûts de production des entreprises, il faut un tableau des coûts et des charges. Nous devons aussi avoir une meilleure connaissance des effets de la loi pour la transition énergétique et des évolutions à plus long terme.

M. Philippe de Ladoucette. Le rapport contient toutes les informations et tous les chiffres sur le coût des énergies renouvelables, qui n’entrent pas dans le système du tarif réglementé.

La Commission européenne a ouvert deux procédures d’infraction, l’une en 2006, l’autre en 2007, ce qui aurait pu mener à la suppression totale des tarifs réglementés, voire à une décision très négative pour EDF.

Pour sortir de cette situation, le Gouvernement a négocié avec Bruxelles les termes de la loi NOME, qui précise les conditions de l’ouverture à la concurrence. Toutefois, lors du vote de la loi, il n’a pas été envisagé la baisse du prix de gros sur le marché, à laquelle nous sommes confrontés, parce qu’il s’agissait surtout de protéger le consommateur des effets d’un marché haussier. C’est pourquoi la base prévue alors – l’ARENH joint à 20 % de complément sur le marché – ne couvre pas nécessairement les coûts comptables d’EDF.

On pense actuellement que le marché restera bas pendant dix-huit mois, voire deux ans. On ignore la suite. Si le prix de gros remontait de 43 euros à 58, le problème de la couverture des coûts d’EDF ne se poserait plus.

La loi vise avant tout à ouvrir le marché à la concurrence, qui reste très faible dans notre pays. Elle tente de mettre les alternatifs sur un plan d’égalité avec EDF. Le problème est qu’EDF pâtit d’un marché déprimé et que sa rémunération baisse – du moins tant qu’on ne modifie ni le coût du capital ni la remontée des dividendes. Ce sont des éléments qu’il n’appartient pas à la CRE d’apprécier, mais que vous devrez garder en tête tout au long de vos travaux.

M. Jean-Pierre Gorges. Pensez-vous que la production d’électricité issue des énergies renouvelables, comme l’éolien ou le photovoltaïque, ait sa place dans un environnement concurrentiel ?

M. Philippe de Ladoucette. Les faits comptent plus que mon opinion : en Allemagne, où les énergies renouvelables sont particulièrement développées, il n’y a pas de tarifs réglementés, et la concurrence existe de fait, même si certains fournisseurs d’électricité dominent à l’intérieur de chaque Land.

Interrogé par M. Brottes et par M. Baupin, dans le cadre d’une commission d’enquête, j’ai eu tort de dire que le marché ne fonctionne pas. Il fonctionne, mais il reflète des décisions qui n’ont pas été coordonnées au départ.

D’un côté, on a créé un marché européen de l’énergie régi par les règles de la concurrence ; de l’autre, on a cherché à développer des énergies renouvelables par des subventions. Par la suite, on a mélangé les deux systèmes. C’est ce qui explique que les grands opérateurs européens – comme le président de GDF – regrettent que le marché n’émette pas de signal clair pour l’investissement. Le marché fonctionne, mais le signal qu’il envoie correspond à une réalité particulière.

M. Hervé Gaymard, rapporteur. Je vous remercie.

2. Audition, ouverte à la presse, de M. Bruno Léchevin, président de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), M. José Caire, directeur « Villes et territoires durables » et M. Damien Siess, directeur adjoint « Productions et énergies durables »

(Séance du mercredi 15 octobre 2014)

M. Hervé Gaymard, président. Mes chers collègues, nous accueillons M. Bruno Léchevin qui est, depuis mars 2013, le président du conseil d’administration de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME). M. Léchevin est accompagné de deux proches collaborateurs : M. José Caire, directeur « Villes et territoires durables » et M. Damien Siess, directeur adjoint « Productions et énergies durables ».

Monsieur le président, vous connaissez bien le secteur de l’énergie : d’abord en y ayant exercé des responsabilités syndicales importantes, puis en tant que membre du collège de la CRE de 2000 à 2008, ensuite en tant que délégué général du Médiateur de l’énergie. J’ajoute que vous appartenez également au conseil d’administration d’EDF, au titre des six administrateurs désignés par l’État.

On rappellera aussi que l’ADEME pilote le travail de l’Observatoire de la précarité énergétique, une instance nouvelle qui vient d’ailleurs de rendre publiques ses premières analyses. À cet égard, il nous intéresse de connaître votre position sur les tarifs sociaux en vigueur et l’instauration à venir d’un chèque énergie qui pourrait se substituer à ce régime spécifique.

Les questions tarifaires ne sont donc pas étrangères à l’ADEME, même si sa principale mission, en tant qu’opérateur de l’État, est la mise en œuvre des politiques d’efficacité énergétique. Dans cet esprit, notre commission devra également s’intéresser aux conditions d’approvisionnement et de tarifs applicables aux industries dites « électro-intensives ». Notre regard entend porter sur les conditions tarifaires visant les différents types de consommation, en cherchant à mieux connaître les bases qui structurent les prix de l’électricité.

Monsieur le président, nous allons vous écouter avec attention, dans un premier temps au titre d’un bref exposé liminaire. Puis les membres de notre commission, à commencer par Mme Valter, rapporteure, vous poseront différentes questions.

En vertu de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve, notamment, des dispositions de l’article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel. Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu’elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous demande de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(M. Bruno Léchevin prête serment.)

M. Bruno Léchevin, président de l’ADEME. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de m’auditionner en tant que président de l’ADEME, ce bel outil au service des politiques publiques en matière d’énergie et d’environnement, et de me donner l’opportunité d’échanger avec vous sur les tarifs de l’électricité. Nous sommes, par nature, particulièrement concernés par la réussite de la transition énergétique et convaincus que la France possède le potentiel pour atteindre l’objectif que constitue cette transition, d’une part en maîtrisant ses consommations, d’autre part en ayant davantage recours aux énergies renouvelables.

L’ADEME a montré dans ses visions énergétiques pour 2030 et 2050, qui ont nourri le débat de la loi sur la transition énergétique, que cette transition était non seulement bénéfique sur le plan environnemental, mais également sur le plan économique et social, à travers la croissance verte et la création d’emplois sur le territoire national. Aujourd’hui, mon propos portera essentiellement sur les énergies renouvelables électriques et sur les travaux de l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), dont l’ADEME assure le pilotage opérationnel.

Tous les experts reconnaissent que les coûts de l’énergie sont amenés à augmenter, que ce soit en raison du coût de certains investissements, de l’augmentation du coût de la sécurité nucléaire – je pense notamment aux coûts « post-Fukushima » – ou des combustibles fossiles, ou encore en conséquence de décisions de politiques publiques – donner un signal-prix au carbone, intégrer des ENR dont la majorité sont aujourd’hui plus chères que les énergies conventionnelles.

Je fais partie de ceux qui soutiennent que cette augmentation des coûts de l’énergie est non seulement inéluctable, mais doit être supportable pour la majorité des consommateurs, et ce d’autant plus que les retombées nationales de la croissance verte seront importantes. Cela dit, ce n’est pas parce qu’on considère qu’une augmentation est inéluctable qu’il ne faut pas être vigilant sur la transparence des coûts, leur réalité, leur objectivité, les efforts de productivité que les grands opérateurs doivent accomplir, ainsi que les signaux-prix que nous donnons, les problématiques relatives au pouvoir d’achat et à la compétitivité des entreprises. L’inéluctabilité de la hausse des coûts de l’énergie nécessite également un accompagnement particulier des publics précaires, parallèle à celui mis en œuvre pour les industriels grands consommateurs d’énergie – notamment avec le plafonnement de la contribution à la CSPE.

Pour ce qui est de l’évolution des modes de soutien aux ENR électriques, faisant suite à un nouvel encadrement communautaire, la loi propose que les modes de soutien aux ENR se rapprochent progressivement du marché. Cette évolution vise à soumettre progressivement les énergies renouvelables aux signaux-prix du marché, les incitant à produire lorsque le système électrique est en situation de tension – c’est-à-dire lorsque les prix sont élevés. C’est un point très positif pour accompagner les ENR vers la maturité économique.

Il convient toutefois de bien prendre en compte certains points. Premièrement, les évolutions du système de soutien discutées ici n’en modifieront pas significativement le coût absolu pour la société, mais uniquement la répartition entre les acteurs ou les modalités d’octroi pour un acteur donné. En effet, le soutien est nécessaire pour couvrir un surcoût et assurer une rentabilité suffisante aux investisseurs. Le passage d’une logique de tarif d’achat à une logique de complément de rémunération à la vente sur le marché n’abaissera pas automatiquement le coût du soutien pour la collectivité. Elle pourrait même l’augmenter légèrement à court terme, comme c’est le cas en Allemagne, afin de soutenir la montée en puissance de nouveaux acteurs intermédiaires assurant un niveau d’agrégation pour la vente sur le marché.

Deuxièmement, dans un secteur qui a été très chahuté par un manque de constance des politiques de soutien ou des dispositions réglementaires, il est absolument indispensable que ces nouveaux systèmes de soutien ne viennent pas s’ajouter au niveau de risque des projets. Les projets d’ENR se financent principalement par la dette bancaire, dont les taux augmentent vite dès que le risque est ou semble élevé. À titre d’exemple, une augmentation de 2 % du taux de financement liée à la perception d’un risque accru induit une augmentation de 9 % du coût de revient de l’électricité éolienne. Lors de la transition vers le nouveau dispositif de soutien, il est indispensable de mettre en avant stabilité et lisibilité envers les investisseurs et de prévoir une phase d’expérimentation, une concertation et la publication d’une feuille de route claire et lisible sur les évolutions à venir dans les trois ou quatre prochaines années.

Tous les acteurs de la filière s’accordent sur un point : indépendamment des soutiens financiers, ils attendent essentiellement de la stabilité et de la lisibilité dans la durée – dans ce domaine, de grands progrès restent à accomplir.

Le deuxième grand sujet que je veux évoquer est celui de la précarité énergétique, du chèque énergie et du travail accompli par l’ONPE. La précarité énergétique est un sujet majeur pour une part de plus en plus importante de nos concitoyens, qui demandent une réponse à la hauteur des enjeux. Si la définition de la précarité énergétique fournie dans la loi Grenelle 2 – « est en situation de précarité énergétique une personne qui éprouve dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat » – a le mérite de lui donner une existence légale, il est désormais nécessaire d’aller plus loin, de mieux comprendre, mieux définir, mesurer, localiser et cibler la précarité énergétique pour mieux combattre ce phénomène croissant et durablement installé.

C’est la raison d’être de l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), mis en place le 1er mars 2011 et opérationnel depuis mai 2012. Présidée par Jérôme Vignon
– également président de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale –, l’ONPE est, je le rappelle, placé sous le pilotage opérationnel de l’ADEME. Rassemblant les acteurs du logement, de l’énergie et de la solidarité, l’Observatoire a pour premier objectif de disposer d’une connaissance fiable et partagée d’une situation dont on suppose qu’elle touche toujours plus de Français, dans un contexte de crise sociale, d’incertitude économique et de hausse des factures d’énergie, mais qui est en même temps très difficile à appréhender dans ses multiples dimensions – pauvreté, auto restriction, arbitrage entre différents postes de dépenses ou encore problématique d’éloignement des centres villes.

La question de la précarité énergétique est en effet plus vaste que ne le laisse entendre la définition officielle, focalisée sur les ménages pauvres qui résident le plus souvent dans des habitations à faible efficacité thermique. Elle résulte de l’alourdissement des charges contraintes des ménages, liées au logement et à la mobilité, qui restreignent le revenu disponible, du coût des travaux de rénovation, de l’étalement urbain qui accroît la dépendance des ménages à la voiture individuelle pour les déplacements domicile-travail
– nécessité d’une d’un deuxième véhicule, allongement des kilomètres parcourus – et bien sûr du renchérissement prévisible des prix de l’énergie, en particulier de l’électricité.

Conscient de la diversité des situations et des enjeux politiques soulevés par le choix des indicateurs statistiques, l’ONPE propose – c’était l’objet d’un colloque organisé le 3 octobre dernier – de caractériser des populations en situation de précarité énergétique à partir de trois approches. La première est l’approche par l’économie de la consommation : relative à l’effort financier, elle consiste à identifier des ménages qui consacrent une part importante de leur revenu dans les dépenses d’énergie ; la deuxième est l’approche par le ressenti des ménages de leur niveau de confort dans leur habitat, qui identifie les ménages déclarant souffrir du froid dans leur logement ; la troisième est l’approche par la privation, qui identifie les ménages ayant des dépenses d’énergie significativement inférieures aux dépenses théoriques pour accéder à un confort standard.

En ce qui concerne la première approche, l’indicateur traditionnellement utilisé est le taux d’effort énergétique – le TEE, représentant le rapport entre dépenses d’énergie et revenus du ménage. C’est, a priori, l’indicateur le plus simple pour mesurer la précarité énergétique : si pour se chauffer, les Français dépensent en moyenne près de 5 % de leurs ressources, ceux qui consacrent au chauffage plus du double sont en situation de précarité énergétique. Ce taux reste toutefois très imparfait pour prendre en compte les revenus disponibles. C’est pourquoi l’ONPE propose d’explorer une méthode plus globale s’appuyant sur de récents travaux de scientifiques britanniques. Il s’agit d’étudier la population pauvre et modeste qui, pour atteindre un niveau de confort convenable, doit avoir des dépenses d’énergie la faisant basculer sous le seuil de pauvreté, à savoir 60 % des revenus médians.

Le phénomène, qui concerne aussi bien des consommations excessives contraintes que des situations de restriction, requiert ainsi le suivi d’un panier de plusieurs indicateurs. En réalité, chaque indicateur met l’accent sur une facette du phénomène, fait émerger des profils-types de ménages en précarité et recouvre des enjeux politiques spécifiques. Selon les approches précédemment évoquées, les ménages en précarité énergétique sont en majorité des propriétaires âgés en milieu rural et des locataires âgés de moins de 50 ans en milieu urbain.

Ces travaux sur les indicateurs ont ainsi permis de prendre la vraie mesure quantitative de la précarité énergétique. Sur la base du taux d’effort énergétique
– l’indicateur traditionnellement retenu –, 3,8 millions de ménages, soit 8 millions de personnes, seraient touchés par ce phénomène. Sur la base du panel d’indicateurs proposés prenant également en compte les comportements – dont celui de ne plus se chauffer –, le niveau de revenu et le ressenti de l’inconfort, l’Observatoire évalue ainsi à plus de 11 millions les personnes en situation de précarité énergétique, soit près 20 % de la population. Avancer un tel chiffre n’est pas faire preuve de catastrophisme : au contraire, il est possible que nous soyons en dessous de la réalité, car pour l’établir, nous nous sommes appuyés sur une enquête réalisée auprès des ménages par l’INSEE en 2006 – la dernière à ce jour, mais qui devrait être prochainement réactualisée en prenant en compte tout ce qui s’est passé depuis 2007, notamment la hausse des prix de l’énergie et les répercussions de la crise sur les familles les plus vulnérables.

La transition énergétique dans laquelle nous sommes engagés – chacun sait à quel point la ministre y est attachée – ne se fera pas contre les citoyens : elle ne peut se faire qu’avec et pour eux. Il serait donc inconcevable d’abandonner plusieurs millions de nos concitoyens sur le bord du chemin : nous parlons ici de plus de cinq millions de ménage. La loi de transition énergétique adoptée en première lecture prévoit de mettre en place un chèque énergie qui, en plus de répondre à une vraie demande, doit bénéficier à l’ensemble des consommateurs d’énergie, quel que soit leur mode de chauffage – pas seulement le gaz et l’électricité, mais aussi le fioul, les réseaux de chaleur et le bois – ce dernier concernant plutôt les consommateurs ruraux. Cette contribution universelle et solidaire est très importante, car nous consommons tous de l’énergie, pour une redistribution aux plus démunis basée sur la collectivité, et non énergie par énergie, ce qui constitue un vrai saut qualitatif par rapport aux tarifs sociaux qui ont montré leurs limites, d’une part dans le fait qu’ils ne bénéficiaient qu’à ceux se chauffant à l’électricité ou au gaz, d’autre part en faisant trop dépendre des opérateurs une politique de redistribution et de solidarité nationale voulue par la puissance publique, ce qui ne signifie pas qu’il faille y renoncer.

Bien sûr, il ne s’agit pas de se limiter à des mesures d’urgence en se contentant d’aider les consommateurs à payer leurs factures : un travail de fond doit être accompli sur la durée en rénovant les logements – surtout les plus précaires et ceux pouvant être qualifiés de « passoires énergétiques » – afin de consommer mieux et moins.

Je conclurai sur la Contribution au service public de l’électricité (CSPE), un outil de politique publique fondamental – dont je connais bien les mécanismes, puisque j’ai eu le privilège de faire partie de son collège fondateur. J’y vois la clé de voûte des politiques publiques, entre le soutien aux ENR et la précarité énergétique. Si, dans l’absolu, c’est un bon système, permettant de répartir le surcoût de développement de la politique de soutien aux ENR, son montant a explosé ces dernières années pour représenter aujourd’hui environ 13 % de la facture d’un ménage – et cette hausse va se poursuivre régulièrement dans les années à venir, même si elle est plafonnée à 3 euros par mégawattheure (MWh). Il faut néanmoins noter que le montant de la CSPE reste beaucoup plus faible en France qu’en Allemagne, où elle quatre fois plus élevée. À titre d’exemple, un ménage français paie environ 1,65 centime d’euro par kilowattheure (kWh) – sur un kWh à environ 15 centimes d’euros –, tandis qu’en Allemagne, la compensation appelée Erneuerbare-Energien-Gesetz (EEG), uniquement destinée au soutien aux ENR, s’élève à 5,3 centimes d’euros le kWh.

Comment amoindrir le poids de la CSPE pour les consommateurs – surtout s’ils sont en situation de précarité – et financer le chèque énergie ? Une première piste – qui, je le sais, ne fait pas l’unanimité – consiste à étendre l’assiette de la contribution aux autres énergies, notamment si l’on considère que les consommateurs de gaz ou de fioul pourront demain bénéficier du chèque énergie. À titre d’exemple, si l’on estime que le chèque énergie coûtera un milliard d’euros, ce qui correspond en moyenne à 200 euros par an versés de façon forfaitaire à cinq millions de foyers défavorisés, ou 250 euros par ans si l’on ne vise que quatre millions de foyers – à comparer aux 1,6 million de foyers aidés en 2013 –, l’élargissement de la CSPE aux consommations de fioul, de gaz et d’électricité des secteurs résidentiels et tertiaires permettrait de faire passer le montant de la contribution allouée à la précarité de 3,30 euros du MWh – si l’assiette de la CSPE était limitée à l’électricité – à 1,20 euro du MWh. Ce système représente une vraie solution – qu’il faudra bien trouver, puisque le chèque énergie est inscrit dans la loi sans que son financement soit précisé pour le moment.

Si le chiffre d’un milliard d’euros que je viens de citer peut effrayer, il convient toutefois de le relativiser, ce que je ferai en citant un exemple que je donne fréquemment. Le premier projet d’éolien offshore va ainsi représenter, lui aussi, une somme d’un milliard d’euros à la charge de la collectivité, à payer sur vingt ans. Rappeler quelques ordres de grandeur en la matière est toujours utile : par exemple, en 2013, les tarifs sociaux de l’électricité coûtaient à la collectivité un peu plus de 100 millions d’euros, alors que le montant de la CSPE dépassait 5 milliards d’euros cette même année : comme on le voit, la prise en compte de la question sociale est plutôt marginale par rapport au montant de la CSPE.

Bien entendu, il ne s’agit pas de remettre en cause notre soutien aux ENR ou la péréquation tarifaire, ce serait un comble ! Mais gardons à l’esprit ces ordres de grandeur pour permettre des choix politiques sociétaux sereins en toute connaissance de cause. À l’échelle des ménages aussi, les montants peuvent permettre de fixer les idées et de considérer comme insuffisante l’aide au paiement actuelle : un ménage précaire chauffé à l’électricité et payant une facture moyenne de 1 700 euros par an recevra 140 euros d’aide, alors qu’il contribuera à hauteur de 190 euros à la CSPE… d’une manière un peu caricaturale, on pourrait donc dire qu’il finance lui-même son tarif social.

Une autre possibilité, qui évite la lourdeur de mise en place de ce nouveau prélèvement, est de considérer que le montant nécessaire au financement du chèque énergie correspondrait à une redistribution forfaitaire de l’assiette carbone en cours d’intégration dans les taxes intérieures sur la consommation, qui représenterait, à l’horizon 2016, 4 milliards d’euros, sur lesquels 800 millions d’euros pourraient être fléchés pour financer la précarité énergétique d’après l’avis du comité de fiscalité écologique – un avis non rendu public, puisque le comité a vécu, mais néanmoins quelques initiés ont eu accès à cet avis.

Si demain, nous voulons faire assumer à tous la hausse prévisible des prix de l’énergie, il ne faut pas oublier que s’éclairer, se chauffer, se déplacer, c’est aussi un droit, c’est un bien essentiel dans une société moderne et solidaire. Pour réussir une transition énergétique que l’on présente à juste titre comme un modèle de société plus sobre, plus respectueuse des ressources, il faut parvenir à la rendre désirable et y associer tout le monde : les acteurs économiques, bien sûr, mais aussi les collectivités et nos concitoyens, y compris les plus vulnérables, ceux qui se trouvent en situation de précarité énergétique.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Monsieur le président, vous avez dit que les coûts et les tarifs allaient augmenter. De ce point de vue, la transition énergétique va jouer un rôle considérable, en aidant les personnes en situation précaire au moyen des dispositifs du chèque énergie et de la rénovation thermique des logements. Cela dit, quelle analyse faites-vous des mécanismes de fixation des tarifs, qui aboutissent à ce que ceux-ci augmentent sans cesse ? Au-delà du pari de la transition se pose une question de fond, celle de la structure même des tarifs et de leur répercussion sur le budget des ménages. Même si vous préconisez d’élargir la prise en charge de la transition par un plus grand nombre de consommateurs, une hausse continue des tarifs pourrait, à la longue, toucher même les plus modestes.

M. Denis Baupin. Ma première question porte sur les énergies renouvelables et l’évolution des mécanismes de soutien. Pouvez-vous nous confirmer que votre souhait d’aboutir à une minimisation des coûts pour les consommateurs vous conduit à soutenir les dispositifs de prime ex post – calculée à la fin de l’année – plutôt que ceux de prime ex ante – calculée en amont ?

Pour ce qui est de la précarité énergétique, le chiffre de 11 millions de précaires énergétiques est un révélateur du terrible échec résultant de l’absence de stratégie énergétique de ce pays. On nous a répété durant des décennies que l’électricité n’était pas chère en France, ce qui n’a évidemment pas incité aux économies d’énergie, mais bien au développement du chauffage électrique.

Je vous rejoins sur le fait que le chèque énergie constitue une grande avancée, et pour ma part j’estime que ce dispositif ne doit pas seulement permettre de payer sa facture, mais aussi aider à réduire sa consommation en facilitant, par exemple, l’achat d’un réfrigérateur ou d’un appareil de production d’eau chaude sanitaire à basse consommation. Cette piste vous paraît-elle intéressante ?

Enfin, la seule façon de faire diminuer sa facture quand les prix augmentent consiste à diminuer sa consommation. Un certain nombre de dispositifs de maîtrise de l’énergie sont prévus par la loi, notamment celui des certificats d’économies d’énergie (CEE). L’ADEME avait estimé que pour la période 2014-2016, l’objectif d’économies d’énergie devait s’élever à 900 térawattheures (Twh) cumac. Cette évaluation est-elle toujours d’actualité ?

M. Bruno Léchevin, président de l’ADEME. Il est toujours délicat de répondre à une question portant sur la construction des tarifs. Indépendamment du fait que les tarifs doivent couvrir les coûts avec une marge raisonnable – sur le montant de laquelle il est permis de s’interroger – et de la nécessité pour tous les grands opérateurs de réaliser d’importants efforts de productivité, on sait que c’est l’empilement des différents paramètres du tarif qui a un effet inflationniste. Au stade de la production, de lourds besoins se font sentir en matière d’investissements – pas seulement pour l’avenir, mais aussi dès maintenant, notamment pour garantir la sûreté du parc nucléaire, avec un degré d’exigence renforcé depuis l’accident de Fukushima, En ce qui concerne les réseaux, le Tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) rémunère les gestionnaires de réseaux publics pour compenser les charges qu’ils engagent du fait du transport et de la distribution de l’électricité ; dans ce domaine, après une longue période de sous-investissement, on a retrouvé une dynamique d’investissement destinée à augmenter la qualité, ce qui a forcément un impact sur le tarif. Enfin, le tarif comprend aussi des taxes, dont la CSPE. Les trois composantes que je viens d’évoquer – production, réseaux, taxes – tendant à augmenter, il en est de même de leur addition, et rien ne permet d’espérer une inversion de courbe dans les années à venir.

À mon sens, le seul moyen pour que la facture cesse d’augmenter – voire baisse un peu –, c’est de mieux et moins consommer. L’un des principaux dispositifs prévus à cet effet par la loi est le plan de rénovation. On sait que le bâtiment représente 44 % de la consommation d’énergie en France : compte tenu de l’état du parc, il y a donc un travail considérable à faire durant des années, même en se fixant la plus ambitieuse des politiques
– 500 000 logements à rénover, c’est énorme. Parallèlement, il faudra maintenir les politiques d’accompagnement, en particulier auprès des publics les plus précaires.

Cela dit, le souci de protéger le consommateur ne doit pas nous empêcher de lui dire la vérité, ce que je ne craignais déjà pas de faire du temps où j’étais délégué général du Médiateur de l’énergie, car à défaut d’envoyer les bons signaux, de mettre en œuvre les politiques appropriées, on finit tôt ou tard par se trouver confronté à une situation inextricable. En l’occurrence, j’estime nécessaire que le juste prix soit payé par tous ceux qui peuvent le payer, comme le veulent la logique économique et le jeu de la compétition – tout en tenant compte des choix de politique publique, qui doivent être assumés. Refuser toute hausse des prix au motif que certains ne peuvent pas payer procède d’un raisonnement erroné : en fait, il faut partir du principe selon lequel ceux qui peuvent payer le juste prix – il y en a beaucoup, même si on a toujours tendance à considérer qu’on paye trop – doivent le faire, tandis que les personnes en situation de précarité énergétique ont, elles, vocation à bénéficier d’un traitement spécifique. Application du juste prix d’une part, traitement de la précarité énergétique par redistribution d’autre part, tels sont les deux principes qui nous permettront à la fois de couvrir les coûts et de faire preuve de solidarité – et c’est à la lumière de ces considérations que le milliard d’euros de la CSPE trouve sa justification.

« Mieux consommer, moins consommer », ai-je dit dans mon propos liminaire. De ce point de vue, nous sommes restés trop longtemps dans une logique où l’on n’attend qu’une chose du consommateur : qu’il paye sa facture de manière passive, sans se poser de questions. La hausse des prix consécutive à l’évolution du mix énergétique va avoir pour conséquence de modifier l’état d’esprit du consommateur, qui va progressivement devenir consommateur-acteur – aidé en cela par la mise en place de smart grid, et notamment du compteur intelligent Linky –, à la fois auto-producteur, auto-consommateur et effaceur. C’est la combinaison de ces éléments – intelligence technologique et des comportements d’une part, signaux-prix adaptés d’autre part – qui doit permettre de réduire le montant des factures à moyen terme.

Pour ce qui est des énergies renouvelables, je suis effectivement plutôt favorable à un mécanisme de prime ex post – sur ce point, je laisserai Damien Siess vous donner des explications techniques plus détaillées.

Vous m’avez également demandé, monsieur Baupin, si le chèque énergie devait être affecté uniquement au paiement de la facture de chauffage. En tant que président de l’ADEME, je suis tenté de considérer qu’il est utile de financer tout ce qui peut permettre de consommer moins et mieux et que, de ce point de vue, l’aide à l’achat de matériel électroménager à basse consommation peut être une bonne idée – si ce n’est qu’un tel dispositif serait un peu compliqué à mettre en œuvre. Tel qu’il est actuellement défini, le chèque énergie me paraît constituer un outil efficace au service d’une politique publique de redistribution, visant à ce que les personnes se trouvant dans les situations les plus précaires ne soient pas laissées au bord de la route.

M. Damien Siess, directeur adjoint « Productions et énergies durables » à l’ADEME. Pour ce qui est du poids du facteur de risque dans le coût des énergies renouvelables, nous préférons largement les systèmes prévoyant une prime ex post. Mettre en œuvre un système de prime ex ante reviendrait à dire que l’on a un niveau-cible auquel on ne veut pas revenir – en gros, celui des tarifs actuels – et à faire une prévision sur la rémunération qui pourrait être obtenue par le marché pour calculer le montant du complément versé sous la forme d’une prime. « La prévision est difficile, surtout quand elle concerne l’avenir », disait Pierre Dac. De fait, deux écueils sont à éviter : celui consistant à surestimer la rémunération obtenue sur le marché – faute d’une rentabilité suffisante, les producteurs seront confrontés à des difficultés, et des défaillances industrielles pourront même survenir, ce qui freinera le développement des ENR ; et celui consistant à sous-estimer la rémunération, ce qui, comme on l’a constaté par le passé, ne manquerait pas de susciter des critiques à l’égard de la politique publique et des effets d’aubaine qu’elle crée. En tout état de cause, l’incertitude relative au niveau de rémunération du marché conduirait à prendre une marge sur le niveau de risque et les taux de financement bancaire, ce qui se traduirait, paradoxalement, par une augmentation significative du coût public du soutien aux ENR – nous aurions alors un système plus intelligent, mais beaucoup plus cher.

Le système ex post, dans lequel la prime est modulée a posteriori en fonction des résultats obtenus sur le marché, présente l’avantage d’inciter les acteurs individuels à être le plus vertueux possible. Du fait de la sécurité relativement élevée qu’il présente quant à son niveau de financement, il constituerait sans doute la meilleure transition que l’on puisse imaginer entre le système actuel de tarifs réglementés, appelé à disparaître, et le futur système de marché libre, qui va progressivement s’imposer à mesure que les filières ENR augmenteront leur niveau de compétitivité économique, jusqu’à pouvoir rivaliser avec les filières classiques – ce qui est déjà pratiquement le cas pour certaines d’entre elles. Comme chacun le sait, le diable est dans les détails, c’est pourquoi nous serons très attentifs – voire contributeurs, dans la mesure du possible – au contenu des futures ordonnances relatives à cette question, où nous souhaitons voir le système de prime ex post s’imposer.

En ce qui concerne les CEE, l’évaluation de 900 Twh cumac semble tout à fait réaliste, même si certains la trouvent ambitieuse.

M. Bruno Léchevin, président de l’ADEME. Cette évaluation ne vient-elle pas d’être boostée dans le cadre de la loi sur la transition énergétique ?

M. Denis Baupin. … Pas tant que ça : le seuil envisagé est seulement passé de 660 TWh cumac à 700 TWh cumac.

M. Damien Siess, directeur adjoint « Productions et énergies durables » à l’ADEME. Je vous confirme qu’il reste de la marge en matière d’économies d’énergie : à niveau de confort inchangé, l’objectif de 900 TWh nous paraît tout à fait accessible.

M. Alain Leboeuf. Monsieur le président, si vous êtes manifestement très enthousiaste au sujet du plan de transition énergétique, pour ma part, je m’interroge sur le fait que vous estimiez que les gens « peuvent payer » – alors que le Président de la République et le Premier ministre considèrent que nous avons atteint un niveau de saturation en matière de prélèvements – même si, j’en conviens, les tarifs de l’énergie constituent un autre poste de dépenses. Vous nous dites que la facture énergétique des ménages va diminuer grâce aux économies engendrées par les travaux de rénovation thermique, mais que cela va prendre en vérité beaucoup de temps ; en revanche, vous n’avez pas précisé à quel moment la transition énergétique allait entraîner une augmentation des prix de l’énergie, et je crains fort que cette augmentation ne précède les économies que l’on attend de la baisse de la consommation, aggravant encore la précarité énergétique dans notre pays.

M. Bruno Léchevin, président de l’ADEME. Je ne suis pas venu plaider en faveur d’une hausse des prix de l’énergie, mais simplement souligner que des paramètres objectifs montrent que nous allons vers une hausse – au demeurant déjà constatée. Si tous les gouvernements s’efforcent, indépendamment de leur orientation politique, de limiter cette hausse, tant pour préserver la compétitivité des entreprises que le pouvoir d’achat des ménages, elle finit toujours par nous rattraper. C’est pourquoi, à mon sens, nous devons faire en sorte d’en limiter les effets en les compensant par une baisse de la consommation.

Selon le scénario établi par l’ADEME pour la période 2014 à 2030, la facture énergétique des ménages doit augmenter sous l’effet d’une hausse des prix et des taxes, avant de diminuer sous l’effet d’une baisse de la consommation énergétique. Comme vous le dites, il n’est pas exclu que les prix de l’énergie augmentent plus vite que notre capacité à faire baisser la consommation, ce qui poserait alors des problèmes en matière de compétitivité des entreprises et de pouvoir d’achat, c’est pourquoi nous devons nous atteler le plus vite possible à l’immense chantier de la rénovation des logements.

M. Alain Leboeuf. J’entends bien, mais vous raisonnez sur la base de formules mathématiques relevant de la macro-économie. Personnellement, je pense que nos concitoyens vont se trouver divisés en deux catégories : d’une part, ceux qui auront la possibilité de rénover leur logement dès maintenant, ce qui leur permettra d’espérer une diminution de leur facture ; d’autre part, ceux qui ne seront pas en mesure de le faire, et seront donc frappés de plein fouet par l’augmentation des tarifs qui va toucher tout le monde. Quand vous citez des moyennes, vous oubliez que les Français ne disposent pas tous des mêmes ressources, et que certains d’entre eux risquent de se trouver confrontés à d’énormes difficultés.

M. Bruno Léchevin, président de l’ADEME. Je suis d’accord sur ce point, et je vous répète que je ne suis pas favorable à une hausse des prix de l’énergie – sur laquelle je n’ai d’ailleurs aucun pouvoir. Plutôt que de vous dire que tout va bien, j’ai préféré vous tenir un discours courageux en soulignant le caractère inéluctable de la hausse des prix, afin de montrer l’urgence qu’il y a à traiter le problème de la précarité énergétique qui touche au quotidien des millions de foyers, en ville comme à la campagne. C’est le travail de l’Observatoire de la précarité énergétique que de quantifier et préciser ce phénomène de la manière la plus fine possible, afin de définir au mieux les politiques publiques à mettre en œuvre.

M. Alain Leboeuf. Je voulais surtout souligner qu’il faut rester prudent et, plutôt que de critiquer et de rejeter en bloc les anciens dispositifs, réfléchir à la manière de les faire évoluer.

M. Bruno Léchevin, président de l’ADEME. Ma critique à l’égard des tarifs sociaux se limite à dire qu’ils peinent à toucher leur cible et ne sont pas à la hauteur des enjeux, ayant d’ores et déjà montré leurs limites, en dépit de la loi Brottes qui les a généralisés. À mon sens, le chèque énergie a vocation à compléter et enrichir les dispositifs actuels – et s’il montre toute son efficacité, les tarifs sociaux tomberont d’eux-mêmes. Je ne suggère donc pas de remettre en cause le système actuel, mais de faire mieux en lui donnant une dimension plus équitable, par un élargissement à l’ensemble de nos concitoyens, quel que soit le mode d’énergie auquel ils ont recours. Il n’est pas normal qu’une personne disposant de faibles ressources et se chauffant au gaz puisse cumuler deux aides pour un montant total de 200 euros en moyenne – ce qui est assez proche du chèque énergie –, alors qu’une autre, ne se chauffant ni au gaz ni à l’électricité, n’a quasiment droit à rien. Le système a montré ses limites. Il faut donc l’enrichir, ce qui est l’objet du chèque énergie. J’ai beaucoup de respect pour les fournisseurs historiques – notamment pour EDF, une maison que je connais bien pour y avoir débuté ma carrière et pour siéger actuellement à son conseil d’administration en tant que représentant de l’État –, mais je considère qu’il ne leur appartient pas de faire de la redistribution, qui doit relever de la politique publique. Je précise par ailleurs un point qui n’est pas forcément connu, à savoir le fait que les réductions de facture – ainsi que les frais de gestion qu’elles entraînent – sont répercutées sur l’ensemble des consommateurs ; là encore, c’est un inconvénient que ne présente pas le chèque énergie.

Mme Isabelle Le Callennec. J’estime, moi aussi, que plus la facture énergétique augmentera et plus les Français vont prendre conscience de la nécessité de moins consommer. En ce qui concerne les tarifs sociaux et le chèque énergie, je pense qu’il faut s’interroger sur les problèmes de seuils qui risquent de se poser. Il a été dit tout à l’heure qu’il y a ceux qui peuvent payer et les autres, et je me demande si les personnes éligibles aux tarifs sociaux et au chèque énergie ne vont pas, de ce fait, être moins attentives à leur consommation d’énergie – alors que les économies d’énergie doivent concerner tout le monde. Les bailleurs sociaux ont, à mon sens, un très grand rôle à jouer dans l’incitation à moins consommer.

Je conclurai par une anecdote personnelle qui m’inspire une interrogation. Équipée à mon domicile d’un chauffage électrique, mais disposant également d’un abonnement au gaz de ville, j’ai reçu une proposition de GDF consistant à assurer à la fois mon approvisionnement en gaz et en électricité. Si le tarif qui m’est proposé pour l’électricité est avantageux pour les deux années à venir, rien ne permet de savoir ce qui va se passer ensuite. Savez-vous quelles idées les deux grands opérateurs ont en tête lorsqu’ils proposent un contrat mixte associant le gaz et l’électricité ?

M. Bruno Léchevin, président de l’ADEME. Au sujet de l’offre mixte, qui implique pour le consommateur de renoncer au tarif réglementé pour passer au tarif de marché, l’ADEME est très fière d’avoir mené un combat ayant abouti à l’inscription dans la loi NOME du principe de réversibilité sans condition, en vertu duquel les consommateurs ont, à tout moment et sans aucun frais, la possibilité de revenir aux tarifs réglementés. Grâce à ce principe très protecteur pour le consommateur, le risque que vous évoquez n’existe plus.

Le marché de l’électricité et celui du gaz sont différents et il existe actuellement, pour la fourniture de gaz, de vraies opportunités d’accéder à des offres inférieures au tarif réglementé. C’est ce qui a conduit l’UFC-Que choisir – que l’on ne saurait suspecter de connivence avec les grands opérateurs – à lancer, dans le cadre d’une opération « Gaz moins cher ensemble », un appel d’offres ayant abouti à une proposition alternative de Lampiris, un fournisseur belge, pratiquant un tarif environ 10 % moins cher que le tarif réglementé : 100 000 foyers français se sont déclarés intéressés par cette offre et 60 000 y ont déjà souscrit.

Quant à la question des comportements, elle est fondamentale car, si les gens profitent des marges dégagées par les avancées technologiques pour consommer plus, c’est un puits sans fond ! C’est pourquoi l’ADEME attache une grande importance au fait que les travaux de rénovation soient assortis d’une démarche pédagogique auprès de nos concitoyens. Dans ce cadre, nous accompagnons 7 000 familles dites « à énergie positive » – cette action est particulièrement dynamique en Savoie, monsieur le président…

M. le président Hervé Gaymard. En effet, il s’agit du défi de l’Association savoyarde pour le développement des énergies renouvelables (ASDER).

M. Bruno Léchevin, président de l’ADEME. Ces familles se sont engagées dans une action visant à réduire leur facture d’énergie uniquement par leur comportement, ce qui permet d’obtenir une économie de 200 euros par an en moyenne. Si cette économie reste modeste en son montant, elle montre l’importance du comportement sur la facture – et peut contribuer à l’achat d’un appareil à basse consommation, qui permettra de réduire encore les factures à venir.

L’accompagnement des comportements ne doit pas se faire uniquement au moment où les travaux de rénovation sont effectués, mais se prolonger dans la durée, afin d’éviter que les mauvaises habitudes ne reviennent. C’est dans les années 1970 qu’a été lancé le slogan « En France, on n’a pas de pétrole, mais on a des idées ! », sous l’égide de Jean Syrota, alors directeur de l’Agence pour les économies d’énergie – il fut président de la CRE trente ans plus tard. Si le principe consistant à économiser l’énergie est toujours d’actualité, il ne faut cependant pas que les économies de chauffage aillent au-delà du raisonnable : abaisser la température d’un logement de 20 °C à 19 °C permet de réduire sa facture de façon appréciable, mais nous ne conseillerions à personne de régler son thermostat sur 15 °C, une telle pratique entraînant une dégradation du logement et des problèmes sanitaires.

Mme Isabelle Le Callennec. Ne creusons pas le trou de la Sécurité sociale !

M. le président Hervé Gaymard. Je ferai une simple remarque sur le parc social. Comme de nombreuses autres collectivités locales, le conseil général de la Savoie, que je préside, a pris l’initiative en 2008 d’accroître sensiblement les crédits alloués au logement social – alors même que cela ne relève pas de la compétence des départements –, afin de permettre à l’Office public d’aménagement et de construction (OPAC) qui y est rattaché d’entreprendre des travaux de rénovation thermique : nous estimions en effet très préoccupant qu’un grand nombre de logements sociaux puissent être considérés comme de véritables passoires thermiques. En cette occasion, j’ai été frappé du temps de latence existant entre la décision initiale et la réalisation effective des travaux, du fait des nombreuses étapes à franchir entre les deux – établissement des diagnostics thermiques, nécessité de recueillir l’accord des propriétaires concernés etc.– et je peux vous dire qu’il faut vraiment que les élus locaux et les agents de l’OPAC soient très motivés pour qu’un projet de ce type se concrétise.

M. José Caire, directeur « Villes et territoires durables » à l’ADEME. Je confirme que les opérations consistant à choisir un diagnostiqueur, faire établir le diagnostic et obtenir qu’il devienne une préconisation, choisir un maître d’œuvre et des entreprises pour réaliser les travaux, demandent de longs délais. C’est dans les copropriétés que l’on a le plus de difficultés à faire avancer les choses : il est très compliqué d’emporter la décision d’un ensemble de copropriétaires dont les intérêts sont souvent divergents, et il faut alors jusqu’à six ou sept ans pour réaliser certaines opérations, même si l’ADEME s’efforce d’aider les copropriétés en mettant en œuvre différents outils. À l’inverse, de notre point de vue, les bailleurs sociaux sont généralement des maîtres d’ouvrage exemplaires, qui savent travailler dans le temps long et disposent d’une vision intégrant à la fois le loyer et les charges – ce à quoi s’ajoute l’avantage de l’effet de masse résultant du grand nombre de logements dont ils ont la responsabilité.

M. le président Hervé Gaymard. Nous vous remercions pour votre contribution.

3. Audition, ouverte à la presse, de M. Henri Proglio,
président-directeur général d’EDF

(Séance du mercredi 22 octobre 2014)

M. le président Hervé Gaymard. Notre commission d’enquête entend aujourd’hui M. Henri Proglio, président-directeur général d’EDF. Permettez-moi, monsieur le président-directeur général, de saluer le sens du service public dont vous avez fait preuve à la tête d’EDF – une grande entreprise dont nous sommes tous fiers. Nous vous remercions d’avoir accepté, dans ces circonstances particulières, de nous faire profiter de votre expertise.

La question de la fixation des tarifs de l’électricité – pour les ménages comme pour l’industrie – représente un sujet à la fois technique, économique et trop souvent politique. Sa complexité entretient la confusion, les non-spécialistes – le grand public comme les parlementaires – pouvant difficilement démêler le vrai du faux, le technique du discrétionnaire. Au terme de ses travaux, notre commission d’enquête espère pouvoir éclairer la Nation sur cette question dans toute sa globalité.

Nous estimons que les relations entre l’État, EDF et les instances de régulation doivent être régies par la confiance et la transparence. Si tous les tarifs, quel que soit le procédé de production des kilowattheures, doivent refléter les coûts, la puissance publique peut ensuite mener une politique économique de son choix. Nous serons heureux d’entendre votre avis sur ces questions.

Avant de vous passer la parole, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Henri Proglio prête serment.)

M. Henri Proglio, président-directeur général d’EDF. Me présenter devant votre Commission relevait de mon devoir. J’ai trop de respect pour le Parlement, pour la mission de service public qui m’a été confiée – et que j’exercerai jusqu’à son terme – et pour l’entreprise que j’ai eu l’honneur de diriger depuis cinq ans pour ne pas vous faire part de mes convictions sur le sujet sensible que représentent pour nos concitoyens et nos entreprises les tarifs de l’électricité. La question est complexe, mais je l’aborderai avec franchise.

EDF est aujourd’hui le plus grand électricien européen, voire mondial si l’on exclut les entreprises publiques chinoises : premier au Royaume-Uni, deuxième en Belgique et en Italie, troisième en Pologne. Porteur de la plus belle expertise technologique dans son domaine, il fait référence dans le monde entier. Grande entreprise cotée en bourse et soucieuse de ses actionnaires, premier investisseur en Europe – avec une dépense de pratiquement 15 milliards d’euros par an, nous sommes le plus grand donneur d’ordres à l’industrie européenne –, premier recruteur en France – 10 000 emplois créés en cinq ans –, EDF reste avant tout l’électricien historique français. Aussi, gardant dans son ADN la mission dont elle a été chargée, privilégiera-t-elle toujours les valeurs du service public à l’optimisation à court terme des résultats.

Le problème des tarifs de l’électricité est étroitement lié à celui des coûts. On ne peut pas éternellement maintenir un écart entre prix de vente et prix de revient sans aboutir soit à des excès, soit à une défaillance économique. Il faut donc fixer une ligne de long terme acceptable, guidée par les valeurs – continuité, qualité et accessibilité à tous – qui font les contraintes, mais aussi la grandeur du service public.

Les tarifs réglementés de vente (TRV) d’électricité ont une longue histoire. Ils ont accompagné le développement d’EDF depuis sa création et représentent une des caractéristiques fortes du paysage énergétique français, à laquelle nos concitoyens sont attachés. Pour notre entreprise, ils restent un enjeu majeur car, même si depuis l’ouverture du marché il y a plus de dix ans, le portefeuille de clients au TRV se réduit d’année en année au profit de celui de clients ayant choisi une offre de marché, il génère toujours un chiffre d’affaires de plus de 25 milliards d’euros par an – acheminement de l’électricité inclus –, soit une large majorité de nos revenus.

Les prix de l’électricité que les TRV offrent aux consommateurs français
– entreprises, collectivités et ménages – procurent à ces derniers un avantage majeur par rapport à leurs homologues des pays voisins. Selon Eurostat, un ménage italien paie son électricité 45 % plus cher qu’un ménage français, un ménage belge, 40 % et un ménage allemand, plus de 80 %. Cette différence conduit à des écarts de facture importants, même lorsqu’on tient compte des niveaux plus faibles de consommation d’électricité par habitant dans certains pays. Ainsi, en Allemagne, la facture moyenne d’électricité et de gaz par habitant est supérieure de plus de 30 % à la facture moyenne française. Nos entreprises bénéficient également d’un avantage compétitif : toujours selon Eurostat, dans le domaine industriel, l’écart entre la France et l’Allemagne dépasse 40 %, la seule exception concernant les gros producteurs électro-intensifs, du fait d’exonérations massives accordées par les pouvoirs publics allemands mais contestées tant par les tribunaux de leur pays que par la Commission européenne. Alors que le secteur de l’électricité est ouvert à la concurrence, on doit cet avantage compétitif aux choix français de politique énergétique et à la performance industrielle d’EDF.

Le prix de l’électricité a été beaucoup mieux maîtrisé que ceux des autres énergies. Pour une base 100 en 1998, son indice est aujourd’hui, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), à 130, alors que celui des carburants est à 180, celui du gaz de ville, à 200 et celui du fioul domestique, à 300. Au cours des deux dernières décennies, les tarifs hors taxes – c’est-à-dire leur part reflétant les coûts de fourniture et d’acheminement – ont baissé en monnaie constante ; comme le note la Commission de régulation de l’énergie (CRE), après la forte réduction – de l’ordre de 10 % – pratiquée en 1997, ils sont de 17 % inférieurs à leur niveau de 1998.

Cette tendance s’est inversée dans les années récentes, marquées par la reprise des investissements ; pourtant, la CRE et la Cour des comptes ont chacune de leur côté constaté que malgré leur hausse, les tarifs ne respectaient plus l’obligation – inscrite dans le code de l’énergie – de couvrir les coûts de fourniture et d’acheminement supportés par l’opérateur. C’est à ce motif que le Conseil d’État a annulé l’arrêté tarifaire de 2012, obligeant le Gouvernement à prendre un arrêté rectificatif et EDF à recalculer 130 millions de factures émises de juillet 2012 à juillet 2013. Dans son dernier rapport sur les tarifs, publié la semaine dernière, la CRE a définitivement chiffré le « déficit tarifaire » à rattraper pour les années 2012 et 2013 : aux 820 millions d’euros déjà identifiés à l’occasion de l’annulation de l’arrêté de 2012 s’ajoutent encore 1,1 milliard, le déficit total atteignant environ 2 milliards. C’est principalement ce rattrapage qui explique la succession des hausses de tarifs hors taxes ces dernières années.

La facture du client ne se limite cependant pas au tarif hors taxes ; c’est l’accroissement de celles-ci – dont la TVA et la contribution au service public de l’électricité (CSPE) – qui explique l’essentiel de l’augmentation de la facture des consommateurs depuis 2009. Pour un client résidentiel typique, 63 % de la hausse du prix, toutes taxes comprises, observée entre janvier 2009 et janvier 2013 a pour origine l’évolution de la CSPE et de la TVA. La CSPE – payée par les seuls consommateurs d’électricité – sert principalement à couvrir les charges de la péréquation tarifaire des zones non connectées au réseau continental métropolitain comme la Corse et les DOM, la solidarité – via la tarification de première nécessité – et le soutien à la cogénération au gaz et surtout aux énergies renouvelables à travers des tarifs d’achat de l’énergie supérieurs aux prix payés par les consommateurs. Depuis 2010, cette taxe spécifique a augmenté de 330 % : en 2014, elle est passée de 4,50 à 16,50 euros par mégawattheure, et la ministre de l’énergie a annoncé le 16 octobre que son montant atteindrait 19,50 euros par mégawattheure au 1er janvier 2015. La CRE recommande pour sa part de le fixer, pour 2015, à 26 euros ; en effet, malgré sa hausse, la CSPE ne couvre pas les charges des missions de service public correspondantes. Son déficit – constaté par la CRE depuis plusieurs années et estimé aujourd’hui à près de 5 milliards d’euros – s’ajoute, pour EDF, au déficit tarifaire. La dynamique de la CSPE s’explique largement par l’évolution de la charge du soutien aux énergies renouvelables, qui représente 60 % du total, mais également par la forte croissance du nombre de bénéficiaires du tarif de première nécessité (TPN) – et demain du chèque énergie – et par le financement d’une prime pour les agrégateurs d’effacement. Indépendante de l’évolution des coûts d’EDF et des tarifs hors taxes, elle contribue mécaniquement à l’augmentation des factures de tous les consommateurs d’électricité.

Ce constat appelle deux remarques. D’une part, toute mesure de soutien aux énergies renouvelables et à la maîtrise de la demande en énergie devrait être évaluée en termes d’impact sur la facture des consommateurs. D’autre part, le financement des charges de service public pourrait être mutualisé avec les autres énergies. Sans alourdir le budget des ménages ni les coûts des entreprises, ce partage rendrait le financement de la transition énergétique plus équitable.

Votre commission s’est à juste titre émue des recours déposés contre les arrêtés tarifaires, qui mettent en péril la solidité du système. Personne – ni les clients, ni EDF, ni même ses concurrents – n’a intérêt à l’insécurité juridique qu’ont générée l’annulation des arrêtés de 2009 et 2012 par le Conseil d’État et l’émission de nouvelles factures. Cet enchaînement d’événements – non couverture des coûts, recours, annulation, arrêté rectificatif, facture rétroactive – n’est dû ni à un manque de transparence ni à des évolutions brutales des coûts d’EDF. Ceux-ci sont détaillés dans plusieurs rapports du Parlement, de la CRE et de la Cour des comptes ; la CRE a notamment accès à toutes les données d’EDF et rédige un rapport annuel très complet sur le sujet, formulant un avis sur chaque arrêté tarifaire publié au Journal officiel. C’est à cause du retard qu’ils ont pris ces dernières années que les tarifs reflètent mal les coûts qu’ils sont censés couvrir. Ainsi par exemple, l’administration et la CRE ont-elles retenu pendant trois ans une hypothèse normative d’évolution des coûts commerciaux d’EDF alors même que les comptes certifiés montraient une trajectoire différente – due aux transformations de l’entreprise et aux obligations nouvelles notamment liées au droit de la consommation et aux certificats d’économie d’énergie. Lorsqu’en 2013, la CRE a reconnu ce décalage, elle a recommandé des hausses tarifaires pour en tenir compte – un rattrapage délicat en temps de crise.

Dans ce contexte, le Gouvernement a décidé d’anticiper le changement de méthode de construction tarifaire prévu par la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (NOME) du 7 décembre 2010. L’article L337-6 du code de l’énergie prévoit que d’ici fin 2015, les tarifs additionnent progressivement le prix de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH), le coût du complément à la fourniture d’électricité – qui inclut la garantie de capacité –, les coûts d’acheminement et de commercialisation, ainsi qu’une rémunération normale. Avec cette méthode – dite de construction par empilement –, la part du tarif se rapportant à la production dépendra à environ 70 % du prix de l’ARENH et à 30 % des prix de marché pour le complément de fourniture. L’adopter permettra de faire rapidement bénéficier les consommateurs des prix de marché très bas que nous connaissons. Dans son rapport de 2014 sur les TRV, la CRE compare les hausses tarifaires nécessaires en 2014 selon la méthode retenue – couverture des coûts comptables complets d’EDF ou empilement de coûts au sens de la loi NOME – et constate que l’empilement aboutit à des tarifs moins élevés d’environ 3 % en moyenne. II serait cependant audacieux de parier sur la pérennité de cet avantage car, dans les dernières années, les prix de marché ont été artificiellement poussés vers le bas par les subventions, mettant les électriciens en difficulté. Lorsque ces prix remonteront, les clients bénéficiant d’un tarif calculé selon la méthode par empilement subiront la hausse. En outre, ce mode de calcul ne résout pas le problème préexistant de la couverture des coûts de l’opérateur EDF. Loin de solliciter un droit absolu à voir couverts des coûts non contrôlés, nous sommes prêts à nous engager sur un programme supplémentaire de productivité assorti d’un mécanisme incitatif. Cet effort – venant prolonger l’esprit du programme « Spark », mis en place dès 2012, qui a permis d’économiser 1,35 milliard d’euros en 2013 – serait la contrepartie naturelle de la garantie de couverture.

Directeur pour toutes les ventes d’EDF – les tarifs réglementés, les offres sur le marché de détail, les ventes en gros aux fournisseurs concurrents –, le prix de l’ARENH constitue également un enjeu crucial pour notre entreprise qui attend, avec la même impatience que les autres fournisseurs, la publication du décret qui en fixe la formule pluriannuelle de calcul. À partir de là, il sera possible de faire évoluer ce prix qui a été maintenu depuis trois ans à 42 euros le mégawattheure, alors que les coûts de maintenance et d’exploitation ont changé. Dans le projet de décret soumis à consultation, la formule fait cependant référence à la valeur comptable du parc de production – un choix lourd de conséquences financières et économiques. Comme la CRE le montre dans son rapport de 2014, avec ce mode de calcul, la dette d’EDF ira croissant d’ici à 2025 pour la seule activité de production et de commercialisation en France, sans même tenir compte du développement et du renouvellement du parc de production. Contrairement à l’objectif initial de la loi NOME, EDF ne sera pas placée dans des conditions économiques équivalentes à celles de ses concurrents.

Au total, pour que l’édifice tarifaire continue à permettre aux consommateurs français de bénéficier d’une électricité très compétitive, il faut, d’une part, que les tarifs reflètent les coûts correspondants afin d’assurer la rentabilité de l’activité ; il convient, d’autre part, de maîtriser l’évolution de la CSPE qui grève les factures. Le TPN – un dispositif déjà ancien qui a amplement fait ses preuves – devrait être conservé et complété. Avec l’extension du nombre d’ayants droit, 2,6 millions de ménages bénéficient aujourd’hui de cette tarification sociale dont l’attribution est automatique depuis 2012. Le coût de ce dispositif financé par la CSPE reste raisonnable, l’ensemble des dispositions sociales ne représentant que 5 à 6 % des recettes de cette taxe. Les bénéficiaires du TPN jouissent désormais de protections renforcées : absence de coupures et maintien de la puissance souscrite durant l’hiver, délai de paiement de quinze jours supplémentaires pour régler les factures, gratuité ou abattement pour les prestations des distributeurs. La suppression du TPN entraînerait la disparition de ces dispositions et donc une régression de la sécurité des consommateurs. C’est pourquoi le chèque énergie en cours d’élaboration devrait venir compléter le TPN afin d’élargir l’aide à d’autres énergies sans mettre en péril l’accès à l’électricité.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Comment concilier, au travers de la construction des tarifs, les intérêts contradictoires des ménages, des entreprises françaises et de l’opérateur EDF ? Les ménages – notamment précaires – souhaitent préserver leur pouvoir d’achat ; les entreprises dénoncent les conséquences du coût de l’électricité sur l’activité industrielle. Ainsi M. Lakshmi Mittal – que nous avons entendu dans le cadre de la commission d’enquête sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie – a-t-il affirmé que ce coût était plus élevé en France que dans les autres pays. Auditionné ce matin par la commission des affaires économiques, M. Bruno Lafont, président de Lafarge, a également expliqué que le prix du mégawattheure s’élevait à 42 euros en France contre 36 euros en Allemagne – 54 contre 41 euros en comptant les coûts de transport et les taxes. M. Lafont a estimé le différentiel de compétitivité entre nos deux pays à 50 %, tout en notant que pour une entreprise comme la sienne, l’électricité représentait 20 % des coûts. On ne saurait pourtant négliger l’équilibre économique et financier de l’opérateur qui, pour assurer la sécurité et financer les investissements, doit pouvoir emprunter sur les marchés financiers. Comment gérer la variation dans la durée de ses coûts pour éviter l’instabilité des tarifs appelés à les refléter ?

Comment les choix effectués en matière de propriété du capital de l’entreprise ont-ils affecté les coûts et les tarifs d’EDF ? Quelles orientations les actionnaires privés privilégient-ils dans la gouvernance de l’entreprise ? Expriment-ils des exigences en matière de dividendes ? De même, quelles pressions l’État actionnaire exerce-t-il dans ces domaines ? Comment se déroule la discussion ? Quelles positions les administrateurs de l’État prennent-ils au conseil d’administration ?

Si le capital d’EDF était demeuré propriété publique, la situation serait-elle différente ? Les contraintes que l’État ferait peser sur la gestion de l’entreprise ne seraient-elles pas trop lourdes ? À l’inverse, serait-il moins attentif aux résultats et à la remontée des dividendes ? Aborderait-il autrement la question de la sécurité et de la maintenance ?

Les coûts d’EDF sont-ils tributaires des choix opérés au moment du partage des tâches entre EDF, ERDF et les syndicats départementaux d’électricité ? Les réseaux appartiennent aux communes qui supportent par conséquent l’amortissement des charges liées aux investissements qui pèsent sur les infrastructures. Les syndicats départementaux considèrent que les relations entre EDF et ERDF conduisent à déterminer les coûts dans l’objectif de remontée des bénéfices, les choix comptables visant à satisfaire les actionnaires – publics et privés – au détriment du service public local. Qu’en pensez-vous ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. Le montant de la CSPE risquant d’atteindre 26 euros, il faut être vigilants sur l’évolution de cette taxe, d’autant qu’elle ne couvre toujours pas les coûts de gestion attachés à la mise en œuvre de l’obligation d’achat. Dans le cadre des nouveaux mécanismes de soutien aux énergies renouvelables prévus par la loi sur la transition énergétique – notamment des compléments de rémunération –, EDF ne sera plus le seul acheteur obligé. Y voyez-vous un inconvénient ? Qu’en sera-t-il des coûts de gestion du dispositif qui n’étaient pas rémunérés à EDF ?

L’entreprise Lafarge que la commission des affaires économiques a reçue ce matin estime que la hausse des coûts de l’électricité représente entre trois et cinq fois les gains de compétitivité apportés par le crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE). Les industries électro-intensives s’inquiètent de la progression des tarifs, notamment à l’échéance de la disparition des TRV. Elles s’interrogent sur la nouvelle méthode de calcul par empilement que vous avez évoquée – qui intègre l’ARENH, le marché de gros, le marché de capacité, les tarifs d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE), les coûts commerciaux et la marge raisonnable. Cette méthode vous paraît-elle satisfaisante, surtout sur le long terme ? Quels pourraient en être les inconvénients ?

Le profil cyclique des entreprises électro-intensives – dont certaines pratiquent l’effacement, d’autres la saisonnalité – n’est pas assez reconnu ; elles ne se voient pas rémunérer à la hauteur de l’effort qu’elles consentent. Que pensez-vous de leur accès à l’hydraulique historique ? Comment imaginez-vous ce dispositif ?

M. Philippe Bies. Le dernier rapport de la CRE indique que l’évolution des coûts de production d’EDF pourrait être accentuée par l’augmentation des dépenses d’investissement. Deux tiers de ces frais concernent le parc nucléaire historique d’EDF et se justifient par les nécessités liées au cycle de vie des installations – âgées de trente ans en moyenne –, le déficit d’investissement au début des années 2000 et l’évolution du référentiel de sûreté nucléaire à la suite de l’accident de Fukushima.

Le scénario de référence établi à partir du projet industriel que vous avez communiqué à la CRE fait également apparaître, d’ici 2025, un accroissement important de l’endettement pour les activités de production d’EDF. Or ce scénario ne tient pas compte des dispositions du projet de loi sur la transition énergétique, notamment de la réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité et du plafonnement de la capacité installée. Quel sera l’impact de cette réorientation – notamment de la fermeture de réacteurs nucléaires – sur les tarifs d’électricité ?

Mme Jeanine Dubié. Le projet de loi sur la transition énergétique propose la création d’un comité de gestion de la CSPE qui aura pour mission d’en superviser les charges financières ; qu’en pensez-vous ? Cela pourrait-il vous permettre de mieux négocier avec le Gouvernement la prise en compte des coûts de portage supplémentaires ?

Depuis sa mise en place en juillet 2011, l’ARENH fait l’objet de critiques ; le nouveau mécanisme proposé par le Gouvernement vous satisfait-il ?

Dans le cadre du renouvellement des concessions hydroélectriques, vous ne semblez pas favorable à la création des sociétés d’économie mixte (SEM) permettant à l’État et aux collectivités territoriales de prendre part au capital et à la gestion des barrages. Pourquoi ? En quoi pourraient-elles nuire à l’optimisation de l’énergie hydraulique ?

Je voudrais enfin vous remercier pour l’écoute dont vous avez fait preuve au moment des inondations dans ma circonscription des Hautes-Pyrénées. L’engagement d’EDF a permis à une usine électro-intensive de reprendre rapidement son activité.

Mme Béatrice Santais. Que pensez-vous du consortium Exeltium et du nouvel accord négocié cet été avec les industriels électro-intensifs ? Ne faudrait-il pas prévoir des dispositions spéciales pour les industries hyper-électro-intensives, qui ne peuvent pas forcément participer à ce type de projets ? Ayant bénéficié, ces dernières années, d’un tarif particulièrement bas, ces entreprises connaîtront de réelles difficultés à partir de 2015.

M. Henri Proglio. Merci, madame Dubié, pour l’hommage que vous rendez à nos équipes. Je ne manquerai pas de leur transmettre vos félicitations.

Monsieur Bruno Lafont, président de Lafarge, est également administrateur d’EDF ; il connaît donc parfaitement la question des tarifs de l’électricité s’appliquant aux industries électro-intensives. Les institutions de contrôle comme nos concurrents en attestent : la France dispose d’un outil de production qui produit à ce jour l’électricité la moins chère d’Europe. Les rapports de la Cour des comptes de 2013 et 2014 confirment ainsi que le parc nucléaire existant produit de l’électricité à 55 euros le mégawattheure, coûts de démantèlement et de stockage compris. La production d’un mégawattheure thermique coûte actuellement environ 75 à 80 euros ; la crise ukrainienne vient pourtant rappeler que les prix historiquement bas du charbon et du gaz peuvent évoluer. Un mégawattheure éolien revient à 90 euros on shore et à 200 euros offshore ; photovoltaïque, entre 280 et 300 euros. Pour les énergies intermittentes, il faut ajouter 30 % de plus.

Disposant d’un parc nucléaire et hydraulique exceptionnel – l’ancienneté des installations hydrauliques en fait de surcroît un investissement déjà amorti, expliquant le coût de revient très bas de cette énergie –, la France se présente comme le pays le plus compétitif tant pour les particuliers que pour les industriels. Certes, certains pays comme l’Allemagne versent des subventions massives à leurs industries électro-intensives ; mais cette exception – qui conduit l’Allemagne devant les tribunaux – ne semble ni normale ni durable. En effet, les règles européennes interdisent aux opérateurs de faire des discriminations entre utilisateurs ; toute initiative de ce type prise par un opérateur vis-à-vis d’un type particulier de clientèle l’expose aux poursuites de la justice européenne et des organes de la concurrence. Devant ce réseau de contraintes, il faut combiner deux stratégies distinctes : maintenir la compétitivité de nos coûts de production – garante de celle de notre pays – tout en essayant de contourner les règles, dans les limites de la légalité, pour réserver quelques avantages aux professions particulièrement importantes en termes d’emplois.

Dans quelques cas particuliers, nous avons essayé de venir au secours de telle ou telle entreprise. Vous avez d’ailleurs été les témoins engagés d’opérations que nous avons menées, notamment dans certaines vallées alpines. Mais il fallait que des conditions très particulières soient réunies. Nous avons d’ailleurs longuement essayé d’analyser, de formaliser et de mettre en avant ces conditions de manière à sauver les entreprises en question. Cependant, cela reste du cas par cas, du sur mesure. En aucune manière, cela ne peut être considéré comme une réponse globale.

Si nous n’en faisons pas davantage, ce n’est pas par manque d’ambition ou de bonne volonté, mais parque que c’est interdit. Et, à force de ne pas respecter les interdictions, on finit par se faire attraper. De plus, cela finit par coûter très cher et par nous condamner collectivement.

Il est donc très difficile d’oublier les fondamentaux. Il est de la responsabilité de l’entreprise que j’ai l’honneur de présider pour quelques jours encore de donner à la France un atout de compétitivité dans le domaine de la production d’électricité. Il est de notre responsabilité collective – et, donc, de la vôtre – de faire en sorte que les règles européennes soient changées afin que nous puissions venir au secours de l’emploi dans des circonstances définies. L’entreprise, elle, ne peut rien à cela.

Mme Béatrice Santais. D’autant que, pour ce qui est des industries électro-intensives, la concurrence vient beaucoup plus rarement de l’intérieur de l’Union européenne que du reste du monde. C’est un point important que l’Europe devrait prendre en compte.

M. Henri Proglio. Par définition, la concurrence vient en effet de pays qui bénéficient de ressources d’énergie exceptionnelles. Par exemple du Canada, qui peut produire de l’électricité d’origine hydraulique en abondance et la distribuer gratuitement parce qu’il n’appartient à aucune union qui lui impose des règles. Ou d’États du Moyen-Orient riches en ressources gazières tels que le Qatar, qui peuvent se permettre de ne pas faire payer le gaz. Ces derniers pays ne cherchent pas tellement à développer l’emploi, mais cela se verrait s’ils le faisaient.

D’une manière générale, l’énergie a vocation à devenir de plus en plus chère, et il convient de savoir où sont nos concurrents. Ceux-ci vont d’ailleurs vraisemblablement évoluer au cours du temps. Certains d’entre eux n’ont pas vocation à gaspiller leur atout. L’Arabie saoudite, très important pays producteur de pétrole et de gaz, autoconsomme déjà 26 % de sa production. Selon ses propres projections, elle deviendra un pays importateur de pétrole et de gaz dans trente ans. Elle développe donc un projet de parc nucléaire afin d’économiser le pétrole et le gaz, qui sont des éléments vitaux pour elle. Le jour où les pays tels que l’Arabie Saoudite n’auront plus la capacité d’exporter leur pétrole et leur gaz, leur avenir sera compromis.

Tous les pays riches en matières premières, y compris les pays d’Asie centrale demain, auront donc la réaction géostratégique de préserver leurs ressources, plutôt que de les gaspiller. Ces États seront peut-être moins nos concurrents pour accueillir des entreprises qui créent de l’emploi, dans la mesure où ils n’en ont pas nécessairement besoin. En revanche, tel n’est pas le cas d’autres pays comme le Canada ou le Brésil. Néanmoins, la sécheresse des deux dernières années pose un sérieux problème aux autorités brésiliennes, 90 % de la capacité de production électrique du pays étant hydraulique. Il s’agit donc de sujets non pas français ni même européens, mais mondiaux.

La France est enserrée dans des règles, qu’elle a choisi de respecter, voire parfois d’édicter. Par conséquent, il ne faut pas attendre d’une entreprise qu’elle cherche, seule, à s’en affranchir. Vous aurez sans doute de nombreuses discussions sur ce point avec mes successeurs. En tout cas, si l’on oublie les fondamentaux, on oubliera assez rapidement le bon sens. Je vous exhorte donc à continuer à avoir l’œil rivé sur les coûts de production, car c’est le seul élément déterminant dans la durée. En la matière, EDF n’a aujourd’hui rien à envier à personne. La France peut s’enorgueillir de disposer d’un tel outil.

S’agissant des variations de coûts dans la durée, n’oublions jamais là non plus le bon sens : ce sont les coûts non pas comptables, mais économiques qu’il faut garder en tête. Malheureusement, la dérive naturelle est de se référer aux coûts comptables, parce que c’est plus facile. C’est ce que fait la CRE. Or, lorsque l’on réalise des investissements, les coûts comptables augmentent, ce qui n’est pas le cas des coûts économiques. Il serait absurde d’empêcher une industrie automobile d’investir dans son outil de production parce que le coût des voitures augmente le jour où elle investit ! Il faut intégrer, dans la durée, la productivité des outils que nous développons. On oublie que la compétitivité est le résultat tant de la recherche et de la technologie que de l’investissement. Si nous nous attachons à ce que les coûts comptables restent faibles, nous continuerons à privilégier des outils ringards et nous ne serons plus du tout compétitifs dans la durée. Il convient donc de rappeler en permanence que la seule référence durable est le coût économique, c’est-à-dire un coût lissé dans le temps. C’est la priorité des priorités.

Si EDF investit aujourd’hui 55 milliards d’euros dans le parc nucléaire existant afin de prolonger sa durée de vie et de conserver l’atout compétitif de la France, c’est que cela coûte non pas plus cher, mais moins cher ! Si tel n’était pas le cas, il ne faudrait pas le faire. Il s’agit du meilleur investissement que la France puisse faire : remplacer le parc coûterait infiniment plus ! Avec un investissement marginal – il peut sembler curieux de qualifier un investissement de 55 milliards de « marginal », mais tel est bien le cas –, nous continuerons à disposer d’un atout de compétitivité formidable. Certes, dans la mesure où il faut amortir les investissements, les comptes des années où nous les réaliserons montreront une hausse des coûts apparente, mais cela ne correspondra pas à une hausse des coûts de revient. Malheureusement, on confond en permanence coûts économiques et coûts comptables, et l’on a tendance à privilégier ces derniers parce qu’ils sont plus faciles à lire dans les bilans. Or il s’agit d’une erreur majeure ! Si nous prenions pour référence les coûts économiques, cela changerait le référentiel de calcul et lisserait naturellement les coûts dans le temps. Nous ferions ainsi passer le bon sens avant la comptabilité. Nous vivons dans une Absurdie construite par des technocrates qui cherchent à se simplifier la vie : il est plus facile de vérifier des chiffres comptables que des chiffres économiques. Mais l’un ne vous protège pas de l’autre !

S’agissant de l’actionnariat, j’ai travaillé pendant quarante ans dans le privé et pendant cinq ans dans le public, et je ne vous dirai pas quel est le pire des actionnaires. En tout cas, le plus vorace est certainement l’actionnaire public, parce qu’il raisonne en fonction de ses besoins. L’actionnaire privé, lui, raisonne dans la durée. D’autre part, la législation relative aux sociétés qui font appel public à l’épargne, qui est guidée par le bon sens, protège les épargnants. Dieu soit loué ! L’actionnariat privé protège l’entreprise du pillage – je le dis sincèrement. Le court-termisme des décisions étatiques – quels que soient la situation et le gouvernement en place – fait souvent commettre des erreurs lourdes et durables. Le fait que l’entreprise fasse appel public à l’épargne oblige l’État à se conformer à une règle du jeu protectrice de l’épargne, celle d’une exigence en termes de performance et de retour sur investissement. Les actionnaires veulent que leur argent leur rapporte, et c’est une règle logique et saine. Je ne critiquerai donc pas l’ouverture du capital des entreprises publiques : elle constitue une forme de rappel à l’ordre plutôt positif à mon sens – je le dis sans parti pris idéologique.

J’en viens au rôle de l’État. Il convient selon moi de distinguer l’État – c’est-à-dire la Nation, le pays éternel – et le Gouvernement – qui gère l’État pendant une période déterminée. J’ai dit récemment à un très haut responsable politique que je me sentais beaucoup moins en conflit avec les intérêts de l’État qu’avec ceux du gouvernement. Ce n’était pas un abus de langage : j’épouse totalement les intérêts de l’État. La Nation peut gérer le long terme plus facilement que le Gouvernement, qui n’est pas soumis aux mêmes contraintes et qui est obligé de gérer une situation à court terme. En disant cela, je ne privilégie encore une fois aucune option politique : cela relève, selon moi, de l’évidence. Soyons rigoureux dans nos raisonnements ; nous nous trouverons ainsi moins souvent dans des situations difficiles à maîtriser et nous verrons le bon sens récompensé.

L’État est omniprésent, et c’est bien naturel. Il est à la fois le régulateur, le gouvernement – qui gère les préoccupations de court terme – et la Patrie – qui gère le patrimoine dans la durée et défend les intérêts du pays. Sa position peut donc varier : si l’État actionnaire est, à l’instar de tous les actionnaires, très exigeant, l’État régulateur et l’État politique n’ont pas toujours le même point de vue que l’État actionnaire. Si le capital d’EDF était à 100 % privé, l’État n’en resterait pas moins l’autorité politique, le régulateur et le donneur d’ordres. Au Royaume-Uni, EDF est considérée comme une entreprise de plein exercice et un investisseur privé : lorsque les autorités britanniques nous demandent de décliner leur programme nucléaire, ils confient l’avenir de leur territoire non pas à l’État français, mais à EDF. Il en va de même en Belgique, en Italie, en Pologne ou en Chine : chaque État a ses exigences, mais c’est EDF qui est l’interlocuteur. En résumé, l’État peut être un actionnaire important, voire dominant. Mais nous voyons un avantage à ce que l’actionnariat soit réparti : si EDF était uniquement une filiale de l’État, elle serait plus handicapée pour accéder au marché mondial. Or cet accès est de l’intérêt tant de la France que de l’entreprise elle-même, si elle souhaite rester au niveau exceptionnel d’expertise, de savoir-faire et de performance qu’elle a atteint.

Quant à la gouvernance et, en particulier, au rôle du conseil d’administration, il s’agit d’un sujet distinct. En vertu de la loi, un administrateur a l’obligation d’orienter ses décisions en fonction des intérêts non pas de celui qui l’a nommé, mais de l’entreprise. De plus, il est pénalement responsable de ses décisions. Cela vaut quel que soit son mode de désignation : nommé par l’État actionnaire, élu par les salariés, indépendant, etc. Il m’est revenu de le rappeler parfois. Et cela se passe très bien.

Quelles sont les éventuelles contraintes que fait peser l’État s’agissant des investissements en termes de sûreté et de sécurité ? Encore une fois, la stratégie et les décisions fondamentales d’EDF sont guidées par les obligations du service public et par la responsabilité à l’égard de l’entreprise. La sûreté a toujours été la priorité des priorités d’EDF. Rien ne détourne l’entreprise, ses dirigeants et ses administrateurs de cette nécessité absolue, pas même les résultats, ni les exigences des actionnaires.

Il a beaucoup été question des relations entre EDF, ERDF et les syndicats départementaux d’électricité lors de l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique. Certains acteurs – c’est naturel – en ont demandé toujours plus : devenir actionnaire, être représentés au conseil d’administration, décider de la stratégie et des investissements. D’autres voulaient empêcher le versement de dividendes aux actionnaires, ce qui n’est guère logique.

J’ai deux remarques à faire à ce sujet. Premièrement, du point de vue industriel, la grande force de la France est d’avoir gardé un système électrique intégré. L’avantage sous-jacent d’un tel système est l’optimisation. L’intégration aura d’autant plus d’importance demain, car les réseaux dits intelligents seront un élément clé de l’efficacité du système électrique et, plus largement, de l’efficacité énergétique. Désintégrer les éléments constitutifs du réseau de distribution d’électricité sous des prétextes d’ouverture à la concurrence, comme cela a été fait pour le transport ferroviaire, conduirait à une « désoptimisation » désastreuse. Tous les pays qui l’ont fait s’en mordent aujourd’hui les doigts. Au cours des cinq années de mon mandat, je n’ai cessé de plaider pour que nous refusions la désintégration du système électrique français, qu’il s’agisse des barrages ou des réseaux. Faisons très attention à l’optimisation du système : c’est un aspect majeur. Du reste, un système intégré n’empêche nullement la concurrence. Celle-ci est prévue par la réglementation : tout le monde peut utiliser le réseau, à des tarifs transparents et accessibles.

Le système électrique français et le service public de l’électricité reposent sur une valeur première : la solidarité. Cela se traduit par la péréquation tarifaire : tout Français, où qu’il se trouve, bénéficie du service de l’électricité au même coût. Si nous laissions certains acteurs s’ériger en principautés indépendantes, le coût économique et, par conséquent, le coût d’accès au réseau serait plus élevé pour un habitant du plateau de Millevaches que pour un habitant de Neuilly ou du huitième arrondissement de Lyon. En d’autres termes, le coût du service serait inversement proportionnel à la capacité contributive des habitants concernés – je l’ai parfois rappelé. La responsabilité en la matière pèse non pas sur l’entreprise, mais sur le donneur d’ordres, c’est-à-dire sur celui qui établit les règles : le Parlement. Il me paraîtrait audacieux – je le dis sans détour – d’être celui qui prône la fin du service public de l’électricité en France pour des raisons d’optimisation locale, laquelle serait contraire à l’optimisation nationale.

Deuxièmement, c’est non pas EDF, mais les communes, regroupées en syndicats, qui sont propriétaires des installations de distribution d’électricité. EDF est le gestionnaire délégué du réseau. Tout le monde l’a compris sauf l’État qui, au moment de l’ouverture du capital d’EDF en 2006, a vendu le réseau aux investisseurs – donc à EDF – pour 26 milliards d’euros de l’époque, c’est-à-dire 30 milliards actuels. Il n’y a qu’une seule réponse à cela : il faut qu’ERDF vaille 30 milliards d’euros. À défaut, ce serait de l’escroquerie en bande organisée ! Mon obsession a donc été de faire en sorte qu’ERDF participe, à sa mesure, aux résultats du groupe. À cet égard, je tiens à rassurer tous ceux qui s’inquiètent d’une éventuelle « captation » des dividendes d’ERDF par EDF ou d’un « enrichissement sans cause » d’EDF : les dividendes d’ERDF, filiale à 100 % d’EDF, sont versés directement aux actionnaires via le dividende d’EDF, et je vous assure qu’EDF ne retient pas le moindre euro au passage. Évitons les erreurs de jugement : ce n’est pas parce qu’EDF est la société mère qu’elle peut bénéficier pour autant des dividendes d’ERDF. Le taux de distribution des dividendes – pay-out ratio – s’applique aux résultats consolidés du groupe, donc de la même manière à EDF et à ERDF. Point final.

Quel est le rôle des collectivités territoriales propriétaires du réseau ? En tant qu’autorités concédantes, elles confient le réseau à un gestionnaire. Il est donc naturel qu’elles soient attentives et exigeantes quant à la qualité et à l’efficacité du réseau. Doivent-elles pour autant être actionnaires ? À mon avis non, à moins qu’elles ne paient leur quote-part des 30 milliards d’euros. Avec cet argument, la discussion a changé de nature, et il a été décidé qu’il valait mieux ne pas solliciter la contribution des collectivités territoriales. Néanmoins, à la demande M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques, j’ai accepté que les collectivités territoriales soient représentées par un administrateur au sein du conseil de surveillance d’ERDF, afin qu’elles puissent disposer d’une meilleure information. L’État était auparavant représenté par deux administrateurs au sein de ce conseil. Désormais, l’État et les collectivités territoriales seront représentés chacun par un administrateur. Telle est la nouvelle règle qui a été établie.

Je souhaite dire quelques mots sur le compteur intelligent Linky. Les compteurs feront partie du réseau et appartiendront donc aux collectivités territoriales. Cependant, l’investissement de 6 milliards d’euros sera réalisé par EDF. Nous avons donc affaire à un investissement pour compte de tiers. S’agissant d’un investissement portant sur le domaine régulé, il aurait été logique qu’EDF soit rémunérée au taux prévu pour ce type d’investissement, à savoir 7,5 %. Et, si l’on avait appliqué les règles, cela aurait eu pour conséquence de faire augmenter de manière significative le tarif d’acheminement appelé TURPE.

Or j’ai préféré en revenir aux fondamentaux : EDF est non pas une administration, mais une entreprise ; son rôle est non pas de répercuter des coûts, mais de faire la preuve de son efficacité. J’ai donc proposé aux pouvoirs publics et aux parlementaires qu’EDF se comporte comme une entreprise, ce qui signifie que cet investissement doit être rentable. Il se rentabilisera d’abord par des économies de coûts en matière de relevés, à charge pour l’opérateur de les réaliser effectivement. Cela ne sera pas facile, car cela posera des problèmes sociaux, mais j’en assumerai les conséquences. Le compteur intelligent permettra ensuite d’optimiser les conditions d’exploitation, en réduisant très sensiblement les pertes non techniques, terme politiquement correct qui désigne les fraudes. Celles-ci sont considérables : nous avons estimé que la diminution des fraudes compterait pour un tiers du retour sur investissement, c’est-à-dire pour un tiers des 6 milliards d’euros. Enfin, lorsqu’il deviendra vraiment intelligent, le compteur permettra de développer des services à valeur ajoutée qui n’existent pas aujourd’hui, c’est-à-dire des services à domicile qui pourront être payants.

J’ai donc eu la vanité de penser que le déploiement du compteur Linky ne devait pas peser sur le consommateur, qu’il devait être réalisé par EDF sous sa responsabilité – bien que le compteur soit la propriété des collectivités territoriales – et qu’il devait contribuer aux efforts en matière d’efficacité, de manière à ne pas entraîner de surcoût. Telle a été la position défendue par EDF. Elle fait aujourd’hui l’objet d’un accord entre les parties prenantes. C’est vous dire si EDF assume son rôle à la fois d’entreprise et d’opérateur de service public. Elle n’est pas simplement le bras séculier d’une décision technique – nous avons plus d’ambition que cela. Par cet exemple, je voulais vous faire toucher du doigt ce que représente une entreprise comme EDF en termes non seulement de compétitivité et de protection du pouvoir d’achat, mais aussi de développement économique, d’investissement et d’emploi.

Vous avez évoqué, madame Battistel, l’accès à l’hydroélectricité historique. Or nous n’avons pas le droit de dédier un outil de production – en l’espèce, il s’agit du plus efficace – à un client particulier. Quand bien même nous aurions ce droit, cela impliquerait de procéder à une péréquation, ce qui signifie que les autres consommateurs paieraient pour le compte de ce client. Je ne suis pas opposé à ce que l’on aide les industries électro-intensives, mais faisons-le de manière transparente : disons aux Français combien cela va leur coûter ou, à la limite, organisons une collecte de fonds auprès d’eux. À défaut, les règles du jeu ne seront pas claires.

Je ne suis guère favorable à la création de SEM ou d’autres montages de ce type. Un barrage est bien plus qu’un simple outil de production d’électricité : c’est un instrument de développement régional très important et, surtout, un outil d’optimisation du système électrique français. Il s’agit en effet du seul moyen de stockage en vraie grandeur, efficace et rentable qui existe dans le domaine de l’électricité. Nous utilisons les barrages moins pour produire de l’électricité que pour alimenter le réseau au moment où nous en avons besoin pour absorber les pointes ou pour compenser les arrêts des grandes centrales. La valeur implicite des barrages est donc bien supérieure à leur capacité de production d’électricité. Pour évaluer un barrage, il faudrait en réalité prendre en compte sa capacité de production de pointe ou la valeur de l’électricité de pointe. On verrait alors que les barrages valent très cher. En revanche, si l’on émettait un appel d’offres, seule la capacité de production électrique courante serait valorisée. Ou alors il faudrait qu’EDF paie le prix approprié et le refacture à ses clients, ce qui reviendrait là aussi, finalement, à solliciter un peu plus encore le pouvoir d’achat des Français. C’est pourquoi je suis hostile, encore une fois, à toute désarticulation de notre système électrique intégré. Les évolutions de l’organisation envisagées – ouverture à la concurrence des concessions hydroélectriques, création d’institutions ad hoc – risquent de conduire à une « désoptimisation » du système, de nuire à son efficacité et de créer des conflits d’intérêts entre les actionnaires. De tels développements seraient contre-productifs et dangereux pour le pays – je vous fais part de mes convictions.

Monsieur Bies, si l’on tient compte du coût économique plutôt que du coût comptable, alors il faut qu’un investissement soit rentable. Par conséquent, aucun investissement ne peut être décidé s’il ne présente pas de rentabilité intrinsèque.

S’agissant de l’endettement, j’ai réussi, en cinq ans, à faire baisser de manière significative la dette d’EDF, à la fois par des arbitrages et par des opérations financières bien menées – je pense notamment aux capitaux qui ont été levés à cette fin. La situation financière d’EDF est aujourd’hui très saine. Tout déséquilibre permanent entre le coût économique et les recettes correspondantes finit par se répercuter sur les résultats et sur la dette. Tout en respectant les obligations de service public et en préservant le pouvoir d’achat, il faut donc amener progressivement les tarifs au niveau des coûts économiques de production et de distribution. Rien ne peut contredire cette vérité absolue. Il faut, en outre, prévoir une marge pour permettre à l’entreprise d’avoir une « hygiène de vie économique » normale et d’investir.

Toute évolution du mix énergétique a nécessairement un impact, positif ou négatif, sur les coûts. Les évolutions du mix énergétique prévues par le projet de loi relatif à la transition énergétique en auront donc un. Comme dans tout pays, il revient au Gouvernement, sous le contrôle du Parlement, de définir les orientations de la politique énergétique. Il me paraîtrait illogique de remettre en cause ces prérogatives. Mon rôle consiste à dire aux décideurs quelles sont, de l’avis d’EDF, les conséquences de telle ou telle orientation, notamment sur les coûts. Nous avons donc beaucoup discuté avec le Gouvernement des évolutions envisagées. Ainsi que je l’ai déjà indiqué ici à l’Assemblée, la France de 2030 ne sera pas celle de 2012 : elle comptera 7 millions d’habitants de plus ; elle connaîtra, je l’espère, une croissance économique importante ; ses besoins en électricité auront évolué. Ces éléments détermineront les orientations en matière de mix énergétique et, à l’intérieur de celui-ci, en matière de mix électrique. EDF se doit d’accompagner le choix fait par le Gouvernement et de faire en sorte que ce choix soit efficace au regard des contraintes qu’il impose à l’entreprise. Nous pouvons discuter de l’impact sur les tarifs en fonction des orientations qui seront prises.

Je ne suis pas opposé à la création d’un comité de gestion de la CSPE. Mais je suis surtout attentif à l’évolution de ladite CSPE, ainsi que je l’ai indiqué précédemment. Avant de travailler au sein d’un tel comité, il convient de savoir ce que représentera la CSPE et comment on l’orientera. Ces évolutions seront la conséquence des orientations retenues en matière de mix énergétique et relèvent donc, elles aussi, de décisions politiques.

Dans le cadre de l’ARENH, EDF met à la disposition de ses concurrents le quart de la capacité de production du parc nucléaire existant. Cela suppose d’abord qu’il existe un parc nucléaire, hypothèse qui semble aujourd’hui confirmée. Ensuite, cette mise à disposition se fait au prix de l’ARENH. La Cour des comptes s’est penchée sur cette question pendant deux ans et a remis deux rapports, dans lesquels elle a établi que le coût de production de l’électricité par le parc nucléaire existant était de 55 euros par mégawattheure. Le président-directeur général d’EDF ne peut donc pas se satisfaire d’un prix de l’ARENH inférieur à 55 euros par mégawattheure. Sinon, cela signifierait que les concurrents d’EDF peuvent revendre cette électricité à un prix inférieur à son coût de revient. Ce serait absolument illogique. D’autant que les concurrents d’EDF ne sont pas obligés d’acheter cette électricité : c’est une facilité qui leur est donnée. Ainsi, ils pourront acheter sur le marché lorsque le prix de l’électricité y sera inférieur au prix de l’ARENH – il arrive que le marché s’effondre pour des raisons qui tiennent à sa désorganisation, notamment à l’hyper-subventionnement de certaines énergies. Et, lorsque le marché se rétablira, ils pourront acheter de l’électricité à EDF à un prix décoté. C’est formidable, génial ! À tel point que cela devrait être condamné par l’Autorité de la concurrence ! Si je pouvais acheter un quart des Mercedes produites à Stuttgart à un prix inférieur de 40 % à leur coût de revient, puis les revendre, je pourrais créer une concession Mercedes fort rentable n’importe où dans le monde ! Nous nous sommes abonnés à cette idée, mais il ne faudrait pas que cela soit éternel.

Mme la rapporteure. Merci beaucoup pour vos réponses souvent très détaillées, monsieur le président-directeur général. Néanmoins, je suis un peu restée sur ma faim en ce qui concerne le rôle de l’État, en tant qu’actionnaire ou dans la gouvernance. L’idée implicite était que l’État pouvait être un facteur de perturbation et qu’il imposait des contraintes parfois considérables. Telle est en tout cas la perception des acteurs locaux. C’est une question importante : il s’agit pour nous, parlementaires, de mesurer les conséquences de ces contraintes tant sur les choix de l’entreprise EDF que sur les coûts économiques et les tarifs.

M. Henri Proglio. C’est un sujet éternel, qui mériterait de longs débats. L’actionnaire, public ou privé, est toujours encombrant, à l’instar de l’électeur ! De la même manière que certains rêvent d’une démocratie idéale sans électeurs, d’autres rêvent d’une entreprise idéale sans actionnaires, où le management gérerait l’entreprise au mieux, en fonction de sa vision du monde environnant. Mais il y a des actionnaires, ils ont des exigences, et c’est naturel. Dès lors que ces exigences s’appliquent à l’efficacité économique, à la performance et au retour sur investissement – c’est-à-dire aux dividendes –, elles sont parfaitement légitimes, quand bien même elles seraient pesantes. D’autre part, même si son capital était public à 100 %, l’entreprise resterait soumise aux contraintes du monde qui l’entoure, notamment à celles qui sont imposées par les agences de notation, lesquelles sont au moins aussi pesantes que celles des actionnaires.

Or nous vivons dans un monde où la dette est nécessaire, car aucune entreprise ne peut autofinancer sa croissance et ses investissements. Nous allons investir demain dans le développement du nucléaire britannique environ 50 milliards de livres sterling en trois tranches – la première tranche de 20 milliards a été acceptée à l’issue d’une longue négociation à la fois avec le Gouvernement britannique et avec la Commission européenne. Cela va d’ailleurs donner un ballon d’oxygène à l’industrie française, au-delà même du secteur nucléaire. Pour financer ce gigantesque investissement – le plus important réalisé au Royaume-Uni depuis la Deuxième Guerre mondiale –, nous allons bien évidemment solliciter le marché des capitaux et le marché de la dette. Il faut donc que notre « hygiène de vie » s’adapte à ces exigences. Du point de vue financier, l’État n’est ni plus ni moins exigeant que les marchés financiers. Et c’est naturel, je ne peux guère m’en plaindre. Quant à la gouvernance, c’est un autre sujet.

En outre, les États sont régulateurs et ils pratiquent des politiques, dont l’impact sur les coûts et sur les prix est loin d’être négligeable. Il appartient à l’État d’exercer sa responsabilité, même si, en apparence, c’est l’opérateur qui la porte et qui doit donc l’assumer. Notre rôle consiste à appeler l’attention de l’État et des parties prenantes sur les éléments importants de leurs décisions qui auront un impact sur le contenu et sur le coût du service. J’y insiste : dans aucun pays, il n’est possible d’ignorer les contraintes qui pèsent sur le coût du service au travers des choix de politique énergétique et de gestion tarifaire. Il revient à l’opérateur de rappeler sa vision des options d’optimisation possibles, des choix industriels et techniques qui s’offrent, des schémas contractuels – je les ai évoqués à propos du compteur Linky –, des orientations auxquelles il convient d’être le plus attentif – j’ai signalé en particulier l’intégration du système électrique. Il est de notre responsabilité d’alerter, d’indiquer, de prouver, d’illustrer, d’apporter les éléments d’information nécessaires. Et, une fois les arbitrages rendus par les autorités politiques, d’être au rendez-vous avec la compétence, l’efficacité et la rigueur économique qui siéent à une entreprise telle qu’EDF. Si vous n’avez pas en face de vous un tel opérateur, il faut en changer. Encore une fois, tout est transparent, et il faut qu’il en soit ainsi.

Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs, je vous remercie de m’avoir accordé tout ce temps. Je me suis exprimé avec la passion qui m’anime. J’ai servi EDF et le service public avec cette même passion. Je rends hommage à toutes les équipes de la maison, qui ont fait un travail admirable pendant ces cinq années. Je pars avec pudeur et fierté, mais aussi avec le sentiment du devoir accompli. L’État, que vous représentez, est l’actionnaire principal de la plus belle entreprise que je connaisse. Vous pouvez être fiers d’elle et de ses équipes.

M. le président Hervé Gaymard. Merci infiniment, monsieur le président-directeur général. Je vous fais part à nouveau de mon immense respect et de ma profonde gratitude.

4. Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Pierre Roncato, président du consortium Exeltium, et de M. Édouard Oberthur, responsable des opérations d’Exeltium

(Séance du jeudi 23 octobre 2014)

M. Hervé Gaymard, président. Nous recevons ce matin M. Jean-Pierre Roncato, président du consortium Exeltium, accompagné de M. Emmanuel Rodriguez, directeur en charge de l’énergie au sein du groupe ArcelorMittal. Exeltium rassemble vingt-sept grands industriels électro-intensifs, pour lesquels la consommation d’électricité représente au moins 15 %, parfois beaucoup plus, de leurs coûts de production – je pense évidemment à la sidérurgie, mais aussi à la production d’aluminium ou à certaines activités du secteur de la chimie. Les tarifs de l’électricité sont, pour ces entreprises, un élément de compétitivité essentiel.

Monsieur le président Roncato, nous souhaiterions que vous nous rappeliez dans quelles circonstances est né Exeltium il y a une dizaine d’années, quelles ont été les grandes étapes de cette aventure et quels en sont les résultats au regard des attentes de ses fondateurs. D’aucuns ont pu considérer que ce consortium était un cartel d’acheteurs d’énergie. Quelle a donc été la position des autorités de la concurrence à son égard, en France et dans l’Union européenne ? Enfin, Exeltium est-il exclusivement destiné à rechercher le meilleur prix possible par rapport au prix spot ou a-t-il plutôt pour mission de garantir la sécurité des approvisionnements à long terme ? À cet égard, nous aimerions connaître, sans dévoiler de secrets industriels, les grandes lignes de l’accord qui a été conclu il y a quelques mois avec EDF.

Avant de vous entendre, je dois vous informer que, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous demande donc de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(M. Jean-Pierre Roncato prête serment.)

La commission va maintenant procéder à votre audition.

M. Jean-Pierre Roncato, président du consortium Exeltium. Exeltium est un consortium dont les actionnaires-clients sont des industriels « électro-intensifs » au sens de la loi de finances rectificative pour 2005 et de son décret d’application du 3 mai 2006. Il réunit les principaux groupes, implantés en France, des secteurs très sensibles au prix de l’électricité, tels que l’acier, l’aluminium, la chimie, les gaz industriels et le papier. Pour ces industries en situation de concurrence mondiale, l’approvisionnement électrique, qui représente 15 % à 50 % de leur coût de production, est un enjeu de compétitivité majeur. En outre, le cycle d’investissement dans les lignes de production des usines se faisant sur le long terme – au moins dix ans –, toute incertitude sur l’évolution du prix de l’électricité obère la pérennité de ces sites industriels. Deux éléments sont donc très importants : le niveau du prix de l’électricité et la prévisibilité de ce prix – j’y reviendrai.

Comment est né Exeltium ? Historiquement, les électro-intensifs ont été parmi les premiers à militer pour la libéralisation des marchés de l’énergie en Europe, et donc à sortir des tarifs réglementés. Après la déréglementation du secteur de l’électricité dans les années 2000, l’électron fut considéré comme une commodité, ce qui a conduit à de graves dysfonctionnements du marché de l’électricité, dont ils ont été également les premiers à s’alarmer : spirale de hausse des prix déconnectée des réalités économiques de production, alignement par le haut des offres de fourniture électrique et impossibilité de contracter à long terme.

À ces dysfonctionnements, le législateur a apporté deux types de réponse. La première fut tarifaire : le Tarif réglementé et transitoire d’ajustement au marché (TARTAM) fut mis en place en décembre 2006 et prorogé à plusieurs reprises. La seconde relève d’un contrat privé : c’est la création d’Exeltium. Dès 2005, le gouvernement français a en effet convié des producteurs d’électricité français et des sociétés électro-intensives établies sur le territoire national à participer à une table ronde. Exeltium est né de cette table ronde. Le cadre juridique a été défini dans la loi de finances rectificative de décembre 2005 ; en mai 2006, Exeltium était créé par sept sociétés. En 2007, au terme d’un appel d’offres européen, EDF a été retenue comme fournisseur, mais les discussions avec la DG Concurrence ont duré jusqu’en 2008, de sorte que le contrat de partenariat industriel avec EDF a été signé qu’à la fin du mois de juillet 2008. Au moment où le consortium allait se tourner vers les marchés pour se financer, la crise financière a éclaté.

Faute de pouvoir accéder à des financements suffisants, la décision fut donc prise de réaliser le projet en deux phases. La première, qui a démarré le 1er mai 2010, est en cours ; elle porte sur 148 Térawattheures (TWh) sur 24 ans, mais avec un financement sur une durée limitée à 9,5 ans, nécessitant un refinancement d’ici à la fin de 2014 – c’est un élément crucial pour Exeltium. La seconde phase, pour 163 TWh sur la même période, reste en suspens.

Fin 2014, Exeltium aura livré 33 TWh d’électricité à une centaine d’usines appartenant à ses 27 actionnaires-clients, soit 7,4 TWh en rythme annuel. Ces volumes représentent entre le tiers et la moitié des besoins des sites concernés. C’est un ruban de puissance ; charge aux clients de s’approvisionner pour la part restante auprès d’un autre fournisseur.

Quelle est la philosophie d’Exeltium ? Historiquement, la production électrique et les usines électro-intensives se sont développées en symbiose : les usines se sont implantées à côté des moyens de production existants ou de gisements d’énergie à exploiter, notamment dans les vallées alpines ou pyrénéennes équipées d’ouvrages hydroélectriques. Avant la nationalisation de 1946, de nombreux industriels possédaient ainsi leurs propres centrales et pouvaient ainsi s’approvisionner à prix coûtant. Aujourd’hui, si ces pratiques sont révolues en France, les pays industriels qui disposent d’une production électrique compétitive, souvent issue de ressources locales, s’appuient sur ces spécificités pour développer des dispositifs très favorables aux électro-intensifs : hydroélectricité au Québec, aux États-Unis, au Brésil, en Norvège et en Russie, gaz dans les pays du Golfe, charbon en Chine.

La philosophie du projet Exeltium consiste également à donner accès aux électro-intensifs français à la spécificité du parc nucléaire historique dans le cadre d’un partenariat associant ces industriels à certains risques d’exploitation – essentiellement la disponibilité du parc et sa capacité installée – et au renouvellement du parc, c’est-à-dire au développement de nouvelles capacités, en l’occurrence une petite série d’EPR, pour l’instant limitée à un seul exemplaire.

Concrètement, Exeltium se doit d’assurer à ses actionnaires-clients une grande quantité d’électricité pendant vingt-quatre ans à un prix compétitif et prévisible. Le consortium acquiert cette électricité sous forme de rubans en take-or-pay pour une durée de quinze à vingt-quatre ans auprès d’EDF, en contrepartie, d’une part, d’une prime fixe initiale dite « avance en tête », versée à EDF en début de contrat, en mai 2010, d’un montant de 1,75 milliard d’euros – financée à 90 % par de la dette et à 10 % par les fonds propres apportés par les actionnaires-clients –, et, d’autre part, d’un prix d’enlèvement au fil de l’eau correspondant aux charges d’exploitation du parc nucléaire historique.

Le prix de l’électricité vendue par Exeltium à ses associés-clients est donc constitué de deux termes : une partie visant à rembourser la dette ayant servi à payer à EDF l’avance en tête ; une autre servant à payer la part proportionnelle du prix négocié avec EDF.

L’intérêt du montage repose sur l’accès des électro-intensifs à la compétitivité du parc nucléaire historique. En outre, la part importante de dette – 90 % – dans le financement de l’avance en tête permet d’assurer un effet de levier important grâce au différentiel entre, d’une part, le coût de la dette d’Exeltium et, d’autre part, le coût moyen pondéré du capital du producteur d’électricité. Cet effet de levier creuse progressivement un écart qui assure à Exeltium une compétitivité à long terme.

Je tiens à souligner que la création d’Exeltium est un acte inédit au plan industriel qui traduit un véritable volontarisme : les pouvoirs publics se sont impliqués, EDF s’est mobilisée et la Caisse des dépôts ainsi que les grandes banques françaises ont participé au financement. Last but not least, les industriels eux-mêmes, pour la plupart des groupes internationaux dont le siège ne se trouve pas forcément dans notre pays, ont investi 1,75 milliard d’euros en France pour assurer la fourniture électrique d’une centaine d’usines représentant 60 000 emplois.

L’histoire d’Exeltium n’est pas un long fleuve tranquille. Entre 2010 et 2014, le contexte énergétique français, européen et mondial a en effet considérablement évolué. En France, l’Accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) a été mis en place en juillet 2011 et fixé au prix de 40 euros par MWh puis de 42 euros par MWh dès janvier 2012, ce prix étant censé refléter le coût de la production du parc nucléaire historique. Fin 2013, le coût final d’Exeltium ressortait pour ses actionnaires à environ 50 euros par MWh. Ce coût incluait le prix contractuel de vente d’Exeltium à ses clients, une provision liée au surcoût du futur EPR de Flamanville – reflet d’un risque avéré du partenariat avec EDF – et le coût pour les actionnaires de la non-rémunération des fonds propres qu’ils ont apportés. Exeltium a en effet pour principe de répercuter sur le prix la totalité de ses revenus ; il ne verse donc pas de dividendes à ses actionnaires.

Il est en outre apparu que divers aspects économiques et législatifs – annonce d’une baisse de la capacité du parc nucléaire historique et modification des règles fiscales applicables, notamment la non-déductibilité totale des intérêts d’emprunt, dont l’impact se fera sentir dès 2015 – allaient aggraver directement la dégradation relative du prix Exeltium en raison de sa formule de calcul. Dans le même temps, au-delà de nos frontières, l’évolution compétitive est radicale. Les prix du gaz nord-américain, deux à trois fois inférieurs aux prix européens, permettent de produire une électricité à un prix bien moindre qu’en Europe. Le charbon chinois permet lui aussi de développer d’importantes capacités électro-intensives dans d’excellentes conditions de compétitivité.

En Europe, plusieurs facteurs contribuent également à la faiblesse des prix de marché – tout au moins hors de France, où le niveau de l’ARENH semble à court terme constituer un « plancher de verre » pour les prix de marché forward. Ces facteurs sont les suivants. Premièrement, la demande d’électricité est atone, du fait de la crise. Deuxièmement, la baisse du prix du charbon américain importé, induite par le développement des gaz de schiste, permet un regain de compétitivité des parcs de centrales à charbon, dans un contexte de bas prix du CO2. Troisièmement, les capacités nouvelles de production d’origine renouvelable connaissent une forte croissance.

On assiste ainsi à une inversion complète du rapport de compétitivité électrique entre la France et l’Allemagne : alors qu’en Allemagne, les prix de marché étaient, en 2009, supérieurs de 30 euros par MWh au TARTAM, ils se situent, pour 2015, autour de 34 euros par MWh, contre 42 euros pour le prix de l’ARENH en 2014 et 43 euros pour le prix CAL-15 français, c’est-à-dire les prix forward français pour 2015. Si l’on en croit les médias, l’ARENH devrait être porté à 44 euros en 2015, voire 46 euros en 2016, ce qui est de nature à creuser plus profondément encore le gouffre qui existe entre nos deux pays.

Enfin, de nombreux États ont mis en place des dispositifs spécifiques permettant de baisser encore la facture électrique des électro-intensifs : contrats de long terme à des tarifs très favorables, notamment en Amérique du Nord – USA et Canada – et panel de mesures, notamment en Allemagne, portant sur divers termes de la chaîne de coût de l’électricité. Ces mesures consistent en de larges exonérations du coût de transport – qui représente en moyenne 6 euros par MWh pour les électro-intensifs français –, une compensation du coût du CO2 indirect – soit un peu plus de trois euros par MWh –, ou une rémunération importante de l’effacement et de l’interruptibilité. Au total, pour ces grands électro-intensifs, la facture pour 2015 est en Allemagne, qui consomme pourtant une électricité plus carbonée, inférieure de 35 % à ce qu’elle serait en France !

Dans ces conditions, il était fondamental de refonder la compétitivité à court et moyen terme du dispositif Exeltium, en particulier pour certains sites industriels directement menacés à court terme en l’absence de visibilité et de compétitivité sur l’approvisionnement stratégique en électricité. Tel fut l’objet des travaux menés au cours du premier semestre 2014, notamment des discussions avec EDF.

L’enjeu de ces discussions consistait à identifier les moyens d’adapter un contrat privé, qui offre certes une compétitivité prévisible à long terme, aux évolutions violentes du contexte immédiat. Dans la situation économique de l’industrie électro-intensive en France, le long terme est bien lointain, le court terme peut être celui de la survie… Ainsi l’accord signé le 21 juillet entre EDF et Exeltium en présence du ministre de l’économie a permis de sécuriser une baisse du prix pour les prochaines années, rétablissant en grande partie la compétitivité du contrat Exeltium, et d’introduire dans le contrat une notion de variabilité, donc de souplesse, qui permet de l’adapter à l’environnement économique futur.

Pour simplifier, je dirais que cet aménagement permet de créer un tunnel autour du prix actuel, avec une modulation du prix à la baisse, dans une certaine limite, quand le prix de l’énergie est bas – comme c’est le cas actuellement – et une modulation du prix à la hausse, également dans une certaine limite, quand la situation économique est plus favorable et que les prix de l’électricité sont revenus à « la normale ». En outre, l’accord porte sur une limitation plus stricte qu’initialement prévue du risque industriel partagé par Exeltium.

La philosophie du contrat, validée dès l’origine par la Commission européenne, n’est pas modifiée par cet accord. Il s’agit toujours d’offrir aux électro-intensifs une visibilité à long terme, avec un prix compétitif sur l’ensemble de la période considérée, tout en permettant au producteur de couvrir ses coûts dans la durée. La variabilité introduite doit permettre d’amortir les soubresauts du contexte économique et concurrentiel, sans remettre en cause l’économie générale du dispositif. Le schéma ainsi redéfini par cet accord est donc robuste sur un plan à la fois économique et juridique.

Pour compléter ce dispositif et achever le rétablissement de la compétitivité d’Exeltium, deux actions complémentaires sont en cours. La première consiste à effectuer une démarche auprès des pouvoirs publics afin que soit supprimé l’impact prévisible d’une déductibilité partielle des intérêts sur Exeltium, projet fondé, je le rappelle, sur un endettement très important. La seconde consiste en la réalisation dans des conditions favorables du refinancement de la dette d’Exeltium, nécessité par la maturité du financement initial limitée à dix ans. Le processus de refinancement vient d’être lancé et devrait aboutir au début de l’année 2015.

En conclusion, je souhaite réaffirmer, à quel point Exeltium, malgré les difficultés survenues au cours des dernières années, est un bon dispositif. Il est de nature à assurer aux électro-intensifs, pour lesquels cela est la priorité, compétitivité et visibilité. L’accord récemment conclu avec EDF, qui démontre la capacité du dispositif à s’amender, doit apporter à celui-ci la souplesse qui pouvait lui manquer pour s’adapter aux aléas de la conjoncture.

Je veux également souligner que le prix de l’électron n’est qu’une des composantes du prix de l’électricité, et donc de la facture des électro-intensifs. Dans ce contexte, l’aboutissement des réflexions initiées depuis deux ans et relayées en partie dans le cadre des travaux sur le projet de loi relatif à la transition énergétique reste essentiel.

Je tiens à mentionner ici trois sujets importants pour les semaines qui viennent.

Premièrement, l’établissement d’une rémunération attractive des effacements et de l’interruptibilité de la part des industriels, en échange du service économique que ces grands consommateurs de base rendent à l’équilibre du système électrique. En effet, la mise en œuvre des dispositifs actuels de rémunération des effacements est le plus souvent inopérante pour les industriels et sans commune mesure avec ce qui est pratiqué en Allemagne.

Deuxièmement, l’introduction dans la loi d’un dispositif permettant un abattement sur le coût du transport d’électricité, la consommation en base ou anticyclique des industriels profitant à l’équilibre du réseau et ne nécessitant pas un surdimensionnement de celui-ci. L’article 43 du projet de loi relatif à la transition énergétique donne une base juridique à l’abattement sur le Tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) issu de la délibération de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) du printemps dernier. Cependant, l’abattement est plafonné à 60 %, contre 90 % en Allemagne. Par ailleurs, des incertitudes demeurent en ce qui concerne l’éligibilité au dispositif. Il apparaît donc souhaitable que les discussions se poursuivent et permettent d’affiner cette rédaction complexe d’ici à la fin de la procédure législative.

Troisièmement, la mise en conformité du dispositif de plafonds de la Contribution au service public de l’électricité (CSPE) qui n’entraîne pas pour autant une hausse de cette contribution pour les sites électro-intensifs français – à l’instar de ce que vient de faire l’Allemagne. Compte tenu des montants en jeu, ce statu quo est absolument vital pour les industries électro-intensives françaises, dans la mesure où leurs principaux concurrents dans le monde ne sont pas soumis à ces charges

De façon plus générale, il faut veiller à ce que de futures modifications législatives ou fiscales applicables à des projets comme Exeltium ne viennent pas affecter un équilibre économique très délicat. La déductibilité partielle des intérêts, que j’ai évoquée tout à l’heure, n’existait pas lorsque ce projet a été créé. Or, l’impact potentiel d’une telle mesure, supérieur à 1 euro par MWh, est de nature à mettre en jeu l’équilibre économique d’un projet comme celui d’Exeltium.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Vous nous avez exposé de manière assez précise les difficultés auxquelles vous êtes confrontés et les défis que vous avez à relever. De ce point de vue, l’accord conclu avec EDF au mois de juillet dernier vous paraît-il entièrement satisfaisant au regard des tarifs compétitifs sur le long terme dont bénéficient vos concurrents étrangers ? À cet égard, les mesures prises par certains États membres de l’Union européenne vous paraissent-elles conformes aux règles communes auxquelles nous sommes soumis ? Par ailleurs, votre périmètre d’intervention vous semble-t-il suffisamment étendu pour répondre aux difficultés que rencontrent l’ensemble des industriels qui sont de grands consommateurs d’électricité ? Je pense notamment au cimentier Lafarge, dont les représentants nous ont indiqué hier, lors de leur audition, que l’électricité représentait 20 % de son coût de production.

M. le président Hervé Gaymard. Exeltium est-il désormais, pour vos clients, le seul vecteur de discussion avec EDF ou chaque industriel continue-t-il de mener des négociations particulières avec ce fournisseur d’électricité ? Je pense, en vous posant cette question, à la situation de l’usine d’aluminium Péchiney de Saint-Jean-de-Maurienne. On disait en effet qu’elle payait le KWh 20 euros. Or, lorsqu’elle a négocié son contrat avec EDF, il y a vingt ou trente ans, il avait été convenu qu’elle verserait une soulte en amont, de sorte que pour une valeur faciale du KWh de 20 euros, sa valeur actualisée est en réalité de 30 euros ou 32 euros.

M. Jean-Pierre Gorges. Si j’ai bien compris, Exeltium est une centrale d’achat qui regroupe un certain nombre d’entreprises consommant beaucoup d’électricité, pour lesquelles vous jouez en quelque sorte un rôle d’amortisseur en leur garantissant un prix indépendant des fluctuations du marché. Le projet de loi relatif à la transition énergétique, actuellement examiné par le Parlement, comporte, outre quelques grands principes, une seule mesure dont on soit certain : l’arrêt progressif de la production nucléaire d’électricité. Or, l’équilibre de ce programme ne pourrait être atteint que grâce à une diminution de la consommation d’électricité. Selon vous, ne peut-on pas envisager que les électro-intensifs connaissent un développement tel que leur consommation d’électricité compensera la diminution que l’on finira par imposer aux ménages ? L’une des deux fonderies de mon département, par exemple, fonctionne désormais entièrement à l’électricité.

Par ailleurs, on ignore aujourd’hui si la production d’électricité d’origine durable sera en mesure d’égaler la production d’origine nucléaire. Pensez-vous que cette électricité d’origine durable permettra de faire la jonction avec le nucléaire et de fournir une énergie à un prix intéressant pour les électro-intensifs ? Si, demain, l’électricité représente, non plus 20 %, mais 30 % ou 50 % de leur coût de production, on peut s’interroger sur la survie de ces entreprises.

Pensez-vous que, dans le marché libéralisé souhaité par l’Europe, il soit possible de continuer longtemps à acheter l’électricité plus chère qu’on ne la vend ?

Enfin, la loi sur la transition énergétique et les orientations stratégiques qu’elle traduit sont-elles compatibles avec le développement d’activités électro-intensives ?

M. François Brottes. Je veux rappeler à mes collègues que nous devons avoir une approche décomplexée du sujet : ainsi que le rappelait le président de Lafarge hier, il n’y a pas un pays au monde, en Europe ou ailleurs, où les industries qui consomment beaucoup d’énergie ne sont pas soutenues d’une manière ou d’une autre. Ainsi, même si la Commission européenne a mis de longs mois à en autoriser la création, le fait est qu’aujourd’hui un groupement d’achat tel qu’Exeltium existe. J’en viens à mes questions. Tout d’abord, que pensez-vous des dispositions concernant les électro-intensifs contenues dans le projet de loi de transition énergétique, lequel, je le rappelle, ne se limite pas à de grands principes ?

Ensuite, certains sites consomment beaucoup d’électricité sans pour autant pouvoir faire partie de votre groupement. Que pensez-vous d’une éventuelle extension du périmètre de celui-ci ? Par ailleurs, même si vous n’êtes pas concernés, je souhaiterais savoir quel regard vous portez sur le souhait de RTE que les industriels absorbent, le cas échéant, une partie du trop-plein d’énergie du réseau par une surconsommation.

S’agissant de l’hydroélectricité, la loi autorisera la création de sociétés d’économie mixte. Seriez-vous prêt à intégrer ce type de sociétés pour vous situer en amont de la production et bénéficier ainsi, en aval, de cette production la plus optimisée, la plus vertueuse et aussi la plus intéressante ?

Enfin, quand je lis que l’Autorité de la concurrence estime nécessaire de sortir au plus vite de l’ARENH – qui, là encore, ne vous concerne pas directement – et de laisser le marché fixer les prix, j’ai froid dans le dos. En effet, compte tenu des besoins en énergie des industriels dans leur ensemble, ce pourrait être catastrophique si le coût de l’énergie augmentait de manière exponentielle et hypothéquait ainsi notre rendez-vous avec la croissance. Le président de Lafarge nous a indiqué que le CICE, dont il a bénéficié à hauteur de 3 millions d’euros, lui avait permis d’absorber un tiers de l’augmentation de sa facture d’énergie. Il s’agit donc d’un poste vital pour les électro-intensifs, et la représentation nationale, toutes tendances confondues, se doit de veiller à la façon dont on traite cette question.

Présidence de M. Alain Leboeuf, vice-président de la commission d’enquête

Mme Marie-Noëlle Battistel. Le tarif Exeltium, vous l’avez fort bien démontré, n’est pas une réponse aux difficultés rencontrées par les électro-intensifs. Le profil cyclique de ces entreprises, qui pratiquent souvent l’effacement et la saisonnalité, n’est pas suffisamment reconnu au regard des services qu’elles rendent à l’équilibre du système électrique. Comment pourrait-on, selon vous, améliorer la rémunération de l’effacement et de la saisonnalité ? S’agissant de l’abattement sur le TURPE, qui sera plafonné à 60 %, contre parfois 90 % dans d’autres pays, vous avez évoqué un problème d’éligibilité. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet ? Par ailleurs, si l’accord conclu en juillet dernier va dans le bon sens, est-il tout à fait satisfaisant, dès lors que la nouvelle méthode de calcul est fondée sur une construction tarifaire par empilement, qui intègre à la fois l’ARENH, le TURPE, les coûts commerciaux, la marge ainsi que les marchés de gros et de capacités, ces derniers fluctuant à la hausse et à la baisse ? Enfin, quelle est votre position sur l’accès à l’hydraulique historique en dehors des sociétés d’économie mixte évoquées par François Brottes ?

M. Jean-Pierre Roncato. Le grand mérite de l’accord conclu avec EDF est de rendre le prix Exeltium à nouveau compétitif sur le marché français, conformément à l’objectif initial. Mais est-ce suffisant dans la compétition mondiale ? La réponse est clairement non. Dès lors, la question qui se pose est celle de savoir comment parvenir à donner aux industries présentes sur le territoire français une chance de s’y maintenir.

La réponse ne consiste pas forcément à s’aligner sur le prix le plus bas, car, pour un certain nombre de ces industriels, la production locale présente un avantage lié notamment à la proximité des clients et au transport des produits. Néanmoins, les écarts constatés sont tellement importants qu’il reste du chemin à parcourir pour que la situation soit soutenable.

Les mesures prises par certains de nos voisins sont-elles compatibles avec les règles européennes ? Si la question peut se poser pour un certain nombre de nos compétiteurs, tel n’est pas le cas pour ceux d’entre eux qui ne se situent pas en Europe. Au Canada, par exemple, les prix pratiqués sont extrêmement bas ; ils sont le fruit d’une volonté politique de maintenir, pour des raisons stratégiques, des industries vitales sur le sol national. À cet égard, on m’a interrogé sur la construction tarifaire par empilement. Celle-ci s’applique, me semble-t-il, dans tous les secteurs, mais si l’on veut être à même de maintenir ces industries en France, il faut prendre une décision politique, qui peut consister à déroger à cette structure d’empilement tarifaire.

Je veux souligner qu’Exeltium, qui est certes un montage complexe, qui a mis du temps à se mettre en place et a dû être profondément remanié en 2008 suite aux remarques de la DG Concurrence, présente aujourd’hui l’avantage d’être conforme au droit européen.

Le consortium était à l’origine ouvert à l’ensemble des industriels électro-intensifs. Ses membres sont actuellement au nombre de vingt-sept, mais il est difficilement envisageable d’étendre le périmètre du dispositif actuel, parce qu’une somme considérable, 1,75 milliard d’euros, a été investie, financée par l’emprunt sur les marchés financiers. En revanche, si un « Exeltium 2 » devait être créé – le projet n’ayant pu être réalisé que pour la moitié de la capacité initialement prévue –, on pourrait imaginer, d’une part, qu’il soit ouvert aux industriels qui n’ont pu adhérer au premier dispositif et, d’autre part, qu’il soit fait appel dans ce cadre non seulement au nucléaire, mais aussi à l’hydraulique. Exeltium s’appuie en effet sur les spécificités du parc de production français, pourvu que ces moyens de production soient durables et prévisibles de façon à bénéficier d’une compétitivité et d’une visibilité sur le long terme.

Le groupement Exeltium est-il le lien exclusif entre ses clients et EDF ? À cette question, la réponse est clairement non, ne serait-ce que parce qu’il ne répond qu’à une partie – entre un tiers et la moitié selon les sites – des besoins de ces grands industriels, qui doivent donc négocier l’ensemble de leurs approvisionnements hors Exeltium. Aussi ont-ils des discussions non seulement avec EDF, mais aussi avec l’ensemble des fournisseurs alternatifs potentiels.

Plusieurs questions ont porté sur la limitation annoncée du nucléaire dans le mix énergétique français. Ma réponse comportera deux volets. Tout d’abord, le partenariat industriel sous-jacent au contrat entre Exeltium et EDF comprend une participation à l’évolution du parc nucléaire. Dès lors, une réduction significative de celui-ci peut conduire à un renchérissement du prix Exeltium. Mais j’ai souligné tout à l’heure que la récente négociation avec EDF avait permis de limiter plus qu’auparavant l’impact potentiel de ce renchérissement. Quant au débat concernant le nucléaire et l’énergie renouvelable, tout ce que je puis dire, c’est que l’important pour les électro-intensifs est de pouvoir se fonder sur un moyen de production qui soit en ligne avec leur profil de demande, qui offre donc une stabilité dans le temps et une continuité de production. Partout dans le monde, on constate que les solutions apportées aux électro-intensifs s’appuient nécessairement sur des moyens d’une production continue, qu’il s’agisse du gaz, là où il est bon marché grâce aux gaz de schiste, du charbon, de l’hydraulique ou du nucléaire. Il convient donc que tout pays industriel conserve, dans son mix énergétique, une base conséquente de moyens de production continue et adaptée à un fonctionnement en base : on ne peut imaginer un parc de production fondé sur une part trop importante de moyens interruptibles.

M. Jean-Pierre Gorges. Si l’on ajoute la dimension carbone, ces moyens de production ne sont plus au nombre de quatre…

M. Jean-Pierre Roncato. Tout à fait. Parmi les solutions qui permettent à un certain nombre de pays de répondre aux besoins des électro-intensifs, certaines sont carbonées. Dans le contexte français, il me semble que le parc historique nucléaire est une chance et qu’il faut réfléchir à deux fois avant de s’en priver.

Par ailleurs, un certain nombre des mesures contenues dans la loi de transition énergétique vont dans le bon sens. Il faut simplement réfléchir à leurs modalités de mise en œuvre, qu’il s’agisse d’effaçabilité ou d’accès au transport, pour que dans la pratique, le résultat quantitatif soit positif pour les industriels. En Allemagne par exemple, la volumétrie offerte aux industriels et les conditions de mise en œuvre de l’effaçabilité sont très importantes. Les écarts sont de quelques secondes en France, de quelques minutes en Allemagne : le même concept peut être plus ou moins facile à mettre en œuvre selon les conditions imposées.

S’agissant de l’hydroélectricité, il me paraît important de réfléchir, sur la base d’un montage qui a été validé par la DG Concurrence européenne, à la transposition d’un mécanisme comme Exeltium à ce mode de production. C’est une piste de réflexion qui mérite vraiment d’être examinée, d’autant qu’elle offrirait l’opportunité à d’autres industriels de rejoindre le dispositif dans le cadre d’une seconde phase. Il faut cependant être conscient que celui-ci ne peut être réservé qu’à un nombre limité d’électro-intensifs. Tous n’ont certes pas adhéré au processus à ses débuts, mais il faut prendre garde à ne pas trop étendre la notion d’électro-intensivité et ses critères, car l’effort, certain et nécessaire, doit porter sur une population restreinte.

M. François Brottes. Quid de la surconsommation ? Que pensez-vous de l’avis rendu par l’Autorité de la concurrence sur l’ARENH ? Je pourrais comprendre que vous sortiez le « joker » sur cette dernière question…

M. Jean-Pierre Roncato. Nous ne sommes pas directement concernés par la question touchant à l’ARENH, en effet. Nos membres, qui doivent trouver des solutions complémentaires, hors du consortium, pour boucler leur approvisionnement énergétique, sont bien entendu sensibles à l’environnement tarifaire dans son ensemble. Les deux solutions que représentent l’ARENH et l’accès aux marchés peuvent coexister, pour peu que la première ne constitue pas un plancher de verre déterminant l’évolution de la seconde. Or on constate un décalage sensible entre les prix de marché à terme en France et ceux de marchés voisins, tels que l’allemand. La réduction du différentiel apporterait une réponse globale au problème de la compétitivité du sourcing énergétique des électro-intensifs. Une augmentation de l’ARENH risquerait, en tout cas, d’entraîner celle des prix sur le marché français.

M. Alain Leboeuf, président. Quelles sont les capacités de vos adhérents à « absorber » des surproductions ponctuelles ?

M. Jean-Pierre Roncato. Hormis des fluctuations marginales, les investissements, dans les industries dont nous parlons, sont très lourds, et les durées de fonctionnement s’approchent aussi près que possible du fonctionnement en base. Dans certaines conditions, ces industries peuvent interrompre leur production et offrir un service d’effacement, mais elles ne disposent pas de capacités d’absorption des surconsommations.

M. Emmanuel Rodriguez, directeur « Énergie » d’ArcelorMittal. Le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) est devenu plus saisonnier ; il s’agit, à travers un signal tarifaire, d’inciter à consommer pendant les périodes creuses. Cette solution, qui s’inscrit dans la vision française de la péréquation, est une première réponse, encore modeste par son ampleur, à la gestion des problèmes de congestion.

Nous ne sommes pas encore en mesure d’absorber la surproduction d’énergies renouvelables : nous ne pouvons le faire, à travers l’incitation tarifaire, que pour ce qui est prévisible. Des services systèmes ont été ouverts, mais pour des secteurs très précis, qui recourent à l’électrolyse, comme celui de l’aluminium et éventuellement du chlore.

Mme la rapporteure. Je m’interroge sur la façon dont nos entreprises se positionneront dans la concurrence internationale, sachant que les pays extra-européens ne sont pas soumis aux mêmes règles puisque, dans la plupart d’entre eux, les électro-intensifs perçoivent des subventions. Avez-vous, de ce point de vue, des demandes complémentaires ? Peut-on à vos yeux en rester à l’accord ? La proposition que vous avez formulée, s’agissant d’un « Exeltium 2 », constitue-t-elle une réponse satisfaisante pour les entreprises qui évoluent hors du périmètre ?

M. Jean-Pierre Gorges. J’ai la même question, vue sous un angle libéral. Le cadre énergétique français est-il un frein pour les électro-intensifs ? Faudra-t-il envisager d’en revoir les règles pour accorder des subventions, comme le font les concurrents internationaux ? Dans quel état d’esprit sont ces entreprises vis-à-vis des incertitudes qui pèsent sur les coûts et, plus encore, sur la production ?

M. Jean-Pierre Roncato. Exeltium, comme « Exeltium 2 », sont des solutions dans un monde rationnel, où le prix de l’électricité couvre les moyens à long terme des producteurs, dans le cadre d’un équilibre économique. Aujourd’hui, les experts s’accordent à dire que le prix de l’électricité sur les marchés, en particulier en Europe, est particulièrement bas, si bien qu’il ne permet pas le renouvellement ou le maintien à long terme. Tout porte cependant à croire que cette situation ne durera pas éternellement : la réalité économique finira par s’imposer. Des montages tels qu’Exeltium auront alors tout leur intérêt, en particulier à travers le mécanisme d’effet de levier qui, à un horizon de dix ans, bonifiera les conditions de financement, comme on l’a constaté avec l’avance en tête.

Reste à savoir comment traverser la phase transitoire, caractérisée par des prix étonnamment bas sur les marchés. Il convient donc d’agir, non seulement sur le prix de l’électron, mais aussi au moyen de différents outils qui influent sur prix final de l’électricité pour les électro-intensifs. Je pense, par exemple, à la rémunération conséquente de l’interruptibilité ; à l’exonération, non moins conséquente, des coûts de transport ; aux mesures équivalentes aux exonérations sur la taxe CO2 ; à la mise en conformité, enfin, d’un plafond de CSPE sans surcoût pour les industriels. Toutes les composantes de la chaîne de valeur et du coût de l’électricité doivent contribuer à l’objectif.

La question de savoir s’il est possible de réduire le prix de l’électricité aux niveaux non économiques où on le trouve sur certains marchés mondiaux est d’une autre ampleur : elle suppose, si cette tendance devait persister, une réponse européenne.

M. Jean-Pierre Gorges. Pour les électro-intensifs, le prix de l’électricité représente, par définition, une part importante des coûts : un prix comparativement trop élevé en France pourrait-il les conduire à délocaliser leur activité, pour la rapprocher des zones où l’énergie est moins chère ?

M. Jean-Pierre Roncato. C’est en effet le risque ; d’où la nécessité d’assurer une compétitivité suffisante du prix de l’électricité, au regard de l’avantage d’un maintien de l’activité sur place en termes de proximité des clients et de transport des produits finis. Le risque, au demeurant, peut être celui de la délocalisation, mais aussi de l’allocation préférentielle de production, au sein d’un même groupe, à des usines situées dans des zones où l’électricité est moins chère.

Mme la rapporteure. Si la situation devait perdurer, il faudrait à l’avenir, suggérez-vous, inciter l’Europe à se défendre : est-ce à dire qu’en l’état actuel des choses, le cadre européen est suffisamment protecteur ?

M. Jean-Pierre Roncato. L’Union européenne doit, dès à présent, prendre conscience que la compétition est mondiale et que, pour y faire face, il convient d’assouplir certaines règles.

Exeltium avait sollicité 4 milliards d’euros sur les marchés, mais ce projet, pour lequel quatre institutions financières s’étaient initialement portées candidates, n’a pu être péniblement mené à bien que pour moitié, en 2008-2009, tant l’intervention de la Commission européenne avait généré de complexité. Les règles européennes, pour éviter un « verrouillage » du marché français, nous contraignent à offrir gracieusement à nos clients industriels une option de sortie qu’ils ne demandaient pas forcément. Cela induit une complexité et un coût que Bruxelles aurait pu nous épargner s’il avait pris en considération la spécificité du secteur. La reconnaissance de telles spécificités est un enjeu majeur ; elle suppose des mesures politiques fortes.

M. Alain Leboeuf, président. Monsieur le président, je vous remercie. Pour résumer votre analyse, l’industrie des électro-intensifs doit faire face à un problème franco-français, mais la compétitivité internationale exige aussi que l’Europe joue tout son rôle.

5. Audition, ouverte à la presse, de M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d’électricité (RTE) et de M. Vincent Thouvenin, directeur du département « Régulation, tarifs et finances »

(Séance du jeudi 23 octobre 2014)

M. Alain Leboeuf, président. Monsieur le président, monsieur le directeur, soyez les bienvenus. Je vous prie d’excuser le président Gaymard, qui a dû s’absenter. Réseau de transport d’électricité (RTE) est en situation de monopole, mais celui-ci est régulé : l’activité de votre entreprise s’exerce dans un cadre de service public, sous le contrôle de la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Avec vos quelque 8 500 salariés, vous gérez plus de 100 000 kilomètres de lignes et l’ensemble du dispositif d’interconnexion entre le réseau français et les réseaux des pays voisins. Les recettes de RTE ne résultent pas de prix de marché, mais du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE), lequel est fixé selon une méthodologie établie par la CRE, qui en apprécie les éléments constitutifs, parmi lesquels, notamment, les investissements que vous réalisez.

Vous évoquerez, monsieur le président, l’impact de l’entretien et de l’amélioration du réseau de transport sur les tarifs. Quels investissements RTE a-t-il programmés de façon prioritaire ? Existe-t-il, ou a-t-il existé certaines divergences entre RTE et la CRE, à l’approbation de laquelle votre programme d’investissements doit être préalablement soumis ? En quoi le développement des interconnexions entre pays européens pourrait-il influer favorablement sur les tarifs, même si cette voie suppose, on le sait, de lourds investissements ?

En vertu de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous demande de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(M. Dominique Maillard prête serment.)

M. Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d’électricité (RTE). Nous assurons, au-delà du développement, de l’entretien et de l’exploitation des infrastructures, la circulation des électrons, veillant ainsi à l’équilibre entre l’offre et la demande. Pour ce faire, nous pouvons mobiliser des moyens de production ou d’effacement, ainsi que des capacités situées aux frontières, grâce aux interconnexions.

Pour un consommateur domestique moyen, le prix du mégawattheure s’établit à 160 euros, dont 13 euros pour le transport, soit 8 %. Dans cette facture, le poste principal est la fourniture – 36 % –, suivie par la distribution, compte tenu de la longueur du réseau et des pertes, plus importantes, pour l’électricité transportée à plus basse tension : elles atteignent 7 % au total, dont 2 % imputables au transport lui-même et 5 % à la distribution. Le troisième poste est la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), pour 15 %, suivie par la contribution au service public de l’électricité (CSPE) – 10,2 % –, les taxes diverses – 8,3 % – et, enfin le transport – 8,2 %.

Pour un grand industriel, directement raccordé au réseau – donc exempt de charges de distribution –, le transport représente 13 % de la facture : cela explique qu’il fasse l’objet de réflexions – le projet de loi relatif à la transition énergétique et à la croissance verte réserve d’ailleurs un article aux électro-intensifs.

Nos tarifs sont fixés pour quatre ans par le régulateur, à l’approbation duquel sont également soumis, par souci de cohérence, nos programmes d’investissements. La période en cours s’achèvera en 2017. La formule est simple : nos tarifs doivent suivre la courbe de l’inflation. Cependant, nul ne lit dans la boule de cristal : des éléments peuvent varier, comme le coût d’achat des pertes. L’exploitation des interconnexions peut aussi générer des recettes, qui par conséquent dépendent de l’évolution du marché européen. Le régulateur retient donc des hypothèses normatives, qu’il compare chaque année à la réalité ; un compte dit « de régularisation des charges et produits » est débité ou crédité, selon l’évolution à la hausse ou à la baisse des recettes et des charges. Cela aboutit à une correction, sur le tarif, limitée à 2 % afin de lisser l’évolution. Au 1er août dernier, nos tarifs ont diminué de 1,3 %, soit le différentiel entre l’inflation de 0,7 % et le plafond de 2 % appliqué à des recettes imprévues que nous avions engrangées. Le régulateur a d’ailleurs consenti, pour les consommateurs électro-intensifs, une « ristourne » supplémentaire en cours de légalisation.

Nos recettes proviennent, pour 85 %, des tarifs fixés par le régulateur. Ces tarifs étant d’ordre public, ils ne sont pas négociables – nous ne sommes donc pas en mesure de faire des remises à nos clients. C’est la contrepartie légitime au monopole. Le reste de nos recettes – 15 %, donc – vient d’abord des transports, à travers ce qu’il est convenu d’appeler la tarification « timbre-poste », indépendante de la distance supposée entre le lieu de production et le lieu de consommation. Cette distance serait d’ailleurs difficile à établir : même si un client est situé à proximité d’un barrage, outre que celui-ci peut être arrêté, le réseau est maillé, de sorte que l’ensemble des moyens de production concourent à l’équilibre entre l’offre et la demande. Bien que certains économistes plaident pour une tarification nodale, je pense que le système actuel est le bon ; c’est d’ailleurs celui qui est appliqué partout en Europe, les États-Unis, de leur côté, ayant opté pour la tarification nodale dans quelques zones – celle-ci, en tout état de cause, irait à l’encontre du principe de péréquation.

Nous procédons à du « sous-tirage ». Nos clients sont les gros consommateurs industriels – pour 15 % de la consommation – et les distributeurs. C’est, notons-le, le destinataire qui paie le « timbre-poste » – comme ce fut d’ailleurs le cas, à l’origine, pour le courrier. Un autre timbre, dit « d’injection », est acquitté par les gros producteurs, qui ont besoin d’un accès direct au réseau ; d’un niveau très faible, il ne représente que 2 % de nos recettes, soit 80 millions sur un total de 4 milliards.

Les recettes d’interconnexion, elles, représentent de 8 à 10 % de ces recettes, soit 300 millions d’euros en moyenne ; mais elles peuvent varier de presque 100 millions d’une année sur l’autre. RTE exploite quarante-six interconnexions, gérées, aux termes des directives européennes, selon un système d’enchères qui, dans l’hypothèse d’une offre insuffisante, départage les candidats à l’importation ou à l’exportation. Si l’électricité vaut 80 dans un pays et 100 dans un autre, les clients, dans ce dernier, n’accepteront d’acquitter, au titre de l’interconnexion, qu’un surplus limité à 20. Bien que vertueux par cette limitation, le système dépend de l’évolution des prix dans chacun des pays considérés ; d’où le caractère peu prévisible des recettes.

Le code de l’énergie dispose que les tarifs réglementés doivent être établis de manière à couvrir les coûts. Ceux-ci, pour l’industrie capitalistique que nous sommes, se décomposent comme suit : 17 % de charges de personnel ; 18 % d’amortissements ; 12 % d’impôts et taxes ; 8 % de charges financières ; restent 45 %, composés pour moitié par les achats du système électrique, parmi lesquels les pertes, pour 2 % : rapportées à un total de 500 milliards de kilowattheures, elles atteignent donc 10 milliards de kilowattheures. Cela fait de RTE le deuxième acheteur d’électricité en France, derrière les distributeurs, qui en achètent 2,5 fois plus. Il faut savoir que, pour fournir un volume d’électricité équivalent à 100 – volume facturé au consommateur –, le système électrique doit en produire 107 : les 7 unités perdues sont achetées par RTE et les distributeurs. À 60 euros le mégawattheure, notre facture atteint donc de 600 à 700 millions d’euros, soit le premier poste pour nos charges. Nos achats pour la maintenance courante représentent enfin 20 % de ces dernières.

C’est le régulateur qui fixe les objectifs d’encadrement pour les charges maîtrisables : pour les variables, telles que les charges d’interconnexion, il fixe un indice hypothétique, avant de le réajuster pour le répercuter, le cas échéant, sur le prix. Le coût d’achat des pertes est lui aussi variable puisqu’il dépend de la conjoncture européenne, qui en l’occurrence l’oriente plutôt à la baisse, pour atteindre un niveau inférieur à celui prévu par le régulateur ; de sorte que nous restituons une différence au bénéfice du consommateur.

De 2003 à aujourd’hui, les tarifs du transport ont progressé d’un peu moins de 9 %, contre 18 % pour l’inflation. On peut évidemment se poser la question de savoir si cette tendance perdurera. Nos investissements atteignent en moyenne 1,4 milliard d’euros par an, contre 600 millions il y a sept ans. Cette évolution tient, en premier lieu, aux nécessaires opérations de renouvellement, qui représentent un tiers de ces investissements. La période reste néanmoins favorable : notre réseau à 400 000 volts, construit parallèlement au parc nucléaire, est âgé, comme lui, d’une quarantaine d’années en moyenne ; or un réseau correctement entretenu peut fonctionner de soixante à quatre-vingts ans. Des renouvellements commencent donc à devenir nécessaires pour le réseau à 225 000 volts qui, déployé au milieu du siècle dernier, couvre notamment Paris. Certaines portions des réseaux de 63 000 et 90 000 volts sont même centenaires : elles doivent donc faire l’objet d’une surveillance attentive.

Les deux autres tiers de nos investissements sont liés au développement. Celui-ci tient à l’obligation qui nous est faite de raccorder tout nouveau point de production et, par suite, de répondre aux exigences de sécurité de nos clients : l’alimentation de certaines zones reste fragile – la Bretagne et l’est de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur notamment –, même si nous avons des solutions en perspective ; il faut aussi renforcer le réseau interconnecté pour y introduire de la flexibilité, compte tenu du développement des énergies renouvelables en Europe.

La consommation d’électricité, nonobstant de sensibles disparités – de l’ordre de 2 à 3 % selon les régions –, stagne globalement, en France comme en Europe, l’effet cumulatif des mesures de maîtrise de la demande l’orientant à la baisse. Du côté de l’offre, la cartographie des moyens de production est en train de changer : c’est tout l’enjeu de la transition énergétique. En application des directives européennes, plusieurs centrales thermiques classiques vont être arrêtées ; rien n’indique qu’elles seront remplacées par des infrastructures de même puissance, d’abord parce que le site ne s’y prête pas forcément. L’éolien offshore pourra éventuellement compenser la puissance ainsi perdue, mais avec des installations potentiellement situées à quelque 800 kilomètres.

Les énergies renouvelables étant diffuses, elles favoriseraient, dit-on, le développement de boucles locales. C’est vrai du point de vue qualitatif, mais sur le plan quantitatif, la production de ces énergies est variable ; elle dépend notamment de la météorologie pour l’éolien et le solaire. Les énergies renouvelables requièrent donc des instruments de flexibilité, qui fassent coïncider leur variabilité avec celle de la demande, dont les inflexions obéissent à d’autres critères. Le premier de ces instruments est le stockage, au développement duquel nous travaillons aussi ; reste que cette opération exige des sites appropriés, vers lesquels il faudra, par exemple dans le cas des barrages hydrauliques, acheminer l’énergie : cela suppose la construction de réseaux. Le stockage divisé est une autre solution, et sans doute la meilleure à terme, mais encore faut-il la développer à la juste échelle : on peut penser aux batteries des véhicules électriques, à l’électrolyse ou au « power to gas », qui, sans être à proprement parler réversible, permet de déverser de l’énergie disponible sur un autre vecteur. Cela dit, la solution immédiatement disponible est celle de la flexibilité spatiale, avec les réseaux de transport, grâce auxquels l’énergie produite est récupérée dans des conditions optimales avant d’être acheminée vers les zones de consommation. Celles-ci peuvent être éloignées mais, par le fait, l’Europe continentale tout entière est une zone synchrone, la deuxième au monde par son étendue, après la Chine – les États-Unis, État fédéral, possèdent quant à eux trois zones synchrones faiblement interconnectées.

Les interconnexions ont une triple utilité. Elles permettent en premier lieu la mutualisation, par l’utilisation de moyens disponibles ailleurs que dans la zone de production. Elles rendent également possibles les échanges, dont je vais m’efforcer de démontrer l’utilité pour le consommateur. Enfin, la solidarité entre les réseaux représente une garantie puisque l’arrêt d’une centrale nucléaire en France, par exemple, pourrait aussitôt être suppléé, dans certaines limites bien entendu, par une autre centrale située dans un pays européen.

Le consommateur paie-t-il pour ce système ? Pas à travers les tarifs, puisque les interconnexions sont gérées par le mécanisme d’enchères que j’ai décrit. Celui-ci génère, bon an mal an, 300 millions d’euros de recettes par an ; sur dix ans, RTE a donc perçu quelque 3 milliards d’euros à ce titre. S’agissant des investissements, un projet entre la France et l’Espagne s’achèvera l’an prochain, les liaisons existantes ont été consolidées, des travaux ont été engagés sur la frontière Nord avec la Belgique, et l’évacuation des lignes avec l’Italie a été améliorée. Pour le projet France-Espagne, notre part représente 350 millions d’euros, soit à peu près l’équivalent des dépenses consenties pour les autres liaisons. Cela fait donc un total d’environ 700 millions, à rapporter aux 3 milliards de recettes, elles-mêmes venues en déduction des charges couvertes par les tarifs ; si bien que le consommateur d’électricité français y a largement gagné.

Il faudra, selon nos estimations, doubler la capacité d’interconnexion, ne serait-ce que pour assurer la fluidité requise par le développement des énergies renouvelables, y compris chez nos voisins. Selon toute vraisemblance, il sera difficile de développer de nouvelles liaisons aériennes : nous devrons donc recourir au transport souterrain, qui est coûteux. Au-delà des enjeux financiers, le vrai défi est l’acceptation des ouvrages par nos concitoyens – il a fallu vingt-cinq ans, par exemple, pour construire la ligne France-Espagne, en raison de désaccords sur le tracé et de décisions politiques malheureuses des deux cotés des Pyrénées. Les investissements nécessaires portent sur environ 15 000 mégawatts, soit dix fois plus que la ligne France-Espagne, pour laquelle la part française représente quelque 350 millions d’euros ; en d’autres termes, les investissements s’élèveraient, sur dix ans, à 3,5 milliards d’euros ; ils pourraient donc être couverts par nos recettes annuelles de 300 millions.

La connexion entre les réseaux permet-elle de tirer les prix vers le bas ? On peut répondre clairement par l’affirmative, puisque les importations sont par définition motivées par des intérêts commerciaux ; autrement dit, elles supposent que le fournisseur d’énergie a trouvé, à l’étranger, des conditions d’achat plus favorables que sur le territoire national. La logique est la même, symétriquement, pour les exportations. L’interconnexion obéit donc à un intérêt mutuel.

Elle présente un dernier avantage en termes de limitation des investissements. Aujourd’hui, bien qu’elle possède le système électrique le plus exportateur au monde, avec 50 milliards de kilowattheures – soit presque 10 % de la production –, devant l’Allemagne
– qui en exporte une trentaine de milliards –, la France devient importatrice en hiver, en période de pointe –compte tenu notamment du développement du chauffage électrique. Elle peut l’être – bien entendu dans la limite de ses capacités d’importation et de la disponibilité des moyens de production dans les pays voisins – jusqu’à 7 000 ou 8 000 mégawatts. Si notre pays redevenait une île électrique, comme dans les années 1930, et entendait fournir à ses consommateurs la même qualité de service, il devrait obligatoirement disposer d’une capacité similaire sur le territoire national, soit à travers la production, soit à travers l’effacement. Dans tous les cas, cela a un prix. La mutualisation, rendue possible par l’interconnexion, permet donc une optimisation au niveau européen par l’utilisation des excédents de chacun à différentes périodes de l’année.

Vous m’avez demandé si nous avions des désaccords avec la CRE au sujet des investissements. En fait, nous avons un dialogue normal entre régulateur et régulé, où chacun est dans son rôle. Si nous sommes une filiale à 100 % d’EDF, nous nous voyons appliquer, en application des directives européennes et du droit français, des dispositions exorbitantes du droit commun, figurant dans le code de l’énergie. Du fait que nous sommes un monopole, nos tarifs sont fixés par le régulateur. Quant aux investissements, bien qu’EDF soit actionnaire à 100 % de RTE, elle n’a pas son mot à dire sur nos investissements – ce qui constitue un cas unique. Nous informons notre actionnaire, mais il ne peut délibérer, et encore moins intervenir au sujet de nos investissements : de ce point de vue, c’est le régulateur qui se substitue à l’organe délibérant.

Le régulateur nous stimule, considérant que le développement des interconnexions est une bonne chose pour la réalisation du marché intérieur de l’énergie, dont il est en quelque sorte le défenseur. Il fait également preuve de vigilance quant aux tarifs, ayant le souci que le consommateur français puisse bénéficier des meilleures conditions. À cet effet, il a développé une régulation incitative : nous sommes couverts sur certains coûts, mais nous voyons également appliquer un bonus ou un malus en fonction de certains de nos résultats. En matière de qualité, par exemple, il nous est assigné un objectif consistant à limiter le temps de coupure moyen par consommateur à 2,4 minutes, soit 2 minutes et 24 secondes. Si les événements considérés comme des catastrophes naturelles sont exclus, les autres risques, en revanche, font partie des aléas dont nous devons tenir compte, qu’il s’agisse des orages ou des opérations de maintenance auxquelles il faut procéder, et cet objectif n’est pas facile à atteindre – nous ne l’atteignons d’ailleurs pas systématiquement. Les résultats obtenus sont analysés au moyen d’une formule mathématique assez compliquée. En gros, si nous faisons mieux que l’objectif fixé, nous pouvons toucher un bonus pouvant aller jusqu’à 20 millions d’euros de plus que l’application des tarifs, et si nous faisons moins bien, nous pouvons être amenés à rendre 20 millions d’euros aux consommateurs.

Il existe également une régulation incitative en matière de pertes, portant non pas sur le volume, lié aux lois de la physique qu’il nous est, par définition, impossible de modifier, mais sur le coût d’achat : nous devons être un bon acheteur. À l’heure actuelle, nous avons déjà acheté 90 % des pertes de 2015, et nous continuons à les acheter régulièrement, selon des modèles permettant de réaliser des prévisions à différentes échéances – annuelles, mensuelles, hebdomadaires, journalières –, l’objectif étant d’acheter l’énergie nécessaire à la couverture des pertes, le plus précisément possible et de façon échelonnée dans le temps afin de bénéficier de tarifs avantageux.

Enfin, nous sommes également incités à maîtriser nos coûts propres. Le coût d’achat des pertes ou les amortissements sont des coûts comptables, mais nous sommes tout de même responsables de certaines de nos dépenses directes en termes d’achats, qu’ils soient imputés aux dépenses d’exploitation ou aux dépenses d’investissement, et avons, là aussi, un objectif de performance. Si nous dépassons l’objectif, nous gardons la moitié de la somme économisée, et restituons l’autre moitié aux clients ; si nous faisons moins bien, la perte reste à notre charge.

Ces différentes incitations donnent lieu à un dialogue constructif, parfois musclé, mais que le régulateur et le régulé ont tous deux à cœur de mener à bien, car notre intérêt commun réside évidemment dans la viabilité du système français – auquel la Commission européenne, qui l’a accepté, aurait tout de même préféré un système de séparation patrimoniale. Le gouvernement français a défendu le système de l’opérateur intégré mais doit, maintenant qu’il l’a obtenu, donner des garanties d’indépendance. Chacun me semble jouer le jeu, qu’il s’agisse de RTE, d’EDF ou de la CRE, même si c’est parfois un peu compliqué.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. J’ai d’abord une question assez générale, que j’ai également posée au président d’EDF. Pensez-vous que le dispositif constitué d’EDF, ERDF et RTE, comprenant des participations majoritaires en chaîne, ait une incidence sur les coûts et les tarifs, ainsi que sur le montant des dividendes revenant à l’État, actionnaire majoritaire, et aux autres actionnaires ? Les élus que nous sommes rencontrent régulièrement les acteurs de terrain, notamment les syndicats départementaux d’électricité, qui considèrent que la pression sur les coûts, ainsi que les choix comptables qui sont faits, se traduisent par une dégradation du service public : quel est votre avis sur ce point ?

