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Séance du vendredi 25 avril 1913

  • Recrutement

    Fixité des effectif : audition de M. le général Legrand et de M. Thévenin

    Article 3 du contre-projet Reinach – Montebello (Fixité des effectifs)

    Audition de M. le général Legrand et de M. Thévenin

    Reprise de la discussion

    Adoption du principe de fixité des effectifs

    Examen des chiffres du ministre de la Guerre

    Audition de M. le général Legrand et de M. Thévenin

    Reprise de la discussion

    Adoption de l’article 3 sans les mots « présents dans les différentes unités »

    Adoption des mots « présents dans les différentes unités » dans l’article 3

    Rejet de l’amendement de M. Fournier-Sarlovèze

    Mise aux voix des chiffres du ministre de la Guerre

    Rejet de la demande de renvoi à la séance suivante présentée par le général Pédoya

    Audition de M. le général Legrand et de M. Thévenin

    Adoption des chiffres du ministre de la Guerre

    Adoption avec modification de l’article 2 du contre-projet Reinach – Montebello

    Article 4 du contre-projet Reinach – Montebello

    Amendement de M. Paté

    Adoption avec modification de l’article 4

    Préparation militaire (proposition de loi de M. Émile Constant

    Présidence de M. Le Hérissé– Président

    Suite de l’examen du projet de loi de recrutement.

    Recrutement

    Fixité des effectif : audition de M. le général Legrand et de M. Thévenin

    MM. le général Legrand et le commandant Thévenin (du cabinet du ministre de la Guerre) sont introduits.

    M. le général Legrand En réponse à une question qui lui a été posée à la précédente séance indique que l’effectif légal des troupes stationnées en France au 1er février était de 474 321 h. Cet effectif n’était pas réalisé ; en fait, l’effectif réalisé au 1er février était seulement de 462 930 h.

    Le projet de loi prévoit, en France, un effectif minimum de 600 232 h et à l’incorporation de 658 968 h.

    La différence entre 658 968 et 462 930 h donne 196 038 h, chiffre équivalent à celui de la 3e classe incorporée.

    M. Fournier-Sarlovèze présente diverses observations ayant pour but de préciser les calculs d’effectifs ; il indique que le contingent de 210 000 h se trouve réduit au cours de la première année à 199 500 h, effectif qui n’est plus lui-même, que de 193 515 h à la fin de la 2e année et de 187 700 h à la fin de la 3e année. C’est donc un effectif global de 580 715 h et non de 604 000 h qu’il faut envisager, soit une différence de 25 000 h.

    Si à ce chiffre on ajoute les ressources permanentes et les différentes sources de recrutement indiquées par le gouvernement on obtient un total de 712 537 inférieur de 1 900 h environ aux besoins de l’armée qui sont d’après l’honorable membre, de 714 440 h à l’incorporation ; il sera donc impossible d’envisager la possibilité d’accorder des congés.

    M. le général Legrand fait observer que dans les calculs, il ne fait subir de déchets de la 1ère classe qu’à la fin et non au cours de la première année ; les chiffres se trouvent ainsi rétablis.

    M. Jaurès rectifie une erreur commise par lui dans ses calculs au cours de la précédente séance : l’augmentation de l’artillerie absorbera 10 à 12 000 h. Il faut donc grossir de ce chiffre le total donné hier par l’honorable membre. Ceci dit, l’écart reste énorme entre les 195 000 h chiffre du 3e contingent incorporé et 100 000 h environ chiffre de l’effectif absorbé. La base des calculs d’effectifs reste bien celle-ci : à savoir l’écart entre les unités faibles au 1er février dernier et le chiffre minimum demandé pour ces unités par le ministre, le raisonnement étant le même pour les unités fortes. Il va de soi en effet qu’au 1er février les unités faibles et fortes ont déjà subi les déchets dont il a été tenu compte pour fixer les chiffres minima des effectifs à prévoir. Il faut comparer des choses comparables. Le total des hommes requis arme par arme pour mettre les unités à l’effectif minimum proposé est inférieur d’environ 90 000 h au chiffre du 3e contingent.

    M. le général Legrand répète que les effectifs de 113 h et de 155 h qu’il a donnés hier comme étant ceux réalisés au 1er février dernier, sont les effectifs des « situations » et non pas des hommes dans le rang. Il faut donc majorer les effectifs minima prévus de 6 % (indisponibles à l’hôpital ou en congé de convalescence) et de 2 % environ (déchets définitifs entre février et septembre). Soit 140 h + 8 % = 152 h ; l’écart devient alors 152 – 113 soit 39 h et non pas de 27 pour les compagnies d’infanterie de l’intérieur.

