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SOMMAIRE
Présidence de M. Marc-Philippe Daubresse
1. Immigration, intégration et asile. – Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi (nos 57, 160)
Discussion générale (suite)
MM. François Loncle,
Étienne Pinte,
Mmes Christiane Taubira,
Françoise Hostalier,
MM. Bernard Cazeneuve,
Frédéric Lefebvre,
Philippe Meunier.
Clôture de la discussion générale.
M. Brice Hortefeux, ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement.
Motion de renvoi en commission
Motion de renvoi en commission de M. Jean-Claude Sandrier : MM. Patrick Braouezec, le ministre, Jean Mallot, Noël Mamère, Éric Ciotti, Nicolas Perruchot. – Rejet.
Discussion des articles
Article 1er
Mmes Françoise Hostalier, Marietta Karamanli, George Pau-Langevin, M. Patrick Roy, Mme Aurélie Filippetti.
Amendements de suppression nos 145 et 161 : M. Jean-Paul Lecoq, Mme George Pau-Langevin, MM. Thierry Mariani, rapporteur de la commission des lois ; le ministre, Noël Mamère, Serge Letchimy, Patrick Braouezec. – Rejet.
Amendement n° 155 : MM. Patrick Braouezec, le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendement n° 59 : MM. Claude Bodin, le rapporteur, le ministre, Serge Blisko, Noël Mamère, Jean-François Lamour. – Rejet.
Amendement n° 156 : MM. Patrick Braouezec, le rapporteur, le ministre. – Retrait.
Amendement n° 18 avec le sous-amendement n° 265 : M. le rapporteur, Mme George Pau-Langevin, M. le ministre. – Rejet du sous-amendement ; adoption de l’amendement.
Amendement n° 164 : MM. Serge Blisko, le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendement n° 228 : MM. Jean-Paul Lecoq, le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendement n° 198 : MM. Noël Mamère, le rapporteur, le ministre, Mme George Pau-Langevin. – Rejet.
Amendement n° 157 : MM. Jean-Paul Lecoq, le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendement n° 138 : MM. Jean-Philippe Maurer, le rapporteur, le ministre, Mme Michèle Delaunay, M. Patrick Braouezec. – Rejet.
Amendement n° 200 : MM. Noël Mamère, le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendement n° 93 : MM. Noël Mamère, le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendement n° 131 : MM. Nicolas Perruchot, le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
2. Ordre du jour des prochaines séances
(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)
Suite de la discussion,
après déclaration d’urgence, d’un projet de loi
Cet après-midi, l’Assemblée a commencé d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.
Aux yeux de très nombreux peuples de par le monde, la France des droits de l’homme, la France à la belle devise républicaine est devenue progressivement la France où l’on suspecte, où l’on chasse, où l’on rejette l’étranger – « étranges étrangers », écrivait déjà Jacques Prévert, mais il le disait joliment –, où l’on rejette l’immigré parce qu’il est étranger. C’est navrant, mais c’est ce qui apparaît inexorablement dans les pays du sud de la Méditerranée, où vous avez certainement, comme nous, l’occasion de vous rendre.
Le ministre de l’identité nationale nous demande de barricader l’Hexagone contre les plus faibles de ce monde, les réfugiés, politiques et économiques, victimes de guerres et du mal-développement. Cette approche n’est pas la nôtre. La maîtrise des flux migratoires n’est pas une simple affaire de police et de nostalgies coloniales.
Pour réussir, une politique de maîtrise des flux migratoires – objectif louable – ne peut être que concertée avec l’ensemble des parties concernées. L’époque des colonies est close. Celle d’aujourd’hui, celle de la mondialisation, repose sur le respect de la dignité et de la souveraineté des États. La mondialisation de l’économie et de la finance est porteuse de retombées profitables à notre pays, mais aussi de dysfonctionnements redoutables. Le déplacement des peuples est de ceux-là. Ayons le courage d’affronter les difficultés en concertation avec les autres pays sur un plan d’égalité, au sein des institutions internationales.
