Note relative à la crise financière et à la
recherche de solutions politiques à cette crise
Alors que la
crise financière actuelle déclenchée par les "subprimes" à l’été
2007, se prolonge et s’amplifie chaque jour, un consensus semble
aujourd'hui s'établir au sujet de l'action nécessaire de la
puissance publique pour améliorer les régulations d'un système
financier défaillant.
On peut
regretter à cet égard une conversion bien trop tardive des adeptes
du "laisser –faire" à cette approche politique car c'est bien parce
que les dérives du capitalisme financier ont été depuis trop
longtemps tolérées voire encouragées par certains responsables
politiques et de nombreuses autorités en place que la recherche de
solutions pertinentes et rapidement efficaces vis-à-vis de l'Economie
réelle se révèle aujourd'hui particulièrement difficile.
Les
préconisations seront en tout état de causes d'autant plus adaptées
à la situation présente que le diagnostic opéré sera fondé, juste et
précis.
Cette note a dès
lors pour vocation de contribuer à apporter un éclairage spécifique
sur quelques éléments à nos yeux essentiel, dans l'explication
politique de la situation actuelle de crise du système financier (I)
avant de mettre en avant quelques préconisations de lignes d'actions
réformatrices du système à privilégier dans les décisions à venir (II).
I Un contexte
politique coupable de "laisser-faire"
A Un
environnement « pousse au crime »
a) Le
développement de la finance de marché, et de gigantesques marchés de
produits dérivés
Au cours des
dernières décennies la part des actifs financiers dans le PIB a
augmenté de 346%, illustrant la dépendance croissante de l’économie
à l’égard de
la finance. A
cela s’ajoute le développement spectaculaire des marchés des
dérivés de crédit (dont le volume a été multiplié par 67 entre
2001 et 2007 où il atteint 62 trillions de dollars) et bien sur
celui des marchés de titrisation.
Le développement
du marché de la titrisation depuis les années 90, a pour effet une
dissémination de certains sous-jacents via des produits financiers
mondialement transmissibles.
Les marchés des
dérivés de crédit sont des marchés de gré à gré qui ne sont ni
réglementés ni organisés. En conséquence, le principe de
transparence n’est pas garanti, et l’égalité de traitement des
acteurs non assurée. Le porteur du risque n’est pas non plus
clairement identifié. Le risque de contrepartie n’est pas assuré,
puisqu’il n’y a pas de chambre de compensation.
Les produits
ainsi distribués sont valorisés en « fair value »,
c'est-à-dire selon la méthode du mark to market, à la valeur
de marché. Les "subprimes", dont le risque a été disséminé, tel un
virus, par l’intermédiaire des opérations de titrisation, ont
provoqué une crise de défiance vis-à-vis des produits titrisés qui
leur étaient liés. En conséquence, il est devenu impossible de
valoriser, de façon objective et fiable, les produits titrisés liés
aux "subprimes ", ce qui a eu un effet d’amplification de
l’effondrement du marché de la titrisation (effet pro-cyclique) .
Le développement
du marché de la titrisation a eu un effet pervers considérable :
au-delà des effets directs sur les bilans et sur les besoins en
fonds propres prudentiels des banques, celles- ci ont dû porter non
plus un risque de crédit mais un risque de marché.
La faiblesse des
taux d’intérêt a participé à l’augmentation des volumes de crédit
accordé par les banques ; les crédits consentis ayant augmenté plus
vite que les ressources figurant au passif des bilans des banques,
ces dernières ont été amenées à recourir de façon croissante à
l’émission de produits de marché pour les financer. Les produits de
marché finançant les banques sont détenus par des investisseurs
institutionnels, d’où une volatilité plus importante.
b) la recherche
d’une rentabilité de très court terme et les bonus des traders
Les acteurs sont
tous à la recherche constante d’un rendement additionnel d’un ou
quelques points de base sur leur placement de court terme.
Les traders ont
joué un rôle majeur dans le développement de la crise,. Le système
« pile je gagne, face tu perds », caractérise le mode de
rémunération des traders (une partie fixe et une partie variable).
Les agences de
notation ont , elles aussi, un mode de fonctionnement qui met en
jeu des conflits d’intérêt : les fonctions d’analyse et les
fonctions commerciales ne sont pas toujours distinctes. La
rémunération par les émetteurs, clients des agences de notation met
en question le "business model" de celles-ci. La rémunération par
stock option induit, elle aussi, une incitation à mieux noter les
émetteurs pour pouvoir augmenter le volume des transactions à venir.
