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N°1275 - tome II - 2ème partie

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE


enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 4 décembre 2003.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA MISSION D'INFORMATION (1)

sur la question du port des signes religieux a l'école

Président et Rapporteur

M. Jean-Louis DEBRÉ,

Président de l'Assemblée nationale

--

TOME II - 2ème partie

AUDITIONS

(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

Education.

La mission d'information sur la question du port des signes religieux à l'école, est composée de : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président et Rapporteur ; M. François BAROIN, Mme Martine DAVID, MM. Jacques DESALLANGRE, René DOSIÈRE, Hervé MORIN, Éric RAOULT, membres du Bureau ;
Mmes Patricia ADAM, Martine AURILLAC, MM. Christian BATAILLE,
Jean-Pierre BLAZY, Bruno BOURG-BROC, Jean-Pierre BRARD,
Jacques DOMERGUE, Jean GLAVANY, Claude GOASGUEN,
Mme Élisabeth GUIGOU, MM. Jean-Yves HUGON, Yves JEGO,
Mansour KAMARDINE, Yvan LACHAUD, Lionnel LUCA,
Hervé MARITON, Christophe MASSE, Georges MOTHRON,
Jacques MYARD, Robert PANDRAUD, Pierre-André PÉRISSOL,
Mmes Michèle TABAROT, Marie-Jo ZIMMERMANN.

TOME SECOND

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la mission.
Voir le sommaire des auditions

2ème partie du tome II

- Table ronde regroupant Mme Thérèse DUPLAIX, proviseure du lycée Turgot de Paris 3ème, Mme Micheline RICHARD, proviseure du lycée professionnel Ferdinand Buisson d'Ermont dans le Val-d'Oise, Mme Elisabeth BORDY, proviseure du lycée Léonard de Vinci de Tremblay-en-France, en Seine-Saint-Denis, M. Pierre COISNE, principal du collège Auguste Renoir d'Asnières dans les Hauts-de-Seine, M. Régis AUTIÉ, directeur d'école élémentaire à Antony dans les Hauts de Seine, M. Olivier MINNE, proviseur du lycée Henri Bergson de Paris 19ème (séance du 1er juillet 2003) 6

- Audition de M. Abdallah-Thomas MILCENT, médecin, auteur de l'ouvrage « Le foulard islamique et la République française, mode d'emploi » (séance du 1er juillet 2003) 35

- Table ronde regroupant MM. André LESPAGNOL, recteur de l'académie de Créteil, Daniel BANCEL, recteur de l'académie de Versailles, Paul DESNEUF, recteur de l'académie de Lille, Alain MORVAN, recteur de l'académie de Lyon, Gérald CHAIX, recteur de l'académie de Strasbourg, et Mme Sylvie SMANIOTTO, représentant M. Maurice Quenet, recteur de l'académie de Paris, chef de cabinet du recteur, magistrate, chargée des problèmes de communautarisme à l'école (séance du 8 juillet 2003) 58

- Audition de M. Yves BERTRAND, directeur central des Renseignements généraux (séance du 9 juillet 2003) 83

Voir la suite des auditions

Table ronde regroupant
Mme Thérèse DUPLAIX, proviseure du lycée Turgot de Paris 3ème,
Mme Micheline RICHARD, proviseure du lycée professionnel Ferdinand Buisson d'Ermont dans le Val-d'Oise,
Mme Elisabeth BORDY, proviseure du lycée Léonard de Vinci de Tremblay-en-France, en Seine-Saint-Denis,
M. Pierre COISNE, principal du collège Auguste Renoir d'Asnières dans les Hauts-de-Seine,
M. Régis AUTIÉ, directeur d'école élémentaire à Antony dans les Hauts de Seine,
M. Olivier MINNE, proviseur du lycée Henri Bergson de Paris 19ème


(extrait du procès-verbal de la séance du 1er juillet 2003)

Présidence de M. Eric RAOULT, membre du Bureau

M. Eric RAOULT, Président : Je vous adresse les excuses du Président Jean-Louis Debré, que les obligations liées à la discussion du projet de loi sur les retraites empêchent de présider cette réunion.

Nous avons souhaité entendre des chefs d'établissement des académies de Paris, Créteil et Versailles, tout particulièrement sensibles à ce dossier pour le vivre au quotidien dans leur établissement.

Mesdames et messieurs, vous allez nous faire part de votre expérience et de la façon dont vous avez été amenés à traiter ce dossier dans le cadre de votre responsabilité de chef d'établissement. Ensuite mes collègues poseront des questions complémentaires.

Mme Thérèse DUPLAIX : J'ai effectivement eu à connaître, comme un certain nombre de mes collègues, de ce problème qui tourne en réalité autour de la laïcité en France. Le lycée Turgot est un lycée du 3ème arrondissement, au centre de Paris, mais il accueille dans son district d'affectation des élèves de six arrondissements (1er, 2ème, 3ème, 4ème, 10ème et 19ème). Nous sommes dans le quartier du Sentier, conquis en partie par les Chinois. C'est un melting-pot composé de 25 % d'élèves d'origine de confession juive - je dis bien « d'origine » -, 25 % plutôt maghrébins, musulmans ou non, un peu moins de 20 % de Chinois, des ressortissants de différents pays d'Afrique Noire et quelques autres qui ne sont d'aucun de ces territoires.

J'ai commis un article intitulé : « La laïcité en action », dont je vous en donne lecture.

« Il y a une dizaine d'années, dans un lycée de Seine-Saint-Denis, un étudiant marocain à l'origine du port du foulard islamique par trois jeunes filles, accepte après d'âpres discussions de le leur faire poser mais me dit : « Madame, dans x années, c'est nous qui vous dirons ce qu'il faut faire ».

Cette année, dans un lycée parisien - le mien - du prosélytisme tente de s'installer : des jeunes filles se disent menacées physiquement si elles parlent à un camarade d'une autre communauté. Dans un autre lycée parisien, des jeunes filles se voilent avant de sortir, expliquant qu'il s'agit d'un moyen de protection : sans voile, on les considère « faciles » ». J'ajoute - ce n'était pas dans l'article - que quand elles sortent du lycée, elles vont saluer les quelques jeunes hommes, ou moins jeunes, habillés de façon musulmane, qui les saluent au passage et leur donne l'autorisation de repartir chez elles.

« Des professeurs disent qu'il est difficile d'enseigner certaines parties de leur programme, en histoire, en géographie ou en science, car les élèves disent être heurtés dans leurs convictions religieuses.

Cette présente année scolaire encore, j'accuse un élève de prosélytisme après avoir découvert qu'il transportait dans le lycée des manuels et des écrits religieux et qu'il proposait aux élèves de prier pour obtenir de bons résultats scolaires. Il me répond le lendemain après réflexion : « Madame, je vous assure, je ne fais pas de « proxénétisme » ».

Vu et entendu à la télévision : une jeune fille voilée entre dans la cour d'un collège et déclare face à la caméra que le port du voile lui a été autorisé dans son collège, car elle ne fait pas de prosélytisme. Elle ajoute : « Le port du voile fait que des camarades me posent des questions et comme cela nous parlons de religion ».

Qui comprend les termes « proxénétisme », « prosélytisme » ? Au-delà de l'anecdote, ces simples épisodes sont révélateurs d'une totale méconnaissance d'un certain nombre de termes comme « laïcité », « prosélytisme », dont on pense à tort que le sens, les concepts et les valeurs morales qu'ils sous-tendent sont partagés par tous.

Ce n'est absolument pas le cas. Comment se comprendre alors ? Pour être respectées, admises et vécues, les règles doivent d'abord être connues. Il y a là un immense travail, pour l'école en particulier.

La laïcité apparaît comme un concept flou éminemment évolutif, contingent et toujours incertain. Le combat pour son existence se pose comme un débat philosophique, religieux, sociologique etc.

L'idéal moderne de laïcité est un édifice fragile que l'immense majorité des peuples ne connaît pas. En France, après la loi de séparation de l'église et de l'Etat de 1905, le fait religieux quitte le domaine public pour se réduire à la sphère privée. Au-delà de l'abandon de toute religion d'Etat, cette loi proclame à la fois que les affaires de la cité ne sont plus soumises à la surveillance du clergé et que le pouvoir politique garantit la liberté des cultes.

Dans les périodes d'atonie où l'affrontement des communautés se sent peu, la lutte pour la laïcité paraît moins immédiate, quelquefois même un peu ringarde. Actuellement, ce n'est pas le cas. Alors que les intégristes de tout bord utilisent les armes de l'intimidation, de la contrainte morale ou religieuse, pour imposer leur vision sommaire et hégémoniste, il est nécessaire de réaffirmer que la religion relève seulement du choix individuel, de l'ordre privé, de la conscience intime.

Un ministre de l'éducation nationale a écrit : « L'idée française de la nation et de la République, respectueuse de toutes les convictions - en particulier religieuses - exclut l'éclatement de la nation en communautés séparées, indifférentes les unes aux autres, ne considérant que leurs propres règles et leurs propres lois, engagées dans une simple coexistence. Il y a à vivre actuellement la laïcité comme un fait positif qui permet à l'idée républicaine de se développer et fait barrage aux dérives communautaires ».

Ce principe mérite d'être le point de départ de cette politique volontariste. Il est nécessaire de retrouver actuellement le sens de ce que j'appelle « la laïcité en action » ouverte et positive mais intransigeante dans sa rigueur conceptuelle, respectueuse des différences mais consciente de la nécessité qu'il y a de procéder à son apprentissage.

L'école républicaine et laïque ne peut pas tolérer que les adolescents qu'elle a pour mission de structurer, d'ouvrir au monde et aux autres, se replient volontairement et craintivement dans l'intégrisme d'une communauté. C'est dans l'article 2 de la constitution de 1958 qu'a été introduit pour la première fois le mot laïcité : « La France est une République indivisible, laïque et démocratique. » A l'école, s'enseignent, se discutent et s'intègrent les valeurs laïques sur lesquelles repose notre société.

L'existence de la laïcité est la seule chance pour que chacun, élève et professeur, trouve dans l'école l'espace de liberté dans lequel s'exerce la raison critique en dehors de toute vérité révélée ; l'espace de liberté dans lequel chaque adolescent, chaque adolescente forge son esprit sans se retrouver contraint par son appartenance à une communauté identitaire et a fortiori religieuse ; l'espace de liberté dans lequel les filles peuvent évoluer sans se voir opposer un interdit de par leur sexe et le port d'un voile qui les sépare du reste de l'humanité ; l'espace de liberté enfin, qui permet à chacun au-delà de toute appartenance spécifique et de l'expression légitime de son altérité, d'accéder à l'universalité de l'humaine condition.

En somme, la laïcité permet de s'appuyer sur les différences qui unissent et non qui divisent.

Le débat est difficile, car il touche au plus profond de nos consciences, de nos convictions et, selon les époques et la situation sociale et politique dans lesquelles nous nous situons, même les mots sont piégés. L'accusation de victimiser une partie de la population, se transforme très vite en anathème. C'est pourquoi, les convictions républicaines et laïques ont à s'affirmer fortement. Les petits renoncements et les reculs attentistes ne peuvent que contribuer à défaire le tissu même de la République.

Voici un bref extrait des attendus de l'avis actuel du Conseil d'Etat : « L'exercice de la liberté d'expression et de manifestation de croyances religieuses ne fait pas obstacle à la faculté pour les chefs d'établissement d'exiger des élèves le port de tenues compatibles avec le bon déroulement des cours ».

Est-ce vraiment aussi simple ? Que fait un chef d'établissement de cela, dans notre société actuelle ? Quels sont les moyens à sa disposition au-delà de la persuasion lorsque la pression est trop forte ? Pourquoi des propos aussi prudents ? Pourquoi rejeter sur le praticien, sur le terrain, la seule responsabilité de la décision nette et claire ? Je n'ai encore, tout au long de l'exercice de ma profession, jamais exclu un élève pour port de signe distinctif ou de prosélytisme, mais jusqu'à quand la force de persuasion et la pression de la communauté éducative dans son ensemble me le permettront-elles ?

Les professeurs se retrouvent en première ligne pour former ces esprits critiques, seuls capables de transcender l'aliénation aux seules origines communautaires, qu'elles soient culturelles, sociales, ethniques ou religieuses. Il est nécessaire d'aider professeurs et chefs d'établissement dans cette tâche, de les aider à faire comprendre puis à faire appliquer ces principes libérateurs.

La loi actuelle sur l'interdiction des signes distinctifs et du prosélytisme à l'école pousse au dialogue et c'est bien.

Mais dans les lieux scolaires, où la pression, quelle que soit sa nature, est puissante - terroriste ? -, où le consensus du corps éducatif se révèle fragile ou inopérant, il est nécessaire que la loi de la République se dise dans toute sa force et propose un cadre réglementaire précis qui permette aux établissements de faire respecter les principes et les valeurs spirituelles sur lesquelles repose notre République. »

M. Eric RAOULT, Président : Je vous remercie. Nous avons écouté avec une attention toute particulière la lecture de votre article et vous avez rappelé la réalité de votre lycée. Comment avez-vous affronté cette situation ?

Mme Thérèse DUPLAIX : Je le décrivais dans le début du texte, en particulier pour le prosélytisme. Je vais être plus précise. Une enseignante m'a fait savoir, lors d'un conseil de classe, que par des attitudes (elle avait vécu en Afrique du Nord), elle pensait que l'un des élèves transportait des objets qu'il ne voulait pas poser à terre. Je l'ai convoqué avec témoins - jamais seule - et lui ai fait défaire son sac. Il en a sorti des livres « scientifiques » musulmans, que j'ai feuilletés, dans lesquels il était dit, par exemple, que la goutte d'eau avait été créée par Dieu de telle façon que lorsqu'elle tombe elle ne frappe pas la tête du pèlerin passant dessous, et un certain nombre de points de ce type. Il a également sorti le tarbouche et nous a expliqué, tout à fait ingénument, que lors des contrôles, il priait et indiquait à ses camarades comment prier pour avoir de bonnes notes. Il avait lui-même 4 de moyenne.

Tout au long de l'explication et des questions que j'ai posées, j'ai été très vite convaincue que, dès qu'il sortait du lycée, il partait dans l'une des mosquées du 19ème arrondissement, que nous connaissons bien, et jouait le rôle d'un transmetteur de l'islam, rôle qu'il pensait également pouvoir jouer dans le lycée. Je ne l'ai pas fait passer devant le conseil de discipline à la demande du rectorat qui a été sage sur ce point. Il est passé en commission de discipline au cours de laquelle l'ensemble des membres a rappelé très fermement ce qu'étaient le prosélytisme et la laïcité. J'avais moi-même passé une heure et demie dans la classe pour expliquer aux 33 élèves la différence entre prosélytisme et proxénétisme. Il est vrai que ces mots, de même que celui de « laïcité », ne font pas sens pour eux.

L'élève a signé un contrat et 15 jours plus tard a mis son poing dans le nez d'un Chinois - heureusement pas d'un de mes élèves Juifs - et nous l'avons exclu pour brutalité. Il n'a pas été exclu pour prosélytisme.

Récemment, au cours des épreuves du bac, j'ai vu arriver un garçon portant à la fois le pantalon, la longue robe de feutre, le keffieh, et qui pensait composer ainsi. Nous avons été relativement fermes parce qu'il y a également eu des essais d'entrée avec kippas et quantité d'autres choses qui sont formellement interdites.

Le Service inter académique des examens et concours (SIEC) nous a donné l'ordre, comme dans un autre établissement, d'accepter le jeune en question puisque, transformé en centre d'examen, le lycée n'est plus uniquement sous mon autorité mais sous celle du SIEC. Devant témoins, il a tout défait, posé les cassettes qu'il avait autour du ventre, le Coran ; il se dévidait et secouait son keffieh pour qu'il n'y ait rien dedans. Il a tenu trois demi-journées et, à la quatrième, n'est pas revenu.

M. Eric RAOULT, Président : Je propose d'écouter l'ensemble des chefs d'établissement et qu'ensuite les questions soient posées.

Mme Micheline RICHARD : Le lycée professionnel Ferdinand Buisson comporte trois secteurs d'activité : les métiers de la mode, un secteur ouvrages du bâtiment et un secteur tertiaire, à peu près équivalents. Cela représente 600 élèves environ, dont les origines, peut-être vais-je vous choquer, ne me préoccupent guère, à l'inverse de leurs examens, les objectifs vers lesquels je dois les conduire, la qualité de la vie scolaire et le souci que tout se passe dans la meilleure sérénité possible. Quelle que soit leur origine, ils sont ce qu'ils sont : des jeunes.

Je le dis aisément, car je suis dans un secteur très calme, près de la gare d'Ermont-Eaubonne, dans une zone pavillonnaire dont les habitants se plaignent rarement du lycée, sauf parfois en raison de problèmes de violence à la gare générés, parfois il est vrai, par nos élèves ou par des personnes qu'ils connaissent dans leur cité.

Nous recrutons nos élèves sur 92 communes dont 38 % sont situées dans des secteurs de « zone d'éducation prioritaire » (ZEP). Certains enfants ont de graves difficultés sociales, à hauteur de 38 % de boursiers dont 60 % d'entre eux à plus de 10 parts, 20 % sont des jeunes qui doivent faire appel à des fonds sociaux de lycéens. Ces élèves sont français pour 80 % d'entre eux.

J'ai été concernée de plein fouet par cette affaire de voile puisqu'il m'a fallu le gérer dès mon arrivée dans cet établissement en 2000. J'étais auparavant à Garges-les-Gonesses où j'ai travaillé 4 ans et je suis arrivée en même temps que Mme Nelly Olin, sénateure-maire, avec laquelle j'ai beaucoup travaillé et dont l'intelligence a permis de faire de cette ville quelque chose de mieux que ce qu'elle n'était.

Nous étions confrontées à des problèmes de voile avec des enfants qui comprenaient assez vite. Je les convoquais dans mon bureau et leur disais : « Tu sais, tu portes cela sur la tête mais les enfants étant ce qu'ils sont, ils vont te considérer très différentes des autres et ce n'est pas une bonne idée ». En général, ce discours simple suffisait. Nous avions repéré des professeurs, un notamment dont on m'avait dit qu'il ne serrait pas la main des femmes et que, peut-être, dans un coin reculé de l'établissement, il allait faire sa prière. Cela se disait, mais après tout, la sphère privée est très difficile à définir.

D'autres difficultés sont à signaler : le problème des jeunes filles dont les pères ne voulaient pas qu'elles aillent à la piscine, des médecins complaisants leur donnant des certificats.

Il faut également noter un conflit auquel je n'ai pas assisté mais qui a fait l'objet d'un dossier considérable : à une jeune fille qui n'avait pas écrit le nom de Dieu dans sa copie et avait mis « D. », conformément à la religion juive qui interdit d'écrire et de prononcer le nom de Dieu, le professeur avait déclaré : « D avec un point, pour moi, signifie « route départementale ». Le père a rédigé une longue lettre disant qu'il trouvait inadmissible la réponse du professeur.

Il avait aussi été question de Samson, décrit par le professeur comme un garçon sans cervelle, quelque peu influencé par les femmes puisqu'il n'écoutait que ce que Dalila lui disait. Ces propos avaient choqué les parents qui avaient bien évidemment écrit. Le professeur s'était donné la peine de répondre par une démonstration de 25 pages, fondée sur les versets de la Bible. Ce professeur a eu ensuite de nombreux soucis. Il avait certainement raison et, à l'université, il aurait pu évoquer cette glose mais, dans un collège du second degré à Garges-les-Gonesses, cela me paraissait très inapproprié, si je peux me permettre cette analyse.

Je suis arrivée à Ermont après 4 ans dans cet établissement difficile mais passionnant et j'y ai été immédiatement confrontée à une affaire dite « de voile », au cours du premier trimestre, avant même d'avoir pu changer quoi que ce soit au règlement intérieur qui ne me paraissait pas bien ficelé. Il s'intitulait « contrat scolaire » mais tout y était interdit. Je n'ai pas eu le temps de rédiger un vrai règlement avant qu'intervienne ce problème de foulard en décembre.

Je dois dire que, dans cette affaire, nous avons été soutenus par nos inspecteurs d'académie respectifs, mais j'ai compris qu'il n'était pas facile de gérer une affaire de foulard. J'ai une section Force ouvrière extrêmement importante qui en a fait un leitmotiv syndical : trois professeurs sont allés dans une classe pour déloger les jeunes filles qui refusaient d'ôter un bonnet de leur tête, dont une particulièrement déterminée et arrogante. Très rapidement, un conflit est né avec un professeur, mon adjoint ayant cité la circulaire Bayrou selon laquelle un signe distinctif non ostentatoire est permis et ayant dit à la jeune fille : « Tu sais, le bonnet peut suffire, mais le foulard, non ». La jeune fille, qui était d'une intelligence assez remarquable, a déclaré : « Dans ce lycée, personne ne sait ce qu'il dit. Il y a ceux qui disent que je peux porter un bonnet et ceux qui disent que je ne peux pas en porter ».

Mon objectif était d'éviter que le lycée soit mis à feu et à sang par cette affaire, parce que lorsque les professeurs sont en grève, les élèves ne travaillent pas. C'était ma première année et je n'avais pas envie de commencer avec telle une affaire. Je m'en suis ouverte auprès des personnes qui travaillent avec moi habituellement, y compris des adjoints au maire, membres du conseil d'administration et les réponses ont été : « Oh  ma pauvre, je vous plains ! ». J'ai quand même dû gérer l'affaire !

Je sentais bien qu'avec cette jeune fille, qui ne cessait de me parler de ses droits et du droit européen, qui déclarait que nous étions bien moins ouverts que les Hollandais, les Anglo-saxons, le Danemark, tous les pays d'Europe et surtout du Nord, nous allions nous retrouver devant les tribunaux si nous ne répondions pas valablement - ce qui nous est arrivé d'ailleurs. Je m'en suis ouverte auprès de la ministre Garde des Sceaux, Mme Guigou, qui m'a renvoyée à mon institution l'Education nationale. Voilà ce que je lui ai écrit :

« Madame la ministre Garde des Sceaux, j'ai l'honneur de m'adresser à vous afin qu'un conseil, voire un appui, puisse nous être apporté dans le conflit qui nous oppose à deux familles de notre établissement et dont les filles ont la volonté de porter sur la tête un foulard qui leur permette, selon leurs différentes assertions, tantôt de protéger leur pudeur, tantôt de manifester un signe d'appartenance religieuse. Jusqu'à maintenant, ce souhait a été unanimement considéré par l'équipe pédagogique comme une manifestation de croyance à caractère ostentatoire et il n'a pas été possible, au terme d'une année de conflit, de trouver un compromis avec l'équipe enseignante. L'attitude d'une des jeunes filles a été très déterminée, alléguant de faire valoir ses droits, conduisant dans sa classe et dans l'établissement une rébellion qui a conduit à des pétitions et mouvements de protestation d'un certain nombre de ses camarades ».... (150 élèves environ, parmi lesquels il y avait des Benoît Dupont, des Adélaïde Martin qui trouvaient tout à fait inacceptable que l'on empêche cette fille de porter son bonnet.) « ... contre un professeur qui avait refusé de l'accepter en cours, coiffée d'un turban ».

Je précise qu'à l'entrée de l'établissement, elle ne portait pas le voile (nous avions réussi à obtenir cela) mais la petite a tenté le coup dans sa classe.

« Certes, nous n'ignorons pas les derniers aboutissements des recours de familles dans les tribunaux et quelle qu'a pu être la position du Conseil d'Etat, notre problème actuel réside dans l'incomplétude d'arguments pour convaincre l'une ou l'autre des parties, professeurs d'une part, jeunes filles d'autre part, afin d'arriver à un compromis. A l'issue d'un conseil éducatif l'une des jeunes filles - la plus déterminée - a admis notre position et s`y est pliée (entrer tête découverte en cours) mais, en avril est revenue sur la décision arrêtée, avec sa famille ».

On dit que ce sont les hommes qui veulent que les filles portent des foulards, mais dans cette affaire, le père ne le voulait pas et la mère disait que nous n'étions pas très libérés.

A chaque fois que je recevais la famille, le père me disait : « Mme Richard, je ne veux pas qu'elle le porte, mais elle le porte, que voulez-vous que je fasse ? Elle vous embêterait ! » J'ai répondu qu'elle avait crée du désordre à cause de cela. L'avocat m'a dit : « Mme le proviseur, c'est parce que vous bafouez ses droits inaliénables ».

L'affaire se déroulait à un très mauvais moment, car nous étions en grande période de grève non-stop, c'était en avril 2000. Pendant un mois et demi, nous avons dû compter les professeurs en grève, lutter pour que les cours se déroulent dans la mesure du possible et, bien évidemment, ces gamines en ont profité pour entrer de temps à autres dans les cours avec leur bonnet. Et puis, elles sont allées plus loin. Elles ont mis un ensemble de foulards superposés dont le symbolisme ne faisait aucun doute.

Je disais à Mme la ministre : « Il revient au chef d'établissement d'assurer le calme et la discipline dans l'établissement afin que les élèves puissent bénéficier de la sérénité qui s'impose dans la poursuite de leurs études. Il lui revient aussi de ne pas priver un élève de l'établissement d'un droit légitime. Le calme n'a vraiment été rétabli qu'à partir du moment où les jeunes filles ont admis la position de leurs professeurs, qui était celle du règlement intérieur de l'époque ».

Je me permets de préciser que le rectorat m'a demandé de modifier le règlement intérieur qui parlait de « ports distinctifs », afin qu'il ne soit pas attaquable devant le tribunal administratif.

« J'ai gagné le calme au prix de ne plus admettre l'entrée en cours des deux filles. En prenant cette position, je les ai empêchées de suivre leur enseignement. Une telle décision pouvait engager les familles à aller plus loin et à recourir à un avocat, ce qu'elles ont fait. »

J'ai reçu la jeune fille et son avocat qui m'a dit qu'il discutait gentiment avec moi mais que bientôt nous serions opposés l'un à l'autre.

« Me voilà donc dans la situation suivante : admettre à la rentrée scolaire deux jeunes filles portant les attributs conformes à leurs croyances et me retrouver en opposition avec mon équipe de professeurs qui a clairement fait savoir qu'elle ne l'admettrait pas, ou donner raison aux familles en acceptant un compromis dont les professeurs ne veulent pas ».

« Les arguments des avocats parlent des droits de l'homme, de respect des principes de laïcité, du caractère indivisible de la République. Comment doit-on répondre à des parties dont les unes considèrent que l'indivisibilité de la République réside dans la reconnaissance du droit à un enseignement qui préserve les principes auxquels les lycéens devraient se conformer, s'appuyant sur les circulaires ministérielles de MM. Jospin en 1989 et Bayrou en 1994 qui réfutent le droit d'afficher des signes divers de nature à revendiquer un choix religieux et les autres qui, en vertu des mêmes grands principes, revendiquent le droit d'afficher lesdites croyances. Toute l'aide et les conseils qui m'ont été apportés jusqu'à maintenant par les autorités de l'Education nationale pour dénouer ce dilemme ne m'ont pas permis de trancher clairement. C'est pourquoi je m'adresse à vous. »

Mme la ministre m'a répondu, et je l'en remercie, car il m'est arrivé parfois d'écrire et de ne pas recevoir de réponse. A la rentrée, j'ai rencontré la déléguée ministérielle pour les affaires de voile et un compromis a été adopté, permettant aux jeunes filles de porter un bonnet en cours.

Un autre fait m'a mise dans une situation délicate. A une élève du secteur des métiers de la mode qui avait mis tous ses cheveux dans un foulard noir - c'était très joli et c'était une fort belle fille - un professeur a demandé si c'était pour des raisons religieuses. La jeune fille lui a répondu que non.

Voilà les paradoxes. Je vous dirai que le champ législatif et constitutionnel vous appartient, mesdames et messieurs, mais que le champ du droit de la femme m'interpelle. J'ai dit à cette jeune fille : « Je ne t'autorise pas à dire que je suis impudique parce que je ne porte rien sur la tête, cela me paraît une drôle d'idée », puis nous avons discuté.

Il est vrai que par ailleurs nous avons été confrontés à un pilonnage très puissant de la part des enseignants qui ont tenu des propos inacceptables sur la religion musulmane en cours. On a le droit de ne pas être d'accord, mais pas de dire qu'il est anormal que des élèves appartiennent à des associations. Je leur ai dit : « Dans la mesure où ce sont des associations reconnues, je ne vois pas pourquoi les élèves ne pourraient pas y appartenir. Vous-mêmes appartenez à des associations. »

C'est un problème très complexe, difficile, et je ne sais pas ce qu'il sera possible de faire. L'action éducative de l'école est déterminante. J'ai entendu Mme Duplaix évoquer « un consensus fragile et inopérant ». Est-ce à dire que le consensus des valeurs républicaines est actuellement fragile et inopérant ? Il faut s'interroger : pourquoi ces jeunes filles en sont-elle rendues actuellement à revendiquer ces valeurs ? Il y a une réflexion forte à faire sur les notions de valeurs républicaines. Nos élèves nous ont interpellés, elles étaient 150 à poser des questions et ce n'était pas les plus stupides : « Mais pourquoi refusez-vous ? Vous acceptez bien les minijupes. » Je leur ai dit : « Vous exagérez, il n'y a pas de minijupes. Vous êtes toutes en pantalon et je me souviens que je n'avais pas le droit d'être en pantalon quand j'avais 15 ans. » Nous avons discuté pied à pied.

Je voudrais ajouter que nous avons du régler un problème sérieux cette année avec un jeune homme qui était la proie de personnes extrêmement dangereuses qui l'avaient endoctriné à la mosquée. Ce garçon avait d'énormes problèmes familiaux, il était en pleine crise mystique et se levait en cours pour tenir des propos incohérents. Qu'est-ce que j'ai fait ? J'ai dû lui dire qu'il était malade et qu'il fallait appeler le SAMU. Voilà où nous sommes rendus !

Le jeune homme était en très grande difficulté car il était en proie à des idées sectaires. Tout le monde sait ce que la secte peut produire. Il se trouve qu'actuellement nous sommes dans le champ du religieux mais aussi du sectaire. Que faire ?

Mme Elisabeth BORDY : Je suis arrivée en septembre, après les difficultés qu'a connues le lycée Léonard de Vinci l'année dernière, avec pour mission d'assurer la sortie de crise.

Je crois qu'il existe un seuil à partir duquel la situation est verrouillée dans une communauté scolaire, un moment où il n'y a plus ni dialogue ni rencontre, seulement un désir d'exclusion de la part des enseignants. L'année dernière, des jeunes filles ont tenté d'imposer leur voile. La décision du conseil de discipline pour prosélytisme a été cassée pour vice de forme parce que le règlement intérieur n'avait pas été voté en conseil d'administration dans les temps et délais impartis.

Un protocole de sortie de crise a été mis en place autorisant le port d'un foulard clair sur la nuque, laissant apparaître la racine des cheveux et les oreilles, sauf pendant les cours d'éducation physique et sportive (EPS) et les cours d'expérimentation.

Quand les professeurs m'ont demandé à la rentrée ce que j'allais faire pour le foulard, j'ai répondu que j'allais appliquer le protocole élaboré avec les inspecteurs du rectorat de Créteil. C'est grâce à ce protocole que nous sommes revenus à un climat serein. Cela a demandé de temps et de la vigilance. L'accueil des élèves était assuré à la porte par le proviseur, les conseillers principaux d'éducation (CPE) et les surveillants. On a pratiqué le dialogue et la fermeté.

Le problème s'est reposé en période d'examen quand les jeunes filles sont revenues avec le foulard noir noué sur la nuque - l'une de l'établissement et une candidate libre. Le climat était suffisamment serein, pour que les enseignants comprennent que nous étions dans une situation réglementaire différente et l'ont accepté. J'ai seulement demandé aux jeunes filles de dévoiler leurs oreilles pour prouver qu'il n'y avait pas d'intention de fraude, ce qui a été accepté.

C'est pour dire la difficulté des situations. Faire une loi spécifiquement sur le foulard ? Je n'y crois pas. Ce serait stigmatiser un signe et cette loi serait inopérante. Comment faire appliquer une loi quand il s'agit de centimètres de tissu ?

Il n'est pas possible d'inscrire dans le règlement intérieur l'interdiction de tout couvre-chef. Les faits sont beaucoup plus anecdotiques et beaucoup moins symboliquement forts. Par exemple, il y a une bataille souterraine à propos des casquettes. Pour les interdire, nous nous appuyons sur l'exigence d'une « tenue convenable ».

Dans la description de la tenue convenable, la casquette ne figure pas. Mais allez faire entendre cela à des garçons qui voient les jeunes filles avec des foulards ! La difficulté pour nous c'est l'obligation de persuasion et de dialogue.

M. Olivier MINNE : J'essaierai d'être court et de ne pas répéter ce qui a été dit. D'entrée, en réponse à la question que nous pose la mission, je dirais que je me range du côté de ceux qui estiment nécessaire que les règles de mise en oeuvre de la laïcité à l'école publique soient rappelées et redéfinies par la loi. Cette attente dans laquelle je me trouve, comme beaucoup de mes collègues, repose sur mon expérience et sur la situation actuelle de mon établissement. Elle n'exclut cependant ni les nuances ni les interrogations.

Je suis personnel de l'Education nationale depuis 20 ans, actuellement proviseur d'une petite cité scolaire du 19ème arrondissement de Paris, le lycée Henri Bergson, après avoir dirigé une importante cité scolaire de l'Ile-de-France, le lycée de Rambouillet et d'autres sites scolaires de province auparavant.

L'établissement que je dirige depuis deux ans est composé d'un lycée et d'un collège où se côtoient 1 500 élèves de toutes nationalités. 15 % d'entre eux sont de nationalité étrangère et 33 nationalités sont représentées, de toutes origines, essentiellement des pays du Maghreb, d'Afrique et de Chine - comme au lycée Turgot - de toutes catégories sociales, avec une surreprésentation des catégories les moins favorisées et, sans doute aussi, de toutes cultures et de toutes appartenances religieuses. Le quartier, au pied des Buttes-Chaumont, concentre traditionnellement une assez forte population juive et plusieurs membres du personnel enseignant revendiquent leur appartenance à cette communauté.

L'établissement traverse de nombreuses difficultés, fortement amplifiées par les médias, surtout cette année, mais il n'apparaissait pas jusqu'à présent que les relations entre les élèves fussent significativement marquées par des phénomènes de racisme ou d'appartenance à telle ou telle communauté religieuse. L'établissement, dans son ensemble, est porteur d'une culture laïque, clairement mise en œuvre dans son règlement intérieur, comme dans son activité pédagogique.

Notre règlement intérieur a été mis à jour et entièrement remanié à la rentrée 2002 pour une mise en conformité avec les nouvelles dispositions nationales ; il est commun au collège et au lycée et affirme les principes de neutralité politique et de laïcité dans son premier chapitre consacré aux droits et obligations des élèves. Sous ce même titre, il précise que le droit actuel est fixé par l'avis du Conseil d'Etat du 27 novembre 1989, cité dans le texte et, par ailleurs dans un autre chapitre intitulé : « Les règles de vie dans l'établissement » un paragraphe, entièrement consacré à la tenue vestimentaire, stipule explicitement que le port de tout couvre-chef de quelque nature que ce soit est totalement interdit dans les locaux couverts de l'établissement. Une fois entrés en classe, les élèves doivent quitter leurs vêtements d'extérieur, manteau ou blouson, gants, sauf autorisation liée à une situation particulière.

Cette règle, appliquée avec une vigilance soutenue, permet jusqu'à présent de dissuader la plupart des tentatives d'arborer des signes distinctifs, religieux ou non et elle est désormais bien admise par l'ensemble des élèves, même si elle donne lieu à des jeux provocateurs - je mets la casquette, je l'enlève sur un rappel à l'ordre et je la remets aussitôt que le surveillant a le dos tourné - ou à des discussions sempiternelles sur le fait que tel ou tel ornement de coiffure est ou non un couvre-chef, mais cela relève plus du jeu que de la provocation.

Je peux donc dire que la question des signes religieux n'est pas au centre des préoccupations de la vie scolaire au lycée Bergson. Cependant, plusieurs faits récents indiquent qu'il existe une volonté chez certains élèves musulmans d'affirmer leur appartenance religieuse au sein de l'école, voire de pratiquer la religion dans l'enceinte de l'établissement.

J'en citerai quatre : nous avons observé à la rentrée 2002 quelques tentatives de pénétrer avec un voile chez deux ou trois jeunes filles qui ont été rappelées au règlement intérieur et qui ont renoncé assez facilement au port du voile. Quelque temps après, elles ont demandé à être dispensées de natation et, même scénario, se sont heurtées à une position vive de leurs enseignants. Le conflit n'a été évité que par un détour intellectuellement peu satisfaisant : la production d'un certificat médical attestant d'une inaptitude à cet enseignement.

