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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mercredi 23 novembre 2005

77e séance de la session ordinaire 2005-2006


PRÉSIDENCE DE MME PAULETTE GUINCHARD,
vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

Loi de financement
de la sécurité sociale pour 2006

Transmission et discussion du texte
de la commission mixte paritaire

Mme la présidente. M. le président de l’Assemblée nationale a reçu de M. le Premier ministre la lettre suivante :

Paris, le 22 novembre 2005

« Monsieur le président,

« Conformément aux dispositions de l’article 45, alinéa 3, de la Constitution, j’ai l’honneur de vous demander de soumettre à l’Assemblée nationale, pour approbation, le texte proposé par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006.

« Veuillez agréer, monsieur le président, l’assurance de ma haute considération. »

En conséquence, l’ordre du jour appelle la discussion du texte de la commission mixte paritaire (n° 2683).

La parole est à M. Jean-Pierre Door, rapporteur de la commission mixte paritaire.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, monsieur le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, mes chers collègues, la commission mixte paritaire, dont je vais rendre compte des travaux, s'est réunie hier, mardi 22 novembre, au Sénat pour examiner les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006.

Alors que le projet de loi initial comportait cinquante-huit articles, le Sénat, saisi de soixante-quatorze articles après l'adoption du texte en première lecture par l'Assemblée nationale, le 2 novembre dernier, en a adopté quarante-six conformes et en a introduit vingt-quatre nouveaux. Au total, cinquante-deux articles ont fait l'objet d'un examen par la commission mixte paritaire.

La plupart des modifications apportées par le Sénat ont pu être acceptées car elles améliorent encore des dispositifs que l'Assemblée nationale avait elle-même déjà précisés. La CMP a ainsi trouvé un accord dont je vais maintenant retracer les grandes lignes.

S’agissant des recettes, le Sénat, avec l'accord du Gouvernement, a exclu du dispositif de plafonnement d'exonération, visé à l'article 12 relatif à l'imposition fiscale et sociale des indemnités de licenciement, les indemnités versées dans le cadre des plans sociaux. La CMP a maintenu cette exclusion.

L'article 15 prévoit pour 2006 une augmentation « à titre exceptionnel » de la taxe sur le chiffre d'affaires des laboratoires pharmaceutiques. Le Sénat a adopté un amendement du Gouvernement relevant le taux de la taxe de 1,50 % à 1,96 %, soit un retour à la disposition initiale du projet de loi. En effet, le taux avait été réduit à l, 50 % à l'Assemblée, à l’initiative de notre collègue, M. Bur.

Les débats en CMP ont été riches et ont permis de vérifier l’existence d’un large consensus sur deux points : d'une part, la confiance entre le Gouvernement et les laboratoires pouvait ressortir un peu écornée du processus législatif ; d'autre part, il était nécessaire de mettre en place des mesures structurelles visant à réduire la prescription et la consommation de médicaments.

Afin d'éviter de pénaliser excessivement l'industrie pharmaceutique, tout en conservant un niveau conséquent de recettes, la commission mixte paritaire a décidé de fixer le taux de la taxe à 1,76 % en 2006. Ce compromis me semble acceptable. L’amendement du Gouvernement, présenté aujourd’hui, qui modifie l'article 18 afin de tenir compte de la diminution de recettes correspondante, en tire la conséquence logique.

L'article 17, relatif à la lutte contre le travail dissimulé, a été modifié par le Sénat afin de sanctionner efficacement les déclarations partielles de salariés, et de modifier le calcul de l'annulation des exonérations. La commission mixte paritaire CMP a conservé cette modification.

Elle a également validé l'ajout de la Régie autonome des transports parisiens dans la liste des régimes autorisés à recourir à des avances de trésorerie dans la perspective du prochain adossement de la caisse de retraite de ce régime au régime général.

Pour ce qui concerne la partie assurance maladie, la commission mixte paritaire a maintenu les principaux apports du Sénat prévoyant, notamment, la consultation de l'Union nationale des organismes d'assurance maladie complémentaires sur les projets de loi relatifs à l'assurance maladie et au financement de la sécurité sociale,...

M. Yves Bur. Très bien !

M. Jean-Pierre Door, rapporteur. ...le développement des politiques de prévention par la vaccination, l'indemnisation du congé maternité prolongé au profit des mères d'enfants prématurés ou encore la faculté ouverte à l'État de déterminer la limitation ou la suppression de la participation de l'assuré aux tarifs qui servent de base au calcul des prestations d'assurance maladie.

Le Sénat a procédé à la suppression d'une disposition adoptée à l'Assemblée nationale visant à permettre aux assurés de saisir le médiateur en cas de dépassement d'honoraire « qu’ils estiment irréguliers ou contraires au principe du tact et de la mesure ». La commission mixte paritaire a maintenu la suppression de cette disposition. En effet, le recours au Conseil de l'ordre et au tribunal des affaires sociales semble une solution satisfaisante pour sanctionner des comportements, certes anormaux, mais qui restent marginaux.

À l'article 30, alors que l'Assemblée nationale avait rétabli, malgré l'avis défavorable du Gouvernement, la référence à une étape intermédiaire en matière de convergence tarifaire entre les établissements publics et privés en 2008, le Sénat a souhaité ajouter un palier de 75 % en 2010. L’Assemblée s'était opposée à la suppression de la référence à une étape intermédiaire de 50 % en 2008, principalement pour ne pas nuire à la crédibilité de l'achèvement de la convergence en 2012. Toutefois, en l'absence d'outil de mesure incontestable, et dans l'attente des résultats des différentes études menées en ce domaine, la commission mixte paritaire a estimé qu'il n'était ni opportun ni crédible d'introduire dès maintenant une nouvelle étape chiffrée en 2010.

Elle a, en revanche, confirmé les ajouts très importants du Sénat visant, d'une part, à renforcer les compétences du contrôle médical des caisses à l'hôpital, et, d'autre part, à faire en sorte que le bilan de suivi des dotations régionales affectées aux missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation – les MIGAC – contienne les dotations attribuées à chaque établissement.

S'agissant de l'article 36 bis, introduit par le Gouvernement à l'Assemblée nationale et aménageant les conditions d'entrée en vigueur des contrats responsables, le Sénat a significativement amélioré et précisé le texte en prévoyant notamment que les contrats de la CMU complémentaire seront soumis aux mêmes obligations. En outre, 1es dispositions relatives à la prise en charge des prestations liées à la prévention, prévues par la loi du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie, entreront en vigueur au 1er juillet 2006. La commission mixte paritaire a modifié la rédaction issue du Sénat afin de prendre en compte les contrats relevant d'accords collectifs de branche, et de prévoir une meilleure information des souscripteurs sur les tarifs de ces contrats.

À l'article 38, la CMP a confirmé le rétablissement par le Sénat des obligations pesant sur la promotion de certains produits alimentaires par voie d'imprimés, ainsi qu’une mesure, introduite par la Haute Assemblée, renforçant le suivi post-professionnel des travailleurs exposés à l’amiante.

Concernant les dispositions relatives à la branche vieillesse, la totalité des articles votés par l'Assemblée nationale ont été adoptés par le Sénat, qui a cependant introduit trois articles additionnels.

L'un tend à maintenir en Alsace-Moselle le régime des pensions de réversion antérieur à la réforme de la loi portant réforme des retraites.

M. Yves Bur. C’est essentiel !

M. Jean-Pierre Door, rapporteur. Les deux autres visent à fixer dans la loi le principe de neutralité des adossements des régimes spéciaux à la Caisse nationale d'assurance vieillesse et aux régimes complémentaires AGIRC-ARRCO, et à assurer l'information du Parlement sur ces opérations.

Ces deux derniers articles répondent aux souhaits exprimés sur tous les bancs par les députés. En effet, ces opérations constituent des enjeux financiers considérables, et les salariés du privé y sont très attentifs.

Quant aux dispositions relatives à la branche famille, il nous faut nous féliciter de l’amélioration apportée par le Sénat au dispositif de l'allocation journalière de présence parentale. Voilà un bon exemple du travail fructueux réalisé dans la concertation entre, d’une part, le Gouvernement et, d’autre part, une rapporteure de l’opposition, Mme Marie Françoise Clergeau, et le Sénat. Le texte voté répond mieux aux attentes des familles d'enfants gravement malades et offre une meilleure indemnisation des frais annexes engendrés par l'hospitalisation.

La commission mixte paritaire a validé la suppression du plafonnement à trois enfants des allocations familiales à Mayotte, le Sénat ayant ainsi voulu améliorer la situation des familles nombreuses mahoraises.

S’agissant de l'amendement gouvernemental introduit au Sénat et relatif au droit aux prestations familiales pour les mineurs étrangers entrés en France dans le cadre du regroupement familial, une clarification était nécessaire.

La disposition validée en CMP vise à conditionner le bénéfice des prestations familiales pour les mineurs étrangers résidant sur le territoire national à la double condition de la régularité du séjour du parent allocataire et de celle de la procédure de regroupement familial.

Je vous demande, mes chers collègues, d'adopter le texte de la commission mixte paritaire, lequel s'inscrit dans la logique de responsabilité et d'équité qui marque l'action de la majorité en matière de politique de sécurité sociale.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille.

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je suis heureux de prendre, ce soir, une dernière fois la parole sur ce texte important qui – c’est une première – met en œuvre la nouvelle loi organique sur les lois de financement de la sécurité sociale.

Je vous le dis d’entrée de jeu, le Gouvernement est satisfait des résultats de la commission mixte paritaire, dont M. Jean-Pierre Door vient de rendre compte à votre assemblée. Elle a abouti à un accord qui permet de régler la plupart des difficultés survenues au cours des discussions de l’Assemblée nationale et du Sénat. Et s’il reste de très rares points de désaccord entre la position retenue par les deux assemblées et celle qu’a défendue le Gouvernement, ce dernier admet les solutions retenues en commission mixte paritaire et n’en demandera donc pas la modification.

M. Gérard Bapt. C’est la moindre des choses !

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Je voudrais rendre hommage à la richesse du débat que nous avons eu au fil des semaines à l’Assemblée nationale comme au Sénat. Ici, 101 amendements ont été adoptés dont 62 de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Au Sénat, ce sont 80 amendements qui ont été adoptés, dont 34 de la commission homologue.

Nous avons suffisamment débattu de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour que je ne le présente pas à nouveau dans le détail. Il poursuit l’œuvre de redressement commencée avec la loi de 2004. Il permet d’améliorer la lutte contre la fraude et, surtout, il préserve, dans notre pays, le haut niveau de protection sociale indispensable pour faire face aux nouveaux besoins de la solidarité : je pense à ceux que permet de satisfaire le progrès médical, qui coûte cher et exige donc, de notre part, une très bonne gestion de notre système d’assurance maladie, mais aussi à la prise en charge des personnes âgées lourdement dépendantes – les moyens qui lui sont consacrés sont en très forte progression pour 2006 – et à celle des personnes lourdement handicapées.

C’est une raison de plus pour le Gouvernement d’être satisfait de l’accord – qu’il juge très bon – auquel sont parvenues les deux assemblées.

Enfin, le Gouvernement présentera plusieurs amendements, que je qualifierai « de détail ». Trois de ces amendements tirent les conséquences des décisions que vous avez prises en commission mixte paritaire sur le montant d’un certain nombre d’agrégats figurant dans les tableaux de la loi de financement de la sécurité sociale. Le quatrième tirera, lui, les conséquences de dispositions adoptées au cours de la discussion de la loi de finances pour 2006, en inscrivant dans le PLFSS les montants nécessaires à la compensation des 200 millions d’euros d’exonérations de cotisations sociales.

Au terme de cette brève intervention, je tiens de nouveau à remercier l’ensemble des députés, sur tous les bancs, pour la qualité de ce débat qui aura fait progresser notre texte jusqu’au point d’aboutissement que nous atteignons ce soir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Discussion générale

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Préel, premier orateur inscrit dans la discussion générale.

M. Jean-Luc Préel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici donc arrivés au terme de nos débats, puisque la CMP a abouti à un accord. Au bout du compte, le texte final est assez proche du texte déposé par le Gouvernement. On peut d’ailleurs se demander à quoi servent des débats multiples et longs qui conduisent à un texte fort peu modifié. Mais c’est le jeu de la navette et le résultat du principe du parti majoritaire.

Le présent projet concerne l’ensemble de la protection sociale, c’est-à-dire à la fois la politique de la santé, celle de la famille et les retraites. Il touche donc tous nos concitoyens mais, curieusement, la seule question réellement débattue en CMP fut le niveau de la taxe à laquelle serait assujettie l’industrie pharmaceutique. Le médicament concourt, effectivement, à soigner les patients et, si possible, à les guérir. Notre industrie pharmaceutique, jadis la première au monde, connaît aujourd’hui de réelles difficultés. Elle a besoin de plus de lisibilité pour financer la recherche, le développement des molécules et la fabrication des médicaments – cela touche aussi, par conséquent, à la situation de l’emploi.

Un contrat avait été passé, c’est du moins ce que j’avais compris, mais le Gouvernement a décidé brutalement, dans la loi de financement, de faire passer la taxe sur le chiffre d’affaires de 0,6 % à 1,96 %.

M. Gérard Bapt. Il veut tuer l’industrie pharmaceutique !

M. Jean-Luc Préel. Notre assemblée, dans sa sagesse, avait ramené, à l’initiative d’Yves Bur, cette augmentation à 1,5 %, ce qui constituait déjà une augmentation substantielle. Le Gouvernement a ensuite lourdement insisté au Sénat pour remonter ce taux à 1,96 %. Mais un accord est intervenu en CMP sur le chiffre un peu curieux de 1,76 % – quelle précision !

L’UDF souhaite que notre pays conduise une vraie politique du médicament, que le conseil stratégique se réunisse, enfin, pour arrêter une position claire. Or il ne s’est pas réuni depuis plusieurs mois ! Il est nécessaire de rétablir la confiance, qui ne peut être fondée que sur la contractualisation et le bon usage du médicament, ce qui devrait être, théoriquement, facile à mettre en œuvre puisque tout le monde est d’accord et que tout le monde en parle. L’UDF souhaiterait également un financement prenant en compte la pathologie.

Le texte est donc, globalement, celui qui avait été déposé par le Gouvernement. Cette année, le déficit s’établit au niveau historique de 11,9 milliards d’euros, comme en 2004. Les quatre branches sont déficitaires et, si la branche maladie a réduit son déficit de 3 milliards, elle le doit à 4,6 milliards de recettes nouvelles.

De plus, l’avenir du FSV, le Fonds de solidarité vieillesse, déficitaire de 2 milliards, est menacé et le régime agricole, qui a un besoin de financement de 7 milliards, pose un problème. La solution semble passer par une ligne de trésorerie de 7 milliards. Est-ce bien raisonnable ? Qui en financera les intérêts ?

Monsieur le ministre, vous savez combien les députés sont attachés au régime agricole. Il faut trouver une solution pérenne pour permettre l’équilibre du FIFSA à l’avenir.

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Nous y travaillons !

M. Jean-Luc Préel. La tâche risque d’être ardue, avec un besoin de trésorerie de 7 milliards !

M. Jean-Marie Le Guen. Imaginez où nous en serons en 2007 !

M. Jean-Luc Préel. Notre protection sociale n’est plus financée. Pourtant, comme le dit Philippe Séguin avec une certaine malice, il ne faudrait pas que le déficit pèse sur les générations à venir. Nous en sommes tous d’accord.

Cette loi de financement pour 2006 ne nous paraît pas sincère car les recettes sont surestimées, calculées qu’elles sont sur des prévisions de croissance auxquelles, hélas, personne ne croit. Bien entendu, si les recettes n’atteignent pas le niveau prévu, le déficit s’en trouvera accru d’autant. Quant aux dépenses, notamment celles de l’assurance maladie, elles sont sous-estimées : l’ONDAM de ville, en particulier, a été fixé à 0,9 %, ce qui implique une diminution des prescriptions de 3,3 % et du médicament de 5 %, ce qui n’est pas crédible.

Vous instituez une franchise de 18 euros pour tous les actes dépassant 91 euros. Il ne s’agit pas d’une mesure de santé publique : c’est une mesure purement comptable ! Après la mise en œuvre d’une convention médicale particulièrement complexe, impliquant, en cas d’inobservation du parcours de soins, des dépassements d’honoraires et des remboursements moindres, cette dernière mesure conforte une médecine à plusieurs vitesses, que l’UDF dénonce.

Nous doutons que les établissements puissent respecter l’ONDAM, car nombre d’entre eux sont en déficit et connaissent des reports de charges. Un rebasement aurait été souhaitable pour pouvoir appliquer correctement la T2A. Les budgets n’ont jamais été aussi complexes qu’en 2005, aussi tardifs, aussi technocratiques. Qu’en sera-t-il en 2006 ? J’espère que vous aurez trouvé, monsieur le ministre, une solution plus simple. Nous ne connaissons, du reste, toujours pas le taux de T2A qui s’appliquera dans les hôpitaux ; le bruit court que ce serait 3 %. Nous aurions aimé en être informés à l’occasion de nos débats.

