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Deuxième séance du mardi 25 janvier 2005

123e séance de la session ordinaire 2004-2005


PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

    1

SOUHAITS DE BIENVENUE À UNE DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE ÉTRANGÈRE

M. le président. Je suis heureux de souhaiter la bienvenue à une délégation du Parlement de la République de Croatie, conduite par M. Vladimir _eks, président du Parlement. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.)

    2

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Mes chers collègues, je vous informe que le Premier ministre, se trouvant aujourd'hui à Rome pour un séminaire gouvernemental franco-italien, ne pourra assister à cette séance. Il m'a demandé de l'en excuser auprès de vous.

DISPARITION DE FLORENCE AUBENAS
ET HUSSEIN HANOUN AL-SAADI

M. le président. La parole est à M. François Bayrou, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. François Bayrou. Monsieur le président, il y a aujourd'hui vingt jours que Florence Aubenas et Hussein Hanoun al-Saadi ont disparu en Irak. Leurs familles n'ont pas de nouvelles : nous imaginons leur inquiétude. La famille professionnelle de Florence Aubenas, la rédaction de Libération et l'ensemble des journalistes français, ses consœurs et confrères, sont également très inquiets.

Monsieur le ministre des affaires étrangères, je sais que le Gouvernement, votre ministère et les services français font tout ce qui est en leur pouvoir pour retrouver la trace de Florence Aubenas et obtenir sa libération.

Lors de la prise en otage de Christian Chesnot et Georges Malbrunot, une très grande solidarité nationale s'est manifestée : les familles spirituelles et les familles politiques de France se sont serré les coudes et cette solidarité a joué un grand rôle dans l'issue heureuse de ce drame. Des réunions hebdomadaires ont été tenues avec les formations politiques et les déclarations furent nombreuses dans cette assemblée.

Pouvez-vous, si cela vous est possible, nous donner des informations, nous livrer votre analyse de la situation et nous dire ce que nous pouvons faire pour que la même chaîne de solidarité s'exprime en faveur de cette jeune femme et remarquable journaliste ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères. Monsieur le ministre François Bayrou, c'est le 5 janvier que Florence Aubenas et son guide interprète Hussein Hanoun ont disparu à Bagdad, dans un pays dangereux, très dangereux.

Florence Aubenas exerce dans ce pays son métier de journaliste avec beaucoup de compétence et de professionnalisme, comme en témoignent l'émotion et la solidarité unanimes qu'ont manifestées, dès l'annonce de sa disparition, l'ensemble de ses confrères ainsi que tous ceux qui, ici et ailleurs, se sont exprimés.

Je veux d'abord vous dire, monsieur Bayrou, que, depuis la première heure, nous sommes, avec nos agents et nos services, à Bagdad mais également à Paris, totalement mobilisés pour retrouver Florence Aubenas et son guide, exactement comme nous l'avons été, dès la première heure, lorsque nous avons appris la disparition de Christian Chesnot, de Georges Malbrunot et de leur chauffeur syrien, même si les circonstances de la disparition sont différentes.

Par ailleurs, je vous indique que, dans de telles situations, la seule règle qui s'impose aux services de l'État, c'est la discrétion. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Le seul souci que j'ai en vous disant cela est celui de la sécurité de ces deux personnes. Vous devez le comprendre : je ne doute pas, monsieur Bayrou, que cette priorité absolue est également la vôtre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

RÉFORME DE L'ASSURANCE MALADIE

M. le président. La parole est à M. Maxime Gremetz, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Maxime Gremetz. Monsieur le président, ma question s'adressait à M. le Premier ministre. L'été dernier, il a en effet qualifié de mensongers nos propos dénonçant la réforme de l'assurance maladie et refusé notre contre-projet, qui assurait un véritable droit à la santé pour tous.

Monsieur le ministre des solidarités, de la santé et de la famille, nous vous avions alors fait part de nos craintes, soulignant que votre rafistolage allait entraîner une médecine à plusieurs vitesses, une inégalité devant l'accès aux soins et la fin de la possibilité de consulter directement un spécialiste sous peine de payer davantage en étant moins remboursé. Nous avons dénoncé cette réforme en montrant qu'elle ferait supporter l'essentiel des économies par les seuls assurés sociaux et en annonçant que le médecin traitant serait bientôt une barrière administrative pour limiter le recours aux soins et deviendrait vite une machine à sélectionner les patients. Heureusement, de nombreux médecins ne veulent pas jouer ce rôle.

C'est exactement ce qui est en train de se mettre en place avec la nouvelle convention médicale. L'attitude du plus important syndicat de dentistes à l'égard des patients bénéficiant de la CMU en est l'illustration.

Nous étions les seuls, hier, à le dénoncer. Nous nous félicitons aujourd'hui qu'assurés sociaux et médecins s'inquiètent à leur tour des inégalités dangereuses qui vont apparaître entre ceux qui pourront se rendre directement chez le médecin de leur choix, car ils auront les moyens soit de ne pas être remboursés, soit de s'offrir une assurance complémentaire plus chère, et ceux qui seront contraints de passer par le fameux médecin traitant et d'attendre plusieurs mois avant d'obtenir un rendez-vous chez un spécialiste.

Ces personnes vont subir une triple pénalité : d'abord, elles devront payer la franchise d'un euro ; ensuite, si elles ne suivent pas le parcours de soins imposé, elles subiront une augmentation du ticket modérateur ; enfin, elles paieront un dépassement d'honoraires.

Vous ne pouvez pas, monsieur le ministre, minimiser plus longtemps l'inquiétude des assurés sociaux et de certains professionnels de santé, qui tirent le signal d'alarme.

M. le président. Monsieur Gremetz... (« La question ! La question ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Maxime Gremetz. Je termine, mes chers collègues. Vous permettez que je pose une question, même si elle vous gêne !

M. le président. Posez-la, justement !

M. Maxime Gremetz. Monsieur le ministre, au nom des médecins et des assurés sociaux, je vous demande de surseoir à l'application de cette réforme. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des solidarités, de la santé et de la famille. Monsieur Gremetz, je vous rassure : la loi du 13 août 2004 et la convention qui vient d'être signée assurent à tous les Français un égal accès aux soins. (« Non ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur quelques bancs du groupe socialiste.) Ce que vous venez de dire est donc faux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

La réforme de l'assurance maladie est fondée sur trois objectifs : une meilleure organisation de la santé, une meilleure qualité et une meilleure responsabilisation.

La meilleure organisation réside dans ce que nous appelons le « parcours personnalisé de soins », c'est-à-dire le médecin traitant. Oui, je pense que le médecin de famille est mieux à même de soigner une personne dont il connaît les antécédents et les problèmes qu'elle a rencontrés tout au long de sa vie, tout au moins durant les dix dernières années.

M. Gilbert Biessy. Est-ce valable pour les dentistes ?

M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille. Je veux le dire devant la représentation nationale : plus des trois quarts des syndicats médicaux, représentant les médecins généralistes comme les spécialistes, ont signé cette convention. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste. - Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

J'ajoute que les Français répondent positivement à cette réforme. En effet, ils adressent chaque semaine plusieurs dizaines de milliers de formulaires à la Caisse nationale d'assurance maladie pour lui indiquer leur médecin traitant.

M. Bernard Roman. C'est peu !

M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille. La meilleure qualité sera obtenue avec le dossier médical personnel, qui permettra d'éviter des interactions médicamenteuses, des hospitalisations redondantes et ainsi de mieux soigner les malades.

M. Maxime Gremetz. La vérité, c'est que les médecins sont dans la rue !

M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille. Enfin, la réforme tend à mieux responsabiliser les patients et les médecins. Si nous voulons sauver notre système de santé, dont la grandeur est de soigner toutes les Françaises et tous les Français, quels que soient leurs revenus...

M. Maxime Gremetz. C'est faux !

M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille. Monsieur Gremetz, c'est l'héritage social du Conseil national de la Résistance. (Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Maxime Gremetz. Pas vous, pas ça !

M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille. Si nous voulons sauvegarder cela, il ne faut mettre en avant ni la démagogie ni le populisme, mais - c'est un mot que vous devez apprendre - la responsabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

PROTECTION DES SOURCES JOURNALISTIQUES

M. le président. La parole est à M. Patrice Martin-Lalande, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

M. Patrice Martin-Lalande. Ma question s'adresse à M. le garde des sceaux, ministre de la justice. Elle exprime une inquiétude que je sais partagée sur tous les bancs de notre assemblée, notamment par les membres du groupe d'études sur la presse.

Dans le cadre d'une information judiciaire, une perquisition massive a été effectuée très récemment à la rédaction de l'hebdomadaire Le Point et du quotidien L'Équipe. Elle fait suite à une plainte de la société Cofidis, sponsor d'une équipe du Tour de France dont les membres sont soupçonnés de dopage et de trafic de produits dopants.

Suite à la vive émotion provoquée par ces perquisitions, les journalistes sont les premiers à reconnaître que la presse n'est pas au-dessus des lois et qu'elle a des comptes à rendre. Mais comme la Cour européenne des droits de l'homme l'a confirmé solennellement dans de très récentes décisions, la protection des sources journalistiques est l'une des pierres angulaires de la liberté de la presse.

Au nom des garanties de la liberté de l'information, la loi française protège partiellement les journalistes et leurs sources d'information. Le code de procédure pénale dispose que les perquisitions dans les locaux d'une entreprise de presse ou de communication audiovisuelle ne peuvent être effectuées que par un magistrat et ne doivent pas porter atteinte au libre exercice de la profession de journaliste.

Le même code dispose également que tout journaliste entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l'exercice de son activité est libre de ne pas en révéler l'origine. Cette protection est donc limitée, puisqu'elle agit seulement pour le journaliste entendu comme témoin, et elle ne concerne que l'origine et les sources d'information.

Il est indispensable d'éviter toute confusion par la police et la justice entre, d'une part, la recherche parfaitement justifiée du contenu de l'information et, d'autre part, la recherche de l'identité des sources d'information de la presse.

L'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme affirme que la protection des sources journalistiques est le principe fondamental de la liberté de la presse, auquel il ne peut être dérogé. Monsieur le garde des sceaux, comment la loi et la jurisprudence françaises peuvent-elles mieux assurer le respect de ce principe fondamental ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, comme beaucoup d'entre vous, j'ai entendu l'émotion manifestée par les journalistes à la suite de ces deux perquisitions. Cette émotion, je la comprends.

Cette affaire illustre la contradiction qui existe entre deux principes fondamentaux : la liberté de la presse, indissociable de la protection des sources des journalistes, et le secret de l'instruction, nécessaire pour protéger l'innocence présumée. Ces deux principes sont parfois difficiles à concilier.

S'agissant d'une procédure en cours, vous comprendrez que je m'en tienne à la règle que je me suis toujours imposée depuis deux ans et demi en ne faisant aucun commentaire ni sur l'affaire elle-même, ni sur les modalités d'application de la loi par le juge. Par contre, en tant que ministre de la justice, il m'appartient de réfléchir à la manière dont la loi peut évoluer ou est susceptible d'être mise en œuvre grâce à la définition d'un certain nombre de règles matérielles.

Je souhaite poursuivre cette réflexion, en concertation avec les professionnels. Avant même que ces perquisitions n'interviennent, j'avais rencontré la Fédération nationale de la presse française, qui doit me faire des propositions à ce sujet. Bien entendu, je mènerai cette concertation dans le strict respect de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

FINANCES PUBLIQUES

M. le président. La parole est à M. Didier Migaud, pour le groupe socialiste.

M. Didier Migaud. Monsieur le ministre de l'économie et des finances, une première baisse de l'impôt sur le revenu de 9 % a d'ores et déjà été votée, sans aucun effet positif sur la consommation et le pouvoir d'achat. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Cela est démontré par vos propres documents.

Par ailleurs, le poids des impôts et des cotisations n'a pas baissé, tout simplement parce que d'autres prélèvements ont augmenté et ont financé cette réduction d'impôt. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Alors pourquoi multiplier les nouveaux effets d'annonce ? Quand on fait le cumul des promesses du Président de la République, on arrive - excusez du peu - à environ 19 milliards d'euros de baisses d'ici à fin 2007 ! Nous craignons que l'hypocrisie ne soit érigée en principe de gouvernement. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Pourquoi ? Parce que les engagements pris par la France devant la Commission européenne pour les années 2006 à 2008 sont en totale contradiction avec ces promesses.

M. Yves Nicolin et M. Dominique Dord. Baratin !

M. Didier Migaud. Le Gouvernement précise que le poids des impôts et charges restera stable sur la période. Cet aveu prouve tout simplement que les largesses fiscales en direction des ménages les plus aisés et des entreprises seront compensées par des augmentations de prélèvements, notamment sociaux, mais également par des augmentations de la fiscalité locale qui sont la conséquence du désengagement de l'État et des transferts de charges. (Protestations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Vous déclarez également que vous financerez ces promesses par une réduction de la dépense publique. Mais les chiffres - vos chiffres ! - montrent que, ces dernières années, la dépense publique a augmenté, compte tenu notamment d'une absence de maîtrise des dépenses sociales du fait, entre autres, des augmentations d'honoraires que vous avez décidées.

Alors, allez-vous encore supprimer des postes de fonctionnaires (« Oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.- Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) pour financer cet engagement ? Dans quels domaines allez-vous le faire ? Allez-vous supprimer des infirmiers et des infirmières, des enseignants, des policiers, des magistrats ? Vous devez le dire aux Français (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) parce que je crois que les Français ne souhaitent pas la remise en cause des services publics et des politiques publiques, qui permettent, justement, le maintien de l'activité et de l'emploi.

Les finances publiques ont en commun avec l'amour que les déclarations sont essentielles, mais seules les preuves comptent ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Monsieur Migaud, veuillez poser votre question.

M. Didier Migaud. Ma question à M. le ministre de l'économie et des finances est simple : comment va-t-il financer cette promesse de baisse supplémentaire de l'impôt sur le revenu et quand parle-t-il vrai : quand il approuve le Président de la République ou bien quand il s'adresse à l'Europe, à la Commission de Bruxelles ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire.

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, porte-parole du Gouvernement. Monsieur Migaud, vous vouliez des preuves d'amour : je vais vous donner une occasion d'aimer le Gouvernement ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Ce matin, j'ai présenté devant la commission des finances les résultats de l'exécution budgétaire pour 2004 : nous avons diminué le déficit budgétaire de 13 milliards d'euros. Jamais une baisse aussi forte n'avait été réalisée par un gouvernement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Nous avons obtenu ce résultat grâce à plusieurs recettes que je vous invite à méditer.

D'abord, nous avons maîtrisé la dépense publique. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Ensuite, nous avons financé, avec les dépenses publiques, l'ensemble des priorités sur lesquelles nous nous sommes engagés vis-à-vis des Français, et toutes ont ceci en commun qu'elles permettent d'aller chercher la croissance économique.

Enfin, nous avons baissé les impôts. Depuis deux ans et demi, ce sont près de 12 milliards d'impôts et de charges en moins pour les Français. (« Lesquels ? » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Bernard Roman. Les impôts locaux et les prélèvements sociaux progressent !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Vous savez, monsieur Migaud, il n'y a pas de miracle dans la vie : quand on baisse les impôts et les charges, on stimule la croissance, et c'est ainsi que l'on dynamise le pays.

Ce que nous avons engagé pour nos finances publiques, nous allons le poursuivre, et ce pour une raison très simple : on ne doit pas indéfiniment tirer des traites sur l'avenir. Nous avons donc décidé d'affecter la totalité des recettes fiscales supplémentaires au désendettement parce qu'il est temps de s'occuper aussi de l'avenir de nos enfants. Voilà pourquoi nous faisons des réformes courageuses. Voilà pourquoi nous travaillons au désendettement de l'État, tout en poursuivant naturellement la baisse des impôts. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Pour finir, monsieur Migaud, puisque vous vous inquiétez à propos des impôts locaux, permettez-moi de vous suggérer - pour parler encore un peu d'amour - de proposer ces bonnes recettes de gestion gouvernementale à vos amis présidents de région de gauche ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste. - Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

RÉSULTATS 2004 DANS LE SECTEUR DU LOGEMENT ET DE LA CONSTRUCTION

M. le président. La parole est à M. Philippe Feneuil, pour le groupe UMP.

M. Philippe Feneuil. Ma question s'adresse au ministre de l'équipement et du logement.

Monsieur le ministre, la situation de sous-construction de logements qui a prévalu de manière dramatique pendant les années du gouvernement Jospin a eu de multiples impacts sur les conditions de vie de nos concitoyens : difficultés pour se loger ou tout simplement pour trouver un logement décent, comme nous le constatons chaque jour dans nos circonscriptions ; ralentissement de l'activité des entreprises du BTP, et donc appauvrissement de l'emploi dans ce secteur.

La production de logements relève, nous le savons tous, d'une action menée sur la longue durée et doit s'inscrire dans une politique du logement et du bâti plus globale. Depuis 2002, le Gouvernement s'est attaché à mettre en place cette politique : relance de la construction des logements sociaux, facilité d'accès à la propriété ou encore libération du foncier de l'État. Cette tendance doit s'inscrire dans la continuité et les efforts doivent être poursuivis et amplifiés, tant le retard est grand.

Hier, vous avez présenté les résultats du secteur de la construction pour l'année 2004. Constat : ce sont les meilleurs résultats depuis vingt ans. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Mensonge !

M. Philippe Feneuil. C'est dire que la politique du Gouvernement porte ses fruits et qu'elle a été très bien reçue par le secteur du bâtiment. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Pour autant, doit-on s'en satisfaire ?

Aussi, monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer et nous détailler ces bons résultats et, surtout, nous indiquer si cette tendance va se poursuivre en 2005 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer.

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer. Monsieur Feneuil, les résultats de l'année 2004, c'est du jamais vu depuis plus de vingt ans : depuis 1981 ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Depuis 1981, en effet, on n'avait jamais obtenu de tels résultats dans le domaine du logement, dont s'occupe Marc-Philippe Daubresse, comme dans celui de la construction en général. Par exemple, pour les bureaux et pour les équipements publics, qui étaient en baisse, l'année 2004 a enregistré une augmentation de 2,5 %, ce qui traduit une reprise de l'économie. Et en 2004 également, on aura construit 362 887 logements, contre 290 000 à 300 000 dans les meilleures années socialistes. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Par rapport à 2003, l'augmentation est de 12 % pour les logements réalisés et de 22 % pour les logements autorisés en permis de construire.

M. Christian Bataille. Propos mensongers !

M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer. Cela est dû, bien sûr, à la politique du Gouvernement,...

M. Henri Emmanuelli. À la spéculation !

M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer. ...aux facilités pour l'investissement locatif, à la relance du logement social, dont pourra vous parler Marc-Philippe Daubresse la semaine prochaine, et au bas niveau des taux.

Ces résultats de l'année 2004 ont permis, avec ceux de l'année 2003, de créer 40 000 emplois supplémentaires.

M. Henri Emmanuelli. Ça se voit...

M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer. Chaque fois que le Gouvernement a pris des engagements en matière de logements, en 2002, en 2003 et pour l'année 2004, les résultats ont été au-delà de ses annonces, au-delà de nos espérances. Avec Marc-Philippe Daubresse, nous prenons un engagement : que, malgré ce record de l'année 2004, l'année 2005 battra encore l'année 2004. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

DÉFICIT BUDGÉTAIRE
ET MAÎTRISE DES DÉPENSES PUBLIQUES

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Chamard, pour le groupe UMP.

M. Jean-Yves Chamard. Ma question s'adresse à M. le ministre du budget : je voudrais lui parler à nouveau du déficit du budget de l'État.

Tout d'abord un rappel : quand on parle de déficit dans nos circonscriptions, on nous dit : « Vous exagérez, 3 %, ce n'est pas énorme » - ce sont, bien entendu, les 3 % des critères de Maastricht. Mais le budget de l'État, c'est en gros 300 milliards de dépenses et environ 250 milliards de recettes : il manque donc 50 milliards. Cela veut dire que, tous les ans, à partir de la Toussaint, nous vivons sur emprunt. Et le problème des emprunts, c'est qu'il faut les rembourser !

Le seul paiement des charges de l'emprunt, non pas du capital, mais simplement des intérêts, représente deux mois de recettes. Cela signifie que tous les Français, du 1er janvier au 28 février, consacrent leur TVA, leur impôt sur le revenu, leur taxe sur les produits pétroliers à payer les intérêts de la dette ! Voilà la situation de l'État !

Devant cette situation, générée notamment par les folles dépenses de nos collègues socialistes lorsqu'ils étaient au pouvoir (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste), mais aussi par deux années de faible croissance - 2002 et 2003 -, le Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a décidé de mettre le holà et de stabiliser la dépense. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. Calmez-vous et laissez parler M. Chamard !

M. Jean-Yves Chamard. Eh oui, monsieur le président, voyez comme ils sont ennuyés qu'on leur rappelle ce qu'ils ont fait !

M. le président. Et vous, monsieur Chamard, si vous avez une question à poser, posez-la, car vous avez épuisé votre temps de parole !

M. Jean-Yves Chamard. Je la pose, mais vous voyez comme ils sont déterminés à refuser la vérité.

Monsieur le ministre, vous avez dit à l'instant que, pour 2004, vous avez stabilisé la dépense et consacré la totalité des recettes supplémentaires à la diminution du déficit du budget de l'État : cela représente près de 80 milliards de francs, du jamais vu ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Première question : prenez-vous le même engagement pour 2005 ? Toutes les recettes supplémentaires éventuelles seront-elles consacrées à la réduction du déficit ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Deuxième question : en 2006, si nous voulons réduire l'impôt, il faut non seulement stabiliser, mais réduire la dépense : y êtes-vous prêt ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. Calmez-vous, messieurs, pour l'instant, personne n'a répondu !

La parole est à M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire.

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, porte-parole du Gouvernement. Monsieur Chamard, tout d'abord, il est utile de rappeler que le plafond de dépenses voté par le Parlement a été intégralement respecté, et ce pour la troisième année consécutive. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste. - Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Par le passé, certains laissaient filer les dépenses et s'affolaient vers le mois de septembre pour finir par geler massivement les crédits afin de rattraper le lait qui se renversait : tout cela est aujourd'hui terminé !

Deuxième remarque : nous avons fait le choix d'affecter la totalité des excédents de recettes à la réduction des déficits.

Troisièmement, parmi ces plus-values fiscales constatées en fin d'année, il y a 300 millions de recettes supplémentaires de TVA, c'est-à-dire des recettes directement adossées à la consommation. Cela veut dire concrètement que les premiers signes de la croissance sont apparus et que, maintenant, les choses sont claires : lorsque l'on mène une politique économique pour aller chercher la croissance, on la trouve ! Quand on allège les contraintes, les impôts et les charges, quand on modernise le pays, quand on fait les réformes de structure que d'autres avant nous n'ont pas faites, on modernise le pays et on provoque la croissance.

En 2005, nous allons poursuivre cette politique économique axée sur la maîtrise de la dépense publique et sur la baisse des prélèvements obligatoires, gagés sur des économies...

M. Maxime Gremetz. Vive le baron Seillière !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. ...car il n'est pas question d'aggraver les déficits, bien au contraire.

Parmi les différents scénarios que nous soumettrons au Premier ministre figurera l'hypothèse du maintien de la dépense publique au niveau du « zéro en volume », voire un peu en dessous.

Nous ferons en sorte de gérer la France en bons pères de famille, car c'est ainsi que les finances publiques doivent être tenues. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. − Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

POLITIQUE SALARIALE
DANS LA FONCTION PUBLIQUE

M. le président. La parole est à M. Alain Néri, pour le groupe socialiste.

M. Alain Néri. Mes chers collègues, si, comme M. Copé le prétend, la croissance augmente, les déficits publics, eux, ne baissent pas : les Français s'en rendent compte et voient bien que ça va de plus en plus mal. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) D'ailleurs, la dégradation de leur pouvoir d'achat, de l'emploi et de leurs conditions de travail est la préoccupation essentielle de nos concitoyens, qui subissent de plein fouet les effets de la politique néfaste que vous menez depuis trente longs mois.