Au mois de novembre, nous avons vécu un Ramadan plus difficile que les années précédentes et des faits concordants ont été portés à ma connaissance indiquant une tentative tout à fait explicite de prosélytisme religieux de la part de surveillants - un surveillant et un maître de demi-pension - au foyer des élèves. Dans le même temps, des pressions inacceptables ont été exercées par ces deux surveillants sur de jeunes surveillantes maghrébines au motif qu'elles ne respectaient pas le ramadan. Ces incidents ont été signalés au rectorat de Paris, ont entraîné un dépôt de plainte de la part d'une des jeunes filles, car la pression était allée loin et, après intervention de l'inspection pédagogique régionale de la vie scolaire, le déplacement du surveillant et le licenciement du maître de demi-pension.

Troisième fait : à la même époque il m'a été signalé fortuitement que des garçons auraient été surpris à plusieurs reprises dans un couloir peu fréquenté du 6ème étage entre midi et 14 heures, faisant la prière. Ce qui aurait pu n'être qu'une rumeur m'a été confirmé ensuite par le témoignage précis et digne de foi d'un membre de l'équipe d'encadrement qui a précisé que ces garçons avaient introduit un tapis de prière, mais qu'il n'avait eu, de son côté, aucune difficulté à faire obtempérer les élèves et à leur faire quitter les lieux. Les élèves affirmaient ignorer qu'une telle pratique puisse être interdite, ce qui est quand même surprenant.

Autre fait : la demande émanant d'un petit groupe d'élèves, repérés comme militants, que soit enlevé le sapin de Noël installé dans le hall puisqu'il leur était interdit de manifester leur identité religieuse. Les explications nécessaires ont été données sur les origines païennes de cette décoration. Le fait est anecdotique, mais semble prouver la recherche d'une affirmation identitaire minoritaire contre une culture ressentie comme dominante.

Dans le même esprit, plusieurs étudiants de section de technicien supérieur en voyage d'étude en Normandie avec leur professeur, ont formellement refusé de participer à la visite du Mont-Saint-Michel au motif que l'abbaye était un lieu de culte.

La communauté juive, également présente dans l'établissement, n'affiche aucun signe et n'adopte en aucune façon un comportement prosélyte. Font cependant exception les périodes d'examen. En ces occasions, il arrive qu'un élève, voire un correcteur, appartenant à un établissement privé de confession israélite, tente d'imposer à son jury le port de la kippa. Ainsi, le 14 mai, un candidat de section professionnelle passant des épreuves d'EPS a refusé d'ôter sa kippa malgré la pression forte du jury et de mon adjoint qui gérait le centre d'examen. Il nous a fallu consulter le SIEC. Il a été considéré que le règlement intérieur de l'établissement n'était pas opposable en la circonstance, parce que l'examen se passait sous l'autorité du SIEC et non sous celle du chef d'établissement et, qu'au nom du principe d'égalité, l'élève devait être a admis à passer les épreuves, ce qui s'est passé sans encombre.

Les quelques faits que je viens d'exposer démontrent la réalité d'un certain prosélytisme religieux. Cette réalité reste contenue dans mon établissement. D'une certaine manière, nous pouvons dire que nous nous sommes accommodés de la jurisprudence et que le dialogue et la persuasion ont permis de maintenir la cohésion de l'établissement et de surmonter les risques de crise. Cependant, rien ne permet de garantir que cet équilibre fragile puisse perdurer, tout d'abord parce que les tentatives de gagner du terrain sont manifestes, de plus en plus nombreuses et concertées, ensuite parce qu'elles rencontrent chez certains personnels une opposition farouche, passionnelle, qui parfois ne fait qu'exacerber la situation.

Je prends le risque de dire qu'il existe aussi une forme d'intégrisme laïque qui ne facilite pas la tâche du chef d'établissement appelé par fonction - et peut-être aussi par tempérament - à surmonter les oppositions plutôt qu'à les radicaliser.

L'absence de cadre légal précis nous met en situation de devoir agir, en quelque sorte, en juge de paix, de rechercher des compromis plus ou moins acceptables, d'inventer une sorte de droit local. Ce fonctionnement permet certes de vivre ensemble dans un esprit de tolérance et dans le respect du pluralisme culturel et religieux, mais il me semble qu'il cesse d'être possible et, en tout cas, devient extrêmement inconfortable pour les personnels de direction, quand se développe une démarche offensive, délibérément contraire aux valeurs laïques.

M. Pierre COISNE : J'ai été confronté à différents degrés au problème du foulard. Je suis arrivé au collège Renoir en 1998 et une affaire assez importante avait déjà eu lieu en 1996 qui s'était terminée par l'exclusion d'une jeune fille par conseil de discipline, laquelle jeune fille avait été ensuite scolarisée dans une école coranique. Cela avait marqué la communauté scolaire et influencé par la suite la position de l'équipe pédagogique.

Quand je suis arrivé, la situation était beaucoup moins tendue et critique. J'ai été confronté ensuite au port du foulard par la jeune sœur de la première élève exclue. J'avais choisi la voie du dialogue compte tenu de la position du corps professoral, beaucoup moins offensive. Ensuite, j'ai été confronté au port du foulard par une autre famille dont les deux sœurs étaient scolarisées dans mon collège.

Nous pouvons dire qu'au collège il n'y a pas eu de position véritablement globale et organisée. Il s'agissait plutôt de familles identifiées pratiquant ce type d'intégrisme. La ville d'Asnières est divisée en quartiers nord et sud, le nord étant un quartier de cités où est également situé le collège Malraux, cité dans la presse pour des faits spécifiques, mais pas des problèmes de foulard.

Mon collège se situe à 300 ou 400 mètres de ce collège, sans être situé en ZEP, mais à la frontière entre les quartiers nord et sud. Le collège comporte 850 élèves, la population étant composée à 80 % de jeunes Français d'origine maghrébine ou africaine et l'on ne peut pas dire qu'il existe une résistance organisée ni un militantisme des organisations islamistes.

Les problèmes de foulard qui se sont présentés ont été réglés au cas par cas. Quand j'ai eu affaire à des familles assez résistantes, le dialogue a été beaucoup plus difficile et je me suis contenté, avec l'appui des inspecteurs d'académie, d'appliquer l'arrêt du Conseil d'Etat bien connu : un port du foulard dans des conditions discrètes sans prosélytisme et assistance à tous les cours.

La famille de la sœur de la jeune fille qui avait été exclue a d'ailleurs changé d'attitude, puisqu'elle s'est complètement pliée à l'arrêt du Conseil d'Etat, et la jeune fille ne nous a plus posé de problème car elle a été extrêmement discrète. Avec l'autre famille, la situation a été plus difficile. J'ai dû affronter des personnes assez agressives qui sont venues dans mon bureau avec un avocat pour tenter de m'intimider. J'ai eu recours au conseil de la médiatrice du ministère de l'éducation nationale.

M. Eric RAOULT, Président :: Quel âge avait ces jeunes filles ?

M. Pierre COISNE : 14 ans. La sœur de celle qui avait été exclue est entrée à 11 ans en 6ème et a fait sa scolarité jusqu'en 3ème. Dans l'autre famille, nous avons eu la sœur en 6ème et en 5ème. Elle est partie en fin de 5ème, sans que nous sachions où elle a ensuite été scolarisée. Elle est sans doute partie à l'étranger mais nous n'avons pas eu de nouvelles. Sa petite sœur est entrée en 6ème. Elle travaillait très bien mais il y a eu sanction avec des avertissements pour qu'elle enlève son voile pendant les cours de sciences naturelles et d'éducation physique. Comme elle ne l'enlevait pas, le professeur l'excluait et la mettait en permanence, et les sanctions sont montées jusqu'à l'exclusion temporaire et la commission de discipline. A la fin de l'année scolaire, j'ai écrit à la famille qu'elle ne serait plus reprise dans ces conditions à la rentrée 2002-2003. Elle n'a pas fait sa rentrée. Sans doute est-elle également partie à l'étranger car nous n'avons pas eu de nouvelles.

D'une manière générale, on peut dire que le climat de tension dans le quartier et le collège sur ces sujets s'est apaisé au cours des deux dernières années.

En conclusion, je dirai qu'il existe une variété de situations qui nous entraînent vers une variété de réponses, nous incitent au louvoiement et conduisent à un droit local. Les autorités de l'Education nationale nous incitent à opérer un droit à géométrie variable, le danger étant qu'il faut adapter à chaque fois les règles aux situations en raison du rapport de force tant avec les familles qu'avec le corps des enseignants. Celui-ci peut se montrer résistant soit globalement soit au travers de positions individuelles marquées par un certain intégrisme laïque. Je n'ai pas eu de fortes oppositions du corps enseignant au collège, sauf des positions individuelles demandant, lors des répartitions de classes, à ne pas avoir ces jeunes filles dans leurs classes.

Je réclame, comme mes collègues, une position claire des autorités sur le problème pour aider les chefs d'établissement qui se sentent bien seuls pour gérer ce problème complexe.

M. Régis AUTIÉ : Nous connaissons une situation tout à fait particulière puisqu'elle ne concerne pas des jeunes filles mais une enfant. Nous sommes dans une école située en zone d'éducation prioritaire dans le sud d'Antony. Les enfants accueillis viennent d'un grand ensemble situé à cheval sur les villes d'Antony et de Massy.

Nous avons une population d'enfants qui est pour 40 % d'origine maghrébine et 60 % d'origine d'Afrique noire avec de nombreuses familles de religion musulmane. La particularité de l'école réside dans la très grande précarité économique et sociale des familles qui, en même temps, attendent beaucoup de l'école publique et laïque.

J'ai entendu plusieurs de mes collègues parler « d'intégrisme laïque » et vu des sourires sur certains visages. Je me suis pourtant parfois retrouvé dans ces propos, mais nous pourrons en parler ensuite.

Je rappelle par ailleurs que dans une école élémentaire le directeur d'école n'est pas le supérieur hiérarchique de ses collègues, n'est pas fonctionnaire d'autorité et n'a pas à composer avec ce que mes collègues proviseurs décrivent comme étant les « enseignants ». Les enseignants à l'école élémentaire, c'est l'ensemble de l'équipe et, sur le sujet, nous avions une position commune, ce qui a permis d'avoir non pas une position d'enseignant, mais une position de l'école.

Le cas concerne une petite-fille qui était en CE2 en décembre 1999, âgée de 8 ans et demi, et dont la famille avait informé l'école qu'à partir de janvier 2000, l'enfant atteignant ses 9 ans, elle porterait le voile. Le premier problème, en terme d'âge civil, était qu'il s'agissait d'une petite-fille de 8 ans et demi et non pas de 9 ans. La famille nous a expliqué qu'elle avait 9 ans en âge lunaire et qu'à partir de cet âge on était censé porter le voile. Cette position, pour une enfant aussi jeune et dans l'enseignement élémentaire, a beaucoup ému l'ensemble de la communauté éducative.

La gestion de ce dossier a été faite en deux grandes étapes : l'une partant de décembre 1999 à juin 2000, gérée par mon collègue M. Morvan. S'agissant d'un ami, j'ai suivi de très près cette affaire et je serai donc en mesure de répondre à des questions même si je n'ai pas géré le dossier dès le début. La seconde étape, que j'ai gérée directement, allait de septembre 2000 à février 2001.

La première partie concernait la gestion de la relation école/famille, et la seconde celle de la relation école/administration/tribunal administratif. Nous ne faisons pas de militantisme et ne nous présentons pas comme des cas exemplaires, mais nous avons refusé d'appliquer la décision du tribunal administratif, de façon à amener nos autorités de tutelle et politiques à prendre des décisions claires pour que les enseignants du primaire ne soient pas amenés à gérer ce type de situation au cas par cas, en fonction des interlocuteurs qu'ils ont en face d'eux ou de la position des partenaires.

Le maire d'Antony était à l'époque M. Devedjian qui avait apporté son soutien moral à mon collègue M. Morvan. Notre position n'a pas été une position d'intégrisme mais plutôt de jusqu'au-boutisme, ce qui est différent, dans le but d'amener nos institutions à prendre leurs responsabilités. L'enfant a été scolarisée après bien des épisodes dans une autre école de la commune.

Pour simplifier, notre point de vue était que le port du voile pour une enfant aussi jeune - avec un discours très militant et très argumenté de la part de la famille et portant un voile pour toutes les activités qui étaient proposées - constitue en soi un acte de prosélytisme.

Bien évidemment, le tribunal administratif a cassé la décision prise par l'inspecteur d'académie d'exclure l'enfant aux motifs qu'elle ne pouvait pas participer aux activités de gymnastique ou d'atelier, ce qui n'a jamais été notre façon d'analyser ce cas. Nous ne voulions pas utiliser des arguties pour arriver au résultat, mais nous étions intéressés par les moyens et le discours utilisés - soit les signes religieux sont autorisés, soit ils ne le sont pas. Arriver à l'exclusion d'un enfant par l'intermédiaire de la non fréquentation des cours de gymnastique ou d'autres pratiques ne nous semblait pas satisfaisant.

Le tribunal administratif a cassé la décision de l'inspecteur d'académie sur la forme et non pas sur le fond. C'est pour cela que, s'agissant de questions juridiques pour lesquelles nous ne sommes pas des spécialistes et sachant que les spécialistes pourraient toujours retourner notre position, nous nous sommes dit que, quitte à se mettre en contradiction avec la loi, autant avoir une position claire, pratique et argumentée qui amènerait les autorités à se positionner tout aussi clairement. Nous devons dire que le résultat mis en place par l'administration nous a épargnés - mais ce n'était pas le but de l'opération - en déplaçant le problème auprès d'une équipe qui a eu une position moins intégriste et a accepté l'enfant.

Je ne sais pas quels sont les dégâts causés dans les équipes de collège et de lycée par ce type de problème, mais il faut savoir que, dans les écoles, les équipes pédagogiques sont constituées de collègues, ayant des liens affectifs peut-être différents de ceux qui existent chez les professeurs car les équipes sont plus petites et plus proches. A l'école, ces situations créent de grands ravages dans les équipes car elles font appel non seulement à notre pratique, mais aussi à notre position de citoyen. Si, dans notre école, nous avons réussi à obtenir une position d'école, une position commune - plutôt radicale - cela ne signifie pas que tout le monde, au départ, avait une position identique sur ce sujet, certaines étaient même assez éloignées. Dans d'autres écoles, dont celle où cette petite-fille a été ultérieurement scolarisée, il n'y a pas eu de position commune. En accord avec une partie de l'équipe, la directrice et l'inspection, l'enfant a été scolarisée et cela a généré de grands dégâts. Ainsi, ces questions créent des dérèglements dans le fonctionnement de l'école et nous pensons qu'il n'est pas opportun qu'il revienne à la base de régler ce type de problème.

M. Hervé MARITON : Je voudrais savoir comment, en tant que chefs d'établissement, vous êtes confrontés et comment vous comparez la question que je vais vous poser à celle que vous venez de présenter. On évoque les signes religieux, la laïcité et donc aussi la neutralité de l'école. Dès lors, la question de la neutralité politique se pose également. Or, une insistance plus grande depuis ces dernières années sur le thème de la citoyenneté a manifestement amené un certain nombre d'enseignants, dans des conditions rarement mises en cause, mais qui pourraient peut-être l'être, à développer des discours autour d'un certain nombre de thèmes de société. Ce n'est pas récent. J'ai vu des professeurs d'histoire qui ne juraient que par Sobourle. Aujourd'hui, des discours ouvertement engagés se sont beaucoup développés sur des questions d'actualité comme les organismes génétiquement modifiés (OGM).

Considérez-vous - ma question est périphérique mais connexe au sujet - que ces pratiques sont des pratiques de prosélytisme, attentatoires à la neutralité de l'école, d'une certaine manière, du même ordre que celle que nous évoquons au titre principal de notre mission ?

Mme Thérèse DUPLAIX : Je répondrai sur deux plans : l'école n'est pas neutre. L'école est un lieu d'apprentissage et aucun apprentissage n'est neutre. La neutralité - dont la définition est donnée dans les bons dictionnaires - est un élément plat. La mission de l'école n'est pas plate. Une école est la conséquence, le produit de ce que la société dans laquelle elle se situe lui demande de faire. Notre société nous demande de fabriquer des citoyens. C'est clairement inscrit. Le fait est que des thèmes d'actualité sont dispensés dans les différents types d'enseignement et pas seulement par les historiens. Les professeurs d'économie, dès la classe de seconde, enseignent aussi les faits de société, les faits économiques et parcourent l'ensemble des problèmes actuels.

Il est bon qu'il en soit ainsi, à partir du moment où chacun des thèmes est explicité, renvoyé aux élèves par l'enseignant en fonction de ce qu'il est - parce que vous savez que nous enseignons avec ce que nous sommes et ce que nous avons appris - et disons que les élèves ont en face d'eux des professeurs cohérents avec eux-mêmes qui disent clairement ce qu'ils ont à dire.

Mais il y a des difficultés, et si vous m'aviez demandé il y a 4 ans si l'on devait enseigner le fait religieux à l'école, j'aurais été farouchement contre. Après cet épisode récent, j'ai eu d'autres problèmes liés au voile, que j'ai parfois dû régler par le louvoiement, comme tout le monde. Ce n'est pas satisfaisant. Quand on veut faire acquérir quelque chose, il faut montrer de soi une personnalité cohérente, sinon on produit chez celui qui se construit des comportements qui seront semblables. Nous avons à rappeler la rigueur et la droiture.

J'ai rapporté en propos liminaire le cas de ce garçon qui, ayant réfléchi après l'explication claire et franche que nous avions eue, est venu me dire : « Madame, je dis aux élèves comment prier pour avoir de bonnes notes mais je ne fais pas de « proxénétisme » ». Quand je suis allée en classe et que je me suis rendu compte que parmi les 33 élèves, garçons et filles de toutes origines et confessions, aucun pratiquement ne savait ce que voulait dire « prosélytisme, laïcité, religion, sphère privée », je me suis posé des questions.

Pour faire réfléchir, il faut savoir. Rien n'est pire que l'ignorance. Les adolescents que nous avons au lycée ne savent plus certaines choses auxquelles nous adhérions ou pas, mais dont nous avions tous, peu ou prou, entendu parler, que ce soit au catéchisme ou chez le pasteur. Maintenant, nous avons en face de nous des adolescents qui ne savent pas ce qu'il y a derrière ces mots, et qui sont prêts à accepter n'importe quelle secte qui leur en propose un sens, quelque chose qui les rassure. Enfin, quelqu'un va leur parler d'assurance même si c'est une assurance dans une vie meilleure dans l'au-delà ! Quelqu'un leur dira autre chose que : « Si tu n'as pas ton bac, tu seras à la rue et au chômage ». Quelqu'un va leur dire : « Viens chez moi, tu pries et tu as une communauté autour de toi ».

Mme Micheline RICHARD : Quand le fameux keffieh s'est porté dans les années 70/72 autour du cou de certains lycéens, voire de certains professeurs, personne ne trouvait à redire. Maintenant, ce sont de jeunes musulmans et tout le monde trouve cela anormal. Qu'avons-nous perdu qui fait que nous ne sommes plus congruents ? J'ai organisé un conseil éducatif mais certains de mes enseignants m'ont dit : « Nous ne serons pas présents. Nous voulons que l'Administration - dont je fais partie - (avec un grand A) prenne ses Responsabilités » (avec un grand R, je pense également). Il existe un problème de congruence de l'école face à ces valeurs et quand une petite me dit : « Vous n'êtes pas logique parce que Mme Unetelle ne dit rien », je me suis demandé pourquoi nous avions une polymorphie dans nos attitudes ? Quelque part, n'avons-nous pas laissé aller certaines choses ?

M. Hervé MARITON : En toute logique, un élève peut-il porter un insigne de SOS Racisme ?

Mme Micheline RICHARD : D'après l'avocat, cela est réglé par la loi. Je n'ai pas été au-delà de cette affaire sur le plan du droit, si ce n'est que je me suis souvenu d'une loi que j'ai apprise quand j'étais au lycée : les articles 1 382, 1 383 et 1 384 du Code Civil qui disposent que nous sommes responsables des personnes et des biens qui sont sous notre garde. Les élèves sont sous notre garde quand nous les avons sous notre responsabilité. On parle de refaire une loi. Je trouve que la loi Evin est parfaite mais j'ai le plus grand mal à la faire respecter chez moi, y compris par les professeurs. Les lois, c'est bien, à condition toutefois de pouvoir les faire respecter !

Mme Thérèse DUPLAIX : Chez moi, pas d'insigne de SOS Racisme. C'est un ensemble. J'ai écouté les filles musulmanes qui se plaignaient de ne pas pouvoir parler aux garçons israélites de leur classe, qui se revoilaient avant de sortir car elles ne voulaient pas traverser la cité sans voile au risque de faire l'objet de quolibets et même se retrouver dans un fond de cave dans des situations difficiles.

J'ai entendu des filles qui parlaient - c'est un terme galvaudé - d'une double aliénation parce qu'elles sont doublement persécutées de par leur position de fille. Ce ne sont pas les garçons qui portent le voile, ce sont les filles. Cela les renvoie à leur position de femme à l'intérieur de la cité puisqu'elles viennent de cités ou de petites rues derrière le lycée qui ne sont pas forcément faciles à traverser quand il est 1 heure du matin, même en plein centre de Paris. Cela m'a renvoyée à mon passé de militante féministe quand on me disait il y a 40 ans : « Vous vous plaignez de ne pas pouvoir sortir le soir, d'avoir peur d'être agressée et que ce soit inadmissible mais vous n'avez qu'à pas sortir la nuit toute seule ». Cela n'est pas admissible.

M. Jacques MYARD : Avez-vous le sentiment que derrière, qu'on le veuille ou non, un certain nombre d'adultes mènent le jeu ?

Mme Thérèse DUPLAIX : Oui.

M. Jacques MYARD : Et que dans le cas des adolescents, il existe à la fois une manipulation, une provocation, une crise d'adolescence ?

Je voudrais avoir des précisions, surtout sur le cas de la jeune fille de l'école primaire âgée de 9 années lunaires dont il a été question.

Avez-vous le sentiment qu'en manquant de fermeté immédiate par la réaffirmation des principes, il n'y aurait pas dérive ?

Par ailleurs, ne pensez-vous pas qu'il serait utile de rappeler, dans la loi, que le règlement intérieur est de la compétence du chef d'établissement et de son conseil et qu'il ne saurait y avoir éruption des avocats dans ce domaine ?

Mme Thérèse DUPLAIX : Ce n'est pas à nous de le dire, mais à vous.

M. Olivier MINNE : A la question : « Avez-vous le sentiment qu'il y a des adultes derrière ? » Il faut répondre très sagement : « Oui, mais pas toujours ». Parfois, il est évident que les jeunes sont entraînés par des adultes convaincus, organisés et qui savent très pertinemment ce qu'ils font, mais ce n'est pas toujours le cas. Des jeunes filles souhaitent porter le voile, simplement par opposition à leurs parents ou par souci de se protéger, sans être nécessairement dans une mouvance aussi construite.

Il n'existe pas sur ce point de réponse générale. Il est certain que les problèmes se posent d'autant plus vivement qu'il y a risque, avec l'intervention d'avocats et autres intermédiaires, que la question soit préparée, organisée et concertée ; parfois tellement préparée que les médias sont en deuxième ligne derrière l'avocat pour faire bonne mesure et même parfois en première ligne, avant l'avocat.

Je crois, comme vous l'avez dit, à la fermeté immédiate comme meilleure garantie de la dérive. Plus on indique clairement les limites et plus elles sont respectées. Plus on est ferme, cohérent et congruent, plus on garantit et prévient les dérives. Mais on ne trouve pas toujours des situations aussi nettes et il faut reconstruire pas à pas, en reconquérant le territoire perdu - le fameux territoire perdu de la République - ce qui n'est pas possible en n'apportant que du strict. Il faut baliser, limiter et je crois à la fermeté, mais aussi au dialogue, à l'esprit de conviction et de tolérance.

La question du port de l'insigne de SOS Racisme me laisse perplexe, ne serait-ce que parce que j'ai été l'un de ces proviseurs qui, à l'appel de leur ministre, a organisé des journées d'engagement, j'ai invité SOS Racisme, le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP), les Etudiants juifs de France, Handicap International et toutes sortes d'associations. Nous avons débattu, organisé le 1er décembre, à plusieurs reprises, des manifestations de solidarité autour du problème du sida avec des élèves qui arboraient des insignes rouges en cocarde. Où cela commence-t-il, où cela s'arrête-t-il et qui connaît la limite ? Pas plus que la hauteur des mini jupes ; je ne suis capable de répondre.

M. Jean-Pierre BRARD : Il existe une obligation pour les enseignants que nous avons précisée dans la loi sur les sectes : éveiller l'esprit critique, alimenter la réflexion des enfants et leur livrer en même temps l'outillage conceptuel leur permettant d'appréhender la contradiction, sinon l'Education nationale est défaillante.

Je suis très frappé que nos invités - et cela confirme le sentiment que nous pouvions avoir à la suite de précédentes auditions - qui « ont les mains dans le cambouis » concluent tous de la même manière, même si c'est avec des nuances : « Ne nous laissez pas seuls, ne vous défaussez pas sur nous»...

M. Hervé MARITON : Il n'y a pas d'appel systématique à la loi.

M. Jean-Pierre BRARD : ... tandis que les hauts fonctionnaires ont plus une vue « d'esthète » : « Armez-vous, fuyons ». Il y a, me semble-t-il, un petit problème.

J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt tout ce qui a été dit et, en particulier, les propos de Mme Thérèse Duplaix sur l'enseignement du fait religieux. Le problème est réel quand les enseignants, eux-mêmes, sont complètement ignorants du problème qu'ils ont devant eux. Mme Thérèse Duplaix, vous avez une forte communauté juive. Avez-vous été confrontée au port de la kippa ? Par ailleurs, quelqu'un évoquait Force ouvrière (FO). Pour que ce soit lisible, il faut préciser qu'il s'agit plus du parti des travailleurs que de FO qui sert, en fait, d'habit...

Mme Micheline RICHARD : C'est cela.

M. Jean-Pierre BRARD : M. Pierre Coisne a évoqué le port du foulard « dans des conditions discrètes ». Je souhaiterais qu'il nous précise ce que signifient ces termes.

Toujours en référence aux propos de M. Pierre Coisne sur les enfants qui disparaissent à l'étranger. Dans ma ville, j'ai le même problème en particulier - mais pas uniquement - avec de très jeunes filles d'origine malienne qui disparaissent de nos établissements scolaires, semble-t-il pour des mariages arrangés et prématurés. D'un entretien avec le procureur de la République, j'ai retiré l'information suivante que j'ignorais : le procureur de la République a qualité pour s'opposer à la sortie du territoire national d'un enfant mineur.

L'identification du cas est très difficile car la plupart du temps nous sommes informés trop tard. Mais ce sont des enfants français au regard de notre droit, même si, du fait de la double nationalité, nous n'avons plus de moyens d'appréhension dans le pays où ils partent. J'attire l'attention de nos collègues : il faut réfléchir à quelque chose pour mieux protéger les enfants auxquels nous devons protection parce que nous ne savons plus ce qu'ils deviennent. En apparence le problème est réglé, mais en réalité ce sont des enfants sacrifiés définitivement.

M. Pierre COISNE : J'ai convoqué des familles de jeunes filles pour expliquer les règles contenues dans le règlement intérieur concernant le port du voile. J'ai interdit les voiles noirs, fermés et voyants. J'ai demandé aux jeunes filles de porter des bandanas ou des voiles de couleur beaucoup plus discrets et, en général, cela s'est bien passé avec les familles. J'ai deux cas sur 850 élèves.

J'ai fait enlever ses voiles à une jeune fille qui venait, en début d'année, avec un voile noir et un voile blanc, comme une religieuse, car j'estimais que c'était trop ostentatoire. Il me semblait être dans l'application de la loi.

M. Régis AUTIÉ : Je peux répondre à la question concernant cette jeune enfant du primaire. Dans ce cas, la famille était derrière la demande avec toute une activité de militantisme. Le papa a d'ailleurs expressément souhaité faire de cette affaire une affaire-test au niveau de l'école primaire.

La position de l'école a été à la fois ferme et tolérante. Nous avons discuté mais là où l'on se heurte à une forme d'activisme c'est quand, justement, on n'arrive pas à trouver des accords acceptables par les différentes parties, ce qui conduit les positions à se radicaliser.

Il existe un activisme religieux, en l'occurrence il s'agit de l'islam, qui est une réalité à laquelle nous sommes confrontés parce que nous voyons les agissements des uns et des autres dans la cité où nous travaillons. Des actions de prosélytisme sont menées et chaque jour je passe, pour aller et venir de mon travail, devant le local qui sert de mosquée à Antony - un pavillon de banlieue. Il y a 2 ou 3 jours, en passant devant ce pavillon, à 18 h 30, j'ai vu sortir une jeune femme d'environ une trentaine d'années, entièrement couverte des orteils jusqu'à la racine des cheveux, alors qu'il faisait 35°. Il arrive assez rarement de se trouver en présence de jeunes femmes aussi couvertes. Est sortie ensuite de la mosquée - c'est la première fois que je suis confronté à cette situation de même que mes collègues et les personnes du quartier à qui j'en ai parlé - une petite fille de 3 ans et demi - je peux être précis sur l'âge parce que j'ai travaillé en maternelle - qui était la poupée russe conforme à la maman et qui, par 35° de chaleur, était couverte avec la même chasuble et le même foulard, des orteils jusqu'aux oreilles. Nous pouvons penser que la famille de cette petite-fille, quand elle l'inscrira à l'école, si elle le fait, n'acceptera vraisemblablement pas d'elle-même de « déshabiller » cette enfant pour la mettre en petit short rose avec des petites baskets et un tee-shirt.

Je ne fais pas de militantisme, mais je veux vous alerter sur le fait qu'il existe dans certains quartiers un réel activisme et que celui-ci ne s'arrête pas aux jeunes filles de lycée, de collège, voire d'écoles élémentaires, mais peut concerner d'ici quelque temps des enfants encore beaucoup plus jeunes, comme en école maternelle.

J'ajouterai que j'ai reçu dans mon bureau, il y a quelques semaines, une famille, mandatée par l'association qui a créé la fameuse mosquée de Choisy-le-Roi et dont l'action est d'essayer de monter une école islamique - je dis bien islamique - car dans l'esprit du monsieur que je recevais, ce n'était ni islamiste ni coranique à Massy ou à Antony. Il existe donc des projets très précis, intellectualisés et fondés. On sent qu'il y a des conseils et de l'argent. C'est une réalité.

C'est pourquoi j'utilise, moi aussi, l'expression employée par M. Jean-Pierre Brard de « mains dans le cambouis ». Sur le terrain, en ZEP, mais pas uniquement là, c'est effectivement nous qui avons les bras et les doigts dans le cambouis et il nous est demandé de prendre et d'assumer des positions qui seraient sensées engager l'Ecole (avec un grand E) publique, alors que nous ne sommes nullement mandatés pour le faire et que nous tentons déjà, tant bien que mal, de faire fonctionner nos établissements avec tous les problèmes que nous rencontrons. Dans une ZEP, il n'y a pas que le problème du foulard, et nous sommes parfois dépassés par la quantité de réponses que nous devons apporter. De plus, certains éléments dépassent largement notre compétence.

Mme Micheline RICHARD : C'est exact, et même quand ils sont dans notre champ de compétence. L'affaire dont je vous ai parlé m'a conduite au tribunal administratif, en référé, sur les libertés publiques. J'ai gagné, car je n'ai pas failli dans mon action à l'égard des libertés publiques mais, sur le fond, je n'avais pas à prendre certaines décisions, que j'ai prises pourtant parce qu'il le fallait, sinon j'étais dans l'impossibilité de faire travailler mes élèves et professeurs dans la sérénité. J'ai empêché ces jeunes filles d'aller en classe puisqu'elles refusaient de faire le minimum que nous avions exigé d'elles dans le cadre d'un compromis établi avec la déléguée ministérielle, mais avec lequel mes professeurs n'étaient pas d'accord parce qu'il n'avait pas été élaboré avec eux. De ce point de vue, j'ai perdu. Je n'étais pas compétente pour le faire. Je n'étais compétente que pour organiser un conseil de discipline qui, de toutes façons, aurait mis le feu aux poudres : les collègues seraient « montés au créneau ».

Faut-il une loi ? Je l'ignore. A dire vrai, cela me servirait car je ne serais pas poursuivie, comme l'a dit l'avocat, même en pénal pour avoir empêché ces jeunes filles d'avoir un enseignement auquel elles avaient droit. Ce n'est donc pas seulement un problème de compétence. Je suis défendue par mon autorité hiérarchique, puisque la loi de 1937 le permet, mais il y a une réflexion à avoir car nous savons que certains jeunes sont pris à partie par des fondamentalismes forts et puissants. Je suis d'ailleurs surprise d'avoir été confrontée à ce problème à Ermont, qui était plutôt l'endroit où je m'y attendais le moins. J'étais plus alertée à Garges-lès-gonesse où je savais que cela pouvait survenir et où des pères me disaient : « Madame le proviseur, l'iman a parlé jusqu'à 6 heures du matin aux enfants. Ils ne devraient pas faire des bêtises à l'école ». J'ai répondu qu'à 6 heures du matin les enfants auraient dû être couchés. C'est le type de dialogue que nous avons avec les familles, au quotidien, dans les collèges que nous dirigeons.

Mme Thérèse DUPLAIX : M. Jean-Pierre Brard a posé une question à propos de la kippa. La règle s'applique à tous : il n'y a pas de kippa au lycée de Turgot, quelles que soient les envies. Il y a un an et demi, lors d'un épisode important du Moyen-Orient - car nous vivons au rythme des événements du Moyen-Orient -, à 7 heures du matin nous avions trouvé à l'intérieur du lycée des affiches concernant un appel aux étudiants juifs de Turgot. Nous les avons enlevées immédiatement.

A Turgot, il n'existe pas de petits arrangements parce que la situation consensuelle dont je parlais, qui est à l'intérieur des établissements et non pas sur la République, existe. Si elle n'avait pas existé, je me serais retrouvée en porte-à-faux, comme certains. Pourtant une partie des enseignants de Turgot est de confession juive et une autre de confession musulmane.

Vous avez évoqué ces jeunes filles qui disparaissent. A Turgot, il y a très exactement un mois et demi, nous avons eu connaissance, par l'intermédiaire de quelques-unes de ses camarades, d'une jeune fille qui n'était pas revenue après les vacances de printemps. Nous avons appris qu'elle était séquestrée dans sa famille parce qu'on devait la conduire au Pakistan pour la marier. Grâce à ses camarades j'ai trouvé un subterfuge pour que la mère l'accompagne dans mon bureau. J'ai demandé à la mère de s'éloigner quelques instants parce que je voulais poser une question précise à la jeune fille. Je lui ai demandé ce qu'elle voulait et elle a répondu qu'elle ne voulait plus retourner chez elle. Nous l'avons fait partir par une autre porte et ensuite le procureur a été saisi. Ce sont les camarades qui sont intervenus : la petite est maintenant dans un foyer - une association a été activée de même que le procureur - et la famille est repartie au Pakistan sans elle, mais c'est parce que, autour, des personnes ont été vigilantes.

Au lycée Colbert, une histoire similaire s'est déroulée avec une jeune sénégalaise.

M. Jean-Pierre BRARD : Qu'en est-il des bijoux ? Les croix, les noms d'Allah et autres ?

Mme Thérèse DUPLAIX : Au lycée Turgot, l'affaire est entendue : il n'y a rien. Plusieurs personnes se trouvent à l'entrée. Parfois, je pointe le doigt sur une croix que je remets dans le corsage. C'est entendu et la vie est ainsi. Cela ne signifie pas que l'année prochaine je ne me trouverai pas face à quelqu'un de plus intransigeant. J'ai parlé d'un consensus ; quand il existe un consensus dans la communauté éducative et parmi les parents, cela fonctionne, quand le consensus est fragile ou en cas de forte opposition - je pense à ce que décrivais M. Régis Autié -, nous ne pouvons plus gérer et c'est pour cette raison que j'appartiens à un syndicat qui revendique très fortement que vous, parlementaires, preniez vos responsabilités, comme nous prenons les nôtres.

M. Christian BATAILLE : Je formulerai une question qui a déjà été abordée et qui, de mon point de vue, n'a pas reçu de réponse satisfaisante. Tous les intervenants ont indiqué qu'il leur paraît souhaitable que les enseignements, dans leur contenu, soient une réponse de la République laïque.

Je crois que nous avons peut-être un peu mélangé les notions. Quand Mme Thérèse Duplaix évoque le « prosélytisme » et le « proxénétisme », c'est un problème de vocabulaire témoignant de lacunes culturelles chez des élèves de seconde, de première et de terminale, âgés de 14 à 20 ans, qui peuvent être normales à cet âge mais seraient plus inquiétantes chez des élèves poursuivant des études au-delà du bac.