    Le raisonnement est le même pour les compagnies de couverture. 200 + 8 % = [chiffre barré] 216, l’écart est de 216 -155, soit 61 h et non pas 45.

    Ajoutez à cela l’augmentation de l’artillerie dont M. Jaurès reconnaît n’avoir pas tenu compte.

    À l’incorporation, on demande, par arme, un accroissement d’effectif sur l’effectif actuel de :

    142 368 h pour l’infanterie

    12 433 h pour la cavalerie

    27 000 h pour l’artillerie

    14 700 h pour le génie

    1 500 h pour l’aéronautique

    920 h pour le train

    11 000 (troupes coloniales)

    M. Jaurès Ce sont des calculs arbitraires. Vous ne justifiez nullement à mes yeux l’obligation d’augmenter de 8 % les chiffres de nos effectifs minima prévus.

    M. Georges Leygues Une des infériorités du côté français est l’insuffisance de la dotation en hommes de nos services techniques. 25 000 h leur serait, a-t-on dit, nécessaires. Quel accroissement d’effectif leur accorde-t-on ?

    M. le général Legrand Cette augmentation de 25 000 h n’apparaît pas dans un chapitre spécial concernant le service technique, mais elle est réalisée par armes.

    MM. le général Legrand et le commandant Thévenin se retirent.

    Article 3 du contre-projet Reinach – Montebello (Fixité des effectifs)

    M. le président Je propose à la Commission d’ouvrir la discussion sur le principe de fixité des effectifs que pose l’art. 3 du contre-projet Reinach – Montebello et qu’accepte le gouvernement.

    M. Lannes de Montebello Le principe de la permanence des effectifs doit être à la base de notre organisation militaire. Je l’ai dit déjà lors de l’élaboration des lois du recrutement de 1889 et de 1905 et je regrette de n’avoir pas été suivi.

    Il y a des effectifs jugés nécessaires pour assurer l’instruction et l’encadrement des réserves à la mobilisation, ces effectifs doivent être intangibles. Le général André lui-même avait reconnu qu’avant de songer à réduire d’un an la durée du service militaire, il fallait déterminer au préalable les effectifs jugés nécessaires par unité. J’ajoute que la permanence des effectifs inscrite dans la loi peut seule empêcher l’autorité militaire de se montrer trop large en matière de congé ou de libération anticipée. Je rappelle à ce sujet l’émotion qui s’est emparée du Parlement lorsque M. le général Mercier, ministre de la Guerre, crut devoir renvoyer un grand nombre dans leurs foyers.

    Le principe de la fixité des effectifs a toujours été respecté en Allemagne et c’est pour réaliser son application qu’on y prévoit un surnombre d’hommes de 9 %.

    Je vous supplie d’inscrire ce principe en tête de notre loi nouvelle. Quand vous aurez fait cela, nous discuterons les chiffres des effectifs.

    M. Forest L’article 3 ne peut guère se séparer de l’art. 2. ; l’art. 3 consacre en effet la fixité des effectifs basée sur le nombre des présents et l’article 2 ne parle que des effectifs sans autrement préciser. Il faut savoir si les permissionnaires compteront à l’effectif, si les hommes en congé de convalescence ou à l’hôpital seront considérés aussi comme présents et dans ce cas il faudrait majorer de 6 % les effectifs minima prévus.

    M. Paté On pourrait ajouter au texte : « Sont considérés comme présents les permissionnaires sauf ceux qui sont en congé de convalescence. »

    M. Georges Leygues Ou bien maintenir les chiffres minima prévus tout en disant qu’ils sont établis, défalcation faite des 6 % dont vient de parler M. Forest.

    M. Jaurès Je désire m’expliquer sur la question de principe. Pourquoi voulez-vous majorer d’un certain pourcentage nos effectifs minima, c’est, dit-on, à l’imitation de l’Allemagne. Nous ne nous lasserons pas de répéter qu’il est funeste pour nous de chercher à imiter l’Allemagne dans ses procédés. L’Allemagne a donné, la première en Europe, l’exemple des grandes armées nationales, en 1813, elle qui par son armée de 1866 basée sur l’utilisation de réserves a fortifié en nous l’idée d’une armée nationale, subit aujourd’hui et depuis quelques années un choc en retour. Nombreux sont les écrivains militaires qui cherchent à la rapprocher de la conception d’une armée de métier pour mettre à profit l’abondance d’effectifs dont elle dispose. C’est là aussi une partie de la lutte que la réaction allemande soutient contre la démocratie en Allemagne. Notre démocratie républicaine ne dispose pas que je sache d’effectifs surabondants, a-t-elle donc à se mettre à la remorque des conservateurs allemands ? Sur le terrain de l’armée de caserne, nous sommes condamnés à une infériorité totale.

