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20ème anniversaire de l'abolition de la peine de mort

Colloque international
pour le 20ème anniversaire de l’abolition de la peine de mort en France

Samedi 6 octobre 2001

Reportage photo

Après l’abolition de la peine de mort, comment sanctionner les crimes les plus graves ?

P r o g r a m m e

1ère partie : " 20 ans après l’abolition de la peine de mort en France… "

Sous la présidence de M. Raymond Forni, Président de l’Assemblée nationale

9 h 30 : Allocutions d’ouverture de M. Raymond Forni, Président de l’Assemblée nationale

           et de Mme Marylise Lebranchu, Garde des Sceaux, ministre de la justice

10 h 15 : Introduction du colloque : Mme Sonia Feltesse, représentant le collectif " Octobre 2001 "

10 h 30 : " L’abolition " : M. Christian-Nils Robert, professeur de droit pénal à l’Université de Genève

11 h : pause

11 h 15 : " L’évolution des peines privatives de liberté en France depuis 20 ans " : M. Bruno Aubusson de Cavarlay, statisticien et sociologue, directeur de recherche au CNRS/CESDIP.

11 h 45 : " Rencontres à la Maison centrale d'Ensisheim" : M. Jean-Pierre Royer, professeur d'histoire du droit à l'Université Droit et Santé de Lille II.

12 H 15 : Echanges avec la salle.

Seconde partie : " L’Europe au futur "

Sous la présidence de M. Robert Badinter, sénateur, ancien garde des Sceaux

14 h 30 : Introduction de l’après-midi : Maître Jean-Jacques de Felice, représentant le collectif " Octobre 2001 ".

14 h 45 : " Crime et perpétuité " : Docteur Antoine Lazarus, professeur de psychiatrie, animateur du Groupe multiprofessionnel des Prisons (GMP)

15 h 15 : " Le dernier échelon de l’échelle des peines en Europe : le droit et les réalités " : Mme Hilde Tubex, professeur de criminologie à la Vrij Universiteit Brussel (VUB), membre du groupe d’experts du Conseil de l’Europe sur " les peines à perpétuité et les longues peines ".

15 h 45 : Pause

16 h 00 : " Quelle justice pénale pour l’Europe ? " : M. Daniel Lecrubier, magistrat, chef du service des affaires européennes et internationales au ministère de la justice (à confirmer)

16 h 30 : " Droits de l’Homme, justice pénale, opinions publiques et engagement des citoyens " : M. Pierre V. Tournier, représentant le collectif " octobre 2001 "

17 h 00 : Echanges avec la salle

17 h 45 : Conclusions de M. Robert Badinter

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Membres fondateurs du collectif " Octobre 2001 " : Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT-France), Amnesty International – section française (observateur), Association française de criminologie (AFC), Association Louis-Edmond Pettiti, association d’Action des Droits de l’Homme, Ordre des avocats à la Cour d’appel de Paris, Association nationale des visiteurs de prison (ANVP), Ensemble Contre la Peine de mort dans le Monde (ECPM), Fédération des Associations Réflexion, Action, Prison et Justice (FARAPEJ), Groupe Etudiant National d’enseignement aux Personnes Incarcérées (GENEPI), Groupe Multiprofessionnel des Prisons (GMP), Ligue des Droits de l’Homme (LDH), Observatoire International des Prisons (OIP), Penal Reform International (PRI).

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Secrétariat du collectif : Association française de criminologie (AFC) C/O de M. Pierre Pélissier 19, rue Ginoux F – 75015 Paris, tél. Fax. : 33 (0) 1 42. 63. 45. 04
mél : tournier@ext.jussieu.fr , projet suivi par : Sonia Feltesse, Tél : (33) 06.60.92.87.54 

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Déclaration du collectif " Octobre 2001 " à l’occasion du XXème anniversaire de l’abolition de la peine de mort en France

1 – Les formes de sanctions prononcées à l’encontre des délinquants et des criminels traduisent les valeurs fondamentales d’une société. Le 9 octobre 1981, l’abolition de la peine de mort fit triompher en France le caractère inaliénable du droit à la vie pour chaque individu.

