Logo du site de l'Assemblée nationale

Document E3993
(Mise à jour : 12 décembre 2009)


Proposition de règlement du Conseil modifiant les règlements (CE) n° 1290/2005 relatif au financement de la politique agricole commune et (CE) n° 1234/2007 portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur (règlement "OCM unique") pour ce qui est de la distribution de denrées alimentaires au profit des personnes les plus démunies de la Communauté.


E3993 déposé le 29 septembre 2008 distribué le 30 septembre 2008 (13ème législature)
   (Référence communautaire : COM(2008) 0563 final du 17 septembre 2008, transmis au Conseil de l'Union européenne le 22 septembre 2008)

Mme Valérie ROSSO-DEBORD , rapporteure, a présenté ce document au cours de la réunion de la Commission du 29 octobre 2008.

*

* *

I. Les citoyens européens ne sont pas à l’abri de la pauvreté

La flambée des prix des denrées alimentaires a des conséquences sur le niveau de vie de la population mondiale et la crise actuelle ne fera qu’aggraver la situation. Le 22 juin 2008, le Parlement européen a adopté une résolution sur l’impact de la hausse des prix des denrées alimentaires dans l’Union européenne et les pays en développement ( 1) dans laquelle est affirmé un « droit à l’alimentation ». S’agissant des pays en développement, est actuellement à l’étude la possibilité d’instaurer une aide sous la forme d’une « facilité de réponse rapide » à la flambée des prix des matières premières qui utiliserait des fonds de la politique agricole commune. Même si des divergences existent entre les Etats membres sur cette proposition, elle demeure toujours d’actualité.

L’Union européenne a quant à elle en moyenne l’un des niveaux de vie les plus élevés du monde et dispose d’une quantité de produits alimentaires suffisante pour nourrir sa population. Cependant, certains de ses citoyens ne sont pas à l’abri de la pauvreté comme le montre le tableau ci-après relatif aux personnes exposées au risque de pauvreté( 2). Ce constat est d’ailleurs partagé dans les pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) : un rapport de cet organisme du 21 octobre 2008 « Croissance et inégalités » indique que la pauvreté a significativement augmenté dans ces pays depuis vingt ans et que dans le milieu des années 2000, 11 % de la population des pays de l’OCDE se situait sous le seuil de « pauvreté monétaire »(défini comme la moitié du salaire médian), contre un peu moins de 10 % en 1985.

POPULATION TOTALE, PERSONNES EXPOSEES AU RISQUE DE PAUVRETE ET «TAUX DE RISQUE DE PAUVRETE» DANS L'UNION EUROPEENNE

Selon les estimations de la Commission européenne, 43 millions de personnes dans l’Union européenne sont menacées de pauvreté alimentaire, un des critères étant de ne pas pouvoir se permettre de prendre un repas avec de la viande ou du poisson tous les deux jours. Il s’agit essentiellement de personnes âgées disposant de moyens insuffisants, de personnes sans domicile fixe, des personnes handicapées, d’enfants en danger, de travailleurs pauvres, de travailleurs migrants et de demandeurs d’asile.

Le Parlement européen a préconisé dans un rapport d’octobre 2008( 3), une approche globale pour lutter contre la pauvreté, soulignant que dans l’Union européenne, 8 % des travailleurs et 19 millions d’enfants sont exposés au risque de pauvreté.

La présente proposition rejoint d’ailleurs d’autres initiatives comme celle relative à la distribution gratuite de fruits et légumes à l’école( 4) dans la mesure où l’on sait l’importance des facteurs socio-économiques dans la prévalence de l’obésité.

Les ministres de l’Union se sont par ailleurs réunis le 16 octobre 2008 sur le thème de la pauvreté et de l’exclusion afin de mobiliser les Etats membres sur cette problématique qui fait partie du nouvel agenda social européen.

II. Le dispositif d’aide aux européens les plus démunis mis en place depuis 1987

Le dispositif d’aide aux européens les plus démunis est conforme à l’un des objectifs centraux de la PAC : assurer la sécurité alimentaire et la garantie de prix raisonnables. Mis en place en 1987, ce dispositif a été adapté en fonction de l’évolution de la politique agricole commune et de l’élargissement de l’Union européenne.

