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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2009-2010

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du jeudi 19 novembre 2009

Deuxième séance du jeudi 19 novembre 2009

Présidence de M. Maurice Leroy,
vice-président

M. le président . La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

Droit de finir sa vie dans la dignité

Suite de la discussion d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi relative au droit de finir sa vie dans la dignité (n os 1960 rectifié, 2065).

M. Patrick Braouezec. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. Mon rappel au règlement sera court.

À l’issue de la discussion générale sur la proposition de loi relative à la fin de vie, présentée par le groupe SRC, vous avez demandé, madame la ministre de la santé et des sports, que les votes sur ce texte de loi soient réservés. Le président du groupe SRC, M. Ayrault, a annoncé, suite à une suspension de séance, que son groupe n’irait pas plus loin dans la discussion de cette proposition, et qu’il ne participerait pas au reste de la journée d’initiative réservée à son groupe.

Je ne vais pas revenir sur ce qui s’est passé, mais je trouve que cela pose un problème de fond quant au travail de l’Assemblée. On peut considérer qu’aujourd’hui, malgré toutes les bonnes intentions et toutes les grandes déclarations qui ont été faites, les droits de l’opposition sont, si ce n’est bafoués, du moins méprisés. Il est de plus en plus clair que la désignation des membres des commissions d’enquête, les droits de tirage, les journées d’initiative parlementaire sont des exercices de pseudo-démocratie, des mascarades.

Je vous demande, monsieur le président, de faire en sorte que cette question soit évoquée en Conférence des présidents et que nous puissions, dans le cadre des niches parlementaires, aller jusqu’au bout des débats. On voit bien l’entorse que permet le nouveau règlement de l’Assemblée qui a suivi la révision constitutionnelle: c’est le Gouvernement qui impose la façon dont on travaille dans cette assemblée. Et cela, c’est intolérable quand on est représentant du peuple et garant de la démocratie.

Pour ma part, monsieur le président, je ne resterai donc pas plus longtemps. Je n’ai rien à faire ici. Je serai solidaire des députés socialistes qui ont choisi de ne plus participer au débat.

M. le président. Bien entendu, monsieur Braouezec, je transmettrai fidèlement vos propos au président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer.

Je me dois aussi non pas d’entrer dans le débat – ce n’est pas mon rôle –, mais de souligner que la question que vous soulevez a été posée lors de la dernière Conférence des présidents, suite à l’interpellation du président du groupe SRC, Jean-Marc Ayrault. Le président de l’Assemblée nationale a proposé que le bureau examine cette question et les modalités de l’organisation de ces travaux.

Vous voyez donc que, d’une certaine façon, la Conférence des présidents, mardi matin, a anticipé votre interpellation. Ici, à ce siège, je ne peux aller au-delà de ce qu’elle a arrêté. Je vous donne donc acte de votre rappel au règlement.

La parole est à M. Jean Leonetti.

M. Jean Leonetti. Je voudrais dire à M. Braouezec qu’il peut participer au débat. Ce sont les votes, et non pas le débat, qui sont renvoyés à plus tard. La raison en est que, de toute évidence, sur un sujet de cette importance, le vote doit être individuel. Je suppose, monsieur Braouezec, que dans votre groupe, il y a des avis divergents, comme il y en a au sein du groupe UMP et de tous les groupes. Pour que chacun puisse s’exprimer en conscience, le vote solennel était donc à l’évidence préférable.

Dans ce contexte, je n’ai certes pas à vous inviter à rester, mais je vois que M. Valls est verrouillé à son banc en tant que rapporteur, et l’on se réjouit qu’il y ait une présence socialiste. Nous avons eu un bon débat ce matin, Mme la ministre l’a souligné. Il avait un peu de hauteur, sortait des invectives habituelles et des caricatures. Il me semble qu’il aurait pu se poursuivre cet après-midi, après quoi, mardi prochain, chacun aurait pu voter en conscience. Et l’on aurait ainsi vu que le clivage entre la droite et la gauche n’est pas aussi tranché que ce que l’on peut imaginer.

Je ne veux pas vous faire revenir sur votre décision, monsieur Braouezec, mais il s’agit d’un sujet de société important. Je regrette que le groupe socialiste ait déserté l’hémicycle et n’ait pas voulu continuer le débat. En tout cas, nous, nous sommes prêts à poursuivre cette discussion comme elle a commencé, c’est-à-dire de la manière la plus sereine et la plus ouverte possible. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Monsieur Leonetti, sans doute vouliez-vous dire que M. Valls avait grand plaisir à être à son banc en tant que rapporteur!

M. Jean Leonetti. Bien sûr!

M. le président. Parce que, le connaissant bien, je doute que quelqu’un arrive à le verrouiller quelque part (Sourires) , et certainement pas au banc de la commission. C’est pourquoi je me permets modestement de corriger ce point, pour le compte rendu.

M. Manuel Valls, rapporteur de la commission des affaires sociales . Merci, monsieur le président.

M. le président. On ne verrouille pas Manuel Valls! Demandez à son groupe et à son parti!

La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. On peut néanmoins l’assigner un peu à résidence. (Sourires.)

M. le président. Si vous vous y mettez vous aussi, monsieur Braouezec! (Sourires.)

M. Patrick Braouezec. Deux réponses très rapides, monsieur le président.

Je note que la Conférence des présidents a un peu anticipé sur mon rappel au règlement, en tout cas qu’elle travaille à la question. On peut néanmoins regretter que ce travail n’ait pas abouti avant cette séance de niche parlementaire consacrée aux propositions du groupe socialiste.

Par ailleurs, vous avez raison, monsieur Leonetti, de souligner que le sujet même de cette niche parlementaire divise au-delà des clivages traditionnels. Si c’était la première fois que ce cas de figure se présentait, j’entendrais cet argument. Mais ce n’est pas le cas, car le même problème se pose pour chaque niche parlementaire, et même sur des sujets qui ne méritent pas un vote aussi personnalisé. Ce n’est donc pas un cas spécifique. C’est un cas général, et on peut le regretter.

M. le président. Je ne vais pas prolonger inutilement la discussion, monsieur Braouezec. Je crois avoir déjà fait droit à votre première interpellation. La Conférence des présidents a arrêté un ordre du jour, que je me dois ici d’appliquer.

On ne peut, notre collègue Leonetti en conviendra, verrouiller personne à son siège, pas plus au banc de la commission que sur les autres bancs. Chacun se détermine librement.

Je suis saisi d’un texte. Je vois le rapporteur de la commission. Je vois le Gouvernement représenté à son banc. J’ai un certain nombre d’amendements. J’explique comment les travaux vont se dérouler, puisque la situation est un peu particulière. J’ai beaucoup de bonheur à présider, par les temps qui courent, des séances un peu particulières.

Je vais donc appeler les amendements. Ils seront défendus ou pas. Je le dis pour celles et ceux de nos collègues qui ont fait l’effort d’être présents. Chacun va présenter ses arguments. Et je rappelle que la Conférence des présidents a bel et bien arrêté qu’il y aura, sur chacune des propositions de loi, un vote solennel mardi prochain, afin de permettre, comme cela a été fort justement dit, à chacune et chacun d’entre nous d’exprimer son vote en conscience.

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte dont l’Assemblée a été saisie initialement, puisque la commission a rejeté le texte.

Article 1 er

M. le président. Sur l’article 1 er , plusieurs orateurs sont inscrits.

La parole est à M. Marc Bernier.

M. Marc Bernier. Nous sommes tous concernés par la question de la fin de vie et nous aurions tous envie de voter pour un texte doté d’un pareil titre : « Droit de finir sa vie dans la dignité ».

Malheureusement, son contenu n’est pas ce que l’on croit, puisqu’il s’agit ni plus ni moins que de créer une aide active à mourir, de légaliser l’euthanasie.

L’article 1 er évoque une « affection grave et incurable, infligeant une souffrance physique et psychique qui ne peut être apaisée » et que la personne concernée « juge insupportable ». Ces notions sont trop floues, et donc dangereuses. Elles constituent une porte ouverte à des dérives comme celles qui sont aujourd’hui condamnées aux Pays-Bas et en Suisse.

La loi de Jean Leonetti, loi du 22 avril 2005 votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale, a déjà apporté les outils juridiques nécessaires à la lutte contre « l’obstination déraisonnable », que l’on appelle aussi l’acharnement thérapeutique.

Il subsiste cependant une lacune. J’ai entendu, dans mon département, le témoignage émouvant et révoltant des époux Pierra sur les souffrances endurées par leur fils Hervé, dont on avait arrêté les traitements et qui avait souffert de convulsions pendant six jours, faute de sédation d’accompagnement.

Or cette lacune va être très prochainement comblée. En effet, un décret a été adopté en Conseil d’État le 27 octobre dernier et va être bientôt publié. Il prévoit notamment une sédation d’accompagnement des arrêts de traitements chez les cérébro-lésés adultes et les cérébro-lésés en réanimation néonatale. Nous ne pouvons que nous en féliciter, car ce décret marque une nouvelle avancée importante, très attendue, dans l’accompagnement de la fin de vie.

En conclusion, je dirai qu'au lieu de légiférer à nouveau, nous devrions consacrer notre énergie à développer l’accès aux soins palliatifs, que ce soit à l'hôpital ou à domicile, accès qui est loin d'être homogène sur notre territoire, selon les secteurs et les régions, afin que chacun d’entre nous puisse en bénéficier, le moment venu, et « mourir dans la dignité » accompagné par les soignants et par ses proches.

Vous comprendrez donc que je ne voterai pas, mardi prochain, cette proposition de loi présentée par nos collègues socialistes.

M. Jean Leonetti. Très bien!

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je profiterai de l’examen de l’article 1 er pour réagir à quelques-unes des explications que nous a données ce matin M. le rapporteur après la discussion générale.

Nous avons débattu sur la façon dont il fallait lire la décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 1994 sur la dignité et vous nous avez indiqué, monsieur le rapporteur, que deux lectures presque opposées pouvaient être faites. Je ne suis pas de cet avis, permettez-moi de vous le dire. La décision du Conseil constitutionnel de 1994 consacre, de mon point de vue, la dignité humaine comme un élément absolument déterminant de la personne. La dignité humaine n’est pas consacrée par le Conseil constitutionnel comme un droit qui serait l’objet d’un choix de la part des personnes. Dans la décision du Conseil constitutionnel de 1994, la dignité est une qualité inséparable des sujets humains. Ce n’est pas quelque chose sur quoi les sujets humains pourraient exercer eux-mêmes un droit ou un choix.

Je voudrais dire à ce propos – vous l’avez évoqué ce matin, monsieur le rapporteur, en filigrane, quoique pour d’autres raisons – que la loi de 1975, dite loi Veil, rappelle dans son article 1 er l’absolue nécessité du respect de la vie, avec une telle force que certains considèrent que cela pourrait être un article transversal de toute notre législation.

La décision de 1994 ne permet donc pas de considérer la dignité comme pouvant faire l’objet du libre choix possible des personnes. C’est au contraire une chose qui fonde tous leurs droits et sur laquelle ils ne peuvent pas avoir de prise, faute de quoi notre système de droit serait complètement fragilisé.

Je souhaite aussi revenir sur la compatibilité entre cette proposition de loi et la pratique des soins palliatifs. Depuis ce matin, vous nous dites, monsieur le rapporteur, que ces deux aspects sont compatibles. Je pense exactement le contraire. Je crois qu’il existe une contradiction flagrante entre votre proposition de loi et la pratique des soins palliatifs, tant sur le plan théorique que sur le plan pratique.

Sur le plan théorique, le fait d’inscrire dans la législation ce que l’on peut appeler un droit de mourir ou un droit de demander à quelqu’un de mettre fin à ses jours est évidemment en totale contradiction avec la philosophie selon laquelle on ne peut que se contenter d’assister activement à une vie qui se termine selon l’ordre naturel des choses, qu’elle soit accompagnée ou non de pratiques à caractère médicamenteux.

Sur le plan pratique, j’évoquerai trois points dont a parlé ce matin Mme la ministre.

Premièrement, s’agissant de l’organisation clinique dans les hôpitaux, je ne vois pas comment on pourrait faire autrement que ce qui ce se passe dans les pays voisins.

Deuxièmement, s’agissant de la formation des personnels, il est difficile d’aborder la question de la fin de vie en prônant l’accompagnement quoi qu’il arrive, quoi qu’il coûte et quelle qu’en soit la durée, et d’imaginer en même temps les conditions de mettre fin à cette vie.

Troisièmement, la loi de 2005 vise en particulier à modifier l’attitude du personnel soignant vis-à-vis de la douleur. Nous savons que c’est une œuvre de longue haleine. Je ne prétends pas que les personnels aient été rétifs, mais les médecins savent mieux que nous, simples néophytes, que le traitement de la douleur n’allait pas de soi dans le corps médical. Il faut que les équipes apprennent à accompagner, que les familles admettent cette réalité et que, d’une certaine façon, les patients s’y fassent. Aujourd’hui encore le corps médical ne sait pas très bien comment interpréter cette loi, ce qu’elle l’autorise ou non à faire. Il faut du temps pour cela.

L’adoption de cette proposition de loi serait un contre- signal extrêmement violent alors même que nous n’avons pas fini, loin s’en faut, d’appréhender les contours de la loi de 2005 et de la mettre en pratique dans nos établissements de santé. Il s’agit en effet non pas de compléter une offre de santé publique ou d’ajouter une case qui manquerait à un dispositif général de santé, mais de changer la conception de la fin de vie telle qu’elle est décrite dans les textes qui régissent nos établissements de soins et la pratique de leurs équipes.

M. le président. La parole est à M. Jacques Lamblin.

M. Jacques Lamblin. Je n’avais pas prévu, initialement, de prendre la parole sur le texte, mais les bouleversements auxquels nous assistons depuis ce matin me laissent penser que je peux m’y autoriser.

Le débat de ce matin était passionnant, car il était « transcourant ». Nous avons pu, les uns et les autres, exprimer notre sentiment sur le fond. Cependant, le mot « hypocrisie » a été assez souvent prononcé, quels que soient les orateurs. La périphrase a beaucoup été utilisée. Le titre de la proposition de loi en est d’ailleurs lui-même une: le « droit de finir sa vie dans la dignité », cela signifie, en fait, l’autorisation de pratiquer l’euthanasie. Quelquefois, pour des raisons médiatiques, on a peur de dire les choses comme elles sont. En France ce n’est pas nouveau. Nous vivons cela depuis longtemps. On parle par exemple non pas d’aveugles, mais de personnes mal voyantes, ou non voyantes.