2 – Depuis le 1er mars 1985, le protocole n° 6 à la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales érige cette abolition en obligation juridique de droit internationale. A l’exception de la Turquie, tous les Etats membres du Conseil de l’Europe ont aujourd’hui signé ce protocole. Seule la Russie ne l’a pas encore ratifié.

3 – L’article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 affirme également le droit à la vie de tout individu et stipule que " nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels ". Pourtant, en 1999, au moins 1831 condamnés furent exécutés dans 31 pays et plus de 3800 personnes condamnées à mort dans 63 pays différents (1) . L’Arabie Saoudite, la Chine, les Etats-Unis, l’Iran et la République démocratique du Congo sont responsables de 85 % de ces exécutions (2).

Au cours du seul premier trimestre 2000, les Etats-Unis ont exécuté plusieurs mineurs au mépris du droit international (3). Depuis 1990 ? outre les Etats-Unis, l’Iran, le Nigéria, l’Arabie saoudite, la Somalie ou le Yemen ont supprimé la vie de personnes condamnées pour un crime commis avant l’âge de 18 ans.

4 – Partout où la peine de mort est appliquée, on relève des disparités de sentence d’une juridiction à l’autre, des irrégularités dans la constitution des jurys et une application arbitraire du droit de grâce. Or, dans une justice par définition relative, comment justifier une peine irréversible ? (4)

5 – A la fin du 18ème siècle, Beccaria affirmait déjà : " En donnant aux hommes l’exemple de la cruauté, la peine de mort n’est pour la société qu’un mal de plus (…). La peine de mort n’est pas un droit mais une guerre de la nation contre le citoyen ".

Une exécution n’est jamais un acte de légitime défense face à une menace de mort immédiate. C’est une agression physique et morale définitive à l’encontre d’une personne que les autorités ont déjà réduite à l’impuissance. Légitimer pour une communauté d’individus la possibilité de supprimer la vie de l’un de ses membres, prisonnier sans défense, ne peut avoir d’effet pédagogique sur l’apprentissage du respect de la vie d’autrui. Aucune efficacité dans la prévention de la criminalité n’a jamais pu être imputée à la peine de mort.

6 – Si dans les démocraties, aucun code pénal n’autorise plus à torturer un tortionnaire, à rouer de coups un homme coupable de violences, c’est bien parce que nos sociétés ont compris qu’elles devaient bâtir leurs modèles de sanction sur des valeurs différentes de celles qu’elles condamnent.

7 – Alors qu’une majorité de pays dans le monde a aboli la peine de mort, qu’une dynamique internationale est engagée contre cette peine, agissons pour qu’elle disparaisse définitivement des systèmes juridiques de l’ensemble des pays du monde.

8 – La justice française prétend aujourd’hui mettre la prévention de la récidive par l’amendement au premier rang des objectifs du prononcé de la peine.

Affirmer que toute personne est susceptible d’amendement oblige à abolir toute forme de mise à l’écart définitive.

Pourtant, aujourd’hui encore, l’existence des peines de sûreté pour les peines à temps prononcées, ou pour les réclusions criminelles à perpétuité, n’a donné lieu qu’à très peu de réflexions.

9 – Si l’un des fondements à un possible amendement réside dans l’acceptation de la peine et la reconnaissance de sa légitimité par le condamné, comment un individu peut-il se reconnaître dans un verdict ne lui laissant aucune possibilité de faire valoir une évolution de son comportement ? Un verdict qui le définit comme monstre irrécupérable, qui l’engage à accepter sa propre mort sociale. Quelle motivation pour changer, se soigner, se former, travailler, s’il n’existe aucun moyen d’aménagement des peines prenant ces critères en considération ?

10 – Les incohérences et la faiblesse des moyens accordés à la mission de réinsertion confiée à l’administration pénitentiaire mettent gravement en péril l’exercice de cette mission (5), tout particulièrement pour les détenus soumis à des longues peines et pour ceux qui souffrent de graves symptômes psychiatriques. Si l’on attend qu’un détenu respecte les règles de la société après sa libération, assurons-nous que le fonctionnement de l’institution carcérale lui garantisse l’accès à tous les moyens nécessaires à la préparation individualisée de sa réinsertion, et le respecte à tout moment en tant que sujet de droit.

