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N° 1004

SOMMAIRE DES AUDITIONS
Retour au tome I du rapport
Retour au début des auditions

- Audition de M. Elie COHEN, directeur de recherche au CNRS
(25 février 2003)

- Audition de M. René BARBIER de La SERRE (4 mars 2003)

- Audition conjointe de MM. Gabriel GALET, Yves JEGOUREL, Vincent de La BACHELERIE, Edouard SALUSTRO, Jean-Michel CHARPENTIER et Guy STIEVENART, commissaires aux comptes de France Télécom
(18 mars 2003)

- Audition de M. Jean-Louis VINCIGUERRA, ancien directeur financier de France Télécom (18 mars 2003)

- Audition conjointe de MM. Jean SIMONIN, Marcel ROULET et
François GRAPPOTTE, membres du conseil d'administration de France Télécom (25 mars 2003)

- Audition de M. Michel BON, ancien Président de France Télécom
(25 mars 2003)

2ème partie

- Audition conjointe de Mme Claire NOURRY, MM. Patrick GOUNELLE, Jean-Louis LEBRUN, Guy ISIMAT-MIRIN, Philippe VASSOR et Amadou RAIMI, commissaires aux comptes d'EDF (1er avril 2003)

- Audition de M. Jean-Michel CHARPIN, Président du comité d'audit d'EDF
(1er avril 2003)

- Audition conjointe de Mmes Michèle ROUSSEAU, commissaire du gouvernement à EDF, et Jeanne SEYVET, commissaire du gouvernement à France Télécom (8 avril 2003)

- Audition conjointe de Mme Catherine NEDELEC, MM. Alain MARTIN et Jean-Marc MAUCHAUFFEE, représentants des salariés au conseil d'administration d'EDF (8 avril 2003)

- Audition conjointe de MM. Jean-Pierre JOUYET, directeur du Trésor et Nicolas JACHIET, ancien chef du service des participations financières
(29 avril 2003)

- Audition de M. François AILLERET, ancien Président d'EDF International
(29 avril 2003)

3ème partie

- Audition de M. Edmond ALPHANDERY, ancien ministre de l'économie et des finances et ancien Président d'EDF (6 mai 2003)

- Audition de M. Jean-Paul BAILLY, Président de La Poste (13 mai 2003)

- Audition de M. Daniel LEBEGUE, ancien directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (13 mai 2003)

- Audition conjointe de MM. François ROUSSELY, Président d'EDF et Jacques CHAUVIN, ancien directeur financier d'EDF (20 mai 2003)

- Audition des principaux syndicats et confédérations syndicales (21 mai 2003)
CFDT
CGT
FO
Sud PTT

4ème partie

- Audition de M. Martin VIAL, ancien Président de La Poste (27 mai 2003)

- Audition de M. Marc TESSIER, Président de France Télévisions (27 mai 2003)

- Audition de M. Dominique STRAUSS-KAHN, ancien ministre de l'économie, des finances et de l'industrie (28 mai 2003)

- Audition de M. Louis GALLOIS, Président de la SNCF (3 juin 2003)

- Audition de M. Thierry BRETON, Président Directeur Général de France Télécom (4 juin 2003)

- Audition de M. Mario MONTI, Commissaire européen chargé de la concurrence (10 juin 2003)

- Audition de M. Francis MER, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie (11 juin 2003)

- 2ème partie

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la commission
(la date de l'audition figure ci-dessous entre parenthèses)

- Audition conjointe de Mme Claire NOURRY, MM. Patrick GOUNELLE, Jean-Louis LEBRUN, Guy ISIMAT-MIRIN, Philippe VASSOR et Amadou RAIMI, commissaires aux comptes d'EDF (1er avril 2003)

- Audition de M. Jean-Michel CHARPIN, Président du comité d'audit d'EDF
(1er avril 2003)

- Audition conjointe de Mmes Michèle ROUSSEAU, commissaire du gouvernement à EDF, et Jeanne SEYVET, commissaire du gouvernement à France Télécom (8 avril 2003)

- Audition conjointe de Mme Catherine NEDELEC, MM. Alain MARTIN et Jean-Marc MAUCHAUFFEE, représentants des salariés au conseil d'administration d'EDF (8 avril 2003)

- Audition conjointe de MM. Jean-Pierre JOUYET, directeur du Trésor et Nicolas JACHIET, ancien chef du service des participations financières
(29 avril 2003)

- Audition de M. François AILLERET, ancien Président d'EDF International
(29 avril 2003)

 

Audition conjointe de Mme Claire NOURRY,
MM. Patrick GOUNELLE, Jean-Louis LEBRUN,
Guy ISIMAT-MIRIN, Philippe VASSOR et Amadou RAIMI
commissaires aux comptes d'EDF

(Extrait du procès-verbal de la séance du 1er avril 2003)

Présidence de M. Philippe DOUSTE-BLAZY, Président

Mme Claire Nourry et MM Patrick Gounelle, Jean-Louis Lebrun, Guy Isimat-Mirin, Philippe Vassor et Amadou Raimi, sont introduits.

M. le Président : Les résultats d'EDF de l'année 2002 ont été publiés le 26 mars et ont ainsi mis fin à certaines incertitudes des dernières semaines qui ne pouvaient que porter atteinte à l'entreprise.

Je voudrais dire ici très clairement que vos trois cabinets ont répondu avec la plus grande diligence à mon invitation à venir témoigner devant la commission. Je voudrais vous en remercier.

Je serais heureux que vous puissiez nous aider à mieux comprendre les résultats financiers pour 2002 en eux-mêmes, car à la complexité traditionnelle des comptes consolidés s'ajoutent, cette année, les changements des règles comptables qui rendent difficile la comparaison par rapport à 2001.

Je voudrais également que vous nous parliez des conditions des acquisitions d'EDF à l'étranger, notamment en Amérique latine, et du traitement du problème spécifique des retraites.

La certification des comptes par les commissaires aux comptes repose sur une procédure complexe et fortement normalisée ; elle s'appuie sur des références légales, des doctrines professionnelles et sur toutes les justifications techniques, économiques et financières requises par les textes en vigueur et les usages de la profession.

Ce processus procure un fort sentiment de sécurité. La « certification » constitue, pour le public comme pour la communauté financière et même d'ailleurs pour l'Etat, une référence et une garantie fortes. Toutefois, ce processus rigoureux n'a pas empêché la survenance de quelques catastrophes comme nous en avons connu dans le secteur privé il n'y a pas si longtemps.

Il est donc important pour la commission, afin de l'appliquer aux entreprises publiques, et en particulier à EDF, de connaître la portée exacte de la certification. Donne-t-elle toute sécurité quant à la qualité de gouvernance de l'entreprise et de sa bonne santé financière ? Comment des comptes certifiés en toute bonne foi et dans le respect des règles en vigueur peuvent-il masquer des catastrophes plus ou moins imminentes ?

Comment pallier cette insuffisance dans la contribution des commissaires aux comptes à la gouvernance des entreprises, en particulier publiques ?

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, Mme Claire Nourry et MM Patrick Gounelle, Jean-Louis Lebrun, Guy Isimat-Mirin, Philippe Vassor et Amadou Raimi prêtent serment.

M. Patrick GOUNELLE : En préambule, nous souhaitons vous rappeler un certain nombre de choses, qui sont probablement connues, concernant le contexte général de l'exercice de notre mission. Vous rappeliez à l'instant que certains sujets restaient en effet quelque peu obscurs quant à notre rôle.

Nous souhaitons ensuite vous indiquer le cadre particulier de l'exercice de cette mission pour EDF.

Tout d'abord, le commissaire aux comptes exerce sa mission en application de la loi sur les sociétés qui en définit les contours généraux. Nous devons ensuite tenir compte de deux types de référentiels, très importants pour nous : le référentiel comptable, d'une part, et les normes de notre profession, d'autre part, qui sont extrêmement précises et qui définissent de manière très détaillée notre mission et la manière dont nous devons l'exercer.

J'évoquerai très rapidement ces points. Tout d'abord le cadre général de la mission : nous devons certifier que les comptes sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle du patrimoine, formule bien connue aujourd'hui. Nous devons vérifier également la sincérité des informations communiquées dans le rapport de gestion ou dans l'annexe aux comptes et, si cela s'avère nécessaire, révéler des faits délictueux que nous serions amenés à connaître.

Mais nous ne devons pas, et c'est un point très important de notre rôle, nous immiscer dans la gestion. Nous avons bien sûr une mission permanente d'investigation, mais nous ne devons pas nous mettre à la place des dirigeants de la société, c'est-à-dire accomplir des actes de gestion ou exprimer des jugements sur la conduite de celle-ci. Cela conduit probablement parfois à avoir un certain décalage dans la connaissance des faits : il est évident que les gestionnaires ont une avance sur ceux qui les contrôlent.

Enfin, nous avons l'obligation de respecter la confidentialité des informations que nous recueillons et nous sommes tenus au secret professionnel, ce qui pourrait nous conduire, dans le cadre de cette audition, à taire des informations qui pourraient être soumises au secret professionnel.

Nous nous assurons également que les principes comptables sont correctement appliqués, ce qui est difficile car coexistent aujourd'hui un référentiel purement français, d'une part, des référentiels internationaux, d'autre part, qui seront sacralisés, en principe, par des normes dans deux ans mais la plupart des groupes travaillent déjà sur ce sujet, et, enfin, dans un certain nombre de situations, des normes américaines, ce qui n'est pas du tout le cas pour EDF.

Sur les normes d'audit, il convient de rappeler que nous effectuons des sondages sur les opérations ; nous ne les revoyons pas toutes. Nous effectuons aussi des sondages sur les systèmes et nous avons à notre disposition un certain nombre d'outils d'interrogation adaptés aux systèmes actuels de réseaux informatiques. Nous faisons toujours un certain nombre de tests d'opérations spécifiques et nous procédons à des entretiens au cours desquels nous effectuons un certain nombre de recoupements. En effet, le mode de collecte de l'information s'appuie essentiellement sur l'honnêteté des personnes que l'on a en face de nous. C'est par recoupement que l'on conforte cette opinion.

Nous avons pour mission de relever les erreurs significatives et de les apprécier en fonction de ce que nous appelons un seuil de signification ou de matérialité. Ce seuil est une appréciation du type d'erreur tolérable que nous sommes prêt à accepter et qui est fonction soit des capitaux propres, soit du résultat, soit d'autres éléments significatifs des états financiers de la société que nous fixons en début de mission. Cela nous permet, quand nous devons émettre une opinion, de déterminer si nous nous trouvons en deçà du niveau acceptable d'erreur.

En général, nous demandons aussi à la société que nous contrôlons une lettre dite de représentation par laquelle les dirigeants de la société - président directeur général, directeur financier ou autre - s'engagent sur la totalité des informations qui nous ont été communiquées et sur le fait que l'on ne nous a rien caché.

Toutes ces diligences sont très précisément définies par nos normes : pour chaque élément du bilan, nous avons des normes spécifiques, mais ce n'est pas le lieu de les détailler.

Ce travail nous conduit à émettre un ou des rapports. Dans la plupart des sociétés, nous avons trois types de rapport : un rapport sur les comptes sociaux, un autre sur les comptes consolidés et un rapport « spécial » sur les conventions réglementées.

Je commenterai uniquement le rapport général qui porte soit sur les comptes sociaux, soit sur les comptes consolidés. Il comprend une première partie décrivant les procédures que nous sommes amenés à effectuer et les limites dans l'exécution de ces procédures si nous en avons. Nous y formulons éventuellement des observations, des réserves. Il peut se traduire par un refus de certifier si nous considérons qu'un ou plusieurs éléments nous mettent dans l'impossibilité de le faire.

La plupart des rapports sont sans réserve et sans observation. Nous n'avons pas de statistiques sur le sujet, mais je pense que ce n'est pas non plus le lieu de développer ce thème. Ces rapports sont communiqués au conseil d'administration et à l'assemblée et figurent généralement dans le rapport annuel émis par la société si un tel rapport est publié.

Concernant, de façon générale, les particularités d'EDF, celle-ci est tout d'abord un EPIC, ce qui conduit à l'absence d'assemblée générale. Je disais tout à l'heure que nous étions amenés à communiquer ce rapport à l'assemblée. Dans le cas précis d'EDF, nous rendons compte au comité d'audit avant de le faire au conseil d'administration. Nous n'émettons pas de rapport spécial puisqu'il n'y a pas de convention réglementée. L'autre particularité d'EDF, que vous connaissez, est qu'elle bénéficie de la garantie implicite de l'Etat français. Enfin, EDF est aujourd'hui un groupe, c'est-à-dire une maison mère avec des filiales, qui est de construction très récente. La culture de groupe est donc très nouvelle chez EDF et la publication de véritables comptes consolidés est assez récente. En particulier, elle ne se fait qu'une fois par an et non deux fois par an, comme dans la plupart des groupes français.

M. le Président : Merci pour cette introduction. Je crois que de nombreuses questions vous seront posées.

Première question : comment peut-on accepter un résultat net consolidé bénéficiaire de 481 millions d'euros lorsque les comptes sociaux font apparaître un résultat déficitaire de 1,1 milliard d'euros ? Il s'agit d'une question extrêmement importante pour tous ceux qui nous écoutent.

Je comprends bien qu'il y a eu, en quelque sorte, une modification de la règle du jeu. Vous êtes commissaires aux comptes, vous jouez un rôle relativement important dans la certification. Etant donné l'ambiance générale au cours de cette dernière année, nous aimerions avoir votre avis sur ce point.

Mme Claire NOURRY : Cet écart que vous relevez entre le résultat social et le résultat consolidé d'EDF pour 2002 est simplement dû à une différence entre les règles comptables applicables aux comptes sociaux et consolidés. Dans les comptes sociaux, il a été constitué une provision pour dépréciation des titres du holding EDF International, détenue à 100 % par EDF et qui détient toutes ses participations à l'international, à l'exception de l'Italie. Cette dotation a été calculée de façon mathématique par rapport à la contribution aux capitaux propres consolidés du sous-groupe EDF International. En fait, elle représente la diminution de la valeur patrimoniale pour EDF de ses actifs à l'international. Elle comprend la perte de l'exercice sur un certain nombre de filiales, notamment en Amérique latine, ainsi que les pertes de change résultant de la dévaluation des monnaies correspondantes - le réal brésilien ou le peso argentin - dont le montant est de 2,385 milliards d'euros au total. Une moitié grosso modo est due à la perte de l'exercice et l'autre à la perte de change.

M. le Président : Jugez-vous normal d'acheter des entreprises en dollars dans un pays où les factures sont libellées dans une monnaie dont le risque de dépréciation est important ? Cela vous a-t-il posé problème ?

Mme Claire NOURRY : Il n'appartient pas aux commissaires aux comptes de juger les actes de gestion de l'entreprise. Cela étant, cela n'explique pas l'écart de change que j'évoquais qui résulte, lui, de la conversion des états financiers des filiales détenues. Qu'elles aient été financées en dollars ou pas n'aurait pas changé ce point.

Cette perte qui a donc été constatée dans les comptes sociaux se retrouve en diminution des capitaux propres, donc pour une part dans le résultat consolidé correspondant à la perte d'exploitation et de financement et pour l'autre part directement dans les capitaux propres, c'est-à-dire pour la partie qui résulte de l'écart de conversion des états financiers des filiales.

C'est donc la simple application d'une différence de méthodes comptables, prévue par les textes et tout à fait normale puisque dans les comptes consolidés, vous ne pouvez pas prendre les pertes de conversion en résultat, sauf si vous cédez les filiales concernées, qui explique que le résultat social soit très différent du résultat consolidé.

M. le Président : Comme nous sommes ici pour tirer des conclusions, y compris pour le passé, mais surtout pour l'avenir, c'est finalement le problème de l'image fidèle des comptes d'une entreprise qui importe. Où est cette image fidèle ? Dans les comptes sociaux ou dans les comptes consolidés ?

M. Jean-Louis LEBRUN : Les deux répondent à des règles à la fois différentes et complémentaires. Nous nous prononçons sur la régularité et la sincérité des comptes consolidés et des comptes sociaux. Parfois, soit pour des raisons propres aux techniques de consolidation, soit parce que les référentiels comptables n'évoluent pas de la même manière et que certains points ne sont pas traités exactement de la même manière dans les comptes consolidés et dans les comptes individuels, nous sommes amenés, pour des raisons techniques, à acter de ces différences, en termes de régularité.

M. le Président : J'ai bien compris, vu sous votre angle. Mais sur le plan général, au-delà de votre propre condition, peut-on se satisfaire d'un tel écart qui, en définitive, disqualifie, me semble-t-il, toute mesure comptable de la situation économique de l'entreprise ? Pour les gens qui voient cela de l'extérieur, on peut se poser la question de savoir où en est l'entreprise.

M. Philippe VASSOR : D'une façon générale, il est communément retenu que les comptes qui donnent l'image la plus fidèle sont les comptes consolidés ; les comptes sociaux donnent uniquement une vision de la société mère avec, encore une fois, des principes comptables différents.

Je pense que si l'on devait faire un choix entre ces deux comptes pour privilégier l'image fidèle, je crois qu'il vaudrait mieux répondre à des questions sur les comptes consolidés. Encore une fois, il ne s'agit pas d'options qui ont été retenues par la société, mais de pratiques comptables qui résultent de règles qui n'ont été établies ni par EDF, ni par les commissaires aux comptes. Il n'y avait pas le choix : on ne peut pas faire autrement - ni eux, ni nous - que d'utiliser ces règles.

M. le Président : Sur les acquisitions internationales, avez-vous demandé l'inscription de l'amortissement accéléré des survaleurs sur Light au Brésil et d'Edenor en Argentine, et pour quelles raisons ?

Deuxième question très précise : quel jugement portez-vous sur le contrôle exercé par EDF sur ses filiales ? Depuis le début de cette commission d'enquête, nous nous interrogeons sur les filiales. Avez-vous pu obtenir toutes les informations nécessaires pour vos travaux, notamment pour Energie Baden-Wurtemberg (EnBW) dont EDF détient 45 % du capital, mais aussi, et surtout, pour Light ou Edenor sur la période 1998-2003 ?

M. Amadou RAIMI : Je vais commencer sur la période actuelle ; mes collègues compléteront sur la période antérieure.

Comme l'a rappelé Patrick Gounelle, EDF est un groupe en développement. C'est en ce moment que le groupe se constitue et que l'esprit de groupe se développe. Il faut se rappeler que les premiers investissements à l'international remontent à 1998.

Concernant les investissements en Amérique latine, il convient de faire une distinction entre l'Argentine et le Brésil.

Pour l'Argentine, on peut dire qu'il s'agit d'une exploitation maîtrisée et bien gérée, nonobstant le contexte politique et économique très incertain. En fait, c'est une affaire qui dégage des résultats d'exploitation. Aujourd'hui, le résultat net négatif ne provient pas de la gestion opérationnelle de cette filiale, mais plutôt des différences de change liées au mode de financement de cette opération, qui résulte d'une décision de gestion de la maison mère. Tous nos travaux visant à s'assurer que les actifs reflètent bien les valeurs inscrites au bilan se sont révélés positifs.

En ce qui concerne Light, qui représente un investissement très important, le groupe a mis en place, depuis mi-2002, un plan de redressement musclé pour réduire les pertes commerciales ; Light a, jusque-là, un résultat d'exploitation positif. Nous avons fait le même test pour nous assurer que les actifs sont assez solides pour générer des cash flows futurs. Une provision pour dépréciation du goodwill a été enregistrée pour un montant de 350 millions d'euros.

M. le Président : Quels sont les éléments justifiant le maintien de 6,7 milliards d'euros d'écarts d'acquisition dans le bilan d'EDF ?

En particulier, pour quelle raison le goodwill de London Electricity n'a-t-il pas été provisionné alors que les principaux concurrents d'EDF, pendant cette période, ont tous déprécié leurs filiales britanniques ?

Mme Claire NOURRY : Les goodwill restant dans le bilan d'EDF concernent principalement les filiales européennes, Londres et EnBW. Les goodwill d'Amérique latine ayant été dépréciés, il n'en reste qu'environ 500 millions d'euros en valeur nette au bilan à fin 2002.

Concernant London Electricity, la question a été vue de très près par EDF et nous-mêmes. La situation d'EDF n'est pas la même que celle de ses principaux concurrents qui ont pris des positions récemment en Grande-Bretagne. Je pense notamment aux groupes allemands qui ont une position longue en production, c'est-à-dire une production qu'ils sont obligés d'écouler au prix de marché. Les prix de gros du marché anglais ayant chuté de 30 % depuis deux ans, cela explique que ces groupes aient été amenés à déprécier leur goodwill et une partie de leurs capacités de production.

London Electricity se trouve dans une situation différente : elle est plutôt courte en production. Cela signifie que ses actifs de production produisent essentiellement pour ses clients captifs, c'est-à-dire les particuliers, pour lesquels les tarifs de vente ne sont pas du tout les mêmes que sur le marché de gros. Le test de dépréciation qui a été réalisé a montré que sur la base des estimations de cash flows, il n'y avait pas matière aujourd'hui à déprécier le goodwill de London Electricity.

M. le Président : Vous avez, me semble-t-il, émis à plusieurs reprises des réserves sur les comptes d'EDF en raison de l'absence de provision pour ses engagements au titre du régime spécial des retraites. A combien s'élève, d'après vous, le montant total de ses charges futures ?

M. Jean-Louis LEBRUN : Je vais vous répondre sur le point qui a fait l'objet de réserves. Je ne me sens pas autorisé à vous répondre sur le point de l'engagement parce que nous avons effectivement eu des éléments d'estimation en main, mais l'entreprise a décidé qu'au bout du compte, elle n'avait pas à communiquer l'information relative à ses engagements.

Tout d'abord, il s'agit d'un régime de retraite commun aux industries électriques et gazières, c'est-à-dire EDF, GDF et quelques autres entreprises. L'engagement d'EDF n'est pas au titre des retraites, mais du financement de ce régime.

Cela étant, pourquoi avons-nous été amenés à formuler une réserve ? Si l'on se réfère aux dispositions du code de commerce, il est indiqué, dans son article L. 123-13, que l'entreprise doit, soit communiquer en annexe le montant des engagements de retraite, soit provisionner tout ou partie de cet engagement.

Au cas d'espèce, EDF fournit, dans l'annexe aux comptes annuels, un certain nombre d'informations relatives à l'engagement des retraites sur des éléments constitutifs de cet engagement, sur la charge annuelle, sur les dispositions qui le régissent, mais elle n'indique pas le montant de cet engagement.

En conséquence, du fait de l'absence de cette information financière majeure, nous avons été amenés, et cela d'ailleurs depuis plusieurs années, à exprimer une réserve sur les comptes d'EDF, qui figure également dans notre rapport sur les comptes 2002.

M. le Rapporteur : Je voudrais revenir sur les acquisitions internationales et en particulier, sur la prise de participation à hauteur de 45 % dans le capital d'EnBW.

Les documents dont on peut disposer font apparaître, semble-t-il, une difficulté à mesurer très exactement l'impact de cette acquisition sur la situation financière d'Electricité de France. Il semble même que le résultat net de l'entreprise soit apprécié différemment selon que l'on se réfère aux normes comptables allemandes, auquel cas il est positif, ou aux normes comptables françaises, auquel cas il est négatif.

Le président du comité d'audit a évoqué cette question en conseil d'administration en soulevant le problème de la compréhension de cette situation. En ce qui vous concerne, avez-vous les éléments d'information nécessaires pour vos travaux sur ce point particulier ?

Mme Claire NOURRY : L'écart entre le résultat publié par EnBW en Allemagne et le résultat pris en compte dans les comptes consolidés d'EDF s'explique par un certain nombre de raisons, la première étant la différence de référentiels, EnBW publiant ses comptes pour le moment en normes allemandes. Elle les publiera pour la première fois l'année prochaine en normes internationales, qui se rapprocheront donc du référentiel d'EDF, mais ce n'est toujours pas le cas aujourd'hui.

EDF a, d'autre part, un goodwill sur EnBW qui est amorti. Il fait partie de la contribution aux comptes consolidés de EnBW au sens économique du terme.

Ce sont les deux principaux facteurs qui expliquent l'écart entre les comptes publiés par EnBW en Allemagne qui sont positifs et sa contribution dans les comptes consolidés d'EDF.

M. le Rapporteur : Je précise ma question : avez-vous une appréciation à porter sur cet écart ?

Mme Claire NOURRY : Cet écart est en fait le reflet des règles comptables visant à ce que les principes applicables à l'ensemble des sociétés incluses dans le périmètre de consolidation soient homogènes.

Cet effort d'homogénéité fait que le résultat de EnBW, de positif passe à négatif sur les exercices 2001 et 2002. Il est prévu que, pour les exercices suivants, cet écart se réduise dans la mesure où EnBW passera aux normes internationales.

M. Jean-Pierre NICOLAS : En examinant les comptes 2001 et 2002, je sens une espèce de fil rouge sur lequel j'aimerais avoir quelques précisions. Ces comptes ne semblent avoir été positifs que grâce à un recours extrême à des éléments positifs non récurrents et à l'emploi de diverses méthodes comptables. Ceux-ci n'auraient-il pas masqué une détérioration plus grande du résultat d'EDF ?

Dans ces conditions, peut-on estimer que le sentiment de sécurité apporté par la certification des comptes soit le reflet sincère de l'activité de l'entreprise et de sa santé financière ?

Pour illustrer mon sentiment, je vous poserai une première série de questions : tout d'abord, à combien se sont élevées les plus-values de cessions immobilières réalisées par EDF en 2000 ? Sans ces plus-values et sans la reprise de provisions sur le nucléaire, quel aurait été le résultat d'EDF en 2000 ?

Mêmes questions pour 2001 auxquelles j'ajouterai celle-ci : si EDF avait appliqué la méthode référentielle, celle des experts comptables et des commissaires aux comptes, relative aux écarts de conversion des actifs et des passifs monétaires libellés en devises, et si ces écarts avait été enregistrés en résultats financiers, quel aurait été le résultat d'EDF en 2001 ? Pour ne pas passer par la case « pertes », on a ponctionné directement les ressources propres, ce qui a eu l'effet souligné par le président tout à l'heure.

Pour 2001, pour conforter et illustrer un propos du président tout à l'heure, pourriez-vous nous expliquer les raisons qui ont amené les commissaires aux comptes à comptabiliser 457 millions d'euros d'écart d'acquisition en 2001 pour la seule société Fenice achetée à Fiat pour 552 millions d'euros la même année ?

M. Patrick GOUNELLE : Je laisserai mes collègues compléter leurs réponses sur les changements de méthodes, mais je souhaiterais faire une ou deux observations préalables. Nous n'avons comptabilisé aucune opération ; c'est l'entreprise qui en est chargée. Nous nous assurons, comme pour d'autres écritures, que ce qu'ils font est conforme à un référentiel comptable admis et acceptable. C'est vrai pour un certain nombre de principes comptables et de changements de méthode. Nous ne faisons pas ces changements de méthode, nous appliquons les normes qui nous sont imposées d'une certaine manière. Nous nous assurons que tout cela est traduit correctement.

Refaire des états financiers selon les principes comptables antérieurs est une approche que nous ne pouvons pas avoir puisque nous sommes censés prendre en compte les changements de méthode et les principes comptables. Ce ne sont pas les commissaires aux comptes qui les éditent. C'est fait, au niveau français, par le Parlement ou par le CNC, et au niveau international par d'autres organismes.

M. Jean-Pierre NICOLAS : Pour compléter ma question : la méthode d'imputation directe des charges sur les fonds propres contribue-t-elle, à votre avis, à la bonne information de l'actionnaire sur la situation de l'entreprise ? L'actionnaire avait-il donné son accord pour recourir à ce procédé d'imputation directe sur les fonds propres ?

Mme Claire NOURRY : Ce procédé d'imputation sur les fonds propres résulte de l'application des règles comptables. Dès lors que vous avez un changement de réglementation comptable...

M. Jean-Pierre NICOLAS : On peut faire autrement !

Mme Claire NOURRY : Non, la réglementation impose de passer l'impact du changement de méthode dans les capitaux propres. C'est prévu par les textes. Vous ne pouvez pas le passer dans le compte de résultat et si vous le faites, vous n'êtes plus en conformité avec les textes qui régissent ces sujets.

Pour répondre à votre question concernant la comparabilité des informations concernant 2002 versus 2001 du fait de ces changements de méthodes comptables, une colonne pro forma figure dans les comptes 2002, à la fois pour le bilan et pour le compte de résultat, qui est commentée dans une note annexe et qui vous indique ce qu'auraient été les comptes de 2001 selon les nouvelles méthodes. Cela donne une comparaison directe entre l'exercice 2002 publié et l'exercice 2001 tel qu'il aurait été.

On voit là effectivement une dégradation du résultat net de l'entreprise, qui passe de 1,327 milliard d'euros en 2001 en données pro forma à 481 millions en 2002.

M. Jean-Pierre NICOLAS : La question est également de savoir quels sont les éléments positifs non récurrents : quels auraient été les comptes d'EDF sans ceux-ci, c'est-à-dire les plus-values de cessions immobilières et les reprises de provisions sur le nucléaire ?

Mme Claire NOURRY : Je dois, pour cela, rechercher les chiffres précis de l'exercice précédent.

M. Guy ISIMAT-MIRIN : J'ai ici des chiffres sur 2000 et 2001...

M. Jean-Pierre NICOLAS : Et 2002 ?

M. Guy ISIMAT-MIRIN : En 2000, le résultat courant consolidé était de 1,150 milliard et le résultat net - part du groupe avant rémunération de l'Etat - de 1,141 milliard. L'effet des éléments non récurrents et exceptionnels.....

M. Jean-Pierre NICOLAS : J'ai précisé qu'il s'agissait des éléments positifs non récurrents...

M. Guy ISIMAT-MIRIN : ...était relativement faible. Sur 2001, on passe de 899 millions de résultat courant à 841 millions de résultat net - part du groupe avant rémunération de l'Etat - soit 50 millions d'éléments exceptionnels non récurrents.

Pour l'information de la commission, sur 2000 et 2001, les éléments non récurrents ou financiers se compensent. Ils n'affectent donc pas ou peu l'appréciation du résultat net : cela représente 50 millions sur 1 milliard ou 50 millions sur 900 millions.

M. Amadou RAIMI : En complément de ces informations, il faudrait encore répéter que les règles appliquées ne sont pas spécifiques à EDF. Pour tous les groupes en France qui doivent appliquer une nouvelle réglementation, l'impact du changement de méthode est enregistré dans les capitaux propres : c'est la règle.

D'autre part, lorsque l'on est dans une telle situation, on regarde plutôt le futur : on prend les nouvelles règles qui seront utilisées pour présenter les comptes et on retraite les comparatifs en conséquence. On se projette donc vers le futur, jamais vers le passé.

Enfin, EDF a présenté, dans sa communication financière la semaine dernière, un document qui indique les éléments non récurrents intervenus au cours de l'exercice 2002. L'effet total de ces éléments non récurrents, dont le détail a été donné par EDF lors de la présentation des comptes annuels, est de moins de 20 millions d'euros.

M. Jacques MASDEU-ARUS : Pour pouvoir juger objectivement cette question des comptes, concernant notamment les contreparties données par EDF à l'entreprise SEP à l'occasion de la renégociation du contrat ayant conduit à enregistrer 400 millions d'euros de produits exceptionnels, est-il exact qu'EDF ait accepté, en échange d'une rémunération immédiate, des conditions contractuelles moins favorables dans la durée ? Si oui, ces éléments figurent-ils dans les comptes ?

Il est également indiqué dans les comptes que les écarts d'acquisition pour les filiales sud américaines ont été calculés sur la base de tests de dépréciation reposant sur des plans d'affaires ou des hypothèses validés par le groupe. Quelles sont les principales hypothèses retenues ? Ces plans d'affaires vous paraissent-ils réalistes ?

M. Amadou RAIMI : Nous avons revu ces plans d'affaires dans le cadre de nos travaux, ce qui a conduit, notamment, à la dépréciation de 350 millions d'euros pour le Brésil dont nous avons parlé. Après constitution de cette provision, nous avons conclu que le plan à cinq ou sept ans qui a été présenté était réaliste et réalisable.

M. le Rapporteur : Sur un plan présenté à cinq ans ou sept ans ?

M. Amadou RAIMI : Je dirais cinq ans. Nous pourrons vous le confirmer par la suite puisque les informations sont dans nos dossiers.

M. le Rapporteur : Vous pourrez nous confirmer par écrit les réponses que vous ne pouvez apporter aujourd'hui.

Mme Claire NOURRY : Concernant la SEP, les 400 millions d'euros représentent l'indemnité qui a été versée par celle-ci pour clore les litiges existant entre les deux entreprises. Depuis plusieurs mois, les factures n'étaient pas réglées et un certain nombre de sujets traînaient. Ce montant de 400 millions, qui consacre donc la rupture du contrat avec la SEP, a bien été enregistré en résultat et mentionné en annexe comme élément non récurrent.

Le contrat a été renégocié et les livraisons futures font l'objet d'un nouveau contrat qui a été renégocié entre les deux parties.

