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Document E3423
(Mise à jour : 12 décembre 2009)


Proposition de règlement du Conseil portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur.


E3423 déposé le 29 janvier 2007 distribué le 2 février 2007 (12ème législature)
   (Référence communautaire : COM(2006) 0822 final du 18 décembre 2006, transmis au Conseil de l'Union européenne le 18 décembre 2006)

La présente proposition de règlement, présentée par M. Jean-Marie Sermier, rapporteur, a pour objet d’instituer une organisation commune de marché unique pour l’ensemble des productions agricoles.

1. Un objectif de simplification affiché

Annoncé par la communication de la Commission du 19 octobre 2005 «  Simplifier et mieux légiférer dans le cadre de la politique agricole commune  », le règlement proposé prévoit à cet effet :

– de réviser les 21 règlements existants relatifs à des OCM et de les regrouper en un règlement global, sans modifier les politiques( 1). Le coton n’est pas inclus dans la proposition, car ce produit possède un statut particulier, défini par le protocole n° 4 du traité d’adhésion de la Grèce ;

– d’inclure dans cette proposition, en ce qui concerne les OCM en cours de révision, c’est-à-dire les fruits et légumes et le vin, les seules dispositions qui ne sont pas concernées par ces réformes. Une fois les réformes adoptées, les actes juridiques concernés seront intégrés au nouveau règlement de base ;

– d’inclure également dans l’OCM unique, dans un souci de cohérence, les produits agricoles non couverts par une organisation de marché, comme les vers à soie, l’alcool éthylique d’origine agricole et les produits issus de l’apiculture ;

– d’intégrer dans l’OCM unique les règlements concernant les quotas laitiers, les mesures spécifiques au stockage privé et à l’intervention publique et les dispositions du règlement (CE) n° 1184/2006 concernant les règles relatives à la concurrence et aux aides d’Etat pour la production et le commerce des produits agricoles.

Les actes qu’il est prévu d’incorporer dans la future OCM unique sont donc au nombre de 41.

L’objectif final de la Commission est que l’essentiel de la PAC soit régi, avec l’introduction de l’OCM unique, par quatre règlements du Conseil :

– le règlement de l’OCM unique en ce qui concerne les mesures du marché ;

– le règlement (CE) n° 1782/2003 pour les paiements directs ;

– le règlement (CE) n° 1698/2005 pour le développement rural et

– le règlement (CE) n° 1290/2005 pour le financement de la PAC.

Ce règlement se rapproche, de par sa structure, très fortement des règlements existants pour les différentes OCM : après les 102 considérants, le règlement est composé de 7 parties principales, se divisant en 198 articles. Il comprend par ailleurs 18 annexes :

1. Dispositions préliminaires

Cette partie reprend le champ d’application du règlement, introduit les définitions des termes utilisés et définit les campagnes de commercialisation.

2. Marché intérieur

Cette grande partie (articles 5 à article 121) regroupe à la fois les mécanismes d’intervention sur les marchés (intervention et stockage, mesures particulières d’intervention, maîtrise de la production, régimes d’aide) et les règles relatives à la commercialisation et à la production (normes et organisations de producteurs).

3. Echanges avec les pays tiers

Cette partie regroupe l’ensemble des dispositions relatives aux importations (contingents, droits de douane, régimes préférentiels, mesures de sauvegardes et perfectionnement actif), et aux exportations (certificats, restitutions, contingents …).

4. Règles de concurrence

Les articles de cette partie déterminent les règles de concurrence et exceptions (notamment dans le secteur du tabac) qui s’appliquent aux entreprises du secteur agricole, ainsi que les règles en matière d’aides d’Etat.

5. Dispositions particulières

Cette partie concerne notamment le super-prélèvement laitier, la possibilité laissée à la Commission de prendre des mesures :

– en cas de prix induisant une perturbation des marchés communautaires (à la baisse pour certains produits, à la hausse pour d’autres) ;

– en cas de prix mondiaux menaçant de perturber l’approvisionnement du marché communautaire.