11 – L’abolition de la peine de mort en 1981 a coïncidé avec la naissance des associations d’aide aux victimes. Le législateur a ainsi permis que la prise en charge sociale d’un crime ne s’arrête pas au prononcé de la sanction à l’égard de son auteur.

Pour aller au-delà, seule une implication de l’ensemble du corps social dans un débat démocratique peut aujourd’hui redéfinir les conditions de réintégration dans notre communauté des individus qui ont enfreint ses règles. C’est à cette condition que la qualité de membre à part entière de notre société, de sujet de droit, pour chaque individu quelle que soit la gravité de son crime, pourra s’affirmer comme instrument fondamental de l’ordre social.

12 – Appelons à une véritable réflexion comparative, au niveau européen, sur les peines prononcées pour les crimes les plus graves, et ce dans la perspective de définir ce qui devrait être la peine maximale encourue, le dernier échelon de l’échelle des peines en Europe.

Agissons pour que le XXème anniversaire de l’abolition de la peine de mort, en France, marque la naissance d’une véritable réflexion collective et démocratique sur le sens de la peine et les moyens affectés à son exercice.

Paris, le 13 février 2001

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Notes :

1. " Ces données ne concernent que les cas portés à la connaissance d’Amnesty International ", Abolir, n° 33, Juin 2000, Amnesty Internal Section Française.

2. Des centaines d’exécutions ont également été signalées en Irak, mais il est possible que nombre d’entre elles aient revêtu un caractère extrajudiciaire.

3. L’alinéa 5 de l’article 6 du pacte relatif aux droits civils et politiques interdit de prononcer la peine de mort pour des personnes âgées de moins de 18 ans et d’exécuter les femmes enceintes. La résolution E/CN.4/Sub2/1999 de la commission des droits de l’Homme des Nations-Unies condamne le prononcé de la peine de port pour les condamnés auteurs de crimes commis avant l’âge de 18 ans.

4. " Dans une justice par définition relative, il ne saurait y avoir de place pour une peine irréversible ", L’exécution, Robert Badinter, Editions Grasset et Fasquelle, 1973.

5. Les constats exposés dans plusieurs rapports parlementaires sont particulièrement éloquents à ce sujet : rapport de M. Jacques Floch, fait au nom de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la situation dans les prisons françaises, 2000 ; rapport de M. Guy Cabanel, fait au nom de la commission d’enquête du Sénat : " Prison, une humiliation pour la République ", 2000.

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20ème anniversaire de l’abolition de la peine de mort
Colloque du 6 octobre 2001
Assemblée nationale

Intervention de Madame Marylise LEBRANCHU
Garde des Sceaux, Ministre de la Justice

Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale,
Mesdames et Messieurs les présidents,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs

Je remercie l’Assemblée Nationale et son président qui ont permis cette rencontre. Je remercie les organisateurs de ce colloque. Je salue leur engagement et leur initiative.

Je regrette de ne pouvoir assister à vos travaux, mais vous pouvez être certains que je prendrai connaissance de leurs recommandations avec le plus grand intérêt.

Il y a quelquefois des hasards de circonstance qui donnent aux évènements un éclat particulier. Celui auquel je pense est un triste hasard : voilà que nous célébrons le vingtième anniversaire de l’abolition de la peine de mort tandis que presque dans le même temps, mais en d’autres lieux, des individus et des organisations terroristes n’hésitent pas à donner une mort violente à des anonymes innocents. Ces crimes sont, pour tout être conscient, des actes pétris dans la haine.

Pour autant, et malgré le sentiment naturel de colère et même de rage que chacun peut éprouver devant de telles horreurs, le principe de l’abolition de la peine de mort consacre le choix de la justice et de la raison. Il rejette tout sentiment de vengeance.

C’est pourquoi j’ai tenu à m’adresser à vous aujourd’hui sur un thème qu’il faut savoir garder vivace, parce qu’il est un combat, parce qu’il reste encore trop de pays qui tuent au nom de la justice.

J’y suis d’autant plus sensible en cette période d’élaboration d’une loi qui s’est donnée pour mission entres autres de poser la question du sens de la peine et de son application dans des conditions plus dignes de notre démocratie, j’en dirai un mot dans un instant.