Les établissements privés formulent également des demandes légitimes. Ils souhaitent participer aux MIGAC, notamment aux urgences, et à la formation en particulier des chirurgiens. Nombre de ceux-ci travailleront, demain, dans les établissements privés. Il serait normal qu’ils puissent y être formés.

Les établissements privés souhaitent également un allégement de la tutelle car ils ont l’impression que, depuis l’instauration de la T2A, la tutelle pèse plus lourd qu’auparavant, ce qui risque de les priver d’une capacité d’adaptation pourtant indispensable.

Il restera ensuite de nombreux problèmes à régler avec, au premier plan, la permanence des soins et la démographie médicale. Mais ce n’est pas la présente loi qui pouvait nous permettre de le faire.

Cette première loi de financement après la réforme de la loi organique prévoit le vote de sous-objectifs, renforçant, hélas, l’un des défauts majeurs de notre système, à savoir la non-fongibilité des enveloppes entre l’ambulatoire et les établissements, entre le sanitaire et le médico-social. Et vous avez refusé, à notre grand regret, monsieur le ministre, un sous-objectif relatif au financement de la prévention et de l’éducation à la santé, afin de corriger un autre défaut majeur de notre système.

À l’UDF, nous souhaitons le vote d’enveloppes régionales pour financer l’ensemble des dépenses de santé de chaque région, qui prendraient donc en compte les besoins de l’ambulatoire, des établissements, de la prévention et de l’éducation à la santé, ainsi que de la formation. Nous attendons, avec intérêt, la création des agences régionales de santé. Nous espérons qu’elles garderont une certaine liberté, cette liberté qu’un directeur des ARH de la première génération regrettait qu’une recentralisation ait fait perdre aux ARH de deuxième génération.

Je n’ai pas le temps, dans cette courte intervention, de passer en revue tous les articles du projet. Je rappelle que l’UDF, à l’Assemblée et au Sénat, s’est opposée à l’extension au secteur de la presse de la taxe concernant les publicités relatives aux boissons et aux aliments sucrés.

Notre groupe déplore aussi que l’on ait fait des économies sur le dispositif « jeune enfant », en en retardant l’application.

Je terminerai par la branche retraite, en m’interrogeant sur le maintien du pouvoir d’achat, avec une « augmentation » limitée à 1,8 %, alors que l’inflation atteignait déjà 2,2 % en octobre. Mais, surtout, je déplore la poursuite de la politique des soultes pour adosser les régimes spéciaux au régime général. L’UDF prône l’extinction des régimes spéciaux, une réelle autonomie de la CNAV et une évolution vers un système par points permettant de responsabiliser les partenaires sociaux.

Le texte proposé par la CMP, je le répète, est quasi identique à celui déposé par le Gouvernement. Il ne nous paraît pas bâti sur des bases sincères. Il prévoit de nouveaux déremboursements et l’instauration d’une franchise d’une franchise de 18 euros, qui contreviennent gravement au principe de solidarité et confortent l’évolution vers une médecine à plusieurs vitesses, que l’UDF ne souhaite pas cautionner. C’est pourquoi elle votera contre ce texte. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Le Guen.

M. Jean-Marie Le Guen. Une fois de plus, monsieur le ministre, le Gouvernement nous présente un budget qui sera très largement en déficit. Compte tenu des contraintes – pourtant légères – de la LOLF, vous avez mis en perspective les recettes et les dépenses de l’assurance maladie et le retour à l’équilibre promis est à nouveau repoussé de deux ans. À ce rythme, nous ne connaîtrons pas de retour à l’équilibre avant longtemps ! Cela est dû à l’insincérité des comptes, qui a été largement dénoncée sur les bancs de notre assemblée.

Nous ne pourrons donc pas voter aujourd’hui ce projet de loi de financement de la sécurité sociale. C’était déjà le cas lors de la première lecture il y a quelques semaines, mais le travail de nos collègues sénateurs n’est pas de nature à nous rassurer, bien au contraire ! Ce texte comportait déjà de gros défauts, s’agissant notamment de la situation financière de l’assurance maladie et de certaines injustices : je pense notamment au forfait de 18 euros, désormais tristement célèbre. Les Français se rendent compte qu’ils seront mis à contribution pour les soins courants, mais aussi pour les interventions les plus lourdes. Les organismes complémentaires annoncent déjà dans la presse les augmentations de tarifs auxquelles ils procéderont l’année prochaine.

L’objet principal de mon intervention portera sur les ajouts du Sénat, qui ont été faits soit à votre initiative, monsieur le ministre, soit à celle de nos collègues sénateurs. Ces ajouts, ainsi que certaines substitutions ou suppressions, nous préoccupent.

Je note tout particulièrement l’insistance de nos collègues à accélérer la convergence entre l’hôpital public et l’hospitalisation privée.

M. Gérard Bapt. C’est très inquiétant pour l’hôpital public !

M. Jean-Marie Le Guen. Cela n’a aucun sens, si ce n’est la volonté d’affaiblir l’hôpital public et de préparer sa privatisation, au risque de le conduire directement à sa perte.

J’évoquerai aussi l’initiative du Gouvernement concernant les allocations familiales versées aux familles d’origine étrangère. Vous avez en effet décidé de suspendre le versement de ces allocations aux parents d’enfants en situation non régulière, parce que n’étant pas entrés sur le territoire dans le cadre du regroupement familial, même dans le cas où les parents sont eux-mêmes en situation régulière. Il pourra donc se trouver désormais dans notre pays des familles étrangères en situation régulière privées d’allocations familiales…

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Pourquoi dites-vous « désormais » ? C’est déjà le cas aujourd’hui.

M. Jean-Marie Le Guen. J’aimerais alors savoir, monsieur le ministre, pourquoi vous faites voter des amendements à votre propre loi !

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Nous avons voulu consolider le dispositif. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Marie Le Guen. Comme vous n’osez pas assumer juridiquement, vous vous appuyez sur des faits non avérés. Mais, concrètement, il y a sur notre territoire des familles en situation régulière qui seront dorénavant privées d’allocations familiales, et cela dans le contexte très particulier que nous connaissons aujourd’hui. Serait-ce parce qu’elles auraient commis une faute ? Non, à moins que vous ne pensiez, comme certains de vos amis, qu’il existe une responsabilité collective et que les événements que nous avons connus récemment sont le fait de jeunes d’origine étrangère. Est-ce un hasard du calendrier ? Je refuse de croire que vous pénalisiez ces familles pour incriminer globalement ceux qui n’ont pas la chance d’être français depuis plusieurs générations.

Par ailleurs, nous avions adopté en première lecture un amendement de notre collègue Pierre-Louis Fagniez, qui tendait à permettre à l’assuré de s’adresser à un médiateur de la sécurité sociale lorsqu’il était victime d’un dépassement d’honoraires manifestement injustifié ou d’une pratique contraire à la déontologie médicale.

M. Gérard Bapt. Excellent amendement !

M. Jean-Marie Le Guen. Le Gouvernement avait en effet estimé que c’était un très bon amendement. La presse s’étant emparée à l’époque de la question des dépassements d’honoraires, le Gouvernement avait soutenu cet amendement…

M. Jean-Pierre Door, rapporteur. Allons ! Cela ne concerne que 1 % des situations !

M. Jean-Marie Le Guen. Ce n’est pas la réalité que vivent les Français, et les sénateurs eux-mêmes ont fait part de leurs propres expériences à ce sujet. Ils ont été, eux aussi, confrontés à des dépassements d’honoraires abusifs et souvent systématiques, et pas seulement pour la médecine de ville : l’hôpital public est aussi concerné.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur. Un sénateur sur trois cents ! Les dépassements d’honoraires excessifs concernent au plus 1 % des assurés.

M. Jean-Marie Le Guen. C’est ce que vous dites ! Mais si la presse en parle aujourd’hui et si nos électeurs s’interrogent, c’est bien parce que le problème concerne plus de 1 % des assurés ! Toujours est-il que le Gouvernement trouvait utile en première lecture de dresser un pare-feu en ouvrant la possibilité de désigner un médiateur.

Puis, la presse et l’opinion publique sont passés à autre chose. Mais les lobbies archéo-libéraux, ceux de certains milieux professionnels qui n’en ont jamais assez et qui veulent augmenter en permanence les tarifs de la sécurité sociale, ont convaincu le Gouvernement, qui a renié l’amendement Fagniez au Sénat.

Telle est la politique du Gouvernement ! Je conçois que la démonstration vous fasse mal, mais la vérité, c’est que l’on évite d’avoir une politique claire en faveur de la défense des assurés.

M. Gérard Bapt. Hélas !

M. Jean-Marie Le Guen. Je ne m’attarderai pas sur la question de la contrebande de cartouches de cigarettes, bien que cela fasse partie intégrante d’une politique systématique de recul sur la santé publique. S’agissant de la proposition de loi d’Yves Bur, elle est reléguée aux oubliettes.

Quant au problème de l’alcoolisme, monsieur le ministre, puisque vous représentez le ministre de la santé, nous aimerions savoir si celui-ci a l’intention de respecter l’engagement pris dans le cadre du débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale où il affirmait que jamais le ministère de la santé n’accepterait que soit maintenue dans la loi d’orientation agricole l’idée du « comité de modération ». Le ministre de la santé s’est vu opposer l’arbitrage négatif du Gouvernement qui, en validant ce fameux comité de modération, montre qu’il se moque bien des problèmes de santé publique : dorénavant, les campagnes d’information, dans le cadre de la lutte contre l’alcoolisme, s’écriront sous la dictée des milieux alcooliers.

S’agissant, enfin, de la taxe sur l’industrie pharmaceutique, je dois dire que nous avions suivi les échanges en spectateurs amusés. Comme nous nous sommes déjà exprimés sur le sujet en première lecture, je serai bref.

Le Gouvernement décide finalement qu’il peut se passer des ressources de poche qu’il attendait du relèvement de la taxe. Il nous proposera quelques amendements qui ne feront qu’aggraver un peu plus le déficit, mais, au point où nous en sommes, il doit estimer que ce n’est pas grave !

En matière de politique du médicament, nous vous avons pourtant suggéré des économies structurelles tendant à corriger la tendance à la surprescription, qui est dommageable tant pour les finances de l’assurance maladie que pour la santé publique.

Nous ne voyons donc aucune raison de voter le texte qui nous est proposé aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Muguette Jacquaint.

Mme Muguette Jacquaint. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons le texte issu de la CMP, c’est-à-dire dans sa dernière étape, du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006.

Vous dites, monsieur le ministre, que vous êtes un homme heureux. Mais j’espère que vous ne ferez pas, comme Ulysse, un long voyage ! Vous êtes le seul à être heureux, car je pense que les assurés sociaux ne le sont pas. Bien au contraire, ils sont, comme nous, très mécontents de ce PLFSS. Vous livrez purement et simplement la sécurité sociale aux lois du marché et l’on peut se demander si la couverture complémentaire ne va pas devenir la base du système.

Ce PLFSS se caractérise, comme le budget de l’État, par son insincérité, mais surtout par son austérité. Dans une savante combinaison d’étatisation et de privatisation, et de plan de sauvetage en plan de sauvetage, vous continuez d’opérer des coupes sombres dans le champ d’intervention de la sécurité sociale pour imposer un panier de soins a minima, tout en ouvrant au marché concurrentiel la prise en charge des risques sociaux.

Le forfait de 18 euros en est la parfaite illustration. C’est un fait sans précédent, inacceptable ! En outre, les déremboursements, la franchise de 1 euro, l’augmentation du forfait hospitalier sont autant de « coups de canifs » successifs portés à la couverture de base solidaire. Vous en arrivez là parce que vous êtes de ceux qui pensent que la sécurité sociale ne doit prendre en charge que les gros risques, laissant les plus petits aux appétits financiers des assureurs.

Au-delà de votre conception libérale, l’explication se trouve également dans la lecture des comptes désastreux que vous laissez derrière vous chaque année depuis trois ans et qui vous permettent de justifier la régression de la prise en charge collective.

Le déficit a été multiplié par quatre depuis l’arrivée de votre majorité au pouvoir. En effet, quelle meilleure justification pour imposer des sanctions, de la rigueur, de l’austérité et des économies qu’un déficit de 11,9 milliards d’euros, dont 8,3 milliards pour la branche maladie, 0,5 milliard pour la branche accidents du travail et maladies professionnelles, 2 milliards pour la branche vieillesse et plus de 1 milliard pour la branche famille ? Pour la première fois, les quatre branches du régime général sont dans le rouge, et nous ne voyons pas la moindre mesure de progrès social se profiler à l’horizon.

Votre attitude sur la branche accidents du travail et maladies professionnelles est inacceptable. Comment pouvez-vous accepter la sous-déclaration des maladies professionnelles, alors que le rapport du groupe de travail sénatorial sur l’amiante vient de confirmer que la déclaration est le préalable à toute action efficace de prévention et de réparation ?

Encore faudrait-il que les médecins du travail soient en nombre suffisant, et qu’ils puissent remplir sereinement et librement leur mission ! Vous laissez délibérément perdurer le déficit dans cette branche alors qu’il faut garantir la réparation des victimes de l’amiante et faire face à l’accroissement des maladies professionnelles reconnues.

La branche famille, quant à elle, sert de variable d’ajustement, comme le prouve son déficit de 1,1 milliard. La CNAF supporte financièrement le coût de la PAJE, mais vous ne tenez pas votre promesse d’en étendre le bénéfice aux enfants nés avant 2004.

Face au déficit record de la branche vieillesse, vous augmentez de 0,2 point la cotisation vieillesse pour les retraites, l’essentiel devant être supporté par les salariés. Allez-vous revenir à plus de justice et faire mieux partager l’effort par les entreprises ?

Quant à l’assurance maladie, elle connaît une situation catastrophique, tant pour les soins de ville que pour l’hôpital, que vous n’épargnez pas, malgré les appels de détresse lancés par ses représentants et ses personnels. Ignorant la spécificité du service public hospitalier, vous le sacrifiez au profit du privé.

C’est votre politique économique qui est à l’origine de la crise de financement sans précédent que connaît la sécurité sociale comme de son déficit abyssal : celui-ci a été multiplié par quatre depuis 2002. Les déclarations faites la main sur le cœur, les promesses d’un retour à l’équilibre dès 2006-2007, destinées à faire accepter tous les sacrifices aux assurés sociaux, n’étaient donc que poudre aux yeux. Le réveil sera difficile pour les assurés et leurs familles, quand ils verront que les économies faites sur leur dos ou les prélèvements supplémentaires dépassent 1,5 milliard d’euros.

Et tout cela, pourquoi ? Parce que vous refusez de réfléchir au financement de la protection sociale. Vous préférez, par des mesurettes financières, récupérer quelques centaines de milliers d’euros par-ci ou par-là, au risque de fragiliser toujours un peu plus les comptes, plutôt que de vous attaquer réellement au problème structurel du financement. Vous avez en ligne de mire le souci de toujours épargner les grandes entreprises et le capital et d’augmenter, à l’inverse, la contribution du travail et des ménages, à travers les cotisations sociales salariées, la CSG, la CRDS et autres taxes et impôts. Votre courage face à la réforme a d’étroites limites, celles que vous impose – d’ailleurs sans grand mal – le MEDEF.

C’est à un « trou idéologique de la sécu » que nous avons affaire, comme nous vous en avons fait la démonstration. En effet, le déficit actuel s’élève à près de 13 milliards d’euros. Or, si les moyens dégagés pour compenser les exonérations de cotisations sociales étaient utilisés pour l’assurance maladie et la protection sociale, cela leur rapporterait plus de 15 milliards d’euros. De même, l’affectation à l’assurance maladie de l’intégralité du produit des taxes sur les tabacs et l’alcool représenterait plus de 9 milliards d’euros rien que pour l’année 2006, et un prélèvement de 10 % sur les revenus financiers, hors épargne populaire, rapporterait plus de 15 milliards d’euros. Enfin, si, plutôt que de proposer des cadeaux fiscaux aux plus riches, on menait une lutte efficace contre le chômage, il suffirait de créer 100 000 emplois pour obtenir 500 millions de recettes supplémentaires !

Les moyens existent donc pour pérenniser notre système actuel de protection sociale solidaire et le préserver pour les générations futures.

Nous ne pouvons pas accepter que les principes fondateurs de notre sécurité sociale, l’universalité, la solidarité et la démocratie sociale, ainsi que l’existence même des droits sociaux qui en découlent, soient remis en cause par votre politique. Nous ne pouvons pas accepter une dérive qui remet profondément en cause le droit de tous à la santé et à sa protection face aux aléas de la vie. C’est pourquoi nous voterons, pour la deuxième fois, contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Pierre Door, rapporteur. Bis repetita placent !

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Vitel, dernier orateur inscrit.

