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SOMMAIRE
Présidence de M. Jean-Marie Le Guen
1. Dialogue social et continuité du service public dans les transports terrestres. Discussion d'un projet de loi adopté par le Sénat après déclaration d’urgence (nos 101, 107)
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité.
M. Jacques Kossowski, rapporteur de la commission spéciale.
M. Hervé Mariton, président de la commission spéciale.
Rappels au règlement
MM. Alain Néri, le président de la commission spéciale, François Brottes.
M. le ministre.
exception d’irrecevabilité
Exception d’irrecevabilité de M. Jean-Marc Ayrault : MM. Alain Vidalies, le ministre.
M. Alain Vidalies.
Mme Muriel Marland-Militello, MM. Roland Muzeau, Jean Mallot. – Rejet.
question préalable
Question préalable de M. Jean-Claude Sandrier : MM. Daniel Paul, le rapporteur, le président de la commission spéciale, le ministre, Yanick Paternotte, Marc Dolez. – Rejet.
Suspension et reprise de la séance
discussion générale
MM. Michel Destot,
Roland Muzeau,
Christian Blanc,
Yanick Paternotte,
Marc Dolez,
Yves Cochet,
Patrick Ollier,
Maxime Bono,
Axel Poniatowski,
Pierre Lequiller,
Christian Eckert.
Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
2. Ordre du jour de la prochaine séance
(La séance est ouverte à quinze heures.)
Discussion d’un projet de loi adopté par le Sénat après déclaration d’urgence
La parole est à M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité.
L’objectif de ce projet de loi est triple : éviter au maximum le recours à la grève, …
Conformément aux souhaits du Premier ministre, nous avons fait, Dominique Bussereau et moi-même, le choix d’une loi-cadre pour dire, avec ambition, ce que nous voulons et pour préciser au maximum les modalités de ce service minimum. Ce choix nous permet d’être plus concrets que certains l’auraient imaginé parce que je crois que la politique doit sortir des généralités pour entrer dans les aspects les plus pratiques qui soient.
Il ne s’agit pas pour nous de renvoyer le dossier aux acteurs locaux après le vote de cette loi-cadre en leur disant : «Débrouillez-vous ! ». Nous veillerons, au contraire, à ce que le service minimum devienne une réalité au 1er janvier 2008, en suivant en permanence les différentes étapes de la vie de ce texte et en permettant aux acteurs de faire du sur-mesure en les laissant mettre à profit les cinq mois qui nous séparent de l’échéance fixée.
Ce texte correspond à un engagement fort que le Président de la République a pris avec les Français durant la campagne. Nous le savons : 71 % à 80 % de nos concitoyens souhaitent la mise en place d’un service minimum dans les transports. Le service minimum n’est pas une question de droite ou une question de gauche, le service minimum, c’est tout simplement une question de service public.
Il ne s’agit ni de prendre une quelconque revanche sur le passé ni de vider de vieilles querelles : cela n’intéresse pas les Français et, pour être clair, cela ne m’intéresse pas non plus. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Il ne s’agit pas non plus d’assurer la victoire d’un tel sur un tel. La seule chose qui nous intéresse, c’est que nous puissions, avec la mise en place de ce texte, améliorer la situation concrète dans les services de transport en cas de grève ou de perturbation prévisible.
Dans notre pays, le droit de grève est un droit constitutionnel et ce projet de loi n’entend nullement le remettre en cause. Il s’agit précisément de trouver un point d’équilibre qui fasse toute leur place à d’autres droits, eux aussi à valeur constitutionnelle et tout autant légitimes : la continuité d’accès aux services publics, la liberté d’aller et venir, la liberté du commerce et de l’industrie, mais aussi la liberté du travail.
Le service minimum est aussi un instrument de justice sociale car il s’adresse d’abord à ceux de nos concitoyens qui n’ont pas d’autres moyens que les transports en commun pour se rendre à leur travail ou pour envoyer leurs enfants au collège ou au lycée. Voilà la vérité du service minimum !
Je sais aussi que le service minimum est un sujet régulièrement abordé dans le débat politique français. Pas moins de quinze propositions de loi déposées sur le bureau de l’une ou l’autre assemblée lui ont été consacrées au cours de ces vingt dernières années.
Ce projet va apporter une réponse concrète et pragmatique aux attentes quotidiennes des Français et ce, sur l’ensemble du territoire, qu’ils soient Lorrains ou Aquitains, qu’ils habitent Marseille, Beauvais ou la région parisienne. La question du service minimum ne concerne en effet pas seulement l’Île-de-France. La question du service minimum ne concerne pas non plus la seule SNCF. Le service minimum, nous le voulons partout et nous le voulons surtout pour tous. Voilà notre ambition, voilà notre logique.
C’est aussi la raison pour laquelle ce texte a trait aux seuls transports terrestres de voyageurs, pour lesquels il a été prévu et conçu. Je sais que certains auraient souhaité qu’il soit étendu à d’autres modes de transport. Mais il faut bien voir que, d’un point de vue juridique, il fait référence aux déplacements quotidiens de la population, qu’il s’agisse des déplacements domicile-travail ou domicile-établissement scolaire. Or la notion de déplacements quotidiens n’a plus le même relief quand il s’agit des transports maritimes ou aériens.
Par ailleurs – et c’est un point important –, la concertation étroite qui a été menée l’a été avec les représentants des transports terrestres et non avec les acteurs des transports maritimes et aériens. Or je reste persuadé que si aucun sujet n’est tabou, le préalable indispensable est la concertation.
Je pense à l’accord d’alarme sociale, conclu dès 1996 à la RATP, alors présidée par Christian Blanc. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Sa démarche novatrice, grâce à une meilleure prévention des conflits et une évolution du management, a permis de réduire de plus de 90 % le nombre des jours de grève en dix ans, améliorant ainsi le service rendu aux usagers. Cet accord a montré la voie à d’autres entreprises comme la SNCF, qui a conclu un accord en 2004.
Je veux également citer le rapport remis cette même année par M. Mandelkern, qui a précisé le cadre juridique dans lequel un service minimum pouvait être mis en œuvre et apporté des réponses claires aux questions posées sur l’exercice du droit de grève. Le projet de loi qui vous est soumis a repris ses principales propositions.
Je pense enfin aux démarches conduites par Dominique Perben en 2006 pour l’amélioration de la prévisibilité.
Nous avons tenu compte de ces expériences pour élaborer ce projet avec une seule volonté en tête : améliorer la continuité du service public pour les usagers. Ce texte repose en effet sur l’idée qu’en renforçant le dialogue social dans les entreprises de transport, les grèves pourront, pour une large part, être évitées. Il fixe le cadre dans lequel le service de transport public doit être organisé afin de garantir aux usagers un service, certes réduit, mais prévisible en cas de grève mais aussi de fortes perturbations car nous avons voulu que des dispositions s’appliquent aux situations exceptionnelles, dues par exemple à des plans de travaux programmés.
Nous sommes donc parvenus à une position d’équilibre en suivant une méthode simple, celle du dialogue et de la concertation. Le Président de la République a ainsi reçu les partenaires sociaux dès le 25 mai, avec le Premier ministre. Puis j’ai moi-même engagé le dialogue sur le sujet avec l’ensemble des organisations syndicales sociales et patronales à partir du 21 juin, date à laquelle j’ai reçu les partenaires sociaux pendant plus de onze heures.
Ce dialogue s’est fait dans la clarté. Il a été important car il nous a permis de mieux cerner les enjeux pratiques du sujet et nous a conduits à distinguer trois grands axes, qui correspondent aux trois volets du texte qui vous est présenté.
Tout d’abord, la grève n’est pas une fatalité en cas de conflit et bien des questions peuvent être réglées par la négociation et par le dialogue social.
Pour cela, nous nous sommes inspiré des expériences déjà engagées dans certaines entreprises où existent des accords d’alarme sociale. Grâce à ces accords, il y a déjà de moins en moins de jours de grève, et l’on peut tous s’en réjouir. Mais contrairement à ce que certains disent, la diminution des jours de grève ne rend pas le service minimum moins nécessaire. Au contraire, il faut maintenant soutenir et amplifier ce mouvement.
Vous le savez, une véritable négociation a besoin de temps. Au-delà des cinq jours de préavis qui sont et qui restent le délai légal, il faut un délai supplémentaire de huit jours maximum pour conduire la négociation en vue d’éviter le recours à la grève. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les accords d’alarme sociale existants donnent davantage de temps à la négociation, avant tout dépôt de préavis. C’est dans cette logique aussi que nous nous situons puisque le projet de loi dispose que chaque entreprise doit parvenir, avant le 1er janvier prochain, à un accord de méthode prévoyant une négociation préalable à organiser avant le dépôt de tout préavis de grève.
Mais des accords de méthode devront aussi intervenir au niveau des branches. Cette obligation résulte d’un amendement sénatorial que le Gouvernement a soutenu, car il permettra de faire bénéficier au plus vite les usagers de ces accords et de suppléer éventuellement à l’échec ou à la carence de certaines négociations d’entreprise.
Au travers de cette négociation obligatoire et de l’accord de méthode auquel elle doit aboutir, il s’agit pour nous de promouvoir le dialogue social, qui doit être le principe d’action au sein de l’entreprise. Pour faire vivre ce principe, nous voulons donner aux partenaires sociaux le temps nécessaire à la négociation. Mais, en retour, nous posons clairement une obligation de résultat : si toutes les entreprises n’aboutissent pas à un accord au 1er janvier 2008, c’est l’État qui prendra ses responsabilités sous la forme d’un décret en Conseil d’État qui réglera la situation pour les entreprises dans lesquelles la négociation collective aura échoué. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Une fois que l’ensemble des entreprises auront signé un accord de méthode, je suis convaincu qu’un grand nombre de conflits pourront être évité. Mais peut-être pas tous : c’est pourquoi un second volet trace les grandes lignes de ce que devra être l’organisation du service en cas de grève ou de fortes perturbations. Là encore, il n’est pas possible de dire à nos concitoyens : « Nous avons amené les partenaires sociaux à négocier, ils n’ont pas trouvé de solution : tant pis pour vous ». Non !
Il y a un objectif à atteindre et le projet de loi fixe cet objectif, sans toutefois retenir une définition nationale et uniforme du service minimum. Pourquoi ? Parce que je crois, tout comme vous, qu’il est possible et préférable de faire du sur-mesure.
Ces autorités pourront ainsi assurer un service sur mesure à leurs usagers dans le cadre d’un plan de transport adapté, propre à chaque entreprise de transports. Ces plans de transport devront être mis au point dans la concertation et la transparence en associant bien évidemment les représentants des usagers.
Pour que ce plan soit pleinement opérationnel, il est impératif que les entreprises sachent exactement qui sera présent le jour de la grève. Pour ce faire, et c’est un des points importants du projet de loi, les salariés devront informer l’entreprise quarante-huit heures à l’avance de leur intention ou non de se joindre au mouvement.
Notre logique est purement pratique et liée à l’organisation du service.
Comprenez bien que si l'on veut informer les usagers vingt-quatre heures à l'avance de l'état du trafic, nous avons besoin, quarante-huit heures avant le début d'un conflit, de savoir qui viendra travailler. Voilà pourquoi la déclaration préalable est la pierre angulaire du dispositif. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
À ceux qui se sont demandé si le texte permettra encore de faire grève, je répondrai que cela sera possible. Le droit de grève en lui-même est préservé, comme le reconnaissait, dans son rapport, la commission Mandelkern.
La déclaration préalable est aussi un outil pratique indispensable pour fournir aux Français une information précise et opérationnelle. Dans l’intérêt des usagers, nous devons être davantage exigeants. Il ne s’agit pas seulement de savoir s'il y aura un train sur deux ou un train sur trois en circulation, mais si le train de 7 heures 21 partira effectivement. Nous voulons savoir si l'on peut partir et si l'on peut revenir aussi, si le car de ramassage scolaire prendra les enfants le matin et les ramènera le soir. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Nous ne voulons plus que les Français attendent, sur un quai, un train qui ne viendra peut-être jamais. Les moyens d'information modernes nous permettent aujourd’hui de satisfaire cette exigence.
De plus, il est bien précisé que la déclaration préalable d'intention ne vaut que pour les salariés dont la présence détermine directement l'offre de service.
Et pour que ce texte demeure équilibré, il est prévu une très grande vigilance à l’égard des entreprises, avec une détermination de même nature pour sanctionner toute entreprise qui utiliserait les informations contenues dans les déclarations préalables à d'autres fins que l'organisation du service, ou qui chercherait à faire pression sur les salariés.
C'est dans le même esprit d'équilibre que le Gouvernement a soutenu le Sénat dans sa volonté d'instituer un médiateur. Car il faut en permanence et jusqu'au bout tout mettre en œuvre pour éviter ou savoir mettre un terme à une grève.
Ainsi, vous le voyez, le Gouvernement a été ouvert à la concertation avec les partenaires sociaux et Roger Karoutchi et moi-même le serons avec les parlementaires. C'est dans cet esprit que nombre d'amendements que vous proposerez seront acceptés par le Gouvernement.
Quant au médiateur, c’est un point qui me semble important et qui correspond à une demande syndicale, comme je viens de le rappeler. Il pourra être désigné dès le début de la grève, d’un commun accord entre la direction de l'entreprise et les syndicats. Il veillera à ce que toutes les difficultés qui pourraient naître du conflit soient résolues dans un esprit de clarté et d'apaisement.
Dans ce but, le médiateur disposera de larges pouvoirs auprès des syndicats comme des entreprises. Enfin, comme eux, il pourra demander l'organisation, au bout de huit jours de grève, d'une consultation sur la poursuite du mouvement. Cette consultation aura une valeur indicative. Afin qu'elle puisse s'exercer en toute transparence et en toute sérénité, elle devra avoir lieu à bulletins secrets. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Et si nous avons fixé un délai de huit jours, c'est tout simplement parce que je distingue la grève qui crée des perturbations – celles-ci étant intrinsèquement liées à l'exercice du droit de grève — de la paralysie qui peut s'ensuivre, laquelle pénalise les usagers du service public et le service public.
Grâce à cette consultation à bulletins secrets…
Enfin, le projet de loi rappelle le principe du non-paiement des jours de grève.
Dans un souci de clarifier la loi, le Gouvernement sera amené à présenter un amendement tendant à revenir à la rédaction initiale du texte. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Le dernier volet de la loi, qui n'est pas le moindre puisqu'il donne tout son sens aux deux précédents, définit les droits des usagers en cas de grève.
Les entreprises devront faire connaître, au moins vingt-quatre heures avant le début de la grève, quel service sera assuré durant celle-ci. C'est un véritable mouvement de fond au profit des usagers du service public. C'est aussi une attente de la société qui est totalement légitime.
Mais je ne raconterai d'histoires à personne : s’il y a grève, le service sera perturbé, sans doute réduit. En fonction du nombre de grévistes, il ne sera pas assuré comme à la normale. Mais face à cette perturbation, qui découle de l'exercice du droit de grève, nos concitoyens ont le droit d'être pleinement informés, et les entreprises ont le devoir de mieux les informer. Elles devront indiquer quels bus et quels trams circuleront en centre-ville, quels trains de banlieue rouleront et à quelle heure passera le car de ramassage scolaire.
Je le répète, il ne s’agit plus de dire qu’il y aura un train sur deux mais que le train que l’on a l’habitude de prendre sera disponible oui ou non.
Si le service n'est pas assuré, comme prévu, si l'information donnée ving-quatre heures avant ne reflète pas la réalité, la moindre des choses sera de rembourser les titres de transport aux usagers ou de prolonger leur abonnement.
N’oublions pas non plus la nécessaire modernisation des voies et des rames pour laquelle je connais l'engagement total de Dominique Bussereau sur ces questions.
Le présent projet de loi est ambitieux, équilibré et pragmatique. C’est une loi attendue par les Français, au service des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Annoncé par le Président de la République durant la campagne électorale, ce texte se veut avant tout pragmatique. De fait, il est destiné à prendre en compte une préoccupation majeure des Français, comme l’attestent les sondages montrant de longue date qu’une grande majorité d’entre eux – 70 à 80 % – souhaite que soient mises en place des mesures permettant de garantir aux usagers, en cas de grève « un service réduit mais prévisible », pour reprendre l'expression de l'exposé des motifs du projet de loi.
Au nom du respect de la démocratie, il me semble que l'ensemble des parlementaires, y compris ceux siégeant sur les bancs de l'opposition, doivent entendre cette vive et légitime préoccupation exprimée par nos compatriotes de droite comme de gauche.
Je tiens à rappeler que les dispositions soumises aujourd'hui à la discussion ont été précédées d'une véritable préparation. Notre majorité a pris en compte les pratiques déjà existantes.
Ainsi, il faut d'abord citer les expérimentations bien connues qui ont été menées depuis plusieurs années dans un certain nombre d'entreprises de transport, au premier rang desquelles la RATP, dès 1996, puis la SNCF, à partir de 2004. Ces expérimentations ont permis, grâce au dialogue social, la mise en place de procédures de prévention des conflits et de prévisibilité du service en cas de grève. Elles ont déjà, au moins en partie, produit des effets significatifs,
Parallèlement, de très nombreuses propositions de loi ont été déposées sous la précédente législature sur cette question importante. Je les rappellerai brièvement.
Ainsi, la proposition de loi que j'avais déposée dès 2002 témoigne non seulement de mon attachement à la mise en place d'un service garanti dans les transports en commun en cas de grève, mais aussi de celui de plus de trois cents collègues – soit une majorité de députés – qui avaient bien voulu, à l'époque, s'associer à cette initiative.
Je tiens aussi à rendre hommage à Christian Blanc qui, en sa qualité d'ancien président d'Air France et de la RATP, a apporté sa contribution et son expérience pour nourrir le débat.
Je veux vous dire très simplement, comme je l'ai déjà indiqué en commission, ma fierté d’être rapporteur du présent projet de loi. C'est pour moi la concrétisation d'un engagement pris depuis de nombreuses années en faveur du respect de la continuité du service public. Cela prouve qu'en politique la ténacité et la volonté peuvent venir à bout de tous les obstacles et de tous les renoncements. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Le présent projet de loi – qui est court avec douze articles, dont trois ont été ajoutés par le Sénat – est un pari sur le renforcement du dialogue social dans les entreprises de transport. Il fixe le cadre dans lequel le service de transport public sera organisé en cas de grève ou, de façon plus générale, de perturbation prévisible du trafic, mais il laisse aux partenaires le soin d’en adapter les modalités aux réalités locales. Au lieu de préciser arbitrairement les créneaux horaires dans la loi, laquelle aurait risqué de voir sa constitutionnalité contestée, nous avons fait le choix de la souplesse et de la proximité. En effet, au niveau local, qui peut mieux définir les attentes des usagers et les dessertes prioritaires les jours de grève que les autorités organisatrices de transport ?