Par votre présence, vous attestez de votre engagement. C’est celui de citoyens et de citoyennes qui affirment que la personne humaine est au-dessus de l’Etat et que l’action de l’Etat doit obéir à des principes fondamentaux, je veux parler des droits de l’Homme. Cette initiative qui nous réunit ce matin est celle du courage et de la responsabilité. Vous avez raison de nous interpeller, élus ou gouvernants, sur la réalité du sort réservé, au-delà de l’attente immédiate d’une répression exemplaire, à ceux qui ont commis les crimes les plus odieux.

Vous avez raison d’affirmer que nous devons toujours avoir le courage de regarder en face la situation de nos prisons et de ceux qui y sont gardés. L’enjeu est de taille : la répression des crimes les plus graves, les plus insupportables, les plus inconcevables est ce qui interroge le plus notre conception de la justice. La justice, ce n’est pas la loi du plus fort car nous ne ferions alors que légitimer la violence de la nature et de l’archaïque loi du talion.

Si nous voulons plus de dignité, plus de sécurité et plus de paix, nous ne pouvons pas fonder nos lois sur des sentiments ou des émotions. La loi, c’est justement s’arracher au trouble, à la fureur, à la vindicte grâce à des principes raisonnés et dépourvus de colère. Victor Hugo a d’ailleurs très justement dit que la société ne doit pas punir pour se venger, elle doit corriger pour améliorer et Camus plus tard, dans ses réflexions sur la peine capitale, a admirablement parlé de cette suprême justice qui donne à vomir à l’honnête homme qu’elle est censé protéger.

C’est pourquoi la justice ne peut être la mort infligée au nom de la société ou d’une prétendue sagesse collective. La justice ne peut pas tuer. Elle ne peut pas commettre l’irréparable. La société doit être bâtie sur des valeurs différentes de celles qu'elle condamne. La première de ces valeurs est le respect de la personne humaine, de sa vie et de son intégrité.

* * *

Saluer l'abolition de la peine de mort ne peut se faire sans saluer Robert Badinter dont le nom, avec celui de François Mitterrand, restera attaché à cette cause.

Le combat de Robert Badinter a trouvé son achèvement dans la loi du 9 octobre 1981 dont nous célébrons aujourd’hui le 20ème anniversaire. Vingt ans seulement mais, aussi, vingt ans déjà d’une réforme qui rend fier d’être français.

Tous ceux qui ont entendu Robert Badinter à l’Assemblée nationale ou au Sénat gardent le souvenir de cette démonstration passionnée, s’adressant au cœur et à la raison, démonstration non seulement du caractère barbare mais aussi de l’absurdité de la peine capitale à laquelle de nombreux Etats avaient déjà renoncé.

Nous étions alors le 35ème Etat à abolir cette peine. Aujourd’hui, un Etat ne peut adhérer à l’Union européenne s’il pratique encore la peine de mort dont l’abolition est inscrite dans la Charte européenne des droits de l’homme et sur 189 membres des Nations Unies, 108 Etats ont banni ce châtiment de leur arsenal répressif.

L’idée abolitionniste progresse.

Je veux aussi parler de votre propre rôle dans cette grande réforme, Monsieur le président Forni.

Vous avez été de ceux qui ont proposé, dès 1978, de ne pas inscrire au budget de l’Etat les 185.000 francs représentant le traitement du bourreau.

Vous avez été devant l’Assemblée nationale le rapporteur du projet de loi portant abolition de la peine de mort. Votre rapport marquait un soutien sans faille à cette cause et la force de votre conviction a contribué à la décision de l’Assemblée.

Ainsi, votre nom est-il aussi attaché à ce pas immense que la France a fait sur le chemin des droits de l’homme. Vous êtes encore, et nous en avons toujours besoin, un défenseur vigilant de ces droits.

* * *

Pourtant, si nous avons fait notre chemin, si après nous, d’autres nations ont elles aussi refusé la peine capitale, s’il est manifeste qu’un mouvement mondial se mobilise sans relâche autour de la défense des droits de l’homme, pourtant la peine de mort continue à être pratiquée dans un trop grand nombre de pays.

Si l’idée ne s’impose pas encore partout, on ne peut que se réjouir de constater que la question commence à émerger ici et là et même aux Etats-Unis, les certitudes vacillent. La déclaration faite en juillet dernier par une éminente magistrate à la cour Suprême , madame Sandra Day O’Connor, montre bien qu’on ne peut rester indifférent devant la démonstration de l’innocence de personnes condamnées qui se sont retrouvées dans le couloir de la mort. Combien d’innocents ont-ils ainsi été exécutés avant la découverte des tests fondés sur l’ADN ?

Mais si l’exécution d’un innocent reste le sacrilège ultime de la peine de mort, ce n’est aussi que l’argument ultime des abolitionnistes. Tous, nous souhaitons qu’une remise en cause plus radicale prenne forme non plus sur le thème de l’odieuse injustice faite à l’innocent mais sur celui du sort inacceptable réservé au coupable.

La peine de mort, quel que soit le mode d’exécution, constitue une forme certaine de torture et l’emprisonnement des condamnés à mort pendant de longues années avec la constante perspective de leur exécution est une forme de " traitement inhumain et dégradant " au sens de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Et pourtant, même vingt après, même si, serais-je tentée de dire, une sorte de consensus apparent réunit aujourd’hui les partisans convaincus de l’abolition et ceux qui ne s’y sont que résignés, même si nous l’avons consacrée par des instruments juridiques en principe irrévocables, il faut rester vigilant. En effet, si les pulsions de mort qui exigent une punition aussi violente que le crime qu’elle dénoncent sont une réalité, la justice, elle, doit toujours se placer sur un terrain dépassionné, neutre et serein. Il me semble impératif que des initiatives soient prises et continuent à être prises pour faire vivre le combat de l’abolition, comme celle du collectif Octobre 2001 qui a organisé ce colloque, comme celle encore qui a permis de mobiliser les énergies contre la peine de mort au cours du Congrès mondial qui s’est tenu à Strasbourg, en juin 2001, au siège du Parlement européen. Ainsi fera-t-on avancer dans les esprits et dans l’opinion internationale l’idée de l’abolition universelle.

Il existe des statistiques encourageantes. J’ai ainsi demandé à mes services de me renseigner sur le devenir des personnes condamnées à mort par les juridictions de droit commun et non exécutées par suite de leur grâce et de la commutation de leur condamnation en réclusion criminelle à perpétuité. Sur 32 condamnés à mort non exécutés entre le 13 juin 1958 et le 22 mai 1981, 26 ont obtenu une libération conditionnelle non révoquée. Un seul dossier sur 32 porte la mention d’une libération conditionnelle révoquée. C’est dire que les trois quarts de ces anciens condamnés à mort ont offert des gages de réinsertion qui leur ont permis de retrouver une place dans la société.

* * *

J’en viens à l’interrogation qui va nourrir vos travaux : après l’abolition de la peine de mort, comment sanctionner les crimes les plus graves ? La peine de mort était un acte barbare et il ne s’agissait pas de troquer une indignité contre une autre indignité. On ne remplace pas la peine de mort, on la supprime. La condamnation à perpétuité constitue la peine maximale qui peut être infligée à un condamné. Certains disent qu’à la peine de mort a été substituée, en quelque sorte, la peine de vie, lorsque celle-ci est d’une durée insupportable pour celui qui la subit, quel que soit son crime. On dit aussi, selon la formule de Gabriel Tarde, que l’incarcération perpétuelle, ce n’est plus faire mourir sans faire souffrir mais faire souffrir sans faire mourir. 

Nous comptons à ce jour 915 condamnés purgeant une peine de plus de 20 ans de réclusion criminelle. Il y a seulement cinq ans, ils étaient 172. A ce nombre il faut encore ajouter celui des condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité : 379 en 1980, 591 en 2001.

On ne peut que constater un allongement des peines. Par la force des choses, les prisons sont peuplées de détenus plus âgés. 118 sont actuellement âgés de plus de 75 ans, dont 28 de plus de 80 ans, avec les problèmes de santé que l’on suppose, tandis que l’objectif de réinsertion assigné à la peine perd toute signification.

Les détenus ne sont pas les seuls à critiquer cette situation. Un représentant d’une association humanitaire me disait récemment, avec un certain découragement, que s’il avait su l’ampleur que prendraient les longues peines, il n’aurait peut-être pas milité contre la peine de mort. Quel profond découragement !