M. Yves Nicolin. Baratin !

M. Alain Néri. Hausse du chômage, prélèvements supplémentaires, hausse des loyers, mais baisse des remboursements de sécurité sociale : jusqu'où irez-vous ?

La semaine dernière, de nombreux salariés ont fait grève et manifesté dans toute la France pour la défense du service public et pour réclamer l'ouverture de négociations salariales.

M. Richard Mallié. Caricature !

M. Lucien Degauchy. Ils n'étaient pas si nombreux que cela !

M. Alain Néri. Mardi, c'étaient les postiers ; mercredi, les cheminots ; jeudi, l'ensemble de la fonction publique et, en particulier, les enseignants. Pourtant, à la veille de ces journées d'action, M. Dutreil a voulu les intimider en rappelant que les jours de grève ne seraient pas payés. (Exclamations et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Malgré cela, le mouvement a été très largement suivi et a bénéficié de la sympathie de la majorité des Français. (« Mensonges ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Le jour de la manifestation, M. Dutreil a récidivé, affirmant que la porte des négociations était fermée et qu'il n'avait pas d'argent à mettre sur la table. Il est vrai qu'il ne peut satisfaire à la fois les salariés et les revendications dépassées du MEDEF. (« La question ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Le 5 février, les salariés du secteur public et du secteur privé seront mobilisés ensemble contre la politique antisociale de votre gouvernement qui, décidément, ne les aime pas.

M. le président. Monsieur Néri, pouvez-vous poser votre question ?

M. Alain Néri. M. le Premier ministre se gargarise en permanence des mots « partenariat » et « concertation » (Exclamations et claquements de pupitres sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), mais entendra-t-il la colère qui monte dans le pays ? Entendra-t-il ces revendications légitimes ? Se décidera-t-il, enfin, à engager de véritables négociations salariales ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État.

M. Renaud Dutreil, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. Monsieur le député, depuis 2002, nous faisons ce que vous n'avez pas fait : nous modernisons l'État.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Vous détruisez l'État ! Terminator !

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. Après avoir reconstruit son cœur régalien − la défense, la police, la justice −, nous réformons l'éducation nationale, développons l'usage des nouvelles technologies, rétablissons l'équilibre des comptes et associons les fonctionnaires à ce mouvement de modernisation.

Nous menons aujourd'hui, vis-à-vis des fonctionnaires, une politique à la fois raisonnable et juste. Elle est raisonnable, car nous ne voulons augmenter ni les impôts ni l'endettement. Ce sont vos amis des régions socialistes, monsieur le député, qui, en augmentant les impôts locaux de manière inconsidérée, vont ponctionner le pouvoir d'achat des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. − Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mais notre politique est également juste puisque, avec la réforme Fillon, elle augmente les pensions des retraités de la fonction publique, en les indexant, pour la première fois, sur l'inflation.

M. Gilbert Biessy. C'est moins que l'inflation !

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. Elle est juste, puisqu'elle relève les plus bas salaires de la fonction publique et ceux des agents qui sont arrivés en fin de grille salariale. Elle est juste, puisqu'elle s'attaque à la situation précaire des centaines de milliers de contractuels qui s'inquiètent du lendemain et auxquels nous allons apporter la sécurité.

Vous le voyez, monsieur le député, par le dialogue social, nous associons les fonctionnaires...

Mme Martine David. Ce n'est pas vrai !

M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État. ...à un mouvement que vous avez refusé. Les fonctionnaires français ont besoin qu'on leur fixe un cap, une stratégie, une perspective : c'est nous qui leur apporterons les meilleures garanties, c'est à nous qu'on devra un meilleur service public. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

CENTRES ÉDUCATIFS FERMÉS

M. le président. La parole est à M. François Grosdidier, pour le groupe UMP.

M. François Grosdidier. Ma question s'adresse à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

Sous le gouvernement Jospin, la délinquance sous toutes ses formes avait progressé, voire explosé. La délinquance des mineurs, surtout, avait battu tous les records, dans l'indifférence des gouvernants d'alors. Nous, nous avons voté des lois et des moyens que le Gouvernement a mis en œuvre pour enrayer la délinquance.

On sait que, dans le cas des mineurs, la prison n'est pas une solution adaptée. Les socialistes avaient choisi de ne pas traiter cette question, en tout cas pas autrement que par le laxisme et la politique de l'autruche. Nous, à l'UMP, nous avons apporté une réponse nouvelle avec les centres éducatifs fermés, destinés à sanctionner les jeunes délinquants, à les couper des milieux où ils sévissent, mais aussi, et surtout, à les éduquer et à les réinsérer.

Comme toute création originale, ces centres n'ont pas manqué de susciter des interrogations. Les socialistes n'ont voulu y voir qu'une résurgence des vieilles maisons de correction et continuent à préférer l'impunité. Mais les Français, à la suite de quelques fugues qui ont défrayé la chronique, se demandent pourquoi ces centres dits « fermés » ne le sont pas. À l'heure où le politiquement correct invite à taire ce qui est au profit d'une atténuation de la réalité, on a fait exactement l'inverse. Ne vaudrait-il pas mieux se plier au goût du jour en les appelant des « centres éducatifs non ouverts », mais faire en sorte qu'ils soient bel et bien fermés ? (Sourires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Julien Dray. Présentez-vous à la Star Ac', vous avez vos chances !

M. François Grosdidier. À la lumière des premières expériences et des premiers chiffres sur les récidives et les réinsertions, pouvez-vous, monsieur le garde des sceaux, nous dire si la formule actuelle est la bonne, ou s'il convient de la modifier, dans un sens ou dans un autre ?

En réalité, le problème est surtout d'ordre quantitatif. On ne compte, dans toute la France, qu'une dizaine de centres éducatifs fermés offrant une centaine de places. C'est très insuffisant eu égard aux besoins. Combien de nouveaux centres allez-vous réaliser et dans quels délais ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Vous avez raison de dire, monsieur le député, que la délinquance des mineurs est l'un des principaux défis que notre société ait à relever en matière de justice, de police, d'éducation et de politique familiale.

La loi d'orientation que l'Assemblée nationale a votée en septembre 2002 prévoyait la mise en œuvre d'une idée du Président de la République : les centres éducatifs fermés, qui devaient être des lieux alliant, vous l'avez dit, la volonté de rééduquer et celle de sanctionner, car il n'y a pas d'éducation sans sanction. À l'époque, on m'avait accusé de vouloir enfermer les mineurs. Pourtant, grâce à cette politique, nous avons abaissé le nombre de mineurs emprisonnés de 900 à 600.

En cas de fugue, la sanction prévue est l'emprisonnement, ce qui justifie que nous qualifiions ces centres éducatifs de « fermés ». Rien ne m'a été épargné, ni l'opposition de certaines organisations syndicales, ni les oppositions politiques, ni les réticences de nombreux magistrats, ni l'opposition de nombreux élus locaux, ni les réactions, parfois négatives, hélas, des populations locales. Je n'en suis pas moins déterminé, parce que les résultats sont positifs : ça marche, ces centres fonctionnent.

M. Julien Dray. Combien y a-t-il de places ?

M. le garde des sceaux. Mesdames et messieurs les députés, je voudrais vous faire partager l'expérience que j'ai vécue hier après-midi, à Mont-de-Marsan, où je visitais un centre éducatif fermé de la protection judiciaire de la jeunesse. J'ai rencontré seul à seul plusieurs jeunes délinquants et l'un d'eux m'a regardé bien en face pour avouer : « Monsieur le ministre, je voulais vous voir seul pour vous dire que c'est la première fois que j'ai le sentiment d'avoir une chance dans la vie. » Cela, je crois qu'on ne peut pas l'oublier. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

DETTE HLM ET VENTES À LA DÉCOUPE

M. le président. La parole est à M. Claude Goasguen, pour le groupe UMP.

M. Claude Goasguen. Ma question s'adresse à M. le ministre délégué au logement et à la ville.

La situation du marché du logement et de l'immobilier et le prix du foncier sont en train de causer des dégâts considérables dans les grandes villes, notamment à Paris. À ce propos, je voudrais, monsieur le ministre, vous poser deux questions très précises.

La première porte sur une accusation formulée par la municipalité parisienne, qui reproche au Gouvernement de ne pas rembourser une dette que l'État a contractée auprès des bailleurs sociaux et qui est évaluée à 110 millions d'euros. (« Oh ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Daniel Vaillant. C'est vrai !

M. Claude Goasguen. La seconde question porte sur la pratique des « ventes à la découpe » qui se développe dans des proportions effrayantes.

M. François Hollande. À l'UMP aussi, c'est la vente à la découpe !

M. Claude Goasguen. Les élus des grandes villes aimeraient savoir quelles dispositions le Gouvernement compte prendre dans les plus brefs délais pour inciter, sinon contraindre, les vendeurs à une plus grande mesure.

J'aimerais que, sur ces deux questions précises, on nous apporte des réponses dénuées de toute ambiguïté, de manière à faire taire les accusations lancées à tort et à travers sur les dettes de l'État. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué au logement et à la ville.

M. Marc-Philippe Daubresse, ministre délégué au logement et à la ville. Monsieur le député, à vos deux questions précises, j'apporterai deux réponses précises. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Lorsque Jean-Louis Borloo a élaboré le plan de cohésion sociale, qui fixait comme objectif un doublement du nombre des logements locatifs sociaux, nous avons constaté une importante dette HLM. Elle n'a pas été creusée aujourd'hui, mais pendant toutes ces années où le gouvernement de la France n'a pas fait face à ce problème. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Glavany. Cela fait trois ans que vous êtes là !

M. le ministre délégué au logement et à la ville. La loi de programmation financière que Jean-Louis Borloo a fait voter dans cette assemblée a prévu, en crédits de paiement, 400 millions d'euros de plus qu'en autorisations de programme. Cela ne s'était jamais vu dans une loi de ce type. Ainsi, en cinq ans, nous comblerons le retard pris sur la dette HLM. Et, pour bien montrer que ce n'était pas une simple déclaration d'intention, nous avons inscrit 100 millions d'euros dans la loi de finances rectificative, dont 50 millions immédiatement pour la dette HLM. En outre, nous avons consacré 57 millions d'euros à Paris, qui ne disposait auparavant que de 35 millions : l'augmentation est donc de 60 %.

Il y avait longtemps qu'un gouvernement ne s'était pas, comme le nôtre, donné les moyens de résorber la dette HLM et de tenir ses engagements. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. − Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Deuxième réponse précise : les ventes à la découpe. Nous constatons à Paris comme à Lyon, où je viens de me rendre, comme à Marseille, où j'étais la semaine dernière,...

M. Julien Dray. C'est la mairie de Marseille qui spécule !

M. le ministre délégué au logement et à la ville. ...et le phénomène est en train de se produire à Lille, des mouvements spéculatifs qui contreviennent à la nécessaire protection des locataires. Nous avons dit ici même à Mme de Panafieu, rapporteure du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale, que les mesures seraient prises avant la fin janvier. Les mesures sont prêtes. (M. Jean-Yves Le Bouillonnec proteste vivement.)

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Monsieur Le Bouillonnec, je vous invite à faire preuve d'un peu plus d'humilité.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Vous n'avez pas voulu que ces mesures soient votées dans la loi ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Monsieur Le Bouillonnec, calmez-vous !

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Quand on sait que le principal spéculateur foncier qui détourne la loi était membre du parti socialiste et qu'il a été au cabinet de M. Besson, on se doit d'être humble.

M. le président. Merci, monsieur Daubresse.

M. le ministre délégué au logement et à la ville. Les mesures seront prises, monsieur Goasguen, avant la fin janvier, comme promis. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

POUVOIR D'ACHAT

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Gautier, pour le groupe socialiste.

Mme Nathalie Gautier. Ma question s'adressait à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Le Président de la République fait de l'augmentation du pouvoir d'achat des Français une priorité pour 2005. Belle promesse ! Mais je crains qu'il n'y ait tromperie.

Les Français constatent en effet le contraire quand ils passent à la caisse : les prix augmentent, les salaires ne suivent pas, les prélèvements obligatoires s'alourdissent. La réalité que vivent les Français, c'est leur pouvoir d'achat qui baisse.

M. Yves Fromion. C'est la faute des 35 heures !

M. Dominique Dord. Évidemment !

Mme Nathalie Gautier. Pour une grande majorité d'entre eux, salariés au SMIC, salariés contraints au temps partiel, intérimaires, retraités modestes, il devient de plus en plus difficile de boucler les fins de mois.

M. Richard Mallié. C'est toujours les 35 heures !

Mme Nathalie Gautier. Ils doivent faire face au déremboursement massif des médicaments, à la hausse de la CSG et du RDS pour les retraités et les salariés, à la hausse du forfait hospitalier, à la taxe d'un euro sur les consultations médicales, à la hausse de 20 % des loyers dans le privé depuis 2003 - alors que, dans le même temps, 200 000 familles se voient exclues du bénéfice de l'aide personnalisée au logement -, à l'augmentation du timbre-poste à 53 centimes d'euro, et on leur annonce une hausse des factures de l'électricité et du gaz, une augmentation des billets de train et, aujourd'hui même, une hausse de l'abonnement téléphonique.

M. Richard Mallié. Demain, on rase gratis !

Mme Nathalie Gautier. Parallèlement, les salariés sont mis au régime sec : les fonctionnaires ont perdu 4 % de leur pouvoir d'achat, et les salariés du privé ne sont pas mieux lotis, avec une baisse de 0,5 % en 2003 et une stagnation en 2004.

M. Philippe Briand. Vous oubliez la hausse du SMIC !

Mme Nathalie Gautier. L'INSEE prévoit que le pouvoir d'achat des salariés ralentira au premier semestre 2005. (Protestations continues sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Arrêtez de crier, sinon je prolonge d'autant le temps de parole de Mme Gautier ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Je vous en prie, madame, posez votre question.

Mme Nathalie Gautier. Comment le Gouvernement compte-t-il restaurer la confiance des consommateurs et le moral des ménages face à une telle dégradation de leur pouvoir d'achat ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire.

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, porte-parole du Gouvernement. Madame la députée, vous m'avez posé votre question avec le sourire, permettez-moi de vous dire, avec le même sourire, que l'esprit de caricature ne vous va pas bien. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Si vous regardez le verre à moitié vide, laissez-moi le regarder à moitié plein.

M. Henri Emmanuelli. Vous êtes, vous, une caricature !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Depuis deux ans et demi, nous avons veillé scrupuleusement à tenir le pouvoir d'achat des Français, en augmentant le SMIC dans des proportions que vous-même n'aviez jamais atteintes, en augmentant la prime pour l'emploi de 10 %, en baissant l'impôt sur le revenu de 9 points...

M. Augustin Bonrepaux. Au profit de qui ?

M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. ...de telle manière que cette baisse a profité d'abord aux classes moyennes. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Henri Emmanuelli. Ça suffit, les mensonges !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Toutes ces mesures ont permis au pouvoir d'achat des Français d'augmenter trois fois plus vite qu'en Allemagne. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Au-delà de la caricature, il y a les faits.

M. Henri Emmanuelli. La caricature, c'est vous !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Quant aux tarifs, madame Gautier, je forme le vœu qu'ils relèvent, un jour, d'une gestion rationnelle et non pas d'une approche aussi politicienne et démagogique. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Il faut, comme l'a souhaité Hervé Gaymard la semaine dernière, que nos grandes entreprises publiques puissent évoluer en fonction tout autant de leurs intérêts propres que de celui des Français.

M. Henri Emmanuelli. C'est insupportable !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Cela passe par la création d'une autorité administrative indépendante. Il faudra y songer.

M. Gilbert Biessy. Et par la concurrence !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. La politique a pris une place tellement importante que cela vaut peut-être la peine de se recentrer sur ce qu'est d'abord l'intérêt général, l'intérêt des Français. De ce point de vue, la politique économique que nous menons n'a qu'un seul objectif...

M. André Chassaigne. Profiter aux plus gros !

M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. ...aller chercher la croissance, pour qu'elle profite à tout le monde. Cela implique bien évidemment que nous fassions du pouvoir d'achat une priorité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

IMPÔTS RÉGIONAUX

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Soisson, pour le groupe UMP.

M. Jean-Pierre Soisson. Madame la ministre déléguée à l'intérieur, voici la Bourgogne championne de France, et pour la première fois dans un domaine où je ne l'ai pas souhaité.

M. Christian Paul. Ce n'est pas grâce à vous !

M. Jean-Pierre Soisson. En effet, la Bourgogne est championne de France de l'augmentation des impôts régionaux (« Hou ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) : 74 % de hausse pour la taxe professionnelle (« Hou ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) - sans doute le moyen qu'ont trouvé les socialistes d'attirer de nouvelles entreprises en Bourgogne ! - et 50 % d'augmentation pour la taxe foncière (« Hou ! » sur les mêmes bancs), là encore, sans doute, une façon socialiste d'aider au développement de la consommation.

Les autres régions s'apprêtent à faire de même. Les présidents socialistes désignent deux coupables : ...

M. Christian Paul. Vous et eux !

M. Jean-Pierre Soisson. ...la gestion précédente et le Gouvernement ; vous leur transféreriez des charges sans ressources complémentaires.

Alors qu'ici, nous nous efforçons, avec le Gouvernement, de diminuer les charges des entreprises et des ménages, les régions et les départements font le choix inverse du nôtre, au risque de provoquer une véritable explosion de la fiscalité locale. (« C'est vrai ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Les nombreux présidents socialistes escomptent d'ailleurs que le Gouvernement tienne compte, dans la détermination des concours ultérieurs de l'État, des impositions de 2005 et donc de leur augmentation.

M. le président. Monsieur Soisson, pouvez-vous poser votre question ?

M. Jean-Pierre Soisson. Ma question est simple : madame la ministre, le crime va-t-il payer ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée à l'intérieur.

Mme Marie-Josée Roig, ministre déléguée à l'intérieur. Monsieur le député, parlons clair : certaines régions ont décidé d'augmenter leur fiscalité de 2 %, d'autres de 50 %. Si c'était la conséquence mécanique du transfert des charges de l'État, il n'y aurait pas une pareille disparité entre les régions. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Ensuite, soyons précis : les transferts représenteront, en 2005, 2,4 % des budgets des régions. Ces 2,4 % sont financés par les 400 millions d'euros qui ont été inscrits en loi de finances initiale pour 2005.

M. Henri Emmanuelli. C'est faux !

Mme la ministre déléguée à l'intérieur. Ils seront de toute façon évalués par la commission consultative d'évaluation des charges, qui doit se réunir le 8 février prochain.

Élément supplémentaire d'incompréhension de cette hausse des impôts régionaux : le Gouvernement a décidé cette année d'augmenter les dotations aux collectivités dans une proportion beaucoup plus forte que l'inflation, en leur consacrant 1,2 milliard d'euros, soit 3,3 % de mieux. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Henri Emmanuelli. Et les dettes de Borloo ?

Mme la ministre déléguée à l'intérieur. Comment expliquer ces augmentations, sinon par une dangereuse dérive des dépenses de fonctionnement. (« Oui ! » et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Je ne prendrai que deux exemples : en région PACA, les dépenses de fonctionnement ont augmenté de 13,5 %, et de 11 % en région Île-de-France, où les dépenses d'investissement sont en baisse.

M. Julien Dray. Si vous voulez parler de l'Île-de-France, on va en parler !

M. le président. Monsieur Dray, calmez-vous !

M. Julien Dray. Comment s'appelait le président de l'exécutif ? M. Giraud, je crois...

Mme la ministre déléguée à l'intérieur. En Île-de-France, les dépenses de fonctionnement progressent donc de 11 %, l'augmentation étant de 25 % pour les dépenses de communication et de 92 % pour les dépenses d'administration. (« Hou ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Julien Dray. Où est-il M. Giraud ? Combien d'emplois fictifs ?

M. François Lamy. Combien de mises en examen en Île-de-France ?

Mme la ministre déléguée à l'intérieur. Monsieur le député, l'État n'a pas davantage vocation à financer les dérives des dépenses de fonctionnement qu'à financer les promesses de campagne électorale des exécutifs régionaux. Ces promesses doivent être assumées dans la clarté et la transparence, et il ne faut pas essayer de se défausser des conséquences, forcément peu compréhensibles, sur la fiscalité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

MALADIES ORPHELINES

M. le président. La parole est à M. Gabriel Biancheri, pour le groupe UMP.

M. Gabriel Biancheri. Madame la secrétaire d'État aux personnes handicapées, beaucoup trop d'enfants, d'adolescents et même d'adultes sont victimes d'une des nombreuses maladies orphelines ou maladies rares. Les familles concernées ont le sentiment d'être totalement abandonnées par notre société. Elles sont totalement démunies et n'ont pas accès, semble-t-il, à toutes les prestations.

La loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, votée ici même mardi dernier, permettra-t-elle de répondre à ces situations dramatiques ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État aux personnes handicapées.

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État aux personnes handicapées. Monsieur le député, la question que vous posez est politique dans la mesure où il s'agit de répondre aux besoins des plus faibles mais également des moins nombreux. En effet, une maladie rare est une maladie dont la prévalence est inférieure à 2 0/00. Dans de très nombreux cas, il n'existe pas encore de traitements thérapeutiques, ce qui aggrave la situation des personnes touchées. On parle alors de maladies orphelines.

Aujourd'hui, 3 millions de nos concitoyens sont concernés par ces maladies, et, en Europe, elles touchent 25 millions de personnes. Il est donc indispensable d'apporter des réponses. Le Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a décidé d'agir à travers deux dispositifs.

D'une part, la loi pour l'égalité des droits et des chances, à laquelle vous-même et votre collègue Marc Laffineur avez apporté une sensible amélioration. En permettant aux centres de référence d'être consultés pour établir le plan de compensation de la personne handicapée atteinte d'une maladie rare, une avancée importante a été réalisée.

D'autre part, le plan « Maladies rares », qui a été voulu par le ministre de la santé, Philippe Douste-Blazy, et qui a été présenté par François d'Aubert et moi-même tout récemment. Parmi les très nombreuses dispositions de ce plan, j'en retiendrai deux, essentielles : le déploiement des centres de référence labellisés pour faciliter le parcours de la famille et éviter qu'elle n'ait à effectuer elle-même de nombreuses démarches pour recueillir l'information ; la mise en place des centres d'action médico-sociale précoce, car il importe de gagner du temps sur le temps.

Grâce à ces différents dispositifs, nous espérons mettre fin au véritable parcours du combattant auquel tant de familles disent être confrontées et ainsi leur permettre de se consacrer au projet de vie de la famille et de l'enfant au sein de la famille. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

    3

NOMINATION D'UN DÉPUTÉ
EN MISSION TEMPORAIRE

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m'informant de sa décision de charger M. Jean-Paul Anciaux, député de la nation, représentant du département de Saône-et-Loire, d'une mission temporaire, dans le cadre des dispositions de l'article L.O. 144 du code électoral, auprès de M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale.

Cette décision a fait l'objet d'un décret publié au Journal officiel du mardi 25 janvier 2005.

    4

MODIFICATION DU TITRE XV
DE LA CONSTITUTION

Discussion d'un projet de loi constitutionnelle

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution (nos 2022, 2033).

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jacques Brunhes, pour un rappel au règlement.

M. Jacques Brunhes. Mon intervention est fondée sur l'article 58, alinéa 1, du règlement.

Lors de la signature de l'accord de Nouméa, en 1998, les parties signataires, après de longues et difficiles négociations, se sont mises d'accord sur la question préalable du corps électoral en Nouvelle-Calédonie, qui constitue le point d'équilibre de l'accord dont dépend la réussite du processus de Nouméa.

Le Président de la République a pris un engagement très clair lors de son voyage en Nouvelle-Calédonie : il a indiqué que la question du corps électoral serait réglée avant la fin de son quinquennat. Or elle ne peut l'être que par une révision constitutionnelle, révision qui aurait pu être effectuée en même temps que celle à laquelle nous allons procéder, d'autant que la dernière révision portait sur deux points. Mais rien de tel n'est prévu, et je ne vous cache pas notre inquiétude, monsieur le président.