    Demain l’Allemagne utilisant automatiquement des effectifs qui s’accroissent pourra porter ses unités à un niveau où vous ne pourrez atteindre pour les nôtres qu’en instituant un service militaire de 5 ou de 6 ans. C’est une impossibilité et dès lors il y a danger à s’épuiser en vains efforts sur un terrain où d’avance on est vaincu et à négliger les objets essentiels qu’il vous est permis d’atteindre. Vous devriez profiter de la concentration de l’effort allemand sur l’armée de caserne, pour mettre en pleine valeur nos réserves.

    L’art. 3 du contre-projet donnera au pays l’illusion de la sécurité.

    Est-ce pour assurer l’éducation, l’instruction des hommes et l’encadrement des réserves que vous voulez réaliser la permanence des effectifs ?

    Beaucoup de partisans du service de 3 ans songent en effet, à cet égard, avec regret à la loi de 1875 qui assurait la fixité des effectifs, mais quels étaient alors les effectifs pas unité ? Ils étaient de 48 h par compagnie de 1872 à 1875. Je reconnais qu’en 1875, les jugeant insuffisants on les a fixé à 96 hommes mais ce faisant on crut avoir réalisé le maximum nécessaire et à ces 96 h devaient s’amalgamer à la mobilisation 154 réservistes, la compagnie de guerre étant dès lors envisagée à 250 fusils.

    Notez qu’en 1875 nombreux étaient ceux-là, notamment les conservateurs, qui inclinèrent à maintenir le statu quo, c'est-à-dire 48 h par compagnie !

    Si vous faites abstraction de ce funeste souci de plagier l’Allemagne, quelle peut être la raison qui vous incite aujourd’hui à considérer qu’un noyau de 113 h est insuffisant pour encadrer nos réserves, alors que des hommes comme le maréchal Pélissier estimaient qu’un noyau de 96 hommes était suffisant.

    Que s’est-il passé depuis ? N’y avait-il pas alors autant d’embusqués ? Je mentirais au plus strict observateur de la loi. Ce serait de ce côté peut-être qu’il faudrait chercher la réponse et nous y trouverions l’obligation de revenir aux traditions qui permettraient de réussir avec 96 h là où on pense échouer avec 113. Voulez-vous donc développer encore le nombre des emplois parasitaires dans l’armée et accentuer notre gaspillage d’effectifs.

    Lors du vote de l’augmentation de l’artillerie le gouvernement et le rapporteur M. Reinach affirmèrent qu’une batterie de 90 h (on avait précédemment envisagé même une batterie de 77 h) serait suffisante, non seulement pour assurer l’instruction des hommes, mais pour permettre de doter la fameuse batterie de dédoublement d’un certain nombre de « spécialités ». Et aujourd’hui on nous dénonce cet effectif de 90 h comme insuffisant pour assurer seulement l’éducation des troupes. Vous n’avez donc aucune règle ? Il n’y aurait à nos yeux qu’une règle à établir, ce serait, pour la manœuvre, de se rapprocher le plus possible, en accouplant des unités, de l’effectif de guerre.

    Si vous entrez dans la voie du recrutement subdivisionnaire, il faudrait rapprocher vos réservistes des centres d’active où ils pourraient fréquemment mais pour de très courtes périodes de deux jours au plus prendre part avec leurs camarades de l’active à de pleines manœuvres, c'est-à-dire à des manœuvres à effectifs de guerre.

    À quoi allez-vous aboutir ? Vous voulez réaliser la permanence des effectifs ; vous allez provoquer dans notre organisation militaire une instabilité permanente. D’autres moyens que le vôtre pouvaient être envisagés pour réaliser la fixité des effectifs : diminuer le nombre des unités et les dédoubler à la mobilisation, par exemple, je ne conseille d’ailleurs pas ce moyen.

    Lorsque le pays saura qu’il ne sera libéré d’une partie de la 3e année de service qu’une fois les effectifs minima atteints, ce sera à propos de la fixation de ces effectifs un perpétuel marchandage entre les partis. On vous demandera de ne plus mettre 140, mais 130 ou 120. Votre organisation ne sera plus jamais stable. On acceptera de faire état des hommes « demi-bons » pour atteindre le minimum et pouvoir libérer plus vite. Que sais-je encore ? Le pays aura les yeux sur l’échelle des effectifs pour se demander s’il fera ou non 3 ans complets.