En raison d’un hiver 1986/1987 exceptionnellement froid, la Communauté avait pris à ce moment, des mesures ponctuelles de distribution de produits alimentaires de base aux personnes les plus démunies par l’intermédiaire des organisations caritatives des Etats membres en mobilisant les stocks excédentaires des produits agricoles de la Communauté. Cette mesure a ,par la suite, été institutionnalisée et intégrée dans le cadre d’un programme européen d’aide aux plus démunis (PEAD), régi par le règlement du Conseil (CE) 3730/87 et le règlement d’application (CEE) n° 3149/92 de la Commission modifié en dernier lieu par le règlement 1127/2007. Ces dispositions sont désormais intégrées dans l’article 27 du règlement relatif à l’Organisation de marché unique.

Il est prévu que les produits agricoles des stocks d’intervention sont mis à la disposition d’organismes caritatifs gratuitement ou à un prix ne dépassant pas le niveau des coûts liés à cette distribution. Si les produits sont indisponibles dans les stocks d’intervention de l’Etat membre concerné, ils peuvent être mobilisés sur le marché communautaire. Les Etats membres informent la Commission de leur souhait d’avoir recours à ce dispositif et désignent les organisations partenaires de l’opération. Les produits fournis sont financés par des crédits de la ligne du FEAGA (Fonds européen agricole de garantie). Chaque année, la Commission adopte un plan annuel de distribution des produits disponibles sur les stocks d’intervention. Lorsque tous les fonds ont été alloués, chaque Etat membre se voit attribuer un certain plafond. Il organise ensuite la mise en œuvre du programme sur son territoire.

Ce cadre juridique s’appliquera jusqu’en 2009.

Depuis 1987, ont été alloués 2,5 milliards d’euros au titre de ce programme et en 2007, plus de 13 millions de citoyens de l’Union européenne ont bénéficié du PEAD dont 4,265 millions en Pologne, 2,725 millions en France et 2,3 millions en Italie.

La France s’est chaque année portée candidate à ce programme. Quatre associations caritatives ont été reconnues au niveau national : la Fédération française des banques alimentaires (42 %), le secours populaire français (30 %), les restaurants du cœur (27 %) et la Croix Rouge française (1 %). Pour 2008, les demandes de la France ont été transmises à hauteur d’une dotation budgétaire de 54,86 millions d’euros avec une estimation des besoins concernant les céréales, le riz, le beurre, le sucre et la poudre de lait. L’enveloppe qui lui a été allouée a été finalement de 50,98 millions d’euros sur un total de 305 millions d’euros répartis entre 19 Etats membres.

Pour 2009, la France avait initialement demandé 61,85 millions d’euros. Ce montant s’est avéré, en raison de l’évolution du prix des denrées alimentaires, en dessous des besoins estimés en juillet 2008 à 85,49 millions d’euros. Pour 2009, la demande française s’établit comme suit :

Produit Tonnage Prix d’intervention euro/T Valeur denrées
(euros)
>
Céréales 162 000 101 16 414 220,00
Riz 52 650 150 7 897 500,00
Sucre 4 995 324 1 615 882,50
Beurre 21 600 2 464 53 220 240,00
TOTAL 79 145 842,50
Frais de transport 4,5 % 4,50 % 3 561 562,91
Frais de gestion 1 % 1,00 % 791 458,43
Dotation globale 83 498 863,84


La dotation française pour 2009 sera de 77 millions, sachant que le budget total consacré par la Communauté à ce programme est passé de 500 millions d’euros en 2009, augmentant ainsi de deux tiers par rapport à 2008 (305 millions d’euros).

III. La proposition de la Commission appelle des réserves

1.°Le dispositif proposé : une nécessaire adaptation à un nouveau contexte.

- Au cours des dernières années, la politique agricole commune a été remaniée, l’objectif n’étant plus d’accroître la productivité mais d’améliorer la viabilité de l’agriculture. Cela s’est traduit par une réduction de l’offre de produits agricoles qui s’est répercutée sur les stocks, principale source d’approvisionnement du dispositif. Pour compléter ces ressources de moins en moins abondantes pour le programme, des achats sur le marché ont été autorisés de manière provisoire. Il est donc nécessaire d’établir une nouvelle base juridique à l’action de la Communauté.