En ce qui concerne l’indicateur de performance relatif aux coupures, les consommateurs finaux – les entreprises et les ménages – sont répartis en fonction d’un zonage, la zone A correspondant aux plus grandes agglomérations, la zone B aux villes de moindre taille et la zone C au restant du territoire. Trouvez-vous normal que les utilisateurs les plus éloignés des grandes agglomérations soient systématiquement ceux pour lesquels la performance est la moins bonne ? Je pense notamment aux entreprises, pour lesquelles ce résultat peut avoir une incidence en termes de compétitivité.

Pour ce qui est des pertes, de quelle marge d’amélioration pensez-vous disposer, et estimez-vous possible d’agir au regard du coût financier nécessaire pour cela ?

Vous avez décrit l’état du réseau et indiqué quels investissements devraient être réalisés pour l’améliorer. Estimez-vous que le montant des financements qui vous sont accordés constitue un frein aux investissements et que l’état du réseau risque de s’en ressentir ? J’ai cru comprendre que ce n’était pas le cas, mais j’aimerais que vous nous précisiez votre avis sur ce point.

Enfin, j’ai une dernière question à vous poser au nom d’Hervé Gaymard, président de notre Commission d’enquête : considérez-vous que l’état des réseaux des autres pays européens puisse avoir une incidence négative sur la qualité de l’interconnexion ?

M. François Brottes. Monsieur le président, vous avez atteint l’âge de la sagesse et votre mandat de président du directoire de RTE doit prendre fin prochainement. À ce double titre, vous disposez d’une totale liberté d’expression qui vous permet, je l’espère, de répondre en toute franchise aux questions très directes que j’ai envie de vous poser.

Premièrement, pensez-vous que la CRE dispose vraiment des compétences et des moyens pour procéder à une analyse fine de vos besoins en matière d’investissement ? La responsabilité consistant à valider la composition de vos investissements exige, en contrepartie, que la CRE soit dotée d’une réelle compétence technique. Or, on a parfois l’impression qu’un bataillon de comptables ne suffit pas à appréhender la réalité du terrain – et certains marchandages auxquels nous avons assisté au sujet du montant des tarifs d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE), revus et corrigés à plusieurs reprises, n’ont pas contribué à nous rassurer sur ce point. Ne faudrait-il pas que la CRE dispose d’une solide expertise technique, lui permettant de déterminer la nature et le coût des opérations à réaliser sur le réseau pour qu’il fonctionne de façon optimale ?

Vous êtes connu comme l’homme d’un slogan : « Une seule solution, l’interconnexion ! ». Cela peut se comprendre, puisque RTE est une entreprise de réseau et que vous êtes à la manœuvre pour favoriser les interconnexions avec les autres pays, ce que vous faites d’ailleurs d’une manière très efficace – je pense notamment à la connexion entre la France et l’Espagne qui doit être mise en service en 2015. Or, notre Commission d’enquête a vocation à rechercher des marges d’optimisation de nature à permettre de réduire les coûts et les tarifs et, à cet effet, pose les mêmes questions aux différentes personnes qu’elle auditionne, partant du principe que chaque opportunité de diminuer ces coûts et tarifs, si modeste soit-elle en son montant, est bonne à prendre.

J’aimerais savoir si vous êtes satisfait de la manière dont vont évoluer, grâce à la loi de transition énergétique, les enquêtes publiques portant sur la réalisation de vos ouvrages. Certes, il y a des facteurs environnementaux à prendre en compte, notamment l’impact sur le paysage, mais quand on entend dire d’une opération qu’elle coûte 350 millions d’euros dans un cas et 3,5 milliards d’euros dans l’autre, on peut penser que le choix qui va être fait n’est pas tout à fait indifférent à celui qui va devoir régler la facture correspondante !

M. Dominique Maillard. Ces deux estimations correspondent à deux périodes différentes.

M. François Brottes. En tout état de cause, la pose de lignes enterrées coûte toujours plus cher que celle de lignes aériennes, et chacun doit garder à l’esprit que la différence de coût est susceptible de jouer sur la compétitivité des entreprises et le pouvoir d’achat des ménages – or, je ne suis pas sûr que cette question entre en ligne de compte lors du choix qui est fait.

Pour ce qui est de la durée des procédures, j’ai été frappé de constater que, si beaucoup demandent à ce que l’on diminue les contraintes relatives à l’implantation d’énergies renouvelables – j’y suis favorable et j’y ai même pris ma part en ce qui concerne l’énergie éolienne, ce qui m’a parfois été reproché –, les mêmes ne voient pas l’intérêt de simplifier les procédures relatives aux travaux portant sur le réseau. Or l’énergie, renouvelable ou non, ne sert pas à grand-chose tant qu’elle n’est pas raccordée, et l’analyse des coûts de raccordement de certaines installations de production d’énergie hydraulique ou éolienne offshore fait apparaître que ces coûts font partie des éléments les plus importants pour déterminer si un projet est faisable ou non.

J’ai déjà eu l’occasion de vous demander, dans un autre contexte, s’il ne serait pas opportun de stocker l’électricité plutôt que de surinvestir dans les réseaux – vous avez parlé de plusieurs centaines de millions d’euros par an – afin de gérer l’intermittence des énergies renouvelables : ce mode d’investissement ne serait-il pas plus intelligent et plus vertueux ? Les producteurs d’énergie renouvelable ne font pas leur problème de l’intermittence et des solutions pour y remédier, ce qui ne saurait durer éternellement : on peut comprendre qu’il ait fallu amorcer la pompe mais à un moment donné, il faut tout de même que chacun prenne conscience des responsabilités qui lui incombent dès lors qu’il agit sur le réseau. Quand je vois toutes ces centrales à gaz fermer parce qu’elles ne sont plus suffisamment rentables, n’étant plus sollicitées, je me demande également si nous ne devrions pas réfléchir à une évolution du modèle de financement du marché de capacité : ne faudrait-il pas prévoir un forfait permettant de garder ces centrales en état de marche, afin de pouvoir les réactiver en cas de besoin ? Je m’inquiète de la disparition massive de ce qui constitue, à mes yeux, le meilleur moyen de rééquilibrer et sécuriser le réseau au cas où un problème devrait survenir.

En ce qui concerne les pertes, je rappelle la formule employée par M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA, qui a un jour déclaré que la France faisait tourner en permanence deux centrales nucléaires uniquement pour chauffer les pattes des oiseaux – ceci en raison de l’incontournable effet Joule. Or, plus le lieu de production est éloigné du lieu de consommation, plus le chemin est long et plus l’effet Joule est élevé – et plus cela coûte cher. Ne pourrait-on pas réfléchir à une solution incitant au rapprochement du lieu de production et du lieu de consommation, afin de réduire la perte en ligne ? Certains ne veulent pas d’unités de production sur leur territoire, ce qui oblige à allonger les réseaux pour leur apporter l’électricité dont ils ont besoin : or, en ne jouant pas le jeu, en n’assumant pas leur responsabilité sur ce point, ils obligent les autres à payer pour eux ! Si la péréquation est un principe unanimement admis pour ce qui est du transport de l’électricité, il me semble qu’il ne serait pas superflu de mener une réflexion sur son application à la problématique de la perte en ligne, et j’aimerais connaître votre avis sur ce point.

Au sujet de l’ouverture du capital, la loi prévoit et interdit un certain nombre de choses. Conformément à ce que vous souhaitiez, le Parlement a voté une disposition visant à ce que vous puissiez passer des accords avec la Suisse – ce qui fait que, demain, des participations croisées faciliteront peut-être les interconnexions qui vous sont chères. Que pouvez-vous nous dire sur la façon dont le capital peut aider à améliorer le dispositif d’interconnexion ? Faites-vous, comme votre prédécesseur, le rêve de voir un jour l’Europe se doter d’un réseau de transport à haute tension sous monopole européen – un projet qui pourrait même emporter l’adhésion des libéraux, qui n’ont jamais demandé à ce que les réseaux de haute tension se trouvent morcelés ? En 2006, une panne générale a touché une bonne partie de l’Europe en raison d’une erreur commise en Allemagne par un gestionnaire de réseau de transport d’électricité, qui n’avait pas su arbitrer entre sa fonction de producteur et sa fonction de transporteur – et en ne prenant aucune sanction à son égard, tout le monde s’est plus ou moins rendu complice de ce qu’il avait fait. Ce blackout nous a montré de façon évidente que plus nous sommes liés, plus nous sommes fragiles et avons besoin de cohérence, sous la forme d’une gouvernance mieux partagée, si nous ne voulons pas aller au-devant de grands risques. Là encore, je souhaite connaître votre avis sur cette question.

M. Jean-Pierre Gorges. Je vous remercie pour la clarté de votre intervention, monsieur Maillard : nous aurons appris beaucoup de choses au cours de cette Commission d’enquête. Je voudrais vous poser à peu près les mêmes questions que mes collègues, mais sous une forme différente. Les interrogations que suscite aujourd’hui l’électricité me rappellent un vieux débat se rapportant à l’informatique, où l’on opposait autrefois le distribué et le réparti. En raisonnant par rapport à l’effet Joule, on pourrait ainsi en venir à considérer que, pour rapprocher le lieu de production du lieu de consommation, et donc limiter les déperditions, il faudrait installer une éolienne sur le toit de chaque maison, et installer des turbines sur le moindre cours d’eau !

Je voudrais savoir si vous parvenez à modéliser les systèmes afin de déterminer lequel présenterait, dans les années à venir, le moins d’inconvénients : d’une part, un système ressemblant au système actuel, composé pour l’essentiel d’une cinquantaine de centrales nucléaires – il est prévu de passer aux réacteurs de génération IV à l’horizon 2030 – et d’un réseau à 400 000 volts, peut-être davantage, qui générera quelques pertes en ligne mais se caractérisera par une grande simplicité ; d’autre part, un système très complexe comportant une multitude de micro sollutions, et dont la gestion risque de devenir inextricable.

Nous venons de débattre d’un texte sur la transition énergétique qui, de manière étonnante, ne s’est pas appuyé sur les études et les rapports qui venaient d’être produits – je pense notamment à l’intéressant rapport d’Hervé Mariton sur la fermeture de la centrale de Fessenheim – et avons pris la décision de privilégier les énergies dites renouvelables par rapport au nucléaire, sans même qu’aient été trouvées de vraies solutions pour remplacer le nucléaire : nous avons préféré reconnaître que la production d’électricité allait diminuer, et prévoir de compenser la différence par une baisse de la consommation. Il me paraît essentiel d’informer les Français comme il se doit, en leur expliquant à quel point il importe de ne pas rater le passage de la génération III à la génération IV, ce qui serait dramatique pour notre pays. Alors que nous étions en avance en 1998 avec Superphénix, nous nous sommes laissé rattraper lors des années suivantes, et nous devons veiller à ne pas commettre d’autres erreurs aussi graves – je pense à celle qui consisterait à multiplier les microsolutions, avec une interconnexion servant à remédier à l’aléa de l’outil de production – si nous voulons conserver une chance de faire baisser les coûts. Avez-vous engagé des réflexions sur la base de modèles correspondant aux différents scénarios pour les prochaines années, afin de définir les stratégies politiques à mettre en place ? À défaut, j’ai bien peur que le politique ne joue l’apprenti sorcier sur les questions de sécurité liées au nucléaire.

Mme Jeanine Dubié. Pour compléter une question de François Brottes, je voudrais vous demander si l’ouverture du capital est susceptible d’avoir un impact sur les tarifs de l’électricité pour les consommateurs. Par ailleurs, vous vous êtes déclaré très favorable au développement des réseaux intelligents, considérant que cette filière pourrait non seulement favoriser l’essor des énergies renouvelables, mais aussi maintenir la compétitivité de notre industrie et créer des emplois – vous évoquez le chiffre de 25 000 emplois créés d’ici à 2020. Estimez-vous que le TURPE prenne suffisamment en compte le coût des investissements nécessaires à la mise en œuvre du smart grid et des pratiques d’effacement, et pouvez-vous nous indiquer comment ces investissements pourraient être financés ?

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Je reviendrai moi aussi sur une question de François Brottes, qui a évoqué la pratique du régulateur consistant à évaluer les investissements selon une logique comptable plutôt qu’en fonction des besoins de terrain : selon vous, cette manière de procéder est-elle de nature à peser significativement sur le fonctionnement de RTE ?

M. Dominique Maillard. Vous m’avez demandé, madame la rapporteure, si le schéma adopté en France a un coût par rapport à un modèle intégré. La séparation a effectivement un coût, puisqu’elle aboutit intrinsèquement à une duplication. Ainsi les directives européennes, transcrites dans le code de l’énergie, nous interdisent-elles de recourir aux services de recherche et développement d’EDF. De même, nous ne pouvons pas faire de cash pooling (gestion centralisée de la trésorerie) avec EDF, et sommes dotés d’une direction des ressources humaines autonome. C’est le prix à payer pour le choix qui a été fait de la séparation juridique, un prix connu dès le départ, et qui devait être compensé par certains facteurs tels qu’une émulation accrue, donc une meilleure performance des opérateurs mis en concurrence dans le secteur de la production d’énergie – le réseau de transport constituant, lui, un monopole naturel reconnu par les directives.

Pour ce qui est des dividendes, par dérogation au droit commun des sociétés, leur montant n’est pas déterminé par l’assemblée générale – où seule EDF serait représentée –, mais par le conseil d’administration tripartite – un tiers de salariés, un tiers de représentants de l’État et un tiers de représentants d’EDF, notre actionnaire unique. Depuis que nous existons, le montant de ces dividendes est fixé à 60 % du résultat net.

Vous m’avez également interrogé au sujet de notre mission de service public. Le régime de RTE est celui d’une concession d’État : nous sommes propriétaires de notre réseau et avons un cahier des charges et des obligations de service public. Cela dit, nous souhaitons également avoir des relations très étroites avec les territoires traversés par nos 100 000 kilomètres de réseau – ce qui représente en moyenne 1 000 kilomètres par département, et me laisse penser que nous sommes présents dans chacune de vos circonscriptions, même si nos lignes sont parfois enterrées.

J’ai effectivement évoqué un temps de coupure moyen, et vous avez raison de souligner que pour le consommateur final, c’est le temps de coupure réellement subi – constitué de la somme des temps de coupure imputables au distributeur et au transporteur – qui importe. Sans vouloir être mauvais camarade, je me dois de préciser que si notre temps de coupure moyen est de 2,4 minutes, celui de nos collègues distributeurs avoisine les 25 minutes, ce qui n’a rien d’étonnant dans la mesure où leur réseau est beaucoup plus chevelu : il compte 1,4 million de kilomètres de lignes, avec la forte probabilité que cela comporte de voir des incidents survenir sur ces lignes. Nous procédons à une analyse différenciée par région du temps de coupure, et il est vrai qu’historiquement, certaines régions, notamment les zones de montagne, sont plus difficiles à alimenter que d’autres ; c’est pourquoi, si l’objectif que nous assigne la CRE est national, les indicateurs sont suivis en fonction de chaque région.

Pour ce qui est de l’état du réseau en France et Europe, le système de financement des investissements adopté dès la création de RTE nous a évité de connaître les stop-and-go qui ont été le lot de nos collègues de la distribution : nous avons eu la chance de pouvoir mener, avec le soutien du régulateur, une politique stable constituant également un avantage pour nos fournisseurs, qui disposent ainsi d’une bonne visibilité sur nos programmes d’investissement. Je n’irai pas jusqu’à affirmer que l’état du réseau français est excellent, mais il est très bon. Le réseau européen est généralement en bon état, même si certaines zones, notamment celle des Balkans, posent des problèmes particuliers pour les raisons que l’on connaît. Par ailleurs, le réseau est fragile dans certaines régions dont l’alimentation relevait historiquement d’un autre système : ainsi la volonté des pays baltes, aujourd’hui très fortement interconnectés avec la Russie – la langue de travail de dispatching de Vilnius est le russe – de s’arrimer également à l’Europe se heurte-t-elle à des difficultés d’ordre technique, résultant, par exemple, de l’obligation de traverser la région des lacs Mazures en Pologne et le golfe de Finlande. Globalement, le réseau européen est tout de même en très bon état en comparaison avec les réseaux d’autres régions du monde.

Il existe des pistes d’ordre technologique pour remédier au problème des pertes. La perte zéro, qui constitue le rêve du transporteur, est d’ores et déjà possible en laboratoire grâce à la supraconductivité, qui suppose de transporter l’électricité à une température proche du zéro absolu – ou à la température de l’azote liquide –, et des expérimentations sont en cours sur ce point, notamment avec nos collègues belges. Cela dit, quand on parle de perte nulle, c’est de perte électrique qu’il s’agit, mais il ne faut pas perdre de vue que le fait de maintenir une très basse température pour bénéficier du phénomène de supraconductivité nécessite de consommer beaucoup d’énergie. Nous continuons tout de même à chercher des solutions, et ce qui n’est aujourd’hui qu’un rêve deviendra peut-être réalité si nous parvenons à mettre au point des matériaux supraconducteurs à température ordinaire.

Par ailleurs, nonobstant l’état du réseau, il nous appartient de chercher à l’optimiser – c’est même notre métier de base – en réduisant les pertes : si les lois de la physique sont incontournables, nous pouvons cependant faire varier le circuit emprunté par le courant afin d’emprunter des lignes moins congestionnées que d’autres, ou encore tenter d’obtenir un déplacement des lieux de production – ce qui n’est pas facile, car les entreprises concernées ne manquent pas de faire valoir le coût que cela représente. Pour rejoindre ce qu’a dit M. Brottes, nous avons bien le souci d’ajuster les moyens de production à l’état de la demande, mais il faut tenir compte du fait que le producteur et le transporteur sont deux entités distinctes. Le producteur dispose d’un parc de centrales – nucléaires, au charbon, à gaz, hydrauliques – qu’il s’efforce d’optimiser en fonction des coûts qu’il a à supporter : c’est le principe du merit order, ou ordre de préséance économique, décrit par les économistes. Cela le conduit en toute logique à faire tourner en priorité les centrales qui lui coûtent le moins cher, et à ne contrevenir à ce principe qu’à la condition de pouvoir en répercuter le coût – nous concluons parfois un accord sur ce point, quand nous considérons qu’il permet d’atteindre un optimum global.

M. Alain Leboeuf, président. Monsieur Maillard, monsieur Thouvenin, mes chers collègues, mon emploi du temps ne me permet pas de rester plus longtemps parmi vous. Je vous prie d’excuser mon départ, qui ne doit évidemment pas vous empêcher de prolonger cette audition.

M. Dominique Maillard. J’en viens aux questions que m’a posées le président  Brottes. Pour ce qui est de la compétence, s’il existe deux organismes, ce n’est pas pour que l’un fasse le métier de l’autre : si le régulateur devait être aussi compétent, voire plus compétent que nous, alors il aurait vocation à occuper notre place ! À mon sens, il faut maintenir une séparation où chacun conserve ses propres compétences. Si les compétences d’ordre technique nous reviennent, de son côté, le régulateur doit pouvoir prendre du recul pour porter un regard à l’échelon macro-économique sur les grands optimums et, conformément à sa vocation d’artisan de la construction du marché européen, qui le porte à favoriser tout ce qui est de nature à fluidifier les échanges, inciter aux choix allant en ce sens, notamment en matière d’interconnexion. Cela dit, rien ne s’oppose à ce que le régulateur ait, en plus de ses compétences juridiques et économiques, quelques compétences techniques – ainsi, je crois savoir que l’actuelle responsable de l’accès au réseau était initialement ingénieur, et que l’on trouve également des ingénieurs au sein de ses équipes. Par ailleurs, le régulateur peut confier à des tiers experts le soin de valider techniquement nos propositions. En tout état de cause, la volonté du législateur était bien de séparer les fonctions d’opérateur technique, chargé d’effectuer les travaux, et de régulateur, chargé de contrôler et d’administrer.

Je sais que Philippe de Ladoucette, président de la CRE, se plaint de ne pas disposer de suffisamment de moyens, ce sur quoi je ne peux me prononcer. En tout état de cause, nous entretenons un dialogue nourri, dont témoignent l’épaisseur des dossiers de justification que nous faisons parvenir au régulateur et le nombre de questions qu’il nous adresse en retour, ce qui prouve que nos dossiers font l’objet d’un examen très approfondi. J’ignore si, pour mener à bien cette mission de contrôle de nos investissements, la CRE doit recourir à des moyens qui lui font défaut par ailleurs, mais en tout état de cause, j’estime que le travail est bien fait.

Vous avez parfaitement raison de souligner que le monopole dont nous disposons doit faire l’objet d’un contrôle, et tel est bien le cas. En plus du contrôle exercé par la CRE, nous faisons également l’objet de l’attention constante de la Cour des comptes, qui ne s’intéresse pas seulement à nos comptes, mais également à la méthodologie que nous mettons en œuvre. Par ailleurs, notre statut implique la présence à demeure d’un contrôleur général de la conformité bénéficiant, au même titre qu’un délégué syndical, du statut de salarié protégé, chargé de vérifier que notre comportement est bien conforme à certaines obligations nous incombant, notamment en matière d’indépendance. Dans ce cadre, il a la faculté de diligenter des audits sur le fonctionnement interne de RTE ou encore sur les modes de calcul auxquels nous recourons. En résumé, notre activité me paraît faire l’objet d’un niveau de contrôle suffisant.

Si vous semblez voir en moi l’apôtre inconditionnel de l’interconnexion, je ne prétendrai pourtant pas qu’il s’agisse là d’une panacée. Les interconnexions représentent aujourd’hui environ 10 % de la capacité installée en France – ce qui veut dire que 90 % du problème est réglé autrement – et des discussions sont menées sur ce point dans le cadre d’un sommet européen se tenant ces jours-ci à Bruxelles, l’une des questions qui se posent consistant à savoir s’il ne faudrait pas s’efforcer de passer de 10 % à 15 %. En tout état de cause, les chiffres actuels montrent qu’à l’intérieur d’un pays, l’électricité est une énergie assez largement autoproduite et autoconsommée, les échanges entre États restant marginaux – de ce point de vue, la France est l’un de ceux qui échangent le plus. Un spécialiste de l’énergie a récemment déclaré que, sur le plan mondial, 50 % de la production locale de pétrole était autoconsommée, cette proportion étant de 70 % pour le charbon, 80 % pour le gaz et 98 % pour l’électricité. Comme on le voit, l’électricité est une forme d’énergie consommée essentiellement là où elle est produite – ce qui s’explique en partie par le fait qu’elle ne se transporte pas si facilement. En France, on constate une très grande disparité entre certaines régions, qui produisent moins de 10 % de l’énergie qu’elles consomment
– c’est le cas par exemple de la Bretagne ou de l’Île-de-France, pour des raisons historiques – et d’autres, qui disposent sur leur territoire de moyens de production représentant deux fois leur consommation – je pense à la région Rhône-Alpes, dotée d’importantes capacités de production d’origine hydraulique et nucléaire, ou à d’autres régions autrefois très industrialisées, qui ont conservé des installations de production d’électricité en grand nombre alors même que leur activité industrielle a décliné. Même si, demain, les disparités peuvent se réduire du fait du rapprochement entre les points de production et les zones de consommation, il appartiendra toujours à RTE d’assurer un équilibre entre les régions : en effet, nous avons à la fois un rôle consistant à fournir l’énergie et un rôle de garantie et d’assurance. En ce sens, le réseau est également un instrument de solidarité à l’intérieur du territoire : ainsi, quand le fonctionnement d’une centrale doit être interrompu pour des raisons de maintenance, la région concernée peut être alimentée en électricité par la centrale d’une région voisine.

Je remercie la représentation parlementaire – et vous en particulier, monsieur Brottes, pour votre implication – d’avoir introduit dans la loi une simplification des procédures relatives aux enquêtes publiques. Si la procédure de débat public avec garant de préférence et celle de débat public avec commission particulière du débat public sont toutes deux conformes à la convention d’Aarhus, nous avons constaté que la première nécessitait sept jours de concertation par kilomètre de ligne et la seconde, quarante-cinq jours – pour un degré d’information des populations assez comparable. La procédure de débat public avec garant nous paraît donc être la plus efficace, en ce qu’elle permet de faire l’économie de nombreuses réunions, de commissions particulières, ou encore de la rédaction de cahiers d’acteurs.

Vous avez évoqué une autre simplification appréciable, relative à la loi Littoral. Afin que le raccordement des éoliennes offshore n’implique plus l’obligation de longer la côte sur plusieurs kilomètres jusqu’à atteindre une embouchure ou un port, ce qui était pour le moins paradoxal, la loi de 2013 à laquelle vous avez donné votre nom prévoit la possibilité de demander des dérogations, lesquelles, je le précise, ne sont pas accordées automatiquement – pour réaliser de telles interconnexions – qui auront de plus en plus vocation à être réalisées par voie souterraine.

La question des modèles de marchés de capacité est complexe. Je commencerai par dire deux choses à ce sujet. Premièrement, l’une des principales préoccupations de nos concitoyens est que le système électrique pris dans sa globalité – production, transport et distribution – lui assure une sécurité d’alimentation. Or, nous n’en sommes plus au temps où un opérateur unique était responsable de tout : le système a évolué de telle manière que la responsabilité consistant à garantir l’alimentation – en particulier en période de pointe – s’est trouvée diluée entre différents acteurs. La vocation du mécanisme de capacité est bien de responsabiliser ces acteurs, à la hauteur de leur présence sur le marché : chacun d’entre eux doit pouvoir justifier à l’avance qu’il disposera des capacités de production ou d’effacement lui permettant de satisfaire l’ensemble des clients composant son portefeuille.

Dans le cadre du bilan prévisionnel qu’il nous incombe de réaliser, j’ai été amené à lancer une alerte sur l’urgente nécessité qu’il y a à mettre en œuvre ce dispositif : à défaut, durant l’hiver 2015-2016, la « mise sous cocon » de centrales à gaz à cycle combiné envisagée par certains producteurs pourrait, si elle était effectivement mise en œuvre et si l’hiver était rigoureux, nous faire courir le risque d’une pénurie d’électricité. Le marché de capacité constitue une réponse à ce problème, en faisant obligation à chaque fournisseur du marché français d’établir à l’avance un équilibre entre l’offre et la demande et de pouvoir en justifier : à défaut, il serait considéré comme un fournisseur irresponsable – car il agirait un peu comme un boulanger qui, ayant trente clients, ne cuirait que vingt baguettes au motif qu’en cuire davantage lui coûterait plus cher – et pourrait même encourir des sanctions.

Pour ce qui est de l’objectif européen, je préfère parler de changement dans le tour de table que d’ouverture du capital, car la loi prévoit actuellement que ne peuvent être actionnaires de RTE qu’EDF, l’État français ou un organisme public, afin de garantir le maintien du caractère public de notre activité : EDF étant pour le moment le seul actionnaire, l’entrée au capital de l’État ou d’un organisme public constituerait une évolution importante.

M. François Brottes. Cela a été le cas aussi pour l’ouverture du capital de GRTgaz, qui ne pouvait concerner que des acteurs publics.

M. Dominique Maillard. Tout à fait, c’est pourquoi l’ouverture s’est faite au profit de la Caisse des dépôts et consignations.

M. Brottes voulait sans doute me taquiner quand il m’a demandé si les ouvertures de capital avaient vocation à favoriser les interconnexions. En fait, toutes les interconnexions que nous avons réalisées jusqu’à présent, que ce soit avec l’Espagne ou le Royaume-Uni, l’ont été sans aucun lien patrimonial, et nous pouvons continuer de la sorte. Nous avons développé à Bruxelles, en coopération avec nos voisins belges, anglais, italiens et nord-est allemands, un centre de supervision appelé Coreso (Coordination of electrical system operators), une sorte de vigie européenne ayant pour fonction de détecter avant qu’elles ne surviennent des situations qui pourraient être alarmantes, et de proposer des remèdes : ce projet a été mené à bien sans aucun lien patrimonial avec nos partenaires dotés de statuts juridiques très différents les uns des autres.

Si l’ouverture du capital n’est pas nécessaire pour l’exercice de notre activité, elle pourrait faciliter un certain nombre de synergies : puisque nous sommes confrontés aux mêmes problématiques, il pourrait ainsi être envisagé d’avoir des activités communes en recherche et développement, même si la création de filiales communes de R&D n’implique pas forcément d’ouvertures de capital. Historiquement, l’héritage d’EDF fait de nous le plus gros réseau de transport européen, que ce soit par l’étendue du réseau, les effectifs et, sans doute, les capacités en R&D. Cela dit, nous devons rester vigilants, car des mouvements commencent à se faire à nos frontières : ainsi nos voisins belges ont-ils racheté l’un des quatre réseaux allemands, de même que les néerlandais ; le réseau portugais, qui était à vendre, a vu State Grid Corporation of China entrer à son capital ; la même société chinoise a également pris une participation dans le réseau italien Terna, et s’intéresse au réseau grec. Loin de moi l’idée de vouloir agiter le spectre du péril jaune, car nous avons des accords de coopération avec les opérateurs chinois, mais force est de constater que les acteurs européens sont minuscules à côté de State Grid Corporation of China, qui compte 1,8 million de salariés – pour des activités plus diversifiées que les nôtres, puisque cette société fait aussi un peu de production et de distribution. C’est un fait : comme cela a été le cas pour le transport aérien il y a vingt-cinq ans, le secteur européen du transport d’énergie commence à faire l’objet d’importantes restructurations – et l’ambition de RTE est de faire partie de l’un des grands pôles qui vont se constituer.

Sans aller forcément jusqu’à considérer, comme M. Brottes, que l’objectif final est la constitution d’un réseau de transport européen intégré unique, j’estime que les différents réseaux européens vont être amenés à coopérer beaucoup plus qu’ils ne le font actuellement. C’est dans cette optique que nous avons développé Coreso, ce centre régional de coopération qui nous a beaucoup aidés, après une grande panne survenue le 4 novembre 2006, ayant pour origine une erreur commise par un opérateur allemand, et qui avait plongé dans le noir une vingtaine de millions de consommateurs européens, dont la moitié en France.

M. François Brottes. E.ON Netz, pour ne pas le citer !

M. Dominique Maillard. C’est cela. Afin qu’une telle situation ne se reproduise pas, plusieurs acteurs européens – y compris les Allemands, réticents jusqu’alors – ont décidé de coopérer.

Personnellement, je ne crois pas à un opérateur unique, mais à des regroupements régionaux – à l’échelle de l’Europe –, qui me paraissent avoir plus de sens. L’expérience montre que l’on a plutôt tendance à empiler les niveaux de supervision qu’à supprimer les niveaux de base : la France est divisée en sept bassins électriques, il existe ensuite un dispatching national et le centre de supervision Coreso à Bruxelles, l’existence de chacun de ces niveaux étant, à mon sens, parfaitement justifiée. Si une évolution doit se produire, j’estime qu’elle consistera certainement en la constitution d’un niveau de supervision au niveau des différentes régions de l’Europe – on pourrait envisager un partage en trois zones : Ouest, Sud, Europe centrale – et voir plus grand ne serait sans doute pas réaliste à l’heure actuelle. Notre centre national d’exploitation du système électrique, situé à Saint-Denis, traite actuellement 40 000 informations à la seconde, et nous utilisons largement les smart grids – il me semble d’ailleurs qu’il vaudrait mieux dire « smarter grids », ou réseaux plus intelligents, car les réseaux actuels le sont déjà. Cela dit, en dépit de l’amélioration constante des systèmes d’information, il y a toujours des limites physiques, ne serait-ce qu’en raison de la nécessité de faire intervenir des opérateurs humains, c’est pourquoi la zone supervisée peut difficilement dépasser, à mon sens, une superficie représentant trois à quatre fois celle de la France, et ce n’est pas avant une vingtaine d’années que l’on pourra éventuellement envisager l’existence d’un centre unique de supervision pour toute l’Europe.

Pour répondre à M. Gorges, nous élaborons effectivement des modèles correspondant aux différents scénarios auxquels les lignes directrices définies par la loi pourraient conduire. Nous avons l’obligation légale d’établir, en l’actualisant tous les deux ans, un document appelé bilan prévisionnel, dont la loi sur la transition énergétique a d’ailleurs précisé le contenu et l’articulation avec les travaux réalisés au sujet d’autres énergies – je pourrai vous communiquer ce document si vous le souhaitez. Cela nous permet de disposer d’une programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), alors que nous n’avions auparavant qu’une programmation pluriannuelle des investissements (PPI) ne concernant que l’électricité. Sans mettre en comparaison des scénarios aussi contrastés que ceux que vous évoquez, nous avons étudié, en termes de consommation, des scénarios de régression et d’autres de croissance soutenue ; et en termes de production, des scénarios dans lesquelles la part du nucléaire n’était pas forcément maintenue à 50 %. Cela dit, toutes ces analyses, réalisées par des ingénieurs, ne portent que sur la faisabilité technique, sans tenir compte de la dimension économique – qui est effectivement nécessaire au moment de choisir entre les différents scénarios – et pour ce qui est des coûts, nous ne chiffrons donc que la partie « réseau ».

M. Jean-Pierre Gorges. L’arrêt de la centrale de Fessenheim a-t-il été intégré à l’un des scénarios ?

M. Dominique Maillard. Tout à fait. Nous avons même traité cette hypothèse au niveau micro-économique, partant du principe que l’arrêt de la centrale de Fessenheim posait deux questions : d’une part, comment assurer l’équilibre entre l’offre et la demande à la suite d’une réduction de 1 800 mégawatts de l’appareil de production, d’autre part, cette réduction va-t-elle avoir une incidence particulière sur l’Alsace. Il ressort de notre étude que l’équilibre entre l’offre et la demande ne serait pas affecté de façon majeure, mais que des investissements seraient nécessaires pour assurer une continuité de l’alimentation de l’Alsace – nous avons communiqué nos conclusions à M. Hervé Mariton afin qu’il puisse en tenir compte pour son rapport. Ces investissements ne sont pas démesurés – nous les estimons à environ 150 millions d’euros – et devront en tout état de cause être effectués lorsque sera prise la décision d’arrêter effectivement la centrale : il ne s’agit donc pas vraiment d’un coût supplémentaire, mais d’un coût anticipé. La question la plus préoccupante est celle de la faisabilité : si certains investissements peuvent être effectués à l’horizon 2017, d’autres
– je pense notamment à la construction d’une nouvelle ligne de transport – sont impossibles à réaliser sur un délai si court.

Mme Dubié m’a interrogé au sujet des réseaux intelligents, ce qui concerne aussi nos collègues d’ERDF ainsi que le volet industriel. Même s’il faut se garder de tout triomphalisme, la France n’a pas à rougir de ce qui a été accompli en ce domaine par les chercheurs universitaires, les industriels fournisseurs et les donneurs d’ordre – dont fait partie RTE. Le chiffre d’affaires de cette activité est déjà orienté à 50 % vers l’exportation, ce qui veut dire que la France a pris des positions intéressantes – de ce point de vue, il est particulièrement révélateur de constater que les missions étrangères chargées de se renseigner sur ce qui se fait dans le monde en matière de réseaux électriques intelligents – je pense notamment à celles qui viennent d’Asie – ne manquent jamais de venir en France. C’est un peu paradoxal, mais la compétence française dans le domaine du smart grid est plus reconnue à l’étranger que dans notre propre pays.

Les réseaux électriques intelligents ne se limitent pas aux compteurs intelligents, mais englobent toutes les technologies permettant de fournir beaucoup plus d’informations au consommateur, qui en est demandeur afin de pouvoir tenir une part plus active dans ce domaine – c’est le fameux « consom’acteur ». À titre d’exemple, je citerai éCO2mix, une application gratuite sur smartphone mise à disposition par RTE et permettant de connaître de manière instantanée les niveaux de production et de consommation d’électricité en France ; ces informations ne sont peut-être pas de nature à modifier le comportement de Monsieur Tout le Monde, mais force est de constater qu’elles sont très consultées. Une autre application, EcoWatt, disponible en Bretagne et en PACA, donne des informations et des recommandations à J + 1 en matière de consommation électrique, sur la base d’un code très simple attribuant une couleur – vert, orange, rouge – à chaque journée. Nous avons l’ambition de faire passer le nombre d’emplois induits par cette filière de 15 000 à 25 000, et de chercher à passer du stade de la démonstration de projets – nous avons actuellement quelque 120 démonstrateurs – à celui du déploiement industriel, ce qui implique que nous commencions par identifier un territoire disposant du potentiel industriel et universitaire nécessaire, et pouvant constituer à la fois un incubateur de start-up et une vitrine pour le déploiement de technologies telles que le compteur intelligent Linky ou d’autres systèmes relatifs à l’insertion des énergies renouvelables, notamment le projet Postes Électriques Intelligents.

Mme Dubié voulait savoir si tout cela était financé : pour moi, le développement des technologies de réseaux électriques intelligents va devoir se faire à partir de la performance intrinsèque de ces technologies. Les smartphones ne se sont pas développés à coup de subventions, mais parce qu’ils apportaient des services aux consommateurs, et il doit en être de même des smart grids : une fois que l’on aura aidé au lancement des produits issus de ces technologies, ils devront se montrer suffisamment attractifs pour que les décideurs, les collectivités locales et les opérateurs que nous sommes décident de les utiliser en raison des services supplémentaires qu’ils rendent. La clé du développement des smart grids réside dans leur compétitivité intrinsèque, et ce développement ne devrait donc pas nécessiter un financement spécifique, en tout cas pas dans le cadre du TURPE : d’après nos études, l’évaluation du plan d’action du programme de réseaux électriques intelligents devrait créer des besoins en financement limités à 10 millions d’euros, ce qui est très faible. Nous avons fait le pari, en accord avec les industriels et les collectivités concernées, que ces programmes ne se développeraient efficacement que si la technologie et les usages pouvant en être faits créaient la demande.

Pour conclure, je dirai à Madame la rapporteure que dans notre dialogue avec le régulateur, nous débordons assez largement de la question du coût comptable, même si, pour la détermination des tarifs, on en revient essentiellement à des aspects comptables – la CRE voulant savoir, par exemple, quelle est l’incidence des tarifs qu’il propose sur nos réseaux, ce qui relève de la comptabilité analytique. En revanche, la justification des projets passe par des calculs économiques relatifs aux investissements et à leur rentabilité.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Messieurs, je vous remercie au nom de notre Commission d’enquête pour la qualité de votre intervention et les réponses précises que vous avez apportées à nos questions.

6. Audition, ouverte à la presse, de M. Fabien Choné, président de l’Association nationale des détaillants en énergie (ANODE) et directeur général de Direct Énergie

(Séance du mercredi 29 octobre 2014)

M. le président Hervé Gaymard. Monsieur Choné, vous êtes à la tête de l’un des cinq distributeurs dits « alternatifs » regroupés au sein de l’Association nationale des détaillants en énergie (ANODE) et directeur général de Direct Énergie.

Après avoir fusionné avec Poweo, l’un des pionniers du marché dérégulé, Direct Énergie revendique près d’un million de clients particuliers et professionnels. Il semble que, depuis un ou deux ans, nous assistions à un décollage des souscriptions d’abonnement dans les domaines de l’électricité comme du gaz pour ce qui concerne d’autres offres que celles d’EDF ou de GDF. Vous voudrez bien nous dire si cette tendance est effectivement confirmée.

Concernant l’électricité, il nous serait également utile de connaître le taux de retour de ces abonnés auprès du fournisseur historique, après un passage parmi vos clients. Ce taux est-il en voie de résorption, et l’évolution du marché vous permet-elle de mieux fidéliser vos clients ? Il semble également important que vous nous exposiez l’état de vos relations avec ERDF. Ce point de situation nous paraît d’autant plus important que nous allons auditionner tout à l’heure les dirigeants de cette société.

Plus généralement, nous serions heureux de connaître vos attentes et vos propositions afin de parfaire les conditions d’attractivité d’un marché libéralisé de l’électricité dans une optique durablement favorable au consommateur particulier, mais aussi à la compétitivité des clients professionnels.

Enfin, pour être complet, il convient d’aborder avec vous la question de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH). Vous disposez ainsi d’un droit de tirage sur le producteur historique à ce prix convenu. Le président d’EDF nous a clairement indiqué que ce prix était éloigné de la réalité économique. Il a d’ailleurs plus spécialement insisté sur son niveau, que la CRE considérerait elle-même, nous a-t-il dit, comme beaucoup trop bas.

Un autre critique à l’encontre du système est qu’il vous laisse libre de vous fournir auprès d’autres producteurs lorsque les prix du marché sont inférieurs à celui fixé au titre de l’ARENH, pour revenir faire valoir vos droits auprès d’EDF en situation de remontée des prix « spot ». Quelles sont les parts respectives de vos achats auprès d’EDF et d’autres producteurs, par exemple au cours du premier semestre de cette année ?

Avant de vous passer la parole, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Fabien Choné prête serment.)

M. Fabien Choné, président de l’Association nationale des détaillants en énergie (ANODE) et directeur général de Direct Énergie. L’ANODE représente cinq fournisseurs alternatifs : Direct Énergie, Lampiris et Planète OUI pour l’électricité,ENI et Gaz de Paris pour le gaz. Je suis accompagné de Julien Tchernia, directeur du développement chez Lampiris, et de Nicolas Milko, président-directeur général de Planète Oui. À eux seuls, ces cinq fournisseurs représentent plus de 95 % des consommateurs résidentiels français ayant quitté les deux opérateurs historiques.

J’aimerais, tout d’abord, tordre le cou à certaines idées reçues à propos du marché de l’énergie, en me basant sur des graphiques issus de publications de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) qui figurent dans le document que nous vous avons remis.

La première idée reçue est que les tarifs de l’électricité ont augmenté de façon vertigineuse. Si les tarifs de l’électricité ont augmenté ces dernières années pour les consommateurs résidentiels, ils sont néanmoins inférieurs de 25 % à leur niveau de 1995. De surcroît, les hausses récentes sont dues essentiellement à la contribution au service public de l’électricité (CSPE) qui a augmenté de 270 % en quatre ans, entraînant une hausse de 15 % de la facture des consommateurs, soit plus de la moitié de la hausse intervenue depuis 2010. Or la CRE table sur une augmentation de 60 % de la CSPE d’ici à quatre ans, ce qui équivaudra à une hausse de 10 % de la facture des consommateurs. En réalité, ce sont les envolées vertigineuses de la CSPE qui sont préoccupantes.

Deuxième idée reçue : la concurrence fait monter les prix et ses offres sont ou seront plus chères. Sur les 30 % d’évolution tarifaire entre 2012 et 2017 envisagés par la CRE, 10 % sont dus à l’inflation, 10 % à la CSPE, 18,4 % aux tarifs hors CSPE sur cinq ans, soit 1,5 % par an d’augmentation hors inflation. Les évolutions tarifaires à venir ne sont donc pas vertigineuses, et la concurrence n’en est pas responsable. En effet, les hausses incluent les investissements dans le parc de production nucléaire, le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) de 9 euros par mégawatheure (MWh), lié notamment au développement des énergies renouvelables, et les coûts commerciaux à hauteur de 0,90 euro/MWh, sur lequel 0,30 euro/MWh seulement sont liés à des coûts de « désoptimisation ». Cela concerne notamment les modifications du système d’information de l’opérateur historique en vue de répondre aux impératifs de l’ouverture du marché, à savoir la séparation des activités de réseau et des activités de commercialisation. Autrement dit, la libéralisation explique pour 0,3 % seulement la hausse de la facture entre 2012 et 2017. En outre, il est faux de dire que les tarifs réglementés de vente (TRV) sont plus compétitifs que les offres libres, car celles-ci sont 5 % à 10 % moins chères. Malheureusement, moins de 5 % de la population a quitté l’opérateur historique d’électricité et à peine plus de 10 % l’opérateur historique du gaz, alors que le passage à un fournisseur alternatif ne présente aucun risque – il n’y a pas de changement de compteur et il est possible de revenir au tarif réglementé à tout moment. D’ailleurs, le taux de retour chez les opérateurs historiques est très faible, les consommateurs se montrant très satisfaits de bénéficier du même produit dans des conditions de services clients aussi bonnes, voire meilleures, et à des prix nettement inférieurs.

La troisième idée reçue est que le gel des tarifs est bénéfique pour le pouvoir d’achat des consommateurs. D’abord, le maintien de tarifs réglementés à un niveau artificiellement bas, afin de protéger le pouvoir d’achat de tous les Français, aboutit forcément à une protection moindre de ceux qui en ont vraiment besoin, c’est-à-dire les personnes en situation de précarité énergétique. Ensuite, non seulement cette politique empêche les opérateurs d’investir, mais elle n’incite pas les consommateurs à se lancer dans des travaux de rénovation énergétique. Enfin, l’absence de couverture des coûts de l’opérateur historique asphyxie la concurrence qui est le seul vrai vecteur de modération tarifaire. C’est pourquoi l’ANODE a systématiquement introduit des recours devant le Conseil d’État pour demander l’application de la loi qui prévoit la couverture des coûts. D’abord, cette couverture des coûts est vitale pour nous, mais surtout, elle répond à l’intérêt des consommateurs. Dans un contexte de hausse tendancielle des coûts, empêcher une hausse de 5 % ou 10 % des tarifs annihile l’attractivité d’une offre inférieure de 5 % ou 10 % de n’importe quel opérateur alternatif qui ne pourra alors plus assurer son développement. Aussi la politisation des tarifs a-t-elle vocation à faire disparaître la concurrence. À qui
va-t-on demander de couvrir les coûts ? Aux consommateurs ? À l’actionnaire de l’opérateur historique et donc au contribuable ? Selon nous, une tarification qui couvre les coûts, ajoutée à la pression concurrentielle exercée par les opérateurs alternatifs, entraînera inévitablement une évolution contrainte des coûts, comme cela est observé dans tous les secteurs économiques, et aboutira à terme à des niveaux tarifaires inférieurs à ceux fixés artificiellement.

Quatrième et dernière idée reçue : la fixation des tarifs réglementés est très compliquée. La détermination des tarifs réglementés pour couvrir les coûts est relativement simple, le vrai problème est d’assumer les augmentations tarifaires, malheureusement nécessaires, mais très impopulaires dans le contexte actuel. Soumis au jugement de leurs électeurs, les responsables politiques assument difficilement ces décisions, qui en réalité ne sont pas des choix politiques, mais la validation d’une situation économique. L’exercice est d’autant plus schizophrénique pour eux que l’État est actionnaire majoritaire d’EDF.

Je vais, maintenant, vous parler de la construction des tarifs et faire un bref rappel du contexte dans lequel s’inscrit la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (NOME).

En 2009, la France s’est engagée auprès de la Commission européenne à garantir d’ici à fin 2015 la possibilité pour les opérateurs alternatifs de contester les tarifs réglementés – c’est ce qu’on appelle la contestabilité – notamment via l’ARENH. Pour obéir aux injonctions de Bruxelles concernant l’instauration de la concurrence, la loi NOME de 2010 dispose que la construction des tarifs réglementés de vente (TRV) est basée sur l’empilement des coûts vus du marché pour permettre cette contestabilité. Or en 2010, le niveau des prix de marché était tel que la contestabilité a été jugée suffisante pour assurer la couverture des coûts d’EDF. Cette hypothèse, vous le savez, n’est plus valide aujourd’hui du fait de la baisse des prix du marché.

La réforme actuellement souhaitée par le Gouvernement concernant la construction des tarifs sous-tend une fausse bonne idée, selon laquelle la construction des tarifs réglementés est possible uniquement via la contestabilité, c’est-à-dire sur la base des prix de marché de gros, sans tenir compte des coûts de production d’EDF. Certes, compte tenu des prix de marché actuel, cela aboutira à des tarifs réglementés plus bas, mais les coûts d’EDF ne seront plus couverts, sans que personne ne sache qui - du consommateur ou du contribuable - les couvrira à terme. Par ailleurs, cette méthode annihile toute pression concurrentielle réelle sur les coûts d’EDF et n’incitera pas l’opérateur historique à baisser ses coûts. En outre, elle est un très mauvais signal en matière d’incitation à l’entrée sur le marché de la production hors nucléaire, car si les tarifs réglementés ne couvrent plus les coûts de production hors nucléaire et que les prix de marché de gros sont insuffisants pour investir dans la production, aucun investissement ne sera envisagé dans cette production.

Pour EDF, la seule manière de « rattraper » l’absence de couverture des coûts de production hors nucléaire est d’envisager une surévaluation du prix de l’accès régulé à l’énergie nucléaire historique. Un projet de décret prévoit une évolution de la méthode de calcul du prix de l’ARENH. La CRE a évoqué ici même un prix de 44 euros, voire de 46 euros par mégawatheure (MWh) ; la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) avait envisagé 46 euros/MWh. Or dans son rapport de janvier 2014, la CRE a évalué le coût comptable de production nucléaire à 34 euros/MWh. Nous en concluons qu’il existe un risque de subventions croisées entre production hors nucléaire et production nucléaire, ce qui reviendra encore une fois à évincer les concurrents d’EDF.

Pour toutes ces raisons, la réforme de la construction des tarifs actuellement envisagée ne nous paraît pas souhaitable. La construction des tarifs réglementés par contestabilité, rendue nécessaire au regard du droit communautaire, n’est pas selon nous une alternative à la couverture des coûts. Elle n’est qu’une condition cumulative : les tarifs réglementés doivent, à la fois, couvrir les coûts de l’opérateur historique et être contestables du point de vue des opérateurs alternatifs.

J’en viens à nos recommandations permettant de concilier ces deux contraintes.

D’abord, un choix politique s’impose : il faut distinguer les Français qui ont besoin d’être protégés des autres. La solidarité nationale doit jouer grâce à une évolution des tarifs sociaux, si besoin en intégrant le chèque énergie.

Ensuite, il est primordial de couvrir les coûts de l’opérateur historique. Aucune industrie ne peut survivre sans couvrir ses coûts sur le long terme. La question doit être posée d’un point de vue économique et pas seulement juridique.

Enfin, il convient de promouvoir une réelle concurrence pour dynamiser le marché. Plus de sept ans après l’ouverture du marché, il est aberrant que moins de 5 % des consommateurs aient quitté l’opérateur historique, alors que les tarifs des alternatifs sont plus avantageux et sans risque. La concurrence est favorable en termes d’informations aux consommateurs, grâce aux comparateurs d’offres; elle est la seule source de pression concurrentielle sur les coûts d’EDF ; et elle favorise les innovations, notamment en matière de maîtrise de la demande d’énergie, d’effacement, d’offres vertes, d’offres intelligentes et diversifiées qui seront déployées grâce en particulier aux compteurs Linky. Ainsi, nous proposons aux consommateurs des prix plus bas, mais aussi de consommer moins et mieux pour réduire leur consommation.

Nous avons des propositions sur la méthode capable d’articuler les deux contraintes que j’ai soulignées.

Selon nous, la fixation structurelle des tarifs réglementés grâce au principe de contestabilité doit s’accompagner de la vérification, par tests réguliers, de la couverture des coûts de l’opérateur historique. S’ils ne sont pas couverts, il faudra fixer un coefficient de calage. S’ils le sont, deux possibilités se présentent : soit ils sont couverts avec une rémunération dite « normale » ou « raisonnable », et il n’y aura pas de problème ; soit la construction par contestabilité aboutit à une sur rémunération de l’opérateur historique – une rémunération excessive, une rente –, ce qui poserait la question de savoir si les règles de concurrence ne créent pas un désavantage pour les consommateurs. Si cette deuxième situation venait à se présenter, il serait nécessaire que cette rente fasse l’objet d’une rétrocession au consommateur via un mécanisme transparent et ne créant pas de distorsion de concurrence. Tous les dispositifs communs à l’ensemble des offres du fournisseur historique et des opérateurs alternatifs – CSPE, ARENH, TURPE – permettraient de rétribuer cette rente.

En pratique, pour éviter que chaque évolution tarifaire ne crée un drame politico-médiatique, nous pensons urgent que la CRE reprenne définitivement la main sur l’évolution des tarifs réglementés, comme la loi NOME le prévoit à l’horizon 2016, et de manière totalement indépendante, c’est-à-dire sans politisation des tarifs. Faute de quoi, les recours et les factures rétroactives perdureront, alors qu’ils donnent une très mauvaise image des opérateurs alternatifs. Sans compter que les factures rétroactives, illisibles pour les consommateurs, coûtent très cher en termes de systèmes d’information et de réclamations ; elles créent par ailleurs des impayés et favorisent l’attrition. La CRE devrait avoir la possibilité d’auditer toute la comptabilité de l’opérateur historique, notamment en ce qui concerne la fourniture aux tarifs réglementés.

Enfin, nous estimons nécessaire de poser la question de la CSPE, qui représentera 100 milliards d’euros entre 2014 et 2025, contre 30 milliards entre 2002 et 2013. Il s’agit de savoir si elle doit porter uniquement sur l’énergie électrique ou si elle a vocation à porter sur toutes les énergies, afin d’envoyer un signal positif à la consommation électrique renouvelable, au détriment de la consommation d’énergie fossile.

Je termine par votre question sur nos relations avec ERDF, Monsieur le président. Nous souffrons de la grande confusion entre ERDF et sa maison mère – bien peu de consommateurs savent faire la différence –, entretenue à la fois par les logos et les dénominations. En outre, se pose la question de la gouvernance de la distribution, au regard des choix d’investissement et de la répartition entre investissements et dividendes. En effet, si l’augmentation du TURPE, comme on l’entend dire régulièrement, est à même de favoriser les investissements sur le réseau, auxquels nous sommes bien évidemment favorables, elle peut néanmoins faire l’objet d’un arbitrage entre une augmentation des investissements et une augmentation des dividendes. Or les dividendes versés par ERDF à sa maison mère l’année dernière, de l’ordre de 537 millions d’euros, s’avèrent colossaux au regard des capitaux investis par EDF dans sa filiale, aux alentours de 4 milliards seulement. Alors que le TURPE est payé par tous les consommateurs, y compris nos clients, les dividendes vont dans la poche de notre principal concurrent. Par conséquent, nous sommes opposés à une augmentation du TURPE sans modification de la gouvernance de la distribution car, sinon, les dividendes de notre concurrent numéro un continueront d’augmenter et aucun investissement supplémentaire ne sera consenti sur le réseau.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Merci beaucoup de cet exposé.

Que proposez-vous pour régler ce problème de gouvernance que vous évoquez ?

Pour quelles raisons le nombre de consommateurs quittant l’opérateur historique est-il si bas ? Comment faire évoluer ce taux ? Est-ce une question culturelle ? Des tarifs plus bas suffisent-ils à conduire les consommateurs à rejoindre les opérateurs alternatifs ?

Comment appréhendez-vous la couverture des coûts dans les années à venir ? Que proposez-vous pour évoluer vers des systèmes de tarifs plus satisfaisants pour vous ? Que pensez-vous des dispositifs au forfait, comme il en existe dans le secteur des télécommunications ?

M. Denis Baupin. Merci, monsieur Choné, de votre exposé.

Quel serait le bon niveau de l’ARENH, y compris au regard du grand carénage ? Vous plaidez la couverture des coûts par les tarifs, mais cette logique n’est-elle pas contradictoire avec votre affirmation selon laquelle l’ARENH est surévaluée ?

M. François Brottes. Je le dis en plaisantant, mais c’est grâce à vous que les tarifs augmentent ! En réalité, si vous les considérez mal ajustés, les décisions de justice entraînent une augmentation des tarifs. En définitive, que vous apportent tous ces contentieux ?

Que pensez-vous de la position de l’Autorité de la concurrence selon laquelle l’ARENH a vocation à disparaître en 2015 ? Je ne suis pas sûr que l’opérateur historique s’en soit ému…

Alors que le dispositif crée un deuxième marché de l’énergie, la société RTE évoque un probable black-out l’année prochaine, faute de réserves suffisantes. Comment se positionnent les opérateurs alternatifs par rapport à ces contraintes de capacité ? Certains de nos amendements au projet de loi de transition énergétique ont porté sur l’effacement. Comment doit évoluer le dispositif, selon vous ?

Mme Jeanine Dubié. Ce matin, a été publié au Journal officiel le décret qui définit la nouvelle méthode de calcul des tarifs réglementés de l’électricité. La méthode de construction des tarifs réglementés de vente de l’électricité consiste à additionner le coût de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique au coût du complément d’approvisionnement. Que pensez-vous de cette méthode de calcul ? Selon vous, comment les tarifs de l’électricité devraient-ils être fixés pour assurer la couverture des coûts de production, sans sanctionner trop fortement les consommateurs ?

M. Fabien Choné. Madame Dubié, ce décret ne résout en rien le problème de l’articulation entre couverture des coûts et contestabilité. Il évoque la construction des tarifs réglementés par contestabilité – empilements des coûts vus du marché – « sous réserve de la prise en compte des coûts de l’activité de fourniture de l’électricité aux tarifs réglementés d’Electricité de France… »

Nous jugeons indispensable de couvrir les coûts d’EDF, je l’ai dit, dans l’intérêt des consommateurs, de l’opérateur historique comme des opérateurs alternatifs. Il est tout aussi indispensable d’assurer la contestabilité, condition de l’euro-compatibilité des tarifs réglementés. Si elle aboutit à une rente pour EDF au détriment des consommateurs, l’opérateur historique devra rendre cette rente via la CSPE, le TURPE ou l’ARENH. Si la couverture des coûts suffit à assurer la contestabilité, comme c’est le cas aujourd’hui, la concurrence pourra continuer à se déployer et les tarifs seront euro-compatibles.

Monsieur Brottes, l’absence de couverture des coûts tue la concurrence. Nos recours devant le Conseil d’État – dans l’intérêt du consommateur – nous permettent de continuer à faire notre métier. Nous n’imaginons pas un instant que la plus haute juridiction administrative puisse prendre des décisions contraires à l’intérêt des consommateurs.

Effectivement, le dispositif de l’ARENH est transitoire. Mais loi NOME prévoit que les opérateurs et les consommateurs industriels peuvent investir dans le prolongement de la durée de vie ou le renouvellement du parc nucléaire. Nous sommes très favorables à l’engagement de négociations rapides avec EDF sur ces questions, mais nous demandons qu’elles soient encadrées par l’État.

Nous avons été parmi les premiers à réclamer une rémunération de la capacité, car un marché basé uniquement sur les transactions d’énergie ne permet pas d’atteindre un niveau suffisant de sécurité d’approvisionnement. Malheureusement, le marché de capacité proposé par RTE n’a aucune chance de fonctionner. En effet, comme RTE l’écrit dans son rapport, le marché de capacité est nécessaire car, même en présence d’un parc de production parfait, la rémunération du producteur sur le marché énergie est insuffisante. Toujours dans ce même rapport, RTE estime que, grâce à sa proposition, le prix de la capacité sera nul en l’absence de besoin de nouvelles capacités. Cela démontre bien l’inefficacité de ce futur dispositif.

La raison pour laquelle l’ANODE a déposé un recours devant le Conseil d’État est non seulement parce que le dispositif présenté ne fonctionne pas, mais il crée aussi un marché dans lequel un opérateur concentre plus de 90 % de la demande et plus de 90 % de l’offre, sans compter qu’il est plus favorable aux gros producteurs. Nous combattrons ce dispositif, tout en affirmant que la rémunération de la capacité est une absolue nécessité pour permettre au marché de fonctionner correctement. D’autant que, et c’est une estimation de RTE, 80 % de la valeur de l’effacement est de la capacité. Ainsi, l’effacement permet d’éviter des capacités de pointe supplémentaires. Les 20 % restants sont des transferts d’énergie.

Il existe une confusion aujourd’hui entre l’effacement et l’efficacité énergétique active, car la même box installée chez les clients permet de faire les deux. Grâce à sa box, le client pilote mieux sa consommation, mais ces économies d’énergie n’ont aucune raison d’être corrélées aux pointes de prix sur les marchés. Ces économies d’énergie doivent être rémunérées au travers de la baisse de la facture au consommateur, mais également faire l’objet de certificats d’économies d’énergie. Aussi réclamons-nous depuis longtemps que les box permettant l’efficacité énergétique active donnent lieu à la délivrance de certificats d’économies d’énergie. Les effacements, eux, sont opérés par le système électrique indépendamment du confort du consommateur. Lorsque vous procédez à un effacement de consommation chez un consommateur présent à son domicile à dix-neuf heures, dans un objectif de maîtrise de la demande pointe, il consommera la même quantité d’énergie lorsque vous l’autoriserez à nouveau à consommer à vingt et une heure.

M. François Brottes. L’effacement peut être du transfert, mais aussi de l’économie. Faut-il rémunérer la capacité, même si elle ne sert pas ?

M. Fabien Choné. En surveillant la consommation de mon congélateur, qui doit refroidir les aliments au moment où je les mets et compenser à chaque fois que j’ouvre la porte, je constate que l’effacement ne change rien à ma consommation. Je vous certifie qu’il n’y a pas d’économies d’énergie en cas d’effacement, pour les besoins du système électrique, des congélateurs, des réfrigérateurs, des chauffe-eau, des systèmes de chauffage. Effectivement, en matière de chauffage, il peut y avoir des transferts d’énergie vers d’autres énergies ou vers d’autres consommateurs. Le même dispositif d’effacement pour mon congélateur me permet aussi de gérer plus intelligemment mon chauffage, ce qui permet de faire des économies d’énergie, mais il n’y a aucune raison de valoriser cela sur les marchés. La pose d’isolant ou de doubles vitrages dans une maison ne donne pas lieu à rémunération sous forme de kWh à revendre sur les marchés ! Par contre, tous les dispositifs qui permettent de faire de l’efficacité énergétique active doivent donner lieu à un contrat de rémunération entre le client et le fournisseur.

Ainsi, cette ambiguïté tue l’effacement depuis le départ. Un acteur actuel de l’effacement perd énormément d’argent ; d’autres, comme nous, ne pouvons le proposer, faute de rémunération suffisante de la capacité apte à valoriser correctement cet effacement. Aussi proposons-nous que les effacements donnent lieu à une prime CSPE garantissant la valeur de la capacité. Car les effacements diffus représentent des investissements très capitalistiques, ce qui rend nécessaire un signal économique stable et fiable. De la même manière que le prix de l’énergie pour les énergies renouvelables est garanti, nous estimons que le développement de cette filière impose de garantir la valeur de la capacité pour l’effacement diffus. C’est cela qui permettra le développement de l’effacement, pour les effaceurs purs comme pour les fournisseurs.

Une capacité ne sert jamais à rien : elle apporte un niveau de sécurité d’approvisionnement – en pratique, le dernier mégawatt garantissant cette sécurité fonctionne une fois tous les dix ans. Si la centrale de Porcheville ne sert quasiment jamais, elle permet néanmoins de garantir un niveau d’approvisionnement de sécurité et devra être rémunérée en permanence, même si elle sert seulement une année sur dix.

Grâce à une rémunération correcte de la capacité, votre rémunération dépendra du niveau de capacité du marché de l’énergie. Si ce marché est en surcapacités vous n’investissez plus, faute de revenus suffisants, mais s’il est sous-capacitaire, de fortes rémunérations vous amènent à investir. Ainsi, le signal prix fonctionne à condition que la rémunération de la capacité soit relativement stable, ce qui permet de promouvoir les investissements dans les moyens de production et d’effacement. Pour des raisons écologiques, il est bien évidemment préférable de produire de l’effacement de pointe que de la production de pointe.

Dans ses rapports, la CRE évalue le coût comptable de l’ARENH aux alentours de 34 euros par MWh – il est actuellement de 42 euros –, et estime nécessaire de sur rémunérer EDF pour permettre les investissements. Comme nous l’avons indiqué dans le cadre de la commission d’enquête sur les coûts de la filière nucléaire, une sur rémunération d’EDF n’est pas envisageable sur la totalité de la période ARENH, car cela signifierait que l’opérateur historique tirerait les bénéfices d’un outil payé par l’ensemble des consommateurs, y compris des opérateurs alternatifs. Ainsi, le maintien de l’ARENH à 42 euros est concevable, à condition que le bénéfice entre le coût comptable et ce prix de 42 euros soit rétribué aux consommateurs à la fin de la période ARENH.

Concernant le grand carénage, un prix de l’ARENH à 42 euros, pourquoi pas, mais certainement pas plus jusqu’en 2015, d’autant que l’Autorité de la concurrence a demandé la fin du dispositif ARENH pour 2025. À la lecture des rapports de la CRE, le prix de 42 euros nous paraît largement suffisant, à la fois pour couvrir les coûts comptables et financer les investissements.

Madame la rapporteure, nous estimons que le tarif d’utilisation du réseau public d’électricité doit être totalement transparent et donc basé sur les coûts comptables. Toutes les autres méthodes – proposées par la CRE, retoquées par le Conseil d’État, aujourd’hui en discussion dans le cadre du projet de loi de transition énergétique – nous paraissent susceptibles de créer des sur rémunérations indues, propres à se transformer en dividendes, ce qui est néfaste à la concurrence.

Reste la question de la gouvernance. Une solution radicale réside dans la séparation patrimoniale, choisie par certains pays. À défaut de séparation patrimoniale, nous estimons nécessaire de renforcer les dispositifs de gouvernance du gestionnaire du réseau de distribution, afin d’encadrer les choix d’investissement et, si possible, la remontée des dividendes, ce qui est plus compliqué car il s’agit d’une filiale à 100 % de l’opérateur historique.

Plusieurs raisons expliquent le faible taux de consommateurs optant pour les opérateurs alternatifs. D’abord, notre marché fait malheureusement l’objet d’idées fausses, j’en ai parlé, y compris celle selon laquelle le fait de quitter le tarif réglementé est irréversible ou encore que nous étranglons nos consommateurs en leur proposant des prix intéressants au départ puis très élevés ensuite. Surtout, la totale absence de communication des pouvoirs publics sur l’ouverture du marché a empêché les consommateurs d’en connaître les bénéfices, contrairement par exemple aux grandes campagnes pour le « 12 », les renseignements téléphoniques. Nous jugeons donc indispensable une communication à la hauteur de l’enjeu. D’ailleurs, après avoir conseillé de ne pas quitter les tarifs réglementés à l’ouverture du marché, une association de consommateurs a lancé en 2013 un appel d’offres pour sélectionner des offres tarifaires susceptibles de rivaliser avec les prix réglementés du gaz et, ainsi, encourager les consommateurs à opter pour un opérateur moins cher. Le marché a été organisé pour éviter tous les risques pour les consommateurs, qui peuvent réaliser des économies tout à fait significatives. En matière d’électricité, des offres entre 5 % et 10 % moins cher représentent quelques dizaines d’euros sur des factures de 600 euros par an, mais sur des factures comprises entre 1 000 euros et 2 000 euros de personnes se chauffant à l’électricité, l’économie est loin d’être négligeable.

Seule la pression concurrentielle peut avoir un impact effectif sur les coûts, notamment de l’opérateur historique. Or avec 5 % de perte de parts de marché, l’opérateur historique d’électricité ne subit aucune pression concurrentielle – l’opérateur historique du gaz non plus.

Enfin, les forfaits sont apparus dans des secteurs, comme les télécoms, où les coûts marginaux de production sont quasiment nuls, ce qui n’est pas du tout le cas pour l’électricité. En outre, l’envoi de signaux de modération de consommation aux clients se justifie au regard d’un produit dont l’impact sur l’environnement est réel, si bien que des forfaits permettant de consommer jusqu’à un certain niveau, alors même que des économies pourraient être réalisées, ne nous paraissent pas souhaitables.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Dans le coût global, le coût de l’investissement est lourd et celui l’énergie proprement dite relativement faible. S’agissant du secteur des télécoms, les coûts d’investissement sont très importants et le coût des services a connu ces dernières années des évolutions considérables à la baisse. La question de M. Brottes, certes provocatrice, est néanmoins fondée. Selon vous, il est indispensable de couvrir les coûts de l’opérateur historique – qui augmentent actuellement – et la concurrence va faire baisser les tarifs au consommateur. Vous maniez là le paradoxe, car la couverture des coûts, lesquels incluent une part croissante d’investissements, va entraîner une augmentation des tarifs, or ce n’est pas la concurrence, avec 5 % de clients, qui réglera le problème. Pourriez-vous aller jusqu’au bout de votre raisonnement ?

M. François Brottes. Je ne partage pas votre point de vue sur la nécessité d’augmenter les prix pour être vertueux – les prix ne doivent pas trop baisser pour encourager la sobriété, selon vous. À l’inverse des télécoms, l’électricité est un bien essentiel, or des personnes en sont exclues malgré les tarifs sociaux. Pour la partie de première nécessité, je milite pour une baisse des coûts. Il nous faut avancer sur la progressivité des tarifs, qui est possible grâce aux progrès de l’électronique et à l’inventivité de la concurrence. Qu’en pensez-vous ?

Vous avez été victime de la loi Brottes sur l’énergie qui impose une trêve hivernale. Y’a-t-il eu des abus ? Vous êtes-vous débarrassé de clients ou pas ? Pardonnez-moi ce côté provocateur, mais c’est une habitude…

Au regard des clients que vous n’avez pas souhaité conserver dans votre portefeuille, quel est votre point de vue sur le fournisseur de dernier recours ? Pour un bien de première nécessité, on ne peut pas imaginer qu’un client reste sans fournisseur.

Enfin, un certain nombre de fournisseurs demandent, en plus du prix du raccordement, le paiement de trois mois de facture à l’avance, en prétendant rembourser dans les deux mois en cas de changement d’opérateur. Qu’en pensez-vous, alors que vous avez répété que le changement d’opérateur est sans risque ?

M. Fabien Choné. Je ne peux répondre à votre dernière question. Je vais faire des recherches pour connaître l’opérateur en question, lequel semble-t-il n’est pas un membre de l’ANODE. Si cette pratique existe pour les loyers, j’ignore si elle est juridiquement autorisée pour les fournisseurs d’électricité. En tout cas, Direct Énergie ne demande pas cela à ses clients.

La précarité énergétique en France est une grande préoccupation, mais elle ne relève pas des fournisseurs. Il s’agit d’un problème de société, qui doit être traité de manière globale, avec notamment un fournisseur de dernier recours, auquel nous sommes tout à fait favorables, lequel doit être nommé de manière transparente et non discriminatoire.

La disposition sur la trêve hivernale a suscité l’inquiétude des opérateurs au regard du signal envoyé aux consommateurs sur la possibilité de reporter le paiement de leur facture et du risque d’endettement associé. Ce risque existe toujours. Néanmoins, la première trêve hivernale n’a pas entraîné une augmentation significative des impayés, car les factures ont été basses en raison d’un hiver particulièrement clément. Par ailleurs, l’information n’est pas totalement passée auprès de l’ensemble des consommateurs.

Je n’ai pas dit que l’augmentation des prix est vertueuse, j’ai dit que le maintien artificiel de prix bas n’est pas vertueux. L’électricité est un bien de première nécessité, pour les besoins vitaux élémentaires. Lorsqu’elle devient un bien de consommation, elle est malheureusement gaspillée, d’où la nécessité d’envoyer des signaux économiques aux consommateurs. C’est pourquoi nous pensons que le principe du bonus-malus, qui figure dans l’exposé des motifs de votre loi, est une très bonne idée. En effet, il permet d’assurer les besoins vitaux des plus défavorisés et de faire payer ceux qui consomment trop, tout en assurant la couverture des coûts. Il permet ainsi de limiter la consommation, et même de la répartir. Et pour assurer cette répartition de la consommation, la structure du tarif doit orienter les consommateurs vers les périodes où la production d’électricité est la moins chère, voire, à terme, où le coût marginal de production sera nul grâce à un parc d’énergie renouvelable suffisant.

Enfin, la concurrence aura un rôle à jouer dans la production hors nucléaire, où des investissements importants devront être réalisés, ce qui impose des signaux économiques pour les nouveaux entrants. Elle a également un rôle à jouer dans la commercialisation, domaine où les coûts de l’opérateur historique ont dérivé à hauteur de 30 % au cours des cinq dernières années, comme l’a démontré le rapport de la CRE l’an dernier. Ce rôle de la concurrence concerne non seulement les tarifs, mais encore les services et l’innovation, car une facture est un tarif multiplié par une consommation répartie dans le temps. Pour le consommateur résidentiel, c’est le montant de la facture qui prime. Même si les tarifs pourraient augmenter, des moyens existent pour faire baisser sa facture, notamment grâce à des aides à l’efficacité énergétique et à une meilleure répartition de sa consommation. Or c’est l’inverse pour les consommateurs industriels, ce qui compte c’est d’avoir un prix bas, afin d’être compétitifs, quitte à payer des factures élevées car elles sont synonymes de production importante. Ainsi, l’enjeu est-il d’expliquer au consommateur que, même si le tarif peut être élevé, des outils existent – notamment la concurrence – pour faire baisser sa facture, et à l’inverse, de permettre aux industriels d’avoir les prix les plus bas et des factures élevées.

M. le président Hervé Gaymard. Merci beaucoup de cette contribution fort intéressante.

7. Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Monloubou, président d’ERDF, de M. Éric Peltier, chef de département à la direction des finances d’ERDF et de M. Pierre Guelman, directeur des affaires publiques

(Séance du mercredi 29 octobre 2014)

M. le président Hervé Gaymard. Monsieur le président, soyez le bienvenu. Votre carrière s’est déroulée au sein du groupe Électricité de France (EDF), essentiellement dans ses activités de distribution et dans son secteur commercial. On rappellera d’ailleurs que, filiale à 100 % d’EDF, Électricité réseau distribution France (ERDF) gère la quasi-totalité du réseau national de distribution, dont 5 % relèvent néanmoins d’entreprises locales. Le réseau n’est d’ailleurs pas la propriété de l’entreprise que vous présidez, puisqu’il appartient aux collectivités territoriales qui, en tant qu’autorités concédantes, sont regroupées dans des syndicats départementaux.

ERDF emploie près de 35 000 salariés, pour 35 millions de sites raccordés, et compte environ 25 millions de clients dans toutes les catégories d’abonnés.

Nous attendons que vous nous apportiez des informations sur les éléments constitutifs du coût de la distribution dans les tarifs de l’électricité. Nous souhaiterions aussi en savoir plus sur vos rapports avec les fournisseurs dits « alternatifs ».

Vos capacités d’investissement pour les années à venir constituent l’un des sujets cruciaux. En 2013, vos investissements ont atteint quelque 3 milliards d’euros, en progression de 3,5 % par rapport à l’exercice précédent. Des actions telles que l’enfouissement des lignes, l’émergence des smart grids, le déploiement du compteur Linky, sans oublier le maillage territorial des bornes de rechargement des véhicules électriques représentent de vrais défis financiers pour votre entreprise. Au titre de la programmation de ses activités, quelles perspectives de recettes celle-ci entrevoit-elle dans les années à venir, sachant que le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) représente actuellement près de 90 % de ces recettes ? L’entreprise dispose-t-elle de fonds de réserve importants ?

Que représentera la part de la distribution dans les tarifs, par rapport à ce qu’elle est aujourd’hui ? Doit-on s’attendre à une progression régulière et soutenue de cette part ?

Enfin, il serait utile que vous nous précisiez de quel degré d’indépendance dispose la gouvernance d’ERDF par rapport à sa maison mère EDF, qui détient la totalité du capital de sa filiale. Dans un passé récent, des critiques ont en effet été émises, s’agissant notamment du niveau des remontées de dividendes servis à EDF.

En application de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées dans le cadre d’une commission d’enquête prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous demande donc de lever la main droite et de dire : « Je le jure. »

(M. Philippe Monloubou prête serment.)

M. Philippe Monloubou, président d’Électricité réseau distribution France (ERDF). ERDF est une entreprise de service public issue, en 2008, d’un groupe intégré. En charge de la distribution publique d’électricité sur 95 % du territoire métropolitain, elle gère, avec 1,3 million de kilomètres de lignes en basse et moyenne tension (HTA), le premier réseau d’Europe par sa taille, pour 35 millions de clients desservis. Chaque année, 11 millions d’interventions sont réalisées sur ce réseau. ERDF compte enfin plus de 1 000 implantations sur l’ensemble du territoire, et emploie 37 000 salariés.

Le réseau de distribution évolue ; il accueille chaque année de nouveaux consommateurs – entre 350 000 et 450 000, et il ne vous aura pas échappé que nous sommes actuellement dans le bas de la fourchette –, mais surtout, fait plus récent, 30 000 nouveaux producteurs, soit, avec une puissance d’environ 1 gigawatt, l’équivalent d’une tranche nucléaire : le projet de loi relatif à la transition énergétique confortera bien entendu cette tendance. Ce sont aujourd’hui 95 % des producteurs qui sont raccordés sur le réseau de distribution d’ERDF, pour une puissance d’environ 13 gigawatts. Des apports aussi massifs d’énergie intermittente appellent une évolution des modes opératoires, d’où la nécessité d’investir dans les smart grids et la numérisation des données : c’est là l’une des conditions de l’adaptation des réseaux et même, j’ose le dire, du succès de la transition énergétique.

La distribution d’électricité en France est caractérisée par sa dimension concessionnaire, avec deux niveaux de régulation : un niveau national pour la fixation des tarifs et des critères de qualité ; un niveau local, avec les 623 contrats de concession qui lient ERDF aux autorités concédantes, et aux termes desquels s’exercent des prérogatives en termes de contrôle, de suivi et d’exigence patrimoniale. Tout cela est le fruit d’une longue histoire, que certains d’entre vous connaissent bien, et qui, comme je le suggérais, n’est pas terminée car les collectivités ont, en matière énergétique, des attentes auxquelles il faudra répondre.

Ces mêmes collectivités, donc, délèguent le plus souvent à l’opérateur national la gestion de leur réseau mais, à la différence d’une concession classique, ni le tarif, ni les niveaux de qualité ne sont fixés au niveau local.

Le TURPE, vous l’avez rappelé, constitue l’essentiel de nos recettes – environ 90 % – et de celles du transporteur. Fixé par la Commission de régulation de l’énergie (CRE), il repose sur le principe de la péréquation tarifaire, lequel garantit à tous les utilisateurs, où qu’ils se trouvent, un prix d’acheminement identique. Le TURPE 4 a été fixé pour une période de quatre ans. Il couvre d’abord, Dominique Maillard a dû vous le rappeler, le tarif de transport, pour 2 200 postes sources, qui assurent l’interface entre le réseau à très haute tension (THT) et le réseau HTA. En 2013, ce « TURPE transport » a représenté 3,4 milliards d’euros ; il couvre également les achats de pertes sur les réseaux – pour 1,4 milliard –, qu’elles soient techniques ou non techniques – fraudes, adaptations tarifaires, résiliations hors du cadre normatif ou locaux vacants –, et, pour 4,7 milliards, les charges opérationnelles : exploitation, maintenance et entretien des réseaux, conduite, relations avec les fournisseurs et les clients.

Le TURPE couvre également les redevances versées aux autorités concédantes et les contributions au Fonds d’amortissement des charges d’électrification (FACÉ), pour 700 millions d’euros, ainsi que les charges liées aux investissements – rémunération du capital et amortissements –, pour 3,2 milliards – et même un peu plus en 2014. Au total, ce sont donc 8,6 milliards d’euros qui sont investis dans l’économie locale, conformément à la vocation même d’ERDF quant au maillage territorial, à travers le déploiement d’un réseau que Dominique Maillard qualifie de « chevelu ».

La facture, pour un consommateur résidentiel, se décompose de la manière suivante : 30 % pour l’acheminement de l’énergie – soit environ 49 euros par mégawattheure –, 36 % pour la fourniture et 34 % pour la contribution au service public de l’électricité (CSPE) et les taxes.

Même si une partie d’entre elles sont restées stables, les charges couvertes par le TURPE sont en forte croissance depuis 2008. Les investissements ont pour ainsi dire doublé depuis 2007, après avoir connu des niveaux relativement faibles à la fin des années 1990 et au début des années 2000. La maintenance préventive, qui contribue bien entendu à la qualité du réseau, a aussi été significativement revue à la hausse, ne serait-ce qu’à travers les interventions d’urgence liées aux intempéries, dont les médias se sont fait l’écho.

Les 700 millions d’euros versés aux autorités concédantes au titre des redevances étant presque intégralement réinvestis dans les réseaux, ce sont en réalité 4 milliards au total qui sont investis tous les ans. La commission spéciale saisie du projet de loi pour la transition énergétique s’est d’ailleurs penchée sur ces investissements et la manière de les coordonner au mieux.

Le principe du TURPE, tarif national péréqué fixé par la CRE, est celui d’un « cost plus » : le revenu d’ERDF, perçu à travers des recettes tarifaires, doit couvrir ses coûts et lui permettre d’investir ; mais ce tarif recouvre aussi des exigences de productivité et des incitations à fournir le meilleur service aux utilisateurs du réseau : vous avez mentionné les fournisseurs alternatifs, mais d’autres acteurs apparaissent sur le marché, liés par exemple à la flexibilité ou à l’effacement.

Les investissements ont d’abord pour objet de traiter les demandes de développement du réseau : le niveau des raccordements est globalement soutenu, même si l’on peut déplorer un infléchissement vers le bas lié à la conjoncture économique, et les grands programmes de restructuration urbaine posent des enjeux de sécurité et de maîtrise, en termes de transition énergétique comme de développement économique.

Depuis deux ans, la puissance raccordée de l’éolien et du photovoltaïque sur les réseaux ne cesse de croître, et l’on peut penser que la future loi amplifiera encore cette tendance – je reviendrai sur le développement des véhicules électriques. Le raccordement des énergies intermittentes sur des mailles à géométrie variable génère, au niveau local, des pointes toujours plus nombreuses.

Deuxième grand domaine d’investissements : la gestion des obligations réglementaires, sécuritaires et de voirie. Les élus de terrain que vous êtes connaissent les implications des modifications d’ouvrage, eu égard aux restructurations urbaines, en termes de contraintes et de délais. Ces dépenses, couvertes à 50 % par les recettes, représentent environ 200 millions d’euros par an. L’isolation des transformateurs avec du PolyChloroBiphényle, dit « PCB », a fait l’objet d’une nouvelle réglementation, plus exigeante, qui a nécessité une dépense de 400 millions d’euros, dont 300 millions d’investissements, sans parler de l’amiante, de la mise à la terre ou de la mise en conformité des réseaux.

La réglementation relative aux déclarations de travaux a aussi un impact en matière de cartographie. La numérisation est bien entendu un facteur de performance pour la mise à jour des données ; elle implique des investissements, par exemple pour les branchements, pour lesquels la loi de 2012 nous impose des normes réglementaires qui passent par la numérisation. Toute situation de non-conformité pouvant avoir un impact sur la sécurité des tiers, une nouvelle réglementation, dite de « contrôle technique des ouvrages », a vu le jour ; il ne s’agit pas de la discuter, bien entendu, mais elle est une source de dépenses supplémentaires, sans parler de la question des colonnes montantes : autant de charges qui nécessitent une gestion dans le temps compatible avec le niveau des investissements.

Le troisième grand segment d’investissements est la modernisation de l’outil de travail et des moyens d’exploitation, qu’il s’agisse des véhicules utilisés par les agents – pour la sécurité desquels un industriel de référence se doit naturellement d’avoir des exigences élevées –, mais aussi des systèmes d’information, liés à l’évolution des marchés – celui de l’effacement, par exemple – ou à la numérisation des données : à travers le projet Linky, ERDF deviendra un opérateur de « big data » ; c’est la condition même de la maîtrise des smart grids. La gestion de données de consommation nécessite au demeurant des investissements d’autant plus élevés qu’elle implique aussi des exigences de sécurité, de non-discrimination et de fiabilité, sans oublier les interfaces avec les parties prenantes, clients – domestiques ou industriels – et collectivités.

Nos investissements portent aussi, quatrièmement, sur la modernisation du patrimoine et l’amélioration des performances du réseau, dans des conditions de sécurité et de maîtrise auxquelles les parties prenantes sont évidemment très sensibles. Globalement, le niveau du réseau français est dans la moyenne européenne, nonobstant des écarts de qualité dans certaines zones rurales : c’est là une priorité de nos investissements, avec le souci de donner la meilleure visibilité aux parties prenantes.

La modernisation du patrimoine est au cœur des discussions sur les capacités d’investissement du distributeur. Le faible niveau des investissements, à la fin des années 1990 et au début des années 2000, a été préjudiciable à la qualité moyenne et il explique la remontée des durées de coupure ; cela a conduit ERDF à reprendre une forte dynamique d’investissements, avec près de 3,5 milliards d’euros par an, soit environ 40 milliards pour l’ensemble de la décennie à venir. Au reste, le niveau moyen des coupures connaît déjà un infléchissement, en dépit d’une année 2013 assez agitée en raison des aléas climatiques. La Cour des comptes a d’ailleurs salué, dans son rapport de 2013, la nouvelle dynamique d’investissements de notre entreprise.

Au-delà de la modernisation du patrimoine, les investissements doivent financer la transition énergétique. L’intégration des énergies renouvelables implique, telle qu’elle est prévue, un investissement brut de près de 4 milliards d’euros à l’horizon 2020, dont 1,8 milliard pour l’éolien et 2,3 milliards pour le photovoltaïque. Quant aux 7 millions de bornes de recharge électrique, elles pourraient appeler, d’ici à 2030, un investissement de l’ordre de 5 milliards d’euros. Ce chiffre, purement évaluatif, dépend bien entendu de la nature des bornes, puisqu’une borne de recharge rapide exige une puissance trente fois supérieure, sinon plus, à celle d’une borne de recharge lente. Nous pourrons vous communiquer nos estimations établies en fonction des différentes hypothèses.

Le déploiement des compteurs Linky a été décidé cet été ; nous avons d’ores et déjà ouvert des appels d’offre pour la première tranche de 3 millions de compteurs ; ils seront installés d’ici à la fin de 2015 ; les 32 autres millions autres le seront à partir de 2017. Aux termes du plan d’affaires élaboré avec la CRE, ce déploiement implique un investissement de 5 milliards d’euros, qui restera cependant neutre pour le consommateur, qu’il s’agisse de l’installation même des compteurs ou du TURPE. Cette neutralité est assurée par un mécanisme de différé tarifaire, les charges d’investissement, qui courront jusqu’à l’échéance de 2021, étant amenées à générer des gains une fois engagé le déploiement massif. Le mécanisme a bien entendu un coût, puisque de tels gains sont susceptibles d’entrer dans le périmètre du TURPE ; ce coût d’immobilisation a été négocié avec la CRE, pour l’application d’un taux bien entendu différent de celui de la rémunération des capitaux.

Le tarif doit garantir un revenu suffisant pour permettre des investissements, tout en assurant une juste répartition, entre les clients, des charges liées aux impératifs de péréquation. Depuis le 1er novembre 2002, plusieurs TURPE, aux caractéristiques très différentes, se sont succédé. Le TURPE 1 obéissait à une approche comptable, les TURPE 2 et 3 à une approche économique ; la transition entre les TURPE 3 et 4 a vu de nouveau prévaloir l’approche économique, et le TURPE 4 est une sorte d’hybride. Or, au vu des niveaux d’investissements que j’évoquais, la stabilité tarifaire et la visibilité sont indispensables. Le tarif doit faire sens économiquement tout en gardant une robustesse juridique. À cette fin, l’article 42 du projet de loi relatif à la transition énergétique apporte une sécurité juridique au régulateur, s’agissant de la constitution du prochain tarif ; il me semble indispensable d’aller au bout de cette logique, qui est de nature à garantir la stabilité et la lisibilité tarifaires. Le même article lève en particulier une ambiguïté qui incitait le régulateur à la logique comptable, alors que, pour les entités régulées – et pas seulement dans le secteur de l’énergie –, c’est l’approche économique qui prévaut désormais.

Un dernier mot sur l’évolution du TURPE, cette fois quant à sa structure. Le raccordement des bornes électriques et des énergies intermittentes, ainsi que le développement de l’autoconsommation impliquent que, désormais, le critère de la puissance s’imposera sur celui de la consommation, que reflète encore majoritairement le TURPE. Tel qu’il est aujourd’hui construit, celui-ci pourrait en effet envoyer des signaux tarifaires contraires à l’optimisation des investissements. Il faudra donc, de mon point de vue, repenser la pondération entre la part fixe et la consommation dans l’architecture du TURPE.

D’une manière plus générale, il s’agit d’inciter à une juste localisation des charges – certains d’entre vous ont à gérer ce problème à travers les schémas directeurs – et d’adapter les signaux tarifaires ou économiques au développement, par exemple, de l’autoconsommation. La tarification doit aussi être associée à l’accès aux données, élément essentiel de la transition énergétique. Sur l’ensemble de ces sujets, nous espérons que le TURPE 5 apportera des réponses.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Quel est l’impact sur les coûts, donc sur les tarifs de l’électricité, des liens entre EDF, ERDF et Réseau de transport d’électricité (RTE) ? Certains choix, en termes de propriété du capital, de relations entre les structures ou de comptabilité, ne sont-ils pas de nature à générer des coûts supplémentaires ? Quelle serait l’alternative au système actuel ?

Sur les territoires, les syndicats évoquent le poids des contraintes contractuelles qui, d’après eux, font prévaloir une logique comptable et financière – avec, notamment, l’obligation de remontées de dividendes – sur le service public. Quel est votre sentiment sur ce point ?

Quid de la gouvernance globale du dispositif ?

Vous avez évoqué la qualité du service aux entreprises, s’agissant en particulier des coupures. Sur ce point, vos indicateurs de qualité révèlent des différences qualitatives entre les trois zones de votre cartographie, les entreprises installées dans les territoires excentrés peuvent être pénalisées, du fait de ce zonage, par rapport à celles qui le sont dans les agglomérations.

M. François Brottes. Vous avez dressé une longue liste de vos charges passées, présentes et à venir ; de fait, toutes nous intéressent, notamment parce qu’ERDF est sans doute l’opérateur qui occupe la plus mauvaise place : votre maison mère vous demande des compte et de l’argent ; les collectivités vous reprochent de ne pas en faire assez ou de manquer de transparence, même si le projet de loi relatif à la transition énergétique améliorera sans doute la gouvernance. Vous êtes enfin en première ligne face aux consommateurs, puisque le distributeur peut être amené à leur couper l’électricité sur injonction des fournisseurs. Vos équipes, souvent au front lors des tempêtes, doivent assurer la maintenance des réseaux, de jour comme de nuit ; et l’on vous en demande toujours plus : outre l’impact de l’autoconsommation et de l’intermittence sur les investissements, vous essuyez des critiques sur la lenteur des raccordements, de la part des acteurs des énergies renouvelables comme des industriels, qui parfois doivent attendre des semaines avant d’ouvrir leur usine. Vous avez dû reconfigurer vos équipes au niveau local après la scission d’avec GDF, et il a fallu du temps pour retrouver ce que permettait l’ancien système, même si des accords subsistant sur quelques territoires permettent une optimisation.

Quels sont les bénéfices de la mutualisation par un gestionnaire unique ? L’îlot autonome est une sorte de rêve, notamment pour les grandes villes ; mais la fin du monopole d’ERDF, ne l’oublions pas, signifierait celle de la péréquation comme de la mutualisation en matière de recherche ou de ressources humaines. Certaines régies, qui voudraient s’émanciper de la loi de 1946, font à la fois votre métier et celui d’ERDF, semant ainsi le trouble : avez-vous un avis sur l’avenir de ces entités ?

La mise en terre des réseaux, au-delà de l’argument esthétique, permet-elle de réduire les frais de maintenance ?

Les liens avec RTE sont-ils devenus plus fluides ? Y a-t-il encore des facteurs de surcoût ?

S’agissant du compteur Linky, l’échéance de 2021 me semble bien lointaine : certains pays vont plus vite dans ce déploiement. Les charges seront étalées, j’entends bien ; mais comment mettre en œuvre de nouvelles approches de consommation sans cet outil ? J’ai fait adopter un amendement au projet de loi sur la transition énergétique, qui permet à chaque client de suivre l’évolution de sa facture en euros ; nous avons fait en sorte qu’ERDF n’ait pas à subir les conséquences financières de cette mesure, mais il serait bon que le compteur intelligent ait, passez-moi l’expression, deux cerveaux : l’un pour le réseau, l’autre pour le consommateur. Au reste, vous n’avez guère évoqué les économies qu’une telle gestion à distance vous permettrait de réaliser.

M. Denis Baupin. Vous n’avez pas répondu à la question du président Gaymard sur les dividendes versés à EDF : pouvez-vous nous en préciser le montant pour les cinq dernières années ? D’où vient, par ailleurs, que vous ayez à verser 75 % de votre résultat net à EDF, contre 60 % pour RTE ?

Les réseaux de distribution d’électricité, qui appartiennent aux collectivités, figurent pourtant dans le bilan de votre entreprise : comment expliquez-vous cette anomalie qui oblige à des acrobaties comptables ? Quel est l’impact de ce véritable hold-up sur les tarifs et sur l’équilibre financier d’ERDF ?

Vous avez évoqué 8,6 milliards d’euros investis chaque année dans l’économie locale ; mais je ne retrouve pas cette somme, qui me paraît élevée, dans votre décomposition du TURPE : quelles activités locales recouvre-t-elle ?

Les énergies renouvelables, à mon sens, doivent être dites variables plutôt qu’intermittentes ; et cette variabilité est prévisible – les prévisions de Météo France étant fiables à trois jours –, alors que celle du nucléaire, en cas d’arrêt fortuit d’une centrale, est plus intempestive. En tout état de cause, je note avec satisfaction que le coût estimatif du raccordement des réseaux d’énergies renouvelables est moins élevé que celui des bornes de recharge électrique.

Les délais de raccordement sont, entend-on souvent dire, trop longs : ont-ils été raccourcis ? Le partage des coûts de raccordement entre le gestionnaire du réseau et les producteurs vous semble-t-il légitime ? De fait, le raccordement au réseau THT n’est pas inclus dans les coûts de l’EPR de Flamanville, alors qu’il l’est souvent dans ceux des producteurs d’énergies renouvelables.

À défaut de chiffres sur les investissements nécessaires à l’installation des bornes électriques, selon qu’elles sont à recharge lente ou rapide, avez-vous un ordre de grandeur sur la différence de coût entre les premières et les secondes ? Ne voyez, d’ailleurs, aucune malice dans ma question : le véhicule électrique est à mes yeux une solution d’avenir, puisque l’électricité sera, je le pense, renouvelable. Reste que nous devons avoir une idée de l’impact financier du déploiement des 7 millions de bornes, sur lequel nous aurons à nous prononcer lorsque le projet de loi relatif à la transition énergétique reviendra à l’Assemblée.

Présidence de M. Jean Grellier, vice-président.

M. Philippe Monloubou. Même si le lien capitalistique entre les entités demeure, la scission entre EDF, ERDF et RTE a généré des surcoûts puisqu’il a fallu créer de nouvelles interfaces ou systèmes d’information ; mais l’intégration permet aussi, conformément à la loi elle-même et moyennant des règles de bonne conduite quant au respect de l’indépendance de chacun, des bénéfices en termes de coût, dont profite in fine le consommateur. C’est vrai, par exemple, pour la recherche et développement, en tout cas pour ERDF – puisque celle de RTE est indépendante. Les contrats visés, bien entendu, sont connus par la CRE.

Les relations avec les syndicats locaux font partie de notre histoire ; il y a eu des crises, mais des progrès significatifs ont été accomplis sur des sujets qui nous lient, à commencer par la cohérence des investissements, pour laquelle la future loi nous donnera des outils. Nous œuvrons en ce sens, que ce soit avec les préfectures ou à travers la convention de septembre 2013 signée avec la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), et aux termes de laquelle nous nous sommes engagés sur des plans de coordination qui devraient être réalisés d’ici à la fin de 2015. C’est l’ensemble de la régulation qui profitera de l’amélioration des niveaux de qualité à travers les investissements.

La remontée des dividendes, au sujet de laquelle on m’interroge souvent, est l’un des éléments constitutifs d’ERDF, société anonyme. RTE a remonté 60 % de dividendes en 2014, contre 55 % pour ERDF. Le chiffre a pu varier au cours des années précédentes, mais nous restons dans la norme. J’ajoute que, si les dividendes sont demandés par EDF, ils constituent, in fine, une ressource pour l’État.

Ce versement détourne-t-il des sommes au détriment des investissements ? Je ne le crois pas, d’autant que ces derniers ont très sensiblement augmenté au cours des dernières années ; et comme je l’indiquais, ils devraient atteindre 40 milliards d’euros sur l’ensemble de la décennie qui s’ouvre, soit 4 milliards par an : ce montant, tout à fait significatif au regard du coût des raccordements et de la modernisation du réseau, nous oblige collectivement, avec les syndicats, à des choix toujours plus efficients, les attentes étant fortes, c’est vrai, dans certains territoires. Dans l’Est, en zone frontalière, on voit émerger des pratiques industrielles différentes : le développement économique nous oblige, avec les autorités concédantes, à répondre aux exigences de qualité. Cela implique des choix, donc des arbitrages, de la part d’ERDF comme des autorités concédantes, au regard notamment des enjeux que pose la transition énergétique.

La gouvernance a suscité des débats dont la commission spéciale s’est fait l’écho, et son évolution reflète le vœu d’un meilleur partage, avec les autorités concédantes, quant aux choix d’entreprise et à l’allocation des ressources. On parle beaucoup d’investissements, mais la présence des autorités organisatrices de l’énergie au conseil de surveillance permettra aussi une meilleure compréhension des dépenses allouées à la qualité comme des choix techniques, financiers et stratégiques. ERDF investit chaque année, via ses dépenses d’exploitation, des sommes très significatives pour la maintenance, la réparation, l’élagage, l’exploitation même et la conduite des réseaux : autant de dépenses, monsieur Baupin, réalisées au niveau local.

ERDF est d’ores et déjà une entreprise numérique : elle conduit le réseau moyenne tension avec des agences de conduite ; près de 80 % des incidents sont corrigés par des systèmes automatiques, qui assurent aussi les rétablissements pour 80 % des clients. Cette évolution se renforcera encore avec les capteurs du système Linky, qui, monsieur le président Brottes, permettront un traitement immédiat des incidents.

Si votre question sur la gouvernance visait aussi les relations avec l’actionnaire, celles-ci, je le répète, sont respectueuses de ses prérogatives en matière d’orientation stratégique et de supervision financière. L’ensemble de nos contrats avec EDF incluent des dispositions exigeantes sur le contrôle – et même l’audit, s’il y a lieu – du régulateur.

Le zonage, madame la rapporteure, renvoie désormais à la maille départementale, à l’échelle de laquelle sont donc appréciés les temps de coupure et les interventions nécessitées dans tel ou tel secteur. Il s’agit, par le fait, d’orienter nos investissements en fonction des besoins des entreprises. Au-delà des coupures se pose d’ailleurs la question des raccordements, pour lesquels ERDF, entreprise dont il ne faut jamais oublier qu’elle est jeune, a consenti beaucoup d’efforts ; la fin du système intégré a exigé, en 2008, l’édification de ce que d’aucuns ont appelé une « muraille de Chine » qui l’a, pour ainsi dire, coupée de ses clients ; depuis, ceux-ci sont revenus vers elle compte tenu, notamment, des progrès réalisés en matière de raccordement : les délais, dans le cadre des schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3REnR), ont été ramenés à presque dix-sept mois. Toutes les régions disposent dorénavant de systèmes d’information et d’équipes dédiées permettant de suivre et même d’anticiper les demandes des producteurs. L’évolution est donc en cours ; la satisfaction des clients l’atteste.

Je remercie François Brottes de sa sensibilité aux contraintes parfois contradictoires qui nous sont soumises, lesquelles justifient, dans le cadre de notre mission de service public, la mobilisation de nos 37 000 agents. La mutualisation par un gestionnaire national a des avantages en termes de moyens ou de rapidité d’intervention. Les coupures peuvent être dues à des incidents mais aussi, on l’oublie trop souvent, à des travaux ; or, si les coupures pour travaux ont été très significativement réduites, c’est d’abord parce que la dimension nationale de l’entreprise permet de poursuivre le développement de nouvelles techniques. La gestion de plateformes électrogènes, par exemple, a un coût qui peut être mutualisé à l’échelle de territoires élargis. La mutualisation se traduit aussi par la capacité à mobiliser des ressources partout sur le territoire – pendant la période de Noël dernier, six cents agents d’ERDF ont ainsi été mobilisés en Bretagne –, en fonction des alertes de Météo France, qui nous permettent d’anticiper.

Au regard de la transition énergétique, la mutualisation permet aussi des investissements équilibrés entre les territoires et les réseaux : en évitant les effets de congestion, elle présente un intérêt économique réel, même si les équilibres deviendront de plus en plus locaux. Le modèle national de gestion des données, condition du succès de la transition énergétique et de la maîtrise des réseaux intelligents, doit cependant s’adapter aux demandes territoriales, y compris dans l’anticipation.

L’enfouissement implique en effet une moindre maintenance, mais son coût reste prohibitif ; des techniques anciennes et connues, telles que le réseau torsadé, apportent des bénéfices comparables en termes de sécurité et d’efficacité. M. Brottes s’était d’ailleurs interrogé, lors des débats de la commission spéciale, sur le bon usage des techniques. Est-il vraiment utile, par exemple, d’enfouir des réseaux torsadés ? L’enfouissement se justifie sans doute pour le réseau neuf, voire renouvelé, mais, pour le reste, il me semble plus judicieux d’orienter les investissements vers d’autres techniques.

Je me suis attaché à la fluidité des relations avec RTE, même si chaque entreprise défend bien entendu ses intérêts. Des facteurs de surcoût demeurent, par exemple dans la gestion de l’effacement, dont le distributeur est exclu : sans remettre en cause les dispositions législatives existantes, nous pourrions contribuer, auprès de RTE, à une meilleure maîtrise du système. Sur de tels sujets, ERDF et RTE sont en effet complémentaires, ou pourraient le devenir au niveau régional. C’est tout particulièrement vrai pour la gestion des données : en ce domaine, des progrès restent possibles car, si le distributeur a toute légitimité pour la captation desdites données, RTE ne peut être exclu du système dans son ensemble. Quoi qu’il en soit, nous entretenons avec cette entreprise un dialogue ouvert.

L’échéance de 2021 peut paraître lointaine, monsieur Brottes, mais elle renvoie à des limites qui tiennent aux capacités de mobilisation sécurisée des ressources : comment imaginer ne pas respecter les exigences des clients ou provoquer des surcoûts en raison d’un déficit de qualité ? Le déploiement annuel de 8 millions de compteurs représente un effort industriel considérable à l’échelle de l’Hexagone ; qui plus est, nous l’assumerons de manière socialement responsable vis-à-vis des petites entreprises sur l’ensemble du territoire : nul n’admettrait, à commencer par nous-mêmes, une interruption brutale des contrats passés avec elles ; d’où la nécessité d’un lissage. Tout ce qui peut contribuer à l’accélération du déploiement, ne serait-ce que de quelques mois, est bien entendu bénéfique, mais il ne faut pas perdre de vue les enjeux industriels qu’il pose, en termes de logistique, de maîtrise des processus, d’installation et de qualification des compteurs.

M. François Brottes. Pour la télévision, la conversion de l’analogique au numérique s’est faite en quelques mois, alors qu’elle concernait aussi plusieurs millions de foyers …

M. Philippe Monloubou. Certes, mais l’installation de 8 millions de compteurs par an est un défi qu’aucun pays, pas même l’Italie, n’a relevé à ce jour. Si vous nous demandiez d’installer 10 millions de compteurs communicants, nous le ferions, mais non sans vous avoir préalablement promis que ce serait avec le résultat attendu.

Avant d’évoquer les économies que le compteur Linky est susceptible de générer pour ERDF, il faut rappeler qu’il est d’abord un outil au service du client, lequel bénéficiera quotidiennement d’une information objective et historique qui, à n’en pas douter, modifiera son rapport au distributeur, au fournisseur et à la consommation d’énergie. Les smart grids représentent également une évolution à son bénéfice, puisqu’ils amélioreront la précision et la réactivité des interventions.

Quant aux économies, elles concernent quatre grands domaines : les relevés, qui jusqu’à présent nécessitent le déplacement d’agents ; les interventions, dont certaines pourront être réalisées directement par le client ; les pertes techniques, avec, au-delà des fraudes, la meilleure maîtrise des situations de vacance du logement ou la régularisation des puissances souscrites ; l’évolution maîtrisée des smarts grids, enfin, même si l’effet, moindre à court terme, n’a pas été comptabilisé dans le plan d’affaires.

Sur les cinq dernières années, monsieur Baupin, les dividendes versés à EDF varient de 52 % en 2012 à 64 % en 2013, pour s’établir, comme je l’ai rappelé, à 55 % cette année – contre 60 % pour RTE.

M. Denis Baupin. Pouvez-vous nous donner les sommes, plutôt que les taux ?

M. Philippe Monloubou. Je n’ai pas les chiffres sous la main ; mais, rapportés à un résultat net de 780 millions d’euros, 55 % donnent 427 millions. Le résultat peut évoluer d’une année sur l’autre, mais cela vous donne un ordre de grandeur.

Je ne présidais pas ERDF lorsqu’il fut décidé ce que vous appelez une « anomalie » de son bilan ; elle renvoie en tout cas à des normes comptables liées à la nature des concessions.

Je vous communiquerai les chiffres sur l’intermittence et les coûts de raccordement au réseau, auxquels ERDF a bien entendu pris sa part. Selon le scénario envisagé, 90 % des bornes électriques devraient être à recharge lente et 10 % à recharge rapide ; le coût des premières avoisine les 1 000 euros l’unité, contre 7 000 euros pour les secondes.

M. Denis Baupin. Quid du raccordement des énergies renouvelables, en termes de délais et de partage des coûts ?

M. Philippe Monloubou. Comme je l’ai indiqué, le délai pour les S3REnR est de l’ordre de dix-huit mois, mais il va décroissant. Nous sommes aussi en mesure, je le répète, d’anticiper le processus auprès des producteurs, que les cellules dédiées relancent afin de boucler les dossiers dans les délais impartis. Si tout n’est pas parfait, ERDF fait preuve d’une efficacité reconnue sur l’ensemble du territoire ; elle laisse même espérer une réduction des délais à quinze mois, progrès significatif au vu de la lourdeur des procédures. Quoi qu’il en soit, si nous essuyions des critiques en ce domaine par le passé, les choses se sont donc nettement améliorées.

Mme Annick Le Loch. Pourquoi les îles bretonnes n’ont-elles jamais été raccordées au réseau ?

Par ailleurs, il m’a été rapporté qu’ERDF pouvait ramener le délai d’intervention d’une semaine à deux ou trois jours mais moyennant un surcoût de 130 euros : le confirmez-vous ?

M. Philippe Monloubou. Oui : la réduction du délai à deux jours est l’une des prestations qui figure dans de notre catalogue. En tout état de cause, l’un des avantages du compteur Linky est qu’il permettra des interventions à distance.

Je vous répondrai ultérieurement, si vous le souhaitez, sur les îles bretonnes, qui font l’objet de la plus grande attention de notre part. En 2015, ERDF investira 4 millions d’euros dans la rénovation de la liaison avec l’île de Sein. Je suis conscient de la sensibilité des populations locales à ces sujets ; ces îles, d’ailleurs, nous servent souvent de référence pour les smart grids : le premier réseau opérationnel de cette nature a été déployé sur les îles de Houat et de Hoëdic. Je vous invite à découvrir l’espace de présentation que nous avons dédié à ce thème, boulevard de Grenelle à Paris : on peut s’y faire une idée de ce qu’apporteront les réseaux intelligents, qu’il s’agisse de la gestion à distance de la charge et des coupures ou des panneaux photovoltaïques, de façon que l’île bénéficie d’un minimum d’énergie en cas de coupure.

M. François Brottes. Le dispositif est-il financé par la péréquation ?

M. Philippe Monloubou. Oui.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Je vous invite à nous communiquer par écrit des informations complémentaires sur les sujets suivants : le chiffrage de l’apport de la mutualisation ; le coût des bornes de recharge selon leur type ; les investissements requis pour gérer la variabilité des énergies renouvelables ; enfin, les dividendes versés, le résultat et le chiffre d’affaires pour les cinq dernières années.

M. Jean Grellier, président. Monsieur le président, je vous remercie.

8. Audition, ouverte à la presse, de M. Robert Durdilly, président de l’Union française de l’électricité (UFE), de M. Jean-Jacques Nieuviaert, conseiller économie et marché, de Mme Anne Chenu, directrice de la communication et des affaires européennes et de Mme Hélène Pierre, chargée de mission

(Séance du mercredi 5 novembre 2014)

M. le président Hervé Gaymard. Mesdames, messieurs les députés, nous accueillons la direction de l’Union française de l’électricité (UFE), l’organisation professionnelle qui fédère les principales entreprises du secteur, c’est-à-dire les producteurs, les gestionnaires des réseaux et les fournisseurs.

L’UFE est représentée, ce soir, par son président, M. Robert Durdilly, accompagné par M. Jean-Jacques Nieuviaert, conseiller économie et marché, Mme Anne Chenu, directrice de la communication et des affaires européennes, et Mme Hélène Pierre, chargée de mission.

L’UFE est une organisation d’employeurs membre du Medef et d’Eurelectric, instance de représentation européenne du secteur.

Le comité social de l’UFE joue un rôle important au titre de la négociation collective de la branche des industries électriques et gazières (IEG), notamment pour harmoniser les positions des employeurs. Cette question n’est pas totalement étrangère à l’objet de notre Commission d’enquête puisque la consommation des salariés de cette branche fait l’objet d’une tarification dérogatoire parmi les usagers domestiques.

Plus généralement, l’UFE est l’interlocutrice des pouvoirs publics, tant en France qu’à Bruxelles, sur les principaux sujets concernant le marché de l’électricité. Elle est donc un lobby – en l’espèce ce mot n’est pas du tout péjoratif – qui réfléchit et agit pour faire valoir ses positions au regard des textes européens comme les grandes directives mais aussi des textes nationaux, comme récemment avec le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte.

À cet égard, la Commission d’enquête aimerait connaître les orientations que privilégie l’UFE sur les évolutions du marché de l’électricité. Quel type de régulation reste-t-il à bâtir ?

Nous savons que vous avez établi un dialogue avec vos correspondants allemands, l’Agence allemande de l’énergie et la Fédération industrielle de l’énergie et de l’eau, notamment sur la sécurité d’approvisionnement du système électrique européen. Une conférence commune s’est tenue sur le sujet à Berlin, au mois de septembre dernier. Quelles observations peuvent être tirées de ce dialogue ? Un grand marché unifié de l’électricité relève-t-il toujours de lointains espoirs et les divergences constatées tenant aux méthodes de tarifications ont-elles tendance à se creuser ou peut-on entrevoir un commencement de rapprochement ?

Sur la question tarifaire, nous souhaitons évidemment recueillir le point de vue de l’UFE à propos de la nouvelle méthode officialisée, la semaine dernière, pour la fixation des tarifs réglementés. Avez-vous quelques inquiétudes concernant la robustesse économique du système et par conséquent pour son avenir ?

Nous allons vous écouter, dans un premier temps, pour un bref exposé liminaire, après quoi les membres de la commission, à commencer par la rapporteure, Mme Clotilde Valter, vous poseront des questions.

En vertu de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve, notamment, des dispositions de l’article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel. Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu’elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous demande de lever la main droite et de dire : « Je le jure. »

(M. Robert Durdilly prête serment.)

M. Robert Durdilly, président de l’Union française de l’électricité (UFE). Monsieur le président, je vous remercie pour votre propos liminaire, au cours duquel vous avez parfaitement décrit la mission de l’UFE en France et au niveau européen.

L’UFE regroupe tous les acteurs du secteur électrique en France : aussi bien les producteurs que les fournisseurs, les réseaux de transport et de distribution Réseau de transport d’électricité (RTE) et Électricité réseau de distribution France (ERDF), ainsi que l’ensemble des entreprises locales de distribution (ELD), qui jouent un rôle important sur nos territoires.

Ce tour de table assez large nous offre une vision d’ensemble du système électrique, de l’amont à l’aval. C’est une valeur ajoutée importante pour nos réflexions car nous avons toujours la volonté d’apporter des contributions sur la base d’études construites à partir de scénarios d’avenir en fonction des grandes orientations politiques.

Nos grands sujets de préoccupation, qui rejoignent d’ailleurs le thème principal de cette audition, touchent la sécurité d’approvisionnement de l’ensemble du système électrique, laquelle implique aussi bien les producteurs et les « commercialisateurs » – par exemple à travers les offres d’effacement – que les réseaux.

Nos préoccupations portent également sur les politiques climat-énergie, sous l’impulsion des directives européennes et des politiques françaises, sur la concurrence – qui a des conséquences assez sérieuses en matière d’organisation de notre secteur et d’ailleurs très directement en matière de construction des tarifs – et sur l’impact des prix sur l’activité économique. Le volet compétitivité nous préoccupe beaucoup, avec nos collègues du Medef. Nous sommes toujours à l’écoute des consommateurs et des grands consommateurs afin de prendre des positions pour l’avenir et d’orienter nos activités sur le plan concurrentiel mais aussi industriel.

Notre dernier grand axe de préoccupation est le volet social, puisque nous sommes chargés de la négociation collective de la branche des industries électriques et gazières. Si vous avez des questions plus précises sur ce volet, j’y répondrai bien volontiers.

Avant de répondre à vos questions, je vous propose de revenir sur le mode de construction des tarifs réglementés de vente et d’en rappeler les principales composantes, sur l’impact de la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, dite « loi NOME », et sur le risque, en France comme dans nombre de pays européens, de non-couverture des coûts, susceptibles d’engendrer des difficultés. Enfin, j’évoquerai les échanges avec l’Allemagne car ils portent sur des préoccupations très précises que je resituerai dans un contexte plus général.

Jusqu’à une période récente, les tarifs réglementés de vente avaient pour finalité de couvrir les coûts comptables générés par les activités de production, de distribution et de transport d’électricité. Il était assez facile de cerner ces derniers car une entreprise intégrée assurait l’intégralité des activités. L’approche s’effectuait par typologie de clients. C’est ainsi qu’ont été introduits des tarifs avec des couleurs, les tarifs bleus, jaunes et plus récemment verts, suivant la nature des clients – particuliers, entreprises, très petites entreprises, etc. – et leur mode de consommation.

Une part fiscale a toujours été appliquée à ces tarifs, même si, il y a encore une dizaine d’années, celle-ci restait relativement modeste.

Entre 1985 et 2005, les tarifs ont baissé de l’ordre de 40 % en euros constants – ils ont diminué de 70 % depuis 1950. On a parfois l’impression qu’ils ont toujours augmenté alors que, durant de belles périodes, ils ont beaucoup chuté.

Dans mon exposé, je prendrai comme référence le tarif bleu, les mêmes principes s’appliquant aux tarifs verts et jaunes, qui vont d’ailleurs bientôt disparaître.

En 2005, le montant des taxes représentait 18 % de l’ensemble de la facture, la part énergie était de 43 % et la part réseaux de 39 %. Depuis, la situation a beaucoup évolué, j’y reviendrai.

Sous l’impulsion de l’ouverture à la concurrence, est apparu un régulateur, que vous avez eu l’occasion d’auditionner. Sa mission première consiste à définir les tarifs d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE). Pendant plusieurs années, ceux-ci ont été élaborés de manière indépendante des tarifs réglementés de vente ; ils ont vécu leur vie indépendamment des tarifs intégrés. Les effets collatéraux de l’augmentation des TURPE sur les tarifs intégrés n’ont parfois pas été totalement pris en compte. Je m’explique : lorsque la Commission de régulation de l’énergie (CRE) décide d’augmenter le TURPE, si le tarif intégré lui-même n’augmente pas, cela signifie que la part énergie des tarifs réglementés baisse. Or c’est ce qui s’est passé dans un certain nombre de cas.

De manière plus singulière, lors de l’élaboration des TURPE, la part énergie de certains types de tarifs, certes marginaux, devenait négative : la part réseaux était supérieure au tarif réglementé correspondant. Ces deux modes de construction complètement différents, qui n’étaient pas forcément cohérents entre eux, ont provoqué ces distorsions. C’est cette raison principale qui a conduit à suggérer, lors de l’élaboration de la loi NOME, que les tarifs réglementés devaient être construits par additionnalité, c’est-à-dire en additionnant les différentes composantes, le tarif réglementé étant la résultante de l’ensemble de ces composantes.

Le deuxième principe sur lequel on s’est appuyé est celui de la couverture des coûts. Au départ, il s’agissait des coûts comptables d’un ensemble intégré. Mais ce principe est devenu un peu plus compliqué sous l’effet de la concurrence. Après avoir été assez bien corrélé pendant plusieurs années, on assiste maintenant à une forme de début de décrochage. Il est important de bien anticiper les conséquences de ce type de décrochage sur la durée.

Le dernier facteur d’évolution important est la contribution au service public de l’électricité (CSPE), forme de taxe qui a beaucoup évolué. À l’origine, elle permettait en effet de compenser les tarifs appliqués dans les départements d’outre-mer, la cogénération et les tarifs sociaux. Elle sert dorénavant aussi à soutenir les énergies renouvelables, cette part étant croissante et devenant extrêmement importante.

Nous vous avons préparé deux schémas extrêmement simples.

Le premier montre l’évolution de la structure du tarif bleu entre 2005 et 2014. En 2005, le prix moyen du mégawattheure était de 120 euros, contre 158 euros en 2014. La part énergie, qui était de 43 % en 2005 est tombée à 36 % en 2014, et la part réseaux est passée de 39 % à 30 %. Quant à la part taxes, qui inclut la CSPE, elle représente aujourd’hui 34 %, contre 18 % en 2005. On voit que l’augmentation la plus significative est la part des taxes, notamment la CSPE, qui, en quelque sorte, vient prendre une partie de la part énergie. La structure du tarif bleu s’est donc beaucoup modifiée.

Le second tableau décompose les éléments de la facture d’un client moyen. Ce schéma permet de comprendre le principe de l’additionnalité. L’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH), issu de la loi NOME, vise à permettre aux concurrents producteurs ou « commercialisateurs » opérant en France et dépourvus de parc nucléaire d’être, si je puis dire, à égalité dans la compétition avec EDF au regard du sourcing nucléaire. Cet accès régulé a une vocation transitoire.

Cet accès au nucléaire suit une courbe de charge très plate, en ruban. Pour faire la dentelle de la courbe de charge, si je puis dire, un complément est nécessaire. Introduit dans le nouveau calcul découlant de la loi NOME, ce complément est valorisé par rapport au prix du marché de gros. Viennent ensuite, toujours dans la part énergie, les coûts de commercialisation au sens large. Aujourd’hui, la partie vraiment concurrentielle sur le marché de l’électricité porte sur le complément et la commercialisation, qui ne représentent plus que 10 % de la valeur globale payée par le client. C’est dire combien le jeu concurrentiel, sur le territoire français, est limité.

La part réseaux est composée du transport et de la distribution. Quant aux taxes, elles se décomposent en trois : la CSPE, les autres taxes et la TVA.

J’en viens au risque de non-couverture des coûts. Il existe un retard entre l’application des hausses tarifaires et les coûts réellement engendrés par l’ensemble des activités de production, commercialisation, distribution, transport d’électricité. Ce décalage ne permet pas de couvrir les coûts comptables et encore moins les coûts économiques complets nécessaires au financement du renouvellement de l’appareil de production. Les coûts ne sont pas couverts car plusieurs facteurs interviennent dans la détermination du tarif réglementé et presque toutes les composantes sont à la hausse.

À cela s’ajoutent des phénomènes d’amplification. Par exemple, si la CSPE augmente de 5 euros, comme la TVA s’applique, c’est au total une hausse de 6 euros qu’il faudra répercuter sur la facture. La CRE estime que le retard de répercussion des hausses est de l’ordre de 5 milliards d’euros pour la CSPE et de 2 milliards d’euros pour les tarifs proprement dits. Actuellement, le déficit tarifaire est de l’ordre de 7 milliards d’euros. Si ce retard n’est pas rattrapé ou s’il devait être amplifié, cela aurait toute une série de conséquences, notamment une déstabilisation financière des acteurs industriels du secteur électrique. Nous devrions également faire face à des difficultés en matière de concurrence – et vous savez que nous sommes très surveillés en la matière, la France étant toujours suspectée de ne pas faire ce qu’il faut pour que le marché s’ouvre véritablement – puisque celle-ci ne peut fonctionner si les tarifs réglementés ne sont pas calés sur les vrais coûts économiques, les concurrents étant exposés à ces coûts économiques. Enfin, le manque à gagner poserait des problèmes à EDF sur sa capacité à investir : l’opérateur devrait davantage recourir à l’emprunt ce qui, in fine, coûte beaucoup plus cher.

La Commission européenne a publié récemment un rapport très intéressant sur ces questions. Elle a identifié que onze États européens avaient la tentation de ne pas répercuter totalement les prix et que les conséquences étaient toujours assez négatives, soit pour le consommateur, soit pour les finances publiques. L’Espagne s’est retrouvée confrontée à ce genre de situation il y a plusieurs années, avec un passif qui a atteint plusieurs dizaines de milliards d’euros, ce qui la place dans une situation extrêmement critique.

Nous avons engagé des travaux en commun avec nos collègues allemands, les deux ministres concernés nous ayant adressé des lettres nous encourageant à le faire. Il s’agit d’aborder la question de la sécurité d’approvisionnement de manière conjointe afin de voir quelles solutions peuvent être apportées à la situation actuelle de chacun des deux pays. En France, vous le savez, il est prévu d’implémenter un marché de capacité. Pour sa part, l’Allemagne est dans un processus de concertation avec les pouvoirs publics sur la question de la création ou non d’un marché de capacité. D’ailleurs, elle vient de publier un livre vert à ce sujet et elle publiera, dans quelques mois, un livre blanc en vue de prendre des décisions. Pour notre part, il nous a paru important de bien montrer que la France s’inscrivait dans une logique européenne et qu’il n’était pas question pour elle de traiter la question des marchés de capacité seule dans son coin.

Les marchés de capacité sont nés de l’idée que le marché de l’énergie européen ne peut pas totalement donner les signaux économiques permettant de procéder aux investissements à moyen et long terme sécurisant l’alimentation électrique. Sur ces bases, la France a progressé, comme d’autres pays, vers l’idée d’un marché de capacité, qui revient à donner une valeur à la puissance et non pas uniquement à l’énergie. En France, il nous paraissait important de mener ce projet à bien en l’intégrant dans une logique européenne. Au moment où les Allemands s’interrogent sur le mécanisme à mettre en place, il était donc essentiel que les représentants de l’industrie, de part et d’autre du Rhin, travaillent ensemble pour établir un état de la situation dans les deux pays et savoir si l’implantation d’un marché de capacité serait bien de nature à apporter une solution au problème du financement à moyen et long terme des investissements nécessaires à la sécurité de l’approvisionnement.

Vous le savez, l’Allemagne a développé massivement les énergies renouvelables, grâce à des mécanismes de soutien assez classiques de type obligation d’achat. Elle a depuis lors réformé son système. Ces subventions accordées aux énergies renouvelables produisant de l’électricité ont deux effets. Premièrement, elles créent des surcapacités de production s’il n’y a pas en parallèle de besoins supplémentaires d’électricité ; dans ce cas, le prix du marché a tendance à baisser. Deuxièmement, les producteurs étant rémunérés à la production d’énergie renouvelable, ils sont incités à produire même en l’absence de besoin ; c’est ainsi que sont apparus les prix négatifs sur les marchés de l’énergie.

Ces deux phénomènes ont abouti à ce que les prix du marché de gros ne soient plus représentatifs des coûts économiques d’équilibre entre l’offre et la demande. Ce problème existe en Allemagne et en France. Le marché de capacité et une réforme des mécanismes de soutien ont précisément pour objectif de corriger cela.

La partie prix de gros dans les tarifs réglementés de vente, qui vient d’être introduite, présente également des risques si ce prix du marché de gros n’est plus représentatif. Or c’est aujourd’hui le cas pour les coûts économiques moyens des parcs de production. C’est ainsi que, partout en Europe, des centrales au gaz, des cycles combinés gaz, même en très bon état, presque neufs, sont arrêtés. C’est paradoxal : alors que l’on a besoin de la flexibilité de production dans le système électrique, on arrête de produire plusieurs dizaines de gigawatts à l’échelle européenne, du fait de cette dépression sur les prix du marché de gros, ce qui présente des risques importants pour la sécurité d’approvisionnement. Ce sont ces questions que nous voulons approfondir avec nos collègues allemands.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Monsieur Durdilly, je vous remercie pour votre exposé très clair.

Pensez-vous que l’organisation actuelle entre les différents acteurs de notre pays pèse sur les coûts et sur les tarifs ? Y a-t-il des effets d’organisation, de chaînes, liés à la façon dont le dispositif est conçu ?

Quelle évolution voyez-vous à long terme en matière de coûts et de tarifs ?

Quelles seront les conséquences de la mise en œuvre de la loi relative à la transition énergétique sur les coûts et les tarifs ?

Par ailleurs, j’aimerais connaître votre point de vue à propos des entreprises électro-intensives.

Ma dernière question porte sur la tarification dérogatoire des agents, que le président Gaymard a abordée dans son introduction.

Mme Jeanine Dubié. Par un communiqué de presse du 4 novembre, nous avons appris que le Gouvernement avait décidé de maintenir le prix de l’ARENH à 42 euros par mégawattheure. De fait, cette décision conduit à reporter au 1er juillet 2015 la réévaluation du prix de l’ARENH qui était prévue au 1er janvier 2015. Comment réagissez-vous à cette annonce ?

La semaine dernière, nous avons auditionné le président de l’Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE), Fabien Choné. Il se félicite de ce report, considérant qu’il donnera plus de visibilité en termes de prix et d’organisation par rapport à vos membres. Que pensez-vous de cette position ?

M. Michel Sordi. Selon vous, où se situe le bon mix énergétique à mettre en œuvre dans les années à venir, afin de conserver la meilleure compétitivité pour nos entreprises ?

M. Jean Grellier. L’année dernière, dans le cadre d’une commission d’enquête sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie, un certain nombre d’entreprises électro-intensives nous ont fait remarquer les différences d’approche et de prise en compte des directives européennes liées à la concurrence entre l’Allemagne et la France. Savez-vous si nos partenaires allemands ont entrepris une démarche visant à favoriser les électro-intensifs et de quelle manière ? Quelle est la différence avec la France ?

M. Robert Durdilly. Madame la rapporteure, il y a un grand débat pour savoir si la concurrence est le meilleur moyen d’organiser le marché de l’électricité, par opposition au monopole tel que nous l’avons connu dans le passé. Ce qui est sûr, c’est qu’une organisation complètement intégrée et monopolistique dégage des synergies. Mais un certain nombre de pays, notamment la Grande-Bretagne, ont considéré qu’un tel monopole était inefficace, peu productif, et cette école l’a finalement emporté sur l’autre. Je ne prendrai pas parti ici pour un modèle ou pour l’autre, chacun d’entre eux ayant ses vertus. Il est certain que la mise en place de la concurrence impose une sorte de « désoptimisation » à l’instant t d’un système très intégré. Nous espérons que la mise en concurrence stimulera les offres pour les clients, l’innovation, la compétitivité, etc.

À ce jour, le marché n’est pas complètement bien organisé, on est un peu au milieu du gué. Ceux qui sont favorables à l’ouverture à la concurrence totale considèrent que si le marché ne fonctionne pas bien dans un pays comme le nôtre, c’est parce qu’il existe encore des barrières, des tarifs réglementés de vente. Il est encore plus compliqué de le faire en France en raison du nucléaire, d’où la mise en place de l’ARENH, qui avait une vocation transitoire, ouvrant à d’autres solutions plus industrielles sur la concurrence, y compris dans le domaine nucléaire. Tout à l’heure, j’ai insisté sur le fait que la partie concurrentielle est extrêmement réduite puisqu’elle représente 10 % de la valeur globale payée par le client, les autres composantes étant l’ARENH, le transport, la distribution, la CSPE et les autres taxes.

S’agissant de la sécurité d’approvisionnement, l’un des problèmes réside dans le fait que les coûts fixes sont très importants et que l’équilibre du système impose de délivrer une puissance à tout instant. Or le marché de l’énergie ne donne pas les signaux économiques permettant d’investir dans des moyens de pointe, même de semi-base, on le voit avec les cycles combinés gaz. C’est pourquoi nous avons promu l’introduction d’un marché de capacité. Nous pensons que le marché de capacité participera à l’amélioration de l’organisation et du fonctionnement du marché de l’électricité en France.

Pour vous répondre à propos de l’évolution à long terme des coûts et des tarifs, je reprendrai mon second schéma. Les chiffres indiqués proviennent soit de la Cour des comptes, soit de la CRE ; nous sommes donc sûrs de nos références. Pour notre part, nous faisons seulement une ou deux hypothèses mais elles sont très peu prégnantes dans le résultat global. Actuellement, l’ARENH est de 42 euros par mégawattheure. La CRE a annoncé qu’il devrait passer à 44 ou 46 euros. La Cour des comptes considère que le coût complet du nucléaire est de l’ordre de 50 euros par mégawattheure, voire 55 euros si l’on introduit le grand carénage, c’est-à-dire la prolongation de l’exploitation des centrales nucléaires. Tout dépend de ce que vous prenez dans l’ARENH. Je l’ai dit tout à l’heure, c’est une base, un ruban. En France, vous le savez, le nucléaire est modulé, cela fait une petite différence entre le coût complet et le coût pris dans la base nucléaire qui sert au sourcing des concurrents.

Comme l’ARENH a été créé pour faciliter la concurrence, il est normal que le président de l’ANODE demande qu’il soit le plus bas possible. Il le souhaite d’autant plus si le tarif réglementé de vente ne crée pas un espace concurrentiel. Un nouveau concurrent est obligé de proposer une offre plus basse que le tarif réglementé de vente, sans quoi le client n’a aucun intérêt à changer d’opérateur. En tout cas, ce qui compte, ce sont les vrais coûts économiques et comment faire en sorte d’avoir à la fois un espace concurrentiel et une bonne couverture des coûts, afin qu’il n’y ait pas de perdants, si je puis dire.

Comme je l’ai dit tout à l’heure, le complément pèse assez peu. Il est valorisé par rapport au prix du marché de gros. Il est bas et il est encore plus bas en Allemagne – il y a dix euros d’écart. Actuellement, en France, il est un peu plus bas que l’ARENH, ce qui est paradoxal car, normalement, les moyens de semi-base et de pointe sont plus chers au mégawattheure que le nucléaire. Mais, en raison de la surcapacité et des subventions massives aux énergies renouvelables, le prix du marché de gros connaît une dépression. Logiquement, si l’on corrige le marché et qu’il redevient représentatif des coûts, cette partie-là augmentera. Inversement, si l’on continue à développer des énergies renouvelables électriques alors qu’il n’y a pas de demande en électricité, on crée de la surcapacité et des coûts économiques échoués dans le système. Bien sûr, il ne faut pas arrêter les EnR électriques mais faire en sorte que leur développement soit piloté en fonction de l’évolution de la demande. Il faut donc organiser massivement des transferts d’usage entre le pétrole et l’électricité. Le projet de loi relatif à la transition électrique se donne des objectifs ambitieux en matière d’énergies renouvelables, et c’est bien, mais il faut prendre en compte cette réalité. Parallèlement au développement des EnR électriques, il faut donc mettre en place un plan de développement du transfert des usages du pétrole vers l’électricité, sans oublier l’efficacité énergétique. Par ailleurs, il faut développer les EnR non électriques ; or, bien qu’elles représentent un potentiel important en la matière, c’est dans ce domaine que nous sommes le plus en retard.

Je reviens sur mon schéma. En ce qui concerne la commercialisation, nous avons pris pour hypothèse la stabilité à l’horizon 2025. Les chiffres indiqués concernant le transport résultent des travaux que nous avons effectués avec RTE, ERDF, etc. La part transport connaîtra une augmentation à l’horizon 2025 – à mon avis, elle n’est pas trop excessive et elle est tout à fait supportable – parce que plus il y a d’énergies renouvelables électriques, plus on a besoin de réseaux. Chacun a bien pris conscience que l’on ne pourra pas se passer des réseaux avec les énergies renouvelables.

M. le président Hervé Gaymard. Mais cela a pris du temps !

M. Robert Durdilly. Je me rappelle avoir eu l’occasion de débattre de cette question avec les parties prenantes qui n’étaient pas acquises à cette idée. En la matière, on a bien progressé.

S’agissant de la CSPE, nous nous référons aux travaux de la CRE, qui a modélisé les engagements en matière de développement. La part CSPE passerait de 16,5 euros à 30 euros par mégawattheure en 2025, hors impact de la réduction du parc nucléaire. L’un des objectifs de la loi sur la transition énergétique est de réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité de 75 à 50 %. Mais tout dépend de l’évolution de la demande d’électricité sur cette période. Certains pensent que l’on pourrait baisser la demande d’électricité à due concurrence de la réduction de la production nucléaire correspondante. Ce n’est pas du tout ce que nous pensons, pour de nombreuses raisons, comme la démographie, le développement des nouveaux usages, notamment les technologies de l’information, et l’activité économique. Pour notre part, nous ne voulons pas nous inscrire dans le scénario de la décroissance, même si les efforts réalisés en matière d’efficacité énergétique permettront de réduire l’impact lié à la croissance économique. Mais l’idée selon laquelle nous ferions des bonds spectaculaires en matière d’efficacité énergétique au point de compenser la hausse naturelle des consommations, voire de les réduire de 20 à 30 % à l’horizon 2025, est complètement illusoire. RTE a retenu comme hypothèse une stabilité de la consommation, hypothèse qui me semble bonne.

Je le répète, le chiffre de 30 euros par mégawattheure annoncé par la CRE ne tient pas compte de la réduction du parc nucléaire existant. Si l’on devait diminuer la production nucléaire de 20 gigawatts à l’horizon 2025 alors que la demande en électricité serait toujours là, il faudrait compenser. Or, compenser avec des énergies renouvelables, c’est-à-dire non émettrices de CO2, entraîne un coût supplémentaire que l’on peut évaluer entre 20 et 25 euros par mégawattheure.

Ce qui manque, dans la loi sur la transition énergétique, c’est l’évolution de ses impacts économiques et industriels. Chacun s’accorde à le dire, elle n’a pas pris la mesure des conséquences des grands objectifs qu’elle fixe et qui vont engendrer d’autres types de problèmes. Il est donc important d’évaluer les conséquences à la fois économiques, industrielles voire sociales de ces orientations.

Enfin, la part des autres taxes et de la TVA devrait augmenter, mais il s’agit d’augmentations mécaniques.

Sur la base des coûts évalués par les grands opérateurs concernant le réseau et par la CRE concernant l’évolution de la CSPE, en 2025, le coût moyen du mégawattheure serait d’un peu moins de 200 euros, contre 158 euros aujourd’hui.

Les électro-intensifs constituent en effet un sujet de préoccupation. Le fait qu’il existe des mesures spécifiques en leur faveur semble de bons sens pour tout le monde. Mais qui doit financer cet effort particulier ? C’est un peu la même logique que pour les clients en situation de précarité. Il est malsain qu’une partie des consommateurs compense les mesures prises pour une autre catégorie de consommateurs. Il faut donc inscrire ces mesures dans une politique publique et trouver les bons mécanismes.

Nos voisins allemands ont massivement soutenu leur industrie électro-intensive avec deux composantes. L’une est l’exonération presque intégrale de l’Erneuerbare-Energien-Gesetz (EEG), l’équivalent de la CSPE. Et l’effort en faveur des énergies renouvelables est supporté par les autres catégories de clients, essentiellement les particuliers, ce qui explique que le prix de l’électricité payé par un particulier en Allemagne soit pratiquement le double de celui payé par un particulier en France. En Allemagne, on utilise beaucoup ce que l’on appelle « la rémunération de la flexibilité ». C’est un principe intelligent qui consiste à rémunérer un consommateur qui se montre flexible ou qui a un appel de puissance très régulier – car soumettre le parc de production et les réseaux à des à-coups importants a des conséquences. Le projet de loi prévoit un dispositif sur cette question. Il est tout à fait normal qu’un consommateur, dont les caractéristiques d’appel de puissance de consommation sont, si je puis dire, plus économes que la moyenne d’un autre client, paye moins cher sa consommation.

La question de la tarification dérogatoire des agents revient assez souvent. Les prix particuliers ont vu le jour lors de la nationalisation, il y a donc quelques années. L’existence de dispositifs spécifiques liés à l’activité, ou encore d’avantages en nature, est tout à fait normale. C’est le cas par exemple à la SNCF ou chez Air France. À l’époque où a été créé ce système, le référentiel était complètement différent d’aujourd’hui. Comme les tarifs particuliers n’évoluent pas au même titre que les autres tarifs, l’avantage s’accroît dans le temps. J’ajoute que la tarification dont bénéficient les salariés d’EDF ne les incite pas à réaliser les mêmes économies que les autres consommateurs, et ils ne payent pas non plus les taxes correspondantes, d’où un certain décrochage. Ce sujet est bien identifié. Les entreprises de la branche des industries électriques et gazières étaient prêtes à ouvrir le dossier ; le contexte politique ne le permet pas pour l’instant…

M. le président Hervé Gaymard. Merci pour cette litote !

M. Robert Durdilly. … mais nous sommes toujours prêts.

Où se situe le bon mix énergétique permettant de conserver la meilleure compétitivité pour nos entreprises ? Les coûts des différentes filières de production sont très bien connus. On peut espérer que les coûts de certaines filières renouvelables continuent de baisser. On sait que le coût de la prolongation du parc nucléaire français est très compétitif, qu’il s’agit d’un excellent investissement. C’est grâce à un développement industriel que l’on baisse les coûts et – le serpent se mord la queue – il faudrait que la baisse des coûts bénéficie à des filières industrielles françaises. En tout cas, cela vaut le coup d’investir dans ces nouvelles filières.

L’efficacité énergétique est une variable d’ajustement du mix de production : vous pouvez aussi faire des économies sur l’efficacité énergétique. Mais, si vous visez un optimum économique, il faut cibler les investissements en fonction de l’intérêt qu’ils présentent : soit vous souhaitez mieux isoler des bâtiments énergivores, soit vous voulez réduire les émissions de CO2, etc. Il faut faire attention car certains équipements ont un temps de retour supérieur à leur durée de vie, ce qui n’est pas très rationnel au plan économique.

Ma réponse est donc assez simple. D’abord, il faut conduire la transition de l’optimum du mix énergétique, le faire évoluer, le piloter, en mettant toujours en avant la meilleure efficience économique dans le système. Ensuite, il faut éviter les surcapacités que j’ai décrites tout à l’heure, qui ont pour effet de vous faire payer deux fois, une fois pour soutenir les énergies renouvelables et une autre fois parce que vous avez été obligé de déclasser des actifs de production tout à fait opérationnels. C’est ce que l’on voit dans les tarifs. En effet, la part CSPE qui vient soutenir les énergies renouvelables augmente et la partie production diminue ; une espèce de transfert entre la part CSPE et la part production apparaît. Le paradoxe, c’est que plus le marché de gros baisse, plus cela coûte cher à soutenir puisque la CSPE est calculée par différence par rapport au prix du marché. Cette spirale négative doit être cassée. Il faut donc faire en sorte que le mécanisme de soutien aux énergies renouvelables ne vienne pas complètement perturber le signal économique sur les marchés de gros.

M. le président Hervé Gaymard. Monsieur le président, je vous remercie pour ces explications limpides.

9. Audition, ouverte à la presse, de M. Marcel Boiteux, président d’honneur d’EDF et ancien président de l’Académie des sciences morales et politiques

(Séance du mercredi 5 novembre 2014)

M. le président Hervé Gaymard. Monsieur Marcel Boiteux, vous avez non seulement été directeur général puis président d’EDF, dont vous êtes aujourd’hui président d’honneur, de 1979 à 1987, mais vous êtes aussi un économiste de grande réputation, et vous avez travaillé dès le début de votre carrière à EDF sur la tarification électrique. Sur ce sujet, nous avons lu ces dernières décennies de nombreux articles à la fois savants et lumineux sous votre signature. Votre expérience et votre expertise nous sont aujourd’hui particulièrement précieuses.

La dérégulation des marchés de l’énergie constitue pour vous un objet de réflexion depuis de nombreuses années. Dès ses origines, vous avez estimé que le « découplage » entre EDF et GDF était une opération dispendieuse qui coûtait au moins un milliard d’euros par an. Vos réflexions ont souvent été très critiques, du moins sur les conditions dans lesquelles ont été conduites les étapes de l’ouverture à la concurrence. Je me souviens que l’un de vos articles concernant la loi du 7 décembre 2010 portant organisation du marché de l’électricité, dite loi NOME, relevait combien il était paradoxal qu’un texte destiné à l’ouverture à la concurrence ait pour effet mécanique une augmentation des prix.

Nous souhaiterions connaître votre opinion d’expert sur certaines questions essentielles : la gouvernance actuelle du système français de la distribution électrique, le rôle des énergies renouvelables et les objectifs de production qui leur sont assignés, la problématique dite de l’effacement, ou, évidemment, la tarification de l’électricité.

Votre appréciation sur les modalités de la transition énergétique nous intéresse, en particulier la dimension européenne de ce sujet, c’est-à-dire tout ce qui concerne les tarifs, les conditions de concurrence ou les réseaux.

En application de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées dans le cadre d’une commission d’enquête prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous demande donc de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(M. Marcel Boiteux prête serment.)

M. Marcel Boiteux, président d’honneur d’EDF et ancien président de l’Académie des sciences morales et politiques. Mon expérience en matière de tarification de l’électricité ne date pas vraiment d’hier. En 1948, alors que je travaillais au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), j’ai été amené à me pencher sur la tarification d’EDF qu’il s’agissait de rebâtir après qu’elle a été détruite par l’inflation. L’indexation additive avait fait disparaître la progressivité du tarif à tranches en vigueur avant la guerre, et l’éventail des prix avait quasiment disparu. La question se posait du maintien de ces tranches qui avaient permis de différencier entre la consommation de l’électricité domestique indispensable – dont le prix, quel que soit son niveau, serait accepté puisqu’il concernait un bien nécessaire –, et celle destinée à des besoins moins vitaux – à l’époque, il s’agissait par exemple de l’équipement des ménages en cuisinière électrique –, pour laquelle des tarifs d’appel pouvaient être pratiqués. Les tranches n’avaient donc rien à voir avec le social. Du fait de l’inflation, les prix étaient en fait quasiment devenus uniformes pour la distribution basse tension. Pour la haute tension, chaque industriel négociait le tarif du courant avec le directeur des prix du ministère, EDF n’ayant plus qu’à gérer l’affaire.

Il fallait donc tout reconstruire à partir de zéro, ce qui constituait une occasion inespérée pour un jeune économiste. Je devais ménager une transition vers une tarification de service public. Mais quels principes appliquer pour fixer des tarifs ? Fallait-il faire payer les riches et consentir des rabais aux pauvres ? Était-il préférable de faire connaître à tous, le coût réel de l’électricité consommée ? Fallait-il favoriser les industries difficilement rentables et fortement consommatrices d’électricité en pratiquant des prix bas – ceux plus élevés demandés aux autres industries assurant la compensation ?

Une image avait beaucoup marqué les esprits et laissé un mauvais souvenir : celle des tarifs des chemins de fer. Au XIXe siècle, on pratiquait pour les marchandises des tarifs ad valorem : autrement dit, on faisait payer le transport de la dentelle beaucoup plus cher que celui des poutrelles. Tout simplement parce que le coût du transport d’un kilo de dentelle de Paris à Marseille, ou vice-versa, est somme toute marginal au regard de la valeur du bien transporté : les poutrelles en revanche coûtent très cher à transporter pour leur valeur, et le transporteur a tout intérêt à essayer de proposer les tarifs les plus bas s’il veut voir son trafic prospérer. Ce qui fait que, très classiquement, la SNCF vivait en faisant payer très cher le transport de la dentelle, et très peu celui des poutrelles… La cruelle concurrence des camions devait cependant signer l’arrêt de mort du transport de la « dentelle » par le chemin de fer, ne laissant à ce dernier pour seule marchandise que les « poutrelles » qui lui rapportaient peu. Le transport ferroviaire ne pouvait alors que sombrer dans le déficit.

J’avais fait mes toutes premières armes en matière de tarification en travaillant pour le directeur commercial adjoint de la SNCF auprès duquel m’avait délégué mon maître, Maurice Allais. J’avais fini par comprendre que la SNCF ne voulait pas entendre parler de la vente au coût marginal, pourtant la plus adaptée au service public. Si une différenciation des prix était possible en fonction de la valeur de la marchandise, elle refusait, au nom de l’égalité devant le service public, de toucher à l’uniformité des prix pour un même type de marchandise ou pour les voyageurs, et d’opérer une différenciation en fonction de l’intensité du trafic. Les prix du kilomètre voyageur et de la tonne kilomètre pour chaque marchandise étaient sacrés et invariables. Devant une telle obstination, il ne me restait plus qu’à renoncer et à abandonner la question de la tarification du chemin de fer.

Je fus alors disponible pour travailler avec M. Gabriel Dessus, directeur du service commercial national d’Électricité de France, sur la tarification de l’électricité. Il s’interrogeait à l’époque sur la notion de vente au coût marginal pour l’électricité. Qui paie les charges fixes si l’on facture au consommateur le coût du charbon supplémentaire nécessaire pour produire le dernier kilowattheure (kWh) d’une centrale thermique ? Comment facturer le coût nul de l’eau qui alimente une centrale hydraulique ? Le principe du coût marginal semblait bon mais personne ne savait vraiment comment l’appliquer.

Permettez-moi de vous expliquer sommairement les éléments de la solution. Classiquement en économie politique, si l’on dessine un schéma qui comporte en abscisse le niveau de la production et, en ordonnée, celui des prix ou des coûts, il est possible de tracer une courbe en U du coût marginal. Elle est traversée, à un point dont l’ordonnée fournit le prix de vente au coût marginal, par une courbe décroissante représentant la demande. Était-il possible de retrouver la courbe en U du coût marginal pour une centrale hydroélectrique ? La solution consiste à considérer que la branche de gauche de cette courbe particulière se confond avec l’axe des ordonnées, que le bas de la courbe est horizontal – en l’espèce, il se confond avec l’axe des abscisses –, et que la courbe remonte à la verticale à l’abscisse de la production maximale. Lorsque la courbe de demande croise la courbe en U au niveau de sa partie horizontale, l’abscisse indique le prix de vente au coût marginal. Il est nul pour la centrale hydroélectrique, ce qui n’est pas le cas lorsque la courbe de demande croise la partie verticale de la gauche du U, qui correspond à l’usage maximal des ressources en période de pointe.

Ce mystère percé, il fallait encore bâtir une tarification. Le tarif à tranches fut abandonné pour l’industrie et une distinction logique fut pratiquée entre prix de nuit et prix de jour avec des périodes de pointe et hors pointe. L’électricité étant strictement non stockable, il était logique d’inciter l’industrie à privilégier la consommation en périodes de nuit en pratiquant des prix moins élevés. De façon générale, les prix ne doivent pas avoir un caractère punitif ; ils doivent en revanche servir à orienter les choix.

Ce dernier principe fondait l’élaboration d’une tarification différenciée selon les régions. Il ne s’agissait évidemment pas de provoquer les uns ou les autres, ce qui se produisit cependant, mais plutôt de tenir compte de la spécificité des territoires. Il était par exemple logique de favoriser l’installation dans les Alpes d’industries travaillant « en pointe » en raison de la présence de barrages permettant de produire une « électricité de pointe ». À l’inverse, il était peu raisonnable d’orienter les « consommateurs de pointe » dans le nord de la France où le charbon permet de produire une électricité « de base ». En conséquence, les prix de pointe étaient moins élevés dans les Pyrénées ou dans les Alpes qu’à Paris, alors que c’était l’inverse pour les tarifs de nuit.

Les tarifs les plus élevés à tous égards devaient s’appliquer à la Bretagne, et je fus, en conséquence convoqué par M. René Pleven, ancien Président du Conseil. Il m’expliqua que l’électricité ne pouvait pas être chère en Bretagne où devait être employée une nombreuse main-d’œuvre. Je lui rétorquai que l’électricité bon marché était destinée aux industries sans main-d’œuvre comme celle de l’aluminium. Il me donna raison sur le plan théorique mais refusa d’admettre les conséquences en termes d’image pour la région. Il m’annonça qu’il exigerait de l’État qu’un rabais d’un franc soit consenti sur les tarifs bretons mais me rassura : je serais remboursé. Il s’agit du premier et unique exemple que j’ai rencontré d’une demande de rabais formulé par l’État pour des raisons non économiques ayant donné lieu à un remboursement. Ce fait peut être considéré comme historique.

Le tarif différencié selon les régions a progressivement disparu du fait de l’implantation des centrales nucléaires sur tout le territoire …

M. le président Hervé Gaymard. … Il n’y en a pas en Bretagne !

M. Marcel Boiteux. Et les prix, en conséquence, auraient dû rester élevés dans cette région !

Les prix continuent toutefois aujourd’hui d’orienter les choix. Certains raisonnements économiques retrouvent même toute leur vigueur. Je me souviens par exemple que nous avions inventé les tarifs d’effacement au jour de pointe, dit « EJP », qui permettaient aux gros industriels de bénéficier d’une électricité bon marché, même en pointe, en cas d’hiver favorable – demande faible, centrales hydroélectriques alimentées en eau – à condition qu’ils acceptent des coupures en pointe durant les hivers difficiles. Une variante de ce tarif, supprimé et raillé pour sa prétendue complexité lors de la « privatisation », a finalement été réinventée vingt ans plus tard.

Le problème des tarifs domestiques était d’une nature différente. Il était inimaginable d’équiper les domiciles des particuliers de compteurs compliqués. La simplicité joue un rôle majeur dans la conception des tarifs basse tension : les plus petits clients bénéficient en conséquence d’un tarif unique, et les autres d’une différenciation entre heures pleines et heures creuses qui vise à nouveau à inciter les consommateurs à faire des choix.

Une fois les nouveaux tarifs élaborés, certains ont d’abord poussé des cris d’orfraie. Un industriel produisant des diamants artificiels m’annonça : « Je suis ruiné ! » Si tel est le cas, lui dis-je, votre activité n’est pas rentable puisque vous n’êtes pas en mesure de payer l’électricité à son prix. Nous pouvons organiser des tarifs transitoires, ajoutais-je, mais, en aucun cas, vous permettre de vivre indéfiniment aux crochets de la collectivité. Un an plus tard, le même industriel revint me voir pour m’annoncer qu’il avait découvert un nouveau procédé de fabrication, et que son entreprise marchait bien. Je suis finalement convaincu qu’il n’est pas inintéressant de faire savoir aux gens ce que coûte ce qu’ils consomment. Informés, nombre d’entre eux parviennent à trouver des solutions qui prennent en compte le coût réel. Je continue de penser que les tarifs sont faits pour dire les coûts comme les horloges pour dire l’heure.