Notre texte s’articule autour de trois axes forts : avant tout, prévenir les conflits et créer, en se fondant sur le dialogue social, les procédures de négociation préalable nécessaires ; en cas de grève ou de forte perturbation du trafic, organiser le service, en particulier au moyen d'un plan de transport propre à chaque entreprise ; consacrer un véritable droit à l'information des usagers en cas de grève.
Je tiens à rendre hommage au Sénat qui, au cours de ses travaux, a enrichi le texte initial en améliorant les procédures et en complétant le dispositif, en particulier par l'introduction de nouvelles modalités de médiation en cas de grève.
Je ne reviendrai pas dans le détail sur la présentation des différentes mesures. M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité s'y est déjà employé avec le talent que nous lui connaissons. Je tiens surtout à insister sur le travail réalisé par la commission spéciale, qui a permis l'adoption de nombreux amendements – plus d'une trentaine au total dont un de l'opposition.
Avant de revenir sur ses apports, je remercie de leur investissement l'ensemble des membres de la commission spéciale, de la majorité comme de l'opposition, ainsi que les administrateurs et le personnel de l’Assemblée. Même si le Sénat a achevé ses travaux il y a une dizaine de jours, la commission spéciale n'a disposé que d'une semaine pour travailler. Elle n'en a pas moins procédé à l'audition de deux ministres – M. le ministre du travail et M. le secrétaire d'État aux transports,...
Évidemment, sur bien des points, le consensus ne s'est pas fait. Néanmoins, je crois pouvoir affirmer que ces heures de travail en commun ont permis des avancées dans la compréhension du dispositif proposé. Bref, un véritable travail de commission a eu lieu et je souhaitais, comme rapporteur, en témoigner.
Par ailleurs, méfions-nous des faux procès et des faux débats. Nous l'avons déjà dit de nombreuses fois, mais pourquoi ne pas le répéter ? : c'est une démarche pragmatique qui inspire le présent texte. L'image d'un quai de gare où s'amasse une foule est trop connue pour être récupérée de manière simpliste. Pourtant, c'est bien elle qui motive notre démarche aujourd'hui. Et c'est à cause de cette réalité à laquelle ils sont confrontés que tant de Français, de droite comme de gauche, sont en faveur, les jours de grève, d'un service réduit mais prévisible !
Alors, en ce début de discussion, je voudrais vous demander, presque solennellement, chers collègues, de ne pas vous tromper de débat. Non, le droit de grève n'est absolument pas remis en cause par ce projet de loi ! (« Bien sûr que si ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Autre faux débat : la conflictualité. La question est complexe. Tous les chercheurs ont montré qu'elle est protéiforme, difficile à saisir, que les statistiques ont leurs limites, et qu'il convient de prendre en compte des données quantitatives mais aussi qualitatives,...
Venons-en aux principales modifications apportées au texte par la commission.
Je commencerai par le premier axe du projet de loi, à savoir la mise en place, par le dialogue social, d'une procédure de négociation préalable au dépôt d'un préavis de grève.
La commission a d'abord veillé à parfaire la cohérence juridique du dispositif de prévention des conflits. En particulier, elle a veillé à une harmonisation des dispositions entre les accords-cadres, les accords de branche et le décret en Conseil d'État, qui devront toutes comporter des garanties identiques quant à la négociation préalable. Dans cette même perspective, les procédures de prévention des conflits existant à la RATP et à la SNCF devront être mises en conformité, par voie d'avenant, avec les dispositions de l'article 2 du projet de loi, au plus tard le 1er janvier 2008. Il s’agit de répondre à une demande expresse de la présidente Idrac et du président Mongin devant notre commission. Aussi ai-je déposé un amendement en ce sens qui a été adopté. C'est une question d'égalité et de cohérence.
Il est en effet essentiel que cette procédure de prévention des conflits permette des discussions effectives. Il ne faut pas que ce dispositif connaisse les mêmes avatars que la procédure de préavis inscrite dans notre code du travail, qui, en théorie, est une phase de négociation, mais dont nous savons tous qu'elle n'est qu'un « moment de silence avant l'orage », pour reprendre l'expression du rapport Mandelkern.
Concernant le deuxième objectif du projet de loi, à savoir l'organisation du service en cas de grève ou de forte perturbation du trafic, l'ensemble des dispositions proposées sont loin de toute vision idéologique (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine) et la commission a bien perçu l'équilibre d'ensemble entre les différentes procédures, établies dans un but unique : l'information effective des usagers.
Sur la définition de dessertes prioritaires en cas de grève et de perturbations prévisibles, la commission spéciale a mené, après le Sénat, une réflexion approfondie. Elle a conservé l'architecture globale du projet gouvernemental, qui fait intervenir trois grands acteurs : les autorités organisatrices de transport en charge de définir les besoins essentiels des populations en matière de transport, les entreprises de transport qui doivent, dans ce cadre, élaborer des plans de transport « adaptés » et des plans d'information des usagers, et, enfin, les représentants de l'État. La commission spéciale s'appuyant sur les réflexions du Sénat, qui a lui-même tenté de cerner la notion de « perturbations prévisibles », a adopté des dispositions visant à préserver l'organisation des transports scolaires ainsi qu'à garantir l'accès au service public de l'enseignement les jours d'examen nationaux. Elle a également insisté sur la nécessaire consultation des usagers avant de définir les dessertes prioritaires, et sur l'importance de donner une publicité adéquate aux plans alternatifs de transport et d'information des usagers. Les mécanismes prévus doivent contribuer à rendre effectif un tel service en période de grève ou de perturbations, ce qui est une ambition forte du projet de loi.
S’agissant de la procédure de conclusion d'accords sur la prévisibilité du trafic, j'ai également veillé à ce que la priorité soit donnée au dialogue social : dans l'hypothèse où un accord collectif de prévisibilité serait conclu dans l'entreprise après le 1er janvier 2008, celui-ci sera applicable en lieu et place du plan établi par l'employeur. La commission, très sensible aux impératifs de sécurité dans les entreprises, a insisté pour que soit prise en considération, au moment de l'élaboration, la diversité des situations : les impératifs de sécurité sont très variables d'une entreprise à l'autre, selon le type de service assuré, les catégories de matériels utilisés ou encore les modes d'organisation du travail.
Pour ce qui concerne la consultation des salariés, après huit jours de conflit, sur la poursuite de la grève, la commission a précisé que, même si elle pouvait également être demandée par les organisations syndicales et le médiateur, la responsabilité de la décider et de l’organiser est réservée à l'employeur, comme le prévoit le code du travail pour l'ensemble des consultations et élections qui ont lieu dans l'entreprise. Il a paru en effet essentiel qu'une telle procédure – à laquelle 82 % des Français sont favorables – puisse, le cas échéant, être mise en œuvre sans ambiguïté.
J'ai par ailleurs tenu à proposer une réponse à la question importante du financement de ces mesures. La mise en œuvre d'un service réduit mais prévisible a des enjeux non seulement juridiques, mais aussi, pourquoi le nier, financiers. De façon à mettre l'accent sur la nécessité – soulignée par de très nombreuses associations – de veiller aux investissements matériels en matière de transports terrestres réguliers de voyageurs, la commission a adopté un amendement précisant que le bilan annuel détaillé de l'exécution du plan de transport adapté et du plan d'information des usagers, transmis par l'entreprise de transport à l'autorité organisatrice, dressera la liste des investissements nécessaires à la mise en œuvre de ces plans au cours de l'année à venir. Elle a également prévu que ce bilan sera rendu public.
Concernant le troisième objectif du projet, à savoir le droit de l'usager à disposer d'une information précise et fiable sur le service assuré, qui constitue une véritable innovation de ce projet de loi, nous avons demandé que cette information soit gratuite et qu'elle ne se limite pas aux services essentiels. Elle doit devenir un élément clé de la culture des entreprises de transport, auxquelles ce devoir d'information est confié. Les opérateurs de transport devront, comme l'a souhaité le Gouvernement, prévenir les usagers au plus tard vingt-quatre heures avant le début d'une perturbation et avertir sans délai les collectivités publiques responsables en cas de perturbation, pour permettre à ces dernières de répercuter les informations utiles à l'usager du service public. Ce véritable droit à l'information pourra se concrétiser par le remboursement aux usagers de leurs titres de transport, lorsque les opérateurs ont manqué à leurs obligations touchant à la définition et à la mise en œuvre des plans de transport et d'information.
La commission a considéré que la responsabilité du remboursement aux usagers de leurs titres de transport ne pouvait peser, directement ou indirectement, sur les autorités organisatrices, et elle a prévu que les conditions de remboursement seront définies dans les conventions conclues entre les collectivités publiques et les opérateurs de transport.
Bien conscient des problèmes spécifiques rencontrés par la Corse, je voudrais m’en faire publiquement l’écho auprès de M. Bertrand.
Vous avez vous-même précisé le champ d’application du présent projet de loi. Il serait bon que vous vous y teniez avec la même rigueur que celle que vous avez demandée au législateur. C’est d’ailleurs le mandat que j’ai reçu de la conférence des présidents.
Ce texte est attendu par tous nos concitoyens,…
En premier lieu, parce que, comme vient de le rappeler M. le rapporteur, le rapport Mandelkern a clairement souligné les responsabilités nouvelles des collectivités territoriales et des autorités organisatrices de transport. Or chacun ici a en tête l’article 72 de la Constitution : c’est dans le cadre de la loi que s’exerce la libre administration des collectivités locales. La loi peut donc fixer quelques principes et les objectifs que nous proposons aux collectivités territoriales.
Elle est également nécessaire parce que la recherche d’un compromis entre le droit de grève et le principe de continuité du service public passe lui aussi par la loi : en vertu du préambule de la Constitution de 1946, « le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». Nous y sommes ! Si l’on veut trouver le juste équilibre entre ces deux principes essentiels, il faut clairement, à un moment donné, recourir à une loi. Et, en dépit des progrès observés, les nombreux débats qui ont enrichi la précédente législature nous ont permis de le souligner : si l’on veut garantir à nos concitoyens les résultats attendus, une loi est indispensable.
C’est en outre un projet de loi utile, puisque, comme l’a rappelé M. le ministre, l’un de ses premiers objectifs est de favoriser l’amélioration du dialogue social. En effet, si des progrès importants ont été accomplis ces dernières années sous l’impulsion des gouvernements de Jean-Pierre Raffarin et de Dominique de Villepin, ils sont cependant insuffisants : à la SNCF, ce dialogue n’est pas toujours engagé avant le dépôt d’un préavis de grève – loin de là ! Et il reste énormément à faire dans bien d’autres entreprises de transport terrestre que la SNCF ou la RATP. Il faut encourager et préciser le cadre du dialogue social : c’est ce que fait ce texte.
Utile, il l’est aussi parce qu’il souhaite améliorer la vie pratique et le quotidien de nos concitoyens – ce qui ne peut laisser indifférent le législateur. Faire en sorte que les Français, quelle que soit leur région d’origine, puissent, même un jour de grève des transports, aller plus facilement au travail, à l’école, à l’hôpital, et se déplacer sur de grandes distances, relève d’objectifs concrets qui, s’ils ne soutiennent pas nécessairement de grandes envolées rhétoriques, ne sont pas méprisables pour autant.
Bien sûr, l’amélioration de la continuité du service public n’épuise pas le débat sur l’amélioration du service de transports. Cela ne nous dispense pas de maintenir notre effort en matière d’investissement et d’entretien des infrastructures et des matériels. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Cette amélioration de l’offre repose sur une disposition qui est, à mon avis, le noyau dur du projet de loi : l’indication par les grévistes de leur décision de faire grève quarante-huit heures à l’avance. C’est l’élément essentiel pour optimiser les moyens disponibles et faire en sorte que l’offre de service soit la meilleure possible.
Si vous le permettez, je voudrais dire qu’à l’approche de la fin de cette session extraordinaire, ce texte me paraît être – comme vous l’avez d’ailleurs vous-même noté en conclusion de votre propos, monsieur le ministre – une bonne illustration d’une philosophie de la réforme…
Nous sommes très soucieux de la cohérence gouvernementale sur ce texte. Si plusieurs ministres s’expriment de façon différente sur le même sujet, nous ne savons plus avec lequel débattre ! Aussi ma remarque est-elle d’importance.
M. Laurent Wauquiez, porte-parole du Gouvernement, vient d’indiquer à la presse que dans 60 % des cas, la non-circulation des trains était liée à des faits de grève. Or ce chiffre n’a été évoqué à aucun moment au cours de nos débats en commission, sous la présidence de M. Mariton ; on a plutôt parlé de 2 à 3 % de perturbations dues à des faits de grève ! Si nous ne disposons pas des mêmes chiffres que le Gouvernement sur un sujet aussi essentiel, il est indispensable que la commission spéciale se réunisse de nouveau ! Deux ou trois points de différence, passe encore, mais pareil écart est incompréhensible ! Il n’est pas acceptable, monsieur le président, que nous continuions à débattre sur des données fausses – ou alors M. Wauquiez n’a pas dit la vérité aux médias. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Monsieur le président, dans l’intérêt du débat, je souhaite que le Gouvernement puisse nous éclairer sur tous ces points. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
En effet, alors que vous m’aviez interrogé sur la différence entre perturbations et annulations, je vous avais répondu, en citant les chiffres de la SNCF, que 50 % à 60 % des trains annulés l’étaient pour faits de grève.
Monsieur Néri – je tiens également à vous répondre –, vous savez fort bien que Dominique Bussereau sera là demain pour l’examen des articles et de leurs amendements.
À présent, je ne vous cache pas que j’ai hâte d’entendre l’exception d’irrecevabilité. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
La parole est à M. Alain Vidalies.
Un an plus tard, vous nous présentez un projet de loi dont le seul objectif serait de concrétiser l’engagement du Président de la République d’instituer un service minimum dans les transports.
L’idée n'est pas nouvelle puisqu'elle a fait l'objet de quinze propositions de loi de l’UMP ces dix dernières années. Elle appartient, en quelque sorte, au patrimoine idéologique de la droite…
Il est vrai que ce texte bénéficie d’un environnement médiatique pour le moins singulier, puisque la presse continue généralement d’évoquer l’instauration d'un service minimum correspondant aux attentes que nos concitoyens exprimeraient dans de nombreux sondages d'opinion.
L'aspiration des Français, en tant que citoyens usagers, à la continuité des services publics de transport est légitime et nous la partageons. Toutefois, la véritable question est celle de la méthode permettant d’y parvenir. Or nous pensons que votre texte, en tournant le dos aux acquis du dialogue social et en visant à durcir l'encadrement législatif du droit de grève, produira le résultat inverse.
Le droit de grève et le principe de la continuité du service public ont, tous deux, valeur constitutionnelle : il est vrai, toutefois, qu’ils entrent souvent en confrontation et que tel est l’objet de notre débat. Du reste, chaque Français vit cette confrontation puisqu’il est à la fois un citoyen attaché au maintien du droit de grève et un usager attaché à la continuité du service public.
Il est tout aussi vrai que les conflits sociaux qui aboutissent à des grèves ne sont pas tous de même nature et que souvent la solidarité de l'usager et du citoyen s'exprime, comme en 1995 pour protester contre les ordonnances Juppé sur les retraites, ou plus simplement pour défendre le maintien du service public face à des projets de suppression de lignes notamment. Votre projet ne changera rien à cette réalité et si, demain, votre politique d'agression contre les services publics, avec la suppression annoncée de dizaines de milliers de postes – on évoque aujourd'hui 40 000 postes ! – ou la création de franchises sur le remboursement des soins, se heurte à l'hostilité des Français, la solidarité du citoyen et de l'usager s'exprimera de nouveau.
En revanche, lorsque la grève trouve son origine dans un conflit propre à l'entreprise, elle est toujours le résultat d'un échec du dialogue social, échec dont l'usager a le sentiment d'être la première victime. Votre projet de loi tente d'exploiter ce sentiment pour poursuivre, en réalité, un autre objectif : durcir les conditions de l'exercice du droit de grève, voire dissuader d’y recourir, alors qu’il est un droit fondamental reconnu par la Constitution.
Ses dispositions essentielles, en effet, ne visent pas à mettre en place un service minimum au sens où l’entend l'opinion publique mais à porter atteinte aux conditions d'exercice du droit de grève lui-même, alors que les Français y sont majoritairement attachés. L'idée du service minimum est un serpent de mer qui s'est toujours heurté, d’une part à des objections d’ordre constitutionnel, d’autre part à l'impossibilité technique de sa mise en œuvre. Le rapport Mandelkern, déposé en 2004, mettait déjà en exergue ces deux limites. Faut-il rappeler que l'idée simpliste, pourtant évoquée durant la campagne pour l’élection présidentielle, de garantir un fonctionnement des transports trois heures le matin et trois heures le soir se heurte au constat que sa mise en œuvre nécessiterait la présence de 90 % du personnel de l'entreprise ? Autrement dit, elle relève d'une hypothèse d'école et votre projet, sur ce point, a pris en compte ces obstacles. Il vise donc seulement à optimiser les moyens disponibles les jours de grève : or dans l'hypothèse où 100 % des personnels seraient en grève – compte tenu de la nature du débat médiatique il convient de le rappeler –, aucun service ne serait rendu aux usagers, y compris dans le cadre du projet de loi.
En choisissant la voie législative, vous marquez une nouvelle fois votre défiance à l’encontre du dialogue social. Pour justifier ce choix, c'est-à-dire pour éviter le vrai débat sur les remises en cause du droit de grève, vous masquez la réalité des conflits sociaux dans les entreprises de transport.
Votre objectif a été exposé au grand jour au travers du débat chaotique qui a eu lieu au sein même du Gouvernement sur le périmètre d'application du texte. Le premier jour du débat devant le Sénat, vous avez soutenu avez véhémence, monsieur le ministre – j’ai relu vos déclarations –, que le périmètre du projet de loi était restreint aux transports terrestres. Le lendemain, le Premier ministre a vendu la mèche en expliquant que, naturellement, ces dispositions avaient vocation à être étendues à l'ensemble des services publics, citant, mais seulement à titre d’exemple, l'éducation nationale. Vous lui avez aussitôt emboîté le pas avec la même détermination. Puis l'Élysée a sifflé la fin de la partie en faisant valoir que l'extension à d'autres services publics n'était pas à l'ordre du jour. C’est, monsieur le ministre, toujours avec la même conviction et la même détermination que vous avez adopté cette troisième position en quarante-huit heures. Je vous en félicite.