Nous sommes en 2005 et la fin du quinquennat est pour 2007. Aurons-nous un congrès entre 2005 et 2007 pour que le Président de la République puisse tenir ses engagements et qu'il n'y ait pas de nouveaux troubles en Nouvelle-Calédonie ? C'est une question de fond. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. Je vous remercie pour ce rappel au règlement, monsieur Brunhes.

Ouverture de la discussion

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, le 9 mai 1950, le ministre français des affaires étrangères, Robert Schuman , prononçait la déclaration qui donnait le coup d'envoi de la création de la Communauté européenne du charbon et de l'acier. Il n'était alors question que d'éviter que l'Europe ne retombe dans les travers qui, pendant des siècles, ont fait d'elle le théâtre de guerres fréquentes et meurtrières. Créer des interdépendances économiques devait conduire à faire naître des solidarités politiques solides et durables.

Aujourd'hui, nous savons que ce pari audacieux, l'Europe l'a gagné. Les élargissements successifs de l'Union en sont le signe le plus tangible. L'an dernier, l'Union a accueilli les États qui, à l'époque de la fondation de l'Europe, souffraient de la division en deux blocs de notre continent. Cette réussite de l'Europe implique de poursuivre l'approfondissement de cette construction.

Les travaux de la Convention en 2002 et 2003 ont permis d'envisager de nouvelles bases pour que l'Europe fonctionne mieux. La signature, le 29 octobre 2004, du traité établissant une Constitution pour l'Europe constitue une nouvelle étape décisive pour l'Union européenne.

M. Jacques Myard. On va dans le mur !

M. le garde des sceaux. Ce traité était d'abord une nécessité pour réorganiser le système des traités européens, devenu, à la suite des approfondissements successifs des politiques européennes, trop complexe et diffus. Songez qu'à l'issue de la signature du traité de Nice, le droit communautaire reposait sur huit traités différents, complétés par une cinquantaine de protocoles et d'annexes ! Le traité établissant une Constitution pour l'Europe remplace tous ces textes accumulés depuis la création des Communautés européennes, à l'exception du traité Euratom.

Mais ce texte n'est pas une simple compilation. Il marque une réforme en profondeur de l'Union européenne, une réforme vers une Europe à la fois plus efficace et plus accessible à ses citoyens.

Nouveau support unique pour toutes les règles intéressant les institutions et les politiques de l'Union, le traité établissant une Constitution pour l'Europe donnera un nouvel élan à l'ambition européenne.

L'ampleur de ce traité répond à l'importance de l'enjeu qu'il représente pour l'avenir de l'Europe. Organisé en quatre parties, il compte 448 articles répartis en 36 protocoles qui ont juridiquement la même valeur.

La première partie du traité est consacrée aux dispositions de nature institutionnelle. Pour la première fois, on y voit apparaître le Conseil européen dont on sait qu'il joue depuis longtemps un rôle central dans le développement de l'Union. La création d'un ministre des affaires étrangères permettra d'améliorer la cohérence et l'efficacité de l'action extérieure de l'Union.

D'autres dispositions apportent une importante clarification des différentes compétences exercées par l'Union, de trois manières différentes, selon qu'elles sont exclusives, partagées avec les États membres ou simplement complémentaires de l'action des États.

C'est également dans cette première partie du traité qu'est introduite une nouvelle typologie des actes des institutions européennes. Désormais, il existera six types d'actes dont certains sont désignés comme étant de nature législative.

Ces actes seront utilisés dans tous les domaines de compétence de l'Union, y compris ceux qui relevaient jusqu'à maintenant des deuxième et troisième piliers de la construction européenne.

L'extension des cas d'application de la règle de la majorité qualifiée est vitale pour le bon fonctionnement d'une Union élargie dans laquelle l'unanimité sera de plus en plus difficile à atteindre.

Les principes actuels régissant la citoyenneté européenne sont rassemblés dans cette partie du traité et complétés notamment par l'instauration d'un droit de pétition.

C'est encore dans cette première partie que les principes de subsidiarité et de proportionnalité, qui font par ailleurs l'objet d'un protocole, sont consacrés.

Une autre innovation a sans doute davantage de portée encore, en équilibrant mieux les pouvoirs de l'Union et des États. Le traité permet en effet aux parlements nationaux d'assurer un contrôle politique sur les initiatives de la Commission sans entraver son droit d'initiative ni ralentir inconsidérément le processus législatif.

Les parlements nationaux sont directement associés au contrôle de la bonne application du principe de subsidiarité à travers la création de procédures qui font l'objet de deux protocoles qui lui sont annexés. Ceux-ci, vous le savez, sont relatifs au rôle des parlements nationaux dans le processus de décision et aux principes de subsidiarité et de proportionnalité.

Ces deux procédures pourront être exercées par chacune des assemblées composant le Parlement.

La première permet, lors de l'examen d'un projet d'acte législatif européen, d'adresser aux institutions européennes un avis motivé exposant les raisons pour lesquelles il est considéré comme susceptible de porter atteinte au principe de subsidiarité.

La seconde permet, si l'acte est finalement adopté, de le déférer à la censure de la Cour de justice de l'Union européenne.

Ce dispositif confère pour la première fois un rôle actif aux parlements nationaux dans le processus de décision. Il constitue, je crois, une avancée majeure vers une Europe plus démocratique et donc plus proche de ses citoyens.

La deuxième partie du traité reprend, sans les modifier, les stipulations de la Charte des droits fondamentaux, proclamée solennellement par le Parlement européen, le Conseil et la Commission en décembre 2000. Jusqu'à présent, cette charte n'avait aucune force contraignante. Dorénavant, les droits qui y sont consacrés devront être respectés par les institutions européennes ainsi que par les États membres, dans le cadre de l'application du droit européen et sous le contrôle de la Cour de justice de l'Union européenne. Le traité établissant une Constitution pour l'Europe prévoit également l'adhésion de l'Union à la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ces deux instruments, combinés aux principes et aux traditions constitutionnels des États membres, doteront les citoyens de l'Union européenne du plus haut niveau de protection des droits fondamentaux.

La troisième partie du traité regroupe les stipulations relatives aux politiques de l'Union. La très grande diversité des matières qui y sont traitées interdit d'en faire ici un examen détaillé. Je me bornerai à indiquer que, outre un grand nombre de stipulations reprises sans modification, le traité établissant une Constitution pour l'Europe apporte des modifications importantes sur des questions fondamentales comme celles des services d'intérêt économique général, des prestations dans le domaine de la sécurité sociale, de la recherche et du développement technologiques ou encore de la santé publique. Il comprend aussi un certain nombre de stipulations nouvelles, par exemple dans le domaine de la propriété intellectuelle, de l'énergie, de l'espace, du tourisme, de l'éducation ou encore de la coopération administrative.

Enfin, je me dois de souligner la création, dans le traité, de l'espace de liberté, de sécurité et de justice, conséquence de la disparition du troisième pilier et de son intégration dans le mécanisme communautaire de droit commun.

Les parlements nationaux joueront un rôle important de contrôle dans la mise en œuvre de cette politique à travers les prérogatives qui leur sont reconnues en matière de respect du principe de subsidiarité, mais aussi par leur association au contrôle politique d'Europol et à l'évaluation des activités d'Eurojust.

La généralisation de la règle de la majorité qualifiée permettra à l'avenir des avancées significatives dans le domaine de la coopération judiciaire en matière tant civile que pénale, incluant notamment la possibilité de créer de fait un parquet européen.

Enfin, la quatrième partie du traité, consacrée aux stipulations générales et finales, comprend les procédures permettant de réviser la Constitution européenne. La procédure ordinaire n'est pas significativement modifiée. En revanche, les deux procédures dites de « révision simplifiée » doivent, me semble-t-il, retenir votre attention.

M. Jacques Myard. Oh oui !

M. le garde des sceaux. L'article IV- 444 contient ce qu'on appelle une « clause passerelle », permettant au Conseil, pour des matières figurant à la partie III du traité et régies par la règle de l'unanimité, de décider à l'unanimité de passer à l'application de la règle de la majorité qualifiée ou de la procédure législative ordinaire.

M. Jean-Pierre Brard. Pour la fiscalité, notamment !

M. le garde des sceaux. En contrepartie - et c'est important, monsieur Myard -, un droit d'opposition est reconnu aux parlements nationaux lors de la mise en œuvre de cette procédure.

M. Jacques Myard. Tu parles ! Nous y reviendrons, monsieur le ministre !

M. le garde des sceaux. J'y compte bien.

Le Parlement français aura donc la faculté de s'opposer à une décision prise de manière unanime par le Conseil.

M. Jacques Myard. Je crie, mais je n'existe plus !

M. Lionnel Luca. Si seulement...

M. le garde des sceaux. L'article IV- 445 comprend un dispositif similaire ne visant que les politiques figurant au titre III de la troisième partie du traité, c'est-à-dire aux politiques et actions internes de l'Union. Les stipulations en cause pourront être modifiées par une simple décision européenne du Conseil européen, adoptée à l'unanimité, mais qui devra par la suite être ratifiée par l'ensemble des États membres, ce qui évitera de convoquer une conférence intergouvernementale pour modifier formellement le traité.

Signé le 29 octobre 2004 à Rome,...

M. Jacques Myard. Jour néfaste !

M. le garde des sceaux. ...le traité établissant une Constitution pour l'Europe a été, le jour même, soumis par le chef de l'État au contrôle du Conseil constitutionnel en vertu des dispositions de l'article 54 de la Constitution.

Le juge constitutionnel a rendu sa décision le 19 novembre suivant, décision aux termes de laquelle la ratification ne peut intervenir avant que la Constitution française n'ait été modifiée.

Le Conseil constitutionnel a identifié deux séries de dispositions qui nécessitent une révision de notre Constitution.

La première est relative aux stipulations du traité concernant le droit matériel européen, c'est-à-dire à sa troisième partie. Le Conseil constitutionnel a repris le raisonnement tenu en 1992, à l'occasion du contrôle du traité de Maastricht, puis en 1997, lors du contrôle du traité d'Amsterdam. Il a identifié un certain nombre de stipulations prévoyant de nouveaux transferts de compétence au profit des institutions de l'Union qui ont pour effet d'affecter les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, nonobstant les effets du principe de subsidiarité. Sont notamment visées certaines des stipulations du traité en matière de coopération judiciaire, civile et pénale, mais aussi la création d'un parquet européen compétent pour poursuivre les auteurs d'infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union.

D'autres stipulations, en modifiant les règles d'adoption des normes européennes dans des matières ayant déjà fait l'objet de transferts de compétence dans des traités antérieurs, privent la France de tout droit d'initiative ou d'opposition et réclament, par voie de conséquence, une révision de la Constitution. Ainsi en va-t-il, par exemple, pour les règles relatives à la structure, au fonctionnement et au domaine d'action d'Eurojust et d'Europol, et pour le remplacement du pouvoir d'initiative jusqu'ici reconnu à chaque État membre par un pouvoir d'initiative conjointe d'un quart d'entre eux pour présenter un projet d'acte européen dans des matières relevant de l'espace de liberté, de sécurité et de justice.

Enfin, les clauses passerelles générales et spéciales, dont j'ai parlé tout à l'heure, sont également au nombre des stipulations du traité établissant une Constitution pour l'Europe susceptibles d'affecter les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

La seconde série de stipulations qui nécessitent une révision de la Constitution française concerne les nouvelles prérogatives reconnues par le traité aux parlements nationaux que je vous ai déjà décrites, notamment la faculté ouverte à ces parlements de s'opposer à une décision du Conseil de mise en œuvre de la clause passerelle et les pouvoirs qui sont reconnus à chaque chambre parlementaire dans le cadre du contrôle du respect, par les institutions de l'Union, du principe de subsidiarité.

C'est pour mettre fin à toutes ces incompatibilités entre le traité signé en octobre 2004 et notre Constitution que le projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui a été élaboré. Comme vous l'avez constaté, il s'articule en trois volets.

Le premier comprend l'article 1er du projet de loi. Son objet est à la fois unique et simple. Il s'agit de lever les obstacles constitutionnels à la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe. Sa rédaction, qui fait référence aux conditions prévues par le traité signé en octobre 2004, est suffisamment générale pour couvrir toutes les inconstitutionnalités que ce traité est susceptible de contenir.

M. Jacques Myard. C'est un chèque en blanc !

M. le garde des sceaux. L'entrée en vigueur de cet article ouvrira la voie à l'organisation du référendum annoncé par le chef de l'État avant l'été prochain.

Le second volet comprend l'article 3 du projet de loi. Il se distingue des trois autres articles par sa substance, beaucoup plus abondante, et par son entrée en vigueur différée, puisqu'elle n'interviendra que lorsque tous les États membres de l'Union européenne auront ratifié le traité établissant une Constitution pour l'Europe.

M. Jacques Myard. C'est-à-dire jamais, puisque le « non » va l'emporter !

M. le garde des sceaux. L'article 3 consiste, vous l'avez observé, en une réécriture totale du titre XV de la Constitution, réécriture rendue nécessaire par les modifications que j'ai déjà évoquées. C'est d'ailleurs leur ampleur qui a commandé que ce dispositif n'entre pas en vigueur avant le traité lui-même. En effet, contrairement à la solution qui avait prévalu en 1992 et en 1999, il n'était pas possible d'inscrire dans la Constitution les modifications exigées par la ratification du traité avant que celle-ci soit intervenue. Il faut conserver les références actuelles aux traités de Maastricht et d'Amsterdam qui restent en vigueur quelques mois encore.

On ne peut pas appliquer dès aujourd'hui le dispositif constitutionnel de mise en œuvre par le Parlement français des nouvelles prérogatives qui lui sont reconnues en matière de contrôle du respect du principe de subsidiarité par les institutions européennes. Un tel contrôle ne pourra être exercé que lorsque le traité aura été ratifié par l'ensemble des États membres.

Toutes les modifications apportées au titre XV de la Constitution n'auront pas la même ampleur. Ainsi, les articles 88-1 et 88-2 seront profondément remaniés.

Après l'entrée en vigueur du traité, le nouvel article 88-1 de la Constitution, qui continuera à consacrer le principe de la participation de notre pays à l'Union européenne, aura également pour objet et pour effet de lever les obstacles constitutionnels à la mise en œuvre des stipulations de ce traité. Ces obstacles, comme je l'ai indiqué, sont nombreux et divers. Pour la première fois, le Conseil constitutionnel n'a pas été en mesure d'en livrer une liste exhaustive, ainsi que l'indique l'usage de l'adverbe « notamment » aux considérants nos 27, 30 et 31 de sa décision en date du 19 novembre 2004.

Dès lors, il n'était pas possible de lister dans la Constitution, comme cela avait été fait en 1992 et en 1999, les domaines dans lesquels la France consent aux transferts de compétence prévus par le traité.

M. Jacques Myard. CQFD !

M. le garde des sceaux. C'est la raison pour laquelle il est précisé dans le nouvel article 88-1 que la participation de la France à l'Union européenne s'entend « dans les conditions fixées par le traité établissant une Constitution pour l'Europe signé le 29 octobre 2004 ».

M. Jacques Myard. Ce qui revient à dire que la France consent à tout !

M. le garde des sceaux. Cette formulation, la même que celle utilisée à l'article 1er du projet de loi, produit les mêmes effets : toutes les inconstitutionnalités contenues dans les stipulations de ce traité seront couvertes par ce dispositif. Dans le même temps, celui-ci assurera qu'à l'avenir, si un nouveau traité devait être conclu, les inconstitutionnalités qu'il pourrait contenir imposeraient une nouvelle révision de la Constitution.

La conséquence de ce choix est de faire disparaître les deux premiers alinéas de l'actuel article 88-2. Ces dispositions, liées à la mise en œuvre des traités du 7 février 1992 et du 2 octobre 1997, n'auront en effet plus de raison d'être puisque, d'une part, ces traités auront été abrogés et que, d'autre part, les inconstitutionnalités contenues dans leurs dispositions, qui sont reprises par le traité établissant une Constitution pour l'Europe, seront couvertes par le nouvel article 88-1.

Seul le troisième alinéa de l'article 88-2 actuel, relatif au mandat d'arrêt européen, sera maintenu. En effet, les inconstitutionnalités qu'il a pour objet de couvrir ne trouvent pas leur source dans les traités, mais dans des actes de droit dérivé pris par les institutions européennes.

Ces actes, dont certains sont déjà intervenus, et qui seront peut-être complétés à l'avenir par d'autres actes de même nature, sont toujours un transfert de souveraineté. Et pour que les règles régissant le mandat d'arrêt européen continuent de s'appliquer en France, il est indispensable de maintenir cet alinéa dans notre Constitution.

Les articles 88-3 et 88-4 ne feront l'objet que de modifications de forme.

L'article 88-3 traite, vous le savez, du droit de vote et l'éligibilité des ressortissants de l'Union européenne. Par ailleurs, si un État membre de l'Union décidait de ne plus appliquer une disposition d'un traité, cela ne dégagerait pas la France de son obligation de l'appliquer ; ce serait à la Cour de justice de sanctionner l'État membre qui méconnaîtrait ses obligations.

L'article 88-4, relatif à l'information du Parlement français, est lui aussi retouché dans sa forme. Outre la suppression de la référence aux Communautés européennes, la notion de « dispositions de nature législative » a été remplacée par celle de « dispositions du domaine de la loi ». Le traité établissant une Constitution qualifie d'« actes législatifs » les lois et lois-cadres européennes. Dès lors, l'expression « de nature législative » introduirait une ambiguïté au sujet de la notion d'acte législatif, qui reçoit des définitions différentes au sens du droit européen et au sens du droit national. Conformément à la logique de notre Constitution, l'article 88-4 fixe donc cette rédaction par la référence « de nature législative ». Le recours à la notion de « domaine de la loi », qui figure déjà dans six autres articles de la Constitution, permet de dissiper tout risque de confusion.

Vos commissions ont débattu d'un amendement qui tendait à étendre sensiblement la nature des actes que le Gouvernement aurait été tenu de transmettre en application de l'article 88-4. La commission des affaires étrangères y était favorable, mais la commission des lois a rejeté l'amendement.

M. François Loncle. Hélas !

M. le garde des sceaux. Le Gouvernement est évidemment favorable à la bonne information du Parlement, et je puis indiquer, notamment à M. le président de la commission des affaires étrangères, que le Premier ministre s'apprête à modifier la circulaire d'application de l'article 88-4 de la Constitution, pour préciser qu'il sera donné suite, dans toute la mesure du possible, aux demandes de communication d'actes qui seraient exprimées par les présidents de chacune des assemblées ou les présidents de leurs commissions permanentes.

M. Jean-Pierre Brard. Cela ne suffira pas à fléchir la détermination de M. Balladur !

M. Arnaud Montebourg. On ne change pas la Constitution par voie de circulaire : elle mérite mieux, monsieur le garde des sceaux !

M. le garde des sceaux. Nous vous écouterons tout à l'heure, monsieur Montebourg.

Enfin, les articles 88-5 et 88-6 sont totalement nouveaux. Ils auront pour objet de permettre aux assemblées parlementaires françaises de mettre en œuvre les prérogatives nouvelles que le traité établissant une Constitution pour l'Europe leur reconnaît.

L'article 88-5, qui comprend deux alinéas, permettra à chaque assemblée, dans des conditions fixées par son règlement intérieur, de voter des résolutions lui permettant, d'une part, d'émettre un avis motivé à destination des institutions européennes lorsqu'un projet d'acte législatif européen est susceptible de méconnaître le principe de subsidiarité et, d'autre part, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne dans le cas où l'acte en cause serait tout de même adopté.

Compte tenu des délais relativement brefs dans lesquels ces résolutions doivent intervenir, il est prévu qu'elles puissent être adoptées en dehors des périodes de session. Les termes utilisés, qui sont directement inspirés de ceux figurant déjà au deuxième alinéa de l'article 88-4, doivent permettre à chaque assemblée d'adopter ces résolutions sans inscription systématique à l'ordre du jour d'une séance publique.

Le Gouvernement n'interviendra pas dans ces futures procédures. Il sera tenu informé des avis motivés et il transmettra à la Cour de justice les recours décidés par le Parlement, sans pouvoir s'y opposer ni être contraint de s'y associer.

L'article 88-6 est, quant à lui, relatif à la mise en œuvre du droit de veto reconnu aux parlements nationaux, qui pourront se prononcer d'une seule voix, y compris lorsqu'ils sont composés de manière bicamérale, contre la mise en œuvre du mécanisme de révision simplifiée figurant à l'article IV- 444 du traité établissant une Constitution pour l'Europe. Je vous ai déjà exposé le principe. Là encore, ce sont les règlements intérieurs des deux assemblées qui devront fixer les modalités procédurales d'adoption de la motion commune, adoptée en des termes identiques,...

M. Francis Delattre. C'est la tutelle du Sénat sur l'Assemblée !

M. Jacques Myard. Eh oui !

M. le garde des sceaux. ...par laquelle le Parlement français pourra faire échec au passage de la règle de l'unanimité à celle de la majorité qualifiée dans les domaines de compétence matérielle de l'Union européenne.

L'article 88-7 ne nécessite pas d'observations particulières, puisqu'il est destiné à reprendre les dispositions que l'article 2 du présent projet de loi aura intégrées à l'article 88-5 de la Constitution, en attendant l'entrée en vigueur du traité établissant une Constitution pour l'Europe.

Ces dispositions font partie du troisième et dernier volet de ce projet de loi, qui comprend les articles 2 et 4. Ces articles entreront en vigueur même si le traité établissant une Constitution pour l'Europe n'était pas ratifié par les 25 États de l'Union.

M. François Loncle. C'est stupide !

M. le garde des sceaux. Il s'agit de la concrétisation de l'engagement qu'a pris le Chef de l'État de soumettre au peuple français, par la voie du référendum, toute nouvelle adhésion d'un État à l'Union européenne. Seul le principe de ce recours au référendum sera inscrit dans la Constitution.

Les dispositions de l'article 4 du projet de loi, qui présentent un caractère transitoire, n'y figureront pas. Leur objet est de réserver le cas des pays pour lesquels les négociations en vue de leur adhésion ont déjà commencé ou sont sur le point de commencer. Il ne faut pas que soient modifiées les règles qui étaient applicables à l'époque où ont été décidées les négociations en vue de l'adhésion des futurs partenaires de la France que sont la Roumanie, la Bulgarie et la Croatie.

Mesdames, messieurs les députés, l'engagement européen du Gouvernement est total. Le Gouvernement est convaincu de la nécessité de rendre plus fortes, plus efficaces et plus démocratiques les institutions européennes et de compléter les politiques communes pour mieux assurer la prospérité et la sécurité des Français. Je peux le mesurer concrètement comme ministre de la justice. Chaque responsable politique ou économique vit aussi cette nécessité. La préparation du référendum doit être l'occasion d'expliquer aux Français les vrais enjeux de la Constitution européenne. Bien entendu, je serai, comme beaucoup d'entre vous, acteur de cette campagne.

Aujourd'hui, au terme de mon propos, je le souligne devant vous, ce projet de loi constitutionnelle est à l'image du traité établissant une Constitution pour l'Europe : ambitieux et tourné vers l'avenir. Il comporte les dispositions nécessaires pour que la France et les Français puissent continuer à jouer un rôle central dans la construction de l'Europe. Plus que jamais, nous le savons tous, la construction d'une Europe forte, solidaire et prospère, est notre destin commun pour faire rayonner demain nos valeurs dans le monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jacques Myard. De profundis !

M. le président. La parole est à M. le président et rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre déléguée aux affaires européennes, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, un mot d'abord pour rappeler que si nous sommes aujourd'hui réunis pour réviser une dix-huitième fois la Constitution du 4 octobre 1958, c'est parce que le Conseil constitutionnel a jugé, le 19 novembre dernier, que le traité établissant une Constitution pour l'Europe ne pouvait être ratifié sans que la Constitution française ait été préalablement révisée.

M. Jean-Pierre Brard. Elle est obsolète !

M. Arnaud Montebourg. Et même archaïque !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Il nous faut donc lever ce préalable. La tâche est somme toute assez modeste en elle-même, si on la compare à l'ambition qui souffle sur ce traité.