Dans notre société où la mort fait peur, où elle est niée, repoussée, ignorée souvent, cette proposition de loi peut faire penser que l’on se donne l’illusion de vouloir regarder la mort en face dans certaines circonstances.

Je voudrais évoquer mon expérience. Je suis vétérinaire et, pendant trente ans, j’ai pratiqué l’euthanasie. Je ne mélange évidemment pas les genres – rassurez-vous! – car il y a un saut éthique considérable entre l’être humain et l’animal. Je souhaite m’exprimer plutôt au nom d’un parallélisme des formes. De même que l’expérimentation animale a permis de faire des progrès en médecine, ce que l’on vit avec les animaux peut, sans doute, nous permettre de nous poser quelques questions.

Lorsqu’il s’agit d’animaux de compagnie avec lesquels les familles, et surtout les enfants, entretiennent des liens affectifs très forts, l’acte d’euthanasie est extrêmement difficile à accomplir et à vivre pour les familles. Mme la ministre a dit ce matin, de façon très différente, que le fait que ce soit au praticien de prendre la décision soulage les familles. Or, dans le texte que vous nous proposez, il y a un moment, qu’on le veuille ou non, où le praticien sera en première ligne et interviendra, peut-être au grand soulagement des familles, pour peser sur la décision.

Ensuite, quelle que soit l’expérience que l’on peut avoir, on ne se fait pas au geste et je suis certain qu’il en sera de même pour les médecins.

Enfin, quand on sait que l’on fait l’objet d’un diagnostic désespéré et que l’on va mourir, même si l’on sait que c’est imminent, on ne sait pas quand l’événement surviendra. En revanche, lorsque l’on demande l’euthanasie, on connaît, on voit arriver le moment précis où la mort surviendra. Cette différence, qui n’a jamais été évoquée ce matin, est, à mes yeux, fondamentale. Qu’est‑ce qui permet de penser qu’au moment précis où tout bascule, où la décision est irrémédiable, celui qui a demandé à bénéficier de l’euthanasie n’est pas sur le point de changer d’avis, parce que quelques heures de vie peuvent encore compter?

J’en arrive à la conclusion qu’il est impossible de régler parfaitement cette question, car en voulant résoudre certains aspects, on peut créer d’autres difficultés. Le fait d’autoriser à mettre légalement fin à la vie créerait ce que Bernard Debré a appelé  une « anarchie éthique ». Nous prendrions là un vrai risque, parce qu’il y a deux réalités que l’homme ne peut pas regarder dans les yeux: la mort et le soleil.

M. le président. J’informe nos collègues qui rejoignent l’hémicycle que je vais appeler l’ensemble des amendements. Le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et le groupe de la Gauche démocrate et républicaine ont décidé de ne pas siéger et de ne pas discuter les amendements. Je me dois cependant de les appeler. Ils seront ou non défendus.

Je rappelle que le vote est réservé sur les amendements et les articles.

Les amendements n os  13, 7, 8 et 14 ne sont pas défendus.

Le vote sur l’article 1 er est réservé.

Article 2

M. le président. Les amendements n os  15 et 16 ne sont pas défendus.

La parole est à Mme Henriette Martinez, pour défendre l’amendement n° 1.

Mme Henriette Martinez. Cet amendement vise à limiter le nombre de praticiens appelés au chevet du malade par le médecin traitant en cas de demande d’euthanasie active.

La proposition de loi stipule que le médecin traitant doit consulter trois autres praticiens. Je propose de ramener ce chiffre à un. Il s’agit de bien définir le rôle du praticien, et non de savoir si le malade a ou non raison. Il s’agit de déterminer si, comme le précise l’article 1 er de la proposition de loi, «  le malade est dans une phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable… » Pour cela, il me semble que le diagnostic de deux médecins est suffisant. Si ces deux médecins n’étaient pas d’accord, rien ne les empêcherait d’en appeler un troisième. Mais quatre médecins, c’est beaucoup pour établir un diagnostic de fin de vie. Je fais confiance aux médecins.

M. le président. La parole est à M. Manuel Valls, rapporteur de la commission des affaires sociales, pour donner l’avis de la commission sur l’amendement n° 1.

M. Manuel Valls, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, je suis rivé, accroché à mon banc, et j’en sors quelques secondes.

J’aurais tant aimé pouvoir participer au débat comme rapporteur de cette proposition de loi, pouvoir confronter nos points de vue sur la compatibilité entre les soins palliatifs et l’euthanasie, la compatibilité d’une consécration légale de l’euthanasie avec le principe constitutionnel de dignité humaine, revenir sur les questions de dignité humaine, évoquer de nouveau les exemples étrangers – belges, hollandais, luxembourgeois ou canadien –, mais je suis évidemment solidaire de mon groupe tout en respectant le règlement de notre assemblée. J’interviendrai donc uniquement à cette occasion.

Je souhaite m’excuser auprès de Mme Martinez, dont l’intervention de ce matin a été forte et marquante. Son amendement pose une vraie question et nous aurions pu en débattre ainsi que des propositions de l’ADMD, du fait que la loi ne doit pas alourdir cette procédure et que le médecin est là non pour donner un avis, mais pour faire un constat comme vous l’avez dit. Nous aurions pu en débattre, mais ce n’est pas possible pour les raisons qui ont été indiquées.

Cher collègue, Jean Leonetti, j’ai bien entendu votre argument, mais sur ce type de sujet et précisément au nom de la liberté de vote que chaque groupe a laissée à ses membres, il fallait aller jusqu’au bout du débat, permettre le vote sur chaque article et sur chaque amendement, et non décider d’un vote bloqué sur l’ensemble. Je referme la parenthèse et j’indique à Mme Martinez que la commission a rejeté son amendement comme tous les autres.

M. le président. La parole est à Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports, pour donner l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 1.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports. L’avis du Gouvernement est défavorable sur le fond et je me suis exprimée sur le sujet ce matin. La collégialité est une garantie. En la réduisant très fortement, on supprime une protection pour le malade, la famille et le médecin lui-même. La Commission nationale de contrôle vérifierait bien sûr que la procédure est bien respectée et la dépénalisation de l’acte est prévue. Néanmoins, il serait toujours possible à un proche d’ester en justice contre le médecin, estimant que la décision qui a été prise lui a porté préjudice dans sa vie personnelle.

M. André Wojciechowski. On va engorger les tribunaux!

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé. On imagine le nombre de contentieux qu’entraînerait une pareille procédure. Nous sommes déjà obligés de prendre des dispositions en raison de l’accumulation des procédures judiciaires à l’encontre des gynécologues-obstétriciens. Avec une telle disposition, nous ouvririons la boîte de Pandore. Une décision collégiale prise par quatre médecins pourrait peut-être protéger les médecins, même imparfaitement, mais ne prévoir que deux médecins serait les livrer à une judiciarisation massive. J’y suis donc tout à fait opposée.

M. le président. Maintenez-vous votre amendement, madame Martinez?

Mme Henriette Martinez. Oui, monsieur le président.

M. le président. Le vote sur cet amendement est réservé.

L’amendement n° 17 n’est pas défendu.

Je suis saisi d'un amendement n° 4.

La parole est à Mme Henriette Martinez.

Mme Henriette Martinez. Cet amendement vise également à alléger les procédures. Dès lors que les médecins ont examiné le malade et sa demande, le texte prévoit qu’ils disposent de huit jours pour donner leur réponse. Je rappelle de ramener ce délai à cinq jours, sachant que les derniers jours de la vie sont longs. Il ne paraît pas opportun de prolonger inutilement l’attente du malade. Faisons confiance au médecin et à son jugement. Décider que le malade est ou n’est pas en fin de vie ne demande pas, selon moi, un délai de huit jours.

M. le président. Quel est l'avis de la commission?

M. Manuel Valls, rapporteur . L’amendement a été repoussé par la commission.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé. Avis défavorable également.

M. le président. Maintenez-vous votre amendement, madame Martinez?

Mme Henriette Martinez. Oui, monsieur le président.

M. le président. Le vote est réservé.

L’amendement n° 18 n’est pas défendu.

Je suis saisi d'un amendement n° 12.

La parole est à M. Manuel Valls.

M. Manuel Valls, rapporteur. Mon amendement a été repoussé par la commission.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé. Avis défavorable.

M. le président. Le vote sur l’amendement n° 12 est réservé, de même que le vote sur l’article 2.

Article 3

M. le président. Les amendements n os  10 et 20 ne sont pas défendus.

Le vote sur l’article 3 est réservé.

Article 4

M. le président. L’amendement n° 21 n’est pas défendu.

Je suis saisi d'un amendement n° 2.

La parole est à Mme Henriette Martinez.

Mme Henriette Martinez. Il s’agit d’un amendement de conséquence.

M. le président. L’avis de la commission et du Gouvernement est défavorable.

Le vote est réservé.

Je suis saisi d'un amendement n° 3.

La parole est à Mme Henriette Martinez.

Mme Henriette Martinez. L’amendement est défendu.

M. le président. L’avis de la commission et du Gouvernement est défavorable.

Le vote est réservé.

Je suis saisi d'un amendement n° 5.

La parole est à Mme Henriette Martinez.

Mme Henriette Martinez. L’amendement n° 5 concerne les témoins devant lesquels le malade exprime sa volonté. Le texte prévoit que la demande doit être confirmée en présence de deux témoins n’ayant aucun intérêt matériel ou moral au décès de la personne. Cela signifie que les témoins ne connaissent pas celle-ci et sont d’une parfaite neutralité. S’il importe que le malade exprime sa volonté de finir sa vie devant au moins une personne indépendante et n’ayant aucun intérêt au décès, il me semble que, dans ces moments ultimes, la présence d’un proche est nécessaire.

M. André Wojciechowski. Elle a raison!

Mme Henriette Martinez. Beaucoup de personnes qui rédigent un testament de fin de vie le font en présence de leurs enfants, avec leur famille. Supposer que l’entourage du malade pourrait avoir intérêt à son décès me semble relever d’une vision très négative de la famille. Ce type de décision doit être pris avec la famille. Assurer la neutralité d’au moins l’un des deux témoins me paraît suffisant, l’autre pourrait être un membre de la famille qui, dans ces moments difficiles, entoure le malade de son affection.

M. le président. Quel est l'avis de la commission?

M. Manuel Valls, rapporteur . Défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé. Très défavorable.

M. le président. Les votes sur l’amendement et sur l’article 4 sont réservés.

Article 5

M. le président. Le vote sur l’article 5 est réservé.

Article 6

M. le président. Le vote sur l’article 6 est réservé.

Articles 7 à 9

M. le président. Les votes sur les articles 7 à 9 sont réservés.

Nous avons achevé l’examen des articles de la proposition de loi relative au droit de finir sa vie dans la dignité.

La suite de la discussion de ce texte aura lieu le mardi 24 novembre, après les questions au Gouvernement.

Fichiers de police

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de Mme Delphine Batho et de M. Jacques Alain Bénisti relative aux fichiers de police (n° s 1659,1738).

La parole est à Mme Delphine Batho, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

Mme Delphine Batho, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République . Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales, mes chers collègues, j'ai l'honneur de présenter à l'Assemblée nationale la proposition de loi relative aux fichiers de police qui vise à accomplir en la matière un véritable progrès démocratique.

Ce texte dont je suis la rapporteure n'est pas une proposition de loi du groupe socialiste. C’est une proposition de loi de la commission des lois et permettez-moi de remercier Jean-Marc Ayrault…

M. Jean-François Chossy. Il n’est pas là pour apprécier les remerciements!

Mme Delphine Batho, rapporteure . …pour avoir permis que ce texte vienne en séance publique en l'inscrivant dans l'ordre du jour réservé au groupe SRC.

À mon tour, je regrette profondément l'attitude du président du groupe UMP et du Gouvernement ce matin qui ont demandé le report des votes relatifs à nos propositions de loi. Nous souhaitons cependant que cette proposition de loi soit votée mardi prochain comme elle l’a été en commission des lois le 16 juin dernier.

Ce texte est le résultat d'un important travail parlementaire qui a associé la majorité et l'opposition et qui a permis d'aboutir à un consensus. Je voudrais remercier le président de la commission des lois, Jean-Luc Warsmann, de nous avoir confié cette tâche, à Jacques Alain Bénisti et moi-même. Nous avons travaillé dans le cadre d'une mission d'information non seulement pour faire l'état des lieux des problèmes posés en matière de fichiers, mais aussi pour essayer de trouver ensemble des solutions respectueuses des droits des citoyens et utiles à l'efficacité de la police.

Jamais jusqu'ici le Parlement n'avait examiné de façon globale la situation de l'ensemble des fichiers de police dont le nombre est en très nette augmentation depuis plusieurs années. Le nombre de citoyens inscrits dans ces fichiers s'est également considérablement accru ces dernières années.

La question n'est pas d'être pour ou contre les fichiers de police. Il est bien évident que pour faire leur travail, les policiers et gendarmes ont besoin de fichiers performants. Encore faut-il que l’on sache qui peut figurer dans ces fichiers, sur la base de quels critères, pour quel type de données et pour combien de temps. En la matière, les inquiétudes de nos concitoyens sont fortes en raison de la massification rapide du fichage ces dernières années.

Notre travail parlementaire trouve d'abord sa source dans la mobilisation citoyenne sans précédent contre le fichier EDVIGE à l’été 2008. La pétition du collectif « Non à EDVIGE » avait alors recueilli plus de 200000 signatures, ce qui avait finalement conduit le Gouvernement à retirer le décret concerné.

Face aux inquiétudes légitimes sur le respect des libertés individuelles, nous avons voulu disposer d'une vision d'ensemble de l'évolution des fichiers, comprendre les besoins et les impératifs de ceux qui les utilisent, examiner tous les dysfonctionnements et nous interroger sur les choix stratégiques à opérer dans un domaine où l'évolution rapide des technologies rend les fichiers existants rapidement obsolètes. Au terme d’un travail de six mois, nous avons abouti – c’est suffisamment rare pour être souligné – à des solutions qui ont fait l'objet d'un consensus.

Sur les cinquante-sept propositions de notre rapport d'information, cinquante-trois sont consensuelles et seuls quatre points ont fait l'objet de divergences. La proposition de loi qui vous est soumise donne une traduction législative à vingt-six propositions de ce rapport.

Jusqu'au bout, jusque dans l'examen des amendements adoptés en commission, nous avons cherché, Jacques Alain Bénisti et moi-même, à préserver cette démarche consensuelle, car c'était de notre point de vue le meilleur moyen de faire bouger les choses.

Notre conviction centrale, qui est au coeur de cette proposition de loi, c'est qu'il est indispensable de légiférer sur les fichiers de police. La proposition de loi se veut ainsi une réponse d'ensemble, cohérente, globale aux problèmes qui sont posés. Elle repose sur trois piliers: une refonte du cadre législatif; une meilleure protection des droits des citoyens; de nouveaux outils au service de l’efficacité de la police et de la gendarmerie.

Nous avons recensé cinquante-huit fichiers de police existants à l’heure actuelle, dont 25 % n'ont aucune base juridique – on pourrait dire qu'ils sont illégaux – et seulement 17 % ont été créés par le législateur.

La pierre angulaire de notre proposition de loi consiste, je le répète, en une refonte du cadre juridique afin que toute création d’un fichier de police d’une nature nouvelle fasse désormais l’objet d’un débat public, démocratique et transparent, donc d’un débat législatif.

Il s’agirait d’une avancée démocratique majeure, dans un domaine où tous les gouvernements successifs se sont accommodés d’une situation confuse, certains fichiers étant dépourvus, je l’ai dit, de tout fondement juridique, d’autres relevant du décret, d’autres enfin, plus récents, ayant été créés par la loi.

Toutes les caractéristiques qui définissent un fichier de police engagent à notre sens les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques, pour lesquelles le législateur est seul compétent, en vertu de l’article 34 de la Constitution.

De même, seul le législateur peut autoriser à déroger au principe d’interdiction générale défini par la loi « Informatique et libertés » en matière de collecte et d’enregistrement des données sensibles.

Améliorer la protection des droits des citoyens constitue le deuxième objectif de cette proposition de loi. En la matière, le problème majeur est posé par le fichier STIC, dans lequel figurent 5,5 millions de personnes mises en cause et 28 millions de personnes victimes. Ces chiffres sont considérables. De fait, le nombre de personnes inscrites dans ce fichier a augmenté de 41 % en huit ans; cette hausse est liée à la politique du chiffre menée au sein de la police nationale.

Surtout, la CNIL a constaté lors de ses investigations que, dans les fichiers STIC et JUDEX, seulement 17 % des fiches relatives à des personnes mises en cause comportaient des informations exactes. Le taux d’erreur est donc considérable. Or ces erreurs peuvent malheureusement entraîner des conséquences très lourdes, voire dramatiques, pour la vie quotidienne de nombreux citoyens, s’agissant notamment de l’accès à l’emploi. Le titre II de la proposition de loi tend à remédier à cette absence de fiabilité des informations inscrites dans les fichiers d’antécédents judiciaires, afin d’éviter aux citoyens le préjudice résultant d’informations inexactes – un million d’emplois sont concernés – et de permettre aux services de police de disposer d’informations fiables.

Après avoir écouté tous les services concernés par l’épisode du fichier EDVIGE, ainsi que les associations qui s’étaient alors mobilisées, nous proposons une solution dans les articles 17 et 18, persuadés que c’est à la loi de résoudre le problème, en mettant fin au fichage des syndicalistes, des responsables associatifs, des élus et des responsables politiques. Il s’agirait d’un progrès démocratique important. En outre, le traitement de tout ce qui pourrait s’apparenter à des données sensibles doit être très strictement encadré.

Enfin, la troisième partie du texte permet la création, là encore par la loi, des nouveaux outils performants dont les services de police et de gendarmerie ont besoin. Loin d’une logique de fichage généralisé, il s’agit de fichiers pointus et ciblés, appelés fichiers de rapprochement, et qui permettent notamment de mieux lutter contre la délinquance sérielle. Le texte permet ainsi la création des fichiers CORAIL et LUPIN, en cours d’élaboration par les services de police.

Voilà, mes chers collègues, ce que je souhaitais vous dire dans le temps qui m’est imparti. Au cours du travail que nous avons mené sur les fichiers de police, il nous est apparu que le débat avait essentiellement lieu non pas entre députés de droite et députés de gauche,…

M. André Wojciechowski. Ah?

Mme Delphine Batho, rapporteure. …mais bien entre pouvoir législatif et pouvoir exécutif. En effet, le Gouvernement n’a pas voulu tenir compte de travaux auxquels nous n’avons pourtant eu de cesse de l’associer. Ainsi, le ministre de l’intérieur a dernièrement pris deux décrets créant de nouveaux fichiers de renseignements, dans un domaine où nous appelions de nos vœux l’intervention de la loi.

Mon collègue Jacques Alain Bénisti a lui-même jugé « tout à fait regrettable » cette manière de court-circuiter le Parlement et a assimilé l’initiative du Gouvernement à « une profonde atteinte au travail parlementaire et au climat de confiance qui s’était instauré entre deux députés de sensibilité différente ».

Or, en la matière, la forme et le fond sont liés. Car, en coupant court au débat démocratique et en prenant ces décrets tendant à créer une sorte de nouveau fichier EDVIGE, le ministre de l’intérieur a fait resurgir des problèmes de fond soulignés par de nombreuses associations et, j’y insiste, par toutes les confédérations syndicales, puisqu’il est malheureusement prévu de ficher les activités syndicales dans le cadre des enquêtes administratives.

J’ai salué tout à l’heure votre présence, monsieur le secrétaire d’État. Mais je crains qu’il ne faille voir dans l’absence du ministre de l’intérieur, Brice Hortefeux, un nouveau signe de mépris envers le travail parlementaire.

M. André Wojciechowski. Oh!

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république. Mais non!

Mme Delphine Batho, rapporteure. Je le regrette profondément, car il est temps que le législateur fasse valoir ses prérogatives en matière de fichiers de police.

J’ai donc présenté ce rapport pour que nous puissions, mardi prochain, adopter ensemble cette proposition de loi qui n’appartient ni à l’opposition ni à la majorité, mais au Parlement.

M. le président. La parole est à M. Alain Marleix, secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales.

M. Alain Marleix, secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales. Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les députés, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence du ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales, Brice Hortefeux, retenu au congrès de l’Association des maires de France, dont il doit prononcer le discours de clôture.

Dans notre pays, les débats sur le traitement des données se caractérisent par leur récurrence – comme si la France trouvait régulièrement matière à remettre en cause ce que toutes les grandes démocraties ont accepté depuis longtemps – et par leur caractère passionné: il se trouve toujours des voix pour alimenter la polémique sur une question pourtant essentielle à la sécurité des Français.

Ainsi, sans remonter à l’« affaire des fiches » qui fit trembler l’armée et la République à l’orée du xx e  siècle, certains, sur ces bancs, se souviennent sans doute encore du projet SAFARI – Système automatisé pour les fichiers administratifs et le répertoire des individus‚–, qui attira l’attention de l’opinion publique sur la question de la protection des libertés individuelles eu égard au développement massif de la bureautique, et conduisit au vote de la loi dite « Informatique et libertés » du 6 janvier 1978.

On se remémorera, plus récemment, les surenchères médiatiques ayant entouré la publication du décret du 14 octobre 1991 relatif au fichier des renseignements généraux, préparé par le gouvernement de Michel Rocard, puis réécrit et publié sous celui d’Édith Cresson. J’observe du reste, madame la rapporteure, qu’à l’épreuve du pouvoir, le parti socialiste était moins prompt à dénoncer les supposées atteintes qu’un tel fichier aurait portées à nos libertés: le fichier « papier » des RG avait d’abord été instauré par M. Pierre Joxe, alors ministre de l’intérieur, sans aucun support législatif,…

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois. C’est vrai!

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. …ni même réglementaire! Convenez que cela est assez exceptionnel!

Quant au décret que le gouvernement de Mme Edith Cresson a finalement publié en 1991, sa comparaison avec les deux décrets publiés le 16 octobre dernier par le gouvernement de M. François Fillon afin de prévenir les atteintes à la sécurité publique n’est vraiment pas favorable – je le dis en conscience – à ceux qui s’érigent perpétuellement, en particulier à gauche de l’hémicycle, en gardiens du temple des libertés individuelles!

La vérité, la voici: pour protéger les Français, pour assurer la sécurité partout et pour tous – et notamment pour les plus modestes de nos concitoyens, qui sont souvent les premières victimes‚–, les services de police et de gendarmerie ont besoin de pouvoir utiliser des bases de données, dans le respect des libertés individuelles. N’en déplaise aux naïfs ou aux idéologues, pour le Gouvernement les choses sont claires: les bases de données sont utiles; elles sont même indispensables dans toute démocratie désireuse de faire respecter le premier droit que la Constitution garantit aux citoyens, celui de vivre en sécurité.

M. André Wojciechowski. Très bien!

M. Alain Marleix, secrétaire d’État. J’ai sous les yeux une dépêche AFP du dimanche 18 octobre 2009 dans laquelle un éminent responsable politique de gauche déclare: « Les deux choses sont nécessaires: le souci des libertés et la nécessité de sanctionner la délinquance. Je pense que l’on a besoin de donner à la police un certain nombre de moyens […]. Les fichiers, c’est évidemment une chose tout à fait essentielle parce qu’il y a beaucoup de récidivistes […]. La police a besoin de fichiers; ces fichiers sont soumis à la CNIL, qui exerce un contrôle extrêmement vigilant et même, quelque fois, tatillon. » L’auteur de ces propos remplis de sagesse et de bon sens n’est autre que Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre de l’intérieur de Lionel Jospin.

On ne saurait mieux dire l’utilité, et même la nécessité, pour une police et une gendarmerie modernes, c’est-à-dire pour des services de sécurité qui s’adaptent constamment et anticipent sur les évolutions de la délinquance, de bénéficier d’informations solides et objectives, afin de prévenir la commission des infractions, d’en identifier et d’en appréhender les auteurs.

Le rapport d’information publié par la commission des lois de votre assemblée en mars 2009 montrait bien les nombreuses finalités des fichiers de police, en distinguant quatre familles principales en leur sein.

Premièrement, les fichiers à caractère administratif, destinés à enregistrer des données administratives sur des personnes, des objets ou des moyens de transport, tels que le fichier national des immatriculations ou le fichier des propriétaires ou possesseurs d’armes.

Deuxièmement, les fichiers de renseignement, qui visent à centraliser les informations destinées au Gouvernement et aux préfets, afin de prévenir les atteintes à la sécurité publique – particulièrement graves lorsqu’il s’agit d’actes de terrorisme, et d’un degré moindre, mais qui justifie toujours pleinement que les services de sécurité s’en préoccupent, lorsqu’elles sont le fait des bandes violentes qui se multiplient ici ou là.

Troisièmement, les fichiers judiciaires, qu’il s’agisse des fichiers d’antécédents, qui visent à faciliter la constatation des infractions pénales, le rassemblement des preuves des infractions et la recherche de leurs auteurs – il en est ainsi du STIC – ou des fichiers d’identification, qui doivent contribuer à permettre d’identifier les auteurs d’infractions ou les personnes disparues, à l’exemple du Fichier automatisé des empreintes digitales ou du Fichier national des empreintes génétiques.

Quatrièmement, les fichiers de rapprochement qui, comme leur nom l’indique, visent à optimiser le traitement des informations de police judiciaire par le biais de rapprochements entre des infractions susceptibles d’être liées entre elles, à partir de caractéristiques communes ou de modes opératoires similaires, et ce afin de faciliter l’identification de leurs auteurs.

L’utilité des bases de données n’est plus à démontrer: en témoigne le nombre d’affaires qui n’auraient pas été résolues, d’auteurs qui n’auraient pas été identifiés ou de victimes qui n’auraient pas été protégées si l’on n’avait pu y recourir. Je me limiterai à trois exemples, parmi tant d’autres, d’affaires élucidées au cours des derniers mois et pour lesquelles les bases de données ont apporté aux services d’enquête une aide précieuse, pour ne pas dire décisive.

Tout d’abord, le démantèlement, en février 2009, d’une équipe de cambrioleurs impliqués dans pas moins de quatre-vingt-sept vols d’appartements à Paris et en banlieue. Ensuite, l’identification en novembre 2009, grâce à une trace d’ADN, de l’auteur présumé d’un viol commis en 1993. Citons enfin l’interpellation, en novembre 2009, de l’auteur présumé de huit vols à main armée et tentatives commis dans des agences bancaires. Les exemples ne manquent pas.

Dans toutes ces affaires, l’utilisation de bases de données, qu’il s’agisse de fichiers de rapprochement ou de fichiers d’identification biométrique ou biologique, a été déterminante.

Ces bases de données, nous les élaborons et nous les utilisons dans le respect des libertés individuelles, en toute transparence.

Au fond, quelle a été la méthode que nous avons suivie en la matière depuis 2002?

Nous avons souvent privilégié la voie législative, comme à l'occasion de la loi du 9 août 2002 d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, qui a notamment amorcé le rapprochement des fichiers d'antécédents de la police et de la gendarmerie nationales, STIC et JUDEX, tout en renforçant l'efficacité du fichier national automatisé des empreintes génétiques, le FNAEG. On peut également citer l'exemple de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, qui a créé le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes, le FIJAISV.

Nous avons aussi parfois choisi de créer certaines bases de données par la voie réglementaire, ce qui est parfaitement admis en l'état du droit actuel. Je précise que cette voie – et c'est heureux – est strictement encadrée par les dispositions de la loi relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés du 6 janvier 1978, dont je n'hésite pas à dire qu'elle est une bonne loi, puisqu'elle a notamment créé la CNIL, autorité administrative indépendante qui a su asseoir sa légitimité et son autorité, désormais incontestables.

De même, notre souci de dialogue et de concertation avec la société civile et les associations s'est concrétisé dans la mise en place, dès 2006, d'un groupe de contrôle pluraliste sur les fichiers de police présidé par Alain Bauer et associant aux représentants du ministère de l'intérieur et des forces de sécurité, les syndicats de magistrats, des membres éminents du barreau et de divers organismes.

Il est donc pour le moins paradoxal de voir aujourd’hui l'opposition réclamer un meilleur encadrement législatif des bases de données policières,…

Mme Delphine Batho, rapporteure . Il ne s’agit pas que de l’opposition!

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. …alors qu'elle s'est constamment opposée, jusqu'alors, à nos initiatives au Parlement en la matière.

Mme Delphine Batho. C’est faux!

M. Alain Marleix, secrétaire d'État . Faut-il rappeler le vote du parti socialiste sur la loi du 9 août 2002 d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, laquelle a amorcé le rapprochement des fichiers d'antécédents de la police et de la gendarmerie nationales tout en renforçant l'efficacité du fichier national automatisé des empreintes génétiques? Négatif!

Mme Delphine Batho, rapporteure . Pas pour l’article 2!

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Est-il nécessaire de préciser quelle majorité a créé, par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes et imposé aux personnes qui y sont inscrites de justifier régulièrement de leur résidence après leur condamnation, ce qui est la moindre des choses? Certainement pas la gauche qui, en 2004, s'opposait au projet de la majorité et qui a persisté encore cette semaine dans cette attitude, alors que votre assemblée a débattu d'un important projet de loi visant à amoindrir le risque de récidive pour les criminels sexuels.

Le même parti socialiste, qui aujourd'hui nous dit qu'il faut revoir la loi « Informatique et libertés » du 6 janvier 1978, veut-il que je lui rappelle sa position sur la loi du 6 août 2004 relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel, qui visait déjà à renforcer les garanties apportées par la loi CNIL de 1978? Encore et toujours une opposition!

Plus intéressant encore, souvenons-nous de loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme, proposée par l'actuelle majorité pour prévoir les conditions dans lesquelles les services de police pourront, grâce à l'analyse de données recueillies dans le cadre des transports de voyageurs, repérer ou recouper les renseignements dont ils disposent sur les personnes ayant un parcours particulier et pouvant être en lien avec des entreprises terroristes. Il s'agissait, par exemple, de déterminer celles des personnes qui se rendent de manière répétée ou prolongée vers des pays connus pour abriter des activités de nature terroriste. Comment a voté la gauche? Majoritairement contre, bien évidemment!

Mme Delphine Batho, rapporteure . C’est faux!

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Je vous le prouverai, madame la rapporteure! Il suffit de se rapporter au vote.

Mme Delphine Batho. Je ferai des recherches moi aussi!

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Lorsque, il y a quelques semaines, les bases relatives à la prévention des atteintes à la sécurité publique et aux enquêtes administratives liées à la sécurité publique ont été créées, qu'a fait la gauche? Elle a encore protesté, semblant apparemment oublier que plusieurs personnes issues de ses rangs, notamment Laurent Fabius et Alain Claeys avaient souligné, à l'occasion des violences perpétrées dans le centre-ville de Poitiers – chef-lieu d’une région qui vous est chère, madame la rapporteure –, la nécessité pour les forces de sécurité de bénéficier de renseignements, en particulier sur les bandes. Comprenne qui pourra!

À l’inverse, force est de constater que notre majorité est beaucoup plus pragmatique puisqu'elle n'a pas hésité à voter, par exemple, la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs, qu'avait présentée au Parlement Mme Elisabeth Guigou, alors garde des sceaux.

Cette loi créait un fichier national destiné à centraliser les prélèvements de traces génétiques ainsi que les traces et empreintes génétiques des personnes condamnées pour crime ou délit sexuel, en vue de faciliter l'identification et la recherche des auteurs d'infractions sexuelles. L'opposition RPR-UDF d'alors n'avait pas hésité à joindre ses voix à celles de la gauche dès lors qu'il s'agissait de créer une base de données utile à la protection des Français.

Pour autant, le Gouvernement ne conteste pas que l'encadrement juridique des bases de données nécessaires à la sécurité de nos compatriotes puisse et même doive évoluer. C'est là, je le sais, une question débattue au sein de votre commission des lois depuis plusieurs mois, et j'en remercie d'ailleurs vivement le président Warsmann. Sachez que nous ne sommes pas fermés sur le sujet. Le Gouvernement ne craint pas de débattre de ces questions avec les parlementaires.

Pour avancer, plusieurs pistes ont été présentées: la proposition de loi défendue aujourd'hui par Mme Batho, mais également les amendements déposés, à l'initiative de Jacques-Alain Bénisti notamment, …

Mme Delphine Batho, rapporteure . Ils n’ont pas été déposés!

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. … dans le cadre de la proposition de loi relative à la simplification du droit du président Warsmann, que la commission des lois a commencé à examiner hier.

Je vous le dis très clairement: autant le Gouvernement est favorable aux amendements déposés dans le cadre de la proposition de loi du président Warsmann, autant il est défavorable à la proposition de loi qu’a présentée le groupe socialiste.

Certes, des points apparaissent positifs dans ce texte, et je sais que les éléments apportés par Jacques-Alain Benisti ont contribué à faire bouger les lignes.

Ainsi en est-il, par exemple, de l’article 2 quand il prévoit que, avant la présentation de son rapport annuel, la CNIL fait connaître des observations provisoires et recueille les observations du Gouvernement. Nous y sommes favorables.

Il en va de même de l'article 3 quand il précise que la CNIL compte des parlementaires désignés de manière à assurer une représentation pluraliste. Nous y sommes également favorables, dans l'esprit d'ouverture et de dialogue qui caractérise le Gouvernement.

Nous sommes encore favorables à l'article 13 qui prévoit que, lorsqu’un traitement de données est dispensé, par un décret en Conseil d'État conformément à l'actuel III de l'article 26 de la loi de 1978, de la publication de l’acte réglementaire qui l'autorise, ledit acte doit être transmis à la délégation parlementaire au renseignement. Cela permettra au Parlement de jouer pleinement son rôle de contrôle, y compris en matière de sûreté de l'État.

En revanche, pour l'essentiel, cette proposition de loi soulève, en l'état, de réelles difficultés et, pour tout dire, nous avons des désaccords substantiels avec certaines de ses dispositions. Je veux, entre autres, mentionner deux désaccords majeurs.

Le premier porte sur les articles 17 et 18, qui traitent des bases de données relatives à la prévention des atteintes à la sécurité publique. C'est peu dire que Mme Batho a critiqué en des termes très durs sur le fond et sur la forme les bases de données que le Gouvernement a publiées le 16 octobre 2009, en prétendant que cela illustrait « la vraie pratique du pouvoir actuel: celle d'un exécutif tout puissant qui bafoue le débat démocratique et écrase le Parlement ».

Mme Delphine Batho, rapporteure . Eh oui!

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Tout ce qui est excessif est insignifiant, madame la rapporteure, vous devriez le savoir.

Pour notre part, nous assumons complètement ces nouvelles bases de données et nous ne souhaitons absolument pas créer aujourd'hui par la loi des espèces de bases de données bis alors que les traitements liés à la prévention des atteintes à la sécurité publique et aux enquêtes administratives liées à la sécurité publique sont désormais opérationnels.

Le deuxième désaccord porte sur l'article 5 de la proposition de loi. Il paralyserait à coup sûr, dans sa rédaction actuelle, l'efficacité opérationnelle des services de sécurité, puisqu’il renvoie à des lois ultérieures le soin de définir des catégories de traitements. En outre, ce serait à l'évidence une source d'insécurité juridique, vous en conviendrez.

Nous avons donc une très nette préférence pour le dispositif prévu, sur ce point notamment, dans les amendements à la proposition de loi du président Warsmann. En énonçant clairement et directement à l'article 26 de la loi du 6 janvier 1978 les dix finalités au regard desquelles des bases de données peuvent être ensuite créées par la voie réglementaire, ces amendements permettent tout à la fois de définir dès à présent l'encadrement législatif souhaité par les parlementaires et de laisser à l'exécutif la marge de manœuvre qui lui est indispensable pour préserver l'efficacité opérationnelle des services de sécurité.

Vous l’avez compris, le Gouvernement n'est en rien hostile à ce que le Parlement participe, avec lui, à la modernisation du cadre juridique régissant actuellement les bases de données indispensables au travail des policiers et des gendarmes.

La proposition de loi présentée par le groupe SRC dans le cadre de la séance d'initiative parlementaire qui lui est réservée pose toutefois de réels problèmes. Nous y sommes, pour ces raisons, défavorables. Nous soutenons en revanche pleinement les amendements qui vous ont été présentés hier en commission des lois par Etienne Blanc, Jacques-Alain Bénisti et le président Warsmann. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Charles de La Verpillière.

M. Charles de La Verpillière. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, la sécurité des Français est au cœur des préoccupations du Président de la République. Lutter contre le terrorisme et la délinquance, maintenir partout et en toutes circonstances l’ordre public, faire appliquer la loi républicaine, voilà les engagements que Nicolas Sarkozy a pris durant sa campagne électorale et qu’il met en œuvre depuis son élection avec le concours du Gouvernement et de sa majorité.

Nous devons donc nous donner les moyens, tous les moyens, d’une politique rigoureuse de sécurité publique. C’est pourquoi l’UMP approuve le recours aux fichiers de police informatisés. Nous ne pouvons pas, nous ne devons pas, au nom d’un « droit de l’hommisme » mal compris, nous priver des possibilités qu’offrent les technologies modernes, notamment l’informatique et internet.

La police et la gendarmerie ne peuvent travailler en aveugle. Il s’agit de permettre la répression mais aussi la prévention des infractions. Un policier, un gendarme a besoin de pouvoir consigner et consulter des informations et de le faire en toute légalité.

Ce cadre légal a toutefois besoin d’être modernisé et précisé. En effet, trente ans se sont écoulés depuis l’adoption de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. La France avait alors fait œuvre de pionnier. Un important travail jurisprudentiel a été accompli sur cette base par la commission nationale de l’informatique et des libertés.

Pour autant, des incertitudes et des imprécisions demeurent, comme l’a montré, par exemple, l’affaire du fichier EDVIGE. C’est pourquoi la commission des lois de l’Assemblée nationale avait confié une mission d’information à nos collègues Delphine Batho et Jacques-Alain Bénisti. À partir de l’excellent rapport qu’ils ont remis le 24 mars 2009, une proposition de loi a été rédigée puis adoptée, le 16 juin 2009, par la commission des lois.

Depuis, le contexte a évolué.

D’une part, le Gouvernement a créé par décret du 18 octobre 2009, comme l’y autorisait la loi du 6 janvier 1978, deux fichiers concernant respectivement la prévention des atteintes à la sécurité publique et les enquêtes administratives liées à la sécurité publique, qui viennent se substituer à l’ancien fichier des renseignements généraux.

D’autre part, et surtout, sous l’impulsion de Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois, le point de vue du Gouvernement et celui de la commission des lois se sont rapprochés. Au terme de ce qu’il faut bien appeler un processus de coproduction législative, le Gouvernement accepte désormais de modifier la loi de 1978 et de mieux encadrer la création des fichiers de police.

Les réflexions menées en commun ont d’ailleurs révélé la rédaction parfois trop imprécise et imparfaite de la proposition de loi adoptée par la commission des lois, notamment de son article 5, et débouché sur de nouvelles propositions.

Dans ce contexte nouveau, le groupe UMP regrette que les socialistes aient voulu s’approprier le travail de la commission des lois et qu’ils aient inscrit à l’ordre du jour qui leur est réservé une proposition de loi encore imparfaite dans le seul but de réaliser ce qu’il faut bien appeler un coup politique.

Le groupe UMP n’accepte pas cette façon de faire. Nous pensons que les dispositions relatives aux fichiers de police qui font consensus seront plus efficaces et plus rapidement adoptées en étant insérées dans la proposition de loi d’amélioration de la qualité du droit et de simplification présentée par le président Warsmann, dont l’examen a débuté hier en commission des lois. À cet effet, notre collègue Jacques Alain Bénisti a déposé sur cette proposition de loi de M. Warsmann un certain nombre d’amendements dont nous soutiendrons, le moment venu, l’adoption.

De la même façon, parce qu’elles nécessitent encore d’être améliorées et travaillées, d’autres dispositions trouveront naturellement leur place dans la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, dite LOPSI 2, que nous examinerons au mois de février2010.

Dans ces conditions, le groupe UMP votera contre la proposition de loi qui nous est soumise.

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République . Monsieur le président, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence du président de la commission des lois, Jean-Luc Warsmann, qui m’a demandé de bien vouloir le représenter.

En préambule, je tiens à souligner que les points qui réunissent l’ensemble des bancs de cette assemblée et le Gouvernement sur la question des fichiers sont beaucoup plus nombreux que ceux qui les séparent. Il n’y a donc pas de sujet majeur de désaccord entre nous mais la volonté commune d’améliorer la réglementation et la législation sur les fichiers de police en ayant à l’esprit deux principes: l’efficacité et la rapidité.

Après M. le secrétaire d’État et M. de la Verpillère, je tiens à rendre hommage au travail effectué par la commission. Je me félicite que la mission d’information sur les fichiers de police ait pu travailler dans un esprit de consensus non réducteur mais positif. À cet égard, je salue l’excellent travail effectué par Delphine Batho et Jacques Alain Bénisti. Le rapport d’information a été voté sans difficulté par la mission d’information puis adopté à l’unanimité par la commission des lois. C’est à partir de ce rapport qu’un travail approfondi a pu être mené, travail dont nous souhaitons qu’il aboutisse au plus tôt.

Je rappelle aussi, afin que les choses soient très claires – et Mme Batho le sait très bien –, que beaucoup de sujets font l’objet de propositions de loi qui sont cosignées par nombre d’entre nous. Elles marquent une volonté politique de soutien du Parlement et de ses membres à certaines initiatives. Il est d’ailleurs fréquent que ces propositions de loi soient ensuite transformées, dans un souci d’efficacité, à l’initiative de ces mêmes députés et souvent en relation étroite avec le Gouvernement, en amendements d’un texte législatif proposé par ce dernier et deviennent ainsi articles de loi de la République. Tel est le cas en l’occurrence. En effet, j’ai entre les mains huit amendements de M. Bénisti, portant sur la proposition de loi du président Warsmann relative à la simplification du droit.

Depuis la publication du rapport d’information au mois de mars dernier et le dépôt de la proposition de loi de Mme Batho et M. Bénisti, les choses ont évolué en raison de la publication des deux décrets dont on vient de parler. Chacun peut en penser ce qu’il veut sur le fond, mais ils existent. Or les dispositions prévues aux articles 17 et 18 de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui sont contraires à ces deux décrets. L’adoption en l’état de ces deux articles poserait un problème d’incompatibilité entre des dispositions législatives qui viendraient se surajouter en les contredisant et des dispositions réglementaires.

Comme le précise Jacques Alain Bénisti, l’un des articles de la proposition de loi de M. Warsmann relative à la simplification du droit reprend les éléments constitutifs des articles 2 et 3 du texte dont nous discutons aujourd’hui. Il y a donc déjà intégration partielle dans un texte de loi, dont l’examen a commencé et qui aboutira rapidement, d’un certain nombre d’éléments qui figurent dans le texte qui nous est soumis aujourd’hui.

Si nous adoptons en l’état le texte présenté par Delphine Batho et Jacques Alain Bénisti, le risque est grand que la procédure prenne un peu de temps, puisque le Gouvernement nous a confirmé que certains points faisaient l’objet de désaccords. En revanche, les dispositions proposées par M. Warsmann dans le cadre de la proposition de loi relative à la simplification du droit et les huit amendements de M. Bénisti, qui ont fait l’objet d’un complément de dialogue avec le Gouvernement, sont susceptibles d’être adoptés rapidement. Ainsi, nous pourrions bénéficier de ce véhicule qu’est la proposition de loi de M. Warsmann, dont l’adoption va plus vite et dont le résultat est mieux garanti.

Un certain nombre d’éléments de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui sont repris, parfois à l’identique, par les huit amendements de M. Bénisti. Ces amendements, feront l’objet d’un examen en commission, puis en séance, dans le cadre de la proposition de loi relative à la simplification du droit dont le rapporteure est Étienne Blanc.

J’ajoute qu’il y a eu une analyse plus fine que précédemment en ce qui concerne le choix du meilleur véhicule législatif pour certains articles. Ainsi, les articles 14, 19 A, 19 et 20 du présent texte pourraient se retrouver en contradiction ou en concurrence avec des éléments qui peuvent figurer dans la LOPSI 2. C’est la raison pour laquelle nous pensons, avec le Gouvernement, que tous ces éléments auraient plus leur place dans la LOPSI 2 qui sera examinée très prochainement par notre assemblée.

L’article 5 a été évoqué aussi bien par M. le secrétaire d’État que par Mme Batho. Au nom du président Warsmann et de la commission, j’indique qu’il était apparu, à la réflexion, qu’une nouvelle rédaction était probablement préférable. Certes, cette rédaction semble aller moins loin que celle initialement proposée, mais elle clarifie les choses. Du reste, ce n’est pas une surprise puisque, en clarifiant, elle permet de simplifier et, à ce titre, se trouve mieux armée pour figurer dans la proposition de loi relative à la simplification du droit.

Ainsi, l’idée simple, mais utile et efficace dans ses applications, serait que la loi fixe les catégories de fichiers, ce qui est déjà une avancée très importante, le Gouvernement ayant à sa charge de définir les fichiers qui rentreraient dans ces catégories. Et s’il advenait que le Gouvernement eût l’idée de proposer un fichier qui n’entre pas dans l’une de ces catégories, il lui reviendrait de proposer, par la loi, la création d’une catégorie supplémentaire pour pouvoir y intégrer le fichier correspondant.

De toute façon, il était nécessaire de modifier l’article 5, ce qui n’était pas gagné d’avance, le principe consistant à autoriser les fichiers de police ayant été retenu dans la loi. Cela correspond au texte qui nous est soumis aujourd’hui. Or de très nombreux fichiers existent déjà qui ont été créés sans autorisation explicite. Alors qu’ils ont fait la preuve de leur efficacité et de leur pertinence, ils deviendraient hors la loi, ce qui poserait un problème difficile à résoudre.

Ne voyez dans mes propos nulle volonté de mettre quiconque en porte-à-faux, mais seulement celle de faire en sorte que le travail de la commission et celui de Mme Batho et M. Bénisti dont nous devons saluer la qualité soient menés à leur terme, en relation et en cohérence avec la volonté du Gouvernement, de la manière la plus appropriée, la plus rapide et la plus efficace.

C’est la raison pour laquelle je ne peux que dire aujourd’hui, au nom de la commission, que nous rejoignons, à la fois par notre analyse et les initiatives que nous prenons, la volonté exprimée par le Gouvernement, corroborée par la position de la majorité, qui conduira à ce que l’adoption, mardi prochain, de la présente proposition de loi, soit probablement écartée au profit de l’inscription rapide dans la loi des dispositions qui le méritent, et que nous retrouverons dans le cadre de l’examen du texte relatif à la simplification du droit ou dans la LOPSI 2 que nous examinerons au printemps prochain.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Delphine Batho, rapporteure . Si j’ai bien compris, il s’agit d’un enterrement en grande pompe sur ordre du Gouvernement. J’admire le numéro d’équilibriste auquel nous avons assisté. À un moment, je me suis demandé si la majorité était divisée ou si elle était schizophrène.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois . Ni l’une, ni l’autre!

Mme Delphine Batho, rapporteure . La proposition de loi que j’ai présentée n’est pas une proposition de loi du groupe socialiste. Si tel avait été le cas, elle n’aurait pas été rédigée de cette façon. En effet, je ne suis pas sûre que le fichage des mineurs à partir de treize ans dans les fichiers de renseignement aurait été inscrit dans ce texte ni que l’élargissement des fichiers de rapprochement par rapport à la délinquance sérielle aurait été écrit dans les mêmes termes. Et je pourrais dresser une liste plus longue.

Cette proposition de loi a été rédigée après que nous sommes allés sur le terrain, au plus près des professionnels, des policiers, des gendarmes, en écoutant les associations de défense des droits de l’homme. Aussi, les propos caricaturaux du secrétaire d’État n’ont-ils pas leur place et ne correspondent-ils pas à notre état d’esprit.

Cela étant je souhaite rectifier quelques inexactitudes. D’abord, le groupe socialiste avait voté l’article 2 de la LOPSI en 2002. Ensuite, il n’avait pas voté, en 2006, contre la loi relative à la lutte contre le terrorisme. Enfin, monsieur Geoffroy, une loi n’est jamais rétroactive.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois . La loi pénale n’est jamais rétroactive mais les autres peuvent l’être!

Mme Delphine Batho, rapporteure. Non! La loi, n’étant jamais rétroactive, elle ne remet pas en cause l’existence des outils dont disposent aujourd’hui les policiers et les gendarmes, dont le quart n’a aucune base juridique.

Vous avez par ailleurs abordé, monsieur le secrétaire d’État, l’intéressant épisode du décret Rocard sur le fichier des renseignements généraux de 1990, devenu le décret Cresson en 1991.

D’un certain point de vue, la situation fut la même, sous un gouvernement socialiste cette fois, que celle que nous avons connue avec le décret sur le fichier EDVIGE. Le gouvernement socialiste avait voulu donner une existence règlementaire à un fichier qui n’en avait pas, celui des renseignements généraux. Un premier décret avait été pris, avant d’être retiré au bout de trois jours par le gouvernement Rocard suite à une levée de boucliers de toutes les associations de défense des droits de l’homme. La commission consultative des droits de l’homme avait alors engagé une réflexion qui avait abouti au décret du 14 octobre 1991. Au vu de cette situation, nous nous sommes bien entendu interrogés: devions-nous revenir au décret de 1991 ou modifier notre conception? S’agissant en particulier des fichiers de renseignements, nous avons une conviction profonde: l’intervention du législateur est nécessaire.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois . Personne ne vous dira le contraire.

Mme Delphine Batho, rapporteure. Une démocratie adulte, une démocratie mâture, assume les pouvoirs qu’elle donne à ses services de renseignements. Elle sait qu’ils doivent détenir des fichiers et elle débat en toute transparence et clarté de leur contenu. Voilà qu’elle était notre conception. C’est pourquoi on ne peut vendre à la découpe la proposition de loi Batho-Bénisti; on ne peut pas en reprendre des petits bouts après en avoir ôté le cœur: les articles 17 et 18 ainsi que l’article 5. Pourquoi les articles 17 et 18? Parce que le fait que le fichier des services d’information générale remplace celui des renseignements généraux est la première illustration de la volonté du Parlement de s’emparer de cette question, à la place du pouvoir règlementaire.

Pardonnez-moi d’insister, mais nous n’aurions pas connu toutes ces défaillances consécutives à la réforme des services de renseignements si vous aviez suivi les propositions contenues dans notre rapport de mars et appelant à la mise en place de mesures urgentes, et si la proposition de loi avait été votée en juin comme elle aurait dû l’être. Ne tirez pas aujourd’hui prétexte du temps que prendrait l’élaboration d’une loi. Au contraire, si vous aviez suivi nos recommandations, vous n’en auriez pas perdu. Donc, première chose, il n’est pas possible de séparer cette volonté de légiférer de la question des fichiers de renseignements.

Par ailleurs, l’article 5 est bel et bien au cœur du dispositif. Quant à l’amendement déposé en catimini – il faut croire que, finalement, l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de loi par le groupe socialiste a tout de même des vertus: avoir fait surgir des amendements dans la proposition de loi relative à la simplification du droit – et qui réécrit complètement l’article 5 en prévoyant que toute nouvelle création de fichier doit se faire par voie législative, dénature cette proposition et aboutit à l’inverse de ce que l’on souhaitait.

La confusion la plus totale règne ainsi entre les finalités, mais aussi entre la finalité d’un fichier et la catégorie alors que les catégories étaient, pour nous, clairement définies: ce n’était pas simplement une finalité, c’était aussi un type de personne, une durée de conservation, un type de destinataire du fichier etc. Je ne vais pas développer les arguments techniques, mais l’on voit bien que la proposition est complètement dénaturée.

Chers collègues, vous prenez aujourd’hui la responsabilité de briser un consensus patiemment construit. Or un consensus est toujours très fragile. Nous nous sommes efforcés, quant à nous, de préserver ce consensus jusqu’au bout. Vous prenez là une lourde responsabilité et je crains que nous ne vous en mordiez les doigts à terme, tant le sujet est sensible. Rappelez-vous combien fut forte la mobilisation contre le fichier EDVIGE, à tel point que même le ministre de la défense s’était exprimé sur le sujet. Le fait que 200000 citoyens signent une pétition vous avait peut-être surpris, mais je crains que ce décret Hortefeux ne soulève la même opposition.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Le Gouvernement demande la réserve du vote sur les articles et les amendements en discussion.

Discussion des articles

M. le président. J’appelle la discussion des articles de la proposition de loi dans le texte de la commission.

En application de l’article 96 du Règlement, le Gouvernement demande la réserve des votes. La réserve est de droit.

Articles 1 er et 2

M. le président. Les votes sur les articles 1 er et 2 sont réservés.

Article 3

M. le président. L’amendement n° 1 n’est pas défendu. Le vote sur l’article 3 est réservé.

Articles 3 bis et 4

M. le président. Les votes sur les articles 3 bis et 4 sont réservés.

Article 5

M. le président. L’amendement n° 2 n’est pas défendu.

Le vote sur l’article 5 est réservé.

Articles 6 à 20

M. le président. Les votes sur les articles 6 à 20 sont réservés.

Nous avons achevé l’examen des articles de la proposition de loi. La suite de la discussion de ce texte aura lieu mardi 24 novembre après les questions au Gouvernement.

Régulation de la concentration dans les médias

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de ses collègues visant à réguler la concentration dans le secteur des médias ( n° 1958).

La parole est à M. Patrick Bloche, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation.

M. Patrick Bloche, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Il me revient aujourd’hui de rapporter sur la proposition de loi déposée par le groupe socialiste, radical et citoyen, et visant à réguler la concentration dans les médias. Ce n’est pas la première fois que, dans cet hémicycle, nous abordons cette question. Je rappelle pour mémoire que les deux lois fondatrices, si j’ose ainsi m’exprimer, de 1986 – audiovisuel et presse – ont été modifiées en vingt-trois ans soixante fois pour l’audiovisuel et neuf fois pour la presse.

Que recherchons-nous lorsque nous voulons réguler le secteur de l’audiovisuel ou de la presse écrite, sinon garantir la liberté de communication à laquelle nous sommes tous attachés puisqu’elle fonde notre État de droit et la démocratie dans notre pays? Encore faut-il que cette liberté d’expression et de communication soit effective.

Nous savons, les uns et les autres, qu’elle est portée par le bel article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, repris par nombre de textes à valeur constitutionnelle et par des conventions internationales. Encore récemment, le Conseil constitutionnel y faisait explicitement référence pour censurer la loi HADOPI dans une décision considérée par les constitutionnalistes comme historique, celle du 10 juin dernier.

Qui dit liberté de communication dit, en corollaire, indépendance des médias et pluralisme de l’expression politique comme de l’information.

L’indépendance des médias ne saurait être un vain mot, d’autant qu’ils sont véritablement devenus un quatrième pouvoir. Or, depuis deux ans et demi, la gouvernance de l’actuel Président de la République permet de moins en moins de garantir la séparation des pouvoirs qui protège l’indépendance et l’autonomie de notre assemblée. Nous l’avons encore constaté ce matin lorsque le Gouvernement, sur des propositions de loi déposées et défendues par l’opposition, a usé de la procédure des votes bloqués. L’indépendance de la justice, celle des médias sont tout autant mises à mal.

Le pluralisme de l’information, de l’expression politique, est en cause. J’en profite, puisque le groupe SRC en avait pris l’initiative, pour me réjouir à nouveau de la décision du Conseil d’État, reprise, par obligation, par le conseil supérieur de l’audiovisuel, et visant à décompter le temps de parole du Président de la République lorsqu’il s’exprime sur des sujets nationaux, dans le temps de parole des représentants des différents courants politiques concourant à l’expression de la démocratie dans notre pays.

De même, je pense que la proposition de loi que je suis amené à rapporter est avant tout le fruit de ce qui caractérise essentiellement le paysage audiovisuel français, dit « PAF » à une certaine époque, mais aussi la presse écrite dans notre pays. La France présente cette particularité, que l’on retrouve d’ailleurs en Italie, de ne pas avoir de « Murdoch », c’est-à-dire de grand groupe multimédias dont le seul métier serait la communication. Nous avons en revanche de grands groupes industriels et financiers dont le cœur de métier est souvent éloigné des métiers de la communication et qui possèdent les grands titres de la presse écrite, mais aussi les grands médias, qu’il s’agisse de la radio ou de la télévision.

Malheureusement, certains de ces groupes, pas tous, dont le cœur de métier, je le répète, n’est pas la communication – vous les connaissez: Arnault, Bolloré, Bouygues, Lagardère, Dassault, Pinault –, sont amenés à vivre des commandes de l’État, donc des marchés publics. Du coup, une relation, un lien coupable, si j’ose dire, s’établit entre eux et le pouvoir exécutif, disons plutôt la puissance publique car le problème ne saurait concerner uniquement l’État.

Les états généraux de la presse s’en étaient d’ailleurs inquiétés. Les journalistes avaient ainsi, le 24 novembre 2008, il y a à peine un an, lancé un appel au théâtre de la Colline, dans le 20 e arrondissement de Paris, pour que les législateurs jouent leur rôle de régulateur.

Évidemment, parler d’indépendance des médias, d’indépendance des journalistes, ne saurait se résumer à la question dont nous allons traiter cet après-midi. L’indépendance des équipes rédactionnelles, par exemple, est un sujet essentiel qui nécessitera sans doute que nous tenions notre rôle.

Il reste que, aujourd’hui, s’agissant de la concentration des médias dans notre pays, il ne s’agit pas de revenir sur les seuils définis voici quelques années, les fameux 49 % pour l’audiovisuel et 30 % pour la presse écrite, peut-être parce que TF1 n’occupe plus aujourd’hui la position dominante en termes d’audience qui était la sienne il y a une dizaine d’années, l’arrivée d’internet, la concurrence des chaînes de la TNT conduisant à une répartition plus équilibrée de l’audience, faisant ainsi vivre la diversité. Qui pourrait s’en plaindre?

De ce fait, nous nous trouvons dans une situation très franco-italienne, en présence de groupes industriels et financiers vivant des commandes de l’État et possédant de grands médias.

Sans doute, ailleurs qu’en France – je pense aux pays anglo-saxons –, parlerait-on spontanément de conflit d’intérêts.

Le problème est également la manière dont le pouvoir est exercé depuis deux ans et demi. Le décompte du temps de parole, tel qu’il résulte des décisions du Conseil d’État et mis en œuvre par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, est bien une question d’actualité tant les interventions du Président de la République Nicolas Sarkozy dans les médias sont sans commune mesure avec celles de ses prédécesseurs.

Avant d’être élu, Nicolas Sarkozy, plus et mieux que d’autres, a su se constituer un réseau étroit d’amis. Certes, ce ne sont pas ses amitiés qu’on lui reproche, même s’il a su, de manière assez honnête et visible, les mettre en avant le soir de son élection, le 6 mai 2007. C’est la fameuse liste des invités de Mme Cécilia Sarkozy au Fouquet’s, que j’ai annexée au rapport que j’ai l’honneur de vous présenter.

M. Daniel Spagnou. Pourquoi donc, alors que vous-même venez de parler d’« honnêteté »?

M. Patrick Bloche. De là, les échanges de services, les relations coupables qui interpellent de nombreux citoyens et de nombreux démocrates.

Ainsi, le directeur de Paris Match se fait « vider » à cause de la parution d’une photo ayant déplu à l’Élysée. Le directeur du Journal du dimanche se fait lui aussi évincer pour une indiscrétion dont la révélation n’a pas plu à l’Élysée. M. Laurent Solly, après avoir été directeur adjoint de la campagne de Nicolas Sarkozy, occupe désormais une responsabilité essentielle à la tête de TF1. Je pourrai citer d’autres exemples de ce type.

Rappelez-vous cet incident, lorsque nous avons examiné le projet de loi HADOPI: M. Bourreau-Guggenheim, un grand cadre de TF1 chargé des questions relatives à internet s’est adressé, en tant que citoyen, à Mme Françoise de Panafieu, députée du 17 e  arrondissement où il habite, pour lui exprimer son hostilité à ce texte. Mme de Panafieu a transmis ce courriel à Mme Albanel, alors ministre de la culture et de la communication et, bien que le courriel soit considéré comme une correspondance privée, ledit message peu amène à l’égard du projet HADOPI a été transmis à la direction de TF1 qui a licencié sur le champ M. Bourreau-Guggenheim!

Le temps passe et je ne saurai trop solliciter votre patience, chers collègues, mais laissez-moi encore vous demander si l’on peut contester le fait que le Livre blanc de TF1, paru à la fin de 2007, soit à l’origine de l’annonce par le Président de la République, le 8 janvier 2008 à l’occasion de ses vœux à la presse, de la suppression de la publicité dans l’audiovisuel public!

De la même manière, au mois de septembre, sans doute après un coup de fil de M. Martin Bouygues, le Président de la République, tout à coup, alors que le processus était lancé, s’interrogeait sur la réelle nécessité d’avoir un quatrième opérateur de téléphonie mobile – l’opérateur Free est a priori le mieux placé. Tout cela parce que cela déplaisait aux opérateurs en place et à Bouygues Télécom en premier lieu!

Il convient, en outre, de relier très directement la présente discussion à la demande par le groupe SRC de la constitution d’une commission d’enquête, demande déjà examinée par la conférence des présidents et prochainement par le bureau de l’Assemblée et par la commission des lois mardi prochain. Au-delà de la quantité des sondages commandés par la Présidence de la République – plus de trois par semaine –, au-delà des suspicions de surfacturation dont Jean Launay, rapporteur spécial de la commission des finances, reprenant les travaux de la Cour des comptes, s’est largement fait l’écho, ce qui nous interpelle, c’est que ces sondages aient été complaisamment publiés dans des médias amis – LCI et TF1 pour ne pas les citer –, l’un appartenant au groupe Dassault, l’autre au groupe Bouygues.

On ne manquera pas de souligner que l’organisation Reporters sans frontières a publié récemment un classement mondial des pays en fonction de leur respect de la liberté de la presse. Que nous siégions à gauche de l’hémicycle ou bien à droite…

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire . Vous n’êtes pas bien nombreux!

M. Daniel Spagnou. Il n’y a personne à gauche!

M. Patrick Bloche. Chers collègues, s’il n’y a personne, c’est bien parce que nous nous trouvons dans la situation…

M. Daniel Spagnou. Que vous avez provoquée!

M. Patrick Bloche. …où les élus du groupe SRC, plus à l’aise que vous en la matière, essaient tout simplement de faire en sorte que le Parlement existe face à un hyperprésident qui, dans le domaine que nous évoquons en ce moment tout comme en ce qui concerne l’activité législative, viole délibérément le principe de séparation des pouvoirs.

M. Jean-Marc Roubaud. Ce n’est pas comme cela qu’il va exister!

M. Daniel Spagnou. Pour vous, de toute façon, il n’y a que le Président de la République!

M. Patrick Bloche. On nous a vendu une révision constitutionnelle, on a réformé le règlement de l’Assemblée nationale. Alors qu’une journée est intégralement consacrée à l’examen de trois propositions de loi socialistes, la seule réponse du Gouvernement, dès ce matin, par la voix de Mme Bachelot, a été celle du vote bloqué. Comprenez que nous ayons décidé de boycotter cette séance! Pour ma part, si je me trouve à cette tribune, c’est parce que je remplis ma mission de rapporteur de la commission.

Je reviens à mon propos. Pouvons-nous nous satisfaire du fait que la France qui, en matière de liberté de la presse, occupait la onzième place dans le monde en 2002, ait rétrogradé en 2009 à la quarante-troisième place? Songez que l’Italie de Berlusconi ne se situe pas loin derrière, à la quarante-neuvième position…

Cette proposition de loi vise tout simplement à assurer l’indépendance des médias, le pluralisme de l’information et de l’expression politique; à garantir la possibilité pour les journalistes de faire leur travail avec un minimum d’indépendance; à mettre un terme à des conflits d’intérêts inacceptables. Il s’agit tout simplement, dans le domaine si sensible de la liberté d’expression, que l’Italie de Nicolas Sarkozy (Sourires) , pardon, la France de Nicolas Sarkozy ne ressemble pas à l’Italie de Silvio Berlusconi.

Vous avez une chance à saisir et j’espère que vous la saisirez.

M. Daniel Spagnou. Certainement pas!

M. Patrick Bloche. Malgré mes tentatives pour convaincre mes collègues de la majorité au sein de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, je me dois, en tant que son rapporteur, de vous indiquer qu’elle a rejeté les deux articles de cette proposition.

M. le président. La parole est à M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication.

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, chère Michèle Tabarot, monsieur le rapporteur, cher Patrick Bloche, mesdames et messieurs les députés, vous connaissez tous cette phrase célèbre attribuée à Voltaire: « Gardez-moi de mes amis; quant à mes ennemis, je m’en charge ». Ce que veut dire le philosophe, ce qu’il nous rappelle dans cette formule aussi lapidaire que paradoxale, c’est qu’il y a des amis qui manquent parfois un peu d’adresse ou d’à-propos – ce sont d’ailleurs souvent les plus démonstratifs – et qu’ils s’avèrent parfois même plus dangereux, bien plus dangereux que des adversaires!

Pourquoi cette phrase me vient-elle à l’esprit? Vous vous en doutez, je pense. Et pour commencer, vous imaginez bien que ce n’est pas des amis ou des ennemis de Voltaire qu’il s’agit, ni des miens d’ailleurs, mais bien des vrais-faux amis des médias. Oui, car je crois qu’aujourd’hui, les grands amis ostentatoires des médias et de la liberté d’expression lui préparent, en voulant bien faire sans doute et montrer leur bonne volonté, un vrai-faux cadeau, voire un cadeau empoisonné. L’enfer, même le plus laïque, peut être pavé de bonnes intentions.

Sur les principes, nous sommes d’accord: bien sûr, nous sommes, en quelque sorte, des « amis ». La nécessité de sauvegarder le pluralisme des courants de pensées et d’opinion est clairement « une des conditions de notre démocratie » et c’est, en droit, un « objectif de valeur constitutionnelle », comme le rappelle régulièrement le Conseil constitutionnel. C’est pourquoi le législateur a défini, dans les lois relatives à la presse et à la liberté de communication, un ensemble de règles qui visent à limiter la concentration des médias et à assurer leur indépendance. Ces règles sont d’ailleurs largement issues de décisions du Conseil constitutionnel qui a guidé le législateur dans la détermination de normes pertinentes.

Or, comme si ces garanties n’étaient pas déjà savamment construites par nos plus hautes législations, vous nous proposez aujourd’hui de compléter ce dispositif – désir d’amélioration toujours légitime, après tout. Il conviendrait, selon vous, d’empêcher tout acteur privé qui entretient des relations économiques avec la puissance publique de bénéficier d’une nouvelle autorisation de diffusion par voie hertzienne terrestre ou d’acquérir une publication imprimée d’information politique et générale. L’intention peut évidemment sembler louable.

Eh bien, je ne vous cache pas que je suis en total désaccord avec cette proposition. Je le suis pour des raisons techniques et économiques que je vais vous exposer, mais aussi et surtout, je dois le dire, pour des raisons éthiques. L’enfer, certes relatif, mais bien réel, que vous préparez pour les médias, est fait, plus que de bonnes intentions, de « pavés dans la mare » que vous croyez jeter au Gouvernement, mais que vous jetez en fait contre la presse et la liberté d’expression.

Techniquement, votre proposition soulèverait d’importantes difficultés, sur lesquelles je ne m’attarderai pas, comme la collecte de l’information, qui nécessiterait des investigations approfondies. Pour l’audiovisuel, cela impliquerait un alourdissement de la tâche du Conseil supérieur de l’audiovisuel au détriment de ses autres missions. Pour le secteur de la presse, qui n’est pas doté d’une instance de régulation, qui devrait se charger de ces lourdes recherches? Votre proposition de loi est muette sur ce point.

Quant aux difficultés liées au contrôle du respect du dispositif, pour l’audiovisuel, il appartiendrait au CSA d’y veiller mais, pour la presse, cela devrait-il relever du juge pénal? La proposition de loi ne comporte, là non plus, aucune précision.

M. Jean-Marc Roubaud. Elle ne comporte rien!

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture . Je note que, s’agissant de la presse écrite, votre proposition ne concerne que la presse imprimée sur support papier, à l’exclusion de la presse sur support numérique, aujourd’hui pourtant en pleine expansion.

Mais ces obstacles techniques ne sont peut-être pas l’essentiel, et votre si grande amitié pour les médias trouverait sans doute tous les moyens de les lever. L’essentiel, c’est que votre proposition soulève, à mes yeux, plusieurs difficultés d’ordre économique, éthique et politique.

Je ne partage pas votre idée selon laquelle les liens financiers entre un actionnaire et une collectivité publique porteraient atteinte, en eux-mêmes, à l’indépendance d’un média. On ne saurait considérer, par exemple, que les télévisions locales, qui sont nombreuses à bénéficier de financements publics pour compenser leurs sujétions particulières de service public, soient dépendantes des collectivités. La procédure actuelle, traditionnelle, a fait ses preuves: c’est au Conseil supérieur de l’audiovisuel qu’il appartient d’adopter les garanties qui s’imposent, dans le cadre des conventions qu’il conclut avec ces chaînes.

D’ailleurs, à supposer que votre approche soit la bonne, pourquoi refuser à une télévision ce que vous admettriez pour la radio avec les aides du fonds de soutien à l’expression radiophonique, qui n’entrent pas dans votre dispositif puisque celui-ci ne concerne pas les associations? Par principe, les associations seraient-elles toutes indépendantes à vos yeux?

De même, devrait-on mettre fin au groupement d’intérêt public France Télé Numérique, qui associe l’État et les chaînes analogiques pour gérer au mieux la transition vers la télévision tout numérique, au simple motif que ses membres pourraient être considérés comme bénéficiaires des campagnes d’information diffusées par ce même groupement? Ce serait, vous me l’accorderez, plutôt absurde.

En ce qui concerne la presse, vous savez qu’elle bénéfice d’aides directes et indirectes de l’État, réparties selon des critères objectifs, un système qui permet à la fois de répondre aux nécessités économiques du secteur et d’en préserver l’indépendance et le pluralisme.

Enfin, en admettant même que la présence dans les médias d’actionnaires entretenant des relations économiques significatives avec la puissance publique puisse constituer un risque pour l’indépendance desdits médias, la proposition de loi ne règlerait cette difficulté qu’à très long terme, puisqu’elle ne permettrait pas de remettre en cause les situations existantes. Il est en effet très probable, au regard des exigences du Conseil constitutionnel, que votre texte ne pourrait prendre en compte que les opérations à venir; il n’aurait donc aucune portée réelle sur les situations qu’il entend combattre.

Soyons réalistes: qu’on le veuille ou non, les grandes entreprises vivent nécessairement pour partie de commandes publiques. Faut-il pour autant leur intenter une sorte de procès en sorcellerie? Ces entreprises doivent obéir à des règles de transparence et de libre concurrence, lesquelles sauvegardent l’équilibre général. Dans cette affaire comme dans les autres – loi HADOPI ou affaire entre Google et la BNF –, notre maître mot est encore et toujours la régulation, c’est-à-dire une manière respectueuse et efficace d’être vraiment l’ami de la société et de son dynamisme économique et culturel.

De fait, les outils de régulation propres à chaque type de médias permettent de veiller au respect de leur indépendance. Aux termes de l’article 19 de la loi du 30 septembre 1986, le CSA dispose de pouvoirs d’enquête étendus aux actionnaires des diffuseurs pour « toutes les informations sur les marchés publics et délégations de service public pour l'attribution desquels ces personnes ou une société qu'elles contrôlent ont présenté une offre au cours des vingt-quatre derniers mois ». En outre, la loi fait obligation au CSA, dans les autorisations qu'il délivre, de tenir compte des dispositions envisagées par le candidat « en vue de garantir le caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion, l'honnêteté de l'information et son indépendance à l'égard des intérêts économiques des actionnaires, en particulier lorsque ceux-ci sont titulaires de marchés publics ou de délégations de service public ». Enfin, dans les conventions qu'il conclut avec les chaînes, le CSA doit prendre toute disposition pour garantir l'indépendance des éditeurs « à l'égard des intérêts économiques des actionnaires, en particulier lorsque ceux-ci sont titulaires de marchés publics ou de délégations de service public »; cela vaut d'ailleurs également pour les chaînes du câble et du satellite.

En matière de presse, la loi du 1 er  août 1986 soumet les entreprises éditrices à des règles de transparence, notamment en ce qui concerne leur actionnariat, et ces règles doivent être prochainement renforcées, conformément aux orientations arrêtées par le Président de la République à l'issue des états généraux de la presse écrite.

Enfin, la plupart des entreprises de presse disposent de chartes internes, dites de déontologie, qui garantissent l'indépendance des rédactions vis-à-vis des actionnaires, et les travaux du Comité des sages dirigé par Bruno Frappat sur la déontologie des journalistes ont abouti, le 27 octobre dernier, à l'élaboration d'un projet de code de déontologie. Ce texte attendu rappelle notamment que « l’indépendance du journaliste [est la] condition essentielle d'une information libre, honnête et pluraliste ». Les partenaires sociaux du secteur doivent maintenant se saisir de ce projet de code et lui réserver les suites appropriées.

Dans un contexte technologique et économique particulièrement difficile et instable, les entreprises du secteur des médias doivent pouvoir s'appuyer sur des actionnaires solides et bénéficier de la plus grande souplesse, ainsi que d'une totale sécurité juridique dans leurs opérations capitalistiques. La France a besoin d'entreprises de médias économiquement fortes si nous voulons que ces entreprises pèsent dans un marché mondial très ouvert, très concurrentiel et largement dominé par des acteurs anglo-saxons. Les groupes français de l'audiovisuel ou de la presse sont nettement sous-dimensionnés face aux géants News Corporation, NBC Universal – qui, de surcroît, est en train de fusionner avec le premier opérateur du câble américain Comcast –, Time Warner et bien entendu Google. Nos entreprises doivent être confortées sur le marché national pour conquérir des positions ailleurs en Europe et dans le monde; car, s'il est vrai que l’on a toujours besoin d'un plus petit que soi, il n’est pas moins vrai que la raison du plus fort est, hélas, souvent la meilleure.

Avec des mesures aussi contraignantes que celles que vous nous proposez aujourd'hui, nous n’aurions qu'une seule assurance: celle qu’aucune entreprise française de médias ne pourrait financer son développement grâce aux fonds investis par des actionnaires industriels. Le résultat ne ferait aucun doute: nos entreprises s’en trouveraient marginalisées au niveau mondial. Si votre intention est réellement de garantir le pluralisme des médias et de défendre la liberté d'expression, laissez-moi vous dire que vos actes auraient l'effet contraire de celui que vous prétendez rechercher.

M. Jean-Marc Roubaud. Ça, c’est sûr!

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture . Si vos propositions étaient retenues, elles feraient le lit de l'opacité et nous ramèneraient à l'ère du soupçon, celle de l'influence politique. Qui pourrait alors investir dans les médias? Les collectivités territoriales? L’État? Est-ce cela dont vous rêvez? Le retour à un paysage audiovisuel nationalisé, totalement contrôlé par l’État? Vous dites vouloir défendre la démocratie mais, avec cette proposition de loi, vous ne feriez que porter atteinte à la liberté. Oui, je le pense et je vous le dis: le texte que vous proposez est finalement liberticide. Il organise un retour en arrière de plus de vingt-cinq ans; il nous renverrait à cette période d'avant les radios libres, d’avant la première chaîne à péage, d’avant les chaînes privées gratuites. Bref, à l’heure de la TNT, vous entendez nous renvoyer à l’âge de l’ORTF. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Le gouvernement auquel j'ai l'honneur d'appartenir est celui qui a garanti l'avenir de la télévision publique en la libérant de la course à l'audimat immédiat et de la recherche convulsive de la recette publicitaire. C'est ce même gouvernement qui a permis la consolidation de la production et de la création audiovisuelles patrimoniales en renforçant les obligations de financement des chaînes de télévision. C'est aussi cette majorité qui a lancé la TNT, la télévision numérique pour tous et pour chacun, multipliant ainsi par trois l'offre de chaînes gratuites pour tous les Français.

Je n'ose vous rappeler enfin que, suivant les conclusions des états généraux de la presse écrite, nous avons consacré des moyens sans précédent pour assurer l'avenir de la presse française. Le budget de mon ministère pour 2010 l’atteste: les aides à la presse écrite y sont en hausse de 51 %. Voilà, me semble-t-il, ce que signifie agir en véritable ami de la presse et de la liberté d'expression!

M. Frédéric Reiss. Très bien!

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture . Mais une politique ne se mesure pas uniquement à l'aune des moyens consentis; elle s'incarne aussi dans le cadre juridique et économique mis en place. Je pense, par exemple, à la création d'un statut d'éditeur de presse en ligne pour favoriser le développement de ces nouveaux acteurs qui, nés sur internet, contribuent pleinement aujourd'hui au pluralisme des expressions. Je pense aussi au code de déontologie dont je parlais tout à l'heure, code que doivent désormais s'approprier journalistes et éditeurs. Je pense enfin à l'avenir du lectorat de presse, que nous voulons garantir en initiant les plus jeunes à la lecture de quotidiens d'information politique et générale. Le succès évident de l'opération « Mon journal offert » l’atteste: nous avons eu raison d'investir pour offrir à 200000 jeunes de dix-huit à vingt-quatre ans un abonnement d'un an à l'un des soixante quotidiens qui participent à cette opération.

Dans le secteur des médias, nous avons fait le choix de conforter les acteurs par un cadre juridique adapté au développement de leur économie. Le système que vous nous proposez va à l’encontre de cet objectif: il gênerait la vie des entreprises sans apporter de réelle avancée en termes d'indépendance. Il faut en effet le rappeler: la première des garanties d'indépendance des médias, c'est un bilan sain et un compte de résultat positif.

Je veux également vous dire qu’il faut arrêter de prendre les Français pour des enfants. Votre proposition de loi part du principe que nos concitoyens ne sauraient pas choisir leurs médias ni en décrypter les messages. Quelle condescendance de votre part! Quels étranges amis vous faites!

Selon l’autre postulat de votre texte, la liberté d’expression serait menacée dans notre pays: quelle démagogie, pardon de vous le dire!

M. Jean-Marc Roubaud. C’est indigne, en effet!

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture . Il suffit de lire la presse tous les jours ou d'ouvrir son poste de radio chaque matin pour entendre que les médias, en France, sont libres et que leur expression est tout sauf uniforme ou soumise au contrôle de je ne sais quel allié présumé du pouvoir – j’en sais quelque chose! (Sourires et approbations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Les lecteurs de la presse, les téléspectateurs, les auditeurs des radios et les internautes font un choix lorsqu'ils lisent tel quotidien, regardent telle émission, visitent tel site internet ou écoutent tel programme. Ils savent très bien, en achetant Libération , qu'ils n’y trouveront pas le même angle de vue sur l'actualité que dans les pages du Figaro . Faisons confiance à leur esprit critique, à leur sens de l'analyse et à leur capacité de discerner et de disséquer l'information! Il faut donc veiller au pluralisme des expressions; le public en a besoin et notre démocratie aussi. Or laissez-moi vous dire que, pour ce faire, il faut donner à nos entreprises de médias les capacités économiques pour se développer et investir dans leur métier, qui est d'informer.

Votre proposition de loi est donc idéologique et, pour tout dire, passablement archaïque. (« Eh oui! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Regardez le monde autour de vous; considérez nos entreprises de médias dans l'univers numérique mondialisé. Pensez-vous franchement que ceux qui les menacent le plus, ce sont des actionnaires entrepreneurs ou je ne sais quel grand patronat ressuscité pour l'occasion par une opposition en mal de programme et de leader? À l'heure d'internet, ce qui fait peur, c'est de voir l'ensemble de notre économie des contenus et de l'information piratée, formatée et dévaluée par le leurre d'une gratuité fondamentalement marchande. Mon engagement et la politique que j'entends mener visent à préserver la valeur des biens culturels que la France produit, qu'il s'agisse de la musique, du cinéma, de la création audiovisuelle ou des livres. Il en va de même pour les expressions et les opinions que transmettent et défendent les médias.

Pour toutes ces raisons, je suis défavorable à la proposition de loi que vous présentez aujourd'hui, car elle ne ferait qu'affaiblir les entreprises qui participent à la vitalité du débat démocratique et à la défense de la diversité culturelle. J’évoquais, en commençant, le mot de Voltaire sur le vrai danger que représentent les faux amis, expression qui, chez les linguistes, désigne aussi des mots similaires dans deux langues mais de sens différent. De fait, j’ai un peu l’impression que, sur le sujet dont nous débattons, nous ne parlons pas tout à fait la même langue. Pour des raisons qui sont à l'évidence idéologiques, vous appelez indépendance et liberté ce qui n'est, en réalité, qu'une forme d'isolement: celui de médias coupés de réelles possibilités de financement, donc de développement. À faux amis, faux arguments et fausses raisons.

En somme, je crois qu'en faisant mine de lutter contre la « société du spectacle », vous en faites vous-mêmes le jeu, et que cette proposition de loi n'est, à bien des égards, qu'une opération de communication destinée à répandre le soupçon et à décrédibiliser le Gouvernement en prétendant aider la presse. Or ce n'est pas le Gouvernement que votre texte mettrait en danger, mais l’économie de la presse française et sa place dans la mondialisation.

M. Jean-Marc Roubaud. C’est vrai!

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture . Face à cet enfer pavé de bonnes intentions et à ces prétendus pavés dans la mare, j'aurais pu, comme je l'ai fait il y a deux jours devant vos collègues sénateurs, vous conter une fable: celle de cet ours qui, ami d’un ami des jardins, trouva bon, pour protéger ce dernier des mouches, de lui lancer un pavé, désormais appelé pavé de l’ours.

Je vous laisse le soin de méditer cette fable de La Fontaine. Je crois, en tout cas, avoir répondu à vos fausses bonnes raisons par des arguments d’un autre poids et d’une autre portée. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Franck Riester.

M. Franck Riester. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre assemblée examine cet après-midi la proposition de loi déposée par le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche visant à renforcer les règles anti-concentration dans le secteur des médias. Cette proposition de loi n’a pour objet que d’interdire aux groupes bénéficiant de commandes publiques de détenir des chaînes de télévision, comme le prévoit son article 1 er , ou des titres de presse, comme le stipule son article 2.

Ce n’est pas parce que ce texte est déposé par l’opposition que, par principe, nous y sommes hostiles, loin s’en faut. Nous sommes évidemment très attachés à la liberté de la presse et des médias. Mais nous sommes opposés à cette proposition de loi, car elle signe le retour des vieilles lunes socialistes et des idéologies contre-productives et antiéconomiques.

Rappelons-nous que les socialistes ne font que recycler une proposition de loi déposée en 2000 par la majorité socialiste de l’époque, et qui avait été jugée bien trop excessive par le ministre d’alors, Mme Trautmann. Selon ses auteurs, notre démocratie serait en grand danger: le pluralisme des médias, l’indépendance des rédactions, la liberté de la presse seraient menacés. Une fois de plus, je constate avec regret que nos collègues de l’opposition se complaisent dans la caricature et dans la démagogie. Ce procès d’intention permanent ne traduit qu’une méfiance idéologique envers les entreprises privées. C’est bien là la marque de fabrique du parti socialiste.

Cher Patrick Bloche, comment pouvez-vous vous caricaturer ainsi en parlant à nouveau du Fouquet’s? Cela fait deux ans et demi que vous nous parlez du Fouquet’s.

M. Patrick Bloche, rapporteur . Vous en avez encore pour deux ans et demi. Courage!

M. Franck Riester. J’ai envie de vous dire que cela n’est pas de votre niveau. En tout cas, ce n’est pas du niveau des débats de l’Assemblée nationale.

M. Patrick Bloche, rapporteur . Oh si!

M. Franck Riester. L’opposition semble ignorer l’évolution qu’a connue le paysage audiovisuel ces dernières décennies, avec, notamment, l’arrivée des chaînes de la TNT, des chaînes du câble et du satellite, et bientôt, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, le passage à la télévision numérique pour tous – je rappelle à ce propos que Coulommiers a été la première ville de France à passer à la télévision tout numérique.

Nous nous opposons à cette proposition de loi pour trois raisons principales. D’abord, son adoption déstabiliserait complètement le secteur des médias au moment où il s’adapte à la révolution numérique. Elle contraindrait aussi nombre d’actionnaires de sociétés de médias à rétrocéder leurs parts de capital en raison de leurs liens avec la commande publique. Alors que les chaînes historiques traversent une période délicate, alors que les nouveaux entrants de la TNT n’ont pas encore atteint l’équilibre, alors que plusieurs types de presse voient leur existence menacée, peut-on se passer de grands groupes sous prétexte qu’ils investissent près de 120 milliards d’euros par an via des marchés publics? Peut-on se priver ainsi de leur soutien capitalistique? Il est bien évident que non.

Vous faites valoir, cher Patrick Bloche, que ce texte n’aurait pas d’effets rétroactifs. Dont acte. Mais regardons l’avenir. Quelles en seraient les conséquences? Cette proposition de loi empêcherait tout groupe français d’obtenir de nouvelles autorisations d’émettre et rendrait impossible le rachat d’une chaîne de télévision en difficulté par un groupe français qui répondrait à des marchés publics. Ce serait nécessairement donner un blanc-seing aux groupes ou aux fonds de pension étrangers pour qu’ils s’emparent de nos médias nationaux. Est-ce bien cela que vous souhaitez? J’ose espérer que non.

En prétendant défendre la démocratie et les libertés, le groupe socialiste nous propose un texte rétrograde et contre-productif. Pour notre majorité, le pluralisme est d’abord garanti par une pluralité d’acteurs qui ont besoin de financements pour exister.

En second lieu, nos collègues de l’opposition semblent ignorer que notre pays dispose déjà des règles d’anti-concentration parmi les plus contraignantes au monde: d’une part, la loi du 30 septembre 1986, relative à la liberté de communication, prévoit en effet un ensemble de mesures destinées à assurer le pluralisme. Ainsi, la participation au capital des sociétés de télévision nationales ne peut-elle être supérieure à 49 % pour un même groupe. La loi prévoit également des limites au cumul d’autorisations de télévisions et de radios, la règle dite des « deux sur trois ». Les décrets Tasca, dans leur traduction législative, prévoient encore une séparation des activités de diffusion et de production.

D’autre part, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, le CSA dispose des pouvoirs nécessaires pour veiller au respect du pluralisme et des règles d’anti-concentration. Il en fait régulièrement usage en adressant des recommandations aux chaînes de télévision ou aux stations de radio. Il dispose, en outre, de pouvoirs d’enquête qui lui permettent d’obtenir toutes les informations sur les marchés publics et délégations de service public pour l’attribution desquels des personnes détenant directement ou indirectement un service de télévision ou de radio dont les programmes contribuent à l’information politique et générale ont présenté des offres.

Par ailleurs, cette proposition de loi oublie de mentionner que l’indépendance des médias repose avant tout sur l’indépendance des rédactions. Notre majorité ne partage pas cette vision manifestement réductrice du métier de journaliste. Qu’advient-il de la clause de conscience et de la clause de cession, ces deux droits emblématiques garantis par la convention collective nationale de travail des journalistes? Les journalistes auraient-ils perdu leur esprit critique? Seraient-ils, comme vous le dites, soumis aux desiderata d’actionnaires? Auraient-ils abandonné toute déontologie? Bien sûr que non! Les journalistes sont des hommes libres, indépendants, et qui méritent tout notre respect. Les conclusions des états généraux de la presse écrite ont d’ailleurs rappelé l’importance de ces fameuses clauses de conscience et de cession.

En définitive, comme l’a rappelé M. le ministre, c’est notre majorité qui, depuis deux ans et demi, apporte les garanties que le groupe socialiste appelle de ses vœux. Pour veiller au respect du pluralisme des médias d’abord: je rappelle que le pluralisme est un objectif à valeur constitutionnelle depuis la réforme constitutionnelle de 2008. La loi du 5 mars 2009 institue ensuite un véritable service public audiovisuel indépendant, bénéficiant de ressources pérennes et proposant une ligne éditoriale de service public renforcée. Que dire enfin des aides versées par l’État à la presse, en hausse de 51 % dans le projet de loi de finances pour 2010, afin d’accompagner la mutation du secteur vers le numérique?

Nous avons également le souci d’apporter davantage de transparence dans le fonctionnement des entreprises de médias. À ce titre, les états généraux de la presse préconisent un renforcement de l’information sur l’actionnariat des entreprises de presse par mise à disposition du public de la liste complète des actionnaires sur le site internet de l’éditeur. Le renforcement des exigences déontologiques de la profession constitue une priorité et passera par la rédaction d’un projet de code de déontologie.

Mes chers collègues, renforcer les outils de régulation existants ne reviendrait qu’à fragiliser l’économie du secteur des médias. C’est pourquoi le groupe UMP ne votera pas cette proposition de loi. Je rappelle d’ailleurs que la commission des affaires culturelles et de l’éducation l’a rejetée la semaine dernière. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Patrick Bloche, rapporteur . Sans vouloir abuser de la patience de nos collègues, j’aimerais, quitte à décevoir M. le ministre et notre collègue Riester, relativiser les appréciations très excessives qu’ils ont formulées sur la démarche de régulation que le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche propose à notre assemblée. Il s’agirait, dites-vous, d’un texte liberticide, caricatural, démagogique.

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture . Je n’ai pas dit « démagogique »!

M. Patrick Bloche. Monsieur le ministre, je résumais les quelques notes que j’ai prises: vous avez dit que le texte était « liberticide »; Franck Riester a parlé de « caricature » et de « démagogie ».

Que voulons-nous réguler? Ce qui nous gêne, c’est que les groupes industriels et financiers qui, dans notre pays, possèdent les médias, soient liés à la puissance publique par des marchés publics et par les commandes de l’État. Nous ne mettons nullement en cause l’actionnariat privé en tant que tel, pas plus que l’existence de solides entreprises privées dans les domaines de l’audiovisuel ou de la presse écrite. Nous serions d’ailleurs heureux, dans la crise que nous traversons et compte tenu des menaces qui, pour des raisons différentes, pèsent sur deux grands titres – un quotidien du matin et un quotidien du soir –, que la presse écrite bénéficie des financements et des investissements dont elle a besoin. Toutefois, nous considérons que l’indépendance des médias et, par ricochet, celle des journalistes sont les principales victimes de cette situation.

Notre proposition de loi n’a rien d’antiéconomique. Le Conseil constitutionnel veille à ce que la loi ne soit pas, comme dans les périodes les plus sombres de notre histoire, rétroactive. Si notre texte était voté, il ne s’appliquerait donc qu’à partir de sa promulgation. Vous dites, monsieur le ministre, que notre proposition de loi n’aurait d’effet qu’à long terme. C’est sans doute vrai pour l’audiovisuel, où l’actionnariat est plus stable, mais elle pourrait avoir des conséquences plus fortes pour la presse écrite et pourrait amener le groupe Lagardère, qui est le Murdoch français – ou qui a l’ambition de l’être –, à ne pas atteindre les objectifs qu’il s’est fixés.

Vous dites que, en France, les entreprises de médias sont sous-dimensionnées. Je ne pense pas que ce soit le sujet du jour. Je ne comprends pas, en tout cas, monsieur le ministre, comment vous pouvez voir, dans cette proposition de loi, un retour à avant 1981 – vous faisiez allusion à la libération des ondes – ou à l’ORTF. J’avoue que je manque d’arguments pour vous répondre, car je vois mal le rapport entre la proposition de loi que nous avons déposée et la régression que vous stigmatisez.

Franck Riester a rappelé que les socialistes avaient déposé un texte semblable il y a une dizaine d’années, sans toutefois le mettre en œuvre. Mais les temps changent. Dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, l’obsession des gouvernements amenés à se pencher sur le dossier, c’était le groupe Hersant. De même, dans les années quatre-vingt-dix et au moment du vote de la loi de 2000, les préoccupations concernant la toute-puissance de TF1 et la part d’audience remportée par ses programmes, aussi bien le journal de vingt heures que ses autres émissions, étaient très présentes dans nos débats. La réalité d’aujourd’hui est très différente.

Si l’on veut entreprendre une action de recherche en paternité pour le lancement de la TNT, il faut rappeler que c’est dans la seconde lecture de la loi de 2000 que nous en avons posé les bases. Pour vaincre les résistances de TF1 à l’introduction de la TNT, il a fallu, plus encore que les efforts du gouvernement d’alors, la forte personnalité de Dominique Baudis à la tête du Conseil supérieur de l’audiovisuel.

Monsieur le ministre, nous ne prenons pas les Français pour des enfants. Nous connaissons leur autonomie, leur rapport à l’information. Les sondages montrent que nos concitoyens savent prendre beaucoup de distance par rapport à ce qu’ils lisent dans les journaux et regardent à la télévision, pour se forger leur propre opinion. De même, ce n’est pas parce que le Président de la République traverse une mauvaise passe, ce n’est pas parce qu’il ne maîtrise plus sa communication comme il le faisait au début de son quinquennat, qu’il faut stigmatiser internet et la diversité des informations qui y sont fournies, et y voir, comme cela a été dit très imprudemment, le tout-à-l’égout de la démocratie.

Chers collègues, je suis ces questions depuis assez longtemps, avec d’excellents collègues – notamment Patrice Martin-Lalande –, pour savoir qu’internet, parce que c’est un média, n’est que le reflet de la société.

Vous trouvez, sur internet comme dans la société, le meilleur aussi bien que le pire. Nous débattrons nécessairement de ces questions, mais je ne souhaite pas prolonger excessivement notre discussion d’aujourd’hui.

Je vous rappelle le classement établi par Reporters sans frontières, qui interpelle tout de même tous les parlementaires que nous sommes.

S’agissant de l’affaire des sondages payés par la Présidence de la République et complaisamment repris par la presse écrite et par la presse audiovisuelle, force est de constater que le média audiovisuel LCI et le média de la presse écrite qu’est Le Figaro sont propriétés l’un de Bouygues l’autre de Dassault, qui vivent des commandes de l’État. C’est pourquoi nos citoyens ont à l’esprit le soupçon que vous évoquiez, monsieur le ministre. Notre proposition de loi, en coupant ce cordon ombilical, contribue à une plus grande indépendance des médias.

J’espère avoir en partie répondu à votre propos, monsieur Riester, puisque vos arguments rejoignaient, sur de nombreux points, ceux du ministre.

S’agissant de l’application des propositions, des difficultés techniques ont été soulevées. Je ne vois pas en quoi elles consistent. En l’occurrence, il existe ces fameux seuils de 49 % pour la presse audiovisuelle et de 30 % pour la presse écrite, destinés à prévenir la concentration. Nous n’y avons d’ailleurs, ni les uns ni les autres, véritablement touché depuis une dizaine d’années, ce dont nous devons nous réjouir. Pourquoi pourrait-on réguler la concentration et faire respecter des seuils anti-concentration dans l’audiovisuel – c’est la mission du CSA – ou dans la presse écrite et ne pourrait-on pas amener les grands groupes industriels et financiers qui vivent des commandes de l’État à quitter progressivement l’actionnariat des médias audiovisuels ou de la presse écrite?

En ce qui concerne les sondages de la Présidence de la République, s’il n’était pas fait droit à la demande de commission du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche dans sa formulation actuelle, nous irions jusqu’au bout de cette affaire qui me paraît importante. Lorsque des sondages sont complaisamment repris dans la presse après avoir été payés par la Présidence de la République – auquel cas questions et réponses sont évidemment laudatives pour l’exécutif –, on est dans une logique de fabrication de l’opinion, pour ne pas dire de manipulation de celle-ci.

La proposition de loi qui vous est proposée aujourd’hui ne constitue en rien une étatisation potentielle, comme si la puissance publique allait se substituer à des actionnaires obligés, en cas d’adoption de notre proposition, de se défaire des médias qu’ils possèdent. À mon avis, l’étatisation guette plus l’AFP que les médias dont nous parlons aujourd’hui, mais nous aurons prochainement l’occasion de l’évoquer au sein de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, grâce à sa présidente, qui a fait suite à notre demande en ce sens.

Il n’y aurait pas de presse audiovisuelle ou écrite sans ceux qui la fabriquent. Je parle évidemment des journalistes. Je regrette d’ailleurs, lorsque vous évoquez la presse, que vous parliez plus des éditeurs, voire des lecteurs, que des journalistes. Qui peut nier que la crise de la presse écrite conduit à une grande précarisation du métier de journaliste? Nombre d’articles et d’enquêtes sont le fait de journalistes très précarisés, les fameux pigistes. Or la précarisation sociale des journalistes peut réduire l’indépendance sur le plan des idées.

En tout cas, j’ai entendu M. Riester, s’exprimant au nom de l’UMP, déclarer que l’indépendance des médias était tout d’abord l’indépendance des rédactions. C’est une excellente chose! Je le dis sans ironie, car le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche a envie de poursuivre sur cette voie de l’indépendance des médias, en s’attaquant à la question de l’indépendance des équipes rédactionnelles. J’ai compris que l’UMP serait présente à ce rendez-vous, que je me permets d’ores et déjà de fixer.

M. le président. La parole est à M. le ministre de la culture.

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture . En vertu de l’article 44, alinéa 3, de la Constitution et en application de l’article 96 du règlement de l’Assemblée nationale, le Gouvernement demande la réserve du vote sur les articles et les amendements en discussion.

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte dont l’Assemblée a été saisie initialement, puisque la commission l’a rejeté.

En application de l’article 96 du règlement, le Gouvernement demande la réserve des votes.

La réserve est de droit.

Article 1 er

M. le président. Les amendements n os  2 et 1 ne sont pas défendus.

Le vote sur l’article 1 er est réservé.

Article 2

M. le président. Le vote sur l’article 2 est réservé.

Nous avons achevé l’examen des articles de la proposition de loi.

La suite de la discussion de ce texte est renvoyée au mardi 24 novembre, après les questions au Gouvernement.

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, mardi 24 novembre à quinze heures :

Questions au Gouvernement ;

Quatre votes solennels sur :

le projet de loi relatif à la récidive criminelle ;

la proposition de loi relative au droit de finir sa vie dans la dignité ;

la proposition de loi relative aux fichiers de police ;

la proposition de loi visant à réguler la concentration dans les médias ;

Quatre accords internationaux ;

Accord France-Inde sur les utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire ;

Projet de loi organique sur l’application de l’article 61-1 de la Constitution.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-sept heures trente-cinq.)

Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l’Assemblée nationale,
Claude Azéma