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Document E3311
(Mise à jour : 12 décembre 2009)


Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant création de l'Institut européen de technologie.


E3311 déposé le 8 novembre 2006 distribué le 15 novembre 2006 (12ème législature)
   (Référence communautaire : COM(2006) 0604 final du 18 octobre 2006)

La Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne a chargé M. Daniel Garrigue, rapporteur, de faire une communication sur cette proposition de règlement, présentée par la Commission le 18 octobre 2006.

La proposition de règlement porte création de l’Institut européen de technologie. Par ce nouvel institut, la Commission souhaite, dans le cadre général de la stratégie de Lisbonne, dynamiser la compétitivité européenne en favorisant la recherche, l’innovation et la formation d’excellence au niveau communautaire.

C’est à l’initiative de son président, M. José Manuel Barroso que la Commission avait pour la première fois proposé la création d’un Institut européen de technologie (IET) dans son rapport au Conseil européen de printemps 2005. A la suite de deux communications – de février et de juin 2006 – et des nombreuses réactions qu’elles ont suscitées, elle a présenté le 18 octobre 2006 la proposition de règlement portant création de l’IET.

Si la proposition de la Commission démontre une recherche de logique et de cohérence, voire de cohésion, il n’en reste pas moins que le projet de l’IET semble à l’heure actuelle très lourd pour des moyens financiers limités. Ainsi, une autre logique que celle proposée par la Commission, qui mérite d’ailleurs d’être précisée sur certains points, pourrait être envisagée.

I. Une recherche certaine de cohérence, voire de cohésion

A. Une recherche de cohérence

* Le constat de base

La Commission identifie une série de raisons justifiant la création de l’IET :

- le retard de l’Union européenne par rapport à ses concurrents – en premier lieu les Etats-Unis – pour l’exploitation des résultats de la recherche, le transfert de technologie et l’innovation ;

- la dispersion des centres de recherche et des établissements d’enseignement supérieur, qui les prive de visibilité internationale et réduit leur capacité à attirer les meilleurs talents ;

- le manque d’universités européennes d’excellence ;

- la trop faible implication des entreprises dans l’enseignement et la recherche et dans leur financement.

* Une base de départ intéressante

Trois grands programmes existent actuellement au niveau européen dans le domaine de la recherche, de l’éducation et de l’innovation : le Programme cadre de recherche et de développement, le programme d’éducation et de formation tout au long de la vie et le programme Compétitivité et innovation.

Ces programmes fonctionnent cependant sans véritable cohérence les uns par rapport aux autres. L’objectif de l’IET, qu’il convient de saluer, est ainsi de jeter des passerelles entre ces instruments, de même que d’autres instruments communautaires, pour faire le lien entre la recherche et l’innovation, d’un côté, et la formation de l’autre.

* La formation, une valeur ajoutée clé de la proposition

Les instruments communautaires existants ne permettent en effet pas d’intégrer les trois éléments de « triangle de la connaissance » (l’enseignement, la recherche et l’innovation) mais se concentrent tout au plus sur deux de ces aspects à la fois. L’IET vise, pour la première fois, à intégrer ces trois éléments.

Ainsi, la formation qui serait dispensée par l’IET est l’une des principales valeurs ajoutées de la proposition par rapport aux instruments existants.

Au-delà de la recherche de cohérence avec les instruments déjà existants, la proposition s’inscrit également dans une logique de cohésion.

B. Une recherche de cohésion

Selon la proposition, l’IET doit permettre de regrouper les principaux acteurs de la recherche, de l’enseignement supérieur et de l’innovation par thème mobilisateur au sein des « communautés de connaissance et d’innovation ». La Commission souligne que l’IET mènera des activités transdisciplinaires de recherche et d’éducation dans des domaines revêtant un intérêt essentiel pour l’économie.

L’IET fournira également un cadre propice aux échanges entre les entreprises et les centres de recherche, dans le but de créer des synergies nécessaires à l’innovation. Ce concept rejoint à bien des égards celui des pôles de compétitivité mis en œuvre en France.

