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SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. RUDY SALLES
1. Travail, emploi et pouvoir d'achat. – Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi (nos 4, 62)
Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, des finances et de l’emploi.
Rappels au règlement
MM. Jean-Pierre Brard, le président, Jean-Louis Idiart.
Reprise de la discussion
M. Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté.
motion de renvoi en commission
Motion de renvoi en commission de
Rappels au règlement
MM. Jean-Louis Idiart, Jean-Pierre Brard, le président.
Suspension et reprise de la séance
M. Didier Migaud, président de la commission des finances.
discussion des articles
Article 1er
Mme Martine Billard, MM. Henri Nayrou, Michel Liebgott, Pierre-Alain Muet, Paul Giacobbi, Gaëtan Gorce, Mme Annick Girardin.
Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
2. Ordre du jour des prochaines séances
(La séance est ouverte à neuf heures trente.)
La parole est à Madame la ministre de l’économie, des finances et de l’emploi.
Surnommé ici ou là « paquet fiscal », il n’est, vous l'aurez compris, ni un paquet cadeau pour les riches, ni un paquet piégé qui nuirait à la croissance, ni un paquet surprise dont on ne contrôlerait pas les conséquences. Il s’agit bien plutôt d’une boîte à outils dans laquelle ceux qui travaillent pourront trouver ce qu'ils cherchent. Je suis heureuse que M. Binetruy y ait déjà pioché des outils adaptés à sa circonscription. C'est à travers de telles applications concrètes, et non avec de simples théories générales, que l'on peut juger une loi.
Comme je vous l'ai annoncé hier, je répondrai à l’ensemble des questions qui ont été posées en une seule fois, dans un souci d'efficacité.
S’agissant d’abord de l’important sujet de la constitutionnalité du texte, je vous propose de la considérer article par article, lorsque cela s'avérera nécessaire. Je rappelle au passage que, jusqu’à preuve du contraire, le seul juge de la constitutionnalité est à ce jour le Conseil constitutionnel, mais je comprends que la constitutionnalité, ou l’inconstitutionnalité du texte soient invoquées pour meubler les débats ultérieurs. Je souligne en outre que le Conseil d'État a validé notre projet de loi dans toutes ses dispositions.
Je répondrai d’ores et déjà sur deux points particuliers.
Premièrement, le financement de la protection sociale. Le Gouvernement a annoncé clairement qu'il y aurait compensation intégrale des exonérations de cotisations sociales, conformément à la loi Veil de 1994. Les modalités devront en être fixées soit dans le projet de loi de finances, soit dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale. De ce fait, les salariés continueront à voir leurs droits sociaux ouverts, en particulier pour tout ce qui concerne le régime des retraites. La déduction des cotisations de sécurité sociale, j’insiste sur ce point, ne fera pas perdre des droits à la retraite aux salariés, qu’ils continueront à acquérir au fur et à mesure du temps travaillé. Le rapport de Gilles Carrez le souligne excellemment.
Deuxièmement, notre texte, que le Conseil d’État a validé, je le répète, respecte les principes d'égalité et de progressivité de l’impôt, de même que son caractère non confiscatoire – notion qui a été élaborée par le Conseil constitutionnel lui-même.
Venons-en maintenant aux arguments techniques avancés dans l’exception d’irrecevabilité et la question préalable.
M. Diefenbacher a déjà tout dit – et très bien – sur l'opportunité de ces deux motions de procédure : si l'on ne parlait pas du travail, sujet essentiel s'il en est à l'identité et à la force d'un pays, alors de quoi pourrait-on bien parler à l'Assemblée nationale ? On ne peut pas éternellement se contenter d'arguties idéologiques. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Notre projet de loi s'inscrit dans la droite ligne des engagements pris devant les Français par le candidat à la Présidence de la République, souscrits à nouveau quand il a été élu, puis repris par le Premier ministre dans son discours de politique générale devant votre assemblée et devant le Sénat. Ce texte constitue, je l’ai dit, le premier wagon du train de la réforme. D’autres wagons viendront s’y accrocher, dans l’intention de moderniser notre pays, comme l’a si bien rappelé M. Chartier.
Parmi ces mesures, figurera, je le dis pour rassurer certains d’entre vous, la sécurisation des parcours professionnels : sur ce sujet, les négociations entre les partenaires sociaux – puisque c’est là que le débat doit ne nouer – sont en cours et elles se dérouleront jusqu’à la fin de l'année, date à laquelle nous espérons des propositions de leur part.
Je suis assurée, et je vous remercie car c'est pour moi un réel réconfort, de pouvoir compter sur le soutien sans faille de tous les parlementaires de la majorité,...
En m’en tenant à l’analyse économique, je ferai avec humilité quelques observations sur les dispositions fiscales du texte.
D’aucuns ont préconisé des mesures ciblées sur l’offre, d’autres sur la demande. Notre texte prévoit en réalité une politique économique équilibrée, pragmatique, (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine) – et non pas dogmatique ou idéologique, qui serait exclusivement keynésienne ou friedmanienne. La politique doit reposer sur les deux piliers de l'offre et de la demande.
Dans le même esprit, nous avons proposé tout un train de réformes tout en nous en tenant à la consolidation budgétaire, comme nous l’avons indiqué à Bruxelles à nos partenaires européens,...
En faveur de l’offre, la première mesure consiste à permettre aux contribuables redevables de l’ISF d’investir dans les PME, dans le but de faciliter leur financement, leur accès à la trésorerie et la consolidation de leur fonds de roulement, ce dont ces entreprises ont tant besoin.
La deuxième mesure vise, afin d’améliorer l’offre française, à alléger...
La troisième mesure tend à mettre l’accent sur la recherche et l'innovation, en vue d’améliorer la compétitivité des entreprises et, au-delà, « l’offre France ». Les contribuables redevables de l’ISF pourront ainsi verser leur contribution – dans la limite de 50 000 euros – à des organismes de recherche d’utilité publique et à des organismes d’enseignement supérieur.
L’action sur la demande se traduit d’abord par le crédit d'impôt sur les intérêts d'emprunt : c'est une mesure de pouvoir d'achat, qui allège la dette de ceux qui, par le biais d’un emprunt, ont, au cours des cinq dernières années, accédé ou vont accéder à la propriété.
Une précision sur la portée de la loi. J’ai beaucoup entendu dire hier qu’il s’agissait d’un « paquet cadeau fiscal ».
Le premier poste, en termes d’impact budgétaire, correspond à celui des heures supplémentaires : 49 % du coût du projet. Or cette mesure s'adresse à tous les salariés. Pratiquement, c’est donc la moitié du coût du projet de loi qui concerne 15 millions de salariés du secteur privé et, si l’on inclut ceux du secteur public, cela fait 22 millions de salariés au total !
Merci, monsieur Tian, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, d'avoir rappelé toute l'utilité économique et sociale des heures supplémentaires !
J'en profite aussi pour rassurer M. de Courson : le Gouvernement n'a pas oublié les salariés qui ne sont pas soumis aux règles de droit commun en matière de durée du travail, notamment les journalistes et autres professions particulières. Tel est l'objet du point 6 du I de l'article 1er. Nous aurons l’occasion d’y revenir dans le cadre de la discussion des articles.
Par ailleurs, le Gouvernement a été attentif à maintenir une égalité de traitement entre les salariés, en prenant en compte les taux de majoration – taux conventionnel ou, à défaut, légal – pratiqués par leur entreprise.
Bien sûr, la mesure permettra aux entreprises qui le souhaitent de majorer leur taux si celui-ci est inférieur au taux légal, comme les exonérations les y incitent. Le premier poste du projet de loi affecte donc 49 % de son coût total aux heures supplémentaires dont peuvent bénéficier – je le rappelle – 22 millions de salariés dès lors, évidemment, que leur travail requière l’exécution d’heures supplémentaires.
Le deuxième poste principal, celui du crédit d’impôt sur les intérêts d’emprunt, s’élève à 28 % du coût estimé du projet de loi. Cette mesure concerne tous ceux qui achèteront un logement à titre de résidence principale ou qui l’ont acquis depuis moins de cinq ans, puisque nous avons limité le bénéfice du crédit d’impôt sur les intérêts d’emprunts aux cinq premières années.
D’un côté, le projet de loi s’adresse donc à 22 millions de salariés et à tous les Français désireux d’acquérir une maison principale – ils y aspirent pour la plupart –, de l’autre, il permet de faire entrer 95 % des successions dans le champ des mesures qu’il prévoit en matière de droits de mutation à titre gratuit.
Le premier concerne l’impôt minimum.
J’ai annoncé dans mon intervention initiale, laquelle, il est vrai, a parfois été couverte, ici ou là, de remarques, que je suis prête à travailler avec vous sur le sujet. C’est un engagement que vous pouvez prendre d’autant plus au sérieux que votre expérience et votre réflexion nous seront précieuses dans le travail que nous effectuerons sur ce texte.
Quant au deuxième point, la modulation et le repos compensateur, nous aurons l’occasion de l’examiner lors de l’examen de l’article premier. Je tiens toutefois à vous préciser d’ores et déjà que les salariés couverts par un accord de modulation pourront effectivement bénéficier des exonérations prévues pour les heures supplémentaires accomplies au-delà de la limite hebdomadaire ou annuelle du temps de travail. C’est la logique même des accords de modulation que de faire fluctuer la durée hebdomadaire de travail sur l’ensemble de l’année civile.
Plus généralement, aucun accord de branche n’interdira à une entreprise de choisir entre repos compensateur et paiement des heures supplémentaires et toutes pourront donc bien bénéficier des exonérations fiscales et sociales prévues par le projet de loi, soit immédiatement, soit en renégociant leur propre accord, si celui-ci est plutôt orienté vers le repos compensateur. De même, monsieur de Courson, les salariés des entreprises de transport routier effectuent de la trente-sixième à la trente-neuvième heures des heures dites d’équivalence, qui correspondent à des temps d’arrêt durant les opérations de chargement et de déchargement : il ne s’agit donc pas à proprement parler d’heures de conduite.
Monsieur Sébastien Huyghe, en ce qui concerne les parachutes dorés, je tiens à rappeler que les textes ne fixent aujourd’hui en la matière aucun critère ni ne prévoient, du reste, des règles d’appréciation des performances des dirigeants des entreprises. Le projet de loi du Gouvernement vise à modifier la situation actuelle de manière significative, notamment en prévoyant que le conseil d’administration fixe les conditions de performance des dirigeants et en apprécie le respect. Vous m’avez interrogé sur l’opportunité de confier cette responsabilité à l’assemblée générale des actionnaires. Il me semble que les conditions de performance varieront naturellement d’un secteur à l’autre : la performance d’une entreprise industrielle n’est pas celle d’une entreprise de services ou d’un groupe de la grande distribution. Or le conseil d’administration étant l’organe qui connaît le mieux l’environnement de l’entreprise, il me paraît de ce fait l’instance le mieux à même de fixer les critères permettant d’évaluer la performance. Par ailleurs la présence, au sein de ce conseil, de personnalités indépendantes,…
Je précise que des expertises ont été effectuées et qu’elles ont conduit à des conclusions.
De plus, les débats d’experts ne doivent pas masquer les débats politiques. Or c’est d’un débat politique qu’il s’agit aujourd’hui. Le Président de la République et la majorité ont, ensemble, proposé des solutions aux Français : ils les ont choisies en élisant Nicolas Sarkozy à la Présidence de la République et en reconduisant l’actuelle majorité à l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
Je voudrais maintenant répondre à M. Idiart (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen.). Monsieur Idiart, je suis déçue que vous n’ayez pas perçu la cohérence de mon intervention.
Je souhaite maintenant évoquer un point technique concernant les effets annexes sur les avantages sociaux.
L’exonération des heures supplémentaires ne touche pas le revenu fiscal de référence, qui sert de base au calcul des diverses aides. Toutefois, lorsqu’on gagne plus, il convient évidemment qu’il en soit tenu compte selon les règles habituelles afin que les aides soient ajustées à la rémunération perçue. Il n’est rien de plus normal que de se référer à la capacité contributive réelle du contribuable.
Quant au bouclier fiscal (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen), je me permettrai de faire une réponse synthétique à quelques-unes des interventions, avec l’espoir de couvrir l’ensemble des questions qui ont été posées.
En ce qui concerne plus précisément l’ISF et le bouclier fiscal, je rappellerai tout d’abord que le projet du Gouvernement ne comprend pas l’autoliquidation du bouclier fiscal. Du reste, même si elle était appliquée, je ne crois pas qu’une telle mesure générerait de la fraude.
Ensuite, en ce qui concerne les résultats du bouclier fiscal, je tiens à rappeler que ceux dont nous disposons à ce jour ne sont pas véritablement significatifs, du fait que la mesure n’est applicable que depuis le 1er janvier 2007. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Toujours est-il que M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, et les services fiscaux travaillent actuellement sous ma responsabilité afin que tous ceux qui y ont droit en soient avisés et puissent choisir, s’ils le souhaitent, d’en bénéficier.
Je partage, monsieur Giscard d’Estaing,…
Je souhaite, mesdames et messieurs les députés, conclure comme j’avais commencé.
Confiance, croissance, emploi : c’est dans cet ordre que nous devons procéder car c’est de la confiance que naît la croissance et de la croissance que peut naître l’emploi. La confiance, c’est d’abord un choc de confiance. Or les différentes analyses d’opinion nous démontrent que la confiance, cela se gagne et que nous sommes en train de la gagner.
Je souhaite de tout cœur avec vous, monsieur Censi, que les professionnels se mobilisent rapidement, dès la promulgation de la loi, pour donner son plein effet à ce choc. En effet, M. Taugourdeau nous l’a rappelé, c’est d’abord du moral de nos concitoyens – les salariés comme les chefs d’entreprise – que dépend l’essor d’une croissance forte, d’une croissance durable, la seule susceptible de garantir la création d’emplois.
La confiance, c’est le pays qui nous l’a accordée. Nous saurons la gagner et nous saurons la mettre à profit. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
Il existe des règles, madame la ministre, dans cet hémicycle. Ainsi, lorsque les députés l’interrogent, le ou la ministre doit répondre.
« Choc de confiance », « j’y crois » : des incantations, des actes de foi, mais à nos démonstrations précises, madame la ministre, à nos questions sur ce que rapporte à son bénéficiaire le bouclier fiscal, pas de réponse,…
Je prends donc acte de vos propos, mais ils ne s’appuient sur aucun article du règlement de l’Assemblée nationale. (Exclamations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical et citoyen.)
Nous avons interpellé Mme la ministre hier. Or même si, apparemment, aucune disposition du règlement ne prévoit qu’elle doive nous répondre, je note que, depuis quatorze ans que je suis ici, c’est la première fois que je constate ce genre d’attitude et que j’assiste à un exercice aussi déplorable. Aujourd’hui, nous n’entendons même pas, madame la ministre, que vous nous répondiez, mais seulement que vous nous disiez quelques mots à propos de nos interventions.
Je ne serais pas intervenu si Mme la ministre n’avait pas soutenu que le seul lieu où l’on puisse juger de la constitutionnalité des textes était le Conseil constitutionnel et que certains, dont moi, en l’occurrence, puisque j’ai défendu l’exception d’irrecevabilité, étaient intervenus pour « meubler le débat ». (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Je vous rappelle, madame la ministre, l’article 91, alinéa 4, du règlement : « Il ne peut ensuite être mis en discussion et aux voix qu’une seule exception d’irrecevabilité dont l’objet est de faire reconnaître que le texte proposé est contraire à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles et une seule question préalable, dont l’objet est de faire décider qu’il n’y a pas lieu à délibérer. »
Aussi, madame la ministre, n’avons-nous fait que remplir notre devoir ! M. de Courson a d’ailleurs repris une partie de mes arguments. (« Excellemment ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen.) Je voulais simplement rappeler cela : nous accomplissons notre devoir, madame la ministre, et si vous considérez que le vôtre est de ne pas nous répondre à l’instant, nous sommes pour notre part ici pour faire respecter les règles et nous sommes ici pour dire ce que nous pensons parce que nous représentons une large partie de l’opinion publique française. Ce n’est en effet pas parce que Nicolas Sarkozy a été élu Président de la République que tous les autres doivent se taire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Vous avez le droit de vous laisser « caporaliser » ; ce n’est pas notre cas. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine .)
Je tiens à remercier ceux qui, que ce soit pour les approuver ou pour les critiquer, se sont référés aux travaux que nous avions menés il y a quelques années au sein d’une commission d’étude. J’ai entendu dans vos interventions que vous vous étiez approprié ces travaux, vous érigeant en gardiens vigilants de l’avancement des réformes, dans le respect du consensus difficilement atteint entre syndicats, associations, employeurs et associations familiales.
Déjà, opposition et majorité avaient cherché une voie d’espoir pour nos concitoyens en très grande difficulté, sans commencer par les fustiger.
Je vais maintenant tâcher de répondre aux grandes questions soulevées au fil de vos interventions.
La première concerne la portée des dispositions du texte qui vous est soumis. Didier Migaud, Jean-Pierre Brard, Marisol Touraine, Étienne Pinte et d’autres parlementaires nous ont demandé pourquoi nous nous étions limités à ces premières dispositions et pourquoi nous n’allions pas d’emblée plus loin.
En ce qui concerne la portée de la démarche, d’où viennent les dispositions qui vous sont proposées ? Elles émanent des constats établis par les premiers conseils généraux avec lesquels nous avons travaillé cette année, de gauche comme de droite. Ils ont permis de définir une première série de dispositions. Je disais souvent à ce propos que l’on nous avait entrouvert une fenêtre obstruée néanmoins par un grillage – grillage symbolisant ici le fait qu’une partie seulement des allocataires du RMI des bénéficiaires de l’allocation de parent isolé était concernée par ces dispositions, à cause de contraintes techniques, juridiques et financières.
Les propositions que nous avons faites n’ont pas été conçues dans un bureau. Nous avons repris tous les constats réalisés sur le terrain en nous demandant de quelle manière modifier les textes pour rendre les mesures proposées possibles. Je peux vous garantir que si, il y a six mois, on avait dit à ces conseils généraux, à ces travailleurs sociaux que, six mois plus tard, on aurait la possibilité de faire sauter les verrous dont ils sont victimes, ils n’y auraient pas cru, ou alors ils auraient applaudi des deux mains.
Voilà ce que nous avons tenu à faire d’emblée.
J’insiste encore quelques instants sur notre démarche. Vous avez posé la question – que je comprends très bien – de savoir si, en avançant de la sorte, on se rapproche de l’objectif général consistant à diminuer le nombre de travailleurs pauvres et à faire en sorte que les minima sociaux n’« enferment » pas leurs bénéficiaires mais qu’on donne la possibilité aux uns et aux autres de travailler. N’allons-nous pas, au contraire, nous détourner de cet objectif en menant une réforme pour solde de tout compte ? La question se pose bien dans les termes que vous avez choisis.
Si vous relisez notre rapport de l’époque – et vous en êtes maintenant des lecteurs attentifs –, vous pourrez constater que nous n’avons jamais changé d’avis sur ce point, les difficultés auxquelles nous allions être confrontés ayant alors été bien identifiées.
J’en viens directement à la question du financement. Vous avez posé à cet égard plusieurs questions.
Première question : l’argent mis sur la table par le Gouvernement permettra-t-il d’atteindre les objectifs fixés ?
Deuxième question : le dispositif pèsera-t-il sur les finances des conseils généraux ?
Quatrième question, enfin : ne méconnaît-on pas la problématique du transfert des dépenses au moment des transferts de compétences ?
Christophe Sirugue, qui préside la commission sociale de l’Assemblée des départements de France, est particulièrement attentif à ces questions, et nous en discutons avec lui comme avec la présidente, Mme Lebreton, et l’ensemble des membres du bureau de l’ADF depuis plusieurs mois, et même de manière très rapprochée ces dernières semaines, afin d’étudier les moyens d’avancer.
Tout d’abord, de combien disposions-nous l’année dernière pour accompagner les premiers départements qui se lançaient dans l’expérimentation ? De 600 000 euros.
D’ici là, je vous demande à la fois de ne pas nous faire de procès d’intention et de ne pas prendre en otage les premières expérimentations au motif qu’il y a des sujets qui nous dépassent. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Laissez faire les expérimentations, et écoutez plutôt toutes ces personnes qui disent avoir retrouvé l’espoir parce que cela leur apportera une bouffée d’oxygène. Ne leur ôtons pas cet oxygène au moment où l’on commence à le leur apporter ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Nous avons essayé de dénombrer les aides concernées. Nous sommes arrivés à plus d’une cinquantaine. Nous nous sommes dit que si, d’emblée, nous donnions un coup de pied dans la fourmilière, nous courrions deux risques : d’une part, que cela coûte beaucoup plus cher, y compris pour les collectivités locales, et, d’autre part, que l’on passe, en croyant bien faire, à côté de cas de figure spécifiques. En modifiant en effet les modes de calcul des prestations dans un souci de simplification, nous pourrions pénaliser des personnes en difficulté pour lesquelles une aide prenait justement en compte leur cas un peu particulier.
Aussi, ce que nous proposons est assez simple. Dans les territoires qui seront volontaires pour l’expérimentation, nous proposerons aux différentes collectivités locales – et M. Pinte a eu raison de souligner qu’il ne fallait pas oublier les communes et les agglomérations de communes – d’examiner avec elles les barèmes selon lesquels leurs aides fonctionnent, notamment pour éviter tout effet de seuil. Lorsqu’un tarif gratuit, par exemple, a été instauré pour certaines personnes en fonction de leur statut, on pourrait ainsi envisager qu’il soit plutôt dégressif compte tenu des revenus.
Ce qu’il faut, c’est que ce que l’on va simplifier d’un côté ne soit pas annulé de l’autre par d’autres mécanismes du fait de certaines pesanteurs ou habitudes.
Nous pourrons, sur la base de ces expérimentations, revenir devant vous en vous disant soit que cela peut se faire spontanément, sans qu'il soit besoin de légiférer, puisque certaines collectivités auront donné l’exemple, soit qu’il est nécessaire de légiférer parce que ce n’est que comme cela que l’on pourra simplifier, à condition bien sûr que le législateur considère comme juste ce à quoi l’on veut contraindre.
C’est à cette démarche pragmatique que nous proposons de vous associer tout au long de l’année. En nous donnant concrètement votre avis sur telle ou telle aide et sur tel ou tel tarif, nous pourrons, qu'il s’agisse des transports ou encore des cantines, mettre un peu d’ordre dans toute une série de tarifs ou d’aides qui, aujourd’hui, répondent à des barèmes par trop différents.
Pour ce qui est des contrats aidés, le texte adopté le 7 mars 2007 a déjà permis aux départements qui se sont déclarés volontaires d’expérimenter ce qui s’apparente à un contrat unique d’insertion. C’est un point sur lequel on pourra, si vous êtes demandeurs, aller plus loin, car on ne peut plus supporter ces dispositifs qui sont plafonnés à vingt-six heures quand les gens veulent travailler à plein temps, qui imposent d’être resté pendant quelque temps dans un dispositif particulier avant de pouvoir bénéficier du dispositif d’ensemble, ou qui empêchent d’aller travailler sous contrats aidés dans le secteur marchand alors que l’on pourrait y négocier avec les entreprises des engagements en termes de formation et de pérennité d’emploi.
Soyez assurés que vous nous trouverez à vos côtés pour avancer et pour passer peut-être de l’expérimentation à la généralisation le plus rapidement possible.
J’en viens aux inquiétudes de portée générale qui se sont manifestées, car nous nous sommes nous-mêmes posé la question de savoir s’il fallait aller aussi vite. Il nous a semblé que nous n’avions pas le droit de rater l’opportunité d’inscrire dès à présent des dispositions nouvelles dans la loi si nous ne voulions pas nous retrouver avec des conseils généraux et des travailleurs sociaux en panne et avec des allocataires du RMI pénalisés, tout simplement parce que nous aurions voulu peaufiner le dispositif afin qu’il soit le plus complet possible. Voilà pourquoi nous avons estimé qu'il fallait démarrer d’emblée.
Je prends ici l’engagement que nous serons fidèles aux travaux, aux préconisations et au consensus de la commission que j’ai présidée.
Je suis prêt à prendre sur moi les attaques qui portent sur des choix personnels. En revanche, s’agissant d’un sujet dont on a réussi au cours des derniers mois à faire en sorte qu’il soit porté petit à petit, et non sans difficulté, par les différents candidats et candidates à l’élection présidentielle, ce que je vous demande solennellement, c’est que s’engage sans œillères et sans politique politicienne ce travail sur le revenu de solidarité active, sachant que des conseils généraux de droite et de gauche ont estimé que cela en valait la peine. Maintenant que l’on a eu l’audace de travailler sur ce sujet-là, sans que l’on ne m’ait d’ailleurs jamais demandé des comptes sur ce point, il faut arriver, comme dans les conseils généraux où la gauche a voté avec la droite et inversement, à faire en sorte que le dispositif avance.
Si vous voulez m’attaquer, attaquez-moi. Je ne vous demande qu’une chose : c’est que les allocataires du RMI, les bénéficiaires de l’allocation de parent isolé ou de l’allocation pour adulte handicapé et les travailleurs pauvres ne soient pas les victimes de balles perdues, des victimes collatérales. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Visez-moi si vous le voulez, mais ne les visez pas eux ! Continuez comme avant à faire en sorte que des progrès puissent être engrangés afin qu’il y ait moins de pauvreté !
Une lettre signée du Président de la République et du Premier ministre reprend les objectifs qui ont été fixés par la commission que j’ai présidée.
La parole est à M. Jérôme Cahuzac, pour une durée qui ne pourra excéder trente minutes.
Ainsi, s’agissant des dispositions relatives aux heures supplémentaires, notre excellent collègue Charles de Courson, que je salue, a estimé hier que, si l’on y ajoutait les heures supplémentaires effectuées dans le secteur public et celles des travailleurs à temps partiel, c’était en réalité une majoration de 50 % du coût des heures supplémentaires qu’il nous faudrait envisager. Nous n’en serions donc plus à 15 milliards, mais à 18 milliards d’euros. Ne barguignons pas : pour financer cela, il faut un point de PIB. Où allez-vous le trouver ? En réponse, Mme Lagarde, dont je regrette l’absence, nous a livré un discours assez convenu, classique pour toute majorité qui s’installe et sur lequel je reviendrai dans ma conclusion, entre le slogan et l’acte de foi.
Le slogan, dont je constate d’ailleurs qu’il est de moins en moins repris, est que ces mesures seraient gagées par le non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux dans la fonction publique. Il a eu une certaine efficacité électorale, mais je crains qu’il n’en ait moins sur le plan économique et financier. Faute de temps, la commission n’a pas pu entrer dans le détail, ni s’interroger notamment sur le point suivant : de quels fonctionnaires parlons-nous ? Certainement pas de ceux de la fonction publique hospitalière, sauf à ce que vous nous expliquiez, monsieur le haut-commissaire, qu’il y a trop d’infirmières, trop d’aides-soignantes, trop de médecins, trop d’urgentistes. Tel n’étant pas évidemment le cas, et la fonction publique hospitalière ne peut être concernée par cette ambition forcenée. La fonction publique territoriale pas davantage, eu égard au principe constitutionnel de la libre administration des collectivités.
Il ne peut donc s’agir que de la fonction publique d’État. Or François Chérèque, dont chacun reconnaît l’objectivité et l’ouverture d’esprit,…
Seule la croissance le permettrait. Et voici l’acte de foi que délivre Mme Lagarde à chacune de ses interventions, que ce soit dans la presse, en commission des finances ou à cette tribune : notre pays va retrouver la croissance, que nos voisins ne cherchent plus pour la connaître depuis de nombreuses années. Et comment allons-nous faire ? Serait-ce grâce au commerce extérieur ? Mme Lagarde, qui connaît bien le sujet, s’est bien gardée de l’évoquer, puisque le commerce extérieur « contribue », si j’ose dire, de façon négative à la croissance de notre pays à hauteur d’un point de PIB ces deux dernières années. Là n’est donc pas la solution. Serait-ce grâce à l’investissement dans les entreprises ? Il est, certes, évoqué, mais dans les débats plus que dans le texte lui-même, celui-ci ne contenant, en réalité, pas grand-chose en faveur des entreprises. L’investissement y est évoqué non comme une finalité mais comme un moyen de réduire – encore et toujours – l’assiette de l’ISF. Or certains de nos collègues s’étonnent, après l’avoir réduite, que cet impôt rapporte de moins en moins. Quoi de surprenant ? Quand l’assiette se réduit, à coût égal, le rendement en subit les conséquences et le ratio coût-rendement se dégrade ! (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen.) La finalité est bien de réduire l’assiette de l’ISF et l’amendement qui a été adopté, ce que je regrette, en commission des finances, y contribue encore.
Mes chers collègues, puisque vous en êtes à des actes fondateurs, puisque la rupture est à l’ordre du jour, assumez : supprimez purement et simplement l’ISF, ce serait moins hypocrite ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Au moins, nous aurions un vrai débat sur le sujet. Finissons-en avec les débats hypocrites, avec votre façon insidieuse de vider l’assiette de toute substance pour pouvoir constater que, cet impôt ne rapportant plus rien, le supprimer ferait faire des économies. Arrêtons l’hypocrisie collective : assumez vos choix, laissez l’Assemblée en débattre et la population en juger lors des prochaines élections.
Si ni le commerce extérieur ni l’investissement dans les entreprises ne peuvent permettre le moindre acquis de croissance, la solution passe donc par la consommation. Penser gagner un point de produit intérieur brut uniquement grâce aux mesures en sa faveur est un acte de foi sympathique et respectable, mais celui-ci va se heurter aux faits, au mur des finances publiques notamment. Quoi que vous disiez et quelles que soient les croyances que vous nous assenez, de façon sympathique et touchante, comme vient de le faire M. le haut-commissaire, tout cela est peu crédible. Comment imaginer qu’avec une croissance envisagée de 2,5 % l’année prochaine, notre pays puisse tout à la fois diminuer son stock de dette considérable – nous en sommes à 65 % –, financer cette mesure pour un point de PIB et les autres dépenses à venir, notamment celles relatives aux universités – sur lesquelles nous pourrons peut-être nous retrouver, à condition naturellement que les financements soient réels et non pas hypothétiques. Nous n’arriverons pas, en 2008, avec la croissance envisagée de 2,5 %, et à nous désendetter et à financer ce que vous proposez. C’est impossible ! Il faut beaucoup de foi pour l’imaginer sincèrement et davantage encore pour oser le dire dans cette enceinte.
Ces propos généraux, que je m’excuse d’avoir tenus devant vous, car ils auraient, naturellement, eu davantage leur place en commission, s’appliquent à chacune des mesures considérées dans le détail.
Prenons les parachutes dorés. À ce sujet, il est extraordinaire de constater que nous ne sommes plus considérés comme des greffiers scrupuleux, comptables de la parole d’un candidat élu à la Présidence de la République, comme pour le bouclier fiscal ou les heures supplémentaires. Tout à coup, on nous demande de faire preuve d’adaptation et de souplesse. En réalité, ces parachutes dorés, contrairement aux engagements pris, ne seront pas interdits.
Une deuxième mesure sympathique concerne les étudiants. J’ai cru comprendre en commission que 80 millions d’euros y seraient consacrés en année pleine, alors qu’en séance publique on nous a annoncé 40 millions. Voilà une nouvelle preuve d’improvisation, que je regrette, pour un texte qui va coûter de 15 à 18 milliards d’euros et qui aurait nécessité un travail en commission beaucoup plus fouillé et minutieux. Aucun distinguo n’est fait entre étudiants autonomes et étudiants rattachés à un foyer fiscal. On peut comprendre que la collectivité aide des collégiens, des lycéens, des étudiants, qui sont contraints d’exercer une activité professionnelle pour financer leurs études. Mais que dire de ceux qui sont rattachés à un foyer fiscal relevant de la tranche marginale de l’impôt sur le revenu ? Cette défiscalisation massive, que va-t-elle leur apporter qu’ils n’aient déjà ? Ce coût, même s’il est relativement modeste, je n’en vois pas la légitimité. Ne comptez pas non plus sur cette mesure pour augmenter la consommation et obtenir un gain de croissance permettant un désendettement et le financement du programme que vous souhaitez mettre en œuvre.
Comme troisième mesure, nous avons le bouclier fiscal, pour 800 millions d’euros. Nous ne connaissons pas dans le détail – Mme la ministre vient elle-même de le dire – les effets du bouclier fiscal à 60 % que, déjà, on nous demande de voter au pas de charge un bouclier fiscal à 50 % ! On espérait 100 000 bénéficiaires, ils sont moins de 2 000 ; on estimait le coût à 450 millions d’euros, il sera finalement de 100 millions d’euros. Certes, 100 millions d’euros dépensés au lieu de 450 millions, c’est une bonne nouvelle, mais moins de 2 000 bénéficiaires contre 100 000, c’en est une mauvaise. Qu’espérez-vous donc de ce pouvoir d’achat considérable que vous vous apprêtez à accorder à des gens qui ont déjà tout ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Rien !
Nous n’aurons ni croissance supplémentaire, ni moyens supplémentaires et pas de marge dans les finances publiques supérieure à celle dont nous pouvons d’ores et déjà disposer. Rien ne sera obtenu de surcroît. Il aurait fallu, à tout le moins, attendre une évaluation objective par la commission du bouclier fiscal à 60 % avant de se précipiter sur un bouclier fiscal à 50 %.
La quatrième mesure est l’exonération des droits de succession. Ils étaient quatre Français sur cinq, neuf conjoints sur dix à être totalement exonérés. Vous voulez qu’ils soient cinq sur cinq et dix sur dix. Vous êtes majoritaires, et ces dispositions seront votées. Le coût en sera d’un peu moins de 1 milliard d’euros. Les finances commencent déjà à souffrir. Là encore, qu’espérez-vous de cette redistribution massive de pouvoir d’achat vers une catégorie de la population qui ne vit pas – nous venons de parler du RSA – dans les conditions les plus pathétiques et les plus tragiques ? Il ne s’agit pas, naturellement, d’opposer les uns aux autres, ceux qui sont dans la misère ou dans le besoin et ceux qui nagent dans l’opulence, ce qui, après tout, peut parfois être mérité. Il n’y a pas de jugement moral à porter en la matière. Mais en tant que comptable des finances publiques, la représentation nationale n’est-elle pas fondée à s’interroger sur l’opportunité de voter dans la précipitation cette mesure de 1 milliard d’euros dans l’espoir d’une croissance supplémentaire ? Ce choc fondateur, cette rupture que vous appelez de vos vœux ne contribueront-ils pas, en fait, à rompre le mur de la dette que l’on veut infranchissable ?
La déductibilité des intérêts d’emprunt pour la résidence principale est la cinquième mesure. Sur ce sujet, il y a eu un changement curieux, presque insidieux, de discours de la part du Gouvernement et de nos collègues de la majorité. C’était, d’abord et avant tout, une mesure d’incitation à l’accession à la propriété. Qui ne souscrirait pas à cela ? Chacun sait dans quelle incertitude se trouvent les familles qui, n’étant pas propriétaires, se demandent de quoi demain sera fait. Or ce n’est plus une mesure d’accession à la propriété, c’est purement et simplement une mesure de pouvoir d’achat : 1,8 milliard d’euros l’année prochaine, 3,2 milliards en vitesse de croisière. Ce pouvoir d’achat, à qui sera-t-il distribué ? On ne le sait pas. Quelle proportion de la population au regard des revenus va en profiter le plus ? On ne sait pas. Que vont faire de cette aubaine les foyers qui ont déjà contracté des emprunts et qui n’avaient pas eu besoin de cette incitation ? On ne sait pas.
Mes chers collègues, si vous avez la réponse, si vous savez précisément où iront ces 3,2 milliards d’euros et quelle partie de la population, au regard de ses revenus, en bénéficiera le plus, dites-le, au lieu de vous agacer, de vous indigner, lorsque nous posons ces questions, qui sont, me semble-t-il, parfaitement légitimes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Une question posée par les parlementaires les plus aguerris de cet hémicycle concerne les intérêts d’emprunt. C’est naturellement dans les premières années que les ménages qui s’endettent pour acquérir leur résidence principale acquittent la plus lourde charge des remboursements d’emprunt. C’est donc naturellement dans les premières années que les organismes bancaires vont augmenter leur taux. Cet effort de la collectivité aura pour finalité première de neutraliser cette augmentation des taux. Cette mesure considérable, qui représente 3,2 milliards d’euros en vitesse de croisière, va profiter non pas aux populations dont vous portez, monsieur le haut-commissaire, d’une certaine manière le destin, mais d’abord et avant tout à des organismes bancaires. Je n’avais pas remarqué, ces derniers mois, que, dans notre pays, ces entreprises avaient le plus besoin d’aides publiques, directes ou indirectes – loin s’en faut ! (Sourires.)
Que proposez-vous pour éviter que les banques, d’une certaine manière, ne « cannibalisent », les premières années, via les intérêts d’emprunts, l’aide publique que vous vous apprêtez à voter ? Que ferez-vous si les taux d’intérêt augmentent dans des proportions tout à fait déraisonnables ? Cette aide publique serait en réalité dirigée d’abord vers les organismes bancaires, par l’intermédiaire des ménages qui se sont endettés. Vous n’avez apporté aucune réponse à ces questions qui ne sont pas, me semble-t-il, totalement inutiles, au risque de lasser certains collègues de la majorité.
Notre collègue Charles de Courson a évoqué les heures supplémentaires et regretté que rien ne soit prévu pour la fonction publique dans le projet initial, pas plus que pour les heures complémentaires destinées aux salariés à temps partiel. La majoration du coût sera donc de 50 %. Il ne s’agit plus de 6 milliards d’euros mais de 9 milliards d’euros.
Aujourd’hui, 37 % des salariés font des heures supplémentaires. La moyenne des heures supplémentaires est de 57 heures par an, alors que la législature précédente les a décontingentées à près de 250 heures. Qu’espérez-vous de cette mesure ? Une hausse du pouvoir d’achat ? C’est très bien pour ceux qui bénéficieront de ces heures supplémentaires. Mais, là encore, aucune étude d’impact n’a été réalisée, non plus que d’études statistiques.
Dans le rapport présenté au Parlement figurent des exemples curieux. Un salarié effectuant 35 heures à qui seraient proposées quatre heures supplémentaires par semaine, tout au long de l’année, verrait son revenu augmenté de 2 500 euros. C’est effectivement très séduisant. Mais, si l’on y regarde de plus près, on n’aboutit pas au même résultat. L’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, qui a procédé à la même étude, parvient au chiffre de 2 150 euros. Certes, c’est encore beaucoup ! Mais cela concerne en fait les salariés des petites et moyennes entreprises, celles précisément dans lesquelles les 35 heures ne s’appliquent pas, celles où l’exemple cité ne peut exister puisque ces salariés effectuent déjà 39 heures. Dans les PME, cela ne sera pas le cas – l’ACOSS l’a indiqué très clairement. Je vous renvoie à cette étude préalable au projet de loi que nous examinons.
L’ACOSS arrive à la conclusion que, en année pleine, le gain de pouvoir d’achat sera de moins de 650 euros par an et par salarié. Certes, ce n’est pas rien ! Mais n’annoncez pas la somme de 2 500 euros, car ce serait comme une escroquerie à l’espoir pour ces salariés qui pensent percevoir cette somme, alors que leur fiche de paie sera augmentée de moins de 600 euros !
Il y a ensuite le RSA, le « petit cousin de province », celui que l’on a invité à monter à la capitale et qui vient « s’asseoir à la table des grands ». Je parle naturellement du RSA, et non, bien sûr, de vous, monsieur le haut-commissaire. (Sourires.)
Cette mesure coûte 25 millions d’euros. Vous venez de calculer devant nous que le coefficient multiplicateur par rapport à l’année prochaine était de 30. Mais quel est le coefficient multiplicateur par rapport à l’ensemble du coût de ce paquet fiscal, c’est-à-dire de 15 milliards d’euros ? Plus de 60 !
Il y aurait 50 000 à 55 000 bénéficiaires du RSA pour un public global estimé à 1,4 million. Que vient faire le revenu de solidarité active dans ce paquet fiscal ? Le coût n’a rien à voir avec ce que nous venons d’envisager. L’effet sera sans aucune mesure sur les finances publiques.
Il fallait probablement faire le revenu solidaire d’activité. Pardonnez-moi, monsieur le haut-commissaire, mais j’ai le sentiment que vous faites des publics concernés un rempart pour éviter d’être atteint par les critiques légitimes qui pourraient être formulées par ceux qui observent, judicieusement je crois, que votre texte n’a rigoureusement rien à voir avec le projet de loi. Il pèse 25 millions d’euros par rapport à ceux qui émargent à 800 millions d’euros pour le bouclier fiscal (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen), à près d’un milliard d’euros pour l’exonération des droits de succession, à plus de trois milliards d’euros pour la déductibilité des intérêts d’emprunts, à près de 9 milliards d’euros pour les heures supplémentaires.
Que faites-vous donc là autour de cette table avec vos petits, vos misérables 25 millions d’euros, quand on connaît les besoins existants. Le RSA est « monté à la capitale », mais ne peut prétendre au même festin et ne dispose pas des mêmes couverts.
C’est la raison pour laquelle nous aurions pu demander en commission, si nous en avions eu le temps, la disjonction de cette partie du texte du reste du projet, car la philosophie qui les anime de même que les moyens sont totalement différents. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen),
Monsieur le haut-commissaire, vous qui portez le RSA, considérez votre situation. Vous ne siégez pas au même banc que les autres ministres (Vives protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire ; Mme la ministre et M. le secrétaire d’État à la consommation font des signes de dénégation), puisque M. le secrétaire d’État à la consommation, qui était à côté de vous, vient de rejoindre Mme Lagarde.
Madame la ministre, un projet de loi de 15 à 18 milliards d’euros, ce n’est pas rien ! C’est précisément parce que vous avez l’ambition de le faire voter par la représentation nationale que vous revient le devoir de faire en sorte que les choses se passent bien.
Madame la ministre, vous avez tenu un discours qui m’inquiète. Il reproduit, en effet, des erreurs que tous, sur tous les bancs, toutes majorités confondues, ont toujours commises.
Cette erreur consiste à penser que les Français, parce qu’ils ont choisi un candidat plutôt qu’un autre, une majorité plutôt qu’une autre, ont approuvé en tout point et sans réserve la totalité du programme qui leur a été présenté.
En 1981, un Président de la République fut élu. Il avait dans son programme la suppression de l’école privée. Les Français ne l’ont pas voulue. Et pourtant ils avaient voulu M. François Mitterrand.
En 1996, un Premier ministre, actuellement maire de Bordeaux, a souhaité présenter un projet dont il pensait que les Français voulaient, puisque celui-ci avait fait partie du programme du Président de la République élu l’année précédente. Les Français ne l’ont pas voulu.
Vous vous apprêtez, me semble-t-il, à commettre la même erreur. Vous estimez que les Français adhèrent en tout point au programme de la majorité et vous n’avez de cesse de vouloir l’appliquer sans nuance.
C’est ainsi, me semble-t-il, que toutes les majorités – peut-être la vôtre, mesdames, messieurs, ne soyons pas à ce point certains de l’avenir – ont commis des erreurs, des maladresses contreproductives dues à des décisions trop hâtives. La hâte, c’est finalement ce qui caractérise avec son coût le projet de loi, dont je demande le renvoi en commission.
La hâte n’est certainement pas bonne conseillère.
Il y a la place, je crois, pour un discours plus raisonnable, qui consiste à reconnaître sans réserve la légitimité de la majorité parlementaire et celle du Président de la République élu. Personne ne la conteste et ne la contestera dans les cinq ans qui viennent.
Mais, nonobstant cette légitimité, l’opposition a des droits à faire valoir, des remarques à faire, des suggestions à formuler. Je vous demanderai, mes chers collègues de la majorité, de les accueillir avec un petit peu moins de morgue et d’arrogance. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Dans l’euphorie de la victoire récente, tout paraît possible et tout semble aisé. Cette euphorie – vingt-cinq ans d’histoire politique de la Ve République pourrait vous le rappeler – est rarement durable pour la majorité.
La confiance que les Français ont pu placer dans cette majorité et qui existe tout naturellement au début de la mandature s’étiole à mesure que l’euphorie se réduit.
Madame la ministre, je le répète, la motion de renvoi en commission que j’ai l’honneur de présenter n’a ni pour vocation de bloquer votre action, ni d’empêcher le soutien de la majorité dont vous vous réclamez. C’est simplement un appel à la sagesse. Je vous remercie de bien vouloir l’entendre. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen. – Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
C’est ensuite un texte fondateur parce que, comme l’a rappelé Mme la ministre dans ses interventions, il relance la croissance et la confiance dans notre pays.
L’étude d’impact que vous évoquez régulièrement, c’est sans doute cette confiance massive accordée par les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Ce modèle social tel qu’on le décrivait, ce système de partage du travail n’a été repris par personne au monde.
Vous avez évoqué, monsieur le député, la question des finances publiques et du financement de ce programme. Je doute que nous ayons des leçons à recevoir en la matière. Je voudrais me livrer à un bref rappel, sous le contrôle de M. le rapporteur général, de la sincérité des budgets primitifs en année électorale. Le budget de l’année 2007 sera exécuté. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen.)
Cette majorité a engagé des réformes considérables en matière de stabilisation et de baisse de la dépense publique. Cela reste un objectif du Président de la République, qu’il est allé défendre cette semaine encore, avec Mme la ministre de l’économie et des finances à Bruxelles.
Enfin, s’agissant de la question du pouvoir d’achat que vous avez évoquée, monsieur le député, nous allons, en effet, ne vous en déplaise, redonner du pouvoir d’achat aux Français ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen.)
Ce projet de loi va faire sauter un certain nombre de verrous et libérer les entreprises qui ont de la croissance, de la créativité et de l’activité en réserve.
Oui, la France a besoin de travail ! Oui, la France a besoin de recréer des emplois.
Monsieur Cahuzac, allez expliquer aux millions de Français qui vont bénéficier de la déduction fiscale sur les intérêts d’emprunt que ce n’est pas une bonne mesure !
Ne décourageons personne. Ne soyons pas négatifs. Nous sommes dans un monde où les choses vont vite. Vous avez parlé pendant une demi-heure. Vous auriez pu tout aussi bien exprimer les mêmes idées en cinq minutes. Oui, le temps compte ! Oui, le temps presse !
Je ne vous reproche pas aujourd’hui de poser la question du financement, monsieur Cahuzac. Je l’ai moi-même longuement développée lors de mon intervention en m’interrogeant sur la manière dont seront financés les 13 milliards – selon moi, un peu plus – que représentent les mesures de ce texte. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen.) Il se trouve que, contrairement à vous, moi, j’ai donné une réponse et j’ai fait des propositions au nom du groupe du Nouveau Centre.
Permettez-moi de revenir, pour la troisième fois, à votre argument consistant à dire que cette majorité ne travaille que pour les riches.
Qui acquiert sa maison, monsieur Cahuzac ? Uniquement les riches ? Mais vous oubliez que 57 % des Français sont propriétaires ! De plus, la mesure est plafonnée à un montant de prêts qui correspond à l’achat d’un logement de 150 000 euros. Monsieur Cahuzac, 150 000 euros, c’est le prix moyen actuel d’un logement en France ! Alors, cessez de dire que ce sont des mesures pour les riches ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau Centre et du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Et je peux vous certifier que le crédit d’impôt n’intéresse absolument pas les riches. Que représentent pour eux 1 500 ou 1 800 euros de réduction d’impôt ? Ce n’est donc pas leur problème.
Ce que vous avez dit à propos des étudiants n’est, là encore, pas très sérieux, monsieur Cahuzac. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen.) En effet, la mesure est plafonnée à trois SMIC. Elle bénéficiera aux étudiants qui font leur propre déclaration d’impôt. La mesure est donc intéressante pour eux. Lorsque l’on est seul dans la vie et que l’on gagne 1 SMIC, 1,2 ou 1,3 SMIC pour financer ses études, on est imposable, monsieur Cahuzac.
Or, avec la mesure prévue, l’étudiant ne sera plus imposable. Là encore, elle n’intéresse pas la toute petite minorité issue des couches sociales les plus élevées. Cela ne représente en effet rien pour elles. C’est négligeable. Donc, cessez de répéter que cette mesure est destinée aux riches !
J’en viens aux deux mesures dont vous parlez exclusivement, si bien que l’on peut croire que le paquet fiscal ne comporte que deux mesures : le bouclier fiscal et les droits de succession.
M. le rapporteur nous annonce un coût de l’ordre de 800 millions d’euros pour le bouclier fiscal. Je me permets de rappeler que l’on nous avait expliqué l’année dernière que le bouclier fiscal à 60 % coûterait 400 millions. Or nous en sommes à 100 millions d’euros pour 1 750 personnes.
Quant aux droits de succession, vous savez parfaitement, mon cher collègue, que plus des trois quarts des ménages ont déjà fait une donation au dernier vivant. Toute une série de mesures qui permettent d’obtenir le même résultat existent donc déjà.
Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe Nouveau Centre ne votera pas la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau Centre et du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
La deuxième incertitude porte sur les dépenses. Vous prétendez vouloir baisser la dépense publique – cela fait plaisir à un certain nombre de personnes – sans préciser de quelle dépense publique il s’agit, même si l’on a une vague idée de ce qui se profile avec le budget pour 2008. Ce que l’on sait, c’est qu’il y aura moins de postes dans les écoles, qu’un certain nombre d’hôpitaux ont déjà reçu leur dotation de l’État, laquelle est inférieure à l’augmentation de l’inflation. On sait que, en matière de justice, des menaces pèsent sur les cours d’appel et les tribunaux d’instance ainsi que sur les dotations des collectivités, qui sont les principaux investisseurs dans notre pays.
Ajoutons-y le silence assourdissant concernant la TVA dite « sociale » et la vente du patrimoine national – 16 milliards d’euros l’an dernier, 3 milliards d’actions France Télécom, on parle d’actions d’EDF – qui accompagne votre politique.
Cette raison à elle seule suffirait à justifier la motion de renvoi en commission, mais je vais prendre un autre exemple, celui du malheureux réfugié fiscal qui s’expatrie en Grande-Bretagne. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen.)
Vous avez précisé, madame la ministre, qu’il prenait l’Eurostar à la gare du Nord et qu’il allait en Grande-Bretagne pour faire des affaires, dans le secteur bancaire notamment. Mais vous avez oublié de préciser que ce réfugié fiscal revient chaque soir en France. Pourquoi ? Pour une raison très simple : un cadre supérieur sur six quitte la Grande-Bretagne. Savez-vous pourquoi il quitte ce pays, et pas forcément pour des paradis fiscaux ? Il quitte un pays en voie de tiers-mondisation, en ce qui concerne la santé, les transports ou le développement inquiétant de la criminalité, par exemple.
La Grande-Bretagne est certainement un paradis pour les riches, mais il est clair que ce n’en est pas un pour les pauvres : 22 % de sa population vit en dessous du seuil de pauvreté. S’agissant de la baisse du chômage, tout le monde sait ici comment les statistiques ont été truquées : deux millions de travailleurs ne sont plus comptabilisés car ils ont été déclarés inaptes et ont reçu une indemnité. Voilà le pays que vous nous donnez en exemple !
Vous commettez deux erreurs, liées à votre idéologie : faire croire qu’enrichir les riches permettra, d’une part, de créer des richesses et, d’autre part, de mieux celles-ci. Le problème n’est pas d’être pour ou contre les riches, comme je l’ai entendu dire hier par un de nos collègues de l’UMP, mais de savoir qui crée des richesses et comment elles sont réparties. Or, aujourd’hui, les inégalités se creusent partout dans le monde, aux États-Unis et en Grande-Bretagne comme dans notre pays. Les chiffres ont déjà été cités, ils n’ont pas été contestés ; je ne les reprendrai pas.
Nous voterons donc la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical et citoyen.)
Le débat que nous voulons engager avec vous, qui devrait être l’honneur de cette assemblée, sur le coût et l’impact réels de vos mesures…
Plus encore, cet engagement est fondé sur des a priori que vous ne pouvez absolument pas justifier d’un point de vue économique et technique : le premier a priori, c’est que les Français ne travailleraient pas assez ; le second, c’est que ceux qui voudraient gagner beaucoup d’argent ne pourraient obtenir une juste récompense de leurs efforts. Au fond, comme l’a bien dit Jérôme Cahuzac, vous vous attaquez directement, sans vouloir l’assumer, à la durée légale du travail, que vous contournez sans cesse, et à l’impôt de solidarité sur la fortune.
Si j’insiste sur ce point, c’est pour mieux souligner le biais extrêmement grave dans votre raisonnement et les conséquences que cela aura. Nous savons bien que vos assertions sont fausses. « Les Français ne travaillent pas suffisamment » : non, nous ne sommes pas suffisamment nombreux à travailler. Et c’est la qualité du travail qui peut être mise en question – insuffisance des formations proposées aux salariés, insuffisance des investissements réalisés dans les entreprises. « Les riches ne sont pas suffisamment riches » : Le Monde publiait hier les conclusions d’un rapport du CNRS montrant que les écarts de patrimoine et de revenus n’avaient jamais été aussi élevés.
Le problème, c’est qu’à partir de tels fondements, vous justifiez des dépenses qui représenteront pour la collectivité nationale un coût considérable, difficile à évaluer, dont l’efficacité est extrêmement douteuse. Notre rôle est de vous rappeler à vos responsabilités. Pouvons-nous aujourd’hui nous permettre, dans la situation où vous avez placé depuis cinq ans nos finances publiques et nos finances sociales, un « paquet fiscal » – dont on ignore s’il sera de 11, 12, 13, 15 ou 16 milliards d’euros – sans que l’on sache quelle compensation vous prévoyez pour la sécurité sociale…
Dans l’intérêt du pays, et du Parlement dont les débats devraient être autres que ces affrontements idéologiques un peu surannés sur la réduction du temps de travail,…
(La motion de renvoi en commission n'est pas adoptée.)
Au nom de Jean-Claude Sandrier, je demande donc une suspension de séance d’une heure pour réunir les actionnaires de notre conseil d’administration, madame la ministre. (Sourires.)
(La séance, suspendue à onze heures vingt-cinq, est reprise à onze heures cinquante-cinq.)
La parole est à M. Didier Migaud, président de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.
Comme j’ai pu l’indiquer aux membres de la commission des finances lors de la réunion du 5 juillet dernier, tout amendement ayant pour conséquence une perte de recettes doit être correctement gagé. Cette exigence est formelle, mais pas seulement : il s’agit d’une véritable responsabilisation qui oblige chacun d’entre nous à mesurer la portée financière d’un amendement. J’ai donc dû déclarer irrecevables 54 amendements, la plupart parce qu’ils n’étaient pas gagés.
Pour le reste, tout amendement entraînant l’aggravation d’une charge publique, ne pouvant pas être gagé, tombe alors directement sous le couperet de l’article 40. C’est le cas dès qu’une disposition prévoit une dépense supplémentaire pour l’État, les collectivités territoriales ou les organismes de sécurité sociale. Je réponds en cela à Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, qui exprimait quelques regrets devant l’absence de propositions des députés sur le revenu de solidarité active.
S’agissant de la compensation financière du RSA aux départements, je crois avoir fait preuve de souplesse compte tenu des engagements qui ont été pris par le Gouvernement lors de la réunion commune de la commission des finances et de la commission des affaires sociales le 4 juillet dernier.
Enfin, pour que les choses soient bien claires s’agissant de l’interprétation de l’article 40 de la Constitution, j’enverrai un courrier à tous nos collègues, ainsi qu’aux présidents de groupe, pour leur rappeler les règles et les obligations qui incombent aux auteurs d’amendements.
En outre, dans le même souci de transparence, j’espère pouvoir prochainement indiquer sommairement les raisons de l’irrecevabilité de tout amendement déposé, ce qui permettrait éventuellement à son auteur d’y apporter les corrections nécessaires.
Malgré tout, il reste 410 amendements à examiner. Je nous souhaite un bon débat ! (Sourires.)
La parole est à Mme Martine Billard.
Vous prétendez qu’encourager les heures supplémentaires revient à valoriser le travail et que c’est la seule manière de gagner plus. Au contraire, cela veut dire que les bas salaires ne peuvent pas, par leur seul travail, subvenir à leurs besoins ni à ceux de leur famille en matière d’éducation, de santé, etc. Nous sommes donc en désaccord sur la façon de valoriser le travail.
La disposition que vous proposez risque aussi d’entraîner un blocage du taux horaire des salaires, les patrons considérant alors que les salariés n’auront qu’à travailler plus pour gagner plus.
J’en viens enfin au problème des temps partiels contraints, qui concernent, on le sait, à 80 % des femmes. Nous avions déjà abordé cette question dans la précédente législature, lors de l’examen du texte sur l’égalité salariale. Rien n’avait alors été envisagé pour que les femmes puissent obtenir des temps pleins. Ici, tout ce que vous proposez, ce sont des heures complémentaires. Or, comme pour les heures supplémentaires, ce sont les chefs d’entreprise qui décideront s’il peut ou non y avoir heures complémentaires et qui pourra en bénéficier.
Bref, pour tous les petits salaires, pour toutes ces femmes qui sont à temps partiel contraint, le moins que l’on puisse dire, c’est que la revalorisation du travail ne passe par cet article de loi !
En plus, madame la ministre, opposer heures supplémentaires et temps libre est économiquement absurde parce que je vous ferai remarquer que ce processus de réduction du temps de travail court sur un siècle. Vous êtes en train de nous dire qu’il faut revenir dessus et retourner à l’époque où nous travaillions 40 heures, 45 heures, 48 heures par semaine – c’est même écrit dans le rapport –, c’est-à-dire atteindre le maximum autorisé par les textes européens.
C’est économiquement absurde parce que la réduction du temps de travail a permis le développement de secteurs économiques nouveaux : les salariés qui travaillent un peu moins peuvent consacrer ce temps libéré au bénévolat – nous en avons besoin dans notre société, et vos gouvernements des cinq dernières années n’ont pas arrêté d’y faire appel. Mais, pour pouvoir faire du bénévolat, faut-il encore avoir du temps libre. Ce n’est pas en travaillant 48 heures par semaine qu’on augmentera le nombre de bénévoles. La réduction du temps de travail permet aussi, par exemple, de faire du bricolage, du jardinage, secteurs qui, justement, ont explosé depuis la réduction du temps de travail et ont créé massivement de l’emploi. Ce sont en plus des secteurs à emplois non délocalisables, ce qui est particulièrement intéressant. Je pourrais prendre bien d’autres exemples d’activités qui, grâce à la réduction du temps de travail, se sont développées de manière très importante en créant de tels emplois.
Autre conséquence de cet article : l’inégalité des salariés devant les heures supplémentaires. En effet, faut-il encore être imposable pour que votre dispositif ait un intérêt, puisque vous proposez une défiscalisation, et non un crédit d’impôt. Quant à la défiscalisation des heures complémentaires prévue dans l’alinéa 5, c’est à se demander si vous êtes sérieuse ! Croyez-vous vraiment que les salariés qui en sont à essayer d’obtenir des heures complémentaires soient imposables ? De qui se moque-t-on ? Par contre, pour ceux qui ont des salaires plus élevés et qui vont pouvoir accomplir des heures supplémentaires défiscalisées, c’est différent. Vous introduisez ainsi des inégalités entre salariés et des inégalités devant l’impôt.
S’agissant de la réduction des cotisations salariales, votre réponse ne m’a pas complètement convaincue.
Vous nous dites, madame la ministre, que les salariés ne perdront pas de droits à la retraite : mais c’est la loi, puisqu’ils cotisent ! C’est donc bien le moins qu’ils ne perdent pas leurs droits.
La parole est à M. Henri Nayrou, pour cinq minutes.
Je ne vais pas revenir ici sur les divers errements que me collègues ont déjà soulignés, mais je tiens à insister sur plusieurs points.
D’abord sur le fond : vous êtes partie du principe que, pour stimuler le pouvoir d’achat, la consommation et la croissance, il fallait travailler plus. Principe contestable, mais, après tout, pourquoi ne pas essayer ? Or voilà que vous choisissez le levier des heures supplémentaires, qui n’est, ni plus ni moins, qu’une action de pacotille parce que ce n’est pas un levier mais une conséquence. En effet, ce ne sont pas les heures supplémentaires qui créent la croissance, mais c’est la croissance qui débouche sur l’emploi et son lot d’heures supplémentaires.
Deuxième choix négatif : permettre à quelques-uns de travailler plus au détriment du plus grand nombre. Parce que cela ne permettra pas d’agir efficacement sur le triptyque travail-emploi-pouvoir d’achat.
Troisième élément contestable dans cet article 1er : les ruptures du principe d’égalité fiscale et sociale, et le non-respect des dispositions constitutionnelles, qui promettent à votre texte le même sort qu’au CNE, lequel trône désormais au chapitre des fausses bonnes idées de l’UMP, conformément à ce que nous vous avions dit et répété en 2005.
Pour conclure, je ferai deux commentaires.
Premièrement, en ce début de législature, vous commettez les mêmes fautes qu’en 2002, lorsque le Gouvernement nous avait assurés que, en baissant l’impôt sur le revenu au profit avéré des contribuables les plus aisés, il allait relancer la machine économique. C’était une supercherie !
Enfin, je suis sidéré par le caractère élastique de la notion de rupture, théorisée par M. Sarkozy mais prudemment appliqué par le Président de la République. L’essentiel de vos argumentaires tourne autour des 35 heures. Toute votre misérable stratégie exposée ici (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire)…
Je veux également rappeler que tous les syndicats sont opposés aux réformes que vous proposez. Les formules qu’ils utilisent sont nombreuses : la CGT parle d’ « arnaque », la CFDT dit que c’est « inéquitable » et qu’on les prend pour des « andouilles » ; même la CFE-CGC déclare que « c’en est trop », notamment à propos des forfaits-jours.
Même la stratégie globale que vous adoptez soulève des questions. Madame la ministre, vous avez parlé tout à l’heure d’équilibre entre l’offre et la demande. Mais, si vous aviez vraiment le souci de l’offre, vous vous seriez d’abord préoccupée des salariés qui n’en sont plus aujourd’hui et qui sont demandeurs d’emploi,…
Il faut donc accomplir des efforts en faveur de la formation, mais aussi et d’abord des hommes. Or vous ne parlez pas des salariés, mais exclusivement des entreprises, des structures, du fonctionnement macro-économique. Et vous savez bien que tous ceux qui pourraient espérer gagner un peu plus parce qu’ils travailleront plus verront leur niveau de vie diminuer du seul fait du coût fiscal des mesures que vous proposez. Par contre, les entreprises, elles, ne paieront pas plus d’impôts. Le bouclier fiscal leur permettra même de ne pas payer leur dû aux collectivités locales – on l’a bien compris lorsqu’on est élu local.
Nous divergeons fondamentalement de votre texte : nous, nous sommes pour une relance par la demande.
Nous condamnons également la disparition de certains dispositifs – et je regrette que M. Hirsch ne soit pas présent. Lors du dernier quinquennat, on a bien vu que vous aviez supprimé tous les emplois aidés, même si vous en aviez remis un peu à la fin, via M. Borloo, parce qu’il fallait faire un peu d’électoralisme, et, aujourd’hui, les emplois aidés disparaissent à nouveau. J’espère que vous nous expliquerez comment on fera dans les collectivités locales si ce sont les entreprises – dans les zones urbaines sensibles par exemple – qui doivent accueillir tous les jeunes demandeurs d’emploi. Il faudrait au contraire leur proposer des processus d’intégration et de professionnalisation progressifs parce que, malheureusement, vous le savez, pour des raisons diverses, ces jeunes-là ne trouveront pas d’emploi alors même que les associations sont demandeuses.
Pour terminer, je remarque que vous manquez de cohérence. Depuis plusieurs années, votre majorité crie haro sur les 35 heures. Mais y a-t-il eu, ou non, des manifestations populaires nombreuses, massives, contre les 35 heures ?
En favorisant les heures supplémentaires, vous allez faire le contraire de ce qu’il faudrait, c’est-à-dire que vous allez défavoriser l’emploi : dans leurs arbitrages, les entreprises vont choisir les heures supplémentaires plutôt que l’emploi.
Donc, aucun des objectifs que vous fixez dans cette proposition « travailler plus pour gagner plus » ne se retrouve dans cette loi. Vous montez une « usine à gaz » – le terme n’est pas de moi, mais se retrouve pratiquement dans toutes les études qui ont été effectuées sur le sujet. Vos propres services expliquent qu’il s’agit d’une « usine à gaz qui aura des effets incertains sur l’emploi et sur le pouvoir d’achat, pour un coût exorbitant pour les finances publiques ». Cette phrase on la retrouve aussi bien dans un rapport du Conseil d’analyse économique – qui sera, je l’espère, prochainement publié – que dans des travaux qui ont été diffusés par le ministère des finances.
Je voudrais terminer par deux remarques. « Travailler plus pour gagner plus », c’est effectivement un objectif que doit se fixer une société à l’échelle globale. Il ne s’agit pas de le faire à l’échelle individuelle, mais à l’échelle globale. C’est tout simplement viser le plein emploi.
Mais vous n’en prenez pas la route ! J’ai regardé attentivement le rapport où le rapporteur général nous explique – dans un graphique qui doit se trouver à la page 56 – que les pays qui ont retrouvé le plein emploi sont ceux qui travaillent le plus. Moi, je vous conseille de consulter la page 51, où vous avez des données totalement objectives – et non pas un graphique effectué en prenant quatre pays au hasard – sur le temps travaillé dans tous les pays.
On remarque que les deux pays qui travaillent le moins, ce sont la Hollande et la Norvège. Ces deux pays sont depuis longtemps en plein emploi. La Norvège, qui n’a pratiquement jamais connu le chômage de masse, a baissé son temps de travail de façon considérable pendant quinze années de suite, depuis la fin des années soixante-dix. La Hollande a fait la même chose. Tout le monde a eu l’occasion d’analyser les accords de Wassenaar et la politique de réduction du temps de travail menée en Hollande, qui a conduit au plein emploi depuis dix ans.
Je vous invite à regarder ces donnés car vous constaterez que les trois pays qui travaillent le plus, monsieur le rapporteur général, ce sont la Grèce, la Pologne et la Tchéquie. Or, la Grèce est championne du chômage dans l’Europe de l’Ouest, avec un taux de près de 10 % depuis cinq ans ; la Pologne détient le record de pays de l’Est, avec un taux qui a avoisiné les 20 % pendant cinq ans ; et la Tchéquie n’est pas très éloignée de ces deux pays. Cela montre que, si l’on veut aller vers le plein emploi, la réduction du temps de travail est aussi un élément.
Autre exemple : celui de la France. Regardons à la lumière de la proposition « travailler plus pour gagner plus » ce qui s’est passé à l’échelle de la société tout entière. Depuis un siècle, en France, la durée individuelle du travail a été divisée par deux. Dans le même temps, cinq millions d’empois ont été créés. C’est peu. Ainsi, le nombre total d’heures travaillées dans l’économie française a été globalement divisé par deux, en un siècle.
On constate un mouvement continu, sauf pendant une seule période de cinq ans : de 1997 à 2002, les années du gouvernement Jospin. Pendant ces années, la durée individuelle du travail a certes baissé, mais deux millions d’emplois ont été créés. Pour la première fois, la France a effectivement travaillé plus pour gagner plus. Elle a gagné plus parce que c’est la seule période où le revenu des Français, le revenu national, a crû de 3 % par an.
Vous en êtes loin aujourd’hui ! Eh bien, madame la ministre, vous devriez vous inspirer à la fois des exemples européens et de l’histoire. Le meilleur service que vous puissiez rendre à notre pays, c’est de retirer cet article. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Leur traduction législative est un peu plus délicate. Une remarque, d’abord, sur la « valeur travail », qui n'est pas une notion moderne, mais une conception de l’économie classique, abandonnée par tous les économistes depuis la fin du XIXe siècle et qui ne subsiste plus que chez les derniers économistes marxistes de stricte obédience, que je ne pensais pas voir siéger sur les bancs de la majorité et du Gouvernement.
Le contresens n'est pas que théorique puisque l'idée persiste en France que la compétitivité internationale se fonderait uniquement sur les différences de la rémunération du travail entre les pays, conduisant à affirmer que le seul moyen d'améliorer notre compétitivité serait de réduire le coût du travail. Ce qui dénote une méconnaissance majeure des phénomènes de mondialisation, et de l’industrie et des services dans les pays émergents.
De plus, l'article 1er est une très mauvaise application du slogan « travailler plus pour gagner plus » puisque sa mise en œuvre ne permettrait guère une augmentation sensible du temps réellement travaillé. Il ne procurera pas de salaire supplémentaire, mais diminuera, au détriment des comptes publics – déjà bien abîmés –, les charges et les taxes.
Pourquoi suis-je convaincu – comme tant d’autres, comme pratiquement tous les commentateurs – que ces dispositions n'entraîneront pas une augmentation sensible du temps réellement travaillé ? Pour deux raisons simples. Premièrement : le temps de travail augmente quand les entreprises en ont besoin, pas lorsque le coût du travail diminue. Cette vérité paraît évidente à ceux qui ont travaillé dans une entreprise. Si une entreprise n'a pas de commandes, elle ne demandera pas des heures supplémentaires, même si le coût du travail diminue considérablement. On n’emploie pas les gens à ne rien faire, même lorsque c’est gratuit.
Deuxièmement : un effet de substitution est à craindre entre les rémunérations taxées et chargées et celles exonérées de charges et de taxes. Je ne vois pas ce qui empêchera un entrepreneur qui rémunère ses salariés à 35 heures et qui, en fait, les fait travailler un peu plus, moyennant une prime de rendement chargée et taxée – ce qui est une pratique absolument universelle, notamment pour l'encadrement, y compris dans le secteur public ! –, de remplacer cette prime par une déclaration d'heures supplémentaires dont la rémunération sera, elle, exonérée de toute charge et taxe.
En définitive, ce texte n'encourage pas à « travailler plus pour gagner plus ». Il permettra, à travail constant, une exonération de charges et de taxes qui représentera, pour nos seuls comptes sociaux, une aggravation de cinq milliards d'euros du déficit. Ce qui n’est pas négligeable – mais on n’en est plus à cela près !
Très franchement, si vous souhaitez diminuer les charges et taxes sur le travail, il existe des moyens infiniment plus simples et plus efficaces de le faire. Un certain nombre d’amendements iront dans ce sens.
Sur cet article 1er, j’ai plusieurs questions qui concernent à la fois le fondement du dispositif, son coût et son impact.
Sur le fondement du dispositif, j’ai obtenu un élément de réponse à travers les interventions de plusieurs des orateurs de la majorité et également à la lecture du rapport de M. le rapporteur général. On voit bien que, s’il n’est pas question de remettre en cause la durée légale du travail, c’est quand même bien elle qui est directement visée. Vous instruisez toujours à l’encontre de cette durée légale du travail un procès dont vous n’exposez que les thèmes de l’accusation sans jamais entendre ceux de la défense et sans jamais vous soumettre au jugement des Français sur cette question.
Les raisons mériteraient un véritable débat, que nous avons commencé à avoir dans la mission qui était animée, entre autres, par M. Ollier et M. Novelli. Cette mission était parvenue à cette conclusion très embarrassante pour eux : les 35 heures, pour un coût net d’environ 7 à 8 milliards d’euros en 2002, c'est-à-dire à peu près le coût des exonérations que vous allez faire porter sur les heures supplémentaires, avaient permis de créer 350 000 emplois. Ce constat, difficile à admettre, figure bel et bien dans le document qui a été publié. Ce qui m’intéressait, c’est de savoir ce que vous attendez de la mesure qui nous est proposée en termes d’impact sur l’emploi. Votre raisonnement consiste à dire que, individuellement, nous ne travaillons pas assez pour nourrir la croissance. Mais nous aurions aimé disposer d’une véritable analyse qui nous permette de savoir combien les 7 milliards d’euros – à peu près l’équivalent du coût net des 35 heures – vont permettre de créer d’emplois. Plutôt que d’avoir des déclarations d’intention et des a priori, ce serait une comparaison utile. Elle nous épargnerait des polémiques, des accusations et des procès d’intention qui n’ont pas beaucoup d’intérêt dans un débat qui est aussi un débat technique.
Ma deuxième question a trait au coût de ce dispositif. Là encore – Jérôme Cahuzac l’a dit très bien tout à l’heure – nous avons beaucoup d’incertitudes sur la manière dont les finances publiques vont être sollicitées et sur la manière dont vous allez compenser – dans les comptes de la sécurité sociale, et finalement dans le budget de l’État – les dépenses nouvelles que vous créez.
Il faut absolument que vous nous apportiez une réponse claire durant ce débat. On ne peut pas aujourd’hui inscrire entre 6 et 7 milliards d’euros pour les exonérations d’heures supplémentaires et le manque à gagner fiscal qui les accompagnera sans dire comment vous allez procéder. J’insiste sur ce point : comment éviterez-vous une aggravation de nos comptes publics et de nos comptes sociaux, qui sont dans la pire situation que nous ayons jamais connue ?
Si je pose cette question, c’est que nous devons avoir, les uns et les autres, le souci de l’équilibre de nos finances publiques et de leur évolution. Non seulement parce que le Président de la République a été amené à prendre à nouveau des engagements en la matière, dont nous ne connaissons pas le détail – et j’espère qu’à la fin de ce débat nous en aurons tous les éléments. Mais aussi et surtout parce que ce qui est en jeu, c’est la capacité de ce pays à préserver son système de protection sociale, à réduire sa dette et à faire en sorte que les ressources soient consacrées à des dépenses utiles. J’aimerais que nous ayons des réponses sur ce point.
Ma troisième série de questions concerne l’impact de ces mesures sur le pouvoir d’achat et les conditions de travail des salariés. Nous n’avons pas d’évaluations précises, madame la ministre, concernant les conséquences que vous attendez de la détaxation des heures supplémentaires sur le pouvoir d’achat des salariés. Qu’est-ce que cela va produire ? En avez-vous mesuré l’effet ? Pouvons-nous le savoir ? Pourrons-nous, par conséquent, le vérifier d’ici un an ? Serez-vous prête à faire cette évaluation ?
Il y a un impact qu’on n’évoque pas spontanément mais qu’il va bien falloir aborder aussi dans ce débat : c’est l’impact sur les conditions de travail et les conditions de vie des salariés. J’ai bien entendu les grandes déclarations enthousiastes de nombreux membres de la majorité, qui ont l’air d’oublier que l’augmentation du temps de travail entraîne une réduction du temps consacré aux loisirs, à la vie personnelle, à la famille – formes d’engagement auxquels, j’imagine, vous devez être attachés, comme nous. Cela pose la question de la société dans laquelle nous voulons vivre.
Considérons-nous que, s’agissant du travail, le salaire doit être négocié dans un rapport individuel entre l’employeur et le salarié, non par la négociation collective, et, par conséquent, se définir sur une base individuelle ?
Considérons-nous enfin que l’impact de l’augmentation de la durée du travail sur les conditions de travail, sur la santé au travail, sur les accidents de travail ne doit pas être pris en compte ? Pourtant, nous le savons bien, les conditions de travail ne cessent de se dégrader depuis des années dans ce pays et le nombre d’accidents du travail est considérable – on enregistre chaque jour près de 2 000 accidents du travail entraînant une interruption d’activité.
C’est une réalité, monsieur le rapporteur. Il est dommage que, en tant que représentant de la commission des affaires sociales, une telle question vous paraisse déplacée. On pourrait au contraire imaginer que vous la posiez vous-même ! Ce sont des sujets qui ont quand même leur importance.
Les salariés dont on parle sont des hommes et des femmes qui travaillent, qui ont une vie de famille, qui sont confrontés à des problèmes de santé. Nous savons – toutes les enquêtes le démontrent – que le stress au travail augmente, que les conditions de travail se dégradent, que l’inquiétude au travail s’accroît. On peut penser que cela a un effet direct sur la productivité horaire, qui ne s’améliore plus comme par le passé. Tout cela a donc une incidence sur la compétitivité de notre économie.
Ce ne sont pas là propos idéologiques. Je ne me livre pas à une polémique politicienne et stérile. Je vous pose, madame la ministre, des questions précises et j’espère que, dans ce débat, nous aurons des réponses, car ces sujets intéressent les salariés de ce pays.
J’invite à nouveau les orateurs inscrits sur l’article à respecter les cinq minutes qui leur sont imparties.
Je vous indique, par ailleurs, que la commission des finances doit se réunir à treize heures trente et que, en conséquence, Mme Annick Girardin – à qui je vais maintenant donner la parole – sera la dernière intervenante dans la séance de ce matin.
Vous avez la parole, pour cinq minutes, madame Girardin.
Vous n'êtes pas sans savoir que nos îles disposent d'un statut particulier : au-delà des compétences fiscales qui relèvent de la collectivité territoriale, ce statut se traduit aussi par un régime particulier pour la caisse de sécurité sociale de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Or l'étude du texte montre que son adoption en l'état, sans amendement, aurait pour conséquence une applicabilité partielle de la norme : du fait des éléments du code de la sécurité sociale, du code du travail ou encore du code rural en vigueur ou non à Saint-Pierre-et-Miquelon, le dispositif visé ne prévaudrait que pour les employeurs et les salariés agricoles, au détriment des autres salariés.
La solution avancée d'une habilitation gouvernementale et d'une action par ordonnance, proposée par le ministère de l’outre-mer, est peu judicieuse. D'une part, les dispositions visées seraient applicables en l'état à Saint-Pierre-et-Miquelon, mais de façon incomplète et inégale. D'autre part, cette procédure a montré ses limites : les Saint-Pierrais et les Miquelonnais ont trop souvent souffert de l'absence de transposition réglementaire, se voyant ainsi interdire l'accès promis aux mêmes droits que les autres Français. Un exemple parmi tant d'autres : les aides personnalisées au logement, votées en 1977 par cette assemblée, ne sont toujours pas applicables à Saint-Pierre-et-Miquelon, et ce malgré des années d'efforts auprès de l'administration.
Une telle situation ne saurait être tolérée, d'autant que cet amendement, qui permet de la résoudre de façon simple et immédiate, ne fait que reprendre une formulation retenue à de nombreuses reprises dans le passé, par exemple dans la loi d'orientation pour l'outre-mer, votée par cette même assemblée en 2000.
Madame la ministre, vous avez annoncé ce matin que le dispositif proposé s'adressait à tous les Français. Saint-Pierre-et-Miquelon – dois-je vous le rappeler, mes chers collègues ? – est un archipel faisant partie de la République, conscient de ses droits autant que de ses devoirs envers la nation : Saint-Pierre-et-Miquelon, c'est aussi la France.
Je suis donc sûre que vous serez sensible à l'impératif d'intérêt général que constitue l'adoption de cet amendement.
Vous avez néanmoins respecté votre temps de parole, ce dont je vous félicite.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi, n° 4, en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat :
Rapport, n° 62, de M. Gilles Carrez, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du plan,
Avis, n° 61, de M. Dominique Tian, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales,
Avis, n° 59, de M. Jean-Charles Taugourdeau, au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire,
Avis, n° 58, de M. Sébastien Huygue, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :
Suite de l’ordre du jour de la deuxième séance.
La séance est levée.
(La séance est levée à douze heures trente-cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu intégral
de l'Assemblée nationale,
Jean-Pierre Carton