M. le Rapporteur : Cela figure bien dans vos comptes ? Il n'y a pas de contrat à la baisse par rapport au contrat initial ?

Mme Claire NOURRY : Le nouveau contrat ne générant pas de perte, il n'a pas à être provisionné au regard des règles comptables.

M. le Président : Lorsque l'on regarde les comptes, on s'aperçoit que les engagements hors bilan inscrits dans les comptes sont passés de 16 à 23,7 milliards d'euros. Or, aucun risque sur ce hors bilan gigantesque ne semble avoir été provisionné.

Ma question est donc la suivante : pourquoi aucune provision n'a-t-elle été passée sur les risques liés aux engagements hors bilan alors que des pertes sont quasi certaines, notamment sur Edison, me semble-t-il, compte tenu de la situation extrêmement dégradée de cette entreprise ?

M. Amadou RAIMI : Nous avons effectivement examiné le cas d'Edison ; cela a fait l'objet de plusieurs réunions avec le management d'EDF. Ils nous ont présenté leur étude avec des cash flows futurs qui démontrent, de leur point de vue, qu'il n'y a pas nécessité de provisionner ces engagements hors bilan.

Nous avons constaté, dans cette prévision, qu'il y a une période maîtrisable qui va de cette année jusqu'à 2008 avec, ensuite, des projections à l'infini. Sur la base des travaux que nous avons faits et comme nous l'indiquons dans notre rapport, nous ne sommes pas aujourd'hui en mesure de nous prononcer sur ces perspectives. En effet, ce plan d'affaires suppose d'abord un recentrage d'Edison sur son cœur de métier, c'est-à-dire l'énergie, et, d'autre part, une capacité de développement très forte dans le futur.

Aujourd'hui, en tant que commissaires aux comptes, nous ne sommes pas en mesure de nous prononcer sur ce plan d'affaires. Nous l'avons exprimé dans notre rapport.

M. le Président : J'en viens aux retraites. Quid du provisionnement au bilan de la soulte à payer pour adosser les retraites au régime général ?

M. Jean-Louis LEBRUN : Aujourd'hui, nous avons connaissance de négociations concernant l'engagement de retraites d'EDF. Elles portent, en fait, sur les trois parties de cet engagement : celle équivalente au régime général, celle équivalente au complément par rapport au régime général pour les droits passés, ce que l'on appelle les « droits chapeaux », et enfin relatif aux « droits chapeaux » futurs.

Les discussions avec les représentants du personnel ont porté sur l'ensemble de ces éléments. A l'heure actuelle, en ce qui concerne la convergence de ce régime avec le régime général pour l'équivalent des droits de base, il y a probablement, et même certainement, une soulte à verser. Mais la décision formelle de mettre en œuvre ce protocole d'accord n'est pas prise. Les conditions de sortie, à notre connaissance, ne sont pas fixées ; le montant de cette soulte n'est pas déterminé et ne l'était pas, en tout état de cause, à la fin 2002. Il n'y avait donc pas d'éléments qui pouvaient conduire à provisionner cette soulte.

M. François GOULARD : Je souhaitais évoquer une question importante pour EDF. Les deux cabinets nous diront peut-être comment ils ont apprécié les provisions pour démantèlement des centrales et, en particulier, si les méthodes utilisées par EDF sont exactement les mêmes que celles d'autres sociétés du secteur du nucléaire que les trois cabinets ont pu auditer.

M. Amadou RAIMI : Nous ne sommes pas en mesure de pouvoir comparer de façon détaillée la pratique des autres entreprises de ce secteur avec EDF pour des raisons de secret professionnel qui nous lie. L'équipe qui gère EDF n'est pas la même que celle qui gère d'autres entreprises du secteur dans nos cabinets respectifs. Lorsque nous avons signé le contrat avec EDF, il était clair que nous aurions des équipes différentes. Il ne faut pas que nous intervenions sur la même problématique ou qu'il y ait un échange de méthodes.

M. François GOULARD : Je suis étonné. Je comprends très bien les obligations relatives au secret professionnel, mais sur l'échange au niveau méthodologique ?

M. Amadou RAIMI : L'information dont nous disposons est la même que celle que peut obtenir tout lecteur des états financiers publiés par les entreprises du secteur. On peut tirer de la lecture de ces états financiers les règles utilisées pour apprécier telle ou telle provision. C'est sur la base de ces informations publiques que l'on peut faire une comparaison. Il n'y a donc pas d'informations privilégiées.

Pour EDF, la règle utilisée pour constituer la provision pour déconstruction émane de la nouvelle réglementation comptable sur les passifs. Pour rappel, dans le passé, cette provision était constituée à partir de la mise en service, mais sur la durée d'amortissement des centrales. Elle était de trente ans jusqu'à présent ; on faisait donc une provision d'un trentième par an.

Aujourd'hui, on sait, dès la construction de la centrale, que l'on procèdera un jour à sa déconstruction. En conséquence, il faut constituer une provision égale à la totalité du coût du démantèlement, ceci conformément à la nouvelle règle comptable. Cette règle est la même pour toutes les entreprises concernées par cette problématique.

Quant aux modalités d'établissement du coût unitaire, les règles sont propres à chaque groupe. Tous les éléments du coût ne sont pas mis sur la place publique, mais le process est le même : il y a un coût, un échéancier et on sait que l'on doit provisionner la totalité de l'engagement. Compte tenu du fait que cette provision est à très long terme, EDF a pris l'option de déterminer d'abord les flux de décaissements, en estimant un taux d'inflation pour le futur, et d'actualiser ensuite le montant total.

Je ne sais pas si cette pratique a été retenue par les autres groupes, mais c'est la position d'EDF sur cette question. Nous la partageons parce que nous considérons que c'est celle qui reflète le mieux les mouvements de cash flows futurs qui concernent le très long terme.

Mme Claire NOURRY : Je voudrais ajouter un point sur la comparaison des méthodes de provisionnement entre les différents nucléaristes. En fait, il y a peu de comparaison possible dans la mesure où, en dehors de la France, les grands industriels du secteur nucléaire sont les Américains. Ceux-ci ont un système légal tout à fait différent puisqu'ils doivent verser des contributions annuelles à un fonds. Ils externalisent donc leurs coûts de démantèlement et n'ont donc pas du tout la même problématique qu'EDF en la matière.

M. Jean-Louis LEBRUN : Un groupe comparable est implanté en Europe et même en France. J'ai examiné son information financière en me fondant sur les éléments publics et il m'a semblé que les méthodes de provisionnement étaient relativement convergentes, à l'exception des échéanciers de décaissement qui peuvent être différents. Les questions traitées dans la provision apparaissent identiques.

Il peut y avoir des différences, et de mémoire il y en a, sur les hypothèses d'actualisation retenues par rapport à ces flux de décaissements futurs.

Autrement, à la lecture de l'information financière, il me semble que l'on est dans la même logique.

M. Patrick GOUNELLE : Il convient de préciser que cela fait l'objet d'une observation dans notre rapport, qui souligne la marge d'incertitude qu'il existe concernant l'établissement de cette provision.

M. le Président : Nous avons parlé de la distorsion entre le résultat net consolidé et le résultat net social ainsi que des engagements hors bilan. Je reviendrai maintenant sur la question posée à propos de Fenice concernant l'évaluation des actifs. Comment justifier qu'EDF continue à amortir ses survaleurs - plus de sept milliards d'euros inscrits dans les comptes - sur une période pouvant aller jusqu'à vingt ans, alors que l'on sait très bien que les pertes sont certaines, au lieu de déprécier immédiatement la valeur de ces participations ?

Mme Claire NOURRY : Concernant Fenice, vous avez relevé le montant de l'écart d'acquisition par rapport au coût d'acquisition. Cela résulte simplement de la différence entre le coût payé par EDF et l'actif net comptable de cette société. L'écart est représentatif des flux de cash flows futurs. Sur la base du plan d'affaires récent, il a été jugé qu'il n'y avait pas nécessité aujourd'hui de déprécier ce goodwill.

M. Patrick GOUNELLE : On l'explique également dans notre rapport.

Mme Claire NOURRY : Quant à la question de savoir pourquoi on ne déprécie pas immédiatement les goodwill, je crois que pour les principaux d'entre eux, nous avons vérifié les tests de dépréciation qui ont été faits par l'entreprise sur la base des plans d'affaires de chacune de ses filiales. Aucune aujourd'hui ne nécessite une provision.

Nous avons bien sûr un certain nombre d'interrogations sur l'Italie. C'est pourquoi nous avons fait une observation, mais il n'y a pas d'élément suffisamment tangible aujourd'hui pour affirmer que la perte est certaine et qu'il faut donc la provisionner.

M. Jean-Louis LEBRUN : Un rappel sur les règles comptables relatives à l'amortissement et à la dépréciation des goodwill : la règle fixée, du moins pour le moment parce qu'elle peut évoluer, consiste à amortir le goodwill, sur une durée considérée comme raisonnable par l'entreprise en fonction des objectifs qu'elle a pu avoir à la date d'acquisition.

La règle n'est donc pas de pratiquer une dépréciation immédiate du goodwill, elle est de l'amortir progressivement en fonction des textes actuels.

La deuxième règle, qui conduit à la position exprimée par Claire Nourry à l'instant, est d'apprécier chaque année s'il y a des signes de dépréciation éventuelle, et dans ce cas, de comparer le goodwill tel qu'il est inscrit dans les comptes à la juste valeur que l'on peut apprécier au moment de la clôture. Le cas échéant, on procède à une dépréciation, mais la dépréciation immédiate n'est pas la règle.

M. Guy ISIMAT-MIRIN : Je voudrais vous lire un paragraphe de l'annexe, à ce sujet : « La valeur d'utilité des actifs immobilisés fait l'objet d'un examen lorsque des évènements ou des circonstances indiquent qu'une réduction de valeur est susceptible d'être survenue. De tels événements ou circonstances comprennent des changements significatifs défavorables présentant un caractère durable. L'éventuelle dépréciation comptabilisée est égale à l'écart entre la valeur nette comptable, et la juste valeur, déterminée par référence aux flux de trésorerie actualisés. »

Pour être tout à fait clair, et pour compléter ce qui a été dit par Claire Nourry tout à l'heure, je crois que les principaux écarts d'acquisitions concernent deux sociétés, London Electricity et EnBW, pour lesquelles des tests de dépréciation ont été faits par l'entreprise et les commissaires aux comptes locaux, puis revus par les commissaires aux comptes du groupe.

Sur cette base, nous n'avons pas de remarque particulière à faire sur les écarts d'acquisition de London Electricity et d'EnBW.

M. Pierre DUCOUT : En parlant d'EnBW, vous avez indiqué que l'année prochaine, ils emploieraient les nouvelles normes internationales. Avez-vous calculé éventuellement ce que cela aurait pu donner pour cette année en appliquant d'ores et déjà ces nouvelles normes ? L'écart serait-il très significatif dans un sens ou l'autre ?

Autre précision que vous pourriez peut-être nous apporter : pour la question des démantèlements d'une entreprise européenne, le groupe Suez en l'occurrence, vous avez parlé d'une méthode similaire. Cela vous permet-il de dire que les évaluations sur le démantèlement faites par EDF sont ou pas fortement sous-évaluées en comparaison de ce qu'a pu faire Suez ?

M. Jean-Louis LEBRUN : Je répondrai sur Suez, qui est l'exemple que j'avais cité. Au cas d'espèce, je suis dans l'incapacité totale de répondre à votre question : autant les modalités de calcul m'apparaissent assez proches, autant sur les chiffres eux-mêmes, je n'ai pas d'avis. Je pense d'ailleurs que personne ici n'en a un.

Il faut savoir qu'au cas d'espèce, EDF se fonde sur des hypothèses déterminées par une instance externe en 1979 et révisées en 1991, qui conduisent à calculer une quote-part du coût de la construction pour provisionner le démantèlement, à déterminer les phases de démantèlement et leurs coûts et à fixer un échéancier. Il est clair qu'il y a des éléments d'incertitude majeure par rapport à cela.

D'ailleurs, le seul retour d'expérience qui existe pour EDF concerne les centrales prototypes, comme Marcoule et Brennilis, et un premier retour d'expérience sur les centrales de première génération de la filière uranium naturel graphite gaz (UNGG) qui n'a rien à voir avec la filière PWR qui est celle de l'ensemble des autres centrales.

Il convient donc d'être prudent sur ces sujets. Je pense qu'il y a des éléments d'incertitude, y compris pour les experts d'EDF, sur ces coûts effectifs, à la fois compte tenu des incertitudes qui existent sur les modalités techniques de démantèlement et par rapport à l'éloignement dans le temps des opérations, comme on l'a vu tout à l'heure.

M. le Président : J'ai une question quelque peu iconoclaste : quelques semaines avant la chute de Vivendi, on nous expliquait que tout allait bien. Pour France Télécom, on nous disait aussi que tout allait bien. S'il y avait une opération « vérité des comptes », que penseriez-vous d'EDF ?

D'autre part, puisque nous allons recevoir le président du comité d'audit dans quelques instants, auriez-vous des observations générales à formuler sur les comptes ?

M. Philippe VASSOR : Comme j'ai la chance, en tant que président du cabinet, de n'avoir certifié les comptes ni du premier ni du deuxième exemple cités, je vais me risquer à faire un commentaire. Je ne pense pas que dans ces deux affaires, que j'ai pu suivre dans la presse, les problèmes soient d'ordre comptable. Il me semble qu'il s'agit de problèmes d'une autre nature. Ce sont des choix de gestion, faits à des moments où des bulles financières étaient ce qu'elles étaient, comparées à la situation économique qui est celle que l'on connaît aujourd'hui.

Je ne pense donc pas que dans ces deux exemples, on puisse faire des amalgames avec des cas qui ont pu être cités dans d'autres pays.

M. le Président : Je vous remercie de votre réponse à cette question que beaucoup de gens se posent. Je suis très heureux que vous ayez répondu ainsi.

Pour compléter ma dernière question, avez-vous des relations ou avec le comité d'audit ou son président ? Et si oui, lesquelles ?

M. Patrick GOUNELLE : Nous sommes en relation lors des comités d'audit, deux fois par an. Il faut savoir que le président actuel est nouveau ; avec son prédécesseur, c'était le même régime depuis deux ans environ.

M. Guy ISIMAT-MIRIN : On peut ajouter qu'il y a même des relations directes entre le président du comité d'audit et les seuls commissaires aux comptes...

M. Patrick GOUNELLE : ...c'est-à-dire que la réunion se passe avec les représentants de la société mais également en dehors de leur présence. Nous avons alors l'occasion d'évoquer l'ensemble des points qui nous semblent importants pour la compréhension des comptes. Il y a un donc un dialogue très riche.

M. le Président : Concernant la gouvernance des entreprises publiques, avez-vous des propositions à formuler afin d'améliorer ces rapports ?

M. Philippe VASSOR : Nous arrivons et avons donc un œil neuf. J'aurais tendance à dire que dans ce comité d'audit en particulier, il y a un niveau de compétence réelle sur des sujets d'une grande complexité.

M. Patrick GOUNELLE : Pour paraphraser peut-être ce qui vient d'être dit, je crois que depuis leur création, nous avons des comités d'audit sérieux, comme c'est le cas pour EDF ; nous avons des interlocuteurs avec lesquels on peut échanger et dialoguer. C'est donc une très bonne création.

M. Claude BARTOLONE : Je voudrais revenir sur deux remarques qui viennent d'être faites par M. le président en posant une question iconoclaste. A votre avis, une entreprise comme EDF, compte tenu de la nouvelle réglementation européenne en particulier, pourrait-elle avoir une chance de survivre sans s'intéresser au marché étranger ?

M. Amadou RAIMI : Je pense que non.

M. Claude BARTOLONE : C'est aussi iconoclaste que la question posée par le président !

M. Amadou RAIMI : ...Ce n'est pas une réponse de commissaire aux comptes, mais je pense que non. Dès lors que l'on ouvre le marché, cela signifie que les concurrents viendront prendre les parts de marché ici. Pour garder sa position, il faut aussi aller en prendre ailleurs. Je pense qu'EDF n'avait pas d'autre choix, si le groupe voulait conserver sa position dominante, que de faire un développement en dehors de l'Hexagone.

M. Patrick GOUNELLE : Comme vous le savez, cela se mesure à très long terme. A court terme, il y a parfois des choses qui ne sont pas toujours très agréables à mesurer, mais à très long terme, dans un marché ouvert, il est difficile de rester tout seul, sans ouverture.

M. Claude BARTOLONE : Compte tenu de votre métier et des outils à votre disposition, quelle peut être l'alerte donnée à la direction d'une entreprise comme EDF en cas d'orientation nouvelle au niveau stratégique, comme celle de s'installer sur un marché, qu'il soit d'Amérique du sud ou italien ?

M. Jean-Louis LEBRUN : Je pense que l'alerte doit se faire si des indicateurs de gestion, en particulier en termes de trésorerie à court terme, venaient à se dégrader fortement. C'est une obligation professionnelle. Il est clair que dans une telle hypothèse, nous aurions à intervenir mais ce n'est pas du tout le cas en l'occurrence.

Cela étant dit, alerter préalablement à des options stratégiques ne me semble pas être dans notre mission. Très probablement, nous pouvons avoir des idées, mais nous n'avons certainement pas la compétence qui permet de réagir.

Par exemple, au moment où les opérations sud-américaines ont été faites, elles n'apparaissaient pas dénuées de fondement et de justification économique mais d'ici à anticiper la situation réelle et les crises... Je dirais qu'il faut être modeste là aussi. Mes collègues n'auront peut-être pas la même réaction, mais je pense qu'en l'occurrence, on va au-delà de ce que l'on nous demande. Il est déjà assez difficile de faire convenablement notre métier. Avoir des réactions d'alerte dans certains cas, en situation de crise ou préalablement à une crise de liquidités, certainement, mais autrement, non.

M. Claude BARTOLONE : On voit bien qu'EDF a procédé, dans un premier temps, à des placements boursiers afin de gérer le cash disponible et d'essayer d'en améliorer le rendement. Intervenez-vous sur ce point ? Y a-t-il un jugement d'opportunité qui est donné ?

M. Philippe VASSOR : La réponse est très clairement non. On serait dans l'immixtion dans la gestion, dont Patrick Gounelle a rappelé en préambule de notre intervention qu'elle était incompatible avec notre mission.

M. Patrick GOUNELLE : Je voudrais revenir sur le système d'alerte. Notre rapport décrit certaines alertes, c'est-à-dire que l'on exprime la sensibilité de certaines options. C'est en cela que nous avons une contribution, une forme d'éveil, à la lecture des états financiers. Les incertitudes que l'on soulève ont leur importance.

M. Jean GAUBERT : Je ne vous poserai pas de question mais j'exprimerai un point de vue et ferai un rappel. J'avais dit, lors de la mise en place de la commission d'enquête, que j'étais administrateur d'EDF : je m'abstiens donc de poser des questions dans ce genre de situation.

Néanmoins, je pense qu'à la première question de Claude Bartolone, il serait également utile de répondre qu'il y a un fait que nous ne pouvons pas ne pas analyser, à savoir le choix du gouvernement, en 1994, de rappeler et de repréciser le principe de spécialité de l'entreprise EDF.

A l'époque, en 1994, EDF avait commencé à se diversifier sur le marché français. A la demande, légitime sans doute, d'un certain nombre de groupes privés, on lui a demandé de garder son principe de spécialité. Il est vrai que devant l'ouverture inévitable du marché, d'autres décisions ont été prises. Cela ne nécessite pas de réponse. Je voulais simplement apporter cette précision.

M. Philippe AUBERGER : Le chef de la mission économique et financière d'EDF a-t-il un rôle à jouer vis-à-vis des comptes ? Quelles sont vos relations avec lui ? Cette institution a-t-elle véritablement une utilité ?

M. le Président : Manifestement, ce n'est pas une question ni une réponse facile.

M. Patrick GOUNELLE : Il est présent au conseil et au comité d'audit. Nous avons des contacts à intervalles réguliers avec lui. En revanche, sur l'intérêt et l'opportunité, nous ne sommes pas en mesure d'apporter la moindre opinion sur le sujet.

M. le Président : On aura compris.

M. Jacques MASDEU-ARUS : Dans les comptes 2002, il est indiqué que dans les « provisions pour autres risques » figure une provision destinée à couvrir des pertes estimées sur un projet de centrale de cogénération. Quels sont les montants de ces provisions, le contrat correspondant et les raisons qui expliquent ces pertes ?

M. Jean-Louis LEBRUN : Il s'agit de la perte relative à Gonfreville. Je pense que le montant est de cent millions d'euros.

M. le Rapporteur : J'ai deux questions tout à fait différentes. La première concerne ce que l'on appelle l'aval du cycle du combustible, c'est-à-dire, pour le public, le traitement des déchets. J'aimerais savoir comment sont comptabilisées ces charges à long terme et quelle appréciation vous portez sur leur fiabilité ?

Ma deuxième question concerne les révisions budgétaires. Je suis très frappé par l'écart qui existe entre les prévisions budgétaires du début d'année et ce que l'on appelle les reprévisions en cours d'exercice. Ce fut le cas en 2002 notamment, avec des écarts sensibles portant à la fois sur le résultat, sur la dette et sur les reprises de provisions. Avez-vous été amenés à faire des observations sur ce point ? Et plus généralement, qu'en pensez-vous ?

M. Patrick GOUNELLE : Je commencerai par la deuxième question. Nous n'avons, en aucune façon, fait de comparaison avec les reprévisions et différentes ébauches budgétaires car nous n'avons accès que depuis peu au budget. Comme il nous semblait que c'était un élément important, nous avons réclamé et obtenu, il y a quelques semaines, l'autorisation de le voir. Nous ne sommes donc pas en mesure de vous répondre sur ces variations.

M. Amadou RAIMI : En ce qui concerne le retraitement des déchets, il y a le stock, qui est connu à la clôture des comptes et le prix qui est le coût du retraitement. Ce coût, qui dépend des quantités qui peuvent être retraitées, est évalué en prenant en compte l'effet temps et ensuite actualisé, ce qui correspond à la provision constituée dans les livres de l'entreprise.

Mme Claire NOURRY : M. Raimi évoque là le coût du retraitement. Il apparaît une provision pour le coût du stockage des déchets à long terme, qui est fondée sur une estimation de l'ANDRA établie il y a quelques années. Ces coûts sont provisionnés au fur et à mesure de l'irradiation des combustibles.

Il est certain qu'il y a, là aussi, une incertitude majeure puisque personne ne sait aujourd'hui ce que décidera le Parlement en matière d'enfouissement des déchets à long terme. Les hypothèses qui ont été prises sont basées sur ce devis. Si d'autres techniques étaient retenues par le Parlement, il est certain que la provision pourrait être très différente.

Audition de M. Jean-Michel CHARPIN
président du comité d'audit d'EDF

(Extrait du procès-verbal de la séance du 1er avril 2003)

Présidence de M. Philippe DOUSTE-BLAZY, Président

M. Jean-Michel Charpin est introduit.

M. le Président : M. le Rapporteur, mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux en accueillant M. Jean-Michel Charpin, administrateur d'EDF depuis 1998 et président de son comité d'audit depuis septembre dernier.

M. Charpin, je vous souhaite la bienvenue. Nous venons d'entendre les commissaires aux comptes d'EDF qui nous ont aidés à décrypter les résultats de l'entreprise pour 2002.

Au-delà de la situation financière des entreprises publiques, la commission souhaite mieux connaître leur fonctionnement interne et notamment le rôle du conseil d'administration et des divers comités spécialisés en son sein.

Votre expérience nous sera donc particulièrement utile. Je rappelle brièvement que le comité d'audit donne notamment son avis sur les comptes des entreprises, sur leur gestion financière et sur le bilan du contrat qui les lie à l'Etat.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Jean-Michel Charpin prête serment.

M. Jean-Michel CHARPIN : Je ferai une brève intervention liminaire sur le fonctionnement du comité d'audit en abordant trois points : tout d'abord, l'historique, les missions et le fonctionnement, puis les apports du comité d'audit, enfin ses difficultés de fonctionnement.

Le comité d'audit d'EDF a été créé en 1999. Son premier président a été François Ailleret auquel j'ai succédé en septembre 2002, après son départ en retraite. Néanmoins, je suis membre du comité d'audit depuis sa création, et je pourrai ainsi répondre à toute question, pour autant que ma mémoire le permette, sur son fonctionnement.

La mission du comité d'audit est définie par l'article 3 ter du règlement intérieur du conseil d'administration d'EDF et consiste à lui donner des avis. Le comité d'audit n'a pas de pouvoir propre, ce qui peut nous différencier de ce qui se passe dans un certain nombre de pays étrangers.

Les travaux du comité d'audit doivent porter sur les quatre thèmes suivants : les comptes sociaux et consolidés, ce qui, dans la pratique, s'est étendu au budget, la gestion financière, le bilan du contrat d'entreprise et la maîtrise des risques, ce qui, concrètement, recouvre aussi le programme d'audit interne de l'entreprise.

Aucune représentation n'est admise au sein du comité d'audit. Tous les membres doivent y siéger personnellement. Cela n'a jamais été une contrainte dans la mesure où l'assiduité y est extrêmement forte ; elle est même nettement supérieure à celle constatée au sein du conseil d'administration ainsi que des autres comités spécialisés. On peut dire que le comité d'audit s'est réuni à peu près systématiquement à effectif complet.

Le contrôle d'Etat a participé, me semble-t-il, à toutes les séances du comité d'audit. En revanche, si les commissaires du gouvernement ont le droit d'y participer, il leur est arrivé de le faire, mais pas pour la majorité des séances, loin de là.

Le comité se réunit systématiquement avec la participation de la direction d'EDF (avec, en fonction des sujets, un ballet quelque peu compliqué entre RTE et le reste d'EDF), notamment la direction financière. Il se réunit, lorsque l'ordre du jour correspond à leurs sujets d'intervention, en présence des commissaires aux comptes. A chaque fois que ceux-ci sont amenés à participer à nos travaux, une partie de leur intervention a lieu en présence de la direction, et une autre en dehors de celle-ci.

Jusqu'à ce jour, le comité d'audit n'a pas demandé à entendre des présidents de filiales d'EDF. Les comptes rendus du comité d'audit sont préparés par la secrétaire générale du conseil d'administration, sous la responsabilité du président du comité d'audit. Ils sont distribués et présentés aux membres du conseil d'administration par le président du comité d'audit.

Quels ont été les apports du comité d'audit d'EDF ? Je crois pouvoir dire qu'il a travaillé sur l'ensemble des sujets énumérés dans la mission qui lui a été assignée par le règlement intérieur du conseil d'administration et même avec les légères extensions dont j'ai parlé tout à l'heure : les budgets pour ce qui relève des comptes et le programme de l'audit interne pour ce qui relève de l'analyse des risques.

Concernant les comptes sociaux et consolidés, ainsi que les comptes semestriels qui existent désormais, sans faire l'objet d'un audit ou d'une publication, le comité d'audit a procédé systématiquement à des examens approfondis des documents préparés par la direction financière. Il a demandé des compléments d'information pour les points sur lesquels il estimait en avoir besoin. Il a informé précisément le conseil d'administration de son analyse des budgets et des comptes.

Pendant une première période, les observations du comité d'audit ont porté sur des dossiers ponctuels et sur les adaptations nécessaires du dispositif de comptabilité et de pilotage du groupe. Ensuite, à partir d'octobre 2001, le comité d'audit a systématiquement fait part au conseil d'administration de sa préoccupation face à la dégradation de la situation financière de l'entreprise et du besoin de mesures correctives.

En matière de gestion financière, le comité a accompagné la considérable mutation que le groupe est en train de connaître. A l'origine, la direction financière du groupe EDF correspondait à celle d'une entreprise française travaillant uniquement sur le sol français. En dehors de la gestion des opérations de trésorerie, pour laquelle elle avait une expérience internationale ancienne, elle n'était pas préparée à la gestion d'une multinationale.

Au cours de ces dernières années, le comité d'audit a donc stimulé et accompagné la transformation des méthodes de gestion financière d'EDF. Je crois pouvoir dire que les progrès ont été très rapides et que l'intervention du comité d'audit a été importante pour accompagner ce mouvement.

En matière de maîtrise des risques et de programme d'audit, nous sommes systématiquement consultés et pouvons faire des suggestions. Quand nous en faisons, elles sont acceptées, avec, pour le programme d'audit, un calendrier qui dépend de la charge de travail des équipes.

Il nous reste, je crois, encore beaucoup à faire avec la direction de l'entreprise en matière de cartographie des risques. Il s'agit là d'un exercice qui n'est pas encore mené à son terme.

Je voudrais enfin signaler trois types de difficultés de fonctionnement du comité d'audit.

Tout d'abord, il y a les difficultés qui sont communes à l'ensemble des entreprises et qu'il ne faut pas sous-estimer. Le champ d'intervention des entreprises s'étend aujourd'hui en effet à l'ensemble du monde et les techniques financières se sont considérablement diversifiées, ce qui complique beaucoup à la fois la tâche des comptables et celle des comités d'audit.

Pour que cela ne reste pas abstrait, je vous donne deux exemples qui me paraissent symptomatiques de ce genre de difficultés, que toute entreprise peut rencontrer.

Les systèmes comptables ne sont pas harmonisés. Depuis un certain nombre d'années, nous vivons à EDF une situation quelque peu ubuesque pour les comptes de la filiale EnBW. En comptabilité allemande, les comptes de la filiale apparaissent comme largement bénéficiaires, mais quand ils sont traités en comptabilité française, ils sont déficitaires ! Or, cela ne résulte pas du simple amortissement du goodwill. Si tel était le cas, on comprendrait que les comptes ne soient pas les mêmes, vus de la filiale ou de la maison mère. Malheureusement, les gros écarts viennent de postes dont la compréhension est beaucoup plus difficile.

C'est typiquement un sujet difficile à résoudre, pas uniquement du point de vue comptable, mais également pour le management. Mettez-vous à la place du président d'EDF qui parle au management d'EnBW et qui lui annonce que, vus de France, ses comptes sont déficitaires alors qu'ils apparaissent excédentaires pour les Allemands...

Un deuxième type de difficultés tient à la complexité des opérations qui, dans le cas d'EDF, est particulièrement apparente pour les dispositifs retenus avec le groupe Fiat à propos d'IEB et d'Edison. Ceux d'entre vous qui ont examiné cet accord ont vu qu'il était, au niveau de la technique financière, extrêmement complexe puisqu'il contient un certain nombre de garanties, des échanges de puts et de calls. Tout cela est massivement créateur de hors bilan. Or, l'appréciation exacte des risques encourus est une opération compliquée.

Une difficulté m'apparaît plus spécifique aux entreprises publiques en général et notamment à EDF : les documents financiers font l'objet de fuites systématiques, comme chacun peut le constater en lisant la presse.

Il n'est pas anormal que la situation d'EDF fasse l'objet d'un débat public. En revanche, le fait qu'il y ait des fuites fréquentes concernant les documents financiers est un handicap fort, à l'évidence. D'abord, rien ne peut nous garantir qu'il n'existe pas des documents qui sont conservés dans des cercles extrêmement restreints pour éviter justement ces fuites. En tout état de cause, je constate que, aussi bien le conseil d'administration que le comité d'audit, et quelquefois même les commissaires aux comptes, reçoivent les documents à des dates très tardives par rapport aux échéances. Ceci est lié à la volonté légitime de la direction de l'entreprise - peut-être pourrez-vous en parler avec le président ou avec le directeur financier - d'éviter qu'à des stades intermédiaires du travail des équipes financières, se retrouvent dans la presse des chiffres qui ne sont pas encore définitifs. Mais ces retards engendrent des difficultés non négligeables.

Enfin, l'un des sujets que je pense être central dans la réflexion de votre commission sera d'examiner à quelle vitesse les outils de pilotage du groupe EDF se sont ajustés à cette nouvelle dimension internationale du fait de l'expansion à l'étranger de l'entreprise. Il y a là, selon moi, un sujet fondamental. La construction d'outils de pilotage est en effet quelque chose de lourd, qui nécessite des investissements importants en termes de systèmes d'information et de capacité de traitement des équipes financières.

Pour prendre un exemple, le comité d'audit d'EDF n'a pas eu communication, depuis le début de ses travaux, d'une comptabilité analytique de l'entreprise - a fortiori le conseil d'administration non plus. Cela traduit un certain décalage chronologique entre l'expansion internationale du groupe et les outils de pilotage qui devraient être ceux d'une grande entreprise multinationale.

Je dirais d'ailleurs que ce problème ne concerne pas seulement l'international, mais aussi EDF maison-mère. Sans comptabilité analytique, cet énorme ensemble qu'est EDF n'est pas si facile à déchiffrer en termes de performances des différentes unités de production ou de distribution.

Voilà ce que je pouvais vous dire concernant le comité d'audit qui me semble avoir plutôt bien fonctionné et rendu des services utiles à l'entreprise et à son conseil d'administration. Le débouché du comité d'audit est le conseil d'administration ; cela signifie que l'efficacité de ses avis dépend de la manière dont le conseil d'administration lui-même fonctionne.