M. Philippe Vitel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette année encore, la discussion du PLFSS a été l’occasion d’un débat riche et vigoureux, mais aussi, je le crois sincèrement, très constructif, que ce soit à l’Assemblée nationale ou au Sénat.

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. C’est vrai !

M. Philippe Vitel. Les parlementaires ont ainsi significativement enrichi le texte qui leur avait été initialement présenté.

Contrairement aux orateurs précédents, je considère que ce projet de loi est en parfaite harmonie avec les évolutions que nous avions courageusement décidées lors de l’adoption de la loi du 13 août 2004. Il confirme notre objectif d’une diminution durable et progressive du déficit de l’assurance maladie. Dans un contexte économique difficile, où malheureusement la croissance n’atteint pas le niveau que l’on escomptait, le passage d’un déficit de 11,6 milliards d’euros en 2004 à 8,3 milliards en 2005 est un résultat très encourageant. Il nous est permis d’envisager pour 2006 un déficit limité à 6,1 milliards. N’oublions jamais que, sans la réforme de l’assurance maladie, nous aurions pu connaître un déficit de 16,5 milliards d’euros en 2005 ! N’oublions pas non plus que le ralentissement de la croissance de la masse salariale en 2005 s’est traduit par un manque de recettes pour la sécurité sociale de 1,2 milliard d’euros par rapport aux prévisions. Il y a donc bel et bien une rupture avec le phénomène de creusement du déficit qui affectait la branche maladie jusqu’en 2004.

Alors que les dépenses de soins de ville progressaient jusqu’en 2003 à des rythmes de 6 à 7 %, leur croissance n’est que de 1,9 % pour les huit premiers mois de l’année 2005 par rapport à la même période de l’année 2004. Cette tendance devrait se poursuivre grâce à la déclinaison prochaine de plusieurs mesures mises en place lors de la réforme de l’assurance maladie et qui verront le jour dans les mois à venir, tel le dossier médical partagé ou la carte Vitale individualisée.

La mise en œuvre, à compter du 1er janvier 2006, des contrats responsables entre organismes complémentaires et patients, ainsi que la majoration de participation pour les patients ne passant pas par le médecin traitant incitera fortement les patients au respect du parcours de soins.

Avec ces contrats responsables, les consultations du médecin traitant devront être prises en charge par les organismes complémentaires afin d’assurer un remboursement à 100 % du tarif opposable. Il en sera de même des consultations réalisées par un médecin auquel le patient a été adressé par le médecin traitant.

Par ailleurs, les médicaments à vignette blanche, remboursés par l’assurance maladie à 65 %, et les actes de biologie prescrits dans le cadre du parcours de soins devront être remboursés au minimum à 95 %. Les contrats responsables devront également prendre en charge intégralement certaines prestations de prévention, définies après consultation de la Haute Autorité de santé.

En revanche, les dépassements que peuvent pratiquer les médecins spécialistes lorsqu’ils sont consultés directement, sans passer par le médecin traitant, ne seront pas pris en charge par les organismes complémentaires et resteront à la charge du patient, dans la limite de 7 euros par consultation. Les contrats responsables ne pourront pas non plus prendre en charge la majoration du ticket modérateur, qui sera payée par l’assuré à compter du 1er janvier 2006 lorsque ce dernier consultera sans être adressé par son médecin traitant.

Sur ce sujet, la CMP a dû trancher entre les propositions de l’Assemblée et celles du Sénat. À l’article 36 bis, portant sur l’entrée en vigueur des contrats responsables, deux amendements modifiant substantiellement le fond ont ainsi été adoptés.

Le premier précise qu’un délai de six mois, jusqu’au 1er juillet 2006, est donné aux assureurs santé pour adapter leurs contrats dans deux cas : pour les dispositions concernant la prise en charge des prestations liées à la prévention et pour les contrats issus d’une convention collective de branche ou d’un accord collectif professionnel ou interprofessionnel.

Le deuxième donne une nouvelle rédaction de l’article sur la procédure d’adaptation des contrats individuels pour leur mise en conformité avec les règles du contrat responsable.

Alors que le Sénat avait prévu de compléter un article du code des assurances, la CMP a choisi d’inscrire cette mesure dans la loi, sans inscription dans un code, et de limiter dans le temps, jusqu’au 31 mars 2006, la procédure ainsi définie : envoi d’une lettre modifiant le contrat visant exclusivement à le mettre en conformité avec le contrat responsable ; modification réputée acceptée en l’absence d’opposition du souscripteur ; possibilité pour l’assuré de résilier son contrat s’il n’est pas satisfait de la proposition ; mise à la charge de l’assureur que la preuve de la proposition de modification a été effectuée. Ces modifications sont notables ; elles vont dans le sens de la sécurisation et de la responsabilisation de l’assuré.

D’autres économies significatives sont attendues avec l’introduction d’un meilleur contrôle des remboursements des nouveaux patients atteints d’une affection de longue durée. À partir du mois de novembre 2005, ces patients devront établir avec leur médecin traitant un nouveau formulaire de prise en charge. Le dispositif, mis en place progressivement, remplacera l’ancien protocole interrégimes d’examen spécial. En plus du diagnostic de la maladie justifiant une prise en charge ALD, le document précisera les soins et prestations nécessaires au traitement de la maladie. Cette mesure devrait dégager 455 millions d’euros d’économies dès 2005. L’Assemblée nationale en a d’ailleurs singulièrement amélioré le dispositif de mise en œuvre.

L’ONDAM pour 2006 est à la fois rigoureux et – n’en déplaise à certains – réaliste. Dans la mesure où le PLFSS permet de réduire le déficit de la branche maladie à 6,1 milliards d’euros pour 2006, soit 7,2 milliards en l’absence de mesures nouvelles, la progression de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie est fixée à 2,7 % à périmètre constant, soit 138,5 milliards d’euros.

Il serait intéressant que l’objectif national des dépenses d’assurance maladie prenne en compte les écarts de rémunération entre les personnels du secteur hospitalier public et ceux du secteur hospitalier privé. L’augmentation des recettes, comme la poursuite des réformes structurelles, permettra, j’en suis certain, d’aboutir à ce résultat positif.

L’ONDAM médico-social est en augmentation de 6,16 %. Il finance les dépenses en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées.

Ce PLFSS tient compte des facteurs structurels, mais il faut désormais que la sécurité sociale s’adapte aux mutations démographiques en cours. Pour ce faire, il est proposé d’augmenter de 13,4 % les dépenses au bénéfice des personnes âgées dépendantes. En deux ans, 20 000 places auront été créées dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, et 17 000 places pour les services de soins infirmiers à domicile. Par ailleurs, les nouvelles mesures de rénovation présentées aujourd’hui par le ministre vont concerner 50 000 places.

Les dépenses en faveur des personnes handicapées connaissent une hausse de 5 %, et d’un peu plus de 6 % en tenant compte de la participation de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie.

Le plan médicament sera poursuivi avec détermination. Dans son rapport de 2005 sur le financement de la sécurité sociale, la Cour des comptes a mis en exergue le fait qu’en France on consomme en moyenne une boîte de médicaments par personne et par semaine, soit une fois et demie plus que les Allemands et les Espagnols.

La poursuite du plan gouvernemental repose sur deux axes, dont le premier est l’essor des génériques, grâce à la mise en cohérence des prix des médicaments génériques en France avec les prix européens, ce qui entraînera une baisse de 13 % du prix du répertoire du générique au 1er janvier 2006.

Ensuite, l’adaptation de la prise en charge des médicaments à service médical rendu insuffisant contribuera elle aussi à la réussite du plan médicament. Ainsi, au début de 2005, 196 nouveaux médicaments ont été admis au remboursement. Cela a malheureusement suscité moins d’écho que le déremboursement de 156 produits de confort à partir du 1er mars 2006.

Concernant les veinotoniques, dont le service médical rendu a été jugé insuffisant par la Haute Autorité de santé, vous avez indiqué qu’une baisse de 20 % de leur prix accompagnerait la diminution de leur prise en charge de 35 à 15 %.

La CMP a décidé, à l’article 15 du PLFSS, de fixer pour 2006 à 1,76 % le taux de la contribution des laboratoires pharmaceutiques assise sur le chiffre d’affaires.

Les députés avaient décidé de fixer ce taux à 1,5 %, les sénateurs avaient opté pour 1,96 % et la CMP s’est prononcée pour 1,76 %.

De nouvelles mesures visant à améliorer la répartition démographique des professionnels de santé viennent compléter la loi relative au développement des territoires ruraux. Les aides conventionnelles à l’installation seront élargies aux remplaçants. Elles pourront être versées aux jeunes médecins effectuant des remplacements dans des zones déficitaires, ce qui devrait alléger la charge de travail des médecins installés dans ces zones.

Le fonds d’aide à la qualité des soins de ville voit ses moyens renforcés et sa pérennité assurée afin d’affirmer sa vocation à financer des projets facilitant la permanence des soins ou la bonne répartition des professionnels sur le territoire, comme les maisons médicales de garde.

À l’article 39, un amendement du groupe socialiste a été adopté permettant au fonds d’attribuer des aides pour le financement de toute action visant à favoriser une bonne répartition des professionnels de santé en milieu urbain et en milieu rural. C’est une très bonne mesure.

Un amendement du Gouvernement a porté le montant maximal des dépenses du fonds de 150 à 165 millions d’euros. C’est, là encore, une bonne nouvelle.

En définissant de nouvelles modalités de financement pour les établissements de santé avec la tarification à l’activité, le Gouvernement a souhaité que les règles de tarification soient plus équitables et mieux harmonisées entre le secteur public et le secteur privé, dans la limite des écarts justifiés par les différences de nature des charges. Deux amendements du Sénat complètent notre texte : l’un pérennisant le groupement pour la modernisation du système d’information hospitalier et l’autre, comme l’a rappelé le rapporteur Jean-Pierre Door, précisant le contenu du bilan du suivi des dotations régionales affectées aux missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation, les fameuses MIGAC. C’est d’une logique implacable.

Le Fonds pour la modernisation des établissements de santé publics et privés est doté de 327 millions d’euros pour soutenir l’investissement des établissements et leur modernisation sociale. Le Gouvernement a annoncé que les efforts d’amélioration de la gestion hospitalière seraient poursuivis à travers la politique des achats et de gestion interne des établissements. Les économies attendues pour l’assurance maladie sont évaluées à 400 millions d’euros. Le fonds de concours dit « Biotox » se voit attribuer 176 millions d’euros pour 2005 et 175 millions d’euros pour 2006. Nous avons noté, monsieur le ministre, que vous proposiez de porter cette dotation à 200 millions d’euros.

Le Sénat a, par ailleurs, enrichi le texte d’amendements importants concernant la branche vieillesse et la branche famille.

L’article 44 ter nouveau prévoit que, lorsqu’un enfant naît plus de six semaines avant la date présumée de l’accouchement, la période pendant laquelle la mère perçoit l’indemnité journalière de repos est augmentée du nombre de jours courant entre la naissance de l’enfant et six semaines avant la date présumée de l’accouchement.

L’article 48 bis nouveau précise que l’adossement d’un régime de retraite spécial sur la CNAVTS respecte le principe de stricte neutralité financière de l’opération pour les assurés sociaux du régime général.

L’article 48 ter nouveau dispose que l’adossement à la branche vieillesse d’un régime spécial fait l’objet, préalablement à la signature de la convention correspondante, d’une information appropriée des commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat.

L’article 49 A nouveau précise que toute personne qui, du fait de son activité professionnelle, est susceptible d’avoir inhalé des poussières d’amiante, est informée par sa caisse primaire d’assurance maladie de son droit de bénéficier gratuitement de la surveillance médicale post-professionnelle. Ce sujet est, malheureusement, d’actualité, puisqu’une commission d’enquête sur l’amiante a été créée.

Enfin, et Jean-Pierre Door l’a aussi rappelé, l’article 54 bis nouveau, ô combien important, prévoit que les étrangers bénéficient des prestations familiales sous réserve de justifier, pour les enfants qui sont à leur charge et au titre desquels les prestations familiales sont demandées, de l’une des situations suivantes : leur naissance en France, leur entrée régulière dans le cadre de la procédure de regroupement familial, leur qualité de membre de famille de réfugiés, leur qualité d’enfant d’étranger titulaire de la carte de séjour. Un décret fixe la liste des titres et justifications attestant de la régularité de l’entrée et du séjour des bénéficiaires étrangers.

Monsieur le ministre, ce PLFSS pour 2006 nous semble, à nous, à l’UMP, en totale cohérence avec la courageuse réforme de l’assurance maladie votée en juillet 2004. Ceux qui ont toujours cru en cette réforme seront à vos côtés pour la conduire au succès. C’est ce que nous ferons encore ce soir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous en venons au texte de la commission mixte paritaire.

Texte de la commission mixte paritaire

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix le texte de la commission mixte paritaire, je vais, conformément à l’article 113, alinéa 3, du règlement, appeler l’Assemblée à statuer d’abord sur les amendements dont je suis saisie.

Nous commençons par l’amendement n° 1 rectifié, qui porte sur l’article 16.

La parole est à M. le ministre, pour défendre cet amendement.

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. J’ai déjà défendu les quatre amendements présentés par le Gouvernement, madame la présidente.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Pierre Door, rapporteur. Favorable, madame la présidente.

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Tian.

M. Dominique Tian. L’amendement n° 1 rectifié du Gouvernement me permet d’évoquer une circulaire du 19 août 2005, qui pose, à mon avis, beaucoup de problèmes. Cette circulaire prévoit que les employeurs ne pourront plus intégrer dans leurs frais d’entreprise que cinq repas d’affaires par salarié et par mois, alors qu’une précédente circulaire de janvier 2003 indiquait que les dépenses engagées par le salarié ou prises en charge à l’occasion des repas d’entreprise, dûment justifiées, devaient être considérées comme des frais d’entreprise.

Au regard de cette nouvelle réglementation, lorsque ce quota de cinq repas d’affaires par salarié et par mois sera dépassé, les repas seront considérés comme un complément de salaire soumis à l’impôt sur le revenu et aux cotisations sociales.

Une telle disposition, outre son côté vexatoire, illustre une certaine méconnaissance de la réalité des entreprises, qui n’ont pas attendu de telles décisions pour contrôler, bien évidemment, les notes de frais de leurs salariés !

La circulaire pénalisera, de plus, le secteur de la restauration qui rencontre, déjà, de sérieuses difficultés et auquel le Gouvernement demande de gros efforts d’embauche, notamment de jeunes, pour un résultat financier qui sera probablement extrêmement faible.

Je souhaite en conséquence, monsieur le ministre, que la circulaire ne paraisse pas, sauf à être modifiée.

Mme la présidente. Je ne suis pas totalement convaincue que votre intervention soit en rapport avec l’amendement, mon cher collègue !

La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. L’intervention fort pertinente de M. Dominique Tian ne se rattache, en effet, pas directement à l’amendement, mais je souhaite tout de même lui apporter une réponse.

J’ai été saisi, ces dernières semaines, par les entreprises des difficultés d’application que pose la circulaire. Mes services n’ont pas voulu faire autre chose que de rappeler les règles en vigueur. Le problème est réel, j’en suis conscient. Par conséquent, cette circulaire fera, dans les prochains jours, l’objet d’un nouvel examen.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié.

(L’amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 4 rectifié et 3 rectifié, tendant respectivement à modifier, pour coordination, respectivement l’article 18 et l’annexe C du projet de loi, sur lesquels les deux assemblées du Parlement étaient parvenues à un texte identique.

Le Gouvernement s’est déjà exprimé.

Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?

M. Jean-Pierre Door, rapporteur. Favorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 4 rectifié.

(L’amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 3 rectifié.

(L’amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 2 rectifié, tendant à modifier, pour coordination, l’article 21 du projet de loi, sur lequel les deux assemblées du Parlement étaient parvenues à un texte identique.

Le Gouvernement s’est déjà exprimé.

Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Pierre Door, rapporteur. Favorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 2 rectifié.

(L’amendement est adopté.)

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Sur l’ensemble du projet de loi, je ne suis saisie d’aucune demande d’explication de vote.

Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire modifié par les amendements qui viennent d’être adoptés.

(L’ensemble du projet de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire ainsi modifié, est adopté.)

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-deux heures quarante, est reprise à vingt-deux heures cinquante.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Lutte contre le terrorisme

Suite de la discussion,
après déclaration d’urgence, d’un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers (nos 2615, 2681).

Discussion générale (suite)

Mme la présidente. Cet après-midi, l’Assemblée a commencé d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

La parole est à M. Daniel Vaillant.

M. Daniel Vaillant. Madame la présidente, messieurs les ministres, mesdames, messieurs, depuis les attentats du 11 septembre 2001 et leurs images de cauchemar qui ont profondément marqué notre mémoire collective, il faut se rendre à l’évidence : ce n’est pas simplement la perception de la menace terroriste qui a changé, c’est la nature même de cette menace.