Sur le plan juridique, nous considérons que le texte porte atteinte à plusieurs principes constitutionnels : le droit de grève, la libre administration des collectivités locales et la liberté contractuelle des collectivités locales.
Votre projet de loi manifeste d'abord – je le répète – votre défiance à l’encontre du dialogue social, dont le principe même suppose, de la part des partenaires sociaux appelés demain à négocier, un accord sur la méthodologie. Or, vous ne pouvez que le constater, votre initiative est rejetée par les organisations syndicales de salariés qui ont manifesté leur désapprobation dans une déclaration commune. Pensez-vous qu’en suscitant un tel climat de défiance vous avez créé pour demain les conditions favorables à la négociation ? Les autorités organisatrices de transport sont tout aussi réservées : aussi bien le GART que l'Assemblée des départements de France ou l'Association des régions de France ont manifesté de sérieuses réserves sur l'opportunité de ce texte.
En ce qui concerne les usagers, dans un entretien au journal Libération, le 29 mai 2007, Jean-Claude Delarue, président de la Fédération des usagers des transports et des services publics déclarait : « Nous constatons que les usagers sont en majorité favorables au service minimum mais nous considérons que ce n'est plus la priorité. Nous avons pu constater que le nombre de jours de grève a diminué depuis dix ans en France. Le service minimum n'étant pas la priorité, il n'est pas nécessaire de risquer une bataille longue et dure car celle-ci pourrait déboucher sur de nouvelles grèves. Ce qui nous semble le plus urgent, c'est la reconquête du service public. »
Les responsables des entreprises publiques – lorsque du moins ils pouvaient s’exprimer plus librement que devant la commission spéciale –, témoignaient eux aussi d’un enthousiasme très mesuré. Ainsi, dans un entretien au journal Le Monde publié le 13 avril 2007, Mme Anne-Marie Idrac, présidente de la SNCF, déclarait : « Les contrats que nous avons passés avec les autorités organisatrices de transport, comme avec le STIF, prévoient la prévisibilité en cas de situation perturbée. Pour l'heure, je constate que cela s'améliore et je privilégie le dialogue social et la négociation. Plus la part du dialogue social est importante, mieux ça marchera ». Voilà ce que disait Mme Idrac au mois d’avril.
Votre projet de loi est une initiative intempestive qui, je le répète, pour des raisons strictement politiciennes, risque de remettre en cause les acquis de dix ans de dialogue social. C'est au moment où le nombre de jours de grève est historiquement le plus bas que vous voulez imposer un encadrement législatif à la négociation.
Lors de votre audition devant la commission, vous avez vous-même reconnu que le nombre de jours de grève avait été réduit de 90 % en dix ans ! Vous auriez pu utiliser vos propres déclarations pour répondre à M. Brottes ! Voilà le constat : le nombre de jours de grève a baissé de 90 % en dix ans !
Ces résultats ne sont pas dus au hasard mais à la volonté de négociation des organisations syndicales et des responsables des entreprises.
Voilà qui explique 97 % des perturbations auxquelles, évidemment, vous ne vous intéressez pas.
Il est vrai que, au détriment de l’amélioration du dialogue social, la négociation pour obtenir un accord de branche pour les entreprises privées délégataires de services publics – engagée à la suite de la signature de la charte de la prévisibilité –, n’a pas abouti. Entendus par la commission, les représentants de l’UTP et ceux du MEDEF ont invoqué un désaccord portant uniquement sur les moyens consentis aux organisations syndicales pour justifier cet échec.
L’UTP et le MEDEF ont néanmoins reconnu – cela figure dans le rapport de la commission – que la perspective d’une loi qui viendrait se substituer à la négociation correspondait mieux à leurs attentes. Or ce que l’on sait aujourd’hui, c’est que d’ici au 1er janvier 2008, il y a peu de chances que les négociations qui ont échoué depuis des mois aboutissent.
Des règles de négociation fixées par le pouvoir politique, un plan de prévisibilité arrêté unilatéralement par l’entreprise, c’est le schéma annoncé par votre projet ; c’est-à-dire exactement l’inverse du processus engagé depuis dix ans et qui a donné de très bons résultats. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Certains effets pervers de votre texte ont d’ailleurs été révélés au cours des auditions de la commission spéciale. Ainsi, Mme Idrac a clairement exposé que la pénalisation des entreprises qui ne respecteraient pas le plan de transport contractuellement défini, aboutirait manifestement à un engagement limité de ces entreprises pour ne pas avoir à subir ces sanctions financières. M. Sirugue, au nom de l’Assemblée des départements de France, a estimé quant à lui que l’intégration des transports scolaires dans le champ d’application du projet relève d’une méconnaissance totale de la réalité. Comment définir un ordre de priorité et sur quels critères, quand il s’agit de transporter tous les élèves d’un département vers leur établissement scolaire ?
Le projet manifeste bien une défiance vis-à-vis du dialogue social. Il est vrai qu’en la matière, il y a loin entre vos discours et vos actes.
En plus de la défiance à l’encontre du dialogue social, le projet présente la caractéristique de s’attaquer aux conditions d’exercice du droit de grève et de s’immiscer dans la libre administration des collectivités territoriales.
Le droit de grève est un principe de valeur constitutionnelle reconnu par le préambule de la Constitution de 1946, repris par celui de la Constitution de 1958, principe selon lequel : « Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent. »
Conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 22 juillet 1980, il s’agit d’une compétence exclusive du législateur qui ne saurait comporter « aucune délégation au profit du Gouvernement, de l’administration ou des exploitants du soin de réglementer l’exercice du droit de grève ». En outre, le Conseil constitutionnel, notamment dans sa décision du 25 juillet 1979, a précisé la compétence du législateur pour rendre compatibles deux principes de valeur constitutionnelle, le droit de grève et la continuité du service public.
Or l’article 2 du projet précise qu’un décret en Conseil d’État fixe les règles d’organisation et de déroulement de la négociation préalable dans les entreprises de transport où, à la date du 1er janvier 2008, aucun accord-cadre n’a pu être signé et où aucun accord de branche ne s’applique. Les précisions sur le contenu de l’accord-cadre laissent aux partenaires sociaux et, à défaut, au pouvoir réglementaire, le soin de préciser les conditions de la notification du préavis,…
Toutes ces modalités concernent manifestement les conditions mêmes de l’exercice du droit de grève et, en fonction des solutions retenues sur chaque point, l’exercice du droit de grève peut se trouver soumis à des exigences que le législateur n’aura ni prévues ni évoquées. Ainsi, le décret en Conseil d’État prévu à défaut d’accord ne peut être considéré comme un décret d’application mais doit plutôt l’être comme une véritable délégation de pouvoirs normatifs qui échappent à la volonté précise du législateur.
L’imprécision des formules utilisées – telles que « les conditions dans lesquelles la négociation préalable se déroule » ,ou « les informations que l’employeur doit transmettre aux organisations syndicales », ou encore « les conditions dans lesquelles les salariés sont informés des motifs du conflit » – revient en réalité à abandonner au pouvoir réglementaire des compétences dont le Conseil constitutionnel a rappelé la dévolution exclusive au législateur.
En réalité, l’objectif de cet article est de s’opposer à la jurisprudence de la Cour de cassation qui, le 7 juin 2006, a retenu que cette pratique ne constituait pas un trouble manifestement illicite. Il convient d’observer que les motifs de ce nouveau préavis trouvent souvent leur origine dans l’absence de négociations réelles ou sont dus à la détention par les organisations syndicales de nouvelles informations. Ces dispositions constituent donc, par rapport au droit positif, une limitation à l’exercice du droit de grève qui mérite d’être déclarée constitutionnellement irrecevable.
En outre, l’article 5 impose à chaque salarié l’obligation d’informer le chef d’entreprise de sa participation à la grève quarante-huit heures avant son début. L’objectif annoncé est de permettre l’organisation par l’entreprise d’un service adapté. Le salarié qui ne respecte pas cette obligation encourt des sanctions disciplinaires ; ainsi, avant même la fin du préavis déposé par une ou plusieurs organisations syndicales, le salarié, dans l’exercice individuel de son droit de grève, est obligé de prendre position. Il ne s’agit pas seulement de manifester une intention puisque, faute de n’avoir pris position quarante-huit heures avant, il ne peut plus faire grève.
Les dispositions de l’article 6 qui permettent l’organisation, au-delà de huit jours de grève, d’une consultation du personnel à l’initiative, notamment, de l’employeur, méritent également d’être critiquées. Je rappelle que le texte même précise que la consultation porte « sur la poursuite de la grève ». J’ajoute que le Conseil constitutionnel sera particulièrement éclairé par la dépêche citant les propos du porte-parole du Gouvernement sur l’objectif poursuivi par le texte, puisqu’il explique benoîtement – mais, après tout, je salue sa franchise –, qu’il s’agit de faire pression sur les grévistes.
Cette démarche est à ce point contraire à tous les principes constitutionnels que le Gouvernement a cru pouvoir s’exonérer par avance d’une sanction en précisant que le résultat de la consultation n’affecte pas l’exercice du droit de grève. Ainsi donc, la lecture du projet nous apprend que l’on organise une consultation sur la poursuite de la grève sans que son exercice en soit remis en cause…
À quoi sert donc cette consultation si ce n’est à exercer une pression sur les salariés grévistes ? Il s’agit, juridiquement, d’une transgression des principes mêmes du droit de grève dont l’exercice individuel est garanti. La grève, même minoritaire, est toujours légitime dès lors qu’elle s’exerce dans le cadre de la loi.
Une consultation dont l’objectif est d’exercer une pression sur les salariés grévistes, est contraire au principe selon lequel la grève est un droit individuel. La seule limite ne peut être que le dépôt d’un préavis par une organisation syndicale.
Dans deux arrêts des 6 novembre 1985 et 19 juin 1987, la Cour de cassation a rappelé expressément que « le droit de grève constitue un droit personnel que chacun peut exercer sans être lié par la loi de la majorité. » La consultation prévue à l’article 6 s'inscrit en contradiction totale avec ces principes.
Votre projet de loi soulève également des questions de constitutionnalité relativement au statut des collectivités territoriales.
Le principe de leur libre administration, posé par l'article 72 de la Constitution, est largement bafoué. Dans sa décision du 20 janvier 1993, portant sur la loi de prévention de la corruption, le Conseil constitutionnel a censuré le législateur qui avait limité, de manière excessive, la liberté et l'autonomie des collectivités au risque de porter atteinte aux principes de libre administration.
La région est l’autorité organisatrice des transports collectifs d'intérêt régional, le département, celle des transports scolaires, et la commune ou les établissements publics de coopération intercommunale, celle des transports d'intérêt local. La question de la contrainte excessive imposée par votre projet de loi aux collectivités territoriales est posée, ne serait-ce, plus particulièrement, qu’avec les articles 4 et 11 qui fixent le contenu de la convention d'exploitation conclue entre l'autorité organisatrice et l'entreprise. Cette immixtion est même manifeste à l'article 8 qui précise que l'autorité organisatrice impose le remboursement total aux usagers. Ces dispositions impératives, « sans égard à la diversité et à la complexité des situations susceptibles d’être ainsi affectées » – pour reprendre la formule du Conseil constitutionnel dans la même décision –, sont contraires à l’article 72 de la Constitution.
Le Conseil constitutionnel a également érigé en principe à valeur constitutionnelle la liberté contractuelle des collectivités territoriales. Dans sa décision du 30 novembre 2006, il a précisé que ce principe obligeait au respect de la liberté dans le contenu même du contrat. Or votre projet s’immisce manifestement dans la liberté contractuelle dès lors qu’il précise que l’autorité organisatrice, c’est-à-dire la collectivité territoriale, doit imposer l’obligation de remboursement.
Manifestement, le législateur ne se contente pas de poser des principes. Il adopte, en l’espèce, un texte particulièrement directif à l’égard des autorités organisatrices en ignorant leur liberté contractuelle.
Votre projet de loi ne respecte pas non plus le principe de l’égalité des usagers devant le service public, auquel le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 25 juin 1998, a reconnu une valeur constitutionnelle, en précisant que seules les discriminations répondant à des différences de situation des usagers vis-à-vis du service étaient admises. Or, le projet de loi impose aux autorités organisatrices de déterminer, dans le plan de transport, des lignes prioritaires en cas de grève. Pour prendre l'exemple des départements, compétents pour l'organisation des transports scolaires, quels critères objectifs peuvent permettre de distinguer entre les élèves qui bénéficieront du plan et ceux qui en seront exclus ? Il existe là un risque majeur de rupture d'égalité, sans parler de l'irréalisme de la solution préconisée.
Les représentants de l'UMP qui se sont exprimés ces derniers jours, ont expliqué leur changement de position sur ce texte par rapport à celle adoptée en juillet 2006, que j’évoquais au début de mon intervention, en invoquant la rupture issue de l'élection présidentielle. Oui, il s'agit bien d'une rupture, mais d'une rupture avec le dialogue social, le risque étant de remettre en cause les résultats obtenus depuis dix ans. Il s'agit, en outre, d'une rupture juridique, qui bafoue les principes constitutionnels régissant le droit de grève et les libertés des collectivités territoriales.
Devant le danger qu'un tel projet présente, je vous invite, mes chers collègues, à voter l’exception d'irrecevabilité déposée par le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Le législateur est compétent pour légiférer en matière de droit de grève. Simplement, l’initiative en ce domaine doit être toujours prise avec une grande prudence et beaucoup de sagesse. Tel est l’esprit dans lequel le Gouvernement a travaillé et, en tout cas, tel a été celui de la commission spéciale.
L’idée selon laquelle le législateur devrait s’abstenir d’intervenir dans l’organisation du droit de grève est peu respectueuse à la fois de l’usager du service public et du droit de grève lui-même. Lorsque nous légiférons sur les conditions d’organisation de la grève au sein du service public, nous en consolidons par là même la légitimité. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) De ce texte, le dialogue social comme l’intérêt de l’usager peuvent sortir renforcés.
Pour ce qui est du principe de la libre administration des collectivités territoriales, la loi, ainsi que je l’ai souligné dans mon intervention, peut et doit là aussi poser un certain nombre de règles. Le rapport Mandelkern l’a rappelé, le transport terrestre de voyageurs relève aujourd’hui le plus souvent dans notre pays de la responsabilité des collectivités locales. Est-ce que, pour cette raison, le législateur doit s’abstenir ? Je ne crois pas, mes chers collègues, que nous ayons été élus pour nous abstenir. Si nous devons respecter le droit de grève, nous devons également assumer notre responsabilité quand il s’agit de définir le cadre dans lequel il s’applique.
Vous avez prétendu, alors que je croyais avoir été clair sur ce point, que la loi ne pourrait être opérationnelle, la plupart des exécutifs régionaux affirmant y être opposés. Nous sommes, me semble-t-il, dans un État de droit ! Après en avoir débattu, notre assemblée écrira la loi, et ensuite, les collectivités locales, quelles qu’en soient les majorités partisanes, continueront à s’administrer librement, mais dans le cadre de la loi.
Il revient effectivement après, je n’en disconviens pas, sur la nécessité d’investir davantage afin d’améliorer la qualité des transports, mais ne vous raccrochez pas seulement à ce qui vous arrange, monsieur Vidalies et reconnaissez que ce que vous avez dit ne correspond pas aux propos de M. Delarue. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
La loi est nécessaire, monsieur Vidalies, car elle seule peut organiser la négociation collective en la matière et garantir la protection des droits essentiels que sont le droit de grève et le droit des usagers.
Tout en vous situant plutôt du côté laïque, vous vous êtes demandé si nous étions croyants et pratiquants – je vous vois avec le sourire : je me félicite de le voir revenir !
Voilà pourquoi le Gouvernement demande le rejet de l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Monsieur le ministre, j’ai donné la date de publication et le nom du journal d’où j’ai tiré ma citation : il s’agissait du quotidien Libération du 29 mai 2007. Vous avez, pour votre part, trouvé votre citation de M. Delarue dans le journal Le Figaro.
Quand on représente un gouvernement et une majorité qui ont porté au dialogue social probablement le plus mauvais coup qui soit depuis la Libération, en inversant la hiérarchie des normes et en donnant à un accord d’entreprise la même valeur qu’un accord de branche, il serait préférable de ne pas se présenter ici comme des défenseurs du dialogue social, car vous êtes au contraire ceux qui ont atomisé la négociation collective ! Le voilà, votre bilan ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
La parole est à Mme Muriel Marland-Militello, pour le groupe de l’UMP.
J’irai même plus loin : non seulement le texte préserve le droit de grève, mais il en garantit la liberté. Comment en effet préserver la liberté du droit de grève autrement qu’en organisant un vote à bulletins secrets ? Il n’y a de liberté que si le vote est secret.
C’est donc un projet de loi qui se veut clair, transparent et franc. Je ne crois que l’on puisse reprocher à la franchise d’être un principe anticonstitutionnel !
Enfin, parallèlement aux droits, la Constitution préserve aussi les libertés de nos concitoyens. Le projet de loi, dans son article 1er, s’appuie sur le respect des libertés que nous devons avoir – liberté d’aller et de venir, liberté de commerce, liberté de travailler et liberté d’accès aux services public.
N’oublions pas que le recours à la grève est une décision qui représente des sacrifices pour les seuls salariés et pour personne d’autre. Vous n’avez pas dû beaucoup recevoir dans vos permanences de grévistes ou de salariés en difficulté ! Ce n’est jamais par plaisir que les salariés exercent ce droit ultime. Ils y sont poussés par le refus qu’on leur oppose d’entendre des jours, des mois, voire des années durant, des revendications incontournables.
Les enquêtes menées par les services de l’État permettent de connaître la vérité. Ainsi, selon une étude publiée en juillet 2007, la DARES – qui ne peut guère être taxée de suivisme gauchiste – a procédé à un suivi annuel des grèves dans les entreprises de plus de dix salariés du secteur marchand, y compris les grandes entreprises publiques, dont la SNCF et la RATP. Sur les 10 300 entreprises du panel, moins de 3 % ont connu une grève en 2005. C’est la réalité et vous auriez tort de ne pas en tenir compte.
Pour tenter de vous faire entendre raison, nous ne manquerons pas de vous rappeler souvent dans le débat un arrêt fort instructif de la Cour de cassation pris en décembre 2006 à propos d’une affaire concernant Air France. Je ne vous le lirai pas en totalité maintenant puisque j’ai une semaine devant moi pour le faire.