Enfin, les
dirigeants des grandes banques ou fonds d’investissement, sont eux
aussi pris dans une logique de conflit d’intérêt. Il importe, de
chercher à réformer leur statut. La proposition de loi récemment
présentée par le groupe socialiste au Sénat visait à atteindre un
tel objectif. Elle a été rejetée par la Droite! C'est dire la
distance entre les déclarations d'intention vertueuses et les
actions concrètes de nature législative qui tardent à venir… .
B Une
régulation insuffisante, des contrôles aux moyens limités
a)
L’insuffisance de la régulation bancaire
La régulation
bancaire est centrée sur les risques de crédit, et peu développée
sur les risques de marché et de liquidité. Les normes bancaires
issues de Bâle II, peuvent conduire à une sous-estimation des
besoins en fonds propres au bout de quelques années d’un cycle
favorable, comme elles pourraient conduire à une surestimation de
ces mêmes besoins au bout de quelques années d’un cycle
défavorable ; les normes de Bâle II sont donc souvent dites « pro-cycliques ».
Les risques de
marché sont faiblement appréciés : rien ou presque n’a été fait,
tout au long des travaux de Bâle II, pour améliorer la compréhension
des risques courus par les banques au titre de leurs activités de
marché. Pourtant, le développement sans précédent des marchés
dérivés, aurait exigé que l’on définisse d’autres normes bancaires
que la « value at risk ».
b) Les
faiblesses de la régulation comptable
La régulation
comptable élargit le champ d’application des valorisations de
marché. Les normes IAS – IFRS s’appliquent en France depuis 2005,
elles valorisent à des valeurs de marché de nombreux actifs
financiers précédemment valorisés au coût historique.
Or, ces méthodes
de valorisation accroissent la volatilité des prix des actifs et
peuvent entraîner des effets pro cycliques ; en période de
crise aiguë, les méthodes comptables conduisent à des effets
d’aggravation : la dépréciation des valorisations de produits peut
conduire à des obligations de cessions et s’inscrivent dans une
spirale de baisse cumulative.
c) Les agences
de notation
Un problème
majeur apparaît dès lors que les agences de notation qui appliquent
des "notations de crédit" à des produits qui doivent être regardés
comme des "produits de marchés".
L’organisation
des agences de notation repose sur un conflit d’intérêt potentiel
et permanent : en effet, les agences sont rémunérées par les
émetteurs qu’elles notent.
II …Ce qu'il
faut changer : reforme profonde de la gouvernance et accroissement
indispensable de la transparence
L’enjeu majeur
pour les Pouvoirs Publics repose sur les modalités de gouvernance du
système : quelles Autorités Publiques, quelle répartition des rôles
de contrôle, quels leviers d'action mais aussi quel contrôle
démocratique (parlementaire notamment) sur le fonctionnement du
dispositif global. Il va de soi que le levier fiscal doit pouvoir
être plus largement exploité à l'avenir en particulier pour tout ce
qui touche aux incitations et rémunérations des acteurs. Cet aspect
n'est pas développé ici car dans l'immédiat la question cruciale
est avant tout, vu l'urgence de la situation, la hiérarchisation des
mesures et solutions à préconiser, tant au plan international que
national A cet égard et sachant que l'urgence du moment appelle une
focalisation sur des préconisations "techniques" et options
privilégiées de régulation, quatre thèmes d'action prioritaires ont
été ici abordés.
A) Améliorer la
gouvernance : une réorganisation nécessaire des autorités de
régulation internationale
Plusieurs
instances internationales interviennent dans la régulation de la
finance internationale : le FSF (Forum de Stabilité financière), la
Banque mondiale et le FMI, le G7, l’OCDE…ces instances n’ont pas de
compétence spécifiquement dédiée à la régulation des marchés
financiers. Le premier objectif des Pouvoirs Publics doit donc être
de définir le périmètre des compétences attribuées aux
instances qui seront chargées de la régulation du système financier
international.
Le
renforcement des systèmes d’alerte,
travail déjà effectué par le FSF, pourrait être complété par le FMI
et la BRI. Il serait utile que le rôle d’observatoire des marchés et
de recueil de statistiques de la BRI, conjointement avec le FMI,
soit développé pour identifier et alerter, lorsque c’est possible,
sur le développement de bulles spéculatives annonciatrices de
crises.
A titre
d’exemple, en ce qui concerne la BRI, les comités placés auprès de
la Banque des Règlements Internationaux à Bâle doivent être réformés
pour devenir plus représentatifs de la diversité de l’Economie
mondiale, et donc intégrer une représentation des grandes Economies
émergentes
Une
amélioration de l’architecture européenne :
il apparaît nécessaire de garantir une application harmonisée des
textes communautaires en renforçant les dispositions techniques de
niveau 3. Ces normes doivent favoriser la convergence des pratiques
des superviseurs sur la base d’une interprétation commune des
mesures législatives ou réglementaires, sans remettre en cause le
texte supérieur.
En matière
comptable, il n’existe pas de comité de niveau 3, mais l’EFRAG (European
Financial Reporting Advisory Group), organisme privé chargé de
donner des avis à la Commission, pourrait jouer un rôle plus
important en matière d’harmonisation et de mise en œuvre des normes
comptables en Europe.
La convergence
des dispositifs de supervision bancaire doit être renforcée, ce qui
relève de la volonté politique des Etats membres.
B) Renforcer la
transparence et la qualité de l’information
Il convient
d'exiger que la publication par les banques de manière détaillée de
leurs expositions aux "subprimes" et aux différents produits
assimilables.
Il convient de
prévoir la prise en compte des structures et véhicules hors bilan
par les superviseurs : la création de véhicules hors bilan est la
conséquence d’arbitrages réglementaires et comptables, leur
particularité est de se situer hors du champ d’intervention de la
régulation, et de n’être pas soumise aux normes comptables de
consolidation.
L’information
financière doit être de qualité, c'est-à-dire complétée par des
plateformes d’information sur les risques pris par les banques avec
une consolidation de l’information globalisée. L’information
"nationale" n’a plus de sens, il faut pouvoir suivre les risques. Il
importe donc de développer un système d’information qui permette de
générer de l’information globalisée.
Il paraît très
indiqué de soutenir la création d’une structure internationale
d’enquêtes contre les abus de marché et la fraude financière,
une sorte d’Interpol financier. Cette proposition, avancée par l’AMF,
est destinée à s’attaquer aux abus de marché et à la fraude
financière.
En ce qui
concerne les produits dérivés de crédit, il convient
d’envisager la mise en place d’un marché organisé avec une chambre
de compensation destinée à gérer le risque de contrepartie et
assurer une plus grande transparence dans la formation des prix.
C) Réformer les
normes financières (comptables et prudentielles) internationales
1 Harmoniser
les normes financières internationales : tout effort de
régulation doit s’accompagner d’une démarche de coopération
internationale en vue d’une harmonisation réglementaire, et ce afin
d’éviter l’arbitrage réglementaire. Il importe de faire converger
les approches de régulation, et en premier lieu, de s’assurer du
sérieux de la régulation mise en place aux Etats-Unis en matière de
régulation du marché du crédit. Il importe en effet d’éviter que des
intermédiaires financiers, à l’origine des "subprimes", ne
puissent octroyer des crédits sans contrôle.
2 Une
surveillance prudentielle renforcée en matière de fonds propres,
de liquidité et de gestion des risques. Il pourrait être
envisagé, à l’instar de ce que propose le FSF, de renforcer, au-delà
des exigences prévues par Bâle II, les exigences en fonds propres
des banques pour absorber le surcroît de risque qu’elles prennent
lorsqu’elles réalisent des opérations complexes ou de titrisation.
Si Bâle II prévoit déjà de renforcer les exigences de fonds propres
pour les produits titrisés, il faut considérer avec circonspection
l’hypothèse de la fixation d’un taux plus restrictif car il
provoquerait des arbitrages réglementaires. Il parait important de
remettre en cause le modèle « originate and distribute » à
l’œuvre aux Etats-Unis, en retenant dans le bilan de la banque qui
procède à la titrisation, la tranche de risque la plus élevée.
3 En matière
comptable, s'il paraît difficile de revenir de façon instantanée sur
le système actuel de "mark to market", il importe pour autant de
mettre en œuvre une politique rigoureuse d'évaluation des "papiers"
exposés aux risques de type "subprimes".
D) Les agences de
notation
Le rapport Mc
Creevy (qui sera prochainement publié par la Commission européenne)
prévoit notamment de renforcer les exigences en matière de
déroulement du processus de notation en exigeant par exemple
l'expertise de plusieurs analystes. Le FSF a de son côté proposé de
créer une échelle de notation différenciée pour les produits
structurés. Cette mesure permettrait d’éviter les confusions et
renforcera la discipline de marché en incitant les investisseurs à
développer leur propre analyse.
Pour éviter les
conflits d’intérêt, résultant de la rémunération des agences de
notation par les seuls émetteurs, en particulier les émetteurs de
papiers titrisés, il importe de rechercher les moyens de dissocier,
dans l’organisation interne, la fonction d’analyse et de notation de
la fonction commerciale ( et non pas de la fonction de conseil qui
n’existe pas dans les agences de notation)
-il est
difficile, pour la puissance publique, de chercher à « développer
le nombre d’agences de notation ». Il existe, déjà, plusieurs
agences de notations qui permettent, de fait, des pratiques de mise
en concurrence qualifiées de « rating shopping ».