Son objet est en effet de réussir, après bien des demi-échecs, la refonte des institutions nécessaire pour une Europe à 25 ou à 30. Prenant toute la mesure du mandat confié en décembre 2001 par le sommet de Laeken, la Convention pour l'avenir de l'Europe, sous la présidence efficace de Valéry Giscard d'Estaing, a souhaité s'inscrire dans une démarche constitutionnelle. C'est pourquoi le traité signé à Rome le 29 octobre 2004 porte un intitulé qui restera comme un bel exemple d'oxymore juridique : traité établissant une Constitution pour l'Europe. Encore un objet politique non identifié, disait Jacques Delors.

Le texte comporte certes des caractères constitutionnels que l'on ne peut pas ignorer.

Tout d'abord, au-delà du symbole, le choix des mots n'est jamais neutre. Qualifier ce traité de « constitutionnel », l'avoir fait préparer par une « convention » - terme qui a une forte connotation historique - avait incontestablement pour but de faire naître chez les citoyens une véritable prise de conscience de la nature de l'Union européenne, qui est bien davantage qu'une simple organisation internationale classique.

Plus concrètement, ce traité contient des dispositions de nature constitutionnelle qui ne se trouvaient pas dans les traités signés jusqu'ici. Il permet ainsi de simplifier considérablement l'architecture de l'Union européenne en unifiant juridiquement la Communauté européenne et l'Union européenne, en mettant fin à la séparation byzantine entre ce que l'on appelle les trois « piliers » et en refondant l'ensemble des traités dans un texte unique. Le traité constitutionnel met ainsi fin à une situation juridique difficilement compréhensible par des non-spécialistes, en faisant œuvre codificatrice et simplificatrice, effort qui relève véritablement d'une démarche constitutionnelle.

C'est cette même démarche qui est poursuivie lorsqu'est affirmé pour la première fois dans les traités le principe jurisprudentiel de la primauté du droit européen ou lorsqu'est donnée à l'Union la personnalité juridique qui lui faisait défaut.

Enfin, ce traité a une particularité : il ne s'adresse pas seulement aux États qui l'ont signé, mais aussi directement aux citoyens de l'Union européenne. Ainsi, dans une logique constitutionnelle classique, le traité signé à Rome le 29 octobre 2004 offre aux citoyens qui composent l'Union européenne la protection des droits fondamentaux, en intégrant la Charte constitutionnelle des droits fondamentaux, proclamée en 2000, mais qui n'avait qu'une valeur déclaratoire. Au-delà des États, l'Union européenne fonde donc également sa légitimité sur les citoyens européens, qui reçoivent directement du traité des « droits et devoirs ».

Ce lien direct entre l'Union et les citoyens, sans passer par l'intermédiaire des États membres, se manifeste dans l'évolution des termes utilisés en ce qui concerne la représentation au Parlement européen. Alors qu'actuellement « le Parlement européen est composé de représentants des peuples des États réunis dans la Communauté », le traité constitutionnel inverse ce principe, puisqu'il indique que « les citoyens sont directement représentés, au niveau de l'Union, au Parlement européen ».

Le traité établissant une Constitution pour l'Europe est donc innovant par de nombreux aspects, ne serait-ce que parce qu'il sera qualifié dans le langage courant de « Constitution européenne ». Pour les citoyens, il ne fera donc probablement pas de doute que l'Union européenne disposera d'une Constitution, mais il n'est pas sûr qu'ils considèrent pour autant qu'elle constitue un État. Pourtant, Constitution et État sont deux notions étroitement liées. Or l'entrée en vigueur de la « Constitution européenne » ne changera pas la nature particulière de la construction européenne, qui n'a pas pour but de transférer la souveraineté des États membres vers un ensemble étatique supranational.

Ainsi, nous suivons le Conseil constitutionnel lorsqu'il relativise la portée des caractères constitutionnels d'un traité qui reste dans la sphère du droit international public. En effet, si une Constitution est le fondement originel d'une construction politique, un traité, au contraire, exprime la concordance de la volonté de ses signataires. En d'autres termes, les États restent les maîtres du jeu dans une démarche conventionnelle, ce qui ne serait pas le cas dans une authentique démarche constitutionnelle.

En outre, l'Union n'a qu'une compétence d'attribution. Cela signifie qu'elle n'a pas « la compétence de sa compétence ». Ce n'est donc pas le traité constitutionnel qui fixe les compétences des membres de l'Union, mais au contraire les États eux-mêmes qui délimitent les compétences attribuées au niveau de l'Union.

Enfin, par rapport aux traités actuels, le traité établissant une Constitution pour l'Europe contient une innovation qui devrait rassurer ceux qui redoutent que la construction européenne ne soit plus fondée sur une démarche interétatique. En effet, le traité a prévu une clause de sortie de l'Union européenne, alors que les traités actuels sont muets sur le sujet. La construction européenne n'est donc pas une dynamique irrépressible ; elle reste tributaire de la volonté des États. Certains le regretteront peut-être, mais les rêves fédéralistes des pères fondateurs ne sont pas prêts de voir le jour.

Il faut dire également que l'on ne peut pas faire fonctionner de la même façon et avec le même dessein une Europe à 6 et une Europe à 25 voire, demain, à 30 membres.

M. Arnaud Montebourg. C'est peu de le dire !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Pour faire fonctionner convenablement cette Europe élargie, l'une des grandes ambitions de ce traité est donc de mettre en place des institutions plus simples, plus efficaces et plus proches des citoyens.

M. Bernard Accoyer. Très bien !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Convenons-en, il y avait beaucoup à faire. Sans être révolutionnaire,...

M. Jean-Pierre Brard. On ne peut pas vous accuser de l'être !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. ...le traité marque de nets progrès. Je citerai en particulier la rationalisation des actes juridiques : d'une quinzaine de types d'actes, le traité passe à six instruments, dont deux types d'actes dits « législatifs » : la loi et la loi-cadre européennes, qui succéderont au règlement et à la directive.

Sur le plan institutionnel, les discussions ont été difficiles mais ont abouti à des résultats satisfaisants. Il n'y a pas lieu de décrire ici le futur cadre institutionnel de l'Union. Contentons-nous d'en citer les principales avancées : création d'une présidence stable du Conseil européen, d'un ministre des affaires étrangères de l'Union, mise en place de règles de majorité plus claires et plus justes, réforme de la Commission, etc.

Le traité étend sensiblement les compétences de l'Union, mais il les répartit plus clairement. Surtout, il permettra peut-être au principe de subsidiarité de devenir un instrument de régulation des compétences. En effet, les Parlements nationaux disposeront de procédures pour le faire respecter par les actes législatifs de l'Union.

C'est le dernier aspect du traité : le renforcement du caractère démocratique de l'Union, qui passe par des procédures nouvelles d'information et d'association des parlements nationaux ; nous en reparlerons.

Un traité ambitieux donc, mais pas révolutionnaire. Cependant, comme chacun s'y attendait, le Président de la République a saisi le Conseil constitutionnel pour vérifier si l'autorisation de ratifier ce traité devait être précédée d'une révision de notre Constitution. Vous connaissez la réponse. Mais, paradoxalement, le Conseil a considéré que certains des éléments les plus novateurs du traité n'appelaient pas de révision.

Ainsi, comme le souhaitait le président Bernard Accoyer, le principe de primauté du droit européen ne modifie pas la hiérarchie des normes en droit interne, et la Constitution de la république reste au sommet de cette hiérarchie. Quant à la Charte des droits fondamentaux, elle doit s'interpréter dans le respect des traditions nationales ; elle ne remet pas en cause les « conditions essentielles d'exercice de la souveraineté ».

Si le Conseil a finalement jugé la révision nécessaire, c'est en se plaçant sur des terrains classiques. Il faut d'abord consentir aux nouveaux transferts de compétences, après ceux de Maastricht et d'Amsterdam. Le traité étend fortement le nombre de domaines régis par le principe de la majorité qualifiée, y compris dans un domaine aussi régalien que la justice. Il faut ensuite organiser dans la Constitution les conditions d'exercice de nouvelles prérogatives du Parlement.

Mme Claude Greff. Tout à fait !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Avant d'évoquer les trois volets de la révision, permettez-moi une remarque sur son calendrier d'application.

Il est très préférable d'éviter d'inscrire dans la Constitution des dispositions hypothétiques. Comme le processus de ratification à 25 États est incertain, la technique retenue a consisté à élaborer deux dispositifs successifs, l'un transitoire et d'application immédiate, l'autre pérenne et applicable à compter de l'entrée en vigueur du traité.

Le premier volet est destiné à une application immédiate. Préalable à l'ouverture du processus de ratification par la France, l'article 1er se borne à énoncer la dérogation générale aux dispositions de notre Constitution qui pourraient être contraires à des stipulations du traité. Cet article rend possible l'adoption de la loi autorisant la ratification du traité par le Président de la République. Comme celui-ci s'y est engagé, ladite loi pourrait être soumise au peuple souverain d'ici à l'été.

Seront également d'application immédiate les dispositions de l'article 2, relatives à un type de référendum différent de ceux prévus par les articles 11 et 89 : celui auquel sera obligatoirement soumis chaque nouvel élargissement. Nous reviendrons dans la discussion à ce point fondamental.

Ces mesures seront nécessaires et suffisantes tant que le traité ne sera pas entré en vigueur. Mais à compter de son entrée en vigueur, un dispositif permanent devra être mis en place, pour tirer toutes les conséquences du traité.

À cette fin, l'article 3, cœur du projet, procède à l'ensemble des modifications exigées par le Conseil constitutionnel, notamment en prévoyant les nouvelles procédures parlementaires. De plus, il procède au « toilettage » du texte et à la pérennisation du référendum sur les élargissements futurs. Ce dispositif permanent se substituera au volet transitoire dès l'entrée en vigueur du traité.

Le traité établissant une Constitution pour l'Europe affecte à maintes reprises les conditions essentielles de l'exercice de leur souveraineté nationale par les États-membres.

Au fil de ses 448 articles et 36 protocoles - les Français auront du mal à les lire tous - (Exclamations sur divers bancs)...

M. Jean-Pierre Brard. C'est très pédagogique ! Et très démocratique...

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Certes, mais un peu long, sans parler des 48 déclarations et de l'acte final... Au fil de ses dispositions, disais-je, le traité a prévu de nouveaux transferts de compétences, ou de nouvelles conditions d'exercice des précédents transferts : passage éventuel à la majorité qualifiée ou procédure de révision simplifiée.

Le Conseil constitutionnel n'a pas cru devoir - ou pouvoir - procéder à un inventaire complet des lignes ainsi déplacées. En se bornant à citer des exemples caractéristiques, il invitait le pouvoir constituant à procéder à une « validation » constitutionnelle globale des stipulations du traité, opérée par l'article 1er du projet de loi et par le futur article 88-1 de la Constitution, un « article-balai » en quelque sorte.

Les procédures existantes demeurent pour autant dans l'article 88-4 de la Constitution. Le projet de loi constitutionnelle ne modifie qu'à la marge cet article, afin de prendre en compte les modifications rédactionnelles induites par le traité.

Cet article permet à l'Assemblée nationale et au Sénat de voter des résolutions sur des documents européens soumis par le Gouvernement, de façon obligatoire lorsqu'ils ont une portée normative et sont du domaine de la loi - depuis Maastricht et l'article 34 - ou facultative, lorsqu'ils ne sont pas du domaine de la loi ou n'ont pas de portée normative, tels les documents de consultation de la Commission : livres blancs, livres verts, communications, comme le prévoit le traité d'Amsterdam. Chaque année, plus de 300 documents sont soumis aux assemblées, dont une petite vingtaine au titre de la clause facultative. D'où la déclaration de M. le ministre tout à l'heure, selon laquelle il sera fait en sorte, par voie de circulaire, que le Gouvernement use plus souvent, à l'avenir, de la clause de soumission facultative au Parlement. C'est bien le moins, convenons-en. On peut remercier le président Édouard Balladur et ses collègues de la commission des affaires étrangères qui ont encouragé cette évolution favorable au Parlement.

M. Alain Marsaud. Très bien !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Faut-il aller plus loin ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Tout d'abord, je voudrais insister sur le fait que ce débat, lancé par le président de la commission des affaires étrangères est pleinement légitime et utile.

M. Jean-Pierre Brard. Ça sent l'enterrement de première classe !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Pas du tout !

Face à la montée des prérogatives de l'Union européenne, les parlements nationaux doivent jouer un rôle plus important ; c'est d'ailleurs là l'une des principales avancées du traité constitutionnel.

M. Hervé de Charette. Très bien !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Mais il ne faudrait pas qu'au prétexte d'accroître le contrôle parlementaire sur les questions européennes, l'on modifie subrepticement les équilibres institutionnels de la Ve République. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Francis Delattre. En particulier entre le Sénat et l'Assemblée !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Ainsi, il ne serait pas raisonnable de prévoir une soumission obligatoire de tous les documents européens sans exception. Cela reviendrait à permettre au Parlement de voter des résolutions quand il le désire dans des domaines qui ne relèvent pas de sa compétence, alors même que l'interdiction de voter des résolutions est l'un des fondements de la Cinquième République. Le constituant a en effet voulu mettre en place une stricte séparation des pouvoirs, ...

M. Hervé de Charette. C'est bien la première fois !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. ...conformément aux articles 34 et 37, et empêcher le Parlement de voter des résolutions dont le but serait d'orienter l'action gouvernementale dans des domaines où le Parlement ne dispose pas de pouvoirs, sauf lorsque le Gouvernement y consent.

M. Jean-Pierre Brard. Requiem pour M. Balladur !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Ainsi, il ne faudrait pas que l'extension du pouvoir de résolution du Parlement ait pour conséquence directe de permettre aux assemblées de se voir soumettre obligatoirement des documents qui concernent la conduite par le Président de la République de négociations internationales, pouvoir qui lui est conféré par l'article 52 de la Constitution.

Même si la construction européenne a mis en place un ordre juridique propre, l'Union européenne reste une organisation interétatique, au sein de laquelle se négocient encore des accords purement diplomatiques, par exemple les traités d'adhésion ou les traités modifiant les institutions. L'extension du champ d'application de l'article 88-4 permettrait au Parlement d'intervenir dans le cours d'une négociation purement diplomatique. Elle empiéterait ainsi sur la claire répartition que la Constitution opère en cette matière entre le Président de la République, qui négocie et ratifie les traités en vertu de l'article 52, et le législateur qui en autorise la ratification en vertu de l'article 53. Elle réduirait la marge de manœuvre du Président de la République dans l'exercice de son pouvoir de négociation.

M. Arnaud Montebourg. Il serait temps !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Il nous faut donc circonscrire le champ des documents dont la soumission sera obligatoire.

M. Jean-Pierre Brard. De la part d'un député, c'est du masochisme !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. À cet égard, la proposition de nos collègues Lequiller et Floch mérite toute notre attention. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme Claude Greff. C'est vrai !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Mais il aura fallu tout le dynamisme de l'amendement du président Balladur pour en arriver là.

Le traité constitutionnel a en effet réorganisé les actes juridiques de l'Union européenne en créant une sorte de « domaine législatif européen ». Il serait donc logique que le Parlement français puisse connaître de tous ces actes législatifs européens puisqu'ils relèvent de la procédure législative européenne ordinaire et que le Parlement européen, par exemple, les examine. Il y a donc une logique que nous puissions voter des résolutions sur ces projets d'acte, dont par ailleurs nous aurons à connaître par l'intermédiaire de la nouvelle procédure de contrôle de la subsidiarité. Autre argument : on peut difficilement concevoir que demain le Parlement européen ait à connaître des actes législatifs de l'Europe, et que nous ne puissions pas même donner un avis (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Ainsi, sans modifier les équilibres institutionnels de la ve République, il est possible d'améliorer le contrôle parlementaire.

M. Arnaud Montebourg. Le compte n'y est pas encore !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Par rapport à vos souhaits en ce domaine, sûrement pas !

Encore faudra-t-il que nous utilisions ces nouveaux pouvoirs.

M. Arnaud Montebourg. Comptez sur nous !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. On vous verra à l'œuvre, mon cher collègue !

En effet, le Parlement fait encore un usage bien modéré des pouvoirs qu'il détient en la matière...

M. Guy Geoffroy. C'est le moins qu'on puisse dire !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. ...cinq résolutions seulement ont été adoptées en 2004. Vous avouerez que c'est peu ! Quant au Gouvernement, sans doute pourra-il, sans trop d'efforts, transmettre davantage de documents en application de la clause facultative. Vous avez parlé d'une circulaire, monsieur le ministre, je l'appelle également de mes vœux.

Incontestablement, il va nous falloir nous interroger sur nos méthodes de travail en ce qui concerne le contrôle parlementaire de la construction européenne, ne serait-ce que parce que le traité donne de nouvelles prérogatives aux parlements nationaux qu'il nous faudra utiliser efficacement.

M. Jean-Pierre Soisson. Très bien !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Ainsi, la décision rendue le 19 novembre 2004 par le Conseil constitutionnel fait obligation au constituant de permettre l'exercice de trois nouvelles prérogatives du Parlement français.

Le principe de subsidiarité fait désormais l'objet de procédures de contrôle à la disposition des parlements nationaux, en vertu du protocole n° 2 annexé au traité.

Le premier alinéa de l'article 88-5 organise le volet préventif de la procédure, par lequel l'une ou l'autre assemblée peut émettre un avis motivé sur un projet d'acte législatif européen. Cet avis motivé, dont le gouvernement français est tenu informé, doit être adressé dans un délai de six semaines aux présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission. Les modalités d'application de la procédure sont renvoyées au règlement de chaque assemblée. Chaque année, environ 400 projets d'actes pourraient être concernés... surtout si l'on décide de s'en occuper, monsieur Montebourg !

M. Arnaud Montebourg. Ce sera le cas !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Le second alinéa assure la base constitutionnelle de la procédure applicable aux actes législatifs européens déjà adoptés. Chaque assemblée, si elle estime un tel acte contraire à la subsidiarité, peut former à son encontre un recours, transmis dans les deux mois après son adoption par le Gouvernement à la Cour de justice. Ces dispositions comportent certaines imperfections qui doivent être corrigées.

Tant l'avis motivé que le recours sont susceptibles de porter chaque année sur des centaines d'actes, chacun devant être traité en quelques semaines. Un examen systématique, ou même optionnel, en séance serait de nature à saturer l'ordre du jour. Des restrictions sont indispensables, concernant tant l'initiative des résolutions que leurs conditions de discussion. Il importe dès lors de leur assurer une base constitutionnelle.

La commission des lois vous propose donc d'amender l'article 88-5 pour en améliorer la clarté et la sécurité juridique. Après les règles de fond, un troisième alinéa procéderait au renvoi au règlement de chaque assemblée pour déterminer les conditions d'initiative et de discussion, qui pourront être différentes pour l'avis motivé et le recours.

Afin d'ouvrir sans ambiguïté la possibilité de procédures ne faisant pas appel à la séance publique, les résolutions seraient dites « adoptées » et non « votées », la phrase étant conjuguée à la forme passive comme dans le texte de l'actuel article 88-4.

La troisième procédure est celle qui permet au Parlement de s'opposer à une révision simplifiée du traité. Son fondement figure dans un article du traité qui, à la différence du protocole n° 2, se réfère aux parlements nationaux, non aux chambres qui les composent. Sur ce point, M. Delattre et M. Floch auront compris que je m'adresse tout particulièrement à eux. En effet, comme le met en évidence la décision du Conseil constitutionnel, cette procédure met en cause « les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ». Elle permet, y compris pour des matières régaliennes, de soumettre les décisions à la majorité qualifiée au lieu de la règle d'unanimité. Or, ces modifications ne sont soumises ni à ratification, ni à un contrôle préalable de constitutionnalité.

Le pouvoir de s'opposer à de telles révisions est donc dévolu par le projet de loi au Parlement dans son ensemble...

M. Francis Delattre. Nous sommes d'accord !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. ...et la motion doit être adoptée « en termes identiques » par l'Assemblée nationale et le Sénat,...

M. Francis Delattre. Là, nous ne le sommes plus !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. ...comme en matière de révision constitutionnelle.

M. Arnaud Montebourg. Comment allez-vous résister au chantage du Sénat, monsieur le rapporteur ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. C'est la loi européenne, mon cher collègue. Nous n'avons pas le choix.

M. Arnaud Montebourg. Nous sommes libres de suivre ou non les prétentions du Sénat !

M. Francis Delattre. Il faut changer la Constitution !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Vous êtes contre la Constitution, mais ceux qui y sont favorables mettront un point d'honneur à se conformer à ce qu'elle prévoit.

Il y a, me semble-t-il, une logique dans ce parallélisme entre révision constitutionnelle et mise en œuvre de la motion d'opposition à une révision simplifiée du traité, qui justifie de reconnaître aux deux assemblées des pouvoirs égaux.

M. Arnaud Montebourg. C'est le coup d'État permanent du Sénat !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Je ne suis pas d'accord avec vous.

M. Christophe Caresche. C'est lui reconnaître un droit de veto !

M. Arnaud Montebourg. On reconnaît bien là un projet Raffarin !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Je m'étonne de vous voir tout mélanger de la sorte et je le déplore tout particulièrement compte tenu de votre qualité de membre de la commission des lois.

Enfin, cette révision donne une base juridique à l'engagement du Président de la République, le 1er octobre 2004, d'organiser un référendum avant tout nouvel élargissement de l'Union européenne. Il est ainsi inséré un nouvel article 88-5 dans la Constitution, qui deviendra l'article 88-7 lorsque le traité entrera en vigueur. Cette obligation s'appliquera donc dans tous les cas, que le traité constitutionnel entre en vigueur ou non.

L'article 4 du projet de loi prévoit par ailleurs les conditions d'application dans le temps de cette obligation. En effet, dans la mesure où elle est nouvelle et inédite dans l'Union européenne, son entrée en vigueur immédiate pourrait avoir pour conséquence de troubler les processus d'adhésion en cours. Il a ainsi été décidé qu'elle ne s'appliquerait pas aux États pour lesquels la décision d'ouvrir les négociations d'adhésion avait été prise avant le 1er juillet 2004. Je rappellerai pour mémoire après le garde des sceaux qu'il s'agit d'abord de la Bulgarie et de la Roumanie, puis de la Croatie.

En revanche, la Turquie n'a été invitée à ouvrir des négociations d'adhésion que le 17 décembre 2004. Dès lors, si, d'ici dix à quinze ans, celles-ci aboutissent à la signature d'un traité d'adhésion, les Français ont la certitude d'être consultés.

M. Arnaud Montebourg. Et pour Monaco ?

M. François Loncle. Pour la Norvège aussi ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Eh oui ! Pour la Suisse aussi ! Cela permettra ainsi de dissocier le débat, légitime, sur la candidature de la Turquie avec le référendum du printemps prochain sur le présent traité.

M. Jean-Pierre Brard. C'est un attrape-nigaud !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Plus généralement, alors que l'Union européenne comprendra bientôt vingt-sept États, elle a désormais atteint une taille critique, et tout nouvel élargissement doit désormais faire l'objet d'un débat populaire approfondi, qu'il s'agisse de la candidature de la Turquie, mais aussi plus tard de certains pays des Balkans, de l'Ukraine, de la Norvège, voire de la Suisse.

M. Jean-Pierre Brard. Et la Mongolie ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Je conclurai en rappelant que l'adoption de ce projet de loi constitutionnelle est le préalable indispensable à l'organisation du référendum sur le traité lui-même. La commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, après un travail fructueux dont je remercie tous ses membres, UMP ou socialistes, vous demande donc de l'adopter. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères.

M. Roland Blum, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, notre Parlement ne statuera pas sur la Constitution européenne par un vote, puisque c'est au peuple français qu'il appartiendra de se prononcer dans quelques mois comme l'a souhaité le Président de la République. C'est pourquoi le projet de révision constitutionnelle que le Gouvernement nous soumet aujourd'hui est, pour nous parlementaires, l'occasion de faire connaître très clairement notre position sur le traité établissant une Constitution pour l'Europe.

