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N°1275 - tome II - 3ème partie

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE


enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 4 décembre 2003.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA MISSION D'INFORMATION (1)

sur la question du port des signes religieux a l'école

Président et Rapporteur

M. Jean-Louis DEBRÉ,

Président de l'Assemblée nationale

--

TOME II - 3ème partie

AUDITIONS

(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

Education.

La mission d'information sur la question du port des signes religieux à l'école, est composée de : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président et Rapporteur ; M. François BAROIN, Mme Martine DAVID, MM. Jacques DESALLANGRE, René DOSIÈRE, Hervé MORIN, Éric RAOULT, membres du Bureau ;
Mmes Patricia ADAM, Martine AURILLAC, MM. Christian BATAILLE,
Jean-Pierre BLAZY, Bruno BOURG-BROC, Jean-Pierre BRARD,
Jacques DOMERGUE, Jean GLAVANY, Claude GOASGUEN,
Mme Élisabeth GUIGOU, MM. Jean-Yves HUGON, Yves JEGO,
Mansour KAMARDINE, Yvan LACHAUD, Lionnel LUCA,
Hervé MARITON, Christophe MASSE, Georges MOTHRON,
Jacques MYARD, Robert PANDRAUD, Pierre-André PÉRISSOL,
Mmes Michèle TABAROT, Marie-Jo ZIMMERMANN.

TOME SECOND

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la mission.
Voir le sommaire des auditions

Voir les auditions précédentes

3ème partie du tome II

- Audition de M. Roland JOUVE, chargé des questions cultuelles au cabinet de M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire (séance du 15 juillet 2003) 230

- Table ronde regroupant M. Farid ABDELKRIM, membre de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), accompagné de M. Charafeddine MOUSLIM, M. Yamin MAKRI, membre du Collectif des musulmans de France, accompagné de M. Fouad IMARRAINE, Mme Malika AMAOUCHE, militante féministe, Mme Malika DIF, écrivain, M. Bruno ETIENNE, directeur de l'observatoire du religieux à l'IEP d'Aix-en-Provence, Mme Françoise GASPARD, universitaire, Mme Dounia BOUZAR, chargée de mission à la protection judiciaire de la jeunesse (séance du 16 septembre 2003) 244

- Table ronde regroupant M. Mohamed ARKOUN, professeur émérite d'histoire de la pensée islamique de la Sorbonne Paris III, Mme Jeanne-Hélène KALTENBACH, essayiste, co-auteur de l'ouvrage « La République et l'islam », Mme Bétoule FEKKAR-LAMBIOTTE, personnalité qualifiée membre du Comité de conservation du patrimoine cultuel, M. Abdelwahab MEDDEB, professeur de littérature comparée à Paris X, auteur de l'ouvrage « Les maladies de l'Islam », Mme Camille LACOSTE-DUJARDIN, ethnologue spécialisée dans l'Afrique du Nord, auteur de l'ouvrage « Les filles contre les mères », M. Antoine SFEIR, directeur de la rédaction des « Cahiers de l'Orient », auteur de l'ouvrage « L'argent des islamistes », Mme Wassila TAMZALI, avocate, présidente du forum des femmes de la Méditerranée-Algérie et M. Slimane ZEGHIDOUR, journaliste à « La Vie », auteur de l'ouvrage « Le voile et la bannière » (séance du 17 septembre 2003) 275

- Table ronde regroupant M. Michel MORINEAU, créateur de la commission « laïcité et islam », Mme Fadela AMARA, présidente de la Fédération des maisons des potes, Mme Aline SYLLA et M. Khakid HAMDANI, membres du Haut conseil à l'intégration, MM. Michel TUBIANA et Driss EL-YAZAMI, président et vice-président de la Ligue des droits de l'homme, Jean-Michel DUCOMTE, président de la Ligue de l'enseignement, M. Richard SERERO, représentant de la Ligue contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA), M. Mouloud AOUNIT, secrétaire général et Mme Monique LELOUCHE, responsable du secteur éducation du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples (MRAP), et MM. Dominique SOPO et Mamadou GAYE, président et secrétaire général de SOS Racisme (séance du 24 septembre 2003) 302

- Table ronde regroupant M. Georges DUPON-LAHITTE, président et M. Faride HAMANA, secrétaire général de la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE), Mme Lucille RABILLER, secrétaire générale de l'association des Parents d'élèves de l'enseignement public (PEEP), M. Bernard TEPER, président de l'Union des familles laïques (UFAL), Mme Véronique GASS, vice-présidente et M. Philippe de VAUJUAS, membre du bureau national de l'Union nationale des associations de parents d'élèves de l'enseignement libre (UNAPEL) (séance du 24 septembre 2003) 335

- Table ronde regroupant les syndicats d'enseignants, MM. Daniel ROBIN et Gérard ASCHIERI, Fédération syndicale unitaire (FSU), Mme Françoise RAFFINI, membre du bureau fédéral et M. Thomas JANIER, membre de la direction fédérale de la Fédération de l'éducation de la recherche et de la culture-CGT (FERC-CGT), M. Hubert RAGUIN, secrétaire fédéral de Force Ouvrière enseignement (FO-Enseignement), M. Jean-Louis BIOT, secrétaire national du Syndicat des enseignants-membre de l'Union nationale des syndicats autonomes (SE-UNSA), M. Hubert DUCHSCHER, secrétaire national du Syndicat national unitaire des professeurs d'école (SNUIPP), Mme Stéphanie PARQUET-GOGOS, secrétaire générale du Syndicat Sud-Education du Cher, M. Hubert TISON, secrétaire général de l'Association des professeurs d'histoire et de géographie (APHG), M. Patrick GONTHIER, secrétaire général de l'UNSA-Education (séance du 30 septembre 2003) 359

Voir la suite des auditions

Audition de M. Roland JOUVE, chargé des questions cultuelles au cabinet de
M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire

(extrait du procès-verbal de la séance du 15 juillet 2003)

Présidence de M. Jean-Louis DEBRÉ, Président

M. le Président : Vous êtes secrétaire général de l'administration scolaire, membre du cabinet du ministre délégué à l'enseignement scolaire, chargé des établissements privés, des langues régionales et de la relation école et religion.

Il s'agit pour nous de déterminer s'il faut légiférer sur le problème du port de signes religieux à l'école et je me suis laissé dire - mais vous nous direz si cela est vrai - que vous n'êtes pas hostile à la présence, dans un établissement scolaire, de jeunes femmes voilées. Est-ce exact ?

Si vous êtes pour, si cela ne vous choque pas, dites-nous pourquoi. Si cela vous choque, dites-nous également pourquoi. Par ailleurs, la réglementation et la jurisprudence du Conseil d'Etat vous paraissent-elles être suffisantes ? Pensez-vous au contraire qu'il faut une loi et si oui, quelle loi ?

Vous pourrez nous préciser, à titre d'information, si beaucoup d'établissements religieux se constituent en France, puisque j'ai vu récemment qu'un lycée musulman allait ouvrir ses portes très prochainement dans le Nord de la France, mais peut-être y a-t-il d'autres établissements ?

M. Roland JOUVE : J'avais prévu un exposé liminaire plus général sur la question dont j'ai la charge.

M. le Président : Vous pouvez nous le faire parvenir par écrit, mais il serait intéressant de répondre à nos questions et surtout à la question essentielle que nous nous posons.

M. Roland JOUVE : Je ne crois pas pouvoir personnellement répondre à la question de savoir s'il faut interdire ou non le port d'un signe religieux dans les établissements scolaires. Je crois qu'il faut partir de la signification du port d'un signe religieux dans un établissement scolaire.

Traditionnellement, nous avons une vieille pratique de liberté en matière de port de signes religieux, que ce soit la croix, la kippa ou autres signes quels qu'ils soient. Il est vrai que port du foulard islamique a donné une actualité tout à fait particulière à la question du port d'un signe religieux.

Est-on pour ou contre le port du foulard islamique ? Le Conseil d'Etat essaie d'éviter une interdiction générale et absolue de tout port de signe religieux, car il est vrai que l'on a une multiplicité de ports de signes religieux, éventuellement de ports d'insignes philosophiques ou d'ordre politique qu'il est extrêmement complexe de détailler, de cataloguer et sur lesquels il est très difficile de se prononcer.

Le port d'un signe religieux en lui-même illustre une appartenance personnelle, l'expression d'une liberté individuelle. Personnellement, je trouve qu'il est important de souligner cet élément. En quoi pourrait-on être choqué et en quoi pourrait-on penser que le port d'un signe religieux tel que le voile islamique pourrait être de nature à perturber la relation normale d'enseignement qui doit s'établir dans une classe, la relation normale de l'élève au professeur, la relation normale de l'élève à l'élève ? En quoi le port du voile islamique ou d'un signe religieux pourrait-il perturber cette relation ?

Il faut savoir pourquoi cela a posé problème.

Dans l'avis du conseil d'Etat, la jurisprudence et la pratique administrative qui en ont résulté, ce qui a été mal perçu par les personnels sur le terrain, c'est l'impression qu'on les laissait se débrouiller tout seuls en leur disant d'appliquer un avis qui est ce qu'il est, sans interdiction générale et absolue, avec une interdiction lorsque le port d'un signe religieux - en particulier le voile - s'accompagne d'atteintes à laïcité, lorsque le port du voile s'accompagne de comportements délictueux, en infraction avec les règles de la laïcité.

Ce sentiment d'abandon a posé problème depuis l'origine. Il a entraîné parfois des réactions dont on peut s'étonner car certaines ont abouti à demander le retrait pur et simple de tout signe religieux, qu'il soit ostentatoire ou pas. C'est finalement par rapport à cela qu'il faudrait peut-être se prononcer.

Y a-t-il une possibilité d'appliquer actuellement l'avis du Conseil d'Etat, la jurisprudence qui en est résultée, dans un sens permettant le respect de la laïcité ? La vraie question est là.

Faut-il légiférer ou non? C'est une question à laquelle il est difficile de répondre. Quels problèmes avons-nous pu constater dans ce nouveau contexte ? Premièrement un sentiment d'isolement, d'absence de soutien des chefs d'établissement et des enseignants, deuxièmement une méconnaissance, souvent, ou une difficulté de connaissance des principes de laïcité, des procédures à appliquer et des grands principes et, troisièmement, nous avons très souvent pu remarquer une perte de sens des valeurs laïques.

Ces trois phénomènes nous paraissent fondamentaux pour avoir une véritable réponse laïque à la question du port d'un signe religieux à l'école. Et c'est sur ces trois aspects que nous avons souhaité commencer à travailler.

Tout d'abord, la crainte était d'instaurer une différence des droits, en se réclamant du droit à la différence. Le risque était de rompre un des grands principes de la laïcité selon lequel les individus ont tous les mêmes droits et les mêmes devoirs.

Par rapport à ces questions, nous avons tout d'abord essayé, en l'absence de texte législatif nouveau - et dans le cadre de la réglementation et de la législation en vigueur -, d'améliorer le soutien des personnels qui, sur le terrain, nous paraît tout à fait essentiel.

Il y a, en effet, des difficultés liées à la rupture de la laïcité, lorsque certaines pratiques se développent, non seulement celle du port du voile mais aussi la remise en question de certains principes laïques comme le principe de non-discrimination, le principe d'assiduité (refus de participer à certains cours) le principe de neutralité par rapport aux religions, par exemple la demande dans les cantines scolaires de la mise en place de certaines nourritures ou la prise en compte de temps de prière au moment de certaines fêtes religieuses. Par rapport à tout cela, il est vrai que les acteurs du terrain, enseignants et chefs d'établissement, nous ont paru tout à fait dépourvus et isolés.

Nous avons donc souhaité structurer l'action du ministère pour entourer ces personnes, en créant une cellule nationale - une cellule de veille - qui, mise en place auprès de la direction de l'enseignement scolaire, permet d'apporter une expertise, de mutualiser les pratiques et de développer les formations.

M. le Président : Votre raisonnement consistant à dire : « Le port du foulard à l'école ne pose pas de problème et ne devrait pas en poser » ne correspond donc pas à la réalité. Il y a bien un problème.

Le milieu enseignant considère bien que le fait d'avoir dans une classe une élève qui porte un foulard, ne facilite pas la relation enseignant/élève, contrairement à ce que vous dites.

M. Roland JOUVE : Je n'ai pas dit que cela facilitait la relation enseignant/élève. Si j'ai pu le laisser penser, loin de moi cette idée. Par rapport au port habituel d'un signe religieux, le port du foulard islamique pose effectivement des problèmes nouveaux.

M. le Président : Pour vous - sans prendre position sur la nature du signe - le fait d'avoir dans une classe de 20 ou 25 élèves, 1 ou 2 jeunes femmes voilées, est-il de même nature que d'avoir un enfant avec une croix de David ou une autre croix sous sa chemise ? Par ailleurs, pour vous, le port d'un voile à l'école est-il forcément l'expression d'un signe religieux ?

M. Roland JOUVE : Quand on est dans une classe, d'un point de vue ne serait-ce que culturel, le fait d'avoir un voile est une rupture par rapport...

M. le Président : Pédagogique ?

M. Roland JOUVE : Je ne sais pas si c'est pédagogique. Le port du voile en lui-même, lorsqu'il se limite au port du voile et que l'ensemble de l'intégration de l'élève dans la classe est bonne, c'est-à-dire quand l'élève suit correctement les cours et n'exige aucun droit particulier pour sa pratique religieuse, ne constitue pas en soi une rupture. C'est bien le sens de la jurisprudence du Conseil d'Etat. Mais, il est vrai que le fait d'avoir un voile par rapport à d'autres signes religieux moins visibles, pose problème par rapport à la pratique que l'on a en classe.

M. le Président : Dans une classe, les enseignements sont différents. On peut passer de l'enseignement du français, du calcul, à l'enseignement physique. Le fait que tous les jeunes soient en short et en polo ou tee-shirt, et qu'il y ait au milieu de ces jeunes qui font de la course à pied ou montent à la corde, une jeune femme voilée, ne pose-t-il pas un problème vis-à-vis de la communauté de classe et l'intégration de cette jeune fille à l'école ?

M. Roland JOUVE : Il est évident que dans ce contexte, le fait d'avoir une jeune fille voilée, avec tous les problèmes que cela peut poser, notamment en termes de sécurité, n'est pas un facteur favorable à l'émergence d'une communauté...

M. le Président : A tout le moins ! Permettez-moi de dire que je suis extrêmement choqué personnellement que l'on puisse dire dans un établissement laïque d'Etat que le fait d'avoir au cours d'une séance de gymnastique, une jeune fille voilée, ne rend pas impossible toute pédagogie collective. Cela rend impossible toute pédagogie collective car le port du voile n'est pas une expression forcément religieuse mais celle d'une volonté de ne pas s'intégrer. Or, une classe est une communauté. Jamais je ne parle de ma position dans ce domaine, mais je suis frappé que quelqu'un appartenant au ministère de l'éducation nationale ose dire - mais vous avez raison de le dire si c'est votre conviction - que le fait d'avoir dans une classe des jeunes filles voilées n'empêche pas la pédagogie.

M. Roland JOUVE : Il serait plus simple de dire : Non, la solution est qu'il n'y ait plus de voile ».

Bien sûr, on ne voit pas comment une jeune fille voilée pourrait participer à un cours d'éducation physique. Dans un tel cas, il existe des préceptes et des règles qui nous permettent tout à fait d'imposer que cette jeune fille soit vêtue de la même façon que les autres élèves. Mais on peut également imaginer que, parfois, les situations peuvent être complexes. Est-il possible d'endiguer le phénomène du voile autrement que par le recours à une loi  ?

M. Hervé MARITON : Comme l'indiquait M. Jouve, pendant de nombreuses années, sur la base d'une tradition assez bien établie, certains signes partiellement attentatoires à la neutralité et à la laïcité étaient portés et tolérés, sans que cela crée de difficultés majeures, et il me semble qu'il y a là une finesse dont nous ne pouvons pas nous dispenser. Nous sommes passés d'une tolérance - qui allait sans doute au-delà d'une interprétation stricte de la laïcité mais dont personne ne s'offusquait - à une situation d'une autre nature sur des faits précis.

M. le Président : Pour un jeune enfant, une jeune fille ou un jeune garçon, porter une croix ou une croix de David pouvait être l'affirmation d'une appartenance religieuse. Mais on est dans une situation différente. De plus en plus, ces jeunes filles qui viennent en classe voilées ne le font pas pour affirmer une option religieuse mais pour exprimer un refus d'intégration. Je crois que nous avons tort de prendre cela sous l'aspect uniquement religieux. Si ce n'était que l'affirmation d'un signe religieux, on pourrait se dire : c'est un signe plus voyant qu'un autre, mais l'Etat laïque et l'école laïque autorisent tous les signes religieux ou aucun. Là, c'est différent. A cet égard, un certain nombre de nos auditions sont intéressantes ; elles nous disent : « Attention, il y a une confusion. Ces jeunes femmes qui viennent voilées viennent pour exprimer ce qu'un groupe veut qu'elles expriment, c'est-à-dire le refus de l'intégration et de notre système politique, économique et social ». C'est l'affirmation du communautarisme. Or, vous ne le prenez que sous l'angle religieux.

M. Roland JOUVE : Non ! Il existe plusieurs aspects : l'aspect du voile qui peut être considéré comme un signe religieux qui existait dans le passé, et, par ailleurs effectivement, l'aspect d'affirmation communautariste, et nous voyons très bien que le port du voile aujourd'hui, quand il est l'expression d'une affirmation communautariste, est complété par une série d'autres comportements. Ce refus d'intégration, qui est très réel pour un certain nombre de jeunes filles s'accompagne également d'un refus, par exemple, de participer à certains cours ou d'entendre certains éléments de cours dans des classes. Nous sommes alors dans un contexte global de refus d'intégration : la citoyenneté proposée dans le cadre de la République est rejetée et refusée. Nous sommes confrontés à un comportement d'affirmation identitaire.

Le fait de porter simplement un voile pourrait être un comportement d'expression religieuse. Bien souvent - et le plus souvent aujourd'hui - nous nous rendons compte que le port du voile s'accompagne d'un certain nombre d'autres revendications assez précises qui, mises bout à bout, font que nous sommes confrontés à un véritable rejet d'intégration.

M. Jacques DESALLANGRE : Le fait de porter le voile n'est-il pas la reconnaissance du fait que la femme est exclue de la sphère publique ?

M. Roland JOUVE : C'est effectivement ce qu'aujourd'hui nous avons tous tendance à penser. C'est l'expression d'un élément d'inégalité, notamment entre les sexes, par la soumission claire et précise de la femme à l'homme.

M. Jacques DESALLANGRE : Est-ce compatible avec l'école laïque, qui refuse cette discrimination, cette inégalité ?

M. Roland JOUVE : Exprimé ainsi, c'est évidemment inconciliable. Le problème est de savoir comment lutter contre ce phénomène.

Il est certes possible d'envisager de légiférer. Mais nous nous sommes rendu compte, en regardant comment nos établissements réagissent face au problème du voile et face à des comportements de type communautariste - car le voile n'est qu'un des éléments de comportements communautaristes, il y en a hélas bien d'autres - que le dialogue préalable et l'attitude de fermeté des chefs d'établissement et de communautés scolaires permettent bien souvent - mais pas toujours - de régler le problème. Dans un premier temps, nous avons un voile, parfois assez léger et, très souvent, nous parvenons à faire retirer le voile lui-même par une attitude de dialogue d'une part et de fermeté d'autre part, en expliquant, notamment aux parents d'élèves, pourquoi nous souhaitons ne pas avoir ce type d'expression dans l'établissement.

Bien souvent, nous parvenons à des résultats assez intéressants et à limiter, voire supprimer complètement, le port du voile.

M. le Président : Vous avez eu conscience, dans certains des cas, de ne pas y être parvenu. Comment faut-il alors régler cette situation ?

M. Roland JOUVE : Il existe des cas, notamment dans un certain nombre d'établissements, où nous sommes confrontés à des problèmes globaux, généraux - nous les avons estimés à une centaine et peut-être un peu plus -, à une montée globale et collective d'un certain nombre de communautarismes qui sont proches d'atteintes à l'ordre public. En constatant la persistance, malgré les efforts réalisés, d'un nombre important de jeunes filles voilées qui portent atteinte à la relation naturelle d'enseignement, à la qualité de la relation entre les élèves à l'intérieur de la communauté scolaire, on peut être conduit à une interdiction pure et simple générale.

M. le Président : Si elles veulent passer outre ces interdictions ?

M. Roland JOUVE : Le problème serait le même avec une loi.

M. le Président : Que proposez-vous ?

M. Roland JOUVE : Dans la réglementation scolaire, si l'on passe outre une interdiction, on recourt à la sanction disciplinaire qu'est l'exclusion.

M. Lionnel LUCA : Vous êtes chargé des questions cultuelles au ministère de l'éducation nationale et comme j'ai un peu de mal à me repérer dans tout ce qui a été dit depuis le début, quelle note feriez-vous au ministre sur cette question ? Comment voyez-vous les choses ? Je n'arrive pas à saisir la clarté de votre position compte tenu de vos connaissances.

M. Roland JOUVE : Il est important de pouvoir lutter contre un certain nombre de phénomènes communautaristes. Nous disposons au moins de deux voies possibles : soit la voie législative, mais en réfléchissant sur ce que peuvent être les conséquences, soit un travail, qui n'est d'ailleurs pas incompatible, de réaffirmation de la laïcité. Il est très important aujourd'hui de trouver les voies et les moyens de permettre une réaffirmation claire des principes de la laïcité et de leurs modalités d'organisation sur le terrain.

Pour cette raison, nous avons d'ores et déjà pris un certain nombre d'initiatives visant à rappeler et clarifier ces principes de laïcité : principes de l'obligation scolaire, de la continuité du service public, d'assiduité et de non-discrimination. Nous sommes confrontés à un vrai problème de terrain et il faut que, sur le terrain, tout le monde puisse disposer des instruments nécessaires pour lutter contre ce type de communautarisme.

M. le Président : Pour prolonger ce que vous avez répondu à M. Luca, pour vous, le voile à l'école ne peut être considéré comme une manifestation ostentatoire susceptible de troubler le bon fonctionnement de l'établissement scolaire ?

M. Roland JOUVE : Il peut l'être dans certains cas.

M. le Président : Donc, il ne l'est pas toujours. Ma question est précise et reprend celle que M. Luca voulait vous poser : en tant que tel, le port du voile à l'école n'est pas pour vous un signe ostentatoire susceptible de troubler le bon fonctionnement des classes ?

M. Roland JOUVE : Quand on regarde...

M. le Président : Ma question est précise et ne suppose pas de longs développements : le voile, pour vous, est-il ou non un signe ostentatoire, susceptible de troubler le bon fonctionnement d'un établissement ou d'une classe ?

M. Roland JOUVE : Il peut l'être.

M. le Président : La laïcité de l'école n'est pas mise en cause par une jeune femme qui porterait un voile ?

M. Roland JOUVE : Il me semble vraiment - ce n'est pas pour avoir une réponse dilatoire - que le problème du voile s'accompagne de bien d'autres éléments.

M. le Président : Sûrement, il est l'expression de bien d'autres choses mais, pour en revenir à une question précise, le fait, dans un établissement scolaire, d'avoir des jeunes filles voilées, n'est pas une atteinte, pour vous, aux principes mêmes de la laïcité ?

M. Roland JOUVE : Tel que c'est vécu aujourd'hui, oui.

M. Jacques DESALLANGRE : Je voudrais lire un passage de la circulaire du ministre de l'éducation nationale du 20 septembre 1994 : « A la porte de l'école doivent s'arrêter toutes les discriminations, qu'elles soient de sexe, de culture ou de religion ».

A partir de la lecture de cette phrase, peut-on accepter le port du voile en disant qu'il est compatible avec la circulaire du ministre de l'éducation nationale de 1994 ?

M. Roland JOUVE : Dans le droit positif actuel, on ne peut pas oublier qu'il y a un avis et une jurisprudence du Conseil d'Etat selon lesquelles, il serait illégal d'interdire - même si cela peut choquer - tout port d'un signe religieux.

M. Jacques DESALLANGRE : Cela veut dire qu'il faut d'après moi légiférer pour que la circulaire du ministre de l'éducation nationale ne risque pas les foudres du Conseil d'Etat.

M. Roland JOUVE : Nous avons tenté et nous continuons à travailler sur la laïcité et il nous paraît pour l'instant utile de mettre en place des dispositifs permettant, dans le cadre de la loi - qu'elle soit changée ou pas -, de rendre effectifs ces principes de la laïcité.

M. René DOSIERE : La cellule de veille dont vous nous avez parlé est-elle celle à laquelle appartient Mme Chérifi ou, si c'est quelque chose d'autre, en quoi consiste-t-elle ? Quel type de soutien apporte-t-elle aux chefs d'établissement ? Quand nous les avons auditionnés, je n'ai pas le souvenir qu'ils nous aient parlé d'un quelconque soutien.

M. Roland JOUVE : Mme Chérifi est médiatrice et a une mission nationale depuis novembre 1994. La cellule de veille a été mise en place à la suite de décisions prises par les ministres de l'éducation nationale et elle commence à être opérationnelle depuis le mois de mai 2003. C'est un élément tout à fait nouveau.

M. le Président : La cellule de veille dont vous parlez n'est donc pas de la médiation scolaire ?

M. Roland JOUVE : Mme Chérifi est médiatrice nationale. Elle est chargée de la médiation sur le voile et dans les établissements scolaires plus particulièrement.

A partir de là, nous avons développé une cellule de conseil, implantée au niveau national, visant à rassembler les textes, à mutualiser les pratiques et à mettre en place un ensemble concernant les textes sur la laïcité. C'est une cellule de ressources.

Cette cellule se décline dans chaque académie avec un correspondant académique et, dans un certain nombre d'entre elles, un médiateur qui joue, au niveau académique, le rôle de Mme Chérifi au niveau national, concernant les problèmes de voile et, plus généralement, de communautarisme.

M. le Président : Mais, à chaque fois qu'un problème se pose dans une académie, on appelle Mme Chérifi. A quoi sert cette cellule ? N'est-on pas en train de multiplier les échelons ?

M. Roland JOUVE : Oui, mais cette cellule nationale a été mise en place en mai ainsi que les correspondants et les médiateurs.

Il ne s'agit pas de contester ce que fait Mme Chérifi et qu'elle fait d'ailleurs très bien. L'idée est de faire en sorte que les chefs d'établissement puissent avoir un contact et un appui au niveau académique, sans attendre d'en arriver à des situations de tension extrême parce que Mme Chérifi, hélas, ne peut se multiplier au niveau local.

M. le Président : C'est donc parce qu'elle a trop de travail que vous avez mis ces structures en place ?

M. Roland JOUVE : L'idée est de parvenir à une gestion de proximité.

M. le Président : Parce que le problème se pose partout ?

M. Roland JOUVE : Dans un certain nombre d'académies.

M. le Président : Si cette cellule a été mise en place, c'est que les problèmes commencent à augmenter ?

M. Roland JOUVE : Les statistiques dont nous disposons qui sont le relevé des incidents, sont numériquement plutôt en tassement.

On pourrait donc en déduire que l'on a « baissé le drapeau » et que l'on tolère de plus en plus des sentiments d'appartenance communautaire un peu partout. Mais nous considérons qu'a priori des reculs ont eu lieu par rapport à certaines pratiques du port du voile.

Mme Martine DAVID : Nous venons d'évoquer Mme Chérifi et je voudrais savoir quelles sont vos relations de travail avec elle. Vous nous avez dépeint la situation d'une façon plutôt assez naïve. Si nous n'avions auditionné personne avant vous, je n'aurais pas une appréciation correcte de la situation. Nous avons l'impression, en vous entendant, qu'il existe quelques problèmes par-ci par-là, que le voile peut en poser mais que ce n'est pas si important.

Je suis très étonnée de l'interprétation que vous livrez à cette mission d'information et ce d'autant plus que vous êtes membre du cabinet d'un ministre - et n'y voyez aucune connotation politique. Je suis assez inquiète.

Je voudrais vous interroger et avoir une réponse précise sur la nature de vos relations de travail avec Mme Chérifi. Compte tenu de l'audition que nous avons eue avec elle, qui a été extrêmement dense et qui, je le crois, nous a apporté une vision du vécu, de ce qu'elle a pu constater elle-même depuis plus de 10 ans, comment faites-vous, au ministère de l'éducation nationale, pour travailler avec elle, pour organiser des réunions de bilan d'étape, sur l'expérience du vécu, sur des décisions et autres questions ?

M. Roland JOUVE : Mme Chérifi fait partie des personnes aux ressources importantes qui ont été mobilisées. Elle participe à un certain nombre de travaux très importants. Elle est étroitement associée à tout ce que nous faisons, et s'il y a eu prise de conscience, si un certain nombre de démarches ont été réalisées par le ministère, je crois qu'elle y a contribué assez largement, notamment pour l'élaboration d'un certain nombre de documents d'orientation et pour la réflexion sur la mise en place des cellules de proximité au niveau des rectorats. Il est apparu important d'avoir, vis-à-vis des enseignants, des ressources de proximité et non pas simplement un dispositif d'ordre national.

Je ne nie pas la difficulté à laquelle nous sommes confrontés. Le problème du communautariste est un vrai problème. Mais en tant que membre du cabinet ministériel, je n'ai pas de solution simple. Peut-être y a-t-il des choses que l'on peut faire sur le terrain et peut-être faut-il travailler à ce niveau ?

Mme Martine DAVID : Vous ne répondez pas ma question. Nous avons besoin de savoir l'état actuel du travail mené par le ministère en soutien aux chefs d'établissement ; visiblement, sur cette question, il est compliqué d'avoir des réponses.

J'ajoute que Mme Chérifi nous a transmis un sentiment d'inquiétude - pour ne pas dire plus - fondé sur une réalité qu'elle vit effectivement au niveau national, ce qui peut encore renforcer notre inquiétude car nous avons l'impression que cela se multiplie partout. Elle insiste sur le fait que ce n'est pas tellement la quantité qui l'inquiète mais la nature même des problèmes rencontrés.

Vous parliez des parents d'élèves. Mme Chérifi nous fait part d'une réalité qui est la suivante : ce n'est même plus à des parents d'élèves qu'on a affaire, mais à des membres de réseaux fondamentalistes qui viennent représenter la famille aux côtés des élèves. Sommes-nous dans cette réalité ou dans la vôtre car ce ne sont pas les mêmes ?

M. Roland JOUVE : Je suis désolé si vous avez pu penser que ce n'était pas les mêmes. C'est un problème de nature et non pas quantitatif. Nous n'avons pas un développement sur toute la France de problèmes de voile, mais une structuration de comportements communautaristes dans certains endroits.

M. le Président : Il y a une contradiction entre d'une part votre approche de départ selon laquelle tout cela n'est pas très grave et n'empêchera pas la relation pédagogique et, d'autre part, la mise en place de cellules de veille dont nous nous demandons - c'est peut-être mon esprit un peu malveillant - si elles ne sont pas mises en place pour dire au législateur que nous sommes, ou à ceux qui se préoccupent de la laïcité de l'enseignement public : « Passez votre chemin, il n'y a pas de difficultés, il y a pas de problèmes. Certes, il y a d'autres problèmes dans les cités mais pas à l'école et surtout ne légiférez pas ».

Mme David a dit mieux que moi qu'il existe un décalage entre ce que nous entendons, qui est l'expression d'une vérité que nous ne remettons pas en cause, selon laquelle le problème se pose de manière très précise et qui conduit à la vraie question, que vous posez d'ailleurs et qu'il faut se poser, de savoir si oui ou non il faut légiférer, car nous constatons un développement extrêmement préoccupant de ces phénomènes de port de voile à l'école, et les propos lénifiants que vous nous servez : « Il n'y a pas de problème, ne vous inquiétez pas, le ministère s'en occupe, on met des cellules de veille ». Nous savons que ces cellules consistent à faire en sorte qu'il n'y ait aucune statistique.

M. Roland JOUVE : Nous n'avons pas statistiquement de progression sur toute la France de la question du voile mais, très clairement, une structuration d'un certain nombre de revendications communautaristes, dont le port du voile n'est qu'un des éléments parmi d'autres. Certains éléments, en allant au-delà, nous paraissent beaucoup plus graves que le port du voile qui au début pouvait être combattu sans trop de difficulté. Nous sommes confrontés dans un certain nombre d'établissements scolaires et de zones à une approche globale que l'on appelle communautariste.

Mme Martine DAVID : Signes et comportements ?

M. Roland JOUVE : Surtout des comportements. Tout d'abord, le refus d'un certain nombre d'enseignements. Nous le voyons très nettement. Refus par exemple des sciences de la vie mais pas seulement. Refus dans des cours d'histoire d'un certain nombre d'enseignements. Nous avons l'exemple typique de l'enseignement de la Shoah avec le développement des thèses négationnistes et surtout la contestation d'un certain nombre d'enseignements du fait religieux. Des tensions peuvent ainsi naître à l'occasion d'un enseignement sur les croisades ou sur l'islam au VIIIème siècle. C'est alors l'autorité même de l'enseignant qui est remise en cause.

C'est un premier fait qui nous paraît important.

M. Lionnel LUCA : C'est très grave.

M. Roland JOUVE : Effectivement et nous comprenons que ce soit mal vécu par nos enseignants, c'est évident.

On observe également, un certain nombre de comportements liés au refus de la mixité : non seulement de la part des jeunes filles, mais parfois de la part des garçons, qui se traduisent par des exemptions des cours d'éducation physique. Là, nous sommes désarmés car, bien souvent, nous recevons des certificats médicaux que nous ne pouvons pas contrôler.

Il y a aussi tous les types de communautarisme liés aux comportements : l'attitude dans la cour avec la définition de territoires ; lors du jeûne du ramadan, des garçons viennent parfois contrôler l'accès du self pour éviter que de supposés coreligionnaires viennent se restaurer. Nous pourrions multiplier les exemples.

M. Yvan LACHAUD : M. le Président, une remarque et une question :

Je veux bien que l'on parle d'un phénomène peu important, mais j'ai été choqué et troublé d'apprendre d'un des recteurs que nous avons entendus qu'il y avait 59 voiles dans un lycée de Villeneuve-d'Ascq. Cela me paraît justifier une intervention assez rapide, car cela signifie que des chefs d'établissement, des principaux et des proviseurs peuvent être amenés à réagir de façon différente et que la laïcité est en danger dans notre République.

Par ailleurs, si l'on devait légiférer dans ce domaine, comment pensez-vous qu'il faudrait traiter de l'enseignement privé sous contrat ? Je pense à un article de presse paru sur ce lycée musulman privé, hors contrat pour l'instant, et qui titre: « Classe mixte, voile autorisé, mais non obligatoire ». N'y aurait-il pas lieu quand ce lycée demandera sa mise sous contrat au bout de 5 ans, ce qui me paraît inévitable et normal, de prendre également des dispositions vis-à-vis de l'enseignement privé sous contrat qui a mission de service public et doit respecter un certain nombre d'éléments ?

M. Roland JOUVE : C'est une question de fond. Accepterons-nous d'avoir des établissements privés sous contrat d'association, qui auront des classes non mixtes avec des jeunes filles - même si le voile n'est pas obligatoire - qui seront toutes voilées - car il ne faut pas se leurrer, c'est ce qui se passera - avec des enseignements dont nous ne serons pas sûrs que nous pourrons, au quotidien, vérifier qu'ils sont conformes au contrat ? Quand l'inspection se déroulera, naturellement, tout sera conforme, mais ensuite, au quotidien, nous l'ignorerons.

C'est une question extrêmement difficile étant donné la réglementation applicable aux établissements d'enseignement privé sous contrat d'association selon laquelle ces établissements doivent fonctionner suivant les règles du service public : mêmes programmes, mêmes règles et accueil de tous les élèves, sans discrimination.

Tout le monde tient à ce que les établissements privés sous contrat d'association fonctionnent de cette façon puisqu'ils sont un des éléments particuliers du service public. Le problème est de savoir si nous sommes prêts à accepter des établissements de ce type.

C'est une vraie question. Il faut être très attentif aux établissements privés, car un certain nombre d'entre eux sont parfois confrontés aux mêmes problèmes que les établissements publics. Nous ne le disons pas assez, mais des établissements catholiques ont été confrontés au problème du voile, avec parfois des difficultés assez similaires à celles que nous rencontrons dans le public. Si une loi intervenait sur l'enseignement public, elle devrait en toute logique s'appliquer également aux établissements privés.

M. Yvan LACHAUD : Par rapport à la loi Debré, la notion de « caractère propre » est-elle assez précise ou pas pour donner des arguments réglementaires à cette question ?

M. Robert PANDRAUD : Ma question était pratiquement du même ordre. Si nous légiférons, cette loi sera applicable de plein droit - sous réserve de quelques détails d'ajustements - aux établissements privés sous contrat d'association. L'histoire nous prouve qu'on ne la fait pas appliquer et qu'elle ne s'applique pas. Nombre d'établissements, gérés par une confession, n'appliquent aucune réglementation en dehors de la loi originelle. Pourquoi le ferait-on pour d'autres établissements qui viendraient de se créer ?

Pour les manuels, un problème se pose : quelles sont les garanties d'objectivité - vieux problème - que présentent les livres scolaires ? Il existe des bibliothèques entières sur les croisades et l'on sait que les interprétations ne sont pas les mêmes : était-ce une entreprise de défense de la chrétienté ? Etait-ce la première manifestation du colonialisme ? Le refoulement de seigneurs ou de peuples, qui s'ennuyaient dans des terres pauvres et allaient chercher de l'or là-bas ?

Mon vrai problème est de savoir, dans le cas où une loi serait votée, si elle s'appliquerait aux collèges ou lycées musulmans sous contrat qui se créeront et aux établissements privés existants qui ne respectent pas la loi actuellement.

M. Bruno BOURG-BROC : Nous vous avons posé la question et je n'ai pas vu la réponse très clairement : pensez-vous qu'il faille légiférer ou pas ?

Si on légifère, l'interdiction de port des signes s'étendra-t-elle aux établissements privés sous contrat ? Je voudrais insister sur la question de M. Lachaud : le « caractère propre » n'est pas défini par la loi mais figure dans la loi de 1959. Pensez-vous qu'il faille définir à nouveau le « caractère propre » ou bien faut-il faire une croix sur le caractère propre ?

M. Hervé MARITON : Je citerai le témoignage d'une école privée sous contrat d'association de ma circonscription dans laquelle un conseiller municipal, membre du parti des Travailleurs, s'est rendu récemment et a demandé le retrait des crucifix.

M. Bruno BOURG-BROC : Gouverner, c'est prévoir. Dans l'état actuel des choses, prévoyez-vous d'autres demandes du même type que celles que vous venez d'avoir pour le lycée de Lille ? A terme, avez-vous des prévisions dans ce domaine ?

M. Roland JOUVE : Le « caractère propre » des établissements privés ne doit pas faire obstacle - et c'est toute la difficulté - au respect de la réglementation concernant l'application des programmes et des règles de l'enseignement public.

Le « caractère propre » intervient principalement - cela été discuté - dans l'ordre éducatif et dans celui de la vie scolaire ; il n'intervient pas dans l'enseignement des disciplines.

C'est un consensus assez général. La vraie question est celle du contrôle qu'il est possible d'assurer sur les établissements privés pour faire respecter le caractère laïque, la mission de service public, dans les établissements privés sous contrat d'association. C'est un droit et une obligation de l'Etat. Actuellement, ce contrôle s'effectue par des inspecteurs pédagogiques, soit inspecteur de l'Education nationale (IEN), soit inspecteur pédagogique régional (IPR).

Quant à légiférer, le « caractère propre » ne devrait pas faire l'objet d'une modification. Il est assez bien compris globalement dans l'immense majorité des cas et ne pose pas de difficulté particulière. Il me paraîtrait difficile de revenir sur l'idée du « caractère propre » qui fait l'originalité des établissements sous contrat d'association. Je crois qu'il faut conserver ce caractère propre.

M. Robert PANDRAUD : Vous faites donc du communautarisme.

M. Roland JOUVE : Je ne fais que citer la loi. Celle-ci, dans sa rédaction actuelle, distingue le « caractère propre » et le contrat. Il y aurait communautarisme si les règles du contrat étaient tournées, c'est-à-dire si dans le cadre de l'enseignement sous contrat, on appliquait des règles tout à fait dérogatoires du droit commun mais, dans la mesure où il y a application normale du contrat, je crois que nous ne nous situons pas dans du communautarisme.

M. le Président : Merci beaucoup de ces précisions.

Pour vous, le port du voile est-il un signe d'identité culturel ou religieux ?

M. Roland JOUVE : Quand on regarde le Coran, je trouve qu'il y a bien d'autres signes d'appartenance religieuse.

M. le Président : Je ne parle pas par rapport au Coran. Pour vous, le fait d'avoir dans une école quelqu'un qui porte un voile, est-il l'expression d'un signe religieux ou d'un signe culturel 

M. Roland JOUVE : C'est plutôt l'expression d'un signe culturel ou communautaire, que religieux.

M. le Président : Merci.

M. Roland JOUVE : Nous commençons à mettre en place un document face aux dérives communautaristes. Je peux vous le communiquer. Il est intéressant, car il tente d'apporter, sinon des réponses, tout au moins des procédures à des questions posées dans les établissements.

Table ronde regroupant
M. Farid ABDELKRIM, membre de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), accompagné de M. Charafeddine MOUSLIM,
M. Yamin MAKRI
(, membre du Collectif des musulmans de France,
accompagné de M. Fouad IMARRAINE_,
Mme Malika AMAOUCHE, militante féministe,
Mme Malika DIF, écrivain,
M. Bruno ETIENNE_, directeur de l'observatoire du religieux à l'IEP d'Aix-en-Provence,
Mme Françoise GASPARD, universitaire,
Mme Dounia BOUZAR, chargée de mission à la protection judiciaire de la jeunesse

(extrait du procès-verbal de la séance du 16 septembre 2003)

Présidence de M. Eric RAOULT, membre du Bureau

M. Eric RAOULT, Président : Mesdames et messieurs, chers collègues, je voudrais tout d'abord vous demander de bien vouloir excuser le Président, M. Jean-Louis Debré, qui est, pour 48 heures, en visite officielle en Tunisie. A sa demande, deux tables rondes ont été organisées relatives à la problématique du port du voile à l'école ; pour schématiser, et j'insiste sur ce point, je dirais que nous recevons, aujourd'hui, des personnes favorables à la liberté du port du voile à l'école, alors que demain, les personnes que nous auditionnerons sont plutôt défavorables au port du voile.

Mes chers collègues, nous recevons donc aujourd'hui différents responsables d'association et auteurs d'ouvrages relatifs au port du voile. M. Farid Abdelkrim, membre du conseil d'administration de l'UOIF, accompagné de M. Charafeddine Mouslim, M. Yamin Makri, porte-parole du Collectif des musulmans de France accompagné de M. Fouad Imarraine. Sont également présents plusieurs auteurs d'ouvrages sur le voile, intellectuels et autres signataires de l'appel du 20 mai dernier, paru dans le journal Libération, en faveur du port du voile : Mme Malika Amaouche, militante féministe et signataire de l'appel, Mme Malika Dif, écrivain, conférencière et auteur d'« Etre musulmane aujourd'hui » ; M. Bruno Etienne, membre de l'institut universitaire de France, directeur de l'observatoire du religieux à l'IEP d'Aix-en-Provence, Mme Françoise Gaspard, ancienne parlementaire, universitaire, diplômée de l'IEP de Paris, agrégée d'histoire, ancienne élève de l'ENA, maître de conférence à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, militante féministe, signataire de l'appel et auteur des « Foulards de la République » et Mme Dounia Bouzar, coauteur de l'ouvrage « L'une voilée, l'autre pas ».

Je vous propose, mesdames et messieurs, de commencer par un premier tour de table afin que vous vous présentiez, puis nous passerons au jeu des questions-réponses.

Mme Dounia BOUZAR : M. le Président, je vous remercie de nous recevoir. Je voudrais tout d'abord remarquer que mes titres universitaires n'ont pas été cités ! Sachez donc qu'au-delà de l'ouvrage « L'une voilée, l'autre pas », je suis également doctorante en anthropologie, chargée d'études et de recherches à la protection judiciaire de la jeunesse, au ministère de la justice. Je suis notamment chargée d'une mission nationale, « islam et action sociale », qui a pour objectif de valoriser les valeurs communes entre l'islam et l'occident auprès de tous les professionnels, afin de leur fournir des outils pour travailler sur le thème de la mise en avant de la référence musulmane par les jeunes. Je suis également la personnalité dite qualifiée du Conseil français du culte musulman (CFCM), depuis peu.

Jusqu'à présent, j'ai davantage travaillé sur le plan psychologique ; mes travaux ont consisté à tenter de comprendre - par des enquêtes de psychologie sociale - ce qui poussait les jeunes à vivre leur islam de cette façon.

Vous avez auditionné d'éminents sociologues, je ne vais donc pas redire des évidences. Je dirai simplement que ma position a consisté à travailler, non seulement sur le paramètre d'interactions - comment la société peut aussi injecter le contraire de ce qu'elle veut - mais également sur la question du croisement des mythes - comment la société française voit grandir sa première génération de Français de confession musulmane, la première vraie génération de jeunes complètement socialisés à l'école de la République et qui ont appris à dire « je ». Une rencontre, donc, avec les jeunes dans une nouvelle recomposition du fait religieux.

J'ai voulu montrer comment un certain nombre de jeunes filles revendiquent des valeurs universelles mais les détachent de l'unique histoire de France ; elles souhaitent rejoindre les autres Françaises sur un certain nombre de valeurs communes tout en revendiquant la lecture de ces valeurs dans la référence musulmane. C'est-à-dire une réappropriation des textes musulmans au prisme de la culture française.

Il me semble que l'histoire de France se rigidifie et souhaite être la seule à avoir produit certaines valeurs. Mais on assiste également, d'un autre côté, à un retour au mythe d'or de l'âge musulman qui se rigidifie aussi. Pour construire un avenir commun, il faudrait commencer par travailler sur les histoires et les mémoires.

Je ne développerai pas plus mon propos nous serons certainement amenés à y revenir lors du débat. Merci.

Mme Malika DIF : M. le Président, madame, messieurs les députés, je vous remercie de votre invitation ; nous y sommes si peu habitués que nous en sommes tout étonnés.

Je suis Française, convertie à l'islam depuis 30 ans, j'ai 66 ans. Je suis juriste de formation, j'ai travaillé pendant 44 ans, et je suis aujourd'hui retraitée. Je consacre mon temps - depuis déjà une vingtaine d'années - à l'éducation islamique, ou plutôt musulmane, car le mot islamique à une connotation particulière.

En tant que musulmane, je me suis d'abord préoccupée de la situation de la femme ; tant de choses ont été dites à son propos, tout et son contraire, qu'il m'a semblé indispensable d'intervenir. Je l'ai fait en écrivant un ouvrage, « Etre musulmane aujourd'hui », qui recense ce que sont les droits de la femme - je cite les textes et les commente, étant entendu que d'autres peuvent avoir une vision différente, selon les écoles. Pour ma part, je me suis fondée sur le contexte le plus généralement accepté par l'ensemble des savants musulmans.

En ce qui concerne cette communauté, je travaille essentiellement avec des jeunes - certains sont devenus des adultes et ont aujourd'hui 40, 45 ans - qui sont scolarisés. J'essaie de démontrer, depuis vingt ans, que l'on peut être musulman ou musulmane et citoyen français, c'est-à-dire engagé dans la vie de cette société. Si tous les musulmans ne le sont pas, c'est peut-être que, sous prétexte qu'une femme se présente avec un voile ou un homme avec une barbe, ils sont qualifiés d'islamistes et que les portes leur restent fermées. Certaines associations musulmanes, par exemple, dans différentes villes de province, ont voulu participer à la journée de la femme ; les femmes qui portaient le voile se sont vues refuser. C'est une réaction que j'ai du mal à comprendre, à accepter, car si ces femmes viennent avec leur voile, elles viennent pour témoigner de leur appartenance à la société française.

Je connais des femmes qui ont passé le cap du voile à l'école, qui ont suivi des études supérieures, mais qui sont condamnées à rester à la maison pour élever leurs enfants ou à donner ici et là des cours d'arabe ou d'enseignement religieux.

D'ailleurs, nous donnons également des cours d'instruction civique. Au moment des élections, je me souviens avoir expliqué aux jeunes comment et pourquoi il fallait voter - s'inscrire sur les listes électorales, et voter, blanc, si aucun candidat ne leur convenait -, car l'école ne l'avait pas fait. Alors on parle aujourd'hui du problème du voile à l'école, mais on oublie le civisme, l'éducation citoyenne à l'école, ce dont nous avons le plus besoin. J'ai donc le sentiment, depuis vingt ans, de faire un travail qui n'est pas fait à l'école.

Mme Françoise GASPARD : M. le Président, Mme Bouzar a fait remarquer que ses titres universitaires n'avaient pas été cités, personnellement, je me serais passée des miens !

Je rappelle toutefois que je suis une ancienne parlementaire et que j'ai été maire de Dreux, ville qui connaît de nombreuses nationalités et une importante population de culture musulmane.

Par ailleurs, je travaille dans un laboratoire de sociologie, fondé par Alain Touraine, qui est dirigé aujourd'hui par Michel Wieviorka. Nous travaillons sur les questions d'exclusion dans la ville, de l'école, et j'ai travaillé avec Farhad Fhosrokhavas notamment, sur les relations des garçons et des filles - question centrale dans notre discussion.

Je suis par ailleurs experte dans l'un des six comités conventionnels de l'ONU, le comité chargé de surveiller l'application du respect de la convention sur la non discrimination à l'égard des femmes, convention que la France a ratifiée en 1983.

Je regrette, M. le Président, à cet égard, que le parlement ne se soit pas saisi du rapport qui a été présenté à New-York par la France au mois de juillet, et je souhaiterais que votre commission se saisisse, elle, du jugement qui a été prononcé sur ce rapport. En effet, pour que la France remplisse ses engagements internationaux, un certain nombre de mesures, nécessaires, ne sont pas encore prises, notamment en ce qui concerne le respect de l'article 5 de cette convention, sur la lutte à l'école contre les stéréotypes de sexe - il s'agit d'une question à laquelle nous devons réfléchir.

Ma première affaire du foulard, je l'ai connue en 1978, à Dreux. Un directeur d'une école primaire me demande d'intervenir auprès de deux familles qui refusent d'envoyer leur fille en classe de neige. En allant rencontrer ces deux petites filles dans leur classe, en CM2, je découvre que l'une d'elle porte un foulard ; je sursaute et demande au directeur comment il peut tolérer cela. Il me répond, en accord avec les enseignants, que leur rôle est de faire tomber le foulard, du moins de permettre à cette petite fille, si elle le désire un jour, de ne plus le porter. J'ai découvert à cette époque une confiance - que je n'ai pas toujours retrouvée plus tard - des enseignants dans leur mission.

Une des petites filles était donc d'origine marocaine, l'autre Portugaise catholique. Je me suis rendue dans les deux familles afin de convaincre les parents de les laisser partir, arguant que cela était essentiel à leur intégration dans la communauté scolaire. Or, alors qu'une famille était catholique et l'autre musulmane, les mêmes mots ont été prononcés : pudeur et crainte de ne pas avoir l'œil sur leur petite fille, le soir, dans le chalet.

Je suis parvenue à convaincre les familles de laisser partir les deux petites filles. Je suis toujours en relation avec Malika, qui est aujourd'hui chirurgienne à l'hôpital de la Salpêtrière et qui a choisi de ne plus porter le foulard. Dans cette affaire, l'école a montré qu'elle pouvait absorber la différence et surtout faire en sorte que les petites filles résistent.

En 1994, j'ai été chargée, avec mon collègue Farhad Fhosrokhavas, par le ministère de l'équipement, d'une enquête sur les relations entre les garçons et les filles dans les quartiers difficiles - c'était la première enquête de ce type. Et je dois dire, moi qui n'avais pas remis les pieds dans un établissement scolaire du second degré depuis longtemps, que j'ai été ahurie, étonnée, choquée de ce que j'ai entendu, à la fois de la part des élèves et des professeurs sur la montée de la violence des garçons.

Cette violence m'a conduite à réfléchir sur le fait que l'on a imposé la mixité scolaire à la fin des années 60, pour des raisons plus économiques que philosophiques. Aucune réflexion n'a été menée en termes de pédagogie, de coéducation. Il y a donc là une réflexion à mener, car aujourd'hui, parmi les foulards, il en existe un que j'ai vu dans les quartiers récemment, qui est un foulard de protection : un foulard contraint. Or il est de notre responsabilité, et de celle de l'école laïque, d'enseigner la laïcité qui est, en fait, posée comme une donnée sans être enseignée, sans que soit rappelé les valeurs des fondateurs de la République. Jules Ferry n'a jamais dit que les élèves ne devaient pas porter de signes religieux, il a déclaré qu'il convenait de respecter l'absolue conscience de l'enfant et la neutralité des locaux et des enseignants. Il serait intolérable que des enseignants manifestent par quelque signe que ce soit leur appartenance, afin qu'ils puissent respecter les enfants.

Dans l'article paru dans le journal « Libération », que j'ai signé, nous disons que nous ne sommes pas favorables au foulard, mais que nous respectons celles qui le portent ; encore faut-il que chacune sache ce qu'il signifie. Pour moi, le foulard représente trois choses : un symbole religieux, une marque d'oppression des femmes et une pièce de vêtement. Ma grand-mère ne serait jamais sortie en cheveux dans la rue. Je respecte donc celles qui souhaitent, par pudeur, porter un foulard. Mais encore une fois, l'école doit enseigner aux élèves un certain nombre de principes, dont celui du respect entre les garçons et les filles.

Mme Malika AMAOUCHE : M. le Président, je suis une militante, signataire de la pétition « Oui à la laïcité, non aux lois d'exception » parue dans le journal « Libération » le 20 mai 2003, sous le titre fallacieux « Oui au foulard dans l'école laïque ». Or il s'agit en fait d'un appel laïque, contre l'interdiction du voile et contre une loi d'exception qui viserait le foulard islamique.

Cet appel a été signé par la Ligue des droits de l'homme, la Fédération des conseils de parents d'élèves des écoles publiques (FCPE), l'association des travailleurs maghrébins de France, des représentants politiques, des syndicats, des formateurs de l'éducation spécialisée, des enseignants, des éducateurs de l'Education nationale, des chercheurs, des universitaires et des militants d'associations telles qu'Amnesty International, Défense des enfants International, Mouvements de l'immigration et des banlieues ou le Comité des femmes arabes.

Cet appel vient s'inscrire dans le débat public pour faire entendre une voix laïque à un moment où le foulard avait formé deux camps : les laïques, prônant l'interdiction, et les religieux prenant parti pour le voile à l'école.

Il s'agissait, au-delà de ce que représente le voile, de faire entendre les conséquences d'une exclusion de l'école pour ces jeunes filles. Que le voile soit porté par libre choix ou imposé, il n'en demeure pas moins que l'interdire à l'école revient à créer une double contrainte pour les jeunes filles qui devront choisir entre l'autorité de leurs parents, ou ce que leur conscience leur impose, et l'autorité de l'Etat français. Il s'agit d'un fardeau lourd à porter quand on n'a pas l'âge de s'émanciper réellement pour avoir de la distance avec quelque référent ou autorité que ce soit.

Par ailleurs, l'exclusion de l'école est la plus lourde punition qui soit. Car si ces jeunes filles sont contraintes de porter le voile et, de fait, forcées à quitter l'école, cela revient à leur fermer la porte de l'école mais également d'un espace social, mixte et laïque, à les priver d'outils indispensables et à les renvoyer à l'autarcie du foyer familial.

Si le voile est certes un signe religieux, il s'agit également d'un moyen pour les jeunes filles d'accéder à l'espace public, mixte. Or il ne faudrait pas, aujourd'hui, faire le jeu des amalgames en renvoyant ces jeunes filles dans une école non mixte, probablement religieuse, et créer ainsi des champs communautaires, fermés, dans la société française.

En outre, si le rôle de l'école est d'affranchir les consciences de toute tutelle, on n'affranchit pas par la contrainte. L'autonomie est un long apprentissage que l'on fait en pleine connaissance de cause et dont on mesure parfois l'héritage à un âge plus avancé de la vie, mais qui nécessite toujours une certaine maturation et de l'expérience.

Il convient de ne pas oublier que l'école n'est obligatoire que jusqu'à 16 ans. Dans ce laps de temps, trop court, il convient de donner aux élèves voilées une place à l'école laïque. Il serait absurde d'exclure ces jeunes filles au nom d'un quelconque idéal de laïcité, ou pour émanciper les femmes.

En revanche, des contraintes sont formatrices, telles que l'obligation d'assiduité ou la diversité des matières à enseigner - les sciences naturelles ou le sport. L'idée étant que ce n'est qu'en offrant un éventail le plus large possible que l'on forme un esprit critique.

Rejeter le voile de l'école, ce serait donner aux intégristes des arguments pour obtenir des écoles musulmanes, non mixtes, ce qui alimenterait un sentiment de rejet envers la France. Dans un premier temps, les élèves pourront soit arrêter l'école, soit recourir aux cours par correspondance. Sachant les inégalités déjà existantes devant l'enseignement, si le milieu de l'enfant ne complète ni n'encourage l'apprentissage, le résultat pour la très grande majorité de ces jeunes filles va être de les déscolariser. Ce qui serait plus que dommage si l'on considère que les filles, dans leur grande majorité, réussissent mieux à l'école que les garçons.

Accepter le voile ne serait pas céder à un chantage des intégristes, mais donner une place à ce symbole, ostentatoire peut-être, mais uniquement par la taille et d'une autre confession religieuse, pour permettre à certaines jeunes filles l'accès à notre école laïque. Il serait même dangereux pour la cohésion sociale de créer une loi qui aboutirait à leur exclusion. Ce serait soumettre à la peur et alimenter les fantasmes qui amalgament attentats terroristes, islamisme et intégrisme, viols collectifs et port du voile, alors que celui-ci est parfois un moyen, pour certaines jeunes filles, de faire un compromis entre deux cultures, de sortir dans la rue, de poursuivre des études, de différer un mariage ou de s'engager dans des activités militantes.

On constate d'ailleurs que la polémique ne vient pas de ces jeunes filles. Selon l'étude de la médiatrice Hanifa Chérifi, le nombre de cas problématiques est passé en dix ans de 300 à 150.

En revanche, il est du rôle de l'école laïque de donner une image valorisante de la culture islamique, de créer des repères pour comprendre l'histoire religieuse et laïque, de prendre connaissance de l'histoire coloniale et de s'approprier l'histoire des luttes pour l'émancipation et l'indépendance.

Il convient également de rappeler que la République laïque n'a pas amélioré immédiatement le sort des femmes, puisqu'il a fallu attendre 1938 pour que les femmes aient le droit de s'inscrire à l'université sans l'autorisation de leur mari, et qu'elle s'est accommodée jusqu'aux années 60 de la séparation des sexes. Et ce n'est qu'en 1946 que les femmes ont pu devenir électrices et éligibles, au même titre que les hommes. Enfin, il faudra attendre la loi de 1970 pour que soit supprimée la notion de chef de famille du code civil.

Bien que l'enjeu, au début du siècle, ait été de remplacer l'autorité de l'église catholique par des instances représentatives et élues démocratiquement, la question de la représentativité des femmes a été le résultat de ligues militantes. Jules Ferry disait : « Il faut choisir citoyen, il faut que la femme appartienne à la science - entendue la laïcité - ou à l'église ». Faisons un autre pari, celui que la femme ne s'appartient qu'à elle-même et qu'il est de son libre arbitre de choisir des moyens pour paraître et pour participer dans l'espace public à la citoyenneté. On s'émancipe en se réappropriant sa culture, et à partir d'elle en se créant une identité recomposée.

M. Farid ABDELKRIM : M. le Président, je souhaiterais tout d'abord préciser que je ne suis pas là en tant que représentant de mon organisation, ayant été contacté à titre personnel ; je donnerai donc, sur cette question, mon point de vue et non celui de mon organisation.

Je suis donc membre du Conseil d'administration de l'UOIF, je suis également ex-président du Mouvement des jeunes musulmans de France. Je suis par ailleurs membre du CFCM, et si j'ai accepté votre invitation, c'est parce que je suis en contact avec une certaine partie de la communauté musulmane, et plus particulièrement des jeunes que je rencontre à travers les conférences que je dispense dans toute la France. Or, la question du voile est souvent abordée lors de ces rencontres, car elle entraîne beaucoup d'incompréhension, d'interrogations - de la part des garçons comme des filles.

C'est donc à ce titre que j'ai accepté de venir devant votre mission d'information, pour vous faire part de ce qui se dit ici et là, mais peut-être aussi pour faire tomber les fantasmes, les psychoses qui accompagnent cette affaire, à laquelle on a donné plus d'importance qu'elle ne le mérite.

Je ne suis ni pour ni contre le port du voile, je suis pour que les personnes aient le droit de choisir leur vie. En effet, j'ai appris, par l'éducation que j'ai reçue de mes parents et à l'école, que les gens ont le droit de faire ce qu'ils veulent ; c'est ce principe que je dispense lors de mes conférences, lorsque je rencontre une jeune fille qui est tiraillée entre l'envie de continuer ses études et celle de porter le voile. Je la renvoie à sa propre conscience, je ne puis que l'accompagner dans ses prières, si j'en ai le temps et le courage.

Nous en discuterons certainement tout à l'heure, mais je pense vraiment que l'on a fait trop de bruit autour de cette affaire et qu'il serait intéressant de cesser de l'envenimer, non seulement au plan médiatique mais également politique.

M. Yamin MAKRI : Je suis porte-parole du Collectif des musulmans de France, éditeur et père de quatre enfants.

Je pourrais, aujourd'hui vous faire part de mon expérience - de 15 ans - sur le terrain, à travers le mouvement associatif. Par exemple, le collectif est composé de personnes attachées à leurs convictions religieuses mais également très actives sur le terrain ; elles souhaitent participer à la vie de ce pays. Or, souvent, ces personnes posent des problèmes. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de réfléchir sur les valeurs musulmanes : quels sont les points qui posent problèmes, et ne devrions-nous pas nous adapter ? Nous avons pris conscience que nous devions travailler aussi sur nous-mêmes et que pour vivre dans ce pays, nous avions besoin d'effectuer un dépoussiérage. On nous a beaucoup parlé de laïcité, de République, de démocratie, mais nous voulions apprendre ces valeurs par nous-mêmes.

Après 15 ans de travail, de conférences, de débats, je constate que, si l'on met de côté notre esprit de revanche, nos rancœurs, pour certains leurs idées racistes et pour d'autres la peur de s'intégrer réellement au pays, il n'y a pas de problème. Notre religion est plus facile d'accès qu'on ne l'imagine et la laïcité n'est pas ce que l'on en dit. Il existe une manipulation idéologique de la laïcité, et il nous appartient de faire la part des choses.

Le collectif estime que la position du Conseil d'Etat est la plus sage : le foulard ne devrait pas poser de problème si l'on se réfère vraiment aux valeurs laïques. En revanche, si le comportement de la jeune fille qui porte le foulard n'est pas en accord avec les règles de l'école, il doit être sanctionné.

Je suis d'origine algérienne - je suis né en France -, et je dois avouer que ma peur est liée à l'expérience algérienne. Je n'oublierai jamais que, de 1905 à 1962, la laïcité n'a pas été appliquée dans tous les départements français ; en effet, la laïcité n'a pas été appliquée aux « indigènes » musulmans d'Algérie, afin qu'ils ne s'émancipent pas.

Actuellement, je crains qu'il y ait une volonté de mettre en place des lois d'exception destinées à une population particulière qui pourraient poser des problèmes. Si l'on commence à considérer une partie de la population française d'une manière différente, on aboutira à des catastrophes, telles que celles que l'on a connues l'an passé.

Vous êtes des représentants politiques, des élus du peuple, je vous demande donc de faire attention à ce que vous faites. Le principe du « vivre ensemble » est réglementé, il ne faut pas revenir dessus, sinon nous courons vers la catastrophe.

M. Bruno ETIENNE : M. le Président, je ne suis ni femme, ni musulman, mais j'ai un doctorat relatif à la médiation religieuse et 45 ans d'expérience du monde arabe.

Je souhaiterais dire aux élus de la nation que s'ils ont le devoir de légiférer, ils doivent le faire en connaissance de cause. Afin de respecter le principe de la laïcité, il conviendrait que ce principe et cette laïcité soient clairs. Or la laïcité est un concept « valise », qui ne fait l'objet d'aucun consensus pour des raisons historiques, politiques, voire psychopathologiques.

M. Makri vient de rappeler que la loi de 1905 ne s'appliquait pas à l'Algérie, c'est tout à fait exact. J'ajouterai même que le culte musulman était rémunéré par l'Etat français. Il y a donc une contradiction, aujourd'hui, à vouloir en faire une distinction.

De même l'islam ne fait l'objet d'aucune connaissance publique sérieuse en France - elle a même régressé au XXème siècle. Elle ne fait que l'objet de fantasmes perdurants, voire essentialismes, ce qui est assez impressionnant pour le chercheur relativiste que je suis. La question du foulard n'est effectivement que le haut de l'iceberg, à savoir un épiphénomène qui se donne à voir et qui est agité comme un drapeau.

Il conviendrait donc de commencer notre réflexion plus en amont : la laïcité est-elle une idéologie comme les autres ou est-elle une valeur universelle ? En ce sens, la visibilité de l'islam - la décolonisation et la venue de populations de religions diverses - nous oblige à repenser un certain nombre de concepts qui ont nomadisé depuis Jules Ferry jusqu'à 1905 ; la laïcité ne se réduit pas à la loi de 1905.

Aujourd'hui, la laïcité est largement bafouée, y compris dans l'entretien des édifices du culte ; mais je sais que la France se glorifie de ne pas avoir de patrimoine religieux !

Nous devons donc, tout d'abord, nous mettre d'accord sur ce qu'est la laïcité aujourd'hui, dans une société française plurielle, pluriculturelle, pluriethnique, plurireligieuse, dans le contexte d'une Europe qui ne gère absolument pas le cultuel et le culturel comme nous. Je voudrais à ce propos vous rappeler les articles 9, 14 et 16 de la Charte fondamentale sur la liberté religieuse. Ces articles posent problème, non seulement avec l'islam, mais également avec les sectes, par exemple. La France est le pays le plus condamné par l'Europe en matière de discrimination religieuse !

L'islam, c'est 14 siècles d'histoire complexe, un milliard d'individus. Or, à longueur de journée, je lis dans les journaux que l'islam est un, que tous les musulmans sont des terroristes potentiels ou en puissance, parce que l'islam est ontologiquement violent. Il y a donc tout un travail à mener, non seulement par nous, les professionnels, mais également par les musulmans.

Mais j'en viens à l'affaire du voile. Et je poserai trois questions. D'abord, les enquêtes sociologiques démontrent toutes qu'une loi interdisant le voile à l'école empêcherait un certain nombre de jeunes femmes de recevoir une éducation et les priverait d'un espace de liberté. Assez curieusement, le voile, pour certaines, élargit leur espace de liberté publique.