6. Dispositions générales

7. Dispositions d’application et dispositions transitoires

Cette dernière partie prévoit la création d’un unique comité de gestion et précise quels règlements seront abrogés suite à l’adoption de ce texte.

L’examen article par article au niveau du Conseil se fera lors de réunions organisées durant le mois de février 2007, la dernière étant prévue les 26 et 27 février.

L’adoption du règlement est prévue au Conseil « Agriculture » des 11 et 12 juin 2007 et son entrée en vigueur devrait intervenir le 1er janvier 2008.

2. Une initiative suscitant les inquiétudes de la France

Le règlement proposé suscite des inquiétudes de quatre ordres :

Des inquiétudes quant à la réalité de la simplification opérée

Autant le travail effectué par la Commission est, sur le plan technique et rédactionnel, remarquable, car on passe de 41 actes du Conseil comportant plus de 600 articles à un règlement unique de 198 articles, autant on est en droit de se demander si cet exploit « administratif » va réellement simplifier la vie des agriculteurs.

En effet, ceux-ci, et c’est l’objectif recherché, vont perdre de vue la législation applicable à un secteur particulier et devoir apprendre à déchiffrer un texte de plus de 200 pages dont 90 % ne les concerneront pas, afin de retrouver les dispositions applicables à leurs productions.

Ce n’est pas là la conception de la simplification défendue par la France, qui a fait l’objet d’une contribution «  à la démarche de simplification des procédures administratives pour les opérateurs concernés par la politique agricole commune  », transmise à la Commission le 14 août 2006. Dans ce texte, la France, à partir des besoins réels des agriculteurs, défend des mesures réduisant le temps passé par les agriculteurs à réduire leur demande d’aide ou leurs formalités administratives (12 propositions), développant les téléprocédures, prenant mieux en compte la logique économique de l’exploitation (11 propositions) et aménageant la logique et le principe des contrôles (15 propositions).

Aussi est-on en droit de penser que, grâce à ce texte, la Commission se simplifiera la vie sans simplifier celle des acteurs économiques que sont les exploitants agricoles. Nous sommes loin de la démarche globale de compétitivité promue par la Stratégie de Lisbonne.

Par ailleurs, l’objectif de simplification est contredit par l’anticipation que fait la Commission des réformes en cours concernant les secteurs des fruits et légumes et du vin.

La simplicité implique que la proposition de la Commission n’englobe pas les règlements « agricoles » en cours de révision, surtout si la conséquence de cette anticipation est d’inclure dans la future OCM seulement quelques « morceaux » de ces dispositifs: la Commission exclut du champ de l’OCM unique la plupart des dispositions des OCM « vin » et « fruits et légumes », car elles feront l’objet d’une réforme, mais elle estime néanmoins qu’il est utile d’inclure quelques éléments de ces OCM au seul motif qu’ils ne sont pas concernés par ces évolutions.

Par souci de cohérence et de clarté, les textes encadrant ces deux secteurs devraient rester en dehors du champ d’application de l’OCM unique. La fusion des OCM en une organisation unique doit se limiter dans un premier temps à 19, au lieu de 21, pour permettre, dans un deuxième temps, une réforme de l’OCM unique au moment de l’inclusion des secteurs révisés.

Des inquiétudes quant à la signification d’un « oubli » pour le moins étonnant

La proposition ne contient aucune référence aux régions ultrapériphériques (RUP), alors même que celles-ci bénéficient de dispositions particulières au sein de la PAC.

Ainsi, l’Europe a pris soin, lors de l’adoption des deux dernières grandes réformes agricoles, celles du sucre et de la banane, d’adapter les dispositions des OCM concernées à la situation particulière de ces régions. Auparavant, la grande réforme de juin 2003 de la PAC reconnaît la spécificité des départements d’outre-mer, puisque ni le découplage ni la modulation des aides ne s’y appliquent.