    Dans les moments de détente internationale, alors que la vigilance de la nation s’endormira, il y aura une poussée formidable à laquelle vous ne pourrez résister pour obtenir que les effectifs minima soient sournoisement abaissés. Je parie qu’avant peu – quelle que soit la rigidité de vos textes, il y aura des interprétations pour les assouplir. On ne mettra pas en application les 8 % du général Legrand.

    Je suppose maintenant que vous ayez dépassé vos effectifs minima et que vous envisagiez la disponibilité d’accorder des congés. Comment allez-vous les répartir ? Si vous laissez subsister le système actuel de recrutement il pourra se faire que les jeunes gens bénéficiaires, c'est-à-dire ceux appartenant à des familles nombreuses soient très inégalement répartis par unités et dès lors, vous vous exposez à des conséquences fâcheuses. Il y aura des réions entières où vous ne libérerez personne, et d’autres où vous renverrez tout le monde. Que deviendra alors la fixité de nos effectifs ? Je sais bien qu’on me répondra que le recrutement prendra des précautions préalables pour répartir à peu près également dans les unités du territoire les bénéficiaires éventuels de congés. Mais alors les Bretons que vous voulez sans doute récompenser d’avoir de nombreux enfants vous allez les déraciner en les envoyant servir loin de chez eux. Au point de vue social, ce serait déjà une chose mauvaise, mais au point de vue de la mobilisation cela devient un danger.

    Pourrez-vous maintenir une égalité proportionnelle entre les différentes armes ? La cavalerie n’aura-t-elle pas proportionnellement plus de chances d’obtenir des congés que l’infanterie ?

    Voilà les difficultés inextricables qui tiennent à la nature des choses. C’est parce que les chiffres de nos effectifs sont arbitrairement fixés que la nation s’efforcera de les faire varier à son profit. Vous allez mettre ainsi l’intérêt économique des masses incorporées en opposition directe avec les nécessités de la défense nationale.

    J’ajoute que le progrès de la science, de l’industrie militaire, va vous obliger, comme dans l’industrie proprement dite, à appliquer de plus en plus le principe de la division du travail, vous serez donc amenés à multiplier le nombre de vos unités, à créer notamment de nouvelles unités techniques. ces créations auront nécessairement comme résultat de faire baisser le niveau des effectifs dans vos unités, c'est-à-dire, de retarder le moment où l’on pourra envisager l’octroi des congés et dès lors on viendra dire au ministre : « Sans doute nos créations sont-elles utiles, mais voilà des hommes qui attendent leur libération, allégez donc la garde des régiments ? » Détestable conflit d’intérêts.

    En ce qui concerne la couverture, M. Georges Leygues, vous le savez, a fondé son approbation du projet sur l’obligation où nous sommes de renforcer la couverture de l’Est et de « créer » la couverture du Nord. Eh bien, à dater du jour où vous fixez ne varietur les effectifs par unités, vous interdisez au ministre de porter en couverture une part plus large d’effectifs nouveaux que celle déjà admise aujourd’hui dans son esprit.

    Ce n’est donc pas à mon avis dans le sens de la permanence des effectifs qu’il faut chercher le renforcement de notre sécurité.

    M. Joseph Reinach M. Jaurès fait observer que nous ne suivons aucune règle. C’est parce qu’en effet nous n’avons, en matière de recrutement, suivi aucune règle que nous avons précisément l’intention d’en établir une aujourd’hui. Cette règle inscrite en tête de la loi sera celle de la fixité des effectifs. Si nous avions déjà disposé d’elle, il nous eut été maintes fois possible d’intervenir efficacement pour mettre un terme au gaspillage de nos effectifs au lieu de nous borner à émettre des plaintes vaines. En 1894, le général Mercier, s’il avait trouvé devant lui la barrière que nous proposons de dresser aujourd’hui n’aurait pu renvoyer subitement tout une part de ses effectifs.

    M. Jaurès nous dit qu’en 1875 les compagnies étaient à effectif très faible et il nous a invité à revenir au système de cette époque. Sans doute, mais il faudrait aussi revenir à la durée du service d’alors. Est-ce que M. Jaurès propose le service de 5 ans ?

    Pour la répartition des congés par unités, c’est une question de recrutement qui se pose et qui en effet devra être réglée, mais nous n’envisageons pour le moment qu’une question de principe.