Comment pouvons-nous travailler sur la production de ces textes, avec ou sans les musulmans ? Que représente le voile réellement ? Je puis, sur ce point, vous éclairer. Que dit le Coran ? Le Prophète Mahomet avait, bien avant Habermas, définit l'espace privé et l'espace public de l'existence ; cela devrait ravir ceux qui estiment que la laïcité est la distinction entre la sphère du religieux dans le privé et la sphère publique de sa représentation.

Si je dois vous donner un seul conseil, ce serait celui-ci : nous devons travailler sur les conditions objectives de production des textes, qu'ils soient la loi française ou les textes religieux. Certaines choses sont négociables, d'autres non. Or je prétends que l'affaire du voile n'est que la partie visible de l'iceberg de toute une série de problèmes que la France plurielle pose aujourd'hui à la loi monisme et générale. Une loi qui ne concernerait qu'une seule catégorie de citoyens ne pourrait qu'être contraire à la philosophie de la République française.

M. Yvan LACHAUD : M. le Président, après huit auditions, je constate que nous avons entendu différentes analyses. Je souhaiterais donc connaître l'opinion de nos invités : le voile est-il un signe religieux ou un phénomène culturel ? Par ailleurs, pouvez-vous nous dire pourquoi il est réapparu, voilà quelques années ?

Mme Malika DIF : Le voile est-il un phénomène religieux ou culturel ? Sans hésitation : il s'agit d'un phénomène religieux. Les femmes musulmanes qui portent le voile se réfèrent au Coran, et notamment à trois versets. Je vous en fais la lecture.

« Sourate 33, verset 59: « Oh Prophète, dis à tes épouses, à tes filles, et aux épouses des croyants, de ramener sur elles un pan de leur voile. Cela est plus à même de les faire reconnaître et leur éviter d'être importunées ».

Sourate 24, versets 30 et 31 : « Invite les croyants à baisser pudiquement les yeux et à se préserver de toutes souillures charnelles. Cela contribuera à les rendre plus purs. Et invite également les croyantes à baisser décemment leur regard et à préserver leur vertu, et à ne laisser paraître de leur charme que ce qui ne peut en être caché ». »

S'il était besoin de confirmer cette obligation, je citerai un autre verset qui fait référence aux personnes âgées ; sourate 24, verset 60 : « Quant aux femmes atteintes par l'âge de la ménopause, et qui n'espèrent donc plus se marier, elles peuvent porter une tenue plus légère, sans toutefois dépasser les limites de la décence. Mais il est tout de même préférable qu'elles évitent cela ».

Nous savons également que le Prophète a donné une précision en disant que les femmes pouvaient laisser à la vue des autres leur visage et leurs mains.

Le voile est donc une obligation. Mais l'islam propose plusieurs catégories d'obligations : tout d'abord, celles qui sont fondamentales, sans lesquelles un musulman n'est pas considéré comme ayant accompli son devoir de musulman. Il s'agit des cinq piliers de l'islam : la profession de foi, la prière, le jeun, l'aumône légale et le pèlerinage pour celui ou celle qui en a les moyens matériels ou physiques.

Ensuite, il y a les obligations d'un second degré, telles que la bonne relation avec les parents, quelle que soit leur attitude à l'égard de leurs enfants ; les enfants doivent soutenir leurs parents, comme les parents doivent éduquer leurs enfants.

Autre obligation de second degré : l'acquisition du savoir - extrêmement important dans l'islam. Vous connaissez tous ce dicton disant : « allez chercher le savoir jusqu'en Chine s'il le faut ».

Nous trouvons également dans la catégorie des obligations de second degré, l'obligation pour la femme de se couvrir, c'est-à-dire de porter un voile, de revêtir une tenue pudique.

La personne qui ne se soumet pas aux obligations de cette catégorie est certes musulmane, mais considérée comme désobéissante. Or les musulmanes n'ont pas envie de désobéir.

Je reviens donc à votre question, M. le député : signe religieux ou signe culturel ? Signe religieux, sans ambiguïté.

Je répondrai maintenant à votre seconde question relative à la réapparition du foulard. Lorsque je suis devenue musulmane, voilà 30 ans, il est vrai qu'il y avait assez peu de foulards. Je suis mariée depuis 44 ans avec un Algérien qui n'a pas pu faire les études qu'il aurait dû pouvoir faire, dans son pays comme en France - l'enseignement était interdit, les écoles coraniques avaient été fermées -, et c'est une chance que cet homme soit parfaitement intégré dans cette société.

Les jeunes gens d'aujourd'hui sont les enfants de ces émigrés qui, lorsqu'ils sont arrivés en France, n'avaient donc pas de culture religieuse. Les hommes arrivaient seuls en France, et ils nous accueillaient - nous leur remplissions, par exemple, leurs feuilles de sécurité sociale - avec quelque chose à manger, et écoutaient des chants arabes. En fait, ils ont retrouvé leur culture avec leurs enfants qui, en grandissant, ont revendiqué leur appartenance à la religion musulmane. J'ai enseigné pendant dix ans à la mosquée de Paris, et j'ai souvent rencontré des jeunes qui ne savaient plus qui ils étaient.

Tous ces jeunes se sont donc interrogés sur eux-mêmes, ont recherché leur identité, puis l'ont intégrée en ayant conscience d'avoir - les parents et les enfants - un certain retard à rattraper. C'est la raison pour laquelle nous avons assisté à quelques excès : de nombreuses personnes avaient un grand retard à rattraper envers Dieu.

Je me bats pour que la femme musulmane trouve sa place dans la société française - peut-être, un jour, verrons-nous une femme députée voilée.

Mme Françoise GASPARD : M. le député, ma réponse sera différente de celle de Mme Dif, s'agissant de votre première question. Je constate, à la fois sur le plan historique, mais également à travers les études sociologiques que j'ai menées avec mon équipe, que le voile est polysémique.

En effet, il n'y a pas un seul voile mais plusieurs : le voile de l'émigrée, qui ne gêne personne ; le voile contraint de certaines petites filles qui le portent ne serait-ce que pour aller jusqu'à l'entrée de l'école ; le voile revendiqué ; le voile de protection, qui protège de la violence des garçons.

S'agissant de ce dernier, j'ai rencontré des jeunes filles, à Dreux, qui portent le foulard. Je leur ai demandé pourquoi elles le portaient. Leur réponse a été la suivante : « Madame, ne vous inquiétez pas, nous ne le portons pas à l'école ! »

Par ailleurs, dans la société française, on le constate, il y a des foulards qui vont et viennent, correspondant à des périodes de tension politique, nationale ou internationale ; les foulards avancent, puis dès que le climat se détend, ils reculent - par exemple, les femmes portent plus le foulard pendant le ramadan qu'à d'autres périodes.

Il convient donc d'analyser le foulard, dans le contexte français, comme un principe qui peut être religieux, mais également culturel, voire politique. J'ai rencontré des jeunes filles qui portaient le foulard - mais qui ne connaissaient pas les cinq piliers de l'islam - pour être considérées à la fois comme Françaises et musulmanes.

S'agissant de votre seconde question, je rappellerai que dans de nombreux pays musulmans, le foulard est un enjeu entre les modernistes et les conservateurs. Certains pays musulmans interdisent le foulard dans les administrations et à l'école, je pense notamment à la Tunisie.

En Iran, le père du shah, avait interdit le port du foulard dans l'espace public - cette démarche a également été menée en Turquie.

En 1979, en tant que députée, je me suis rendue - avec d'autres femmes, dont certaines étaient musulmanes - en mission en Iran, lorsque Khomeiny a obligé les femmes à porter le foulard ; nous lui avons demandé de retirer cette fatwa, cette obligation.

J'ai alors eu des discussions avec des femmes qui étaient, pour certaines communistes, pour d'autres féministes, ou communistes et féministes, progressistes... et qui avant même cette obligation, avaient remis le foulard en signe de protestation politique au régime du shah. Il s'agissait non pas d'un foulard religieux, mais politique.

La façon dont les femmes étaient manipulées avec ce foulard m'avait inquiétée et montré quels étaient les effets que pouvait avoir l'interdiction. J'affirme aujourd'hui que les pays qui interdisent le foulard ne sont pas démocratiques.

M. Bruno ETIENNE : Je ne pense pas que le voile soit une obligation canonique ; il s'agit là de l'ambiguïté du terme religieux : qu'est-ce qui ressort de la religion, de la tradition, etc. ? Les commentateurs sont assez clairs sur ce point, ce n'est pas une obligation canonique.

Je vous rappellerai, pour avoir fait quelques séjours au Caire, que la jurisprudence musulmane représente environ 10 millions de volumes - c'est donc très compliqué - et les situations sont différenciées. Par exemple, je récuse le terme de « tchador », qui n'existe pas. Je mets au défi quiconque de trouver dans un texte orthodoxe la définition de la burka et du tchador - même dans les écrits chiites.

A mon sens, le port du foulard est donc négociable, parce qu'il ne s'agit pas d'une obligation canonique. Mais il est vrai qu'il est lié aussi à la conception de la pudeur, de la protection, etc. Et nos enquêtes mettent surtout en valeur la dimension identitaire : la reconnaissance.

Par ailleurs, le foulard est incontestablement un enjeu politique. Il existe un jeu de banderilles, dans la France pluraliste, de certains groupes qui veulent savoir jusqu'où l'Etat peut aller. Je prends un autre exemple : le shabbat n'est pas négociable. Certaines choses sont négociables, d'autres non. Et dans les commissions de bioéthique, on s'en rend bien compte.

Mais revenons au problème du port du foulard à l'école. D'abord, une législation qui ne concernerait qu'une catégorie particulière de la population me paraît incompatible avec la philosophie de notre République laïque.

Ensuite, légiférer sur les signes religieux à l'école ouvrirait une boîte de Pandore dont vous ne pourrez vous sortir.

Le foulard est-il un signe religieux ? Je serais prudent : ce n'est pas une obligation canonique.

M. Fouad IMARRAINE : Nous devons faire attention au débat qui consisterait à subordonner la liberté de conscience à la légitimité à une référence scripturaire. Que le voile soit religieux ou culturel, tant qu'il ne remet pas en cause la liberté des autres, nous n'avons pas la légitimité de lui interdire de s'exprimer. Il est donc difficile de remettre en cause cette question sensible, pour nous, les musulmans, qui avons usé nos pantalons sur les bancs de l'école républicaine où l'on nous parle de liberté de conscience, de choix individuel, pour nous qui avons choisi d'être musulmans pratiquants.

Le débat de fond qui doit être mené, en France et en Europe, doit être le suivant : quelle est la place de la spiritualité ? Il n'existe pas une seule spiritualité. Nous vivons une laïcité catholique et l'islam est venu pour parfaire cette laïcité, qu'on le veuille ou non.

Pourquoi ne pas accepter une femme qui désire porter le voile, comme un individu qui est en pleine évolution ? Si, au nom de la dignité, cette liberté est respectée, cette femme ne sera plus obligée de la revendiquer. Le principe de l'évolution est donc en opposition totale avec les analyses de transition, et souvent, on nous lie avec ce qui se passe dans le monde musulman. De grâce ! Ce qui s'y passe ne sont pas des références de démocratie ! Ce n'est pas parce que, dans certains pays, le voile et la barbe sont l'expression d'une organisation politique que nous risquons d'avoir la même chose en France !

Ceux qui pensent cela ont oublié une donné fondamentale : vous, vous êtes moi, et moi, je suis vous. Je suis autant jaloux que vous de ma liberté, je suis autant jaloux que vous de mon pays, et je suis autant jaloux que vous du pouvoir du citoyen dont je dispose. Et c'est un Français qui vous parle !

M. Pierre-André PERISSOL : Je voudrais tout d'abord réagir aux réponses que je viens d'entendre, notamment sur la question de savoir si le foulard est une référence religieuse ou culturelle. De nombreux intervenants ont souligné que ce voile pouvait également être, dans certains, cas une référence politique.

Or je vous rappelle que dans l'école de la République, le principe de la laïcité a été posé par rapport aux religions, mais d'abord et avant tout il s'agit d'une laïcité en référence aux opinions politiques - et davantage aujourd'hui qu'en 1905 ! Il est impératif de protéger l'école de toute opinion affichée sur un plan politique. Vous l'avez très bien expliqué, Mme Gaspard, le port du voile varie selon les tensions nationales, internationales. Nous devons être sensibles à cette troisième référence, car le devoir du législateur est de protéger l'école de toute intervention politique.

Mais j'en viens à ma question, qui est liée à ce que nous avons entendu lors de l'audition de chefs d'établissement. Ils nous ont expliqué qu'ils pouvaient être confrontés à des problèmes liés au port du voile, à la pratique de telle ou telle discipline, au respect de certains jours, le vendredi par exemple, pendant lesquels aucune activité n'est permise, ou encore au sexe d'un examinateur.

J'ai écouté avec beaucoup d'attention votre argumentaire, monsieur, sur le respect de la conscience. Mais que se passe-t-il lorsqu'une jeune fille refuse de passer un examen parce que le professeur est un homme ? Elle est dans l'obligation de passer cet examen. Que diriez-vous à cette jeune fille ? Et si votre réponse est différente de celle que vous donnez à cette jeune fille concernant le port du voile, comment pouvez-vous argumenter sur la liberté de conscience ? Car on passe insidieusement d'un problème limité - celui du port du voile - à un problème qui remet en cause l'organisation et la stabilité de l'école de la République.

Mme Dounia BOUZAR : Le mot essentialisme a été prononcé tout à l'heure. Je pense que nous sommes à un passage historique, un peu difficile. En effet, on continue à lier la référence musulmane à une référence de pays étrangers, et automatiquement aux interprétations des pays étrangers. Or cela pose plusieurs problèmes. Notamment, on fait fi des années d'installation des musulmans qui ont grandi en France, qui ont côtoyé l'école de la République depuis 2 ou 3 générations.

Le résultat d'une religion est toujours culturel ; il y a toujours un dialogue entre les hommes, le contexte dans lequel il se trouve, l'interaction qui en découle, le moment historique et la lecture qu'ils font de leurs textes religieux. Il s'agit d'un pari sur la force de la culture française chez les jeunes qui grandissent dans notre école et qui retournent à leurs textes. Il s'agit d'une réappropriation du passé que font notamment les jeunes, et qui passe, parfois, c'est vrai, par une sublimation des textes et par moins de rationalité dans l'examen des exégètes. Cependant, il convient de bien distinguer les intentions et les processus identitaires des jeunes et les résultats que cela peut produire.

Mais je reviens à la question du foulard. Renvoyer les jeunes à des définitions toutes faites d'islamisme international ou à des interprétations étrangères...

M. Pierre-André PERISSOL : Ce n'est pas la question que j'ai posée. J'aurais eu la même démarche s'il s'était agi du samedi ou du shabbat !

Mme Dounia BOUZAR : Il a été dit tout à l'heure qu'il y avait non pas un mais plusieurs foulards. Effectivement, certaines jeunes filles portent le foulard pour incarner un certain nombre de valeurs. La difficulté est de ne pas faire du foulard le symbolisme de l'islam ; il ne faut pas, en légiférant, amener les jeunes, qui sont dans un tel processus, à faire du foulard le seul signe de l'islam. Une loi pousserait la personne qui veut affirmer sa religion musulmane à choisir entre le foulard et l'école.

Des jeunes filles voilées vous diront qu'elles se cachent les cheveux pour pouvoir côtoyer les garçons, pour être parties prenantes dans le débat contradictoire. En revanche, si elles mettent le foulard pour dire qu'elles ne peuvent pas fréquenter les garçons, ni faire des choses qui iront contre la parole de Dieu, je suis tout à fait d'accord, comme le spécifie la décision du Conseil d'Etat, pour dire qu'il s'agit d'un comportement qui va contre la laïcité. Il me semble donc dangereux de donner au foulard une définition rigide, qui pourrait amener les jeunes à intérioriser cette seule façon d'être musulmans.

M. Farid ABDELKRIM : Pour ma part, je tiens à remettre l'accent sur la complexité du débat, dès que l'on aborde la question du port du voile.

J'ai signalé dans mon propos liminaire que les jeunes filles que je suis amené à rencontrer disent qu'elles doivent choisir entre le port du voile ou la poursuite de leurs études. J'aimerais donc que vous sachiez qu'un travail est réalisé sur le terrain. Loin d'être médiatisé, il est parfois occulté, aussi me permettrez-vous d'en parler quelques minutes pour en dresser les contours.

A titre purement bénévole, des gens se sont formés et s'inscrivent aujourd'hui dans un processus de maturation de leur perception au niveau tant de leurs valeurs religieuses que du pays où ils vivent.

Je suis moi-même l'auteur d'un ouvrage au titre provocateur, « Na'al bou la France » qui peut se traduire par « maudite soit la France » ou « maudits soient les pères fondateurs de la France », où j'ai mis en avant les difficultés que j'ai pu rencontrer, moi qui suis né dans ce pays et qui me suis trouvé complètement coupé de mes racines, de ma culture et de ce que je considère être aujourd'hui ma religion, à l'instar des jeunes filles qui portent aujourd'hui le voile.

M'étant inscrit dans le processus de maturation auquel j'ai fait allusion, la façon dont je parle aujourd'hui n'est certainement pas celle que j'aurais adoptée, il y a dix ans, cinq ans, voire un an

C'est une donnée à prendre en considération. En effet, dans la mesure où personne, pas même vous, n'a trouvé de solution aux problèmes soulevés par le port du voile, vous devez comprendre qu'ils se posent également à ceux qui considèrent que le voile s'inscrit dans le cadre de leur spiritualité

Plutôt que de verser dans le débat passionnel, admettons donc que nous sommes là pour discuter et essayons de parler dans le calme.

Certaines jeunes filles qui se présentent à nous ont des problèmes par rapport au port du voile en classe et également durant les heures de natation. Il fut un temps où l'on me demandait, dans le cadre de mes conférences, comment faire pour se marier, pour avoir des enfants, pour manger, pour dormir et je répondais à toutes ces interrogations. J'ai appris avec l'expérience que cette attitude n'était pas la bonne et, aujourd'hui, je m'efforce plutôt de susciter l'esprit critique de mes interlocuteurs en faisant valoir que, compte tenu de l'importance du savoir, il est fondamental pour eux de poursuivre leurs études et d'acquérir des diplômes.

Pour autant, je n'entends pas m'immiscer dans leur conscience, ni leur dire qu'ils doivent mettre de côté ce qu'ils considèrent comme des obligations religieuses. C'est quelque chose que je ne peux pas me permettre, ayant pris l'engagement solennel de ne pas « squatter » l'esprit des autres pour éviter d'adopter la position de celui qui penserait avoir mieux compris, ce qui est un travers très répandu.

Ma position par rapport au problème de la piscine, du sport et de tout ce qui va avec, s'inscrit dans la même logique. Notre société est confrontée à un problème qui n'est ni le problème des musulmans, ni le problème des politiques, mais le problème de tout le pays : aujourd'hui c'est une réalité !

Je suis musulman. C'est une réalité que je ne claironne pas sur tous les toits si l'on ne me pose pas la question, car ma foi ne concerne que moi. Cela étant, faisons en sorte que cette question soit mûrement réfléchie, prenons le temps d'en discuter et admettons que rien n'est simple.

Je vous incite vivement à adopter une attitude différente de celle de certains députés qui n'avaient qu'un slogan à la bouche : « invitez-moi et je vous dirai ce que je pense ! ». Quand on prend le temps de s'asseoir, de discuter, comme cela s'est fait avec certains parlementaires et d'autres interlocuteurs, les choses se passent très bien car chacun mesure alors que, malheureusement, ou heureusement - pour ma part, je dirais plus volontiers heureusement -, la réalité est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît !

M. Yamin MAKRI : La réponse qui vient d'être apportée à M. le député semble le satisfaire, mais si je l'ai bien compris, sa préoccupation était la suivante : si l'on accepte le foulard, on acceptera tout et il n'y aura plus de limites !

M. Pierre-André PERISSOL : J'ai posé une question : je n'ai pas apporté de réponse !

M. Yamin MAKRI : Je caricature, mais ma réponse sera plus fine...

Selon lui, certains intervenants ayant déclaré que le port du foulard était un signe politique, le foulard ne devait pas être admis dans le cadre scolaire qui proscrit l'expression d'idées politiques. C'est un raisonnement très politicien qui repose sur des bases tronquées, puisque la personne qui voyait dans le foulard un signe politique lui accordait une valeur de reconnaissance identitaire et, par là, politique au sens très large du terme.

Si nous nous tenons à de telles interprétations, le « piercing » qui est également une demande de reconnaissance, qui répond à une volonté de se différencier des autres devrait, lui aussi, être interdit à l'école ! Il faut faire attention car nous n'allons plus nous en sortir et si nous étendons la reconnaissance identitaire dont nous parlions dans un cadre franco-français, à un cadre beaucoup plus large, non dénué d'arrière-pensées, bien des préjugés risquent d'émerger.

Par ailleurs, nous avons entendu parler du vendredi et du jour du shabbat comme si, dans le cadre scolaire, il n'y avait pas de règlements, comme s'il n'y avait pas, dans ce pays, des tribunaux administratifs, un Conseil d'Etat et des lois. Si toutes ces questions n'ont jamais posé problème, c'est parce qu'elles sont directement résolues dans le cadre scolaire. Si un élève décide de ne pas fréquenter l'école le vendredi, la question sera réglée car personne ne lui en accordera le droit : nous sommes tous d'accord là-dessus !

Pourquoi la question du port du voile pose-t-elle problème ? Parce qu'elle est beaucoup plus compliquée ! Les tribunaux administratifs eux-mêmes ne sont pas parvenus à la résoudre et il a fallu faire intervenir le Conseil d'Etat. Cessons donc de dire que si l'on admet le port du foulard, il n'y aura plus de droit dans ce pays ! Arrêtons de présenter les choses sous cet angle, d'abord parce que c'est très dangereux, ensuite parce que ce n'est pas là que se situe la difficulté !

Je comprends la question qui a été posée de savoir si le foulard est religieux, coranique ou culturel, mais c'est une interrogation à caractère documentaire. J'approuve le souhait de Bruno Etienne de mieux faire connaître l'islam. Mais, soit dit entre nous, tout cela est secondaire, car ce n'est pas la loi islamique qui va fonder l'autorisation ou l'interdiction du foulard, mais le cadre à partir duquel il nous faut raisonner. Si les motivations sont religieuses, culturelles ou autres, il est bon de le savoir, mais ce n'est pas ce qui va emporter la décision. La décision va dépendre du cadre commun et non pas d'un cadre islamiste, catholique, ou militant, qui doit permettre à un athée, à un agnostique, à un catholique, à un juif, à un musulman de vivre ensemble. Ce cadre a été défini : il s'agit maintenant de savoir si le foulard y pose problème et peut saper ses fondements.

Mme Malika DIF : Pour répondre de façon carrée à la question, je tiens à préciser que l'étude de toutes les disciplines est autorisée par l'islam, y compris celle des sciences naturelles : il n'existe aucune discipline qui ne puisse être étudiée par les musulmans et par les musulmanes. C'est une chose qui doit être très clairement affirmée ! A ce propos, n'oublions pas que la plupart des sciences aujourd'hui enseignées à l'école ont pour origine le monde arabo-musulman !

M. Pierre-André PERISSOL : Exactement !

Mme Malika DIF : Vous et moi, comme l'ensemble de l'humanité, nous lui sommes redevables, car, sans les efforts qu'il a consentis dans le passé, nous ignorerions probablement encore beaucoup de choses et nous ne pourrions pas profiter, comme nous le faisons, de la modernité !

Toutes les disciplines doivent être enseignées et les jours fériés n'ont jamais donné lieu à la moindre revendication. Lors des fêtes religieuses musulmanes, notamment les deux Aïd, la plupart du temps, interviennent au sein de l'école des aménagements qui ne posent aucun problème : les dirigeants de l'école, les enseignants sont parfaitement au courant que, le jour de l'Aïd, certains enfants seront peut-être absents, mais jamais personne n'a revendiqué un jour de congé. Il est évident que, en cas d'examen blanc ou de composition, les parents de notre communauté choisissent d'envoyer les enfants à l'école, même s'ils doivent être privés de fête et assumer, le cœur gros, leurs obligations scolaires. Il m'a fallu souvent aller travailler le jour de l'Aïd pour respecter mes engagements, mais des aménagements peuvent être trouvés et l'affaire ne revêt pas la même importance que le shabbat !

En revanche, je suis heurtée par le fait qu'une élève puisse refuser de répondre à un examinateur : à moins que ce dernier n'adopte une attitude offensante, rien dans le cadre normal de l'Education nationale ne le justifie.

Pour ce qui est du sport, toutes les disciplines sportives sont autorisées, mais les jeunes filles doivent pouvoir les pratiquer en survêtement. S'agissant de la natation, vous savez tous ce qu'il en est, et je suis un peu triste qu'aujourd'hui d'aucuns s'insurgent de voir certaines femmes demander à bénéficier de quelques heures réservées, d'autant que cet avantage a été accordé depuis fort longtemps aux femmes juives et que personne n'en a jamais parlé. Le jour où les femmes, qu'elles soient juives, musulmanes ou athées, auront leurs piscines, elles seront peut-être très contentes de s'y retrouver et j'applaudirai à cette initiative. Il faut en effet savoir que de nombreuses femmes souffrant de complexes apprécieraient d'aller de temps en temps nager dans un cadre plus serein où elles se sentiraient plus protégées.

M. Jean-Pierre BRARD : Dans quelle ville y a-t-il des heures de piscine réservées aux femme juives ?

Mme Malika DIF : Je crois que c'est en banlieue parisienne.

M. Yamin MAKRI : A Sarcelles !

Mme Malika DIF : A Sarcelles, par exemple, mais c'est également vrai ailleurs depuis des années et ce n'est pas un drame : personne n'y a rien vu à redire jusqu'à ce que la question se pose pour les musulmanes. Il est vrai que les musulmanes qui se sont exprimées à la télévision étaient entièrement voilées de noir ce qui a allumé la mèche...

Mme. François GASPARD : Les hammams ne sont pas mixtes !

Mme Malika DIF : C'est vrai aussi ! En général, dans un hammam les gens n'ont pas grand-chose sur le dos, mais, à mes yeux, cela est secondaire car je suis beaucoup plus préoccupée par l'éducation des filles. Personnellement, je n'ai pas été à la piscine depuis 30 ans et je vis très bien sans cela !

M. Pierre-André PERISSOL : Oui, mais notre discussion a trait au cadre scolaire ! `

Je tiens à préciser qu'il n'y a absolument aucune passion de notre côté. Je rappelle aux invités qu'il est tout à fait normal que nous posions un certain nombre de questions et qu'elles n'induisent ni attitudes, ni convictions. Nous nous efforçons de faire la clarté sur un sujet à propos duquel je souligne, puisque vous avez demandé à ce qu'il soit traité comme complexe, que, s'il y a une mission parlementaire, c'est bien parce que nous le considérons comme tel et que, si nous posons des questions et écoutons les réponses qui y sont apportées, c'est bien parce que nous manifestons le souci d'établir un dialogue. Je mets l'accent sur ce point de méthode pour que l'ensemble des personnes présentes sache bien quelle est la règle du jeu d'une audition parlementaire.

M. Hervé MARITON : Ma première question s'adresse à Malika Amaouche qui, s'agissant du port du voile, a évoqué le rapport aux parents et le rapport à l'autorité de l'Etat. Nous nous sommes interrogés sur la signification du voile qui est un point important : il s'agit de savoir si l'on peut considérer qu'elle correspond, parfois, à une remise en cause de l'autorité de l'Etat.

Ma deuxième question sera pour M. Makri. Je souhaiterais, monsieur, que vous reveniez sur la notion de manipulation idéologique de la laïcité. Au demeurant, un autre intervenant nous a dit qu'indépendamment de sa signification, qu'elle soit religieuse, culturelle ou politique, le port du voile relevait de la liberté de conscience. Or, la laïcité ne définissant pas l'ensemble des catégories d'expression, il y a probablement dans la notion de laïcité ce que l'on reconnaît comme pouvant s'exprimer dans le lieu dont on parle et ce que l'on considère comme ne pouvant pas s'exprimer dans le lieu dont on parle. Vous avez, par ailleurs, M. Makri, évoqué l'expression d'un engagement citoyen que vous liez à l'expression de valeurs spirituelles fortes et je souhaiterais que vous précisiez ce point.

M. Etienne, vous avez posé par rapport au voile la question de la sphère publique et de la sphère privée. C'est une bonne question sur laquelle je me permets de revenir car vous l'avez, à mon sens, assez bien introduite. Ne peut-on pas considérer que le voile préserve ce qui doit rester privé, mais que, dès lors que l'on se trouve dans la sphère publique, il n'a plus de raison d'être ? En d'autres termes, dans le cadre des relations interpersonnelles que l'on souhaite codifier, si dans un contexte privé, le voile peut constituer une protection privée, conserverait-il son sens dans la sphère publique et du fait de sa définition même, ne devrait-il pas tomber ?

Je souhaiterais maintenant interroger l'ensemble des intervenants sur un point qui renvoie à ma question première sur la relation à l'autorité de l'Etat : certains pourraient vous demander s'il y a dans le voile une intention de « tester », en quelque sorte, l'Etat pour savoir jusqu'où il peut aller et à partir d'où il recule.

Enfin, vous me permettrez de demander deux éclaircissements.

Premièrement, M. Imarraine a expliqué que la laïcité reposait sur un modèle de relations entre l'Etat et la religion et il a ajouté que l'islam était venu pour la parfaire. J'aimerais savoir ce qu'il entend par là car la relation entre l'Etat et les religions était complexe avant même le débat de nombre qui nous concerne aujourd'hui ...

Deuxièmement, lorsque le principe de l'évolution est évoqué, il convient de préciser de quelle évolution il est question : s'agit-il de l'évolution de la laïcité ou de celle de l'Etat ?

Mme Malika AMAOUCHE : Lorsque, dans mon intervention, j'ai fait allusion à l'autorité des parents ou à l'autorité de l'Etat, je m'exprimais par rapport à l'interdiction du voile et je me référais à ce que la loi permet ou ne permet pas. Légiférer en la matière et interdire le port du voile reviendrait à mettre les jeunes filles musulmanes devant l'alternative suivante : soit adopter un comportement imposé par les parents ou par une conscience religieuse et personnelle, soit se conformer à la loi.

Je souhaitais simplement que l'on prenne en compte les conséquences d'une loi qui interdirait d'afficher sa conscience religieuse. Il me semble, en effet, qu'apparaître voilée dans un espace public n'obéit pas à une volonté de « tester » l'Etat ou de le provoquer par des stratégies, y compris de caractère politique, mais au souci de figurer dans l'espace public, d'y participer et d'y évoluer.

M. Yamin MAKRI : Il est bon d'aborder la question des préjugés et de la volonté de « tester » l'autre car dans notre communauté, elle se pose également. Certains pensent que l'interdiction du foulard sert uniquement à « tester » les musulmans à savoir jusqu'où pourraient aller leurs concessions, pour mieux leur faire perdre leurs références religieuses et les assimiler totalement. Les préjugés sont répandus de part et d'autre et nous devons les combattre !

S'agissant de la manipulation idéologique de la laïcité, je pense qu'elle est claire et je vous dis franchement que j'ai eu quelque appréhension à venir m'exprimer ici, car un débat comme celui qui nous réunit aujourd'hui est, selon moi, un débat de fond, un débat de société. A plusieurs reprises, j'ai même déclaré, au sein de l'association, qu'il était inutile de l'engager avec des représentants politiques, sachant que la plupart de ceux que nous avons rencontrés se situaient dans une démarche électoraliste, politicienne ou carriériste et se montraient trop soucieux, lorsque nous parvenions à les convaincre, de renouveler leur mandat pour que nous puissions espérer en retirer quelque chose.

M. Eric RAOULT, Président : Nous vous aurons peut-être démontré le contraire...

M. Yamin MAKRI : J'espère bien et si je suis là c'est parce que j'y crois encore un peu !

En fin de compte, nous pensons souvent que les élus, même si nous pouvons les convaincre, doivent, pour renouveler leur mandat, se situer dans le courant majoritaire, et qu'ils n'iront jamais dans notre sens. Nous en avons fait l'expérience, car nous avons eu des discussions avec des élus dont je ne préciserai pas l'appartenance et nous nous sommes expliqués devant des commissions au cours de débats dont je ne vous dirai même pas comment ils se sont terminés...

Certains députés ont bâti leur carrière politique sur la question du foulard ! Voilà où est la manipulation : c'est l'exemple le plus mesquin, mais j'en connais de plus importants et je vous dis, moi, qu'il y a, ici, en France, des hommes politiques et des intellectuels qui, sous couvert de promotion de la laïcité, font du racisme anti-musulman au relent néo-colonial. Finalement, la laïcité n'est, pour eux, qu'un outil. Connaissant les positions qu'ils ont eues dans le passé, je peux vous dire qu'ils se fichent radicalement de la laïcité qui n'est qu'un moyen pour taper sur une catégorie de la population : c'est de la manipulation idéologique, c'est un discours politicien. Certains voient là un moyen de faire une carrière, quand ils n'ont pas, ce qui est pire, des arrière-pensées politiques encore plus graves ! Personnellement, de tels interlocuteurs ne m'intéressent pas. Je préfère débattre sur le fond et voir s'il y a réellement un problème et des achoppements entre la laïcité et la présence de l'islam dans ce pays !

Pour ce qui est de l'origine du port du foulard, je ne nie pas qu'il puisse recouvrir un projet politique telle que la création d'une internationale islamiste ou la destruction de l'école de la République, mais vous ne pouvez juger les personnes que sur leur comportement. Il est impossible d'entrer dans leurs intentions. Vous pouvez affirmer que le foulard est politique et je peux, moi, prétendre le contraire, mais à quoi aboutirons-nous ? Vous ne pouvez pas m'attribuer une intention car vous ne pouvez entrer ni dans mon cœur, ni dans mon cerveau. La seule chose qui peut prêter à discussion, c'est le comportement et c'est d'ailleurs la position adoptée par le Conseil d'Etat qui nous dit clairement que le foulard en lui-même ne pose pas problème, mais que le comportement des lycéennes par rapport à cette question pourrait appeler des sanctions.

La question relative à la citoyenneté et à la spiritualité ne faisant pas partie du sujet qui nous préoccupe aujourd'hui, j'ignore si je dois y répondre ...

M. Eric RAOULT, Président : Vous avez toute liberté de parole, étant précisé que notre temps est limité.

M. Yamin AKRIM : Je serai donc bref. Quand nous parlions des valeurs de l'islam, nous avons rappelé que nous obéissions aussi à des principes qui nous dépassent nous-mêmes et qu'il nous faut appliquer, y compris parfois aux dépens de notre communauté. Je citerai, par exemple, le principe de justice : nous devons être justes, quitte à en souffrir nous-mêmes. Ce sont des principes qui se situent au-dessus de tout et que nous exerçons dans le cadre citoyen, dans notre collectif ou de façon individuelle. Nous participons à des mouvements politiques dans le souci de défendre ces valeurs qui, pour nous, sont essentielles et qui sont la justice, la solidarité, l'équité, la liberté etc. Si nos motivations sont spirituelles, cela nous regarde !

M. Bruno ETIENNE : Tout à l'heure, je me suis réjoui d'entendre plusieurs personnes évoquer la complexité du sujet, mais cette complexité peut encore atteindre des degrés supérieurs. Le port du foulard à l'école touche, en amont et en aval, à des problèmes relatifs à la sphère privée et à la sphère publique. Je pose des questions encore à mon âge, même en fin de carrière, parce que je n'y trouve pas de réponse. L'école est-elle un espace privé ou un espace public ? A l'intérieur de l'école y a-t-il des espaces privés de l'espace public et des espaces publics de l'espace privé ? C'est là un vrai problème qui a d'ailleurs été soulevé par le Conseil d'Etat !

Pourquoi ai-je parlé d'Habermas et du prophète Mohammed ? Parce que votre interrogation renvoie à une question fondamentale de notre société. Nous parlions, il y a un instant, des principes et des valeurs de l'islam et je suis d'accord pour reconnaître que le pluralisme religieux peut enrichir la société française, mais, puisque votre texte fait très précisément référence au principe de la laïcité, il convient de savoir si ce dernier impose de toujours cantonner le champ du religieux à la sphère privée de l'existence. Nous savons par les commissions de bioéthique que la réalité est différente et que les curés, les imams, les rabbins se mêlent de tout ! Dans le cas contraire, il faudrait interdire aux catholiques de ne pas appliquer la loi sur l'avortement. Je prends un exemple qui est terrifiant comme aporie, étant précisé que je suis contre la peine de mort : aux Etats-Unis, on vient d'exécuter l'assassin d'une personne qui pratiquait des interruptions volontaires de grossesse...

Comment cette contradiction se manifeste-t-elle ? Le prophète dit qu'à l'intérieur de la domesticité, les femmes n'ont pas à cacher leurs atours, sauf aux hommes hiérarchiquement désignés. Donc le velum sert à protéger dans l'espace public. Or, si nous réfléchissons sur l'espace public, est-ce que, seul, le voile islamique porte atteinte, comme un défi, à l'Etat, alors qu'il reste encore quelques petites sœurs voilées - même si elles ne portent plus la cornette - et des hassidims et des zélotes qui portent, non pas la kippa qui, elle aussi, est négociable, mais des papillotes et autres choses du même ordre ? Est-ce à dire que nous allons interdire les uniformes militaires ?

M. Robert PANDRAUD : Ce n'est quand même pas comparable !

M. Bruno ETIENNE : J'exagère volontairement, mais qu'est-ce qui, dans l'espace public, marque une inégalité ? Je prendrai pour exemple un insigne qui n'existe plus : celui de la faucille et du marteau qu'arboraient dans ma jeunesse des copains de mon âge et qui est un insigne idéologique...

M. Pierre-André PERISSOL : Mais il n'avait pas sa place à l'école !

M. Bruno ETIENNE : Mais vous êtes d'accord pour admettre que c'est un insigne qu'on a porté longtemps ?

M. Pierre-André PERISSOL : Non, pas à l'école !

M. Bruno ETIENNE : Ne soyez pas naïf !

Mme François GASPARD : Il a été interdit par le Front populaire.

M. Pierre-André PERISSOL : Tout insigne politique est interdit à l'école, voyons !

M. Bruno ETIENNE : Je prenais juste un exemple de la non-neutralité de l'école sur le plan politique. Ne vous mettez pas en colère !

M. Pierre-André PERISSOL : Je ne mets pas en colère, je vous dis simplement - et je ne suis pas sûr que ce soit servir la cause du foulard que de l'assimiler à la faucille et au marteau - qu'à l'intérieur de l'école la faucille et le marteau sont interdits comme le serait d'ailleurs le port de la francisque ou de n'importe quel autre insigne !

M. Bruno ETIENNE : Laissez-moi terminer. Est-ce que la sphère privée de l'existence, dans laquelle se trouve cantonné le champ religieux, peut-être limitée à l'espace public dans sa définition actuelle ? Je sais parfaitement qu'avant de défiler dans la rue, la congrégation du Sacré-Cœur doit soumettre une déclaration à la préfecture : nous sommes tous d'accord sur ce point ! Quelle est la question posée dans cette affaire ? Celle du statut de sphère publique ou privée de la cour de l'école et de la classe de cours.

Quant à la neutralité de la laïcité, je n'en donnerai qu'un seul exemple : puisque ces jeunes gens ont évoqué la mémoire de leur passé, je dois dire que j'ai dirigé la thèse de l'un de mes étudiants sur le Mallet-Isaac et sur la légitimation de la colonisation dans le Mallet-Isaac. Bien sûr, vous levez les bras au ciel, mais vous savez ce que Jules Ferry, père de la laïcité, disait clairement ? « Le devoir des races supérieures est d'apporter la civilisation aux peuples que l'histoire a confiés au destin de la France éternelle... »

M. Pierre-André PERISSOL : Nous ne sommes pas en 1880 !

M. Bruno ETIENNE : Nous ne sommes pas en 1880, mais j'ai fait, moi, un travail sur la représentation de l'islam dans les manuels scolaires actuellement en usage et je peux vous dire que la laïcité n'y est absolument pas respectée. Comme je suis l'une des rares personnes à enseigner la sociologie des religions comparée, je suis partisan de réintroduire l'histoire des religions dans l'enseignement secondaire, et de le confier, non pas à des religieux, mais à des gens comme moi. Cela suscite des débats, ce qui montre que le respect du principe de la laïcité implique que les députés déterminent clairement ce que sont la sphère privée et la sphère publique de l'existence. Je ne crois pas que l'on puisse, dans la société française, notamment, et surtout du fait de l'Europe, maintenir indéfiniment la religion dans la sphère privée de l'existence : c'est tout ce que je veux dire !

M. Fouad IMARRAINE : Quand je parlais d'évolution, je me référais à l'évolution des individus dans leur cheminement spirituel. A certains moments, il peut se trouver des personnes qui, en réaction au rejet de la société, éprouvent à leur tour un rejet qu'ils manifestent aussi bien à travers une expression religieuse que politique. En se concentrant parfois sur une étape de la vie et sur une catégorie sociale - jeunes, vieux ou autres -, on émet des théories d'orientation qui ne sont pas sans conséquence par la suite.

Par ailleurs, quand j'ai employé la formule « parfaire la laïcité », je voulais signifier que la présence du foulard et donc de l'islam, a permis de remettre sur la table la discussion sur la laïcité. Quand je fréquentais l'école, le collège et même le lycée, alors qu'il y avait des lycéens de confession juive qui n'apparaissaient pas le samedi matin, je ne me posais même pas de question. Dans mon lycée, où le principal s'appelait Mme Komheyni sans avoir rien à voir avec l'ayatollah du même nom, les enseignants ne se posaient pas la question de savoir si cela était, ou non, conforme au principe de laïcité.

C'est avec l'islam que le débat sur la laïcité revient sur le devant de la scène et je ne fais là que reprendre la théorie de Jean Boberot, qui revendique son appartenance à la religion protestante et qui a accompli, de même que les membres de la commission Jaurès, un énorme travail sur la question de la laïcité. Ceux qui ont le plus poussé la réflexion et conduit les travaux les plus importants en la matière sont les juifs et les protestants. La France, qu'on le veuille ou non, reste marquée par l'appartenance catholique, ne serait-ce que par le respect du dimanche et la répartition des jours fériés. Elle se trouve aujourd'hui confrontée à ce que j'appelle « l'islam de l'intérieur » qui, à la différence de « l'islam indigène » qui ne la dérangeait guère, lui pose problème.

M. Robert PANDRAUD : J'ai connu une période où il y avait des signes distinctifs à l'école et dans le lycée où j'étudiais, le proviseur les interdisait : je veux parler de l'étoile jaune pendant la guerre !

M. Farid ABDELKRIM : Je ne ferai que quelques courtes observations.

Premièrement, on a peut-être omis de préciser ce matin que si certains foulards peuvent être perçus comme une forme de contrainte, je connais autant, sinon plus, de jeunes filles qui ont été contraintes d'enlever leur voile sous la pression de la société et de parents qui ne voulaient pas y faire face. Il est important de signaler cette situation dont on ne parle pas assez où des jeunes filles, y compris au niveau du doctorat, ont été obligées par leurs directeurs de travaux de choisir entre leurs études et le port du voile. C'est une question qu'il convient de soulever et qui s'inscrit, selon moi, dans l'enceinte de l'école, mais à un niveau où l'on devrait considérer que les intéressées sont suffisamment « majeures et vaccinées » pour savoir quelle conduite suivre. L'affaire ne s'arrête pas là et se poursuit d'ailleurs dans les milieux professionnels où chacun est censé être totalement émancipé.

Deuxièmement, la façon dont M. Mariton pose la question de la volonté de tester l'autre me trouble dans la mesure où elle me donne l'impression, qu'aujourd'hui, on parle des défenseurs de l'islam ou des valeurs liées à l'islam, comme d'un corps étranger, comme si les fidèles de l'islam n'étaient pas des Français. Je me trouve trop souvent, malheureusement, dans la position de celui qui est censé se justifier. Il va de soi que je vais tester la République. Je vais le faire en qualité de citoyen et je vais voir ce qu'elle permet, non pas à partir de l'idéologie dont je serais porteur, mais, tout au contraire, à partir du problème qui est soulevé aujourd'hui. Par rapport au problème du voile, il faut savoir ce que dit la République à laquelle j'adhère et qui est la mienne tout autant que la vôtre, il faut définir jusqu'où l'on peut aller. Il nous faut en discuter sereinement, et non violemment, comme cela s'est fait il n'y a pas très longtemps, lors d'un débat organisé, ici, qui s'est terminé en pugilat, et au cours duquel un invité, réputé pour son ouverture d'esprit, M. Tarek Obrou, a dû interrompre son intervention... Ce n'est pas ainsi que l'on pourra faire avancer le débat ! Il faut surtout cesser de considérer ces interlocuteurs qui sont nés et qui ont grandi en France comme des étrangers, mais savoir que l'on s'adresse à des citoyens. C'est là une dimension extrêmement importante !

Troisièmement, j'aimerais aborder avec vous la question de l'école et de l'espace qu'elle représente. Il existe un problème plus important que celui du port du voile. Il a été précisé tout à l'heure par Mme Dif qu'il y a des obligations religieuses dont le non-respect pourrait presque conduire à une excommunication de l'islam. La règle du quatrième pilier de l'islam, qui est un des piliers de cette religion, est observée par l'ensemble des élèves qui fréquentent l'espace public, laïque de l'école, depuis des années : l'observation du jeûne du ramadan. Cette pratique qui, peut-être parce qu'elle n'est pas visible, ne pose pas problème, devrait être interdite puisqu'il s'agit de la pratique du culte à proprement parler. Comment des élèves peuvent-ils pratiquer le culte à l'intérieur de l'enceinte publique ? Ce sont des questions qui sont, pour moi, autrement importantes que la simple question du voile.

Enfin, je voudrais apporter une dernière précision. Là où j'habite, près de Nantes, très précisément à Saint-Herblain, des créneaux horaires de piscine sont réservés, non pas, cette fois, aux femmes, mais à la « communauté » des nudistes, puisque c'est ainsi qu'elle se définit. Deux ou trois fois par semaine, les nudistes peuvent aller se baigner entre eux, et je me vois mal me présenter en maillot de bain, prétendre participer à de telles séances ou déclarer que je suis contre le communautarisme et qu'il faut mettre un terme à tout ce « bataclan ». Il n'empêche que ce sont des réalités : c'est dans notre pays que de tels faits se déroulent, ce qui ne va pas sans poser un certain nombre de questions...

M. Jacques MYARD : J'ai moi-même organisé ce débat sur la laïcité où j'ai effectivement invité le représentant de l'UOIF et je m'inscris en faux sur la manière dont viennent d'être rapportés ces débats : il n'y a pas eu de pugilat. Le représentant de l'UOIF s'est exprimé. Il y a eu des échanges quand certains participants n'étaient pas d'accord, mails il n'y a jamais eu de pugilat !

M. Farid ABDELKRIM : Je m'inscris également en faux à mon tour !

M. Jacques MYARD : Je suis bien placé pour le savoir : j'étais président de cette réunion ! Il ne faut tout de même pas exagérer ! Et cet invité a été jusqu'au bout de son propos : le verbatim du colloque le prouve !

Mme Françoise GASPARD : Je souhaiterais revenir sur un problème qui a été soulevé et qui est très compliqué : la séparation de la sphère publique et de la sphère privée. Cette question est complexe car, comme on le voit, les limites entre les deux sphères sont mobiles et varient au cours de l'histoire.

Je n'en prendrai pour exemple que notre histoire nationale depuis la révolution française au cours de laquelle cette étanchéité a été mise en place pour séparer les femmes des hommes. Il est très intéressant, à la lecture des récits de Georges Sand, de Flora Tristan, et d'un certain nombre d'autres auteurs du XIXème siècle, qui ont notamment été cités par l'historienne Michelle Perrot, de constater que, dès 1794, les femmes disparaissent de l'espace public. Quand j'étais enfant, on ne voyait pas de femmes fréquenter les bistrots, par exemple. Je me souviens que j'ai eu le sentiment en allant pour la première fois boire un café avec des amis, à Dreux, de me livrer à une transgression extraordinaire ! Ces lieux restaient encore dans les années 70, des espaces masculins.

Si je m'en tiens à ce qui incarne aujourd'hui l'espace public, c'est-à-dire nos assemblées parlementaires, je ne peux que constater qu'elles restent très masculines. Le problème se pose donc de la place et de l'évolution des femmes dans l'espace public et c'est une question très compliquée. Les femmes sont aujourd'hui partout : il y a, depuis 1971, plus de bachelières que de bacheliers, mais le problème demeure d'un espace public marqué comme masculin et d'un espace privé marqué comme féminin.

A cet égard, je voudrais ajouter qu'il m'est arrivé, en 1994, lors de la deuxième affaire du foulard, de me rendre discrètement, à la demande de Mme Simone Veil, dans un certain nombre d'établissements scolaires pour discuter avec les enseignants et avec les élèves. J'arrivais avec trois textes : un texte de Saint Paul qui disait que seules les prostituées pouvaient sortir tête nue ; un texte de la Torah qui expliquait qu'il était bien pour les femmes de confession juive, quand elles se mariaient, de se tondre les cheveux ; quelques versets du Coran sous différentes traductions. Le fait de montrer aux élèves que ce n'était pas seulement l'islam qui était en question, mais que toutes les religions révélées, représentées sur notre territoire, avaient eu des problèmes avec la chevelure féminine, suffisait à faire réfléchir, à percevoir les problèmes autrement que comme une attaque frontale de l'islam, et à détendre l'atmosphère.

J'ai enseigné dans des instituts de formation des maîtres et je dois dire que lorsque j'expliquais, sur la base de ces textes, comment il était possible de faire tomber les foulards, les enseignants étaient très intéressés car c'est une question qu'ils n'avaient jamais apprise dans leurs études antérieures.

Depuis le printemps dernier, on a vu émerger ce souhait nouveau de faire voter contre le foulard une loi élargie à tous les signes religieux. J'ai, personnellement, téléphoné à un certain nombre de mes anciens étudiants qui sont aujourd'hui chefs d'établissement ou professeurs et je leur ai demandé s'ils se trouvaient confrontés à des problèmes liés au port du foulard et pratiquement tous m'ont répondu : « Non, mais qu'est-ce que nous avons comme problèmes de casquettes ! ». Un certain nombre d'entre eux ajoutaient que, finalement, en cas de problème, ils traitaient à l'identique le foulard et la casquette dont ils admettent le port en cour de récréation, mais pas en classe. Pour autant, ils présentaient l'affaire - c'est en quoi je suis un peu choquée et c'est la raison pour laquelle je pense qu'un travail doit être conduit avec les enseignants - non pas comme une question de respect de la laïcité ou de l'égalité entre garçons et filles, ce qui me plairait encore plus, mais comme une question de politesse. A mon sens, il nous faut introduire dans notre enseignement un certain nombre de valeurs qui, aujourd'hui, en sont absentes et qui seraient de nature à permettre de faire tomber, et non pas d'arracher, le foulard et de décrisper la situation. Pour y parvenir, encore faudrait-il qu'il y ait une forte conscience du fait que la laïcité s'est construite grâce à des compromis : n'oublions pas que l'on a notamment laissé le jeudi libre à ceux qui voulaient recevoir un enseignement religieux.

Je souhaiterais signaler qu'il est un certain nombre de situations que nous n'avons pas encore évoquées et qui pourraient aussi poser un problème au niveau légal : la situation de l'Alsace et de la Moselle ; la situation de Mayotte où aujourd'hui encore, comme dans l'Algérie d'avant 1962, deux justices cohabitent en matière de statut privé. A cet égard, je rappelle que votre assemblée vient de voter, en juillet dernier, la suppression, à compter de 2005 pour les hommes qui auront dix-huit ans à cette date, de la polygamie et de la répudiation à Mayotte où nous conservons, en matière de droit privé, à la fois une justice de première instance qui applique le code civil et des cadis qui appliquent de droit musulman aux citoyens de la République. Aujourd'hui, on leur reconnaît le statut de citoyen de la République, alors qu'à l'époque de l'Algérie française, ceux qui ne voulaient pas se convertir et abandonner la religion musulmane n'étaient que des sujets !

Par ailleurs, je souhaiterais savoir si votre mission s'est penchée sur la question des enseignants de langue et culture d'origine (ELCO) qui m'a posé un grave problème au regard de la laïcité. Conformément aux conventions bilatérales ratifiées par la France, les consulats d'un certain nombre de pays, dont le Maroc, peuvent envoyer dans les écoles françaises ces fameux enseignants. J'ai signalé au ministère de l'éducation nationale et au ministère des affaires étrangères, quand j'étais encore maire et députée, les plaintes qui m'étaient parvenues émanant de parents, turcs et marocains notamment. Ils déploraient que ces ELCO, censés dispenser dans notre école publique l'enseignement de la langue, y professaient également, pour beaucoup d'entre eux, la religion et ils se plaignaient, au nom de la laïcité, de la présence d'enseignants de ce type dont j'ai pu constater sur le terrain qu'ils ont été les noyaux de la création de structures fondamentalistes radicales dans certains quartiers.

Nous devons aussi, si nous voulons évoluer par rapport à cette question, balayer devant notre porte et voir quelques-uns des dégâts que nous avons causés et qui, malheureusement, perdurent.

M. Eric RAOULT, Président : Nous n'avons pas le droit de vous applaudir, mais nous souscrivons à vos propos, madame !

M. Jean-Pierre BRARD : Le Président a rappelé antérieurement que nos auditions ne portaient pas sur le foulard islamique, et les autres auditions auxquelles il nous a été donné de participer ont témoigné de la diversité de nos préoccupations.

Pour ce qui me concerne, je suis, comme mes collègues, député de la nation et, au risque de troubler les repères, si je n'appartiens à aucune formation politique, je me situe bien à gauche et je suis arrivé à la conscience politique dans le cadre de la lutte en faveur de la paix en Algérie. Je tenais à le préciser : chacun a droit à sa biographie personnelle et nous n'avons pas forcément tous eu le même parcours !

Mes questions seront brèves.

Premièrement, nos invités trouvent-ils pertinent ou légitime qu'un enfant ait connaissance et tienne compte de l'appartenance religieuse de ceux qui travaillent à dispenser l'éducation ?

Deuxièmement, puisque Mme Bouzar a évoqué « l'âge d'or de l'islam », je souhaiterais qu'elle puisse me dire dans quelle période de l'histoire elle le situe et ce qu'elle entend par exactement par cette formule. Je vous informe très clairement que j'ai mon opinion sur la question et je que suis évidemment très intéressé par la réponse qui pourra m'être apportée.

Troisièmement, j'ai écouté avec un grand intérêt les propos de Mme Dif et du professeur Etienne. J'ai suivi avec attention la lecture qui nous a été faite des versets du Coran qui est l'un de mes « livres de chevet » et la formule n'est en rien ironique car j'estime que le Coran fait partie de l'histoire spirituelle de l'humanité, avec le Talmud, le Nouveau Testament et quelques autres textes...

M. Jacques MYARD : Le capital de Karl Marx ?...

M. Jean-Pierre BRARD : Evidemment, étant précisé que Karl Marx qui avait lui aussi lu ces grands textes était à même d'en déchiffrer certains dans leur langue originale, ce que l'on oublie un peu vite !

La lecture des textes de Mme Dif m'a semblé très littérale, à la différence de celle du professeur Etienne qui me semblait plus historique, mais peut-être suis-je un peu caricatural d'où cette question : ne fait-on pas une lecture trop intemporelle ? Pour ce qui vous concerne, madame, vous avez fait référence au savoir, mais comme dans mon esprit, la « science sans conscience n'est que ruine de l'âme », j'aimerais que vous me précisiez si, pour vous, le savoir se conjugue avec l'esprit critique et comment.

J'aimerais aussi connaître l'opinion de nos invités sur cette déclaration du président de la fédération des associations musulmanes de Montreuil : « Lorsque l'islam est arrivé au Sud du Sahara, il a trouvé nos femmes en pagne - elles le sont toujours - mais dieu n'est pas dans le foulard, il est dans les cœurs. »

Enfin, ne pensez-vous pas que l'une des solutions pour sortir de la difficulté dans laquelle nous nous trouvons, passe, d'une part par la lutte contre l'analphabétisme en ayant recours, non pas à des religieux, mais à des scientifiques qui dispenseraient l'enseignement des religions dans nos écoles, et d'autre part par l'instauration de l'égalité dans la pratique des cultes ? Je sors un peu de notre sujet, mais il est un moment où, comme l'on dit « tout est dans tout et réciproquement » ! Moyennant la réalisation de lieux de culte, selon des modalités qui ne seraient d'ailleurs pas très compliquées à arrêter pour peu que l'on en ait la volonté politique, ne pensez-vous pas qu'avec d'un côté, une reconnaissance concrète d'une égale liberté de pratiquer le culte, et de l'autre, la lutte contre l'analphabétisme religieux, nous pourrions trouver une issue ?

Je suis favorable, M. le Président, à la poursuite de la discussion sur la sphère privée et la sphère publique : c'est un débat très important. Comme je vois mal comment tracer des lignes dans les écoles pour définir où s'arrête la première et où commence la seconde, je dirais que, s'agissant des questions qui nous intéressent, la sphère publique englobe tous les lieux des services publics et j'ajouterais que cette définition qui concerne, non pas les usagers desdits services, mais ceux qui les dispensent, vaut pour toute personne présente dans l'espace de l'école publique.

M. René DOSIERE : Je souhaiterais simplement demander à nos interlocuteurs, à l'exception de M. Etienne et Mme Gaspard qui défendent le port du foulard pour des raisons un peu différentes, s'ils donnent fondamentalement raison à l'enseignante qui demande à porter le foulard.

M. Jean-Yves HUGON : Ma question a également trait aux enseignants. Je souhaiterais, pour ma part, recentrer le débat sur le titre de notre mission qui est une mission d'information sur la question des signes religieux à l'école. Nous avons, naturellement, beaucoup parlé du voile, au niveau des élèves mais il faut aussi nous intéresser aux enseignants et c'est pourquoi je vous soumets l'interrogation suivante qu'il ne faut nullement prendre comme une provocation, mais comme une question sérieuse : pensez-vous que les membres de la communauté musulmane accepteraient que leurs enfants assistent à des cours dispensés par un enseignant portant la kippa ?

Mme Dounia BOUZAR : Je vais profiter de cette dernière prise de parole pour faire un peu le point. Comme je l'ai dit à maintes reprises dans mes interventions publiques, je ne défends pas le foulard, mais j'entends défendre toutes les femmes qui réclament l'égalité, quel que soit le moyen qu'elles utilisent pour l'obtenir. Cela étant, je ne défends pas du tout le foulard en tant que tel, sans quoi j'en porterai un sur la tête : je m'oppose simplement au modèle unique et je tente de permettre aux gens de se réapproprier leur façon de se construire, dès lors qu'elle s'inscrit dans une dynamique de respect des valeurs de la laïcité et de l'égalité entre les hommes et les femmes.

Vous avez parlé, M. le député de « l'âge d'or ». Je n'ai pas parlé de « l'âge d'or », mais du « mythe de l'âge d'or » ce qui est totalement différent. Cela ne veut pas dire qu'il n'y ait pas eu un âge d'or musulman, mais ce n'était pas là mon propos. Mon propos consistait à souligner que l'on assiste à un croisement entre, d'une part, une histoire de France dont Suzanne Citron a largement montré qu'elle s'est appliquée, depuis la révolution, à remplacer le pouvoir absolu de dieu par le pouvoir de la nation et à construire une relation au temps et à l'espace qui a été mythifié à travers la mise en relief de la pureté de la race des Gaulois et, d'autre part, une pression sur une génération de jeunes à qui l'on répète qu'il n'y a qu'une seule façon d'accéder à telle ou telle valeur. J'ai, moi, l'impression que ces jeunes ont de plus en plus tendance à penser que l'islam a été précurseur, ce qui entraîne une sublimation des textes et renforce une vision apologétique qui conduit certains à dire que le prophète était féministe avant l'heure et à chercher qui, le premier, a défendu telle ou telle valeur.

Les jeunes filles qui portent actuellement le foulard, se sont souvent trouvées prises dans ce nœud et, quand elles passent par l'islam, c'est souvent pour combattre des traditions archaïques, ancestrales de leur pays d'origine. Bonne quantité de jeunes filles mettent à profit l'islam pour reprocher à leur mère de s'être fait berner par une mauvaise interprétation des textes et pour défendre une nouvelle lecture du Coran. Ce passage par l'islam leur permet finalement de se sortir d'une sorte « d'ethnicisation » qui ne laisserait pas d'autre choix que d'être soit Français moderne, soit Marocain ou Algérien musulman et forcément archaïque. Je vois, chez ces jeunes filles, une volonté de sortir de ces critères ethniques et culturels pour accéder à une formule qui transcenderait cette vision et permettrait à la fois d'être sujet de son histoire et d'adhérer aux valeurs prônées par les autres Françaises.

Si j'ai mentionné le mythe de l'âge d'or, c'était pour dire que, selon moi, le problème essentiel est l'ignorance de la référence musulmane, ce qui ne signifie absolument pas qu'il faille tenir compte de la croyance musulmane d'un élève. Pour moi, il est absolument hors de question de prendre en considération les convictions religieuses de qui que ce soit dans l'espace scolaire. En revanche, je demande à ce que cette référence musulmane soit comprise dans le patrimoine français et soit normalisée - j'allais dire « banalisée » -, au même titre que toutes les autres références, ce qui suppose que les adultes porteurs de l'histoire aient intégré, dans leur enseignement, l'apport transversal, l'interaction de toutes les références. En cela, le projet de l'enseignement des faits religieux est très positif puisqu'il est convenu, non pas de faire une matière de cet enseignement, mais de l'introduire transversalement dans toutes les matières, pour bien montrer l'apport des références et leur interaction. Il est important d'intégrer cette référence, parmi les autres, dans le patrimoine culturel français pour le normaliser et le laïciser, et faire en sorte que cette référence, perçue comme celle des musulmans, ne les incite pas à créer un espace, à l'extérieur du patrimoine français.

On remarque aussi l'absence d'étayage culturel des musulmans puisque, si dans les pays d'origine, il va de soi d'être musulman, ici, tout reste à redéfinir, ce qui se fait parfois dans un rituel excessif. Selon moi, le foulard est à prendre comme un symptôme, non pas de maladie, mais d'un processus de pensée. C'est plus sur ce processus qu'il convient de se pencher que sur son symptôme. Je répète que nous n'avons pas à tenir compte d'une appartenance religieuse mais qu'il nous faut, en revanche, faire en sorte que la référence à l'islam, soit, comme les autres références, totalement intégrée au sein de la culture française ce qui désamorcerait, d'un côté comme de l'autre, l'action de ceux qui souhaitent scinder le monde en deux !

M. Jean-Yves HUGON : Comment faites-vous pour ne pas tenir compte de la référence religieuse lorsque vous faites face à un élève porte une kippa ?

Mme. Dounia BOUZAR : J'ai parlé d'une surenchère des mythes et il est clair que, face à une telle situation, l'enseignant se trouve en difficulté et qu'il ne pourra régler tout seul le problème. C'est précisément pourquoi une loi qui ne porterait peut-être pas sur le foulard, mais qui serait de nature à travailler les histoires, les mémoires communes pour faire de nous tous les sujets d'une histoire commune, serait la bienvenue. Pour moi, tout le reste n'est que symptômes.

M. Bruno ETIENNE : Je considère, moi qui suis un professionnel dont c'est « le fromage », même si je suis éthiquement honnête, que toutes ces questions sont d'un ordre complètement différent des propos tenus par ces jeunes gens sur leurs pratiques et les défis auxquels ils se trouvent confrontés.

Premièrement, je ferai remarquer que les enseignants savent que les élèves, y compris lorsqu'ils ne sont pas « intégristes », pour reprendre le langage des journalistes, ont une appartenance religieuse, ne serait-ce que parce, que vous le vouliez ou pas, les noms existent. On sait que le fait d'avoir demandé aux juifs, au début du siècle, lorsqu'ils étaient complètement intégrationnistes, de changer de nom, a eu des effets pathologiques d'autant plus catastrophiques d'ailleurs, que l'on a déclaré, par la suite, qu'un changement de nom ne modifiait en rien ce que pensaient les Français. On ne va pas demander aux gens qui s'appellent Mohamed de s'appeler Marcel ! Or quand vous avez une liste d'élèves, les noms sont là.

Deuxièmement, on ne peut pas nier l'existence de certaines réactions. Je suis chargé d'enseigner au niveau du doctorat et du diplôme d'études supérieures spécialisées (DESS) et je me suis trouvé confronté à des conflits de trois types. Je prendrai volontairement l'exemple juif et musulman, pour vous apprendre que certains étudiants, au niveau du doctorat, refusent d'inscrire le mot « dieu » dans leur mémoire. Ils déclarent qu'ils ne sont pas capables de le faire et je ne vais pas discuter avec eux des limites de leur orthopraxie.

Plus important encore : lorsque nous discutons sur l'origine des textes, si je dis, par exemple, que les Septante sont en grec, j'aurai immédiatement un étudiant qui va m'avertir qu'il va demander à son rabbin si ce propos est casher. Nous travaillons sur des textes arabes, hébreux, araméens, grecs, français ou autres, et l'un des problèmes auxquels je suis confronté est qu'une partie de musulmans, surtout les plus cultivés, déclarent que les juifs et les musulmans ont falsifié les écritures. Comment, dans ces conditions, faire de l'interprétation ?

Troisièmement, certains étudiants contestent notre droit à dispenser ce type d'enseignement. Certains prétendent que je n'ai pas le droit de commenter le Coran. C'est un débat : est-ce que nous, les non musulmans, nous pouvons travailler sur ce texte ? Certains ne nous reconnaissent pas ce droit, y compris dans d'autres religions.

A titre d'exercice pratique, je fais visiter à tous mes étudiants, une fois par an, la cathédrale d'Aix-en-Provence, qui, si elle est laide, présente l'avantage d'avoir sédimenté bien des cultures depuis l'empire romain. Chaque année, un étudiant juif ou musulman refuse d'y pénétrer. Or que se passe-t-il à la fin de l'année avec ces jeunes, juifs musulmans ou laïques, car les laïques ne nous épargnent pas non plus les critiques ? Ils se déclarent contents d'avoir appris quelque chose de nouveau ce qui prouve que nous avons tous progressé. Ce que je veux dire par là, c'est que toute progression dans la connaissance mutuelle marque une avancée dans la paix sociale.