En revanche, il existe des notions plus approfondies comme celle de « République laïque » et pourquoi pas son contraire d'« Etat théocratique » qui figurent au programme des enseignements d'histoire, de littérature et de philosophie. Je sais que le pouvoir du chef d'établissement est limité par l'inspection générale, mais peut-il demander à ses enseignants de mettre l'accent sur ces notions, voire d'en parler s'ils n'en ont pas l'intention ? A quoi bon, au fond, ériger une sorte de nouvelle doctrine qui serait d'enseigner le fait religieux, donc d'ajouter une nouvelle matière dans les emplois du temps ? Cela me paraît contraire à la loi de 1905, alors que les programmes d'enseignement, eux-mêmes, ont des réponses mais que peut-être les professeurs les ignorent dans leur enseignement.

M. Olivier MINNE : C'est une question immense, difficile et complexe. Par tradition, on pardonnait volontiers à un chef d'établissement d'être un piètre pédagogue, mais pas d'être un mauvais gestionnaire. Nous sommes donc souvent davantage en position d'administrateur, bien que nous ne reconnaissions pas, dans le vocable, que l'administration prenne ses responsabilités. Nous sommes dans notre culture française du lycée français, confrontés à une très forte revendication de liberté pédagogique des enseignants.

Sachant que le cadrage de leur action est fait par les programmes, sous l'autorité supérieure de l'inspection générale des disciplines, il est certain que le rôle des chefs d'établissement, en matière de définition ou d'infléchissement d'application des programmes, est tout à fait limité. Cela dit nous sommes nombreux à nous retrouver dans l'idée que nous sommes, avant tout, des animateurs pédagogiques et nous tentons de jouer ce rôle, dans les limites qui sont celles de nos attributions. Je crois que nous avons un outil particulièrement efficace pour essayer de le faire : le projet d'établissement qui permet, par un travail de concertation avec les enseignants et les équipes pédagogiques, de réfléchir à la réalité du besoin de l'établissement, adapté à son terrain particulier, pour définir des projets d'action spécifique.

Pour prendre un exemple concret, je souhaiterais que dans mon établissement des enseignants réfléchissent avec nous et, pourquoi pas, avec les parents et les élèves, à la manière de répondre à cette carence de connaissance non seulement du vocabulaire mais des concepts fondateurs de la République et de l'école publique. Comment, à travers l'intervention pédagogique dans les différentes disciplines mais aussi de façon trans-disciplinaire ou interdisciplinaire, tenter de mettre en œuvre une formule qui soit propre à l'établissement, sans être en contradiction avec les programmes, mais qui aille le cas échéant plus loin ou en s'appuyant sur eux.

Cela restera forcément quelque chose de modeste car nous sommes indiscutablement confrontés à une forte exigence de respect de leur liberté pédagogique par les enseignants.

M. Jean-Yves HUGON : Je remercie Mesdames et Messieurs les chefs d'établissement pour leur témoignage, qui nous est précieux. Une remarque rapide : je rejoins notre collègue M. Jean-Pierre Brard, et je m'en étais ouvert au directeur de l'enseignement scolaire que nous avons entendu la semaine dernière : plus nous avançons dans le travail de cette mission, plus nous constatons une différence entre les personnes qui vivent et apprécient le problème au quotidien et ceux qui y réfléchissent de loin.

Une question : il semblerait que la majorité d'entre vous souhaite que nous prenions nos responsabilités et que nous légiférions sur ce problème. Mais j'ai noté également que schématiquement, il existait deux façons d'aborder le problème : la fermeté ou le dialogue. Il semblerait que très souvent vous agissiez au cas par cas, par le biais du dialogue. Ne pensez-vous pas que s'il y avait une loi - que vous réclamez - elle ne vous permette plus d'agir par le dialogue ?

M. Olivier MINNE : Je sens bien qu'il existe un risque. Si l'on fixait de manière rigide, par la loi, un certain nombre de points - et nous avons vu précédemment qu'il faudrait alors être précis et ne pas se contenter de généralités parfaitement interprétables par la jurisprudence - et si l'on définissait ainsi un point d'affrontement, l'on risquerait tout à fait de favoriser la confrontation, l'antagonisme et de le cristalliser sur le point que nous avons soulevé. Nous sommes plusieurs à avoir laissé entendre que nous étions dans l'attente de dispositions législatives qui nous rendraient la situation plus facile mais nous en voyons bien les dangers.

Mme Micheline RICHARD : Je suis entièrement d'accord avec cette approche. J'ai bien réfléchi aux conséquences d'une loi. La loi risque de cristalliser le problème alors que nous effectuons un travail pédagogique avec ces jeunes gens. Il y a également des garçons dont nous sentons, à un certain moment, qu'ils sont en inappétence scolaire, comme celui dont je vous parlais précédemment et que j'ai récupéré grâce au conseil de discipline organisé parce qu'il ne venait plus à l'école. Grâce à sa famille, nous avons réussi à travailler avec lui et à le sortir d'affaire car la famille ne voulait pas qu'il se retrouve dans des mouvances islamiques. Mais quand les parents emmènent des enfants à la mosquée, dès l'âge de 3 ans, et les endoctrinent dès leur plus jeune âge, soit ils se rebellent à l'adolescence, soit ils entrent complètement dans le moule. C'est un problème extrêmement délicat et je comprends que le législateur aura du mal à faire une loi. Pour le moment nous réussissons encore par le dialogue.

Une de mes jeunes filles portait un voile noir en début d'année. J'ai demandé conseil à une de mes collègues. Elle m'a répondu : « Chez moi, elles mettent un foulard avec des fleurs. Je ne veux ni du noir, ni du blanc ». Pourquoi du noir, du blanc ou des fleurs ? La réponse est trop compliquée. Nous agissons dans le dialogue avec ces jeunes filles. J'en avais une qui a porté le voile pendant 3 ans, renforcée par la bataille des avocats. Aujourd'hui cette jeune fille porte des frisettes. Je suppose qu'elle a rencontré un garçon qui lui a demandé d'enlever tout cela. De plus elle était en opposition avec son père. Maintenant, elle a 18 ans, elle est en bac professionnel et elle est sortie d'affaire. Elle a fait sa révolution avec sa famille.

Mme Thérèse DUPLAIX : Nous sommes dans une société régie par des lois. Que je sache, cela ne nous empêche pas de vivre le dialogue. Si une loi est mise en place, comme nous le souhaitons, rien n'empêchera les chefs d'établissement de réfléchir et de continuer à dialoguer. La loi est un cadre. Actuellement nous n'avons pas ce cadre, ce qui autorise tous les petits arrangements et fait que nous naviguons entre le noir, les fleurs et autres compromis. Pour cette raison nous souhaitons une loi, en sachant parfaitement que nous sommes tout à fait capables, c'est notre métier, de continuer le dialogue.

L'éducation n'est pas un champ de marguerites tranquille. L'éducation au quotidien, dans une classe, passe bien souvent par le conflit et la confrontation. C'est ainsi que se construisent les adolescents. Si c'est par peur de la confrontation et du conflit que l'on ne fait pas de loi, dans ce cas il est inutile de mettre en place un système éducatif.

M. Régis AUTIÉ : D'après moi le problème de la confrontation par rapport à la loi ne se pose pas. Je suis très attaché, et mes collègues également, à cette notion d'école de la République régie par des lois. En tant que citoyens, nous nous y soumettons, de bonne volonté ou pas. Il existe une règle et un cadre. J'en veux pour preuve une intervention du papa de la petite fille concernée avec qui discutait une de mes collègues qui est allée à plusieurs occasions en Iran parce que son mari y avait des missions. Elle expliquait à ce papa que quand elle arrivait sur le sol iranien, elle devait se voiler et s'habiller d'une certaine façon. Elle lui disait : « Quand je vais en Iran, je me voile et je respecte les lois de votre pays », et le papa a eu cette réponse parfaitement valable : « Moi aussi je respecte les lois de votre pays. Or, dans votre pays ma fille a le droit de venir à l'école avec un signe distinctif religieux. Si dans votre pays on nous disait que les signes distinctifs religieux sont interdits à l'école, en tant que citoyen, je le respecterais ». On est dans l'école de la République. Je n'ai pas à dire dans quel sens doit aller la loi mais il y a l'école de la République, les lois de la République et les citoyens qui respectent les lois de la République. Cela me semble une position carrée.

M. Jean GLAVANY : Deux remarques d'abord. Je voudrais dire que le sempiternel discours sur la baisse tendancielle du niveau de connaissance des élèves me laisse perplexe. Dire qu'il y a des difficultés liées au fait que les élèves ne savent plus ce qu'est le prosélytisme... Vous savez, si l'on avait demandé à la plupart d'entre nous, en seconde, ce que veut dire « prosélytisme » ...

J'ai entendu plusieurs d'entre vous nous dire : « Il faut que les choses soient blanches ou noires, dire si c'est interdit ou autorisé, sinon il n'y a pas de repères ni d'éducation possible ». Mais, en même temps, vous dites que c'est par la confrontation que se forment les caractères et que l'éducation c'est également refuser les amalgames, les simplifications et qu'il existe une pédagogie du contrat et du compromis qu'il faut suivre dans la mission éducative. Donc, on est face à des contradictions.

J'en arrive à ma question. J'entends cette adresse aux parlementaires : « Prenez vos responsabilités ». Formidable ! « Il faut faire une loi ». Pourquoi pas ? Ici, vous flattez l'ego des parlementaires car faire les lois, c'est leur fonction. Ils en font matin, midi et soir. On en fait trop et certains parlementaires qui ont un peu de distance, qui sont passés au Conseil constitutionnel, et ne sont pas de mon parti, disent : « Trop de lois tue la loi ».

Si cette loi consiste à ouvrir un concours de parlementaires sur : « Plus laïque que moi, tu meurs », ce sera formidable. Mais j'ai une question de citoyen à poser, y compris à M. Régis Autié qui dit : « Ce n'est pas à moi de le dire : que mettre dans la loi pour qu'elle soit applicable ? » D'abord, il faut qu'elle soit constitutionnelle et compatible avec la convention européenne des droits de l'homme. Si nous faisons une loi pour qu'elle soit cassée par le Conseil constitutionnel ou par la Cour européenne des droits de l'homme, comment la présenterons-nous aux élèves qui portent des foulards ? De même si nous faisons une loi qui n'est pas applicable.

Ce qui m'intéresse c'est que l'on dise ce que l'on veut mettre dans cette loi pour qu'elle soit compatible avec les équilibres. On ne va pas faire une loi sur le foulard, mais sur les signes religieux. Des jeunes posent problème parce qu'ils viennent avec les kippas passer le bac, mais il y a autant de problèmes avec ceux qui le passent dans les centres d'examen où des crucifix sont au mur. La liberté religieuse est très protégée en France et en Europe. De citoyen à citoyen, ce qui m'intéresse est de savoir que mettre dans cette loi pour qu'elle soit compatible avec les grands principes constitutionnels, les droits de l'homme et des citoyens, pour qu'elle soit applicable dans les établissements et compatible avec vos revendications d'autonomie, dont il a été peu question mais que j'entends chez les chefs d'établissement en général qui ne veulent pas qu'on leur impose tout parce que la vie éducative est très diverse et n'est pas la même en centre-ville, dans les banlieues et en milieu rural.

J'entends la demande : il faut une loi. Mais personne ne me dit ce qu'il faut y mettre, et toutes celles qui circulent sont anti-constitutionnelles.

M. Jacques MYARD : Ce n'est pas vrai. C'est l'opinion de M. Jean Glavany. Ce sont des affirmations gratuites.

M. Régis AUTIÉ : Je me sens dans l'incapacité de répondre. Je veux bien réfléchir au problème et revenir dans quelques mois vous rencontrer de nouveau, mais je suis dans l'incapacité de répondre à votre question, surtout concernant l'aspect juridique. Je pense que vous êtes mieux placé que moi pour porter un jugement.

Ma demande de citoyen et de professionnel est que la situation soit clarifiée et ne laisse plus place, non pas à la négociation ou à la discussion, mais à l'interprétation. J'entends mes collègues parler de foulard à fleurs, blanc ou noir ou de bandana. Pour moi, il s'agit de savoir pour quelle raison le foulard est porté. Si le foulard à fleurs est porté pour des raisons religieuses et qu'il est revendiqué comme tel, qu'il soit noir ou à fleurs, pour moi le problème est le même.

Mme Martine DAVID : C'est ostentatoire dans ce cas.

M. Régis AUTIÉ : Quelle est la revendication du port de tel ou tel signe ? Notre souci est d'être dans la négociation et la discussion. Je ne suis pas un grand fervent du consensus mais je le suis de l'accord qui a été débattu sur la base d'éléments qui ne prêtent pas au louvoiement.

Dans notre établissement situé en ZEP, nous faisons vivre l'école de la République à notre façon avec nos objectifs de citoyens et nos options politiques. Bien sûr, nous ne tenons pas de discours politique dans l'école mais si nous travaillons en ZEP et avons les mains dans le cambouis, cela correspond à un engagement personnel. Mais un collègue de centre ville tiendra un autre discours qui sera tout aussi défendable, intéressant et humaniste que le mien. Nous n'avons pas la prétention de dire que telle ou telle école a le flambeau de la vérité. Nous devons arriver à une situation où, que l'on soit en ZEP, en centre-ville ou en milieu rural, il y ait un élément de référence qui ne prête pas à interprétation sur le terrain.

Mme Elisabeth BORDY : Le problème du foulard ne se pose pas qu'à l'école mais également sur les lieux de travail. Peut-être pourrait-on s'inspirer pour l'école d'une loi comme celle sur les intrusions. A un moment, il a été dit que l'école était spécifique et une loi contre les intrusions dans les écoles s'est révélée être un outil.

Mme Micheline RICHARD : Qu'y mettre ?

M. Robert PANDRAUD : Je souhaiterais que dans les travaux de cette mission et avec notamment les pédagogues qui sont avec nous, nous définissions de façon commune ce qu'est l'école de la République. Pourquoi « école républicaine » - que cela signifie-t-il - et non « école nationale » ? Qu'est-ce que la République et avons-nous tous la même définition du mot « République » ? Comment tout cela fonctionne-t-il entre l'autorité des parents et celle des enseignants, entre le principe de la liberté religieuse, qui me paraît fondamental dans les textes européens, et celui de l'impartialité de l'Etat ?

Enfin, nous ne sommes pas là pour aboutir à une pensée unique. On entend qu'il faut interdire le foulard. Si les parents veulent donner à leurs enfants une éducation musulmane, c'est plus le problème des parents que celui de la société française. Je ne suis pas pro-musulman, je suis laïque depuis des générations et athée, et je rappelle que l'école républicaine s'est construite contre l'imprégnation catholique du pays. C'est comme cela que l'école républicaine se définissait. On a mis tout le monde dans un moule. Vive la pensée unique ! « Comment, ces musulmans arrivant en France, ne s'imprègnent pas nos valeurs françaises, ne portent pas les minijupes et certaines d'entre elles veulent garder leur foulard ? » Il vaut mieux qu'elles gardent leur foulard plutôt que de traîner dans les caves à la tombée de la nuit.

Mme Micheline RICHARD : Un mot me choque qui figure dans tous les bulletins officiels, c'est le mot de « communauté » Qu'est-ce que cela veut dire ? Il existerait un lieu où l'on vivrait dans une communauté dont le proviseur serait le « gourou » ? Nous sommes dans une institution et quand les parents nous confient leurs enfants, ils nous disent : « De par la loi, je vous confie mon enfant vous en devenez responsables ». A partir de cela, je dis aux jeunes filles : « Je comprends que dans la cour vous veuillez vous couvrir la tête, car la cour est un endroit particulier où l'on ne connaît pas tout le monde mais, dans la classe, vous êtes sous la responsabilité du professeur. Savez-vous que votre professeur est responsable de vous et que s'il vous arrive un accident, il pourrait en répondre devant un tribunal ? ».

Je demande que l'on m'explique le mot communauté et personne n'en est capable.

M. Georges MOTHRON : L'éducation, il y a encore peu de temps, c'était les parents et l'Education nationale ; depuis, le monde associatif s'y est greffé pour l'aide aux devoirs et je suis confronté à de l'intégrisme qui passe par certaines de ces associations. En tant que maire de la troisième ville d'Ile-de-France - une ville importante avec un taux d'immigration de même importance que chez mon collègue M. Jean-Pierre Brard à Montreuil - je voulais vous demander si certains d'entre vous avez été confrontés à ce type de problèmes dans l'élémentaire, le collège, voire les lycées.

M. Olivier MINNE : Confrontés directement et de manière avérée, la réponse est non. Mais ceci dit, quand l'on voit aujourd'hui se multiplier les associations qui cherchent d'une façon ou d'une autre à pénétrer le monde de l'école, on peut légitimement craindre que certaines soit vecteur de discours religieux ou pire. Certaines associations s'avancent masquées et peuvent essayer d'entraîner nos élèves dans des dérives que l'on a d'autant plus de mal à cerner que tout cela est souterrain. Mais je dois reconnaître que je n'ai aucun élément objectif pour en attester. En revanche, j'ai des réflexions d'enfants qui sont très intéressantes : à plusieurs reprises en parlant avec des jeunes enfants des répercussions dans leur vie sociale du conflit du Moyen-Orient, certains nous ont dit : « On voit bien que vous ne regardez pas la télévision arabe ».

Ainsi, aux trois éléments parents, éducation et associations que vous avez énumérés, il faudrait ajouter les médias, y compris les médias câblés ou satellites qui correspondent à des sources qui ne sont pas celles du service public de l'audiovisuel.

M. Régis AUTIÉ : Je ne pense pas que l'inquiétude par rapport aux associations qui sont les partenaires habituels ou identifiés des écoles soit fondée. Dans des quartiers comme le nôtre, le maillage du secteur associatif est très dense. Le problème est davantage celui du rythme de la vie familiale, dans la mesure où beaucoup d'enfants sont dehors excessivement tard.

Nous sommes dans une très grande cité, une sorte de microcosme où des enfants de 6 ou 7 ans peuvent encore être dehors à 23 heures, 23 h 30, voire plus tard. Dans ce cas, il n'existe aucun contrôle, ni par l'Education nationale, ni par les familles. Quant à ceux qui ont 14 ou 15 ans, ils font, pour certains d'entre eux, ce qu'ils veulent et deviennent des proies faciles, des viviers d'enfants à la merci d'interventions. Dans notre secteur, les personnes sont identifiées. Face à ces jeunes qui font du prosélytisme, expliquent la religion et tentent de récupérer des brebis égarées, la politique de la ville tente d'envoyer des éducateurs de rue et des éducateurs sociaux.

Il y avait donc au niveau de l'encadrement un no man's land. Les associations - qu'elles soient légales ou de fait - l'ont bien compris et se sont implantées progressivement sur le terrain. Elles n'ont pas besoin de passer par l'intermédiaire de la scolarité puisque nous gardons les enfants le plus tard possible de façon à savoir où ils se trouvent. Dans notre école, élémentaire par exemple, nous pouvons accueillir les enfants de 7 h 30 du matin à 19 heures. Après, il y a un vide. Ce n'est plus l'école et ce n'est pas encore la famille - ou cela ne peut pas l'être, car les parents rentrent tard ou ont des vies complexes - et les enfants sont dans la rue. Qui veut faire, fait. Il n'y a aucun contrôle et c'est une réalité dans notre secteur.

Mme Thérèse DUPLAIX : C'est le même constat dans le centre de Paris.

M. Jacques MYARD : Avez-vous le sentiment que, en réalité, derrière le voile, il y a l'irruption d'une conception du monde qui n'est pas la nôtre. Le voile n'est-il qu'un épiphénomène derrière lequel il y a un phénomène allant bien plus loin ?

Mme Thérèse DUPLAIX : Je ne peux pas répondre autrement que de la façon dont a répondu mon collègue M. Olivier Minne. Sa réponse me paraissait excellente. Il n'y a pas de généralisation possible. Derrière quelques jeunes filles qui portent le voile par provocation ou pour s'élever contre leur mère, laquelle, au contraire, est en minijupe et très décolletée, il y a le jeune homme dont je parlais qui, quand il sort du lycée, devient imam dans la mosquée qu'il fréquente et donne des rendez-vous à des jeunes pour leur apprendre la prière et derrière lequel se trouve l'imam arrivé du Moyen-Orient. Autant, me semble-t-il, de cas et de positions différentes. Dans un cas je pourrais vous répondre : « Oui manifestement, il y a quelque chose derrière » - et j'en ai eu la preuve - et, dans d'autres cas : « Non, c'est de la provocation, de l'adolescence, de la contradiction avec la famille, c'est pour faire comme la copine ». Il existe quantités de raisons valables.

Mme Micheline RICHARD : S'il y a quelque chose derrière, c'est dans la cité. Dans ce cas c'est l'affaire de tous, de la sécurité publique et non pas seulement des proviseurs. Si c'est à l'intérieur, il y a confrontation, on cherche, on gratte, on voit ce qui se passe. Si nous sommes alertés par des intrusions, immédiatement nous déposons plainte et faisons notre devoir.

Je ne vois pas pourquoi les choses seraient mélangées. Je fais partie d'une institution républicaine que je défends. Quand j'ai des élèves qui se comportent comme des élèves je les traite comme tels. S'ils se comportent comme des délinquants je leur dis : « Tu as changé de statut, je ne peux plus te traiter de la même manière et c'est la loi qui joue ». Faut-il une loi sur cette question ? Cela m'arrangerait parce que je risque d'être poursuivie !

M. Olivier MINNE : Mme Thérèse Duplaix disait - en me citant - que l'on ne pouvait pas généraliser. Pourtant je nuancerai ce que j'ai pu dire. Le contexte international, et particulièrement celui qui a surgi avec les attentats du 11 septembre, puis avec le durcissement du conflit au Moyen-Orient, et avec l'irruption de la menace de guerre, puis de la guerre en Irak, a bien évidemment des incidences, complètement impalpables, impossibles à analyser de manière dialectique, mais certaine chez nos élèves et nos enfants.

Ils sont traversés par cela comme toute notre société l'est et comme ils sont beaucoup plus sensibles, beaucoup moins armés et cultivés, ils se servent de tout ce qui passe pour tenter de se repérer. Les incidents auxquels nous sommes confrontés, que ce soit ceux dont nous parlons aujourd'hui, à savoir le port de signes religieux, ou d'autres - j'ai travaillé depuis quelques mois avec le cabinet du ministre sur des problèmes de prévention des communautarismes, essentiellement par rapport à la multiplication des incidents antisémites parce que nous avons été confrontés à cette réalité dans l'établissement -, sont de petits signes d'alerte de quelque chose qui dépasse singulièrement la question de savoir s'il faut ou non tolérer le voile, je suis d'accord avec vous.

Je ne me retrouve pas dans le discours : « Messieurs les parlementaires prenez vos responsabilités ». Ce n'est pas ce que je veux dire. Mais notre tâche est difficile. J'aime l'image du démineur. Nous désamorçons sans arrêt des petites crises, des petites bombes, dans lesquelles les adultes jouent le rôle de boutefeu ou de manipulateurs quand cela les arrangent, dans lesquelles les enfants sont bien souvent plus manipulés que fondamentalement convaincus et notre travail est d'essayer de faire en sorte de continuer à travailler dans l'école, à apprendre et développer l'esprit critique des élèves, sans avoir à nous torturer l'esprit pour savoir si nous sommes dans le droit au pas, si notre décision est juridiquement attaquable ou pas. C'est là - pour une raison de confort - que j'apprécierais d'avoir un cadre législatif précis qui m'épaulerait. Cela dit, nous avons également appris à composer avec l'ambiguïté et les interprétations, et nous y arrivons. Mais cela devient de plus en plus difficile car tout tend à devenir de plus en plus binaire. Tout suscite l'antagonisme et la vie politique en est un exemple. Quelque part autour des affrontements communautaristes - même si ma collègue n'aime pas le mot « communauté » -, on cherche à simplifier la donne.

M. Régis AUTIÉ : Par rapport à l'activisme religieux dans le secteur, je dirai qu'effectivement c'est une réalité qui est revendiquée et affichée et les personnes ne s'en cachent pas.

M. Eric RAOULT, Président : Je me fais le porte-parole de mes collègues en disant que cette audition était l'une des plus intéressantes, des plus vécues et des plus concrètes et qu'elle nous a permis d'avoir tout à la fois des témoignages et des réactions.

Je vous remercie.

Audition de M. Abdallah-Thomas MILCENT,
médecin, auteur de l'ouvrage
« Le foulard islamique et la République française, mode d'emploi »


(extrait du procès-verbal de la séance du 1er juillet 2003)

Présidence de M. Eric RAOULT, membre du Bureau

M. Eric RAOULT, Président : M. Milcent, je vous propose de vous présenter puis de nous exposer votre point de vue sur la question des signes religieux à l'école. Je vous demanderais d'être assez synthétique afin que nous puissions réserver suffisamment de temps à un jeu de questions-réponses, de façon que cette audition soit la plus vivante possible. Pour votre information, je vous indique que le document, très complet, que vous nous aviez transmis pour cette audition a été remis en copie à l'ensemble de mes collègues.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : M. le Président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie vivement d'avoir accepté de me recevoir dans le cadre de votre mission. Cette mission d'information représente à mes yeux l'une des traditions républicaines qui veut que l'on écoute tout le monde, y compris les avis les plus tranchés, afin de débattre au plan national et de trouver les meilleures solutions.

Je suis médecin généraliste, d'origine normande. Je me suis spécialisé dans les domaines de l'immigration et de l'exclusion sous toutes ses formes, exclusion sociale, exclusion liée à la toxicomanie ou à la prostitution... Je travaille dans un cabinet libéral dans la banlieue de Strasbourg.

J'ai voulu témoigner devant vous pour vous faire part de mon expérience en tant que défenseur, depuis 1989, du port du foulard islamique à l'école. En 1989, j'étais membre du bureau de la Fédération nationale des musulmans de France (FNMF). Nous avons été très douloureusement surpris quand la première affaire de Creil a éclaté. Nous étions franchement désemparés et ne savions pas du tout comment réagir.

Certains proposaient des réactions de type : « troubles à l'ordre public ». Issu d'une famille laïque, jacobine et républicaine, et conscient que nous vivons dans un Etat de droit qui protège les droits fondamentaux et les libertés individuelles - la France n'est pas une « bananocratie »-, j'ai refusé cette approche et j'ai proposé que nous réagissions sur le plan juridique.

Tout naturellement, on m'a donc chargé de rédiger la lettre des membres de la FNMF au Conseil d'Etat avant qu'il ne rende son avis du 27 novembre 1989. Depuis, j'ai été le coordinateur de toutes les actions en faveur du port du foulard islamique. Les associations musulmanes ne disposant pas des moyens d'expertise juridique pour défendre les jeunes filles impliquées dans ces affaires, j'ai décidé d'aller sur le terrain soit pour leur apporter mon soutien devant les conseils de discipline, soit pour discuter avec elles ou leurs avocats.

Mon ouvrage, « Le foulard islamique et la République française : mode d'emploi », est le résumé de cette expérience. Je me considère comme un militant des droits de l'homme. Je vous le dis tout de suite : je n'accepte jamais de défendre une jeune fille qui me donne l'impression de porter le voile de manière forcée. Je demande toujours à discuter avec elle, je l'interroge sur le caractère personnel de ses motivations et je lui précise que je continuerai à être derrière elle quand bien même elle changerait d'avis, puisque tel est son droit le plus strict.

Je profite également de ces affaires-là - et mon livre en est l'illustration - pour expliquer aux communautés musulmanes qui, parce qu'elles sont des communautés immigrées récentes, ne connaissent pas le fonctionnement de notre société sur le plan juridique et notamment celui de la défense des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

A la lecture des déclarations de certains de vos collègues dans la presse, on peut se demander quel est le véritable problème pour lequel vous souhaitez trouver des solutions. S'agit-il de lutter contre l'intégrisme ? Il faut alors déterminer ce qu'est l'intégrisme et se poser la question suivante : la loi est-elle un outil adéquat pour lutter contre ce phénomène ? Ou bien, ce qui est différent, s'agit-il de lutter contre le communautarisme ? D'où vient alors ce communautarisme et doit-on considérer que les communautés musulmanes de France - car elles sont multiples - sont sinon les plus communautaristes, du moins constituent un ferment de communautarisme ? D'après mon expérience, à cette dernière question, je répondrai non, mais on peut en discuter. Enfin, s'agit-il d'imposer une forme de laïcité plutôt qu'une autre, à savoir confiner la pratique religieuse uniquement dans le domaine privé et imposer à tout le monde la neutralité dans le domaine public. Une telle approche serait contraire aux textes régissant la protection des droits de l'homme que vous connaissez aussi bien que moi.

Toutes ces questions se posent et sont très importantes tant il est vrai que lorsque la presse s'est fait l'écho de votre mission, tout le monde, et les musulmans en particulier, a dit que la pratique religieuse était visée. Je vous le dis franchement : la valeur d'un corps social se mesure au traitement qu'il apporte aux plus défavorisés et aux exclus. Les jeunes filles qui portent le foulard sont issues de l'immigration récente et sont extrêmement faibles du point de vue social. Elles commencent seulement à comprendre le fonctionnement de notre société. A chaque fois que j'ai été confronté à des affaires de foulards, je les ai vécues douloureusement parce que ces filles souffrent et leur communauté avec elles.

Je vous remercie de votre attention et je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. Jean-Yves HUGON : Monsieur, que répondez-vous à l'affirmation suivante ? Dans une école de la République, un professeur ne doit pas pouvoir distinguer l'appartenance religieuse de ses élèves dans la classe.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Sur quel texte de la République vous basez-vous pour affirmer cela ?

M. Jean-Yves HUGON : Qu'il y ait un texte ou pas, je pense que cette question est au coeur du problème de la laïcité.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Absolument. Et je suis heureux que vous posiez cette question.

D'après moi, et c'est ce qui ressort de mon expérience dans ce domaine, il y a une énorme différence entre la laïcité républicaine telle qu'elle est définie dans les textes - qui est la laïcité que tout le monde accepte et qui fonde notre République - et la laïcité telle qu'elle est vécue par une grande partie de la population française, une laïcité un peu fantasmagorique, qui voudrait qu'un professeur ne connaisse pas les opinions de ses élèves ou que les élèves soient soumis à une certaine neutralité dans le service public. Je suis désolé, mais les textes de la République montrent clairement que la neutralité du service public, aussi bien de La Poste que du service public de l'éducation, s'impose aux organisateurs de ce service et non pas à leurs utilisateurs. Ce n'est pas du tout la même chose.

M. Jean-Pierre BRARD : Monsieur, l'objectif du postier n'est pas de rendre la lettre intelligente.

Je souhaitais vous poser la même question que mon collègue mais je vais la formuler autrement. Le fait qu'un député de droite ait la même question qu'un député de gauche ou inversement est significatif.

La religion ne relève pas du domaine de la raison, mais de celui de la croyance, de l'irrationnel et du subjectif. Au contraire, le champ de l'éducation est celui de la formation de l'esprit critique. Vous disiez qu'il n'est écrit nulle part - si je ne trahis pas votre pensée - que l'espace de l'école doive être neutre. Mais le professeur, lui, au moins, est soumis à la neutralité. Imaginez-vous qu'un professeur qui, à mon avis et par vocation, doit ignorer la croyance de ses élèves, puisse être complètement neutre, déconnecté d'une situation internationale donnée ? Et je termine en faisant référence à la définition que donne Régis Debray de la laïcité : « La laïcité n'est ni une croyance ni une valeur parmi d'autres. C'est une valeur essentielle qui permet aux croyances de cohabiter ensemble ». A partir du moment où les croyances interviennent dans l'espace éducatif et que l'on accepte qu'elles y soient identifiées, ne pensez-vous pas qu'il existe un danger majeur de guerres de religions dans l'espace scolaire ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Je crois très important de dire, qu'à titre personnel, je me considère comme un fervent défenseur de la laïcité. Pour moi, la laïcité est fondamentale. Nous ne sommes pas dans un débat où s'opposent pro-laïcité et anti-laïcité. Je suis issu d'une famille laïque et républicaine et, je vous le dis très clairement, je me considère comme un laïc et un républicain.

La laïcité signifie qu'en effet l'école doit être à l'abri des prosélytismes. Ceci est très clair également. Je ne pense pas que, parmi les musulmans de France, il y ait des gens sérieux, dotés de responsabilités associatives - je ne parle pas des « allumés » que l'on rencontre parfois -, qui demandent à faire du prosélytisme au sein de l'école. Cela n'existe pas.

L'école a pour vocation d'apprendre aux jeunes à raisonner et à faire leur choix, mais cet apprentissage est progressif. On ne peut pas demander à tout le monde d'entrer neutre dans le système pour en sortir neutre ou formé au raisonnement. Ce serait, d'après moi, plus qu'illusoire et plus qu'utopiste. Chacun entre à l'école avec sa part de croyance et de raisonnement. L'école permet à l'enfant de comprendre la société dans laquelle il vit, elle lui montre qu'il n'est pas seul, qu'existent d'autres croyances, d'autres raisonnements et d'autres philosophies que les siennes. L'école est une institution vivante, en connexion avec le monde.

M. Jean-Pierre BRARD : Quelle différence faites-vous entre l'enseignement de la religion et l'enseignement du fait religieux ? Par ailleurs, je voulais vous faire remarquer que la laïcité ne se prouve pas par des affirmations mais par des actes.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Il est tout à fait clair que l'enseignement du fait religieux a sa place à l'école parce que c'est un fait historique. Les civilisations chrétiennes, israélites, bouddhistes, musulmanes correspondent à des faits historiques. A ce titre, il est bon qu'elles soient enseignées. Il est clair, aussi, que lorsque je veux enseigner la religion à mes enfants, je le fais en tant que croyant. A ce moment-là, je dis : « Nous croyons que... ». C'est très différent.

Concernant votre remarque complémentaire : « la laïcité se prouve par des actes », je crains de mal vous comprendre. Qu'attendez-vous comme actes ?

M. Jean-Pierre BRARD : C'est nous qui vous avons peut-être mal compris. Vous affirmez : « Je suis laïc, ma famille l'était déjà. ». La laïcité n'est pas dans les gênes.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Nous sommes bien d'accord.

M. René DOSIERE : Je vous ai entendu dire que vous considériez presque comme attentatoire à la laïcité - vous avez employé un autre mot - le fait que la religion soit cantonnée dans le domaine privé et ne puisse pas s'exprimer dans le domaine public. Pourtant, la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l'Etat et la laïcité « à la française » ont justement eu pour vocation de rejeter sinon totalement, en tout cas fortement, la religion du domaine public pour la cantonner dans le domaine privé, ceci de manière à permettre aux diverses croyances de pouvoir coexister sans tomber dans les travers passés.

Je souhaiterais donc que vous précisiez votre conception de la laïcité. Partagez-vous cette définition de la laïcité à la française ?

Par ailleurs, vous êtes installé en Alsace, c'est-à-dire dans une région soumise au régime concordataire où, pour des raisons historiques, la laïcité n'a pas la même signification qu'à « l'intérieur ». Votre lieu d'habitation n'induit-il pas dans votre comportement l'idée que la religion doive nécessairement avoir une expression publique ?

Enfin, estimez-vous que le foulard est un signe d'expression religieuse et êtes-vous favorable à la création d'écoles musulmanes ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Vos questions sont extrêmement riches. J'espère avoir tout compris et pouvoir y répondre pour le mieux.

Vous parlez de la laïcité à la française, telle qu'elle définie dans les textes - et non telle que certaines associations laïques la prônent mais qui n'est pas dans les textes - et notamment dans la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l'Etat.

J'attire votre attention sur le fait qu'il n'existe pas d'Eglise musulmane, au sens institutionnel du terme, excepté le clergé chiite qui est ultra minoritaire en France.

La loi de 1905 qui pose la question des religions en termes d'Eglises a donc une petite difficulté avec la religion musulmane. Cette situation est normale dans la mesure où les musulmans étaient très peu nombreux en France au début du siècle et je la comprends très bien. La présence massive des musulmans dans notre pays est un phénomène récent. Le compromis historique de 1905, entre le clergé catholique d'un côté, et les organisations très militantes de la laïcité de l'autre, peut être remis en question par le comportement des musulmans et des musulmanes qui arrivent en France. Il est vrai que ce comportement peut choquer au regard du compromis qui existait auparavant. Je comprends très bien qu'il interpelle.

Cependant, les textes sont très clairs. La déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 prévoit que la pratique religieuse peut se faire tant en public qu'en privé. L'article 9 de la convention européenne des droits de l'homme retient la même formulation. Vous savez à quel point la séparation des Eglises et de l'Etat a été douloureuse. Vous savez à quel point la question des processions et des sonneries de cloches a posé problème. Et il n'y a pas si longtemps de cela...

Je ne pense pas que la laïcité, telle qu'elle existe dans les textes, pose problème pour les musulmans. De plus, je ne pense pas que l'on puisse affirmer que la loi française, que le pacte républicain, impose aux convictions de ne pas s'exprimer dans l'espace public. Ceci constitue le fond du débat.

La question de la laïcité s'est en premier lieu posée pour les convictions politiques et syndicales. Si vous souhaitez - mais, à ce moment-là, il faut le dire clairement - que les convictions, et en particulier les convictions religieuses, ne puissent plus s'exprimer en public, alors vous reviendrez sur les interprétations du principe de la laïcité à la française qui en ont été faites au cours de son histoire. Vous avez ce pouvoir mais j'estime que cela constituerait un retour en arrière.