Nous sommes désormais confrontés à un terrorisme d’un genre nouveau. Je fais évidemment référence à celui qui nous préoccupe le plus aujourd’hui, celui des groupes islamistes radicaux de la mouvance d’Al-Qaida. Ignorant les frontières, bénéficiant de ressources financières sans précédent et de moyens techniques de plus en plus sophistiqués, ces groupes sont structurés sur un modèle militaire et s’appuient sur des individus qui, pour certains d’entre eux, sont, en apparence, parfaitement intégrés aux sociétés occidentales. En outre, les attentats perpétrés par ces groupes peuvent être d’une dimension ou d’une nature inconnue jusqu’à maintenant, à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’attaques-suicides.

Les sociétés démocratiques, qui sont les cibles de ce terrorisme fanatique, sont particulièrement vulnérables à ce type d’attaques. De ce point de vue, il serait parfaitement illusoire de croire que la France puisse être épargnée. Du reste, elle a été durement frappée dès les années quatre-vingt par le terrorisme islamiste. Je pense en particulier aux terribles attentats du magasin Tati de la rue de Rennes en 1986, et, plus près de nous, du métro Saint-Michel en 1995.

Face à une menace d’une telle ampleur, l’État doit se donner les moyens d’agir pour protéger la société et les citoyens.

Avant d’en venir au projet de loi présenté par le Gouvernement, on ne peut passer sous silence les causes du mal, qui sont nombreuses : les inégalités criantes entre le Nord et le Sud, l’étalage de richesses d’un côté et la misère de l’autre, les ravages d’un libéralisme incontrôlé et désormais tout puissant, l’absence de démocratie dans certains pays, l’injustice, la pauvreté et l’ignorance sont autant de germes du terrorisme. Certaines grandes puissances jouent aussi avec le feu, lorsqu’elles arment et financent à des fins géostratégiques des groupes qui se révèlent ensuite incontrôlables, ou lorsqu’elles envahissent des États sous des prétextes mensongers. Il faut comprendre tout cela pour mieux agir, même si, comme l’a dit Kofi Annan à la tribune de l’ONU après le 11 septembre, les actes de terrorisme ne peuvent jamais se justifier, quelle que soit la raison que l’on puisse faire valoir. (« Très bien ! » sur divers bancs.)

Mes chers collègues, le terrorisme doit être combattu de la manière la plus ferme. Les opérations militaires, pour légitimes qu’elles soient – je pense à l’Afghanistan – ne sauraient évidemment suffire. C’est la réponse policière et judiciaire qui est déterminante, et particulièrement dans le cadre de coopérations bilatérales et multilatérales entre les services de renseignement, les services de police et les autorités judiciaires au niveau européen et international. Ces coopérations sont d’autant plus indispensables que les terroristes ne craignent pas les frontières : ils les ignorent.

Dans ce domaine, et je puis en témoigner, nos services de renseignement et de police mènent un travail remarquable pour s’attaquer aux réseaux et procéder à des arrestations préventives. J’en donnerai deux exemples.

En décembre 2000, c’est la coopération policière avec l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne qui a permis de démanteler un réseau qui projetait de commettre un attentat au marché de Noël de Strasbourg.

En septembre 2001, à la suite de l’arrestation aux Émirats arabes unis d’un ressortissant français, Djamel Beghal, ce sont vingt-sept personnes qui ont pu être interpellées en France, en Belgique, aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne et en Espagne, dont un groupe qui était chargé de perpétrer une action sur notre territoire contre les intérêts américains. Faut-il rappeler la Coupe du monde de football en 1998 ? Depuis, et heureusement, cela s’est poursuivi puisqu’il n’y a pas eu d’attentat depuis 2002.

À l’échelon européen en particulier, nous avons beaucoup progressé. Je pense notamment à la création, il y a maintenant quelques années, d’Europol, du système d’information Schengen, du mandat d’arrêt européen, ou encore à la mise en réseau des magistrats des vingt-cinq pays membres de l’Union européenne dans le cadre d’Eurojust. Nous devrions ainsi, à l’avenir, éviter des situations aberrantes comme celle que nous avons connue avec Rachid Ramda : il aura fallu attendre dix ans pour que la justice britannique consente enfin à autoriser l’extradition en France de celui qui est manifestement responsable du financement des attentats du métro parisien de 1995.

M. Alain Marsaud, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Et ce n’est pas fait !

M. Daniel Vaillant. Nos amis Britanniques étaient longtemps restés insensibles à ce qu’un certain nombre de pays, dont le nôtre, leur répétaient depuis des années : on n’est pas à l’abri d’attaques terroristes lorsqu’on a chez soi des bases dormantes susceptibles de passer à l’action. Les attentats de Londres en juillet dernier l’ont malheureusement montré, et de la manière la plus tragique.

J’ajouterai à ce sujet que, lorsque j’étais ministre de l’intérieur, j’avais eu l’occasion de dire, lors d’un sommet du G8 à Milan, que le terrorisme, ça n’arrive pas qu’aux autres. Il faut être en totale solidarité avec les voisins menacés par des attentats, même quand le terrorisme ne sévit pas chez soi. C’est pourquoi j’avais tout fait pour développer la coopération policière entre la France et l’Espagne, quand celle-ci était confrontée à la violence de l’ETA, qui utilisait des bases arrière logistiques sur notre territoire.

Outre ce nécessaire développement des coopérations européenne et internationale, notre objectif doit bien être une démarche globale de prévention active, qui permette d’assurer la protection et la sécurité de nos concitoyens. Pour ce faire, le renforcement de notre dispositif législatif est utile et se justifie. Il faut donner de nouveaux moyens aux services de police, pour tenir compte notamment des progrès technologiques, sans jamais affaiblir les moyens du renseignement humain, qui est l’un des atouts maîtres de notre pays.

Dans le même temps, il convient de s’assurer que cette exigence d’efficacité dans le domaine de la sécurité n’altère en rien la protection des libertés individuelles. Dans une démocratie comme la nôtre, fondée sur l’État de droit, on commettrait une erreur majeure en pensant que, pour lutter contre le terrorisme, on pourrait s’affranchir du respect des valeurs démocratiques qui fondent notre république, et que l’on pourrait mieux protéger nos concitoyens en portant atteinte à leurs droits les plus élémentaires, même si, à mon sens, je veux le redire ici, la première atteinte aux droits de l’homme, c’est le terrorisme.

C’est cet équilibre entre efficacité et protection des libertés auquel nous étions parvenus avec la loi sur la sécurité quotidienne, que le Parlement a votée en 2001 à ma demande et sur proposition du gouvernement de Lionel Jospin à la suite des attentats du 11 septembre. Ce texte visait notamment à lutter contre les réseaux terroristes et les trafics en tous genres qui concourent à leur financement. C’est ainsi que les services de police et de gendarmerie ont été autorisés à fouiller les coffres de voiture dans le cadre d’enquêtes sur les infractions terroristes. Les visites domiciliaires sans l’autorisation du propriétaire ont été facilitées. Le champ des personnes habilitées à procéder à des fouilles de bagages, colis, marchandises, véhicules ou navires ainsi que des personnes dans les aéroports et les ports maritimes a été élargi. Les agents de sécurité privée ont pu être habilités par les préfets à procéder à des fouilles de bagages à main ainsi qu’à des palpations de sécurité. Les fournisseurs d’accès à Internet ont été tenus de conserver et de tenir à la disposition de la puissance publique les données de connexion durant un an. Enfin, cette loi a renforcé la lutte contre le financement du terrorisme, en incriminant notamment le blanchiment et le délit d’initié lorsqu’ils sont commis en relation avec une entreprise terroriste. J’insiste tout particulièrement sur la lutte contre le financement : elle est primordiale et doit être menée sans répit. (« Très bien ! » sur divers bancs.)

Avec le recul, je reste convaincu que ces mesures étaient justes et nécessaires. Elles faisaient partie d’une politique globale dont je crois pouvoir dire qu’elle a porté ses fruits, dans la mesure où aucun attentat islamiste n’a été commis sur le sol français depuis lors.

Il convient cependant de ne pas baisser la garde et de demeurer vigilant. C’est pourquoi j’ai considéré qu’il fallait avoir une approche positive lorsque le Gouvernement, à la suite des attentats meurtriers perpétrés à Londres en juillet dernier, a annoncé sa volonté d’apporter de nouvelles évolutions à notre législation antiterroriste, dans un projet qui met l’accent sur le renforcement de la prévention active. J’ajoute pour ma part qu’il ne faut pas non plus oublier la gestion des risques nucléaires, biologiques et chimiques, car on ne peut malheureusement exclure qu’un drame survienne en dépit de l’importance des mesures préventives. Nous avions engagé en 2001 un plan gouvernemental à cette fin, et il faut poursuivre cet effort, avec de vrais moyens.

Messieurs les ministres, mes chers collègues, j’ai déjà eu l’occasion de le dire, la lutte contre le terrorisme ne doit pas être l’objet de polémiques entre les responsables politiques qui situent leur action dans le champ de la République et de la démocratie.

M. Alain Marsaud, rapporteur. Bravo !

M. Daniel Vaillant. Le sujet est trop grave pour être l’otage de calculs tactiques, d’arrière-pensées ou de préoccupations étrangères à son objet.

C’est pourquoi il serait éminemment souhaitable qu’au terme de cette discussion, la représentation nationale puisse voter cette loi afin de montrer à nos concitoyens notre détermination commune à lutter contre le terroriste, en dotant notre pays de nouveaux outils à la fois efficaces et respectueux du droit.

C’est en gardant cet objectif à l’esprit que les députés socialistes ont déposé des amendements au projet du Gouvernement. J’en évoquerai certains, qui traduisent principalement trois préoccupations.

En premier lieu, il s’agit de faire de la lutte contre le terrorisme le seul objet de ce texte. Certes, nous ne contestons pas l’intérêt de dispositions visant à mieux lutter contre l’immigration clandestine, notamment en transposant une directive européenne adoptée en réponse aux attentats de Madrid. Mais, pour des raisons de cohérence et de clarté, il apparaît préférable d’utiliser un autre véhicule législatif pour transposer cette directive. Pourquoi pas la loi sur les préventions annoncée par le Gouvernement ?

En second lieu, nous demandons qu’il soit tenu compte des observations de la CNIL, notamment en prévoyant des garde-fous, des garanties pour encadrer strictement l’accès des services de police aux fichiers administratifs et aux données recueillies, qu’il s’agisse de vidéosurveillance, de communications électroniques ou encore de contrôle des déplacements, afin d’éviter leur exploitation à d’autres fins que la lutte antiterroriste.

Enfin, je ne reviens pas sur la demande d’une commission de contrôle parlementaire des services d’information et de renseignement – cela a déjà été évoqué par Jacques Floch. Et je sais, même si nous avons besoin de précisions, que le ministre de l’intérieur en a pris l’engagement devant la commission des lois. Nous souhaitons vivement qu’à la fin de ce débat, des conclusions positives soient tirées.

Comme vous le voyez, monsieur le ministre, il n’y a rien dans ces amendements qui remette en cause la philosophie, les objectifs et l’efficacité des mesures de lutte contre le terrorisme que vous nous proposez d’adopter.

Nous espérons que le Gouvernement et sa majorité créeront les conditions d’un vote positif, comme nous avions su le faire en 2001 sur le seul volet antiterroriste de la loi « sécurité quotidienne ». Nous avions su le faire ensemble. Monsieur le ministre d’État, cela dépend maintenant de vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Noël Mamère.

Un député du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Ce sera moins bien !

M. Noël Mamère. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce ne sera peut-être pas « moins bien », mais ce sera différent de l’intervention de l’orateur qui m’a précédé. Mes propos risquent en effet de dénoter dans cette ambiance de consensus…

Mme Christine Boutin. Nous nous y attendons un peu !

M. Noël Mamère. … puisque les trois députés Verts considèrent ce texte comme dangereux et attentatoire aux libertés (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), et je vais essayer de m’en expliquer dans les quelques minutes qui me sont imparties.

M. Richard Mallié. Ça commence bien !

M. Noël Mamère. Nous sommes tous confrontés à la menace terroriste. Elle peut frapper chacun d’entre nous, quelles que soient nos convictions. Pourtant, si chacun parmi nous ou parmi ceux qui nous sont chers peut en être victime demain, nous divergeons sur les moyens de faire face à cette menace, présente pour longtemps. Votre projet, monsieur le ministre, a délibérément choisi la voie du tout-sécuritaire, fidèle en cela à la stratégie de tension et de peur qui guide votre action depuis que vous êtes au Gouvernement.

Vous faites de la surenchère là où il s’agirait d’appliquer d’abord les lois de la République qui existent depuis vingt ans. Pourquoi être allé chercher votre modèle dans un pays qui, avec le « Patriot Act », tire parti des menaces terroristes pour porter atteinte aux libertés et remettre en cause le pacte fondateur de la société américaine que vantait Tocqueville voilà maintenant deux siècles ?

Une fois de plus, une fois de trop, vous nous proposez une loi de circonstance inspirée par votre obsession de figurer au sommet des sondages d’opinion…

M. Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Envieux !

M. Philippe Vitel. C’est de la jalousie !

M. Noël Mamère. …et, accessoirement, par votre volonté de labourer les terres de la droite la plus conservatrice, comme le fit en son temps M. Pasqua, l’un de vos prédécesseurs à ce poste qui prétendait « terroriser le terrorisme ».

Et votre politique spectacle, à la recherche du sensationnel, vous a conduit, au cours de l’émission Pièces à conviction, à annoncer l’arrestation de terroristes – alors même que vous aviez enregistré l’émission cinq jours auparavant ! La manipulation médiatique dans le domaine du terrorisme est un jeu à haut risque, monsieur le ministre. Vous devriez vous garder de cette tentation, qui n’est pas à la hauteur de l’homme d’État que vous prétendez symboliser.

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Grotesque !

M. Noël Mamère. En affirmant vous inspirer du « droit à la sûreté », vous ne faites que tordre le coup à l’article II de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui assure la protection des droits et des libertés de chaque individu contre l’arbitraire de la puissance publique. Or toutes les dispositions que vous nous proposez constituent, sans exception, de nouvelles atteintes et restrictions aux libertés fondamentales, comme, par exemple, la liberté d’aller et de venir, le droit à l’intimité de la vie privée, particulièrement tout ce qui touche au secret de la correspondance.

Votre prétendu dispositif de lutte contre le terrorisme et de prévention des attentats n’est en fait qu’une opération d’affichage sans efficacité. Il est d’autant plus attentatoire à nos libertés fondamentales qu’il s’inscrit dans un contexte législatif marqué par l’inflation sécuritaire que vous avez déclenchée dès 2002, suivi par MM. Perben et Villepin qui ont respectivement démantelé notre code pénal et porté atteinte au statut de réfugié et de demandeur d’asile.

Et que dire de vos autres projets en gestation, toujours censés lutter contre le terrorisme, comme, par exemple, le développement des moyens d’identification personnelle biométriques, ou encore l’élargissement du recours à la vidéosurveillance dans les parties communes des grands ensembles d’habitation pour prévenir la délinquance...

M. Philippe Vitel. Et ça marche !

M. Noël Mamère. …ou encore la transformation des travailleurs sociaux en indicateurs de la police ?

Si l’on ajoute à cet arsenal la prorogation pour trois mois de l’état d’urgence, on comprend que, pour vous, « rupture » veut dire verrouillage, peur, tension, divisions, confessionalisation des rapports sociaux. Bref, la vision d’une société recroquevillée et policière où la justice est cantonnée au statut d’auxiliaire et où les libertés fondamentales sont considérées comme subsidiaires.

Vous avez soumis la France à l’état d’exception et vous vous apprêtez avec ce projet à pérenniser l’exceptionnel.

M. Richard Mallié. Et vous croyez ce que vous dites ?

M. Noël Mamère. J’y crois tout autant que vous croyez, vous, à la justesse de ce projet ! Je le combats au nom des libertés auxquelles nous sommes attachés.

M. Richard Mallié. Vous croyez au Père Noël !

M. Noël Mamère. Dans ce lieu, d’autres députés avant moi se sont battus pour défendre les libertés fondamentales contre des lois scélérates !

M. Philippe Vitel. La liberté de ceux qui avaient des voitures avant qu’elles ne brûlent !

M. Noël Mamère. Vous avez soumis la France à l’état d’exception, et vous vous apprêtez, avec ce projet, à pérenniser l’exceptionnel.

Comment, en effet, croire à vos clauses de « rendez-vous » alors que les dispositions exceptionnelles…

M. Richard Mallié. C’est vous l’exception !

M. Noël Mamère. …de la loi sécurité quotidienne de 2001 – contre laquelle nous avions voté, monsieur Vaillant –,…

M. Daniel Vaillant. En effet !

M. Noël Mamère. …soumises à la même « clause », ont été pérennisées sans attendre l’expiration de la période d’évaluation ?