La question va plus loin : certains enseignants peuvent-ils porter des signes religieux ? Je compte dans mon équipe de doctorat un diacre catholique, un orthodoxe et le plus grand talmudiste de France Raphaël Draï. Ce dernier, qui peut être critiqué par un certain nombre de nos amis musulmans, ne porte pas la kippa. Le problème ne tient pas tant au fait de porter ou non la kippa qu'au fait de savoir si l'on peut avoir un dialogue intrareligieux et interreligieux qui soit dialogique, c'est-à-dire qui oppose dans la verse et la controverse des arguments dialectiques. Mon expérience démontre que c'est possible !

Savez-vous que, dans la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur, 17 % des enfants musulmans sont scolarisés par l'enseignement catholique ? Pour quelle raison ? Je vais vous le dire et ma réponse va nous ramener à l'école : parce que l'école ne remplit plus un certain nombre de fonctions ce qui pose un vrai problème. Il ressort d'une enquête sur laquelle je travaille actuellement que ce sont les catholiques pratiquants qui sont aujourd'hui les plus ouverts à l'altérité religieuse dans ce pays et que c'est la gauche laïque qui est la plus bloquée. Je suis, comme tout le monde le sait, protestant et franc-maçon - même si le député du Gard est parti, je peux dire que, samedi dernier, je me suis rendu au temple de Nîmes - et j'estime qu'il nous faudra bien réfléchir à ce type de problèmes !

Mme. Françoise GASPARD : Il y a quelques minoritaires dans la gauche laïque.

M. Bruno ETIENNE : Certes, mais tout ce que je tente de dire c'est que ce problème épiphénoménal, cette partie haute de l'iceberg que constitue le port du voile, pose à la société française des problèmes fondamentaux qu'elle n'a pas envie de voir. Prenons garde à ce qu'une stigmatisation trop inconsidérée ne pousse les groupes à la réclusion et à ce que vous redoutez, c'est-à-dire le pseudo communautarisme !

Je vais prendre une fois de plus, et vous m'en excuserez, un exemple juif - si j'étais antisémite je le dirais, mais ce n'est pas le cas et je rappelle que mon père a été fusillé par les Allemands. Nous rencontrons actuellement un problème avec un groupe de Juifs qui fait des procès aux prioritaires d'immeubles qui installent des digicodes, au motif qu'ils ne peuvent pas s'en servir durant le shabbat. Nous devons prêter attention car nous nous trouvons devant des problèmes considérables qui posent la question de savoir comment la France entend gérer le pluralisme sur tous les plans. Vous allez comprendre pourquoi j'ai pris cet exemple : si nous nous raidissons sur des positions drastiques par rapport aux revendications du droit à la différence - et contrairement à ce que certains ont dit, je ne suis ni pour, ni contre le port du voile -, nous allons pousser les gens à habiter tous dans les mêmes immeubles, sans digicode. Tout cela revient à dire que la situation évoluera en fonction de la flexibilité dont vous allez faire preuve.

Inversement, il faut que les musulmans, les juifs, les catholiques et les autres fassent un travail en montrant jusqu'où on peut, ou on ne peut pas, aller. Sans vouloir faire de la démagogie, je peux dire qu'actuellement, dans la mouvance musulmane, des débats extraordinaires s'instaurent sur tous ces sujets. Quelqu'un a précédemment fait très opportunément référence à M. Obrou et je ne peux que vous recommander la lecture du livre de Leïla Babès et des actes du débat qu'elle a organisé avec l'imam de Bordeaux. Vous mesurerez ainsi la qualité du travail actuellement réalisé sur tous ces problèmes : les musulmans sont taraudés par toutes ces questions ! Que veulent les gens ? A hauteur de 90 %, ils réclament la paix sociale ! Or, l'école est considérée comme un lieu dangereux par un certain nombre de personnes en raison de la violence qui y règne et de toute une série de problèmes qui s'y pose.

Je renvoie la balle dans le camp des vieux « réac-gauchos » dont je fais partie : qu'avons-nous laissé passer dans le dialogue pour qu'un certain nombre de minorités nous posent, aujourd'hui, des questions qui mettent en branle nos valeurs centrales de cohésion universelle ? Je ne peux rien ajouter si ce n'est que la réflexion que vous devez conduire, que nous devons conduire, dépasse largement le seul problème du voile.

M. Eric RAOULT, Président : Avant de donner la parole à Mme Dif, je voudrais rappeler, monsieur le professeur, que nous avons eu huit auditions successives au cours desquelles nous avons reçu un appel à l'aide émanant, non pas des députés dans leur soif de légiférer, mais d'enseignants et de chefs d'établissement qui nous ont dit : « ne nous laissez pas seuls ; nous ne savons pas quoi faire, nous n'en pouvons plus ! ». Un certain nombre d'entre eux nous ont confié qu'ils avaient pu solutionner les problèmes avec intelligence, grâce aux parents ou autres, mais que la communauté éducative avait été profondément divisée et qu'ils ne savaient plus comment gérer leur établissement scolaire.

M. Bruno ETIENNE : J'ai bien compris !

Mme Françoise GASPARD : J'ai pu constater que les tensions et les problèmes naissent souvent dans les établissements situés dans des quartiers socialement difficiles, où il y a une très forte rotation des enseignants et où ces derniers arrivaient le matin pour repartir le soir. Ils n'ont, par conséquent, aucun lien avec le quartier, ils ne rencontrent pas les familles comme c'était le cas de mon temps quand le professeur de mathématiques s'inquiétait auprès de ma mère, sur le marché, de l'évolution de mes études.

Là encore le problème dépasse la question du foulard et renvoie à celui du fonctionnement actuel de l'école, à la façon dont sont gérées les nominations, au contenu de l'enseignement, et aux missions des enseignants. On ne peut pas réduire tout cela à un problème de foulard et stigmatiser à travers ce type de difficultés une communauté particulière.

M. Jean-Pierre BRARD : On ne parle pas que du foulard !

Mme Françoise GASPARD : Nous n'avons parlé que de cela ! Il suffit de lire les titres des journaux pour constater que c'est le foulard qui est mis en avant ce qui symbolise le risque de voir une communauté se replier sur elle-même.

Vous me permettez d'ajouter quelques mots par rapport au travail que j'ai réalisé sur ce sujet.

Je voudrais vous rendre sensibles au fait qu'au départ, j'étais favorable à l'interdiction du foulard à l'école parce que je suis féministe et qu'il représentait à mes yeux un signe de domination masculine. C'est en parlant avec les acteurs, les actrices de terrain et les enseignants que ma position a évolué.

Premièrement, est-ce que l'interdiction du foulard renforcera la laïcité ? Non, sauf à penser que quelques centaines de foulards troublent la laïcité. Je crois donc que c'est la laïcité qui doit être globalement repensée et remise à jour.

Deuxièmement, est-ce que l'interdiction du foulard à l'école fera reculer l'islamisme radical et l'islamisme politique ? Non. Je pense au contraire qu'elle risque de susciter des réactions qui conforteront auprès des familles l'idée qu'elles sont stigmatisées.

Troisièmement - c'est là une question qui, à mes yeux, est fondamentale et insuffisamment abordée par les parlementaires dans les débats et dans les textes que j'ai pu lire sur le sujet - est-ce que l'interdiction du foulard fera reculer le sexisme et le machisme ? Si j'en étais convaincue, je plaiderai immédiatement pour cette interdiction, mais je considère qu'il y a bien d'autres choses à faire et que le risque de marginalisation et d'exclusion des petites et des jeunes filles qu'elle sous-tend est plus grave que tout.

Cela invite à une réflexion, ce qui ne veut pas dire que la question est résolue, mais que, pour moi, qui ne suis pas, non plus, favorable aux foulards, il m'apparaît fondamental, de pouvoir les faire tomber, et de pouvoir, dans une démocratie, donner le choix aux filles et aux futures femmes de le porter ou non.

Mme Malika DIF : Vous m'avez demandé si une lecture très littérale permettait de conserver un esprit critique. Bien sûr ! D'ailleurs le Coran exige de nous cet esprit critique. Puisque vous le lisez, vous y trouverez de très nombreux appels à la réflexion, à l'observation et à l'analyse des événements : le musulman ne doit pas prendre le texte à la lettre, bêtement sans le comprendre. Je milite contre quelque chose qui me fait hurler : l'existence d'écoles coraniques où l'on apprend aux enfants le Coran par cœur sans jamais leur en expliquer le contenu. Le plus souvent, cet enseignement s'adresse à des enfants qui ne sont pas arabophones et qui mémorisent des sons, sans jamais comprendre ce qu'ils récitent, ce qui est contraire au principe de base de l'islam.

L'islam n'est pas dans les foulards mais dans les cœurs. Il est aussi fréquemment « dans les chaussettes » comme l'on dit familièrement, car les musulmans ont souvent le moral à zéro a force d'entendre systématiquement opposer le foulard à la laïcité. C'est une attitude qui a un impact tout à fait négatif sur la communauté musulmane. Je n'ose pas vous dire, le nombre de coups de fils que j'ai reçus, depuis la rentrée des classes, de jeunes filles, voire de petites filles de 12 ans, pour me dire qu'elles s'étaient présentées à l'école et qu'on les avait refusées, qu'elles avaient troqué le foulard pour un bandana, qu'elles avaient également été refusées et qu'elles étaient menacées de passer devant le conseil de discipline et d'être expulsées. Que pouvais-je dire à ces enfants ? Je leur ai dit qu'elles devaient choisir entre deux obligations, celle du savoir et celle du foulard, et qu'à ce stade, la première était probablement la plus importante. A titre personnel, c'est ce que je pense, mais si ces jeunes ont pris dans leur cœur la décision de porter le foulard, je ne peux pas aller contre et leur demander de le retirer.

Qu'est-ce que tout cela signifie ? Que ces jeunes filles vont porter leur foulard, et qu'elles vont être exclues avec toutes les péripéties qui nous ont été rapportées par les médias : vous n'imaginez pas leur souffrance, mais je peux, moi, vous en parler pour avoir vécu une exclusion de cette sorte parce que j'étais catholique.

Cela peut vous surprendre, mais quand j'étais petite fille, j'ai fréquenté l'école des religieuses avant d'intégrer l'école laïque, à l'âge de 12 ans. Pour montrer mon niveau scolaire, j'ai dû présenter mes livres et les cahiers de ma classe précédente et ma nouvelle directrice qui était plus laïque que laïque et, pour le moins, fortement anticléricale, m'a prise en grippe à un point tel que je n'osais pas même m'en ouvrir à quiconque. Ainsi, pendant deux ans, je lui ai servi de souffre-douleur et j'ai été quotidiennement punie, tant à l'école qu'à la maison, mes parents pensant que je traînais en chemin.

C'était une époque où on luttait contre les poux et, régulièrement, elle m'enduisait la tête de poudre insecticide, et m'obligeait à traverser le bourg avec un chiffon sur la tête pour regagner mon domicile qui se trouvait à plus d'un kilomètre de l'école. Je suis donc bien placée pour savoir quelle est la souffrance de ces petites musulmanes quand elles me téléphonent et je crains, non seulement la souffrance qu'elles ressentent sur le moment, mais aussi celles qu'elles endureront par la suite. Elles vont, en effet, intégrer un circuit d'enseignement par correspondance dont je sais qu'il n'a offert aucun débouché aux élèves précédemment exclues qui sont toutes, aujourd'hui, soit déjà mariées, soit recluses, enfermées à la maison où elles apprennent à faire le pain !

C'est une situation dramatique et il faut permettre à ces filles de vivre, de s'émanciper, de s'instruire pour trouver leur vraie place, de choisir, ensuite, si elles veulent ou non porter le voile, en fonction, comme l'a dit Mme Gaspard, des milieux professionnels auxquels elles auront accès à 18 ou 20 ans. Je connais des jeunes femmes musulmanes qui, dotées d'une formation, ont choisi d'abandonner le foulard pour trouver un travail.

Avec l'interdiction du foulard, on risque d'isoler ces jeunes élèves, ce qui pourra avoir de graves conséquences. Ces femmes sont appelées à avoir des enfants et que vont-elles leur enseigner ? Comme elles n'auront pas d'autre savoir à transmettre, elles vont leur donner une image négative de la France et de la citoyenneté dans notre pays.

Enfin, puisque vous évoquez la nécessité de combattre l'analphabétisme religieux et de réaliser des lieux de culte, sachez que certains d'entre nous font partie du conseil français pour le culte musulman qui prévoit d'aborder ces sujets. J'espère donc, si dieu veut, que nous aboutirons à un résultat positif.

Pour ce qui est de la sphère privée je serai brève.

Cette distinction entre sphère publique et sphère privée, pour la musulmane que je suis est relativement simple : la sphère privée correspond à la maison où je ne porte pas le foulard et où je bronze, même bras nus, dans le jardin. La sphère publique comprend tous les espaces hors de la maison. Pour moi, ces choses-là sont claires et l'école est une sphère publique puisque s'y trouvent présentes des personnes étrangères à ma famille !

M. Eric RAOULT, Président : C'est vous, madame, qui avez eu à conclure cette rencontre. Il me semble que durant ces trois heures d'échange, les différents invités qui étaient partisans, non pas de promouvoir le voile, mais de laisser la liberté de le porter, ont pu s'exprimer.

Vous me permettrez d'ajouter, par rapport à la liberté de porter le voile à l'école, que nous devons tenir compte de la supplique de chefs d'établissement et élargir le débat sur la laïcité qui est le thème de la mission que le Président de la République a confiée à Bernard Stasi, même si nous avons souhaité polariser notre attention sur le problème du voile, surgi il y a quelques années à Creil, qui est intervenu, plus récemment, à Lyon, au lycée La Martinière-Duchère et sur lequel les chefs d'établissement et les enseignants ont bien souvent adopté des positions très divergentes de celle du Conseil d'Etat et du ministère de l'éducation nationale.

En réponse à certains propos, je tiens à souligner que nous avons, dans le cadre de cette mission, toute liberté de parole et d'expression. Je précise d'ailleurs que Jean-Louis Debré souhaite que, lorsque nos travaux toucheront à leur fin, nous ayons auditionné dans la liberté et le respect de chacun, l'ensemble de ceux qui, comme vous, ont, sans avoir à gérer le problème au sein d'un établissement scolaire, pris position à travers leurs écrits et leurs associations.

Pour terminer par un trait d'humour, je reprendrai des propos qui ont été tenus au cours de cette matinée en rappelant que le voile de Mme Dif, qui est élégant et n'effraie pas la population, n'est pas tout à fait celui que l'on peut voir dans un collège de ma circonscription de Clichy-sous-Bois. C'est d'autant plus vrai que Mme Dif a une grande capacité à « argumenter », mais que le regard de la population, des maîtres, des élus est évidemment différent lorsque c'est une petite fille de 9 ans qui arrive voilée à l'école. Cela confirme qu'il y a plusieurs voiles et que le problème ne se pose pas dans les mêmes termes quand la personne directement concernée n'est ni une femme, ni une jeune fille, mais une enfant.

Au nom de notre Président Jean-Louis Debré, je vous adresse à tous mes remerciements pour votre participation

Table ronde regroupant
M. Mohamed ARKOUN, professeur émérite d'histoire de la pensée islamique de la Sorbonne Paris III,
Mme Jeanne-Hélène KALTENBACH, essayiste, co-auteur de l'ouvrage « La République et l'islam »,
Mme Bétoule FEKKAR-LAMBIOTTE, personnalité qualifiée membre du Comité de conservation du patrimoine cultuel,
M. Abdelwahab MEDDEB, professeur de littérature comparée à Paris X, auteur de l'ouvrage « Les maladies de l'Islam »,
Mme Camille LACOSTE-DUJARDIN, ethnologue spécialisée dans l'Afrique du Nord, auteur de l'ouvrage « Les filles contre les mères »,
M. Antoine SFEIR, directeur de la rédaction des « Cahiers de l'Orient », auteur de l'ouvrage « L'argent des islamistes »,
Mme Wassila TAMZALI, avocate, présidente du forum des femmes de la Méditerranée-Algérie
et M. Slimane ZEGHIDOUR, journaliste à « La Vie », auteur de l'ouvrage « Le voile et la bannière »

(extrait du procès-verbal de la séance du 17 septembre 2003)

Présidence de M. Eric RAOULT, membre du Bureau

M. Eric RAOULT, Président : Au nom de M. Jean-Louis Debré, Président de notre mission d'information sur la question des signes religieux à l'école, nous sommes très heureux de vous accueillir pour cette table ronde consacrée à la problématique spécifique du port du voile à l'école.

Afin que l'éclairage soit total, le Président Jean-Louis Debré a souhaité entendre aujourd'hui des personnalités globalement plutôt hostiles au port du voile, après avoir entendu, hier, des personnalités favorables à la liberté du port du voile.

Je vous prie de bien vouloir vous présenter avant que nous ouvrions le débat.

M. Mohamed ARKOUN : Je suis professeur émérite d'histoire de la pensée islamique à la Sorbonne Paris III.

Mme Bétoule FEKKAR-LAMBIOTTE : J'ai été inspectrice de l'Education nationale en France et directrice d'école normale en Algérie. J'ai été ensuite fonctionnaire internationale et j'ai terminé ma carrière en qualité de conseiller du président Senghor ; à ce titre, j'ai eu à traiter de la relation des populations musulmanes ayant à leur tête un chef d'Etat chrétien. Je suis ancien membre du Conseil français du culte musulman, dont j'ai démissionné le 5 février dernier.

M. Abdelwahab MEDDEB : Je suis écrivain, professeur de littérature comparée Europe-islam à l'université Paris X Nanterre.

M. Slimane ZEGHIDOUR : Je suis journaliste à l'hebdomadaire « La vie » et à « Télérama ». Je travaille particulièrement sur les minorités musulmanes en Europe, de la Russie jusqu'à l'Espagne et particulièrement en France. J'ai publié quelques livres, dont « Le voile et la bannière », publié en 1990 chez Hachette et consacré à la question du voile et au statut de la femme dans l'islam.

Mme Jeanne-Hélène KALTENBACH : Je suis micropaléontologue, spécialiste des ostracodes à l'holocène en zone Aquitaine. Je me suis intéressée à l'islam, car mon mari a fait partie de la commission Marceau Long. A cette occasion, j'ai eu l'honneur de connaître Salem Kacet, adjoint au maire de Roubaix ; j'ai été invitée à un mariage chez Mme Bétoule Fekkar-Lambiotte à Saïda, qui m'a poussée à écrire un livre avec mon mari, intitulé « La France, une chance pour l'islam ». Je suis arrivée sur ce sujet par l'extérieur.

De grands sociologues français m'ont beaucoup reproché de ne pas parler arabe, de n'y rien connaître et de traiter de ce que je ne connaissais pas. Or l'Académie française - pardonnez-moi cette vanité - vient de nous récompenser, Mme Tribalat et moi-même pour notre ouvrage « La République et l'islam ». J'ai découvert à cette occasion que j'étais sociologue et philosophe !

Mme Camille LACOSTE-DUJARDIN : Je suis ethnologue, directrice de recherches émérite au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et spécialiste du Maghreb, des femmes et de la Kabylie.

J'ai été présidente de la commission des langues et civilisations orientales du comité national du CNRS et présidente de l'association pour l'étude du monde arabe et musulman et directrice d'études cumulantes à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHSS). J'ai écrit des ouvrages sur les femmes au Maghreb et sur la Kabylie, à laquelle je m'intéresse tout particulièrement. Chacun sait qu'il y a beaucoup de Kabyles en France.

M. Antoine SFEIR : Je suis directeur de la rédaction des « Cahiers de l'Orient », revue d'études et de réflexions sur le monde arabe et musulman.

Je suis Libanais de naissance et Français par choix. J'ai commis quelques ouvrages dont une enquête sur les filières islamistes en France et en Europe, essentiellement sur les filières économiques et financières. Le champ de mes recherches porte sur l'évolution de la famille et de la communauté musulmane en France dans ses diversités et spécificités. J'enseigne au Centre d'études littéraires des sciences appliquées (Celsa) de Paris IV.

Mme Wassila TAMZALI : Je suis algérienne, avocate de métier. J'ai assuré pendant vingt ans une mission à l'UNESCO sur l'élimination de toutes les discriminations à l'égard des femmes. J'ai ensuite été chargée d'un programme sur les femmes sur le pourtour méditerranéen et j'ai beaucoup travaillé sur la question de l'égalité dans l'islam, qui est l'une de mes préoccupations. C'est un combat que je mène toujours en Algérie avec des groupes de femmes et des associations, à la création desquelles j'ai participé. Nous menons ce combat depuis vingt ans pour faire reconnaître l'égalité des femmes en essayant de montrer la différence qui sépare religion et loi civile. C'est un grand travail que nous conduisons avec beaucoup d'hommes. J'en vois ici, notamment M. Mohamed Arkoun, qui a accompagné le combat des femmes. A ce titre, je vous remercie de m'avoir invitée, car la question que nous allons aborder ici dépasse le cadre de la religion et s'intéresse d'abord aux femmes et à la liberté des femmes.

M. Eric RAOULT : J'ouvre le débat.


M. Antoine SFEIR :
Je me suis présenté en précisant que j'étais Français par choix. Je me souviens d'un débat en 1984 avec une personnalité d'extrême droite qui affichait clairement ses positions ; au terme de vingt minutes de débat, je lui avais déclaré que j'étais grosso modo d'accord avec ses points de vue, avec toutefois deux différences : je suis Français et chrétien. Il me répondit « moi aussi », ce que je lui contestais : « Non vous êtes Français par hasard, vous êtes né par hasard à la Trinité-sur-Mer et vous n'êtes pas chrétien parce qu'un chrétien n'exclut pas. » Je crois que c'est la base.

J'ai fait mes études dans un établissement catholique de Beyrouth où l'on nous interdisait d'afficher tout signe de religiosité à l'école. C'était peut-être le début, le balbutiement, de mon initiation à la citoyenneté.

La question du voile à l'école doit être appréhendée sur un plan religieux et un plan civil.

Sur le plan civil, je rejoins totalement le propos de Mme Tamzali qu'elle développera mieux que moi. Je crois qu'il s'agit d'un combat des femmes pour leur égalité. Le voile est une façon de marginaliser les femmes, même si on les persuade que c'est un choix, une démarche, qui émane d'elles-mêmes.

La question posée est de savoir s'il s'agit ou non d'un signe religieux. Si j'ai bien entendu, c'en est un. A partir du moment où c'est un signe religieux, la question ne se pose pas, il ne s'agit même plus de légiférer ni de se défausser en renvoyant la question devant le Conseil d'Etat. A partir du moment où c'est un signe religieux, il relève de ce qui est admis : l'absence de tout signe de religiosité extérieure à l'école.

Si ce n'était pas un signe religieux, ce serait un simple signe culturel. A partir de là, il pourrait y avoir débat, mais j'écoute et j'entends ce que l'on me dit et je me réfère surtout au livre saint, le Coran, qui précise que c'est un signe religieux. En choisissant d'être Français, j'ai choisi d'être citoyen, c'est-à-dire une citoyenneté qui transcende l'appartenance à la fois régionale, communautaire, identitaire, ethnique. Ma citoyenneté me rend responsable de la cité et des membres qui la composent et donc me rend solidaire de ses membres. A partir de l'instant où je choisis d'être solidaire, je ne puis accepter de différenciation entre citoyens.

Les déclarations qui voudraient que l'interdiction du voile à l'école corresponde à une vue un peu obtuse de la « laïcité à la française » - cette dernière expression, inventée depuis peu, laisse à croire que la laïcité serait un saucisson que l'on pourrait découper - ouvrent des brèches dans le concept de laïcité. Or, celui-ci reste le meilleur rempart contre les tiraillements exogènes des forces centrifuges de l'ethnocentrisme et du communautarisme. C'est un croyant qui vous parle, mais je me définis également comme intégriste de la laïcité.

Je pense en effet qu'à nos portes pointent les communautarismes, ce qui me rend intégriste, même si l'intégrisme est une maladie et que je rejoins totalement M. Meddeb dans sa définition de l'intégrisme, quel qu'il soit.

Face à la déliquescence du concept de citoyenneté, il est clair que la volonté des corporatismes religieux, notamment ceux qui plongent dans un certain intégrisme, est de tirer la couverture à eux. En 1989, quand la question du voile s'est posée pour la première fois, il s'agissait de trois jeunes filles uniquement. Un communiqué de la mosquée de Paris a demandé la liberté pour les jeunes filles. Le lendemain, deux autres communiqués ont appuyé cette position : l'un émanait de l'archevêché de Paris, l'autre du rabbinat de France. Cela signifie aussi, dans une certaine mesure, que les combats de nos grands-pères ne sont pas terminés. Un corporatisme demeure qui s'est dressé immédiatement pour appuyer le port du voile. En ce sens, le combat de la laïcité n'est pas achevé et il commence certainement à l'école.

M. Mohamed ARKOUN : Mes positions sont connues de longue date. En qualité d'historien de la pensée islamique, il est de mon métier, non de me prononcer de façon autoritaire sur le sujet, mais d'indiquer la politique qu'il conviendrait d'engager en France et en Europe à l'égard du fait islamique. J'utilise l'expression « fait islamique » et non « islam ». Tout le monde emploie le mot « islam » et l'on ne sait pas de quoi l'on parle. C'est un fait nouveau en France et en Europe, que l'on ne connaît pas en tant que religion d'abord et en tant que forte tradition de pensée ensuite. Mais cette tradition de pensée a une histoire telle, qu'à partir du XIIIème siècle, cette pensée est oubliée, elle ne fonctionne plus intellectuellement, théologiquement, exégétiquement, juridiquement, sans parler du champ philosophique qui a joué un rôle d'importance dans la formation de cette pensée islamique. Tout cela a disparu ; on ne l'étudie plus, on ne l'enseigne plus depuis le XIIIème siècle.

Ce qui se passe aujourd'hui ne peut pas être compris dans ses dangers - il en existe d'évidents que nul ne peut nier - mais aussi dans ses faiblesses qui font qu'une politique urgente doit prendre en charge cette situation pour y remédier par les moyens de la recherche - à cet égard, nous sommes extrêmement en retard - et par le moyen de la formation et de l'éducation à l'école.

Une de mes positions les plus fortes a été, depuis la première manifestation en 1989 de la question du voile, d'appeler l'attention du Président Mitterrand sur le sujet - c'était aussi l'époque de l'affaire Rushdie - et sur la nécessité d'engager une politique qui donnerait aux musulmans en France - de nationalité française ou étrangère, mais résidant sur notre territoire - un « espace d'expression intellectuelle et scientifique de leur religion » selon les termes publiés dans « Le Monde ». Il n'est pas suffisant de leur donner des espaces de culte, et même si on leur offre ces espaces de cultes, ceux-ci contribuent à compliquer la situation au lieu de la faciliter. Car dans les mosquées, comme dans les églises, les autorités religieuses font des sermons chaque semaine. Ces sermons vont davantage dans le sens du combat idéologique - nécessité historique - de tous les musulmans dans le monde et non pas d'une formation théologique qui ouvrirait les croyants à une compréhension ouverte et cohérente de ce qu'est la croyance religieuse dans une société moderne et laïque.

Le Président Mitterrand a accueilli et compris le sens politique de ma demande. Il a donné instruction à M. Jean-Louis Bianco de mettre à l'étude la création d'une école nationale d'études islamiques qui prendrait en charge cette politique. Nous avons préparé un projet en ce sens avec Mme Georgina Dufoix et M. Pierre Mutin, qui tous deux travaillaient à l'Elysée. Malheureusement, pour diverses raisons, ce projet qui était prêt n'a pas été pris en charge par le ministre de l'éducation de l'époque, M. Jospin. Ces raisons sont à la fois connues et difficiles à déterminer de façon précise. Le fait est que cette création n'a pas eu lieu. Nous avons perdu douze ans. La République a perdu douze années, car c'est seulement en mai 2002 que M. Jack Lang a accepté de créer un institut d'étude du fait religieux en France. Il y a une résistance à une compréhension de la laïcité en France qui ne veut pas entendre parler de quelque projet que ce soit ayant une relation avec la religion. Ce qui est absolument contraire à la laïcité bien comprise, car la laïcité est une attitude fondamentalement intellectuelle devant le problème de la connaissance. D'abord connaître, tout connaître et comment connaître et ensuite comment enseigner ce que l'on connaît sans conditionner qui que ce soit : c'est cela la laïcité, ce n'est pas un combat contre quelque chose. Ce fut, certes, un combat politique, c'est connu. Il convenait de se débarrasser du magistère et du dogmatisme de l'église, mais nous n'en sommes plus là.

La question commence à être résolue et j'ai le plaisir de retrouver ici mon ami Jean-Pierre Brard qui est le seul maire de France jusqu'à présent à avoir pris l'initiative, l'an dernier avec moi, de créer un centre civique d'étude du fait religieux qui affiche - voyez l'appellation - une compréhension et une mise en application de la laïcité.

Je ne sais s'il vous en a parlé. L'échelle est modeste, mais ce fut un succès, ce qui prouve que le public français est ouvert et demandeur. Cela pour vous dire que si, bien sûr, je suis contre le port du voile, je suis pour une éducation des jeunes à l'école pour leur expliquer ce qu'est la laïcité d'un côté et le fait religieux de l'autre. Ici, je rapporterai un élément très important. J'ai l'honneur de participer à la commission de la laïcité qui travaille à l'heure actuelle sur ce sujet et entend des choses terribles sur ce qui se passe dans les écoles.

Qu'est-ce que la laïcité ? J'ai déjà apporté une réponse pour l'enseignant que je suis, mais il existe aussi une définition de portée philosophique : la laïcité précise, selon une sorte de profession de loi, que la législation dans la société relève de la responsabilité des hommes. Cela signifie que cette position s'inscrit philosophiquement contre et radicalement contre une position que l'on nomme le « théologico-politique » selon lequel le contrôle de l'espace législatif dans la chrétienté, comme dans l'islam ou le judaïsme, est lié à la théologie. Avec la laïcité, l'attitude philosophique a remplacé l'attitude théologique, c'est un fait d'histoire. Mais nous n'avons pas fait grand-chose pour introduire à l'école l'histoire des systèmes théologiques de pensée. Or, la théologie est aussi une activité intellectuelle, pas seulement un magistère dogmatique instrumentalisé par des autorités religieuses pour faire ce qu'elles ont fait pour le christianisme et ce qu'elles font encore pour l'islam.

Nous retrouvons une fois de plus une carence intellectuelle dans la vision du système éducatif qui sépare radicalement cette activité intellectuelle nommée « théologie » et cette autre activité que l'on nomme « philosophie ». La République laïque a créé dans toutes universités des départements pour enseigner la philosophie, mais nous n'avons pas de départements de théologie comme il y en a en Allemagne, en Norvège, et pratiquement tous les pays d'Europe.

Cela ne signifie pas que ces pays d'Europe qui ont de tels départements ont résolu l'ensemble des problèmes que je pose. En effet, pour les avoir fréquentés dans toute l'Europe et aux Etats-Unis, ces départements ne posent pas le problème pédagogique que je soulève devant vous, à savoir s'occuper de cette fraction de la population qui est encore éduquée dans l'idée de la croyance religieuse, laquelle est nécessairement en relation avec une théologie. Il faut s'occuper de cette partie de la population qui a grandi démesurément et brutalement dans les lycées et collèges français, sans avoir été prise en considération.

Je considère que la démocratie doit procéder par la formation et par l'éducation et que, bien entendu, elle doit être stricte s'agissant de questions comme le port du voile à l'école, et ce pour défendre effectivement l'espace de la laïcité et sa compréhension. Mais il y a aussi l'obligation démocratique pour l'Etat de prendre en charge une politique de la raison. Cette prise en charge de la politique de la raison n'a pas été faite. Elle s'est heurtée à un refus, dont nous payons les conséquences. Avec Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, je suis revenu à la charge pour créer cette école. Il a pris en charge le projet, comme François Mitterrand l'avait fait, mais pas Lionel Jospin. Claude Allègre n'a pas tenu compte du rapport d'une commission nommée par lui-même sur les nécessités de créer cette école, qui a vu le jour sous forme d'un institut qui fonctionne à l'Ecole pratique des hautes études en sciences sociales. Ce n'est pas là où nous en avions besoin, parce que des maîtres y enseignent déjà. Au surplus, il ne fut absolument pas créé dans l'objectif de l'école que je voulais voir créée.

Sur la question de légiférer ou non, nous y réfléchissons au sein de la commission de la laïcité et je vous assure que ce n'est pas facile !

M. Eric RAOULT : Ce n'est pas facile ici non plus !

Mme Bétoule FEKKAR-LAMBIOTTE : Les exposés des deux intervenants ont abondamment démontré l'importance de la formation. Je vais donc me placer à l'école et assister à une rentrée scolaire à laquelle se présentent deux petites filles voilées portant atteinte, par là même, au principe de la laïcité en vertu duquel j'avais, sortant de Normale-sup, juré de veiller à l'intégrité de l'école. Or, c'est là une première atteinte à l'intégrité du message pédagogique.

Après réflexion, j'en conclus que le voile dont on parle tant n'est que le symptôme d'une maladie beaucoup plus grave ; c'est elle qui m'a conduite par désespoir à quitter le Conseil français du culte musulman au sein duquel j'espérais un débat. Ce débat n'ayant pu avoir lieu pour des raisons multiples, j'ai démissionné.

Le voile est le symptôme d'une maladie de l'islam qui est le piège dans lequel le chef de l'Etat a refusé de tomber en créant la commission Stasi - piège tendu par les islamistes mettant en scène le voile. Mais il faut s'occuper aussi de l'absentéisme aux cours de biologie, s'intéresser à l'absentéisme aux cours de gymnastique. La mixité est un bien trop précieux pour que l'on puisse le traiter par-dessus la jambe. Je considère que l'initiative prise à Lille de ménager des horaires spéciaux pour les femmes dans une piscine est tout à fait regrettable.

Quelle est cette maladie ? Nous sommes devant un problème : ou bien l'islam garde son authenticité et, au nom de « la pureté des commencements », il ne faudrait surtout pas toucher au message coranique et, par là même il conviendrait d'appliquer ses recommandations au nom de la pureté du message. En fait, seules trois sourates recommandent la pudeur dans le comportement sur les six mille sourates écrites. D'où la question : pourquoi le voile et pourquoi en ce moment ? Ce qui est en jeu, c'est la poussée du communautarisme qui veut imposer une épreuve de force. J'appartiens à ceux qui souhaitent une réforme de l'islam, à savoir une nouvelle lecture et une nouvelle interprétation des textes afin qu'ils soient en harmonie avec les exigences de la République française.

M. Abdelwahab MEDDEB : Je veux être le plus bref possible et le plus frontal. Je me trouve « biographiquement impliqué » par cette question majeure à mes yeux, sur laquelle j'ai beaucoup parlé et écrit. Simplement, je voudrais rappeler quelques points.

On a dit que le voile serait un insigne religieux. Même pas ! Il s'insère dans une tradition interprétative. Les mêmes textes, les mêmes références scripturaires, peuvent très clairement être interprétés autrement, comme le fit notamment un Egyptien très célèbre, militant pour l'égalité des sexes à la fin du XIXème siècle. Ce rappel donne une dimension de la régression que nous vivons ! Ses deux livres écrits en langue arabe parus en 1899 et 1900 ont suscité un immense débat à l'intérieur d'une métropole majeure de l'islam, le Caire, et, au-delà, parmi un très grand nombre de partisans. Dans ces textes, il est démontré que les fameux versets, sur lesquels on s'appuie pour faire du voile une nécessité, peuvent être interprétés autrement. Plus près de nous, mon compatriote l'historien Mohamed Talbi, un humaniste et un croyant tout à fait ouvert, a lui aussi apporté la démonstration d'autres interprétations possibles. L'on peut donc, dans une situation culturelle comme celle de la France, diffuser l'idée qu'il ne s'agit pas d'un signe religieux.

On nous parle d'un signe culturel. Il n'en est pas un non plus. Le voile comme signe culturel, qui a existé tout au long de l'histoire, a été très rarement porté en France. La djellaba marocaine est un voile qui correspond à un signe culturel. La diversité spectaculaire du voile doit être soulignée. Un grand islamologue d'origine autrichienne, devenu américain, Von Grunebaum, démontre un fait évident en parlant d'un « islam bi-structuré ». Il est composé d'une structure globale, unitaire, qui correspond à l'étude de l'historien et qui permettait de s'entendre de New-Delhi à Grenade, et d'un islam vernaculaire, celui qu'aura approché l'ethnologue. C'est dans cette seconde structure que l'on peut repérer le « voile culturel », très varié, alors que nous assistons à l'émergence d'un « voile idéologique » qui uniformise le voile culturel. Le voile devient le même de Djakarta à Paris en passant par New-York et Londres. Le voile devient un signe idéologique et de propagande politique. C'est ainsi qu'il faut l'envisager.

Je rappelle aussi que le voile est véritablement le signe d'une inégalité sexuelle. Le laxisme face au port du voile facilite un processus qui aiderait ceux qui œuvrent pour qu'il devienne une norme. Quand il deviendra une norme, il engendrera probablement une pression sociale à l'égard des parents libéraux et des jeunes filles qui ne veulent pas en entendre parler.

M. Slimane ZEGHIDOUR : Je voudrais dire d'abord d'où je parle. Comme Antoine Sfeir, je suis Français par choix, mais je suis né dans un endroit très particulier par rapport à cette question : l'Algérie qui, depuis 1848, était un triple département français et où cette question de l'islam, qui nous paraît récente, inédite et exotique, connaît une très ancienne histoire.

Dans le « Télérama » de cette semaine, j'ai commis un article qui montre que ce débat du voile n'est que le révélateur de la compatibilité ou l'incompatibilité entre l'islam et la République depuis 150 ans. Ce débat est né avec la République, c'est le plus ancien débat de la République. Nous ne pouvons nous abstraire de tout ce passé, de ce grand débat, du fait qu'à partir des années 20, tous ceux qui étaient hostiles à l'égalité des droits entre indigènes et Français ont porté la question de l'islam sur le devant de la scène. Moi-même j'ai grandi dans un camp de regroupement où j'ai pu découvrir l'autre aspect de la République, c'est-à-dire l'école. J'ai eu comme premiers instituteurs des « bidasses », dont je garde un souvenir absolument merveilleux. Même si des gens de mon village et de ma famille étaient dans le maquis en train de se battre contre des soldats français, j'étais moi-même dans une école avec des petits Français. Je n'ai jamais senti la moindre différence de traitement et j'en garde un souvenir impérissable.

S'agissant des signes religieux à l'école, j'ai publié un essai en 1990 intitulé « Le voile et la bannière » où je dénonçais l'aspect aliénant du voile, non pas symbole de l'infériorité mais, pour le moins, l'une des expressions de l'infériorité juridique de la femme, qui se trouve dans les textes coraniques comme dans les textes du talmud.

J'ai dit tout le mal que je pensais du voile, du statut de la femme, de la charia. C'est un essai assez véhément, que j'ai fait rééditer en édition de poche avec une préface où j'assume mes propos. Mais, douze ans après, j'éprouve un petit malaise dans ce débat. Il faudrait que la réflexion soit efficace et que la démarche vise à faire entrer l'islam définitivement sous l'empire de la loi commune pour banaliser complètement cette affaire.

Pour être efficace, il faut être lucide et nommer les choses. D'abord, supprimons un pluriel qui me semble bien singulier ! Il ne s'agit pas des signes religieux à l'école, mais d'un signe religieux. Arrêtons de noyer le poisson dans de fausses généralités ! Quand on parle des communautarismes, l'on en cite qu'un seul : le communautarisme musulman. C'est là où le problème se pose.

En qualité d'essayiste, je suis contre le voile. Je ne suis pas religieux et je suis contre le port du voile dans la rue, dans la maison, partout. Je trouve qu'esthétiquement, c'est sinistre. Mais le journaliste est quelqu'un de politiquement irresponsable. Si j'étais un homme politique, le problème se poserait différemment, dans la mesure où un Etat se trouve confronté à une alternative : soit signifier l'interdiction du port d'un insigne religieux à l'école - l'Etat pourrait se permettre de s'en tenir là et rappeler la loi générale ; soit, et c'est le piège qui guette notre Etat, entrer dans un débat théologique. L'Etat peut dire qu'il veut que ses écoles soient libres de tout symbole religieux apparent et manifeste, c'est là une attitude incontestable, mais refuser le voile parce qu'il symbolise une oppression l'obligerait à sortir de sa neutralité. La neutralité et la laïcité sont en effet le respect de tous les cultes, y compris les plus farfelus, à condition qu'ils n'empiètent pas sur l'espace public.

Voilà pourquoi j'estime erroné d'entrer dans un débat théologique avec les partisans du voile, qu'ils soient des islamistes patentés et organisés ou qu'ils soient de simples gens qui, par piété ou conformisme familial, portent ce symbole.

Il faudrait que nous sachions également si nous sommes en Europe ou dans notre petit hexagone. Si nous sommes en Europe, souvenons-nous que la plupart des lois sont votées par le Parlement européen et que la moitié des quinze Etats européens est composée de monarchies non laïques. Ainsi la prestation de serment d'un ministre espagnol se déroule-t-elle face à une Bible et à un crucifix haut de 50 centimètres ; dans tous les tribunaux italiens, il y a un crucifix. Si l'on établit une loi interdisant le voile à l'école, que se passera-t-il avec les autres pays européens où le port des insignes religieux est organisé ou toléré ? N'y aura-t-il pas une contradiction entre les législations française et européenne ?

Ce sont là des questions techniques.

Celle à partir de laquelle je voudrais appeler l'attention en tant que citoyen se pose à partir d'un énoncé simple : les musulmans aujourd'hui sont perçus comme tels. Je le déplore, car nous sommes dans un pays laïque où l'on ne devrait pas considérer les gens selon leur religion. Or, je regrette que les 5 ou 6 millions de personnes perçues comme musulmanes, parfois à leur corps défendant, ne soient plus considérés comme des Africains, des Berbères, des Arabes, des Turcs, comme des Algériens, des Tunisiens, des Tchadiens ou des Albanais, mais seulement comme des musulmans. C'est déjà là une démarche non laïque. Mais puisqu'il en est ainsi, travaillons sur cette base.

Ceux que nous appelons « musulmans » représentent 10 % de notre population nationale. C'est le taux des noirs ou des hispaniques aux Etats-Unis. Autrement dit, quand nous sommes animés de l'intention louable de digérer le fait sociologique islamique dans le corps de la nation, il ne faut pas viser ou stigmatiser l'islam au risque de commettre une erreur et d'aboutir au résultat contraire. J'ai travaillé sur les intégristes islamiques et j'ai rencontré la plupart de leurs chefs en Algérie et ailleurs. Je puis affirmer qu'une démarche très précise chez certains groupes islamistes vise à provoquer, voire à susciter de l'islamophobie, car la tolérance de nos sociétés démocratiques est précisément ce qui leur fait peur. Cette tolérance, en effet, engendre la dilution, par le mariage mixte ou autre élément d'intégration. Ils souhaiteraient susciter des réflexes islamophobes.

Un autre constat symétrique est à préciser : beaucoup de laïques convertis subitement, sous prétexte de défense de la laïcité, manifestent indéniablement un rejet viscéral de l'islam en tant que tel.

Le chantier est ouvert, mais il est truffé de chausse-trapes et de non-dits culturels et historiques.

Mme Jeanne-Hélène KALTENBACH : Mesdames et messieurs les députés, je vais vous raconter ma vie, ce qui va vous donner une idée de ce que pensent vos électeurs. Ce n'est pas tout à fait négligeable et, ce faisant, j'insisterai sur quelques remarques de M. Slimane Zéghidour, dont j'adore l'écriture, mais qui se trompe sur les chiffres et sur l'Europe !

Mon histoire est celle des Français moyens de mon âge. Mon arrière-grand-père était métayer du duc de Talleyrand, mais il lisait le latin et il racontait que la bonne sœur à l'école le mettait au piquet sous ses jupes. En fait, la loi Gobelet de 1886 imposait que, dans les écoles publiques de tous ordres, l'enseignement soit exclusivement confié à un personnel laïque. Comme on n'avait pas eu le temps, entre les lois Ferry en 1881 et Gobelet en 1886, de former les institutrices, mon arrière-grand-père a été caché sous les jupes d'une ursuline qui fit l'affaire pendant quelque temps.

Ma première remarque est donc la suivante : qu'est-ce qu'un personnel laïque ? Qu'est-ce qu'un clerc en droit positif ? Qu'est-ce qu'un clerc dans une religion sans clergé et où tout musulman peut avoir des fonctions rituelles ? Est-il normal que l'abbé Bouteyre ait été interdit en 1912 de passer l'agrégation de philosophie et que M. Hassan Iquioussen - et combien d'autres ! - soient professeurs dans des établissements publics où ils distillent des messages qui parfois ne sont pas d'une affection totale pour ce pays. On ne parle pas de personnel laïque quand on ne sait pas ce que l'on dit !

Mes quatre grands-parents étaient maîtres d'école. Ma grand-mère, directrice d'école, racontait comment elle avait dû, sur ordre, ramasser les morceaux du petit Jésus en plâtre « malheureusement décroché par le vent ». Il s'agissait, je suppose, de la fameuse circulaire ministérielle de 1903 qui interdisait tout emblème religieux dans les établissements publics.


A l'école laïque Sainte-Thérèse à Metz, à cause du concordat, chaque matin je restais avec l'institutrice à la porte pendant que les autres élèves récitaient « Je vous salue Marie ». Comme disent les sociologues chagrins, j'ai donc souffert d'une double assignation identitaire à la culture dominante : celle des filles, qui me menaçaient de l'enfer à la récréation, et celle de mes parents qui n'appréciaient guère l'ombre des soutanes ! J'ai survécu, car on ne meurt pas de telles assignations.

Je me suis révoltée contre l'histoire du voile. En 1990, j'ai écrit avec mon mari un livre où je n'abordais pratiquement pas cette question que je prenais pour une péripétie. Je m'intéressais bien davantage aux codes de statut personnel qui, eux, revêtent une très grande importance et je crois que cette question de droit international privé aura des retombées. Mais je me suis indignée car, au cours de mes six années au Haut conseil à l'intégration, sous les présidences de Marceau Long, Simone Veil et Roger Fauroux, j'ai été sérieuse, j'ai travaillé et j'ai lu tous les arrêts du Conseil d'Etat, notamment le fameux arrêt Kherouaa de 1992, dont la famille a défrayé la chronique judiciaire six ans durant, suscitant des problèmes dans deux lycées, dont un dirigé par un proviseur musulman.

Je me rappelle les propos de M. Glavany : « Nous sommes tous contre le voile, mais il faut être tolérants. » Si l'on m'avait interrogée, j'aurais répondu en rappelant l'expression de « tolérance illégale » utilisée par Guy Mollet au lendemain de la guerre, qui voulait interdire les aumôneries rétablies par Vichy et qui a vu sa mesure condamnée par le Conseil d'Etat. Et quelle ne fut pas ma stupeur en lisant dans le rapport de l'arrêt Kherouaa de novembre 1992, rédigé par un « gamin » de trente ans : « Le monde enseignant a, à son sujet (la laïcité), des idées fort nobles mais erronées ». La première conception de la laïcité, celle de Jules Ferry, suppose l'absence de toute manifestation d'appartenance religieuse dans les établissements. Dorénavant, l'enseignement est laïque « non parce qu'il interdit l'expression des différentes fois, mais parce qu'il les tolère toutes ».


De cette citation, je tire deux remarques : qui a décidé de cela ? Qui a fait virer à 180 degrés d'un seul coup le socle sur lequel nous avions vécu à peu près en paix, y compris avec l'église catholique, depuis presque un siècle ? C'est une décision de 1992, l'arrêt Kherouaa du Conseil d'Etat qui a fait jurisprudence.

La question se pose au niveau européen. On a dit que rien ne se passait en Europe comme en France et que la laïcité française était unique en son genre. C'est vrai ! Quelle différence dans cette optique avec la Grande-Bretagne où la prière est obligatoire et où la reine prête serment devant Dieu, avec la Belgique ou l'Allemagne où le journal « Spiegel » s'indigne à juste titre en titrant : « Quelle différence entre la croix sur le mur et le foulard sur la tête ? » ? L'éducation religieuse est dispensée dans ces pays et cela n'a rien à voir avec la France où la protestante que je suis rappelle que nous avons purement et simplement éradiqué l'église catholique des établissements. Autrement dit : soit l'école admet tout le monde, soit elle n'admet personne ! Voilà pourquoi il est indigne de dire que la laïcité est devenue la tolérance de toutes les fois.

Je mobilise ma culture RPR, religion prétendue réformée, pour vous dire : « bonne chance, chers députés ! » Je fais partie d'une collectivité qui se délite à plaisir en cas de désaccords. Nous ne voyons pas les baptistes, les mennonites, les adventistes, les évangélistes, les pentecôtistes, les évangélistes tsiganes qui comptent plus de 1 000 desservants, contrairement aux islamistes dont le mot fétiche est « visibilité ». En revanche, si nous laissons entrer les religions à l'école, vous commencerez à avoir des ennuis. J'en ai une illustration à Bobigny où le maire a voulu installer une association musulmane dans un immeuble et où le pasteur, voyant cela, a réagi, décrétant que, puisqu'il en était ainsi, il revenait le lendemain avec un dossier !

Il ne faut pas être trop narcissiques dans l'existence. Nous ne sommes pas seuls au monde, mais nous avons ici des milliers de représentants de petites éclésioles, jusque et y compris celles qui sont considérées comme des sectes tels les Témoins de Jéhovah. Ces derniers, qui servaient de repoussoir à tout le monde, ont été reconnus par le Conseil d'Etat en tant qu'association de la loi de 1905. Vous aurez demain des aumôneries de témoins de Jéhovah dans les lycées. Bon courage !

Je veux répondre maintenant aux propos de Slimane Zéghidour sur le problème de l'Europe. Je regrette l'absence de Soheid Bencheikh qui déclarait : « Le voile n'est pas un signe religieux comme l'ont prétendu les commentateurs lors de cette affaire pour pouvoir ainsi l'opposer à l'école » Il avait là totalement tort ! L'article 9 de la déclaration européenne des droits de l'homme fait de la dimension religieuse un des éléments les plus essentiels, les plus vitaux, et ces superlatifs lui confèrent une place incomparable et aux convictions une place seconde. Cela signifie encore aujourd'hui que le religieux, d'une certaine façon, n'est plus sacré. Qui dit que demain il en sera de même ? Puisque le Conseil d'Etat dans son arrêt Kherouaa ne voit pas d'inconvénient au port d'insignes politiques, là encore, je dis bon courage ! Relisez l'article 9 de la convention. Il reconnaît très clairement que les libertés garanties peuvent être limitées par chaque Etat au nom de la morale publique. Dans les conclusions préalables au dernier jugement, qui a donné tort à Melle Kherouaa, le commissaire du gouvernement Bouleau termine en précisant que « la liberté de manifester sa religion ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires à la protection de la morale publique ou de la protection des libertés d'autrui. » Au nom de l'ordre public français, l'on repousse la polygamie, la répudiation, le refus de recherche de paternité ... Je ne vois pas pourquoi, avec un peu de courage politique, on ne considérerait pas que le port de tout insigne religieux ou politique, dès lors qu'il est susceptible d'engendrer la « guéguerre » à l'école - qui n'en a vraiment pas besoin - serait contraire à l'ordre public.

Mme Camille LACOSTE-DUJARDIN : Je vous parlerai en tant qu'ethnologue du hidjab, le fichu islamiste à l'école de la République. Ces fichus islamistes relèvent d'une stratégie d'anti-intégration et ce n'est pas un hasard si ces coiffures et tenues sont apparues au moment même où les jeunes filles de l'immigration maghrébine en France remportaient de plus grands succès que leurs frères dans leur scolarité et que, grâce à cette même école, elles s'intégraient réellement, sans grands problèmes. C'est en effet précisément dans ce contexte de rentrée scolaire qu'en 1989 « l'affaire de Creil » a ouvert la polémique et déclenché le trouble dans l'opinion française.

Plusieurs points me paraissent mériter d'être soulignés.

Tout d'abord, l'ambiguïté du terme même « foulard » qui est employé, inexact en français, car un foulard peut être placé n'importe où sur le corps. Ce terme devrait être remplacé par celui de « fichu », spécifique pour recouvrir la tête.

Ensuite, je voudrais souligner ce que ce « fichu » particulier n'est pas. D'abord, il n'est pas l'un des nombreux et divers voiles traditionnels - il n'a rien avoir avec la tradition du monde musulman. Il est d'ailleurs à noter l'absence même de voile des femmes berbères, entre autres kabyles. Celles que je connais sont fières de ne pas voiler leurs femmes. Les Kabyles constituent la majorité des immigrés maghrébins et tout particulièrement algériens en France, les Berbères en général, les Kabyles en particulier.

Ce n'est pas non plus un voile, car dans l'Arabie du VIIème siècle, celle du Coran, ce voile était, sous le nom de djilbab, un vêtement distinctif, porté par les premières musulmanes dans l'intention de les faire reconnaître comme femmes libres et de les distinguer des esclaves.

En fait, ce fichu est un uniforme politico-religieux moderne, apparu à la suite de la révolution iranienne, donc depuis 1980, sous un nouveau nom « hidjab », celui qui cache. Dans le Coran, ce terme représente une tenture. Il est répandu dans le monde musulman. Il est prescrit aux femmes qui adhèrent aux valeurs de l'idéologie islamiste. Il est un signe d'adhésion à ces mêmes valeurs politico-religieuses.

Ainsi défini, quelles sont les fonctions du hidjab actuel ?

Il est certes fait pour distinguer, mais il prend des sens différents selon le contexte où il est porté, selon que l'on se trouve dans un pays à majorité ou à minorité musulmane. En effet, dans les sociétés majoritairement musulmanes actuelles où l'islam est religion d'Etat et où la société est encore patriarcale, homogène, le sens et l'usage du voile porté par nombre de femmes peuvent être multiples. Il peut être porté par conviction, mais aussi par commodité, concession tactique ou comme cache-misère.

En revanche, dans les pays européens où l'islam est minoritaire comme en France, il n'en est pas de même, car cet uniforme, porté par quelques femmes, est donné à voir à toutes les autres diverses personnes composant une société complexe et hétérogène, non familière avec les voiles féminins.

Certes, pour les jeunes femmes qui portent le fichu, celui-ci serait, disent-elles, une obligation. Toutefois, non seulement rien n'est moins sûr, mais surtout il a pour but de distinguer les femmes adhérant aux valeurs des mouvements communautaires islamistes en les incluant dans ces mouvements. Or, en conséquence de cette inclusion communautaire, il exclut toutes les autres femmes qui ne le portent pas. C'est donc ainsi manifester « un différentialisme » qui introduit une fracture entre les femmes en affichant cette différence qui, en revanche, enferme les porteuses de fichus dans leur altérité, si bien que ce fichu peut même arriver à constituer une sorte d'auto-exclusion.

Par ailleurs, pour tous ceux à qui il est donné à voir, il a encore d'autres significations.

D'abord, pour toutes les autres jeunes filles de parents musulmans, leurs compagnes de classe par exemple, il y a grand danger que cette exposition politico-religieuse ne réactive le remord qu'ont la plupart de ces jeunes filles de ne pas être assez fidèles à la religion de leurs parents, car les filles à fichu prétendent leur donner des leçons.

La plupart des Français y voient la marque d'une opposition, puisque le fichu est l'emblème d'une allégeance prioritaire à des prescriptions politico-religieuses qui peuvent être poussées jusqu'au refus des obligations légales et républicaines, ce qu'attestent les réponses apportés par des jeunes filles porteuses de hidjab à leurs interlocuteurs. Au surplus, beaucoup de Français y voient le signe d'une oppression sexiste, le refus de l'égalité entre les hommes et les femmes.

Le port du fichu me paraît donc constituer une manifestation de contre culturation, dans une perspective d'apartheid communautaire.

Dans l'école, le fichu moderne est ainsi contraire tant à la déclaration des droits de l'homme qui bannit toute distinction entre les hommes et les femmes qu'au principe de la laïcité, car le fichu se définit comme une distinction d'appartenance à une communauté partisane, ce qui est le contraire de l'égalité. Il est avant tout une expression politique et ce n'est sans doute pas un hasard si les jeunes filles de l'immigration maghrébine sont précisément celles pour lesquelles, en général, l'intégration est en meilleure voie, alors même que leurs mères et grands-mères n'étaient souvent, elles-mêmes, pas voilées.

Mme Wassila TAMZALI : J'appartiens à une famille qui a voilé ses femmes jusqu'à la génération de ma mère. Si ma grand-mère avait pu être là, elle serait voilée aujourd'hui. J'en serais d'ailleurs fière. Elle portait un voile de soie blanche, un haïk cachant son visage, parce que c'était une citadine. Dans la mesure où elle jouissait d'une certaine liberté, puisque les citadines pouvaient circuler et rendre visite à leurs familles, elle était donc voilée contrairement aux paysannes qui ne jouissaient d'aucune liberté si ce n'est celle d'aller aux champs et de travailler. Dans les montagnes, dès qu'un étranger arrivait, on faisait rentrer les femmes dans les maisons. Voilà pourquoi les femmes étaient voilées en ville et non à la campagne.

A la génération de ma mère, les femmes se sont dévoilées. Ce fut pour elles une grande conquête, obtenue avec difficultés. Je pense que des réticences se sont manifestées de la même façon qu'à Rome ou dans les villes de Sicile quand les femmes ont voulu aller à l'école et qu'elles se sont battues à cette fin.

Je ne fais pas de grandes différences jusqu'il y a une cinquantaine d'années entre le fait d'être née dans une famille algérienne musulmane et être née à Rome ou à Madrid, par exemple. Le combat des femmes pour enlever le voile est un combat contre la culture des pays méditerranéens, en particulier méditerranéens du sud. Je ne cacherai pas, je ne jouerai pas avec les mots : les sociétés du sud méditerranéen sont restées figées sur une attitude fondée sur l'apartheid des femmes, c'est-à-dire l'empêchement de circuler des femmes. Je ne joue pas avec les mots. Il s'agit bien de la culture de mon pays que nous sommes en train d'essayer de vaincre.

Je ne jouerai pas non plus avec les mots sur la question de la religion. En vous entendant tous parler, j'ai envie de dire, mais j'ai l'impression que ce sera mal interprété : « restons en France ! » J'ai le sentiment que nous menons ce débat dans le cadre de la Constitution algérienne ou marocaine, non pas saoudienne, parce que nous avons accompli ici quelques progrès, mais je dirai que nous ne sommes pas en France. J'ai envie de vous déclarer : messieurs les députés, restez français et posez-vous la question de l'échec de la politique française sur les problèmes de l'égalité des femmes et de la parité, car le problème est bien celui-là ; il n'est pas autre.

Quand M. Bayrou a signé une circulaire pour interdire le voile au nom de la laïcité, j'avoue que nous avons nous, femmes féministes, subit cela comme une grande défaite, car que signifie la laïcité aujourd'hui quand précisément le monde est en train de se bâtir sur la multiplicité ? C'est dire que le débat que nous essayons d'évoquer ici autour du voile est impossible, parce qu'il existe à l'heure actuelle un mouvement dans le monde qui remet en cause tous ces grands principes abstraits qui n'ont pu gérer des situations concrètes. La jeune femme qui se voile - et je suis contre son voile - n'est qu'un symptôme. Ne posons donc pas ici des problèmes insolubles.

Pourquoi allez-vous, en tant que députés français, vous poser la question de savoir si l'islam est bien ou mal interprété quand l'islam est défendu par 1,2 milliard de croyants ? Je suis quelque peu ébahie par ce que j'entends.

Vous dites que c'est un signe religieux à l'école, mais il y a d'autres signes. Je suis athée ; or, je porte une médaille religieuse, parce que c'est ma mère qui me l'a donnée quand j'étais très malade à l'hôpital. Cela pour vous demander ce que signifient les signes religieux, alors que dans le même temps, l'égalité des sexes est, elle, une norme sur laquelle nous pouvons nous fonder et qui n'a rien de subjectif.

L'interprétation de la religion et de la laïcité n'est pas le sujet d'une mission législative. Vous avez un principe à faire respecter. La France a signé la convention sur l'élimination de toutes les formes de discriminations à l'égard des femmes qui l'oblige à faire respecter cette égalité sur son territoire. Qu'une jeune fille musulmane porte le voile en dehors de l'école, peu m'importe, ma grand-mère l'a porté, même si ce n'est pas le même, puisque, aujourd'hui, il s'agit d'un voile politique. Je suis par ailleurs inscrite dans un parti politique qui milite pour la laïcité ; c'est un autre débat qui intéresse les Algériens sur leur terrain et que nous devons mener à bien.

En tant que députés français, vous n'avez qu'une chose à faire : faire respecter la loi sur l'égalité et les engagements internationaux de la France. Le voile est une discrimination à l'égard des femmes. Pourquoi ? Parce que la discrimination est fondée sur le corps des femmes. Je vous épargnerai un discours féministe, mais je puis vous dire que le corps est la base de la discrimination. Voiler une femme c'est déjà l'enfermer dans un cadre où elle aura un rôle prédéterminé.

Sur le plan politique, je vous demande d'être très attentifs : aujourd'hui, à des fins politiques douteuses en France et dangereuses dans mon pays, on est en train d'instrumentaliser le voile. Car si le voile est le signe de la modestie et de la pudeur, comment expliquez-vous que, largement maquillées, ces jeunes filles aient fait « la une » de tous les journaux et qu'elles s'affichent à la télévision ? Pour les puristes de l'islam, cet exhibitionnisme est contraire à la modestie et à la pudeur.

Pour être très proche de la communauté immigrée et pour avoir vécu le racisme, l'ostracisme et le rejet, je sais ce que ces mots signifient. Quand le problème du voile a surgi et quand nous avons appris que la jeune fille avait enlevé son voile parce que le palais du roi du Maroc avait téléphoné au père pour lui demander de le retirer, je me suis dit que c'était là une question de politique et de pouvoir. Aujourd'hui, dans mon pays, les jeunes filles vivent dans les provinces des situations dramatiques de frustration sexuelle, de frustration quant à l'avenir, des frustrations de toutes sortes. Elles se passent en boucle les émissions de M. Tariq Ramadan parce qu'il est beau, qu'il a les yeux doux et qu'il leur dit qu'elles ont le droit de ne pas porter le voile. Voilà où nous en sommes. Excusez mon ton furieux. Je suis Algérienne. J'ai comme chacun ici la double nationalité. Je suis française d'origine - je n'ai pas opté, je suis née française d'une mère espagnole - mais en tant que Française, quand j'entends cette hésitation, je me rappelle que les droits de l'homme ou le statut de la femme française ont été conquis contre la culture française, contre la religion catholique. Je me demande ce qui vous ennuie dans le fait qu'enlever son voile se fasse contre la culture algérienne, contre la culture arabe. N'est-ce pas là du racisme à rebours ?

Sur la question de l'avortement ou de l'espacement des naissances, vous avez autant de questions à vous poser pour appliquer la loi française, alors même que l'avortement est une atteinte plus profonde aux dogmes chrétiens que le voile, mais sur ce sujet on n'entend personne s'exprimer. La France a une loi sur l'espacement des naissances et on la défend ! Et quand un groupe pro-vie fait un casse quelque part, il est jugé par les tribunaux français ! Messieurs, je vous demande d'être aussi exigeants avec les Français d'origine musulmane qu'avec les Français d'origine chrétienne et de considérer qu'ici le débat n'est pas de savoir s'il s'agit d'une atteinte religieuse ou culturelle, c'est la loi française qui s'applique, la France et la loi française s'étant engagées à faire respecter la loi sur l'égalité entre les hommes et les femmes.

M. Jean GLAVANY : En premier lieu, je dirai, par principe à Mme Kaltenbach qui a été un peu provocatrice qu'il ne faut pas avoir une telle approche des députés. Nous sommes là dans notre diversité avec nos divergences sur ces sujets dans un débat très démocratique, très riche et très transparent. Je vous le dis à titre amical, l'approche sur le thème « cela vous ferait du bien d'entendre ce que disent vos électeurs » relève d'une idéologie anti-parlementariste très dure, qui fabrique beaucoup d'extrémismes. Nous voyons nos électeurs tous les jours et nous savons ce qu'ils pensent, même si nous avons aussi beaucoup de plaisir à vous entendre.

La laïcité en France ne se résume pas à la loi de 1905, même si la loi de 1905 de séparation de l'église et de l'Etat est un élément fondamental de la laïcité. D'autres éléments composent la laïcité. La loi de 1905 doit être lue dans sa bivalence : elle interdit aux religieux d'avoir une influence ou un pouvoir politique, ce que tout le monde accepte. On oublie en revanche souvent l'autre volet : elle interdit aux politiques d'avoir une influence et un pouvoir religieux. Ne demandez donc pas aux représentants du peuple de se mêler de l'islamisme, en particulier de régler son compte au voile en ce qu'il serait ou non un signe religieux. Il est important de le préciser, car j'ai perçu à diverses reprises poindre cette tentation, dont je reconnais la légitimité et la pertinence, mais qui ne peut pas être notre action au nom de la loi de 1905.

Je reviens aux faits. Notre mission d'information a un objet précis, ce que l'on peut déplorer, mais il n'en reste pas moins qu'il s'agit de la question des signes religieux à l'école. Le thème à l'étude n'est pas la laïcité, une commission y travaille actuellement, dont certains d'entre vous sont membres, qui vous auditionnera peut-être. Quant au sujet de notre mission, ce n'est ni la laïcité, ni l'islam, ni l'islam dans la République, mais les signes religieux à l'école. Les autres débats sont passionnants. Je solliciterai beaucoup d'entre vous pour y revenir ensemble à titre privé, mais ce sont les signes religieux à l'école et c'est sur ce thème que je vous questionnerai, en partant de deux préceptes.

D'une part, acceptez-vous l'idée que, même à l'école, le port de signes religieux, notamment le voile, relève d'une diversité de motivations et donc d'une diversité de situations ? Est-ce simplement l'expression d'un intégrisme ou d'autre chose ? Sur le terrain, nous constatons qu'il peut s'agir simplement d'un vêtement, voire d'un effet de mode. Je l'ai ressenti ainsi. Parfois, nous percevons qu'il s'agit d'un signe religieux, à d'autres d'un signe d'aliénation de la femme... Nous sommes confrontés à une diversité de significations face à laquelle nous avons à traiter une diversité d'instruments.

Acceptez-vous cette idée, étant entendu que le problème des signes religieux et du port du voile à l'école est le plus difficile à traiter quand il y a des phénomènes d'intégrisme ? Pour reprendre l'expression de Mme Tamzali « Restons en France », et j'ajoute : en France et à l'école et limitons-nous aux signes religieux. Certes, nous avons signé une convention sur la non-discrimination, mais d'autres normes nous encadrent : la laïcité, qui figure dans la Constitution, la liberté d'expression, notamment religieuse, qui est à la fois dans la Constitution et dans la convention européenne. Sentez-vous que nous sommes au cœur d'un triangle juridique, difficile, ambigu et contraignant ?

Que pensez-vous des compromis passés de manière très différenciée dans les écoles de la République en France face à ces problèmes ? Selon vous, des distinguo sont-ils possibles entre la classe elle-même, qui serait très préservée, et les cours d'écoles qui pourraient faire l'objet d'une approche en termes d'espace public au même titre que la rue ?