M. le Président : Je souhaiterais vous poser quelques questions. Tout d'abord, pouvez-vous nous dire si toutes les acquisitions faites par EDF - London Electricity, Light, EnBW - sont passées systématiquement devant le conseil d'administration, en particulier la prise de contrôle à 90 % d'Edenor en juin 2001 ?

Deuxièmement, la direction tenait-elle à la disposition du conseil un tableau précis des engagements et des risques que représentent les acquisitions internationales et leurs modalités de financement ?

Troisièmement, la prise de participation d'EDF dans le capital de Montedison a-t-elle été soumise à l'approbation du conseil ? A quelle date et dans quelles conditions ?

Enfin, les décisions d'investissement des filiales étaient-elles soumises à l'approbation du conseil ? En particulier, le conseil a-t-il été informé des risques de change que présentait le financement du rachat par Light d'Electropaulo Metropolitana en avril 1998 par un prêt de 875 millions de dollars ?

M. le Rapporteur : Sur le même sujet, et plus généralement concernant la stratégie de développement international d'EDF, j'ai vu qu'à plusieurs reprises, le comité d'audit s'était interrogé sur la cohérence de la construction stratégique, selon son expression, de l'expansion internationale d'Electricité de France. Pouvez-vous nous en dire un peu plus et nous indiquer en particulier si vous avez été associé à ce que l'on peut appeler peut-être le recentrage des activités d'EDF dans l'espace européen, qui semble aujourd'hui être la priorité ?

M. Jean-Michel CHARPIN : Sans vouloir me dérober, je dois prêter attention aux questions factuelles puisque je viens de m'engager fortement à ne pas faire de faux témoignage...

Je pense franchement que pour savoir si les dossiers sont passés en conseil d'administration ou pas, il y a une meilleure source que moi-même. Il suffit de regarder les comptes rendus du conseil d'administration, dont vous disposez, qui doivent indiquer très clairement....

M. le Président : C'est une question que je vous posais en tant qu'administrateur.

M. Jean-Michel CHARPIN : Mon sentiment - ainsi je ne risque pas de faire de faux témoignage - est que les dossiers sont tous passés en conseil d'administration mais je pense que vous avez les éléments factuels qui permettent de le vérifier.

M. le Président : Je vous explique pourquoi nous avons posé ces questions. Nous avons auditionné d'autres entreprises publiques et nous nous sommes aperçus que ce n'était pas toujours le cas pour les acquisitions.

M. Jean-Michel CHARPIN : Mon sentiment, fondé sur ma mémoire, est que toutes les acquisitions sont passées en conseil d'administration, sous réserve d'un oubli éventuel de ma part.

Cela dit, il faudrait voir exactement la séquence des opérations qui conduisent à un passage en conseil d'administration. On pourrait peut-être le voir sur des exemples particuliers, car c'est davantage la manière que le fait d'être passé en conseil d'administration qui est important.

Avons-nous eu des tableaux précis des engagements et des risques ? Oui, je crois que l'on peut dire que tel a été le cas. En même temps, je vous dirai que les techniques d'analyse de risques au sein de la direction financière peuvent faire l'objet de la même remarque que celle que je faisais pour les outils de pilotage. Analyser les risques est compliqué. On n'a pas analysé les risques quand on a additionné tous les hors bilans possibles et imaginables et que l'on a mis la somme totale dans une annexe des documents comptables. Ce n'est pas ainsi que l'on fait de l'analyse de risques.

L'analyse de risques suppose certaines techniques consistant à bâtir des scénarios dans des configurations diverses et à voir comment les différents acteurs vont se comporter dans chaque situation. Tous les risques ne se matérialisent jamais en même temps. Sur l'opération Edison par exemple, certaines configurations conduiront à ce que jouent les garanties sur les emprunts ; d'autres conduiront à ce que les puts qui ont été donnés aux banques, à Fiat ou à Tassara seront exercés ou pas.

Pour savoir si tout cela joue ou ne joue pas, il faut se placer dans une configuration particulière, faire des analyses de risques à partir d'un nombre relativement élevé de scénarios, avec des modèles de chiffrages qui permettent d'avoir l'impact sur les garanties et les options qui seront déclenchées et la perte ou le gain éventuel lié à chacune des opérations.

C'est à partir de cette distribution que l'on peut voir le gain ou la perte moyenne associée à l'ensemble de l'opération et surtout, voir ce qui se produit du mauvais côté, c'est-à-dire la probabilité des scénarios qui vous mènent soit à un alourdissement de la dette, soit à un certain nombre de pertes. Tout cela relève de techniques d'analyse de risques parfaitement connues dans la sphère financière.

Je ne peux pas dire que, quand nous avons décidé des acquisitions à l'étranger, ce type d'analyse de risques figurait dans les dossiers.

Si vous examinez les comptes rendus du comité d'audit sur l'opération Montedison par exemple, vous verrez que nous indiquons explicitement que nous avons été amenés à examiner le dossier sans disposer d'analyses de risques de ce type.

L'opération Montedison s'est déroulée en deux temps : une première étape - qui doit remonter à l'année 2000-2001 - a consisté à fixer les priorités stratégiques de l'entreprise. Le conseil d'administration a été fortement associé à cette étape, notamment à travers son comité de la stratégie, et a été amené à se prononcer sur la stratégie du groupe à ce moment-là. D'ailleurs, la stratégie en question a ensuite été reprise au sein du contrat de groupe signé entre l'Etat et le groupe EDF. Les priorités géographiques ont donc fait l'objet d'un processus transparent vis-à-vis du conseil d'administration et vis-à-vis de l'Etat.

En 2001 et 2002 sont arrivées les opérations concrètes avec Edison. Toutes ces opérations sont in fine passées en conseil d'administration, mais je crois pouvoir dire qu'avant cela, elles avaient fait l'objet de discussions directes entre l'état-major de l'entreprise et le ministre. C'est à ce stade des négociations directes que les véritables décisions ont été prises.

Un dernier point sur les investissements à l'étranger et la gestion du risque de change : celle-ci est très complexe et est même, d'une certaine façon, impossible sur un certain nombre de monnaies. Celui qui vous parle a géré ces questions dans une grande banque internationale pendant plusieurs années. Vous ne pouvez vous couvrir de façon satisfaisante avec les instruments financiers classiques quand vous faites un investissement en pesos ou en reals, alors qu'il n'y a aucune difficulté à le faire en livres sterling ou en yens. Les divers marchés financiers n'ont pas du tout la même richesse d'instruments. Avec des monnaies comme le peso ou le real, on peut certes choisir de financer les investissements en francs, en euros ou en dollars...

M. le Président : C'est ce qui a été fait.

M. Jean-Michel CHARPIN : Oui, mais à l'actif, vous aurez du real ou du peso, et au passif, vous avez le choix d'avoir du dollar ou de l'euro. Le vrai risque, celui qui s'est concrétisé, n'est pas celui du dollar par rapport à l'euro dont le cours reste proche de celui qu'il était à l'époque. En revanche, le peso et le real se sont effondrés. Cela a des conséquences négatives, qu'il y ait du dollar ou de l'euro au passif.

La difficulté tient à ce que les taux d'intérêt sur ce genre de monnaie sont élevés, à supposer que l'on arrive à s'endetter dans ce genre de monnaie pour mettre - ce qui est extrêmement difficile - ce type de monnaie à votre passif. Cela a été fait dans quelque cas, mais avec des taux d'intérêt de l'ordre de 30 %. Il ne faut pas croire que l'on peut se couvrir sans frais de la possibilité de dépréciation de monnaies comme le peso ou le real.

On peut dire que lorsqu'on choisit d'aller investir dans des pays qui ont des monnaies aussi risquées, avec des marchés financiers aussi peu sophistiqués et comportant aussi peu d'instruments financiers, on ne peut le faire sans risque.

M. le Président : Au passage, comment peut-on penser un développement aussi important d'une entreprise comme Light au Brésil, quand on sait que l'on ne pourra pas aller le chercher dans la clientèle captive brésilienne, plutôt située dans les favelas ? Comment faire pour rechercher les impayés ?

M. Jean-Michel CHARPIN : Je suis totalement incompétent sur le sujet, mais vous voyez bien qu'il faut vendre de l'électricité aux Brésiliens. Que ce soit nous ou d'autres, ceux qui le font sont confrontés à ce problème.

M. Jean-Pierre BALLIGAND : Nous n'allons pas rentrer dans cette discussion, car il y aurait de quoi s'amuser... M. le Président, pour vous éclairer, au Brésil, le pire est que c'est plutôt la middle class qui ne paie pas.

M. le Président : Cela reste encore à prouver.

M. Jean-Pierre BALLIGAND : Pour qu'un comité d'audit fonctionne bien, il faut qu'il bénéficie de moyens, y compris d'externalisation des contrôles. Je pense notamment à des moyens d'investigation, par exemple des filiales. Plus un groupe devient important, plus le danger vient de la filialisation. Je voudrais savoir s'il y a des moyens à disposition du comité d'audit, même par rapport à la direction générale, pour investiguer. Ce sont des débats que nous avons dans certaines entreprises publiques. Ce n'est pas si simple à mettre en place mais cela me paraît fondamental pour mener à bien un vrai travail. Et nous aurons des propositions à formuler en ce domaine.

Sur la cartographie des risques, cela me paraît être l'urgence des urgences. Il est fondamental qu'elle soit faite. Vous l'avez dit vous-même. Or, elle demande des années pour être élaborée, et même quand on la dresse dans le secteur financier, ce n'est pas pour autant que la situation est satisfaisante. Au-delà du risque de change dont on voit bien qu'il est réel, en particulier pour les pays d'Amérique latine dont vous avez parlé, j'aimerais que vous reveniez sur cette question.

Comme l'ont souligné les commissaires aux comptes, la croissance d'EDF, en Europe notamment, était et demeure un impératif, puisque l'on ouvre notre marché intérieur. Par voie de conséquence, il faut que l'on puisse avoir une estimation des risques quand on a des filiales dans tel et tel pays, y compris de la zone euro. J'aimerais que vous nous donniez des précisions sur ce qui pourrait être fait.

Enfin, je ne comprends pas pourquoi le comité d'audit n'a jamais entendu les présidents des filiales. A partir du moment où l'on est un groupe puissant et que des acquisitions extérieures sont faites, il me semble nécessaire de pouvoir mener des investigations sur les filiales, non seulement en entendant leurs présidents, mais aussi en allant plus loin dans le contrôle de celles-ci.

M. le Président : Quel jugement portez-vous sur les modalités de contrôle financier exercé par la maison mère sur les filiales ?

M. Jean-Michel CHARPIN : Le comité d'audit n'a pas de moyens. Il peut demander au président de l'entreprise, comme le précise le règlement, à entendre des personnes internes ou externes, mais dans l'état actuel, il n'y a pas de moyens prévus pour lui permettre de recourir à une expertise propre.

Concernant la deuxième question, peut-être ai-je été trop rapide dans mes explications sur la cartographie des risques. Le comité d'audit s'en est préoccupé depuis sa création. Nous avons déjà eu plusieurs séances de travail, deux sur EDF hors RTE et deux sur RTE, sur la base de documents préparés par les directions sur la cartographie des risques.

Mon propos introductif soulignait qu'il s'agissait d'une opération difficile, complexe. Même après deux séances de travail sur chaque entreprise, c'est-à-dire quatre séances de travail au total sur ce sujet, j'ai estimé que nous n'avions pas encore à notre disposition une cartographie complète.

Pourquoi n'avons nous pas entendu de président de filiale ? Cela aurait pu se faire. Je ne considère pas que, par principe, un comité d'audit doive se priver de cette possibilité.

Mais son but essentiel est d'aider le conseil d'administration à contrôler. Il peut, de temps en temps, accompagner une évolution, donner des conseils, mais doit veiller en permanence à ne pas être l'exécutif. Cela ne va pas de soi. Même quand on discute avec la direction financière, on est, par moment, presque à la limite. Des décisions, qui ont été préparées en comité d'audit sur des questions de gestion financière, puis adoptées par le conseil d'administration, relèvent quelquefois presque des responsabilités exécutives.

Par exemple, nous avons fait décider par le conseil d'administration qu'il ne devrait plus y avoir d'endettement dans des devises dans lesquelles l'entreprise n'avait pas d'actifs. La décision a été prise par le conseil d'administration - je crois que c'est une bonne décision -, mais nous sommes à la limite de nos compétences. C'est quelque chose qu'il est important de souligner : la direction de l'entreprise est l'exécutif et le comité d'audit et le conseil d'administration relèvent d'un autre genre.

Si je n'ai pas demandé pour l'instant à entendre de président de filiale, c'est que je ne voulais pas qu'il y ait dans leur esprit l'idée qu'il y avait deux sources du pouvoir exécutif dans l'entreprise : d'une part, l'état major avec le président à sa tête, et d'autre part, les comités du conseil d'administration.

Notre dispositif paraît complexe aux filiales étrangères. Il n'échappe à personne qu'il y a l'état-major de l'entreprise, d'un côté, et le ministre, les commissaires du gouvernement, le contrôle d'Etat, le conseil d'administration, ses comités et la CRE, de l'autre côté. Il y a du monde dans le contrôle. Tout cela risque de fragiliser le pouvoir exécutif de la direction de l'entreprise.

A mon sens, si l'on ne veut pas rentrer dans la confusion des genres, l'audition d'un patron de filiale doit être réservée à des cas de crise grave. Pour l'instant, j'ai jugé que nous n'avions pas de situation de ce type, mais je ne l'exclurais pas s'il y avait véritablement des problèmes aigus de transparence de telle ou telle filiale.

M. le Président : Avez-vous, à un moment donné, alerté la direction sur les pertes des filiales brésiliennes et argentines ainsi que sur la progression de l'endettement du groupe ?

M. Jean-Michel CHARPIN : Vous avez les comptes rendus du comité d'audit : vous pourrez voir qu'à partir de la date que j'ai citée en introduction, octobre 2001, nous avons alerté fortement le conseil d'administration sur la dérive des comptes et du bilan d'entreprise.

Cela dit, il me semblerait quelque peu simpliste de ne voir dans les difficultés du groupe EDF que le résultat de son expansion internationale.

L'une des subtilités de la situation tient à ce que sont venues s'additionner un grand nombre d'évolutions dont aucune n'aurait entraîné, seule, une dégradation forte de la situation du groupe, mais dont le cumul pose problème.

Il convient également de prendre en compte la libéralisation, qui a fait perdre des clients et fait baisser les prix, une politique sociale avancée, quelquefois généreuse, la tempête, qui n'a pas été sans conséquences financières, la question des tarifs qui est posée...

M. Jean-Pierre BALLIGAND : Elle se pose aujourd'hui comme hier.

M. Jean-Michel CHARPIN : ...les obligations de service public, dont la loi avait précisé qu'elles seraient compensées et qui ne l'ont finalement pas été, ainsi que le développement international.

Je crois que l'on ne comprendrait pas le jeu d'acteur qui s'est mis en place si l'on ne voyait pas que chacun de ces éléments pèse son poids dans la dégradation du résultat d'ensemble. Cela entraîne un jeu un peu compliqué dans lequel chacun pense que c'est sur l'autre élément que l'effort aurait dû porter.

M. Jean-Claude SANDRIER : J'ai une question liée à ce sujet. Vous avez soulevé une interrogation en ce qui concerne l'outil de pilotage et vous n'avez pas pleinement répondu. La direction n'a-t-elle pas été assez rapide dans la mise en place de l'outil de pilotage ou fallait-il attendre que cet outil soit plus performant pour mettre en œuvre une stratégie internationale ? Qu'a dit, sur ce point, le comité d'audit ?

D'autre part, avant de coûter, l'investissement d'EDF en Amérique du sud avait quand même commencé par rapporter, si l'on en croit les chiffres qui ont été donnés à l'époque. Que fallait-il faire ?

Enfin, quelles ont été les évolutions, à travers les années, de la rémunération de l'Etat actionnaire par EDF ? L'Etat demande un certain nombre de choses à EDF et lui impose des contraintes, mais il en retire aussi des rémunérations. Quel équilibre peut-on faire entre les deux ?

M. Jean-Michel CHARPIN : Pour ce qui est des outils de pilotage, je pense qu'il était légitime que l'entreprise envisage de s'étendre à l'étranger, compte tenu de ce qui se profilait de façon absolument certaine sur le marché national, et qu'elle n'attende pas d'avoir fait des investissements de pilotage considérables avant de commencer son développement.

Le comité d'audit a consacré beaucoup de temps au pilotage de la gestion financière. Je pense que cela a été extrêmement utile. Aujourd'hui, le dispositif de gestion financière atteint le niveau du standard international de ce que doit être une multinationale de grande taille comme le groupe EDF.

Il y a des points moins satisfaisants. J'indiquais que la comptabilité analytique du groupe EDF n'a pas le développement qu'elle doit avoir pour un groupe de cette taille. Je pense que le président du groupe EDF pourra vous répondre sur le sujet.

Sur l'expansion en Amérique latine et notamment en Argentine, je ne peux pas vous répondre. Encore une fois, je n'essaie pas, dans mes fonctions de président de comité d'audit, de me mettre à la place de l'exécutif. Nous sommes dans une mission de contrôle, nous essayons d'analyser les opérations et les situations. Je n'ai pas déclenché moi-même d'étude pour savoir ce qui se passerait si EDF quittait l'Argentine ou cessait ses opérations en Argentine. Je n'ai pas d'éléments sur cette question.

Concernant les relations financières avec l'Etat, le contrat de groupe a été parfaitement appliqué à ma connaissance, contrairement à d'autres aspects de celui-ci. Les flux entre le groupe EDF et l'Etat ont été exactement ceux qui sont prévus par le contrat de groupe.

M. le Rapporteur : M. le président, vous n'avez pas répondu complètement à ma question concernant la stratégie.

J'ai une deuxième question sur le fonctionnement interne de l'entreprise et en particulier sur la rentabilité de l'entreprise. Dans ses délibérations, j'ai vu que le comité d'audit estime, à plusieurs reprises, que l'entreprise doit faire des efforts dans ce domaine. Pourriez-vous préciser l'analyse du comité à cet égard ? Quels sont, en définitive, les domaines principaux dans lesquels des marges de productivité vous paraissent exister ?

Enfin, vous avez évoqué la politique sociale en disant qu'elle était avancée, voire généreuse. Le comité d'audit s'est-il penché sur la comparaison qui peut être faite dans ce domaine entre Electricité de France et ses principaux concurrents européens ?

M. Jean-Michel CHARPIN : Je répondrai d'abord à la question que vous m'aviez posée sur le recentrage stratégique. Dans notre dispositif, les orientations stratégiques sont étudiées par le comité de la stratégie, spécialisé dans ce domaine. Cela veut dire que la stratégie décidée en 2000-2001 avait été instruite par le comité de la stratégie, de même que le recentrage, qui n'a donc pas été instruit par le comité d'audit.

En revanche, je pense que le comité d'audit a eu une influence indirecte forte sur le recentrage, qui est passée par les alertes que nous avons transmises, à partir d'octobre 2001, au conseil d'administration sur la situation du bilan et des résultats du groupe EDF.

Concernant ce que vous avez appelé les marges d'effort, je répète qu'à notre sens, il ne revient pas au conseil d'administration ou à aucun de ses comités de faire la politique de l'entreprise avec une responsabilité exécutive. Notre rôle est d'attirer l'attention sur le fait que la situation du bilan se déséquilibre, ou que les comptes entrent dans une zone qui s'éloigne des objectifs qui avaient été fixés.

Ce n'est pas à un conseil d'administration ou à certains de ses comités de définir la politique salariale ou la politique des achats de l'entreprise.

Il existe des marges. Il suffit d'examiner les comptes 2002 pour voir qu'en fin d'année, les comptes se sont améliorés sur différents points. Un des éléments non négligeables dans le fait que les comptes finaux ont été meilleurs que l'estimation du mois de novembre, a été le gain d'une grosse centaine de millions d'euros sur la politique d'achat. Il existe donc des marges, mais seuls ceux qui ont une responsabilité exécutive peuvent définir ce que doit être la politique en ce domaine.

M. le Rapporteur : Je comprends que le comité d'audit n'a pas à se substituer aux organes de direction...

M. Jean-Michel CHARPIN : ... qui sont extrêmement efficaces d'ailleurs !

M. le Rapporteur : De toute façon, il ne serait pas dans son rôle. Mais il le serait, me semble-t-il, en faisant des comparaisons internationales. Je l'évoquais notamment en matière de politique sociale et de personnel. Cette comparaison a-t-elle été faite ? Est-il imaginable qu'elle le soit ?

M. le Président : Autrement dit, vous disiez tout à l'heure qu'il y avait plusieurs facteurs qui expliquent les difficultés actuelles et vous avez raison : il n'y a pas que les acquisitions internationales, mais également la tempête, la politique sociale quelque peu généreuse dont vous parliez...

Les charges de personnels d'EDF - rémunérations, temps de travail, etc. - vous paraissent-elles être comparables à celles de nos concurrents ?

M. Jean-Michel CHARPIN : Je ne saurais pas vous répondre de façon circonstanciée.

M. Alfred TRASSY-PAILLOGUES : Deux questions à M. Charpin : une qui fait référence au passé - vous étiez déjà administrateur - à propos de la diversification calamiteuse d'EDF dans le câble. Lorsque vous étiez administrateur, avez-vous eu à connaître des comptes de Vidéopole qui était la filiale concernée ? Avez-vous eu à connaître l'ordre de grandeur du démantèlement ou du bradage de la société ? Y a-t-il toujours dans les comptes des charges qui seraient liées aux engagements qui avaient été pris à l'époque par cette filiale, puisque des réseaux câblés ont été construits dans certaines villes ?

Deuxième question : à propos de Fenice, avez-vous eu à vous prononcer sur le niveau du prix d'acquisition et sur le fait que cette société a été achetée alors qu'elle n'avait qu'un seul client, en l'occurrence le vendeur ? Acheter à un prix élevé une société qui a un seul client - celui-là même qui la vend - peut paraître quelque peu paradoxal.

M. Jean-Michel CHARPIN : Sur le premier dossier, pour autant que ma mémoire soit fidèle, j'ai dû vivre la fin ultime de cet épisode, puisque je suis entré au conseil d'administration d'EDF au début de 1998. Je pense que c'était le moment où l'on a acté la fin de cette aventure, c'est-à-dire la liquidation. Sauf erreur de ma part, l'affaire était déjà jouée.

Fenice a fait partie du deal italien lié à l'affaire Edison et à l'accord avec Fiat. Je ne peux que vous répéter ce que j'ai dit tout à l'heure : autant la stratégie d'expansion vers le marché italien a fait l'objet d'une instruction précise par le comité de la stratégie, puis d'une approbation par le conseil d'administration, ultérieurement reprise dans le contrat de groupe, autant quand on est entré dans le stade des opérations, les discussions directes entre l'état-major de l'entreprise et le ministre, appuyé par ses fonctionnaires, ont été déterminantes.

M. Pierre DUCOUT : Pour essayer de comprendre un peu plus le détail de votre rôle et pour passer des acquisitions internationales à des problèmes plus hexagonaux sur la base de la cartographie des risques, je vous poserai deux questions.

Tout d'abord, avez-vous eu à connaître ou à donner un avis quand ont été examinés le coût et l'évolution des obligations d'achat - à l'époque, nous avions voté la loi transposant la directive européenne sur l'électricité - que ce soit pour la cogénération ou les éoliennes ?

Ensuite, avez-vous eu un avis à donner - vous en avez dit quelques mots - sur la justification des augmentations de tarifs, avec les fenêtres de tir par rapport à cela ? Quand on voit les risques dans un sens ou l'autre, cela entre quand même en compte dans le résultat général.

Dans le même esprit, concernant votre rôle futur, ou peut-être présent, avez-vous eu, en tant que comité d'audit, à analyser le fait que, par exemple, RTE devienne éventuellement une entreprise indépendante ou à tenir compte des dernières directives européennes avec les échéances fixées à 2004 et 2007 pour l'ouverture des marchés ?

M. Jean-Michel CHARPIN : En ce qui concerne les obligations d'achat, il n'y a aucune intervention ni du conseil d'administration ni du comité d'audit.

La loi a posé des principes extrêmement clairs en disposant que toutes les obligations de service public doivent être compensées.

La loi a fixé des procédures très précises et a prévu, en particulier, que la CRE procède à une évaluation du montant de ces obligations à compenser, laquelle a ainsi la légitimité pour le faire. Il n'y a donc pas lieu que le comité d'audit ou le conseil d'administration se prononcent sur ces éléments qui, normalement, ont été prévus par la loi et qui devraient déboucher sur une compensation aux opérateurs de ce qu'ils supportent comme charges de service public.

Nous sommes seulement intervenus pour que, dans un certain nombre de cas, la direction financière de l'entreprise recalcule les résultats comme si les augmentations de tarif prévues avaient eu lieu, pour bien estimer dans les difficultés d'EDF la part de ce qui venait de l'absence de compensation des obligations de service public et la part des autres causes. Ce fut notre seule intervention.

Nous avons fait faire à plusieurs reprises des exercices de ce type pour mieux situer la cause des phénomènes. Mais normalement, nous n'avons pas à nous prononcer, ni sur les charges de service public, ni sur les augmentations de tarif qui y correspondent. Tout cela était clairement prévu par la loi et en dehors de nous.

De la même façon, je répondrai par la négative à votre dernière question : à mon sens, il ne nous revient pas du tout d'émettre un jugement en opportunité sur la structure juridique de RTE. Nous avons à gérer la situation qui résulte de la loi de février 2000, qui est quelque peu complexe.

J'ai fait allusion tout à l'heure au « ballet » que nous devons organiser entre les responsables de RTE et ceux d'EDF, ce qui est quelquefois compliqué, certains devant être présents au moment où les autres ne le sont pas. Cela dit, nous avons appliqué la loi telle qu'elle existe, avec le statut un peu compliqué de RTE, qui n'a pas d'autonomie juridique, et, en même temps, des pouvoirs très importants, donnés, d'une part au directeur de RTE, et d'autre part à la CRE.

Par exemple, nous nous sommes toujours abstenus, au sein du comité d'audit comme du conseil d'administration, de juger le niveau des investissements de RTE. Ce n'est pas si simple pour un conseil d'administration ou pour un comité d'audit ; normalement, cela fait partie des éléments d'ajustement.

Néanmoins, à partir du moment où la loi avait donné explicitement à la CRE la responsabilité de juger du niveau adapté ou non du programme d'investissement de RTE, nous nous y sommes conformés bien que, ensuite, l'impact sur le bilan du groupe EDF du programme d'investissement de RTE soit visible. Ce n'est pas un élément négligeable par rapport à l'ensemble du groupe EDF. RTE représente une part importante des investissements et de la dette du groupe. Mais la situation de RTE a été fixée par la loi et il n'appartient pas au conseil d'administration de dire si celle-ci est adaptée ou non.

M. Jean-Pierre NICOLAS : Vous nous avez dit, à plusieurs reprises, que vous aviez exercé votre devoir d'alerte auprès du conseil d'administration concernant la dégradation financière de l'entreprise, et qu'à votre sens, cette dernière n'était pas seulement due aux opérations internationales. Je partage assez cette analyse.

Dans le budget pour 2003, on annonce un allongement de la durée d'amortissement de trente à quarante ans pour les centrales nucléaires. Quel sera l'impact de cet allongement sur les résultats financiers de l'entreprise ? En avez-vous déjà une estimation ?

Deuxièmement, l'autorité de sûreté nucléaire a-t-elle donné son accord pour prolonger la durée de vie des centrales nucléaires à 40 ans ?

Enfin, avec cette mesure, n'est-on pas en train de mobiliser les dernières réserves de l'entreprise pour faire face à ses engagements qui sont assez colossaux ? En effet, si l'on additionne l'endettement brut de 2002 (29 milliards d'euros), la prise de contrôle d'Edison (près de 5 milliards d'euros), l'endettement d'Edison (7 milliards d'euros), la prise de contrôle d'EnBW (2,8 milliards d'euros), la soulte pour la retraite, dont on nous annonçait tout à l'heure qu'elle serait de 10 milliards, soit un total proche de 50 milliards d'euros d'engagements - et je ne compte pas les incidences éventuelles de la directive européenne - on peut être très inquiet !

N'est-on pas au bord d'une crise de trésorerie, comme en ont connu d'autres entreprises, masquée par une présentation des résultats financiers purement comptable ?

M. Claude BARTOLONE : M. le président, je souhaiterais à la fois poser une question, et vous dire, en même temps, le malaise que je ressens depuis le début de cette audition.

Nous auditionnons M. Charpin dans le cadre de l'objectif de cette commission d'enquête, à savoir l'amélioration du système de prise de décision. Dans le même temps, j'ai le sentiment d'assister de plus en plus - c'était déjà le cas avec France Télécom - à la relecture du film alors que nous en connaissons presque la fin aujourd'hui.

Il est vrai que c'est assez compliqué parce que, finalement, nous avons une entreprise à qui l'on dit qu'il ne faut surtout pas sortir des métiers d'électricien, à qui l'on impose la directive européenne sur l'ouverture des marchés, à qui l'on fait comprendre qu'elle perdra un certains nombre de clients industriels qui chercheront, surtout pour les multinationales européennes, à avoir une fourniture d'énergie au niveau européen et à qui on demande de s'intéresser à des marchés étrangers. Et nous sommes là à demander si tout cela était pertinent ou pas, alors que beaucoup de choses -ne serait-ce que les difficultés liées au risque de change - étaient difficilement prévisibles.

Je voudrais poser une question à M. Charpin pour essayer de recentrer le débat. On voit bien l'origine de la création du comité d'audit. On voit bien ce que vous avez pu apporter au fonctionnement de l'entreprise. J'aurais tendance à vous demander maintenant, compte tenu de votre expérience, ce qu'une commission comme la nôtre pourrait proposer pour améliorer le système.

M. le Président : Et, pour compléter cette question, le comité d'audit peut-il être aidé dans son activité par la Cour des comptes ?

En tant qu'administrateur et président du comité d'audit, avez-vous des idées sur la nouvelle gouvernance des entreprises publiques ? Est-ce souhaitable ou pas ? Tout se passe-t-il bien ou avez-vous des propositions à formuler ?

M. Louis GISCARD d'ESTAING : Dans le même esprit que la précédente intervention, la fonction d'administrateur représentant l'Etat, qui a été la vôtre au conseil d'administration, et la présidence du comité d'audit sont-elles compatibles ? N'y a-t-il pas là, à un certain moment, une forme de difficulté, voire d'incompatibilité, dans l'exercice, notamment, du devoir d'alerte sur lequel vous avez attiré notre attention tout à l'heure ?

Lors de la précédente audition, les commissaires aux comptes nous ont indiqué qu'ils n'avaient pas eu accès, jusqu'à des temps très récents, au budget de l'entreprise. Etiez-vous, en ce qui vous concerne, en situation d'avoir accès à ce budget ?

En ce qui concerne la comptabilité d'EDF, considérez-vous que des améliorations peuvent être apportées en matière d'anticipation budgétaire et de comptabilité analytique ?

M. Jean GAUBERT : Sur la relation entre RTE et EDF, M. Charpin se souvient que j'ai dit récemment que le vrai patron de RTE n'était pas M. Roussely, mais plus sûrement M. Syrota. Cela va nous poser des problèmes.

M. Jean-Michel CHARPIN : C'est la loi.

M. Jean GAUBERT : Il faut constater que les choses ne pourront pas rester en l'état. M. Charpin a dit tout à l'heure qu'ils n'avaient pas les moyens de faire diminuer les investissements de RTE. En réalité, au comité d'audit et au conseil d'administration, ils viennent vous dire, ce qu'il en est et ce qu'il faudra agglomérer à la comptabilité générale.

M. le Président : M. Gaubert, en tant qu'administrateur, quelle conclusion en tirez vous ?

M. Jean GAUBERT : Je crois qu'il faut se poser la question de l'indépendance totale de RTE. Je ne sais pas comment cela se fera. Cette question pose des problèmes graves de gestion de personnel, mais en tout cas, nous ne resterons pas longtemps comme cela.

Par exemple, cette année, RTE arrive en disant que son résultat est de 112 ou 120 millions d'euros de moins que l'année dernière. Le patron d'EDF n'a strictement aucun pouvoir sur cette situation. Je tenais à le souligner.

D'autre part, sur la tarification de l'électricité en Amérique du sud, le système est plus avantageux que chez nous puisque tout est prépayé : les gens achètent une carte de consommation d'électricité ; quand elle est vide, ils n'ont plus d'électricité.

M. le Président : Cela veut dire que ce que je disais tout à l'heure est fondé.

M. Jean GAUBERT : Tout à fait ! Parlant de milieux défavorisés, le taux d'impayés en Amérique du sud, à ma connaissance -on a posé la question récemment - est plus bas qu'en France. Ce système avait été proposé il y a quelques années en France, mais n'avait pas été accepté.