    M. Jaurès a enfin parlé des périodes de détente où la vigilance nationale s’endormirait et où on viendrait faire pression sur le Parlement pour obtenir l’abaissement des effectifs. Je réponds à cela que la loi que nous soutenons nous protègera contre nous-mêmes puisqu’elle consacre la permanence de ces effectifs.

    La permanence des effectifs n’est pas une conception allemande ; nous ne plagions pas l’Allemagne, nous ne faisons que revenir aux idées de Dubois-Crancé et de Carnot.

    M. le général Pédoya L’Allemagne prévoit, comme on l’a dit, une majoration de 9 % sur ses effectifs pour remplacer les manquants au fur et à mesure de leur indisponibilité, mais l’Allemagne a le recrutement local.

    Je suis contre la fixité des effectifs, nous allons au devant d’impossibilités matérielles. Que deviendra votre effectif permanent, si vous êtes obligés de libérer par anticipation un certain nombre d’hommes, en cas d’épidémie par exemple, ou lors d’une catastrophe comme une inondation ?

    On nous dit que l’effectif permanent de 140 h est indispensable pour assurer l’instruction des troupes, mais il y a trois mois le ministre déclarait qu’un effectif de 115 h était à cet égard tout à fait suffisant et en ce qui concerne l’artillerie je me souviens encore des déclarations rassurantes de M. Reinach sur les effectifs de 90 hommes qui devaient en outre permettre de réaliser le dédoublement.

    Qu’on nous demande des hommes pour la couverture, oui ; mais pour l’instruction, non.

    M. Paté Je n’ai rien à ajouter aux observations de MM. Montebello et Reinach. Puisque M. le général Pédoya a cru aux déclarations rassurantes du ministre, il y a trois mois, il doit aussi croire au danger que le même ministre, en présence de faits nouveaux, signale à la Commission.

    Audition de M. le général Legrand et de M. Thévenin

    M. le général Legrandet M. le commandant Thévenin sont introduits.

    M. Georges Leygues Je n’ai pas varié dans ma manière de voir ; si je crois qu’il est indispensable d’augmenter nos effectifs, je suis non moins convaincu que la majeure partie de l’argumentation doit être consacrée à renforcer notre couverture de l’Est et à « créer « notre couverture du Nord. Si le projet ne devait aboutir à ce résultat, je ne voterais pas le service de trois ans ; j’estime en effet qu’il est inutile d’augmenter nos effectifs des compagnies de Perpignan ou de Montpellier. Je demande donc des précisions à cet égard.

    M. le général Legrand Nous comptons porter 92 000 ou 93 000 de plus en couverture.

    M. Georges Leygues Cette réponse me suffit, je voterai la loi.

    M. Jaurès Je crois qu’il y a un malentendu. Je ne mets, cela va sans dire, nullement en doute la déclaration de M. le général Legrand sur le renforcement de la couverture, mais ce renforcement peut se produire de trois manières. Il y a d’abord le renforcement des unités de 155 h qui vont être portées, dans nos trois corps de couverture, à 200 h cette opération absorbera 20 à 25 000 h.

    Il y a aussi l’opération qui consiste à prendre des unités de l’intérieur et à les porter en couverture dans les 3 corps, c'est-à-dire à les rapprocher de la frontière et à en grossir l’effectif de [chiffre barré] 115 à 200. Pour la part des hommes qui grossiront l’effectif, on peut en effet dire qu’elle est fournie par la nouvelle loi, mais pour les [chiffre barré] 115 h de chaque unité ainsi rapprochée de la frontière, ils existent dès aujourd’hui et on ne doit pas en faire état dans l’argumentation de l’effectif de couverture due à la loi de 3 ans.

    Il y a enfin à envisager le renforcement des 2e et 8e corps d’armée qui, a-t-on dit, allaient passer en couverture. M. Le général Legrand fait-il entrer dans le chiffre de 92 000 h les hommes nécessaires pour renforcer ces deux nouveaux corps d’armée ?

    M. le général Legrand Le territoire du 2e corps – mais il prie la Commission de garder le secret sur ce renseignement – sera modifié, il touchera à la frontière et toutes ses unités qui seront dans un rayon comparable à celui où sont les unités des 20e et 7e corps seront portées à effectif de couverture. Pour le 8e corps, nous avons renoncé à le renforcer.

    M. Jaurès On ne renforce donc qu’une part du 2e corps en plus et non pas 2 corps d’armée en plus. J’en prends acte. En fait, on ne met guère en couverture que 40 000 h en plus, environ, et on « saupoudre » d’hommes toute la « soupe ». On porte sur l’intérieur les ¾ de l’effort demandé au pays.