On ne peut qu’interroger la Commission sur l’absence de toute référence, dans l’OCM unique proposée, aux RUP, ainsi qu’au POSEI, le programme spécifique de soutien à l’agriculture des régions éloignées d’Europe : s’agit-il d’une erreur de plume ou d’un manquement délibéré aux obligations de solidarité communautaire à l’égard des RUP énoncées par l’article 299§2 du traité instituant la Communauté européenne ?

Des inquiétudes quant à la perte d’efficacité susceptible de résulter de l’harmonisation de certains dispositifs et du transfert de certaines compétences

La Commission se défend de vouloir modifier, avec sa proposition, la substance des instruments de la PAC. Dans l’exposé des motifs, elle considère qu’il n’y pas lieu de voir dans cette initiative «  une volonté de modification des décisions politiques qui ont été adoptées par le Conseil au fil des ans dans le domaine de la PAC et qui sont mises en application dans les OCM actuelles  ».

Cependant, malgré ce discours rassurant, trois types de mesures contenues dans la proposition peuvent remettre en cause l’efficacité de la PAC et le contenu des décisions adoptées par le Conseil.

Premièrement, la Commission propose d’harmoniser les différentes OCM, en étendant certains dispositifs à toutes ces organisations. Or elle ne respecte pas cette logique, car elle conserve des dispositifs spécifiques pour certaines OCM, sans expliquer ces différences de traitement, ni justifier le traitement unique lorsqu’elle le propose.

Par exemple, l’harmonisation est complète en ce qui concerne les organisations de producteurs, définis à partir d’un hybride de notions provenant des secteurs du houblon et des vers à soie. Mais il en résulte dans le cas particulier de l’huile d’olive une définition de ces organisations qui ne correspond plus aux structures et aux régimes juridiques mis en place en Italie, en France et en Grèce.

Aussi l’harmonisation préconisée par la Commission ne relève-t-elle pas d’un simple exercice de codification.

Deuxièmement, la Commission propose de « déclasser » certains règlements du Conseil, afin de pouvoir les modifier elle-même et de fixer ainsi des paramètre fondamentaux des instruments de gestion du marché agricole.

Il en résulte que les décisions concernant la qualité, l’ouverture des contingents et les périodes de campagne ne seraient plus du ressort du Conseil, mais de la Commission. La conséquence de cette révolution juridique est que la première politique intégrée européenne va perdre en transparence et en contrôle démocratique puisque sa mise en œuvre passera des mains du Conseil à la Commission.

Deux exemples de modifications de fond apportées à la politique agricole commune par la proposition d’OCM unique

Communiqués par le ministère de l’agriculture, ces exemples illustrent les observations concernant la remise en cause des compétences du Conseil et des règlements adoptés par le Conseil. - Suppression de la compétence du Conseil pour la définition : - des conditions d’achat des céréales et du riz ; - des critères de qualité à l’intervention pour le riz, le sucre blanc, la viande bovine et la viande de porc (la définition de ces critères influe directement sur le niveau de prix et constitue, à ce titre, un élément substantiel de la gestion des marchés) ; - des grilles de classement des carcasses (prix d’achat du porc de qualité type, modalités de définition du prix d’achat pour les autres carcasses) ; - de la qualité de la betterave à sucre ; - des conditions d’achat des betteraves ; -  Suppression du caractère obligatoire des certificats d’importations , qui permettent, d’une part, de s’assurer du respect des contingents et, d’autre part, de suivre les évolutions de marché dans les secteurs des céréales, du sucre, du lin, du chanvre, du lait, de la viande bovine et des olives.

En outre, la Commission prévoit de prendre seule des décisions, comme le retrait du sucre du marché, aujourd’hui prises en comité de gestion.