Enfin, concernant les convocations du conseil d'administration d'EDF, je me souviens, pour Edison, que nous avons été convoqués un vendredi soir, après la fermeture de la Bourse et avant sa réouverture le lundi, pour finaliser et voter le dossier. J'avais fait part de pas mal d'interrogations et de réserves à l'époque, mais c'est la preuve que nous avons eu un débat au sein du conseil d'administration.

M. Jean-Michel CHARPIN : Il n'y a absolument aucun risque de crise de trésorerie. Il faut se garder de ce genre d'assertions ! Les relations du groupe EDF avec les banques sont parfaitement apaisées et sereines. EDF n'a aucune difficulté pour accéder au crédit, et le fait même à des prix bas. Il n'y a aucun risque de cette nature.

En revanche, il est vrai que, dans les comptes de 2002, il y a deux opérations non récurrentes sur lesquelles toute la lumière est faite : l'opération SEP et l'opération PMPH. Je pourrai vous les détailler si vous le souhaitez. Dans les comptes 2001, il y avait déjà une opération non récurrente sur le contrat Cogéma.

Il ne s'agit donc pas du tout d'un problème de crise de trésorerie, mais il faut être attentif quand une entreprise commence à avoir des opérations non récurrentes qui apparaissent dans ses comptes avec des signes positifs.

L'autorité de sûreté nucléaire ne s'est certainement pas prononcée sur la durée de vie des centrales et elle ne le fera pas. Et personne ne le lui demandera. Ce n'est pas comme cela que les choses fonctionnent. Les autorités de sûreté se réservent évidemment le droit de donner des autorisations au fur et à mesure ; elles ne les donnent pas à l'avance.

Cela dit, les autorisations de l'autorité de sûreté ne sont pas liées à la façon dont les centrales sont traitées en comptabilité, sinon cela signifierait qu'on les aurait amorties au début sur des périodes extrêmement brèves et pas sur trente ans. Les trente années n'étaient pas autorisées d'avance ; c'est une hypothèse comptable qui a été utilisée pour faire les amortissements au début. Il n'est donc pas illégitime que la direction de l'entreprise envisage de faire passer la durée d'amortissement de trente à quarante ans. Aux Etats-Unis, depuis avril 2000, de premières prolongations jusqu'à soixante ans de la durée de vie des centrales ont été annoncées. On peut donc penser que nos propres centrales pourraient aller au moins jusqu'à quarante ans. Cela me paraîtrait même une bonne orientation, à la fois pour le pays et pour l'entreprise.

Reste que le comité d'audit a déjà demandé à la direction de l'entreprise d'être informé extrêmement tôt des modalités de traitement de cet éventuel allongement de la durée d'amortissement des centrales. En fonction des modalités choisies, l'impact peut être extrêmement différent sur les comptes 2003. Nous veillerons à ce que les modalités choisies ne faussent pas ceux-ci.

Je répondrai à la fois à la question de M. Bartolone et à la question du président bien que je sorte un peu de mon rôle. Je disais tout à l'heure qu'il y a beaucoup de monde autour de l'entreprise. A mon sens, cela entraîne deux conséquences.

Il y a déjà le ministre, le Trésor, le conseil d'administration, ses différents comités, les commissaires du gouvernement, le contrôle d'Etat, la CRE plus d'éventuelles commissions temporaires. Cela fait déjà beaucoup de monde ! Si possible, n'en rajoutez pas !

La difficulté est qu'il y a beaucoup de monde, mais que personne n'est complètement responsable. Pour le conseil d'administration, il suffit de voir les ordres du jour : il se prononce sur beaucoup de sujets qui ne sont pas toujours d'une importance stratégique déterminante. En même temps, sur les sujets vraiment stratégiques, beaucoup de discussions se passent ailleurs ou avant. Surtout, n'en rajoutons pas parce qu'il y a déjà beaucoup de dispersion du pouvoir de contrôle.

Si j'avais un conseil à donner à votre commission, ce serait de clarifier ce pouvoir de contrôle. Quel doit être le rôle du conseil d'administration par rapport à l'autorité ministérielle ? Cette dernière risque de s'accroître si l'agence en formation acquiert des capacités techniques supérieures à celles de la direction du Trésor aujourd'hui.

M. le Président : Sauf si l'agence est indépendante, ce que certains souhaitent.

M. Jean-Michel CHARPIN : Cela ferait alors une autorité en plus. Il conviendrait alors d'en définir le rôle, d'une part, par rapport au ministre, et, d'autre part, par rapport au conseil d'administration, sans parler des commissaires du gouvernement, du contrôle d'Etat et des autres instances.

M. Claude BARTOLONE : Ce serait une décision gouvernementale ; cela n'engage pas la commission.

M. Jean-Michel CHARPIN : Si j'avais un conseil - bien modeste - à vous donner, ce serait plutôt de recentrer les choses et de clarifier les responsabilité exactes des uns et des autres plutôt que de rajouter en largeur. Il y a trop de largeur et pas assez de profondeur dans tout ce dispositif de contrôle.

Pour répondre à la question de M. Giscard d'Estaing, je n'ai jamais ressenti la moindre difficulté à exercer mes fonctions de président du comité d'audit, sachant que j'étais par ailleurs administrateur nommé par le Premier ministre représentant l'Etat. Il n'y a pas un seul épisode où je me sois senti contraint dans mon expression. Peut-être pourrait-il y avoir d'autres épisodes où ce serait gênant, mais je n'en ai pas connu.

Le comité d'audit a eu systématiquement accès au budget. Les commissaires aux comptes auraient peut-être souhaité en avoir communication. Je n'en sais rien, mais il m'étonnerait qu'ils aient souhaité avoir à en délibérer parce qu'ils seraient bien ennuyés. Ce serait leur compliquer la vie que de leur demander leur avis sur le budget, ce qui ne correspond pas du tout à leur rôle. Ils ont une mission précise qui consiste à certifier. Certifier un budget n'a pas de sens puisque, par définition, le budget dépend des hypothèses que l'on fait sur beaucoup de choses, y compris sur la question de savoir si le gouvernement va augmenter les tarifs, s'il va faire chaud ou froid - ne l'oubliez jamais : cette question reste l'un des critères absolument décisifs de la santé financière d'EDF. Quand EDF vend beaucoup d'électricité, cela va beaucoup mieux.

En tout cas, nous avons eu systématiquement communication du budget. Je dirais même que dans notre appréciation de la situation financière de l'entreprise, les budgets ne sont pas aussi importants que les comptes, mais qu'ils sont un élément d'appréciation tout à fait important.

En revanche, comme je vous l'ai signalé, nous n'avons pas eu communication d'une comptabilité analytique digne de ce qu'elle doit être pour un grand groupe multinational. Je pense que c'est parce que cet outil n'est pas encore véritablement disponible. Je ne pense pas que l'on nous ait caché quoi que ce soit, je pense simplement que les investissements doivent être encore en cours.

Audition conjointe de Mmes Michèle ROUSSEAU,
commissaire du gouvernement à EDF
et Jeanne SEYVET,
commissaire du gouvernement à France Télécom

(Extrait du procès-verbal de la séance du 8 avril 2003)

Présidence de M. Philippe DOUSTE-BLAZY, Président

Mmes Michèle Rousseau et Jeanne Seyvet sont introduites.

M. le Président : Les précédentes auditions de la commission lui ont permis d'examiner, tant pour EDF que pour France Télécom, le fonctionnement interne des entreprises et, notamment, celui de leurs instances dirigeantes et de contrôle.

Nous abordons avec votre audition un deuxième aspect essentiel de leur gestion : le contrôle de l'Etat. Les commissaires du gouvernement exercent dans l'entreprise, pour le compte de leur ministère, la tutelle technique, en l'occurrence celle de la direction générale de l'industrie, des technologies et de l'information, et des Postes, et celle de la direction de la demande et des marchés énergétiques. Nous aurons l'occasion d'analyser, lors d'une prochaine séance, les contours de la tutelle économique et financière, mais je serais heureux que vous puissiez expliquer à la commission la nature de votre mission au sein des entreprises que vous contrôlez et, surtout, la manière dont vous l'exercez, car les textes qui la fixent, de nature essentiellement réglementaires, sont, me semble-t-il, pour le moins généraux et peu précis.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, Mmes Rousseau et Seyvet prêtent serment.

Mme Michèle ROUSSEAU : Je voudrais, dans mon exposé introductif, rappeler le rôle de commissaire du gouvernement auprès d'EDF - je suis également commissaire du gouvernement auprès de GDF - et, par suite, décrire en quelques lignes, le fonctionnement de la direction elle-même qui assure la tutelle technique.

Le commissaire du gouvernement d'EDF n'a certes pas d'existence au plan réglementaire, ce qui n'empêche pas, pour autant, que cette fonction soit assurée. Quel est mon rôle ?

J'assiste à tous les conseils d'administration d'EDF et suis invitée aux réunions du comité d'audit, du comité de la stratégie et du comité d'éthique. J'assiste assez peu fréquemment à ces différents comités, à l'exception du comité de la stratégie où je me rends à peu près une fois sur trois, en fonction de l'ordre du jour. Concernant le conseil d'administration, j'organise de façon systématique, quelques jours avant, une réunion - un petit déjeuner préparatoire - rassemblant les administrateurs de l'Etat - ou leurs représentants.

A l'issue de cette préparation, je transmets une note au ministre en charge de l'industrie pour résumer les dossiers qui seront évoqués et lui indiquer les positions qui seront, a priori, prises par les représentants de l'Etat. J'envoie également, mais ceci n'existe que depuis mon arrivée, un fax à la direction d'EDF pour indiquer les questions susceptibles d'être mentionnées lors du conseil, telles qu'elles ont été formalisées à l'occasion du petit déjeuner préparatoire. Par suite, je participe au conseil, intervenant en général après le tour de table, sauf quand les sujets sont principalement financiers - dans ce cas, je laisse la direction du Trésor et la direction du Budget intervenir. Enfin, je fais parvenir un compte rendu du conseil d'administration au ministre dans les deux à trois jours qui suivent la réunion. Voilà pour l'aspect concret.

Concernant la tutelle technique, mes fonctions couvrent deux aspects d'inégale importance. En dehors de la tutelle technique d'EDF proprement dite, je participe à l'élaboration du système réglementaire, souvent dérivé des directives relatives au marché intérieur de l'électricité, ce qui implique un travail considérable d'ordre législatif et réglementaire. Tous les textes sont soumis au conseil supérieur de l'électricité et du gaz, et nécessitent des négociations, souvent pointilleuses.

M. le Président : Etes-vous, à un quelconque moment, intervenue pour vous opposer à un projet d'investissement, ou avez-vous soulevé à diverses reprises des objections sur les choix stratégiques de l'entreprise ? C'est une question essentielle car, à vous écouter, il est difficile de comprendre avec précision le rôle et les modalités du contrôle de l'Etat.

Mme Michèle ROUSSEAU : Concernant EDF, chaque investissement nécessitant un agrément du ministre fait l'objet d'une note conjointe de la direction du Trésor et de la direction dont j'assume le choix, dans laquelle nous exposons les avantages et inconvénients de l'opération et prenons position.

M. le Président : Je répète ma question. Vous est-il arrivé de vous opposer à un investissement ?

Mme Michèle ROUSSEAU : C'est arrivé.

M. le Président : Et votre opposition a été suivie d'effets ?

Mme Michèle ROUSSEAU : Parfois oui. Parfois non.

M. le Président : Existe-t-il une réelle coordination entre les différents représentants de l'Etat, les représentants de l'Etat au conseil d'administration, le contrôle économique et financier etc. Constituez-vous, en quelque sorte, une équipe, qui discute en interne, puis défend une position commune ?

Mme Michèle ROUSSEAU : Nous nous rencontrons tous les mois, à l'occasion des conseils d'administration. Le contrôleur économique et financier participe aussi à ces réunions préparatoires. En outre, les contacts sont fréquents et nourris avec la direction du Trésor, notamment sur les investissements importants, de même qu'avec la direction des affaires juridiques quand il s'agit de défendre la position du Gouvernement français dans un certain nombre de procédures communautaires, par exemple l'examen des aides d'Etat pour EDF. Nous travaillons donc en commun, la direction du Trésor, celle du budget et la mienne, par exemple à l'heure actuelle, à propos des retraites.

M. le Président : Les positions sont-elles communes ?

Mme Michèle ROUSSEAU : Concernant les retraites, oui, nous travaillons en bonne intelligence.

M. le Président : Mme Seyvet, depuis le début de nos auditions, certaines personnes que nous avons auditionnées dénoncent un enchevêtrement, voire une confusion des différents contrôles, avec in fine, une décision ex abrupto du ministre de l'économie, parfois au mépris des opinions exprimées par les administrations. Que pensez-vous de ces affirmations ? L'objet de notre commission d'enquête est, vous le savez, de faire des propositions pour une nouvelle gouvernance des entreprises publiques. Selon vous, ne faudrait-il pas rééquilibrer les pôles d'intervention de l'Etat ? Le ministre peut-il décider de manière totalement autonome, en faisant fi, le cas échéant, du système de contrôle de l'Etat ?

Mme Jeanne SEYVET : Les situations sont extrêmement différentes selon que sont concernés des établissements publics comme EDF ou La Poste et des entreprises cotées comme France Télécom.

Cependant, il m'apparaît, dans un certain nombre de cas, nécessaire, et notamment sur les opérations les plus importantes, que la décision soit prise par le ministre ou, à tout le moins, avec son plein accord. En revanche, il est évident que, s'il advient que la discussion ait directement lieu entre le président de l'entreprise publique et le ministre, en dehors de toute instruction formalisée, il est permis de s'inquiéter du fait que le ministre ne dispose pas de toute l'information utile de nature à éclairer sa décision.

M. le Président : Nous avons entendu que, par exemple, Mobilcom et NTL ont été achetés sans que le conseil d'administration en soit informé.

Mme Jeanne SEYVET : C'est exact.

M. le Président : En votre qualité de commissaire du gouvernement, vous êtes-vous opposée à ces acquisitions, ou vous êtes-vous émue du fait qu'elles ne soient pas évoquées devant le conseil d'administration ?

Mme Jeanne SEYVET : Avant de vous répondre, je souhaiterais préciser que le rôle du commissaire du gouvernement de France Télécom est substantiellement différent de celui d'EDF.

Le commissaire du gouvernement siège au conseil d'administration, avec voix consultative. Il est chargé de s'assurer que la politique générale et les orientations de France Télécom sont définies par le conseil d'administration conformément aux orientations fixées par le Gouvernement et aux dispositions du cahier des charges du service public des télécommunications, ainsi qu'au contrat de plan passé avec l'Etat.

Le rôle du commissaire du gouvernement est totalement distinct de celui d'actionnaire - ainsi, par exemple, ne dispose-t-il pas d'un droit de veto. C'est ainsi que j'ai interprété et pratiqué ma mission, notamment lors des réunions préparatoires du conseil d'administration auxquelles je participais avec les représentants de l'Etat, le contrôleur d'Etat, et qui étaient organisées, en général, à l'initiative de la direction du Trésor.

Ainsi, le « chef de file » - si l'on peut qualifier les choses ainsi - des représentants de l'Etat était la direction du Trésor et ce pour une raison simple. Le commissaire du gouvernement à France Télécom n'avait précisément pas vocation à être « leader », dans la mesure où l'Etat recherchait à séparer clairement ce qui relève de la régulation du secteur de ce qui relève de l'Etat actionnaire. A ce premier titre, j'intervenais essentiellement lors du conseil sur les questions en lien avec la régulation, de façon à expliquer les enjeux, voire rectifier la vision du conseil sur l'évolution de la régulation, sur son impact sur France Télécom, et non pour parler en tant qu'actionnaire représentant l'Etat.

M. le Président : Comme vous nous l'avez dit, le décret de 1996 relatif au statut de France Télécom dispose qu'en tant que commissaire du gouvernement, vous êtes chargée de veiller à ce que la stratégie de l'opérateur définie par le conseil d'administration soit conforme aux orientations fixées par le Gouvernement. Pourriez-vous, à cet égard, nous préciser la nature des orientations fixées par le Gouvernement depuis 1999 ? S'il est toujours facile de « refaire le film » après, ce qui n'est pas l'objet de notre commission, il est essentiel de savoir si ce qui s'est passé a vraiment été déterminé par le Gouvernement.

Mme Jeanne SEYVET : La politique gouvernementale, dans ce domaine, est constituée essentiellement de l'ensemble des politiques applicables à tous les opérateurs, voire même tous les acteurs économiques. C'est la régulation, et les réglementations qui l'aménagent, ainsi qu'une certaine vision de ce que doit être l'aménagement du territoire ou le service public. Voilà les sujets sur lesquels j'intervenais.

La stratégie propre de l'opérateur France Télécom, sa politique d'acquisition, a, pour sa part, été construite petit à petit, comme il est naturel dans une période économique complexe, par une interaction entre l'Etat et l'entreprise.

M. le Président : Sans que vous y participiez ?

Mme Jeanne SEYVET : J'y ai participé, apportant notre expertise du secteur, la connaissance de son évolution. Et les décisions ont été prises par le conseil d'administration pour l'essentiel.

Concernant NTL et Mobilcom, je vous ai répondu tout à fait clairement que ces questions n'ont pas été discutées, encore moins décidées en conseil d'administration.

M. le Président : Etiez-vous au courant ?

Mme Jeanne SEYVET : Non, je ne l'étais pas, avant que le sujet ne soit évoqué lors d'un conseil ultérieur à l'occasion d'une question diverse abordant l'une des conséquences de l'accord avec Mobilcom.

Vous me demandiez si j'avais manifesté mon désaccord. Bien sûr, je l'ai fait.

M. le Président : Voilà, c'est ce qui est important.

Mme Jeanne SEYVET : Cela ne me paraît pas normal que la direction d'une entreprise puisse ne pas soumettre à son conseil des décisions de cette nature. De la même manière, nous nous sommes émus, administrateurs représentant l'Etat, commissaire du gouvernement, contrôleur d'Etat, auprès du président de l'entreprise du mode de gouvernance de façon générale, des délais de transmission de documents - lorsqu'ils étaient transmis - de l'élaboration ou de l'absence d'élaboration d'un projet de budget... Toutes ces questions ont fait l'objet de remarques assez vives lors de divers conseils d'administration.

M. le Président : Avez-vous émis des observations ou des jugements sur les business plans présentés par des branches opérationnelles ?

Mme Jeanne SEYVET : Nous avions connaissance, lors des conseils, d'un certain nombre d'éléments de présentation des comptes fournis par les branches opérationnelles, au fur et à mesure de leur élaboration.

M. le Président : Etes-vous intervenue dans les procédures d'approbation des acquisitions ?

Mme Jeanne SEYVET : Non. Ce n'était pas mon rôle.

M. le Président : Le commissaire du gouvernement ne s'estimait pas concernée par la politique d'acquisition ?

Mme Jeanne SEYVET : J'ai contribué à éclairer les ministres sur l'environnement industriel et réglementaire des opérations qui étaient proposées par l'opérateur.

M. Xavier de ROUX : Je souhaiterais avoir des éclaircissements très simples. Il est manifeste que les rôles de commissaire du gouvernement ne sont pas les mêmes à EDF et à France Télécom.

Concernant France Télécom, le texte est clair - ce qui n'est pas le cas à EDF - : le commissaire du gouvernement est chargé de s'assurer que la politique générale de France Télécom et les orientations du groupe sont définies par le conseil d'administration conformément aux orientations fixées par le Gouvernement et aux dispositions du cahier des charges. La mission est donc limpide : le Gouvernement charge le commissaire du gouvernement de veiller à ce que le conseil d'administration ne « dérape pas ».

Mme Jeanne SEYVET : Ne dérape pas par rapport à la politique générale du Gouvernement, c'est-à-dire la politique de régulation, d'ouverture à la concurrence et d'aménagement du territoire.

M. Xavier de ROUX : Quelles instructions receviez-vous ou recevez-vous du Gouvernement, et quelle est la nature du rapport que vous transmettez à l'issue du conseil d'administration ?

Mme Jeanne SEYVET : Nous avons transmis au ministre des notes élaborées conjointement par le représentant du Trésor, le représentant du Budget et moi-même, dans la mesure du possible - quelquefois cela n'a pas pu l'être, faute d'éléments d'information suffisants fournis avant le conseil ou faute de temps - pour lui décrire les problématiques et nos propositions.

M. Xavier de ROUX : Vous nous dites que vous avez fait des remarques à l'attention du ministre. Mais je vous pose la question inverse. Le ministre vous a-t-il donné des instructions lorsque s'est tenu un conseil d'administration de France Télécom ?

Mme Jeanne SEYVET : Sur la base de cette saisine du ministre, nous avions, en règle générale, des instructions, qui confirmaient ou infirmaient la proposition que nous lui avions soumise.

M. Xavier de ROUX : Donc, vous disposiez d'instructions ?

Mme Jeanne SEYVET : En principe, en règle générale, oui.

M. Xavier de ROUX : Lorsque le conseil d'administration se tenait, vous interveniez probablement afin de veiller à ce que les instructions de l'Etat soient respectées. Informiez-vous le ministre lorsque vous aviez le sentiment que les choses n'étaient pas tout à fait dans la ligne qu'il avait définie ?

Mme Jeanne SEYVET : Bien entendu. Cependant, dans un certain nombre de cas, je n'ai pas reçu d'instruction en ma qualité de commissaire du gouvernement, mais, je dois le rappeler, n'étant pas administrateur, je ne vote pas.

M. Xavier de ROUX : Concernant la politique d'acquisition de France Télécom, receviez-vous des instructions ministérielles et comment rendiez-vous compte des décisions prises par le conseil d'administration ?

Mme Jeanne SEYVET : Je ne pense pas avoir jamais reçu une instruction générale à long terme relative à la stratégie de France Télécom, et je ne l'attendais pas.

En revanche, le travail que j'ai pu faire, dans la plupart des cas, conjointement avec mes collègues des directions du Budget et du Trésor, a toujours été communiqué au ministre. Sur cette base, le ministre nous disait s'il partageait le point de vue que nous exprimions, ou non. Evidemment, il nous fallait pour cela, d'une part, être saisi d'une question et, d'autre part, disposer d'éléments pour l'apprécier. Il est arrivé, un certain nombre de fois, que nous n'ayons aucun document avant un conseil, ou que le conseil ne soit jamais informé de telle ou telle décision. Par exemple, une nouvelle fois, le conseil n'a jamais été saisi des décisions d'acquisitions de NTL et de Mobilcom.

M. Xavier de ROUX : Le conseil n'a donc pas été saisi. Ces décisions étaient donc celles du président de l'entreprise.

Mme Jeanne SEYVET : Vous l'avez auditionné. Je n'ai pas d'autre élément. Je ne peux que vous affirmer que le conseil n'a pas été saisi.

M. Alain GOURIOU : On sait qu'un certain nombre de ces acquisitions opérées par France Télécom ont amené à une situation financière relativement délicate.

Plus particulièrement, lorsqu'il s'est agi d'acquérir les fameuses licences UMTS dans les pays européens, pensez-vous que le conseil d'administration disposait d'une information et d'une définition de critères de rentabilité suffisamment précis, tant d'un point de vue financier que technique, afin de s'engager en toute connaissance de cause ? Etiez-vous notamment, chargée d'informer le ministre sur la qualité des critères technologiques et financiers retenus ?

Mme Jeanne SEYVET : Les conditions d'octroi des licences UMTS définies par le Gouvernement étaient sur la place publique...

M. Alain GOURIOU : Je ne vous parle pas de l'octroi des licences en France, mais de leur acquisition en Allemagne, ou dans d'autres pays - je sais qu'au Royaume-Uni, France Télécom a finalement renoncé à postuler pour une licence via NTL.

Mme Jeanne SEYVET : Le conseil avait connaissance des conditions imposées par les gouvernements. Je crois pouvoir dire qu'il était clair pour le conseil qu'il était important pour France Télécom d'obtenir des licences dans les pays en question. Dans la mesure où cela rentrait complètement dans la stratégie qui avait été définie, je ne pense pas que l'on puisse dire que le conseil était insuffisamment éclairé sur le sujet.

Il convient de rappeler que le rôle du commissaire du gouvernement de France Télécom est très substantiellement différent de celui de commissaire du gouvernement dans d'autres entreprises publiques. Ainsi, par exemple, ma mission de commissaire du gouvernement de La Poste s'exerce de manière comparable à celle que Mme Rousseau a décrite pour EDF : j'y suis le chef de file, je réunis sous mon autorité l'ensemble des représentants de l'Etat, et suis destinataire des instructions ministérielles que je diffuse aux autres intervenants de l'Etat.

Fondamentalement, mon rôle de commissaire du gouvernement est d'articuler, dans une période de mutation pour les opérateurs de télécommunications, la stratégie de France Télécom, telle que perçue par le conseil d'administration et présentée par la direction, avec les évolutions de la régulation. J'apporte ainsi tous les éléments d'information utiles sur les objectifs et les modalités de la régulation, en réaction aux interrogations, parfois vives, de la direction de l'entreprise ou des administrateurs.

Ainsi, à titre d'exemple, au premier semestre 2002, période charnière où la tension était très forte, j'ai contribué à éclairer les débats sur des sujets essentiels. La décision d'ouvrir la boucle locale à la concurrence, c'est-à-dire la suppression de la zone locale de tri, sujet très délicat pour France Télécom qui craignait à l'époque de perdre 30 % de parts de marché, au moment même où sa stratégie était fort chahutée, en raison notamment du conflit avec Mobilcom, devait être prise par l'Etat en toute sérénité, sans interférence de ses préoccupations d'actionnaire. Elle l'a été. Par suite, il m'appartenait d'expliquer au conseil d'administration ce qui avait été fait, afin de permettre à tous les membres du conseil d'anticiper les conséquences de ce choix.

Mme Michèle ROUSSEAU : Je voudrais mettre un bémol concernant le rôle du commissaire du gouvernement auprès d'EDF. Je ne dirais pas que je suis chef de file. Mon rôle se borne à faciliter la circulation de l'information entre les différents administrateurs de l'Etat.

M. Jean GAUBERT : Je souhaiterais m'adresser à Mme Seyvet, qui suggère elle-même qu'elle était autant observatrice que participante au conseil d'administration de France Télécom. Y avait-il, en particulier au moment le plus euphorique, des débats au sein du conseil d'administration sur la pérennité de la situation, et existait-il des voix plus lucides et raisonnables, y compris d'ailleurs à l'intérieur des directions des ministères qui réfléchissaient sur la stratégie du groupe ? Je ne vous demande pas de citer des noms. Je me contente de poser la question de savoir si cette atmosphère béate, que l'on qualifie aujourd'hui a posteriori, de complètement surréaliste, était parfois contestée et s'il n'y avait pas à se poser des questions et à être plus prudent ? Quelqu'un se faisait-il l'avocat du diable, s'écartant de la pensée unique, et provoquant le débat, ou tout le monde était-il pris dans la même ambiance ?

Mme Jeanne SEYVET : Nous n'étions pas seulement influencés par une ambiance, mais nous étions aussi soumis à une forte pression, dans la mesure où les opérateurs concurrents bougeaient et construisaient leur stratégie d'expansion. France Télécom avait essuyé plusieurs échecs ; début 1999, la rupture avec Deutsche Telekom, puis, fin 1999, l'échec du rachat de E+, finalement acquis par KPN, deux échecs successifs en Allemagne, principal marché européen en matière de télécommunications. Au même moment, les autres opérateurs européens montaient en puissance. La pression des stratégies des concurrents pesait autant que l'euphorie des marchés. Certes, lors de la réflexion préalable au sein des administrations à la mise en place du mécanisme d'attribution et la fixation du prix des licences, il y a eu des voix divergentes, notamment pour plaider contre une mise aux enchères des licences, puis contre leur coût. Mais il faut bien comprendre que l'expérience des enchères réalisées dans d'autres pays constituait une expérience très convaincante.

M. le Rapporteur : Quelles ont été exactement vos relations avec le contrôle d'Etat pendant cette période 1999-2001 ? Vous examiniez la gestion de France Télécom, mais vous n'étiez pas au cœur de sa stratégie de développement international. Vous aviez ainsi le recul nécessaire. Je pense que le contrôle d'Etat l'avait également. Ces regards objectifs constituaient peut-être un élément d'équilibre au sein de l'entreprise. Cet équilibre a-t-il pu jouer, s'exprimer ?

Mme Jeanne SEYVET : Le contrôle d'Etat a joué un rôle à mon sens très positif et actif pour France Télécom. Il a notamment fourni aux représentants de l'Etat au conseil d'administration et au commissaire du gouvernement une vision beaucoup plus précise et détaillée que celle qu'il était possible d'obtenir spontanément de l'entreprise, par exemple grâce aux documents présentés au conseil d'administration. De ce point de vue, ma coopération avec le contrôle d'Etat a été très fructueuse.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous citer des exemples précis où le contrôle d'Etat a apporté un élément d'objectivité dans cette période un peu passionnelle et contrainte ?

Mme Jeanne SEYVET : Le contrôleur d'Etat avait accès à des informations extrêmement utiles sur l'évolution des filiales, ce qui, pour certaines d'entre elles, était particulièrement instructif du point de vue de la fragilité et des risques potentiels du groupe.

M. le Président : Comment considérez-vous que France Télécom s'acquitte de sa mission de service public ?

Mme Jeanne SEYVET : Il s'en acquitte bien. Le service public du téléphone en France est de très bonne qualité, même si rien n'est jamais acquis dans ce domaine. J'exerce sur ce sujet en ce moment une vigilance accrue, les opérateurs de télécommunications étant fortement endettés, resserrant les boulons à tout niveau (investissements considérablement réduits, pressions sur les coûts, etc.). Je veille à ce que la qualité et la pérennité du service public ne souffrent pas, en m'assurant notamment que les investissements afférents assurent l'avenir.

M. le Président : Comment améliorer le contrôle exercé par le commissaire du gouvernement ? Souhaiteriez-vous que ses fonctions et ses responsabilités évoluent, ou soient mieux définies ? Le système de gouvernance des entreprises publiques vous paraît-il suffisant ?

Mme Jeanne SEYVET : Il lui faudra sans nul doute évoluer. La nouvelle phase de la régulation liée à la transposition en droit interne des directives relatives aux télécommunications, me font penser qu'il n'y a plus vraiment lieu d'avoir un commissaire du gouvernement auprès de France Télécom. Toutes les étapes historiques ont été franchies et désormais, sa présence ne se justifie pas plus auprès de France Télécom qu'auprès de n'importe quel autre opérateur. Ainsi, aurais-je tendance à considérer que le rôle du commissaire du gouvernement est achevé, ce qui n'implique évidemment pas, pour autant, la disparition des administrateurs représentant l'Etat au conseil, ou l'absence de chef de file, rôle déjà dévolu à l'administration du Trésor.

M. le Président : Mme Rousseau, étiez-vous tenue informée de la politique d'acquisition internationale d'EDF, et en particulier, avez-vous eu connaissance de l'investissement dans Montedison, et, le cas échéant, avez-vous émis des réserves ?

Mme Michèle ROUSSEAU : Je suivais la politique d'acquisition d'EDF, non pas en tant que commissaire du gouvernement, mais en ma qualité de directrice de la demande et des marchés énergétiques au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie. Chaque investissement important d'EDF fait l'objet d'une note conjointe, rédigée en collaboration avec la direction du Trésor, au ministre, qui, ensuite, décide.

En ma qualité de commissaire du gouvernement auprès d'EDF, j'ai, avec les autres membres du conseil d'administration, été informée de la politique d'investissement internationale à l'occasion de la présentation des budgets, qui ont suscité des échanges nourris. En revanche, peu d'investissements ont fait l'objet d'une décision en conseil d'administration. Et, parmi ces investissements, se trouve précisément l'opération Montedison, dernière opération intervenue peu avant la constitution du présent Gouvernement, approuvée après deux conseils d'administration successifs. Le premier conseil s'est déroulé un après-midi. Nous avions reçu les documents afférents quelques deux jours auparavant et nous n'avions, par conséquent, pas eu le temps de rédiger les habituelles notes au ministre. La discussion entre les administrateurs étant très animée, le comité d'audit s'est réuni dans la soirée et dans la nuit. Un second conseil d'administration a été convoqué le lendemain matin, après que le ministre eut décidé de donner son agrément à l'investissement. Mais cette procédure était exceptionnelle.

M. Jean-Pierre NICOLAS : Pour continuer sur l'Italie, on a bien compris que la consultation du conseil d'administration était pour le moins « lâche ».

En 2001, l'acquisition de la société Fenice achetée pour 552 milliards d'euros, a été enregistrée dans les comptes. La même année, un écart d'acquisition de 457 milliards d'euros a été constaté. Les représentants du Gouvernement avaient-ils exprimé leur accord pour cette acquisition et selon quelle formalité ? Compte tenu de l'importance et de la rapidité de l'amortissement du goodwill, ne considérez-vous pas qu'il s'agit là d'un acte anormal de gestion et, le cas échéant, envisagez-vous des recours ?