Pour vous, une loi serait-elle une loi d'exception ou une nécessité et que pourrait-elle exprimer ?

Mme Wassila TAMZALI : Je comprends que la question est difficile, que vous allez « passer à l'acte » et que vous engagez votre responsabilité. Mais, aujourd'hui, on ne peut considérer le voile comme un signe vestimentaire, un phénomène de mode. Le signe vestimentaire, le signe de mode forment la pointe de l'iceberg. Ce qui est beaucoup plus profond c'est le sens qu'il revêt aujourd'hui. Je ne veux pas dramatiser et puis après tout pourquoi pas ! C'est comme porter une chemise brune en Italie sous Mussolini. Cela avait un sens. Le noir n'est qu'un signe, une couleur comme une autre, mais cela peut prendre sens et devenir un symbole très fort. Comme je le disais, il y a une instrumentalisation dangereuse. En Algérie, nous avons vécu ces dérives dans le sang. Cela dit, faire une loi qui interdirait le voile pourrait le stigmatiser et aboutir à l'effet contraire. Comme vous le dites si bien, il y aurait atteinte à la liberté d'expression.

Cela étant, dans la hiérarchie des lois, la convention internationale a un statut supérieur aux autres lois. L'engagement français de faire respecter l'égalité des sexes devrait être placé au centre de la réflexion. Au lieu de porter la réflexion sur la religion, qui risque de faire de ce symptôme un symptôme encore plus grand et encore plus traumatisé, il faudrait la déplacer, pas seulement par un tour de passe-passe, mais politiquement. Lorsque j'ai répondu au journaliste du « Nouvel Observateur », c'est sur ce point que j'ai porté l'accent. Nous ne sommes pas là en train de résoudre un problème intellectuel, philosophique. Je suis d'accord avec M. Arkoun sur la nécessité absolue d'offrir une chance à l'islam pour créer ce centre de réflexion, comme il en existe d'ailleurs à Londres et dans beaucoup d'autres pays. Il s'agit de replacer le problème dans un cadre politique, celui de l'égalité des sexes, de l'égalité des chances donnée aux petites filles à l'école, considérant que le voile est un obstacle à cette égalité des chances.

Je travaille sur la question des femmes. Dans tout le monde musulman, un seul pays a accordé l'égalité à la femme : il s'agit de la Tunisie grâce au président Bourguiba. Aujourd'hui, quand nous ouvrons des débats en Tunisie, nous constatons que le débat s'est déplacé ; il est posé sur la question de l'égalité et plus sur celle de la religion. Alors qu'il reste posé sur celui de la religion en Algérie : est-ce religieux, pas religieux, est-ce contre la religion, pas contre la religion ?

Avant de répondre à votre question, M. Glavany, il convient de recentrer le problème à sa juste place. C'est un problème politique, d'application de l'égalité des sexes, ce n'est pas le problème de la religion islamique ! Nous pourrions tous vous en parler des heures pour vous dire que ce n'est pas religieux. Avant de répondre bille en tête à la question « faut-il légiférer ? », il faut avant tout redéfinir le cadre politique. C'est là le travail d'un député qui travaille comme vous sur le terrain. Il faut par ailleurs ouvrir un institut de recherche de la pensée islamique, j'en suis convaincue, mais surtout, sur le terrain, remettre politiquement les pendules à l'heure. Nous sommes en France dans le cadre de la Constitution française qui ne contient pas d'article rédigé ainsi : « Toutes les lois de l'égalité contraires à l'islam sont contraires à la Constitution » Cet article figure dans nombre de constitutions maghrébines. Si on ne se souvenait pas de notre constitution, le problème posé resterait sans réponse.

Mme Bétoule FEKKAR-LAMBIOTTE : Je me réjouis du débat qui nous réunit aujourd'hui, car la laïcité qui datait de 1905 a besoin d'être dépoussiérée. Je me réjouis tout autant qu'il soit public. Bien sûr, je regrette que ce soit à l'occasion de l'implantation ancienne de la présence de l'islam en France. Voter une loi interdisant le port du voile serait déclencher un processus de victimisation que nous ne pourrions plus maîtriser. Nous donnerions vraiment le rôle de martyrs à ces jeunes filles. Le problème est beaucoup plus vaste. A mon idée, il faut banaliser l'histoire du voile et s'intéresser au problème de fond.

Parce que je suis trop pleine de ce problème de l'islam, je regrette de ne pouvoir développer.

Deuxièmement, à court terme, il ne faut pas légiférer, parce qu'il ne faut pas créer de victimes. Nous connaîtrions alors une révolte d'une fraction de la population française, car on peut être tout à la fois islamiste et français. Je détiens des chiffres qui montrent que tous les grands penseurs islamistes sont français, en tout cas européens. Le problème auquel vous allez être confrontés, messieurs les députés, est le fractionnement. Il faut donner du temps et ne pas faire comme M. Sarkozy, ministre de l'intérieur, qui a commis une petite erreur en se dépêchant de se rendre au Bourget comme si l'Union des organisations islamiques de France (UOIF) avait besoin d'être confortée et qui a reçu une manifestation d'antipathie.

Nous continuerons à parler de la laïcité, car c'est un thème trop important pour voir les limites de la laïcité, car la laïcité se vit. Il est un terme que je déteste, celui de « tolérance ». Si on est tolérant, on vit la laïcité, c'est tout.

M. Jean-Yves HUGON : Je veux remercier nos intervenants pour leur contribution très riche au débat.

Nous avons auditionné hier des personnalités qui avaient un point de vue totalement différent du vôtre. J'aimerais avoir votre réaction sur un argument opposé par l'une d'entre elles : si l'on refuse à une jeune fille alors qu'elle est voilée l'accès à un établissement scolaire, cela signifie qu'on lui interdit le savoir, autrement dit qu'on lui interdit la possibilité de s'intégrer dans notre société.

Par ailleurs, nous avons entendu Mme Fekkar-Lambiotte déclarer : « Ne légiférez pas tout de suite. » Mais nous avons une demande pressante des chefs d'établissement et des professeurs, c'est-à-dire des personnes qui vivent les problèmes de façon quotidienne et concrète. Ils sont venus nous voir, nous les avons écoutés et entendus. Ils nous ont réaffirmé leur volonté de faire appliquer la loi, mais ils nous ont demandé de les aider en leur donnant un cadre juridique.

M. Jean-Pierre BRARD : Nous sommes ici au moins trois députés de Seine-Saint-Denis et nous sommes confrontés à une réalité particulière ; en effet, dans certaines de nos villes apparaissent des quartiers ethnico-religieux étrangers à notre tradition du « vivre ensemble » à laquelle se substitue peu à peu la réalité du « vivre côte à côte ». Tel n'est pas le modèle républicain, c'est le modèle anglo-saxon, dont je ne veux à aucun prix ni pour mes enfants ni pour mes électeurs, qui nous ont élus pour les représenter à l'Assemblée nationale. Et s'ils nous ont envoyés ici, nous devons les écouter de temps en temps !

L'intérêt de notre travail réside dans la variété des régions de France que nous représentons et en ce que nous ne sommes pas tous confrontés aux mêmes réalités. Pour la réalité que je connais, je sens le dérapage, la menace à l'ordre public et, quand je suis témoin de heurts, au nom de la religion ou de l'appartenance ethnique, entre jeunes juifs et jeunes qui se prétendent musulmans sans évidemment avoir jamais lu un verset du Coran, cela me pose problème.

Comme le rappelait M. Glavany, le sujet qui nous occupe est celui des signes religieux à l'école. Nous ne pouvons toutefois nous y limiter tant le sujet est beaucoup plus vaste. D'ailleurs, derrière les quartiers ethnico-religieux, il y a des politiques du logement. C'est dire qu'il n'y a pas de solutions simples à un problème aussi complexe que celui dont nous débattons.

Légiférer serait extrêmement difficile, mais si les parlementaires ne sont pas capables de faire une loi c'est dommage, car ils sont là pour cela ! Cela ne signifie pas pour autant qu'il faille faire des lois sur tout et n'importe quoi et sans que, pour ce qui me concerne, je me sois forgé définitivement une religion, si je puis dire.

Il a été question de « compromis » à propos de l'arrêt du Conseil d'Etat. J'aimerais connaître votre sentiment sur cet arrêt. Je ne connaissais pas le texte de l'arrêt que vous évoquiez, qui fait froid dans le dos.

Personnellement, je suis assez favorable à la neutralité absolue de l'espace des services publics, et pas seulement de l'école.

Le point de vue de Mme Tamzali est convaincant et séduisant. Mais, dans la « real politique », champ où nous nous plaçons, on voit bien que cette position a pour conséquence la disparition du voile. Pour autant, on ne peut nier qu'il revêt aussi une connotation religieuse. Si, au nom de l'égalité, de la parité, on avance la suppression du port du voile pour répondre à l'idée de non-discrimination des femmes, on vous opposera les personnes qui portent la kippa. Que doit-il en advenir ? Je suis d'accord, ce n'est pas pareil, mais nous nous adressons au peuple français dans son ensemble. Nous avons un vrai problème de maîtrise politique.

Ne pensez-vous pas que la législation devrait être beaucoup plus large et surtout ne pas traiter la question du voile, car, selon moi, tout signe distinctif est condamnable, en ce sens qu'il altère la neutralité absolue et qu'il permet d'identifier des enfants, des jeunes, d'après leurs convictions, les leurs ou celles de leurs parents, contrairement à notre tradition où l'enseignant n'a pas à connaître l'appartenance de l'élève ? Je trouve cela extrêmement choquant. Une des façons de s'en sortir ne serait-elle pas de lutter contre l'analphabétisme religieux ? En effet, pour des raisons historiques, propres à ses conditions d'émergence, la loi de 1905, et alors que s'exprimait une résistance de l'église catholique du Vatican, a connu une lecture anticléricale alors qu'il s'agit tout au contraire d'une loi d'ouverture et de tolérance ?

Ne pensez-vous pas nécessaire de régler dans le même mouvement le problème de l'égalité dans la liberté de pratique des cultes et donc de régler la question des lieux de culte musulman ? Après, c'est de la bouillie institutionnelle, à nous de la régler, y compris avec des moyens de financement assurant l'émergence d'une sorte d'islam de France sur un plan très pratique. A Montreuil, nous avons tout d'abord obligé les associations musulmanes à se déclarer selon la loi de 1905. Dans l'accord passé avec elles, nous avons interdit l'argent issu de l'étranger et nous avons plafonné les dons destinés à financer la mosquée.

Il s'agit d'initiatives dépourvues de toutes bases légales.

M. Jacques MYARD : C'est totalement illégal !

M. Jean-Pierre BRARD : C'est la législation montreuilloise !

M. Jean-Pierre BRARD : C'est l'égalité. Du reste, nous réglons dans le cadre du prochain conseil municipal, dans le même mouvement, le bail emphytéotique pour la synagogue et pour la mosquée !

M. Jacques MYARD : Cela aussi c'est totalement illégal !

M. Jean-Pierre BRARD : L'essentiel n'est-il pas d'être fidèle à l'esprit des lois comme disait Montesquieu ? Nous sommes là pour changer la loi, pour tenir compte de la réalité.

M. Jacques MYARD : C'est ici qu'il faut changer la loi, non à Montreuil !

M. Jean-Pierre BRARD : Il faut anticiper. Le fait peut parfois précéder le droit. Nous sommes face à une situation concrète. Si nous voulons nous en sortir dans la fidélité à l'héritage de la Révolution française et de la loi de 1905, il nous faut trouver des solutions. Si tel n'est pas le cas, je suis persuadé que l'espace laïque sera mité de l'intérieur. Telle est ma conviction profonde et ce que je vis dans le cadre des confrontations que j'ai à gérer dans ma ville.

M. Slimane ZEGHIDOUR : Je reviens sur le propos de M. Glavany relatif à la neutralité de l'Etat. La laïcité, c'est aussi la neutralité de l'Etat. C'est pourquoi si l'Etat s'engageait dans des joutes théologiques sur tel ou tel verset du Coran, il cesserait lui-même d'être laïque. Cette première considération me semble importante, car on remarque, notamment dans beaucoup d'émissions de télévision, où certains d'entre vous sont invités, l'émergence d'une érudition profane qui s'impose. N'importe qui vient parler de charia, tout le monde s'improvise théologien, exégète...

L'exercice est délicat, car, comme l'a dit Spinoza, si Dieu lui-même se mettait à argumenter pour prouver son existence, il deviendrait faillible ! Si l'Etat donc débattait avec des religieux pour savoir si le voile est un symbole obligatoire, contraignant ou non, on n'en sortirait pas. Il lui suffit d'affirmer ce qu'il est, c'est-à-dire d'avoir une loi commune et générale. Voilà pour la première considération.

La seconde sera pour répondre à M. Brard. Etablir une loi simple d'interdiction de tous les symboles religieux aurait peut-être pu être possible sans trop de dommages dans la foulée de l'affaire de 1989. Pour autant, cela aurait-il réglé les problèmes ? Le faire aujourd'hui ? Je parle en termes de « real politique » ; il faut que je précise d'où je parle pour supprimer toutes ambiguïtés. Je suis contre ce symbole que je ne peux supporter, même visuellement, mais en termes de « real politique », établir une loi interdisant le port des signes religieux - entre nous, le voile - serait un aveu d'impuissance de la part de l'Etat et un refus de regarder la réalité en face, car la politique c'est, d'abord, le fait de travailler sur un matériau sociologique qui est celui de notre société.

Quant aux motivations des jeunes filles qui portent le voile, j'aimerais savoir combien le portent. J'ai lu un chiffre qui reste à vérifier : il y aurait quelque 200 000 jeunes filles mineures d'origine musulmane, dont un millier ou deux mille qui le porteraient. Qui donc représente l'islam ? Les jeunes filles qui portent le foulard ou celles qui ne le portent pas ?

Notre but, moi en tant que citoyen, vous en tant que politiques, est de reconnaître l'égalité des droits, l'égalité des sexes, la liberté de conscience des individus, c'est-à-dire la liberté de vivre sa religion, mais aussi de changer de religion ou d'affirmer que l'on n'en a plus.

Le fait de voter une loi abruptement, après des mois de polémiques où l'islamophobie s'est parfois dissimulée derrière la défense de la laïcité est un risque très préoccupant.

Une courte anecdote. J'étais au Qatar pendant la guerre contre l'Irak. J'étais au centre de presse internationale. Tous les soirs, j'avais devant moi six écrans de télévision, dont les télévisions allemande, britannique, américaine et TV5. Les Britanniques, nos amis et voisins, qui avaient des soldats sur place en Irak, organisaient des émissions et débats purement géopolitiques sur cette guerre. Sur notre chère télévision nationale, un jour sur deux, on pouvait assister à un débat sur les thèmes : Les musulmans de France peuvent-ils être contaminés par l'islam ? Peuvent-ils être une « cinquième colonne » ? Peuvent-ils dériver de la communauté nationale vers une sorte d'intégrisme violent ? Nous avons une exception française, nous sommes le pays qui compte la plus grande minorité musulmane du monde après la Russie, nous sommes le pays où les musulmans sont, y compris matrimonialement, les plus intégrés dans la société française. J'ajoute à votre intention, messieurs les députés, que nous sommes le seul pays où il n'y a pas un seul député musulman. Je ne dis pas qu'il faut des quotas. Je suis totalement contre. Mais sociologiquement le fait n'est pas insignifiant. Les seules dernières entités dans notre pays qui ne comptent pas de personnes sociologiquement d'origine musulmane sont les médias et la classe politique, les seules entités qui parlent en permanence d'intégration.

M. Eric RAOULT : Il y a un député musulman : M. Mansour Kamardine, député de Mayotte.

M. Slimane ZEGHIDOUR : En Angleterre et en Allemagne, c'est autre chose ! Je ne demande pas de quotas. Entendons-nous bien : nous sommes entre personnes d'accord sur l'essentiel.

La constitution de quartiers à caractère ethnique homogène, dont parle M. Brard, n'est pas du tout dans notre tradition nationale. J'habite à côté de la place d'Italie. Moi-même je ne peux plus me rendre à Barbès ni avenue de Choisy, parce que dans des quartiers homogènes chinois ou maghrébins, je me sens étouffer. Mais c'est un matériau sociologique qui existe dans notre pays. On dépasse le simple problème du voile et des signes religieux pour aborder un problème de « vouloir vivre collectif ». La question est : comment garantir des conditions pour que ceux qui veulent vivre leur religion, y compris la plus farfelue, puisse la pratiquer et comment sauvegarder la neutralité de tous les espaces publics et de tous les services publics ? Tel est, je crois, le défi que nous devons relever.

Il faudrait aussi que nos hommes politiques cessent, d'une certaine manière, d'alimenter le communautarisme. Lorsque des hommes politiques participent à des conventions musulmanes - ils sont peu nombreux -, ou à « Douze heures pour Israël », ou à une soirée organisée par l'association pour le bien-être du soldat israélien alors qu'ils connaissent l'hypersensibilité qui entoure ces problèmes, nos hommes politiques deviennent eux-mêmes partie prenante du processus de communautarisation en cours de prolifération dans notre pays.

M. Robert PANDRAUD : Vous qui étiez au Qatar, comment expliquez-vous que ce qui avait été annoncé - libération, démocratisation, émancipation des femmes - n'a pas eu lieu et que six mois après on s'aperçoit que jamais les femmes n'ont été dans un état d'aussi grande soumission et que la liberté apportée est celle de la mitraillette ?

En Afghanistan, là aussi, nous sommes partis pour « dévoiler » les femmes. Or, si l'on en juge par les médias, les femmes sont tout aussi voilées qu'avant. Avant, elles paraissaient contraintes ; aujourd'hui, elles semblent volontaires. Il y a un problème dans tout cela. Surtout après deux guerres qui ont coûté des vies.

M. Slimane ZEGHIDOUR : Les promesses des Américains n'engagent que ceux qui veulent bien les croire. Depuis la deuxième guerre mondiale, depuis que les Américains sont entrés avec leurs gros sabots dans la vieille Europe, tous les régimes musulmans qu'ils ont soutenus sont des régimes anti-laïcs, parfois anti-chrétiens et misogynes : l'Arabie saoudite, le Pakistan, le Qatar... Qu'ils aient promis de distribuer de la démocratie comme du café à diluer dans un verre d'eau, les gens n'y ont guère cru. Les Américains ont effectué 110 interventions militaires au cours du XXème siècle. Aucune n'a visé à rétablir ou à établir la démocratie !

M. le Président : On peut aller aux « Douze heures pour Israël » tout en étant vice-président du groupe d'amitié France-Algérie !

Mme Bétoule FEKKAR-LAMBIOTTE : Je recentrerai le problème sur l'école. Je me suis beaucoup réjouie que des députés s'intéressent à ce problème. Au nom de la République française, il faut maintenir le caractère laïque de l'école. Libre aux chefs d'établissement de conseiller des écoles confessionnelles, puisqu'il y a autorisation de créer des écoles musulmanes où les personnes sont autorisées à diffuser les discours qu'elles veulent.

Lorsque j'étais inspectrice, nous n'avions pas le droit d'intervenir sur le contenu des enseignements. Je pense qu'il en est toujours ainsi. C'est une disposition qu'il faut que vous gardiez présente à l'esprit ; un inspecteur de l'Education nationale ne peut et ne doit qu'inspecter les installations et vérifier la sécurité des établissements. Libre à la famille de diriger son enfant vers l'école confessionnelle.

A propos des demandes des chefs d'établissement, je pense que c'est un aveu de faiblesse. Il faut leur conseiller de compléter l'heure quotidienne d'instruction civique, qui apprend à être citoyen, qui apprend les lois, par l'histoire des religions. Il y a là un créneau horaire qui fait que nous aurions des citoyens beaucoup plus conscients de leur rôle, de leurs devoirs de citoyens et de leurs droits. Mais aussi nous pourrions avoir là une école qui serait exemplaire, car elle allierait le caractère laïque de l'enseignement et l'enseignement de l'histoire des religions, et non pas de la théologie.

M. Jean-Yves HUGON : Un des participants à la table ronde d'hier me disait que de plus en plus de parents musulmans inscrivaient leurs enfants dans des écoles catholiques où les jeunes filles avaient le droit de porter le voile.

M. Mohamed ARKOUN : M. Glavany a raison de souligner que, même si nous nous cantonnons à l'affaire du voile, la question reste extrêmement complexe. On ne peut la simplifier car elle a des objectifs politiques, qui ne sont pas limités à la France. Il s'agit d'une force internationale, d'un réseau international, d'une stratégie d'intervention internationale. Il ne faut pas perdre de vue cette dimension.

A Montreuil, nous avons créé un centre culturel franco-musulman. Les musulmans n'y viennent pas, parce qu'il y a eu intervention directe leur demandant de ne pas s'y rendre. De même, le fait d'assister aux cours ou de ne pas y assister, répond à une stratégie. Cela ne naît pas ainsi dans la tête des petites filles. Ce problème doit donc être traité par l'Etat, avec les pays d'origine de l'immigration. Il faut une négociation entre Etats pour tarir la source même du problème. Voilà pourquoi tant que ce travail ne sera pas fait, je considère qu'agir directement serait une grosse faute politique pour l'Etat français qui s'enliserait dans des difficultés terribles, avec toute la confusion qui s'attache à ce type de situation. Les petites filles disent au lycée : « J'obéis à un commandement de Dieu ! » Vous pouvez faire autant de sermons laïques que vous voudrez, face à une telle réponse, vous n'arriverez à rien ! Nous prononçons toutes sortes de discours sur la laïcité pour conjurer quoi ? Ce sont des incantations inutiles !

Pour essayer de débloquer la situation, il faut, premièrement, annoncer solennellement une politique globale, générale, s'inscrivant dans une perspective de long terme, qui serait déclarée par le gouvernement français et l'Assemblée nationale, tous partis confondus - c'est une affaire nationale - annonçant un choix politique de la France, placée devant le problème général de l'immigration, car ainsi que cela fut dit, il ne faut pas se cristalliser sur la question de l'islam. Il y a d'autres flux migratoires. Il convient de poser le problème des cultures et de la présence des immigrations et lui donner une solution politique. C'est dans cette vision globale d'un choix politique, d'une direction politique générale, solennellement annoncée par l'Assemblée nationale, par la voix du Président, par la voix du gouvernement, que vous pourrez faire émerger dans la société un large débat qui sera fructueux.

Deuxièmement, il faut que l'Etat français, l'Assemblée nationale et le Sénat engagent des concertations rapides et systématiques avec tous les partenaires européens, en particulier au sujet de la loi, car si vous légiférez, vous pouvez vous faire condamner par le droit européen. Il y a des situations où le droit européen pourrait aller à l'encontre d'une législation nationale. Au-delà de cet obstacle juridique, il faudrait déterminer une politique commune européenne qui serait également solennellement annoncée à Bruxelles pour fixer les limites, dire ce que l'Europe veut en toute souveraineté, aussi bien les souverainetés nationales que la souveraineté de l'Union européenne, en tant qu'entité.

Troisièmement, il faut engager des négociations, des pourparlers, en particulier avec les Etats maghrébins travaillés par ce problème. La France qui entretient des liens historiques privilégiés avec ces Etats et ces peuples doit se concerter avec les Etats du Maghreb sur la question afin d'annoncer ensemble une politique pour faire face à ce danger qui menace aussi les Etats maghrébins. Nous le constatons avec la guerre civile en Algérie et le Maroc qui est dans la cible. Ces pays sont intéressés à une concertation sur un problème qu'il ne faut absolument pas réduire au voile. C'est misérable ! Il faut affirmer par un effet d'annonce solennelle que nous avons une politique et que nous nous y tiendrons absolument ! La question du voile se dissoudra alors pour disparaître complètement. Dans les conditions actuelles de la géopolitique du monde et du terrorisme international, il ne faut surtout pas faire une loi sur le voile, ce serait inconcevable et ridicule.

Mme Jeanne-Hélène KALTENBACH : M. Arkoun a répondu en partie à Mme Tamzali. Dans un seul arrêt, le Conseil d'Etat a accepté l'éviction de deux filles à Nantua. Pourquoi a-t-il pris cette décision, en contradiction avec la jurisprudence évoquée ? Parce que la jeune fille proclamait urbi et orbi que la loi de Dieu passait avant la loi des hommes. C'est en ce sens que nous sommes dans un embrouillamini épouvantable.

Je vais vous en livrer un autre exemple qui donne raison à M. Arkoun. Il s'agit des obsèques. L'an dernier, un Marocain, devenu Français, est décédé. Il avait demandé à être incinéré. Sa femme était française depuis 1931. Le consulat du Maroc est venu interrompre la crémation en présence de l'épouse.

M. Mohamed ARKOUN : Il faut que la souveraineté s'affirme !

Mme Jeanne-Hélène KALTENBACH : On ne peut s'attacher qu'au seul problème du voile. Il y a tout le reste : les filles qui refusent de serrer la main des professeurs masculins, la gamine qui fait un drame parce qu'il y a des anges dans le sapin de Noël, oubliant que Djibril est celui qui a porté le Coran. C'est une femme, mariée par la fatwa, qui arrive accompagnée de son époux pour passer un examen et qui exige une examinatrice et la présence de son mari à l'examen.

M. Slimane ZEGHIDOUR : Nul besoin d'une loi, il faut dire non.

Mme Jeanne-Hélène KALTENBACH : La Suisse, contrairement à la France, est extrêmement hostile à l'abattage rituel. Les Suisses se sont prononcés par un vote à deux reprises. Ils ont dit non. Je me demande quel mouton mange M. Ramadan, mais en Suisse c'est non ! Il en va de même pour la célébration des mariages civils avant le mariage religieux. Les Suisses ont expliqué que s'il en allait différemment, l'imam prendrait ses valises et s'en irait.

M. Slimane ZEGHIDOUR : Il n'y a pas besoin d'une loi, il suffit de rappeler la norme.

M. Jacques MYARD : Il existe une loi !

Mme Jeanne-Hélène KALTENBACH : A un moment précis, il y a une épreuve de force.

Je réponds maintenant à la question posée par M. Hugon : comment ces petites filles feront-elles des études ?

Des milliers de malades font leurs études par correspondance, qui sont ni plus riches ni moins riches que les autres. Il y a un moment où il faut savoir s'arrêter. M. Tariq Ramadan met en avant la pédagogie des étapes. Nous avons calé sur un point, et puis ce sera sur un autre; aujourd'hui, c'est sur la prière, demain ce sera sur un autre sujet. Voyez ce qui s'est passé dans le 20ème arrondissement de Paris, au lycée Martin Nadaud : la prière a été demandée pendant un examen. La secrétaire du directeur, musulmane, s'est fait traiter de « p... » en arabe et le proviseur de « gros porc ». Le garçon mis en cause a répondu qu'il ne parlait que cette langue. J'ignore, M. Myard, si nous allons régler la question par une loi.

M. Slimane ZEGHIDOUR : Vous tombez dans une vision sécuritaire

Mme Jeanne-Hélène KALTENBACH : Ce n'est pas une vision sécuritaire !

M. Slimane ZEGHIDOUR : Il suffit de dire non !

Mme Jeanne-Hélène KALTENBACH : Oui, mais sous quelle forme ?

M. Slimane ZEGHIDOUR : Si une personne demande un examinateur femme, on répond non !

Mme Jeanne-Hélène KALTENBACH : Je suis angoissée par la façon dont cela arrive de toutes parts. Je ne sais si vous considérez que je fais partie des nouveaux islamophobes. Loin de moi cette idée ! Mon passé même me l'interdit, mais on ne peut plus accepter les salles de prières dans les lycées, l'exigence de...

M. Slimane ZEGHIDOUR : Il ne faut pas faire leur jeu et les diaboliser.

Mme Jeanne-Hélène KALTENBACH : Quant au nombre de jeunes filles portant le voile, personne ne le connaît. A Champigny, je connais un lycée d'enseignement professionnel où sept personnes le portent. Le proviseur ne le signale pas, parce qu'il ne veut pas créer d'agitation. Les proviseurs sont accablés, ne disent plus rien, se contentent de signaler les incidents majeurs.

Mme Camille LACOSTE-DUJARDIN : Ne pourrait-on pas tout simplement reconnaître que le voile n'est pas seulement un signe religieux, mais également politique, la politique étant interdite à l'école ?

M. Mohamed ARKOUN : C'est un décret. Vous ne pouvez pas le faire.

Mme Camille LACOSTE-DUJARDIN : En ce cas, ne pourrait-on expliciter la loi, quelque chose qui l'entoure, et qui, devant des faits nouveaux, une situation nouvelle, explique davantage, à la rigueur en recourant à des exemples ?

M. Eric RAOULT : Qui relèverait du domaine intérieur au sein de l'école.

Mme Camille LACOSTE-DUJARDIN : C'est cela même.

M. Slimane ZEGHIDOUR : La circulaire Jean Zay de 1936 sur les signes politiques à l'école ne règle-t-elle pas cette question ?

M. Eric RAOULT : Cela avait été fait contre les ligues.

Mme Wassila TAMZALI : J'ai entendu que vous aviez reçu hier un groupe aux positions différentes. Vous devez être frappés par leur unité de langage en comparaison à la nôtre qui doit vous sembler hésitante. Que cela signifie-t-il ? Les démocraties sont un ventre mou pour ce type de poussée. M. Glavany a évoqué la liberté d'expression. Dieu sait à quel point j'y suis attachée, mais prenons garde qu'au nom de cette liberté d'expression on n'enterre pas plusieurs libertés en même temps et surtout celle de l'expression !

Pour répondre à la remarque selon laquelle les petites filles sont privées de savoir, rappelons que l'école est obligatoire en France jusqu'à 16 ans et que si les parents ne se plient pas à cette obligation, ils sont passibles d'un procès comme le père qui fait exciser sa petite fille. Des lois existent. Une petite fille inscrite dans une école religieuse est, elle aussi, soumise aux règles de la République. Il n'existe pas en France deux Etats. Il y a un Etat français qui tient la liberté de l'école comme une liberté fondamentale de sa Constitution, ce que je pense être une bonne chose. Comment procéder ?

Elaborer une loi qui introduirait tous les signes religieux serait du « bluff », car tout le monde saurait que c'est la religion musulmane qui serait visée, ce qui serait vécu par les musulmans comme une expression institutionnalisée de l'islamophobie. Certains musulmans, voire certains Arabes laïques, athées, vous diront que cela leur donne envie de se voiler. Cela sera dit.

Mme Kaltenbach, vous m'avez dit que je suis un peu utopique, car en avançant l'idée de l'égalité des femmes, on comprend immédiatement qu'il s'agit de religion. Mais nous sommes en politique, or la politique c'est la médiatisation par excellence. Nous devons médiatiser, c'est-à-dire servir de médiateurs à une réalité politique et ne pas, par une loi, ajouter à un conflit. Si nous faisons une loi sur les religions, nous allons enrichir le débat sur la religion. Je répète que, dans le débat sur la religion, en tant que démocrates nous sommes grandement fragilisés par rapport à un discours fondamentaliste, mieux structuré. Ne nous lançons donc pas dans ce débat sur la religion, car nous serions perdants.

Quand M. Arkoun aura planté ses graines, nous aurons une vision différente, mais tant que M. Arkoun ne les aura pas plantées, ce qu'il essaye de faire depuis longtemps, il n'y aura pas de débat sur la question susceptible d'être réglé par un vrai dialogue. D'un côté, nous avons des personnes bétonnées dans une religion, de l'autre des démocrates, à l'instar de qui s'est passé en Allemagne où nous avons mis face à face un fasciste et des démocrates. Le fasciste a pris le pouvoir, parce que, en démocratie, les fascistes prennent le pouvoir et que les islamistes sont des fascistes. Il n'est pas utile de savoir ce qu'est l'islam pour savoir ce qu'est le fascisme. L'islamisme c'est du fascisme.

Ce qui est en danger dans la question du voile, puisque c'est le voile qui nous réunit, c'est la possibilité pour les filles d'avoir une chance à l'école. Nous devons nous faire corps avec cette idée, la défendre. Même si elle est utopique, même si elle paraît un peu traficotée, tordue, il faut que nous la défendions politiquement. Il faut que nous défendions l'idée politique qu'en France la société est une société d'égalité de droits et des chances. Point ! Chaque chose en son temps. Mais surtout si vous interdisez le voile, faites-le au nom de l'égalité, non de la religion, ni de la laïcité.

M. Jacques MYARD : Je commencerai par quelques remarques.

Ce qui se passe ailleurs en Europe, c'est très bien, mais il ne faut pas être pusillanimes en anticipant les décisions des juges. Jusqu'à présent, la France est un pays souverain, le roi de France est empereur en son royaume et si jamais d'autres venaient nous dicter la structure à adopter sur le plan national, l'Europe en pâtirait, parce que nous jetterions le bébé avec l'eau du bain. Il y aurait rejet de cette idée européenne intégriste. Cela d'ailleurs s'amorce. Sur ce point précis, je ne vous suis donc pas. Il y a d'ailleurs suffisamment de décisions de la Cour européenne qui montrent clairement les limites de l'exercice et c'est un faux-fuyant que d'aller chercher les ukases du juge européen pour s'autocensurer et ensuite donner raison à ceux qui avancent sur les voies de l'intégrisme. Cela pour les remarques générales.

Ce qui est certain, c'est que si ce n'était qu'une affaire du voile, moi le premier, je hausserais les épaules. M. Arkoun a raison de dire que nous sommes face à un réseau international, à des personnes qui avancent et qui ne s'arrêtent que confrontées à une fermeté et une clarté très nettes. Je vais illustrer mon propos par quelques exemples récents.

Il y a quinze ans, alors que j'étais maire, nous avons été confrontés, parce qu'il y avait une affaire commerciale derrière, à des abattages de 4 000 à 5 000 moutons sur une île de Maisons-Laffitte, Mesnil le Roi. Nous sommes montés au créneau. Les pouvoirs publics manifestaient une frilosité à nulle autre pareille, laissant faire, le préfet se voilant la face, ne voulant pas savoir, faisant preuve de « tolérance » ! En l'occurrence, il y avait des abattages dans un abattoir clandestin. Et que constate-t-on depuis quelques années ? Les pouvoirs publics disent « stop ! » pour des raisons sanitaires. Les autorités remontent en puissance et les abattages clandestins ont quasiment disparu dans les Yvelines. A un moment donné, il faut avoir le courage de dire « On arrête ! » Je m'adresse à vous M. Zéghidour, car vous avez mis en garde contre le rejet islamophobe. Bien sûr, il y aura crise. La République s'est faite à coups de crise, voire à coups d'épée et parce qu'elle connaissait un bonheur démographique ! Il est manifeste que l'on a fait preuve de laxisme et qu'il faut se reprendre, il est manifeste que c'est une atteinte à l'égalité des femmes, mais que ce n'est pas que cela. Il est manifeste que ces personnes avancent masquées derrière la taquia, car je vous le dis tout net s'il ne s'agissait que du voile, ce ne serait pas un souci. Mais cela va plus loin, cela heurte directement l'égalité des sexes, la tolérance, car c'est du prosélytisme violent, d'où la nécessité d'assurer la sécurité. Cela heurte la transmission des connaissances ; c'est un archaïsme phénoménal. Donc, oui, il y aura crise et je suis prêt à l'assumer, car si nous n'assumons pas la crise aujourd'hui au regard de ce qui s'est passé dans un certain nombre de pays, je sais que ce sera pire demain. Il faut donc arrêter le communautarisme ! La République c'est l'égalité des sexes, l'égalité des hommes, la citoyenneté, rien d'autre ! Et je me moque du rabbin, du curé et du mollah !

Mme Jeanne-Hélène KALTENBACH : Et le pasteur ?

M. Jacques MYARD: Il n'y en a plus ! C'est à la République de dire ce qui doit être. Je me fiche de la théologie, cela ne m'inspire pas, je ne veux pas entrer là dedans, car nous y serons encore dans vingt siècles comme nous y sommes depuis vingt siècles ! C'est la loi des hommes qui dit que c'est ainsi et pas autrement.

M. Georges MOTHRON : Je voudrais apporter un témoignage et poser quelques questions.

Je suis député du Val d'Oise, élu d'une banlieue qui a connu beaucoup d'immigrations depuis des siècles, notamment ces dernières décennies, et où régnait depuis une quinzaine d'années un « islamisme de cave ». On a voulu le réguler, d'ailleurs de manière tout à fait générale, opposition comme majorité, et puis majorité devenue opposition. On a donc voulu le réguler en laissant se monter deux centres cultuels de l'islam, l'un qui s'est trouvé être à plus forte majorité marocaine, l'autre à plus forte majorité algérienne. En fait, nous avons réglé un certain nombre de problèmes, mais l'islamisme de cap, non seulement existe toujours, mais continue de se multiplier dans ses effets. On parle de voile ici, mais c'est un ensemble de signes distinctifs d'habillement et de comportements. Je ne pense pas que l'on ait réglé l'ensemble des problèmes en donnant des facilités à la population musulmane d'exercer sa religion.

J'ai bien entendu ce que disait M. Zéghidour, qui faisait remarquer le nombre infime de femmes qui portaient le voile par rapport à celles qui ne le portaient pas. Peut-être le nombre est-il infime. Nous pouvons témoigner car nous avons entendu d'autres personnes - et je le dis aussi en tant que maire : dans la rue ou devant les écoles, que ce soit les grands-mères, les mères ou les filles qui tentent de rentrer à l'école -, le nombre de femmes portant le voile est en pleine augmentation.

Par volonté de comprendre et pour voir quelle participation en tant que maire je pouvais apporter pour tenter de régler ce problème, j'ai assisté à une réunion dans un des centres cultuels. Beaucoup de jeunes gens comme de jeunes filles y assistaient. Une femme, qui connaissait beaucoup mieux que moi le Coran, et qui est manifestement une figure reconnue au moins régionalement de la religion musulmane, a conclu son discours en disant aux jeunes filles qu'elles avaient le choix et que si elles ne voulaient pas porter le voile, elles pouvaient ne pas le porter. Le choix ne consiste pas à porter le voile, mais à ne pas le porter à l'extérieur, dès lors qu'elles sortent de chez elles, arrivent dans la rue, rentrent à l'école, dans tous lieux publics, voire ne pas le porter dans le privé. Voilà le message qui est passé.

On a beau dire qu'il faut se battre uniquement sur le fait politique, je pense qu'il faut aussi convaincre par des messages religieux. Si je ne veux pas m'immiscer dans les messages des lieux de culte, je voudrais toutefois essayer de mieux les contrôler. Un des imams est Irakien, un autre n'est pas non plus français ni ne parle un mot de français. C'est une situation que nous avons du mal à maîtriser. J'espère que les dernières propositions faites au ministère de l'intérieur iront dans un bon sens. Je n'en suis pas encore totalement convaincu.

J'ai bien entendu vos propos à tous et je veux vous dire que ce n'est pas gagné pour demain. Dans ma commune, les messages que vous avez portés ici sont minoritaires. Ce n'est pas le tout de savoir faire ce que vous dites ; encore faut-il le faire savoir. Il faut être un maximum à vous aider à multiplier ce message à l'extérieur. C'est ainsi que l'on gagnera mieux que par la loi, je suis d'accord, que l'on ne tombera pas dans un piège de victimisation.

Mme Fekkar-Lambiotte a déclaré que le voile était un symptôme d'une maladie beaucoup plus grave.

Voilà le témoignage d'un maire de la région parisienne.

M. Eric RAOULT : Mesdames, messieurs, merci de votre participation.

La teneur des différents propos a montré à ceux d'entre nous qui ont assisté à la réunion d'hier que la confrontation à peu de temps d'intervalle de ces deux tables rondes permet de mieux comprendre et de mieux saisir l'enjeu et l'ampleur du débat sur le port du voile dans les écoles. Comme je l'ai rappelé hier, il ne s'agit pas d'une frénésie législative de la part du Parlement, mais bien plus d'un appel au secours des chefs d'établissement, des enseignants, qui, auditionnés dès le début de nos travaux, nous ont indiqué, qu'ils n'avaient pas les moyens d'intervenir et de régler le dossier.

Je vous remercie beaucoup.

Table ronde regroupant
M. Michel MORINEAU, créateur de la commission « laïcité et islam »,
Mme Fadela AMARA, présidente de la Fédération des maisons des potes,
Mme Aline SYLLA
_ et M. Khakid HAMDANI, membres du Haut conseil à l'intégration,
MM. Michel TUBIANA et Driss EL-YAZAMI(, président et vice-président de la Ligue des droits de l'homme,
Jean-Michel DUCOMTE, président de la Ligue de l'enseignement,
M. Richard SERERO, représentant de la Ligue contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA),
M. Mouloud AOUNIT_, secrétaire général et Mme Monique LELOUCHE, responsable du secteur éducation du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples (MRAP),
et MM. Dominique SOPO et Mamadou GAYE_, président et secrétaire général de SOS Racisme

(extrait du procès-verbal de la séance du 24 septembre 2003)

Présidence de M. Jean-Louis DEBRÉ, Président

M. le Président : Mesdames et messieurs, nous vous avons conviés pour vous écouter et dialoguer avec vous sur la question des signes religieux à l'école. Je vous propose de donner rapidement votre point de vue sur la question, puis nous passerons au jeu des questions réponses.

Mme Aline SYLLA : M. le Président, mesdames, messieurs les députés, Khalid Hamdani et moi-même vous remercions de votre invitation. Je précise que le Haut conseil à l'intégration ne s'est pas encore saisi de cette question. Nous avons, au cours des débats qui ont eu lieu avant la rédaction des différents avis que nous avons remis au Premier ministre avant l'été, abordé la question de la laïcité, et par voie de conséquence des signes religieux, mais nous l'avons écartée dans un premier temps car nous étions saisis d'autres questions, notamment de celle du droit civil des femmes issues de l'immigration. C'est la raison pour laquelle nous nous exprimerons à titre individuel.

Pour ma part, il me semble nécessaire de légiférer sur cette question. Les chefs d'établissement et les enseignants rencontrant de sérieuses difficultés, il serait bon de mettre à leur disposition une règle claire sur laquelle ils pourront se fonder. Cela ne veut pas dire qu'il convient d'exclure le dialogue, mais l'on ne peut pas nier que celui-ci, quelquefois - comme l'affaire d'Aubervilliers le montre - n'aboutit pas. Il convient donc que les représentants de la nation légifèrent afin de permettre, aux uns et aux autres, de se positionner sur la question.

Mme Fadela AMARA : M. le Président, mesdames, messieurs, pour être honnête, de nombreuses discussions ont eu lieu sur ce sujet au sein de notre mouvement mais nous n'avons pas encore pris une position claire. Notre université se tiendra les 3, 4 et 5 octobre, et je pense que nous trancherons la question à ce moment-là. Personnellement, je suis contre les signes ostentatoires et le prosélytisme au sein des établissements scolaires et du service public.

Alors faut-il légiférer ? Nous ne savons pas encore. Nous craignons en effet qu'une loi déclenche une réaction, notamment dans les cités, qui entraînerait l'apparition de plus de barbes et de burkas. Nous fondons nos craintes sur les discussions que nous avons avec ces jeunes des cités qui peuvent vivre cette loi comme une stigmatisation, une injustice. Un jeune m'a dit clairement : « La discrimination et la loi sur le port du voile feront de nous des victimes, des boucs émissaires. Mais cette fois-ci nous nous ne pourrons pas laisser passer, car ils vont toucher à quelque chose de sacré, la religion. »

M. Dominique SOPO : S'agissant de la question du port du voile à l'école, nous sommes évidemment défavorables au port de signes religieux dans les établissements scolaires, dans la mesure où un enfant qui va à l'école est avant tout un enfant de la République - et non pas un catholique, un juif ou un musulman.

Nous ne devons pas être naïfs face aux revendications des jeunes filles souhaitant porter le voile : il s'agit d'une épreuve de force, d'un test, et la République doit rester ferme sur ses principes et éviter toute concession.

Mais doit-on pour cela légiférer ? Une loi pourrait être prise pour un élément de stigmatisation. Il convient donc avant tout de réfléchir, d'un point de vue juridique, aux autres possibilités qui pourraient permettre de définir un cadre réglementaire clair pour les chefs d'établissements. La loi a un caractère solennel et, même si elle interdit l'ensemble des signes religieux, elle sera vécue comme une loi anti-musulmans.

Je me permets également d'attirer votre attention sur le fait que cette loi pourrait être instrumentalisée, non pas par des intégristes, mais par les politiques. J'ai entendu un élu de la République expliquer qu'il était favorable à la laïcité et contre le port du voile à l'école, mais qu'il se battait, en même temps aux côtés de Jean-Paul II, pour que la Constitution européenne comporte des références religieuses. La question de la laïcité peut donc être à géométrie variable, ce qui est extrêmement problématique.

Mme Monique LELOUCHE : La question qui nous est soumise ce matin a été largement débattue, et en partie tranchée, au Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples (MRAP). Je laisse la parole à Mouloud Aounit, notre secrétaire général.

M. Mouloud AOUNIT : Il convient de ne pas être hypocrites. On nous parle de signes religieux, mais je pense que la question principale est celle du port du foulard à l'école.

Notre position est claire et se borne à un certain nombre de principes fondamentaux. D'abord, il convient de rappeler que le rôle des enseignants est d'enseigner ; et le droit à l'éducation doit être un droit sacré - un avocat, par exemple, est là pour défendre mais il n'est pas obligé de partager l'ensemble des opinions de ses clients.

Ensuite, nous ne ferons rien qui favoriserait l'idée que nous pourrions nous transformer en sorte de « VRP » des écoles coraniques. Toute attitude qui pourrait favoriser le développement et la promotion des écoles coraniques serait un échec de la République.

En ce moment, il y a une sorte de fièvre autour du foulard que l'on peut retrouver, à la fois dans les prises de positions publiques, dans les écrits, les journaux... « Le foulard contre la République », « L'islam contre la France », etc. Or les études révèlent que si, en 1994, nous comptions 300 incidents dans l'ensemble des établissements scolaires, en 2002, il n'y en a eu que 150. Nous débattons, nous voulons légiférer sur un problème, alors que rien ne le justifie.

Par ailleurs, et c'est la raison pour laquelle nous ne sommes pas favorables à une loi, il existe, sur cette question, des situations extrêmement différentes - qui ont toutes une réalité très complexe. Je suis actuellement impliqué dans l'affaire d'Aubervilliers : deux jeunes filles - en construction identitaire - désirent porter le foulard à l'école, alors que leur père est un juif, athée, défenseur de la République, et leur mère une kabyle qui ne porte pas le foulard. Ces jeunes filles ne veulent pas aller dans une école coranique et participent à tous les cours, ne refusent pas le cours d'éducation physique et de physique-chimie.

Contrairement aux idées reçues, ces jeunes filles ne sont manipulées ni par les parents, ni par les grands frères, ni par les barbus : le port du foulard s'explique par le respect de leur dignité. Et en aucun cas, elles n'ont conscience que leur action peut être considérée comme du prosélytisme.

Par ailleurs, il s'agit d'une affaire dans laquelle tous les ingrédients sont réunis pour que nous puissions trouver une solution : les jeunes filles ne refusent pas les cours, et les parents comme l'inspecteur d'académie acceptent le dialogue. Or hier, plusieurs centaines d'élèves ont refusé de se rendre en cours, et ce matin, j'apprends qu'un certain nombre de manifestations ont lieu autour de l'établissement. Nous avions trouvé un compromis avec les chefs d'établissements et le père des élèves, que certains enseignants ont refusé, et un professeur s'est même permis de dire à l'une de ces jeunes filles : « Mais pourquoi ne vas-tu pas dans une école coranique ? » C'est très grave !

Le MRAP n'est donc pas favorable à une loi, qui ne permettrait pas de régler la complexité des situations. Une réponse individualisée est à chaque fois nécessaire, afin de trouver une solution honorable qui respecte à la fois le droit à l'éducation et le droit des jeunes filles de se construire, avec une identité religieuse.

M. le Président : C'est peut-être justement parce que la loi n'est pas très claire et laisse place à une interprétation qu'il y a des cas particuliers ; de ce fait, on laisse le soin à certaines personnes de l'interpréter. N'êtes-vous pas en train de justifier une loi là où vous n'en voulez pas ? En effet, dans ce cas précis, c'est justement parce que la loi permet des interprétations que l'on débouche sur des situations tendues.

M. Jean-Michel DUCOMTE : M. le Président, mesdames, messieurs les députés, la Ligue de l'enseignement dispose, me semble-t-il, compte tenu des combats qu'elle a conduits et accompagnés, d'une légitimité historique et politique, que personne ne lui conteste, à débattre sur la question de la laïcité en général, et sur le problème qui est au cœur des préoccupations de votre mission d'information.

Je me réjouis tout d'abord qu'aujourd'hui tout le monde redécouvre, dans l'espace républicain, les vertus de la laïcité. Nous eussions débattu du problème il y a quelques années, je pense que la difficulté à débattre de la vertu pacificatrice de la laïcité n'aurait concerné que certaines personnes ; aujourd'hui, l'ensemble du champ républicain est concerné par cette question. Certaines voix se font également entendre, dont la conversion à la laïcité me semble plus suspecte.

Je suis étonné par le fait que ce soit à l'occasion du port du voile islamique que la question plus générale du port de signes d'appartenance religieuse soit posée. Je n'ai pas souvenance qu'il ait été question, avant 1989, du port de la croix, au sein des établissements scolaires, ou du port d'autres signe d'appartenance...

M. le Président : Cela a été l'occasion de grands débats sous la IIIème République !

M. Jean-Michel DUCOMTE : Evidemment, et l'on pourrait reprendre le débat sur le terrain historique, car il y a des éléments extrêmement intéressants, notamment dans la loi de 1905 qui évoque le problème des signes d'appartenance.

Etonnement, donc, mais comme tous les étonnements, il permet de réfléchir et de discuter.

Ensuite, je pense que nous sommes tous d'accord pour dire que sur le terrain politique, le port du voile pose question, interpelle, scandalise parce qu'il renvoie à un statut de la femme, parce qu'il révèle une capacité de pression sur l'immense majorité de la communauté musulmane. Parce que, par ailleurs, il induit une démarche stigmatisante. Sur le terrain politique, la Ligue de l'enseignement est prête à engager un débat et à condamner le port de ce voile, dès lors qu'il exprimerait ce type d'attitude. Nous ne voudrions pas que la focalisation du débat sur l'univers scolaire nous prive de la capacité de manifester notre appréciation sur la symbolique qui réside dans ce signe d'appartenance.

S'agissant du problème de la loi - la Ligue a adopté une motion sur ce sujet -, nous pensons, tout d'abord, que le danger à éviter est celui de la stigmatisation. Il ne faut pas, à travers une démarche législative qui serait principalement déterminée par la question du port du voile islamique, que nous aggravions la stigmatisation d'une communauté au sein de la République. A cet égard, la solution retenue serait pire que le mal que nous souhaitons prévenir. Par ailleurs, des textes existent qu'il importe de faire appliquer.

Ensuite, nous faisons confiance en la capacité de l'école républicaine à affranchir les futurs citoyens des contraintes assignatrices qui entravent leur liberté. Et là, M. le Président, l'histoire est porteuse de quantité de textes ; Condorcet a dit sur ce sujet des choses impérissables, et je pense que la « Lettre aux instituteurs » de Jules Ferry doit être lue et relue parce qu'elle comporte nombre d'indications importantes. Je pense également que la plupart des textes qui ont construit l'école publique républicaine sont fondateurs de ce socle juridique qui existe déjà.

Il serait paradoxal que vous considériez que le travail du législateur doit être l'un des éléments que l'on pose en préalable à l'engagement du débat que l'école peut mettre en œuvre et que le corps social doit avoir le courage de conduire.

Le premier paragraphe de notre motion, qui ne comporte aucun élément de secret, résume assez bien la position de la Ligue de l'enseignement : « La Ligue de l'enseignement, dont toute l'histoire est marquée par une action constante en faveur de la laïcité, considère que légiférer sur le port de signes d'appartenance religieuse est inopportun. Toute loi serait soit inutile, soit impossible. »

D'abord, loi impossible. Je suis un peu juriste - en tant qu'universitaire et avocat - et je connais assez précisément la difficulté qu'il y a à légiférer lorsqu'on est en présence d'une question qui relève du champ des libertés publiques.

M. le Président : C'est souvent la loi qui a permis aux libertés publiques de s'exprimer.

M. Jean-Michel DUCOMTE : Il existe une excellente thèse, qui date d'une vingtaine d'années, de Jean-Pierre Machelon qui s'intitule « La République contre les libertés ». Il explique que la plupart des lois de la IIIème République, qui sont à l'origine de l'ensemble législatif républicain et qui concernent ces libertés, ont été, au départ, des lois d'interdiction, qui ont ensuite favorisé l'émergence des libertés.

Sous une réserve ! Que la loi ne soit pas une loi d'interdiction générale et absolue. Peut-on, par ailleurs, demander à une loi de définir des notions aussi subtiles que celles du prosélytisme et de l'ostentation. Je souhaite bien du plaisir au juriste qui devra, un jour, définir ce que recouvrent ces deux mots.

M. le Président : La loi peut être adoptée pour un lieu.

M. Jean-Michel DUCOMTE : Cela ressemblera à un inventaire à la Prévert...

M. le Président : Nous réfléchissons sur le port des signes religieux à l'école. Je ne vois donc pas pourquoi - je suis également un peu juriste - on ne pourrait pas définir une interdiction par rapport à un lieu déterminé.

M. Jean-Michel DUCOMTE : Par ailleurs, au regard de la convention européenne des droits de l'homme et de la jurisprudence du Conseil d'Etat, j'ai quelques doutes sur la faisabilité juridique d'une telle loi.

Ensuite, loi inutile. Vous évoquez, M. le Président, le problème de l'incertitude législative qui déterminerait une exigence d'interprétation et, presque par rebond, amènerait à réfléchir sur la nécessité de sortir de cette logique d'interprétation. A titre personnel, cela ne me pose aucun problème. Je pense que l'avis du Conseil d'Etat de 1989 est remarquablement rédigé.

Par ailleurs, le Conseil d'Etat, à partir de 1992, a été amené à statuer sur des cas particuliers. Que dit-il ? Il rappelle des principes inscrits dans la loi et la Constitution. Et au regard de ces principes, il dit de quelle façon, au cas d'espèce, on doit traiter tel ou tel problème. Je ne pense pas que l'on puisse sortir d'une logique d'interprétation.

Il y a quelque temps, avec des collègues de la Ligue de l'enseignement, nous nous sommes penchés sur la question de la loi de 1905. En lisant ce qui reste du texte, soumis à diverses modifications liées principalement au refus de l'Eglise catholique d'en faire une application sereine, nous nous sommes rendu compte que la question des signes d'appartenance était mentionnée dans le texte. Un modeste effort interprétatif reste à conduire mais l'essentiel est dit.

La loi existe ! Pouvons-nous ajouter quelque chose de plus alors que la faculté interprétative s'est développée, alors que, me semble-t-il, ce qui manque le plus aujourd'hui, c'est notre capacité militante à développer les vertus pacificatrices de la laïcité ?

J'ai entendu parler de l'hypothèse de la rédaction d'une charte de la laïcité, qui serait davantage un texte de principe dont la portée normatrice ne serait pas nécessairement inscrite dans une loi, mais qui aurait l'immense avantage de permettre, en permanence, l'engagement d'un débat démocratique sur les exigences de la laïcité républicaine. Cela me semble plus pertinent qu'une loi, que ceux qui en seront les destinataires verront comme l'expression d'une logique stigmatisatrice.

M. le Président : Que répondez-vous aux enseignants qui nous disent que, compte tenu de la législation, de la jurisprudence, ils n'ont pas les moyens d'interdire le port du voile à l'école.

M. Jean-Michel DUCOMTE : Je ne suis pas certain qu'ils disent réellement cela ; je pense qu'ils se plaignent de ne pas être soutenus.

M. le Président : Vous interprétez ! Nous les avons auditionnés, et je voudrais tenter de répondre à leur demande : celle de légiférer, avec tous les risques que cela comporte, car ils n'ont plus les moyens d'imposer la laïcité.

M. Pierre-André PERISSOL : Nous avons auditionné des chefs d'établissement, et ils nous réclament cette loi. D'abord, ils parlent du voile. Ensuite, avec le même raisonnement, ils nous parlent de l'assiduité à certains cours, du refus de passer un examen si l'examinateur est un homme, etc. Or toutes ces attitudes font exploser l'école républicaine. Ils nous demandent donc de légiférer pour interdire le voile, qui est la porte d'entrée à des revendications beaucoup plus explosives.

La semaine dernière, nous avons auditionné des personnes qui étaient favorables au port du voile dans les écoles. Elles étaient bien obligées de reconnaître qu'il y avait une augmentation du port du voile au lendemain de tensions politiques nationales ou internationales. Il ne s'agit donc pas là d'un signe religieux, mais politique.

Vous connaissez sans doute bien le milieu enseignant, mais c'est bien les professeurs qui réclament cette loi.

M. Jean-Michel DUCOMTE : Il convient de sortir d'une certaine hypocrisie dans les demandes formulées et dans les réponses faites. Prenons donc l'hypothèse selon laquelle les enseignants réclament une loi : le Parlement vote un texte qui interdit le port de signes d'appartenance religieuse au sein de l'école. Cela n'empêchera pas les jeunes filles de fournir au professeur d'éducation physique un certificat médical justifiant une interdiction de la pratique du sport - c'est déjà parfois le cas, cette loi ne changera donc rien.

Autre conséquence : ces jeunes filles iront dans une autre école, qui ne sera pas républicaine. C'est cela qui me pose problème. Et la loi pourrait apparaître comme un aveu de faiblesse, comme l'expression d'une incapacité à traiter le problème de manière politique.

Il nous faut du temps, de la conviction et il convient que nous nous armions tous afin de reprendre le combat laïque là où il doit être conduit. Je ne pense pas qu'une loi puisse, malheureusement, changer l'ordre des choses ; elle aurait pour conséquence de considérer que le débat est clos - or, il commence. Par ailleurs, je ne suis pas sûr qu'elle répondrait exactement à ce que nous voulons éviter.

M. Khalid HAMDANI : M. le Président, mesdames et messieurs les députés, comme vous l'a déjà dit ma collègue Mme Sylla, je m'exprimerai aujourd'hui non pas au nom du Haut conseil à l'intégration, mais en mon nom propre.

J'ai vécu et passé mon baccalauréat - j'étais scolarisé dans des écoles françaises - à Rabat, au Maroc, et j'ai une expérience des années 60, de la question de la religion et du respect par la République de la religion des uns et des autres. Je voudrais vous faire part d'une anecdote, qui vient de se passer, ici, en arrivant à l'Assemblée nationale : l'agent qui m'a reçu m'a dit : « La commission pour le foulard islamique, c'est là ! » Or il me semble que votre mission d'information est relative à la question des signes religieux à l'école. Cette réflexion est tout à fait normale et représentative de la mentalité de la grande majorité de nos concitoyens.

Je dirige un cabinet de conseil en gestion des ressources humaines, spécialisé, depuis 1997, sur la question des discriminations, dans le cadre de l'article 13 du traité d'Amsterdam. Je parle de cela car certains pensent que cette affaire est contre une population et la discrimine.

M. le Président : Nous essayons de le faire pour l'école et pour la République.

M. Khalid HAMDANI : Justement, nous rencontrons le même problème dans les entreprises : quand un chef d'entreprise peut-il - ou pas - user de son autorité pour interdire certains comportements ?

L'école est un lieu de transmission des savoirs et des valeurs : les valeurs universelles, les droits de l'homme, et les valeurs républicaines. Le risque de stigmatisation est présent, mais il convient de savoir que des débats ont lieu, y compris dans les pays musulmans. Au Maroc, par exemple, nous avons débattu du hidjab, mais à aucun moment les contenus scolaires n'ont été remis en cause.

Légiférer ou non, il est vrai qu'il s'agit d'une question complexe. Rappelons que le concept de laïcité s'est développé en France à l'ombre des baïonnettes. Cependant, une loi me semble nécessaire. En revanche, elle ne doit pas être élaborée dans la précipitation. Il convient tout d'abord de clarifier les règles, car je me suis aperçu, en fréquentant de nombreuses entreprises, que cette question n'est pas claire dans la tête de nos compatriotes. La laïcité n'a pas beaucoup de sens et de signification, y compris pour une personne possédant un bac + 5. C'est la raison pour laquelle une charte de la laïcité semble être une nécessité.

Il convient ensuite de clarifier les règlements intérieurs, de les préciser, tout comme les moyens d'information, et d'adopter des sanctions proportionnées. En résumé, il convient de faire de la pédagogie, de dialoguer, de vérifier, de manière expérimentale, ce qui pourrait se faire ici ou là. Ce temps citoyen permettrait peut-être de sortir de certains clivages, pour arriver à un consensus, un diagnostic partagé, des expériences capitalisables. Enfin, après tout cela, la loi sera incontournable. Mais une loi plus globale, qui inclurait les signes religieux, mais qui serait adossée au débat et à la charte.

M. Michel MORINEAU : M. le Président, nous réfléchissons, au sein de la commission « laïcité et islam », depuis cinq ou six ans, à la question de l'intégration de l'islam dans la société française, ou plus exactement aux problèmes de l'intégration de l'islam, au regard de la laïcité.

La tendance de notre commission est de penser que la loi est inopportune, qu'elle ne servirait pas à grand-chose. Le constat que nous faisons, au regard des travaux que nous avons menés, est celui-ci : si nous devons améliorer quelque chose, c'est bien la connaissance de la laïcité.

M. le Président : Vous ne croyez pas à la valeur pédagogique de la loi ?

M. Michel MORINEAU : Il y a, dans ce domaine, un problème de mentalité. Chacun a sa petite idée sur la question. Le mot laïcité est souvent invoqué, mais chacun met derrière ce mot sa propre conception, qui est parfois très éloignée de la philosophie politique ou des dispositifs juridiques qui la constituent. C'est la raison pour laquelle, il me semble, que le premier travail qui doit être mené, et d'abord en direction des enseignants - c'est ce que nous faisons auprès de la communauté musulmane - est d'expliquer les fondements de la philosophie politique et ce qui fait la laïcité - qui organise en France les rapports entre l'Etat et l'Eglise.

C'est à partir de cette connaissance que l'on peut alors essayer d'examiner les cas particuliers ou les problèmes précis qui se posent, et notamment autour de l'affaire du voile. Bien entendu, ce travail ne pourra se faire sans un certain examen de ce qu'est le fait religieux dans la société. C'est la raison pour laquelle je rejoins les conclusions du rapport de Régis Debray : il y a à la fois la nécessité de donner à connaître et à comprendre la laïcité tout en essayant de faire un effort pour mieux faire comprendre le fait religieux dans sa dimension anthropologique, historique, etc.

Ces deux conditions sont nécessaires à l'évolution des mentalités qui permettront sans doute d'examiner la question du voile sous un autre regard. En l'état actuel des choses, la loi et la jurisprudence permettent, au sein de l'école, de régler les questions du port du voile, quand celui-ci pose problème.

Un enseignant, qui est investi d'une mission par l'Etat, dans l'exercice de son métier, n'a pas à juger, à interpréter le signe religieux. C'est le fondement de la laïcité, et c'est ce qu'a souvent rappelé le Conseil d'Etat. La République a à juger non pas de la métaphysique, mais des problèmes concrets qui peuvent se poser : un trouble à l'ordre public, l'assiduité au cours... Nous pensons qu'en l'état actuel du droit, nous disposons de suffisamment d'éléments qui permettent, éventuellement, de prononcer une sanction et d'agir.

En conclusion, je dirai qu'il y a un travail pédagogique à mener, et qu'une loi risquerait de stigmatiser. La question est aussi une question sociale, il convient donc de prendre de la distance et d'acquérir de la sagesse pour trouver d'autres voies susceptibles d'intégrer dans la République des personnes qui ne savent pas grand-chose de la laïcité. Je rappelle que celle-ci n'a jamais été appliquée dans les départements français colonisés. Il y a tout un travail d'acculturation à mener.

Enfin, nous avions fait une proposition pour répondre à la solitude et à la difficulté des enseignants : disposer, dans les rectorats, d'une cellule constituée de représentants des renseignements généraux, de personnes qui ont une bonne connaissance de l'islam et de personnes qui ont une bonne connaissance de la laïcité afin d'aider les chefs d'établissement et les enseignants à apporter une solution aux problèmes qu'ils rencontrent, au cas par cas.

M. Driss EL-YAZAMI : M. le Président, je souhaiterais faire deux observations. La première - je suis historien et sociologue, et je travaille sur le problème de l'immigration - concerne la situation des jeunes filles d'origine maghrébine, aujourd'hui.

Malgré tout le bruit qui est fait autour du foulard et d'évidents problèmes, il convient de rappeler que les jeunes filles maghrébines ont bénéficié de la démocratisation de l'enseignement, qu'elles font une entrée massive sur le marché du travail, et qu'il existe une chute importante du taux de fécondité.

Cela veut dire, quoi qu'on en pense, que le phénomène principal aujourd'hui en France est celui de la sécularisation et de l'intégration de ces jeunes filles - y compris dans l'école - même si, en raison des problèmes de discrimination à l'embauche et des problèmes réels de l'école, il y a une véritable déperdition. Même si ce phénomène d'intégration se fait avec des problèmes identitaires - dont ce foulard peut témoigner à certains moments -, adopter une loi sur une question marginale me semble contre-productif.

Second élément, j'ai entendu un député dire que le problème se pose depuis quinze ans. Justement, il convient de prendre en compte la dimension du temps. La laïcité ne s'est pas faite du jour au lendemain ! A partir de la constitution civile du clergé, jusqu'à la loi de 1905, la laïcité s'est imposée de manière progressive - laïcisation des cimetières, les lois scolaires de 1880. La République s'est montrée, à l'égard de l'Eglise catholique et des chrétiens, très ouverte. Il a fallu la Première Guerre mondiale, la canonisation de Jeanne d'Arc, pour qu'une partie des chrétiens de France, et l'Eglise catholique en particulier, se convertisse à la laïcité.

Il est donc normal que les musulmans ne viennent que doucement à la laïcité, il faut leur laisser le temps. Nous pensons d'ailleurs que l'action du ministre de l'intérieur à l'égard du Conseil du culte musulman est positive. Il convient d'avoir un esprit d'ouverture dans la présentation de la laïcité française. Les préconisations du rapport de Régis Debray sont, de ce fait, essentielles.

M. le Président, alors que nous nous apprêtons à fêter le centenaire de la loi de 1905, il convient de retrouver l'inspiration de ces pères fondateurs, Jean Jaurès et Aristide Briand, qui étaient animés par la volonté de pacifier le débat et par la question de l'intégration sociale.

Si la loi de 1905 a été adoptée, c'est parce que les républicains de l'époque étaient hantés par l'idée d'intégrer dans la République la classe ouvrière française. Aujourd'hui, nous devons relever ce même défi qui se pose à l'égard des émigrés : défi d'égalité de droits et d'intégration sociale.