La Commission souhaite que l’IET soit un pôle d’excellence, grâce au rassemblement de ressources de premier plan, et qu’il puisse ainsi attirer les meilleurs chercheurs au niveau mondial.

Le modèle de fonctionnement qu’elle propose est fondé sur une structure centrale– le comité directeur - qui impulserait et superviserait les activités d’un nombre limité de réseaux thématiques, les Communautés de la connaissance et de l’innovation (CCI).

Le comité directeur serait chargé de :

* définir les orientations stratégiques de l’IET ;

* sélectionner les CCI sur une base compétitive, les soutenir, coordonner et évaluer leur travail ;

* décider du budget et de son allocation.

Le comité directeur serait assisté par un comité exécutif mobilisant à terme une équipe de soutien d’environ 60 personnes.

Les communautés de la connaissance et de l’innovation (CCI) sont des partenariats entre des universités, des organismes de recherche, des entreprises, des banques, des collectivités régionales et locales etc., qui peuvent prendre différentes formes juridiques. Les CCI rassembleront des ressources humaines et matérielles en vue de la réalisation conjointe d’activités d’innovation, de recherche et d’enseignement. La Commission souhaite que ces partenariats aient une dimension plus intégrée que de simples réseaux.

Pour la période allant jusqu’à 2013, la Commission prévoit la création de 4 à 6 CCI. A l’horizon 2015, l’IET pourrait rassembler, selon la Commission, 6000 étudiants en master et 4000 en doctorat, dans 10 Communautés de la connaissance et de l’innovation.

Alors que la dimension « formation » constitue une incontournable avancée par rapport à la situation actuelle, on peut regretter que la Commission ait dû, face aux fortes réticences de nombreux Etats membres, revenir sur sa proposition dans le domaine des diplômes. Ces derniers continueraient à être délivrés par les Etats membres et les universités selon les règles en vigueur, assortis seulement d’un label IET qui seul ne me semble pas revêtir une grande valeur, alors que la Commission aurait souhaité aller plus loin et avait proposé que l’IET puisse délivrer ses propres diplômes. Il est dommage qu’un des points les plus intéressants de la proposition d’origine soit ainsi retiré.

Le projet de l’IET, s’il tend à répondre aux défis existants en s’inscrivant dans une logique certaine, s’avère néanmoins être trop lourd pour pouvoir fonctionner efficacement.

II. Cependant, beaucoup de lourdeur pour des moyens limités

A. Un étage supplémentaire par rapport aux programmes préexistants

Les programmes communautaires existants déjà cités sont souvent critiqués pour leur lourdeur administrative. Le projet d’IET rajoute un étage supplémentaire à une structure de programmes déjà très complexe.

En effet, de nombreuses initiatives dans le domaine de la recherche et de l’innovation – au demeurant intéressantes – ont vu le jour récemment : en France, avec la création des pôles de compétitivité et des pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES); au niveau communautaire, avec notamment la création des réseaux d’excellence dans le cadre du 6ème PCRD.

Il est permis de se demander comment ces initiatives vont s’articuler avec la création de l’IET et des CCI. On peut se demander également s’il ne faudrait pas laisser plus de place à l’initiative et au pragmatisme, d’autant plus que différents partenaires s’inquiètent à juste titre du flou qui entoure un certain nombre de dispositions de la proposition de la Commission.

Ainsi, non seulement on ignore quels seraient les liens entre l’IET et les autres instruments communautaires et nationaux, mais plus encore, la forme des CCI ainsi que leurs liens avec le comité directeur ne sont pas assez clairement définis.

La question des droits de propriété intellectuelle est à ce titre révélatrice : la proposition reste très générale sur ce sujet, puisqu’elle prévoit simplement que l’IET définira des lignes directrices, établissant les modalités du partage de la propriété intellectuelle entre l’IET et les partenaires issus des CCI.

La position du Gouvernement français reflète ces difficultés : si la France, comme d’autres Etats membres, est favorable au projet d’IET, elle demande certaines clarifications.