Nous aurons également le loisir de démontrer que vous ne respectez pas le dialogue social. En témoignent deux positions que le Gouvernement a prises récemment, d’une part, en torpillant l’avis syndical majoritaire dans le cadre des accords sur la restauration et l’hôtellerie, d’autre part, en empêchant la mise en œuvre de l’accord entre l’UPA et les syndicats, pour ainsi dire sur ordre du MEDEF. Voici deux exemples très concrets de votre conception du respect du dialogue social !
Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera cette exception d’irrecevabilité au nom d’une exigence populaire, qui ne manquera pas de vous apparaître, sinon dans quelques jours, du moins dans les prochaines semaines ou les prochains mois ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur quelques bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Notre collègue a également montré, et nous aurons l’occasion d’y revenir, le caractère à la fois décalé, inadapté et inopportun de ce texte, qui ne s’attaque pas à la vraie nature des problèmes rencontrés par les usagers des transports. D’abord, votre public, qui, paraît-il, attend un service minimum, sera déçu. Vous n’instaurez pas de service minimum…
En réalité, contrairement à ce que vous affirmez, nous sommes en présence d’un texte d’inspiration purement politicienne et idéologique, mais le risque qu’il fait peser sur le dialogue social est, lui, bien réel, d’autres l’ont dit avant moi. Ce risque est d’autant plus regrettable que la conflictualité diminue.
Ayant peu d’espoir de vous convaincre de retirer ce projet de loi, je retiendrai quelques arguments déterminants de l’exception d’irrecevabilité soulevée par M. Vidalies. S’agissant des atteintes au droit de grève, que seule la loi peut réglementer, la démonstration est claire : le recours à un décret bafoue cette règle et le Conseil constitutionnel ne manquera pas de vous le rappeler. En outre, la disposition de l’article 5 relative au fameux délai de déclaration préalable de 48 heures, appliquée à un salarié qui déciderait ensuite de faire grève, s’exposant ainsi à une sanction de la part de son employeur, constitue une atteinte caractérisée au droit de grève. J’ai du mal à croire que vous ne l’ayez pas vu ! On voit bien que cette disposition, comme d’autres, a pour seul objet de faire pression sur les salariés, mais elle aura un effet pervers que vous constaterez assez rapidement. Enfin, la consultation envisagée, qui est déjà possible aujourd’hui, est si encadrée, corsetée même, par le projet de loi, qu’on ne peut y voir qu’un seul objectif : faire pression sur les grévistes pour les dissuader et les décourager de poursuivre le mouvement au nom de la majorité, qui ne devrait pas prévaloir.
Dernier point, et non des moindres pour les nombreux élus territoriaux que nous sommes, le projet de loi porte une atteinte caractérisée à la libre administration des collectivités locales – régions, départements ou communes. Les contraintes envisagées sont manifestement anticonstitutionnelles, le texte allant jusqu’à déterminer le contenu des contrats que les collectivités passeront avec les entreprises de transport. Le juge constitutionnel ne s’y trompera pas !
En conclusion, les risques d’inconstitutionnalité de ce projet de loi sont manifestes, Alain Vidalies l’a très bien démontré. C’est la raison pour laquelle nous voterons l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
(L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)
La parole est à M. Daniel Paul, pour une durée qui ne saurait excéder trente minutes.
Diable ! Notre pays serait-il tant menacé qu'un tel texte vienne devant le Parlement, dans l'urgence, en plein cœur de l'été, avec mise en place d'une commission spéciale au Sénat et d’une autre à l'Assemblée ? Ces deux commissions spéciales ont auditionné, dans l'urgence, des organisations syndicales, patronales, d'usagers, des associations d'élus concernés, des ministres.
Ces rencontres, même rapides, s'ajoutant aux différents contacts pris dans les régions et à l'usage régulier des transports nous laissent dubitatifs quant à la pertinence de la priorité ainsi retenue, mais aussi quant aux moyens mis en œuvre.
Que nous disent, en effet, les syndicats, les entreprises de transport, les associations d'usagers, bref la plupart des partenaires de ce secteur ? En premier lieu, que la conflictualité ne cesse de baisser.
Mme Idrac, présidente de la SNCF, nous a déclaré que dans son entreprise le nombre de jours de grève était passée de 0,7 par agent et par an en 2006 à 0,13 pour les premiers mois de 2007. M. Mongin, président de la RATP, nous a donné des chiffres très semblables. Les organisations syndicales nous ont confirmé cette évolution.
Vous m’objecterez, monsieur le ministre, qu’il s'agit là de grandes entreprises qui ont su mettre en place des outils permettant d'améliorer, parfois depuis plusieurs années, le fameux dialogue social – ce qui est l'objectif affiché de votre texte. Notons dans ce cas qu'elles ont su le faire sans qu'il y ait une loi ! Certains responsables d'entreprises, et non des moindres, ont d'ailleurs indiqué qu'il fallait privilégier la voie de la négociation par rapport à celle de la contrainte par la loi.
Citons Louis Gallois, en 2003 : « Une solution interne sera toujours préférable à une loi. » Quant à Mme Idrac, alors présidente de la RATP, elle soulignait à la même époque : « La voie législative directe est périlleuse. Le chemin contractuel, sans doute plus long, paraît plus fructueux. »
Aujourd’hui présidente de la SNCF, Mme Idrac a, semble-t-il, changé d’avis. De « mauvais esprits », sans doute, prétendent qu'elle aurait subi quelques pressions – certainement amicales –, qui l'auraient convaincue.
Cependant, lors de son audition, l'UPA nous a confié la crainte des petites entreprises de transport – celles que l'on trouve souvent dans les zones rurales. Ces entreprises redoutent de se trouver dans l’incapacité de faire face aux contraintes du texte et risquent d'être évincées au profit de grands groupes qui, grâce à cette loi serait en mesure d’offrir des capacités et, peut-être, des sécurités plus grandes aux yeux des autorités organisatrices de transports.
Les représentants des régions et des départements nous ont fait part de leur scepticisme devant ce projet de loi. Les régions évoquent surtout les dysfonctionnements liés aux incidents techniques qui relèvent de RFF et de la SNCF, et qui tiennent à la situation catastrophique du réseau et des matériels roulants et aux suppressions de personnels. Les départements estiment, quant à eux, ne pas être concernés et se demandent comment définir le service prioritaire, par exemple dans le domaine du transport scolaire. Je reviendrai sur la situation que connaissent les régions.
La date butoir du 1er janvier 2007 retenue pour la conclusion d’accords de prévention des conflits est, de façon quasi unanime, considérée comme irréaliste.
Seul le MEDEF se réjouit ouvertement. Le bulletin de juillet de l'UIMM se révèle à cet égard d’une lecture très instructive.
Pour ce qui est des résultats d’un tel texte, les réactions vont de l'opposition au scepticisme.
Une première conclusion s'impose. Voici un texte déclaré « urgent », que la totalité des syndicats repoussent, que les organisations professionnelles peinent à reprendre à leur compte, quand elles ne le rejettent pas totalement. Toutes nous ont confirmé que la conflictualité n'était pas la cause des discontinuités des services publics de transport de voyageurs, qu'elle ne représentait pas plus de 2 % des problèmes, que les négociations pour un accord de branche n'avaient pu aboutir – il se dit que le blocage était venu du patronat du secteur, qui préférerait une loi à la négociation, tandis qu’il nous a été indiqué en commission spéciale que l’accord avait buté sur les demandes des syndicats – mais que les négociations pourraient reprendre. Monsieur le ministre, est-on vraiment si loin d'un tel accord qui améliorerait réellement le dialogue social que vous dites tant rechercher ? Devant l'évolution de la situation, ne devriez-vous pas, vous qui prétendez vouloir développer ce « fameux dialogue social », utiliser à plein les dispositifs déjà existants et les améliorer ?
Je prends l’exemple du préavis. Il a été conçu pour permettre la négociation dès lors que celle-ci n'a pu avoir lieu auparavant. En quoi son allongement va-t-il rendre obligatoire une négociation quand celle-ci n'est pas voulue par le patronat ? Ne vaut-il pas mieux peser pour qu'elle ait lieu, plutôt que de légiférer?
Pourquoi ne pas commencer par faire appliquer les textes en vigueur ? Ainsi, dans le service public des transports, sur les 2 462 entreprises qui sont assujetties à la loi relative à la négociation annuelle obligatoire, seules 1 115 l’ont engagée en 2005 et 2006 – ce qui signifie que 55 % d’entre elles ne respectent pas cette obligation légale.
Les propositions portant sur la représentativité syndicale, avec la reconnaissance du principe de l'accord majoritaire à tous les niveaux de la négociation sociale et l'obligation de négocier à tous les niveaux de décision, pourraient faire l'objet d’une étude spécifique. Des syndicats le demandent. Pourquoi n'allez-vous pas dans ce sens ?
En fait, monsieur le ministre, vous ne le voulez pas. L'objet de votre texte n'est pas de répondre à la question de la continuité du service public des transports terrestres de voyageurs, pas plus que d’ améliorer le dialogue social !
Il en est ainsi de l’article 9, qui pose de façon provocatrice le principe du non-paiement des jours de grève. Il s’agit là d’un affichage politique. Ignorez-vous que des dispositions peuvent être prises à cet égard, parfois d’ailleurs avec l’encouragement du Gouvernement, afin de favoriser la reprise du travail dans de bonnes conditions ?
Comment ne pas voir les risques liés à la déclaration préalable quarante-huit heures auparavant et à la consultation au bout de huit jours ?
Vous prévoyez que le salarié devra se prononcer quarante-huit heures avant la grève. S'il se déclare gréviste, il sera noté comme tel. Mais il pourra changer d'avis, aller voir son chef et revenir sur sa décision initiale. À moins que son chef ne soit allé le voir avant... En revanche, s'il se déclare non gréviste ou s’il est dans le doute et ne sait quelle attitude adopter, il ne pourra plus, passé le délai de quarante-huit heures, revenir sur sa décision, sauf à encourir des sanctions. À une époque où tous les sondages indiquent que nombre de nos concitoyens se forgent une opinion quelques heures avant un scrutin politique, parfois même juste avant de voter – il se murmure que certains ne prennent leur décision que dans l’isoloir –, cette obligation ouvre la porte à toutes les pressions possibles. Elle va détériorer les relations internes aux entreprises. Elle ignore le dialogue social et, surtout, elle est en contradiction, avec le droit individuel de grève. À qui ferez-vous croire que ces deux jours prétendument destinés à permettre la mise en place d'un service d'urgence ne seront pas utilisés par les employeurs pour peser individuellement sur les salariés ?
La consultation au bout de huit jours n'est qu'indicative, comme la déclaration préalable, mais elle ouvre la porte à toutes les pressions internes et externes.
En réalité, votre texte est ainsi fait qu'il va pousser à des grèves concernant un nombre plus limité de salariés, mais à des grèves plus dures. Ce n'est pas ainsi que vous allez favoriser le dialogue social ni améliorer la continuité du service !
Au-delà, on peut craindre l'augmentation du nombre de recours devant les tribunaux, ce qui judiciarisera davantage les relations du travail. Est-ce cela que vous voulez quand vous parlez de dialogue social ?
Les syndicats nous ont fait valoir, lors de la réunion de la commission spéciale, que, alors que la conflictualité est en baisse constante, un tel texte risque fort de la relancer.
S'agissant du rail, le fameux rapport de l'École polytechnique de Lausanne a été abondamment cité. Il confirme ce que les cheminots, les usagers et les élus ne cessent de dénoncer : l'état déplorable du réseau ; celui, tout aussi scandaleux, du matériel roulant ; la vitesse réduite sur 1 500 kilomètres pour des raisons de sécurité, parce que le ballast ne supporte plus des vitesses normales ; les 16 000 suppressions de postes intervenues depuis 2002.
Dans ces conditions, quand Mme Idrac sort de son chapeau 100 millions d'euros et 1 000 emplois pour améliorer la régularité et la ponctualité des trains régionaux, comment croire – même si la somme prévue, répartie sur trois ans, ne représente qu’une goutte d’eau et même s’il ne s’agit pas de 1 000 créations nettes d’emplois – que ces annonces sont dépourvues de liens avec la discussion que nous avons aujourd'hui ?
En réalité, vous connaissez l'impact du mauvais état du réseau sur les usagers et les élus, et vous éprouvez, ponctuellement – au moins le temps de la discussion devant le Parlement –, la nécessité politique de donner le change.
Faut-il rappeler que la SNCF est endettée à hauteur de 40 milliards d'euros, avec des frais financiers de l'ordre de 300 millions d'euros par an, que, pour RFF, ces mêmes frais financiers s'élèvent à 1 300 millions d'euros par an ? Cette situation freine évidemment les investissements nécessaires à la maintenance du réseau. Or, on sait que l'absence de maintenance entraîne des risques de défaillances graves au niveau de la sécurité et exige donc le ralentissement des trains. En outre, ces carences entraînent par la suite des travaux beaucoup plus lourds, avec des retards sur le réseau encore plus importants.
De façon générale, le secteur des transports connaît une explosion de la précarité, avec un intérim qui a progressé de 15 % en 2006, après une augmentation de 9 % les deux années précédentes. Dans le transport interurbain, le temps partiel concerne 33,6 % des salariés. La sous-traitance a enregistré une croissance de 56 % dans les transports urbains et routiers de voyageurs et de 8,5 % à la SNCF en 2006.
Oui ! il y a matière à exiger une autre politique des transports, avec les investissements humains et matériels nécessaires, permettant d’améliorer les conditions de travail des personnels et les modalités de transport des usagers ?
Mais, là encore, l'inquiétude est de mise. Les retards accumulés sont considérables, les moyens mis en œuvre insuffisants, et le tarissement des ressources de l'AFITF à partir de 2012 fait craindre un effondrement des crédits d'entretien et de modernisation du réseau. Les pannes se succèdent. Lisez, monsieur le ministre, lorsque vous attendez votre train dans une gare parisienne – mais je suppose que cela ne vous arrive pas très souvent…
Il n’est pas question de grève, mais de défaillances techniques, de trains en panne, de manque de personnel !
En réalité, toutes les régions sont concernées par des suppressions de trains, par manque d'agents de conduite : en région PACA, depuis le début 2007, sur 540 TER normalement prévus chaque jour, moins de 500 circulent en moyenne quotidiennement. La même situation est constatée en Aquitaine où la ligne Bayonne – Saint-Pierre-de-Port a dû être fermée pendant près de quinze jours, en raison – non de grèves – mais de la chute des caténaires ! En Midi-Pyrénées, le tableau de bord TER fourni par la direction SNCF au comité d'entreprise indique que 10 % des trains ont accusé un retard en 2006, et, que le montant des pénalités versées au conseil régional pour service non rendu s’est élevé à 659 865 euros. Les causes de suppressions de TER sont, par ordre décroissant : le défaut de matériel roulant – locomotives, rames –, les avaries, l'absence d'agents de conduite et de contrôleurs. Dans la région de Chambéry, au premier trimestre 2007, soixante-quatre trains ont été supprimés, à la suite de défaillances du matériel roulant. À quoi l’on peut ajouter « Les mutins du 7 heures 23 », pour reprendre le titre d’un journal normand qui a relaté un fait divers bien singulier : le 23 juillet dernier, exaspérés par la suppression de trains, des salariés et des cadres de la région rouennaise, qui, chaque jour, font le trajet Rouen-Paris pour aller travailler, sont descendus sur la voie et ont bloqué un train qui, normalement, ne s’arrêtait pas à cet endroit, et ont exigé de pouvoir monter à bord ! Voilà la réalité que des millions d’usagers des services publics vivent au quotidien, et, elle ne correspond en rien à celle que vous décrivez !
Ajoutons-y les suppressions de postes : 16 000 depuis 2002, dont 1 000 en Midi-Pyrénées, 692 en Bourgogne, avec des conséquences déplorables comme ces 180 à 200 trains qui circulent chaque mois sans contrôleur, en Alsace !
Et la région du ministre en charge des transports, …
En clair, ce ne sont pas les grèves qui minent les transports publics, mais les dysfonctionnements liés aux politiques libérales de déréglementation et de libéralisation.
Le Gouvernement devrait remédier à cette situation pour assurer, comme il le prétend, la « continuité du service public ». Tel n'est pas l'objet de votre texte...
Dans le même esprit, vous demandez que huit jours après le déclenchement de la grève, une consultation soit organisée parmi les salariés « susceptibles de participer au mouvement ». Outre le fait qu'une telle consultation peut montrer une situation de blocage total, dont il faudra pourtant sortir, elle ne saurait en aucun cas empêcher l'exercice individuel du droit constitutionnel de faire grève, mais détériorera certainement le climat social dans les entreprises, et cela, au moment où vous parlez d'améliorer le dialogue social.
Certes, vous ne demandez pas la fin du droit de grève ! Vous ne parlez pas de réquisition ! De fait, vous n’en parlez plus. Mais au cour des travaux de la commission spéciale, présidée par M. Mariton, ce mot a été utilisé, pour le rejeter – vous connaissez la tactique – mais comme à regret ; il a aussi été question des entreprises de transport qui, confrontées à une grève de tout leur personnel, font venir des personnels de remplacement d'une autre région, d'une autre filiale. Et la question de l'extension à d'autres secteurs que celui des transports divise, à l'évidence, les tenants de cette loi.
Sans doute, un sujet aussi sensible vous oblige à la prudence, même si la prise de position de l'UIMM, celle du Premier ministre, contredite par divers ministres, mais appuyée par plusieurs députés de votre majorité et par le MEDEF, montre bien que le débat est ouvert et que votre intention est de pousser les feux.
Aujourd'hui, c'est au tour du transport terrestre de voyageurs. Vous évoquez volontiers la « promesse faite par le candidat devenu président de la République »
Poussons encore plus loin la réflexion !
Je l'ai dit, et nous vous le répéterons tout au long de ce débat, votre intention réelle n'est pas d'améliorer le dialogue social, ni d’assurer la continuité du service public.
Et quand, après avoir « libéré » les heures supplémentaires, les responsables de la droite parlent de faire du service minimum « la revanche de l'idéologie du travail sur celle de la grève », alors oui, nous sommes bien dans une stratégie globale et cohérente avec le slogan « travailler plus pour gagner plus ! ».
Sans doute, gardez-vous en mémoire la fin de l'année 1995, où la mobilisation du secteur public, particulièrement des cheminots et des enseignants, s'était transformée en grève par délégation soutenue par l’immense majorité du peuple et avait réussi à faire plier le gouvernement d'Alain Juppé !
Sans doute aussi, vous souvenez-vous de la façon dont Mme Thatcher s'y était prise, dans les années 1980, pour arriver à ses fins : briser toute capacité de résistance des salariés, tenter de démontrer l'inutilité des grèves, non en satisfaisant les demandes des salariés, mais en laissant, au contraire, pourrir les mouvements, développer à travers le pays une campagne idéologique intense pour capter le moindre soutien, afin d’adapter la société britannique aux exigences du capitalisme financier international.
On sait ce que cela a donné pour les chemins de fer, la poste ou l'énergie, secteurs où la finance internationale dicte à présent sa loi. On sait aussi ce que cela a donné en matière de protection sociale au point que c’est en Grande-Bretagne que sont apparus les working poor, les travailleurs pauvres !
Certes, nous sommes en France, pas en Grande- Bretagne, mais l'inspiration est la même. Nul doute que, dans cette stratégie globale, le débauchage de personnalités issues de la gauche a pris toute sa place !
Nul doute aussi que votre refus obstiné de tout bilan de l'évolution des secteurs énergétique, postal, ferroviaire, qui mettrait en évidence la relation entre la casse des secteurs publics, des droits sociaux et l'explosion du capitalisme financier, trouve ainsi une grande partie de son explication.
Pour vous, il s'agit d'utiliser au maximum la période que l'on désigne comme « l’état de grâce » et qui suit généralement celle des élections, et de profiter à plein de la période des vacances, pour commencer à briser toute potentialité de résistance.
L'offensive contre le droit de grève que cache mal le texte que vous nous proposez aujourd'hui vise donc à tenter de museler le mouvement social, à affaiblir durablement les organisations syndicales afin que vous ayez les mains libres – du moins c'est ce que vous espérez ! – lorsque, dans les prochains mois, viendra le temps des réformes bien plus dures que celles que vous avez fait voter ces dernières semaines !
Vous voulez adapter notre pays aux exigences du capitalisme financier mondialisé, ce qui passe par la réduction des capacités de résistance des salariés, par l'acceptation idéologique de vos objectifs – ce que vous cherchez dans ce texte en responsabilisant les conseils régionaux et généraux aux décisions.
Pour cela, vous prétendez que la lutte des classes, c'est fini, qu'il y a communauté d'intérêts entre les PDG du CAC 40, leurs actionnaires et leurs salariés, entre ceux qui délocalisent les usines pour que les dividendes soient toujours plus juteux et ceux qui perdront leur travail et qui, de surcroît devront en rabattre quant à leurs prétentions, s'ils veulent que leur entreprise demeure en France. Quant aux actionnaires, les vrais nantis, vous venez de leur montrer combien vous compreniez leurs soucis avec le paquet fiscal. (« Très juste » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Sans doute estimez-vous qu'il y a communauté d'intérêts entre celui qui part avec un parachute doré et celui qui, son emploi perdu, va pointer à l'ANPE en se demandant comment il retrouvera du travail.
Jamais le patronat et la droite n'ont accepté les droits gagnés par les salariés, qu'il s'agisse du droit à la protection sociale ou de celui de se mettre en grève pour protester ou pour améliorer son sort. Et l'offensive idéologique contre les luttes de 68 participe aussi de cette stratégie !
« Les Français ne veulent plus seulement être gérés, ils attendent d'être guidés, d'être conduits » déclarait M. Hortefeux, devant les jeunes de l'UMP, en septembre 2005. Méfiez-vous ! Comment pourriez-vous imaginer que votre loi empêcherait notre peuple de réagir à l'avenir que vous lui préparez ? 53 % des votants, cela donne certes une majorité, mais pas tous les droits, et sans doute pas celui d'oublier qu'à de nombreux moments de son histoire notre peuple a su se dresser contre des lois injustes.
Votre projet de loi est inutile, car il suffirait d'appliquer les textes existants pour améliorer les relations sociales dans un secteur ou la conflictualité est déjà en forte baisse ; inutile, car les véritables enjeux de la continuité du service sont ailleurs, dans les moyens financiers, matériels et humains nécessaires que vous ne donnez pas, et ce n'est pas de cette loi que nous avons besoin mais d'une véritable loi de programmation de moyens et d'engagements publics.
De surcroît, votre projet de loi est contreproductif car il va cristalliser les difficultés au lieu de les résoudre, ce qui fait courir le risque d'une augmentation de la conflictualité qui aurait pu être évitée.
Enfin, votre projet de loi est dangereux, car s'il ne traite pas les vrais problèmes du secteur des transports de voyageurs, il s'intègre en revanche dans une offensive contre le droit de grève et dans une stratégie de recul social généralisé.
Tout cela justifie amplement que soit votée cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Ce projet est attendu…
Ce projet répond d’abord au souci de l’intérêt général, à commencer par celui des citoyens. C’est une véritable avancée. M. le ministre a dit que l’important, c’est de savoir si le train de sept heures trente va passer à l’heure, et non pas entre sept heures trente et neuf heures, parce qu’il faut aller travailler. De plus, vous savez qu’il y aura même une obligation d’indemnisation de la part de l’entreprise de transport.
Il est aussi soucieux de l’intérêt des salariés. Car vous le savez aussi bien que M. Muzeau : la meilleure grève est celle qui n’a pas lieu.
Ensuite, il est soucieux de l’intérêt des collectivités locales, qui doivent garantir le meilleur niveau de service possible à leurs habitants, et de l’intérêt de l’entreprise, pour les mêmes raisons.
Il se soucie également des acteurs économiques de notre pays, dont l’activité est souvent gravement perturbée par ces grèves paralysantes.
C’est donc bien dans l’intérêt de tous que nous sommes ici pour débattre de ce projet de loi.
Par ailleurs, vous le savez bien, la continuité du service public dans les transports est une question de justice sociale parce que les personnes les plus touchées par les grèves sont souvent celles qui n’ont pas les moyens de se déplacer autrement. Ce texte répond donc à un besoin réel de toute la population,…
Certes, nous sommes tous conscients du fait que la question du service minimum en cas de grève n’épuise pas celle, plus générale, de la qualité du service public des transports, qui dépend aussi de l’investissement, et j’ai déposé un amendement en ce sens. Je pense que le secrétaire d’État aux transports, demain – puisque nous aurons la chance de l’entendre ici –,…
Je voudrais aussi rappeler que ce projet de loi ne se substitue aucunement au dialogue social ; bien au contraire, il s’en inspire et il l’encourage. Nous avons la SNCF, la RATP, et les vertus de ce projet de loi, c’est de donner une base légale à leurs bonnes pratiques et de les étendre sur tout le territoire français. Si vous voulez aller beaucoup plus loin qu’aujourd’hui, c’est donc possible. Il encourage le dialogue social parce que l’obligation de négocier, qui est au cœur du texte, devrait provoquer un véritable changement dans la culture des partenaires sociaux.
Monsieur Paul, voilà ce que j’ai vu dans ce projet et ce que nous, nous défendrons. Nous n’avons pas la même lecture vous et moi : ce n’est pas de la lutte des classes ni du CAC 40 qu’il s’agit, mais des salariés du service public. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Quand notre assemblée a voté le budget pour 2007, nous avons prévu 878 millions de crédits pour les investissements ferroviaires dans le cadre des contrats de plan au lieu de 792 millions en 2006 : ces crédits ont donc augmenté de manière importante l’an dernier.
Tout au long de cette discussion nous reviendrons sur ces sujets, mais je pense qu’il est bon de clarifier le débat. Le rapporteur l’a dit et je le répète : la commission est parfaitement consciente que, s’agissant de l’amélioration du service de transport, la continuité du service public n’est pas le seul sujet, et que la qualité du service dépend aussi de la qualité de l’infrastructure et de son entretien. Mais nous n’avons pas de leçons à recevoir parce que le travail parlementaire, en particulier lors des budgets pour 2006 et 2007, a permis d’augmenter de manière conséquente l’effort dans ce domaine. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Par ailleurs, l’arrêt Air France, dont vous et M. Muzeau avez fait état tout à l’heure, ne condamne pas la déclaration préalable à la grève, il montre précisément que la loi est nécessaire – ce que vous contestez dans votre question préalable. Je ne compte pas procéder à l’analyse de l’arrêt – sauf si vous le demandez –,…
Un dernier point sur lequel je ne vous rejoins pas du tout : vous avez parlé d’un texte qui protégerait les nantis. Or quand on sait que les plus pénalisés lors d’une grève sont ceux qui ont besoin des transports en commun pour aller travailler,…
C’est pourquoi le Gouvernement souhaite que soit repoussée cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Tout d’abord c’est un texte très fortement attendu par nos compatriotes,…
Ensuite, c’est un texte exempt du sentiment de fatalité qui fait penser qu’une grève serait nécessaire au dialogue social, alors qu’elle n’est que la marque de son échec.
De plus, c’est un texte qui souligne qu’il faut rétablir les valeurs de dialogue, de négociation, de médiation, de respect, et surtout d’équilibre entre droit de grève et droit au travail.
Pour toutes ces raisons et parce que nous pensons, pour paraphraser le ministre, que ce n’est pas un texte dépassé mais que ce sont les arguments de M. Paul qui sont du passé, nous proposons de voter contre cette question préalable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
S’agissant du dialogue social, M. Paul a parfaitement montré que les résultats obtenus ces dernières années ne justifient pas le vote d’une loi. C’était d’ailleurs, je me permets de le rappeler, la position, il y a un peu plus d’un an, du Gouvernement ; et je pense que c’était une position de bon sens. Pire, le texte crée des obstacles à la réalisation du dialogue social. Par exemple, à l’article 2, plutôt que d’instaurer ce que j’appellerai « le préavis du préavis », mieux vaudrait garantir l’application de la loi, en particulier de celle du 19 octobre 1982 qui prévoit que, pendant la période de préavis, les parties sont tenues de négocier.
Concernant la continuité du service public, le seul objectif qui vaille, qu’on le veuille ou non, c’est d’assurer cette continuité chaque jour de l’année. C’est la raison pour laquelle il faut évidemment poser la question des défaillances techniques, des retards, des suppressions de desserte, dues au manque de personnel, au manque de moyens financiers et au manque d’infrastructures. Pour aborder cette question et répondre à la vraie interrogation de nos concitoyens – comment disposer d’un service public de qualité, fiable et confortable tout au long de l’année –, il faudra bien se décider à tirer toutes les leçons des politiques de déréglementation et de libéralisation de ces dernières années. Au lieu de cela, le Gouvernement nous propose un texte qui ne vise que la continuité du service public pendant les jours de grève, lesquels ne correspondent, cela a été maintes fois rappelé, qu’à 2 % ou 3 % des perturbations que subissent les usagers.
On nous dit également que c’est la traduction d’un engagement électoral pris par le Président de la République pendant sa campagne. Mais, là aussi, il y a tromperie de l’opinion publique parce qu’on essaye de nous faire croire qu’il serait possible de maintenir un service minimum…
Plutôt que de parler de service minimum, nous devrions parler de service hypothétique. La vérité est, qu’à bien des égards, ce texte est inutile.
(La question préalable n'est pas adoptée.)
Suspension et reprise de la séance
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-huit heures.)
Permettez-moi, pour respecter le temps qui m’est imparti selon les recommandations de notre président de séance, de centrer mon propos sur les conséquences du présent texte pour les collectivités territoriales et les autorités organisatrices de transports, et de le faire en posant une question préalable : pourquoi une loi ?
Comme je vous l’ai dit lorsque nous nous sommes rencontrés, monsieur le ministre, le GART – groupement des autorités responsables de transport –, dont je suis le président, travaille depuis plus de trois ans, en associant de façon consensuelle les différentes familles politiques, pour garantir aux usagers la continuité du service public de transport en cas de perturbations, lesquelles peuvent être liées à des problèmes techniques – comme c’est le plus souvent le cas – ou à des mouvements sociaux qui concernent principalement quelques grandes agglomérations et le réseau ferré. Je tiens à souligner que la méthode contractuelle que le GART avait appelée de ses vœux a porté ses premiers fruits, puisque la conflictualité a très nettement diminué, le dialogue social s’étant développé pour la prévenir.
Par deux fois, en 2005, les instances du GART avaient souhaité que, dans l'intérêt des usagers, de la crédibilité des réseaux de transport collectif et donc dans l'intérêt même des salariés, les partenaires sociaux établissent des procédures visant à prévenir les conflits et à minimiser les perturbations, dans le respect du droit de grève. Nous avons ainsi encouragé des clauses favorisant le dialogue social dans les conventions, notamment au moment où celles-ci étaient renouvelées. Nous avons également suggéré que soient mises en place des structures de concertation intégrant les usagers, sur le modèle des comités de lignes créés pour les lignes de TER dans certaines régions.
Afin de traduire concrètement ces orientations, le GART a travaillé, avec le cabinet du précédent ministre des transports, Dominique Perben, ici présent, et les services de son ministère, à la rédaction d'un guide destiné aux autorités organisatrices afin de permettre une prévisibilité du service public de transport en période de perturbations. Pour ce faire, en juillet 2006, au moment de la finalisation du guide, le ministre des transports a proposé à tous les partenaires intéressés – associations d’élus, Fédération nationale des associations d’usagers des transports, Union des transports publics et organisations syndicales – de signer une charte, ce qui fut chose faite.
Cette voie contractuelle, respectueuse de la libre administration des collectivités territoriales – donc de notre Constitution – présente l'immense avantage de s'adapter à des contextes qui sont bien évidemment différents d'une agglomération à une autre et varient selon qu'il s'agit de services régionaux, départementaux ou urbains. Elle concilie droit au transport des usagers et droit de grève des personnels des opérateurs de transport.
Je reviens donc à ma question : pourquoi une loi ? De mon point de vue, pour céder au MEDEF et à l'Union des transports publics, qui la voulaient depuis le départ. Force est en effet de constater que les transporteurs des grands réseaux ont été incapables de développer d'eux-mêmes le dialogue social, préférant se réfugier derrière une loi. Et comme, de plus, ils veulent le beurre et l'argent du beurre,…
Or, pour développer un service de qualité en matière de transport, les collectivités territoriales, qui financent près de 80 % du système, sont déjà très largement mises à contribution. Aujourd'hui, les régions sont même amenées à se substituer à l’État pour entretenir le réseau ferré national. Je tiens à cet égard à souligner que, si les services du TER – du Transilien en Île-de-France – sont perturbés, ralentis voire arrêtés sur certaines lignes, la raison en est le plus souvent l'état du réseau, dont l’audit réalisé en 2005 avait révélé que 500 millions d’euros supplémentaires par an étaient nécessaires pour le régénérer.
J’en viens au projet de loi. On aurait pu imaginer que celui-ci se contente de codifier les préconisations formulées par le GART auprès de ses adhérents, préconisations reprises dans le guide élaboré, je le répète, par le précédent gouvernement sous la houlette de notre collègue Dominique Perben. On aurait ainsi laissé toute liberté aux autorités compétentes pour définir les modalités et le contenu de ces préconisations, et la libre administration des collectivités locales aurait été respectée. Or celle-ci, dans le texte qui nous est aujourd’hui soumis, semble sérieusement mise en cause.
Ainsi, les paragraphes III et IV de l'article 4 me paraissent particulièrement dangereux. Le premier prévoit en effet que « les plans [de transport adapté et les plans d'information des usagers seront] intégrés aux conventions d'exploitation conclues par les autorités organisatrices de transport avec les entreprises de transport » et que « les conventions en cours [devront être] modifiées en ce sens avant le 1er janvier 2008 ».
Je le répète à cette tribune : un tel objectif est intenable, surtout si l’on entend, comme le laisse à penser le titre du projet de loi, favoriser le dialogue social. Comment, dans des délais aussi courts – à peine plus de trois mois –,…
Par ailleurs, le texte prévoit que le préfet se substituera à l’autorité organisatrice en cas de « carence ». Or le préfet pourrait être amené à agir de la sorte si le délai déraisonnable du 1er janvier 2008 n’était pas respecté ou s’il jugeait insuffisants les niveaux de desserte définis par l’autorité organisatrice, le terme de « carence » pouvant être entendu de façon assez large, comme l’ont rappelé tous les juristes compétents.
De plus, une telle mesure risque d'être répercutée financièrement par les entreprises sur les autorités organisatrices, et ce de manière directe ou indirecte. Aussi, monsieur le ministre, défendrai-je un amendement à l’article 8 tendant à préciser que le remboursement des titres n’a aucune incidence financière directe ou indirecte pour l’autorité organisatrice et intervient sans préjudice des sanctions financières imposées à l’entreprise pour non-respect des plans de transport adapté et des plans d’information aux usagers.
Enfin, je défendrai un amendement à l’article 1er visant à exclure du champ d'application de la loi les agglomérations de moins de 100 000 habitants. En effet, dans ces agglomérations, les mouvements sociaux sont quasi inexistants. Il me paraît donc totalement injustifié d'imposer aux collectivités, et notamment aux collectivités de petite taille, des procédures lourdes et coûteuses.
En conclusion, monsieur le ministre, je regrette que vous ayez choisi de recourir à la loi : le dialogue entre les parties, qui avait déjà porté ses fruits, aurait dû être poursuivi. En outre, si vous êtes attaché comme moi à la continuité du service public de transport collectif, il est urgent que vous donniez aux entreprises publiques les moyens financiers de régénérer les réseaux ferrés et de mettre à la disposition des voyageurs des équipements en bon état de marche, ce qui évitera bien des perturbations puisque la plupart d’entre elles, je le répète, sont liées à l'obsolescence des voies et des matériels. De tout cela nous parlerons aussi longtemps que la situation nous semblera détériorée. Autant dire que vous n’avez pas fini de nous écouter et, je l’espère, de nous entendre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Un large consensus syndical s’est d’ailleurs dégagé, comme le révèle le rassemblement du 31 juillet organisé à l’appel de sept confédérations syndicales et de quatre fédérations, appuyées par des associations d’usagers, pour considérer inutile une telle intervention législative, en dénoncer la dangerosité pour le droit constitutionnel de grève et les effets pervers sur le climat interne des entreprises.
Force Ouvrière a judicieusement rappelé que la suppression des conséquences des conflits ne permettait pas de traiter leurs causes. Pas plus que les textes adoptés sous la précédente législature – et se targuant, eux aussi, de renforcer le dialogue social – celui-ci ne permettra ni de prévenir ni de mieux réguler les conflits, ni d’enrichir la négociation, encore moins de mieux articuler démocratie sociale et démocratie politique.
En 2007, vous avez voté un texte rappelant un engagement vertueux, mais déjà couché par le Parlement trois ans auparavant : tout projet de loi portant réforme du droit du travail devait, avant son examen par le Parlement, être renvoyé à la négociation collective. Ce principe, largement inappliqué, est foulé aux pieds par ce texte, dont les articles 2, 5 et 6 modifient les articles du code du travail relatifs au droit de grève.
Autre exemple de votre lecture singulière du dialogue social : en 2004, M. Fillon, alors ministre du travail, sous prétexte de dynamiser la négociation d’entreprise, bouleversait la hiérarchie des normes, balayait le principe de faveur et entamait le socle de garanties communes à l’ensemble des salariés en permettant à un accord d’entreprise de déroger, dans un sens moins favorable aux salariés, aux accords de branche, voire au code du travail. Toujours dans le but de réduire la conflictualité au sein des entreprises, le même ministre privilégiait le droit d’opposition majoritaire par rapport à la majorité d’engagement.
Manifestement, nous ne nous entendons pas sur ce que signifie « modernisation du dialogue social », et nous craignons que cet objectif ne serve à nouveau à habiller un texte dont l’unique objet est d’étouffer la contestation sociale en corsetant l’exercice du droit de grève dans le secteur des transports terrestres de voyageurs.
Si votre souhait était effectivement de favoriser un « dialogue social maximum », vous vous seriez attachés à la qualité de ce dernier. Vous auriez garanti le respect par l’employeur de son obligation – annuelle, triennale ou quinquennale – de négocier, sur les salaires, les conditions d’emploi, l’égalité professionnelle. Or 55 % des entreprises n’appliquent pas la loi. Vous auriez créé un lieu de concertation et de dialogue entre les autorités organisatrices de transports et les organisations syndicales de salariés du secteur public. Vous auriez enfin renforcé les droits de ces derniers dans l’exercice de leurs fonctions syndicales. Enfin, vous auriez cherché à parfaire les dispositions du code du travail applicables aux fonctionnaires et aux salariés du secteur public au lieu de pervertir la nature du préavis.
Dans une note de jurisprudence publiée en 2006 par la revue Droit social, Emmanuel Dockès rappelle que si, dans les services publics, le préavis de grève est un temps laissé à l’employeur pour proposer des mesures d’apaisement, il ne s’agit nullement d’un temps destiné à lui permettre de réduire au maximum le préjudice d’une grève... Or la superposition des préavis vise à faire gagner du temps et non à nouer un vrai dialogue.
Au lieu d’inciter, par voie contractuelle, au dialogue au niveau de la branche et sans même avoir dressé le bilan des grèves, de leurs causes, et le bilan des accords signés à la RATP et à la SNCF pour améliorer la concertation, vous imposez autoritairement aux 15 000 entreprises de transport de notre pays une obligation de résultat avec la création d’un dispositif de prévention des conflits – obligation enserrée dans un délai irréaliste de quatre mois, qui obère les chances de réussite de la négociation d’un accord-cadre et rend probable la fixation unilatérale des règles d’organisation et du déroulement de la négociation par le Gouvernement dans un grand nombre d’entreprises, sans qu’aient été envisagés – et encore moins négociés – les changements internes que ces règles vont induire.
Comble de l’absurde et belle illustration de votre conception du dialogue social, l’article 2 conduit à remettre en cause les dispositifs d’alarme sociale de la SNCF et de la RATP. Nous pensons qu’il ne s’agit que de manœuvres politiciennes pour vous permettre d’atteindre votre unique objectif : faire reculer le droit de grève et faire des salariés du secteur des transports de voyageurs les cobayes d’un nouveau coup porté aux droits des salariés de notre pays.
La France, selon vous, se distinguerait par sa « gréviculture ».
Vous appuyant sur des sondages effectués à des fins douteuses, vous profitez de l’occasion pour discréditer les cheminots, les salariés de la RATP et leurs organisations syndicales, c’est-à-dire les agents supposés « privilégiés », pour mieux les opposer aux salariés du privé, moins protégés, et qui, selon vos propres termes, sont « pris en otages ». Vous limitez leur possibilité de recourir à la grève, fût-ce, comme c’est le plus souvent le cas, pour la nécessaire amélioration du service public. En réduisant toute cette problématique aux conditions d’exercice du droit de grève, vous refusez de répondre à une demande sociale et vous déminez le terrain pour les futures réformes.
La rapporteure de la commission spéciale du Sénat a été très explicite. Pour elle, il s’agit d’éviter que des agents de la SNCF ou de la RATP s’engagent dans une grève pour des motifs qui ne les concerneraient pas directement : une grève interprofessionnelle sur le pouvoir d’achat ou encore une grève de solidarité du type de celles qui ont eu lieu contre le CPE, par exemple.
Demain, vous étendrez le service minimum à tous les modes de transport, et pourquoi pas à d’autres services publics comme l’éducation nationale ; le débat qu’a provoqué le Premier ministre est loin d’être clos. En commission, nos collègues de l’UMP ont d’ailleurs présenté des amendements pour que le texte aille encore plus loin, s’agissant notamment de la réquisition et du service normal aux heures de pointe...
En écho aux déclarations de Nicolas Sarkozy qui, en août 2006, prêchait devant les convertis du MEDEF sur l’urgence d’en finir avec « la dictature de certaines minorités », ce texte vise à détourner l’attention des usagers afin que leur colère légitime envers la dégradation continue du service public ne se retourne pas contre les vrais responsables !
Cette dégradation réelle de la qualité du service public des transports vous gêne. Les enquêtes de satisfaction menées auprès des usagers montrent bien que ce n’est pas la grève qui figure en tête de leurs préoccupations, mais l’amélioration de la qualité du service public sur des points comme la ponctualité, la gestion des pannes, les horaires, l’information en cas de perturbation, la propreté et la lutte contre les malveillances.
La déréglementation du service public des transports s’est traduite, faute de moyens humains et de crédits, par la multiplication des défaillances matérielles – comme l’incendie de ce week-end sur la ligne 13 – et les insuffisances de la maintenance. La suppression de nombreuses dessertes, la fermeture de gares, la généralisation du travail précaire et les suppressions d’emploi massives, enfin l’extension exponentielle de la sous-traitance sont la cause directe de 98 % des dysfonctionnement dans les transports publics.
Prenons pour exemple la situation de Réseau ferré de France. Vous savez comme nous que RFF, qui croule sous les dettes, n’a plus les moyens d’entretenir les voies ferrées. Ainsi, pour éviter les déraillements, la vitesse est limitée sur certains tronçons à 50 kilomètres-heure, parfois à 10 kilomètres-heure ! La SNCF, quant à elle, économise sur tout et, non contente d’avoir supprimé 16 000 emplois depuis 2002, elle laisse aujourd’hui les trains et la qualité du service se dégrader.
Nous l’avons compris, votre stratégie consiste à faire des salariés des boucs émissaires pour les exposer à la vindicte publique, et à gommer les intérêts convergents des usagers et des agents tout comme leur exigence commune d’un service public de qualité.
Malgré vos dénégations, nous avons compris aussi que l’essentiel de ce texte résidait dans sa seconde partie, et que le service minimum était pour vous un prétexte pour restreindre le droit de grève individuel.
Si le Conseil constitutionnel admet que le législateur puisse pondérer ce droit par d’autres principes de valeur constitutionnelle, tels que la protection de la santé, la sécurité des personnes et des biens, la continuité du service public, vous admettez l’interdiction du droit de grève quand la satisfaction des besoins essentiels du pays sont compromis, et vous franchissez un pas supplémentaire en instaurant un service minimum dans les transports afin, dites-vous, de garantir la satisfaction des besoins essentiels de la population. Le Conseil constitutionnel appréciera la disproportion entre l’atteinte au droit de grève que représente ce texte et l’hypothétique amélioration de la prévisibilité du service.
Plusieurs dispositifs phares de ce projet de loi nous apparaissent inacceptables, en totale contradiction avec le droit et la jurisprudence, à l’instar de la déclaration individuelle de grève et de ses sanctions, ou de la consultation des salariés sur la poursuite de la grève. Suite à l’arrêt de la Cour de cassation du 23 juin 2006, qui, concernant Air France, a admis la grève des personnels en escale et rappelé « qu’il ne pouvait être imposé à un salarié d’indiquer à son employeur son intention de participer à une grève avant le déclenchement de celle-ci », une réaction législative était à craindre. C’est chose faite aujourd’hui ! Non seulement vous revenez sur le principe selon lequel le droit de grève ne peut être l’objet de renonciation mais de surcroît, selon le Lamy social, en prévoyant qu’une sanction disciplinaire pourra être prononcée à l’encontre d’un salarié n’ayant pas informé son employeur, vous introduisez le pouvoir hiérarchique de l’employeur dans le droit de grève, qui normalement y échappe, seule la faute lourde justifiant le licenciement du salarié gréviste.
Et vous en rajoutez dans la provocation en rappelant le non-paiement des jours de grève et en rendant nul tout accord de fin de conflit qui prévoirait des compensations.
Tout au long du débat, nous dénoncerons la perversité de votre démarche, son caractère démagogique vis-à-vis des usagers des transports et profondément irrespectueux des relations sociales. Nous proposerons d’autres choix, qui répondent aux exigences de démocratie sociale, comme aux préoccupations quotidiennes des usagers, et respectent les droits de l’ensemble du monde du travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
En France, le préambule de la Constitution de 1946 dispose : « Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». Ce n’est qu'en 1979 que le Conseil constitutionnel a affirmé un principe constitutionnel concernant la continuité du service public. En l’absence de législation sur le droit de grève, la jurisprudence a le plus souvent favorisé celui-ci dans les cas où il pouvait entrer en conflit avec le principe de continuité du service public.
Aucun gouvernement n’a proposé au Parlement de confirmer l’exigence des pères de la Constitution de 1946 d’un encadrement du droit de grève. C'est ce que vous faites aujourd’hui, monsieur le ministre, de façon mesurée et équilibrée, pour favoriser la continuité du service sans réduire pour autant l’exercice du droit de grève dans les services publics de transport. Le projet de loi n’est pas une atteinte au droit de grève, à moins d’estimer que l’application de la Constitution, soixante ans après sa promulgation, le serait !
Seule la loi peut ouvrir la voie à la réglementation du droit de grève.
D’autre part, toute réglementation du droit de grève doit satisfaire une forte exigence de proportionnalité, la restriction apportée au droit de grève devant être effectivement susceptible de préserver la continuité du service. La pondération dans la mise en cause du droit de grève, ainsi que le souci d’adapter la réglementation aux réalités environnantes – lieu, état des rapports sociaux au moment considéré, état des techniques – conditionnent ainsi la conformité du système aux principes constitutionnels. On pourrait par exemple estimer que le service minimum doit s’appliquer à 100 %, trois heures le matin et trois heures en début de soirée, pour que les usagers puissent se rendre sur leur lieu de travail et en revenir. Mais ce n’est pas la proposition qui nous est faite aujourd’hui.
C'est le juge constitutionnel, et lui seul, qui apprécierait par rapport à un service quotidien normal de dix-neuf heures, et en fonction du trafic tout au long de la journée, si l'exigence de proportionnalité est respectée ou non.
Enfin, le principe de la libre administration des collectivités territoriales est aujourd'hui appelé, lui aussi, à être intégré à la conciliation qu'exige la Constitution. Le caractère décentralisé de la France d'aujourd'hui nécessite qu'une part importante du pouvoir d'aménagement du droit de grève soit exercée par les autorités locales en vertu de la loi. Ainsi, selon les termes du troisième alinéa de l'article 72 de la Constitution, la loi est indispensable pour régir au plan national le fonctionnement des services de transports locaux, même si la mesure concernée ne met aucunement en cause le droit de grève. La contrainte vient ici de ce que les transports publics de personnes sont, pour une très large part, des transports locaux, et que l'organisation des services publics locaux relève par principe du pouvoir réglementaire des collectivités territoriales. Mais il est loisible au législateur, et à lui seul, de statuer sur une question relevant en valeur absolue de l'échelon local. De même, il lui revient exclusivement de permettre qu'une telle question soit réglementée – ou le cas échéant, conventionnellement élaborée – par d'autres que lui.
En ce qui concerne le renvoi à des accords collectifs, le législateur est, selon une récente décision du Conseil constitutionnel du 29 avril 2004, dans l'obligation d'exercer pleinement les pouvoirs que lui confie la Constitution ; il lui est donc interdit de déléguer ou d'abandonner à d'autres des compétences normatives qui n'appartiennent qu'à lui. Ainsi, la place potentiellement laissée à l'accord collectif pour compléter les dispositions de la loi n'est pas illimitée.
Au regard des compétences et des limites fixées par la Constitution et la jurisprudence, comment se présente le projet de loi soumis par le Gouvernement ? Votre texte, monsieur le ministre, vous l’avez rappelé, comporte deux dispositifs. L'un concerne, en amont, la prévention du conflit, l'autre consiste, en aval, à organiser le service public en cas de grève.
En ce qui concerne le premier objectif, le projet de loi pose le principe d'une négociation obligatoire dans les entreprises de transports publics, qui doit aboutir à la signature d'un accord-cadre avant le 1er janvier 2008. Cet accord d'alerte sociale fixe une procédure de prévention des conflits prévoyant une négociation préalable à organiser avant le dépôt de tout préavis de grève.
Pour atteindre le deuxième objectif, le projet de loi prévoit plusieurs principes d'organisation du service des transports publics en cas de grève : définition d’une priorité de desserte et des besoins essentiels par les sociétés organisatrices de transports, c'est-à-dire par les collectivités locales, responsables de l'organisation des transports publics ; mise en place de procédures qui permettront aux entreprises de transports de connaître, en anticipant davantage, les moyens en personnel dont elles vont disposer pendant la grève ; possibilité d'organiser une consultation indicative sur la poursuite de la grève au bout de huit jours ; renforcement des droits des usagers en matière d'information sur le service pendant la grève.
Ce projet ne retient donc pas une définition uniforme du service minimum, qui rendrait, par exemple, obligatoire un service normal entre six heures et neuf heures et entre dix-sept heures et vingt heures, sur l’ensemble du territoire national. En outre, le texte prévoit qu'après consultation des représentants des usagers, les autorités organisatrices définissent des priorités de desserte concernant essentiellement les déplacements quotidiens de la population. Il renvoie donc à une définition de la meilleure continuité du service public, dans le respect des principes indiqués, par les autorités à même de prendre en considération les spécificités et les réalités des situations locales.
Le projet qui nous est soumis est donc un texte de responsabilisation des différents acteurs du service public des transports : les autorités organisatrices, qui sont essentiellement des collectivités locales représentant les citoyens et définissent les priorités de la desserte correspondant aux besoins essentiels de la population ; les entreprises de transports, qui sont responsables de la meilleure gestion au meilleur coût du service et arrêtent le plan de transport décidé par l'autorité organisatrice ; les organisations syndicales représentant les salariés, qui négocient la procédure de prévention des conflits ; les organisations d'usagers, enfin, dont les avis ont été jusqu'ici assez peu sollicités, et qui seront désormais consultées par l'autorité organisatrice avant la définition des priorités de desserte.
Tout ceci concourt à une meilleure organisation de la continuité du service public, et ce dans le plus grand respect de l'exercice du droit de grève, au même titre que les deux dispositifs controversés lors de nos échanges au sein de la commission spéciale qui s’est réunie la semaine dernière. Il s'agit, d'une part, de la déclaration préalable par laquelle un salarié informe l'entreprise de ses intentions quarante-huit heures avant le début de la grève, et qui permet à l'entreprise d'organiser le service le meilleur, car le plus prévisible pendant la durée de la grève.
Il convient, mes chers collègues, de terminer ce propos par quelques considérations politiques. Depuis vingt ans, la société française a beaucoup évolué, et les usagers des services publics de transports sont devenus de plus en plus des clients. Ils attendent la même qualité de service que celle qu’ils exigent des entreprises privées, entre lesquelles ils ont pris l'habitude de choisir. Sachant par ailleurs qu'ils financent ces entreprises par l’impôt, ils n'en sont que plus exigeants.
Les excès du droit de grève sont de moins en moins bien supportés. Les sentiments de dépendance et d'incertitude face aux incidents et à la mauvaise information entraînent des critiques souvent vives envers les entreprises de transports publics. Des mouvements de grève aux motifs souvent perçus comme peu transparents ou égoïstes, entraînent un sentiment de frustration et, souvent, de colère.
Dans une telle situation, et au regard de la précision de ses engagements, le Président de la République aurait pu, en début de mandat, comme l’ont fait en leur temps Margaret Thatcher, Ronald Reagan ou le général de Gaulle, établir un rapport de force sur cette question symbolique, assuré du soutien de l'opinion publique. Il eût en effet été aisé d'expliquer que, dans de nombreux pays européens, il est interdit aux agents des services publics de faire grève. C’est le cas, en Allemagne, des cheminots et des postiers. Plus généralement, le droit de grève dans les pays européens est limité, soit par l'interdiction, soit par des conventions collectives très restrictives, et ce au nom de l'intérêt général. Le Président de la République et le Gouvernement ont fait un autre choix : ils ont décidé, d'une part, de compléter le dispositif constitutionnel grâce à une loi favorisant la continuité du service public en amont et en aval de l'exercice du droit de grève et, d'autre part, de faire preuve d'ouverture et de confiance en modernisant, au moyen de cette loi, la culture des rapports sociaux.
Grâce au rôle majeur confié aux autorités organisatrices, c'est-à-dire aux collectivités locales, les décisions seront prises au plus près des citoyens et sous leur contrôle. En outre, une main est tendue aux organismes syndicaux, qui comprennent la nécessité de participer aux transformations de la société. Dans le secteur des transports, je ne doute pas que cela renforcera leur représentativité au sein des salariés, lesquels sont également des citoyens et des clients des transports publics.
Enfin, ce texte témoigne d’une modification du rapport au temps. Sortir de l'immobilisme dans lequel est plongée la France depuis si longtemps nécessite de changer de rythme. Ce sont non seulement les organisations sociales, mais aussi les forces politiques qui n'ont pas suffisamment pris en considération la rapidité des transformations du monde dans lequel nous vivons.
J'entends dire qu'il ne sera pas facile de mettre en place, d'ici au 31 décembre 2007, l'accord-cadre sur la négociation préalable au début du préavis de grève, les priorités de desserte et le plan de transport. Je crois pour ma part que chacun des grands acteurs du service public a derrière lui une réflexion suffisamment précise pour être désormais en mesure d’agir. C'est une question de volonté politique et d'organisation. Je ne doute pas d'ailleurs que les citoyens qui auront à se prononcer lors des élections locales au printemps prochain, seront très attentifs aux résultats de ces travaux. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, j'adhère à votre projet, que mon groupe votera, le moment venu. (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau Centre et du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Les syndicats sont également mécontents, car leurs revendications aboutissent rarement à l’issue des grèves, tandis que les pertes de salaire sont substantielles, ce qui ternit leur image.
Enfin, au niveau environnemental, la paralysie des transports se traduit, dans les villes, par une pollution atmosphérique record.
Ces grèves frappent d’ailleurs surtout les plus faibles. Ce sont souvent ceux qui n’ont pas d’autre mode de transport, et notamment pas de voiture personnelle, qui sont ainsi pris en otage.
Pour ces raisons, le groupe UMP se réjouit que notre assemblée soit saisie, en procédure d’urgence, d’un projet de loi adopté par le Sénat ayant trait au « dialogue social et à la continuité du service public de transport ».
Bien sûr, on est en droit de se demander – et Christian Blanc l’a fait tout à l’heure – s’il fallait une loi pour instaurer le service garanti. Sans hésiter je réponds « oui » puisque seule la loi peut organiser l’exercice du droit de grève. Le préambule de la Constitution prévoit en effet que « le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». Je tiens, au nom du groupe UMP, à féliciter le président Mariton et notre collègue Kossowski pour la qualité et la clarté des débats au sein de la commission spéciale.
L’initiative du président Mariton d’auditionner publiquement tous les acteurs concernés par ce projet de loi est également à saluer. Certains – dont je suis – regretteront toutefois que le calendrier de nos travaux ne nous ait pas permis de suivre la totalité des auditions, faute d’avoir le don d’ubiquité. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) On ne peut à la fois, en effet, suivre assidûment les travaux de deux commissions et tenir sa place dans les « fauteuils rouges » de l’hémicycle, comme le dit si bien le président Accoyer !
Le groupe UMP aborde ce débat avec conviction et sérénité.
Comme le rappelle Robert Lecou dans son rapport de décembre 2003, l’instauration d’un service minimum touche à cinq principes essentiels de valeur constitutionnelle : le droit de grève, qui date de 1864 et est garanti par le préambule de la Constitution de 1946 ; la continuité des services publics, reconnue par le Conseil constitutionnel ; le principe de la sécurité des biens et des personnes, affirmé par l’article 5 de la Constitution ; le droit au travail ou la liberté d’aller et venir, qui sont des principes constitutionnels ; le principe de la libre administration des collectivités locales, qui figure à l’article 72 de la Constitution de 1958.
C’est pourquoi nous soutenons l’objectif d’obtenir la signature d’un accord-cadre avant le 1er janvier 2008 dans toutes les entreprises de transports publics et nous exigeons l’organisation d’un service minimum en cas de grève ou d’autre perturbation prévisible du trafic. Cela suppose naturellement que les salariés déclarent leur éventuelle intention de participer au mouvement social au plus tard 48 heures avant son commencement.
Nous défendons le principe de non-paiement des jours de grève, …
Enfin, nous considérons la possibilité d’organiser une consultation à bulletins secrets de tous les salariés au bout de huit jours de grève comme une formidable avancée démocratique, qui rétablit enfin une égalité de droit entre salariés syndiqués et non syndiqués.
En Europe, il existe une règle commune : tous les pays reconnaissent le droit de grève. Par ailleurs, la moitié des États membres – quinze sur vingt-sept, pour être exact – a recours au service minimum. Ceux qui n’en disposent pas ne sont généralement pas confrontés à des conflits sociaux importants, en raison soit de l’encadrement du droit de grève, soit de la force du dialogue social. La France, je le répète, fait figure d’exception.
La priorité demeure donc de privilégier le dialogue social. En effet, en Europe, là où ce dernier est important, l’apparition des conflits sociaux reste très limitée. Une phrase pourrait résumer nos débats : « La grève constitue un échec du dialogue social. Les partenaires sociaux doivent rechercher les moyens de rendre les conflits moins nombreux en répondant à l’aspiration des salariés et en observant une procédure d’anticipation des conflits ». Mes chers collègues, je viens de citer l’article 15 du protocole de la RATP, adopté à la majorité en 1996 et à l’unanimité en 2001, puis en 2006.
Ainsi, mes chers collègues, prenons un exemple concret… (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche), et ce sera ma conclusion. Dans ma circonscription de Roissy-en-France, à l’est du Val-d’Oise, lorsque plusieurs trains consécutifs de la ligne D du RER sont supprimés, les lycéens et étudiants ne peuvent exercer leur droit à l’éducation ; les travailleurs les plus socialement défavorisés sont pris en otage, car souvent ils n’ont pas d’autre moyen de déplacement, n’ayant pas de voiture, ou seulement une par famille. Lorsqu’un train arrive enfin, il est bondé, et l’immense majorité des usagers restent à quai !
C’est tout l’esprit de ce projet de loi qui vise à privilégier et à fortifier le dialogue social en vue de prévenir les conflits. Aussi, monsieur le ministre, vous pouvez compter sur l’entier soutien du groupe UMP. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
Affichage aussi en matière de continuité du service public, puisque les principaux facteurs de discontinuité ne sont pas traités : le texte n’aborde pas le problème fondamental de la dégradation du service due aux défaillances matérielles, aux insuffisances en moyens humains, financiers et en infrastructures. Le projet de loi ne répond en rien aux attentes légitimes des usagers en termes de qualité de service public au quotidien. Alors que l’objectif devrait être de garantir la continuité du service public chaque jour de l’année, vous ne vous préoccupez que des 2 à 3 % de perturbations engendrées par les mouvements sociaux.
Affichage, enfin, sur le service minimum : un abus de langage tend à faire croire à l’opinion que les entreprises de transport peuvent fonctionner à un niveau minimum en préservant le plein exercice du droit de grève par les salariés. Mais, comme le montre la référence aux différents niveaux de service en fonction de l’importance de la perturbation, la solution dépendra des moyens personnels et matériels susceptibles d’être mobilisés. Si la grève est très suivie, il n’y aura pas de service du tout, et vous le savez parfaitement. L’objectif principal est donc bien de dissuader l’exercice du droit de grève ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Derrière cet affichage, derrière cet alibi qu’est l’intérêt de l’usager se cache une attaque en règle contre le droit de grève !
Le mécanisme de notification et de négociation préalable imposé à l’article 2 ne fait qu’allonger la durée du préavis. Il est complété par l’article 3 qui interdit les préavis glissants. L’obligation de déclarer la grève 48 heures avant le début des mouvements, assortie d’une menace de sanction disciplinaire, revient à instaurer un préavis de grève individuel. C’est gravissime, car si le droit de grève est individuel, le préavis, lui, est collectif et syndical, précisément pour protéger les salariés.
Cette disposition va durcir les relations sociales, en particulier dans les petites entreprises, et surtout constituer un formidable moyen de pression sur les salariés. En indiquant que le Gouvernement serait particulièrement vigilant à l’égard des entreprises qui détourneraient le préavis pour faire pression sur les salariés, le ministre a d’ailleurs reconnu que le risque existe bien !
Pour conclure, je me tournerai vers vous, monsieur le ministre. Il serait plus conforme au « parler vrai » régulièrement invoqué par le Gouvernement que celui-ci assume en toute objectivité la réalité de ce texte d’affichage sur le dialogue social et la continuité du service public, qui est surtout une attaque frontale contre le droit de grève. Je souhaiterais que vous expliquiez à l’Assemblée nationale dans quelle perspective vous inscrivez ce texte. Quelles sont les intentions véritables du Gouvernement et du Président de la République ? Est-ce le prélude à un réexamen plus général de l’exercice du droit de grève, à l’extension de ces dispositions à l’ensemble des services publics ? Les déclarations du Premier ministre, il y a quelques jours, celles, très récentes, du porte-parole du Gouvernement et les démangeaisons – c’est le moins que l’on puisse dire ! – de votre majorité tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale conduisent à nous interroger.
Nous vous soupçonnons fortement, monsieur le ministre, d’avoir de la suite dans les idées ! Compte tenu du précédent de 1995 (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche), mieux vaut certainement pour vous limiter le droit de grève dans les transports avant de nous faire débattre, comme vous l’avez annoncé, dans quelques mois, de projets qui porteront des coups décisifs à notre droit du travail, à savoir l’instauration du contrat de travail unique qui signifierait la mort du CDI,…
Cela étant, mes chers collègues, j’ai la conviction, tout comme mes collègues du groupe socialiste, qu’à l’issue de nos débats sur ce texte, ni les Français ni les salariés ne seront dupes des intentions du Gouvernement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Je rappelle les propos que j’ai tenus en commission, monsieur le ministre. Supposons que je sois à votre place et que je m’intéresse au problème des transports, et que je dispose, comme vous, de cinq ans pour agir, quels principaux problèmes essaierais-je de surmonter ? Ce ne sont certainement pas ceux que vous prétendez résoudre avec ce projet de loi.
L’un de ces problèmes est celui causé par le sous-investissement chronique dans du matériel fiable, la sous-traitance des activités de maintenance, le recours croissant à l’intérim et les suppressions de postes. Pour cela, on peut comparer les chiffres : à la SNCF, endettée de 40 milliards d’euros en 2006, les mouvements sociaux du type grèves ont entraîné 140 retards. C’est sans commune mesure avec les 6 043 incidents causés par les défaillances de matériels ou autres événements. Donc, au lieu de vous attaquer à ce qui est le plus important, vous vous intéressez à ce qui l’est le moins !
Un autre problème est l’abandon des petites gares : dans le département de l’Ardèche, par exemple, il n’y a plus une seule gare de voyageurs desservie par le train !
Ensuite, les transports publics sont trop chers. Un aller-retour Paris-Mantes-la-Jolie coûte 17,40 euros. Du point de vue de l’écologiste que je suis, c’est une incitation à privilégier la voiture. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) La solution serait d’abaisser les coûts du transport public. Tel n’est toutefois pas votre problème en ce début de législature !
Les transports publics sont, de plus, trop peu nombreux et trop focalisés sur les centres-villes. Ils devraient circuler à une fréquence plus élevée et plus tard en soirée. Pour rentrer de Paris à Mantes-la-Jolie, le dernier train est à vingt-trois heures cinquante-cinq.
Enfin, il demeure un énorme problème de fond auquel on doit s’attaquer, lorsqu’on dispose de cinq ans. Ainsi, l’étalement urbain rend les usagers extrêmement sensibles à l’allongement des déplacements pour se rendre de leur domicile à leur lieu de travail, pour leurs loisirs, pour faire les courses ou aller chercher les enfants à l’école. Entre 1950 et 1990, la mobilité quotidienne est passée, en moyenne, de dix à quarante kilomètres par personne. On comprend mieux les frustrations dues à un développement urbain insoutenable.
Bref, ce texte est un test d’attaque contre le droit de grève pour tenter d’intimider les salariés. C’est particulièrement flagrant dans les dispositions du paragraphe II de l’article 5 et du paragraphe II de l’article 6. Comme l’ont précisé d’autres collègues de l’opposition, ce n’est sans doute qu’un ballon d’essai du Gouvernement pour évaluer la résistance du corps social. Ce n’est, à notre avis, pas en stigmatisant les grévistes que nous obtiendrons le meilleur service public, mais en résolvant les problèmes que je viens d’évoquer. Ce texte n’en fait rien. C’est pourquoi nous nous y opposerons. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Comment éviter que la grève ait un impact sur la vie de celles et ceux qui ne sont pas concernés par son organisation ? Comment concilier l'exercice du droit de grève inscrit dans la Constitution avec la continuité du service public, lui aussi inscrit dans la Constitution ? C'est pour répondre à ces questions que j’ai été conduit, avec la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, le 9 décembre 2003 – cela ne date donc pas d’hier –, à mettre en place, avec Gilles de Robien, alors ministre des transports, le mécanisme de discussion avec les partenaires sociaux afin d’assurer pour juin 2005 un service dit « garanti ».
En effet, je suis de ceux qui pensaient qu'un accord négocié et conclu pour un service garanti serait plus efficace qu'une loi contraignante. Comme Jacques Kossowski, aujourd'hui rapporteur de ce projet de loi, avait déposé en 2002 une proposition de loi, nous avons pu alors convenir avec le ministre des transports que, si la discussion n'aboutissait pas dans les transports publics au terme du délai fixé, un texte de loi serait voté.
Un premier rendez-vous pris en novembre 2004 a permis à Gilles de Robien de faire état, devant la commission des affaires économiques, d'un premier progrès, je tiens à le signaler, avec l'accord du 28 octobre 2004 sur l'amélioration du dialogue social et la prévention des conflits à la SNCF, accord historique, car approuvé par sept des neuf organisations syndicales représentant 80 % du personnel. En juin 2005, il y a eu une nouvelle évolution avec l'avenant, liant la RATP et la SNCF au STIF, sur le service garanti en Ile-de-France, qui prévoyait que la RATP s’engageait à assurer, les jours de grève, 50 % du trafic et la SNCF 33 % sous peine de pénalités financières. Nous avons contribué à faire conclure cet accord ; l’objectif était alors pour partie atteint. Nous avons donc cru légitimement que, dans cet élan, un accord national allait pouvoir être signé. Malheureusement, ce ne fut pas le cas.
Au même moment, et sous notre impulsion, une expérience intéressante a été lancée en Alsace le 10 juillet 2005 dans le cadre d'un accord entre la région et la SNCF pour la mise en place, à partir de décembre 2005, d'un niveau de service garanti dans les TER alsaciens. Les négociations se sont donc poursuivies notamment avec l'UTP – l’Union des transports publics – sous l'œil bienveillant du GART – le Groupement des autorités responsables des transports – afin de s'orienter vers l'accord national. Je tenais à le préciser parce qu’il est important de savoir que nous n’arrivons pas de nulle part.
Le 12 juillet 2005, Dominique Perben, ministre des transports, est venu au rendez-vous que fixait régulièrement notre commission pour nous faire part de ces deux avancées essentielles. Le 15 mars 2006, il nous entretenait d’un possible déblocage, qui permettrait de signer cet accord national. Nous tenions, quant à nous, toujours les mêmes propos aux partenaires sociaux : s’ils n’étaient pas en mesure de négocier et de conclure un accord sur les services garantis, la proposition de loi déposée par M. Kossowski serait votée. Nous avons ainsi discuté pendant deux ans. M. Perben est venu une dernière fois, le 4 juillet 2006, rendre compte de l’évolution des discussions. C’est alors – et M. Destot était présent – qu’a été signée avec le GART, l’UTP et deux syndicats, une charte pour la prévisibilité du service public de transports en période de perturbations. Il est vrai que, le 25 septembre dernier, après la mise en place du comité de suivi de cette charte, nous étions fondés à penser que l’accord national allait être signé. Sincèrement, j’y ai cru, monsieur le ministre. Bien entendu, je suis le premier, dans cet hémicycle, à regretter que, malgré tout le travail accompli pendant plus de deux ans sur le dialogue social et la concertation, l’accord n’ait pas pu être signé.
Personne ne peut ignorer, monsieur Xavier Bertrand, que, de 2004 à 2006, la concertation a été poussée à son paroxysme.
Je voudrais dire à nos collègues de l’opposition que nous sommes sincères dans nos intentions. Nous n’avons jamais eu la volonté de porter atteinte au droit de grève.
Je sais gré au président de la commission et au rapporteur de l’avoir remis dans son état initial. Nous pouvons nous appuyer sur ces deux ans et demi de discussion, que je ne veux pas que l’on oublie. Le dialogue social et la concertation n’ont pas encore abouti dans les autres catégories de transport, maritime ou aérien. Pour ce texte, on peut réaffirmer que le dialogue social a été pendant de longs mois à la hauteur des enjeux. Quelle que soit la réalité dans d’autres services publics, rien ne pourra être fait sans que le dialogue et la concertation permettent à la situation d’évoluer de la même manière que pour les transports publics terrestres de passagers, pour le métro ou pour les trains.
Oui, mes chers collègues, nous sommes lassés par tant et tant de temps passé à discuter sans aboutir à un accord national, et il faut voter avec enthousiasme (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine) le texte que nous propose le Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
On aurait raisonnablement pu penser qu’il s’agissait d’un texte d’une particulière importance, dont l’urgence était rendue nécessaire par une situation particulièrement tendue, ou encore qu’il s’agissait d’un texte attendu et profondément désiré tant par les autorités organisatrices de transport que par les professionnels du transport et les usagers. C’est d’ailleurs ce dernier argument qui, semble-t-il, émerge le plus souvent de vos discours : le texte, ce texte serait très attendu des Français, et vous citez à ce sujet des sondages qui, je le concède, sont loin d’être équivoques.
Tentons de voir ce que les Français attendent, ce que contient ce texte, ce qu’il ne contient pas, et peut-être alors apparaîtra la vraie raison de votre précipitation car, de même qu’un train peut en cacher un autre, de plus en plus, hélas, dans ce gouvernement, un discours aussi peut en cacher un autre.
Tout d 'abord, l’opinion publique, que vous dites favorable à votre texte, se prononce en fait sur tout autre chose. Vous avez réussi à lui faire croire que ce texte instaurerait un service minimum important, certains attendent même un service quasi complet aux heures de pointe les jours de grève, ce qui, vous le savez pourtant bien, est strictement impossible, comme vous savez fort bien également que les perturbations liées à des actions de grève sont aujourd’hui particulièrement faibles, j’oserai même dire marginales, au regard de l’ensemble des perturbations que les usagers ont à subir et qui sont beaucoup plus souvent liées au mauvais état du réseau ou des matériels, le nombre de conflits ayant considérablement baissé au cours de ces dix dernières années.
L’ensemble des personnalités, des associations, des syndicats comme des opérateurs que nous avons auditionnés au sein de la commission spéciale vous l’ont répété à votre grand dam : le nombre de conflits dans les transports est en baisse considérable et régulière. Les usagers s’inquiètent, certes, des perturbations de trafic, mais la grève n’intervient que pour un peu plus de 2 % dans ces perturbations. Le mauvais état du réseau, la vétusté des matériels sont responsables de bien plus de retards, voire d’annulations de trains, et perturbent bien davantage le quotidien de nos concitoyens.
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, vous ne pouvez pas l’ignorer, tous les intervenants à l’exception du MEDEF et de l’UTP, qui avaient d’ailleurs souhaité être auditionnés ensemble, l’ont souligné, ce sujet est désormais mineur au regard de la nature des perturbations du trafic. Certains, et pas seulement les syndicats, vous l’ont dit avec une particulière vigueur, votre texte est dans bien des cas superflu, dans la plupart des cas inapplicable et, dans tous les cas, inopportun dans les conditions actuelles de sa rédaction.
Le premier volet du texte relève pourtant d’une intention louable, l’incitation au dialogue social. Il est vrai que, sur tous les bancs, nous ne pouvons que souscrire à un tel objectif, encore que, comme le soulignent un grand nombre d’intervenants du monde des transports, la voie contractuelle qui a prévalu tant à la RATP qu’à la SNCF semble avoir porté ses fruits et pourrait sans doute être assez aisément généralisée, sans recours à la loi, au fil du renouvellement des conventions entre autorités organisatrices et entreprises.
Néanmoins, et c’est bien là que les choses se compliquent, dès l’article 2, vous mettez en demeure les entreprises et les organisations syndicales d’aboutir avant le 1er janvier 2008 à la signature d’un accord-cadre sous peine de se voir fixer par décret en Conseil d’État les règles de la négociation préalable.
Les choses se compliquent encore plus avec l’article 4 qui, après avoir demandé aux autorités organisatrices de définir les dessertes prioritaires et les différents niveaux de service en fonction de l’importance de la perturbation, leur demande de surcroît d’intégrer dans les conventions déjà signées, toujours avant le 1er janvier 2008, les plans de transport adapté et les plans d’information des usagers que les entreprises auront établis.
Là encore, cette mise en demeure s’accompagne de la menace de voir le représentant de l’État arrêter lui-même les priorités de desserte et approuver les plans de transport adapté ainsi que et les plans d 'information des usagers.
Monsieur le ministre, cela n’est ni très sérieux, ni très crédible, ni non plus très respectueux des autorités organisatrices et des opérateurs de transport, surtout s’agissant d’un texte qui prône le dialogue, fût-il social.
Tous les acteurs du transport public vous l’ont dit lors des auditions, la date du 1er janvier 2008 n’est pas envisageable, sauf peut-être pour la SNCF et la RATP, car les situations sont terriblement diverses.
Prenons le cas des départements et des transports scolaires ou interurbains dans le monde rural. Si, ailleurs, les conflits sociaux sont à l’origine de seulement un peu plus de 2 % des perturbations, ils sont ici tout simplement inexistants. Et lorsque l’on compte environ 40 à 50 autorités organisatrices, une cinquantaine d’entreprises et entre 400 et 500 contrats, qui peut raisonnablement croire qu’il sera possible d’établir sereinement les bases d’un accord-cadre, de définir les dessertes prioritaires et les différents niveaux de service, d’élaborer le plan de transport adapté et le plan d’information des usagers, et, pour couronner le tout, de modifier les conventions en cours, le tout avant le 1er janvier 2008 ?
De telles exigences traduisent pour le moins une méconnaissance très profonde de la réalité de nos territoires.
Elles traduisent surtout le fait qu’il s’agit d’un texte à forte connotation idéologique, bien loin du pragmatisme que vous revendiquez, car nous sommes, avouez-le, bien loin de ce que les Français espèrent si l’on en croit les sondages.
Comment garantir un service minimum et prioritaire en matière de transport scolaire par exemple, lorsque tout, forcément, est prioritaire, ou comment garantir un service convenable à l’heure de pointe alors qu’il est par définition impossible de mobiliser l’ensemble des moyens ?
À vrai dire, chacun sait bien qu’il est impossible de sortir de ce faux débat et que seules les mesures d’alerte sociale et de prévention des conflits peuvent avoir une réelle efficacité. Celles-ci se mettent en place à peu près partout où cela se révèle possible ou nécessaire.
Fallait-il alors légiférer dans l’urgence, autour d’un texte mal préparé, souvent aussi inapplicable qu’inutilement provocateur ?
Quel est le sens, en effet, de l’article 9, sinon de tenter de faire croire à l’opinion publique que l’on pourrait être gréviste et être payé ?
Croyez-vous réellement, monsieur le ministre, à l’efficacité de la déclaration individuelle d’intention de grève à formuler par certains salariés 48 heures avant l’expiration du préavis ? Un salarié qui voudra conserver la liberté de faire grève ou non n’aura d’autre choix que de se déclarer systématiquement gréviste, ce que certains nomment déjà parmi les syndicats une forme de principe de précaution. Cela me paraît contraire à l’esprit que vous prétendez vouloir faire souffler sur ce texte.
Ne croyez-vous pas, comme les auditions l’ont démontré, que, lors des appels d’offres, bien des petites entreprises risquent d’être handicapées par leur difficulté à répondre aux impératifs des plans adaptés, et que celles d’une plus grande dimension qui pourraient y répondre le feront a minima pour éviter par la suite d’avoir des pénalités à payer ?
Enfin pour être bref, fallait-il vraiment légiférer pour 2 à 3 % des causes de perturbation ?
Les grèves ne sont en effet qu’une infime partie des sources de gêne des usagers. Les associations représentatives d’usagers elles-mêmes vous l’ont dit,…
Comment ne pas rappeler ici combien le budget des transports a souffert de votre gestion : 4,2 % de baisse en 2004, 2,5 % en 2005, un budget de 2006 à peine à la hauteur de celui de 2003, qui n’était déjà pas du meilleur cru, avec une baisse de 9 % pour les transports terrestres, et un budget de 2007 à peine en stabilité ? Il ne faut pas s’étonner, dans ces conditions, du ralentissement qui concerne quelque 1 500 kilomètres de voies ferrées.
L’audit de l’école polytechnique de Lausanne avait préconisé une augmentation de 500 millions d’euros par an des crédits affectés au réseau ferré pour en garantir la qualité. Vous aviez déclaré y consacrer 110 millions supplémentaires en 2006 et annoncé 260 millions pour 2007. C’était déjà bien loin des 500 millions supplémentaires préconisés. De surcroît, en 2007, sur les 260 millions supplémentaires promis, plus de 210 millions provenaient d’économies ou d’une augmentation des péages qui, dans de très nombreux cas, devraient être payées par les collectivités locales.
En définitive, la loi de finances n’y aura consacré que 70 millions d’euros en 2006, et 92 millions d’euros en 2007, montant sans commune mesure avec les besoins et bien loin des annonces faites en 2005.
À l’issue de nos auditions studieuses en commission, que reste-il dans ce texte qui corresponde réellement à ce que les Français attendent ?
Il en restera une forme de gesticulation désormais assez habituelle, à l’efficacité restreinte mais d’une certaine efficacité médiatique. Il en restera, je le crains, à défaut de pouvoir efficacement prévenir les conflits dans le secteur des transports, une tentative de dissuader l’exercice même d’un droit, le droit de grève, en attendant peut-être de répéter l’opération en direction d’autres secteurs. Il en restera, je le crains aussi, une tentative de discrédit du service public, très abusivement présenté comme particulièrement sensible à l’appel à la grève, alors même qu’il y résiste et ne s’y résout qu’en dernier ressort et de moins en moins souvent.
Bref, il en restera une petite opération politicienne (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche) et un texte d’affichage, bien loin d’un sujet qui, lui, préoccupe bien légitimement les Français : la continuité du service public, la qualité du dialogue social et l’avenir de nos grandes infrastructures de transport,…
Les Français sont profondément attachés au service public des transports en commun dont l'utilité n'est pas discutable et puise sa légitimité dans l'intérêt général, au service de tous. Comme il est impérieux, ce besoin relève de la puissance publique. Comme il est impérieux, ce besoin doit évidemment être assuré de manière continue.
Des transports dont ils ont besoin pour se rendre à leur travail, nos concitoyens attendent prévisibilité, fiabilité et qualité. Cette loi, qui fixe le cadre qui permettra d'assurer la permanence des transports terrestres réguliers, est donc la bienvenue.
Élu de la grande banlieue parisienne, je souhaite, monsieur le ministre, attirer votre attention sur le formidable désarroi et l'exaspération de nos concitoyens vivant en banlieue et dont le sort ne s'est pas amélioré ces dernières années. Je me fais aujourd’hui le porte-parole de nombre de mes administrés, qui, faisant quotidiennement la navette entre l'agglomération de Cergy-Pontoise et Paris, sont régulièrement victimes de dysfonctionnements d'un autre temps, indigne d'une société moderne et apaisée.
L'article 4 du projet de loi dispose que la grève des salariés des entreprises de transport ne doit pas porter une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir ou à la liberté du travail. Tout le problème est de définir le seuil au-delà duquel il y a disproportion !
Je considère qu'il est nécessaire qu'en cas de grève le service minimum s'applique en priorité au bénéfice des banlieues de toutes les métropoles de France. Quelques chiffres suffisent pour en être convaincu.
La seule RATP a transporté 2,86 milliards de voyageurs en 2006, soit une augmentation de 2 % par rapport à l'année dernière, c’est-à-dire 52 millions d'usagers supplémentaires.
Plusieurs pistes sont à explorer pour remédier à cette situation et améliorer la qualité du service fourni en temps de grève.
D'abord, l'application du seuil contractuel de 50 % du service devrait s'entendre, non pas de la globalité du réseau, mais sur chaque ligne de chacun des réseaux. (Protestations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Dans le même esprit, cette obligation de 50 % du trafic doit être correctement répartie sur la journée, afin de faire face aux pics du trafic aux heures de pointe. L'optimisation du rapport entre l'offre et la demande de transport passe tout simplement par une offre beaucoup mieux régulée qu'elle ne l'est aujourd’hui.
Et même s'il revient aux partenaires sociaux de négocier les modalités d'application de cette loi-cadre, il est de la responsabilité des politiques que le service public dans sa version minimum devienne une réalité ; en effet, on ne peut être tout à fait assuré que l’adoption de cette loi s’accompagnera d'une obligation de résultat, c’est-à-dire d'une obligation d'amélioration du service.
D'une part, il concerne concrètement la vie quotidienne, comme l’a très bien dit Axel Poniatowski, ce qui lui vaut le soutien direct et massif d'une immense majorité des Français. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
D'autre part, il met notre pays en mesure de surmonter ses propres blocages. D'un point de vue européen – vous me permettrez de l’adopter – cette capacité à dépasser nos immobilismes est essentielle. L’image de la France, c’est évidemment celle d’un pays qui respecte le droit de grève, mais ce ne doit pas être pour autant celle d’un pays où la grève peut paralyser la vie économique, empêcher les autres salariés de travailler et les jeunes d’étudier.
Nous allons ainsi mettre fin à une exception française, nous inscrivant dans le sens de l'harmonisation sociale européenne, conformément au vœu exprimé sur tous les bancs de notre assemblée.
Au sein de chacune de ces catégories, les mécanismes varient évidemment selon les États. S’agissant des États membres où un service minimum existe – Italie, Espagne, Portugal, Grèce, Hongrie, Roumanie – les deux premiers méritent une mention particulière. En Italie, l’équilibre actuel entre l’exercice du droit de grève dans les services publics et la continuité de ces mêmes services est fixé par les lois de 1990 et de 2000. La teneur du service minimum est définie par la négociation collective. Une commission indépendante exerce une fonction d’arbitrage. J’observe au passage que la loi de 2000 a été adoptée sous un gouvernement de gauche, celui de M. Massimo d’Alema, ancien du parti communiste italien, alors dirigeant des démocrates de gauche.
En Espagne, des négociations entre l’entreprise et les syndicats interviennent après le dépôt d’un préavis de grève. Certaines dispositions permettent de prendre les mesures nécessaires aux services essentiels. Compte tenu des transferts de compétences opérés en faveur des autorités décentralisées, l’autorité compétente pour organiser le service minimum est, selon les cas, le gouvernement national ou la communauté régionale.
Par ailleurs, dans les pays où, comme en Suède, la convention collective règle l’essentiel des relations du travail, les partenaires sociaux s’engagent à ne pas recourir à l’action collective dans les domaines régis par les conventions. En outre, une majorité de ces conventions collectives comprend une clause d’interdiction de la grève ou de toute autre forme d’action susceptible d’être dommageable à la société.
Au Royaume-Uni, l’Employment Act de 1982 a soumis le déclenchement d'une grève à des procédures très strictes : la grève est décidée à la majorité des voix, dans le cadre d'un vote par correspondance organisé par les syndicats, et ne peut porter que sur des matières strictement énumérées relevant des relations du travail. Les grèves de solidarité sont interdites. En outre, la loi de 2004, votée à l'initiative du gouvernement de Tony Blair, a confirmé le pouvoir de réquisition de l'exécutif en cas de situation de crise.
Pour ce qui est de la Poste, le Royal Mail Group a mis en place, en liaison avec le régulateur postal, un système de contingentement assurant un service de base, notamment en cas de grève. C’est ainsi qu’actuellement le site Internet de l'opérateur informe les usagers des services assurés pendant la grève décidée par les syndicats entre le 25 juillet dernier et le 8 août prochain.
En Allemagne enfin, la grève n'est conçue que comme un moyen ultime, qui ne peut intervenir qu'après épuisement des possibilités de négociation. Plusieurs conditions sont ainsi exigées pour déclencher une grève : l’échec des négociations antérieurement menées ; le vote d'une très forte majorité des salariés – 75 % en général ; l'interdiction des grèves qui ne portent pas sur les matières relevant de la négociation collective. Est prévu de plus le paiement d'une indemnité par les syndicats à leurs membres, les jours de grève n'étant pas payés.
Ce bref tour d'horizon permet de mesurer, monsieur le ministre, le pragmatisme du Gouvernement. Il nous propose un dispositif qui concilie le souci d'une continuité du service et le respect des aspects intangibles de notre modèle social. Voilà pourquoi j’ai jugé intéressant de comparer votre texte aux procédures usitées dans les autres pays européens. Cette comparaison nous prouve que ce que le Gouvernement nous propose va tout à fait dans le sens de ce qui existe dans tous les autres pays européens. On nous a trop souvent asséné le slogan de l'harmonisation sociale européenne pour ne pas prendre en compte ce qui se pratique dans des démocraties européennes tout aussi respectables que la nôtre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
Il est dangereux parce qu'il entretient nos concitoyens dans l'illusion qu'il leur garantirait un service minimum en cas de grève. Il est dangereux parce qu'il induit les salariés en erreur sur l'exercice du dialogue social dans les entreprises de transports terrestres de voyageurs. Il est dangereux enfin parce qu'il stigmatise les nuisances liées aux conflits sociaux dans un contexte où les causes de dégradation des services sont à chercher ailleurs.
Le Gouvernement jette un premier rideau de fumée en prétendant que la loi donnerait aux usagers des garanties de service lors des conflits. C'est faux ! Le projet de loi se contente de généraliser et d'institutionnaliser les bonnes pratiques de l'alarme sociale contractualisées notamment à la RATP ou à la SNCF. Depuis plusieurs années, ces pratiques donnent de très bons résultats, notamment les clauses négociées dans les contrats entre les transporteurs et les autorités organisatrices de transport, les AOT, passés notamment dans les régions.
D’ailleurs, votre projet de loi se garde bien de mettre l’État au centre du jeu et se contente d’imposer aux AOT de fixer les priorités en cas de conflit : la loi parle pudiquement de transport adapté, lié aux personnels présents, comme si les AOT et les transporteurs avaient attendu une loi pour faire le mieux possible en fonction du personnel présent. C’est la technique de la patate chaude : l’État transfère une nouvelle fois aux régions et autres AOT le soin de gérer les pénuries. (« Tout à fait ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Ainsi, la règle des 48 heures, qui méconnaît le droit des salariés d’apprécier l’évolution des négociations – lesquelles progressent ou régressent souvent dans les derniers jours –, sera sans doute contournée au gré des pressions syndicales ou patronales, lesquelles deviendront plus courantes et plus néfastes que jamais.
Le référendum sectoriel prévu après huit jours de conflit, qui n’a pas d’autre valeur que médiatique, deviendra caricatural et masquera un dialogue dont la complexité ne se résume jamais à un choix binaire.
De même, l’article 9, aggravé par le Sénat, mentionne expressément le non-paiement des jours de grève. Répéter ici ce qui est déjà dans la loi est une insulte et une provocation envers ceux des salariés qui se privent de revenus pour défendre leur droit. La grève n’a-t-elle pas pour premier effet de toucher le porte-monnaie des grévistes ? Leurs revenus sont certainement plus fragiles que ceux de ces malheureux financiers, chers à Mme la ministre de l’économie, des finances et de l’emploi, qui prennent l’Eurostar en 1ère classe à la Gare du Nord aux frais de leur entreprise.
Enfin, autre escroquerie dont les Français doivent avoir connaissance, votre projet de loi est destiné à masquer les dysfonctionnements des transports de voyageurs. Les auditions ont en effet confirmé que la grève ne représente aujourd’hui qu’un infime pourcentage des retards ou annulations de service.
Même pour de nouveaux services comme le TGV-Est, les besoins ont été sous estimés. Obtenir une place est une gageure : l’attente aux guichets est interminable et le prix des places a augmenté de plus de 60 %. On nous refuse par ailleurs, faute de moyens techniques et humains, la remise en service de quelques trains Corail réclamés par les moins pressés ou les moins fortunés.
Cette politique des transports n’est pas à la hauteur du défi pourtant clair que représente le changement de nos déplacements, rendu nécessaire par le réchauffement climatique, les émissions de gaz à effet de serre ou la raréfaction du pétrole.
Les 100 millions d’euros annoncés précipitamment par Mme Idrac sont dérisoires eu égard aux besoins mis en évidence dans tous les rapports. Votre opération médiatique sur les conflits, qui ne règle pas les 3 % du problème que vous prétendez traiter, n’évoque en rien l’essentiel de la question, dont l’ampleur et l’urgence sont unanimement perçues.
Monsieur le ministre, cette loi présentée au cœur de l’été,…
Permettez-moi enfin, mes chers collègues, pour ma première intervention à cette tribune, d’évoquer ma perception personnelle de la remise en cause de ce droit individuel et constitutionnel qu’est la possibilité accordée à tous de faire grève.
Je suis, en effet, élu du Nord de la Meurthe-et-Moselle, maire d’une ville de 2 000 habitants de l’ancien bassin ferrifère, Trieux, où en 1963 les mineurs ont fait 79 jours de grève, occupant le fond de la mine, à 200 mètres sous terre, jusqu’à la veille de Noël, sans salaire, laissant femmes et enfants, soutenus par la solidarité du bassin de la Lorraine et de plus loin encore. Ces gars défendaient leur outil de travail, leur dignité, leur avenir. Beaucoup sont morts depuis, trop tôt, les poumons rongés par la sidérose ou l’amiante. Ces mineurs sont restés plus de deux mois et demi au froid, à l’humidité et dans l’obscurité.
Voter aujourd’hui ce texte inopérant voire inutile, provocateur voire accusateur, démagogue voire populiste, serait, pour un député fidèle à l’histoire de sa circonscription, une injure à leur mémoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. – « Hors sujet ! » sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Suite de la discussion du projet de loi, n° 101, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres de voyageurs :
Rapport, n° 107, de M. Jacques Kossowski, au nom de la commission spéciale.
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu intégral
de l'Assemblée nationale,
Jean-Pierre Carton