Imposer l’état d’exception permanent, c’est prendre le risque de rompre l’équilibre d’une société et de mettre en danger les valeurs de notre République, aujourd’hui bien malade, pour de vulgaires surenchères politiciennes.

M. Richard Mallié. Ce que vous dites est scandaleux !

M. Noël Mamère. Monsieur le ministre, les députés Verts ne cautionneront pas votre course folle à la sécurité, qui sape notre pacte républicain.

Ils voteront contre ce texte, quoi qu’il leur en coûte devant une opinion anesthésiée.

M. Richard Mallié. On s’en fout…

M. Noël Mamère. Et même si vous vous en « foutez », cher collègue, sachez que je suis porteur, comme vous, d’une part de la souveraineté nationale et qu’à ce titre vous devez nous prendre au sérieux. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains. – Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Léonard.

M. Gérard Léonard. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, s’il est un sujet qui justifie la recherche d’un consensus le plus large possible des élus de la nation que nous sommes, c’est bien celui de la lutte contre le terrorisme. Dans son principe même, car c’est bien une guerre qui nous est livrée. Dans la nécessité d’adapter en permanence les moyens de cette lutte aux évolutions de plus en plus complexes, et donc redoutables, de ce défi. Dans le choix des moyens, qui doivent, bien entendu, obéir à l’impératif d’efficacité, tout en respectant l’exigence constitutionnelle des libertés individuelles.

Parce qu’il répond à cette nécessité d’adaptation de notre dispositif aux nouvelles données du terrorisme en le dotant de nouveaux outils indispensables, parce qu’il s’inscrit, sans le déséquilibrer, dans un régime spécifique dont s’est doté notre pays depuis 1986 et qui a fait ses preuves, parce que sans avoir besoin de recourir à une législation d’exception, il respecte les principes de notre État de droit, le texte soumis à notre examen devrait légitimement recueillir l’approbation d’une très large majorité de cette assemblée.

Ce serait en outre l’occasion de manifester notre volonté et la détermination de notre pays rassemblé de ne jamais faiblir devant la barbarie du terrorisme.

À ce stade du débat et dans le temps qui m’est imparti, il n’est pas nécessaire de commenter les dispositions de ce projet de loi, sinon pour féliciter le Gouvernement d’en avoir pris l’initiative avec courage, lucidité et mesure.

Je tiens aussi à saluer l’excellent travail de notre rapporteur, Alain Marsaud. En resituant le texte dans son contexte juridique, technique et politique, il a incontestablement fait œuvre très utile pour éclairer notre choix.

Je voudrais maintenant aborder deux questions : d’abord et brièvement, celle de la vidéosurveillance ; ensuite, celle des administrations qui concourent à la lutte contre le terrorisme.

Nul ne peut nier l’intérêt de la vidéosurveillance pour l’identification des auteurs des crimes terroristes, comme l’ont montré les attentats de Londres. Pour autant, le système anglais de vidéosurveillance, d’application très vaste, est loin d’être la panacée que certains ont cru bon de vanter. En tout cas, son caractère généralisé n’en fait pas un instrument de prévention d’une particulière efficacité, tout en posant de sérieuses questions quant au respect des libertés individuelles.

En un mot, trop de vidéosurveillance affaiblit l’efficacité préventive de la vidéosurveillance, de celle qui fournit des informations en amont. C’est pourquoi il faut se réjouir du choix gouvernemental de modifier l’article 10 de la LOPS, du 21 janvier 1995, en élargissant ses possibilités d’application et en créant certaines obligations d’y recourir, tout en conservant à la vidéosurveillance un caractère ciblé et contrôlé.

S’agissant des administrations en charge de la prévention du terrorisme, je crois utile de souligner combien l’efficacité du dispositif dépend largement de la qualité de leur organisation et du discernement de leur emploi.

Outre la DGSE, qui dépend du ministère de la défense, essentiellement dédiée aux renseignements extérieurs, deux grands services concourent à la collecte et à l’exploitation des renseignements sur les agissements des terroristes potentiels : la DST et les Renseignements généraux, dont le personnel est constitué de fonctionnaires de la police nationale.

Il n’est guère utile d’insister ici sur l’autorité acquise par la DST dans la prévention des actes terroristes. Cette autorité est le fruit de la grande et ancienne expérience du service de la lutte antiterroristes.

M. Bernard Accoyer. Très bien !

M. Gérard Léonard. Elle tient aussi à la spécificité de ses compétences, qui en font tout à la fois un service de renseignement classique et un service de police judiciaire. Ces deux activités s’enrichissent mutuellement et confèrent aux fonctionnaires de la DST une exceptionnelle efficience.

L’efficacité particulière de leurs interventions par rapport aux services étrangers résulte enfin de l’outil juridique performant que constitue l’infraction d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. La qualité des agents, qui ont su nouer des liens personnels de confiance avec leurs homologues étrangers, est aussi un gage incontestable d’efficacité, comme l’est par ailleurs le renforcement depuis trois ans des liens avec la direction centrale des Renseignements généraux. Les 3 850 fonctionnaires des RG ont vu en effet leurs objectifs prioritaires réorientés autour de la lutte contre les dérives urbaines et le terrorisme.

Les méthodes aussi ont été rénovées, se traduisant par le renforcement des partenariats, non seulement avec la Direction de la surveillance du territoire, la DST, mais aussi avec la Division nationale antiterroriste, la DNAT, et la Sécurité publique, pour la prévention des violences urbaines. Coordination des actions, mutualisation des formations, rapprochement des services sur un même site sont autant de vecteurs d’efficacité de notre dispositif de renseignement, sous votre impulsion, monsieur le ministre d’État.

Pour autant, ce rapprochement doit-il être le prélude à une fusion des deux directions dans le grand service de renseignement que certains appellent de leurs vœux depuis des années ? Pour ma part je ne le pense pas. Il y aurait plus d’inconvénients que d’avantages à cette fusion. Cela risquerait en particulier d’éloigner les Renseignements généraux d’autres services, comme ceux de la Sécurité publique, qui peuvent très utilement concourir au renseignement à partir des informations tirées du terrain où ils évoluent. À cet égard, il conviendrait de compléter la formation des policiers affectés à la sécurité publique en matière de lutte contre le terrorisme, et de veiller à une meilleure fluidité des transmissions d’informations entre tous les services de police et de gendarmerie. Ce décloisonnement, déjà largement engagé, doit se poursuivre et se consolider dans tous les domaines, surtout celui du renseignement.

Mes chers collègues, des progrès considérables ont été réalisés depuis 1986, tant en matière législative qu’administrative. Les défis aussi ont évolué. Il importe de s’y adapter avec rigueur, pour ne pas être distancé. Le texte soumis à notre examen traduit bien cette double exigence d’adaptation et d’anticipation. Au regard de l’ampleur du défi à relever, il est donc de notre devoir commun de l’adopter. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Le Guen.

M. Jean-Marie Le Guen. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, la lutte contre le terrorisme est à l’évidence une question grave, qui met en jeu la vie d’un certain nombre de nos concitoyens et, en tout état de cause, la cohésion sociale de notre pays.

C’est aussi dorénavant une question durable pour nos démocraties. Nous savons que nous n’avons pas affaire au problème d’un moment, et que, pour les années et les années que nous avons devant nous, nous aurons à gérer ce risque et à faire face à cette menace. Quelque part, indiscutablement, pour notre façon de gouverner, c’est, je le crois, une question restructurante de l’approche des problèmes de la sécurité de nos concitoyens.

Dans ces conditions, il me semble clair que nous ne devons pas aborder ce type de sujet sur un ton polémique. Mais en même temps il est de notre devoir de parlementaires – j’allais dire sur tous les bancs – de mener une réflexion sans complaisance, de façon que nos débats fassent avancer notre réflexion.

À plusieurs reprises, vous-même, monsieur le ministre, et d’autres responsables, dans ce pays et dans d’autres démocraties, avez prévenu l’opinion publique : l’attentat est toujours possible. Notre pays, comme d’autres pays, aujourd’hui et demain, ne peuvent se considérer comme à l’abri d’une menace.

Au-delà des événements dramatiques que nous avons connus à New York, à Madrid ou à Londres, nous savons que, dans les années qui viennent, un risque différent pourra aussi apparaître : je veux parler des problèmes du bioterrorisme, auxquels, nous le savons, notre pays commence à réfléchir. Il avait d’ailleurs commencé à le faire dès l’année 2001, avec la mise en place de Biotox.

Nous ne savons pas quand arriveront tous ces risques, mais nous savons que leur probabilité d’arriver est très importante.

Le projet de loi que vous nous présentez essaie d’apporter un certain nombre d’améliorations sur les problèmes touchant au recueil d’informations, sur les incriminations et in fine sur la répression éventuelle de ses acteurs. En tant que tel, c’est un projet de loi qui est légitime, et je crois que la plupart de ses mesures sont nécessaires. Pour autant, et je crois que vous en conviendrez, il n’est pas réellement dissuasif s’agissant de ce type de terrorisme – ce qui ne veut pas dire qu’il n’est pas nécessaire – et, bien évidemment, il ne nous garantit pas face à de tels événements.

Aussi je crois que, lorsque nous nous adressons au pays, pour dire que nous travaillons à la lutte contre le terrorisme, le pays entend que nous travaillons à la sécurité de nos concitoyens. Il me semble, dans ces conditions, que ce projet de loi néglige beaucoup d’aspects fondamentaux de la gestion de la sécurité de nos concitoyens. En effet, si nous estimons que la probabilité de survenue demain d’un accident, de type classique ou de type bioterroriste, est forte, alors nous devons insister sur la dimension de la nécessaire gestion de la catastrophe. Car la sécurité de nos concitoyens dépendra de notre capacité, non seulement à dissuader ce type d’événements, mais aussi à gérer les conséquences de cette catastrophe. De ce point de vue, je pense que nous ne sommes pas capables d’informer aujourd’hui nos concitoyens sur les mesures que nous pouvons prendre. Je sais qu’un certain nombre de plans peuvent exister aujourd’hui au niveau de notre administration. Mais pour ce que j’en connais – nous avons eu l’occasion d’y travailler, par exemple dans le cadre de la mission de contrôle de la sécurité sociale, qui avait à contrôler les éléments de financement du plan Biotox, plan Biotox qui était d’ailleurs lui-même soumis à un contrôle de la Cour des comptes –, notamment à travers ce rapport de la Cour des comptes, dont vous avez sans doute eu communication, monsieur le ministre, bien qu’il soit classé et qu’il ne soit pas disponible d’une façon globale, notre pays a un certain nombre d’efforts à faire pour se protéger véritablement, et pour protéger ses citoyens.

J’insisterai tout particulièrement sur les problèmes de recherche et de développement en matière de protection civile. Nous sommes aujourd’hui très en deçà de ce que font d’autres pays, comme les États-Unis, et nous sommes très en deçà de ce qui est nécessaire, dans bien des domaines.

Il y a aussi, au-delà même de la recherche et du développement, des problèmes de mise en place d’un certain nombre de dispositifs. Je pense par exemple à la protection de l’eau, qui est une question qui s’avérera stratégique dans les années qui viennent. Pour ces problèmes, là encore, je pense que l’action des pouvoirs publics n’est pas assez décisive et n’est pas assez préventive, et sur eux il n’y a pas dans ce texte de loi, ni même dans votre discours, d’évocation d’un certain nombre de précautions.

Il y a enfin la question de la gestion même de la crise. Nous ne possédons pas, vous le savez mieux que personne, monsieur le ministre, de structure intégrée, à l’inverse d’autres pays, telle la Grande-Bretagne, qui a pu faire face aux événements du mois de juillet, y compris au second événement le 21 juillet, parce qu’elle avait des structures intégrées – vous savez peut-être que le 21 juillet les responsables au plus haut niveau de l’État britannique étaient réunis pour une séance de débriefing des attentats des quinze jours précédents. Ils ont donc été en situation de prendre un certain nombre de décisions tout à fait majeures.

Notre constitution politique, mes chers collègues, introduit plus que du flou dans la gestion de la crise. Qui va parler, si demain nous avons une catastrophe ? Qui va prendre immédiatement, dans les minutes qui suivent l’arrivée d’une catastrophe, les éléments de la gestion de la crise ? Le Président de la République ? Le Premier ministre ? Le ministre de l’intérieur ? Le préfet de police ? Qui va prendre en main immédiatement les décisions qui s’imposent, et la communication en direction de nos concitoyens ? Ces questions ne sont pas réglées aujourd’hui dans le cadre de notre dispositif.

Je veux parler aussi de la préparation, avec le sérieux que cela implique. J’ai eu l’occasion, à propos d’un autre risque, celui de pandémie grippale, d’expliquer – et je crois avoir un peu convaincu – qu’il ne suffisait pas d’avoir des plans théoriques dans nos bureaux, mais que le devoir, pour la mise en œuvre des politiques de prévention, était de passer à l’implémentation, à la préparation pratique sur le terrain. Et notre pays a bien quelques éléments d’exercice – pas plus loin que le métro des Invalides il y a deux ou trois ans, nous avons eu une simulation d’attaque bioterroriste, qui a révélé d’ailleurs les faiblesses de notre dispositif, et c’est bien normal lorsqu’on commence à mettre en œuvre ce genre de pratiques. Mais il n’y a pas, à un niveau plus élevé, me semble-t-il, de véritable exercice de préparation et de gestion de crise. Rien ne remplacera ce type de préparation.

Voilà pourquoi monsieur le ministre, il faut dire que le texte de loi que vous nous proposez, par certains aspects et avec toutes les réserves qu’ont faites mes collègues du groupe socialiste, peut apporter un certain nombre d’améliorations. Mais nous ne pouvons pas faire croire à nos concitoyens que des caméras, un appareil judiciaire plus fort, et même des services de renseignements plus actifs – nous espérons tous évidemment qu’ils le seront encore plus demain – suffiront. Les problèmes de la gestion de la catastrophe sont aussi une dimension essentielle de la confiance que nous devrons donner à nos concitoyens pour faire face à des crises qui risquent malheureusement de se produire, et éventuellement de se répéter. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Philip.

M. Christian Philip. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, le terrorisme n’a pas de frontière. Il frappe partout et notre pays n’est pas à l’abri. À plusieurs reprises, il en a été la triste victime, sur son sol comme à l’étranger. II est vain d’espérer pouvoir lutter seul contre le terrorisme. S’il est indéniable que chaque pays doit se doter de tous les instruments juridiques, administratifs et matériels pour combattre l’action terroriste – et votre projet de loi répond à ces exigences – il n’en demeure pas moins vrai qu’à un phénomène global comme le terrorisme, qui fait fi des distances géographiques, la coopération internationale apparaît une réponse adaptée.

Le plus naturel semble de développer cette coopération prioritairement dans le cadre de l’Union européenne. Mais la question qui se pose, monsieur le ministre, est de savoir si l’on peut attendre une plus-value de l’Union européenne.

J’ai eu l’occasion, au sein de la délégation pour l’Union européenne, de faire un état des lieux des mesures prises depuis les attentats du 11 septembre. On note une accélération sans précédent de la production normative européenne en vue d’harmoniser les législations nationales. Cela va de la définition de l’acte terroriste jusqu’à la mise en place du mandat européen, instrument capital, en passant par le gel des fonds et des avoirs financiers des personnes impliquées dans des actes de terrorisme, par la mise en place de règles concernant la rétention des données personnelles. Parallèlement, les États membres ont pris de nombreuses initiatives pour renforcer la coopération opérationnelle avec le renforcement d’Europol ou d’Eurojust.

Si des mesures sont adoptées, on a pu constater à plusieurs reprises qu’elles peinent à être appliquées réellement et avec efficacité. On se rend compte aussi que l’exigence de l’unanimité des Vingt-cinq – il s’agit du troisième pilier de l’Union européenne – entraîne des blocages qui freinent d’autant l’action de l’Union.

Or, face au terrorisme, c’est la réactivité qui devrait être la règle !

La lutte opérationnelle contre le terrorisme ne relève pas de l’Union mais des États membres et de leurs services propres. Mais n’y a-t-il pas place pour une action de l’Union qui serait complémentaire de celle des États ? Une telle action faciliterait le travail quotidien des services de police et de renseignements comme celui des magistrats nationaux en créant un cadre législatif favorable, qui renforce leur coopération.

L’action de l’Union devrait être plus cohérente. Si par exemple la désignation d’un coordinateur de la lutte contre le terrorisme va dans le bon sens, on ne voit pas bien quels sont ses pouvoirs. L’adoption du projet de Constitution européenne aurait sans doute permis à l’Union d’être plus efficace en supprimant sa structure par piliers, mais cela n’a pas été le cas.

Dans ce contexte, une action de certains États au sein de l’Union ne serait-elle pas plus efficiente ? Que pensez-vous, monsieur le ministre d’État, de l’action du G 5. Ce cadre que vous avez cherché à développer vous paraît-il un instrument efficace pour lutter contre le terrorisme ? Qu’attendez-vous de lui ? Certaines des dispositions du projet de loi que nous examinons peuvent-elles se rattacher à une action susceptible d’être conduite dans le cadre du G 5 ?