M. Jean-Pierre BRARD : Vous êtes opposé à la révision de la loi de 1905 ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Oui, j'y suis opposé.

Si vous le permettez, je souhaiterais répondre à la deuxième question de M. Dosière : le fait d'habiter en Alsace où perdure le régime du concordat influe-t-il sur la conception que je me fais du principe de laïcité ? J'attire votre attention sur le fait que l'islam n'est pas une religion concordataire.

M. René DOSIERE : Je le sais. La religion musulmane n'existait pas en Alsace en 1806.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Elle existait mais elle était extrêmement minoritaire. En Alsace, l'islam ne bénéficie pas des mesures prises en faveur des religions concordataires. J'ajoute qu'à titre personnel, je suis opposé à l'enseignement religieux dans les écoles.

M. René DOSIERE : Je parlais de la création d'écoles musulmanes.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Je ne suis pas favorable à la création de telles écoles. Je préférerais que la République française se charge de l'éducation de nos enfants. Je suis issu de l'école publique - qui dispense un enseignement de très bonne qualité - et j'en suis très fier. Je ne suis pas du tout favorable à la création d'écoles communautaristes. Il faut l'éviter dans la mesure du possible.

Mais qu'allons-nous faire des jeunes filles voilées si vous les excluez et qu'elles persistent dans leur choix ? Va-t-on devoir les condamner à être mère à 16 ans ? Personnellement, je n'y suis pas favorable. Il faudra donc trouver un moyen de les éduquer.

M. René DOSIERE : Pour vous, le foulard est un signe religieux ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : C'est de la sémantique. Pour moi, le foulard est l'expression d'une liberté. Une jeune fille qui choisit de porter le voile, puis de l'enlever ou de le remettre, exprime sa liberté. Je n'ai pas à juger ses choix. J'ai vu des centaines de filles qui portaient le foulard. Je n'en ai pas vu une seule qui le portait ni de la même manière, ni pour les mêmes raisons que celle qui était à côté d'elle. Il faut se garder de faire des amalgames et de trop grands raccourcis. Les jeunes filles qui portent le voile expérimentent leur liberté. Ce sont des adolescentes, de 14 à 19 ans, qui se découvrent à elles-mêmes. C'est comme cela que l'on se fait une opinion. Souvenons-nous de nos errances de jeunesse. Nous avons tous fait des expériences que nous avons regrettées par la suite. C'est normal.

Mme Martine DAVID : Je vais essayer, puisque, apparemment, c'est le travers dans lequel vous voulez nous entraîner, de ne pas me positionner sur le terrain de la loi mais sur celui de la conception de la laïcité. Visiblement, la conception que nous en avons est totalement différente de la vôtre.

Vous annoncez - c'est dans le titre de votre ouvrage - que vous êtes favorable au port du voile islamique considérant qu'il est toujours librement consenti. Je suis tout de même très étonnée que vous puissiez penser que nous allons croire cela. Soit vous êtes très naïf, soit vous nous prenez pour des naïfs.

La mission travaille depuis plus de trois semaines. Nous avons auditionné beaucoup de responsables, notamment des chefs d'établissement, qui ont un vécu très important, et nous ont fait part de leur expérience. Nous avons également auditionné Mme Hanifa Chérifi, la médiatrice de l'Education nationale sur la question du voile, que vous connaissez sûrement.

Tous nous ont dit que, dans un certain nombre de cas, il était évident que le port du foulard n'était pas librement consenti. Nous-mêmes, élus, dans certaines communes, dans certaines cités réputées difficiles, nous savons aussi qu'il existe des associations, des réseaux fondamentalistes, qui obligent, d'une façon ou d'une autre, les jeunes filles musulmanes à porter le voile. On nous a même signalé, au cours de l'audition précédente - et nous n'avons aucune raison de mettre en doute ce témoignage d'un instituteur -, le cas d'une petite fille de 3 ans entourée d'un voile noir de la tête aux pieds. Je ne sais pas si l'on se rend bien compte de quoi on parle. Pour moi, cette situation est incompatible avec la conception que j'ai du principe de laïcité et je crois que mon avis est partagé par mes collègues de cette mission. Dans ces conditions, je ne comprends pas comment on puisse être favorable au port du voile islamique. Ou alors il y a entre nous une vraie opposition, ce qui est sans doute le cas.

Vous nous avez dit vous porter aux côtés des jeunes filles voilées pour les défendre dans les établissements scolaires. Or, nous savons bien qu'il existe des fillettes de 11 ou 12 ans qui sont très fortement influencées par leurs frères, leurs oncles... pour porter le foulard. Comment pouvez-vous être assuré, dans chacun des cas, que la jeune fille consente librement de porter ou non le voile ? Nous n'avons pas cette naïveté.

Par ailleurs, vous nous avez dit - et je n'ai pas de raison de mettre cela en doute - que vous étiez issu d'une famille laïque et que vous vous considériez vous-même comme un laïc. Au nom de ce principe, estimez-vous normal qu'une fillette doive subir la proximité d'une de ses petites camarades de classe portant le voile islamique ?

Nous considérons que la sphère de l'école est fragile parce que l'enfant lui-même est quelqu'un de fragile. C'est la raison pour laquelle nous pensons qu'à l'école, l'enfant, et notamment l'enfant dans sa première éducation, doit être protégé de toute atteinte à son état d'esprit.

Par conséquent, on ne doit pas permettre le port du voile islamique ou de tout autre signe religieux - on a trop parlé dans ce début d'audition du voile islamique - dans l'enceinte de l'école. Le port, par un élève, d'un signe religieux porte atteinte à la liberté de penser de l'enfant qui est à proximité de lui. Pour moi la laïcité c'est d'abord la liberté de chacun mais surtout la liberté de l'autre.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Je vous remercie pour votre intervention. Elle est très riche. J'espère avoir tout compris et pouvoir y répondre. Comme je vous le disais, je suis, à titre personnel, favorable au port du foulard islamique, bien que je comprenne que certaines jeunes filles de confession musulmane préfèrent ne pas le porter. Avant tout, je suis favorable à ce qu'elles soient libres.

Vous me dites : « Vous ne pouvez pas ignorer que certaines parmi les jeunes filles voilées sont forcées ». Mettons-nous bien d'accord. Si vous connaissez des jeunes filles dans ce cas, je viendrai personnellement, avec vous, sur le terrain, leur dire qu'elles n'ont pas à porter le foulard islamique dans de telles conditions.

Je vous le rappelle, mon expérience en ce domaine est assez riche. Un chef d'établissement est confronté à « x » filles. Mon expérience repose sur l'ensemble de la France. Cela fait beaucoup de jeunes filles rencontrées. Et, mon expérience me montre, qu'en effet, dans moins de 10 % des cas, les jeunes filles étaient sous influence. Je vous rappelle également que je suis médecin et, qu'à ce titre, je sais détecter ce genre de choses.

Voici comment je procède. Je suis d'abord contacté par téléphone. Je demande toujours à parler à la jeune fille. Ensuite, une fois sur place, je demande à voir la jeune fille, seule, pour discuter avec elle de ses motivations. Je ne dis pas que je ne suis pas passé à côté de cas de filles forcées. Mais, je cherche réellement à les détecter. Et, quand je l'ai détecté, j'explique clairement à la jeune fille que ce n'est pas mon travail de participer au fait qu'elles soient forcées.

En ce qui concerne l'autre aspect de votre question, oui, nous subissons tous la pression de notre entourage, et les enfants en tout premier lieu. L'école leur enseigne justement - et vous l'avez souligné - qu'ils ont le choix et leur apprend à le faire. La famille aussi, en général, contribue à orienter leurs choix de vie. C'est pour cela que des jeunes filles changent d'avis. C'est normal. Devons-nous protéger les enfants de leur milieu familial, de son influence ? Je dis que si vous aviez cette mission...

Mme Martine DAVID : J'ai parlé de l'école...

M. Abdallah-Thomas MILCENT : ... Vous parliez de la pression des frères, de la famille. Faut-il protéger les enfants de la pression des choix de leur milieu familial ? Si vous vous engagez sur cette piste, vous faites fausse route. C'est mon opinion. C'est le droit des parents d'éduquer leurs enfants dans les philosophies qu'ils choisissent. Ce principe est inscrit dans la déclaration universelle des droits de l'enfant. Je vous invite à la relire car sa rédaction est très précise. Le milieu familial existe et les influences du milieu familial également.

L'école de la République apprend aux enfants, petit à petit - et c'est ainsi que l'on devient adulte -, à remettre en question les choix de leurs parents, pour qu'ils fassent les mêmes ou s'orientent vers d'autres. On a tous agi de même.

M. Eric RAOULT, Président : Il existe donc une pression au moins de la part des parents, si ce n'est de l'entourage.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Non, pas forcément. Je suis né dans un milieu laïc et républicain. Dès le départ, les choix laïcs et républicains m'étaient donc davantage présentés. Petit à petit, j'ai choisi d'être musulman. Je me suis écarté de cette tradition laïque et républicaine « bouffeuse » de curés dont je suis issu.

Mme Martine DAVID : Ce n'est pas parce qu'on est laïc que l'on est « bouffeur » de curés...

M. Abdallah-Thomas MILCENT : ...Oui, mais ma famille l'était !

M. Eric RAOULT, Président : D'où peut-être un effet en réaction.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : C'est possible. Toujours est-il que l'école n'est pas là pour protéger les enfants contre leur milieu familial mais pour leur apprendre à choisir et à remettre en question les options de leurs parents. Ce n'est pas du tout la même chose. C'est très important. On pourrait imaginer que l'école de la République est une bulle qui placerait les enfants dans une neutralité totale. Mais, le jour où ils sortent de la bulle, ils découvrent des choses bizarres.

Vous parliez des signes religieux. Je vous rappelle, Mme David, qu'à l'école, la question de la neutralité s'est d'abord posée pour les signes politiques et syndicaux : « Avait-on le droit de venir avec une écharpe rouge ? ».

Mme Martine DAVID : J'insiste beaucoup sur ce que j'ai dit à la fin de mon intervention. Je considère, compte tenu de la conception que j'ai de la laïcité - qui pour moi est d'abord une liberté et non pas un interdit - que le port d'un signe religieux à l'école, quel qu'il soit, ou d'un signe politique, est attentatoire à la liberté du jeune enfant. Je le dis parce que je le pense profondément.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Je comprends mieux votre réflexion.

Mme Martine DAVID : Quelle est votre appréciation sur ce sujet ? Visiblement, vous pensez le contraire. Cela signifie que nous avons une conception totalement différente de la laïcité.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Je considère, mais je ne suis pas le seul - vos aînés, les députés, les sénateurs qui vous ont précédée, ont choisi d'aller dans le même sens -, que l'école doit être le lieu de l'apprentissage progressif de liberté de pensée, celui de l'autorisation progressive. La question s'est posée en 1968 et la réponse qui y a été apportée n'a pas changé depuis.

M. Eric RAOULT, Président : En 1905, l'hégémonie de l'église catholique dans notre pays conduit à un mouvement de liberté, qui fait suite à 1901, à la montée du radicalisme, à la possibilité de s'organiser, de faire des banquets... Le mouvement de mai 1968 n'est pas en rapport avec un interdit.

En vous écoutant, j'ai un peu l'impression de réentendre les professeurs qui me parlaient de la libération sexuelle ou de la possibilité de fumer dans l'aumônerie.

Vous avez été parfois un peu provocateur. Nous le sommes aussi. Nous ne traitons pas du problème du voile dans la société française mais de situations qui peuvent, aujourd'hui, poser des difficultés au regard de la laïcité. La question du respect du principe de laïcité ne se pose pas uniquement relativement au culte musulman mais aussi aux autres cultes, dans un contexte international qui peut conduire à des affrontements. Nous avons entendu des chefs d'établissement nous parler des problèmes auxquels ils étaient confrontés. Comme Mme David l'a souligné, nous avons tous connu, dans nos circonscriptions, des situations où, manifestement, la jeune fille voilée de 13, 14 ou 15 ans ne disposait pas de la liberté de jugement - au regard de son éveil à la sexualité, de par son entourage familial et de par sa situation d'exclusion. Dans ce cas, le voile ne se perçoit plus dans les termes que vous soulignez. Il devient un moyen de se protéger contre les garçons, de ne pas affirmer les mêmes sensibilités dans le cadre d'un établissement scolaire...

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Certaines utilisent le voile comme un moyen de provocation, je les ai vues, mais elles ne sont pas majoritaires.

M. Eric RAOULT, Président : Et certaines portent le voile sans être musulmanes ou expliquent, par un raccourci, ce qu'est dieu, le prophète... C'est plutôt une version de supermarché du culte musulman.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Nous sommes d'accord sur le fait qu'il faut laisser aux jeunes filles la liberté de leurs choix et qu'elles puissent l'exprimer le mieux possible.

Mme Martine DAVID : Les fillettes ont-elles une vraie liberté de choix ? Je ne le crois pas !

M. Abdallah-Thomas MILCENT : J'ai rencontré des fillettes, mais la tranche d'âge des filles concernées s'étale jusqu'à 19 ans.

M. Eric RAOULT, Président : Ici, nous traitons la question des signes religieux à l'école. Ce qui pose problème, c'est également lorsqu'une jeune fille demande à être dispensée de telle ou telle discipline, obligatoire dans le cadre du programme, qu'elle ne va pas au cours de sciences naturelles, en cours d'éducation physique et sportive. Dans mon académie il y a eu, depuis le début des épreuves du baccalauréat, une dizaine de cas de jeunes filles refusant d'être interrogées par des examinateurs hommes. Cela existe.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Je n'ai, pour ma part, jamais rencontré de jeunes filles qui refusaient d'assister à certains cours.

M. Eric RAOULT, Président : Mais cela existe.

Mme Martine AURILLAC : M. le Président, j'interviendrai dans le sens de ma collègue Mme David. Je vais essayer d'être peu véhémente.

M. Milcent vous nous avez dit n'accepter de défendre que les jeunes filles qui arboraient librement le voile contre des écoles qui refuseraient qu'elles le portent. Tous ensemble, nous sommes convenus que le voile n'était pas toujours un signe religieux. Il symbolise également une forme de provocation, de réaction contre les parents... parce que l'on veut faire de la même façon que la petite amie. Une jeune fille voilée m'a même dit : « C'est tellement joli ! ». Mais beaucoup, et vous le savez, sont forcées par leur milieu, par de l'endoctrinement souterrain, à le porter. Je vous pose la question : n'est-ce pas celles-là qui mériteraient davantage d'être défendues ? Certes, c'est un peu provocateur...

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Non, pas du tout. Je prends l'engagement, devant vous, de venir et de discuter avec ces filles « soumises », forcées à porter le foulard islamique, afin qu'elles l'enlèvent.

Mme Martine DAVID : Il y en a partout.

Mme Martine AURILLAC : Nous ne devons pas voir les mêmes écoles.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Je suis à votre disposition. Je vous le dis clairement.

Mme Martine AURILLAC : Par ailleurs, il ne vous aura pas échappé que le voile est porté par les jeunes filles et jamais par un garçon. Ainsi, le voile ne met pas uniquement en question des problèmes religieux ou de laïcité ou des questions scolaires, mais également le principe de l'égalité entre l'homme et la femme. Vous dites que c'est un signe de liberté. Véritablement, pour nous, il ne l'est en aucune façon, surtout lorsqu'il est porté par des jeunes qui sont en voie de se construire.

Dernier point. Je ne voudrais ne pas être trop indiscrète. Vous me répondrez si vous le souhaitez. Par rapport aux auditions que nous avons eues, la votre constitue une exception. En dehors de la réflexion qui vous a conduit à une sorte de doctrine, à un corps de pensées que vous nous avez exposé, y a t-il eu un événement, dans votre itinéraire personnel, qui vous a marqué au point de décider de l'évolution de cette doctrine ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : En toute sincérité, si des filles sont forcées à porter le voile, je suis tout à fait d'accord pour intervenir. Cela ne pose aucun problème.

Mme Martine DAVID : Pourquoi dites-vous : « Si des filles... ? »

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Il m'est arrivé d'en rencontrer et de ne pas être d'accord pour les défendre.

Mme Martine DAVID : Il y en a partout.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Franchement, non. Ce n'est pas la majorité de celles que j'ai rencontrées. Il est normal que nous ayons des vécus différents. Je suis contacté par ces filles et me présente à elles en tant que musulman. Il est vrai que je ne vois pas ces jeunes filles de la même manière que vous les voyez vous, que les perçoivent les chefs d'établissement ou les professeurs.

Votre deuxième question est très importante parce qu'elle souligne les enjeux de l'interprétation. Le problème du port d'un foulard islamique par les jeunes filles musulmanes, et notamment celui qu'il pose dans la société française, est très souvent un problème d'interprétation. La société française, dans sa majorité, considère qu'il s'agit là d'un signe de régression des droits de la femme, qu'il contrevient au principe de l'égalité des sexes... Je vous assure que la grande majorité des jeunes filles que je connais personnellement et qui le porte ou ne le porte pas, ne considère pas cela comme un signe d'infériorité ou de régression de leurs droits par rapport à ceux des hommes. C'est très important de le souligner.

M. Eric RAOULT, Président : Nous avons connu des exemples dans d'autres pays qui ont malheureusement abouti à des situations terribles et qui nous conduisent à nous interroger. Quand Mme Badinter dit : « Le voile aujourd'hui, la burka demain » cela signifie que, s'il est possible de réclamer une liberté dans un Etat démocratique, dans d'autres pays la liberté peut devenir une obligation.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Nous sommes entièrement d'accord. Personnellement, je suis très opposé au régime des talibans tel qu'il était en Afghanistan. Nous y reviendrons car je connais très bien ce pays.

Mme Martine DAVID : Il n'y a pas que ce pays.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Mais je connais ce pays-là en particulier. Ceci dit, la burka des Afghanes est plus ancienne que les talibans. Qu'il y ait tel ou tel régime à Kaboul ne change pas grand chose dans le port de la burka en Afghanistan. Le régime des talibans était un régime kafkaïen comme celui des Khmers rouges. Ils ont les mêmes références. C'était un régime délirant dans tous les domaines en ce qui concerne le port du voile, mais aussi dans le port de la barbe, de tel vêtement plutôt que tel autre, tel turban plutôt que tel autre... Ces délires réels ont eu lieu en Afghanistan, sous les talibans, et tout le monde le sait.

Vous me posiez une question sur mon itinéraire, le voici dans ses grandes lignes. Après mon bac, j'ai pris un an de congé sabbatique pour partir sur la route des Indes et j'ai passé pratiquement un an en Afghanistan. C'était l'Afghanistan du temps de Daoud Khan, avant le coup d'Etat communiste. Je suis tombé amoureux de ce pays et de ses habitants. J'y ai noué de très grandes amitiés. Puis, il y a eu le coup d'Etat communiste prosoviétique et l'invasion russe. J'étais étudiant en médecine. Les médecins ne pouvant pas travailler, avec des amis nous avons commencé à collecter des médicaments et du matériel médical. Nous les avons acheminés là-bas et nous avons vérifié que, sur place, les médecins les utilisaient. J'ai ainsi fait 14 ans d'aide humanitaire pendant mes études. Un jour, en 1980, alors que je convoyais du matériel médical, j'ai été pris sous un feu très nourri. C'étaient des rideaux d'artillerie qui se rapprochaient et il était impossible de fuir. Vous pensez alors : « Dans cinq minutes, c'est pour moi ». C'est comme cela que la foi m'est venue pensant qu'il valait mieux mourir musulman que mourir athée. Je suis devenu musulman.

Mme Martine DAVID : Pourquoi musulman ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Je suis d'une famille athée, mais j'avais étudié les trois grandes religions monothéistes. Pour moi, ces trois religions forment une même religion, le monothéisme. Elles correspondent à une évolution logique, chronologique, dans les prophètes. Je me considère comme de la religion d'Abraham et de Moïse. Considérer tel prophète ou tel autre comme étant ou non un prophète n'est pas la question. Cela permet seulement de dire que l'on est musulman, chrétien ou juif. Telle est ma vision des choses, mais je comprends tout à fait que l'on puisse voir les choses différemment.

M. Lionnel LUCA : Nous avons eu cette discussion pendant une demi-heure, tout à l'heure, avant l'audition. Je voudrais, par petites touches, revenir sur tout ce qui a été dit d'essentiel en vous posant des questions précises. Pour vous, le voile est-il une obligation pour toutes les jeunes filles musulmanes ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Non, du moins pas d'une manière absolue. Tout d'abord, je ne suis pas un savant de l'islam. Je ne suis pas habilité à vous répondre du point de vue officiel musulman, si tant est qu'il existe, ce qui n'est pas certain. Personnellement, je considère qu'il y a une recommandation très forte mais pas une obligation.

M. Lionnel LUCA : Est-ce un signe ostentatoire d'affichage de sa foi ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Si vous appelez ostentatoire le fait que cela se voit, oui, c'est ostentatoire. On ne peut pas dire que cela ne se voit pas. Si mes souvenirs sont exacts, il y a un peu de provocation dans le terme « ostentatoire ». Mais, dans la très grande majorité des cas, je ne pense pas que les filles portent le voile dans un but de provocation.

M. Lionnel LUCA : Au-delà de la question du voile, de l'affirmation de sa foi, avec les nuances que vous nous indiquez, faut-il accepter d'aller plus loin et remettre en cause la mixité des cours de piscine et l'obligation de suivre les cours de sciences naturelles ? Vous disiez que lorsqu'on est voilé on n'a pas de sentiment d'infériorité par rapport à l'homme.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Les filles que j'ai rencontrées ne donnaient pas ce sentiment.

M. Lionnel LUCA : Apparemment, vous rencontrez des filles tout à fait épatantes.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : C'est vrai !

M. Lionnel LUCA : C'est rassurant. Ou bien il faut 10 000 docteurs comme vous dans tous nos quartiers ou bien il faut faire un recensement. Ce qui est gênant, c'est qu'à chaque fois, vous dites « si, si... » Personnellement, et par rapport à l'entretien que nous avons eu tout à l'heure, l'expression « si des filles y sont forcées » me dérange un peu.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Dans le cas où les filles sont forcées, je viens avec vous.

M. Lionnel LUCA : Vous nous donnez l'impression que, là où vous êtes, il n'y en aurait pas. C'est apparemment quelque chose qui vous est inconnu.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : J'ai rencontré des filles dans cette situation.

M. Lionnel LUCA : Ce n'est pas l'impression que vous nous donnez. Faut-il remettre en cause l'égalité de la fille et du garçon à l'école publique ? Le cours de natation doit-il être mixte ? Les filles doivent-elle suivre les cours de sciences naturelles avec les garçons ? J'aimerais avoir des réponses précises.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : J'ai peur de vous décevoir un petit peu dans la mesure où l'éducation est une chose très complexe et pour laquelle je ne suis pas très compétent.

Mme Martine DAVID : C'est l'école avec ses obligations.

M. Lionnel LUCA : Il n'est pas compliqué de savoir si garçons et filles doivent aller ensemble à la piscine ou assister à un cours de sciences naturelles. C'est ce qui m'intéresse. Oui ou non ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : J'allais plus loin... Je n'ai jamais été confronté à ce genre de questions concernant les sciences naturelles. Je suis plus spécialisé dans le foulard. On ne m'appelle que pour le foulard.

M. Lionnel LUCA : Vous êtes musulman.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Oui.

M. Lionnel LUCA : Ce n'est pas incompatible avec la question que je pose.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Je ne cherche pas du tout à éviter de répondre à votre question... Un conseil français du culte musulman vient d'être mis en place. C'est une instance de dialogue dont le but est de réfléchir à ce type de question. Personnellement, je suis élu au conseil régional du culte musulman d'Alsace et au conseil d'administration du Conseil français du culte musulman. Mais ce n'est pas à ce titre que je suis venu devant vous. Il y a vraiment un travail à faire.

M. Lionnel LUCA : Je n'ai donc pas la réponse à ma question.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Je ne peux pas vous répondre.

Mme Martine DAVID : Trouvez-vous normal que des jeunes filles de confession musulmane ne respectent pas les contraintes liées à l'école publique qui rendent tous les cours obligatoires ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Non, mais...

Mme Martine DAVID : Non, mais... ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Oui, non, mais... D'un autre côté, il est normal que, jusqu'à présent, l'école publique se soit construite dans l'ignorance d'un particularisme musulman, d'une identité musulmane, puisque l'immigration musulmane est très récente. Il est probable qu'il y ait matière à discuter sur certains points. Je ne me juge pas compétent dans ces discussions.

Mme Martine AURILLAC : Sans être compétent. Imaginez que vous ayez une fille de 14 ans...

M. Abdallah-Thomas MILCENT : ... J'ai une fille de 15 ans.

Mme Martine AURILLAC : Suit-elle des cours ? Trouvez-vous normal...

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Elle suit tous les cours et, si vous voulez tout savoir, elle ne porte pas le foulard.

M. Lionnel LUCA : Je poursuis mon interrogation. L'acceptation du port du voile islamique à l'école entraînerait normalement l'acceptation du port de la kippa.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Oui, bien sûr.

M. Lionnel LUCA : Cela ne vous pose aucun problème de voir, dans une école publique, certains élèves arborer les uns le voile, les autres la kippa... Ne serait-ce qu'au regard des événements internationaux qui peuvent être transposés et au regard des autres élèves qui, bêtement, n'arboreront aucun signe ostentatoire, sinon ceux de marques de vêtements, telles que « Chevignon » ou « Nike », ne pensez-vous pas que cette situation est source de conflits ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Cela ne pose aucun problème. Dans mon quartier, les jeunes de toutes les religions coexistent sans heurts.

M. Lionnel LUCA : Cette situation ne me paraît pas compatible avec la définition de la laïcité...

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Avec votre conception de la laïcité...

M. Lionnel LUCA : Celle communément établie...

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Qui n'est pas celle de la loi...

M. Lionnel LUCA : ... et qui s'oppose à l'affichage de signes communautaires ou religieux à l'intérieur de l'école.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : La laïcité autorise la manifestation des identités et non pas celle des communautés. C'est très différent et vous l'avez souligné dans votre propos...

M. Lionnel LUCA : Cela revient au même.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Non, c'est très différent.

M. Lionnel LUCA : Si l'école publique, comme dans le passé, obligeait de nouveau les élèves à porter une tenue identique, trouveriez-vous alors normal et naturel que le port du foulard islamique soit interdit ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Si tous les élèves portent la blouse, alors, oui, l'interdiction du voile me paraîtrait justifiée.

M. Eric RAOULT, Président : Cela vous paraîtrait-il normal ou simplement vous l'accepteriez ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Je l'accepterais. Je préfère le système actuel, à savoir celui où les jeunes ont la liberté de se choisir une identité et d'en changer. Je considère que le système actuel est bon.

M. Eric RAOULT, Président : Dans nos départements et nos territoires d'outre-mer, les élèves de bon nombre d'établissements scolaires portent une tenue identique qui peut se résumer à un jeu de couleurs. Ainsi, on respecte l'unicité de l'élève sans pour autant distinguer les classes sociales et les couleurs de peau.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : La question des classes sociales est pour moi la plus importante. Notre système est un bon système. Bannir les signes de classes sociales est plus importants que bannir les signes religieux. J'ai été personnellement confronté au problème et j'ai été choqué de devoir acheter telle marque de vêtement plutôt que telle autre. Si vous choisissez de bannir tous les signes, il est vrai que le port d'un uniforme ou d'une tenue réglementaire permettrait de réduire certaines inégalités. Ce serait alors une situation logique. Si votre but est d'interdire tout signe politique ou religieux, la conclusion logique est cette solution. Je ne l'estime pas bonne mais elle est la moins injuste.

M. Eric RAOULT, Président : A ce moment-là, vous retiriez votre livre d'internet.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Si vous légiférez, mon livre sera obsolète et je serai obligé de le corriger et de le réécrire !

M. Jean-Yves HUGON : Je souhaite revenir sur deux points sur lesquels vous avez déjà été interrogés mais pour lesquels vous n'avez pas donné de réponse précise. Vous semblez représenter un islam modéré et ouvert. Ne pensez-vous pas que votre position sur le port du voile à l'école fait le lit d'un islam plus intégriste ? Deuxième question, très terre à terre. Le port du voile peut parfois, notamment en cours de chimie, représenter un danger physique pour l'élève. Faut-il alors l'interdire ? J'aimerais avoir votre position.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Le fait d'accepter ou de favoriser le port du foulard à l'école ne fait-il pas le lit de l'intégrisme ?... Au contraire. J'ai profité de mon livre pour expliquer à quantité de gens qui n'auraient jamais approché la lecture de la Constitution ou la lecture de la convention européenne des droits de l'homme ce qu'était la République française. C'est important. Je regrette profondément que l'on ait abandonné les cours d'instruction civique à l'école. Il faudrait rétablir l'instruction civique afin que nos enfants comprennent comment fonctionne le système. C'est ainsi qu'on lutte contre l'intégrisme. Je me suis penché sur le problème de l'intégrisme après l'affaire Khaled Khelkal. Avant 1995, je considérais qu'il n'y avait pas d'intégristes en France, du moins, je n'en connaissais pas. Cette affaire m'a si fortement interpellé que je suis allé sur place afin de rencontrer l'entourage de Khelkal. J'ai rencontré sa famille. J'ai voulu comprendre.

Qu'en est-il ressorti ? Khaled Khelkal ne connaissait rien de l'islam. Il avait été endoctriné par des services plus ou moins parallèles, par des groupuscules, eux-mêmes manipulés par des Etats. Au contraire, c'est en laissant les musulmans sincères, qui travaillent sur le terrain, expliquer ce qu'est l'islam que l'on désamorcera des caricatures de Khelkal. J'en suis convaincu. C'est pour cette raison que j'ai écrit mon livre. Afin d'expliquer que l'islam ne fonctionne pas comme vous l'imaginez. Nous ne sommes pas tous contre vous.

M. Eric RAOULT, Président : Savez-vous qui a écrit : « L'action politique a plus de chance d'aboutir si elle joue sur la crainte qu'ont les pouvoirs publics de voir la communauté musulmane s'organiser politiquement autour d'axes de revendications spécifiques » ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : C'est moi !

M. Eric RAOULT, Président : Depuis le début de notre entretien, j'ai l'impression qu'il y a deux M. Milcent. Le premier, sympathique, souriant, jovial - avec lequel on a envie d'aller prendre un verre... Mais il existe un autre M. Milcent qui refuse de voir la réalité d'un certain nombre de lycées, de collèges, cette réalité qui rend les choses complexes.

Dans mon département de la Seine-Saint-Denis, et dans ma ville plus particulièrement, quand un évènement intervient au Proche-Orient, les relations entre les communautés qui existent se tendent. Le port de la kippa ou du voile déstructure alors complètement l'école qui doit ressembler, au minimum, à un sanctuaire. Nous ne nous prononçons pas sur le culte musulman, sur le port du voile des dames de 40 ans. Le problème du voile à l'école existe depuis une quinzaine d'années - vous en avez été l'un des acteurs à Creil - et le problème n'a toujours pas été solutionné. Des chefs d'établissement nous disent qu'ils sont complètement démunis. Ils ne souhaitent pas forcément des textes de répression mais ils aspirent à une clarification de la réglementation. Il appartient à la République, non pas d'imposer, mais de proposer une protection à tous.

M. Jean-Yves HUGON : Vous n'avez pas répondu à ma deuxième question concernant les situations très concrètes où porter le voile peut devenir dangereux...

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Tout à fait... Le Conseil d'Etat a répondu à ma place. Je me conforme à sa décision. Contrairement à ce que vous disiez, M. Raoult, j'estime la position du Conseil d'Etat extrêmement claire. Le problème est que les professeurs et les chefs d'établissement l'ont refusé dès le départ. Le Conseil d'Etat dit que le port du foulard est autorisé. Vous n'avez pas le droit de l'interdire, sauf en cas de troubles à l'ordre public, de prosélytisme... toutes limites imposées par le Conseil d'Etat et cela depuis le début. Seulement, la population française, et en particulier les professeurs et les chefs d'établissement, ne sont pas prêts à entendre un tel discours. Il y a un abîme entre, d'un côté la conception qu'ont ces personnes du principe de laïcité, et, de l'autre, les textes du Conseil d'Etat qui sont fondés sur une jurisprudence administrative extrêmement classique.

Vous êtes des spécialistes du droit, vous savez mieux que moi sur quels critères s'est fondé le Conseil d'Etat pour prendre sa position. Simplement, ce choix n'est pas compris des chefs d'établissement et des professeurs qui se croient autorisés à s'arroger le rôle d'arbitres de la laïcité, ce qu'ils ne sont pas. Les chefs d'établissement ne sont pas des arbitres de la laïcité. Vous l'avez dit, il n'y en a que deux arbitres de la laïcité en France : le Conseil d'Etat et le Conseil constitutionnel. Et il n'y en a pas d'autres.

Mme Martine DAVID : Comment pouvez vous accuser les chefs d'établissement d'avoir une interprétation qui serait la leur ? Ils se réfèrent comme vous à l'avis du Conseil d'Etat qui parle de signes « ostentatoires ». C'est sur ce point que notre conception de la laïcité diffère. Vous ne pouvez dire que les chefs d'établissement font une lecture déformante de l'avis du Conseil d'Etat. Nous pensons que, dans la plupart des cas, le port du voile islamique est un signe religieux ostentatoire.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Je vous l'ai dit, je considère que le foulard islamique est indiscutablement un signe religieux ostentatoire. Cependant, le texte auquel vous faites référence n'est pas l'avis du Conseil d'Etat, mais la circulaire du ministre de l'éducation nationale qui, je vous le rappelle, ne fait pas opposition au port du voile. La circulaire ne dit pas que les signes ostentatoires sont prohibés, elle dit : «...les signes ostentatoires qui constituent en eux-mêmes des éléments de prosélytisme ou de discrimination - ce qui est très différent - sont prohibés ». Le Conseil d'Etat a jugé, dans l'affaire Saglamer, que le foulard islamique n'entrait pas dans cette définition. La question a été posée au Conseil d'Etat en 1994 et en 1995. Il a maintenu constante sa jurisprudence : non, le foulard islamique ne constitue pas, par lui-même, un élément de prosélytisme ou de discrimination, tant qu'il est porté « en bon père de famille »... Cela est extrêmement simple et extrêmement clair.

Mme Martine DAVID : Qu'est-ce que cela veut dire ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Sans faire de prosélytisme, sans distribuer de tracts, de pétitions, sans organiser de manifestations à l'extérieur de l'établissement.

M. Eric RAOULT, Président : Le problème qui se pose n'est pas celui du port du voile au foyer, dans la cité... mais à l'intérieur de l'école. Nous avons débattu ici de la question : la cour de récréation, la salle de classe ne doivent-elles pas être considérées comme un sanctuaire, un lieu que l'on « respecte » ? Lorsque j'entre dans les mosquées de ma circonscription, je retire mes chaussures.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Vous soulevez une question fondamentale.

M. Eric RAOULT : C'est votre méthode dialectique. Dès qu'une question est gênante, elle est fondamentale.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : L'école n'est pas le sanctuaire de la religion laïque.

Mme Martine DAVID : De la laïcité, si.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Alors vous considérez la laïcité comme une religion qui s'impose à l'exclusion des autres. La mosquée est le sanctuaire de la religion musulmane comme l'église est le sanctuaire de la religion chrétienne.

M. Lionnel LUCA : C'est le sanctuaire du respect des consciences.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Là, je suis d'accord. Mais, il n'y a pas de positions particulières à avoir pour pénétrer dans l'école. Vous allez exclure des générations de jeunes filles qui, les unes après les autres, vont devoir choisir entre l'école et leurs convictions et qui vont se retrouver mères de famille à seize ans devant les fourneaux parce vous aurez fait de l'école un sanctuaire.

M. Eric RAOULT, Président : C'est un peu réducteur.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Je connais certains pères qui me disent : « Je la marie dans un an ! ».

Mme Martine DAVID : Ce n'est pas sérieux ! Il y a beaucoup de jeunes filles qui, suite à la médiation faite par Mme Hanifa Chérifi au niveau national, ont tout bonnement accepté de retirer leur voile à l'école. Elles le portent en sortant de l'établissement, dans leur vie privée, si elles le souhaitent. Beaucoup de cas se sont réglés ainsi. Il n'y a donc pas un empêchement absolu à cette règle et à celle de la laïcité à l'intérieur de l'école.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Je vous signale qu'à plusieurs reprises j'ai proposé des débats à Mme Chérifi. Je l'ai rencontrée deux fois. A chaque fois, je lui ai demandé que nous débattions ensemble. Elle a toujours refusé.

M. Eric RAOULT, Président : Les missions sont différentes. Vous donnez des informations...

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Mais pourquoi refuser de débattre, si on se base sur les lois de la République... ?

Mme Martine DAVID : Vous écrivez. Elle vous connaît. Elle sait que ce vous pensez.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Elle n'écrit pas.