M. Michel TUBIANA : M. le président, beaucoup de choses ont été dites, je vais donc aller à l'essentiel : la jurisprudence du Conseil d'Etat nous convient - ainsi que la législation actuelle.

Je note que l'on assiste à un certain nombre de faux débats. J'ai entendu tout à l'heure que certaines jeunes filles ne souhaitaient pas avoir un examinateur homme. Mais cela tombe sous le coup du règlement intérieur du lycée, nous n'avons pas besoin d'une nouvelle loi qui répéterait les principes qui se trouvent dans les règlements : si une élève ne veut pas suivre tous les cours, elle est exclue du lycée.

Vous nous avez dit, M. le Président, que des enseignants vous réclamaient une loi pour interdire le voile.

M. le Président : Non, je n'ai pas dit cela. Ils nous disent qu'ils n'ont pas les moyens, avec la législation actuelle et la jurisprudence du Conseil d'Etat, de s'opposer au port du voile.

M. Michel TUBIANA : Certes, mais tout à l'heure, un député a parlé du voile, de l'examinateur... Or ces deux questions ne sont pas au même niveau. Si la question du fonctionnement de l'école pose, aujourd'hui, un certain nombre de problèmes, elle est différente de la question du port du voile - et de l'absence de moyens, selon les enseignants, de résoudre ce problème. J'ai envie de répondre que la question du voile me paraît annexe à la question du suivi des enseignements, du respect des enseignants.

Que l'école connaisse des problèmes aujourd'hui, nous en sommes tous d'accord. Mais il convient de ne pas renverser le débat, de prendre les choses par le petit bout de la lorgnette.

Autre point que je souhaitais évoquer, étant moi aussi avocat de profession, je suis plus que quiconque attaché à la loi, notamment dans les pays latins. Cependant, je ne pense pas que la loi puisse tout régler. En effet, le pacte républicain dépasse largement la question de l'école.

La question de la laïcité est une question de pacte civique, de pacte social, qui va de la vie quotidienne aux institutions de la République. Et l'on ne peut pas régler la vie quotidienne des gens ni leur esprit d'une manière législative.

Je voudrais attirer votre attention sur un exemple précis. Un député a dit tout à l'heure que la politique n'avait pas sa place au sein de l'école. Bien entendu, l'école doit être un lieu d'inaccessibilité d'un certain nombre de débats extérieurs et d'affrontements. Il n'empêche que l'école, c'est aussi le corps social. Les enfants se rendent à l'école avec les conditions socioprofessionnelles de leurs parents - et il appartient à l'école de la République de rétablir l'égalité des chances ; cela n'est plus vrai aujourd'hui.

Cela étant dit, vous ne pourrez légiférer sur le port de signes religieux dans les établissements scolaires sans durcir les rapports dans l'ensemble du corps social. Car demain, si une loi de cette nature était votée, vous justifieriez une lettre d'un membre du Sénat, s'offusquant qu'un procureur de la République ait été filmé en Corse, chemise ouverte, avec, autour du cou la croix que sa mère lui avait donnée, et demandant au Garde des Sceaux d'exercer des poursuites.

Si l'on met le doigt dans ce type d'engrenage, vous n'arrêterez plus la machine. Car demain, si une telle loi est votée, on vous demandera « mais pourquoi vous ne les empêchez pas de porter la croix, ou l'étoile de David »!

M. le Président : Donc, laissons faire ?

M. Michel TUBIANA : Non, je n'ai pas dit cela ! Vous faites du manichéisme, M. le Président !

Je terminerai sur ce point : je pense que la vraie question n'est pas celle du port des signes religieux à l'école. Le vrai débat, c'est celui de l'intégration. M. Driss El-Yazami a parlé du temps, je voudrais pour ma part parler des discriminations.

On peut enseigner toutes les valeurs que l'on souhaite à l'école, mais lorsqu'à sa sortie, l'on est systématiquement refusé dans les entreprises parce que votre nom n'est pas de consonance berrichonne ou autre, que cette mésaventure se reproduit au quotidien, pour trouver un appartement ou dans les rapports aux autorités publiques, vous pouvez enseigner toutes les valeurs que vous voulez à l'école, vous n'avez aucune légitimité à les enseigner, tout simplement parce qu'elles sont violées chaque jour à l'extérieur.

La vraie question est donc celle de l'intégration. Et aujourd'hui, légiférer sur la question du voile, c'est une manière de ne pas vouloir intervenir sur la question de l'intégration. Si vous souhaitez connaître l'avis de la Ligue des droits de l'homme, sachez que l'on considère comme beaucoup plus pertinente et beaucoup plus urgente la mise en place d'une haute autorité contre les discriminations qu'une législation sur le port du voile à l'école.

M. le Président : Nous souhaitons légiférer non pas sur le voile, mais sur le port des signes religieux à l'école.

M. Michel TUBIANA : Mais comme le dit votre appariteur, M. le Président, il n'empêche que l'on vient assister à la commission « sur le voile » !

M. le Président : Je suis responsable de beaucoup de choses mais pas de ce que disent les appariteurs !

M. Richard SERERO : M. le Président, M. Tubiana vient, en fait, de résumer la position de la Ligue contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA).

La vraie question n'est pas de légiférer sur le port de signes religieux, mais celle de l'intégration, et de la législation contre les discriminations. Il est d'ailleurs symptomatique que le Président de la République ait nommé M. Stasi à la tête, à la fois de la commission sur les discriminations et de celle sur la laïcité.

De nombreux enseignants adhérents de la LICRA réclament effectivement une loi, car ils se sentent, sur le terrain, totalement désarmés. Mais ils se sentent désarmés parce qu'ils ne reçoivent pas la formation nécessaire et l'enseignement sur la juste explication - s'il y en a une - de l'esprit et de la lettre de la laïcité, de la réciprocité ou non du principe de neutralité à l'école, etc.

En revanche, nos juristes, qui ont planché sur la question, estiment qu'une loi ne devrait être que l'ultime recours. Selon nous - et nous savons tous que ce ne sont pas les signes religieux mais le voile qui est visé -, cette loi serait immanquablement exploitée par les intégristes comme une loi discriminante, une loi d'exception destinée à stigmatiser une partie de la population musulmane de ce pays.

Tous les mois, nous organisons à la LICRA des débats, réunissant des associations musulmanes qui se réclament des valeurs républicaines, de la démocratie. Elles fulminent contre l'importance qui est donnée uniquement aux instances représentatives religieuses et non pas aux musulmans « intégrés » qui ne souhaitent qu'une chose : trouver du travail et une place dans la société, à égalité de chances, être des citoyens français comme les autres, avec une liberté d'expression, une liberté de pratiquer ou non la religion qu'ils ont choisie.

La LICRA se prononce donc contre le vote d'une loi sur ce sujet. Il convient de remettre à l'ordre du jour l'enseignement des principes de la laïcité ; un long travail pédagogique est à mener.

M. El-Yazami a justement rappelé que la laïcité ne s'est pas inscrite d'un coup de baguette magique dans le paysage politique français. Nous avons cru, à un moment donné, que cela allait de soi. Aujourd'hui, certains de nos concitoyens réclament leur juste place ; nous devons réfléchir à l'élargissement ou à l'interprétation des textes de loi déjà existants, en particulier de la loi de 1905 pour l'élargir à la religion musulmane afin de la séculariser et que nos concitoyens musulmans se sentent chez eux dans ce pays.

M. le Président : La laïcité s'est imposée progressivement, mais à un moment, le législateur a cru bon de concrétiser cette évolution par une loi.

Mesdames et messieurs, je vous remercie. Nous allons maintenant passer aux questions des députés.

M. Pierre-André PERISSOL : Nous sommes tous d'accord sur le fait qu'il s'agit d'une question particulièrement complexe. Et je souhaiterais qu'on l'aborde sur trois plans : d'abord, sur le plan général, à partir des principes sur lesquels vous vous êtes tous exprimés ; ensuite, sur l'impact qu'aurait d'une telle loi sur une communauté - et je suis particulièrement attentif à ce qu'il n'y ait aucune stigmatisation -, enfin, sur ce qu'il se passe dans l'école.

Vous m'avez évoqué, M. Tubiana, lorsque vous avez repris mes propos s'agissant des examinateurs hommes. Je n'ai pas inventé cela, j'ai traduit ce que vivent concrètement les enseignants et les chefs d'établissement. Ils estiment que la question du voile est la porte d'entrée à d'autres problèmes, pour lesquels, dites-vous, la solution est d'exclure l'élève qui ne respecte pas le règlement. Le certificat médical qui est présenté ne concerne pas le voile ! Il interdit la piscine ou d'autres cours, mais n'est pas un certificat qui autorise le port du voile ! Le chef d'établissement est donc démuni ; le port du voile est donc bien la porte d'entrée à d'autres problèmes.

Nous ne sommes pas à l'époque de Jules Ferry et de sa lettre aux enseignants : à cette époque, il suffisait d'avoir un avis pour être entendu, aujourd'hui, les enseignants sont traînés devant les tribunaux !

Par ailleurs, la solution de l'exclusion n'est pas bonne, puisque vous les poussez, dans ce cas, à aller dans une école coranique, ce que vous souhaitez éviter ! C'est la raison pour laquelle les enseignants, compte tenu du flou qui existe autour du port du voile, sont démunis.

Ma question est donc la suivante : comment réagissez-vous par rapport aux difficultés que rencontrent les enseignants et les chefs d'établissement ?

M. Michel TUBIANA : Je ferai deux observations, et je vous prie de m'excuser de remettre en cause radicalement vos prémices.

Même sans aucun problème de port de voile dans un collège, l'on peut rencontrer des difficultés à enseigner la Shoah ; ces deux problèmes ne sont pas liés. Ce que vous ont dit un certain nombre d'enseignants à ce sujet est parfaitement inexact : il existe un grand nombre de problèmes qui sont totalement indépendants du port du voile.

Lorsque je parlais d'exclusion, j'y faisais bien évidemment référence comme sanction ultime. Avant, il y aura des dialogues à mener, des mesures à prendre. Mais voter une loi générale qui sera perçue comme étant contre ceux qui se réclament de l'islam sera totalement contre-productif.

Vous m'avez renvoyé l'argument qu'en les excluant, ces élèves iront dans une école coranique ; je vous le renvoie à nouveau : c'est exactement ce qui se passera si cette loi est votée.

Outre le fait que je ne vois pas en quoi, dès lors que tous les élèves assistent à tous les cours, le port de signes religieux peut avoir de gênant, il n'en demeure pas moins vrai que j'ai suffisamment confiance dans l'école publique pour considérer que ces gamines sont mieux dans notre école que chez elles.

Mme Aline SYLLA : Je réagirai en vous parlant de mon expérience personnelle. Mon père était musulman pratiquant et ne m'a pas découragée de faire des études - bien au contraire, il était très fier que je sois major de ma promotion à l'ENA -; nous ne sommes donc pas tous systématiquement des victimes ! Et le Haut conseil à l'intégration est sensible à ce discours sur la victimisation.

Second point, il me semble que ce qui est commun entre la notion d'école et de loi, c'est la notion du collectif. Les enfants vont à l'école pour apprendre des règles et à vivre ensemble avec leurs différences. Je ne suis pas, a priori, favorable à ce que le Parlement légifère sur ce point, mais l'idée selon laquelle il convient d'individualiser les situations n'est pas non plus idéale : si une affaire de voile se passe au lycée Fénelon, très bien, l'on trouvera certainement une solution intelligente pour traiter ce cas avec l'unique musulman pratiquant du lycée ! En revanche, si le problème se pose à Aubervilliers, dans une classe composée à 80 % de musulmans pratiquants, l'individualisation deviendra vite la règle collective et elle ne sera pas la même !

Nous vivons dans une République qui n'est pas encore un Etat fédéral et religieux où chaque communauté prend le pas sur l'autre ; il est important qu'il y ait des règles générales et la loi est ce qui va s'imposer à tous. Bien évidemment, il y aura des interprétations et du contentieux, mais si l'on part d'un socle qui vaut pour tous, cela permettra d'éviter ce type de situations - qui, ne nous le cachons pas, sont localisées dans certaines villes et banlieues où la communauté musulmane est plus importante.

M. le Président : Vous nous dites que légiférer est une solution, que la loi a une valeur pédagogique et qu'elle doit imposer au sein de la République l'apprentissage de la tolérance, à savoir vivre ensemble ?

Mme Aline SYLLA : Tout à fait. Et l'islam peut aussi laisser la place à ce type d'interprétation. Mon père - et les autorités religieuses auxquelles il se référait - m'expliquait qu'en France nous n'étions pas sur la terre de l'islam et qu'il convenait de se comporter comme les personnes avec qui nous vivons - et cela est inscrit dans les texte religieux de l'islam sunnite. Je ne comprends donc pas pourquoi cette règle, qui était appliquée par toutes les personnes que j'ai fréquentées, ne s'applique pas partout.

Je comprends que la mission des enseignants est très difficile dans certains établissements scolaires mais, comme vient de le dire M. Périssol, il convient d'éviter de rentrer dans ce type de conflit. Je reprends mon exemple, mais même dans mon lycée de Versailles, extrêmement favorisé, certains souhaitaient ne pas faire de contrôle le samedi matin, le shabbat commençant le vendredi soir. Alors si l'on ne peut plus faire de contrôle les jours de fêtes musulmanes ou de fêtes juives, on ne s'en sort pas ! Souhaitons-nous vraiment rentrer dans ce genre de polémique ? Car selon la majorité religieuse qu'il y aura dans un lycée, les règles seront différentes ; et bientôt la question va se poser pour le baccalauréat que l'on ne pourra plus organiser à telle date... Cela me parait dangereux.

Mme Fadela AMARA : J'ai été un peu étonnée par les arguments qui ont été présentés contre l'élaboration d'une loi sur ce sujet, notamment par celui qui prétend que si une jeune fille est exclue d'un établissement scolaire public, elle se retrouvera obligatoirement dans une école coranique. Cela existe déjà ! Des jeunes filles fréquentent des écoles catholiques depuis longtemps et elles portent le voile !

Je ne suis pas avocate, mais je suis musulmane pratiquante et l'on m'a transmis certaines règles, notamment à l'école. En effet, mes parents sont d'origine algérienne et, du fait de l'existence de la loi de 1905, ils n'ont pas pu me transmettre certains principes. C'est donc l'école qui m'a transmis ces valeurs. Je suis née dans une cité, mais en aucune manière je n'ai été influencée - ni par mes parents, ni par des personnes extérieures.

Aujourd'hui, la situation est différente : des mouvements intégristes contribuent fortement à ce que les jeunes filles des cités portent le voile - ce n'est pas les parents qui l'imposent. Il ne faut pas oublier non plus le rôle du grand frère qui, depuis les années 90, se substitue au père et impose son autorité.

Mon inquiétude, s'agissant de la loi, c'est l'impact qu'elle peut avoir par rapport à la population musulmane ; elle sera mal vécue et il y aura des conséquences - renforcées par la situation internationale - dans notre pays. Lorsque j'interviens sur cette question, je préviens les jeunes que des soldats du fascisme vert travaillent dans nos cités pour installer un Etat islamique dans notre pays. Ces personnes sont en contact avec nos jeunes. Et les jeunes filles qui portent le voile n'ont pas toutes la volonté de le porter comme étendard politique pour un projet de société qui n'a rien à voir avec notre République ; beaucoup d'entre elles sont entraînées dans ce fameux travail de communication.

Je suis scandalisée lorsqu'on soutient des personnes, connues sur la place publique et que je combats sur le terrain, qui, ouvertement, déclarent que la femme doit porter le voile.

Il est clair, pour moi, que les affaires de voile à l'école vont se multiplier. Il convient de gagner du temps, de réaliser un véritable travail de dialogue et de communication afin de changer les mentalités. Je ne suis pas favorable à une loi aujourd'hui, mais je suis convaincue que l'on ne pourra pas l'éviter.

M. le Président : Je me demande si le fait de réaffirmer un principe, en interdisant de façon claire et précise le port de tout signe religieux à l'école, ne serait pas une façon d'aider ces femmes qui s'efforcent de résister aux extrémistes religieux. C'est peut-être aussi l'un des aspects de notre mission.

Mme Monique LELOUCHE : Je souhaiterais parler de façon pratique et concrète, ayant une solide connaissance du terrain scolaire pour avoir enseigné longtemps. Je souscris à nombre de propos qui ont été tenus sur l'école, mais il est une dimension de l'école qui a été totalement occultée : sa fonction éducative. Bien entendu, je crois à la vertu de la loi qu'il n'est pas question de remettre en question, mais il n'empêche que le rapport pédagogique avec les jeunes reste fondé sur le dialogue. Il n'y a pas, dans ce domaine, de confiance sans dialogue et je doute fort qu'une loi ait une vertu pédagogique, son aspect répressif risquant, ce que l'on peut déplorer, de prendre aux yeux des jeunes, le pas sur son aspect éducatif.

En revanche, un dialogue instauré au sein des établissements scolaires entre toutes les parties prenantes, non seulement les jeunes, mais aussi les conseillers d'éducation, les enseignants, sans oublier les parents, pourrait aboutir à une forme de médiation qui me paraît être la solution d'avenir pour régler les questions cuisantes qui se posent dans le système scolaire et par rapport auxquelles le voile n'a qu'une importance mineure.

Le plus simple, selon moi, consisterait d'une part à rédiger une charte, d'autre part, sachant qu'il est actuellement très long et très compliqué de faire appel aux médiateurs, à développer des instances de médiation à l'échelon du rectorat.

Par ailleurs, cette démarche doit s'accompagner d'un enseignement du fait religieux, ce qui suppose de former les enseignants à traiter, au sein de l'école laïque, les questions ayant trait à la religion. Il est fondamental qu'une telle formation figure au programme des Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM). Il ne suffit pas que les enseignants prennent position par rapport au foulard, il faut aussi qu'ils soient rompus à l'analyse des questions qu'il sous-tend. Nous devons donc élargir le cadre de notre débat et ne pas nous focaliser sur l'opportunité de légiférer.

Dire aux jeunes que tout le monde doit obéir à la loi ne suffira pas à les convaincre. Il serait plus intéressant, du point de vue éducatif, de les persuader de l'intérêt de la discussion et de la médiation, pour qu'ils s'y sentent parties prenantes et qu'ils adhèrent aux valeurs de la République. Une telle démarche ne peut être entreprise que dans un climat de confiance en l'éducation scolaire !

M. Khalid HAMDANI : Je rejoins la position qui vient d'être développée. Pour ce qui me concerne, je suis favorable à l'élaboration d'une charte, à la clarification des règles et des règlements intérieurs, à une graduation du système des sanctions, à l'amélioration de la formation, au débat, à la pédagogie et, à terme, à l'élaboration d'une loi.

Il m'apparaît indispensable de légiférer et cela pour plusieurs raisons.

Premièrement, parce que, sur le terrain, nous nous trouvons dans une situation de lutte, pour ne pas dire de quasi-guerre, entre deux systèmes de valeurs, deux visions du monde dont l'une est démocratique - la nôtre - et l'autre, totalitaire : nous devons être clairs sur cette question ! Par exemple, lorsqu'un imam me dit explicitement, à moi qui ai eu la chance d'apprendre, même si c'est sur le tard, l'arabe classique à l'Institut des langues orientales, que le cerveau d'une femme est inférieur, et qu'il étaye cette affirmation, j'affirme que nous n'avons pas la même vision du monde.

Deuxièmement, le multiculturalisme, dont l'apologie fait des ravages, a trouvé de bons défenseurs, notamment parmi les intellectuels et dans la quasi-totalité du monde médiatique. J'ai, par exemple, suivi des débats hallucinants, en Hollande, au nom de la discrimination, sur la question de l'excision ! S'il remet en cause un certain nombre de valeurs universelles, autant tout arrêter ! De tels discours ont un impact sur la « communauté », ou plus exactement sur les personnes relevant peu ou prou de l'islam, culturel, cultuel, imaginaire ou fantasmatique. Mais au nom de qui parlent leurs auteurs et qui le leur a demandé ? Je suis désolé, mais quand je rencontre, sur le terrain, des pères de famille - ils exercent généralement des professions ayant trait au commerce - je constate qu'ils s'en tiennent à la position « gagnant-gagnant », très libérale. Leur attente peut se résumer de la façon suivante : l'école en face dispense à mes enfants l'enseignement fondamental, si, en plus, elle met en place un système drastique contre les discriminations, je ne vois pas pourquoi je ne ferais pas une petite concession... Cela a toujours fonctionné comme cela et dans l'imaginaire maghrébin, il est gravé dans le marbre qu'au terme de 130 ans de colonisation pour l'Algérie, de 54 ans pour le Maroc - pour ne pas même parler de la Tunisie -, on n'a pas dénombré plus de 120 bacheliers ce qui fait bien peu !

Il faut donc dire clairement que les parents, au nom de qui beaucoup s'expriment, sont favorables à un système scolaire qui assure la réussite à leurs enfants et qui mène une lutte très drastique contre les discriminations. L'intégration est une affaire à part. Elle relève des engagements européens de la France dans un contexte très anglo-saxon, où l'on établit une différence entre le fait et le droit, entre le droit réel et le droit formel et où l'article 13 du traité d'Amsterdam et les directives communautaires, dont la directive 2000-42 CE du 25 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement sans distinction de race ou d'origine, imposent à la France un certain nombre de règles. A cet égard, il convient de préciser que la directive 2002-73-CE du 23 septembre 2002 relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelle et les conditions de travail, crée une autorité indépendante, comme le candidat Chirac avait proposé de le faire dans son programme, et que le Président de la République poursuit les objectifs arrêtés et respecte les engagements communautaires pris en la matière. Il convient d'éviter d'amalgamer les choses car cela n'aurait pas d'autre effet que d'offrir aux adversaires de tous ceux qui, comme nous, défendent le modèle républicain et les valeurs démocratiques, des arguments pour noyer le poisson !

M. le Président : Je retiens donc que vous êtes partisan de voter une loi.

M. Jean-Michel DUCOMTE : J'ai entendu un certain nombre de propos intéressants, mais, sur la base de constats et de préoccupations similaires, on peut aboutir à des conclusions un peu différentes. En effet, il me semble que ce qui doit guider notre réflexion, c'est essentiellement une exigence d'efficacité. Il ne s'agit pas de débattre pour débattre, mais de mesurer la pertinence des solutions envisagées.

Que l'islam en France ait aujourd'hui une dimension politique est une évidence pour tout le monde, d'où cette question paradoxale : pourquoi, dans ce cas, limiter à l'école l'interdiction du port du voile ? Pourquoi ne pas aller au-delà et pourquoi réduire le problème au champ de l'école où les cas sont moins nombreux et où ils peuvent, en grande partie, être traités par le schéma éducatif ?

Si j'énonce ce paradoxe, c'est parce que j'ai eu l'occasion d'en débattre avec un parlementaire de l'Assemblée nationale qui souhaitait étendre l'interdiction, non pas du port de signes d'appartenance religieuse, mais du voile islamique, à l'ensemble de l'espace public ce qui est une façon un peu étonnante d'aborder le problème.

Aujourd'hui, le dispositif existant est-il insuffisant et une loi serait-elle de nature à le renforcer ? A partir du moment où un certain nombre de cas existent, le dispositif est évidemment insuffisant, mais je n'ai pas connaissance d'un système juridique dont la perfection soit absolue et, en l'état actuel des choses, je qualifierai la jurisprudence dégagée par le Conseil d'Etat, au travers de l'appréciation des mesures prises par les chefs d'établissement, de « rassurante ». En effet, sur la base de principes clairs pour tout le monde, elle indique que les comportements adoptés au sein d'un lieu comme l'école méritent une appréciation individuelle. C'est un principe général du droit dans un espace républicain. Cela ne veut évidemment pas dire que l'on admet une logique communautariste : il ne s'agit pas de savoir si les communautés seraient, dans leurs comportements, inadmissibles, mais si les attitudes et les comportements individuels peuvent, ou non, être considérés comme respectueux de la loi républicaine, susceptibles de sanctions et, éventuellement, si les sanctions à prononcer sont proportionnées aux attitudes adoptées.

Qu'ajouterait la loi ? Pas grand-chose dès lors qu'elle courrait, par ailleurs, le risque d'être considérée comme inconstitutionnelle ou non conforme aux principes de la Convention européenne des droits de l'homme Elle ajouterait l'idée selon laquelle ce qui est aujourd'hui présenté par tout le monde comme une attitude méritant débat est interdit par principe, alors même que devraient être interdits les comportements portant atteinte au contenu du message éducatif, portant atteinte à l'assiduité, portant atteinte à ce qui est la fonction principale de l'école.

Si l'on doit interdire le voile et laisser subsister les certificats médicaux, je préfèrerais qu'une solution soit trouvée pour faire disparaître les certificats médicaux et créer les conditions pour réduire et faire disparaître les hypothèses de port du voile tout en faisant principalement attention au respect des exigences de l'obligation scolaire.

M. le Président : Rien dans la charia n'impose le port du voile. Le port du voile ne fait pas partie des cinq piliers de l'islam. Or, porter le voile, c'est vouloir partir en guerre contre autre chose, c'est-à-dire partir en guerre contre les valeurs d'intégration de la République.

M. Jean-Michel DUCOMTE : A partir de là, toute religion est aliénante dans son message !

M. Dominique SOPO : Je voudrais revenir sur la question de savoir où il faut interdire le voile et sur la proposition d'étendre l'interdiction au-delà de l'école.

Je commencerai par rappeler que l'espace privé existe et que nous n'allons pas légiférer sur la vie quotidienne des gens, ne serait-ce que parce que nous n'allons pas aller chez eux pour voir s'ils portent, ou ne portent pas le voile. Le problème ne se pose donc pas !

En revanche, il est tout de même normal que l'école qui est le creuset de la République soit régie par des règles claires et offre un cadre d'éducation sans prosélytisme, ni promotion d'une vision communautaire. En effet, la question du voile, contrairement à ce que j'ai pu entendre, n'est pas une question mineure. Ce n'est pas parce qu'il n'y a que 150, voire 400 jeunes filles à porter aujourd'hui le voile qu'il faut minimiser son importance : il faut différencier l'aspect numérique de l'aspect symbolique que peut, aujourd'hui, revêtir ce problème en France.

Il est bon de souligner qu'il existe une différence par rapport à la première affaire de voile que la France a connue, il y a dix ou quinze ans, dans la mesure où, aujourd'hui, le port du voile répond à une vision politique beaucoup plus affirmée. Cette dernière recouvre des tendances communautaristes assises sur des réseaux intégristes et, même si je suis d'accord pour admettre que certaines jeunes filles voilées ne subissent aucune pression et font le choix du foulard pour affirmer une volonté identitaire, je considère que nous ne devons pas, non plus, faire preuve de naïveté !

D'ailleurs, au-delà même du combat communautariste, l'enjeu n'est pas mince, car, si l'école qui est le cadre même de la laïcité transige sur le voile, elle devra ensuite céder sur tout et c'est en quoi le combat est extrêmement symbolique.

En outre, comme l'a rappelé Mme Amara, il en va quand même du statut des femmes : nous ne pouvons pas faire comme si le port du voile n'était pas contraire à leur dignité. De ce point de vue, la République doit jouer un rôle de protection.

Pour conclure, comme il a été souligné à plusieurs reprises qu'il convenait de trouver des solutions individuelles, je tiens à rappeler que certaines règles valent pour tout le monde : on s'arrête au feu rouge et on ne négocie pas avec la voiture qui vient en face ou avec le piéton qui traverse ! Néanmoins, une discussion peut être engagée par les enseignants, s'ils ont reçu la formation nécessaire et s'ils disposent d'un cadre juridique clair par rapport au port du voile ou des signes religieux. Je suis persuadé qu'ils auront à cœur de dialoguer et de convaincre, car ce sont des professionnels de la pédagogie et je les vois mal arriver avec la volonté affirmée de prononcer une exclusion. Pour autant, je rejette le terme de « médiation » que j'interprète comme une maladresse de langage. Dans la mesure où il sous-entend la nécessité d'arriver à un compromis, il ne peut pas s'appliquer à une situation qui exige de ne pas transiger : au terme du dialogue, il faut que la règle soit comprise et acceptée !

M. Mouloud AOUNIT : A ce stade du débat, je souhaiterais appeler votre attention sur un point qui me perturbe : la façon que vous avez, les uns et les autres, de relier la question du foulard à la problématique des musulmans ce qui ne donne du problème qu'une lisibilité extrêmement étroite qui s'inspire et s'appuie sur des peurs. La France compte cinq millions de musulmans et je ne pense que ces cinq millions de musulmans, dont certains ne se sont pas convertis hier à l'islam, soient tous en train d'ourdir un complot contre la République.

Il est donc très important de ne pas occulter une réalité que je retrouve, que cela plaise ou non, dans un certain nombre d'interventions : malheureusement, ce débat est pollué par un contexte environnemental où, hélas, l'islamophobie n'est pas absente. Certains propos qui ont été tenus aujourd'hui montrent que, non seulement il a pu affecter certains, mais aussi qu'il faut prendre garde à ce que certains discours ne viennent pas le nourrir.

L'intervenant précédent vient de poser la question de savoir si l'affaire était, ou non, mineure. Si l'on veut prendre un bulldozer pour écraser une mouche, alors, oui, il faut avancer sur le terrain de la logique qu'il vient de développer

A ce propos, je souhaiterais rappeler de quoi nous parlons et pourquoi nous parlons. N'oublions jamais que nous parlons d'une sphère qui est l'éducation et que nous faisons le pari que le système éducatif qui m'a formé sera capable de tenir compte des apports de l'école sans s'arrêter à des considérations liées à ce que les gamines peuvent porter sur leur tête !

Par ailleurs, j'aimerais vous rapporter les propos de deux jeunes, l'un de 15 ans, l'autre de 17 ans, que j'ai interrogés à la sortie de la mosquée de La Courneuve. Quand je leur ai demandé pourquoi ils allaient à la mosquée, le plus grand m'a déclaré en me regardant dans les yeux : « Je vais à la mosquée parce que j'existe ! » Cette réponse illustre la nécessité de prendre en compte ce qui la justifie et toute mesure qui consisterait à s'attaquer très concrètement à un symptôme, y compris par le biais d'une loi, en occultant tout ce qui a été dit par rapport à l'exclusion, présenterait le risque de passer à côté du sujet.

Je développerai encore un argument. D'ici à quelques jours, nous allons fêter le vingtième anniversaire de la marche des « Beurs » qui correspond à mes premiers pas dans l'action militante. Ces gens qui ont manifesté, traversé toute la France et qui ont été accueillis par 100 000 personnes, scandaient deux slogans « Contre le racisme » et « Pour l'égalité ». Ils ont frappé à la porte de la République, mais, malheureusement ou heureusement pour eux - et je parle en tant que laïque - les organisateurs de cette marche se sont, pour la plupart, convertis à l'islam. Cela signifie, que nous le voulions ou pas, qu'il serait vain de limiter notre sujet au port du voile ou à l'opportunité de légiférer, car nous ne pourrons pas faire l'économie de véritables mesures pour permettre aux gens de trouver une identification.

Enfin, il faut dire nettement, bien que notre débat soit, à mon avis, trop passionné pour traiter aujourd'hui le sujet, que la loi peut répondre à certaines attentes. Avez-vous, cependant, pensé, en proposant de l'élaborer, à ce que sera la France d'ici à dix ans, sachant que des gamines auront été contraintes à ne fréquenter que des écoles coraniques ? Pensez-y, alors même que l'on nous dit qu'il faut lutter contre les vecteurs du communautarisme ! En rédigeant une loi, on fait le pari que les gens l'appliqueront ou s'en iront : dans le cas qui nous intéresse, on peut engager des paris sur le départ de certains, mais aussi sur l'état de notre société d'ici à dix ans.

Je reste, pour ma part, persuadé qu'un chemin peut s'offrir à nous. Il passe par le dialogue qui peut conduire les gens à évoluer sans concessions, et par ce droit sacré à se construire de l'individu dont il ne faut pas oublier, lorsqu'il s'agit d'un mineur, qu'il est en quête d'identité : de grâce, ne considérons pas des gamines de 16 ans comme des adultes et ne portons pas sur elles seulement un regard d'adulte !

Mme Patricia ADAM : J'ai l'impression que, plus nous avançons, plus les choses se compliquent et que nous menons deux débats. Contrairement à certains qui prétendent qu'il n'y a pas besoin d'une loi, je crois en la loi, j'estime qu'elle établit des règles. Or, s'il y a bien une demande réitérée de la part des jeunes que nous rencontrons, qu'ils soient ou non issus de l'immigration, c'est que la loi fixe des repères que nombre d'entre eux ont perdus. En tant que députée et citoyenne, je crois aux vertus pédagogiques de la loi. Nous savons d'ailleurs, puisque nous sommes aussi parents, que, si l'on discute avec un jeune enfant, en invoquant la loi, l'enfant comprend le propos et s'y réfère. C'est un point important !

Il est vrai que nous débattons du port de signes religieux dans le cadre de l'école, mais vous me permettrez d'ajouter que ma circonscription du Finistère, même si les problèmes n'y sont pas aussi aigus qu'ils peuvent l'être en région parisienne ou dans les banlieues des grandes villes, connaît également des difficultés. Des mouvements intégristes religieux, présents dans certains quartiers de Brest, génèrent des situations difficilement compréhensibles, y compris dans une terre de religion comme la Bretagne où le débat sur la laïcité reste encore très prégnant pour une société très catholique et c'est à dessein que j'établis le rapport ...

Personnellement, je crois à la vertu de l'affirmation de la laïcité, mais je pense que l'action des mouvements intégristes s'étend au-delà de la sphère scolaire : dans ma circonscription, c'est d'ailleurs l'espace public qui est le plus touché. Ce constat renvoie, certes, à un autre débat, mais cela me pose question et j'en viens à penser que la promulgation d'une loi sur l'école, qui s'appliquerait dans l'enceinte de l'école, affirmerait un certain nombre de principes et de règles en matière de laïcité et préciserait les valeurs qui doivent être celles de l'école laïque.

Quand nous écoutons les enseignants, mais aussi les travailleurs sociaux qui travaillent dans les quartiers, nous sentons qu'ils sont aujourd'hui totalement déstabilisés et dans l'incapacité d'intervenir. Ils se posent des questions, notamment par rapport au statut de la femme : je ne reprendrai pas les déclarations des deux jeunes femmes ici présentes, car elles se sont exprimées, sur ce point, bien mieux que je ne pourrais le faire moi-même ! Je suis particulièrement sensible à leurs propos - excusez-moi, messieurs - parce que je suis aussi une féministe, parce que j'ai défendu un certain nombre de principes et parce que j'estime que l'on ne peut pas séparer ce qui se passe aujourd'hui dans le cadre de l'école du statut de la femme et de lois antérieures qui ont également eu le mérite d'imposer un certain nombre de principes. Je pense notamment à la loi sur l'interruption volontaire de grossesse ou à celle, plus récente, sur la parité. Sans elles, nous les femmes, ne serions pas arrivées là où nous sommes aujourd'hui.

J'ai conscience que mon propos dépasse le cadre de la mission, mais le statut de la femme et ces questions du voile à l'école sont indissociables.

M. Jean-Pierre BRARD : M. le Président, il est clair, depuis le début de nos auditions qu'il n'y pas, dans ce débat, de place pour le clivage gauche-droite.

M. le Président : C'est bien pourquoi j'ai présenté les députés sans préciser leur appartenance politique !

M. Jean-Pierre BRARD : C'était tout à fait pertinent puisque nous cherchons, ensemble, des façons de répondre à des problèmes nouveaux qui se posent dans notre société : pour nous, il s'agit de défendre les « bijoux de famille » qui fondent notre état républicain et laïque, ce qui, à mes yeux, est très important !

On parle beaucoup de la loi sur le port du voile. Même si les médias reprennent largement cette formule, je regrette de devoir dire que le port du voile n'est pas seul en cause : le développement du port de la kippa constitue un vrai problème même s'il est perçu différemment, la communauté juive, pour des motifs théologiques, ne faisant pas preuve d'un prosélytisme dévorant. Bien que les problèmes ne relèvent pas du même registre, leurs manifestations extérieures sont pourtant tout à fait comparables et je pense que ce serait biaiser le débat que de parler de façon unilatérale du voile. De ce point de vue, la peur n'évite pas le danger. Il existe une situation de fait et nous devons réfléchir avec sérénité aux solutions à y apporter.

Pour en revenir aux statistiques, je précise à l'adresse de M. Aounit que, lorsque, à deux jours d'intervalle, nous auditionnons d'une part un recteur qui nous dit qu'il ne recense quasiment pas de cas et, d'autre part, l'un de ses principaux de collège qui, lui, les compte par dizaines, cela signifie que les affaires ne remontent plus. Pourquoi ne remontent-elles plus ? Parce que les tribunaux administratifs désavouent les enseignants. Comme à la Samaritaine, on trouve de tout dans la jurisprudence du Conseil d'Etat ! Selon moi, l'arrêt Kherouaa est excellent, à ceci près que d'autres arrêts disent exactement le contraire !

Vous parlez de la nécessité de débattre : je crois au débat - si ce n'est pas le cas dans cette maison, autant faire autre chose ! - et je considère, comme probablement nous tous ici, qu'il n'est possible d'avoir recours à la coercition pour faire respecter la règle commune qu'après avoir épuisé le dialogue. Seuls les raccourcis dans l'expression peuvent laisser penser autre chose ! Toutefois, j'ai entendu, ce matin à la radio, le cas suivant : une jeune fille se présente voilée à l'école, un professeur discute en vain avec elle. Comment croyez-vous que s'est soldée l'affaire ? Par un pugilat au sein de l'équipe pédagogique de l'établissement. Dans ce cas particulier, on me demande d'intervenir : pensez si le moment est bien choisi...Ce n'est plus tenable, toutes nos auditions sont très convaincantes sur ce point !

Puisque l'on parle beaucoup de respect de la dignité, je rappellerai que la dignité n'est pas qu'une affaire personnelle. Cette notion sous-tend aussi le respect que l'on doit à la dignité des autres qui ne veulent pas être identifiés en fonction de leurs convictions religieuses et je ne vois pas au nom de quoi un enseignant devrait connaître celles d'un élève. Moi qui suis enseignant de formation, je trouve cela horriblement choquant ! Quand, par exemple, mon enseignement porte sur la Shoah, je n'ai pas à tenir compte de la confession de l'élève qui me fait face et cela qu'il soit juif, musulman, chrétien ou athée !

J'en arrive à ma question : ne pensez-vous pas qu'en ne traitant que le problème des signes religieux, nous faisons, en quelque sorte, fausse route ? Dans la mesure où il faut trouver un socle commun gauche-droite, un socle républicain qui dépasse les clivages, je me demande en fin de compte s'il ne faudrait pas rédiger un énoncé de principes, qu'il réponde au nom de charte ou autre, qui pourrait, par la suite, être décliné avec des dispositions législatives et réglementaires selon les situations. Dans ma ville, nous essayons de développer des expériences en la matière ce qui est très compliqué, mais je reste très attaché à trois points.

Premièrement, ce texte devrait comporter une disposition sur tous les insignes, dont je serais partisan qu'elle soit étendue à l'ensemble des services publics puisque l'on a même vu un syndicat qui ne prône pourtant pas la religion, défendre, dans les conditions que vous connaissez, une personne employée à l'inspection du travail.

Deuxièmement, s'agissant du libre exercice des cultes, le texte devrait permettre de régler le problème de la discrimination qui s'exerce à l'égard de l'islam pour des raisons historiques dont le colonialisme - j'ignore d'ailleurs s'il faut en parler au passé, mais cela pourrait faire l'objet d'un autre débat - et le fait que l'islam est arrivé dans notre pays après le catholicisme. A mon sens, il n'y aura de droit à une libre pratique des cultes que si l'on règle équitablement le problème du financement des lieux de culte, en interdisant évidemment les financements de l'étranger. Il existe des solutions simples, dont j'ai discuté avec le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, qui consistent à financer de tels lieux par le biais de prêts à long terme, comme cela se fait pour le logement social. En la matière, il est vrai que la communauté catholique a quelques longueurs d'avance pour des raisons historiques.

M. Mouloud AOUNIT : De nombreuses églises appartiennent aux municipalités.

M. Jean-Pierre BRARD : Hélas, précisément à cause de la résistance opposée par l'église qui s'est refusée à appliquer la loi de 1905 et qui s'est retrouvée expropriée de fait. J'ignore quels étaient les conseillers du Monseigneur Lustiger de l'époque, mais l'idée était brillante !

En outre, il est fondamental de financer les lieux de culte, car, en raison du contexte de l'affrontement avec l'église catholique, même s'il a été suivi d'un apaisement dans les années 1923 et 1924, la loi de 1905, loi d'ouverture et de tolérance, a été perçue historiquement comme une loi anticléricale, ce qui a généré une attitude destructrice par rapport à l'histoire du fait religieux.

Troisièmement, j'estime, même si nous entrons là dans l'ordre réglementaire, voire dans les programmes de l'Education nationale, qu'il faut également prendre des dispositions pour assurer à tous les enseignants une formation sur le fait religieux et le droit des femmes, de façon à ce que chacun soit en mesure de régler les problèmes. La question dont nous traitons touche à des registres très différents et c'est pourquoi j'aimerais avoir votre avis sur cette proposition de texte déclinable sur le plan et législatif et réglementaire.

M. le Président : Pour prolonger le propos de M. Brard, je me demande, si en l'état actuel des choses, le fait de ne pas légiférer ne sera pas interprété comme une faiblesse ou un renoncement.

Mme Martine DAVID : Je voudrais simplement souligner qu'à aucun moment, je n'ai entendu, dans les interventions de nos invités de ce matin, évoquer le respect de l'individu, le respect de l'élève : cela me choque profondément ! J'ai beaucoup entendu parler du droit à porter le voile, du droit à exprimer ses croyances religieuses, droit que je reconnais, moi qui suis laïque, mais jamais du droit, de la liberté de l'élève qui, au sein de l'école, côtoie quotidiennement celui qui porte le voile. Comment interprétez-vous et résolvez-vous cette situation ? C'est une simple question que je n'entends pas développer davantage, mais qui est quand même au cœur de notre débat.

M. Jean-Pierre BLAZY : Je viens de rejoindre cette mission où je succède à Arnaud Montebourg et je serai par conséquent très modeste.

Je voulais tout d'abord m'adresser à M. Ducomte, qui a dit que, s'agissant des signes religieux, tout était prévu dans la loi de 1905, et qu'il n'y avait donc pas besoin de légiférer, notamment en ce qui concerne l'école. Or, je viens de parcourir de nouveau la loi de 1905, et, sauf erreur de ma part, hormis l'article 28 qui précise qu'il est interdit d'élever ou d'imposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices religieux, je n'ai pas vu de disposition concernant l'école. En conséquence, l'argument qui consisterait à dire qu'il n'y a pas lieu de légiférer sur le port de signes religieux à l'école car la loi de 1905 y pourvoit, ne me semble pas pertinent, mais le sujet mériterait sans doute une expertise plus approfondie...

Nous sommes probablement tous d'accord, ici, pour admettre que le problème majeur est sans doute celui de l'intégration et force est de reconnaître que, ni les uns, ni les autres - et le parti socialiste auquel j'appartiens a eu des responsabilités gouvernementales au cours des vingt dernières années - n'avons totalement réussi dans ce domaine. En même temps, nous n'avons pas, non plus, complètement échoué, puisque, sur la durée, par rapport à la sécularisation des jeunes filles d'origine maghrébines qu'évoquait précédemment l'un de nos invités, les choses évoluent dans le bon sens.

Par ailleurs, il ne faut pas faire une confusion entre les religions et les églises en tant qu'institutions. Nos ancêtres républicains, lorsqu'ils ont légiféré en 1905, dans le contexte historique que l'on sait, voulaient, non pas mettre à mal le fait religieux catholique, mais l'église dans la mesure où la hiérarchie catholique française était plutôt antirépublicaine. Sans refaire l'histoire - on la connaît ! - on peut dire qu'il y avait là, déjà, à l'époque, même si le terme est plus récent, une forme « d'intégrisme » que l'on retrouve aujourd'hui dans les courants intégristes contemporains et notamment, car il ne faut pas se le cacher, dans ceux qui se réclament de l'islam. A partir de là, il est possible de bien cerner le problème, même s'il faut éviter les amalgames et surtout ne pas penser de la question que nous tentons de résoudre tous ensemble qu'elle pourrait se résumer au seul port du voile.

Enfin, je voudrais faire appel à l'étymologie, pour signaler que mot « laïcité » est dérivé du grec laîkos qui désigne ce qui appartient au peuple. La laïcité, au XXIème siècle pourrait donc consister - et c'est pourquoi j'estime qu'il faut une loi - à considérer que l'important est de vivre ensemble et que, de ce point de vue, l'école a un rôle essentiel à jouer. Dans une société dont les membres ont du mal à vivre ensemble et qui traverse une crise profonde, l'école sert un peu de rempart. Si ce rempart venait à s'écrouler, ce serait, pour la République, pour notre démocratie et pour la société, une véritable catastrophe !

Comme cela a été souligné, l'éducation s'inscrit aussi dans le rôle de l'école et tout particulièrement l'apprentissage de la citoyenneté. Il s'agit donc de permettre à tous nos enfants, quelles que soient leurs origines cultuelles et culturelles, de cohabiter demain, d'être citoyens et de vivre la République. C'est pourquoi je considère qu'il faut légiférer, étant entendu que ce sera nécessaire, mais pas suffisant.

Le problème de l'intégration reste posé, d'où une question qui s'adresse à M. Aounit qui est partisan, non pas d'élaborer une loi, mais de développer la médiation. Il a évoqué le cas d'Aubervilliers et précisé que la négociation avait échoué : quel était le compromis proposé ? Puisque cette affaire est d'actualité, j'aimerais qu'il nous précise et qu'il nous explique comment il aurait réglé le cas.

Mme Martine AURILLAC : Plus nous avançons dans nos travaux et plus les choses deviennent complexes et j'aurais un peu tendance à penser, comme mon collègue Jean-Pierre Brard, que le voile n'est finalement que la partie visible de l'iceberg et que la question dépasse très largement le problème de l'école.

J'observe, au fur et à mesure de nos auditions, que tout le monde tombe finalement d'accord sur un certain nombre de réalités : les difficultés tant quantitatives que qualitatives, rencontrées par les enseignants et que l'on connaît pour les vivre dans nos quartiers, y compris dans les quartiers privilégiés ; la nécessité de défendre l'enseignement, l'éducation et l'école qui doit être un exemple de laïcité et de tolérance ; l'importance de lutter contre les dérives islamiques, car l'islam qui est une religion, tend aussi à devenir un mode d'organisation de la société ce qui n'est pas tolérable en France ; l'impérieuse obligation de défendre le statut et la liberté de la femme

Ce constat appelle deux remarques de ma part.

Premièrement, je suis très sensible aux propos tenus par certains d'entre vous sur l'importance de la dimension temporelle. Ils confortent l'idée que nous partageons à peu près tous, selon laquelle l'intégration est l'essentiel, ce vers quoi nous devons tendre. Il est clair que, pour y parvenir, il faudra du temps, de même qu'il faut du temps pour expliquer tout ce que nous venons de dire au sujet de l'islam ou des valeurs républicaines. Les Français ont parcouru tout un chemin sur lequel d'autres, et notamment les musulmans, doivent peut-être encore avancer.

Il reste à choisir entre une charte et une loi. Une charte est sans doute aussi difficile à élaborer qu'une loi. Quoi qu'il en soit, il est nécessaire de marquer des repères et s'il nous faut élaborer une loi, je crois qu'elle ne doit pas être promulguée immédiatement. Pour ma part, je propose qu'elle soit intégrée dans la loi d'orientation plus générale pour qu'elle apparaisse sous forme de prescriptions dans un ensemble plus vaste.

M. René DOSIERE : N'ayant pu assister aux interventions liminaires de nos invités, mon propos s'inscrira dans le prolongement des interventions que je viens d'entendre. Je comprends tout l'intérêt de la notion de temps qu'a évoquée Mme Aurillac et c'est le point sur lequel je souhaiterais entendre la réaction de nos interlocuteurs.

Bien entendu, il convient de prendre un certain nombre de dispositions. C'est compliqué et je ne rentrerai donc pas dans cette discussion.

Je me demande, en revanche, après avoir entendu tout ce qui a été dit sur le statut de la femme, si le problème du port du voile ne se règlera pas définitivement avec le temps. Je ne prétends naturellement pas qu'il faille laisser faire les choses et attendre, mais je tiens à rappeler que la religion catholique n'a pas toujours accordé à la femme une grande place dans la société. On peut dire mutatis mutandis qu'au début du siècle, le catholicisme, par rapport à la place sociale de la femme, adoptait une position aussi rigide que l'islam. Il est donc permis de se poser la question de savoir si nous pouvons espérer voir s'épanouir sous l'action du temps, naturellement conjuguée avec certaines dispositions, une véritable intégration ou si nous sommes face à un système religieux dont l'évolution ne peut être du même type que celle du catholicisme.

Mme Aline SYLLA : Pour répondre à cette dernière question, je ferai observer qu'à la fin du siècle dernier, la France était une nation majoritairement catholique où toutes les femmes étaient logées à la même enseigne. Aujourd'hui, la situation est fort différente et les jeunes issus de l'immigration, qui ont une chance de mener une vie normale, de jouir d'une liberté normale, d'un statut normal et d'avoir accès à une profession, sont uniquement ceux qui ont eu la chance d'avoir des parents et des enseignants qui les ont aidés à s'intégrer. Les autres, qui ont « un petit métro de retard », devront encore attendre pour prétendre y parvenir !

Nous vivons au sein d'une société où, les femmes ayant acquis un certain nombre de droits et d'obligations, il est plus difficile que lorsque les droits des femmes évoluaient pour chacune à peu près au même rythme, d'admettre que celles qui ont pris du retard doivent attendre bien patiemment qu'il se comble.

Vous me permettrez, par ailleurs, de revenir sur la question du service public. J'exerce mes responsabilités dans un établissement public de 1 900 personnes et je vous avoue nourrir quelques inquiétudes. Tout le monde sait, en effet, qu'un jour une candidate au poste d'agent de surveillance au musée du Louvre va porter un voile. Sachant que nous sommes désormais responsables du recrutement direct des agents de cette catégorie et que nous avons la responsabilité d'un service public qui doit être neutre, qu'allons-nous faire ?

M. Jean-Pierre BLAZY : Les textes sont clairs concernant le service public !

Mme Aline SYLLA : Si les textes sont clairs, la position de nos syndicats l'est moins et nous allons tous nous trouver confrontés à ce type de difficultés. C'est aussi la raison pour laquelle je pense qu'intervenir à l'école est décisif. J'ai, en effet, tendance à penser que la probabilité qu'une femme porte le voile au moment d'entrer dans la vie professionnelle sera moindre si elle n'a pas été contrainte de le faire de 4 à 25 ans et si le port du voile n'a pas été toléré à l'école, au terme de compromis qui sont appelés à différer d'une ville à l'autre, d'un lycée à l'autre et d'un enseignant à l'autre.

Quand un certain nombre de comportements sont tolérés, c'est lorsque l'on se heurte soit au monde « difficile de l'entreprise », pour reprendre l'excellente formule de Khalid Hamdani, soit au service public où il y a pléthore de candidats pour un nombre de places extrêmement limité, que l'on se prend la discrimination en pleine face ! Quand on vit dans un système, c'est seulement le jour où l'on est conduit à sortir de sa communauté que l'on découvre que le monde fonctionne différemment et que l'on peut ne pas être accepté par les autres. Or, plus ce choc est tardif, plus il est mal ressenti : on le voit avec les jeunes diplômés qui, au prix de grands efforts, sont parvenus à entrer dans le système et qui se heurtent à la discrimination quand ils se mettent à chercher du travail ! L'école est l'élément clé pour éviter précisément que le problème ne se pose dans le service public et dans les entreprises.

Mme Fadela AMARA : Je voudrais juste revenir sur un point : le problème du port du foulard, contrairement à ce qui a été dit, n'est pas lié à celui de l'intégration. Je suis née en 1964, en France, et je fais partie de ces filles que l'on a appelées « les beurettes ». Mon père a immigré en 1955. Les enfants de ma génération, comme Mouloud, se sont engagés dans le mouvement « beur » pour obtenir l'égalité des droits.

Cela signifie que ce que nous avons vécu par rapport au processus d'émancipation n'a strictement rien à voir avec ce qui se passe aujourd'hui où des éléments nouveaux amènent certaines filles à porter le voile, qu'elles soient, ou non, soumises à des pressions, car il est vrai que certaines le font en accord avec des convictions qui sont tout à fait respectables aussi longtemps qu'elles s'expriment dans le domaine privé. La situation est donc très différente.

Actuellement, les dérives des ghettos, par exemple, sont un véritable terreau qui nourrit toutes les formes d'intégrisme, qui renforce ce sentiment d'injustice et d'exclusion perçu dans les cités et qui empêche une partie de la jeunesse de s'inscrire notamment dans ce que l'on appelle « le sentiment d'appartenance à la nation ».

C'est à ces jeunes que je recommande de faire extrêmement attention à ne pas tomber dans les mouvements intégristes. Pourtant, certains n'y échappent pas - on en a l'exemple de Zacarias Moussaoui qui vivait à Narbonne et qui est accusé d'avoir participé aux attentats du 11 septembre -, j'ajoute qu'il s'agit souvent de gamins qui ne sont nullement en déshérence, qui sont structurés mentalement et qui ont des bac + 5, voire + 10.

Je veux cependant bien admettre que se pose un problème de discrimination : c'est une réalité qui provoque un vrai sentiment d'injustice chez les jeunes de nos cités. Quand je parle de discrimination, j'entends aussi la discrimination sociale, car même si ce sont le plus souvent les jeunes issus de l'immigration qui souffrent de ce phénomène, d'autres en pâtissent tout autant du seul fait d'habiter dans un quartier qui a mauvaise réputation.

Si je conseille de gagner du temps, c'est parce que, vivant encore dans la cité, je sais qu'il est préférable de légiférer un peu plus tard, après avoir, étape par étape, instauré le dialogue et la discussion. J'ignore sous quelle forme les textes doivent être élaborés, mais je pense, de toute façon, que leur rédaction doit être repoussée pour une raison bien claire : les militants républicains laïcs ne sont pas majoritaires dans les cités. Contrairement à ce qui a pu être dit ici, des mouvances intégristes y sont implantées et font un véritable travail de sape. Elles ne sont pas uniquement d'obédience musulmane, mais aussi d'obédience juive, catholique pour ne pas parler de certains groupes politiques qui en sont devenus les alliés objectifs...

M. Jean-Pierre BLAZY : A qui faites-vous allusion ?

Mme Fadela AMARA : Aux membres de l'extrême droite. Ils sont devenus, dans la cité, les alliés objectifs des mouvances intégristes contre lesquelles nous sommes en train de nous battre et nous les retrouvons face à nous, sur le terrain. C'est un problème, car nous savons quel statut ils réservent aux femmes dans leur programme politique. Ce sont là des forces qui convergent presque « naturellement ».

Ce qui, moi, m'inquiète, c'est l'impact de cette situation sur le statut de la femme C'est par réaction à la violence qui sévit dans nos quartiers que certaines filles portent le voile qui devient un voile que je qualifierai « de protection ». D'autres portent le voile dans la sphère privée, par conviction religieuse, ce qui est respectable. En revanche, les femmes soldats du « fascisme vert », ainsi désigné par référence à la couleur de l'islam, qui sont minoritaires mais qui existent, suivent des stages de communication, sont prises en charge par de véritables organisations, et se livrent à un sérieux travail de sape.

La situation des filles qui, comme nous, descendent dans les cités pour engager le débat sur ces questions, devient de plus en plus difficile ! Je vous pose donc la question : si la République n'est pas capable de me protéger, qui va-t-elle protéger ?

Il faut faire très attention. Je rappelle, pour éviter d'être accusée de stigmatiser les choses que je m'appelle Fadela, que je suis musulmane pratiquante, et je dis nettement que ces gens-là « ont tout faux »! Il faut parvenir à gagner du temps avant de légiférer pour donner la possibilité à des gens comme nous d'instaurer le dialogue en vue de faire admettre qu'à un moment donné, la règle commune, notamment dans les établissements scolaires et les services publics, s'applique à tous. Je ne vois pas pourquoi on réserverait un traitement différent à certaines religions et notamment à l'islam !

Pour conclure, je soulignerai, car il faut que les choses soient très claires, que la question du port du voile n'a jamais été tranchée, non plus, au sein de la communauté musulmane, depuis la mort du prophète. C'est d'ailleurs pourquoi cela me fait un peu sourire d'entendre discuter du voile comme d'un signe religieux. Même s'il peut avoir pour certains une connotation religieuse, il représente avant tout, pour moi, un outil d'oppression qui s'exerce, comme par hasard, sur les femmes. Cette histoire de recommandation, d'incitation à porter, ou non, le voile n'a jamais été tranchée dans la communauté musulmane. Elle fait d'ailleurs l'objet de grandes luttes qui sont menées à l'extérieur par toutes les femmes dans les pays arabes et en particulier dans les pays musulmans.

Selon moi, il va donc falloir, le moment venu, légiférer pour que la règle commune s'applique à tous dans les établissements scolaires et le service public : sur ce point, nous devons être très clairs !

M. Jean-Pierre BLAZY : Oui, mais quand, puisque vous dites qu'il est trop tôt ?

Mme Fadela AMARA : Pardonnez-moi, mais ce n'est pas, monsieur, ma faute si les politiques, de gauche comme de droite, ont fait n'importe quoi avec les cités quand ils étaient au pouvoir ! Je suis très attachée à la République. J'accepte donc de faire un gros travail d'équipe, mais il ne faudrait quand même pas qu'il se retourne contre ses auteurs et contre la République.

Si l'on parle du voile, c'est dans le cadre des cités - on ne va pas se pencher sur le cas de la Saoudienne qui porte le voile dans un hôtel du 16ème arrondissement - et il est très difficile de n'agir que sur un paramètre. Il est vrai que la question du voile fait naître un sentiment d'injustice et traduit un repli communautaire. Je suis née dans la cité et je ne crois pas aux discours de victimisation et de misérabilisme. Tout cela, y compris le terme « intégration », m'ennuie. Je suis profondément républicaine et laïque et je refuse que l'on stigmatise une catégorie de la population. Cela étant, je refuse également que, sous le prétexte de ne pas stigmatiser tel ou tel, pour des raisons x ou y, nous en arrivions à une situation extrêmement délicate, où nous nous retrouverions, comme par hasard, enfermés en priorité ! Quand on aborde la question du voile, il faut aussi évoquer celle des ghettos, de la violence dans les cités et donc intervenir sur différents paramètres.

Je trouve aussi extrêmement inquiétant que des hommes et des femmes politiques qui exercent des responsabilités, se situent dans l'acceptation, ce qui conforte l'action de ceux qui ne cherchent qu'à tester la République. Plus nous céderons, plus nous reculerons et plus nous perdrons sur le front de la bataille en faveur de la République. J'en veux pour exemple la question des horaires de piscine qui, aujourd'hui, sont aménagés. En l'occurrence, il ne s'agit pas de gamines qui fréquentent l'école, mais je rappelle qu'en additionnant un point, un autre point, et encore un point, on obtient vite une ligne droite ! Dans ces conditions, il ne faudra pas s'étonner si, à un moment donné, nous nous retrouvons dans une situation extrêmement difficile et délicate.

M. Michel MORINEAU : Au fil des interventions, je me suis posé deux questions que je vais vous soumettre en y ajoutant une remarque.

La première question est relative à la difficulté de légiférer. La loi de 1905 relève du registre des lois de liberté publique et, à travers elle, c'est finalement la liberté de conscience qui est assurée et la liberté de culte qui est garantie. Comment une loi peut-elle interdire ou sanctionner le port du signe religieux à l'école sans porter atteinte à la liberté de conscience dans la mesure où cette dernière suppose la possibilité d'exprimer publiquement son appartenance ? Je vois là un danger : en voulant légiférer, n'allons-nous pas nous trouver en contradiction avec ce qui constitue l'un des fondements de la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat ? Comment allons-nous articuler l'interdiction du signe religieux avec le respect de la liberté de conscience ?

Ma seconde question a trait à l'article 2 de la loi de 1905 qui énonce très clairement dans son deuxième alinéa qu'il existe la possibilité d'organiser, avec l'aide de la puissance publique, des aumôneries. Nous n'avons pas encore trop de cas d'aumôneries musulmanes au sein de l'école publique, mais si cette loi interdisant le port de signes religieux devait voir le jour, comment contourner la difficulté pour qu'elle n'engage pas également l'interdiction des aumôneries ?

J'en arrive à ma remarque. On a, ici, beaucoup parlé des mouvements intégristes, fascisme vert ou autres, qui existent, mais dont j'ignore l'importance en pourcentage. Cependant, il faut également prendre en considération le fait que, dans la communauté musulmane, au travers de la commission laïcité-islam, de très nombreux musulmans sont aujourd'hui en train de travailler - je peux en témoigner - sur la façon d'introduire l'islam dans la modernité démocratique occidentale. Il faut donc aussi faire confiance à ce mouvement profond qui n'est pas encore médiatisé, mais qui existe, car la question se pose pour beaucoup de musulmans de savoir comment ils peuvent être à l'aise et dans leur foi et dans les institutions de la République.

Mme Fadela AMARA : Je serais curieuse de connaître la liste des participants !

M. Michel MORINEAU : Je peux personnellement témoigner que ce travail s'accomplit. D'ailleurs une publication récente a fait référence à ces réformateurs de l'islam. Il faudrait peut-être tenter de s'appuyer sur ces travaux qui pourraient contrebalancer les emprises des intégristes, mais, en la matière, le temps joue un rôle essentiel. Je rappelle qu'il a fallu, pour que l'église catholique reconnaisse la laïcité comme étant la condition juridique de la liberté de l'acte de foi, attendre 1947, elle a mis soixante-dix ans, entre la loi de 1905 et le rapport Dagens, en passant par les étapes de 1924 et de 1947, pour clore le débat.

Je pense qu'il faudra moins de temps aux musulmans pour y parvenir, pour la simple raison que la sécularisation progresse dans la société. En conséquence, faisons en sorte d'aider ceux qui sont favorables à cette sécularisation de l'islam, de faire avancer plus rapidement l'islam, sachant que cela prendra quand même un certain temps et c'est en quoi la réflexion de M. Brard me semble intéressante à creuser. Je considère, en effet, que partir d'un cadre susceptible d'être décliné par voie plutôt réglementaire que législative peut constituer une réponse aux problèmes posés, notamment par les enseignants qui se sentent désarmés, ce qui renvoie à cette question : pourquoi se sentent-ils désarmés, est-ce en raison de l'imprécision du système juridique actuellement en vigueur ou en raison de la méconnaissance qu'ils en ont ?

M. Driss EL YAZAMI : Je trouve que Mme Aurillac et M. Brard ont bien résumé le débat. Quel que soit notre point de vue sur l'opportunité de légiférer, nous voyons bien que le débat sur le port du voile à l'école pose un problème plus global et à étages multiples : la question des droits des femmes et de l'égalité des sexes, la place de l'islam en France, la diversité de cet islam, la capacité qui est la nôtre à vivre ensemble un pluralisme religieux qui va toujours croissant.

Face à cette situation, soit nous légiférons dans l'urgence, soit nous prenons le temps de réfléchir. Je pense que le centenaire de la loi de 1905, nous offre une occasion en or d'ouvrir le plus largement possible, dans ce pays, un débat sur la laïcité et sur la capacité de la laïcité française, en l'état ou modifiée, à gérer un pluralisme religieux qui devient de plus en plus évident, non seulement en France, mais dans tous les autres pays européens.

Vous me permettrez, de ce point de vue, de formuler deux petites observations.

Premièrement, je viens d'entendre qu'un certain nombre de discours d'imams poussent à la haine et contribuent à la dévalorisation de la femme. La loi de 1905 permet, en l'état, de punir de tels discours et des condamnations ont d'ailleurs été prononcées. Je veux dire par là qu'aujourd'hui, la République a des possibilités d'intervention : il s'agit simplement d'avoir la volonté politique d'agir.

Deuxièmement, même si nous ne disposons pas du temps suffisant, nous venons de discuter du terme « intégrisme ». Quand on parle d'intégrisme, s'agit-il de menées subversives éventuelles, auquel cas il faut les sanctionner, de recherches conduites par certains courants musulmans comme les a décrites à l'instant Michel Morineau, auquel cas, il faut les encourager, ou d'une action légitime démocratique à partir d'un référentiel religieux, auquel cas, la démocratie chrétienne ayant finalement bien existé dans ce pays, nous n'y sommes pas opposés ?

Je veux dire par là que nous devons porter un regard sur notre histoire, qui nous permette d'appréhender les réalités nouvelles. Nous sommes dans un pays qui a accordé le droit de vote aux femmes en 1946, ce à quoi s'opposaient même des républicains aussi convaincus que nous le sommes aujourd'hui, considérant que les femmes étaient les suppôts de l'église catholique.

En conséquence, ou nous pensons qu'il y a une essence musulmane définitivement réfractaire à la réforme, et il faut sévir, ou nous pensons que l'islam est, à l'instar de toute autre religion, capable de subir l'influence de l'histoire, de l'environnement, des rapports de force, et il faut alors, comme je le propose, élargir le débat et y inclure, bien évidemment, les enseignants.

M. Mouloud AOUNIT : Je me réjouis de l'épaisseur que prend cette discussion, mais il est vrai que le problème que vous avez posé, recouvre cette question fondamentale, qui, un jour ou l'autre, devra être réglée : la place de l'islam, deuxième religion de France, dans un pays laïc, marqué par une tradition judéo-chrétienne. C'est un défi !

Je constate, par ailleurs, que c'est au moment où l'on voit de plus en plus d'immigrés, mais surtout de Français, se convertir à l'islam, qu'une sorte de crispation surgit à leur endroit. C'est cette image d'une appartenance à la France et à l'islam qui suscite un certain nombre de réactions.

Je m'inscris en faux contre certains propos car je ne supporte décidément pas que l'on parle du « fascisme vert ». Le fascisme, c'est du fascisme ! Pourquoi serait-il vert, rouge ou brun ? Le fascisme doit être combattu en tant que tel. Pourquoi cette association de termes ? Je vous renvoie à mes précédents propos quand je faisais allusion à certaines dérives sémantiques dont je déclarais qu'elles étaient révélatrices de quelque chose. Selon moi, ce « quelque chose » est une idée qui se distille sournoisement dans notre société qui la véhicule dans une partie non négligeable de l'opinion publique, selon laquelle l'islam comploterait contre la République et ses institutions.

Il y a donc un débat de fond et ce n'est pas un hasard si nous nous efforçons, même si c'est compliqué, de conduire une réflexion sur cette question de l'islamophobie. Il est clair que ne sommes pas là pour défendre l'islam, mais nous estimons qu'il y a un problème de rupture du principe d'égalité et qu'il n'appartient pas aux musulmans de se battre là-dessus.