Sur l'Allemagne, au moment de l'autorisation de l'investissement dans EnBW, la tutelle disposait-elle de tous les éléments nécessaires à l'évaluation de la rentabilité du projet ? La totalité des engagements, notamment hors bilan, évaluée aujourd'hui à 2,8 milliards d'euros, était-elle connue ? Avait-on évalué et intégré au bilan de l'opération le coût des concessions imposées à EDF par les autorités de l'union européenne pour autoriser l'acquisition d'EnBW, à savoir l'obligation de mise aux enchères de 6 000 mégawatts de production, et la cession des intérêts d'EDF dans la CNR ?

Par ailleurs, quelles sont les mesures envisagées pour redresser la situation et mettre un terme à l'impact négatif des résultats d'EnBW sur les comptes consolidés d'EDF ?

Je pourrais tenir un discours à peu près identique concernant les acquisitions en Argentine, mais sans doute mon collègue, Jacques Masdeu-Arus, grand connaisseur du dossier, pourra prendre le relais.

Mme Michèle ROUSSEAU : Nous avons eu le temps d'instruire le dossier EnBW. Je ne peux cependant m'exprimer que sur les faits s'étant déroulés après ma prise de fonction. Je connais en effet moins bien la façon dont s'est faite l'opération EnBW, notamment les modalités de la mise aux enchères demandée à EDF. En revanche, je répète que la montée dans le capital d'EnBW a été suivie avec suffisamment de temps. Il est vrai que nous sommes un peu surpris par les résultats de l'entreprise qui, d'ailleurs, ne sont pas clairs, EnBW présentant des bénéfices en Allemagne et, au contraire, des déficits, en comptabilité française. Tout cela est un peu compliqué. Nous allons essayer d'isoler avec plus d'attention la part des résultats due aux activités énergétiques d'EnBW de celle liée aux autres activités. EnBW est en effet très diversifiée, notamment pour Salamander. Je ne sais pas quelles sont les proportions respectives de l'énergie et du reste.

Sur Fenice, je n'ai pas souvenir que cette acquisition ait fait l'objet d'une demande spécifique au ministre, mais je peux me tromper, n'étant arrivée qu'en cours d'année 2001.

M. Jean-Pierre NICOLAS : C'est une acquisition sur laquelle nous n'arrivons pas à obtenir des renseignements très précis, si je me remémore la nature des réponses des commissaires aux comptes, lors de leur audition la semaine dernière.

Mme Michèle ROUSSEAU : Je ne peux connaître avec précision ce dossier, puisque je n'ai pris mes fonctions que début mai 2001.

M. Jean-Pierre NICOLAS : Je ne reproche rien, mais simplement constate. 457 milliards d'euros d'écart d'acquisition enregistrés en une année, cela mérite, me semble-t-il, certaines explications. Et cela pèse lourd. De même, EnBW représente 2,8 milliards d'euros dans l'endettement prévisible d'EDF qui s'élèverait à presque 54 milliards d'euros, 29,5 milliards d'euros d'endettement brut, 2 milliards d'euros d'autorisations de créances, 4,8 milliards d'euros d'engagements substantiels à la prise de contrôle d'Edison, 7 milliards d'euros dus à l'endettement d'Edison, et 10 milliards d'euros sans doute pour l'inéluctable soulte pour les retraites. Ces 54 milliards d'euros ne tiennent d'ailleurs pas compte des éventuelles incidences de la loi de transposition des directives sur l'énergie. Voilà la situation d'EDF...

En votre qualité de commissaire du gouvernement, partagez-vous cette analyse ? Quelles dispositions envisagez-vous de prendre pour remédier à cette situation ? Quelles pourraient être les conséquences d'un changement de statut de l'entreprise la privant de la garantie de l'Etat sur son financement ? Nous devons nous poser ces questions, pour l'entreprise, pour l'énergie en France, et pour les consommateurs d'électricité.

Mme Michèle ROUSSEAU : L'endettement net d'EDF, à ma connaissance, tourne autour de 26 milliards d'euros, et les engagements hors bilan approximativement à 24 milliards d'euros.

L'ensemble du conseil d'administration, dont les représentants de l'Etat, ainsi que le comité d'audit, ont fait part de leur inquiétude à l'égard des comptes d'EDF. Pour redresser la situation, les investissements d'EDF ont été gelés. EDF doit même présenter quelques programmes de désinvestissement, mais ne peut s'engager que dans des opérations limitées. Concernant les cessions, notamment en Amérique latine, encore faut-il trouver acheteur. Décider de se retirer, n'est pas forcément y parvenir, en particulier pour les activités étrangères qui sont la grande source des difficultés d'EDF. En France parallèlement, je demande à EDF d'accélérer ses gains de productivité. Il nous appartiendra, dans le même temps, de vérifier que la compression des coûts opérationnels ne se fait pas au détriment de l'entretien, par exemple, du réseau de distribution, propriété des collectivités locales. Il convient, à cet égard, de donner acte de la stabilisation en 2002 de la masse salariale hors retraite. Et, dernier aspect concernant le redressement de la rentabilité, EDF nous interroge évidemment avec régularité sur les questions tarifaires.

M. Jean-Pierre NICOLAS : Cela veut-il dire que vous disposez d'éléments concrétisant la mobilisation d'EDF à 500 jours d'une nouvelle étape de l'ouverture des marchés, à laquelle a appelé M. Roussely dans un article du Monde du 25 février dernier ? Je n'ai, pour ma part, aucune précision sur les dispositions effectivement prises. Avez-vous eu connaissance d'un plan d'affaires précis, détaillant les mesures prises et à prendre ainsi que les conséquences prévues de l'ouverture des marchés pour juillet 2004 ?

Mme Michèle ROUSSEAU : EDF ne nous a pas communiqué son projet industriel pour faire face à cette ouverture, qui fera passer le nombre de clients éligibles de quelques milliers à quelques millions. Et si EDF est en train de se réorganiser à cette fin, nous n'avons pas reçu, ni au conseil d'administration, ni au ministère, des documents très précis à cet égard.

M. Jean-Pierre NICOLAS : Donc, vous n'avez rien de plus...

M. Jacques MASDEU-ARUS : Je voudrais revenir, pour bien comprendre, sur l'investissement en Italie. Vous nous avez donc dit que ces investissements n'avaient pas été validés par un conseil d'administration ?

Mme Michèle ROUSSEAU : J'ai dit que l'opération Edison avait été a priori le seul investissement important à avoir été examiné par le conseil d'administration d'EDF, ce qui n'a pas été le cas pour les autres acquisitions ou prises de participation, quel que soit l'endroit.

M. Jacques MASDEU-ARUS : Je rappelle qu'en Argentine - et je ne remets pas en cause les investissements de 1992 - EDF a acquis la totalité du capital d'Edenor en 2001, alors que cette entreprise était très endettée, dans un contexte géopolitique argentin très risqué. Cette opération a-t-elle été soumise au conseil d'administration ?

Mme Michèle ROUSSEAU : Pas à ma connaissance. C'était au mois d'avril 2001. M. Gaubert, membre du conseil d'administration d'EDF, peut sans doute confirmer ma réponse.

M. Jean GAUBERT : Je n'ai pas non plus le souvenir, mais c'est une question que nous pourrons poser au président Roussely à l'occasion de son audition.

M. Jacques MASDEU-ARUS : C'est une question que j'ai, à diverses reprises, évoquée en commission des finances ou en commission des affaires économiques, sans obtenir de réponse satisfaisante. Il sera très intéressant d'avoir enfin des éclaircissements...

M. le Rapporteur : Je souhaiterais interroger Mme Rousseau - comme j'ai interrogé Mme Seyvet tout à l'heure - sur les relations qu'elle entretient avec le contrôle d'Etat. J'avoue que j'éprouve de grandes difficultés à cerner avec précision la répartition des rôles, les modalités grâce auxquelles s'établit la coordination. Pouvez-vous nous en dire un petit peu plus à la fois sur la méthode de travail et sur les grands dossiers que vous avez eu à traiter en collaboration avec le contrôle d'Etat ?

Mme Michèle ROUSSEAU : Le contrôle d'Etat, de mon point de vue, intervient essentiellement pour examiner les comptes d'EDF, et ma direction laisse en priorité la direction du Trésor et le contrôle d'Etat réaliser ce travail. En outre, je rencontre les membres du contrôle d'Etat tous les mois à l'occasion des petits déjeuners préparatoires au conseil d'administration, durant lesquels nous échangeons nos réactions sur les dossiers. Le contrôleur d'Etat nous communique, à cette occasion, une note d'environ deux pages résumant le contenu de l'entretien préparatoire qu'il a avec le Président Roussely pour préparer le conseil.

M. le Président : Comment les objectifs du contrat de plan entre EDF et l'Etat ont-ils été définis, en particulier celui de réaliser 50 % du chiffre d'affaires hors du marché électricité en France en 2005 ? Avez-vous participé à la négociation ? Quel bilan dressez-vous de l'application du contrat ?

Mme Michèle ROUSSEAU : Ces objectifs figurent en effet dans le contrat de groupe entre l'Etat et EDF qui, à ma connaissance, a été négocié avec la participation des principales directions du ministère, dont la mienne - que dirigeait alors mon prédécesseur - et celle du Trésor.

M. le Président : Qu'avez-vous à dire sur le volet tarifaire ?

Mme Michèle ROUSSEAU : Force est de constater actuellement le non-respect par l'Etat des dispositions du contrat de groupe sur ce point.

M. Xavier de ROUX : Voilà un problème important qui a fait couler beaucoup d'encre. Je souhaiterais savoir comment sont fixés les tarifs d'EDF. Est-ce qu'ils sont des tarifs de marché, s'en rapprochent-ils, ou sont-ils des tarifs de « convenance républicaine » ?

Mme Michèle ROUSSEAU : Les débats concernent les tarifs de l'électricité fournie aux clients non éligibles, par EDF et par les distributeurs non nationalisés en 1946, soit environ 150 entreprises. Il est vrai que ces tarifs ne reflètent pas, actuellement, les coûts du marché. Ils sont fixés d'une autre manière. Et il est tout aussi exact qu'en principe, ils devraient être liés aux coûts de production selon la théorie économique de la régulation des monopoles.

Dans le contrat de groupe entre l'Etat et EDF, signé en 2000, figure la formule - 1+x+inflation : chaque année, l'augmentation des tarifs doit correspondre à l'augmentation des charges de service public (x) moins les gains de productivité qu'EDF rétrocède à ses clients (-1 %), plus, naturellement, l'inflation. La progression des charges de service public couvre la solidarité territoriale avec les départements d'outre-mer et les obligations d'achat.

M. le Président : Pouvez-vous nous décrire les conditions d'élaboration du contrat de service public entre l'Etat et EDF signé le 19 avril 2002 ?

Mme Michèle ROUSSEAU : Etaient associées aux travaux plusieurs directions. Le ministère de l'environnement était également très présent. Ma direction a essayé de recentrer ce contrat sur une conception peut-être un peu traditionnelle du service public, c'est-à-dire une aide aux populations défavorisées. EDF en avait une conception beaucoup plus large, étendue à l'ensemble du développement durable, conception extensive que partageait le ministère de l'environnement. Nous nous sommes entendus sur un texte que je qualifierais de compromis, qui a, par suite, été présenté en conseil d'administration avec des débats quelques peu houleux.

M. le Rapporteur : Avez-vous été ou êtes-vous associée aux travaux préparatoires à la mise en place de l'Agence des participations de l'Etat ?

Mme Michèle ROUSSEAU : Pour l'instant, nous avons simplement pris connaissance du rapport de M. Barbier de La Serre. M. Maillard, directeur général de l'énergie et des matières premières et moi-même rencontrons M. Samuel-Lajeunesse demain.

M. Jean-Pierre NICOLAS : Excusez-moi d'aborder un sujet plus abrupt et terre à terre, mais il me semble essentiel de rappeler que les résultats d'EDF en 2001 et 2002 n'ont été positifs que grâce à la conjonction d'éléments favorables non récurrents, qui représentent un montant brut hors impôt, de plus de 3 milliards d'euros. Je pense à la renégociation du contrat hollandais, la plus-value des cessions immobilières Péchiney, la reprise des provisions hydrauliques et des provisions sur le nucléaire, de nouvelles dispositions comptables, qui changeront encore en 2003, la conversion des pertes de change par imputation directe sur les capitaux propres, sans impact sur le résultat financier. Malgré ces éléments, la perte nette s'élève à 1,7 milliard d'euros en 2002 !

Je souhaiterais une réponse sans ambiguïté : la tutelle à laquelle vous participez a-t-elle tout à fait conscience de cette situation et des conséquences qu'elle implique pour la situation financière de l'entreprise ?

Mme Michèle ROUSSEAU : La tutelle a parfaitement conscience de cette situation. Il est clair qu'EDF va correctement en France mais fait face à des difficultés à l'étranger, notamment en Amérique latine, mais aussi ailleurs. En Allemagne, ces résultats sont décevants. En Italie, manifestement, la situation est très compliquée. En revanche, les choses semblent évoluer dans le bon sens au Royaume-Uni. Nous sommes, par conséquent, évidemment inquiets. Ce qui nous interpelle actuellement, c'est que les nouvelles méthodes comptables qu'EDF applique - elle ne les a pas inventées - peuvent donner des comptes extrêmement différents selon les hypothèses retenues, puisque les provisions faites en matière de nucléaire jouent un rôle décisif. Par exemple, pour le démantèlement des centrales, le calendrier et l'échéancier choisis pour démanteler les centrales, selon les taux d'actualisation retenus en hypothèse, peuvent faire varier sensiblement les résultats. C'est un sujet de préoccupation qui interpelle la tutelle comme l'ensemble des administrateurs.

M. Jean-Pierre BALLIGAND : En votre qualité de commissaire du gouvernement, expliquez-moi quelle a été votre réaction lorsque le Gouvernement actuel, s'est permis de demander à EDF de prendre des participations dans une affaire qui n'a rien à voir avec son métier ? Cet acte me semble contraire à toute la philosophie qui émerge de nos auditions. Je parle évidemment de Vivendi Environnement, dont je pense que l'activité n'est pas dans le métier d'EDF. Si les croissances externes en Amérique latine, en Allemagne ou en Italie sont critiquables, elles se situaient cependant, à l'inverse, dans le cœur du métier de l'électricien. J'aimerais savoir quelle est la position du commissaire du gouvernement face à une proposition d'acquisition d'une entreprise qui souffre de difficultés.

Mme Michèle ROUSSEAU : En ma qualité de commissaire du gouvernement, je me suis bornée à dire au conseil d'administration d'EDF, que je confirmais que le ministre avait donné son accord à cette opération.

Audition conjointe de Mme Catherine NEDELEC,
MM. Alain MARTIN et Jean-Marc MAUCHAUFFEE,
représentants des salariés au conseil d'administration d'EDF

(Extrait du procès-verbal de la séance du 8 avril 2003)

Présidence de M. Philippe DOUSTE-BLAZY, Président

Mme Catherine Nedelec, MM. Alain Martin et Jean-Marc Mauchauffée sont introduits.

M. le Président : Madame, Messieurs, nous souhaitons, en vous entendant, connaître mieux le mode de fonctionnement du conseil d'administration de votre entreprise et surtout la façon dont vous êtes informés au préalable des dossiers que le conseil doit examiner.

Vous pourrez nous dire également la façon dont vous appréhendez d'une manière générale votre mandat. J'indique à la commission qu'un de vos collègues, M. Robert Pantaloni, n'a pu assister à notre réunion, mais qu'il pourra nous adresser des observations écrites.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, Mme Nedelec, MM. Martin et Mauchauffee prêtent serment.

Mme Catherine NEDELEC : Je vous remercie pour votre accueil. En effet, nous souhaiterions donner notre point de vue sur le rôle des administrateurs salariés au sein du conseil d'administration d'EDF, dans le cadre de la réflexion plus générale concernant la gouvernance des entreprises publiques, sur laquelle un certain nombre de rapports viennent d'être rendus publics, dont celui de MM. de La Serre, Joly, David et Rouvillois.

Nous pensons que le rôle et le fonctionnement du conseil d'administration ne peuvent pas être dissociés des missions fondamentales d'EDF. Celles-ci consistent à répondre aujourd'hui, mais également dans le long terme, aux besoins sociaux et économiques dans le domaine de l'électricité et à prendre en compte l'intérêt général et, en conséquence, à permettre à la démocratie de s'exprimer sur les enjeux auxquels l'entreprise a et va avoir à faire face.

L'électricité n'est pas un secteur comme les autres. La politique énergétique, qui fait d'ailleurs l'objet d'un débat ouvert par le Gouvernement, n'est pas indépendante des outils industriels dont on dispose pour la mettre en œuvre. Par exemple, la poursuite de la production nucléaire est, selon nous, incompatible avec la privatisation d'EDF.

Ces missions fondamentales ne nous semblent pas remises en cause par la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité. En revanche, nous sommes en désaccord avec les conclusions du rapport de M. Barbier de La Serre, qui va justement à l'encontre de ces principes.

En premier lieu, celui-ci réduit le rôle que la collectivité doit assurer vis-à-vis de la gestion de l'entreprise à l'Agence des participations. Il confère, d'autre part, à l'Etat un statut d'actionnaire, pour lequel la défense des intérêts patrimoniaux serait prioritaire sur toute autre considération d'ordre économique ou social. Enfin, il prend modèle, d'une façon générale, sur le système de gouvernance des entreprises privées, dont on peut juger qu'il a été dans l'incapacité d'éviter un certain nombre de catastrophes, tant au niveau financier que stratégique. Nous pensons donc qu'il y a des changements à apporter à ce modèle.

Nous sommes également en désaccord avec la proposition du rapport visant à limiter le nombre, voire le rôle, des administrateurs salariés dans les entreprises publiques. Nous pensons en effet que, parmi les différentes parties prenantes de l'entreprise, les salariés sont ceux qui sont le plus directement intéressés à son développement et à sa pérennité. Au sein du conseil d'administration, ce sont eux qui connaissent le mieux le fonctionnement de l'entreprise et qui peuvent mesurer concrètement les conséquences des décisions qui sont prises.

En tant que représentants élus des salariés, et à condition que leur statut d'administrateur soit reconnu en tant que tel, ils ont une réelle indépendance vis-à-vis du président, voire des autres membres du conseil. La loi de 1983 définit, de façon incomplète à notre sens, le statut des administrateurs salariés. Nous pensons donc qu'il est nécessaire de le conserver, voire d'étendre ses dispositions.

Enfin, concernant EDF, je souhaiterais rappeler que les salariés et leurs représentants ont toujours pris en compte les préoccupations d'intérêt général dans la gestion de l'entreprise publique. Un certain nombre d'exemples traduisent notre originalité et nous pourrons répondre de nos prises de position au sein du conseil concernant le développement international, mais aussi la sous-traitance ou la situation de l'exploitation nucléaire, qui est confrontée à des contraintes de rentabilité financière et de réduction des coûts.

Nous estimons, d'autre part, que les comités d'audit, d'éthique et de la stratégie, auxquels participent les administrateurs salariés, permettent de travailler les dossiers en amont des réunions du conseil d'administration et constituent des avancées significatives pour son bon fonctionnement. Toutefois, des progrès restent encore à faire en termes de précision, de contenu et de délai de transmission des dossiers.

Pour conclure, il ne nous semble vraiment pas que l'heure soit venue de diminuer le rôle et le nombre des administrateurs salariés dans les conseils. Il convient, au contraire, de les renforcer car ils ont la double légitimité d'être indépendants et de poursuivre l'intérêt de l'entreprise.

M. le Président : Quel rôle joue, selon vous, le conseil d'administration ? S'agit-il d'un contre-pouvoir ou, comme plusieurs personnes ont pu le dire, la CGT notamment, d'une simple chambre d'enregistrement ?

Mme Catherine NEDELEC : J'aurai une double réponse. La première est que le rôle du conseil d'administration est décisionnel concernant toutes les questions liées au patrimoine de l'entreprise ou à sa stratégie industrielle et financière, puisque des décisions sont prises lors des réunions du conseil, auxquelles nous participons à la fois en termes d'expression, d'analyse et de vote final.

La deuxième partie de ma réponse est qu'en effet, sur un certain nombre de dossiers, notre sentiment est qu'une partie des dossiers traités en conseil ont été étudiés et décidés au préalable, avec la tutelle notamment.

M. le Président : M. Martin participe au comité d'audit, M. Mauchauffée et vous-même, Mme Nedelec, au comité de la stratégie. Quel jugement portez-vous sur le fonctionnement de ces comités spécialisés ?

M. Jean-Marc MAUCHAUFFEE : Je suis également membre du comité d'éthique. Le fonctionnement du conseil d'administration a connu d'importantes évolutions depuis la création de ces comités. Le comité d'audit, tout d'abord, était l'urgence première. Le comité de la stratégie a ensuite été institué pour faire face aux grands enjeux présentés par l'évolution du groupe puis le comité d'éthique car, d'une certaine façon, il était nécessaire de prendre en compte la dimension sociétale et environnementale des questions soumises au conseil.

En tant que membre du comité de la stratégie, j'ai pu avoir accès à certaines informations, mais aussi débattre, bien en amont des décisions du conseil d'administration, sur les grandes orientations du groupe. Je prendrai simplement pour exemple l'un des derniers débats du comité où, sans que le sujet ne soit inscrit à l'ordre du jour, nous avons discuté, au nom du conseil d'administration, de la nécessité d'avoir une stratégie sur les activités gazières en tant qu'énergéticiens.

M. le Président : Est-il, selon vous, nécessaire d'augmenter le nombre ainsi que le rôle de ces comités et selon quelles modalités ?

M. Jean-Marc MAUCHAUFFEE : Il y a une limite au nombre des comités du conseil. Il ne faut pas non plus déresponsabiliser l'assemblée plénière du conseil d'administration car sa pluralité fait sa richesse et l'importance de ses décisions.

Cependant, la création d'un comité des rémunérations, comme il en existe dans d'autres conseils d'administration, serait également souhaitable.

M. le Président : Vous avez, à plusieurs reprises, regretté le caractère parcellaire ou tardif des informations communiquées au conseil d'administration. Selon vous, quelles en sont les raisons ?

D'autre part, comment conciliez-vous le principe de confidentialité qui doit être respecté par tout administrateur et celui d'information des salariés qui vous ont élus au conseil d'administration ?

Mme Catherine NEDELEC : Nous regrettons effectivement que les informations soient parfois trop partielles ou trop tardives. On peut citer l'exemple de la stratégie de recapitalisation d'Italenergia, dont nous n'avons été informés que quelques jours seulement avant la réunion des deux conseils d'administration en juin 2002.

Plus récemment, l'information du conseil a été assez limitée en termes de délai, sous prétexte de fuites dans la presse qui, je le souligne, avaient eu lieu avant que les dossiers ne soient transmis aux administrateurs, ce qui démontre, une fois de plus, qu'ils n'en sont pas à l'origine. S'agissant en particulier des comptes, je ne pense pas que cela puisse justifier que les administrateurs ne disposent pas d'une bonne information, dans des délais permettant d'analyser des dossiers aussi importants.

Par ailleurs, dans les dossiers qui nous sont communiqués, il y a relativement peu d'informations confidentielles et, lorsqu'elles le sont, cela est expressément indiqué. Nous concernant, et je pense pouvoir parler au nom de tous les administrateurs salariés, nous respectons scrupuleusement la confidentialité de ces informations.

M. le Président : Est-ce le cas pour tout le monde d'après vous ?

Mme Catherine NEDELEC : Oui.

En second lieu, le mandat qui nous est donné nous invite à rendre compte aux salariés qui nous ont élus de notre analyse et des informations qui sont publiques, comme les comptes, mais cela n'implique absolument pas de délivrer des informations confidentielles.

Il me semble que c'est le rôle de tous les administrateurs d'un conseil d'administration. Ils sont là pour rendre des comptes de manière générale, y compris de façon publique, et a fortiori lorsqu'il s'agit d'une entreprise publique. En cela, nous ne sommes donc pas différents des autres administrateurs qui ont, eux aussi, un mandat que leur a confié l'Etat ou, dans le cas d'autres entreprises, les actionnaires.

M. François BROTTES : La tutelle ne cache pas sa volonté de privatiser EDF. Ce n'est pas forcément une thèse que je défendrais, mais nous ne sommes pas là pour exprimer des opinions personnelles. Cette question a-t-elle été évoquée par le conseil d'administration ? En effet, dans la mesure où cet objectif peut dicter tel ou tel choix stratégique, il ne serait complètement incongru qu'il soit associé à la réflexion.

D'autre part, en cas de privatisation, souhaiteriez-vous conserver un siège au conseil d'administration ?

M. Jean-Marc MAUCHAUFFEE : Il n'est pas dans les attributions du conseil d'administration de décider ou non de l'ouverture du capital ; il s'agit bien d'une décision de l'actionnaire.

Bien sûr, nous sommes informés des possibilités d'évolution du statut de l'entreprise, mais aussi des modalités de financement de sa croissance, en France et à l'international, puisque, dès 2001, lorsque le comité de la stratégie a examiné les orientations concernant la croissance externe du groupe, l'une des hypothèses évoquées était d'ouvrir le capital d'EDF International ou du groupe dans son ensemble. Il ne s'agissait cependant que d'hypothèses couchées sur le papier, sans qu'aucune décision ne soit prise à ce sujet.

Quant à la représentation des salariés dans le cadre d'une éventuelle ouverture de capital, je pense qu'il est nécessaire de la conserver étant donné la richesse des débats que nous avons aujourd'hui au conseil d'administration. Je ne pense pas seulement aux actionnaires salariés mais à l'ensemble des salariés qui représentent des intérêts autres que ceux de l'actionnaire.

M. le Président : Quel bilan dressez-vous de l'application du contrat de groupe entre l'Etat et EDF signé le 14 mars 2001 et, en particulier, de son volet tarifaire ?

M. Jean-Marc MAUCHAUFFEE : Le contrat de groupe entre l'Etat et EDF n'est pas respecté aujourd'hui, par au moins l'un de ses signataires, car des charges liées à la politique énergétique, en particulier les obligations d'achat, ne sont pas compensées intégralement et pèsent lourdement dans les comptes d'EDF.

Le volet tarifaire du contrat, qui prévoyait une augmentation annuelle selon la formule « -1 % + X », le terme « X » représentant l'évolution des charges de service public, n'a pas non plus été appliqué.

M. Jean-Claude SANDRIER : Vous avez évoqué les questions concernant la présence des salariés dans les conseils d'administration. Quel pouvoir avez-vous réellement en son sein ? Avez-vous la possibilité de faire évoluer les décisions ou non ?

D'autre part, avez-vous des propositions à formuler afin d'en améliorer le fonctionnement, s'agissant notamment de sa composition ?

Enfin, quelle a été la position des administrateurs salariés concernant la politique d'externalisation accélérée du groupe ?

M. Alain MARTIN : Concernant la première question, Mme Nedelec a répondu pour partie en indiquant que les dossiers étaient travaillés en amont du conseil. Nous ne représentons donc pas nécessairement un contre-pouvoir, mais nous avançons des idées qui peuvent faire évoluer certaines décisions.

Par exemple, pour les marchés de sous-traitance du nucléaire, nous sommes intervenus, depuis mars 2001, pour attirer l'attention de la direction d'EDF sur les conséquences, en termes d'emploi et de situation locale, de la politique des achats et de la pression exercée sur les coûts. Depuis lors, les informations présentées au conseil sont plus précises et permettent d'assurer un meilleur suivi. Ainsi, nos interventions ont un peu fait évoluer les prises de décision pour ces marchés.

En ce qui concerne le fonctionnement idéal d'un conseil d'administration, Mme Nedelec va vous répondre.

Vous évoquez l'externalisation et la croissance externe du groupe. Je parle pour la fédération qui nous parraine, c'est-à-dire la CGT : nous sommes pour une politique à l'international qui conserve certaines valeurs et dont l'objectif ne soit pas simplement d'aller sur les marchés financiers pour faire du cash, mais également d'améliorer la situation de certains pays. Nous avons toujours voté contre, ou nous nous sommes abstenus, car les décisions à l'international ont été difficiles à prendre, soit que les dossiers ne passaient pas en conseil d'administration, soit qu'ils n'étaient présentés que par le biais d'augmentations de capital de sa filiale EDFI.

M. le Président : De quelle façon étiez-vous informé de la volonté de développement international d'EDF et, en particulier, avez-vous alerté la direction sur les pertes des filiales argentines ou brésiliennes et, si oui, à quelle date ?

M. Alain MARTIN : Pour l'Argentine, une délibération a été adoptée par une majorité d'administrateurs en 1992 lors de l'acquisition.

Sur le Brésil, le dossier n'a pas été présenté au conseil et a simplement fait l'objet d'un débat au sein d'une commission d'exploitation en 1996, mais il n'y a pas eu de délibération.

M. le Président : Les acquisitions brésiliennes ne sont pas passées en conseil d'administration ?

M. Alain MARTIN : Elles ont fait l'objet d'une information et d'un débat, mais non d'une délibération pour prendre la décision, car cet investissement était porté par EDFI.

Comme le disaient Mme Nedelec et M. Mauchauffée, il y a eu, depuis la création des différents comités spécialisés, des débats assez intenses sur la stratégie internationale d'EDF, qui a d'ailleurs été entérinée par une délibération du conseil d'administration.

M. Jean-Marc MAUCHAUFFEE : Je suis administrateur depuis  1997 et j'ai déjà témoigné de l'évolution considérable du fonctionnement du conseil. Depuis maintenant quatre ans, les stratégies et les grandes acquisitions du groupe sont débattues en séance plénière du conseil d'administration.

Le dernier exemple récent, que l'on soit d'accord ou non avec cette acquisition, concerne l'Italie : la stratégie de croissance internationale a été débattue à trois reprises au comité de la stratégie, puis, par deux fois, au conseil d'administration, avant que celui-ci ne délibère. Dans ce cadrage stratégique, il était prévu que des acquisitions soient faites dans un certain nombre de pays cibles, dont l'Italie. Je ne suis pas élu sur la même liste que mes collègues ici présents, et je me suis, pour ma part, prononcé en faveur de cette stratégie à partir du moment où elle était contrôlée.

Concernant la prise de participation dans Edison, d'autres délibérations, qui présentaient un caractère d'urgence compte tenu de certaines négociations, ont ensuite été adoptées. Il s'agissait, toutefois, d'une exception par rapport aux délais normaux de saisine et d'information des administrateurs.

Une nouvelle délibération a été votée quelques mois plus tard sur le montage financier d'Edison et Italenergia. Sur ce point, tout en étant en faveur de la stratégie internationale du groupe, notamment en Italie, je n'ai pas voté pour son cadre financier car il me paraissait risqué, ce qui prouve qu'un débat a bien eu lieu sur cette question.

Concernant les pouvoirs de l'administrateur salarié, l'exemple de la sous-traitance dans le nucléaire est assez éloquent : dans le cadre du comité d'éthique, nous avons demandé à auditionner le directeur général de London Electricity, en raison de pratiques commerciales que je qualifierais de frauduleuses, alors que cela sortait de notre champ d'action, limité en principe à la maison-mère.

En tant qu'administrateurs salariés, nous avons également pu accompagner le président dans ses différentes missions internationales. Je suis, pour ma part, allé en Hongrie, où j'ai participé à l'ensemble des réunions de travail pendant deux jours en tant qu'administrateur de l'entreprise et non en tant que représentant des salariés. J'estime donc, même si mon pouvoir n'est pas illimité, que je suis reconnu et respecté en tant qu'administrateur.

M. François BROTTES : Dans le droit fil de vos remarques et dans le cadre de notre réflexion sur la gouvernance, mais j'ai le sentiment que vous avez déjà répondu à cette question, pensez-vous que le conseil d'administration d'EDF, dans son fonctionnement et dans sa capacité d'interpellation, permet d'offrir toutes les garanties de transparence s'agissant en particulier de la sécurité des installations de production nucléaire ?

M. Jean-Marc MAUCHAUFFEE : J'ai travaillé dans le nucléaire et je connais donc un peu la question. J'ai proposé la création d'un comité de sûreté nucléaire qui soit rattaché au conseil d'administration, ce qui n'est pas le cas à l'heure actuelle.

Il existe, en revanche, un conseil de sûreté nucléaire au sein de l'entreprise et, en tant qu'administrateurs, nous avons l'occasion d'évaluer son rapport annuel ainsi que le rapport d'exploitation du parc nucléaire, comme cela a été le cas au mois de mars dernier où nous avons pu nous entretenir en séance plénière avec l'inspecteur général de la sûreté nucléaire et le directeur de la production nucléaire. Nous avons également accès à un certain nombre d'informations, et l'échange a été très riche au conseil à ce sujet.

Mme Catherine NEDELEC : La sûreté nucléaire est l'un des éléments qui justifie, selon nous, la présence d'administrateurs salariés au sein du conseil, car nous avons des contacts avec les salariés et les représentants syndicaux de ce secteur. A ce titre, et nous pouvons prendre, là aussi, quelques exemples, nous nous sommes fait les relais de ce qui semblait être problématique au niveau de l'exploitation nucléaire et des conséquences négatives de certains choix, concernant en particulier la gestion financière, la réduction des coûts et la politique des achats.