M. Eric RAOULT, Président : Elle agit. Vous donnez des informations militantes qui conduisent à avoir un jugement, non pas sur vous, mais sur la méthode. Elle a une mission de médiatrice. Vous-même, vous considérez-vous comme un médiateur ou un propagateur ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Je me considère comme un médiateur, ou plutôt un militant des droits de l'homme.

M. Eric RAOULT, Président : Vous qui avez beaucoup voyagé, quel regard portez-vous sur des pays musulmans qui ont légiféré sur le port du voile comme la Turquie ou la Tunisie ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Dans ces pays, je regarde surtout le niveau de protection des droits de l'homme et des libertés individuelles, et j'en suis triste.

M. Eric RAOULT, Président : Donnez-moi une réponse plus précise. Je vous ai posé une question sur la Tunisie. Vous considérez donc que la Tunisie n'est pas un pays démocratique.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Notamment, mais pas seulement. La Tunisie me paraît être - je connais des cas concrets - un pays dans lequel les libertés individuelles font plus partie des voeux pieux que des réalités concrètes du terrain. La Turquie est en train d'évoluer, peu à peu.

M. Eric RAOULT, Président : Dans le bon ou le mauvais sens ? Ils vont bientôt faire partie de l'Europe.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Justement... J'habite à Strasbourg et je vais régulièrement assister aux séances de la Cour européenne des droits de l'homme. Celle-ci cite très abondamment la jurisprudence du Conseil d'Etat français en exemple, notamment dans les affaires turques. Dans deux affaires auxquelles j'ai assisté récemment, la Cour européenne des droits de l'homme semble s'orienter très nettement vers la sagesse du Conseil d'Etat français.

Mme Martine DAVID : Une question subsidiaire à notre débat. J'ai bien compris votre position. Il n'empêche que beaucoup de nos interlocuteurs, aussi bien dans cette mission, que des amis de confession musulmane, prétendent que rien, dans la lecture du Coran n'indique, que le port du voile est un signe religieux. Quelle est votre position ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Il y a plusieurs lectures de l'islam et toutes sont valables. Personnellement, je considère le voile comme un signe religieux mais je comprends qu'on puisse interpréter les textes différemment. Ceci dit, la République laïque n'a pas à entrer dans les consciences religieuses. Elle n'a pas à dire que telle interprétation prévaut sur telle autre...

M. Eric RAOULT, Président : Nous traitons de l'école. C'est ce qui est important.

M. Lionnel LUCA : Et réciproquement, pour nous, dans l'idée que nous avons de l'école.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Nous n'avons pas du tout la même conception de la laïcité. De mon côté, elle est uniquement fondée sur les textes, et uniquement les textes. Vous avez une conception de la laïcité qui est fondée sur une tradition militante.

M. Eric RAOULT, Président : Non, on veut éviter qu'il y ait une trentaine de journalistes devant un collège ou un lycée quand il y a des problèmes.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Bien sûr. Je n'ai jamais fait d'autres déclarations à la presse que celle-ci : « Je me félicite du bon fonctionnement des institutions ».

M. Eric RAOULT, Président : Dans la diversité des auditions que nous avons eues, M. Milcent, je pense que mes collègues et moi-même pourront dire à ceux qui n'ont pu assister à celle-ci qu'ils ont raté un débat intéressant et même édifiant sur un certain nombre de points. Notre mission va se prolonger durant plusieurs mois... Tout de même, un point important : nous avons parlé de l'affaire de Creil, d'autres affaires plus récentes, qui ont abouti à l'exclusion de jeunes filles. Que pensez-vous de cette situation ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : C'est dramatique et très douloureux.

M. Eric RAOULT, Président : Si vous deviez écrire un deuxième livre, seriez-vous prêt à faire un « mode d'emploi » sur le sujet suivant : « Il vaut mieux rester dans l'éducation, avoir un diplôme, plutôt que de devenir maman au foyer à 16 ans » ? Dans votre mission, vous pouvez donner un avis militant, mais aussi un conseil humain.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Les situations que j'approche sont d'abord et avant tout des drames humains. Ce que vivent les filles est très douloureux et très « moche ». Nous essayons de trouver des solutions, ensuite.

M. Eric RAOULT, Président : Vous trouvez des solutions avec les services sociaux ou avec les associations musulmanes ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : J'essaie d'abord de convaincre le père que sa fille doit continuer sa scolarité malgré tout. Ce sont des ouvriers de base qui ne sont ni très lettrés ni très éduqués. Ils disent : « Ils l'ont exclue ! Tant pis. » En général, les filles que je rencontre ne sont pas des cancres. Souvent, elles travaillent bien et sont intelligentes. Nous essayons de convaincre le père, la famille, qu'il est nécessaire de la laisser continuer sa scolarité. Mais cela ne fonctionne pas toujours.

M. Eric RAOULT, Président : Vous ne m'avez pas répondu. Vous dites : « On accompagne, on conseille ». Avec les services sociaux de la ville ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Non, malheureusement... Jusqu'à présent nous discutons avec les associations locales.

M. Eric RAOULT, Président : Lesquelles ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : ... musulmanes. Malheureusement, il est vrai que, jusqu'à présent, les discussions avec les institutions étaient très peu nombreuses, voire quasi inexistantes. Je me réjouis de la création des conseils régionaux du culte musulman. Ils pourront constituer une interface entre les musulmans, les associations musulmanes, et les pouvoirs publics. Le but étant de permettre cette interface. Parce que, jusqu'à présent, à part moi qui travaille localement en tant que travailleur social et médecin, sur le terrain, il y a peu de personnes ou d'organismes pour faire le lien entre les musulmans d'un côté et les institutions de l'autre. Chacun se considère comme étant en opposition avec l'autre. D'un côté, il y a la mairie qui croit lutter contre les intégrismes, de l'autre, les associations musulmanes qui ont l'impression que tout le monde est contre eux.

M. Eric RAOULT, Président : Vous vous définissez comme coordinateur des associations islamiques pour le foulard. Qui vous a nommé ?

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Ma position est très informelle. A la suite de la première affaire du foulard, j'ai dit aux musulmans : « Nous ne sommes pas dans un Etat régi par le fait du prince. » Cela n'existe pas en France où nous avons des droits. Nous pouvons les défendre, même si nous sommes minoritaires, même si nous sommes très faibles et que nous ne représentons rien socialement, nous pouvons avoir un raisonnement juridique et l'exposer. Ils m'ont dit que, puisque c'était mon idée, je devais la défendre.

Mon principal travail de fin de mandat, jusqu'en 1992, à la fédération des musulmans de France, a été de parcourir la France pour suivre ces affaires. Ensuite, j'ai été le coordinateur de la plupart des associations musulmanes. J'ai voulu que mon action déborde du cadre de la fédération nationale des musulmans de France pour agir auprès de l'ensemble des associations et même au-delà lorsque n'existait aucune association. Il n'existait alors aucune cellule d'expertise juridique pour discuter des textes. On a donc fait appel à moi. C'est comme cela qu'en 1995, lorsqu'il a été question d'une première loi déposée au Sénat, on m'a nommé coordinateur et demandé de rédiger une lettre adressée aux sénateurs. Toutes les associations ont signé cette lettre que vous avez en annexe du document que je vous ai remis.

M. Eric RAOULT, Président : M. Milcent, merci. Je ne résumerai pas ce que mes collègues et moi-même avons trouvé d'intéressant dans votre démarche, dans votre maniement du verbe, de la rhétorique, sur un certain nombre de points.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Vous êtes les professionnels, je ne suis qu'un amateur.

M. Eric RAOULT, Président : Merci beaucoup, ce dialogue n'a pas été inutile.

M. Abdallah-Thomas MILCENT : Je sais que l'on peut me voir de manière caricaturale. Je vous remercie de m'avoir écouté, d'avoir fait l'effort intellectuel d'accepter que quelqu'un vienne exposer devant vous des idées souvent très opposées aux vôtres. Je suis fier de vous qui êtes les représentants du peuple français, mes représentants.

Table ronde regroupant
MM. André LESPAGNOL, recteur de l'académie de Créteil,
Daniel BANCEL, recteur de l'académie de Versailles,
Paul DESNEUF, recteur de l'académie de Lille,
Alain MORVAN, recteur de l'académie de Lyon,
Gérald CHAIX, recteur de l'académie de Strasbourg,
et Mme Sylvie SMANIOTTO, représentant M. Maurice Quenet, recteur de l'académie de Paris, chef de cabinet du recteur, magistrate, chargée des problèmes de communautarisme à l'école

(extrait du procès-verbal de la séance du 8 juillet 2003)

Présidence de M. Jean-Louis DEBRÉ, Président

M. le Président : Mes chers collègues, je précise que M. Maurice Quenet, recteur de l'académie de Paris, que représente Mme Sylvie Smaniotto, fait aujourd'hui partie de la commission instituée par le Président de la République sur la question de la laïcité.

Messieurs les recteurs, Mme Smaniotto, nous avons constitué une mission d'information sur la question des signes religieux à l'école, et nous essayons, par un certain nombre d'auditions, de trouver une vérité. Notre recherche consiste à savoir si, pour un tel sujet, il convient de se contenter d'un statu quo, ou si nous devons être à l'origine d'une modification législative ou d'une loi particulière.

Nous avons, madame et messieurs, un certain nombre de questions à vous poser.

Pensez-vous que le droit actuel est satisfaisant en la matière ? Etes-vous capables, aujourd'hui, avec les instruments juridiques qui sont les nôtres, de faire respecter la laïcité à l'école ? Etes-vous favorables ou non à une modification législative ? Si oui, dans quelle direction souhaiteriez-vous que nous légiférions, afin de renforcer le principe de la laïcité à l'école ? Enfin, comment éviter en défendant la laïcité de heurter les différentes religions, car il ne s'agit pas de légiférer contre une religion ?

M. André LESPAGNOL : M. le Président, mesdames et messieurs les députés, l'académie de Créteil est une académie importante, le territoire regroupe près de 4 millions d'habitants, 750 000 élèves dans les établissements publics, plus 80 000 étudiants. Il s'agit d'une académie qui se caractérise par la diversité de sa population, avec des phénomènes migratoires importants, ce qui fait que nous avons dans nos écoles des élèves venant de familles d'origine très diverse - parfois 40 à 50 nationalités - et appartenant à des communautés religieuses différentes - musulmane, israélite, asiatique, chrétienne, etc.

C'est la raison pour laquelle nous sommes très sensibles au phénomène religieux ; le problème du communautarisme se pose de manière importante, à travers un phénomène de ghettoïsation dans les quartiers ainsi que dans les établissements scolaires.

Quant au fait même de la présence de signes religieux dans les établissements, je dirais que le problème qui se pose est le port de signes religieux, notamment de la part d'élèves musulmanes. Dans l'académie de Créteil se trouvent par ailleurs des établissements privés sous contrat chrétiens et israélites, où le port de signes religieux est autorisé. L'académie procède à des inspections dans ces établissements, qui mériteraient peut-être d'être plus systématiques.

Le problème qui nous interpelle est donc celui du voile mais je tiens cependant à dire que les affaires de voiles se posent à une échelle qui doit être pondérée. Nous comptons 511 établissements du second degré, dont 168 lycées, qui accueillent, en 2002-2003, 320 000 élèves, sur un total de 748 000 élèves dans l'enseignement scolaire public, si l'on intègre l'enseignement primaire où la question ne se pose pas pour l'instant.

Depuis trois ans que je suis recteur de l'académie, chaque année une dizaine d'affaires « de voile », concernant 30 à 40 jeunes filles, remontent au niveau du rectorat.

M. le Président : Ce qui veut dire qu'il y en a d'autres qui ne remontent pas jusqu'à vous ?

M. André LESPAGNOL : Effectivement, nous pouvons nous poser la question du signalement. Il se peut qu'un certain nombre d'affaires soient gérées au niveau des établissements. Mais celles qui remontent au rectorat se comptent sur les doigts des deux mains.

M. le Président : Avez-vous une estimation du nombre d'affaires qui sont gérées localement ?

M. André LESPAGNOL : Non, pas précisément. Nous sommes dans une logique d'autonomie des établissements ; le chef d'établissement traite en amont le problème, donne des instructions et gère avec les familles pour que l'on puisse éviter que la question du voile se pose dans les établissements scolaires.

Il existe là une zone grise, mais je ne crois pas qu'il s'agisse, de la part des chefs d'établissement, d'une volonté de masquer les affaires ; ils tentent de les gérer. Parmi les dix affaires qui remontent chaque année au rectorat, deux ou trois ont vraiment de l'importance, c'est-à-dire qu'il existe une réelle résistance attestant d'une volonté de transgression de la loi républicaine.

Cette année, les affaires les plus sérieuses ont été gérées par notre équipe d'intervention : le proviseur en charge de la vie scolaire dans l'académie a une compétence très pointue sur cette question, il peut intervenir avec l'inspecteur pédagogique régional qui est également compétent. Dans la grande majorité des affaires, nous avons réussi à régler la question dans le cadre du respect de la législation et de la jurisprudence du Conseil d'Etat.

La seule affaire un peu compliquée que j'ai eue à gérer est celle de l'année dernière, à Tremblay-en-France. Le conflit est né de la volonté d'affirmation de son identité musulmane par une jeune fille, soutenue par sa famille - et certainement par un réseau - et de la contre-volonté de l'équipe enseignante de défendre une conception de la laïcité pure et dure, allant au-delà de l'interprétation de la jurisprudence du Conseil d'Etat.

C'est dans ce type d'affaire que le proviseur vie-scolaire et l'inspecteur pédagogique régional interviennent pour expliquer aux élèves, aux familles, mais également aux enseignants - qui n'ont pas tous des compétences juridiques -, quel est l'état de la loi et de la jurisprudence. C'est ce qui s'est passé à Tremblay-en-France, où le conflit était violent, à partir de la décision du conseil de discipline d'exclure l'élève. La commission d'appel du rectorat a été obligée de constater que la preuve de la transgression de la jurisprudence du Conseil d'Etat sur le prosélytisme n'était pas établie.

Pour ces quelques affaires plus délicates, notre position est la tolérance minimum d'un « fichu », et non pas d'un voile, avec des conditions précises. Nous refusons le port du voile au sens strict du terme, dans la mesure où il affiche une volonté de prosélytisme.

M. le Président : Ainsi, vous nous dites que les cas sont peu nombreux et que la jurisprudence du Conseil d'Etat, ainsi que le savoir-faire d'un certain nombre de responsables de l'Education nationale, permettent de régler ces problèmes sans trop de difficultés. L'état du droit vous convient, donc ?

M. André LESPAGNOL : Je n'irai pas jusque-là. La jurisprudence existe et est applicable, mais elle pose des difficultés d'interprétation à un certain nombre de chefs d'établissement et à une partie importante du corps enseignant, particulièrement marquée par des opinions laïques. Il existe également un problème de compréhension de cette jurisprudence et de rapport au droit en général. Cela étant dit, pour l'instant, nous arrivons à gérer ces questions, en l'état de la législation, à travers l'intervention de collaborateurs compétents et par l'effort que nous livrons pour dédramatiser ces affaires.

Notre logique est qu'un maximum d'élèves issus de l'immigration puisse intégrer le système scolaire public - et en général, il ne s'agit pas de mauvais élèves. C'est d'ailleurs un des points sensibles du dossier.

En tant que recteur chancelier, je suis responsable du système scolaire, mais également des établissements supérieurs. Je souhaiterais donc vous signaler que le flou, me semble-t-il, est plus important dans les universités. Je fais régulièrement le tour des universités de mon académie, et j'ai pu constater que la présence d'étudiantes voilées est très fréquente. La question est donc de savoir si la législation qui a été adoptée pour les établissements scolaires s'applique aux universités ? Des présidents d'université, notamment de Seine-Saint-Denis, m'ont rapporté que des étudiants revendiquaient des lieux de prière au sein de ces établissements. J'ai également noté qu'aux élections universitaires diverses, des candidats se présentent sur des bases ethnico-confessionnelles.

M. le Président : Restons centrés sur l'école, M. Lespagnol. L'université est laïque également, mais il s'agit d'une autre législation, d'une autre approche. Mais il est vrai que le port de signes religieux au sein des universités doit donner des idées aux petits frères ou aux petites sœurs qui sont à l'école.

M. Paul DESNEUF : M. le Président, l'académie de Lille correspond exactement à la région Nord-Pas-de-Calais, qui est caractérisée par une très forte immigration d'origine maghrébine. Par conséquent, nous rencontrons effectivement des problèmes importants de signes religieux, ostentatoires ou non.

Vous nous avez posé deux questions fortes, M. le Président : d'une part, la situation actuelle est-elle satisfaisante, et, d'autre part, sommes-nous capables de faire respecter la laïcité ?

J'aurai une vision moins optimiste que celle de mon collègue, M. Lespagnol. Il me semble que nous assistons, à l'heure actuelle, à une volonté assez forte de la part de certains milieux musulmans d'affirmer leur identité, avec une absence totale de complexe dans le langage des jeunes filles - que ce langage soit intégré par elles ou qu'il leur soit dicté, est un objet de discussion. J'ai entendu parler de « petits voiles discrets ». Le problème n'est pas d'ordre vestimentaire. Il s'agit d'un signe religieux fort et d'un signe de statut pour la femme ou la jeune fille.

Dans certaines zones, je pense notamment à des communes de l'agglomération lilloise, qui sont des zones très problématiques, il se pose un certain nombre de difficultés que les chefs d'établissements et les professeurs tentent de gérer. Ainsi, dans une de ces communes, il y a un établissement qui compte 70 % d'élèves d'origine maghrébine, bien que ce ne soit pas l'établissement où il y a le plus de voiles. Mais il convient de savoir ce que cela recouvre.

Cela recouvre, dans un certain nombre de situations, un abandon du principe de laïcité. Dans de nombreux cas, les chefs d'établissement ont la tentation « d'acheter la paix sociale », et font donc des concessions. Je suis en train d'enquêter dans des établissements, et ces concessions peuvent aller, me dit-on, jusqu'à la non-participation à certains enseignements. Les professeurs sont troublés, les chefs d'établissement gèrent sur le terrain.

Ce qui caractérise la période actuelle - par rapport à ce qui existait voilà encore cinq ans -, c'est qu'il y a peu de situations de crise, mais des avancées importantes sur le plan des signes religieux. Nous ne sommes pas dans le drame, mais dans un comportement plus profond et qui s'enracine.

M. le Président : De manière insidieuse, ce comportement gagne du terrain ?

M. Paul DESNEUF : Exactement. On s'appuie sur la jurisprudence du Conseil d'Etat, et je me permets de dire aux magistrats, M. le Président, avec tout le respect que je leur dois, que celle-ci ne nous aide pas. En renvoyant la responsabilité aux personnes du terrain, elle empêche l'institution de donner un signe fort en matière de laïcité ; or cela est un handicap - je réponds là à la question importante que vous nous avez posée : faut-il légiférer ? A tout le moins, il conviendrait de réaffirmer des principes, peut-être serait-ce même insuffisant. Il existe, véritablement, une situation qui me semble en évolution actuellement, avec des marges de manœuvres pour les extrémistes.

Récemment - mais je ne peux ni le confirmer ni l'infirmer -, il m'a été signalé, pendant une journée, le port de burka, dans un établissement - je vais enquêter sur ce sujet.

M. le Président : Combien comptez-vous d'élèves et d'établissements dans votre académie ?

M. Paul DESNEUF : 500 000 élèves répartis dans 520 établissements.

M. le Président : Et le problème du port du voile - ou de signes religieux - a quelle importance ?

M. Paul DESNEUF : Sur l'ensemble de l'académie, a minima, je dirais que 200 cas remontent au rectorat ; mais sans incident. Le problème se pose de manière forte dans un lycée de la banlieue lilloise, où 50 jeunes filles portent le voile.

M. le Président : Mais si 50 cas ne posent pas de problème, cela se fait tout de même au détriment de la laïcité.

M. Paul DESNEUF : Bien entendu ! Mais c'est le problème que pose la jurisprudence du Conseil d'Etat : qu'est-ce qu'un signe ostentatoire ? Doit-il y avoir des démarches positives de prosélytisme en plus du port du voile pour considérer que c'est ostentatoire, ou le simple port est-il en soi ostentatoire ? Pour ma part, c'est ce que j'aurais tendance à penser. Mais la jurisprudence du Conseil d'Etat ne nous aide pas en la matière.

M. Alain MORVAN : M. le Président, l'académie de Lyon compte 552 établissements scolaires - publics et privés sous contrat -, 580 000 élèves et 135 000 étudiants.

M. le Président : Combien de cas de port de signes religieux à l'école ont été signalés au rectorat ?

M. Alain MORVAN : Mon collègue Lespagnol disait que dans son académie les cas se comptaient sur les deux mains, je dirais que dans la mienne ils se comptent sur les doigts d'une main - pas tout à fait - avec trois cas depuis le début de l'année.

Il convient d'avoir une extrême précision méthodologique. Il me semble que dans cette affaire, nous employons des termes globalisants - le voile, le foulard - alors que lorsqu'on regarde les choses de près, et notamment lorsqu'on se fonde sur les réflexions de spécialistes tels que Mme Chérifi, la médiatrice de l'Education nationale, on se rend compte que si les voiles sont extrêmement rares - et dans ce cas le chef d'établissement doit nous saisir -, en revanche, quantité d'établissements - y compris les plus paisibles - vivent sur des situations de compromis - je ne dis pas de « compromissions ».

Ainsi, la situation la plus fréquente que nous rencontrons, c'est celle d'une élève qui arrive devant le lycée - parfois le collège - revêtue d'un voile au sens propre du terme, qui l'enlève et qui roule autour de sa tête un petit bandeau - un journal du soir a parlé de « bandana » ce qui rend bien compte de l'aspect symbolique de la démarche.

Parmi les affaires dont il a été le plus question dans l'académie de Lyon - il y en a eu trois -, une seule a duré au-delà de quelques jours, celle du lycée La Martinière Duchère. La situation était la suivante : tous les matins, une élève, qui arrivait voilée, enlevait son voile, mettait son bandana, se heurtait à un groupe d'une vingtaine d'enseignants très engagés - du côté de l'ultra gauche, voire au-delà - qui n'étaient pas fâchés de mettre l'institution en difficulté sur ce sujet.

Ce qui m'a préoccupé dans cette façon de faire, et qui m'a finalement fait découvrir a contrario certaines vertus dans la jurisprudence du Conseil d'Etat, c'est de voir qu'elle permettait de construire un socle de compromis - et non pas de « compromissions » - en laissant un grand nombre d'élèves porter un signe religieux ; et il s'agit bien d'un signe religieux, car si on leur pose la question - encore faut-il la leur poser - ils affirment qu'ils le portent par conviction religieuse.

Cette situation est assez répandue. J'ai mené une enquête dans les lycées de Lyon et je ne vous parle pas de ceux de la périphérie - dont certains comptent un nombre non négligeable de cas de cette espèce.

Je souhaitais donc vous signaler la nécessité qu'il y avait à distinguer le voile de ce qui n'est pas le voile, et l'opportunité, pour les équipes, de travailler non pas dans la précipitation, mais dans le temps. Le problème est le mieux géré lorsqu'on a affaire à des équipes qui prennent le temps de la concertation.

Dans l'affaire qui m'a opposé à une poignée de professeurs - et qui est virtuellement terminée - la convocation du conseil de discipline a été lancée le soir même du passage - fructueux au demeurant - de la médiatrice. Le ministère m'avait bien appelé pour dire qu'il n'était pas logique de demander une médiation et de faire passer l'élève, tout de suite après, en conseil de discipline aux fins d'exclusion. J'ai donc demandé au proviseur, non pas de renoncer à la convocation du conseil de discipline, mais que l'on y sursoie. D'où la polémique qui a duré quelques mois et qui m'a permis de réaffirmer une conception de la laïcité qui m'apparaissait mise à mal.

Le courrier que j'ai reçu a fait apparaître que si certains de mes interlocuteurs étaient sincèrement attachés à la laïcité - pure et dure - d'autres en revanche obéissaient davantage à des pulsions ethnocentristes, sinon racistes - encore que l'on ne fût pas toujours très loin du racisme. Par ailleurs, est remontée à la surface une résurgence d'un vieil anticléricalisme, avec une quinzaine de professeurs qui menaient un combat dirigé non pas contre le voile en tant que tel, mais contre le principe spirituel. Cela m'a amené à déclarer, avec l'appui d'un certain nombre d'autorités - dont les communautés juive, maghrébine et chrétienne, voire de certains milieux maçonniques - que la laïcité ne devait pas être l'acte consistant à passer à l'herbicide tout ce qui ressemblait de près ou de loin à la spiritualité.

J'ai constaté aussi que les établissements où les crises apparaissaient comportaient tous un élément de contexte fort ; en l'occurrence, dans un établissement du centre-ville, une vieille crise latente entre une phalange de professeurs et un chef d'établissement un peu rude. De telle sorte que l'on pouvait penser que cette crise aurait pu surgir à propos de n'importe quel sujet. A l'analyse, les arguments ne tenaient pas et, en fait, à aucun moment la laïcité n'avait été mise en danger.

Je terminerai mon propos en vous disant que j'ai vu, à ce moment-là, un certain nombre de jeunes, qui n'avaient aucun rapport avec la jeune fille en question, exprimer une sorte de solidarité de génération. Cela m'a conforté dans l'idée que la coercition ne réussit pas en matière de conviction. Je me suis permis, en prévision de cette audition, de relire Tacite, hier soir, et j'ai trouvé une très belle formule que l'on pourrait traduire par « les idées que l'on réprime prennent d'autant plus d'impact et de force ». Il convient donc d'être très prudent.

Sans être parfaite, la jurisprudence du Conseil d'Etat offre un espace de concertation aux équipes et nous permet de gérer de manière relativement cohérente l'ensemble des dossiers. Si les textes étaient plus contraignants, il me semble que les chefs d'établissement auraient moins recours à l'autorité académique, au ministère, et contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, ce serait peut-être davantage du chacun pour soi.

Je suis tombé dans la laïcité lorsque j'étais petit, M. le Président, ce n'est donc pas par intégrisme que je m'exprime devant vous - j'ai bien conscience de m'exprimer devant la représentation nationale -, mais je crains qu'avec une modification législative nous ouvrions la boîte de Pandore et que quantité d'autres religions se sentent menacées, tant il est vrai que les signes d'appartenance religieuse sont très fréquents, parfois même insoupçonnés par ceux qui les portent.

M. Gérald CHAIX : M. le Président, vous souhaitiez des chiffres précis, j'en ai quelques-uns à vous livrer. L'académie de Strasbourg compte 81 553 élèves en collège et 55 787 en lycée, et le sondage que je viens de vous remettre a été réalisé il y a plus d'un mois dans la moitié des établissements : il fait état de 193 voiles dans les lycées consultés, soit 1 % des élèves, et de 230 voiles dans les collèges consultés. Ce sondage n'a aucune valeur scientifique dans la mesure où il s'est focalisé sur les établissements les plus sensibles ; les chiffres qu'il donne sont donc surévalués par rapport à la totalité des établissements.

M. Jean GLAVANY : M. le Président, soyons précis dans les chiffres. On nous parle de 500 voiles, puis de 10, ici 193... Il convient de déterminer quel voile pose problème. Si 500 jeunes filles se présentent voilées à l'entrée de l'établissement mais que 499 cas sont réglés par le proviseur ou le principal, cela veut tout dire et rien dire ! Si ces 500 jeunes filles rentrent dans l'établissement avec leur voile et le retirent avant d'entrer en classe, c'est encore un cas différent. Le chiffre en lui-même n'a pas de sens.

M. Gérald CHAIX : Je parle de jeunes filles qui portent le voile toute la journée.

M. le Président : Cela ne veut pas dire qu'il y a problème ou pas, mais qu'il y a agression à l'égard du principe de la laïcité ; et le règlement de cette agression se fait de façon différente. Mais les chiffres de M. Chaix sont clairs : sur 26 000 élèves de lycées, 193 ont porté un voile.

M. Jean-Pierre BRARD : Ce qui fait 2 %, car seules les filles portent un voile - là on parle de 26 000 garçons et filles.

M. Gérald CHAIX : Un quart de ces affaires est remonté au rectorat en 2002/2003, toutes les autres sont réglées sur place, c'est-à-dire qu'elles ne sont pas réglées : on les tolère. Cela est perçu non pas comme une agression de la laïcité mais comme l'expression d'une conviction religieuse qui n'est pas contraire à l'esprit de la laïcité.

Je souhaiterais revenir sur les conditions un peu particulières de l'académie de Strasbourg. D'abord, notre académie possède un régime institutionnel particulier qu'elle partage avec la Moselle, et c'est dans ce cadre spécial que l'expérience de la laïcité est vécue depuis 1918, le retour de l'Alsace à la France.

Ensuite, il existe une forte présence publique des composantes religieuses des quatre cultes reconnus - catholique, protestant, avec ses deux variantes, et juif - et le paradoxe est que nous avons une forte minorité musulmane qui n'est pas reconnue comme culte. J'ajouterai que dans cette présence musulmane, il s'agit fortement d'une présence turque, même si elle n'est pas majoritaire, mais dans la représentation du conseil musulman national, cette branche détient la majorité.

Enfin, l'académie de Strasbourg a été dans l'œil du cyclone du combat autour du voile dans les années 90. Treize jugements ont été rendus par le tribunal administratif de Strasbourg en 1993 ; ils ont tous désavoué le recteur et les exclusions prononcées par les conseils de discipline. Cela explique l'attitude de prudence, aujourd'hui, des chefs d'établissement qui ont tous en mémoire cette jurisprudence, confirmée en appel par la cour de Nancy.

Ces trois éléments rappelés, je dirais que la situation de l'académie de Strasbourg est assez comparable aux académies voisines, mais il conviendrait de ne pas se limiter au seul port du voile. Il existe un phénomène d'affirmation identitaire dont le port du voile pour les jeunes filles n'est qu'un des éléments. On constate une augmentation de l'absence des élèves au moment des fêtes musulmanes, des revendications par rapport aux interdits alimentaires et, au moment du ramadan, de la rupture du jeûne pendant les cours. Il m'a même été signalé, dans certains établissements, une véritable territorialisation de la cour de récréation.

Sachez également qu'il est arrivé dans un lycée, en cours de philosophie ou en sciences et vie de la terre, que les stylos se lèvent lorsque le professeur aborde un élément qui est jugé sensible et objet de contestation par un certain nombre d'élèves.

M. le Président : Savez-vous si, dans les établissements de votre académie, beaucoup de garçons portent la kippa ?

M. Gérald CHAIX : Il y en a, oui. Beaucoup, je ne sais pas, je ne suis pas en mesure de vous donner un chiffre précis.

Le cas de Strasbourg est là encore exemplaire, car il s'agit d'une ville d'Europe centrale où la présence de la communauté juive est extrêmement forte, avec des composantes traditionnelles très fortes aussi. Le port de la kippa n'est pas généralisé dans la mesure où la communauté juive dispose de ses propres établissements où le port de la kippa est autorisé - un établissement hors contrat et un autre sous contrat. Dans les établissements publics, le port de la kippa reste extrêmement minoritaire, et je n'ai pas eu de remontée à ce sujet.

L'unique affaire que j'ai eue à régler - j'avais été saisi par le grand rabbin - concernait un élève qui ne souhaitait pas passer des examens de contrôle continu le samedi matin - demande qui avait été refusée par le chef d'établissement.

Telle est la situation de l'académie de Strasbourg, qui dépasse, me semble-t-il, très largement le problème du voile. Et qui dépasse aussi le seul problème de l'identité religieuse, qui est manifeste, mais qui est aussi une affirmation d'identité ethnique et de rapports aux structures familiales, et notamment à la place du père dans la société familiale turque. La question du port du voile par les jeunes filles peut entraîner un risque d'affrontement entre l'autorité de l'Etat - du chef d'établissement - et l'autorité du père.

Je reviendrai maintenant sur les trois questions que vous nous avez posées, M. le Président. La situation actuelle du droit est-elle satisfaisante pour faire respecter la laïcité ? Il convient avant tout de déterminer ce que l'on entend par « faire respecter la laïcité ». Si on l'entend au sens de la jurisprudence du Conseil d'Etat depuis 1989, je répondrai que oui, la situation actuelle est satisfaisante en ce sens qu'il n'y a pas de conflit dans les établissements. Les chefs d'établissement parviennent à gérer, depuis une dizaine d'années, la situation, dans le cadre de la jurisprudence du Conseil d'Etat, à savoir celle qui admet le port de signes d'identité religieuse, dès lors qu'ils ne sont pas des actes de prosélytisme.

Deuxièmement, « êtes-vous favorable à une nouvelle législation, et si oui, dans quel sens ? ». Je serais tenté de répondre en m'appuyant sur le sondage - sans aucune valeur statistique - qui a été réalisé il y a une semaine avec des chefs d'établissement - 7 principaux de collèges et 2 proviseurs de lycées. L'immense majorité était favorable à une législation - 7 sur 9 -, les deux autres estimant qu'elle ruinerait leurs efforts d'intégration entrepris depuis une dizaine d'années. Pour ma part, il me semble qu'il convient d'être extrêmement prudent et je m'alignerai volontiers sur les propos de mon collègue M. Morvan. Notre volonté est de réussir l'intégration de ces enfants, or si l'on devait appliquer une loi stricte sur ce sujet, je crains qu'un certain nombre de jeunes filles quittent nos établissements. Or je préfère qu'elles soient dans l'établissement de la République de 8 h 30 à 17 h 30, plutôt que dans une école coranique que je ne contrôlerais pas.

M. Sylvie SMANIOTTO : M. le Président, mesdames, messieurs les députés, je ne suis au rectorat que depuis deux mois, mais dans le cadre de précédentes fonctions, j'ai eu à connaître ce type de problème.

L'académie de Paris regroupe 113 lycées et 107 collèges. Il s'agit d'une académie qui souhaite se situer au niveau du droit. Il convient de comprendre qu'actuellement nous sommes en phase de manifestation de plus de plus judiciarisée ; tout se judiciarise. Les parents, les associations, se rendent maintenant au conseil de discipline avec des avocats, les jeunes filles qui portent le voile et qui estiment être en droit de le porter font très souvent référence à l'avis du Conseil d'Etat, elles vont en commission d'appel sur ce fondement et estiment que leur droit est fondé et que le chef d'établissement, voire le ministre, ne respectent par la loi.

En face de ce type de comportements, les chefs d'établissement n'ont pas toujours suffisamment de moyens pour répondre. Vous avez entendu, il y a quelque temps, Mme Marie-Ange Henry qui connaît parfaitement bien le problème et qui est membre du Syndicat national des personnels de direction de l'éducation nationale (SNPDEN). Les chefs d'établissement de l'académie de Paris sont très demandeurs de moyens juridiques, afin de ne plus avoir recours uniquement à ce qu'ils appellent le « droit local ».

Actuellement, cet avis du Conseil d'Etat les limite dans leur action, et ne leur laisse, d'après eux, que leurs règlements intérieurs comme marge de manoeuvre.

Certains règlements intérieurs se contentent de préciser simplement « Seules les absences pour fêtes religieuses dont la liste est publiée annuellement au Bulletin officiel de l'éducation nationale sont acceptées » ou « Tout élève a droit au respect de son intégrité physique et de sa liberté de conscience ».

D'autres vont beaucoup plus loin - alors qu'a priori, d'après l'avis du Conseil d'Etat, ils n'en ont pas le droit - et font référence à l'exercice de la liberté d'expression et de croyance religieuse qui « ne saurait permettre aux élèves d'arborer des signes d'appartenance religieuse ou politique ». Tout en indiquant par ailleurs que « le port d'un couvre-chef est interdit dans l'établissement ».

Certains des établissements qui ont indiqué clairement cela dans leur règlement intérieur ont été par la suite traduits devant les tribunaux, au motif qu'ils n'avaient pas le droit d'inscrire ce type de règle dans leur règlement. La question est là, aujourd'hui. Le chef d'établissement, sur le terrain, doit se fonder sur l'avis du Conseil d'Etat, il doit, seul, juger si le port du voile est un acte de prosélytisme ou non, si l'on est dans le cadre de la laïcité lorsqu'on accepte qu'une jeune fille vienne voilée en cours, refuse de faire du sport ou refuse d'être examinée par un médecin homme.

Par ailleurs, un certain nombre de professeurs sont en désaccord avec leur chef d'établissement estimant qu'il s'agit d'un signe de liberté et que la jeune fille a le droit, au sein de l'école, même si l'on est dans le cadre de la laïcité, de porter un voile.

Voilà ce qu'un chef d'établissement vit actuellement au quotidien : la recherche d'un équilibre entre l'avis du Conseil d'Etat, son règlement intérieur et parfois l'opposition des enseignants.

Mais il convient d'avoir à l'esprit que ce ne sont pas simplement les signes religieux extérieurs qui sont en cause, mais ce que cela a pour conséquences, à savoir les tensions qui en découlent : en cour de récréation, des altercations sur le thème : « qui tu es, toi », des insultes raciales, des violences, des conseils de discipline.