Le vote de ce projet de loi constitutionnelle sera ainsi le premier acte d'une procédure qui permettra d'aboutir - je le souhaite - à la ratification du second traité de Rome, signé le 29 octobre dernier. Cette révision constitutionnelle s'impose.

C'est le sens de la décision du Conseil constitutionnel du 19 novembre dernier. Comme en 1992 avec Maastricht et en 1999 avec Amsterdam, nous devons, en tant que pouvoir constituant, adapter notre loi fondamentale aux règles qui seront celles de l'Union européenne après la ratification du traité constitutionnel.

Je ne reviendrai pas sur les conditions dans lesquelles le Conseil constitutionnel a été saisi et a statué le 19 novembre dernier. J'observe simplement que la haute juridiction a constaté que plusieurs stipulations du second traité de Rome portaient atteinte aux conditions essentielles d'exercice de notre souveraineté nationale. Le Conseil en a présenté quelques exemples sans cependant, et de manière assez curieuse, en dresser une liste exhaustive. On peut citer ainsi certaines mesures relatives à Europol ou Eurojust qui pourront être adoptées à la majorité qualifiée ou certaines stipulations soumises désormais à la procédure législative européenne ordinaire - appelée aujourd'hui procédure de codécision - pour le contrôle aux frontières, la coopération judiciaire en matière civile ou pénale, etc.

Faute que le Conseil constitutionnel ait établi une liste précise des transferts de souveraineté contenus dans le second traité de Rome, nous devrons adopter une disposition constitutionnelle très générale autorisant de manière globale la France à participer à l'Union européenne dans les conditions arrêtées par le traité du 29 octobre 2004.

Le Conseil constitutionnel a ensuite considéré que les nouveaux pouvoirs reconnus par la Constitution européenne au Parlement français pour contrôler le respect du principe de subsidiarité par l'Union ou pour s'opposer à une révision de la Constitution européenne par une procédure simplifiée devaient trouver écho dans notre propre Constitution.

Enfin, on constatera que, de manière assez nouvelle, le Conseil constitutionnel a examiné certaines questions posées par le projet de Constitution européenne, comme la compatibilité entre le principe de liberté d'expression religieuse proclamé par la Charte des droits fondamentaux et le principe de laïcité reconnu par la Constitution de 1958. Il a conclu qu'en définitive il n'était pas nécessaire, sur ces points précis, de modifier notre loi fondamentale.

Le projet de loi dont nous sommes saisis a donc pour objet de lever les verrous constitutionnels mis en évidence par la haute juridiction, mais pas uniquement.

En effet, ce texte contient également des dispositions qui, conformément aux engagements du Président de la République, prévoient que tout traité d'adhésion sera désormais soumis à référendum avant ratification. Ces dispositions ne s'appliqueront cependant qu'aux adhésions qui suivront celle de la Croatie, au premier rang desquelles figure évidemment celle de la Turquie.

Mais revenons à la Constitution européenne. Le débat référendaire ne manquera de faire apparaître les oppositions habituelles à tout texte européen d'envergure. Certains verront dans ce traité constitutionnel le tombeau de l'État nation. Je n'y crois pas.

D'autres considéreront que la Constitution européenne est un compromis imparfait et que cette imperfection ne permettra pas à l'Europe de se construire comme une véritable puissance politique. Je pense qu'en ce domaine -comme en bien d'autres, d'ailleurs -, qui veut faire l'ange fait la bête. En vouloir plus, au nom d'une conviction européenne puriste et intransigeante, conduirait à forcer la réalité et aboutirait à un échec inexorable. La « crise salutaire », expression que l'on retrouve ça et là dans la bouche de ceux qui, se disant Européens convaincus, s'opposent cependant au traité, me paraît un pari irresponsable.

Cette Constitution est une nécessité pour l'Europe pour une raison essentielle, simple et déterminante : elle place le politique au cœur du projet européen.

M. Jean-Pierre Brard. Affirmation gratuite !

M. Roland Blum, rapporteur pour avis. Il était temps.

La Constitution européenne va ainsi rompre avec la méthode qui avait été employée jusqu'à maintenant. Elle procède en cela à un changement de perspective. Car si depuis Maastricht l'union politique est en marche, l'adoption d'une Constitution à l'échelle d'un continent va véritablement fonder un espace public européen qui repose sans ambivalence sur le principe démocratique.

Car la démocratie européenne renvoie, en ce début de XXIe siècle, à deux principes : tout pouvoir émane du peuple, les droits fondamentaux doivent être garantis contre toute atteinte qui pourrait leur être portée.

La Constitution européenne se conforme à l'évidence à ces deux principes.

Les nations, lieux essentiels de l'exercice de la démocratie, sont tout d'abord reconnues en tant que telles et respectées dans leur diversité, notamment par les nouveaux pouvoirs qui seront conférés à leurs Parlements. En cela, l'Europe est une construction originale qui allie unité et diversité et qui ne s'intègre dans aucun schéma préétabli. Est-ce une entité fédérale ? Confédérale ? Peu importe le nom qu'on lui donne. Elle sera désormais, si les nations y consentent, une réalité politique qui pourra compter dans le concert international.

Les citoyens européens, quant à eux, disposeront également de nouveaux modes d'action à l'échelle de l'Union, comme un droit d'initiative populaire. C'est bien par l'engagement de chaque Européen que cette Europe politique verra le jour.

Le Parlement européen va voir, de son côté, ses compétences renforcées dans la procédure législative et dans le débat budgétaire et, surtout, la Commission devra désormais être désignée sur la base des résultats aux dernières élections au Parlement européen devant laquelle elle est responsable. On a ici les prémices d'un régime parlementaire européen. À cet égard, les mésaventures de la Commission Barroso ont montré que le Parlement de Strasbourg entendait bien jouer un rôle de premier plan.

Par ailleurs, au Conseil des ministres, la majorité qualifiée sera atteinte lorsque les votes favorables au projet d'acte en discussion atteindront, dans l'essentiel des cas, 55 % des États et 65 % de la population de l'Union. L'introduction d'un tel critère démographique est un progrès démocratique évident.

Enfin, nous l'évoquions, l'intégration de la Charte des droits fondamentaux dans la Constitution européenne est un élément important pour l'émergence d'une démocratie européenne, dans laquelle les droits seront garantis. Les dispositions de cette Charte, adoptée une première fois à Nice en 2000, vont désormais avoir une force contraignante à l'égard des institutions de l'Union européenne. Les États membres devront également s'y conformer lorsqu'ils agiront en qualité d'agents de l'Union, c'est-à-dire lorsqu'ils mettront en œuvre le droit européen.

La portée de ce texte va bien au-delà d'une simple déclaration de droits qui s'ajouterait à la Convention européenne des droits de l'homme ou aux chartes contenues dans la plupart des constitutions des États membres. Son contenu est en effet plus large que celui de la convention européenne puisqu'il porte non seulement sur les droits civils et politiques, mais aussi sur les droits sociaux ou ce que l'on appelle les nouveaux droits : bioéthique, développement durable... En cela aussi, la Constitution européenne est un progrès.

C'est bien vers une Europe politique que nous nous acheminons, une Europe qui, d'une part, aura un visage au plan international avec un Président stable du Conseil européen et qui, d'autre part, pourra déterminer une politique étrangère cohérente grâce à la création d'un poste de ministre des affaires étrangères. Celui-ci disposera en outre - et il ne s'agit pas d'un détail - d'un service diplomatique européen.

Tous les instruments sont donc contenus dans ce traité constitutionnel pour permettre à l'Europe de tenir son rang dans le monde. Certes, le domaine de la politique étrangère demeurera, aux termes de la Constitution, soumis à la règle de l'unanimité. Aussi peut-on craindre que le ministre des affaires étrangères ne puisse pas, sur tous les sujets, faire émerger des positions communes à l'ensemble des États européens. Mais nous pensons que le fait que ce ministre soit une personne clairement identifiée, élue par le Parlement européen comme les autres membres de la Commission et disposant ainsi d'une légitimité démocratique, lui conférera un poids tel qu'il pourra contribuer à l'émergence d'une politique étrangère commune.

Pierre Hassner, spécialiste des relations internationales, écrivait il y a peu : « La vocation première de l'Europe actuelle par rapport aux autres époques et aux autres régions, est de montrer la voie des sociétés orientées par la recherche de la paix et de la prospérité, de la liberté et de la justice, plutôt que de la domination et de la gloire ». Il ajoutait : « L'Europe ne peut échapper au tragique de la politique qui veut que, pour conserver et promouvoir le bien, il faille résister au mal et parfois l'infliger. »

Je crois que la Constitution européenne, si les nations y consentent, permettra à l'Europe d'affirmer ses valeurs avec fermeté.

L'émergence d'une Europe consciente de ses intérêts et fière de ses valeurs suppose que ses institutions fonctionnent efficacement, ce qui, avec près de trente membres, n'est pas chose facile. La Constitution européenne offre des solutions concrètes pour surmonter cette difficulté.

Le traité constitutionnel n'est pas parfait. Il comporte plus de 400 articles, ce qui peut sembler excessif. Mais il a le mérite de remettre en ordre les dispositions actuellement en vigueur dans les traités, trop confuses et trop disparates.

Il rationalise aussi la hiérarchie des normes, limite le nombre d'actes européens en s'inspirant d'ailleurs du modèle français. Il répartit de manière plus claire les compétences entre l'Union et les États membres, ce qui n'était pas vraiment le cas jusqu'à maintenant.

Le traité constitutionnel représente enfin une avancée par rapport aux stipulations du traité de Nice en prévoyant de réduire le nombre de commissaires à l'horizon 2014 aux deux tiers des États membres ; cela peut sembler loin, mais c'est toujours mieux que ce que prévoyait le traité de 2000, qui ne réglait rien sur ce point.

Au terme de ce panorama sans doute trop rapide, nous devons constater que la Constitution européenne ne comporte aucun recul par rapport aux traités existants. Elle contient au contraire des progrès concrets dans l'organisation des institutions européennes. Elle a de plus une portée symbolique qui ne peut que donner une nouvelle substance au projet européen.

M. Jean-Pierre Brard. Donner de la substance avec des symboles ? Pasteur avait déjà tranché la question !

M. Roland Blum, rapporteur pour avis. La commission des affaires étrangères a examiné le projet de loi constitutionnelle en ayant conscience de l'enjeu sous-jacent de ce texte. Si le Parlement français n'adoptait pas ce projet, un coup mortel - un coup de grâce - serait porté à la Constitution européenne.

M. Jacques Myard. Et alors ?

M. Jean-Pierre Brard. On en fera une autre...

M. Roland Blum, rapporteur pour avis. Notre commission a donné un avis favorable à ce texte après avoir longuement évoqué les pouvoirs dont notre Parlement devrait disposer pour participer pleinement à la construction de l'Europe, dont la place va croissant. Elle a conclu que le Parlement devait pouvoir prendre des initiatives en ce domaine. Nous y reviendrons lors de l'examen des articles et des amendements.

Pour conclure, je voudrais souligner que ce que l'on qualifie parfois de « constitutionnalisme européen » propose un modèle politique où la démocratie et l'État de droit sont étroitement liés. La volonté de la majorité populaire ne peut s'exprimer que dans le respect de la loi et des droits fondamentaux. On peut affirmer que la Constitution européenne s'inscrit pleinement dans ce schéma institutionnel. Elle nous apparaît même comme une forme d'aboutissement ou de reconnaissance. Par sa force symbolique, on peut espérer qu'elle offrira aussi aux pays non européens, dont les régimes politiques sont fondés sur d'autres cultures politiques et juridiques, un modèle.

L'adoption d'une Constitution pour l'Europe et, plus largement, l'émergence d'une Europe politique sera une œuvre de longue haleine, périlleuse et incertaine. Chaque État va jouer sa partition en engageant la procédure de ratification du second traité de Rome. Le risque existe qu'un des vingt-cinq États membres n'adopte pas, in fine, ce texte. Mais, de son côté, la France a à l'égard de ce projet de Constitution européenne une responsabilité particulière.

Notre pays est en effet l'un des fondateurs de l'Europe. De grands noms littéraires, politiques, intellectuels, ont porté en France le projet européen au plus haut. La construction de l'Europe fait aujourd'hui partie intégrante de notre histoire et de notre propre devenir. Rejeter la Constitution européenne serait selon nous une forme de reniement.

La commission des affaires étrangères, qui a donné un avis favorable à ce projet de loi constitutionnelle, vous invite donc, en le votant, à être fidèle à la vocation européenne de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

M. Jean-Pierre Brard. Rappel au règlement, monsieur le président ! C'est incroyable : le rapporteur pour avis vient de censurer le président de la commission des affaires étrangères !

M. le président. Vous aurez la parole après l'intervention de M. Balladur, monsieur Brard.

M. Édouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, au printemps prochain, les Français devront se prononcer par référendum pour ou contre l'adoption du traité donnant à l'Europe une Constitution.

Comme je l'ai déjà annoncé à diverses reprises, je souhaite le succès du référendum et l'adoption de cette Constitution pour l'Europe par notre pays.

Je ne reviendrai pas sur le contenu de ce nouveau traité signé à Rome en octobre dernier. Le rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, M. Roland Blum, vient d'en présenter les grandes lignes et de souligner les progrès qu'il contient.

Je consacrerai l'essentiel de mon propos à la relation qui existe, selon moi, entre l'élargissement des compétences de l'Union européenne à des domaines qui relevaient classiquement de l'exercice de la souveraineté nationale et le renforcement concomitant des pouvoirs de contrôle du Parlement français en matière européenne.

Les révisions constitutionnelles préalables à l'adoption des traités de Maastricht en 1992 et d'Amsterdam en 1999 ont autorisé les transferts de compétences et de souveraineté indispensables à la construction de l'Europe en même temps qu'elles se sont accompagnées de la reconnaissance, dans notre loi fondamentale, d'un rôle spécifique et nouveau du Parlement en matière européenne.

Je rappellerai brièvement chacune de ces deux étapes.

En 1992, notre Constitution a été modifiée pour permettre les transferts de compétences nécessaires à l'établissement de l'Union économique et monétaire. Ce principe est reconnu à l'article 88-2 de la Constitution. Dans le même temps, les assemblées parlementaires ont adopté, par la voie d'un amendement parlementaire, l'actuel article 88-4, alinéa 1, de notre Constitution, qui fait obligation au Gouvernement de soumettre au Parlement tout projet ou proposition d'acte européen comportant des dispositions de nature législative.

Puis, en 1999, notre Constitution a été à nouveau modifiée pour permettre la ratification du traité d'Amsterdam. Il a fallu en effet autoriser de nouveaux transferts de compétence rendus nécessaires en matière de libre circulation des personnes notamment, et compléter pour cela l'article 88-2.

Par une sorte de parallélisme des formes, cette reconnaissance de l'élargissement des compétences de l'Europe s'est accompagnée dans notre droit constitutionnel d'une participation renforcée du Parlement à la construction européenne. Permettez-moi d'y insister, mes chers collègues : depuis une dizaine d'années les deux progressions se sont faites, si j'ose dire, du même pas et parallèlement.

C'est ainsi qu'en 1999 l'article 88-4 a également été complété par une disposition qui donne au Gouvernement la faculté de transmettre aux assemblées les projets ou propositions d'acte européen qui ne contiendraient pas de dispositions d'ordre législatif au sens français du terme. C'est, je le souligne, une faculté et non une obligation.

Dans les deux hypothèses, que la soumission du document ait été obligatoire ou facultative, les assemblées parlementaires peuvent voter, selon les modalités prévues par leurs règlements respectifs, des résolutions sur les textes qui leur ont été ainsi transmis. Je rappelle en passant que, selon une décision de 1992 du Conseil constitutionnel, ces résolutions n'ont pas de caractère contraignant.

Aujourd'hui, nous sommes à nouveau amenés à modifier la Constitution, le Conseil constitutionnel ayant considéré que plusieurs dispositions du traité portaient atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

Mais cette fois-ci, face à l'ampleur et au nombre des dispositions contenues dans le traité qui exigeraient des modifications de la Constitution, le projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis pose, dans le texte proposé pour l'article 88-1, le principe général en vertu duquel la France participe à l'Union européenne dans les conditions prévues par le traité établissant une Constitution pour l'Europe.

Ainsi, sans entrer dans les détails ni à avoir à établir une liste exhaustive, tous les transferts de compétences qui imposent une révision constitutionnelle - et ils sont nombreux - sont en quelque sorte autorisés par principe. Cette approche inédite, mais sans doute obligatoire, traduit de façon juridique l'importance de cette nouvelle étape de la construction de l'Europe que constitue l'adoption du traité constitutionnel.

De façon tout aussi novatrice, le Conseil constitutionnel a considéré que les stipulations du traité qui reconnaissaient aux Parlements nationaux de nouveaux pouvoirs devaient également trouver une traduction dans la Constitution française pour permettre au Parlement français d'exercer ses nouvelles prérogatives européennes.

M. Jacques Myard. Des prérogatives, vraiment ?

M. Édouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères. Désormais, le Parlement pourra, en application de l'article 88-5, voter des résolutions pour donner son avis sur la conformité d'un projet d'acte législatif européen au principe de subsidiarité. Là où les choses se compliquent, c'est que la notion d'acte législatif n'a pas tout à fait le même contenu dans son sens européen et dans son sens national. Mais laissons ce problème de côté pour l'instant.

Le Parlement français pourra par exemple s'opposer à l'utilisation de la procédure de révision simplifiée qui permet de modifier le champ d'application des règles de majorité.

Cette présentation succincte du projet de révision constitutionnelle qui nous est soumis nous montre - et cet aspect est fondamental - que plus nous procéderons à des transferts de souveraineté et de compétences au profit des institutions de l'Union, plus les affaires européennes deviendront des questions d'ordre interne et les décisions prises au niveau européen auront un lien direct avec notre vie quotidienne. Je sais que tout le monde de souscrira pas à cette analyse mais c'est, si j'ose dire, le sens de l'histoire.

M. Jacques Myard. L'histoire n'a pas de sens !

M. Édouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères. Alors que, nous l'avons vu, il s'est établi depuis 1992 un lien entre ce transfert de compétences et le développement du rôle du Parlement, comment ne pas renforcer les pouvoirs de contrôle des assemblées à l'occasion de cette révision constitutionnelle, puisque celle-ci consacre le principe général du transfert de souveraineté chaque fois qu'il sera nécessaire à la construction de l'Europe ?

Il serait en effet pour le moins paradoxal d'adopter une Constitution européenne qui fera entrer les décisions et la législation européennes de plus en plus directement dans le domaine de la politique intérieure sans que les membres de la représentation nationale puissent s'exprimer sur tous les textes ou documents européens.

Or, tels qu'ils sont définis actuellement par l'article 88-4 de la Constitution, les pouvoirs de contrôle du Parlement en matière européenne sont, à mes yeux et à ceux de quelques autres, trop limités au regard du nouvel équilibre institutionnel résultant du traité donnant à l'Europe une Constitution.

Je n'exposerai pas ici le détail de l'initiative que M. Hervé de Charette, M. Roland Blum et moi-même avons prise en décembre dernier en déposant une proposition de loi constitutionnelle tendant à réformer l'article 88-4 aux fins de renforcer les pouvoirs de contrôle du Parlement en matière européenne.

M. Jacques Myard. Excellente proposition !

M. Édouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères. Un amendement reprenant cette proposition a été adopté largement par la commission des affaires étrangère, et rejeté tout aussi largement - je n'ai pas fait les calculs, mais la proportion doit être du même ordre - par la commission des lois.

M. François Loncle. C'est exact !

M. Jean-Pierre Brard. Les membres de la commission des lois sont des lansquenets !

M. Édouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères. Cela montre que l'affaire n'est pas tout à fait évidente, mais qu'elle est importante.

Il sera temps, lors de la discussion des articles, de débattre des mérites de cet amendement. C'est avec beaucoup d'intérêt que nous entendrons vos explications, monsieur le garde des sceaux.

Je souhaite simplement souligner ici la profonde nécessité d'associer plus clairement le Parlement français aux questions européennes. C'est une nécessité pour la France et pour l'Europe. Car il est illusoire de penser que l'Union se construira sans heurt si elle se bâtit dans l'opacité. « Pour vivre heureux, vivons cachés », écrivait Rousseau. Ce ne peut être la règle pour l'Europe : il faut que celle-ci se construise au grand jour.

À cet égard, notre Parlement est le lieu naturel pour donner écho aux préoccupations légitimes des Français, et la révision constitutionnelle qui nous est soumise devrait être l'occasion de progresser en ce sens.

Nous verrons au cours de nos débats si nous sommes entendus. Je l'espère, mais je souhaite dès à présent prendre date.

M. Jean-Pierre Brard. Et sinon, monsieur Balladur ?

M. Édouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères. Renforcer le rôle du Parlement français en faisant de ce dernier un acteur plus engagé dans le jeu européen reste à mes yeux le plus sûr moyen de démontrer à nos concitoyens que l'Europe ne se construit pas sans eux et sans leurs représentants. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Rappel au règlement

M. le président. Sur quel article votre rappel au règlement est-il fondé, monsieur Brard ?

M. Jean-Pierre Brard. L'article 58-1, monsieur le président.

Le président Balladur est un collègue d'une civilité parfaite, tout le monde le sait ici. Il s'exprime toujours avec beaucoup de retenue, même quand sa colère rentrée est lisible en filigrane. Voilà qui altère le déroulement de nos travaux, n'est-ce pas, monsieur le président de l'Assemblée ? J'ai en effet été très choqué par l'intervention du rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, M. Blum, qui a donné un bel exemple de violation de la démocratie parlementaire. (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Pour avoir lu les journaux, je sais qu'une discussion très importante a eu lieu en commission des affaires étrangères à propos d'un amendement. Or le rapporteur pour avis de cette commission, M. Blum, a trouvé le moyen de ne pas s'en faire l'écho.

M. le président de la commission des affaires étrangères, en raison de sa retenue et de sa modestie, ne l'a pas mentionné. Mais il faut bien quelqu'un pour le défendre.

Quoi qu'il en soit, je ne trouve pas convenable que M. Blum se soit comporté en janissaire de l'UMP plutôt qu'en rapporteur de la commission des affaires étrangères !

M. le président. Je prends acte de ce rappel au règlement.

Reprise de la discussion

M. le président. La parole est à M. le président de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne.

M. Pierre Lequiller, président de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre déléguée aux affaires européennes, mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle aujourd'hui soumis à notre examen est une étape indispensable pour permettre la tenue du référendum dont le Président de la République a souhaité qu'il ait lieu avant l'été.

Beaucoup de chemin a été parcouru depuis trois ans, lorsque le Conseil européen a convoqué - Pascal Clément l'a rappelé tout à l'heure - une Convention, brillamment présidée par Valéry Giscard d'Estaing, pour élaborer un projet de Constitution européenne. Les représentants des parlements nationaux - dont j'ai eu l'honneur de faire partie, avec notre collègue Jacques Floch - y ont joué un rôle décisif ; et la Conférence intergouvemementale n'a modifié qu'à la marge le projet initial de la Convention.

Le traité constitutionnel est un excellent texte, qui ne contient que des avancées.

M. Jacques Myard. Il nous mène dans le mur !

M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l'Union européenne. Alors que l'Europe se lève à l'Est depuis le 1er mai 2004, le traité constitutionnel ouvre la voie à une Union plus démocratique, plus ambitieuse, plus efficace.

Je ne reviendrai sur les nombreux progrès qu'il comporte et qui ont été cités par le ministre, le président de la commission des lois et M. Balladur. Nous le savons, les citoyens attendent beaucoup de l'Europe ; il est de notre responsabilité de ne pas les décevoir.

L'avenir de la France est résolument européen. Comme le disait Winston Churchill, il faut que la France prenne la première place dans l'Europe. Il faut : un, l'Europe ; deux, La France. Il n'y a pas de renaissance de l'Europe sans la France d'abord.