Je voudrais, maintenant, pour lever une ambiguïté, établir une distinction entre les adultes et les mineurs. En ce qui concerne la question de l'école, nous avons à faire à des mineurs qui, nous en sommes d'accord, ont besoin d'être protégés et face auxquels nous pouvons user d'une arme supplémentaire : la pédagogie et la force de l'éducation. En revanche, tout comme vous, je refuse d'être jugé par quelqu'un portant une kippa ou un foulard : je ne le supporterais pas ! J'établis donc une distinction entre, d'une part, la gestion d'une problématique mettant en cause des adultes dans un espace particulier et, d'autre part, la nécessaire protection que l'on doit à une personne mineure et donc en phase de construction identitaire.

Je voudrais ajouter que la pire des choses serait de ne pas faire preuve d'intelligence dans l'appréhension de sujets aussi complexes. Il est vrai que je ne suis pas dupe. Je sais parfaitement que certaines personnes se livrent à des manipulations, mais mon expérience de terrain - j'habite et je travaille en Seine-Saint-Denis et je connais les jeunes dont nous parlons - me permet d'affirmer que les raisons de porter le foulard sont multiples. Certaines jeunes filles sont en quête d'identité, d'autres sont manipulées, d'autres encore recherchent une protection contre l'environnement extérieur ou se couvrent par pudeur. Cette multitude de motivations explique que la jeune fille mineure soit prise dans la logique du foulard et la réponse apportée au problème doit donc être appropriée et adaptée aux différentes situations.

Je terminerai en répondant à la question qui m'a été posée sur l'affaire d'Aubervilliers qui illustre bien la complexité du problème. Voilà une affaire où les parents des intéressées sont laïcs, où il n'y a apparemment pas de manipulations, et où n'entrent en jeu ni barbus, ni forces obscures. J'ai eu l'occasion de discuter avec les élèves concernées et la discussion progressait quand sont intervenus les médias à l'appel d'un certain nombre d'enseignants qui refusaient l'accord conclu entre le père et le proviseur. Les différents acteurs étaient, certes, crispés, mais en trouvant un espace pour le dialogue où chacun doit faire un pas, la tenue vestimentaire de ces filles pouvait faire l'objet d'une négociation par rapport aux exigences liées à un certain nombre de règles en vigueur dans le cadre de l'établissement scolaire. L'accord était acquis !

M. Jean-Pierre BLAZY : Lequel ?

M. Mouloud AOUNIT : Celui qui consistait à se mettre autour d'une table pour débattre, par exemple, des conditions dans lesquelles les jeunes filles accepteraient d'assister aux cours de gymnastique.

Il faut savoir que nous sommes partis d'une situation où personne ne voulait parler et où chacun était crispé sur sa position : le père qui entendait porter plainte, les enseignants qui ne voulaient rien céder sur la laïcité et le pauvre proviseur qui recevait des coups de partout. Face à cette situation, les gamines, qui sont profondément engagées dans la lutte contre l'intolérance, se sont senties victimes d'une discrimination et se sont fermées à leur tour. Du coup, la meilleure des choses était d'éviter d'en rester à ce statu quo. Le fait de réussir, au terme d'un long débat, à trouver les conditions pour que chacun se sente prêt à s'asseoir autour d'une table et à faire un effort, représentait déjà une avancée. Il y a quarante-huit heures, j'étais encore avec le recteur, le père et le responsable de l'établissement. Nous sommes sortis de cette rencontre, qui a duré deux heures, avec cette volonté d'aboutir, moyennant un effort de la part des gamines, dans le cadre du respect d'un certain nombre de règles d'éducation. J'ai été stupéfait en apprenant ce qui s'était passé entre cette rencontre du soir et la décision prise le lendemain matin.

Il est toujours facile de casser une négociation : il suffit de mettre la barre tellement haute qu'on en vient à la rupture. Ce qui s'est produit ne correspond pas à l'accord qui avait été trouvé et j'ai, personnellement, l'impression que l'on a, suite à une intervention extérieure, fait en sorte que le cas d'Aubervilliers soit perçu comme un signal.

M. Jean-Pierre BRARD : Mais quelles étaient les modalités de l'accord ?

M. Mouloud AOUNIT : Les filles réclamaient d'avoir le cou, les oreilles et la tête cachés. La négociation portait sur le fait de savoir jusqu'où nous acceptions d'aller, si elles ne pouvaient pas porter un foulard plus discret, mais toujours dans la perspective que certaines obligations ne pouvaient pas donner lieu à discussion : l'assiduité aux cours, le choix des enseignants, le respect de certaines règles relatives à la sécurité ou autres. Ces points étaient acquis et c'est au moment où nous allions nous retrouver autour de la table que la barre a été mise trop haut et que tout a explosé.

M. Jean-Pierre BLAZY : Qu'entendez-vous quand vous dites que « la barre a été mise trop haut » ?

M. Mouloud AOUNIT : Quand on veut dialoguer avec quelqu'un, des pas doivent être faits mais tout dépend où l'on met la barre. Quand on se borne à dire : « Vous m'enlevez tout cela ! », il n'y a plus de dialogue possible !`

M. le Président : C'est là où tout le problème se pose et je ne cache pas que ce que je viens d'entendre m'inquiète beaucoup !

M. Mouloud AOUNIT : Il faut faire le pari de la durée.

M. le Président : N'y a-t-il pas aussi un peu de lâcheté à engager un tel pari ?

M. Mouloud AOUNIT : Cela peut être une étape.

M. le Président : Chacun est, ici, libre de s'exprimer, mais permettez-moi de vous dire que ce que je viens d'entendre à propos de cette affaire me renverse. Je suis, non seulement effaré, mais extrêmement inquiet !

M. Mouloud AOUNIT : Ce qui a mis le feu dans cette affaire, c'est l'appel d'enseignants irresponsables à la presse !

M. le Président : C'est là un autre sujet !

M. Jean-Pierre BLAZY : Pourquoi qualifiez-vous ces enseignants d'irresponsables ?

Mme Monique LELOUCHE : Pour clarifier les choses, je rappelle que nous défendons la négociation, ce que beaucoup d'entre vous n'approuvent pas. A partir de là, il faut savoir ce que l'on appelle une négociation. Une négociation ne peut pas se limiter à donner le choix entre l'exclusion et le retrait immédiat du foulard. Dans une négociation, chacun doit faire un effort pour débloquer la situation.

M. le Président : Et nous allons négocier dans tous les cas particuliers ?

Mme Monique LELOUCHE : Il n'y en pas tellement !

M. le Président : Je n'ai pas votre expérience, mais j'écoute ce que l'on me dit et je ne peux que constater l'énorme décalage qui existe entre les informations qui remontent à l'inspecteur d'académie et la réalité du terrain que vivent les professeurs.

M. Michel TUBIANA : La vraie question qui se pose derrière tout cela, et qu'il faudra bien que, les uns et les autres, vous exprimiez très clairement, est celle du refus de tout signe et particulièrement du voile à l'école. Assumez cette interdiction en disant que vous ne voulez voir qu'une tête puisque c'est votre souhait et cessez de tourner autour du pot !

M. le Président : Pour ce qui me concerne, je l'assume totalement. Cela étant, il y a la loi et sans anticiper sur les conclusions de nos travaux, je pense que nous sommes arrivés à un moment où ne pas légiférer relèverait d'une certaine lâcheté. La différence entre un député et le juge d'instruction que j'ai été, c'est que le second pose les questions et que le premier y répond : c'est beaucoup plus facile d'être juge d'instruction !

M. Driss EL YAZAMI : A supposer que toutes les femmes qui portent le foulard veuillent subvertir la République, comment allez-vous régler la question des hommes, celle des barbus, par exemple ?

M. le Président : Je considère que l'école est un lieu qui doit être préservé de toute interférence religieuse ou politique.

M. Khalid HAMDANI : Pour avoir fait, dans les années 80, un peu d'anthropologie, je dirai qu'il ne faut surtout pas construire des interlocuteurs imaginaires. C'est avec beaucoup d'amitié que je vous précise qu'il est écrit dans un verset du Coran - sourate 33, n°59 - excellemment traduit par Jacques Berque : « Ô prophète ! Dis à tes épouses, à tes filles et aux femmes de croyants de rabattre sur elles leurs grands voiles. Elles en seront plus vite reconnues et éviteront d'être offensées. »

Mme Fadela AMARA : Mais il y a deux versets !

M. Khalid HAMDANI : Laissez-moi terminer ! On construit des interlocuteurs en considérant les gens qui portent le voile, en France, comme des puristes de l'interprétation de l'exégèse du Coran. Or, le caractère obligatoire ou facultatif du voile a donné lieu à un débat historique dont les termes sont très simples : dans l'islam la question du port du voile...

M. le Président : Il ne nous appartient pas, monsieur, d'entrer dans l'interprétation du Coran !

M. Michel TUBIANA : Vous avez raison !

M. Jean-Pierre BRARD : Pas plus que dans celles de l'Ancien et du Nouveau testament !

M. le Président : Absolument !

M. Khalid HAMDANI : Je voulais juste dire que même les musulmans n'ont pas tranché cette question du voile. Le problème qui nous intéresse est celui du libre choix d'une citoyenne et de la protection de l'enfance. Autrement dit, comment assurer la liberté de choix d'une adolescente ou d'une enfant, y compris et surtout face à l'endoctrinement qui inculque des valeurs antidémocratiques ou totalitaires ? La question du voile va se décliner, en France, sur des registres qui relèvent pour le coup d'un catalogue à la Prévert et qui vont de la protection contre le désir nécessairement brutal et animal des hommes, jusqu'à la pudeur uniquement réservée aux femmes, en passant par la quête d'identité, les symboles de rébellion, le retour aux sources, la protection de l'honneur de la tribu, l'intériorisation de l'image négative du corps féminin, sans oublier le combat politique ou la mode. Ce qui est important, pour nous, c'est de ne pas transiger avec la question de l'égalité de l'homme et de la femme !

M. le Président : C'est pourquoi l'intervention de M. Aounit m'a profondément troublé !

M. Khalid HAMDANI : En revanche, je suis favorable, comme de nombreux intervenants, à ce que l'on gère la période de transition par le dialogue le plus large possible en marquant clairement que nous avons pour objectif de légiférer, faute de quoi nous reviendrons sur l'égalité des hommes et des femmes.

M. le Président : Mais qui va déterminer quand doit prendre fin la période de transition ? Tout cela revient à remettre à plus tard l'affirmation d'un certain nombre de principes et c'est en quoi je trouve l'attitude un peu lâche.

M. Jean-Pierre BLAZY : Nous pourrions, en effet, considérer que nous sommes entrés dans une période de transition depuis déjà quinze ans. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous nous trouvons dans cette situation et qu'il nous faudrait en sortir.

Pour ma part, je souhaiterais revenir sur le cas d'Aubervilliers. Puisque vous privilégiez, M. Aounit, la négociation au cas par cas et puisque vous estimez que l'arrêt du Conseil d'Etat est la meilleure des choses, je vous renvoie à la décision du Conseil d'Etat du 10 mars 1995, décision dite « Aoukili », par laquelle il confirme l'exclusion de deux élèves d'un lycée ayant refusé d'enlever leur voile en cours de gymnastique. Puisqu'il y a déjà une décision du Conseil d'Etat sur un cas précis, n'encouragez donc pas, dans celui d'Aubervilliers où l'on pourrait se référer à la jurisprudence, des négociations ou des compromis qui ne font qu'enflammer les esprits ! L'affaire est en train, en effet, de prendre des proportions qui deviennent difficiles à maîtriser, surtout dans le contexte actuel et au moment où se déroulent les travaux de la Commission Stasi et de notre mission d'information.

M. Michel TUBIANA : Je voudrais juste ajouter deux remarques un peu crues, mais également un peu fermes.

Premièrement, je souhaiterais que les itinéraires individuels des uns et des autres ne rentrent pas en ligne de compte dans ces débats pour la raison simple que Rockefeller ne résume ni l'Amérique, ni le rêve américain.

En dehors de la question de la charte qui me paraît poser le problème de la hiérarchie des normes, dans la mesure où le fait de tirer une loi à partir d'une charte revient à dire que la charte a une valeur constitutionnelle, vous pouvez effectivement légiférer sur le sujet. Vous pouvez lancer comme message à ces populations que la question qui se pose est celle des signes religieux, à l'école, aujourd'hui, mais, en tant que législateurs, vous ne ferez que réduire un peu plus la crédibilité du politique auprès de populations qui ont de grandes attentes. C'est tout que vous obtiendrez en répondant de la sorte à ceux qui sont en situation de désinsertion sociale, et de déshérence à l'égard du politique.

A ce propos, je soulignerai un petit point qui en dit long : à Toulouse, les « motivés », qui présentaient pourtant des listes directement issues des quartiers, n'ont pas attiré un électeur de plus, ni suscité une inscription supplémentaire sur les listes électorales.

Posez-vous la question de savoir quelle est la signification du signe que vous lancez. Si, effectivement, à ceux qui disent : « transports publics, travail, missions de l'école, non-discrimination », vous répondez : « voile », vous accroîtrez considérablement le discrédit des hommes politiques : j'en suis intimement convaincu !

M. Dominique SOPO : S'agissant de la position de M. Aounit, je dirai que l'on en voit vite les limites. On peut, en effet, dialoguer et discuter, et je répète que les enseignants auront à cœur de le faire, mais il arrive un moment où il faut une règle. On ne peut pas engager une discussion sans se réserver, pour la fin, un filet de rattrapage en cas d'échec.

Pour être caricatural, si quelqu'un souhaite porter le voile et que l'on s'inscrit dans une logique de négociation, la négociation ne peut se solder que par une acceptation. A l'instar de la tactique des syndicats quand ils négocient avec le gouvernement, il suffit de pousser la surenchère pour parvenir à ses fins ! Les négociations, dans la mesure où elles conduisent à transiger sur certains points, ne constituent pas, selon moi, une solution.

Selon M. Tubiana, nous devons dire clairement que nous sommes opposés au port de signes religieux et particulièrement au port du voile. Oui, nous avons dit assez clairement que nous étions contre le port de signes religieux à l'école et nous disons, sans aller jusqu'à manifester une hostilité particulière au voile, qu'il pose, en tout cas, une question que nous ne pouvons pas ignorer, qui est celle de la protection de la femme et de son statut. A cet égard, je vois dans l'interdiction du voile, à la différence de M. Tubiana qui n'y voyait qu'un signe négatif, un signe politique adressé à des femmes qui, dans un certain climat, subissent une pression, d'ailleurs pas forcément matérialisée par l'obligation de porter le voile, mais qui ne leur laisse, en fait, pas d'autre choix.

Par ailleurs, et je rejoins là la position de M. Tubiana, nous ne pouvons pas nous limiter, s'agissant des populations immigrées, à la question du voile et de la coercition. Si j'ai montré quelques réticences à élaborer une loi, c'est parce je pense qu'elle pourrait être interprétée comme une stigmatisation de la population musulmane.

Pour l'éviter, la République doit tenir un discours plus global par rapport aux discriminations. De ce point de vue, je dois dire, puisque le terme d'intégration a donné lieu à débats, qu'il ne faudrait pas que les représentants de la République donnent l'impression de créer eux-mêmes une distance là où il n'y en a pas.

Je suis peut-être noir, mais je suis intégré, je me sens aussi Français que n'importe qui et je pense qu'il en est de même pour Aline, Fadela ou Mouloud. Il ne faut pas poser le problème de l'intégration dans les mêmes termes que si les gens n'étaient pas intégrés.

Il y a six millions de musulmans en France, dont l'immense majorité sont français et se sentent français. Au-delà, se pose un problème d'intégration économique du fait de la discrimination qui est faite au niveau du travail et de l'emploi, mais, dans leur immense majorité, les musulmans, non seulement vivent dans le cadre de la laïcité, mais se sentent avant tout français. C'est cette caractéristique qu'il faut mettre en avant et conforter pour que, si l'on envoie un message concernant le port des signes religieux, il ne puisse pas être interprété comme un acte de défiance par rapport à une communauté.

M. le Président : Vous avez raison de poser le problème du point de vue de la façon dont peut être interprété le fait de légiférer.

En réalité, nous sommes tous d'accord sur le fait que nous pouvons parfaitement légiférer. Sur le fond, sur la laïcité, ou sur le rôle de l'école, nos sensibilités sont les mêmes. Là où les opinions divergent c'est sur l'opportunité de légiférer, les uns pensant qu'il faut le faire et envoyer un signe très fort, les autres conseillant de ne pas le faire au motif que la loi pourrait être mal perçue.

Mme Fadela AMARA : Je ne reprendrai pas les propos de Dominique Sopo qui correspondent exactement à ce que je souhaitais dire, mais je confirme, tout en sachant que cela peut choquer, qu'il faut faire extrêmement attention. Je ne vous cache pas que j'en veux terriblement à certaines femmes et à certains hommes politiques dont les décisions accompagnent les formes de communautarisme, l'installation des mouvances intégristes ou autres, et contribuent à faire reculer le statut des femmes. Les revendications concernant les horaires de piscine ne sont pas anodines, car les habitants des cités ont parfaitement compris que la religion doit rester du domaine privé. Cela me semble d'autant plus évident que c'est un des sujets dont nous discutons tous les jours, y compris avec les parents qui d'ailleurs ne doivent pas être mis en cause car ils ne sont pas à l'origine du problème...

Il faut, le moment venu, pouvoir intervenir sur l'ensemble des paramètres pour gagner la bataille de la République. Le fort taux d'abstention aux élections ne touche pas, contrairement à ce qui a été dit, particulièrement les musulmans, mais l'ensemble de la jeunesse. Une grande vigilance s'impose car je suis persuadée que ce n'est que dans le cadre de notre République laïque que nous parviendrons à cohabiter dans le respect mutuel. Si notre vigilance baisse notamment par rapport aux différentes façons dont peut s'implanter le communautarisme avec toutes ses dérives, nous courrons un grand risque. Des tentatives existent, il faut y faire très attention, comme il faut faire très attention aux décisions qui peuvent être prises par les uns et les autres, y compris par les membres de certains groupes politiques. Pour ce qui me concerne, je tirerai la sonnette d'alarme chaque fois que cela m'apparaîtra nécessaire !

M. le Président : Mesdames, messieurs, je vous remercie de votre participation.

Table ronde regroupant
M. Georges DUPON-LAHITTE, président et M. Faride HAMANA, secrétaire général de la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE),
Mme Lucille RABILLER, secrétaire générale de l'association des Parents d'élèves de l'enseignement public (PEEP),
M. Bernard TEPER, président de l'Union des familles laïques (UFAL),
Mme Véronique GASS, vice-présidente et M. Philippe de VAUJUAS, membre du bureau national de l'Union nationale des associations de parents d'élèves de l'enseignement libre (UNAPEL)

(extrait du procès-verbal de la séance du 24 septembre 2003)

Présidence de M. Jean-Louis DEBRÉ, Président

M. le Président : Mesdames, messieurs, notre interrogation porte sur la nécessité ou non de légiférer aujourd'hui pour tenter de régler la question du port des signes religieux à l'école. Je propose à chacun d'entre vous de se présenter et de présenter brièvement sa position. Ensuite, nous ouvrirons un dialogue.

Mme Véronique GASS : Je suis la vice-présidente de l'Union nationale des parents de l'enseignement libre (UNAPEL). Notre position de principe est contenue dans un communiqué de presse publié en juillet. Nous ne souhaitons pas de loi sur le port de signes religieux à l'école d'une façon générale.

M. le Président : Pourquoi ?

M. Philippe de VAUJUAS : Je suis membre du bureau de l'UNAPEL. Il nous semble difficile de dissocier le port d'insignes religieux au sein des établissements scolaires du port des signes religieux dans les espaces publics. La crainte d'un débordement nous laisse à penser que la loi est dangereuse, car elle toucherait à la liberté d'expression religieuse qui, elle-même, représente une dimension essentielle de la liberté de conscience.

M. le Président : Estimez-vous la législation actuelle suffisante ?

M. Philippe de VAUJAS : La législation actuelle est sans doute suffisante, ce qui ne l'est pas, ce sont les outils donnés aux enseignants et aux chefs d'établissement pour gérer les tensions existantes entre les convictions personnelles et religieuses d'un certain nombre d'élèves et la nécessité de faire appliquer la loi commune. De telles tensions sont parfois difficiles à gérer. Il faut donc doter les chefs d'établissement d'outils dont ils sont dépourvus. Force est de reconnaître qu'ils ne sont pas préparés.

M. Georges DUPON-LAHITTE : Je suis président de la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE). Je rejoindrai les propos tenus : nous considérons qu'une loi nouvelle n'est pas utile pour deux raisons : d'abord, le principe de laïcité concerne l'Etat et pas les individus. L'élève n'est pas laïque, aucun d'entre-nous n'est laïque, c'est l'institution qui est laïque. Nous sommes tous pétris de nos convictions religieuses, philosophiques ou politiques.

L'école est laïque en tant qu'institution. Cela concerne les bâtiments, les programmes, les serviteurs que sont les personnels de l'Education nationale qui, eux, sont soumis à la règle de la laïcité. L'usager qu'est l'élève, le parent, n'est pas un laïque par essence ; il est accueilli à l'école publique dans sa diversité. Se pose donc, dans l'école publique, le problème du respect par les usagers de la neutralité imposée. Nous arrivons avec nos croyances ; dans le même temps, nous devons respect à l'autre, puisque tel est le fondement de la laïcité. Dès lors, la vraie question est celle du prosélytisme, de toutes formes de sélection dans les programmes ou d'atteinte à l'obligation scolaire, ce qui n'est pas tolérable. Partant de là, les données juridiques permettent d'interdire le prosélytisme ou la sélection de tel ou tel enseignement, quelle que soit d'ailleurs la religion. Nous pensons que se polariser sur le foulard dit islamique...

M. le Président : Nous n'avons pas parlé du foulard.

M. Georges DUPON-LAHITTE : Pour l'instant !

Ce qui provoque l'émoi, c'est bien le foulard. La législation actuelle, rappelée par l'avis du Conseil d'Etat, permet aujourd'hui de lutter contre le prosélytisme et de garantir le respect des obligations scolaires - assiduité à tous les cours, respect des programmes dans leur intégralité. Nous avons les moyens, alors que toute tentative d'interdiction peut aboutir à des abus. Je ne prendrai qu'un exemple, celui d'un chef d'établissement qui crée un conflit à cause d'un élève arborant une coupe de cheveux en forme de crête. Sur quelle base interdira-t-il l'accès de son établissement à cet élève ? Au prétexte que la coiffure ne lui convient pas ? Par extension et au-delà des insignes, se pose le problème du respect des obligations fondamentales posées par la loi en termes de contenu de l'enseignement. Est-ce que la question d'une coiffure a plus de conséquences que le port d'un fichu ?

M. le Président : Le port d'un fichu ne serait-il que l'expression d'une manifestation religieuse ?

M. Georges DUPON-LAHITTE : Aboutir à une vision simple, c'est tomber dans le risque d'une simplification d'un phénomène complexe. On ne peut pas définir quel type de tenue vestimentaire est obligatoirement la marque d'une volonté de prosélytisme ou un signe religieux. Nous avons souvent vu que des jeunes, en réaction à l'interdiction de la présence d'élèves portant un voile, avaient décidé d'en porter un. Là se pose un difficile équilibre qui nous conduit à dire que la loi est suffisante et que toute interdiction porte en elle le risque d'un engrenage.

M. Faride HAMANA : Je suis secrétaire général de la FCPE. Vous comprendrez aisément que les propos que je vais tenir sont à peu près identiques à ceux de mon président.

M. le Président : C'est rassurant, mais très différent de ce qui se passe à l'Assemblée nationale !

M. Faride HAMANA : Je souhaite ajouter que, si depuis 20 ans, on parle de signes religieux, ce n'est ni au sujet des croix ni des mains de Fatima, mais du voile. Une certaine hypocrisie essaie de se cacher dans un terme générique, alors que le débat ne porte que sur la question du voile.

Il ne faudrait pas oublier dans le débat les droits de l'enfant, notamment le droit absolu de l'enfant à la liberté de conscience et d'expression religieuse. C'est là un travail qui dépasse un peu la France ...

M. le Président : C'est un peu contradictoire avec les propos tenus.

M. Faride HAMANA : Pas du tout. Les enfants ont le droit d'exprimer leurs convictions religieuses.

M. le Président : Ils ont le droit de ne pas être choqués par d'autres qui manifesteraient les leurs.

M. Faride HAMANA : Certes, mais il faut poser comme postulat le droit absolu de l'enfant à jouir de sa liberté de conscience et le droit d'être accepté en tant que tel. A partir de là, se pose la question de la laïcité et du rapport de l'enfant aux autres adultes. Ce qui me paraît choquant c'est l'oubli, notamment dans les médias, d'un fait important : le problème se pose à partir de la réaction d'un adulte enseignant face à une jeune fille qui porte un foulard. Il y a là matière à rappeler le principe de la neutralité de l'agent public, du fonctionnaire par rapport à un certain nombre de principes. En quoi un adulte fonctionnaire de l'Etat a-t-il à exprimer un avis sur la religion ou la liberté de conscience d'un usager ? La question se pose ainsi.

Se pose également la question de la formation des enseignants aux principes fondamentaux des lois de la République et de leur esprit. C'est en effet souvent une lacune. Il ne s'agit pas de reproduire des « hussards de la République », mais tout simplement des fonctionnaires avec des convictions et des valeurs bien intégrées, en particulier le concept de neutralité.

Aujourd'hui, face à la religion et à son expression, il n'y a pas égalité des cultes. Un statut archaïque demeure, celui de l'Alsace et de la Moselle. Peut-être faudra-t-il le remettre à plat d'une façon réelle et sérieuse. Nous sommes quand même au XXIème siècle. Dans le même temps, il faudra revoir la question des aumôneries. Si nous acceptons et tolérons l'existence de ce type « d'église » dans l'établissement, il faudra accepter d'autres cultes. Si l'on souhaite garantir la laïcité de l'école, toute manifestation de quelque culte que ce soit doit être bannie des établissements scolaires.

M. le Président : Si je comprends bien, Mme Gass, M. Hamana, M. de Vaujuas et M. Dupon-Lahitte, le port de la kippa ou le port d'un foulard par un élève ne constitue pas un signe ostentatoire d'appartenance religieuse ?

M. Georges DUPON-LAHITTE : Comme le rappelle l'avis du Conseil d'Etat, le port du voile comme celui de la kippa ne constitue pas en soi un acte de prosélytisme.

M. le Président : Cela ne vous gêne-t-il pas que l'on enseigne à un jeune qui porte un foulard ou une kippa ?

M. Georges DUPON-LAHITTE : Le port de la croix gêne-t-il beaucoup d'enseignants ?

M. le Président : Selon vous, il en va de même des croix ?

M. Georges DUPON-LAHITTE : On s'émeut de certains signes et l'on considère par héritage culturel qu'il est naturel de porter des croix !

M. le Président : Je m'émeus de tous les signes.

Le fait que des élèves de l'enseignement public portent une kippa, un foulard ou une croix ne vous choque-t-il pas ?

M. Georges DUPON-LAHITTE : Non.

M. le Président : Et vous pensez que cela ne choque pas les autres élèves ?

M. Georges DUPON-LAHITTE : Pourquoi voulez-vous que cela choque ?

Est-il plus choquant de porter un piercing ou des tenues vestimentaires qui marquent la volonté de se distinguer ? La question est plutôt liée à la façon dont l'élève suit l'enseignement, l'accepte dans sa globalité et intègre cet enseignement comme élément lui permettant, par la suite, d'opérer des choix raisonnés.

M. Faride HAMANA : On mesure mal aujourd'hui la diversité des styles culturels et des modes d'identification et donc des identités collectives auxquelles peuvent se référer les jeunes. Seule une infime minorité de jeunes choisit la religion comme référence identitaire. L'immense majorité des jeunes lycéens se fonde sur d'autres gammes identitaires beaucoup plus complexes. En d'autres termes, quand on fait référence au voile, il faut souligner le détournement de sens lié au port du bandana, foulard court porté indistinctement par les garçons et les filles et qui fait référence aux codes vestimentaires des gangs de jeunes américains. Quand il est porté par une jeune fille blonde aux yeux bleus, c'est un joli accessoire de mode ; quand il est porté par une jeune fille maghrébine qui revendique, à partir de là, sa religion musulmane, cela devient un bandana islamique. Soyons extrêmement vigilants à ce que l'on place sous les signes. Un foulard court cela n'existe pas. Au lycée La Martinière l'an dernier, c'est ce type de vêtements qui était porté. Par extension, nous pouvons imaginer tout et n'importe quoi sur n'importe quel attribut vestimentaire qui peut être porté comme le signe de sa religion. Les jeunes sont dotés d'une capacité extraordinaire d'invention en matière de signes.

Mme Lucile RABILLER : Je suis secrétaire générale de l'association des Parents d'élèves de l'enseignement public (PEEP).

Pour nous, la laïcité serait le respect et l'acceptation des différences dans le cadre des valeurs communes de la République.

L'école ne doit pas différencier les élèves en fonction d'appartenances religieuses, politiques ou idéologiques, elle ne doit pas les enfermer dans des catégories. L'identité ne se limite pas à un seul critère, qu'il soit d'ordre ethnique, religieux ou culturel.

A l'intérieur des établissements scolaires, l'obligation de neutralité doit s'appliquer à tous : personnels du service public bien sûr, mais aussi élèves ; elle doit concerner la laïcité dans tous ses aspects religieux et politiques. Pour la PEEP, le port de signes visibles politiques ou religieux ne doit plus être admis. A notre sens, cela n'entrave pas la liberté de conscience.

Faut-il une loi ou une circulaire ? La question est posée. Les équipes éducatives doivent pouvoir s'appuyer sur des dispositions précises et très claires pour faire appliquer les règles connues de tous.

M. le Président : Jugez-vous claires les règles actuelles ? Doivent-elles être amendées ou corrigées ?

Mme Lucile RABILLER : Nous pensons que les règles de la laïcité ont besoin d'être réaffirmées et ré-expliquées. Les fondements de la laïcité ne sont plus très clairs.

M. le Président : Les professeurs disposent-ils à l'heure actuelle des outils juridiques pour faire respecter les principes que vous avez énoncés ?

Mme Lucile RABILLER : Il semblerait que non, ils disent que non.

Le foulard islamique nous apparaît comme une double discrimination. La jeune fille est classée dans sa religion, mais surtout elle est distinguée par rapport aux garçons par un signe inégalitaire. Pour ces deux raisons, nous pensons qu'il ne faut pas accepter le foulard à l'école.

M. Bernard TEPER : Je suis président de l'Union des familles laïques (UFAL).

Notre position est claire et a été publiée dans la presse. Nous sommes favorables à une loi contre les signes religieux à l'école publique. Notre position n'est pas fondée contre une quelconque religion, pour une raison simple : vis-à-vis de l'islam, nous avons publié un texte paru dans le journal de la Ligue de l'enseignement. Il était intitulé : « Non au voile islamique dans l'école publique, oui à la construction de mosquées dans la société civile ». De ce point de vue, nous pensons que l'école n'est pas de même nature que la rue ou que la sphère privée.

La définition historique de la laïcité, même si certains ne sont plus d'accord avec cette définition, réside dans la séparation de la sphère publique et de la sphère privée. Rien de moins, rien de plus. L'école fait partie de la sphère publique. Je voudrais marquer mon désaccord avec l'un des propos entendus. L'élève n'est pas un usager, car l'école n'est pas un service public. L'école n'a pas le même statut que la poste. L'école est une institution de la République, la poste n'est qu'un service public. Ce n'est pas la même chose. L'école est une institution de la République, elle n'a pas à subir les mêmes règles que les services publics de l'Etat et elle n'a pas, a fortiori, à suivre les mêmes règles que la sphère privée.

Que se passe-t-il aujourd'hui ? Une multiplication d'incidents dans les écoles. Certains chiffres donnés ne sont pas justes. Des incidents émaillent la vie d'une série d'écoles et les cours ne peuvent pas toujours se tenir. L'UFAL a lancé une action visant à rassembler tous les appels et toutes les initiatives en faveur d'une loi contre les signes religieux à l'école.

Qui signe ? Nous allons bientôt être capables de montrer aux pouvoirs publics que les enseignants, et surtout les personnes d'origine maghrébine vivant sur le territoire national, signent massivement. J'avance la conviction que nous serons en mesure de prouver, dans les mois à venir, que la majorité des personnes d'origine maghrébine habitant sur le territoire national est favorable à une loi contre les signes religieux à l'école, à la condition, bien sûr, que la loi concerne tous les signes et que l'on évite toute mansuétude pour la croix ou la kippa face au voile. Il s'agit dans nos propos d'être aussi durs sur la croix, la kippa ou le voile islamique.

A l'heure actuelle, notre position s'appuie sur les éléments suivants : l'appel des enseignants de La Martinière a fusionné avec le nôtre. Nous avons gagné à La Martinière grâce à la fermeté de l'équipe enseignante et du chef d'établissement, malgré une position plus nuancée du recteur. Le fait que plus personne ne porte le voile dans ce lycée est consécutif à l'expression d'une fermeté. Il n'y a plus de signes religieux. A partir du moment où l'on autorise un ou plusieurs signes religieux, l'on incite, sous pression des intégristes des différentes religions, davantage encore de signes. Un tel phénomène se remarque aujourd'hui à Aubervilliers, Montreuil et dans d'autres villes encore.

Qu'en est-il des élèves qui arrivent avec un voile ? Je fais une différence entre l'école jusqu'à 18 ans et l'université. Je suis un citoyen républicain et, à mes yeux, la majorité signifie quelque chose. A l'école, les élèves ne sont pas des citoyens ; ils sont des citoyens en devenir, ce qui n'est pas tout à fait la même chose. A l'université, les étudiants sont des citoyens. Il faut différencier ce qui se passe à l'université de ce qui se passe au collège et au lycée.

La République française doit protéger l'ensemble des ressortissants sur le territoire national contre l'ensemble des intégristes. Pourquoi avons-nous tranché pour prendre position pour une loi contre les signes religieux à l'école ? Parce que nous demandons à la République française de protéger les milliers de jeunes filles qui ne veulent pas porter le voile et qui subissent des pressions intolérables. Le problème fondamental est le suivant : la République doit être capable de protéger les jeunes filles qui ne veulent pas porter le voile. Si j'ai à choisir entre une fille qui veut porter le voile et 10 000 qui ne le veulent pas, je souhaite que la loi protège les 10 000 qui ne le souhaitent pas. Si l'on cède, elles seront contraintes de le porter.

Nous faisons partie de la France d'en bas... Nous allons débattre avec toutes les catégories présentes sur le territoire national. La majorité des personnes d'origine maghrébine qui signe notre pétition souhaite la publication de la liste des signataires, mais les jeunes femmes nous ont demandé de ne pas la publier. Pour rencontrer ces jeunes filles, nous sommes obligés de tenir des réunions fermées pour qu'elles osent venir. Nous avons tenu, avant-hier soir, une réunion des signataires de notre appel. Les jeunes filles et jeunes femmes qui ont signé ont précisé qu'elles ne viendraient pas, car elles ne voulaient pas participer à une réunion où elles pouvaient être vues, dénoncées et conduites ensuite à subir des pressions dans les quartiers.

Je suis attaché autant que vous tous à la liberté sur le territoire national - je suis un « beur » des pays de l'Est -, et donc je souhaite que les « beurs » d'Afrique du Nord aient le même droit que moi de faire des études. Alors que mes parents ne parlaient pas le français, j'ai pu faire ce que j'ai fait grâce à une école qui a tenu son rôle pour maintenir l'égalité des chances.

Quand je vois des milliers de jeunes filles et femmes qui n'osent pas dire publiquement qu'elles sont hostiles au port du voile, qui n'osent pas venir à nos réunions et que nous sommes obligés de tenir des réunions fermées, comme celle que nous allons tenir dans quelques mois avec ces jeunes filles et des journalistes... A l'occasion de ces réunions, les jeunes filles nous disent : « Tenez bon, car si vous ne tenez pas bon, nous subirons des pressions qui nous obligeront à porter le voile ». Il paraît trivial et étrange de tenir de tels propos dans la République française, attachée aux droits de l'homme et à la laïcité. Mais je ne suis pas seul à les tenir. Soheib Bencheikh, le grand mufti de la mosquée de Marseille, les tient aussi, mais il est moins écouté que certains imams salafistes, comme ceux de La Duchère à Lyon.

Face à une telle situation, et au regard des traditions de la République française depuis la Révolution, nous n'avons pas d'autres choix que de faire une loi contre tous les signes religieux et de traiter avec autant de détermination la croix, la kippa et le voile islamique, afin que nul ne se sente lésé. A ce titre, je veux rappeler les paroles d'une jeune fille de 17 ans signataire de notre appel : « Un non-musulman comme un musulman enlève ses chaussures par respect quand il entre à la mosquée. Il n'est pas anormal que ceux qui entrent à l'école enlèvent leurs signes religieux par respect pour l'école de la République qui est l'école de tous les enfants de la République. »

M. Jean-Pierre BLAZY : Ma question s'adresse au représentant de l'UNAPEL : vous nous dites qu'il ne faut pas légiférer ; dès lors, accepter le port d'insignes religieux, n'est-ce pas faire le postulat de la priorité des impératifs religieux sur ceux de la citoyenneté ? Nous sommes sans doute un certain nombre à penser que l'école de la République, l'école publique a un rôle d'éducation et d'apprentissage de la citoyenneté. Ce rôle est le principe premier, si l'on se réfère à la loi de 1905, de séparation de l'Eglise et de l'Etat, avant donc la question du religieux.

Certes, la loi de 1905 ne condamnait pas la religion catholique alors prédominante, mais elle proposait la séparation de l'Eglise et de l'Etat pour remettre en question le rôle de l'Eglise, tout en reconnaissant la liberté de conscience et le libre choix de sa religion.

A la FCPE, dont je suis surpris des positions selon lesquelles il conviendrait d'en rester à l'avis du Conseil d'Etat de 1989 qui aurait permis de calmer les tensions, je ferai remarquer que tel n'est pas le cas. L'actualité le démontre clairement. Pour régler le problème d'Aubervilliers, il aurait pu être fait référence à un arrêt du Conseil d'Etat sur la question des cours de gymnastique, mais cela n'a pas été le cas et l'on note que la situation s'enflamme à nouveau. En fait, un profond malaise gagne les enseignants. On ne peut dire à la suite de M. Hamana que ce serait la faute des enseignants qui ne seraient pas neutres.

Aujourd'hui, nous remarquons une perte de repères, non seulement chez les enseignants, mais aussi chez les jeunes concernés. Ne pensez-vous pas, quinze ans après, que l'avis du Conseil d'Etat, non seulement n'a pas permis de calmer les tensions, mais les a peut-être, d'une certaine manière, entretenues ?

Vous éludez un peu trop rapidement la question de la nécessité de la loi. S'il devait y avoir une loi, dans quelles conditions devrait-elle être élaborée ? Pouvez-vous approfondir votre point de vue, certes très clair, mais très définitif ?

M. Jean-Pierre BRARD : Les représentants de la FCPE ne semblent pas choqués par le fait que les enseignants aient à connaître de l'appartenance religieuse de leurs élèves.

J'avais cru comprendre, jusqu'à présent, que le modèle français depuis la Révolution était le « vivre ensemble ». Ne pensez-vous pas que votre position conduit à un modèle différentialiste, où l'on substitue au « vivre ensemble » le « vivre côte à côte », dans la mesure où votre position permet un regroupement à partir de signes d'appartenance ?

Enfin, ai-je cru comprendre, le foulard ne serait pas seulement signe d'appartenance religieuse, mais il pourrait indiquer autre chose. Raisonnons par analogie : quand vous voyez dans votre ascenseur une croix gammée, vous demandez-vous s'il s'agit de la croix gammée ou de la svastika ? La laissez-vous, bien qu'elle puisse être une expression culturelle et non pas un signe d'adhésion au nazisme ?

M. Jacques MYARD : Je voudrais également m'adresser au représentant de la FCPE. Vous avez parlé des droits de l'enfant à avoir sa propre conscience ; d'accord, mais la conscience relève du domaine du cœur et n'est pas seulement un affichage ostensible. Je suis quelque peu gêné, car si chacun peut avoir sa religion, lorsqu'elle s'affiche dans un endroit à la fois neutre et institutionnel comme l'école de la République, n'y a-t-il pas risque d'engrenage, de surenchère ? D'où la question suivante : le voile peut-il être analysé comme un signe religieux ou comme un signe d'appartenance ? Il peut marquer une révolte adolescente, mais il recouvre aussi une démarche politique de la part d'intégristes religieux, ne l'oublions pas. Dès lors, votre attitude gêne par son acceptation ; n'avez-vous pas le sentiment que le voile est un épiphénomène et qu'il cache derrière lui beaucoup de choses ? Êtes-vous prêt, au nom de la liberté de conscience de l'enfant, à tolérer qu'il fasse sa prière en classe?

Si ce n'était qu'un voile, tout le monde se moquerait de cette affaire, mais l'on sait très bien que, derrière, se dessine une démarche prosélyte forte. Le voile n'est que la face visible de l'iceberg. Jusqu'où êtes-vous prêt à accepter l'irruption de signes religieux forts dans l'école laïque ?

M. Lionnel LUCA : En tant qu'enseignant, je veux dire au représentant de la FCPE que cela me dérange de voir un élève avec une crête rouge sur la tête, un piercing ou un signe religieux. L'idée que je me fais d'un établissement scolaire avec des règles et un mode de fonctionnement est effectivement celle d'une certaine tenue. Sinon, l'on pourrait tout aussi bien venir en short ou tout nu ! J'ai été assez choqué d'apprendre que, pour vous, il était dérangeant d'exiger dans un établissement quelques règles de bonne conduite. Que vous soyez choqué, en tant que parent d'élève, que l'on parle de bonne conduite m'interpelle encore davantage !

Par rapport à vos affirmations sur un certain souci de neutralité, les droits de l'enfant vous conduisent à tout accepter. J'ai été choqué d'apprendre, qu'à vos yeux, l'affirmation du port du voile et la représentativité qui y est liée n'étaient pas un problème. Poursuivez votre raisonnement à son terme pour nous expliquer votre conception.

Ma question s'adresse aussi au représentant de l'association des parents pour la laïcité dont le propos porte une cohérence inverse que je nommerai « intégrisme de la laïcité ». Vous dénonciez les intégrismes, mais je considère que vos propos en décèlent un en procédant par amalgame facile : quand on met sur le même plan le port discret d'un insigne comme la croix et un signe extérieur plus visible très marqué, on complique les choses. Jusqu'à preuve du contraire, jusqu'à ces dernières années, nul n'était dérangé par des identifications relativement discrètes. On se rappelle ces jeunes qui, dans les années soixante-dix, se réclamant du mouvement « peace and love », portaient une petite croix, sans pour autant entraîner de retentissements particuliers, mais il est vrai que la kippa ou le voile sont des signes plus marqués d'une appartenance, d'une identification. Ils sont à placer sur un plan différent. J'ai l'impression que c'est pour vous l'occasion ou jamais d'extirper les derniers vestiges de ce que la loi de 1905 a posé, c'est-à-dire le respect des convictions religieuses de chacun pourvu qu'elles restent discrètes. Je voudrais que vous me confirmiez l'idée que vous souhaitez profiter du voile pour extirper tout ce qui pourrait rester, jusqu'aux aumôneries de collèges.

M. Bernard TEPER : C'est en effet cela.

M. Lionnel LUCA : C'est donc clair, ce qui nous permettra de juger de la difficulté de l'affirmation de la loi.

Enfin, les représentants des parents de l'enseignement libre craignent une loi qui précisément pourrait remettre en cause la marque de l'enseignement confessionnel.

Mme Patricia ADAM : J'aimerais revenir sur la liberté de conscience. Croyez-vous qu'un enfant de dix ans jouisse véritablement d'une liberté de conscience ? Est-il en capacité, a-t-il tous les éléments pour fonder un jugement alors qu'il n'est qu'en réalisation de son identité ? Ne faut-il pas, à la suite de M. Teper, procéder à une différence entre majorité et minorité ?

Chacun a aussi parlé du respect de l'autre. Je me pose la question suivante : si l'on vient en affirmant fortement son identité religieuse, le débat peut-il être serein ?

M. Jean-Yves HUGON : M. Teper, vous avez fait procéder à une différence entre lycée et université, fondée sur les notions de minorité et de majorité civiles ; or, il faut bien savoir que, dans la plupart des lycées, nombreux sont les élèves majeurs.

M. de Vaujuas, vous avez parlé d'outils qu'il faudrait donner aux chefs d'établissement et aux enseignants. Pouvez-vous préciser votre pensée ?

M. René DOSIERE : Deux questions au représentant de l'UNAPEL. Dans votre texte « Pour une laïcité vivante », vous dites que la concertation et la discussion doivent suffire à régler les problèmes liés au voile. Avez-vous l'expérience dans vos établissements de jeunes filles voilées ?

A supposer qu'une loi réglemente les signes religieux, elle concernerait la totalité des signes religieux et ne s'appliquerait pas à un seul. Dans cette hypothèse, la loi aurait-elle des conséquences pratiques sur le fonctionnement de vos établissements ? Quel est l'ensemble des signes religieux qui pourrait être concerné dans l'enseignement catholique ?

Une observation à M. Teper : quand vous souhaitez la remise en cause du statut actuel de l'Alsace-Moselle, avez-vous conscience que cela revient à soulever des problèmes dont l'ampleur est considérable ?

M. Robert PANDRAUD : Je souhaiterais savoir si l'association des parents d'élèves de l'enseignement libre regroupe des parents d'élèves d'école libre appartenant à toutes les confessions ?

Les écoles juives adhèrent-elles à l'UNAPEL ? Savez-vous s'il est possible dans une école juive de ne pas porter de kippa ?

Si nous devions suivre la position de la FCPE, nous ne serions plus là aujourd'hui, car il n'y aurait plus d'école laïque, car l'école laïque et l'enseignement public, obéissent à une norme commune qui s'impose à tous. Je ne pense pas que l'enseignement laïque ait toujours privilégié les droits des enfants, d'autant que, selon moi, les droits des enfants, cela peut mener très loin.

Les enseignants ont une mission d'intérêt général à accomplir. Dans le dialogue qui les unissait aux parents, ils l'imposaient autrefois aux parents. Ils ne se laissaient pas déborder par telle secte, religion, confession ou autre. L'école laïque est née, avant d'être institutionnalisée, à la suite de tensions avec certaines religions plus dominantes à l'époque que maintenant. Si nous vous suivons, nous allons nous laisser dominer par des religions, certes, importantes, mais minoritaires.

M. Teper, vous allez loin ! Je suis d'accord avec vous sur la mise au point sur le foulard. Mais je ne vois pas - cela me paraît d'ailleurs l'équilibre nécessaire - que vous remettiez en cause les aumôneries. Je ne parle pas du statut de l'Alsace-Moselle qui est un problème particulier. De toute manière, Herriot en 1924 a tenté de faire rentrer l'Alsace-Moselle dans la loi commune de la République ; en 1936, ce fut une revendication du Front populaire. Personne n'y est parvenu. J'aime autant vous le dire : vous n'y arriverez pas ! Ce serait très dommageable pour l'unité nationale et pour la tradition française.

Mais pourquoi s'attaquer aux aumôneries ? A l'inverse, selon ma conception neutre de l'enseignement public, l'équilibre réside dans la possibilité d'avoir des enseignements privés. Cela ne me gêne nullement que s'ouvre une école coranique à Lille. Un contrôle s'y applique. Mais conservons à l'enseignement laïque, dans le respect des parents et des convictions républicaines, une certaine homogénéité. L'aumônerie relève d'une autre question. On ne peut ouvrir des écoles privées partout, dans toutes les communes. On n'oblige personne à se rendre dans les aumôneries, c'est d'une grande discrétion et il est normal qu'il puisse y avoir des aumôneries d'enseignement public comme cela s'est toujours fait et ce qui ne choque personne. Préservons à la fois le maintien des principes républicains et l'assurance que les convictions religieuses peuvent être reconnues, affirmées, à l'intérieur même de l'enseignement public, à la condition toutefois que les aumôniers, à l'instar des enseignants, appliquent à l'extérieur de leurs locaux une stricte neutralité.

M. Georges DUPON-LAHITTE : Même si le propos ne s'adressait pas directement à la FCPE, je répondrai en premier lieu à M. Pandraud sur l'Alsace-Moselle. Sur ce point, je rejoins tout à fait M. Teper. Nous remettons en cause la situation en Alsace-Moselle et en Guyane, où l'enseignement religieux est obligatoire dans les écoles publiques.

M. Robert PANDRAUD : C'est la déclaration des parents d'élèves !

M. Georges DUPON-LAHITTE : En Alsace-Moselle, un enseignement religieux fait obligatoirement partie des obligations scolaires. Où est la laïcité ? Il faut que les parents refusent expressément l'enseignement religieux pour que l'enfant ne le suive pas et éventuellement suive, quand cela existe, un enseignement de morale républicaine. En tant que laïque, permettez-moi de dire que tout le monde a droit à l'enseignement de la morale républicaine, l'enseignement religieux étant une affaire privée. Imaginez dans un village d'Alsace-Moselle ce que cela représente pour une famille de refuser que son enfant suive un enseignement religieux : elle est obligatoirement mise à l'index.

C'est pourquoi, oui, nous osons dire à la FCPE, comme M. Teper et l'UFAL, que le statut de l'Alsace-Moselle est un vrai problème dans une République laïque. Je me contente de poser la question de l'école en Alsace-Moselle, non celle des droits sociaux ou autres. S'il y a égalité républicaine, débat sur la laïcité, penchons-nous sur cette anomalie, qui a des raisons historiques, et qui considère avant tout un élève comme une personne appartenant à une confession religieuse et qui est mise à l'index si elle déroge à cela. Il est très difficile et se déclarer laïque, voire non religieux, dans les villages d'Alsace-Moselle. C'est un vrai problème, plus que celui du foulard, quitte à choquer ! Car il n'y a pas égalité de traitement de tous les jeunes dans le pays. Penchons-nous sur cette réalité.

S'agissant des aumôneries, pardonnez-moi, mais elles ne sont pas discrètes. En début d'année, vous avez la possibilité d'accéder à un certain nombre d'aumôneries, mais ce n'est pas vrai pour toutes les religions. C'est dire qu'au nom de la laïcité, certaines sont exclues. Partant de là, si la religion est une affaire privée, nous ne l'interdisons pas, mais il convient qu'elle soit hors de l'école. Par exemple, comment peut-on accepter que dans des établissements publics, pour des raisons d'héritage historique, subsistent des bâtiments religieux consacrés, autorisant ainsi une religion à exiger que s'y déroule une fois par an une cérémonie religieuse, cela dans le non-respect des autres croyances des élèves ? C'est une réalité qui existe à Paris. Il s'agit d'un lycée qui a une chapelle consacrée, l'Eglise et des anciens y revendiquant la tenue tous les ans d'une cérémonie. Cette question a fait l'objet d'un débat l'an passé au sein de la FCPE. Je vous fournirai le nom du lycée si vous le souhaitez.

M. Robert PANDRAUD : Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Je n'ai pas défendu que les seules aumôneries catholiques ! Qu'elles soient protestantes, juives ou musulmanes...

M. Georges DUPON-LAHITTE : Et pourquoi pas bouddhistes ?

M. Robert PANDRAUD : Et oui !

M. Georges DUPON-LAHITTE : On va aller très loin. Et pourquoi pas les Témoins de Jéhovah ?

M. Jean-Pierre BRARD : Et pourquoi pas les sectes !

M. Robert PANDRAUD : Dans un même local, il y a des gens différents.

Certains instituteurs d'Alsace-Moselle ont été un important facteur de déchristianisation tellement ils enseignaient mal ce qu'ils connaissaient peu !

M. Georges DUPON-LAHITTE : Je ne répondrai pas sur ce point.

M. Brard, je vous entends bien quand vous parlez de sectes. Il y a des sectes, hormis que le phénomène religieux n'est plus simplement reconnu dans les églises quelles qu'elles soient, notamment celles du monothéisme. Oui, il y a une influence boudhiste-tibétaine ! Les sectes sont un phénomène de religiosité qui me paraît bien plus dangereux que les églises... Partant de là, l'aumônerie pose problème en soulevant, entre autres, la question des limites que l'on fixe.

Cela pour dire que nous sommes attachés à une véritable laïcité, loin d'être acquise partout. Des questions de fond se posent sur le fonctionnement actuel de la laïcité.

M. Luca a indiqué que nous acceptions tout. Certainement pas ! Nous n'acceptons pas tout. Il existe des règles de fonctionnement à l'école dont l'obligation scolaire : on ne choisit pas l'enseignement, on n'est pas dans un supermarché. Un élève qui, au nom de croyances religieuses, philosophiques, politiques, dirait qu'il récuse tel enseignement tombe sous le coup de la règle et peut être sanctionné. Nous avons largement les moyens de la faire respecter.

M. Jacques MYARD : Lorsqu'un élève vous dira qu'il ne peut obéir, parce que c'est contraire à sa conscience, comment ferez-vous, dès lors que vous aurez préalablement mis en avant la conscience de l'enfant ?

M. Faride HAMANA : Cela relève de l'autorité de l'enseignant. Un enseignant doit savoir ce qu'il a à enseigner, ce qu'est le programme et qui détermine la règle ; il doit avoir la capacité de gérer ces éléments dans une classe. C'est la force de son autorité.

M. le Président : Ce que vient de dire M. Myard est important. Que se passe-t-il si un élève décrète ne pouvoir suivre l'enseignement des sciences de la vie ou les cours de gymnastique, parce que cela bouscule sa liberté de conscience ?

M. Faride HAMANA : La réponse est claire. Si l'élève n'est pas présent aux cours obligatoires sans motif légitime, il est signalé et sanctionné.

M. Jean-Pierre BRARD : Et la prière pendant la récréation ?

M. Georges DUPON-LAHITTE : Voyez la difficulté du débat : on parle de la gymnastique, des sciences de la vie et de la terre...

M. le Président : On parle de la laïcité à l'école.

M. Georges DUPON-LAHITTE : Vous parlez d'exemples concrets. J'attends le jour où l'on demandera aux écoles de gérer les fondamentalistes chrétiens qui déclareront, comme aux Etats-Unis, qu'ils refusent de suivre un enseignement évolutionniste, parce qu'ils croient au créationnisme ! Nous pouvons parfaitement connaître une telle situation demain !

M. le Président : Raison de plus d'avoir des règles très précises.

M. Georges DUPON-LAHITTE : C'est bien pourquoi nous disons que l'obligation scolaire et le contenu des programmes fixé par l'Etat dans les règles de la neutralité doivent être suivis.

M. le Président : A partir du moment où vous avez considéré, ce qui m'a un peu choqué, que les élèves étaient des usagers...

M. Georges DUPON-LAHITTE : Ce terme n'est pas de nous. J'ai bien précisé que j'employais le terme « usagers », même s'il nous gênait.

M. le Président : Acceptez-vous qu'en tant qu'usager je n'aille pas à l'école le vendredi, parce que cela heurte ma liberté de conscience ?

M. Georges DUPON-LAHITTE : Non. Le terme d'usager est le terme officiel utilisé dans les circulaires. Je ne suis pas l'inventeur du terme. J'ai posé de prime abord que ce terme me gênait.

M. le Président : Vous avez posé la liberté de conscience.

M. Georges DUPON-LAHITTE : Qu'est-ce la liberté de conscience si ce n'est la liberté pour un individu de se construire sa conscience, de disposer de la base de données sur lesquelles il se construit ? C'est pourquoi dans le débat majeur/mineur, il faut faire attention, car une partie des élèves est mineure et sous le joug d'une autorité sociale qui est la famille. C'est en cela que nous croyons à l'école et que nous osons dire que l'école doit accueillir tout le monde, avec les difficultés que cela représente, car nous croyons en la capacité de l'école d'apporter les éléments de la liberté grâce au savoir, grâce à la découverte d'autre chose, voire de la différence, pour demain forger sa liberté par rapport à son milieu d'origine. Si, au prétexte de non-respect et de port d'insigne, on décrète que tel enfant n'a pas sa place, on renforce l'emprise du milieu.

M. le Président : Qu'un enfant porte un signe n'est-il pas choquant pour les autres enfants ?

M. Georges DUPON-LAHITTE : Pourquoi donc ?

Mme Lucille RABILLER : J'ai été un peu surprise que soient opposés les termes famille et joug, école et liberté. Je ne pensais pas que les familles étaient un joug !

Vous m'avez interrogée sur les outils dont pourraient disposer les chefs d'établissement pour faire respecter la règle. Nous pensons en particulier que le terme « ostentatoire » peut revêtir des interprétations très diverses et pose vraiment problème. C'est pourquoi nous croyons que remplacer le terme « ostentatoire » par celui de « visible » réglerait en grande partie le problème. Si les enseignants, les chefs d'établissement disposaient d'un texte très précis sur lequel s'appuyer, le terme « visible » ne pouvant pas être interprété, nous pensons que cela pourrait réduirait le problème.

M. Faride HAMANA : Il faut mesurer les effets pervers des termes. Un vêtement peut être interprété de diverses manières. Il convient de noter que, depuis le début, la question centrale est celle du foulard islamique, auquel on revient systématiquement ! L'hypocrisie serait d'occulter le fait. Il convient d'en parler franchement. Il y a une capacité des jeunes à trouver des signes, à se regrouper de différentes manières. Si l'on n'est pas en mesure de le comprendre, on passe à côté des choses.

Pour ce qui est du hidjab, le foulard traditionnel, qui peut être remplacé par un bandana, qui est porté dans tous les collèges, tous les lycées et sera interprété différemment selon qu'il sera porté par une jeune fille blonde aux yeux bleus ou brune-châtain au caractère maghrébin marqué. On arrivera à des discriminations, car des revendications identitaires seront perçues à tort à des moments où l'intention des jeunes ne sera pas celle-là. Il faut aussi cesser de fantasmer et de dramatiser sur et à propos de cette situation. Aujourd'hui, il y a moins de cas déclarés de foulards islamiques posant problème qu'il y a dix ans. C'est dire que tous les autres cas sont gérés localement et la plupart du temps par un dialogue. Il est préférable que ces jeunes filles soient à l'école avec, pour elles, la contrainte de suivre tous les cours et le risque d'être sanctionnées si elles ne les suivent pas. Il est en tout cas préférable qu'elles soient scolarisées plutôt qu'enfermées chez elles ou sous l'emprise d'un quelconque intégrisme. L'intérêt politique est là. Peut-on imaginer une loi dont l'objet est de sanctionner une jeune fille entre 15 et 17 ans, qui appartient à une minorité ethnique déterminée socialement et cela pour l'expression de ses convictions religieuses ? Cela fait beaucoup en même temps ! Il faut en mesurer les conséquences et avoir pleinement conscience de ce que l'on fait.

M. Georges DUPON-LAHITTE : On identifie « intégrisme » au port du voile et aux jeunes filles. On les exclut alors que l'on ne fait rien supporter aux jeunes barbus, car il faut savoir que beaucoup plus dangereux sont ceux qui « fliquent » ce qui se passe, à savoir les jeunes hommes intégristes, les « barbus ». Pourquoi les jeunes filles qui portent le voile seraient-elles jugées plus intégristes que des garçons de la même communauté ?

M. le Président : Si ces barbus existent, ne serait-il pas alors très opportun pour sauver ces jeunes filles d'être d'une interdiction absolue sur le port du voile ? Si nous acceptons le port d'un signe, nous entrons dans une mécanique.

Mme Véronique GASS : Merci de vos questions, qui vont permettre de développer le préambule rapidement exposé.

Nous sommes là pour évoquer ce que nous vivons. Les établissements libres catholiques n'accueillent que 20 % des enfants scolarisés et sans doute ne connaissons nous pas les mêmes problèmes que l'enseignement public.

Nous parlons de laïcité active. La laïcité n'est pas « aucune religion », c'est « toutes les religions possibles ». Le fait religion étant réel, il est pour nous une dimension positive pour tout être humain. Cependant, nous sommes absolument contre tout prosélytisme. Dans nos établissements, nous avons la chance de pouvoir dialoguer avec les familles et de faire appliquer un projet éducatif clair, compris, entre les familles qui viennent volontairement inscrire les enfants dans les établissements et les chefs d'établissement qui les reçoivent les uns après les autres. C'est ce qui nous permet d'obtenir une finalité positive au dialogue. Des jeunes filles arrivent voilées dans les établissements, mais, en aucun cas, elles ne refusent de suivre les cours. C'est l'aspect fondamental.

Autant nous sommes favorables au port des signes de religion selon sa conviction, autant nous sommes attachés au respect des lois communes de l'Etat, notamment pour tout ce qui est concerne l'enseignement.

Je voudrais établir un lien. Vous avez parlé du « vivre ensemble » qui devenait « vivre côte à côte ». La connaissance du fait religieux permet de vivre ensemble. Je pourrais également vous répondre sur l'Alsace-Moselle, puisque j'habite Strasbourg. Les termes que vous avez utilisés sont quelque peu exagérés. Je vais essayer de redéfinir ce qui se passe dans le privé ainsi que dans le public qui vous intéresse. En Alsace-Moselle, est dispensé l'enseignement de la culture religieuse. Pour nous, c'est un élément positif qui permet la connaissance des autres religions.

Evoquant les outils pédagogiques et le problème des enseignants, parfois démunis, sans doute conviendrait-il de trouver dans le cursus des enseignants une meilleure connaissance des religions des autres. Le respect, la connaissance et la possibilité de vivre ensemble commencent par cela.

M. Jean-Pierre BRARD : Madame, ne confondez-vous pas l'enseignement des religions et l'enseignement du fait religieux et de l'histoire des religions qui, me semble-t-il, est d'une nature essentiellement différente ?

Mme Véronique GASS : Dans les établissements, on enseigne l'histoire des religions et des grands fondamentaux. Les enfants ont ensuite la possibilité, parce que les cours sont proposés, y compris dans le public, d'aller en pastorale catholique, protestante, israélite ou musulmane. Les parents ont la possibilité de refuser. Mais ce que vous nommez « histoire des religions » n'est dispensé que dans très peu d'établissements. C'est une perte pour la connaissance et la compréhension, au moins au sein des communautés d'élèves.

M. Pandraud a posé la question de la kippa et a demandé si en tant qu'association de parents d'élèves nous représentions les autres établissements. Effectivement, au sein des structures, plus spécifiquement les commissions d'appel qui se réunissent, par exemple, quand des parents contestent une décision d'orientation, de redoublement, il y a une commission paritaire qui est créée afin que les dossiers des enfants soient étudiés. Dans ce cadre très précis, nous représentons en Alsace, où il existe deux établissements protestants et trois établissements israélites à Strasbourg, les parents d'élèves de ces autres établissements.

M. le Président : Si dans une école catholique, les élèves arrivent avec la kippa, considérez-vous cela comme un signe ostentatoire ?

Connaissez-vous des établissements libres ou privés où des élèves sont tolérés alors qu'ils portent la kippa ?

Mme Véronique GASS: L'intervention tout à l'heure était justifiée par rapport au port ostentatoire de signes religieux et par rapport au voile. En Alsace...

M. le Président : Je parle en général.

Mme Véronique GASS : Dans des établissements, des élèves juifs arrivent avec la kippa sur la tête. Toutefois, il est à noter que de plus en plus de règlements intérieurs précisent que tout couvre-chef est interdit dans l'établissement. Cela va jusqu'à la casquette « Nike ».

M. le Président : Pourquoi cela a-t-il été fait ?

Mme Véronique GASS : Je parle d'établissements que je connais. Cela fut fait dans le respect de la personne en général, plutôt qu'orienté contre un signe religieux ostentatoire.

M. le Président : Vous indiquez que des établissements catholiques acceptent aujourd'hui que des enfants portent la kippa.

Mme Véronique GASS : Oui. Je vous transmettrai les noms des établissements.

A Marseille notamment, des établissements reçoivent 90 % de jeunes filles musulmanes, dont certaines viennent en voile.

M. Georges DUPON-LAHITTE : Dans les quartiers au nord de Marseille.

M. Philippe de VAUJUAS : Je réponds plus précisément à M. Dosière qui nous a interrogés sur notre expérience de gestion du port du voile dans les établissements catholiques.

Il y a des enfants issus de familles musulmanes scolarisés dans l'enseignement catholique. Pour être très honnête, nous n'en connaissons pas le nombre exact, mais le secrétariat épiscopal pour les relations avec l'islam estime qu'environ 10 % des enfants scolarisés dans les établissements catholiques sont d'origine musulmane. Toujours est-il qu'un certain nombre d'établissements scolarisent une forte minorité et certains autres une forte majorité d'enfants musulmans ou d'origine musulmane, parmi lesquels des jeunes filles qui ont la tentation ou la volonté de porter le voile.

Il faut dire que la position des chefs d'établissement n'est pas strictement homogène. Il peut y avoir des différences de comportement dues aux circonstances locales et aussi au tempérament du chef d'établissement.

Les interdictions brutales sont toujours évitées. Il est de très loin et toujours préféré un dialogue avec l'enfant et avec la famille, afin, avant tout, de déterminer les raisons du port du voile : sont-elles strictement religieuses ? Plus politiques et par conséquent vraisemblablement d'origine fondamentaliste ? Ou est-ce un signe de pudeur de la jeune fille compte tenu de l'environnement familial ? C'est la première des questions.

Il est habituellement souhaité une cohérence entre le comportement de la jeune fille, éventuellement porteuse du voile, et le projet éducatif de l'établissement.

Le refus d'assister à des cours touchant aux sciences de la vie, aux cours de chimie ou de gymnastique est un motif immédiat d'exclusion. En revanche, s'il n'y a pas de refus de jouer la règle commune à tous les élèves, le dialogue se poursuit afin que l'enfant et les familles soient convaincus que le comportement de l'enfant est cohérent avec le projet éducatif. De ce point de vue, nous profitons d'un avantage, en ce sens que l'école catholique est choisie par l'enfant, sur la base d'un projet d'établissement, d'un projet éducatif, les parents étant reçus.

Le fait d'avoir un outil, sorte de contrat sous la forme du projet éducatif, favorise grandement le dialogue grâce à une volonté de proximité forte entre enseignants et parents et, souvent, dans les établissements de petite taille, entre le chef d'établissement lui-même et les parents. Cela favorise, en règle générale, le dialogue.

Il résulte de tout cela que les tensions existent entre la volonté d'exprimer une conscience religieuse et la nécessité de faire appliquer la loi. Cette tension existe dans les établissements catholiques comme dans les autres. En règle générale, cela se passe plutôt bien du fait de l'effort de dialogue, appuyé sur un projet éducatif. Neuf fois sur dix, les voiles sont retirés volontairement après un temps plus ou moins long. Cela dit, il faut dire que certains établissements tolèrent le port du voile de façon un peu plus longue, si par ailleurs les autres conditions sont remplies. C'est notamment le cas à Saint-Mauront, collège du troisième arrondissement de Marseille, qui scolarise une population d'enfants d'origine musulmane à 85 ou 90 %. C'est un début de restitution de ce que nous essayons de faire pour que cela se passe le moins mal possible.