Ce principe étant posé, il pouvait connaître des exceptions. On peut être théoricien sans être dogmatique Il fallait par exemple résoudre en termes économiques le cas des très petits clients domestiques, les pauvres. Nous avions décidé de distribuer annuellement des bons d’électricité dans les mairies chargées de les attribuer de la façon la plus juste possible. Ce système a mal fonctionné car certains maires, probablement hostiles à EDF, ayant distribué tous leurs bons dès le premier trimestre, EDF a coupé de bonne foi l’électricité au deuxième trimestre. Nous avons alors été accusés de n’avoir aucun sens social. À mon sens, ceux qui manquaient de sens social étaient surtout les maires en question, même s’ils faisaient peut-être preuve d’un sens politique aigu. Nous avons finalement abandonné cette pratique qui aurait dû permettre de cibler les personnes véritablement concernées. Nous en avons adopté d’autres qui revenaient à utiliser une louche au lieu d’une petite cuillère.

Mme Clotilde Valter, rapporteure de la Commission d’enquête. Monsieur le président Boiteux, pourriez-vous nous dire ce que vous pensez du système tarifaire complexe en vigueur aujourd’hui ? Comment l’analyser au regard des principes simples que vous nous avez présentés ?

M. Marcel Boiteux. Il existe en effet une certaine diversité de prix. Des rabais spéciaux ont été accordés à des industries particulièrement sensibles aux tarifs de l’électricité. Cela signifie-t-il que l’ensemble de la collectivité subventionne subrepticement des industriels sans aucun contrôle parlementaire ? EDF a déjà été obligée de subventionner des activités sans rapport avec son métier, ce qui constituait un moyen d’échapper au contrôle budgétaire.

Concernant la situation actuelle, même si j’écris parfois des papiers un peu « toxiques », je vous avoue qu’après avoir pris ma retraite il y a maintenant vingt-huit ans, je ne suis plus totalement au fait de l’actualité. Il reste que la manière dont la concurrence a été rétablie dans un système qui l’excluait de fait me paraît toujours extraordinairement choquante. Il se trouve que notre électricité était, de beaucoup, la moins chère d’Europe occidentale. On a invoqué les subventions que nous recevions, mais en dehors des prêts du Fonds de développement économique et social (FDES) – qui, à vrai dire, ont été consentis dans le cadre du plan Marshall –, nous n’avons jamais été subventionnés par l’État, et le programme nucléaire a été intégralement financé par l’emprunt. On nous parle d’une garantie de fait de l’État. J’avoue qu’il paraît peu vraisemblable qu’EDF mette aujourd’hui la clef sous la porte – dans vingt ans, si l’entreprise est totalement ruinée, peut-être.

Cela a tout de même quelques contreparties, et je peux vous dire quelques mots de la façon dont EDF était en quelque sorte rançonnée à mon époque. Après que le général de Gaulle a pris le pouvoir en 1958, M. Jean-Marcel Jeanneney, que j’avais connu professeur d’économie, devient ministre de l’industrie. Il me fit part de ses inquiétudes concernant l’avenir des Charbonnages de France, et me proposa d’instaurer une préférence pour le charbon français tant qu’il n’excéderait pas de plus de 25 % le prix du charbon américain. À partir de 1959, EDF a donc payé son charbon 20 % – j’avais négocié un rabais – plus cher que ce qu’elle aurait pu obtenir. Il s’agissait évidemment d’une subvention déguisée qui était destinée à permettre de ne renoncer que progressivement au charbon français qui ne survivait déjà que de façon artificielle. J’ajoute qu’en 1974, Charbonnages de France qui eut l’occasion, grâce à la crise énergétique, de vendre encore plus cher à l’étranger cessa de livrer EDF. « Pour une fois qu’ils gagnent de l’argent, fichez-leur la paix ! », me répondit le ministre lorsque je m’en plaignis auprès de lui. Ceux que nous avons aidés nous ont toujours montré une ingratitude digne du M. Perrichon d’Eugène Labiche.

En 1974, le ministre de l’économie et des finances me demanda de financer le programme nucléaire d’EDF en dollar. « Monsieur le ministre d’État, lui dis-je, nous n’avons pas besoin d’emprunter en dollar ». « C’est pour la France », me répondit-il. Je m’inclinai mais demandai tout de même une garantie de change. Je reçus une lettre en ce sens : en cas de perte, j’étais couvert par l’État, en cas de gain, je lui restituais l’argent. Lorsque le dollar est passé de 4,50 francs à plus de 12 francs, après que mes lettres sont restées sans réponse, j’ai envoyé le directeur financier d’EDF rencontrer le directeur du trésor. Il nous fut répondu : « Nous sommes désolés mais aucun sous-compte n’a été créé pour traduire budgétairement le courrier que vous a envoyé M. Valéry Giscard d’Estaing ; nous ne pouvons rien faire. » Il ne nous restait plus, à la demande de l’État qu’à conserver nos emprunts en dollar et à continuer de payer, tout en passant aux yeux de tous pour de piètres gestionnaires. Nous supportions un coût supplémentaire, et l’opprobre en prime.

EDF n’est pas aimée car elle a rendu service à trop de gens. Peut-être suis-je encore un peu amer mais, heureusement, au bout de vingt-cinq ans, tout cela commence à se tasser. (Sourires.)

M. Michel Sordi. Je me souviens de l’époque où les banquiers incitaient les petits entrepreneurs à emprunter en bouquet de devises ; cela s’est souvent mal terminé.

M. Michel Destot. EDF n’a-t-elle pas été poussée à exporter l’électricité et à échapper ainsi à la tarification nationale ? Cette incitation à l’exportation n’a-t-elle pas incité à la surproduction ?

M. Marcel Boiteux. Ceux qui racontent que le programme nucléaire aurait eu pour effet de produire un trop-plein d’électricité oublient qu’EDF était tenue d’exporter 70 milliards de kWh nucléaires par le contrat de programme quinquennal passé avec l’État afin de faire rentrer des devises dans le pays. La France n’a jamais été suréquipée en nucléaire par rapport à l’économie de l’ouest européen.

M. le président Hervé Gaymard. Que pensez-vous de la politique tarifaire appliquée aux énergies renouvelables (ENR) ? Certains sont très favorables à un soutien aux ENR par la tarification ; d’autres, dénonçant les entorses faites à la vérité des coûts, considèrent qu’il s’agit d’une impasse tant économique qu’écologique.

M. Marcel Boiteux. Tout est possible à mon sens, à condition que les choix des politiques, qui sont les patrons, soient clairs et motivés. Or tout est fait pour cacher le coût réel des énergies dites nouvelles.

Prenons l’exemple un peu extrême mais significatif d’une éolienne en bout de ligne dans une zone rurale. Les bourrasques violentes créent des à-coups sur le réseau qui entraîne des ruptures de courant : les trayeuses décrochent, les frigos s’arrêtent de fonctionner…

On se trompe en comparant le courant électrique à celui de l’eau. Pour comprendre l’électricité mieux vaudrait penser au sérum physiologique qui peut circuler dans le corps humain : sa formule est complexe et invariable, et sa température et son débit sont précis. Il en est de même du courant qui forme une courbe à l’ondulation parfaite et doit nécessairement avoir une force spécifique. Ces contraintes sont telles que le courant de mauvaise qualité produit par l’éolienne en bout de réseau était autrefois envoyé à la terre, c’est-à-dire détruit.

Je n’ai rien contre les éoliennes mais je crains qu’elles ne coûtent très cher par rapport à ce qu’elles rapportent

Un mode de production d’énergie était autrefois apprécié à la fois grâce à son coût au kilowatt, en relation avec la grosseur du tuyau, et son coût au kilowattheure selon la quantité qui empruntait le tuyau. La tonne constituant une unité de mesure unique pour le charbon et le pétrole, EDF a été un peu obligée de s’en tenir à un seul prix. Or pour apprécier un moyen de production, il faut tenir compte de deux dimensions : celle de la puissance garantie à la période de pointe lorsqu’elle existe, et celle de l’économie réalisée en charbon, en pétrole ou en uranium. Pour comparer sérieusement une éolienne à un moyen de production classique d’énergie, il faudrait installer une turbine à gaz à son pied. En plein milieu de l’hiver, sans vent et par grand froid, alors que la demande est à son maximum, les éoliennes ne produisent rien. On constate alors que la puissance n’est pas garantie – 5 % seulement peut l’être –, alors que les consommateurs veulent disposer d’énergie au moment où ils le souhaitent.

En méconnaissant ces données, l’on fausse complètement les choix. Certains sont-ils à ce point convaincus que l’éolien ne vaut rien qu’ils refusent de lui appliquer un calcul économique rationnel et de connaître son coût réel. Pourquoi ceux qui se disent certains de la nécessité de l’éolien se cachent-ils derrière leur ombre ?

Mme la rapporteure. Comment voyez-vous aujourd’hui la concurrence sur le marché de l’électricité ?

M. Marcel Boiteux. Maurice Allais, le lauréat du prix Nobel, dont j’étais l’assistant dans ma prime jeunesse, enseignait notamment qu’il fallait distinguer dans l’activité industrielle d’un pays entre le secteur différencié et le secteur non différencié. Dans le premier, la taille optimale des outils de base est telle que plusieurs entreprises peuvent se livrer une concurrence, dans le second, la taille optimale excède celle du marché. Dans ce dernier cas, les entreprises sont dites à rendement d’échelle croissant. La vente au coût marginal constitue pour elles une catastrophe car les coûts marginaux finissent par être quasiment nuls : à termes, elles ne touchent plus rien. Le coût marginal est intrinsèquement fortement inférieur au coût moyen. Le dernier client raccordé au réseau d’EDF ne lui coûte pas cher si l’on doit établir une comparaison avec celui qui a bénéficié seul et pour la première fois de l’électricité.

La vente au prix du coût marginal de la distribution du kWh est donc par nature déficitaire, contrairement à ce qui se produit dans les marchés ordinaires. Les activités de réseaux sont toutes à rendement croissant et relèvent du monopole dit naturel. Pour l’électricité, cela a finalement été reconnu puisque la production et la vente ont été ouvertes au marché alors que le réseau reste un monopole.

J’ajoute que nous sommes confrontés à des situations ou la multiplication des outils permet de diminuer le prix de leur gestion. La cinquantaine de tranches du nucléaire français a permis d’obtenir un coût du développement bien inférieur au coût moyen. Vendre au prix du développement, comme le recommandent au service public les meilleurs économistes, dont Maurice Allais lui-même, amènerait à devenir déficitaire.

Mais alors, comment transférer au secteur privé des techniques qui sont par nature déficitaires ? Je crains que nous ne sachions pas bien répondre à cette question.

La situation est d’autant plus complexe qu’il ne s’agit pas de vendre des tonnes de blé ou des litres d’eau. L’électricité est un produit spécifique de qualité rigide, je l’ai expliqué, mais également rigoureusement non stockable. Dans les années 1960, lorsque les gens déjeunaient chez eux tous les jours et qu’il fallait bien gérer cette pointe de consommation, Gaz de France baissait légèrement la pression. Personne ne s’en rendait compte hormis les ménagères qui constataient que leurs œufs à la coque n’étaient pas tout à fait cuits à l’issue du temps habituel. EDF n’a pas cette marge de manœuvre : si vous baissez la fréquence des courants de 50 à 49,8 hertz, la moitié des relais sont en panne, à 49,7 Hz, les trains s’arrêtent, et à 49,6 Hz plus rien ne fonctionne.

Ces caractéristiques échappent souvent aux nouveaux venus qu’ils soient commentateurs critiques ou dirigeants d’EDF. Il faut parfois un certain temps pour comprendre profondément les spécificités d’un bien non stockable et de qualité rigide. La tarification d’un tel produit est forcément différente de celle des autres biens. Autrefois, je l’ai dit, on aurait précisé le prix au kilowatt et la puissance en kilowattheures. On vous donne aujourd’hui un prix du nucléaire au kilowattheure, mais pour combien d’heures de fonctionnement ? Personne ne le sait. Pour faire comme les autres, les électriciens ont eu tort de perdre leur spécificité car, selon la durée d’utilisation d’un bien rigoureusement non stockable, les prix sont différents.

M. le président Hervé Gaymard. Monsieur le président, nous vous remercions vivement pour la passionnante contribution que vous venez d’apporter à nos travaux.

10. Audition, ouverte à la presse, de M. Thomas-Olivier Léautier, professeur des universités (Université de Toulouse I Capitole), membre de l’École d’économie de Toulouse

(Séance du jeudi 6 novembre 2014)

M. Alain Leboeuf, président. Monsieur Thomas-Olivier Léautier, les travaux de l’École d’économie de Toulouse sont internationalement reconnus, notamment avec l’attribution du Prix Nobel à Jean Tirole qui a, d’ailleurs, été votre directeur de thèse.

Au sein de l’IDEI, l’Institut d’économie industrielle, vous avez beaucoup travaillé sur des sujets entrant dans le champ de réflexion de notre commission.

Vos travaux montrent notamment que la théorie économique peut apporter certains éclairages pratiques sur le fonctionnement de secteurs libéralisés, comme celui de l’électricité, qui sont dans le même temps soumis à des principes de régulation sous le contrôle d’autorités indépendantes.

Vous avez étudié de façon savante le comportement des différents acteurs dans ce type de marché au titre de la théorie des jeux et de la théorie de l’information. Il est, bien sûr, impossible ici de donner la liste complète de vos travaux.

Mais au-delà des travaux à forte imprégnation mathématique, vous savez, avec d’autres collègues de l’École de Toulouse, communiquer plus largement sur ces sujets. Un de vos articles de presse récents, co-écrit avec Claude Crampes, en témoigne.

Dans cet article, vous qualifiez « d’obsolète », la gouvernance du système français de distribution électrique.

Vous écrivez aussi que la dualité entre des concessions locales et une régulation nationale n’a « aucun sens économique ». Ce système générerait, selon vous, des surcoûts importants de distribution au détriment des consommateurs. Vous comprendrez que ce constat intéresse plus particulièrement notre commission.

Plus généralement, doit-on considérer que des éléments de base tarifaire comme le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) ou encore l’accès régulé à l’énergie nucléaire historique (ARENH) sont des instruments qui, dérogeant à la logique économique, ne peuvent, à ce titre, qu’être provisoires ? Faut-il les transformer plus rapidement et plus profondément que ne le feront les évolutions en cours ou annoncées ?

Vous estimez par ailleurs que les subventions par le prix d’achat dont bénéficient les énergies renouvelables ne sont plus économiquement fondées. Cette affirmation appelle sans doute une explication plus détaillée de votre part.

Nous souhaitons enfin connaître vos analyses sur la question de l’effacement. Il s’agit, en effet, d’un sujet fréquemment évoqué devant la commission.

Monsieur le professeur, avant de vous écouter au titre d’un exposé liminaire, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Thomas-Olivier Léautier prête serment.)

M. Thomas-Olivier Léautier, professeur des universités (université de Toulouse-I Capitole), membre de l’École d’économie de Toulouse. Je suis très honoré d’être assis à la même place que le président Boiteux, hier.

L’économiste que je suis commencera par souligner que nous n’avons plus besoin ni de l’ARENH ni des tarifs réglementés de vente (TRV) : ces dispositifs étaient provisoires et c’est le moment de les supprimer.

Je pense par ailleurs que renforcer le rôle et l’indépendance de la CRE est essentiel pour assurer l’avenir de l’industrie électrique en France, en particulier cela permettrait de réduire la facture des clients.

Les effacements constituent, quant à eux, une nouvelle façon de gérer la pointe des systèmes électriques. Malheureusement, les derniers textes sur l’effacement, notamment l’article 46 bis de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, crée une subvention injustifiée aux bénéfices des opérateurs d’effacement.

J’évoquerai également la gouvernance du réseau de distribution et les énergies renouvelables (ENR).

Je reviens à mon premier point pour rappeler que l’objectif des tarifs réglementés est protéger tant les consommateurs que les investisseurs dans une situation de monopole. La puissance publique fixe un tarif qui permet à la fois de couvrir les coûts de ce monopole et de protéger les consommateurs de prix trop élevés. Quant aux investisseurs, ils ont besoin de revenus pour rembourser et rémunérer des investissements qui courent sur quarante ans : les tarifs réglementés sont la promesse de la collectivité aux investisseurs que, durant les quarante ans de la vie de l’infrastructure, leurs revenus leur permettront de couvrir les coûts. Ces tarifs constituent donc un engagement à long terme. Plus l’engagement sera solide et plus l’organisme responsable de sa mise en œuvre aura de visibilité et s’engagera dans le temps, plus alors les investisseurs seront rassurés, plus bas seront les rendements qu’ils exigeront et plus bas aussi sera le coût de l’investissement pour la société. Il existe donc un lien entre la stabilité des conditions tarifaires et le coût de l’investissement pour la société.

Aujourd’hui, en France, les réseaux de distribution et de transport de l’électricité sont des monopoles et resteront des monopoles : il n’y aura jamais en France qu’un seul réseau de transport et de distribution par ville – cela signifie non pas qu’ERDF en aura toujours la responsabilité mais qu’il n’y aura jamais deux jeux de fils par foyer. La théorie économique suggère donc que ces monopoles soient régulés ad vitam aeternam. S’agissant en revanche de la production et de la commercialisation de l’électricité, les deux arguments justifiant la régulation ne sont plus aujourd’hui pertinents. La production de l’électricité est devenue concurrentielle à l’échelle européenne. Si EDF est un gros acteur en France et sur la plaque européenne, il n’est pas le seul. Le prix de marché sur la plaque européenne est déterminé par l’équilibre de l’offre et de la demande : les consommateurs n’ont donc plus besoin d’un tarif qui les protège et leur garantisse que les prix du marché reflètent bien les coûts. De même, la commercialisation de l’électricité est aujourd’hui une activité concurrentielle : dans plusieurs pays étrangers, des dizaines de fournisseurs sont en concurrence. Il n’y a donc pas besoin de protéger les consommateurs d’un monopole qui n’existe plus.

Quid alors de l’investisseur ? Vous savez comme moi que le parc nucléaire français est amorti. Dans les années 1970-1980, lors de la construction du parc nucléaire,il était justifié de promettre à l’investisseur, un tarif qui couvre ces couts de construction. Aujourd’hui un tel tarif n’a plus aucune justification économique s’agissant de la production et de la commercialisation de l’électricité.

S’agissant de l’ARENH, je tiens tout d’abord à rappeler les raisons de sa création. Dans les années 2007-2008, la France a un problème d’aides d’État. Les consommateurs d’électricité paient à l’époque en moyenne leur ruban quelque 35 euros le mégawattheure alors que le prix de marché s’élève à 55 euros. EDF étant une entreprise publique possédée à 85 % par l’État, celui-ci subventionne ses industriels en leur vendant l’électricité 20 euros moins cher que sur les marchés. Or les traités européens interdisent une telle subvention. De plus, aucun fournisseur alternatif ne pouvait pénétrer le marché français de la commercialisation. Fabien Choné a eu raison de s’en plaindre lors de son audition. Poweo a été obligé de fermer : comment revendre à 55 euros un ruban que les clients pouvaient acheter 35 euros à EDF ?

Il y a cinq ans, si vous m’aviez demandé ce qu’il fallait faire, je vous aurais conseillé de supprimer les tarifs réglementés de vente et le prix de l’électricité serait monté à 55 euros le ruban. Or il était impossible en 2008 d’adopter une telle solution pour des raisons politiques évidentes. C’est pourquoi Paul Champsaur a inventé le concept de l’ARENH, qui est d’autant plus intelligent qu’il a permis, en quelque sorte, de résoudre la quadrature du cercle en autorisant la concurrence sans faire monter les tarifs. Le fait de vendre aux concurrents à des tarifs réglementés l’électricité produite par le parc nucléaire « historique »
– le mot « historique » a été ajouté par les parlementaires – leur a permis de pénétrer le marché de détail : le problème lié à la concurrence était ainsi résolu. De plus, si l’ARENH montait progressivement pour rejoindre le prix du marché, le second problème, celui des aides d’État, était lui aussi résolu. Le Gouvernement a fixé l’ARENH à 40 euros le mégawattheure le 1er juillet 2011 ; il est monté à 42 euros le 1er janvier 2012. Je ne peux évidemment que déplorer en tant qu’économiste le processus par lequel l’ARENH a été fixé : une décision politique et non économique. Il n’en reste pas moins que, bonne nouvelle !, les prix de marché sont descendus au niveau de l’ARENH, alors qu’on envisageait plutôt que ce serait l’ARENH qui rejoindrait le prix de marché. Quoi qu’il en soit, puisque l’équilibre est atteint, il est possible de supprimer l’ARENH dès demain matin, d’autant que la presse évoque une ARENH à 44 euros, voire à 46 euros. Si tel était le cas, le raisonnement économique suggère que les fournisseurs alternatifs iraient acheter leur ruban à 42 ou 43 euros sur le marché et le factureraient légèrement en dessous du prix ARENH afin de capturer des clients.

Donc, si le prix de l’ARENH est supérieur au prix de marché, les fournisseurs alternatifs sont subventionnés. Si le prix de l’ARENH est inférieur au prix de marché, les consommateurs sont subventionnés, ce qui est interdit. La coexistence durable entre ARENH et prix de marché sera donc difficile.

Je le répète : maintenant que le prix de l’électricité en France a rejoint celui du marché, il est temps de supprimer l’ARENH, ainsi que les tarifs réglementés de vente, les tarifs verts et jaunes devant de toute façon disparaître le 1er janvier 2016. Il conviendra alors de demander à la CRE de déterminer une offre par défaut pour les clients qui ne veulent pas changer de fournisseur, ce qui se fait déjà dans de nombreux pays. Le calcul de cette offre par défaut, qui n’est pas un tarif, devra reposer sur le TURPE, la valeur de marché du mégawattheure, les taxes et éventuellement une prime de capacité. C’est un mécanisme très simple qui a l’avantage de dépolitiser le prix de l’électricité. La formule étant transparente, elle coupe court aux émotions qui accompagnent habituellement toute modification du tarif de l’électricité. Elle est de plus cohérente : EDF peut soit vendre ses mégawattheures directement sur les marchés de gros, soit à l’offre par défaut. Le prix de l’énergie dans la dernière étant égal à la moyenne du prix de gros, les deux possibilités sont équivalentes pour EDF.

Elle est enfin vertueuse : les fournisseurs alternatifs seront en effet dans l’obligation de proposer une offre plus avantageuse que l’offre de base, qui devra comprendre un meilleur accompagnement de leurs clients, une baisse des coûts de commercialisation ou une meilleure adaptation aux besoins, en prévoyant par exemple des offres différentes pour les résidences secondaires et pour les résidences principales ou pour les consommateurs du nord de la France et ceux du sud de la France. Ce dispositif permettrait donc d’instaurer sur le marché une vraie concurrence par l’innovation. Je le répète : il faut supprimer les TRV et l’ARENH et ne conserver que le TURPE.

Plus la CRE sera indépendante et plus les tarifs seront à la fois lisibles et prévisibles, moins les coûts pour la collectivité seront élevés. C’est un fait prouvé théoriquement et empiriquement vérifié : plus le régulateur est indépendant, moins le coût est important pour la société. M. Tirole m’a suggéré d’évoquer devant vous un article qu’il a écrit sur le sujet avec Eric Maskin, lui aussi prix Nobel d’économie, dans l’American Economic Review, « The politician and the judge : accountability in government ». La logique, très simple, repose sur le fait que le temps de l’investissement est le temps long alors que celui des politiques, qui doivent répondre aux attentes de la population, est court. En décidant des tarifs à leur échelle de temps, les politiques créent un risque qui augmente le coût de l’investissement pour la société. C’est pourquoi les commissions en charge de la régulation doivent être indépendantes. La même logique a conduit à l’indépendance des banques centrales.

Or la France se trouve au milieu du gué du fait que la CRE n’est pas totalement indépendante, puisque son budget est déterminé dans le cadre de la loi de finances. Le président de la CRE doit donc le quémander chaque année, ce qui affaiblit son indépendance. De plus, les pouvoirs de la CRE sont trop limités. Lors de son audition, M. Philippe de Ladoucette, le président de la CRE, a déclaré avoir compris pourquoi les coûts d’EDF avaient augmenté. C’est bien. Ce qui serait préférable, c’est qu’il ait le pouvoir de demander à EDF de baisser ses coûts, par exemple en les comparants à ceux d’autres énergéticiens. On attend d’une commission de régulation vraiment indépendante qu’elle mette les opérateurs régulés devant leurs responsabilités, notamment lorsque leurs coûts augmentent. Or les textes ne donnent pas à la CRE la possibilité de faire pression sur la politique des coûts d’EDF. Si la CRE en avait la possibilité, elle serait plus efficace. Il s’agit pour vous de prendre une simple décision technique qui aura un impact énorme sans soulever aucune passion au plan politique.

Si la question des effacements est cruciale, c’est que la pointe est le problème le plus important auquel doit faire face le réseau électrique. La distribution des demandes dans le système électrique peut être comparée à la distribution des revenus dans les travaux de Thomas Piketty : elle est très pointue. De même en effet que les revenus des plus riches sont bien plus élevés que ceux de la catégorie qui les suit aussitôt, de même la demande durant les 1% d’heures de plus forte consommation est bien plus importante que la demande durant les 5% d’heures de plus forte consommation, qui elle-même est bien plus importante que la demande durant les 10% d’heures de plus forte consommation. C’est pourquoi, les opérateurs ont construit des centrales dites « de pointe » qui sont destinées à gérer la pointe et qui ne fonctionnent, de ce fait, que quelques centaines d’heures par an. Or les technologies de l’information ont rendu possible un dispositif, l’effacement, à la fois plus intelligent et plus économique, qui consiste à réduire la consommation durant la pointe. Ce dispositif aura également l’avantage de pouvoir gérer des situations de tension entre l’offre et la demande appelées à devenir de plus en plus fréquentes à mesure que la part des énergies renouvelables, dont la production est variable, augmentera dans le mix énergétique.

Le problème, toutefois, est la grande confusion qui entoure le modèle économique de l’effacement. Une transaction d’effacement doit reposer sur l’achat effectif d’une quantité donnée de mégawattheure : soit l’acheteur les consomme intégralement, soit il n’en consomme qu’une partie et il revend le reliquat sur le marché. Quelle que soit l’utilisation de la quantité de mégawattheure achetée, l’acheteur doit payer intégralement ce qu’il a acheté avant de pouvoir en revendre une partie. En effet, on n’a pas le droit de revendre ce qu’on n’a pas acheté. Or ce principe de base de la transaction économique n’a été respecté initialement ni en France ni aux États-Unis, du fait de la confusion entretenue entre les mégawatts livrés et les mégawatts vendus.

L’article 46 bis de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte commet trois erreurs d’appréciation économique.

La première est d’autoriser un opérateur d’effacement à vendre, au nom de son client, de l’énergie qu’il n’a pas payée, plus précisément à se faire payer par la collectivité l’énergie qu’il revend. Prenons une analogie : une personne qui va être auditionnée par une commission de l’Assemblée nationale a oublié sa cravate. Je sais qu’elle est prête à payer 500 euros pour une cravate. Je sais aussi qu’une personne qui vient d’être auditionnée est prête à vendre sa cravate pour 150 euros. Supposons que nous soyons seize dans cette salle. Ainsi que le prévoit l’article 46 bis, je vous demande de me donner tous dix euros chacun afin que j’achète cette cravate à 150 euros et la revende à 500 euros. L’analogie montre bien l’absence de logique économique de cette disposition.

La deuxième erreur d’appréciation est de confondre l’effacement avec l’économie d’énergie. L’effacement est un outil de gestion de pointe : il permet d’éviter de recourir à des centrales de pointe. L’économie d’énergie, elle, vise à réduire l’ensemble des mégawattheures consommés : elle concerne l’ensemble des moyens de production. Il s’agit donc bien de deux outils différents. D’un point de vue économique, la question du caractère vertueux ou non de l’effacement n’a aucun sens. Considérons une fin d’après-midi très froide de février. La demande est très élevée, proche de la capacité de production. Le prix de l’électricité à dix-neuf heures monte à 2 000 euros par mégawattheure. Un consommateur qui réduit d’un mégawattheure son soutirage à dix-neuf heures économise à la collectivité 2 000 euros. La valeur de ce mégawattheure effacé est toujours 2 000 euros, que le consommateur reporte sa consommation à la nuit, alors que le prix s’établit à 50 euros le mégawattheure, qu’il utilise un moteur diesel, ou qu’il élimine complètement sa consommation.

Enfin, l’article 46 bis reprend une erreur de raisonnement économique déjà présente dans les textes précédents, à savoir la notion d’« avantages pour la collectivité des effacements ». Tous ces avantages sont inclus dans le prix de marché de l’électricité au moment de l’effacement. Il n’y en a pas d’autres. Les effacements permettent-ils de réduire les émissions de CO2 ? Le coût du CO2 est inclus dans le prix de l’électricité, car les producteurs doivent acheter les permis d’émission.

Les subventions aux opérateurs d’effacement que prévoit l’article n’ont donc aucune raison d’être.

Pour répondre à la question : « Comment encourager les effacements ? », il faut d’abord répondre à la question : «  Pourquoi encourager les effacements ? ». C’est en vue de diminuer le recours aux centrales de pointe. En jargon économique les effacements et les centrales de pointe sont des substituts : cela signifie que la valeur de l’un diminue avec le volume de l’autre, comme le sont une ceinture et une paire de bretelles pour tenir un pantalon. Recourir à la première réduit le prix que l’on est prêt à payer pour la seconde.

La France met en œuvre en ce moment un mécanisme de capacité. RTE produit à cet effet de nombreux documents. L’objet de ce mécanisme est de financer des centrales de pointe. En parallèle, on subventionne le modèle économique de l’effacement dont l’émergence est précisément rendue plus difficile par la présence des centrales de pointe. Cela n’a aucun sens. La loi nous impose à la fois d’acheter une ceinture et de subventionner la fabrication de bretelles. Il faut choisir entre les deux logiques : ou privilégier les centrales de pointe, considérées comme plus sûres, et ne recourir à l’effacement qu’à la marge, ou privilégier l’effacement et cesser de financer les moyens de capacité. Les économistes préfèrent la réduction de la consommation à la construction de centrales pour des raisons économiques. Toutefois, ils n’ignorent pas que les effacements sont difficiles à anticiper et à mesurer. C’est pourquoi le seul message qu’ils vous adressent est qu’il faut choisir entre les deux logiques.

S’agissant d’ERDF, je tiens tout d’abord à rappeler que le réseau de distribution est le lieu physique de la transition énergétique. Dans cinquante ans, la conception des réseaux de distribution sera totalement différente d’aujourd’hui. Des investissements colossaux devront avoir été réalisés pour réaliser les réseaux intelligents. Or la gouvernance française du réseau date du XIXe siècle : les collectivités territoriales sont propriétaires des réseaux et ERDF, qui est l’exploitant national, est régulé par la CRE. Cette gouvernance bicéphale crée de nombreux problèmes, dont le premier tient dans la dualité des investissements : ERDF et les collectivités investissent dans les territoires sans se concerter, ce qui crée parfois des inefficacités. De plus, le consommateur doit payer, dans sa facture, les coûts des deux millefeuilles. En effet, chacun des deux preneurs de décision a besoin de disposer d’une équipe et de recourir à des experts pour cibler les bons investissements : or cela a un coût. Finalement, il faut assurer la coordination entre ces deux millefeuilles, ce qui a aussi un cout. Il appartient donc au Parlement de changer le mode de gouvernance pour accompagner la transition énergétique selon un principe simple : un décideur par territoire, qu’il s’agisse des investissements et de leur mise en œuvre. Vous êtes libres de choisir entre ERDF ou un mode de gouvernance différent pour les villes et pour la campagne. Ce que vous devez savoir, c’est que tant que la gouvernance des réseaux de distribution n’aura pas été réformée, la France sera dans l’incapacité de procéder à la transformation profonde dont elle a besoin à un coût raisonnable.

S’agissant du tarif réglementé, je rappelle que celui-ci doit théoriquement couvrir les coûts qui, pour un distributeur de réseau, comprennent les charges d’exploitation et les charges de capital, dans lesquelles il convient de distinguer la dépréciation de l’investissement et la rémunération du capital. Il existe deux méthodes pour calculer le tarif. Le tarif comptable – première méthode – repose sur les indications contenues dans les états financiers relatives aux charges d’exploitation, à la dépréciation, et aux charges de capital, calculées comme la somme des intérêts payés et dividendes versés. Si cette méthode a été abandonnée à partir des années 1980, c’est qu’elle engendrait une incitation perverse : les entreprises avaient en effet tendance à sur distribuer les dividendes de façon à augmenter leur rémunération. C’est pourquoi on est passé à la seconde méthode, celle de la régulation économique. Celle-ci reprend les charges d’exploitation et la dépréciation dans les états financiers, et détermine la rémunération des investisseurs en multipliant la base d’actifs régulés par un taux de rémunération « cible », dont l’établissement repose sur la structure de capital moyenne d’un opérateur de réseaux. Un modèle financier permet alors de calculer le taux de rémunération – il est de 7,25 % en France. Le passage au bilan « cible » permet d’éviter les manipulations.

Or cette méthode fonctionne mal en France : fin 2012, le Conseil d’État a annulé le TURPE 2 et le TURPE 3. Pourquoi ? Parce qu’il a jugé que le bilan d’ERDF – 4 milliards de fonds propres et 41 milliards de passif de concession – ne correspondait pas au bilan « cible » – 40 % de fonds propres et 60 % de dettes. J’ai été un des rares à juger que la décision du Conseil d’État était fondée. Ce qu’il faut, désormais, c’est d’abord déterminer l’investissement effectivement réalisé par l’ÉPIC EDF puis par ERDF dans les réseaux avant d’appliquer les principes généraux. Un article du projet de loi relatif à la transition énergétique permet à la CRE, une fois qu’aura été déterminé le montant qui devait être rémunéré, d’appliquer une régulation économique au montant investi par l’ÉPIC EDF puis par ERDF. La question relève donc de l’archéologie comptable, puisqu’elle consiste à déterminer combien des deux organismes ont historiquement investi dans les réseaux. Il conviendra notamment de remonter jusqu’aux années 1950 pour déterminer si les provisions pour renouvellement et les amortissements des financements concédants – environ 20 milliards – ont été couverts par le tarif : si c’est oui, ERDF n’aura pas à être rémunéré pour des investissements qu’il n’aura pas réalisés ; si c’est non, ERDF devra alors obtenir une juste rémunération pour ses investissements. C’est une simple affaire de comptabilité.

Chacun sait qu’en 2100 la part des ENR dans le parc de production aura considérablement augmenté. Il n’en reste pas moins que les mécanismes de support des ENR qui ont été mis en place à l’origine ont créé, pour les investisseurs, un effet d’aubaine – c’est le cas en France, mais également en Italie et en Allemagne – sans que les pouvoirs publics s’en soient immédiatement rendu compte. Le rendement important des ENR a dès lors accéléré leur développement et les pouvoirs publics ont été confrontés à une bulle à laquelle ils ne s’attendaient pas. Les très importantes subventions dont bénéficient les ENR ont provoqué une augmentation de la CSPE et les ENR risquent aujourd’hui d’être rejetés par la population en raison de leur coût. Ce serait dommage, car nous savons tous que nous aurons besoin, à plus ou moins long terme et à côté du nucléaire, des ENR pour décarboner le mix énergétique. Pour parer à ce risque, il convient de distinguer, parmi les ENR, celles qui ont encore besoin d’être subventionnées des autres. Il s’agit donc d’adopter une approche structurée et fine des subventions. A-t-on par exemple encore besoin de subventionner les panneaux photovoltaïques dans le sud de la France alors que leur production est devenue compétitive ? Les mégawattheures qu’ils produisent sont même devenus moins chers que ceux qui proviennent d’autres sources d’énergie.

Quant aux ENR qui ont toujours besoin d’être subventionnées, il faut se pencher sur l’amplitude de la subvention qui doit leur être attribuée. C’est un point technique que j’ai développé avec un collègue de l’Imperial College. La subvention a pour objectif de couvrir la différence entre le coût de l’ENR et le prix de marché des mégawattheures produit par cette même ENR. Or, plus la production par les ENR sera importante, plus basse sera la valeur des mégawattheures produits par ces mêmes ENR – la valeur des mégawattheures produits par 1 000 éoliennes sera plus basse que celle des mégawattheures produits par une seule éolienne. Le calcul de la subvention de la millième éolienne, qui aura coûté moins cher que la première, devra donc prendre en compte à la fois la baisse de son propre coût et celle de la valeur des mégawattheures qu’elle produit. Or – la réponse est empirique – rien ne garantit que la baisse des coûts compensera nécessairement celle de la valeur des mégawattheures et qu’il sera donc possible un jour de supprimer les subventions. Il est possible au contraire que la baisse du prix des mégawattheures soit plus rapide que celle des coûts : dans ce cas, il sera toujours nécessaire de subventionner les ENR concernées.

De plus, à partir du moment où le parc contient 1 000 éoliennes, la valeur de marché des mégawattheures produits par la première éolienne aura également baissé et la subvention versée pour cette première éolienne devra augmenter. En cas de subvention aux ENR, l’ajout d’une unité marginale aboutit donc à la fois au versement d’une nouvelle subvention et à l’augmentation générale des subventions versées aux autres unités. La puissance publique doit être consciente de ce phénomène pour déterminer en toute connaissance de cause à la fois la vitesse à laquelle elle souhaite organiser la transition énergétique et le budget qu’elle lui alloue.

Il faut enfin savoir que les ENR transformeront en profondeur la façon de gérer les réseaux d’électricité, ce qui pose la question de leur intégration. Dans cinquante ans, les réseaux qui comporteront beaucoup d’énergies renouvelables seront gérés au plan local et non plus au plan national. Aujourd’hui, c’est RTE qui équilibre l’ensemble du réseau français ; demain, les réseaux locaux utiliseront les instruments de distribution locaux pour équilibrer la distribution locale. Ce n’est pas une catastrophe, la France ne sera pas plongée dans le noir : simplement, il conviendra de mettre en œuvre de nouvelles technologies plus fines de gestion du réseau. Telles sont les perspectives d’un économiste sur les ENR.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Je vous remercie du caractère pédagogique de votre intervention.

Si je vous ai bien compris, la France ne saurait demeurer encore longtemps dans un système que je qualifierai de bâtard, puisqu’il demeure au milieu du gué en refusant de choisir entre les deux logiques, celle du monopole et celle de la concurrence. Selon vous, le consommateur et l’économie en général ne retirent aucun bénéfice d’une situation qui n’est pas sans incidence sur les coûts et les tarifs de l’électricité : ai-je bien résumé votre analyse ?

Pensez-vous par ailleurs que la concurrence est un facteur de baisse des prix ? Si oui, dans quelle mesure ? Le sujet fait débat au sein de la commission d’enquête.

Quel sera l’impact sur le dispositif actuel  de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte ? Comment le reformer pour le rendre compatible avec l’évolution souhaitée par le Parlement dans le cadre de ce texte ?

Sur la question du développement de la gestion des réseaux au plan local, votre propos contredit l’analyse des représentants de Réseau de transport d’électricité (RTE) : selon eux, il sera nécessaire de développer les interconnexions non seulement au plan national mais également au plan européen. Que nous répondez-vous sur cette opposition frontale ?

En outre, quelles actions convient-il de mener au plan européen ? Pour certains des acteurs que nous avons auditionnés, l’Europe de l’énergie, en raison de l’inadaptation de sa réglementation, interdit de traiter les problèmes comme il le faudrait et ne permet pas de procéder aux évolutions nécessaires…

Enfin, nous avons auditionné, dans le cadre de cette commission d’enquête, les représentants des industries électro-intensives et, dans celui de la commission des affaires économiques, les représentants des cimenteries Lafarge : les uns comme les autres ont souligné le fait que la plupart des grands pays du monde subventionne d’une façon ou d’une autre l’énergie – ce qu’avait déjà révélé, en 2013, la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière. Il ne faudrait pas que, par ce refus des subventions, la France et l’Europe mettent en difficulté tant leurs consommateurs que leurs grands acteurs économiques – je pense naturellement aux électro-intensifs : qu’en pensez-vous ?

M. Denis Baupin. Monsieur le professeur, je vous remercie de cette intervention décapante.

Une remarque : quand on connaît la part prise dans les investissements par la bourse, où domine le temps court, pensez-vous qu’on puisse vraiment opposer le temps court des politiques au temps long des investisseurs ? Ce monde idéal de l’économie et des investisseurs que vous nous avez présenté me semble bien éloigné de la réalité. Il serait du reste souhaitable que le temps long guide à la fois le politique et l’économique.

Selon vous, le libre marché assurerait le fonctionnement idoine du secteur de l’électricité : quid des coûts d’investissement ? À l’heure actuelle, du fait de l’absence de visibilité et d’un prix du marché très bas, l’investissement n’est rentable ni dans le nucléaire, ni dans le gaz ni dans les énergies renouvelables, ce qui n’est pas sans incidence, notamment pour gérer la pointe. Quelles mesures préconisez-vous en la matière ?

Sur l’effacement, vous vous êtes, me semble-t-il, contredit : vous avez affirmé que l’effacement n’avait d’autre intérêt que de gérer la pointe après avoir souligné qu’il entrait également dans la question des énergies variables, ce qui me semble exact, l’effacement ayant un rôle à jouer dans la gestion de la variabilité de l’approvisionnement. Pourquoi conviendrait-il par ailleurs de choisir entre l’effacement et les mécanismes de capacité ? Vous avez affirmé qu’il est inutile de disposer à la fois d’une ceinture et d’une paire de bretelles et qu’il faut donc choisir entre les deux. Soit. Mais si on a besoin de 500 ceintures ou de 500 paires de bretelles, ne peut-on faire le choix de disposer de 250 ceintures et de 250 paires de bretelles ? Les besoins du pays ne conduisent-ils pas à faire le choix mixte de l’effacement et du mécanisme de capacité ? Effacement et mécanisme de capacité ne se complètent-ils pas ?

Vous avez évoqué le prix du CO: la puissance publique doit-elle imposer de manière dérogatoire au marché un prix à ces externalités négatives sur le climat que sont les émissions de gaz à effet de serre ? J’observe que les mécanismes actuellement en place engendrent un prix du carbone bien trop faible pour infléchir les investissements dans le sens souhaité par les politiques publiques.

Personnellement, je ne suis pas opposé à ce que des décideurs différents travaillent ensemble pour dégager des solutions, surtout dans les périodes de transition. Vous êtes au contraire favorable à ce qu’il n’y ait qu’un seul décideur, tout en notant que les réseaux tendront à être de plus en plus locaux : cela signifie donc que, d’après vous, les décideurs seront locaux. Quid dans ces conditions de la péréquation ? Une multiplication de décideurs locaux n’est-elle pas un obstacle irréversible à la péréquation ? Faut-il supprimer la péréquation comme étant d’un autre âge ?

Vous avez évoqué un passif de 41 milliards dans le bilan d’ERDF : or ces 41 milliards sont la propriété des collectivités locales. Que l’argent des collectivités locales apparaisse dans le bilan d’une société qui est la filiale d’une société cotée en bourse ne vous choque-t-il pas ?

Je ferai une dernière remarque : c’est vrai, les pouvoirs publics ont prévu un tarif de rachat des énergies renouvelables trop élevé. Je tiens toutefois à rappeler que cette erreur d’appréciation, que nous paierons durant vingt ans, et qui a été commise dans le cadre du plan Borloo pour le développement des énergies renouvelables, était liée à une politique volontariste de promotion de nouvelles sources d’énergie qui avait sa légitimité. Une bonne partie du coût actuel de la contribution au service public de l’électricité (CSPE) est donc liée à des erreurs passées et non au coût actuel de production des énergies renouvelables – vous l’avez souligné, en évoquant le coût du photovoltaïque dans le sud de la France.

M. Jean-Pierre Gorges. Votre intervention a eu le mérite de la clarté. Avez-vous été auditionné dans le cadre de la commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire ?

M. Thomas-Olivier Léautier. Non.

M. Jean-Pierre Gorges. C’est dommage.

Souvent, le temps court sert aux politiques à détricoter ce que leurs prédécesseurs ont fait. La loi relative à la transition énergétique devra être revue dans deux ans.

La libéralisation au plan européen de l’électricité est-elle compatible avec l’organisation française du secteur qui repose en partie sur des subventions ? Vous avez, c’est vrai, déjà commencé à donner la réponse à cette question.

Le texte sur la transition énergétique a été examiné avant que la commission d’enquête sur le coût du nucléaire n’ait rendu ses conclusions et alors même que la commission d’enquête relative aux tarifs de l’électricité continue ses auditions : quelle modélisation des politiques conduites en matière énergétique, vous-même, M. Tirole ou vos collègues de l’École d’économie de Toulouse, réussissez à construire, alors même que les investissements engagent des temps très longs ? La vie d’une centrale nucléaire oscille, pour la France, entre quarante et cinquante ans et peut atteindre, dans d’autres pays, soixante, voire quatre-vingts ans. Les politiques ont donc d’autant plus besoin de modélisations pour éclairer leurs choix et faire que leurs décisions, prises dans le cadre d’un temps court, s’accordent aux nécessités du temps long. Je ne peux que regretter que la loi relative à la transition énergétique mette un coût d’arrêt au développement du nucléaire et aux bénéfices qu’il serait possible de tirer des générations III et IV.

Pensez-vous que la France consommera un jour moins d’électricité qu’aujourd’hui ? L’équation de la transition énergétique ne peut être équilibrée que si, et seulement si, indépendamment de la problématique de l’effacement, la consommation diminue. En effet, à niveau de consommation égal, les énergies renouvelables ne permettront pas de compenser la diminution de la part du nucléaire. Ne conviendrait-il pas dès lors de conforter le socle du nucléaire ?

En cas de libéralisation des coûts et d’une modification du réseau pour l’adapter aux énergies renouvelables, dont la production dépend grandement des conditions géographiques, la politique des prix devra-t-elle être différenciée en fonction de la nature des territoires et de leurs potentialités en matière énergétique ?

M. Jean Grellier. Comment faire de l’effacement un facteur de compétitivité des industries électrointensives ?

Comment concilier les différents enjeux en termes d’énergies fossiles et de balance commerciale ? La réduction de la production d’électricité est-elle la réponse ? Ne conviendrait-il pas de procéder à des transferts en termes économiques globaux ?

Les évolutions technologiques en matière de stockage d’électricité ne changeront-elles pas radicalement la donne ? Quelles conséquences pourraient-elles avoir sur notre production et notre vente d’électricité ?

M. Alain Leboeuf, président. Vous vous êtes montré sévère sur le système de double gouvernance des réseaux et avez déclaré de manière catégorique qu’il convient de revoir le dispositif actuel. Votre approche mathématique tient-elle compte de l’avantage que peut représenter, dans le cadre d’une situation de monopole, la complémentarité entre les collectivités locales et ErDF, source d’une vraie cohésion ?

Vous nous avez par ailleurs invités à déterminer un décideur unique, tout en nous laissant la possibilité de choisir des modes de gestion différents pour les métropoles et les territoires ruraux. Compte tenu de l’inégalité entre les territoires, cette approche n’est-elle pas risquée ?

M. Thomas-Olivier Léautier. Madame la rapporteure, vous avez très bien résumé mon propos : le refus de choisir coûte plus cher. Je parlerai plus volontiers d’un système hybride que d’un système bâtard : toutefois, l’idée est la même. En restant au milieu du gué, nous ne bénéficions des avantages d’aucun des deux systèmes. Il appartient au Parlement de guider les choix.

La concurrence est bien un facteur de baisse des prix, comme le prouve mon iPhone. Le monopole de France Télécom n’aurait pas permis l’iPhone. Toutefois, le parc nucléaire français étant déprécié, durant les quinze premières années, l’introduction de la concurrence sur le marché de l’électricité français ne pouvait pas faire baisser un prix de l’électricité qui était déjà plus bas que celui de nos voisins européens. En revanche, la théorie économique et l’expérience suggèrent que le coût du renouvellement du parc de production, à compter de 2025 ou de 2035, sera moins élevé s’il est confié à différents opérateurs qui mettront différentes technologies en concurrence.

C’est vrai, il sera nécessaire à la fois de développer les réseaux de transport pour assurer les interconnexions et d’améliorer la coordination entre les opérateurs de réseaux. Toutefois, l’optimisation de la maille européenne des grands flux n’est pas incompatible avec une optimisation locale. Elle est même complémentaire dans le cadre de certaines problématiques. À mes yeux, dans cinquante ans, de grands réseaux européens très coordonnés et assurant la fluidité de la plaque européenne coexisteront avec des mécanismes d’optimisations locales.

Monsieur Baupin, c’est heureux qu’on ne construire à l’heure actuelle aucune centrale puisque le secteur de l’électricité est en surcapacité. En effet, au début des années 2000, en raison de l’importante croissance de la demande européenne, les électriciens ont beaucoup investi pour anticiper la demande qu’ils imaginaient pour 2010. Or la crise de 2008 a fait baisser la consommation électrique en Europe et les producteurs d’électricité sont aujourd’hui en surcapacité. Il y a sur le marché trop de moyens de production, d’autant que personne n’avait anticipé une entrée aussi massive des renouvelables. La situation actuelle se traduisant à la fois par une surcapacité conventionnelle, une baisse de la demande et une entrée massive des renouvelables, non seulement on ne construit aucune centrale, mais on va jusqu’à en fermer, ce qui est dommage car elles sont presque neuves.

M. Denis Baupin. C’est donc le temps court qui commande au temps long.

M. Thomas-Olivier Léautier. En raison d’une erreur d’anticipation.

La bonne nouvelle de la concurrence, c’est que cette erreur n’a aucun impact sur la facture de l’usager. Seuls les investisseurs des opérateurs qui ont surinvesti paient les conséquences de leur erreur d’appréciation. Par exemple, c’est aux investisseurs de GDF Suez et non pas aux clients d’assumer la dépréciation de 12 milliards d’euros des moyens de production qu’ils ont investis et qui ne sont pas rentables.

Lorsque la capacité se sera réduite et que nous nous orienterons vers un retour à l’équilibre, il faudra voir si les mécanismes de marché permettront de financer la construction de nouveaux moyens de production.

En théorie, monsieur Baupin, vous avez raison : il est toujours possible de répartir la gestion de la pointe entre effacements et mécanismes de capacité. En pratique, une telle répartition reste difficile à mettre en œuvre, en raison notamment du problème de l’anticipation et de la vérité des effacements. En effet, s’il est possible de prévoir la capacité de centrales pour 2018, comment, en revanche, un fournisseur peut-il s’engager à effacer dix gigawatts dans quatre ans ? Il ignore quel sera son portefeuille de clients à cette date.

De plus, un effacement se révèle toujours difficile à mesurer, puisque la mesure dépend d’une estimation de la consommation qui aurait eu lieu. Un industriel peut affirmer avoir dépensé quatre-vingts gigawatts au lieu de 100 et donc en avoir effacé vingt : c’est lui qui affirme qu’il aurait dû normalement en consommer 100. Qu’est-ce qui prouve qu’il n’en aurait pas effectivement consommé quatre-vingt-dix ?

Il n’est donc pas facile d’insérer l’effacement dans le mécanisme de capacité. Les opérateurs de réseau tendent à privilégier les centrales de production, ce qui diminue d’autant la valeur marginale des effacements. Les problèmes posés par l’effacement sont très compliqués : ils constituent un sujet de recherche sur lesquels nous travaillons en ce moment. Nous ne sommes pas encore parvenus à trouver de mécanisme cohérent.

Jean Tirole ne dit pas autre chose : il faut fixer un prix du CO2, qui est une externalité, en recourant soit à une taxe, soit au marché. L’Europe, sous la pression des États-Unis, a choisi le marché. Or le marché du carbone fonctionne très bien. Les quotas fixés reposaient sur une prévision de forte croissance économique : la crise ayant diminué les émissions de carbone, le prix du CO2 a baissé. Le marché fixe donc normalement le prix.

Si les pouvoirs publics français souhaitaient contrôler les émissions de gaz à effet de serre, ils y ont réussi : elles baissent en Europe, en raison, c’est vrai, de la crise économique. Si, en revanche, ils souhaitaient fixer le prix du carbone, ils auraient dû non pas recourir au marché mais créer une taxe. C’est ce qu’ils ont tenté de faire avec l’écotaxe, sans y réussir jusqu’à présent.

Monsieur Baupin, il n’est pas choquant que 41 milliards d’euros appartenant aux collectivités locales entrent dans le bilan d’ERDF, puisque, si les réseaux appartiennent effectivement aux collectivités locales, le concessionnaire qu’est ERDF inclut cette somme dans son passif et non dans son actif. Que le réseau E

DF reconnaisse dans ses comptes devoir 41 milliards aux collectivités locales me paraît donc tout à fait justifié. De même que les entreprises doivent de l’argent aux banques, ErDF, lui, en doit aux collectivités locales.

J’ai été trop vague sur la gouvernance cible des réseaux : je maintiens, en tant qu’économiste, que la juxtaposition de deux millefeuilles est inefficace. En revanche, décider de maintenir ou non un opérateur national intégré, pour en retirer les bénéfices en termes notamment de mutualisation et d’économies d’échelle, est un choix d’ordre politique, et l’économiste académique ne saurait apporter de réponse théorique en la matière. Si vous décidez de maintenir cet opérateur national intégré, vous devrez alors trouver le moyen d’intégrer en son sein la prise de décision locale, par exemple en créant des structures locales au sein desquelles les élus et ERDF négocieront entre eux des plans d’investissements. Le tout est d’éviter, je le répète, la juxtaposition de deux millefeuilles. Si vous répondez par la négative, alors, il convient, comme l’ont fait les Italiens, de laisser les collectivités territoriales qui le souhaitent reprendre en main leurs activités de distribution, le reste du territoire étant régi par ERDF seul. Le tout est de comparer les coûts et les avantages des deux systèmes : le choix, je le répète, est d’ordre politique.

Je rejoins le président Boiteux : les économistes sont plutôt opposés à la péréquation. J’habite à côté de la forêt de Sivens et ma maison est la dernière de la route. M’apporter l’électricité coûtant plus cher que dans le cas d’un Parisien, je devrais donc la payer plus cher. En revanche, si vous voulez me récompenser de participer à l’aménagement du territoire en habitant la campagne, faites-moi payer moins d’impôts ! Le président Boiteux a été très clair sur le sujet.

Si vous voulez réduire la consommation électrique, il faut augmenter son prix. Le président Boiteux l’a rappelé, le meilleur signal pour diriger la consommation des Français, c’est le prix. Le représentant de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) que vous avez auditionné l’a souligné : l’augmentation du prix de l’électricité en France diminuera mécaniquement la consommation de mégawattheures, ce qui laisse évidemment ouverte la question fondamentale de la précarité énergétique, qui s’aggravera à proportion que les prix augmenteront.

Le stockage est comme le saint graal de l’électricité : le jour où nous parviendrons à un stockage économique de l’électricité, nous changerons de modèle, du fait que l’ensemble des problèmes que nous connaissons aujourd’hui disparaîtra, notamment en termes d’équilibre à court terme entre l’offre et la demande. Toutefois, à lire les physiciens, ce n’est pas pour demain : selon eux, il ne faut s’attendre à aucune révolution en matière de stockage de l’électricité avant 2030, voire 2040.

Les économistes hésitent toujours à se prononcer sur les industries électro-intensives : ils sont en effet favorables à la vérité des prix – pour eux, les prix doivent toujours refléter les coûts –, tout en n’ignorant pas les problématiques de concurrence entre blocs géographiques. S’ils n’apportent pas de réponse limpide en la matière, ils sont toutefois convaincus que la subvention est préférable à la réduction du prix de l’électricité – c’est un principe d’économie générale : si les industriels connaissent le coût réel de l’électricité – il en est de même des simples consommateurs –, ils seront incités à recourir à l’effacement. Il conviendra alors de prévoir des compensations pour restaurer leur compétitivité et leur permettre de s’implanter sur le territoire. Je le répète : il est toujours mauvais d’altérer les prix, car cette pratique affecte la décision des consommateurs. Si vous voulez encourager l’industrie – c’est une préoccupation politique légitime –, il convient d’instaurer des subventions sur les taxes plutôt que de recourir à une modification des prix.

Je pense enfin que la gouvernance de l’électricité migrera vers les échelons local et européen : progressivement, la place de l’échelon national diminuera dans la gouvernance électrique. Les grandes décisions structurantes sur le mix énergétique devraient être prises au plan européen : je pense notamment aux grandes décisions sur l’avenir du nucléaire – les Français ne sont pas les seuls à bénéficier d’un parc nucléaire. Il en est de même des décisions relatives aux énergies renouvelables, qui affecteront toute l’Europe.

Prenons un exemple : les Allemands ont installé des panneaux photovoltaïques sur tout leur territoire, alors que le soleil y est rare. Une vraie politique européenne aurait conduit à installer ces mêmes panneaux en Italie ou en Espagne, ce qui aurait permis d’augmenter à un coût moindre la part des énergies renouvelables dans le mix européen global. Il en est de même du stockage : une vraie politique européenne conduirait à produire de l’électricité en Mer du Nord, puis à la stocker en Norvège avant de la redescendre plus au sud en fonction des besoins.

En tant qu’économiste, je pense qu’il existe, en matière de politique énergétique, un déficit de coopération au plan européen.

M. Alain Leboeuf, président. Je vous remercie, monsieur le professeur.

11. Audition, ouverte à la presse, de M. François Roussely,
président d’honneur d’EDF

(Séance du jeudi 6 novembre 2014)

M. Alain Leboeuf, président. Nous recevons M. François Roussely, président d’honneur d’EDF, à qui je souhaite la bienvenue. Monsieur le président, vous avez dirigé EDF de 1998 à 2004, moment charnière de l’histoire de l’entreprise puisque ces six années ont correspondu à la période d’élaboration de certaines des grandes décisions préparatoires à l’ouverture du marché de l’électricité. Dans le même temps, EDF prenait des positions internationales significatives, mouvement indissociable de l’ouverture des marchés de l’énergie. Dans l’ensemble, les acquisitions faites alors ont conforté l’entreprise ; elles lui apportent aujourd’hui une partie des ressources indispensables à son développement. Il n’est qu’à citer l’acquisition de British Energy qui a fait d’EDF le premier opérateur électrique en Grande-Bretagne, avec EDF Energy ; le Royaume-Uni vient d’ailleurs de décider de construire des centrales EPR. Ensuite, en 2010, dans un rapport consacré à l’avenir de la filière française du nucléaire civil, vous avez formulé des pistes d’avenir.

Notre commission d’enquête a tenu à vous entendre, au titre de « grand expert », vous exprimer sur l’architecture retenue pour aborder l’ouverture du marché avec le jeu complexe des relations, y compris financières, entre EDF, ERDF et RTE. Vous pourrez nous dire si des évolutions vous paraissent inéluctables ou simplement souhaitables dans la gouvernance ainsi construite du système électrique français, dont vous nous décrirez les atouts et les faiblesses. Vous pourrez aussi nous rappeler les difficultés ou même les batailles qu’il vous a fallu surmonter avec les directions de la Commission européenne, qui, à l’évidence, privilégie une optique bien particulière en matière de concurrence.

Avant de vous donner la parole, je vous indique qu’aux termes de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées par la commission d’enquête sont tenues, sans toutefois enfreindre le secret professionnel, de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. François Roussely prête serment.)

M. François Roussely, président d’honneur d’EDF. J’ai quitté la présidence de l’EDF il y a dix ans maintenant, et je suis sensible à l’honneur que vous me faites en souhaitant m’entendre, mais chacun des sujets – les tarifs, la Commission européenne, le service public – que vous avez mentionnés mériterait sans doute que l’on y consacre un jour.

Votre commission s’intéresse aux tarifs de l’électricité. Une entreprise telle qu’EDF a une énorme dimension financière et technologique. Son président parle d’investissements de plus de 50 milliards d’euros dans les années à venir ; le montant est considérable, et l’effet sur l’emploi et sur la recherche technologique le sera tout autant. Mais qui ne voit que les tarifs de l’électricité ont également une dimension sociale en ce qu’ils touchent tous les Français, les plus démunis au premier rang en dépit de tous les dispositifs mis au point ? Un équilibre doit donc être trouvé en permanence entre les valeurs qui inspirent le service public et l’efficacité économique.

Le client qui reçoit sa facture considère le tarif de l’électricité comme un tout. Mais si l’on regarde les choses de plus près sans se limiter à asséner des certitudes idéologiques, on constate que le tarif de l’électricité a des constituants différents – le coût de production ; les taxes ; la contribution au service public de l’électricité (CSPE) qui forme un bloc lui-même hétérogène –, dont les évolutions sont divergentes et pas nécessairement complémentaires. En réalité, les tarifs de l’électricité hors taxes ont diminué en valeur constante. La CSPE représente plus de 60 % de l’augmentation des tarifs, et les charges qui la constituent sont disparates, 60 % de cet accroissement étant lui-même lié à l’incitation au développement des énergies renouvelables ; quant au coût du tarif de première nécessité, il ne représente qu’entre 5 et 6 % de cette charge. La CSPE, les taxes et le coût de l’électricité évoluent donc dans des proportions très différentes ce qui, dans certains cas, change complétement la physionomie de la concurrence puisque l’équivalent du tarif de première nécessité, pour le moment – l’assiette du chèque énergie sera plus large – ne pèse que sur l’électricien.

Il ne faut pas oublier que les tarifs de l’électricité dont la France a bénéficié jusqu’à une date très récente ont été, objectivement, les plus bas d’Europe. Le constat de l’évolution de ce que payent les consommateurs allemands, italiens et belges suffit à montrer combien la situation de l’économie française a été privilégiée. Je regrette que l’on n’indique pas plus nettement, lorsqu’on analyse des Trente Glorieuses, l’effet qu’a eu le prix de l’énergie et singulièrement le prix de l’électricité pour les industriels, qui a été en partie subventionné par les tarifs payés par les ménages ; c’était un bon choix pour la ré-industrialisation de notre pays au lendemain de la Deuxième guerre mondiale. Si l’on a pu créer une industrie chimique, une industrie sidérurgique, une industrie du papier, toutes industries électro-intensives, c’est notamment parce que les prix de l’électricité étaient les plus bas. Ce prix est aussi un élément d’efficacité par rapport à d’autres sources d’énergie ; en partant d’une même base et avec un indice 100, l’évolution comparée des coûts va du simple au triple, de 100 pour l’électricité à 200 ou 300 pour le fuel domestique ou le gaz de ville. Le prix de l’électricité est donc un élément considérable de compétitivité pour notre pays.

Je me garderai d’oublier la facture globale que paye le consommateur, et donc l’aspect social de la question. Mais l’on ne peut, par le prix de l’électricité, faire toutes les politiques sociales transversales comme si elles n’avaient pas une incidence financière et industrielle sur les comptes de l’entreprise. On ne peut attendre d’une entreprise qu’elle finance des investissements aussi considérables qu’il a été dit et considérer en même temps qu’une partie de ses recettes peut être ainsi maniée, certes pour d’éminentes raisons sociales, sans que cela ait de conséquences sur la vie de l’entreprise. Qui dit recettes en moins quand, au dernier moment, on réduit de moitié l’augmentation tarifaire qui avait été fixée alors qu’elle a été calée sur les coûts réels, signifie qu’EDF devra s’endetter. Outre que c’est plus coûteux, cela a de sérieuses conséquences dès lors que l’entreprise évolue dans un monde ouvert à la suite de l’application des directives européennes.

À tout le moins, le système tarifaire doit couvrir les coûts complets. Si ce n’est pas le cas, on entre dans une course-poursuite de retards, ce qui aura nécessairement pour conséquence un réaménagement tarifaire à un moment ou à un autre, avec des augmentations importantes mais sans rapport avec l’évolution des coûts et l’efficacité de l’entreprise. Quand on décide, comme on aurait peut-être dû le faire plus tôt, de développer les énergies renouvelables – d’origine photovoltaïque ou éolienne –, faire assumer à l’électricien des charges d’incitation a un coût que l’on ne peut passer par pertes et profits en pensant que les tarifs sont des tarifs administrés. La réflexion sur le rôle des entreprises publiques dans les politiques sociales a amené depuis longtemps à des comparaisons, et l’on sait par exemple que ce n’est pas uniquement par le biais des tarifs de la SNCF que l’on mène une politique familiale. Si l’on veut essayer de traiter a posteriori la situation des plus démunis, ce ne peut être seulement en demandant à EDF de financer cette action.

J’ai entendu M. Lula da Silva, ancien président du Brésil, me dire que l’eau et l’électricité devraient être gratuites, tant était grande leur importance dans la vie sociale. Je lui avais répondu, avec tout le respect que je lui devais, qu’il était de sa responsabilité que ces biens soient distribués gratuitement aux clients, mais qu’il était de la mienne de dire que, puisque l’on ne produisait pas tout à coup l’électricité gratuitement au Brésil, ce coût devait être supporté par quelqu’un. Quand on parle de tarifs, ces deux aspects doivent toujours être distingués.

Vous avez mentionné la dimension européenne de la question. Lorsque j’ai pris mes fonctions, en 1998, on m’a laissé six mois pour faire ce qui n’avait pas été fait au cours des six années précédentes. Je me suis efforcé de m’acquitter de cette tâche dans des conditions aussi satisfaisantes que possible en respectant les directives du Gouvernement, mais je continue de penser – et je sais que vous avez entendu le président Boiteux, qui pourrait en parler plus savamment que moi – que nous avons eu tort de nous rendre et d’appliquer une directive dont on voyait qu’elle ne s’appliquait pas bien à l’électricité. Les règles de libéralisation tendent à identifier les gestionnaires d’infrastructures et les opérateurs, considérant que plus nombreux sont les opérateurs, plus ils se font concurrence, plus les prix baissent et plus le consommateur est heureux ; c’est une absurdité pour un produit comme l’électricité, qui ne se stocke pas. Pour assurer la valeur essentielle du service public qu’est la continuité du service de l’électricité à l’heure de pointe – entre 20 heures et 21 heures – dans les jours qui vont venir, on sera amené à mettre en service un moyen de production supplémentaire – barrage, centrale nucléaire ou centrale thermique – qui, peut-être, ne servira qu’une fois l’an. Quel investisseur privé consentira à des investissements considérables dont la rentabilité ne sera assurée que par une heure de fonctionnement dans l’année ?

On voit bien que par essence, dès lors que l’on est attaché à quelques valeurs du service public, notamment la continuité et la qualité du service, il y a nécessairement une dose de régalien dans le fonctionnement d’une industrie très capitalistique et dont la rentabilité de l’investissement ne peut être le seul guide. Assigner à l’État d’être un bon actionnaire, c’est avoir une vision courte. Si, à EDF, l’État était simplement un bon actionnaire, jamais on n’aurait construit une centrale nucléaire. On aurait construit des centrales à cycle combiné gaz. Quand le prix du gaz est bas, cela aurait donné le sentiment d’avoir fait quelque chose d’efficace, rentabilisé en deux ou trois ans ; mais quand le prix du gaz est élevé, la centrale aurait dû être fermée !

Ce disant, je ne plaide pas nécessairement pour n’avoir que du nucléaire ; je dis qu’en ce domaine, il faut une vision de long terme et que l’intérêt collectif n’est pas assuré uniquement par la rentabilité et les critères financiers habituels. Pour l’État, être un bon investisseur en matière d’énergie, c’est garantir l’indépendance énergétique et le développement durable. Aussi, je pense que les gouvernements français qui se sont succédé au cours de la décennie 1990 ont essayé de convaincre que la « libéralisation » – selon le terme repris dans les directives – n’était pas applicable mécaniquement au marché de l’électricité comme elle l’est au transport aérien ou même à celui du gaz, qui se stocke et dont le prix a des fluctuations moins erratiques. Ensuite, comme les convertis de la dernière heure, nous avons dépensé beaucoup d’énergie à traduire dans les faits cette directive, en ouvrant le marché d’abord pour les gros clients puis, progressivement, pour l’usage domestique.

Nous savions pertinemment que cela fragiliserait le système électrique à un moment ou à un autre, non par prescience mais parce que la grande panne qui a affecté à cette époque le quart Nord-Est des États-Unis en a donné une preuve tangible : le manque de coordination entre les gestionnaires de réseaux de transport et l’opérateur a causé l’effondrement du système et plongé cette partie du pays dans le noir pendant près de trois jours. Et, plus près de nous, ce qui devait être la première Nuit blanche à Rome s’est transformé en nuit noire en raison d’une panne générale du système électrique.

Plusieurs États, aux États-Unis, reviennent à une forme de régulation. Aujourd’hui, la libéralisation mérite d’être tempérée par des considérations d’intérêt général. Si l’on garde à l’esprit la définition du service public, on s’aperçoit – mais pour notre grand malheur, nous sommes le seul pays au monde à l’avoir démontré – qu’un système de monopole régulé aboutissait au même résultat que ce que l’économie libérale souhaite : les prix les plus bas du marché associés à la meilleure qualité de service. Pour ce qui est des prix, les statistiques sont incontestables ; quant à la qualité de service, elle se mesure en temps de coupure, et il était il y a 10 ans de moins d’une heure pour le monopole régulé sur l’ensemble du territoire, dans sa diversité urbaine et rurale. Dans aucun pays en Europe, à la veille de la libéralisation, le temps de coupure était aussi faible qu’en France – je ne parle pas des régions de taille beaucoup plus petites, avec un univers complétement urbain, où la notion de panne ou d’intempérie n’a pas d’effet.

Si l’on veut continuer de mettre en avant les principes sur lesquels l’entreprise a été fondée en 1946 – la meilleure qualité de service en tous points du territoire et l’égalité de traitement en tous lieux, que l’on habite au pied d’un barrage ou que l’on en soit très éloigné, alors il faut tempérer les considérations d’efficacité économique par les considérations relatives à l’intérêt général, qui peuvent prendre des aspects sociaux et environnementaux.

EDF est une référence dans le monde et, dans les années 1960, M. Marcel Boiteux et ses collègues ont démontré que l’on peut, avec un monopole régulé, parvenir à la même efficacité économique que lorsqu’on est dans le marché avec un système de tarification au coût marginal. L’inverse reste à démontrer : est-ce que, dans une économie de marché, on est capable de réintégrer de façon non cosmétique des préoccupations sociales et environnementales ? Quels mécanismes réintroduire pour assurer, à côté de l’efficacité économique dont on juge notamment par les ratios d’endettement, une dimension sociale indiscutable dans le secteur de l’énergie, a fortiori dans un pays comme le nôtre ?

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Je vous remercie, monsieur Roussely, pour la limpidité de cet exposé. L’architecture actuelle du système électrique français combine monopole et concurrence ; considérez-vous que ce dispositif soit à l’origine de coûts supplémentaires, eux-mêmes répercutés sur les consommateurs, ménages ou entreprises ? La France devrait-elle inciter ses partenaires à une révision des règles communautaires relatives au marché de l’électricité ? Doit-on traiter les questions énergétiques à l’échelle européenne pour recomposer ce marché en tenant compte des considérations que vous avez rappelées ? Comment, par ailleurs, protéger nos entreprises – notamment nos entreprises électro-intensives qui disent se trouver en grande difficulté – de la concurrence d’homologues étrangères qui bénéficient, en dépit de tous les professions de foi libérales, d’une énergie très largement subventionnée ? Enfin, nous venons d’adopter en première lecture le projet de loi relatif à la transition énergétique ; dans ce nouveau cadre, celui d’un temps long, comment prendre en compte au mieux l’intérêt général dans l’évolution du marché de l’électricité, en France et en Europe ?

M. Denis Baupin. Quel jugement portez-vous sur le droit à « l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique » (ARENH), qui est l’une des conséquences de la directive ? Sa durée de vie et son niveau de prix vous semblent-ils pertinents ? Comment ce dispositif devrait-il fonctionner ?

Le prix de l’électricité est très bas sur le marché de l’électricité européen en raison de la surcapacité de production, en base en tout cas ; pour la pointe, c’est autre chose. Que devrait faire EDF, dont les capacités de production sont excédentaires, pour réduire éventuellement ses coûts, puisque coûts et tarifs sont liés ?

En ma qualité de rapporteur de la commission d’enquête relative aux coûts de la filière nucléaire, je suis préoccupé par les investissements à venir, considérables, alors que l’entreprise est déjà endettée et qu’elle va, de plus, investir dans des installations à l’étranger. Quel est avis sur la situation économique et l’endettement d’EDF ?

Les projets de réacteur pressurisé européen (EPR) en cours de réalisation rencontrent des difficultés, aussi bien en France qu’en Finlande, avec des surcoûts et des délais qui s’allongent. Dans le même temps, EDF s’apprête à construire deux EPR en Grande-Bretagne à un coût pharamineux, avec un montage financier certes validé, pour l’instant, par la Commission européenne, mais qui prévoit un prix d’achat garanti pendant 35 ans et une aide d’État pour la construction. Cela ne corrobore-t-il pas votre position historique sur ces installations ? On sait ma position à ce sujet, mais pour ceux qui sont favorables à une troisième génération de réacteurs nucléaires, l’EPR est-il l’outil adéquat ?

Enfin, jugez-vous que les conclusions de votre rapport relatif à l’avenir de la filière française du nucléaire civil ont été suffisamment prises en compte ?

M. Michel Destot. C’est à l’énergie que M. Louis Gallois a consacré le premier chapitre du rapport qu’il a remis au Gouvernement à l’automne 2012. Il soulignait que le fait de devoir importer une quantité énorme d’hydrocarbures plombait sérieusement notre capacité de ré-industrialisation. Depuis lors, deux ans se sont écoulés pendant lesquels le Gouvernement s’est attaché à définir une politique de ré-industrialisation, sans peser sur la réduction des coûts énergétiques. Nous importons essentiellement des hydrocarbures et nous exportons, de temps en temps, de l’électricité. Ces exportations sont sans doute une bonne chose pour notre commerce extérieur, mais contribuent-elles à réduire les tarifs de l’électricité sur le marché français ?

Quand on compare le coût de l’électricité d’origine nucléaire et le coût des énergies renouvelables, ne tient-on pas trop compte des frais d’exploitation et de fonctionnement, et pas suffisamment du coût de la recherche-développement ? Le CEA a réalisé des investissements considérables pour la recherche en matière nucléaire ; cela a représenté une chance pour la France, mais aussi une très forte dépense. Nous éprouvons malheureusement des difficultés pour investir dans les mêmes proportions afin de parvenir à une efficacité aussi grande, à terme, pour le photovoltaïque et l’éolien. Qu’en pensez-vous ?

M. Jean-Pierre Gorges. Je vous remercie, monsieur le président, pour votre exposé très éclairant. Estimez-vous que la consommation d’électricité baissera un jour en France ? Pensez-vous qu’il y ait compatibilité entre énergies nouvelles renouvelables et tarif unique dans un cadre de libéralisation ?

Le projet de loi relatif à la transition énergétique donne un coup d’arrêt au nucléaire. Pourtant, quand on a participé à la commission d’enquête relative aux coûts de la filière nucléaire, on ne peut manquer de considérer que la solution passe par les réacteurs de quatrième génération qui, en recyclant l’uranium, porteront de 110 à 7 000 ans la durée de la réserve de combustible. Jugez-vous la transition énergétique possible en France sans énergie d’origine nucléaire ?

M. François Roussely. Vous m’avez demandé, madame la rapporteure, si l’organisation du système électrique français découlant de la libéralisation et dont l’épine dorsale est RTE, est optimale, et si elle a un coût. Quand survient une rupture importante sur une ligne à haute tension à la suite d’un événement météorologique, on dispose d’un gros quart d’heure pour procurer au réseau une ligne de substitution et des moyens de production supplémentaires. Cela suppose à la fois une proximité fonctionnelle et l’habitude de travailler ensemble. Ces propos n’ont rien d’idéologique : je le sais de science sûre, car nos collègues américains nous l’ont dit. La « grande panne » américaine a été due à ce que, les opérateurs travaillant dans une assez large indépendance, on a mis plusieurs heures à trouver les numéros de téléphone des différentes centrales. Avec RTE, les présidents successifs d’EDF ont maintenu ce que le président de la SNCF fait aujourd’hui sous une autre forme et qui donne la même indication. Il faut sans doute une séparation des coûts, car si l’on croit à la nécessité d’une certaine proportion de concurrence dans ces réseaux, d’autres producteurs, français ou étrangers, doivent avoir accès au réseau historique. À cet égard, personne en France n’a jamais dit que RTE manquait à ses devoirs ou aurait acheminé de l’électricité pour un gestionnaire de réseau à des tarifs moins favorables ou dans un temps plus long que pour EDF.

L’efficacité du fonctionnement du système électrique est prouvée, mais elle suppose une proximité physique, comme il en existe une à Saint-Denis où est installé le centre national d’exploitation du système électrique, et une liaison opérationnelle, de manière qu’en cas de crise il n’y ait pas trois responsables mais un seul : le président d’EDF. Les connexions et la manière empirique dont le système a été conçu doivent garantir à la fois l’efficacité et l’indépendance quand il en faut. Si les systèmes avaient été conçus autrement, il y a très longtemps, on aurait pu imaginer une épine dorsale de RTE en courant continu, courant qui dégage moins de chaleur, ce qui permet de fondre plus facilement les installations dans le paysage. On ne doit jamais perdre de vue qu’il s’agit d’une industrie et que la valeur de la continuité du service est considérable. Il faut donc s’attacher à ce que les rapports opérationnels entre les responsables soient fréquents, quotidiens, habituels. À force de dire aux gens, quels que soient les secteurs dans lesquels ils travaillent, qu’ils sont indépendants, ils finissent par le croire, et dans ce type de situation, ce peut être fâcheux. Insistons, de grâce, sur l’aspect opérationnel et concret.

La question des industries électro-intensives est compliquée. L’histoire de ces industries, et notamment de celles qui ont défrayé la chronique dans certaines vallées des Pyrénées ou des Alpes, montre que leurs différentes fabrications, notamment l’aluminium, ont été produites à des prix, je vous l’ai dit, largement subventionnés, ou en tout cas bien plus bas que ceux du marché. On ne peut dire que les industriels concernés en aient tout le temps profité pour investir et se moderniser. Détail piquant : ils ont souvent revendiqué l’ouverture du marché à une plus grande concurrence pour ne pas rester en tête à tête avec EDF ; l’ennui, c’est que l’ouverture s’est traduite par une hausse des tarifs. Si les investissements nécessaires avaient été faits pendant cette période, ces industries auraient moins de difficultés aujourd’hui. Quand tout à coup les prix montent parce que l’on est dans une économie de marché et que l’interconnexion est faite entre les réseaux de pays où l’électricité est chère et ceux de pays où elle est moins chère, il est certain que l’effet souhaité n’a pas été obtenu – et les prix de l’électricité ont pratiquement doublé sur le marché de gros.

On conçoit que les dirigeants des industries pour lesquelles l’électricité représente entre 60 et 70 % des coûts se préoccupent des tarifs. Mais ils ne peuvent se limiter à dire : « Garantissez-nous un prix de l’électricité dans les quarante ans qui viennent » sans investir, eux aussi, dans les moyens de production. Si les industries électro-intensives ne comptent que sur les opérateurs ou sur le marché, s’ils ne participent pas à l’effort, aucun électricien ne trouvera les moyens d’investir sur quarante ans en leur garantissant la stabilité des prix. Le projet Exceltium est une première étape à ce sujet. On ne peut faire supporter uniquement à l’opérateur historique, EDF, des choix de long terme. Je sais combien les institutions financières de toute nature, banques ou Caisse des dépôts, étaient réticentes à assumer une partie du risque. Donc, les industries électro-intensives portent une part de responsabilité.

Au passage, on peut vouloir développer la production d’aluminium à Dunkerque, mais l’on sait aussi que cette fabrication peut se délocaliser en Afrique du Sud, qui a un avantage compétitif considérable. Compte tenu du coût de la main-d’œuvre dans l’extraction du charbon – faite dans des conditions inégalement conformes à l’idéal que l’on se fait du développement durable –, des ressources charbonnières sud-africaines et du fait que l’usine d’aluminium est installée sur le carreau de la mine, nous ne serons jamais complétement compétitifs avec ce pays. Il serait vain de se fixer comme objectif de poursuivre une course visant à établir des prix aussi bas avec les mécanismes techniques, industriels et environnementaux que l’on a en Europe. La mondialisation a aussi cet effet-là ; on ne peut faire des reconstructions artificielles, et en tout cas pas sans la contribution des intéressés.

Doit-on, m’avez-vous aussi demandé, aller vers moins de nucléaire ? L’énergie nucléaire a beaucoup apporté à la France qui – le constat n’a pas changé depuis 50 ans –, n’a pas de ressources énergétiques autres. Nous ne sommes pas l’Allemagne, où l’on rouvre des mines de charbon et de lignite ; si cela se passait en France, je ne sais ce que l’on entendrait… Je ne vois pas comment nous pourrions nous passer du nucléaire, qui a apporté à notre pays l’indépendance énergétique, volet important de l’indépendance nationale ; je rappelle que, les bonnes années, nous importions à peu près l’équivalent de la production annuelle de pétrole du Koweït, payable en dollars.

La part du nucléaire dans la production d’électricité française devait-elle être de 80 % ? Je ne sais, et je n’en fais pas une question de dogme. Pour la transition énergétique, on table sur l’évolution de la demande et sur d’autres moyens de production pour parvenir à l’équilibre. Toutefois, et ce disant je n’engage que moi, on voit bien que l’évolution de la consommation est moindre qu’il y a 30 ou 40 ans, mais plus soutenue qu’on l’envisageait il y a quelques années. Ces besoins peuvent être couverts par d’autres moyens de production conduisant à un équilibre qui sera jugé plus satisfaisant.

Pour autant, faut-il imaginer sortir du nucléaire ? L’exemple de l’Allemagne montre que pour remplacer les centrales nucléaires on rouvre des mines de charbon et de lignite, mouvement dont on voit mal comment il se concilie avec les certificats de CO2 et les exigences du développement durable, mais qui se fait pourtant, et dans l’indifférence majeure des Européens, alors que ce n’est pas un bon signal. D’autre part, on ne remplacera pas le « tout nucléaire » par le « tout éolien ». On voit bien la fragilité du système énergétique allemand aujourd’hui : l’excès de production en Allemagne, quand il y en a, n’est pas dommageable pour le système électrique allemand dès lors qu’il exporte l’électricité excédentaire et que nous avons le bon goût d’arrêter des centrales nucléaires, moyens de production moins coûteux, pour accueillir l’énergie allemande qui, autrement, mettrait en péril le système de l’Allemagne, fondé, comme ailleurs, sur l’équilibre de l’offre et de la demande à chaque nanoseconde. C’est ainsi que l’on a procédé à des délestages en différents endroits du territoire français et mis des gens en difficulté pour pouvoir en contrepartie, les jours sans vent, permettre de rétablir l’équilibre du système électrique allemand. Aussi bien, je ne vois pas comment nous pourrions nous passer du nucléaire. Le rendre moins dominant, soit, si l’on veut bien faire dire aux énergies renouvelables ce qu’elles sont capables de faire ; mais, quoi qu’il en soit, on ne comblera pas toute la place occupée par l’énergie d’origine nucléaire dans le système électrique français par le photovoltaïque, à supposer qu’on sache le stocker correctement, ou par l’énergie d’origine éolienne, dont on sait le caractère instantané.

Que dire, après M. Gallois, du coût de l’énergie ? Il a singulièrement baissé quand on a pu industrialiser les modes de production. Les barrages ne sont pas, historiquement, sans poser des problèmes environnementaux dans certains pays, et les ressources hydrauliques constituent un ensemble fini en ce qu’il ne peut s’étendre : on peut certes user d’un système de pompage-turbinage pour créer des lacs artificiels alimentés la nuit et utilisés aux heures de pointe, mais cela demande que la géographie s’y prête. La ressource hydraulique ne peut donc être développée à l’infini, et l’on considère généralement que l’on a équipé à peu près tous les sites. La part de l’électricité produite dans des centrales thermiques à flamme est très réduite car cela suppose d’importer du charbon et, en dépit des technologies du charbon propre, les objectifs environnementaux ne sont pas encore satisfaits de manière que cette production puisse beaucoup se développer.

Ce qui nous a permis de réduire la structure des coûts, c’est la construction de 58 réacteurs nucléaires que je dirai identiques par facilité de langage, avec des gains de productivité considérables et des coûts d’installation significativement plus bas que dans n’importe quel autre pays. Cela est dû au fonctionnement du même attelage – le triptyque constitué par le CEA, Framatome à l’époque et EDF –, qui a permis de rationaliser les coûts de fabrication et d’exploitation, une rationalisation favorisée par l’association de l’exploitant à l’ingénierie de construction. La production en série a permis un énorme abaissement des coûts. Sera-t-on capable de le refaire à l’avenir ? C’est l’objectif assigné à la génération de réacteurs suivante.

M. Baupin m’a demandé mon sentiment sur l’ARENH. En tant que citoyen et en tant qu’ancien président d’EDF, je ne souscris pas, et je pèse mes mots, à l’idée que ce soit un devoir, en conscience, de permettre à nos concurrents d’accéder à un prix de l’électricité qu’on leur devrait au titre d’une certaine idée de l’intérêt général alors qu’à ma connaissance ce tarif n’a pas évolué depuis trois ans et qu’il ne correspond plus aux coûts. Que, dans un souci d’ouverture du marché, à supposer qu’il soit autant porteur d’avantages que l’on dit, on fixe un tarif, les prix pratiqués doivent avoir un rapport avec la structure des coûts complets d’EDF. On demande déjà à l’opérateur historique de subventionner ses concurrentes, les énergies renouvelables, tant qu’elles n’ont pas atteint un état de maturité industrielle qui leur permette de vivre. Sauf à pratiquer une auto-flagellation permanente qui est rarement le mobile d’une politique industrielle, je ne vois pas l’intérêt que notre pays peut avoir à vendre de l’électricité, ou à permettre à des électriciens de s’approvisionner, à un prix qui n’a aucun rapport avec les coûts. On peut le faire pendant des périodes transitoires, pas de manière durable.

L’EPR n’est pas un réacteur d’une nouvelle génération : c’est la forme modernisée de la dernière tranche installée à Civaux et à Chooz et il y a une quinzaine d’années. Si ce n’est qu’il réduit un peu le taux de déchets et améliore légèrement l’efficacité énergétique, ce modèle de réacteur n’apporte pas d’innovation bouleversante. Les difficultés rencontrées me paraissent assez naturelles au début d’une série – on le voit pour l’industrie automobile, dont les productions sont autrement plus simples que celles de l’industrie nucléaire. Qu’Areva, qui était de surcroît associée à d’autres acteurs que ceux avec lesquels elle avait construit jusqu’à présent, ait rencontré des difficultés en Finlande n’est que naturel. Il reste à démontrer qu’à Flamanville on sait mieux faire. Le gouvernement britannique, bien que ne partageant pas exactement la même tradition de service public et d’entreprise publique que la nôtre, le pense : il a choisi EDF et l’EPR pour développer sa politique énergétique.

J’ai confiance en l’EPR, mais j’observe un double paradoxe. Les centrales nucléaires avaient été conçues pour durer une trentaine d’années. Il appartenait bien sûr aux pouvoirs publics et à EDF de mettre en construction le type de centrale par lequel on remplacerait celles qui devraient l’être, nombre pour nombre et technologie pour technologie. Savoir maintenant que la durée de fonctionnement des réacteurs peut être étendue à 50, voire 60 ans, est a priori une bonne nouvelle économique : ces investissements, déjà amortis, auront une meilleure rentabilité. Mais, d’une certaine manière, ce n’est pas une bonne nouvelle industrielle parce que cela signifie que l’EPR, auquel on a travaillé vingt ans, n’a plus de raison d’être dans l’immédiat, sinon à l’exportation, puisque des pays aussi divers que la Chine, l’Afrique du Sud, l’Égypte ou la Pologne ont des besoins à satisfaire. Mais l’EPR n’est pas complètement adapté à l’exportation : une production de 1 500 mégawatts n’est pas nécessairement ce dont les pays émergents ont besoin et des adaptations devront être faites pour proposer une offre diversifiée.

Je suis assez confiant. Que le gouvernement britannique ait choisi ce modèle, opéré par EDF, va dans le bon sens, tout comme le fait qu’une grande partie des risques soit assumée par le gouvernement britannique dans un protocole d’accord négocié entre les gouvernements et les opérateurs. Que n’aurait-on dit – vous le premier, sans doute, monsieur Baupin – si la Commission européenne avait émis la moindre objection à l’équilibre ainsi trouvé avec le gouvernement britannique ! Je ne tiens pas nos collègues européens et la Commission elle-même pour des défenseurs absolus de l’entreprise publique et de ce que représente EDF ; je tire même de conversations, longues et nombreuses, avec Mario Monti la conviction inverse. Il y a donc là quelque chose de plutôt encourageant.

Il est vrai que la génération suivante sera plus intéressante, avec un taux de combustion plus élevé et moins de déchets. Ces réacteurs devraient arriver sur le marché en 2040 ou en 2050 ; entre-temps, il faut un produit correspondant à l’EPR, que l’on installera au fur et à mesure que l’on en aura besoin, en fonction de l’âge des centrales et de leur état. À ce propos, je souligne que notre pays est le seul au monde où, dès que l’Autorité de sûreté soulève une question générique à propos d’une de nos centrales, l’ensemble du parc se modernise et applique la mesure. C’est plus coûteux en maintenance, mais cela entraîne des visites décennales qui sont bien plus satisfaisantes et un fort taux de qualité, attesté par les rapports successifs de l’Autorité de sûreté.

J’en viens à la question posée par M. Destot à propos de la recherche-développement. Le général de Gaulle avait compris que la politique énergétique, et surtout nucléaire, ne devait pas être mise en une seule main. Il a donc défini un tripode original : au CEA la recherche fondamentale, à Creusot-Loire devenu Framatome la politique industrielle, et à EDF l’exploitation, tout en associant les deux derniers au sein de Sofinel qui porte l’ingénierie, pour s’assurer que celui qui opérera ces centrales aura été au cœur de leur construction. Ainsi facilite-t-on la compréhension du fonctionnement du réacteur par l’opérateur et le dialogue avec l’Autorité de sûreté. Aujourd’hui, il faut refonder, au moins en partie, la coopération entre ces trois pôles qui ont fait le succès de la filière nucléaire française : on voit bien que la recherche, qui était en partie portée par Areva et EDF, sera fragilisée car, dans une économie de marché, les actionnaires veulent souvent une rentabilité plus rapide. Cela ne doit pas se faire au détriment de la recherche-développement, et il faut renforcer le CEA.

J’en viens à l’endettement. L’actuel président d’EDF, M. Henri Proglio, a dû vous dire que l’une de ses missions a été de restaurer l’équilibre financier de l’entreprise, rendu difficile par différentes acquisitions et une conjoncture, en termes de tarifs et d’investissements, qui avaient fait croître l’endettement dans de grandes proportions. La situation financière d’EDF me paraît maintenant très satisfaisante, et l’entreprise est tout à fait à même d’envisager les investissements qui lui sont confiés dans le grand carénage, qui englobe la modernisation régulière du parc et des mesures complémentaires de sûreté « post-Fukushima » et « post-11 septembre 2001 ». À la demande de l’Autorité de sûreté, plus de 50 milliards d’euros seront consacrés aux différentes installations. Mais encore faut-il avoir une idée claire de la manière dont on envisage leur durée de vie : on ne peut dépenser quelques milliards indistinctement comme si tout le parc allait être entièrement prolongé à 60 ans, ce qui paraît justifié aux yeux de l’Autorité de sûreté, si l’on souhaite, selon l’approche retenue pour la transition énergétique, moduler les durées de vie des centrales.

Je veux rassurer M. Baupin qui semblait inquiet sur l’avenir d’EPR : la co-entreprise créée en Chine entre EDF et CGNPC a construit deux EPR qui sont au même stade d’avancement que celui de Flamanville, peut-être même un peu plus avancés, et tout laisse à penser qu’ils fonctionneront tout aussi bien que les modèles européens.

Rien de ce qui figure dans mon rapport ne diffère de ce que je vous ai dit aujourd’hui. Ce qui a fait la force de la proposition nucléaire française, c’est la capacité de faire travailler ensemble, à chaque époque, la recherche la plus sophistiquée, celle du CEA, et sur le plan de l’ingénierie, Framatome-Cogema-Areva et EDF. Il en résulte que la France offre un « service après-vente » à nul autre pareil. Chaque nouvelle centrale vendue est jumelée à une centrale existante. C’est très rassurant pour les pays qui se lancent pour la première fois dans l’aventure industrielle qu’est l’industrie nucléaire : ils savent que leurs opérateurs, s’ils éprouvent la moindre difficulté, décrocheront leur téléphone et appelleront l’opérateur qui a l’expérience d’une installation identique et dont les antécédents en matière de mesures de sûreté sont exceptionnels. Mais, encore une fois, EDF et Areva doivent comprendre que chacun d’eux pris isolément a moins d’avantages différentiels que lorsqu’ils présentent une offre conjointe ; cela n’a pas toujours été le cas. C’est ce sur quoi j’ai insisté dans le rapport.

J’ai ajouté à cela quelques considérations plus politiques, en soulignant que la politique industrielle d’un pays se construisant dans la durée, la puissance publique ne doit pas l’envisager de manière fragmentée mais continue. Cela suppose un engagement, au sommet de l’État, du ministre et de ses collaborateurs, et je me suis interrogé sur les conditions dans lesquelles, dans le passé, certaines situations s’étaient laissé développer dans une certaine indifférence ministérielle, tous gouvernements confondus. Pour des choix aussi long, il faut réaffirmer la volonté politique d’une stratégie et, si possible, s’y tenir car il n’y a pas une électricité de droite et une électricité de gauche ; de ce point de vue, on a progressé.

Si cela ne tenait qu’à moi, monsieur Gorges, on ne sortirait pas du nucléaire. Je pense que l’on doit s’engager sans réticence dans la transition énergétique, mais avec l’idée que le nucléaire doit y occuper une place, et une place importante.

La consommation électrique diminuera-t-elle ? On constate une réduction des consommations identifiées pour un processus industriel donné : chaque patron d’industrie a à cœur d’y parvenir. Mais, en même temps, de nouvelles catégories de population accèdent à une consommation d’électricité dont elles ne bénéficiaient pas auparavant, et l’on constate dans tous les pays du monde que la consommation d’électricité ne diminue pas avec la crise, au contraire – on l’a vu en Argentine.

Je pense que les réacteurs de génération IV apparaîtront à la fin de ce siècle, mais les difficultés d’ordre scientifique que l’on rencontre chemin faisant ne sont pas programmables.

Faut-il faire quelque chose à l’échelle européenne ? Au moment de quitter la présidence de la Commission européenne, M. Jacques Delors avait indiqué dans un petit « livre rouge » certaines pistes qui lui semblaient devoir être empruntées pour cimenter la construction européenne. L’une d’elles était bien sûr le développement des interconnexions, car il pensait que la politique énergétique était l’une des politiques transversales qui pouvaient marquer l’Europe. Les réseaux sont interconnectés jusqu’à l’Oural, et les poches de marché particulièrement attractives, compte tenu des prix, sont souvent ce que l’on appelle les « îles électriques », la Grande-Bretagne, l’Espagne et l’Italie notamment. Les flux d’échanges entre les réservoirs de production comme on en trouve en Russie avec l’hydraulique et ces poches de consommation disent la nécessité d’interconnexions. Jusqu’à présent, la notion de déclaration d’utilité publique n’existait qu’en droit français, et ce n’est que récemment que le concept en a été introduit dans le droit européen. Cela permettra d’aller un peu plus vite mais, pour l’instant, compte tenu de la multiplicité des procédures à satisfaire, la création d’une ligne interconnectée entre deux pays européens demande presque dix ans. L’objectif que fixait M. Jacques Delors n’a pas pris une ride et il pourrait très utilement être repris aujourd’hui.

La France est-elle un « grenier à kilowatts », comme on disait de certains pays, au XVIIe siècle, qu’ils étaient des greniers à grain ? Je ne sais, mais je pense les interconnexions indispensables et à la sauvegarde de notre système électrique en cas de difficulté et au développement économique. Mais j’en reviens à la question des tarifs : une partie des augmentations constatées sur le marché de gros en France tiennent au fait que les prix allemands sont significativement plus élevés que dans notre pays, à cause de la sortie du nucléaire et de la remise en état ou de la création de parcs énergétiques dans l’ancienne RDA. Qui dit « interconnexion » doit dire aussi « égalisation des conditions financières », et donc des coûts et des tarifs.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Hier, exemples à l’appui, M. Boiteux nous a dit que l’État avait par le passé fait peser sur EDF des contraintes qui n’avaient que peu à voir avec la mission de l’entreprise. Vous avez pour votre part évoqué une certaine indifférence de la puissance publique, laissant entendre que la tutelle a pu être mal exercée. Quelle est votre perception de la manière dont l’État joue son rôle ?

M. François Roussely. Un certain ministre de l’industrie s’était illustré par la phrase : « Trop d’État, trop d’ENA !». Je ne pense pas que pour opérer des choix aussi stratégiques que la politique énergétique on ait à souffrir de « trop d’État » : on peut souffrir d’un « mal État » dans les modalités ou les méthodes d’intervention, mais l’on n’a jamais souffert de ce que l’État dise explicitement ce qu’il attend des entreprises publiques. Quand on reprend l’histoire de la politique énergétique de notre pays, on constate une forte dose d’impulsion étatique, et aussi une forte confiance faite à la direction d’EDF. Bien sûr, la crainte de tout dirigeant d’entreprise publique est que les fins d’exercice et de mandat soient pénibles et que l’État soit tenté d’essayer d’alléger sa propre tâche. Ce n’est pas arrivé si souvent pour EDF, au contraire. Il est vrai que l’entreprise a servi à son actionnaire des dividendes avec une régularité de métronome pendant une vingtaine d’années, sans que l’État ne mette un centime. J’aimerais d’ailleurs que l’on rappelle, au moment de faire des tirades contre le nucléaire ou contre la façon dont il a été financé, ce qu’a été le juste retour pour les contribuables.

M. Denis Baupin. Mais vous omettez le coût de la recherche-développement.

M. François Roussely. Il n’est pas un État où la recherche n’a pas été assumée par la puissance publique, dans des conditions analogues. Ceux qui ont financé le programme électronucléaire français, ce sont les usagers français et les épargnants américains. La recherche menée entre les deux guerres à des fins militaires aurait suivi son cours de toute manière ; elle a été en quelque sorte mise à disposition dans tous les pays du monde et n’a pas coûté un centime supplémentaire aux contribuables.

Ce qui me paraît important est que les choix ne soient pas faits par à-coups, par le biais d’investissements à l’étranger ou par une politique tarifaire que l’on entendrait modérer subitement pour des raisons qui peuvent être légitimes. Un pas intéressant vers la bonne gouvernance a été la création de l’Agence des participations de l’État (APE), destinée à unifier, pour ne pas dire centraliser, le point de vue de l’État, qui peut, sinon, s’exprimer sous diverses facettes selon que l’on est au ministère des finances, au ministère de l’industrie ou au ministère de l’énergie et du développement durable. Mais l’APE ne remplace pas le regard politique sur des opérations qui, à mon avis, auraient pu interpeller un peu plus les pouvoirs publics – j’entends par là des initiatives prises aussi bien par EDF que par Areva et qui ne se sont pas révélées aussi complétement prometteuses que cela avait été envisagé. Il est important de poursuivre au niveau politique le mouvement engagé par la création de l’APE en créant un secrétariat général à l’énergie - comme il existe un Comité de politique nucléaire placé auprès du chef de l’État, ce qui est une bonne chose – où les ministres qui se sentent concernés se retrouveront autour du président de la République pour traiter de ces questions. Ce dont les dirigeants d’une entreprise ont besoin, c’est d’orientations claires. Pour la mise en œuvre, on peut par définition leur faire confiance, mais sans mise en perspective générale, on est tenté d’agir au jour le jour et l’on commet des erreurs à répétition.

Singulièrement dans les temps de difficultés économiques, aucun gouvernement ne peut se désintéresser de ce qui se passe dans son industrie. Cela doit se faire de manière continue, non pour exercer une tutelle tatillonne mais pour vérifier que les orientations fixées sont respectées. La création de l’APE et du comité de politique nucléaire va dans le bon sens mais, en matière de politique industrielle, la tutelle doit s’exercer continûment, a fortiori dans des industries où la durée de vie des équipements est d’un demi-siècle sinon d’un siècle.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Monsieur Roussely, je vous remercie.

12. Audition, ouverte à la presse, de M. Jean Desessard, sénateur de Paris, ancien rapporteur d’une commission d’enquête sénatoriale sur le coût de l’électricité (juillet 2012)

(Séance du mercredi 12 novembre 2014)

M. Alain Leboeuf, président. Nous recevons, ce soir, un de nos collègues sénateurs, M. Jean Desessard.

Son invitation devant notre commission d’enquête n’est évidemment en rien inquisitoriale. Il nous a simplement paru opportun de l’entendre au titre de sa fonction de rapporteur de la commission d’enquête sénatoriale sur le coût réel de l’électricité afin d’en déterminer l’imputation aux différents agents économiques.

Ce travail, mené sur un sujet voisin de nos réflexions, a abouti, voici deux ans, à un volumineux rapport nourri par un grand nombre d’auditions et de déplacements sur différents sites. Vous avez en outre, monsieur le sénateur fait usage de vos pouvoirs d’investigation de rapporteur pour obtenir de la direction générale de l’énergie et du climat du ministère de l’écologie des informations sur les tarifs de rachat du photovoltaïque et sur les glissements du coût de la filière EPR.

Il ne nous appartient pas de porter ici une quelconque appréciation sur les débats internes à une commission sénatoriale, pas plus que sur les conditions d’approbation de la publication de ce rapport. Chacun des différents groupes politiques a d’ailleurs tenu à faire figurer sa contribution en annexe.

Nous allons vous écouter avec une grande attention, car il n’est pas de source plus parlante que celle du rapporteur d’un travail aussi considérable. Au-delà de la lecture d’un tel document, vos rappels et vos impressions constitueront pour nous des informations précieuses.

Vos conclusions pointaient notamment l’existence d’une surconsommation électrique française. Elles soulignaient, en outre, la nécessité d’instaurer un monopole du transport et de la distribution, indépendant des producteurs donc d’EDF. Une telle perspective suppose une profonde révision de l’architecture qui prévaut depuis la libéralisation du marché de l’électricité.

Vous vous prononciez également en faveur d’une réappropriation locale voire régionale de la production et de la distribution. Dans quel cadre cette ambition vous paraît-elle réalisable ?

Enfin, vous appelez de vos vœux une plus grande responsabilisation des consommateurs domestiques mais aussi industriels, en passant d’une situation de consommation largement subie, voire passive, à celle du « consom’acteur ».

M. Jean Desessard, sénateur. Je vous remercie pour votre invitation. Vous avez parfaitement restitué les travaux de notre commission d’enquête dont le sujet était proche du vôtre, il est vrai. Notre ambition était sans doute plus large mais nous ne sommes pas parvenus à l’assouvir complètement, s’agissant notamment de l’imputation aux différents agents économiques.

À défaut de dépasser les divergences inhérentes à la composition plurielle d’une commission d’enquête, traitant du nucléaire de surcroît, nous nous sommes accordés sur quelques constats.

Premier constat partagé, le prix de l’électricité va inexorablement augmenter, et ce pour trois raisons principales : la progression des coûts de production, celle des dépenses de transport et de distribution ainsi que l’augmentation des taxes.

S’agissant des coûts de production, l’électricité d’origine thermique sera renchérie par les variations dans la disponibilité des ressources. Quant à l’énergie nucléaire, l’augmentation de son prix, qui est admise par tous, y compris ses partisans, est considérée positivement car elle résulte largement de l’amélioration de la sécurité. Pour l’EPR, nous avions estimé le coût à 110 euros le mégawattheure, ce qui n’est pas loin des prix annoncés aujourd’hui. Quant aux énergies renouvelables, elles restent encore onéreuses. L’éolien terrestre coûte environ 82 euros le mégawattheure, tandis que l’éolien offshore demeure très cher. En revanche, on espérait pour le photovoltaïque des prix rapidement compétitifs. Enfin, le coût de l’hydraulique est sous-évalué ; de l’avis général, ce mode de production est le plus intéressant, mais nous n’avons pas les moyens de le chiffrer – les intentions du Gouvernement sur le renouvellement des concessions qui en fournirait l’occasion restent floues.

S’agissant du transport et de la distribution, les investissements nécessaires tant en faveur de la maintenance du réseau que de la création de nouvelles lignes et d’interconnexions avec d’autres modes de production ne manqueront pas de renchérir le coût. Il est néanmoins très difficile d’évaluer le surcoût induit par l’existence de nouveaux centres de production par rapport au coût de la maintenance habituelle.

Enfin, l’augmentation des taxes, en particulier de la contribution au service public de l’électricité (CSPE), est inévitable pour poursuivre l’effort en faveur des énergies renouvelables et la lutte contre la précarité énergétique.

En deuxième lieu, nous nous sommes accordés sur la nécessité de diminuer la consommation.

En effet, si le prix du kilowattheure est faible en France, la consommation est très élevée ; la facture finale de l’électricité est ainsi équivalente à celle de l’Allemagne, dont le kilowattheure est beaucoup plus cher.

Nous avons été étonnés d’apprendre que le chauffage – alors même qu’EDF a fortement incité les consommateurs à s’équiper en convecteurs électriques pour utiliser l’électricité produite par les centrales la nuit – n’était pas le seul responsable de cette consommation anormalement élevée. Des trois usages de l’électricité – chauffage, eau chaude et cuisson, électricité spécifique – c’est cette dernière qui pèse sur la consommation en raison de son besoin croissant ces dernières années. Néanmoins la consommation de cette électricité employée pour des usages pour lesquels aucune autre source d’énergie n’est possible – ordinateur, téléphone portable, etc… – apparaît bien moindre en Allemagne. Alors que les pouvoirs publics ont pris des mesures en matière de chauffage, des actions doivent être mises en place pour diminuer la consommation d’électricité spécifique. La loi sur la transition énergétique est l’occasion de proposer des remèdes à ces excès.

Nous avons longuement travaillé sur la variabilité des modes de production et de consommation, l’amplitude de cette dernière étant de plus en plus grande sur une journée et sur une année.

Pour résoudre ce problème, nous avons exploré plusieurs pistes : la première est le stockage : le stockage hydraulique grâce aux stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) fait figure de solution la plus intéressante, mais nous ignorons le potentiel d’installation en France de nouvelles stations, EDF nous ayant opposé le secret pour seule réponse. Les Suisses savent pleinement tirer parti de leurs nombreuses STEP : ils achètent l’électricité à bas prix et la revendent lorsque la demande est très forte, s’assurant ainsi un bénéfice important. Quant à la pile à hydrogène, dont l’entreprise Air Liquide nous dit depuis dix ans qu’elle est une formidable solution, il semble malheureusement que la technologie ne soit pas prête à être déployée à grande échelle.

Autre piste, l’effacement. Cette technique consiste, pour faire face aux pics de demande en fin de journée, non pas à développer de nouveaux moyens de production thermique qui fonctionneraient seulement quelques jours par an, mais à obtenir de certaines industries, grandes consommatrices, qu’elles ne fonctionnent pas à ce moment-là. L’effacement – l’arrêt de l’activité – est rémunéré au prix qu’aurait coûté la production à ce moment-là, prix nécessairement élevé. Aujourd’hui, et c’est une nouveauté, le prix de l’électricité varie non seulement selon la saison, mais aussi selon l’horaire. De plus en plus de contrats sont établis quelques jours à l’avance, voire la veille. Il existe une bourse du marché de production de l’électricité. La complexité réside donc dans la détermination du prix de l’effacement. Les sociétés qui gèrent aujourd’hui l’effacement connaissent d’ailleurs des difficultés. Le concept de l’effacement est bon mais sa mise en œuvre reste perfectible.

Afin d’évaluer les investissements nécessaires pour les vingt prochaines années, nous avons retenu trois scénarios qui tous reposent sur un nécessaire effort de baisse de la consommation : le premier, est celui d’un développement du nucléaire grâce à la quatrième génération ; le deuxième est celui de la sobriété, donc dans lequel la part du nucléaire est réduite ; le troisième combine le maintien du nucléaire et développement des énergies renouvelables. Mais chaque scénario se heurte à des obstacles : pour le premier, nommé « Nucléaire nouvelle génération », les techniques ne sont pas encore au point ; pour le scénario mixte, c’est-à-dire le troisième, il faut choisir entre les centrales actuelles ou de nouvelles centrales pour conserver la part de nucléaire souhaitée et si on choisit l’EPR, on affaiblit néanmoins la pertinence de ce scénario au profit du premier. Enfin, s’agissant du scénario de la sobriété, il faut savoir gérer la période de transition : à quelle vitesse réduire la part du nucléaire ? Comment s’assurer du développement des énergies renouvelables ? Comment résoudre le problème de la variabilité de la production ?

La réponse, très politique, à ces nombreuses questions appartient à la Représentation nationale et au Gouvernement.

Nous nous sommes interrogés sur le coût du nucléaire avec la prudence que commandait la diversité des sensibilités sur le sujet. Nous avons analysé les nombreuses incertitudes qu’avait déjà soulignées la Cour des comptes : le mode de calcul des investissements nécessaires, la sécurité, le coût du démantèlement des centrales, dont EDF assure qu’il est le plus faible d’Europe en dépit de son absence totale d’expérience en la matière, enfin l’enfouissement, et plus généralement le traitement et le stockage des déchets. Le tableau des incertitudes que nous avons présenté montre une variation importante des coûts.

S’agissant des déchets, je vous recommande la visite du site de Bure. Il n’est pas certain que le procédé retenu apporte les garanties attendues en matière de réversibilité. En Allemagne, le choix de l’enfouissement dans une mine de sel s’est également révélé hasardeux. La question du stockage est donc loin d’être réglée.

Enfin, il ne faut pas négliger le coût d’un accident nucléaire. Aujourd’hui personne n’accepte d’assurer un tel risque. Il reviendrait donc à l’État de le faire.

En tenant compte de ces nombreuses incertitudes, nous avons évalué le montant des investissements pour les vingt prochaines années à 400 milliards d’euros dont 150 milliards pour la production, 140 milliards pour le transport et la distribution et 110 milliards pour les programmes de réduction de la consommation.

Nous nous sommes également interrogés sur le statut de l’opérateur de transport. En d’autres termes, RTE doit-il dépendre d’EDF, ou peut-il mener une politique indépendante ? La commission a néanmoins posé le principe du maintien du statut public de l’opérateur.

En matière de gouvernance, nous nous sommes intéressés à la décentralisation du service public de l’électricité, prenant l’exemple des entreprises locales de distribution. Les communes qui ont choisi après la guerre de conserver leur entreprise locale de distribution se félicitent plutôt aujourd’hui de leur autonomie par rapport à EDF. L’exemple de la commune de Montdidier démontre combien les habitants apprécient les politiques de proximité en matière de production de l’énergie. Le rapport pose la question : la loi doit-elle permette aux communes de revenir aux entreprises locales de distribution ? En allant plus loin, on peut même s’interroger sur le statut de ces entreprises : peut-on envisager le recours à des entreprises privées ou doit-on conserver des sociétés d’économie mixte ?

Quant au tarif progressif de l’électricité, je défendais, comme M. Brottes, l’idée selon laquelle plus on consomme, plus on paie. Mais nous avons constaté que ceux qui consomment le plus sont les habitants des logements les moins bien isolés. On leur infligeait ainsi en quelque sorte la double peine : à la précarité énergétique venait s’ajouter le tarif progressif. De fait, la loi s’est éloignée d’une stricte application du tarif progressif.

Nous n’avons pas tranché le débat sur les compteurs et les réseaux intelligents qui participent à la gestion de la variabilité de la production. Les membres de la commission étaient partagés sur le compteur Linky entre partisans d’un déploiement rapide et partisans d’un délai permettant d’améliorer encore cet outil.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Dans votre rapport, vous plaidez pour la vérité des prix. Vous préconisez notamment la mise en place d’un chèque énergie et d’un tarif progressif. Mais j’avoue rester un peu sur ma faim : face à l’augmentation inéluctable des coûts que vous soulignez, comment prenez-vous en compte le pouvoir d’achat des ménages et les contraintes des industries électro-intensives ?

Vous proposez un nouveau modèle territorial tout en pointant l’exception française que constitueraient la péréquation et la garantie d’un prix unique sur tout le territoire. Pouvez-vous développer ce point ?

Vous soulignez les coûts de la centralisation. Pouvez-vous être plus précis de même que sur la gouvernance et de la tutelle que vous avez effleurées ?

Avec le recul, quels sont les éléments qui ont changé depuis la présentation de votre rapport ? Vos conclusions et solutions seraient-elles les mêmes ? Vous nous avez ainsi fait part de l’évolution de votre opinion sur la progressivité des tarifs.

Enfin, que pensez-vous du nouveau mode de calcul des tarifs par empilement ? Est-il plus proche de la vérité des prix que vous souhaitez ?

M. Jean Desessard. Je ne suis pas sûr d’être en mesure de répondre à certaines de vos questions, très pointues.

La commission d’enquête sénatoriale a été créée à la suite du rapport de la Cour des comptes faisant état des incertitudes sur le coût du nucléaire. Notre ambition était de lever ces dernières. Nous avons néanmoins été contraints à plus d’humilité car certaines incertitudes demeurent. Alors que le nucléaire est présenté par ses partisans comme l’énergie la moins chère, nous avons également cherché à étudier les autres modes de production d’électricité.

De nombreuses questions restent non résolues. Nous avons progressé sur plusieurs points. Nous savons désormais que le prix de l’électricité va augmenter tout comme le prix du nucléaire. En revanche, les prix des énergies renouvelables ont beaucoup baissé. C’est vrai pour l’éolien terrestre pour lequel néanmoins se pose la question des possibilités d’implantation de futures éoliennes. L’éolien offshore reste très cher, bien plus qu’au Danemark – de l’ordre de 60 à 70 euros – sans raison apparente. Les prix du photovoltaïque seront certainement très intéressants dans deux ou trois ans.

La question de la gestion de la variabilité reste posée : comment alimenter les réseaux lors des pics de consommation ? Cela nécessite, entre autres, des investissements dans le transport de l’électricité produite par les énergies renouvelables, au cours duquel il est désormais avéré que la perte d’énergie est faible.

Le prix du nucléaire est évidemment conditionné par la durée d’amortissement des centrales – quarante ans –, mais il faut également prendre en compte les temps d’utilisation au cours de l’année. EDF calcule la rentabilité sur un temps d’utilisation global alors que le marché à court terme prend de plus en plus d’importance, de sorte que, certains jours de l’année, l’éolien peut à terme devenir plus compétitif que le nucléaire.

Or, EDF a établi sa rentabilité sur la base d’une utilisation à 85 %. Il faut donc pouvoir garantir à EDF d’acheter la production de ces centrales à un prix qui ne correspond pas nécessairement à celui du marché. Il faut vraiment que l’État soit sûr de son projet pour accepter un tel effort.

Le pouvoir d’achat reste un sujet de préoccupation. Il faut se préparer à une énergie plus chère. Pour autant, la précarité énergétique doit-elle être prise en charge par les consommateurs au nom de la solidarité au travers de la CSPE ? La question est posée. Il faut à tout le moins aider ceux qui n’ont pas les moyens de rénover des logements mal isolés.

La solution pour conserver une facture finale identique en dépit de la hausse des tarifs réside inévitablement dans la diminution de la consommation. Cela suppose la mise en place de programmes d’isolation thermique et d’actions ciblées sur l’électricité spécifique.

Sur le modèle territorial, le rapport suggère d’expérimenter le marché libre de proximité. Mais il reste au stade du questionnement.

Ce sujet est délicat car, ce qui a fait la force d’EDF, c’est un appareil national très performant qui permet d’offrir un service public garantissant un prix identique pour tous. Ce principe doit être conservé.

Mais l’innovation et l’existence des réseaux intelligents obligent les citoyens à s’en emparer. Tout ne peut plus être centralisé. Les citoyens doivent être acteurs de la production et de la consommation. Il faut sans doute leur faire jouer un rôle dans la gestion de la variabilité tout en préservant un service public de qualité.

Quant aux industries électro-intensives, certains considèrent que la place des usines d’aluminium ne peut être qu’en Norvège… Cette boutade cache néanmoins une interrogation légitime : sommes-nous capables de produire de manière compétitive pour certaines usines qui consomment énormément ? Quel coût représente pour le contribuable le maintien sur le territoire de ces industries alors que l’énergie devient chère ? Certains lieux en Europe sont probablement plus propices à certaines activités que d’autres. L’hydraulique offre peut-être une solution pour fournir une énergie bon marché.

Enfin, existe-t-il un autre mode de stockage que l’hydraulique pour gérer la variabilité ? L’hydrogène, qui semble une solution intelligente, n’apparaît pas encore rentable : pour l’hydraulique, la perte en ligne d’énergie, qui serait de l’ordre de 20 à 25 %, est compensée par une gestion astucieuse des creux et des pics. Pour l’hydrogène, en l’absence de données fiables, la perte serait de 45 à 50 %. Or, le prix de l’électricité varie de 10 à 150 euros, voire 200 euros, selon les périodes. Compte tenu de ces chiffres, je ne comprends pas pourquoi l’hydrogène ne se développe pas.

Mme la rapporteure. Le nouveau mode de calcul par empilement des différentes composantes du coût vous semble-t-il aller dans le sens de la vérité des prix que vous réclamez dans votre rapport ?

M. Jean Desessard. Je m’interroge encore. J’espère que le Gouvernement s’emparera des conclusions des travaux parlementaires pour les traduire en mesures concrètes.

Vous avez pointé les questions importantes : comment garantir le service public de l’électricité avec des acteurs plus autonomes, un marché libre européen et une bourse de l’énergie ? Quels sont les éléments constitutifs du prix – la production, le transport, mais de plus en plus le moment de la consommation ? Peut-on fixer un prix différent pour les particuliers et les entreprises ?

Enfin, il faut savoir que le prix du kilowattheure en Allemagne intègre une part de taxe sociale. Dans le débat actuel sur le transfert des cotisations sociales, il est intéressant de noter que les éléments constitutifs du prix peuvent déborder du cadre de la production d’énergie pour tenir compte de la variabilité mais aussi d’autres critères, peut-être plus politiques.

M. Alain Leboeuf, président. Monsieur le sénateur, nous vous remercions.

13. Audition, ouverte à la presse, de M. Xavier Pintat, sénateur, président de la Fédération nationale des collectivités concédantes et des régies (FNCCR), et de M. Pascal Sokoloff, directeur général

(Séance du mercredi 12 novembre 2014)

M. le président Hervé Gaymard. Nous sommes heureux de recevoir M. Xavier Pintat, sénateur, président de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), ainsi que M. Pascal Sokoloff, qui en est directeur général.

La FNCCR est ancienne : elle a été créée en 1934. Elle fédère quelque 600 collectivités et structures adhérentes. Sa compétence s’étend aux réseaux d’électricité et de gaz, mais aussi aux réseaux d’eau et d’assainissement ainsi qu’aux communications électroniques avec, par exemple, le développement en cours du très haut débit.

C’est bien entendu le domaine de la distribution d’électricité qui retient l’attention de notre commission, même s’il peut s’avérer opportun d’intégrer à nos réflexions des comparaisons, voire des analogies, avec le secteur du gaz.

En France, les collectivités territoriales sont propriétaires des réseaux de distribution électrique. Le plus souvent regroupées en syndicats intercommunaux ou départementaux, elles délèguent par contrat leurs réseaux à des concessionnaires, principalement à Électricité réseau distribution France (ERDF), qui leur versent des redevances. En leur qualité d’autorités organisatrice du service public, elles sont aussi garantes du service rendu aux usagers.

Vous voudrez bien nous préciser quels sont les montants financiers globalement en jeu, tant pour les redevances que pour les investissements actuellement programmés ou restant à définir, tout en rappelant comment s’exerce la maîtrise d’ouvrage.

Cette architecture peut paraître complexe. Elle relève de l’histoire riche et variée de l’électrification de notre pays. Est-elle toutefois spécifique à la France, voire dérogatoire par rapport aux schémas existants dans d’autres pays européens ?

Il conviendra également que nous nous interrogions sur le rôle actuel du Fonds d’amortissement des charges d’électrification (FACE), structure créée il y a près de quatre-vingts ans, et dans laquelle EDF semble conserver une responsabilité importante en matière de gestion.

Messieurs, nous allons vous écouter dans un premier temps au titre d’un exposé liminaire. Puis, les membres de la mission engageront un échange qui débutera par les questions de notre rapporteure, Mme Clotilde Valter.

En vertu de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve, notamment, des dispositions de l’article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel. Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu’elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Il n’est toutefois pas de tradition de demander à un collègue sénateur de prêter serment devant une commission d’enquête. Le directeur général de la FNCCR, M. Sokoloff, sera donc seul tenu à cette obligation. Je vous demande de lever la main droite et de dire : « Je le jure »

(M. Pascal Sokoloff prête serment.)

M. Xavier Pintat, président de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies. Créée en 1934, la FNCCR est une association de collectivités locales spécialisée dans les services publics locaux de distribution d’électricité, de gaz, d’eau, d’assainissement, de communications électroniques. En matière d’énergie, elle regroupe la quasi-totalité des collectivités dotées de cette compétence ; en matière d’eau et d’assainissement, 80 %.

Pour ce qui concerne la fourniture et la distribution d’électricité, un cahier des charges nous unit à ERDF et à EDF dans une relation contractuelle tripartite.

Les autorités organisatrices de la distribution publique d’électricité (AODE) sont constituées sous forme de syndicat intercommunal ou bien de syndicat mixte, structure sur laquelle j’insiste car elle est susceptible d’accueillir, au-delà des communes, des conseils généraux, des conseils régionaux, les futures entités que seront les métropoles.

La FNCRR joue le rôle de bureau d’études au service des communes, propriétaires des réseaux de distribution d’électricité. Elle a pour mission de contrôler la bonne exécution des missions de service public et d’effectuer la maîtrise d’ouvrage des travaux d’électricité relevant des AODE, c’est-à-dire en zone rurale, qu’il s’agisse de l’extension, du renforcement ou de la sécurisation des réseaux.

Notre financement repose sur trois ressources : 377 millions d’euros par an au titre du FACE, qui, depuis qu’il a été transformé en compte d’affectation spéciale, est bien identifiable dans le budget de l’État ; 250 millions d’euros au titre des redevances de concessions ; 400 millions d’euros au titre de la taxe sur la consommation finale d’électricité, soit environ 20 % de son produit total.

Le montant des investissements réalisés chaque année par les AODE oscille entre 800 millions et 1 milliard d’euros, soit le quart des investissements totaux, les trois autres quarts étant effectués par ERDF.

Nous inscrivons nos réflexions sur la tarification de l’électricité dans la perspective de la transition énergétique.

Nous souhaitons que les investissements sur les réseaux de distribution d’électricité soient mieux programmés localement. De récents apports législatifs peuvent nous y aider. D’une part, la loi sur la nouvelle organisation du marché de l’électricité, dite NOME, a mis en place des conférences départementales portant sur les bilans et perspectives en matière d’investissements énergétiques. D’autre part, le projet de loi relatif à la transition énergétique a prévu un comité national du système de distribution publique de l’électricité chargé de dégager une vision globale de ces programmes d’investissements décidés au niveau départemental.

Nous jugeons par ailleurs opportun de favoriser l’optimisation des investissements effectués sur les réseaux de distribution de l’électricité. Cela implique une répartition plus flexible de la maîtrise d’ouvrage entre les concédants et ERDF afin de les encourager à se grouper pour certains marchés de fournitures et de travaux, et donc de minimiser les coûts grâce à des effets d’échelle.

Nous considérons que la couverture tarifaire des investissements des AODE doit être clarifiée. Pour ce faire, nous proposons d’inclure la contribution d’ERDF au FACE et les redevances de concessions dans le compte de régulation des charges et des produits. En outre, nous souhaitons que le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) couvre les travaux des concédants, afin d’éviter à ERDF une trop lourde charge dans les investissements qui lui sont contractuellement dévolus.

Enfin, le remplacement du tarif de première nécessité par le chèque énergie appelle à nos yeux une transition plus longue, de nature à préserver les acquis du système actuel. Pendant une certaine période, les deux dispositifs pourraient ainsi cohabiter, en orientant, par exemple, l’utilisation du chèque énergie vers l’achat d’énergies autres que l’électricité ou le gaz et le financement de dépenses d’amélioration énergétique des logements.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Mes questions porteront sur l’organisation actuelle de la FNCCR. Un rapport sénatorial évoque le coût de la centralisation ; qu’en pensez-vous ? Les liens fonctionnels et financiers existant entre EDF, ERDF et Réseau de transport d’électricité (RTE) pèsent-ils sur le dispositif territorial ? Percevez-vous les conséquences de cette organisation en matière de gouvernance ? Enfin, les syndicats sont-ils affectés par les décisions de l’État à travers la tutelle qu’il exerce sur l’opérateur ?

M. Pascal Sokoloff, directeur général de la FNCCR. Madame la rapporteure, la FNCCR a la faiblesse de considérer que la dualité du système électrique français – à savoir sa double nature, centralisée et décentralisée – présente plus d’avantages que d’inconvénients.

Sa centralisation, héritage de l’organisation industrielle de la production d’énergie mais aussi d’une volonté politique, a le mérite, dans le contexte actuel de crise économique, sociale, environnementale, de garantir le maintien d’une cohésion sociale et territoriale suffisante pour la fourniture d’un bien, l’électricité, qui n’est pas un produit comme les autres. Il nous semble essentiel de préserver cette dimension de solidarité dans le fonctionnement du système électrique. De ce point de vue, la centralisation, autrement dit le portage par l’État de certaines missions, apparaît plus que jamais nécessaire.

Quant à la décentralisation, caractéristique que le système électrique a su conserver à travers son histoire, elle répond aussi aux enjeux de notre époque, à commencer par la décarbonation. Le rapprochement entre centres de production et organisation de la distribution d’électricité que suppose la promotion des énergies renouvelables milite en faveur d’un renforcement du rôle des AODE. De la même manière, l’essor de réseaux intelligents de distribution d’électricité, fondés sur la capacité à mettre en équilibre injections d’énergies intermittentes et soutirages modulés selon les profils de consommation, pourra tirer profit du savoir-faire des collectivités de proximité que sont les AODE, à même de mieux veiller à l’adaptation de leurs réseaux à des contraintes de production plus locales.

Le bon équilibre entre centralisation et décentralisation garantit une convergence entre enjeux de solidarité nationale et adaptation du système énergétique à la lutte contre le changement climatique. Il nous semble donc important de conserver le bénéfice de cette organisation originale.

Ajoutons que les AODE sont des structures intercommunales de grande taille : dans les deux tiers des départements français, la totalité des communes desservies par ERDF sont regroupées dans un grand syndicat ; dans le tiers restant, il existe fréquemment un grand syndicat qui regroupe la majorité des communes. Cette caractéristique leur permet d’établir un bon compromis entre effets d’échelle indispensables pour optimiser les politiques locales énergétiques et proximité avec le citoyen consommateur sur le terrain.

S’agissant du coût de fonctionnement du point de vue de l’opérateur, la FNCCR considère qu’il est important de donner à ERDF les moyens d’exercer sa mission à travers une couverture tarifaire satisfaisante, d’autant que l’État a fait le choix d’organiser le groupe sous forme de sociétés de droit privé, ce qui implique un certain niveau de rémunération. Elle estime qu’en contrepartie, un dispositif de gouvernance des investissements doit venir garantir le respect de la trajectoire d’investissements définie conjointement par les parties prenantes, notamment l’opérateur qu’est ERDF et l’autorité de régulation qu’est la Commission de régulation de l’énergie (CRE).

Le système actuel présente des faiblesses : la trajectoire définie par la CRE n’est pas respectée. Depuis 2009, les investissements d’ERDF ont toujours été inférieurs aux hypothèses retenues par le régulateur pour élaborer le TURPE, sauf en 2011, où ils lui ont été supérieurs. Or le TURPE est calibré pour permettre à la filiale de s’acquitter de ses missions d’investissements, déterminantes pour la qualité de l’électricité. Ces décalages invitent à une réflexion sur la gouvernance des investissements.

En ce domaine, une étape importante a été franchie avec la loi NOME et la mise en place de conférences départementales de programmation des investissements, qui fonctionnent aujourd’hui de manière satisfaisante sur l’ensemble des départements après des débuts difficiles. Chaque année, sous l’égide du préfet, autorités concédantes et concessionnaire se réunissent pour dresser le bilan des investissements réalisés et pour définir d’un commun accord les investissements à programmer en se fixant certains objectifs de qualité.

Le projet de loi relatif à la transition énergétique semble offrir une prolongation de ce dispositif à travers une deuxième étape que nous pourrions qualifier de consolidation nationale des programmes départementaux, jusqu’à présent l’élément manquant dans la gouvernance des investissements. Dans sa rédaction actuelle, le texte prévoit la création d’un comité national du système de la distribution publique d’électricité, chargé de dégager une vision nationale à partir de l’empilement des programmes définis au niveau départemental, vision qui pourrait également bénéficier à la CRE. Nous pourrions imaginer que, dans un mouvement inverse, descendant et non plus ascendant, le comité émette ensuite des avis à l’intention des maîtres d’ouvrage, c’est-à-dire les AODE et le concessionnaire, ce qui semble bien l’intention du législateur.

D’autres améliorations visant à améliorer l’efficience des investissements sont envisageables.

L’organisation de la maîtrise d’ouvrage porte la marque de la décentralisation. Un principe général veut que les autorités concédantes assument la maîtrise d’ouvrage en zone rurale et le concessionnaire en zone urbaine. Toutefois, en réalité, de fortes variations existent d’un département à un autre, d’une concession à une autre : dans certains territoires, il arrive que les autorités concédantes aient une activité de maîtrise d’ouvrage des réseaux plus importante qu’ERDF.

Compte tenu de ces disparités, nous préconisons d’introduire davantage de flexibilité dans l’organisation de la maîtrise d’ouvrage, de façon que, selon les territoires, concessionnaire et autorité concédante acceptent que l’un ou l’autre de jouer un rôle prépondérant, y compris pour les travaux sur les réseaux de moyenne tension, traditionnellement du ressort d’ERDF.

Dans le même esprit, il nous semble judicieux d’encourager les groupements de commandes entre concédants et concessionnaires, de manière à obtenir de meilleurs prix sur les marchés publics et donc à minimiser le coût des travaux sur les réseaux publics de distribution de l’électricité.

M. Alain Leboeuf. Lors de son audition devant notre commission d’enquête, la semaine dernière, Thomas-Olivier Léautier, professeur à l’université de Toulouse et membre de l’école d’économie de Toulouse, nous a invités, avec une pointe de provocation, à avoir le courage de ne pas laisser perdurer une gouvernance bicéphale des réseaux, d’une part, parce qu’elle implique un doublement des moyens humains se consacrant au même objet, d’autre part, parce qu’elle aura pour conséquence une multiplication par un et demi des investissements colossaux qui doivent être effectués dans les années à venir – notamment en matière de smart grids. Qu’en pense la FNCCR ?

M. Xavier Pintat. La réflexion sur la gouvernance doit aussi prendre en compte les aspirations des départements à devenir autorités organisatrices à la place des communes. Ils se sont investis dans le domaine de l’énergie en proposant des services à la carte comme l’éclairage public, or ceux-ci ne sauraient se confondre avec le cœur du dispositif, à savoir la distribution de l’électricité sur tout le territoire à qualité, quantité et prix identiques à travers la péréquation, mission dans l’accomplissement de laquelle les communes jouent un rôle essentiel.

Premièrement, elles sont propriétaires des réseaux d’électricité de moyenne et basse tension.

Deuxièmement, à travers les syndicats intercommunaux dans lesquels elles se sont regroupées, elles exercent leurs compétences en matière d’électricité au plus près du terrain, à l’échelle de la parcelle, du plan local d’urbanisme, échelle pertinente pour l’électrification. Les conseillers municipaux sont susceptibles de se mobiliser rapidement dans les situations qui appellent une grande réactivité. Lors des tempêtes qui ont dévasté la Gironde, nous avons pu voir comme les élus locaux ont su résoudre les problèmes, notamment de rétablissement de l’électricité, alors que les services de la sous-préfecture ne répondaient pas.

Les conseils généraux, eux, ne peuvent entretenir une telle relation de proximité. Certes, nous comprenons leurs motivations : les départements aimeraient diversifier leurs ressources. Mais en faire des AODE mettrait à mal le système actuel, qui fonctionne très bien et se verra renforcer par le comité du système de distribution publique d’électricité prévu dans le projet de loi relatif à la transition énergétique.

M. Alain Leboeuf. Que pensez-vous de l’estimation du professeur Léautier selon laquelle la gouvernance bicéphale donnera lieu à une multiplication par un et demi des investissements à venir ? La présence d’un concédant et d’un concessionnaire dans la gestion du système électrique permet-elle ou non une optimisation financière ?

M. Pascal Sokoloff. Votre question en appelle une autre : pourrait-on se passer des collectivités locales pour mener à bien une politique énergétique ? Nous considérons que non.

Le débat national sur la transition énergétique et les travaux parlementaires sur le projet de loi relatif à cette question ont été l’occasion de rappeler à plusieurs reprises que la réussite des politiques de transition énergétique dépend d’une implication forte des collectivités locales. En effet, grâce à leur proximité avec le terrain, celles-ci sont seules à pouvoir mobiliser certains moyens humains et matériels.

Par ailleurs, les collectivités, en tant qu’AODE, se sont montrées exemplaires en matière d’utilisation de l’argent public. D’une part, elles ont su obtenir des économies d’échelle. D’autre part, elles optimisent leurs moyens en étendant leur expertise à d’autres pans des politiques énergétiques. Si les collaborateurs des services des AODE – peu nombreux par rapport à la masse des agents des collectivités locales ou aux milliers d’agents d’ERDF – sont chargés du contrôle de la bonne exécution des missions de service public confiées au concessionnaire et de la maîtrise d’ouvrage de travaux revenant aux communes, ils mettent aussi leur savoir-faire au service d’autres volets des politiques énergétiques locales, par exemple en établissant des diagnostics énergétiques sur l’éclairage public ou les bâtiments publics.

Mme Jeanine Dubié. Vous avez exprimé le souhait de voir les AODE mieux intégrées à la gouvernance d’ERDF. La création du comité du système de distribution publique d’électricité chargé d’examiner la politique d’investissement d’ERDF répondra à cette préoccupation, du moins en partie.

Dans quelle mesure le principe de collégialité des investissements sur les réseaux publics contribuera-t-il à accroître la qualité de ces derniers ? En quoi votre bonne connaissance du milieu rural peut-elle améliorer le service rendu aux usagers ?

S’agissant de la précarité énergétique, de quelle durée doit être, selon vous, la période transitoire entre le dispositif du tarif de première nécessité et celui du chèque énergie ? Êtes-vous favorables à un élargissement de l’assiette de la CSPE à des énergies autres que l’électricité ? Quelles pistes préconisez-vous pour compenser la montée en charge des tarifs sociaux ?

Enfin, l’article 14 du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dit NOTRe, prévoit de réduire le nombre des structures syndicales, en particulier dans le domaine de l’eau potable, de l’assainissement, des déchets ou du gaz. Quelle est votre position ? Ne considérez-vous pas que le renforcement de l’échelon départemental permettrait une meilleure mutualisation ?

M. Xavier Pintat. Il existe 13 700 syndicats intercommunaux en France, dont seulement 300 ont pour objet l’électricité. La simplification ne concerne donc pas au premier chef l’énergie. En ce domaine, nous avons déjà fait une partie du chemin – il n’existe qu’un seul syndicat dans 80 % des départements. Qu’il y ait une meilleure visibilité à l’échelon départemental, c’est ce que nous demandons depuis des années dans le domaine de l’électricité. Nous souhaitons que la péréquation s’organise au niveau de département, afin de maintenir une unité d’approche à côté de celle qu’assure au niveau national le FACE, créé en 1936 à la suite d’une proposition du FNCCR.

En ce qui concerne l’eau et l’assainissement, le renforcement du niveau départemental est certainement plus complexe à mettre en œuvre. En matière d’énergie, les réseaux étant interconnectés, l’habitude a été prise de travailler à ce niveau. En matière de politique de l’eau, la situation multiforme – nappes, forages, schémas d’aménagement et de gestion de l’eau – appelle une approche de plus long terme. Seuls quelques départements comme celui de Lot-et-Garonne, me semble-t-il, sont parvenus à établir un prix uniforme de l’eau.

Pour ce qui est des travaux sur les réseaux, rappelons que deux régimes prévalent : l’électrification en zone rurale, qui relève des collectivités, et l’électrification en zone urbaine, sous maîtrise d’ouvrage d’ERDF. En dehors de la péréquation réalisée à partir des crédits du FACE, il importe de promouvoir une cohérence des investissements. La globalisation nationale qu’opérera le comité du système de la distribution publique d’électricité à partir des conférences départementales y contribuera, nous nous en félicitons.

S’agissant de la CSPE, nous avons peut-être atteint les limites du système.

Quant à la précarité énergétique, nous redoutons que le chèque énergie ne fasse disparaître un système qui fonctionnait bien.

Présidence de M. Alain Leboeuf, vice-président de la commission d’enquête

M. Pascal Sokoloff. La FNCCR suit depuis plusieurs années la question de la précarité énergétique. Nous avons pu constater que le dispositif avait connu des améliorations importantes. L’automatisation de l’attribution des tarifs sociaux permise par la loi Brottes s’est ainsi accompagnée d’une augmentation significative du nombre de foyers éligibles, qui s’élève actuellement à 3,7 millions. Le taux d’accès atteint désormais 80 %, contre moins de 50 % il y a deux ans, pour un nombre de foyers éligibles sensiblement inférieur. En outre, comme l’a souligné l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), le dispositif du tarif de première nécessité a vu ses coûts de gestion décroître alors même que le nombre de foyers éligibles s’élevait ; autrement dit, l’efficacité du système a augmenté.

Nos inquiétudes quant à l’introduction du chèque énergie sont liées avant tout à son financement. Les débats de votre assemblée sur le projet de loi de transition énergétique n’ont pas permis de les dissiper. Nous craignons que les consommateurs d’électricité ou de gaz ne soient amenés à financer le politique de précarité énergétique pour d’autres types d’énergie. Le dispositif flou du chèque énergie risque d’aggraver la contrainte financière pesant sur le système électrique, alors que la situation est déjà tendue pour la CSPE et que le découvert d’EDF se creuse d’année en année.

Nous avons adopté une position de prudence. Avant de prendre le risque de mettre à mal le système actuel, il importe, selon nous, de prendre du recul pendant une période transitoire où cohabiteraient les tarifs sociaux et le chèque énergie, qui serait réservé aux achats d’énergies autres que l’électricité et le gaz, et au financement des dépenses d’amélioration énergétique des logements des personnes en situation de précarité. Cela nous paraît être une formule beaucoup plus sage que celle prévue par le projet de loi, à savoir un basculement complet à très brève échéance, en 2016, ce qui nous laisse très peu de temps. Nous craignons que cette évolution autoritaire ne s’accompagne d’une perte de qualité très importante de la politique de lutte contre la précarité énergétique.

M. Alain Leboeuf, président. Il me reste à vous remercier, monsieur le président, monsieur le directeur général. Vous nous avez rappelé que les réseaux de distribution d’électricité appartiennent depuis leur origine à nos communes et que, si nous voulons continuer à bénéficier d’un service public de qualité, au plus près des réalités de l’urbanisme local, il importe que les collectivités continuent de jouer leur rôle dans la gestion du système électrique.

14. Audition, ouverte à la presse, de Mme Anne Houtman,
conseillère principale auprès du directeur général en charge de l’énergie de la Commission européenne

(Séance du mercredi 19 novembre 2014)

M. Alain Leboeuf, président. Nous sommes très heureux de vous recevoir ce soir, madame Houtman.

Dans le cadre de ses travaux, notre commission d’enquête examine les différents éléments de la construction tarifaire, du producteur jusqu’au consommateur final, que ce dernier soit un industriel ou un particulier. Les constructions tarifaires diffèrent sensiblement d’un État membre à l’autre, l’élément fiscal ou parafiscal jouant d’ailleurs un rôle croissant dans cette différenciation.

Une étude d’octobre 2014, qui émane non pas de votre direction générale mais de celle des affaires économiques et financières de la Commission, a retenu notre attention. Elle porte sur ce qui est appelé les « déficits tarifaires » dans le secteur de l’électricité. Par cette notion, il faut entendre les écarts entre coûts réels et prix de détail, encore très importants dans certains pays, alors que le marché de l’électricité est ouvert à la concurrence depuis plusieurs années. Selon cette étude, le nombre de pays européens concernés par ces déficits tarifaires a augmenté depuis 2009 – ils sont actuellement onze – et leur montant représente 60 % de la consommation d’électricité de l’Union européenne. On observe les déficits tarifaires les plus élevés en Espagne, au Portugal ou en Grèce, du fait de la crise économique. En France, en Roumanie et en Bulgarie, les déficits tarifaires correspondraient, toujours selon cette étude, à une situation structurelle, tandis qu’ils ne présenteraient qu’un caractère temporaire en Allemagne et en Italie !

Nous n’entendons pas vous demander des explications détaillées sur des démonstrations économétriques complexes. Néanmoins, pouvez-vous nous éclairer sur les causes de cette différenciation entre pays ? En outre, estimez-vous que les dispositifs nationaux de soutien aux énergies renouvelables, eux aussi très différents, peuvent expliquer une partie de ces divergences ? Dans la quasi-totalité des États membres, à l’exception du Luxembourg et de la Finlande, le soutien aux énergies renouvelables est à la charge du consommateur final. Celui-ci paie un supplément dans sa facture à cet effet, qui est compris, en France, dans la contribution au service public de l’électricité (CSPE). À cet égard, on évoque souvent le soutien particulier que l’Allemagne accorde à sa grande industrie, laquelle se verrait assez largement exonérée d’un supplément tarifaire de cette nature qui pèserait, en revanche, sur les autres consommateurs. Qu’en est-il précisément ? Est-il exact que des procédures contentieuses ont été lancées, tant au niveau national qu’au niveau européen, à propos de cette distorsion de traitement ?

D’une manière générale, quel est l’avenir des tarifs réglementés ? Leur mise en œuvre a-t-elle effectivement abouti à creuser les différences entre les États membres ? Du point de vue de la Commission européenne, conviendrait-il de sortir au plus vite du système des tarifs réglementés, en ne laissant subsister comme cadre dérogatoire, dans chaque pays, que des tarifs sociaux destinés aux consommateurs en situation de précarité ?

Enfin, quelles ont été les conséquences des insuffisances constatées dans le fonctionnement du système d’échange des quotas de dioxyde de carbone ? N’aurait-il pas été souhaitable que ce système ait des effets sur l’évolution des régimes tarifaires appliqués aux industriels ? Quels sont les projets de la Commission européenne en la matière ?

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Anne Houtman prête serment.)

Mme Anne Houtman, conseillère principale auprès du directeur général de l’énergie à la Commission européenne. Je vous remercie d’avoir invité un représentant de la Commission pour une audition.

Je commencerai par vous faire part d’éléments de cadrage : les orientations générales de la politique de l’énergie, dont ma direction générale est responsable ; le cadrage législatif, qui est lié à la politique du marché intérieur de l’énergie, laquelle relève également de la compétence de ma direction générale ; les aspects se rapportant à l’application des règles de la concurrence.

La politique de l’énergie menée depuis une vingtaine d’années dans l’Union européenne poursuit trois objectifs indissociables. Chaque fois que nous prenons des mesures visant à atteindre l’un de ces objectifs, nous tenons dûment compte des deux autres. Le premier objectif est de mettre à la disposition des consommateurs une énergie à un prix à la fois abordable pour les ménages et compétitif pour l’industrie. Le deuxième a trait au développement durable, la consommation d’énergie représentant 80 % des émissions de gaz à effet de serre dans l’Union européenne. À cet égard, nous nous sommes donné un cadre jusqu’à 2020, avec les objectifs « 20-20-20 ». En préparation de la conférence « Paris Climat 2015 », le Conseil européen vient de le compléter en fixant des objectifs pour 2030 : réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport au niveau de 1990 ; augmentation de la part des énergies renouvelables dans la consommation d’énergie jusqu’à 27 % au moins ; amélioration de l’efficacité énergétique en réalisant des économies d’énergie à hauteur de 27 % au moins. Le troisième objectif de notre politique est la sécurité de l’approvisionnement au sens large, puisque cela comprend la fiabilité des réseaux et les conditions techniques de l’approvisionnement. À la suite de la crise russo-ukrainienne, la Commission européenne a publié un rapport sur le sujet et réalisé des tests de résistance.

Pour atteindre ces trois objectifs, la politique de l’Union a notamment consisté à créer un marché européen intégré de l’énergie, en particulier dans les secteurs de l’électricité et du gaz, où il n’existait pas, les réseaux ayant été largement organisés sur une base nationale, avec des opérateurs en situation de monopole. Il s’agit d’une politique indispensable. L’ouverture des marchés s’est faite de façon très progressive, au moyen de trois paquets législatifs, en 1996, 2003 et 2009. Les étapes les plus tangibles ont été l’ouverture du marché aux clients non résidentiels – c’est-à-dire essentiellement industriels – en 2004, puis celle à tous les clients le 1er juillet 2007. Les clients peuvent désormais choisir librement leur fournisseur. Les chefs d’État et de Gouvernement de l’Union ont rappelé à plusieurs reprises leur intention d’achever le marché intérieur de l’énergie en 2014, les progrès étant plus lents que prévu.

Sur la base du deuxième paquet législatif, la Commission européenne avait engagé des procédures contre neuf États membres à propos de tarifs réglementés appliqués aux clients résidentiels – aucune ne portait sur les tarifs appliqués aux particuliers. Elle a mis un terme à toutes ces procédures – sauf à l’une d’entre elles, qui concerne les tarifs du gaz en Pologne –, en tenant compte soit de décisions qui ont prévu une suppression progressive des tarifs réglementés pour les industriels, soit de promesses, comme cela a été le cas pour la France, avec la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (NOME), adoptée en 2010. Une procédure demeure pendante devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) concernant ces tarifs. Elle devrait apporter des clarifications s’agissant de leur compatibilité avec la directive relative au marché intérieur de l’électricité.

Quant au troisième paquet, il aurait dû être transposé en mars 2011. Or tel n’a pas été le cas dans de nombreux États membres. La Commission européenne termine son examen de la transposition ; elle vérifie actuellement si l’intégralité des textes de transposition est conforme au cadre législatif européen.

Outre ce cadre législatif, les règles de la concurrence s’appliquent dans le secteur de l’énergie. Certaines d’entre elles s’adressent aux entreprises, notamment l’interdiction des cartels et des abus de position dominante. D’autres s’adressent aux États membres, telles les règles en matière d’aides d’État. À cet égard, je souhaite mentionner deux décisions importantes prises par la Commission européenne en ce qui concerne les tarifs de l’électricité. D’une part, à la suite de l’arrêt Association Vent de colère ! rendu par la CJUE, la Commission européenne a approuvé cet été les aides d’État octroyées aux producteurs d’énergies renouvelables, tout en ouvrant une procédure d’enquête approfondie sur les exemptions à la CSPE dont bénéficient les industries électro-intensives. D’autre part, en 2012, elle avait considéré que les tarifs réglementés jaune et vert – elle ne s’était pas intéressée au tarif bleu appliqué aux ménages – constituaient des aides accordées par l’État aux entreprises, mais qu’elles étaient compatibles avec le droit européen sous certaines conditions.

La première de ces conditions était la mise en place de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH). Elle était assortie de l’exigence que la France soumette à la Commission européenne son projet de méthode de calcul du tarif de l’ARENH, ce qu’elle a fait cet été avec un certain retard, l’échéance initialement prévue étant le début de l’année 2013. Ce projet est en cours d’examen par la direction générale de la concurrence. Ma collègue Céline Gauer, qui travaille dans cette direction générale, pourra certainement vous en dire plus lorsque vous l’auditionnerez, la semaine prochaine. La deuxième condition était une réduction progressive de l’écart entre les tarifs réglementés et les coûts totaux de production. La troisième était la fin de ces tarifs réglementés pour les grands et moyens consommateurs, au plus tard le 31 décembre 2015, ce qui est prévu par la loi NOME.

La réglementation des tarifs est une question très complexe, qui préoccupe de nombreux États membres. Il est bon qu’ils en discutent. À cet égard, je ne peux que me féliciter du travail de votre commission d’enquête, d’autant qu’elle s’est fixé des objectifs en matière de transparence des tarifs. Comme vous l’avez indiqué dans votre introduction, monsieur le président, les tarifs doivent refléter les coûts. Si tel n’est pas le cas, non seulement cela conduit à accumuler des déficits – qui constituent, selon les cas, un problème pour les finances de l’État ou pour celles de l’entreprise –, mais cela crée aussi des obstacles à l’entrée sur le marché de l’électricité, qui perd alors son caractère contestable. Les tarifs réglementés ont des effets négatifs particulièrement marqués lorsqu’ils sont inférieurs aux coûts de production. En effet, les prix doivent en principe donner un signal non seulement aux investisseurs, mais aussi aux consommateurs. Avec des prix artificiellement bas, les consommateurs ne sont pas incités à modérer leur consommation. D’autre part, des tarifs réglementés inférieurs aux coûts constituent une barrière pour les nouveaux entrants sur le marché. Et, même lorsqu’ils sont supérieurs aux coûts, ils peuvent constituer un obstacle, dans la mesure où les consommateurs ne sont pas incités à changer de fournisseur, soit parce qu’ils estiment que le gain n’en vaut pas la peine, soit parce qu’ils ont l’impression d’être protégés par ces tarifs.