Si l’efficacité conduit à privilégier la coopération bilatérale et le G 5 pour chercher à prévenir l’acte terroriste, l’Union européenne ne pourrait-elle pas être, dans d’autres domaines, l’instrument d’une action commune ? Il a été rappelé que nous ne sommes pas à l’abri du terrorisme : si nous devions être confrontés à une attaque terroriste importante – la question se pose a fortiori pour un État plus petit –, l’Union européenne ne pourrait-elle, en s’y étant préparée à l’avance, intervenir dans le pays en appui du gouvernement national concerné, dans l’intérêt des victimes ?

Pour ce qui concerne, enfin, les droits de l’homme et les craintes du Parlement européen face aux différentes législations en cours de discussion chez nous et chez nos voisins, je n’aurai pas la même appréciation que M. Mamère. Dès l’exposé des motifs de votre projet de loi, monsieur le ministre, vous avez placé les droits de l’homme et le droit à la sûreté au cœur de vos préoccupations.

Comme vous le répétez à juste titre, le défi consiste, pour une démocratie, à garantir à nos concitoyens une lutte efficace contre le terrorisme sans renier les principes sur lesquels cette démocratie est fondée, au premier rang desquels figure le respect des droits de l’homme. Je crois sincèrement que ce texte répond à cette exigence fondamentale. C’est d’avoir trouvé cet équilibre qui fait la force de votre projet de loi et des mesures que vous nous proposez d’adopter. C’est pourquoi j’y adhère totalement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Vanneste.

M. Christian Vanneste. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, monsieur le ministre, mes chers collègues, le terrorisme est pour la démocratie un adversaire particulièrement pervers, qui livre un combat à armes inégales.

La démocratie libérale, c’est avant tout l’État de droit, c’est-à-dire celui où les libertés des citoyens sont garanties et où la sphère privée est protégée de la sphère publique : liberté de s’exprimer, d’aller et de venir, de se réunir, de s’adonner à un culte sont autant de manifestations de ces droits garantis. Or, le terrorisme refuse ce cadre au nom d’idées ou de revendications qui ne veulent ou ne peuvent pas participer au débat démocratique. Il fait donc ressurgir la violence, qui est un refus de la démocratie. On peut d’ailleurs observer à ce propos une double dérive.

D’une part, le terrorisme tend de plus en plus à quitter les actions – certes déjà lâches – visant des adversaires ou des symboles, pour s’en prendre à des victimes de plus en plus dénuées de liens directs avec ses revendications : des anonymes, frappés au hasard, touchés au cœur de leur liberté de se déplacer et de mener la vie privée qu’ils ont choisie. Cette première dérive n’est pas absurde ; elle est perverse, car elle atteint la démocratie de trois manières. D’abord, elle suscite des comportements de peur et de méfiance – car c’est le terrorisme qui crée la peur, monsieur Mamère –, contraire exact du climat propice à une société libérale, y compris sur le plan économique. Ensuite, elle induit des conséquences politiques, comme on l’a vu lors des dernières élections législatives espagnoles. Enfin, elle conduit les démocraties à se lancer, face au terrorisme, dans une guerre qui peut aboutir à l’objectif paradoxal de limiter les libertés pour mieux les protéger.

C’est là que la seconde dérive du terrorisme révèle tous ses dangers. Utilisant au maximum tous les développements des techniques et la liberté offerte dans leurs usages, le terrorisme entame avec la démocratie une lutte du glaive et du bouclier dans laquelle nous ne devons lui laisser atteindre aucun de ses buts : ni imposer ses revendications, ni transformer l’État de droit en État de police.

C’est pour répondre à cette double exigence qu’intervient votre texte, monsieur le ministre d’État, puisqu’il renforce notre dispositif tout en s’assurant de la préservation de nos libertés fondamentales. Je n’en prendrai qu’un exemple : celui de la vidéosurveillance. Les attentats qui ont eu lieu à Londres ont certes révélé l’efficacité des installations britanniques – davantage, au demeurant, pour la rapidité d’investigation que pour la qualité de la prévention –, mais ils ont aussi souligné l’incroyable retard de notre pays dans ce domaine. Tandis que la Grande-Bretagne possède quatre millions de caméras, 52 000 systèmes de vidéosurveillance ont été installés en France depuis 1997, dont 1 773 seulement du fait de 469 collectivités territoriales, parmi lesquels 183 seulement concernent la voie publique. On évoque aujourd’hui en Grande-Bretagne le chiffre de 25 millions de caméras, contre 300 000 en France.

Grâce à votre texte, nous allons commencer à rattraper ce retard. Il faut toutefois souligner un paradoxe : la CNIL, dont c’est la mission légitime, avait souligné dès 1994 les risques liés au développement des techniques de numérisation pour les droits des personnes, par exemple pour le droit à l’image. Elle a réitéré ses craintes dans sa déclaration du 10 octobre 2005, en soulignant son exigence que l’élargissement prévu par ce texte soit proportionné aux objectifs poursuivis. Or, si l’on considère que les délits et les crimes forment une pyramide, le terrorisme en occupe à l’évidence le sommet alors que la vidéosurveillance vise d’abord la base la plus large : les faits d’agression ou de dégradation. Bien sûr, certaines installations spécialisées, certaines utilisations ciblées, des rétentions plus longues ou l’intervention de personnels spécifiques ne peuvent concerner que les faits les plus graves – en l’occurrence, le terrorisme. Mais il faut constater que seul le réseau le plus dense sera le plus efficace. Le terme d’« élargissement » est donc impropre, même s’il est pertinent sur le plan juridique.

La vidéosurveillance n’a pas empêché les attentats et n’a pas joué de rôle dissuasif ou préventif. Le lien établi entre les cibles et la vidéosurveillance est donc insuffisant, puisque c’est avant tout dans les lieux de réunion, de formation, de recrutement et dans les espaces de communication que pourront être obtenues assez tôt les informations nécessaires. Il faut donc faire un important effort d’équipement en dispositifs d’alerte immédiate ou de détection des comportements anormaux.

L’utilisation de la vidéosurveillance doit pouvoir s’appuyer sur un vaste réseau, qui est encore à réaliser et doit être produit par l’effort de tous. De nombreuses collectivités territoriales s’y sont engagées, avec des villes comme Levallois, Épinay ou Montpellier et des départements comme le Var. Il serait essentiel que l’État encourage de la façon la plus concrète ces initiatives. C’est la raison pour laquelle il faut faire aujourd’hui, dans le respect de l’État de droit, un choix clair qui évacue les fantasmes idéologiques.

Lorsque se pose en apparence le choix entre la liberté et la sécurité, une défense absolue et abstraite de la liberté ne doit pas conduire au massacre des innocents. Françoise Rudetzki montre, dans son livre Triple peine, à quel point la victime d’un attentat est seule, exposée à la fois à la violence des terroristes, à un relatif abandon de la société et à l’incompréhension de ce qui lui est arrivé.

Un Premier ministre étranger soulignait le dilemme des démocraties : soit les gouvernements mettent l’ensemble de la population en danger, soit ils semblent toucher aux libertés. Mais que signifie une liberté qui n’est pas à l’abri de la violence ? Votre loi n’institue pas un État-caméra, elle va simplement dans la direction de la liberté, qui, comme le disait Montesquieu, « chez un citoyen provient du sentiment qu’il a de sa sûreté ». (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Reymann.

M. Marc Reymann. Madame la présidente, messieurs les ministres, chers collègues, la lutte contre le terrorisme a fait l’objet de plusieurs projets de loi, rapports d’information et conventions internationales. On nous demande aujourd’hui d’adopter un projet de loi portant essentiellement sur des mesures pratiques visant à contrecarrer le terrorisme, pour donner suite aux nombreux enseignements tirés des derniers attentats.

Une fois de plus, des associations de défense des droits de l’homme parlent de liberté sacrifiée au nom de la lutte contre le terrorisme, alors qu’il s’agit tout simplement de tenir compte de l’évolution des techniques de communication et de repérage.

Comment ne pas approuver l’installation de systèmes de vidéosurveillance sur la voie publique ou dans des lieux et établissements ouverts au public pour prévenir les actes de terrorisme ? Comment ne pas permettre aux personnes morales exposées à des risques de terrorisme de déployer des caméras filmant la voie publique aux abords immédiats de leurs bâtiments ? Comment ne pas approuver le contrôle des déplacements et des échanges téléphoniques et électroniques des personnes susceptibles de participer à une action terroriste ? Comment ne pas approuver l’accès à certains fichiers nommément énumérés ?

La prolongation de la garde à vue et le renforcement des peines de réclusion constituent un accompagnement tout à fait légitime en matière de lutte contre le terrorisme.

Quant aux dispositions relatives à la lutte contre le financement des activités terroristes, qui prévoient l’instauration d’une procédure de gel des avoirs par le ministre de l’économie, elles sont un complément bien venu à la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, signée par la France au siège de l’ONU le 10 janvier 2000.

Après ce rapide survol, se pose la question de la coopération internationale permettant de lutter contre le terrorisme ?

Une mission d’information de la commission des affaires étrangères, après avoir auditionné de nombreux spécialistes, et notamment des juges chargés des dossiers terroristes, est arrivée à la conclusion que la collaboration bilatérale entre États est le meilleur moyen d’être efficace. La grande difficulté de la coopération dans ce domaine est que, pour être efficace, la lutte contre le terrorisme doit être discrète et concentrée sur des secteurs qui apprécient peu la publicité – notamment dans le domaine du renseignement et de la justice – et que, surtout, elle doit d’abord porter sur des aspects opérationnels.

Le principal rôle que l’Europe doit jouer en la matière est de tout mettre en œuvre pour faire disparaître les freins qui empêchent la coopération directe entre États membres. L’objectif à terme devrait être que les frontières nationales ne constituent plus un obstacle dans la conduite d’enquêtes en matière terroriste. Nos concitoyens ne comprendraient pas que l’Union européenne se désintéresse de ce sujet, ce qui suppose des coopérations renforcées entre les États dont les structures antiterroristes sont proches.

Monsieur le ministre, je saisis cette occasion d’attirer votre attention sur la situation d’un mouvement de l’opposition iranienne en France, les Moudjahidin du peuple d’Iran, classé par l’Union européenne sur la liste du terrorisme malgré des comités de soutien à leur action qui réunissent des anciens Premiers ministres français et algériens, des parlementaires, tant de droite que de gauche, membres de notre assemblée et des responsables d’associations de défense des droits de l’homme. Après les propos bellicistes du président des mollahs, je demande instamment au gouvernement français de revoir sa position à l’égard de ce mouvement d’opposition qui représente un réel espoir démocratique en Iran. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Je tiens d’abord, ainsi que mon collègue Christian Estrosi, à souligner la haute tenue de ce débat, qui me semble avoir laissé se dégager un diagnostic commun. À l’exception d’un orateur accoutumé à la singularité – mais ce n’est pas parce qu’on est seul de son avis qu’on a forcément raison ! –…

M. Noël Mamère. Je ne représente pas que moi-même dans cet hémicycle !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. …tous les intervenants ont fait preuve d’un sens de la responsabilité qui souligne le diagnostic commun. La menace existe. Il faut renforcer nos instruments : débattons des moyens de ce renforcement.

Nous allons donc débattre, dans un esprit de grande ouverture, de la rédaction de certains articles, mais, comme l’a dit M. Vaillant, l’objectif est de renforcer les moyens et l’efficacité de la lutte antiterroriste.

Essayons donc de trouver les voies pour arriver, de façon consensuelle, à cet objectif.

Votre rapporteur, Alain Marsaud, a parfaitement décrit le problème de l’amont et de l’aval dans la lutte contre le terrorisme, et, avec beaucoup de constance, il a plaidé pour un droit de regard et de contrôle des parlementaires sur les services de renseignement. Monsieur le rapporteur, vous savez que le Gouvernement est ouvert à cette demande. D’ailleurs, dans une démocratie, comment s’opposer à cette revendication de principe ? La question est de savoir comment on y répond positivement. Le Gouvernement proposera de travailler avec vous, de se donner un peu de temps, mais il partage votre objectif. Je l’indique au président de la commission des lois. Ce problème étant levé, reste à définir les modalités et le contenu du dispositif pour que personne ne s’en inquiète et ne crée les conditions d’une rétractation devant cette ouverture nécessaire. En tout cas, je ne défendrai pas l’idée qu’en 2005, le contrôle ou le droit de regard des parlementaires serait autre chose qu’une démarche parfaitement naturelle. Les services de renseignement doivent agir dans la discrétion ; cela ne veut pas dire qu’ils soient condamnés au secret par rapport au contrôle démocratique qu’exerce une assemblée parlementaire.

Monsieur Mariani, je vous remercie pour votre soutien.

M. Julien Dray. Fidèle ! (Sourires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Nous allons marquer l’ouverture du Gouvernement sur plusieurs amendements que vous avez évoqués. Je pense en particulier à la question de la réduction des frais de justice, que nous devons nous efforcer de régler. Je pense aussi à vos propositions visant à améliorer l’efficacité de la lutte contre le financement du terrorisme.

M. Floch n’est pas là, mais je veux saluer l’esprit de responsabilité du groupe socialiste. (À ce moment, M. Jacques Floch entre dans l’hémicycle.)

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur Floch, pour une fois que le ministre dit du bien de vous ! (Sourires.)

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Mais ça peut m’arriver, monsieur le président de la commission ! (Sourires.) Monsieur Floch, je viens de saluer l’esprit de responsabilité du groupe socialiste. C’est la marque – je le dis à M. Mamère en passant – des groupes et des partis de gouvernement.

M. Christian Vanneste. Très juste !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. C’est la très grande différence entre ceux qui peuvent être amenés à assumer la responsabilité du gouvernement, en fonction de l’alternance, et ceux qui assument simplement leur incohérence.

M. Richard Mallié. Ils disent n’importe quoi !

M. Christian Vanneste. C’est du spectacle !

M. Noël Mamère. Nous sommes cohérents : nous avions voté contre la loi Vaillant !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Le groupe socialiste est un parti de gouvernement. Je l’ai suffisamment combattu pour pouvoir le dire. Chacun a bien compris que la lutte contre le terrorisme n’est pas une affaire de gauche ou de droite puisque, chacun à notre tour, nous serons confrontés, hélas dirai-je, au même risque. La seule chose qui soit plaisante, c’est que M. Mamère ne risque pas d’être confronté aux problèmes de gouvernement. (« Heureusement ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Richard Mallié. Il faut l’espérer !

M. Noël Mamère. Ça élève le débat, monsieur le ministre !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. C’est tout de même un élément extrêmement rassurant dans tout cela.

Nous examinerons également avec le groupe socialiste la question de la transposition de la directive. On a des désaccords, mais il me semble qu’on peut trouver les voies et les moyens d’avoir des objectifs et des rédactions qui nous permettent d’avancer ensemble ; je pense notamment à la vidéosurveillance, monsieur Floch.

Monsieur Hunault, vous avez voulu marquer le soutien du groupe UDF. Comme ce n’est pas évident en ce moment (Sourires), je le prends avec d’autant plus de plaisir ! Je ne sais si je le dois à la qualité du projet ou à vos qualités personnelles, mais, dans les deux cas, le Gouvernement ne boude pas son plaisir.

On est d’accord sur la priorité à donner à la lutte contre le financement du terrorisme.

Quant à la coopération internationale, c’est très simple : il n’y a pas de lutte efficace contre le terrorisme sans coopération internationale. Je vais prendre un exemple : au pire moment du conflit irakien et donc des difficultés diplomatiques entre les États-Unis et la France, le travail entre les services secrets américains et les services de renseignement français était quotidien. Il y a la diplomatie, la politique, les désaccords, et il y a le travail qu’on doit mener. Tous les jours, il y avait des échanges entre nos services. Je le précise pour illustrer la qualité de leurs rapports.

Mais il y a un problème : la coopération internationale bilatérale fonctionne très bien alors que la multilatérale ne fonctionne pas du tout. Parce que quand vous vous retrouvez à vingt-cinq autour d’une table, vos services de renseignement respectifs n’ont pas l’intention de donner leurs renseignements. Pourquoi ? Pour deux raisons : premièrement, sur les vingt-cinq, il y en a qui n’ont pas de service de renseignement ; deuxièmement, pour donner des renseignements, il faut des habitudes de travail en commun qui sont extrêmement complexes à mettre en place. L’échange de renseignements, c’est plus du bilatéral que du multilatéral. Je le dis comme je le pense : le bilatéral fonctionne très bien, le multilatéral reste à construire.

Par ailleurs, j’ai bien noté toutes vos remarques sur les libertés publiques – je reconnais là l’avocat, monsieur Hunault.