Cela me permet de rebondir sur la question des outils, car, au bout du compte, c'est cela qui est en jeu. Quels outils permettraient aux chefs d'établissement et aux enseignants de gérer le problème sans l'intervention d'une loi dont on peut craindre l'effet destructeur pour des libertés fondamentales ? Le premier outil serait sans doute la mise au point d'un texte qui pourrait être une charte et qui serait dépourvu de la force coercitive d'une loi, mais qui traduirait en termes contemporains ce que la Nation entend par laïcité. Ce serait un cadrage assez général et il n'est pas certain que ce serait l'outil le plus efficace. Tant s'en faut. Les outils plus efficaces sur le plan du terrain tiendraient dans une formation ad hoc des enseignants et chefs d'établissements.

M. le Président : Vous voyez cette charte comme dépourvue de toute valeur juridique ?

M. Philippe de VAUJUAS : Je la vois comme n'ayant pas valeur juridique, mais comme élément de référence.

M. le Président : Une loi peut fixer des principes généraux ?

M. Philippe de VAUJUAS : Certes, mais l'on perçoit mal comment une loi pourrait interdire le port de signes religieux au sein de l'école, sans aborder la question des signes religieux dans l'espace public avec les risques majeurs d'un appauvrissement terrible de la tolérance dans notre vie en société.

M. le Président : Qu'appelez-vous « espace public » ?

M. Philippe de VAUJUAS : C'est effectivement un terme à définir. L'espace public peut être restreint aux établissements scolaires publics, aux administrations publiques d'Etat...

M. le Président : Ce peut être la rue.

M. Philippe de VAUJUAS : En effet.

M. le Président : Dans la rue, transmettons-nous des valeurs ?

M. Philippe de VAUJUAS : Bien entendu ! Pourquoi les gens portent-ils des signes religieux sur eux ?...

M. le Président : L'école de la République a aussi comme mission de transmettre un certain nombre de valeurs. Mais le métro, par exemple, est là pour vous transporter, non pour vous transmettre des valeurs.

M. Philippe de VAUJUAS : Ce n'est pas sa finalité de vous transmettre des valeurs. N'empêche qu'il le fait comme tout espace public ne peut s'empêcher d'en véhiculer.

M. le Président : Dans de telles conditions, il n'y a plus de sphère privée.

M. Philippe de VAUJUAS: Par définition, dans l'espace public, la sphère privée n'est pas première, elle est seconde.

L'autre outil consisterait, dans la mesure du possible, en des projets éducatifs suffisamment clairs, servant de chartes internes auxquelles se référer dans l'établissement. Même si elles n'ont pas une valeur extrême juridiquement, elles revêtent une grande valeur en tant que document de référence.

Enfin, il faut favoriser de plus en plus l'enseignement du fait religieux dans les établissements car connaître la religion d'autrui aide à respecter la personne qui la pratique.

M. le Président : M. Teper, je vous sens quelque peu ... nerveux. Nous sommes ici dans une sphère publique ; je ressens donc les choses !

M. Bernard TEPER : Vous avez raison, M. le Président. J'ai été choqué par les propositions de M. Luca. Me considérer comme intégriste en me plaçant dans le même camp que Khomeini et Ben Laden, je trouve cela choquant !

M. le Président : M. Luca n'a pas dit cela !

M. Bernard TEPER : Le mot « intégriste » a un sens. C'est pourquoi j'ai été choqué par son propos, car le nôtre est de défendre la liberté, l'égalité et la fraternité. Même si l'on est en désaccord sur ces principes, personne n'a le droit de nous considérer comme intégristes.

Sur ces points, qui ne sont pas à l'ordre du jour comme l'Alsace-Moselle et les aumôneries, je rejoins M. Dupon-Lahitte de la FCPE. Si certains voulaient démontrer que sur le sujet des aumôneries et de l'Alsace-Moselle, l'UFAL était d'accord avec la FCPE, c'est réussi !

Je veux montrer la cohérence qui préside à notre position sur l'Alsace-Moselle et sur une loi contre les signes religieux à l'école. Nous estimons qu'une même loi doit s'appliquer à toutes les écoles de la République française. Que le port du voile soit autorisé dans une école et pas dans une autre, que les règles appliquées en Alsace-Moselle soient différentes de celles qui s'appliquent aux 97 autres départements de notre République entraînent notre désaccord. J'accepte que d'aucuns disent que je suis ringard, mais le principe d'une République une et indivisible ne me semble pas un principe désuet. En tout état de cause, nous sommes pour la même loi pour tous.

Je crois qu'une confusion philosophique a caractérisé certains propos. Il ne faut pas confondre « sphère » et « espace ». La rue c'est l'espace public, mais la sphère est privée. La définition de la laïcité réside dans la séparation de la sphère publique d'avec la sphère privée. Mais la sphère n'est ni le domaine ni l'espace. L'école est entièrement dans la sphère publique, car ce n'est pas un service public, c'est une institution de la République. Lorsque nous sommes à la poste, la sphère publique est représentée par les fonctionnaires de l'Etat. En revanche, ceux qui sont de l'autre côté du guichet, les usagers, mot que je préfère à celui de clients, ne font pas partie de la sphère publique, car il s'agit d'un service public où ceux qui sont assujettis à la règle publique sont les personnels. Par contre, à l'école qui est une institution de la République, une règle s'applique aux élèves et aux enseignants.

M. le Président : Et l'université ?

M. Bernard TEPER : La différence que je vois entre l'université, le collège et le lycée, c'est la majorité acquise entre-temps par les étudiants.

M. le Président : A l'école, il y a des élèves majeurs.

M. Bernard TEPER : Effectivement. Toutefois, il faut une règle pour tous dans une enceinte. Dans un lycée, de la seconde à la terminale, la plupart des élèves sont mineurs. De ce point de vue, la règle doit s'appliquer, car on ne peut établir des règles différentes dans une instance, institution de la République. En revanche, à l'université, où la grande majorité des élèves est majeure, un autre règlement doit s'appliquer.

Notre position est ancienne. Or, déjà, nous sommes rejoints dans notre combat par l'association des maghrébins laïques de France, par l'association des musulmans laïques de France. Il faudra bien un jour que la République française tienne compte de ces organisations, dont les idées sont majoritairement partagées par la communauté d'origine maghrébine. Avant-hier soir, le syndicat national des personnels de direction de l'Education nationale, le SNPDEN, par la voix de son secrétaire général, M. Guittet, est venu à notre réunion déclarer que le SNPDEN, qui syndique la majorité des chefs d'établissement et des adjoints de l'enseignement public, nous rejoignait.

Dès lors que nous sommes en train de rassembler le syndicat majoritaire des chefs d'établissement et des adjoints, comme de plus en plus d'associations maghrébines et musulmanes, nous faisons œuvre du respect des principes de liberté, d'égalité et de fraternité.

M. le Président : M. Teper, vous êtes rejoint sur la nécessité d'une loi.

M. Bernard TEPER : D'une loi contre les signes religieux à l'école publique.

M. le Président : Nous avons des points de vue différents. Je me tourne vers ceux qui souhaitent une loi. Qu'allez-vous introduire dans la loi ?

M. Bernard TEPER : Il faut une loi, en raison de l'article 10 de la loi d'orientation de 1989. Les membres du Conseil d'Etat, membres de notre association, nous ont dit très clairement que le Conseil d'Etat, lorsqu'il a émis son avis du 27 novembre 1989, avait fait son travail. Nous ne participons pas, quant à nous, à la critique du Conseil d'Etat dans l'avis de 1989. En revanche, les membres du Conseil d'Etat ont indiqué que, sans l'article 10 de la loi de 1989, l'avis du Conseil d'Etat du 27 novembre 1989 n'eût pas été identique. C'est pourquoi nous pensons qu'il faut une loi qui précise que tous les signes religieux sont interdits dans l'enceinte de l'école publique.

M. le Président : Article premier : « L'ensemble des signes religieux visibles est interdit dans tout établissement public scolaire. » ?

M. Bernard TEPER : Collèges et lycées !

M. le Président : Selon vous, quelle est la zone géographique de l'établissement public ? S'agit-il de l'ensemble de l'établissement, de la cour, du réfectoire, du gymnase, s'il n'est pas dans le périmètre de l'école... ?

M. Bernard TEPER : Il s'agit de l'ensemble de l'école. Je vais vous dire pourquoi, car c'est là un vrai sujet de débat. Tous les collectifs d'enseignants, les syndicats locaux et les fédérations départementales des différents syndicats d'enseignants qui nous rejoignent estiment que si on limite cela à la classe, il y aura des difficultés d'interprétation à l'intérieur de l'établissement. Or, les enseignants demandent une règle simple.

M. Jean-Yves HUGON: M. Teper, pour vous un sapin de Noël est-il un signe religieux ?

M. Bernard TEPER : Je parle des signes religieux portés par les personnels et les élèves. Cela touche donc la croix, la kippa, le voile : des signes visibles sur les personnels et les élèves. On ne peut, par une loi, régler tous les problèmes de la République. En l'occurrence, il convient de rester dans son objet, à savoir les signes religieux visibles sur les personnels et les élèves.

Mme Lucille RABILLER : Cela concerne-t-il tous les signes religieux présents dans l'enceinte des établissements scolaires, ce qui signifierait que les livres d'histoire seraient exempts d'images ?

M. le Président : M. Teper a précisé : les signes visibles portés par l'individu.

M. Bernard TEPER : Une œuvre d'art dans un livre d'histoire a été réalisée par des êtres humains. Cette œuvre d'art fait partie des humanités, de l'encyclopédie et a sa place dans les livres d'histoire.

M. le Président : On ne va pas réécrire l'histoire.

M. Bernard TEPER : Exactement !

M. le Président : Jeanne d'Arc est Jeanne d'Arc.

M. Bernard TEPER : Jeanne d'Arc fait partie du patrimoine français, de même que Jésus sur la croix. Un tableau est peint par un homme et fait partie du patrimoine culturel.

M. le Président : On ne va pas enlever de la croix le Christ de Dali !

M. Bernard TEPER : Tout à fait !

M. VAUJUAS : L'hiver, les jeunes filles pourront facilement cacher les croix qu'elles portent. Mais l'été ?

M. Bernard TEPER : Elles feront exactement la même chose que moi quand j'entre dans une mosquée : j'enlève mes chaussures, elles enlèveront leur croix si elles ont un décolleté !

Mme Véronique GASS : M. Luca m'a demandé pourquoi l'UNAPEL était pour le maintien des signes religieux et quelles étaient pour nous les implications éventuelles d'une loi.

L'implication d'une loi est pour nous très claire : dès lors que l'on aura supprimé tous signes visibles ou ostentatoires de religion, pourquoi pas, dans un deuxième temps, remettre en cause, l'existence même des établissements catholiques ?

A l'heure actuelle, de nombreuses familles musulmanes viennent dans nos établissements. Même si elles savent que notre confession est différente, elles disent que c'est un endroit où l'on entend parler de Dieu, ce qu'elles estiment important. Pourquoi à un moment donné s'arrêter ? Les établissements catholiques étant sous contrat d'association avec l'Etat, à quelles frontières s'arrêterait la législation ?

M. Jacques MYARD : Vous venez de conforter, madame, ce que j'ai entendu tout à l'heure dans la bouche de M. de Vaujuas. Je suis profondément choqué par vos propos. Pensez-vous qu'un législateur, quel qu'il soit, quelle que soit d'ailleurs sa majorité, puisse engager la chasse aux sorcières que vous êtes en train de décrire ? Vous êtes vous posé la question de savoir quelle pourrait être la République demain matin ? Nous assistons à une montée des communautarismes. S'il ne s'agissait que du voile, mais le problème est que d'aucuns avancent selon une salami-tactique, voire une taquia, chère aux shiites, afin de demander toujours plus pour faire irruption du religieux, et ce, en violation de la neutralité dont vous seriez, en l'occurrence, les premières victimes. La grande force de l'enseignement et de l'église aujourd'hui a été l'affirmation de la laïcité, c'est-à-dire la césure entre ce qui relève de César et de Dieu le Père !

Vous mettez en avant que la loi pourrait être une possibilité d'atteinte à vos convictions religieuses. En tant que fervent républicain, je suis profondément choqué, car nous avons prouvé par la loi - relisez les textes de Jules Ferry - que le législateur fit preuve d'une prudence extrême dans les circulaires qu'il a adressées aux professeurs en leur demandant d'être prudents et respectueux de la conscience de chacun dès lors qu'ils abordent des points touchant à la religion. Lorsque j'entends votre discours, j'ai l'impression que l'on vit sur une autre planète !

M. le Président : Nous vous avons entendus, vous êtes pour une loi dont le contenu serait d'interdire tout signe religieux visible, porté, dans le périmètre de l'école.

Légiférer implique de prendre en compte les risques que cette loi peut entraîner. Il y a la loi et la façon dont les gens la ressentiront. Je n'ai pas évoqué jusqu'à présent le problème du voile. Ne craignez-vous pas qu'une loi, dont on comprend parfaitement la finalité, aura pour conséquence de désigner « à la vindicte publique » une religion ? C'est ma première question.

Seconde question : puisque vous voulez une loi, considérez-vous aujourd'hui que les professeurs, les principaux de collèges n'ont pas les moyens d'assurer la laïcité de l'école ?

M. Georges DUPON-LAHITTE : Avant de répondre, j'indique à Mme Rabiller que je ne considère pas la famille comme un « joug » ; je le mettais en rapport avec cette idée que des familles imposaient un certain type de tenue à leurs enfants et que si on les excluait de l'école, on les faisait tomber sous le joug de ces familles, dont nous considérons qu'elles ne les libèrent pas, puisqu'elles les enferment. C'est un risque fort au regard de la liberté et de la volonté que j'exprimais lorsque j'indiquais que l'école est porteuse de la liberté de l'individu. Et en tant que républicain, je crois à l'école de la République !

Pour répondre à l'argument de M. Teper, oui, l'école est une institution de la République ; ce n'est pas qu'un service public tout en étant un service public à la manière de la poste. Ce n'est pas la seule institution. Vous me permettrez, M. le Président, de faire appel à vos origines professionnelles. La justice me semble bien être une institution de la République. Si l'on suit la logique de l'interdiction des signes, demain, les magistrats n'accepteront plus de juger des femmes voilées ou des personnes entrant dans l'enceinte du tribunal au prétexte qu'elles portent un signe religieux alors qu'elles sont là pour être jugées en fonction de la loi.

M. le Président : Il y a quelques années, on a enlevé tous les crucifix des prétoires. Ceux qui rendent la justice la rendent au nom du peuple et non au nom d'une religion.

M. Georges DUPON-LAHITTE : C'est bien là la laïcité de l'institution - justice comme école - qui a supprimé les insignes parce que la République est laïque, mais quand on juge un prévenu qu'importe qu'il vienne avec un signe religieux ou pas...

M. le Président : Le passage au prétoire n'est pas obligatoire !

M. Georges DUPON-LAHITTE : J'entends bien ! Vous me permettrez de simplifier pour illustrer mon propos et pour montrer que ce n'est pas la notion d'institution qui entraîne l'interdiction pour le justiciable de porter un signe religieux. En revanche, c'est bien l'institution qui ne doit pas porter de crucifix.

Nous vous rejoignons totalement, M. le Président, sur le risque de mise à l'index.

M. le Président : Je n'ai pas pris position, j'ai posé des questions.

M. Georges DUPON-LAHITTE : Pour répondre à votre question, c'est un des éléments qui nous fait dire que l'on ne peut légiférer à chaud dans un climat parfois monté inutilement en épingle. Cela pourra paraître surprenant, mais, pour l'essentiel, sur les propos tenus par l'UNAPEL, nous nous retrouvons.

M. Jacques MYARD : C'est ce qui nous manquait !

M. Georges DUPON-LAHITTE : Au moins sommes-nous des parents qui avons des projets éducatifs pour nos jeunes, quelles que soient nos opinions, ce qui amène à cette convergence.

M. Jean-Pierre BRARD : Vous ne parlez pas du même point de vue !

M. Faride HAMANA : Avec l'UNAPEL, nous avons comme point de convergence un projet qui tourne autour de l'enfant et du respect de la personne. A partir de là, les mots de « dialogue avec l'enfant », « d'éducabilité » de l'enfant reviennent en force. Sur ces bases, nous commençons à construire véritablement un rapport avec l'enfant. La pire des choses serait que les enfants, quelles que soient leurs convictions religieuses, n'aillent plus à l'école républicaine, ne soient plus en mesure d'entendre un autre type de discours, un autre type de vérité. C'est l'enfermement et c'est destructeur pour notre République. Voilà pourquoi nous ne souhaitons pas de loi, car nous le savons bien, qu'on l'habille de la façon dont on voudra, c'est une loi qui stigmatisera systématiquement une seule catégorie d'individus. Il est inutile d'ajouter des tensions là où elles n'existent pas, où elles sont gérées car, dans des centaines d'établissements, des jeunes filles sont voilées sans que cela pose de problème.

M. le Président : M. Hamana, vous êtes comme nous tous républicains. N'êtes-vous pas choqué que l'on puisse interpréter différemment la République suivant que l'on habite Marseille, Lyon, Tours ou Evreux ?

Je m'adresse maintenant à vous tous : des extrémistes veulent aujourd'hui profiter de la situation pour avancer contre la République et contre la laïcité. Je pose la question inverse à celle que je vous ai adressée : le fait de ne pas légiférer ne risque-t-il pas d'être interprété comme une faiblesse de la République qui considérera que le législateur s'autocensure, en ne voulant pas voir la réalité ; il dirait ainsi : que chacun fasse comme il l'entend ! Ce serait une laïcité à la carte. Je ne vois pas pourquoi - c'est une interrogation qui m'habite - nous aurions une République différente à Evreux, à Paris, à Marseille ou à Lyon.

M. Faride HAMANA : Des règles existent déjà, énoncées par l'avis du Conseil d'Etat et par la jurisprudence. Au-delà de la question qui nous inquiète, se pose le problème de la formation et de la connaissance juridique des enseignants, qui est totalement absente. On le voit dans les interprétations des textes relatifs aux conseils de discipline par exemple. Il existe une surinterprétation, parfois personnelle, des textes existants. Nous estimons donc nécessaire, dans un premier temps, de réaffirmer des principes, car il ne revient pas forcément à l'enseignant de décider de la situation, mais aux responsables des établissements, proviseurs ou principaux. Nous sommes d'accord avec nos amis de l'UNAPEL sur l'idée d'une charte rappelant des principes formant engagement. Les élèves et les enseignants ont besoin aujourd'hui de savoir ce qu'est la laïcité et de se rappeler dans quel contexte le débat a été mené. Ce n'est pas un débat qui détruisait la liberté de conscience, mais qui l'organisait pour vivre ensemble. La force de la loi est d'avoir eu la sagesse de ne pas en faire une.

M. Jacques MYARD : Quelle serait la sanction si vous tombiez sur des parents véritablement déterminés à refuser tout cela ?

M. Faride HAMANA : Des sanctions existent.

M. Jacques MYARD : Elles n'existent pas. Le Conseil d'Etat va réintégrer les jeunes filles !

M. Faride HAMANA : Je vous l'assure, dans chaque établissement, il y a un règlement intérieur. Un élève qui commet une faute, qui ne va pas en cours, qui est en retard injustifié, qui fume, qui téléphone avec son portable au moment où il ne le doit pas, est sanctionné. Je ne vois pas l'utilité d'en rajouter.

M. le Président : Des professeurs et des chefs d'établissement que nous avons auditionnés ne partagent pas exactement le même point de vue que vous.

Je vous admire tous, car vous avez vos vérités et vous n'en changez pas. Depuis que je préside cette mission, je change tous les jours de vérité. C'est dire toute la difficulté de la question. Anatole France disait : « Heureux ceux qui n'ont qu'une vérité. Plus heureux et plus grands ceux qui ont fait le tour des choses, ont assez approché la réalité pour savoir que l'on n'atteindra jamais la vérité et que chacun a sa vérité. ».

Nous sommes en pleine interrogation et plus nous entrons dans ce sujet avec facilité et humour, plus nous nous rendons compte de la difficulté. Il est très délicat d'avoir une seule position. C'est pourquoi je vous admire.

M. Bernard TEPER : Si nous établissons une charte, il est clair que les islamistes gagneront devant les tribunaux, parce que la loi est supérieure à la charte, comme la loi est supérieure à la circulaire Bayrou, comme elle est supérieure au décret de 1937. Dès lors que les conseillers d'Etat estiment qu'ils ont appliqué la loi, seule la loi peut être changée. Si vous élaborez un autre texte, vous aboutirez au statu quo.

Dans l'enceinte de l'école, je le répète, nous sommes en présence, non d'enfants, mais d'élèves. Ils redeviennent enfants lorsqu'ils sortent de l'école. Fondamentalement, c'est une différence de statut.

Je rappelle un troisième élément : il n'y a pas un seul cas de jeune fille portant le voile islamique qui accepte d'aller à la piscine. Je vais vous livrer des exemples rapportés par les enseignants. Des enfants demandent pourquoi une petite fille portant fichu est exemptée de piscine alors qu'eux-mêmes n'ont pas envie de s'y rendre. On leur répond qu'elle est musulmane, qu'elle porte le voile, et qu'eux-mêmes sont obligés d'y aller, même s'ils n'en ont pas envie. Dans une enceinte scolaire, il faut que tout le monde soit soumis à la même règle.

Je réponds maintenant à votre question, M. le Président. Vous demandez si une loi réglera tous les problèmes. Ma réponse est non. On nous demande si nous sommes pour une loi contre les signes religieux. Ma réponse est oui. En revanche, j'estime que si cette loi ne s'accompagne pas d'autre chose, on passera à côté de ce que la République française doit faire pour respecter les principes de liberté, d'égalité, de fraternité, de laïcité et de solidarité. Nous estimons que le législateur doit faire la loi. Mais il faut que le pouvoir exécutif, avec l'accord du législateur, fasse un « plan Marshall » pour les banlieues. Permettez-moi de citer une phrase de Jean Jaurès qui disait : « On ne règle aucun problème laïque sans régler en même temps les problèmes sociaux ». Dans les régions, les inégalités sont invivables entre certaines banlieues et certains centres villes.

Deuxièmement, il faut régler le problème des mosquées et être très clairs. Nous sommes pour la construction de mosquées dans la société civile ; cela veut dire que les mosquées sont dans la sphère privée. Il faut permettre aux musulmans d'aller à la mosquée comme les juifs vont prier à la synagogue et les catholiques à l'église. Nous avons avancé des propositions, qui figurent dans les publications de la Ligue de l'enseignement. Nous avons proposé la création d'une fondation d'utilité publique pour des fonds privés comptant trois membres désignés par les ministères pour assurer la transparence de ces fonds privés et destinée à la construction des mosquées.

Le dernier point que vous avez souligné a trait à l'intégrisme. Bien évidemment, si la règle dans l'école ne peut être que la règle pour tous, en mettant sur le même plan la kippa, la croix ou le voile islamique, nous sommes, malgré tout, confrontés au problème de l'islamisme radical dans l'ensemble des pays européens. A ce titre, la République doit protéger ceux qui ne souhaitent pas subir les pressions de cet intégrisme radical. La République, selon moi, a protégé les femmes contre ce que j'appelle « l'intégrisme catholique » sur le droit à l'avortement et le droit à la contraception. A un moment donné, le législateur a tranché contre l'avis de l'intégrisme catholique. Pourquoi aujourd'hui la République ne trancherait-elle pas face à l'intégrisme musulman ? Rien ne s'y oppose. La République doit protéger la possibilité pour chacun de pratiquer, dans sa sphère privée, la religion de son choix. En revanche, elle doit empêcher les intégrismes de dicter la loi à la République française.

M. Jean-Yves HUGON : Je partage les interrogations du Président Jean-Louis Debré, tant il est vrai qu'au fur et à mesure des auditions, nous ne savons que penser et je suis un peu étonné qu'un grand quotidien titre : « La commission Stasi et la mission Debré : l'acheminement vers l'interdiction du voile. » Il faudrait, de temps en temps, nous demander notre avis !

Sur la charte, je partage l'opinion de M. Teper. Il faudra bien, à un moment ou à un autre, dans la charte ou dans le règlement intérieur d'un établissement scolaire, que l'on dise concrètement si l'on autorise ou si l'on interdit le port d'un signe religieux. Mais il risque d'y avoir une faiblesse : une charte ou un règlement intérieur n'a aucune valeur juridique. Si vous interdisez les téléphones portables, personne ne viendra attaquer le règlement intérieur ou la charte. En revanche, si vous interdisez le port des signes religieux ou si vous l'autorisez, vous risquez d'être attaqués et de perdre devant la justice.

M. Jean-Pierre BRARD : J'ai bien compris l'intervention de Mme Gass. Vous vous demandez si légiférer n'engendrerait pas un enchaînement pervers. Avec mon collègue, M. Myard, nous sommes très frappés. Nous avons été confrontés au même débat lorsque nous avons travaillé sur les sectes. Certaines religions constatant que l'Assemblée légiférait sur les sectes se sont demandé quand leur tour allait venir. Or, vous avez pu le remarquer, nous avons tenu une ligne et nous ne nous sommes pas trompés de sujet.

Vous savez quel fut le destin du projet de loi Savary comme celui de la loi Falloux-Bayrou. Aujourd'hui, un équilibre s'est instauré dans notre pays auquel les uns et les autres nous sommes attachés. On en pense ce que l'on veut. Il existe une vraie liberté de choix et la discrimination ne se fera pas par des textes, mais par le libre choix à partir de la qualité des enseignements. Mme Gass, je vous le dis du fond de ma conviction, vous n'avez pas de crainte à avoir. Toutes opinions confondues, nous sommes d'accord pour ne pas nous attaquer aux religions. Nous reconnaissons tous l'importance du fait religieux dans la formation de nos civilisations. Nous partageons la conviction qu'il faut transmettre un héritage sur le plan des connaissances et non des croyances comme nous ne l'avons pas fait depuis 1905. Pour le coup, n'y voyez pas un côté facétieux. La sainte église catholique a été responsable de l'absence de cette transmission, compte tenu des conditions historiques de la loi de 1905. Je ne porte pas de jugement, mais un siècle après, on peut dépasser le conflit. La laïcité est une chance pour les religions, à condition qu'elles ne confondent pas spiritualité et conquête du pouvoir.

M. le Président: La République peut tenir compte du fait religieux ou des écoles religieuses, puisque la loi de 1959 a été faite contre l'enseignement catholique, contre la hiérarchie catholique qui ne voulait pas de cette loi et qui la craignait fortement - pas uniquement dans le confessionnal ! Il a fallu que la République impose la loi.

M. VAUJUAS : Qu'il faut parachever.

M. le Président : C'est là un autre sujet.

Il ne faut donc pas aborder notre sujet avec crainte. Notre problème n'est pas de supprimer le fait religieux, ni de faire disparaître les églises et les religions. Confrontés à un problème, nous voulons que notre conviction, à savoir la nécessité d'une école laïque, obligatoire et pour tous, prenne forme, que la laïcité soit une réalité et que les professeurs, les enseignants, les maîtres, les principaux de collège soient à même de faire respecter ce principe de laïcité. De la même façon, nous sommes tout aussi attachés à la notion de Nation et d'entité du territoire national : il ne convient pas d'appliquer la loi différemment ici ou là.

M. Georges DUPON-LAHITTE : Il ne faut pas oublier que la loi a tendance à tuer la loi. Depuis Rome, la multiplication des lois est souvent le signe d'une plus grande faiblesse dans la capacité à appliquer des règles, car il faut toujours en ajouter.

Je crains que nous nous engagions demain dans une voie en oubliant que les signes religieux n'étaient pas si absents que cela de l'école il y a trente ans. On ne se préoccupait pas tant du petit catholique qui annonçait dans l'enceinte de l'école publique qu'il avait fait sa communion solennelle, ce dont il se disait très fier, d'autant qu'on lui avait offert une mobylette à cette occasion.

M. le Président : Vous avez raison, mais vous oubliez un phénomène nouveau, que l'on ne peut écarter : il s'agit de la médiatisation, qui rend les problèmes plus difficiles à régler.

M. Philippe de VAUJUAS : En réalité, on dénombre entre 100 et 150 jeunes filles, qui, non seulement portent le voile, mais qui ont l'intention d'aller jusqu'à un contentieux.

M. le Président : Toutes les informations ne remontent pas, les incidents sont réglés au cas par cas.

Merci de cet intéressant débat et de votre collaboration à ce travail difficile.

Table ronde regroupant les syndicats d'enseignants,
MM. Daniel ROBIN et Gérard ASCHIERI, Fédération syndicale unitaire (FSU),
Mme Françoise RAFFINI, membre du bureau fédéral et M. Thomas JANIER
_, membre de la direction fédérale de la Fédération de l'éducation de la recherche et de la culture-CGT (FERC-CGT),
M. Hubert RAGUIN, secrétaire fédéral de Force Ouvrière enseignement (FO-Enseignement),
M. Jean-Louis BIOT, secrétaire national du Syndicat des enseignants-membre de l'Union nationale des syndicats autonomes (SE-UNSA),
M. Hubert DUCHSCHER(, secrétaire national du Syndicat national unitaire des professeurs d'école (SNUIPP),
Mme Stéphanie PARQUET-GOGOS, secrétaire générale du Syndicat Sud-Education du Cher,
M. Hubert TISON, secrétaire général de l'Association des professeurs d'histoire et de géographie (APHG),
M. Patrick GONTHIER, secrétaire général de l'UNSA-Education

(extrait du procès-verbal de la séance du 30 septembre 2003)

Présidence de Mme Martine DAVID, membre du Bureau

Mme Martine DAVID, Présidente : Je vous demanderai de bien vouloir excuser Jean-Louis Debré, Président de l'Assemblée nationale dont les obligations l'ont empêché de présider cette réunion, comme il le fait très régulièrement depuis le début de nos travaux.

Je propose, après un exposé liminaire de chacun d'entre vous, d'ouvrir le débat car les signes religieux et la laïcité sont des sujets dont la sensibilité se prête tout particulièrement aux échanges.

M. Gérard ASCHIERI : Notre fédération est la première de l'Education nationale et je vous remercie de me donner la parole en premier. Je suis secrétaire général de la Fédération syndicale unitaire (FSU) et je suis accompagné par Daniel Robin, secrétaire national du Syndicat national des enseignants du second degré (SNES), premier syndicat de la FSU, et qui suit toutes ces questions avec Hubert Duchscher, secrétaire national du Syndicat national unitaire des professeurs d'école (SNUIPP), qui est le second syndicat en nombre de la FSU.

La question du port des signes religieux peut-elle être mise en relation avec celle de la laïcité ? C'est une question sur laquelle je souhaiterais m'arrêter, car elle me paraît déterminante. Tous les débats, toutes les réflexions, toutes les commissions ayant trait au sujet, mise à part peut-être la commission Stasi, installée par le Président de la République, sont centrés sur la question du port des signes religieux dans les établissements scolaires ou universitaires. C'est une entrée réductrice, parce que s'il y a problème, et il y a effectivement problème, il demande à être traité dans le cadre de la laïcité. Si tel n'était pas le cas, ce serait dangereux par rapport à l'objectif même de ces réflexions.

Ce problème de la laïcité renvoie, aujourd'hui, à des questions traditionnelles et à des questions nouvelles. Je citerai quelques exemples, sur lesquels nous pourrons revenir au cours du débat. Pour ce que j'appellerais les « questions traditionnelles », il y a : le projet de Constitution européenne et les débats qui l'ont entouré sur la place des religions et des églises, de même que l'article 51 dudit projet ; le maintien du statut particulier d'Alsace-Moselle ; les « dérapages » dans la mise en place de la formation des personnels dans le cadre de l'enseignement du « fait religieux » ; les tentatives de restauration des services religieux, notamment catholiques, dans certains établissements du second degré ; les tentatives de développement du poids et de la place de l'enseignement privé sous contrat, voire de remise en cause, une nouvelle fois, de la loi Falloux.

Il existe, par ailleurs, une dimension nouvelle de la problématique de la laïcité à travers, notamment, le rapport qu'entretient l'école à « la marchandisation ». Je veux parler de la place des marques, du commerce et de tout ce qui peut se traduire par l'introduction d'intérêts privés dans le système éducatif et mettre en cause la laïcité en tant que formation de l'esprit critique et en tant qu'élément central de la neutralité.

Il nous paraît essentiel que toutes ces questions soient traitées. Ne pas le faire réduirait la portée et l'efficacité de la réflexion sur le port de signes religieux et poserait de graves problèmes vis-à-vis des notions de laïcité et de République, cela pour plusieurs raisons.

En premier lieu, parce que chacun sait qu'à travers les signes religieux c'est essentiellement le voile ou le foulard dit « islamique » qui est ciblé. C'est lui qui, aujourd'hui, génère des incidents, alors que le port des croix, des kippas, ou d'autres signes susceptibles de mettre en cause la laïcité ne pose pas problème, ou du moins, n'est pas l'objet de la même médiatisation.

En second lieu, parce que la religion musulmane apparaît la seule visée, ce qui laisse entendre que les autres religions auraient accepté un pacte laïc républicain, ce qui paraît contestable. L'attitude des églises sur le statut d'Alsace-Moselle, sur le contenu du projet de Constitution européenne, l'offensive pour faire inscrire l'idée d'une Europe « fille de l'Eglise », les tentatives auxquelles j'ai fait allusion pour rétablir les services religieux catholiques dans certains lycées, sont autant de preuves que la question n'est pas réglée.

En troisième lieu, parce que cela donne à la question du port du voile un caractère prioritaire et décisif au regard du respect des principes de laïcité. Peut-on légitimer une telle appréciation lorsque l'on est confronté aux questions que j'ai évoquées et qui portent sur la laïcité ?

La FSU, dans ses mandats et dans ses pratiques, s'est clairement prononcée contre le port de signes religieux, donc du « foulard » dans les établissements scolaires. La question est de savoir comment mieux concrétiser, si nécessaire, cette exigence. Faut-il une loi ou des réglementations nouvelles ? De fait lorsque l'on évoque la loi, on évoque la recherche d'un instrument permettant l'exclusion, sans contestation, de ceux qui contreviendraient aux règles. Or, l'expérience de nombreux collègues dans différents établissements concernés montre que l'exclusion définitive, immédiate, ne peut être la seule solution et qu'il importe de laisser aux équipes pédagogiques la possibilité d'explorer, au préalable, d'autres voies, en particulier celle du dialogue, pour obtenir de l'élève qu'elle accepte de retirer le voile.

C'est ce type de pratique qui a permis de limiter progressivement les incidents - sans parvenir à les faire disparaître, comme en témoigne l'actualité. Ces incidents, lorsqu'ils sont montés en épingle, favorisent les positionnements, voire la propagande, intégristes. C'est pourquoi nous sommes, avant tout, favorables à ce que soit menée, en ce domaine, une politique active, fondée sur l'intervention et la formation des équipes, sur un dialogue incluant le respect des règles et, si nécessaire, sur la sanction et la formation de jeunes aux valeurs de la République.

Dans ce cadre, nous ne sommes pas a priori favorables à une loi qui traiterait de la seule question du port des insignes religieux. S'il y a nécessité d'améliorer le dispositif législatif, c'est sur tous les domaines que nous avons évoqués qu'il convient d'agir de façon à marquer clairement - et c'est la condition de tout progrès en ce domaine - que l'application du principe de laïcité dans la République s'applique à tous et partout.

Mme Françoise RAFFINI : Tout d'abord, je tiens à rappeler que nous avions exprimé dans un court communiqué de presse, en septembre 1994, la position de notre fédération concernant le respect de la laïcité dans les établissements scolaires, après les mouvements survenus dans plusieurs lycées, autour du port d'un foulard, dit « islamique ». Selon nous, la circulaire ministérielle du 26 octobre 1993 n'apportait pas, à notre sens, d'éléments constructifs pour une solution satisfaisante au regard à la fois des obligations du service public d'enseignement et des droits des élèves.

Je cite l'essentiel de ce communiqué qui continue d'exprimer, dix ans après, notre conviction en ce qui concerne le port de signes religieux dans les établissements scolaires : « Le cycle exclusion, provocation, répression, accompagné du tapage médiatique inévitable, crée une situation inextricable d'où chacun sortira meurtri, mais la laïcité, pas plus que l'image de l'école publique, n'y auront gagné. La FERC-CGT demande que le ministre retire sa circulaire, s'en tienne à l'avis et aux arrêts du Conseil d'Etat. Elle invite les personnels de direction et les personnels d'enseignement et d'éducation à négocier les situations par le dialogue, l'échange, la compréhension réciproque, en aucun cas par l'exclusion ou l'isolement des jeunes filles concernées, quand il s'agit de foulard. Aucun texte ne peut valablement légiférer sur des situations aussi complexes ».

Nous ne pouvons aborder le thème de cette réunion de travail sans le situer dans le cadre plus large du principe de laïcité, tel que l'ont institué et posé successivement la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, puis la loi de séparation des Eglises et de l'Etat de 1905, puis les constitutions de 1946 et de 1958.

Nous entendons réaffirmer ici même notre attachement indéfectible à ce qui caractérise notre République en ce domaine, c'est-à-dire que la France est une république laïque, démocratique et sociale ; que son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ; qu'aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice ; et que, si l'article 2 de la loi de 1905 pose que la République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte, c'est après avoir déclaré, dans son article premier qu'elle assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées dans l'intérêt de l'ordre public.

Nous tenons à souligner combien nous estimons indissociables les trois caractéristiques de la République française : laïque, démocratique et sociale. Nous sommes inquiets des risques encourus par la démocratie quand « le politique » apparaît comme discrédité à trop de nos concitoyens, quand l'abstention aux élections, politiques et professionnelles, va croissant, quand la protection sociale dans son acception la plus large et le droit à l'emploi régressent au point de rejeter dans l'exclusion une part toujours plus importante de la population.

Dans ces conditions, la laïcité aussi est en cause, dans la mesure où le gouvernement du peuple par le peuple tend à ne devenir le fait que d'une seule « section de celui-ci ».

Elle est menacée par les discriminations racistes dont sont victimes dans leur vie quotidienne tant d'enfants de familles récemment ou anciennement immigrées, quelle que soit la nationalité de ces enfants, souvent française de surcroît. Elle est encore menacée par les humiliations des enfants de familles réduites à une extrême pauvreté. Ce n'est pas le communautarisme qui fait des émules, mais ces pathologies de notre société, évoquées à l'instant, qui provoquent sa fragmentation en groupes d'identités diverses - la bande, le quartier, la religion, le groupe ethnique - engendrant un déchaînement de violence. C'est bien parce que nous sommes attachés au principe de laïcité qu'il nous apparaît indispensable, d'une part, de ne pas ériger en dogme une laïcité de forme plus que de fond, qui serait réduite à n'être qu'une icône sans effet social dynamique, d'autre part, de refuser les fureurs du tapage médiatique, de ne pas entacher d'anachronisme la réflexion sur la laïcité et de prendre en compte les évolutions de la société, des idées, du droit et, tout particulièrement, la déclaration universelle des droits de l'homme et la convention des Nations unies, relatives aux droits de l'enfant.

Nous ne pouvons pas plus feindre d'ignorer que les élèves ont acquis des droits dans l'institution scolaire, qui ne sont pas de l'ordre du supplément amovible selon les circonstances, enfin que le droit de la famille a été profondément modifié. J'ajoute que parler des droits ne signifie pas nier, ou seulement occulter, les devoirs et les obligations des élèves dans l'école.

De même, nous ne sous-estimons nullement les réelles difficultés rencontrées par nos collègues - personnels de direction, enseignants, éducateurs, surveillants, personnels ATOSS1. Nous respectons leur demande d'aide pour y faire face, mais nous pensons que poser, en soi, le problème du port des signes religieux comme une menace prioritaire contre la laïcité, voire la République, est une erreur : c'est se réfugier derrière un écran pour éviter de regarder en face d'autres réalités dérangeantes.

Puisqu'il faut être bref, je vais donc rappeler nos positions et propositions.

Premièrement, nous récusons l'exclusion comme réponse aux problèmes posés par le port de signes religieux dans l'école, exclusion qui ne peut être vécue que comme un échec. Une des missions de l'école est d'instituer l'élève en citoyen au cours d'un long apprentissage, ce qui exige la confrontation à autrui, à d'autres modes de vie ou de comportement que les siens. En ce sens, l'enseignement du fait religieux participerait à l'instauration de ce « vivre ensemble ». Nous sommes convaincus de la nécessité du dialogue entre les représentants de l'institution, les élèves et leur famille.

Deuxièmement, nous estimons qu'une loi sur le port des signes religieux à l'école serait inopportune, voire plus propice à aggraver les difficultés qu'à les dépasser.

Troisièmement, nous jugeons hors de question de négocier le contenu des enseignements avec les enseignés ou l'assiduité aux cours.

Quatrièmement, nous souscrivons aux positions du Conseil d'Etat, selon lesquelles le port de signes religieux à l'école n'est pas, en soi, de nature à contrevenir au principe de laïcité s'il n'est ni ostentatoire, ni occasion de prosélytisme.

Cinquièmement, nous demandons un débat approfondi à l'échelle de la nation sur le concept de laïcité et l'actualité de sa mise en œuvre dans notre société et un dispositif permanent et renforcé d'accompagnement et d'aide à la décision pour les personnels de l'école et des services publics qui sont confrontés à des difficultés.

Sixièmement, nous jugeons qu'il faut poursuivre la réflexion et l'actualisation des règlements intérieurs des collèges et des lycées, dont certains sont encore loin d'être conformes au droit.

M. Hubert RAGUIN : Je commencerai par rappeler que, pour FO-Enseignement, la laïcité de l'école n'est pas une question d'opinion, mais un principe fondamental de la République, principe défini par les lois organiques de 1882 et 1886 et la loi de séparation des Eglises et de l'Etat de 1905. Ce principe est devenu constitutionnel en 1946.

Au-delà de cette question d'actualité des signes religieux, nous voulons faire état d'une préoccupation plus générale à propos de la loi constitutionnelle de mars 2003 et de ses suites législatives. Le droit à l'expérimentation, reconnu aux collectivités territoriales par la loi organique de juillet 2003, ne risque-t-il pas d'entraîner d'inquiétantes dérives, en particulier en matière de laïcité ?

L'actualité récente en Allemagne ne préfigure-t-elle pas ce que deviendrait une laïcité régionalisée ? Le projet de loi relatif à la décentralisation est, à notre avis, lourd de menaces : que resterait-il de l'école laïque dans une Education nationale définie comme « un service public national dont le fonctionnement est assuré par l'Etat, sous réserve des compétences attribuées aux collectivités territoriales » ?

Si un débat public est ouvert aujourd'hui, c'est parce que la laïcité de l'école est mise à mal. Dès lors, les missions de l'école publique se retrouvent, en maintes circonstances, remises en cause et les conditions d'un enseignement serein ne sont plus toujours réunies.

Les règles traditionnelles de la laïcité ont prévalu pendant des dizaines d'années. Elles étaient simples : aucun clerc à l'école publique, aucun enseignement religieux à l'école publique, aucun signe religieux a l'école publique, stricte neutralité religieuse.

Il faut rétablir ces règles traditionnelles et restaurer les principes. Le respect de la stricte neutralité religieuse de l'enseignement public est d'ailleurs, par nature, incompatible avec la permanence de multiples tentatives pour lui substituer la coexistence, forcément précaire, des communautés.

Nous voulons souligner que ces tentatives se développent depuis la loi d'orientation du 10 juillet 1989. L'article 10 de cette loi d'orientation précise que « Dans les collèges et les lycées, les élèves disposent, dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d'information et de la liberté d'expression ».

Le 27 novembre 1989, un avis du Conseil d'Etat interprète cet article, à la demande du gouvernement d'alors. L'avis du Conseil d'Etat considère que cet article 10 renverse le principe même de laïcité : « Dans les établissements scolaires, le port par les élèves de signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion n'est pas, par lui-même, incompatible avec le principe de laïcité dans la mesure où il constitue l'exercice de la liberté d'expression et de manifestation de croyances religieuses ».

Le même avis du Conseil d'Etat renvoie, par ailleurs, aux conseils d'école et aux conseils d'administration des collèges et lycées la responsabilité de déterminer les modalités d'application du respect des principes de laïcité et de pluralisme, et notamment les conditions dans lesquelles pourrait être restreint ou interdit le port par les élèves de signes d'appartenance à une religion.

Pour Force Ouvrière, la laïcité ne peut pas être à géométrie variable, d'un établissement ou d'une école à l'autre. Il n'appartient pas à chaque établissement, ni a fortiori à chacun des professeurs, d'interpréter ce qui est conforme, ou non, au respect de la laïcité.

Force est de constater qu'aucune circulaire n'a pu, ensuite, modifier ou infléchir la jurisprudence initiée par l'avis du Conseil d'Etat du 27 novembre 1989. Force est de constater que les juridictions administratives saisies de cas d'expulsion d'élèves manifestant leur appartenance à une religion ont, sauf exceptions tirées de la sécurité ou de l'assistance à certains cours, notamment ceux d'éducation physique, en permanence jugé selon cette jurisprudence et annulé les exclusions d'élèves.

Force Ouvrière ne demande pourtant aucune nouvelle loi, ni charte. Elle demande le retour aux principes de la République et leur strict respect, ce qui nécessite l'abrogation de la loi d'orientation de 1989 qui leur est contradictoire. Contradictoire par son article 10 qui a ouvert la voie aux mesures administratives imposant aux enseignants d'accepter les signes religieux ostentatoires dans leurs classes. Contradictoire aussi par le renvoi explicite à chaque établissement de la responsabilité d'interpréter les principes de la laïcité.

Pour conclure, nous nous devons de faire état de la grande inquiétude de nos collègues dans tous les établissements, et en particulier dans ceux, de plus en plus nombreux, où ils sont confrontés à ce problème.

Les autorités administratives leur imposent le plus souvent d'accepter en classe des élèves qui portent des signes religieux. Comme enseignants, comme fonctionnaires d'Etat, ce n'est pas au nom d'opinions ou d'appartenances religieuses, politiques ou philosophiques qu'ils expriment leur détermination collective. Ils veulent enseigner à des élèves et non à des adeptes. Leurs opinions sont aussi divergentes que celles des familles des élèves que la nation leur confie. Ils sont au service de l'école laïque qui ne reconnaît aucun culte.

Ils refusent de se faire « instrumentaliser » dans un débat politique. Ils sont convaincus que leur conception de la laïcité scolaire peut, seule, permettre à leurs élèves d'être protégés pour le temps de leurs études et dans l'intérêt de celles-ci. Ils refusent de prendre en considération des jugements de valeur sur la façon d'interpréter telle ou telle religion. Ils veulent, sur ce plan comme sur d'autres, que la sérénité préside aux missions qui leur sont confiées et demandent à leurs supérieurs hiérarchiques de prendre leurs responsabilités.

C'est pourquoi Force Ouvrière ne demande aucune nouvelle loi qui affaiblirait nécessairement les principes de la laïcité et revendique l'abrogation de la loi d'orientation de 1989 qui a profondément déstabilisé l'institution scolaire.

M. Jean-Louis BIOT : Le Syndicat des enseignants, membre de l'Union nationale des syndicats autonomes (SE-UNSA) rassemble des enseignants publics, de l'école maternelle au lycée. Il est une des cinq organisations constitutives du Comité national d'action laïque (CNAL) et depuis toujours attaché au combat en faveur la laïcité.

Il prend acte avec satisfaction du regain d'intérêt manifesté par les forces politiques démocratiques de ce pays pour la question de la laïcité dont il considère, comme d'autres, qu'elle dépasse le système éducatif et qu'elle concerne toute la société.

Je vais, dans mon propos, tenter de m'en tenir au cadre de votre mission qui est celui de la question des signes religieux à l'école en commençant par formuler trois observations.

Premièrement, le port des signes religieux à l'école n'est pas un phénomène récent. En revanche, il devient un réel problème lorsqu'il se traduit par du prosélytisme, par la remise en cause du caractère obligatoire d'un certain nombre d'enseignements ou par la perturbation du fonctionnement des établissements scolaires.

Deuxièmement, il convient d'apprécier à sa juste proportion l'ampleur de ce problème. On l'évalue à plusieurs centaines de cas par an, répertoriés ou non. Cette estimation est à rapprocher des 70 000 écoles et établissements scolaires implantés sur notre territoire et fréquentés par plus de 12 millions d'élèves. On en viendrait à oublier cette réalité tant est fort l'impact médiatique donné à certaines affaires.

Troisièmement, le problème du port des signes à l'école ne doit pas, selon nous, se limiter au seul caractère religieux. D'autres signes, d'appartenance politique, philosophique, par exemple, sont également susceptibles de véhiculer des comportements de prosélytisme et doivent donc, eux aussi, être pris en compte.

Venons-en maintenant au constat. Le dispositif législatif et réglementaire, en particulier l'avis rendu par le Conseil d'Etat, le 27 novembre 1989, peut paraître insuffisant. En effet, il ne permet pas toujours de résoudre certaines situations conflictuelles. Les chefs d'établissement et les enseignants se retrouvent alors confrontés à des cas très complexes à gérer. Dès lors, la question d'un texte supplémentaire, apte à préciser la réglementation en vigueur, se pose légitimement.

Le SE-UNSA ne rejette pas cette hypothèse, mais il s'interroge. En effet, la jurisprudence actuelle lui paraît équilibrée. Elle respecte le principe de laïcité figurant dans la Constitution et, s'agissant des écoles publiques, dans les lois de 1882 et 1886 ; le principe de liberté de conscience, relatif à la loi de séparation de 1905 ; les droits des élèves à la liberté d'information et d'expression dans les établissements scolaires mentionnés dans la loi d'orientation du 10 juillet 1989.

Cette jurisprudence nous semble définir assez clairement la frontière entre ce qui est permis et ce qui peut être interdit. L'état du droit en la matière n'est pas flou. Toutefois, de réelles difficultés existent.

Pour le SE-UNSA, elles ont pour origine, d'une part, la méconnaissance qu'ont de très nombreux enseignants, de l'avis du Conseil d'Etat et des circulaires Jospin, puis Bayrou, qui l'ont complété en 1989, 1993 et 1994, d'autre part, le traitement sur mesure, au cas par cas, des situations conflictuelles, traitement qui sollicite beaucoup d'investissement et d'énergie de la part des chefs d'établissement et des enseignants, sans, bien sûr, aucune garantie de succès. On rentre là, comme cela a déjà été signalé, dans le domaine de l'interprétation qui passe par la prise en compte, selon nous inévitable, d'un contexte variable d'un établissement à l'autre.

Le SE-UNSA n'est pas favorable à un texte clarificateur, à plus forte raison à une loi qui ne concernerait qu'un seul signe religieux, en l'occurrence le foulard islamique, comme certains le suggèrent depuis quelque temps dans notre pays. Si tel était le cas, notre syndicat s'opposerait à une telle orientation.

Il estime, en revanche, qu'une réglementation, qu'il s'agisse d'un décret ou d'une loi, portant sur tous les signes religieux peut avoir théoriquement un effet dissuasif, notamment par la force de sa portée symbolique. Toutefois, au risque de me répéter, je souligne que le SE-UNSA s'interroge sur « l'opérationnalité » et l'application d'un tel dispositif.

Ces interrogations sont les suivantes. Pourra-t-on définir juridiquement le signe religieux, et, à plus forte raison, la notion « d'ostentatoire » ? Parviendra-t-on à dresser une liste complète, précise et incontestable de ces signes ? Cette réglementation sera-t-elle compatible avec le respect de la liberté de conscience, mais aussi avec les textes internationaux - convention européenne des droits de l'homme, convention internationale des droits de l'enfant - ratifiés par la France ? Dans l'hypothèse d'une condamnation par la Cour européenne, ne court-on pas le risque d'avoir un effet boomerang, contraire à l'objectif recherché ?

Enfin, l'école étant un lieu d'enseignement, d'éducation et de formation, en particulier à la citoyenneté donc à l'apprentissage des droits et devoirs, nous estimons que la question du port des signes religieux doit pouvoir y être abordée avec les élèves.

Notre interrogation porte aussi sur les effets induits par d'éventuels textes plus spécifiques. Dans un passé récent, notre syndicat a été amené à dénoncer, avec d'autres décideurs publics, une tendance préoccupante de notre société à « judiciariser » les rapports sociaux. Nous l'avions fait en particulier lorsque nombre de nos collègues s'étaient retrouvés devant les tribunaux pour des affaires de responsabilité. Nous nous étions alors inquiétés que le recours au tribunal devienne un a priori, en lieu et place du dialogue et de la conciliation. En rendant la réglementation plus sévère, notamment sous la forme d'une éventuelle loi, ne renforcera-t-on pas cette « judiciarisation » des rapports sociaux au sein même de l'école, lieu jusqu'alors privilégié pour l'apprentissage « du vivre ensemble » et pour la cohésion de notre société ?

Enfin, nous ne sommes pas convaincus que les difficultés relevées jusqu'à présent quant à l'interprétation des textes sur le terrain ne se retrouveraient pas à l'identique avec une loi. Certes, une loi fixerait un cadre et des interdits, mais elle continuerait à s'appliquer dans des circonstances et un contexte à apprécier localement.

Qui établira, et sur quelles bases, qu'il y a infraction à la législation sur le port éventuel de signes dans l'établissement scolaire ? Même si la loi oriente ces affaires scolaires vers la justice, la question de la marge d'appréciation qui conduit à décider de la saisir, ou non, restera entière.

Le SE-UNSA soumet trois propositions.

Premièrement, il plaide pour qu'un travail de fond soit conduit dans la durée à l'égard de tous les enseignants et, plus généralement, l'ensemble des personnels d'éducation, en formation initiale et continue, concernant l'histoire et la philosophie de la laïcité, les principes législatifs et juridiques auxquels elle se réfère, le fonctionnement du service public d'éducation, les droits et devoirs des enseignants. Il considère qu'il y a une véritable urgence à engager cet effort tant cette dimension a été, depuis longtemps, délaissée ce dont nous payons probablement les frais

Deuxièmement, il propose la mise en œuvre d'un dispositif d'aide, voire de prévention, pour assister les chefs d'établissement et enseignants dans le cas de situations conflictuelles. Il s'agit de leur apporter immédiatement les informations susceptibles de les éclairer sur des manipulations ou des « instrumentalisations ». Un tel dispositif impliquerait, naturellement, une étroite collaboration sur le terrain entre les représentants des ministères de l'éducation nationale et de l'intérieur, notamment.

Troisièmement, au fil du temps, la référence à la laïcité de la société française s'est estompée, devenant plus discrète, voire complètement ignorée. Inconsciemment, sans doute, nous avons pensé collectivement qu'elle imprégnait naturellement tous les citoyens de notre pays. C'est une erreur et les débats actuels le démontrent. C'est ce défi qui paraît à notre syndicat devoir être relevé. La classe politique doit prendre ses responsabilités et s'engager, sans arrière-pensées, dans cette reconquête collective qui exigera beaucoup de temps.

Le SE-UNSA estime qu'il faut effectivement réaffirmer la pertinence du concept de laïcité et le faire vivre. Dans ce domaine, l'école ne peut pas tout, même si elle a un rôle pivot à jouer. Elle doit être soutenue, appuyée et relayée, en particulier par les paroles, mais aussi par les actes de tous les élus et représentants des partis politiques démocratiques de notre pays. A ce sujet, au moment où certains revendiquent que leur caractère propre soit mieux considéré, le SE-UNSA tient à souligner que, selon la Constitution, l'organisation de l'enseignement public, gratuit et laïque à tous les degrés reste un devoir de l'Etat.

M. Hubert DUCHSCHER : Je vous prie de bien vouloir excuser Nicole Geneix, secrétaire générale du Syndicat national unitaire des professeurs d'école (SNUIPP), retenue par un engagement prévu antérieurement. Permettez-moi, aussi, de vous remercier d'avoir organisé cette table ronde car il me semble utile, sur une question aussi délicate, de prendre le temps de la réflexion, du dialogue et de la consultation la plus large, pour éviter d'arrêter des décisions dont les conséquences seraient mal évaluées.

Je ne reviendrai pas sur les propos de Gérard Aschieri puisque nous appartenons à la même fédération. Je me bornerai à les compléter par la vision de notre syndicat qui est représentatif des enseignants de l'école élémentaire et maternelle.

Le premier constat que nous pouvons dresser est que très peu de problèmes sont répertoriés à l'école maternelle ou élémentaire, à quelques exceptions près, notamment à Nanterre où nous avons eu à connaître d'une affaire un peu délicate, pour laquelle nous avons bénéficié, il faut le dire, d'un très bon soutien des représentants de notre ministère, venus sur place pour dialoguer et tenter de calmer le jeu.

Même si le sujet est très pointu, je pense qu'il convient de réaffirmer notre attachement à cette laïcité qui existe aujourd'hui en France et dont on dit souvent qu'elle fait figure d'exception au sein de l'Europe. En effet, en dépit de ses lacunes et de son incapacité à résoudre toutes les difficultés, elle a apporté la preuve de son efficacité.

Il faut rappeler qu'elle garantit la liberté de culte comme celle de n'en pratiquer aucun, tout en instaurant dans la sphère publique un espace garantissant l'exercice des droits et des libertés individuels, en dehors de toute appartenance ethnique ou religieuse. Ce concept de laïcité, appliqué à l'école publique, permet - ou a permis jusqu'à présent et nous souhaitons qu'il en aille de même à l'avenir - d'assurer l'éducation et la formation, en dehors des religions ou de tout autre groupe de pression. C'est une qualité qui ne se vérifie pas toujours dans d'autres pays européens aux yeux desquels il est parfois difficile de faire valoir notre spécificité en la matière.

Il est également important de rappeler que ces principes fondamentaux sont loin d'être admis et partagés à travers notre monde où abondent les exemples de conflits meurtriers, liés à l'exacerbation des identités religieuses ou ethniques, que notre législation nous a épargnés.

Le débat récent sur la place du « religieux » dans la future Constitution européenne montre bien que ce qui est évident, en France, l'est beaucoup moins dans nombre de pays voisins, pourtant culturellement très proches. Notre fonctionnement reste pour eux, comme souvent le leur pour nous, impénétrable tant il est vrai qu'en ce domaine, rien n'est définitivement acquis.

A ce propos, le Mosellan que je suis ne peut pas ne pas rappeler qu'il existe en France des exceptions, puisque le régime en vigueur dans les trois départements d'Alsace-Moselle institutionnalise l'enseignement et la présence d'objets religieux au sein même des établissements scolaires. Ainsi, dans les écoles de Moselle, le crucifix au mur est de rigueur et l'enseignement religieux est obligatoire, sauf à demander une dispense, étant précisé que, si seulement trois élèves sur dix-huit sont de religion catholique, il appartiendra aux quinze autres d'obtenir cette dérogation qui n'est octroyée qu'à certains moments de l'année. En la matière, les textes en vigueur demanderaient, peut-être, eux aussi, un certain toilettage.

Dans le principe, il faut très clairement réaffirmer que les établissements scolaires ne peuvent, en aucun cas, devenir des lieux dérogatoires aux principes de laïcité. En même temps, il faut considérer que l'école est source d'émancipation, de tolérance, d'éducation ouverte à la citoyenneté pour tous les jeunes. En ce sens, si les enseignants se voient contraints de procéder à l'exclusion d'un élève, c'est qu'ils ont échoué dans leur mission, ce qui est un constat toujours très douloureux et très mal vécu.

Le débat actuel autour d'une redéfinition plus stricte de la laïcité en milieu scolaire est étroitement lié, comme l'ont déjà dit plusieurs de mes collègues, aux conflits liés au port du foulard islamique, au sein même de nos établissements scolaires. Je vois, pour ma part, un danger à vouloir stigmatiser, cibler certaines populations, déjà très fragilisées.

Quand surgit un tel conflit, l'école ne peut pas rester seule face à la loi. Ses personnels qui, en ces circonstances, se sentent souvent abandonnés et impuissants, ont surtout besoin de médiation, de formation, et du soutien de leur ministère. Une formation initiale et continue des enseignants les aiderait à gérer ce type de conflits, en leur rappelant l'historique et un certain nombre de principes de la laïcité.

On oublie trop souvent de dire que la question du foulard ne touche pas seulement l'école, mais qu'elle s'étend à tout le champ social. Le sujet est grave et appelle un débat public. Par le biais du voile, en effet, certains groupes de pression entendent faire de la femme une citoyenne de seconde zone.

A cet égard, si des difficultés subsistent, ce qui est inévitable au sein d'une institution comme l'Education nationale, j'estime que l'on ne rend pas suffisamment hommage au travail accompli par la médiatrice, Hanifa Chérifi ! Puisqu'il ressort des statistiques que le nombre de filles voilées à l'école décroît par rapport aux années antérieures, on peut dire que le travail de médiation a porté ses fruits. S'il y a des solutions à chercher, c'est donc peut-être dans cette voie qu'il convient de s'engager, même s'il est souvent beaucoup plus difficile de privilégier la médiation et le dialogue que de légiférer.

Sans revenir sur les avantages de la formation et du rappel du concept de laïcité, je pense que l'on ne peut pas, pour protéger l'école, se résoudre à l'exclusion des jeunes filles. Outre que l'exclusion signe un constat d'échec, elle équivaut à rejeter les élèves concernées dans les bras des fondamentalistes.

A la télévision, Malek Bouthi avait déclaré : « faites une loi et, demain, vous aurez cent cas de foulard ! ». Une loi ne ferait, selon lui, qu'aider les intégristes à se faire passer pour des victimes. Elle leur donnerait toutes les raisons d'ouvrir des écoles coraniques, qui, actuellement, encore assez rares, sont, appelées à se multiplier et n'aurait pas d'autre effet que de favoriser le repli communautariste.

En conclusion, vous me permettrez de citer cette phrase d'Hanifa Chérifi : « Prendre les élèves pour cible en croyant que l'on va faire reculer les fondamentalistes est illusoire, on s'attaque aux symptômes sans s'attaquer à la cause ».

Mme Stéphanie PARQUET-GOGOS : Je suis ici à double titre : en tant que secrétaire générale de Sud Education du Cher, et en tant que membre de la commission exécutive de la fédération des syndicats Sud Education. Sud Education est une fédération de syndicats, intercatégoriels, autonomes, car elle est attachée à ce que l'instance décisionnelle soit l'assemblée générale des adhérents. La question de la pertinence d'une nouvelle législation sur le port des signes religieux à l'école n'ayant pas été débattue dans l'ensemble des structures Sud Education, la position que je présenterai ici n'est pas une position fédérale, mais celle de Sud Education du Cher dont je suis la secrétaire générale.

La commissaire fédérale que je suis également entend dénoncer les violations récurrentes des règles qui fondent le principe de laïcité de l'école publique.

Les membres de Sud Education du Cher pensent qu'il n'appartient pas à l'école de définir les signes religieux tolérables. Refuser que des élèves portent un foulard, une kippa, une croix, c'est seulement dire que le port d'un signe religieux, quel qu'il soit, ou, pire, l'un d'entre eux, empêche d'apprendre. C'est dire uniquement cela, puisqu'il n'empêche pas de respecter la dignité et la liberté d'opinion d'autrui. Ces signes, en effet, ne sont pas interdits dans l'espace public : chacun est libre de se promener dans la rue en les arborant... L'école publique n'a pas à déroger au droit commun !

Pour Sud Education du Cher, ce qui empêche l'apprentissage des savoirs que la République garantit à tous les enfants, c'est de prétendre se dispenser de tout ou partie des activités et programmes d'enseignement. Or, tel n'est pas le cas : on ne peut pas dire que le foulard, la kippa, la croix empêchent d'étudier quand, tous les jours, se forment, y compris dans l'enseignement supérieur, des jeunes engagés dans une pratique cultuelle que la République n'a pas à juger.

Tout signe est ostentatoire dans l'œil de celui qui le désapprouve. Comment fonder des règles de droit qui contrediraient, aujourd'hui, l'arrêt du Conseil d'Etat sur cette question, sans s'interroger, non sur les intentions que l'on prête aux élèves porteurs de ces signes, mais sur les faits ? Faut-il rappeler l'article premier du préambule de la Constitution française : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. » ?

Aujourd'hui, il semble que les violations des principes fondamentaux de l'école publique, laïque, sont plus massives, prégnantes, bien qu'insidieuses et rarement dénoncées, du côté de l'invasion marchande. Les marques proposent des mallettes pédagogiques qui sont autant de supports publicitaires. Les entreprises s'immiscent dans les contenus d'enseignement et cogèrent l'offre de formation. Notre fédération dénonce cette situation et s'efforce de lutter contre cette « marchandisation » de l'école.

On oublie, en effet, que l'école ne saurait défendre des intérêts immédiats, privés, y compris ceux des grandes entreprises, au détriment de l'intérêt général qui veut, conformément aux principes du service public, que chaque jeune ait également accès à la formation de son choix, en vue d'obtenir un diplôme lui garantissant des droits individuels et collectifs sur l'ensemble du territoire national, et plus, le cas échéant.

M. Patrick GONTHIER : Il me faut préciser que nous intervenons, nous aussi, à titre fédéral, avec le syndicat des enseignants de la fédération et que nous aurions certainement beaucoup à dire sur l'ensemble des problèmes de la laïcité. Nous allons cependant, dans le temps qui nous est imparti, nous efforcer de nous concentrer sur le sujet précis qui est celui de votre mission.

L'UNSA-Education se félicite de la mise en place de cette mission sur la question des signes religieux à l'école avec tous les partenaires directement concernés. Depuis plus de quatorze années, cette question de société n'a pu trouver de réponses satisfaisantes et durables pour les usagers et les agents du service public de l'Education.

Notre fédération, souhaite rappeler, ici, devant les membres de cette mission qu'elle revendique la laïcité comme valeur fondamentale inscrite dans les préambules et l'article premier de notre Constitution.

Au nom de la laïcité, l'UNSA-Education exige que soit préservée, pour tous les usagers et agents du service public et celui d'Education en particulier, l'inaliénable et intangible liberté de conscience, telle qu'affirmée dans l'article premier de la loi de séparation des Eglises et de l'Etat.

Notre acception de la laïcité, au sens de la loi du 9 décembre 1905, hiérarchise les libertés. Dans son article premier, l'assurance de la « liberté de conscience », garantit le « libre exercice des cultes ». L'article 2 dispose que la « République ne reconnaît... aucun culte ». Les principes énoncés dans cette loi fondamentale permettent la coexistence, à égalité de droit, de tous les citoyens et proclame le respect des convictions de chacune et chacun, y compris, pour nous, la liberté de ne pas croire.