Vous avez fait état de projets de codéveloppement, d’accord bilatéraux, mais on sait que, pour le moment, ce sont des coquilles vides, ou presque. Ou alors il faudra qu’on nous explique la réalité concrète de ces projets.
La création insolite d’un ministère de l’identité nationale, identité prétendument menacée par « l’étranger », ou plutôt par « les étrangers », conduit à une autre approche du monde, dommageable pour la France et ses intérêts.
Mes chers collègues, si vous n’y prenez garde, en votant ce projet, vous allez mettre la France sur la voie d’une rupture morale et politique. L’application des conventions internationales sur le droit de l’enfant à une famille, signées et ratifiées par la France, est menacée de graves distorsions. Cette loi, sous couvert d’une intégration réussie, multiplie en fait les obstacles au regroupement d’enfants avec leurs pères et avec leurs mères, droit élémentaire, internationalement garanti.
Le droit d’asile, droit fondamental et jusqu’ici scrupuleusement respecté par notre pays, est désormais inclus dans la politique d’immigration. Le demandeur d’asile fait, à ce titre, l’objet d’une suspicion a priori. Il s’agit, nous dit le rapporteur de la commission des lois, « d’éviter les détournements de procédure ». Afin, sans doute, que le nouvel esprit des lois soit bien mis en musique, le ministère des affaires étrangères se voit ôter la responsabilité de l’OFPRA, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, responsabilité, il convient de le rappeler, qui était la sienne depuis la création de celui-ci en 1952. Le Quai d’Orsay a-t-il démérité ? Ou s’agit-il ici encore d’un détournement de principe, la défense du droit étant subordonnée à la nécessité de refouler le maximum d’étrangers au prix, éventuellement, de contorsions juridiques ?
Le ministère des affaires étrangères, ainsi réduit, a subi dès la constitution du premier gouvernement de Nicolas Sarkozy une seconde amputation, révélatrice de la régression et de la cantonalisation politiques en cours. La politique de coopération, rebaptisée « codéveloppement », est désormais gérée et encadrée par le ministère de l’identité nationale. Elle est conçue comme l’un des instruments permettant de contenir ceux qui, finalement, pour vous, à droite, apparaissent comme les nouveaux responsables de nos malheurs, devenus boucs émissaires de toutes les difficultés.
En évoquant un « homme africain » qui serait, comme par essence, différent des autres, à Dakar le 26 juillet dernier, le Président de la République a validé les conceptions poussiéreuses, paternalistes et raciales des relations entre les peuples et les hommes. Le Chef de l’État a-t-il évoqué l’« homme américain » à l’occasion de ses vacances aux États-Unis ? Il est dommage que cette rupture idéologique, cet abandon de nos traditions républicaines d’ouverture, de dialogue et de respect, ait été validé par celui qui en est pendant cinq ans le gardien suprême.
Mes chers collègues, la réalité du monde est ambivalente et complexe. Le rejet des autres, reflété par la nouvelle politique extérieure de la France, a sans doute offert quelques avantages électoraux, jugés il y a quelques mois très attractifs. Mais ce choix est, à terme, intenable sur le plan international.
La politique du chiffre entraîne inévitablement une politique d’intimidation, de rafles, de méthodes inhumaines, fort éloignées du droit.
J’ai été récemment témoin, à Roissy, des conditions lamentables dans lesquelles s’exerce la nouvelle mesure du double contrôle à la sortie d’un avion. Elles soulignent les graves carences de notre plus grand aéroport – ce n’est d’ailleurs pas nouveau – et donnent à beaucoup de gens qui découvrent cette mesure pour la première fois à l’arrivée sur notre sol une image consternante de notre pays.
Mes chers collègues, le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche a souhaité vous alerter. Non, ce projet n’est pas bon pour la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
N’oublions jamais que, derrière des nombres jetés en pagaille, se cachent des hommes, des femmes et des enfants, pour un très grand nombre d’entre eux en souffrance, pour lesquels émigrer rime avec nécessité.