M. Lellouche a posé le problème de l’organisation des pouvoirs de police à Paris. Je crois comme lui que l’autorité élue doit jouer tout son rôle dans l’organisation des secours aux populations en cas d’attaque terroriste. Peut-elle le faire suffisamment aujourd’hui ? En a-t-elle les moyens ? Réfléchissons posément à cette question, même s’il ne faut pas méconnaître la spécificité de la Capitale vis-à-vis de l’ensemble du territoire national mais aussi des pays étrangers. M. Lellouche a appelé notre attention sur la situation des victimes du terrorisme : beaucoup reste à faire en la matière.

Monsieur Vaillant, vous avez dit quelque chose que je partage : la première menace contre les droits de l’homme, c’est le terrorisme. Ce serait un très grand service rendu aux terroristes que de considérer qu’on ne peut pas être plus efficace au prétexte que les droits de l’homme seraient alors mis en cause. Voilà les combattants des droits de l’homme que sont les terroristes qui nous empêcheraient d’être efficaces au nom des droits qu’ils combattent eux-mêmes ! Face au risque terroriste, vous-même aviez fait front en 2001, et nous vous avions soutenu. Notre détermination est commune et je vous remercie de l’avoir rappelé. On verra dans la discussion des amendements ce que nous pouvons faire ensemble.

J’ai déjà dit ce que je pensais des propos de M. Mamère. Il a déclaré, fort justement, qu’il était isolé. Monsieur Mamère, je le confirme : vous êtes isolé. (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Voilà une remarque de très grand bon sens de votre part, et c’est suffisamment rare pour le signaler.

M. Noël Mamère. Ce n’est pas parce que vous n’êtes pas isolé que vous avez raison !

M. Julien Dray. C’est vrai !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Mais vous me permettrez de ne pas répondre aux outrances qui vous sont habituelles. Je rappelle simplement qu’à l’époque où vous étiez candidat derrière Bernard Tapie, vous aviez moins de leçons à donner aux uns comme aux autres.

M. Noël Mamère. Je préfère avoir été proche de Bernard Tapie que de Charles Pasqua.

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Je ne sais pas si vous voulez être désagréable, mais en tout cas vous n’y réussissez pas, alors que moi, je l’ai voulu en rappelant votre compagnonnage avec Bernard Tapie. Donc si vous avez mal pris mon propos, je l’assume parce que c’était parfaitement délibéré. Et je peux même en rajouter. (« Oui ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Marie Le Guen. Halte au feu !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. D’ailleurs, compte tenu de toutes les outrances que vous avez dites à l’époque des violences urbaines, j’ai appris avec intérêt que votre mairie a reçu des cocktails Molotov. Cela montre que même quand on est clément avec les émeutiers, on n’est pas toujours payé de retour. Après tout, c’est certainement moral.

M. Noël Mamère. Quand on met le couvercle sur la marmite, monsieur Sarkozy, il ne faut pas s’étonner ! Ébouillanteur !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Monsieur Gérard Léonard, vous avez fait une intervention très sérieuse, comme à l’accoutumée, sur la vidéosurveillance. Je veux vous manifester l’accord du Gouvernement sur la nécessité de la développer de manière ciblée. Quant aux services de renseignement, vous avez tenu à leur rendre hommage. Ô combien vous avez raison : DST et Renseignements généraux ont fait un travail absolument remarquable. C’est moi-même qui ai demandé à ce que le patron des RG et le patron de la DST n’hésitent pas à s’exprimer dans la presse de temps à autre,…

M. Gérard Léonard. Très bien !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. …parce que ça contribue à démythifier ces institutions, dont je veux rappeler qu’elles sont parfaitement démocratiques. Le travail des services de renseignement nécessite la discrétion, mais il est tout à fait normal que nos concitoyens connaissent le visage du patron de la DST et du patron des Renseignements généraux, et que ceux-ci puissent expliquer ce qu’ils font. Ils participent de la démocratie et ils la protègent. C’est la raison pour laquelle, contrairement à la tradition, je ne suis pas du tout choqué lorsqu’ils s’expriment.

Monsieur Jean-Marie Le Guen, vous avez, comme les autres orateurs de votre groupe, montré une attitude constructive. C’est si rare de vous remercier que vous pouvez être certain que c’est bien sincère !

Monsieur Philip, vous vous interrogez sur la valeur ajoutée de l’Europe. Je ne suis pas loin de partager vos doutes, parce que, lorsqu’on s’est réuni après les attentats de Londres, on a mis une journée pour se mettre d’accord sur une déclaration dont il faut bien reconnaître qu’elle n’a rien bouleversé. C’est dû au fait qu’on est trop nombreux et que les pays européens n’ont pas tous la même perception du risque, ce qui est bien dommage. Par ailleurs, certains pays européens ne savent pas ce qu’est un service de renseignement puisqu’ils n’en n’ont pas. C’est difficile de mutualiser des moyens qui sont aussi différents entre les uns et les autres.

En revanche, le G 5 marche très bien. Vous savez que j’ai été à l’origine de sa création, et je n’ai qu’une seule idée, c’est de le transformer en G 6 en y intégrant la Pologne. La Pologne, c’est 40 millions d’habitants. On ne peut pas considérer qu’un pays aussi peuplé doive être traité comme un pays de 500 000 habitants. Si on faisait le G 6, il réunirait alors tous les pays d’Europe entre 40 millions d’habitants – Espagne et Pologne – et 82 millions d’habitants – l’Allemagne. À partir de ce moment, il y aurait un nouveau moteur de la construction européenne. Une construction européenne à vingt-cinq ne peut pas avoir le même moteur qu’une construction européenne à six, à neuf ou à douze. D’ailleurs, les deux instances qui marchent le mieux en Europe, c’est l’Eurogroupe, avec douze États, et le G 5, avec cinq États. Chacun est bien conscient que l’Europe à vingt-cinq doit accepter en son sein des entités plus modestes en nombre d’États membres, mais qui sont par là même beaucoup plus efficaces.

De plus, le G 5 manifeste un accord complet en son sein. Du coup, l’échange de renseignements s’effectue parfaitement. Par exemple, j’ai communiqué au ministre de l’intérieur britannique, M. Clarke, le projet de loi dont vous débattez, et il m’a transmis le texte qu’il a proposé à la Chambre des communes il y a quinze jours.

M. Julien Dray. C’est sur Internet !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Parce que, naturellement, on doit avoir un retour d’expériences. Quand il y a eu les attentats du mois de juillet, j’ai immédiatement envoyé une équipe française de spécialistes de l’antiterrorisme pour suivre pas à pas l’enquête. C’était pareil lorsque Angel Acebes était le ministre de l’intérieur espagnol au moment des attentats de Madrid. Et s’il nous arrivait quoi que ce soit, nous accueillerions immédiatement des services étrangers pour que, en temps réel, on comprenne ce qui s’est passé, parce que nous sommes convaincus que ce qui se passe chez les autres peut aussi malheureusement se passer chez nous.

Quant à la biométrie, je suis persuadé que c’est une technique d’avenir dont nous aurons énormément besoin.

Monsieur Vanneste, je vous remercie pour vos propos de synthèse qui rappellent brillamment ce que nous voulons faire : l’équilibre entre la sécurité et la liberté. Vous avez cité Montesquieu ; nous allons essayer d’être à la hauteur de cette référence.

Monsieur Reymann, je suis d’accord, comme je l’ai dit à propos du G 5, pour des coopérations pragmatiques en Europe.

Vous l’avez donc compris, mesdames, messieurs les députés, le Gouvernement aborde ce débat avec le souci de rassembler le plus grand nombre de forces politiques pour être le plus efficace possible. Nous venons ici dans un esprit pragmatique. Si jamais on sortait de cette discussion en concluant que la quasi-totalité des formations politiques du pays sont d’accord sur le diagnostic et se sont mises d’accord peu ou prou sur les solutions, je crois que l’ensemble de nos compatriotes nous en seraient reconnaissants. Il n’y aurait pas, d’un côté, le Gouvernement qui récupérerait la mise, et, de l’autre, ceux qui subiraient ; ce serait tout le monde qui gagnerait en esprit de responsabilité. Parce que devant un sujet tel que le terrorisme, notre devoir est un devoir de rassemblement, de pragmatisme et d’efficacité. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Motion de renvoi en commission

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une motion de renvoi en commission, déposée en application de l’article 91, alinéa 7, du règlement.

La parole est à M. Julien Dray.

M. Julien Dray. Une remarque liminaire concernant votre réponse, monsieur le ministre d’État. Dieu sait que nous avons eu des discussions avec Noël Mamère sur les questions de sécurité, mais l’argument d’autorité consistant à dire « vous êtes seul, donc vous avez tort » n’est pas recevable dans cet hémicycle.

Mme Muguette Jacquaint. Très juste !

M. Julien Dray. Il n’est pas recevable non plus pour l’héritier du gaullisme que vous êtes. Nous pouvons avoir des désaccords, mais on ne saurait éluder le débat par cet argument, dont vous-même avez récemment été victime !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. On n’a pas forcément raison parce qu’on est seul !

M. Noël Mamère. Je ne suis pas aussi seul que vous le supposez !

M. Julien Dray. Le débat ne doit donc porter que sur les arguments. Je voulais formuler cette remarque amicale.

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Amicale ? De la part du porte-parole du parti socialiste ?

M. Julien Dray. On peut débattre en respectant ses adversaires ! C’est même une condition essentielle du débat démocratique.

Mme Muguette Jacquaint. Très bien !

M. Julien Dray. Je tenais à faire cette remarque avant d’entamer mon intervention sur le fond.

Aucun mur, aucun barbelé, aucun dispositif technique ne nous protégera définitivement de l’acte d’un fanatique. Car le fanatisme parviendra toujours à franchir les murailles technologiques et juridiques que nous dresserons sur son passage.

Ne voyez pas dans ces propos le signe d’une quelconque résignation de ma part, bien au contraire. Le gage d’une véritable efficacité dans la lutte contre le terrorisme, c’est de faire preuve d’une lucidité froide. Ne nous rassurons pas à bon compte avec des illusions faciles, des législations toujours plus complexes, des technologies toujours plus sophistiquées, qui ne seront que de vaines protections face au terrorisme fondamentaliste.

Notre premier combat contre le fanatisme n’est pas technique. Il est d’abord et avant tout politique. C’est un combat valeurs contre valeurs : l’universalisme de la démocratie contre le totalitarisme, le fondamentalisme et le fanatisme. La meilleure réponse des démocrates face à la terreur que veulent semer des fanatiques, c’est celle de la confiance dans nos valeurs ; c’est une exigence démocratique permanente. La véritable leçon qu’il faut tirer des attentats du mois de juillet à Londres ne tient pas seulement au nombre de caméras de vidéosurveillance, mais d’abord à la réaction exemplaire dont les Londoniens ont fait preuve.

Gardons aussi en mémoire cette formidable démonstration de millions d’Espagnols défilant tous ensemble pour dire non au terrorisme et oui à la démocratie au lendemain des attentats de Madrid et prouver, selon la formule d’Abraham Lincoln, qu’« un bulletin de vote est plus fort qu’une balle de fusil » – en l’occurrence, qu’une bombe.

Cette mobilisation citoyenne, ce civisme exemplaire dans le refus de la terreur, doivent nous inspirer. Permettez-moi une digression, peut-être hors sujet mais très instructive. En France aussi, face à des violences d’une autre nature, une mobilisation citoyenne exemplaire a fait la preuve de son efficacité. Les élus locaux présents dans cet hémicycle savent parfaitement que le principal facteur du retour au calme dans les quartiers ne fut pas le couvre-feu mais bien, aux côtés des pompiers et des policiers, la mobilisation des maires, des associations, des enseignants, des parents, pour renouer un dialogue avec toute la population et permettre ainsi d’isoler les noyaux durs des délinquants.

Mais revenons au débat qui nous occupe. Nul ne conteste la gravité de la menace terroriste qui plane sur notre pays. Nous partageons, comme les orateurs du groupe socialiste l’ont rappelé, la volonté de mieux protéger nos concitoyens. Mais une fois encore, la meilleure arme de la démocratie contre le terrorisme n’est pas technique. La meilleure arme de la démocratie, c’est la démocratie elle-même, le respect de ses principes, de ses valeurs et la mobilisation de ses citoyens.

Cette observation n’est pas seulement principielle. Elle a des conséquences opérationnelles déterminantes. Cette implication de nos concitoyens et de notre démocratie est la base du seul outil susceptible d’assurer la sécurité effective de nos concitoyens : le renseignement humain s’informant, traquant, prévenant en amont l’acte terroriste.

Nous sommes fiers de l’excellence française en la matière. Elle doit être confortée. Les dispositifs technologiques ne doivent pas se substituer à la fiabilité du renseignement humain. C’est celui-ci qui permet d’éviter des attentats, et non simplement de rechercher des coupables une fois que l’irréparable est commis – recherche encore plus vaine, vous en conviendrez, lorsque les attentats sont commis par des kamikazes.

Ce point est à nos yeux crucial : menons le combat contre le terrorisme forts de nos principes, forts de nos valeurs, forts de la spécificité française en la matière. La première victoire des terroristes serait que nous finissions par nous convaincre que la prévention de leurs actes odieux nécessite que nous entamions de nous-mêmes l’État de droit.

Je ne suis pas un enfant de chœur et – disons les choses clairement – je sais et je comprends que les personnels placés en première ligne sont parfois amenés, sous la pression et dans l’urgence, à s’aventurer aux frontières de l’État de droit dans l’accomplissement de leurs missions. Mais le rôle du législateur est précisément de parer à ces dérapages, de protéger ces personnels. Car l’État de droit est notre unique demeure. C’est la préservation de son intégrité, la préservation coûte que coûte de la démocratie qui, en dernière analyse, nous permettra de triompher du fanatisme.

Au regard de ces enjeux, le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui pose plusieurs problèmes. Tout d’abord, vous conviendrez que la rapidité des travaux préparatoires à l’examen de ce projet par le Parlement n’est pas conforme à l’exigence démocratique que je viens d’évoquer. L’examen du texte en commission des lois n’a pas permis à la représentation nationale d’effectuer le travail d’analyse fouillé qu’impose un sujet d’une telle gravité. Nous avons eu, les uns et les autres, moins d’un mois pour examiner le texte et procéder à des auditions. Celle du ministre de l’intérieur ainsi que l’examen en commission des lois ont été sérieux mais rapides – quelques heures seulement. La plupart des points évoqués ont été survolés en quelques minutes.

À supposer que l’urgence soit bel et bien démontrée, il était de votre devoir de veiller à ce que l’unique examen de ce texte par le Parlement soit préparé dans de meilleures conditions. Tel n’est pas le cas ; c’est pourquoi le groupe socialiste demande le renvoi en commission.

Votre projet de loi pose en effet trois problèmes fondamentaux, dont la clarification serait plus adaptée en commission que dans cet hémicycle. Le premier de ces problèmes n’est autre que l’éventualité d’un prolongement supplémentaire de la garde à vue en matière terroriste. L’amendement proposé par votre majorité a été survolé en quelques minutes en commission des lois alors même qu’il interroge les principes fondamentaux de l’État de droit. La question de la présence de l’avocat lors de l’examen de la prolongation de la procédure de garde à vue par le juge des libertés mériterait d’être examinée sérieusement.

Le deuxième problème a trait au stockage des données informatiques par les services de police et de gendarmerie. En l’état, les conditions dans lesquelles s’est déroulé le travail parlementaire ne permettent pas à la représentation nationale de bénéficier de toutes les garanties quant à l’usage de ces fichiers. Les données collectées ne doivent en aucun cas pouvoir être utilisées à des fins autres que celles de la lutte antiterroriste. Cela n’est pas assuré en l’état du texte. Là encore, un examen approfondi en commission des lois nous paraît nécessaire.

Le dernier problème concerne le contrôle démocratique dont les services de renseignement doivent pouvoir faire l’objet. Le groupe socialiste a fait une proposition. Privé de tout instrument de contrôle parlementaire, notre pays fait en effet aujourd’hui figure d’exception. Vous conviendrez que notre proposition, qui implique des évolutions importantes, mériterait davantage qu’une discussion de quelques minutes.

Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe socialiste n’a qu’un mot d’ordre dans ce débat parlementaire : la responsabilité.

Responsabilité dans l’exigence d’une meilleure protection de nos concitoyens face à la menace terroriste de l’après 11 septembre, et qui impose la solidarité de tous les démocrates ; mais responsabilité également dans la mission, assumée par l’opposition, de garantir le bon fonctionnement de l’État de droit et d’exercer une vigilance démocratique nécessaire.

Nous n’avons aucun état d’âme. Certaines dispositions du projet de loi qui nous est soumis constituent des avancées substantielles à même d’améliorer le travail des services de police et de gendarmerie en charge de la lutte contre le terrorisme. Nous les approuverons. Mais en vertu de la même objectivité, le groupe socialiste doit constater que ce texte présente également un grand nombre de problèmes et d’insuffisances : nous en discuterons.