Nous nous sommes exprimés à l'occasion de l'examen du budget, sur la sûreté nucléaire ou la politique des achats, qui sont des sujets examinés par le conseil, sans nécessairement faire l'objet d'une délibération, mais qui permettent d'avoir un réel débat sur cette question.

M. Jean GAUBERT : Depuis que je suis administrateur d'EDF - j'ai exercé deux mandats, avec une interruption de cinq ans - j'ai vu les choses changer et je peux confirmer que la nature des débats au sein du conseil d'administration est maintenant très différente de celle que j'ai connue. Pendant la période 1989-1994, on nous amusait avec des discussions à n'en plus finir, alors que les vraies décisions n'étaient surtout pas prises au conseil d'administration. Désormais, le débat existe.

Même si ce n'est pas tout à fait le but premier de cette commission d'enquête, lorsque l'on parle de gouvernance, il est important de savoir de quelle façon sont constitués les conseils d'administration. J'ai été le témoin d'interrogations sur l'intérêt de la représentation des salariés au sein des conseils d'administration. Pourtant, à chaque fois que je participe à celui-ci, je me rends compte combien leur présence est importante.

Je voudrais confirmer ce qu'ils disent, à savoir la capacité qu'ils ont à faire remonter des informations sur l'entreprise, qui ne nous seraient pas données par d'autres personnes, y compris la hiérarchie, à nous, administrateurs externes, puisque je fais partie du troisième collège. On sait bien que, dans notre pays, si l'on veut savoir quelque chose, ce n'est pas à son adjoint qu'il faut poser la question, mais à un niveau beaucoup plus bas. L'intérêt de la présence des salariés est tout à fait évident, même si, de temps en temps, il leur arrive de m'agacer, mais la réciproque doit également être vraie.

M. le Président : Je ne sais pas si nous aurons le temps d'écouter des salariés de France Télécom, mais j'ai l'impression qu'il y a tout de même une différence entre le fonctionnement du conseil d'administration d'EDF et celui de France Télécom.

Il me paraît évident que des salariés doivent être présents au conseil d'administration, mais en même temps, l'importance de la confidentialité de ses travaux a été soulignée par plusieurs personnes auditionnées par la commission. Vous m'avez répondu que cette question de la confidentialité ne se posait pas à EDF, que même si vous devez informer les salariés, jamais il ne vous viendrait à l'idée de transgresser ce principe.

Il s'agit pourtant d'un problème majeur. Lorsqu'un tiers du conseil d'administration est composé de personnalités qualifiées qui sont parfois des clients ou des fournisseurs de l'entreprise et lorsque, par ailleurs, l'Etat ou le président n'ont pas une entière confiance dans les représentants des salariés, car ils peuvent organiser une conférence de presse à l'issue des réunions du conseil et faire chuter le cours de l'action, quelle peut être la solution ?

M. Jean GAUBERT : Il convient, à ce sujet, de distinguer deux situations. Pour le moment, l'entreprise n'est pas cotée, donc le risque est effectivement moins grand, puisqu'il n'y a pas d'intérêts particuliers à protéger. Au cours des huit ou neuf années durant lesquelles j'ai été membre du conseil d'administration, je n'ai pas d'exemple de fuites dont il ait pu être prouvé qu'elles provenaient des administrateurs. Encore dernièrement, Mme Nedelec l'a dit, nous avons appris par la presse que nous allions recevoir des dossiers faits de telle ou telle façon.

Quand les entreprises sont cotées, la question se pose sans doute dans des termes un peu différents, même si ce n'est pas nécessairement le statut des administrateurs qui détermine leur capacité à conserver des informations stratégiques importantes. On peut en effet penser que des salariés qui n'ont pas d'autre intérêt que la bonne marche de l'entreprise seront autant capables de respecter le principe de confidentialité que les représentants des actionnaires minoritaires, qui n'ont parfois comme seul objectif que de revendre rapidement leurs actions ou de les faire fructifier.

M. Jean-Marc MAUCHAUFFEE : Je ne connais pas le fonctionnement du conseil d'administration de France Télécom ; je ne porterai donc pas de jugement sur celui-ci.

Je pense que ce problème dépend avant tout de trois valeurs, qui sont la responsabilité, la compétence et l'éthique de l'administrateur. Quels que soient les intérêts que nous sommes censés représenter, qu'il s'agisse des consommateurs, des fournisseurs de l'Etat ou des salariés, ce sont ces trois dimensions qui doivent nous animer. Peut-être est-ce aussi le regard des autres qui fait que vous êtes, ou non, considéré comme un administrateur à part entière, qui défend les intérêts du groupe et de l'ensemble des salariés, et non d'une chapelle, quelle qu'elle soit. C'est également la compétence collective des conseils qui peut conduire à ce que les salariés y aient une place plus ou moins grande. Enfin, du moins en ce qui me concerne, le respect des autres administrateurs, quel que soit leur collège, permet d'améliorer le fonctionnement du conseil et, d'une certaine façon, l'exercice de la responsabilité qui nous est confiée.

M. le Président : Quelle est votre position sur la réforme des retraites, telle qu'elle vous est proposée ?

Mme Catherine NEDELEC : En tant qu'administrateurs, nous n'avons pas eu à nous prononcer sur ce sujet. D'un point de vue syndical, on pourrait en dire beaucoup plus, mais je ne suis pas sûre que cela en soit le lieu.

Si la question était posée dans le cadre du conseil d'administration, nous pourrions dire que le régime des retraites, tel qu'il est financé aujourd'hui, ne met pas en péril les capacités de l'entreprise, à la fois à financer les retraites mais également à se développer d'un point de vue industriel.

M. le Président : Avez-vous des propositions à formuler concernant le fonctionnement du conseil d'administration ? Estimez-vous qu'il est nécessaire de l'améliorer ?

Que pensez-vous, d'autre part, des conditions actuelles de nomination des présidents des entreprises publiques ? Faudrait-il, par exemple, qu'une agence indépendante du pouvoir politique en soit chargée ? Et concernant la contractualisation des relations entre l'Etat et les entreprises publiques ?

Mme Catherine NEDELEC : Il est nécessaire d'améliorer le fonctionnement du conseil. Même s'il y a déjà eu des progrès en termes d'anticipation et de transparence, il en faut encore davantage, notamment en ce qui concerne les aspects financiers et les analyses précises des scénarios envisagés dans le cadre des prises de participation ou des engagements financiers.

Il doit absolument y avoir un réel respect du délai d'examen des dossiers par les administrateurs, tel qu'il est prévu par le règlement intérieur du conseil, et il faut rompre avec l'asymétrie d'information entre les représentants de l'Etat et le reste du conseil d'administration. Maintenant, quelle représentation de l'Etat dans le conseil d'administration et comment contractualiser les relations ?

M. le Président : Pouvez-vous également donner votre sentiment sur les personnalités qualifiées ?

Mme Catherine NEDELEC : Il faudrait élargir ce collège aux autres parties prenantes qui ont des intérêts dans une entreprise comme EDF, tels que les consommateurs, qui sont finalement peu représentés dans le conseil. Les collectivités concédantes sont également représentées, mais d'autres possibilités pourraient être envisagées, comme, par exemple, des personnalités qualifiées dans le domaine de la recherche ou de l'environnement.

Puisqu'ils sont chargés de préserver le patrimoine de l'Etat, les représentants de l'Etat portent essentiellement leur attention sur la rentabilité financière de l'entreprise. Or, ils devraient également prendre en compte le développement industriel d'EDF et son rôle de service public. Malgré les modifications qui ont eu lieu et qui font qu'effectivement EDF n'est plus en situation de monopole, l'entreprise est, qu'on le veuille ou non, chargée d'une mission de service public et, par ailleurs, la seule en France qui soit aujourd'hui capable aujourd'hui de mener une réelle politique de recherche technologique dans le domaine de l'énergie.

M. Jean-Marc MAUCHAUFFEE : La création de l'Agence des participations constitue également un risque important pour la nature des débats au sein du conseil d'administration, dans la mesure où elle pourrait confisquer, en quelque sorte, la gouvernance du groupe. Ce serait préjudiciable, car cela servirait d'autres objectifs que le service public et l'intérêt du groupe industriel.

S'agissant des propositions, il est intéressant de souligner que les administrateurs salariés sont élus pour une durée de cinq ans tandis que les autres administrateurs sont nommés, sans que la durée de leur mandat soit précisée.

On peut aussi regarder ce qui se passe à la commission de régulation de l'électricité ou encore au conseil supérieur du gaz pour la nomination des commissaires. S'il est nécessaire de conserver la définition des deux collèges, qui représentent l'actionnaire et l'environnement du groupe EDF, il y a peut-être des progrès à faire, pour l'ensemble des représentants au conseil d'administration, consistant à leur donner des mandats plus clairs, avec une vision de plus long terme.

M. Jean GAUBERT : M. Mauchauffée vient de faire une erreur : les administrateurs sont tous nommés pour cinq ans. La seule différence est que les représentants de l'Etat sont nommés ès qualités et non intuitu personae, mais, en réalité, ils sont quand même nommés pour cinq ans et un renouvellement complet du conseil doit avoir lieu en juin 2004.

M. Jean-Marc MAUCHAUFFEE : Certes, mais lorsque l'on est nommé, le mandat d'administrateur peut être écourté, alors que ce n'est pas le cas pour les représentants des salariés, et nous exerçons cette mission avec la responsabilité éthique que j'évoquais tout à l'heure.

M. le Rapporteur : De ce point de vue, l'Agence des participations de l'Etat devrait assurer une meilleure pérennité des représentants de l'Etat.

J'aimerais savoir de quelle façon vous travaillez avec les administrateurs représentant l'Etat, qui jouent, en principe, un rôle déterminant au sein du conseil. Estimez-vous que la politique de l'Etat est représentée clairement en son sein ou bien que les administrateurs expriment des intérêts différents selon leurs ministères ?

M. Alain MARTIN : Nous ne préparons jamais un conseil d'administration avec les représentants de l'Etat, mais nous pouvons éventuellement demander à les rencontrer, il n'y a pas d'incompatibilité.

M. le Président : L'avez-vous fait ?

M. Alain MARTIN : Je suis au conseil depuis 1996 et je ne l'ai jamais fait.

Concernant les représentants de l'Etat au sein du conseil d'administration, je n'ai pas toujours le sentiment qu'ils aient une position vraiment claire sur certains dossiers.

M. le Rapporteur : A quoi imputez-vous cette situation ? Cela veut-il dire que les représentants de l'Etat ont des positions différentes selon l'administration qu'ils représentent, ou bien y a-t-il d'autres raisons pour lesquelles la position de l'Etat vous paraît insuffisamment claire ?

M. Jean-Marc MAUCHAUFFEE : Je n'ai pas souvenir de positions différentes entre les administrateurs représentant l'Etat sur les délibérations du conseil.

Je peux dire par expérience que l'« étanchéité » qui pouvait exister entre les représentants de l'Etat et des salariés a singulièrement évolué, notamment parce que les présidents des comités d'éthique, d'audit et de la stratégie sont des administrateurs issus du collège représentant l'Etat. Le dialogue qui existe en leur sein a contribué à ce que les frontières s'estompent et que le débat soit quasi permanent, y compris en séance plénière, alors qu'auparavant il y avait, en quelque sorte, des mondes parallèles.

Il conviendrait donc de pérenniser ces comités afin qu'ils puissent travailler, comme le fait le comité de la stratégie sur le gaz, bien en amont des délibérations et toujours au nom du conseil d'administration, et non en comité à part.

M. le Président : Est-il cependant nécessaire que les représentants des salariés soient présents dans l'ensemble des comités spécialisés ?

Mme Catherine NEDELEC : Le rôle de ces comités spécialisés est de préparer, par des réunions de travail, les dossiers qui sont soumis au conseil. C'est à ce titre que nous avons, depuis toujours, revendiqué notre présence à ces comités et notre rôle en tant qu'administrateurs salariés doit être maintenu.

M. le Président : Très bien, c'est assez clair pour tout le monde, mais il me semblait nécessaire de vous poser cette question.

M. Jean-Claude LENOIR : Je reviens sur ce que vous avez dit. Nous essayons, au sein de cette commission d'enquête, de comprendre un peu comment les choses fonctionnent au quotidien.

Lors des réunions du conseil d'administration, vous n'arrivez sans doute pas sans avoir eu des contacts préalables avec la direction de l'entreprise. Il y a un minimum de préparation. On doit savoir quelle est la position que vous allez adopter sur tel ou tel point soumis à l'examen du conseil.

Je ne mets pas du tout en doute ce que vous avez avancé, mais je suis tout de même étonné qu'il n'y ait pas de contact avec les représentants de l'Etat.

M. Alain MARTIN : Je vais préciser ma pensée : il n'y a pas de contact particulier avec les représentants de l'Etat à l'exception des comités spécialisés. En revanche, une fois que les dossiers du conseil nous sont transmis, nous avons tout loisir, et nous ne nous en privons pas, d'aller voir les différentes directions de l'entreprise, afin de les préparer avec elles et de leur exposer nos positions, qui seront éventuellement traduites par un vote lors du conseil.

M. Jean-Claude LENOIR : Avez-vous le sentiment, en tant qu'administrateur, que les choses se déroulent autrement du fait que vous intervenez dans le débat avant et a fortiori pendant la réunion du conseil d'administration ? Finalement, les choses sont-elles arrêtées avant les réunions du conseil, ou évoluent-elles au contraire, en fonction des arguments que vous êtes amenés à avancer ?

Mme Catherine NEDELEC : Avant, par exemple, la réunion du conseil d'administration sur les comptes, nous rencontrons le directeur financier pour lui donner un premier avis et, surtout, pour lui poser des questions sur des points qui ne nous paraissent pas clairs ou que nous souhaitons confronter avec son analyse. Sur certains dossiers techniques, nous rencontrons également l'inspecteur général de la sûreté nucléaire ainsi que le directeur de la production nucléaire.

Nous avons donc toute latitude pour nous entretenir, à tout niveau, avec les responsables au sein de l'entreprise et poser toutes les questions qui nous semblent nécessaires et globalement, nous avons des réponses qui nous permettent d'avoir un avis circonstancié.

Cela dit, les personnes que nous rencontrons ne sont pas des membres du conseil d'administration. Notre position finale résulte de nos entretiens avec les salariés, sinon cela ne servirait à rien que nous soyons leurs représentants.

Nous assurons, par ailleurs, un suivi sur un certain nombre de questions, d'un conseil à l'autre. Nous savons qu'à telle période, un dossier sera examiné par le conseil et nous sommes donc capables de le préparer un peu en amont, mais nous ne recevons les documents préparatoires, qui nous permettent de forger notre analyse, que dix jours avant les réunions du conseil. C'est donc au conseil que notre expression finale, et au besoin notre vote, sont indiqués.

M. Jean-Claude LENOIR : Ce n'est que le jour du conseil que, finalement, les échanges ont lieu entre les administrateurs ?

Mme Catherine NEDELEC : Oui, mais parfois des petits déjeuners de travail sont organisés avec l'ensemble des administrateurs à la demande, soit du secrétariat général du conseil, soit des directeurs ou des responsables des dossiers examinés par le conseil.

Audition conjointe de MM. Jean-Pierre JOUYET,
directeur du Trésor,
et Nicolas JACHIET,
ancien chef du service des participations

(Extrait du procès-verbal de la séance du 29 avril 2003)

Présidence de M. Philippe DOUSTE-BLAZY, Président

MM. Jean-Pierre Jouyet et Nicolas Jachiet sont introduits.

M. le Président : Avec votre audition, la commission souhaite examiner avec précision le rôle que joue l'Etat envers les entreprises publiques.

La direction du Trésor assure, par son service des participations, « le suivi de l'ensemble des entreprises publiques ainsi que des relations entre ces entreprises et l'Etat actionnaire ».

Les séances que nous avons tenues jusqu'ici laissent bien des interrogations en suspens auxquelles vous allez sûrement pouvoir répondre. J'en citerai d'emblée quelques-unes : quel est le rôle exact de la direction du Trésor dans les décisions d'investissement que peuvent prendre les entreprises publiques ? Ce rôle est-il correctement assuré par la structure actuelle du service des participations ? Quelle stratégie la direction du Trésor assigne-t-elle aux représentants de l'Etat au sein des conseils d'administration ?

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Jouyet et Jachiet prêtent serment.

M. Jean-Pierre JOUYET : Monsieur le président, je vais essayer de vous brosser rapidement, avec Nicolas Jachiet, le rôle de la direction du Trésor, en m'efforçant de répondre à vos trois principales questions. Je vous présenterai d'abord le service des participations, ensuite nos méthodes de travail et les enjeux auxquels nous devons faire face, enfin nos relations de travail avec les ministres et les entreprises.

Le service des participations de la direction du Trésor était composé, fin 2002, de trente-cinq personnes - quarante-cinq personnes aujourd'hui -, dont une vingtaine de cadres qui suivent plus de soixante-dix entreprises de 1er rang ou d'établissements publics dans les secteurs les plus variés. C'est la raison pour laquelle toutes les comparaisons visant à assimiler le service des participations à une espèce de holding de l'Etat, sont, à mon sens, approximatives.

Quatre bureaux couvrent les secteurs d'activité des entreprises publiques. Au cours des dernières années, le service des participations a été organisé par projets. Sur chaque dossier est ainsi désigné un responsable, soit le chef de service, soit l'un des deux sous-directeurs. Lorsqu'une opération précise est conduite sur une entreprise - opération en capital, plan de redressement ou évolution de la structure de l'entreprise -, un chef de projet est désigné.

Il s'agit donc d'une organisation relativement souple, peu hiérarchisée, très responsable et réactive. Le service comporte également un bureau horizontal, chargé en particulier d'apporter une expertise juridique aux autres bureaux responsables des domaines des transports, de l'énergie, des industries de défense, des télécommunications.

Au total, le service assure la présence de l'Etat à plus de soixante et un conseils d'administration, soit plus de 300 réunions par an, en incluant les réunions des comités d'audit ou d'autres comités spécialisés.

J'en viens aux méthodes de travail. Pour l'expertise préalable à une opération stratégique ayant des incidences sur le capital de l'entreprise, et la mise en œuvre de l'opération, le service reçoit l'appui de banques conseil dont le choix se fait selon un processus interne formalisé de mise en concurrence, de consultations et d'auditions, par un comité de sélection présidé par M. Deguin, composé de trois personnalités indépendantes, le président, un conseiller d'Etat et un conseiller-maître à la Cour des comptes.

Le service s'appuie également sur la direction du budget, le contrôle d'Etat, les tutelles techniques - la direction de l'énergie et des matières premières, la direction de l'industrie, et d'autres directions importantes du ministère de l'équipement ou du secrétariat aux transports.

Au total, la direction du Trésor et le service des participations ont à traiter avec une multiplicité d'intervenants, dont il faut reconnaître que le degré de coopération est variable. Le service assure, par ailleurs, une formation des représentants appartenant à tous les ministères. Cette formation précise notamment les droits et obligations ainsi que les outils techniques nécessaires à l'exercice des fonctions d'administrateur. C'est un élément qui nous paraît important pour renforcer l'unité de la représentation de l'Etat au sein des conseils d'administration et de surveillance, et qui a bénéficié, au cours de l'année 2002, à une trentaine de personnes. Mais force est de constater que cet effort de formation a besoin d'être sensiblement approfondi, puisqu'à l'heure actuelle, ladite formation se limite à quelques jours par an.

Nous sommes confrontés à trois grands enjeux. Le premier - le plus important -, occupera sans doute la majeure partie de nos échanges. Il s'agit de l'internationalisation des entreprises publiques. Elle constitue pour elles un enjeu vital pour atteindre une taille critique au niveau mondial. La nécessité du développement à l'international des entreprises publiques passe, en effet, par le développement de filiales étrangères, et dans son principe, elle ne doit pas être remise en cause. L'enjeu, pour ces entreprises et pour l'Etat actionnaire, est cependant d'apprécier les risques inhérents à chaque projet de croissance externe. La montée en puissance du développement international de certaines grandes entreprises publiques est sans doute le phénomène le plus significatif auquel nous avons été confrontés ces dernières années.

Le second enjeu est l'évolution du portefeuille des participations de l'Etat. Cela recouvre les opérations d'ouverture de capital et de privatisation des entreprises du secteur public, ainsi que celles en capital sur les participations minoritaires de l'Etat. Les projets de privatisation sont examinés au cas par cas, en veillant toujours à prendre en compte l'intérêt des entreprises publiques et les intérêts patrimoniaux de l'Etat. Les opérations de marchés, pour leur part, sont étudiées au regard des conditions de marché et nécessitent une appréciation sur l'opportunité de leur réalisation.

Le troisième enjeu est celui de la gouvernance des entreprises publiques sur lequel votre commission se concentre. L'Etat partage les préoccupations largement débattues depuis plusieurs années et encore aujourd'hui pour les entreprises du secteur privé. L'accent est mis sur les principes de responsabilité, de transparence, de bon fonctionnement des organes sociaux, et sur l'amélioration de la qualité de l'information financière des entreprises, points sur lesquels la direction du Trésor n'a cessé d'attirer l'attention de ses correspondants.

Quant aux relations avec les ministres et les entreprises, elles traduisent les enjeux qui viennent d'être décrits. Le service rend compte au ministre de l'activité des entreprises qu'il suit en fonction des sujets d'actualité. Il le saisit en matière de nomination, d'opérations sur le capital réalisées par l'Etat, d'approbations d'opérations sur capital effectuées par les entreprises. Il lui soumet, pour approbation, les principales orientations stratégiques qu'il se propose de recommander ou de fixer aux entreprises. Les membres du service exerçant des mandats d'administrateur le saisissent sur les principaux sujets examinés en conseil d'administration, les comptes, la distribution de dividendes, la stratégie de l'entreprise, y compris les opérations de croissance externe. Tout cela représente, comme vous pouvez vous en douter, plusieurs centaines de notes par an.

Le service représentant l'Etat actionnaire entretient également des relations avec les entreprises, par le biais, d'une part, des conseils d'administration, d'autre part, du suivi de l'entreprise, par les bureaux, et des contacts les plus réguliers possibles. Deux contraintes encadrent cette relation. La première est liée à la charge de travail élevée du service, la seconde, au degré de coopération et d'ouverture différent selon les entreprises. Il faut bien avouer que certains dirigeants d'entreprises publiques ont tendance à s'adresser directement au ministre, à considérer qu'une simple visite dans son bureau vaut approbation du conseil d'administration. Or, une telle démarche ne saurait tenir lieu d'approbation et n'en tiendra jamais lieu, que l'entreprise soit publique ou privée.

La direction du Trésor s'attache par ailleurs à promouvoir une amélioration des règles et des pratiques de gouvernance des entreprises publiques. Son action a porté ces dernières années sur la création de comités d'audit ou d'autres comités spécialisés au sein des conseils d'administration, la généralisation des règlements intérieurs de ces conseils, et enfin l'amélioration de l'information financière, qu'il s'agisse du délai de présentation des comptes qui devrait être réduit, ou de la présentation de documents annexes plus conséquents et pertinents. Nous avons ainsi réussi à faire en sorte que les comptes de plusieurs entreprises publiques soient arrêtés plus tôt dans l'année, notamment en 2002.

C'est dans ce cadre que, sur proposition du Trésor et de façon à renforcer les règles de gouvernance et à les rappeler aux dirigeants d'entreprise publique, le ministre leur a adressé, début septembre 2002, une lettre leur demandant de veiller à ce que le conseil d'administration soit systématiquement consulté pour les investissements stratégiques, ceux dont le montant est important, en veillant à ce que les délais d'information des administrateurs soient suffisants.

Voilà ce que je souhaitais indiquer à la commission, en soulignant que nous devons chercher, d'une part, à répondre à une asymétrie d'information entre les entreprises et les services administratifs, d'autre part, à disposer de capacités d'action accrues pour affirmer le rôle de l'Etat actionnaire. Il s'agit là de la raison d'être et du fondement de l'Agence des participations de l'Etat sur laquelle nous aurons sans doute à revenir.

M. le Président : Combien y a-t-il de fonctionnaires chargés du suivi et du contrôle d'un secteur spécifique comme France Télécom, EDF, la SNCF ou La Poste ? Combien de temps ces fonctionnaires consacrent-ils à un dossier particulier ? Combien de temps restent-ils en charge d'une entreprise publique ?

Adressez-vous des instructions précises aux représentants de l'Etat au conseil d'administration ? De quelle façon la coordination entre les différents représentants de l'Etat se fait-elle ?

M. Michel Bon nous a affirmé, lors de son audition, que « pour France Télécom, jamais le marché et l'Etat n'ont divergé. Si l'Etat comme actionnaire ne fait que servir de porte-voix au marché, quelle est sa légitimité à être actionnaire ? » Que vous inspire cette remarque ?

M. Jean-Pierre JOUYET : Sur cette dernière remarque, d'abord, l'Etat n'a jamais donné d'instructions en matière de projets d'acquisitions, d'investissements et de suivi du marché. L'actionnaire examine et rend sa décision sur la stratégie ; le responsable de l'entreprise, lui, doit proposer. Qu'il s'agisse de France Télécom ou d'autres entreprises, nous avons donc toujours réagi face à des propositions dont on peut, dans certains cas, regretter le calendrier, mais ces propositions nous étaient faites par l'entreprise. Je suis donc un peu surpris par cette déclaration, car il n'y a pas eu de volonté de pousser France Télécom à faire des acquisitions à tel ou tel endroit. Ce qui est vrai, c'est qu'il y avait une stratégie de développement international sur laquelle on pourra revenir.

France Télécom et EDF ont été suivies pendant une longue période dans une même unité. France Télécom était suivie par le chef de service, Nicolas Jachiet, qui était également administrateur au conseil d'administration, par le chef de bureau et son adjoint - en général un ingénieur ou un administrateur civil assez jeune, qui reste en fonction environ deux ans - étant entendu que la permanence du chef de service est beaucoup plus importante.

La direction du Trésor prépare des instructions aux représentants de l'Etat. Certaines propositions d'instructions remontent au ministre, et ce dernier décide de la position que les administrateurs prendront sur les sujets évoqués en conseil d'administration.

La question de la coordination est une très bonne question. Les séances des conseils d'administration sont précédées, du moins pour les dossiers qui le méritent, de réunions entre les représentants de l'Etat, de façon à coordonner les positions. De même, pour les séances les plus délicates, qui peuvent faire naître des oppositions, comme dans l'hypothèse où des tutelles techniques assurant des fonctions de régulateur ne seraient pas en phase avec les intérêts de l'actionnaire ou des intérêts patrimoniaux, des échanges sont organisés entre directions, avec un arbitrage du ministre ou réalisé au niveau interministériel, de manière à bien cadrer les positions des uns et des autres avant un conseil d'administration.

M. Nicolas JACHIET : Combien de temps un fonctionnaire travaille-t-il sur les entreprises que vous avez citées ? J'ai été personnellement administrateur de Renault, d'EDF et de France Télécom, pendant quatre ans et demi. S'agissant de La Poste, mon adjoint qui en était administrateur est resté en fonction quatre ans. Les durées sont un peu plus courtes pour les adjoints ou les chefs de bureau : en moyenne, deux à trois ans.

S'agissant des entreprises pour lesquelles j'ai siégé au conseil d'administration, dans la très grande majorité d'entre elles, en tout cas celles qui ont une taille significative, se tiennent des réunions préalables pour les représentants de l'Etat, du moins ceux qui appartiennent à l'administration, car certaines personnalités, si elles ont une qualité juridique de représentant de l'Etat, sont en fait des personnalités qualifiées. Les réunions préparatoires au conseil d'administration associent le commissaire du gouvernement et le contrôleur d'Etat, lorsqu'il y en a - mais c'est très souvent le cas - et les administrateurs.

M. le Président :  S'agissant de France Télécom, nous nous sommes aperçus, au cours de nos auditions, que les opérations sur Mobilcom et NTL, n'avaient pas été préalablement examinées par le conseil d'administration. Dans quelles conditions et sur quelle base l'Etat a-t-il signifié son accord pour ces opérations, ainsi que pour l'acquisition d'Orange ?

M. Jean-Pierre JOUYET : Mobilcom et NTL sont des échecs industriels et des désastres financiers. En ce qui concerne Orange, il y a eu une appréciation, dans des conditions globalement satisfaisantes, de l'intérêt stratégique de l'entreprise et de son développement au regard de risques financiers également importants.

M. le Président : De quelles informations disposiez-vous pour donner votre accord, si vous l'avez d'ailleurs formellement donné ?

M. Jean-Pierre JOUYET : S'agissant d'Orange, nous disposions d'informations relativement importantes et précises, ce qui est loin d'être le cas pour les deux autres dossiers.

M. Nicolas JACHIET : Les deux dossiers NTL et Mobilcom ne sont effectivement pas passés en conseil d'administration. Dans la période qui a suivi l'ouverture de capital de France Télécom, les textes réglementaires qui prévoient, dans la plupart des entreprises publiques, que les prises de participation soient soumises à un accord des ministres, ont été abrogés pour France Télécom, compte tenu de l'ouverture de son capital. Le président de l'entreprise, considérant que le conseil d'administration n'avait pas la confidentialité requise, ne souhaitait pas le saisir de ces opérations et, d'une façon générale, des grandes opérations stratégiques. Nous n'avons jamais accepté cette situation, mais nous avons dû nous y résigner.

M. le Président : Comment le président pouvait-il agir de la sorte alors que vous n'étiez pas d'accord ?

M. Nicolas JACHIET : Je vous expliquerai comment nous avons réagi après ces deux dossiers. Une solution de moindre mal, sans être totalement satisfaisante, aurait été que l'Etat, actionnaire majoritaire, ait au moins à se prononcer après avoir eu communication de toutes les informations. Le principe de l'acquisition des deux entreprises a été présenté par le président de France Télécom. Dans le cas de NTL, nous avions eu un peu d'informations sur la stratégie sous-jacente. Dans le cas de Mobilcom, au contraire, nous n'en avons pas eu. Après avoir évoqué ces deux investissements chez le ministre, France Télécom, contrairement à ce que nous lui avions demandé, ne nous a pas fourni d'informations détaillées et a conclu les deux opérations sans nous soumettre d'informations et sans avoir recueilli l'accord de l'Etat.

On peut cependant différencier un peu NTL et Mobilcom. Dans le cas de NTL, je vais être tout à fait précis, il y a eu une réunion chez le ministre et elle a été précédée par une réunion dans mon bureau au cours de laquelle l'orientation stratégique a été présentée. Nous avions indiqué au ministre, par une note préalable à sa réunion avec le président de l'entreprise, qui était d'ailleurs consacrée à beaucoup d'autres sujets, que cette orientation nous paraissait bonne, sous réserve d'éléments plus précis de cadrage financier, éléments que nous n'avons jamais eus. Nous avons été informés de la conclusion de cette opération dont l'élément essentiel était l'achat par NTL d'une société qui s'appelait Cables and Wireless communications en Grande-Bretagne, postérieurement à une présentation devant les analystes financiers de Londres, qui avait eu lieu juste après la conclusion de l'accord. C'est la raison pour laquelle j'en garde un souvenir désagréable.

Encore une fois, nous étions informés de l'orientation. A l'époque, elle nous paraissait bonne, même si, aujourd'hui, on peut admettre qu'il n'était pas forcément judicieux de s'intéresser au câble britannique. Mais n'oubliez pas que la stratégie était jugée bonne par tous les commentateurs, car la convergence de la téléphonie fixe, du câble et de l'Internet s'accélérait.

Le dossier Mobilcom est malheureusement plus insatisfaisant encore : seul le nom de l'entreprise m'a été mentionné dans un entretien avec M. Vinciguerra, par ailleurs consacré à beaucoup d'autres sujets. Je crois savoir qu'il a fait état de cet entretien lors de son audition par la commission. Mes notes de cette réunion ne consacrent à ce dossier que quelques lignes sur quatorze pages et demi. C'était la première fois que j'entendais parler de cette société que j'ai d'ailleurs mal orthographiée. Quant à la note préparatoire à l'entretien que le ministre a eu quelques jours après, elle portait sur de tout autres sujets et n'évoque pas Mobilcom. Nous n'avions pas compris qu'il y avait une volonté de l'entreprise de conclure rapidement. D'ailleurs, le sujet a été évoqué en deux minutes chez le ministre, parmi bien d'autres. J'ai relu, là aussi, mes notes d'entretien : le ministre n'a pas réagi sur ce point particulier. Quelques jours après, nous apprenions la conclusion, dans la nuit, de l'accord en question.

Nous avons alors recueilli - postérieurement -, des informations qui nous ont conduits à admettre que la stratégie paraissait sans doute valable dans la perspective de l'UMTS en Allemagne - au demeurant, tout le monde convenait qu'il s'agissait d'une bonne stratégie - mais que le prix était cher.

M. le Président : C'est très important, et nous sommes heureux d'avoir cette discussion avec vous, parce que M. Vinciguerra nous a dit avoir discuté avec vous-même du détail de l'opération, le 13 mars 2000. C'est totalement contradictoire avec ce que vous venez de nous indiquer.

