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Groupe de travail Assemblée nationale - Sénat
sur la crise financière internationale

Contribution de M. François MARC, sénateur du Finistère (SRC)

 

Note relative à la crise financière et à la recherche de solutions politiques à cette crise

           

Alors que la crise financière actuelle déclenchée par les "subprimes" à l’été 2007, se prolonge et s’amplifie chaque jour, un consensus semble aujourd'hui s'établir au sujet de l'action nécessaire de la puissance publique pour améliorer les régulations d'un système financier défaillant.

On peut regretter à cet égard une conversion bien trop tardive des adeptes du "laisser –faire" à cette approche politique car c'est bien parce que les dérives du capitalisme financier ont été depuis trop longtemps tolérées voire encouragées par certains responsables politiques et de nombreuses autorités en place que la recherche de solutions pertinentes et rapidement efficaces vis-à-vis de l'Economie réelle se révèle aujourd'hui particulièrement difficile.

Les préconisations seront en tout état de causes d'autant  plus adaptées à la situation présente que le diagnostic opéré sera fondé, juste et précis.

Cette note a dès lors pour vocation de contribuer à apporter un éclairage spécifique sur quelques éléments à nos yeux essentiel, dans l'explication politique de la situation actuelle de crise du système financier (I) avant de mettre en avant quelques préconisations de lignes d'actions réformatrices du système à privilégier dans les décisions à venir (II).

 

I Un contexte politique coupable de "laisser-faire"

 

A Un environnement « pousse au crime » 

 

a) Le développement de la finance de marché, et de gigantesques marchés de produits dérivés

Au cours des dernières décennies la part des actifs financiers dans le PIB a augmenté de 346%, illustrant la dépendance croissante de l’économie à l’égard de la finance. A cela s’ajoute le développement spectaculaire des marchés des dérivés de crédit (dont le volume a été multiplié par 67 entre 2001 et 2007 où il atteint 62 trillions de dollars) et bien sur celui des marchés de titrisation.

Le développement du marché de la titrisation depuis les années 90, a pour effet une dissémination de certains sous-jacents via des produits financiers mondialement transmissibles.

Les marchés des dérivés de crédit sont des marchés de gré à gré qui ne sont ni réglementés ni organisés. En conséquence, le principe de transparence n’est pas garanti, et l’égalité de traitement des acteurs non assurée. Le porteur du risque n’est pas non plus clairement identifié. Le risque de contrepartie n’est pas assuré, puisqu’il n’y a pas de chambre de compensation.

Les produits ainsi distribués sont valorisés en « fair value », c'est-à-dire selon la méthode du mark to market, à la valeur de marché. Les "subprimes", dont le risque a été disséminé, tel un virus, par l’intermédiaire des opérations de titrisation, ont provoqué une crise de défiance vis-à-vis des produits titrisés qui leur étaient liés. En conséquence, il est devenu impossible de valoriser, de façon objective et fiable, les produits titrisés liés aux "subprimes ", ce qui a eu un effet d’amplification de l’effondrement du marché de la titrisation (effet pro-cyclique) .

Le développement du marché de la titrisation a eu un effet pervers considérable : au-delà des effets directs sur les bilans et sur les besoins en fonds propres prudentiels des banques, celles- ci ont dû porter non plus un risque de crédit mais un risque de marché.

La faiblesse des taux d’intérêt a participé à l’augmentation des volumes de crédit accordé par les banques ; les crédits consentis ayant augmenté plus vite que les ressources figurant au passif des bilans des banques, ces dernières ont été amenées à recourir de façon croissante à l’émission de produits de marché pour les financer. Les produits de marché finançant les banques sont détenus par des investisseurs institutionnels, d’où une volatilité plus importante.

b) la recherche d’une rentabilité de très court terme et les bonus des traders

Les acteurs sont tous à la recherche constante d’un rendement additionnel d’un ou quelques points de base sur leur placement de court terme.

Les traders ont joué un rôle majeur dans le développement de la crise,. Le système « pile je gagne, face tu perds », caractérise le mode de rémunération des traders (une partie fixe et une partie variable).

Les agences de notation ont , elles aussi,  un mode de fonctionnement qui met en jeu des conflits d’intérêt : les fonctions d’analyse et les fonctions commerciales ne sont pas toujours distinctes. La rémunération par les émetteurs, clients des agences de notation met en question le "business model" de celles-ci. La rémunération par stock option induit, elle aussi, une incitation à  mieux noter les émetteurs pour pouvoir augmenter le volume des transactions à venir.

Enfin, les dirigeants des grandes banques ou fonds d’investissement, sont eux aussi pris dans une logique de conflit d’intérêt. Il importe, de chercher à réformer leur statut. La proposition de loi récemment présentée par le groupe socialiste au Sénat visait à atteindre un tel objectif. Elle a été rejetée par la Droite! C'est dire la distance entre les déclarations d'intention vertueuses et les actions concrètes de nature législative qui tardent à venir… .

 

B Une régulation insuffisante, des contrôles aux moyens limités

a) L’insuffisance de la régulation bancaire

La régulation bancaire est centrée sur les risques de crédit, et peu développée sur les risques de marché et de liquidité. Les normes bancaires issues de Bâle II, peuvent conduire à une sous-estimation des besoins en fonds propres au bout de quelques années d’un cycle favorable, comme elles pourraient conduire à une surestimation de ces mêmes besoins au bout de quelques années d’un cycle défavorable ; les normes de Bâle II sont donc souvent dites « pro-cycliques ».

Les risques de marché sont faiblement appréciés : rien ou presque n’a été fait, tout au long des travaux de Bâle II, pour améliorer la compréhension des risques courus par les banques au titre de leurs activités de marché. Pourtant, le développement sans précédent des marchés dérivés, aurait exigé que l’on définisse d’autres normes bancaires que la « value at risk ».

b) Les faiblesses de la régulation comptable

La régulation comptable élargit le champ d’application des valorisations de marché. Les normes IAS – IFRS s’appliquent en France depuis 2005, elles valorisent à des valeurs de marché de nombreux actifs financiers précédemment valorisés au coût historique.

Or, ces méthodes de valorisation accroissent la volatilité des prix des actifs et peuvent entraîner des effets pro cycliques ; en période de crise aiguë, les méthodes comptables conduisent à des effets d’aggravation : la dépréciation des valorisations de produits peut conduire à des obligations de cessions et s’inscrivent dans une spirale de baisse cumulative.

c) Les agences de notation

Un problème majeur apparaît dès lors que les agences de notation qui appliquent des "notations de crédit" à des produits qui doivent être regardés comme des "produits de marchés".

L’organisation des agences de notation repose sur un conflit d’intérêt  potentiel et permanent : en effet, les agences sont rémunérées par les émetteurs qu’elles notent.

 

II …Ce qu'il faut changer : reforme  profonde de la gouvernance et accroissement indispensable de la transparence

L’enjeu majeur pour les Pouvoirs Publics repose sur les modalités de gouvernance du système : quelles Autorités Publiques, quelle répartition des rôles de contrôle, quels leviers d'action mais aussi quel contrôle démocratique (parlementaire notamment) sur le fonctionnement du dispositif global. Il va de soi que le levier fiscal doit pouvoir être plus largement exploité à l'avenir en particulier pour tout ce qui touche aux incitations et rémunérations des acteurs. Cet aspect n'est pas développé ici car  dans l'immédiat la question cruciale est avant tout, vu l'urgence de la situation, la hiérarchisation des mesures et solutions à préconiser, tant au plan international que national A cet égard et sachant que l'urgence du moment appelle une focalisation  sur des préconisations "techniques" et options privilégiées de régulation, quatre thèmes d'action prioritaires ont été ici abordés.

A) Améliorer la gouvernance : une réorganisation nécessaire des autorités de régulation internationale

Plusieurs instances internationales interviennent dans la régulation de la finance internationale : le FSF (Forum de Stabilité financière), la Banque mondiale et le FMI, le G7, l’OCDE…ces instances n’ont pas de compétence spécifiquement dédiée à la régulation des marchés financiers. Le premier objectif des Pouvoirs Publics doit donc être de définir le périmètre des compétences attribuées aux instances qui seront chargées de la régulation du système financier international.

Le renforcement des systèmes d’alerte, travail déjà effectué par le FSF, pourrait être complété par le FMI et la BRI. Il serait utile que le rôle d’observatoire des marchés et de recueil de statistiques de la BRI, conjointement avec le FMI, soit développé pour identifier et alerter, lorsque c’est possible, sur le développement de bulles spéculatives annonciatrices de crises.

A titre d’exemple, en ce qui concerne la BRI, les comités placés auprès de la Banque des Règlements Internationaux à Bâle doivent être réformés pour devenir plus représentatifs de la diversité de l’Economie mondiale, et donc intégrer une représentation des grandes Economies émergentes

Une amélioration de l’architecture européenne : il apparaît nécessaire de garantir une application harmonisée des textes communautaires en renforçant les dispositions techniques de niveau 3. Ces normes doivent favoriser la convergence des pratiques des superviseurs sur la base d’une interprétation commune des mesures législatives ou réglementaires, sans remettre en cause le texte supérieur.

En matière comptable, il n’existe pas de comité de niveau 3, mais l’EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group), organisme privé chargé de donner des avis à la Commission, pourrait jouer un rôle plus important en matière d’harmonisation et de mise en œuvre des normes comptables en Europe.

La convergence des dispositifs de supervision bancaire doit être renforcée, ce qui relève de la volonté politique des Etats membres.

B) Renforcer la transparence et la qualité de l’information

Il convient d'exiger que la publication par les banques de manière détaillée de leurs expositions aux "subprimes" et aux différents produits assimilables.

Il convient de prévoir la prise en compte des structures et véhicules hors bilan par les superviseurs : la création de véhicules hors bilan est la conséquence d’arbitrages réglementaires et comptables, leur particularité est de se situer hors du champ d’intervention de la régulation, et de n’être pas soumise aux normes comptables de consolidation.

L’information financière doit être de qualité, c'est-à-dire complétée par des plateformes d’information sur les risques pris par les banques avec une consolidation de l’information globalisée. L’information "nationale" n’a plus de sens, il faut pouvoir suivre les risques. Il importe donc de développer un système d’information qui permette de générer de l’information globalisée.

 

Il paraît très indiqué de soutenir la création d’une structure internationale d’enquêtes contre les abus de marché et la fraude financière, une sorte d’Interpol financier. Cette proposition, avancée par l’AMF, est destinée à s’attaquer aux abus de marché et à la fraude financière.

En ce qui concerne les produits dérivés de crédit, il convient d’envisager la mise en place d’un marché organisé avec une chambre de compensation destinée à gérer le risque de contrepartie et assurer une plus grande transparence dans la formation des prix.

C) Réformer les normes financières (comptables et prudentielles) internationales

1 Harmoniser les normes financières internationales : tout effort de régulation doit s’accompagner d’une démarche de coopération internationale en vue d’une harmonisation réglementaire, et ce afin d’éviter l’arbitrage réglementaire. Il importe de faire converger les approches de régulation, et en premier lieu, de s’assurer du sérieux de la régulation mise en place aux Etats-Unis en matière de régulation du marché du crédit. Il importe en effet d’éviter que des intermédiaires financiers, à l’origine des "subprimes", ne puissent octroyer des crédits sans contrôle.

2 Une surveillance prudentielle renforcée en matière de fonds propres, de liquidité et de gestion des risques. Il pourrait être envisagé, à l’instar de ce que propose le FSF, de renforcer, au-delà des exigences prévues par Bâle II, les exigences en fonds propres des banques pour absorber le surcroît de risque qu’elles prennent lorsqu’elles réalisent des opérations complexes ou de titrisation. Si Bâle II prévoit déjà de renforcer les exigences de fonds propres pour les produits titrisés, il faut considérer avec circonspection l’hypothèse de la fixation d’un taux plus restrictif car il provoquerait des arbitrages réglementaires. Il parait important de remettre en cause le modèle « originate and distribute » à l’œuvre aux Etats-Unis, en retenant dans le bilan de la banque qui procède à la titrisation, la tranche de risque la plus élevée.

3 En matière comptable, s'il paraît difficile de revenir de façon instantanée sur le système actuel de "mark to market", il importe pour autant de mettre en œuvre une politique rigoureuse d'évaluation des "papiers"  exposés aux risques de type "subprimes".

D) Les agences de notation

Le rapport Mc Creevy (qui sera prochainement publié par la Commission européenne) prévoit notamment de renforcer les exigences en matière de déroulement du processus de notation en exigeant par exemple l'expertise de plusieurs analystes. Le FSF a de son côté proposé de créer une échelle de notation différenciée pour les produits structurés. Cette mesure permettrait d’éviter les confusions et renforcera la discipline de marché en incitant les investisseurs à développer leur propre analyse.

Pour éviter les conflits d’intérêt, résultant de la rémunération des agences de notation par les seuls émetteurs, en particulier les émetteurs de papiers titrisés,  il importe de rechercher les moyens de dissocier, dans l’organisation interne, la fonction d’analyse et de notation de la fonction commerciale ( et non pas de la fonction de conseil qui n’existe pas dans les agences de notation)

-il est difficile, pour la puissance publique, de chercher à « développer le nombre d’agences de notation ». Il existe, déjà, plusieurs agences de notations qui permettent, de fait, des pratiques de mise en concurrence qualifiées de « rating shopping ».

 


Voir aussi :

Rapport d'étape (13 novembre 2008)

Autres contributions de membres du groupe de travail

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