Le texte qui nous est présenté aujourd’hui ne s’attaque pas à l’essentiel. Il se focalise sur le regroupement familial – qui n’est pas la première source d’immigration – au lieu de s’attaquer au vrai problème, celui consistant à concentrer nos moyens pour limiter l’afflux d’étrangers dans toute l’Europe et à augmenter de manière substantielle l’aide au développement.
Il est ici question des conditions d’accueil de celui qui a vocation à émigrer vers notre pays dans le cadre du regroupement familial. Mais, sur le fond même, je m’interroge : les dispositions du projet de loi visent-elles à intégrer réellement l’étranger ou bien à sélectionner en amont les candidats à l’immigration avec, derrière l’objectif affiché, le sempiternel enjeu des chiffres ?
Mais revenons aux moyens et aux outils proposés par le texte pour mieux intégrer l’immigré.
L’évaluation du degré de connaissance de la langue et des valeurs de la République, tout d’abord.
Bien entendu, je ne conteste pas l’idée même d’un contrôle et d’un contrat à respecter, avec ses droits et obligations inhérents. Cependant, le texte m’apparaît trop imprécis sur cette évaluation. Par ailleurs, je crois qu’une intégration ne peut réussir qu’une fois le titre de séjour accordé. C’est d’ailleurs la logique même du contrat d’accueil et d’intégration. N’inversons donc pas les logiques !
Ensuite, je crains que le droit à mener une vie familiale, garantie constitutionnelle, ne soit ici mis à rude épreuve.
Enfin, je rejoins les associations de lutte contre l’exclusion lorsqu’elles se demandent, non sans ironie, si le seuil de dignité des conditions de vie d’une famille en France est, par exemple, d’un peu plus d’un SMIC, puisque c’est le niveau de ressources exigé pour qu’une famille étrangère puisse se retrouver.
Monsieur le ministre, puisque vous avez abordé l’amendement proposé par notre collègue Thierry Mariani sur les tests ADN, permettez-moi de rappeler que, dans notre pays, le recours aux tests génétiques est très strictement encadré et placé sous le contrôle des juges lorsqu’il est question de filiation. Cette responsabilité n’a jamais été confiée à une administration, fût-elle diplomatique.
Au-delà de ces dispositions, permettez-moi de dire quelques mots sur l’asile, puisque je représente l’Assemblée nationale à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. Je ne peux que me réjouir de l’avancée qui résulte du recours désormais suspensif pour l’asile aux frontières. Néanmoins, je ne peux m’empêcher de regretter que la France n’ait modifié son droit interne qu’une fois condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme.
Je suis aussi très satisfait que la Commission des recours des réfugiés soit transformée en Cour nationale du droit d’asile, qui est une juridiction.
Je tiens enfin à attirer l’attention, dans la mesure où nous allons débattre de l’intégration, sur la procédure de rapprochement familial telle qu’elle s’applique aux réfugiés. Notre pays s’honorerait en effet à garantir par voie législative, à celui qui s’est vu reconnaître la qualité de réfugié, le droit effectif de faire venir sa famille auprès de lui.
La France présidera l’Union européenne à partir du 1er juillet 2008. Notre Président de la République souhaite que l’immigration soit au cœur de cette présidence. Je m’en félicite, car les défis lancés par l’immigration ne se régleront pas au niveau national, mais bel et bien au niveau européen. Il suffit, pour s’en convaincre, d’entendre les pays du pourtour méditerranéen réclamer une véritable politique européenne sur la question.
Enfin, grâce au chef de l’État, le codéveloppement prend une nouvelle dimension. Là aussi, je m’en réjouis, car il était temps − grand temps − que cette idée fasse enfin l’objet d’une politique d’envergure et offre à la France les moyens de redorer son blason du pays des droits de l’homme et du citoyen. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Nous reviendrons plus tard sur la fascination que les grandes conquêtes scientifiques exercent sur cette majorité, qui les manipule comme le feraient des auteurs de bande dessinée ou des apprentis sorciers délibérément ignorants de la bioéthique. Il faut dire que, lorsqu’il était candidat, le Président de la République avait déjà provoqué de premières secousses sismiques par ses déclarations sur la prédestination génétique au suicide et à la pédocriminalité.