D'après vous, comment peut-on faire pour qu'une chose de cette nature ne se reproduise pas ?

M. Jean-Pierre JOUYET : C'est une situation qui s'explique par un contexte historique, marqué par le manque d'autonomie des entreprises publiques. Toute autorisation, contrôle par une autorité administrative ou autre était alors assimilé à un processus « bureaucratique ». Des dispositions réglementaires existaient pour contrôler ce type d'investissement à l'étranger, mais au moment où les entreprises publiques ont entrepris ce mouvement d'internationalisation qui, dans au moins deux cas, est à l'origine de difficultés majeures, les pouvoirs publics se sont trouvés privés, s'agissant de France Télécom, des moyens d'instructions préalables dont ils disposaient en vertu du décret de 1953.

Pour pallier cette carence, il faudrait suivre les procédures utilisées dans d'autres secteurs, y compris dans le privé. Les projets doivent être soumis aux actionnaires sur des bases très confidentielles, dans le cadre de comités spécialisés, qu'il s'agisse de comités d'audit ou de comités stratégiques. La comparaison entre les éléments patrimoniaux et ce qui est nécessaire au développement de l'entreprise doit être particulièrement bien examiné, il faut qu'il y ait des discussions très approfondies sur les risques et l'intérêt stratégique. On peut sans doute discuter d'Orange, mais il y a eu un dialogue de ce type, même si nous aurions souhaité qu'il soit encore plus approfondi. Mais dans les autres cas, il n'y a jamais eu de discussions, et ce qui a fait défaut très souvent, c'est que l'on ne connaissait pas la réalité des engagements hors-bilan des entreprises, ou les détails juridiques des engagements pris avec tel ou tel partenaire sur le plan international.

M. le Président : Aviez-vous alerté le ministre de l'économie et des finances de l'ampleur des risques inhérents à une stratégie d'expansion, dont le financement reposait sur des cessions d'actifs non réalisés, sur la mise en bourse future d'activités nouvelles (mobile et Internet), et surtout sur des échanges d'actions assorties d'obligations de reprise ? Des notes décrivaient-elles clairement la nature de ces risques ?

M. Jean-Pierre JOUYET : Il ressort des notes établies par la direction du Trésor que, dès mars 2000, on pouvait accompagner le développement international de l'entreprise France Télécom, mais qu'il fallait mettre en regard de ce développement, nécessaire pour sortir de l'impasse de la rupture des accords avec Deutsche Telekom, la réalité de la structure financière de l'entreprise, en mettant l'accent sur le fait que les valorisations existantes n'étaient pas éternelles. En 2001, nous avons constamment indiqué au ministre qu'il était absolument nécessaire, pour maintenir ce développement, de procéder à un désendettement et à des cessions d'actifs. Mais, à partir du printemps 2001 où le cours de l'action de France Télécom s'élevait aux alentours de 70 euros, les marchés se sont effondrés. C'est pourquoi la stratégie de désendettement n'a pu être mise en œuvre.

M. le Rapporteur : Je voudrais poursuivre la discussion que nous avons entamée sur la confidentialité des travaux des conseils d'administration. Il est évident que les études préalables à une prise de participation, notamment dans une entreprise étrangère, doivent être menées avec la plus grande confidentialité possible. Son respect vous paraît-il compatible avec la composition même du conseil d'administration ? C'est une question que nous avons évoquée avec M. Bon dans cette même enceinte. Lui-même nous disait que la présence, au sein du conseil d'administration, de représentants du personnel élus, et donc tenus de rendre compte à leurs électeurs, compromettait cette confidentialité.

Quelles conclusions, selon vous, faut-il en tirer sur la composition du conseil d'administration ou sur la possibilité de l'associer aux opérations de cette nature ?

M. Jean-Pierre JOUYET : Les administrateurs salariés sont soumis aux mêmes droits et aux mêmes obligations que les autres administrateurs, mais en n'acceptant pas, dans certains cas, les contraintes liées à leurs fonctions, ils se sont parfois placés en dehors du champ voulu. Il a donc fallu trouver d'autres modes d'instruction des dossiers, même si, j'y insiste, la décision finale revient toujours au conseil d'administration. Mais les modes d'instruction peuvent être effectivement différents.

M. le Rapporteur : Dans la mesure où les dossiers sont effectivement présentés devant le conseil d'administration... (Sourires)

M. Jean-Pierre JOUYET : En effet ! Ou bien, il s'agit d'un mandat d'administrateur, avec les droits et obligations qui s'y attachent, et il n'y a aucune raison que les instructions n'aient pas lieu normalement au conseil d'administration, ou bien - ce qui se fait de plus en plus, et je crois que c'est cette voie que l'on recommandera -, il faut procéder à des instructions dans des comités spécialisés, quitte à ce que la décision finale soit prise par le conseil d'administration et que chacun puisse s'exprimer sur le projet. L'instruction, elle, doit se faire dans les comités stratégiques et d'audit.

M. Nicolas JACHIET : De fait, c'est ce que nous avons fait à France Télécom, après l'épisode de Mobilcom. Il est bon d'associer d'autres administrateurs, notamment des chefs d'entreprises dont les compétences peuvent être utiles.

M. Jacques MASDEU-ARUS : Mon intervention portera sur EDF. La prise de contrôle d'Edenor en Argentine a été réalisée au printemps 2001. A cette date, la situation financière et politique de l'Argentine était déjà connue et préoccupante. La direction du Trésor a-t-elle mis en garde sur les risques que représentait cet investissement ? Dans l'affirmative, quand et comment ? En tout état de cause, EDF a procédé à cette acquisition. Qui a pris la décision de l'autoriser ? Le ministre ou le directeur du Trésor ?

L'investissement dans Montedison, en Italie, s'est réalisé en plusieurs étapes. Quel a été le rôle de la tutelle pour chacune d'elles ? La direction du Trésor a-t-elle été consultée sur l'acquisition des 20 % du capital de Montedison par EDF ? Si oui, quelle était votre analyse ? Après la limitation des 2 % de ses droits de vote, EDF a passé un accord avec Fiat pour lancer une OPA sur Montedison. Avez-vous été consulté, et émis un avis ou un jugement sur cet accord ? Ne vous paraît-il par excessivement favorable à Fiat s'agissant, d'une part, du prix d'acquisition de la société Fenice, et, d'autre part et surtout, des différentes options d'achat et de ventes relatives à des titres de la holding contrôlant Montedison ?

Les commissaires aux comptes que nous avons entendus ici même nous ont indiqué qu'ils avaient provisionné une perte de 100 millions d'euros sur le contrat de la cogénération de la centrale de Gonfreville. Avez-vous mis en garde la direction d'EDF sur les risques que présentait ce projet ? Quand et comment ? Et comment a-t-on pu laisser faire cet investissement qui, aujourd'hui, coûte très cher à EDF ?

M. Jean-Pierre JOUYET : Ces questions mettent bien en évidence les limites du développement international des entreprises publiques.

S'agissant d'Edenor, ma réponse sera extrêmement claire : le Trésor a fait savoir qu'il fallait attendre avant de réaliser cet investissement. Je tiens d'ailleurs à la disposition de la commission les annotations que j'avais faites sur le projet. Le Trésor a donc indiqué qu'il fallait attendre que la situation soit stabilisée, mais il n'a pas été suivi. Il a bien fallu ensuite prendre acte du fait que cet investissement devait se réaliser. En soi, la situation en Argentine me paraissait suffisamment dégradée pour ne pas s'engager plus avant dans ce pays. Tel était le sens des observations que nous avons faites. J'ajoute qu'EDF est présente en Argentine depuis 1992. Il fallait sans doute compléter le premier accord et bien harmoniser les liaisons avec le partenaire argentin. Il y avait des problèmes de contrôle à résoudre, ce que je ne nie pas.

En ce qui concerne l'Italie, qui représente aujourd'hui un engagement hors bilan de 5 milliards, Nicolas Jachiet et moi-même étions tous les deux ensemble le soir même où nous avons appris, a posteriori, la prise de participation d'EDF dans Montedison.

M. le Président : A posteriori ?

M. Jean-Pierre JOUYET : Eh oui, a posteriori !

M. Nicolas JACHIET : Un jour de mai 2001, le directeur financier d'EDF m'a dit : « ce soir, nous allons atteindre 11 % de Montedison que nous achetons depuis quinze jours ».

M. Jean-Pierre JOUYET : Voilà à quelle situation nous avons été confrontés. Pour ma part, j'ai fait valoir ayant quelques connaissances dans le domaine industriel, que Montedison ne me paraissait pas la société italienne la moins connue, et ayant quelque expertise dans le domaine européen, que l'opération ne me semblait pas susceptible de nous attirer les réactions les plus favorables de la part de nos partenaires européens et de la Commission européenne, enfin que la méthode suivie était inacceptable.

Le ministre nous a suivis, a pris acte de la situation, et a souhaité que la participation d'EDF soit limitée. Elle l'a donc été à 20 %, puisqu'à l'origine, 23 % avaient été pris dans la société Montedison, et il y a eu revente de 3 %. Mais, quand bien même nous avons émis nos avis, et que le ministre s'est prononcé - c'est là où nous revenons à la question de fond soulevée par le président et le rapporteur - l'opération a tout de même été maintenue, car vous êtes obligés, en instruction technique, de faire en sorte que les conséquences soient les plus contenues possibles. C'est ce que nous avons cherché à faire, à la fois dans l'investissement italien et dans l'investissement argentin.

S'agissant de l'investissement italien, le rapport de force a été plus favorable à Fiat qu'à EDF, comme le révèle sans doute le prix d'acquisition de Fenice. Mais, sur un plan stratégique et à plus long terme, et compte tenu de l'évolution du groupe italien, on ne peut que constater que l'intérêt stratégique de cette opération est réel.

M. Nicolas JACHIET : Autant le conseil d'administration n'a pas été associé à l'acquisition d'actions de Montedison, autant il a été amené à délibérer sur les accords avec Fiat puis, plusieurs mois plus tard, de nouveaux accords avec cette société. A cette occasion, deux conseils d'administration et un comité d'audit se sont même tenus en 24 heures.

M. le Président : Je voudrais revenir sur la confidentialité dont nous aurons aisément compris l'enjeu pour France Télécom. A l'inverse, je ne suis pas du tout persuadé que ce problème se pose avec la même acuité à EDF. Alors, pourquoi certains dossiers ne passent-ils pas au conseil d'administration ?

M. Nicolas JACHIET : Dans le cas d'EDF, le conseil d'administration, c'est vrai, a été amené, beaucoup plus souvent, à se prononcer sur les opérations, du moins sur leur principe. Dans de nombreux cas cependant, les investissements ont été faits par EDF international, filiale d'EDF, et la décision précise était prise après accord des ministres compétents et du conseil d'administration d'EDF international, sans nécessairement passer en conseil d'administration d'EDF. Dans le cas des accords avec Fiat, ce sont des engagements d'EDF maison mère qui sont passés en conseil d'administration.

M. Jean-Pierre NICOLAS : L'activité d'EDF en 2002 aurait-elle pu être bénéficiaire sans la conjonction d'éléments exceptionnels ? Je pense, en particulier, à la renégociation du contrat de fournitures à la SEP, la réduction des provisions pour l'aval du cycle combustible, la reprise des provisions pour le maintien du potentiel hydraulique, les plus-values de cessions des titres Péchiney, soit au total à peu près 2 milliards d'euros. Avez-vous conscience de ces résultats 2002 et comptez-vous demander à EDF de redresser cette situation financière ?

Compte tenu de la dette brute qui avoisine les 30 milliards, de l'engagement hors bilan dont la probable soulte pour la retraite, qui représente quelque 24 milliards, la dette « réelle » d'EDF est certainement voisine de 50 milliards. Est-elle compatible avec la suppression exigée par la Commission européenne de la garantie que l'Etat apporte à EDF ?

On débat de l'augmentation des tarifs d'EDF. Quelle en serait la justification, sachant que, de 1996 à 1999, EDF avait combiné une forte réduction des tarifs pour toutes les catégories de clients, avec un désendettement important et de bons résultats ? S'agit-il maintenant de compenser les pertes à l'international, l'insuffisance des résultats des trois dernières années et l'augmentation de la dette ?

M. Jean-Pierre JOUYET : La structure financière d'EDF, c'est incontestable, n'évolue pas dans le bon sens, compte tenu des éléments indiqués par M. le député, qui sont exacts. La progression de la dette est importante à 16 %, et les engagements hors bilan sur des opérations internationales augmentent nettement. Nous devons surveiller de près plusieurs engagements dans des pays européens.

Pour vous répondre très clairement, il me paraît important d'améliorer le pilotage financier du groupe, d'accroître la productivité et les cessions d'actifs qui ne sont pas indispensables, et de redresser cette situation financière dégradée, dès avant l'impact des charges des retraites.

M. Hervé MARITON : Quels enseignements, de nature organisationnelle ou réglementaire, tirez-vous des épisodes Mobilcom et NTL ? Quelles propositions formulez-vous au ministre pour que de tels dysfonctionnements ne se reproduisent pas ?

Vous avez évoqué le contexte de concertation entre les représentants de l'Etat, et vous avez distingué les représentants de l'administration des personnalités qualifiées. On a pu entendre, de la part de certains d'entre eux, qu'ils avaient le sentiment d'être un peu en apesanteur dans la fonction qui leur avait été assignée. Comment peut-on justifier une telle distinction ?

M. Jean-Pierre JOUYET : Ce qui nous paraît le plus important, au vu de notre expérience, c'est véritablement d'assurer plus d'unité au sein de la représentation de l'Etat actionnaire, plus d'autorité, d'expertise et de visibilité, de façon à ce que vous ayez un lieu unique qui ne puisse pas être circonvenu pour l'instruction technique des dossiers, les modalités de représentation de l'Etat actionnaire, et le compte rendu à l'autorité politique, quelle qu'elle soit. A partir du moment où vous avez plusieurs canaux, plusieurs chaînes, et que vous avez la possibilité de contourner les circuits normaux, l'Etat actionnaire ne peut pas exercer correctement ses missions. C'est ma première recommandation.

La deuxième recommandation est de renforcer les exigences en termes de gouvernance d'entreprises, qu'elles soient d'ailleurs privées ou publiques, en mettant en place des comités spécialisés, composés de personnalités indépendantes, qui assistent les représentants de l'Etat dans leur rôle au sein des conseils d'administration, afin que ces derniers soient plus actifs. Cela implique que la procédure de nomination des responsables d'entreprises soit bien revue et que des avis soient donnés sur l'ensemble du management des entreprises publiques, car l'autorité s'exerce aussi de cette manière.

Mais il ne faut pas également oublier le hiatus entre les formes d'exercice traditionnel de la tutelle et de l'Etat actionnaire et le développement international de ces entreprises publiques. La carence structurelle est qu'il n'y a pas eu d'alignement entre cette expansion, voulue pour un certain nombre de raisons, mais sur lesquelles on doit s'interroger dans un cadre européen, et les moyens qui y étaient affectés.

M. Hervé MARITON : Dans l'instant, aviez-vous jugé de votre responsabilité de formuler des propositions au ministre pour pallier ces difficultés ?

M. Jean-Pierre JOUYET : Plusieurs propositions ont été faites au ministre en matière de gouvernance, d'exercice des fonctions d'administrateur, et d'autres encore, notamment afin que les comités spécialisés soient développés au sein des entreprises publiques.

M. le Président : En quoi l'Agence des participations proposée par le ministre de l'économie et des finances diffère-t-elle du service des participations de la direction du Trésor ? L'annonce de sa création a, d'ores et déjà, suscité un débat au sein de notre commission. Le simple bon sens nous faisait dire que l'on avait le choix entre maintenir la compétence du ministère de l'économie et des finances, avec tout ce que cela suppose, notamment en termes de nomination des dirigeants - bien qu'il importe de savoir si l'on ne peut pas améliorer les procédures en la matière, par exemple en s'inspirant du modèle qui prévaut pour les grandes entreprises privées où tous les actionnaires sont consultés- et une Agence indépendante. Quelle différence y a-t-il entre une Agence qui dépend du Trésor et un service qui dépend du Trésor ?

M. Jean-Pierre JOUYET : La différence réside dans l'autonomie de cette Agence par rapport à ce qu'était le service dans sa forme antérieure. Cette Agence disposera, d'une part, de plus de moyens humains et logistiques et, d'autre part, bénéficiera d'une expertise plus diversifiée. Elle pourra faire appel à des personnalités du secteur privé, ce que nous ne faisons pas, pour des raisons que je n'ai pas à développer et que chacun connaît, que ce soit dans le domaine comptable, dans le domaine juridique ou financier.

M. le Président : Une capacité d'expertise plus forte ?

M. Jean-Pierre JOUYET : Oui. Deuxièmement, nous espérons que cette Agence regroupera l'ensemble des moyens, car, vous l'avez remarqué, il y a quand même un certain éparpillement dans la représentation de l'Etat. Il y aura une meilleure coordination, une meilleure représentation, des experts budgétaires, des personnes qui connaissent certainement mieux les infrastructures d'équipement ou de défense, toutes expertises qui sont utiles lorsqu'on s'occupe d'une entreprise publique.

Le rattachement au ministre de l'économie et des finances par l'intermédiaire du directeur du Trésor s'explique par des raisons largement logistiques. Cela dit, l'Agence aura véritablement une autonomie de décision. Pour être clair, ce ne sera pas le directeur du Trésor qui sera représentant au conseil d'administration, mais des administrateurs professionnels, choisis au sein de cette Agence, qui s'engageront pour un certain temps. C'est un gage de pérennité, de plus grande stabilité.

Enfin, cette Agence aura une plus grande visibilité et sera investie de plus de pouvoirs que ne l'est le service à l'heure actuelle. En la matière, l'ensemble des moyens sera concentré dans le cadre de l'Agence.

M. le Président : En quoi l'Agence éviterait-elle les contournements ?

M. Jean-Pierre JOUYET : Dès lors que l'Agence sera investie d'un ensemble de pouvoirs, avec des expertises très diversifiées, et qu'il y aura unicité des administrateurs représentant l'Etat, vous n'aurez plus à aller dans tel ou tel endroit pour savoir quelle sera la position de tel ou tel en conseil d'administration, savoir s'il faut construire un pont à tel endroit plutôt qu'à tel autre...

M. le Président : Dans son rapport, M. Barbier de La Serre préconise la généralisation de contrats de service public. Selon vous, est-ce de nature à clarifier et à renforcer le contrôle exercé par l'Etat actionnaire ?

M. Jean-Pierre JOUYET : Cela dépassera le cadre de l'Agence et ce sera fonction de vos réflexions. Autant l'Etat actionnaire va se concentrer sur le développement de l'entreprise et des aspects patrimoniaux, autant les contrats de service public peuvent prendre en compte des préoccupations d'aménagement du territoire, des préoccupations sociales ou de missions de service public qui concernent l'ensemble du champ de l'activité gouvernementale.

Dernier point sur l'Agence : pour rappeler qu'elle aura plus de visibilité, des relations plus autonomes et plus indépendantes, qui permettront à ses responsables de rendre des comptes et d'être davantage en contact et en relation avec le Parlement.

M. le Président : Quel est votre avis sur la procédure de nomination des dirigeants ?

M. Jean-Pierre JOUYET : C'est un avis personnel, mais je pense, comme vous, que les procédures de nomination doivent être aménagées de telle manière que l'on assure un vivier dans le recrutement des dirigeants d'entreprises publiques. Nous ne disposons pas d'un tel vivier aujourd'hui, ou nous le connaissons mal, et ce sera un des travaux de l'Agence que de faire comme dans toutes les autres collectivités privées : repérer les cadres de 30 ans, 35 ans, 40 ans, 45 ans qui peuvent être les dirigeants de demain. Cela, le secteur public, aujourd'hui, le fait beaucoup moins bien que d'autres.

Ensuite, pour avoir suffisamment d'autorité, le responsable de l'Agence doit donner son avis, et un avis d'une portée suffisante, sur les nominations qui sont proposées, non seulement celle du président, mais également celle du directeur général et du directeur financier.

M. Hervé MARITON : Et pour la désignation des administrateurs externes et des personnalités qualifiées ?

M. Nicolas JACHIET : Ce que l'on attend de ces personnalités, c'est qu'elles expriment leur opinion en conseil. A chaque fois que j'ai pu m'entretenir avec certaines d'entre elles, j'ai toujours indiqué que, ce qui nous intéressait, était leur opinion, non la position que l'Etat aurait déjà prise.

M. le Président : Cette liberté de parole ne s'applique qu'aux seules personnalités qualifiées ?

M. Nicolas JACHIET : Certes non, mais l'indépendance de décision est leur raison d'être, quel que soit, par ailleurs, leur titre. Il existe en effet des subtilités juridiques. A France Télécom, par exemple, il n'y a pas de personnalités qualifiées, car l'Etat ne détenant pas plus de 90 %, la loi de démocratisation du secteur public est ainsi faite qu'il ne peut y avoir que des représentants des actionnaires, soit de l'Etat, soit des actionnaires privés. Ainsi, ai-je, pour ma part, toujours invité ces personnalités à exprimer leur opinion en conscience.

M. le Président : En vain ?

M. Nicolas JACHIET : Non, certains le font, d'autres ont sans doute un emploi du temps trop chargé pour s'intéresser en profondeur au dossier. C'est d'ailleurs un problème que de ne pas multiplier les réunions, afin que ces personnalités puissent être assidues aux séances des conseils d'administration.

M. le Président :  Lorsque nous avons commencé nos travaux, M. Cohen nous a dit qu'il y avait, dans le tiers du conseil d'administration spécifiquement réservé aux personnalités qualifiées, des clients et des fournisseurs des entreprises publiques. Qu'en pensez-vous ?

M. Nicolas JACHIET : Pas du bien ! Certains textes réglementaires, en effet, imposent des représentants des usagers particuliers ou professionnels. Mais le gouvernement a su interpréter intelligemment ces règles. Par exemple, le représentant des usagers professionnels au conseil d'administration d'EDF est Louis Schweitzer dont la personnalité et l'ampleur de vue sont extrêmement utiles. Parfois, c'est une situation moins satisfaisante qui prévaut.

M. Claude BARTOLONE : Je souhaiterais revenir sur la question de l'Agence. Nous cherchons à améliorer la gestion de ces entreprises publiques. La question de l'endettement d'EDF a notamment ému la représentation nationale. Imaginons que l'Agence ait été créée en 1996. Aurait-elle pu mettre en cause le développement international d'EDF ? Quelle aurait pu être sa position sur les acquisitions au Brésil, en Argentine et en Italie ? Avons-nous l'assurance que le système qui se crée pourra répondre à nos préoccupations ? En faisant de la politique fiction, l'Agence aurait-elle pu s'opposer, oui ou non, au développement international d'EDF ? Sur quelle base aurait-elle pu prendre position ?

M. Jean-Pierre JOUYET : Tout dépendra du pouvoir dont sera investi le directeur général de l'Agence, du pouvoir et de l'expertise dont il sera doté. L'expertise lui donnera la possibilité de s'assurer de la rentabilité des investissements projetés. L'autorité qu'il devra avoir supposera que ces investissements soient portés à la connaissance des pouvoirs publics, en amont, compte tenu des règles de confidentialité qui doivent garantir ces opérations, et de leur urgence. S'il a l'autorité, le jugement et l'expertise, il n'y aucune raison que les aberrations que l'on a connues dans certains cas se reproduisent. J'en suis convaincu, et nous avions d'ailleurs pressenti un certain nombre de risques, notamment en Amérique latine. Mais, pour éviter toute ambiguïté, je veux rappeler que la stratégie internationale d'EDF ou d'un grand groupe public est une décision politique. L'Agence, elle, examinera ce qui est compatible avec les moyens de l'entreprise, les moyens humains, en termes de durabilité, mais la stratégie internationale des groupes publics français est décidée à un niveau qui n'est pas forcément celui de l'Agence ni celui de la direction du Trésor.

M. Jean GAUBERT : Tout compte fait, n'a-t-on pas affaire, avec France Télécom, à l'échec d'une certaine pensée unique ? Pendant la période d'euphorie, on nous a expliqué qu'il n'y avait pas de modérateurs, et personne, au cours des années 1999 à 2001, ne se posait vraiment la question de la durabilité de la situation. Peut-on être sûr qu'une Agence des participations évitera cet écueil ? Par ailleurs, chaque entreprise ne risque-t-elle pas de se retrouver avec deux patrons à sa tête, le président du conseil d'administration, et un super-patron qui sera le président de l'Agence des participations ? N'y aura-t-il pas des problèmes de dualité de management ?

La question de l'endettement a été évoquée. Elle est justifiée, mais je veux tout de même rappeler que la soulte pour les pensions ne date ni d'hier ni d'avant hier. Elle résulte de textes appliqués sans changement depuis 1945, et la question ne se pose que dans le cadre du changement de statut d'EDF. Ceci posé étant, on vient d'encourager l'entreprise à prendre une participation dans Vivendi Environnement. Si l'entreprise est vraiment trop endettée, est-il raisonnable de l'encourager à prendre d'autres participations ?

M. Jean-Pierre JOUYET : Je tiens à votre disposition mes annotations relatives à ladite participation. Tout comme vous, je reconnais l'aspect stratégique de cette décision, mais la contradiction que vous soulignez n'avait pas échappé au directeur du Trésor.

En ce qui concerne les règles de représentation, il faut être simple. Dans le secteur privé, vous avez des dirigeants d'entreprise, des directeurs généraux, des présidents de conseils d'administration, et vous avez des actionnaires majoritaires. Ces derniers ont des représentants dans les groupes privés. On n'entend pas un dirigeant d'une entreprise privée dire qu'il y a plusieurs patrons. Mais il sait qu'il a un actionnaire, et un représentant de l'actionnaire, et que, lorsque ce dernier n'est pas content, il demande de changer ceci ou cela. Je ne prendrai pas d'exemples récents, mais j'ai vu, dans des groupes privés, certains mouvements concernant les directeurs financiers sans que l'on s'alarme du fait qu'il y ait plusieurs patrons à bord. C'est la règle normale du partage des fonctions entre ce qu'est l'actionnaire et ce qu'est le dirigeant de l'entreprise. Ce dernier a pour but de faire des propositions d'orientations, et de conduire son entreprise. L'actionnaire, lui, doit regarder les aspects patrimoniaux, se prononcer sur les grandes orientations de la stratégie, et savoir si les hommes sont adaptés à la conduire, de manière sage et efficace, au regard du patrimoine qu'il a engagé.

M. Jean GAUBERT : Et sur la pensée unique ?

M. Jean-Pierre JOUYET : Je dois avouer ou confesser que beaucoup ont fait des erreurs durant ces années. Lorsqu'on fait de la politique fiction, pour reprendre l'expression de M. Bartolone, et qu'on regarde en arrière, je suis frappé de voir comment le marché a salué toutes les opérations qui sont aujourd'hui sous les projecteurs et qui font l'objet de nos débats. Il est vrai aussi que, en ce qui concerne France Télécom, nous étions véritablement à la recherche de solutions de remplacement après l'échec de la stratégie d'accord avec Deutsche Telekom. A partir de ce moment, la véritable critique est de savoir s'il y avait une stratégie suffisamment à long terme, et si on n'a pas, à l'exception d'Orange, trop avancé au coup par coup pour compenser la rupture de l'accord avec Deutsche Telekom. C'est à mon avis la vraie question.

M. le Président : Avez-vous l'impression d'avoir été court-circuité par des chefs d'entreprise, en particulier s'agissant de NTL et Mobilcom ?

M. Jean-Pierre JOUYET : Mon but est de dire toute la vérité. Mon sentiment, c'est que, dans un certain nombre de cas, le ministre et le Trésor ont pu être « court-circuités », comme vous dites...

M. Nicolas JACHIET : J'ai la même appréciation. Le ministre, lui aussi, a été court-circuité quelquefois, spécialement pour NTL et Mobilcom.

M. Jean-Pierre JOUYET : Même dans le bureau d'un ministre, certains sujets sont évoqués de manière très allusive. C'est à cela qu'il faut remédier.

M. le Rapporteur : Vous avez fait état des limites de l'internationalisation de l'activité des entreprises publiques. La question est évidemment au cœur des réflexions de notre commission d'enquête. En la matière, existe-t-il des limites différentes de celles des entreprises privées ?

M. Jean-Pierre JOUYET : Je répondrai à titre personnel, et non pas dans le cadre de mes fonctions, car j'ai un certain nombre de convictions qui ne sont peut-être pas toujours véritablement goûtées. Mais il me semble qu'on doit faire toujours plus attention à l'expansion internationale d'une entreprise publique, car c'est le patrimoine public qui est engagé. Avec l'expérience européenne que j'ai acquise, j'ai le sentiment que, lorsque nous avons nous-même à faire face à des opérateurs ou des prises de contrôle publiques dans notre pays, nous y faisons extrêmement attention pour des raisons de souveraineté, et je comprends que d'autres fassent également attention à cela. C'est la raison pour laquelle j'ai toujours considéré qu'une internationalisation était souhaitable pour faire face à la concurrence et briser un certain nombre d'isolements. C'est en cela que je dis que le développement international est une nécessité. Mais c'est toujours pourquoi j'ai pensé que le développement international des entreprises publiques devait aller de pair avec les évolutions statutaires et capitalistiques concernant ces entreprises.

Audition de M. François AILLERET,
ancien Président d'EDF International

(Extrait du procès-verbal de la séance du 29 avril 2003)

Présidence de M. Philippe DOUSTE-BLAZY, Président

M. François Ailleret est introduit.

M. le Président : Nous avons commencé d'examiner la situation financière d'EDF et constaté que l'entreprise avait procédé, au cours des dernières années, à plusieurs acquisitions très importantes à l'étranger qui pèsent incontestablement aujourd'hui sur les comptes. En outre, les modalités de financement de ces opérations nous interpellent, notamment quand elles peuvent être issues des provisions pour démantèlement des centrales nucléaires.

Comment ces différentes opérations ont-elles été décidées ? Quel a été votre rôle ? Comment la direction et le conseil d'administration sont-ils intervenus ? Comment la position de l'Etat s'est-elle manifestée ?

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Ailleret prête serment.

M. François AILLERET : J'ai fait l'essentiel de ma carrière dans une entreprise publique, d'abord à Aéroport de Paris, pendant douze ans, puis à EDF, pendant vingt-deux ans, où j'ai été directeur général de 1994 à 1996, avant d'être administrateur. J'en ai été également le premier président du comité d'audit en 1999 ; en 1997, j'ai été nommé président d'EDF International, jusqu'à mon départ à 65 ans, en juillet 2002.

Je suis également membre du conseil économique et social et président de l'association française de normalisation.

Je parlerai d'abord du développement international d'EDF. C'est en 1987 que la Commission européenne a pris très clairement une orientation de libéralisation du marché de l'électricité en Europe. A EDF, nous nous sommes tout de suite dit que l'objectif prendrait peut-être du temps, mais qu'il avait un caractère inéluctable, avec comme conséquence, à terme, de réduire la croissance d'EDF et peut-être même son activité en France. Il convenait donc de rechercher de nouveaux domaines de développement, d'une part en essayant de trouver d'autres métiers en France - mais le principe de spécialité nous a quasiment bloqués - d'autre part en portant notre activité à l'étranger. Ce dernier objectif est d'ailleurs la première raison du développement international.

Le positionnement d'EDF, sur le marché, est une deuxième raison. Notre important parc de production exporte à l'étranger dans de bonnes conditions : il est donc à valoriser. Cela dit, nous savions bien qu'un jour, il nous faudrait être proche d'éventuels clients internationaux, en nous implantant dans les pays étrangers.

Troisième et dernière raison : historiquement, EDF a toujours fait du conseil et de l'ingénierie à l'étranger. Par cette mission, nous avions également comme objectif d'ouvrir des marchés à l'industrie française. Des compagnies comme Alstom, Schneider Electric et d'autres encore, se sont ainsi placées, suite à des études faites par EDF. Nous avons pensé que c'était encore une autre raison de se développer à l'international.

Ce développement s'est toujours déroulé dans le cadre d'une politique de long terme, avec une double dimension, industrielle et financière. Les implantations à l'étranger peuvent se faire de deux façons, soit par des investissements dans de nouveaux projets, par exemple dans une centrale de production, soit par des acquisitions de sociétés déjà existantes.

A l'évidence, des conditions sont à remplir, notamment la séparation des comptes. C'est dans cet esprit que, dès 1990, EDF a décidé de mettre en place quatre holdings pour détenir des participations, trois pour des activités diverses en France, et une pour le développement international.

EDF a le contrôle intégral d'EDF International depuis le départ. Les administrateurs étaient, à l'origine, tous des membres d'EDF, mais depuis quelques années, deux administrateurs extérieurs ont été nommés ; ce sont aujourd'hui M. Philippe Rouvillois et M. Henri Proglio. La tutelle assiste évidemment aux séances du conseil d'administration.