M. Jean-Pierre Brard. C'était un jour où il avait abusé du whisky !

M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l'Union européenne. C'est dans ce contexte que s'inscrit la révision de notre Constitution : la dix-huitième depuis 1958, et la cinquième directement liée à la construction européenne. Mais je remarque que c'est la première fois qu'un renforcement des pouvoirs de notre Parlement est juridiquement indispensable pour autoriser la ratification du traité constitutionnel.

La décision du Conseil constitutionnel est cohérente, tant sur les nouveaux transferts de compétences régaliennes que sur les nouvelles modalités d'exercice des compétences déjà transférées, c'est-à-dire le passage de l'unanimité à la majorité qualifiée.

Mais ne nous trompons pas sur l'interprétation politique des transferts de souveraineté. L'exemple de l'euro est révélateur :...

M. Jacques Myard. C'est un échec !

M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l'Union européenne. ...le transfert de notre souveraineté monétaire à l'Union a permis à notre pays d'exercer la plénitude de sa souveraineté politique sur la scène internationale, lors de la crise irakienne, sans jamais être menacé d'une attaque sur sa devise.

M. Jacques Myard. C'est faux !

M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l'Union européenne. L'Europe est, on le voit, un bouclier qui protège notre souveraineté.

Mes chers collègues, à l'heure où les peuples se posent légitimement la question des frontières de l'Europe, l'article 2 du projet de loi constitutionnelle prévoit que toute future adhésion à l'Union devra obligatoirement être autorisée par référendum. J'y vois là une avancée démocratique incontestable. J'y vois en outre le moyen de déconnecter le référendum sur le traité constitutionnel du débat sur l'ouverture des négociations d'adhésion avec la Turquie. Il nous faut absolument éviter le mélange des genres et ne pas détourner le référendum de son objet, qui est tout simplement d'approuver ou non la Constitution européenne.

J'en viens maintenant à un volet essentiel du projet de révision constitutionnelle : celui du renforcement du rôle du Parlement dans les affaires européennes. Beaucoup d'encre a coulé ces dernières semaines et quelques points méritent d'être clarifiés.

Tout d'abord, le traité constitutionnel européen marque un progrès sans précédent s'agissant de l'association des parlements nationaux à l'Union européenne, en établissant pour la première fois un lien direct entre nous - députés ou sénateurs - et les institutions de l'Union.

Si la Constitution est ratifiée, l'Assemblée nationale recevra directement des institutions de l'Union l'ensemble des projets d'actes législatifs européens ainsi que de très nombreux documents de consultation de 1a Commission. Nous serons habilités à contrôler 1e respect du principe de subsidiarité à travers un double mécanisme de contrôle politique en amont - le « carton jaune » -, et juridictionnel en aval - « le carton rouge » -, grâce à la possibilité de saisine de la Cour de justice européenne.

Le Parlement obtient également un droit de veto sur la mise en œuvre de la procédure de révision simplifiée du traité constitutionnel.

L'autre débat est beaucoup plus franco-français : il concerne les modalités du contrôle parlementaire des affaires européennes sur le Gouvernement - en d'autres termes, l'article 88-4 de la Constitution.

La délégation pour l'Union européenne, que j'ai l'honneur de présider, est la cheville ouvrière de la mise en œuvre de cet article 88-4, introduit en 1992 et dont le champ d'application a été élargi en 1999. Les trente-six députés membres de la délégation vivent au quotidien un contrôle parlementaire qui est bien réel. Comme je l'ai indiqué dans mon rapport écrit, la délégation reçoit plus de 1 250 documents par an, dont 300 projets d'actes européens au titre de l'article 88-4, sur lesquels elle doit se prononcer ; elle adopte, en fonction de l'importance des sujets, des conclusions - 35 cette année - ou des propositions de résolution : 22.

Alors, faut-il aller plus loin ? Un amendement, dont on a parlé tout à l'heure, propose que, sous certaines conditions, le Gouvernement soit tenu de soumettre tout projet d'acte européen, et qu'il soit possible de voter des résolutions sur les textes ainsi transmis. Comme j'ai eu l'occasion de le dire, cela ne me paraît pas conforme à l'esprit de nos institutions et ne répond pas à une réelle nécessité compte tenu du travail déjà effectué dans cette assemblée.

En revanche, je l'admets, l'entrée en vigueur du traité constitutionnel devrait s'accompagner d'une adaptation de l'article 88-4. En effet, l'Assemblée nationale sera destinataire de l'ensemble des projets d'actes législatifs européens au regard du contrôle du principe de subsidiarité, c'est-à-dire le nouvel article 88-5, sans nécessairement être saisie de ces textes au titre de l'article 88-4. En conséquence, afin de rendre le système plus compréhensible et plus efficace, il y aurait une logique, comme je l'ai indiqué dans mon rapport écrit, à ce que le Gouvernement soumette obligatoirement au Parlement, au titre de l'article 88-4, tous les projets d'actes législatifs européens - que ces projets relèvent de l'article 34 ou de l'article 37. Bien entendu, la clause facultative devrait être maintenue. J'ai déposé un amendement en ce sens et je soutiens celui qui a été présenté par M. Jacques Floch.

Un renforcement du contrôle parlementaire sur les affaires européennes suppose également de poursuivre et d'amplifier l'ouverture de notre assemblée sur l'Europe. Tout ne se fait pas au travers des règlements, mais aussi par la pratique. Sous l'impulsion de notre président, Jean-Louis Debré, beaucoup a déjà été fait, avec l'instauration d'une séance par mois de questions au Gouvernement sur des thèmes européens, la venue du président de la Convention sur l'avenir de l'Europe, Valéry Giscard d'Estaing, dans l'hémicycle, ou la présence des présidents d'assemblées des dix nouveaux pays membres au moment de l'élargissement. De la même façon, notre délégation multiplie les réunions communes avec les commissions des affaires européennes des parlements de l'Union, à Paris ou dans les capitales européennes, invite les parlementaires européens à ses réunions et auditionne de nombreuses personnalités européennes : le président Prodi, Jacques Delors, Jean-Luc Dehaene, Jean-Claude Juncker, Jacques Barrot, Michel Barnier, Pascal Lamy et beaucoup d'autres.

A cette occasion, je souligne une anomalie française. Pourquoi notre délégation ne s'appelle-t-elle pas, « commission pour l'Union européenne » comme toutes ses homologues des autres parlements de l'Union ? C'est incompréhensible pour nos concitoyens et sur la scène européenne. J'espère qu'en temps utile nous pourrons remédier à cette anomalie.

M. Michel Herbillon. Vous avez raison, c'est nécessaire.

M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l'Union européenne. En conclusion, la présente révision constitutionnelle est une étape nécessaire. Mais, dans les réunions sur le terrain, je constate que nos concitoyens, qui ne se sentent pas concernés par nos querelles byzantines, ont d'abord soif de connaître le contenu de la Constitution européenne. Nous, parlementaires, devons donc au premier chef nous mobiliser pour bien les informer, comme le Président de la République nous y a invités.

M. Jean-Pierre Brard. Vous faites de la propagande !

M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l'Union européenne. Si je n'en fais pas ici...

L'enjeu de la ratification est bien défini par ces questions de Paul Valéry : « L'Europe deviendra-t-elle ce qu 'elle est en réalité, c'est-à-dire un petit cap du continent asiatique ? Ou bien l'Europe restera-t-elle ce qu'elle paraît, c'est-à-dire la partie précieuse de l'univers terrestre, la perle de la sphère, le cerveau d'un vaste corps ? »

La France, pays fondateur, doit approuver largement le traité constitutionnel européen car si nous disons non, non seulement l'Europe reculera, mais également la France.

M. Jean-Pierre Brard. Mais non !

M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l'Union européenne. Si nous disons oui, nous créerons une Europe qui, pour parodier le poète Pessoa, parle d'une seule voix, dans toutes ses langues et toutes ses âmes, et d'abord la française. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Brard. Rappelez-vous : à Valmy, nous avons dit « non » !

M. le président. Mes chers collègues, je vous propose de suspendre la séance quelques instants avant de passer à l'exception d'irrecevabilité.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-cinq, est reprise à dix-huit heures dix.)

M. le président. La séance est reprise.

Exception d'irrecevabilité

M. le président. J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains une exception d'irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Jacques Brunhes.

M. Jacques Brunhes. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre déléguée aux affaires européennes, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui réunis pour examiner un projet de loi d'une importance fondamentale pour l'avenir de notre pays, le respect du droit des peuples et du principe de souveraineté nationale.

Ce texte marque une première étape dans le débat qui s'engage sur l'adoption ou le rejet du projet de traité établissant une Constitution européenne, sur laquelle nos concitoyens auront à se prononcer dans les prochains mois. Pour fonder leur vote, leur meilleur guide sera leur propre expérience de l'Europe : s'ils la considèrent comme un modèle de démocratie participative, ils pourront se prononcer pour le « oui » ; si, au contraire, ils estiment que le projet de traité entérine des principes qui ne leur permettent pas de faire valoir leurs droits de citoyens, la réponse qui s'imposera à eux sera le « non ».

J'insiste : c'est bien sur la base de leur expérience actuelle de l'Europe que les citoyens devront se positionner, car le projet de traité établissant une Constitution pour l'Europe n'apporte à cet égard rien de neuf. Il se situe dans la droite ligne de l'Acte unique européen et du traité de Maastricht. Il en conforte les principes, en particulier celui « d'une économie de marché ouverte où la concurrence est libre », et en aggrave les logiques en confortant le pacte de stabilité européen et en confisquant encore davantage les pouvoirs au profit de personnels politiques sans légitimité démocratique, au détriment des capacités d'intervention des citoyens et de leurs représentants.

L'examen du texte nous est présenté comme le préalable indispensable à la consultation référendaire. Il est, pour les élus communistes, l'occasion de réaffirmer leur attachement aux valeurs fondatrices de notre République. L'Europe n'est pas, dans l'état actuel, et moins encore dans le projet du traité, un espace démocratique. Les promoteurs de la construction européenne conçoivent la politique uniquement en termes d'efficacité et de « bonne gouvernance ». Le dogme libéral impose de reléguer les notions de souveraineté, de droits des peuples, de République, au grenier d'idéaux poussiéreux auxquels il serait temps de renoncer, au nom d'un réalisme étroit.

Une simple analyse lexicale comparative entre le texte du projet de traité établissant une Constitution européenne et celui de notre Constitution illustrera mon propos : pas une seule fois, le projet de traité ne fait mention de « fraternité » ou de « laïcité » ; en revanche, le mot « marché » y revient quatre-vingt-huit fois, celui de « concurrence » vingt-neuf fois, celui de « capitaux » vingt-trois fois. Or tous ces termes sont absents du texte de notre Constitution.

Ce n'est certes, et malheureusement, pas la première fois que notre assemblée est appelée à se prononcer sur un projet de loi constitutionnelle violant de façon aussi flagrante le principe de souveraineté nationale inaliénable et imprescriptible et celui de séparation des pouvoirs, en dehors duquel il n'existe pas de Constitution. Le projet de loi constitutionnelle ajoutant un chapitre intitulé : « De l'Union européenne », que le Gouvernement avait présenté en 1992, en préalable à la ratification des accords de Maastricht, constitue un précédent.

Bien que n'ayant - évidemment - aucune nostalgie gaulliste,...

M. Jean-Pierre Brard. S'il s'agit d'indépendance nationale, cela se discute !

M. Jacques Brunhes. ...je me souviens de l'exception d'irrecevabilité qu'avait alors défendue, avec courage et grand talent, l'actuel président de la Cour des comptes, M. Philippe Seguin. Il rappelait : « Il existe en effet, au-dessus même de la charte constitutionnelle, des droits naturels, inaliénables et sacrés, à savoir pour nous les droits de l'homme et du citoyen tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789. Et quand l'article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958 rappelle que " la souveraineté nationale appartient au peuple ", il ne fait que reconnaître le pacte originel qui est, depuis plus de deux cents ans, le fondement de notre État de droit. »

M. Nicolas Dupont-Aignan. Tout à fait !

M. Jacques Brunhes. Nulle assemblée ne saurait donc accepter de passer outre au respect de ce pacte fondamental.

Je poursuis la citation : « La question de la séparation des pouvoirs se pose dans les mêmes termes. Aucune assemblée n'a compétence pour se dessaisir de son pouvoir législatif par une loi d'habilitation générale, dépourvue de toute condition précise quant à sa durée et à sa finalité. A fortiori, aucune assemblée ne peut déléguer un pouvoir qu'elle n'exerce qu'au nom du peuple. Or le projet de loi qui nous est soumis comporte bien une habilitation d'une généralité telle qu'elle peut être assimilée à un blanc-seing ».

Le texte du traité établissant une Constitution pour l'Europe prévoit en effet de nouveaux transferts de compétences et le réaménagement des modalités d'exercice des compétences déjà transférées depuis l'Acte unique européen et le traité de Maastricht, de sorte que le Conseil constitutionnel lui-même reconnaissait, dans sa décision du 19 novembre 2004, et comme il l'avait fait à l'occasion de traités précédents, que « les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale » sont affectées.

Il est frappant à cet égard de remarquer que, dans la même décision, le Conseil soulignait que les fameuses « clauses passerelles », en transformant la nature des procédures décisionnelles de l'Union dans des matières inhérentes à l'exercice de la souveraineté nationale, affecteront « les conditions essentielles de cet exercice, sans imposer, le moment venu, aucun acte de ratification ou d'approbation nationale susceptible de faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité sur le fondement de l'article 54 ou de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution. »

Les nouvelles compétences transférées dans des domaines éminemment régaliens, le passage de l'unanimité à la majorité qualifiée pour le vote en Conseil des ministres dans ces mêmes matières, l'intervention désormais décisionnelle du Parlement européen et la perte du pouvoir d'initiative de chaque État membre au profit de la seule Commission ou d'un groupe d'États membres dans un champ de compétences sont autant innovations qui portent gravement atteinte, elles aussi, au principe de souveraineté nationale.

Les pouvoirs nouveaux reconnus aux parlements nationaux de s'opposer à une « révision simplifiée » du traité ou de faire respecter « le principe de subsidiarité » sont trop limités pour offrir une quelconque garantie d'intervention démocratique.

Certes - M. Lequiller l'a dit et vous en êtes tous d'accord -, notre Parlement sera mieux informé puisque le protocole I du traité prévoit la transmission directe à son intention des documents de consultation, du programme législatif annuel de la Commission et de tout projet d'acte législatif européen émanant des institutions de l'Union européenne. Cependant, mes chers collègues, l'information n'implique pas le contrôle parlementaire des négociations que le Gouvernement poursuivra dans le cadre de l'élaboration de ces actes législatifs.

Concernant le contrôle du respect du principe de subsidiarité, notre Parlement pourra, avant l'adoption d'un projet d'acte législatif européen, adresser aux présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission un avis motivé de non-conformité. Ces avis ne pourront cependant conduire à un réexamen que dans des conditions particulièrement restrictives, puisqu'il faudra réunir au moins un tiers de l'ensemble des voix attribuées aux parlements nationaux. De surcroît, après réexamen, le projet pourra être retiré, modifié ou maintenu en l'état, sans autre possibilité de recours qu'une action non suspensive devant la Cour de Justice de l'Union européenne.

D'aucuns prétendent que le droit des parlements nationaux serait renforcé. C'est inexact, ou alors ceux qui disent cela se contentent de peu.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Ce seront des parlements d'Ancien Régime !

M. Jacques Brunhes. Les parlements nationaux conserveront en fait un statut subalterne,...

M. Nicolas Dupont-Aignan. Eh oui !

M. Jacques Brunhes. ...puisqu'ils seront soumis, en dépit de leur légitimité démocratique, à l'arbitraire de la Commission et au gouvernement des juges, sans compter que la jurisprudence de la Cour de Justice, d'orientation très libérale, est favorable au renforcement des compétences communautaires.

Dans son livre Rappel au règlement, dédié à Michel Debré qu'il qualifie de « grand homme d'État » - et où il est souvent question de vous, monsieur le président de l'Assemblée nationale -, l'actuel président du Conseil constitutionnel, Pierre Mazeaud, ...

M. Jean-Pierre Brard. C'est un homme de sagesse !

M. Jacques Brunhes. ...écrit, à la page 105 : « Posons-nous l'unique question : l'Europe se construit-elle sur des bases authentiquement démocratiques ? La réponse est non. La Commission de Bruxelles s'arroge tous les pouvoirs, décide de tout, tranche de tout, sans sanction possible, sans contre-pouvoir réel. C'est insupportable, inadmissible, inacceptable. »

M. Nicolas Dupont-Aignan. Et on n'a encore rien vu !

M. Jacques Brunhes. Or, dans ses vœux au Président de la République, le 3 janvier dernier, le même Pierre Mazeaud affirme : « Oui, nous devons faire confiance aux institutions européennes, y compris aux juridictions supranationales créées par les traités. Le droit communautaire est d'effet direct et prévaut, en cas de conflit, sur nos normes nationales, y compris, dans la généralité des cas, sur nos règles constitutionnelles ».

Quel grand écart a dû faire le gaulliste Pierre Mazeaud pour en arriver, toujours dans ce même discours du 3 janvier à l'Élysée, à dire que la charte des droits fondamentaux de l'Union, qui est l'un des fers de lance des partisans du oui, « ne nous engage pas au-delà de ce que permet la Constitution française, pour peu qu'on en fasse la lecture naturelle et raisonnable qu'en fait notre décision du 19 novembre 2004. »

Monsieur le président de la commission des lois, vous que le Président de la République a présenté dans les salons de Westminster, lors du centième anniversaire de l'Entente cordiale,...

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Il y a peu !

M. Jacques Brunhes. ...comme « l'un des meilleurs juristes de France »,...

M. Jean Leonetti. C'est vrai !

M. le président. Parfaitement exact !

M. Jacques Brunhes. ...je vous le demande : quelle est la valeur normative d'une « lecture naturelle et raisonnable », de surcroît précédée d'un privatif : « pour peu qu'on en fasse » ?

M. Jacques Myard. Il a raison !

M. Jacques Brunhes. Un juriste aussi brillant que Pierre Mazeaud a tout lieu d'être inquiet car, en droit, cette valeur est nulle.

M. Jacques Myard. Bien sûr !

M. Jacques Brunhes. Et il est d'autant plus inquiet qu'il voulait refaire le référendum de Maastricht. Toujours dans son livre, ne déclarait-il pas, avec la fougue que certains lui ont connue : « Allons jusqu'au bout des aveux : je prétends même que le référendum sur Maastricht est non seulement sans valeur mais qu'il est bel et bien à refaire. Que l'on ne m'accuse pas de juridisme tatillon. Il s'agit bien d'une question de fond. ». Et il ajoutait : « Pourquoi refaire ce référendum ? Tout simplement parce qu'il n'a absolument pas le moindre sens depuis que certains États ont modifié le traité que la France a ratifié. »

Il va même jusqu'à dire : « Il y aurait vice de consentement de la France si, le traité une fois entré en vigueur, les Cours de Luxembourg ou de Strasbourg allaient au-delà de cette lecture naturelle et raisonnable. » Mais que peut-on attendre des Cours de Luxembourg et de Strasbourg, définitivement acquises au renforcement des compétences communautaires ?

De fait, l'avis du Conseil constitutionnel traduit de façon plus alarmante une démission à l'égard des valeurs fondatrices de notre République.

M. Jacques Myard. Il a raison !

M. Jacques Brunhes. Ce recul est d'ailleurs perceptible dans la plupart des textes de révision de notre Constitution adoptés ces dernières années. Le Parlement s'est illustré par son impuissance à résister au renforcement du régime présidentiel, en se faisant complice d'une logique présidentialiste qui a gagné l'ensemble de la vie politique française. Nous l'avons vu récemment avec le quinquennat et l'inversion du calendrier électoral. Ceux qui ont adopté les deux réformes portent une lourde responsabilité.

Notre parlement se trouve aujourd'hui condamné à regarder passer 1es trains, pour reprendre les termes de M. Alain Duhamel. Comme il l'observait dans une tribune du 4 janvier : « On est dans ce qui commence à ressembler à une République consulaire, c'est-à-dire que Jean-Pierre Raffarin, qui est revigoré et requinqué en ce moment, se comporte en fait comme un Second consul qui cherche à être le plus zélé et le plus identifié possible au Premier consul et surtout pas différent, complémentaire ou autonome. Quant au Parlement, c'est comme sous Bonaparte : le Corps législatif vote sans discuter et le Tribunat discute sans voter. Mais ils sont toujours à regarder les trains passer. »

M. Jean-Pierre Brard. Il n'y avait pas de trains à l'époque !

M. Jacques Brunhes. La situation n'est pas entièrement nouvelle. Elle tient pour une large part au déséquilibre de nos institutions. Mais force est de constater qu'elle s'aggrave et que les miettes de pouvoir consenties à notre Parlement, le plus souvent à l'occasion de la modification de son règlement intérieur, ne sont que la maigre contrepartie de l'accroissement démesuré des prérogatives du pouvoir exécutif, tant à l'échelle nationale qu'internationale, et plus spécifiquement européenne.

C'est encore le fait du prince qui nous vaut la procédure retenue pour l'examen du présent texte. Le Gouvernement demande en effet au Parlement de constitutionnaliser par avance un texte qui n'existe pas encore, puisqu'il est encore à l'état de projet, et qui sera bientôt soumis à référendum. Il y a déni de démocratie quand le Parlement se trouve instrumentalisé dans le but de lier le vote de nos concitoyens.

À ce sujet, le rapporteur pour avis a fait un aveu extraordinaire devant la commission des affaires étrangères. N'a-t-il pas affirmé que la révision constitutionnelle proposée par le Gouvernement était en quelque sorte le premier acte qui permettait d'aboutir à la ratification du traité de Rome signé le 29 octobre dernier...

M. Jacques Myard. C'est vrai !

M. Jacques Brunhes. ...et non au référendum et à la consultation populaire ? Cela montre bien - il le confirme - que le Parlement est instrumentalisé afin de lier le vote de nos concitoyens.

M. Jacques Myard. On va voter « non » de toute façon !

M. Jean-Pierre Brard. Ce n'est pas un aveu, c'est une confession !

M. Jacques Brunhes. On m'objectera que la décision de faire précéder la ratification du traité d'une révision de la Constitution procède de la décision du Conseil constitutionnel du 19 novembre 2004. Mais qu'est-ce qui obligeait le Gouvernement à privilégier la voie de la révision constitutionnelle ? Il y en avait d'autres ! M. Séguin l'expliquait déjà en 1992 au moment de Maastricht.

Dès lors qu'on se propose de faire ratifier par le peuple ce que le Parlement aura déjà décidé, on se livre à une manœuvre politique qui fausse délibérément le jeu démocratique.

Monsieur le garde des sceaux, cette révision constitutionnelle ne saurait être dissociée de l'analyse du traité pour une constitution européenne dont la ratification est son objectif quasi exclusif. Or ce traité est aux antipodes de notre vision d'une Europe citoyenne, démocratique, progressiste, acteur dynamique de la paix et de la sécurité internationale, porteuse d'une grande ambition pour un monde solidaire, fondé sur la coopération et sur le développement durable.

De fait, il « constitutionnalise » le fonctionnement des institutions européennes et les orientations politiques, sociales et économiques telles qu'elles résultent de l'Acte unique européen et du traité de Maastricht, reprises quasi intégralement dans sa troisième partie. Nous n'avons cessé de dénoncer ces textes parce qu'ils ont façonné le caractère technocratique, non transparent, ultralibéral de la construction européenne, dont le résultat est l'actuelle crise des institutions européennes et la désaffection des citoyens à leur égard.

Souvenez-vous, mes chers collègues, des résultats des dernières élections européennes. Dans la plupart des pays, il y avait une majorité absolue d'abstentionnistes, qui atteignait parfois les 80 %. Comment ne pas lier ces chiffres inquiétants au fait que l'Europe est de plus en plus, pour les citoyens, facteur d'augmentation du chômage ? Je vous rappelle pour mémoire qu'au moment de Maastricht, en 1992, Jacques Delors prédisait que la monnaie unique créerait cinq millions d'emplois nouveaux.

M. Xavier de Roux. C'était Delors !

M. Jacques Brunhes. Le Président de la République François Mitterrand, un peu plus prudent en prédisait trois ou quatre millions.