Protéger les consommateurs contre les fluctuations de prix excessives est une bonne chose ; il s’agit même d’une obligation s’agissant des consommateurs en situation de précarité énergétique. Mais peut-on le faire sans entraver la concurrence, sans décourager l’innovation en matière de services de l’énergie et sans accumuler les déficits ? Tel est le défi. Certains États membres, en particulier la Belgique récemment, ont choisi d’apporter une aide ciblée aux consommateurs les plus vulnérables, tout en surveillant très étroitement l’évolution des prix. Cela nous paraît une excellente solution. À ce stade, la Commission a choisi de coopérer avec les États membres en matière de tarifs réglementés appliqués aux clients résidentiels. Elle a mené des dialogues approfondis très constructifs avec eux afin de trouver la meilleure façon de répondre à ce défi en tenant compte des objectifs qu’ils se sont eux-mêmes fixés, notamment celui d’achever le marché intérieur de l’énergie.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Je vous remercie, madame, de votre exposé.

La question des « déficits tarifaires » se pose dans des termes différents d’un État membre à l’autre. Comment doit-elle être traitée selon vous ? Globalement ou au cas par cas ? Quelle démarche convient-il de suivre s’agissant de la France ?

La production d’énergie, notamment des énergies renouvelables, est subventionnée dans plusieurs pays, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Union européenne. Dans l’état actuel des règles européennes, comment abordez-vous les aides attribuées par les États membres et les différents dispositifs en vigueur ?

D’autre part, les entreprises françaises et européennes ont des difficultés à faire face à une concurrence venant de pays où l’énergie est beaucoup moins chère qu’en Europe. Il s’agit d’une véritable distorsion. Pensez-vous que le cadre européen actuel est adapté à cette situation ? Nous nous sommes déjà interrogés sur ce point dans le cadre de nos travaux. En termes plus précis, le cadre européen n’est-il pas trop contraignant pour les États membres et pour les entreprises ? Ne les place-t-il pas dans une situation de faiblesse par rapport à la concurrence internationale ? Ne conviendrait-il pas de le modifier pour permettre à nos entreprises de maintenir leur activité et les emplois correspondants au sein de l’Union européenne ? Certaines d’entre elles sont en effet tentées de se délocaliser sur d’autres continents.

De votre point de vue, le dispositif français actuel pèse-t-il sur les coûts et sur les tarifs ? Si oui, en quoi ? Que faudrait-il revoir dans ce dispositif afin de pouvoir réduire les coûts et les tarifs ? Posez-vous ou non la question en ces termes ?

Enfin, une concurrence accrue est-elle ou non un facteur de réduction des coûts et des tarifs ? Les avis sont assez partagés sur ce point au sein de notre commission d’enquête. Il semble que les coûts soient surtout alourdis par les taxes. L’expérience d’autres pays de l’Union a-t-elle fait la démonstration que la concurrence contribuait bien à diminuer les coûts ?

Mme Anne Houtman. Les déficits tarifaires existent dans une dizaine d’États membres. En Allemagne et en Italie, il s’agit seulement de déficits temporaires, liés à une sous-estimation préalable des coûts futurs des énergies renouvelables. Le déficit tarifaire observé en Grèce est lui aussi dû, en partie, aux énergies renouvelables. En Bulgarie, en Roumanie, en Hongrie, en Lettonie et à Malte, les déficits tiennent au fait que les tarifs sont inférieurs aux coûts. Telle est également l’une des deux causes du déficit observé en France, l’autre étant les obligations de service public, c’est-à-dire la CSPE.

S’agissant des tarifs, il convient de se poser la question d’une convergence. Dans un marché libéralisé, il faudrait en principe que, à chaque étape – production, transport, distribution, commercialisation –, les prix reflètent le mieux possible les coûts. À défaut, le marché ne peut pas fonctionner correctement. Quant aux coûts liés à la CSPE, une partie d’entre eux provient des subventions aux énergies renouvelables. La France n’est d’ailleurs pas le pays où le soutien aux énergies renouvelables se fait dans les conditions les moins satisfaisantes : elle a essayé de minimiser les coûts en lançant des appels d’offres.

La Commission européenne a examiné la question des subventions aux énergies renouvelables et a constaté que différents problèmes se posaient. Dans certains États membres, les opérateurs ont bénéficié d’une surcompensation, parce que les mécanismes de soutien mis en place n’ont pas tenu compte du fait que les technologies devenaient matures et que leurs coûts se rapprochaient de ceux des énergies traditionnelles. Par conséquent, les subventions n’ont pas été ajustées à la réduction de l’écart avec les coûts du marché. L’autre problème a été que les États membres ont cherché à atteindre leurs objectifs d’augmentation de la part des énergies renouvelables dans la consommation d’énergie en se basant essentiellement sur la production nationale, sans tenir compte du fait qu’il existait un marché européen sur lequel ils disposaient d’un choix plus large et pouvaient éventuellement trouver des énergies renouvelables, notamment éolienne et solaire, produites à des coûts moindres que sur leur propre territoire. En raison de ces deux facteurs, les énergies renouvelables ont coûté plus cher qu’elles n’auraient dû. Cela a beaucoup pesé sur les charges comme sur les taxes, les coûts se répercutant sur l’ensemble du système énergétique.

La Commission européenne a adopté, en avril dernier, de nouvelles lignes directrices concernant les aides d’État en matière de protection de l’environnement et d’énergie. Publiées au Journal officiel de l’Union européenne le 28 juin, elles prévoient notamment la possibilité de subventionner les énergies renouvelables. Les grands principes qui s’appliquent en matière d’aides d’État sont les suivants : l’aide doit poursuive un objectif d’intérêt commun au niveau européen, condition que remplissent incontestablement les aides aux énergies renouvelables ; on doit constater une défaillance du marché, à savoir que le simple jeu des mécanismes du marché ne permet pas d’atteindre cet objectif ; l’aide doit être proportionnée, c’est-à-dire limitée au minimum nécessaire. Les règles détaillées qui figurent dans les lignes directrices découlent de l’application de ces principes.

S’agissant de la problématique de la concurrence internationale, un chapitre particulier des lignes directrices prévoit expressément la possibilité d’exempter les industries électro-intensives de certaines charges ou de certaines taxes liées au soutien aux énergies renouvelables. Si l’électro-intensité de ces entreprises dépasse un certain seuil et si elles sont considérées comme étant exposées à la concurrence internationale – ce critère s’appréciant notamment au regard de la part des exportations dans le chiffre d’affaires du secteur considéré –, elles peuvent bénéficier d’exemptions. Celles-ci ne peuvent cependant pas être totales, la Commission européenne estimant que ces entreprises doivent elles aussi contribuer, même de manière limitée, aux mécanismes de soutien aux énergies renouvelables. La contribution minimale est, en principe, de 15 % des coûts supplémentaires engendrés par ces mécanismes. Elle peut toutefois être limitée à 0,5 % de la valeur ajoutée brute pour les industries électro-intensives, contre 4 % pour les autres entreprises.

Avant de publier ces lignes directrices, la Commission européenne a largement consulté les États membres – qui ont fait part de leurs observations sur le projet de texte – et les différents acteurs du secteur, entreprises, associations et ONG. Le résultat tient donc compte de la problématique dans son ensemble. Les exemptions pour les industries électro-intensives, qui n’étaient pas possibles auparavant en matière d’aides d’État, sont analogues à celles qui existent pour ces mêmes entreprises dans le cadre du système d’échange de droits d’émission de dioxyde de carbone.

Pour ce qui est de la France, le seul dossier pendant en matière d’aides d’État concerne les exemptions dont bénéficient les industries électro-intensives – celui qui portait sur l’aide aux producteurs d’énergies renouvelables est désormais clos. La Commission européenne a ouvert cette procédure à un moment où les nouvelles lignes directrices n’étaient pas encore publiées – les anciennes n’auraient pas permis d’approuver ces exemptions. Ce dossier est d’ailleurs assez comparable au dossier allemand, auquel les Français sont très sensibles. Sur la base des nouvelles lignes directrices, la Commission européenne a récemment approuvé les aides pratiquées en Allemagne, mais après que celle-ci a restreint à la fois leur champ d’application et leur niveau.

Que faudrait-il revoir dans le dispositif français pour réduire les coûts et les tarifs ? Plusieurs composantes entrent en ligne de compte. Les prix de gros de l’électricité à l’intérieur de l’Union européenne sont pratiquement deux fois supérieurs à ceux observés chez certains de nos grands concurrents internationaux. La différence tient essentiellement aux coûts de nos réseaux et aux taxes et prélèvements. Nos réseaux coûtent certes plus cher, mais ils sont aussi, selon notre analyse, beaucoup plus fiables que ceux de nos partenaires : les fluctuations sont moins importantes et les interruptions moins fréquentes, ce bénéfice économique n’étant pas directement pris en compte dans la mesure où il s’agit d’une externalité. Quant aux taxes et prélèvements, ils sont essentiellement destinés à couvrir les coûts des énergies renouvelables. Comme je l’ai indiqué, il faut essayer de limiter les subventions aux énergies renouvelables à ce qui est strictement nécessaire. Ces technologies deviennent progressivement matures et devraient, à terme, pouvoir se passer de subventions. Il conviendrait que les mécanismes de soutien le prévoient. En revanche, cela ne doit pas empêcher d’accorder des subventions à des technologies qui ne sont pas, elles, matures et qui ont besoin d’un soutien pour devenir efficaces. Par ailleurs, des gains peuvent certainement être réalisés si les États membres envisagent le marché de manière plus large, c’est-à-dire s’ils ne s’approvisionnent pas que sur leur marché national.

La concurrence est bien un facteur de réduction des coûts et des tarifs. En France, l’opérateur national détient plus de 90 % du marché de l’électricité ; on ne peut donc pas dire que le marché français soit ouvert, qu’il s’agisse du marché de détail ou du marché de gros. Il est difficile d’apprécier les conséquences de la libéralisation du marché de l’électricité en France : ses effets ne se sont pas encore fait sentir, notamment en raison des tarifs réglementés, qui ont joué un rôle de barrière à l’entrée.

M. Denis Baupin. Dans votre présentation, vous avez évoqué systématiquement la libéralisation du marché, comme s’il s’agissait du but ultime de la politique européenne en matière énergétique. De mon point de vue, elle peut éventuellement être un moyen, mais pas un objectif ! D’autre part, nous considérons que les décisions prises au titre du paquet énergie-climat sont très largement insatisfaisantes en matière de développement des énergies renouvelables et de maîtrise de l’énergie. Seul fait exception l’objectif de réduire de 40 % au moins les émissions de gaz à effet de serre.

Les dysfonctionnements du marché de l’énergie tiennent, selon vous, au fait qu’il n’est pas complètement mis en place. En réalité, ce marché fonctionne très mal : les messages qu’il délivre ne concernent que le très court terme ; le prix de l’électricité s’adapte aux évolutions instantanées et n’incite nullement à la construction d’équipements nouveaux, notamment pas de ceux dont nous aurions besoin pour faire face aux fluctuations de l’offre ou de la demande. D’une manière générale, les énergéticiens indiquent qu’aucun investissement n’est actuellement rentable en matière de construction d’installations. D’où la question que posent de nombreux acteurs : comment faire évoluer le marché afin de prendre en compte les besoins d’investissement ? Je suis d’ailleurs surpris qu’elle ne figure pas au cœur des préoccupations de la Commission européenne. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur ce sujet ? Y a-t-il des réflexions en cours sur ce point ?

Le marché est également perturbé, selon vous, par le subventionnement de certaines énergies, notamment des énergies renouvelables. Prenons le cas d’une technologie que l’on nous présente depuis longtemps comme mature, mais dont plusieurs éléments sont largement financés ou pris en charge par les pouvoirs publics : non seulement la recherche, mais aussi le démantèlement – toutes les études montrant que les provisions faites en la matière sont très insuffisantes –, la gestion des déchets, qui risque de s’étendre sur plusieurs milliers d’années, les coûts de fonctionnement, largement sous-évalués, et l’assurance. Je suppose que l’auditoire a compris de quelle énergie je veux parler ! Estimez-vous que ce secteur entre dans le champ de la concurrence ? Ou bien existe-t-il en la matière une distorsion de concurrence résultant de subventions en quelque sorte masquées ? Je suis toujours surpris que l’on évoque les subventions pour certaines énergies et pas pour d’autres !

À cet égard, s’agissant des deux réacteurs nucléaires qui seront construits au Royaume-Uni, la Commission européenne a récemment considéré que l’achat de l’électricité à un tarif garanti pendant trente-cinq ans était conforme aux règles européennes en matière d’aides d’État. Cette décision a surpris de nombreux observateurs, y compris certains de ceux qui avaient déposé le dossier ! Nous nous attendions en effet à ce que le dispositif présenté sorte très largement du cadre européen. Jusqu’où ce cadre va-t-il donc ? Dans quel cas le dispositif n’aurait-il pas été considéré comme conforme ? Si l’on nous dit, d’un côté, qu’il faut éviter toute distorsion de concurrence afin que le marché fonctionne correctement, mais que, de l’autre, on autorise des subventions dérogatoires d’une telle ampleur, il y a là un décalage entre les principes et les actes qui rend la politique européenne bien peu lisible !

Il est, en revanche, une autre distorsion de concurrence que je souhaite voir mise en place : un marché du carbone qui fonctionne véritablement. Le président vous a d’ailleurs interrogée à ce sujet. La faiblesse du prix du carbone au niveau européen a constitué, nous le savons, une forte incitation à produire de l’électricité à partir du charbon. À votre avis, à quelle échéance peut-on espérer disposer d’un marché du carbone qui fonctionne et qui n’encourage plus à utiliser le charbon à l’intérieur de l’Union européenne ?

M. François Brottes. Je salue à nouveau votre présence dans nos locaux, madame Houtman. Vous avez aussi été auditionnée récemment par la commission spéciale chargée de l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique.

L’intervention de M. Baupin montre que le Parlement français ne défend pas toujours les intérêts du pays : il indique à la Commission européenne comment trouver les éventuelles failles dans les systèmes nationaux ! Je m’inscris d’ailleurs en faux contre ce qu’il a affirmé à propos de l’industrie mature en question : si elle a bien bénéficié de subventions en matière de recherche, il n’est nullement démontré que tel a été le cas pour les autres éléments mentionnés.

M. Jean-Pierre Gorges. Je suis d’accord avec le président Brottes sur ce point.

M. François Brottes. Quant à la décision prise sur le dossier nucléaire britannique, elle honore la Commission européenne.

Celle-ci est-elle bien consciente que les coûts fixes incontournables – infrastructures de production, réseaux, etc. – représentent environ 70 % des coûts de production de l’électricité ? Dans la mesure où les mécanismes du marché ne peuvent pas jouer pour cette part de coûts fixes – sinon, on en viendrait à détruire ce qui permet au système de fonctionner –, comment s’attendre à ce que le marché règle tous les problèmes ? Cette approche m’a toujours interpellé.

S’agissant des industries électro-intensives, je prends acte des évolutions récentes de la Commission européenne : le sujet est désormais abordé, ce qui n’était pas le cas auparavant. Son raisonnement me paraît néanmoins à côté de la plaque, passez-moi l’expression ! J’ai participé récemment, à Rome, à une réunion des présidents des commissions des affaires économiques des parlements des États membres, et nous avons tous constaté que, sur les autres continents, l’accès à l’énergie était subventionné pour les industriels. Tel est notamment le cas aux États-Unis, en Afrique du Sud et en Asie. Or nos industries électro-intensives – dans les secteurs de l’aluminium, de la papeterie, etc. – se battent sur le marché mondial. L’important est donc de prendre en compte non pas tant la part de leurs exportations hors de l’Union européenne que l’intensité de la concurrence déloyale qu’elles subissent de la part d’industries fabriquant les mêmes produits qu’elles dans des pays où l’énergie est subventionnée et les vendant sur le marché européen. Je souhaiterais que, tous ensemble, nous fassions progresser la réflexion de la Commission européenne dans ce sens. De nombreux États membres – non seulement la France, mais aussi l’Allemagne, l’Italie et d’autres – sont inquiets : nous craignons que l’Europe ne se réveille que le jour où ses industries électro-intensives auront mis la clé sous la porte ! Il en va de leur survie ! Je le dis pour que cela soit répété, mais aussi pour connaître votre analyse sur ce point.

M. Jean-Pierre Gorges. L’Union européenne souhaite libéraliser les marchés. On peut comprendre ce choix. Quant à savoir s’il convient de le maintenir ou non, il s’agit d’une question politique. Cependant, le modèle français, qui fait que l’on achète de l’électricité plus cher qu’on ne la revend, notamment lorsqu’elle est d’origine éolienne ou photovoltaïque, est-il compatible avec un système libéralisé ? La CJUE et le Conseil d’État ont donné leur avis sur ce point ; certaines affaires ont donné lieu à des condamnations. J’ai l’impression que l’on décrète un mode de fonctionnement, alors que chaque pays a ses us et coutumes. Et ce n’est pas neutre : en matière de transition énergétique, certains pays comme la France sont en train d’effectuer des choix qui n’ont aucun fondement juridique solide au regard du cadre européen. Et qui ne tiennent guère non plus du point de vue économique, car nous sommes dans un jeu à somme nulle et cela se paie un jour. Je suis d’accord avec le président Brottes : nous risquons de nous retrouver dans une situation économique contradictoire, impliquant des migrations technologiques vers d’autres solutions. En somme, l’Union européenne est-elle un bon régulateur ? Et la France est-elle un bon élève ?

Mme Anne Houtman. Comme je l’ai indiqué, la mise en place du marché intérieur de l’énergie et la concurrence sont des outils qui nous aideront certainement à disposer de prix plus compétitifs. Les chiffres le prouvent. De plus, un marché plus interconnecté et plus intégré est mieux à même d’assurer la sécurité de l’approvisionnement. Enfin, la mise en place d’un tel marché est également indispensable si nous souhaitons atteindre nos objectifs en matière de lutte contre le changement climatique d’une façon efficace en termes de coûts. Nous ne sommes pas en train de procéder à la libéralisation de manière dogmatique.

D’autre part, le secteur de l’énergie est très réglementé au niveau européen. Nous avons demandé que des régulateurs nationaux soient désignés et que des plans d’investissement soient réalisés, afin de contrôler l’adéquation des capacités aux besoins. Nous n’essayons pas de faire fonctionner le marché de l’énergie comme celui du papier !

Quant au fonctionnement de ce marché, il faut tenir compte du fait qu’il n’est pas encore achevé. Nous travaillons à améliorer les aspects qui doivent l’être. Le dernier paquet législatif relatif au marché intérieur n’a pas été transposé correctement dans tous les États membres et il est encore loin d’être intégralement appliqué. Par ailleurs, il nous manque encore certains éléments, en particulier des codes de réseau, qui devraient nous permettre de faire fonctionner le marché de manière plus fluide.

Les besoins d’investissement sont pris en compte, dans la mesure où, comme je viens de l’indiquer, il est obligatoire de surveiller l’adéquation des capacités aux besoins et de présenter des plans à long terme. Dans certains États membres, des marchés de capacité ont été créés, sur lesquels l’État peut intervenir afin de s’assurer de l’adéquation entre l’offre et la demande. En la matière, le rôle de la Commission marchés de capacités est de s’assurer que cela se fait au moindre coût et de façon ouverte, notamment en tenant compte des interconnexions et de l’offre qui peut exister dans les autres États membres. Elle a d’ailleurs mis en place plusieurs initiatives régionales au sein de l’Union : pour chacune d’entre elles, elle organise une coopération entre les régulateurs et entre les opérateurs de réseau, afin d’optimiser le fonctionnement du marché.

S’agissant du nucléaire, en vertu de l’article 194 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la détermination du mix énergétique relève de la compétence exclusive des États membres. La Commission européenne n’a donc pas à se prononcer pas sur le fait qu’un État membre choisisse ou non le nucléaire. Son rôle est de s’assurer de la sûreté des installations nucléaires et de promouvoir la mutualisation de la recherche. Il existe, en outre, une agence d’approvisionnement.

Pour la première fois, la Commission européenne a appliqué les règles en matière d’aides d’État à un dossier portant sur la production d’électricité nucléaire, celui du projet de nouveau réacteur à Hinkley Point, que vous avez mentionné, monsieur Baupin. La logique de la Commission a été exactement celle que j’ai décrite précédemment. Elle s’est d’abord assurée que l’aide poursuivait un objectif d’intérêt commun au niveau européen. Tel est bien le cas en l’espèce, puisque le projet vise, d’une part, à améliorer l’adéquation des capacités aux besoins et, d’autre part, à réduire les émissions de dioxyde de carbone. Ensuite, la Commission a examiné s’il y avait une défaillance du marché. Or il s’avère qu’un investissement d’un tel montant sur une telle durée et comportant un tel nombre d’incertitudes ne peut effectivement pas être réalisé dans les conditions du marché. Pour le reste, il n’y a pas eu de surenchère et la Commission européenne n’a pas accepté n’importe quoi : à la suite de l’ouverture de la procédure, le montant de l’aide a été fortement réduit, d’environ un milliard d’euros, par rapport à la proposition initiale qui avait été notifiée.

M. Denis Baupin. Quel était le montant de cette proposition initiale ?

Mme Anne Houtman. Je n’ai plus le chiffre en tête mais pourrai vous le communiquer plus tard. D’autre part, cette décision ayant été préparée par la direction générale de la concurrence, ma collègue Céline Gauer pourra vous en dire plus.

S’agissant de la garantie de financement, la Commission européenne a obtenu toutes les informations pertinentes lui permettant d’apprécier ce que les marchés financiers étaient susceptibles d’offrir en termes de prêt. Elle a accepté un mécanisme qui constitue probablement une distorsion moindre qu’un prêt régulé, dans la mesure où il instaure un véritable partage des risques entre l’État et l’opérateur : celui-ci devra vendre l’électricité qu’il produit sur le marché et, s’il la vend à un prix supérieur au prix de référence, il devra verser une compensation à l’État ; dans le cas inverse, c’est l’État qui lui versera une compensation. Le prix du marché jouera donc. Encore une fois, il n’appartient pas à la Commission européenne de se prononcer pour ou contre le nucléaire. D’autre part, il n’y a pas de risque de surenchère : la Commission examine chaque cas au regard de ses mérites propres. Elle évalue ce que le marché permet de faire sans intervention de l’État et cherche toujours à limiter l’aide au minimum nécessaire pour réaliser le projet.

La Commission européenne est bien consciente des dysfonctionnements du marché du carbone et essaie de les résoudre : elle a proposé aux États membres, d’une part, de retirer une partie des droits d’émission du marché pour les réintroduire ultérieurement et, d’autre part, de créer, après 2030, une réserve de stabilité du marché, qui permettrait de retirer ou d’ajouter des droits sur le marché en cas de fluctuation excessive du cours du carbone. En la matière, l’initiative appartient à la Commission, mais les décisions sont prises par les États membres et par le Parlement européen.

M. Alain Leboeuf, président. Si vous n’avez pas d’autres éléments à ajouter, je donne à nouveau la parole à Mme la rapporteure.

M. François Brottes. Pourrais-je obtenir, au préalable, des réponses aux questions que j’ai posées ?

Mme Anne Houtman. Votre première question, monsieur le président Brottes, est importante, mais aussi très complexe. Il n’est guère possible de déterminer un juste prix de l’électricité, précisément parce que les coûts fixes sont très élevés dans ce secteur. La Commission européenne ne s’est jamais prononcée sur un niveau de prix, et telle n’est pas son ambition. Son rôle consiste à examiner si les prix réglementés ou fixés par les États constituent ou non une barrière à l’entrée.

S’agissant des industries électro-intensives, nous ne tenons pas uniquement compte de la part de leurs exportations mais, plus largement, de leur exposition à la concurrence, ce qui n’est pas tout à fait la même chose.

En ce qui concerne le rachat de l’électricité d’origine renouvelable, nous cherchons à atteindre, au moindre coût, les objectifs que nous nous sommes fixé en matière de part des énergies renouvelables dans la consommation d’électricité. Il n’est pas économiquement rationnel de racheter l’électricité d’origine renouvelable à un prix qui dépasse ce qui est nécessaire pour encourager sa production.

M. Denis Baupin. Cependant, l’Union s’est fixé en la matière des objectifs minimaux, pas des plafonds.

Mme Anne Houtman. C’est exact. J’en viens d’ailleurs à votre commentaire sur le paquet énergie-climat. Vous n’êtes pas les seuls à avoir souhaité que des objectifs plus ambitieux soient fixés en matière d’efficacité énergétique et de part des énergies renouvelables. Cependant, il faut savoir que la négociation a été préparée pendant plusieurs années et qu’elle a été très difficile. La Commission européenne a mené une série de discussions bilatérales avec chacun des États membres. À l’origine, non seulement il n’y avait pas d’accord sur les niveaux à atteindre, mais il n’était même pas acquis que nous réussirions à fixer des objectifs. Le résultat auquel nous sommes parvenus est sans doute le meilleur que nous pouvions obtenir à vingt-huit, à l’unanimité. Il dépasse en tout cas largement ce que nous pouvions espérer au début des négociations.

Mme la rapporteure. Afin d’aller au bout du raisonnement, je souhaite revenir sur la dernière question que je vous ai posée tout à l’heure et que le président Brottes a reprise sous une autre forme. Plusieurs pays dans le monde subventionnent la production d’énergie. Or, de ce point de vue, les entreprises européennes sont tenues de respecter un cadre qui ne leur permet pas d’être placées dans les mêmes conditions que leurs concurrentes, ce qui les met en difficulté et peut conduire certaines d’entre elles à délocaliser leur activité hors de l’Union européenne, afin de bénéficier d’une énergie moins chère. Il y a là un véritable péril pour certaines de nos entreprises et certains de nos territoires. Selon vous, le cadre européen actuel, tel que modifié au mois de juin dernier, permet-il de répondre à cette situation ? Au sein de cette commission, nous estimons qu’il ne va pas assez loin et qu’il n’est pas adapté aux besoins de nos industries, notamment électro-intensives. La Commission européenne est-elle consciente de la gravité de la situation pour les entreprises européennes ? Envisage-t-elle d’approfondir la réflexion en vue de modifier ce cadre ?

M. Alain Leboeuf, président. Vous êtes très attendue sur cette question, madame Houtman. Quelles sont les évolutions possibles ?

Mme Anne Houtman. Je ne peux que répéter ce que j’ai déjà dit : le nouveau cadre date d’il y a seulement quelques mois et repose sur des données récentes. Les exemptions peuvent concerner plusieurs dizaines de secteurs, dont la liste figure en annexe des lignes directrices. Si la Commission européenne a défini les seuils que j’ai indiqués, c’est qu’elle les a jugés suffisants pour couvrir ce qui devait l’être. Je peux difficilement vous donner une autre réponse.

D’autre part, ainsi que je l’ai indiqué, cette décision est liée à celle prise au Conseil européen des 23 et 24 octobre dernier au sujet des exemptions dont peuvent bénéficier les industries électro-intensives dans le cadre du système d’échange de droits d’émission de dioxyde de carbone. Ces exemptions, assez généreuses selon moi, ont été adoptées par les États membres à l’unanimité. Les secteurs couverts sont les mêmes que ceux qui ont été définis dans les lignes directrices. Auriez-vous un exemple de secteur particulièrement exposé à la concurrence internationale qui ne serait pas couvert ?

Mme la rapporteure. Au sein de cette commission, nous avons le sentiment qu’il y a un péril pour nos entreprises, et que nous atteindrons bientôt un point de rupture pour les industries électro-intensives. Leurs concurrentes bénéficient – grâce à des subventions ou à d’autres dispositifs – d’un prix de l’énergie beaucoup plus faible qu’au sein de l’Union européenne. De notre point de vue, il y a urgence. D’autre part, au cours de nos auditions, nous avons pu mesurer à quel point le problème dépassait les secteurs électro-intensifs. Les cimentiers, par exemple, qui ne sont pas des électro-intensifs au sens strict, y sont également confrontés. La facture d’électricité représente ainsi 20 % des coûts de production de l’une des grandes entreprises françaises de ce secteur. C’est une question cruciale, voire vitale, pour ces entreprises, et cette situation n’est pas propre à la France.

Plusieurs membres de notre commission ont également participé l’année dernière à la commission d’enquête sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes. Dans ce cadre, nous avions auditionné des responsables de la Commission, mais aussi M. Lakshmi Mittal, lequel avait lui aussi constaté que le coût de l’énergie, en particulier celui de l’électricité, était globalement trop élevé à l’intérieur de l’Union européenne – il ne faisait pas la différence entre les États membres. Il considérait que cela pénalisait gravement notre économie et qu’il fallait prendre des mesures urgentes.

Si nous nous permettons d’insister à ce point sur cette question, c’est que nous doutons que l’Union européenne puisse continuer à travailler dans le cadre actuel. Nous prenons acte qu’il a été modifié récemment, mais estimons que ce n’est sans doute pas suffisant. Je crois pouvoir m’exprimer au nom de la commission dans son ensemble : nous partageons tous ce même souci.

Mme Anne Houtman. La Commission européenne partage, elle aussi, ce souci. Elle a remis au mois de janvier, en même temps que ses propositions pour le paquet énergie-climat, un rapport sur les prix et les coûts de l’énergie en Europe, qui établit des comparaisons internationales. Il montre que les prix de l’électricité pour les industriels à l’intérieur de l’Union européenne sont en moyenne deux fois supérieurs à ceux qui sont pratiqués aux États-Unis et en Russie, 20 % plus élevés qu’en Chine et 20 % plus bas qu’au Japon.

Un de nos objectifs est d’essayer de contenir ces coûts, notamment en encourageant les États membres à s’approvisionner en énergie là où elle est la moins chère, c’est-à-dire à recourir à un marché européen qui serait plus liquide et plus vaste. Cela implique qu’ils acceptent de renforcer certaines de leurs interconnexions. Ainsi, la France ne peut pas bénéficier de l’électricité moins chère qui est produite en Espagne ou au Portugal, car son réseau n’est pas suffisamment interconnecté. Ces deux pays ont d’ailleurs insisté sur les objectifs en matière d’interconnexion lors du Conseil européen des 23 et 24 octobre. C’est aussi pour contenir les coûts que la Commission estime qu’il ne faut pas dépasser ce qui est nécessaire en matière d’aides d’État, et qu’elle prendra des mesures, dans les mois qui viennent, pour améliorer le fonctionnement du marché intérieur.

En évoquant les exemptions aux règles en matière d’aides d’État et dans le cadre du système d’échange de droits d’émission de gaz à effet de serre, je pense avoir couvert le sujet. Quoi qu’il en soit, il n’y a pas de recette miracle, d’autant qu’il existe d’autres différences entre l’Union européenne et les pays tiers, notamment en termes de coût du travail.

M. Alain Leboeuf, président. Ne mélangeons pas toutes les questions. La Commission européenne reconnaît bien qu’il existe une grosse différence entre les coûts de l’énergie à l’intérieur de l’Union européenne et ceux qui sont pratiqués à l’extérieur de celle-ci.

Mme Anne Houtman. Tout à fait.

M. Alain Leboeuf, président. Or nous avons l’impression que vous constatez cette situation, mais que rien de concret n’est mis en place pour y répondre.

Mme la rapporteure. Je vous remercie de votre réponse, madame Houtman, et vous prie de m’excuser d’insister encore une fois sur la même question. Vous évoquez les interconnexions et la nécessité pour certains États membres, notamment la France, de s’approvisionner ailleurs au sein de l’Union européenne, là où l’électricité est moins chère. Cependant, dans d’autre pays, par exemple au Canada, l’électricité est encore moins chère, voire quasi gratuite ! Nous sommes donc confrontés à une question que nous ne pouvons résoudre dans le cadre européen existant, même amélioré. D’où la question que je vous ai posée : le cadre général défini par l’Union européenne est-il vraiment adapté aux contraintes que subissent nos entreprises et nos économies ? Pour tenir compte de la situation actuelle, il est sans doute nécessaire d’aller plus loin. Lorsque toutes nos industries électro-intensives seront parties au Canada, nous n’aurons plus que nos yeux pour pleurer !

Mme Anne Houtman. Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par « aller plus loin » ? À quel type de mesures pensez-vous exactement ?

Mme la rapporteure. Peut-être convient-il d’appréhender le dispositif du point de vue inverse. D’une part, vous partez du principe que la concurrence est un moyen de faire baisser les prix. Or, comme je l’ai indiqué, nous ne sommes pas nécessairement tous d’accord sur ce point. D’autre part, vous imposez des contraintes en matière d’aides d’État. Certes, cette politique est dans les gènes de l’Union européenne, nous pouvons l’intégrer dans notre raisonnement. Mais, dans un contexte où, hors d’Europe, les États subventionnent les prix de l’énergie pour les faire baisser, être membre de l’Union européenne devient un handicap ! Or, au sein de cette commission, nous défendons la construction européenne, et nous voulons plutôt davantage d’Europe que moins d’Europe. Vous nous mettez dans une situation très délicate : au lieu d’aider les États membres et les entreprises européennes à faire face à la concurrence internationale, vous leur ajoutez des contraintes qui les mettent encore plus en difficulté. N’est-il pas temps de changer de logiciel ?

M. François Brottes. Il est légitime que, face à nos questions insistantes, vous nous demandiez quelles sont nos propositions. Le problème est le suivant : le marché européen de l’énergie fonctionne avec un horizon de court terme ; les raisonnements se font à deux ou trois ans. Or tous les investissements dans le domaine de l’énergie sont à long terme, le secteur nucléaire étant le meilleur exemple à cet égard, n’en déplaise à M. Baupin.

M. Denis Baupin. Non, je suis d’accord avec vous, monsieur le président Brottes : les investissements dans le nucléaire sont à très très très long terme !

M. François Brottes. Nous avons donc un point d’accord ! Cela vaut d’ailleurs aussi pour d’autres modes de production d’énergie, par exemple l’éolien offshore. Seul le photovoltaïque semble faire exception, mais, jusqu’à preuve du contraire, les panneaux photovoltaïques ne permettent pas de produire suffisamment de puissance électrique pour alimenter une usine électro-intensive !

Je formule une proposition : nous pourrions ne facturer aux industriels que le coût marginal, en fonction de leur consommation, et les exonérer du « fardeau » des coûts fixes, qui resterait réparti entre tous les autres clients. Car c’est cette part de fardeau qui place les industriels dans une situation de concurrence impossible avec des pays où l’énergie est beaucoup moins chère. Les mécanismes du marché continueront à jouer sur le coût marginal. Ce raisonnement est d’ailleurs à peu de chose près celui qu’ont tenu les Allemands. Si nous voulons maintenir notre industrie, donc nos emplois, mais aussi une partie de nos activités tertiaires – car l’économie fonctionne en cascade –, et que nous considérons la réindustrialisation comme une priorité européenne, ce qu’elle est, selon moi, il me semble que nous pouvons raisonner de cette manière.

M. Alain Leboeuf, président. Voilà une proposition très concrète. Nous vous suggérons de la faire remonter au sein de la Commission européenne, madame Houtman.

Mme Anne Houtman. Votre point de départ était, tout à l’heure, que des prix inférieurs aux coûts posent un problème de déficit. Or vous semblez désormais soutenir l’inverse. Dans quelle direction souhaite-t-on aller ? Je ne suis pas très sûre de bien comprendre.

M. Alain Leboeuf, président. Le coût marginal évoqué par le président Brottes est une notion couramment utilisée dans le domaine de l’énergie. Cet aspect doit pouvoir être retenu dans le cadre des propositions que nous souhaitons faire à la Commission.

M. François Brottes. Poussons-nous mutuellement dans nos retranchements : que l’électricité soit ou non consommée, les coûts fixes du dispositif de production doivent de toute façon être pris en charge. Donc, si nos industries électro-intensives ferment progressivement ou se délocalisent, le fardeau des coûts fixes sera supporté par les clients qui restent. Il faut donc que nous nous disions la chose suivante : avant que les électro-intensifs s’en aillent, trouvons une solution pour que le fardeau des coûts fixes ne leur soit pas facturé. À défaut, la concurrence internationale à laquelle ils sont confrontés risque de les faire disparaître.

D’autre part, on ne réalise plus aujourd’hui certains investissements parce que l’on raisonne à court terme. Nous aurons peut-être des problèmes l’hiver prochain ou le suivant en France et, encore plus, en Belgique, parce que nous avons suspendu des investissements tels que des centrales thermiques au gaz, dans la mesure où ils ne trouvaient pas leur rentabilité. En ne faisant pas ces investissements de long terme qui renforceraient notre capacité de sécurisation du réseau, nous prenons un risque majeur. Qu’importe qu’ils soient rentables ou non certaines années : l’enjeu est de sauvegarder un système qui garantit une continuité de service et permet de maintenir des activités productives qui consomment l’énergie. Arrêtons de raisonner seulement au cas par cas et de nous lancer dans des investissements disparates ! Prenons en compte l’équilibre du réseau dans son ensemble !

Enfin, je ne nie pas que les interconnexions sont insuffisantes et qu’elles pourraient être mieux utilisées – vous avez raison sur ce point. Mais cette approche a ses limites : en raison de l’effet Joule, nous perdons une partie de l’électricité transportée sur longue distance. La production d’électricité doit donc être répartie dans l’espace.

Aujourd’hui, il en va de la survie d’une partie de notre industrie et, partant, de nos emplois, des sous-traitants et des PME qui travaillent pour ces grands groupes. Si les États membres ne sont pas capables d’affronter ensemble ce problème et de décider de ne facturer que le coût marginal à certaines entreprises compte tenu de la concurrence mondiale qu’elles subissent, nous ne parviendrons pas à les conserver. Car leurs concurrents n’ont, eux, pas de scrupules à venir leur tailler des croupières sur le marché européen ! Le problème se pose en ces termes. Bien sûr, dans ce cas, les coûts ne seront pas couverts intégralement, mais ils le seront encore moins une fois ces industries parties !

Certains se sont réjouis de la baisse de la consommation d’électricité. Or, en réalité, elle résulte du fait que de nombreuses usines se sont débranchées ! Peut-on vraiment s’en réjouir, sur un continent où l’on cherche la croissance avec les dents ? La question de l’énergie est vitale pour la croissance. De ce point de vue, nous donnons-nous vraiment les moyens de maintenir et de développer notre industrie ? J’en parle avec un peu de véhémence, car j’ai entendu mes collègues présidents des commissions des affaires économiques des autres parlements nationaux partager ces vives inquiétudes. Il est indispensable que ces sujets remontent à la Commission.

Mme Anne Houtman. Nous sommes d’accord avec vous sur la question des coûts
– nous l’avons d’ailleurs nous-mêmes écrit – et nous essayons de faire ce qu’il faut pour les réduire. De même, nous faisons le nécessaire pour favoriser les investissements, notamment en donnant aux opérateurs et aux investisseurs un cadre à long terme. Car ce sont aussi les incertitudes sur le long terme qui freinent les investissements. Nous nous efforçons de mettre en place un cadre juridique stable, efficace, appliqué partout, qui garantisse l’égalité de traitement. D’autre part, la Commission Juncker a proposé de lancer un grand plan d’investissements, dans lequel l’énergie sera un volet important, non seulement les infrastructures énergétiques, mais aussi le développement des énergies renouvelables et l’amélioration de l’efficacité énergétique. D’ailleurs, n’oublions pas que les progrès en matière d’efficacité énergétique sont sans doute la meilleure manière de réduire les coûts et la facture d’électricité. Or, dans ce domaine, les industriels européens sont certainement les meilleurs au monde.

M. François Brottes. Il convient de distinguer le court terme et le moyen terme.

Mme Anne Houtman. Il y a bien une planification et une gestion à long terme des besoins en infrastructures et en capacités au niveau européen. Les régulateurs et les gestionnaires de réseau ont l’obligation d’établir des plans à long terme en la matière. Ils le font d’ailleurs en coopérant étroitement, en particulier dans le cadre des initiatives régionales que nous mettons actuellement en place.

M. Jean-Pierre Gorges. Monsieur le président Brottes, pensez-vous que les industries électro-intensives pourront fonctionner, un jour, avec de l’électricité d’origine éolienne ou photovoltaïque ? Et, pour reprendre les termes de Mme Houtman, croyez-vous que la loi de transition énergétique que nous venons d’adopter soit un cadre séduisant pour des investisseurs et qu’elle soit à même de garantir une stabilité pour le pays ? Les vraies questions sont peut-être franco-françaises.

M. François Brottes. Je vous répondrai à l’issue de l’audition, cher collègue.

M. Alain Leboeuf, président. J’insiste sur les dernières interventions du président Brottes et de la rapporteure. Nous demandons non pas un traitement spécifique pour la France, mais des mesures au niveau européen. Il faut que la Commission européenne étudie la proposition formulée par le président Brottes. Il en va de l’avenir des industries européennes, en particulier électro-intensives.

Je vous remercie de votre disponibilité et de vos réponses, madame Houtman, même si nous sommes parfois un peu restés sur notre faim.

15. Audition, ouverte à la presse, de M. Jean Gaubert,
Médiateur national de l’énergie

(Séance du mercredi 19 novembre 2014)

M. Alain Leboeuf, président. Nous recevons M. Jean Gaubert, le Médiateur national de l’énergie, accompagné par Mme Catherine Lefrançois, responsable du service des études et des recommandations et de Mme Aurore Gillmann, en charge des relations institutionnelles.

Nul besoin de vous présenter, Monsieur Gaubert, vous qui avez longtemps été l’un de nos collègues à l’Assemblée nationale où vous avez toujours manifesté une attention particulière à la protection du consommateur, notamment en qualité de rapporteur pour avis des crédits à la consommation. Sur le thème retenant l’attention de la mission, vous avez rédigé avec Jean Proriol un rapport parlementaire remarqué sur la sécurité et le financement des réseaux de distribution d’électricité. S’il ne résume évidemment pas toute votre carrière, ce rappel explique ce qui vous a amené à occuper la fonction de Médiateur national de l’énergie.

La Médiation de l’énergie est une autorité administrative indépendante. Elle est principalement saisie de litiges ou de problèmes entre les consommateurs d’électricité ou de gaz et leurs fournisseurs. Après étude de chaque cas, le Médiateur émet des recommandations concernant les solutions possibles, en exerçant ainsi un pouvoir d’expertise et de conciliation. Vous devez aussi être informé des suites données à vos recommandations. Nous vous demanderons d’ailleurs si vous disposez ainsi d’une sorte de « droit de suite ».

Monsieur Gaubert, nous vous invitons à nous faire part de vos observations sur la précarité énergétique, les tarifs sociaux et le futur chèque énergie qui complétera ou se substituera aux dispositions actuelles.

La Médiation ne limite sans doute pas son activité à ce seul champ d’intervention. Est-elle également saisie de litiges ou de difficultés que rencontrent certains consommateurs comme les agriculteurs, commerçants ou artisans dans leur activité professionnelle ? Une typologie de ces litiges serait d’ailleurs utile à l’information de la mission.

Plus généralement, quel est votre avis sur les politiques commerciales des fournisseurs d’électricité, y compris les fournisseurs alternatifs ? Avez-vous été consulté sur les nouvelles modalités de fixation des prix de l’électricité intervenues récemment ? Avez-vous été amené à faire part de vos observations aux administrations de tutelle du secteur sur les modes d’évolution tarifaire vous paraissant souhaitables ?

Lorsqu’on évoque les litiges entre consommateurs et fournisseurs, on pense immédiatement que le plus important flux d’affaires concerne EDF et sa clientèle. Qu’en est-il de la situation concernant ERDF ou les différents distributeurs locaux ?

Après votre exposé liminaire sur l’activité du médiateur national de l’énergie, les membres de la commission vous poseront quelques questions. Mais, au préalable, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je dois vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Jean Gaubert prête serment.)

M. Jean Gaubert, Médiateur national de l’énergie. N’ayant pas la science infuse, je ne pourrai peut-être pas répondre à toutes les questions : maintenant que je ne suis plus parlementaire, j’ai moins de domaines de compétence et davantage de temps pour creuser les sujets sur lesquels des responsabilités m’ont été confiées.

Sachez que j’ai bien conscience que les sujets qui nous valent de nous exprimer devant la représentation de la nation sont toujours extrêmement importants.

Lors de vos précédentes auditions, vous avez déjà abordé certains thèmes sur lesquels je ne vais pas m’étendre. J’approuve notamment les propos tenus par le président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) sur nombre de sujets et ceux tenus par le président de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) sur le chèque énergie et les tarifs sociaux. À quelques petites nuances près, je partage l’analyse de Bruno Léchevin.

Le prix de l’électricité dépend de trois composantes essentielles et définies : la production, le transport et la distribution. Dans le coût de la distribution, la part du fournisseur inclut des frais commerciaux qui suscitent des interrogations. La part variable du prix de l’électricité est relativement faible ; ensuite, il y a ce que l’on appelle improprement des taxes. La contribution au service public de l’électricité (CSPE) est-elle une taxe ? J’entends dire qu’il s’agit d’un impôt de toute nature et, en tout état de cause, il s’agit davantage d’un instrument de péréquation et de répartition que d’une taxe. Si c’est une taxe, elle est affectée. S’y ajoutent la taxe sur la consommation finale d’électricité (TCFE) et la taxe à la valeur ajoutée (TVA).

Arrêtons-nous sur les rémunérations et les marges diverses. Les textes font référence à la notion de « marge raisonnable » qui est très difficile à comprendre, qui a d’ailleurs beaucoup évolué au fil des ans et qui est aussi imprécise que celle du temps de refroidissement du canon du fusil. Elle évoluait aux alentours de 6 % avant 2006, à une époque où le loyer de l’argent se situait à 4,5 % ou 5 % ; curieusement, elle atteint quelque 10 % actuellement, alors que le loyer de l’argent est tombé à moins de 1 %. L’État est schizophrène : à chaque fois qu’EDF réalise un euro de marge, l’État est intéressé à hauteur de 84,5 centimes d’euros.

Vous noterez donc que la marge raisonnable a évolué récemment de façon inversement proportionnelle au taux de rémunération de l’argent sur le marché. À ce prix-là, je serais disposé à m’endetter pour prêter de l’argent à EDF. Il y a de quoi s’interroger, d’autant qu’il s’agit d’investissements peu risqués. Qu’un entrepreneur en capital-risque demande un retour sur investissement important, on peut le comprendre sinon l’approuver. Quand il s’agit d’activités régulées, par conséquent peu risquées, cette rémunération qui va être payée par le consommateur apparaît extrêmement importante.

Lors d’une autre audition préparatoire à la loi sur la transition énergétique, j’ai eu à m’exprimer sur les prélèvements effectués sur Réseau de transport d’électricité (RTE) et Électricité réseau distribution France (ERDF). De quelle nature est la rémunération de RTE et d’ERDF ? C’est le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE), dont le niveau est défini par la CRE en concertation avec les opérateurs et dont la vocation est de couvrir les besoins de développement, de maintenance et d’entretien des réseaux. Curieusement, elle génère aussi des bénéfices relativement importants qui remontent à la maison mère, ce qui doit nous inciter à nous poser des questions. Le Parlement peut décider de conserver ces niveaux de prélèvement mais en connaissance de cause : c’est là où se trouvent les marges, même si la ministre de l’environnement a eu raison de demander à ce que soit recalculée l’élévation des prix.

La responsabilité d’EDF est largement partagée parce que les administrateurs d’État ont une position prépondérante au sein du conseil d’administration. Cela étant, je m’interroge sur le fait que les coûts commerciaux soient répartis au prorata entre les prix de marché de l’électricité et les tarifs réglementés. Dans le domaine des tarifs réglementés, les vrais coûts commerciaux sont les frais de gestion de dossier puisqu’il n’y a pas de coûts de communication, de publicité ou de démarchage de clients nouveaux. Pourtant, la CRE a je crois confirmé l’application d’une règle de trois. Je ne peux pas croire qu’à l’intérieur de l’entreprise on ne sache pas faire la différence entre les uns et les autres. Certains se battent pour une hausse des tarifs réglementés qui leur fera gagner plus d’argent – ce qui nous conduit parfois devant le Conseil d’État où nous ne gagnons pas toujours – et cela doit nous interpeller.

Chez EDF, j’ai le sentiment que l’amélioration des marges tient plus à l’augmentation de la rémunération des capitaux qu’à une vraie amélioration de la performance technique de l’entreprise. Il suffit d’augmenter le taux de rémunération des capitaux pour faire de la marge. La situation de l’entreprise – des capitaux bien rémunérés pour une activité régulée – est relativement confortable. Si je ne sais pas analyser la performance d’EDF, je vois bien que les décisions prises entre 2006 et 2010 ont des conséquences très importantes sur le secteur.

Autre composante : la fameuse CSPE qui n’est plus du tout indolore après une douzaine d’années d’existence et qui le sera encore beaucoup moins à l’avenir. Son montant qui atteignait environ 6 milliards d’euros en 2013 se répartissait de la manière suivante : 3,8 milliards d’euros pour les énergies renouvelables, 1,7 milliard d’euros pour les systèmes insulaires, 400 millions d’euros pour la cogénération et 300 millions d’euros pour l’aide aux plus démunis. Contrairement à ce que d’aucuns laissent croire, ce n’est pas « l’aide aux pauvres » qui coûte cher, y compris parce que les 300 millions d’euros ne sont même pas dépensés en raison d’une absence de croisement de tous les fichiers. Le chèque énergie sera un peu plus souple mais pas plus opérant si l’on n’y consacre pas davantage de moyens.

En fait, la CSPE alimente le seul fonds contributif à la transition énergétique. Lors de la création de cette contribution, il y a eu débat : faut-il une taxe sur l’ensemble des énergies pour financer l’ensemble des énergies renouvelables ou chaque énergie doit-elle financer sa propre énergie renouvelable ? Les pétroliers et les gaziers ont gagné en imposant l’idée que chacun devrait financer son énergie renouvelable. Résultat : pratiquement toutes les énergies renouvelables existantes, notamment le photovoltaïque, l’éolien terrestre ou offshore, sont électriques. Dans bien des cas, même le biométhane finit en électricité car le lieu de production est trop éloigné des réseaux de gaz et que le raccordement relève de l’entreprise productrice. Au lieu d’avoir des énergies renouvelables diversifiées, nous allons vers une production d’électricité renouvelable.

Qui paie la CSPE ? Lors des débats, on a culpabilisé les utilisateurs de chauffage électrique, ces « tarés » qui n’ont rien compris et qui paient le plus de CSPE. Vous qui êtes des parlementaires, vous savez comme moi que ceux qui se chauffent à l’électricité se répartissent entre trois catégories : les locataires du parc locatif privé dont les propriétaires ont fait le choix de « grille-pain » qui ne coûtent pas cher ; nombre de locataires du parc locatif public en milieu rural et périurbain ; les petits accédants à la propriété qui sont limités par le volume de leur prêt bancaire.

Est-ce que ce sont des riches ? Non, et pourtant ils vont devoir subir une hausse continuelle de la CSPE au vu des chiffres dont nous disposons et qui ont été donnés par Philippe de Ladoucette, le président de CRE, et qui confirment les nôtres. Pensez-vous que la CSPE va pouvoir tenir longtemps ? Pour ma part, je ne le pense pas comme je l’ai dit lors de mon audition par la commission spéciale sur la transition énergétique. Nombre de nos concitoyens ne se chauffent déjà plus ; ils vont consommer moins alors que la CSPE va devoir rapporter davantage pour financer les engagements pris dans les énergies renouvelables. La contribution devra donc augmenter plus vite, avec les conséquences que je vous laisse imaginer.

Pendant ce temps, que paient les autres énergies pour financer les renouvelables ? Le pétrole a dépensé entre 100 et 200 millions d’euros pour financer essentiellement ce que l’on appelle, à tort, le pétrole vert. Le gaz a payé 4 millions d’euros en 2013. Je comprends que le PDG de GDF-Suez continue de défendre l’idée selon laquelle chacun doit payer pour son énergie renouvelable. Je voudrais vraiment que vous mesuriez à quel point la CSPE sera incapable d’assumer l’ensemble des charges engagées et à venir.

Or la transition est d’autant plus nécessaire que la consommation d’électricité va augmenter et non pas diminuer, contrairement aux schémas envisagés par certains il y a dix ans. Tous les régulateurs, tous ces petits moteurs installés dans les maisons fonctionnent à l’électricité, au point que le poste « autres usages de l’électricité » tend à devenir parfois plus important que le poste « chauffage ». S’il est une priorité, c’est bien de trouver un financement pérenne pour les engagements passés et à venir dans le domaine des énergies renouvelables et qui nous permettront d’atteindre les objectifs fixés.

N’oublions pas que ces énergies renouvelables sont financées par de l’argent du public et que les sur-rémunérations ne sont pas forcément de bonnes solutions. L’effet d’aubaine n’a pas davantage sa place dans ce domaine que dans d’autres et les taux de rémunération de 10 à 12 % ne devraient plus être de mise dans l’éolien terrestre. Quelques chiffres montrent l’iniquité du système qui avait été élaboré dans le secteur du photovoltaïque : les appels d’offre actuels tournent autour de 140 ou 150 euros du mégawattheure alors que certains contrats ont été signés sur la base de 450 euros entre 2006 et 2010-2011.

Personnellement, j’habite près d’un centre éolien offshore réalisé au prix d’un investissement formidable de 2 milliards d’euros et qui produira de l’électricité pour un coût, beaucoup moins formidable, de 200 euros du mégawattheure. Si l’on persiste dans cette voie, nul besoin de s’interroger sur l’évolution des prix de l’électricité : ils vont continuer de fortement monter. Les consommateurs m’intéressent mais je n’oublie pas que la France compte aussi des industries électro-intensives qui risquent d’être affectées par une hausse des prix de l’électricité. Ce centre éolien a été réalisé sur appel d’offre, mais nous avons pris des marges : certaines promesses faites aux pêcheurs – la députée du secteur ne me contredira pas – frisent l’indécence. Le consommateur paiera ! Mais pourra-t-il continuer de payer ?

Les tarifs d’électricité ont augmenté de 15 à 17 % depuis 2010-2011, et de quasiment le double avec la CSPE. Les tarifs sociaux ne compensant pas la hausse, les bénéficiaires n’ont pas du tout conscience d’avoir été aidés. Il ne faut pas s’attendre à des remerciements de leur part, sous prétexte que leur facture augmente un peu moins que celle des autres. Si nous voulons vraiment que ces aides sous forme de tarifs sociaux ou de chèque énergie – auquel je suis favorable car il couvrira toutes les énergies - soient efficaces, elles doivent s’élever à un milliard d’euros au minimum. Sinon, inutile d’y consacrer beaucoup de temps : personne ne se rendra compte de leur existence. Et si le chèque énergie se réduit à 100 euros comme aujourd’hui, vous aurez en plus la situation particulière de ceux qui utilisent à la fois de l’électricité et du gaz et qui touchent actuellement deux fois les aides et qui n’auront plus que le chèque énergie. En revanche, ceux qui sont détenteurs d’un contrat de vente de gaz réparti (VGR) seront connus dans le système de chèque énergie alors qu’ils ne le sont pas dans celui des tarifs sociaux. Cela conduira donc à des transferts.

Quoi qu’il en soit, si l’enveloppe ne passe pas de 300-400 millions d’euros à 1 milliard d’euros, ce qui correspond à un chèque de 200 à 250 euros par famille, l’aide sera invisible et inefficace. Pour avoir participé à un colloque de l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), j’ai pu constater l’unanimité de vue des associations sur le sujet, certaines estimant même que l’aide devrait être portée à 400 à 450 euros par famille, ce qui me semble impossible.

Avons-nous été consultés sur les évolutions tarifaires ? Non et nous n’avons d’ailleurs pas à l’être, ce qui ne m’empêche pas de porter un jugement positif sur l’action menée qui a démontré qu’une hausse annuelle de 5 % n’est pas inéluctable. C’est aussi une question de volonté politique.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Merci pour votre exposé, monsieur Gaubert.

Vous avez répondu partiellement à l’une des questions que nous nous posons depuis le début de nos travaux : de quelle manière le dispositif français, tel qu’il a été construit, pèse-t-il sur les coûts et les tarifs ? En tant qu’actionnaire, l’État perçoit une rémunération. Exerçant sa tutelle, il impose aussi des contraintes et des charges qui peuvent contribuer à alourdir les coûts et donc les tarifs. Pourriez-vous revenir sur ce point ? Quel est le poids du dispositif tel qu’il a été construit au cours des dix dernières années, avec EDF, RTE et ERDF ? La demande de rémunération de l’État pèse non seulement sur EDF mais aussi sur les autres structures qui lui sont rattachées.

À votre avis, que faudrait-il remettre en cause pour agir sur les coûts et sur les tarifs ? Dans vos développements sur la CSPE, vous avez évoqué les charges pesant sur les tarifs. Pensez-vous qu’il y a une autre manière de les imputer ? Est-il possible de bâtir pour le consommateur d’électricité, que ce soit un ménage ou une entreprise, un système tarifaire qui tienne compte des différences entre le coût des infrastructures – les investissements peuvent être considérables – et celui de l’énergie proprement dite ? En allant au bout de la logique que vous avez esquissée, serait-il possible de construire un système tarifaire totalement différent de celui qui prévaut actuellement ? Si l’imputation des charges ne change pas, le consommateur ne pourra pas payer, dites-vous. Ne faut-il donc pas réaménager l’ensemble du dispositif ?

M. François Brottes. Monsieur le Médiateur, par le passé, nous avons essayé de faire preuve de créativité sur le sujet. Je nous invite à continuer. Peut-on envisager de casser le modèle tarifaire existant pour éviter d’aller dans le mur ?

Dans chaque composante du coût de l’électricité – production, transport, distribution – il faut faire la part entre les investissements et l’exploitation. D’une part, quel que soit son niveau de consommation, chacun doit prendre sa part du fardeau de la charge fixe car il faudrait continuer à payer l’investissement de base même si tout le monde éteignait la lumière. Même l’adepte de l’autoproduction a besoin d’être raccordé au réseau, le spécialiste des pompes à chaleur que vous êtes ne l’ignore pas. Le propriétaire d’une résidence secondaire, qui exige d’avoir de la lumière au moment où il le souhaite, doit en assumer les conséquences sous forme de contribution à la charge fixe que cela représente. D’autre part, l’accroissement des besoins de consommation, quand la famille s’agrandit ou que l’entreprise se développe, peut engendrer des besoins accrus d’investissements de production.

Le modèle tarifaire doit aussi tenir compte du mode consommation : le consommateur devrait payer en fonction de son comportement plus ou moins vertueux, plus ou moins responsable de débordements dans la gestion du réseau, mais ce n’est pas encore le cas. Sa facture évolue en fonction de la puissance et du volume d’énergie demandés. Comment peut-on l’inciter à faire un meilleur usage du réseau pour que le système soit moins sous tension ? C’est la tension du système qui engendre la spéculation, les surcoûts et des tarifs qui deviennent prohibitifs, de la même façon que l’intermittence des énergies renouvelables génère des surcoûts. Un mode de consommation plus serein permettrait de peser sur les coûts.

Il est nécessaire d’avoir une autre approche tarifaire si l’on veut intégrer les facteurs que je viens d’évoquer, sachant que la liste n’est pas close. Pour conclure, je ferai un parallèle avec la situation du marché des télécommunications où le temps de la consommation à l’unité est bel et bien fini. Ce secteur fonctionne aussi avec un réseau, des volumes et des débits que l’on pourrait comparer à la puissance. Pourtant, les consommateurs ne paient plus à la communication comme ils paient au kilowattheure. Étant un peu à l’origine de la création de cette commission, je nous invite à réfléchir autrement sur les tarifs de l’énergie.

M. Jean-Pierre Gorges. Votre intervention était édifiante, monsieur Gaubert. Avez-vous participé aux réflexions sur la loi relative à la transition énergétique ? La consommation d’électricité va continuer à progresser dans notre pays, dites-vous, alors que ce texte stipule exactement l’inverse pour préconiser une réduction du parc nucléaire et un développement des énergies renouvelables. Selon vous, non seulement la consommation d’électricité va augmenter mais la CSPE va faire exploser les tarifs. Le modèle prévu dans la loi que nous venons d’adopter est une machine infernale et, à terme, les gens ne pourront même plus consommer de l’électricité.

Vous qui représentez les consommateurs, en quelque sorte, êtes-vous en phase avec les propositions de la loi sur la transition énergétique ? Confirmez-vous que la consommation d’électricité va continuer à augmenter ? Pensez-vous que, dans le contexte actuel, il est sain de se retirer progressivement du nucléaire ? Pensez-vous que nous pourrons nous appuyer sur les énergies renouvelables, c’est-à-dire l’électricité photovoltaïque et éolienne, de manière définitive ou seulement pendant une phase de transition ?

Mme Jeanine Dubié. Vous avez évoqué le montant de la CSPE consacré aux énergies renouvelables, et nous savons qu’il existe de nombreux litiges liés aux arnaques d’entrepreneurs pas très honnêtes. Certains surfent sur les dispositifs législatifs et fiscaux d’encouragement des énergies renouvelables comme ceux qui concernent le photovoltaïque, les pompes à chaleur, et bientôt la rénovation énergétique via le crédit d’impôt qui est inscrit dans la loi relative à la transition énergétique et que nous avons validé dans le projet de loi de finances pour 2015.

Ces mauvaises pratiques minent la confiance des consommateurs, vous devez le constater dans votre tâche de médiateur comme nous le constatons dans nos permanences. Avez-vous une évaluation des montants que nous pourrions économiser grâce à un encadrement plus efficace ? Comment pourrions-nous mettre en place un système de labellisation avec des contrôles ? Fort de votre expérience de médiateur, pourriez-vous nous suggérer la bonne méthode à appliquer pour éviter de reproduire les mêmes erreurs ?

M. Jean Grellier. Que pensez-vous du rapport entre abonnement et consommation, les deux éléments qui apparaissent sur une facture d’électricité ?

Créé pour s’adapter à l’évolution européenne, le système devait être favorable au consommateur mais il se traduit plutôt par une somme d’inconvénients. L’échange que nous venons d’avoir avec la représentante de la Commission européenne montre que la discussion est assez bloquée. Quelles seraient vos recommandations, au niveau national et européen, pour débloquer le système et faire en sorte que le prix de l’énergie soit supportable pour le consommateur et contribue à la compétitivité de nos industries ?

M. Jean Gaubert. Pour répondre à Mme Valter et à M. Gorges, je vais revenir sur la CSPE. Comme Philippe de Ladoucette, le président de CRE, je compare les engagements que nous avons pris à échéance de quinze, vingt ou vingt-cinq ans avec la surface des « contribuables ». Ces derniers ne sont pas les plus aisés de notre société et ils ne pourront pas tenir. Au mieux, ils arrêteront de se chauffer ce qui fera augmenter mécaniquement la CSPE à l’unité, à un rythme supérieur à celui qui était prévu.

Sans vouloir polémiquer, je rappelle à M. Gorges que ce système n’a pas été inventé par le gouvernement actuel. À présent, notre responsabilité collective est de nous atteler à résoudre ce problème extrêmement important. Pour ma part, je pense que la seule solution est de créer une vraie contribution pour la transition énergétique, en l’appliquant à toutes les énergies sur la même base, quitte à déplaire aux gaziers. Ceux qui contribueraient un peu plus crient au scandale, arguant qu’une telle mesure favoriserait le chauffage électrique. Or la norme RT 2012 interdit, de fait, le chauffage électrique. Le problème du chauffage électrique ne se pose plus que pour les gens qui sont déjà piégés. Nous avons besoin d’un fonds pour financer la transition énergétique et, si nous voulons sauver la CSPE, il faut en élargir l’assiette. M. Jean Launay avait présenté un amendement en ce sens et le Parlement peut s’en saisir s’il le souhaite.

En parallèle, il faut être très regardant sur la dépense. La CSPE peine déjà à financer les engagements pris, de grâce ne rajoutons pas de nouvelles dépenses si on ne change rien ! Cette vigilance doit s’appliquer aussi aux coûts des énergies renouvelables, j’y insiste. Au mois de juin dernier, j’ai assisté à un colloque auquel participaient tous les opérateurs de l’offshore. Lors d’une table ronde, ils ont tous expliqué qu’il était illusoire de penser que le prix du mégawattheure descendrait au-dessous de 200 euros. Cet épisode m’a marqué et j’ai eu l’impression qu’il y avait entre eux une entente illicite. Nous devons nous poser la question. Lorsque j’étais parlementaire, je pensais aussi que l’on surpayait le photovoltaïque dans certaines régions françaises, voire dans toutes les régions. Nous n’en avons pas fini de payer les scories de cette période-là ! À l’époque, nous n’étions pas très nombreux à tenir ce genre de discours.

Madame Valter, vous m’interrogez sur la relation entre EDF et ses filiales, un sujet que j’ai évoqué à plusieurs reprises. Ces filiales n’ont pas le même statut : contrairement à ERDF, RTE est davantage sous la responsabilité de la CRE que d’EDF. C’est ainsi qu’au printemps dernier, la CRE a décidé de faire redistribuer aux consommateurs et non à la maison mère, la partie des excédents de RTE qu’elle estimait injustifiés.

Instruite par le montage rapide de RTE en 2000, la direction d’EDF s’est arrangée pour ne pas se faire rouler une deuxième fois avec le montage d’ERDF : le poids de la maison mère EDF pèse très lourd sur sa filiale ERDF. Alors que la nomination du président de RTE se fait en conseil des ministres, celle du président d’ERDF a lieu dans le bureau du président d’EDF, ce qui change la nature des rapports. En outre, la direction financière d’EDF intervient en permanence chez ERDF. Si le dernier directeur financier d’ERDF n’a pas donné trop d’explication sur sa récente démission, les interprétations ne manquent pas.

En 2012 ou 2013, la direction financière d’EDF a demandé aux fournisseurs d’ERDF de diminuer de 2 % le prix des marchés qu’ils venaient de signer, ce qui n’est pas très conforme aux règles européennes. Les fournisseurs étant pieds et poings liés à ERDF, ils n’ont pas pu se plaindre. EDF a aussi décidé de diminuer les programmes d’investissements qui avaient permis de définir le TURPE, afin de faire remonter des dividendes. Ce genre d’opérations est possible à ERDF, pas à RTE. Le TURPE doit servir à financer les réseaux et non à faire remonter du cash vers la maison-mère, sauf si tous les besoins d’investissement ont été satisfaits.

Si je me permets de vous répondre sur EDF, c’est parce que j’ai été administrateur de cette maison pendant dix ans. En tant que Médiateur, je n’ai pas de compétences sur ces sujets et je n’aurais pas été informé sur la manière dont les choses se passent chez EDF ou ailleurs. Pour faire apparaître les marges ou les déficits souhaités, le dirigeant d’entreprise peut jouer sur la durée des amortissements. Cette très vieille technique a toujours cours chez EDF, avec l’aval de Bercy.

Une règle plus précise sur les amortissements permettrait d’agir davantage sur le prix. Le tarif de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) a été fixé à 42 euros – ce que d’aucuns jugent insuffisant – en prenant notamment en compte le calcul des amortissements. Va-t-on accepter l’allongement de la durée de vie de certaines centrales nucléaires ? À quelles conditions ? À quel prix ? En Belgique et aux Pays-Bas, l’allongement de la durée de vie de certaines centrales s’est traduit par le versement d’un pactole à l’État, même quand il s’agissait d’entreprises privées. Le calcul des amortissements est un vrai sujet de réflexion.

Plusieurs questions portaient sur le partage dans la facture entre l’amortissement de l’investissement et la consommation. En tant qu’élu, j’ai toujours considéré que l’abonnement devait couvrir l’amortissement des investissements, partant du fait que la personne raccordée peut demander à tout moment une puissance et une consommation donnée que l’opérateur doit avoir en réserve. Vos interventions me font plaisir parce que j’ai souvent entendu des orateurs plaider dans l’hémicycle pour la suppression des abonnements, pas forcément pour les factures d’électricité mais au moins pour celle de l’eau. Si nous le faisions, nous ferions payer les amortissements à ceux qui sont prisonniers de la consommation d’électricité.

J’utilise souvent un exemple qui parlera à Mme Le Dissez, celui des résidences secondaires qui sont nombreuses dans notre région. Si vous supprimez l’abonnement à l’eau, tous les investissements seront payés par les autochtones alors que les investissements importants et supplémentaires sont faits pour répondre aux besoins des résidents secondaires qui affluent pendant l’été – et nous sommes contents qu’ils viennent. Pour l’électricité, nous sommes dans la même situation.

S’agissant de la construction tarifaire, je suis de ceux qui regrettent que la loi Brottes n’ait pas pu être totalement appliquée, car le système par tranches de consommation était incitatif. Nous devons réfléchir à la répartition des charges d’amortissement et de consommation, c’est tout ce que je peux dire. L’abonnement à la puissance existe déjà. Est-ce que les écarts de prix sont assez importants ? Je ne sais pas mais j’appelle votre attention sur le fait qu’en élargissant les écarts pour les premières tranches, on punirait encore davantage les prisonniers du chauffage électrique. Mais c’est sans doute une piste à explorer.

Est-ce que la concurrence induit une baisse des coûts ? Pour ma part, je n’en ai jamais été persuadé. Nous avons constaté que notre pays avait les coûts d’électricité quasiment les plus bas d’Europe avant l’introduction de la concurrence. Par définition, la concurrence avait vocation à équilibrer les situations par l’ouverture des frontières. Européen convaincu, je suis pour l’ouverture des frontières entre nous à condition que nous ayons les mêmes règles. Quoi qu’il en soit, nous constatons que cela n’a pas été concluant chez nous.

À cet égard, il ne faut pas confondre le gaz et l’électricité. Le gaz est un produit qui se stocke et qui ne réagit pas comme l’électricité à certains paramètres. À part dans les barrages et les ballons d’eau chaude, l’électricité n’est pas stockée dans notre pays. Il existe bien quelques batteries très écologiques fonctionnant au lithium, importées de pays où elles ne sont pas considérées aussi écologiques que cela par les personnes qui les fabriquent. À partir du moment où ce produit ne se stocke pas, il fait immanquablement l’objet de manipulations et de coups.

En 1999 ou 2000, j’étais allé visiter la salle des marchés qu’EDF avait installée à Londres faute d’avoir le droit de le faire en France à l’époque – ce qui était formidable de la part d’un service public – et j’en étais revenu horrifié. Je m’étais rendu compte qu’il y avait des manipulations car les transactions étaient sans rapport avec la réalité physique de la production. Pour des produits stockables, la loi de l’offre et de la demande peut fonctionner assez correctement. Pour des produits non stockables, une forte régulation est nécessaire.

Est-ce que je suis en phase avec la loi sur la transition énergétique ? me demande Jean-Pierre Gorges. Quitte à vous surprendre, je répondrais par l’affirmative. Le leitmotiv principal de cette loi est la baisse de la consommation d’énergie et non pas la baisse de la consommation d’électricité. Nous allons sans doute assister à des baisses de consommation d’énergies diverses – fioul, gaz, charbon et autres – dans le cadre de la lutte contre le changement climatique, et à une stabilisation voire à une augmentation des consommations d’électricité : non seulement la substitution passe souvent par l’électricité, mais on utilise souvent des appareils électriques pour mieux gérer la consommation d’énergies fossiles.

Qu’est-ce que je pense du nucléaire ? À titre personnel, je n’ai jamais été très opposé au nucléaire car je pense que nous en aurons encore besoin pendant une longue période, tout en étant très content de savoir que mes petits-enfants pourront s’en passer. Cela étant, je vous ferais remarquer que la donne est en train de changer : les débats portaient sur les risques ; ils s’orientent vers des considérations économiques.

EDF vient d’annoncer un nouveau retard d’un an du démarrage du réacteur nucléaire de troisième génération de Flamanville, dont la facture ne cesse de déraper. Nous avons vendu deux centrales EPR (European Pressurized Reactor) en Grande-Bretagne sur la base de coûts de production de 108 et 110 euros du mégawattheure, ce qui est supérieur aux coûts de production de l’éolien terrestre. À l’avenir, les débats sur le nucléaire porteront plus sur son coût que sur sa sécurité.

Que va-t-il nous rester ? L’éolien terrestre, qui ne pose aucun souci de démantèlement, va être moins coûteux que l’électricité nucléaire. On nous dit que cet EPR est une tête de série. Qu’en est-il de ceux qui sont en chantier en Chine et en Finlande ? Un peu comme dans le cas de l’éolien offshore, les prix ne cessent de monter. La question – à laquelle je n’ai pas de réponse – mérite d’être posée.

Madame Dubié, nous ne sommes pas compétents sur les arnaques dans le domaine des énergies renouvelables. Nous aurions aimé l’être parce que nous sommes souvent saisis, mais le Parlement ne l’a pas souhaité pour le moment. Ne noircissons pas le tableau : il existe beaucoup d’opérateurs honnêtes mais on en parle moins que des malhonnêtes. Mais quand un malhonnête a sévi dans un endroit, les actions en faveur de la transition énergétique deviennent difficiles à mener car tous les voisins ont peur de se faire avoir.

Dans notre dernier rapport, nous avons dénoncé l’action d’un opérateur qui n’est pas classé dans la catégorie des margoulins : EDF Bleu ciel. Certains cadres d’EDF sont un peu mal à l’aise par rapport à ce système de labellisation d’entreprises par EDF Bleu ciel qui a une très bonne image. L’entreprise labellisée arrive chez le client avec une société de financement et le contrat est signé. Par la suite, il arrive que le client constate que les installations ne fonctionnent pas et que l’entreprise, plus ou moins compétente, a même disparu. EDF a récupéré les certificats d’économie d’énergie alors même qu’il n’y en a pas. Le particulier, lui, se retrouve Gros-Jean comme devant !

Pour que la transition énergétique réussisse, nous devons donner à nos concitoyens l’assurance qu’ils ne se feront pas avoir s’ils se lancent dans ce genre d’opérations. L’État a créé « Reconnu garant de l’environnement » (RGE) qui devra s’imposer comme le seul label véritable dans ce domaine. Chaque grande entreprise créant son label, les gens finissent par se perdre dans le maquis, ne savent plus à qui se fier et n’entreprennent pas les travaux. Le label RGE devrait être le seul à être reconnu comme label.

Nous étions demandeurs de cette compétence que l’on va peut-être nous confier. Au moment du débat, la crainte était que nous ayons besoin de moyens supplémentaires. Nous réfléchissons à des solutions qui nous permettraient de nous appuyer sur des opérateurs locaux pour assumer cette tâche à moyens quasiment constants. La transition énergétique est un processus obligatoire et même exaltant : sous la pression des événements, nous sommes en train de changer de monde. Pour y parvenir, nous devons prendre quelques précautions pour que nos concitoyens ne se fassent pas avoir et pour qu’ils aient confiance.

M. Alain Leboeuf, président. Vous avez parlé des litiges concernant les consommateurs, qu’en est-il de ceux qui opposent les producteurs ?

M. Jean Gaubert. Nous ne sommes pas compétents, ce qui est dommage car les questions dont nous avons parlé sont souvent liées à des litiges de production. C’est pour cette raison que nous souhaitions être compétents pour les litiges liés aux énergies renouvelables. Bien évidemment, nous n’avons pas envie de l’être pour ceux qui opposeraient l’opérateur d’un grand barrage à EDF, par exemple. Mais il y a un manque en ce qui concerne les énergies renouvelables.

M. Alain Leboeuf, président. Effectivement, j’ai en tête quelques exemples dans ce domaine et les gens ne savent pas vers qui se tourner.

M. Jean Gaubert. Pour le moment, ils ne peuvent se tourner vers personne. Quand l’entreprise existe encore, on peut espérer qu’elle a une garantie décennale et des assurances. Quand elle n’existe plus, le client n’a plus de recours. Dans ces cas-là, nous aurions souhaité que le parrain – celui qui a donné un label – soit responsable, d’autant plus qu’il reçoit les certificats d’économie d’énergie.

M. Alain Leboeuf, président. Monsieur le médiateur, je vous remercie ainsi que vos collaboratrices.

16. Audition, ouverte à la presse, de M. Stéphane Kilbertus, administrateur de l’Association nationale régie services publics organismes constitués (ANROC), de M. Christophe Chauvet, administrateur de la Fédération des sociétés d’intérêt collectif agricole d’électricité (FNSICAE) et président de l’Association des distributeurs d’électricité de France (ADEEF), et de M. Gérard Lefranc, président de l’Union nationale des entreprises locales d’électricité et de gaz (UNELEG)

(Séance du jeudi 20 novembre 2014)

Mme Jeanine Dubié, présidente. Nous recevons, ce matin, les responsables des organisations professionnelles représentatives du monde de l’électricité au niveau local.

Après avoir reçu, la semaine passée, une représentation de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), conduite par son président, le sénateur Xavier Pintat, nous pensons utile à notre information d’entendre vos organisations, qui ont certainement des points de vue à défendre sur ce segment du secteur électrique qui couvre la production, la distribution et la fourniture aux clients.

Notre commission d’enquête a pour objet les tarifs de l’électricité, dans le cadre évolutif de l’ouverture du marché, décidée par l’Union européenne. Les éléments constitutifs du coût de cette énergie sont donc au cœur de notre réflexion.

Il nous importe aussi de connaître l’état de vos relations avec la Commission de régulation de l’énergie (CRE) et, plus précisément, vos appréciations sur ses grilles d’analyse tarifaire, susceptibles d’avoir un impact sur la situation économique de vos membres. À cet égard, la gestion du Fonds d’amortissement des charges d’électrification (FACé) et la problématique spécifique des zones rurales méritent sans doute une attention spéciale.

En application de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées dans le cadre d’une commission d’enquête prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous demande donc de lever la main droite et de dire : « Je le jure. »

(MM. Gérard Lefranc, Stéphane Kilbertus et Christophe Chauvet
prêtent successivement serment.)

M. Gérard Lefranc, président de l’Union nationale des entreprises locales d’électricité et de gaz (UNELEG). Je vais m’exprimer au nom des quatre fédérations représentant les entreprises locales de distribution (ELD) : l’Association nationale des régies de services publics et des organismes constitués par les collectivités locales (ANROC), la Fédération nationale des sociétés d’intérêt collectif agricole d’électricité (FNSICAE), le Syndicat professionnel des entreprises locales d’énergie (ELE) et l’Union nationale des entreprises locales d’électricité et de gaz (UNELEG). En effet, par-delà notre diversité, nous travaillons de concert et avons préparé ensemble cette audition.

L’opérateur national masque souvent les entreprises locales de distribution, qui sont toutes des TPE ou PME et se caractérisent, au-delà de leurs missions communes, par la diversité de leurs structures juridiques et de leurs tailles. Elles sont au nombre de cent cinquante et alimentent chacune de 100 à 500 000 clients, sur les 37 millions de clients nationaux, pour un volume desservi de l’ordre de 5 % de la consommation intérieure nationale, soit 25 térawattheures, distribués à 3,8 millions d’habitants, répartis dans 2 800 communes. Les ELD sont présentes sur l’ensemble du territoire national, avec des zones de forte concentration, comme l’Alsace, la Picardie, une région où la distribution d’électricité s’est développée en s’appuyant sur le monde agricole, les départements des Deux-Sèvres et de la Vienne et les zones de montagne, où l’électricité s’est naturellement substituée à la force hydraulique, entraînant la création de nombreuses régies de production et de distribution d’électricité.

Nos entreprises relèvent de statuts juridiques très divers : régies directes ou autonomes, services municipaux d’électricité, sociétés d’économie mixte locales, sociétés d’intérêt collectif agricoles d’électricité, voire coopératives ou sociétés anonymes.

Au-delà de leur mission régalienne traditionnelle de distribution d’électricité, qui implique l’exploitation des réseaux et la fourniture d’électricité aux tarifs réglementés de vente, les ELD ont, avec la fin du monopole, diversifié leurs activités au cours des dernières décennies, se tournant vers la production d’électricité – hydroélectricité et énergies renouvelables –, la gestion de l’éclairage public au bénéfice des collectivités, les réseaux de chaleur et les réseaux de télécommunication, l’eau ou encore la fibre optique.

Dans le respect des principes d’« étanchéité » entre les activités de commercialisation et les activités de réseau et du principe de séparation juridique imposée à certaines d’entre elles, l’intégration verticale de la chaîne de valeur de l’électricité et du gaz leur confère un rôle d’énergéticien local.

Aux termes de la loi de 1946, toujours en vigueur, les ELD assurent, dans leur zone de desserte exclusive, une double mission de service public : elles sont, d’une part, gestionnaires de réseau de distribution – ce qui signifie dans certains cas, par exemple à Strasbourg ou à Metz, qu’elles gèrent des réseaux de 63 000 volts et de 125 000 volts, qui ailleurs relèvent normalement de Réseau de transport d’électricité (RTE) ; d’autre part, elles assurent la fourniture d’électricité aux tarifs réglementés de vente. Ces missions sont assurées soit dans le cadre de contrats de concession, soit dans le cadre de règlements de service, lorsque l’ELD dépend directement d’une collectivité locale.

Sans vouloir dresser une liste exhaustive des missions confiées par la loi et le code de l’énergie aux ELD, il faut rappeler certaines obligations attachées à ce rôle de délégataire des collectivités locales. En tant que gestionnaires du réseau de distribution, les ELD sont chargées du raccordement des différentes catégories d’utilisateurs – consommateurs ou producteurs – mais également de l’exploitation, de l’entretien et du développement du réseau. Concernant ce dernier point, je tiens à souligner, puisque vous avez évoqué le rôle du FACÉ, qui est l’une des sources de financement du réseau, la particularité du régime concessif français, qui donne à l’autorité organisatrice le droit de procéder au développement du réseau.

En tant que fournisseurs aux tarifs réglementés de vente, les ELD ont l’obligation d’accorder un abonnement à quiconque leur en adresse la demande, mais elles ne peuvent prendre l’initiative de résilier un contrat. Ainsi, une ELD – ou EDF, qui est soumise aux mêmes obligations – ne peut refuser un abonnement à un squatter qui ne dispose d’aucun titre de propriété. Cette obligation confère aux ELD un rôle de « fournisseur de secours » pour les clients résidentiels. Elle n’est pas sans effet sur les coûts de gestion commerciale. Contrairement aux fournisseurs nouveaux entrants dans le dispositif, les ELD ne peuvent en aucun cas choisir leurs clients en fonction de leurs qualités de payeur ou du niveau de rentabilité qui en est attendu.

Les ELD étant pour la plupart centenaires et toutes issues des collectivités locales, elles pratiquent une gestion de la précarité au plus près des clients confrontés à des difficultés, grâce aux relations étroites et anciennes entretenues avec les différents services sociaux des départements ou les centres communaux d’action sociale (CCAS). Toutes financent le Fonds de solidarité pour le logement.

Les ELD sont par ailleurs obligées d’acheter de l’électricité produite à partir des énergies renouvelables. Si la contribution au service public de l’électricité (CSPE) vient compenser certaines des charges liées à cette obligation, les surcoûts liés à la gestion administrative ne sont en revanche guère pris en compte. Or ces coûts sont relativement importants dès lors que l’on a affaire à de petits producteurs dont la puissance n’excède pas deux ou trois kilowatts, et c’est grâce à leurs activités commerciales que les ELD peuvent les financer.

Il est donc abusif d’argumenter sur la contestabilité des tarifs réglementés de vente, si ces différentes obligations ne sont pas prises en compte : les missions d’un opérateur de service public sont plus étendues que celles d’un fournisseur de marché. Elles ont un coût et peuvent justifier une différence de tarif commercial.

Les ELD emploient environ 5 000 salariés – 1 000 pour la plus grosse d’entre elles –, effectif à rapprocher des 140 000 salariés de la branche des industries électriques et gazières (IEG), hors fournisseurs et producteurs nouveaux entrants. Ces salariés relèvent, depuis la loi du 22 avril 1946, du statut national du personnel des industries électriques et gazières, au même titre que les personnels d’EDF et GDF-Suez. Cela s’est notamment traduit ces dernières années par d’importantes évolutions sociales, au premier rang desquelles la réforme des régimes spéciaux de retraite, qui a obligé nos entreprises à financer sur leurs ressources propres les soultes liées à l’adossement du régime des IEG à la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) et aux régimes complémentaires que sont l’Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (ARRCO) et l’Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC). Nous sommes un régime vertueux, puisque nous externalisons et provisionnons les charges à venir correspondant aux retraites de nos agents.

Toujours au titre de ce statut, les ELD financent, en tant qu’employeurs et au même titre qu’EDF et GDF Suez, la Caisse centrale d’activités sociales de l’énergie (CCAS), à hauteur de 1 % de leur marge brute, ce qui correspond à un niveau de financement sans commune mesure avec le droit commun appliqué à la majorité des fournisseurs alternatifs, c’est à dire des nouveaux entrants sur le marché : ils ne relèvent pas du statut des industries électriques et gazières mais de la convention collective du négoce.

Les ELD tiennent ici à réaffirmer leur attachement à la péréquation tarifaire nationale, socle du système électrique français. En effet, elles s’inscrivent pleinement dans l’organisation du système électrique actuel, tout en soulignant la réglementation très forte à laquelle sont soumis les opérateurs du secteur : dix lois en dix ans, et des centaines d’arrêtés et de décrets ! Leur mise en œuvre s’est traduite pour nos entreprises par des coûts supplémentaires. Ces coûts doivent évidemment être pris en compte dès lors qu’on se penche, comme le fait votre commission d’enquête, sur les tarifs de l’électricité.

Les ELD sont en symbiose avec leur environnement, au niveau territorial comme au niveau national. Elles travaillent avec ERDF et EDF et sont présentes dans un certain nombre d’organismes, comme le Conseil supérieur de l’énergie.

Elles ne peuvent fonctionner que dans une logique de couverture des coûts des missions qui leurs sont confiées, à savoir les coûts d’exploitation du réseau d’une part et les coûts de commercialisation de l’électricité d’autre part.

Je souligne enfin que les excédents dégagés sont réinvestis localement, ce qui fait des ELD des acteurs de l’économie locale qui travaillent avec les entrepreneurs du bâtiment et des travaux publics et les fournisseurs locaux et en employant, autant que faire se peut, de la main d’œuvre locale.

J’en viens à la question de la facturation. Ce qui compte, pour le client final, c’est sa facture annuelle d’électricité. Cette facture se compose de deux éléments : le volume consommé et le prix unitaire du kilowattheure. En ce qui concerne les volumes d’électricité consommés, les ELD ont une longue tradition de conseil à leurs clients en matière d’optimisation tarifaire, afin d’éviter les fausses recettes, c’est-à-dire les tarifs mal adaptés, mais également en matière de maîtrise de la dépense d’énergie. Sur ce dernier point, nous intervenons, souvent en partenariat avec les collectivités, pour diffuser la pratique des « éco-gestes » ou accompagner les associations ou les bailleurs sociaux dans l’information des usagers. Nous menons enfin des actions visant à accroître l’efficacité énergétique des bâtiments privés et publics.

Une analyse globale des tarifs de l’électricité doit intégrer l’existence de ces actions, qui génèrent des charges pour les opérateurs, mais également des gains pour les consommateurs. Étroitement liées à la fourniture d’électricité aux tarifs réglementés de vente, elles contribuent à la satisfaction des clients comme des autorités organisatrices de la distribution d’électricité, chargées de promouvoir l’efficacité énergétique.

En ce qui concerne les prix, ils intègrent une part importante de taxes, lesquelles pesaient en 2013 pour près d’un tiers de la facture d’électricité d’un client final résidentiel, avec cette particularité que la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) s’applique sur les taxes acquittées par les consommateurs, tout comme la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) acquittée par les opérateurs.

Les charges de service public de l’électricité pèsent annuellement pour près de 6 milliards d’euros : les hausses récentes de prix supportées par le client final sont pour l’essentiel dues à l’augmentation de la CSPE, passée de 4,5 euros par mégawattheure en 2010 à 16,5 euros aujourd’hui, avant d’atteindre sans doute 19,5 euros le 1er janvier 2015, ce qui s’est traduit par une hausse de 15 % de la facture des consommateurs, soit plus de la moitié de la hausse globale intervenue depuis 2010. Nous regrettons évidemment qu’il ne soit guère fait état de ce poids de la CSPE dans les médias lorsqu’il est question de hausses tarifaires qui n’ont en réalité aucun impact sur le compte de résultat des ELD. La CRE évalue à 60 % l’augmentation de la CSPE dans les quatre ans à venir, ce qui se traduira encore par une hausse de 10 % de la facture des consommateurs. En comparaison, les autres taxes pèsent pour une part beaucoup moins importante : 2 euros par mégawattheure pour la contribution tarifaire d’acheminement (CTA), qui sert à financer les retraites, et 4 ou 5 euros pour les taxes locales. L’analyse des coûts publiée par la CRE dans son observatoire des marchés de détail et dans son rapport du 15 octobre 2014 sur les tarifs réglementés de vente met en exergue le fait que la part production-commercialisation représente moins de 40 % de la facture du client final, dont 6 % environ de coûts commerciaux. Il est difficile, dans ces conditions, de disposer de leviers efficaces pour faire baisser la facture du client final.

L’ouverture des marchés de l’énergie conduit depuis plusieurs années à une extrême instabilité tarifaire, situation nouvelle liée, d’une part, à la volonté des nouveaux opérateurs de remettre en cause les tarifs réglementés de vente et, d’autre part, aux nombreuses évolutions de la réglementation mais aussi à la multiplication des annulations de tarifs par les instances juridictionnelles saisies. Souvent tardives, ces annulations finissent par porter préjudice aux opérateurs historiques en écornant la crédibilité des tarifs réglementés de vente ; les clients n’étant jamais assurés que leur facture ne sera pas, au final, remise en cause, et ce d’autant plus que les factures qui intègrent des mouvements de régularisation, des prix moyens, des taux intermédiaires de CSPE, sont devenues illisibles. Il y a là un véritable chantier à ouvrir dans le cadre du choc de simplification décidé par le Gouvernement !

J’ajoute enfin que ces annulations ne sont pas sans impact économique sur l’équilibre financier des ELD, qui doivent, pour accomplir les régularisations nécessaires, adapter leurs systèmes d’information et former leurs personnels, ce qui engendre nécessairement des coûts supplémentaires, que n’ont pas à supporter les nouveaux entrants sur le marché.

En dernier lieu, nous souhaitons rappeler qu’une disposition de la directive européenne prévoit l’obligation pour les États membres de mettre en place un service universel dont la finalité est de protéger les consommateurs les plus vulnérables ou les moins aptes à appréhender la complexité d’un marché ouvert à la concurrence. Est-il pertinent, dans cette perspective, d’attaquer systématiquement les arrêtés tarifaires sur des critères de contestabilité du marché ? Peut-on mettre sur le même plan le service universel et les offres proposés par les nouveaux entrants, que nous avons coutume de surnommer fournisseurs low cost ? Les ELD souhaitent que les systèmes « rénovés » qui seront issus de la loi sur la transition énergétique permettent le retour à une stabilité et à une solidité tarifaire, dont dépendent non seulement la crédibilité des opérateurs mais également celle des autorités organisatrices de la distribution d’électricité.

En ce qui concerne la construction tarifaire par empilements des coûts, la multiplication des dispositions légales, vouées à être de nouveau modifiées par la loi sur la transition énergétique, entraîne à nos yeux un risque d’instabilité juridique.

Les tarifs réglementés doivent nécessairement couvrir les coûts des opérateurs. Pour un tarif bleu moyen, ces coûts se décomposent globalement en trois tiers : l’acheminement, la production-commercialisation et les taxes, la part de ces dernières ne cessant, comme nous l’avons indiqué, de croître. Les coûts de commercialisation représentent entre 6 % et 8 % du prix livré. Ils sont toutefois très dépendants de la typologie des clients.

À la différence des prix du marché, les tarifs réglementés de vente intègrent le coût des contraintes de service public liées à la qualité de fournisseur « obligé » : l’obligation de contracter sans possibilité de résiliation unilatérale ; la possibilité pour le client de sortir du système à tout moment, ce qui n’est pas sans incidence pour le fournisseur sur les coûts d’approvisionnement, la gestion de la précarité, qui pèsera d’autant plus lourd que la loi sur la transition énergétique prolongera la trêve hivernale. À ces obligations, on peut ajouter des coûts propres aux ELD et liés à leur inscription dans un territoire donné, qui nécessite la présence de personnels sur place et de moyens adaptés au traitement local de la précarité – je pense notamment à la gestion du chèque énergie.

J’appelle votre attention sur le fait que, pour des raisons d’ordre technique ou politique, la grille du tarif bleu recèle de grandes hétérogénéités en matière de couverture des coûts. Cela comporte de graves risques pour les fournisseurs aux tarifs réglementés de vente, dans la mesure où les fournisseurs alternatifs, qui ne sont pas des « enfants de chœur », cibleront forcément les clients les plus rentables. Ils laissent les autres aux fournisseurs historiques. Nous estimons donc que, pour éviter ces effets d’aubaine, la couverture des coûts doit être calculée pour chaque option tarifaire et chaque niveau de puissance de la grille. La couverture des coûts de commercialisation par les tarifs se heurte néanmoins à une difficulté majeure sur un marché où l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) ne couvrirait pas les coûts de production à long terme.

Enfin, la situation actuelle, caractérisée par un prix de marché anormalement bas, présente plusieurs inconvénients majeurs. La non rémunération des producteurs peut d’abord conduire à un arrêt des investissements et, partant, à l’apparition de déséquilibres entre l’offre et la demande – l’exemple californien est, à ce titre édifiant. Un prix de marché trop bas n’incite pas, par ailleurs, les fournisseurs à proposer des économies d’énergie, ni les industriels à investir dans ces économies d’énergies. Enfin, un prix de marché trop bas ne bénéficie pas aux clients particuliers, car ils renchérissent la CSPE.

Pour leur permettre d’assurer, d’une part, l’approvisionnement des clients de leur zone de desserte bénéficiant des tarifs réglementés de vente et, d’autre part, la couverture des pertes d’électricité des réseaux qu’elles exploitent, le législateur a prévu, à l’usage exclusif des ELD un tarif particulier dénommé tarif de cession. Ce tarif administré a été créé en 2005 et s’est substitué à des conditions d’achat datant de 1985. Il convient de rappeler qu’avant l’ouverture du marché de l’énergie, EDF disposait d’un monopole de la vente d’énergie : des opérateurs comme la Compagnie nationale du Rhône (CNR) devaient vendre leur énergie à EDF, qui la revendait ensuite via les tarifs réglementés de vente. À défaut de produire elles-mêmes leur énergie, les ELD devaient donc obligatoirement s’approvisionner auprès d’EDF.

Les ressources dont disposent les ELD résultent donc du différentiel entre les recettes de fourniture aux tarifs réglementés de vente et les achats au tarif de cession, déduction faite des prestations relatives à l’acheminement. Ce différentiel, dénommé marge brute, doit leur permettre de couvrir leurs coûts commerciaux, de permettre l’exercice de leurs missions de service public et de dégager une marge raisonnable.

Nous avons procédé, depuis 2005, à une analyse détaillée de l’évolution des coûts et des marges des ELD, à partir d’un échantillon représentant près de 50 % du volume total distribué chaque année – soit treize térawattheures. Les résultats de cette étude, que nous avons communiqués à la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) comme au régulateur, et que nous tenons à votre disposition, m’incitent à appeler votre attention sur le fait que l’évolution du tarif de cession a conduit depuis trois ans à une stagnation de la marge brute des ELD. Cela est notamment dû au fait que cette évolution n’a pris en compte ni l’augmentation des charges de service public ni celle des coûts commerciaux – pourtant constatés par la CRE pour l’opérateur national – ni même l’inflation. Une modification législative s’avère donc nécessaire pour adapter les modalités de construction du tarif de cession aux nouvelles modalités de construction par empilement des tarifs réglementés de vente, mises en œuvre le 1er novembre 2014. Il est urgent de s’atteler, en lien avec la CRE, au chantier de construction du futur tarif de cession, dont le démarrage, prévu à l’origine à l’automne 2013, a été plusieurs fois reporté.

Enfin, les ELD doivent disposer, grâce à leurs marges brutes, des ressources nécessaires à l’exercice de leurs missions. Ces entreprises, attachées à la péréquation tarifaire, appliquent des tarifs nationaux qu’elles ne contestent pas, mais il est indispensable de parvenir à un juste équilibre entre tarif de cession et tarifs réglementés de vente.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Vous avez énuméré les diverses obligations de service public pesant sur les ELD et insisté sur vos difficultés à les couvrir financièrement. Avez-vous quantifié le coût qu’elles représentaient ?

À plusieurs reprises, vous avez évoqué la nécessité d’une couverture intégrale des coûts par les tarifs. Comment, selon vous, assurer cette couverture sachant que notre système électrique souffre d’un déficit tarifaire important ?

M. Stéphane Kilbertus, administrateur de l’Association nationale des régies de services publics et des organismes constitués (ANROC). Grâce à une étude fondée sur la comptabilité analytique des entreprises, nous sommes parvenus à dégager une vision claire de l’évolution des charges liées aux obligations de service public, dont il est parfois délicat d’établir l’incidence propre. Il est ainsi extrêmement difficile d’identifier l’impact sur nos coûts des charges liées à l’obligation de desserte, tant elles sont imbriquées dans nos coûts commerciaux : nous ne ciblons pas les clients comme peuvent le faire les opérateurs privés qui en favorisent certains, notamment en exploitant des niches tarifaires dans la tarification existante. En revanche, nous avons pu déterminer que les coûts informatiques induits par l’évolution des tarifs réglementés de vente représentaient, sur les cinq dernières années, une hausse d’environ 0,50 euro par mégawattheure. Les certificats d’économies d’énergie, qui pèsent spécifiquement sur nos entreprises, représentent sur la même période une augmentation identique. Les pertes sur nos ventes dues aux factures irrécouvrables, que nous pouvons imputer à nos activités de service public, représentent quant à elles un peu plus de 0,20 euro par mégawattheure.

Nous déplorons que les ELD subissent les effets d’un ciseau tarifaire, prises qu’elles sont entre deux évolutions qu’elles ne maîtrisent pas : celle des coûts de production, qui se traduisent dans le tarif de cession, et celle des tarifs réglementés de vente, dictés par des considérations économiques mais aussi politiques.

Nous avons aujourd’hui le sentiment que nos coûts de commercialisation ne sont pas clairement pris en compte dans la construction tarifaire et qu’ils servent de variable d’ajustement entre un tarif qui n’évolue pas assez et des coûts de production qui évoluent selon des variables sur lesquelles je ne m’appesantirai pas.

La seule issue au problème de la couverture des coûts est malheureusement une hausse, calculée par empilement avec toute la complexité qu’a décrite M. Lefranc, puisque, pour éviter tout effet de niche, il faut procéder non pas à l’échelle globale du tarif, mais en décomposant les différents coûts, y compris selon le niveau de puissance.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Nous nous plaçons dans une double problématique, qui prend à la fois en compte le niveau de la facture finale des consommateurs, notamment ceux qui sont en situation de précarité énergétique, et les charges qui pèsent sur les acteurs économiques, notamment les électro-intensifs et les entreprises dont les coûts de production comprennent dans une large proportion les coûts de l’électricité.

Pensez-vous que le système tarifaire de notre pays pose problème ? Si oui, comment en changer la logique, sachant que l’on doit distinguer les coûts de structure, relevant d’investissements de long terme, du coût de l’énergie en lui-même ?

Par ailleurs, considérez-vous que l’organisation actuelle du système électrique génère des coûts ? Pensez-vous qu’il faille la revoir de manière structurelle ?

Votre analyse laisse penser que pour couvrir les coûts, une hausse permanente sera nécessaire. Cette évolution est-elle inéluctable ? Quelles économies peuvent être réalisées ?

Enfin, estimez-vous qu’introduire davantage de concurrence permettrait de rompre avec la logique actuelle ?

Mme Jeanine Dubié, présidente. Les professionnels représentent près de la moitié de la clientèle de certaines ELD. Avez-vous pu évaluer les conséquences de la fin des tarifs réglementés pour ces clients, en particulier les petits artisans, et plus généralement pour votre organisation ?

M. Gérard Lefranc. Opérer des subventions croisées – appelons les choses par leur nom – relève d’un choix politique. Nous n’avons pas à émettre d’avis à ce sujet. Nous appliquons une politique et nous considérons qu’il n’est pas du ressort des opérateurs d’influer sur sa définition.

S’agissant des électro-intensifs, ce qui compte, c’est que les règles du jeu soient transparentes et que les efforts consentis à leur égard soient répartis de façon équitable et bénéficient aux autres consommateurs. Nous n’avons pas d’autres états d’âme par rapport à ces clients.

M. Stéphane Kilbertus. Pour répondre à votre question sur la structure des coûts, madame la rapporteure, je précise que les coûts de commercialisation qui résultent de notre activité de fournisseur représentent une part inférieure à 10 % de la facture finale. La marge de manœuvre est donc relativement faible.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Ma question portait sur l’organisation générale du service public de l’électricité : considérez-vous qu’elle constitue un facteur de coût supplémentaire ? Une autre organisation permettrait-elle de diminuer les coûts ? Par ailleurs, estimez-vous possible de réduire les coûts autrement qu’en touchant à l’organisation du système ? Enfin, quel rôle peut avoir la concurrence ?

M. Gérard Lefranc. Nous sommes attachés à l’organisation actuelle du service public de l’électricité car nous considérons qu’elle répond aux besoins de la Nation et que la présence d’un opérateur national, tant dans le domaine de la production que de la distribution, est favorable à notre pays.

M. Christophe Chauvet, administrateur de la Fédération des sociétés d’intérêts collectif agricole d’électricité (FNSICAE) et président de l’Association des distributeurs d’électricité de France (ADEEF). La concurrence ne joue que pour la commercialisation. Elle agit forcément en faveur d’une maîtrise des coûts, hors de nos obligations de service public, mais elle ne peut contribuer à une baisse significative puisque la commercialisation ne représente qu’environ 6 % de la facture finale des consommateurs, c’est-à-dire que, même si des innovations nous permettaient de diviser les coûts par deux, nous n’atteindrions que 3 %. La concurrence ne joue quasiment pas au niveau de la production, alors que celle-ci représente 30 % de la facture. Pour ce qui est de l’acheminement, le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) est précisément construit pour couvrir les coûts, un objectif mis en avant par le projet de loi relatif à la transition énergétique.

Par ailleurs, il faut souligner que nos entreprises se placent dans une logique d’optimisation des coûts. Chaque année, elles doivent rendre des comptes à leurs actionnaires, les collectivités, ou aux membres de la coopérative, et montrer qu’elles savent procéder à des économies en s’adaptant en permanence à leur environnement économique, au niveau local, national et européen.

En ce qui concerne la fin du tarif « jaune » et du tarif « vert », madame la présidente, elle aura pour conséquence une diminution de la marge que les ELD réalisaient sur le service rendu – l’acheminement restera assuré par l’opérateur local, en charge de la gestion du réseau.

Pour de petits professionnels, elle posera un problème de service universel, qui est accessible non seulement aux particuliers mais aussi, en vertu d’une directive européenne, selon les décisions propres à chaque État membre, à tous les clients professionnels des PME et des TPE dont les effectifs sont inférieurs à moins de 50 personnes et le chiffre d’affaires inférieur à 10 millions d’euros.

Nous appelons l’attention des pouvoirs publics depuis de longs mois sur les difficultés qu’auront certains artisans à trouver un fournisseur d’électricité. Une problématique que Gérard Lefranc aime à illustrer d’un exemple : à la fin du mois de décembre 2015, les artisans boulangers seront-ils plus occupés à choisir un fournisseur d’électricité qu’à confectionner des gâteaux pour le réveillon ?

Pensez-vous qu’un fournisseur acceptera de signer un contrat avec une entreprise en redressement judiciaire ou une entreprise dont l’évaluation de la qualité de payeur aura été dégradée ? Je ne le crois pas. Il importe de mettre en place rapidement une fourniture de secours pour les clients professionnels qui ne pourraient pas trouver de fournisseurs d’électricité. La directive européenne en offre la possibilité mais le choix de mettre en place une solution relève des parlementaires. En tant qu’opérateurs locaux, nous accompagnerons ces clients et essaierons de leur donner le maximum d’informations.

Il y avait une question sous-jacente à vos questions, madame la rapporteure : comment une entreprise locale de distribution peut-elle réagir si elle perd des clients ? Il faut savoir que certaines solutions de mutualisation ont été mises en place par les ELD elles-mêmes afin de proposer à des petites structures qui ne parviendraient pas à faire face seules des solutions pour leurs clients.

M. Gérard Lefranc. Il me paraît important de souligner une contrainte à laquelle les ELD sont soumises et qui n’est pas très connue. Elles dépendent de plusieurs ministères : ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie ; ministère de l’agriculture, pour les sociétés d’intérêt collectif agricole d’électricité (SICAE) ; ministère de l’intérieur, pour les collectivités publiques. Elles sont tenues à des règles du jeu qui ne s’appliquent pas aux fournisseurs « nouveaux entrants » puisqu’une ELD en tant que maison-mère n’a pas le droit de faire d’offres de marché en dehors de sa zone historique. Pour employer une comparaison avec le football, tous nos concurrents peuvent venir sur notre partie de terrain, mais nous ne pouvons jamais aller sur la leur pour essayer de compenser une perte de chiffre d’affaires. Autrement dit, les règles du jeu sont faussées dès le départ. La seule solution pour contourner cette contrainte est d’entrer au capital de sociétés de commercialisation ou d’en créer, ce qui suppose des coûts, notamment en termes de « désoptimisation » du système.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Les réponses que vous donnez à ma question sur l’organisation générale du système électrique me laissent perplexe. Vous semblez dire que celle-ci relève d’un choix politique sur lequel il ne vous appartient pas de vous prononcer, ce qui revient à la conforter.

Les deux préoccupations principales de notre commission d’enquête sont la facture finale que doivent acquitter les consommateurs, les ménages et les professionnels, et le déficit tarifaire, autrement dit le fait que les tarifs ne parviennent plus à couvrir les coûts, qui s’accroissent. Dans cette perspective, il nous faut nous demander si l’organisation même est un facteur de coût. Certains acteurs, comme l’Union européenne, invitent à introduire davantage de concurrence. Pour l’instant, il n’a pas été démontré que cette voie permettait une baisse des tarifs et des coûts. L’augmentation du poids des taxes dans les tarifs nous pousse également à savoir si l’intégration des coûts dans les tarifs se fait de la bonne manière et s’il y a des marges de manœuvre possibles. Notre système subit-il les contraintes que nous nous fixons nous-mêmes ?

Vous ne répondez pas vraiment à ces interrogations d’ordre général, préférant mettre en avant les contraintes propres qui pèsent sur les ELD et leurs clients professionnels.

M. Stéphane Kilbertus. Un élément important de la réflexion est le niveau bas des prix français. Même si un réajustement tarifaire intervient, le niveau des prix restera comparable à celui des autres prix européens.

Dans la décomposition des coûts, il me semble que nous avons apporté quelques éléments s’agissant des taxes. Outre les contraintes liées à l’obligation d’achat, il faut évoquer la tarification de première nécessité, qui fait partie des charges compensées par la CSPE et qui pèse donc sur la facture finale, même si ce n’est pas de manière massive.

S’agissant de l’acheminement, les tarifs sont très stables. La CRE entend responsabiliser les gestionnaires de réseaux – structurellement distincts des fournisseurs – en matière de coûts, ce qui nous paraît de nature à optimiser le coût final de l’électricité.

Je ne reviendrai pas sur les charges de commercialisation : nous avons vu que les marges de manœuvre étaient faibles.

En matière de production, nous ne sommes pas en mesure de dire si des économies sont possibles. Nous n’avons pas vocation à faire une analyse détaillée des coûts comptables du producteur national.

M. Christophe Chauvet. Pour analyser un système, il faut disposer des données relatives aux coûts. Or, compte tenu de notre taille, nous ne pouvons y avoir accès qu’indirectement, à travers les rapports de la CRE et les rapports de gestion des divers opérateurs. Il serait présomptueux de notre part de dire quelles économies sont possibles au niveau global. En ce qui concerne l’acheminement, on observe une stabilité des tarifs d’utilisation des réseaux publics d’électricité, validés par la CRE et calés sur les coûts d’ERDF avec un prorata pour les ELD.

Enfin, je soulignerai deux problématiques fiscales qui nous sont propres.

Les coûts de raccordement au réseau de distribution acquittés par les producteurs d’énergies renouvelables sont considérés par l’administration fiscale comme une recette. À ce titre, elle est intégrée, dès la première année, dans l’impôt sur les sociétés que doivent payer les entreprises locales de distribution alors que celles-ci ont déjà dépensé ces sommes pour assurer le raccordement.

La compensation de CSPE correspondant à l’obligation d’achat est soumise à diverses taxes, dont une taxe sur les salaires, alors qu’il s’agit d’une simple charge de service.

M. Stéphane Kilbertus. Nous partageons votre avis sur la concurrence en matière de fourniture, madame la rapporteure. Ce n’est pas en introduisant davantage que l’on obtiendra une baisse significative du prix de l’électricité.

Avec la fin des tarifs réglementés le 1er janvier 2016, les petits professionnels devront consacrer du temps à analyser les offres de marché, ce qui ne sera en aucun cas synonyme d’économies pour eux. Seuls les gros consommateurs pourront bénéficier de cette nouvelle donne.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. J’aimerais apporter deux précisions.

D’une part, la couverture des coûts liés à la gestion de la précarité ne concerne qu’une part plutôt marginale de la CSPE – 300 millions d’euros.

D’autre part, le projet de loi relatif à la transition énergétique prévoit dans son article 41 que les tarifs réglementés incluent les coûts de commercialisation. Il n’est donc pas possible de dire que la contestabilité des tarifs va désavantager les ELD parce que les coûts de commercialisation ne seraient pas intégrés.

M. Stéphane Kilbertus. Nous n’avons pas contesté la construction des tarifs, que nous estimons cohérente, mais le référent utilisé pour déterminer les coûts de commercialisation. Les premières réflexions ont retenu les coûts des opérateurs privés plutôt que ceux de l’opérateur historique. Or ces acteurs ne sont pas soumis aux mêmes charges de service public.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. À ce propos, je tiens à dire que nous sommes preneurs de toute analyse permettant de déterminer le poids des obligations de service public sur les ELD.

Mme Jeanine Dubié, présidente. Le projet de loi relatif à la transition énergétique prévoit la création d’un Comité du système de distribution publique d’électricité chargé d’examiner la politique d’investissement d’ERDF et des autorités organisatrices de la distribution publique d’électricité. Êtes-vous satisfaits de cette disposition ? Pensez-vous que le principe de collégialité des investissements sur les réseaux publics contribuera à accroître la qualité de ces derniers et les services rendus aux usagers ?

M. Gérard Lefranc. La politique d’investissement s’inscrit désormais dans un cadre mutualisé au niveau départemental, à travers la tenue de conférences annuelles réunissant l’ensemble des autorités organisatrices, quel que soit le concessionnaire. Mesurer, au sein d’un comité national, l’impact d’une décision prise au niveau départemental, nous paraît difficile. Il me semble que des situations de désaccord sont prévues par la loi. Quelle sera la place des ELD dans ce cas, sachant qu’en tant que gestionnaires de réseaux, elles sont parties prenantes de politiques départementales d’investissement ? Comme vous pouvez le constater, notre situation est délicate et nous pouvons difficilement avoir un avis sur la création de ce nouveau comité.

Mme Jeanine Dubié, présidente. Nous vous remercions, messieurs, pour les informations et les éléments de compréhension que vous nous avez apportés.

17. Audition, ouverte à la presse, de Mme Céline Gauer, directrice de la direction « Marchés et cas 1 : énergie et environnement » à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne

(Séance du mercredi 26 novembre 2014)

M. Alain Leboeuf, président. Madame la directrice, nous vous remercions d’avoir répondu à notre invitation. La semaine dernière, nous avons auditionné une de vos collègues, Mme Anne Houtman, de la direction générale de l’énergie. Il nous reste néanmoins des questions auxquelles des réponses nous paraissent devoir être données.

Par exemple, nous avons besoin de précisions concernant la notion de « déficit tarifaire » qui, selon la direction générale des affaires économiques et financières de la Commission, correspondrait, même pour la France, à une situation structurelle : il subsisterait durablement des écarts entre les coûts réels et certaines tarifications destinées à une partie de la clientèle.

Ce point nous amène aussi à vous interroger sur les conditions de sortie des tarifs réglementés, dont les échéances sont désormais connues. Assiste-t-on au même phénomène que pour le marché du gaz ? Dans ce domaine, il semble que certains grands consommateurs, comme des collectivités locales ou d’autres gros acheteurs publics, ont pris les devants avec des appels d’offres débouchant d’ores et déjà sur des contrats de long terme assortis de garanties de prix sur la base de tarifs parfois revus à la baisse ?

Mais notre inquiétude porte plutôt sur les petits consommateurs professionnels : les PME, les commerçants et les artisans. Il nous a été dit par exemple que la disparition des tarifications « jaune » et « verte » leur ferait subir de fortes hausses du prix de l’électricité et qu’ils pourraient même avoir du mal à trouver un fournisseur.

S’agissant des industries électro-intensives – près de six cents établissements en France –, nous ne vous cacherons pas que les perspectives que semble tracer la Commission européenne ne nous paraissent pas en rapport avec les défis de compétitivité qu’elles doivent relever face à des pays tiers. Sur ce point, il existe également de fortes disparités au sein même de l’Europe : un pays comme l’Allemagne privilégie délibérément, voire abusivement, la grande industrie par des exemptions massives de taxes sur l’électricité. Qu’en est-il exactement et où en sont les contentieux sur ce sujet ?

S’agissant enfin du dispositif français de l’ARENH (accès régulé à l’électricité nucléaire historique), où en est-on au regard du droit européen ? Madame Houtman a laissé entendre que l’ARENH avait, en quelque sorte, été conforté, mais sous certaines conditions, dont notamment un changement de méthodologie. Cela semble être le cas, même si elle nous a indiqué que cette nouvelle méthodologie a été soumise à la Commission avec retard, au cours de l’été 2014.

Avant de vous donner la parole, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Céline Gauer prête serment.)

Mme Céline Gauer, directrice de la direction « Marchés et cas 1 : énergie et environnement » à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne. Je remercie votre commission d’enquête de m’avoir invitée pour apporter un éclairage européen sur le sujet très important auquel elle consacre ses travaux.

Si la construction d’une Union européenne de l’énergie est une des priorités de la Commission Juncker, l’attention que la Commission porte aux questions énergétiques n’est pas nouvelle. Vous le savez, la politique européenne en matière de concurrence s’articule autour de trois axes :

– la sécurité d’approvisionnement, dont les récentes évolutions géopolitiques nous ont rappelé à quel point elle était essentielle à nos économies ;

– le développement durable, particulièrement mis en exergue en vue de la tenue de la conférence internationale de Paris l’année prochaine, et pour lequel l’Europe se veut à l’avant-garde ;

– la compétitivité et, plus généralement, l’accès de tous les consommateurs à l’énergie, qu’il s’agisse des ménages, des PME ou des grandes entreprises.

C’est à ce dernier aspect, qui est, je crois, au cœur de vos débats, que je consacrerai mon propos.

À l’évidence, les prix de l’électricité en Europe sont élevés : plus du double de ceux que l’on observe aux États-Unis ou en Russie, et supérieurs de 20 % aux prix pratiqués en Chine. Cela pose une réelle question de compétitivité pour nos entreprises.

Pour comprendre d’où viennent ces écarts, il convient de distinguer les trois composantes de ce prix.

D’abord les coûts d’infrastructure : réseaux, lignes à haute tension, etc. Dans la plupart des États membres, le réseau est d’excellente qualité, ce qui explique que les coûts soient légèrement supérieurs à ce que l’on observe en dehors de l’Union.

Ensuite les taxes, notamment celles qui financent les énergies renouvelables et que la plupart des États membres ont largement répercutées sur la facture d’électricité des consommateurs.

Enfin la fourniture, c’est-à-dire le coût de l’électron. Cette composante dépend beaucoup du mix énergétique que chaque État membre a eu, conformément aux règles du traité, la liberté de choisir. Alors qu’aux États-Unis le développement massif du gaz de schiste a eu un effet direct sur les prix du gaz et de l’électricité, notre influence sur l’accès aux richesses naturelles existant dans les différentes régions du monde est évidemment limitée.

Cela étant, la hausse du prix de l’électricité ces dernières années ne résulte pas tant de celle du coût de l’électron que de celle du coût des réseaux, qui ont dû se moderniser pour accueillir une part croissante d’électricité d’origine renouvelable ; et, surtout, de l’augmentation des taxes et autre levées parafiscales : jusqu’à 130 % d’augmentation pour les entreprises au cours des cinq dernières années.

Ce décor étant dressé, je tenterai de répondre successivement à trois questions.

Premièrement, pour quelles raisons le législateur européen – c’est-à-dire le Conseil et le Parlement – a-t-il choisi de répondre par l’ouverture des marchés et par la concurrence au défi que représente le coût de l’électricité et de l’énergie en général ?

Deuxièmement, dans quelle mesure les tarifs réglementés sont-ils contraints par le droit européen ? Quelles sont les limites ? Quelle est la situation dans les autres États membres ?

Troisièmement, de quelles marges de manœuvre le législateur national dispose-t-il pour aider les entreprises électro-intensives à faire face à la compétition internationale ? Est-il exact que la Commission vous empêche de prendre les mesures que vous pourriez juger appropriées ?

Le législateur européen a fait le choix, depuis le début des années 1990, d’ouvrir les marchés, de les interconnecter et de laisser la concurrence se développer. Mais cette libéralisation n’est pas synonyme de dérégulation et de concurrence sauvage, au contraire ! Le cadre réglementaire européen est extrêmement contraignant pour les entreprises en matière d’électricité et de gaz. Ces ressources sont essentielles pour les consommateurs et l’on ne peut laisser libre cours au marché.

De nombreux « gendarmes » sont équipés pour s’assurer du respect des règles : les régulateurs nationaux, comme la CRE (Commission de régulation de l’énergie) en France, les autorités nationales de concurrence et, au niveau européen, la Commission. L’activité intense de la Commission ces dernières années contre les ententes et des abus de positions dominantes dans ce secteur est d’ailleurs le signe de l’importance que nous accordons aux marchés du gaz et de l’électricité.

Nous considérons la concurrence comme un moyen, certainement pas comme une fin. Ce que nous souhaitons, ce sont des marchés qui fonctionnent pour le bénéfice des consommateurs. En l’espèce, il est démontré que la concurrence permet une allocation efficace des ressources et qu’elle incite les entreprises qui exploitent les centrales à l’efficacité, à l’accroissement de leur rendement et à l’optimisation des outils de production. Elle permet aussi de développer des services appréciés des consommateurs et de réduire la consommation d’énergie. On exerce ainsi une pression sur les prix.

L’observation des marchés du gaz en Europe est à cet égard riche d’enseignements. Dans les pays d’Europe orientale où un seul fournisseur a des positions de marché très fortes, les prix sont beaucoup plus élevés que ceux qui se pratiquent en Allemagne, par exemple, où l’on a procédé à une libéralisation tout à fait réussie.

Si la concurrence conduit, comme nous en avons ici une preuve, à une baisse significative des prix pour les consommateurs, elle offre aussi des signaux de prix utiles. La modération de la consommation d’électricité et d’énergie en général est un point clé de la lutte contre le changement climatique et de notre politique de développement durable. Sans ces signaux de prix, l’inefficacité s’installe et la consommation devient totalement déraisonnable.

Enfin, la concurrence ouvre des opportunités de développement pour les entreprises. Il me semble important de le souligner en France, où l’entreprise nationale EDF a su en profiter pour remporter de nombreux succès à l’étranger. Elle est aujourd’hui présente dans au moins treize États membres, avec des positions de marché significatives dans des pays comme la Pologne, le Royaume-Uni ou l’Italie.

Dans ce contexte d’ouverture des marchés, quelle place reste-t-il pour la réglementation ? Les tarifs réglementés constituent aujourd’hui un phénomène relativement rare et en voie de réduction rapide dans les pays européens. La France est un des derniers États membres à les conserver. Même pour les PME, qui font l’objet d’une réglementation différente, seuls sept pays gardent ce type de tarifs, dont la Bulgarie, la Hongrie, la Roumanie, la Slovaquie et l’Espagne. Pour les ménages, les tarifs réglementés sont un peu plus répandus, mais, compte tenu des plans d’abandon en cours, il ne restera très prochainement que huit États membres à les pratiquer.

Le cadre réglementaire européen fixe deux types de contraintes à l’élaboration des tarifs.

D’abord, les directives de libéralisation des marchés du gaz et de l’électricité, telles qu’interprétées par la Cour de justice de l’Union européenne, laissent aux États membres qui le souhaitent la possibilité de garder des tarifs réglementés, pour autant que ceux-ci répondent à quatre exigences :

– ils doivent être absolument nécessaires pour protéger les consommateurs ;

– ils doivent être proportionnés, non seulement en fonction des catégories de consommateurs mais aussi dans la durée, ce qui signifie qu’ils sont considérés par la Cour comme un dispositif transitoire et limité dans le temps :

– ils doivent être transparents et non discriminatoires ;

– ils ne doivent pas faire obstacle à l’accès des autres entreprises européennes au marché, ce qui implique évidemment qu’ils ne peuvent pas être inférieurs aux coûts.

Du point de vue maintenant du droit de la concurrence, il faut d’abord mentionner l’interdiction des aides d’État : c’est ainsi que la Commission a engagé une procédure contre la France pour les tarifs réglementés « jaune » et « vert » applicables aux industriels et très inférieurs aux prix de marché. Cette procédure s’est conclue en 2012 par l’adoption d’une décision qui a pris acte de l’engagement de la France à mettre un terme à ces tarifs à la fin de 2015 et de mettre en place le mécanisme de l’ARENH, qui permet à une concurrence de se développer. Il est évident que l’existence d’un monopoliste suppose qu’on l’encadre très sévèrement, mais l’ouverture du marché permet également de le soumettre à une pression concurrentielle qui pourra aboutir à la disparition des tarifs réglementés. C’est dans cette logique dynamique que s’inscrit la décision de la Commission.

Vous me demandiez, monsieur le président, où nous en étions de cette procédure.

La France s’est engagée à soumettre à la Commission une méthodologie de calcul du prix de l’ARENH – lequel prix, en attendant, a été fixé à 42 euros. Nous avons reçu cette méthodologie et nous l’examinons à l’aune des critères de compatibilité qui avaient été posés : elle doit être objective ; elle doit s’appuyer sur des principes comptables reconnus et établis ; elle doit permettre le développement d’une concurrence effective sur le marché. L’affaire étant pendante, je ne peux malheureusement pas vous faire part de nos conclusions préliminaires.

D’autre part, les règles du traité s’opposent à ce que les tarifs réglementés conduisent l’entreprise qui les pratique de faire de la « prédation », c’est-à-dire de la vente en deçà des coûts de production. Si EDF fournit des clients ou des groupes de clients en dessous de ses coûts, cela revient à un verrouillage total du marché puisqu’aucune entreprise rationnelle ne pourra venir concurrencer l’opérateur historique sur cette base.

Une fois ces limites connues, de quelles marges de manœuvre les États membres disposent-ils pour préserver la compétitivité de leurs industries électro-intensives ?

Ces marges existent, sachant que la restriction la plus importante qui leur est posée est la nécessité de payer : ce que les électro-intensifs ne paieront pas sera supporté par les ménages, par les PME ou par d’autres entreprises dans d’autres secteurs, moins consommateurs d’électricité mais peut-être tout aussi essentiels pour la compétitivité, la croissance et l’emploi.

Si l’on se réfère aux débats qui se sont tenus récemment en Allemagne, les choses sont claires : quelqu’un doit acquitter la facture, et il appartient dans une très large mesure au législateur national de déterminer comment on répartit celle-ci. Ce choix démocratique et politique est le vôtre.

En effet, l’essentiel de l’accroissement du prix de l’électricité relève aujourd’hui des taxes, en raison de la décision prise par de nombreux États membres de financer les énergies renouvelables par des prélèvements qui grèvent les factures d’électricité.

Encore ne s’agit-il pas de taxes ordinaires. Dans la logique habituelle d’une économie de marché, les opérateurs économiques doivent supporter les charges qui leur incombent normalement dans leur activité. Or, s’agissant des énergies renouvelables, c’est l’avenir que l’on finance : il s’agit d’organiser une transition vers une économie sans carbone et durable dans laquelle l’Europe veut être pionnière, et le coût de cette transition peut être difficile à supporter pour les entreprises dont la consommation électrique est particulièrement élevée.

La Commission a reconnu ce problème. Ainsi, les lignes directrices applicables aux aides d’État dans l’environnement et l’énergie qui viennent d’être adoptées laissent une large possibilité aux États membres d’exempter les entreprises du financement des énergies renouvelables. Plus de soixante-huit secteurs ont été définis en fonction de leur exposition au commerce international et de leur électro-intensivité, avec une pondération entre ces deux paramètres. Ils pourront bénéficier d’exemptions allant jusqu’à 85 % de la facture.

De nombreux pays ont déjà des dispositifs de cette sorte. En France, la CSPE (contribution au service public de l’électricité) est fortement plafonnée pour les électro-intensifs. Quant au dispositif allemand, la décision concernant le système futur a été prise avant l’été et la procédure concernant le système ancien s’est achevée hier par une décision reconnaissant la possibilité d’exempter les électro-intensifs de ce financement, sous réserve de respecter les lignes directrices.

Les tarifs des réseaux offrent également des marges de manœuvre pour exempter partiellement les électro-intensifs. Il appartient en effet aux régulateurs nationaux de déterminer les tarifs d’utilisation du réseau, dont on sait qu’ils ont considérablement augmenté et représentent aujourd’hui une part très significative de la facture. Or ces tarifs peuvent tenir compte de la contribution particulière que les électro-intensifs apportent à la stabilité du réseau. Certains États membres le font – dont l’Allemagne, de manière certes excessive – ce qui a conduit à l’ouverture d’une procédure par la Commission. La consommation très stable de ces industries se traduit par un bénéfice pour le réseau, et il est possible de le traduire en termes de prix du moment que la méthodologie est cohérente, non discriminatoire et appliquée à tous.

Pour en venir au dernier aspect, la part de la production d’électricité, je n’imagine pas que vous puissiez suggérer que l’on donne aux électro-intensifs un accès à une énergie en dessous de ses coûts de production. Il en résulterait en effet des déficits structurels. En outre, cela reviendrait à jeter de l’argent par les fenêtres : on sait bien qu’une activité non rentable – sauf s’il s’agit d’assurer la transition vers les énergies renouvelables – est un frein pour l’économie et une perte pour la société. Enfin, une telle pratique contreviendrait aux règles de l’OMC (Organisation mondiale du commerce), qui interdisent les subsides de ce type.

Dès lors, la seule manière de réduire la part « énergie » de la facture est d’avoir des marchés ouverts, bénéficiant par exemple de l’électricité renouvelable produite à très bas prix par nos voisins. On pourra ainsi faire baisser les prix du marché de gros et, à terme, ceux du marché de détail. La libéralisation exercera une pression sur les prix en évitant les abus de position dominante des fournisseurs, moyennant une concurrence organisée et surveillée et une politique européenne d’approvisionnement volontariste et efficace.

Cette démarche favorise également l’efficacité énergétique. Les entreprises européennes ont fait des progrès considérables en la matière mais il reste beaucoup à faire. Là encore, il appartient à la Commission de faire appliquer de façon stricte les règles de concurrence aux entreprises privées ou publiques présentes sur ces marchés.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Merci pour cet exposé très clair. Je souhaite maintenant approfondir quelques questions et, peut-être, vous pousser dans vos retranchements.

Il apparaît en creux dans vos propos que le dispositif français actuel n’est pas assez concurrentiel et qu’il subit des effets de structure dus à l’organisation du service public de l’électricité. Est-ce cela qui explique que nous ne bénéficiions pas des baisses de prix auxquelles vous faites références ? Depuis le début de ses travaux, notre commission d’enquête débat beaucoup des effets de la concurrence, les uns considérant que celle-ci n’a jamais vraiment fait baisser les prix, les autres estimant que les prix baisseraient si on la renforçait.

Après avoir indiqué que les prix de l’électricité sont plus élevés en Europe que dans beaucoup d’autres pays, vous faites la part entre les coûts d’infrastructures, les taxes et la fourniture. En France, il est exact que ce n’est pas tant la fourniture que le poids des taxes qui augmente. Notre pays doit également supporter des investissements de long terme particulièrement importants, avec la modernisation, la mise aux normes de sûreté et l’éventuelle prolongation des installations nucléaires au-delà de quarante ans. Pensez-vous à cet égard – même si la Commission européenne ne souhaite pas forcément entrer dans ce type de considération – que la façon dont nous bâtissons nos tarifs par « empilement » est elle-même génératrice d’augmentation ? Ne pourrait-on concevoir un système qui intégrerait d’une autre façon dans le prix acquitté par le consommateur les investissements de long terme, certains éléments spécifiques à l’histoire de notre pays comme la péréquation assurée par la CSPE, ou encore l’intégration du renouvelable dans les taxes puis, progressivement, dans la production ?

Lors d’une précédente audition, nous avons évoqué le parallèle que l’on peut faire, du moins partiellement, avec le secteur des télécommunications qui, lui aussi, repose sur des infrastructures en réseaux et qui, après des années d’évolution, propose un système tarifaire reposant sur des dispositifs de forfait.

Il était très pertinent de votre part de présenter la position de l’Union européenne tout en nous démontrant les marges de manœuvre dont disposent les États membres et, partant, les parlements nationaux. De ce point de vue, estimez-vous que la France n’utilise pas toutes ses marges de manœuvre ? La semaine dernière, nous avons eu une discussion très serrée avec votre collègue de la direction de la concurrence.

Vous constatez que l’électricité est plus coûteuse dans l’Union européenne que dans beaucoup d’autres pays du monde, ce qui pose un problème de compétitivité pour les entreprises, y compris celles qui ne sont pas classées parmi les électro-intensives. Un grand cimentier français a indiqué à la commission des affaires économique que l’électricité représente plus de 20 % de ses coûts de production.

Le prix de l’électricité est souvent très faible chez nos concurrents, et d’autant plus faible que cette énergie est souvent subventionnée. Dès lors, en dépit des marges de manœuvre que vous avez décrites, le cadre de l’Union européenne n’est-il pas trop contraignant ? Permet-il à nos entreprises, notamment aux électro-intensifs, de disposer d’une compétitivité équivalente ? Nous le savons, certaines d’entre elles se posent la question du déplacement de leur production en dehors de l’Union européenne. Agissons avant qu’il ne soit trop tard ! L’année dernière, la commission d’enquête que l’Assemblée nationale a consacrée à la situation de la sidérurgie et de la métallurgie en France et en Europe a montré combien notre situation était difficile dans le contexte international.

Mme Céline Gauer. La construction du dispositif français explique-t-elle le niveau de prix constaté, demandez-vous, et doit-on envisager une autre construction des tarifs qui intégrerait le long terme ?

Il est très dangereux, selon moi, de ne pas intégrer le long terme dans le secteur de l’électricité. Ce marché, comme celui du gaz, implique des investissements de très long terme que l’on doit rentabiliser sur des durées considérables. Pour certaines centrales, notamment les centrales nucléaires, il faut prendre en compte le délai de construction – entre le moment où l’on prend la décision d’investir et le moment où la centrale commence à produire, il peut s’écouler de nombreuses années – puis la période, également très longue, d’exploitation de la centrale. Tout système de tarification qui n’intègre pas la nécessité d’investir dans la création et l’entretien des capacités de production sera tôt ou tard dangereux pour la sécurité d’approvisionnement, mais aussi pour la concurrence : un opérateur historique assis sur un parc largement amorti peut sans doute se permettre de vendre en dessous de ses coûts pendant une période donnée, mais, dans ces conditions, personne d’autre ne peut être actif sur le marché, ce qui risque d’écarter les investissements permettant d’assurer la relève.

Le parallèle que vous établissez avec les télécommunications est intéressant à deux titres.

En matière d’infrastructures, il existe une différence essentielle avec le secteur de l’énergie : l’infrastructure énergétique ne peut pas être dupliquée. La concurrence des infrastructures de télécommunications a conduit à une réglementation de nature assez différente, puisqu’il faut constamment trouver un équilibre dans l’ouverture de l’accès aux infrastructures afin de ne porter préjudice ni à la concurrence en la matière ni au développement de nouvelles technologies plus performantes. Ce débat n’existe pas dans le domaine de l’énergie : il serait totalement inefficace de dupliquer les lignes à haute tension ou les gazoducs.

Pour ce qui est du forfait, je crois qu’il existe une autre différence très significative : alors que le consommateur peut téléphoner autant qu’il veut sans que cela nuise à la santé, nous avons tous intérêt à modérer la consommation d’énergie. L’atmosphère ne pourra pas continuer d’absorber de tels niveaux d’émissions de CO2, et l’on sait que la production d’électricité est une des premières sources de gaz à effet de serre. Il faut donc trouver une tarification qui n’encourage pas le gaspillage des ressources énergétiques. Les signaux de prix doivent être suffisamment clairs pour que les consommateurs et les entreprises trouvent un intérêt à ne pas gaspiller et à procéder à tous les investissements nécessaires pour être performants de ce point de vue.

Vous me demandez ensuite si la France utilise toutes les marges de manœuvre dont elle bénéficie au plan européen pour faire baisser la facture des électro-intensifs.

À l’évidence, des réductions et des exemptions sont pratiquées, s’agissant notamment de la CSPE en tant que contribution au financement des énergies renouvelables. Une procédure est d’ailleurs en cours à ce sujet, puisque les dispositifs avaient commencé à fonctionner avant la mise en place d’une base de compatibilité en droit communautaire. Les autorités françaises devront prochainement se rapprocher de la Commission européenne pour lui soumettre un plan d’ajustement qui dessinera la trajectoire qu’elles souhaitent suivre en matière d’exemptions. Nous examinerons bien évidemment ces propositions. Il s’agit donc là d’une marge de manœuvre qui est sur le point d’être utilisée en conformité avec le droit communautaire, du moins je le souhaite.

Je ne sais pas quelle est la tarification de réseau applicable en France. Cet aspect est de la compétence du régulateur national et ne fait pas l’objet d’un examen particulier de la Commission tant qu’elle n’est pas incohérente, injuste ou discriminatoire. Nous n’avons jamais eu de procédure à ce sujet, ce qui est sans doute une bonne nouvelle pour la France…

J’en viens à la question de la compétitivité face aux pays où l’électricité est peu chère et subventionnée.

Un mot d’abord sur les cimentiers. Ils consomment beaucoup d’électricité, certes, mais ils ne sont pas exposés à la concurrence internationale : le ciment voyage très mal. Il s’agit plus d’une question de coûts que d’une question de concurrence. Et nous devons garder à l’esprit que quelqu’un devra de toute façon payer la facture. En tout cas, il ne s’agit pas d’une industrie dont la délocalisation est à craindre.

Au reste, la délocalisation est une arme facile. Aujourd’hui, c’est le coût de l’électricité, demain ce sera celui du travail… Certaines entreprises se plaisent à agiter cette menace qui nous fait peur. Personne ne veut les voir fermer, évidemment, car elles représentent de l’emploi et de la croissance. À quel point, cependant, l’élément précis qu’elles identifient sera-t-il déterminant dans leur décision de maintenir une production ? Nous ne devons pas être naïfs. Veillons à ce que les autorités publiques ne soient pas prises en otage par des entreprises qui souhaitent simplement réduire leurs charges et accroître leurs profits. Je ne nie pas les problèmes, mais nous devons être vigilants.

Les comparaisons internationales récentes font apparaître que les différences de prix de l’électricité sont moins une question de subventions directes qu’une question de ressources naturelles. Lorsqu’un pays a accès à des ressources naturelles très importantes en hydrocarbures ou en électricité hydraulique, comme cela peut être le cas en Amérique du Nord, il est par construction dans une situation beaucoup plus favorable. J’ai grandi avec le slogan : « En France, on n’a pas de pétrole mais on a des idées », qui constitue sans doute la meilleure réponse. Ces idées, du reste, trouvent une expression dans les énergies renouvelables, qui font baisser les prix sur les marchés de gros et qui nous permettront peut-être, dans un avenir proche, d’être moins dépendants et plus efficaces.

Il ne s’agit pas principalement, j’y insiste, d’un problème de subventions auquel nous devrions répondre par des subventions, mais d’une question de ressources naturelles à laquelle nous devons répondre par l’innovation, la recherche et le développement.

Mme Béatrice Santais. Ressources naturelles ou subventions, peu importe : le bas coût de l’électricité dans différentes régions du monde nous pose les mêmes problèmes ! Dans la vallée dont je suis l’élue, une grosse usine d’aluminium a certes trouvé un répit avec l’entrée d’EDF à son capital, mais d’autres usines, notamment de silicium, sont soumises à la concurrence mondiale. Or, pour leurs concurrents, le prix de l’électricité est si bas que la différence de coûts est bien réelle. Nous ne sommes pas pris en otage par des menaces de délocalisation : ce sont des fermetures pures et simples qui pourraient se produire, quand l’électricité entre pour au moins 30 % dans le prix du produit final.

Si, comme vous le dites, la question des ressources naturelles est à distinguer de celle de la subvention, peut-être faudra-t-il que l’Europe nous permette certaines choses en matière d’hydroélectricité, qui est une ressource quasi-naturelle en montagne et une véritable énergie renouvelable. C’est d’ailleurs auprès de ces centres de production hydroélectrique que se sont installées beaucoup de grosses industries électro-intensives.

Mme Marie-Noëlle Battistel. La Commission européenne, dites-vous, autorise l’exemption pour les entreprises de la part de la CSPE qui correspond au financement des énergies renouvelables. Mais les lignes directrices de la Commission ne disent rien au sujet de la part correspondant au financement de la péréquation tarifaire destinée à compenser le coût de l’électricité dans les outre-mer. Ce dispositif étant, je crois, sans équivalent en Europe, peut-on prévoir également une exemption ?

En matière de réseaux, les conditions tarifaires spécifiques accordées aux électro-intensifs doivent-elles être strictement équivalentes au service rendu au réseau par ces industries, par exemple en termes d’effacement ou de saisonnalité ? Doit-on les justifier intégralement par ces raisons techniques ou peut-on utiliser un critère supplémentaire d’exposition à la concurrence internationale ?

Mme Céline Gauer. Ressources naturelles ou pas, peu importe… Je vois bien où vous voulez en venir, madame Santais ! (Sourires.) Il est vrai que cela revient au même pour les entreprises. Cela dit, si une entreprise n’est structurellement pas en mesure de faire face à la concurrence pour les produits qu’elle propose, la solution n’est pas de déverser de l’argent public ad vitam aeternam dans cette production. La sidérurgie suédoise, par exemple, s’est orientée vers une spécialisation dans des produits de pointe et à forte valeur ajoutée. Dans ces nouveaux domaines, la technologie a beaucoup plus d’importance et il est possible, sur une autre base, d’être compétitif. Si nous ne pouvons opposer une concurrence en matière de ressources naturelles, nous devons pouvoir le faire en matière de valeur ajoutée et de recherche et développement.

Concernant l’hydroélectricité, je ne vois pas exactement à quoi vous faites allusion lorsque vous demandez à l’Europe de vous permettre des « choses ». Je crains d’avoir à le découvrir bientôt…

Mme Béatrice Santais. Ne craignez rien, madame la directrice ! (Sourires.)

Mme Céline Gauer. Il est possible pour les électro-intensifs de se grouper et d’investir dans des moyens de production en entrant directement dans leur capital afin d’internaliser la production d’énergie et de réduire les coûts d’approvisionnement. On l’a vu en Finlande pour le nucléaire mais il peut s’agir aussi d’hydroélectricité. Pour peu que le dispositif soit transparent, non discriminatoire et conforme aux règles du Traité applicables à ce type d’activités en Europe, cela peut être une solution.

Quant à l’éventualité de mettre en place des exemptions sur d’autres composantes de la CSPE, je crains que ma réponse ne vous déçoive. Le raisonnement qui permet d’envisager des exemptions sur la part destinée au financement des énergies renouvelables n’est pas transposable à d’autres aspects, comme le tarif social ou la péréquation territoriale. Cette péréquation incombe à tous les opérateurs de la même manière. La vraie question est de savoir si c’est une taxe liée à la consommation d’électricité, forcément plus lourde pour les électro-intensifs, qui doit la financer. Il y a bien d’autres types de financement qui ne grèvent pas la facture d’électricité et qui ne constituent pas des aides d’État. Cela dit, il s’agit d’une charge ordinaire pour laquelle l’argument de la transition pionnière vers une économie décarbonée ne peut jouer.

Je précise aussi que la modulation de la tarification de réseau doit être strictement équivalente au service rendu par l’électro-intensif. Ce n’est pas une aide que de rémunérer l’effacement en fonction du bénéfice qu’il apporte au réseau, ce n’est pas une aide non plus que de rémunérer la stabilité qu’apporte une consommation régulière. Mais si l’on commence à utiliser l’argument de la compétitivité internationale dans ce type de débat, on peut l’étendre à l’intégralité des charges qui incombent normalement aux entreprises. Dans ce cas, il n’y a plus ni logique ni finalité.

Mme la rapporteure. Les analystes considèrent les déficits tarifaires de la France comme structurels. Eu égard au poids des éléments historiques dans notre pays et à la part de la concurrence, comment devons-nous nous y prendre pour rattraper la situation, sachant que la tendance est à l’augmentation régulière des coûts ? Faut-il augmenter les tarifs jusqu’à ce que le déficit tarifaire soit comblé, ou convient-il de procéder à un réexamen de la façon dont notre système est bâti ?

Mme Céline Gauer. La concurrence est très limitée en France. L’opérateur historique détient la quasi-totalité de la capacité de production et cette situation perdurera tant que l’on conservera des tarifs réglementés extrêmement bas, voire inférieurs aux coûts – ce qui est du reste à l’origine du déficit tarifaire que vous évoquez : aucun opérateur économique rationnel ne peut investir dans un pays où il sera contraint de vendre en dessous de ses coûts s’il veut gagner des clients. Dans ce cercle vicieux, les déficits deviennent structurels. Cela durera tant que l’opérateur historique sera tenu de vendre en dessous de ses coûts.

Procéder à un rattrapage par une augmentation des tarifs est évidemment une mesure compliquée à mettre en œuvre. À tout le moins doit-on s’assurer qu’ils seront à l’avenir supérieurs aux coûts de production, afin de permettre à la concurrence d’exister et d’exercer à terme une pression sur EDF. Il faut également prendre en compte les éléments de coûts fixes si l’on veut assurer d’une vision d’avenir et si l’on veut que les opérateurs puissent investir dans les capacités de production nécessaires au moment du renouvellement de l’appareil productif.

Y a-t-il d’autres moyens de sortir de ce déficit tarifaire ? En matière d’énergies renouvelables, sans doute doit-on équilibrer les tarifs de rachat imposés à EDF. Mais il est difficile de sortir du mécanisme de déficit tant que l’on est dans une logique « incrémentale » par rapport à l’année précédente, en se focalisant sur les hausses requises pour se rapprocher des coûts. Pour ma part, je crois qu’aucun problème ne peut être réglé et qu’on se prive de vision d’avenir tant que l’on reste en dessous des coûts.

Mme la rapporteure. On ne peut qu’être d’accord sur le fait que les prix doivent couvrir les coûts. Cela étant, on voit bien que les éléments structurels dans la composition de ces coûts conduiront à leur accroissement régulier. J’ai bien entendu que nous n’avions pas utilisé toutes les marges de manœuvre en direction des entreprises, mais il n’en reste tout de même pas beaucoup – c’est ce qui ressort, je crois, de vos propos très diplomatiques sur la concurrence. Dès lors, si nous voulons préserver à la fois les entreprises et le pouvoir d’achat des ménages, ne devons-nous pas attaquer la question sous un autre angle et nous demander comment agir sur ces coûts. La structure des coûts en France n’est-elle pas elle-même génératrice de la hausse ? Avons-nous vraiment exploré toutes les pistes permettant éventuellement de jouer différemment sur ces coûts ? N’y a-t-il pas, à ce niveau aussi, des marges de manœuvre ? Si nous laissons filer les coûts, nous allons au-devant d’une situation très difficile !

Mme Céline Gauer. Des marges de manœuvre existent dans trois domaines.

En premier lieu, celui des énergies renouvelables. Les taxes qui les financent contribuent à l’accroissement de la facture des consommateurs. Et il est impératif, si nous voulons atteindre les objectifs de développement des énergies renouvelables que nous nous sommes fixés à l’horizon 2020, de rendre ces énergies renouvelables moins chères à produire et à intégrer au réseau. La Commission européenne essaie de vous aider en ce sens.

Dans ses dernières lignes directrices sur les aides d’État, elle demande aux pays membres de s’assurer que les énergies renouvelables ne sont pas surcompensées. Nous avons en effet décelé des problèmes en la matière : la volonté de développer le renouvelable a conduit à distribuer très généreusement des subventions, mais aussi, ce faisant, à créer des obligations à très long terme – dix ans, voire plus – en termes de tarifs d’achat. Bref, certains pays ont engagé leur budget « électricité » sur de longues périodes.

Pour éviter les surcompensations, il convient que les États fassent des appels d’offres et mettent en place des mécanismes de révision régulière. Il faut également s’efforcer de limiter, pour les réseaux, le coût de l’intégration des renouvelables, en s’assurant que les opérateurs d’énergies renouvelables sont soumis aux mêmes obligations que les autres en termes de programmation de leurs demandes, par exemple. Une intégration harmonieuse au fonctionnement du réseau fera baisser les coûts pour l’ensemble des opérateurs, y compris les opérateurs conventionnels qui, sans cette évolution, devront supporter les coûts supplémentaires d’infrastructures qu’implique la présence des renouvelables. Il y a là un moyen de s’assurer du développement de ces énergies à un moindre coût pour la société et avec un impact plus limité sur la facture.

En deuxième lieu, la France est trop peu interconnectée, en particulier avec l’Espagne et le Portugal. Elle se prive ainsi d’énergie à bas prix qui pourrait venir satisfaire la demande intérieure et réduire le coût pour le consommateur. Si l’on s’en tient à des interconnexions limitées, on se restreint au parc historique détenu par l’opérateur dominant et on se prive de ce que le réseau peut apporter en termes d’efficacité et d’accès à des ressources moins coûteuses.

En troisième lieu, on ne rendra les opérateurs plus efficaces qu’en les disciplinant. Il n’y a pas aujourd’hui de pression concurrentielle efficace sur EDF, au moins pour ce qui est du marché de gros et de la production. Or il est avéré que lorsque l’on exerce une pression concurrentielle sur un opérateur, on assiste à une hausse du taux d’utilisation des centrales et à une baisse des prix.

Tels sont les trois angles d’attaque que je peux vous suggérer.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Le nouveau mécanisme de soutien aux énergies renouvelables que nous avons introduit dans la loi relative à la transition énergétique sous la forme d’un complément de rémunération est fondé en partie sur le marché et en partie sur une prime. Ne devrait-il pas conduire, à terme, à une baisse de la charge que représente la CSPE.

Mme Céline Gauer. Dans tous les États où nous l’avons observé, ce mécanisme produit un double bénéfice. Il permet tout d’abord d’éviter les phénomènes de rente et de surcompensation, mais, surtout, il contraint les opérateurs d’énergies renouvelables à s’intégrer au marché de l’électricité, ce qui réduit les coûts d’intégration pour l’ensemble des opérateurs et pour la société.

M. Alain Leboeuf, président. Madame Gauer, nous vous remercions pour cette intervention et ces réponses très claires. Votre contribution nous sera précieuse.

18. Audition, ouverte à la presse, ouverte à la presse, de M. Thierry Dahan, vice-président de l’Autorité de la concurrence, de M. Umberto Berkani, rapporteur général adjoint et de M. Édouard Leduc, rapporteur

(Séance du mercredi 26 novembre 2014)

M. Alain Leboeuf, président. Nous recevons M. Thierry Dahan, vice-président de l’Autorité de la concurrence, accompagné de MM. Umberto Berkani, rapporteur général adjoint, et Édouard Leduc, rapporteur.

L’Autorité de la concurrence exerce, conjointement avec la Commission de régulation de l’énergie (CRE), une mission dont le but est de garantir le bon fonctionnement du marché de l'électricité désormais libéralisé. À cet égard, il nous paraît utile que vous nous précisiez les flux de saisines concernant ce domaine. Vous pourriez également, au regard de ce volume d'affaires, nous dire quelles ont été les décisions marquantes, voire les éventuelles sanctions, que l'Autorité de la concurrence aurait été amenée à prendre dans le domaine de l'électricité ou encore de la fourniture en gaz, deux marchés dont on peut penser qu'ils ont certaines caractéristiques communes.

Votre appréciation générale et vos observations plus précises sur les politiques et les pratiques commerciales des fournisseurs historiques et alternatifs constitueraient également une source d'information utile à notre réflexion.

Pour ce qui concerne plus particulièrement l'objet de la Commission d'enquête, l’on constate que le Gouvernement saisit fréquemment pour avis l'Autorité de la concurrence sur les projets de textes réglementaires concernant les tarifs. Il en a été ainsi, au cours de l'année 2014, de différents projets qui concernaient la rémunération des opérateurs dans les systèmes d'effacement, mais aussi les modifications successives de la méthode de calcul des tarifs réglementés, ou encore la nouvelle méthodologie relative à l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH). Vous voudrez bien nous préciser comment, par exemple, s'établissent vos relations avec la CRE lorsque vous êtes saisis pour avis de projets aussi techniques que ceux que je viens d'évoquer ? Avez-vous des échanges informels avec elle avant d'arrêter vos avis ? Qu’en est-il avec les services de la direction générale de la concurrence à Bruxelles ?

Plus généralement, les évolutions intervenues au cours des dernières années dans les procédures de fixation des tarifs, inspirent-elles à l'Autorité de la concurrence des observations, voire des propositions de réformes ? Nous pensons, bien évidemment, aux réformes susceptibles d’améliorer les conditions de la concurrence désormais ouverte entre fournisseurs, donc la lutte contre les abus, car nous n’oublions pas ce que sont les missions premières de l'Autorité de la concurrence.

Avant de vous laisser la parole, je vous indique qu’aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées par une commission d’enquête sont tenues, sans toutefois enfreindre le secret professionnel, de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Thierry Dahan prête serment.)

M. Thierry Dahan, vice-président de l’Autorité de la concurrence. L’Autorité de la concurrence étant une instance collégiale, je ne puis présenter en son nom que les positions connues qu’elle exprime dans ses avis. Je serai donc amené à m’exprimer à titre personnel pour répondre à certaines de vos questions. Je vais essayer de répondre à toutes vos questions en commençant par les avis.

À la demande du Gouvernement, nous avons rendu il y a quelques semaines des avis favorables sur deux projets de décret, l’un concernant le calcul de l’ARENH, l’autre, le calcul des tarifs réglementés, en formulant des remarques dont plusieurs ont été prises en compte.

Le changement de formule de calcul des tarifs réglementés suscite toujours de nombreuses questions. La plupart des opérateurs de marché et des commentateurs considéraient depuis plusieurs années que ces tarifs étaient trop bas pour que les concurrents puissent présenter des offres rentables et persuader les consommateurs de changer de fournisseur. Cela a amené le Gouvernement à choisir une méthode, inspirée du droit de la concurrence, dite « par empilement de coûts », revenant à ce que le tarif mime celui que doivent fixer les alternatifs en prenant en compte le prix du transport, le prix de l’électricité de base – celui de l’ARENH – et de pointe, ou les coûts de la commercialisation. Grâce à ce système, quel que soit le niveau de l’ARENH, les tarifs bleus peuvent toujours être concurrencés par un tarif de marché. Aucun acteur ne peut alors plus prétendre que le tarif empêche une compétition loyale, qu’il soit bien calculé ou non.

Toutefois, si les tarifs doivent permettre la compétition, ils doivent aussi, pour ce qui est d’EDF, couvrir les coûts d’un parc de production qui exige de très lourds investissements, qu’il s’agisse de le prolonger, de le renouveler, ou de le remplacer par d’autres moyens de production. Le Gouvernement doit notamment se préoccuper de savoir si les tarifs permettent à EDF d’assurer sa mission et de réagir à l’horizon 2025 – qui correspond à l’échéance de la longévité moyenne de quarante ans du parc notionnel nucléaire français si on choisit 1985 comme une date conventionnelle de mise en service. Il ne s’agit alors plus d’un problème de marché, et l’Autorité de la concurrence n’a pas grand-chose à dire sur une question qui relève davantage du rapport entre EDF et l’État actionnaire. Il revient à la CRE de savoir si le prix de l’ARENH est au bon niveau.

Concernant le nouveau calcul de l’ARENH, nous avons considéré que, tout en étant acceptable, la méthode utilisée posait un problème de principe en faisant de 2025 une échéance absolue. En effet, l’amortissement du parc nucléaire historique est en quelque sorte « financé à marche forcée » sur une courte période pour respecter ce délai. Or il n’est guère réaliste d’imaginer que la plupart des réacteurs historiques s’arrêteront subitement en 2025 – nous ne sommes même pas sûrs qu’un seul d’entre eux sera définitivement à l’arrêt à cette date. La méthode du parc nucléaire notionnel n’a pas de sens comptable clair : toutes les tranches de centrales n’ont pas été ouvertes en 1985, et leur durée de vie de quarante ans ne s’achèvera pas à la même date. La méthode utilisée nous trouble un peu même si elle n’a pas d’impact direct en termes de concurrence grâce à la neutralisation de l’ARENH dans les tarifs.

Il reste que l’ARENH est un dispositif très dérogatoire par rapport au droit de la concurrence. En 2010, la loi portant organisation du marché de l’électricité, dite loi NOME, prévoyait d’ailleurs que son application serait limitée dans le temps et que le dispositif ARENH n’aurait plus lieu d’être après 2025. Nous avions également considéré, à l’époque, que ce caractère provisoire devait conduire à prévoir des modalités de sortie. Nous le répétons cette année car, depuis cinq ans, il ne s’est rien passé pour préparer la fin de l’ARENH, et rien ne montre que les opérateurs alternatifs, qui n’investissent pas assez, pourront s’en passer après 2025. Dans ces conditions, nous risquons de nous installer dans une situation inextricable marquée par une dépendance complète du marché par rapport à l’ARENH qui est un système de prix administré.

Je rappelle que sur 1 euro d’électricité payé par le consommateur, on peut très grossièrement dire qu’un tiers environ correspond aux taxes et à la contribution au service public de l’électricité (CSPE), environ 30 % à la distribution au tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) – c'est-à-dire à un tarif réglementé –, et 36 % à la fourniture dont 75 % relèvent de l’ARENH réglementé. Sur le complément de fourniture hors nucléaire, on note que les prix des énergies renouvelables, éolien et photovoltaïques, sont eux aussi réglementés. Vous constatez qu’il ne reste plus que quelques centimes non réglementés : à y regarder de près, il n’y a plus de marché ! Maintenir l’ARENH revient à maintenir cette situation, et à donner au marché un mauvais signal témoignant d’une dépendance à l’égard d’EDF.

Nos relations avec la CRE ne sont pas différentes de celles que nous entretenons avec les autres régulateurs sectoriels comme l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF), l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), ou le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). La loi prévoit des consultations croisées et, pour les contentieux relatifs au secteur de l’énergie, elle nous oblige à consulter la CRE dont l’avis technique est versé au dossier. Lorsque la CRE est sollicitée par le Gouvernement sur un texte réglementaire dont nous sommes également saisis, elle nous transmet également son avis. Ces relations fluides n’appellent pas de critiques ou de commentaires particuliers.

Il est extrêmement difficile de porter un jugement sur les pratiques commerciales sur le marché de détail. Les premiers concernés par les offres de marché sont évidemment les industriels qui bénéficient de tarifs de gré à gré. Nous n’avons pas de renseignements sur ces contrats. Pour les particuliers, en résumé, l’on trouve deux types d’offres dans les tarifs libres : celles qui sont calées sur les tarifs réglementés avec éventuellement un rabais, et celles qui proposent des offres à prix fixes pour deux ou trois ans – avec en général un prix de départ légèrement supérieur au tarif réglementé ou un montant d’abonnement différent. Les offres qui trouvent preneurs sont donc assez simples : nous n’avons pas rencontré de propositions très complexes avec des prix variables ou alors elles n’intéressent pas les consommateurs.

Vous m’interrogez sur les réformes souhaitables. Je ne peux évidemment vous répondre qu’à titre strictement personnel, l’Autorité ne s’étant pas prononcé sur le sujet.

La question qui préoccupe nos concitoyens est celle de la hausse des prix réglementés. Cela nous amène à poser deux questions. Peut-on enrayer la hausse de la CSPE ? L’ARENH est-il maîtrisé ? En effet, il s’agit des deux sources de hausse des tarifs. La CSPE augmente, notamment au titre de la solidarité nationale avec les zones non interconnectées (ZNI) d’outre-mer, tandis qu’une forte incertitude liée aux coûts du nucléaire pèse sur l’ARENH – la CRE elle-même relève des marges d’erreur sur les coûts. Cela dit, si ces incertitudes se chiffrent en milliards d’euros, ce n’est qu’à très long terme, ce qui permet un lissage des ajustements de tarifs dans le temps. Il reste qu’à court terme, nous ne savons pas si nous disposons du bon prix du nucléaire pour fabriquer les bons tarifs bleus. Quant à la question de savoir si l’on accepte une augmentation rapide et immédiate du tarif bleu, ou si l’incertitude permet de ne programmer aujourd’hui que des hausses modérées, elle relève de la décision politique.

Certains, comme le professeur Thomas-Olivier Léautier de l’université de Toulouse I, considèrent que nous n’avons plus besoin des tarifs réglementés puisqu’il n’existe plus de monopole. Je ne partage pas vraiment cet avis. Il suffit en effet de regarder le marché pour constater qu’il existe bien une situation de monopole de production de l’énergie nucléaire, principale énergie en base. On nous dit il y a une concurrence des producteurs européens. Mais s’il existait un marché européen de la fourniture, cela se saurait ! Et l’Autorité de la concurrence et la Commission européenne cesseraient de considérer qu’il existe un marché français sur lequel EDF est dominant. Sur le marché de la production, nous ne nous trouvons pas dans une situation de marché ordinaire – c’est d’ailleurs tout le sens de la loi NOME. La réglementation des prix de gros est donc logique et celle des prix de détail, qui sont liés aux premiers, ne l’est pas moins.

Si l’on voulait libéraliser les prix de gros et supprimer les tarifs bleus d’EDF, nous rencontrerions un problème car, en partant de l’hypothèse que le nucléaire historique est moins cher que les autres moyens de production, EDF bénéficierait sur ce marché libre d’une « rente de rareté ». Cette notion, doit être distinguée de la rente de monopole. Le vendeur d’eau minérale sur une plage isolée fait payer très cher ses bouteilles jusqu’à ce que les gens arrêtent d’acheter et amènent des glacières avec de l’eau fraîche sur la plage. C’est une rente de monopole, car il est le seul vendeur. Par contre, sur le marché mondial du pétrole, les États du Golfe qui produisent du brut à peu de frais bénéficient d’une rente de rareté car le marché s’équilibre à des prix beaucoup plus élevés que leurs coûts de production. Ce prix de marché doit en effet permettre de rentabiliser les forages extrêmement onéreux effectués en mer du Nord ou ailleurs. Si le marché s’équilibre avec du pétrole cher, celui qui a du pétrole peu coûteux et qui le vend au prix du marché bénéficie d’une rente de rareté. Sur un marché libre que ferait EDF de cette rente qui correspondrait à la différence entre le prix de marché auquel elle vendrait, par exemple 60 ou 70 € du MWh à moyen terme, et l’ARENH qui se situe à un niveau inférieur et qui reflète ses coûts ? Aujourd’hui, ce surplus est capté au profit des consommateurs grâce aux tarifs réglementés. Elle pourrait être aussi captée sous forme de dividendes, par l’État. Quel choix fera l’actionnaire si EDF devait engranger des milliards d’euros de bénéfices du fait de la suppression des tarifs réglementés ?

Nous sommes confrontés à un marché atypique et complexe sur lequel les prix ne se forment pas de manière simple. Il est difficile de savoir comment les prix s’établiraient pour le consommateur final sans le signal des tarifs réglementés. Ainsi, le choix de les maintenir ou pas est évidemment politique. Pour les marchés, l’impact de leur suppression serait plutôt psychologique, mais, en France, cela poserait un véritable problème de tarification pour le nucléaire historique d’EDF.

Votre commission d’enquête a entendu des intervenants évoquer la multiplication des politiques de l’énergie qui ne relèvent pas de la concurrence. M. Philippe de Ladoucette, le président de la CRE, a par exemple rappelé que coexistent une politique européenne d’ouverture du marché et une politique européenne climatique visant à limiter les émissions de carbone et à favoriser les énergies intermittentes. Cette politique climatique perturbe le marché parce que les énergies favorisées sont subventionnées par la collectivité – en France, par l’intermédiaire de la CSPE. De plus elles sont intermittentes et en modifiant l’ordre de priorité, elles font sortir du marché les centrales à gaz, candidats naturels à la production de l’énergie de pointe, ce qui pose un problème industriel. Ceux qui risquent d’être évincés préfèrent vendre à des prix négatifs plutôt que d’arrêter de produire, ce qui crée des perturbations. J’ai récemment lu que, l’année dernière, le marché allemand avait connu de prix négatifs plusieurs heures pendant plusieurs jours en raison de la production éolienne. Comme le disait M. de Ladoucette lors d’une autre commission d’enquête à MM. François Brottes et Denis Baupin, et même s’il est revenu sur ses propos devant vous : le marché ne fonctionne pas. Pour ma part, je ne vois aucune solution au problème.

Certains évoquent la possibilité de ramener les énergies intermittentes dans le marché en compensant leur handicap de prix par une taxe carbone. Mais ce n’est qu’une petite partie du problème et nous buterions à nouveau sur la question du nucléaire. Je ne suis d’ailleurs pas loin de penser qu’il serait sans doute plus simple de sortir le nucléaire du marché, que ce soit pour le gros ou le détail, et de libérer les prix de toutes les autres énergies qui pourraient alors se faire une concurrence saine, à condition toutefois qu’il existe un marché du CO2 efficace. Ce dernier permettrait de pénaliser les énergies thermiques traditionnelles et de rééquilibrer un marché sur lequel le prix des énergies renouvelables serait libre. Malheureusement, ce marché correcteur ne fonctionne pas non plus. Quant au marché de capacité censé permettre de faire face à la pointe et d’éviter que les centrales à gaz ne soient placées « sous cocon », il fait l’objet de critiques et il n’est toujours pas en place.

Comme vous le constatez, le marché principal ne fonctionne pas et les marchés correcteurs destinés à lui permettre de fonctionner normalement ne fonctionnent pas non plus.

J’insiste sur cette question du fonctionnement normal. Un marché doit produire des prix efficaces en termes de couverture des coûts et de signaux pour l’investissement, sinon il ne fonctionne pas. l’Autorité de la concurrence s’occupe de très nombreux marchés – téléphonie, transports aériens, grande distribution, taxis, médicaments… –, et je peux vous dire qu’il n’y a pas d’équivalent sur un autre marché à ce que nous observons sur celui de l’électricité.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Si je comprends bien, en l’état actuel des choses, vous ne constatez pas de problème majeur d’atteinte à la concurrence. Pour autant le poids de l’opérateur historique dans notre pays est indéniable, et la mise en concurrence a bien été construite à partir de cet état de fait. Parce que nous voulons éviter les trop fortes augmentations de tarif qui pèsent sur les ménages et les entreprises, nous nous interrogeons au sein de cette commission d’enquête sur la question de savoir si un surcroît de concurrence permettrait de résoudre notre problème de déficit tarifaire structurel. Qu’en pensez-vous ?

Que pourrait-on imaginer après l’ARENH, dont nous avons bien compris que vous souhaitez qu’il reste un dispositif transitoire ?

M. Thierry Dahan. En théorie, le meilleur moyen d’obtenir, non pas une baisse des prix, mais des prix efficaces, c’est la concurrence sur un marché qui fonctionne. Lors de l’ouverture du marché de l’électricité en France, la commissaire européenne à la concurrence de la première Commission Baroso, Mme Neelie Kroes, à qui l’on reprochait d’avoir promis que la concurrence ferait baisser les prix alors qu’ils augmentaient de 20 % répondait : « Je n’ai jamais promis que la concurrence ferait baisser les prix ; j’ai dit qu’elle donnerait les bons prix. » Autrement dit, madame la rapporteure, si, compte tenu des besoins d’EDF pour renouveler son parc nucléaire, le bon prix devait être supérieur à celui pratiqué aujourd’hui, la concurrence ne vous serait pas d’une grande utilité pour les faire baisser !

Il est très difficile de construire un prix. L’Autorité de la concurrence ne s’y risque jamais. En France, nous avons, avec le nucléaire d’EDF, une sorte de boîte noire tarifaire qui contient des incertitudes. On a d’ailleurs les mêmes au-delà du territoire national. M. David Cameron, Premier ministre du Royaume-Uni, a commandé à EDF deux EPR pour son pays. D’après ce que j’ai cru comprendre, EDF ne lui demande pas les 42 euros du prix de l’ARENH mais 90 ou 95 livres, soit 120 euros du mégawatheure, garantis pendant trente-cinq ans. Nous sommes bien en dehors du marché, et la Commission européenne a estimé que cette garantie, qui pouvait être considérée comme une aide d’État, était toutefois acceptable compte tenu des incertitudes pesant sur le nucléaire et son coût. Sans cette garantie de l’Etat britannique, aucun opérateur privé rationnel n’investirait jamais plusieurs milliards dans le secteur. Croyez-moi, il s’agit de la part de la Commission, toujours très pointilleuse en matière d’aide d’État, d’un discours très nouveau. Cette évolution montre combien le nucléaire déstabilise les raisonnements de concurrence. Ses coûts sont difficilement mesurables d’autant que nous parlons de projets de très long terme. La décision de construire l’EPR de Flamanville remonte au début des années 2000 et sa construction a commencé en 2007. Sa mise en service est prévue pour 2017 avec une durée de vie théorique de 60 ans, même si la centrale n’est pas « prolongée » on est déjà en 2080, son démantèlement, qui durera vingt à trente ans, ne sera pas terminé au début du siècle prochain. Qui aujourd’hui sait gérer un tel projet sur un siècle et donner le bon coup ? Dans ce type de situation, il est impossible de dire comment fonctionne la concurrence et comment elle peut faire baisser les prix. Le nucléaire est un autre monde qui altère le raisonnement classique. C’est bien pourquoi je vous ai indiqué qu’une concurrence saine ne pourrait véritablement s’installer que si l’on sortait le nucléaire du marché.

Pour continuer à faire du mauvais esprit, j’ajoute que le nucléaire ne fait plus partie du projet européen. Il n’a échappé à personne que l’Allemagne avait décidé d’y renoncer et nous venons de voir que la Commission considérait que ce secteur était hors marché du point de vue des aides d’État. I serait donc possible de lui appliquer le principe de subsidiarité, en laissant les États libres de construire leur marché peut sans lui.

La concurrence ne vous donnera de bons prix que si le marché fonctionne. Or il ne peut fonctionner normalement avec un secteur nucléaire important.

En tant qu’ancien physicien, et à titre personnel, je souligne que, même indépendamment de la question du nucléaire, le marché de l’électricité est totalement atypique car il n’est pas gouverné par des lois économiques mais par des lois physiques. Le producteur d’électricité n’a qu’un seul acheteur : le réseau. Or l’équilibre du réseau est un équilibre physique et non économique. M. Marcel Boiteux, président d’honneur d’EDF, que vous avez reçu le 5 novembre dernier, vous a bien expliqué ce phénomène propre à l’électricité, « produit spécifique de qualité rigide rigoureusement non stockable ». Le réseau doit être équilibré et surveillé en permanence, et cet équilibre prime tout – au point que certains pays ont envisagé de mettre le marché de gros ou le marché de capacité entre les mains de leur RTE national. Le producteur, qui ne connaît pas le comportement de ses clients, ne peut pas équilibrer le réseau à lui seul : il n’est pas autonome sur le marché. Il doit tenir compte des demandes du réseau. Ce fonctionnement n’a pas d’équivalent sur d’autres marchés.

Au début des années 1990, on a assisté à une tentative de « caler » un marché économique de l’électricité sur ce phénomène physique. La première réforme britannique datant de cette époque, fondée sur les pools et des prix spot, visait à mimer économiquement par une bourse de l’électricité obligatoire, le phénomène physique de l’unicité du réseau et de la priorité absolue donnée à son équilibre. Ce système qui pouvait trop facilement être instrumentalisé par les producteurs a été abandonné par la Grande-Bretagne en 1998. Les États américains qui l’avaient mis en place ont connu de grandes pannes. Je rappelle le destin d’Enron, entreprise emblématique d’un système fondé sur le trading de l’électricité et qui a disparu lorsqu’on s’est aperçu qu’elle n’était une escroquerie financière avec des pertes cachées dans des paradis fiscaux. Bien qu’il continue d’écrire de magnifiques tribunes dans les pages économiques des journaux, un économiste, dont je tairai le nom, nous expliquait à l’époque qu’EDF était un dinosaure appelé à disparaître, submergé par la nouvelle économie de l’électricité et le nouveau « champion » Enron. Aujourd’hui, EDF est toujours là, et partout dans le monde n’ont survécu que les producteurs. L’électricité est un problème de production, pas de trading.

De la même façon, durant des années la Commission a plaidé pour une désintégration verticale du secteur alors que ne survivent aujourd’hui que des entreprises intégrées. Ceux qui ont des turbines sans les clients finissent par sortir du marché. Les « commercialisateurs » qui achètent de l’électricité à EDF pour la revendre ne feront pas l’équilibre du marché.

Nous sommes donc confrontés à une situation inédite et à un marché qui ne fonctionne pas avec des signaux de prix classiques.

Je referme cette parenthèse hétérodoxe et je remets ma casquette Autorité de la concurrence, pour vous dire que, bien évidemment, la concurrence fait baisser les prix. (Sourires.)

Mme la rapporteure. EDF est selon vous une « boîte noire tarifaire » ; c’est aussi notre impression. Estimez-vous que les coûts sont correctement identifiés, et pensez-vous que leur évolution permettrait de dégager des marges de manœuvre à l’intérieur de cette boîte noire ?

M. Thierry Dahan. Je tiens à ce qu’il n’y ait aucune méprise sur cette expression. La « boîte noire », c’est la réalité des coûts à long terme. Il n’existe pas de boîte noire comptable : les comptes d’EDF sont bien tenus, les tarifs sont bien calculés… En revanche, dès lors que nous voulons nous écarter des coûts comptables, nous ne sommes plus sur un terrain solide : des coûts très élevés liés par exemple aux provisions, aux démantèlements, au grand carénage, sont l’objet d’une forte incertitude. C’est cette marge d’erreur considérable que j’appelle boîte noire.

M. Alain Leboeuf, président. Si le stockage de l’électricité était possible, le marché de l’électricité ne perdrait-il pas son caractère très spécifique ?

M. Thierry Dahan. Le stockage est un enjeu très important, notamment pour développer les énergies intermittentes mais cela reste un sujet de second rang à l’échelle du marché. Lorsque la Fée électricité est apparue au début du XXe siècle, deux écoles s’affrontaient aux États-Unis : Thomas Edison, croyait au courant continu qui aurait été produit par des dynamos installées dans les caves de New York ; Nicola Tesla, allié à l’industriel Westinghouse, était partisan du courant alternatif transportable depuis les chutes du Niagara grâce à la très haute tension. Nous savons que ces derniers l’ont emporté et que tout le monde fait aujourd’hui du réseau avec du courant alternatif. Dans nos sociétés, le réseau est irremplaçable, et il ne peut pas fonctionner autrement qu’en temps réel. Pour produire de l’électricité, il faut agiter des aimants devant des bobines. C’est le même principe qui s’applique aux vieilles dynamos des bicyclettes de notre enfance et aux centrales nucléaires actuelles. Contrairement à ce que croient la plupart des gens, il n’existe pas de phénomène nucléaire produisant de l’électricité : le nucléaire produit seulement de la chaleur qui permet de produire de la vapeur, qui fait tourner des turbines comme peuvent le faire le vent, l’eau, la combustion du charbon… Autrement dit, pour que le réseau soit alimenté, il faut pédaler en permanence. Vous ne pouvez pas arrêter de produire. Le réseau doit être alimenté et équilibré en temps réel. Si les machines s’arrêtent, il n’y a plus d’électricité. Ce phénomène est massivement incontournable même s’il est possible de stocker de l’électricité de façon décentralisée pour quelques usages de faible puissance comme l’ordinateur portable ou le téléphone mobile par exemple, usages qui restent de second rang par rapport à la masse de la consommation du réseau.

M. Alain Leboeuf, président. Monsieur le vice-président, nous vous remercions pour vos propos instructifs.

19. Audition, ouverte à la presse, de M. Laurent Michel, directeur général
à la Direction générale du climat et de l’énergie du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie

(Séance du mercredi 3 décembre 2014)

M. le président Hervé Gaymard. Monsieur le directeur général, soyez le bienvenu dans cette commission d’enquête. La direction générale du climat et de l’énergie, dont vous avez la responsabilité, participe à l’élaboration et à la mise en œuvre de la politique de l’énergie. À ce titre, elle apporte une vigilance toute particulière à l’ouverture du marché de l’électricité et, bien évidemment, à l’évolution des prix de l’électricité qui en résulte.

Ses liens de travail avec la commission de régulation de l’énergie (CRE) se doivent effectivement d’être très étroits, notamment dans les processus d’élaboration des textes réglementaires régissant le marché dérégulé de l’énergie.

Avec l’ouverture à la concurrence dans ce secteur, il s’agit d’opérer une dérégulation progressive des activités de marché et non une déréglementation car les textes sont nombreux et se succèdent même à un rythme soutenu voire trop soutenu.

Les interrogations de notre commission sont diverses.

Nous avons, par exemple, recueilli les inquiétudes de certains milieux économiques concernant la disparition, prévue pour le 31 décembre 2015, de tarifs réglementés – tarif « jaune » et tarif « vert » – destinés aux clients professionnels. Comment préparez-vous la sortie prochaine de ce système et est-on certain que la qualité de l’offre et les prix seront vraiment en rapport avec la gamme des besoins ?

Au sujet de l’effacement, quelles perspectives de progrès vous est-il possible de tracer ? Ce sujet est, lui aussi, fréquemment abordé par nos interlocuteurs. C’est un enjeu plus important qu’il n’y paraît à première vue dans la conduite de la transition énergétique et non une simple source d’économies d’énergie supplémentaires, comme on le présente parfois.

Plus généralement, concernant l’effacement et encore l’interruptibilité, notre pays est-il en retard par rapport à d’autres grands marchés électriques européens ?

En ce qui concerne les industries électro-intensives, pensez-vous que les solutions de prix offertes par les orientations du droit européen sont suffisamment pertinentes pour tenir compte des défis de compétitivité auxquels elles sont confrontées vis-à-vis de grands pays tiers ? Le risque des délocalisations de certaines filières pour motifs énergétiques est-il réel, comme certains experts le soulignent ?

Enfin, le mécanisme de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) sera-t-il conforté au niveau européen ? L’exigence par les autorités de Bruxelles d’une nouvelle méthodologie de calcul de l’ARENH a-t-elle posé de véritables problèmes ? Certains de nos interlocuteurs nous ont dit que la France avait tardé à soumettre à Bruxelles cette nouvelle méthodologie ; est-ce vrai et, dans l’affirmative, quelles sont les raisons de ce retard ?

Vous le constatez, monsieur le directeur général, les interrogations de la commission portent sur de nombreux thèmes.

(À l’invitation de M. le président, M. Laurent Michel prête serment.)

M. Laurent Michel, directeur général du climat et de l’énergie. Sur le marché français de l’électricité coexistent des tarifs réglementés et des offres de marché. Les premiers restent très dominants dans le « bas de portefeuille » – 93 % dans le secteur résidentiel –, alors que, dans le « haut de portefeuille », les offres de marché représentent déjà 41 % en volume mais seulement 14 % des clients : il s’agit pour l’essentiel de gros clients. Certains éléments – les tarifs d’utilisation des réseaux, à savoir l’acheminement, et les taxes – sont communs à tout le monde ; c’est le prix de la fourniture qui est soumis à la concurrence.

Les prix de l’électricité sont plus élevés dans les autres pays de l’Union européenne qu’en France : plus 27 % en moyenne pour le consommateur résidentiel – mais le consommateur allemand la paie 84 % plus cher – et plus 40 % pour les consommateurs non domestiques. Nous sommes néanmoins confrontés à un problème spécifique pour certains gros consommateurs, qui ne tient pas tant à l’évolution de nos prix qu’à celle de certains marchés de gros de l’électricité, en particulier en Allemagne, où ont été de surcroît appliquées diverses exonérations. Les sites électro-intensifs français n’en restent pas moins compétitifs par rapport à leurs concurrents européens, d’autant que certaines réponses sont en voie de leur être apportées ; j’y reviendrai.

Les prix augmentent, certes, mais cette hausse doit être relativisée et appréhendée sur une longue période. Ils avaient fortement baissé dans les années 1980-1990 avec l’entrée en service rapide du parc électronucléaire ; pour la période 2000-2013, les prix hors taxe avaient baissé de 9 % en euros constants. On note en revanche, pour les ménages, une hausse de 2,8 % par an hors taxe en moyenne en euros courants pour les cinq dernières années. Ce mouvement inverse s’explique en particulier par une reprise de l’effort d’investissement dans tous les maillons du système électrique : au niveau de la production, les investissements ont repris dans le parc nucléaire afin d’assurer la maintenance lourde ou de financer premières prolongations de centrales, mais également dans le parc hydroélectrique et bien sûr dans le secteur des énergies renouvelables (ENR) dont le développement s’impute sur la contribution au service public de l’électricité (CSPE) ; au niveau des réseaux également, des réinvestissements ont été nécessaires pour améliorer la qualité de la distribution, accroître les capacités d’échanges aux frontières et intégrer les énergies renouvelables. Parallèlement, la péréquation tarifaire pour les zones non interconnectées a entraîné un surcoût, réparti sur l’ensemble des consommateurs, dans la mesure où il a fallu renouveler des équipements majeurs de production (centrales électriques).

L’ouverture des marchés a impliqué de nombreuses évolutions compte tenu des particularités françaises parmi lesquelles, au-delà de la présence d’un producteur important, l’existence d’un parc historique très performant, mais très lourd, dans lequel un acteur isolé ne peut pas investir : le parc nucléaire. La loi de 2000 prévoyait que les tarifs réglementés de vente soient fixés en fonction des coûts comptables de l’opérateur intégré. La loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, dite loi NOME, a introduit le mécanisme dit de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH), et précisé la construction des tarifs réglementés de vente. Les tarifs de vente, pour ce qui est de la fourniture, sont désormais calculés comme l’empilement de plusieurs « briques » : l’ARENH, le complément de fourniture, puisque tout ne vient pas du nucléaire, et les frais commerciaux (systèmes d’information et autres), enfin la rémunération de l’opérateur.

L’ARENH n’est pas qu’une simple composante des tarifs de l’électricité : l’idée est de garantir à tous les consommateurs l’accès à une électricité relativement bon marché, sur laquelle on peut avoir une visibilité à long terme, et ouverte à la concurrence. Par ce dispositif, EDF est tenue d’offrir un volume, aujourd’hui plafonné, aux fournisseurs alternatifs. Ce tarif régulé doit couvrir le coût de fonctionnement, le coût d’un entretien sérieux – qui doit prendre en compte, par exemple, les exigences de sûreté post-Fukushima – et le coût d’un certain nombre d’investissements passés et futurs.

Le gouvernement s’emploie actuellement à définir la méthodologie de fixation du prix de l’ARENH, en s’appuyant sur les travaux de la commission Champsaur. Un décret a été préparé et transmis à la Commission européenne avec laquelle nous avons des échanges approfondis depuis plusieurs semaines ; c’est ce qui peut expliquer un relatif décalage, puisque nous pensions adopter l’ensemble des textes au mois de novembre afin que les fournisseurs réservent leur ARENH en fonction des nouvelles conditions, ce qui suppose de connaître l’avis de la Commission sur le projet de décret. L’ARENH reste donc au prix de 42 euros par mégawattheure jusqu’au 1er juillet 2015. À partir de cette date, nous disposerons de la nouvelle méthode et d’un nouveau prix qui, sous réserve de l’affinement de la CRE, devrait se situer autour de 45 euros, valeur 2014, en moyenne sur la période 2014-2025. Plusieurs assouplissements ont été introduits pour les fournisseurs, portant sur la clause de tolérance en cas d’erreur d’estimation des besoins et les délais de paiements, notamment.

L’existence du dispositif n’est pas contestée, même si certaines modalités et son montant font l’objet de débats. Aussi devrait-il perdurer jusqu’à la loi prévue pour 2025. La CRE exerce un suivi du dispositif, dans le cadre de sa mission de surveillance du marché. Il faudra, assez rapidement, réfléchir au post-2025. Le secteur nécessite en effet une certaine visibilité pour tous les acteurs : EDF, fournisseurs alternatifs ou consommateurs.

Pour ce qui est des tarifs réglementés de vente pour les gros et moyens consommateurs – les tarifs jaune et vert que vous avez mentionnés –, la loi NOME prévoit leur extinction à la fin 2015. Il s’agit par conséquent de préparer cette évolution en termes d’information des consommateurs, mais également de dispositions techniques.

Déjà, en cette fin d’année, plusieurs tarifs du gaz s’éteignent ; nous avons tout intérêt à nous nourrir de cette expérience pour l’électricité. La loi du 17 mars 2014 relative à la consommation prévoit l’information régulière des consommateurs – je rappelle que 400 000 entreprises basculeront du droit aux tarifs réglementés de vente (TRV) à l’offre de marché. Des modèles de courriers les plus neutres possibles vis-à-vis de l’ensemble des fournisseurs seront préparés, que les ministres chargés de l’économie et de l’énergie devront valider. Toujours en nous inspirant de ce que nous avons fait pour le gaz, une offre transitoire de marché sera proposée par les fournisseurs historiques à l’attention de tous ceux qui n’auraient pas pu ou su, avant l’échéance du 31 décembre 2015, souscrire à un nouveau tarif. Reste qu’il s’agit bien d’une offre transitoire limitée à six mois. Cette limitation dans le temps était nécessaire du point de vue de la concurrence : se contenter de laisser perdurer tacitement les anciens contrats n’aurait pas assez incité à l’ouverture du marché. Par ailleurs, afin de ne pas mettre le couteau sous la gorge des clients, les fournisseurs sont tenus de leur donner la possibilité de souscrire une offre n’excédant pas douze mois, ce qui évite de se retrouver engagé trop rapidement pour plusieurs années sans avoir eu le temps de s’y préparer.

Cette transition est aussi un défi industriel pour le secteur de l’électricité. Les plus petites entreprises concernées ont une puissance de raccordement un peu supérieure à trente-six kilovoltampères de puissance, ce qui représente l’équivalent de quatre à six logements, mais, dans le lot, on trouve aussi de gros consommateurs qui sont encore aux TRV. Les fournisseurs, de leur côté, devront être aptes à répondre à une forte sollicitation. En outre, tout un travail technique reste à réaliser pour les gestionnaires de réseaux de distribution au niveau des systèmes d’information. Nous allons d’ailleurs faire évoluer la procédure de changement de fournisseur, puisque nous passerons, pour ces consommateurs, d’une procédure cadencée au 1er de chaque mois vers une procédure « au fil de l’eau ». Par ailleurs, les clients peuvent être amenés, en réfléchissant à leurs nouvelles fournitures, à changer de puissance, donc il peut y avoir un besoin d’intervention sur le compteur.

Aussi la CRE a-t-elle mis en place des groupes de travail pour préparer au mieux l’extinction des TRV : un groupe ad hoc « Communication et information », un groupe sur les procédures et les relations entre les fournisseurs et les gestionnaires de réseaux de distribution et un groupe de travail « Systèmes d’information ».

Ce basculement vers les offres de marché ne sera pas toujours simple ; quelques cas nous ont été d’ores et déjà signalés de gros consommateurs qui avaient optimisé leur consommation en fonction de la grille des TRV et dont la facture globale pourrait augmenter, dans la mesure où ils ne retrouveront peut-être pas une offre identique.

On peut aussi se demander si, à la fin du processus, on ne se retrouvera pas avec des clients « orphelins », les fournisseurs pouvant être tentés de faire un tri en fonction de critères de solvabilité. Il n’y a pas forcément de réponse simple à cette question. On évoque souvent la notion de fournisseur de dernier recours, qui serait obligé de faire une offre. Seulement, comment désigner ce fournisseur de dernier recours et à quel tarif ? On peut imaginer que les fournisseurs se délestent d’un certain nombre de clients ayant des difficultés d’impayés, et qu’un fournisseur de dernier recours se retrouverait à devoir tous les accueillir. Faut-il dès lors songer à un système de compensation des impayés par l’ensemble de la collectivité ? Ce n’est pas forcément un mécanisme très simple : la Belgique en avait un pour les ménages, et elle serait en train d’y renoncer. On peut imaginer un renforcement des obligations de service public afin de dissuader les fournisseurs de faire ce genre de tri, étant bien entendu que les clients mauvais payeurs, de leur côté, ne doivent pas être encouragés à continuer. Nous n’avons pas encore toutes les réponses à ces questions.

Vous m’avez interrogé sur les électro-intensifs. Il s’agit d’entreprises qui se répartissent dans divers secteurs, particulièrement dans l’industrie lourde, avec des problèmes identiques – un poids important de l’électricité et souvent du gaz, dans leurs coûts d’exploitation –, mais également des profils parfois très différents. Certaines ont un profil de consommation très stable, d’autres un profil plutôt contra cyclique. Le sujet est double : se pose d’un côté la question de la compétitivité de l’énergie européenne, sachant que la marge de manœuvre franco-française n’est pas considérable, par rapport à d’autres zones riches en ressources à très bas prix, qu’elles soient fossiles – dans les pays du Golfe, aux États-Unis où la baisse du prix du gaz a entraîné celle du charbon – ou qu’elles soient hydroélectriques – on pense à l’Islande, où se met en place une industrie de l’aluminium alimentée par une électricité très bon marché. De l’autre côté, il faut veiller à offrir un terrain de jeu garantissant un minimum d’égalité entre les entreprises européennes pour que, à situation comparable, on ait des prix comparables.

Depuis 2012, le Gouvernement a mis en place un certain nombre d’actions destinées à soutenir la compétitivité des entreprises électro-intensives. Les dispositifs de soutien à la cogénération ont été refondus : le dispositif des tarifs d’achat pour les cogénérations de moins de 12 MW perdure ; en 2013, la loi dite Brottes visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes, prévoyait une prime pour les cogénérations de plus de 12 MW qui réinvestissaient puisqu’arrivées en fin de contrat d’obligation d’achat. La prime n’était pas fonction de l’électricité vendue mais de la puissance afin de prendre en compte l’apport aux périodes de pointe. Une question prioritaire de constitutionnalité a conduit le Conseil constitutionnel à annuler cette disposition au motif qu’elle excluait certaines cogénérations. Elle sera bientôt à nouveau soumise à l’examen du Parlement en prenant en considération, cette fois, tous les cas de figure.

Un deuxième ensemble de dispositions vise à ouvrir plus largement les dispositifs d’ajustement, d’effacement mais aussi d’interruptibilité – en particulier en ce qui concerne les appels d’offres de Réseau de transport d’électricité (RTE) –, avec des conditions et des volumes plus importants de puissance appelée, pour mieux valoriser l’apport de certains gros consommateurs au système électrique du fait de leur consommation flexible. Peuvent également se porter candidats les opérateurs d’effacement qui travaillent avec des gros consommateurs, mais aussi sur le diffus.

Troisièmement, une discussion a été menée, avec l’appui du Gouvernement, pour reconfigurer le contrat d’achat à long terme entre le consortium Exeltium et EDF. Ce contrat offre l’avantage de la visibilité, mais certaines de ses clauses avaient conduit à une forte dégradation de sa compétitivité. Il a donc été remis sur les rails en septembre dernier afin d’être reformaté et de retrouver tout son intérêt.

Deux dispositions sont à l’étude. La première, déjà bien avancée, vise à diminuer les coûts de transport d’électricité pour les électro-intensifs. La CRE a en effet pris une mesure d’abattement de 50 % pour 2014-2015, considérant que nous disposions d’une certaine marge de manœuvre sur le compte de régularisation des charges et des produits, tout en insistant sur le caractère exceptionnel de cet abattement. Parallèlement, le projet de loi sur la transition énergétique a introduit la possibilité de tenir compte des avantages qu’apportent les électro-intensifs à la gestion du système électrique par la prévisibilité et, dans certains cas, la stabilité de leur consommation. Le texte de loi, dans sa dernière version en date, prévoit qu’un décret fixera la méthodologie sur la base de laquelle la CRE établira un tarif tenant compte de ces apports, qui permettra d’opérer une réduction pouvant atteindre 60 % par rapport au calcul de base.

La seconde disposition doit prévoir comment, à l’occasion du renouvellement ou de la prolongation des concessions hydroélectriques, les gros consommateurs pourraient, d’une façon ou d’une autre, être associés à la gestion de ces concessions et bénéficier d’un accès à l’électricité qu’elles produisent à un tarif intéressant et, là encore, dans une perspective de long terme. Ce dispositif fait l’objet d’un travail interministériel. Je ne suis pas en mesure de vous indiquer quelles pistes seront retenues – sinon que les mesures envisagées seront très probablement de nature législatives.

Ces mesures peuvent se chiffrer en dizaines voire centaines de millions d’euros pour l’ensemble du secteur ; d’une manière générale, le dispositif a été significativement renforcé ces deux dernières années.

Un autre sujet est en cours d’examen. Il découle des dernières lignes directrices européennes sur les aides à l’énergie et à l’environnement : les gros consommateurs – les industriels, certes, mais aussi, par exemple, la SNCF – bénéficient de fortes exonérations de CSPE. Or de nouvelles règles vont être adoptées dans toute l’Europe pour ces types d’exonérations avec une période transitoire et un plan d’ajustement. L’objectif est que leur spécificité reste globalement – certains vont bien sûr y gagner et d’autres y perdre – prise en compte. Nous sommes en discussion avec la Commission européenne sur le sujet.

Vous m’avez enfin interrogé sur l’effacement de la consommation électrique. Celui-ci recouvre plusieurs réalités physiques, qu’il s’agisse de l’effacement des gros consommateurs ou bien d’effacements diffus, par le biais de signaux tarifaires (heures pleines et heures creuses, effacement en jours de pointe, tarifs dit Tempo, autant de systèmes développés depuis longtemps en France et ailleurs) ou non.

Les études réalisées ont montré que la pointe de consommation d’électricité montant plus vite que la consommation globale, il y avait là un potentiel à développer. Des réflexions ont été menées, d’une part, sur la meilleure manière d’organiser la coexistence entre les opérateurs d’effacement et les fournisseurs et, d’autre part, sur la mise au point de signaux destinés à favoriser l’effacement – activité qu’il convient de rémunérer à un juste prix afin d’éviter l’appel à des puissances de production en pointe très coûteuses et de surcroît émettrices de dioxyde de carbone. À cet effet, plusieurs dispositifs ont été mis en œuvre ou renforcés.

Certains appels d’offres prévoient ainsi des effacements avec un préavis très court – ce qu’on appelle l’interruptibilité –, gérés par RTE et concernant plus particulièrement les gros consommateurs qui, sans préavis, sont capables de s’interrompre. D’autres appels d’offres de RTE visent à valoriser la capacité, à savoir la puissance qu’en pointe on ne consommera pas. Par ailleurs, la loi Brottes a prévu la valorisation des externalités positives – économies d’énergie, moindres émissions de dioxyde de carbone, etc. Plusieurs dispositions sont en cours de définition et seront prochainement examinées par le conseil supérieur de l’énergie : elles visent à établir des conditions de rémunération avec, d’un côté, les primes touchées par les opérateurs d’effacement et, de l’autre, les versements que ces derniers devront effectuer au bénéfice des fournisseurs « effacés ».

Ces dispositifs n’épuiseront pas pour autant le sujet : il s’agit d’appliquer un nouveau modèle. Le cadre législatif a d’ailleurs fait l’objet de retouches à l’occasion de l’examen sur le projet de loi relatif à la transition énergétique par l’Assemblée. L’idée sera de tenir compte des retours d’expérience et en particulier de distinguer les effacements-reports et les effacements-économies d’énergie qui, du fait de leurs incidences économiques et environnementales, n’ont pas à être rémunérés de la même façon. De même, le projet de loi introduit le principe de priorité à l’effacement dans certains outils, dont les appels d’offres sur le marché d’ajustement de RTE.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Vous avez décrit les dispositifs en vigueur censés répondre aux problèmes rencontrés par certains secteurs qui dépendent particulièrement de l’énergie électrique. Ces dispositifs sont-ils à la hauteur ? Les précédentes auditions semblent montrer que ce n’est pas vraiment le cas.

Nous avons auditionné plusieurs représentants de la Commission. Nous nous demandons si le cadre européen n’est pas trop contraignant, au point de nous mettre en difficulté vis-à-vis d’autres opérateurs, et surtout de concurrents hors Union européenne dont les coûts et les prix sont extrêmement bas, au point que si nos entreprises en viennent à se demander si elles ne feraient pas mieux de délocaliser leurs activités. Il faut également tenir compte du fait que le secteur de l’énergie et de l’électricité, dans de nombreux pays, y compris dans certains États membres, bénéficie de subventions ou de dispositifs d’aides très substantiels. Allons-nous tenir, en France et au sein de l’UE, face à cette situation ?

Vous avez évoqué les évolutions des prix. Avez-vous le sentiment que l’augmentation du coût et du prix de l’électricité est inéluctable ? Les conséquences, on le mesure bien, seront lourdes, tant pour le consommateur que pour les entreprises. Quels seront, selon vous, dans un contexte dont on ne connaît pas tous les éléments, les effets de la transition énergétique ?

S’agissant enfin de la concurrence sur notre territoire lui-même, insuffisante aux yeux de certains, suffisante pour d’autres, du rôle joué par l’opérateur historique, de la façon enfin dont est construite l’articulation entre RTE et Électricité réseau distribution France (ERDF), des éléments de structure pèsent-ils, à votre avis, sur le coût de l’électricité et donc sur les tarifs ?

M. Jean-Pierre Gorges. Nous venons de voter une loi sur la transition énergétique. Avez-vous participé à la réflexion sur ce texte et, plus précisément, vous êtes-vous exprimé sur l’incidence des choix stratégiques envisagés sur la politique des prix ? Je pense aux coûts induits par la transition énergétique, à l’indépendance vis-à-vis d’autres pays, aux choix importants concernant le secteur nucléaire. Or, d’après le texte, la substitution du nucléaire par les énergies renouvelables est une équation qui ne peut être résolue que si la consommation d’électricité baisse. Avez-vous réalisé, par conséquent, des simulations de l’incidence de la baisse de la consommation sur les tarifs ?

Avez-vous par ailleurs intégré les coûts du réseau de transport de l’électricité liés à une mutation de fourniture de l’énergie – énergies renouvelables, énergie photovoltaïque, éolienne ou autre ? En effet, la construction du réseau n’est pas la même et on voit bien aujourd’hui que certains s’inquiètent. Avez-vous participé à une étude d’impact sur l’incidence de la dénucléarisation de la fourniture de l’électricité en France ? Des modèles mathématiques ont-ils été établis ?

M. Laurent Michel. Les dispositifs évoqués sont-ils suffisants pour répondre aux problèmes rencontrés par les industriels électro-intensifs ? Il s’agit d’une question compliquée. Du chemin reste à faire : j’ai évoqué l’idée que l’hydroélectricité, patrimoine historique, qui peut, sous certaines conditions, délivrer de l’électricité à bas prix, puisse bénéficier aux entreprises électro-intensives, ce qui compléterait le dispositif.

Pour ce qui concerne l’Europe, nos prix de l’électricité restent moins élevés qu’en Italie ou au Royaume-Uni : pour les consommateurs non domestiques, le prix moyen en France est en moyenne de 40 % inférieur au prix moyen des pays membres de l’Union européenne. Pour les gros électro-intensifs, en revanche, il y a eu un tournant en 2013-2014 lié à l’effondrement des prix de marché de gros en Allemagne et à une politique très offensive de cette dernière par le biais d’exonérations de taxes ou d’aides au point que certaines ont dû être réduites sous la pression de la Commission européenne. L’équation est un peu impossible : il s’agit à la fois d’avoir une visibilité à long terme, tout en bénéficiant de prix les plus bas possibles. Grâce à un contrat à long terme, vous avez une garantie de visibilité, vous êtes protégé des hausses mais, a contrario, vous ne pouvez pas nécessairement bénéficier des baisses. L’ARENH est un dispositif souple : aujourd’hui personne n’est obligé d’acheter à l’ARENH, et certains peuvent décider de s’approvisionner sur les marchés de gros lorsqu’il est moins cher.

Vous m’avez ensuite demandé si le cadre européen était trop contraignant ou non. La question des contrats de long terme a toujours été difficile. La Commission européenne craignait que les contrats de long terme, en pérennisant la relation entre le client et un très gros fournisseur, ne freinent l’ouverture du marché à la concurrence. Elle a néanmoins autorisé la création d’Exeltium et, ayant pris conscience de l’importance du facteur compétitivité, elle ne semble plus considérer les contrats de long terme comme un tabou.

Pour ce qui est de la comparaison avec les autres continents, il faut savoir qu’avant même l’émergence des gaz de schiste aux États-Unis, qui a beaucoup fait baisser les prix, la question se posait déjà pour la pétrochimie ou l’aluminium : dans les pays du Golfe, le gaz est quasiment gratuit puisqu’il est un sous-produit de l’exploitation pétrolière. Autrement dit, il y a quelques années, on pouvait d’ores et déjà créer des usines d’aluminium en profitant de sources d’énergies à des prix imbattables. Mais si la question n’est pas nouvelle, elle est devenue encore plus aiguë avec la baisse des prix de l’énergie et la baisse, aux États-Unis, des prix de la matière première qu’est le gaz pour l’industrie chimique. Alors qu’elle était devenue sous-compétitive par rapport à la pétrochimie européenne qui a une tradition d’excellence et d’innovation, la pétrochimie américaine, investissant de nouveau dans les vapocraqueurs, a connu un rebond et se trouve sur le point non seulement de cesser d’importer, mais d’exporter, ce qui ne peut qu’inquiéter pour la chimie européenne.

On ne peut pas, avec les moyens de production européens – on ne dispose pas en Europe de ressources fossiles à bon marché –, avec une politique climatique – que nous soutenons totalement – qui aide à réduire la consommation d’énergies fossiles, développer une politique de bas prix de l’électricité produite par les énergies fossiles. On doit donc développer une électricité au meilleur prix entre le nucléaire, les énergies renouvelables et un peu de fossile.

Jusqu’à quel point apporter des aides ? Ces aides sont encadrées au niveau européen. On peut d’ores et déjà considérer que les gros consommateurs, à des degrés divers selon les pays et dans le cadre des limites fixées par la Commission européenne au mois d’avril, sont aidés. Doit-on aller plus loin ? C’est une question d’équilibre, mais aussi de soutenabilité dans le temps. Il faut avoir présent à l’esprit que le subventionnement du prix de l’électricité ou du gaz n’est pas forcément viable à terme et que de surcroît il n’incite pas à l’économie d’énergie et du coup à la réalisation des investissements les moins consommateurs d’énergie. On cherche au niveau national et au niveau européen à déterminer le bon niveau d’aide : depuis deux ou trois ans, des dizaines voire des centaines de millions d’euros y sont chaque année injectées et se répercutent sur l’ensemble de l’économie. Il n’y a pas de secret : ce que vous payez en moins au titre des réseaux de transport ou de la CSPE sera supporté par les entreprises non « énergo-intensives » ou par le consommateur domestique. On va vers plus de soutien pour les électro-intensifs, mais il y a un équilibre à trouver.

Vous m’avez interrogé sur l’impact de la transition énergétique sur l’évolution des prix. Depuis plusieurs années, la reprise des investissements a conduit à une hausse des prix. Celle-ci peut s’expliquer également par d’autres facteurs comme, pour EDF, une anticipation de recrutements pour le renouvellement des compétences dans le secteur nucléaire. Il s’agit, et Mme Royal y est très attachée, d’être exemplaires et rigoureux sur la méthode et le calcul de l’ARENH et des tarifs réglementés, tout en se montrant incitatifs. C’est le sens de la dernière réforme tarifaire : ainsi la fourniture d’électricité hors nucléaire est répercutée non pas au coût comptable d’EDF mais au prix du marché, pour inciter à la maîtrise des coûts, sans pour autant s’éloigner fondamentalement de la couverture des coûts. EDF applique d’ores et déjà des plans de maîtrise des coûts ; il y en aura d’autres à l’avenir, afin que, tout en respectant ses obligations de sûreté, dans le parc nucléaire notamment, et ses obligations de performance des réseaux, le groupe facture l’électricité au juste prix.

Les prix de certaines énergies renouvelables restent parfois encore supérieurs au prix du nucléaire historique ou aux prix des énergies fossiles. L’objectif est de développer les ENR à hauteur de 23 % d’ici à 2020, tout en maîtrisant les coûts et en définissant des mécanismes et des trajectoires à même d’être pilotés. C’est pourquoi le texte de loi introduit non seulement la notion de programmation pluriannuelle de l’énergie, qui renouvelle et élargit la notion de programmation pluriannuelle des investissements en électricité, mais prévoit également un dispositif de contrôle avec la création d’un comité de gestion de la CSPE et la présentation, en annexe du projet de loi de finances, d’un rapport annuel au Parlement sur les évolutions prévisibles de la CSPE. Un avis sera ainsi rendu sur l’impact de chaque décision sur la CSPE.

En ce qui concerne l’impact de la transition énergétique sur les prix, notre direction générale a été une des instances rédactrices des propositions ministérielles qui ont abouti au projet de loi. Nous avons pu éclairer certains calculs d’objectifs, concernant l’électricité notamment, en termes de faisabilité et de trajectoire. On retrouve la trace de ces travaux préliminaires dans l’étude d’impact ; ils vont être approfondis puisque la programmation pluriannuelle de l’énergie – révisée tous les cinq ans – devra, pour une période de huit ans pour la première et pour des périodes de dix ans ensuite, tracer les objectifs pour le mix de production, pour le développement des réseaux, pour les capacités de stockage, et comprendre un volet sur l’impact macroéconomique de la transition et sur son impact sur les différentes catégories de consommateurs. Les évolutions seront affinées au cours de l’année 2015 puisque le projet de loi prévoit une première programmation, qui sera adoptée par décret pour la fin de la même année et qui sera élaborée à partir de scénarios de consommation. Nous ne travaillons pas forcément sur un scénario de baisse de consommation d’électricité mais plutôt de hausse réduite grâce aux économies d’énergie. L’un d’eux, élaboré par RTE, prévoit, pour une croissance moyenne annuelle du PIB de 1,7 % jusqu’à 2030, une augmentation de la consommation électrique de 0,4 % par an – sachant que les baisses prévues dans la loi visent d’abord les énergies fossiles. Ces travaux plus approfondis ont commencé et les programmations seront communiquées au Parlement.

Mme la rapporteure m’a interrogé sur le fait de savoir si la structure des entreprises était de nature à peser sur les coûts. L’ouverture à la concurrence est réelle et a tendance à s’accélérer : on le mesure au rythme des changements de fournisseurs. Ce phénomène est plus intense dans le secteur du gaz que dans celui de l’électricité : les marchés ne sont pas les mêmes. Néanmoins, tant pour les tarifs que pour la structure des offres, les fournisseurs alternatifs en électricité se sont fait une place.

Les tarifs réseaux sont régulés et, là aussi, il faut trouver un équilibre entre, d’une part, des besoins d’investissements forts et des demandes de renforcement de la qualité – qualité qu’il faut même rétablir dans certains cas, notamment en zone rurale –, et, d’autre part, le souhait d’éviter toute dérive des coûts. Mais ce n’est pas forcément le tarif des réseaux qui a été le plus générateur des récentes hausses de prix. Je rappellerai que le mouvement tarifaire de novembre 2014, qui incluait précisément la nouvelle méthode de calcul sur la fourniture et la prise en compte des réseaux, a conduit à une augmentation de 2,5 % pour les petits consommateurs, plus faible que prévu. En somme, je ne pense pas que la structure spécifique d’EDF, de RTE et d’ERDF pèse particulièrement sur les coûts. Ce n’est en tout cas pas le dessein de la structure et le besoin d’optimisation industrielle est déjà pris en compte par ces entreprises.

M. le président Hervé Gaymard. Monsieur le directeur général, nous vous remercions de toutes ces explications qui contribueront utilement à notre réflexion.

20. Audition, ouverte à la presse, de M. Marc Boudier, président
de l’Association française indépendante de l’électricité et du gaz (AFIEG)

(Séance du mercredi 3 décembre 2014)

M. le président Hervé Gaymard. Monsieur Marc Boudier, soyez le bienvenu. L’Association française indépendante de l’électricité et du gaz (AFIEG), dont vous êtes le président, se présente comme le principal groupement d’opérateurs alternatifs en termes de volumes vendus mais aussi, le détail est d’importance, de capacités de production. S’agit-il de capacités en France ? Pourriez-vous nous en donner des exemples ? Vos adhérents disposent-ils de microcentrales, voire de capacités hydrauliques propres ?

Ces adhérents sont principalement des filiales de grands énergéticiens étrangers, comme les suisses Alpiq et BKW, l’allemand E.ON, le groupe public suédois Vattenfall ou encore le géant russe Gazprom. Deux plus petites sociétés spécialisées, NovaWatt et l’entreprise luxembourgeoise Enovos, sont également membres associés de votre groupement.

L’AFIEG, semble-t-il, estime que des mesures sont absolument nécessaires pour dynamiser la concurrence en France et dépasser des situations qu’elle qualifie de « dysfonctionnements ». Nous souhaitons bien entendu vous entendre sur ce point.

Vos réflexions et vos propositions nous intéresseront d’autant plus qu’elles s’inscrivent dans la perspective de la disparition, au 31 décembre 2015, des tarifs réglementés de vente d’électricité à destination des professionnels, c’est-à-dire des clients non résidentiels.

À cet égard, que répondez-vous aux critiques selon lesquelles vos entreprises pratiqueraient une sorte d’écrémage du marché en visant surtout les gros consommateurs et non les commerçants, les artisans ou encore les agriculteurs ?

Par ailleurs, existe-t-il, selon vous, des solutions encore inexplorées ? Dans l’affirmative, contribueraient-elles à la sauvegarde de la compétitivité, non seulement des activités électro-intensives, mais aussi de nombreuses PME et PMI ?

Enfin, vous considérez-vous comme des acteurs d’équilibrage et d’ajustement, à travers des solutions crédibles de valorisation des capacités d’effacement ?

(À l’invitation de M. le président, M. Marc Boudier prête serment.)

M. Marc Boudier, président de l’Association française indépendante de l’électricité et du gaz (AFIEG). L’AFIEG, vous l’avez rappelé, regroupe un certain nombre d’acteurs et constitue la principale association en termes de volume de fourniture en France, avec 40 térawattheures par an, soit un tiers des quantités vendues en offre de marché. De plus, nous disposons de capacités de production en France, à hauteur d’environ 4 000 mégawatts. Il faut aussi rappeler que, si certaines entreprises adhérentes sont détenues par des capitaux étrangers, E.ON France, par exemple, est l’héritier de Charbonnages de France.

Une partie des capacités de production concerne le charbon ou des projets tels que celui d’E.ON sur la biomasse, à Gardanne. Certains de nos membres ont également développé des centrales à gaz à cycle combiné gaz (CCGT, pour Combined Cycle Gas Turbine), comme celle d’Alpiq à Bayet dans l’Allier. Sauf erreur de ma part, seul l’un d’entre eux dispose d’une microcentrale hydraulique ; en tout état de cause, et à l’inverse d’EDF et GDF, nous sommes peu présents dans l’hydraulique en France.

Le secteur de l’énergie se heurte à un paradoxe : alors que les décisions doivent être prises sur le très long terme, des changements radicaux peuvent intervenir dans des laps de temps très courts. Qui aurait dit, il y a quelques années, que les prix de gros en Europe s’écrouleraient, pour des raisons tenant au développement des énergies renouvelables et à l’exploitation des gaz de schiste aux États-Unis ? La situation a profondément changé par rapport à celle qui prévalait lors de la création de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH), puisque les tarifs étaient alors très inférieurs aux prix du marché de gros. Si l’on veut éviter les dysfonctionnements, offrir de nouvelles possibilités aux clients et développer la concurrence, de tels bouleversements appellent des modifications.

La disparition, fin 2015, des tarifs réglementés pour les non résidentiels permettra sans doute à nos adhérents de développer une clientèle qui, jusqu’à présent, se composait surtout, vous l’avez rappelé, de grandes et moyennes entreprises. À nos yeux, la fixation des tarifs doit obéir à plusieurs principes. Le premier est la distinction entre les réalités économiques, qui doivent prévaloir, et la prise en compte des conséquences sociales d’une augmentation des tarifs. Des mesures comme le chèque énergie, adopté avec le projet de loi de transition énergétique, nous paraissent mieux adaptées qu’une évolution globale des tarifs : l’effort doit se concentrer sur les clients les plus en difficulté. Il convient également de mettre en œuvre des dispositifs tels que la fourniture en dernier recours ou le service universel.

Afin d’être établie sur des bases objectives, la fixation des prix doit par ailleurs être confiée à un régulateur – en l’occurrence la Commission de régulation de l’énergie (CRE), à qui l’on doit donner tous les moyens pour ce faire –, et non dépendre de circonstances politiques, précisément parce que l’aide aux plus défavorisés relève d’actions politiques ciblées.

L’ARENH a été conçu comme un dispositif provisoire, en attendant que les alternatifs disposent de leurs propres moyens de production d’électricité de base, ce qui passe notamment par des accès aux énergies nucléaire et hydraulique. L’Autorité de la concurrence a appelé à préparer la fin de l’ARENH ; mais ce ne sera possible, justement, qu’en assurant un accès aux moyens de production de base.

N’étant pas la mieux placée pour le faire, l’AFIEG ne se prononce pas sur le prix de l’ARENH. Elle estime néanmoins que le système doit rester incitatif : il ne peut se résumer à la répercussion des coûts une fois ceux-ci identifiés. L’incitation à la productivité entre d’ailleurs dans les missions de plusieurs régulateurs à l’étranger. Aujourd’hui, le prix de l’ARENH équivaut à peu près au prix de gros français, et il est sensiblement supérieur à l’allemand – l’écart ayant même atteint 10 euros en octobre. Dans ce contexte, le paramètre essentiel est la visibilité sur l’évolution, de façon que nos clients soient en mesure de prévoir leurs propres coûts : c’est d’ailleurs une demande qu’ils nous font depuis longtemps. Selon nous, le prix de l’ARENH devrait être connu chaque année dès avant la mi-octobre.

Le dispositif souffre également d’un manque de flexibilité : il s’apparente à une course à handicaps dans laquelle ce sont les outsiders, et non les favoris, qui seraient désavantagés au départ… L’ARENH a été créé à une époque où le prix de gros atteignait 60 euros ; aucun alternatif n’était donc en mesure de proposer une offre sans capacités d’investissements ou sans accès au nucléaire et à l’hydraulique. Dans ces conditions, le tarif était à l’époque très compétitif mais il était assorti de contraintes, qu’il s’agisse des délais de paiement – lesquels ne pouvaient être aussi satisfaisants que ceux des meilleurs clients du fournisseur historique – ou de la clause dite de monotonie, qui impose une continuité de la quantité d’électricité demandée entre deux guichets successifs, en cas de nouvelle demande à la baisse ou à la hausse par rapport à la demande précédente. Des pénalités sont également prévues si les quantités demandées par les clients s’avèrent, par erreur, trop élevées. Malgré des assouplissements que nous saluons, une plus grande flexibilité permettrait aux fournisseurs alternatifs de proposer de meilleures offres de marché.

S’agissant du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE), l’indépendance d’Électricité réseau distribution France (ERDF) doit être garantie de la même façon que celle de Réseau de transport d’électricité (RTE), en termes de gouvernance, de choix d’investissements ou de gestion des données. Lors de son audition, M. Lévy, qui vient du monde des télécoms, a indiqué qu’il veillerait à ce que tous les fournisseurs aient un égal accès au réseau – ce qui n’était pas exactement la position de son prédécesseur. C’est là une évolution intéressante, qui appelle cependant quelques réformes.

Une difficulté spécifique se pose pour le développement de la concurrence dans le contexte de la fin des tarifs réglementés de vente (TRV). Le déploiement des compteurs Linky a été regardé, à juste titre, comme une priorité pour les acteurs résidentiels, mais des incertitudes demeurent pour les PME et PMI – catégorie que nous ciblerons aussi –, alors même que ce sont elles qui ont le plus besoin de mieux connaître leur consommation ; de surcroît, la structure du TURPE dissuade économiquement d’utiliser les nouveaux compteurs afin de passer en relève à courbe de charge. Pourquoi développer à grands frais des compteurs intelligents, si c’est pour le faire d’abord au bénéfice d’utilisateurs non prioritaires tout en dissuadant les prioritaires ?

Les taxes, on l’observe souvent, représentent une part croissante du prix proposé aux clients : si la tendance se poursuit, cette part dépassera bientôt celle de l’énergie elle-même. La contribution au service public de l’électricité (CSPE) s’élève à 16,50 euros par mégawattheure ; mais rappelons qu’en Allemagne, la contribution au titre de la loi Erneuerbare Energien Gesetz, dite « EEG », atteint plus de 60 euros par mégawattheure : la compétitivité des moyens de production n’est donc pas seule en cause, loin s’en faut, dans le niveau des prix.

L’AFIEG plaide en faveur de la fin du système d’obligation d’achat, impliquant, outre des subventions toujours plus élevées, que celles-ci sont tirées à la hausse à proportion même de la baisse des prix de marché, de sorte que la dépense n’est ni prévisible, ni contrôlable. De surcroît, les fournisseurs d’énergies renouvelables produisent en fonction, non des besoins, mais des conditions météorologiques, ce qui génère des surproductions et de la vente à prix négatifs. Ce système, très dangereux, nuit in fine au développement des énergies renouvelables (ENR) par l’image qu’il en donne. Nous saluons les évolutions prévues, sous réserve de leur traduction effective : s’agira-t-il d’un système d’obligation d’achat à l’envers, autrement dit d’indemnisations ex post couvrant les différences avec les prix de marché, ou d’un système encadré ? Nous préconisons un soutien aux capacités de production, via une prime qui couvrirait les frais fixes – notamment liés aux investissements – et un complément obtenu par la vente sur le marché. Ce dispositif permettrait le développement intelligent des ENR, surtout s’il est assorti d’appels d’offres, sans être ruineux pour le consommateur et les finances publiques.

Des ajustements seront également nécessaires pour préparer au mieux la fin des TRV. Le dispositif d’offre transitoire devra être précisé afin que nous soyons en mesure de présenter des propositions alternatives. Les conditions de résiliation gratuite et sans préavis doivent elles aussi être précisées, notamment lorsqu’elles peuvent apparaître contradictoires avec les conditions générales de vente.

Il existe également un risque de congestion technique lié à un afflux des demandes de changement : n’oublions pas que 440 000 sites sont concernés. Une communication systématique, et par tous les moyens modernes, doit rappeler aux consommateurs ce qu’implique la fin des TRV. Pour être en mesure de proposer des offres, les alternatifs doivent aussi avoir accès aux fichiers clients, comme cela fut le cas pour le gaz.

Le mécanisme de capacité a fait l’objet d’une loi et d’un décret ; nous espérons la publication rapide d’un arrêté, indispensable dans le contexte d’effondrement des prix de gros, lequel peut poser des problèmes à certains producteurs, notamment les CCGT, pourtant susceptibles d’être des compléments idéaux au développement des ENR.

L’effacement doit être promu : la plupart des adhérents de l’AFIEG sont d’ailleurs engagés dans cette voie ; encore faut-il veiller à ne pas provoquer des transferts de richesse injustifiés. Sur ce point, la contribution du professeur Léautier, qui avait pris l’exemple des cravates, est très éclairante.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Comment évaluez-vous la place de la concurrence au sein du système français, et en quoi influe-t-elle sur la formation des tarifs ? Dans quelle mesure le poids de l’histoire empêche-t-il l’émergence de nouveaux opérateurs ?

Les coûts vont croissant, en raison notamment des masses d’investissements nécessaires ; or les tarifs, chacun en convient, ont vocation à couvrir les coûts. Le mode de calcul de ces tarifs vous paraît-il satisfaisant ? Devrait-il évoluer et, dans l’affirmative, quels paramètres pourraient y être intégrés ?

M. Marc Boudier. Sans être insignifiante, la concurrence, en France, s’est développée à la marge, surtout si l’on considère que l’ouverture théorique du marché remonte à plusieurs années. Ce phénomène tient d’abord à la position d’EDF, qui avait en main de nombreux atouts, à commencer par ses moyens de production très compétitifs, dans le nucléaire comme dans l’hydraulique. D’autre part, cette ouverture ne s’est pas étendue à la participation à l’appareil de production lui-même, contrairement à ce qui s’est passé ailleurs en Europe, y compris au bénéfice d’EDF, par exemple en Angleterre où le groupe, détenu à 85 % par l’État français, s’est vu confier la création et la gestion de centrales. Certes, des adhérents de l’AFIEG ont eu, dans le passé, un « droit de tirage », mais l’on ne peut pas dire que la voie soit ouverte ; le président Lévy l’a encore rappelé récemment.

L’ouverture à la concurrence de l’hydraulique est un peu l’arlésienne ; mais on y viendra un jour, sans pour autant privatiser l’ensemble du système comme certains articles de presse aiment à le faire croire. J’ajoute que les acteurs existants ont des positions, qu’ils défendront. En l’absence de participation aux meilleurs moyens de production, la compétitivité repose, par exemple, sur les frais de commercialisation ; c’est évidemment plus difficile.

Tout change dès lors qu’est donnée la possibilité de se fournir sur le marché de gros – que ce soit pour de bonnes ou de mauvaises raisons – à des prix compétitifs. J’ai donné l’exemple de la clause de monotonie. Une réforme en la matière nous permettrait de proposer aux industriels français des prix plus bas encore que le prix de l’ARENH, fixé à 42 euros le mégawattheure, contre 32 euros en Allemagne. Le marché français se caractérise par une « arenhisation » des prix de gros qui pénalise la compétitivité. Certes, la vérité d’aujourd’hui n’est pas forcément celle de demain ; mais si les prix de gros baissent en Europe – par exemple en raison de subventions payées par nos voisins –, il faudra disposer d’un système suffisamment souple pour que nous puissions en bénéficier.

Avec un prix régulé proche de celui du marché, l’ouverture à la concurrence, c’est un peu ceinture et bretelles – sans compter qu’elle flatte les instances bruxelloises… Mais dès lors que sont supprimés les tarifs réglementés, la concurrence devient une impérieuse nécessité : il faut alors tout faire, non pour l’entraver, mais pour la rendre équitable.

La dépression du marché ne signifie pas que les prix sont à leur juste niveau. Les coûts, on le sait, iront croissant, ne serait-ce qu’en raison de la modernisation et de la sécurisation du parc nucléaire. Toutefois, il ne serait pas normal de répercuter sur les prix des dérapages imputables à un certain laxisme dans la gestion. Le régulateur excepté, il n’existe rien de mieux que la pression concurrentielle pour éviter les abus en ce domaine.

Mme la rapporteure. Quelles solutions préconiseriez-vous pour rebâtir le système tarifaire ? Le système actuel vous paraît-il être le meilleur pour tirer les prix à la baisse ?

M. Marc Boudier. Je n’ai évidemment pas la prétention d’esquisser un nouveau système en quelques minutes, mais quelques lignes directrices peuvent être tracées.

On dit souvent, à juste raison, que le marché est myope ; mais si les tarifs le devenaient, ce sont les générations futures qui auraient à assumer certains coûts. En tout état de cause, on ne peut investir dans la modernisation des centrales pour les prolonger de quarante ans tout en amortissant sur la même durée, faute de quoi le consommateur paierait la facture deux fois, avant et après la prolongation.

La vérité des prix doit être établie, y compris s’ils doivent être revus à la hausse, bien entendu ; aussi ne me suis-je pas prononcé sur le prix de l’ARENH, même s’il faut en tenir compte. La plus grande vigilance s’impose sur les conditions de fixation de ce prix et, je le répète, il ne faut pas confondre politique sociale et politique économique en matière tarifaire : une telle confusion pourrait conduire à appliquer un prix artificiellement bas pour tous, quand ce sont des actions ciblées qui s’imposent. Enfin, il me paraît indispensable de renforcer la transparence et le rôle de la CRE.

M. le président. Monsieur le président, nous vous remercions.

21. Audition, ouverte à la presse, de M. Gérard Mestrallet,
président de GDF Suez

(Séance du jeudi 4 décembre 2014)

Mme Viviane Le Dissez, présidente. Mes chers collègues, nous recevons ce matin M. Gérard Mestrallet qui est, depuis juillet 2008, PDG de GDF Suez. M. Mestrallet a connu et conduit la transformation de ce groupe, puisqu’il a rejoint dès 1984 ce qui était alors la Compagnie financière de Suez. À ce titre, il a donc vécu les principales étapes de la libéralisation du marché européen de l’énergie.

Une des particularités du groupe GDF Suez, dont l’État contrôle toujours plus du tiers du capital, est d’être l’un des acteurs européens de l’électronucléaire, puisqu’il possède le parc d’Electrabel, situé en Belgique. Le groupe est également présent au Royaume-Uni à travers International Power, un producteur d’électricité qu’il contrôle à 100 %. Sur le marché électrique britannique, GDF Suez compte EDF, avec sa filiale EDF Energy, parmi ses concurrents.

A priori, pour leur développement à l’international, les deux grands énergéticiens français ont plutôt bénéficié de l’ouverture des marchés du gaz et de l’électricité. S’agissant du marché français, M. Mestrallet nous indiquera sans doute quelle est sa perception de la disparition progressive des tarifs réglementés. On constate que GDF Suez propose, dans ses contrats DolceVita, des offres mixtes, gaz et électricité, à destination du grand public, avec des prix garantis sur une, deux, voire trois années et, dans certains cas, un rabais sur la première facture. De son côté, EDF propose également des offres mixtes, en apparence assez proches.

Lorsque GDF Suez propose une fourniture d’électricité en France, doit-il être considéré comme un fournisseur alternatif ? Cette question appelle une réflexion plus générale sur le dispositif de l’Accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH). M. Mestrallet pourra nous dire ce qu’il pense de l’évolution de celui-ci et de son caractère transitoire puisque, je le rappelle, il a vocation à s’appliquer jusqu’en 2025. À ce propos, en Belgique, les fournisseurs alternatifs ont-ils une garantie d’accès, sinon équivalente, du moins comparable à ce que nous appelons le nucléaire historique ?

J’ajoute que le groupe GDF Suez est également présent dans le secteur des énergies renouvelables, notamment depuis qu’il a racheté l’un des précurseurs de l’éolien en France, La Compagnie du vent.

Voilà, monsieur Mestrallet, quelques-unes des interrogations et préoccupations de notre commission d’enquête. Nous allons d’abord écouter votre exposé liminaire, au terme duquel les membres de la commission et, en premier lieu, sa rapporteure, Mme Clotilde Valter, vous poseront différentes questions.

Auparavant, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Gérard Mestrallet prête serment.)

M. Gérard Mestrallet, président de GDF Suez. Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les députés, la période actuelle est extrêmement importante pour le secteur de l’énergie. Hier soir, se tenait, sur notre initiative, à l’université de Paris-Dauphine, un forum qui a réuni 1 500 personnes sur le thème : « L’énergie en état de choc ». L’énergie est en effet en état de choc. Ce choc est à la fois technologique, « régulatoire », industriel – on le voit avec E.ON, qui a longtemps été la première entreprise allemande par la capitalisation et qui en est aujourd’hui réduite à se scinder en deux –, choc également climatique, pétrolier et économique, puisque l’on constate, sur le plan énergétique, une perte de compétitivité de l’Europe par rapport aux États-Unis.

Je rappellerai brièvement l’histoire de GDF Suez. Il y a un peu moins de vingt ans, Suez a décidé d’abandonner toutes ses activités bancaires pour construire, par une succession d’alliances – avec la Lyonnaise des eaux, la Générale de Belgique, Tractebel, Electrabel, Gaz de France puis International power – un groupe qui est aujourd’hui, avec Total, l’un des deux groupes français à figurer parmi les trente premiers mondiaux, tous secteurs confondus. Notre activité s’exerce donc désormais exclusivement dans le secteur de l’énergie. Le chiffre d’affaires du groupe s’élève à 80 milliards d’euros, Suez Environnement, dont GDF Suez détient toujours 35 %, ayant son autonomie et réalisant un chiffre d’affaires de 15 milliards dans le secteur de l’eau et des déchets.

Nous avons donc vécu l’ouverture des marchés, qui est l’un des phénomènes qui, ces quinze dernières années, ont influé sur la structure des marchés de l’énergie en Europe. Parmi les autres facteurs, il faut citer le facteur technologique. L’énergie est en effet produite par des unités non seulement renouvelables, mais aussi de plus en plus petites, de sorte qu’elles peuvent être installées sur l’ensemble du territoire, au plus près des consommateurs : individuels, industriels et collectivités locales. En outre, la technologie digitale, en convergeant avec la technologie énergétique, est à l’origine d’une véritable révolution.

GDF Suez a fait, de longue date, le choix d’être présent en Europe à la fois dans le secteur de l’électricité et dans celui du gaz, notamment dans le cadre de sa grande alliance avec Gaz de France. Aujourd’hui, le groupe produit deux fois plus d’électricité en dehors d’Europe qu’en Europe. Sa capacité installée totale est d’environ 120 gigawatts, dont 10 en France, 40 dans le reste de l’Europe et 70 dans le reste du monde, ce qui fait de GDF Suez le deuxième producteur mondial d’électricité, derrière EDF (hors acteurs Chinois). C’est un des rares secteurs où les deux leaders mondiaux sont français. Je pense, du reste, que le changement de gouvernance nous permettra, à l’avenir, de coopérer davantage, notamment au grand international.

Ce qui se passe depuis quelques années en Europe nous a amenés à réagir. Nous avons ainsi annoncé, au début de cette année, une inflexion de notre stratégie, fondée sur la vision suivante. La transition énergétique est un mouvement puissant, profond et irréversible. Même si ses conséquences sont parfois douloureuses pour certains acteurs européens – je pense notamment à E.ON ou à RWE en Allemagne –, il est positif et souhaitable. Dû à la technologie et à l’attitude des consommateurs, dont le rapport à l’énergie est en train de changer – ils veulent savoir d’où vient l’électricité, la contrôler et parfois la produire eux-mêmes –, ce mouvement provoque un déclassement accéléré de ce que j’appelle le monde ancien, celui de l’énergie centralisée produite par de grandes unités.

Si la transition énergétique est mondiale, elle produit – et j’insiste sur ce point – des effets différents en Europe et dans les pays émergents. En effet, les progrès technologiques permettent de réaliser un gain d’efficacité énergétique d’environ 2 % par an, de sorte que, dans les économies européennes, où la croissance économique est nulle, la consommation d’énergie décroît d’autant – et, après tout, c’est une évolution vertueuse. Aux États-Unis et dans les pays émergents, on observe le même phénomène mais, comme ces pays connaissent un taux de croissance économique de 3 % à 4 % pour le premier et d’au moins 5 % pour les seconds, la consommation d’énergie continue d’y augmenter.

En Europe, dont le basculement date de la crise de 2008-2009, on constate par ailleurs une aspiration générale à développer la production d’énergies renouvelables. Certes, le rythme de leur croissance peut être ajusté : il était beaucoup trop élevé en Italie, en Espagne et en Allemagne, dont je rappelle qu’elle produisait dix fois plus d’EnR que la France. Mais le mouvement de construction de capacités renouvelables additionnelles
– auquel, du reste, nous contribuons en tant que premier producteur en France d’énergie éolienne, géothermique et de biomasse – est général et se poursuit. Quelle est sa traduction dans un environnement où la consommation d’énergie baisse ? Eh bien, toute capacité renouvelable supplémentaire tue une capacité traditionnelle, thermique ; en France, il s’agit essentiellement de gaz.

Nous avons donc décidé, au début de cette année, de prendre acte de cette évolution et, plutôt que de la subir ou de la freiner, d’aller de l’avant en dépréciant massivement le monde ancien pour accélérer dans le monde nouveau. Cette stratégie comporte deux volets. Premièrement, nous avons l’ambition d’être le leader européen dans le domaine de la transition énergétique, ce qui suppose de se développer dans trois secteurs : l’énergie renouvelable, l’efficacité énergétique –secteur avec des services fortement créateurs d’emplois – et les nouveaux métiers de la transition énergétique, au croisement des technologies de l’énergie et du digital. Deuxièmement, nous voulons devenir l’énergéticien de référence dans les pays à forte croissance.

En France, nous souhaitons donc jouer notre rôle, en nous inscrivant dans la transition énergétique. Au demeurant, nous avons toujours considéré que la loi de transition énergétique, qui accompagne et encadre cette évolution, était une bonne loi ; elle ne se concentre pas uniquement sur le nucléaire mais couvre l’ensemble des autres champs de la transition énergétique de façon appropriée, qu’il s’agisse de la chaleur ou du gaz renouvelables.

En ce qui concerne l’électricité, nous détenons environ 7 % des capacités installées françaises – sachant qu’EDF en possède 90 %, cela laisse peu de place pour les autres opérateurs. Nous voulons acquérir, dans ce secteur, une position qui soit plus conforme à celle que nous occupons dans le monde, car la France est notre pays. Au cours des quinze dernières années, nous avons consenti d’importants efforts pour tenter d’y occuper une place plus importante. Ces efforts n’ont pas toujours été couronnés de succès, mais nous allons les poursuivre, car nous sommes « indécourageables ».

Quels sont les enjeux de la construction des prix de l’électricité pour GDF Suez ? Le cadre législatif et réglementaire doit, selon nous, permettre une réelle concurrence sur le marché de la fourniture d’électricité et refléter le coût réel de l’énergie, qui tient compte de sa rareté et de son impact environnemental, afin d’inciter les consommateurs à prendre les bonnes décisions et à adopter un comportement vertueux. Parallèlement, il convient de garantir le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité des entreprises, en protégeant les consommateurs les plus sensibles. De façon générale, si les tarifs doivent refléter parfaitement les coûts, ce principe peut supporter deux exceptions qui concernent les consommateurs en situation de précarité énergétique et les industries électro-intensives. Enfin, ce cadre légal doit permettre une juste rémunération des investissements. Le principe directeur est donc que les tarifs et les prix de chaque énergie doivent couvrir les coûts directs et indirects d’un fournisseur efficient.

J’en viens maintenant au projet de décret concernant l’ARENH. La loi relative à la nouvelle organisation du marché de l’électricité de 2010, dite loi « NOME », avait pour objectif, d’une part, de permettre aux fournisseurs alternatifs, dont nous faisons partie, de concurrencer les tarifs réglementés de vente offerts par EDF dans un système où ce dernier bénéficie du monopole de la production nucléaire et, d’autre part, de faire profiter les consommateurs de l’avantage économique du parc nucléaire historique. L’ARENH a en effet été instauré parce que, contrairement à ce qui s’est passé dans tous les autres pays européens, le gouvernement français n’a pas voulu demander à l’ancien monopole de céder des capacités de production à ses concurrents. En Belgique, par exemple, où GDF Suez détenait 95 % du marché, nous y avons été contraints. E.ON, Luminus et EDF nous ont ainsi racheté des capacités nucléaires, si bien que nous détenons aujourd’hui moins de 50 % du marché belge. En France, les deux seules mesures qui contribuent à l’ouverture du marché de l’énergie sont l’ARENH, instauré par la loi NOME, et l’ouverture prochaine des concessions hydroélectriques. Et notre intention est bien de saisir cette opportunité pour accroître nos capacités hydroélectriques : nous ne voulons pas être cantonnés à nos 7 %, qui, encore une fois, sont trop peu au regard de ce que nous représentons dans le monde.

L’ARENH a ainsi pour objectif de permettre à EDF de conserver toutes ses capacités de production en cédant une partie de la production à ses concurrents afin de faire profiter les consommateurs de l’avantage économique que présente le parc historique.

Par ailleurs, la loi NOME prévoit une construction des tarifs de vente de l’électricité par empilement des coûts, qui doit entrer en vigueur au plus tard à la fin de l’année prochaine. Les tarifs réglementés de vente doivent pouvoir être concurrencés par un fournisseur alternatif efficient tout en tenant compte d’une rémunération normale du fournisseur historique, EDF. La règle consiste donc à empiler les coûts : le prix de l’ARENH, le prix du complément à la fourniture d’électricité nucléaire, le prix du marché de gros, le Tarif d’utilisation du réseau public d’électricité (TURPE) et les coûts de commercialisation, auxquels s’ajoute la rémunération normale du fournisseur. Si les différentes briques reflètent bien les coûts, cette méthode permet de répondre à l’objectif de concurrence. Le consommateur doit, en outre, s’acquitter de la CSPE.

Quelles sont nos observations sur ce point ?

La méthode proposée par le Gouvernement permet à EDF d’amortir la totalité des investissements nécessaires à la prolongation des centrales nucléaires entre les travaux et 2025, date de la fin de l’ARENH. Or, la majorité des réacteurs continueront à fonctionner après cette date. EDF bénéficiera ainsi, me semble-t-il, d’une double rémunération : pendant la période de régulation, et après 2025. En conséquence, l’ARENH augmentera de 4 %, au lieu de 2 % si la rémunération des investissements était normale.

Par ailleurs, la production nucléaire du parc historique est modulée au cours de l’année pour prendre en compte les variations de la consommation d’électricité en France, qui est très liée au climat. Or, le décret ne prend pas en compte cette modulation, qui a pourtant une valeur sur le marché, que l’on estime à 1,50 euro par MWh. Ainsi, cette valeur est captée par l’opérateur historique au lieu d’être rétrocédée aux consommateurs. Il nous semble donc que la méthode employée ne respecte pas entièrement les exigences de la loi NOME, qui sont de rémunérer normalement le capital de l’opérateur historique et de restituer au consommateur final l’avantage économique de la production nucléaire.

S’agissant du plafond du volume de l’ARENH, la loi le fixe actuellement à 100 TWh, sachant que le volume utilisé est aujourd’hui de 70 TWh. Au 31 décembre 2015, les tarifs verts et les tarifs jaunes seront supprimés. Or, aujourd’hui, la concurrence n’existe pratiquement pas sur ce segment. Les besoins d’ARENH vont donc augmenter de façon importante, alors que l’on est actuellement près d’atteindre le plafond. Aussi ce plafond devrait-il, afin de tenir compte de cette situation, être doublé pour atteindre 200 TWh.

Quant aux coûts commerciaux, qui sont ceux d’un fournisseur au moins aussi efficace qu’EDF, ils doivent tenir compte du coût du service à la clientèle, des risques contractuels mais aussi des coûts d’acquisition des nouveaux clients par les opérateurs alternatifs, charge qui, bien entendu, n’incombe pas au fournisseur historique. Nous sommes favorables à cette approche, sur laquelle nous n’avons pas d’observations à formuler.

J’en viens maintenant à la CSPE. Son évolution à la hausse, liée au développement des énergies renouvelables, est renforcée par la baisse du prix de marché de l’électricité. Car, si les prix croissent pour les consommateurs, ils ont été divisés par deux ces dernières années sur les marchés de gros : de 80 euros/MWh en 2008, ils sont passés à 43 euros/MWh en France, à 36 euros/MWh en Allemagne et ils sont inférieurs à 35 euros/MWh en Scandinavie. Or, plus les prix de marché baissent, plus la CSPE, à volume identique, augmente. En effet, si l’on garantit un prix fixe, 83 euros/MWh par exemple, pour l’éolien onshore, il faut compenser la différence entre ce prix et celui du marché. Très faible en 2008, cet écart s’est creusé depuis. En fait, la CSPE est restée stable jusqu’en 2010, en dépit de l’accroissement des charges à financer ; depuis, elle augmente régulièrement, sachant que cette augmentation est plafonnée à 3 euros/MWh chaque année. Selon l’analyse de la CRE, le système est désormais sous contrôle. La hausse se poursuivra jusqu’en 2017, permettant la résorption, fin 2018, de l’avance de trésorerie, y compris les frais financiers, consentie par EDF avant 2010. Cette hausse sera ensuite de 2,3 % par an entre 2017 et 2025, puis on observera, à partir de 2025, une stabilisation de la CSPE à hauteur de 30 euros/MWh. L’incertitude concernant la trajectoire est assez limitée, car cette dernière est fondée sur des installations existantes et des projets qui sont déjà décidés pour près de 60 % des charges correspondantes.

La CSPE ne nécessite donc pas de réformes dans son principe. Le rapport de la CRE démontre du reste que le statu quo est satisfaisant. Le dispositif est assaini, puisque la dette de l’opérateur sera entièrement résorbée en 2018. La trajectoire conduit à une stabilisation des charges à couvrir à un niveau soutenable pour l’avenir. Par ailleurs, la programmation pluriannuelle de l’énergie – innovation que nous soutenons beaucoup, car elle fournira un cadre utile aux acteurs du secteur –, ainsi que le comité de gestion de la CSPE sont des outils qui permettront au Parlement de mieux maîtriser les coûts de développement des EnR, d’encourager les filières les plus compétitives et d’ajuster les trajectoires si l’on devait constater des dérives qui, pour l’instant, n’existent pas. En effet, je le redis, contrairement à ce qui s’est passé en Espagne pour l’éolien, en Italie pour le solaire et en Allemagne pour l’un et l’autre, le développement des énergies renouvelables est resté, en France, maîtrisé et raisonnable.

Le nouveau système de soutien des EnR – qui résulte d’une décision de la Commission– substitue au feed-in tariff, c’est-à-dire à l’obligation d’achat, des systèmes de primes. Il garantit ainsi, nous semble-t-il, la poursuite du développement de ces énergies sans comporter le risque de provoquer une explosion des volumes comparable à celle qui avait été observée en Allemagne, où n’importe quelle personne construisant une éolienne dans son champ était assurée de toucher des subventions pendant vingt ans.

Pour GDF Suez, il convient de bien maîtriser les coûts de développement des ENR et de privilégier les plus compétitives d’entre elles, sans remettre en cause le principe de la CSPE.

Je sais que se pose périodiquement la question de l’extension de cette dernière aux énergies fossiles. Nous n’y sommes évidemment pas favorables.

M. François Brottes. On préfère en effet en toucher plutôt qu’en payer ! (Sourires.)

M. le président de GDF Suez. Tout d’abord, si l’on étendait le périmètre de la CSPE au gaz naturel ou au fioul domestique, on opérerait un transfert de charges vers des consommateurs qui sont souvent précaires. Selon nos calculs, la facture du chauffage électrique diminuerait de 56 euros par an, tandis que celle des consommateurs de gaz naturel – dont je rappelle qu’il représente 64 % du chauffage collectif dans le logement social – augmenterait de 111 euros, soit 10 %, et celle des consommateurs de fioul, qui est très utilisé dans le monde rural et par de nombreux foyers en situation de précarité, de 153 euros par an. Un élargissement de la CSPE – qui couvre une partie du prix de l’électricité produite par les EnR et destinée par définition aux consommateurs d’électricité – reviendrait à faire payer à des consommateurs un produit qu’ils n’utilisent pas. Or, chaque énergie doit payer ses coûts et non ceux des autres.

Un mot sur le gaz naturel. S’il s’agit d’une énergie fossile, n’oublions pas qu’il contribue à la transition énergétique. En effet, à l’échelle mondiale, la lutte contre le réchauffement climatique passe davantage par le transfert du charbon vers le gaz que par le développement des énergies renouvelables. Nous pensons, quant à nous, que les deux sources d’énergie sont nécessaires, d’autant qu’elles sont complémentaires, puisque l’utilisation de gaz pour la production d’électricité est très flexible, alors que certaines énergies renouvelables sont intermittentes. Encore une fois, dans de nombreux pays, le moyen le plus rapide et le plus efficace de limiter les émissions de gaz à effet de serre consiste à remplacer les équipements fonctionnant au charbon par des équipements fonctionnant au gaz. C’est du reste ce que GDF Suez est en train de faire dans des villes telles que Pékin, Shanghai et Chongqing.

Quant à la filière du biométhane, elle est en plein développement, puisqu’il existe 500 projets d’injection dans les réseaux de gaz naturel. On pense que la proportion de biométhane dans ces réseaux pourrait atteindre 5 % en 2020, sachant que l’objectif de 2030, que le Gouvernement n’a pas souhaité à ce stade inscrire dans la loi de transition énergétique, figurera probablement dans la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), devrait être de 10 %. Cela conduira à une augmentation de 4 % de la facture de gaz.

J’ajoute que le gaz est soumis à des taxes, notamment à une taxe carbone, la Taxe intérieure sur la consommation de gaz naturel (TICGN), qui représentera progressivement 7 % du prix du gaz. C’est d’ailleurs la hausse de cette taxe au 1er janvier qui va entraîner l’augmentation du prix du gaz de 1,8 %, prix qui aurait baissé de 0,6 % si l’on avait tenu compte uniquement du coût de la molécule. En conséquence l’effort des consommateurs de gaz naturel en faveur du climat se traduira par une augmentation de 11 % des prix à l’horizon 2020, ce qui n’est pas négligeable.

Par ailleurs, élargir la CSPE reviendrait à envoyer un signal favorable au chauffage électrique, dont on sait qu’il sollicite des moyens de production fortement émetteurs de CO2. Ce serait, en outre, incohérent dans la mesure où un risque pèse sur la sécurité d’approvisionnement, qui a d’ailleurs été remarqué par le Réseau de transport d’électricité (RTE) – c’est également le cas en Belgique. Si tous les pays européens importent de l’électricité au même moment, il risque d’y avoir un problème. Il faut donc faire attention aux pointes de consommation d’électricité en hiver et tout faire pour éviter de les aggraver. J’ajoute que l’électricité que l’on importe, notamment d’Allemagne, est souvent produite à base de charbon. Rappelons également que le contenu en CO2 de l’électricité nécessaire pour couvrir de nouveaux besoins de chauffage est plus élevé que celui du chauffage au gaz naturel – nous tenons la démonstration à votre disposition.

Aujourd’hui, le prix de l’ARENH est à 42 euros/MWh, le prix de marché de l’électricité à 43 euros/MWh. La marge est donc extrêmement réduite : le jour où le premier dépassera le second, l’ensemble du dispositif perdra son intérêt. Qui, en effet, achètera à EDF une électricité qu’il peut se procurer à un prix moindre sur le marché ?

En résumé, les règles d’élaboration du prix de l’ARENH doivent respecter les objectifs de la loi NOME : rémunérer normalement l’opérateur et redistribuer l’avantage économique du parc nucléaire aux consommateurs, ce qui n’est pas tout à fait le cas aujourd’hui. Le développement des énergies renouvelables doit être maîtrisé. À cet égard, la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et la réforme du mécanisme de soutien vont dans le bon sens. Ils garantissent une maîtrise des charges du service public et un prix optimal pour les consommateurs en envoyant les bons signaux économiques aux acteurs. L’élargissement du périmètre de la CSPE aux énergies fossiles serait non seulement anti économique, mais aussi antisocial et anti-environnemental pour les raisons que je viens d’indiquer.

J’évoquerai, en conclusion, la fin des tarifs réglementés. En France, la situation est telle que la concurrence est très faible sur le marché de l’électricité et très élevée sur le marché du gaz. La France est en effet le seul pays d’Europe où, en matière de fourniture d’électricité, l’opérateur historique n’a pratiquement pas perdu de parts de marché ; EDF en détient toujours environ 90 %. Ce n’est évidemment pas le cas pour le gaz. En effet, si, pour les consommateurs individuels, notre part de marché est encore de 85 %, celle-ci est tombée à moins de 30 % sur le segment des plus gros consommateurs. Or, ce sont les tarifs réglementés du gaz que les pouvoirs publics ont décidé de supprimer en premier, d’abord pour les consommateurs industriels, puis, peu de temps après, pour les consommateurs professionnels. Dans ce cadre, nous avons été forcés de communiquer les informations que nous détenons sur la consommation de nos clients à tous nos concurrents, notamment à EDF, non seulement pour les consommateurs professionnels – on peut à la rigueur le comprendre, mais ils ne sont pas du tout contents – mais aussi pour les particuliers. Une telle différence de traitement me paraît anormale ; je ne comprends pas que l’on ouvre davantage encore le marché sur lequel la concurrence est la plus vive et que l’on continue à protéger l’autre.

Mme Viviane Le Dissez, présidente. Je vous remercie pour votre exposé, monsieur Mestrallet. Nous allons maintenant passer aux questions.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Monsieur Mestrallet, vous avez parlé du dispositif français comme d’un monde ancien. Ce dispositif et la façon dont y est organisée la concurrence influent-ils, selon vous, sur les coûts et les tarifs ?

Par ailleurs, existe-t-il un mode de calcul des tarifs différent de celui qui est actuellement appliqué qui permettrait de mieux répercuter sur les consommateurs, ménages et entreprises, les baisses de prix que vous avez évoquées ?

Enfin, le niveau extrêmement bas du prix de l’énergie, notamment de l’électricité, en dehors de l’Europe place les électro-intensifs installés dans nos territoires dans une situation limite au plan international, situation qui suscite l’inquiétude des industriels et des élus. Le cadre européen n’est-il pas trop contraignant à cet égard et ne nuit-il pas à la compétitivité des industries européennes ?

M. François Brottes. Ma principale question portera sur le marché de capacité.

J’ai bien compris, monsieur Mestrallet, que vous préfériez percevoir la CSPE plutôt que la verser ; c’est humain. Cela dit, je ne sais pas si, sur le chauffage électrique, vous tiendriez le même discours en Belgique, car, dans une maison bien isolée, un chauffage d’appoint électrique n’est pas aussi pervers que vous le dites. Le modèle économique des énergies renouvelables convient à ceux qui en produisent, puisqu’ils bénéficient d’une obligation d’achat garantie sur une certaine durée. Mais ne pourrait-on pas les responsabiliser par rapport à l’intermittence, en intégrant dans ce modèle un peu de stockage, surtout si l’on produit de l’hydrogène décarboné que l’on injecte ensuite dans le réseau de gaz ? Vous êtes, à cet égard, l’entrepreneur le mieux à même de faire évoluer le modèle. Même les Allemands commencent à dire que nous allons dans le mur. Tout ne va pas bien ! Les coûts explosent et l’inconséquence domine, si bien qu’il va falloir moraliser le dispositif. Certes, de petits opérateurs, qui sont du reste de moins en moins nombreux, cherchent à gagner de l’argent rapidement sur ces marchés. Mais d’autres opérateurs sont sérieux et connaissent parfaitement toutes les énergies à travers le monde. C’est pourquoi on attendrait de vous, compte tenu de votre palette de compétences, que vous proposiez des innovations en ce qui concerne le modèle économique des renouvelables, notamment sur la question du stockage.

Par ailleurs, l’abandon, hier, du projet de gazoduc South Stream aura-t-il des conséquences ? À ce propos, on m’a toujours expliqué que les prix du gaz étaient liés au marché du pétrole. Or, force est de constater que c’est le cas quand les prix montent, non quand ils baissent. Cherchez l’erreur ! J’imagine que vous pourrez nous éclairer sur ce point.

J’étais hier, avec les membres du bureau de la commission les affaires économiques, à Berlin, où j’ai co-animé, avec mon homologue Peter Ramsauer, une réunion de la commission de l’économie et de l’énergie du Bundestag au cours de laquelle nous avons examiné les situations française et allemande dans le domaine de l’énergie. En ce qui concerne l’Allemagne, si la scission d’E.ON plaît à certains, notamment aux écologistes, elle déplaît fortement à d’autres – en l’espèce au secrétaire d’État qui était présent –, qui se demandent si un fonds de défaisance ne sera pas créé et toute une série d’actifs dévalorisés et abandonnés à bon compte. Par ailleurs, l’éolien fatal commence à leur poser problème. Et ils nous ont également prévenus qu’ils ne seraient pas au rendez-vous de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, car ils auront encore longtemps besoin de leurs centrales à charbon. Enfin, l’abandon du nucléaire fait l’unanimité.

J’en viens maintenant au marché de capacité. Hier, j’ai également rencontré des électro-intensifs allemands, dont je tairai le nom, avec lesquels j’ai pu recouper un certain nombre d’informations. Nos voisins allemands ont compris bien avant nous qu’il y avait là un problème, et ils ne se sont pas gênés pour créer des dispositifs adaptés. Ils se sont certes fait un peu gronder par la Commission, mais ils s’en tirent assez bien, puisque cette dernière a entériné, à peu de chose près, leur dispositif.

Ainsi les électro-intensifs allemands sont aidés de trois manières. Tout d’abord, le secrétaire d’État a indiqué que leur contribution au renouvelable allait être revue. Ensuite, ils sont exonérés du paiement de 90 % du transport d’électricité. Enfin, comme les Italiens et les Espagnols, les Allemands ont mis en place un mode de subventionnement assez judicieux qui est lié au marché de capacité ou à la question de la sécurisation des réseaux. En effet, ils lancent, auprès des entreprises qui acceptent de s’effacer en cas de pointe ou d’hyper-pointe, un appel d’offres qui permet de qualifier un certain nombre d’opérateurs. Ensuite, toutes les entreprises sélectionnées bénéficient, pour être présentes dans le dispositif, d’un forfait annuel assez élevé, qu’elles perçoivent même si l’effacement n’est pas appelé. C’est donc une façon un peu détournée de baisser significativement le prix de l’électricité pour les électro-intensifs. Conscients que l’Europe a du mal à maintenir son industrie, les Allemands ont décidé de défendre la leur, sous-entendant que ce n’était pas le cas de la France, où tout le monde paie la même chose. C’est tout de même un comble !

Quoi qu’il en soit, je tenais à apporter ce témoignage à la commission. En Allemagne, on a trouvé trois moyens de baisser significativement les tarifs pour les électro-intensifs. Certes, ces tarifs ne sont plus du tout, de ce fait, orientés vers les coûts, mais j’ai compris, monsieur Mestrallet, que vous acceptiez des exceptions en faveur des précaires et des électro-intensifs.

RTE a produit un rapport un peu angoissant, dans lequel il est expliqué que la situation sera compliquée l’hiver prochain. Or, GDF Suez est perçue à cet égard comme l’entreprise qui met en péril le dispositif, puisque ce sont les nombreuses centrales combinées gaz que vous avez décidé d’arrêter qui peuvent jouer un rôle de dépannage en cas de pointe de consommation. Certes, vous ne pouvez pas maintenir en activité, pour un coût très élevé, des centrales qui ne servent jamais. Je vous pose donc la question suivante. Si nous créons, pour le dépannage en urgence, un modèle financé par un forfait garanti, sera-t-il possible de placer les centrales sous un cocon opérationnel ? Aujourd’hui, en France, il n’y a de forfait ni pour l’effacement ni pour la capacité. On fonctionne au coup par coup, ce qui prive de visibilité les investisseurs ou les producteurs qui sont tenus d’entretenir des systèmes coûteux qui ne servent pas. Une rémunération de ce type pourrait-elle vous faire renoncer à désactiver les centrales combinées gaz ? Et quelle est votre vision du marché de capacité, qui se cherche en France comme en Allemagne ?

M. le président de GDF Suez. Tout d’abord, je n’ai pas assimilé la situation française à l’ancien monde. La France a des atouts considérables. Ainsi son parc nucléaire et son parc hydraulique constituent une protection contre l’effondrement des prix de l’électricité, dans la mesure où leurs coûts marginaux de production sont inférieurs aux prix de marché. Bien entendu, le tarif constitue la protection pour l’opérateur national. Par ailleurs, les mesures de la loi de transition énergétique relatives à l’efficacité énergétique, au biogaz, à la chaleur renouvelable, aux territoires à énergie positive ou aux contrats de performance énergétique traduisent un mouvement qui est en marche et qui viendra s’ajouter et cohabiter avec le modèle ancien, lequel, contrairement au reste du système énergétique européen, est protégé, je le répète, par ses coûts de production marginaux très bas.

S’agissant de la concurrence, la France est, dans le secteur de l’électricité, le pays où la concurrence est la moins ouverte. On constate cependant une augmentation des coûts. Très longtemps, les consommateurs français ont bénéficié des coûts très bas du nucléaire, mais la Cour des comptes et le régulateur ont constaté qu’en cinq ans, ces derniers avaient fortement augmenté de 35 %. Il y a là un problème qui doit être étudié de près ; nous avons le sentiment que, dans d’autres pays, notamment en Belgique, ces coûts n’ont pas augmenté dans de telles proportions. Quant à nous, nous sommes favorables à ce que la concurrence sur le marché français de l’électricité, puisse s’accroître quand cela est possible, dans l’intérêt du consommateur, dont la palette de choix sera plus étendue, et dans l’intérêt du pays.

Y a-t-il une façon différente de calculer les tarifs ? Ces derniers doivent refléter les coûts. Nous avons indiqué que le principe de fixation des tarifs défini dans la loi et le décret nous convenaient, sauf en ce qui concerne le double amortissement d’une partie des investissements et la prise en compte de la modulation. Nous ne sommes pas révolutionnaires en la matière. Les principes sont bons, il faut simplement les appliquer correctement. Or, dans le projet de décret, ce n’est pas le cas sur ces deux points.

En ce qui concerne les électro-intensifs, il est vrai que leur compétitivité est moindre en Europe qu’aux États-Unis. Ceux-ci sont en effet en train de se doter d’un avantage compétitif spectaculaire grâce au gaz de schiste, qui a permis aux Américains de produire du gaz en grande quantité. D’où un prix bas du gaz naturel, qui se situe aujourd’hui aux alentours de 4 dollars aux États-Unis, contre plus du double en Europe. Le prix de l’électricité y est également bas, puisqu’elle est produite marginalement par des centrales à gaz. Ces dernières remplacent donc les centrales à charbon, ce qui a pour effet de faire baisser les émissions de CO2 aux États-Unis, qui ont diminué de 7 % à 8 % l’année dernière. Mais, conséquence malheureuse de cette évolution, le charbon américain, qui n’est plus utilisé dans les centrales électriques, est exporté vers l’Europe où il est vendu à des prix bas. Le charbon étant au même prix en Europe et aux États-Unis mais le gaz y étant 2,5 fois plus cher, c’est le charbon qui élimine le gaz en Europe. C’est ainsi qu’en Allemagne, en Italie, au Danemark et au Royaume-Uni, les centrales à charbon ont supplanté les centrales à gaz. Le prix de l’électricité est en effet si bas que chaque fois qu’une telle centrale fonctionne, la marge variable est négative.

Le groupe Magritte, qui rassemble à mon initiative les grands patrons de l’électricité européens, a dressé un diagnostic, très sévère, de la situation du marché européen de l’électricité et il a fait des propositions sur le marché du carbone, les émissions de CO2, le régime de soutien aux énergies renouvelables et les marchés de capacité. Les membres de ce groupe, au nombre d’une dizaine, dont E.ON, RWE, ENDESA et IBERDROLA – EDF ne nous a pas rejoints mais, sait-on jamais, cela peut changer –, ont estimé que le total des centrales thermiques fermées ou mises sous cocon par les membres du groupe au début de l’année dernière s’élevait à un total de 50 gigawatts, soit l’équivalent de 50 centrales nucléaires. Nous avons ajusté ce chiffre cet automne, avant le sommet européen : il est aujourd’hui de 70 gigawatts. Ces centrales sont fermées définitivement pour les plus anciennes et mises sous cocon pour les plus récentes. Je rappelais à Jean-Marc Ayrault, que j’ai croisé tout à l’heure, que nous avons inauguré, il y a trois ou quatre ans, une centrale à gaz sur le site de Montoir-de-Bretagne. Eh bien, cette centrale, qui a coûté 350 millions d’euros et dont la capacité est de 400 mégawatts, ne tourne plus ! En sachant que nous avons fermé, en Europe, des centrales représentant une capacité de 70 gigawatts, vous mesurez le gâchis industriel que cela représente.

Pour les gros consommateurs, le coût énergétique est donc bien plus élevé en Europe qu’aux États-Unis. Je précise qu’en Asie, qui bénéficie d’autres avantages compétitifs, notamment le coût de sa main-d’œuvre, l’énergie est également relativement chère. On assiste donc à des transferts du Moyen-Orient, d’Europe, d’Asie et même d’Amérique latine vers les États-Unis, notamment le Texas, dont le développement s’apparente à celui des pays émergents. Pour les électro-intensifs, il n’existe pas actuellement de réglementation européenne : chacun fait un peu ce qu’il veut. Ainsi l’Allemagne soutient-elle son industrie, comme l’a rappelé le président Brottes, en faisant payer le coût des énergies renouvelables par les consommateurs plutôt que par les industriels, en exonérant ces derniers du transport et en mettant en œuvre des dispositifs d’effacement très astucieux et appropriés. La question doit se poser en France, où l’on fait davantage payer les industriels que les ménages. C’est un choix politique.

J’en viens aux questions du président Brottes, à qui nous pourrons d’ailleurs fournir ultérieurement des éléments plus précis. GDF Suez a toujours essayé d’être une force de réflexion. C’est pourquoi je trouve M. Brottes sévère lorsqu’il dit qu’il attendait davantage de nous. Qu’avons-nous fait ? Nous avons réuni, à mon initiative, les patrons des plus grands électriciens d’Europe, puis nous avons établi, au début de l’année 2013, un diagnostic sur le fondement duquel nous avons bâti des propositions collectives. Ce n’était pas facile, car nous sommes dans des situations différentes. Le groupe rassemble en effet à la fois RWE, qui est le plus gros émetteur de CO2 au monde, et les leaders mondiaux du renouvelable. Nous avons pourtant réussi à présenter un paquet de propositions très audacieuses. Nous sommes ainsi les premiers à avoir plaidé pour une réduction de 40 % des émissions de CO2 à l’horizon 2030, alors que nous sommes parmi les plus gros émetteurs au monde. Il nous a semblé en effet que la situation européenne – marquée par un triple échec sur le plan du climat, de la compétitivité et de la sécurité d’approvisionnement – était tellement mauvaise qu’il nous fallait absolument faire des propositions de nature à remettre le système énergétique européen sur les rails.

Pour atteindre cet objectif, certes ambitieux mais réaliste, nous avons proposé de mettre en place un marché du CO2 et de faire du prix du carbone le paramètre essentiel de la lutte contre le réchauffement climatique et donc du développement du renouvelable et de l’efficacité énergétique. Pour éviter que ce marché ne fluctue trop, nous avons proposé de créer une sorte de banque centrale de régulation, qui s’appelle aujourd’hui Market stability reserve, que nous souhaiterions voir entrer en vigueur immédiatement, plutôt qu’à partir de 2020 comme c’est prévu. Nous avons également fait des propositions concernant l’adaptation des mécanismes applicables aux énergies renouvelables et les marchés de capacité.

Nous avons beaucoup travaillé avec la Commission européenne et nous avons rencontré les différents chefs d’État. Nous avons ainsi passé deux heures et demie avec Mme Merkel, M. Gabriel et Mme Hendricks, dont trois quarts d’heure sur les marchés de capacité. Nous avons en effet du mal à bien faire comprendre à nos interlocuteurs le lien entre marché de capacité et sécurité d’approvisionnement. Nous ne demandons pas de subventions pour les centrales que nous avons arrêtées. Nous expliquons que, dans un marché ouvert, plus personne ne voudra investir dans des équipements de pointe qui ne fonctionnent que quelques centaines d’heures par an : les prix devraient être astronomiques pour couvrir les charges de capital. En revanche – et c’est une réponse au président Brottes –, nous sommes tout à fait ouverts à la solution consistant à tenir disponibles les centrales mises sous cocon. Pour ce faire, nous avons besoin de couvrir les coûts variables liés au maintien en activité – les charges de capital, nous avons tiré un trait dessus. Si maintenir des centrales disponibles en attendant qu’elles fonctionnent est un cash drain, la logique économique impose qu’on les ferme. Si le système énergétique, qui a besoin de disposer de ces capacités pour faire face aux pointes de consommation, rémunère les coûts variables, la logique économique impose de les maintenir ouvertes. Au reste, la Bavière, qui s’est aperçue que la disponibilité de certaines centrales lui serait nécessaire pour passer l’hiver, a négocié directement avec quelques opérateurs, notamment E.ON, pour leur garantir une rémunération compensant les coûts du maintien en activité de ces centrales. Ce système est relativement simple, et nous y serions ouverts.

L’arrêt du projet South Stream n’est pas une tragédie pour la sécurité d’approvisionnement de l’Europe. Au demeurant, je ne suis pas certain que ce projet aurait pu aller à son terme. Il représentait en effet un investissement extrêmement coûteux sans être absolument indispensable, compte tenu de l’existence de North Stream et des futurs gazoducs transanatolien, qui devrait acheminer du gaz de l’Azerbaïdjan vers l’Europe via la Turquie, et transadriatique (TAP). Qui plus est, la consommation de gaz diminue en Europe. Certes, les productions européennes baissant un peu plus vite, notamment en Mer du Nord, les besoins en importation augmentent, mais ils augmentent lentement. À ces nouveaux canaux d’approvisionnement, il faut ajouter le gaz naturel liquéfié et le biogaz, qui renforce la sécurité d’approvisionnement de notre pays, surtout s’il peut représenter 10 % en France à l’horizon 2030.

Par ailleurs, je rappelle que c’est le marché qui a indexé le prix du gaz sur celui du pétrole, suivant en cela une vieille tradition. Ainsi les contrats d’approvisionnement, dont je rappelle qu’ils sont signés pour vingt ans, conclus avec l’Algérie, la Norvège et la Russie, qui représentent la plus grande part de l’approvisionnement de la France – et de l’Europe, du reste – étaient tous indexés sur le pétrole. La situation est donc devenue très grave pour nous lorsque, après la crise de 2008-2009, les prix du gaz ont considérablement baissé sur les marchés européens alors que le prix du pétrole restait élevé, aux alentours de 100 dollars le baril – il l’était encore il y a trois mois. GDF Suez, E. ON ou ENI payaient leur gaz très cher à ces grands producteurs, alors que certains consommateurs pouvaient s’approvisionner directement sur le marché européen à un prix nettement moins élevé. Dès lors, soit nous nous alignions et nos marges devenaient négatives, soit nous ne vendions pas et nous perdions des parts de marché. Nous avons donc durement négocié avec Gazprom, de sorte qu’aujourd’hui, l’indexation sur le prix du pétrole a été réduite de moitié. Dans nos contrats de gaz de long terme, les prix sont désormais indexés pour moitié sur le marché du gaz en Europe et pour moitié sur le prix du pétrole. C’est pourquoi, actuellement, le prix du gaz baisse : de 7 % à 8 % l’an dernier et de 2,8 % cette année. Cette pression à la baisse va d’ailleurs se poursuivre, compte tenu de la diminution accélérée du prix du pétrole. L’indexation sur le prix du pétrole constituait la pratique dans le monde entier. Loin de l’avoir décrétée, nous avons fait tout notre possible pour que cette indexation soit progressivement ramenée à 90 % puis à 70 %, pour arriver à 50 % aujourd’hui.

Enfin, M. Brottes disait que nous préférions toucher la CSPE plutôt que la payer. Je rappelle que ce n’est pas nous qui la paierions, mais les clients consommateurs de gaz et de fioul. Quant à ce qui est de la toucher, non seulement les énergies renouvelables représentent 60 % de la CSPE, mais le solaire, qui est produit surtout par EDF Énergies nouvelles, coûte plus cher que l’éolien, qui est plutôt notre spécialité.

M. Jean-Pierre Gorges. Tout d’abord, monsieur Mestrallet, je rejoins M. Brottes, mais je formulerai les choses différemment. Je cherche à faire la part, dans votre intervention, de ce qui relève, d’un côté, de la démarche marketing d’un groupe qui a besoin de faire des profits et, de l’autre, de l’analyse de l’évolution d’un pays qui cherche sa voie, puisqu’on a pu constater que les positions sont partagées sur la transition énergétique. À ce propos, vous avez confirmé que l’équation de la transition serait équilibrée si la consommation baissait, car les ENR ne parviendront pas à se substituer, au moins dans un premier temps, à la production nucléaire. Au demeurant, vous estimez que le monde évolue vers une décroissance durable de la consommation énergétique. Il est vrai que c’est le cas en Europe depuis 2007. Mais il est un peu inquiétant de bâtir un modèle sur une décroissance durable, quand les gouvernements prônent la croissance et cherchent à la stimuler pour tenter de rééquilibrer les comptes publics.

J’ai donc le sentiment que votre discours relève plutôt du marketing. Je le comprends bien, du reste : la désinstallation des centrales nucléaires représenterait un business terrible ! Quant aux solutions que vous proposez, elles sont si complexes et variées que plus personne ne s’y retrouve. D’un côté, l’Europe prône la libéralisation du marché mais, de l’autre, on observe des jeux de subventions et de compensations. S’agissant du nucléaire, on comprend, en vous écoutant, qu’il présente l’avantage de ne pas être cher et que le seul inconvénient que vous semblez lui trouver, c’est que la production est centralisée. Cela me rappelle la guerre de l’informatique que l’on a connue il y a trente ans, entre informatique centralisée et informatique répartie. En fait, et l’autre et l’autre gagnent.

Mes questions seront très précises.

Premièrement, pensez-vous que l’Europe s’inscrit dans une décroissance telle que la consommation d’électricité baissera ?

Deuxièmement, les investisseurs, notamment les électro-intensifs, ont besoin d’avoir une visibilité à long terme, supérieure à six mois, ce qui est difficile en France. Certains des dispositifs prévus dans le cadre de la transition énergétique le sont, certes, jusqu’en 2025, mais les investissements dans le nucléaire concernent des centrales qui sont faites pour durer, non plus quarante ans, comme c’est le cas en France aujourd’hui, mais soixante ou quatre-vingts ans, notamment aux États-Unis. Que va-t-il donc se passer selon vous après 2025 ? Ne pensez-vous pas qu’une transition énergétique est possible dans le nucléaire, de la troisième génération vers la quatrième génération ? On nous a en effet expliqué, dans le cadre de la commission d’enquête sur le coût du nucléaire, qu’à consommation égale, nous disposons de 130 ans de réserves d’uranium pour la troisième génération et de 7 000 ans pour la quatrième génération. Le combustible deviendrait ainsi illimité, donc assimilable aux énergies renouvelables, et la problématique du nucléaire ne concernerait plus que la sécurité.

Troisièmement, pensez-vous que les ENR pourront pallier la décroissance du nucléaire à l’horizon 2025 ?

Par ailleurs, je l’ai dit, le système est devenu d’une complexité telle que plus personne n’y comprend rien. Vous venez de nous en donner une illustration à propos de l’indexation des prix du gaz sur ceux du pétrole, qui aboutit à des situations totalement contradictoires. Or, on pourrait, me semble-t-il, imaginer des solutions simples qui apaiseraient les inquiétudes en Europe. Vous avez du reste démontré qu’ailleurs, les choses se faisaient plus rapidement et plus facilement : certains États américains connaissent des taux de croissance proches de ceux des pays émergents grâce à des solutions pragmatiques fondées notamment sur le gaz de schiste.

Encore une fois, je peine à faire la distinction, dans vos propos, entre l’analyse de la destinée de notre pays et la démarche marketing d’un groupe qui a besoin de préserver ses marges et ses parts de marché, que vous avez d’ailleurs évoquées à maintes reprises. Quant à moi, je cherche, dans le cadre de cette commission d’enquête, à étudier la situation actuelle pour définir la stratégie de demain, car il me semble que la transition énergétique proposée ne fournit pas de réponse définitive aux orientations que doit suivre notre pays.

Mme Jeanine Dubié. Monsieur Mestrallet, dans le contexte inquiétant de la précarité énergétique, vous avez milité en faveur de l’extension des tarifs sociaux et de la création du « chèque énergie », souhaitant d’ailleurs que ces deux dispositifs puissent être complémentaires. Comment pourrait-on selon vous compenser la montée en charge des tarifs sociaux ?

Par ailleurs, vous avez évoqué les marchés de capacité, dont vous nous avez bien expliqué qu’ils visaient à assurer la sécurité d’approvisionnement en période de pointe. Du fait des interconnexions, ils doivent être coordonnés et cohérents au niveau européen. Or, vous avez indiqué que le message avait du mal à passer auprès des chefs d’État. Est-ce le cas de tous ou de certains seulement ? Et quelles sont les raisons de ce blocage ? Si la dimension européenne des marchés de capacité n’est pas prise en compte, courons-nous un risque majeur en matière d’approvisionnement au plan européen ?

Enfin, le dispositif dont bénéficient les électro-intensifs allemands vous paraît-il transposable en France ? Ce sujet nous préoccupe beaucoup, car nous avons tous des industries de ce type dans nos circonscriptions, notamment lorsque nous sommes élus de la montagne.

Mme Viviane Le Dissez, présidente. Je souhaiterais, pour ma part, que vous nous indiquiez la façon dont vous envisagez le fonctionnement d’un marché du CO2.

Mme la rapporteure. Pourriez-vous revenir sur l’évolution comparée du coût du nucléaire en France et chez nos voisins ?

M. le président de GDF Suez. M. Gorges a soulevé de nombreuses questions. Tout d’abord, la complexité, ce n’est pas nous qui l’inventons. Le monde de l’énergie est aujourd’hui un monde à trois vitesses : dans les pays émergents, les besoins sont croissants ; en Amérique du Nord, la situation est bouleversée par l’apparition des gaz et pétroles de schiste ; et l’Europe est marquée par ce que j’appelle « les 4 D » : la dérégulation, qui du reste n’en est plus une aujourd’hui ; la décentralisation, rendue possible par la technologie et la miniaturisation des unités de productions ; la digitalisation, c’est-à-dire la convergence des technologies numériques et énergétiques, qui joue un très grand rôle en matière d’efficacité énergétique ; et la décroissance.

Je ne suis pas du tout favorable à la décroissance européenne, au contraire. Simplement, je constate que la croissance est absente aujourd’hui. J’espère de tout cœur qu’elle sera de retour, et elle le sera sans doute. En tout état de cause, on observe désormais un écart, de l’ordre de 2 % par an, entre la croissance économique et la croissance de la consommation d’énergie. C’est une donnée que l’on observe partout dans le monde. Mais, comme l’Europe est la seule zone économique du monde dont la croissance du PIB se situe autour de zéro, et ce depuis 2008, la consommation d’énergie y décroît depuis cette date. Mais elle n’est pas pour autant condamnée à décroître quoi qu’il arrive. Si la croissance économique européenne était à nouveau supérieure à 2 %, la consommation d’énergie croîtrait également ; mais aujourd’hui, elle est négative. Cela dit, je le répète, le décrochage entre croissance du PIB et croissance de la consommation d’énergie est une tendance structurelle.

Ainsi, en tant que groupe industriel, nous vendons, en Europe, moins de gaz et d’électricité, mais nous vendons davantage de services d’efficacité énergétique. Nous avons du reste créé une division spécialisée dans ces services – composée d’entreprises telles que Cofely, Ineo, Endel, Axima et Tractebel Engineering –, qui emploie 90 000 personnes et qui est en croissance. Nous constatons donc actuellement à la fois une baisse de la consommation d’énergie en volume et une croissance de la demande en matière de services d’efficacité énergétique. J’ajoute, au passage, que cela crée de l’emploi. Si nous avons un programme de 45 000 embauches en France sur cinq ans, c’est notamment grâce à la croissance de ces services. En revanche, lorsque nous fermons des centrales à gaz, nous détruisons de l’emploi – peu, heureusement, car ces centrales fonctionnent presque de manière automatique. Mais elles coûtent très cher en capital. Lorsqu’on en ferme une, on fait donc un important write-off, c’est-à-dire une dépréciation, et on supprime l’emploi de vingt personnes, que nous n’avons aucun mal à recaser, compte tenu de cette dynamique d’embauche.

Par ailleurs, vous avez peut-être eu le sentiment, monsieur Gorges, que j’étais antinucléaire.

M. Jean-Pierre Gorges. Non, mais vous n’avez rien dit à ce sujet. C’est mystérieux. En vous écoutant, on a le sentiment que le renouvelable réglera tous les problèmes. Vous n’avez pas du tout abordé la destinée du nucléaire, qui fait débat, ici.

M. Le président de GDF Suez. J’aurais pu parler davantage du nucléaire, mais GDF Suez, qui détient une participation dans les centrales de Chooz et du Tricastin, n’est pas un opérateur nucléaire en France. Nous avons tenté de le devenir, puisque j’étais partisan de la construction, dans la vallée du Rhône, d’abord d’un EPR, puis d’un ATMEA. On m’a fait beaucoup de promesses, mais je n’ai jamais rien vu venir. Nous avons donc tiré un trait là-dessus. En revanche, GDF Suez possède sept centrales nucléaires en Belgique. Surtout, nous participons à deux grands projets internationaux, dont l’un, situé en Turquie, est le plus grand projet au monde depuis Fukushima. Il porte sur la construction de quatre ATMEA, modèle que nous avons pris le risque de présenter à l’international sans disposer d’un démonstrateur en France. Nous étions en compétition avec les Coréens, qui avaient battu l’« Équipe de France » à Abou Dhabi, les Chinois et les Russes. C’est le consortium franco-japonais qui l’a emporté. Mais cette belle victoire a peut-être été moins célébrée que n’avait été déploré le « désastre national » à Abou Dhabi... Nous avons un autre projet en Grande-Bretagne avec Toshiba.

Il me semble qu’en matière de nucléaire, il faut d’abord que la génération 3 réussisse avant de passer à la génération 4.

M. Jean-Pierre Gorges. Il faut commencer !

M. le président de GDF Suez. Oui, et du reste le CEA a un projet concernant la génération 4. Quant à nous, nous travaillons beaucoup, avec Areva et maintenant Mitsubishi, sur le detail design de la génération 3, puisque nous allons devoir construire quatre ATMEA en Turquie. Mais, vous avez raison, il faut également travailler sur les perspectives qui s’ouvrent, sachant que la question du combustible sera en effet pratiquement éliminée.

Nous plaidons en faveur de la poursuite du nucléaire en Belgique. En 2003, lorsque les Verts participaient au Gouvernement, la Belgique a décidé de sortir du nucléaire : une loi a été votée qui prévoyait la disparition des centrales atteignant quarante ans. Mais, en 2009
– les Verts avaient quitté le Gouvernement –, j’ai négocié avec le Premier ministre, M. Van Rompuy, un accord aux termes duquel les trois premières centrales atteignant quarante ans seraient prolongées de dix années, moyennant le versement de 250 millions d’euros au budget de l’État belge. L’allongement de la durée de vie d’une centrale est un investissement extrêmement rentable. N’oublions pas qu’en Allemagne, avant de décider l’arrêt du nucléaire, Mme Merkel avait choisi d’allonger la durée de vie des centrales, moyennant le versement par les opérateurs de 2,3 milliards au budget de l’État allemand. Dans tous les pays où cet allongement a été décidé, ce sont les opérateurs qui ont payé ; en France, on a parfois le sentiment que l’on veut faire payer tout de suite le consommateur pour des programmes d’allongement de la durée de vie des centrales, des investissements, qui ne sont pas encore réalisés. Il faut étudier cette question.

En tout état de cause, nous, nous ne faisons pas de marketing.

S’agissant du coût du nucléaire, madame la rapporteure, le prix est aujourd’hui de 45 euros/MWh sur le marché belge. Le gouvernement belge nous fait payer une taxe de 500 millions d’euros, que nous contestons, pour un parc de sept centrales – cinq de 1 000 mégawatts et deux de 500 mégawatts – dont la capacité totale est de 6 000 mégawatts. L’accord que j’avais signé avec M. Van Rompuy, avec l’approbation unanime du conseil des ministres, n’a pas été respecté par les gouvernements suivants. Les socialistes francophones étant plutôt pro-nucléaires et les socialistes flamands plutôt anti-nucléaires, nous avons fait les frais de la coalition. Nous nous apprêtions donc à fermer, l’année prochaine, trois centrales – les deux plus petites et une grande, soit 2 000 mégawatts au total –, lorsque le Gouvernement s’est aperçu que ces fermetures pouvaient poser des problèmes de sécurité d’approvisionnement. Un compromis a donc été trouvé, et il a été décidé de fermer les deux petites, Doel 1 et 2, et de prolonger de dix ans la durée de vie de la plus grande, Thiange 1. Ce nouvel accord a fait l’objet d’un texte de loi spécifique. Aujourd’hui, les partis formant la coalition qui compose le nouveau gouvernement de M. Michel, nommé récemment, sont plutôt pro-nucléaires. Or, compte tenu de la fermeture de nouvelles centrales d’ici là, des problèmes d’approvisionnement risquent de se poser l’hiver prochain, en Belgique mais aussi en France et dans d’autres pays. Nous discutons donc actuellement avec le gouvernement belge de l’allongement de dix ans de la durée de vie des centrales Doel 1 et 2. J’ignore si ces discussions aboutiront à un accord. Quoi qu’il en soit, nous sommes prêts à effectuer les opérations nécessaires à cette prolongation, qui nécessite un investissement de 600 millions pour Thiange 1 et de 700 millions pour Doel 1 et 2. Nous ne les réaliserons que si nous trouvons une solution économique, ce qui suppose que le gouvernement belge renonce à une partie de sa taxe.

Jean-Pierre Gorges. C’est ce que nous ferons en France en 2017 ! (Sourires.)

M. le président de GDF Suez. Le Gouvernement décidera. Mais la question de la durée de vie des centrales nucléaires est une question que tout gouvernement doit se poser. On a vu, du reste, qu’en Belgique, les positions avaient évolué sur ce sujet.

Mme Dubié m’a interrogé sur les tarifs sociaux et le « chèque énergie ». Nous militons depuis longtemps en faveur d’une extension des tarifs sociaux du gaz à l’ensemble des ménages en situation de précarité énergétique, sachant que les tarifs appliqués au reste de la population doivent refléter les véritables coûts. Nous avons pris acte des décisions qui ont été prises il y a deux ans concernant l’extension des tarifs sociaux et les tarifs normaux. À ce sujet, la nouvelle formule des tarifs de gaz, qui changent chaque mois en fonction de l’évolution réelle du coût de la molécule et répercutent une fois par an la hausse du coût des infrastructures, fonctionne bien. Elle a abouti à une dépolitisation de la fixation des tarifs du gaz, qui est désormais quasi automatique. Qui plus est, les évolutions intervenant chaque mois, elles sont plus faibles. Certes, une hausse de 4 % liée aux coûts des infrastructures est intervenue le 1er juillet, mais elle a été entièrement effacée par la baisse du prix de la molécule. Quant à la taxe, elle provoquera au 1er janvier une légère hausse. Cette nouvelle formule de calcul est le complément naturel de l’extension des tarifs sociaux.

Quant au « chèque énergie », contrairement aux tarifs sociaux, qui s’appliquent automatiquement, il sera accordé aux consommateurs concernés une fois qu’ils auront rempli un formulaire et l’auront retourné à leur fournisseur d’énergie. Or, l’expérience montre qu’un dispositif de ce type produit toujours une déperdition, d’autant plus importante que les ménages concernés sont en situation difficile. Ce n’était pas notre préconisation, mais c’est un choix du Gouvernement et, bien entendu, nous appliquerons avec la plus grande efficacité possible la décision prise.

Par ailleurs, nous recommandons la création d’un marché de capacité à l’échelle européenne. C’est une difficulté politique. Mais, comme pour une assurance, une sécurité élevée a un coût. On dit que le risque d’un grand black-out est exagéré. Néanmoins, les consommateurs sont-ils prêts à payer pour se prémunir contre ce risque et, si ce n’est pas eux, qui ? Imaginons qu’en plein hiver, un grand anticyclone glacial stationne sur l’Europe : absence de vent, très grand froid, fonctionnement à plein régime des appareils de chauffage – et en France, il s’agit surtout de chauffage électrique. Tous les pays ont donc besoin d’électricité au même moment, et, en l’absence de vent et de soleil, les énergies renouvelables ne sont d’aucun recours.

Jean-Pierre Gorges. Elles ne sont jamais là quand on a besoin d’elles !

M. le président de GDF Suez. En tout cas, leur production est aléatoire. De temps en temps, quand elles sont en trop grande quantité, et c’est de plus en plus courant, le prix de l’électricité devient négatif et, quand les besoins sont très importants, le prix est élevé, mais il n’y a pas d’électricité physique. Et si, entre-temps, l’on ferme les centrales à gaz, elles ne pourront plus servir d’appoint. Le risque est donc réel. D’où l’intérêt pour le système électrique de sécuriser des capacités disponibles, qui seront appelées en cas de besoin par le Transport system operator (TSO), RTE en France.

S’agissant des électro-intensifs, il me semble que nous devrions essayer de nous inspirer, au moins en partie, du système allemand.

S’agissant du CO2, le nombre des quotas émis étant fixe, les offres sont devenues trop nombreuses au moment de la grande récession de 2009 et leur prix s’est effondré. Pour tenter d’éponger cet excès d’offre, la Commission européenne a procédé à ce que l’on appelle un backloading : elle n’a pas éliminé les certificats excédentaires, car elle n’en avait pas juridiquement la possibilité, mais elle les a reportés à l’échéance du système actuel, qui prendra fin en 2020. Le retrait temporaire du marché de ces certificats a fait remonter un peu les prix, qui sont aujourd’hui de 6 euros – mais ils étaient compris entre 20 et 25 euros par le passé ; il n’y a donc plus de signal carbone aujourd’hui.

Le problème n’est pas pour autant réglé, car – et c’est l’absurdité du système – ces certificats ne peuvent pas être annulés. Il faudra donc les remettre sur le marché avant 2020, ce qui aura pour conséquence de faire à nouveau baisser les prix. Nous y sommes absolument opposés, car la politique climatique doit principalement reposer, au plan mondial, sur la fixation du prix du carbone. L’Europe est en avance en la matière. Elle s’est fixé des objectifs de diminution des émissions de CO2 ambitieux, et le meilleur moyen d’atteindre ces objectifs est de rétablir un marché du carbone crédible. Or, nous savons que les prix vont de nouveau s’effondrer d’ici à 2020 et que la crédibilité du système sera donc ruinée.

C’est pourquoi le groupe Magritte a milité en faveur d’une banque centrale des certificats. Cette idée a été retenue dans le paquet énergie-climat approuvé par la Commission au début de l’année et par le Conseil lors du sommet du mois d’octobre. Le processus est donc en cours. Mais il est prévu que cette banque, le Market stability reserve, ne fonctionne qu’à partir de 2020, sous le régime du nouveau système. Nous demandons, quant à nous, non seulement qu’elle soit créée tout de suite, mais que tous les certificats excédentaires y soient déposés et n’en sortent plus, afin d’éviter l’effondrement du système. C’est très important, car ce qui se passe en Europe est observé par le monde entier. Le sommet de Paris, la COP21 – actuellement préparé par la COP20, qui se tient à Lima – aura lieu l’année prochaine.

Le lendemain de l’Assemblée générale des Nations unies, M. Ban Ki-Moon avait convié l’ensemble des chefs d’État à participer à une réunion consacrée au climat. Un certain nombre de chefs d’entreprise ont été invités, et j’ai ainsi eu le privilège d’intervenir, à la demande du Secrétaire général des Nations unies, sur le global carbon pricing, c’est-à-dire l’extension d’un marché du carbone à l’échelle mondiale. Ce type de marchés se développe partout dans le monde. Les Chinois sont très pragmatiques à cet égard. Il existe actuellement en Chine sept marchés du carbone locaux. Pour l’instant, ils observent la manière dont cela fonctionne, et peut-être créeront-ils un jour un grand marché national du carbone. Aux États-Unis, il existe un marché en Californie et un autre en Nouvelle-Angleterre.

C’est donc l’Europe qui est allée le plus loin en la matière puisqu’elle a créé un marché qui couvre les vingt-sept États membres. On voit pourtant se profiler l’effondrement du système. Nous n’avons pas encore été entendus sur ce point, même si nous avons été reçus, avant le sommet, par le chef de l’État, qui a été convaincu par notre argumentation. Mais on ne change pas les termes d’un accord élaboré au terme de semaines de négociation la veille d’un sommet. Sous cette seule réserve, le dispositif adopté est, dans son ensemble, satisfaisant.

Mme Viviane Le Dissez, présidente. Je vous remercie, monsieur le président Mestrallet, d’avoir répondu à nos questions.

22. Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Yves Le Dreff, président du Syndicat français de l’industrie cimentière (SFIC) et président des Ciments Calcia, de M. Jean-Philippe Bénard, responsable « électricité » du groupe Lafarge, de M. Éric Bourdon, directeur France « Performances et investissements » du groupe Vicat et de Mme Anne Bernard-Gély, déléguée générale du SFIC.

(Séance du jeudi 4 décembre 2014)

Mme Viviane Le Dissez, présidente. Nous avons le plaisir de recevoir une délégation de l’industrie cimentière : M. Jean-Yves Le Dreff, président du Syndicat français de l’industrie cimentière (SFIC) et président des Ciments Calcia, M. Jean-Philippe Bénard, responsable « électricité » du groupe Lafarge, M. Éric Bourdon, directeur au sein du groupe Vicat et Mme Anne Bernard-Gély, déléguée générale du SFIC.

Les industries cimentières sont, à l’évidence, de grandes consommatrices d’énergie et notamment d’électricité. Ce poste peut dépasser 20 % de leurs coûts de production, voire atteindre jusqu’à 30 % de ces coûts.

La France compte de très grands groupes cimentiers dont les activités sont largement réparties sur le territoire dans des implantations de toutes tailles. Très présents à l’international, ils sont en mesure de comparer précisément les prix de l’énergie.

Première interrogation : quelle est votre spécificité ? Qu’est-ce qui vous différencie d’autres activités électro-intensives dont on sait qu’elles ne forment pas un bloc unique ? À ce propos, les définitions française et européenne des activités électro-intensives mériteraient-elles, selon vous, d’être révisées ?

De plus, les orientations arrêtées par les autorités européennes pour ce qui concerne les électro-intensifs vous paraissent-elles suffisamment tenir compte des défis de compétitivité auxquels se trouve confrontée une activité comme la vôtre, notamment à l’égard de pays tiers ?

Nous avons déjà rencontré les responsables d’Exeltium, un groupement industriel d’acheteurs liés à EDF. Quels sont, selon vous, les avantages et les limites de tels consortiums ?

Enfin, il nous paraît important de recueillir vos appréciations sur l’Accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH). Les conditions d’un accès à des volumes et à des prix garantis sur une partie de la production nucléaire dite historique sont évidemment un enjeu de première importance.

Après votre exposé liminaire, les membres de la Commission vous poseront quelques questions. Mais, au préalable, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je dois vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Jean-Yves Le Dreff, M. Jean-Philippe Bénard, M. Éric Bourdon
et Mme Anne Bernard-Gely prêtent successivement serment.)

M. Jean-Yves Le Dreff, président du syndicat des industries cimentières (SIF) et président des Ciments Calcia. En premier lieu, permettez-nous de vous remercier d’avoir accepté de nous auditionner en tant que représentants de l’industrie cimentière française dont je vais faire une brève présentation.

Notre industrie est à l’origine d’un matériau naturel, principal composant du béton. C’est une industrie de proximité – 40 sites sont répartis sur le territoire – qui réalise un chiffre d’affaires d’environ 2,5 milliards d’euros et représente quelque 5 000 emplois directs.

Nos entreprises accusent une surcapacité de 30 % à 35 % actuellement, en raison d’une baisse de quelque 30 % de l’activité du secteur du bâtiment et des travaux publics depuis 2007. Comme vous l’avez souligné, notre industrie est une très grande consommatrice d’énergie, notamment d’électricité qui représente environ 20 % de ses coûts de production. De ce fait, elle est soumise à forte pression, alors qu’elle n’est pas considérée comme une industrie électro-intensive, selon les critères actuels.

Tout en étant très locales, nos activités sont fortement soumises à la compétition internationale : les importations représentent plus de 15 % du ciment consommé sur le territoire national. Par rapport aux autres pays européens, l’écart de compétitivité se creuse, année après année. Au nombre de ses avantages compétitifs, l’industrie cimentière française a longtemps pu compter le coût de l’énergie électrique. Actuellement, elle souffre d’écarts de coûts très significatifs, notamment par rapport à l’Allemagne : les coûts de production moyens s’élèvent à 54 ou 55 euros en France, soit 10 à 12 euros de plus qu’en Allemagne.

Notre industrie joue aussi un rôle très important dans la régulation de la consommation de l’énergie : elle consomme essentiellement pendant les nuits et les week-ends, contrairement aux ménages et aux autres industriels. Nous permettons ainsi au système d’optimiser ses installations.

En ce qui concerne la définition plus précise de l’électro-intensivité, je vais laisser la parole à Jean-Philippe Bénard.

M. Jean-Philippe Bénard, responsable « électricité » du groupe Lafarge. Vos questions portent notamment sur les critères d’électro-intensivité, sur l’impact des décisions européennes, et sur l’ARENH. Je vais essayer de vous décrire la situation de l’industrie cimentière française face à ces enjeux.

Avant tout, je voudrais dire que nous avons accueilli de manière très positive la création de cette commission d’enquête relative aux tarifs de l’électricité car 95 % de la facture énergétique des adhérents du SFIC dépend de tarifs réglementés. Vos travaux ne peuvent qu’être positifs pour notre industrie.

La facture d’électricité est constituée de trois éléments : les taxes, c’est-à-dire la contribution au service public de l’électricité (CSPE), les coûts de transports et l’énergie électrique.

La CSPE, dont le taux est plafonné à 0,5 % de la valeur ajoutée, représente environ 5 % de notre facture totale. Nous redoutons un déplafonnement de cette contribution, à la suite des orientations définies en avril dernier par la Commission européenne, visant à refondre les modalités d’exemption des taxes de financement de l’énergie verte. Le système français fait l’objet d’une enquête. Il est possible que la CSPE soit scindée en deux pour distinguer, d’une part, le financement des énergies renouvelables et, d’autre part, le financement des zones non interconnectées et la cogénération. Le déplafonnement pourrait conduire à une hausse représentant jusqu’à 40 millions d’euros de la contribution annuelle de l’industrie cimentière. Il s’agirait là d’une conséquence de décisions européennes.

Les coûts de transport représentent environ 20 % de la facture électrique des cimenteries. En mai dernier, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) a pris une décision visant à faire bénéficier certains consommateurs d’un rabais exceptionnel de 50 % sur leurs frais de transport d’électricité. Pour ce faire, elle a défini des critères d’électro-intensivité comparables à ceux qui avaient été élaborés lors de la création du consortium d’achat Exeltium. Aucune cimenterie n’a été retenue dans cette catégorie très limitée de consommateurs, pour des raisons de taille. Selon ces critères, les cimenteries ne font pas partie des industries électro-intensives alors que l’électricité représente pourtant une part substantielle de leurs coûts de production. Il n’y a donc pas qu’une seule définition des industries électro-intensives et, jusqu’à présent, les cimenteries françaises ont eu un peu de mal à être considérées comme telles.

Le projet de loi relatif à la transition énergétique prévoit la segmentation des coûts de transport en fonction de critères qui prennent en compte la stabilité et le caractère anticyclique de la consommation. Comme l’a rappelé Jean-Yves Le Dreff, la consommation d’électricité des cimentiers est décalée par rapport à la consommation nationale. Le projet de loi prévoit des baisses de coûts de transports qui peuvent atteindre jusqu’à 60 % ; en Allemagne, les dispositifs similaires sont encore plus généreux puisque la baisse peut aller jusqu’à 90 %. Ce serait une bonne idée de s’aligner sur les meilleures pratiques. Nous ne savons pas si la mesure concernera les cimenteries puisque les critères seront détaillés dans les décrets d’application d’une loi qui reste à adopter. Nous serons vigilants pour que les cimenteries soient classées parmi les industries électro-intensives. Si la décision de la CRE nous avait été appliquée entre août 2014 et juillet 2015, nos charges de transport auraient baissé de 10 millions d’euros.

L’ARENH représente la quasi-totalité de la part « énergie » de la facture des cimenteries. Compte tenu de sa nature, nous pouvons considérer qu’il s’agit d’un tarif, ce qui me fait dire que plus de 95 % de notre facture énergétique dépend de tarifs réglementés. L’ARENH joue un rôle important en matière de compétitivité de notre industrie. Au mois de mars, le gouvernement a lancé une consultation concernant la détermination du prix de l’ARENH jusqu’en 2025 et le projet de décret est actuellement soumis à l’approbation de la Commission européenne. Le gouvernement envisage une hausse de deux euros par mégawattheure au 1er juillet 2015 ; quant à la CRE, elle table sur une hausse annuelle de deux euros par mégawattheure au cours des années suivantes, sans que nous sachions si ce rythme est prévu jusqu’en 2025 – évidement nous espérons que non ! Si un tel rythme de progression est maintenu jusqu’en 2020, la hausse représenterait environ 24 millions d’euros pour la profession. Une telle hausse va grever très fortement notre compétitivité, sachant que les pays voisins – l’Allemagne ou l’Autriche, par exemple – cotent l’énergie à 34 euros et que nous partons de 42 euros. Je le répète : l’ARENH représente la quasi-totalité de la part « énergie » de la facture des cimenteries.

Dans le même temps, la ministre, Mme Carole Delga, a indiqué devant l’Assemblée nationale qu’un nouveau dispositif allait être mis en place pour les « ultra-électro-intensifs », une catégorie aux contours encore flous. Quoi qu’il en soit, la facture électrique de l’industrie cimentière risque bien d’augmenter de 60 millions d’euros, c’est-à-dire que nous payerons l’électricité 50 % plus cher qu’en Allemagne, l’écart se situant déjà actuellement à 30 %.

L’ARENH est appelé à jouer un rôle croissant pour les particuliers : le décret du 28 octobre 2014 organise le transfert d’une partie des tarifs bleus vers l’ARENH qui représentera quelque 60 % des futurs tarifs. L’ARENH, qui a donc effectivement tous les attributs d’un tarif, devrait entrer dans le périmètre d’étude de votre commission. Le projet de décret sur la détermination de son prix jusqu’en 2025, actuellement soumis à l’approbation de la Commission européenne, nous pose quelques problèmes en ce qu’il semble instituer une hausse régulière.

Plusieurs éléments sont à prendre en compte. Tout d’abord, la date de 2025 ne correspond pas à la durée des investissements réalisés dans le parc nucléaire. Les consommateurs vont payer ces investissements pour des centrales qui vont vraisemblablement continuer à fonctionner après 2025, et il aurait été souhaitable d’allonger la durée d’amortissement.

Le texte ne semble pas introduire de régulation incitative des coûts du nucléaire. Le prix de l’ARENH, imposé à une partie de la consommation française, va faire l’objet de hausses successives. Pourquoi ne pas avoir prévu des baisses, en fonction de gains de productivité du parc nucléaire, par exemple ? Le texte aurait pu introduire un mécanisme de contrôle des coûts du nucléaire et un système de variation – à la hausse et à la baisse – du prix de l’ARENH en fonction des coûts constatés.

Saisie du projet de décret, l’Autorité de la concurrence constate que la méthodologie envisagée s’écarte des principes comptables classiques pour certaines composantes de coûts, afin de répondre à un objectif de financement rapide des investissements d’EDF pour le renouvellement du parc de production. Cette anticipation des futurs investissements de renouvellement du parc nous entraîne assez loin de l’idée de départ : l’utilisation de l’énergie issue du parc historique. Ce surcoût va peser sur les consommateurs.

Le texte n’a rien prévu non plus pour récompenser ceux qui, à l’instar des cimentiers, aident le système grâce au caractère anti-cyclique de leur consommation. Or il aurait été possible de segmenter le prix de l’ARENH pour tenir compte de la spécificité de certains électro-intensifs dont nous faisons partie. Il existe des pistes permettant, à court terme, de regagner en compétitivité sans nuire à la couverture des coûts du nucléaire. Il n’est peut-être pas trop tard de les intégrer dans le texte.

Le schéma Exeltium peut-il répondre en tout ou partie à nos problématiques ? Sûrement. Depuis l’ouverture des marchés, les industriels demandent de la visibilité et de la compétitivité, afin de pouvoir programmer d’éventuels investissements. Exeltium a donné de la visibilité à ses adhérents dont nous ne faisons pas partie, comme d’autres électro-intensifs. Lors de son audition par votre commission, Jean-Pierre Roncato, le président d’Exeltium, a rappelé que le consortium couvre une partie de l’approvisionnement de certains électro-intensifs, et non pas la totalité de leurs besoins.

En conclusion, je dirais que nous partageons totalement les objectifs de votre commission d’enquête. Comme vous, nous pensons qu’il apparaît urgent d’élaborer une nouvelle méthode de calcul devant satisfaire aux objectifs suivants : mettre fin à la spirale de hausse continuelle et parvenir à des tarifs raisonnables ; avoir des tarifs fiables et stables.

M. Jean-Yves Le Dreff. Pour compléter cette conclusion, je précise que la hausse de 60 millions d’euros que risquent d’avoir à supporter nos entreprises en matière de coût de l’énergie – taxes, transports, électrons – représente environ 20 % de leur excédent brut d’exploitation. C’est donc un enjeu sensible pour les membres de notre syndicat. J’insiste aussi, comme Jean-Philippe Bénard, sur le fait que notre profil vertueux devrait être mieux pris en compte.

M. Jean-Pierre Gorges. Dans vos interventions, j’essaie de faire la part des arguments purement « corporatistes ». Vous voulez être classés dans la catégorie des industries électro-intensives, partant du fait que vos dépenses d’électricité représentent environ 20 % de vos coûts de production. Mais, même une fois admis parmi les électro-intensifs français, vous aurez à subir une différence de traitement par rapport à vos concurrents allemands qui bénéficient d’avantages tarifaires supérieurs, dites-vous, alors que vous opérez tous en Europe.

Vous insistez aussi sur le caractère vertueux de vos entreprises qui travaillent la nuit et le week-end : elles sont utiles au système car elles permettent d’écrêter la consommation d’électricité. Les entreprises optent-elles pour cette organisation de leur propre chef ? En tirent-elles un avantage financier ? Si j’ai bien compris, vous réclamez un dispositif qui vous permettrait d’en être mieux récompensés. Quant au repli de 30 % du marché du BTP, il affecte vos entreprises comme un malheur de plus mais il relève d’une problématique différente de celle qui nous occupe.

Mme Jeanine Dubié. Une hausse des coûts de l’électricité n’est pas sans incidence sur la compétitivité de vos entreprises, compte tenu de l’importance de ce poste dans leurs dépenses. Cette dégradation de la compétitivité peut-elle se traduire par une augmentation des importations de ciment ? Ne risque-t-on pas d’assister plutôt à des délocalisations de vos entreprises ? Dans mon esprit de non-spécialiste, le ciment, que l’on voit circuler dans les camions-toupies, doit être fabriqué sur place pour qu’il ne soit pas trop sec. Du coup, les importations me semblent moins menaçantes que les délocalisations.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Pour compléter la question de Jean-Pierre Gorges, j’aimerais savoir si vous avez eu des contacts avec Exeltium et avec d’autres électro-intensifs qui pourraient partager vos préoccupations.

M. Jean-Yves Le Dreff. Pour répondre à votre remarque sur notre « corporatisme », je dirais que la raison d’être d’un syndicat professionnel est de défendre les intérêts de ses membres.

La hausse du coût de l’énergie et l’évolution du marché du bâtiment sont deux phénomènes différents, comme vous le soulignez à juste titre. Cela étant, leurs effets cumulés lourdement pénalisent nos entreprises.

La concurrence internationale peut engendrer des importations ou des délocalisations. La France importe entre 15 % et 20 % de sa consommation de ciment : soit de pays voisins comme la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne sous forme de produit fini arrivant essentiellement par voie terrestre ; soit de pays plus éloignés comme la Turquie, sous forme de clinker, un produit intermédiaire.

Dans le premier cas, la structure de coût est extrêmement importante. Le fait que le coût de l’énergie électrique soit inférieur de 30 % en Allemagne représente un handicap pour notre industrie, d’autant plus que l’énergie thermique pèse également très lourd dans la structure de coûts de l’industrie cimentière. Pour des raisons économiques et écologiques, notre industrie tend à remplacer les combustibles traditionnels que sont le charbon et le coke de pétrole par des substituts qui sont très souvent des déchets d’autres industries : ces derniers coûtent moins cher et ils offrent l’avantage de ne pas entraîner d’émissions directes de CO2. Les substituts représentent désormais 30 % des coûts énergétiques thermiques des cimenteries françaises mais ce ratio atteint 60 % en Allemagne, pays qui est en avance en termes de capacités, d’autorisations d’installations et aussi d’acceptation par les riverains. Car le fait que ces combustibles de substitution soient définis comme des déchets peut provoquer des réticences à proximité de nos usines. Quoi qu’il en soit, le coût de l’énergie est un élément qui nuit à la compétitivité de la France par rapport à certains pays limitrophes.

En matière de la délocalisation, nos groupes peuvent être tentés d’aller s’implanter dans des pays non soumis à des quotas de CO2, comme la Turquie qui représente déjà des flux assez significatifs d’importations de clinker sur le territoire français. Ce produit intermédiaire arrive par bateau et les ports s’adaptent : trois projets de centres d’importation de clinker sont en cours, deux au Havre et un autre à Fos-sur-Mer. Le clinker est broyé pour produire du ciment et il se substitue à la production nationale de nos groupes. Ces centres d’importation fonctionnent avec un effectif de vingt à trente personnes alors que nos usines emploient entre 130 et 150 salariés.

Nos entreprises sont confrontées à un double phénomène – des coûts d’énergie plus élevés en France, des délocalisations de la production et des émissions de CO2 hors territoire européen – donc leur capacité à maintenir les emplois sur notre territoire s’en trouve affectée. Une augmentation du coût de l’énergie électrique en France ne fera qu’accroître l’écart de compétitivité avec nos concurrents, donc les risques de délocalisations et d’importations.

M. Éric Bourdon, directeur du groupe Vicat. Quels avantages retirons-nous de notre consommation décalée, à contre-cycle, d’électricité ? Chaque société négocie directement avec son fournisseur la possibilité d’obtenir un contrat dit d’effacement de consommation électrique : pendant la journée, l’entreprise s’efface au profit des autres consommateurs, ce qui permet de lisser la demande. Ces contrats comportent en général une part fixe et une autre variable, et ils dépendent du nombre d’heures durant lesquelles l’entreprise accepte de s’effacer.

Nous ne sommes pas contraints de négocier ce genre de contrats. Malheureusement, la baisse de l’activité – avec les surcapacités qui en résultent – augmente nos possibilités d’effacement. Nos gains ne s’élèvent qu’à quelques dizaines ou centaines de milliers d’euros car le travail de nuit induit des charges supplémentaires : travail posté, pénibilité, etc.

M. Jean-Philippe Bénard. Nous sommes évidemment en contact avec les autres industriels électro-intensifs et Exeltium. Nos adhérents sont aussi membres de l’Union des industries utilisatrices d’énergie (UNIDEN) dont nous partageons la plupart des positions que ce soit sur l’ARENH, les dispositions sur le transport ou l’effacement. Avec le Réseau de transport d’électricité (RTE), nous devons définir des critères d’effacement qui permettent aux industriels de valoriser leurs capacités, comme c’est le cas en Espagne ou en Amérique du Nord.

M. Jean-Yves Le Dreff. Nous vous proposons de vous laisser la note que nous avons rédigée sur cette consommation vertueuse de l’industrie cimentière qui devrait être mieux prise en compte dans l’évolution des tarifs. Nous vous remercions pour votre écoute.

Mme Viviane Le Dissez, présidente. Nous vous remercions également.

23. Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Philippe Bucher, président de FerroPem, de M. Luc Baud, directeur de l’énergie de FerroPem, et de M. Jean-Paul Aghetti, directeur « Énergie » de Rio Tinto Alcan

(Séance du mercredi 10 décembre 2014)

M. le président Hervé Gaymard. Merci, messieurs, d’avoir répondu à notre invitation.

FerroPem est une entreprise spécialisée dans le silicium métal et ses alliages. Historiquement, la société a repris des activités françaises de Pechiney, et elle appartient aujourd’hui au groupe espagnol FerroAtlantica. FerroPem possède six usines en France et réalise 400 millions de chiffre d’affaires par an, dont 85 % à l’exportation ; ses effectifs comptent près de 1 000 emplois directs. Les activités industrielles de FerroPem ont été implantées, comme celles de beaucoup d’autres entreprises de la métallurgie, au plus près des ressources hydrauliques.

Dans un document que vous nous avez fait parvenir, monsieur Bucher, vous mentionnez à ce sujet une éligibilité de votre activité au dispositif dit de l’article 8 de la loi de nationalisation de 1946 créant EDF. Vous nous préciserez en quoi ce dispositif concerne encore des électro-intensifs comme vous.

Vous nous avez également précisé que l’essentiel de votre activité est encore soumis au tarif réglementé vert EJP B qui vous lie à EDF. Ce tarif serait en augmentation de 5 % pour l’année à venir, avant de disparaître le 1er janvier 2016.

Au regard de son niveau, vous estimez que l’ARENH (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique) ne constitue pas la solution à la survie des « hyper électro-intensifs », catégorie à laquelle appartiennent FerroPem et Rio Tinto Alcan.

Avant de vous donner la parole, je vous indique qu’aux termes de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées par une commission d’enquête sont tenues, sans toutefois enfreindre le secret professionnel, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous demande de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(M. Jean-Philippe Bucher et M. Jean-Paul Aghetti prêtent successivement serment.)

M. Jean-Philippe Bucher, président de FerroPem. Mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de nous permettre de défendre notre position s’agissant de l’évolution des tarifs de l’électricité en France. FerroPem et Rio Tinto Alcan se qualifient d’industries « hyper électro-intensives » en raison de l’électricité qu’elles utilisent en très grande quantité et comme matière première non substituable par le gaz, le fioul ou toute autre énergie. L’électricité est historiquement l’élément majeur de leur compétitivité. Certaines de nos usines existent depuis plus de cent ans. Elles sont encore au sommet mondial de la compétitivité dans leur domaine : le silicium métal pour FerroPem, l’aluminium pour Rio Tinto Alcan.

Dans un marché de l’électricité qui a considérablement évolué, nos deux sociétés fonctionnent encore avec des tarifs publics régulés. Elles bénéficient de contrats historiques conclus il y a de nombreuses années avec l’opérateur national, en fait dès la loi de nationalisation des moyens hydroélectriques de 1946. Depuis soixante-cinq ans, nous avons toujours réussi à trouver les synergies, les complémentarités, les caractéristiques de consommation qui ont permis à l’opérateur de nous fournir de l’électricité et à nous de nous montrer compétitifs. Aujourd’hui, alors que nous sommes, j’y insiste, des sociétés compétitives, florissantes et saines, que nous gagnons de l’argent, nous allons être confrontés, FerroPem au premier chef, à un problème existentiel à l’horizon du 31 décembre 2015, date à laquelle les tarifs régulés disparaîtront. Parallèlement, notre complément de tarif, qui se fait sous forme de ristourne, est en train de diminuer en sifflet et prendra fin définitivement en 2022. En l’état actuel, nous n’avons pas trouvé de solution pour garantir notre approvisionnement en électricité, notre sang pour ainsi dire !

Le document qui vous a été distribué montre que FerroPem se situe dans le premier tiers de l’histogramme des coûts mondiaux de production de silicium. Le passage à l’ARENH, même en continuant à « saisonnaliser » notre activité, nous placerait au dernier rang des producteurs. Autrement dit, dès la première crise, nous serions sérieusement menacés et ne gagnerions plus d’argent.

Lors d’une audition précédente, ici même, il y a près d’un an, j’avais indiqué qu’il nous fallait, pour survivre, un prix de l’électricité rendue aux bornes de nos usines, donc transport compris, entre 20 et 30 euros du mégawattheure, sur une base de consommation de douze mois. Á 20 euros du mégawattheure, la France redeviendrait un pays attractif pour les industriels électro-intensifs ; à 30 euros, nous serions dans une situation défensive qui permettrait le maintien des activités telles qu’elles existent aujourd’hui.

Les mesures qui seront arrêtées, quelles qu’elles soient, devront être lisibles sur une quinzaine d’années de façon à pouvoir mettre en place des plans industriels, à pouvoir investir techniquement, commercialement et socialement. Il nous faut également des solutions rapides puisque notre échéance est 2016.

Je voudrais nuancer certaines des déclarations qui ont été faites la semaine dernière devant votre commission d’enquête. Je tiens, en premier lieu, au nom de notre groupement, à m’inscrire en faux contre l’assertion selon laquelle les industriels électro-intensifs gaspilleraient l’électricité s’ils ne l’achetaient pas cher. L’électricité est notre matière première ; c’est l’indicateur de notre technicité, de notre capacité de produire. Pendant cent ans, des générations d’ingénieurs se sont succédé pour nous élever au niveau où nous sommes ; ce n’est pas pour gaspiller aujourd’hui ! Quel que soit le tarif auquel nous pourrons accéder, l’électricité restera, pour nous, la matière première à gérer de façon optimale en priorité.

J’ai entendu également qu’accorder des mesures de bonification à une industrie comme la nôtre est un jeu à somme nulle, c’est-à-dire que l’argent dont nous bénéficierions serait financé par d’autres consommateurs. Or le modèle est plus compliqué que cela. Nous ne demandons pas à avoir mieux ou davantage que les prix compétitifs auxquels nous avons accès jusqu’au 31 décembre 2015 ; nous souhaitons seulement la pérennisation de la situation qui nous a permis de vivre jusqu’à maintenant. Il ne s’agit pas de créer un transfert d’argent en notre faveur, mais seulement de maintenir les équilibres tels qu’ils existent actuellement. C’est un souhait que partagent toutes les industries électro-intensives qui se sont regroupées avec nous dans nos démarches. On nous oppose que ces conditions pourraient être à l’origine d’un manque à gagner virtuel dans les années à venir. Ce n’est pas tout à fait exact, car nous sommes des consommateurs de base : nous consommons la nuit, le week-end, l’été, bref lorsque personne d’autre ne consomme. Dans ces périodes-là, qui représentent plus de la moitié du temps, notre facteur de charge est de l’ordre de 85 à 90 %, contre moins de 20 % pour un consommateur privé. À cet égard, nous sommes extrêmement intéressants pour EDF et RTE car en consommant de façon très régulière et dans des périodes de moindre sollicitation, nous contribuons à absorber les frais fixes et à limiter la modulation des moyens de production.

Par ailleurs, comme nos usines sont situées à côté des centres de production d’électricité – parfois même, le centre de production est à l’intérieur de l’usine –, le coût de transport est nul. Pourtant, historiquement, nous le payons au tarif plein – dans quelque temps, peut-être accéderons-nous à un tarif « discounté ». D’une certaine façon, nous subventionnons aujourd’hui le transport ; si, un jour, nous venions à disparaître, cette subvention se transformerait en une charge pour le réseau. J’insiste sur ce point pour tordre le cou à l’idée selon laquelle l’argent dont nous bénéficierions serait financé par les autres consommateurs. Cela n’a pas été le cas jusqu’à présent. Je répète que nous demandons simplement le maintien de la situation pendant suffisamment longtemps pour avoir la lisibilité nécessaire à la mise en place d’un plan industriel.

Notre activité du silicium connaît une croissance de 7 % par an, notamment grâce au développement du marché du photovoltaïque. De 2005 à 2011, le groupe FerroAtlantica, repreneur de FerroPem, a investi plus de 100 millions d’euros dans les usines de Savoie, des Pyrénées et de la vallée du Rhône, afin de les moderniser et d’augmenter les capacités de production. Or, en 2010, et bien que le marché continue de croître, la décision a été prise d’arrêter d’investir en France pour nous tourner plutôt vers la Chine, l’Afrique du Sud et le Québec, cela en raison du manque de visibilité sur l’avenir de l’électricité. Grâce à l’hydroélectricité, nos industries sont pourtant parvenues à vivre pendant cent ans, mais aujourd’hui, les perspectives ne nous paraissent pas viables : l’ARENH serait mortifère pour nous, et le marché de gros ne peut pas nous donner la lisibilité dont nous avons besoin sur nos coûts principaux au-delà d’un an.

Nous sommes convaincus que le Gouvernement a la volonté de répondre à notre souci. Le ministre de l’économie travaille avec ses services sur une solution liée à l’hydraulique historique. Si nous en sommes très satisfaits, nous insistons sur le fait que la réponse doit être rapide, calibrée à un niveau significatif et offrir suffisamment de lisibilité sur les prochaines années. Partout où j’ai pu avoir à négocier le développement de FerroAtlantica dans d’autres pays que la France, j’ai eu à faire à des gouvernements qui utilisaient leur politique énergétique comme un levier de politique industrielle et socio-économique. Limiter les enjeux à la rationalisation du marché de l’électricité se ferait au détriment de l’équilibre socio-économique et industriel du pays.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Merci pour votre intervention, très intéressante, ainsi que pour le dossier très complet et précis que vous nous avez communiqué.

Ai-je bien compris que la seule pérennisation du système actuel vous permettrait de faire face à la concurrence internationale, et que vous n’aviez pas besoin de davantage ?

Vous avez également indiqué ne plus investir dans notre pays, mais en Chine, en Afrique du Sud et au Québec. J’ai noté que vous n’aviez pas mentionné d’autres pays européens ; comment nos concurrents et partenaires européens s’inscrivent-ils dans cette géographie ? Quels sont les éléments qui mettent vos concurrents hors Union européenne dans une situation bien plus favorable que la vôtre ? Souffrez-vous d’un cadre juridique européen difficile pour vous et qu’il faudrait faire évoluer ?

Parmi les gouvernements étrangers qui utilisent la politique énergétique comme levier de leur politique industrielle compte-t-on des pays européens ? Ceux-là, qu’offrent-ils de plus à leurs industries électro-intensives que ne le fait la France ? Il s’agit pour nous de savoir comment se comportent nos partenaires européens dans un cadre qui est supposé être commun.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Nous avons bien compris que les tarifs de l’électricité sont l’une des composantes essentielles de votre activité. Chacun ici est conscient qu’il est important pour la compétitivité de vos entreprises, pour leur maintien en activité même, de trouver ensemble des solutions afin de pérenniser les coûts actuels. Vous avez clairement indiqué que c’est ce que vous demandez et pas davantage.

Plusieurs options s’ouvrent à nous. Elles ont déjà été discutées à plusieurs reprises, soit ici même, soit en commission des affaires économiques. La première, c’est la possibilité d’exonérer une partie de la CSPE, qu’il faudrait probablement déplafonner. La deuxième serait d’exonérer une partie du TURPE (Tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité), et une piste a été ouverte dans le cadre du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte. La troisième concerne la valorisation à son juste prix de la rémunération de l’effacement et de la saisonnalité, aujourd’hui d’un très faible niveau au regard du service qui est pourtant ainsi rendu à l’équilibre du système électrique français. La Commission européenne, interrogée sur ce point, a répondu très clairement que c’était possible, à condition que l’aide accordée soit effectivement proportionnée au service rendu. Il faudra donc effectuer une analyse précise. L’empilement de ces différentes mesures dérogatoires permettrait-il de répondre à vos attentes quant au prix final de l’électricité ?

Il ressort des différentes auditions que nous menons depuis le début de nos travaux que le système des aides aux entreprises diffère sensiblement d’un pays européen à l’autre et que la Commission européenne n’a pas toujours une lecture unanime sur cette question. Qu’en pensez-vous ?

M. Jean-Pierre Gorges. J’ai bien compris que, pour vous, la cible doit être un prix de l’électricité compris entre 20 et 30 euros du mégawattheure et que vous avez besoin de lisibilité à quinze ans, c’est-à-dire jusqu’en 2030. Vos concurrents ont-ils les mêmes contraintes que vous ?

Confirmez-vous que le prix de l’électricité représente plus de 20 % de votre prix de revient ?

La rémunération de l’effacement est-elle déjà intégrée dans vos coûts actuels ?

Je ne suis cependant pas tout à fait d’accord avec vous pour considérer que la proximité de la source d’approvisionnement devrait vous exonérer de payer le transport. Si tout le monde pense ainsi, c’est la fin de la mutualisation !

Je remarque que vous utilisez l’eau comme matière première et que votre production sert à l’industrie photovoltaïque : vous êtes dans la transition énergétique. En la matière, la réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité impliquera nécessairement une réduction de la consommation, puisque les énergies renouvelables ne suffiront pas à compenser la perte de capacité. Les orientations qui sont dorénavant prises vous paraissent-elles de nature à favoriser, dans notre pays, le développement de pans industriels importants qui s’appuieraient sur l’électricité ? Je vois que des fonderies, qui sont de grosses consommatrices d’énergie, se transforment en abandonnant le charbon au profit de l’électricité. Si la France était capable de produire de l’électricité à bas prix, elle pourrait faire revenir de l’activité et conserver un visage industriel qu’elle est en train de perdre. Pour ma part, je crains que la transition énergétique ne mette fin à vos activités et qu’elle va avoir pour effet d’envoyer la production dans des pays où le prix de l’énergie est bien moindre. Tous les modèles montrent que notre révolution énergétique ne s’oriente pas vers la diminution des coûts, mais vers leur augmentation. Qu’en pensez-vous ?

Mme Jeanine Dubié. Effectivement, l’effacement et la saisonnalité devraient être mieux rémunérés. Dans le document que vous nous avez remis, vous indiquez qu’ils représentent 300 mégawatts d’une centrale virtuelle. Est-ce la limite maximale ou existe-t-il encore des gains possibles ?

Pensez-vous que le modèle appliqué par l’Allemagne aux industriels électro-intensifs est transposable en France en l’état actuel de notre réglementation ?

M. Jean-Philippe Bucher. Madame la rapporteure, nous bénéficions aujourd’hui de tarifs compétitifs, compris entre 20 et 30 euros du mégawattheure, parce que nous consommons majoritairement en heures creuses. Nous arrêtons de consommer pendant les périodes de pointe et même en hiver. Bref, nous nous livrons à de nombreuses acrobaties pour optimiser le coût de l’électricité. Plutôt qu’un régime de faveur, il s’agit d’une sorte de gymnastique que nous avons développée pendant des dizaines d’années avec EDF pour valoriser au mieux la synergie entre notre consommation et la production d’EDF. Aujourd’hui, nous sommes satisfaits de notre position concurrentielle qui nous permet d’exercer nos responsabilités de leader mondial, de faire de la recherche et développement, et de développer des projets à haute valeur ajoutée en aval. Nous ne demandons pas un avantage supplémentaire, nous avons seulement besoin de pérenniser notre position compétitive.

L’électricité n’est pas, bien évidemment, le seul facteur de notre compétitivité, mais c’est un élément majeur. En Europe, nous avons un concurrent historique, la Norvège, dont la compétitivité est avérée, et des projets sont dans l’air en Islande où les ressources hydroélectriques sont très importantes. En dehors de cela, il reste une seule usine de production de silicium en Espagne, mais elle fait d’ailleurs partie de notre groupe, et une autre en Bavière, qui est l’une des moins compétitives au monde et qui ne parvient à survivre qu’en raison de ses liens avec le gouvernement bavarois et à certains gros clients locaux qui lui sont assurés. Nos principaux concurrents sont en Chine, au Brésil et en Amérique du Nord où ils profitent de la faiblesse du dollar et d’une énergie abondante et peu chère.

Pour autant, nous attendons de l’Union européenne qu’elle envisage sa politique énergétique au travers d’objectifs industriels, en utilisant l’outil électricité comme levier au service de sa politique industrielle.

Nous avons conclu, avec le gouvernement du Québec, un accord sur vingt-cinq ans. Avec l’Islande, nous avions négocié un contrat d’une durée de dix-huit ans, mais nous n’avons pas donné suite. Nous avons également traité avec la Malaisie, qui cherche à attirer des industriels sur l’Île de Bornéo. Quant à la Chine, elle gère ses ressources électriques pour poursuivre son industrialisation.

Le contexte de la concurrence est évidemment mondial. Aujourd’hui, le Brésil, qui est l’un de nos principaux concurrents et dont l’énergie est essentiellement d’origine électrique, se trouve passagèrement dans une situation critique en raison d’une sécheresse durable. Nos homologues brésiliens, qui d’habitude sont les plus agressifs sur les marchés européens et nord-américains, sont conjoncturellement « hors-jeu » parce qu’ils attendent la pluie depuis maintenant un an et demi.

M. Jean-Paul Aghetti, directeur « Énergie » de Rio Tinto Alcan. Pour nous, le point fondamental, c’est de conclure des contrats à long terme. Or, Mme Céline Gauer, que vous avez auditionnée récemment au titre de la direction générale de la concurrence de la Commission européenne, considère que la France, avec un producteur dominant, est dans une position spécifique : dès lors que celui-ci signe un contrat à long terme, il ferme le marché, ce qui, pour Bruxelles, est inacceptable. Il est essentiel que vous, parlementaires, nous souteniez pour faire infléchir cette politique européenne et assouplir les positions du « gardien du temple » qu’est la Direction générale de la concurrence de la Commission européenne. Nos groupes industriels sont capables de trouver des marchés sur vingt-cinq ou trente ans ailleurs dans le monde ; le seul endroit où ce n’est pas possible, c’est dans l’Union européenne, et en particulier en France. C’est cela qui, pour nous, est inacceptable !

Nous ne pouvons pas faire de business avec le marché de gros. Pour prendre une image, nous sommes embarqués avec les commissaires européens à bord du Titanic ; pour éviter l’iceberg, il faut barrer à gauche ou à droite, mais, en tout cas, il faut donner un coup de barre. Monsieur le président Gaymard, en lançant, au mois de février 2005, avec M. Devedjian, une table ronde sur les électro-intensifs qui a abouti au consortium Exeltium, vous étiez en avance sur votre temps. Les industriels électro-intensifs vous en seront éternellement reconnaissants.

De la même manière que, selon le célèbre footballeur anglais Gary Lineker, « le football se joue à onze et, à la fin, ce sont les Allemands qui gagnent », sur le marché de l’électricité, le jeu se joue à vingt-huit et, à la fin, ce sont aussi les Allemands qui gagnent ! Certains intervenants ont indiqué ici que les Allemands subventionnent leur industrie sans que Bruxelles siffle les « hors-jeu ». Or les quatre mesures qu’ils ont mises en œuvre sont conformes à la réglementation européenne.

D’abord, ils utilisent la compensation carbone, prévue par une directive négociée sous la présidence française, avec M. Borloo, et qui permet à chaque État membre de donner une compensation du CO2 qui se trouve dans le prix de l’électricité. Les Allemands appliquent cette mesure, comme les Norvégiens et les Grecs, alors que les Français ont fait le choix de consacrer les enchères du CO2 à l’amélioration de l’habitat. Ce n’est donc pas là une subvention, mais l’application d’une directive européenne.

Ensuite, ils ont mis en place, dans le cadre de l’Erneuerbare-Energien-Gesetz (EEG), l’équivalent de la CSPE. Là encore, une négociation a eu lieu entre la Commission, Sigmar Gabriel, Angela Merkel et Thierry Repentin. L’Allemagne applique les règles directrices qui ont été définies par Bruxelles le 9 avril dernier, pas plus pas moins. Pour notre part, nous demandons seulement que ces lignes directrices soient appliquées à nos industries.

Les Allemands ont également joué sur la rémunération de l’effacement. En France, c’est la Bérézina : sa valorisation a baissé de 70 % au cours des trois dernières années et, aujourd’hui, elle ne rapporte rien. Pour l’entreprise Aluminium Dunkerque, il représente 0,15 euro par mégawattheure contre 1,5 euro pour le transport, soit un rapport de un à dix. Laissez donc tomber la piste de l’effacement. Polarisez-vous sur le transport qui rapporte plus ! L’Allemagne, elle, a décidé d’accorder beaucoup de mégawatts à l’effacement. Alors que la France est responsable de 50 % du gradian thermosensible de l’Europe, c’est elle qui rémunère le moins les effacements en Europe. On marche sur la tête !

M. Jean-Philippe Bucher. Cette année, le budget alloué aux effacements en France est de 18 millions d’euros, alors qu’il est de 350 millions d’euros en Espagne – 550 millions l’année dernière. Les ordres de grandeur sont vraiment complètement différents.

Bien entendu, la situation de l’appareil de production n’est pas la même en Allemagne, en Espagne et en France. La France est très fière d’avoir réussi à moduler la production des centrales nucléaires, mais le taux de rendement synthétique (TRS) des centrales françaises est de 75 %, contre 85 % pour les belges. La modulation des centrales nucléaires est certainement une performance technique d’EDF, mais elle a un coût pour l’ensemble des usagers et elle pénalise l’industrie française.

M. Jean-Paul Aghetti. Pour en terminer avec les mesures prises par l’Allemagne, la quatrième est l’attribution à certains consommateurs industriels stables et flexibles d’un abattement de 90 % sur le coût du transport d’électricité pour service rendu au réseau. Si j’ai bien compris l’intervention de Mme Gauer, elle a validé le système allemand, estimant qu’il appartenait au régulateur et à l’administration de définir la contribution et la rémunération.

Pendant que la France se montrait timorée, les Allemands ont réussi à empiler des solutions toutes « euro-compatibles » avec le pragmatisme et l’efficacité qui les caractérisent. Lorsque l’exonération de transport pour tous leur a valu des problèmes avec la Commission européenne, trois mois plus tard, ils avaient négocié avec elle un nouveau système pérenne. Compte tenu de l’échéance, nous devons, nous aussi, trouver rapidement une solution efficace. Pour ce faire, nous avons besoin de vous, de l’administration, et de la Commission de régulation de l’énergie (CRE).

S’agissant de la problématique de la transition énergétique soulevée par M. Gorges, nous ne faisons, pour notre part, pas de politique. Nous essayons simplement de faire marcher nos usines et d’émettre le moins possible de gaz à effet de serre. De toute façon, le problème ne se pose pas au niveau français ni même européen ; il est chinois. Aujourd’hui, la Chine développe énormément sa production de silicium, d’aluminium et d’acier au moyen du charbon. De 2 millions de tonnes en 2000, sa production d’aluminium est passée à 28 millions de tonnes, ce qui représente plus de 60 % de la production mondiale. Quant à ses émissions de CO2, elles atteignent 16 à 18 tonnes par tonne d’aluminium contre 1,8 tonne pour la France. Tout l’enjeu de la Conférence Paris Climat 2015 sera de contraindre les Chinois à s’adapter dès maintenant, pas d’attendre 2030. Si rien n’est fait d’ici-là, leurs émissions de CO2 seront colossales et, pour le coup, on n’arrivera pas à maintenir le réchauffement mondial en deçà de 2 degrés.

Hormis la Suisse et la Suède, aucun autre pays au monde ne possède un mix énergétique comparable à celui de la France. Nous n’avons pas à rougir de notre situation, et nous avons le meilleur opérateur. Grâce à ce mix énergétique, nous avons réussi à maintenir jusqu’à présent nos entreprises en situation de production en obtenant des contrats historiques et des tarifs. Il importe maintenant de trouver les moyens de poursuivre cette réussite. L’enjeu ici, dépasse nos propres besoins et même la problématique de la transition énergétique : c’est la vie, la survie, l’avenir de la jeunesse, qu’il ne faut pas désespérer. Nous devons trouver une solution !

M. le président Hervé Gaymard. Pourriez-vous nous remettre une contribution écrite qui reprendrait ce que vous venez de nous dire s’agissant de l’Espagne et de l’Allemagne ?

M. Jean-Philippe Bucher. Tout à fait.

M. Jean-Paul Aghetti. Notre problème n’est pas tant de savoir ce que font les Allemands et les Espagnols. Nous ne sommes pas en concurrence avec les pays européens et nous n’avons rien à gagner à aller dénoncer nos voisins. Il nous faut trouver des solutions qui nous permettent d’avoir une visibilité et de maintenir le système actuel.

M. Jean-Philippe Bucher. Les industriels « hyper électro-intensifs » ont besoin de davantage qu’un transport à prix réduit, une CSPE plafonnée et des effacements maximum. Quant à savoir si la France doit avoir ou non une industrie électro-intensive dans le cadre de la transition énergétique, au-delà de l’intérêt que peut avoir pour nous notre propre survie, la question nous dépasse. Nous pouvons seulement dire qu’au cours des cent dernières années, la France a eu une industrie électro-intensive qui lui a permis de vivre, de prospérer et d’être au sommet de la hiérarchie mondiale dans ces domaines. Lâcher ces industries serait laissé filer la production dans des pays qui polluent davantage que nous, mais aussi s’interdire de développer des filières qui découlent de notre activité. En tant qu’industries lourdes, nous drainons des volumes financiers considérables en matière d’investissements récurrents ou de budgets d’entretien, et nous faisons appel à de nombreux sous-traitants. Nous portons des projets ambitieux parce que la nature de l’aluminium ou du silicium en fait des matériaux clés pour baisser les coûts de transport et développer des énergies renouvelables. L’enjeu dépasse donc la seule consommation d’électricité des industries électro-intensives et la question de leur abandon ou non. Si notre pays veut retrouver une croissance régulière et significative, il faut être conscient qu’il consommera inéluctablement de plus en plus d’électricité. Je ne conteste pas le bien-fondé des économies d’énergie, mais il est incontestable aussi que la croissance va de pair avec l’augmentation de la consommation énergétique. C’est une loi physique qui est corroborée par la relance de l’industrie américaine grâce à une source d’énergie que je n’ai pas à critiquer ni à juger.

M. le président Hervé Gaymard. Je vous remercie pour votre contribution qui a beaucoup stimulé notre commission, la plupart de ses membres n’étant pas à convaincre.

24. Audition, ouverte à la presse, de Mme Myriam Maestroni,
présidente d’Économie d’Énergie SAS et de M. Hugues Sartre,
secrétaire général du GPC2E

(Séance du mercredi 10 décembre 2014)

M. Alain Leboeuf, président. Nous accueillons les représentants du Groupement des professionnels du certificat d’économie d’énergie, le GPC2E.

Madame Maestroni et monsieur Sartre, nous vous demanderons tout d’abord de bien vouloir situer la question des certificats d’économie d’énergie dans la problématique de notre commission, qui est celle des tarifs de l’électricité.

Votre groupement se présente comme le rassemblement de 80 % des acteurs « indépendants » du dispositif des certificats d’énergie. Quel est le critère de cette indépendance, apparemment revendiquée par vos mandants ?

Vos activités vous amènent à fournir des services en matière énergétique, dont on peut penser qu’ils ont principalement pour but les économies d’énergie. Quelles propositions et quelles pistes en ce sens vous paraît-il souhaitable de suivre au titre de la démarche nationale de transition énergétique ?

Avant de vous céder la parole pour un exposé liminaire, à la suite duquel les membres de la commission d’enquête ne manqueront pas de vous poser différentes questions, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Myriam Maestroni et M. Hugues Sartre prêtent serment.)

Mme Myriam Maestroni, présidente d’Économie d’Énergie SAS. Je rappellerai tout d’abord ce que sont les certificats d’économies d’énergie, qui existent depuis huit ans, et qui sont au cœur du projet de loi relatif à la transition énergétique et à la croissance verte, puisqu’ils visent à améliorer l’efficacité énergétique. Ces certificats, qui ont été créés en 2006 dans le cadre de la loi de programmation fixant les orientations de la politique énergétique (POPE), ont été révisés par le Grenelle de l’environnement et reconduits dans le projet de loi relatif à la transition énergétique pour leurs troisième et quatrième périodes. Leur fonctionnement s’inscrit en effet dans des périodes triennales : la première a couru de juin 2006 à juin 2009 ; après une période transitoire, la deuxième, qui a débuté en janvier 2011 et aurait dû s’achever en décembre 2013, a été prolongée jusqu’à fin 2014. Commencera alors la troisième période, qui devrait s’étendre jusqu’en 2017, avant une quatrième adoptée par voie d’amendement.

L’État a créé, avec les certificats d’économies d’énergie, un mécanisme qui permet de mesurer les économies d’énergie. Cet outil est à la disposition des vendeurs d’énergie, qui ont désormais tous l’obligation d’aider leurs clients à moins consommer, leur permet de tracer les différentes actions qu’ils entreprendront dans le cadre de cette aide.

L’objectif que doit remplir chaque énergéticien est calculé en fonction de son volume de vente. Il doit y parvenir selon trois modalités : en s’acquittant d’une pénalité libératoire – 20 euros par gigawattheure cumac ; en mettant en œuvre les actions nécessaires à la réalisation d’investissements conduisant à des économies d’énergie, au travers de fiches standardisées qui sont établies par des professionnels et des organismes qui délibèrent sur les économies réalisées par opération ; en recourant au marché, les énergéticiens qui génèrent un nombre de certificats supérieur à leurs besoins ayant la possibilité de les vendre.

Le rôle du GPC2E est de faciliter la création d’opérations d’efficacité énergétique donnant lieu à des certificats en vue de les mettre à la disposition des énergéticiens obligés.

Plus de 200 opérations sont aujourd’hui en cours de révision : elles concernent l’ensemble des secteurs. S’agissant du secteur résidentiel, elles ciblent l’isolation des combles, le changement de chaudière ou la mise en place de systèmes de régulation. De nombreuses opérations ont été révisées pour s’assurer qu’elles contribuaient bien à réaliser des économies d’énergie. L’objectif est de permettre à la France de se conformer à l’article 7 de la directive européenne 2012/27 relative à l’efficacité énergétique, ce qu’elle a fait dans le cadre du projet de loi relatif à la transition énergétique.

Chaque période triennale a fixé des objectifs croissants. Nous sommes, à l’heure actuelle, dans la phase de discussion des objectifs de la troisième période. Si des sujets ne sont pas encore définitivement tranchés, nous savons déjà que l’ensemble des énergéticiens sont désormais assujettis, y compris les vendeurs de carburant, contrairement à la première période. Le volume des économies à générer sera de 700 térawattheures cumac, les vendeurs d’électricité devant réaliser 28 % du total.

Ce dispositif remporte un vif succès : l’objectif de la première période a été largement dépassé ; quant à la deuxième période, à la fin de l’année 2014, non seulement le volume des certificats d’économies d’énergie réalisé dépassera largement l’objectif fixé, mais on peut même supposer, sur la base des chiffres actuels, qu’il aura une année d’avance.

Le mécanisme des certificats d’économies d’énergie s’applique dans d’autres États membres ou régions de l’Union européenne – Italie, Flandre, Royaume-Uni ; d’autres pays ont fait état de leur intérêt à le développer.

Il a également permis de financer des actions de formation des artisans et des entrepreneurs impliqués dans la rénovation et la mise en œuvre des différents travaux d’efficacité énergétique. Ces actions ont révélé un déficit important de main-d’œuvre disponible pour réaliser l’ensemble des travaux, puisque, en France, un logement sur deux n’atteint pas la catégorie F du diagnostic de performance énergétique créé dans le cadre de la loi POPE, en même temps que les certificats d’énergie. Ces logements ont une consommation six à huit fois supérieure à celle d’un logement neuf. Il est d’autant plus nécessaire de le rappeler que le projet de loi relatif à la transition énergétique prévoit d’élever le nombre des rénovations annuelles de 300 000 à 500 000 : or ce ne sont pas moins de 15 millions de logements qu’il est nécessaire de rénover en France. Le sujet est donc au cœur du débat politique et sociétal français.

Votre commission d’enquête se penche aujourd’hui sur l’impact sur le prix de l’électricité du coût de ces certificats et des mesures mises en place pour réaliser des économies d’énergie.

Il faut savoir que chaque entreprise est libre de mettre en œuvre les actions qu’elle jugera nécessaires pour inciter ses clients à entreprendre des travaux énergétiques : c’est une véritable gageure, sachant que cette question n’est pas au cœur des préoccupations des Français. Il importe donc de conduire un important travail d’éducation du marché, comprenant des actions de sensibilisation et d’information. Il convient aussi de prévoir des outils permettant, dans le secteur résidentiel, d’accompagner les ménages à prendre les bonnes décisions : ils doivent, à cette fin, savoir quels travaux sont éligibles, qui les réalisera et comment ils seront réalisés.

Si les premières mesures adoptées en la matière datent déjà de huit ans, toutefois, le défi à relever n’en est encore qu’à son commencement. Il faut en effet persuader, avec des mécanismes de décision et des types d’intervenants différents, le plus grand nombre possible de ménages à réaliser des travaux d’économies d’énergie, sachant que le secteur résidentiel se répartit en trois principales catégories : le logement social, les copropriétés et les maisons individuelles, qui représentent 54 % du parc de logements en France.

Pour l’ensemble des opérations à conduire, que ce soit en termes de sensibilisation, d’information, d’aide à la décision, d’accompagnement ou de suivi, les énergéticiens sont maîtres des coûts puisqu’il leur appartient de promouvoir les différents moyens d’inciter les Français à entreprendre des travaux de rénovation énergétique. Ces travaux ont un retour sur investissement puisque, en réduisant la consommation énergétique des logements, ils améliorent à terme leur valeur. En effet, différents observatoires notent l’apparition sur le marché de la valeur « verte ».

À l’heure actuelle, les coûts liés aux différentes étapes de la démarche d’efficacité énergétique figurent, pour la plupart des entreprises, dans le chapitre des coûts commerciaux, qu’il est difficile de mettre à plat. En octobre 2013, la Cour des comptes a publié un rapport qui fait état d’un écart important entre, d’une part, le coût affiché par l’énergéticien électricien de référence français, c’est-à-dire le prix de revient des opérations mises en œuvre et, d’autre part, le prix du marché. Cet écart, de trois, pour le prix du marché – 3,5 ou quatre en prix de revient – à dix, a été réduit de 40 % dans le rapport publié plus récemment par la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Il est difficile de donner plus d’éléments en l’absence d’une comptabilité analytique détaillée de chaque énergéticien.

Pour le GPC2E, il convient, dans le cadre de cette commission d’enquête, de prendre en compte tous les coûts constitutifs du prix de l’électricité, en levant notamment des ambiguïtés sur des éléments de coût qui pourraient être perçus comme plus importants qu’ils ne sont en réalité, a fortiori lorsqu’on les replace dans le contexte du projet de loi relatif à la transition énergétique.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. S’agissant de la question de l’électricité, qui est au cœur de la commission d’enquête, quels sont les objectifs de la démarche que vous nous avez décrite et comment évaluez-vous leur réalisation ? Vous avez souligné que les objectifs fixés pour la deuxième période avaient été atteints avec une année d’avance : cette avance concerne-t-elle également la consommation d’électricité ?

Par rapport aux ambitions du projet de loi relatif à la transition énergétique, quelle est, à vos yeux, la marge d’économies encore réalisables dans le secteur électrique pour les années à venir ? Comment la mesurez-vous ?

Par ailleurs, comment décryptez-vous le rapport de la Cour des comptes au regard de votre connaissance des coûts de l’électricité ?

Mme Myriam Maestroni. Les objectifs en termes d’économies d’énergie correspondent à un chiffrage précis : 54 térawattheures cumac pour la première période et 345 térawattheures cumac pour la deuxième, un tiers de ce chiffre devant être réalisé en 2014, qui est une année de prolongation. Pour la troisième période, l’objectif, après discussion, a été fixé à 700 térawattheures – d’aucuns avaient évoqué 900. Le même objectif devra être atteint au cours de la quatrième période si nous souhaitons réaliser le volume d’économies d’énergie fixé à l’horizon 2020.

La notion de térawattheure cumac, qui est une innovation française dont nous devons nous féliciter, est un hybride des mondes de la finance et de l’énergie. Il s’agit, en effet, d’une unité comptable permettant de mesurer les économies réalisées grâce à des travaux dont la durée de vie est utile durant plusieurs années. Je prends un exemple : le remplacement d’une chaudière consommant 100 par une chaudière plus efficace consommant 80 permet de réaliser une économie théorique de 20. Le calcul réel de l’économie réalisée doit toutefois prendre en compte la durée de vie utile de la chaudière – mettons dix ans – modifiée par un facteur d’usure – la performance de la nouvelle chaudière ne sera pas la même la dixième année que la première année. C’est sur cette méthodologie, dont j’ai simplifié la présentation, que repose le calcul des économies à réaliser en kilowattheures cumac. Toutes les fiches sont analysées avec un grand sérieux par des experts mandatés à cet effet dans le cadre de l’Association technique énergie environnement (ATEE), en coopération avec l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) et la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC).

Il faut savoir également que les objectifs des trois périodes ne sont pas comparables entre eux, car ils reposent sur des périmètres différents : la première période excluait les vendeurs de carburant, principalement la grande distribution qui représente plus de 60 % des ventes de carburant en France. Celle-ci a, par ailleurs, bénéficié d’une période transitoire après son inclusion en deuxième période. Comme la part des vendeurs de carburant augmente dans le total, celle des électriciens s’en trouve fortement réduite, ce qui change la donne : elle passera de 50 % en deuxième période à seulement 28 % en troisième période.

S’agissant du secteur résidentiel, la plupart des opérations d’économies d’énergie recensées qui font l’objet de fiches standardisées concernent les plus gros postes de consommation d’énergie dans une maison : l’eau chaude sanitaire et le chauffage. Je rappelle les six usages de l’électricité dans un foyer en suivant, comme moyen mnémotechnique, l’évolution de l’humanité : l’homme préhistorique a découvert la cuisson ; les Romains ont développé l’eau chaude sanitaire et le chauffage ; l’humanité est ensuite passée de la bougie à l’éclairage ; à partir des années 60 arrivent les appareils ménagers et, par extension, la domotique ; enfin, sixième et dernière utilisation, les usages spécifiques de l’électricité liés notamment aux nouvelles technologies. Cela pour vous dire que notre consommation d’énergie est croissante et de plus en plus « électro-dépendante ». Quelques réfrigérateurs fonctionnent encore au gaz, ainsi que quelques sèche-linge au Japon, mais les nouveaux usages spécifiques exigent absolument de recourir à l’électricité.

En matière de réduction de consommation d’énergie, les efforts ont donc principalement porté sur ces deux postes que sont l’eau chaude sanitaire et le chauffage. Il n’y a pas de publication régulière de statistiques en la matière. Les dernières que j’ai consultées révèlent que ces deux postes ont connu une réduction de 2006 à 2012 de l’ordre de 20 %, alors que la consommation d’énergie demeure globalement stable du fait de l’augmentation des usages spécifiques de l’électricité.

S’agissant du rapport de la Cour des comptes, je salue l’effort qui a été fourni : il est, en effet, très difficile d’évaluer un mécanisme aussi récent et aussi innovant que celui des certificats d’économies d’énergie. D’autant que cela requiert de prendre en compte non seulement l’objectif de réaliser des économies d’énergie, mais également de nombreuses externalités comme celles que j’ai évoquées à l’instant.

L’argent est une condition nécessaire mais pas suffisante pour réaliser des économies d’énergie. Les Français entreprennent le plus souvent les travaux de rénovation visant l’efficacité énergétique par étapes. Un effet de pédagogie se met en place : deux ou trois ans après avoir changé leur chaudière, ils isolent les combles puis les murs ou les sols. Au niveau macroéconomique, au bout de dix ans, le résultat de cette démarche par étapes est la même que celle d’une démarche globale, la durée de vie des travaux réalisés étant généralement longue. Cette démarche repose de plus sur un système d’autofinancement naturel, auquel la plupart de nos concitoyens peuvent recourir : ce financement filé n’implique pas, en effet, de mobiliser d’un coup une somme d’argent trop importante. Encore faut-il qu’ils soient bien sensibilisés et bien informés quant à la nature des travaux qu’il est possible de réaliser.

Le rapport de la Cour des comptes est complet au sens où il a analysé l’ensemble des moyens mis en œuvre : force est de constater que, si des acteurs ont fait d’importants efforts de sensibilisation et d’information auprès de leurs clients, tous ne sont pas dans ce cas. Or moins les efforts consentis pour sensibiliser les Français sont importants, plus les coûts sont réduits. Ce travail se fait dans la durée. Ainsi, en trois ans, plus de 5 millions de Français ont visité les différentes plateformes d’Économie d’Énergie SAS. D’autres sociétés au sein du groupement ont également mené des actions très innovantes visant à mobiliser les Français.

Le rapport de la Cour des comptes est également équilibré : il a permis de mettre en évidence le fait que le mécanisme des certificats d’énergie a donné lieu à des innovations importantes et créé une relation de proximité avec le consommateur final d’énergie. Celui-ci est, du reste, de plus en plus conscient de l’importance de la part de l’énergie dans son budget. La précarité énergétique est un nouveau concept, qui a émergé il y a environ cinq ans et les travaux en la matière ne font que commencer. Cette problématique se trouve intégrée dans les objectifs de la troisième période, alors même que les programmes qui la ciblaient en avaient été tout d’abord exclus. Il convient donc à la fois de mener une politique de prévention de la précarité énergétique, via la rénovation des 15 millions de logements concernés, à côté d’une politique de lutte contre cette même précarité.

La Cour des comptes a également fait état de disparités entre les prix de revient et les pratiques de chacun. C’est une des vertus du mécanisme de laisser une grande souplesse à chaque opérateur pour juger les meilleures actions à mener pour sensibiliser leurs clients. Un paragraphe est notamment consacré au réseau Bleu Ciel d’EDF et à ses installateurs qui doivent devenir « RGE » – « Reconnus garants de l’environnement ». On leur demande à la fois de fournir des efforts importants en matière de formation et d’acquisition de nouvelles compétences, de travailler avec de nouveaux corps de métier et de réaliser un effort commercial et didactique très important auprès de leur clientèle – cela fait beaucoup. Ce sujet est au cœur du débat sur la transition énergétique, au même titre que la formation des jeunes : à ma connaissance, aucun nouveau métier lié à la transition énergétique n’a vraiment émergé – je pense au métier de rénovateur énergéticien ou de spécialiste de l’efficacité énergétique, des économies d’énergie et de l’environnement. Des moyens doivent être alloués en la matière.

Les conclusions du rapport de la Cour des comptes sont très favorables au mécanisme, les bémols, auxquels il ne faudrait d’ailleurs pas réduire le rapport, portent principalement sur la nécessité de réaliser des contrôles et d’apporter des améliorations au dispositif.

M. Alain Leboeuf, président. Les informations que vous nous avez apportées sont utiles. Nous avons noté votre « cocorico » relatif aux certificats d’énergie qui encouragent la transition énergétique que nous souhaitons pour notre pays.

Madame, monsieur, nous vous remercions.

25. Audition, ouverte à la presse, de M. Guy Piolé, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes, de M. Jean-Luc Vialla, président de section, et de Mme Michèle Pappalardo, conseiller maître

(Séance du mercredi 17 décembre 2014)

M. Alain Leboeuf, président. Nous accueillons aujourd’hui M. Guy Piolé, président de la 2e chambre de la Cour des comptes, M. Jean-Luc Vialla, président de section, et Mme Michèle Pappalardo, conseiller maître, trois hauts magistrats qui ont travaillé sur les sujets intéressant notre Commission.

Parmi les récents travaux de la Cour portant sur le secteur de l’électricité, nous citerons un rapport sur les certificats d’économie d’énergie, publié en octobre 2013, les développements sur les concessions de distribution électrique figurant dans le rapport public annuel de 2013, ainsi qu’un rapport de juin 2012 réalisé à la demande du Sénat et consacré à la CSPE, laquelle fait également l’objet d’un chapitre du rapport annuel de 2011. Il convient de citer en outre des travaux plus récents sur le coût de production de l’électricité nucléaire, réalisés à la demande de la commission d’enquête relative aux coûts de la filière nucléaire, et sur la mise en œuvre par la France du paquet énergie-climat. Cette somme recèle sans nul doute, pour notre Commission, de précieuses informations. Aussi l’audition de ses auteurs est-elle de nature à guider quelque peu notre réflexion.

Dans un premier temps, madame, messieurs, nous allons vous écouter nous exposer celles des orientations inscrites dans vos travaux qui vous semblent concerner l’objet de notre Commission. Puis les membres de celle-ci, en commençant par sa rapporteure, établiront, par leurs questions, un échange avec vous.

Comme vous le savez, un serment est requis de la part des personnes entendues par une commission d’enquête. Votre audition porte sur des travaux ayant donné lieu à des délibérations des instances de la Cour, conformément au code des juridictions financières. Cette audition concerne l’activité juridictionnelle de la Cour, que vous servez en votre qualité commune de magistrat financier. Dès lors, puisque les magistrats financiers sont fonctionnellement liés par un serment de loyauté, je ne crois pas devoir vous soumettre à l’obligation de prêter serment devant nous au titre d’une procédure qui deviendrait redondante.

M. Guy Piolé, président de la 2e chambre de la Cour des comptes. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les députés, je vous confirme que nous sommes tous trois assermentés. Je vous remercie de votre invitation ; nous nous réjouissons de pouvoir contribuer à vos travaux. Je me permets cependant de préciser qu’ayant pris mes fonctions de président très récemment, je n’ai pas moi-même travaillé sur les sujets qui intéressent votre Commission. Je laisserai donc à mes deux collègues le soin de vous présenter l’essentiel des études de la Cour des comptes auxquelles ils ont participé en 2012 et 2013. Je rappelle que la Cour s’exprime dans le registre du constat, constat qui est assorti le cas échéant de propositions. Je vous propose que nous procédions par ordre chronologique, en commençant par le rapport consacré à la Contribution au service public de l’électricité (CSPE).

Mme Michèle Pappalardo, conseiller maître. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les députés, le rapport de la Cour sur la CSPE a été réalisé au cours du premier semestre 2012 à la demande de la commission d’enquête du Sénat sur le coût réel de l’électricité. Il avait pour objet d’actualiser une insertion publiée dans le rapport public de 2011 qui portait sur l’année 2010, beaucoup de choses s’étant passées durant ces deux années. Ce rapport comporte également quelques pistes de réflexion, plutôt que des propositions.

Le rapport public de 2011 comportait, lui, plusieurs recommandations : maîtriser les charges, notamment celles de l’électricité photovoltaïque ; s’interroger sur le soutien apporté aux filières non prioritaires, comme la cogénération ; clarifier le statut fiscal de la CSPE, qui est un quasi impôt ; enfin, réexaminer le financement de la CSPE par le consommateur d’électricité, la Cour s’interrogeant sur l’extension éventuelle de ce financement à d’autres contributeurs.

Sans revenir en détail sur ce qui s’est passé entre 2010 et 2012, je ferai les remarques suivantes. Au cours de cette période, le niveau des recettes s’était sensiblement accru, puisque, de 4,50 euros/MWh en 2010, le montant de la CSPE était passé à 9 euros puis à 10,50 euros/MWh en 2012. En matière de dépenses, nous avons pu considérer que la recommandation de la cour relative à la maîtrise des facteurs de croissance des charges de l’électricité photovoltaïque avait été suivie, puisqu’un nouveau dispositif permettait d’en limiter le tarif d’achat. En revanche, en ce qui concerne la cogénération, les textes n’avaient pas été modifiés – je note d’ailleurs qu’entrera en vigueur, à partir de 2014 et 2015, un système visant à financer à nouveau les grosses installations de cogénération. De même, aucune modification n’était intervenue pour clarifier le statut fiscal de la CSPE et son financement par le consommateur d’électricité n’avait pas été réexaminé. Par ailleurs, nous relevions deux évolutions qui n’avaient pas été prévues par les rapports précédents : d’une part, la mise en place d’une méthode de calcul de la CSPE plus cohérente qui atténuait le poids de la volatilité des prix de marché et, d’autre part, l’augmentation des charges liées aux tarifs sociaux, qui restaient toutefois limitées et ne représentaient qu’une petite partie de la CSPE.

Nous avons en outre réalisé, à la demande de la commission d’enquête sénatoriale, une prévision de l’évolution des charges à couvrir par la CSPE entre 2011 et 2020. L’estimation de ces dépenses variait selon que l’on retenait l’évaluation d’EDF, 8,8 milliards d’euros, celle de la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), 9,9 milliards, ou celle de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), qui était de 10,9 milliards. Cet écart s’expliquait par le fait que chacune de ces évaluations était fondée sur des hypothèses très différentes, notamment en ce qui concerne le prix du marché, par rapport auquel est calculé le « surcoût » des énergies renouvelables. Au demeurant, la Cour estimait qu’il convenait d’envisager un doublement, entre 2012 et 2020, des charges à couvrir ainsi que de la contribution unitaire, qui passerait de 10,50 euros/MWh à 22 euros/MWh.

Par ailleurs, le dispositif précédent ayant fixé la CSPE à un niveau insuffisant pour couvrir les charges, un écart est apparu entre la contribution perçue et les charges définitives, qui s’est traduit par un déficit supporté par EDF. Nous nous étions donc interrogés sur la manière dont ce déficit allait évoluer, compte tenu des nouvelles règles de calcul de la CSPE. Selon nos estimations, confirmées du reste par les dernières prévisions de la CRE, il devait rester stable entre 2012 et 2014 et disparaître à partir de 2017. Le niveau actuel de la CSPE permet en effet de couvrir les charges de l’année, mais il ne permet pas encore de compenser le déficit existant.

En conclusion, nous avions esquissé les pistes de réflexion – et non pas, je le répète, des recommandations – qui pouvaient être explorées pour tenter de limiter, si on se posait la question, l’impact de la progression de la CSPE sur les consommateurs d’électricité. Nous avions ainsi suggéré d’élargir le financement de la contribution aux consommateurs d’énergies autres que l’électricité, de lui affecter des recettes nouvelles – par exemple, le produit des futures ventes aux enchères des quotas d’émission de gaz à effet de serre – ou de réexaminer les règles d’exonération de la CSPE dont bénéficient surtout les gros consommateurs d’électricité.

Une autre piste de réflexion – qui a manifestement été étudiée par les uns et les autres – portait sur la limitation des inconvénients du système d’obligation d’achat des EnR. Nous proposions ainsi d’optimiser leur production et d’augmenter la liquidité et la transparence du marché, ce qui supposait de substituer au système d’achat à prix fixe des dispositifs visant à inciter les producteurs à mettre l’électricité renouvelable produite sur le marché afin de verser seulement aux producteurs l’écart entre le prix de marché et le prix de production.

Tels sont les principaux éléments des travaux réalisés dans le cadre de ce rapport. Les prévisions de la Cour n’ont pas été contredites par les évolutions qui sont intervenues ultérieurement, mais il est certain qu’elle préfère travailler a posteriori.

M. Jean-Luc Vialla, président de section. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les députés, je vous propose que nous en venions à présent aux concessions de distribution électrique qui ont fait, quant à elles, l’objet d’une insertion au rapport public annuel de 2013. Cette étude porte sur des données de 2011 et du début de l’année 2012, mais celles-ci ont peu évolué depuis cette date, sauf sur certains points – j’y reviendrai.

Quelques constats d’abord. Le système de concession de distribution électrique est ancien – les textes fondateurs datent de 1884, 1904, et 1946 pour la loi de nationalisation – et il n’a guère évolué, si l’on excepte la filialisation d’ERDF. C’est un système dérogatoire au droit commun des concessions de service public en raison du monopole concédé à ERDF
– qui représente 95 % du réseau, les 5 % restants revenant aux entreprises locales de distribution – et, surtout, de l’application d’un tarif national unique. C’est sur ce point que notre sujet rejoint vos préoccupations, puisque ce tarif, le Tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE), est une des composantes essentielles du coût de l’électricité pour les particuliers et les entreprises. Ce système est également dérogatoire en ce que la répartition des travaux entre autorité concédante et concessionnaires est assez précisément fixée par la loi, cette répartition variant selon que l’on se trouve en zone urbaine ou en zone rurale, dans un dispositif somme toute complexe qui pose quelques problèmes d’application. Ce système est enfin éclaté, puisqu’on dénombrait encore en 2012 756 concessionnaires, bien que, je le rappelle, la loi de 2006 ait encouragé leur regroupement au niveau départemental.

Un tel dispositif présente néanmoins un avantage évident, celui de la péréquation, puisque le tarif unique permet de financer les concessions déficitaires par les concessions excédentaires. En outre, il paraît globalement pérenne, notamment par rapport à la réglementation communautaire, puisqu’à aucun moment les directives européennes n’ont mis l’accent sur l’ouverture à la concurrence des réseaux de distribution, préférant donner la priorité en la matière à l’amont, la production, et à l’aval, la commercialisation. Cependant, il faut souligner que la plupart des concessions arriveront à échéance entre 2020 et 2025 ; le sujet sera donc forcément à l’ordre du jour au niveau national.

Si ce système est consolidé et efficace, il n’en pose pas moins quelques problèmes, notamment en matière de financement des investissements. Je rappelle que ceux-ci s’élèvent à 4 milliards d’euros, dont 3 milliards pour ERDF et 1 milliard pour les autorités concédantes, c’est-à-dire les collectivités territoriales et leurs groupements. Ce montant augmentera inévitablement et rapidement, pour plusieurs raisons. La première tient au développement des énergies renouvelables. En effet, la distribution comprend à la fois la sortie et l’entrée, et la plupart des énergies renouvelables sont branchées directement sur le réseau de distribution d’ERDF, et non en amont, sur le réseau de transport de RTE. La deuxième raison tient à la croissance démographique et à l’étalement urbain, qui obligent ERDF à étendre régulièrement son réseau. Une troisième raison tient à la généralisation du compteur communicant Linky, qui représente un investissement d’au moins 5 milliards d’euros – certains évoquent la somme de 7 milliards d’euros – et qui passera de toute façon par le TURPE. Enfin, le développement inéluctable du véhicule électrique risque, en fonction de son mode de fonctionnement et de son rythme de croissance, d’avoir un impact très important sur le degré de charge du réseau de distribution d’ERDF.

Or, la politique d’investissement d’ERDF a été assez variable, pour des raisons qui relevaient moins de l’opérateur que de la politique du groupe EDF. Entre 1992 et 2005, celui-ci a en effet donné la priorité à son développement international, au détriment de la distribution et de la maintenance des centrales nucléaires. Les investissements d’ERDF ont ainsi été divisés par deux, accumulant un retard qui s’est du reste traduit par une dégradation de la qualité de la prestation et de l’énergie distribuée. Depuis, l’investissement a retrouvé un niveau normal, puisqu’il s’établit à 3 milliards d’euros, mais il ne permet pas de financer le développement de Linky ni peut-être – mais cela n’a pas encore été véritablement évalué – celui du véhicule électrique.

Se pose également un problème de gouvernance. Le dialogue au plan local entre ERDF et les autorités concédantes est en effet souvent difficile. Les obligations d’ERDF sont assez peu claires, notamment en matière d’évaluation des actifs, concession par concession. Par ailleurs, le système est peu régulé. La Commission de régulation de l’énergie contrôle ERDF en amont, mais beaucoup moins que RTE. Par exemple, elle n’a pas de pouvoir de contrôle de la politique des investissements, alors qu’elle approuve le plan de financement de RTE. Ce dispositif est conforme aux directives communautaires, mais une telle différence de traitement s’explique difficilement.

Se pose enfin le problème, complexe, du mode de calcul du TURPE. Le Conseil d’État a annulé, fin 2012, le TURPE 3 pour des motifs liés au mode de calcul du coût pondéré du capital par rapport à la base d’actifs régulés d’ERDF. C’est un élément d’incertitude très important pour les investisseurs, mais la loi de transition énergétique devrait y remédier – j’y reviendrai.

Forte de ces constats, la Cour a notamment recommandé d’accélérer le regroupement des autorités concédantes, d’établir une programmation locale des investissements, de mettre en place un dispositif de contrôle des investissements d’ERDF afin d’éviter au groupe EDF d’avoir à trancher entre ses différentes priorités et, à plus long terme, de s’interroger sur l’évolution du modèle de la distribution d’électricité.

Pour conclure, je veux souligner que le projet de loi de transition énergétique en cours d’examen au Sénat comporte trois dispositions qui s’inscrivent dans la logique des préconisations de la Cour. La première vise à régler le problème du mode de calcul du TURPE en choisissant clairement le modèle économique plutôt que le modèle strictement comptable. Les deux autres dispositions prévoient, pour la première, le pilotage des investissements, avec la création d’un comité du système de distribution publique d’électricité chargé d’examiner la politique d’investissement d’ERDF, au sein duquel siégeraient des représentants des autorités concédantes et, pour la seconde, la présence d’un représentant des autorités concédantes au conseil d’administration d’ERDF.

Mme Michèle Pappalardo, conseiller maître. Nous en venons maintenant à la présentation de l’enquête sur les Certificats d’économie d’énergie (CEE), qui a été réalisée à la demande du Premier ministre à qui elle a été remise en octobre 2013, soit juste avant que ne soient fixées les règles applicables pendant la troisième période des CEE.

Je rappelle que ces certificats ont été créés par la loi de programmation fixant les orientations de la politique énergétique, dite « loi POPE », de 2005. Il s’agit d’un outil mixte, qui associe une obligation réglementaire, sous la forme d’un objectif fixé par les pouvoirs publics, et le jeu du marché, puisque les obligés, c’est-à-dire les fournisseurs d’énergie, sont libres de choisir la forme de leurs actions pour remplir cette obligation. Le dispositif repose sur l’hypothèse que ces derniers chercheront les solutions les moins coûteuses pour obtenir leurs certificats.

Nous avons constaté que les objectifs quantitatifs avaient été dépassés, qu’il s’agisse de ceux de la première période, qui étaient très faibles, 54 TWh cumac, ou de ceux de la deuxième période, qui a été prolongée par une période transitoire dans laquelle nous sommes actuellement. Il convient de rappeler que les certificats sont concentrés sur le secteur diffus du bâtiment, environ 90 %, notamment le bâtiment résidentiel, 80 % ; un petit nombre d’opérations représentent la majorité des certificats obtenus.

Nous avons tenté de calculer le coût d’obtention des certificats, car c’est un sujet de discussion entre les acteurs. Cette opération n’était pas aisée, car elle suppose notamment d’examiner les comptes d’EDF. Je précise que les CEE sont d’un coût très limité pour l’État, puisque ce coût est assumé par les obligés, qui le répercutent sur les consommateurs. Notre calcul, qui porte sur la deuxième période, n’ayant pas été contesté, nous en avons conclu qu’il devait être à peu près correct. Selon ce calcul, le coût moyen unitaire des certificats était, pour la plupart des obligés, d’environ 0,4 centime d’euro/kWh cumac, ce qui représente une dépense totale d’environ 1,4 milliard d’euros sur 4 ans et demi, pour financer les 345 TWh cumac de la deuxième période. EDF, quant à elle, affichait un coût très supérieur. Notre analyse – fondée sur les chiffres que nous avons consultés sans pour autant pouvoir les publier dans le rapport, puisqu’il s’agit d’éléments couverts par le secret commercial – nous a permis d’expliquer que ce coût semblait surévalué, EDF y incluant des éléments commerciaux qui n’étaient pas pris en compte par les autres fournisseurs et qui n’avaient pas de raison de l’être.

Surtout, nous avons constaté que le coût variait selon le modèle d’obtention du certificat. Les deux obligés historiques, EDF et GDF, avaient en effet mis en place un modèle reposant essentiellement sur les réseaux de professionnels du bâtiment, alors que les nouveaux obligés, apparus pendant la deuxième période, c’est-à-dire les fournisseurs de carburant, en particulier les grands distributeurs, avaient opté pour un système de versement de primes aux ménages réalisant des travaux, système qui est nettement moins onéreux. Quant au coût administratif de gestion des dossiers, il est de l’ordre de 20 % du coût unitaire. Au total, le coût du certificat est compris, selon une estimation de la CRE que nous avons pu vérifier, entre 0,5 % et 1 % du tarif du gaz ou de l’électricité.

Par ailleurs, l’efficacité du dispositif nous était apparue intéressante, mais relative et très difficile à évaluer. Certes, selon de nombreuses études, il est possible de mesurer les kilowattheures économisés à partir des certificats mis sur le marché et des travaux réalisés. Mais nous ne sommes pas sûrs qu’ils l’aient été uniquement grâce à ces certificats. En effet, les différents systèmes d’aide – certificats, crédits d’impôt, éco-prêts à taux zéro – pouvant être utilisés conjointement, il est difficile d’identifier l’impact de chacun d’entre eux. En tout état de cause, les certificats semblent permettre, selon les études qualitatives, d’accélérer la prise de décision de réaliser des travaux et d’améliorer, moyennant un coût un peu plus élevé, l’efficacité énergétique de ces derniers. Mais, encore une fois, il est très difficile d’évaluer précisément le montant des travaux liés au certificat. Aussi suggérions-nous de réaliser a posteriori des études plus approfondies sur les différents outils de soutien aux économies d’énergie, afin d’en mieux mesurer l’efficacité, même si celle-ci semble effective.

D’autres recommandations concernaient les mesures à prendre pour améliorer l’efficacité des certificats. La première portait sur la révision triennale des fiches, qui devait permettre de supprimer celles dont l’efficacité est trop limitée ou qui sont devenues obsolètes. Cette recommandation a été suivie, puisque de nouvelles fiches sont en cours d’élaboration dans le cadre de la troisième période. Nous préconisions également d’améliorer l’accompagnement des investisseurs, en leur apportant des conseils plus personnalisés en cas de rénovations lourdes. Enfin, nous recommandions de renforcer la professionnalisation du secteur du bâtiment dans le domaine des économies d’énergie de manière à permettre une généralisation de l’éco-conditionnalité.

Je cède maintenant la parole à Jean-Luc Vialla.

M. Jean-Luc Vialla, président de section. Parmi les objectifs prioritaires des certificats d’économie d’énergie figure la lutte contre la précarité énergétique, sujet dont il est inutile de souligner ici l’importance : plus de 3 millions de nos concitoyens sont concernés. Cet objectif relève essentiellement du programme « Habiter mieux », géré par l’Agence nationale d’amélioration de l’habitat (ANAH), qui présente la particularité d’être financé par les trois obligés les plus importants : EDF, GDF Suez et Total. Ce dispositif est extrêmement efficace, puisque les gains énergétiques ont été évalués en moyenne à 38 % pour chaque intervention. En revanche, sa gestion administrative est si lourde que le rythme d’exécution est très lent : au début de 2013, un quart seulement des 250 millions d’euros de crédits étaient consommés. Depuis, le dispositif a été nettement amélioré par l’ANAH et le rythme de consommation est plus satisfaisant.

Cependant, nous avons fait deux propositions afin de renforcer le caractère prioritaire de la lutte contre la précarité énergétique : d’une part, mettre fin au monopole, que rien ne justifie, des trois grands obligés et, d’autre part, bonifier les certificats d’économie d’énergie, comme cela se fait dans un certain nombre de programmes, ou, en dernier recours – car le système est déjà complexe et rigide –, instituer un quota.

Nous avons également examiné l’ensemble de la gouvernance du dispositif des certificats d’économie d’énergie et de leur gestion matérielle. S’agissant de la gouvernance d’ensemble, le système a toujours été géré par la Direction générale de l’énergie et du climat, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) et l’Association technique énergie environnement (ATEE), ce qui laisse de côté non seulement l’ensemble des obligés, mais aussi les acteurs du bâtiment et des travaux publics, qui sont directement concernés. Nous avons donc proposé la création d’un comité de suivi qui, sans être chargé de la gestion du dispositif, permettrait à l’ensemble des acteurs de s’exprimer.

Quant à la gestion matérielle des certificats, confiée au pôle national des certificats d’économie d’énergie, intégré à la DGEC, elle était d’une lourdeur exceptionnelle, en raison de la complexité de la réglementation. Les personnels du pôle national étaient ainsi obligés de réaliser un traitement exhaustif de toutes les demandes, de sorte qu’ils avaient accumulé un retard d’un an dans l’attribution des certificats. Nous avons donc proposé des simplifications à très court terme et, surtout, pour la troisième période, un changement complet du dispositif en passant d’un contrôle exhaustif a priori à un système de contrôle a posteriori par échantillonnage, déclaratif et dématérialisé.

Nous avons par ailleurs identifié deux champs de développement potentiel des certificats d’économie d’énergie très significatifs : d’une part, les collectivités territoriales, qui ne représentent que 2 % des certificats créés, et, d’autre part, l’ensemble de l’habitat social.

J’en viens maintenant au projet d’EDF et GDF Suez de créer un passeport énergétique. Les deux principaux obligés ont en effet tenté d’orienter les discussions portant sur la troisième période vers la création de ce passeport, lequel aurait consisté en un document qui, suite à une analyse réalisée par un audit externe, ferait le bilan des économies d’énergie possibles dans chaque bâtiment concerné de façon à orienter les travaux à venir. Il nous a semblé que, si un dispositif de ce type était intéressant et justifié du point de vue technique, le volume des actions qu’il aurait représenté aurait été tel qu’il aurait capté l’ensemble des flux financiers représentés par le certificat d’économie d’énergie et provoqué ainsi une baisse d’activité considérable dans l’ensemble du secteur du bâtiment et de l’artisanat. En outre, il ne s’inscrivait pas dans la logique du dispositif. Nous avons donc proposé d’en faire un programme expérimental.

Enfin, une plateforme d’échange des certificats a été concédée à une entreprise privée. Or, son mode de fonctionnement nous inquiète quelque peu. À l’origine, une bourse avait été créée par Powernext, qui n’a fonctionné qu’un an en raison de l’insuffisance des échanges trafic. Aujourd’hui, il s’agit d’une simple plateforme informatique où n’importe qui peut opérer sans aucune garantie : il n’y a ni carnet d’ordres ni prix affichés, uniquement des demandes et des offres de quantités. Il nous a semblé que cela pouvait être source de trafics et d’escroqueries, dont quelques collectivités territoriales, du reste, ont été victimes en 2012. Nous avons donc demandé que ce système fasse l’objet de contrôles et soit remplacé, sinon par un marché – les volumes ne le justifient pas –, du moins par une véritable plateforme d’échanges sécurisée comprenant une intermédiation et un carnet d’ordres chiffrés.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Je vous remercie pour vos interventions, qui ont permis de remettre en perspective les travaux que vous avez conduits. Je souhaiterais, dans un premier temps, vous poser trois questions.

Tout d’abord, on observe, sur le long terme, une augmentation des coûts de l’électricité. Comment faire en sorte qu’il n’en soit pas ainsi ? Doit-on agir sur les coûts de production, sur les coûts d’EDF ou sur les coûts historiques du dispositif dont nous héritons, marqué par l’absence de concurrence ? À ce propos, quel doit être, selon vous, l’avenir de l’ARENH dans le dispositif ?

Ensuite, vous avez évoqué les déficits tarifaires qui pèsent sur EDF. On peut supposer que l’opérateur ne pourra pas en subir longtemps la charge. Dès lors, comment faudrait-il s’y prendre pour assurer le rattrapage ?

Enfin, on intègre dans le calcul des coûts et des tarifs de l’électricité des éléments qui relèvent de choix politiques, qu’il s’agisse de la péréquation, de la lutte contre la précarité ou des exonérations accordées aux entreprises, notamment aux électro-intensifs, pour améliorer leur compétitivité. Pensez-vous que ces actions auxquelles, nous élus, tenons tous doivent être financées différemment ? Doivent-elles, par exemple, être prises en charge par l’ensemble des consommateurs d’énergie, en l’espèce les ménages, ou faut-il imaginer d’autres modes de financement ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. La première de mes trois questions porte sur la création de nouveaux mécanismes de soutien aux énergies renouvelables prévue dans la loi de transition énergétique, mécanismes qui seront fondés sur une logique de « marché plus primes ». Pensez-vous qu’ils auront une incidence bénéfique sur la maîtrise du coût de la CSPE, sachant que, pendant une période transitoire, les mécanismes vont se chevaucher ? Avez-vous évalué cette incidence ?

Par ailleurs, lors du débat sur le projet de loi de transition énergétique, la question de l’élargissement de la base de la CSPE a été très souvent évoquée. Quel regard portez-vous sur cette hypothèse ?

Enfin, s’agissant des hyper électro-intensifs, menacés notamment par l’arrêt des tarifs réglementés, plusieurs exonérations peuvent être envisagées : exonération de la CSPE ou d’une partie du TURPE ou encore achat de CO2, comme c’est le cas en Allemagne. Ces solutions vous paraissent-elles pertinentes et suffisantes ou faut-il s’orienter, comme le suggérait à l’instant Mme la rapporteure, vers un dispositif d’aide qui relèverait davantage du budget principal que de la CSPE ?

Présidence de M. Jean Grellier, vice-président de la Commission d’enquête

M. Jean-Pierre Gorges. Je vous ai entendu dire tout à l’heure, à propos de la CSPE, que peut-être, un jour, l’électricité serait payée par l’impôt. Or, ce n’est pas possible. Le financement des énergies renouvelables fait déjà l’objet de contestations et la France a du reste été condamnée sur ce point.

Pensez-vous que le système français de facturation de l’électricité puisse résister longtemps, compte tenu de la libéralisation des tarifs prônée par l’Europe ? J’ai le sentiment que nous assistons à la rencontre de deux plaques tectoniques qui ne manquera pas de poser quelques problèmes.

Ma dernière question sera plus politique : pensez-vous que la transition énergétique fera baisser les tarifs de l’électricité ?

M. Guy Piolé, président de la 2e chambre de la Cour des comptes. Avant de céder la parole à mes collègues, je veux rappeler que la Cour des comptes est une institution collégiale et que sa parole, telle qu’elle est exprimée dans les documents publiés, a fait l’objet d’une délibération. Je pense donc que mes collègues s’attacheront à répondre à vos questions en retraçant les éléments qui figurent dans ces rapports ; ils seront beaucoup moins à l’aise pour s’exprimer dans des domaines qui n’ont pas été étudiés par la Cour. Nous ne pouvons pas prétendre engager celle-ci tant qu’elle n’a pas délibéré.

Mme Michèle Pappalardo, conseiller maître. S’agissant du niveau des coûts de l’électricité, la Cour n’a pas de position globale sur ce point. Il est toutefois évident que nous cherchons toujours à favoriser la baisse des coûts, quel que soit le sujet que nous étudions. Dans le rapport sur le coût de production de l’électricité nucléaire, par exemple, nous avons insisté sur la part importante qu’y prennent les coûts de fonctionnement d’EDF. Il s’agit pour nous d’un élément qui mérite d’être étudié, qu’il s’agisse d’EDF ou de tout autre organisme d’ailleurs.

En ce qui concerne la réduction du coût de la CSPE, nous avions notamment insisté sur les tarifs du photovoltaïque qui, en 2010, connaissaient une évolution telle qu’ils menaçaient de devenir extrêmement coûteux. Ils ont depuis été revus et aménagés de manière à maintenir ce coût dans des proportions plus supportables. Mais il convient d’examiner, comme cela est prévu dans le projet de loi de transition énergétique, chacun des éléments constitutifs de la CSPE, laquelle couvre des dépenses extrêmement diverses, afin d’identifier les progrès qui peuvent être réalisés, par exemple en aménageant les tarifs de manière à ce qu’ils suivent mieux l’évolution à la baisse des coûts.

M. Jean-Luc Vialla, président de section. Sur la question des coûts, je n’ai pas grand-chose à ajouter, si ce n’est que, dans la période actuelle, où le marché de l’électricité est extraordinairement déprimé – même si la France, à cause notamment de l’ARENH, n’en bénéficie pas tout à fait –, le passage d’une méthode de calcul par constatation de coûts comptables internes à EDF à une méthode par empilement des coûts a en soi un effet positif sur l’augmentation. Quant aux déficits tarifaires, nous n’avons pas eu l’occasion de nous prononcer sur ce point. On peut cependant constater qu’ils sont évalués de façon objective par la CRE et qu’ils ne sont pas à des niveaux tels que le rattrapage est inconcevable.

Par ailleurs, je veux souligner que nous avons bien conscience de l’importance du problème rencontré par les électro-intensifs. C’est un sujet que nous avons inscrit dans notre programme de travail. Nous souhaitons faire le bilan des dispositifs existants, des projets et, surtout, établir une comparaison avec les régimes en vigueur chez nos principaux concurrents, en particulier l’Allemagne, qui a beaucoup investi dans ce domaine.

Mme Michèle Pappalardo, conseiller maître. Pour en revenir à la question du déficit tarifaire, il est vrai que l’on a vu se creuser pendant plusieurs années un déficit lié à la CSPE, supporté par EDF. Si je ne me trompe, le problème a été résolu, théoriquement en tout cas, puisque l’augmentation de la cotisation de la CSPE permet de ne plus aggraver le déficit. Certes, celui-ci n’a pas été résorbé, mais, selon nos prévisions, si la cotisation continue à augmenter, il devrait l’être en 2017. En attendant, il a été convenu entre l’État et EDF que ce déficit, qui s’élève tout de même à 4 ou 5 milliards d’euros, serait mis sous cocon et rémunéré, certes bien moins que ne le demandait EDF. Nous avions également relevé, dans le rapport sur le coût de production de l’électricité nucléaire, que cette dette avait été reconnue et même placée dans les actifs dédiés d’EDF, ce que nous avons du reste plutôt critiqué.

Quant à la question de savoir si les conséquences des choix politiques doivent être financées par les consommateurs d’électricité ou faire l’objet d’un financement plus large, elle a été abordée à plusieurs reprises par la Cour, qui envisageait plutôt l’hypothèse d’un élargissement de la base de la CSPE. Mais il s’agit, là aussi, d’un choix politique : ce n’est pas à la Cour d’opter pour une solution plutôt que pour une autre. Beaucoup d’éléments sont en jeu dans la question des tarifs, qu’il s’agisse de la politique de lutte contre le changement climatique, des politiques environnementales, de la lutte contre précarité, de la péréquation ou des exonérations.

Par ailleurs, madame Battistel, le dispositif « marché plus primes » prévu dans le projet de loi de transition énergétique rejoint l’une des pistes de réflexion que nous avions esquissées. Si le dispositif fonctionne bien – mais le diable est dans les détails –, il devrait inciter les producteurs d’électricité renouvelable à mettre celle-ci sur le marché au moment le plus intéressant, ce qui aurait pour conséquence de moins perturber l’ensemble du dispositif. Il s’agit donc a priori d’une bonne mesure, mais il faudra étudier la manière dont elle sera appliquée. Certes, vous l’avez souligné, une période transitoire est prévue, mais celle-ci est nécessaire, car on ne peut pas revenir facilement sur les contrats préexistants.

En ce qui concerne l’élargissement de la base de la CSPE, on pourrait imaginer, dès lors qu’il s’agit d’une politique publique, de faire payer la contribution aux consommateurs d’énergies autres que l’électricité. Il s’agit, là encore, d’un choix politique. En tout état de cause, il faudrait élaborer les systèmes les moins complexes possibles.

Quant à la situation des électro-intensifs, elle n’a pas été étudiée par la Cour pour le moment. Je rappellerai simplement qu’en France, le coût et les tarifs de l’électricité sont faibles.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Certes, mais le coût du transport y est plus cher !

Mme Michèle Pappalardo, conseiller maître. Il faut en effet examiner les différentes composantes de ces tarifs. Là encore, il s’agit d’un choix politique : si l’on décide de faire moins payer les électro-intensifs, pour des raisons liées à la concurrence internationale et à l’évolution des tarifs de l’énergie dans d’autres régions du monde, il faudra bien reporter les coûts sur d’autres consommateurs.

Sur le point de savoir, monsieur Gorges, si le système français résistera longtemps aux évolutions européennes, je dirai que, dans ce domaine, les pratiques qui ont cours dans notre pays, la CSPE par exemple, sont partagées par les autres pays européens. Que ce soit en matière d’efficacité énergétique ou d’énergies renouvelables, ceux-ci ont en effet les mêmes objectifs que la France et ils mettent donc en place des dispositifs similaires aux nôtres. Ainsi la directive de 2012 s’inspire-t-elle fortement du système français de certificats d’économie d’énergie. Les évolutions concernant les tarifs et le financement des énergies renouvelables semblent également assez largement partagées. Je n’ai donc pas le sentiment que la situation française, dans ce domaine, soit très originale, même si notre mix énergétique, notamment, l’est.

Enfin, la transition énergétique fera-t-elle baisser le prix de l’électricité et aura-t-elle un impact négatif sur notre compétitivité ? C’est, là encore, une question politique. Quoi qu’il en soit, il faudrait, pour y répondre, connaître l’évolution du prix des autres énergies et la situation dans les autres pays. La question de la compétitivité ne se réduit pas à celle de nos tarifs.

M. Jean-Luc Vialla, président de section. Sur la pérennité du dispositif français au regard des directives communautaires, on peut estimer, pour s’en tenir à des sujets sur lesquels la Cour a travaillé, que le dispositif global légal est parfaitement conforme à la réglementation européenne. Certes, la Commission a émis, dans le passé, des avis motivés, qui ont abouti à la loi NOME, mais, aujourd’hui, il n’existe plus de différends significatifs entre la Direction générale de l’énergie et la France. Considérons la chaîne complète, depuis la production jusqu’à la fourniture. Au plan de la production, l’ouverture est censée être totale, mais le marché de l’énergie est tel, aujourd’hui, qu’il est inconcevable pour un industriel d’investir dans des outils de production. Les concurrents d’EDF sont même amenés à fermer des capacités de production, notamment en raison du déclassement des centrales à gaz à cycle combiné, ce qui pose d’ailleurs un problème d’équilibre global.

Au plan du transport et de la distribution, il existe des monopoles naturels. Dans les autres pays de l’Union européenne, où coexistent plusieurs opérateurs, ces monopoles sont géographiques. La situation est donc comparable. La question qui se pose est celle de l’actionnariat. On a ainsi évoqué des évolutions de capital de RTE qui lui permettraient de mener une politique plus active à l’international. En tout état de cause, personne n’imagine la coexistence de plusieurs opérateurs de transport dans une même zone.

Par ailleurs, il est vrai que le marché de gros n’a pas, en France, la profondeur et le volume qu’il peut avoir en Allemagne, par exemple. L’explication en est assez simple : l’ARENH retire automatiquement de ce marché des capacités considérables qui sont celles dont ont besoin les alternatifs et éventuellement les électro-intensifs.

Quant au marché de la fourniture au client final, on constate que les évolutions tarifaires commencent à avoir un impact significatif sur son ouverture. Celle-ci était jusqu’à présent théorique, puisqu’il y a encore quelques mois, les concurrents d’EDF détenaient moins de 7 % de parts de marché. Mais son accélération est désormais spectaculaire et le processus sera encore renforcé par la disparition des tarifs jaune et vert, ainsi que par la généralisation de Linky, dans la mesure où ce dispositif permettra de construire des offres différentes.

En somme, le dispositif existe, mais son développement est encore freiné dans un certain nombre de domaines. Le marché est de toute façon tellement déstabilisé, par des facteurs externes, que les industriels n’ont pas la visibilité dont ils ont besoin pour leurs investissements.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Je me permets de compléter la question de M. Gorges. On a tout de même le sentiment que le cadre fixé à l’échelle européenne, qu’il s’agisse des règles juridiques ou des principes de concurrence, est comme placé sous cloche : il a été construit comme si le monde extra-européen n’existait pas. Plusieurs des acteurs économiques que nous avons auditionnés dans le cadre de cette commission – représentants des électro-intensifs ou d’autres entreprises, comme les cimentiers par exemple – dressent un constat extrêmement simple : le coût de l’énergie, et singulièrement de l’électricité, est plus élevé en Europe que dans le reste du monde, où il peut être, dans certaines zones géographiques, particulièrement bas. Dès lors, certains d’entre eux nous ont indiqué qu’ils n’investissaient plus en France, ni en Europe d’ailleurs, mais en Chine ou au Canada, là où l’énergie coûte beaucoup moins cher.

On a le sentiment que le cadre européen nous empêche en quelque sorte de défendre nos industries, notamment nos industries électro-intensives. La question de sa pertinence se pose donc, et de façon urgente. Si le problème n’est pas réglé dans les années qui viennent, la désindustrialisation européenne se poursuivra. Ce phénomène, qui nous préoccupe beaucoup, nous impose de créer, au profit de ces entreprises, des systèmes d’aide adaptés susceptibles de combler l’écart qui ne cesse de se creuser avec le reste du monde.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Il y a en effet urgence : le problème doit être réglé d’ici à quelques mois pour certaines entreprises, car la suppression des tarifs verts met en péril de nombreux électro-intensifs – je pense notamment à FerroPem.

M. Jean-Pierre Gorges. La transition énergétique s’appuie sur une décroissance de la consommation énergétique. En effet, si l’on remplace le nucléaire par une source d’énergie plus chère, l’équation ne sera équilibrée que si la consommation d’électricité diminue. Cela nous a d’ailleurs été confirmé par M. Mestrallet, même s’il a nuancé son propos. La transition énergétique entraînera une hausse mécanique du coût de l’électricité. À quoi il faut ajouter un cadre européen contraignant, dans un contexte de libéralisation complète. Des représentants des électro-intensifs nous ainsi expliqué que les États-Unis, depuis qu’ils exploitent les gaz de schiste, exportent leur charbon vers la Chine, permettant à cette dernière de produire des panneaux photovoltaïques qui, une fois installés en France à l’incitation des pouvoirs publics, vont contribuer à augmenter le coût de l’électricité ! En Afrique, certains électro-intensifs économisent le coût du transport en s’installant à proximité de barrages et en se connectant directement à la centrale électrique.

La mécanique est devenue d’une telle complexité que plus personne ne la maîtrise. On peut dire non au gaz de schiste et au nucléaire, mais je serais curieux de connaître les résultats auxquels aboutiraient des modèles mathématiques capables de prévoir les conséquences de tels choix en 2020… Nos gouvernants, qui sont tous, de temps à autre, un peu despotes, devraient être un peu plus éclairés. Il faudra bien, du reste, qu’on crée un organisme susceptible de réaliser des prévisions qui dépassent les échéances politiques.

M. Guy Piolé, président de la 2e chambre de la Cour des comptes. Nous sommes là clairement dans le domaine du pronostic. Or, comme je vous l’ai dit en préambule, la Cour dresse des constats. Vos préoccupations rejoignent toutefois ses observations sur un certain nombre de points ; je pense notamment à la nécessité d’offrir une certaine visibilité aux industriels. En revanche, la question de savoir si le dispositif sous cloche que vous avez décrit se traduira à terme par une diminution du prix de l’énergie pour les consommateurs relève du pronostic.

M. Jean-Luc Vialla, président de section. Je puis vous dire, pour avoir été jusqu’au début de cette année président du port de Dunkerque, où sont installés notamment Arcelor et Rio Tinto, que la question des électro-intensifs m’intéresse particulièrement. Mais il s’agit d’un problème de coordination des politiques publiques qui ne relève pas de la compétence de la Cour. On mène à la fois une politique de développement des EnR et une politique au profit des électro-intensifs. Or, que ce soit à l’échelle française ou à l’échelle européenne, ces politiques ne sont pas forcément compatibles, elles sont même parfois contradictoires. Elles ne font pourtant l’objet d’aucun arbitrage.

Mme Michèle Pappalardo, conseiller maître. La plupart des problèmes que vous évoquez relèvent de choix politiques qui ne sont pas de la compétence de la Cour. Je tiens à rappeler que la baisse de la consommation énergétique put aussi résulter de l’amélioration de l’efficacité énergétique, qui est possible pour la plupart des consommateurs. Pour le reste, on peut juger les exonérations actuelles trop importantes dans la mesure où elles ont pour conséquence d’augmenter la facture des ménages, mais si l’on veut diminuer le prix de l’énergie pour les électro-intensifs, il faut les renforcer. Nous sommes donc face à des choix politiques en apparence très simples, mais difficiles à régler.

Mme Jeanine Dubié. Je comprends bien que vous ne puissiez pas répondre à ce type de questions. Il me semble pourtant que, dans l’une de ses recommandations, la Cour avait préconisé le prolongement de la durée d’exploitation des réacteurs nucléaires au-delà de quarante ans. N’est-ce pas là une prise de position ? Par ailleurs, vous avez souhaité maintenir dans le rapport de 2013 la dizaine de recommandations qui figuraient dans le rapport de 2012 parce qu’aucune d’entre elles n’avait été appliquée. Selon vous, d’où viennent ces blocages ? Sont-ils uniquement dus à des choix politiques ou peuvent-ils être également d’ordre réglementaire ?

Mme Michèle Pappalardo, conseiller maître. Nous n’avons pas recommandé de prolonger la durée d’exploitation des réacteurs ; nous serions sortis de notre rôle. Nous avons simplement tenté de chiffrer le mieux possible une telle mesure et nous avons fait remarquer que, plus on se rapprochait de la limite des quarante ans, plus il paraissait difficile de ne pas prolonger la durée d’exploitation d’au moins une partie du parc. Nous avons donc dressé un constat et réaliser les calculs nécessaires afin que chacun dispose d’éléments de réflexion pour faire les choix politiques. Par ailleurs, vous avez raison, nous avons maintenu dans le rapport de 2014 les recommandations du rapport de 2012, en expliquant que si aucune d’entre elles n’avait été rejetée par l’État ou par EDF, aucune n’avait été totalement mise en œuvre. Certaines avaient commencé à l’être ; d’autres, très techniques, nécessitaient pour être appliquées plus de temps que les deux années qui se sont écoulées entre les deux rapports. La loi sur la transition énergétique favorisera du reste certaines évolutions. Toutefois, une de ses recommandations n’a pas du tout été mise en œuvre : celle qui portait sur le suivi de notre rapport et son actualisation… c’est pour cela que nous avons dû le faire nous-mêmes

M. Jean-Pierre Gorges. La question de la prolongation de la durée de vie des réacteurs a été traitée dans le cadre de la commission d’enquête relative aux coûts de la filière nucléaire. La première idée qui vient à l’esprit est en effet de prolonger de dix ou vingt ans la durée d’exploitation des réacteurs, qui, aux États-Unis, peut atteindre quatre-vingts ans ; il y a une exception française dans ce domaine. Je rappelle que c’est l’Autorité de sûreté nucléaire qui autorise la prolongation des réacteurs – des simulations ont d’ailleurs montré qu’un amortissement sur une période plus longue faisait chuter le coût du nucléaire. De toute façon, même si on voulait les arrêter, on ne pourrait pas.

26. Audition, ouverte à la presse, de M. François Carlier, délégué général
de l’association de consommateurs et d’usagers CLCV
(Consommation, logement et cadre de vie)

(Séance du mercredi 14 janvier 2015)

Mme Viviane Le Dissez, présidente. Nous accueillons, ce soir, M. François Carlier, délégué général et responsable du secrétariat national de l’association de consommateurs et d’usagers CLCV (Consommation, Logement et Cadre de vie).

Il est apparu utile à l’information de notre commission d’entendre une organisation telle que la vôtre. Depuis longtemps, elle porte une attention particulière à l’impact des coûts de l’énergie sur le budget des ménages. Ce thème appelle une réflexion sur la question de la précarité énergétique qui, selon de récentes études, concernerait plus de cinq millions de foyers.

Vous nous direz ce que pense CLCV de la mise en œuvre du futur chèque-énergie, notamment du problème de son éventuelle conciliation avec les tarifs sociaux de l’électricité.

Au-delà de la question de la précarité énergétique, votre organisation a interpellé les pouvoirs publics sur les modes de calcul des tarifs de l’électricité. À cet égard, vous avez officiellement saisi la Commission de régulation de l’énergie (CRE) pour obtenir les données économiques et comptables que lui transmet EDF et à partir desquelles le régulateur fonde chacun de ses avis sur l’évolution tarifaire. Il semble que vous n’ayez pas eu satisfaction. En effet, EDF considère que les données dont vous demandez communication sont protégées par le secret industriel et commercial.

Vous nous direz également en quoi le nouveau mode de fixation des tarifs de l’électricité, tel qu’il a été défini à la fin de l’année passée, constitue ou non un progrès.

Avant de vous entendre pour un bref exposé liminaire, je vous informe qu’en application de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées dans le cadre d’une commission d’enquête doivent prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous demande donc de lever la main droite et de dire : « Je le jure. ».

(M. Carlier prête serment.)

M. François Carlier, délégué général de l’association de consommateurs et d’usagers CLCV. La CLCV réunit trente et un mille adhérents, dont deux mille militants actifs, qui assurent quatre-vingt-dix mille heures de permanence, dans soixante-dix départements. Nous abordons la libéralisation des marchés de manière très pragmatique, estimant par exemple que, dans le domaine des télécoms ou du transport aérien, elle va dans le bon sens. Elle fonctionne également assez bien sur le marché du gaz, l’accès à la matière première étant « indiscriminé » selon les opérateurs. En revanche, pour ce qui concerne le marché de l’électricité, nous avons toujours été très sceptiques sur sa libéralisation dans notre pays, à cause du monopole nucléaire qui rend difficile l’établissement d’une réelle concurrence.

J’en viens aux tarifs. La méthode de régulation retenue par la CRE et consistant à aligner l’augmentation des tarifs sur l’augmentation observée des coûts supportés par EDF nous posait deux problèmes.

Le premier est lié au fait que la loi ne confère à la CRE aucun rôle normatif et que celle-ci doit se borner à constater l’évolution des coûts, sans pouvoir la contester. EDF a donc tout loisir de laisser dériver ses coûts, cette dérive étant ensuite solvabilisée par l’augmentation du tarif réglementé (TRV), ainsi que l’a montré le récent rapport de la Cour des comptes.

Le second problème touche à la manière dont la CRE évalue les coûts. Si nous considérons comme normal qu’après une période, entre 1985 et 2005, où les tarifs de l’électricité ont progressé moins vite que l’inflation, ils augmentent aujourd’hui de 2,5 ou 3 % par an, l’affectation des coûts et la manière dont elle influe sur la hausse des prix nous paraît en revanche problématique. En effet, si les coûts globaux supportés par EDF sont connus, les données concernant leur répartition entre le secteur international et la France, puis, au sein de celle-ci, entre abonnés professionnels et abonnés domestiques ne dépendent que de ce qu’EDF veut bien transmettre à la CRE. Or, en toute logique, l’opérateur aura tendance à charger au maximum les abonnés domestiques, de manière à faire évoluer en sa faveur les tarifs réglementés.

Dans la mesure donc où la CRE, pour décider de l’évolution des tarifs, se fonde sur des pièces émanant d’EDF, nous avons souhaité y avoir accès et avons fait une demande en ce sens, demande à laquelle EDF a opposé une fin de non-recevoir dans un courrier où figurait, je crois, à onze reprises le terme de « secret », y compris dans l’expression « secret stratégique », dont j’ignorais qu’elle fut une notion juridique. Ne pas avoir accès à ces données est pour nous un problème car, tout en respectant le secret commercial, nous considérons que, dans la mesure où elles déterminent l’évolution des tarifs réglementés, elles doivent être rendues publiques, à travers l’organisation d’un système d’open data. Je ne pourrais dire d’emblée où doit se situer la frontière entre secret commercial et transparence
– pourquoi ne pas s’inspirer pour cela des pratiques de l’Autorité de la concurrence ? –, mais il nous semble que cela passe par une adaptation de la loi. Si nous n’avons pas saisi la CADA, c’est en effet qu’il nous a semblé qu’en l’état actuel du droit, elle ne pourrait guère nous apporter de réponse satisfaisante.

Nous jugeons positive la refonte du mode de calcul opérée ces derniers mois, dans la mesure où elle intègre davantage de données objectives. Plutôt que les coûts d’approvisionnement déclarés par EDF, elle prend par exemple en compte l’évolution des prix du marché de gros de l’électricité, ce qui est une bonne chose dans la mesure où, ces prix étant actuellement au plus bas, il était incohérent d’augmenter de 5 % par an le tarif de l’électricité. Reste que cette refonte ne règle pas la question des coûts commerciaux, qui demeurent évalués à partir des seules déclarations d’EDF. La CRE ne peut donc faire autrement que de valider, sachant qu’in fine ils seront « solvabilisés » par la hausse des TRV. D’où la nécessité, à nos yeux, de conférer à la CRE un pouvoir normatif.

J’en viens ensuite à la responsabilité de l’État actionnaire dans cette dérive des coûts. Soyons francs : EDF, ex-monopole historique, a toujours été une entreprise « confortable » pour ses salariés. Sans y être hostiles et nullement défendre un quelconque moins-disant social, nous considérons cependant qu’une augmentation des coûts d’exploitation de l’ordre de 5 % par an n’est acceptable que si elle ne se traduit pas immédiatement par une amélioration proportionnelle de la facture présentée aux consommateurs. Il y a ici un juste milieu à trouver entre l’intérêt des salariés et celui des consommateurs.

Se pose ensuite la question des dividendes. Tandis que les entreprises du CAC40 distribuent en moyenne 40 à 50 % de leur bénéfice net à leurs actionnaires, la part du bénéfice d’EDF affectée aux dividendes est supérieure à 60 %, ce qui fait de l’État un actionnaire plus gourmand que le plus vorace des fonds de pension américains actionnaire d’un groupe privé ! Certes, les termes du débat ont un peu évolué depuis la loi sur la transition énergétique, qui prévoit qu’une partie de ces dividendes seront fléchés vers les investissements d’avenir, mais nous insistons sur la nécessité d’une équitable répartition des charges et appelons l’État à au moins aligner sa politique actionnariale sur celle des entreprises du CAC40. Cela permettrait de soustraire quelques centaines de millions d’euros aux dividendes pour financer les investissements d’EDF, sans qu’il soit besoin de toucher aux tarifs.

Mme Viviane Le Dissez, présidente. Quel regard portez-vous sur les mesures de lutte contre la précarité énergétique mises en place par la loi Brottes ?

M. François Carlier. À l’origine association de locataires HLM, l’organisation CLCV est sensible à la dynamique enclenchée contre la précarité énergétique. On sait que gens ne demandent pas toujours les prestations auxquelles ils ont droit, et la mise en place d’un dispositif d’allocation automatique est donc une bonne chose, même si, selon le Médiateur de l’énergie, nombre de personnes continuent de ne pas être couvertes. On peut regretter par ailleurs le champ relativement restreint des aides. Quant au chèque-énergie, il a l’avantage d’englober d’autres énergies, comme le fioul. Le prix du baril a certes baissé, mais la consommation reste forte, notamment parmi les ménages précaires, auxquels le chèque-énergie apportera une aide bienvenue.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure suppléante. Permettez-moi tout d’abord d’excuser la rapporteure de notre commission d’enquête, Clotilde Valter, retenue en commission spéciale pour l’examen du projet de loi sur la croissance et l’activité.

Vous vous êtes montré sceptique, voire critique, sur la manière dont EDF déclarait ses coûts. Il me semble cependant qu’il s’agit de comptes validés par des commissaires au compte. Vous dénoncez une répartition léonine de la charge de ces coûts, selon des critères dont vous contestez l’objectivité. Certains facteurs peuvent pourtant expliquer leur progression importante – je pense notamment au grand carénage pour ce qui concerne les coûts d’exploitation, ou aux certificats d’économie d’énergie en matière de coûts commerciaux. Cela m’amène à vous demander si vous seriez plus favorable à un système de fixation des prix qui repose uniquement sur le prix de marché. Celui-ci est désormais intégré dans la formule de calcul, mais l’est-il selon vous à une hauteur suffisante, et comment empêcher, le cas échéant, que le consommateur soit trop exposé aux fluctuations possibles de ces prix de marché ?

Dans le cadre de l’élaboration du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE), les gestionnaires des réseaux, les collectivités concédantes et la CRE effectuent un arbitrage entre le montant des investissements sur les réseaux et le niveau de qualité d’alimentation. L’équilibre retenu vous paraît-il adapté et le niveau d’investissement des gestionnaires de réseau est-il suffisant ? Ces investissements sont-ils concentrés sur les bons secteurs ?

La facture d’électricité n’intègre pas uniquement les coûts supportés par EDF mais également les taxes, la contribution au service public de l’électricité (CSPE) et le TURPE. Comment jugez-vous le niveau atteint aujourd’hui par la CSPE ? De quelle manière peut-on en assurer la maîtrise ?

Pour faire baisser les tarifs de l’électricité ou à tout le moins empêcher leur croissance exponentielle, sur quel segment de la facture faudrait-il agir en priorité : la CSPE, le TURPE ou encore les coûts de production ?

Les centrales à gaz censées assurer le « back-up » en période de pointe connaissent des difficultés de financement qui font craindre des défaillances lors des prochains pics de consommation. Pensez-vous que le mécanisme de capacité soit une solution adaptée ?

Êtes-vous favorable à la mise en place de dispositifs tarifaires particuliers pour les entreprises électro-intensives, comme cela se pratique en Allemagne ? De cette question dépend en effet la survie d’entreprises exposées à une forte concurrence internationale.

L’optimisation de la consommation semble aujourd’hui être un axe prometteur, que l’on a souvent évoqué dans le cadre de la loi sur la transition énergétique et la croissance verte. Que pensez-vous des compteurs intelligents ? Avez-vous des réserves sur l’utilisation des données à des fins commerciales ? Pensez-vous que l’on puisse aller vers l’effacement diffus et le pilotage à distance de la consommation ?

M. François Carlier. Ce que valident les commissaires aux comptes, ce sont les comptes globaux d’EDF. Or les tarifs réglementés dépendent des coûts affectés au parc domestique, affectation qui relève de la comptabilité analytique et n’est donc pas du ressort des commissaires aux comptes.

De nombreux exemples illustrent le fait que l’évolution des coûts dont fait état EDF est objectivement trop importante, au premier rang desquels celui des certificats d’économies d’énergie. Jusqu’à cette année, EDF valorisait ces certificats 10 euros le mégawattheure cumac, somme qu’elle affectait sur le tarif réglementé. Suite à une réclamation de notre part auprès de la CRE, le coût de ces CEE a été diminué de 30 à 40 % pour être ramené à 6 ou 7 euros le mégawattheure cumac. Or, il se trouve que CLCV a lancé auprès des particuliers « Prime cash énergie », sa propre offre de CEE, lesquels sont valorisés 3 euros, comme chez Leclerc, Auchan ou Carrefour, ce qui correspond au cours du marché des certificats d’économies d’énergie. Il est donc disproportionné qu’EDF fasse payer ces mêmes certificats 6 ou 7 euros, et nous persistons à penser que l’évolution des coûts affichée par EDF est excessive, et ce d’autant plus qu’elle génère une trop forte augmentation des tarifs.

En ce qui concerne l’empilement des coûts et le TURPE, je tiens d’abord dénoncer le fait que les collectivités locales ne puissent pas faire jouer la concurrence et qu’elles ne puissent pas retourner en régie si elles le souhaitent. On m’opposera l’argument de la péréquation tarifaire. C’est certes un argument de poids mais guère définitif, et nous persistons à juger problématique l’impuissance dans laquelle se trouvent les collectivités face à leur délégataire.

Quant à l’évolution du TURPE, il est normal que le rattrapage des investissements sur le réseau génère une augmentation des coûts et donc des tarifs. Ce que nous contestons en revanche, c’est le rendement des actifs. L’opérateur exige en effet des rendements de l’ordre de 7,5 %, ce qui n’a aucun sens dans un contexte marqué par une inflation quasi nulle et des taux extrêmement bas : je rappelle que les taux directeurs sont proches de zéro et que le rendement de l’assurance vie est inférieur à trois points. On ne peut donc plus fonctionner avec les mêmes rendements qu’il y a cinq ans. Le fait que la CRE ne veuille pas discuter de la question des rendements est pour nous problématique. Le Médiateur de l’énergie est d’ailleurs d’accord avec nous sur ce point.

La CSPE est une vaste question. Les projections indiquent une explosion financière effrayante, mais, dans la mesure où ce n’est pas pour des motifs illégitimes, il apparaît complexe de l’endiguer. Cela passe en premier lieu par la maîtrise des tarifs de soutien aux énergies renouvelables, que l’on pourra difficilement maintenir à leur niveau actuel. Mais l’on doit considérer que les énergies renouvelables sont des industries émergentes et que, s’il est justifié, à ce titre, de les soutenir, elles sont en passe d’atteindre une certaine maturité, ce qui doit permettre d’envisager une baisse des aides dont elles bénéficient.

On peut également s’interroger sur la répartition des charges entre le contribuable et le consommateur. De même que les redevances aux agences de l’eau sont aujourd’hui le seul segment dynamique de la facture d’eau, la CSPE connaît une augmentation exponentielle qui pose question : même si, pour toute une série de raisons, il est plus simple pour les pouvoirs publics de ponctionner le consommateur que le contribuable, est-ce pour autant à la CSPE de financer certaines charges ?

En ce qui concerne les industriels électro-intensifs, je noterai simplement – non sans amusement – que la CRE a bien voulu leur accorder une réduction temporaire du TURPE, au nom de la défense de la compétitivité française. Elle a fait preuve en cela d’un pragmatisme dont elle est rarement capable quand il s’agit des tarifs destinés aux particuliers. Nous comprenons parfaitement qu’il faille ainsi soutenir l’appareil industriel français dès lors néanmoins que cela ne se fait pas au détriment des usagers domestiques que nous défendons, a fortiori lorsque EDF procède déjà à une répartition inéquitable de ses coûts entre les abonnés professionnels et les abonnés particuliers.

Nous avons décidé d’adopter une attitude constructive envers le compteur intelligent. Il peut aider à la maîtrise de la consommation mais plus encore à l’écrasement de la pointe, car les usagers ont un « profil de pointe » extrêmement thermosensible, ce qui a des incidences en termes environnementaux mais aussi en termes de coûts et de tarifs. Reste la question des informations et des services qui seront fournis aux consommateurs. En Californie, où la bascule vers les compteurs intelligents a été rendue quasi obligatoire et s’est accompagnée de la fourniture de services gratuits, le taux de souscription des consommateurs est resté extrêmement faible, ce qui témoigne d’une appétence limitée pour ce type d’informations. En règle générale, la domotique énergétique ne fonctionne pas chez les particuliers, pour qui, à la différence des utilisateurs professionnels qui ont un comportement très optimisateur, les gains financiers attendus du comptage intelligent ne sont pas assez significatifs.

Nous attendons encore des opérateurs qu’ils définissent clairement les services qu’ils entendent développer. Dans la foulée de la loi sur la transition énergétique et des garanties qu’elle comporte, nous espérons, par exemple, la mise en place d’alertes à la surconsommation ou la fourniture de bilans annuels permettant de comparer ses performances de consommation aux performances moyennes réalisées dans le voisinage par des foyers équivalents – ce type de service a, pour le coup, su séduire les Californiens et leur goût de l’émulation. Quoi qu’il en soit, nous avons sur le sujet un partenariat avec l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), et nous mettons en place, en régions, quatre groupes de parole ouverts à nos adhérents.

S’agissant de la question des pointes, l’avenir est au stockage, dont dépend le développement des énergies renouvelables. C’est une chance pour la France, dont les entreprises sont plutôt bien positionnées dans ce domaine d’innovation et pour qui le stockage doit être un axe de la création d’emplois. Nous nous intéressons plus particulièrement aux procédés de stockage décentralisé, sous forme, par exemple, de piles géantes installées chez les particuliers, qu’EDF expérimente déjà dans les îles. C’est une perspective qui ouvre de nouvelles questions : les consommateurs doivent-ils être rémunérés pour le stockage ? Quel doit être le statut juridique des piles ?

Dans l’absolu, nous sommes favorables au mécanisme de capacité, même s’il pose quelques difficultés.

Quant à la question de savoir s’il faut accroître la part des prix du marché dans le calcul du TRV, il convient, avant de se la poser, de s’interroger sur la libéralisation du marché de l’électricité. Est-elle possible ? Est-elle souhaitable ? Nous sommes par ailleurs et par principe plutôt favorables à la libéralisation des marchés, mais Léon Walras, père de la théorie de l’équilibre général, aurait sans doute identifié dans l’électricité un monopole naturel auquel il convient de ne pas toucher.

Reste qu’accroître la part des prix du marché dans le calcul du TRV aurait l’avantage de l’asseoir sur des données plus objectives que celles fournies par EDF. Se pose néanmoins le problème de la variabilité des cours sur un marché qui n’a pas encore atteint la maturité du marché du pétrole ou du marché du gaz. Cette objection faite, je pense que cet accroissement va dans le sens de la libéralisation en cours et qu’il est inéluctable.

Mme Jeanine Dubié. Les opérateurs alternatifs que nous avons auditionnés pensent que les tarifs réglementés fixés artificiellement par les pouvoirs publics entravent la concurrence et sont défavorables au consommateur. Qu’en pensez-vous ?

Vous vous êtes montré assez critique envers la CRE, dont vous regrettez qu’elle n’ait pas de pouvoir normatif. Pourriez-vous nous préciser ce que vous entendez par là ?

M. François Carlier. Les associations de consommateurs ont, d’une manière générale, de bonnes relations avec les opérateurs alternatifs, qui stimulent la concurrence. La situation est un peu différente dans le secteur de l’électricité. Alors que dans les télécoms l’arrivée d’un opérateur alternatif – dont le nom commence par F – s’est traduite, au début des années 2000, par une baisse des prix et par de l’innovation, avec le Triple play, l’arrivée des opérateurs alternatifs sur le marché de l’électricité ne s’est traduite par aucune innovation notable et elle n’a pas véritablement fait évoluer les prix dans la mesure où, quoique légèrement inférieurs, leurs tarifs restent indexés sur le TRV. C’est ainsi qu’en cas de rattrapage des tarifs d’EDF, Direct Energie le répercute sur ses propres tarifs…

La contribution principale de ces opérateurs a essentiellement consisté jusqu’à présent à exploiter les failles que comportait le système avant le changement de la formule de calcul, pour lancer des recours contentieux aboutissant in fine à l’augmentation des TRV, ce qui, vous en conviendrez, présente peu d’intérêt et semble paradoxalement laisser croire qu’il faut que les prix augmentent pour que la concurrence vive ! J’insiste donc ici sur l’attitude néfaste des opérateurs alternatifs, qui ne plaide pas pour la libéralisation du marché.

En ce qui concerne le rôle de la CRE, il faudrait qu’elle puisse non seulement se prononcer sur l’évolution des coûts d’EDF mais également imposer à l’opérateur une fourchette de progression, en se fondant par exemple sur l’évolution des coûts commerciaux chez les autres opérateurs, dans le secteur de l’énergie ou des utilities. C’est ainsi que procède le régulateur britannique dans le secteur de l’eau.

Mme Viviane Le Dissez, présidente. M. Carlier, il me reste à vous remercier pour les éclairages que vous nous avez apportés.

27. Audition, ouverte à la presse, de M. Alain Bazot, président et M. Nicolas Mouchnino, chargé de mission « Énergie » de l’UFC-Que Choisir

(Séance du mercredi 14 janvier 2015)

Mme Viviane Le Dissez, présidente. Nous recevons M. Alain Bazot, président de l’organisation de consommateurs UFC-Que Choisir, et M. Nicolas Mouchnino, chargé de mission « Énergie » au sein de cette organisation.

Nous ne manquerons sans doute pas d’échanger avec vous sur les thèmes de la précarité énergétique, des tarifs sociaux de l’électricité ou encore sur les modalités de mise en œuvre du futur chèque-énergie. Aussi essentielles qu’elles soient, ces questions ne sont cependant pas les seules à retenir notre attention.

Les nouvelles modalités de fixation des tarifs de l’électricité mais aussi les approches commerciales des différents intervenants sur le marché, et en premier lieu d’EDF, représentent pour notre commission d’enquête d’autres sujets de réflexion.

Sur ces points, une initiative de l’UFC-Que Choisir mérite plus particulièrement d’être présentée. Vous avez, en effet, lancé une opération d’achats groupés de gaz destinée au grand public et baptisée « Gaz moins cher ensemble ». À ce titre, vous venez de boucler un deuxième appel d’offres auprès des distributeurs en leur soumettant un cahier des charges précis. Quelles conclusions tirez-vous de cette opération et pourquoi avez-vous choisi le gaz et non l’électricité ?

Existe-il des différences notables entre ces deux marchés, notamment en termes tarifaires, et les démarches commerciales des grands ou petits distributeurs sont-elles sensiblement différentes ? On peut s’interroger sur ces points, car on constate que GDF, comme EDF, proposent des offres mixtes – gaz et électricité – à des prix garantis sur une certaine durée et, bien entendu, sous certaines conditions contractuelles.

Nous attendons aussi de votre part, une appréciation plus générale sur la libéralisation progressive du marché de l’électricité, telle qu’elle a été conduite en France. À votre sens, cette libéralisation est-elle insuffisamment assumée ? Par rapport à des pays comparables, sommes-nous en retard pour offrir aux consommateurs une plus grande liberté de choix par les prix ?

Avant de vous céder la parole pour un exposé liminaire, je vous informe qu’en application de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées dans le cadre d’une commission d’enquête doivent prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous demande donc de lever la main droite et de dire : « Je le jure. ».

(M. Bazot et M. Mouchnino prêtent serment.)

M. Alain Bazot, président de l’UFC-Que choisir. Le prix de l’électricité est pour notre organisation un sujet de préoccupation majeure, dans la mesure où les tarifs de l’énergie arrivent dans le peloton de tête des sujets d’inquiétude cités par les consommateurs, qui constatent l’augmentation constante de leur facture, augmentation liée, d’une part, à la hausse des prix et d’autre part à l’augmentation de la consommation. La consommation d’électricité est en effet en hausse constante dans notre pays, qui est l’un des plus gros consommateurs européens ; elle a augmenté de 12 % depuis 2007 et de 63 % entre 1990 et 2012, tandis qu’elle a très nettement baissé en Allemagne ou en Belgique. Cette augmentation s’explique par la multiplication des équipements électriques, dont beaucoup comportent des systèmes de veille dont on sait qu’ils sont énergivores. Elle est aussi due à une spécificité française, à savoir la place très importante du chauffage électrique dans les logements.

Par ailleurs, les prix de l’électricité augmentent en France de manière rapide et durable, ce qui est problématique car, si la logique voudrait que le marché s’adapte à ces hausses de prix et que le consommateur diminue sa consommation, nous sommes ici face à un marché captif, puisque l’essentiel de l’électricité consommée l’est par des systèmes de chauffage qui ne se remplacent pas facilement, a fortiori quand le consommateur est locataire de son logement.

Il est vrai, cela étant, que le prix de l’électricité en France demeure parmi les moins chers d’Europe, grâce à un coût de production et à une fiscalité relativement faibles. C’est le résultat des investissements et des risques que nous avons consentis en nous dotant d’un parc nucléaire. Reste qu’il a paradoxalement augmenté de 31 % depuis 2007, date de l’ouverture du marché à la concurrence, alors que la théorie économique voudrait que la concurrence fasse baisser les prix.

C’est qu’en vérité le consommateur ne bénéficie guère d’une concurrence quasi inexistante parce que structurellement impossible. En effet, EDF, le fournisseur historique, demeure en situation de quasi-monopole avec 91 % des parts de marché alors que onze acteurs sont présents sur un marché où la captivité des consommateurs est encore plus élevée que dans le système bancaire puisque la Commission de régulation de l’énergie (CRE) évalue à 0,9 % le taux moyen de changement de fournisseurs et que huit mises en service sur dix continuent de se faire chez EDF.

Plusieurs raisons expliquent ce défaut de concurrence. En premier lieu, la méconnaissance totale qu’ont les consommateurs du marché. En second lieu, l’écart entre le tarif réglementé de vente (TRV) et les meilleures offres du marché excède rarement 3 ou 4 %, ce qui n’incite guère le consommateur à effectuer des démarches pour quitter l’opérateur historique. Enfin, certaines pratiques, comme les offres duales – gaz plus électricité – séduisent le consommateur par leur simplicité alors qu’elles sont loin d’être avantageuses économiquement.

L’approvisionnement en électricité est aux mains d’un seul acteur, EDF, qui garde la mainmise sur le nucléaire. D’où la création de cet artifice qu’est l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) par la loi NOME, en 2010. Dans la mesure où la distribution demeure une activité régulée, la concurrence ne peut s’exercer que sur la commercialisation, domaine dans lequel la marge de manœuvre des fournisseurs alternatifs demeure extrêmement faible.

C’est une différence essentielle avec le marché du gaz, sur lequel la concurrence est loin d’être parfaite mais où l’approvisionnement est ouvert : GDF, en théorie et abstraction faite de son poids économique, ne maîtrise pas plus que ses concurrents son approvisionnement en gaz puisqu’il n’est pas producteur. Le marché est donc potentiellement concurrentiel, ce qu’ont bien compris les clients professionnels, qui ont quitté en nombre ce fournisseur pour se tourner vers des offres plus intéressantes chez des fournisseurs alternatifs. Les ménages, en revanche, sont majoritairement restés chez GDF, bien que le TRV soit en moyenne 12 % plus élevé que les tarifs du marché libre, ce qui se traduit par une différence de 300 à 400 euros sur la facture annuelle. Avec, de surcroît, ce paradoxe qui veut que ce soit essentiellement GDF qui bénéficie des transferts vers le marché libre : en effet, la majorité des consommateurs, lorsqu’ils renoncent au TRV, le font pour choisir sur le marché libre les offres de GDF, pourtant infiniment plus chères que ce TRV ! Ce choix aberrant est bien la preuve qu’ils n’ont rien compris à un marché par trop complexe.

D’où notre opération « Gaz moins cher ensemble », dont la première édition, il y a un an, a rencontré un très beau succès, salué par l’Autorité de la concurrence, la CRE et d’autres institutions ou médias économiques, et a permis de faire bouger le marché. Grâce à son crédit dans l’opinion publique, l’UFC-Que Choisir a convaincu soixante-dix mille consommateurs de quitter GDF, en leur expliquant qu’il était facile et gratuit de changer d’opérateur. Ils ont ainsi bénéficié de l’offre inférieure de près de 15 % au TRV proposée par Lampiris, un opérateur français, filiale d’un groupe belge, qui a remporté notre appel d’offres.

J’insiste ici sur le fait que non seulement nous avons redonné du poids économique à la demande en faisant baisser les tarifs mais que nous avons également sécurisé l’opération en imposant au nouveau fournisseur un cahier des charges draconien et un contrat-type où ne figure évidemment aucune clause abusive. Par ailleurs, afin d’éviter, comme c’est fréquemment le cas, que le consommateur soit ballotté en cas de problème d’approvisionnement entre le fournisseur et le gestionnaire de réseau, qui se renvoient la responsabilité, nous avons également imposé que Lampiris soit le seul interlocuteur du consommateur, quitte à engager ensuite une action récursoire contre le distributeur. Enfin, l’UFC-Que Choisir s’est également engagée à fournir un accompagnement spécifique aux consommateurs en cas de litige.

Tandis que ce dispositif avait temporairement stimulé le marché, l’Autorité de la concurrence a pris la décision d’imposer à GDF d’ouvrir son fichier d’abonnés, et toutes les données – adresses, coordonnées téléphoniques, points de livraison – qu’il comportait à tout opérateur alternatif le lui demandant, ce qui, à nos yeux, fait courir un risque majeur : celui d’un démarchage intempestif assorti de pratiques commerciales abusives, comme des pratiques de désabonnement d’office. Souhaitant empêcher cette concurrence sauvage, nous avons donc relancé notre opération, avec les mêmes exigences en matière de cahier des charges. À ce jour, nous avons réuni cent cinquante mille candidats à la migration, face à deux opérateurs – GDF et Lampiris – qui procèderont très bientôt, le 20 janvier prochain, à des enchères inversées pour proposer aux consommateurs la meilleure offre, laquelle devra, au minimum, être inférieure de 12 % au TRV.

Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure suppléante. Je tiens au préalable à excuser la rapporteure de notre commission d’enquête, Clotilde Valter, retenue en commission spéciale pour l’examen du projet de loi sur la croissance et l’activité.

La facture d’électricité n’intègre pas uniquement les coûts supportés par EDF mais également les taxes, la contribution au service public de l’électricité (CSPE) et le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE). En ce qui concerne ce dernier, les gestionnaires des réseaux, les collectivités concédantes et la CRE effectuent un arbitrage entre le montant des investissements sur les réseaux et le niveau de qualité d’alimentation. L’équilibre retenu vous paraît-il adapté, et le niveau d’investissement des gestionnaires de réseau est-il suffisant ?

Que pensez-vous du montant des subventions accordées aux énergies renouvelables (EnR), par le biais de la CSPE ?

Êtes-vous favorables à un système de fixation des tarifs calé sur le prix du marché et non sur les coûts supportés par EDF ? Si oui, comment faire en sorte que les consommateurs ne soient pas trop exposés aux fluctuations du marché ?

Le chèque-énergie vous paraît-il être un outil adapté à la lutte contre la précarité énergétique ?

Sur quel segment de la facture faut-il agir en priorité pour faire baisser les tarifs de l’électricité : la CSPE, le TURPE ou les coûts de production ?

L’optimisation de la consommation semble aujourd’hui être un axe prometteur, que l’on a souvent évoqué dans le cadre de la loi sur la transition énergétique et la croissance verte. Que pensez-vous des compteurs intelligents ? Avez-vous des réserves sur l’utilisation des données à des fins commerciales ? Pensez-vous que l’on puisse aller vers l’effacement diffus et le pilotage à distance de la consommation ?

Enfin, que pensez-vous des mesures spécifiques destinées aux électro-intensifs ? De cette question dépend en effet la survie d’un certain nombre d’entreprises françaises, même si d’aucuns craignent que l’aide apportée aux industries électro-intensives ait des répercussions négatives sur les tarifs applicables aux particuliers.

M. Nicolas Mouchnino, chargé de mission « Énergie » à l’UFC-Que choisir. Les dispositifs de lutte contre la précarité énergétique en vigueur actuellement posent un certain nombre de problèmes. En effet, malgré son automaticité, le tarif social de première nécessité n’a pas permis de toucher l’ensemble des consommateurs. Par ailleurs, calculée à partir de la puissance souscrite et du nombre de personnes composant le foyer, l’aide accordée ne prend pas en compte la nature du chauffage – électrique ou non – de l’habitation, ce qui est d’autant plus problématique que les ménages précaires sont souvent locataires de logements mal isolés, extrêmement énergivores.

Si le chèque-énergie est une perspective intéressante, notamment parce qu’il est envisagé de l’étendre à toutes les énergies, il suscite néanmoins de notre part quelques interrogations, notamment au regard de son financement. Asseoir le financement du chèque-énergie sur la CSPE n’est en effet, à nos yeux, pas une solution, dans la mesure où, d’une part, cela reviendrait à faire peser sa charge sur l’ensemble des consommateurs, y compris les consommateurs précaires, et où, d’autre part, la CSPE ne tient pas compte de la capacité contributive des consommateurs mais dépend de leur consommation. Nous plaidons donc en faveur d’un système qui ne soit pas assis sur la facture d’énergie mais prenne en compte la capacité contributive des ménages – en d’autres termes, l’impôt. Nous aurions ainsi un dispositif simplifié, qui garantisse l’octroi d’une aide nette.

M. Alain Bazot. Nous sommes très critiques en ce qui concerne la généralisation à marche forcée du compteur Linky, alors que les expérimentations n’ont pas été menées à leur terme. Plutôt que d’un compteur intelligent, nous pensons qu’il s’agit d’un compteur « communiquant ». Tout l’enjeu dès lors est de savoir qui, des professionnels ou des consommateurs, doit être destinataire des informations communiquées. Dans l’esprit de la directive communautaire, cette avancée technologique devait permettre au consommateur de maîtriser sa consommation, voire de la faire baisser, grâce aux informations fournies en direct par le compteur. Or l’option retenue pour les compteurs Linky n’a pas été celle-là, et l’on a choisi de confier aux professionnels le soin de valoriser ces données. Certes, les consommateurs ont toujours la possibilité d’avoir accès en différé – via internet – à leurs statistiques de consommation, mais c’est faire fi de la fracture numérique qui demeure une réalité et ignorer que l’information a d’autant plus d’impact sur les pratiques des consommateurs qu’elle est délivrée en temps réel. Par ailleurs, en permettant ainsi aux professionnels d’utiliser les informations fournies par les compteurs Linky à des fins commerciales, en vue de proposer au consommateur des services censés l’aider à maîtriser sa consommation, on prive ce dernier de son droit à l’information. Pour dire les choses autrement : il lui faudra payer plus pour consommer moins.

M. Nicolas Mouchnino. La nouvelle méthode de calcul des TRV, fondée sur l’empilement des coûts et censée garantir la contestabilité des tarifs, pose plusieurs questions, au premier rang desquelles celle de l’ARENH. Alors que l’ARENH avait été conçu à l’origine pour couvrir les coûts du nucléaire historique, un projet de décret envisage d’y intégrer les coûts de renouvellement et de prolongation du parc nucléaire. Cela reviendrait à faire partiellement financer celui-ci par les fournisseurs alternatifs, sachant que l’ARENH est censé être une disposition transitoire et qu’après sa disparition les fournisseurs alternatifs et leurs clients seront toujours dans l’obligation d’acheter de l’électricité à EDF puisqu’ils ne disposeront pas de leur propre parc, alors même qu’ils ont déjà financé le renouvellement du parc d’EDF. Il est étrange de faire ainsi financer la création d’actifs d’EDF par des tiers, et la logique voudrait que ces investissements soient intégrés aux TRV mais sortis de l’ARENH, de manière à n’être payés que par les seuls clients d’EDF. Nous dénonçons là un vrai manque de transparence.

Il en va de même pour le TURPE. Nous nous étonnons qu’après la décision du Conseil d’État, l’article 42 du projet de loi sur la transition énergétique confirme une méthode de calcul loin d’avoir fait ses preuves. En effet, outre l’impact du TURPE sur la facture du consommateur, on peut s’interroger, au vu des coupures de plus en plus fréquentes sur le réseau, sur son efficacité : ERDF est-il suffisamment incité à investir, compte tenu notamment du rattrapage rendu indispensable par le sous-investissement des dernières années ? Alors que les besoins en investissements sont évalués à 2 milliards d’euros d’ici 2020, le TURPE 3 ne prévoyait qu’une enveloppe de 800 millions d’euros pour l’amélioration du réseau, ce qui nous laisse loin du compte et confirme que le dispositif n’est pas assez incitatif.

Quant aux coûts de commercialisation, leur calcul obéit à une méthode également sujette à caution. Auparavant estimés à partir de la couverture des coûts, ils correspondent désormais, selon le décret d’octobre 2014, aux coûts de commercialisation d’un fournisseur d’électricité « au moins aussi efficace qu’EDF ». Or, tandis qu’EDF, avec 91 % de parts de marché, n’a nul besoin d’une politique commerciale agressive et peut se contenter de gérer ses relations clientèle, ses concurrents, plus petits et obligés de démarcher leurs clients, ont donc des coûts commerciaux largement supérieurs. Nous pensons donc qu’il aurait été préférable d’adopter la méthode préconisée par l’Autorité de la concurrence, qui proposait de calculer ces coûts commerciaux à partir des coûts antérieurs, selon une trajectoire intégrant des gains de productivité.

Je signale par ailleurs que les certificats d’économie d’énergie obéissent, quant à eux, toujours à une logique de couverture des coûts, puisque l’article L.221-5 du code de l’énergie stipule que « les coûts liés à l’accomplissement des obligations s’attachant aux ventes à des clients qui bénéficient de tarifs de vente d’énergie réglementés sont pris en compte dans les évolutions tarifaires arrêtées par les ministres chargés de l’économie et de l’énergie », ce qui est d’autant plus contestable que la Cour des comptes a dénoncé le coût de gestion de ces certificats par EDF, jugé trop élevé par rapport à la concurrence. Plusieurs milliards d’euros sont ici en jeu. Ils auront nécessairement un impact sur les TRV. Nous nous interrogeons donc sur le décalage entre le décret et les dispositions contenues dans le code de l’énergie.

Sur la facture d’énergie figure également la taxe sur la consommation finale d’électricité, ou TCFE. Prélevée par les collectivités territoriales, elle est plafonnée à 9,60 euros par mégawattheure et, de fait, 90 % des collectivités appliquent le taux plafond. Or cette taxe n’est pas affectée mais abonde le budget général des communes ou des départements : nous parlons ici d’1,8 milliard d’euros prélevés sur la facture d’énergie et dont la Cour des comptes n’est pas parvenue à déterminer quelle part était réinvestie dans le réseau d’électricité. Face au mur d’investissements auquel se trouve confronté aujourd’hui le secteur de l’énergie, il serait pourtant recommandé que ces sommes soient réinvesties dans le réseau de distribution ou affectées à des projets d’efficacité énergétique permettant de faire baisser la consommation des ménages. J’ajoute qu’au manque de transparence dont souffre la TFCE s’ajoute le fait que, contrairement au principe défendu par l’UFC-Que choisir et selon lequel l’électricité doit payer l’électricité, cette taxe n’est pas assise sur la capacité contributive des ménages mais sur leur consommation d’énergie.

L’UFC-Que Choisir n’a pas de position très arrêtée sur les subventions aux EnR. Quoi qu’il en soit nous connaissons l’impact de la CSPE sur la facture énergétique du consommateur final et, là encore, nous sommes en droit de nous interroger sur la pertinence de faire peser sur les seuls consommateurs le coût d’investissements – en l’occurrence dans les EnR – qui, in fine, bénéficieront à tous. Le problème se pose en termes identiques pour les industries électro-intensives, qui bénéficient déjà d’un plafonnement de la CSPE. Nous estimons que le consommateur n’a pas à supporter seul le poids des aides qui leur sont apportées et que le soutien à leur compétitivité doit avant tout passer par une redéfinition de notre politique industrielle.

Mme la rapporteure. L’impact sur le consommateur sera important si le soutien aux activités électro-intensives est intégré la CSPE, mais ce n’est pas forcément le cas. Si on s’accorde sur la nécessité de les aider – pour certaines de ces entreprises la facture énergétique pèse près de 30 % de leurs coûts de production –, cela peut se faire par d’autres moyens, inscrits au budget général.

M. Nicolas Mouchnino. C’est à cela que je me référais en parlant de politique industrielle, et tout moyen s’inscrivant dans cette perspective est à nos yeux préférable à une ponction sur la facture qui ne tient pas compte de la faculté contributive des uns ou des autres et va donc à l’encontre des efforts faits, par ailleurs, pour trouver des solutions à la précarité énergétique.

Mme la rapporteure. Votre raisonnement est le même pour l’ensemble des dispositifs : vous privilégiez la fiscalité sur la contribution des consommateurs.

M. Nicolas Mouchnino. Tout à fait.

Mme Jeanine Dubié. Vous avez été à l’origine de la saisine de la CRE sur la séparation entre EDF et ERDF, estimant qu’EDF ponctionnait 75 % du résultat net d’ERDF au détriment de l’investissement dans le réseau, ce qui allait à l’encontre de la mission d’intérêt général d’ERDF, et donc des consommateurs. À la suite de votre saisine, la CRE a demandé aux gestionnaires, et notamment à ERDF, de distinguer leur marque de celle de leur maison-mère. Êtes-vous satisfait de cette décision ou pensez-vous que la CRE aurait pu pousser plus loin ses injonctions ?

On sait que certaines entreprises ont profité des dispositifs réglementaires et fiscaux d’encouragement au développement des énergies renouvelables comme le photovoltaïque ou les pompes à chaleur, mettant parfois les consommateurs en grande difficulté. Quelle est votre appréciation de la situation et ne pensez-vous pas qu’il conviendrait de mettre en place un système de labellisation assorti de contrôles plus stricts ?

Enfin, êtes-vous favorables à un élargissement de la CSPE à d’autres énergies, comme le gaz ou le pétrole ?

M. Alain Bazot. Nous sommes très critiques sur la politique de versement de dividendes d’EDF à l’État, qui hypothèque selon nous l’avenir de l’entreprise. Actionnaire à près de 85 % d’EDF, l’État se montre extrêmement gourmant et aspire la quasi-totalité du résultat net, soit près de 2 milliards d’euros. La conséquence de cette stratégie, c’est qu’EDF siphonne littéralement ses filiales, RTE et ERDF, cette dernière devant d’ailleurs faire ainsi remonter 75 % de son résultat ! Cela l’empêche évidemment d’investir à hauteur du rattrapage nécessaire sur les réseaux. Dans ces conditions, les préconisations de la CRE pour renforcer la séparation entre les différentes entités nous paraissent insuffisantes.

M. Nicolas Mouchnino. L’extension de la CSPE aux autres formes d’énergie permettrait de réduire la pression sur les consommateurs d’électricité ; elle pose néanmoins la question des effets de substitution, de leur nature et de leur intérêt. Il existe en effet des effets de substitution interne – entre gaz et biométhane, par exemple – ou externe. Élargir la CSPE à l’ensemble des énergies entraînerait probablement des effets de substitution externe en faveur de l’électricité, ce qui n’est pas l’objectif. En matière de mobilité, par exemple, nous ne sommes pas forcément prêts à supporter un parc conséquent de voitures électriques, ce vers quoi semble pourtant tendre la loi sur la transition énergétique. En outre, il est important de s’inscrire dans une logique de neutralité technologique et de ne pas commettre les mêmes erreurs qu’avec le diesel, artificiellement soutenu grâce à la fiscalité, avec les conséquences problématiques que l’on sait.

En laissant faire le marché, il est possible d’aboutir à d’autres effets de substitution, notamment vers le GLV ou l’hydrogène : je rappelle que le premier installateur de stations à hydrogène est aujourd’hui français et qu’il serait dommage de ne pas le favoriser.

La CSPE ne finance actuellement que les énergies renouvelables de type éolien, hydroélectrique ou solaire, mais on pourrait envisager d’y intégrer d’autres formes d’énergies alternatives aux énergies fossiles, afin de soutenir leur compétitivité. Beaucoup de pays misent aujourd’hui sur le développement du biogaz ou de l’hydrogène : ne perdons pas de temps.

M. Alain Bazot. Les dispositions prises en faveur du photovoltaïque ont en effet provoqué un effet d’aubaine dont ont profité, au détriment des consommateurs, de multiples opérateurs, qui n’étaient ni solvables ni compétents. Les banques, qui accordaient les crédits, ont, dans cette affaire, une très lourde responsabilité. Si l’on veut donc, à l’avenir, éviter la multiplication des litiges, il faut responsabiliser les financeurs. La labellisation ne peut être qu’une mesure complémentaire. Elle implique, dans un premier temps, que les professionnels soient formés et qu’ensuite soient précisément définis le degré d’exigence, les modalités de pilotage et la nature des sanctions éventuelles, autant de difficultés qui rendent sa mise en place très délicate.

M. Nicolas Mouchnino. La responsabilisation des professionnels est une problématique complexe. En matière de rénovation énergétique, par exemple, il n’est pas possible aujourd’hui d’invoquer la responsabilité d’un entrepreneur lorsque l’on conteste ses allégations de performance. Celles-ci, en effet, sont produites sur la foi des tests réalisés en laboratoire par le constructeur, et l’entrepreneur peut donc se retrancher derrière le fait que les travaux ont été effectués dans un environnement différent pour décliner toute responsabilité. D’où la nécessité de revoir l’organisation du système assurantiel en matière de rénovation énergétique.

Mme Viviane Le Dissez, présidente. Messieurs, nous vous remercions pour tous ces éclaircissements dont notre commission ne manquera pas de nourrir ses travaux.

28. Table ronde, ouverte à la presse, avec la participation des syndicats : Fédération nationale des Mines et de l’Énergie CGT : Mme Marie-Claire Cailletaud, responsable du pôle « Politique énergétique et industrielle », M. Bruno Bosquillon, Délégué syndical central d’ERDF, Mme Valérie Goncalves, responsable de la Commission « Droit à l’énergie-Précarité énergétique » et M. Serge Vidal, (Pôle « Politique énergétique et industrielle ») ; Fédération Chimie-Énergie de la CFDT : M. Dominique Bousquenaud, secrétaire général de la fédération FCE-CFDT, M. Vincent Rodet, délégué fédéral de la branche IEG, M. Philippe Lèbre, membre du bureau de la branche IEG, et M. Bernard Gérin, chargé de mission ; CFTC-CMTE (Chimie, mines, textiles, énergie) : M. Francis Orosco, président fédéral Chimie Mines Textile Énergie, M. Pierre Carrié, président secteur « Energie », Mme Isabelle Guglielmacci, représentante « EDF Commerce » et M. Pascal Prouff, animateur fédéral ; FO Énergie et Mines : M. Jacky Chorin, administrateur FO d’EDF, membre du CESE, M. Rémy Scoppa, délégué fédéral, membre du Conseil supérieur de l’Énergie et M. Yves Giquel, assistant confédéral ; CFE-CGC : M. Alexandre Grillat, secrétaire national confédéral, M. Dominique Labouré, secrétaire général adjoint de la CFE-CGC Énergies, Mme Catherine Halbwachs, déléguée fédérale de la CFE-CGC Énergies et M. Frédéric Letty, secrétaire national fédéral de la CFE-CGC Énergies

(Séance du jeudi 15 janvier 2015)

Mme Jeanine Dubié, vice-présidente de la Commission. Nous recevons aujourd’hui les représentants des principales organisations syndicales du secteur de l’électricité. Mesdames, messieurs, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation. Vos fédérations représentent principalement les intérêts matériels et moraux des personnels d’entreprise appartenant à la branche des industries électriques et gazières (IEG). Au regard du thème de cette commission d’enquête, la question de l’évolution des tarifs de l’électricité est désormais inscrite dans la perspective de la transition énergétique, l’évolution tarifaire de l’électricité comportant tout à la fois un enjeu social et un enjeu économique. Les réflexions de vos organisations sur le poids croissant des factures d’électricité dans le budget des ménages retiendront toute notre attention. Les réponses à apporter à la question cruciale de la précarité énergétique constituent également pour nous un thème essentiel de réflexion. De même, nous attendons que vous vous exprimiez sur les enjeux de compétitivité au vu des conditions d’accès des activités industrielles à l’énergie électrique.

Au cours de nos travaux, nous avons recueilli les observations de nombreux industriels électro-intensifs. Notre bilan doit cependant dépasser ce seul sujet pourtant fondamental, car d’autres activités de nature commerciale, artisanale, agricole ou encore de PME vont être confrontées, au terme de l’année 2015, à la disparition des tarifs réglementés verts et jaunes. Vous allez donc nous dire ce que vous pensez de cette étape importante de l’ouverture du marché à une plus large concurrence. Plus généralement, vous pourrez vous exprimer sur le bilan qu’il vous paraîtrait nécessaire de dresser quant au choix de notre pays pour déréguler progressivement le marché de l’électricité, un marché à tout le moins spécifique. Enfin, votre appréciation sur l’architecture du système mis en place nous intéresse tout particulièrement. Les liens entre EDF, l’opérateur historique, et ERDF ou encore RTE ne sont pas sans conséquences sur la structure des coûts de la fourniture d’électricité.

Nous allons d’abord écouter chaque organisation pour un bref exposé liminaire d’une dizaine de minutes. Puis nous engagerons un échange à partir des questions posées par les membres de la Commission.

Mais avant tout, je dois vous dire que, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, vous devez prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Veuillez lever la main droite et dire « Je le jure ».

(Les participants à la table ronde prêtent serment.)

Mme Marie-Claire Cailletaud, responsable du pôle « Politique énergétique et industrielle » (Fédération nationale des Mines et de l’Énergie CGT). Mesdames, Messieurs les députés, la CGT vous remercie de l’auditionner sur un sujet si essentiel pour les usagers et l’industrie : les tarifs de l’électricité. Notre préoccupation est que les tarifs de l’électricité garantissent à tous le droit fondamental d’accès à l’énergie et permettent la réindustrialisation de la France. Les tarifs de l’électricité doivent permettre la couverture des coûts complets. Les bénéfices générés par le secteur énergétique doivent revenir aux investissements, aux salaires et aux tarifs.

La préoccupation des pouvoirs publics doit être d’assurer le meilleur rapport qualité/prix aux usagers et de limiter l’augmentation des tarifs, qu’il s’agisse de ceux des particuliers ou des entreprises. Cette question est devenue centrale au vu de l’importance de la part de l’énergie dans les dépenses des ménages et des entreprises, et ce dans un contexte de difficultés économiques structurelles et de développement de la précarité énergétique qui touche 11 millions de nos concitoyens.

EDF assure aujourd’hui de nombreuses missions de service public – de conseil, d’accueil – en faveur des usagers. Les contraintes qui pèsent sur l’entreprise menacent cette qualité de service, au profit du commercial low cost.

Face à ce constat, la première chose à rappeler est la « désoptimisation » qu’a générée la déréglementation du secteur, imposée par l’Europe et avalisée par les gouvernements successifs, pour en faire un objet de marché. Pour faire simple, le mouvement de privatisation et la scission des entreprises historiques en entités distinctes – production, transport, distribution, commercialisation – ont rendu le système électrique moins efficace et conduit à une augmentation des tarifs. À titre d’exemple, la séparation stricte entre RTE et EDF a conduit à doublonner de nombreuses entités – comptabilité, paie, formation, recherche et développement, système informatique –, à augmenter les frais de logistique – bâtiments, serveurs informatique –, toutes choses qui aboutissent à des économies d’échelle dans tous les groupes industriels. À ce mouvement, s’est ajouté le soutien aux énergies renouvelables par le biais de tarifs de rachat qui pèsent lourdement sur la facture finale supportée par les usagers, à hauteur de 15 %.

Ces évolutions se sont faites manifestement au détriment d’une planification à l’échelle nationale, ce qui au demeurant n’est pas contradictoire avec la recherche d’une prise en compte des spécificités locales cherchant la cohérence et l’utilisation optimale des ressources. De même, la localisation des entités de production au mieux des intérêts du producteur coïncide rarement avec l’optimisation globale du système production transport. Une large part des 1,3 milliard que RTE investit chaque année sert à raccorder des moyens de production. Une meilleure insertion des moyens de production dans le réseau permettrait de réduire cette dépense.

Aujourd’hui, le tarif ne vise pas à une couverture des charges globales afin d’assurer un équilibre économique de long terme sur la base d’objectifs uniques en réponse aux besoins et au meilleur coût, définis par la puissance publique, mais constitue bien un empilement de coûts pour rémunérer les charges et le capital d’acteurs divers, dont une part privée, aux objectifs divergents, voire potentiellement contradictoires.

L’introduction dans le projet de loi de transition énergétique d’une part « marché » dans la construction des tarifs ne va pas dans le bon sens. La gabegie instituée avec la séparation entre production, transport, distribution et commercialisation, ne prendra fin qu’à la faveur de la réappropriation par le secteur public de la cohérence entre ces acteurs. Pour ne citer qu’un exemple, les barrières instaurées par les directives européennes à une coopération entre RTE et ERDF sont contre-productives.

Dans le domaine de la distribution, l’enjeu consiste à maintenir le niveau actuel d’investissement, de l’ordre de 3 milliards par an, tout en assumant les évolutions technologiques. Or dans le même temps, le distributeur voit ses charges augmenter dans des proportions significatives, soit pour répondre à de nouvelles obligations réglementaires, soit pour absorber le développement des moyens de production décentralisés, sans qu’une réflexion préalable sur la couverture de ces charges ait été menée ou que le rôle du distributeur ait été clairement réaffirmé comme central dans le pilotage du réseau ou la gestion des données.

L’équation entre l’objectif de maintien du tarif dans des limites raisonnables, d’une part, et des charges croissantes, d’autre part, est donc très délicate, qu’il s’agisse de besoins réels pour garantir une qualité de fourniture de bon niveau ou de charges nouvelles dépendant de décisions politiques.

La question de l’effacement est particulièrement illustrative de cette difficulté. La création d’un marché dans ce domaine ne servira, selon nous, qu’à augmenter les charges pour les consommateurs finaux afin de rémunérer quelques acteurs. Nous pouvons affirmer que l’intérêt du développement de ce dispositif est purement factice, puisqu’il revient pour une grande part à reporter la consommation et non à la réduire.

À la question sous-jacente du lissage de la consommation pour permettre une meilleure gestion du réseau ou de la production, nous préférons celle de l’adéquation entre le niveau de production nécessaire et l’implantation des ressources au regard des besoins et des capacités du réseau à l’absorber. Ces mécanismes ne devraient-ils pas se trouver sous le contrôle des gestionnaires de réseau pour éviter les phénomènes de niches profitables à une seule entité ?

Rappelons enfin les sommes concernées. S’agissant de la distribution, ce sont 5 milliards pour le programme Linky, 15 milliards pour l’introduction des nouvelles technologies, 3 milliards au moins par an pour les dix prochaines années afin de maintenir et renouveler le réseau existant, sans parler de diverses charges supplémentaires liées aux nouvelles obligations réglementaires – fins des tarifs verts et jaunes, colonnes montantes, fourniture de données aux collectivités locales, etc. Nous contestons la logique consistant à faire supporter au secteur régulé des charges dont l’objet ne vise que le développement du marché, alors même que celui-ci produit des effets négatifs sur tous les plans.

La précarité énergétique résulte de la combinaison de trois facteurs principaux : la vulnérabilité des ménages engendrée par la faiblesse de leurs revenus, la qualité thermique déficiente des logements, le coût de l’énergie. C’est donc sur ces trois facteurs qu’il faut agir pour éradiquer la précarité. S’agissant du coût, la CGT propose la sauvegarde des tarifs réglementés pour les usagers, au sein d’un service public de l’électricité et du gaz. Partout en Europe où les tarifs réglementés ont été supprimés, les gens ont vu leur facture s’envoler : un ménage italien paie son électricité 45 % plus cher qu’un ménage français, cette proportion est de 40 % pour un ménage belge et de 80 % pour un ménage allemand. Au final, les taxes sur la facture d’électricité représentent 34 %.

La question de la CSPE doit être étudiée. Cette taxe, payée par tous les consommateurs d’électricité, a augmenté de 330 % depuis 2010, principalement à cause des tarifs de rachat de l’énergie renouvelable, qui représentent 60 % à eux seuls. Le tarif social ne représente que 5,7 % de la CSPE. On en arrive à des aberrations, car les plus pauvres doivent aussi payer cette taxe qui sert à racheter l’électricité des plus aisés ayant installé des panneaux photovoltaïques sur leur toit. Il est vrai que le montant des aides reste notoirement insuffisant, à tel point que le montant de la CSPE que doivent payer certains usagers est plus élevé que l’aide financière perçue au titre du tarif social ! Pour autant, l’automatisation de ces aides a permis à un plus grand nombre de familles d’en bénéficier ; il conviendrait donc de les réévaluer, plutôt que de les supprimer purement et simplement.

Ainsi, nous pensons qu’il serait plus juste d’abaisser la TVA sur l’électricité à 5,5 %, au lieu de 20 % actuellement, au même titre que d’autres produits de première nécessité. Certes, la mise en place du chèque énergie peut paraître une bonne mesure puisqu’il couvrira, en plus des énergies de réseau, d’autres énergies comme le fioul, le bois, la chaleur. Mais elle s’accompagnera de la disparition des tarifs sociaux actuels, ce qui risque d’avoir des conséquences sur les actions volontaires des fournisseurs historiques dans la lutte contre la précarité énergétique. En effet, le code de l’énergie comprend une disposition spécifique au tarif de première nécessité (TPN), qui permet aux fournisseurs d’électricité d’être remboursés des subventions versées au Fonds de solidarité logement dans la limite de 20 % de toutes les charges remboursées pour le TPN ; or aujourd’hui, seuls EDF, GDF Suez et les entreprises locales de distribution contribuent au FSL, à hauteur de 40 % environ du total des aides énergie apportées par les conseils généraux. Pour la CGT, toutes les entreprises du secteur devraient contribuer à la lutte contre la précarité énergétique. Il faut donc obliger les entreprises à verser au FSL, ce qui est possible au regard des bénéfices des entreprises du secteur énergétique et des dividendes versés aux actionnaires ; c’est juste une question de répartition des richesses.

Les tarifs maîtrisés pour les activités électro-intensives sont une garantie de la localisation industrielle. Mais il est nécessaire d’apprécier l’impact réel de la baisse du prix des kilowattheures électriques et thermiques en termes d’emplois et d’activité. Si nous sommes favorables à l’examen de mécanismes permettant des tarifs spécifiques pour industrialiser notre pays, nous pensons nécessaire d’instaurer un système extrêmement encadré qui permette un engagement de l’industriel concerné, par exemple en termes d’emplois, afin que l’investissement consenti entraîne des retombées positives pour tous.

En conclusion, le politique doit assumer pleinement les conséquences de ses décisions en matière d’organisation du secteur électrique en France. En clair, l’État doit jouer son rôle – et non se comporter comme le pire actionnaire en se contentant de faire remonter des dividendes excessifs –, afin que le groupe EDF lui-même puisse jouer pleinement son rôle au service de l’intérêt général. Pour notre part, nous plaidons pour un pôle public de l’énergie capable de redonner de la cohérence et de fonctionner sur la base d’objectifs dégagés des contingences de rentabilité propres au marché. Les orientations de la loi de transition énergétique ne vont pas dans le bon sens et conduiront à une augmentation des prix. Les personnels, inquiets des incohérences des politiques menées et de leurs conséquences sur leur situation et le service rendu aux usagers et au pays, se mobiliseront le 29 janvier.

M. Dominique Bousquenaud, secrétaire général de la fédération FCE-CFDT (Fédération Chimie Énergie de la CFDT). Merci de cette audition.

Tout d’abord, nous souhaitons rappeler que la CFDT s’investit depuis plusieurs années dans une réflexion sur la transition énergétique, et qu’elle s’est impliquée dans les conférences environnementales ou dans les débats publics et citoyens organisés sur la question.

Nous voulons aussi souligner que la CFDT soutient globalement les objectifs communs du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, qui visent à réduire les émissions de gaz à effet de serre et notre consommation d’énergie, dans le respect des engagements européens et internationaux de la France.

L’efficacité énergétique et la réduction de notre consommation d’énergie sont des obligations qui ne sont pas, selon nous, synonymes de décroissance. Produire et consommer autrement est possible en s’appuyant sur l’intelligence et l’innovation. C’est aussi une occasion de développer de l’activité et des emplois pour les entreprises françaises.

Nous sommes favorables à l’élaboration d’un nouveau bouquet énergétique plus équilibré, comportant une plus grande part d’énergies renouvelables. Néanmoins, nous continuons de penser que l’objectif de réduction de la part du nucléaire à 50 % à l’horizon 2025 n’est pas tenable et qu’une cible de 60 % en 2030 serait plus réaliste et permettrait de mieux gérer les transitions industrielles et sociales.

Par ailleurs, la CFDT tient à rappeler qu’elle avait fait part de son opposition à l’ouverture à la concurrence des concessions hydrauliques et qu’elle avait demandé le retrait de ce chapitre de la loi, afin de poursuivre la concertation et rechercher des solutions alternatives à ce projet. Notre organisation prend acte des amendements des parlementaires favorisant la prolongation de certaines concessions en contrepartie d’investissements pour permettre la réalisation de travaux nécessaires pour atteindre les objectifs de la politique énergétique nationale, dans le respect des règles de l’Union européenne.

Elle regrette par ailleurs la faible place laissée au gaz dans ce projet de loi, alors qu’il a un rôle important à jouer dans la transition, d’autant qu’il peut être produit à partir de sources renouvelables et qu’il est beaucoup moins émetteur de gaz à effet de serre et de polluants que le charbon.

Enfin, la CFDT s’inquiète du financement de cette transition. Nous craignons que les ressources nécessaires ne soient pas au rendez-vous dans la durée, au risque de ne pas atteindre les objectifs qu’impose la transformation de notre modèle de croissance fondé jusqu’à présent sur une forte consommation énergétique. Elle regrette en particulier que cette loi n’ait pas permis d’avancer sur la fiscalité écologique, ni de clarifier la stratégie du gouvernement dans ce domaine.

S’agissant plus particulièrement de la problématique des prix de l’énergie, la CFDT prend en compte l’augmentation très probable de ces prix dans les années à venir. Cette évolution doit être considérée comme un signal prix et constituer une incitation à réduire la consommation d’énergie, notamment dans les secteurs du bâtiment et des transports.