Nous avons des remontées de signalements par l'intermédiaire du logiciel Sygna, mais les chefs d'établissement n'utilisent pas toujours volontiers ce dispositif. De ce fait, nous ne disposons pas réellement de chiffres précis, ni sur le port du voile ni sur les incidents ; les chefs d'établissement préfèrent régler les problèmes au cas par cas et faire du sur-mesure. Cela étant dit, lorsque nous les écoutons, nous nous apercevons qu'ils sont très demandeurs d'outils juridiques. Je pense donc qu'il appartient au Parlement de leur donner une réponse, car ils se trouvent fort démunis. A nous sans doute de poser la règle, à eux d'agir avec discernement.

M. le Président : Quelle est la fonction du chargé des problèmes de communautarisme à l'école ?

Mme Sylvie SMANIOTTO : Je suis avant tout directeur de cabinet du recteur. Toutefois, en ma qualité de magistrat, ayant eu à traiter, auprès de M. Borloo, ministre de la ville, et en juridiction, des problèmes de prévention de la délinquance, et plus particulièrement de ce type de problème, le recteur m'a demandé de travailler sur cette question avec lui - il fait partie de la commission Stasi.

Convient-il de légiférer ou non ? Pour le moment, nous n'avons pas la réponse. Faut-il aider les chefs d'établissement ? Oui !

M. le Président : Comment les aider si on ne légifère pas ?

Mme Sylvie SMANIOTTO : C'est une question à laquelle votre mission et la commission Stasi vont devoir nous apporter les éléments de réponse.

M. le Président : Madame et messieurs, je vous remercie. Nous allons passer maintenant aux questions.

M. Hervé MARITON : D'après M. le recteur Lespagnol, la difficulté apparaît plus particulièrement lorsque l'enfant ou les enseignants adoptent des attitudes dures. Pouvez-vous nous préciser, M. le recteur, les raisons d'une telle attitude de la part des enseignants ?

Vous avez, à plusieurs reprises, souligné les difficultés d'application de la jurisprudence et, à la suite des auditions que notre mission a réalisées, je souhaiterais savoir si elles pouvaient s'analyser au regard de l'autorité, de l'ascendant, en un mot, de la « qualité » des chefs d'établissement. En effet, il apparaît lorsqu'on vous écoute que le cadre posé par le Conseil d'Etat peut avoir une certaine portée opérationnelle, alors que les représentants syndicaux des chefs d'établissement ou les chefs d'établissement que nous avons auditionnés ont une approche très différente.

Par ailleurs, à propos des remontées de certains cas au rectorat, vous avez fait allusion aux signes politiques. Les mêmes causes sont-elles susceptibles de produire les mêmes effets ? En d'autres termes, notre débat, peut-il s'étendre dans des conditions comparables au port de signes politiques et ceux qui dénoncent, aujourd'hui, le port de signes religieux auraient-ils ou non une analyse identique s'il s'agissait du port de signes politiques ? Je précise que cette question s'adresse également à Mme Smaniotto qui citait un règlement intérieur faisant état de cette question des signes d'appartenance politique.

Vous me permettrez, avec l'autorisation du Président, ce petit commentaire : certains chefs d'établissement, très demandeurs d'une clarification du droit concernant le port de signes religieux, se sont trouvés manifestement gênés lorsque je les ai interrogés, ici, sur les signes politiques arguant qu'ils ne pouvaient à la fois prêcher l'engagement comme on le leur demande et interdire les manifestations d'appartenance politique.

M. André LESPAGNOL : Je crois effectivement que l'application de la jurisprudence du Conseil d'Etat dépend beaucoup de la capacité des chefs d'établissement à gérer des situations fines. La crise que nous avons traversée, l'an dernier, dans un établissement de la Seine-Saint-Denis, tenait à l'insuffisante capacité du chef d'établissement à gérer la situation en dépit de l'aide qui lui était apportée. C'est donc un facteur important !

Nombre de chefs d'établissement gèrent ces situations sans qu'elles remontent au niveau de l'inspection académique ou du rectorat, avec un certain doigté. C'est la raison pour laquelle, je m'interrogeais par rapport au terme « voile ». En effet, dans les compromis que nous essayons d'imposer, nous recommandons pour les jeunes filles un type de couvre-chefs qui ne soit pas un voile, mais qui s'apparenterait plutôt aux « bandanas » dont faisait état M. le recteur de Lyon.

Il est également vrai que les situations se cristallisent et tournent au conflit lorsque, dans un établissement, un noyau important d'enseignants campe sur une position laïque très ferme, mais quelque peu ignorante du droit, et qui contestent sur le fond l'interprétation faite par le Conseil d'Etat ...

M. le Président : Ils le font par ignorance ?

M. André LESPAGNOL : Par conviction et par ignorance. Si les chefs d'établissement ont reçu une formation en droit, la plupart des enseignants n'ont pas de culture juridique. L'expérience des recteurs leur assure une certaine compétence en droit, mais les enseignants ont du mal à entrer dans la logique du Conseil d'Etat. Ils restent sur une position de principe, que l'on peut trouver estimable et que je ne condamne pas, et ils ont du mal à mettre en rapport leurs convictions laïques et les règles juridiques édictées par une instance comme le Conseil d'Etat. C'est une attitude qui, dans certains contextes, peut aboutir au conflit.

Ne soyons pas naïfs, non plus : le conflit dur peut souvent venir aussi du fait que certains élèves portant le voile sont soutenus par une famille, par un réseau, par un milieu, par des avocats, etc. De tels cas peuvent générer des affrontements entre des équipes enseignantes très armées pour défendre des positions de principe et des personnes subissant la pression de certains courants islamistes. Ce sont alors deux camps qui s'affrontent dans une bataille de principe qui devient plus difficile à gérer, mais les situations de ce type restent, de mon point de vue, assez limitées.

M. Alain MORVAN : Je souhaiterais répondre à M. Mariton qui m'interrogeait sur la question de savoir si le débat pouvait s'étendre au port de signes politiques.

Je pense que c'est une question fondamentale, ne serait-ce que parce que, a contrario, elle permet d'établir les difficultés qu'il y a à fixer des règles générales dans cette affaire.

Bien sûr, au sens strict, les signes politiques à l'école sont tout à fait intolérables, mais le sens politique a la capacité de se disséminer et de se fixer sur l'extra-politique.

Vous me permettrez de donner un exemple très concret. Il y a trois ou quatre mois, au moment de la crise irakienne et où j'avais à gérer le cas difficile que j'évoquais précédemment, je n'avais qu'une crainte : que des élèves, pour une raison ou pour une autre, mettent en cause le port par certains jeunes du drapeau américain qui revêtait, à l'époque, une signification politique considérable. Je pensais qu'une telle situation serait inextricable. Quel est le jeune qui, soit sur une casquette, soit sur une basket, un tee-shirt ou un jean, n'arbore pas ce signe qui, si on l'analyse, est véritablement une manifestation, sinon d'engagement, du moins d'acquiescement politique ?

Heureusement, M. le Président, la question ne s'est pas posée. Cette présence du drapeau américain a, en quelque sorte, fait l'objet d'une certaine tolérance implicite dont finalement nous nous sommes bien portés, les uns et les autres !

M. Eric RAOULT : Ma question s'adresse à M. le recteur Chaix et porte sur le nombre de cas de port de voile constatés dans son académie. J'aimerais savoir s'il a tenu compte d'un facteur qui s'est vérifié, notamment en région parisienne, à savoir que, pour la communauté turque, le port du voile, notamment pour les jeunes filles, n'a pas tout à fait la même signification que pour la population maghrébine. Il est une référence à la ruralité d'Anatolie et, en ce sens, il extériorise plus l'appartenance à une origine, la revendication de racines géographique, que des préoccupations religieuses.

Nous avons eu à connaître de tels cas dans ma circonscription, notamment dans les communes de Clichy et Montfermeil, et je peux dire que les problèmes peuvent se résoudre beaucoup plus rapidement lorsque les parents, tenus informés, reconnaissent eux-mêmes qu'il ne s'agit pas d'une revendication religieuse, mais d'un souci de s'habiller comme la grand-mère d'Anatolie qui n'était pas forcément musulmane...

D'après mes informations, on ne peut donc pas considérer de façon identique les cas qui relèvent d'une question religieuse et ceux qui relèvent d'une identification au pays d'origine.

M. Gérald CHAIX : Je répondrai en précisant mes propos antérieurs qui n'ont sans doute pas été assez clairs et qui portaient sur la distinction qu'il convient d'établir entre l'affirmation d'une identité religieuse, d'un côté, et de structures familiales, de l'autre.

Bien évidemment, je vous donne tout à fait raison : dans le cas de la communauté turque, le port du voile est sans doute beaucoup plus lié aux structures familiales qu'à une identité religieuse. En Alsace, ce phénomène se redouble du fait que, si les populations se sont largement installées en ville, notamment dans les trois métropoles alsaciennes que sont Strasbourg, Mulhouse et Colmar, la communauté turque a également une forte implantation rurale. On retrouve donc dans cette région ce mode de fonctionnement que vous décriviez à juste raison.

M. Pierre-André PERISSOL : Ma question s'inspire des propos qui viennent d'être tenus, mais également des auditions des personnels d'encadrement. Nous avons en effet reçu les représentants du SNPDEN qui nous a dit que les proviseurs souhaitaient qu'une loi clarifie le dispositif. Toutefois, lorsque nous leur avons fait remarquer qu'à côté du port du voile, d'autres comportements, comme l'absentéisme, le refus d'assister à tel ou tel cours certains jours, pouvaient clairement conduire à une procédure d'exclusion, ils nous ont déclaré qu'une telle procédure était rarement engagée. Ils ont avancé plusieurs raisons dont la première était la présentation de certificats médicaux de complaisance, la deuxième le bien-fondé de l'exclusion d'un élève qui ne se présentait pas en cours pour des motifs religieux etc... Ils ont également ajouté qu'ils ne recouraient pas à l'exclusion parce que les procédures étaient trop lourdes.

En conséquence je me permets de vous poser deux questions.

Premièrement, s'il est bien de légiférer car cela permettra d'opposer une interdiction claire au port du voile, comment ferez-vous appliquer un dispositif qui n'est pas actuellement mis en œuvre pour les absences irrégulières, aux dires mêmes des chefs d'établissement ?

Deuxièmement que répondez-vous aux chefs d'établissement selon lesquels le flou entretenu par la hiérarchie de l'Education nationale sur les sanctions en cas de non-respect de telle ou telle disposition rend beaucoup trop complexe leur mise en œuvre ?

M. Daniel BANCEL : Il me semble que cette question fait référence à l'équilibre actuel au niveau de l'Education nationale. Aujourd'hui, le système, dans le cadre du caractère national de l'action éducatrice, repose sur les capacités des établissements à construire des projets, à profiter de leur environnement et à mettre à disposition des élèves, au-delà des règles qui fixent ce caractère national, des ressources pour leur réussite.

Les chefs d'établissement sont donc effectivement en droit d'attendre un minimum de règles précises qui leur permettent de résoudre les problèmes, sans qu'elles aient, pour autant, un caractère exhaustif de nature à régler toutes les difficultés.

Ce qui me frappe dans les événements évoqués précédemment, c'est qu'ils sont de deux types. Soit il s'agit d'une communauté scolaire qui, confrontée à des difficultés, cherche des repères, donne un sens à une initiative prise par des enseignants ou par des élèves, respecte les principes de laïcité et, à travers le dialogue, finit par trouver une formule tout à fait satisfaisante. Soit il s'agit de difficultés qui sont manifestement orchestrées de l'extérieur.

Les situations les plus difficiles naissent de la confrontation à des mouvements intégristes. J'ai eu, par exemple, à connaître du cas de Nantua qui est le seul à être remonté sans difficulté jusqu'au Conseil d'Etat. Il était lié à la présence autour de l'établissement d'une communauté musulmane qui avait clairement d'autres visées que celle de l'équilibre au sein de la communauté éducative.

J'ai connu d'autres événements plus récents dont un sur lequel je passerai rapidement : dans un établissement, un groupe d'enseignants appartenant à une organisation syndicale bien précise voulait donner à un événement local une audience beaucoup plus large, sans être très attentif à la recherche du sens que pouvait se fixer la communauté éducative.

Par conséquent, je pense qu'il ne faut ni se priver d'une plus grande précision dans les règles ni se fixer une ambition qui, à mon avis, serait démesurée si elle prétendait apporter une réponse générale, quels que soient la situation locale et le contexte. En effet, le système éducatif repose bien aujourd'hui sur la capacité des établissements à être une véritable communauté éducative et à donner un sens à ce qui est leur activité

M. le Président : Faut-il légiférer ? La jurisprudence du Conseil d'Etat est-elle suffisante pour régler les problèmes ?

M. Daniel BANCEL : Si je me fie à mon expérience, je n'ai pas - mais peut-être est-ce un hasard - rencontré d'obstacles avec la législation actuelle.

M. le Président : Donc, elle vous convient ?

M. Daniel BANCEL : Non ! Elle comporte un point faible, lorsque c'est au sein de la communauté éducative que se présentent des difficultés. En revanche, quand la communauté est soudée, elle parvient à fournir des réponses.

M. le Président : Mais, ces réponses, elles les donnent au détriment de la laïcité ou pas ?

M. Daniel BANCEL : Pour ma part, je ne connais pas de réponses qui soient des réponses de compromission.

M. Hervé MARITON : Ces réponses sont valables pour des situations ponctuelles, mais peut-être pas lorsque l'on est à Villeneuve-d'Ascq ou dans des cas de volonté ostentatoire d'établir un rapport de forces ?

M. Daniel BANCEL : Le seul cas de ce type que j'ai connu est celui de Nantua ! Il est né de la confusion faite par mes interlocuteurs sur la durée de l'exclusion en cause. Alors que j'avais demandé au chef d'établissement de prononcer une exclusion temporaire de quatre jours pour calmer le jeu, mes interlocuteurs se sont trompés sur le sens de ma demande et ont engagé une procédure correspondant à une exclusion définitive, ce qui a généré des manifestations à caractère ostentatoire avec distribution de tracts et intervention de personnalités, le tout de façon un peu artificielle...

M. Christian BATAILLE : Mon propos va faire le lien avec celui de M. le recteur Bancel. Quand j'ai reçu ma convocation pour cette réunion, j'ai un peu sursauté en me disant : « A quoi bon auditionner cinq recteurs puisque, a priori, ils vont tous nous raconter à peu près la même chose ? »

M. le Président : Eh bien, ce n'est pas le cas et ce qui est intéressant c'est de les avoir réunis !

M. Christian BATAILLE : Et je m'aperçois que vous avez eu effectivement raison de varier les auditions car, cet après-midi, je suis frappé de constater la diversité des propos qu'ils ont tenus. Chacun a réagi de façon assez personnelle et selon ses idées face à une situation. On voit bien que, derrière l'homme de responsabilité, se cache aussi l'homme dans sa simplicité, une conscience individuelle et que chacun, selon ce qu'il a de plus profond en lui, a tendance à réagir différemment.

Pour ce qui me concerne, je ne peux pas croire qu'il y ait dans l'académie de Créteil dix cas de port de voile et plusieurs centaines dans l'académie de Lille. Les sociologies des deux académies sont sans doute différentes, mais il paraît peu croyable qu'elles le soient à ce point.

Chaque recteur a son rapport à la spiritualité et applique les règles au quotidien à sa manière et j'allais dire que je suis encore plus inquiet quand j'entends, de la part de Mme Smaniotto, que les choses diffèrent encore en fonction des établissements. Cela revient à dire qu'il y a des juxtapositions de droits locaux - vous m'excuserez de le dire en ces termes qui me rappellent l'Ancien régime - de droits d'académie et, au sein des académies, des droits d'établissement.

Cela ne va pas sans poser question, car on s'aperçoit que derrière la règle apparente se cache une foule d'exceptions à travers lesquelles je m'efforce de rechercher la règle générale.

Nous avons donc, finalement, la position du Conseil d'Etat qui permet les adaptations que vous avez trouvées, les uns et les autres, et la possibilité, évoquée par plusieurs d'entre nous, de fixer, à travers une loi, un comportement uniforme.

Je voudrais bien savoir où va votre préférence : pensez-vous qu'il faut s'en tenir à l'adaptation un peu flottante d'une décision du Conseil d'Etat ou souhaitez-vous obtenir plus de rigueur et disposer d'un texte qui fixe une règle, non pas universelle, mais valable sur tout le territoire national et qui en finisse avec les droits locaux que vous avez créés malgré vous dans la pratique ?

M Paul DESNEUF : Je voudrais revenir un instant, M. le Président, si vous le permettez, sur la question de M. Périssol, qui pose le problème du compromis et de la compromission. Ce que je constate dans l'académie de Lille, c'est que nous ne sommes pas loin, dans un certain nombre de circonstances, de la compromission, mais que nous avons effectivement une responsabilité, en tant qu'institution, en tant qu'Etat, dans cette situation.

Le chef d'établissement se sent parfois abandonné quand il est aux prises à des situations extrêmement difficiles. Il est, lui aussi, représentant de l'Etat et il se situe dans une chaîne hiérarchique. Or, la hiérarchie ne lui a pas livré un message clair. Elle lui dit : « vous gérez sur le terrain ! ». Il est évident que cette mission ressort de sa responsabilité, nous en sommes d'accord, mais il est des domaines où la gestion des cas devient extraordinairement délicate, où des recherches d'équilibres, qui ne sont pas toujours heureux, s'opèrent au sein des établissements. C'est précisément là que l'on passe du compromis à la compromission ! Si les chefs d'établissement sont inactifs face à l'absentéisme, c'est bien parce que le fait d'avoir accepté un certain nombre de concessions à un moment donné les conduit parfois à franchir la « ligne jaune ».

Sur le second point de votre intervention, très sincèrement, on ne peut pas dire que, dans les établissements, les procédures disciplinaires soient nécessairement lourdes. Il faut savoir qu'avant la procédure disciplinaire au sens strict, nous avons mis en place des procédures d'accompagnement que tout le monde connaît. Il est extrêmement révélateur que les chefs d'établissement parlent de la lourdeur des procédures disciplinaires : cela montre qu'ils ne veulent surtout pas y avoir recours par rapport à ce type de phénomènes ce qui renvoie à la réponse que j'ai apportée, monsieur le ministre, à votre première question.

M. le Président : Mme Smaniotto, que répondez-vous à l'interpellation de M. Bataille sur le droit local ?

Mme. Sylvie SMANIOTTO : Je n'ai fait que décrire la situation que j'ai pu constater en arrivant avec un regard neuf à l'Education nationale. J'ai été très surprise de voir que les règles appliquées variaient selon les établissements. C'est une évidence quand on lit les règlements intérieurs !

Tout dépend de ce que l'on entend par « laïcité ». Selon moi, il faut revenir sur le concept même de laïcité avant de savoir s'il convient, ou non, de légiférer et si la laïcité est respectée en cas de manifestation d'appartenance religieuse. C'est précisément la question qui nous est régulièrement posée par les chefs d'établissement.

Si, effectivement, le principe de laïcité suppose qu'il n'y ait pas de signes d'appartenance religieuse, l'avis du Conseil d'Etat, sur le terrain, n'est alors pas suffisant pour les chefs d'établissement.

Faut-il légiférer ou pas ? C'est la grande question à laquelle il est très difficile d'apporter réponse et sur laquelle il appartient aux commissions qui sont actuellement mises en place de réfléchir.

Faut-il, ou non, toucher à la loi de 1905 ? Pour ma part, je ne le pense pas.

Après avoir été sur le terrain pendant deux mois et avoir entendu enseignants et chefs d'établissement, je pense que la jurisprudence du Conseil d'Etat ne leur suffit pas, qu'ils attendent autre chose et qu'ils font, selon leur propre expression « du droit local », variable d'un établissement à l'autre, ce qui n'est pas satisfaisant.

M. Jean GLAVANY : Je souhaiterais, M. le Président, revenir sur cette affaire de chiffres parce que, nous n'allons pas pouvoir travailler six mois sans lever cette ambiguïté qui permet aux uns de parler, si je puis dire de carottes, et aux autres de choux-fleurs...

Si Christian Bataille avait du mal à croire qu'il y avait tant de cas de port de voile à Créteil et si peu à Lille, j'ai, moi, quelque peine à comprendre que la médiatrice de l'Education nationale avance un chiffre sur le plan national qui est déjà inférieur à celui d'une seule académie. L'unique explication possible, c'est que nous ne parlons pas de la même chose. Ne serait-ce que méthodologiquement, il faudrait qu'une fois pour toutes nous nous mettions d'accord sur l'objet du débat. S'agit-il des ports de voile constatés au sein des établissements, des cas qui sont réglés, de ceux qui ne le sont pas, de ceux qui font conflit, de ceux qui demandent arbitrage, de ceux dont le port se poursuit dans les classes ou autres... ? Aussi longtemps que nous n'éclaircirons pas ce point entre nous, il nous sera difficile d'apprécier et d'évaluer le problème à sa juste mesure.

Cela étant dit, je souhaiterais demander aux recteurs comment ils imaginent de concilier la solution unique imposée par la loi avec la revendication sans cesse croissante d'autonomie des établissements. C'est une question qui me semble importante.

J'aimerais également savoir comment ils entendent concilier cette solution unique avec la diversité des situations, car, si je me réfère aux propos tenus précédemment par Eric Raoult, il y a aussi des jeunes filles qui portent un foulard sur la tête parce que leur grand-mère polonaise en portait un. Ce sont des cas qui existent et la diversité dont faisait état M. le recteur Bancel est une réalité objective !

On ne peut pas, aujourd'hui, essayer de nous faire croire que le port du voile représente systématiquement une provocation religieuse alors que toutes les enquêtes montrent que s'il existe bien de telles provocations, y compris manipulées de l'extérieur des établissements par certaines communautés intégristes, il y a aussi une multitude de motivations qui n'ont rien à voir avec la religion. Quelle solution unique peut répondre à une telle diversité locale ? Je vois là une contradiction !

Enfin, sans vouloir répéter un numéro que j'ai déjà fait, je note que certains d'entre vous réclament une loi. C'est une revendication très à la mode qui flatte notre incommensurable ego de parlementaires, car les lois, c'est ce que nous savons, ici, le mieux faire : on en fait chaque jour, on en fait trop - n'est-ce pas, M. le Président ? - et trop de lois tue la loi. Seulement, comme vous êtes des recteurs, c'est-à-dire des fonctionnaires de haut niveau, dotés d'une formation juridique, certes variable comme cela a été souligné, mais assez solide, j'ai envie de vous demander : vous réclamez une loi, mais quelle loi ?

Puisque vous demandez une loi aux parlementaires de la République, dites-leur ce que vous voulez y inscrire, car vous savez sans doute que la liberté d'expression, et singulièrement la liberté d'expression religieuse, est extrêmement protégée par notre Constitution et plus encore par la convention européenne des droits de l'homme. Si, pour répondre à une revendication nous votons une loi, aussi complexe que l'avis du Conseil d'Etat pour être acceptée par le Conseil constitutionnel, nous serons bien avancés. Aidez-nous à rédiger une loi, si vous la désirez !

M. André LESPAGNOL : Je ne suis pas persuadé qu'il faille une loi. En revanche, je pense qu'il faut - et tel sera peut-être l'objet de la commission que le Président de la République a mise sur pied - réaffirmer les principes de la laïcité dans la République. Il faut que ce message descende dans le système éducatif et que l'on fasse preuve de vigilance - et je réponds là à l'observation formulée par M. Bataille - pour normaliser les règlements intérieurs des établissements, pour qu'il y ait moins de flottement et de variété dans les règlements intérieurs des lycées par rapport à l'interprétation du Conseil d'Etat.

La balle est dans notre camp, si je puis dire, puisque c'est au sein de l'éducation nationale que le travail doit être accompli en ce sens ! Une fois réaffirmés un certain nombre de principes sur la laïcité par les instances compétentes et la commission créée par le Président de la République, il me semble que le fait de lancer des messages très forts en direction de tous les acteurs du système serait, en revanche, de nature à faire avancer les choses.

Je ne suis pas certain que le malaise ressenti à la fois par les chefs d'établissement et par une partie des enseignants sur la question appelle une réponse législative. Cette réponse passera plus par la normalisation d'une forme de droit interne à l'Education nationale, et par la vigilance que nous pourrons exercer quant à l'application de ce qui est clairement défini par rapport, par exemple, à la jurisprudence du Conseil d'Etat.

Pour le reste, nous travaillons dans les établissements à armer les chefs d'établissement afin qu'ils soient en mesure de gérer ces situations. Cette démarche renvoie à la question de la formation des chefs d'établissement, voire des enseignants : est-ce que, durant leur formation, on donne à tous les personnels de l'Education nationale, et en premier lieu aux cadres et aux chefs d'établissement, les outils suffisants pour gérer ces problèmes de laïcité ?

Pour répondre à M. Glavany, je précise que j'ai cité des chiffres qui correspondent aux crises qui remontent jusqu'à moi et que je ne peux que constater que, sur trois ans, leur nombre est très restreint. Je ne dis pas qu'il n'y ait pas quelques fichus sur les têtes en nombre beaucoup plus important, ici ou là, dans mon académie, mais je ne peux que confirmer que les situations sont gérées et qu'il n'y a pas de débordements, même s'il y a effectivement lieu de résister à certaines pressions.

Vous me permettrez de revenir sur un dernier point qui a été évoqué par l'un de mes collègues : nous devons être très attentifs aux situations dans lesquelles des réseaux intégristes instrumentalisent des élèves mais aussi des surveillants, des éducateurs, des assistants d'éducation, voire certains personnels enseignants.

Cela peut devenir dangereux quand il y a des conjonctions entre certaines familles d'élèves et une fraction du personnel enseignant. Dans ce cas, il n'est pas besoin de légiférer : les textes existent et sont très clairs, il s'agit simplement de les appliquer comme nous le faisons d'ailleurs dès que nous avons des signalements. Ce sont des situations qu'il faut observer parce que, plus que la question religieuse, c'est celle des communautarismes, qui a été évoquée par certains de mes collègues, qui, moi, m'inquiète dans certains secteurs : c'est un peu la cas du « Grand Lille », voire de l'Alsace ou de la banlieue lyonnaise.

Sur ce sujet, oui, nous avons lieu d'être vigilants ! Ce problème, toutefois, n'est pas, avant tout religieux ; il peut passer par des signes religieux, mais il est plus profond que cela !

M. le Président : L'intervention de Mme Smaniotto pose quand même un problème. Elle nous a lu deux règlements intérieurs d'établissement dont l'un était manifestement en contradiction avec, et la loi et la jurisprudence du Conseil d'Etat. Il y a bien là quelque chose qui nous interpelle, car il pourrait aussi se trouver des règlements allant dans un autre sens et qui seraient encore plus laxistes... A partir du moment où l'on tolère que des établissements aient des interprétations contradictoires du principe fixé par le Conseil d'Etat - je ne parle pas d'une loi - cela signifie que l'on part dans tous les sens !

Mme Sylvie SMANIOTTO : Il faut en tirer les conséquences : pourquoi les chefs d'établissement ont-ils ressenti le besoin d'aller jusqu'à élaborer un règlement intérieur interdisant le port d'un couvre-chef ? C'est justement pour éviter les incidents liés aux communautarismes. Et ceci met vraiment l'accent sur le fait qu'ils sont démunis : à nous de trouver la réponse à leur problème !

M. le Président : On leur laisse la possibilité d'une interprétation qui peut, à bien des égards, présenter un danger.

M. Alain MORVAN : Face à ce problème de l'existence possible de droits locaux, il convient de rappeler qu'il existe déjà une instance de régulation de ces règlements intérieurs. C'est, par exemple, la commission d'appel des conseils de discipline, présidée par le recteur et qui permet d'annuler un certain nombre de décisions qui ont pu être prises en contradiction, par exemple, avec la jurisprudence du Conseil d'Etat.

A mon sens, la solution du problème passe par une sorte d'autonomie tempérée. Les chefs d'établissement, avons-nous entendu, se plaignent d'être abandonnés. C'est une vieille plainte, M. le Président ! C'est un phénomène assez mécanique qui, en fait, s'apparente beaucoup à une illusion.

Personnellement, je suis, au contraire, frappé par le fait que les chefs d'établissement qui assurent la remontée d'un cas de cette nature, sont immédiatement suivis, encouragés et épaulés. J'occupe la fonction de recteur depuis dix ans, je suis passé par trois académies successives et je puis affirmer qu'il n'est pas d'exemple d'une remontée d'information touchant à un problème de communautarisme qui ne se soit immédiatement soldée, de la part du recteur, par l'envoi de l'un de ses plus proches collaborateurs pour faire le point et pour, éventuellement, tenir la main du chef d'établissement. C'est d'autant plus vrai lorsqu'il s'agit de prendre une décision impopulaire comme, par exemple, celle de différer un conseil de discipline qui viserait à exclure un élève dans des conditions un peu hâtives. Je vous prie de croire que, dans ces cas-là, le recteur qui « mouille sa chemise » prend un grand risque d'impopularité, mais que néanmoins il le prend : nous le prenons tous !

Je souhaiterais revenir brièvement sur un problème qui a été évoqué précédemment et qui est très intéressant, bien que d'apparence secondaire : je veux parler de l'absentéisme. S'il ne fait pas l'objet de sanctions de la part des chefs d'établissement, je ne me l'explique pas parce qu'il n'est, en vérité, pas de décision plus simple à confirmer par une commission d'appel de conseil de discipline que ce type de sanction. Je n'ai encore pas d'exemple, dans mes dix années d'exercice, d'une exclusion temporaire ou définitive prise par un conseil de discipline en établissement qui n'ait été, sur ce motif de l'absentéisme, confirmée par le recteur.

On peut toutefois se demander pourquoi le port du voile, à la différence de l'absentéisme, suscite autant d'émotions. N'est-ce pas tout simplement parce que le voile qui est de l'ordre de l'habillement est la représentation la plus forte, psychologiquement la plus traumatisante de l'altérité ? Je pense que l'altérité vestimentaire est probablement la plus dérangeante pour nous tous, et qu'elle constitue pour le commun des mortels, et partant pour les fonctionnaires, la situation la plus difficile à gérer. C'est en ces termes, me semble-t-il, que l'on peut comprendre ces phénomènes !

M. Jean-Pierre BRARD : Ce débat, fort, intéressant, n'est pas de nature à nous rassurer ! Il est bon de réaffirmer les principes de la laïcité, comme le proposait M. le recteur Lespagnol, mais encore faut-il qu'un tribunal administratif ne passe pas par derrière...

A ce propos, j'ai été très intéressé par l'intervention de M. le recteur de Strasbourg, qui citait un exemple où la juridiction administrative avait annulé toutes les décisions, car c'est dans cette partie du territoire que les témoins de Jéhovah ont porté les premiers l'offensive pour se faire reconnaître par les tribunaux administratifs comme religion, en violation de nos lois ! Comparaison n'est pas raison, mais les deux sujets ne sont pas totalement éloignés...

Trouvez-vous légitime que l'on puisse identifier la conviction religieuse d'un élève d'après sa tenue vestimentaire ? Est-ce compatible avec la laïcité ?

Eu égard au faible nombre des cas qui remontent au rectorat, ne pourrait-on pas parler d'accoutumance ? Et, par rapport au souci d'éviter des drames, ne pourrait-on pas parler d'une « conquête rampante de l'espace public au détriment de la laïcité » ?

Par ailleurs, j'aimerais que l'on m'explique la différence entre le port d'un voile et celui d'un bandeau, à partir du moment où la volonté est d'affirmer la différence pour exprimer l'appartenance religieuse, la question ne renvoie pas au marché du textile ! Je pense que le vrai problème tient donc précisément à la présence de signes symboliques religieux, indépendamment de leur taille et de leur aspect.

La dialectique compromis-compromission est une dialectique qui m'intéresse beaucoup historiquement et qui a largement été pratiquée par Lénine. Ce dernier ne m'ayant pas vraiment convaincu sur le fait de savoir où passait la ligne de partage entre le compromis et la compromission, je souhaiterais que vous m'expliquiez où s'arrête le compromis acceptable et où commence la compromission.

Enfin, vous avez manifesté le souci de réussir l'intégration et, s'agissant de ces jeunes filles voilées, vous avez précisé que vous préfériez les voir dans un établissement scolaire public de 8 heures à 17 heures 30 plutôt que dans une école coranique. Trouvez-vous légitime, d'avoir, de 8 heures à 17 heures 30, dans un établissement scolaire public, des signes extérieurs qui font pression sur les autres élèves ?

M. Gérald CHAIX : M. le député, je vous répondrai, pour citer des auteurs que vous évoquez, que « en faisant un pas en avant, on risque de faire deux pas en arrière ! ». Je veux dire par là que je ne suis pas sûr qu'il faille faire le « grand bond » pour tomber, ensuite, face contre terre.

Concernant la législation, M. Glavany, je ne crois pas que nous ayons, unanimement, réclamé une nouvelle loi ! Je considère qu'il y a effectivement danger à légiférer sur ce domaine spécifique, mais que, en revanche, s'il y avait une loi organique sur l'école, c'est dans son cadre qu'il faudrait rappeler ce que nous entendons par « laïcité », c'est-à-dire, précisément le refus que, dans un espace public, se manifestent de façon communautaire des appartenances, qu'elles soient confessionnelles, politiques ou idéologiques.

Au sein de l'école, il n'y a que des individus qui ont leurs convictions, qu'elles soient politiques ou confessionnelles, qui peuvent, le cas échéant, s'exprimer par le vêtement ou par des pratiques alimentaires. Enfant j'ai mangé du poisson tous les vendredi au lycée, ce qui se faisait encore jusqu'à une date récente : c'était une forme d'affirmation confessionnelle majoritaire et c'est pourquoi elle ne posait pas problème... Les lycées et les écoles sont fermés le dimanche : c'est une forme d'affirmation implicitement confessionnelle ! Il faut faire preuve de prudence en la matière...

M. le Président : On peut en dire autant des vacances de Noël et des vacances de Pâques !

M. Gérald CHAIX : Mais, M. le Président, vous avez totalement raison : pour la première fois, cette année, les arbres de Noël ont été contestés, en Alsace, par un certain nombre de familles. Je ne juge pas, je constate simplement un fait et « les faits sont têtus » !

A l'intention de M. Périssol qui m'a demandé si nous faisions respecter la règle, je préciserai qu'il y a deux règles à faire respecter : premièrement, une circulaire de M. Jospin, de 1989 et une circulaire de M. Bayrou, de 1994 ; deuxièmement, une jurisprudence du Conseil d'Etat. Elles sont respectées et les unes, et les autres !

M. Pierre-André PERISSOL : Et elles sont compatibles ?

M. Gérald CHAIX : Elles sont compatibles. Puisque j'ai les textes sous les yeux, je peux vous citer la circulaire de M. Bayrou, étant précisé que celle de M. Jospin est globalement identique : « Le port par les élèves, de signes discrets manifestant leur attachement personnel à des convictions religieuses est admis dans l'établissement. » Tel est le texte de la circulaire Bayrou de 1994, celui de la circulaire Jospin est le suivant : « Aucune atteinte ne doit être portée aux activités d'enseignement et au contenu des programmes (...) Le caractère démonstratif des vêtements ou des signes portés peut notamment s'apprécier en fonction de l'attitude et des propos des élèves et des parents. »

Ces circulaires sont appliquées et la jurisprudence est appliquée. Je dirai avec d'autant plus de force que nous avons, en Alsace, un droit local, qu'il n'y a qu'un seul droit en matière de laïcité, mais que, dès lors qu'il est appliqué de façon jurisprudentielle, il l'est effectivement en fonction de la situation dans chaque établissement, sans pour autant devenir un droit local !

M. Paul DESNEUF : Je voudrais revenir sur la distinction qui a été faite entre les petits et les grands voiles. Le problème essentiel, c'est que ce qui se cache derrière ce vêtement, c'est le statut de la femme : c'est précisément pourquoi nous ne pouvons pas l'accepter dans l'école laïque. L'importance de ce signe tient beaucoup moins au fait qu'il fasse référence à une religion particulière qu'au fait qu'il soit la marque d'un statut social que nous récusons dans la République française. Pour ce qui me concerne, que le voile soit grand ou qu'il soit petit ne change rien parce que l'affirmation qu'il représente demeure exactement la même.

M. Hervé MARTON : Que faites-vous alors de la kippa qui pose le même problème ?

M. Paul DESNEUF : Pour moi, elle n'a, bien entendu, jamais été acceptable dans les établissements publics !

M. Hervé MARITON : Vous ciblez le statut et l'infériorisation de la femme, or la kippa, par définition, ne répond pas à cet objectif. Quel est donc votre argument suprême ?

M. Paul DESNEUF : Le refus de l'intégration : celui de la femme qui porte le voile ou de l'homme qui porte la kippa.

M. Hervé MARITON : Ce que vous récusez dans le port du voile, c'est pourtant bien le statut de la femme ?

M. Paul DESNEUF : C'est la charge sociale que ce signe induit dans l'islam.

M. Hervé MARITON : Mais tout symbole religieux n'induit-il pas une charge sociale ?

M. Paul DESNEUF : Mais celui-là en est tout particulièrement porteur et mon intervention, M. le député, portait sur ce point !