    M. le général Legrand et M. le commandant Thévenin se retirent.

    Reprise de la discussion

    M. Georges Leygues Nous voulons tous ici mettre notre pays à l’abri d’une attaque brusquée. J’ai, dès le début de cette discussion, indiqué l’effort qui s’imposait à nous à cet effet, si nous voulons nous couvrir à la fois sur l’Est et sur le Nord. Je n’ai pas à envisager les modalités qui permettront d’atteindre le but ; il me suffit de savoir que 92 000 hommes vont être destinés à cette double opération.

    M. Jaurès dit que le service de deux ans serait de nature à doter notre couverture d’un plus grand nombre d’hommes ; c’est possible, mais il va de soi qu’on serait dès lors obligé de prélever ces hommes sur les effectifs de l’intérieur ; or, si je ne sens pas la nécessité d’augmenter les effectifs de l’intérieur, je ne pense pas dut tout qu’on puisse les diminuer sans danger pour leur instruction et l’encadrement de nos réserves.

    Je tiens à avoir des réserves solides, parce que je suis de ceux qui croient dans l’efficacité des réserves. Je pense seulement qu’on ne peut les employer dès le premier jour pour soutenir le premier choc. C’est là d’abord, en dehors de tout entraînement cependant si nécessaire, une question de psychologie humaine. Pour les premières hécatombes, disent les Allemands, il faut de jeunes soldats, non mariés, qui ne laissent rien derrière eux : il faut des « risque tout ».

    M. Jaurès a parlé de l’exemple allemand de 1813, il a sans doute oublié qu’au début de la campagne, à Lützen et à Bautzen, les Français furent vainqueurs et qu’ils ne furent battus – et encore – qu’à Leipzig après que les soldats allemands provenant de levées en masse furent aguerris.

    En 1870, au dire des écrivains militaires les plus autorisés de l’Allemagne, le sort de la campagne était décidé dès les premières batailles. Malgré le courage « frénétique » - c’est le mot dont ces écrivains se servent – des troupes françaises de réserve, elles durent succomber.

    Comptons donc sur nos réserves, mais n’y comptons pas comme troupes de premier choc. Pour résister à l’attaque soudaine que tout fait présager, il faut que nous ayons des troupes actives de couverture assez nombreuses. Si notre couverture était rompue, notre mobilisation générale serait compromise et nous nous exposerions à des défaites aussi glorieuses mais aussi néfastes que celles de 1870.

    Si, comme je le pense, nous pouvons arriver à ne demander aux soldats que 30 mois de présence effective sous les drapeaux, j’estime que ce supplément d’effort de 6 mois de service sera largement récompensé par cette assurance qu’aura le pays d’être bien gardé et c’est pourquoi en prenant acte des déclarations du général Legrand en ce qui concerne la mise de 92 000 h de plus en couverture, je déclare que je voterai le service de 3 ans.

    Adoption du principe de fixité des effectifs

    M. le président Je consulte la Commission sur le principe de la fixité des effectifs.

    À la majorité de 16 voix contre 7 ce principe est adopté.

    Examen des chiffres du ministre de la Guerre

    M. le président Nous abordons maintenant l’examen des chiffres proposés pour les effectifs par le ministre de la Guerre.

    M. Joseph Reinach Il faudrait n’inscrire dans la loi que la colonne des chiffres afférents aux effectifs minima ; les effectifs à l’incorporation n’ont pas besoin d’être inscrits dans notre texte, puisque le ministre à déclaré vouloir incorporer tout le contingent ; ils ne figurent donc qu’à titre de renseignements dans la note ministérielle.

    M. Jaurès Lorsque la Commission s’est séparée avant les vacances de Pâques, elle venait d’entendre M. le ministre de la Guerre qui lui avait présenté un premier plan de congés, soit un mois de permission pour les hommes faisant 2 ans ½ et trois mois pour ceux accomplissant 3 ans.

    Je rappelle que nous avons tous eu dès lors le sentiment que trois mois de congé constituaient un minimum et c’est dans l’espoir de voir élargir les congés que nous avons donné mandat à notre rapporteur, par une motion votée à l’unanimité, de nous communiquer des renseignements précis au sujet des effectifs.

    Dans quelle situation sommes-nous aujourd’hui ? Non seulement les renseignements fournis sur les effectifs n’ont pas répondu à nos espérances, mais il nous est déclaré que la totalité de l’effectif de la 3e classe sera absorbée par la dotation en hommes qu’on nous demande de voter par unité.