Sous prétexte d’encadrer − en réalité d’enserrer − le regroupement familial, et malgré des serments pathétiques de bienveillance à l’égard des familles, vous surajoutez dans la législation des mesures de police en lieu et place des dispositifs de cohésion culturelle et sociale qui ramèneraient la présence de quelques dizaines de milliers d’étrangers en France à sa juste mesure.
Nous devons reconnaître que ce gouvernement a conservé du précédent une belle habileté d’habillage. On se souvient de la loi « égalité des chances », avec son CPE, de la loi sur la prévention de la délinquance, avec les violations du secret médical et ses tentatives pour enrôler les travailleurs sociaux comme auxiliaires de police, délateurs et indics. Récemment, nous avons eu la loi contre la récidive, avec les peines planchers, ce concept antidémocratique emprunté à un pays qui avait depuis longtemps criminalisé la pauvreté, la couleur et l’engagement militant, et qui lui-même, d’ailleurs, en est revenu. Vous habillez, vous déguisez, vous pratiquez le haut travesti sémantique, comme d’autres font de la haute couture, et vous utilisez des arguments de diversion, laissant croire que la souveraineté de la France est en débat, simplement parce que votre mission principale est d’essayer de banaliser l’hérésie politique et l’indigence éthique de ce que représente ce ministère de confusion, d’imposture et d’inhospitalité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. − Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Les seules mesures dignes et honorables de ce texte sont celles qu’a imposées la Cour européenne des droits de l’homme. On pourrait faire de l’ironie facile, tant le texte donne matière à cela. S’il suffisait d’un stage de deux mois sur les valeurs de la République pour assurer l’égalité entre les hommes et les femmes, nous serions débarrassés depuis très longtemps des violences conjugales qui frappent les femmes dont le conjoint, parfois, a suivi vingt ans de scolarité dans les écoles de la République, voire dans les grandes écoles. (Mêmes mouvements.) Nous n’aurions plus besoin de ces trois lois qui ne parviennent pas à mettre un terme aux 27 % d’écart entre les salaires des hommes et les salaires des femmes. À l’évidence, vous confondez les valeurs et les idéaux de la République, ce qui dispense les gardiens de la République d’être exemplaires.
Il faut avoir assez peu de considération pour l’histoire et ses enseignements pour croire à ce point à l’efficacité des barrières et des murs. Tant que les vraies causes des mouvements des hommes n’ont pas disparu, ils se poursuivront : ce sont la pauvreté, les inégalités, les fragmentations de territoires divisés en fiefs, parfois encouragés par des transnationales qui prospèrent davantage dans des relations avec des chefs de fiefs que sous la législation d’États souverains et réellement démocratiques.
Vous croyez faire peur aux ressortissants de certaines parties du monde : vous vous trompez, car la détresse, les nécessités de la survie et, tout simplement, l’amour, leur donneront toujours une ruse d’avance sur vous. Par contre, vous créez du péril pour la France, en laquelle, d’ailleurs, vous semblez avoir une confiance très modérée.
Dans les outre-mers, la situation est très différente, et nous avons d’autant plus de mérite de ne piétiner ni nos principes ni notre éthique, sans doute parce que nous gardons mémoire de la diversité de nos origines − amérindienne, africaine, européenne, asiatique − et que nous savons quelle confiance en la vie et quelle sagesse de l’histoire des hommes ont produit nos sociétés créoles qui concilient une identité irriguée par de multiples cultures, une sociologie caribéenne, sud-américaine, amazonienne − pour moi −, une éducation et un cadre institutionnel français, une relation privilégiée à l’Europe.