Quand nous acceptons, nous, représentants de l'Etat, le port du voile, même s'il n'y a pas de conflit, même si les choses se passent de façon soft, il y a, à mon sens, un problème ! Faudra-t-il, dans certains établissements, prévoir des heures d'éducation physique différentes pour les garçons et pour les filles, comme on le fait pour les heures de piscine ?

M. Jacques MYARD : Très bien !

M. Paul DESNEUF : Par ailleurs, n'oublions pas que les jeunes filles qui viennent avec leur voile dans nos établissements publics seront, demain, pour certaines d'entre elles, des fonctionnaires, voire de hauts fonctionnaires. Est-ce que cela signifie qu'à l'avenir les professeurs pourront porter le voile ? Est-ce que cela signifie que les magistrats ou les recteurs pourront porter le voile ? Je suis désolé, mais ce sont toutes ces questions qui doivent se lire en filigrane...

M. Jean GLAVANY : On mélange tout !

M. Paul DESNEUF : Si l'on dit que cela n'a pas d'importance à l'intérieur de l'école de la République, cela n'en aura pas, non plus, pour ceux qui y enseigneront...

Enfin, M. le Président, je serais, par nature, partisan de ne pas légiférer, car ce que l'on appelle « le rappel de la loi » me semble souvent suffisant. Toutefois, je crains, aujourd'hui, s'il n'y a pas de modification, que la jurisprudence du Conseil d'Etat, soit toujours invoquée et que cela constitue un frein à l'exécution du rappel de la loi.

M. Jacques MYARD : En propos liminaire et sans vouloir polémiquer, je rappellerai qu'au fil de l'histoire, on a toujours vu au sein de la République, des députés qui ne veulent pas légiférer, des ministres qui ne veulent pas gouverner ou des recteurs qui ne veulent pas appliquer la loi. Si tel est le cas, il appartiendra alors au ministre de changer les recteurs, comme Napoléon changeait les préfets quand ils refusaient de s'occuper des incendiaires du Var...

Je voudrais, pour ma part, revenir sur les propos que tenait M. Morvan, au début de cette réunion. J'ai cru comprendre qu'il craignait qu'une affirmation assez forte d'un certain nombre de principes, voire une loi, ne provoque une crise.

Ma question est donc simple : ne jugez-vous pas préférable d'avoir une « mini-crise » aujourd'hui que de très sérieux affrontements, demain ? En d'autres termes, est-ce que le port du voile dont on peut admettre qu'il marque dans certain cas un rapport identitaire à la grand-mère, mais dont on sait parfaitement qu'il porte une charge plus lourde, ne va pas bien au-delà de la mode vestimentaire ? Ne traduit-il pas l'affirmation d'un dogmatisme religieux dans le domaine des services publics, qui risque de conduire à des affrontements innombrables ? Ne sommes nous pas face à une montée du communautarisme à laquelle il convient de mettre un frein de façon à rétablir l'égalité face aux services publics et au sein de la sphère publique ? A-t-on affaire à la question du port du voile ou à une dérive communautaire ?

M. le Président : Il me semble que M. Desneuf a déjà répondu très clairement à cette question : le voile n'est pas simplement l'affirmation d'une appartenance religieuse : il marque le refus des règles de la République et de l'intégration !

M. Jean GLAVANY : Pas forcément !

M. le Président : Pas forcément, sauf que le cas cité par Eric Raoult peut également être interprété comme un refus de s'intégrer...

M. Alain MORVAN : Je souhaiterais apporter un petit élément de réponse à M. le député Myard, en l'assurant que tous les recteurs ont conscience que, du jour au lendemain, le ministre peut les démettre de leurs fonctions et indépendamment de la question du voile !

Je souhaitais surtout dire que cette question de la subordination de la femme est, à mes yeux, loin d'être prouvée

Dans les cas qu'il m'a été donné d'étudier de près - et je me suis efforcé d'aborder un certain nombre d'entre eux précisément comme des études de cas - il m'est apparu que, durant la crise d'adolescence - vous me pardonnerez de réduire les choses à un niveau d'apparence un peu vulgaire - le désir de se poser en s'opposant à l'autorité paternelle ou scolaire est peut-être aussi déterminant que la réponse à des pressions extérieures.

J'ai, ici, le dossier du cas qui s'est posé au lycée La Martinière-Duchère, à Lyon, en février, et qui a fait couler beaucoup d'encre. Il est clair que, dans cette affaire, les parents de la jeune fille concernée étaient hostiles au port du voile. Ils s'inscrivaient dans une logique de transaction avec l'établissement, qui avait d'ailleurs porté ses fruits. L'élève était, en effet, passée du voile proprement dit au bandeau et lorsqu'elle disait qu'elle portait le voile pour des raisons religieuses, il est évident qu'elle agissait, aussi, de son propre chef pour s'affirmer comme une élève de seconde qu'elle était.

S'agissant de l'évolution marquée vers le communautarisme, je ne l'ai pas, personnellement, ressentie. Je répète que je suis recteur depuis dix ans. J'ai fait un certain nombre d'expériences à Clermont-Ferrand qui est sans doute l'endroit où j'ai confirmé le plus de décisions d'exclusion prononcées par des conseils de discipline dont je m'empresse d'ajouter que toutes, ou presque, ont été cassées par le tribunal administratif, voire le Conseil d'Etat.

J'ai aussi été, jusqu'à l'an dernier, en charge d'une académie qui n'est pas tout à fait neutre, monsieur le député, puisqu'il s'agit de l'académie d'Amiens qui comprend le département de l'Oise, la ville de Creil, le collège Gabriel Havez, où est née, en 1989, l'affaire du voile, et je peux vous garantir que, d'un bout à l'autre de mon mandat qui a duré presque sept ans, je n'ai pas vu monter en puissance cette crise du communautarisme !

En revanche, je tiens à dire que les seules vraies difficultés et les seules vraies atteintes - spectaculaires, celles-là - que j'ai connues à la laïcité se situaient plutôt du côté des résidences du CROUS ou des bâtiments universitaires.

Je crois que nous ne pouvons pas être totalement être insensibles à ce dossier, même si nous parlons aujourd'hui de l'école. En effet, dans l'espèce de confusion des genres qui, j'en conviens, subsiste sur cette affaire, considérer qu'il est licite pour des jeunes filles, à partir de dix-sept ans et demi, âge qui correspond généralement au passage du baccalauréat et à l'entrée en DEUG, de porter le voile, alors que c'est, sinon complètement proscrit, du moins déconseillé jusqu'au baccalauréat inclus, induit une rupture violente et radicale. Outre qu'elle est très difficilement lisible, cette dernière complique singulièrement la tâche de ceux qui expliquent aux jeunes filles pourquoi il est préférable de ne pas porter le voile.

Si, un jour, le législateur se penche sur ce dossier, il serait important qu'il passe au-dessus de ce que l'on appelle « les franchises universitaires » pour travailler sur cet espace complètement ouvert qu'est l'université où tout est tolérable. Il est vrai que je vois passer, sous mes fenêtres du rectorat de Lyon, des jeunes filles se rendant à Lyon II, dont certaines portent de vrais voiles, or, là, nous ne pouvons rien faire ! Ce paradoxe brouille fortement les cartes et devrait, à un moment ou à un autre, être clarifié.

M. Jean-Yves HUGON : J'ai entendu M. le recteur Lespagnol dire qu'il ne fallait pas forcément légiférer, mais qu'il était nécessaire de normaliser les règlements intérieurs des établissements.

Je lui pose donc une première question à laquelle pourra sans doute également répondre Mme Smaniotto : puisque l'on sait très bien qu'en cas de situation de crise, les jeunes filles sont souvent manipulées par des groupes intégristes qui bénéficient d'une assistance juridique très pointue, quelle est la limite juridique du règlement intérieur d'un établissement scolaire ?

Ma seconde question s'adresse à l'ensemble des recteurs ici présents : avez-vous, messieurs, été informés, dans vos académies respectives, du port d'un signe religieux par un membre de l'équipe éducative ou par un membre du personnel de surveillance ?

M. André LESPAGNOL : Pour ce qui est de votre première question, j'y répondrai en confirmant qu'il y a besoin - et c'est notre tâche - de veiller à ce qu'intervienne une normalisation des règlements intérieurs pour qu'ils se conforment, sur ce terrain-là, à l'état actuel du droit.

C'est une tâche que nous prenons en main, mais qui pose le problème du contrôle de légalité par rapport à l'ensemble des règlements intérieurs. Il faut bien voir que mon académie compte 520 établissements, que les règlements intérieurs ont été remis en chantier depuis les circulaires ministérielles de juillet 2000, et que le processus n'est pas achevé. Si les règlements intérieurs sont conformes à l'état du droit actuel, en cas de conflit porté devant le tribunal administratif, les chefs d'établissement qui les auront appliqués seront inattaquables.

C'est là une première tâche qui n'est pas hors de portée mais qui représente simplement un effort important.

S'agissant de votre seconde question, j'avais précédemment évoqué, M. le Président, le positionnement, face à la laïcité, d'un certain nombre de personnels.

Il se trouve que, lorsque j'étais recteur à Reims, j'ai eu à traiter le cas d'une maîtresse d'internat qui, elle aussi, portait un bandana. Bien évidemment, d'emblée, une procédure disciplinaire avait été engagée, qui a abouti à son licenciement puisque les textes sur la fonction publique précisent que, dès que vous occupez un emploi de la fonction publique, même en qualité de non-titulaire, vous êtes soumis à l'obligation d'un respect stricte et ferme des règles en vigueur et, là, il ne s'agit pas de la jurisprudence du Conseil d'Etat.

Je crois, d'ailleurs que ce cas qu'il m'a été donné de traiter, en 1998 ou 1999, a fait plus ou moins école ! Il nous faut donc faire preuve de vigilance sur le sujet.

M. le Président : Peut-on dire que, justement, il n'y a plus de problèmes en ce domaine parce que les règles juridiques sont extrêmement précises ?

M. André LESPAGNOL : Tout à fait ! Simplement, la question qui est posée à un niveau supérieur est de savoir si ces règles valent pour les élèves comme pour les personnels de la fonction publique : il ne m'appartient pas de trancher !

M. le Président : Dans le cas des personnels, il n'y pas d'exception, ni d'interprétation possible ?

M. André LESPAGNOL : Non ! Les règles sont claires et nous les appliquons dès que nous avons des cas signalés de « flottement » : pour ce qui me concerne, je l'ai fait à deux ou trois reprises ! Est-ce que nous connaissons tout ? Non, mais dès que nous avons des cas patents - et je pense que tous mes collègues peuvent le confirmer - nous appliquons les règles sans état d'âme et sans problème juridique !

M. Jacques MYARD : Et ça marche ?

M. André LESPAGNOL : Oui, mais, M. le député, peut-on traiter un élève comme un personnel de la fonction publique ? C'est au législateur qu'il appartient de se prononcer  sur ce point !

M. Jean-Yves HUGON : J'aimerais obtenir une réponse plus précise à ma première question que je formulerai en d'autres termes : le règlement intérieur d'un établissement a-t-il force de loi ? Si dans le règlement intérieur d'un établissement, vous proscrivez le port de signes religieux à l'école alors qu'aucune loi ne l'interdit, le règlement intérieur a-t-il force de loi ?

Mme Sylvie SMANIOTTO : Non, il n'a pas force de loi !

M. Jean-Yves HUGON : Alors à quoi sert-il ?

Mme. Sylvie SMANIOTTO : Il précise des règles qui doivent normalement être conformes à la loi, à l'avis du Conseil d'Etat, à la jurisprudence, mais nous nous rendons compte que libre cours est actuellement donné à l'interprétation de l'avis du Conseil d'Etat.

M. Jean-Yves HUGON : Même si vous harmonisez les règlements intérieurs, un vide juridique subsistera ?

Mme. Sylvie SMANIOTTO : Qu'est-ce qu'un signe discret ? Toute la question est là ! Le voile est-il un signe discret ou pas ?

Personnellement je souscris tout à fait aux propos de M. le recteur Desneuf : il faut aller plus loin et lorsque vous vous rendez dans les quartiers pour entendre toutes ces jeunes filles expliquer comment les choses se passent, pourquoi certaines se voient imposer le port du voile, vous mesurez que le problème est très grave, et que les courants fondamentalistes font actuellement du prosélytisme. Elles mettent le voile, car si tel n'est pas le cas elles ne sont pas considérées comme de bonnes croyantes ! Vous connaissez la marche «   Ni putes, ni soumises » : je crois que l'on ne peut pas passer outre ce phénomène !

M. Hervé MARITON : Ni on ne veut, ni on ne peut, répondre à la seule question du voile islamique qui est bien pourtant celle qui se pose principalement...

Mme. Sylvie SMANIOTTO : Tout à fait !

M. Hervé MARITON : Pour dire les choses vulgairement, mais c'est une partie du problème, nous nous sommes « embarqués » dans une approche générale qui nous conduit à statuer sur bon nombre d'autres questions plus délicates.

M. le Président : Nous ne pouvons pas statuer uniquement contre le voile, car cela apparaîtrait comme une attaque frontale !

Mme. Sylvie SMANIOTTO : Il faut trouver une formule plus globale car la question du voile se pose ailleurs qu'à l'école.

M. Hervé MARITON : Il n'empêche que le port du voile est la seule question qui se pose !

Mme. Sylvie SMANIOTTO : Cela étant, vous pourriez avoir au sein d'un établissement dix, vingt, cent voiles que le chef d'établissement n'aurait pas les moyens de les faire retirer : il faut aussi savoir ce que l'on veut pour les années qui viennent et ce que l'on entend par laïcité !

M. Paul DESNEUF : Je suis totalement d'accord ! Le problème des statistiques, c'est qu'elles font état des incidents qui remontent, mais qu'elles ignorent les cas qui sont gérés sur le terrain. Or, je suis intimement persuadé que le chiffre que j'ai avancé se situe encore en dessous de la vérité ! Le problème est que certaines de ces jeunes filles subissent des pressions : il y a devant certains lycées de vieilles « mammas » qui surveillent comment elles arrivent au lycée et si elles retirent, ou non, le voile. Une véritable pression s'exerce, car si elles l'ôtent en pénétrant dans le lycée, le soir on s'expliquera dans le quartier ! D'autres jeunes filles, bien entendu, agissent par conviction, mais ce n'est pas plus acceptable puisqu'elles veulent afficher leur religion dans un établissement public.

Je suis, pour ma part, fondamentalement convaincu que le problème posé est celui du statut de la femme et que, dans un pays comme le nôtre, nous ne pouvons pas, au sein de l'école laïque, acquiescer à l'affichage d'un statut de la femme qui est, pour nous, profondément rétrograde et dévalorisant !

M. Jacques MYARD : Au-delà du voile, puisque le cas a été signalé récemment dans un centre d'examen, avez-vous eu à connaître de prières récitées durant les cours et, si la situation se présente, allez-vous, M. le recteur Morvan, l'accepter ?

M. Alain MORVAN : Ce que je voulais vous faire comprendre, c'est que, dans ce type de circonstances, il faut beaucoup plus de courage pour accepter que pour faire exécuter. L'une des circonstances où, au cours de mes dix années d'exercice, je me suis trouvé le plus attaqué, le plus vilipendé, c'est, précisément, lorsque j'ai décidé de surseoir à ce conseil de discipline : j'ai été traité de vichyste, de munichois parce que j'essayais de faire prévaloir les règles de compréhension, de dialogue et de respect de soi que, le 10 mars 2003, à vingt heures, le Président de la République avait rappelées, précisément dans le contexte du voile !

M. le Président : Madame, Messieurs les recteurs, je vous remercie.

Audition de M. Yves BERTRAND,
directeur central des Renseignements généraux


(extrait du procès-verbal de la séance du 9 juillet 2003)

Présidence de M. Jean-Louis DEBRÉ, Président

M. le Président : M. Bertrand, il a paru nécessaire de vous entendre parce qu'en tant que directeur central des Renseignements généraux (RG) depuis 1995, vous avez été confronté aux problèmes qui nous intéressent.

Ma première question est la suivante : voyez-vous un lien entre les lieux où se sont posés des problèmes touchant au port du voile islamique dans les écoles et la présence de mouvements fondamentalistes dans le quartier ou dans la ville ?

Ma deuxième question sera de savoir si vous avez eu connaissance de difficultés, en France, liées au port de signes religieux autres que musulman.

Pouvez-vous par ailleurs nous donner le nombre approximatif des écoles où, en France, vous avez pu observer qu'il a fallu faire intervenir un médiateur, un professeur ou une procédure quelconque, en raison de difficultés concernant une jeune fille portant un voile ?

Enfin, que pensez-vous de l'activité de personnes comme le docteur Thomas Abdallah Milcent qui a diffusé un mode d'emploi du voile sur internet et qui intervient régulièrement dans les conflits liés au port du voile ?

M. Yves BERTRAND : J'ai ici ce document et pourrai vous le communiquer.

Je commencerai, si vous le permettez, par un peu d'histoire sur la communauté musulmane en France et les idéologies qui la sous-tendent - et je dis bien « idéologies » en n'utilisant pas à dessein le terme de « cultes » - car, à partir de cette histoire, on comprend ce qui se passe actuellement, notamment ces affaires de voile périodiquement agitées par les médias.

Nous connaissons des périodes où des cas plus nombreux nous sont signalés dont on parle beaucoup, suivis de périodes de régression, de stagnation.

Cette affaire dure depuis 1989, le premier cas signalé s'étant déroulé à Creil dans l'Oise. C'est une question à laquelle il est assez difficile de répondre car la jurisprudence administrative n'est pas unifiée. Des décisions contradictoires ont été rendues par le Conseil d'Etat ou les tribunaux administratifs.

Je parle de 1989 puisqu'il faut bien faire remonter l'affaire à une date, mais nous pourrions aussi bien partir d'avant. Sur le problème de l'islam fondamentaliste, le Conseil d'Etat avait pris une décision réservée. Par la suite, les décisions, que ce soit celles des tribunaux administratifs ou du Conseil d'Etat, n'ont pas suivi cette jurisprudence initiale, ce qui pose un problème de jurisprudence.

La date de 1994 est également importante. C'est celle de la circulaire Bayrou qui, elle, disait clairement que tout port de signe distinctif, voile ou autre, est prohibé et que le règlement du problème est laissé à l'initiative des chefs d'établissement. C'est le seul texte vraiment cohérent car, pour ce qui est des décisions des tribunaux, on a assisté à tout et son contraire.

A mon avis, cette question du voile n'est qu'un épiphénomène. Ce n'est qu'une affaire symbolique recouvrant une question et des problèmes bien plus lourds, au sens cultuel et idéologique.

Sur la communauté musulmane de France, tout d'abord, se pose un problème de chiffre : 4,5 millions, 5 millions, davantage ? On n'en sait trop rien, parce qu'il y a les musulmans de nationalité française, ceux de la deuxième, voire troisième génération. Nous avons une idée approximative du chiffre, mais il s'agit d'une fourchette.

On peut toutefois dire que cette communauté a énormément évolué en vingt ans. Avant, dominait le courant maghrébin et, en son sein, l'Algérie. Or, dans les années 80, la religiosité de la communauté algérienne, malgré une fréquentation des mosquées, était quasiment nulle. La communauté algérienne était alors très mal encadrée par les associations qui étaient censées la contrôler. Celles-ci - l'amicale des Algériens en France et l'amicale des Algériens en Europe -, étaient des associations laïques contrôlées par le gouvernement algérien. Il n'y était pas question de religion. La religion, c'était la Mosquée de Paris, dont la fréquentation était celle de personnes déjà d'un certain âge. Le taux de pratique était infime, vraiment très faible.

A partir des années 85, on a pu observer une évolution très rapide caractérisée par l'affaiblissement de la communauté algérienne et de la Mosquée de Paris, et la montée en puissance d'associations inspirées surtout par la confrérie des Frères musulmans.

C'est cette montée en puissance que nous, Renseignements généraux, avons observée dans ces années-là. Il se trouve qu'à l'époque, j'étais directeur adjoint des RG. Le directeur en était Jacques Fournet et il m'avait confié les rapports avec la confrérie des Frères musulmans. J'avais donc pu observer - et je l'avais écrit dès cette époque, c'est-à-dire il y a quinze/vingt ans - la montée en puissance associative des Frères par l'intermédiaire d'une organisation dont on parle beaucoup aujourd'hui, l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), faisant partie d'un ensemble européen, voire mondial... Quand je dis « mondial », c'est en raison du lien existant avec l'Egypte et l'Arabie Saoudite par l'intermédiaire de l'Union des organisations islamiques européennes et d'un mouvement appelé le BOLIM (Bureau de la ligue islamique mondiale), qui était l'exécutif de l'UOIF. Nous avons vu cette UOIF tisser une véritable toile sur l'ensemble du territoire.

Nous avons également observé que ces personnes avaient souvent une formation intellectuelle de haut niveau et - cela m'avait frappé - on notait l'influence du corps professionnel des neurochirurgiens. Ces derniers étaient le noyau intellectuel dominant de cette UOIF.

M. le Président : Pourquoi ?

M. Yves BERTRAND : Ces personnes avaient choisi la branche médicale de neurochirurgien, avaient été formés en Arabie Saoudite, en Egypte, voire dans d'autres pays du Proche ou du Moyen-Orient, mais je n'ai jamais connu de façon certaine la raison de cet état de fait. Ce qu'il faut en retenir, c'est qu'il s'agissait de gens de haut niveau.

Cette association a donc pris pratiquement et majoritairement le contrôle du tissu associatif de la communauté, affaiblissant d'autant plus la Mosquée de Paris.

Une seconde fédération d'associations s'est également constituée, moins idéologique : la Fédération nationale des musulmans de France (FNMF). Pour schématiser, cette dernière était plutôt contrôlée par le Maroc, l'UOIF l'étant par l'Egypte et l'Arabie Saoudite.

Ce qui se passe aujourd'hui n'est que la suite logique de cette gestation progressive et de l'affaiblissement de la Mosquée de Paris ; affaiblissement que l'on a pu mesurer lors des élections au Conseil français du culte musulman (CFCM) puisque UOIF et FNMF contrôlent quasiment les 9/10ème des directions régionales du CFCM, c'est-à-dire les conseils régionaux du culte musulman, la Mosquée ne contrôlant qu'un seule mosquée, celle de Lyon, dont l'imam n'est même pas d'accord avec le recteur de la Mosquée de Paris.

Cela explique que, dans ces affaires de port du voile, la Mosquée de Paris n'ait pratiquement qu'une position « fantomatique », dirai-je. Elle ne s'exprime pas, ou très peu, sur ce sujet. Quand se posent des problèmes sur la question du voile, ce sont l'UOIF et la FNMF qui parlent.

Telle est la synthèse que je voulais faire pour vous expliquer ce à quoi nous assistons aujourd'hui.

Vous avez parlé de ce Français converti, le docteur Abdallah Milcent. J'ai ici sa « Bible ». Je la laisserai à votre mission et vous pourrez constater qu'il fait partie des promoteurs idéologiques de ce courant fondamentaliste de l'UOIF. On peut le qualifier aujourd'hui de maître à penser de ce courant. Il était ancien professeur à la faculté de la loi coranique de l'université du Koweit.

Pour rester sur un plan assez général avant d'aborder des points plus précis, il y a un autre élément auquel il faut faire très attention : les membres de l'UOIF sont des personnes qui ont accepté d'être au Conseil français du culte musulman ; qui, donc, institutionnellement, jouent le jeu. Dans leurs propos, il n'y a aucun dérapage verbal, qu'il s'agisse des prêches du vendredi, puisqu'ils contrôlent un certain nombre de mosquées, ou des discours que leurs responsables prononcent de façon institutionnelle. Vous remarquerez qu'au Bourget, ce sont les assistants, les participants qui ont pris à parti le ministre, pas les responsables.

Ce sont des personnes qui contrôlent très bien leur vocabulaire - en tout cas, publiquement car, en privé, c'est autre chose. Il y a souvent deux langages : celui destiné aux institutions françaises, sans aucun dérapage, et celui à l'adresse de leurs jeunes adhérents ou militants, légèrement différent.

Ils se réclament de la doctrine des Frères musulmans. Jusque-là, rien à dire. Mais nous assistons actuellement à l'émergence d'un courant bien plus dangereux, qui est le courant dit « salafite ». Le courant salafite vient des Algériens qui ont fait des stages en Afghanistan, voire au Pakistan et qui, pour certains, ont participé à des combats en Bosnie ou sur d'autres champs où les musulmans ont eu à se battre militairement. Ils ont donc acquis une formation militaire et idéologique. Ils ne se réclament plus de la doctrine des Frères, mais d'un courant bien plus radical venu, lui aussi, d'Arabie Saoudite.

On peut dire sur le fondamentalisme en Arabie Saoudite - là encore, je résume à l'extrême - qu'il y a deux courants, l'un salafite proaméricain, l'autre salafite antiaméricain qui nourrit le fameux mouvement Al-Qaida. Le « mouvement Al-Qaida » est presque une appellation de référence car, en fait, on ne sait pas trop ce que recouvre ce mouvement Al-Qaida. Ce sont les Américains qui l'ont inventé... il existe certes, mais on aurait pu l'appeler différemment.

Ces personnes se sont donc ralliées à la doctrine du mouvement Al-Qaida, c'est-à-dire qu'elles professent un antiaméricanisme virulent et un antisionisme encore plus virulent. Ils ne disent pas « antisémitisme » mais antisionisme. De toute façon, ce sont des discours d'une radicalité extrême.

Le travail des Renseignements généraux est de suivre l'évolution de tous ces courants.

Comment procède-t-on ? On revient toujours aux méthodes de la vieille police : nous allons écouter les prêches du vendredi et nous essayons d'écouter ce qui se dit après le prêche. Les prêches se déroulent généralement bien, ils sont corrects. Ils savent que les RG sont là. A part deux ou trois imams radicaux, dans le Nord de la France, dont nous connaissons le discours violent depuis longtemps, pour ce qui est des autres, institutionnellement, il n'y a rien à dire.

Par contre, c'est ensuite, comme à la fin de la messe de notre enfance, que les gens parlent, notamment les jeunes. On découvre alors des discours qui n'ont rien à voir avec le prêche de l'imam.

Nous avons donc tenté de recenser quantitativement le nombre de mosquées salafites. Nous le faisons également pour les autres courants et recherchons celles qui restent contrôlées par la Mosquée de Paris, par l'UOIF, par la FNMF ainsi que celles contrôlées par l'islam turc, courant dont je n'ai pas encore parlé mais qui, pour une part, se révèle aujourd'hui parmi les plus radicaux de tous.

L'islam turc a un discours modéré à travers le Milligorus, qui est le courant qui se rattache au gouvernement actuel turc pro-occidental et pro-américain, et un discours aussi dur que celui des Salafites pour ce qui est de son courant ultra-radical, le courant Kaplan, du nom de son fondateur aujourd'hui décédé.

Nous travaillons donc à recenser l'implantation et la montée de ces courants au sein de la communauté. Aujourd'hui, nous dénombrons entre 10 et 20 mosquées que nous qualifions de « salafites ». C'est beaucoup, car il y a trois ou quatre ans, il n'en existait aucune. Il y a donc là une évolution.

L'UOIF, pour sa part, contrôle entre 190 et 200 mosquées. La Mosquée de Paris, même si elle reste majoritaire sur le plan numérique, subit un déclin permanent. La FNMF, contrôlée par les Marocains, doit compter légèrement plus d'une centaine de mosquées. Il en va de même de l'islam contrôlé par les Turcs.

Tout cela pour revenir à l'affaire du voile - mais j'ai, au fond, l'impression d'avoir déjà répondu à cette question - qui n'est qu'une petite facette de l'affaire et cache un problème plus vaste et plus dangereux. Ces affaires de port du voile ne sont que des symboles, de petites affaires mais très médiatisées parce que l'UOIF ou les autres mouvements souhaitent qu'elles le soient.

Cette affaire du voile peut devenir dangereuse. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Nous sommes plutôt dans une phase de stagnation. Nous avons connu des pics. Ce fut le cas notamment en 1994. Puis, 1995 a marqué une diminution...

M. le Président : Avez-vous quelques chiffres concrets à nous donner ?

M. Yves BERTRAND : En 1994, nous recensions 1 123 cas de problèmes ou de difficultés concernant le port du voile...

M. le Président : A l'école ?

M. Yves BERTRAND : Oui, je parle de l'école.

M. le Président : Il s'agit du recensement de problèmes ayant surgi entre une élève et des élèves ou une élève et un enseignant à propos du port du voile ?

M. Yves BERTRAND : Oui. En 1995, ce chiffre tombait à 446 cas.

M. le Président : Qu'en est-il aujourd'hui ?

M. Yves BERTRAND : Aujourd'hui, il est de l'ordre de quelques centaines, plus faible qu'il ne l'a jamais été. Nous sommes dans une phase de régression quantitative - en tout cas, quantitativement portée à notre connaissance, car il faut savoir qu'il n'y a jamais eu de cas spontanés. Tous les cas recensés ont toujours été contrôlés par les mouvements. Quand je parle de mouvements, je parle toujours des mêmes, c'est-à-dire UOIF ou FNMF, en fonction de l'appartenance de la famille à tel ou tel courant. Il n'existe pratiquement pas de cas où c'est la Mosquée de Paris qui a agité le problème. Je n'en connais pas, mais peut-être cela a-t-il été le cas une ou deux fois.

Aujourd'hui, c'est un point que je voulais souligner en conclusion provisoire de cet exposé liminaire, le risque déborde le cadre de l'école et est en train de toucher le monde du travail.

De ce point de vue, l'affaire Auchan a été révélatrice. Une employée était à la caisse et portait le voile alors qu'elle rendait la monnaie. Nous avons le sentiment très net que les organisations sont en train d'essayer de déborder du seul cadre de l'école pour toucher le monde du travail qui leur paraît, sur le plan du prosélytisme, plus prometteur. C'est extrêmement important.

Cela touche souvent des catégories sociales appartenant à un milieu assez défavorisé. Très souvent, le plus souvent, ce sont des femmes. Dans les grandes surfaces, ce sont elles qui sont à la caisse. Dans leur esprit, il s'agit d'une espèce de néo-prolétariat, qui leur semble assez fragile. Pour le phénomène de la conversion, cela leur prend un jour ou deux. Ils essaient donc de sortir des écoles pour entrer dans le monde du travail. C'est en tout cas, ce qu'ils risquent de faire dans les semaines et les mois à venir.

Si une décision, une loi ou des mesures devaient être prises aujourd'hui, il conviendrait de ne pas les cantonner aux écoles mais de les étendre au monde du travail. C'est un des points les plus importants que je voulais signaler aujourd'hui.

L'UOIF a un discours assez ambigu. Il consiste à dire que, pour résoudre la question du port du voile, il suffit de créer des écoles confessionnelles réservées à la communauté. Ils ne demandent même pas - mais cela viendra - qu'elles soient placées sous contrat, comme le sont les écoles confessionnelles juives ou autres. Ils disent, pour l'instant, qu'ils s'en tiendraient à des établissements hors contrat, ce qui leur laisserait une certaine liberté d'action. Dans une seconde phase, je pense que l'on arriverait à la demande d'établissements sous contrat.

C'est la doctrine, le discours qu'ils tiennent en tout cas entre eux et qu'ils s'apprêtent à tenir dans les semaines et les mois qui viennent.

Telles sont, résumées, M. le Président, mesdames et messieurs les députés, les questions qui me paraissent agiter la communauté musulmane aujourd'hui dans notre pays. J'ai souhaité faire ressortir que cette question du voile n'est qu'un des aspects d'une problématique bien plus vaste.

M. le Président : Ce problème ne se pose-t-il pas avec d'autres religions ?

M. Yves BERTRAND : Non, pour l'instant, ce n'est pas le cas.

Il s'est posé un temps avec les catholiques dits « intégristes », qui l'ont résolu en créant des établissements hors contrat sous l'égide de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X et de l'Université Saint-Pie X.

C'est de ce modèle des catholiques intégristes - je dis bien « intégristes » et ne parle pas des « traditionalistes » car il y a là une distinction - que l'UOIF et la FNMF cherchent à s'inspirer pour faire des propositions.

M. Jean GLAVANY : Je voudrais reprendre la dernière partie de votre exposé pour être sûr d'avoir bien compris. Vous dites que, d'après vos observations, après le pic de 1994, on a assisté à un reflux et que nous serions plutôt actuellement en bas de l'échelle...

M. Yves BERTRAND : En stagnation.

M. Jean GLAVANY : Si j'ai bien compris, et c'est ce que je voudrais vous faire préciser, ce mouvement de stagnation s'expliquerait par le fait que l'UOIF changerait de stratégie, d'une part en s'orientant, vers le monde du travail qu'elle juge aujourd'hui plus important que l'école et d'autre part, en estimant, qu'en ce qui concerne l'école, l'objectif doit être d'avoir des établissements religieux. Est-ce bien cela ?

M. Yves BERTRAND : Cela réglerait, selon eux, le problème, étant entendu que cela conduit droit au communautarisme. Il faut effectivement bien comprendre que, d'après eux, le modèle communautariste est la solution. Jusqu'à présent, nous n'étions pas dans une approche communautariste.

M. Jean GLAVANY : Je vous laisse l'entière responsabilité de ce propos car il existe des établissements religieux catholiques en nombre et ce n'est pas pour autant que l'on peut parler de communautarisme.

M. Yves BERTRAND : La majorité des établissements religieux catholiques sont sous contrat. Un certain nombre d'entre eux sont hors contrat et j'ai bien précisé qu'il s'agissait notamment d'établissements se rattachant au courant dit « intégriste » car il faut bien employer ces termes. On dit « intégriste » ou « fondamentaliste » aussi pour les chrétiens.

Mais les établissements catholiques sous contrat respectent un « cahier des charges », qui leur est imposé. A ma connaissance, ils n'arborent pas de signes distinctifs. Je pense qu'il faut vraiment distinguer entre établissements sous et hors contrat.

M. le Président : Oui, parce que, sous contrat, ils sont dans l'obligation de recevoir tous les élèves. Hors contrat,...

M. Yves BERTRAND : Ils font ce qu'ils veulent.

M. Jean GLAVANY : A votre connaissance, des établissements confessionnels musulmans hors contrat sont-ils en cours de constitution ?

M. Yves BERTRAND : Ils veulent créer un lycée à Lille.

M. le Président : Il est question de créer deux établissements, me semble-t-il et il serait intéressant d'en entendre les responsables.

M. Yves BERTRAND : Je lis dans mes notes que la rentrée 2003-2004 verra l'ouverture du premier lycée musulman privé à Lille dans les locaux de la mosquée tenue par Lasfar Amar.

M. le Président : Qui est cet Lasfar Amar ?

M. Yves BERTRAND : Il s'agit d'un imam.

M. le Président : D'où vient-il ?

M. Yves BERTRAND : Il est plutôt proche de l'UOIF.

M. Jacques MYARD : J'apporterai un témoignage et poserai une question.

Tout d'abord, nous savons la façon dont cela commence, puis dérive. Nous en avons pour témoignage le cas de l'Algérie, qui a fonctionné de la même manière en terme de montée en puissance, avec notamment l'erreur commise par Boumediene de laisser s'installer sur le territoire algérien 4 000 coopérants wahhabites issus de l'université d'Al-Azhar en Egypte qui ont systématiquement remplacé les instituteurs et coopérants français dans les écoles.

Puis, vous l'avez dit à propos de l'UOIF, il existe un double langage. Vous avez été tout à fait prudent. Il faut savoir que, dans cette école du wahhabisme, surtout chez les chiites, il existe la démarche de la taqia. Taqia en arabe signifie « visière », c'est-à-dire que l'on avance masqué. La taqia pour ces personnes consiste à faire le gros dos quand la situation est fermée, d'avancer ses pions et de tenir le langage de celui que l'on a en face pendant un temps, pour remonter à l'arrière.

J'ai reçu des représentants de l'UOIF dans cette maison en 1995. Certains portaient leur montre à l'heure de La Mecque. Vous parliez des neurochirurgiens, mais ce ne sont pas les seuls ; il y a aussi notamment les informaticiens parce que c'est la certitude scientifique dogmatique que l'on applique.

On sait très bien la manière dont cela fonctionne. On connaît très bien leur dialectique. Et vous avez mille fois raison : si ce n'était que l'histoire du voile, on imposerait simplement qu'il soit Coco Chanel, et l'on aurait la paix !

Mais le problème, ce n'est pas le voile, c'est ce qu'il y a derrière, la démarche, la volonté de transposer tout un pan de société sur un modèle religieux dogmatique, en suivant des us et coutumes qui ne sont pas ceux de la République.