    M. Georges Leygues a déclaré tout à l’heure, comme il l’avait déjà fait, qu’un service effectif de 30 mois lui paraissait répondre à la fois aux nécessités de la Défense nationale et aux nécessités économiques de ce pays. Que signifierait dès lors un vote ferme sur les effectifs par unité puisque ce vote vous liera pour les congés et vous empêchera d’en accorder un seul.

    Je demande qu’on interroge le général Legrand sur les conditions dans lesquelles les effectifs des diverses unités devraient être gradués pour permettre l’octroi de congés variant de 3 mois à 9 mois.

    En votant les chiffres qui vous sont proposés, vous réduisez ipso facto les congés à 0.

    Audition de M. le général Legrand et de M. Thévenin

    M. le général Legrand et M. le commandant Thévenin sont introduits.

    M. le président dans quelle mesure le gouvernement entend-il accorder des permissions et des congés ?

    M. le général Legrand Le gouvernement pour accorder des permissions se base sur un chiffre de permissionnaires (c'est-à-dire de soldats restant du jour au lendemain à la disponibilité de l’autorité militaire) de 10 % réparti sur 36 mois de service, ce chiffre aboutit à 3 mois et 6/10e de permissions. Je note que dans les présents nous comptons les permissionnaires et non pas les hommes en congés de convalescence qui ne peuvent rejoindre sur l’heure. Je note encore que pour le calcul précédent, je n’ai tenu aucun compte des engagements et rengagements singulièrement favorisés dans le contre-projet et dont le rendement en hommes permettra sans doute de se montrer plus large en matière de congés.

    M. le général Legrand et M. le commandant Thévenin se retirent.

    Reprise de la discussion

    M. Fournier-Sarlovèze Rectification faite, sur observation du général Legrand, des calculs que j’ai présentés au débuts de la séance, vous aurez un reliquat de 23 500 h à renvoyer sans leurs foyers, indépendant des permissionnaires.

    M. de Montebello Si vous voulez réaliser la permanence des effectifs dont vous avez adopté le principe, il faut voter les chiffres proposés par le ministre ou d’autres chiffres, vous ne verrez qu’ensuite les disponibilités pour les congés. Pour moi, je suis convaincu que vous pourrez, avec les chiffres proposés, envisager avec certitude le renvoi d’une 20 000 taine après deux ans de service effectif. D’autre part, au fur et à mesure du développement que prendra le rendement des engagements et rengagements, vous pourrez faire davantage. M. Augagneur et M. le général Pédoya, M. Treignier, d’autre encore nous ont dit que si on avait favorisé les engagements et rengagements la loi de deux ans eut pu être maintenue. C’est tout à fait mon sentiment, comme je crois qu’en les favorisant maintenant, nous pourrons sans doute aboutir, en fait, un jour, au service effectif de deux ans seulement. Je désire toutefois qu’une garantie soit prise et c’est pourquoi je fais du rendement des engagements et rengagements la condition des congés. En ce qui concerne les chiffres des effectifs nécessaires par unités, je ne me reconnais aucune compétence, le Conseil supérieur de la guerre s’étant prononcé.

    M. le général Pédoya Les engagements de 3 ans ne donneront pas les résultats qu’on escompte ; ils viennent d’ailleurs en déduction de la classe incorporée l’an suivant.

    M. Forest demande que la portée du mot « présent » soit précisée à l’art. 3.

    M. Fournier-Sarlovèze présente l’amendement suivant à l’art. 3 : « Lors de l’incorporation annuelle du contingent, les effectifs des diverses unités fixés à l’art. qui précède sont majorés dans la mesure nécessaire pour parer aux diminutions résultant, soit des disparitions définitives (décès, réformes, …), soit d’indisponibilités momentanées (séjour à l’hôpital, congés ..). »

    M. Paté rappelle le texte qu’il a présenté au début de la séance.

    Adoption de l’article 3 sans les mots « présents dans les différentes unités »

    L’art. 3 du contre-projet Reinach – Montebello ainsi conçu

    Les effectifs fixés par les lois des cadres et des effectifs représentent les nombres au-dessous desquels le total des hommes du service armé présents dans les différentes unités ne peut être abaissé. Ces effectifs ne peuvent être modifiés que par des lois spéciales indépendantes des lois de finances.

    est mis aux voix, sauf les mots « présents dans les différentes unités ».

    Ce texte est adopté.

    Adoption des mots « présents dans les différentes unités » dans l’article 3

    M. le président Les mots « présents dans les différentes unités » pourraient être maintenus, si on leur donnait le sens indiqué par M. le général Legrand, à savoir que devraient être considérés comme présents, les permissionnaires, et comme non-présents les hommes en congés de convalescence et indisponibles.