M. Xavier de Roux. Ça, c'était Mitterrand !

M. Jacques Brunhes. Et la droite qui votait pour le « oui » à Maastricht avançait le chiffre de dix millions d'emplois nouveaux.

M. François Loncle. C'était la droite !

M. Jacques Brunhes. Au lieu de quoi on connaît aujourd'hui un chômage qui frôle, chez nous, les 10 %, le développement de la précarité, de la flexibilité, des délocalisations, et une pression constante sur le pouvoir d'achat.

M. Jacques Myard. Il n'a pas tort !

M. Jacques Brunhes. Tout cela résulte des politiques impulsées au niveau européen avec la bénédiction de nos dirigeants, quand ils ne sont pas, eux-mêmes, à leur origine : la libéralisation totale des mouvements de capitaux, l'ouverture obligatoire de tous les services publics et de toutes les entreprises publiques à la concurrence, la marchandisation de toutes les activités humaines, la mise en place de critères de convergence visant à réduire les dépenses sociales et publiques.

Et quelles sont les institutions responsables de ces politiques, décidées avec l'aval du Conseil européen et des Conseil des ministres ? Une Commission européenne non élue - Pierre Mazeaud disait « des fonctionnaires » -, toute-puissante en matière de politique de la concurrence et de libéralisation des échanges commerciaux, une Banque centrale européenne indépendante du pouvoir politique et ayant pour seule mission de rendre crédible la zone euro aux yeux des marchés financiers, c'est-à-dire des centres de pouvoir éloignés des citoyens, qui sont totalement impuissants quant aux politiques élaborées à Bruxelles.

Le projet de traité constitutionnel tire-t-il des leçons de cette débâcle économique et sociale...

M. Nicolas Dupont-Aignan. Hélas non !

M. Jacques Brunhes. ...et de l'inquiétude réelle des peuples à l'égard de cette construction européenne ? Modifie-t-il les orientations et le fonctionnement des institutions européennes ? Bien évidemment non ! Je vous rappelle, mes chers collègues, que la Convention présidée par M. Giscard d'Estaing pouvait discuter de tout excepté de cet « acquis communautaire » en matière de fonctionnement, de politique sociale et économique ! Les 340 articles que comporte le titre III, qui reprend intégralement cet « acquis » et représente les trois quarts de tout le projet de Constitution, n'ont fait l'objet d'aucune discussion au sein de la Convention durant les seize mois de travaux. Ils ont été ajoutés après coup, en catimini !

Certes, la Convention a introduit dans le projet de traité quelques thèmes importants, comme les droits fondamentaux. Mais ces innovations demeurent de portée limitée, quand elles n'aggravent pas, s'agissant des brefs rajouts au titre III, la marche néolibérale de l'Union européenne.

Je me propose de vous en faire la démonstration par une sorte de rapide commentaire de texte de ce projet de traité.

En effet, que nous propose-t-il sur le plan politique ? D'emblée, je ne peux faire abstraction de l'intitulé du texte, qui ne peut se réduire à un simple problème de sémantique. « Traité établissant une Constitution pour l'Europe » : voilà l'expression inventée par la Convention. Tout le monde emploie donc les termes de « Constitution européenne », mais les autorités politiques précisent ensuite qu'il ne s'agit nullement de comparer cet instrument à nos traditionnelles constitutions nationales, qui sont l'expression de la souveraineté de nos États. En effet, seuls les États ont une Constitution, et pour qu'il y ait une Constitution, il faut un pouvoir constituant souverain, qui ne peut être que le peuple dans une démocratie.

Or la Convention qui a présidé à la rédaction de ce texte n'était nullement élue par les peuples européens - monsieur le président de la commission des lois, vous avez évoqué cette question -, même si elle était composée en partie de représentants des parlements nationaux. Et l'Union européenne, que je sache, ne se dit pas - pas encore, du moins - une fédération. Le terme, d'ailleurs, ne figure pas dans le traité. Je relève aussi que le texte du projet présente les caractéristiques formelles d'un traité international, tant du point de vue du droit interne que du point de vue du droit international public. Alors, pourquoi avoir retenu le terme de Constitution ?

C'est que le contenu du traité, comme son objet, laisse supposer que, du fait même de son entrée en vigueur, ce texte subirait une transmutation, dont la personnalité juridique conférée à l'Union serait la principale cause. Le choix délibéré du terme « constitution » en est déjà l'indice et vous en avez fait l'aveu tout à l'heure, monsieur le président de la commission des lois. La Commission européenne a d'ailleurs reconnu dans sa communication du 22 mai 2002 que, de son point de vue, cette Constitution « aurait pour l'Union la même valeur qu'une Constitution pour un État membre ». Le devenir de l'Union se situerait ainsi dans un cadre fédéral. L'extension dans le traité de la règle de la majorité qualifiée, étendue à une vingtaine de domaines supplémentaires, et devenant, avec l'application du traité en novembre 2009, la règle générale pour l'adoption des décisions au sein du Conseil des ministres, conforte cette lecture.

Mais lorsque ce choix risque de se heurter aux exigences du bon fonctionnement des règles libérales du traité, qui en sont l'essence même, comme dans les domaines clés du social et de la fiscalité, la règle de l'unanimité est maintenue.

M. Alain Bocquet. Bien sûr !

M. Jacques Brunhes. Même les questions relatives à l'impôt sur les sociétés,...

M. Jean-Pierre Brard. Surtout !

M. Jacques Brunhes. ...à la fraude fiscale et à l'évasion fiscale relèvent de cette règle. Ainsi, fédéralisme ou pas, ce qui l'emporte surtout, c'est la sauvegarde, coûte que coûte, des principes directeurs libéraux de la construction européenne. Règle majoritaire ou unanimité sont fonctions des choix idéologiques du traité en faveur des dogmes libéraux. Le politique est ainsi subordonné à l'économie, et la démocratie en fait tout naturellement les frais.

Je remarque que du préambule de la Constitution européenne disparaît la citation de Thucydide que les travaux de la Convention avaient pourtant mis en exergue : « Notre Constitution est appelée démocratie parce que le pouvoir est entre les mains non d'une minorité, mais du plus grand nombre. » Tout cela a été effacé.

M. Jacques Myard. Cela ne plaisait pas à Bruxelles !

M. Jacques Brunhes. Et c'est bien ce que consacre le traité. En effet, quelle démocratisation institutionnelle nous propose-t-il ? Certes, il introduit l'extension du champ de la codécision entre le Parlement européen et le Conseil des ministres, ce qui est une mesure positive. Cependant, la Commission, dont les membres sont nommés, conserve le quasi-monopole de l'initiative, privant ainsi le Parlement de l'une de ses prérogatives les plus importantes. De même, ce dernier reste écarté des décisions sur les recettes de l'Union et sur la majeure partie de l'allocation de ses dépenses. Son action, par ailleurs, doit se situer dans le cadre des orientations fondamentales de la Constitution ; le Parlement ne peut donc promouvoir une politique alternative. Par exemple, il est précisé qu'il « s'efforce de réaliser l'objectif de libre circulation des capitaux dans la plus large mesure possible » à l'article III-157. À quoi lui serviraient ces nouveaux pouvoirs s'il souhaitait lutter contre les délocalisations, par exemple ?

Si une plus grande transparence est prévue pour les réunions du Conseil des ministres, puisqu'il siège en public lorsqu'il délibère et vote sur un projet d'acte législatif, ce n'est pas le cas pour ses activités non législatives. Quant au Conseil européen, c'est dans le secret de « la diplomatie des couloirs » et des négociations opaques qu'il prend ses décisions, sur lesquelles, bien sûr, les citoyens n'ont aucune prise. Cela est d'autant plus grave que, sauf rares exceptions, les parlements nationaux ne sont pas associés, en amont, aux discussions et négociations menées par les gouvernements, et, à l'exception de quelques pays, ils ne peuvent pas non plus donner un mandat impératif aux exécutifs nationaux pour ces pourparlers.

Les nouvelles prérogatives des parlements nationaux - je l'ai déjà indiqué - ne leur permettront aucunement d'avoir prise sur la construction européenne.

La Commission dispose toujours de pouvoirs exorbitants en matière de propositions de directives. La politique de concurrence, centrale dans la politique économique européenne, est de sa compétence exclusive. Les négociations commerciales internationales sont de sa responsabilité en vertu d'un mandat du Conseil très large et plus que vague. Ses pouvoirs sont hors de contrôle.

La Cour de justice de Luxembourg a le monopole de l'interprétation des traités et de l'ensemble du droit communautaire, qui, je le rappelle, prévaut sur le droit interne. Or toute sa jurisprudence est en faveur des compétences communautaires, c'est-à-dire de plus d'intégration.

La Banque centrale européenne demeure un véritable « monstre juridique ».

M. Jacques Myard. Exact !

M. Jacques Brunhes. Son indépendance est totale ; l'article III-188 indique qu'aucune institution publique n'a le droit de lui donner d'instructions. Elle ne répond qu'aux exigences des marchés financiers et défend, par principe, une politique monétariste. Politique monétariste dont j'avais eu l'occasion de dire à cette tribune au Premier ministre Alain Juppé, alors qu'il y avait un million de Français dans la rue - c'était une véritable motion de censure - pour lutter contre son plan relatif à la sécurité sociale : « Toutes les politiques monétaristes, en France comme ailleurs, mènent inéluctablement aux mêmes conséquences : chômage, paupérisation, détérioration des services publics, bradage du potentiel économique, chute de la production et du revenu national, déséquilibre de la balance des paiements. J'ajoutais à l'époque et je le répète encore aux membres du gouvernement actuel et à nos collègues de droite : ces recettes monétaristes se traduisent par des mesures d'austérité sélectives, qui rappellent la formule cynique du ministre banquier du XIXsiècle : ...

M. Jacques Myard. Enrichissez-vous !

M. Jacques Brunhes. ...« Faisons payer les pauvres, ils sont plus nombreux.»

M. Jean-Pierre Brard. C'est à Maisons-Laffitte que l'on dit cela !

M. Jacques Myard. L'ordre règne à Maisons-Laffitte, monsieur Brard !

M. Jacques Brunhes. Le projet de Constitution confirme que l'objectif principal de la BCE est la stabilité des prix, bien avant l'emploi et la croissance. L'Europe se montre ainsi plus libérale et monétariste que la Banque centrale américaine, la FED, dont l'un des objectifs principaux est le plein-emploi. La BCE est ainsi la plus libérale du monde par son fonctionnement et sa mission.

M. Jacques Myard. Peut-être même la plus bête !

M. Jacques Brunhes. Dans cette architecture institutionnelle, les citoyens restent quasiment exclus des centres de décision de l'Union européenne. Le « déficit démocratique » qui les a tant éloignés de la construction européenne, au point d'entraîner des taux records d'abstention à toutes les élections au Parlement européen, est loin d'être épongé. Le risque est grand que l'Union continue de « se construire en cercles fermés plutôt qu'au grand jour »,...

M. Jacques Myard. Cela va imploser !

M. Jacques Brunhes. ...comme le reconnaissait la Commission européenne elle-même.

On me rétorquera : quid de la grande avancée de la démocratie participative que représente le droit de pétition en vertu duquel « des citoyens de l'Union, au nombre d'un million au moins, ressortissants d'un nombre significatif d'États membres, peuvent prendre l'initiative d'inviter la Commission, dans le cadre de ses attributions, à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu'un acte juridique de l'Union est nécessaire aux fins de l'application de la Constitution » ? Voilà donc une « innovation positive ».

Mais remarquons déjà qu'en parlant de « citoyens », elle exclut les simples résidents, c'est-à-dire les immigrés établis parfois de longue date dans les pays de l'Union européenne,...

M. Jacques Myard. Circulez, il n'y a rien à voir !

M. Jacques Brunhes. ...qui y travaillent, paient des impôts et subissent tout autant que les nationaux les conséquences néfastes des politiques européennes.

M. Jacques Myard. C'est du soviétisme !

M. Jacques Brunhes. Remarquons surtout que la pétition ne fait « qu'inviter » la Commission européenne à soumettre une proposition, cette dernière restant juge de son opportunité.

On aurait pu imaginer aussi que les citoyens utilisent cette attribution aux fins d'améliorer le traité dans le domaine des droits sociaux, pour demander le maintien ou l'extension du service public par exemple. Mais non, il ne s'agit pas du tout de cela. L'initiative pétitionnaire ne sera prise en considération que si elle ambitionne de mettre en application des dispositions contenues dans le traité.

Mme Marie-George Buffet. Tout à fait !

M. Jacques Brunhes. Et c'est là que nous mesurons le véritable caractère antidémocratique, profondément rétrograde au niveau social et économique de ce texte appelé Constitution. Une Constitution, mes chers collègues, est l'expression d'une certaine conception du pouvoir politique qui trouve sa légitimité dans des principes fondateurs. Elle définit les normes, les valeurs, les droits fondamentaux et organise les pouvoirs. Avec un grand sens de la prémonition, le président Mazeaud écrivait, en 1995, page 111 de son livre : « Demain ou après-demain, notre Constitution aura 2 000 articles si nous devons accepter sans réagir les évolutions juridiques imposées par Bruxelles. » Or nous y sommes ! Ce traité, véritable pavé de 448 articles, auxquels il faut ajouter 603 pages de déclarations, protocoles et autres annexes, qui en font partie intégrante - article IV-442 - va bien au-delà de ce qui peut être qualifié de Constitution.

M. Jacques Myard. Il a raison ! Retrouvons la Constitution de Sparte !

M. Jacques Brunhes. Il grave dans le marbre le choix idéologique du libéralisme, « constitutionnalise » le modèle libéral au cœur de l'Europe de l'Acte unique et de Maastricht, repris ensuite par les traités d'Amsterdam et de Nice. Il annonce ainsi la mise à mort constitutionnelle de ce qui était naguère le modèle social européen, fondé sur des droits collectifs, des biens communs, une protection sociale, l'intérêt général, des services publics, un code du travail, tout cela sacrifié sur l'autel du modèle libéral anglo-saxon dont le cœur est la libre concurrence, la précarité et la flexibilité.

Ainsi, dès l'article 1-3 portant sur les objectifs de l'Union, est-il précisé au paragraphe 2 que l'Union offre à ses citoyens un marché intérieur « où la concurrence est libre et non faussée » - c'est la définition même du libéralisme -...

Plusieurs députés du groupe des député-e-s communistes et républicains. Tout à fait !

M. Jacques Brunhes. ...et que le développement de l'Europe est fondé sur une économie de marché « hautement compétitive ». Certes, cette économie de marché hautement compétitive est qualifiée de « sociale » à l'article 1-3. Mais c'est l'unique fois, et cette pétition de principe ne pèse pas bien lourd face aux références répétées au principe de la libre concurrence. À au moins trois reprises, aux articles III-177, III-178 et III-185, le traité réaffirme que 1a politique économique est conduite conformément « au respect du principe d'une économie de marché ouverte où la concurrence est libre ». Ce dernier s'accompagne tout naturellement du dogme de la libre circulation des capitaux, à l'article III-157-2. L'article III-156 interdit toute restriction aux mouvements de capitaux et la règle de l'unanimité gouverne toute décision qui constituerait un recul de ce droit.

De même, je le rappelle, les mesures d'harmonisation de la fiscalité, de transparence, de taxation des mouvements de capitaux et de lutte contre l'évasion fiscale, tout comme les mesures sociales, sont toutes subordonnées à un vote à l'unanimité. Elles sont donc figées. Toute évolution future dans ces domaines et toute politique alternative sont ainsi interdites. Les modalités de révision requièrent l'unanimité et les « clauses passerelles » prévues pour permettre l'élargissement de la majorité qualifié et de la codécision, sont soumises à l'unanimité, qui les rend impuissantes.

Traduit en termes clairs, cela signifie l'accélération des délocalisations vers les zones à bas salaires, du dumping social et fiscal. Cela veut dire l'impossibilité de toute harmonisation fiscale ou sociale, de tirer vers le haut les droits des salariés européens les plus mal lotis. Enfin, c'est l'alignement par le bas de toute la législation en la matière.

Pourtant, les conséquences de cette politique désastreuse s'aggravent chaque jour : chômage galopant, précarité, flexibilité, 55 millions de pauvres dans les quinze anciens pays membres de l'Union européenne, sans parler des dix nouveaux. Si je voulais énumérer tous les dégâts humains et sociaux, le temps qui m'est imparti pour cette exception d'irrecevabilité ne suffirait pas !

Mais, diront les partisans du projet de Constitution, la Charte des droits fondamentaux est pour la première fois intégrée dans le texte même d'un traité communautaire. Certes, mais ils oublient d'ajouter que cette Charte est un recul, notamment par rapport aux acquis de la Déclaration universelle des droits de l'homme, proclamée par l'Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948 et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, adopté le 16 décembre 1966 et ratifié par tous les membres de l'Union européenne. En effet, la Charte reconnaît « le droit de travailler » mais plus « le droit au travail ». Elle ne reprend pas d'autres droits, acquis de haute lutte dans maints pays européens, tels que le droit à un revenu minimum, à une pension de retraite, aux allocations de chômage, à un logement convenable. Quant aux droits à la sécurité, à l'aide sociale et à la santé, la Charte se borne à les respecter « selon les règles établies par le droit de l'Union et les législations et pratiques nationales ». Non seulement l'Union ne les renforcera pas ni ne les imposera là où ils sont insuffisants voire inexistants, mais le démantèlement de ces systèmes, là où ils existent, comme en France, est un bon indicateur des tendances lourdes à l'œuvre. Bref, la Charte ne crée aucune tâche nouvelle pour l'Union. Les droits qu'elle reconnaît s'exercent dans les conditions libérales définies dans d'autres parties de la Constitution. Pour couronner le tout, l'annexe explicative élaborée en vue de guider l'interprétation de la Charte vient en réduire encore la portée.

L'article III-314 précise que l'Union contribue à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux, aux investissements étrangers directs, ainsi qu'à la réduction des barrières douanières et autres. La référence aux « investissements étrangers directs » et « barrières autres » est un ajout à l'article 131 du Traité de Rome qui témoigne de la dérive ultralibérale de la construction européenne et de la soumission aux exigences du patronat. Voilà une innovation qui aggrave de façon significative les dispositions libérales antérieures. Les investissements étrangers directs sont au cœur de la discussion sur la globalisation des échanges et la libéralisation du commerce mondial. Ils constituaient la disposition clé de l'accord multilatéral sur les investissements, rejeté grâce à la mobilisation des forces progressistes. La voilà subrepticement introduite dans le texte !

Quant à la formule « et autres », elle met en cause tant le respect des droits et libertés fondamentaux que le maintien et le renforcement des lois sociales et des lois environnementales, qui sont autant de restrictions aux investissements. En d'autres termes, toute clause sociale, environnementale, technique, susceptible d'entraver la mondialisation ultralibérale, est à bannir dans le commerce international. D'ailleurs, aucune référence n'est faite dans le texte à la primauté qu'il faudrait accorder aux conventions internationales relatives à l'environnement, aux droits sociaux fondamentaux et à la santé par rapport aux règles de l'OMC.

L'article suivant traite des « aspects commerciaux de la propriété intellectuelle », préoccupation prioritaire des milieux patronaux européens, qui ont mené un combat rétrograde sur la question des brevets des produits pharmaceutiques en Afrique du Sud. Combat d'autant plus honteux qu'il mettait en cause la vie de millions de malades du sida. Aujourd'hui, le dossier se focalise sur les brevets relatifs aux micro-organismes et aux nouvelles variétés de plantes, en lien avec l'avenir de l'industrie agricole et agroalimentaire, ainsi que sur le brevetage du vivant et la question des OGM. Les politiques menées dans ces domaines ne peuvent que susciter la crainte.

Par ailleurs, le traité ne connaît ni les « services publics » ni les « services d'intérêt général ». Il ne parle que des « services d'intérêt économique général » les fameux SIEG - article II-96, III-122, III-166-2. Ces deux notions, explique la Commission, ne peuvent être confondues avec l'expression « service public ». En effet, les SIEG sont des services de nature économique que les États membres ou la Communauté soumettent à des obligations de service public en vertu d'un critère d'intérêt général. Le traité confie à la loi européenne le soin de fixer les principes et les conditions de fonctionnement des SIEG, tout en spécifiant bien que les entreprises chargées de la gestion de ces services sont « soumises aux règles de concurrence ».

M. Jacques Desallangre. Et voilà !

M. Jacques Brunhes. Non seulement l'aide de l'État à une telle entreprise nécessite une dérogation, mais la Commission et tout État membre peuvent saisir directement la Cour de justice s'ils estiment que l'usage des dérogations est abusif au regard des règles de concurrence. L'article III-238 prévoit même le remboursement de certaines servitudes inhérentes à la notion de service public. Cet encadrement juridique et la propension de la Commission à démanteler les services publics, notamment les entreprises de service public dans l'Union européenne, tout comme à l'OMC, ainsi que son monopole de l'initiative législative, ne peuvent que nous laisser craindre que le traité ne légalise les mécanismes pour les détruire. D'ores et déjà, la vaste entreprise de démantèlement des services publics est en marche accélérée en France. S'abritant derrière ces directives européennes, le Gouvernement a « cassé » EDF-GDF l'année passée, et la Poste la semaine dernière. Le MEDEF britannique, auquel aurait pu s'associer le MEDEF français, a officiellement salué « l'opiniâtre résistance au modèle social continental » qui permet de consacrer la vision d'une « Europe atlantiste de privatisation des services publics ».

M. Jacques Desallangre. Eh oui !

M. Jacques Brunhes. Voilà donc gravé dans le marbre de la Constitution le visage ultralibéral de l'actuelle construction européenne qu'aucune disposition nouvelle du traité constitutionnel ne permet de remodeler. Un visage ultralibéral dont les traits les plus caractéristiques se reflètent dans le fameux projet de directive Bolkestein sur la libre circulation des services au sein de l'Union européenne. La Commission n'a pas attendu la ratification de la Constitution pour ouvrir les négociations visant son adoption ! Rappelons que ce projet de directive considère tous les services, y compris les services essentiels comme les services sociaux, de santé, la culture ou l'enseignement, comme des services économiques concurrentiels, au même titre que les marchandises.

M. Jacques Desallangre. Scandaleux !

M. Jacques Brunhes. Il limite sévèrement la capacité des États à réglementer ou à contrôler les activités de services sur leur territoire. Et, surtout, il pose le principe du pays d'origine, selon lequel le prestataire est soumis uniquement à la loi du pays dans lequel il est établi.

Plusieurs députés du groupe des député-e-s communistes et républicains. Eh oui !

M. Jacques Brunhes. Si ce projet de directive était adopté, il entraînerait inéluctablement le démantèlement des systèmes légaux de protection sociale et de santé au profit de systèmes privés. Il signifierait la dérégulation de nos systèmes éducatifs et la fin de toute forme de diversité culturelle. Le principe du pays d'origine entraînera la délocalisation des salariés pour une mise en concurrence généralisée des peuples et la course à la casse des systèmes nationaux de protection sociale, au nom de la lutte contre les délocalisations. L'effet sur le fonctionnement du marché du travail serait tout aussi désastreux. Les États se verraient interdire toute mesure vis-à-vis des travailleurs détachés, ce qui rendra impossible le contrôle de leurs conditions de travail. Des conventions collectives et accords sectoriels ou la concertation sociale, considérés comme des barrières à la libre circulation, pourraient être supprimés. Voilà donc la « destination sociale » que la marche actuelle de l'Union européenne prévoit pour ses peuples.

M. Jacques Desallangre. Pauvres enfants !

M. Jacques Brunhes. La Constitution européenne met également fin au mythe d'une Europe-puissance capable de représenter un contrepoids à l'hyper-puissance américaine, notamment par le biais d'une défense européenne autonome. Je vous invite à en juger par vous-mêmes L'article I-41, paragraphe 2, précise que l'éventuelle politique de défense commune de l'Union, « respecte les obligations découlant du traité de l'Atlantique Nord », et, selon le paragraphe 7 de ce même article, tout engagement de défense mutuelle entre États membres est exclu parce qu'il ferait double emploi avec le traité de l'OTAN. Ce paragraphe précise ainsi que l'OTAN reste, pour ses États membres, « le fondement de leur défense collective et l'instance de sa mise en œuvre ».