Par ailleurs, l’élargissement a augmenté le nombre des bénéficiaires potentiels du programme dans les « régions de cohésion »( 5).

S’inscrivant dans la même logique que le rapport du Parlement européen précité, la Commission a fait le 20 mai 2008 une communication intitulée « Faire face à la hausse des prix des denrées alimentaires – orientations pour l’action de l’Union européenne » dans laquelle elle reconnaît l’importance de ce programme.

- La Commission a organisé une consultation publique sur Internet sur ce programme. La participation a été importante et les réponses obtenues, notamment de la part des organismes caritatifs parties prenantes, ont exprimé un vif soutien à ce dispositif.

Dans son analyse d’impact, la Commission a étudié les incidences des quatre options possibles :

- le statu quo dans lequel les stocks d’intervention sont la seule source possible d’approvisionnement en denrées alimentaires ;

- l’option stocks d’intervention complétés par des achats sur le marché communautaire en tant que de besoin ;

- l’option achats sur le marché communautaire uniquement ;

- l’option la plus radicale étant la fin de la distribution de denrées alimentaires.

2.°Les propositions de la Commission

Retenant les options 2 et 3, la Commission prévoit :

- une double source de produits alimentaires pouvant provenir des stocks d’intervention ou du marché, l’utilisation de la première source restant cependant prioritaire ;

- un élargissement de la distribution à des produits plus diversifiés non limités aux stocks d’intervention et choisis sur la base de critères nutritionnels ;

- l’établissement d’un plan de distribution des denrées alimentaires sur une base triennale, les montants pour la deuxième et troisième année restant indicatifs sous réserve de l’accord de l’autorité budgétaire ;

- l’introduction de nouvelles modalités de calcul de la dotation budgétaire allouée à chaque Etat membre qui ont été introduites dés le nouveau plan 2009, La norme relative au taux de pauvreté de chaque Etat membre a été corrigée par un index qui tient compte du revenu national brut de chaque Etat, ce qui permet aux nouveaux membres d’avoir une dotation plus importante ;

- la définition d’objectifs et de priorités plus transparents s’agissant notamment des appels à concurrence ;

- le renforcement de la surveillance et de la communication des données avec la présentation d’un rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil européen le 31 décembre 2012 au plus tard ;

- l’introduction d’un cofinancement national : le financement communautaire ne sera plus assuré qu’à hauteur de 75 % et de 85 % pour les pays de la cohésion pour le plan 2010 /2012 et respectivement de 50 % et 75 % pour le plan 2013/2015.

3.°les réserves exprimées par la Commission chargée des affaires européennes

Si la France ne peut qu’être partie prenante à un tel dispositif, qui rejoint les préoccupations des Français relatives à la baisse du pouvoir d’achat, la part de l’alimentation occupant une place de plus en plus importante dans les dépenses, la Commission chargée des affaires européennes fait les réserves suivantes :

- la principale réserve porte sur l’introduction du cofinancement national. Certes la Commission fait valoir que : « l’introduction du cofinancement renforcerait la dimension cohésive du régime, garantirait une planification adaptée et renforcerait les synergies. Afin d’assurer une introduction progressive et de maintenir un niveau élevé d’utilisation du financement communautaire disponible, les taux de cofinancement de la Communauté serait de 75 % et de 85 % dans les Etats membres bénéficiant du Fonds de cohésion pour le plan 2010/2012 . Par la suite, à compter du plan 2013/2015, le cofinancement de la Communauté serait de 50 % et de 75 % ».