La CFDT sera très attentive à la répercussion de cette hausse des prix sur les ménages, car elle risque d’accroître la précarité énergétique déjà importante en France. En effet, comme le montre une enquête récente de l’INSEE, 22 % des ménages sont en situation de vulnérabilité énergétique. Il est donc indispensable de mettre en place des dispositifs de compensation et/ou des aides afin de réduire la consommation et donc la facture énergétique des ménages les plus fragiles, qui dépensent parfois jusqu’à 20 % de leur revenu pour le chauffage et le carburant. Réduire significativement la précarité énergétique est, pour nous, un enjeu majeur. La CFDT souhaite donc que des mesures fortes soient prises pour lutter contre cette situation.

Le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte propose la mise en place d’un chèque énergie sous conditions de ressources. Pour la CFDT, cette proposition va dans le bon sens. Toutefois le débat parlementaire a soulevé de nombreuses questions essentielles, toujours en suspens. Le chèque va-t-il remplacer les tarifs sociaux existants ou viendra-t-il en complément de ceux-ci ? Comment et par qui sera-t-il distribué ? Comment être sûr de toucher tous les bénéficiaires, puisque l’on sait qu’un nombre grandissant de ménages précaires ne bénéficie pas des aides auxquelles ils peuvent prétendre ? Un fournisseur d’énergie de dernier recours sera-t-il prévu ? Qu’en sera-t-il de son financement ?

Pour sa part, la CFDT est favorable à un élargissement de la contribution au service public de l’électricité (CSPE) à toutes les énergies – gaz, fioul, réseaux de chaleur, bois –, ce qui pourrait permettre de financer ce chèque énergie. Cette question pourrait aussi être traitée dans le cadre d’une refonte globale de notre fiscalité, incluant une part de fiscalité écologique et énergétique (taxes locales, TICPE, TICGN).

La lutte contre la précarité énergétique ne peut se réduire à des mesures d’aide au paiement des factures, qui seront forcément limitées : elle implique de rénover les logements dans la durée, notamment ceux des ménages précaires et ceux qui sont reconnus comme des « passoires énergétiques ». Cette lutte nécessite aussi l’implication des propriétaires-bailleurs dans la rénovation du parc locatif et une démarche pédagogique d’incitation aux économies d’énergie auprès de la population.

Autre problématique soulevée par le renchérissement des prix de l’énergie : le soutien aux industries électro et/ou gazo-intensives, que la CFDT juge indispensable afin de garantir leur maintien sur le territoire national et de sauvegarder l’emploi. Des dispositions ont certes été prises pour réduire quelque peu la facture électrique des entreprises françaises, mais elles ne sont sans doute pas suffisantes pour garantir la compétitivité des industries concernées. Une démarche similaire devrait être mise en œuvre pour les entreprises gazo-intensives, afin de les aider à résister à la concurrence des entreprises implantées au Moyen-Orient ou aux États-Unis.

La compétitivité de l’industrie en France ne se résume pas à la question du coût du travail. Elle repose sur bon nombre de facteurs, comme la recherche et le développement ou encore la qualification des salariés. Le prix de l’énergie est un facteur essentiel pour la compétitivité et l’avenir des entreprises et de l’industrie en France. Il est indispensable que des procédés de production innovants utilisant l’électricité et le gaz continuent à être mis au point et diffusés auprès de toutes les entreprises, et donc que les moyens de la R&D dans ces domaines et ceux destinés à sa diffusion soient préservés. Je pense notamment à l’appui aux clients apporté par EDF et GDF Suez pour moderniser leur outil de production.

La fin des tarifs réglementés de vente (TRV) d’une puissance supérieure à 36 kVA, au 31 décembre 2015, et la suppression progressive des tarifs réglementés du gaz d’ici à la fin de l’année pour les sites non résidentiels consommant plus de 30 MWh vont avoir un fort impact sur l’organisation des opérateurs historiques EDF et GDF Suez, en particulier sur leurs équipes commerciales. Cela pose des questions de fond pour ces deux entreprises, en premier lieu sur leur système de tarification, mais également sur leur présence territoriale, leur capacité à développer auprès de leurs clients l’efficacité énergétique et les services associés, et les effectifs qu’ils peuvent consacrer à ces activités.

Concernant le nouveau mécanisme de soutien aux énergies renouvelables proposé dans le projet de loi, la CFDT émet un avis a priori favorable, sous réserve des modalités de mise en place de ce dispositif et de transition entre les deux systèmes (prix d’achat et complément de rémunération). Elle souligne que les effets sur les prix de l’électricité et sur la CSPE sont difficiles à appréhender à ce stade.

La CFDT est attachée au tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) qui garantit le principe de la péréquation tarifaire sur l’ensemble du territoire. Nous tenons à signaler à ce sujet que le système actuel de concession avec ERDF et les entreprises locales de distribution garantit cette péréquation et une couverture équitable du territoire national, tant en métropole que dans les zones non interconnectées.

Plus largement, la CFDT considère qu’une approche européenne de la régulation de l’énergie est nécessaire et que la tarification de l’électricité en est un élément essentiel. L’inéluctable développement des réseaux intelligents (électricité et gaz) est, selon nous, une chance pour réussir la transition énergétique. Dans ce but, ces réseaux doivent permettre de fournir au consommateur final des informations et des outils de maîtrise de ses consommations, afin de l’inciter à faire des économies d’énergie. Ils nécessitent la mise en place d’une tarification incitant à la valorisation des informations fournies. Ces réseaux intelligents vont également permettre un meilleur pilotage des effacements.

Enfin, la CFDT est favorable au développement de l’effacement, mais n’admet pas la captation de l’intérêt collectif par des affairistes. Selon nous, la rémunération et le pilotage de l’effacement relèvent du service public pris en charge par le distributeur.

M. Jacky Chorin, administrateur FO d’EDF, membre du CESE (FO Énergie et Mines). Huit ans après l’ouverture totale des marchés, chacun peut constater que les baisses de prix qui avaient été mises en avant pour justifier cette ouverture ne sont pas au rendez-vous. C’est donc un échec.

Face à une telle situation, FO Énergie et Mines, mais aussi la Confédération FO, considèrent que le prix de l’électricité en France, qui est aujourd’hui parmi les moins chers des pays européens (80 % d’écart de prix avec l’Allemagne sur les tarifs destinés aux particuliers), notamment du fait du choix nucléaire de la France, doit continuer à le rester.

Cela ne signifie pas qu’il ne doit pas y avoir d’évolutions tarifaires. En effet, sauf à courir le risque de sous-investissements, une situation qui serait néfaste pour l’ensemble des usagers, les prix ne peuvent durablement s’écarter des coûts complets. Du reste, et personne ne le conteste, nous nous situons maintenant dans une reprise conséquente des investissements. Mais nous pouvons, nous devons même, limiter ces coûts en choisissant les solutions les plus économiquement efficaces. Comment limiter ces hausses de coûts ?

Il faut d’abord noter que nous payons le coût de la « désoptimisation » du système électrique – le président Boiteux parlait ici d’un milliard d’euros par an – lié à l’ouverture des marchés. Non seulement cette ouverture n’a pas fait baisser les prix, mais elle les a augmentés. Il serait d’ailleurs intéressant que votre commission chiffre le coût de cette « désoptimisation ». En effet, à défaut de revenir, comme FO le revendique, sur une telle politique, qui illustre pourtant la faillite de l’idéologie libérale dans notre secteur, nos concitoyens ont au moins le droit à la transparence.

Nous voulons aussi souligner que le vote du projet de loi sur la transition énergétique, contre lequel nous nous mobiliserons également le 29 janvier, va accroître le coût de l’électricité du fait de plusieurs mesures. J’en citerai trois.

Il y a d’abord le plafonnement de la part du nucléaire, avec la fermeture de deux centrales en état de marche dès le couplage de Flamanville 3. Une telle fermeture « politique » aura nécessairement un impact financier sur EDF. Pour FO, c’est au contraire la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires à travers le programme Grand carénage qui représente un optimum économique mais aussi social. Faut-il rappeler ici que le nucléaire est la troisième filière industrielle française et que le Comité stratégique de la filière nucléaire (CSFN) estime à 100 000 les embauches nécessaires d’ici à 2020 pour faire face aux départs en retraite ?

Il y a ensuite les dispositions sur l’hydraulique. Mettre en concurrence les concessions hydrauliques, fût-ce par vallée, impliquera une « désoptimisation » supplémentaire du système électrique directement liée à cette fragmentation. Les barrages ne sont, en effet, pas seulement un outil de production d’électricité ; ils sont aussi l’un des rares moyens de stockage efficace. Qui peut ici prétendre que cette « désoptimisation » n’aura aucune conséquence sur les prix ?

Il y a enfin la question du financement des énergies renouvelables intermittentes, aujourd’hui financées par la CSPE, c’est-à-dire par l’ensemble des usagers. Les chiffres sont là. Ils ont été rappelés par plusieurs des personnes auditionnées, notamment les représentants de l’Union française de l’électricité (UFE). La part des taxes incluant la CSPE dans la facture d’électricité est passée en dix ans de 18 % à 34 %, alors que, dans le même temps, la part énergie a diminué de 40 à 36 % et celle des réseaux de 39 à 30 %. Ce qui a tiré l’augmentation des tarifs de la dernière période, c’est donc principalement la CSPE et, au sein de celle-ci, le financement des énergies renouvelables.

Mais si l’on se projette dans l’avenir, les impacts potentiels sont encore plus lourds. En effet, le projet de loi fixe un objectif de 32 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique en 2030, chiffre que l’exposé des motifs décline en 40 % pour la seule électricité, ce qui inclut des développements tels que l’éolien offshore particulièrement coûteux. À cela s’ajoutent des charges contestées par la quasi-totalité des acteurs lors du dernier Conseil supérieur de l’énergie, à savoir les mesures envisagées pour aider un opérateur d’effacement diffus.

De ce point de vue, ce n’est certainement pas la création d’un comité de gestion de la CSPE qui va faire baisser la facture. Il est d’ailleurs inquiétant que l’étude d’impact du projet de loi ne donne aucune indication en la matière. Sans doute parce que cette augmentation de facture annoncée sera difficilement soutenable pour nos concitoyens ... Certes, le projet de loi de transition énergétique veut modifier ces règles, mais certaines des personnes auditionnées, comme le président de l’ADEME, Bruno Léchevin, disent que le système de « complément de rémunération » peut encore augmenter la facture.

La question est donc posée : est-ce aux seuls usagers de l’électricité, y compris les plus démunis, de payer pour le développement de ces énergies ?

Plus fondamentalement, dans la mesure où la Cour des comptes elle-même considère que la CSPE est un quasi-impôt, cette politique publique ne doit-elle pas être financée par l’impôt ? C’est en tout cas ce que nous pensons à FO.

Le second axe de notre réflexion porte sur la nécessité de tirer les conséquences du fait que l’électricité est un bien de première nécessité et un service public essentiel. Cela peut évidemment amener à s’interroger sur les impôts pesant sur l’électricité. Appliquer un taux de TVA de 20 % sur la consommation d’électricité et de gaz, y compris sur la CSPE dont on a dit que c’était déjà un quasi-impôt, c’est-à-dire faire un impôt sur un impôt, c’est nier ce caractère vital. Pour notre part, nous demandons l’application d’une TVA à 5,5 %.

Dire que l’électricité est un service public implique, pour nous, le maintien des tarifs réglementés et de la péréquation des tarifs. Nous n’ignorons pas, cependant, que cette égalité des usagers est contestée par un certain nombre de forces qui prônent le retour à une logique de décentralisation, qui prévalait avant-guerre. Pour FO, la défense de la péréquation est fondamentale.

Dire que l’électricité est un service essentiel, c’est aussi permettre aux usagers les plus démunis de pouvoir payer leurs factures. FO Énergie et la Confédération FO sont attachées aux tarifs sociaux de l’électricité, mais aussi à leur nécessaire revalorisation car leur montant reste insuffisant. Si l’on doit basculer vers un chèque énergie, qui a l’avantage de traiter toutes les énergies de la même façon, la condition pour nous est qu’il n’y ait pas de recul pour les usagers de l’électricité.

Souligner le caractère essentiel de l’électricité implique également de prendre en compte les risques de délocalisation des industries électro-intensives. Mais soyons clairs. Le droit européen actuel laisse des marges limitées en la matière – sauf à le changer, ce que nous prônons ! Et nous sommes opposés aux mécanismes envisagés selon lesquels des électro-intensifs pourraient entrer dans le capital de SEM hydrauliques, car, comme nous l’avons dit, la création de ces SEM reviendrait à augmenter la facture des autres usagers.

Enfin, nous voulons dire un mot sur les dividendes versés par le groupe EDF. FO fait partie de ceux qui se sont opposés à la mise en Bourse d’EDF, compte tenu du caractère particulier de l’électricité. Aujourd’hui, nous constatons que l’État exige des dividendes très élevés et n’accompagne pas cette reprise nécessaire des investissements d’EDF. Ces injonctions paradoxales dont est victime EDF, à laquelle on demande d’être à la fois un service public exemplaire et un contributeur de dividendes les plus élevés, ne sont pas tenables.

Tels sont les premiers éléments de réflexion que nous souhaitons mettre en débat.

M. Francis Orosco, président fédéral Chimie Mines Textile Énergie (CFTC-CMTE). La Fédération CFTC-CMTE vous remercie de nous permettre de débattre sur le prix de l’énergie et la transition énergétique.

Notre préoccupation est le maintien du pouvoir d’achat de nos concitoyens et la sauvegarde des industries et des emplois dans notre pays. La déréglementation du tarif de l’énergie nous inquiète, car elle risque de jeter un grand nombre de familles dans la précarité, de remettre en cause le fonctionnement de nos industries, et de supprimer des emplois. Pour vous l’expliquer, je laisse la parole à mes collaborateurs.

M. Pascal Prouff, animateur fédéral (CFTC-CMTE). L’énergie et donc son coût sont au cœur des préoccupations de tous les Français et des entreprises françaises, particulièrement les plus fragilisés. L’électricité est un bien commun de première nécessité, sur lequel chacun doit pouvoir compter sereinement pour ses besoins essentiels, qui que l’on soit, où que l’on se trouve sur le territoire, en zone rurale, urbaine, ou sur une île.

Son coût doit prendre en compte la réalité de la situation économique des consommateurs – particuliers comme entreprises –, afin de proposer un service fiable, à un prix acceptable et stable, bref sécurisant. Il doit également prendre en compte les investissements stratégiques d’avenir pour les approvisionnements, ainsi que la sécurité des Français.

Les nouvelles technologies, comme les réseaux intelligents, et les énergies renouvelables impacteront également le coût de l’énergie électrique, sans que l’on puisse réellement imaginer ce que sera la portée des innovations dans dix ans, tant les possibilités offertes par les réseaux intelligents sont grandes. À ce moment de la réflexion, nous insistons sur le potentiel de gain d’emplois, dégagé par ces innovations, aussi bien en interne qu’en externe. Naturellement, le coût prend également en compte la production, le transport, la distribution, la commercialisation, les taxes. La loi sur la transition énergétique sera là pour nous rappeler que tout a un prix.

Les collectivités territoriales sont attentives au respect des engagements de service public de nos entreprises du secteur de l’électricité. Elles contribuent avec ERDF, sous l’égide du représentant de l’État en région, ainsi qu’au conseil de surveillance d’ERDF, à tirer le bilan des actions entreprises dans la gestion des réseaux, et s’associent à la définition des choix d’investissement pour l’avenir. Les collectivités territoriales constatent souvent l’efficacité d’ERDF lors d’événements climatiques exceptionnels.

Les tarifs réglementés, étroitement liés au principe de service public, ainsi qu’à la péréquation tarifaire, permettent aux Français de bénéficier d’une égalité de traitement, d’une sécurité d’approvisionnement et d’une certaine stabilité de l’offre, ce qui forme un bien commun. Ces fondamentaux sont essentiels pour la CFTC. Ils offrent en outre une protection aux particuliers, laquelle doit aussi pouvoir bénéficier au tissu des entreprises porteuses d’emplois, mais fragilisées par le contexte économique.

Par le passé, le coût de l’énergie électrique a été bien maîtrisé – la comparaison avec nos voisins européens ne nous fait pas rougir –, grâce aux choix politiques de l’époque sur le nucléaire, ainsi que la performance industrielle de nos entreprises intégrées.

La concurrence entre secteurs d’énergie – le bois, le fuel, le gaz – a toujours existé. L’ouverture du marché de l’électricité a introduit encore plus de concurrence, ce qui a conduit à la multiplication des acteurs au sein d’un même domaine d’énergie. Selon nous, multiplicité d’acteurs n’est pas forcément synonyme de performance économique et même industrielle. Le marché sera-t-il en capacité de répondre aux enjeux du dérèglement climatique ?

Mme Isabelle Guglielmacci, représentante EDF commerce (CFTC-CMTE). Nous sommes attachés à la péréquation tarifaire, et considérons la CSPE comme un impôt. Si le gouvernement n’y prend pas garde, une envolée des prix est à craindre.

En outre, alors que les régions sont lâchées par l’État, on peut craindre une augmentation du taux des taxes départementales et communales.

M. Francis Orosco. L’un des enjeux aujourd’hui est le maintien des électro-intensifs, mais la marge de manœuvre est très limitée du fait de la législation européenne. La construction de l’EPR a pris énormément de retard ; le groupement Exeltium a du mal à faire remonter des fonds. La solution avancée est l’entrée d’EDF au capital de l’usine Saint-Jean-de-Maurienne, pour assurer au repreneur allemand Trimet des prix compétitifs. Un avenant au contrat entre EDF et Exeltium a été signé au mois de novembre – il est vrai qu’un prix entre 45 et 50 euros le MWh plombe les établissements.

Nos politiques souhaitent-ils conserver et développer une industrie en France ? Ou veulent-ils s’orienter vers une législation européenne qui nous empêcherait de développer cette industrie ?

L’adossement à l’hydroélectrique pour les électro-intensifs est une des solutions, mais nous ne sommes pas forcément favorables à l’ouverture du marché des concessions. Nous pensons plutôt qu’un partenariat avec les opérateurs des électro-intensifs est une voie à explorer.

M. Alexandre Grillat, secrétaire national confédéral (CFE-CGC). Merci de nous permettre de nous exprimer.

Pour la CFE-CGC, les tarifs de l’électricité renvoient avant tout à la question du financement du système électrique et des investissements nécessaires au système électrique. L’électricité est un bien très spécifique, car non stockable, et elle constitue un bien essentiel pour la société. Le financement du système électrique par la logique tarifaire renvoie à quatre enjeux.

D’abord, dans la mesure où les investissements dans le système électrique sont essentiels pour assurer la sécurité de l’approvisionnement électrique du pays, il faut que les tarifs permettent d’investir pour assurer cette sécurité d’approvisionnement.

Ensuite, le système électrique étant au cœur de la compétitivité énergétique du pays, les choix de l’État en matière de politique tarifaire doivent être guidés par une logique de long terme.

En outre, le financement du système électrique pose la question des emplois, non seulement les emplois des opérateurs du système électrique, ce qui nécessite de financer le renouvellement des compétences afin d’assurer la qualité du service public, mais encore les emplois du tissu industriel, qu’il s’agisse des fournisseurs, des sous-traitants ou des entreprises du BTP.

Enfin, alors que le gouvernement souhaite relancer l’industrie, le financement du système électrique pose la question des nouvelles filières industrielles sur lesquelles la France aura une longueur d’avance dans la compétition mondiale. La France a été championne dans le secteur de l’électricité, elle l’est toujours et le sera demain, mais à la condition d’être exemplaire en matière d’investissements. Car si elle n’a pas les moyens d’investir dans les réseaux électriques intelligents, comment pourrait-elle être crédible à l’international ? Si elle n’est pas en mesure de financer les investissements de ses outils nucléaires, comment sera-t-elle crédible à l’exportation ? Ainsi, les investissements dans le système électrique français, via les tarifs de l’électricité, sont essentiels pour la crédibilité industrielle de la France à l’international.

Lors d’une précédente audition, le 17 septembre dernier, nous avons déjà souligné qu’une gestion intelligente des consommations énergétiques, qu’elles soient passives ou actives, doit être au cœur de la transition énergétique. De notre point de vue, le signal prix est essentiel à la réussite de la transition énergétique, à la fois pour investir et pour progresser vers des modes de consommation plus vertueux et plus sobres. Le tarif est un signal économique visant à maîtriser la demande d’électricité, mais aussi et surtout à inciter l’investissement. Comme le dit le président Boiteux, les tarifs sont là pour dire les coûts, ni plus ni moins.

Gardons à l’esprit que l’électricité repose sur des infrastructures, lesquelles sont essentielles à la souveraineté du pays. Par conséquent, la logique tarifaire doit s’inscrire dans la nécessaire couverture des coûts pour financer les investissements des infrastructures. Le nouveau président de la Commission européenne ne s’y est pas trompé avec son plan d’investissements de 300 milliards. Aussi la France, qui se veut moteur dans la construction européenne, doit-elle se placer, elle aussi, au cœur de la relance de l’économie par l’investissement, en particulier au profit des infrastructures électriques.

Contrairement à ce que certains tentent de faire croire depuis quinze ans, le prix de marché ne peut en aucun cas être considéré comme une référence économique pertinente. Deux exemples vont illustrer mon propos.

À la fin des années quatre-vingt-dix, un pays, de l’autre côté de la Manche, a laissé le prix de marché comme seul « driver » de la rémunération des gestionnaires d’infrastructure électrique, British Energy en tête. Or avec un prix de marché de l’ordre de 10 livres par mégawattheure, British Energy a été acculée à la faillite. Autrement dit, le prix de marché n’a pas permis la couverture des coûts sur une infrastructure comme le sont les centrales nucléaires. On le voit : prendre le prix de marché comme référence pour le système électrique peut nous mener droit à la catastrophe.

Aujourd’hui, le système électrique européen est totalement déstructuré entre, d’un côté, des moyens de production classiques – nucléaires, hydrauliques, thermiques et autres –, obéissant à la couverture des coûts, et, de l’autre, les énergies renouvelables qui, elles, sont subventionnées. Or la coexistence entre ces moyens de production qui suivent des logiques économiques complètement différentes aboutit à des prix de marché qui ne veulent plus rien dire. Ainsi, considérer que les prix de marché en Europe peuvent constituer une référence dans l’appréciation du niveau des tarifs pour le système électrique français nous amènera, encore une fois, à la catastrophe.

Au temps où EDF était un EPIC en situation de monopole, les tarifs disaient les coûts : le principe de couverture des coûts était assuré par la construction tarifaire bâtie par Marcel Boiteux. Or deux événements ont fait diverger l’opérateur de cette logique originelle.

D’abord, la décision prise dans les années quatre-vingt-dix de baisser les tarifs de 14 % en trois ans, alors que les coûts eux ne baissaient pas de 14 %, a conduit à politiser les tarifs. Cela a abouti progressivement à des tarifs qui n’ont quasiment plus évolué en structure et en niveau sur la part production transport distribution, tandis que la part des taxes, elle, a explosé. Les tarifs ont donc augmenté pour les Français, mais ils n’ont pas du tout augmenté pour financer les investissements. Cela explique les avaries sur les rotors au sein du parc nucléaire au début des années 2000, EDF ayant dû reporter des investissements du fait de la non-couverture des coûts donc du fait de tarifs qui n’avaient pas augmenté. En définitive, les erreurs de politique tarifaire se paient toujours cash en termes industriels et de qualité du service public.

Ensuite, l’État ayant décidé de mettre EDF en Bourse en 2005, il a pris le parti que cette entreprise devait rémunérer le capital comme une entreprise privée. Au temps de l’EPIC, EDF versait 200 à 300 millions d’euros de dividendes chaque année ; une fois entrée en Bourse, EDF a dû verser entre 2 et 2,4 milliards de dividendes par an, ce montant étant toujours d’actualité. Or après 2004, le modèle tarifaire n’a pas évolué, si bien que le niveau des recettes d’EDF n’a lui-même pas évolué pour permettre le paiement de l’augmentation sensible des dividendes versés à l’État. Autrement dit, mettre en Bourse un EPIC sans en changer le modèle tarifaire a abouti progressivement à un problème, qui est que les tarifs ne permettent pas de financer les investissements, à commencer par le mur d’investissements que nous avons devant nous.

En effet, au cours des deux prochaines décennies, il faudra investir lourdement dans le parc nucléaire, et ce quels que soient les choix qui seront faits en termes de mix énergétique. Dans les réseaux de distribution, il faut maintenir la qualité, en urbain et en rural, et il faut investir pour intégrer les énergies renouvelables qui coûtent très cher en termes d’adaptation au réseau et de transport. Par conséquent, si l’évolution tarifaire ne permet pas de financer ce mur d’investissements, nous irons au-devant de graves problèmes en termes de sûreté du système électrique.

Comme l’a dit Jacky Chorin, limiter la hausse des coûts du système électrique nécessite d’aborder l’ensemble de la structure composant le tarif réglementé de vente. Mais il y a tarif et tarif ! Pour le consommateur et l’industriel, le tarif est celui qui figure sur sa facture ; pour les opérateurs du système électrique, le tarif est celui qui reste une fois soustraites toutes les taxes et la CSPE, c’est-à-dire la part TURPE et la part P+C, lesquelles permettent l’investissement. Si l’on veut financer le mur d’investissements que nous avons devant nous, il faut travailler sur les autres termes, c’est-à-dire la CSPE, dont la mise en place sans pilotage ces dernières années a abouti à un déficit croissant, qui continuera de croître bien au-delà de 2020 aux dires de la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Or la CSPE pose la question du financement des énergies renouvelables, pour lesquelles le projet de loi de transition énergétique prévoit d’accélérer le développement. On peut donc s’attendre à un poids croissant de la CSPE sur la structure tarifaire. De la même manière, si la rémunération de l’effacement passe par la CSPE, alors que de multiples acteurs jugent que le modèle proposé par certains opérateurs n’est pas forcément le plus pertinent, un facteur supplémentaire pèsera sur la structure tarifaire.

Le deuxième élément est la TVA. Le choix de l’État de faire porter sur la facture d’électricité une TVA à 20 % entraîne une conséquence immédiate sur la facture payée par les Français. De notre point de vue, l’État doit assumer ses choix : s’il considère que le pouvoir d’achat des Français est au cœur de ses préoccupations, il doit baisser la TVA à 5,5 %, sachant que l’électricité est un bien essentiel.

Enfin, se pose aussi la question des dividendes que l’État, en tant qu’actionnaire, exige à l’entreprise EDF, en s’appuyant sur le fait qu’elle est cotée en Bourse, alors qu’en tant que régulateur politique, il considère que les tarifs ne doivent pas augmenter. Aujourd’hui, c’est l’opérateur électrique qui essaie de gérer cette incohérence de l’État entre Bercy et l’Hôtel de Roquelaure. Une politique tarifaire cohérente et durable nécessite que l’État soit lui-même cohérent dans ses choix tarifaires. Si l’on veut que l’augmentation des tarifs serve au financement du mur d’investissements nécessaire au système électrique, il faut clairement poser la question de la rémunération du capital de l’opérateur EDF. Revenir au modèle antérieur de rémunération du capital pose la question de la sortie d’EDF de la Bourse. La CFE-CGC propose d’aligner le modèle de rémunération du capital d’EDF sur les objectifs de service public, en transformant l’entreprise cotée en un modèle plus participatif et mutualiste qui permette une régulation des dividendes. Car si l’État veut réguler les tarifs réglementés, les dividendes eux-mêmes doivent être régulés : c’est cette cohérence que nous appelons de nos vœux.

Dernier point : il est certes louable de vouloir faire bénéficier les industries électro-intensives de tarifs compétitifs, mais la question fondamentale est celle de l’impact réel du coût de l’électricité sur les coûts de production de chaque électro-intensif. Ce ne sont pas les prix de l’électricité qui posent problème à l’industrie chimique européenne, c’est la révolution du gaz de schiste aux États-Unis, facteur de compétitivité à l’industrie chimique américaine. Il faut aussi se demander si le prix de l’électricité est aussi important pour la compétitivité de ces entreprises au regard de la parité euro /dollar. En clair, ne faisons pas porter au tarif de l’électricité l’absence de choix politique sur la parité euro/dollar ! Les principaux clients de l’usine de Saint-Jean-de-Maurienne sont ERDF et RTE par les câbles. Bref, posons sur la table tous les termes de l’équation avant de vouloir traiter la question des électro-intensifs par les tarifs de l’électricité.

En conclusion, la CFE-CGC pense que le tarif doit conserver son rôle de signal économique, et donc de couverture des coûts, et ne doit pas porter d’autres objectifs. Les autres objectifs relevant de choix politiques – précarité, électro-intensif, financement des ENR – doivent être portés par l’impôt. Enfin, si l’on veut que les tarifs de l’électricité soient viables et permettent de répondre à tous les enjeux que j’ai soulignés, l’État doit faire des choix et – dans toutes ses composantes – assumer l’ensemble des conséquences de ses choix.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Avant toute chose, je vous transmets les excuses de Mme la rapporteure, Clotilde Valter qui se trouve retenue en commission spéciale pour l’examen du projet de loi sur la croissance et l’activité.

Lors des auditions précédentes, le calcul des coûts a fait l’objet de positions sceptiques, voire critiques, de la part de certaines personnes auditionnées. Seriez-vous favorables à un système qui soit davantage calé sur le prix du marché, et non sur les coûts ? Et si oui, comment gérer les fluctuations, parfois brutales, susceptibles de peser sur les consommateurs ?

Les électro-intensifs constituent un sujet préoccupant pour nous tous, car certaines entreprises sont en danger. Vous appelez de vos vœux des solutions, mais qui financera les mesures spécifiques ? L’Allemagne a mis en place des dispositifs beaucoup plus favorables aux entreprises : seriez-vous favorables à des dispositifs similaires en France ? Vous souhaitez que soit revue la composition des coûts de l’énergie ; or quelques entreprises en France supportent un coût de l’électricité qui représente plus de 30 % de leurs charges et il ne faut pas considérer toutes les entreprises françaises comme électro-intensives.

Vous avez souligné que les consommateurs paieront l’évolution de la CSPE, qui risque d’être importante au regard du développement des ENR. Or le texte de loi prévoit un système de rémunération différent, qui ne pèsera pas uniquement sur la CSPE. Vous n’en avez pas vraiment parlé. Que pensez-vous de ce nouveau complément de rémunération ?

Concernant l’hydroélectricité, un long chemin a été parcouru depuis la décision de 2010. Vous ne le rappelez pas souvent. Certes, tout n’est pas parfait, mais prétendre que ce projet de loi s’oriente vers une libéralisation des concessions hydroélectriques est excessif, voire restrictif, car il offre diverses possibilités pour répondre aux spécificités des vallées – un intervenant a d’ailleurs salué la cohérence des chaînes, qui n’existait pas auparavant. Nous avons introduit plusieurs dispositifs qui peuvent répondre à chaque vallée, notamment la prolongation sous condition de travaux. Personne ne comprendrait que l’on puisse prolonger sans des investissements ou des créations d’emploi en contrepartie. Cette solution pourrait satisfaire l’ensemble d’entre vous. En outre, la méthode des barycentres, calcul compliqué sur les différentes échéances dans les vallées, apporte une visibilité à long terme pour nombre d’entre elles. Ces deux dispositifs, pour peu que les exploitants aient la volonté de s’engager vers une optimisation de leur parc, peuvent convenir à l’essentiel des concessions françaises. Restent les quelques secteurs où nous avons envisagé de créer des SEM, auxquelles vous n’êtes pas favorables, mais qui impliqueront les collectivités, sans libéralisation totale du marché.

Pour finir, j’aimerais avoir votre avis sur la rémunération de l’effacement diffus, ainsi que sur celle de l’effacement des particuliers une fois les compteurs intelligents installés.

M. Francis Orosco. Contrairement à ce qu’a indiqué notre collègue de la CFE-CGC, l’usine de Saint-Jean-de-Maurienne ne fabrique pas pour EDF et consorts, elle fabrique pour Pirelli et Safran qui, eux, sont les clients d’EDF.

Concernant les activités électro-intensives, le dispositif mis en place par l’Allemagne est peut-être une solution, mais il sera difficilement applicable en France en raison des différents verrous existants. Le parc nucléaire et le parc hydraulique ont toujours servi à alimenter ces entreprises, grands groupes industriels comme PME-PMI. Cela étant dit, prendre ce qui est bon en Allemagne pour l’appliquer en France peut nous aider.

Madame Battistel, vous avez raison de rappeler les progrès enregistrés depuis 2010 pour l’énergie hydroélectrique. Certes, nous ne le faisons pas, mais c’est que nous plaçons la barre très haut, ce qui nous amène à être très revendicatifs !

Mme Marie-Claire Cailletaud. Nous sommes défavorables à la proposition de caler les tarifs sur les prix du marché. La disposition du projet de loi de transition énergétique consistant à introduire une part de marché dans le calcul des tarifs n’est qu’un calcul à court terme, car si les tarifs du marché de gros sont actuellement bas, ils exploseront dès que le marché repartira à la hausse.

Concernant les électro-intensifs, nous sommes favorables à un système permettant des tarifs plus bas. On est tout à fait capable d’imaginer un système, comme ce fut le cas pour Péchiney ou comme cela existe aujourd’hui au Canada, avec un tarif préférentiel accordé aux électro-intensifs, ce qui créera un cercle vertueux grâce aux retombées en termes d’emplois et de compétitivité au bénéfice de la collectivité.

Nous avons critiqué la CSPE, et je ne suis pas certaine que le complément de rémunération envisagé dans la loi résoudra le problème. Nous sommes favorables aux énergies renouvelables, mais en termes de filières industrielles, c’est-à-dire en passant par la recherche, avant de les incorporer au mix énergétique au fur et à mesure de la maturation technologique. Aussi la façon d’envisager le développement des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique est-elle, à notre avis, complètement à revoir.

Sur l’hydroélectricité, nous sommes totalement en désaccord avec votre propos, madame. Le projet de loi créera une « désoptimisation » supplémentaire du système énergétique et électrique. L’hydroélectricité permet de produire de l’électricité à bas coût, sans émission de CO2. Il est donc paradoxal de vouloir être vertueux en matière de gaz à effet de serre et de s’attaquer dans la loi de transition énergétique à la production d’énergie sans émission de gaz à effet de serre !

Vous l’avez compris : les dispositions de la loi ne nous conviennent pas du tout. Elles vont entraîner une augmentation des tarifs. Au surplus, la question sociale et l’avenir des personnels n’ont pas été envisagés. Enfin, les exploitants pourront, certes, avoir la volonté de maintenir un service public, mais ceux qui arriveront au moment de l’ouverture à la concurrence des barrages hydrauliques ne l’auront pas forcément.

M. Serge Vidal, pôle « politique énergétique et industrielle » (Fédération nationale des Mines et de l’Énergie CGT). Vous l’avez compris : nous ne sommes pas favorables à l’alignement sur les prix du marché, d’autant que ces derniers sont totalement aberrants car « hyper subventionnés ». Selon nous, il faut tout mettre sur la table, en mettant en place, comme nous le demandons, une commission paritaire sur la question des coûts afin de faire toute la transparence. Car on se réfère beaucoup à la Cour des comptes, mais un tiers de son évaluation n’est pas documenté. La CRE a défini des marges importantes, de 10 % par an. Nous vous avons alertés qu’en cas de non-couverture des coûts, la variable d’ajustement risque d’être le personnel, dont une partie de l’activité est déjà externalisée, avec des statuts dégradés.

Il faut donc couvrir les coûts, mais aussi faire le bilan des gâchis – je ne referai pas l’historique. Enfin, il faut examiner la relation de l’État avec EDF au regard des dividendes et de l’endettement.

M. Vincent Rodet, délégué fédéral de la branche IEG (Fédération Chimie Énergie de la CFDT). Nous ne sommes pas favorables à l’adossement du calcul des coûts sur le prix du marché, car ce dernier est beaucoup trop erratique. Comme Alexandre Grillat l’a rappelé, à partir du moment où dans un marché cohabitent des outils de production historiques et des outils de production intermittents bénéficiant d’aides massives, le prix du marché n’est pas stabilisé, il est parfois même négatif. En cas de vent et de soleil en Allemagne, les pays frontaliers sont confrontés à des prix négatifs. Actuellement, les conditions ne sont absolument pas réunies pour une référence sur le prix de marché. Les tarifs doivent couvrir les coûts, et ces coûts doivent être élaborés dans la transparence si on entend dépassionner la question des évolutions tarifaires en France.

Il ne serait pas illogique de concevoir un coût raisonnable d’accès au réseau pour les industries électro-intensives, car ils ont comme caractéristique une certaine prévisibilité dans leur usage du réseau. Au surplus, lorsqu’un électro-intensif s’efface, cela soulage la pointe. Bien évidemment, une politique énergétique européenne est nécessaire.

La CFDT conçoit la nécessité d’aider les filières émergentes. Le soutien à la filière ENR offshore va mobiliser des sommes considérables, ce qui suppose des filières industrielles associées et, bien sûr, implantées dans le pays qui accorde cet argent public. Les ENR bénéficient en outre d’une priorité d’injection sur les réseaux. Cela fait beaucoup d’avantages ! Enfin, le projet de loi prévoit de revoir la stratégie énergétique tous les cinq ans, ce qui est une bonne chose, car personne ne peut prétendre connaitre ce qui se passera dans quinze ans.

Mme la vice-présidente Jeanine Dubié. Pour les électro-intensifs, l’électricité n’est pas substituable dans leur processus de fabrication, et la concurrence est mondiale et pas seulement européenne.

M. Alexandre Grillat. Nous sommes très attachés à la couverture des coûts. Les Anglais sont assez pragmatiques : ils considèrent que le prix de marché n’est pas la référence et, pour le développement des nouveaux actifs électriques dans leur pays, notamment ENR et nucléaire, ils passent par la logique tarifaire de couverture des coûts. Ainsi, le prix de marché n’est plus la Bible des Anglais. Je souhaite que la France se montre aussi pragmatique en faisant coller la logique tarifaire à la logique de couverture des coûts.

Ce qui s’est passé pour British Energy a montré que le fait d’exposer un opérateur d’infrastructure électrique au seul prix de marché conduit à la faillite : ce prix de marché n’avait aucune pertinence économique vis-à-vis des coûts puisqu’il dépendait d’autres facteurs. C’est ce que vit depuis plusieurs années l’Europe où le prix de marché n’est en rien lié à l’économie du système électrique européen. De la même manière, la logique libérale et de prix de marché dans les années quatre-vingt-dix a conduit à des risques de black-out en Californie.

Ainsi, on ne peut pas jouer avec la structure tarifaire en y intégrant la logique de prix de marché quand celui-ci n’est en rien pertinent par rapport aux fondamentaux de l’électricité, qui n’est pas stockable ni substituable. Beaucoup d’acteurs dans les années quatre-vingt-dix n’ont pas hésité à dire que le marché de l’électricité oubliait que l’électricité n’était pas un bien comme les autres, qu’il était peut-être le seul bien auquel les lois du marché ne pouvaient s’appliquer. Considérer tout ou partie du prix de marché comme référence dans le calcul tarifaire, c’est prendre des risques à long terme.

Nous sommes favorables au soutien des électro-intensifs, mais encore faut-il, vous avez raison, madame Battistel, définir ce qu’est un électro-intensif. En outre, si une partie des acteurs ne paie pas les coûts du système électrique, ce sont les autres consommateurs qui le feront. Il ne faut donc pas éluder la question de savoir qui va payer le soutien aux électro-intensifs. C’est un choix politique. Dans les années quatre-vingt, la France et EDF ont fait le choix de soutenir certaines usines par les tarifs préférentiels, comme Péchiney, car des choix politiques étaient portés par un EPIC en situation de monopole. Aujourd’hui, le monopole n’existe plus et l’on ne peut plus appliquer les recettes d’hier : le tarif ne peut pas porter les choix politiques.

Par ailleurs, comme pour tout acteur, le tarif des électro-intensifs comprend une part réseau et une part production et commercialisation. L’accès au réseau est assuré, qu’il y ait consommation ou pas, qu’elle soit stable ou pas ; les coûts ne sont donc pas liés à la nature fluctuante de la consommation électrique. Si l’on doit travailler à des modèles tarifaires propres aux électro-intensifs, il faut donc faire la part entre ce qui relève du réseau, avec des coûts fixes, et ce qui relève de la partie production/commercialisation, où il y a de la base, de la semi-base et de la pointe.

S’agissant de l’hydroélectricité, madame Battistel, encore faut-il qu’EDF et GDF Suez aient les moyens d’investir pour entrer dans le deal prolongation contre investissements. Ce qui nous ramène à la question du niveau des tarifs et de la capacité qu’auront les opérateurs à investir grâce à leurs recettes tarifaires. En effet, si EDF n’a pas les moyens d’investir pour la prolongation, on sera confronté à une mise en concurrence pure et dure.

Enfin, avec des smart grids, des « smart compteurs » et, demain, des « smart tarifs », on pourra refaire ce qu’on a fait dans les années quatre-vingt avec des tarifs EJP et Tempo, qui permettaient de faire de l’effacement en pointe. Bien pensée, la construction tarifaire permet ces effacements, d’autant que les compteurs communicants permettront de mettre en place des « smart tarifs », sans être obligés de passer par des dispositifs qui pèseront sur la CSPE.

Bref, si l’on veut faire du tarif un outil de politique publique, il faut des choix politiques clairs.

M. Jacky Chorin. Il y a un double paradoxe. Le premier est que ce sont les concurrents qui attaquent devant le Conseil d’État pour faire augmenter les prix de l’opérateur historique. Le second est que c’est l’Union des industries utilisatrices d’énergie (UNIDEN) qui s’était montrée, il y a une dizaine d’années, la plus zélatrice pour l’ouverture des marchés.

Faut-il prendre en considération les prix de marché ? Nous n’y croyons pas car le marché est totalement faussé ! En effet, il y a une dérogation sur les ENR ! C’est cela qui risque de provoquer un black-out car les centrales au gaz ne trouvent pas leur place – certaines d’entre elles ferment alors qu’elles sont neuves ! Le problème va donc bien au-delà des tarifs : c’est celui de l’équilibre du réseau électrique. À force de vouloir tout et son contraire, nous allons collectivement dans le mur !

Nous sommes d’accord pour dire qu’il faut prendre en considération la situation des électro-intensifs, mais la concurrence est mondiale et les règles de concurrence sont européennes ! Et les règles de concurrence européennes fragilisent les opérateurs. Ne pas les changer nous mènera, là encore, droit dans le mur ! Certes, l’Allemagne a fait des choix, mais ils sont contestés au niveau européen. Ce pays fait payer la transition énergétique par les usagers domestiques : voulons-nous cela ? Quel choix politique souhaitons-nous ? Ne faut-il pas précisément s’interroger sur les règles de concurrence ? La plupart des personnes auditionnées pensent d’ailleurs qu’il s’agit là d’un échec.

Sur la CSPE et le complément de rémunération, la transparence est nécessaire. Sans transparence, c’est signer un chèque en blanc sur l’avenir !

Idem pour l’effacement. Idem pour l’hydroélectricité, il y aura bien une « désoptimisation » du système !

Certes, il y a des possibilités de prolongation, mais elles ne sont pas généralisées. Pourtant, la proposition de loi Courteau proposait la généralisation ; et une directive « Concession » permet de maintenir des monopoles pour les titulaires de droit exclusif au nom du service économique d’intérêt général. Selon nous, l’hydraulique, grâce à son rôle dans la transition énergétique, est un service économique d’intérêt général. Sur le plan juridique, il y a donc des opportunités, c’est une question de volonté politique.

Bref, on est tous d’accord pour dire que ce marché ne fonctionne pas, mais personne, à part nous, n’en tire les conséquences.

M. Bruno Bosquillon, délégué syndical central d’ERDF (Fédération nationale des Mines et de l’Énergie CGT). Concernant la rémunération de l’effacement diffus, les grands oubliés sont les consommateurs. Aujourd’hui, on met en place un système où ce sont des agrégateurs privés qui vont pouvoir se rémunérer sur du déclaratif ! Et tout cela sera financé par la CSPE ! Les compteurs communicants représentent 5 milliards d’investissement. Si demain une structure tarifaire différente est mise en place, à côté de ceux qui seront capables de s’effacer, ceux qui ne pourront pas s’effacer paieront le tarif fort. En clair, le coût sera supporté par la population, à commencer par les gens en grande précarité énergétique ! Au lieu de faire supporter au distributeur tous les coûts de la déréglementation, le compteur communicant devrait être payé par l’ensemble de ceux qui commercialisent !

Mme Marie-Claire Cailletaud. La CGT a écrit à l’Assemblée nationale pour exprimer son inquiétude sur le risque de black-out dû aux choix faits aujourd’hui en France et en Europe, et pour demander la mise en place d’une commission d’enquête visant à examiner la sécurité du système énergétique, en particulier électrique. À ce jour, nous n’avons pas obtenu de réponse.

M. Alexandre Grillat. Toutes les interventions convergent pour souligner le problème de modèle économique autour des structures tarifaires. L’opérateur historique EDF ne peut pas tout faire : investir, embaucher, verser les dividendes et assumer les conséquences de choix tarifaires sur l’effacement. Par conséquent, un travail de réflexion doit être mené sur le modèle économique que la France souhaite pour son système électrique de demain. Pourquoi ne pas faire travailler des économistes de renom, nous en avons quelques-uns en France et même un Prix Nobel, sur cette question ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. Merci à vous tous de ces compléments d’information.

J’ai bien noté les recommandations sur la rémunération de l’effacement pour les entreprises électro-intensives, qui aujourd’hui ne sont pas rémunérées à leur juste valeur. C’est en effet une piste pour leur permettre d’avoir accès à des tarifs raisonnables.

Sur l’hydraulique, je serais d’accord avec vous s’il y avait généralisation de la mise en concurrence ou de la création de SEM. Mais d’après le texte, la majorité des concessions pourra être prolongée grâce aux dispositifs choisis. La part de remise en concurrence éventuelle par le biais des SEM devrait donc être très mince.

En outre, en cas de prolongation, l’investissement devrait être réalisé par les opérateurs, car le parc est vieillissant dans nombre de vallées, ce qui pose même la question de son maintien en activité, mais aussi celle de l’optimisation de la production. Au demeurant, dans nombre d’endroits en France, l’opérateur historique et les autres engagent des travaux pour maintenir leur parc et optimiser la production. Au surplus, en fin de concession, il faut rendre un parc en état, ce qui suppose là encore des investissements. Certes, on ne peut pas tout demander, l’emploi, l’investissement, etc. C’est bien pour cela que nous n’avons pas retenu l’introduction d’une nouvelle redevance en cas de prolongation avec investissements.

Bref, nous continuons le travail pour essayer de progresser vers quelque chose d’encore plus consensuel. Reconnaissez qu’un chemin important a été parcouru.

Mme Catherine Halbwachs, déléguée fédérale de la CFE-CGC Énergies (CFE-CGC). Je fais partie de ceux qui ont soutenu votre travail législatif. Néanmoins, les entreprises doivent avoir les moyens d’investir. L’euro-compatibilité de la prolongation contre des travaux est liée à des travaux qui n’étaient pas prévus initialement au contrat. Le vrai débat est là.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Nous avons rencontré les différents opérateurs et tous ont des projets à nous proposer sur les différentes vallées. Je pense donc qu’ils seront réalisables.

Mme la vice-présidente Jeanine Dubié. Merci, Mesdames, Messieurs, de votre contribution.

Audition, ouverte à la presse, de M. Vincent Maillard,
directeur général énergie et règlementation de Budget Télécom et ancien responsable des tarifs d’EDF, M. Grégory Lamotte, fondateur et président de Comwatt, et M. Pierre Bivas, président du syndicat professionnel Cathode
et fondateur de l’entreprise Voltalis

(Séance du mercredi 28 janvier 2015)

M. le président Hervé Gaymard. Notre commission reçoit aujourd’hui trois personnalités du monde de l’électricité, dont l’activité concerne des créneaux qui nous ont semblé mériter une attention particulière, puisqu’ils se rapportent aux nouvelles modalités de la consommation électrique. Nous aurions d’ailleurs pu baptiser le thème de cette rencontre : « Smart homes, smart tariffs »…

M. Grégory Lamotte est président et fondateur de Comwatt, société qui promeut des systèmes d’autoproduction et d’autoconsommation, principalement à partir du photovoltaïque ; M. Pierre Bivas est fondateur de Voltalis, opérateur de l’effacement diffus ; M. Vincent Maillard, enfin, est directeur général « énergie et réglementation » chez Budget Télécom, mais il a été précédemment en charge des questions de tarification au sein d’Électricité de France (EDF).

Le point commun entre vous, messieurs, est de promouvoir des formules de réduction de la facture électrique auprès de consommateurs auxquels vous proposez des services dont le développement reste toutefois incertain, du moins à court terme. Concernant l’effacement, par exemple, la commission d’enquête a recueilli des points de vue très différents, voire divergents. Des représentants de grandes fédérations syndicales du secteur de l’énergie, que nous avons récemment auditionnés, s’opposent même à l’émergence d’opérateurs privés d’effacement rémunérés pour ce service.

Quoi qu’il en soit, un arrêté a été publié le 11 janvier dernier afin de fixer les montants de la prime dont bénéficieront certains opérateurs d’effacement. Un autre arrêté a été pris par la ministre de l’énergie, il y a quelques jours, sur le mécanisme d’obligation de capacité, à la charge des fournisseurs d’électricité.

Messieurs, vos activités sont à la rencontre de ce que l’on nomme les smart grids et des systèmes d’information les plus sophistiqués de l’internet. En cela vos remarques nous intéressent, d’autant plus que de nouveaux services concernant les modes de consommation de l’électricité auront nécessairement des incidences sur les coûts de son usage et, vraisemblablement, sur les tarifications.

D’autres sujets peuvent également enrichir la réflexion, comme celui, plus général, de la décentralisation de la production ou celui, plus précis, des éventuels apports du déploiement du compteur Linky.

Avant de vous laisser la parole, je vous indique qu’aux termes de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées par une commission d’enquête sont tenues, sans toutefois enfreindre le secret professionnel, de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Vincent Maillard, Grégory Lamotte et Pierre Bivas prêtent serment.)

M. Pierre Bivas, président du syndicat professionnel Cathode et fondateur de l’entreprise Voltalis. L’effacement permet d’optimiser la consommation, en l’occurrence de chauffage électrique, donc de la réduire sans diminuer le confort : chaque consommateur peut, grâce à cette solution, économiser de 10 à 15 % sur sa facture, soit quelque 250 euros par an en moyenne. Environ 7 millions de résidences principales sont chauffées à l’électricité en France ; il faut bien en tendu y ajouter les bâtiments publics, les bureaux et commerces, qui représentent 40 % de ce chiffre. Le potentiel total avoisine donc les 10 millions de logements.

Nos boîtiers permettent de piloter la consommation de façon très fine, par exemple en arrêtant un radiateur électrique pendant deux minutes, opération sans incidences pour le confort et génératrice d’économies. L’un des deux boîtiers installés dans le logement communique des données à nos serveurs, ce qui permet de suivre la consommation en temps réel : il s’agit, en d’autres termes, d’une technologie de l’internet mise au service de la consommation électrique.

L’effacement diffus profite également au système électrique dans son ensemble. Il agrège et coordonne des effacements réalisés sur un très grand nombre de sites ; de sorte que toute réduction de consommation apparaît comme une alternative à la production de la quantité d’électricité correspondante. Or notre technologie permet de déclencher un effacement diffus de 100 mégawattheures, de façon beaucoup plus rapide et précise que sur une centrale. Notre réseau d’effacement diffus, équivalant donc à une centrale d’appoint, peut en ce sens être assimilé à une centrale à économies d’énergie.

J’en viens, après le volet technique, à l’intégration économique de ce « mégawattheure négatif » au sein du marché de l’électricité. Aux termes de la directive européenne relative à l’efficacité énergétique, les effacements de consommation participent au marché de gros de l’électricité au même titre que les offres de production. Cette décision, toute simple, permet de proposer des mégawattheures d’effacement en période de pointe. Outre son bénéfice pour l’environnement, une telle substitution tire à la baisse les prix du marché de gros, définis par les ventes de la dernière centrale – la plus chère – dès lors que celles-ci ont vocation à couvrir les coûts. Cette concurrence entre l’économie et la production d’énergie a donc des effets positifs sur les prix.

Or les prix de gros représentent des coûts pour les fournisseurs d’électricité – qui s’approvisionnent auprès des producteurs ou des opérateurs d’effacement –, si bien que leur diminution se répercutera, pour peu que le marché soit correctement régulé, sur la facture du consommateur final. Notre système, la vente à nos adhérents de mégawattheures d’effacement diffus en lieu et place de mégawattheures d’électricité, profite par conséquent à tous les consommateurs.

M. Grégory Lamotte, fondateur et président de Comwatt. La société Comwatt est une start-up spécialisée dans l’internet de l’énergie, et plus particulièrement, en son origine, sur l’autoproduction, c’est-à-dire la production d’une énergie in situ, aussi appelée « énergie potagère ». Cette énergie, qui reste bien entendu d’appoint, représente ainsi et en moyenne 50 % de l’énergie consommée, et même 70 % dans les cas les plus favorables, l’énergie achetée sur le réseau assurant le complément. C’est un peu comme si l’on avait inventé la voile en remplacement du moteur, chacun prenant le relais de l’autre en fonction des conditions climatiques.

Un tel système, hybride, permet de réduire la facture d’énergie hors taxes, facture dont il faut rappeler qu’elle se compose pour moitié des frais de transport et d’acheminement. Le prix des énergies renouvelables a beaucoup baissé, atteignant en quatre ans un facteur quatre pour les panneaux photovoltaïques. Sur une installation simple, d’une puissance de 100 kilowattheures, il est d’ores et déjà possible de proposer une énergie à 8 centimes le kilowattheure : ce prix, qui permet d’amortir l’installation sur vingt ans, s’entend par définition hors frais de transport. Pour l’EPR – Evolutionary power reactor –, le prix s’établit à 11 centimes le kilowattheure mais, pour le coup, il faut bien entendu y ajouter les frais de transport – il en va de même pour l’éolien, au reste –, pour 7 centimes, soit 18 centimes au total.

Que faire, entend-on souvent dire, lorsque les conditions climatiques ne permettent plus la production des énergies d’appoint ? C’est le réseau qui prend le relais ; il représente une sécurité qui suppose bien entendu une régulation au niveau national, et qui donne tout son sens au système de l’effacement.

Nous avons développé un algorithme qui, selon les conditions observées à l’échelle d’un site, d’une région ou d’un pays, permet d’interrompre la consommation de certains appareils pendant quelques minutes ou parfois quelques heures, et ce sans perte de service pour le client final. Nous réduisons donc la facture de nos cinq cents clients grâce à la production d’une énergie locale moins chère et à la protection des réseaux, l’internet de l’énergie permettant une gestion centralisée des appareils, que nous ne faisons fonctionner que lorsque le réseau produit une énergie bon marché. Par le fait, plus le mix français intègre d’énergies renouvelables, plus les fluctuations entre les pointes de production et de consommation sont importantes. En Allemagne, où la production d’énergies renouvelables est sept fois plus élevée qu’en France – avec 35 gigawatts de capacité installée pour le solaire et 35 gigawatts pour l’éolien –, il arrive que l’offre et la demande se déconnectent l’une de l’autre, si bien que l’énergie atteint des prix négatifs sur le marché de gros. Notre solution coûte quelques centaines d’euros ; elle peut s’installer partout en deux heures, et nous pourrions la produire à 200 000 exemplaires : si l’Allemagne l’utilisait, elle ne rencontrerait jamais le problème que je viens d’évoquer.

L’Allemagne a néanmoins pris de l’avance sur la production d’énergies renouvelables, sans toutefois intégrer le problème de la demande ; la France, elle, a développé un savoir-faire en matière de nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) et de big data. Ce savoir-faire est reconnu jusqu’en Californie, où mon associé s’est d’ailleurs installé il y a deux mois. L’internet de l’énergie est sans doute le secteur grâce auquel notre pays peut compenser le retard pris dans les machines-outils, que les Allemands ont exporté dans le monde entier. Nous pourrions, de la même façon, exporter notre savoir-faire, d’autant que les problèmes qui se posent en France se posent également dans les autres pays. En Australie, où notre entreprise commence à s’implanter, une banque a réalisé une étude selon laquelle l’autoproduction d’énergie photovoltaïque serait, à l’horizon 2018, moins coûteuse qu’un charbon même à zéro euro la tonne, compte tenu des coûts de transport dans ce vaste pays de 23 millions d’habitants ! Cela conduit d’ailleurs ceux qui investissent aujourd’hui dans le charbon en Australie à s’interroger…

Notre entreprise propose en somme des énergies, non pas renouvelables, mais décentralisées, dans le cadre d’un nouveau modèle économique fondé sur une technologie d’ores et déjà disponible. On observe, depuis plusieurs décennies, une baisse continue du prix des énergies renouvelables ; ainsi, selon la loi de Swanson, le doublement de la capacité de production mondiale de photovoltaïque diminue les coûts de production du kilowattheure de 20 % ; et cela se produit tous les vingt mois, depuis quarante ans. Énergie peu coûteuse, le photovoltaïque est aussi facile à installer ; surtout, il n’en est qu’à ses débuts : même si son développement reste assez lent en France, il a progressé de 30 % au niveau mondial. Les États-Unis, l’Inde, la Chine et le Japon investissent massivement dans ce secteur, dont Barack Obama ne cesse de parler car il a compris qu’il était un vivier de créations d’emploi. D’après une étude de Robert Pollin, de l’université du Massachusetts, 1 million de dollars investis dans les énergies renouvelables créent en moyenne quatorze emplois, contre six dans les énergies conventionnelles – et moins encore dans le nucléaire. Ces technologies, que nous possédons déjà, nous offrent donc de réelles capacités pour l’avenir.

M. Vincent Maillard, directeur général énergie et réglementation de Budget Télécom et ancien responsable des tarifs d’EDF. Nous partageons tous ici une idée simple : la meilleure énergie est celle que l’on ne consomme pas. Dans les années quatre-vingt-dix, un rapport dit Souviron en parlait déjà, mais, depuis peu, des progrès ont été faits.

La France a beaucoup de savoir-faire, notamment en termes d’ingénierie, et elle a aussi inventé les tarifs « EJP » – effacement des jours de pointe –, dont bénéficient encore 500 000 clients : il faut rendre hommage à EDF sur ce point. Les tarifs s’entendent en heures pleines ou creuses, et les cumulus permettent le stockage. Il faut faire fructifier ces atouts.

Il faut également insister sur la convergence croissante entre l’internet et l’énergie, industrie du XIXe siècle dont le mode de comptage est totalement archaïque. Le compteur électrique est en effet relevé tous les six mois alors que le prix de l’énergie évolue toutes les heures : en 2014, il a varié de 97 à moins 2 euros le mégawattheure, et avait même atteint, certaines années, 3 000 euros le mégawattheure. À l’inverse, le signal tarifaire est resté très simple malgré quelques innovations. Or les technologies de l’internet permettent de rationaliser la consommation sur la base d’informations en temps réel, que ce soit à travers des coupures automatiques, selon la solution proposée par Voltalis, ou par ce que nous proposons nous-mêmes. Pour prendre un exemple comparable au relevé semestriel du compteur, comment pourrait-on économiser le carburant d’une voiture si la jauge ne donnait l’information que toutes les six heures ? De même, comment pourrait-on contrôler sa consommation téléphonique si l’opérateur n’adressait un index de la consommation estimée que tous les six mois ?

Notre idée de base est simple : elle consiste à donner à nos clients les moyens d’analyser leur consommation d’énergie. Un compteur émet une pulsation toutes les deux secondes environ ; il est en quelque sorte le cœur du logement. Nos appareils en effectuent un relevé toutes les cinq secondes, relevé qui est ensuite transmis à nos clients, que nous pouvons alors conseiller sur l’optimisation de leur consommation. Les études de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) le montrent : une telle prise de conscience permet d’économiser de 10 à 15 % sur la facture.

D’autres mécanismes sont ensuite envisageables, tel l’effacement, auquel l’opposition de certains ne cesse pas de m’étonner. Si l’on peut protester contre la rémunération qui en est faite, il n’en demeure pas moins nécessaire en lui-même. Dans la plupart des pays, les aléas de l’offre et de la demande sur le marché des capacités exposent à des risques de coupure. Le marché français, lui, est dimensionné pour faire surgir ce risque tous les dix ans : le dernier exemple en date remonte à une vague de froid au cours du mois de février 2012. Aucun opérateur, si l’on applique le schéma des « marchés spot », ne peut bien évidemment accepter d’investir en escomptant des profits une fois tous les dix ans. Autrement dit, des mécanismes sont nécessaires ; or l’effacement, solution la plus économique, paraît bien plus judicieux que le développement de moyens de production coûteux : je ne comprends pas que l’on puisse prétendre le contraire – au reste, sans doute cherche-t-on plutôt à entretenir un certain flou sur la question…

L’économie d’énergie, c’est l’énergie gratuite ; mais il est une autre chose qui peut être gratuite et cependant très difficile à obtenir : l’information. Les consommateurs, nous semble-t-il, ne sont pas enclins à accorder leur confiance à un fournisseur qui les conseille sur les moyens d’économiser l’énergie qu’il leur vend ; d’où notre positionnement d’acteur indépendant, qui justifierait de nous ouvrir l’accès aux données d’ERDF, d’autant que nos conseils, dans leur teneur et leur objet, resteraient les mêmes quel que soit le fournisseur. Aujourd’hui la CRE nous oppose la réglementation, qui interdit la transmission des données à tout autre opérateur que le fournisseur. Mais si le client est d’accord avec la transmission de ces données déjà disponibles chez son fournisseur, pourquoi s’y opposer ?

Les deux opérateurs historiques – respectivement de fourniture et de réseau – détiennent une mine de données sur la consommation de leurs clients et son évolution dans le temps : autant d’informations précieuses pour orienter les conseils que nous pourrions donner, à l’instar de certains opérateurs pour les bâtiments d’État. Nous sommes tout à fait disposés à proposer des diagnostics gratuits et complétés, le cas échéant, par des offres de conseil. Pourquoi ne pas décider de cette chose simple, l’accessibilité à des données inexploitées, afin d’éclairer les clients sur leur consommation et de leur faire réaliser des économies ?

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Merci pour ces exposés tout à fait intéressants. De quelles données quantitatives disposez-vous s’agissant de la diffusion des nouvelles technologies et de leurs effets concrets ?

L’accès à l’information est en effet une question majeure pour le consommateur, mais celui-ci se déterminera d’abord en fonction des économies d’énergie et de leurs incidences sur sa facture : le droit d’accès aux données, que vous revendiquez, est une façon d’envisager la question ; mais comment faire, en l’état actuel des choses, pour généraliser ces outils, sachant que vous n’avez pas les moyens de les proposer à tous les consommateurs, qui en tout état de cause peuvent décider par eux-mêmes de les utiliser avec une efficacité qui, alors, devient optimale ? Quelles sont les incitations possibles ?

Comment favoriser l’autoproduction chez les entreprises comme chez les ménages ? En vous écoutant, je me disais que ce type de démarche reste quand même le fait de quelques partisans convaincus. Au vu du nombre de cibles potentielles, comment viser au-delà du « club des initiés » ?

Le relevé semestriel du compteur constitue un archaïsme pour ainsi dire caricatural ; j’ajoute qu’il faut, sur des périodes aussi longues, tenir compte des délais de paiement puisque le relevé de consommation peut être sans rapport avec la consommation présente. Cela ne contribue certes pas à éclairer les raisons d’une évolution de la facture dans un sens ou dans l’autre. Dans ces conditions, quelle appréciation portez-vous sur le futur déploiement du compteur Linky et sur les délais de ce déploiement ? C’est aussi l’enjeu de la réactivité du consommateur qui est ici posé.

Enfin, au-delà des seuls constats, quels éléments de sensibilisation pourrait-on apporter au consommateur ? Le consommateur moyen, s’il existe, semble plutôt passif : il n’identifie pas toujours, je l’ai dit, les causes de l’évolution de sa facture. Comment le transformer en acteur de sa propre consommation ?

M. Grégory Lamotte. Selon une étude européenne de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), entre des usagers qui reçoivent un relevé trimestriel et ceux qui suivent leur consommation en temps réel, l’écart en termes d’énergie consommée atteint 10 %. Une autre étude, réalisée par Powermetrix-AFP, montre que l’arrêt complet d’appareils en veille grâce à des systèmes intelligents permet d’économiser de 5 à 6 % supplémentaires.

Nous travaillons, par exemple, sur des systèmes d’alerte permettant aux usagers d’éteindre à distance tel ou tel appareil resté allumé. L’internet rend ces solutions très simples à mettre en œuvre.

Madame la rapporteure, nous disposons d’environ 1,5 million de données quotidiennes, qui nous permettent d’apprécier les économies réalisées par nos clients. Ces données proviennent de nos propres instruments de mesure, non des compteurs d’EDF, ce qui garantit notre indépendance à l’égard des fournisseurs

Mme la rapporteure. Nous avons bien noté les technologies dont vous disposez : ma question portait sur leur diffusion auprès des « consommateurs lambda ».

M. Grégory Lamotte. Il faut en effet faire évoluer les mentalités. Cela passe par la communication, mais aussi par le « signal prix ». À service équivalent, les Allemands consomment aujourd’hui 30 % d’énergie en moins car le niveau des prix, plus élevé, les incite à la vigilance. Si les technologies liées à l’efficacité énergétique ont été moins développées dans notre pays, c’est parce que l’énergie y est moins chère. Le consommateur doit avoir une vision claire de ce qu’il paie aujourd’hui et de ce qu’il paiera dans le futur, afin d’évaluer l’intérêt d’un éventuel investissement : pourquoi investirait-il, par exemple, dans un système d’isolation rentable au bout de vingt ans seulement ? Pour que le consommateur anticipe des gains de pouvoir d’achat, l’horizon doit se situer à moins de dix ans. Cela revient un peu à comparer les situations respectives d’un locataire et d’un propriétaire : lorsque le premier quitte son logement au bout de vingt ans, il n’a rien d’autre que ses quittances de loyer ; le second, lui, possède de la pierre. Investir dans un système d’économies d’énergie ou de production d’une énergie renouvelable, c’est en quelque sorte devenir propriétaire de son énergie : une fois remboursé un prêt généralement étalé sur une période de cinq à huit ans, le produit de l’investissement demeure.

La plupart de gens croient qu’il est illégal d’installer un panneau solaire chez eux, de façon à produire leur propre énergie ; or cela fait quinze ans que la loi les y autorise. Nous avons donc un combat à mener contre ces idées reçues qui ont la vie dure.

Le compteur Linky propose une tarification à l’heure : il incitera donc les usagers à consommer de façon plus intelligente. Que les éclairages et les plaques de cuisson fonctionnent à plein régime à dix-neuf heures, cela se comprend ; mais pourquoi devrait-il en être de même pour les cumulus et les systèmes de chauffage ? C’est un peu comme si les trains à grande vitesse (TGV) n’avaient été conçus que pour transporter les usagers le 1er août de chaque année ! Il serait plus judicieux d’envoyer des signaux sur les tarifs aux heures de pointe, de sorte que le consommateur prenne conscience qu’il paiera moins cher en consommant à d’autres moments, exactement comme un usager du TGV choisit dorénavant son horaire en fonction du prix. En d’autres termes, il deviendra bientôt aussi important de consommer au bon moment que de consommer moins ; tel est en tout cas le pari que nous faisons.

M. Pierre Bivas. Vous avez demandé, Madame la rapporteure, comment il est possible de faire profiter le plus grand nombre de l’effacement diffus. Je répondrai simplement : en le laissant se développer.

Nous avons la capacité d’équiper aujourd’hui en effacement diffus quelque 100 000 logements, ce qui n’est pas rien. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire pour équiper des millions de foyers. Or le consommateur lambda est très demandeur : 80 % des consommateurs que nous avons au téléphone nous demandent d’installer le boîtier que nous leur proposons. Cette adhésion massive est due au fait qu’il s’agit d’un boîtier gratuit qui permet de réaliser des économies. Si le cadre réglementaire ne nous empêchait plus d’exister – la loi est en cours  –, ce boîtier serait promis à un développement à grande échelle.

Il faut savoir que l’installation de ce boîtier permet aux consommateurs d’économiser 15 % d’énergie sans même qu’il leur soit nécessaire d’être vigilants, grâce à l’information détaillée que nous leur apportons, sous forme de courbes, en termes de kilowattheures et en termes financiers, et qui relègue Linky au rang du Minitel des années 1980. Cette information, disponible gratuitement en temps réel sur internet, est – c’est le plus important – déclinée par usage. Elle permet donc de connaître les éléments qui consomment le plus – par exemple le radiateur de la salle de bains. Linky, dont la technologie sera dépassée avant même d’être déployée, c’est 10 milliards d’investissement gâchés pour la collectivité, qui ne serviront finalement qu’à détruire, chez ERDF, quelques milliers d’emplois liés à la relève des compteurs.

Nous avons pu constater, en étudiant les courbes de plusieurs dizaines de milliers de logements, l’effet nul des tarifs variables, alors même que, comme Vincent Maillard l’a rappelé, ils existent depuis des années en France. Le plus répandu est le tarif « heures pleines-heures creuses », auquel la majorité de nos adhérents ont souscrit. Si la plupart des consommateurs ont doté leur chauffe-eau d’un contacteur, qui n’autorise le chauffage de l’eau qu’au cours des heures creuses, c’est-à-dire essentiellement la nuit, en revanche, ces mêmes consommateurs chauffent leur logement toute la journée à chaleur constante, bien que cela ne réponde à aucun besoin économique ou écologique. Le consommateur aurait en effet intérêt à chauffer moins en heures pleines et davantage en heures creuses, l’inertie thermique du bâtiment permettant d’absorber les variations.

Si donc les tarifs variables avaient un impact, cela ferait des années que les consommateurs chaufferaient moins à dix-neuf heures, qui est l’heure de pointe : or leurs radiateurs chauffent continûment toute la journée, le chauffage augmentant légèrement à la fin de la nuit, parce qu’il fait un peu plus froid dehors. En fait, les radiateurs consomment de l’électricité non pas dans l’intérêt collectif mais au plus grand profit des fournisseurs et des producteurs. Comme les consommateurs se sauraient rester derrière leurs radiateurs toute la journée, le rôle de notre boîtier, à l’instar du contacteur dont sont dotés les chauffe-eau, est de piloter leur consommation pour éviter des dépenses en heures pleines, voire des gaspillages, – un rôle que le compteur Linky ne pourra jamais remplir.

La valorisation de l’effacement sur les marchés de l’énergie permettrait de financer ce pilotage. Nos quelque 100 000 logements ou équivalents permettent d’effacer un peu moins de 500 mégawatts, alors que le potentiel est de plusieurs gigawatts puisque 7 millions de foyers sont chauffés à l’électricité. Or, selon l’estimation médiane de RTE réalisée il y a deux ans, un gigawatt de capacité d’effacement diffus permettrait aux fournisseurs de réaliser 180 millions d’euros d’économies par an, des économies susceptibles d’être répercutées auprès des consommateurs. S’il était possible d’effacer cinq gigawatts, les économies ainsi réalisées sur les coûts de l’électricité atteindraient presque le milliard d’euros. On retrouve les mêmes chiffres aux États-Unis, où la valorisation, autorisée depuis 2011, des effacements sur les marchés de l’énergie permet de diminuer les coûts des fournisseurs au bénéfice final des consommateurs.

Pourquoi des fédérations syndicales de l’énergie seraient-elles opposées au développement de l’effacement diffus, alors que les consommateurs, les fournisseurs et les producteurs eux-mêmes, comme l’a montré M. Maillard, y gagneraient ? La première raison communément avancée est que les économies d’énergie ne constituent pas le premier objectif des vendeurs d’énergie – ce qui rend indispensable l’existence d’opérateurs indépendants. La deuxième, c’est que l’effacement diffus entre en concurrence avec les producteurs, puisque cet effacement est une alternative aux centrales. Or il faut savoir que l’effacement diffus permettra aux producteurs de réaliser des économies, en termes de construction et de d’entretien de centrales de pointe, dont les coûts sont plus élevés que les éventuels bénéfices que ces mêmes centrales leur permettent de réaliser. En fait, la vraie raison tient à la structure du marché. Le plan des fournisseurs secondant largement le plan de l’opérateur historique lui-même, leur intérêt est de piloter le marché pour obtenir une hausse annuelle de 5 % des tarifs. C’est pourquoi nous sommes ravis que votre commission d’enquête se penche sur le sujet. Nous apportons en effet des arguments visant à limiter les coûts et donc une hausse infinie du tarif de l’électricité. Les informations indépendantes que nous apportons aux consommateurs leur permettant de réaliser des économies d’énergie, notre démarche n’enthousiasme pas des organismes dont le métier est de produire et de vendre le plus possible de l’électricité, à un prix de plus en plus élevé. C’est pourquoi ces organismes ne voient pas d’un bon œil les alternatives que nous proposons.

Selon l’ADEME, le chauffage et l’eau chaude entrent pour 80 % dans la consommation de l’énergie. Les 7 millions de foyers dotés d’un chauffage électrique consomment donc cinq fois plus d’électricité que les autres. Ce sont eux également qui contribuent le plus à la formation de la pointe, dont la facture électrique est la plus lourde et qui sont les plus sensibles à d’éventuelles économies d’énergie. Ce sont donc à ces 7 millions de foyers qu’il convient d’apporter les services les plus étendus. Si nous pouvons exercer notre activité, dans le cadre du droit européen transcrit dans la loi française, comme cela est en cours, l’effacement diffus pourra équiper plusieurs millions de foyers en France pour lesquels réaliser des économies d’énergie sera d’autant plus intéressant, que cela ne leur coûtera rien. En revanche, une telle démarche permettra d’économiser les 10 milliards d’euros investis dans Linky, dont les trois quarts seront gâchés puisque Linky équipera, pour les trois quarts, des foyers qui prendront leur part de financement d’un système qui ne leur fera réaliser que d’infimes économies.

Seul le développement de l’effacement diffus permettra de réaliser des économies à grande échelle.

M. Vincent Maillard. Je tiens à préciser qu’on observe des changements dans les comportements en cas d’écarts importants de tarifs : je pense notamment aux tarifs EJP (effacement des jours de pointe) ou Tempo. La solution consiste-t-elle à augmenter les tarifs ? Que faire des bénéfices alors récoltés et quelles seront les conséquences sociales d’une augmentation qui alourdira fortement la charge des clients les plus paupérisés ? Nous ne pensons pas que l’augmentation des tarifs permettra de résoudre tous les problèmes. Il vaut mieux s’orienter vers une meilleure information des clients pour les aider à moins consommer. Il n’est pas besoin d’augmenter constamment les tarifs : provoquer une prise de conscience nous paraît une bien meilleure solution.

Il est vrai que les moyens que nous préconisons tous, ce soir, permettront à nos clients de réduire de 10 % à 15 % leur consommation d’énergie. Il n’en reste pas moins que notre premier objectif doit être de leur donner confiance dans les solutions que nous leur proposons. Or bâtir une telle relation demande toujours du temps car la confiance ne s’accorde que progressivement. Une proposition commerciale à 2,90 euros par mois n’est pas onéreuse. Elle devient rentable si, effectivement, elle permet de faire baisser de 15 % une facture annuelle qui s’élève à 800 euros. Toutefois, le consommateur n’y recourra que s’il est certain du résultat. C’est pourquoi nous sommes favorables à une labellisation des solutions de bon sens que nous proposons et à leur audit. Des organismes publics doivent garantir leur caractère vertueux, notamment en termes d’économies effectivement réalisées.

Je ne partage toutefois pas la vision totalement négative de Linky qui a été apportée ce soir. Pour nous, Linky peut être l’occasion d’aider les clients à mieux connaître leur consommation. En revanche, la rentabilité du dispositif pour la collectivité est un vaste débat, dans lequel je n’entrerai pas.

Les trois organismes que nous représentons se placent du côté des clients : nous souhaitons leur servir d’intermédiaires auprès de leurs fournisseurs. Notre rôle, c’est de les aider à optimiser leur consommation. Le problème, c’est que les fournisseurs ne veulent pas d’un tiers qui se glisserait dans leurs relations avec leurs clients. Je crois toutefois qu’avec le temps ils se départiront d’une attitude aussi stupide et qu’ils finiront par comprendre que l’intérêt commun exige que nous agissions ensemble, d’autant que, en l’absence d’opérateurs français, demain, un Google deviendra partenaire d’EDF !

M. Grégory Lamotte. Ceux qui se tournent vers l’autoconsommation par choix écologique représentent entre 15 % et 20 % de nos clients. La grande majorité y recourt pour des raisons budgétaires. À l’heure actuelle, en tarif bleu, le kilowattheure s’élève à 14 ou 15 centimes, avec une augmentation tendancielle de 5 % l’an. Or l’autoproduction permet de réduire le prix du kilowattheure à 11 centimes, un prix garanti pour les vingt-cinq prochaines années. De plus, l’intérêt économique de l’autoconsommation ne peut qu’aller croissant, puisque le prix de revient des énergies renouvelables est appelé à baisser, alors que l’énergie fournie par le réseau sera de plus en plus chère. Le temps joue donc pour nous.

Enfin, pour passer du Minitel au Triple play, il n’a pas été nécessaire de changer le fil de cuivre qui relie votre domicile au réseau. Mettre de l’intelligence dans le signal, voilà ce que nous proposons. Je compare cette forme d’optimisation à l’arrivée de l’ADSL.

M. le président Hervé Gaymard. Je vous remercie pour ce panorama stimulant aux plans intellectuel et politique – au meilleur sens du terme.

Vous avez peu évoqué les pays étrangers : la France est-elle en retard ou en avance par rapport aux autres pays européens ou aux États-Unis ?

M. Pierre Bivas. Si l’effacement industriel est pratiqué depuis très longtemps, c’est l’effacement du grand nombre des consommateurs, qu’on appelle l’effacement diffus, qui présente le plus grand potentiel. La valorisation des effacements a fait l’objet, aux États-Unis, entre 2008 et 2011, de plusieurs décisions du régulateur fédéral de l’énergie (FERC). Les Américains ont adopté dès 2011 l’équivalent de la directive européenne de 2012. L’effacement diffus représente aux États-Unis des dizaines de gigawatts. La question se pose pour la France de savoir si elle veut protéger le plus longtemps possible les technologies et les marges des opérateurs historiques ou si elle souhaite enfin disposer d’un champion national qui soit le plus performant possible, y compris au plan international, en le dotant des technologies de l’internet – notre rôle, à un niveau modeste, est de travailler en symbiose avec les grands acteurs. Le risque, c’est que des opérateurs américains ne finissent, un jour, par s’imposer chez nous !

La France, par rapport à l’Europe, est très en avance dans le domaine de l’effacement diffus, grâce aux travaux que RTE ou nous-mêmes avons réalisés. Elle est le seul pays européen à avoir équipé 100 000 foyers. Développons cette technologie en Europe et ailleurs dans le monde. Pour l’Asie, réguler la demande d’électricité et réaliser des économies d’énergie sont des enjeux majeurs en termes économiques ou environnementaux, de sécurité électrique ou encore de capacité des réseaux. Si nous déployons nos technologies à grande échelle en France, nous serons bien placés pour les déployer également à grande échelle dans toute l’Europe et en Asie. Dépêchons-nous !

De plus, le développement de l’effacement diffus créera entre 2 000 et 3 000 emplois en France. Voltalis s’est engagée à les créer dès lors que la loi, non seulement, précisera – c’est déjà fait – qu’il n’est pas question d’indemniser les fournisseurs pour les économies d’énergie ainsi réalisées, mais tiendra compte également du bénéfice que ces technologies apportent aux fournisseurs – bénéfice que les Américains appellent le net benefit –, en termes de réduction de leurs coûts, une réduction cinq fois plus élevée que ne le sont les bénéfices réalisés par Voltalis ou par les consommateurs. Nous pourrons alors nous déployer partout ailleurs et ainsi développer à la fois l’emploi français et des technologies françaises. Plusieurs millions de foyers pourraient être touchés gratuitement en France d’ici deux à cinq ans par l’effacement diffus.

M. Grégory Lamotte. Les Allemands, qui ont développé l’autoproduction, ont d’abord fait le choix de stocker le surplus d’énergie produite dans des batteries, dont le prix est très élevé – entre 12 000 et 15 000 euros pour une batterie capable de stocker douze kilowattheures, à comparer aux 200 euros d’un cumulus de 250 litres d’une capacité de stockage équivalente. Il est donc plus rentable d’utiliser des cumulus, même avec un kilowattheure à 25 centimes d’euro, d’autant que tous les foyers en sont pourvus.

Nous avons été contactés par la Belgique, dont trois réacteurs sont à l’arrêt et qui craint des coupures d’électricité en période de pointe, d’autant que les interconnexions avec les pays voisins sont saturées. Notre technologie, qui est légère et peut se déployer rapidement à plusieurs millions d’exemplaires, permet de faire jouer la solidarité nationale pour éviter les black-out et, plus généralement, de modifier les modes de consommation pour un prix modique.

Je tiens enfin à évoquer le cas de Saint-Pierre-et-Miquelon, dont les éoliennes, gérées par une filiale du groupe Quadran, ont été démontées l’année dernière. Elles ont été remplacées par des groupes fonctionnant au fioul. Il est en effet plus difficile pour l’opérateur de gérer des éoliennes que de tels groupes. Il est vraiment dommage que la France en soit arrivée là !

Il faut savoir que, par exemple, la part des énergies renouvelables en Corse est plafonnée à 30 %. Un système de gestion du diffus, incitant les clients à consommer lorsque l’énergie est produite et à réduire leur consommation durant les périodes de pointe, permettrait de dépasser ce plafond de verre de 30 %.

M. le président Hervé Gaymard. Les îles et l’outre-mer font en effet l’objet, en matière d’énergies renouvelables, d’une problématique particulière qu’il convient effectivement d’évoquer.

M. Vincent Maillard. L’augmentation de la part des énergies dites intermittentes pose, au plan mondial, la question du stockage intelligent. Recourir à l’eau chaude est, par exemple, une manière intelligente de stocker l’énergie. Il est également possible de la stocker dans le bâti en profitant de l’inertie thermique des bâtiments. Notre objectif est de développer des solutions de bon sens. Les États-Unis ont fait beaucoup en la matière. Quant à la France, elle est pionnière en Europe. Alors qu’un grand nombre d’opérateurs ont fait des offres aux fournisseurs et non aux clients finaux, nos trois organismes sont, au contraire, du côté des clients. Notre positionnement est donc original. Peut-être est-ce l’histoire du système français de l’électricité qui l’explique : tel est, en tout cas, le créneau que nous souhaitons occuper.

M. le président Hervé Gaymard. Messieurs, je vous remercie de ces interventions parfois dissidentes mais très instructives.

Audition ouverte à la presse, de M. Wolfram Vogel, directeur des affaires publiques et de la communication d’EPEX SPOT, la bourse des marchés « spot » de l’électricité, et M. Philippe Vassilopoulos, économiste responsable
du service « études »

(Séance du mercredi 4 février 2015)

M. le président Hervé Gaymard. Madame la rapporteure, mes chers collègues, nous avons l’honneur aujourd’hui de recevoir M. Wolfram Vogel, directeur des affaires publiques, et M. Philippe Vassilopoulos, économiste en charge des études de la société EPEX SPOT, bourse de marchés européens de l’électricité.

Basée à Paris, cette société résulte de la fusion de deux bourses de l’énergie préexistantes : Powernext en France et EEX en Allemagne. Depuis le début 2015, la bourse allemande détient 50 % de son capital, par le jeu de participations indirectes, tandis qu’une une holding commune à trois gestionnaires de réseaux de transport – RTE pour la France, Elia pour la Belgique et TenneT pour les Pays Bas – en détient directement 36,7 %. Les marchés d’EPEX SPOT sont la France, l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse, pays qui totalisent plus du tiers de la consommation électrique en Europe.

Nous voudrions d’abord, messieurs, que vous nous expliquiez comment fonctionne cette bourse de l’électricité ? A-t-elle des concurrents en Europe ?

Quels sont les acteurs qui opèrent à l’achat ou à la vente ? Des banques et leurs traders sont-ils présents sur ce marché ?

Cette bourse à vocation transnationale mais basée en France est-elle placée sous le contrôle de l’Autorité des marchés financiers ?

Vos activités constituent certainement un élément de l’intégration des marchés européens de l’électricité : elles contribuent à l’équilibre entre offre et demande. À cet égard, il serait intéressant pour la commission de connaître les volumes négociés et la croissance de votre activité au cours des dernières années. Sur ces points, la communication d’une note ou de graphiques serait très utile à notre information.

La question des prix de gros prend d’autant plus d’importance en France que les nouvelles règles de construction des tarifs de l’électricité obligent la Commission de régulation de l’énergie (CRE) à désormais prendre partiellement en compte les prix de marché.

Pourquoi constate-t-on une telle différence entre les prix de gros allemands et français, alors que votre bourse intègre précisément ces deux marchés nationaux ?

Enfin, pourquoi d’autres plateformes boursières de l’énergie comme celles des quotas d’émission de CO2 ou encore des échanges de certificats d’économie d’énergie ne semblent pas avoir rencontré le même succès que votre activité, certes beaucoup plus massive ?

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires faisant obligation aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, je vous demande, Messieurs, de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(MM. Wolfram Vogel et Philippe Vassilopoulos prêtent serment)

M. Wolfram Vogel, directeur des affaires publiques et de la communication d’EPEX SPOT. Mesdames, messieurs les députés, je tiens tout d’abord à vous remercier de nous avoir conviés à cette audition.

Pour présenter EPEX SPOT, je commencerai par brosser un rapide historique. La création des bourses d’électricité a répondu aux nouveaux besoins nés de la libéralisation du marché de l’électricité, la séparation des fonctions de production, de transport, de commercialisation nécessitant la mise en place de signaux prix. Ces bourses, non prévues par les paquets énergie-climat de la Commission européenne, sont aujourd’hui au nombre d’une quinzaine en Europe et couvrent soit le marché à terme, soit le marché à court terme, dit marché spot, auquel se consacre EPEX.

Le marché à terme permet aux acteurs de se prémunir contre les risques pris dans le long terme, sur plusieurs années, tandis que le marché « spot » sert à réduire le risque lié aux volumes de production. Aujourd’hui, le marché européen est caractérisé par un besoin accru d’optimisation de court terme car les producteurs et les fournisseurs doivent équilibrer production et consommation au plus près du temps réel.

La fonction économique essentielle d’EPEX consiste à déterminer un signal prix de référence en organisant la libre confrontation entre offre et demande sur les marchés de gros français, allemand, autrichien et suisse, qui sont largement intégrés. EPEX apparie ordres d’achat et de vente d’électricité dans un mécanisme d’enchères. Chaque jour, à douze heures, un prix est fixé pour la livraison physique de l’électricité dans le périmètre d’équilibre des clients traitant en bourse, qu’il s’agisse des fournisseurs, des producteurs, des banques ou des gestionnaires de réseaux de transport. Précisions que ces derniers jouent un rôle fondamental sur la chaîne de valeur énergétique et peuvent intervenir sur le marché spot pour racheter les pertes intervenues pendant le transport de l’électricité.

L’électricité présente des caractéristiques physiques qui déterminent sa commercialisation. L’offre et la demande doivent être équilibrées à tout moment : l’électricité est un produit difficile à stocker ; la demande est peu flexible tandis que l’offre provenant de sources d’énergie renouvelables devient de plus en plus variable.

La bourse est un acteur neutre dans la mesure où tous les acteurs du marché, quel que soit le moyen de production, peuvent acheter ou vendre pour optimiser leurs portefeuilles. Elle intervient sur une chaîne de valeur énergétique unique : il n’y a pas de réseaux distincts pour le nucléaire ou les énergies renouvelables.

EPEX SPOT opère sur les marchés français, allemand, autrichien et suisse, qui représentent 40 % de la consommation de l’électricité en Europe, ce qui explique que le prix spot soit le prix de référence pour le marché de gros. En 2014, les volumes négociés se sont élevés à 382 Térawattheures : 290 TWh sur le marché germano-autrichien, 71 TWh sur le marché français et 21 TWh sur le marché suisse.

L’un des principaux axes de l’intégration des marchés est le couplage dont le but est d’optimiser les interconnexions. Le gestionnaire de réseau de transport établit à partir des capacités d’interconnexion disponibles aux frontières des calculs qui sont ensuite intégrés dans le carnet d’ordres de la bourse qui met en enchères en parallèle les capacités de transport disponibles et l’électricité. Le prix qui résulte de cette opération détermine non seulement les volumes mais aussi les flux d’électricité, qui transitent d’un pays moins cher vers un pays plus cher.

Le premier couplage est intervenu en 2006, liant le français Powernext et ses homologues néerlandais et belge. Cette zone a ensuite été couplée en novembre 2010 avec l’Allemagne et l’Autriche. Jusqu’à cette période, les prix entre la France et l’Allemagne ne convergeaient quasiment jamais. Depuis, les prix sur le marché de gros allemands et français connaissent une convergence à hauteur de 50 %, autrement dit, au cours d’une année, les prix sont les mêmes pour la moitié des heures. Le reste du temps, l’écart de prix s’explique par une pénurie de capacités de transport aux interconnexions concernées.

Le couplage est jusqu’à aujourd’hui la mise en œuvre la plus concrète du marché intérieur de l’électricité. Il a connu deux étapes majeures en 2014 avec, en février, l’extension aux pays scandinaves, au Royaume-Uni et aux pays baltes et, en mai, à la Péninsule ibérique. À la fin du mois de février 2015, si les autorités régulatrices nationales concernées l’autorisent, l’intégration de l’Italie et la Slovénie devrait porter le taux de couplage des frontières à 80 %.

Le couplage s’est avéré une réussite dans la mesure où il a accru l’efficacité du système électrique européen. On peut dire que la France a hautement profité de cette intégration des marchés européens.

EPEX SPOT est supervisée par les quatre régulateurs des marchés nationaux qu’elle couvre : la CRE en France, la Bundesnetzagentur en Allemagne, E-Control en Autriche, et la commission de l’électricité ElCom en Suisse. En 2011, est entrée en vigueur la régulation européenne REMIT – Regulation on wholesale Energy Market Integrity and Transparency – qui vise à assurer la transparence et l’intégrité des marchés de gros de l’énergie en luttant contre les délits d’initiés et les manipulations de marché. Elle valorise fortement le régulateur européen, l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie (ACER), basée en Slovénie. Dans le courant de l’année 2015, une régulation européenne fondée sur les codes de réseau devrait permettre une harmonisation des allocations de capacités et la gestion des congestions. Elle fournira un cadre réglementaire qui précisera les rôles respectifs des gestionnaires de transport et des bourses spot ainsi que l’organisation du couplage.

M. Philippe Vassilopoulos, économiste responsable du service des études d’EPEX SPOT. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les députés, pour répondre à vos questions sur les écarts de prix, je ferai un bref historique des prix de l’électricité depuis l’ouverture des marchés à la concurrence.

Lors de l’ouverture, en 2000, prévalaient des systèmes fortement sur capacitaires : les prix se situaient autour de 30 euros le mégawattheure, soit à un niveau inférieur à la part énergie du tarif réglementé. Cette situation a fortement évolué depuis. Les prix de gros n’ont fait qu’augmenter du fait de la combinaison de trois facteurs : les tensions pesant sur l’équilibre entre l’offre et la demande, qui se sont fait sentir graduellement à mesure que la demande augmentait et qu’il n’y avait pas d’ajout de nouvelles centrales ; l’évolution des prix des combustibles, en particulier du prix du pétrole, qui a un impact sur les prix du gaz et donc sur une partie des coûts de production de l’électricité ; l’intégration d’un prix du CO2.

Vers 2003, les prix de gros sont passés au-dessus de la part énergie du tarif réglementé, ce qui a entraîné un certain nombre de réformes. Afin d’améliorer leur compétitivité, les gros industriels français ont demandé à ce que soient introduits des mécanismes comme le tarif réglementé et transitoire d’ajustement au marché (TARTAM), remplacé en 2010 par l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH).

En 2008, les prix de gros ont atteint un pic, avec environ 80 euros le mégawattheure, alors même que les tarifs transitoires réglementés étaient de l’ordre de 42 euros le mégawattheure.

Depuis, de nombreux changements sont intervenus. Ils sont liés à trois raisons principales.

Premièrement, les prix du gaz ont connu une baisse, qui n’a cependant pas été aussi forte que celle des prix du charbon et du CO2. Les centrales au charbon ont bénéficié de l’apport sur le marché européen de grandes quantités de charbon libérées par l’exploitation du gaz de schiste aux États-Unis. Leur taux d’utilisation a augmenté aux dépens des centrales au gaz devenues moins compétitives, alors même qu’elles étaient flambant neuves, leur volume d’activité diminuant de 3 000 à 4 000 heures à 1 500 heures par an.

Deuxièmement, la crise a entraîné une baisse de la consommation, qui a eu un impact direct sur les prix de l’électricité.

Troisièmement, il faut souligner l’arrivée d’une part significative d’énergies renouvelables sur le marché, notamment en Allemagne, en Espagne, mais aussi en Italie qui connaît un fort développement de l’énergie solaire. Ces énergies, dont les coûts fixes sont subventionnés, sont offertes à de très bas prix sur le marché de gros, ce qui contribue à faire baisser le prix de l’électricité. L’Allemagne dispose actuellement de 75 gigawatts de capacités intermittentes installées : quand le vent souffle et que le soleil brille, les quantités exportées sont importantes, ce qui participe à la baisse des prix sur les marchés voisins.

Aujourd’hui, le prix de gros de l’électricité se situe en France aux alentours de 35 à 40 euros le mégawattheure contre 30 euros le mégawattheure en Allemagne. Ce différentiel de prix s’explique par la saturation des interconnexions, qui impose une limite physique aux exportations allemandes.

Ces éléments posés, j’aimerais insister sur le bénéfice du marché de gros. Le prix fixé par la bourse, issu de la confrontation la plus démocratique possible entre l’offre et la demande, permet d’envoyer un signal indiquant à des milliers de centrales à travers l’Europe à quel moment elles peuvent démarrer la production et à quel moment elles peuvent l’arrêter. Ce mécanisme permet de satisfaire la demande à moindre coût en faisant appel aux unités de production les moins onéreuses. Autrement dit, grâce à l’intégration du marché, les acteurs bénéficient des meilleures opportunités.

Le signal prix est aussi utile aux investisseurs : quand les prix montent, les acteurs investissent ; quand les prix baissent, ils cessent de le faire pour éviter les surcapacités. Lorsque les investissements sont décorrélés des prix, peuvent survenir des situations de surcapacités comme celles que nous connaissons aujourd’hui du fait de l’arrivée massive de capacités renouvelables sur le marché européen, particulièrement de l’énergie solaire qui a un impact très important sur les prix.

Le marché de l’électricité était avant tout fondé sur l’offre mais l’un des défis auxquels il sera de plus en plus confronté consistera à faire participer le consommateur à l’équilibrage de l’offre et de la demande à travers les effacements. Les énergies renouvelables rendant l’offre plus aléatoire, du fait de l’intermittence de leur production, il est indispensable d’avoir le système le plus souple possible pour répondre non seulement aux variations de consommation mais aussi aux variations de production.

Enfin, si les quotas d’émission de CO2 et les échanges de certificats d’économie d’énergie ont connu un moindre succès que les bourses d’électricité, c’est qu’il s’agit de marchés beaucoup plus administrés. Si les quotas fixés sont trop ambitieux, les prix montent ; s’ils sont mal calibrés, les prix baissent, comme c’est le cas aujourd’hui, ce qui va l’encontre de l’objectif environnemental du dispositif. Pour les certificats d’économie d’énergie, les ambitions en matière d’économies d’énergie étaient plutôt faibles dans un premier temps ; elles deviennent de plus en plus contraignantes et ce marché devrait se développer dans les années qui viennent.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Je vous remercie, messieurs, pour vos interventions très utiles et intéressantes.

J’avais une première question relative à l’impact sur la baisse des prix du marché spot de l’arrivée de grandes quantités d’énergies renouvelables et du moindre coût de production des centrales au charbon mais vos interventions ont permis d’y répondre.

Ma deuxième question porte sur les différences de prix entre heures pleines et heures creuses. Pour lequel des deux tarifs la baisse est-elle la plus marquée ?

Troisième question : la baisse des prix se poursuit-elle sur les marchés à terme ?

Quatrièmement, quelles conséquences cette baisse a-t-elle sur les volumes échangés sur les marchés ? Observe-t-on une hausse significative de ces volumes ?

Cinquièmement, la baisse du tarif de l’ARENH est-elle liée à la baisse des prix sur le marché ? Jusque-là, ce tarif constituait une sorte de plancher pour les prix du marché. Comment expliquez-vous que cette indexation implicite semble ne plus fonctionner ?

Enfin, ma sixième question concerne le projet de loi relatif à la transition énergétique qui prévoit que les producteurs d’électricité issue d’énergies renouvelables seront de plus en plus contraints de vendre sur les marchés. Quelles en seront les conséquences ?

M. Philippe Vassilopoulos. Je vous remercie pour ces questions, madame la rapporteure, en parfaite adéquation avec les dernières évolutions du marché de l’électricité.

S’agissant de la baisse des prix sur le marché de gros de l’électricité, je rappelle les trois facteurs principaux : baisse des prix des combustibles fossiles ; baisse de la consommation industrielle et résidentielle liée à la crise ; arrivée massive d’énergies renouvelables, qui ont tendance à déplacer les capacités thermiques, plus onéreuses, hors de la courbe de l’offre.

Ces dernières années, des prix négatifs sont apparus. Trois facteurs ont contribué à leur émergence : une consommation faible, souvent le dimanche ; une forte part de production renouvelable intermittente ; une part significative de centrales peu flexibles, qu’il s’agisse des centrales au charbon ou des centrales nucléaires, sachant que les centrales françaises sont pour une bonne part plus flexibles que ce que beaucoup pensent, du fait d’investissements effectués dans le passé qui leur permettent d’opérer un suivi de charge. Pendant ces périodes de prix négatifs, les producteurs qui ne sont pas capables d’effacer leur production sont obligés de payer pour l’énergie qu’ils produisent.

S’agissant des marchés à terme, ils ont connu le même phénomène de baisse de prix que le marché spot, et pour les mêmes raisons. Une corrélation de 90 % a pu être établie entre la baisse du prix du charbon et la baisse des prix des contrats calendaires, qui portent sur une année entière de fourniture.

Les conséquences sur les volumes échangés sur le marché spot constituent un point particulièrement important. Depuis le 1er janvier, le marché français a connu une augmentation significative : la moyenne quotidienne tourne autour de 340 gigawattheures contre 240 auparavant. La baisse des allocations du guichet ARENH – l’énergie souscrite pour le premier semestre 2015 est moitié moindre que pour le deuxième semestre 2014, selon un document de la CRE – laisse penser que certains acteurs industriels se sont déportés de l’énergie régulée à 42 euros le mégawattheure pour se tourner vers les marchés spot. La baisse des prix sur le marché de gros leur offre en effet des possibilités d’améliorer le coût de leur fourniture d’électricité. Sur l’ensemble de l’année, il est clair qu’il était plus profitable d’acheter l’électricité sur le marché « spot » qu’au tarif de l’ARENH ou sur le marché à terme. Cependant, si les prix de gros remontent, le mécanisme de l’ARENH pourrait connaître un nouvel élan, sachant que certains acteurs sont en mesure d’arbitrer assez rapidement entre les différents prix.

Quant à la loi relative à la transition énergétique, elle touche du doigt les questions qui vont se poser à l’avenir : l’intégration de l’énergie renouvelable dans une logique plus proche du marché, compte tenu notamment du coût des subventions. Les obligations d’achat peuvent non seulement ne plus refléter les coûts actuels des différentes technologies mais n’offrir aucune incitation à optimiser le système. Un acteur, s’il est rémunéré pour sa production, n’a aucun intérêt à l’arrêter en cas de surproduction. Cela provoque un afflux massif d’énergies renouvelables qui met en jeu la sécurité du réseau. Pour inciter les acteurs à s’effacer en cas de surcapacités ont donc été mis en place des mécanismes de primes qui leur évitent de vendre leur production à des prix trop bas, pour lesquels ils ne recevraient pas de compensation.

M. Jean-Pierre Gorges. J’aurai une première question sur l’émergence des énergies renouvelables, qui suit des rythmes différents en Allemagne et en France où nous avançons à tâtons du fait des hésitations persistantes autour de la place du nucléaire. Pouvez-vous déduire un comportement du marché en fonction de la production de ces énergies de part et d’autres des interconnexions aux frontières ?

Selon vous, quelle sera à terme l’incidence sur le marché de gros du repli du nucléaire, qui assure une stabilité dans la production ? Les risques de surcapacités ne vont-ils pas rendre la régulation trop complexe ?

L’équilibre économique des énergies renouvelables est artificiel. Elles ne connaissent pas la logique du juste prix, compte tenu des aides dont elles bénéficient. La contradiction entre les interventions étatiques visant à imposer une structure de fabrication de l’énergie grâce à des mécanismes de subventions et le fonctionnement d’un marché libre n’est-elle pas de nature à perturber le système ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. Vous notiez que l’arrivée massive des énergies renouvelables induisait un prix moyen souvent bas. Pouvez-vous nous donner des chiffres ?

Par ailleurs, pourriez-vous revenir sur les mécanismes de financement des énergies renouvelables introduits dans la loi relative à la transition énergétique qui s’appuient à la fois sur des mécanismes de primes et sur le marché ? Pensez-vous qu’ils seront de nature à corriger les défauts du dispositif actuel qui n’incite pas suffisamment les producteurs à s’effacer en cas de surproduction ? Quel serait leur rôle dans la stabilisation du marché ?

Mme Jeanine Dubié. En 2012, selon les chiffres publiés par la Direction générale de l’énergie de la Commission européenne, 43 % des volumes d’électricité consommés dans l’Union européenne ont fait l’objet de transactions sur le marché de gros, dont la moitié en bourse. Ce taux est de 42 % en Allemagne et de seulement 13 % en France. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces différences ? Quel rôle jouent les tarifs réglementés ?

Par ailleurs, quelle est votre position sur le report de la réévaluation du prix de l’ARENH au 1er juillet 2015 ? Dans le contexte de baisse des prix sur les marchés de gros, quelle incidence cela peut-il avoir ? Quels effets aurait une augmentation des volumes d’électricité française vendus en bourse ?

M. Wolfram Vogel. S’agissant de l’afflux de l’électricité issue des énergies renouvelables, monsieur Gorges, je vous donnerai un exemple très concret. En 2010, l’Allemagne a pris un décret dans le cadre de la loi EEG qui a obligé les gestionnaires de transport à vendre en bourse l’électricité renouvelable. Cette forte augmentation des volumes étant intervenue dans un marché très liquide, elle n’a pas conduit à des déformations de prix. Depuis le couplage de novembre 2010, les marchés allemands et français et tous ceux auxquels ils sont connectés fonctionnent comme des vases communicants : toute injection d’énergies renouvelables est absorbée sur le marché européen, si bien que l’on n’observe plus de phénomènes de pics de prix. Cela dit, les prix sont tirés à la baisse puisque les énergies renouvelables sont produites à un coût marginal nul.

L’effet sur les prix est différent selon les sources d’électricité. L’afflux de volumes produits par les centrales nucléaires belges au printemps 2013 a ainsi conduit à une situation de surcapacités qui a eu pour conséquence, en juin 2013, l’apparition, pour la première fois, de prix de base négatifs sur le marché français.

Les marchés étant couplés, toute évolution forte dans un sens ou dans un autre de la production d’un pays donné a un impact sur l’ensemble du marché européen.

M. Philippe Vassilopoulos. Précisons que les variations de prix dépendent aussi de la disponibilité des interconnexions. Lorsque l’Allemagne dépasse un certain seuil de production intermittente d’énergies renouvelables, du fait d’un ensoleillement élevé ou de forts vents, elle va chercher à exporter le plus possible. Toutefois, ce mouvement se heurte à la saturation des capacités physiques d’interconnexion, ce qui a pour conséquence de faire baisser les prix allemands tandis que les prix dans les pays voisins se maintiennent à un niveau supérieur.

Ce phénomène de plus en plus fréquent induit une distorsion des prix. Les producteurs d’énergies renouvelables ayant bénéficié de subventions et d’obligations d’achat, ils n’ont pas eu besoin de prix élevés sur le marché pour financer leurs coûts fixes et leurs investissements, à la différence des centrales thermiques. Ils ont tendance à construire davantage que s’ils s’étaient situés dans le cadre d’un optimum économique. De ce fait, ils entretiennent une surcapacité extrêmement pénalisante pour les autres producteurs. Les acteurs qui ont investi dans des cycles combinés au gaz en ont particulièrement souffert. Moins bien lotis pour affronter la concurrence que les producteurs utilisant des centrales nucléaires ou des centrales au charbon, ils sont près de mettre la clef sur la porte. Cette situation est plutôt préoccupante car leur présence pourrait être nécessaire demain pour équilibrer un système où la pénétration des énergies renouvelables sera beaucoup plus forte.

La France est, à cet égard, extrêmement bien placée car elle a une bonne maîtrise des dispositifs d’effacement, qu’il s’agisse des effacements des jours de pointe (EJP), des heures creuses ou des tarifs à effacement de type Tempo. La participation des consommateurs, j’insiste sur ce point, est une condition sine qua non de la transition énergétique car elle permet de donner de la souplesse au marché et donc d’apporter la flexibilité nécessaire face au caractère intermittent de la production des énergies renouvelables. Le mécanisme de capacités en cours d’implémentation en France valorise les mégawatts installés, disponibles pour produire. Il est à espérer que cette rémunération de la capacité permettra de développer des capacités d’effacement significatives qui nous ramèneront au niveau d’avant l’ouverture à la concurrence voire au-delà. Rappelons qu’aux États-Unis, les mécanismes de capacités ont permis de générer des effacements atteignant 10 % à 15 % de la capacité de pointe.

Pour finir sur les énergies renouvelables, je préciserai que la formation des prix sur un marché de gros se fait par empilement des différentes technologies, par coûts marginaux ou coûts variables croissants : de la centrale qui coûte le moins cher à faire tourner à celle qui coûte le plus cher pour satisfaire la demande. Lorsque des quantités de renouvelables, aux coûts variables très bas, sont intégrées, les centrales les plus chères sont repoussées hors de la courbe d’offre, ce qui a tendance à faire baisser le prix.

J’en viens aux transactions sur le marché de gros. Les chiffres que vous avez cités, madame Dubié, montrent que le marché allemand est trois à quatre fois plus liquide que le marché français alors que les consommations sont similaires. La liquidité des marchés est fondamentale : elle est le gage d’un marché compétitif, plus difficilement manipulable et source d’une référence de prix robuste de nature à donner confiance aux acheteurs, aux vendeurs et aux investisseurs. Si le marché français est moins liquide, c’est à cause de sa structure, beaucoup plus concentrée, mais avant tout à cause du maintien de tarifs réglementés dont la compétitivité n’incitait pas les acteurs à se déplacer vers le marché de gros. Cette tendance semble toutefois s’inverser avec la baisse des prix de gros, donc rendus plus attractifs.

Donner au marché de gros les moyens de se développer correctement, c’est permettre que la transition énergétique se déroule dans des conditions optimales. Les signaux que le marché adresse aux producteurs comme aux consommateurs sont très importants pour rendre le système flexible et réactif. Les tarifs horo-saisonnalisés mis en place en France sont une première mesure qui donne un signal aux consommateurs sur le meilleur moment pour consommer, y compris à des prix négatifs, en étant rémunérés. Pour accroître la flexibilité du système, certaines conditions sont toutefois requises. On ne peut pas demander à un petit consommateur résidentiel d’être exposé à des prix variables sans lui donner la possibilité de les analyser. Cela nécessite de développer une nouvelle infrastructure de compteurs intelligents, les smart meters.

M. le président Hervé Gaymard. Je vous remercie, monsieur Vogel, monsieur Vassilopoulos, pour ces analyses très intéressantes.

29. Audition conjointe, ouverte à la presse, de M. Vincent Maillard, directeur général énergie et règlementation de Budget Télécom et ancien responsable des tarifs d’EDF, M. Grégory Lamotte, fondateur et président de Comwatt, et M. Pierre Bivas, président du syndicat professionnel Cathode et fondateur de l’entreprise Voltalis

(Séance du mercredi 28 janvier 2015)

M. le président Hervé Gaymard. Notre commission reçoit aujourd’hui trois personnalités du monde de l’électricité, dont l’activité concerne des créneaux qui nous ont semblé mériter une attention particulière, puisqu’ils se rapportent aux nouvelles modalités de la consommation électrique. Nous aurions d’ailleurs pu baptiser le thème de cette rencontre : « Smart homes, smart tariffs »…

M. Grégory Lamotte est président et fondateur de Comwatt, société qui promeut des systèmes d’autoproduction et d’autoconsommation, principalement à partir du photovoltaïque ; M. Pierre Bivas est fondateur de Voltalis, opérateur de l’effacement diffus ; M. Vincent Maillard, enfin, est directeur général « énergie et réglementation » chez Budget Télécom, mais il a été précédemment en charge des questions de tarification au sein d’Électricité de France (EDF).

Le point commun entre vous, messieurs, est de promouvoir des formules de réduction de la facture électrique auprès de consommateurs auxquels vous proposez des services dont le développement reste toutefois incertain, du moins à court terme. Concernant l’effacement, par exemple, la commission d’enquête a recueilli des points de vue très différents, voire divergents. Des représentants de grandes fédérations syndicales du secteur de l’énergie, que nous avons récemment auditionnés, s’opposent même à l’émergence d’opérateurs privés d’effacement rémunérés pour ce service.

Quoi qu’il en soit, un arrêté a été publié le 11 janvier dernier afin de fixer les montants de la prime dont bénéficieront certains opérateurs d’effacement. Un autre arrêté a été pris par la ministre de l’énergie, il y a quelques jours, sur le mécanisme d’obligation de capacité, à la charge des fournisseurs d’électricité.

Messieurs, vos activités sont à la rencontre de ce que l’on nomme les smart grids et des systèmes d’information les plus sophistiqués de l’internet. En cela vos remarques nous intéressent, d’autant plus que de nouveaux services concernant les modes de consommation de l’électricité auront nécessairement des incidences sur les coûts de son usage et, vraisemblablement, sur les tarifications.

D’autres sujets peuvent également enrichir la réflexion, comme celui, plus général, de la décentralisation de la production ou celui, plus précis, des éventuels apports du déploiement du compteur Linky.

Avant de vous laisser la parole, je vous indique qu’aux termes de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées par une commission d’enquête sont tenues, sans toutefois enfreindre le secret professionnel, de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Vincent Maillard, Grégory Lamotte et Pierre Bivas prêtent serment.)

M. Pierre Bivas, président du syndicat professionnel Cathode et fondateur de l’entreprise Voltalis. L’effacement permet d’optimiser la consommation, en l’occurrence de chauffage électrique, donc de la réduire sans diminuer le confort : chaque consommateur peut, grâce à cette solution, économiser de 10 à 15 % sur sa facture, soit quelque 250 euros par an en moyenne. Environ 7 millions de résidences principales sont chauffées à l’électricité en France ; il faut bien en tendu y ajouter les bâtiments publics, les bureaux et commerces, qui représentent 40 % de ce chiffre. Le potentiel total avoisine donc les 10 millions de logements.

Nos boîtiers permettent de piloter la consommation de façon très fine, par exemple en arrêtant un radiateur électrique pendant deux minutes, opération sans incidences pour le confort et génératrice d’économies. L’un des deux boîtiers installés dans le logement communique des données à nos serveurs, ce qui permet de suivre la consommation en temps réel : il s’agit, en d’autres termes, d’une technologie de l’internet mise au service de la consommation électrique.

L’effacement diffus profite également au système électrique dans son ensemble. Il agrège et coordonne des effacements réalisés sur un très grand nombre de sites ; de sorte que toute réduction de consommation apparaît comme une alternative à la production de la quantité d’électricité correspondante. Or notre technologie permet de déclencher un effacement diffus de 100 mégawattheures, de façon beaucoup plus rapide et précise que sur une centrale. Notre réseau d’effacement diffus, équivalant donc à une centrale d’appoint, peut en ce sens être assimilé à une centrale à économies d’énergie.

J’en viens, après le volet technique, à l’intégration économique de ce « mégawattheure négatif » au sein du marché de l’électricité. Aux termes de la directive européenne relative à l’efficacité énergétique, les effacements de consommation participent au marché de gros de l’électricité au même titre que les offres de production. Cette décision, toute simple, permet de proposer des mégawattheures d’effacement en période de pointe. Outre son bénéfice pour l’environnement, une telle substitution tire à la baisse les prix du marché de gros, définis par les ventes de la dernière centrale – la plus chère – dès lors que celles-ci ont vocation à couvrir les coûts. Cette concurrence entre l’économie et la production d’énergie a donc des effets positifs sur les prix.

Or les prix de gros représentent des coûts pour les fournisseurs d’électricité – qui s’approvisionnent auprès des producteurs ou des opérateurs d’effacement –, si bien que leur diminution se répercutera, pour peu que le marché soit correctement régulé, sur la facture du consommateur final. Notre système, la vente à nos adhérents de mégawattheures d’effacement diffus en lieu et place de mégawattheures d’électricité, profite par conséquent à tous les consommateurs.

M. Grégory Lamotte, fondateur et président de Comwatt. La société Comwatt est une start-up spécialisée dans l’internet de l’énergie, et plus particulièrement, en son origine, sur l’autoproduction, c’est-à-dire la production d’une énergie in situ, aussi appelée « énergie potagère ». Cette énergie, qui reste bien entendu d’appoint, représente ainsi et en moyenne 50 % de l’énergie consommée, et même 70 % dans les cas les plus favorables, l’énergie achetée sur le réseau assurant le complément. C’est un peu comme si l’on avait inventé la voile en remplacement du moteur, chacun prenant le relais de l’autre en fonction des conditions climatiques.

Un tel système, hybride, permet de réduire la facture d’énergie hors taxes, facture dont il faut rappeler qu’elle se compose pour moitié des frais de transport et d’acheminement. Le prix des énergies renouvelables a beaucoup baissé, atteignant en quatre ans un facteur quatre pour les panneaux photovoltaïques. Sur une installation simple, d’une puissance de 100 kilowattheures, il est d’ores et déjà possible de proposer une énergie à 8 centimes le kilowattheure : ce prix, qui permet d’amortir l’installation sur vingt ans, s’entend par définition hors frais de transport. Pour l’EPR – Evolutionary power reactor –, le prix s’établit à 11 centimes le kilowattheure mais, pour le coup, il faut bien entendu y ajouter les frais de transport – il en va de même pour l’éolien, au reste –, pour 7 centimes, soit 18 centimes au total.

Que faire, entend-on souvent dire, lorsque les conditions climatiques ne permettent plus la production des énergies d’appoint ? C’est le réseau qui prend le relais ; il représente une sécurité qui suppose bien entendu une régulation au niveau national, et qui donne tout son sens au système de l’effacement.

Nous avons développé un algorithme qui, selon les conditions observées à l’échelle d’un site, d’une région ou d’un pays, permet d’interrompre la consommation de certains appareils pendant quelques minutes ou parfois quelques heures, et ce sans perte de service pour le client final. Nous réduisons donc la facture de nos cinq cents clients grâce à la production d’une énergie locale moins chère et à la protection des réseaux, l’internet de l’énergie permettant une gestion centralisée des appareils, que nous ne faisons fonctionner que lorsque le réseau produit une énergie bon marché. Par le fait, plus le mix français intègre d’énergies renouvelables, plus les fluctuations entre les pointes de production et de consommation sont importantes. En Allemagne, où la production d’énergies renouvelables est sept fois plus élevée qu’en France – avec 35 gigawatts de capacité installée pour le solaire et 35 gigawatts pour l’éolien –, il arrive que l’offre et la demande se déconnectent l’une de l’autre, si bien que l’énergie atteint des prix négatifs sur le marché de gros. Notre solution coûte quelques centaines d’euros ; elle peut s’installer partout en deux heures, et nous pourrions la produire à 200 000 exemplaires : si l’Allemagne l’utilisait, elle ne rencontrerait jamais le problème que je viens d’évoquer.

L’Allemagne a néanmoins pris de l’avance sur la production d’énergies renouvelables, sans toutefois intégrer le problème de la demande ; la France, elle, a développé un savoir-faire en matière de nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) et de big data. Ce savoir-faire est reconnu jusqu’en Californie, où mon associé s’est d’ailleurs installé il y a deux mois. L’internet de l’énergie est sans doute le secteur grâce auquel notre pays peut compenser le retard pris dans les machines-outils, que les Allemands ont exporté dans le monde entier. Nous pourrions, de la même façon, exporter notre savoir-faire, d’autant que les problèmes qui se posent en France se posent également dans les autres pays. En Australie, où notre entreprise commence à s’implanter, une banque a réalisé une étude selon laquelle l’autoproduction d’énergie photovoltaïque serait, à l’horizon 2018, moins coûteuse qu’un charbon même à zéro euro la tonne, compte tenu des coûts de transport dans ce vaste pays de 23 millions d’habitants ! Cela conduit d’ailleurs ceux qui investissent aujourd’hui dans le charbon en Australie à s’interroger…

Notre entreprise propose en somme des énergies, non pas renouvelables, mais décentralisées, dans le cadre d’un nouveau modèle économique fondé sur une technologie d’ores et déjà disponible. On observe, depuis plusieurs décennies, une baisse continue du prix des énergies renouvelables ; ainsi, selon la loi de Swanson, le doublement de la capacité de production mondiale de photovoltaïque diminue les coûts de production du kilowattheure de 20 % ; et cela se produit tous les vingt mois, depuis quarante ans. Énergie peu coûteuse, le photovoltaïque est aussi facile à installer ; surtout, il n’en est qu’à ses débuts : même si son développement reste assez lent en France, il a progressé de 30 % au niveau mondial. Les États-Unis, l’Inde, la Chine et le Japon investissent massivement dans ce secteur, dont Barack Obama ne cesse de parler car il a compris qu’il était un vivier de créations d’emploi. D’après une étude de Robert Pollin, de l’université du Massachusetts, 1 million de dollars investis dans les énergies renouvelables créent en moyenne quatorze emplois, contre six dans les énergies conventionnelles – et moins encore dans le nucléaire. Ces technologies, que nous possédons déjà, nous offrent donc de réelles capacités pour l’avenir.

M. Vincent Maillard, directeur général énergie et réglementation de Budget Télécom et ancien responsable des tarifs d’EDF. Nous partageons tous ici une idée simple : la meilleure énergie est celle que l’on ne consomme pas. Dans les années quatre-vingt-dix, un rapport dit Souviron en parlait déjà, mais, depuis peu, des progrès ont été faits.

La France a beaucoup de savoir-faire, notamment en termes d’ingénierie, et elle a aussi inventé les tarifs « EJP » – effacement des jours de pointe –, dont bénéficient encore 500 000 clients : il faut rendre hommage à EDF sur ce point. Les tarifs s’entendent en heures pleines ou creuses, et les cumulus permettent le stockage. Il faut faire fructifier ces atouts.

Il faut également insister sur la convergence croissante entre l’internet et l’énergie, industrie du XIXe siècle dont le mode de comptage est totalement archaïque. Le compteur électrique est en effet relevé tous les six mois alors que le prix de l’énergie évolue toutes les heures : en 2014, il a varié de 97 à moins 2 euros le mégawattheure, et avait même atteint, certaines années, 3 000 euros le mégawattheure. À l’inverse, le signal tarifaire est resté très simple malgré quelques innovations. Or les technologies de l’internet permettent de rationaliser la consommation sur la base d’informations en temps réel, que ce soit à travers des coupures automatiques, selon la solution proposée par Voltalis, ou par ce que nous proposons nous-mêmes. Pour prendre un exemple comparable au relevé semestriel du compteur, comment pourrait-on économiser le carburant d’une voiture si la jauge ne donnait l’information que toutes les six heures ? De même, comment pourrait-on contrôler sa consommation téléphonique si l’opérateur n’adressait un index de la consommation estimée que tous les six mois ?

Notre idée de base est simple : elle consiste à donner à nos clients les moyens d’analyser leur consommation d’énergie. Un compteur émet une pulsation toutes les deux secondes environ ; il est en quelque sorte le cœur du logement. Nos appareils en effectuent un relevé toutes les cinq secondes, relevé qui est ensuite transmis à nos clients, que nous pouvons alors conseiller sur l’optimisation de leur consommation. Les études de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) le montrent : une telle prise de conscience permet d’économiser de 10 à 15 % sur la facture.

D’autres mécanismes sont ensuite envisageables, tel l’effacement, auquel l’opposition de certains ne cesse pas de m’étonner. Si l’on peut protester contre la rémunération qui en est faite, il n’en demeure pas moins nécessaire en lui-même. Dans la plupart des pays, les aléas de l’offre et de la demande sur le marché des capacités exposent à des risques de coupure. Le marché français, lui, est dimensionné pour faire surgir ce risque tous les dix ans : le dernier exemple en date remonte à une vague de froid au cours du mois de février 2012. Aucun opérateur, si l’on applique le schéma des « marchés spot », ne peut bien évidemment accepter d’investir en escomptant des profits une fois tous les dix ans. Autrement dit, des mécanismes sont nécessaires ; or l’effacement, solution la plus économique, paraît bien plus judicieux que le développement de moyens de production coûteux : je ne comprends pas que l’on puisse prétendre le contraire – au reste, sans doute cherche-t-on plutôt à entretenir un certain flou sur la question …

L’économie d’énergie, c’est l’énergie gratuite ; mais il est une autre chose qui peut être gratuite et cependant très difficile à obtenir : l’information. Les consommateurs, nous semble-t-il, ne sont pas enclins à accorder leur confiance à un fournisseur qui les conseille sur les moyens d’économiser l’énergie qu’il leur vend ; d’où notre positionnement d’acteur indépendant, qui justifierait de nous ouvrir l’accès aux données d’ERDF, d’autant que nos conseils, dans leur teneur et leur objet, resteraient les mêmes quel que soit le fournisseur. Aujourd’hui la CRE nous oppose la réglementation, qui interdit la transmission des données à tout autre opérateur que le fournisseur. Mais si le client est d’accord avec la transmission de ces données déjà disponibles chez son fournisseur, pourquoi s’y opposer ?

Les deux opérateurs historiques – respectivement de fourniture et de réseau – détiennent une mine de données sur la consommation de leurs clients et son évolution dans le temps : autant d’informations précieuses pour orienter les conseils que nous pourrions donner, à l’instar de certains opérateurs pour les bâtiments d’État. Nous sommes tout à fait disposés à proposer des diagnostics gratuits et complétés, le cas échéant, par des offres de conseil. Pourquoi ne pas décider de cette chose simple, l’accessibilité à des données inexploitées, afin d’éclairer les clients sur leur consommation et de leur faire réaliser des économies ?

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Merci pour ces exposés tout à fait intéressants. De quelles données quantitatives disposez-vous s’agissant de la diffusion des nouvelles technologies et de leurs effets concrets ?

L’accès à l’information est en effet une question majeure pour le consommateur, mais celui-ci se déterminera d’abord en fonction des économies d’énergie et de leurs incidences sur sa facture : le droit d’accès aux données, que vous revendiquez, est une façon d’envisager la question ; mais comment faire, en l’état actuel des choses, pour généraliser ces outils, sachant que vous n’avez pas les moyens de les proposer à tous les consommateurs, qui en tout état de cause peuvent décider par eux-mêmes de les utiliser avec une efficacité qui, alors, devient optimale ? Quelles sont les incitations possibles ?

Comment favoriser l’autoproduction chez les entreprises comme chez les ménages ? En vous écoutant, je me disais que ce type de démarche reste quand même le fait de quelques partisans convaincus. Au vu du nombre de cibles potentielles, comment viser au-delà du « club des initiés » ?

Le relevé semestriel du compteur constitue un archaïsme pour ainsi dire caricatural ; j’ajoute qu’il faut, sur des périodes aussi longues, tenir compte des délais de paiement puisque le relevé de consommation peut être sans rapport avec la consommation présente. Cela ne contribue certes pas à éclairer les raisons d’une évolution de la facture dans un sens ou dans l’autre. Dans ces conditions, quelle appréciation portez-vous sur le futur déploiement du compteur Linky et sur les délais de ce déploiement ? C’est aussi l’enjeu de la réactivité du consommateur qui est ici posé.

Enfin, au-delà des seuls constats, quels éléments de sensibilisation pourrait-on apporter au consommateur ? Le consommateur moyen, s’il existe, semble plutôt passif : il n’identifie pas toujours, je l’ai dit, les causes de l’évolution de sa facture. Comment le transformer en acteur de sa propre consommation ?

M. Grégory Lamotte. Selon une étude européenne de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), entre des usagers qui reçoivent un relevé trimestriel et ceux qui suivent leur consommation en temps réel, l’écart en termes d’énergie consommée atteint 10 %. Une autre étude, réalisée par Powermetrix-AFP, montre que l’arrêt complet d’appareils en veille grâce à des systèmes intelligents permet d’économiser de 5 à 6 % supplémentaires.

Nous travaillons, par exemple, sur des systèmes d’alerte permettant aux usagers d’éteindre à distance tel ou tel appareil resté allumé. L’internet rend ces solutions très simples à mettre en œuvre.

Madame la rapporteure, nous disposons d’environ 1,5 million de données quotidiennes, qui nous permettent d’apprécier les économies réalisées par nos clients. Ces données proviennent de nos propres instruments de mesure, non des compteurs d’EDF, ce qui garantit notre indépendance à l’égard des fournisseurs

Mme la rapporteure. Nous avons bien noté les technologies dont vous disposez : ma question portait sur leur diffusion auprès des « consommateurs lambda ».

M. Grégory Lamotte. Il faut en effet faire évoluer les mentalités. Cela passe par la communication, mais aussi par le « signal prix ». À service équivalent, les Allemands consomment aujourd’hui 30 % d’énergie en moins car le niveau des prix, plus élevé, les incite à la vigilance. Si les technologies liées à l’efficacité énergétique ont été moins développées dans notre pays, c’est parce que l’énergie y est moins chère. Le consommateur doit avoir une vision claire de ce qu’il paie aujourd’hui et de ce qu’il paiera dans le futur, afin d’évaluer l’intérêt d’un éventuel investissement : pourquoi investirait-il, par exemple, dans un système d’isolation rentable au bout de vingt ans seulement ? Pour que le consommateur anticipe des gains de pouvoir d’achat, l’horizon doit se situer à moins de dix ans. Cela revient un peu à comparer les situations respectives d’un locataire et d’un propriétaire : lorsque le premier quitte son logement au bout de vingt ans, il n’a rien d’autre que ses quittances de loyer ; le second, lui, possède de la pierre. Investir dans un système d’économies d’énergie ou de production d’une énergie renouvelable, c’est en quelque sorte devenir propriétaire de son énergie : une fois remboursé un prêt généralement étalé sur une période de cinq à huit ans, le produit de l’investissement demeure.

La plupart de gens croient qu’il est illégal d’installer un panneau solaire chez eux, de façon à produire leur propre énergie ; or cela fait quinze ans que la loi les y autorise. Nous avons donc un combat à mener contre ces idées reçues qui ont la vie dure.

Le compteur Linky propose une tarification à l’heure : il incitera donc les usagers à consommer de façon plus intelligente. Que les éclairages et les plaques de cuisson fonctionnent à plein régime à dix-neuf heures, cela se comprend ; mais pourquoi devrait-il en être de même pour les cumulus et les systèmes de chauffage ? C’est un peu comme si les trains à grande vitesse (TGV) n’avaient été conçus que pour transporter les usagers le 1er août de chaque année ! Il serait plus judicieux d’envoyer des signaux sur les tarifs aux heures de pointe, de sorte que le consommateur prenne conscience qu’il paiera moins cher en consommant à d’autres moments, exactement comme un usager du TGV choisit dorénavant son horaire en fonction du prix. En d’autres termes, il deviendra bientôt aussi important de consommer au bon moment que de consommer moins ; tel est en tout cas le pari que nous faisons.

M. Pierre Bivas. Vous avez demandé, Madame la rapporteure, comment il est possible de faire profiter le plus grand nombre de l’effacement diffus. Je répondrai simplement : en le laissant se développer.

Nous avons la capacité d’équiper aujourd'hui en effacement diffus quelque 100 000 logements, ce qui n’est pas rien. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire pour équiper des millions de foyers. Or le consommateur lambda est très demandeur : 80 % des consommateurs que nous avons au téléphone nous demandent d’installer le boîtier que nous leur proposons. Cette adhésion massive est due au fait qu’il s’agit d’un boîtier gratuit qui permet de réaliser des économies. Si le cadre réglementaire ne nous empêchait plus d’exister – la loi est en cours  –, ce boîtier serait promis à un développement à grande échelle.

Il faut savoir que l’installation de ce boîtier permet aux consommateurs d’économiser 15 % d’énergie sans même qu’il leur soit nécessaire d’être vigilants, grâce à l’information détaillée que nous leur apportons, sous forme de courbes, en termes de kilowattheures et en termes financiers, et qui relègue Linky au rang du Minitel des années 1980. Cette information, disponible gratuitement en temps réel sur internet, est – c’est le plus important – déclinée par usage. Elle permet donc de connaître les éléments qui consomment le plus – par exemple le radiateur de la salle de bains. Linky, dont la technologie sera dépassée avant même d’être déployée, c’est 10 milliards d’investissement gâchés pour la collectivité, qui ne serviront finalement qu’à détruire, chez ERDF, quelques milliers d’emplois liés à la relève des compteurs.

Nous avons pu constater, en étudiant les courbes de plusieurs dizaines de milliers de logements, l’effet nul des tarifs variables, alors même que, comme Vincent Maillard l’a rappelé, ils existent depuis des années en France. Le plus répandu est le tarif « heures pleines-heures creuses », auquel la majorité de nos adhérents ont souscrit. Si la plupart des consommateurs ont doté leur chauffe-eau d’un contacteur, qui n’autorise le chauffage de l’eau qu’au cours des heures creuses, c'est-à-dire essentiellement la nuit, en revanche, ces mêmes consommateurs chauffent leur logement toute la journée à chaleur constante, bien que cela ne réponde à aucun besoin économique ou écologique. Le consommateur aurait en effet intérêt à chauffer moins en heures pleines et davantage en heures creuses, l’inertie thermique du bâtiment permettant d’absorber les variations.

Si donc les tarifs variables avaient un impact, cela ferait des années que les consommateurs chaufferaient moins à dix-neuf heures, qui est l’heure de pointe : or leurs radiateurs chauffent continûment toute la journée, le chauffage augmentant légèrement à la fin de la nuit, parce qu’il fait un peu plus froid dehors. En fait, les radiateurs consomment de l’électricité non pas dans l’intérêt collectif mais au plus grand profit des fournisseurs et des producteurs. Comme les consommateurs se sauraient rester derrière leurs radiateurs toute la journée, le rôle de notre boîtier, à l’instar du contacteur dont sont dotés les chauffe-eau, est de piloter leur consommation pour éviter des dépenses en heures pleines, voire des gaspillages, – un rôle que le compteur Linky ne pourra jamais remplir.

La valorisation de l’effacement sur les marchés de l’énergie permettrait de financer ce pilotage. Nos quelque 100 000 logements ou équivalents permettent d’effacer un peu moins de 500 mégawatts, alors que le potentiel est de plusieurs gigawatts puisque 7 millions de foyers sont chauffés à l’électricité. Or, selon l’estimation médiane de RTE réalisée il y a deux ans, un gigawatt de capacité d’effacement diffus permettrait aux fournisseurs de réaliser 180 millions d’euros d’économies par an, des économies susceptibles d’être répercutées auprès des consommateurs. S’il était possible d’effacer cinq gigawatts, les économies ainsi réalisées sur les coûts de l’électricité atteindraient presque le milliard d’euros. On retrouve les mêmes chiffres aux États-Unis, où la valorisation, autorisée depuis 2011, des effacements sur les marchés de l’énergie permet de diminuer les coûts des fournisseurs au bénéfice final des consommateurs.

Pourquoi des fédérations syndicales de l’énergie seraient-elles opposées au développement de l’effacement diffus, alors que les consommateurs, les fournisseurs et les producteurs eux-mêmes, comme l’a montré M. Maillard, y gagneraient ? La première raison communément avancée est que les économies d’énergie ne constituent pas le premier objectif des vendeurs d’énergie – ce qui rend indispensable l’existence d’opérateurs indépendants. La deuxième, c’est que l’effacement diffus entre en concurrence avec les producteurs, puisque cet effacement est une alternative aux centrales. Or il faut savoir que l’effacement diffus permettra aux producteurs de réaliser des économies, en termes de construction et de d’entretien de centrales de pointe, dont les coûts sont plus élevés que les éventuels bénéfices que ces mêmes centrales leur permettent de réaliser. En fait, la vraie raison tient à la structure du marché. Le plan des fournisseurs secondant largement le plan de l’opérateur historique lui-même, leur intérêt est de piloter le marché pour obtenir une hausse annuelle de 5 % des tarifs. C’est pourquoi nous sommes ravis que votre commission d’enquête se penche sur le sujet. Nous apportons en effet des arguments visant à limiter les coûts et donc une hausse infinie du tarif de l’électricité. Les informations indépendantes que nous apportons aux consommateurs leur permettant de réaliser des économies d’énergie, notre démarche n’enthousiasme pas des organismes dont le métier est de produire et de vendre le plus possible de l’électricité, à un prix de plus en plus élevé. C’est pourquoi ces organismes ne voient pas d’un bon œil les alternatives que nous proposons.

Selon l’ADEME, le chauffage et l’eau chaude entrent pour 80 % dans la consommation de l’énergie. Les 7 millions de foyers dotés d’un chauffage électrique consomment donc cinq fois plus d’électricité que les autres. Ce sont eux également qui contribuent le plus à la formation de la pointe, dont la facture électrique est la plus lourde et qui sont les plus sensibles à d’éventuelles économies d’énergie. Ce sont donc à ces 7 millions de foyers qu’il convient d’apporter les services les plus étendus. Si nous pouvons exercer notre activité, dans le cadre du droit européen transcrit dans la loi française, comme cela est en cours, l’effacement diffus pourra équiper plusieurs millions de foyers en France pour lesquels réaliser des économies d’énergie sera d’autant plus intéressant, que cela ne leur coûtera rien. En revanche, une telle démarche permettra d’économiser les 10 milliards d’euros investis dans Linky, dont les trois quarts seront gâchés puisque Linky équipera, pour les trois quarts, des foyers qui prendront leur part de financement d’un système qui ne leur fera réaliser que d’infimes économies.

Seul le développement de l’effacement diffus permettra de réaliser des économies à grande échelle.

M. Vincent Maillard. Je tiens à préciser qu’on observe des changements dans les comportements en cas d’écarts importants de tarifs : je pense notamment aux tarifs EJP (effacement des jours de pointe) ou Tempo. La solution consiste-t-elle à augmenter les tarifs ? Que faire des bénéfices alors récoltés et quelles seront les conséquences sociales d’une augmentation qui alourdira fortement la charge des clients les plus paupérisés ? Nous ne pensons pas que l’augmentation des tarifs permettra de résoudre tous les problèmes. Il vaut mieux s’orienter vers une meilleure information des clients pour les aider à moins consommer. Il n’est pas besoin d’augmenter constamment les tarifs : provoquer une prise de conscience nous paraît une bien meilleure solution.

Il est vrai que les moyens que nous préconisons tous, ce soir, permettront à nos clients de réduire de 10 % à 15 % leur consommation d’énergie. Il n’en reste pas moins que notre premier objectif doit être de leur donner confiance dans les solutions que nous leur proposons. Or bâtir une telle relation demande toujours du temps car la confiance ne s’accorde que progressivement. Une proposition commerciale à 2,90 euros par mois n’est pas onéreuse. Elle devient rentable si, effectivement, elle permet de faire baisser de 15 % une facture annuelle qui s’élève à 800 euros. Toutefois, le consommateur n’y recourra que s’il est certain du résultat. C’est pourquoi nous sommes favorables à une labellisation des solutions de bon sens que nous proposons et à leur audit. Des organismes publics doivent garantir leur caractère vertueux, notamment en termes d’économies effectivement réalisées.

Je ne partage toutefois pas la vision totalement négative de Linky qui a été apportée ce soir. Pour nous, Linky peut être l’occasion d’aider les clients à mieux connaître leur consommation. En revanche, la rentabilité du dispositif pour la collectivité est un vaste débat, dans lequel je n’entrerai pas.

Les trois organismes que nous représentons se placent du côté des clients : nous souhaitons leur servir d’intermédiaires auprès de leurs fournisseurs. Notre rôle, c’est de les aider à optimiser leur consommation. Le problème, c’est que les fournisseurs ne veulent pas d’un tiers qui se glisserait dans leurs relations avec leurs clients. Je crois toutefois qu’avec le temps ils se départiront d’une attitude aussi stupide et qu’ils finiront par comprendre que l’intérêt commun exige que nous agissions ensemble, d’autant que, en l’absence d’opérateurs français, demain, un Google deviendra partenaire d’EDF !

M. Grégory Lamotte. Ceux qui se tournent vers l’autoconsommation par choix écologique représentent entre 15 % et 20 % de nos clients. La grande majorité y recourt pour des raisons budgétaires. À l’heure actuelle, en tarif bleu, le kilowattheure s’élève à 14 ou 15 centimes, avec une augmentation tendancielle de 5 % l’an. Or l’autoproduction permet de réduire le prix du kilowattheure à 11 centimes, un prix garanti pour les vingt-cinq prochaines années. De plus, l’intérêt économique de l’autoconsommation ne peut qu’aller croissant, puisque le prix de revient des énergies renouvelables est appelé à baisser, alors que l’énergie fournie par le réseau sera de plus en plus chère. Le temps joue donc pour nous.

Enfin, pour passer du Minitel au Triple play, il n’a pas été nécessaire de changer le fil de cuivre qui relie votre domicile au réseau. Mettre de l’intelligence dans le signal, voilà ce que nous proposons. Je compare cette forme d’optimisation à l’arrivée de l’ADSL.

M. le président Hervé Gaymard. Je vous remercie pour ce panorama stimulant aux plans intellectuel et politique – au meilleur sens du terme.

Vous avez peu évoqué les pays étrangers : la France est-elle en retard ou en avance par rapport aux autres pays européens ou aux États-Unis ?

M. Pierre Bivas. Si l’effacement industriel est pratiqué depuis très longtemps, c’est l’effacement du grand nombre des consommateurs, qu’on appelle l’effacement diffus, qui présente le plus grand potentiel. La valorisation des effacements a fait l’objet, aux États-Unis, entre 2008 et 2011, de plusieurs décisions du régulateur fédéral de l’énergie (FERC). Les Américains ont adopté dès 2011 l’équivalent de la directive européenne de 2012. L’effacement diffus représente aux États-Unis des dizaines de gigawatts. La question se pose pour la France de savoir si elle veut protéger le plus longtemps possible les technologies et les marges des opérateurs historiques ou si elle souhaite enfin disposer d’un champion national qui soit le plus performant possible, y compris au plan international, en le dotant des technologies de l’internet – notre rôle, à un niveau modeste, est de travailler en symbiose avec les grands acteurs. Le risque, c’est que des opérateurs américains ne finissent, un jour, par s’imposer chez nous !

La France, par rapport à l’Europe, est très en avance dans le domaine de l’effacement diffus, grâce aux travaux que RTE ou nous-mêmes avons réalisés. Elle est le seul pays européen à avoir équipé 100 000 foyers. Développons cette technologie en Europe et ailleurs dans le monde. Pour l’Asie, réguler la demande d’électricité et réaliser des économies d’énergie sont des enjeux majeurs en termes économiques ou environnementaux, de sécurité électrique ou encore de capacité des réseaux. Si nous déployons nos technologies à grande échelle en France, nous serons bien placés pour les déployer également à grande échelle dans toute l’Europe et en Asie. Dépêchons-nous !

De plus, le développement de l’effacement diffus créera entre 2 000 et 3 000 emplois en France. Voltalis s’est engagée à les créer dès lors que la loi, non seulement, précisera – c’est déjà fait – qu’il n’est pas question d’indemniser les fournisseurs pour les économies d’énergie ainsi réalisées, mais tiendra compte également du bénéfice que ces technologies apportent aux fournisseurs – bénéfice que les Américains appellent le net benefit –, en termes de réduction de leurs coûts, une réduction cinq fois plus élevée que ne le sont les bénéfices réalisés par Voltalis ou par les consommateurs. Nous pourrons alors nous déployer partout ailleurs et ainsi développer à la fois l’emploi français et des technologies françaises. Plusieurs millions de foyers pourraient être touchés gratuitement en France d’ici deux à cinq ans par l’effacement diffus.

M. Grégory Lamotte. Les Allemands, qui ont développé l’autoproduction, ont d’abord fait le choix de stocker le surplus d’énergie produite dans des batteries, dont le prix est très élevé – entre 12 000 et 15 000 euros pour une batterie capable de stocker douze kilowattheures, à comparer aux 200 euros d’un cumulus de 250 litres d’une capacité de stockage équivalente. Il est donc plus rentable d’utiliser des cumulus, même avec un kilowattheure à 25 centimes d’euro, d’autant que tous les foyers en sont pourvus.

Nous avons été contactés par la Belgique, dont trois réacteurs sont à l’arrêt et qui craint des coupures d’électricité en période de pointe, d’autant que les interconnexions avec les pays voisins sont saturées. Notre technologie, qui est légère et peut se déployer rapidement à plusieurs millions d’exemplaires, permet de faire jouer la solidarité nationale pour éviter les black-out et, plus généralement, de modifier les modes de consommation pour un prix modique.

Je tiens enfin à évoquer le cas de Saint-Pierre-et-Miquelon, dont les éoliennes, gérées par une filiale du groupe Quadran, ont été démontées l’année dernière. Elles ont été remplacées par des groupes fonctionnant au fioul. Il est en effet plus difficile pour l’opérateur de gérer des éoliennes que de tels groupes. Il est vraiment dommage que la France en soit arrivée là !

Il faut savoir que, par exemple, la part des énergies renouvelables en Corse est plafonnée à 30 %. Un système de gestion du diffus, incitant les clients à consommer lorsque l’énergie est produite et à réduire leur consommation durant les périodes de pointe, permettrait de dépasser ce plafond de verre de 30 %.

M. le président Hervé Gaymard. Les îles et l’outre-mer font en effet l’objet, en matière d’énergies renouvelables, d’une problématique particulière qu’il convient effectivement d’évoquer.

M. Vincent Maillard. L’augmentation de la part des énergies dites intermittentes pose, au plan mondial, la question du stockage intelligent. Recourir à l’eau chaude est, par exemple, une manière intelligente de stocker l’énergie. Il est également possible de la stocker dans le bâti en profitant de l’inertie thermique des bâtiments. Notre objectif est de développer des solutions de bon sens. Les États-Unis ont fait beaucoup en la matière. Quant à la France, elle est pionnière en Europe. Alors qu’un grand nombre d’opérateurs ont fait des offres aux fournisseurs et non aux clients finaux, nos trois organismes sont, au contraire, du côté des clients. Notre positionnement est donc original. Peut-être est-ce l’histoire du système français de l’électricité qui l’explique : tel est, en tout cas, le créneau que nous souhaitons occuper.

M. le président Hervé Gaymard. Messieurs, je vous remercie de ces interventions parfois dissidentes mais très instructives.

30. Audition, ouverte à la presse, de M. Wolfram Vogel, directeur des affaires publiques et de la communication d’EPEX Spot, la bourse des marchés spot de l’électricité, et M. Philippe Vassilopoulos, économiste responsable du service études

(Séance du mercredi 4 février 2015)

M. le président Hervé Gaymard. Madame la rapporteure, mes chers collègues, nous avons l’honneur aujourd'hui de recevoir M. Wolfram Vogel, directeur des affaires publiques, et M. Philippe Vassilopoulos, économiste en charge des études de la société EPEX SPOT, bourse de marchés européens de l'électricité.

Basée à Paris, cette société résulte de la fusion de deux bourses de l'énergie préexistantes : Powernext en France et EEX en Allemagne. Depuis le début 2015, la bourse allemande détient 50 % de son capital, par le jeu de participations indirectes, tandis qu’une une holding commune à trois gestionnaires de réseaux de transport – RTE pour la France, Elia pour la Belgique et TenneT pour les Pays Bas – en détient directement 36,7 %. Les marchés d'EPEX SPOT sont la France, l'Allemagne, l'Autriche et la Suisse, pays qui totalisent plus du tiers de la consommation électrique en Europe.

Nous voudrions d’abord, messieurs, que vous nous expliquiez comment fonctionne cette bourse de l'électricité ? A-t-elle des concurrents en Europe ?

Quels sont les acteurs qui opèrent à l'achat ou à la vente ? Des banques et leurs traders sont-ils présents sur ce marché ?

Cette bourse à vocation transnationale mais basée en France est-elle placée sous le contrôle de l'Autorité des marchés financiers ?

Vos activités constituent certainement un élément de l'intégration des marchés européens de l'électricité : elles contribuent à l'équilibre entre offre et demande. À cet égard, il serait intéressant pour la commission de connaître les volumes négociés et la croissance de votre activité au cours des dernières années. Sur ces points, la communication d'une note ou de graphiques serait très utile à notre information.

La question des prix de gros prend d'autant plus d'importance en France que les nouvelles règles de construction des tarifs de l'électricité obligent la Commission de régulation de l’énergie (CRE) à désormais prendre partiellement en compte les prix de marché.

Pourquoi constate-t-on une telle différence entre les prix de gros allemands et français, alors que votre bourse intègre précisément ces deux marchés nationaux ?

Enfin, pourquoi d'autres plateformes boursières de l'énergie comme celles des quotas d'émission de CO2 ou encore des échanges de certificats d'économie d'énergie ne semblent pas avoir rencontré le même succès que votre activité, certes beaucoup plus massive ?

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires faisant obligation aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, je vous demande, Messieurs, de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(MM. Wolfram Vogel et Philippe Vassilopoulos prêtent serment)

M. Wolfram Vogel, directeur des affaires publiques et de la communication d’EPEX SPOT. Mesdames, messieurs les députés, je tiens tout d’abord à vous remercier de nous avoir conviés à cette audition.

Pour présenter EPEX SPOT, je commencerai par brosser un rapide historique. La création des bourses d’électricité a répondu aux nouveaux besoins nés de la libéralisation du marché de l’électricité, la séparation des fonctions de production, de transport, de commercialisation nécessitant la mise en place de signaux prix. Ces bourses, non prévues par les paquets énergie-climat de la Commission européenne, sont aujourd’hui au nombre d’une quinzaine en Europe et couvrent soit le marché à terme, soit le marché à court terme, dit marché spot, auquel se consacre EPEX.

Le marché à terme permet aux acteurs de se prémunir contre les risques pris dans le long terme, sur plusieurs années, tandis que le marché spot sert à réduire le risque lié aux volumes de production. Aujourd’hui, le marché européen est caractérisé par un besoin accru d’optimisation de court terme car les producteurs et les fournisseurs doivent équilibrer production et consommation au plus près du temps réel.

La fonction économique essentielle d’EPEX consiste à déterminer un signal prix de référence en organisant la libre confrontation entre offre et demande sur les marchés de gros français, allemand, autrichien et suisse, qui sont largement intégrés. EPEX apparie ordres d’achat et de vente d’électricité dans un mécanisme d’enchères. Chaque jour, à douze heures, un prix est fixé pour la livraison physique de l’électricité dans le périmètre d’équilibre des clients traitant en bourse, qu’il s’agisse des fournisseurs, des producteurs, des banques ou des gestionnaires de réseaux de transport. Précisions que ces derniers jouent un rôle fondamental sur la chaîne de valeur énergétique et peuvent intervenir sur le marché spot pour racheter les pertes intervenues pendant le transport de l’électricité.

L’électricité présente des caractéristiques physiques qui déterminent sa commercialisation. L’offre et la demande doivent être équilibrées à tout moment : l’électricité est un produit difficile à stocker ; la demande est peu flexible tandis que l’offre provenant de sources d’énergie renouvelables devient de plus en plus variable.

La bourse est un acteur neutre dans la mesure où tous les acteurs du marché, quel que soit le moyen de production, peuvent acheter ou vendre pour optimiser leurs portefeuilles. Elle intervient sur une chaîne de valeur énergétique unique : il n’y a pas de réseaux distincts pour le nucléaire ou les énergies renouvelables.

EPEX SPOT opère sur les marchés français, allemand, autrichien et suisse, qui représentent 40 % de la consommation de l’électricité en Europe, ce qui explique que le prix spot soit le prix de référence pour le marché de gros. En 2014, les volumes négociés se sont élevés à 382 Térawattheures : 290 TWh sur le marché germano-autrichien, 71 TWh sur le marché français et 21 TWh sur le marché suisse.

L’un des principaux axes de l’intégration des marchés est le couplage dont le but est d’optimiser les interconnexions. Le gestionnaire de réseau de transport établit à partir des capacités d’interconnexion disponibles aux frontières des calculs qui sont ensuite intégrés dans le carnet d’ordres de la bourse qui met en enchères en parallèle les capacités de transport disponibles et l’électricité. Le prix qui résulte de cette opération détermine non seulement les volumes mais aussi les flux d’électricité, qui transitent d’un pays moins cher vers un pays plus cher.

Le premier couplage est intervenu en 2006, liant le français Powernext et ses homologues néerlandais et belge. Cette zone a ensuite été couplée en novembre 2010 avec l’Allemagne et l’Autriche. Jusqu’à cette période, les prix entre la France et l’Allemagne ne convergeaient quasiment jamais. Depuis, les prix sur le marché de gros allemands et français connaissent une convergence à hauteur de 50 %, autrement dit, au cours d’une année, les prix sont les mêmes pour la moitié des heures. Le reste du temps, l’écart de prix s’explique par une pénurie de capacités de transport aux interconnexions concernées.

Le couplage est jusqu’à aujourd’hui la mise en œuvre la plus concrète du marché intérieur de l’électricité. Il a connu deux étapes majeures en 2014 avec, en février, l’extension aux pays scandinaves, au Royaume-Uni et aux pays baltes et, en mai, à la péninsule ibérique. À la fin du mois de février 2015, si les autorités régulatrices nationales concernées l’autorisent, l’intégration de l’Italie et la Slovénie devrait porter le taux de couplage des frontières à 80 %.