Qu’il soit aujourd’hui nécessaire d’adapter les dispositifs de lutte contre le terrorisme face à l’évolution de la menace, c’est une évidence. Entre 1986 et 1996, la France a été frappée par vingt-trois attentats liés à l’islamisme radical. Pour être épargné depuis, notre pays n’en est pas moins pris dans une réalité et un contexte international fournissant les effroyables témoignages d’une menace exponentielle. Les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, de Madrid en mars 2004 ou de Londres en juillet dernier, tout comme ceux perpétrés dans de nombreux pays – Maroc, Indonésie, Inde… – attestent le caractère évolutif d’une menace protéiforme et planétaire.

Les attentats imputables à la nébuleuse d’Al-Qaida sont aujourd’hui le fait de cellules autonomes, aux recrutements locaux. Ces cellules maîtrisent les nouvelles technologies mais agissent avec des moyens techniques et logistiques réduits. Elles ne se constituent que le temps d’une opération. La menace est de ce fait incontestablement plus difficile à identifier et à combattre : le démantèlement d’un réseau ne signifie pas l’éradication de la menace.

Notre arsenal juridique est l’un des plus avancés au monde. Tous les rapports parlementaires réalisés sur le sujet après les attentats du 11 septembre 2001 ont souligné ses qualités.

Pour autant, nous ne nions pas l’opportunité d’une nouvelle loi : il n’est pas illégitime que le législateur procède à des adaptations pour perfectionner nos outils compte tenu des modes opératoires nouveaux auxquels nous sommes confrontés. Mais avouez que la méthode suivie peut laisser perplexe. On pourrait appliquer à votre démarche cette formule de Daniel Pennac : « Les batailles se perdent dans la précipitation. » La méthode avec laquelle ce projet de loi a été élaboré et mis en débat devant la représentation nationale laisse pour le moins songeur.

L’année passée, le Gouvernement a commandé l’élaboration d’un Livre blanc sur le terrorisme afin, je cite, « de préciser la nature de la menace terroriste et de mesurer les risques sur le territoire français ; d’évaluer les ressources humaines et les moyens techniques et juridiques nécessaires au maintien d’un dispositif de protection adapté ; d’informer les Français sur la réalité du risque terroriste, les moyens mis en œuvre pour y faire face et les comportements à adopter ».

Ce travail de réflexion, dont le sérieux et la rigueur ne sont contestés par personne, est en passe de s’achever. Le Livre blanc devrait être publié en début d’année prochaine, date à laquelle le présent projet de loi aura été définitivement adopté. À moins que ce Livre blanc ne soit l’habillage aussi flatteur qu’inutile d’une politique d’ores et déjà déterminée, vous conviendrez du caractère malheureux de cette chronologie. L’inversion du calendrier n’est jamais bonne conseillère…

Vous m’objecterez, je n’en doute pas, que la menace terroriste est telle que l’urgence impose l’adoption immédiate de mesures législatives, ces dernières pouvant, le cas échéant et au vu du Livre blanc, être complétées en temps utile. Cet argument n’est pas irrecevable en lui-même. Mais permettez-moi de formuler une remarque préliminaire. Si l’urgence est telle que l’adoption sans délai d’un texte législatif vous paraît nécessaire, pouvez-vous m’expliquer par quel équilibrisme cette même urgence n’a pas conduit votre gouvernement à prendre les décrets d’application de l’article 29 de la loi sur la sécurité quotidienne du 15 novembre 2001, qui concernait la conservation des données téléphoniques, et de l’article 26 de la loi de sécurité intérieure du 19 mars 2003, relatif aux dispositifs de contrôle automatisé des données signalétiques de véhicules ?

Ces remarques sur la méthode seraient secondaires si les dispositions de votre projet de loi présentaient l’efficacité, les garanties et, d’une manière générale, toutes les qualités requises. Mais, selon nous, ce n’est pas le cas.

Trois séries d’arguments peuvent être avancés. Le texte se livre tout d’abord, et à plusieurs reprises, à une confusion des finalités qui peut en altérer la lisibilité. Cette question se pose par exemple pour les dispositions concernant la vidéosurveillance. Sur les bancs de la majorité, des collègues n’ont pas fait mystère de ce que les dispositions envisagées étaient attendues dans le texte relatif à la prévention de la délinquance. Cet hypothétique projet de loi, plus attendu que Godot, ne cesse d’être annoncé puis reporté. Dans ces conditions, les dispositions sur la vidéosurveillance n’ont-elles pas pris le premier train législatif de passage ?

Vous pratiquez un mélange des genres encore plus problématique avec la confusion, récurrente dans votre texte, entre immigration et terrorisme. Cet amalgame apparaît dans le cadre des contrôles d’identité dans les trains internationaux, ainsi que dans les traitements automatisés des données personnelles des voyageurs internationaux. Il apparaît encore davantage dans l’intitulé même du projet de loi et dans la disposition relative à la perte de nationalité. Une telle confusion peut jeter la suspicion sur des populations immigrées, ce que le groupe socialiste juge parfaitement inacceptable. Elle atteste au surplus une erreur de diagnostic et une méconnaissance de la réalité du terrorisme contemporain, dont le recrutement est essentiellement endogène.

Le texte cède ensuite sans discernement à la tentation du tout technologique. Les outils de l’arsenal antiterroriste français sont assurément perfectibles. Doter nos services de tous les moyens technologiques modernes est une nécessité que personne ne conteste. Mais la responsabilité nous impose de faire preuve de discernement. L’élargissement des possibilités techniques ne fait pas des nouvelles technologies l’outil miracle de la lutte contre le terrorisme. Ce glissement, suggéré par la teneur générale de votre texte, risque de porter atteinte au renseignement humain. L’expérience a démontré, notamment aux États-Unis et en Grande-Bretagne, que la multiplication des dispositifs technologiques de surveillance et de traitement automatisés peut mener à une surinformation des services totalement inexploitable.

Permettez-moi de citer ici l’exemple de la Grande-Bretagne après les attentats de Londres. Nous en avons déjà parlé en commission des lois et je vous réaffirme ma position : les enregistrements vidéo n’ont pu être exploités efficacement que sur la base d’informations annexes ayant permis l’aiguillage des enquêteurs dans une masse de données qui, en elle-même, était totalement inexploitable. Méditons ces mots d’Horace : « La force dénuée d’intelligence s’effondre sous sa propre masse. » Il en va de même pour la puissance des dispositifs de contrôle technologiques.

Des conclusions similaires s’imposent quels que soient les dispositifs de contrôle automatisés considérés.

Nous le réaffirmons avec force, la lutte contre le terrorisme doit rester prioritairement fondée sur le renseignement humain. Lui seul est à même de traiter ces données technologiques, de garantir l’efficacité réelle des investigations en amont des attentats et d’assurer, de fait, la sécurité de nos concitoyens.

Au-delà de l’inefficacité opérationnelle d’une généralisation excessive de tels dispositifs, l’option « tout technologique » comporte, avouons-le, des dangers pour les libertés fondamentales de nos concitoyens.

Sans aller aussi loin que Bernanos, pour lequel « un monde gagné par la technique est perdu pour la liberté », reconnaissez qu’à bien des égards, les dispositifs en question permettront de passer au peigne fin la vie privée de M. et Mme Tout le monde mais que, à l’inverse, les terroristes, rompus à ces techniques, pourront passer entre les mailles du filet. La photographie automatique des passagers des véhicules, l’archivage des données électroniques personnelles dans les cybercafés, la multiplication des dispositifs de vidéosurveillance, à l’intérieur comme à l’extérieur de certains établissements, le traitement automatisé des données personnelles des voyageurs internationaux, pourront sans doute contraindre les terroristes à adapter leurs comportements, mais hélas ! guère davantage. Il n’en sera pas de même pour les allées et venues du commun des mortels.

Ces inquiétudes pour les libertés publiques ne sont pas un couplet ou des affabulations de circonstance, et vous le savez parfaitement. La Commission nationale de l’informatique et des libertés, dont les avis constituent des références incontestées, vous a alerté de ces dangers, elle les a même actés. Son rapport n’a manifestement pas retenu toute votre attention : les différences observables entre l’avant-projet qui lui fut soumis et le projet que nous examinons aujourd’hui sont résiduelles. L’essentiel des observations formulées par la CNIL semble avoir été ignoré.

À l’aune de ces différentes observations, et conformément à son esprit de responsabilité et de vigilance, le groupe socialiste demande donc le renvoi de ce texte en commission, afin de permettre à la commission des lois d’étudier avec la sérénité nécessaire le détail des dispositions problématiques qui lui sont soumises, mais aussi d’intégrer au texte de loi les propositions du livre blanc sur le terrorisme, dont personne ne doute qu’elles remettront largement en perspective, sinon en question, les dispositions examinées ce jour par la représentation nationale.

Nous avons, en présentant cette motion de renvoi en commission, trois exigences.

D’abord, nous demandons que, sur l’éventualité d’un prolongement supplémentaire de la garde à vue en matière terroriste, la commission des lois examine en profondeur et non sur un coin de table les propositions qu’elle a recueillies.

Ensuite, nous demandons que la commission des lois arrête des garanties afin d’interdire l’usage des données collectées par les services de police et de gendarmerie dans le cadre du présent texte à d’autres fins que la lutte antiterroriste.

Enfin, nous demandons, comme corollaire du renforcement de l’arsenal juridique et technique de l’antiterrorisme, la création d’un dispositif parlementaire qui assure, bien sûr avec la confidentialité nécessaire, une transparence démocratique totale sur les activités des services de renseignement. Ce serait un progrès pour la démocratie, mais aussi une sécurité supplémentaire pour les activités des services de renseignement eux-mêmes, qui, ainsi, ne pourraient plus être suspectés.

Il vous appartient de répondre à ces exigences. Nous aurions préféré, quant à nous, que la discussion ait lieu dans le cadre de la commission des lois pour pouvoir déboucher dans l’hémicycle sur un vote unanime. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Noël Mamère. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d’État.

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. M. Dray ne m’en voudra pas de ne pas répondre à l’ensemble de sa motion, je voudrais juste intervenir sur un point.

Plusieurs orateurs, sur les bancs de la majorité comme de l’opposition, ayant souhaité une évolution du régime de la garde à vue des personnes suspectées de terrorisme, je veux dès ce stade des débats vous assurer de l’esprit d’ouverture du Gouvernement sur la définition d’un régime de prolongation de la garde à vue jusqu’à six jours. Les juges antiterroristes en expriment le besoin opérationnel. Il faut aller dans ce sens, en apportant toutes les garanties utiles, comme l’intervention du juge des libertés et de la détention. Nous en reparlerons demain. Je rappelle toutefois que nos amis anglais envisagent de porter le délai de garde à vue de quinze jours à deux mois, même si je sais que leur régime de détention provisoire n’est pas le même que chez nous.

M. Noël Mamère. Il n’y a pas de détention préventive en Angleterre !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Je voulais, monsieur Dray, marquer l’ouverture du Gouvernement sur cette question.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marsaud, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Alain Marsaud, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République . Je ne soutiens pas cette motion de renvoi en commission et je voudrais dire pourquoi il ne faut surtout pas l’adopter.

Monsieur Dray, vous nous dites qu’il n’y a pas urgence et que nous pourrions attendre la parution du Livre blanc pour commencer à réfléchir à un projet de loi. Cela nous amènerait, dans le meilleur des cas, à mars ou avril. Mais que dirait-on d’un gouvernement qui ne ferait pas tout pour mettre en œuvre au plus vite un projet de loi susceptible de répondre à une menace, sinon imminente, du moins envisageable dans le moyen terme ? La responsabilité du pouvoir exécutif est grande en la matière et nous pouvons louer le Gouvernement d’avoir mis en œuvre cette réforme.

Certes, comme j’ai eu l’occasion de le reprocher tout à l’heure au ministre, la commission des lois n’a disposé que de deux semaines pour examiner ce texte. Mais cela ne l’a pas empêché de bien travailler. Ainsi, elle a mené quarante-huit auditions et, alors que deux séances avaient été prévues pour finaliser son travail, elle a réussi à tout faire en une matinée.

M. Philippe Houillon, président de la commission. Parce que les débats ont été consensuels.

M. Alain Marsaud, rapporteur. Tout simplement, en effet, parce qu’un certain consensus s’était dégagé. Si une séance supplémentaire s’était avérée utile, nous l’aurions organisée. Mais vous ne l’avez pas souhaité, tout comme votre groupe n’a pas cru devoir présenter d’amendements ce jour-là. Sinon, nous les aurions étudiés.

M. Thierry Mariani. Absolument !

M. Alain Marsaud, rapporteur. Nous aurions peut-être amélioré le texte, très largement ou à la marge.

M. Jacques Floch. Nous avons déposé des amendements.

M. Alain Marsaud, rapporteur. Vous ne l’avez pas fait ce jour-là. Je n’imagine pas que, aujourd’hui, vous souhaitiez revenir sur votre attitude.

M. Christian Vanneste. Très bien !

Mme la présidente. Pour une explication de vote sur la motion de renvoi en commission, la parole est à M. Thierry Mariani, au titre du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Thierry Mariani. Je m’exprimerai sur le même ton que mon collègue Julien Dray, en essayant d’être amical et responsable.

M. Dray a soulevé trois problèmes fondamentaux : la garde à vue, l’usage des fichiers, le contrôle démocratique des services secrets.

Sur l’éventualité de la prolongation des gardes à vue, j’ai pris acte de l’ouverture manifestée par le ministre. Je souligne simplement qu’en Grande-Bretagne, ils en sont déjà à quatorze jours, et qu’ils envisagent de porter le délai à deux mois.

M. Noël Mamère. Il n’y a pas de préventive en Angleterre. Ce n’est pas pareil !

M. Thierry Mariani. L’amendement que j’ai déposé, qui propose de porter le délai à six jours, reste donc nettement en dessous de ce qui se fait à l’étranger. Il faut donner à la police et aux juges les moyens de travailler.

En ce qui concerne l’usage des fichiers, le texte prévoit qu’un décret fixera des garanties. Je ne vois donc pas où se trouvent les menaces que vous évoquez.

Enfin, en ce qui concerne le contrôle démocratique des services de renseignements, c’est la première fois qu’un ministre y est ouvert à ce point. Et l’avancée que nous avons obtenue cet après-midi en commission des lois, où un amendement a été accepté, qui permet un début de contrôle parlementaire sur les services de renseignements, est une première.

M. Jacques Floch. Attendez le débat !

M. Thierry Mariani. Lorsque nous avons examiné le projet de loi relatif à la sécurité quotidienne, je me souviens que le problème avait été évoqué mais qu’il avait été soigneusement éludé.

M. Julien Dray. C’était Chirac le problème ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) On était en pleine cohabitation !

M. Thierry Mariani. C’est la première fois que la majorité accepte un contrôle parlementaire sur les services de renseignement. Cela constitue, je crois, une avancée que vous pourriez saluer.

Quant à la responsabilité, j’ai souvenir, monsieur Dray, que, sur ce texte relatif à la sécurité quotidienne, l’opposition de l’époque, à laquelle j’appartenais, s’était montrée bien plus responsable que vous aujourd’hui. Elle n’avait pas déposé de motion ni même formé de recours sur la fouille des coffres de véhicules par exemple, alors que, quelques années auparavant, vous vous étiez opposés à une telle mesure. C’est bien d’évoquer la responsabilité, mais c’est encore mieux de la pratiquer.

S’agissant du lien entre immigration et terrorisme, nous ne jetons pas la suspicion sur les populations immigrées, mais, franchement, comme l’a rappelé M. le ministre d’État, quand certains groupes se déplacent fréquemment dans certains pays, en Irak ou au Pakistan par exemple, il y a de quoi se poser des questions et il est normal que les services de renseignement aient accès à certains fichiers.

M. Noël Mamère. Vous aussi, vous êtes allé en Irak ! (Sourires.)

M. Thierry Mariani. Enfin, j’ai apprécié votre dénonciation du tout technologique. Vous avez raison, mais je crois que le système français, tel qu’il est pratiqué et tel qu’il vous est proposé, est un juste compromis entre le renseignement humain et le renseignement obtenu grâce à la technologie.

Pour ces raisons, et parce qu’il y a vraiment urgence à statuer, le groupe UMP rejettera cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion de renvoi en commission.

(La motion de renvoi en commission n’est pas adoptée.)

Mme la présidente. La suite de la discussion du projet de loi est renvoyée à la prochaine séance.

Ordre du jour des prochaines séances

Mme la présidente. Aujourd’hui, jeudi 24 novembre, à neuf heures trente, première séance publique :

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi, n° 2615, relatif à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers :

Rapport, n° 2681, de M. Alain Marsaud, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

À quinze heures, deuxième séance publique :

Discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales :

Rapport, n° 2664, de M. Gérard Léonard ;

Suite de l’ordre du jour de la première séance.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée, le jeudi 24 novembre 2005, à zéro heure vingt-cinq.)