Quels sont les différents acteurs dans une décision d'investissement à l'international ? D'abord, le conseil d'administration d'EDF, qui approuve la stratégie internationale de développement de l'entreprise et définit l'enveloppe de l'investissement international. Ensuite, le management d'EDF, c'est-à-dire le comité exécutif ou tel ou tel directeur de branches. Pour un projet donné, il revient à l'exécutif d'arrêter le niveau de l'offre à faire ou de l'engagement à prendre, et les traits essentiels du contrat. Puis il donne son feu vert pour qu'EDF International présente une offre précise. Troisième acteur : la tutelle et les ministères qui participent au débat sur la stratégie internationale et le contrat de groupe. C'est la tutelle qui donne son accord pour engager tout projet particulier, dès lors qu'il est supérieur aux seuils de délégation à EDF International. Dernier acteur, le conseil d'administration d'EDF International qui doit approuver les offres à faire pour des acquisitions ou les engagements financiers.

Par conséquent, il s'agit d'un système où plusieurs feux verts sont nécessaires : la conformité avec la stratégie et l'enveloppe d'investissement, la position des responsables exécutifs d'EDF, celle du conseil d'administration d'EDF International, et enfin, celle de la tutelle, étant entendu qu'un seul feu rouge peut bloquer le système.

Quant à la valeur ajoutée d'EDF, elle peut se résumer par ces mots : cantonnement, clarté, consolidation des comptes, mais aussi enrichissement des dossiers - car la même affaire venait souvent plusieurs fois au conseil d'EDF International -, activité de reporting et de suivi de gestion, transférée en 1999 dans les branches des directions d'EDF. Enfin, sur chaque affaire, il a été fait référence à la nécessité d'une prise de position de la tutelle. Ce point a été évoqué de façon systématique, comme en témoignent les procès-verbaux du conseil d'administration.

Je voudrais conclure sur quelques points importants. En allant à l'étranger, EDF, comme toute entreprise, prend un risque. Cela dit, ce risque est justifié pour en éviter un autre qui, lui, est majeur, et qui serait de voir l'activité d'EDF se réduire en peau de chagrin avec l'ouverture à la concurrence, sans possibilité de compensations sur son cœur de métier. Aujourd'hui, une entreprise EDF qui serait uniquement hexagonale serait affaiblie et confrontée à de redoutables problèmes.

Il faut également souligner que ce dossier doit être replacé dans une vision de long terme, puisqu'il ne s'agit pas de placements financiers. Le temps de l'entreprise est un temps long, surtout dans un domaine aussi capitalistique que l'électricité.

Enfin, le contrôle sur EDF et EDF International a été réel, mais multiforme et complexe. Sans doute y aurait-il lieu de réduire cette complexité pour mieux responsabiliser tous les acteurs du développement international de l'entreprise.

M. le Président : Pourquoi les seuils à partir desquels les engagements financiers ne sont pas présentés au conseil d'administration ont-ils été relevés en février 2001 ?

Par ailleurs, les comptes d'EDF International ont été publiés le 23 avril, avec un déficit d'un peu plus d'1 milliard d'euros, alors que le compte consolidé du groupe a été publié le 26 mars. Ce retard est-il ou non une anomalie ?

M. François AILLERET : Les seuils d'engagement avaient été fixés initialement à un niveau assez bas : 10 millions de francs pour les mandataires sociaux et 50 millions de francs pour le conseil d'administration d'EDFI. Ils ont été ensuite relevés en 1997, de façon sensible, et à nouveau, en 2001. Ceci est lié au nombre d'affaires à traiter. Le développement international d'EDF s'est fait de façon volontaire, par une montée en charge progressive. Il va de soi qu'au fur et à mesure que le nombre d'affaires et leur importance se développaient, il fallait que le conseil se concentre sur celles qui étaient les plus importantes.

Je ne suis plus président d'EDFI depuis quelques mois, donc, je suis les affaires de moins près. Mais je sais que les comptes étaient prêts au mois de mars, à quelques petits ajustements près. Ce n'est effectivement pas très satisfaisant de voir cette inversion de dates, même si elle est en fait beaucoup plus formelle que réelle. Mais c'est effectivement un point qui n'est pas satisfaisant, au moins dans la forme.

M. le Président : Vous avez parlé de reporting régulier auprès d'EDF. Le groupe a-t-il été pleinement informé des conditions du rachat par Light de Metropolina en avril 1998, financé par un prêt de 875 millions de dollars ? Des réserves ont-elles été faites à l'occasion de cette opération ?

M. François AILLERET : Bien évidemment, l'exécutif d'EDF était complètement informé. A l'époque, EDF était actionnaire minoritaire de Light. Or, cette société contrôlant la région de Rio de Janeiro et s'étendant à Sao Paulo, EDF trouvait là l'opportunité stratégique d'être présente dans deux très grandes agglomérations du Brésil, avec des synergies possibles.

Light était très peu endettée et pouvait donc s'endetter. La décision qui a été prise par le consortium, dans lequel nous n'étions qu'un des membres, a été de procéder sans apport de financement de la part des actionnaires de Light, mais uniquement sur endettement. C'est d'ailleurs un moment où l'effet de levier était considéré comme une pratique financière très efficace, devant être retenue dans de nombreux cas. Cela dit, et je pèse mes mots, car je sais dans quelle condition je témoigne, la tutelle a été insuffisamment informée de cette décision de contrôle de Metropolitana, même s'il s'agissait d'une bonne décision stratégique. La tutelle n'a pas été fortement associée parce que, jusque là, elle était consultée chaque fois que la maison mère avait à sortir de l'argent. Or, dans ce cas précis, il n'y avait pas à sortir de l'argent puisque c'était Light qui s'en chargeait. Il y a eu là une insuffisance, peut-être même une anomalie. En rassemblant tous mes souvenirs de cette période, c'est le seul cas où il y a eu une anomalie dans l'association de la tutelle à une décision.

Cette anomalie s'est d'ailleurs traduite par deux conséquences : d'une part, de revoir les pratiques avec la tutelle, car il n'est pas normal que lorsqu'une filiale prend une décision lourde, elle ne soit pas soumise à la tutelle ; d'autre part, il s'agit sans doute d'un des éléments qui a conduit EDF à considérer qu'il y avait quand même des difficultés, voire des risques à faire partie d'un consortium avec des parties prenantes qui avaient des stratégies de développement différentes. C'est cela qui a conduit EDF à dire qu'il convenait de reprendre la majorité dans les affaires quand on pouvait le faire, pour un meilleur contrôle de l'ensemble. Bref, il est clair que l'affaire Metropolitana est pour moi un point singulier.

M. le Président : Lors de son audition, Mme Rousseau, commissaire du gouvernement, nous a indiqué « qu'Edison avait été a priori le seul investissement important à avoir été examiné par le conseil d'administration d'EDF ». Comment expliquez-vous que les autres acquisitions n'aient pas donné lieu à un examen approfondi par le conseil d'administration d'EDF ?

M. François AILLERET : Mme Rousseau est commissaire du gouvernement depuis peu de temps, et je ne sais pas bien à quelle période elle fait référence. Je peux vous dire, moi, que le conseil d'administration d'EDF a été associé, de plusieurs façons, à toutes les grandes opérations, d'abord au niveau de la définition de la stratégie, à telle enseigne que, dans certains cas, on a précisé que le Mercosur figurait comme une des zones dans lesquelles on devait se développer. Le conseil d'administration a donc bel et bien été associé à la définition de la stratégie. Et il a été saisi à chaque fois qu'il y a eu une augmentation de capital d'EDF International, peut-être a posteriori, mais les opérations engagées étaient rappelées.

M. le Président : Vous avez bien dit a posteriori ?

M. François AILLERET : Le conseil est associé a priori à la définition de la stratégie de développement international, lorsqu'il s'agit par exemple de se développer en Europe, et on a pu dire qu'il faudrait être présent dans les pays voisins de la France parce qu'il y a un intérêt stratégique à cela.

M. le Président : Les acquisitions étaient-elles faites au moment du conseil d'administration ou a posteriori ?

M. François AILLERET : Des décisions ont probablement été prises au conseil d'administration d'EDF. Mais lorsqu'une décision était prise, elle se traduisait par un engagement d'EDF International qui devait constater qu'un certain nombre de feux verts étaient réunis. Premier feu vert : est-ce que c'est conforme à la stratégie approuvée par le conseil d'EDF ? Il existe d'ailleurs un cas où nous n'avons pas donné suite. Il s'agissait d'une opération qui concernait le Brésil, me semble-t-il, qui aurait donné lieu à un dépassement de l'enveloppe prévue au contrat de groupe pour le financement.

M. le Président : Les enveloppes étaient donc prévues par le conseil d'administration a priori, n'est-ce pas ?

M. François AILLERET : Globalement. On considérait que lorsque l'affaire était dans la ligne stratégique définie par le conseil d'administration et passait dans l'enveloppe, cela valait feu vert du conseil d'administration.

M. le Président : On peut donc comprendre ce que Mme Rousseau dit. Mais tout se fait dans le cadre d'une enveloppe pré-établie par le conseil d'administration.

M. François AILLERET : A ceci près qu'en 1992, par exemple, l'entrée dans Edenor a été traitée au conseil d'EDF. Lorsque nous nous sommes développés en Hongrie, l'affaire a été traitée au conseil d'EDF.

M. Jacques MASDEU-ARUS : La plupart des investissements internationaux d'EDF ont été réalisés par l'intermédiaire d'EDFI. Dans le cas de l'acquisition d'une partie du capital de Montedison, cela n'a pas été le cas. Pourquoi ?

Quant à la prise de contrôle d'Edenor en Argentine, elle a été réalisée au printemps 2001. A cette date, nous connaissions la situation financière et politique de l'Argentine, qui était déjà très préoccupante. Pourquoi le risque de dévaluation du peso argentin évoqué dans la presse française, avant que la prise de contrôle d'Edenor ne soit finalisée par EDFI, n'a-t-il pas été pris en compte ? A votre connaissance, la tutelle vous avait-elle mis en garde sur les risques que représentait cet investissement ?

Par ailleurs, pourriez-vous nous faire le point des investissements importants d'EDFI en Egypte et au Mexique ? Quelle synergie présentent-t-ils avec l'activité du groupe EDF ?

Dans l'ensemble, les résultats des filiales d'EDFI ne sont pas très satisfaisants, pour ne pas dire décevants : ces filiales enregistrent des pertes ou n'enregistrent pas de gains, ou ceux-ci très modestes. Comment expliquez-vous cette situation ?

M. François AILLERET : EDF est en Italie avec Edison depuis déjà assez longtemps, sur deux affaires, dans le sud de l'Italie et à Piombino. Il s'agit d'affaires qui ont été extrêmement rentables. Nous avons pu trouver avec Edison une sorte de niche tarifaire, avec une profitabilité très élevée. Nous avions d'autre part, avant l'affaire Montedison, manifesté de l'intérêt pour Fenice, tout ceci dans une approche industrielle. Si l'affaire Montedison n'a pas été traitée à EDFI, c'est parce qu'il s'agit d'une affaire qui a été abordée sur le plan financier. C'est le directeur financier qui a commencé à acheter des actions de Montedison, dans le cadre de son portefeuille de gestion de trésorerie. Ensuite, une perspective industrielle a été ouverte qui, au départ, n'avait pas été envisagée. Aujourd'hui, l'affaire Montedison relève encore d'EDF, et non d'EDFI, car la loi italienne - et la France le conteste largement - a limité à 2 % notre pouvoir en assemblée générale. Autrement, dit, notre participation est importante, mais nous n'avons pas de pouvoir. Ce n'est donc pas considéré encore aujourd'hui comme un projet industriel, puisque nous n'avons pas le pouvoir correspondant. Par contre, la question de Fenice a été traitée par le biais d'EDFI.

Quant à Edenor, il ne faut pas oublier que nous ne nous y sommes engagés en 1992 qu'à hauteur de 5 %, pour monter progressivement à 30 %. Au passage, lorsqu'on a acheté cette société avec d'autres, elle perdait 10 millions de dollars par an. Le directeur général venu d'EDF a redressé la situation de façon très remarquable, puisque nous sommes arrivés à un résultat de plus de 10 millions de dollars par an en un très petit nombre d'années. Donc, il s'agit d'une société qui marchait bien et qui - c'est étonnant dans la situation actuelle - continue à très bien marcher, puisque les clients continuent à payer. L'argent rentre très bien. Malheureusement, il s'agit de pesos qui valent le tiers de leur valeur initiale. Ce n'est donc pas favorable à la santé financière de la société, mais elle ne s'est pas du tout délitée. Professionnellement, elle marche bien.

Nous avons constaté au bout d'un certain temps qu'avec Endesa, notre partenaire espagnol, il y avait quelques difficultés. Alors qu'il s'agit d'un partenaire historique dans l'Europe des monopoles, on devenait de plus en plus concurrents en Europe. Donc, les relations ont changé de nature. D'autre part, Edenor a pris le contrôle de l'autre société Edesur, ce qui n'était pas conforme à ce que les Argentins avaient demandé. Ils ne pouvaient pas garder les deux, mais il y a eu une période intermédiaire pendant laquelle ils avaient les deux, et nous avons eu la crainte qu'ils cherchent à sortir le maximum de choses d'Edenor pour le rapatrier dans Edesur, et ensuite quitter Edenor.

Cela nous a conduits à prendre le contrôle complet d'Edenor. Il est vrai que le risque de change commençait à paraître début 2001, et la tutelle nous a dit qu'il convenait de faire particulièrement attention au risque de change. Nous avons réalisé plusieurs évaluations en s'appuyant sur des banques ou des grands spécialistes de la finance internationale, et nous avons mené des réflexions en considérant - et c'était l'hypothèse qu'ils jugeaient raisonnables - que s'il y avait dévaluation, elle serait vraisemblablement du même ordre que la dévaluation constatée au Brésil, c'est-à-dire aux alentours de 40 %. Nous avions donc regardé qu'aux conditions d'achat, même avec une dévaluation de 40 %, l'affaire restait raisonnablement justifiée. Personne ne pensait - je dis bien personne - que le peso pourrait voir sa valeur divisée par trois.

D'autre part, et je crois que c'est à l'instigation de la tutelle, nous avons repris la négociation avec Endesa, et demandé que le risque de change soit partagé pendant une durée d'un an postérieurement à la vente, c'est-à-dire allant jusqu'à la fin de l'année 2001, ce que, en définitive, Edenor a accepté. Depuis, d'ailleurs, comme la dévaluation du peso est intervenue après une période pendant laquelle il n'y a pas eu de cotations, il y a un contentieux pour savoir si c'est intervenu avant un an ou après un an. Il y a un enjeu considérable, dans cette affaire-là, mais ça n'est pas encore tranché.

Par ailleurs, le gouvernement argentin avait pris l'engagement de réévaluer les tarifs, au moins partiellement, dans l'hypothèse où il y aurait une dévaluation. Et nous avons engagé un recours devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), pour un montant considérable - nous avons sans doute peu d'espoir de le recouvrer un jour - de 1,2 milliard de dollars. Donc, nous étions conscients du risque, mais nous ne pensions pas qu'il pourrait atteindre cette ampleur. Nous avons eu quelques garanties avec Endesa. Il y avait en principe une compensation du risque au moins partielle par le gouvernement argentin. Et il est vrai que le risque s'est concrétisé à un niveau considérable.

Quant au Mexique et à l'Egypte, il s'agit d'opérations pour lesquelles nous nous sommes implantés dans ces pays non par rachat de sociétés, mais par des investissements. D'abord, parce que la maison EDF a une véritable expérience de constructions, d'études et d'ingénierie en la matière. Nous pensions qu'il était intéressant pour nous d'acquérir une expérience que nous ne pouvions pas avoir en France sur les cycles combinés gaz. C'est une technologie qui se développe beaucoup dans le monde, notamment au Mexique et en Egypte.

Nous sommes présents au Mexique pour cinq unités. C'est vrai que les résultats des sociétés mexicaines sont aujourd'hui déficitaires, et il y a eu quelques dépassements des investissements. Mais il faut également savoir qu'un management fee est versé à EDF, qui est une dépense qui apparaît dans les charges de la société, mais qui, d'un autre côté, est une recette pour EDF. Cela ressemble à une espèce de dividende apporté à EDF. Cela se pratique tout à fait couramment. Par ailleurs, il faut dire que l'amortissement du capital, du moins au Mexique, est un amortissement dégressif, fort les premières années, et qui met en rouge les comptes. Ce qu'il faut regarder, donc, ce n'est pas seulement le résultat des comptes, mais globalement ce qui revient d'une façon ou d'une autre à EDF, étant entendu que c'est sur la durée que l'on pourra vraiment juger cette affaire.

Dès lors que nous disposons de cinq centrales au Mexique, il faudra renégocier avec l'autorité mexicaine pour faire en sorte d'apporter les mêmes garanties de disponibilité au Mexique, même un peu plus, mais à travers un fonds commun de ces cinq centrales, ce qui, pour l'exploitation, donne bien évidemment de la souplesse et permet d'améliorer les résultats.

M. Jean-Pierre NICOLAS : La société Fenice a été achetée à Fiat pour 552 millions d'euros. Au sein du conseil d'administration d'EDF international, quels ont été votre position et votre vote sur cette acquisition ? Quelle a été votre position sur l'enregistrement dans les comptes d'EDF international d'un écart d'acquisition de 457 millions d'euros, soit 80 % de la valeur dès la première année ? Pourquoi EDF international a-t-elle décidé d'acheter une société cinq fois sa valeur comptable ? S'agissait-il d'une erreur d'appréciation ? Comment est-ce possible pour une telle ampleur ? S'agissait-il d'un moyen de compensation vis-à-vis d'un des partenaires dans l'équilibre global de l'opération Edison ? Dans ce cas, quelle est la nature exacte de la valeur de la contrepartie ?

M. François AILLERET : Le conseil a d'abord approuvé la position d'EDF International et la prise de participation à Fenice, sans quoi on n'aurait pu rien faire. Comme vous l'avez rappelé, il s'agit d'un élément d'un dossier plus vaste. D'ailleurs, je crois que Fenice a été payée par des actions de Montedison. C'était une des briques d'un montage plus global. Cela dit, la valeur de Fenice a été basée sur un business plan. Le chiffre d'affaires de cette société a cette particularité, qui peut représenter un risque, mais également une garantie, d'être très largement apporté par la société Fiat qui a pris l'engagement de maintenir le chiffre d'affaires avec Fenice et d'y apporter un certain nombre de compléments. Et il y a une clause de revoyure - je ne sais pas à quelle date elle doit se concrétiser - qui stipule que, si le chiffre d'affaires et la marge de Fenice ne sont pas à la hauteur de ce qui avait été attendu du fait de Fiat, il peut y avoir une révision de la valeur de l'achat, donc une réduction de l'écart d'acquisition. Mais il est vrai que l'écart d'acquisition est fort. Il est cependant garanti, au moins partiellement, par les engagements de Fiat. C'est une partie d'un montage plus complexe.

M. Jean-Pierre NICOLAS : Pourquoi avoir déprécié la première année ?

M. François AILLERET : Je ne suis pas en mesure de vous le dire, même si l'on peut affirmer que la dépréciation n'a pas soulevé de réserves de la part des commissaires aux comptes.

M. Claude BARTOLONE : A partir de quel moment l'Etat a-t-il pris en compte la dimension internationale d'EDF ? Dans le cadre des contrats entre l'Etat et EDF, quand l'ensemble des dossiers internationaux ont-ils été pris en compte, et sous quelle forme ?

J'ai bien entendu vos propos sur les différentes manières qui ont pu être celles d'EDF d'acquérir des entreprises à l'étranger. Montedison était un placement plus lié à la gestion du portefeuille, à un moment donné, on s'est rendu compte qu'on avait 20 % des actions, et la décision devait être prise de savoir si on achetait ou pas. Sous quelle forme cela s'est-il déroulé ? Quelle est la décision, la demande qui vous est faite pour valider ce genre de décisions ?

Vous avez dit tout à l'heure, d'une manière pertinente, compte tenu de l'ouverture du marché, que si nous étions restés sur l'hexagone, nous aurions vu un certain nombre d'autres clients venir nous prendre des parts. Mais est-il arrivé, dans vos relations avec l'Etat et dans le cadre du développement international, d'avoir à subir un refus de rachat et pour quelle raison ?

M. François AILLERET : La dimension internationale d'EDF existe pratiquement depuis l'origine de l'entreprise à travers de l'ingénierie et du conseil à l'étranger. Elle a commencé à se manifester également par des ouvrages communs. Pour Fessenheim, par exemple, il y avait une prise de participation suisse, des barrages franco-allemands sur le Rhin, des barrages avec la Suisse et l'Italie aussi. Donc, il y a toujours eu des relations internationales, même une liaison France-Angleterre. Les exportations se sont développées. Cette dimension s'est progressivement affirmée et renforcée.

Moi, j'ai le sentiment qu'un homme a été déterminant dans l'évolution de la stratégie d'EDF. Je veux parler de Pierre Delaporte qui en est devenu président en 1987. Assez rapidement, alors que la Commission affichait très clairement la perspective de libéralisation, il a, avec Jean Bergougnoux, poussé au développement. Je crois vraiment me rappeler que les premiers débats au conseil d'administration, qui ont peut-être d'abord porté sur des affaires ponctuelles plus que sur une stratégie de développement international, datent de 1989 ou 1990. C'est à cette époque qu'une direction internationale a été formalisée. Avant, il y avait une entité, mais qui faisait plus de la coopération technique que du business et de l'investissement à l'international. C'est autour de 1990 que cette stratégie de développement a commencé à se concrétiser, en particulier dans les relations avec la tutelle.

Pour ce qui est de Montedison, je crois qu'il faut rappeler le contexte économique général. L'Italie est notre plus gros client. On y exporte près de 20 milliards de kilowatts heure par an. D'ailleurs, une bonne partie de l'électricité que nous vendons en Suisse est revendue ensuite par les suisses aux italiens. Le parc de production italien n'est pas à la hauteur de la demande. Les prix, en Italie, sont très élevés. Donc, on sait que, de façon durable, l'Italie sera confrontée à des problèmes d'importation d'électricité, mais il y a des limitations physiques, parce que vous savez que renforcer les lignes n'est pas simple.

Il était donc tout à fait essentiel pour EDF d'être présente dans un pays aussi proche que l'Italie. On a d'ailleurs essayé de le faire avec ENEL qui était très proche culturellement d'EDF, et qui fonctionnait un peu comme elle, mais il s'est avéré que ce n'était pas possible, parce que l'Italie voulait libéraliser son marché, l'ouvrir davantage, et EDF, en partenariat avec ENEL, ne donnait pas l'ouverture recherchée. On avait également travaillé avec Edison, comme je l'ai rappelé, sur des affaires qui ont été extrêmement profitables, mais nous n'arrivions pas à concrétiser autre chose. Et puis, par l'acquisition d'actions qui étaient à vendre sur le marché, au début, c'était simplement un placement financier, et un jour, quelqu'un a dit, c'est en train de changer, rendant possible un montage industriel auquel on n'avait pas songé jusque-là.

Pour l'hexagone, il faut savoir qu'alors que les prix français sont attractifs, il y a à peu près 15 % de nos clients qui ont le choix de leur fournisseur qui ne sont plus clients d'EDF. On a pu compenser cette perte à l'étranger, mais il faut voir que, même lorsque nous sommes compétitifs, on perd toujours une frange de son marché quand on part de 100 %.

Y a-t-il eu des feux rouges venant de la tutelle ? Oui ! J'en ai connu un certain nombre. En Australie, par exemple, nous avons été stoppés, alors que nous avions une opportunité intéressante. Au Brésil, au moins sur deux affaires, la tutelle nous a demandé d'arrêter, même si, d'ailleurs, nous serions peut-être venus nous-mêmes à la même décision. Enfin, il y a eu des cas où la décision a été surtout le fait d'EDF.

Mais il ne faut pas oublier que nos relations avec la tutelle sont très nombreuses. Bon an, mal an, lorsqu'on ajoute aux séances du conseil d'administration d'EDF international, les réunions formalisées de travail avec la tutelle, ce sont 30 à 35 réunions par an qui sont organisées. Donc, un certain nombre de refus d'EDF d'aller plus loin dans des affaires ont probablement été, au moins pour partie, justifiées par une argumentation de la tutelle. Je peux vous dire que nous avons renoncé à deux affaires importantes en Asie, où nous avons été particulièrement clairvoyants, parce qu'avec la crise asiatique, nous y aurions laissé des plumes. Nous avons également renoncé à des affaires au Brésil, et nous avons dû renoncer à aller en République tchèque qui est un pays extrêmement intéressant, pour EDF, du fait de la position de cette dernière en France, en Suisse et en Autriche, en Hongrie, qui est une sorte d'axe du système électrique européen. Aller en République Tchèque aurait été une ouverture importante, mais le président a décidé d'arrêter parce que les négociations conduisaient à des prix trop élevés. Au Mexique, où nous avions déjà cinq affaires, deux autres opérations en cours d'instruction ont été arrêtées. Bref, nous avons gagné des appels d'offres, mais nous en avons également perdu, et plusieurs dossiers ont été arrêtés, par décision de la tutelle ou à la suite d'une analyse conjointe d'EDF et de la tutelle.

M. Claude BARTOLONE : Le budget d'EDF International était-il examiné à l'occasion de celui d'EDF ?

M. François AILLERET : Il n'y a pratiquement pas de moyens à EDF International. Nous avions effectivement, dans EDF International, une petite cellule de reporting contrôle, et c'est en 1999, dans le cadre d'une nouvelle organisation du contrôle de gestion global du groupe EDF, que cette cellule a été mise en place, aux côtés des directions d'EDF. Donc, il n'y a pas de moyens propres à EDF International, sauf un directeur général délégué, mais qui est à temps partiel, et qui travaille également à la direction financière, et une secrétaire du conseil d'administration pour tout ce qui est administratif et formel.

On ne peut donc pas dire qu'il y ait des contacts directs entre EDF International et la tutelle auxquels EDF ne soit pas associée. Véritablement, EDF International doit être considérée un peu comme un prolongement d'EDF, ou comme le bras armé d'EDF, la vitrine d'EDF. Mais elle n'a pas d'autonomie propre, en dehors de la responsabilité des administrateurs.

M. Pierre DUCOUT : J'imagine que la tutelle qui assiste à ces réunions est composée par la direction du Trésor et les représentants des cabinets des ministères de l'économie et de l'industrie, n'est-ce pas ?

M. François AILLERET : Les quelques réunions auxquelles j'ai assisté étaient organisées avec les directions de la tutelle, non avec les cabinets. Je ne suis plus en activité, mais je pense que les contacts avec le cabinet sont menés de manière quasi exclusive par le président et le comité exécutif. Les dossiers techniques, eux, font l'objet d'une instruction menée à la fois avec la direction du Trésor, le contrôle financier d'EDF, et notre tutelle technique, la Direction du gaz, de l'électricité et du charbon (DIGEC) du ministère de l'industrie.

M. le Président : Vous, qui êtes président du groupe des entreprises publiques au conseil économique et social, quelle doit être, d'après vous, la nouvelle gouvernance des entreprises publiques ? Quels sont vos conseils ?

M. François AILLERET : La simplification me paraît une voie de progrès indispensable. Cela vaut pour EDF, mais également pour toutes les entreprises publiques. Le contrôle d'EDF est fait via le contrôleur d'Etat, avec une mission de contrôle, très présente. Il y a la direction du Trésor, dans certains cas, la direction du budget, les administrateurs qui représentent l'Etat au conseil d'administration, la Cour des comptes, des inspections des finances, mais également le contrôle interne à EDF qui a une direction de l'audit, et qui avait, avant, une inspection générale. La dimension du contrôle est essentielle, mais elle est aujourd'hui assurée d'une façon large et lourde. Car il est plutôt usant de redire toujours la même chose à l'occasion de contrôles différents. C'est usant pour les responsables, et c'est également un peu déresponsabilisant, probablement pour ceux qui exercent le contrôle et qui se disent que, s'ils ont laissé passer quelque chose, d'autres y veilleront. D'après moi, mais c'est une opinion personnelle, c'est déresponsabilisant pour l'entreprise qui se dit que, si elle lance le bouchon un peu loin, on pourra toujours la faire revenir en arrière. Une des voies de progrès essentiel serait de responsabiliser davantage, aussi bien les entreprises que ceux qui ont une mission de contrôle indispensable.

M. le Rapporteur : Que pensez-vous de l'Agence des participations de l'Etat, puisqu'elle doit avoir pour vocation de renforcer et de mieux organiser le contrôle de l'Etat ? Cela vous paraît-il aller dans le sens de cette autonomie nécessaire des entreprises, compte tenu notamment de leurs engagements sur le marché international ?

M. François AILLERET : Je ne connais pas très bien le détail des choses, et je n'ai entendu sur le sujet, comme membre du haut conseil du secteur public, que M. Barbier de La Serre ainsi que le directeur général de la future Agence. Je pense qu'il y a là une clarification qui n'est peut-être pas suffisante, mais on a l'impression qu'avec cette Agence, l'Etat jouera mieux son rôle de défenseur ou de propriétaire d'un véritable patrimoine. La professionnalisation des administrateurs qui iront travailler dans les grandes entreprises publiques va dans le bon sens, non pas que j'aie des réserves à exprimer sur la qualité des gens qui étaient administrateurs à EDF, représentant l'Etat, mais ce n'était qu'une de leurs attributions parmi bien d'autres. Avec l'Agence, le représentant de l'Etat sera quand même beaucoup plus centré sur son métier d'administrateur.

M. Jean-Pierre NICOLAS : Dans un rapport d'audit établi en mars 2001, il ressort que la multiplication des structures au sein d'EDF a profondément altéré le rôle d'EDF International, qui a, semble-t-il, été oubliée dans les circuits de décisions. Parmi les constats, on relève que les comptes d'EDF International ne reflètent probablement pas fidèlement son activité, mais surtout, dans certains cas, que les provisions pour dépréciation de titres n'ont pas nécessairement été effectuées selon la prudence comptable. En votre qualité de président d'EDF international, vous avez sûrement été consulté sur cet audit. Avez-vous fait des observations sur ces constatations ?

Par ailleurs, étiez-vous complètement libre de vos décisions ou étiez-vous lié par une autorité hiérarchique ?

M. François AILLERET : L'organisation de la maison EDF a quand même pas mal changé depuis 1998. Les repères n'étaient pas toujours absolument évidents. On se dirige, là aussi, et c'est très heureux, vers une simplification qui va dans le bon sens. Ceci posé, je ne suis absolument pas d'accord sur la déresponsabilisation d'EDF International.

M. Jean-Pierre NICOLAS : Il s'agit d'un rapport.

M. François AILLERET : J'entends bien, mais je ne suis pas d'accord avec cette affirmation. Je ne l'ai pas du tout vécu de cette façon. EDF International, que j'ai connue depuis le premier jour, a toujours été un prolongement d'EDF pour la mise en œuvre de sa stratégie internationale, et en la matière, je n'ai pas constaté d'évolutions. Il y a un plus et un moins. Le plus, c'est l'arrivée de deux administrateurs, qui ne venaient pas d'EDF, au conseil d'EDF International. Si le conseil avait été uniquement une chambre d'enregistrement, ou si nous avions voulu qu'il en soit ainsi, nous n'aurions pas fait venir deux administrateurs extérieurs qui sont des vraies personnalités, très écoutées au sein du conseil. Le petit moins, je l'ai déjà évoqué : EDF International avait sa propre structure, une petite cellule de reporting qui était trop faible.

Je ne peux pas non plus partager l'idée que les comptes d'EDF International ne refléteraient pas la réalité. Ces comptes sont audités, et il n'y a jamais eu de réserves des commissaires aux comptes.

Quant à la liberté de décision, il s'agit d'un sujet un peu délicat. Pour autant, je peux dire tout à fait clairement qu'il y avait un feu vert qui était absolument impératif, celui des exécutifs d'EDF. On ne pouvait remettre une offre si le comité exécutif ou le directeur de branche d'EDF ne donnait pas, de façon évidente, son feu vert à l'opération. Donc, s'il ne donnait pas son feu vert, on ne faisait pas. S'il le donnait, cela incitait fortement à faire les choses.

J'ai eu l'occasion de m'entretenir, à propos d'un dossier, avec le président Roussely, peu après son arrivée, des conditions souvent difficiles dans lesquelles travaillait EDF International, conditions très largement imposées par l'extérieur. Car certains pays exigent qu'on leur remette une offre avec quinze jours de préavis et changent la donne cinq jours avant la remise de l'offre. Il m'a répondu : « Sur quelque affaire que ce soit, même s'il y a le feu vert d'EDF, vous avez votre totale liberté pour arrêter une opération lorsque vous considérez que les conditions ne sont pas remplies ». Le président Roussely me donnait donc très clairement la possibilité d'arrêter une opération. Et je peux assurer que, dans quelques cas, mais il faudrait se reporter aux comptes rendus du conseil d'administration d'EDF International, il m'est arrivé de demander de ne pas répondre favorablement à un dossier que je considérais insuffisamment instruit.

Suite des auditions


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