M. Jacques Desallangre. Quel aveu !

M. Jacques Brunhes. Le ministère des affaires étrangères britannique ne s'y trompe pas, lorsqu'il souligne, en s'en félicitant, que « c'est la première fois qu'un traité de l'Union européenne dit les choses aussi clairement », à savoir reconnaît cette subordination à l'OTAN.

Cette Europe, devenue relais efficace de la mondialisation libérale et inféodée militairement et diplomatiquement aux États-Unis, nous ne pouvons l'accepter, non seulement en raison de son impact si négatif en termes humains, sociaux et économiques, mais aussi parce qu'elle porte en germe les dangers d'une réaction de repli nationaliste xénophobe. Dans tous les pays membres de l'Union, les mouvements fascisants, racistes, relèvent la tête. Ils trouvent dans l'exclusion et l'extrême pauvreté le terrain rêvé pour propager leurs idées. Cette Europe-là porte aussi en germe les dangers de nouveaux conflits entre peuples européens mis en concurrence par la sauvagerie d'un « marché hautement compétitif », sans le filet des droits sociaux. Ces dangers risquent de détruire l'idée européenne elle-même, d'autant qu'une crise de confiance accrue entre les citoyens et les institutions européennes est à redouter.

Voilà ce qui motive notre refus d'un projet de traité européen qui ne pourra être amendé, une fois ratifié et mis en application, qu'à l'unanimité des États membres. Cela signifie, de fait, que la clause de révision prévue dans le traité ne pourra dans la pratique être utilisée. Les peuples européens devront donc subir cette Europe à visage ultralibéral pendant de longues années. Et si l'on en croit Valéry Giscard d'Estaing, le traité serait « bétonné » pour quarante ou cinquante ans. C'est donc maintenant qu'il faut s'opposer à cette éventualité en disant non au projet de traité.

Allons-nous vers le chaos si le non l'emportait ? C'est l'épouvantail qu'agitent les partisans du oui. Il importe de tordre le coup à cette idée et d'affirmer avec force qu'en cas d'échec de la ratification dans un ou plusieurs pays d'Europe, l'Union ne cessera pas pour autant de fonctionner. (« Très juste ! » sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Elle sera régie selon le traité actuellement en vigueur. Rappelons que, selon le projet de Constitution lui-même, une grande partie des dispositions du traité de Nice sera maintenue jusqu'en 2006 et même jusqu'en 2009 pour certaines d'entre elles. Nous aurons ainsi le temps de remettre l'ouvrage sur le métier. Nous devons sortir du carcan des traités d'Amsterdam, de Nice, de Lisbonne, mais nous voulons le faire par le haut et non par le bas. Il n'y aura donc pas de vide juridique.

Que prévoit le traité constitutionnel dans ce domaine ? L'article IV-447 n'évoque pas le cas où un ou plusieurs États refuseraient de le ratifier. En revanche, une déclaration annexe prévoit qu'en cas de blocage, si les quatre cinquièmes des États membres ont déjà procédé à la ratification, « le Conseil européen se saisit de la question ». Il est invraisemblable, pour ne pas dire impossible, qu'il décide d'appliquer la Constitution seulement dans les États ayant décidé la ratification, et d'en exclure les autres, surtout s'il s'agit de pays majeurs comme le nôtre ou le Royaume-Uni, qui voteront par référendum. Il est par contre plus que probable, c'est en tout cas le message qui sera envoyé par les peuples des pays concernés, que la copie de la Constitution sera revue, soit dans le cadre d'une nouvelle convention, soit dans le cadre d'une nouvelle conférence intergouvernementale, solution qui a notre préférence, ou encore à travers une consultation des peuples. On est donc très loin de l'hypothèse du chaos.

Permettez-moi de vous rappeler un exemple qui appartient à notre histoire. En 1945, le peuple français a refusé par référendum la Constitution qui lui était proposée. La France n'a pas sombré dans le chaos pour autant. (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) L'Assemblée s'est remise au travail et, huit mois plus tard, par un nouveau référendum, le peuple approuvait un texte différent.

Le signal que nos peuples enverront en disant non, ce sera le rejet du modèle européen actuel et la nécessité d'alternatives pour une autre construction européenne qui emporterait l'adhésion et sortirait l'Union de l'impasse actuelle. Le non, dans cette optique, ne sera ni le chaos ni le statu quo : il créera les conditions d'une nouvelle dynamique pour l'émergence d'un nouveau projet européen.

Cette perspective est d'autant plus urgente que nous avons besoin d'Europe dans notre monde globalisé. Avec la mondialisation, un seul pays ne peut plus, à lui seul, relever les défis dans un certain nombre de domaines où le niveau pertinent d'action est le niveau européen. C'est le cas lorsqu'il s'agit de maîtriser les marchés financiers, de prévenir les risques écologiques et de mobiliser les ressources pour la recherche à l'heure de l'explosion des nouvelles technologies et de la révolution informationnelle, pour ne citer que ces exemples. Encore faudrait-il que l'Union européenne s'en donne les moyens, c'est-à-dire les orientations et les structures nécessaires.

Notre ambition pour l'Europe a un triple aspect : une ambition démocratique, une ambition sociale et écologique, une ambition européenne au service d'un monde de paix. Les intervenants de mon groupe, lors de la discussion générale, traiteront de notre choix d'une autre Europe. Permettez-moi cependant d'en tracer rapidement les grandes lignes.

L'Europe démocratique aura à résoudre un problème inédit : comment étendre à cet espace en construction l'exercice de la citoyenneté, dont le cadre naturel est encore aujourd'hui, qu'on le veuille ou non, l'État-nation ? Cette question est au cœur du débat institutionnel sur les équilibres des pouvoirs, entre nation et Union, exécutif et législatif. Nous considérons que, dans un ensemble commun où existent des lieux de décision politique nouveaux, les citoyens devront avoir la maîtrise des décisions qui les concernent aux deux niveaux, national et européen.

Je ne peux évidemment pas entrer dans les modalités de cette participation citoyenne à l'élaboration des politiques européennes comme à l'évaluation de leurs effets. Mais j'illustrerai mon propos en citant quelques pistes. Il me semble que les parlements nationaux, en raison de leur proximité avec les citoyens, sont les mieux placés pour jouer ce rôle et leur intervention sur les enjeux européens me paraît indispensable à cet égard. Le rôle de contrôle du Parlement européen devrait être parallèlement renforcé dans les domaines qui relèvent de la compétence de l'Union. L'Europe démocratique implique bien évidemment le remodelage politique des pouvoirs de toutes les instances non élues, comme la Banque centrale européenne et la Commission. Enfin, il faudra s'assurer que toutes les réformes institutionnelles ne se font plus par « en haut », mais s'accompagnent, à chaque étape majeure, d'une consultation populaire et d'un débat démocratique.

L'Europe sociale devra concevoir et mettre en œuvre un modèle fondé sur un système de sécurité de l'emploi et de formation, une véritable charte des droits sociaux et une stratégie de développement durable s'appuyant sur un secteur public rénové et démocratisé puissant, une sorte de colonne vertébrale au cœur de ce projet européen. Concrètement, il s'agit de rompre avec l'engrenage de la baisse du coût du travail, d'harmoniser vers le haut les législations sociales, avec l'application effective du principe de non-régression, d'assurer l'égalité des droits entre femmes et hommes ainsi que l'égalité d'accès à des biens et des services publics dignes de notre époque.

Cela n'est évidemment pas possible sans rompre avec la logique financière qui est au cœur de cette Europe libérale, avec le pacte de stabilité dont la conception restrictive en matière d'investissements et de dépenses publiques entraîne une logique récessive ou encore avec la politique monétaire de la BCE, fondée exclusivement sur le contrôle des prix au détriment de la croissance et de l'emploi. Cela n'est pas possible sans faire du service et du secteur publics, soumis à un contrôle démocratique de leurs orientations et de leurs stratégies, un des piliers du modèle social européen. Enfin, cela n'est pas possible sans mettre au cœur de ce dernier les besoins humains, sans faire de l'être humain une fin et de l'économie un moyen.

Ce projet de développement aura à prendre en compte l'urgence écologique avec une mise en œuvre active du protocole de Kyoto, et il appelle des efforts pour son application à l'échelle internationale. D'une manière générale, l'Europe écologique devra s'opposer à la destruction programmée de la nature, consubstantielle au libéralisme triomphant.

Sur la scène mondiale, l'Europe aura à assumer une responsabilité toute particulière : celle d'une autre vision des relations internationales aux plans tant économique que politique et de la sécurité. Dans tous ces domaines, nous devons agir comme un contrepoids, comme une force alternative aux États-Unis, en proposant une autre stratégie que celle de la globalisation ultra-libérale, de l'unilatéralisme et de la guerre préventive véhiculée par l'hégémonie américaine. Nous proposons une vision large de la sécurité, prenant en compte ses dimensions non-militaires.

Il s'agit d'une politique qui englobe de multiples dimensions, en particulier le développement et la réduction des inégalités inter- et intra-étatiques, qui sont en grande partie sources du nouveau désordre mondial. En effet, c'est une évidence que le discours sécuritaire sur le terrorisme trouve ses limites et sa propre contradiction dans l'absence d'une politique de développement conséquente. Les propositions ne manquent pas dans ce domaine : annulation de la dette des pays pauvres, augmentation de l'aide et réforme de son financement, notamment par la démocratisation des institutions financières internationales et une réforme radicale de leurs politiques, à travers la constitution d'un fonds international pour le développement dont les modalités sont en débat à travers deux rapports soumis à l'ONU.

L'Europe devra être, à mon sens, à la pointe du combat sur tous ces fronts, sans oublier qu'elle a une responsabilité toute particulière pour le financement des coopérations dans la zone méditerranéenne, qui lui est consubstantielle. Elle doit de même souligner la nécessité d 'une approche multilatérale dans le domaine de la sécurité, ce qui implique le renforcement d'une ONU réformée, placée au cœur des relations internationales, aussi bien pour la solution des conflits que pour les questions économiques afférentes au développement.

S'agissant de la dimension purement militaire, il reviendra à l'Europe de se doter de moyens communs pour sa sécurité et de contribuer à la sécurité internationale, mais dans des conditions très précises, dans le cadre de missions de l'ONU ou d'une OSCE rénovée, organisée régionalement. En la matière, il conviendra d'adopter une démarche totalement novatrice, visant à assurer la paix par la prévention de la guerre et non par la guerre préventive, chère à l'administration Bush. Cette conception pose évidemment la question de la pérennité de l'OTAN, structure héritée de la guerre froide, qui sert toujours, alors que la période actuelle ne le justifie aucunement, à maintenir la domination américaine sur notre rive de l'Atlantique. Il y a pour nous une contradiction insurmontable dans la proposition de faire de l'OTAN une partie constitutive de l'identité de l'Europe. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mes chers collègues, voilà, esquissé rapidement, notre grand dessein pour l'Europe, porteur de sens et par conséquent susceptible d'une adhésion populaire qui, seule, peut rendre légitime cette grande et belle aventure européenne. La question, désormais, n'est plus d'être pour ou contre l'Europe, c'est celle du choix d'orientations et de la finalité de la construction européenne. Et cette question est capitale car, sans rupture avec la logique ultralibérale actuelle, nous risquons de pousser bien des anti-libéraux, dont le nombre ne cesse de se renforcer, comme en témoigne la force du mouvement altermondialiste, à se détourner de l'idée européenne. Le non au projet de traité et sa renégociation reviennent de notre point de vue à préserver l'avenir de l'Union, à éviter que ses fondations ne s'écroulent sous les coups de boutoir de replis populistes ou ultranationalistes, en l'absence d'un ancrage populaire.

Tous ces arguments, mes chers collègues, devraient vous engager dans le premier acte de la campagne référendaire pour le non à la Constitution Chirac-Giscard-Sarkozy-MEDEF, pour un non populaire, progressiste et démocratique, en votant cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. Sur le vote de l'exception d'irrecevabilité, je suis saisi par le groupe des député-e-s communistes et républicains d'une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à M. le président de la commission des lois, rapporteur.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Monsieur le président, je tiens tout d'abord à féliciter M. Brunhes pour sa performance, pour ce long discours...

M. Jacques Desallangre. Excellent !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur ...qui se voulait documenté, charpenté et convaincant.

Je ne répondrai pas à tous ses arguments, sinon cela m'obligerait à parler près d'une heure et demie.

Je relèverai simplement deux points avant de lui suggérer, s'il me le permet, ainsi qu'à l'ensemble de son groupe, ce que je crois être une bonne idée.

Tout d'abord, monsieur Brunhes, vous avez fait observer qu'on aurait pu faire deux référendums, l'un sur la réforme constitutionnelle, l'autre sur le traité. Avouez que demander par deux fois aux Français une chose bien voisine, ce n'est pas l'intérêt général.

M. Jacques Brunhes. Relisez M. Séguin !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. En revanche, il est bon que le Président de la République ait choisi de demander par référendum au peuple français s'il était prêt, comme vous l'avez justement souligné, à donner à l'Union européenne une délégation forte de souveraineté.

Vous avez raison, le fonctionnement de l'Europe mérite en effet d'être amélioré. C'est pourquoi je vous conseille de soutenir le nouveau traité qui donnera à l'Europe un président qui la personnalisera pendant deux ans et demi au moins, une Commission européenne dont le président sera le reflet démocratique, et de nouveaux pouvoirs au Parlement, bref un peu moins d'opacité et sans doute un meilleur fonctionnement.

M. Jacques Desallangre. Et certainement moins de pouvoirs pour les États !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. En conclusion, je me permettrai de livrer une idée au groupe communiste.

Vous avez noté, mes chers collègues, que le parti communiste stigmatisait l'Union européenne depuis des années en dénonçant le caractère ultralibéral de cet espace économique. (« C'est vrai ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Nous avons d'ailleurs eu droit à un morceau de bravoure dont nous sommes coutumiers et dont, je dois le dire, on ne se lasse pas !

Imaginez que vous soyez demain au pouvoir : c'est le rêve de tout parti politique, et je suppose que c'est celui du parti communiste français.

M. Gilbert Biessy. Rien n'est impossible !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. En l'état actuel, vous ne seriez pas en mesure de quitter l'Union européenne.

M. Alain Bocquet. Là n'est pas la question !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Si !

M. Jacques Desallangre. C'est de la caricature !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Si vous acceptez de ratifier ce traité, vous aurez demain la possibilité de quitter cet espace ultralibéral.

M. Gilbert Biessy. Voilà un raisonnement vicieux !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. À vous de dire si vous croyez en votre avenir.

M. François Liberti. C'est un peu facile !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. En tout cas, nous, nous croyons en l'Europe, et nous espérons que vous y croirez avec nous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean Leonetti.

M. Jean Leonetti. J'ai été très étonné, moi aussi, par l'intervention brillante de M. Brunhes.

M. Jean-Pierre Brard. Ce n'est pas étonnant qu'il soit brillant !

M. Jean Leonetti. Il a cité de bons auteurs : Séguin, Mazeaud, Debré.

M. Jean-Pierre Brard. C'est une belle trilogie !

M. Jean Leonetti. Monsieur Brunhes, vous avez de bonnes lectures, mais vous ne les exploitez peut-être pas comme il le faudrait. En tout cas, vous devez continuer à puiser dans cette littérature. Je suis sûr que vous êtes sur la bonne voie !

J'ai noté plusieurs contradictions dans vos propos.

Premièrement, vous invoquez le caractère inconstitutionnel d'un texte qui vise justement à réviser la Constitution. Mais il est vrai qu'il est devenu assez habituel ici de se servir de motions pour prendre la parole !

Deuxièmement, vous avez déclaré que l'Europe manquait de démocratie, de social, de lisibilité. Je crois que nous sommes tous d'accord. (« Ah ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Mais nous voulons faire évoluer les choses pour que ces erreurs ou ces anomalies soient corrigées.

M. Gilbert Biessy. Nous sommes d'accord sur le diagnostic. C'est déjà important !

M. Jean Leonetti. Nous sommes d'accord aussi avec vous pour dire que c'est une Europe de l'économie de marché. Effectivement, nous ne sommes pas dans une économie étatisée et nous sommes pour la démocratie et la libre entreprise.

Vous avez parlé de démocratie insuffisante. Mais quoi de plus démocratique que la consultation du peuple par référendum ?

Vous avez parlé de perte de souveraineté, ce qui m'étonne de votre part. Vous avez oublié de rappeler que le pouvoir des parlements nationaux se trouve renforcé proportionnellement à la situation dans laquelle les droits nouveaux de l'Europe peuvent être mis en place.

Vous avez surtout souligné que le racisme se développait en Europe. Vous avez raison. Mais quoi de mieux pour lutter contre ce fléau que d'inscrire les droits fondamentaux dans la Constitution européenne ?

Mme Marie-George Buffet. Ce sont des vœux pieux !

M. Maxime Gremetz. L'enfer est pavé de bonnes intentions !

M. Jean Leonetti. Au moment où l'on commémore le soixantième anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz, au moment où l'on se rappelle que le goulag est né à l'est de l'Europe, posons-nous cette question : la paix est-elle mieux assurée par l'Europe démocratique ou par l'hitlérisme et le stalinisme ? (« C'est inadmissible ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jacques Desallangre. Reprenez-vous !

M. Jean Leonetti. Voulons-nous évoluer dans un territoire démocratique de paix et de prospérité ou risquer de faire renaître de vieux démons ?

M. Maxime Gremetz. Dites plutôt que vous manquez d'arguments !

M. le président. Monsieur Gremetz !

M. Jean Leonetti. Monsieur Brunhes, vous avez dit également qu'il y avait, dans cette Europe, beaucoup de pauvres. Souvenez-vous, lorsque le Portugal, l'Espagne, la Grèce sont entrés dans l'Union européenne, n'étaient-ils pas plus pauvres qu'aujourd'hui ?

M. Jacques Desallangre. L'Espagne et le Portugal ne sont pas des paradis. Sinon, ça se saurait !

M. Jean Leonetti. Ne pensez-vous pas que la Pologne, la Roumanie et tous les pays qui vont entrer dans l'Union seront moins pauvres dans quelque temps ?

M. Gilbert Biessy. Et nous, qu'allons-nous devenir ?

M. Jean Leonetti. Je vous rejoins dans votre conclusion, monsieur Brunhes : nous aussi, nous voulons une Europe plus démocratique, plus sociale, nous voulons une Europe de paix. Voilà pourquoi nous voterons contre l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Alain Bocquet.

M. Alain Bocquet. Monsieur Leonetti, ce n'est pas parce que vous êtes à court d'arguments qu'il vous faut recourir à des invectives contre le groupe communiste, surtout la semaine où l'on commémore le soixantième anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz. Je vous rappelle que Jacques Brunhes siège sur le banc de Gabriel Péri.

M. Michel Herbillon. Ça n'a aucun rapport !

M. Alain Bocquet. Je ne reviendrai pas sur l'exposé particulièrement lumineux et pédagogique de M. Brunhes. Les arguments qu'il a développés ont visiblement fait mouche.

L'irrecevabilité se justifie par le fait qu'on met la charrue avant les bœufs. On décide à l'Assemblée nationale puis en Congrès, réuni à Versailles, de modifier la Constitution, en ignorant d'avance le verdict du peuple de France qui va être invité à se prononcer sur le référendum à propos de la Constitution européenne. C'est un déni de démocratie.

M. Guy Geoffroy. Oh !

M. Alain Bocquet. Ensuite, c'est une façon de faire pression pour accréditer l'idée que le « oui » est acquis. Au passage, il faudrait respecter l'équité entre ceux qui défendent le « oui » et ceux qui défendent le « non » à tous points de vue, à commencer dans les médias.

En résumé, cette Constitution européenne n'est rien d'autre qu'un costume taillé sur mesure pour la haute finance, les marchands, les spéculateurs boursiers, bref pour l'argent...

M. Michel Herbillon. Quel discours ringard !

M. Alain Bocquet. ...et une camisole pour les peuples d'Europe, et le peuple de France notamment. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jacques Desallangre. Absolument !

M. Michel Herbillon. Qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre !

M. Alain Bocquet. Des 450 millions d'habitants que compte l'Europe, 65 millions vivent en dessous du seuil de pauvreté, soit 13 % de la population.

M. François Liberti. C'est la vérité !

M. Alain Bocquet. On va mettre en concurrence les peuples, les salariés, on va délocaliser. Le projet de Constitution va renforcer cette tendance lourde que nous vivons depuis des années et des années, notamment depuis Maastricht, en 1992.

Les communistes sont pour une autre Europe, une Europe respectueuse des peuples, des nations, une Europe sociale, démocratique, d'épanouissement culturel et de paix.

M. Lionnel Luca. On est d'accord !

M. Alain Bocquet. Tel est le combat que nous voulons mener, en demandant aux Françaises et aux Français de dire non à ce projet de Constitution ultralibérale qui veut figer pour des décennies un système d'exploitation sur l'ensemble du champ européen, ce qui est inacceptable.

C'est pourquoi, à partir de l'expérience qu'a rappelé M. Brunhes depuis l'Acte unique, contre lequel nous nous sommes prononcés, depuis le traité de Maastricht de 1992, où il s'en est fallu de peu que le « non » l'emporte, nous invitons les Françaises et les Français à réfléchir : « quand tu as été trompé une fois, c'est de la faute de celui qui t'a trompé ; quand tu es trompé une deuxième fois, c'est de ta faute. » Nous ferons tout pour que, cette fois-ci, le « non » l'emporte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Floch.

M. Jacques Floch. Par respect pour les arguments qui ont été présentés, nous avions envie de ne pas participer au vote sur l'exception d'irrecevabilité. (« Quel courage ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Mais notre formation politique a décidé de soutenir le traité constitutionnel. Il faut donc nous donner les moyens de pouvoir présenter au peuple français ce traité constitutionnel et nous ne pouvons le faire que si la Constitution de 1958 est modifiée.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Donc, le grand écart n'est pas possible !

M. Jacques Floch. J'ai retenu, dans l'intervention de M. Jacques Brunhes, que M. Clément a qualifié de performance, que son excellent travail va nous permettre d'avoir un vrai débat demain sur le traité constitutionnel. Aujourd'hui, notre débat porte sur la réforme de la Constitution.

C'est vrai, monsieur Brunhes, vous avez utilisé la motion d'irrecevabilité pour pouvoir vous exprimer longuement ; c'est de bonne guerre. On a fait pire ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Mais vous savez bien qu'on ne peut pas adopter une exception d'irrecevabilité sur un texte qui propose justement de modifier la Constitution.

Nous pourrions présenter une exception d'irrecevabilité dans un seul cas : si un projet proposait l'abolition de la République. Vous le savez, notre Constitution contient un article qui nous empêche de proposer d'abolir la République.

Pour ce qui nous concerne, nous voulons que le peuple français puisse se prononcer sur le traité constitutionnel. J'ignore lequel, du « oui » ou du « non », l'emportera, mais je sais que la construction européenne mérite un vrai débat dans notre pays. C'est pourquoi certains d'entre nous voteront contre l'exception d'irrecevabilité, tandis que d'autres s'abstiendront.

Un député du groupe UMP. Quel courage ! (Sourires.)

M. le président. « La forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision » : telle est la formule exacte, monsieur Floch.

Nous allons maintenant procéder au scrutin qui a été annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

Je vais mettre aux voix l'exception d'irrecevabilité.

Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

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M. le président. Le scrutin est ouvert.

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M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

                    Nombre de votants 121

                    Nombre de suffrages exprimés 116

                    Majorité absolue 59

        Pour l'adoption 24

        Contre 92

L'Assemblée nationale n'a pas adopté. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

    5

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SĖANCE

M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle, n° 2022, modifiant le titre XV de la Constitution :

Rapport, n° 2033, de M. Pascal Clément, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République ;

Avis, n° 2023, de M. Roland Blum, au nom de la commission des affaires étrangères.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures trente-cinq.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot