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Assemblée nationale

Commission élargie

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

Commission des affaires culturelles
et de l’éducation

(Application de l’article 120 du Règlement)

Jeudi 27 octobre 2011

Présidence de M. Jérôme Cahuzac,
président de la Commission des finances,
et de Mme Michèle Tabarot,
présidente de la Commission
des affaires culturelles

La réunion de la commission élargie commence à vingt et une heures trente.

projet de loi de finances pour 2012

Culture

M. Yves Censi, président. Monsieur le ministre de la culture, je suis heureux de vous accueillir avec Michel Herbillon, vice-président de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation. Le président Jérôme Cahuzac, retenu, m’a prié de l’excuser auprès de vous.

Nous sommes réunis en formation de commission élargie afin de vous entendre sur les crédits consacrés à la mission « Culture »dans le projet de loi de finances pour 2012.

Comme vous le savez, la procédure de la commission élargie est destinée à permettre des échanges vivants entre les députés et le Gouvernement. Cette année, les débats seront chronométrés afin de respecter la durée préalablement fixée par la conférence des présidents. Pour la mission « Culture », le temps de parole total a été fixé à trois heures.

Je propose que nous donnions, dans un premier temps, la parole aux rapporteurs de nos deux commissions, pour cinq minutes chacun :

M. Michel Diefenbacher, suppléant MM. Richard Dell’Agnola et Nicolas Perruchot, respectivement rapporteur spécial de la Commission des finances, pour lacréation, la transmission des savoirs et la démocratisation de la culture, et rapporteur spécial pour le programme « Patrimoines » ;

M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis de la Commission des affaires culturelles ;

Mme Sophie Delong, rapporteure pour avis de la même commission.

Après les réponses du ministre, nous pourrions donner la parole, pour d’autres questions, aux porte-parole des groupes, puis aux autres collègues qui voudront bien se faire connaître. Le temps de parole sera de deux minutes par orateur.

Mme Marie-Hélène Amiable. Ce n’est pas assez.

M. Yves Censi, président. Nous verrons selon la suite de la discussion s’il est possible de faire mieux.

M. Michel Herbillon, président. Au nom de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation, je vous souhaite à mon tour la bienvenue, et vous prie d’excuser Michèle Tabarot.

Les rapporteurs pour avis de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation sont au nombre de deux. S’agissant du programme « Patrimoines », Sophie Delong a souhaité établir le bilan de la réforme de la maîtrise d’ouvrage du ministère de la culture. Pour ce qui est de la création, Patrick Bloche s’est penché plus particulièrement sur le rôle du CLC.

M. Michel Diefenbacher, rapporteur spécial suppléant. Il me revient donc d’excuser et de suppléer les deux rapporteurs spéciaux, Richard Dell’Agnolla et Nicolas Perruchot, empêchés l’un et l’autre ce soir.

Les moyens budgétaires de la culture seront maintenus en 2012, ce qui est particulièrement positif dans cette période de très grande tension sur les finances publiques. Cette stabilité montre que le Gouvernement est pleinement conscient de l’importance de la politique culturelle dans ses différentes composantes : protection du patrimoine, encouragement à la création, développement des pratiques et des enseignements artistiques, en direction de tous les publics.

Les moyens de la mission « Culture »s’élèvent à 2,73 milliards d’euros ; hors dépenses de personnel, ils sont en progression de 2,9 % en crédits de paiement. Sur l’ensemble de la législature, les crédits en faveur de la culture et de la communication auront donc progressé de 20 %.

S’agissant des différents programmes de cette mission, je voudrais en particulier saluer l’effort fait pour la préservation et la valorisation du patrimoine en province comme à Paris : poursuite du schéma directeur de Versailles, restauration du musée Picasso, création du musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée à Marseille, construction du Centre des Archives Nationales à Pierrefitte-sur-Seine, participation à l’Atelier international du Grand Paris et au Plan Musées en régions. création de la maison de l’Histoire de France, etc.

Pour ce qui est de la création, vous avez présenté le 8 juillet dernier un plan d’action en faveur du spectacle vivant. Vous souhaitez renforcer l’aide aux artistes, poursuivre la structuration de l’emploi artistique, accroître l’irrigation des territoires, élargir les publics et consolider la présence des artistes français à l’étranger.

Les Entretiens sur les arts plastiques que vous avez conduits, en février 2011, ont abouti à l’élaboration de 15 mesures. Le ministère a montré une attention particulière aux besoins des professions artistiques, tout en procédant aux évolutions indispensables : professionnalisation de l’emploi, contractualisation des structures avec l’État avec des objectifs à atteindre et des performances à tenir.

Monsieur le ministre, je souhaite vous poser trois questions.

S’agissant du patrimoine, pouvez-vous faire un point précis sur deux projets majeurs, le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée et la Maison de l’histoire de France ?

Comment l’action du MUCEM va-t-elle s’inscrire dans le cadre de la désignation de la ville de Marseille comme capitale européenne de la Culture ? Quels partenariats avez-vous noués avec les collectivités territoriales afin de construire un projet muséographique cohérent ? Où en est le projet scientifique et culturel ? Le pilotage du musée s’opérera-t-il en concertation avec les collectivités intéressées ?

S’agissant de la Maison de l’histoire de France, un avant-projet scientifique et culturel vous a été remis en juin dernier. Pouvez-vous nous en préciser les grandes orientations ? Cet avant-projet est ouvert à la concertation, avec sept rencontres régionales organisées à Paris, Lille, Toulouse, Marseille, Strasbourg, Rennes et Lyon. Concrètement, dans quel cadre et selon quelles modalités ces rencontres seront-elles organisées ? Quel public ont-elles vocation à rassembler? Comment tiendrez-vous compte de leurs conclusions lors de l’élaboration du projet muséographique définitif ?

Par ailleurs, pourriez-vous nous présenter les grandes lignes de la réforme du financement de l’archéologie préventive ? Si une telle réforme devait ne pas tenir toutes ses promesses, envisagez-vous, ainsi que l’a récemment évoqué la MEC, une rebudgétisation des crédits relatifs à cette politique publique essentielle ?

S’agissant de la création, je souhaiterais aborder trois sujets.

Tout d’abord, quel équilibre le ministère veut-il établir entre les dépenses d’équipement de fonctionnement et d’intervention ? De nouveaux labels sont institués. De nouveaux lieux de spectacle vivant sont ouverts. Par exemple, une vingtaine de nouvelles structures de musique actuelle devrait faire l’objet d’une labellisation, et dix sont en construction. De nouvelles salles seront par ailleurs inscrites dans le programme des scènes conventionnées. Mais les crédits de fonctionnement et d’intervention sont de plus en contraints. Que se passerait-il si les lieux n’étaient pas dotés des moyens suffisants pour soutenir la programmation et les créations de spectacles ?

Cette inquiétude n’est pas vaine, car certaines aides diminuent sensiblement, telles celles allouées aux orchestres permanents, aux centres nationaux des arts de la rue et aux centres nationaux de création musicale, de même que le soutien aux équipes artistiques et les crédits alloués aux festivals ; et cela, alors que le nombre des bénéficiaires est en progression. Un saupoudrage des crédits serait-il compatible avec la rénovation des interventions de l’État, suite aux entretiens de Valois ?

M. Dell’Agnolla a souhaité que soit examinée la simplification des procédures déclaratives dans le domaine du spectacle vivant. Vous vous êtes montré ouvert à cette attente, puisque vous avez évoqué l’année dernière un élargissement du guichet unique de déclaration : la réflexion a-t-elle prospéré ? Le rapporteur spécial a bien noté l’aboutissement de la réforme du système de congés spectacle, ce dont il se félicite.

Enfin, la contractualisation se développe. Elle s’accompagne d’objectifs et d’une prise en compte de la performance. En se penchant sur les bilans d’activité des centres d’art et des FRAC, on constate qu’il manque certains éléments d’évaluation de l’activité. Ainsi, la fréquentation des lieux devrait, me semble-t-il, faire l’objet d’une mesure précise, plutôt que d’une simple estimation. Ne faut-il pas établir une méthodologie pour évaluer et comparer l’action et les résultats des différentes structures ?

M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis. S’il fallait résumer la présentation et l’examen du budget de la culture sur ces dix dernières années, une formule s’imposerait : en septembre, au moment de la conférence de presse ministérielle, on chante ; en octobre, lors de la discussion parlementaire, on déchante.

Vous l’aurez compris, tant c’est la marque du quinquennat de Nicolas Sarkozy en matière de culture, la « sanctuarisation » des crédits, dont vous vous êtes loué, monsieur le ministre, est devenue, un mois plus tard, après une lecture attentive du bleu budgétaire, le constat de leur stagnation.

Les chiffres sont implacables. Les crédits de la mission, hors dépenses de personnel, sont censés progresser de 2,9 %. Hors fonds de concours, par nature aléatoires, et en réintégrant les dépenses de personnel, l’augmentation n’atteint plus que 1,8 % – avec une hypothèse d’inflation de 1,7 %. Et, si on sort l’enveloppe exceptionnelle prévue pour la réalisation de la Philharmonie de Paris, la hausse n’atteint plus que 0,18%, soit une diminution du budget de la culture en valeur.

La baisse est encore plus spectaculaire pour les autorisations d’engagement, qui diminuent de 4%, obérant ainsi les capacités d’intervention du ministère à l’avenir.

Ma première question concernera le spectacle vivant pour lequel vous avez annoncé en juillet, monsieur le ministre, à Avignon, un plan ambitieux dont les moyens seront en réalité dérisoires : 3,5 millions d’euros, soit 0,5 % du total des sommes allouées au spectacle vivant.

Vous voilà contraint à opérer un redéploiement de crédits au détriment des scènes et des équipes conventionnées. Ne faut-il pas craindre les conséquences de ce choix lorsqu’on sait que les compagnies conventionnées sont plus ancrées dans les territoires et développent mieux le volume d’emploi artistique dans la durée ? En effet, quand elles sont privées de leur conventionnement ou que le montant de celui-ci baisse du jour au lendemain, c’est leur activité et les emplois induits qui sont mis à mal.

Par ailleurs, une mesure de redéploiment d’un genre nouveau suscite notre inquiétude : une dizaine de DRAC ont reçu des « mandats de révision » visant à leur faire prendre des mesures d’économie, afin de rendre 6 millions d’euros à l’administration centrale. Les dégâts sont patents : Orchestre national d’Île-de-France, moins 700 000 euros sur trois ans ; Centre dramatique national des Alpes, moins 60 000 euros sur deux ans ; Théâtre de la Croix Rousse à Lyon, moins 100 000 euros sur trois ans ; Scène conventionnée de Rochefort, moins 50 000 euros sur deux ans.

Monsieur le ministre, que pouvez-vous dire de ces annonces dont on mesure les conséquences funestes en termes d’activité comme d’emploi?

Par ailleurs, les crédits de l’accès à la culture diminueront en 2012 de 9,3 %, en tenant compte des débudgétisations opérées en direction du CNC, et cela après une baisse de 15,7 % l’année dernière.

Une fois encore, cette action sert de variable d’ajustement en dépit des objectifs affichés d’accès à la culture pour tous. Avec une baisse de 40 % de ces crédits sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, se trouvent donc fragilisées toutes les actions transversales en direction des publics cible, des pratiques amateurs, de la politique de la ville, etc. N’est-ce pas, monsieur le ministre, en totale contradiction avec vos discours officiels?

Enfin, consacrant la deuxième partie de mon rapport au financement du cinéma et de l’audiovisuel par le biais du CNC, je souhaiterais que vous puissiez faire le point ce soir sur les échanges qu’en pleine crise de l’euro, le chef de l’État a eu le temps d’avoir avec les professionnels du cinéma, lundi soir à l’Élysée, à la suite du vote par la majorité de l’Assemblée, d’un amendement qui a provoqué une vive émotion

Si l’on peut comprendre la réforme du taux et du barème de la taxe sur les services de télévision, visant à éviter le contournement du dispositif fiscal par certains opérateurs de téléphonie mobile et fournisseurs d’accès à Internet, ne craignez-vous pas que son plafonnement et le reversement au budget de l’État, de plusieurs dizaines de millions n’attire l’attention de Bruxelles ? Ne risque-t-on pas de fragiliser ainsi un dispositif vertueux qui a fait ses preuves ?

Mme Sophie Delong, rapporteure pour avis. En ma qualité de rapporteur pour avis des crédits du programme « Patrimoines », je commencerai par me féliciter de l’évolution des crédits de la mission « Culture » en général, et du programme 175, en particulier. Dans le contexte très difficile que nous traversons, c’est un effort conséquent qui témoigne de l’importance attachée par le Gouvernement à ce secteur.

La politique culturelle reste extrêmement dynamique : rien que sur le programme « Patrimoines », ce sont pas moins de trois projets très ambitieux qui sont en cours ou sur le point d’aboutir : le MUCEM, la Maison de l’histoire de France et le centre des archives à Pierrefitte-sur-Seine.

Je suis particulièrement sensible au fait que cette ambition ne délaisse pas nos régions : j’ai pu le constater à Chaumont, première étape de l’opération du Centre Pompidou mobile, projet tout à fait novateur de démocratisation culturelle.

Pouvez vous nous dire quels chantiers seront financés grâce aux crédits du plan Musées, lancé l’an dernier, et qui recevra cette année 15,1 millions de crédits de paiement ?

Cette volonté de diffuser la politique culturelle en région s’illustre dans l’ensemble des actions du programme « Patrimoine » : s’agissant de l’architecture, 3,3 millions vont permettre d’accompagner la disparition progressive des ZPPAUP, les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager, et la mise en œuvre des AVAP, les aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine. C’est un soutien important pour les collectivités.

Pour les archives, l’année 2012 sera bien sûr marquée par l’aboutissement du projet de Pierrefitte-sur-Seine, mais le ministère soutient également la construction de centres d’archives en région.

Dans le domaine de l’archéologie, la rénovation et la construction des centres d’études et de conservation se poursuivent.

Enfin, s’agissant des monuments historiques, 56 % des 230 millions de crédits de paiement iront à des monuments appartenant à des propriétaires privés ou à des collectivités, et non pas à l’État.

Ces chiffres sont importants dans le contexte de la réforme du régime des travaux sur les monuments historiques auquel je consacre une partie de mon rapport. Le fait que, depuis 2008, la maîtrise d’ouvrage des travaux de restauration sur les monuments historiques n’appartenant pas à l’État soit, non plus assurée en direct par les DRAC, mais confiée aux propriétaires eux-mêmes, suppose deux choses : d’une part, un montant important de subventions et, d’autre part, un montant d’avances sur subventions plus élevé que ce que la règle du service fait autorise normalement. Si des avances conséquentes ne sont pas versées, le propriétaire ne peut monter son plan de financement et les travaux ne démarrent pas. Ces deux conditions sont remplies, puisque le pourcentage de crédits destinés à ces monuments est passé de 53 % en 2011 à 56 % cette année, mais aussi parce que les avances peuvent désormais atteindre 30 % du total de la subvention.

Dans le cadre de cette réforme, je souhaiterais vous interroger, monsieur le ministre, sur les effectifs des DRAC. Cette réforme est audacieuse, puisqu’elle procède en même temps au transfert par l’État de la maîtrise d’ouvrage aux propriétaires privés et aux collectivités, et à l’ouverture à la concurrence de la maîtrise d’œuvre.

Dans le même temps, elle fait évoluer la mission des DRAC d’une fonction de surveillance et de prescription à une mission de contrôle scientifique et technique et de conseil/assistance. Il est essentiel que cette mission puisse être assurée dans de bonnes conditions, non seulement pour garantir la protection des monuments historiques mais aussi pour aider les petits propriétaires, et notamment les petites communes, à assumer leurs nouvelles prérogatives. Comment évoluent les effectifs des DRAC ? En outre, on m’a indiqué au cours de mes auditions qu’aucun concours d’ingénieur des services culturels et du patrimoine n’a été organisé depuis trois ans. Est-ce exact ? Le cas échéant, un concours est-il prévu prochainement ?

Enfin, un amendement du Gouvernement voté en première partie de la loi de finances abaisse de 10 à 8 millions d’euros le plafond de la fraction de la taxe sur les paris en ligne affectée au CMN. Je sais que nos collègues de la mission d’évaluation et de contrôle, dans le cadre de leur rapport sur le financement des politiques culturelles par des taxes affectées, préconisaient la suppression de cette affectation, et le rebasage en conséquence de la dotation budgétaire du centre. Une remarque et une question : tout d’abord, il ne faut pas faire de mauvais procès au CMN en s’étonnant du niveau de son fonds de roulement. En 2007, on a transféré au CMN, et c’était une bonne chose, la maîtrise d’ouvrage des travaux sur les monuments nationaux qui lui sont remis en dotation. En revanche, on ne lui a pas permis de constituer un département de maîtrise d’ouvrage. En outre, il n’est en place que depuis fin janvier 2011. Dans l’intervalle, les sommes destinées à la restauration desdits monuments n’ont donc pas pu être dépensées, d’où leur mise en réserve. Ce n’est pas l’effet d’une mauvaise gestion ou d’une thésaurisation indue. Monsieur le ministre, avez-vous l’intention de donner suite aux recommandations de la MEC ?

M. Yves Censi, président. Monsieur le ministre, avant de vous donner la parole pour répondre aux rapporteurs, je me permettrais d’ajouter deux questions.

Tout d’abord, contrairement à ce qui a pu être dit ici ou là, le budget de la culture n’a pas été sacrifié dans le contexte de raréfaction de la ressource publique. Ma première question porte sur la politique d’investissement de 2011 à 2017. Dans son rapport public thématique de mars dernier sur les musées nationaux, la Cour des comptes souligne le coût des projets à financer sur la période 2011-2017 : 1 milliard d’euros, soit une enveloppe deux fois supérieure à celle qui avait été mobilisée pour les chantiers menés au cours de la décennie 2000-2010.

Pensez-vous qu’un tel niveau d’investissement soit soutenable ? Dans le contexte budgétaire que nous connaissons, cette programmation est-elle encore d’actualité ? Ou bien faudra-t-il faire preuve de davantage de modestie dans le domaine des grands projets culturels ?

Ma seconde question concerne les dépassements de devis. Comme la Cour des comptes le souligne, plusieurs chantiers de la culture ont connu d’importants dépassements financiers par rapport aux prévisions – voyez la Philharmonie de Paris, Chaillot, ou les 30 millions de dépassement du MUCEM.

Je lis dans le projet de rapport de Richard Dell’Agnola que, du fait de ces dotations insuffisantes, des financements complémentaires sont recherchés, notamment pour le palais de Tokyo, la Cité des sciences ou la rénovation de Beaubourg. Monsieur le ministre, votre ministère dispose-t-il des moyens de suivre avec précision le déroulement de tous ces chantiers et d’éviter à l’avenir de nouveaux dépassements ?

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. Le problème des dépassements de devis doit être relativisé. S’agissant du MUCEM, ils sont dus à l’adjonction au projet initial de travaux portant sur le fort Saint-Jean, véritable ruine au cœur même de Marseille, auquel est adossé le musée. Il eût été illogique que le magnifique bâtiment dessiné par Rudy Ricciotti, appelé à rayonner sur toute la Méditerranée, voulu comme un musée braudelien au même titre que le musée des Arts premiers est un musée à la Lévi-Strauss, soit accolé à une friche. Cela aurait plombé l’ensemble du projet.

En outre, le MUCEM est en quelque sorte issu du Musée national des arts et traditions populaires, projet magnifique à l’origine puis mal aimé et, enfin, quasiment abandonné dans un bâtiment dont l’architecture mériterait d’ailleurs d’être réévaluée. Malgré la fermeture du musée, il y a dix ans, les collections, exceptionnelles, ont continué à s’enrichir grâce à la qualité remarquable de son directeur, Michel Collardel.

Le MUCEM ne devait cependant reprendre qu’une petite partie de ces collections, tandis que le reste aurait été stocké dans des réserves à la Friche de la Belle de Mai. C’était une catastrophe ! On ne pouvait revenir sur ce qui avait été décidé des années auparavant. Mais allions-nous laisser disparaître ce patrimoine ? Allions-nous risquer de voir chaque région reprendre tel ou tel objet ? Non, le but était de garder ces collections et d’éviter qu’elles ne soient enfermées dans des réserves. Puisque le MUCEM symbolisait l’ouverture sur la Méditerranée, le fort Saint-Jean pouvait devenir le Musée de la France. En trois ans, nous ferons circuler toutes les collections des ATP stockées dans les réserves de la Belle de Mai.

Cette solution paraît pleinement satisfaisante d’autant que le coût des travaux engagés sur le fort Saint-Jean reste raisonnable. Nous relierons en outre le fort à la ville de Marseille en créant une passerelle supplémentaire qui rejoindra le quartier du Panier.

L’ensemble MUCEM – Fort Saint-Jean deviendra ainsi le plus grand centre d’arts et traditions populaires de toute la Méditerranée. En même temps, ces monuments seront pleinement insérés dans la ville de Marseille. C’est donc un projet structurant d’une exceptionnelle qualité, bref un projet magnifique, pour la capitale européenne de la culture 2013.

J’ai lu avec attention le rapport de la Cour des comptes sur le fonctionnement des musées placés sous la tutelle du ministère. Il comporte certes des éléments intéressants, et on peut toujours réfléchir sur les méthodes de gestion, mais il reste parcellaire. Les musées et les établissements considérés sont en très petit nombre ; le ministre n’a pas été interrogé. Autant dire que les trois heures qui nous sont imparties ce soir ne suffiraient pas à aborder son contenu en détail. Tout ce que je puis vous dire est que pas un sou ne sort du ministère sans que la dépense ait été validée par tous les services concernés – dont les agents servent avec constance l’État et le bien public.

M. Yves Censi, président. Nul n’en doute ici.

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. J’en suis heureux, mais le rapport laisse parfois planer un doute.

Mme Delong m’a posé plusieurs questions précises et techniques. En ce qui concerne le centre Pompidou mobile, dix jours après son inauguration, les pronostics de résultats ont déjà été deux fois dépassés. Il s’agit de faire venir dans des villes moyennes, qui ne possèdent pas de grands ensembles structurants et sont assez éloignées de Paris, un ensemble de chefs d’œuvre – entre quinze et vingt – dans une présentation très dynamique, avec une médiation extrêmement bien faite. Le succès est considérable. L’architecture nomade a été montée par Patrick Bouchain, qui collabore également à la transformation de la Belle de Mai à Marseille. C’est un projet que je soutiens depuis le début.

Vous avez également évoqué le Plan Musées, auquel je suis particulièrement attaché. Depuis mon arrivée au ministère, j’essaye de consacrer le samedi ou le dimanche à la visite de musées ou de lieux culturels de notre pays un peu délaissés. J’ai été frappé de la grande misère des musées français. À Périgueux, où se trouve une admirable reconstitution d’une villa romaine par Jean Nouvel, le musée est dans un triste état. J’ai donc souhaité, avec Philippe Bélaval et Marie-Christine Labourdette, instituer un mécanisme de soutien aux musées. Nous avons réussi à mobiliser plus de 70 millions sur trois ans. La seule condition est que les collectivités locales concernées par une opération acceptent d’y participer. Notre pays est incroyablement riche de potentialités, et si l’État peut donner l’impulsion décisive ou apporter un complément aux collectivités locales qui n’ont pas les moyens de les faire vivre seules, tant mieux !

Nous avons donc établi une première liste de près de 80 musées, qui vont tous bénéficier de cette opération. On y trouve par exemple le musée Cocteau de Menton, le MuséoParc Alésia, le musée Camille Claudel de Nogent-sur-Seine, le musée Soulages de Rodez, le musée Girodet de Montargis, sans oublier les musées d’outre-mer – je m’étonne toujours que si peu de questions soient posées sur l’outre-mer, où vivent 3 millions de citoyens français. Les musées de Fort-de-France et de Pointe-à-Pitre figurent parmi les 80 musées retenus, de même que celui de Cayenne, qui va devenir le grand musée des mémoires guyanaises, un peu dans l’esprit du centre Tjibaou de Nouméa. Je vous fais grâce de la liste complète des musées concernés, mais je pense que nous pourrons être fiers de ce plan musées. Il y a en France 1 500 musées qu’il faudrait aider ; les collectivités locales ont accepté de s’engager pour 80 d’entre eux ; j’espère que nous pourrons poursuivre sur cette lancée avec une deuxième tranche.

J’en viens au Centre des monuments nationaux. Je pourrais vous donner des réponses techniques sur la maîtrise d’ouvrage, la maîtrise d’œuvre ou le fonctionnement interne de cet établissement public. Je préfère vous dire que je fais confiance à la nouvelle direction. La gestion du Centre des monuments nationaux est devenue bien plus rigoureuse. Nous en avons de multiples exemples. La qualité des publications s’est grandement améliorée, comme la qualité de l’accueil ou celle de la promotion des monuments. Tout cela ne va pas sans mal, et je connais les problèmes du Centre. Mais la réponse à vos questions relève de sa direction, à laquelle je tiens à redire ma confiance.

Je voudrais redire l’importance du soutien que nous apportons non seulement aux collectivités locales, mais aussi aux propriétaires privés. Il faut le dire, beaucoup de propriétaires privés savent maintenir le patrimoine dont ils ont hérité – souvent avec difficulté, mais aussi avec un certain savoir-faire, une utilisation habile des procédures dont ils disposent, et parfois un souci d’économie domestique supérieur à celui de l’État. La veuve du colonel qui assure l’entretien de sa belle maison et l’ouvre aux visiteurs quatre fois par semaine, en assurant elle-même la visite, mérite d’être aidée. J’en ai la ferme conviction, une grande partie de notre patrimoine est préservée grâce aux collectivités locales, à ceux qui vivent à proximité et aux propriétaires privés, souvent bien plus modestes qu’on ne le dit, qui se dépensent corps et âme pour conserver à la Nation qui un château, qui une collection qu’ils pourraient fort bien vendre à n’importe qui. Je tiens à leur rendre hommage, et j’estime légitime de les aider.

Je vous remercie d’avoir salué le passage des ZPPAUP aux AVAP. En dépit des quelques heurts auxquels tout changement donne lieu, il y a là une réforme réussie, qui préserve pour l’essentiel le périmètre d’intervention du ministère, tout en assurant la protection des paysages exposés à l’urbanisation ou aux éoliennes… Nous aurons avec les AVAP un dispositif plus efficace et proche de la réalité.

J’en viens aux effectifs des DRAC. La RGPP entraîne évidemment une certaine diminution du nombre d’emplois dans les DRAC sur le territoire métropolitain. En outre-mer, en revanche, le nombre des DRAC augmente légèrement, conformément à ce que j’ai souhaité. J’observe également que les crédits dont disposent les DRAC sont augmentés. J’ai lu ici et là que les DRAC voyaient leurs moyens rognés. Ce n’est pas vrai : ils passent de 796 millions en 2011 à 801 millions en 2012. Cette augmentation peut sembler modeste si l’on tient compte de l’inflation, monsieur Bloche ; mais dans la situation économique actuelle, mieux vaut se réjouir que le budget de la culture soit sanctuarisé.

En tout cas, je n’ai pas le sentiment de déchanter, plutôt celui de tenir les engagements que j’ai pris à l’égard de l’idée que je me fais du bien public.

S’agissant du spectacle vivant, vous connaissez la question qui se pose – et vous seriez confronté aux mêmes problèmes que moi si vous étiez à ma place. Chacun demande toujours un peu plus, et cette demande est légitime, car on assiste à une hausse du coût de l’emploi dans le domaine du spectacle vivant, en même temps qu’à une augmentation extraordinaire – surtout dans la période de crise que nous vivons – de la demande culturelle. Jamais il n’y a eu autant de monde dans les théâtres, les festivals, les cinémas. Nous avons retrouvé le niveau de fréquentation des cinémas de l’année 1967 ! La billetterie officielle du festival d’Avignon enregistre une hausse de 15% de la fréquentation ! En même temps, on nous dit qu’il faut rompre avec le « saupoudrage » et concentrer davantage les soutiens. C’est un travail de chaque instant que de parvenir à trouver un équilibre entre ces contingences, et je rends hommage à Georges-François Hirsch qui s’y efforce. Nous faisons un véritable travail de capillarisation, établissement par établissement, lieu de spectacle vivant par lieu de spectacle vivant, pour essayer de préserver leurs marges, voire d’aider tel théâtre à restaurer sa grille. Vous êtes dans votre rôle, monsieur Bloche, mais vous conviendrez qu’il est très difficile de faire rentrer une infinité de cas particuliers dans une analyse générale. 1 500 établissements sont aidés par l’État, sous 20 labels différents – centres dramatiques nationaux, scènes nationales, centres chorégraphiques… Aucune majorité ne se risquerait aujourd’hui à une réforme radicale, parce que c’est le public qui en pâtirait. Ce système a été construit avec patience, dévouement et générosité par les artistes, les créateurs, les administrateurs et les politiques de tous bords.

Vous dénoncez la diminution de la subvention du ministère à l’Orchestre national d’Île-de-France. Mais celle de la région Île-de-France diminue dans des proportions bien plus considérables – nous sommes d’ailleurs en train d’en discuter afin que l’Orchestre puisse s’en sortir le mieux possible. Je pourrais disserter sur ce sujet des heures durant, et reprendre chaque cas particulier : vous vous apercevriez que leur accumulation ne correspond pas à l’application d’une règle générale.

J’en viens au Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Vous avez mis le doigt sur un sujet brûlant, celui du montant du budget et du fonctionnement du CNC. Nous avons un système exceptionnel, sans équivalent dans le monde, qui permet à la profession du cinéma d’autofinancer non seulement sa survie, mais son expansion. La numérisation des salles de cinéma, qui est en cours, montre une fois de plus que la France, dont on dénonce si souvent l’incapacité à se réformer, est capable de se moderniser très rapidement. Le passage à la TNT a été une réussite, comme l’avait été le passage à l’euro. Dans dix-huit mois, l’ensemble des salles de cinéma françaises seront numérisées, ce qui entraînera un vrai gain de productivité, et donc une économie. Il faudra certes veiller à ce que cette évolution ne se traduise pas par une perte de liberté et un accroissement du pouvoir des distributeurs, mais nous y sommes résolus. Retenons que le CNC cristallise des financements particuliers qui lui permettent de monter ce type d’opérations.

Son budget, qui s’élevait à environ 600 millions d’euros il y a deux ans, est aujourd’hui plafonné à 700 millions. Avec le financement par les taxes affectées, il s’élèvera en fait à 705 millions d’euros. Cela lui permet de faire face à toutes ses obligations, notamment celles relatives à la loi d’aide. Il est financé en grande partie par la taxe sur les services de télévision. Si le produit de celle-ci dépasse les 700 millions, on peut concevoir qu’une partie revienne au budget de l’État. Prenons cependant garde que cette disposition n’entame pas la légitimité de ce système dans lequel le cinéma s’auto-taxe et s’autofinance. Je pense que nous avons les garanties nécessaires, puisque le Parlement nous accordera des garanties, que Bruxelles nous en a déjà accordées, et que ce système ne sera pas étendu aux autres taxes affectées – c’était l’objet de la réunion que nous avons tenue avec le Président de la République et un certain nombre de cinéastes et de producteurs. Il ne faut pas toucher, ni même effleurer, le système d’autorégulation financière du CNC, car c’est la légitimité même du fonctionnement du cinéma qui serait atteinte. À cet égard, vous pouvez être pleinement rassuré.

Je pourrais évidemment engager une discussion sur les taux que vous évoquez. J’ai ici tous les chiffres qu’il faut ; je peux en citer d’autres, qui ne concordent pas nécessairement avec les vôtres. Mais je ne crois pas qu’il faille s’engager dans cette voie. La vérité, c’est que contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays d’Europe, le budget de la culture en France a été sanctuarisé. Je ne dis pas que ce soit une victoire extraordinaire, ni que cela n’aurait pas été mieux si nous avions pu avoir plus, mais compte tenu des circonstances, nous pouvons être satisfaits. Sans doute assiste-t-on à la diminution des crédits sur telle ou telle rubrique, mais elle est généralement compensée par une hausse sur une autre. Il faut bien redéployer et mutualiser les moyens en fonction de l’évolution de la société et de celle des demandes. Mais encore une fois, je ne pense pas que la bataille des chiffres présente un grand intérêt. La vérité est que le budget général de la culture a été préservé. 

Je ne reviens pas sur la mutualisation ni le saupoudrage. J’ai dit à la fois la nécessité d’établir une règle générale et la difficulté de l’appliquer à chaque instant en tous domaines.

En ce qui concerne les congés spectacles, nous avons avancé de manière positive avec les organisations syndicales. Nous sommes sortis de l’ornière.

Pour ce qui est des évaluations, aucun ministre n’a jamais autant que moi mis à contribution le corps des inspecteurs du ministère, qui sont des personnels remarquables, d’une très grande compétence, et dont le regard extérieur a toujours été précieux. Jamais ils n’ont été autant sollicités pour des évaluations comptables, financières, et d’efficacité dans tous les domaines de compétences du ministère.

Allons-nous mieux évaluer le travail des FRAC ? Bien entendu. Au lieu de tout vous détailler, je dirai seulement que l’évaluation, c’est une question d’état d’esprit. Il ne se passe pas de semaine sans que je demande une inspection, et les FRAC sont concernés, au même titre que le reste. Nés des idées à la fois de Jack Lang et de Michel Guy, ces fonds avaient été créés pour constituer des collections d’art contemporain en région. Il n’était pas prévu qu’ils deviennent des musées. Mais dès lors que des collections de grande qualité, je pense par exemple à celle du FRAC de Clermont-Ferrand – avaient été constituées, des collectivités ont proposé de les exposer au public, qui dans une ancienne usine, qui dans une abbaye. C’est ainsi que des musées ont progressivement ouvert. Il était impossible de s’y opposer. Ces initiatives ont d’ailleurs été immédiatement plébiscitées. Mais vous avez raison, monsieur Diefenbacher, il faut contrôler et évaluer l’action des FRAC. Nous avons dû freiner les projets de certains d’entre eux. Quelques musées ouvriront néanmoins prochainement, dont un dans le Nord-Pas-de-Calais.

S’agissant de l’archéologie préventive, je n’entrerai pas dans les détails techniques. La France est une incroyable mine de pièces archéologiques : l’archéologie préventive y est donc du plus grand intérêt. Les aménageurs y sont pourtant réticents car elle représente un surcoût et entrave leurs projets. On ignore au départ les retards qui pourraient découler d’éventuelles découvertes. C’est à eux seuls qu’on a d’abord fait payer la redevance, tout en veillant à ne pas bloquer tous les chantiers – moins d’un sur dix exige que soient menées des fouilles préventives. Bien que le montant ainsi collecté soit insuffisant, il n’était pas possible de taxer plus lourdement les aménageurs, déjà agacés de devoir patienter jusqu’à la fin des fouilles, avec la crainte que des découvertes exceptionnelles ne les contraignent à modifier leur projet d’aménagement. La seule solution était donc d’élargir l’assiette de la redevance. Cela était d’autant plus urgent que l’Institut national de recherches en archéologie préventive vit au-dessus de ses moyens. S’il était un organisme privé, il serait depuis longtemps en faillite. Tout ne perdure que grâce au soutien du ministère. On est resté dans la norme, mais avec difficulté. L’assiette de la redevance sera donc étendue à d’autres contributeurs – participants jusqu’alors non concernés mais aussi bénéficiaires. Cette réforme permettra à l’archéologie préventive de sortir durablement la tête de l’eau.

J’en viens à la Maison de l’histoire de France. La conception d’ensemble est en cours et les travaux sont déjà bien avancés. Un comité, composé d’historiens de toutes tendances, et venant d’horizons très divers, a élaboré un premier projet, consultable sur internet et qui circule aussi dans sept régions. Il nourrit le débat. À la fin de l’année, nous disposerons de ce qui pourra servir de socle au projet, dont le concept ne sera finalement pas très éloigné du concept de départ, mais aura été largement validé. L’établissement public pourrait être créé le 1er janvier 2012, sous la forme que je souhaitais, celle d’une « confédération » ne portant pas atteinte à l’autonomie de ses éléments constitutifs, à savoir les grands musées d’histoire dépendant du ministère, comme Cluny, Saint-Germain-en-Laye, Ecouen ou La Malmaison. Dix millions d’euros ont été prévus pour 2012, qui incluent ceux auparavant alloués à chacun de ces musées. Comme tout nouvel établissement, cette Maison de l’histoire de France en gestation suscite des polémiques, mais quelle nouvelle institution n’a pas d’abord été source de controverses ? Souvenons-nous du musée des Arts premiers ou du Centre Pompidou. Ces controverses n’ont jamais empêché la réalisation des projets. Elles les ont au contraire enrichis, parfois infléchis, et elles ont contribué à leur assimilation par l’opinion.

M. Yves Censi, président. Nous en venons aux questions des porte-parole des groupes. Il a été convenu que chacun disposerait de cinq minutes.

M. Michel Herbillon. Tous ceux qui sont attachés à l’accès du plus grand nombre à la culture, et sont convaincus de son rôle comme facteur de lien social, d’épanouissement personnel, de développement humain, mais aussi d’attractivité du territoire, se réjouiront de constater qu’en dépit de la crise économique et financière, le budget de la culture a été, quoi qu’en dise Patrick Bloche, sanctuarisé. La politique culturelle menée depuis cinq ans, dont nous n’avons pas à rougir, pourra être poursuivie. Elle fait honneur à la majorité qui l’a soutenue, et, au-delà, à notre pays tout entier.

Le renforcement de l’attrait de l’offre culturelle sur l’ensemble du territoire en est un élément clé.

Je pense tout d’abord à la région capitale. Divers projets structurants attestent la dimension culturelle que l’État entend donner au projet de Grand Paris : ouverture en 2012 du nouveau site de création contemporaine du Palais de Tokyo, future Maison de l’histoire de France, nouveau centre des Archives nationales de Pierrefitte, ou encore Philharmonie de Paris, si longtemps attendue et qui va enfin prendre corps. Quelle place donnez-vous à la culture, notamment à l’architecture, dans le Grand Paris ? Quelles suites réserverez-vous au rapport du président Giscard d’Estaing sur l’avenir de l’hôtel de la Marine ?

Ce budget traduit également la volonté de renforcer l’offre culturelle en région, avec le financement de grands chantiers comme le MUCEM de Marseille, qui ouvrira ses portes en 2013, et marque un effort particulier, engagé depuis plusieurs années déjà, en faveur des monuments historiques. L’an prochain, deux tiers des nouveaux chantiers de restauration se situeront en région. Je ne reviens pas sur le plan « musées en région ». Il faut se féliciter qu’on se préoccupe de cette façon de ces quatre vingts musées.

Je salue la constance avec laquelle vous avez toujours soutenu la création, qui bénéficie dans ce budget d’une aide accrue. Vous vous êtes toujours attaché à défendre les artistes et à promouvoir la création : c’est l’un des fils rouges de votre action, qui honore notre majorité. Les crédits accordés à la création vont augmenter de plus de 6 %, ce qui profitera pleinement au spectacle vivant. Quelles actions principales comportera le plan en sa faveur, doté de 12 millions d’euros sur trois ans ?

Pouvez-vous préciser les mesures annoncées il y a quelque jours pour renforcer le dynamisme des arts plastiques en France et le rayonnement de la France dans le monde en ce domaine ?

Je terminerai en soulignant le souci constant, qui fut d’ailleurs à l’origine de la création du ministère de la culture, de la démocratisation culturelle. Comment favoriser l’accès du plus grand nombre à la culture ? Le succès du premier musée nomade au monde, avec le Centre Pompidou mobile, est encourageant.

Je suis très heureux de vos propos sur le CNC. Un apaisement est en effet nécessaire. Auteur et rapporteur de la proposition de loi sur la numérisation des salles de cinéma, je me félicite qu’en moins d’un an, 56 % des salles aient été numérisées, ce qui place notre pays au premier rang en Europe.

J’ai été surpris, comme d’autres collègues, que la Cour des comptes remette en question l’efficacité de la gratuité accordée aux jeunes dans les musées. L’État a consacré des sommes importantes à cette action. L’analyse de la Cour est-elle étayée par les données dont vous disposez ?

Vous avez souhaité, il y a quelques mois, relancer les conventions territoriales de développement culturel entre l’État et les collectivités, qui doivent permettre, en lien avec le tissu associatif, de rendre plus visibles les initiatives de démocratisation culturelle. Votre démarche rencontre-t-elle un écho favorable de la part des collectivités et quelles retombées peut-on en attendre en matière d’offre culturelle ?

En conclusion, je vous confirme le soutien du groupe UMP à ce projet de budget.

M. Marcel Rogemont. Au risque de surprendre la présidente de la Commission des affaires culturelles, je fais miens, monsieur le ministre, vos propos sur le MUCEM et le fort Saint-Jean à Marseille. Pour m’y être rendu, je sais que vous parlez juste et que vos décisions sont pertinentes.

Par ailleurs, je loue vos efforts pour que le budget de la culture soit « sanctuarisé ». Mais l’a-t-il été vraiment ? Les crédits du programme « création » ont diminué de plus de 8 % en quatre ans, tombant de 798 millions en 2008 à 736 en 2011, et ne progressant que de 0,18 % en 2012.

Les crédits visant à faciliter l’accès à la culture des publics qui en sont les plus éloignés diminuent aussi. Cet objectif semble avoir été délaissé.

Le conseil de la création artistique, ce ministère bis dont l’existence même valait accusation d’incapacité pour le ministère à se renouveler, et pour les acteurs locaux de la culture à remettre en question les formes de leurs actions, a été supprimé. Tant mieux ! Mais a-t-on supprimé aussi toutes les actions engagées ? Je pense à celles conduites par Laurent Bayle avec des jeunes de la Seine-Saint-Denis, et d’autres aussi. Si tel n’a pas été le cas, sur quels crédits seront-elles financées ? Pourriez-vous faire un point précis sur ce qui a été fait, sur les perspectives ouvertes et, d’une manière plus générale, dresser le bilan de cette opération navrante ?

En tout état de cause, il y a aujourd’hui dix millions d’euros de moins pour le spectacle vivant. Une aide de 3,5 millions ne saurait donc être qu’un palliatif. Bref, vous semez à tout vent, mais pour récolter quoi ?

Vous évoquez un centre national de la musique. Comment sera-t-il financé ? Pouvez-vous définitivement infirmer que des crédits aujourd’hui alloués au CNC y seraient affectés ?

Un mot du centre national du livre, même si je sais que ses crédits ne relèvent pas de cette mission. Ce sont aujourd’hui les éditeurs qui financent la chaîne du livre.

On parle d’un éventuel centre national du spectacle vivant. Ne sont-ce que des mots ou le projet a-t-il plus de consistance ?

J’ai constaté que le ministère de la culture lance des appels d’offres en région pour mener des actions décidées à Paris. Mais il semble que celles-ci soient financées par des crédits déconcentrés. Si tel était le cas, cela signerait une recentralisation de ces crédits, mettant sous le boisseau, au profit d’une politique nationale avide de communication, de centaines d’initiatives locales ? Confirmez-vous ce type de pratique et ce mode de financement ?

Enfin, vous avez évoqué un toilettage des labels. Où en est ce travail ?

Mme Marie-Hélène Amiable. Le Président de la République a annoncé ce soir à la télévision que la prévision de croissance devait être ramenée de 1,7 % à 1 %. Cela oblige à trouver de six à huit milliards d’euros d’économies – ou de recettes –supplémentaires. Nous espérons que les plus aisés seront mis à contribution.

Les crédits de paiement de la mission « culture » paraissent augmenter très légèrement en 2012 mais ils correspondent à des dépenses engagées depuis plusieurs années. Les autorisations d’engagement, elles, diminuent de 4,3 % par rapport à 2011, hors inflation. Sur le quinquennat, les crédits seront tombés de 2,9 milliards d’euros dans la loi de finances pour 2008 à 2,6 milliards dans le projet de budget pour 2012. Tous les programmes sont touchés. Dans le programme « patrimoines », les crédits des actions « patrimoine monumental » et « patrimoine des musées de France » diminuent respectivement de 8 et 5 %. Comptez-vous déléguer aux collectivités, puis ultérieurement à d’autres acteurs, l’entretien, la rénovation et l’exploitation des monuments classés ou inscrits ?

Je n’entrerai pas dans le détail de la situation des musées, mais les six jours de grève des personnels, à la réouverture du musée d’Orsay, disent assez leur malaise. Je réaffirme par ailleurs notre soutien aux trois responsables syndicaux des Archives nationales menacés de sanction pour avoir organisé une conférence de presse dans leurs locaux contre la très contestable création de la Maison de l’histoire de France.

Le soutien à la création, à la production et à la diffusion du spectacle vivant perd 2,5 % de ses crédits, mais l’État n’assumera pas moins de 158 millions du chantier de construction de la Philharmonie de Paris. Dans ce contexte, comment financerez-vous la création du centre national de la musique annoncée par le président de la République mais qui n’apparaît pas dans ce budget ? La baisse de 770 000 euros des crédits alloués aux centres nationaux de création musicale et la diminution de 833 000 euros des crédits affectés aux orchestres permanents s’expliquent-elles par cette création ?

En juillet, les professionnels du spectacle vivant et de l’audiovisuel vous ont adressé une lettre ouverte pour dénoncer la mise au pilori récurrente des intermittents, dont le régime pourrait pourtant être quasiment à l’équilibre avec les cotisations des permanents de la profession. Que leur répondrez-vous ?

Mis à part le succès du centre Pompidou mobile, vos indicateurs montrent une chute impressionnante de l’effort de diffusion territoriale en matière d’arts plastiques, et notamment du taux d’exposition hors les murs des FRAC. Le programme Transmission des savoirs et démocratisation de la culture est aussi en baisse, de 5,7 %. Nous savons pourtant que l’accès à la culture constitue un enjeu démocratique et de cohésion sociale. C’est particulièrement vrai dans les territoires qui subissent de plein fouet les effets de la crise économique et sociale, où les inégalités se creusent dangereusement. Les efforts des seules collectivités locales, souvent en difficulté, ne peuvent suffire. Pourtant, la part des crédits d’éducation artistique et culturelle dirigés vers les territoires prioritaires au regard de la proportion des élèves qui y sont scolarisés continue de diminuer.

Vous nous avez dit qu’un accord est en passe d’être trouvé à propos du CNC. Nous serons vigilants car cet organisme modèle doit être préservé.

Enfin, vous vous félicitez de l’amélioration du « ratio de la gestion des ressources humaines » pour évoquer la réorganisation de l’administration centrale du ministère. Nous notons pour notre part que les crédits destinés aux actions en faveur de l’accès à la culture ont diminué de 40 % depuis 2007. Aussi le groupe GDR repoussera-t-il ce projet de budget.

M. Patrice Verchère. Votre ministère et le CNC ont défini un plan ambitieux d’aide à la numérisation des salles de cinéma, mais la pérennisation des cinémas itinérants n’est pas assurée. L’écran mobile participe à l’aménagement culturel du territoire en diffusant une production cinématographique de qualité en milieu rural. Les cinémas itinérants permettent de passer une soirée agréable en rencontrant voisins et amis, ils contribuent à l’animation de nos villages, distraient les publics de tous âges et rendent la vie en milieu rural plus attrayante. C’est un véritable service public, utile et original, qui ne peut être pérennisé sans le soutien des collectivités locales. Or, la numérisation met ces cinémas itinérants en péril. En effet, selon le rapport rendu par M. Michel Herbillon lors de l’examen de la proposition de loi relative à l’équipement numérique des établissements de spectacles, les circuits itinérants – ils étaient 131 en 2008 et desservaient 2 351 points de projection – demandent un équipement de projection adapté à leurs spécificités. Les contraintes sont nombreuses, à la fois matérielles et logistiques.

Un cahier des charges reflétant les spécificités des projections itinérantes devait être adressé aux fabricants de matériels de projection ; qu’en est-il ? Une fois ce cahier des charges rédigé, le CNC devait envisager un dispositif d’aide spécifique ; où en est-on ? Les associations, les bénévoles, les usagers et de nombreux maires s’inquiètent car il semblerait que l’on n’ait guère avancé. J’espère que vous allez les rassurer.

Mme Monique Boulestin. Le patrimoine culturel de la France est l’un des plus prestigieux du monde. Cet héritage commun nous oblige : nous devons le préserver et l’enrichir, dans un contexte difficile. C’est pourquoi les orientations budgétaires prises par votre ministère nous inquiètent.

Vous avez déjà répondu pour partie aux questions que je comptais vous poser sur le financement des grands projets – Maison de l’histoire de France, Philharmonie de Paris, MUCEM et nouveau centre des Archives nationales. Cependant, plusieurs fois, depuis des années, nous avons dénoncé les tensions budgétaires induites par la politique des grands chantiers culturels. La question a aussi été abordée en 2007 par la Cour des comptes qui, ayant constaté des dépassements et des surcoûts dans les investissements culturels, proposait de renforcer les outils de pilotage, de suivi et d’évaluation des opérations immobilières.

Aujourd’hui, M. Dell’Agnola, rapporteur spécial, s’inquiète du dépassement du plafond des dépenses fixé en loi de programmation des finances publiques et invite à une meilleure répartition des crédits sur le territoire. En effet, les opérations immobilières en cours sont pour la plupart concentrées en région parisienne. Dans ces conditions, comment évolueront les moyens financiers dévolus aux services déconcentrés de l’État, les DRAC, dont le rôle est d’assurer une certaine péréquation territoriale, conforme à l’esprit de la décentralisation ?

Autre sujet d’inquiétude : le ministère avait annoncé en 2010 un plan « Musées » doté de 70 millions d’euros sur trois ans. À l’époque, nous avions relativisé la portée de cette mesure – 70 millions à répartir en trois ans entre 79 structures, cela nous paraissait insuffisant. Or, les crédits 2012 destinés à ce plan diminuent de 8 millions en autorisation d’engagement et de 3 millions en crédits de paiement. Comment expliquer ces choix ?

Un dernier motif d’inquiétude tient aux crédits de fonctionnement des musées nationaux. Ils augmentent certes de 10 millions d’euros, mais cette hausse s’explique pour l’essentiel par une dotation de 5 millions d’euros en faveur de la Maison de l’Histoire de France – dont le coût total devrait s’élever à quelque 80 millions. La création de cet équipement très controversé a des conséquences de deux ordres : d’une part, le démantèlement des Archives nationales, des travaux sur un nouveau site et le transfert à Pierrefitte, pour un coût de 195 millions d’euros ; d’autre part, l’inscription de neuf musées nationaux dans le réseau de la Maison de l’Histoire de France. Pouvez-vous nous assurer que notre système muséal, qui a fait ses preuves en termes d’efficacité, de réactivité et de démocratisation culturelle, ne sera pas sacrifié pour satisfaire une vision très singulière de l’histoire de notre pays, et pour un coût exorbitant au regard de notre situation budgétaire?

Mme Marie-Odile Bouillé. Alors que l’accès du plus grand nombre de Français à la culture devrait être une obsession permanente, il semble que les crédits alloués aux actions du programme « Transmissions des savoirs et démocratisation de la culture » auront chuté de 40 % entre 2007 et 2012. Est-ce raisonnable ? Je veux croire que nous sommes tous attachés à l’éducation artistique et culturelle de la maternelle à l’Université. La lutte contre les inégalités d’accès à l’art devrait être une priorité politique. Pourquoi ne pas expérimenter dans le second degré des sections « art-études » comme il existe déjà des sections « sport-études » ?  

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. Monsieur Herbillon, lors de chacune de mes interventions relatives au Grand Paris, j’appelle au respect du principe du « 1 % culturel », obligation légale parfois malmenée, et je répète qu’il n’y aura pas de Grand Paris sans Grand Paris culturel. Cela peut paraître grandiloquent, mais j’observe que le président de la République a repris cette formule dans le discours qu’il a prononcé à la Cité de l’architecture.

Un mot, justement, à propos d’architecture. A mon arrivée au ministère, les architectes qui avaient œuvré au projet Grand Paris erraient dans un réel désarroi, sans lieu pour travailler et sans que leur travail soit reconnu. Avec Ann-José Arlot, j’ai installé au Palais de Tokyo l’Atelier international du Grand Paris, j’en ai rencontré les membres régulièrement et j’y ai amené le président de la République. Les architectes se sont enfin sentis investis d’une mission et, depuis deux ans, une émulation féconde a permis la réalisation de très beaux projets structurants. J’en donnerai pour exemple la transformation de la tour Médicis, située aux confins de Clichy-sous-Bois et de Montfermeil et qui était vouée à la démolition, en centre culturel et en résidence pour artistes. Cette opération, qui semblait utopique, sera réalisée, et une station de la future grande boucle du métro sera même installée au pied de la tour. C’est par des projets de ce type que le ministère de la culture s’insère dans le Grand Paris.

Le financement public du Palais de Tokyo n’excédera pas l’enveloppe initialement prévue, soit une vingtaine de millions d’euros. Dès l’origine, de 7 à 8 millions manquaient, mais la forme juridique particulière donnée à l’établissement prévoyait des apports privés, qui se feront. La crise de gouvernance du Palais de Tokyo est maintenant résolue et la nomination à sa présidence de M. Jean de Loisy, personnalité remarquable, a ranimé la confiance.

Beaucoup de critiques ont été exprimées sur le coût de la Philharmonie de Paris, important il est vrai, puisque compris entre 300 et 320 millions d’euros. Mais le financement du projet est pris en charge à 45 % par l’État, à 45 % par la Ville de Paris et à 10 % par la Région Île-de-France. C’est un projet magnifique. Rome, Berlin et Londres ont une philharmonie, et Paris, où Barenboïm ne s’arrête qu’une journée car il n’a aucun lieu où répéter, continuerait de ne pas en avoir ? La Philharmonie de Paris sera un auditorium digne de notre pays mais aussi la clef de voûte de la transmission musicale en France. On constate un formidable engouement pour la musique, mais les petites salles manquent aux artistes pour se produire. La Philharmonie de Paris le leur permettra : outre la grande salle de concert, plusieurs salles de moindre dimension composeront une cité de la musique complémentaire à celle qui existe.

L’installation de ce bâtiment à La Villette ne doit rien au hasard : c’est une ouverture voulue vers la banlieue Nord, dans une optique de désenclavement des grands équipements culturels, une autre composante de la nouvelle géographie définie dans le projet Grand Paris.

Nous avons la chance d’avoir des personnalités de premier plan – ainsi de Brigitte Lefèvre, directrice de la danse, ou d’Henri Loyrette, président du musée du Louvre qui, chacun dans leur domaine, ont fait des merveilles. Il en va de même pour Laurent Bayle, directeur de la salle Pleyel, de la Cité de la musique et de la future Philharmonie de Paris, qui est à l’origine de l’orchestre des jeunes Demos. Le projet Demos a permis dans un premier temps que de jeunes solistes enseignent la musique d’orchestre à 250 jeunes gens de quartiers défavorisés des banlieues ; deux ans plus tard, nous en sommes à mille adolescents et des contrats ont été signé avec quatre régions. Ce projet, qui a provoqué un afflux de bénévoles, deviendra dans les cinq ans un des grands projets français de démocratisation culturelle. Ceux qui ont assisté, salle Pleyel, à la première apparition publique de ces jeunes musiciens, auront constaté l’enthousiasme provoqué par cette adaptation du modèle vénézuélien des orchestres bolivariens. Les jeunes de Demos pourront répéter à la Philharmonie de Paris.

C’est donc bien d’un ensemble qu’il s’agit, ce qui explique pourquoi j’ai répondu à la fois à vos questions portant sur le Grand Paris, la transmission musicale et la démocratisation des pratiques culturelles par l’accès à la musique.

Je comprends que, lorsque nous décidons de financer des équipements importants, on puisse s’émouvoir de nos choix, et considérer que tous ces gens du ministère se donnent bien du mal pour favoriser les grands chantiers plutôt que la transmission des savoirs. En réalité, les paramètres ont changé, non les budgets : on a fait passer les crédits d’un tiroir à un autre.

Dans le même temps, certains grands chantiers sont indispensables, et nous les finançons de la manière la plus judicieuse. Comme je vous l’ai dit, au Palais de Tokyo, nous nous en tenons à l’enveloppe prévue, et nous avons modifié la gouvernance. Quant à la réfection du Musée Picasso, qui demandera 50 millions d’euros, elle devait être faite. Le musée a été ouvert à la hâte il y a 30 ans sans même l’avis conforme de la Commission de sécurité, et avec un tiers seulement de la dation consentie – le reste des œuvres a été confié en dépôt à d’autres musées, qui ne veulent pas les restituer… En l’état, le musée Picasso ne fonctionne plus. Aussi Anne Baldassari, son héroïque directrice, sachant que la dotation de l’État ne suffirait pas à payer les travaux de la nouvelle aile, a-t-elle cherché, et trouvé de l’argent toute seule, en organisant notamment des expositions à Moscou ou à Saint-Pétersbourg. Les grands chantiers sont donc financés attentivement.

Le poids de Paris serait trop important par rapport à celui des régions ? Mais l’objectif de la Philharmonie est de permettre que s’y exprime tout ce qui ne peut se faire ailleurs en France. De même, le Palais de Tokyo sera le catalyseur de tous les FRAC, qui pourront y exposer leurs œuvres. Certes, tout cela aura lieu à Paris, mais en coopération avec les régions, ce qui n’était pas le cas auparavant. Il ne s’agit nullement de constituer une forteresse, mais de donner un rayonnement supplémentaire aux régions.

S’agissant du plan d’action pour les arts plastiques et du plan d’action pour la mode, la mesure la plus importante consiste en l’ouverture d’une ligne de soutien supplémentaire, garantie par l’Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles.

L’IFCIC soutiendra donc désormais non plus seulement le cinéma, mais aussi la mode et les arts plastiques, à hauteur d’un million d’euros chacun. Il fournira ainsi aux galeries, notamment émergentes, un relais de trésorerie leur permettant de défendre les artistes et de disposer de plus de place pour installer leurs œuvres.

Ce plan d’action en faveur des arts plastiques a été très favorablement accueilli, dans un domaine qui suscite pourtant bien des passions. Le plan s’étend notamment à l’enseignement. Pour ce qui relève du ministère de la culture, ce domaine est presque entièrement passé au système LMD au cours des deux dernières années, ce qui peut être porté à notre crédit.

On a raillé les 12 millions d’euros répartis sur trois ans du plan d’action pour le spectacle vivant. Mais si cette somme est bien dépensée, si elle est affectée là où le besoin s’en fait sentir, ce ne sera pas si mal ! Sans vouloir faire de polémique, le montant ne semblerait pas si misérable si l’on n’avait pas avancé des chiffres fantaisistes par ailleurs. Du reste, lorsque j’ai présenté le plan au festival d’Avignon, personne n’a ricané ! Si nous pouvons faire plus, nous le ferons. Pour l’heure, la somme permettra de créer deux scènes nationales supplémentaires et d’aider certains centres chorégraphiques qui en ont terriblement besoin.

L’affaire de l’hôtel de la Marine est en passe d’être résolue. La semaine même de mon entrée en fonctions, j’ai dit au chef de l’État qu’on allait à la catastrophe, que l’hôtel de la Marine avait toujours appartenu à l’État et qu’il représentait un emblème intouchable. Je lui ai suggéré de créer une commission pour y réfléchir, présidée par une personnalité respectée. C’est ce qu’il a fait, en désignant M. Giscard d’Estaing, et je ne peux que m’en réjouir. Il est également heureux que l’administration du monument soit confiée au Louvre, notre établissement public le plus performant, comme tous le souhaitaient.

Cette affaire m’a valu bien des angoisses, de la fatigue, a nourri bien des intrigues et des rumeurs, mais j’ai le sentiment – permettez-moi de le dire – d’avoir bien travaillé. Je note d’ailleurs que la commission est pour l’essentiel constituée des personnes dont nous avions proposé les noms au président Giscard d’Estaing.

Monsieur Herbillon, j’ignore ce qui permet à la Cour des comptes d’affirmer que la gratuité de l’accès aux musées pour les jeunes n’est pas une réussite. Au contraire, elle a permis d’accroître de 50 % la fréquentation régulière des jeunes qui en bénéficient. J’ai du reste étendu la mesure aux jeunes étrangers non européens légalement installés en France pour y faire leurs études. L’effet financier en est minime, les conséquences sociologiques en sont considérables.

Cela étant, je ne suis pas favorable à la gratuité partout et pour tous. Ce qui a une valeur a un prix. Personne n’est choqué de payer au prix fort des places de concert dans le privé. Quand on a plus de vingt-six ans, on devrait pouvoir payer neuf euros pour passer au Louvre une journée qui enrichira le reste de sa vie.

Je suis très fier, monsieur Herbillon, des conventions de développement culturel que nous avons instaurées. La première convention de la nouvelle vague a été conclue il y a deux mois avec trois petites communes d’Auvergne, pour une somme modeste, et la deuxième il y a quinze jours, avec Bordeaux. D’ici à la fin janvier, nous en aurons signé soixante-dix. Il s’agit de véritables programmes triennaux par lesquels l’État, par l’intermédiaire de mon ministère, s’engage, à certaines conditions que la collectivité locale devra respecter, à investir, à construire, à favoriser la démocratisation de la culture, à soutenir les associations, sans que soit oubliée la part d’imprévu contre laquelle on ne peut se prémunir. Soixante-dix conventions : nous retrouvons les chiffres de l’époque de Michel Guy ou de Jack Lang. Je salue le travail de Guillaume Boudy, secrétaire général du ministère, de Philippe Bélaval et de leurs équipes.

Votre évocation du cinéma itinérant, monsieur Verchère, me rappelle le merveilleux film de trois minutes réalisé par Wim Wenders à l’occasion du 60e anniversaire du festival de Cannes, qui montrait combien cette pratique a forgé l’identité cinématographique de bien des pays. Quand j’avais votre âge, j’ai fait venir à Paris, dans un petit square du 14e arrondissement, le premier ciné-camion, qui offrait trois cents places et qui a rencontré un formidable succès. Le festival de Lussas – où ma visite a d’abord suscité quelque émoi, car on n’y partage guère les convictions que l’on a coutume de prêter, à tort, au ministre de la culture – accueillait cette année deux superbes cinémas itinérants. Quelle n’a pas été ma surprise d’apprendre que, trente ans après mon ciné-camion, les choses n’avaient guère changé ! Ces équipements coûtent encore très cher, près d’un million d’euros, soit beaucoup plus que les systèmes allemands. Mais j’imagine que les 131 cinémas itinérants que vous évoquez reposent sur des installations beaucoup plus modestes et sont fortement concurrencés par d’autres formes de transmission des images.

Je ne peux répondre à votre question à l’instant, mais je m’engage à m’occuper de ces cinémas, dans le contexte, rappelé par le président Herbillon, des progrès de la numérisation..

Madame Boulestin, vos questions étaient très justes, comme toujours. Mais il n’y a pas de démantèlement des Archives, au contraire. Je me rends demain à Bar-le-Duc pour y ouvrir les archives de la Meuse. J’ai travaillé toute ma vie sur les archives, je les respecte et je les aime. L’État a décidé, et je l’approuve, de construire à Pierrefitte un centre d’archives enfin moderne, qui s’étendra sur 66 000 mètres carrés en plus des 15 000 mètres carrés restant à Paris. En d’autres termes, la surface dévolue aux archives sera multipliée par plus de trois, passant de 22 000 à 80 000 mètres carrés. Le coût des travaux, décidé avant mon entrée en fonctions mais maintenu sous mon autorité, sera de 273 millions d’euros. Malgré la RGPP – dont tout le monde souffre, mais que j’estime quant à moi nécessaire –, quelque soixante emplois ont été créés aux Archives.

La future Maison de l’histoire de France, dont je ne désespère pas de vous démontrer l’intérêt, doit être installée dans le site parisien libéré par les Archives nationales. Toutes les archives antérieures à 1790 resteront cependant à Paris : la Maison de l’histoire de France n’occupera que 10 000 mètres carrés, dont les Archives n’ont pas besoin – 80 000 mètres carrés sont bien suffisants pour mettre à plat ce qui était disposé en hauteur !

Le problème, c’est que les personnels des Archives, abandonnés pendant vingt-cinq ans, se sentent mal aimés, et sont furieux qu’on leur demande de se déplacer. Pourtant, je n’ai cessé de dialoguer avec eux. Quant aux sanctions « insupportables » dont vous avez parlé, madame Amiable, il ne s’agit que de menaces de sanctions, adressées à trois personnes qui ont mal agi en organisant un véritable meeting politique aux Archives, alors que nous les avions mises en garde. Ces personnes ne seront sanctionnées que si elles récidivent.

Quant à l’ouverture des jardins dans un quartier de Paris dépourvu d’espaces verts, elle est très bien accueillie par les habitants – un peu moins bien, c’est vrai, par des personnels qui n’ont pas l’habitude de voir des enfants et des fleurs gagner un lieu qu’ils ont soigneusement tenu à l’écart de la vie du quartier. Pardonnez-moi d’être quelque peu polémique : parfois, cela ne fait pas de mal de dire ce que l’on pense !

Monsieur Rogemont, le projet de création du Centre national de la musique est le fruit de l’excellent rapport de la mission réunissant notamment Daniel Colling, Alain Chamfort, Didier Selles et Franck Riester, qui ont auditionné 1 000 représentants de la filière musicale. Cette filière est en ruine. Elle a perdu 60 % de son chiffre d’affaires ; du point de vue des emplois, du renouvellement des talents, c’est une catastrophe. Le secteur tout entier appelle de ses vœux le Centre national de la musique.

On soupçonne le ministère de vouloir se défausser sur le Centre ; en créant ce dernier, il veut au contraire réagir plus efficacement à cet effondrement de la filière. D’autre part, nous sommes aussi attentifs aux difficultés du spectacle vivant qu’à la faillite de la filière musicale. Rien ne dit que la mission sur le spectacle vivant formulera les mêmes propositions que la mission sur la musique, mais si la première permet d’apporter des ressources supplémentaires au spectacle vivant, tant mieux : le Centre national de la musique ne privera pas le spectacle vivant d’un sou ni d’une once de notre attention.

Comment financer le Centre national de la musique ? À cette question, je n’ai pas encore de réponse. Elle dépendra de la préfiguration, qui sera menée sous l’égide d’une personnalité choisie parmi les remarquables hauts fonctionnaires de la Cour des comptes ou du Conseil d’État qui ont accompli avec succès des missions analogues depuis que je suis ministre.

Une chose est sûre, même si les fournisseurs d’accès ne doivent pas servir de vache à lait sous prétexte qu’ils gagnent de l’argent, il reste qu’ils diffusent de la musique en permanence, et que les tuyaux sont devenus les maîtres du contenu : il faut donc rétablir l’équilibre. Le travail du préfigurateur devrait confirmer cette orientation et en préciser les modalités et le cadre juridique. Pour ma part, je me bornerai à lui indiquer le coût du projet et à lui demander de tenir compte de l’évolution radicale de l’économie de transmission de la culture au cours des dernières années.

Madame Amiable, je suis d’accord avec vous sur le besoin de culture et sur la nécessité de protéger certains statuts. Mais le statut des intermittents n’est pas menacé : il est préservé jusqu’à fin 2013, jusqu’à une échéance inévitable que nous avons déjà repoussée. Je n’ai jamais été victime de l’accès de prurit libéral que ce statut suscite régulièrement et dont la presse économique se fait l’écho.

En ce qui concerne enfin les relations avec les collectivités locales, nous avons réussi, malgré les inquiétudes, à maintenir le système des compétences croisées. Cela permet de préserver un dialogue avec les collectivités locales et un maillage culturel du territoire bien plus satisfaisants.

M. Yves Censi, président. Merci, monsieur le ministre, au nom de tous mes collègues.

M. Michel Herbillon, président. Je vous remercie également, monsieur le ministre, du soin que vous avez apporté à nous répondre.

La réunion de la commission élargie s’achève à minuit cinq.

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