De même, le CNRS, sans avoir pour l’instant adopté de position officielle, se dit favorable au principe de la création de l’IET mais souligne différents sujets de préoccupation, comme les diplômes, le personnel, ou le financement.

Le financement de l’IET constitue en effet l’une des principales faiblesses de la proposition de la Commission.

B. Des moyens financiers limités

La Commission souligne dans sa proposition qu’afin de permettre l’émergence des projets au sein des CCI, l’IET doit pouvoir disposer de ressources financières suffisantes, qui ne peuvent être obtenues que par une conjugaison de fonds privés et publics.

La Commission prévoit, pour la période 2007-2013, des dépenses totales d’environ 2,4 milliards d’euros pour l’IET. Or, elle estime les fonds communautaires disponibles à 308 millions d’euros pour l’instant (utilisés sur les marges non allouées sous les plafonds de la sous-rubrique 1A du budget, aucune disposition spécifique pour l’IET n’ayant été prise dans les perspectives financières adoptées en 2006).

La Commission précise dans sa proposition que les CCI pourraient bénéficier d’autres financements communautaires car elles pourraient présenter des projets susceptibles d’être financés ou co-financés par le biais des fonds structurels (en particulier le FEDER et le FSE). Des moyens du 7ème programme cadre de recherche et développement (PCRD), du programme d’éducation et de formation tout au long de la vie ou encore du programme Compétitivité et innovation pourraient également être mobilisés, selon les procédures normales. La Banque européenne d’investissement pourrait également apporter des financements.

La France demande que le financement public de la première phase représente un tiers des dépenses totales de l’IET.

La Commission n’a pas pu démontrer, pour l’instant, comment et auprès de quels partenaires privés elle trouvera une partie des financements.

Si l’on peut s’accorder sur le fait qu’un effet de levier puisse jouer favorablement dans la collecte des fonds, rappelons aussi que la logique de l’effet de levier s’applique déjà dans les programmes préexistants et que les effets de levier s’annulent à un moment donné.

En outre, le financement global de l’IET (2,4 milliards d’euros sur 6 ans) reste insuffisant. C’est au reste ce qui a conduit certains, comme la Ligue des universités de recherche européennes, à se demander si le budget affecté à l’IET ne serait pas plus utile s’il était injecté dans le Conseil européen de recherche plutôt que dans un nouvel instrument.

C. Une ouverture insuffisante vers les Etats

Une certaine omniprésence de la Commission peut se déceler à travers la nomination des membres du comité directeur. Ce dernier serait en effet composé de 15 personnalités issues du monde de l’entreprise et du monde académique et de la recherche, nommées par la Commission sur la base des propositions d’un comité d’identification, et de quatre représentants du personnel et des étudiants et doctorants des CCI.

La plupart des Etats membres, dont la France, estiment légitime de pouvoir exercer une influence sur la définition des orientations stratégiques de l’IET. Cette influence peut passer par une représentation des Etats au comité directeur ou d’autres formes de participation du Conseil à la définition des orientations stratégiques de l’IET, de façon à s’assurer que les orientations sont pleinement compatibles avec les objectifs et les instruments des politiques nationales de recherche et d’innovation.

A l’inverse, la Commission estime que le mode de désignation proposé garantit l’indépendance et l’autonomie du comité directeur, et qu’à défaut de celles-ci, l’IET ne parviendra pas à attirer en son sein les meilleurs éléments de la recherche et de l’entreprise.

Une formule intéressante pourrait être d’associer, domaine de recherche par domaine de recherche, certains Etats en fonction de leurs engagements et de leurs priorités.

Notons que certains Etats membres, dont le Royaume-Uni, et certains partenaires comme la Ligue des universités de recherche européennes ou le comité consultatif de la recherche européenne (organe créé par la Commission en 2001) suggèrent que l’IET soit davantage un organisme de financement (sur le modèle du Conseil européen de la recherche) plutôt qu’un nouvel acteur, et qu’il devrait se concentrer sur la tâche de sélection et d’animation des CCI, autrement dit sur la mise en réseaux des initiatives européennes sur des thématiques précises. Tel n’est cependant pas l’avis du rapporteur.