J’ai aussi discuté, il y a peu, avec un surveillant de l’administration pénitentiaire qui venait d’être agressé par un détenu. Et loin de me parler de punition du détenu, ce surveillant m’a seulement dit "le problème, c’est les longues peines, pour les personnels aussi, il faut rendre l’espoir aux détenus".

Depuis maintenant depuis plus de deux ans, les questions pénitentiaires se trouvent sous les projecteurs. Elles ont donné lieu à deux commissions d’enquête parlementaire, à l’Assemblée et au Sénat. Leurs conclusions sont sans équivoque. Elles ne peuvent rester lettre morte. Le Gouvernement a décidé, vous le savez, de traiter l’ensemble du problème en améliorant à la fois ce qui concerne les murs et les hommes, car les deux questions sont à mon sens étroitement liées. On ne peut pas réfléchir à une juste peine sans réfléchir à ce que doit être un lieu juste.

Pour que des conditions de détention soient dignes, il faut que les prisons le soient, ce qui n’est pas le cas de la plupart d’entre-elles, en raison de leur vétusté aggravée par un défaut d’entretien chronique. Vous savez que 10 milliards de francs seront consacrés sur 6 ans à un vaste programme de démolition, de reconstruction ou de réhabilitation. Mais, comme je viens de le dire, les murs ne sont rien si l’on ne s’occupe pas des hommes.

Des mesures importantes sont déjà intervenues avec la loi du 15 juin 2000. L’obligation d’assurer à tous les détenus, dans un délai de trois ans, une cellule individuelle est un progrès considérable. Mais surtout, la réforme de la libération conditionnelle, qui relève désormais de la compétence d’une juridiction et non du Garde des Sceaux, a donné un nouvel essor au dispositif et donc un nouvel espoir aux " longues peines ".

Il a été ainsi ordonné 13 libérations conditionnelles de détenus condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité au cours du seul 1er semestre 2001 au lieu de 7 pour toute l’année 2000.

Bien sûr, il faudrait aussi parler des échecs. Ils sont très rares. Chacun sait qu’une sortie préparée et encadrée est préférable à une libération " sèche " en fin de peine et sans contrôle. Un seul échec, c’est déjà trop bien évidemment, lorsque se commet une nouvelle infraction qui n’aurait pas eu lieu si son auteur n’avait pas été libéré. Mais qui peut nous dire ce que seraient des prisons d’où personne ne pourrait sortir, d’où l’espoir serait à jamais banni ? Quels crimes seraient alors commis pour s’évader de ces établissements de la mort lente ou pour ne pas y revenir ? Je crois donc qu’un échec, même s’il faut bien sûr ne prendre aucun risque au préjudice de nos concitoyens, même s’il faut à chaque fois en tirer les leçons, ne peut justifier la remise en cause de tout le dispositif. Retirer l’espoir aux détenus, renoncer à la réinsertion, faire l’économie de sorties anticipées mais encadrées, ce n’est pas éviter les échecs, c’est les multiplier.

D’autres mesures sont en cours avec le projet de loi pénitentiaire que je présenterai au conseil des ministres avant la fin de l’année et qui s’inspirera notamment des travaux de la commission conduite par le Président Canivet sur le contrôle extérieur des établissements pénitentiaires et, bien sûr, des propositions des commissions d’enquête parlementaires.

Ainsi que nous y ont invité ces commissions d’enquête, le projet de loi contiendra des dispositions sur le sens de la peine, de toute peine, afin de rappeler, selon la formule du Conseil constitutionnel, que l’exécution des peines a été conçue non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné mais aussi pour favoriser l’amendement du condamné et préparer sa réinsertion. Il faut humaniser les pratiques pénales et carcérales.

Pour ce qui concerne les détenus dont l’état de santé est devenu incompatible avec la détention, et qui sont souvent âgés et condamnés à une longue réclusion, nous proposerons un dispositif de suspension de peine pour cause médicale grave. La décision serait prononcée par la juridiction régionale de la libération conditionnelle après avis de deux collèges d’experts.

D’autres dispositions importantes du projet de loi concerneront spécifiquement les longues peines.