Ma question est la suivante : vous dites que le discours officiel est correct, mais que pouvez-vous nous dire du contenu de l'après-prêche, qui est plus radical ? Car la question se posera. Il ne faut pas se leurrer. Si on laisse s'établir des medressa sur le territoire national, elles seront systématiquement contraires aux lois de la République. L'enseignement qui y sera dispensé sera contraire aux lois de la République, et nous serons alors confrontés non pas à un problème d'interdiction des signes religieux mais, carrément, à celui de la dissolution d'associations factieuses par rapport aux lois de la République car, à mon avis, cela relèvera plutôt du décret de loi de 1936.

Quel est le contenu de ces prêches secondaires ? Que pouvez-vous nous dire sur ce qui vous apparaît comme éminemment contraire aux lois de la République ?

M. le Président : Avant que M. Bertrand ne réponde, je souhaiterais apporter des précisions à M. Jean Glavany.

Le premier collège confessionnel musulman composé de classes de onze élèves a ouvert ses portes à Aubervilliers en 2001. Deux autres projets sont en cours à Villepinte et à La Courneuve. Il existe, par ailleurs, une école musulmane sous contrat à La Réunion.

Trente mosquées seraient en projet ou en construction en France, selon la Mosquée de Paris.

Pour être complet sur les chiffres dont nous disposons : sur 1 535 mosquées recensées en France, seule une dizaine a été construite pour cet usage de mosquée.

Près de trois musulmans sur quatre sont originaires du Maghreb : Algérie, 37 % ; Maroc, 25 % ; Tunisie, 9 %.

La source est le Festival international de géographie de Saint-Dié, et le ministère de l'intérieur1.

M. Yves BERTRAND : J'ai parlé des après-prêches. Il ne s'agit pas de prêches, mais de discours à bâtons rompus que nous nous efforçons de contrôler. Tous les vendredis, il y a des prêches dans les mosquées et, le lundi, nous arrivons à savoir qu'il y a eu un ou deux dérapages dans telle ou telle mosquée - dans trois ou quatre, en fait, toujours les mêmes, d'ailleurs ! Il n'y pas là d'augmentation. J'ai voulu vous dire que sur le plan institutionnel, apparent, il y a très peu de dérapages.

Nous avons, par exemple, été particulièrement vigilants après les attentats du 11 septembre 2001. Nombre d'observateurs s'attendaient à des dérapages nombreux, voire à une multiplication de réseaux salafites, qui auraient préparés des attentats contre les intérêts américains, britanniques, etc.

Puis, il y a eu la guerre d'Irak et, curieusement, les responsables des mosquées et des associations ont très bien contrôlé leurs troupes ; ce qui, d'ailleurs, n'est pas pour nous rassurer. Cela signifie que le tissu associatif, qui est très dense, fonctionne à merveille. On ne sent pas d'anarchie dans les mouvements contrôlés par ces organisations. Le fait qu'il n'y ait pas eu de dérapages institutionnels après ces événements gravissimes montre que la communauté est très bien contrôlée par ces associations.

La dangerosité, puisque je crois comprendre que c'est ce que vous voulez savoir, se traduit d'une autre façon. Là, nous sommes dans l'institutionnel et l'apparent. La dangerosité, c'est le contraire, c'est le clandestin. Le clandestin, ce sont les réseaux.

Je rappelle que la France a été le premier pays touché par les attentats terroristes au milieu des années 90. Nous avons découvert à cette occasion - M. le ministre le sait très bien, puisque j'avais l'honneur de travailler sous son autorité dans ces périodes très difficiles - le phénomène des convertis, dont M. Milcent est l'un des plus représentatifs, et leur importance au sein de ces réseaux. Les convertis jouaient et jouent toujours le rôle que jouaient les Français qui étaient dans le Front de libération nationale (FLN) ; les « porteurs de valise », comme on les appelait. En fait, ils étaient bien plus importants que de simples porteurs de valise. J'établis cette comparaison non pas sur un plan idéologique mais pour montrer comment cela fonctionne.

A l'occasion d'une affaire qui s'est déroulée dans le nord, à Roubaix, nous avons également découvert - et cela répond tout à fait à votre question - parmi les critères de dangerosité, les liens entre la délinquance et l'islam. Nous ne savions pas auparavant que la délinquance pouvait servir de support logistique au réseau.

M. le Président : Je précise qu'il s'agit d'un attentat qui avait eu lieu à Roubaix en 1996.

M. Yves BERTRAND : L'affaire avait commencé à être traitée par le parquet local et le Service régional de la police judiciaire (SRPJ). Pour eux, il s'agissait d'une affaire de droit commun. Heureusement, l'affaire a été évoquée à Paris et l'on s'est vite aperçu que cela n'avait rien à voir avec le droit commun, que l'on était dans l'islamisme pur.

A partir de cet exemple de Roubaix, nous avons découvert que la France était devenue le support logistique après que les réseaux de poseurs y aient été neutralisés. Etant les premiers touchés, nous avons été les premiers à réagir - il faut le dire, dans l'indifférence générale de la communauté internationale.

M. le Président : C'est le moins que l'on puisse dire.

M. Yves BERTRAND : Les Américains, tant que cela ne les frappait pas...

A l'époque, lors de réunions avec la CIA, on passait à d'autres affaires et ils ne voyaient pas qu'un jour ou l'autre, le danger les toucherait. Ils l'ont compris très récemment.

M. le Président : Il en allait de même avec les Anglais.

M. Yves BERTRAND : En effet.

M. Jean-Pierre BRARD : Et les Allemands.

M. Yves BERTRAND : Oui, il faut le dire.

Les poseurs ont donc quitté la France et la France a conservé le rôle de support logistique.

M. le Président : Pour les Anglais, nous savions très bien qu'un certain nombre de personnages venaient de Londres, de la mosquée de Baker Street. Lorsque nous avons demandé aux services de renseignements anglais de nous aider, sans avoir jamais essuyé de refus, je dois dire que nous n'avons jamais pu avoir une collaboration très précise.

Je me souviens même que, lorsque nous avons essayé de suivre un individu qui partait de Londres pour venir en France et dont on pensait qu'il pouvait être un poseur de bombes, il a presque fallu violer la loi pour agir sur le territoire anglais tant les services de renseignements anglais ne se sentaient pas concernés. Or nous savions que cette mosquée et son environnement étaient à la source de nos problèmes.

M. Yves BERTRAND : Tout à fait.

Cette découverte nous a permis de prouver qu'il y avait une redistribution des rôles au sein des réseaux, la France devenant le support logistique, avec trafic de faux papiers et financements. Les poseurs sont partis ailleurs parce que, chez nous, l'insécurité était devenue trop grande pour eux.

Il ne s'agit pas de dire que nous sommes meilleurs que les Anglais qui, on le voit bien aujourd'hui, ont compris ce qu'était le travail efficace. Mais nous avons été les premiers à réagir. En conséquence, les réseaux se sont redéployés et ceux que nous traquons actuellement sur notre territoire sont souvent des réseaux logistiques.

J'établirai une comparaison avec l'ETA2. Au sein de l'ETA militaire, la France conserve le rôle de support logistique, ce qui permet à l'organisation de continuer à faire semblant de respecter ce sacro-saint principe de sanctuarisation. Les attentats ont lieu en Espagne et, jusqu'ici, la France est relativement épargnée - du moins, pour ce qui est des attentats très meurtriers. Mais la France garde un rôle de support logistique. La preuve en est que nous démantelons à peu près un réseau logistique d'ETA militaire par an, parfois plus.

Cela se passe un peu de la même façon pour les islamistes.

Pour répondre à votre question, il nous a donc fallu sensibiliser nos amis anglais, belges et allemands qui ne l'étaient pas, mais aussi espagnols car chaque fois que nous tenions des réunions avec ces derniers, le seul et unique sujet était l'ETA. Dès que nous essayions d'aborder le problème de l'islamisme, ils ne répondaient pas.

La situation a évolué. Depuis un an, dans les réunions franco-espagnoles, qu'elles se déroulent à Paris ou à Madrid, les deux sujets sont évoqués même si, bien évidemment, l'ETA militaire reste le sujet principal. Nous y faisons même assister maintenant la Direction de la surveillance du territoire (DST) pour bien montrer que, pour nous, l'aspect renseignement sur d'autres sujets est aussi important que les affaires concernant l'ETA militaire. Les Espagnols l'ont compris et, je dois le dire, jouent très bien le jeu, d'autant mieux que dans ce pays où ni les Marocains ni les Algériens ne séjournaient, des communautés se forment maintenant et créent aussi, comme l'UOIF, des communautés islamistes fondamentalistes.

La situation n'est donc plus seulement française. Elle est devenue européenne. Ai-je répondu à votre question ?

M. Jacques MYARD : Avec la permission du Président, pas tout à fait. Vous êtes entré carrément dans le délictueux. De ce point de vue, la situation est claire et ne pose pas problème.

Mais, en réalité, je sais qu'il existe un discours sur la position de la femme, par exemple, sur un certain nombre de préceptes concernant la vision qu'ils ont de la société et qu'ils veulent imposer. Pouvez-vous nous donner des éléments qui montrent qu'ils souhaitent, par exemple, qu'à partir d'un certain âge, les femmes aillent dans des écoles séparées, voire n'aillent plus à l'école, que soit mis fin à la mixité ou que les piscines soient réservées aux femmes d'un côté et aux hommes de l'autre... ?

Ce genre de règles ou de revendications se font-elles jour ?

M. Yves BERTRAND : Sur le plan officiel, non.

M. Jacques MYARD : Lors de l'après-prêche... ?

M. Yves BERTRAND : Dans les discours privés, oui. Entre eux, oui.

M. Jacques MYARD : Exigent-ils une certaine conception de la société qui est la leur mais pas la nôtre ?

M. Yves BERTRAND : Absolument. Mais, je le répète, ce sont des propos qui sont tenus dans des cercles restreints et pas lors de prêches officiels. Pas un imam ne se hasarderait à dire cela.

M. Jacques MYARD : Pour l'instant.

Vis-à-vis de citoyens français qui ne sont pas de leur religion, constatez-vous un discours agressif, que ce soit à l'égard des roumis que nous sommes ou des juifs ?

M. Yves BERTRAND : Le discours est agressif : ce sont les « chiens de chrétiens » et les « chiens de juifs », mais il s'agit de propos tenus en privé. Je ne veux pas trop entrer dans les détails opérationnels, mais sans des musulmans qui nous renseignent, nous ne le saurions pas. Cela n'apparaît pas publiquement. C'est important : publiquement, nous n'avons pratiquement aucun dérapage. Nous en avons même eu moins après le 11 septembre et au moment de la guerre de l'Irak que nous n'en avons habituellement.

Je dis la réalité telle qu'elle est.

Il est évident que ce discours antisioniste, antichrétien, haineux, anti-américain qui dépasse les bornes n'apparaît pas publiquement mais est tenu en permanence entre eux.

M. Robert PANDRAUD : Premièrement, ce discours antichrétien et antisémite est-il anti-américain ou, plus globalement, antichrétien ? Le discours est-il antisémite ou antisioniste ? Vous reconnaîtrez que ce sont deux choses totalement différentes.

La politique étrangère française étant, par définition, équilibrée, pas à la solde des Américains, bien sûr, pas antisémite et sûrement pas sioniste, cela ne nous préserve-t-il pas, à l'heure actuelle, de certains mouvements terroristes ? Car vous le savez bien, les premiers mouvements terroristes durs que nous avons connus dans les années 1984-1986 étaient la conséquence directe de l'appui de la France à l'Irak lors de la guerre Irak-Iran. Donc, peut-être faut-il remercier M. Bush d'avoir détourné sur lui la vigueur anti-américaine.

Par ailleurs, au-delà du problème du port du voile, il existe des mouvements de plus en plus forts en faveur de l'absentéisme scolaire pendant les fêtes religieuses, la contestation de certains professeurs juifs ; bref, tout un mouvement d'ensemble qui désorganise bien plus profondément la vie scolaire que le port éventuel d'un voile.

M. le Président : Je vous rappelle, mon cher collègue, que notre mission d'information porte sur la question du signe religieux en milieu scolaire.

M. Robert PANDRAUD : Il y a les signes et il y a le comportement religieux. J'en arrivais aux signes.

D'après vous, M. le directeur, existe-t-il encore beaucoup d'écoles publiques où le crucifix est apposé ? Il y en a eu très longtemps en Bretagne ainsi qu'en Aveyron, en Vendée...

M.Jean-Pierre BRARD : En Alsace.

M. Robert PANDRAUD : Oui, mais l'Alsace est concordataire, c'est tout à fait obligatoire, la question ne se pose pas ; on est là dans une société communautarisée sur le plan religieux. Mais, dans les pays de droit commun, cela a aussi existé, dans le Massif-Central, en Bretagne, en Vendée... et cela n'a pas choqué grand monde.

M. Yves BERTRAND : Il doit en rester très peu. Je ne saurais vous citer un chiffre mais c'est infime actuellement, à l'exception de l'Alsace concordataire. Cela ne choque pratiquement personne, c'est exact.

M. le Président : On ne peut pas dire que cela ne choque personne, mais cela ne donne pas lieu à des conflits ou à des difficultés.

M. Jean GLAVANY : Oui, parce que c'est choquant.

M. Jean-Pierre BRARD : En effet !

M. Yves BERTRAND : Je voudrais, si vous permettez, répondre à la première partie de votre question sur les années 1984-1985. C'était une affaire très différente car c'était l'Egypte qui posait problème.

Le fait est aussi que nous comptons aujourd'hui en France 97 % de sunnites. Le chiisme est un phénomène très minoritaire et, actuellement, les chiites ne posent plus de problème ni sur le plan politique ni, à ma connaissance, sur le plan de réseaux terroristes. La plupart des réseaux que nous avons démantelés ou que nous tentons actuellement d'identifier sont des réseaux sunnites à 97 %, je pourrais même dire 100 %.

Donc, autre aspect de votre question, il est bien certain que s'il faut classer, les « grands Satans » - j'emploie ce terme parce qu'ils l'employaient eux-mêmes - à l'égard des mouvements salafites ou wahhabites, la France est épargnée. Le conflit de l'Irak l'a bien montré. Aujourd'hui, le premier pays menacé est les Etats-Unis, le second étant Israël.

Eux ne se disent pas antisémites. Jamais. Ils se disent antisionistes. C'est un discours, je dois le rappeler, que nous avons entendu en France quand l'extrême gauche type Action directe commettait des attentats. Elle ne parlait pas d'antisémitisme non plus. L'antisionisme était le discours véhiculé chez nous par l'extrême gauche, l'extrême gauche radicale. Certains mouvements d'extrême gauche altermondialiste aujourd'hui ne font pas mystère de leur antisionisme, mais n'emploient jamais le terme d'antisémitisme.

M. Robert PANDRAUD : D'autant qu'une certaine gauche en France est d'origine juive et plutôt pro-sioniste.

M. Yves BERTRAND : Une partie de la gauche en France est pro-sioniste. Mais on ne trouve pas d'extrême gauche, d'ultra-gauche pro-sioniste. Ils sont antisionistes.

M. Jean-Pierre BRARD : En vous entendant, M. le directeur central, plusieurs questions me viennent à l'esprit.

Les chiffres que vous donnez sont, à l'évidence, démentis par certaines de nos auditions. Compte tenu du fait que vous travaillez sur des renseignements qui vous remontent, le décalage entre les chiffres que vous avez et ceux que l'on entend - si je ne me trompe pas, hier pour la seule académie de Lille, on nous a parlé de 400 ou 500 cas - ne résulte-t-il pas de l'accoutumance ? En fin de compte, il n'y a pas plus de remontée du renseignement, ce qui n'est pas rassurant.

En ce qui concerne le port du voile dans le monde du travail, je vous ai écouté avec grand intérêt et j'avoue que, dans vos propos, je retrouve certaines des intuitions que nous avons.

Il y a deux ans, dans ma ville, une animatrice pour les centres de loisirs est arrivée un jour voilée. Nos cadres n'ont pas réagi. Trois semaines après, en arrivait une deuxième... Nous avons discuté avec les deux. Elles n'ont pas voulu enlever le voile. Nous les avons licenciées. Depuis, je n'en ai plus eu.

L'année dernière pour les élections, dans un bureau de vote, une femme assesseur était voilée. Je l'ai expulsée. A peine sortie, elle a donné un coup de téléphone... la réaction a été immédiate.

Je suis donc assez prêt d'adhérer à votre explication selon laquelle tout cela est très organisé. C'est comme si l'on testait les défenses de la République. Sans vouloir fantasmer, en vous écoutant, je me demandais s'il ne s'agissait pas d'un véritable complot des milieux les plus extrémistes dans ce domaine, qui utilisent la religion à d'autres fins, pour empiéter sur les territoires de la République. Quel est votre sentiment sur le sujet ?

A l'évidence, en parlant de la contamination du monde du travail, nous restons dans notre sujet car nous voyons bien que cela n'est pas parti de rien et que c'est toujours la même démarche.

Dernière question, sans entrer dans l'opérationnel, comme vous le disiez délicatement, quelle est votre capacité à infiltrer tous ces milieux et quelle est la fiabilité de vos « honorables correspondants » ?

M. Yves BERTRAND : Plusieurs questions se posent. Tout d'abord, en ce qui concerne les chiffres, je suis d'accord avec vous pour dire que la banalisation fait que la remontée ne se fait plus.

Ensuite, il est vrai que l'on peut faire dire aux chiffres ce que l'on veut. Par exemple, on dit qu'il existe 1 534 lieux de culte recensés officiellement. Mais encore faut-il savoir que ce que cela signifie : entre un lieu de prière, c'est-à-dire un baraquement de bois sur un terrain vague dans lequel trois ou quatre musulmans se réunissent et une mosquée, on finit par arriver à 1 534 ou 1 535 selon nos chiffres. En réalité, de vraies mosquées, on en dénombre à peu près un millier, peut-être même pas.

M. le Président : La différence entre les deux existe tout de même. Il y a la présence d'un minaret...

M. Yves BERTRAND : Oui, dans une mosquée, il y a un imam.

M. le Président : Un imam attitré.

M. Yves BERTRAND : Or bien des lieux de prières - près de la moitié des 1 534 - n'ont aucun imam attitré.

Mais parce que nous sommes cartésiens et qu'il faut bien l'être dans ce domaine, nous essayons de les rattacher à tel ou tel courant. On peut toujours polémiquer sur les chiffres, bien sûr.

Je suis d'accord avec vous sur la mauvaise remontée des informations. Mais, on peut constater ce problème dans bien d'autres domaines : une affaire n'existe que lorsqu'elle est médiatisée.

M. le Président : Sur ces 1 534 mosquées recensées en France, seules une dizaine auraient été construites pour être des mosquées.

M. Yves BERTRAND : Je vais vous donner les chiffres dont je dispose. Sur les 1 534 mosquées, 1 147 accueillent moins de cent fidèles ; 12 seulement dépassent le seuil des mille pratiquants. On voit la distorsion qu'il peut y avoir. C'est pour cela qu'il faut faire attention aux termes employés.

C'est un peu comme pour les sectes. Le terme de secte couvre aussi bien trois personnes avec un gourou que de véritables multinationales. Je change un peu de sujet mais qu'y a-t-il de commun entre l'église de scientologie et une secte avec un gourou qui est un père de famille et dont les seuls adhérents sont les enfants et l'épouse ?

On a un peu le même phénomène avec les lieux de prière. Tout cela est à relativiser. De même, certains des lieux de prière n'accueillent pas plus de quatre ou cinq fidèles. Il n'y a pas d'imam. Ils se réunissent et une personne fait fonction d'imam.

Vous m'avez posé également une question sur les techniques d'investigation.

M. Jean-Pierre BRARD : Oui, sur vos abonnés : sont-ils fiables ? On sait, par exemple, que vous avez du mal à infiltrer les milieux chinois. Est-ce plus facile pour les milieux musulmans ?

M. Yves BERTRAND : Je ne vais pas faire d'autosatisfaction. Il y a deux techniques : l'une en milieu ouvert : la mosquée. C'est assez facile, mais il faut malgré tout avoir un fonctionnaire ayant une certaine culture...

L'autre en milieu fermé. Nous appliquons, notamment sur des milieux très radicaux, les techniques dites de milieu fermé qui nous permettent de déboucher sur des réseaux. Je n'en dirai pas plus.

Mme Martine DAVID : Je voulais poser une question sur un thème qui ne relève pas de votre responsabilité puisqu'elle est nôtre, mais je souhaiterais toutefois connaître votre avis sur le fait de savoir s'il faut ou non légiférer. Vous me donnez l'impression, mais peut-être est-elle fausse, que si nous devions légiférer nous ne devrions pas nous en tenir à l'école. Pouvez-vous préciser votre propos ?

A propos des cas recensés aujourd'hui, vous avez parlé de stagnation. Ce n'est pas tout à fait ce que nous pouvons constater sur le terrain, où cela devient tellement banal que cela en est dangereux. Vous en déduisez qu'il ne faut pas s'en tenir à l'école et qu'il faut aller au-delà,...

M. Yves BERTRAND : C'est cela.

Mme Martine DAVID : Votre idée est-elle bien que s'il doit y avoir une législation nouvelle, il faut qu'elle s'étende au-delà de l'école, notamment au monde du travail ? En avez-vous mesuré les contours et les conséquences, y compris au plan européen, puisque nous nous heurterions certainement à des difficultés institutionnelles ?

Cette question n'est pas, je le sais, de votre responsabilité directe, mais vous avez suffisamment d'expérience et de vécu pour nous donner votre avis.

M. Yves BERTRAND : La réponse que vous me demandez de formuler dépasse largement le cadre de ma fonction, qui est une activité d'observateur, de policier.

Je suis là et vous donne quelques chiffres. Je suis tout à fait d'accord sur le fait que les chiffres ne font que refléter à un moment donné une situation donnée, qu'ils ne sont que le reflet d'une remontée et qu'en conséquence, la statistique doit être prise avec prudence. Il peut y avoir une flambée brutale qui retombera huit jours après et qui ne signifie pas forcément qu'il y ait une aggravation du phénomène souterrain. Je partage tout à fait ce que vous dites.

Par contre, je suis très clair sur le fait que cette affaire ne concerne pas seulement l'école. Vous m'avez parfaitement compris. Elle déborde largement ce cadre et atteint aujourd'hui le monde du travail. C'est un test qu'ils ont fait à l'égard du monde du travail. M. Brard nous le confirmait. On sent bien qu'ils essaient de sortir du simple cadre scolaire et d'aller au-delà.

Dire si la loi doit prendre en considération cet aspect du problème ou rester cantonnée à la seule école, je ne peux pas le faire. A mon avis, il faudrait élargir. Mais c'est un simple avis personnel. Je n'engage pas le ministère de l'intérieur...

Mme Martine DAVID : C'était un avis personnel que je vous demandais.

M. Yves BERTRAND : Je vous livre un constat, une situation que nous avons observée, qui est confirmée par M. le député. A mon avis, ils testent nos capacités à réagir et cherchent d'autres domaines. Le monde du travail est entendu comme un monde de précarité - un terme à la mode - je dirai presque d'intermittence, composé de ce que l'on appelle sympathiquement les « beurettes » qui sont à la caisse dans les grands magasins. Ils considèrent celles-ci comme une cible.

M. le Président : Pensez-vous qu'un organisme ait décidé cela ? Qui a décidé ?

M. Yves BERTRAND : Je vous ai dit que le tissu associatif était particulièrement bien organisé.

M. le Président : Y a-t-il une structure, une hiérarchie qui émerge ?

M. Yves BERTRAND : Il existe un bureau de l'UOIF, un bureau de la FNMF, deux bureaux de l'islam turc puisqu'il existe un courant modéré et un courant radical... Tous sont organisés.

M. le Président : Vous pensez qu'ils ont pris des décisions à ce niveau ?...

M. Yves BERTRAND : Oui, je pense que des orientations sont données et, qu'au delà de l'école, le monde du travail pris au sens large est maintenant visé, avec, comme cibles, certaines catégories de personnel. Ils ne vont pas s'en prendre, bien évidemment, aux ingénieurs. Pour l'instant, ils s'en prennent à des catégories de personnel plus modeste. Je pense, par exemple, aux manutentionnaires.

M. le Président : A votre avis, vont-ils s'en prendre au corps enseignant ?

M. Yves BERTRAND : Ils n'en sont pas encore là. Je ne le pense pas.

M. Jean-Pierre BRARD : L'école des imams de la Nièvre joue-t-elle un rôle là-dedans ?

M. Yves BERTRAND : Vous parlez du site de Saint-Léger ?

M. Jean-Pierre BRARD : Oui.

M. Yves BERTRAND : Bien sûr ! Il joue un rôle.

M. le Président : Avez-vous des préoccupations à ce sujet ?

M. Yves BERTRAND : Oui, nous écrivons beaucoup sur ce site. Il fait l'objet d'une surveillance constante. Nous observons les va-et-vient ; les étudiants qui viennent étudier pour repartir comme imam, parfois à l'étranger. C'est une affaire connue et surveillée.

M. le Président : Ils sont cinq ou six, assez peu nombreux.

M. Yves BERTRAND : C'est variable.

Pour en revenir au monde du travail, tout ce qui est personnel précaire leur apparaît comme une cible fragile et, surtout, qui peut être captée.

C'est le message que je voulais délivrer : sorti de l'école, il existe d'autres cibles possibles.

M. le Président : Avez-vous entendu parler de surveillants d'école, d'emplois jeunes d'origine maghrébine ?

M. Yves BERTRAND : D'origine, oui. C'est possible. Mais les cas restent rares : d'origine algérienne ou marocaine, de nationalité française, bien sûr.

Mme Patricia ADAM : Vous évoquez toute une stratégie qui se met en place et parlez de provocation vis-à-vis de la République et d'un certain nombre de règles, écrites ou non, en tout cas, consenties.

Pour revenir à la question de savoir s'il faut légiférer, est-ce cela qu'ils attendent de nous ? Je suppose que leur stratégie a imaginé deux options : soit, nous ne légiférons pas, et ils continueront à faire de l'entrisme, soit nous légiférons et, dans ce cas, ils ont sans doute prévu une réaction. Laquelle selon vous ?

M. Yves BERTRAND : L'UOIF serait plutôt favorable au fait que vous ne légifériez pas et mainteniez le statu quo. Leur idée est d'essayer de créer ici ou là des établissements confessionnels, sans contrat au départ, puis, de voir comment les choses tournent.

C'est une stratégie qui ne vient pas d'être mise en place, elle l'est déjà depuis des années.

Mme Patricia ADAM : Je pousse le raisonnement jusqu'au bout. Si nous légiférons, il sera encore plus « légitimé » pour ces penseurs, si je puis dire, d'organiser très rapidement ces écoles et obliger les parents à retirer, en particulier, les filles de l'école publique.

M. Yves BERTRAND : L'idée actuelle, c'est de préférer qu'il n'y ait pas de loi et de continuer à appliquer la tactique du contournement administratif, que j'ai déjà décrite : quand on sent une résistance, on recule, quitte à vérifier les points faibles pour reprendre l'attaque en essayant de toucher des catégories de population considérées comme pouvant être fragilisées et susceptible d'être plus facilement converties.

Je ne peux répondre à leur place, mais d'après ce que nous en savons, ils seraient plus favorables au statu quo et à la poursuite des méthodes de contournement administratif, en continuant à nous tester sur tel ou tel sujet. Je ne suis pas sûr qu'ils soient favorables à une loi.

M. le Président : Pour prolonger la question de Mme Adam, si l'on élaborait une loi, mettrait-elle fin à cette stratégie de « l'édredon », qui est actuellement possible du fait de la situation juridique résultant de la seule jurisprudence sur le port du voile à l'école ? Le fait de légiférer marquerait-il un coup d'arrêt ou mettraient-ils en place une autre stratégie ?

M. Yves BERTRAND : J'ai quelque difficulté à vous donner une réponse. A mon avis, ils trouveraient une parade. Face à une loi, ils peuvent aussi se radicaliser.

M. le Président : La loi pourrait effectivement radicaliser le combat. Il y aurait donc un adversaire, une loi à transgresser, et ce pourrait être l'occasion pour eux de se donner plus de publicité. Jusqu'à présent, ils ne transgressent que des principes. Une loi est-elle ou non une bonne chose ? Est-ce que ce ne sera une bonne occasion pour eux de partir en combat contre la République ?

M. Jean-Pierre BRARD : Si je puis me permettre de compléter cette question, M. le Président, la masse des gens qui se reconnaissent dans une filiation culturello-religieuse suivrait-elle les plus radicaux ou se détacherait-elle, restant fidèle à la République ?

M. Yves BERTRAND : J'ai un début de réponse. Le taux de pratique est très bas...

M. Jacques MYARD : Il augmente.

M. Yves BERTRAND : On l'estime à 3 à 4 % de l'ensemble de la communauté. Il est très bas parce que la tradition française que je vous ai exposée tout à l'heure, qui vient de l'Algérie, en fait, était la laïcité.

Il y avait la grande Mosquée de Paris, mais tout le tissu associatif algérien était plus ou moins contrôlé par le FLN. L'amicale des Algériens en France ou en Europe était d'essence et d'obédience laïque. Maintenant, les associations cultuelles ont pris le dessus. Il y a un risque de radicalisation. Pour l'instant, ils font du contournement administratif. Avec une loi, ils feront du contournement législatif ou bien il y aura des noyaux qui se radicaliseront. Il est difficile de répondre par avance à une question de ce type. Le fait que l'on hésite à légiférer montre que ce n'est pas la solution miracle.

M. Jean-Pierre BRARD : N'avez-vous pas le sentiment - c'est celui que j'ai dans ma ville dont près de 20 % de la population est concernée - que la masse respecte la République et qu'en cas de conflit, elle restera fidèle à la République ?

M. Jacques MYARD : En d'autres termes, faut-il agir aujourd'hui pour avoir trop de problèmes demain ?

M. Yves BERTRAND : Vous avez raison. La masse reste fidèle à la République. Le danger ne vient pas des première ou deuxième générations, mais de la troisième génération. C'est là que se situe le vrai nœud du problème. Le recrutement se fait à ce niveau. S'ils ont décidé de s'en prendre aux jeunes filles caissières dans les supermarchés, c'est parce qu'elles ont entre dix-huit et vingt-quatre ans. Elles appartiennent à la troisième génération.

Le respect des lois de la République chez les plus anciens est certain. Je ne fais pas d'amalgame entre la communauté de 4,5 millions, voire 5 millions de musulmans et ce noyau dur très minoritaire. Et d'ailleurs, parmi les 3 ou 4 % de pratiquants, la grande majorité respecte le dogme et reste aussi fidèle aux lois de la République. Il s'agit vraiment d'un petit noyau dur de jeunes convertis et ce sont surtout les vrais convertis, c'est-à-dire les convertis européens, du type de l'auteur de cette brochure, qui sont les plus dangereux.

M. Jacques MYARD : Je ne pense pas que le cas français soit isolé de ce qui se passe sur la scène internationale, notamment en Méditerranée. C'est cela qui m'inquiète. On voit très bien comment ils fonctionnent et comment ils avancent. C'est la raison pour laquelle, je dis à certains qui s'interrogent que si on laisse faire ces écoles medressa, hors contrat, qui sont manifestement contraires aux lois de la République, je n'aurai aucun scrupule à dire qu'il faut les fermer.

Le problème aujourd'hui, et cela ressort très bien de ce que vous dites, M. le directeur, est que leur préférence pour le statu quo d'une sorte d'ultra-tolérance aboutit à ce qu'ils avancent leurs pions.

M. le Président : Donc, selon vous, il faudrait légiférer ?

M. Jacques MYARD : Oui, avec énergie de manière à casser le système de dérive et pas seulement à l'école. Je suis d'accord.

M. le Président : Mais le fait de légiférer peut conduire à une crise dans la mesure où cela apparaîtra comme dirigé contre une religion, contre les musulmans...

M. Jacques MYARD : Je ne suis pas d'accord. Nous avons aussi des problèmes avec des intégristes catholiques....

M. le Président : Je reprends ma question : vous a-t-on signalé des problèmes en France, outre les catholiques, avec les juifs ou autres confessions ? Il existe des écoles où les élèves de confession juive portent la kippa. Cela pose-t-il des problèmes ? Il y a des intégristes juifs.

M. Yves BERTRAND : Il y a des incidents avec les ultra-sionistes. Mais, quand on a dit que la résurgence d'antisémitisme, après l'Intifada, avec les problèmes de la guerre en Irak, avait beaucoup inquiété les autorités religieuses juives, qui sont d'ailleurs venues au ministère de l'intérieur, ce n'était pas une vraie résurgence d'antisémitisme. C'étaient des actions, des graffitis, voire des violences...

M. le Président : Vos services vous ont-ils signalé des établissements scolaires où des élèves, filles ou garçons de confession juive, seraient venus avec des signes religieux, créant ainsi des incidents avec la communauté enseignante ou avec d'autres élèves ?

M. Yves BERTRAND : Nous avons des cas avec d'autres élèves, mais ils ne sont pas significatifs.

M. le Président : Ils sont significatifs, mais n'ont pas donné lieu à une médiatisation ?

M. Yves BERTRAND : C'est cela, il y a bien eu quelques articles dans la presse. Je vous transmettrai la liste des cas que nous avons recensés depuis deux ans.

M. le Président : Effectivement, il serait intéressant que nous les ayons. Que dit ce recensement ?

M. Yves BERTRAND : Selon les chiffres dont je dispose ici, le 25 février cinq jeunes juifs de l'école d'horticulture de Montreuil ont été agressés dans la rue alors qu'ils revenaient du sport par une trentaine de jeunes maghrébins : un blessé, une jambe cassée. Le 31 mars, deux autres ont été à nouveau entourés et injuriés par une quinzaine de jeunes maghrébins également. Le 7 mars, au collège Marie-Curie du 18ème arrondissement de Paris, un élève juif a été molesté par sept camarades...

M. le Président : Comment savez-vous qu'il s'agit d'un élève juif ?

M. Yves BERTRAND : Cela a été constaté.

M. le Président : Portait-il un signe ?

M. Yves BERTRAND : Non, mais il le revendique lui-même. C'était incontestable. Ils ont prononcé à son égard des insultes antisémites.

Le 21 mars également, deux jeunes juifs de l'école de la rue Pierre Doise à Marseille ont fait l'objet de jets d'œufs et d'injures.

Le 24 mars, au lycée Turgot, un jeune juif ayant menacé des maghrébins de les faire passer à tabac par le Betar, ceux-ci ont entrepris de lui faire subir le même sort sans plus attendre. Le lendemain, la mère de la victime a provoqué une bagarre générale devant les grilles du lycée pour venger son fils.

M. Jean-Pierre BRARD : L'affaire de Montreuil que vous évoquez est la cinquième intervenue en deux ans, avec des degrés de gravité divers. D'un côté, vous avez de grands « baraqués », les élèves de l'école d'horticulture, et, de l'autre, des collégiens du quartier d'origine maghrébine. Tout cela sur fond d'Intifada, à laquelle ils n'ont rien compris, et deux chefs d'établissement qui ont essayé de bien gérer le problème. Mais il est clair que les jeunes juifs qui sortent de l'école d'horticulture avec la kippa sont immédiatement identifiables et servent un peu d'aimant.

On voit là que le manque d'échange dans la société fait que tous les fantasmes se développent et conduisent à des confrontations violentes.

M. Jacques MYARD : Pour parler des relations internationales, quels sont les liens, les môles cultuels auxquels s'alimente l'UOIF ? Est-ce que c'est toujours Al-Akhar ? L'Arabie Saoudite ?

M. Yves BERTRAND : Il existe deux matrices : la matrice doctrinale - la doctrine des Frères - et la matrice géographique - qui reste l'Arabie Saoudite. Les liens internationaux se font par l'intermédiaire de l'UOIE, l'Union des organisations islamiques européennes. L'exécutif est le BOLIM, le Bureau de la ligue islamique mondiale.

Voilà comment ils sont organisés. Cela prouve qu'ils le sont bien et qu'ils fonctionnent à travers un réseau qui n'est pas seulement français.

L'UOIE est en train de s'implanter dans tous les pays que nous citions, c'est-à-dire les pays d'Europe, même en Europe du Nord. Il existe un véritable tissu associatif.

Je ne voudrais pas que l'on retienne dans le procès-verbal l'idée qu'il puisse y avoir un complot. Je n'en ai pas parlé. Complot, cela fait penser à la Cagoule, etc. Je parle d'associations organisées qui poursuivent une stratégie.

M. le Président : Vous dites bien qu'il y a une stratégie.

M. Yves BERTRAND : Une stratégie, mais qui est ancienne, qui date de la fin des années 80.

M. le Président : S'il n'y a pas d'autre question, M. Bertrand, il me reste à vous remercier.

Voir la suite des auditions

N° 1275 - Rapport sur la question du port des signes religieux à l'école (Tome II) (M. Jean-Louis Debré)

1 « Dieu, la valeur qui monte » - Enjeux Les Echos - Le mensuel de l'économie - Juillet/août 2003

2 Sigle basque « Euskadi Ta Askatasuna », pouvant se traduire en français par « Pays basque et liberté »


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