Le financement communautaire diminuant, la charge pour les dépenses publiques nationales en sera d’autant augmentée. Par ailleurs, dans la mesure où un cofinancement est imposé, certains Etats membres ne seront pas en mesure de l’assurer et ne pourront donc pas bénéficier à plein du dispositif. De plus, l’évolution des taux de cofinancement après 2013 préjuge de l’évolution de la politique agricole commune alors que le débat sur le bilan de santé de la PAC est en cours ;

- les règles de calcul de la clé et les critères de répartition de l’enveloppe pourraient être incluses dans le règlement dans un souci de transparence ;

- certains coûts connexes à la distribution des denrées alimentaires comme le stockage et les actions permettant d’optimiser l’efficacité de l’octroi de l’aide telles la promotion ou les actions d’éducation devraient être éligibles à ce programme.

*

* *

L’exposé de Mme Valérie ROSSO-DEBORD , rapporteure, a été suivi d’un court débat.

« M. Jean-Claude FRUTEAU . C’est un sujet d’actualité et cette proposition est bienvenue. En effet, je suis frappé par ces chiffres selon lesquels, en Europe, 43 millions de personnes sont en état de pauvreté alimentaire, après 50 ans de politique agricole commune, et 19 millions d’enfants exposés au risque de pauvreté. Au-delà de l’Europe, il faut se préoccuper de la planète même si une initiative lui sera consacrée plus tard.

Le dispositif mis en place correspond à une finalité de la politique agricole commune (PAC) qui, il faut le rappeler, a été instituée après la Seconde guerre mondiale pour nourrir la population européenne. Il faut garder cet objectif à l’esprit quand on voit que la PAC est attaquée, alors même qu’elle n’a pas encore atteint le but pour laquelle elle a été créée.

Les émeutes de la faim survenues il y a quelques mois ont montré la nécessité de s’ouvrir davantage au monde.

J’appuie les réserves de la rapporteure sur le principe du cofinancement national. En effet, introduire ce cofinancement ouvre la porte à une renationalisation de la PAC qui reste, à l’heure actuelle, la seule politique européenne réellement commune. Il faut donc s’y opposer.

On en est au bilan d’étape de la PAC : réintroduire maintenant l’idée de cofinancement serait préjuger de son futur régime. J’approuve donc les propositions de la rapporteure en m’élevant fortement contre toute idée de cofinancement national, ce qui ne pourrait qu’induire un désengagement de l’Union européenne et, à terme, une désagrégation de la PAC.

M. Robert LECOU . Je rejoins totalement les conclusions de notre rapporteure ainsi que les remarques de M. Jean-Claude FRUTEAU . La politique agricole commune est une politique européenne qui a une histoire, c'est-à-dire un passé, mais elle a aussi un avenir qui ne doit pas se faire sur la base d’un cofinancement. Les défis auxquels cette politique doit se préparer sont à la fois environnementaux et alimentaires. L’Europe doit viser à son autosuffisance.

Mme Valérie ROSSO-DEBORD , rapporteure. Je souhaiterais souligner que la lutte contre la pauvreté signifie aussi la lutte contre les déséquilibres alimentaires qui sont cause d’obésité. La diversification des produits concernés par ce programme va ainsi dans ce sens. Dans mon rapport, il est mentionné que la Commission chargée des affaires européennes « s’élève contre » l’introduction d’une part de cofinancement national du programme.

Le Président Daniel GARRIGUE . Afin de donner plus de poids à la position de notre Commission, je propose la formulation « s’élève à l’unanimité » contre les nouvelles modalités de financement. »

En conséquence, la Commission approuve cette initiative en faveur des personnes les plus démunies mais s’élève à l’unanimité contre ses nouvelles modalités de financement, l’introduction d’une part de cofinancement national traduisant un désengagement de la Communauté dans un programme qui devrait rester intégré pour assurer sa pérennisation.

(1) P6-TA (2008) 0299.
(2) Le taux de risque de pauvreté représente la proportion de la population dont le revenu est inférieur à 60 % du revenu équivalent médian national. La pauvreté est donc une notion relative : il n’existe pas de référence à l’échelle de l’Union européenne dans la mesure où les normes différent selon les Etats.
(3) P6-TA (2008) 0467.
(4) Document COM (2008) 0442.
(5) Bulgarie, Chypre, Estonie, Hongrie, République tchèque, Grèce, Lituanie, Lettonie, Malte, Pologne, Portugal, Roumanie, Slovaquie, Slovénie ainsi que l’Espagne de manière transitoire.