Notre fédération juge cette liberté fondamentale indissociable du principe d'égalité, pierre angulaire de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Dès l'origine de ce débat, nous soulignions que le Conseil d'Etat ne pouvait que « dire le droit » la mission de faire le droit incombant, selon nous, au pouvoir législatif. Dans l'avis du 27 novembre 1989 qu'il a rendu, nous approuvions, bien évidemment, le rappel des principes constitutionnels sur la laïcité.

Notre fédération, après cet avis du Conseil d'Etat, revendiquait, le 5 décembre 1989, dans une lettre au ministre de l'éducation nationale, Lionel Jospin, la mise en place d'un dispositif réglementaire parce « qu'aucune circulaire, quelle qu'en soit la précision, ne pourra jamais prétendre éviter des applications divergentes entre les établissements, pour une longue période, des contentieux naîtront et se multiplieront ». Ainsi exprimions nous notre souci de protéger et d'encadrer une liberté fondamentale par un dispositif juridique complet et précis comme c'est, par exemple, le cas aujourd'hui pour les photographies sur les cartes d'identité - dispositif entériné par le Conseil d'Etat.

Nous souhaitions, dans ce courrier adressé au ministre, des dispositions réglementaires, s'appuyant, entre autres, sur l'article 10 de la loi d'orientation du 10 juillet 1989 qui précise : « Dans les collèges et lycées, les élèves disposent dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d'information et de la liberté d'expression. L'exercice de cette liberté ne peut porter atteinte aux activités d'enseignement ». La question est posée de savoir si ce texte peut, aujourd'hui, servir de support à un dispositif réglementaire relatif au port de signes religieux, en clair, à un décret d'application visant cet article.

Nous évoquions aussi, dans ce même courrier, l'article 5 de la convention internationale des droits de la femme, signée par la France en 1984, qui dispose que les Etats signataires s'engagent à « modifier les schémas et modèles de comportements socioculturels de l'homme et de la femme en vue de parvenir à l'élimination des préjugés et des pratiques coutumières ou de tout autre type, qui sont fondés sur l'idée de l'infériorité ou de la supériorité de l'un ou de l'autre sexe ou d'un rôle stéréotypé des hommes et des femmes ».

Une circulaire ministérielle fut publiée, le 12 décembre 1989, afin de fournir des instructions claires pour mettre fin aux controverses engendrées par le port de signes religieux. Au conseil supérieur de l'éducation, nous avions approuvé cette circulaire en demandant que des décrets, annoncés par ailleurs, puissent constituer une réglementation qui conforte ce premier texte.

La circulaire du 12 décembre 1989 s'était bien assigné, à terme, l'objectif du retrait de port de signes religieux : « afin que dans l'intérêt de l'élève et le souci du bon fonctionnement de l'école, il soit renoncé au port de ces signes ». Le phénomène, à l'époque, était considéré comme marginal ; il ne l'est plus. Il devait se fondre dans la capacité d'intégration de l'école : ce n'est pas le cas, et votre mission est là pour nous le rappeler.

Malheureusement, quatorze années après, les faits ont confirmé nos inquiétudes. La gestion purement disciplinaire, inscrite dans les règlements des établissements, montre ses limites. Le vide juridique perdure, les contentieux pourraient se multiplier. Une solution politique est devenue nécessaire.

On oppose souvent les textes internationaux ou européens qui interdiraient d'interdire en matière de liberté religieuse. Or, il n'est dans nos intentions ni de porter atteinte à cette liberté fondamentale garantie par la « liberté de conscience » inscrite dans la loi du 9 décembre 1905, ni de revendiquer de loi d'exception ou de circonstance pour répondre à un seul signe religieux, de façon à le stigmatiser.

En effet, si l'on se réfère à l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, relatif à la liberté de pensée, de conscience et de religion : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

Cette convention distingue et hiérarchise : les droits fondamentaux et intangibles de « liberté de pensée, de conscience et de religion » ; la manifestation de « sa religion ou ses convictions » qui peuvent faire l'objet de restrictions « prévues par la loi » ; enfin, la « protection des droits et libertés d'autrui ». Cela justifie pleinement que l'on s'oppose à l'affichage ostentatoire d'une conviction religieuse dans un lieu d'éducation, dont l'une des missions fondamentales est de permettre, en conscience, à tout jeune, d'effectuer librement, hors de tout prosélytisme, ses choix d'individu et de citoyen.

D'ailleurs, sans qu'elles soient explicitement inscrites dans la loi, des restrictions à la manifestation de convictions ont déjà été retenues par le juge administratif et le Conseil d'Etat. Personne ne considère que ces décisions portent atteinte à la liberté de conscience.

Les interdictions peuvent être soit permanentes - elles portent sur les agents chargés, ou non, d'une mission d'enseignement, ainsi que sur les programmes d'enseignement -, soit occasionnelles. Pour les élèves, le Conseil d'Etat, dans une décision du 12 décembre 1989, a reconnu la liberté « d'exprimer et de manifester leurs croyances religieuses à l'intérieur des établissements scolaires, dans le respect du pluralisme et de la liberté d'autrui et sans qu'il soit porté atteinte aux activités d'enseignement, au contenu des programmes et à l'obligation d'assiduité ».

Le Conseil d'Etat fonde toutes ses décisions sur son avis de 1989, car aucun texte législatif ne réglemente explicitement le port de signes d'appartenance religieuse à l'école.

Jusqu'à ce jour, aucune interdiction de port de signe religieux décidée en France par le Conseil d'Etat n'a fait l'objet d'appel devant la Cour européenne des droits de l'homme. L'absence de restrictions inscrites dans la loi serait-elle susceptible d'entraîner, au niveau européen, l'annulation de décisions de notre haute juridiction administrative ?

Je ne voudrais pas m'attarder sur les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, mais certaines d'entre elles vont dans le sens que nous nous avons indiqué. C'est notamment la cas des jugements rendus contre la Turquie dans lesquels la Cour européenne a tranché parce qu'elle estimait que : « en choisissant de faire ses études supérieures dans une université laïque, un étudiant se soumet à cette réglementation universitaire ». En conséquence, à ceux qui prétendent que la Cour européenne n'a pas dit le droit, nous répondons qu'à notre sens, elle s'est suffisamment prononcée sur le sujet, un certain nombre d'autres textes allant dans le même sens.

La juridiction européenne indique clairement qu'un signe peut être ostentatoire : « Le port d'un attribut vestimentaire distinctif trahit et traduit bien souvent une volonté de prosélytisme » alors que le Conseil d'Etat, en France, ne semble s'attacher qu'au « port ostentatoire » et non au signe qui, selon lui, ne l'est pas par principe. Aujourd'hui, certains mouvements religieux extrémistes qui se qualifient, eux-mêmes, de « fondamentalistes », revendiquent clairement le caractère indissociable de ces signes avec la conviction qui s'y rattache.

Le Conseil d'Etat interdit que l'on puisse imposer à l'école, à tout instant, pour toutes les disciplines, des règles conformes à ses convictions. Il considère ainsi que des restrictions permanentes ou temporaires pour certains cours, dans certaines circonstances, ne constituent pas une atteinte à la liberté religieuse.

Dans tous les contentieux portés devant le Conseil d'Etat, ce n'est pas intrinsèquement la liberté religieuse qui est en cause, mais sa manifestation ou son expression. La liberté supposée des uns par la manifestation de port de signes religieux, ne peut constituer de contrainte ou pression pour d'autres. La neutralité qui préserve toutes les consciences au regard de la manifestation et de l'expression religieuse, ne constitue-t-elle pas une garantie pour toutes et tous, sauf à admettre le primat de la croyance sur la possibilité de ne pas croire ou celle de changer de religion ?

Aujourd'hui, l'institution scolaire se doit de rester neutre et laïque, la manifestation des convictions religieuses de quelques-uns pouvant aussi porter atteinte aux droits et libertés d'autres. Ainsi, certaines jeunes filles disent ne plus pouvoir supporter d'être considérées, dans l'école, comme l'antithèse de celles qui portent le foulard. La liberté des uns ne peut ni porter atteinte à celle d'autres, ni à la mixité et à l'égalité de tous.

Une pression particulièrement forte s'exerce sur les membres de certaines communautés d'origine, soumises à des religions ultra-majoritaires, quand elles ne sont pas issues de pays dont c'est la religion d'Etat. Cela peut, aujourd'hui, selon nous, constituer une nouvelle ségrégation.

Dans ces conditions l'école ne doit-elle pas privilégier la neutralité et la laïcité ? La laïcité de l'école publique impose de ne pas intervenir dans la conviction de chacun pour garantir l'égalité de tous, croyants ou non. La manifestation d'expression des convictions ne peut être fondée sur une différence de droits, laissée à l'appréciation des établissements.

Les questions qui touchent à des libertés fondamentales et des droits intangibles ne peuvent, sans dispositions réglementaires précises que revendique l'UNSA-Education, être abandonnées, comme c'est actuellement le cas, à l'appréciation des seuls agents du service public d'éducation.

C'est pour quoi un dispositif législatif ou réglementaire devient indispensable pour éviter que des interprétations subjectives des faits puissent, en droit, contrevenir au principe fondamental de « liberté de conscience ».

M. Hubert TISON : Notre association se réjouit de pouvoir s'exprimer devant la mission d'information de l'Assemblée nationale, étant précisé que ses membres assurent de leur mieux l'enseignement des faits religieux.

Au cours des dernières années, l'enseignement de l'histoire et de la géographie a été marqué, dans certains établissements, collèges lycées, voire universités, par des incidents plus ou moins graves, survenus dans les classes ou lors d'activités périscolaires, le plus souvent sans avoir été portés à la connaissance des médias. Nous sommes, d'ailleurs, en train de procéder à une enquête qui porte sur 2 200 établissements, pour mesurer l'ampleur de ces incidents qui, bien que minoritaires, sont inquiétants.

Ces contestations plus ou moins violentes sont liées à l'enseignement des faits religieux : en sixième, l'enseignement des Hébreux et du christianisme ; en cinquième, de l'islam ; en seconde, du christianisme ou de l'islam.

Il y a plus dangereux encore : des tentatives d'ingérence soit d'organisations, soit de personnalités religieuses ou politiques, se font jour dans les contenus d'enseignement ou dans la formation des maîtres Beaucoup de professeurs font face à ces incidents, d'autres craquent ou passent vite sur les faits controversés pour ne pas susciter de conflits internes.

L'association des professeurs d'histoire et de géographie, très attachée à la défense de la tolérance, de la démocratie et de la laïcité, s'est inquiétée de ces faits, les a dénoncés et a demandé aux autorités de faire respecter les principes sur lesquels se fonde l'école. Elle entend aider ainsi les élèves à mieux comprendre les enjeux du monde actuel et à devenir des citoyens et des esprits libres.

Quelle est notre conception de l'enseignement du fait religieux et de l'éducation civique et quelles solutions proposons-nous pour faire respecter les principes fondateurs de l'enseignement public ?

En ce qui concerne l'enseignement du fait religieux à l'école, il faut savoir que les programmes d'histoire des collèges et des lycées prévoient un enseignement des faits religieux en classe de sixième, cinquième, quatrième, seconde et première et que, pour nous, cet enseignement s'inscrit dans l'histoire. Il n'est pas question d'enseigner la foi ou de faire de la théologie, d'où le malentendu qui surgit parfois avec des élèves de cinquième. L'histoire du fait religieux s'inscrit dans une histoire globale.

L'étude des conflits religieux comme les croisades, les guerres de religion, qui s'est trouvée restreinte dans les programmes, ne doit pas, non plus, être négligée pour établir des comparaisons avec des conflits de notre temps : celui de Bosnie-Herzégovine, par exemple. La Méditerranée au XIIème siècle, question inscrite au programme de seconde, qui mêle l'étude des civilisations byzantines, chrétiennes et musulmanes, apporte des connaissances, suscite des réflexions et des regards croisés sur les uns et les autres.

Les méthodes d'approche de cet enseignement doivent être scientifiques. La pédagogie doit être vivante, fondée sur des documents patrimoniaux : Bible, Coran et autres. Le choix des traductions du vocabulaire doit être rigoureux et précis et ne doit pas laisser place à la contestation, d'où la nécessité d'assurer une formation rigoureuse aux futurs enseignants. Le professeur doit connaître l'environnement scolaire, les itinéraires de ses élèves, leur famille. Au total, l'enseignement de l'histoire ne doit pas être un moment d'endoctrinement, ou de catéchèse.

Pour ce qui est de l'éducation à la citoyenneté dans le cadre laïque, notre association milite depuis longtemps en sa faveur mais demande qu'elle soit mieux enracinée dans l'espace et dans le temps. Si, en classes de collège, cet enseignement repensé pour être plus actif, fondé sur la connaissance des principes et des valeurs républicaines, nous paraît solide, ce qui a été baptisé dans les lycées du sigle un peu barbare d'ECJS - éducation civique, juridique et sociale - a trop souvent été déconnecté de l'enseignement de l'histoire et devrait être repensé.

Au contraire, le programme de sixième suit une démarche progressive qui part de la personne pour aller au citoyen et tient compte de l'âge des élèves. Ces derniers acquièrent des notions clés et un vocabulaire spécifique, découvrent les grands textes comme la Déclaration des droits de l'homme ou la Constitution de la Vème République. Je serais d'accord avec certains orateurs qui m'ont précédé pour mettre davantage l'accent sur la laïcité dont on pensait qu'elle était un fait acquis.

Dès la sixième, la laïcité, qui occupe une place de choix dans les programmes, est située dans une dimension historique, à la fois en termes de valeur et de pratique. Elle est illustrée par des dispositions du règlement intérieur de l'établissement.

En troisième, on la retrouve dans l'étude des principes et des symboles de la Vème République, une République indivisible, laïque, démocratique et sociale, comme cela a été rappelé.

Il nous semble qu'au lycée, soit en histoire, soit en éducation civique, l'étude des grandes lois de la République, des lois scolaires, de la grande loi de 1905 de séparation de l'Eglise et de l'Etat, très précisément de la sphère publique et de la sphère privée, permet aux élèves de mieux mesurer les conquêtes démocratiques de la République. Parmi les thèmes d'ECJS, on peut retenir, en classe de première, l'exercice de la citoyenneté, la séparation de l'ordre politique et religieux qui se manifeste en France à travers les lois de laïcité Il est également intéressant d'établir des comparaisons avec des pays de l'Union européenne et de constater les grandes différences qui existent dans les programmes scolaires. Ainsi, il faut savoir qu'en Grèce, on n'enseigne pas l'histoire !

Il serait bien ambitieux de ma part de penser détenir des solutions, aussi, je me contenterai de formuler quelques suggestions. Je vois trois conditions à un examen serein et humain des faits religieux dans l'enseignement de l'histoire.

Premièrement, les enseignants attendent un soutien sans faille de l'administration de l'établissement et du ministère, à toute remise en cause des valeurs et des principes républicains, ainsi que des contenus du programme national qui sont parfois contestés par des élèves ou des groupes communautaristes de l'extérieur.

Deuxièmement, il convient de rétablir des horaires plus équilibrés. La diminution des heures d'histoire et de géographie depuis les années 90, au collège et au lycée, en classes scientifiques, notamment en première et terminale, a privé les élèves de pans entiers de connaissances solides, étant entendu qu'à côté de la pédagogie, il y a le savoir. Il est nécessaire de disposer de temps pour enseigner à des classes de plus en plus hétérogènes, notamment aux élèves des classes de sixième, cinquième et quatrième. C'est une condition essentielle pour ne pas tomber dans la caricature et le schématisme qui pourraient, ensuite, être reprochés au professeur qui aurait mal parlé de Mahomet, du christianisme ou des Hébreux.

Troisièmement, il s'agit de prévoir une formation des maîtres, initiale et continue, active et renouvelée tout au long des carrières.

En résumé, notre association est contre les signes religieux ostentatoires, notamment le voile, étant entendu que, pour parvenir à obtenir des élèves qu'ils y renoncent, il faut aussi, au sein des établissements, avoir recours à la médiation et au dialogue

En dehors des incidents qui peuvent émailler les cours d'histoire, le boycott ou la perturbation du cours de philosophie ou d'histoire des sciences de la vie et de la terre sont aussi très inquiétants. L'association demande donc aux hommes politiques des signes forts pour réaffirmer les principes laïques, pour garantir le déroulement normal des cours et pour ne pas laisser les enseignants et les administrateurs résoudre seuls des problèmes extrêmement complexes.

Le collège et le lycée ne sont pas des lieux d'enfermement, de haine et de prosélytisme religieux, mais, au contraire, des lieux d'apprentissage de la vie en commun et de la démocratie.

Mme Martine DAVID, Présidente : Avant de donner la parole à mes collègues, je souhaiterais souligner un point : vous avez tous essentiellement parlé du port de signes religieux et particulièrement du port du voile, mais, si j'excepte M. Tison, qui a déploré que des élèves refusent certains enseignements, peu d'entre vous ont fait état d'autres manifestations d'appartenance religieuse que nombre d'enseignants ont pourtant évoquées au cours de nos auditions. Qu'en est-il exactement ?

M. Jean GLAVANY : Les interventions de nos invités appellent de ma part deux réflexions et deux questions.

Ma première réflexion fait écho aux propos liminaires de notre Présidente et souligne, mesdames et messieurs, que vos questions sur la portée de notre mission sont également les nôtres. Le cadre de notre mission d'information, qui est celui du port de signes religieux à l'école, pose question dans la mesure où la laïcité dans la République ne se limite pas à l'école, où la laïcité à l'école ne se limite pas aux signes religieux et où, si j'ose dire, les signes religieux ne se limitent pas au voile.

Ma seconde réflexion s'adresse à M. Raguin. La confusion, qui existe dans les raisonnements juridiques, existe aussi au sein de notre mission : ce n'est pas la loi de 1989, et l'avis du Conseil d'Etat qui ont créé une jurisprudence, mais une réalité du droit français, qui existe depuis des décennies, et qui porte au même niveau de normes juridiques deux notions qui sont, d'une part la laïcité, d'autre part, la liberté d'expression.

Ces deux valeurs sont tout autant protégées par la Constitution que par la Convention européenne des droits de l'homme et du citoyen, laquelle n'est pas l'invention d'un bureaucrate de Bruxelles, contrairement à ce que certains se plaisent actuellement à dire, mais l'œuvre d'un éminent juriste français, René Cassin. La loi de 1989 et l'avis du Conseil d'Etat n'ont donc fait que s'inscrire dans une vieille tradition de protection juridique de ces deux valeurs qui nous complique d'ailleurs la tâche et qui rend extrêmement complexe toute entreprise législative en matière de laïcité.

J'en viens à ma première question. Constatez-vous dans nos collèges et nos lycées une diversité de situations - je vais droit au but sur le port du voile puisque vous dites, à juste titre qu'il est dans tous les esprits - tenant au fait que le voile peut être à la fois un vêtement, parfois un accessoire de mode, mais également un signe religieux, un symbole d'aliénation des femmes, ou un instrument d'intégrisme et, s'il y a diversité de situations, considérez-vous que l'on puisse y apporter une réponse unique ?

Ma seconde question est la suivante : sentez-vous, chez les chefs d'établissement et dans les équipes pédagogiques des établissements, monter un vrai refus d'assumer une responsabilité dans cette diversité, comme certaines organisations de chefs d'établissement le laissaient entendre ici ? C'est une attitude d'autant plus curieuse que, d'une part, ces chefs d'établissement assument bien leurs responsabilités en toute autonomie en d'autres domaines - je pense aux exclusions temporaires d'élèves - et que, d'autre part, ce refus paraît contradictoire avec la revendication d'autonomie des établissements, qui est constamment mise en avant dans les mêmes sphères.

M. Jean-Pierre BLAZY : Je souhaiterais rebondir sur l'intervention de Jean Glavany, car je reste un peu surpris des propos que j'ai entendus. J'ai, en effet, plutôt le sentiment que les enseignants de ma circonscription et de ma commune expriment, sur cette question, un certain malaise, un profond désarroi et qu'ils attendent des politiques qu'ils cadrent, par une loi ou non, la situation. Je suis donc très étonné que les porte-parole des syndicats, ici présents, qui représentent toute la diversité syndicale, n'aient pas exprimé aussi clairement cette attente.

Par ailleurs, quinze ans après l'avis du Conseil d'Etat, je constate que, parmi vous, les uns disent qu'il faut légiférer - certains sous réserve de le faire sous certaines conditions auxquelles il faudrait réfléchir - et que les autres, dont Mme Raffini, s'y opposent et privilégient la médiation et l'enseignement du fait religieux. Je suis donc très heureux, en tant qu'ancien professeur d'histoire et de géographie, d'avoir entendu M. Tison rappeler que l'enseignement du fait religieux se fait déjà, bien que difficilement comme il l'a très bien expliqué, à travers les programmes d'histoire.

Dans ces conditions, j'aimerais savoir quelle est votre conception de l'enseignement du fait religieux. Il me semble un peu court de dire qu'il constitue la solution, sans préciser comment il sera dispensé, alors qu'il est semé d'embûches.

M. Pierre-André PERISSOL : Après mon collègue Jean Glavany, je tiens à dire à nos invités qu'ils doivent savoir que, les parlementaires, toutes tendances confondues, ont bien conscience de la complexité du problème, qu'ils ne détiennent pas de solutions en noir ou blanc et que leurs interrogations sont les mêmes que celles qui viennent d'être exprimées.

Aujourd'hui, nous recevons des enseignants et leurs représentants, qui ont évidemment des convictions par rapport aux grands principes, mais dont la caractéristique est de se trouver « au front », de faire directement face au problème, à l'intérieur de l'école. Nous avons reçu des chefs d'établissement qui nous demandaient de clarifier la situation, donc de légiférer, tout en reconnaissant la difficulté de la chose et les effets qu'elle pourrait induire.

Pourquoi l'ont-ils fait ? Non pas pour mieux exclure - je rassure d'emblée M. Aschieri - mais pour leur permettre, dans une phase de dialogue, de s'adosser à une base solide, l'interdiction de porter le voile, et non plus à une base floue qui ne leur permet pas d'engager le dialogue en situation claire, pour la bonne raison que, in fine, la situation n'est pas claire. Si j'ajoute, pour vous tranquilliser, que nous aurions la même position face à des établissements où des chaldéens arboreraient une croix qui serait un signe ostentatoire, il n'en demeure pas moins vrai que si, aujourd'hui, le problème du port du voile est évoqué c'est que, derrière, on retrouve un certain nombre de comportements qui, eux sont totalement déstabilisateurs pour l'école : le refus de participer à certains cours, le refus d'un examinateur masculin, et j'en passe car les exemples sont multiples.

Si nous ne sommes pas capables de mettre un terme à certaines situations et d'arrêter une position claire par rapport au voile, nous ne serons pas en mesure d'apaiser les esprits.

Par ailleurs, nous avons reçu des femmes musulmanes qui nous ont déclaré que le problème n'était pas un problème de croyance religieuse et qu'il y avait derrière le port du voile une signification que l'on ne retrouve pas derrière d'autres signes religieux dans la mesure où, de fait, il conduit à une certaine soumission de la femme. S'il est légitime de se demander si l'exclusion de jeunes filles ne revient pas à les renvoyer dans des écoles coraniques, nos interlocutrices musulmanes nous ont invités à réfléchir également à la situation de toutes les élèves qui, elles, ne portent pas le voile et qui, si on laisse celui-ci proliférer, vont subir des pressions de plus en plus fortes pour l'accepter.

La laïcité renvoie, certes, à la non-distinction d'une croyance religieuse, mais elle prend aussi en compte l'égalité de traitement des jeunes filles et des jeunes garçons. En conséquence, on ne peut pas laisser entrer à l'école un signe qui est le symbole de la position inférieure de la femme.

De plus, tous les chefs d'établissement que nous avons auditionnés ici et ailleurs, nous ont dit qu'il ne s'agit pas seulement d'un signe religieux mais qu'il a une signification politique. La corrélation entre la fréquence de l'ostentation dans le port du voile et l'actualité politique internationale illustre le fait que, par ce biais, certains jeunes entendent afficher leur soutien à une cause. C'est une attitude tout à fait compréhensible, mais qui, elle non plus, n'a pas sa place dans l'enceinte de l'école où la laïcité impose, comme vous l'avez tous dit, la neutralité des opinions politiques.

Après ces observations qui renvoient à des problèmes concrets, j'en arrive à ma question. Quelle est votre position sur l'opportunité de légiférer, sachant que, dans leur quasi-totalité, les grands acteurs de l'Education ont été unanimes pour nous demander de les aider, de les sortir de cette situation floue qui affaiblit leur position, qui fragilise les établissements les plus exposés et qui empêche de régler une situation qui a des effets, non seulement sur la laïcité, mais aussi sur l'autorité et le pouvoir de l'école républicaine ?

M. Lionnel LUCA : Je suis assez surpris par la réaction des représentants syndicaux du monde enseignant. J'imaginais que j'allais écouter des propos plus vigoureux que tous ceux que je viens d'entendre prononcer sur un ton convenu et assez « émasculé ». Je dois avouer que je m'attendais, de la part de syndicalistes attachés à la laïcité, à plus d'intransigeance sur cette question

Cette façon de mettre tous les signes religieux - kippa, croix, voile - sur le même plan, en feignant de croire, car on ne peut pas imaginer qu'on le pense un seul instant sérieusement, que tout serait identique, me pose véritablement question.

En effet, le débat qui nous rassemble aujourd'hui, en dépit de l'appellation de la mission, n'a pas pour objet les signes religieux en général : nous savons très bien qu'il existe un problème de fond que certains de mes collègues ont évoqué et qui est celui du voile ! C'est si vrai que cette mission n'aurait jamais vu le jour, s'il s'était agi de ne parler que de la kippa, le problème la concernant ne s'étant jamais posé dans les mêmes termes. Je demande donc que l'on fasse preuve d'un peu moins, sinon d'hypocrisie, du moins de conformisme.

Le port du voile est un signe bien particulier dans les écoles, qui pose des problèmes que nous ne connaissions pas, il y a dix ou quinze ans et qui génère des situations de conflit. D'ailleurs, si la presse s'en est fait l'écho et si nous sommes là aujourd'hui, ce n'est pas le fruit du hasard. En conséquence, feindre de croire que le port du voile est comparable à une croix portée autour du cou me paraît une attitude assez spécieuse, d'autant que personne ne trouverait rien à redire contre une étoile de David ou une main de Fatma pourvu qu'elles soient portées avec discrétion. La laïcité sait, en effet reconnaître toutes les religions, mais ne peut accepter qu'elles soient affichées de manière ostentatoire.

Je m'étonne donc que certains d'entre vous, qui ont déclaré être les héritiers d'une laïcité de combat, adoptent une logique qui conduit, finalement, par le biais du voile, à permettre à une certaine forme d'intégrisme religieux d'entrer à l'école. Au-delà du discours un peu convenu d'un bon nombre d'entre vous, nous avons besoin d'être éclairés.

Comme nous enregistrons, mesdames et messieurs, un véritable décalage entre vos interventions et celles de ceux que vous représentez, notamment celles des chefs d'établissement qu'évoquait Pierre-André Périssol, j'aimerais que puissiez nous expliquer les raisons de cette tiédeur, de cette prudence.

M. Christian BATAILLE : Je suis député et militant socialiste, mais, dans ma prime jeunesse, avant d'être militant socialiste, j'ai été, si j'ose dire, « militant laïque », membre des amicales laïques, au contact, non pas des intellectuels, mais de gens du peuple, d'enfants de l'école laïque qui estimaient devoir continuer à militer pour défendre cette école.

Je dois dire que, comme mon collègue - et pourtant nous n'avons pas, loin s'en faut, la même philosophie - je suis un peu surpris de l'absence de « vibration militante » dans les propos que j'ai entendus, et dont la platitude dénotait une certaine résignation.

Evidemment, je ne reviendrai pas sur l'intervention de la représentante Sud-Education de la fédération du Cher qui se situe aux antipodes de ce que je pense et de ce que je ressens puisqu'elle nous dit que, dans la mesure où le problème posé est celui de savoir s'il faut tolérer les signes religieux à l'école, la meilleure façon de le résoudre est, non pas de n'en tolérer aucun, mais de les tolérer tous. Un tel raisonnement relève d'une philosophie qui existe historiquement, mais qui me paraît totalement opposée à ce qui constitue le fondement de la tradition laïque française.

Je ne voudrais pas développer ce qui serait une anticipation de nos conclusions, nombre d'entre nous n'ayant pas forcément forgé définitivement leur jugement, aussi je me bornerai à vous interroger sur deux points.

Ma première interrogation faite suite à l'intervention du représentant de l'association des professeurs d'histoire et de géographie, qui avait trait à l'enseignement du fait religieux. Je n'ai entendu personne s'opposer à un tel enseignement, mais il reste à déterminer la forme qu'il doit prendre. La IIIème République, elle-même, avait bien posé le problème, qui avait voulu substituer à ce qu'était l'enseignement des écoles religieuses une forme de morale laïque, de telle façon que, dans les années 50, l'instituteur consacrait chaque matin un quart d'heure à cet enseignement qui était, en quelque sorte, la réflexion de la République laïque sur toute une série d'événements.

J'estime que M. Tison a fort bien pointé du doigt le fait que, tout en posant le problème de l'enseignement du fait religieux, on observait le silence sur l'énorme lacune que constitue l'atonie de la laïcité dans les programmes d'enseignement et dans la formation des maîtres. Il y a un fossé entre la place qu'occupe la laïcité dans la formation dispensée par les Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) et celle qu'elle occupait autrefois dans les programmes des écoles normales.

Puisque vous avez mis l'accent, ce qui est normal, sur la matière que vous enseignez, je vous poserai quelques questions précises. Les horaires d'enseignement de l'histoire ont-ils été restreints ? L'éducation civique a-t-elle disparu des programmes à tel point que vous ne l'avez pas évoquée ? Quelle est la part de l'enseignement du fait religieux dans l'enseignement des lettres et de la philosophie ?

A chacun d'entre vous, je demande s'il convient d'ajouter aux programmes une nouvelle matière, l'enseignement du fait religieux avec, à la clé - et je me tourne vers le représentant du SNES - un CAPES de religion qui ne me semble pas avoir lieu d'être, mais qui existe dans certains départements français - j'ai entendu des parlementaires indignés interpeller le ministre à ce sujet - ou si, au contraire, le fait religieux doit être enseigné de manière diffuse dans les divers enseignements.

Par ailleurs, je n'ai pas entendu dans les différentes interventions, de remarques relatives à l'âge ou à la majorité des élèves. J'ai le sentiment que les intervenants ont fait référence à une forme de citoyenneté scolaire qui serait un état de fait, y compris chez les jeunes enfants, et qui, en quelque sorte, anticiperait sur la citoyenneté de celui qui a atteint sa majorité. C'est une notion essentielle et c'est peut-être la raison pour laquelle l'université, qui est plutôt peuplée d'étudiants adultes disposant de tous les pouvoirs citoyens pour faire un libre choix, a si peu été évoquée au cours de nos travaux.

Sans vouloir être provocateur, est-ce que, comme cela a été le cas au Moyen Age, l'enfant est désormais considéré à l'école comme un modèle réduit de l'adulte avec son autonomie de jugement et sa citoyenneté, ou est-ce qu'il continue à être considéré comme quelqu'un qui, au contraire, est sous la responsabilité des adultes ? Autrement dit, considérez-vous que les élèves de 12 à 18 ans sont des citoyens jouissant de droits, ou pensez-vous, au contraire, que les adultes doivent réaffirmer la mission d'éducation qui leur est confiée dans les établissements scolaires ?

Mme Martine DAVID, Présidente : Je compléterai ces diverses questions en y ajoutant une suggestion : puisque quelques-uns d'entre vous ont évoqué le nombre de cas dont ils avaient éventuellement connaissance, je souhaiterais que, au fur et à mesure des réponses qui seront apportées, chacun donne son estimation de l'ampleur du problème. Les chiffres qui nous ont été fournis sont assez contradictoires et il est, pour nous, très difficile de procéder à une évaluation fiable.

M. Daniel ROBIN : Il est très difficile d'évaluer précisément la quantité de jeunes filles qui portent aujourd'hui le voile dans les collèges et dans les lycées. Certaines d'entre elles fréquentent des établissements dont je ne soupçonnais pas, moi-même, qu'ils puissent être confrontés au problème. Cette situation tient à des raisons diverses et variées : certains collègues ont accepté de transiger, par exemple, sur la taille du foulard ou savent pertinemment que toute publicité autour de cette question risque, pour des motifs passionnels, de déclencher une crise là où ils sont parvenus, peu ou prou, à l'éviter.

S'agissant de l'assiduité au cours, il faut bien considérer que le problème est très distinct de celui que pose le foulard et cela pour deux raisons.

Premièrement, elle ne touche pas les seules jeunes filles voilées : nous avons, en fonction des jours de la semaine et des contenus d'enseignement, des problèmes avec tantôt, les adventistes du septième jour, tantôt les témoins de Jéhovah ou autres. Bref, le problème de l'assiduité ne relève pas d'une religion, mais de bon nombre de religions et je ne parle pas des difficultés que pose dans certaines écoles primaires, le mercredi matin, jour de catéchisme... Je veux dire par là que le problème de l'assiduité, des horaires de classe et de leur compatibilité avec les exigences d'un certain nombre de religions, voire de toutes, reste d'actualité.

Deuxièmement, vous savez sans doute qu'à partir du moment où il y a défaut d'assiduité, la question de l'éventuelle sanction ne se pose pas. L'exclusion devant un conseil de discipline pour défaut d'assiduité n'a jamais été remise en cause par une juridiction administrative. Les établissements qui ont choisi d'exclure des élèves portant le voile y sont d'ailleurs parvenus par ce biais.

Ayant bien entendu les interventions de plusieurs députés nous reprochant d'utiliser un langage « convenu » et de ne pas suffisamment « vibrer ». Je vous invite donc à « vibrer » ensemble !

Le foulard n'est pas la kippa, ne serait-ce probablement qu'en raison de la surface du tissu utilisé, mais si nous commençons à nous engager sur cette voie, les choses vont devenir compliquées. Pour moi le foulard et la kippa c'est pareil et je suis obligé de constater, avec une objectivité que vous ne me contesterez pas, que l'indignation que suscite le port du foulard ne s'est jamais manifestée dans les lycées parisiens où, depuis de très nombreuses années, certains élèves portent la kippa.

C'est une différence qui doit nous interroger collectivement et individuellement !

M. Jean-Pierre BRARD : Ce n'est pas le cas en province !

M. Daniel ROBIN : Vous avez, par ailleurs, dénoncé un décalage entre nos propos et ceux des personnes que nous représentons.

Depuis dix jours, je suis en contact avec trois établissements qui connaissent effectivement de gros problèmes et je suis obligé de vous dire que les personnels sont très partagés, non pas sur l'objectif à poursuivre car ils sont tous pour la suppression du voile, mais sur la façon de l'atteindre et sur l'opportunité d'exclure immédiatement, ou non. Ce débat-là sera-t-il réglé par la loi ? Probablement pas ! Evidemment, l'arme de l'exclusion pourra tomber comme un couperet, mais, en tout état de cause, puisque je pense que ni les uns ni les autres, nous ne sommes favorables à une sanction immédiate, il faudra bien en passer par le dialogue. Or c'est précisément cette phase qui, aujourd'hui, fait l'objet de débats entre les personnels au sein des établissements.

Même si la possibilité d'exclure existait, on ne ferait pas l'économie des débats. C'est une donnée que vous ne devez pas perdre de vue car une partie du personnel d'éducation pense que jeter à la rue une élève pose des problèmes et en constitue pas forcément le meilleur choix pour l'inciter, le moment venu, à retirer son foulard.

Puisqu'il s'agit de « vibrer » ensemble, « vibrons » ensemble ! Personnellement, je comprends l'indignation que suscite le port du foulard, mais pourquoi ne pas faire preuve de la même indignation lorsqu'on rend l'enseignement religieux obligatoire en Alsace-Moselle ? Quelle image donnerions-nous de la République et de la laïcité si, demain matin, nous interdisions le port du foulard tout en acceptant parallèlement que, dans certains départements, on continue à tolérer que des crucifix ornent les murs des établissements publics, à rémunérer le clergé, et à obliger tous les élèves, à l'exception de ceux qui disposeraient d'une dérogation accordée dans des conditions compliquées, à suivre un enseignement religieux?

Y compris en termes de priorité, il y a sur la laïcité des questions à se poser ! « Vibrons » donc ensemble, mais sur tous ces sujets !

Mme Françoise RAFFINI : Vous nous reprochez de ne pas aborder le sujet des enseignements : peut-être, mais le problème n'étant pas posé en ces termes, nous nous sommes efforcés, de nous limiter au seul cadre qui nous était fixé !

Cela étant, comme cela vient d'être indiqué, bien des questions mériteraient d'être soulevées, qui ne relèvent pas de la laïcité. Je pense notamment au respect des règles de l'école qui veut que les enseignés ne choisissent pas les enseignements. Il s'agit alors de problèmes de discipline « ordinaire ».

Le port d'un signe religieux est de toute autre nature et nous récusons tout à fait l'idée d'introduire une hiérarchie entre ces différents signes en fonction de l'endroit où ils se porteraient ou d'autres considérations qui ne nous semblent pas devoir être retenues.

Sans doute me suis-je mal expliquée sur le fait religieux, ce qui m'a valu d'être interpellée à titre personnel

Aussi, je vais m'efforcer de préciser mon point de vue. J'avais précisé que « Une des missions de l'école est d'instituer l'élève en citoyen au cours d'un long apprentissage, ce qui suppose la confrontation à autrui, à d'autres modes de vie ou de comportement que les siens ». En ce sens, j'estimais que l'apprentissage du fait religieux participerait à l'instauration de ce « vivre ensemble » et j'ai avancé six propositions. Il n'était donc pas dans mon propos, et je tiens à le souligner, de faire de l'enseignement du fait religieux la solution.

Le type de problèmes que nous rencontrons aujourd'hui ne relève pas d'une seule solution : il est suffisamment complexe pour ne pouvoir, précisément, recevoir de solutions que dans un cadre beaucoup plus vaste.

S'agissant de l'appel à l'aide de certains de nos collègues, que nous entendons, nous aussi, et que nous comprenons fort bien, il sous-tend une demande quasiment désespérée d'une ligne de conduite à suivre. C'est une revendication qui nous paraît bien compréhensible, mais parfaitement utopique dans la mesure où il n'y aura jamais de réponse automatique au genre de problèmes que nous examinons. La libre interprétation existera toujours, car l'application de la loi, elle-même, n'appelle pas une réponse de type binaire. Sauf à imaginer une République d'ordinateurs et non plus de citoyens, il nous faudra bien examiner les conditions d'application et d'interprétation des cas particuliers auxquels nous nous trouverons confrontés.

Concernant les « vibrations » pour la bataille en faveur de la laïcité, j'avais attiré l'attention sur le fait qu'il ne nous semblait pas nécessaire de l'entacher d'anachronisme. Nous ne pouvons pas, en effet, vouloir nous inscrire très étroitement dans les modalités de nos ancêtres du XIXème siècle et du début du XXème siècle, car, depuis lors, beaucoup de choses ont changé dans la société.

Je rappellerai, aussi, que cette bataille pour la laïcité, qui a été une bataille réelle, qui a demandé beaucoup de courage à certains de nos prédécesseurs, n'a pas été aussi fanatique que l'imaginaire collectif veut bien, maintenant, se le représenter. J'ai lu récemment dans des ouvrages tout à fait fiables que, finalement, l'enseignement des devoirs envers dieu dans les programmes des écoles primaires n'avait été supprimé qu'en 1923. Vous voyez donc qu'il y a eu, de tout temps, des transactions concernant la laïcité, et la prise en compte du fait qu'elle devait rassembler, unir les citoyens et non pas contribuer à l'instauration de guerres civiles permanentes.

Doit-on défendre les jeunes filles qui portent le voile ou celles qui ne le portent pas ? Ma fédération refuse d'entrer dans ce genre de dilemme. Nous devons répondre à la défense des droits et satisfaire à celui de recevoir une éducation dans un milieu scolaire en acceptant toutes les élèves, qu'elles soient, ou non, voilées.

Entendons-nous bien : nous ne sommes pas favorables au port du voile en soi, mais il nous paraît déterminant de ne pas stigmatiser et d'éviter de devoir interdire ou imposer. A ceux qui nous accusent de faire le jeu de certains pays intégristes où les femmes sont contraintes de porter le voile, nous répondons qu'en France, compte tenu des spécificités nationales, le port du voile ne recueille nullement notre agrément. Pour autant, nous nous refusons aussi bien à l'imposer qu'à nous y opposer. Nous constatons seulement qu'il y a bien des façons de porter le voile...

M. Jean-Pierre BLAZY : Ce n'est pas très clair !

Mme Françoise RAFFINI : Vous êtes, naturellement, libre de le penser, mais on ne peut pas simplifier à l'extrême un problème qui est complexe sans courir le danger de tomber dans le simplisme !

S'agissant de l'ampleur du problème, nous avons, pour ce qui nous concerne, la faiblesse de penser que Mme Chérifi, médiateur au ministère de l'éducation nationale, est particulièrement bien placée et informée pour en faire l'estimation. Cela étant, on confond souvent deux cas de figure : les élèves voilées qui posent problème - Mme Chérifi parle de 120 cas par an - et les élèves qui ont admis un compromis acceptable et qui ne posent pas problème. Le cas des élèves appartenant à la seconde catégorie sont-ils recensés ? Je l'ignore et il est donc très difficile d'apporter une réponse à votre question.

M. Patrick GONTHIER : Tout d'abord, je tiens à dire que je ne me reconnais pas dans certaines remarques qui ont été formulées. Je croyais que nos attentes avaient été assez clairement exprimées. J'avais le sentiment d'avoir montré une attitude qui n'était ni résignée, ni plate, ni convenue, pour ne pas mentionner l'autre adjectif que la décence m'interdit de prononcer.

Toutes les organisations, tous les partis et syndicats sont traversés par des questions très fortes sur le sujet et les approches sont souvent contradictoires avant d'arriver à un consensus et d'émettre un avis définitif. Dès 1989, notre organisation qui s'appelait alors la Fédération de l'éducation nationale (FEN) plaidait pour un cadre réglementaire précis, estimant que l'avis du Conseil d'Etat ne permettait pas de régler les questions. Le vide juridique, selon nous, perdure et il revient aux politiques de le combler. Il ne nous appartient de définir, ni la forme, ni le contenu, ni le périmètre du texte à élaborer !

Quand nous disons que tous les signes doivent être visés, ce n'est pas pour les mettre sur un pied d'égalité, ni pour esquiver le problème, mais pour réaffirmer que la laïcité est l'affaire de tous. En effet, ce qui est en cause au sein de l'établissement, c'est la mise sous influence de publics qui peuvent être d'origine religieuse différente, c'est la soustraction de zones républicaines au droit républicain et à d'autres influences, et c'est l'acceptation de voir s'imposer des logiques communautaristes, quelle que soit la religion en cause. Nous pensons qu'en transigeant et en établissant une hiérarchie, on se dérobe au droit républicain.

La laïcité est l'affaire de tous. C'est un sujet grave et c'est pourquoi nous en parlons avec retenue. Il n'empêche que nous nous sommes exprimés très précisément sur la nécessité d'un texte, y compris si cette nécessité se trouve assortie d'un souci « d'opérationnalité », comme l'a souhaité l'un des intervenants.

Pour ce qui est du chiffrage des cas, vous avez reçu l'un des syndicats de la fédération, le Syndicat national des personnels de direction de l'Education nationale (SNPDEN) qui est le syndicat des chefs d'établissement. Nous avons discuté avec ses responsables, mais le chiffrage est extrêmement difficile à apprécier car, si l'on met à part les deux cents cas critiques qui posent problème, qui sont l'objet de contentieux locaux ou nationaux et où intervient la médiatrice, les cas sont estimés à plusieurs milliers. Cette situation tient, d'une part au fait que les cas ne sont pas tous révélés, que beaucoup sont réglés au sein des établissements, d'autre part - on peut le dire entre nous - au fait que de ne nombreux recteurs préfèrent éviter la surenchère médiatique qui présente le risque de voir le cas s'échapper ou être monté en épingle.

Aujourd'hui, il doit y avoir moyen, auprès du ministère de l'éducation, des inspections générales, et non pas seulement auprès de la médiatrice, dont je respecte beaucoup le travail, d'obtenir des chiffrages relativement précis.

Mme Martine DAVID, Présidente : Si nous vous posons la question c'est précisément parce que c'est impossible !

M. Patrick GONTHIER : La médiatrice qui s'intéresse aux cas critiques, estime les cas à deux ou trois cents, alors que les chefs d'établissement en recensent plusieurs milliers !

Avec la question de la référence à l'âge des élèves, nous abordons le terrain des principes et des libertés fondamentales. Les établissements scolaires doivent préserver l'élève et sa formation de citoyen de tout groupe de pression. On peut, dès lors, estimer que l'âge de référence est celui de la scolarité obligatoire, et qu'il peut être étendu à celui des élèves de lycée.

Concernant le cadre réglementaire, je crois que nous avons été relativement précis. Quand les sujets sont aussi pointus, ils suscitent des réflexions fortes qui traversent toutes les organisations. Il est effectivement plus simple de s'en sortir en esquivant les problèmes qu'en les affrontant !

M. Hubert RAGUIN : Les chiffres qui viennent d'être donnés sont justes, mais ils demandent encore à être relativisés selon que l'on regarde une situation à froid ou à chaud. Je vais vous donner un exemple.

La ville d'Angers, qui a connu fort peu de cas durant des années, a été le cadre, à la rentrée, d'un cas qui a suscité l'émotion. L'inspecteur d'académie a jugé utile de faire une déclaration à la presse pour faire savoir qu'il refusait aux enseignants d'interdire à une élève d'entrer avec le voile, conformément à leur demande, faisant valoir qu'il préférait des musulmans intégrés à des musulmans intégristes. Une semaine plus tard, on dénombrait cinq nouveaux cas dans cinq établissements de la ville ! Il faut donc relativiser les situations et faire preuve d'une extrême prudence !

Pour ce qui me concerne, je souscris tout à fait aux propos de mon collègue du SNES sur le statut concordataire d'Alsace-Moselle. En réalité, sa position nous ramène au cœur du débat puisqu'il s'agit, en fait de définir un cadre institutionnel. Il est impossible de définir un cadre variable d'une région à l'autre, d'un établissement à l'autre, traitant d'un voile ou d'un autre signe religieux, car le principe même de la laïcité impose d'apporter une réponse institutionnelle qui convienne à une très grande diversité de situations, en fonction, bien entendu, de toute une série de paramètres. Il n'empêche que, historiquement, la laïcité s'est définie comme une laïcité institutionnelle dans la mesure où elle apportait une réponse unique, avec, bien entendu, des aspects réglementaires qui n'épuiseront, de toute façon, pas la discussion, à une multiplicité de situations.

J'ai été interpellé par M. Glavany à propos de l'interprétation que je faisais de la loi Jospin et de l'avis du Conseil d'Etat de 1989. J'ai parfaitement entendu ce qu'il m'a dit et je pense d'ailleurs que nous pourrions nous rejoindre sur cette appréciation, mais un problème demeure, qui renvoie au cadre institutionnel de la laïcité : l'article 10 de la loi Jospin inclut parmi les libertés reconnues dans les collèges et les lycées, le droit des élèves à disposer de la liberté d'information et de la liberté d'expression. Je ne peux, cependant, que constater que le Conseil d'Etat a défini ce droit comme un droit à disposer de la liberté d'opinion religieuse, politique et philosophique. C'est contraire au principe de laïcité !

M. Jean GLAVANY : Ce n'est pas nouveau : il serait temps de le découvrir !

M. Hubert RAGUIN : C'est contraire au principe de laïcité et cela renvoie au problème soulevé par ma collègue de Sud. Sous prétexte d'éviter un problème, faudrait-il tout autoriser ?

La laïcité institutionnelle se fixait précisément pour objectif de protéger les enfants. L'école, de ce point de vue, ne relève pas du domaine public, du droit commun, d'une réglementation ordinaire : la laïcité de l'école lui impose des règles pour protéger les jeunes générations de tout prosélytisme, de toute propagande et elle se décline dans la stricte neutralité religieuse quant au contenu des enseignements, quant à l'attitude des enseignants et quant au port d'insignes religieux. Si nous sortons de cette problématique, nous irons au-devant de problèmes de toutes sortes.

Je ne me prononcerai pas sur l'enseignement du fait religieux sur lequel il y aurait beaucoup à dire, mais qui ne rentrait pas dans le champ de votre mission. En revanche, j'enregistre et je soutiens vivement, même si elle ne résoudra pas le problème, la proposition de notre collègue de l'association des professeurs d'histoire et de géographie. Le fait qu'il n'existe strictement aucune formation des enseignants au cadre réglementaire de la laïcité, n'est pas rien ! On peut me répondre que, jadis, les amicales laïques et les syndicats se substituaient à cette lacune de l'administration, mais cette dernière, jadis également, se préoccupait, dans les écoles normales, de ce volet de la formation qui a complètement disparu des programmes des IUFM. Ce serait quand même un comble que l'enseignement de la laïcité reste définitivement écarté de la formation des enseignants alors que l'on y inclurait l'enseignement du fait religieux !

Mme Martine DAVID : On peut tous tomber d'accord sur ce point et il faudra faire des propositions en ce sens!

Mme Stéphanie PARQUET-GOGOS : Je suis un peu surprise d'entendre tout ce que j'entends et j'ai décelé dans les différents propos beaucoup de préjugés et relevé très peu de faits établis.

Vous demandiez, Mme la Présidente, quelle était l'ampleur du problème. Pour avoir travaillé durant seize ans en établissement scolaire et pour avoir, je pense, une bonne connaissance des élèves, puisque j'en ai formé 20 000, je vous livrerai un scoop : très peu de jeunes élèves pratiquent actuellement une religion.

J'ai travaillé dans un lycée où trois jeunes élèves portaient le foulard et elles n'ont pas posé le moindre problème d'assiduité. En revanche, comme je suis conseillère principale d'éducation, je peux vous dire que ce problème, qui n'a strictement rien à voir avec la religion, est très répandu dans les collèges français. Les manques d'assiduité relèvent de questions de confort et sont liés soit aux multiples activités des élèves à l'extérieur de l'école, soit à un désintérêt pour la formation.

Je n'ai pas, non plus, rencontré d'élèves ayant refusé un examinateur masculin ou ayant mis en cause la mixité en classe pour des raisons religieuses. Des cas peuvent certainement se produire, mais ils restent extrêmement minoritaires.

Puisque nous ne pouvons effectivement pas déroger au règlement intérieur qui veut que tout élève soit assidu en classe, le cas où une élève prétendrait se dispenser du cours d'éducation physique ou autre, pourrait se régler par ce biais.

M. Jean-Louis BIOT : S'agissant de l'appréciation du nombre de cas, nous nous heurtons à la même difficulté que nos collègues qui se sont exprimés précédemment. Au niveau de notre organisation syndicale, nous évaluons les cas à plusieurs centaines. Notre estimation est donc supérieure à celle de Mme Hanifa Chérifi, mais il nous est impossible d'aller au-delà.

Nous tenons, nous aussi, à souligner que le fait de monter en épingle des affaires face aux médias influe sur la tournure des événements car le règlement de situations de ce type demande du temps, des explications et un compromis. Le compromis suppose que chacun accepte de faire un pas et il est rare d'y parvenir, dès lors que les médias s'en mêlent.

Puisque la question de l'enseignement du fait religieux a été posée, notre organisation syndicale estime que cet enseignement ne peut pas devenir une matière spécifique et que le fait religieux peut être enseigné dans le cadre des programmes actuels. Un éclairage peut être donné notamment à travers la philosophie, l'histoire, la musique, la peinture et les arts. Il ne faut pas ajouter des matières aux programmes, alors que l'on constate qu'ils sont déjà trop volumineux et que le gouvernement, quand il s'y essaye, à le plus grand mal à les alléger. En tout cas, si nous sommes d'accord sur le principe d'un tel enseignement, nous pensons qu'il ne peut pas, dans la formation des enseignants, constituer une réponse aux questions liées à la laïcité.

Une question de M. Blazy concernait les réactions des chefs d'établissement et des enseignants confrontés au problème du foulard. J'ai envie de répondre que leur sentiment dépend beaucoup de la façon dont ils vivent leur fonction au sein de l'établissement où ils exercent. Très majoritairement, vraisemblablement dans une proportion de 95 %, les enseignants ne se trouvent pas confrontés au problème. Le problème du foulard, qui, vu à travers les médias, peut paraître important parce que monté en épingle, reste marginal.

Pour ce qui est de la solution à proposer, je me retrouve assez dans les propos qui viennent d'être tenus : si l'objectif est bien le respect du principe de la laïcité, les enseignants sont assez partagés sur les moyens de l'atteindre ce qui prouve de façon évidente que le débat, mené ici ou en commission, doit être poursuivi. Il faut souligner que l'instruction, d'abord, l'enseignement ensuite, la pédagogie enfin, ont toujours été un facteur de la mission d'éducation et d'émancipation à laquelle de nombreux enseignants demeurent attachés ce qui écarte l'exclusion des solutions envisageables. Il semble, de notre point de vue, que c'est la voie de la négociation, de l'explication et de l'argumentation qui doit être privilégiée.

Après d'autres, j'ajouterai que, pour nous, il ne saurait y avoir de hiérarchie entre les différents signes religieux. Au fil du temps, la société française, car cette attitude n'est pas propre aux seuls enseignants, a montré moins de vigilance pour faire respecter les principes de la laïcité. Combien avons-nous vu de représentants de l'Etat et de ministres se rendre dans des lieux de culte à l'occasion, par exemple, de funérailles ?

Nous avons observé, petit à petit, des élèves arriver avec des croix ou autres signes sans y prêter attention et nous constatons, aujourd'hui avec le foulard, que le phénomène prend des dimensions inquiétantes.

En outre, le terme même de laïcité a été mis de côté depuis bien longtemps dans ce pays. On a parlé de laïcité dans le cadre des conflits survenus entre l'école privée et l'école publique, en 1994, mais collectivement, politiquement, socialement, il était peu utilisé en France. Il est revenu en force depuis trois ans à l'occasion de trois événements : les attentats du 11 septembre, aux Etats-Unis ; la présence du candidat du Front national au second tour des élections présidentielles, quelques affaires de foulard survenues plus récemment. Je répète que, s'il y a un point sur lequel la carence est totale depuis des années, c'est celui de la formation des enseignants et des personnels de l'éducation. Il y a vraiment un travail de fond à entreprendre d'urgence, même s'il ne suffira pas, concernant la connaissance, les principes, le fonctionnement de la laïcité, vis-à-vis des droits et devoirs des fonctionnaires et du fonctionnement du service public. En matière de formation des enseignants, des choix s'imposent et, si l'on veut restaurer le principe de laïcité dans notre société, il faut mettre l'accent sur toutes ces dimensions.

Si certains contenus d'enseignement en matière de formation initiale peuvent, aujourd'hui, être portés par internet ou des moyens plus opérationnels encore, la philosophie, la pratique de la laïcité, la définition de la déontologie et de l'éthique laïque devraient être largement incorporées à la formation, aussi bien des enseignants actuels que de ceux qui vont être recrutés par milliers dans les années à venir.

Je terminerai en répondant à la question de savoir si le port du foulard peut avoir des significations multiples : oui, il peut, c'est évident, être la marque d'un combat ou d'un engagement politique. Il est également évident que l'islam, dans notre pays, suscite de la peur chez un certain nombre de citoyens dans la mesure où il évoque pour eux l'Iran de Khomeyni, le Front islamique de salut algérien et les attentats des Etats-Unis. Sur la signification politique, je persiste cependant à dire que, si l'école peut avoir une certaine influence, elle ne peut pas agir seule. C'est à la classe politique démocratique qu'incombe la responsabilité de savoir ce qu'elle veut dans ce domaine, de fixer un cadre et c'est à la société, donc à tous les citoyens qu'incombe, ensuite, la responsabilité de prendre à bras-le-corps ce problème.

Mme Martine DAVID : C'est bien la raison de notre présence et de l'attention que nous prêtons à vos propos !

M. Thomas JANIER : Je suis surpris de constater qu'il y a presque autant d'appréciations de la laïcité que de personnes présentes.

Je m'étonne également, en dépit de la pertinence de la question, que l'on s'interroge sur le nombre de cas. Le port du voile ne se pose pas en termes de nombre, mais de principe !

Quand il a été question de l'enseignement du fait religieux, notre méconnaissance de l'islam est apparue de façon évidente. En effet, si peu de problèmes surviennent dans l'enseignement primaire, comme certains se sont plu à le souligner, il faut probablement en chercher la raison dans le fait que les très jeunes filles, dans les pays musulmans, ne portent pas le voile !

Nous avons débattu sur le port du foulard, mais je considère que nos propos doivent pouvoir s'appliquer à toutes les religions. Notre organisation refuse que l'on stigmatise l'islam. En revanche, si la question de la laïcité est relancée avec le foulard, ce n'est peut-être pas un hasard puisque nous avons souligné cette particularité de l'islam de déterminer une attitude à la fois religieuse et politique. Pour autant, il ne faudrait pas tomber dans le travers qui consisterait à apporter une réponse politique à la question politique qui nous est posée. Nous avons un principe auquel il faut revenir : celui de la laïcité.

Lorsque nous avons pensé la laïcité, l'islam n'était probablement pas aussi présent, en tout cas le problème de son affichage à travers des signes vestimentaires ne se posait pas. Il conviendrait, sans doute, aujourd'hui, d'en tenir compte.

Il a été fait allusion précédemment au caractère ostentatoire et prosélyte du voile ou de tout autre signe religieux. Cette vision, qui est très subjective tant il est difficile de déterminer quand commence le prosélytisme, ne fait que renforcer l'idée, émise de part et d'autre, du retour au dialogue et de la négociation au cas par cas.

Puisque vous nous avez demandé ce que nous pensions, je me permets de vous renvoyer la question : si vous entendez légiférer, dans quel sens comptez-vous le faire ? Quels signes souhaiteriez-vous condamner et à partir de quelle taille qualifieriez-vous un signe de prosélyte ? J'ai entendu établir entre la kippa et le voile une distinction qui m'est apparue tout à fait déplacée ! Toutes ces observations nous renvoient à la nécessité de former les enseignants et les personnels au fait religieux.

Mme Martine DAVID : Encore une fois, je vais m'efforcer de répondre à la question que vous venez de poser et que d'autres ont posée de façon sous-jacente.

Il est clair que nous ne serions pas membres de cette mission parlementaire, au nom de tous nos autres collègues de l'Assemblée nationale, si nous n'étions pas, comme vous, témoins, observateurs ou acteurs d'une série de problèmes liés à cette question des signes religieux à l'école. Si, par ailleurs, le Président de la République a mis en place la mission Stasi sur la laïcité, c'est bien parce que nous ressentons une série de difficultés importantes.

Certes, je rejoins un peu le constat de M. Biot qui souligne que notre société, à tous les niveaux de responsabilité, a sans doute un peu abandonné le terrain de la laïcité, mais M. Janier, il ne faudrait pas anticiper nos décisions, car nous n'en sommes pas encore au stade de la conclusion de nos travaux.

Nous avons tenté de diversifier les personnalités que nous entendons parce qu'il nous faut, avant de nous prononcer, disposer d'un ensemble de témoignages professionnels, juridiques, philosophiques. Nous avons fait en sorte d'élargir cette diversité parce que nous en avons besoin et parce qu'elle nous aidera, le moment venu, à tirer des conclusions, comme elle nous aide déjà à débattre entre nous puisque nous n'avons pas exactement les mêmes positions, y compris sur l'opportunité de légiférer.

Contrairement à ce que vous pourriez peut-être penser, je n'ai aucun a priori sur ce point. Nous nous efforçons d'avoir une approche pragmatique et surtout de prêter l'oreille à tout ce que nous disent les interlocuteurs que nous avons entendus, que nous entendons et que nous allons encore entendre durant quelques semaines.

M. Hubert TISON : Il est en effet très difficile de quantifier le nombre de jeunes filles voilées. D'après nos estimations, les chiffres tourneraient autour de plusieurs centaines, mais il est vrai que de nombreux cas sont réglés par la médiation.

Nous nous sommes intéressés à des événements sur lesquels nous avons diligenté une enquête qui n'est pas encore totalement dépouillée : les incidents qui sont survenus en cours d'histoire. Ils concernent d'ailleurs, non seulement les faits religieux, mais également l'enseignement portant sur des sujets tels que la seconde guerre mondiale, le front populaire, les Etats-Unis qui donnent parfois lieu à des manifestations plus ou moins violentes, parfois extrêmement graves, d'antisémitisme, de racisme, d'intégrisme, qui peuvent se traduire par le boycott de films présentés en terminale ou par un refus, lors d'excursions, d'entrer dans une église, une synagogue, un temple protestant ou une mosquée.

Nos collègues font aussi souvent état de parents qui écrivent directement au principal pour se plaindre que l'on enseigne trop, ou pas assez, l'islam ou le christianisme dans l'établissement.

Il ne faudrait pas perdre de vue, non plus, que si l'on enseigne le fait religieux, on délaisse aussi les non religieux, les athées. A cet égard, il faut d'ailleurs songer que c'est précisément la laïcité qui nous permet de respecter toutes les composantes.

Pour ma part, je suis très hostile à l'instauration d'un CAPES des religions. En effet, ainsi que l'a rappelé l'un de nos collègues syndicalistes, le fait religieux est inscrit dans les programmes d'histoire dont il faut d'ailleurs souligner qu'ils ont été rééquilibrés et repensés. Plusieurs colloques - dont un très important, l'année dernière, qui a réuni, sous la présidence de Régis Debray, des professeurs, des inspecteurs, des formateurs - ont été consacrés au fait religieux qui est enseigné à travers d'autres disciplines : la philosophie, dieu ayant été de tout temps un objet philosophique, mais aussi le français, les langues sans oublier naturellement les arts et la musique...

Instaurer un CAPES des religions serait extrêmement dangereux dans la mesure où cela reviendrait à réaliser le rêve de nombreux communautaristes qui n'aspirent qu'à venir enseigner la religion. On aurait ainsi un rabbin, un prêtre catholique, un imam etc...

Puisque nous nous intéressons à la formation des professeurs, en ce qui concerne la religion et la laïcité, nous pourrions aussi nous poser des questions s'agissant des imams dont beaucoup ne connaissent pas grand-chose au Coran. Ils viennent généralement de pays extérieurs et ne sont pas même enracinés dans la tradition française qu'ils connaissent très mal, ce qui ne va pas sans poser problème, d'autant que quelques-uns font pression dans certains collèges de la banlieue nord, par exemple, sur l'enseignement de l'histoire : je pense à des cas extrêmement précis. Ils critiquent telle ou telle façon d'enseigner, ce qui a pour effet de gravement désorienter un certain nombre de nos collègues qui se sentent abandonnés par la République.

C'est un point très important. Si j'attire votre attention sur de tels comportements qui sont actuellement minoritaires - nous dénombrons des incidents dans 17 % des établissements français - c'est parce qu'ils peuvent être appelés à se multiplier.

Sans entrer dans la « cuisine » des programmes, je confirme que les heures d'enseignement de l'histoire ont été réduites au collège et au lycée. Les enseignements d'histoire qui, en section scientifique ont diminué d'une heure et demie, se limitent à une heure au collège où les classes sont très hétérogènes et demandent beaucoup d'explications.

Sur la formation des enseignants, je serai un peu plus nuancé concernant les IUFM où les situations sont très variées. Je crois d'ailleurs qu'il y a maintenant, dans les IUFM, une volonté de répondre à la gestion des conflits dans les établissements et d'adapter la formation des enseignants à la laïcité. Il y a bien un institut d'histoire des religions de l'Europe qui vient de se créer, mais je pense qu'il faudrait aussi prévoir, à l'université, des chaires consacrées à la laïcité d'autant que c'est une spécificité française que certains pays nous envient, y compris dans l'Union européenne.

Les incidents auxquels j'ai fait allusion sont liés aux cours et pas seulement au foulard et, en tant qu'enseignant « de terrain », je peux témoigner que 99 % des jeunes maghrébines ne sont pas voilées, souhaitent s'intégrer dans la société française et sont des éléments extrêmement vivants et dynamiques dans leur classe. Il ne faudrait donc pas se focaliser sur une minorité, souvent manipulée de l'extérieur par des groupes communautaristes extrêmement dangereux, qui veulent renverser les idéaux de la République et dont les agissements sont précisément ceux qu'il convient de dénoncer.

M. Gérard ASCHIERI : Si je reprends la parole, j'ai parce que j'ai cru percevoir quelques malentendus que je souhaiterais tenter de les lever.

Le premier malentendu qui me semble emblématique a trait au CAPES de religion. En effet, s'il existe aujourd'hui un CAPES de religion, ce n'est pas pour enseigner le fait religieux, mais la catéchèse. Il a été créé pour titulariser, en Alsace-Moselle, des auxiliaires qui ont la responsabilité d'enseigner la religion, essentiellement catholique d'ailleurs. Donc ne mélangeons pas tout !

Il y a un problème d'enseignement du fait religieux. Le rapport Debray me semble pertinent en proposant de ne surtout pas en faire une discipline à part entière et de ne pas le séparer d'un enseignement culturel global. Si j'ai parlé de « dérapages » dans mon intervention liminaire, c'est parce qu'il y en a un qui consiste à isoler l'enseignement du fait religieux.

Le second malentendu tient à la surprise manifestée par les parlementaires, toutes tendances confondues, devant les positions des organisations syndicales. J'ai le sentiment qu'un certain nombre d'entre eux attendaient que nous leur parlions du malaise et des difficultés des enseignants. Certes, il y a malaise et difficultés, mais l'objectif pour une organisation syndicale, comme, il me semble, pour des parlementaires, n'est pas de se coller au malaise, mais d'essayer de voir comment s'en sortir.

En la matière, au nom de la FSU - la position des autres organisations me semble d'ailleurs assez convergente - je tiens à souligner deux points.

Premièrement, la situation est beaucoup plus complexe que peut le laisser penser l'écume médiatique entourant un certain nombre d'affaires. Cette complexité se retrouve jusque dans les réactions de nos collègues et dans leur façon de traiter les problèmes.

Deuxièmement, nous pensons qu'il n'y a pas de solution législative qui isolerait le seul problème du port des signes religieux.

Telle est la teneur du message que nous souhaitions vous faire passer. Si elle peut être une contribution à votre réflexion, je m'en réjouirai !`

Mme Martine DAVID : Je vous rassure : votre participation, au même titre que toutes les autres, contribuera à notre réflexion. Nous en tiendrons compte, aussi bien dans le cadre de notre mission, que dans celui de nos différents travaux parlementaires.

Merci à tous pour cette participation !

Voir la suite des auditions

N° 1275 - Rapport sur la question du port des signes religieux à l'école (Tome II) (M. Jean-Louis Debré)

( Ces témoins n'ont pas retourné le compte rendu de leur audition pour observations.

( Ces témoins n'ont pas retourné le compte rendu de leur audition pour observations.

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1 Personnels administratif, technique, ouvrier, de service et de santé


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