Ce transfert de compétence effectué à deux niveaux ne peut être accepté. Les compétences du Conseil doivent être intégralement préservées : une rupture de l’équilibre institutionnel entre ce dernier et la Commission ne peut avoir lieu dans le cadre d’un travail de simplification de la PAC.

Troisièmement, la Commission propose de supprimer les comités de gestion existants pour chaque marché agricole pour ne laisser qu’un comité unique « multi-secteurs ».

Les autorités françaises contestent cette fusion dans le but de préserver le minimum d’expertise nécessaire pour la prise de décisions de régulation des différents marchés qui soient fondées. D’après elles, ce comité, incapable de débattre des évolutions de marché avec toute l’expertise nécessaire, se transformerait en chambre d’enregistrement des analyses et des desiderata de la Commission.

Des inquiétudes quant à la valeur explicative des considérants et à certains rapprochements de vocabulaire

Alors que les règlements encadrant les OCM actuelles ont à cœur d’exposer la « philosophie » de chaque instrument de la PAC, le texte régissant l’OCM unique comprendra 102 considérants n’ayant aucune valeur explicative. Cela ne peut que fragiliser, sur le plan politique et juridique, des instruments dont l’existence ne sera plus vraiment motivée.

Par ailleurs, les termes appliqués aux quotas laitiers et aux quotas sucriers sont rapprochés. A elle seule cette juxtaposition semble donner une communauté de destin à deux dispositifs qui obéissent à des logiques très différents et indiquer, par voie de conséquence, que l’abrogation des quotas laitiers envisagée par la Commissaire européenne à l’agriculture pour la PAC de l’après 2013 pourrait concerner aussi les quotas sucriers.

 Conclusion :

Au total, le projet d’OCM unique consiste principalement en une réduction des compétences du Conseil, sous couvert d’une simplification, et une diminution drastique des spécificités sectorielles, sans évaluation ni étude d’impact. D’ailleurs, la mise en place d’un comité de gestion unique traduit bien les réticences de la Commission à reconnaître la pertinence de dispositifs spécifiques.

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Après les observations de MM. François Guillaume, Daniel Garrigue et du Président Pierre Lequiller, la Délégation a adopté , sur la proposition du rapporteur, les conclusions suivantes au cours de sa réunion du 21 février 2007 :

«  La Délégation,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de règlement du Conseil portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur (COM [2006] 822 final/E3423),

Considérant qu’une simplification de la politique agricole commune (PAC) impose, en tout premier lieu, de simplifier les procédures administratives pour les agriculteurs, afin de réduire le temps qu’ils y consacrent, selon les orientations proposées par la France dans son Mémorandum du 14 août 2006 ;

Considérant que la fusion de l’ensemble des organisations communes de marché (OCM) en une seule OCM couvrant l’ensemble du secteur agricole ne doit pas se traduire par des pertes économiques pour les producteurs ni par une remise en cause des actes adoptés par le Conseil ;

Demande que la proposition de règlement instituant une OCM unique :

- n’harmonise les dispositions des différents règlements concernés que s’il est prouvé que cette opération n’entraîne aucune perte d’efficacité des instruments de la politique agricole commune ;

- conserve la spécificité des mesures de gestion des différents marchés agricoles ;

- reconnaisse la situation particulière des régions ultrapériphériques et les adaptations des dispositifs agricoles que celle-ci entraîne ;

- préserve l’intégralité des compétences actuellement dévolues au Conseil et maintienne l’expertise des comités de gestion existants . »

(1) Seront couverts par l’OCM unique les OCM suivantes : plantes vivantes et produits de la floriculture ; « règlement solde » (pour de nombreux produits non couverts par d’autres OCM) ; viande de porc ; œufs ; viande volaille ; tabac brut ; viande bovine ; lait et produits laitiers ; lin et chanvre ; viandes ovine et caprine ; céréales ; riz ; fourrages séchés ; huile d’olive ; semences ; houblon ; sucre ; bananes ; fruits et légumes transformés ; marché vitivinicole.