Le couplage s’est avéré une réussite dans la mesure où il a accru l’efficacité du système électrique européen. On peut dire que la France a hautement profité de cette intégration des marchés européens.

EPEX SPOT est supervisée par les quatre régulateurs des marchés nationaux qu’elle couvre : la CRE en France, la Bundesnetzagentur en Allemagne, E-Control en Autriche, et la commission de l’électricité ElCom en Suisse. En 2011, est entrée en vigueur la régulation européenne REMIT – Regulation on wholesale Energy Market Integrity and Transparency – qui vise à assurer la transparence et l’intégrité des marchés de gros de l’énergie en luttant contre les délits d’initiés et les manipulations de marché. Elle valorise fortement le régulateur européen, l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie (ACER), basée en Slovénie. Dans le courant de l’année 2015, une régulation européenne fondée sur les codes de réseau devrait permettre une harmonisation des allocations de capacités et la gestion des congestions. Elle fournira un cadre réglementaire qui précisera les rôles respectifs des gestionnaires de transport et des bourses spot ainsi que l’organisation du couplage.

M. Philippe Vassilopoulos, économiste responsable du service des études d’EPEX SPOT. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les députés, pour répondre à vos questions sur les écarts de prix, je ferai un bref historique des prix de l’électricité depuis l’ouverture des marchés à la concurrence.

Lors de l’ouverture, en 2000, prévalaient des systèmes fortement surcapacitaires : les prix se situaient autour de 30 euros le mégawattheure, soit à un niveau inférieur à la part énergie du tarif réglementé. Cette situation a fortement évolué depuis. Les prix de gros n’ont fait qu’augmenter du fait de la combinaison de trois facteurs : les tensions pesant sur l’équilibre entre l’offre et la demande, qui se sont fait sentir graduellement à mesure que la demande augmentait et qu’il n’y avait pas d’ajout de nouvelles centrales ; l’évolution des prix des combustibles, en particulier du prix du pétrole, qui a un impact sur les prix du gaz et donc sur une partie des coûts de production de l’électricité ; l’intégration d’un prix du CO2.

Vers 2003, les prix de gros sont passés au-dessus de la part énergie du tarif réglementé, ce qui a entraîné un certain nombre de réformes. Afin d’améliorer leur compétitivité, les gros industriels français ont demandé à ce que soient introduits des mécanismes comme le tarif réglementé et transitoire d'ajustement au marché (TARTAM), remplacé en 2010 par l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH).

En 2008, les prix de gros ont atteint un pic, avec environ 80 euros le mégawattheure, alors même que les tarifs transitoires réglementés étaient de l’ordre de 42 euros le mégawattheure.

Depuis, de nombreux changements sont intervenus. Ils sont liés à trois raisons principales.

Premièrement, les prix du gaz ont connu une baisse, qui n’a cependant pas été aussi forte que celle des prix du charbon et du CO2. Les centrales au charbon ont bénéficié de l’apport sur le marché européen de grandes quantités de charbon libérées par l’exploitation du gaz de schiste aux États-Unis. Leur taux d’utilisation a augmenté aux dépens des centrales au gaz devenues moins compétitives, alors même qu’elles étaient flambant neuves, leur volume d’activité diminuant de 3000 à 4000 heures à 1 500 heures par an.

Deuxièmement, la crise a entraîné une baisse de la consommation, qui a eu un impact direct sur les prix de l’électricité.

Troisièmement, il faut souligner l’arrivée d’une part significative d’énergies renouvelables sur le marché, notamment en Allemagne, en Espagne, mais aussi en Italie qui connaît un fort développement de l’énergie solaire. Ces énergies, dont les coûts fixes sont subventionnés, sont offertes à de très bas prix sur le marché de gros, ce qui contribue à faire baisser le prix de l’électricité. L’Allemagne dispose actuellement de 75 gigawatts de capacités intermittentes installées : quand le vent souffle et que le soleil brille, les quantités exportées sont importantes, ce qui participe à la baisse des prix des marchés voisins.

Aujourd’hui, le prix de gros de l’électricité se situe en France aux alentours de 35 à 40 euros le mégawattheure contre 30 euros le mégawattheure en Allemagne. Ce différentiel de prix s’explique par la saturation des interconnexions, qui impose une limite physique aux exportations allemandes.

Ces éléments posés, j’aimerais insister sur le bénéfice du marché de gros. Le prix fixé par la bourse, issu de la confrontation la plus démocratique possible entre l’offre et la demande, permet d’envoyer un signal indiquant à des milliers de centrales à travers l’Europe à quel moment elles peuvent démarrer la production et à quel moment elles peuvent l’arrêter. Ce mécanisme permet de satisfaire la demande à moindre coût en faisant appel aux unités de production les moins onéreuses. Autrement dit, grâce à l’intégration du marché, les acteurs bénéficient des meilleures opportunités.

Le signal prix est aussi utile aux investisseurs : quand les prix montent, les acteurs investissent ; quand les prix baissent, ils cessent de le faire pour éviter les surcapacités. Lorsque les investissements sont décorrélés des prix, peuvent survenir des situations de surcapacités comme celles que nous connaissons aujourd’hui du fait de l’arrivée massive de capacités renouvelables sur le marché européen, particulièrement de l’énergie solaire qui a un impact très important sur les prix.

Le marché de l’électricité était avant tout fondé sur l’offre mais l’un des défis auxquels il sera de plus en plus confronté consistera à faire participer le consommateur à l’équilibrage de l’offre et de la demande à travers les effacements. Les énergies renouvelables rendant l’offre plus aléatoire, du fait de l’intermittence de leur production, il est indispensable d’avoir le système le plus souple possible pour répondre non seulement aux variations de consommation mais aussi aux variations de production.

Enfin, si les quotas d'émission de CO2 et les échanges de certificats d’économie d’énergie ont connu un moindre succès que les bourses d’électricité, c’est qu’il s’agit de marchés beaucoup plus administrés. Si les quotas fixés sont trop ambitieux, les prix montent ; s’ils sont mal calibrés, les prix baissent, comme c’est le cas aujourd’hui, ce qui va l’encontre de l’objectif environnemental du dispositif. Pour les certificats d’économie d’énergie, les ambitions en matière d’économies d’énergie étaient plutôt faibles dans un premier temps ; elles deviennent de plus en plus contraignantes et ce marché devrait se développer dans les années qui viennent.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Je vous remercie, messieurs, pour vos interventions très utiles et intéressantes.

J’avais une première question relative à l’impact sur la baisse des prix du marché spot de l’arrivée de grandes quantités d’énergies renouvelables et du moindre coût de production des centrales au charbon mais vos interventions ont permis d’y répondre.

Ma deuxième question porte sur les différences de prix entre heures pleines et heures creuses. Pour lequel des deux tarifs la baisse est-elle la plus marquée ?

Troisième question : la baisse des prix se poursuit-elle sur les marchés à terme ?

Quatrièmement, quelles conséquences cette baisse a-t-elle sur les volumes échangés sur les marchés ? Observe-t-on une hausse significative de ces volumes ?

Cinquièmement, la baisse du tarif de l’ARENH est-elle liée à la baisse des prix sur le marché ? Jusque-là, ce tarif constituait une sorte de plancher pour les prix du marché. Comment expliquez-vous que cette indexation implicite semble ne plus fonctionner ?

Enfin, ma sixième question concerne le projet de loi relatif à la transition énergétique qui prévoit que les producteurs d’électricité issue d’énergies renouvelables seront de plus en plus contraints de vendre sur les marchés. Quelles en seront les conséquences ?

M. Philippe Vassilopoulos. Je vous remercie pour ces questions, madame la rapporteure, en parfaite adéquation avec les dernières évolutions du marché de l’électricité.

S’agissant de la baisse des prix sur le marché de gros de l’électricité, je rappelle les trois facteurs principaux : baisse des prix des combustibles fossiles ; baisse de la consommation industrielle et résidentielle liée à la crise ; arrivée massive d’énergies renouvelables, qui ont tendance à déplacer les capacités thermiques, plus onéreuses, hors de la courbe de l’offre.

Ces dernières années, des prix négatifs sont apparus. Trois facteurs ont contribué à leur émergence : une consommation faible, souvent le dimanche ; une forte part de production renouvelable intermittente ; une part significative de centrales peu flexibles, qu’il s’agisse des centrales au charbon ou des centrales nucléaires, sachant que les centrales françaises sont pour une bonne part plus flexibles que ce que beaucoup pensent, du fait d’investissements effectués dans le passé qui leur permettent d’opérer un suivi de charge. Pendant ces périodes de prix négatifs, les producteurs qui ne sont pas capables d’effacer leur production sont obligés de payer pour l’énergie qu’ils produisent.

S’agissant des marchés à terme, ils ont connu le même phénomène de baisse de prix que le marché spot, et pour les mêmes raisons. Une corrélation de 90 % a pu être établie entre la baisse du prix du charbon et la baisse des prix des contrats calendaires, qui portent sur une année entière de fourniture.

Les conséquences sur les volumes échangés sur le marché spot constituent un point particulièrement important. Depuis le 1er janvier, le marché français a connu une augmentation significative : la moyenne quotidienne tourne autour de 340 gigawattheures contre 240 auparavant. La baisse des allocations du guichet ARENH – l’énergie souscrite pour le premier semestre 2015 est moitié moindre que pour le deuxième semestre 2014, selon un document de la CRE – laisse penser que certains acteurs industriels se sont déportés de l’énergie régulée à 42 euros le mégawattheure pour se tourner vers les marchés spot. La baisse des prix sur le marché de gros leur offre en effet des possibilités d’améliorer le coût de leur fourniture d’électricité. Sur l’ensemble de l’année, il est clair qu’il était plus profitable d’acheter l’électricité sur le marché spot qu’au tarif de l’ARENH ou sur le marché à terme. Cependant, si les prix de gros remontent, le mécanisme de l’ARENH pourrait connaître un nouvel élan, sachant que certains acteurs sont en mesure d’arbitrer assez rapidement entre les différents prix.

Quant à la loi relative à la transition énergétique, elle touche du doigt les questions qui vont se poser à l’avenir : l’intégration de l’énergie renouvelable dans une logique plus proche du marché, compte tenu notamment du coût des subventions. Les obligations d’achat peuvent non seulement ne plus refléter les coûts actuels des différentes technologies mais n’offrir aucune incitation à optimiser le système. Un acteur, s’il est rémunéré pour sa production, n’a aucun intérêt à l’arrêter en cas de surproduction. Cela provoque un afflux massif d’énergies renouvelables qui met en jeu la sécurité du réseau. Pour inciter les acteurs à s’effacer en cas de surcapacités ont donc été mis en place des mécanismes de primes qui leur évitent de vendre leur production à des prix trop bas, pour lesquels ils ne recevraient pas de compensation.

M. Jean-Pierre Gorges. J’aurai une première question sur l’émergence des énergies renouvelables, qui suit des rythmes différents en Allemagne et en France où nous avançons à tâtons du fait des hésitations persistantes autour de la place du nucléaire. Pouvez-vous déduire un comportement du marché en fonction de la production de ces énergies de part et d’autres des interconnexions aux frontières ?

Selon vous, quelle sera à terme l’incidence sur le marché de gros du repli du nucléaire, qui assure une stabilité dans la production ? Les risques de surcapacités ne vont-ils pas rendre la régulation trop complexe ?

L’équilibre économique des énergies renouvelables est artificiel. Elles ne connaissent pas la logique du juste prix, compte tenu des aides dont elles bénéficient. La contradiction entre les interventions étatiques visant à imposer une structure de fabrication de l’énergie grâce à des mécanismes de subventions et le fonctionnement d’un marché libre n’est-elle pas de nature à perturber le système ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. Vous notiez que l’arrivée massive des énergies renouvelables induisait un prix moyen souvent bas. Pouvez-vous nous donner des chiffres ?

Par ailleurs, pourriez-vous revenir sur les mécanismes de financement des énergies renouvelables introduits dans la loi relative à la transition énergétique qui s’appuient à la fois sur des mécanismes de primes et sur le marché ? Pensez-vous qu’ils seront de nature à corriger les défauts du dispositif actuel qui n’incite pas suffisamment les producteurs à s’effacer en cas de surproduction ? Quel serait leur rôle dans la stabilisation du marché ?

Mme Jeanine Dubié. En 2012, selon les chiffres publiés par la Direction générale de l'énergie de la Commission européenne, 43 % des volumes d’électricité consommés dans l’Union européenne ont fait l’objet de transactions sur le marché de gros, dont la moitié en bourse. Ce taux est de 42 % en Allemagne et de seulement 13 % en France. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces différences ? Quel rôle jouent les tarifs réglementés ?

Par ailleurs, quelle est votre position sur le report de la réévaluation du prix de l’ARENH au 1er juillet 2015 ? Dans le contexte de baisse des prix sur les marchés de gros, quelle incidence cela peut-il avoir ? Quels effets aurait une augmentation des volumes d’électricité française vendus en bourse ?

M. Wolfram Vogel. S’agissant de l’afflux de l’électricité issue des énergies renouvelables, monsieur Gorges, je vous donnerai un exemple très concret. En 2010, l’Allemagne a pris un décret dans le cadre de la loi EEG qui a obligé les gestionnaires de transport à vendre en bourse l’électricité renouvelable. Cette forte augmentation des volumes étant intervenue dans un marché très liquide, elle n’a pas conduit à des déformations de prix. Depuis le couplage de novembre 2010, les marchés allemands et français et tous ceux auxquels ils sont connectés fonctionnent comme des vases communicants : toute injection d’énergies renouvelables est absorbée sur le marché européen, si bien que l’on n’observe plus de phénomènes de pics de prix. Cela dit, les prix sont tirés à la baisse puisque les énergies renouvelables sont produites à un coût marginal nul.

L’effet sur les prix est différent selon les sources d’électricité. L’afflux de volumes produits par les centrales nucléaires belges au printemps 2013 a ainsi conduit à une situation de surcapacités qui a eu pour conséquence, en juin 2013, l’apparition, pour la première fois, de prix de base négatifs sur le marché français.

Les marchés étant couplés, toute évolution forte dans un sens ou dans un autre de la production d’un pays donné a un impact sur l’ensemble du marché européen.

M. Philippe Vassilopoulos. Précisons que les variations de prix dépendent aussi de la disponibilité des interconnexions. Lorsque l’Allemagne dépasse un certain seuil de production intermittente d’énergies renouvelables, du fait d’un ensoleillement élevé ou de forts vents, elle va chercher à exporter le plus possible. Toutefois, ce mouvement se heurte à la saturation des capacités physiques d’interconnexion, ce qui a pour conséquence de faire baisser les prix allemands tandis que les prix dans les pays voisins se maintiennent à un niveau supérieur.

Ce phénomène de plus en plus fréquent induit une distorsion des prix. Les producteurs d’énergies renouvelables ayant bénéficié de subventions et d’obligations d’achat, ils n’ont pas eu besoin de prix élevés sur le marché pour financer leurs coûts fixes et leurs investissements, à la différence des centrales thermiques. Ils ont tendance à construire davantage que s’ils s’étaient situés dans le cadre d’un optimum économique. De ce fait, ils entretiennent une surcapacité extrêmement pénalisante pour les autres producteurs. Les acteurs qui ont investi dans des cycles combinés au gaz en ont particulièrement souffert. Moins bien lotis pour affronter la concurrence que les producteurs utilisant des centrales nucléaires ou des centrales au charbon, ils sont près de mettre la clef sur la porte. Cette situation est plutôt préoccupante car leur présence pourrait être nécessaire demain pour équilibrer un système où la pénétration des énergies renouvelables sera beaucoup plus forte.

La France est, à cet égard, extrêmement bien placée car elle a une bonne maîtrise des dispositifs d’effacement, qu’il s’agisse des effacements des jours de pointe (EJP), des heures creuses ou des tarifs à effacement de type Tempo. La participation des consommateurs, j’insiste sur ce point, est une condition sine qua non de la transition énergétique car elle permet de donner de la souplesse au marché et donc d’apporter la flexibilité nécessaire face au caractère intermittent de la production des énergies renouvelables. Le mécanisme de capacités en cours d’implémentation en France valorise les mégawatts installés, disponibles pour produire. Il est à espérer que cette rémunération de la capacité permettra de développer des capacités d’effacement significatives qui nous ramèneront au niveau d’avant l’ouverture à la concurrence voire au-delà. Rappelons qu’aux États-Unis, les mécanismes de capacités ont permis de générer des effacements atteignant 10 % à 15 % de la capacité de pointe.

Pour finir sur les énergies renouvelables, je préciserai que la formation des prix sur un marché de gros se fait par empilement des différentes technologies, par coûts marginaux ou coûts variables croissants : de la centrale qui coûte le moins cher à faire tourner à celle qui coûte le plus cher pour satisfaire la demande. Lorsque des quantités de renouvelables, aux coûts variables très bas, sont intégrées, les centrales les plus chères sont repoussées hors de la courbe d’offre, ce qui a tendance à faire baisser le prix.

J’en viens aux transactions sur le marché de gros. Les chiffres que vous avez cités, madame Dubié, montrent que le marché allemand est trois à quatre fois plus liquide que le marché français alors que les consommations sont similaires. La liquidité des marchés est fondamentale : elle est le gage d’un marché compétitif, plus difficilement manipulable et source d’une référence de prix robuste de nature à donner confiance aux acheteurs, aux vendeurs et aux investisseurs. Si le marché français est moins liquide, c’est à cause de sa structure, beaucoup plus concentrée, mais avant tout à cause du maintien de tarifs réglementés, dont la compétitivité n’incitait pas les acteurs à se déplacer vers le marché de gros. Cette tendance semble toutefois s’inverser avec la baisse des prix de gros, rendus plus attractifs.

Donner au marché de gros les moyens de se développer correctement, c’est permettre que la transition énergétique se déroule dans des conditions optimales. Les signaux que le marché adresse aux producteurs comme aux consommateurs sont très importants pour rendre le système flexible et réactif. Les tarifs horo-saisonnalisés mis en place en France sont une première mesure qui donne un signal aux consommateurs sur le meilleur moment pour consommer, y compris à des prix négatifs, en étant rémunérés. Pour accroître la flexibilité du système, certaines conditions sont toutefois requises. On ne peut pas demander à un petit consommateur résidentiel d’être exposé à des prix variables sans lui donner la possibilité de les analyser. Cela nécessite de développer une nouvelle infrastructure de compteurs intelligents, les smart meters.

M. le président Hervé Gaymard. Je vous remercie, monsieur Vogel, monsieur Vassilopoulos, pour ces analyses très intéressantes.

31. Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Romieu, président, et M. Alain Raoux, secrétaire général de l’Union professionnelle des industries privées du gaz (UPRIGAZ), et de M. Francis Duseux, président, Mme Isabelle Muller, déléguée générale et M. Bruno Ageorges, directeur des relations institutionnelles et des affaires juridiques de l’Union Française des Industries Pétrolières (UFIP)

(Séance du mercredi 11 février 2015)

M. Jean Grellier, président. Nous recevons aujourd’hui les représentants de l’Union professionnelle des industries privées du gaz (UPRIGAZ), dont la délégation est conduite par son président, M. Michel Romieu, et l’Union Française des industries pétrolières (UFIP), dont le nouveau président, ici présent, est M. Francis Duseux.

Le thème de notre Commission d’enquête porte sur les tarifs de l’électricité. Je vous demanderai, Madame, Messieurs, de nous indiquer si certains de vos membres comptent parmi les producteurs ou fournisseurs alternatifs d’électricité, et, plus généralement, en quoi les questions tarifaires intéressent directement vos activités.

On peut penser qu’une éventuelle extension de la contribution au service public de l’électricité (CSPE) également affectée à d’autres énergies et qui semble de nature à susciter des interrogations parmi vous. De même, la mise en place progressive du chèque énergie est un sujet qui a sans doute déjà retenu votre attention, d’autant plus que ce nouveau régime d’aide pourrait, dans un premier temps, exister à côté des tarifications de première nécessité actuellement applicables à l’électricité comme d’ailleurs au gaz naturel. En tout état de cause, la prise en compte du fioul domestique par le chèque énergie constituerait une extension non négligeable du dispositif, cette énergie étant toujours utilisée par de nombreux foyers pour leur chauffage, notamment en zones rurales.

Dans le cadre de cette Commission d’enquête, et conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je dois vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Michel Romieu, Alain Raoux, Nicolas Autet, Francis Duseux
et Mme Isabelle Muller prêtent serment.)

M. Michel Romieu, président de l’Union professionnelle des industries privées du gaz. L’UPRIGAZ vous remercie de nous auditionner aujourd’hui. Notre exposé liminaire sera présenté par M. Alain Raoux, le secrétaire général de notre organisation.

M. Alain Raoux, secrétaire général de l’Union professionnelle des industries privées du gaz. La CSPE a été conçue comme un instrument de taxation et d’allocation des ressources propre au secteur électrique. Si la charge qu’elle représente va fortement augmenter dans un proche avenir, il ressort de l’analyse de la Commission de régulation de l’électricité (CRE), que celle-ci a d’ailleurs exposée devant votre Commission d’enquête, que cette hausse, y compris celle consécutive au rattrapage des compensations dues à EDF, est tout à fait supportable dans le cadre juridique actuel.

En dépit de la position claire de la CRE, des voix s’élèvent depuis plusieurs mois pour demander à la représentation nationale d’élargir cette CSPE aux consommateurs de fioul et de gaz naturel. Une telle extension nous semblerait à la fois inefficace, injuste, inutile et juridiquement contestable.

L’UPRIGAZ représente les principales entreprises du secteur, GDF Suez, Total, Eni, Gas Natural Fenosa, Statoil, mais aussi de gros consommateurs tels que Dalkia ou Elio. Le gaz constitue 15 % de la consommation d’énergie primaire en France, 30 % de la consommation finale d’énergie de l’industrie, 25 % de celle du secteur tertiaire, et 35 % de celle du secteur résidentiel.

Dans ce dernier secteur, le gaz occupe en France une place moins importante que dans la plupart des pays européens, principalement en raison de la concurrence du chauffage électrique. Notre pays compte 11,8 millions de consommateurs se chauffant au gaz, dont un grand nombre en situation précaire : la CRE estime que 1,2 million de personnes bénéficieront en 2015 du tarif spécial de solidarité, soit un doublement de ce nombre en deux ans. Il ne faut pas non plus perdre de vue que 64 % du chauffage collectif dans le logement social est dû au gaz. Aujourd’hui, tous les consommateurs se félicitent de la baisse des cours mondiaux du pétrole et du gaz, qui a un impact positif sur leur facture et donc leur pouvoir d’achat, et ils ne souhaitent pas que cette baisse soit annulée par d’autres charges.

Le gaz, ensuite, est important pour l’économie nationale. Vous connaissez nos investissements : trois terminaux méthaniers en France – bientôt quatre –, plus de 8 000 kilomètres d’autoroutes gazières, 29 000 kilomètres de réseaux secondaires, des capacités de stockage importantes qui concourent à la continuité de fourniture ainsi qu’à la sécurité d’approvisionnement du pays.

Enfin, le gaz participe à la vie des territoires. Plus de 9 200 communes françaises sont aujourd’hui desservies en gaz naturel. Cela représente certes un nombre relativement limité de communes, mais qui couvre 77 % de la population et la quasi-totalité des communes de plus de 10 000 habitants. Le réseau de distribution français est le deuxième réseau européen.

M. Lucien Duseux, président de l’Union Française des industries pétrolières. L’UFIP est le syndicat professionnel de l’industrie pétrolière. Réunissant quelque quarante entreprises, nous représentons les différents segments de l’activité : exploration, production, raffinage, logistique, distribution.

Le pétrole est avant tout une énergie hors réseau qui est surtout utilisée dans les endroits les plus isolés. Il faut rappeler que les trois quarts des communes françaises n’ont pas accès au gaz de réseau. Le pétrole, en France, qui représente 42 % de la consommation finale d’énergie, ce sont huit raffineries, 12 000 stations-services, 190 dépôts, 6 000 kilomètres d’oléoducs, sept grands ports maritimes, 1 800 négociants en fioul domestique, 50 000 emplois directs et indirects liés au raffinage, près de 200 000 emplois directs et indirects pour le secteur pétrolier dans son ensemble, sans compter la pétrochimie.

La totalité des taxes sur les produits pétroliers représente pour l’État français 32 milliards d’euros par an. Le fioul domestique est la troisième énergie de chauffage dans notre pays. Elle est utilisée par quatre millions de ménages, soit 10 millions de Français, dont environ 1,7 million en situation de vulnérabilité énergétique, sur les 5,9 millions identifiés par l’INSEE. Ces ménages vivent le plus souvent en maison individuelle en milieu rural.

Les taxes applicables au fioul domestique représentent environ 28 % du prix facturé, soit près de 20 centimes par litre, sur un prix de près de 70 centimes par litre. C’est une contribution pour l’État de 1,5 milliard d’euros par an, pour une consommation de 8 millions de mètres cubes.

M. Alain Raoux. Les projets d’extension de la CSPE au gaz naturel et aux produits pétroliers reposent sur un malentendu selon lequel ces deux sources d’énergie bénéficieraient d’une fiscalité plus favorable, un malentendu qu’il convient de dissiper.

Le gaz naturel supporte de nombreuses taxes et contributions spécifiques. Il y a tout d’abord la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN), dont le taux est passé de 1,32 euro à 1,41 euro par mégawattheures au 1er avril 2014, et qui passera à 2,93 euros en 2015, pour culminer à 4,45 euros en 2016, soit une majoration de près de 400 % en trois ans. Cette taxe devrait permettre à l’État de collecter 2,5 milliards d’euros en 2015, 4 milliards en 2016.

À cela s’ajoute une contribution au tarif spécial de solidarité. Cette contribution, imputable aux fournisseurs de gaz naturel au prorata des quantités vendues aux consommateurs finals, était de 0,20 euro par mégawattheures en 2014, et la CRE estime que le total des charges prévisionnelles liées au tarif spécial de solidarité, très faible en 2013
– 50 millions d’euros –, atteindra 117 millions en 2015.

La troisième taxe est la contribution tarifaire d’acheminement, qui permet de financer l’assurance vieillesse des salariés du régime spécial des industries électriques et gazières. Cela représente environ 25 euros par an sur la facture d’un consommateur moyen.

Enfin, une contribution a été instituée dans le cadre du dispositif de soutien à l’injection de biogaz dans les réseaux de gaz naturel. Elle représentera 7,6 millions d’euros en 2015, mais elle est sans doute appelée à croître fortement dans les années à venir du fait de la multiplication des projets.

Le fioul et le gaz participent en outre aux politiques publiques. Ils contribuent tout d’abord à la sécurité d’approvisionnement énergétique par le biais d’obligations de stockage, lesquelles ont été renforcées en 2014 pour le gaz. Ces obligations représentent un coût global, supporté par le consommateur, de l’ordre de 1 milliard d’euros par an, le stockage couvrant un quart de la consommation annuelle du pays.

Le gaz participe aussi à la transition énergétique par toute une série d’actions conduites par les gaziers. L’électricité n’a pas le monopole de la transition énergétique vertueuse. Le gaz, comme le souligne la Cour des comptes, est une des énergies les plus performantes et les moins émettrices de gaz à effet de serre. C’est aussi une énergie à bas coût, largement disponible sur la planète, ce qui en fait un élément important pour assurer la sécurité d’approvisionnement.

Un deuxième exemple de la participation du gaz à la transition énergétique est la meilleure maîtrise de la demande, avec l’installation, avant 2022, de plus de dix millions de compteurs communicants en France.

De même, le gaz vient à l’appui des énergies renouvelables, l’éolien, et le photovoltaïque, qui sont des énergies par nature intermittentes. Elles ne peuvent fonctionner que si elles sont complétées par des installations de production décentralisées : ce sont les installations au gaz qui sont à cet égard les plus performantes, ce que la Cour des comptes souligne dans le rapport public annuel qu’elle a publié ce matin même, indiquant que les filières thermiques, essentiellement le gaz et le charbon, sont nécessaires pour passer les pointes de consommation. Le charbon, tout le monde en convient, n’est pas la meilleure énergie pour le climat.

Les gaziers, par ailleurs, mettent en œuvre d’importants programmes de recherche et développement afin de pouvoir injecter dans les réseaux de gaz de l’hydrogène produit à partir de l’électricité éolienne et photovoltaïque lorsque celle-ci est temporairement excédentaire.

Enfin, l’industrie gazière se fait le moteur du développement des énergies renouvelables en rendant possible l’accès de ses réseaux au biogaz et au biométhane, deux filières particulièrement prometteuses en France puisqu’elles devraient permettre de produire entre 100 et 160 térawattheures en 2050, c’est-à-dire de couvrir de 20 à 32 % des consommations. Ce sont là des perspectives validées par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) ainsi que d’autres organisations professionnelles, comme l’Association technique énergie environnement (ATEE), ou encore le plan stratégique des énergies renouvelables de la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC).

La filière participe activement à la lutte contre la précarité énergétique en finançant le tarif social de solidarité. L’effort des consommateurs de gaz naturel vis-à-vis du climat, par le biais du financement de la production des énergies renouvelables associées au gaz naturel, sera du même ordre de grandeur que celui consenti par les consommateurs d’électricité par le biais de la CSPE.

Si le périmètre de la CSPE devait être étendu au gaz et au fioul domestique, cela entraînerait des déséquilibres préjudiciables à la fois à la réalisation de la transition énergétique, à l’économie de sa mise en œuvre, et à la justice sociale.

M. Francis Duseux. Les 20 centimes de taxation par litre que j’ai évoqués se décomposent de la façon suivante : l’application de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), comme sur les autres produits pétroliers, une redevance sur les stocks stratégiques, et, depuis le 1er janvier 2015, une taxe carbone de deux centimes, qui passera à quatre centimes en 2016. Si l’on ajoute la TVA, le total est de 28 %. C’est une contribution fiscale non négligeable.

M. Alain Raoux. Élargir la CSPE entraînerait un certain nombre de déséquilibres. Tout d’abord, cela enverrait un signal favorable au chauffage électrique qui sollicite des moyens de production fortement émetteurs de CO2, sans parler des tensions que ce mode de chauffage fait peser sur la sécurité électrique en période de pointe.

Cela reviendrait, ensuite, à opérer un transfert de charges vers des consommateurs souvent proches du seuil de précarité, voire précaires. Ces consommateurs verraient leur facture augmenter d’environ 10 %, ce qui, pour un consommateur de gaz, représenterait à peu près 111 euros par an, et cette augmentation serait loin d’être compensée par une baisse de leur facture d’électricité.

Élargir la CSPE aurait en outre pour effet de renchérir le prix du gaz pour le consommateur final, à tel point qu’il deviendrait impossible à celui-ci de supporter les surcoûts liés au développement des filières du biogaz et du biométhane, alors même que le coût rapporté à la tonne de CO2 évitée est beaucoup plus compétitif que dans le cas de l’éolien ou du photovoltaïque.

Cela conduirait par ailleurs à intégrer les actions de transition énergétique ou de solidarité que les filières du fioul et du gaz assument actuellement dans une sorte de « CSPE énergie ». Un tel dispositif serait antiéconomique dans la mesure où il ferait supporter aux consommateurs les coûts d’une énergie qu’ils ne consomment pas forcément. La rationalité économique impose, selon nous, que chaque énergie identifie précisément les coûts qu’elle supporte et les assume totalement.

Élargir la CSPE ne manquerait pas non plus d’être perçu comme un dispositif favorisant les subventions croisées, prohibées par le droit européen de la concurrence.

En conclusion, la CSPE est un dispositif pertinent dans sa forme et son périmètre actuels, cantonnée au secteur électrique. En revanche, un changement d’assiette ne saurait être une solution appropriée, son élargissement au fioul et au gaz étant non seulement antiéconomique mais aussi, et surtout, antisocial et anti-environnemental.

Si des éléments de réforme devaient être envisagés par votre Commission, il conviendrait selon nous qu’ils soient limités. Comme le rappelle la CRE, si des dérives sont identifiées, elles résultent du fait, je cite, que « … la compensation de certains frais déclarés n’est pas prévue par les textes réglementaires » et que « … certains frais ne relèvent pas d’une gestion efficiente et au meilleur coût ». S’il vous paraît nécessaire de stabiliser le montant de la CSPE, cela doit conduire à chercher à maîtriser le coût de développement des énergies renouvelables. La Cour des comptes indique que la situation actuelle engendre un écart croissant entre le coût réel du système payé par le consommateur et le prix de marché.

Cette maîtrise des coûts doit reposer sur des outils qui permettront de rendre le dispositif existant plus efficace, dans le respect des lignes directrices européennes. Un certain nombre de pistes sont d’ores et déjà envisagées dans le cadre de la loi de transition énergétique : la programmation pluriannuelle de l’énergie, qui permettra d’éclairer le coût des différentes technologies de production d’énergie renouvelable et d’ajuster les trajectoires en cas de dérive des coûts, la mise en place d’un comité de gestion de la CSPE et la prochaine évolution des mécanismes de soutien qui seront mis en œuvre par le Gouvernement. L’obligation d’achat de l’électricité produite par les énergies renouvelables mais aussi la compensation intégrale du surcoût paraissent également susceptibles de faire l’objet d’une réflexion.

Enfin, une réforme devrait s’appliquer au seul secteur électrique et conduire à une solution sûre et simple au plan juridique. Une réforme de la CSPE doit prendre en compte le droit européen. La CSPE est une aide d’État. Elle a été déclarée partiellement compatible avec le droit communautaire, le 27 mars dernier, pour une durée de dix ans. L’élargir au fioul et au gaz nécessiterait une nouvelle notification à la Commission européenne, une modification ne pouvant entrer en application qu’après avoir reçu l’aval des autorités communautaires. Un élargissement de son assiette renforcerait le caractère d’aide d’État de la CSPE en constituant une modification substantielle du régime existant. On peut penser que la Commission européenne ne manquerait pas alors, sous la pression éventuelle des acteurs, d’examiner à nouveau l’ensemble du mécanisme, avec le risque d’une remise en cause des dépenses autres que celles induites par les énergies renouvelables.

De même, pour être conforme à la Constitution, une réforme de la CSPE devra reposer sur des critères objectifs et rationnels. La différence de situation entre, d’une part, l’électricité et, d’autre part, le gaz et le pétrole, est objective ; une différence de traitement est donc parfaitement justifiée. La jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la taxe carbone pourrait le conduire à valider la non-soumission du secteur du gaz et du pétrole à la CSPE, et cette soumission pourrait être considérée non conforme à la Constitution.

Présidence de M. Hervé Gaymard, président de la Commission d’enquête

Mme Clotilde Valter, rapporteure de la Commission d’enquête. Votre conclusion est claire : il ne faut pas étendre la CSPE. Nous avons bien reçu le message. Notre rapport n’a d’ailleurs pas pour objet de se prononcer sur une extension de la CSPE ! Le champ est bien sûr ouvert et toutes les questions doivent être posées, car nous souhaitons conduire la réflexion la plus large possible.

Il existe actuellement des règles d’élaboration des tarifs de l’électricité en fonction des coûts. Pouvez-vous nous expliquer comment sont calculés vos tarifs, et comment ces modalités de calcul se distinguent de celles des tarifs de l’électricité, en précisant pourquoi le gaz et le pétrole impliquent un raisonnement différent ?

M. Francis Duseux. La situation du fioul domestique n’est pas comparable à celle de l’électricité ou des autres sources d’énergie parce que les clients sont captifs, dans des zones sans alimentation en gaz, des zones rurales connaissant d’ailleurs une grande précarité.

Le fioul domestique a une cotation journalière sur le marché international. Nous ajoutons à cette cotation une marge de distribution ainsi que les quatre taxes dont j’ai parlé. Par rapport à l’essence ou au gazole, où il s’élève à 70 %, il faut bien reconnaître que le taux de taxation est plutôt faible sur le fioul, mais c’est pour des raisons de précarité et de besoins. Quand ils en ont l’opportunité, les gens qui se chauffent au fioul domestique passent au gaz, cependant 4 millions de personnes ne le peuvent pas. Je ne suis donc pas en train de vous dire que le fioul domestique est un produit d’avenir, mais il ne faut pas assassiner les gens qui sont obligés d’utiliser cette énergie.

Mme la rapporteure. Ce champ est très spécifique. Vous n’avez pas d’investissements ni de réseaux, si ce n’est un réseau de distribution.

M. Francis Deseux. Pour fabriquer du fioul domestique, il faut tout de même raffiner du pétrole. Il s’agit certes d’un produit particulier, s’inscrivant dans un schéma de raffinage. Le marché est en régression, les volumes baissent, nous en avons bien conscience, mais la question est de savoir ce que l’on fait de ces consommateurs qui ont encore besoin de fioul domestique pour se chauffer.

Mme Isabelle Muller, déléguée générale de l’Union Française des industries pétrolières. Dans la filière du fioul domestique, il existe 1 800 entreprises de distribution. C’est une filière complète avec beaucoup d’emplois associés à la production et à la distribution de ce produit.

M. Michel Romieu. S’agissant du gaz, la problématique tarifaire est très différente de celle de l’électricité. Dans le cadre du droit communautaire de la concurrence, les tarifs seront définitivement supprimés, d’ici à la fin de l’année 2015, pour l’ensemble du secteur industriel et tertiaire ; il ne restera plus, pour l’application de tarifs régulés, que les petits consommateurs résidentiels.

Ensuite, 100 % du gaz est importé, dans le cadre d’un grand marché européen avec des cotations, transparentes et publiées, et des contrats à long terme, encore indexés en partie sur les produits pétroliers. Il n’existe pas de marge de manœuvre : le prix pour le consommateur est la somme d’un prix de gaz importé, de tarifs de transport, de stockage et de distribution régulés, fixés par la Commission de régulation et non négociables, et d’une petite marge. Nous n’avons pas la souplesse dont dispose EDF pour jouer sur la durée d’amortissement des investissements.

En ce qui concerne les consommateurs résidentiels, nos tarifs sont déterminés par la CRE tous les mois, selon une formule qui tient compte de son audit des comptes du principal importateur, GDF Suez.

Mme la rapporteure. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vos investissements ?

M. Michel Romieu. Le produit étant totalement importé, nous n’avons aucun contrôle sur les coûts de production : nous sommes assujettis au marché mondial du gaz naturel. La chaîne logistique, ensuite, à savoir le transport, assuré par GRTgaz et TIGF, est régulée selon des tarifs contrôlés et révisés tous les ans par la Commission de régulation. Il en va de même pour la distribution. La concurrence ne peut s’exercer, au niveau du consommateur, que sur de petits éléments, c’est à dire les marges. Les « nouveaux entrants », dont les structures de coûts sont moins importantes que celles des opérateurs historiques, arrivent à capter des parts de marché ; ils présentent par ailleurs des offres différenciées selon les catégories de consommateurs. La concurrence s’exerce ainsi par la créativité et l’inventivité, mais nous n’avons pas du tout la même marge de manœuvre que les producteurs d’électricité pour moduler des hausses ou des baisses, ou amortir plus ou moins vite les réseaux. Tout cela est complètement régulé.

M. le président Hervé Gaymard. Vous avez expliqué qu’une partie seulement des communes de France étaient desservies en gaz. Pensez-vous que le réseau de distribution du gaz est aujourd’hui optimal ou bien qu’il faudrait ou encore qu’il serait possible de le développer ?

M. Alain Raoux. Les formules qui président au développement de ce réseau tiennent compte de la rentabilité. Nous pourrions étendre le gaz à toutes les communes et à toutes les habitations du territoire, mais ce serait à un coût exorbitant sans rapport avec le bénéfice susceptible d’en être retiré. La politique gazière a toujours été très attentive à ne développer des investissements que s’ils sont économiquement justifiés, et cela était déjà vrai bien avant l’avènement du marché intérieur du gaz naturel. Toutes les communes n’ont pas vocation à être couvertes par le gaz.

M. Michel Romieu. Je complèterai cette réponse à laquelle je souscris pleinement. Le développement de ce réseau a été jusqu’à présent gouverné par la demande. Nous produisons un rapport B/I, bénéfice sur investissement, fondé sur la consommation locale. Avec l’avènement du biogaz, nous pouvons avoir une vision différente, fondée sur un développement-réseau gouverné par l’offre. Dans une zone rurale possédant une source de biogaz importante, comme c’est le cas de la Bretagne avec le lisier de porc, il peut être décidé d’étendre le réseau. C’est un des axes de développement privilégiés par GRDF, et ce en étroite symbiose avec les collectivités territoriales, car le biogaz est véritablement une problématique territoriale et locale.

M. Jean Grellier. Il existe à l’Assemblée nationale un groupe d’étude sur le développement de la méthanisation. Des réflexions sont actuellement conduites sur les techniques dans ce domaine, pour la cogénération dans la production d’électricité ou l’injection dans le réseau gazier. La rentabilité des installations de méthanisation dépend fortement du prix de rachat de l’électricité ou du gaz. Pensez-vous que l’injection de gaz puisse avoir un intérêt économique par rapport au prix du gaz sur le marché ?

M. Michel Romieu. Le biogaz est une industrie encore balbutiante, les coûts encore élevés ; nous ne bénéficions pas de ce que les Britanniques appellent la learning curve, et les effets d’échelle sont peu significatifs. De même, ce produit est encore loin d’être compétitif par rapport au gaz importé, et l’écart est d’autant plus grand entre le tarif d’achat et le prix de marché que les prix du pétrole sont bas. Nous savons que nous allons traverser une période un peu difficile pour le biogaz, mais il faut rester optimiste, notamment parce qu’il s’agit d’un produit fabriqué en France avec du matériel français, alors que les panneaux solaires viennent très souvent de Chine. En outre, ce biogaz se substituera à du gaz importé et allègera notre balance commerciale. Et, entre le coût de la tonne de CO2 évitée grâce au biogaz par rapport au coût de la tonne de CO2 évitée grâce à des panneaux solaires, il n’y a pas photo ! L’UPRIGAZ travaille sur les problèmes de qualité du gaz, afin de pouvoir accueillir ce gaz qui n’est pas toujours aux mêmes normes que le gaz commercial, et sur les moyens de lui faire remonter les réseaux, alors que le gaz importé les descend. Le comité biogaz de l’ATEE est également très actif, et nous travaillons avec lui.

Mme la rapporteure. La logique de la fiscalité n’est pas pour vos filières la même que celle qui préside à l’électricité.

M. Alain Raoux. C’est vrai mais ce n’est pas illogique dans la mesure où le gaz a ses spécificités. Il est normal que la fiscalité soit différente selon les fonctions que remplit chaque énergie.

Mme la rapporteure. La prise en charge de la précarité énergétique se retrouve pourtant à la fois dans les tarifs de l’électricité et du gaz.

M. Alain Raoux. La contribution au tarif spécial de solidarité finance l’intégralité de ce tarif. Son montant doit être adapté en fonction du nombre de personnes qui relève d’un tel régime, et je pense, malheureusement, que cette contribution a vocation à augmenter plutôt qu’à diminuer.

Mme Isabelle Muller. Il n’existe pas de dispositif national en ce qui concerne le fioul domestique. L’UFIP a accueilli favorablement le projet du chèque énergie inscrit dans le projet de loi sur la transition énergétique. À notre sens, ce chèque doit être alimenté dans le cadre d’un dispositif simple et transparent, sur la base d’un fonds dédié, éventuellement par un prélèvement sur des recettes fiscales existantes.

Nos entreprises sont très engagées auprès des bailleurs sociaux du secteur du bâtiment pour limiter les factures des particuliers. Dans le cadre du dispositif des certificats d’économies d’énergie (CEE), une convention vient par exemple d’être signée avec l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) par un des principaux membres de l’UFIP, pour les trois prochaines années ; il s’agit de participer à un programme intitulé « Habiter mieux » dans le but d’améliorer l’habitat précaire et de réduire les factures de chauffage des particuliers.

La fiscalité est différente sur des objets différents. Chaque énergie a ses propres charges, correspondant à ses spécificités. Le secteur pétrolier est considéré comme un secteur central de l’économie nationale et nous avons à ce titre des obligations de sécurité d’approvisionnement. Nous contribuons au stockage stratégique, qui représente un coût significatif sur l’ensemble de nos produits. Nous allons également être invités à contribuer plus largement au soutien du pavillon national, pour assurer que des navires au pavillon français puissent, si nécessaire, assurer l’approvisionnement de la France en cas de crise. Nous considérons que ce dispositif n’est pas nécessaire, mais il est voulu par la puissance publique et il accroîtra le coût de nos produits. Enfin, nous contribuons très largement à l’efficacité énergétique par la recherche sur les produits et les installations énergétiques qui nous concernent, chaudières et moteurs.

Maître Nicolas Autet, avocat. Je crois bon de rappeler que la CSPE a deux grands objectifs : elle finance les tarifs sociaux ainsi que le développement des énergies renouvelables ou alternatives. Dans le cas du gaz, ces éléments sont intégrés dans les différents tarifs ou taxes. Le gaz est lui-même une forme d’énergie alternative, et les opérateurs gaziers travaillent à développer des produits complémentaires, tels que le biogaz. Il n’y a pas besoin d’un financement spécifique dans la mesure où ce travail est déjà conduit par les opérateurs. Enfin, en ce qui concerne les tarifs sociaux, il existe déjà une contribution spécifique. La logique de ces éléments de fiscalité est différente de celle de la CSPE, mais la finalité est la même.

M. Jean-Pierre Gorges. Ne pensez-vous pas que, dans un pays qui cherche à conduire une transition énergétique, avec des sources d’énergie diverses et variées, tous ceux qui produisent de l’énergie auraient intérêt à se connecter sur une sorte de « boîte » assurant une péréquation ? Le gaz va très bien aujourd’hui, mais vous ferez peut-être face à des difficultés demain, à cause de la concurrence de l’éolien ou du photovoltaïque – même si cela me semble peu vraisemblable – ou de celle d’un nucléaire de nouvelle génération, et c’est peut-être vous qui aurez alors besoin de la CSPE, comme les énergies renouvelables en ont besoin aujourd’hui. Vous ne pourrez pas vivre longtemps en dehors d’un système global. Je vous sens pourtant très corporatistes.

Dans ce que je peux appeler le fatras de la transition énergétique, personne n’a encore statué. La ministre, qui suit un programme de désinstallation du nucléaire, parle aujourd’hui de réinstaller le nucléaire. Un système de péréquation est astucieux parce que, le politique avançant à la godille, cela facilitera les réorientations de flux de fiscalité.

M. Francis Duseux. Quand on parle d’énergie, on se projette toujours à l’horizon 2030-2050 : c’est l’horizon de la transition énergétique. Il se trouve que le débat, en France, s’est concentré sur la production d’électricité, qui pèse 22 %, alors que le pétrole satisfait 42 % des besoins en énergie des Français, et le gaz autour de 25 %. Du fait de ces chiffres, nous ne sommes pas inquiets. Nous nous concentrons sur nos métiers en tâchant d’assurer la pérennité de nos usines en France, qui est tout de même un peu menacée parce que nous sommes surtaxés et que l’on n’a pas pris conscience de leur rôle. Cependant, nous n’avons pas besoin de caisse de soutien car le pétrole pèsera encore 33 % à l’horizon 2030-2050 et que la part du gaz va augmenter ; les énergies fossiles, pétrole et gaz, resteront ainsi incontournables, pesant plus de 60 %. Malheureusement, nous n’avons pas été invités à la discussion sur la transition énergétique, et les conditions nécessaires pour assurer la pérennité de ce secteur ne sont pas mises en place.

M. Jean-Pierre Gorges. La loi sur la transition énergétique a été présentée avant la création d’une commission d’enquête sur le nucléaire et avant la création de la présente commission, et certains changent d’idées après avoir présenté un texte ! Je suis d’accord avec vous mais je me fais l’avocat du diable.

M. Francis Duseux. Vous avez demandé si nous ne serions pas favorables à la création d’une garantie future, en indiquant que nous aurions peut-être besoin d’aides financières de l’État. Nous ne voulons pas de subventions, nous souhaitons seulement assurer la pérennité de nos usines, car nous sommes un secteur incontournable.

M. Michel Romieu. J’abonderai dans ce sens. Nous sommes sur un marché mondial et nous nous battons pour négocier le mieux possible et assurer la sécurité de l’approvisionnement ainsi que nos obligations de stockage. Jusqu’à présent, toutes les politiques ont consisté à dire que les renouvelables c’est l’électricité. On ne s’est jamais demandé si les énergies fossiles ne possédaient pas une capacité contributive en la matière ; on commence seulement à prendre conscience de cette capacité. Si nous voulons développer le biogaz et le biométhane – en France, pays agricole, cette ressource peut couvrir 32 % de la consommation –, on ne peut pas à la fois ajouter 111 euros à la facture de gaz de la veuve de Carpentras et demander à cette dernière de financer en outre la compensation pour le biogaz qu’il va falloir mettre en place. Le développement de la filière « franco-française » du biogaz exige des investissements qui devront être mutualisés sur les consommateurs de gaz. Ce n’est pas le moment de tuer cette perspective ; essayons au contraire de la soutenir.

Le fil conducteur des discussions sur la transition énergétique n’a pas été le merit order du coût de la tonne de CO2 évitée ; on a fixé des pourcentages d’éolien, de photovoltaïque, ce qui a été un non-sens économique ! Nous avons un plan de développement : compteurs communicants pour la maîtrise de l’énergie, synergies avec le réseau d’électricité aux interfaces avec l’éolien pour injecter de l’hydrogène dans les réseaux, biogaz… Nous voulons pouvoir le financer et le mener à bien, et nous avons très peur qu’une « CSPE énergie » nous fasse courir avec des chaussures en plomb, dans un contexte de concurrence internationale !

M. Alain Raoux. L’exemple de l’Allemagne est à cet égard intéressant. Il y a eu, en quelque sorte, « Open bar » pour les renouvelables, qui se sont considérablement développées, dans le nord de l’Allemagne. Or, la consommation étant largement dans le sud, cela a déséquilibré le réseau électrique allemand, qui connaît aujourd’hui des problèmes. Par ailleurs, les Allemands ont fermé leurs centrales à gaz et développé des centrales à charbon, car le charbon est plus compétitif. Je ne suis pas certain que ce choix, pas plus dans la perspective du climat que pour le consommateur, ait été le plus pertinent.

La rationalité économique sera bien mieux respectée si chacun s’occupe de sa propre filière que si nous mélangeons l’ensemble des problématiques dans une « boîte » qui risquerait d’être assez opaque.

M. le président Hervé Gaymard. Madame, Messieurs, nous vous remercions.

32. Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Bernard Lévy,
président-directeur général d’EDF

(Séance du mercredi 18 février 2015)

M. le président Hervé Gaymard. Nous accueillons ce soir monsieur Jean-Bernard Lévy, qui est le président-directeur général (PDG) d’Électricité de France (EDF) depuis la fin du mois de novembre 2014. Le thème de notre commission relative aux tarifs de l’électricité nous a amenés à réfléchir à l’architecture du système électrique français qu’EDF dirige avec ses deux filiales à 100 %, Électricité Réseau Distribution France (ERDF) et Réseau de transport d’électricité (RTE). Avec l’ouverture du marché, cette organisation se trouve confrontée à des objectifs d’intégration européenne et, comme nous l’avons vu, au rôle croissant des marchés de gros, de même qu’à l’afflux de certaines productions par les interconnexions.

La disparition prochaine des tarifs réglementés à destination de la clientèle professionnelle pose des défis de compétitivité à EDF. Vous nous indiquerez, monsieur le président, comment EDF s’est préparée à de telles échéances, et notamment à la fin des tarifs verts et jaunes au terme de l’année 2015.

Comment votre entreprise maîtrisera-t-elle ses coûts commerciaux face à la concurrence de nouveaux acteurs dont on peut penser qu’ils feront du forcing auprès de certains segments de la clientèle ? Le contexte général s’avère d’ailleurs incertain, puisque l’on constate une baisse des prix de gros sur les marchés, mouvement dont on ne connaît ni la profondeur, ni la durée.

Dans un récent entretien au quotidien Le Monde, vous avez plaidé, monsieur le président, pour une augmentation raisonnable mais néanmoins sensible des tarifs qui porterait, par paliers, celui de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) de 42 à 50 euros le mégawattheure (MWh). Vous indiquez en effet dans ce même entretien qu’au tarif actuel, EDF vend son courant en dessous de son prix de revient !

En fait, la question tarifaire soulève de nombreuses interrogations et certaines contradictions. Comment préserver le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité de nos entreprises pour lesquelles l’électricité est un facteur de production important, parfois même déterminant ?

Quelle rentabilité est-elle nécessaire pour qu’EDF, mais aussi ERDF et RTE, puissent faire face à leurs investissements à venir que d’aucuns comparent à un véritable mur ? Par ailleurs, les objectifs de la transition énergétique, la programmation des économies d’énergie et la nouvelle méthode de détermination des tarifs reposant sur un empilement de coûts de nature économique et non plus comptable représentent autant de facteurs que vous devez prendre en compte.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées dans le cadre d’une commission d’enquête de déposer sous serment. Elles doivent jurer de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, monsieur Lévy, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Jean-Bernard Lévy prête serment).

M. Jean-Bernard Lévy, président-directeur général d’EDF. Le diagnostic ayant conduit à la création de cette commission d’enquête se fonde sur « un manque de transparence et de visibilité sur les tarifs réglementés ainsi que sur l’instabilité juridique s’agissant de leur détermination ». Les coûts de production, d’acheminement et de commercialisation d’EDF sont transparents et connus des pouvoirs publics et du régulateur ; notre budget et notre plan à moyen terme sont présentés en conseil d’administration auquel assistent l’État en tant qu’actionnaire et le commissaire du Gouvernement représentant le ministère de tutelle. Notre régulateur sectoriel, la commission de régulation de l’énergie (CRE), procède tous les ans à une analyse détaillée de nos coûts ; la commission établit ses propres prévisions d’évolution des coûts dans les années à venir et publie ses études dans un rapport annuel consacré à nos tarifs. La CRE réalise également des audits périodiques et la Cour des comptes examine régulièrement les comptes et les coûts d’EDF, comme ceux de notre parc nucléaire l’année dernière. La transparence constitue donc un sujet moins actuel que celui de l’insécurité juridique.

En effet, de nombreux arrêtés tarifaires ont été annulés en raison de leur irrespect du principe légal de couverture des coûts. EDF souhaite que l’insécurité juridique cesse, les annulations d’arrêtés étant dommageables pour l’image de l’entreprise et mettant en péril la relation entretenue avec les clients ; elles s’accompagnent souvent de factures rétroactives qui ont un coût pour la collectivité et qui engendrent des difficultés commerciales et des impayés. Nous espérons que les principes de construction tarifaire énoncés dans la loi seront respectés à l’avenir, car l’instabilité juridique et la non-couverture des coûts se nourrissent l’une et l’autre.

Les tarifs entrés en vigueur le 1er novembre dernier n’ont pas pris en compte le déficit tarifaire constaté par la CRE pour les années 2012 et 2013 et font donc l’objet d’un recours devant le Conseil d’État, qui avait pourtant rappelé la nécessité de compenser ces déficits. Entre le 1er janvier et le 31 octobre 2014, les coûts n’ont, une nouvelle fois pas été couverts, si bien qu’un nouveau déficit tarifaire sera probablement constaté pour l’ensemble de l’année dernière. Tout cela générera à nouveau de l’instabilité juridique, des annulations de tarif et des corrections sur les factures.

Conformément aux prescriptions de la loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (NOME), nous construisons nos tarifs, depuis le 1er novembre 2014, par l’empilement de coûts normatifs et non constatés. Ces coûts normatifs se fondent sur celui de l’approvisionnement sur le marché et non plus sur ceux d’EDF ; cette évolution entérine la fin de la couverture de nos coûts du fait des prix de marché. Cette méthode crée de la volatilité – modérée grâce à l’ARENH – due aux mouvements de marché.

L’ARENH constitue le prix de gros auquel nous vendons une partie de notre production nucléaire à nos concurrents et s’avère directeur pour les recettes d’EDF. Il s’applique aux ventes consenties aux fournisseurs alternatifs, mais également aux approvisionnements en production d’électricité nucléaire historique qui servent à la construction des tarifs réglementés ainsi qu’aux ventes de l’offre de marché. Or la trajectoire de l’ARENH dessinée par le régulateur n’est pas respectée et le projet de décret reste au stade de l’élaboration. On aboutit ainsi à des prévisions de dépenses bien supérieures à celles des recettes pour toute l’activité dérégulée d’EDF en France ; notre endettement à ce titre s’accroît chaque année de 3 milliards d’euros, et si les formules de calcul de prix ne sont pas modifiées, nous devrons faire face à une dette additionnelle de 30 milliards d’euros au titre de l’activité française en fin de période.

EDF, premier énergéticien français et européen, a un rôle à jouer dans la transition énergétique ; mais comment investir dans cette transition si le mode de calcul de nos tarifs crée mécaniquement de la dette ? Comment investir également dans la rénovation de notre parc nucléaire historique ? Nous souhaitons donc que le prix de l’ARENH atteigne le plus rapidement possible le niveau du coût économique complet du parc ; Nous estimons, comme la Cour des comptes, que celui devrait s’élever à 55 euros par MWh.

La composante du tarif liée à l’acheminement correspond aux revenus des entreprises de réseau, RTE et ERDF. Le besoin d’investissement dans les réseaux s’avère important, récurrent et croissant, puisqu’il convient d’entretenir et de développer les réseaux et de s’adapter à la transition énergétique qui s’accompagnera d’une organisation territoriale différente des moyens de production engendrant de nouveaux modes d’acheminement de l’électricité. Nous souhaitons donc que la composante liée à l’acheminement permette ces investissements pour que les évolutions à venir puissent être mises en œuvre dans de bonnes conditions.

Néanmoins, le mode de rémunération des actifs de réseau a subi de nombreux changements au cours des dix dernières années. Le premier tarif d’utilisation des réseaux était construit selon une approche comptable, remplacée par une conception économique que le Conseil d’État n’a pas validée ; aujourd’hui, la méthode est hybride, mais fait également l’objet d’un recours. Cette situation, insatisfaisante, doit évoluer, et nous appelons de nos vœux la stabilisation du cadre juridique du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) sur des fondements économiques ; cela donnerait de la visibilité et un cadre de financement solide pour le financement des réseaux.

L’évolution récente de la contribution au service public de l’électricité (CSPE) s’est révélée très importante ; il s’agit de la principale taxe spécifique, à laquelle il faut ajouter la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), qui s’applique également sur la CSPE. La totalité des taxes porte le coefficient multiplicateur par rapport à la part électricité à près de 43 % dans la plupart des factures. La CSPE atteint 19,5 euros par mégawatts et représente, à elle seule, 18 % du tarif pour un client résidentiel moyen. Elle finance de nombreux aspects de la politique énergétique française, comme le soutien aux énergies renouvelables, la péréquation tarifaire dans les départements d’outre-mer (DOM) et en Corse, les dispositions en faveur des clients démunis, la cogénération et, bientôt, les opérateurs d’effacement. En 2015, la CRE prévoit que la charge financée par la CSPE sera de 6,3 milliards d’euros, dont près des deux tiers – quatre milliards – seront dus aux énergies renouvelables (EnR) ; sur ces 4 milliards d’euros consacrés aux EnR, 2,2 milliards concernent la seule électricité photovoltaïque. Ce dernier montant reflète notamment les dépenses d’achat très élevées des installations engagées avant la réforme de 2011 ; en effet, certaines de ces installations ont des obligations d’achat atteignant 600 euros le mégawattheure pour des contrats qui courront pendant vingt ans. Les prix d’achat ont diminué depuis 2011 et les effets d’aubaine se sont ralentis, mais le photovoltaïque reste très loin d’être compétitif, il continue d’occasionner des surcoûts et il pèse sur la balance commerciale à hauteur de plus de 500 millions d’euros par an, la plupart des panneaux solaires étant importés d’Asie.

La CSPE augmente de 3 euros par mégawattheure chaque année depuis 2011, mais cela ne suffit pas pour faire face aux charges à financer et a conduit à un déficit de compensation qui s’élevait à 5,8 milliards d’euros à la fin de l’année dernière et qui se trouve intégralement supporté par EDF. Il faut apurer ce déficit, ce qui nécessiterait de toujours augmenter la CSPE, politique dont on peut interroger l’acceptabilité ; il convient de constater que l’augmentation de la facture de nos concitoyens provient à 60 % de la CSPE au cours des cinq dernières années. Cela entrave les hausses de tarif qu’EDF peut obtenir de la part de l’État, alors que notre entreprise en a besoin pour investir et pérenniser l’outil industriel. Il y a lieu de réfléchir à la façon de sortir de cette spirale en commençant par nous interroger sur le fort déséquilibre existant entre les taxes spécifiques sur l’électricité et les autres formes d’énergie. Aujourd’hui, les taxes spécifiques appliquées au tarif résidentiel de l’électricité sont de 32 % contre seulement 6 % pour le gaz et 13 % pour le fuel domestique. Cette situation fiscale, déséquilibrée, pénalise le développement de l’électricité dans la concurrence entre énergies, alors qu’elle est, de loin, l’énergie la moins carbonée. L’électricité fournit les plus gros efforts en matière de développement des EnR et c’est son prix que l’on augmente : nous sommes là face à un paradoxe. Les charges de service public ne dépassent pas 8 millions d’euros pour le gaz, à comparer avec les 4 milliards pour l’électricité soit un facteur de 500. Il est donc possible de rééquilibrer la fiscalité entre les énergies, afin d’être en cohérence avec les objectifs de réduction des émissions de CO² et d’indépendance énergétique portés par le projet de loi sur la transition énergétique.

Il ne revient pas à EDF mais aux pouvoirs publics de fixer l’assiette de la CSPE, mais nous nous sommes permis d’avancer quelques propositions ; nous avons d’ailleurs noté avec intérêt que Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, a considéré, à l’occasion de l’examen du projet de relatif à la transition énergétique par l’Assemblée nationale, que l’élargissement de l’assiette de la CSPE serait un schéma idéal et a souhaité que votre commission d’enquête instruise le sujet dans ses différents aspects. J’espère que nous aurons progressé sur cette question le mois prochain, afin que l’on prenne en compte tous les paramètres, dont les émissions de CO² et les effets sur la santé publique, pour que l’ensemble des énergies soient mises à contribution.

EDF se prépare à la fin des tarifs verts et jaunes ; l’ensemble de nos prestations se trouvent en concurrence depuis 2007, mais de nombreux consommateurs ont continué de bénéficier de tarifs fixés par arrêté, ces tarifs verts et jaunes ayant servi de cadre de référence pour les petites et moyennes entreprises. La moitié des consommateurs professionnels qui n’ont toujours pas basculé dans des offres de marché le feront avec la disparition de ces tarifs. EDF a consenti un effort important en matière d’offre commerciale, de formation des agents et de déploiement de systèmes d’information adaptés au traitement de ces offres commerciales. Nous perdrons peut-être quelques parts de marché, mais les nouveaux systèmes mis en place nous permettront aussi d’en regagner.

Les industries électro-intensives sont fortement exposées à la concurrence internationale, et leur maintien dans notre pays entre dans nos missions de service public car il s’avère industriellement et socialement important. En facilitant la construction du consortium Exeltium, EDF a montré sa volonté de contribuer à l’effort national ; en outre, d’autres dispositifs de fourniture d’électricité avec participation des clients aux risques ont été mis en place. L’heure est à l’action sur une échelle plus large et il me semble que la voie adéquate repose sur des mesures techniques à caractère réglementaire ; d’autres pays ont suivi ce chemin et l’ont fait accepter par la Commission européenne. Plusieurs possibilités existent : augmentation de l’abattement du tarif d’acheminement, compensation du coût du CO² contenue implicitement dans les contrats d’électricité à prix de marché, et élargissement et accroissement de la rémunération de leur interruptibilité. La combinaison de ces mesures permettrait d’obtenir des baisses de factures substantielles pour les grands électro-intensifs, à l’image du résultat obtenu dans certains pays voisins comme l’Espagne et l’Allemagne dont les dispositifs ont été approuvés par la Commission européenne. Nous sommes donc en mesure de proposer des solutions précises pour les industriels électro-intensifs, qui s’inquiètent de la fin de leurs contrats à court ou moyen terme.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Monsieur le président, souhaitez-vous que les principes législatifs actuels fixant le mode de calcul du coût de l’électricité continuent de s’appliquer ou estimez-vous qu’il convient de les modifier et, donc, de réécrire la loi ?

Vous réclamez une augmentation, certes faible, des tarifs de l’ARENH, mais avant de formuler cette requête, avez-vous imaginé d’autres pistes qui n’auraient pas d’impact sur les consommateurs et sur les acteurs économiques ?

L’architecture institutionnelle organisant les rapports entre l’État et EDF s’avère complexe ; l’État exerce la tutelle sur l’entreprise, en est l’actionnaire et définit la politique publique en matière d’énergie. Comment l’État remplit-il ces différentes fonctions ? Celles-ci sont-elles séparées ou ne se mélangent-elles pas ? Puisque vous avez pris vos fonctions depuis à peine trois mois, êtes-vous surpris, comme nous le sommes parfois, par la gouvernance de l’entreprise ? Comment sont calculés les dividendes élevés que demande l’État actionnaire à EDF ? La pression de l’État en la matière n’est-elle pas trop forte ? Nous avons auditionné le 5 novembre dernier votre illustre et lointain prédécesseur, M. Marcel Boiteux, qui a évoqué de nombreux faits anciens – concernant Charbonnages de France ou les emprunts en dollars de mars 1974 – montrant que l’État a depuis très longtemps tendance à considérer EDF comme une « vache à lait » à qui il demande des actions exorbitantes du droit commun ou éloignées des obligations de service public. La contribution d’EDF à la transition énergétique, objectif de politique publique fixé par l’État, entre bien dans ses missions de service public, mais ce n’est pas toujours le cas. Notre commission doit se pencher sur cette question parce que le coût pour l’entreprise peut s’avérer lourd, ce qui peut entraîner des conséquences sur les tarifs. Les coûts propres à EDF peuvent-ils être maîtrisés au-delà de ce qu’ils sont aujourd’hui ? Existe-t-il une marge en la matière ?

M. François Brottes. La plus belle entreprise du monde ne peut pas donner plus que ce dont elle dispose ; or il existe un réflexe dans ce pays consistant à dire « il n’y a qu’à faire payer cela par EDF ». Le mur d’investissements, la baisse de la consommation, les contraintes sur les tarifs et les dividendes exigés par l’État vous contraignent à maîtriser plus fortement vos dépenses. En outre, la séparation commerciale avec Gaz de France (GDF) et les avances non remboursées pour la CSPE ont alourdi votre fardeau.

Dans l’élaboration des tarifs, est-on capable de différencier les coûts fixes ne dépendant pas ni nombre d’abonnés ni du volume de consommation de ceux pour lesquels une flexibilité existe ? Cette question est d’autant plus importante que l’on encourage les consommateurs à réaliser des économies d’énergie : lorsque le volume d’eau consommée diminue, le prix du mètre cube augmente. Notre commission doit mener cette réflexion pour laquelle vous pourriez nous apporter un avis éclairé.

Que pensez-vous des remarques récurrentes de la CRE et de la Cour des comptes sur la nécessité de rebaptiser ERDF ?

M. Denis Baupin. Monsieur le président, je vous remercie d’avoir reconnu la croissance des coûts liés au nucléaire, que la Cour des comptes avait déjà mise en lumière dans un rapport où elle évaluait à 21 % l’augmentation des coûts d’exploitation du nucléaire au cours des trois dernières années. Ceux-ci atteindraient donc 59,8 euros par mégawattheure, ce montant ne comprenant pas la charge liée aux déchets, au démantèlement et à l’assurance pour laquelle des progrès restaient à accomplir aux yeux de la Cour des comptes.

Depuis 2011, les coûts du photovoltaïque ont nettement diminué et, notamment pour les panneaux installés au sol, nous ne sommes plus loin de la parité réseau. Les erreurs industrielles commises dans notre pays et en Europe ont permis aux Chinois de capter le marché des panneaux photovoltaïques classiques, et il ne faut surtout pas que nous manquions la prochaine génération, d’autant plus que le commissariat à l’énergie atomique (CEA) maîtrise toute la technique nécessaire. Néanmoins, dans une installation, le panneau ne compte que pour 20 %, le reste est fabriqué en France et emploie des personnes dans notre pays pour la maintenance, alors que nous importons entièrement l’uranium que nous utilisons.

Si EDF n’arrive pas à se financer avec les tarifs de l’électricité actuels, il doit, comme l’a dit Mme la rapporteure, réaliser des économies : or comme nous surproduisons de l’électricité tout au long de l’année dans l’Ouest de l’Europe, ne conviendrait-il pas de fermer quelques installations ? Je suis surpris d’entendre EDF indiquer qu’elle souhaiterait prolonger l’activité de tous ses réacteurs pendant 60 ans, vœu qui se trouve en contradiction avec les scénarios de consommation de RTE et avec l’objectif de ramener la part du nucléaire dans la production à 50 % d’ici à 2025.

Quel sera l’impact sur les tarifs de l’électricité de l’ouverture du réacteur pressurisé européen (EPR) de Flamanville ? Le coût de l’EPR n’a cessé de flamber pour atteindre officiellement 8,5 milliards d’euros, montant qui sera dépassé. Je vous pose la même question pour les investissements liés au grand carénage, dont la charge devrait atteindre 110 milliards d’euros selon la Cour des comptes.

Quelles seront les conséquences financières de la prise en compte du coût du centre industriel de stockage géologique (Cigéo) pour l’enfouissement des déchets radioactifs, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) ayant revu à la hausse les frais de l’installation par rapport à la provision inscrite dans les comptes d’EDF ?

Dans une interview accordée au Monde il y a quelques jours, vous avez indiqué la nécessité de construire de nouveaux réacteurs nucléaires. Quel type de réacteur ? À quel horizon et à quel coût des réacteurs de nouvelle génération pourront-ils être construits ? Quelle serait leur rentabilité par rapport aux alternatives en matière de production renouvelable ?

Quelle suite comptez-vous donner à la recommandation de la Cour des comptes de garantir une plus grande indépendance à ERDF ?

M. Jean-Bernard Lévy. Derrière les questions techniques relatives au mode de calcul des tarifs ou à la durée d’amortissement émergent des enjeux plus vastes. Dès lors que nos tarifs sont fixés par la puissance publique, celle-ci doit veiller à ce qu’ils couvrent nos coûts. Le système du tarif par empilement présente le défaut de ne pas couvrir les coûts de manière structurelle, puisqu’une composante importante repose sur un prix de marché et non sur nos charges ; celui-là étant actuellement inférieur à celles-ci, nous vendons à perte. Le Conseil d’État a souligné que l’empilement n’empêchait pas en lui-même la couverture de nos coûts. La marge de manœuvre sur ces derniers renvoie au problème, bien connu des économistes, posé par l’existence de tarifs administrés pour une entreprise industrielle et commerciale.

L’État est en droit de voir ses capitaux rémunérés par des dividendes, calculés à partir des résultats du groupe EDF, dont un tiers de l’activité se réalise hors de France. Le dividende représente 55 à 65 % du résultat net courant – celui-ci découlant du résultat net retraité de quelques événements non récurrents – et atteint 58 % pour le dernier exercice.

L’État a également intérêt à ce que les coûts soient les plus faibles possible. On pourrait sortir du système de prix administré, d’autres monopoles soumis à la concurrence, comme celui des télécoms, ayant pu emprunter ce chemin ; cela n’est pas d’actualité pour l’électricité, mais on pourrait l’imaginer à terme. Des mécanismes d’incitation à maîtriser les coûts ont été déployés pour certains opérateurs d’infrastructures essentielles – ou utilities –, ce dont bénéficient les consommateurs, l’entreprise concernée et ses collaborateurs. Un tel mécanisme n’existe pas aujourd’hui pour EDF et peut-être votre commission pourrait-elle en imaginer. Il existe des marges de manœuvre pour améliorer les bases de coût chez EDF, même si de gros efforts ont déjà été consentis comme le programme « Spark », initié par mon prédécesseur, qui a produit des résultats importants puisque le montant des économies a atteint 1,3 milliard d’euros en 2012 et 2013. Nous continuerons d’améliorer nos offres de service et la gestion de nos achats, de nos systèmes d’information et de notre parc immobilier tout en accroissant la productivité de nos installations. L’entreprise doit tout faire pour assurer le service public au meilleur coût, mais le système actuel, animé par la brutalité de la décision administrative, n’est pas adapté aux évolutions du marché, à la concurrence que nous subissons sur l’ensemble de nos prestations et à la recherche de la meilleure rentabilité de nos différentes dépenses.

Je n’ai pas noté que la Cour des comptes accuse EDF d’empiéter sur les prérogatives d’ERDF ; si tel était le cas, nous ne respecterions pas nos obligations légales. Nous avons répondu à la CRE et à la Cour des comptes sur les questions portant sur la marque ERDF. La gouvernance de cette filiale à 100 % d’EDF est assurée de manière indépendante, comme le dispose la loi.

Le coût du nucléaire a augmenté, pas autant que vous le dites, monsieur Baupin, mais cette hausse est normale car le coût de l’entretien d’un équipement s’accroît avec sa durée de vie.

(Présidence de M. Alain Leboeuf, vice-président de la commission).

Le conseil d’administration d’EDF a approuvé le principe du grand carénage, si bien qu’une phase de réinvestissement dans un outil de production nucléaire plus tout neuf s’ouvre devant nous. Les études de la CRE et de la Cour des comptes soulignent que le coût du nucléaire, même en prenant en compte l’amortissement prévisible du grand carénage, permet à cette source d’énergie de rester de loin la plus économique. Les Français profitent du nucléaire, comme le montrent les comparaisons dressées entre les tarifs de l’électricité dans notre pays et ceux pratiqués chez nos voisins. Le grand carénage vise à maintenir le coût de complet de production à 55 euros le mégawattheure, niveau inférieur à celui des énergies alternatives ; même si le coût des EnR diminue en effet, il reste très supérieur à celui du nucléaire, et ce sans compter l’intermittence de ces énergies.

Les charges de CSPE, qui s’élèvent actuellement à 6 milliards d’euros, augmenteront de près d’1 milliard d’euros par an pour atteindre au moins 10 milliards d’euros en 2020. L’effort consenti pour les EnR s’avère substantiel, d’où ma volonté de le voir partagé entre les consommateurs d’électricité et ceux d’autres formes d’énergie, notamment le gaz et le fioul.

Notre capacité de production électrique génère un solde commercial significativement positif – les exportations d’électricité contribuant à hauteur de 2 milliards d’euros à la balance nationale totale. Le parc de production nucléaire et hydraulique français engendre des exportations qui amortissent nos investissements à hauteur de 110 %, ce qui permet de diminuer d’autant le prix acquitté par les ménages.

Le réacteur de Flamanville est un prototype qui n’entre pas dans l’empilement économique servant à calculer le coût, mais nous travaillons intensément avec Areva pour que le retour d’expérience de ce projet – qui a connu des vicissitudes liées à son caractère innovant – permette de construire des EPR moins chers à l’avenir. Les futurs réacteurs, que nous appelons EPR nouveau modèle, ont vocation à intégrer les programmations pluriannuelles, prévues par le projet de loi relatif à la transition énergétique et élaborées sous l’autorité de l’État. En attendant, il convient, comme dans de nombreux pays européens et américains, d’allonger la durée de fonctionnement des réacteurs existants. Nous travaillons avec l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) pour que la durée de vie de ces réacteurs passe de 40 à 50 ans, les Américains ayant déjà décidé que les leurs, de technologie identique, restent actifs 60 ans.

Le temps est peut-être venu de s’interroger sur la façon dont l’État organise ses différents rôles d’actionnaire, d’autorité de régulation et de bâtisseur d’une politique de l’énergie, et de s’interroger sur les mécanismes incitatifs que l’on pourrait mettre en place afin d’assurer la cohérence de l’ensemble du dispositif.

M. Denis Baupin. Je suis toujours surpris d’entendre les représentants d’EDF expliquer que le nucléaire n’est pas cher parce que les tarifs s’avèrent moins élevés en France ; comme les tarifs sont administrés et que les coûts des déchets et du démantèlement nucléaires sont sous-évalués – sans même évoquer celui des accidents qui n’est jamais pris en compte –, on ne peut pas financièrement comparer les énergies. En revanche, nous sommes très favorables à la transparence de l’ensemble des coûts des filières énergétiques.

Quel sera l’impact sur les tarifs de la mise en fonctionnement de l’EPR de Flamanville, du grand carénage, du Cigéo, et des nouveaux EPR ?

M. Jean Grellier. Il y a deux ans, nous siégions dans une commission d’enquête sur l’avenir de la sidérurgie et de la métallurgie en France et en Europe ; des entreprises électro-intensives nous avaient interrogés sur les problèmes de compétitivité dont elles souffraient par rapport à leurs concurrentes étrangères. Ces questions sont réapparues dans les débats sur les projets de loi relatifs à la transition énergétique et à la croissance. Quelle est votre vision de ces sujets ? Il y a lieu de trouver un schéma optimal pour l’entreprise publique fournissant l’électricité et pour la compétitivité de ces entreprises. Comment imaginez-vous l’évolution de ces partenariats ?

Où en êtes-vous de la recherche et de l’innovation en matière de stockage d’électricité ? Quelles seront les conséquences sur les coûts et les tarifs ?

Mme la rapporteure. Quelles sont vos premières impressions sur la façon dont l’État exerce sa gouvernance dans ses rapports avec EDF ?

Partagez-vous le constat selon lequel l’État a tendance à toujours alourdir les charges d’EDF et à lui faire payer de nombreux éléments de sa politique énergétique ?

Comme M. François Brottes l’a suggéré, que pensez-vous de l’idée de distinguer les coûts fixes des variables et d’instaurer un mécanisme de forfait ou des modes de tarification différents, utilisés par d’autres secteurs ?

M. Jean-Bernard Lévy. Les dépenses de Flamanville sont intégrées au bilan d’EDF et ne sont pas amorties dans le compte d’exploitation : il n’existe donc aucun impact sur les tarifs d’EDF aujourd’hui. Lorsque Flamanville sera livré, nous amortirons son coût – qui sera compris entre 8 et 9 milliards d’euros – sur 60 ans, durée qui correspond à la vie de ces réacteurs de nouvelle génération. Cela entrera dans les coûts d’EDF comme l’amortissement des anciens investissements se trouve reflété dans les coûts actuels. La charge de Flamanville représentera donc 150 millions d’euros par an par rapport à un chiffre d’affaires qui s’élève à 40 milliards en France, soit moins de la moitié d’un point de pourcentage. Le coût du mégawattheure du premier EPR sera bien entendu supérieur au coût moyen du mégawattheure, puisqu’il s’agit d’une nouvelle production ; une fois ce choc amorti dans la totalité de la masse des moyens de production d’EDF, l’effet s’avérera minime.

Les dépenses liées au grand carénage sont directement amorties et ne sont pas placées au bilan en attendant que les études, les installations ou les équipements soient achevées. Le grand carénage permet de maintenir le coût du nucléaire à 55 euros le mégawattheure.

Le démantèlement s’effectuera au cours de nombreuses décennies et les frais induits suivront cet étalement. Le coût pour Cigéo est reflété dans nos comptes puisque nous avons provisionné le coût du démantèlement : certains estiment cette provision trop faible et d’autres trop élevée, ce qui n’est pas anormal compte tenu du degré d’incertitude entourant ces coûts, qui peut avoir un effet de 2 à 3 % sur le coût du MWh nucléaire.

Aider les industries consommant beaucoup d’énergie électrique entre dans nos missions et nous cherchons à leur faire bénéficier du tarif le plus bas possible, dans le cadre de la réglementation européenne. Des partenariats mis en œuvre récemment dans des pays voisins ont été approuvés par la Commission européenne, et nous essayons de bâtir, en lien avec le ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique et les parlementaires, un système similaire grâce à l’utilisation des outils techniques comme l’interruptibilité et l’amortissement des taxes spécifiques à l’électricité.

Nous consacrons une partie des moyens de la recherche et développement (R&D) d’EDF à étudier la manière de compléter les EnR intermittentes – l’éolien et le solaire – par du stockage ; nous espérons que des solutions économiquement viables émergeront progressivement pour ce sujet fondamental.

Dans les télécoms, les coûts variables sont très modestes, car une fois le réseau construit, l’intensité de son trafic n’a que peu d’impact financier. La situation s’avère différente pour l’électricité et certains coûts variables sont plus importants. Les régulateurs et l’État ont, dans leur grande sagesse, mis en place un système d’abonnement fixe pour se connecter associé à une consommation proportionnelle. Nous serions prêts à examiner la pertinence du montant du coût fixe par rapport à celui du variable : faut-il déplacer le curseur ? Convient-il d’instaurer des forfaits pour que des consommateurs ne dépassent pas un certain montant de facture ? Le futur compteur Linky devra-t-il permettre de mieux maîtriser la consommation ?

La noblesse d’une entreprise de service public réside dans la nécessité de gérer l’ensemble de ses contraintes et d’assurer au mieux ses missions. Néanmoins, j’alerte les pouvoirs publics sur la croissance de l’endettement d’EDF au cours des dernières années et sur les taxes supportées par le consommateur d’électricité qui ne le sont pas par celui d’énergies fossiles alors que l’énergie électrique est décarbonée à 85 %.

Le rôle du PDG d’EDF est de limiter les surprises et d’anticiper les réactions de ses interlocuteurs dans les différents lieux de pouvoir de l’État. Il convient de veiller à assurer la cohérence qui permettra à l’entreprise de travailler dans la durée et dans la stabilité ; dans ce domaine, et même si mon expérience à la tête de l’entreprise est encore courte, je pense que le président d’EDF a un rôle à jouer.

33. Audition, ouverte à la presse, de M. Alexis Zajdenweber, directeur des participations « Énergie » et M. Thomas Gosset, directeur-adjoint à l’Agence des participations de l’État (APE)

(Séance du mercredi 18 février 2015)

M. Alain Leboeuf, président. Nous recevons à présent messieurs Alexis Zajdenweber et Thomas Gosset, respectivement directeur et directeur-adjoint des participations « Énergie » de l’APE. L’Agence, dont la création remonte à 2004, a pour mission de superviser de façon active la gestion des participations de l’État actionnaire en fonction de stratégies entrepreneuriales clairement définies.

À lui seul, le secteur de l’énergie représente plus de 50 % du chiffre d’affaires global des entreprises sous participation de l’État. Outre les 84,5 % détenus dans le capital d’EDF – qui contrôle à 100 % ses deux filiales RTE et ERDF –, l’État est également actionnaire à 36,7 % de GDF Suez et directement à 21,7 % d’Areva très majoritairement sous contrôle public. La question des tarifs de l’électricité s’avère difficilement dissociable des interrogations sur l’architecture du système sous contrôle public, dominé par EDF. Des rapprochements ou des synergies de l’opérateur historique avec Areva qui traverse une période délicate pourraient, à terme, modifier l’équilibre actuel de l’ensemble.

Nombre d’interlocuteurs de la Commission ont critiqué le montant des versements de dividendes d’EDF à l’État tout en regrettant que l’entreprise fasse remonter une part de dividendes à partir de RTE et d’ERDF. Sans remettre en cause le principe du paiement d’un dividende à l’État actionnaire, les critiques pointent généralement l’importance d prélèvement au regard des besoins de financement pour investissement des trois entités en question. Quelle est, sur ce point, l’opinion de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) ? Le régulateur a-t-il d’ailleurs une légitimité à s’exprimer sur ce sujet ?

Nous aimerions, messieurs, que vous traciez à grands traits le paysage et les conséquences des participations de l’État au sein des entreprises du secteur de l’électricité, en rappelant les questions qui font l’objet d’échanges ou de débats en cours avec des services de la Commission européenne. L’APE est-elle directement associée à ce type de confrontations avec Bruxelles ?

Avant de vous passer la parole, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Alexis Zajdenweber prête serment.)

M. Alexis Zajdenweber, directeur des participations « Énergie » de l’APE. Je commencerai par rappeler comment l’État actionnaire aborde les problématiques tarifaires, avant de répondre à vos questions – à condition qu’elles relèvent de la compétence de l’APE. Vous l’avez dit, l’État est actionnaire d’EDF, mais également de GDF Suez et d’Areva ; compte tenu de l’objet de la Commission d’enquête, j’évoquerai surtout EDF, mais la même logique vaut pour les autres producteurs et exploitants d’installations productrices d’électricité.

Comme tout actionnaire, l’État veille à ce que l’entreprise EDF accomplisse les tâches qui lui sont confiées – parmi lesquelles plusieurs missions de service public – en réalisant des profits et en se développant par des investissements rentables et soutenables, afin de pouvoir rémunérer ses salariés et ses bailleurs de fonds dont ses actionnaires, et en particulier l’État. Les tarifs de vente de l’électricité sont une donnée essentielle de cette équation puisque le chiffre d’affaires d’EDF – résultante des volumes multipliés par les prix – en dépend directement.

Avant tout, les revenus d’EDF doivent nécessairement couvrir ses coûts. Toute entreprise cherche à vendre les biens ou les services qu’elle commercialise à un prix supérieur à ses coûts. Pour un moyen de production d’électricité en fonctionnement – par exemple une centrale nucléaire –, ces « coûts complets » incluent les charges annuelles d’exploitation, notamment les salaires de ses employés et le combustible, les investissements de maintenance qui en assurent la performance et la sûreté, et une marge lui permettant de rembourser et de rémunérer les bailleurs de fonds qui ont pris le risque de financer l’investissement initial. Il est donc naturel que les tarifs réglementés de vente (TRV), qu’EDF doit proposer à tout client qui le demande en vertu de sa mission de service public, couvrent ses coûts. Si le régulateur souhaite limiter la hausse d’un tarif régulé, il peut discuter ses trajectoires de coûts avec EDF ou introduire une régulation incitative. Idéalement, celle-ci doit partager les gains d’efficience constatés entre le fournisseur et le consommateur.

Si l’entreprise ne parvient pas à couvrir ses coûts avec son chiffre d’affaires – soit parce que le régulateur est trop exigeant, soit parce que ses concurrents sont plus compétitifs –, elle doit les réduire. Ne pas arriver à couvrir ses coûts complets signifie que la décision d’investissement initial se révèle mauvaise, puisque la rentabilité escomptée n’est pas atteinte ; à l’entreprise alors d’en tirer les leçons pour ses investissements futurs. En cas d’impossibilité de couvrir même les charges annuelles – exploitation et maintenance –, l’entreprise doit fermer son moyen de production.

En 2015-2016, EDF verra la régulation tarifaire significativement modifiée, avec la construction des TRV par empilement, l’entrée en vigueur de la nouvelle formule de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) et la fin des TRV jaunes et verts ; ces nouvelles règles constituent un enjeu fort pour le groupe, et l’État actionnaire les scrute avec attention. Jusqu’en 2014, environ 70 % du chiffre d’affaires d’EDF était régulé. Avec la fin des TRV jaunes et verts en 2016, un prix de l’ARENH actuellement supérieur aux prix de gros sur le marché et la nouvelle construction des TRV par empilement, EDF sera davantage exposée aux prix de marché et à la concurrence. Son actionnaire souhaite que l’entreprise se montre capable de s’adapter à cette situation en maîtrisant ses coûts et en proposant des offres attractives à ses clients, et que les principes retenus pour la construction des tarifs régulés lui assurent la couverture de ses coûts, pour la part de ses ventes qui reste régulée et pour le jour où les tarifs de marché redeviendront supérieurs aux tarifs régulés. Il convient en effet de rappeler que la régulation mise en place pour l’ARENH est asymétrique, son prix représentant un plafond pour EDF : quand les prix de marché sont inférieurs à l’ARENH, EDF vend aux prix de marché, donc en-dessous de l’ARENH ; lorsqu’ils sont supérieurs, EDF ne peut pas vendre au-dessus de l’ARENH. Or on prévoit le retour à une situation de prix de marché supérieurs à l’ARENH, les besoins européens en matière de renouvellement du parc de production d’électricité devant corriger la situation actuelle de surcapacité.

Pour engager les investissements nécessaires sur le parc français, son principal opérateur – EDF – doit évaluer s’il peut compter sur des revenus suffisants pour les rentabiliser ; il a donc besoin d’une visibilité maximale sur les trajectoires tarifaires. Les besoins de renouvellement du parc de production seront importants à l’horizon 2030 ; dans certains cas, les investissements massifs pourront être retardés en prolongeant la durée de vie des moyens existants, mais en tout état de cause, les entreprises et leurs actionnaires décideront d’autant plus facilement d’investir qu’ils pourront anticiper leurs revenus futurs.

À court terme, EDF travaille à l’extension de la durée de vie d’une partie de son parc nucléaire historique. Le juste calibrage de l’ARENH et sa stabilité sont donc des éléments clés pour les décisions d’investissement à venir, dites de « grand carénage ». À plus long terme, les décisions de renouvellement dépendront de perspectives de marché fondées sur des projections d’offre et de demande, ainsi que des soutiens publics éventuels à certains modes de production, par exemple aux énergies renouvelables. Il faudra éventuellement imaginer des dispositifs tarifaires spécifiques, à l’instar du « contrat pour différence » instauré par les autorités britanniques pour permettre la construction de nouvelles centrales nucléaires au Royaume-Uni dans le cadre du projet Hinkley Point. Ce contrat assurera un minimum de revenus aux investisseurs, moyennant un juste partage du risque.

Bien entendu, en période d’investissement, la politique de distribution de dividendes d’EDF doit être finement calibrée. Vous savez que la rémunération des bailleurs de fonds d’une entreprise inclut aussi et surtout ses actionnaires, car ils immobilisent du capital dans l’entreprise qu’ils ne peuvent pas utiliser ailleurs, par exemple pour réaliser des investissements plus rentables. De tout temps, mais particulièrement dans une période d’investissement, un actionnaire responsable doit se poser la question de la soutenabilité des dividendes qu’il reçoit de son entreprise. S’agissant d’EDF, l’orientation retenue depuis juillet 2011, qui correspondait au début de la période de réinvestissement du groupe, consiste à fixer un objectif de taux de distribution de dividendes en pourcentage du résultat net courant (RNC). Ce principe et le taux choisi – entre 55 et 65 % du RNC, soit quelque 60 % en moyenne – sont fondamentaux : ils reposent sur le sentiment partagé par l’entreprise et son actionnaire qu’il s’agit du niveau soutenable pour le groupe dans la période actuelle. Ils permettent également d’ajuster le niveau à la performance effective du groupe, hors événements exceptionnels, dans une fourchette qui permet un lissage, donc une stabilité recherchée à la fois par l’État – soucieux des finances publiques – et par le marché. Sans faire du dividende une variable d’ajustement, l’engagement à atteindre un objectif de flux de trésorerie positif en 2018, pris il y a un an et confirmé la semaine dernière par la nouvelle direction générale, atteste de la soutenabilité de cette politique de dividendes, déclinée ensuite au niveau des filiales d’EDF, notamment ERDF et RTE.

J’espère vous avoir convaincus de l’importance des questions tarifaires pour l’actionnaire du groupe EDF et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Revenons sur les relations entre l’État et l’opérateur historique. Pour une entreprise comme EDF, l’État représente à la fois l’actionnaire, la tutelle et la puissance publique qui définit une politique de l’énergie contraignante. Comment s’articulent ces différents avatars de l’État et leurs interventions ?

Qu’en est-il de la gouvernance du groupe ? Comment fonctionne le conseil d’administration ? Quel rôle l’État, sous ses différentes casquettes, y joue-t-il ?

Dans nos auditions, nous avons entendu beaucoup de critiques sur le montant des dividendes ; certains sont allés, dans une vision caricaturale, jusqu’à présenter la somme versée à l’État comme une donnée à partir de laquelle on calculait tout le reste. On a souvent évoqué la pression de l’État actionnaire, confronté à la situation difficile des finances publiques, pour maximiser les dividendes, cette pression se répercutant en cascade sur les filiales d’EDF. Les opérateurs du territoire, tels que les syndicats départementaux, partagent ce sentiment. Qu’en pensez-vous ?

Vous l’avez rappelé : la logique de fixation des tarifs renvoie aux coûts complets et il est évident que les tarifs doivent couvrir les coûts. En tant que membre du conseil d’administration de l’entreprise, pouvez-vous porter une appréciation sur ces derniers ? Existe-t-il des marges de manœuvre pour les réduire ? L’opérateur mène-t-il une politique systématique de maîtrise des coûts, et avec quels résultats ? Quelles nouvelles dispositions seraient susceptibles de dégager des gains – à partager entre l’actionnaire et les salariés ?

Enfin, participez-vous, directement ou indirectement, à la fixation du taux de rémunération du capital dans le cadre de l’ARENH ? Comment fixe-t-on l’ARENH, et comment contribuez-vous à ce processus ?

M. Alexis Zajdenweber. Comme tout sujet interministériel, la politique énergétique implique des échanges réguliers entre différentes administrations compétentes. Dans cet ensemble complexe, chacun doit rester dans son rôle, la répartition des tâches garantissant l’efficacité du système et la capacité de l’État à prendre des décisions éclairées. Aussi l’APE se borne-t-elle à jouer pleinement le rôle de l’État actionnaire, en constant dialogue avec les autres intervenants. En revanche, nous n’avons pas vocation à interagir avec les autorités indépendantes.

Le renouvellement de la gouvernance d’EDF, il y a quelques mois – a été l’occasion de faire entrer en vigueur les nouvelles règles issues de la récente réforme de la gouvernance des entreprises publiques. La gouvernance au sein d’EDF fonctionne bien. Chaque facette de l’État y trouve sa place, y joue son rôle et y parle depuis son point de vue : l’État actionnaire comme l’État régulateur, à travers un commissaire du Gouvernement.

Nous avons conscience des critiques en matière de dividendes que vous avez entendues. Comme je l’ai souligné dans mon propos liminaire, nous avons fixé une « guidance », le ratio se situant dans une fourchette autour d’une moyenne d’environ 60 % du RNC. C’est ce dernier qui détermine le montant des dividendes, et non l’inverse. L’État souhaite être un actionnaire responsable, source de stabilité ; les règles claires qu’il a fixées en accord avec l’entreprise reposent sur le niveau soutenable des dividendes, y compris dans une phase d’investissement. Il n’est jamais bon que l’actionnaire d’une entreprise n’ait aucune exigence en matière de dividendes : le capital investi doit engendrer une rémunération. Mais nous n’opposons pas dividendes et investissements, les premiers représentant la rémunération d’un capital investi qui finance les seconds. On ne saurait envisager l’un sans l’autre : les bons investissements sont faits dans la perspective de pouvoir rémunérer le capital investi et l’actionnaire qui en est à l’origine.

Il est logique que cette politique, partagée avec le groupe EDF, se décline également dans ses filiales. En 2012, nous avons comparé les niveaux de dividendes d’ERDF et de RTE à ceux versés par des entreprises similaires pour constater que la politique pratiquée par EDF à l’égard de ses filiales se situait dans la moyenne. Par ailleurs, il faut relativiser les montants : le niveau des dividendes servis par ERDF et RTE à leur actionnaire est de l’ordre respectivement de 400 et 250 millions d’euros, à rapporter aux volumes des investissements réalisés par ces entreprises – respectivement 3,2 milliards d’euros pour ERDF en 2013 et 2014, et 1,4 milliard pour RTE en 2014.

S’agissant des éventuelles marges de manœuvre pour réduire les coûts de l’opérateur historique, le conseil d’administration d’EDF surveille la trajectoire financière de l’entreprise, suivant de près l’évolution du chiffre d’affaires, des charges opérationnelles et des investissements. L’entreprise a récemment mis en œuvre un programme de réduction des coûts – le plan « Spark » – dont certains effets ont vocation à être pérennes, et s’est réengagée, à l’occasion de la présentation de ses comptes annuels, sur une trajectoire de trésorerie nette positive à l’horizon 2018. Cet objectif suppose de contrôler l’ensemble des coûts de l’entreprise, tant en matière d’achats que de masse salariale. Selon nous, il existe encore des marges et le groupe est en mesure de les trouver. Quant aux nouvelles mesures à instaurer, il faudrait créer des mécanismes incitatifs de tarification qui amèneraient EDF à exploiter au maximum les marges de coût dont elle dispose.

L’APE n’a pas vocation d’entrer en dialogue avec la CRE au sujet du mécanisme de l’ARENH. Nous donnons notre point de vue au sein des structures étatiques, mais nous ne sommes pas directement partie prenante dans cet exercice de régulation.

M. Denis Baupin. Auditionner des représentants de l’État actionnaire en commission d’enquête est l’occasion de poser toutes les questions que nous avons accumulées depuis des années !

Quel est, selon l’État actionnaire, le prix actuel du mégawattheure nucléaire en France ? Le PDG d’EDF que nous auditionnions tout à l’heure l’a situé à 55 euros, ajoutant que ce prix allait rester identique à l’issue du grand carénage. Dans son rapport à la commission d’enquête relative aux coûts de la filière nucléaire – dont j’étais le rapporteur –, la Cour des comptes l’avait chiffré à 59,80 euros. Comment comprendre cet écart ?

En matière d’investissements d’EDF, le coût de l’EPR de Flamanville – projet qui n’est toujours pas terminé – a explosé par rapport aux prévisions initiales. Comment l’État actionnaire a-t-il pu autoriser un investissement à un coût aussi sous-évalué ? Quels enseignements a-t-on tiré de cette expérience pour éviter qu’elle ne se reproduise ? EDF lance en ce moment d’énormes projets, tels que Hinkley Point en Grande-Bretagne ; faut-il s’attendre à une explosion similaire des coûts ? Quelles garanties l’État prend-il lorsqu’un industriel dont il est actionnaire annonce le coût d’une installation, pour éviter que celui-ci ne dérape ? Cette observation vaut également pour les investissements réalisés par d’autres entreprises de la filière nucléaire, par exemple Areva dont l’État est également actionnaire : le projet UraMin représente 2 milliards d’euros de pertes, l’EPR de Finlande, 4 milliards. Quelles leçons l’État tire-t-il de ces gigantesques échecs qui seront financés par le contribuable français ? Selon le directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), personne ne croyait au prix de l’EPR de Flamanville annoncé au départ ; mais qui donc a autorisé cet investissement ?

Dans le cadre de la commission d’enquête sur les coûts du nucléaire, la Cour des comptes a chiffré les investissements futurs relatifs au grand carénage à 110 milliards d’euros. Comment comprendre l’analyse du président d’EDF qui affirme qu’ils n’auront pas d’impact sur le prix du kilowattheure ? Quelle appréciation l’État actionnaire porte-t-il sur cette question et quelle stratégie compte-t-il poursuivre s’agissant de l’engagement des travaux ? Ceux-ci se feront-ils au cas par cas, en fonction de la rentabilité des réacteurs ?

Quel sera l’impact du projet de Centre industriel de stockage géologique (Cigéo) sur les coûts d’EDF et le prix du mégawattheure ? Présent au sein de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), d’EDF, d’Areva et du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), l’État fixera également, au travers des ministères, le coût officiel du projet. Les écarts entre les estimations des uns et des autres vont du simple au double ; quel est le point de vue de l’APE ?

Le P.-D.G. d’EDF déclare dans la presse qu’il estime indiscutable la nécessité de construire de nouveaux réacteurs nucléaires. Quelle est la position de l’État actionnaire ? Les futurs réacteurs devront-ils remplir des critères de rentabilité ? Actuellement, on envisage de vendre le kilowattheure aux Britanniques à Hinkley Point à un prix 30 % plus élevé que celui de l’éolien, et deux fois plus élevé que celui de l’électricité en Grande-Bretagne.

La durée d’amortissement des installations nucléaires est aujourd’hui fixée à quarante ans ; pouvez-vous confirmer que l’État actionnaire compte suivre en cette matière les préconisations de l’ASN ? Celle-ci n’ayant pris aucune décision – un référentiel sera progressivement élaboré, un cahier des charges devant être produit pour 2018 –, il n’est pas question d’aller au-delà de ce seuil. Toute tentative de ce type s’apparenterait à une manipulation des cours de bourse pour une entreprise cotée comme EDF dont 15 % du capital sont détenus par des actionnaires privés.

M. Alexis Zajdenweber. Vos questions ne relèvent pas toutes de la compétence de l’APE.

EDF chiffre en effet le prix du mégawattheure nucléaire à 55 euros, en euros 2011 ; la Cour des comptes le situe pour sa part à 56,40 euros, en euros 2012. L’écart entre les deux estimations n’est donc pas si significatif.

L’EPR de Flamanville représente un sujet d’une grande complexité. C’est l’entreprise EDF qui porte la responsabilité du chantier, l’État actionnaire n’ayant pas vocation à s’y substituer. Premier en son genre, cet EPR est une tête de série ; quand on mène un projet de ce niveau d’ambition technologique, on rencontre inévitablement des coûts inattendus.

M. Denis Baupin. Mais on savait dès le départ qu’il s’agissait d’une tête de série !

M. Alexis Zajdenweber. Certes, mais il est difficile de prévoir quel type de difficultés l’on va rencontrer et de les quantifier ex ante. La complexité de ce type de projets induit une incertitude sur les coûts de la tête de série ; l’expérience que l’on en retire doit justement profiter aux installations suivantes, y compris celles qui sont d’ores et déjà en construction, par exemple en Chine sur le site de Taishan. De fait, ce dernier projet, qui a démarré après Flamanville, progresse à un bon rythme et bénéficie des enseignements de la tête de série.

Siégeant comme représentant de l’État au conseil d’administration d’Areva – et non d’EDF –, je sais que pour répondre aux difficultés rencontrées par cette entreprise, l’État s’est efforcé d’en faire évoluer la gouvernance. Jusqu’à la fin de l’année dernière, Areva était gérée par un directoire et un conseil de surveillance. Sans se prononcer dans l’absolu sur la pertinence de ces organes ; la mise en place d’un conseil d’administration a permis à celui-ci d’être mieux informé et plus à même de prendre des responsabilités.

Le grand carénage est un projet composite qui concerne l’ensemble des investissements nécessaires à la maintenance du parc nucléaire historique, et ne se réduit pas à la question de la prolongation éventuelle de la durée d’amortissement des centrales. Les chiffres évoqués en matière de coût du parc historique restent valides ; certains investissements du grand carénage visent à prendre en compte les nouvelles exigences posées après l’accident de Fukushima ; d’autres représentent des investissements de maintenance, nécessaires pour que les installations puissent atteindre l’âge de quarante ans ; une partie enfin concerne une éventuelle prolongation de la durée de vie des centrales. En allongeant la durée d’amortissement des investissements, on retrouve la capacité de les réaliser sans impact sur le coût de production de l’électricité nucléaire du parc historique. En revanche, l’État actionnaire n’a pas vocation à influencer ou à remettre en cause les décisions de l’autorité indépendante que représente l’ASN ; nous les considérons comme des données qui commandent tout le reste. Je l’ai rappelé : nous sommes particulièrement vigilants à ce que chacun se cantonne à son rôle.

S’agissant de Cigéo, la décision ne relève pas de l’État actionnaire ; c’est la ministre de l’écologie qui arrêtera le montant du devis au terme de la procédure de consultation des différents opérateurs et de l’ASN. Cigéo représente d’ores et déjà des provisions importantes dans les comptes d’EDF que l’entreprise a rendus publics le 12 février ; toutefois, le chiffrage restant encore incertain, EDF a considéré qu’à ce stade, conformément aux standards comptables il n’était pas nécessaire de modifier ces provisions à la hausse ou à la baisse au regard des débats en cours.

La construction de nouveaux réacteurs nucléaires renvoie à la politique de l’énergie et ne relève pas directement des prérogatives de l’État actionnaire. Ce sujet est actuellement débattu avec la représentation nationale, la loi sur la transition énergétique fixant le cadre dans lequel devra évoluer le mix énergétique français. Je me bornerai donc à constater que la ministre responsable de la politique de l’énergie a eu l’occasion de s’exprimer sur le sujet.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. L’État est aujourd’hui le principal actionnaire d’EDF ; cette situation est le fruit de l’histoire, mais l’État a-t-il besoin de ce niveau de participation au capital de l’entreprise pour exercer ses responsabilités ? Quels avantages voyez-vous au fait d’avoir un partenaire privé ? De même, quels sont les avantages et les inconvénients d’un actionnariat entièrement public – option que l’on a expérimentée par le passé ? Quel est aujourd’hui le niveau souhaitable d’actionnariat public ? On peut étendre la réflexion aux autres entreprises du domaine de l’énergie, telles que GDF Suez où l’État détient – là aussi pour des raisons historiques – 30 % de participation, avec une action spécifique. À quel niveau s’exprime la différence entre ces deux entreprises ? Quels enseignements tirez-vous de cette comparaison ? Vous amènent-ils à faire évoluer le niveau de participation de l’État dans l’une ou l’autre d’entre elles ? Les prérogatives de puissance publique dépendent-elles du poids de l’État dans la gouvernance de l’entreprise – 30 % avec une action spécifique pour GDF Suez, 84 % pour EDF ? Ou bien faut-il chercher l’efficacité ailleurs, le portefeuille de l’APE comprenant une large palette d’instruments ? En somme, quelles réflexions vous inspire cette situation héritée du passé ?

M. Alexis Zajdenweber. L’APE a pour principe de ne pas commenter les niveaux de participation de l’État dans différentes entreprises, ce type de jugements étant d’une grande sensibilité, surtout pour des sociétés cotées. Je me contenterai donc de noter que le niveau actuel de participation au capital d’EDF ne constitue pas un obstacle à l’exercice par l’État de son rôle d’actionnaire.

M. Denis Baupin. Aurait-on découvert en cours de route que l’EPR de Flamanville représentait une tête de série ? L’APE détenant un portefeuille significatif d’entreprises, y a-t-il d’autres exemples de projets dont le coût aurait été multiplié par trois entre l’annonce initiale et la réalisation ? De plus, le retour d’expérience devrait faire baisser les coûts ; or celui de Hinkley Point dépasse, selon les estimations, celui de Flamanville. Pour ne pas consolider le coût de ce projet dans son endettement, EDF a essayé de ne pas être majoritaire dans le conglomérat qui le financera ; à partir de quel pourcentage de participation l’entreprise devra procéder à la consolidation ?

Vous affirmez que l’APE ne remet jamais en cause la parole de l’ASN qui fixe la durée d’amortissement des installations nucléaires à quarante ans. En même temps, vous dites que les investissements du grand carénage ont pour but non seulement de porter les installations jusqu’à quarante ans, mais aussi, éventuellement, d’aller au-delà. On peut comprendre la logique de rentabilité ; mais l’Autorité des marchés financiers comme la Compagnie nationale des commissaires aux comptes – que j’ai interrogées en tant que rapporteur de la commission d’enquête sur les coûts de la filière nucléaire – ont toutes deux déclaré que l’amortissement sur cinquante ans leur paraissait totalement inenvisageable sans le feu vert de l’ASN. Toute décision de passer outre l’avis de l’Autorité aurait des conséquences sur la crédibilité du cours de bourse de l’entreprise EDF. Comment conciliez-vous ces lourdes contradictions ?

Enfin, je ne vous demande pas s’il est pertinent de construire de nouveaux réacteurs, ni quand il faudrait le faire ; je souhaite simplement comprendre la stratégie de l’État actionnaire au sein de l’entreprise. À quel niveau de rentabilité – c’est-à-dire à quel prix du kilowattheure –, estimera-t-on qu’il vaut mieux investir dans le nucléaire que dans d’autres types d’énergie ? Le mégawattheure est évalué à quelque 110 euros à Hinkley Point ; pour ses réacteurs, EDF le chiffre à 55 euros. Le coût variant du simple au double, quelle serait la cible si l’on décidait de construire un nouveau réacteur en France ?

M. Alexis Zajdenweber. Tout le monde avait conscience que l’EPR de Flamanville était une tête de série mais il est toujours difficile de prévoir ex ante dans quelle mesure les coûts d’une tête de série sont susceptibles d’évoluer. Si le risque est connu, l’ampleur de la variation est beaucoup plus difficile à anticiper. Sans vouloir vous taquiner, entre la phase de recherche et développement et celle de la mise en œuvre, certains projets en matière d’énergies renouvelables – tels que les éoliennes en mer – se révèlent eux aussi beaucoup plus coûteux que prévu.

M. Denis Baupin. Avez-vous des exemples et des chiffres concrets ? Parlant devant une commission d’enquête, sous serment, vous devez nous dire dans quels cas les écarts constatés entre les devis effectués et les coûts de réalisation se sont révélés supérieurs à ceux observés dans le cas de l’EPR.

M. Alexis Zajdenweber. Je parlais uniquement de la multiplication des coûts par deux ou par trois que vous évoquiez, et non du montant. Aujourd’hui, Areva est par exemple engagée dans une activité d’éoliennes en mer dont le développement coûte plus cher que ce qu’on avait anticipé. Dans la vie économique des entreprises, il est normal que le passage de la recherche et développement au déploiement présente ce type de risques. Sans critiquer les technologies en question ou les investissements correspondants, je souhaitais juste souligner que l’effet « tête de série » existe dans tous les domaines.

M. Denis Baupin. Ne mélangeons pas tout ! Le prix de Flamanville est aujourd’hui au minimum trois fois plus élevé que ce qui a été annoncé lorsque l’État a pris la décision de construire cet EPR ; cela n’a rien à voir avec le coût de recherche et développement qui peut dépasser les prévisions. Quel contrôle l’État peut-il exercer sur le coût des projets ? En effet, quand il se fait avoir en lançant un investissement qui coûtera finalement trois fois plus cher que prévu, c’est le contribuable qui paie. La question est donc lourde de conséquences !

M. Alexis Zajdenweber. Loin de moi l’idée d’en minimiser la gravité ! L’État doit jouer pleinement son rôle d’actionnaire au sein des instances de gouvernance de l’entreprise, qui sont évidemment saisies des grands projets d’investissement, les étudient et les questionnent. Mais une tête de série comporte forcément une part d’incertitude et de risque plus élevée qu’un projet réalisé au terme de plusieurs expériences de développement.

Votre question sur la consolidation de la dette de Hinkley Point est très technique ; n’étant pas en mesure de vous fournir une réponse précise sur-le-champ, je me propose de revenir vers vous après avoir fait les recherches nécessaires.

En matière de durée de vie des centrales, la relation entre EDF et l’ASN relève d’une dynamique : compte tenu de la durée et de la lourdeur des décisions d’investissement et des processus industriels qu’ils impliquent, EDF est parfois obligée de prendre des décisions avant que l’ASN ne rende son avis générique, puis des décisions individuelles concernant chacune des installations. Il ne s’agit pas de préempter sa décision : EDF comme l’APE assument le risque de voir l’investissement remis en cause si l’ASN décide que telle ou telle installation n’a pas vocation à être prolongée au-delà de quarante ans. Mais dans cette dynamique, il est possible pour EDF d’entrer dans une logique de prolongement comptable d’une partie de son parc.

Enfin, la question relative au niveau du prix est complexe. Les travaux entre Areva et EDF pour optimiser le design et le coût de l’EPR en fonction des enseignements de Flamanville sont toujours en cours et on ne sait pas encore quel en sera l’effet. J’aurais donc du mal aujourd’hui à vous donner un chiffre qui ferait foi en la matière.

34. Audition, ouverte à la presse, de Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie

(Séance du mercredi 4 mars 2015)

M. le président Hervé Gaymard. Nous accueillons, au terme de notre cycle d’auditions, Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. En nous penchant sur la question des tarifs de l’électricité, nous avons fait le constat que l’ouverture à la concurrence n’a pas été clairement perçue par les consommateurs, d’abord parce qu’elle n’a pas un effet positif sur les factures – lesquelles ont d’ailleurs enregistré une hausse massive des taxes et des prélèvements –, ensuite parce que les annulations successives des arrêtés relatifs à certains tarifs réglementés ont contribué à rendre la situation plus confuse encore. Dans ce contexte, les fournisseurs alternatifs n’ont pu développer leurs activités ; surtout, ils ne présentent pas d’offres véritablement attractives, en tout cas pour le grand public, si bien qu’Électricité de France (EDF), l’opérateur historique, conserve une part de marché prépondérante. L’avenir économique de cette entreprise n’en est pas pour autant assuré : elle doit, en effet, faire face à des investissements très élevés, alors que le niveau actuel des tarifs ne paraît pas suffisant pour lui offrir des perspectives solides d’autofinancement, et son endettement risque d’atteindre des proportions inquiétantes, comme l’indiquait son président, Jean-Bernard Lévy, à notre commission d’enquête.

Dans ces conditions, on est en droit de se demander si la transition énergétique se concilie avec le mouvement d’ouverture du marché à la concurrence. En tout état de cause, la gouvernance du système électrique français appelle des réformes au titre desquelles EDF devra accomplir des efforts dans sa gestion, notamment à travers une meilleure maîtrise de ses coûts commerciaux et, sans doute, certaines révisions stratégiques.

Nous pourrions également évoquer les faiblesses de la politique européenne de l’énergie, qui, avec l’ouverture à la concurrence du marché de l’électricité, se sont révélées encore plus criantes.

Avant de vous laisser la parole, madame la ministre, je dois vous demander de vous plier aux exigences de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, qui dispose que toute personne auditionnée par une commission d’enquête est tenue de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Mme Ségolène Royal prête serment.

Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Merci de votre invitation. J’arrive, pour ainsi dire, du Sénat, qui vient d’adopter le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, dont l’objet fait écho à celui de votre commission d’enquête. J’en salue l’initiative, car elle porte sur un sujet brûlant, qui concerne par définition tous les Français. Le prix de l’électricité est, en effet, au cœur de plusieurs enjeux essentiels : le pouvoir d’achat et la précarité énergétique, la compétitivité de nos entreprises, notamment les électro-intensives, le financement des investissements dans la transition énergétique et les emplois qu’ils génèrent, mais aussi l’évolution de notre mix énergétique. Si nous voulons que notre système énergétique nous fasse basculer dans une société bas-carbone, il faut que le signal prix incite à la baisse de la consommation des énergies fossiles, au profit d’un transfert vers les énergies décarbonées. Ces enjeux sont parfois contradictoires, puisqu’il faut à la fois tirer à la hausse le prix comparatif des énergies fossiles en donnant un prix au carbone tout en préservant le pouvoir d’achat des consommateurs – notamment des plus modestes qui se chauffent souvent au fioul –, et améliorer la compétitivité du prix de l’électricité tout en finançant d’importants investissements dans de nouveaux moyens de production d’énergie renouvelable.

Le prix de l’électricité n’est pas un objectif en soi : c’est un moyen au service d’un modèle énergétique. Il faut financer la transition en sachant que le modèle vers lequel on tend – un monde décarboné économe en ressources, qui supprime les gaspillages, préserve notre santé et améliore notre cadre de vie – bénéficiera à tous les citoyens. Le chemin pour atteindre ce nouveau modèle nécessite de trouver des équilibres entre les différents enjeux.

La tarification de l’électricité sert aussi à couvrir des coûts qui tiennent à la production de cette source d’énergie, à son acheminement et à la nécessité d’assurer en permanence un équilibre entre l’offre et la demande, car l’électricité ne se stocke pas. L’organisation du secteur électrique français est globalement efficace ; elle a permis à tous les Français, depuis la loi fondatrice de 1946, de bénéficier d’un accès à l’électricité fiable et relativement peu coûteux par comparaison avec les pays voisins.

Aujourd’hui, ma préoccupation est de trouver un équilibre entre la baisse des factures énergétiques des Français, de façon qu’ils puissent investir dans la performance énergétique de leur logement, par exemple, et l’augmentation des investissements pour la croissance verte et les emplois – investissements dans les économies d’énergie, la performance énergétique des bâtiments, les énergies renouvelables, l’économie circulaire. Il y a d’ailleurs un paradoxe à demander aux grands énergéticiens de s’engager dans la sobriété et la performance énergétiques, qui par définition diminuent leur chiffre d’affaires : intéresser les producteurs et les distributeurs à cette évolution passe donc par un nouveau modèle économique.

Pour ce faire, j’ai engagé cinq grands chantiers en veillant à leur cohérence. Le premier est de donner la priorité aux économies d’énergie dans tous les secteurs – le bâtiment, les transports, l’industrie et les services –, pour qui les économies d’énergie sont des économies sur les factures ; ce sont aussi des économies pour le pays dans son ensemble, au bénéfice de sa balance commerciale. Maîtriser la quantité d’énergie consommée est le moyen le plus efficace d’agir sur ces factures, au niveau individuel comme au niveau national.

Le deuxième chantier consiste à réformer les tarifs réglementés de l’électricité et à rénover la régulation des marchés, avec deux objectifs : la maîtrise des coûts et la sécurité énergétique, sujets au cœur de votre commission d’enquête.

L’objet du troisième chantier est de lutter contre la précarité énergétique et d’accompagner les plus modestes grâce au chèque énergie prévu dans le projet de loi relatif à la transition énergétique, au déploiement des compteurs individuels et intelligents et aux financements de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) pour la rénovation thermique.

Le quatrième chantier est de soutenir ceux de nos industriels qui sont soumis à la concurrence internationale, notamment les plus électro-intensifs, et le cinquième, de piloter le rythme de la transition énergétique en fixant un cap ambitieux, en donnant une impulsion et en fixant des clauses de revoyure tous les cinq ans afin d’adapter la trajectoire, s’il y a lieu, en fonction de la réalité économique, sociale et environnementale. J’ai fait le choix du pragmatisme. Ce pilotage, le Gouvernement le mettra en œuvre en étroite association avec le Parlement, par l’intermédiaire de la programmation pluriannuelle de l’énergie et grâce au nouveau comité de gestion de la contribution au service public de l’électricité (CSPE) : François Brottes, président de la commission spéciale saisie du projet de loi relatif à la transition énergétique, aurait sans doute beaucoup à dire sur le sujet.

Quatre actions concrètes, engagées depuis mon arrivée dans ce ministère, intéressent directement votre commission d’enquête. La première est la réforme des tarifs de l’électricité. Lors de ma prise de fonction, en avril 2014, j’ai été confrontée à l’annonce de deux hausses successives de ce tarif, à hauteur de 5 %, lesquelles m’étaient présentées comme inéluctables. J’ai alors pris une mesure conservatoire de gel de la hausse en juillet, et accéléré la réforme de la méthode de calcul du tarif de l’électricité, d’où la publication d’un décret et d’un arrêté en octobre 2014. Il s’agissait, en effet, de répondre à la demande des consommateurs en matière de transparence et de maîtrise des augmentations. Depuis, les tarifs réglementés sont construits comme l’empilement du prix de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH), du complément d’approvisionnement au prix de marché, des coûts d’acheminement et de commercialisation, du prix de la capacité et d’une rémunération normale de l’activité de fourniture.

Cette réforme a conduit, pour les ménages, à une division par deux de la hausse des tarifs qui était initialement prévue en 2014, soit plus 2,5% par rapport à 2013. En réalité, la hausse est même plus faible, de 1,6 % – le reste, 0,9 %, tenant à un rattrapage sur 2012 et 2013 car les précédents tarifs, fixés selon l’ancienne méthodologie, n’avaient pas couvert les coûts d’EDF pour ces deux années. Pour les petits consommateurs professionnels, notamment les artisans, la réforme a permis une baisse du tarif de l’électricité de 0,7 % par rapport à 2013.

Cette réforme apporte deux améliorations majeures. La première est la transparence des tarifs, puisque la méthodologie est désormais connue et les principaux paramètres sont fixés après une analyse et un rapport public de la Commission de régulation de l’énergie, la CRE. La seconde est qu’elle incite EDF à maîtriser ses coûts tout en préservant les investissements liés à la sûreté nucléaire. La rémunération du nucléaire est, en effet, traitée par l’ARENH. Pour le reste, la rémunération se fait au prix de marché, alors que la couverture des coûts comptables prévalait dans l’ancienne méthode. Ainsi, EDF doit être aussi performante que ses concurrents pour maîtriser ses coûts de production et de commercialisation, et adapter son parc de production.

Cette pression sur les coûts ne doit pas se faire aux dépens de la sécurité d’approvisionnement. J’ai donc parallèlement signé, en janvier dernier, un arrêté qui met en œuvre le mécanisme de capacité. Ce dispositif oblige chaque fournisseur à apporter la preuve qu’il peut approvisionner tous ses clients lors des pointes de consommation ; il incite les fournisseurs à accompagner leurs clients pour mieux consommer en réduisant leur pointe de consommation, oblige les producteurs d’électricité à s’engager à l’avance sur la disponibilité et le fonctionnement de leurs centrales, et favorise le développement d’offres d’effacement de consommation efficaces et respectueuses de l’environnement. Un effacement de consommation consiste à réduire, sur une base volontaire, la consommation d’électricité d’un site par rapport à sa consommation normale. Lorsqu’il est activé au moment de la pointe de consommation, l’effacement permet donc un moindre recours aux centrales de pointe émettrices de CO2. Le dispositif améliore aussi le pilotage du système électrique en garantissant, à un moindre coût, le respect du critère de sécurité d’approvisionnement fixé par l’État ; il contribue à une définition claire des responsabilités des acteurs – laquelle faisait défaut depuis l’ouverture des marchés – afin de garantir un bon niveau de sécurité d’approvisionnement ; il apporte enfin, dans les cas où les moyens d’effacement ou de production s’avèrent insuffisants au regard de la demande, une rémunération complémentaire pour mettre en service des capacités supplémentaires. Cette rémunération soutiendra le développement de l’offre d’effacement et évitera même, dans certains cas, la mise sous cocon d’installations existantes.

Le dispositif contribuera donc pleinement à la transition énergétique et au développement des énergies renouvelables en apportant une réponse structurelle à l’enjeu majeur que représente l’accroissement de l’intermittence de la production électrique en France et en Europe.

Je conclurai, s’agissant de la réforme des tarifs de l’électricité, par quelques mots sur l’ARENH, dont le niveau est actuellement fixé à 42 euros le mégawattheure. Un décret, élaboré en 2014 pour en préciser la méthode de calcul, est actuellement soumis pour validation à la Commission européenne. Les discussions avec la Direction générale de la concurrence avancent ; aussi, j’espère que ce décret pourra être signé d’ici la fin du mois de mars, pour une première mise en œuvre cet été.

Le dispositif de l’ARENH est important, car il permet à la fois de protéger le consommateur contre une montée des prix de marché de l’électricité, d’inciter EDF à réaliser les investissements nécessaires et de tenir nos engagements européens sur l’ouverture des marchés de l’électricité à la concurrence. L’augmentation du prix de l’ARENH s’explique par la reprise de l’effort d’investissements dans le parc de production depuis 2005-2006, investissements qui avaient atteint un niveau très bas au début des années 2000. Ils ont presque doublé entre 2012 et 2014. L’augmentation du prix de l’ARENH, nécessairement limitée, dépendra des investissements effectivement réalisés par EDF en fonction du plan stratégique que l’exploitant soumettra au conseil d’administration pour se conformer à la programmation pluriannuelle de l’énergie.

Deuxième action concrète : la lutte contre la précarité énergétique. En ce domaine il convient à la fois d’aider les ménages à moins consommer et de maintenir les prix à un niveau aussi bas que possible. Le premier pilier est la baisse de la consommation à travers la rénovation énergétique, notamment grâce au programme « Habiter mieux » de l’ANAH pour les ménages les plus modestes – les autres bénéficiant du crédit d’impôt pour la transition énergétique – et aux certificats d’économies d’énergie, dont j’ai renforcé l’ambition pour les prochaines années et qui obligent les fournisseurs à inciter leurs clients à réaliser des opérations d’économie d’énergie.

La baisse de la consommation passe aussi par une efficacité énergétique active – les dispositifs de gestion de la consommation bénéficiant du crédit d’impôt qui, en tant que tel, profite aussi aux ménages non imposables –, et par l’amélioration de la connaissance de la consommation grâce au compteur individuel obligatoire et au compteur intelligent. En ce domaine, le projet de loi prévoit deux dispositions : d’une part, les ménages en situation de précarité pourront, dès la mise en service des compteurs communicants Linky et Gazpar, bénéficier gratuitement d’un dispositif déporté d’affichage en temps réel qui leur permettra d’accéder directement à leurs données de consommation en euros ; d’autre part, dans les copropriétés où le chauffage est collectif, les syndics auront l’obligation d’inscrire à l’ordre du jour de la prochaine assemblée générale un point sur l’installation de compteurs individuels – eux aussi bénéficiant du crédit d’impôt –, laquelle pourra être décidée à la majorité simple.

Le second pilier est la baisse du prix de l’énergie pour les plus précaires. Les dispositifs d’aide au paiement des factures, autrement dit les tarifs sociaux, ont déjà été élargis puisqu’ils concernent désormais plus de 2,7 millions de ménages, contre 600 000 au début de 2012. Pour aller plus loin, le projet de loi prévoit la mise en place d’un chèque énergie en lieu et place des tarifs sociaux : ce système, plus juste et plus simple, ne nécessitera pas de croisement de bases de données, dont la complexité explique que de nombreuses personnes éligibles aux tarifs sociaux n’en bénéficient pas. Quel que soit le moyen de chauffage – électricité, gaz, fioul ou bois –, les ménages éligibles pourront bénéficier de la même aide pour payer leur facture ou – c’est là la nouveauté – participer au financement de travaux d’économie d’énergie. Le chèque énergie entrera en vigueur en 2016 et sera attribué à 4 millions de ménages, contre les 2,7 millions aujourd’hui concernés par les tarifs sociaux.

La troisième action concrète vise à soutenir la compétitivité de nos entreprises soumises à la concurrence internationale, en particulier les plus électro-intensives, que ce soit pour gagner des parts de marché à l’export ou préserver, sur le territoire national, les parts de marché des produits concurrencés par les importations. Le maintien de ces activités économiques en France et en Europe est non seulement un enjeu économique et social essentiel au regard de la préservation d’emplois de qualité, mais aussi un enjeu environnemental majeur. En effet, si le prix de l’énergie est trop élevé, les sites électro-intensifs risquent de délocaliser leurs activités en dehors de l’Union européenne ou dans des pays européens, notamment l’Allemagne, dont la réglementation sur les émissions de CO2 est moins contraignante, générant ainsi des « fuites de carbone ». Plusieurs amendements gouvernementaux au projet de loi relatif à la transition énergétique ont été adoptés au Sénat. Ces amendements tendent à instaurer des dispositifs de soutien aux activités électro-intensives. Ces mesures s’inspirent de travaux de députés dont je salue l’engagement, notamment François Brottes et Marie-Noëlle Battistel, membres de votre commission d’enquête, ainsi que Bernadette Laclais.

Dans ce même projet de loi, un nouvel article définit un statut pour les entreprises fortement consommatrices d’électricité dont l’activité principale est exposée à la concurrence internationale. Ce statut permettra de reconnaître les spécificités de ces consommateurs et d’en tenir compte, de manière proportionnée, dans leurs conditions d’approvisionnement en électricité. En contrepartie, les entreprises concernées devront s’engager à adopter les meilleures pratiques en termes d’efficacité énergétique, dans le cadre de plans de performance énergétique contrôlés par l’État. J’ai tenu à inscrire ce point, car je ne souhaitais pas donner un signal de gaspillage énergétique.

Plus concrètement, une série de mesures a été prise : la réduction des tarifs de transports de l’électricité pour les acteurs qui présentent un profil de consommation utile au système électrique, dans la limite d’un plafond fixé à 90 % pour les consommateurs les plus électro-intensifs ; le dispositif dit d’interruptibilité, qui est un service rendu par les industriels capables d’interrompre leur consommation d’électricité avec un préavis court, et qui contribue à la réduction du risque de défaillance du système électrique ; la possibilité de moduler les redevances des concessions hydroélectriques, pour inciter les concessionnaires à conclure des contrats d’approvisionnement de long terme avec les électro-intensifs, contrats qui permettront d’apporter la visibilité nécessaire aux investissements industriels ; des appels d’offres visant à développer les effacements de consommation : ces appels, qui pourront comporter des volets dédiés aux industriels, leur permettront de valoriser leur flexibilité en complément du marché de capacité ; enfin, l’étude de la mise en place de la compensation des coûts indirects du dioxyde de carbone en faveur des secteurs exposés à un risque significatif de fuite de carbone.

Ce dispositif complexe a demandé beaucoup de travail aux équipes du ministère en liaison étroite avec les parlementaires et les filières industrielles. Je suivrai attentivement l’application de la réforme pour en observer tant les effets positifs que ceux que nous n’aurions pas anticipés, afin de rectifier la mise en place d’un dispositif que je pense très performant.

Ces mesures viendront compléter celles qui sont d’ores et déjà en vigueur, comme les exonérations de taxes sur l’électricité (CSPE et TICFE) ou le dispositif de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, qui permet de donner de la visibilité à long terme sur le prix de l’électricité en France. Toutes ces dispositions contribuent à rattraper notre déficit de compétitivité avec l’Allemagne, à maintenir des activités économiques à forte valeur ajoutée en France et en Europe et à éviter des délocalisations néfastes aux plans économique, social et environnemental.

La quatrième action vise à maîtriser l’évolution de la contribution au service public de l’énergie (CSPE), une question majeure qui a appelé l’attention de nombreux parlementaires. Comme chacun sait, la CSPE finance les charges du service public de l’électricité, c’est-à-dire le développement des énergies renouvelables à hauteur de 3,7 milliards d’euros en 2014, la péréquation tarifaire dans les outre-mer et en Corse pour 1,6 milliard d’euros en 2014, le soutien à la cogénération au gaz naturel à hauteur de 400 millions, les tarifs sociaux de l’électricité pour 370 millions, mais encore la moitié du budget du médiateur national de l’énergie ainsi que la prime pour les opérateurs d’effacement, prévue par la loi Brottes de 2013.

La CSPE représente, au 1er janvier 2015, un prélèvement de 19,50 euros par mégawattheure sur la facture du consommateur – le montant est plafonné pour les plus gros consommateurs –, prélèvement qui s’ajoute aux tarifs régulés de l’électricité ou aux offres libres de marché. Il est indispensable d’en maîtriser la hausse et de se redonner des marges de manœuvre. À cette fin, il faut notamment faire baisser le coût unitaire des énergies renouvelables, ce qui passe par l’organisation d’appels d’offres, avec une concurrence sur le prix, et la révision régulière des tarifs pour tenir compte des baisses des coûts, en vue d’éviter toute bulle spéculative sur les énergies renouvelables. Il convient également de mettre la priorité sur le développement des filières d’énergies renouvelables les moins coûteuses et de piloter leurs volumes de développement. Le projet de loi donne les outils nécessaires, en mettant en place la programmation pluriannuelle de l’énergie et en améliorant les modalités d’appels d’offres.

Il convient, enfin, d’accélérer l’amélioration de l’efficacité énergétique dans les outre-mer. J’ai signé, l’été dernier, un décret qui permet de financer par la CSPE des actions de maîtrise de la demande d’énergie, à condition qu’elles contribuent à faire baisser la CPSE sur le long terme. J’ai également lancé, dans les outre-mer, les actions « îles durables », afin de rompre avec le sous-équipement des outre-mer en matière d’énergie positive et de provoquer un effet d’accélération, visant notamment l’énergie solaire. Á cet effet, j’ai lancé un nouvel appel à projet pour les installations photovoltaïques de plus de 100 kilowatt crête (kWc). Est-il normal, arrivant à Fort-de-France ou à Pointe-à-Pitre, de ne pas voir un seul panneau photovoltaïque sur les bâtiments commerciaux ou industriels ? Les élus des outre-mer sont conscients du problème. La progression des outre-mer vers l’autonomie énergétique, grâce au photovoltaïque, à l’énergie marine et à la géothermie, se ressentira sur la part de la CSPE de 1,6 milliard qui finance la péréquation.

Une réflexion sur la refonte de la CSPE est également en cours. Une mission commune entre le ministère des finances, le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie et le ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique est actuellement menée pour analyser la robustesse du cadre actuel de financement des missions de service public de l’électricité et préparer au mieux l’avenir en proposant une réforme de la CSPE. Cette réflexion porte notamment sur un éventuel élargissement de l’assiette de la CSPE aux autres formes d’énergie. Différentes options sont envisagées : le maintien du fonctionnement actuel, financé intégralement par les consommateurs d’électricité, sous la forme d’une taxe à finalité spécifique ; ou la bascule de tout ou partie de la CSPE, notamment la part ne finançant pas les ENR, vers la part État de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité alimentant le budget de l’État ; ou la bascule de tout ou partie de la CSPE vers une assiette élargie, intégrant, outre l’électricité, les énergies carbonées.

Derrière ces options, se pose la question de savoir si les politiques publiques, telles que le soutien aux ENR, les tarifs sociaux ou la péréquation, doivent être payées par les consommateurs d’électricité au travers de la CSPE ou par le budget de l’État. À l’heure actuelle, des sommes considérables ne font pas l’objet d’un débat et d’un vote au Parlement, ce qui est contraire au principe selon lequel le Parlement débat des finances publiques et vote leur engagement : c’est pourquoi nous devrons avoir ce débat au Parlement dans le cadre du projet de loi de finances – je m’y suis engagée devant l’Assemblée nationale et le Sénat lors de l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte. Les réflexions de votre commission d’enquête sur ce sujet pourront utilement éclairer ce débat. J’appelle votre attention sur les transferts financiers que ces différentes options peuvent engendrer entre les catégories de consommateurs : des solutions de montée en puissance progressive pourront être mises en œuvre dans une démarche de clarification liée au processus démocratique de l’adoption par le Parlement du budget de l’État.

Les conclusions de la mission ne sont, à ce jour, pas encore connues. La solution qui sera retenue devra concilier deux objectifs principaux : fournir un cadre stable et juridiquement solide permettant de poursuivre le financement des missions de service public de l’électricité, et analyser les conséquences de la réforme sur le budget de l’État et sur les industriels bénéficiant aujourd’hui d’exonérations. Le Sénat s’est déjà saisi du sujet au cours de l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique. Il a voté la limitation de la CSPE au financement des énergies renouvelables et la mise en œuvre d’un plafond révisé annuellement par le Parlement. Cette réforme est encore très partielle et devra être débattue plus en profondeur dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2016.

Cette réforme, au même titre que le comité de gestion de la CSPE, qui sera créé par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, contribuera à garantir la transparence du dispositif et à en améliorer sa gouvernance, en renforçant notamment le rôle du Parlement.

J’ai pour double souci d’assurer une meilleure maîtrise des tarifs de l’électricité et, surtout, d’accompagner la transition énergétique. Il convient maintenant d’insister au quotidien sur la maîtrise des coûts : EDF, comme toute autre entreprise, doit travailler à chercher des gains de productivité et à réduire ses coûts commerciaux – fonctionnement administratif, train de vie de l’entreprise, siège social. La mise en place d’une régulation incitative sur l’ARENH pourrait être envisagée.

Il convient également de préserver les capacités d’investissement dans le parc de production, non seulement pour constituer durablement le « noyau dur » de la production nucléaire – les 50 % pérennes de production nucléaire doivent être accompagnés des décisions sur le grand carénage –, mais également pour diversifier la production d’électricité en investissant dans les énergies renouvelables. Cette capacité d’investissement ne viendra pas uniquement de l’opérateur historique : elle se fera aussi grâce au développement des co-investissements dans les moyens de production d’électricité.

La maîtrise des prix de l’électricité passe aujourd’hui non seulement par les tarifs réglementés de vente mais également par la réussite des deux grands chantiers que j’ai évoqués : la réforme de la CSPE et la planification, dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie, que le Parlement sera amené à adopter très prochainement. Il faut que, sans oublier l’investissement dans la mise au point des réacteurs de quatrième génération, la montée en puissance des énergies renouvelables accompagne la montée en puissance des économies d’énergie.

C’est le programme que je me suis fixé en 2015 : j’y associerai étroitement le Parlement. J’ai, en effet, bénéficié jusque dans la rédaction des textes réglementaires de la grande compétence qu’il a acquise dans le cadre de ses travaux législatifs.

Je souhaite, enfin, évoquer la dimension européenne et la construction, qui s’accélère, de l’Union de l’énergie, qui est l’occasion de nous doter d’une ambition et de règles communes. C’est dans l’intérêt de la France de s’y impliquer, pour bénéficier des synergies avec les pays frontaliers et améliorer sa sécurité d’approvisionnement.

Nous serons amenés à réfléchir progressivement à une convergence des prix de marché avec nos partenaires européens. Comme je vous l’ai expliqué, tarification réglementée et prix de marchés peuvent parfaitement s’articuler. C’est le sens des réformes que j’ai évoquées. L’évolution européenne doit rester compatible avec le maintien de tarifs réglementés de vente pour les particuliers en France et de tarifs comparatifs performants. Je serai particulièrement vigilante à la préservation de ces mécanismes.

Mme Clotilde Valter, rapporteure. Vous avez expliqué que les tarifs recouvrent des préoccupations différentes : couvrir le coût des opérateurs, préserver le pouvoir d’achat, financer le dispositif relatif à la précarité énergétique, assurer la péréquation géographique ou soutenir les électro-intensifs, sans oublier l’arbitrage entre les différentes sources d’énergie.

Certains de ces éléments ont trait directement au coût de l’énergie ; d’autres résultent des choix de politique publique – vous les avez évoqués. Il conviendrait de distinguer avec plus de clarté ce qui relève du coût et doit être payé par l’usager et ce qui relève de la solidarité. Il est paradoxal que le consommateur doive payer des taxes sur les taxes ou que le dispositif relatif à la précarité énergétique soit également financé par ceux qui en bénéficient : vous avez évoqué la réforme de la CSPE, ce qui rejoint nos préoccupations en la matière.

Les relations entre l’État et l’opérateur historique ont été une préoccupation constante de la commission d’enquête. N’est-on pas confronté à une confusion des rôles dans la mesure où l’État est à la fois actionnaire, tutelle, régulateur et porteur de politiques publiques ? Comment le vivez-vous en tant que ministre ? Quelles clarifications serait-il souhaitable de préconiser pour laisser l’opérateur historique prendre la mesure des enjeux et des défis qu’il doit affronter et auxquels il doit répondre ?

Enfin, le cadre européen nous semble dépassé, dans la mesure où il traduit insuffisamment l’ensemble des préoccupations de l’Union européenne. En effet, ce cadre est construit autour du seul principe de concurrence alors que l’Europe a des préoccupations d’une autre nature ou qui portent sur un champ plus large, englobant notamment la question du climat ou celle de la compétitivité de notre industrie. La France devrait montrer la voie en militant pour une politique européenne de l’énergie qui ne soit pas fondée uniquement sur le principe de concurrence mais fasse la synthèse de l’ensemble des préoccupations, dont celles que j’ai évoquées. Notre industrie est notamment menacée d’être délocalisée dans des zones géographiques qui, à la fois, bénéficient d’une énergie moins onéreuse et ne sont pas soumises à notre cadre juridique contraignant.

M. Denis Baupin. Ce qui m’a le plus frappé dans votre présentation, madame la ministre, c’est l’incroyable complexité créée par l’accumulation des dispositifs. Ces questions ne sont plus compréhensibles que par un nombre de personnes très restreint. Les opérateurs sont, en outre, appelés à changer de business model, pour une plus grande maîtrise de l’énergie. Par ailleurs, les smart grids vont se développer, ainsi que l’autoproduction et l’autoconsommation. Face à ces évolutions, le système européen incite peu aux investissements, car il fonctionne à partir de signaux à très court terme. Une remise à plat semble donc nécessaire. Le choix de la France de concilier une politique européenne de marché avec le maintien d’un système national très régulé peut-il résister longtemps ? La situation actuelle n’est pas sans rappeler la lutte entre les taxis et Uber. Une nouvelle technologie modifie significativement un système fonctionnant depuis longtemps ; on tente d’établir des règles palliant les inconvénients d’une ouverture, mais on sent bien que cela ne peut tenir très longtemps.

L’opérateur historique, dont l’État est l’actionnaire principal, doit faire des économies, et vous avez cité plusieurs champs à cet égard. Il en est un qui me paraît prioritaire : l’État ne doit-il pas faire des choix en matière stratégique ? Si EDF doit investir à la fois pour le grand carénage, la construction de réacteurs nucléaires en Grande-Bretagne, de nouveaux réacteurs en France – dans le cas où la question serait posée –, le développement des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique, celui des réseaux, cela ne fait-il pas trop ? L’objectif des 50 % de nucléaire en 2025 doit conduire à faire ces choix. Nous avons posé la question aux représentants de l’Agence des participations de l’État mais n’avons pas reçu de réponse. On ne peut pas additionner les 110 milliards du grand carénage – qui laissent entendre que l’ensemble des réacteurs nucléaires seront prolongés – avec la diversification, le passage à 50 % de la part du nucléaire, et le reste.

Enfin, dans le cadre de la réflexion sur la réforme de la CSPE, n’y aurait-il pas lieu de distinguer les coûts passés des coûts actuels, c’est-à-dire les coûts intervenus à une époque où les énergies renouvelables, en particulier le solaire, étaient très onéreuses, de ceux d’une période où ils ont fortement baissé ? Que tout soit mêlé dans une enveloppe contribue à la confusion sur la compétitivité respective des différents modes de production d’électricité.

M. François Brottes. Madame la ministre, merci pour l’hommage que vous venez de rendre au Parlement pour le travail de coproduction.

En réaction aux propos de Denis Baupin, je tiens à dire qu’il ne convient pas de réduire le sujet à la seule question du mix énergétique. Nous avons connu trois secousses successives. La première a été l’ouverture du marché. Alors que nous possédions un système fonctionnant bien, qui rapportait beaucoup et ne coûtait pas cher au consommateur, nous avons été obligés d’ouvrir le marché de manière hâtive, sans bonne régulation, avec à la clé des démantèlements et l’arrivée de nouveaux opérateurs comme autant de « coucous », ce qui a fragilisé le système.

La deuxième secousse a été, sous une majorité différente, le changement de statut d’EDF, que l’ouverture du marché ne nécessitait d’ailleurs pas. Ce choix a été fait en oubliant qu’il aurait fallu remettre à zéro les concessions électriques, et que les actifs des réseaux de distribution n’appartenaient pas à l’entreprise mais aux collectivités territoriales. Cela a considérablement perturbé l’entreprise. La scission avec GDF a ainsi conduit à doubler le dispositif commercial, alors que le système fonctionnait auparavant de manière optimale, avec des agents mixtes.

La troisième secousse, c’est la transition énergétique. Alors que nous ne sommes pas encore remis des deux précédentes secousses, nous vivons un nouveau moment difficile.

Je ne voudrais donc pas que l’on résume la situation tendue dans laquelle nous nous trouvons à la seule question de la composition du mix électrique. Ces trois secousses ont été très significatives, pour l’entreprise, ses agents et les consommateurs qui, au passage, en attendent encore le gain. Le rapport nous apprendra que le tarif est aujourd’hui composé à 65 % par ce qui est rendu en termes de service ; tout le reste sert à payer autre chose. On demande à ce tarif de répondre à toutes sortes d’enjeux étrangers à son objet, cela parce que l’État assume de multiples personnalités : État actionnaire qui demande des dividendes, toujours plus élevés d’année en année, État tutelle, parce qu’il est copropriétaire, État régulateur, État initiateur et animateur de la transition énergétique, État protecteur des consommateurs.

Notre travail arrive à un moment très utile. Il ne perturbe pas le texte sur la transition énergétique : il est conduit parallèlement, et il démontre que la loi ne doit pas tout faire et qu’il faut laisser au pouvoir réglementaire la capacité d’être réactif et de prendre des initiatives. Avec la loi relative à la nouvelle organisation du marché de l’électricité (NOME), que je n’ai pas votée mais qui ne comportait pas que des sottises, on pensait que le dispositif de l’ARENH garantirait un prix toujours inférieur au prix de marché : aujourd’hui, il est supérieur ! Le législateur ne peut s’appuyer sur des prévisions solides dans un secteur en mouvement permanent ; l’avenir peut nous obliger à modifier très rapidement les dispositifs. Il faut donc que le pouvoir réglementaire conserve sa réactivité.

Mme Jeanine Dubié. Les activités notamment hyper-électro-intensives ont besoin d’une solution véritablement opérante avant la fin de l’année, ainsi que d’une lisibilité sur au moins quinze ans, afin de poursuivre leur activité sur notre territoire. Dans le projet de loi sur la transition énergétique, vous avez accepté le transport réduit, l’interruptibilité, l’effacement industriel. Ces mesures vont dans le bon sens mais sont-elles suffisantes pour atteindre les objectifs en termes de prix et donc de compétitivité ? Vous avez parlé de contrats à long terme. C’est une piste qu’ont évoquée les hyper-électro-intensifs, mais il semble, dans la mesure où nous avons un producteur dominant, que de tels contrats soient considérés comme une atteinte à la concurrence. L’hydraulique historique peut-il fournir une solution ?

Mme la ministre. Vous avez, madame la rapporteure, très bien résumé la problématique des tarifs, qui dépendent des choix de politique publique. Vous avez notamment souligné le paradoxe selon lequel, dans le système de la CSPE, ce qui relève de la solidarité est aussi payé par ceux qui en bénéficient. Vous avez ainsi souligné la nécessité de remettre ce mécanisme à plat, et il faut vraiment que les parlementaires s’en saisissent lors du débat sur le projet de loi de finances.

En ce qui concerne les relations avec l’opérateur historique, la loi de transition énergétique les clarifiera, notamment grâce à la programmation pluriannuelle de l’énergie, que déclinera le programme pluriannuel d’investissement d’EDF. Ce sera l’occasion pour l’opérateur de définir son plan stratégique, de dégager des priorités, et peut-être de définir des co-investissements. Je souhaite, d’ailleurs, des rapprochements entre EDF, Areva et le Commissariat à l’énergie atomique, afin d’avoir une filière nucléaire solide, de sortir des compétitions et rivalités. Avec la nouvelle gouvernance à la tête de ces trois opérateurs, l’occasion est venue de changer d’état d’esprit ; je fais confiance à ces nouvelles équipes pour parvenir à créer des synergies.

Nous sommes en train d’accélérer la prise de conscience quant à la nécessité d’une Europe de l’énergie. Cela ne va certes pas sans difficultés, tant les modèles des uns et des autres sont différents, et cela demande un important travail de convergence.

Denis Baupin a souligné à juste titre l’incroyable complexité du secteur, au point que cela pose un souci démocratique. Les citoyens, ainsi que leurs représentants, ont le droit de comprendre ce qui se passe. D’où l’idée de remise à plat et de simplification. C’est pourquoi j’ai souhaité vous apporter le plus de précisions possible, car je considère que mon rôle est aussi d’apporter de la transparence sur des mécanismes très techniques.

S’agissant des choix stratégiques, la loi de transition énergétique permettra, grâce à la programmation pluriannuelle de l’énergie et l’engagement de l’opérateur historique d’établir un plan stratégique cohérent avec celle-ci, de rationaliser ces choix.

Je remercie François Brottes de son intervention. Il est toujours bien au fait des tenants et aboutissants de ces sujets difficiles et en mutation. Nous vivons un moment stratégique pour faire les choix qui aideront la France à adopter un modèle énergétique performant tout en répondant aux enjeux que j’ai évoqués.

Madame Dubié, les analyses effectuées au cas par cas montrent que les mécanismes adoptés pour les électro-intensifs sont efficaces. Les contrats de long terme ne sont pas des contrats de fourniture mais des contrats industriels, du même type que ceux passés avec Exceltium et acceptés par la Commission européenne. Ces contrats pourront être signés au moment du renouvellement des concessions mais aussi à plus court terme, à l’occasion d’avenants sur les concessions existantes si la situation se présente.

M. le président Hervé Gaymard. Merci, madame la ministre.

1 () Dont l’imposition au titre du FACE (Fonds d’amortissement des charges d’électrification).

2 () Rapport d’information n° 2225 du 17 septembre 2014 sur l’adaptation du droit de l’énergie aux Outre-mer : http://www.assemblee-nationale.fr//14/rap-info/i2225.asp#P346_38696.

3 () Rapport d’audit sur les tarifs sociaux de l’énergie, ADEME, juillet 2013.

4 () Rapport n° 2007 fait au nom de la commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d’exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l’électricité nucléaire, dans le périmètre du mix électrique français et européen, ainsi qu’aux conséquences de la fermeture et du démantèlement de réacteurs nucléaires, notamment de la centrale de Fessenheim, Denis Baupin, rapporteur, 5 juin 2014.

http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-enq/r2007-tI.asp.

5 () D’après Observatoire des marchés de l’électricité et du gaz naturel, marchés de détail, 3ème trimestre 2014, Commission de régulation de l’énergie.

6 () Directive 96/92/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 décembre 1996 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité.

7 () Directive 2003/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2003 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et abrogeant la directive 96/92/CE.

8 () Directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE.

9 () D’après Observatoire des marchés de l’électricité et du gaz naturel, marchés de détail, 3e trimestre 2014, Commission de régulation de l’énergie.

10 () L’ouverture du marché de l’électricité à la concurrence : une construction inaboutie, Rapport public annuel 2015, chapitre 2, Cour des comptes, 11 février 2015

11 () Analyse des coûts de production et de commercialisation d’EDF dans le cadre des tarifs réglementés de vente d’électricité, juin 2013, Commission de régulation de l’énergie.

12 () Les institutions sociales du personnel des industries électriques et gazières : une reforme de façade, une situation aggravée, rapport thématique, mai 2011.

13 () Les rémunérations à EDF SA : une progression rapide, une accumulation d’avantages, peu de liens avec les performances, Rapport public annuel 2013, février 2013.

14 () Le temps de travail dans les principales entreprises du groupe EDF, référé n° 66977, 16 septembre 2013.

15 () La Cour des comptes précise que la consommation totale d’électricité bénéficiant du tarif agent est de 4,1 TWh et EDF a indiqué à votre rapporteure que le nombre de points de distribution concernés était de 306 000.

16 () Dans son rapport sur les tarifs réglementés de vente d’électricité, la CRE indique que, sur la base des données dont elle dispose, elle « retient une hypothèse de hausse du prix de l’ARENH de 2€/MWh par an ».

17 () Les rémunérations à EDF SA : une progression rapide, une accumulation d’avantages, peu de liens avec la performance, Rapport public annuel 2013.

18 () La crise du système électrique européen, diagnostic et solutions, Commissariat général à la stratégie et à la prospective, janvier 2014.

19 () Pour une présentation détaillée d’Exeltium, se reporter au chapitre 9 du rapport d’enquête sur les coûts de la filière nucléaire, http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-enq/r2007-tI.asp#P1849_570366.

20 () Agence internationale de l’énergie, World energy outlook 2014, résumé, French translation.

21 () European network of transmission system operators for electricity, association des gestionnaires de réseau de transport d’électricité européens.

22 () Source : Bilan électrique 2013, RTE.


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