Ces constats ont amené le rapporteur à souligner qu’une autre logique que celle adoptée serait sans doute plus adaptée aux défis actuels.

III. Une autre logique pourrait s’affirmer

Jusqu’à aujourd’hui – et le projet actuel de l’IET va malheureusement à bien des égards dans le même sens –, une logique de réseaux a prévalu au niveau européen dans le domaine de la recherche et de l’innovation. Or, n’est-ce pas justement cette logique qui rend les programmes européens lourds et peu visibles ?

Il serait préférable qu’au lieu d’opter pour des réseaux, l’on s’attache à aller davantage vers une logique de « clusters ».

L’Union européenne a accompli des pas importants dans cette direction à travers certains outils du 7ème PCRD, tels que les Initiatives technologiques conjointes ( JTI ).

Certains Etats ont eux-mêmes une approche de ce type, notamment l’Allemagne et le Royaume-Uni. La France elle-même s’est inscrite plus fortement dans cette démarche à travers les pôles de compétitivité. Le récent projet d’Institut européen de technologie de Paris procède également d’une approche de type « cluster ».

On peut donc souhaiter que le projet d’IET rejoigne plus fortement l’objectif de création de grands pôles de recherche-innovation – formation qui font aujourd’hui défaut en Europe.

Cinq ou six pôles, dont l’un au moins dans les nouveaux Etats membres, pourraient ainsi être retenus.

 

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La présentation de ce document par M. Daniel Garrigue, rapporteur, au cours de la réunion de la Délégation du 21 février 2007, a été suivie d’un court débat.

Le Président Pierre Lequiller a demandé au rapporteur si, malgré ses nombreuses réserves, il émettait un avis favorable sur le texte. Il a confirmé que l’IET était une idée du Président Barroso, à laquelle celui-ci est très attaché, mais qu’il existait certainement des redondances avec les instruments existants.

M. Daniel Garrigue, rapporteur, a répondu qu’il avait malgré tout un avis favorable sur la proposition mais qu’il regrettait que l’idée initiale du Président Barroso, qui visait un regroupement et un effet de masse ne se soit pas concrétisée dans la proposition de règlement.

La Délégation a ensuite approuvé les conclusions suivantes :

« La Délégation pour l’Union européenne,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant création de l’Institut européen de technologie (COM (2006) 0604 final/n° E3311),

Considérant que le potentiel d’innovation européen n’est pas encore pleinement exploité, notamment du fait de l’insuffisance des coopérations entre les entreprises, les universités et les centres de recherche ;

Considérant que l’innovation est une condition fondamentale de la compétitivité, de la croissance et de l’emploi en Europe ;

Considérant que dans l’Union européenne, les universités et les centres de recherche ne disposent que trop rarement d’une masse critique et d’un niveau d’excellence suffisants pour attirer les meilleurs chercheurs au plan mondial ;

1. Souligne son intérêt pour le projet de création d’un Institut européen de technologie ;

2. Note que le projet présenté par la Commission se situe au carrefour de trois programmes déjà existants (le programme cadre pour la recherche et développement, le programme Compétitivité et innovation et le programme d’éducation et de formation tout au long de la vie) et qu’il lie pour la première fois recherche – innovation et formation ;

3. Exprime toutefois quelques réserves sur la lourdeur de procédures qui risquent de se superposer aux procédures déjà existantes ainsi que sur les limites des moyens de financement ;

4. Se demande à ce titre si l’effet de levier attendu ne risque pas de concurrencer l’effet de levier déjà espéré dans le cadre des programmes préexistants ;

5. Souhaite qu’une part plus large soit faite aux Etats dans la définition et dans la mise en œuvre de ce projet ;

6. Enfin, sans méconnaître l’intérêt de la démarche de type « réseau », considère que la vocation de l’IET devrait être davantage de susciter l’émergence des pôles ou de « clusters » à l’échelle européenne. »