    Par 13 voix contre 6, les mots en question sont adoptés avec le sens indiqué par M. le président.

    Rejet de l’amendement de M. Fournier-Sarlovèze

    M. Fournier-Sarlovèze soutient son amendement qui donnera aux effectifs la marge nécessaire pour permettre de les maintenir au minimum fixé.

    M. Jaurès dit que la Commission a le désir d’alléger autant que possible le fardeau des 3 ans et que fait-elle ? Alors que le gouvernement apporte des chiffres où il a prévu tous les déchets possibles, elle songe à aller au-delà et à faire état des indisponibilités accidentelles.

    M. de Montebello accepterait volontiers l’amendnt de M. Fournier-Sarlovèze qui ne majore par les effectifs mais permet seulement de les réaliser.

    M. Treignier fait observer que puisqu’on incorpore tout le contingent, on ne saurait aller au-delà.

    M. Joseph Reinach appuie cette observation ; il indique que la question d’une majoration des effectifs minima se posera à l’article 19 ; elle n’est pas à envisager à l’incorporation.

    M. Fournier-Sarlovèze fait observer que lorsqu’on mettra en congé les hommes qui seront en surnombre de l’effectif minimum, cet effectif subira ultérieurement des déchets qui le feront descendre au-dessous du chiffre fixé ; il faut donc majorer dans une certaine mesure l’effectif minimum.

    M. Paté demande le rejet de l’amendement. On incorpore tout le contingent et on ne saurait d’avance fixer un contingent. L’honorable membre demande que figurent seuls dans le texte de l’art. 2 les chiffres relatifs aux effectifs minima et non pas ceux relatifs aux effectifs d’incorporation.

    L’amendement de M. Fournier-Sarlovèze mis aux voix n’est pas pris en considération.

    Mise aux voix des chiffres du ministre de la Guerre

    M. le président dit qu’il va mettre aux voix les chiffres d’effectifs par unités proposés par le ministre.

    Rejet de la demande de renvoi à la séance suivante présentée par le général Pédoya

    M. le général Pédoya demande le renvoi de la discussion à la prochaine réunion.

    La Commission consultée décide de continuer la discussion.

    M. Jaurès demande à poser une question à M. le général Legrand.

    Audition de M. le général Legrand et de M. Thévenin

    M. le général Legrand et M. le commandant Thévenin sont introduits.

    M. Jaurès fait observer qu’à mesure qu’on augmente l’effectif des unités de couverture, un nombre correspondant de réservistes devient disponible. L’honorable membre fixe ce nombre à 42 000 environ ? Que deviendront ces réservistes ?

    M. le général Legrand Le chiffre exact est de 58 000 h (unités de forteresse en plus). Actuellement, le nombre de réservistes stationnés sur le territoire de la couverture est insuffisant pour porter les unités à effectif de guerre ; on est obligé de faire venir des réservistes de l’arrière. La disponibilité dont parle M. Jaurès simplifiera la mobilisation, voilà tout.

    M. le général Legrand et M. le commandant Thévenin se retirent.

    Adoption des chiffres du ministre de la Guerre

    La Commission adopte les chiffres de la 1ère colonne du tableau dont il a été donné lecture au début de la séance.

    Adoption avec modification de l’article 2 du contre-projet Reinach – Montebello

    L’ensemble de l’art. 2 du contre-projet Reinach – Montebello, modifié par ce tableau est adopté.

    Article 4 du contre-projet Reinach – Montebello

    Amendement de M. Paté

    M. Paté demande à l’art. 4 que les §§ soient intervertis, le § visant les appels devant à son avis précéder le § visant les engagements et rengagements si l’on veut rester dans la tradition des lois de recrutement.

    MM. de Montebello et Joseph. Reinach acceptent cette interversion.

    Adoption avec modification de l’article 4

    L’art. 4 ainsi modifié est adopté.

    M. Fournier-Sarlovèze fait observer que le rejet des son amendement fait perdre une 40 000 taine d’hommes.

    Préparation militaire (proposition de loi de M. Émile Constant

    M. le président donne lecture d’une lettre de M. Émile Constans1, demandant à être entendu sur sa proposition de loi relative à la préparation militaire.
    La Commission décide qu’elle entendra M. Émile Constans2 après l’examen du projet de loi, avant le vote de l’ensemble.

    Le président,

    Le Hérissé

    1 Il s’agit en fait de M. Jean, Louis, dit Émile Constant

    2 Idem

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