Il sera ainsi proposé d’inscrire dans le code de procédure pénale que le condamné doit avoir connaissance des possibilités d’aménagement dont il pourra bénéficier, même en cas de condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité. C’est une manière d’affirmer que même perpétuelle, une peine dans son application est supposée avoir une fin. Elle doit donc, en toute hypothèse, être conçue pour préparer le condamné à sa sortie.

Ainsi, dès la fin du procès, on séparera :

    • Le temps du jugement qui est celui du passé et qui débouche sur la punition des actes commis et sur la réparation due à la société et la victime ;

- et le temps de l’exécution de la peine qui est celui de l’avenir et qui ne peut nier l’espoir dont tout homme, quelle que fut l’horreur de ses crimes, est porteur.

D’autre part, il est envisagé de mettre fin au caractère automatique de la période de sûreté, de sorte qu’il reviendrait à la seule juridiction de jugement d’apprécier dans quel délai un condamné est susceptible d’accéder à une mesure d’aménagement de sa peine, selon son évolution personnelle.

Enfin, le projet de loi procédera à une redéfinition des missions des personnels afin de mieux identifier, indépendamment de la surveillance et de la sécurité, leurs fonctions d’accompagnement dans la vie carcérale et de préparation à la sortie.

Les personnels ont besoin de reconnaissance, la meilleure est celle de leur capacité à exercer une tâche fondamentalement humaine qui requiert tant de finesse et d’intelligence des rapports humains. Cela permettra une meilleure prise en compte de la nécessité d’organiser la vie de détenus appelés à passer de longues années en détention.

Je ne doute pas que le Parlement, s’appuyant peut-être sur vos travaux, améliorera ce projet.

Le fil conducteur des débats sera celui du sens de la peine, étant entendu que deux légitimités s’affrontent : l’idée de la justice et de la dignité aux yeux du condamné et l’impératif de la sécurité au yeux de la société. Vous savez combien, le sujet est complexe et délicat. Nous aurons des débats certainement passionnants et je ne doute pas que le texte en sortira enrichi. Je suis prête, pour ma part, à apporter la démonstration que ces deux légitimités ne sont pas contradictoires. Il ne sert à rien de donner l’illusion d’une fausse sécurité fondée sur la seule brutalité de l’intervention de l’Etat dont la peine de mort était l’exemple paroxystique.

Je crois que la sécurité dépend de notre capacité à reconstituer le lien social lorsque c’est possible. Je crois qu’il faut avoir présent à l’esprit que toute peine n’a de sens que si elle a une fin, que tout détenu est appelé à sortir de prison et que la préparation à cette sortie est le premier gage de sécurité que nous devons offrir à nos concitoyens.

La loi pénitentiaire doit être une loi contre la récidive, car protéger la société ce n’est pas se contenter de la mise à l’écart suprême et définitive de ceux qui ont bafoué ses règles. Faire cela, c’est nier que même celui qui a commis un crime n’en est pas moins un membre de la collectivité. Il faut donc tout mettre en œuvre durant le temps de la peine pour changer la mauvaise donne de ce qu’était leur vie d’avant la prison.

Concrètement, cela signifie qu’il faut leur donner les moyens de trouver leur place dans notre société et dans ses règles. C’est seulement de cette manière que la société pourra améliorer durablement et profondément sa sécurité, en renouant le lien qui s’est un jour brisé entre un individu et la collectivité à laquelle il appartient.

Pour conclure, je voudrais dire que je n’oublie pas que tout cela ne pourra se faire sans tenir compte de la réalité de la souffrance des victimes, directes et indirectes. Leur donner l’engagement que nous travaillons, au sein de l’institution judiciaire, à ce que celui qui a commis une infraction ne récidive plus, c’est aussi les aider à vivre et à continuer. La loi et la justice sont là pour apaiser et garantir une juste sanction. Mais c’est surtout par le respect constant de la dignité de chacun qu’elles participent à la cohésion sociale.

C’est pourquoi la question des longues peines n’est pas qu’une simple question technique. Elle est au contraire chargée de sens. Elle nous incite à ne plus légiférer en étant guidés par la peur, cette peur qui il y a vingt ans nous a fait troquer la peine de mort contre la perpétuité. Elle nous dit qu’il est grand temps de faire une place plus grande à la raison, à la conscience et à la dignité.

Je vous remercie.