En Guyane, l’esbroufe n’est plus de mise. Puisque vous aimez l’arithmétique, dites-nous combien d’adolescents scolarisés depuis plusieurs années ne peuvent se présenter aux examens. Dans la course aux expulsions, combien d’expulsés le sont deux fois, trois fois dans la même année, parce que leur système est simplement plus performant que le vôtre ? Puisqu’on aime les statistiques, parlons aussi de comptabilité. Combien pèsent sur les budgets publics certaines mises en scène, notamment ces débarquements sur les chantiers d’orpaillage, alors que trois quarts des clandestins se sont évaporés ? Combien coûtent ces concours de statistiques, juste pour le spectacle ? Qui évalue les effets dévastateurs des contrôles en mer, où la marine nationale finit par subir l’intimidation de navires de pêche en fraude ? Qui paiera la contradiction entre ces démonstrations musclées et la construction du pont sur l’Oyapock. Il est temps de renoncer à ces menaces tapageuses et ridicules.
Étant donné la nature des faits, monsieur le ministre, ce sujet n’est pas votre affaire, et le Gouvernement deviendra crédible lorsqu’il consentira enfin à confier le pilotage de ces affaires au ministère des affaires étrangères. Le monde a besoin de dialogue et de coopération, pas de ces déclarations récurrentes d’hostilité, qui sont autant de semences de ressentiment. Victor Segalen écrivait déjà : « Le divers rétrécit, telle est la menace. » Et Léopold Sédar Senghor implorait : « Seigneur, pardonne à la France qui dit bien la voie droite et chemine par les sentiers obliques. » (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Le meilleur, depuis au moins deux siècles, c’est le partage des cultures, la découverte de l’autre, l’acceptation des différences, la tolérance, la solidarité, la fraternité. Le pire, c’était récemment les grévistes de la faim, victimes de filières et de trafiquants, mais prêts à aller jusqu’à la mort pour ne pas rentrer dans leur pays d’origine. Le pire, c’était − non : c’est toujours − Sangatte où des jeunes hommes venus parfois du bout du monde vous disent simplement, en vous regardant droit dans les yeux : « Je passerai ou je mourrai, mais je ne reculerai pas. »
Par ailleurs, vous avez demandé aux préfets de respecter des quotas de reconduites à la frontière. La loi doit être respectée, j’en conviens. Mais, derrière les chiffres, monsieur le ministre, il y a des êtres humains. Et ces êtres humains sont des deux côtés : du côté des clandestins, mais aussi de celui des forces de l’ordre. J’ai récemment rencontré des gendarmes qui venaient d’interpeller des clandestins. Je ne me souviens plus des circonstances exactes de l’opération, mais ils avaient été mandatés pour interpeller ces hommes en situation irrégulière sur leur lieu d’hébergement. Tout s’est bien passé − « bien » entre guillemets −, dans la dignité : pas de cris, pas de révolte, seulement des larmes. L’un de ces hommes vivait avec une jeune femme, il y avait des enfants. Les gendarmes m’ont dit leur désarroi devant de telles missions. Ils m’ont dit avoir espéré, à ce moment-là, que le juge saurait trouver la juste mesure de la solution humaine − et ici, je ne mets pas de guillemets.
C’est bien là toute la difficulté de lois comme celle que vous nous proposez : il faut à la fois protéger notre pays des risques de flux migratoires incontrôlés et traiter avec humanité et dignité les personnes qui souhaitent s’installer sur notre territoire, ou qui sont déboutées de leur demande.
Le texte qui nous est soumis, fortement amendé par le rapporteur, m’inquiète quant à la faisabilité de certaines mesures, comme celle de l’apprentissage du français ou des valeurs de la République. Je suis inquiète aussi à cause d’autres mesures qui risquent d’être dénoncées par des instances supérieures, comme le Conseil constitutionnel, ou attaquées devant la Cour européenne des droits de l’homme. J’y reviendrai au cours de l’examen des articles.
Enfin, je voudrais remarquer que, même si, pour la plupart, vous avez oublié de les saisir pour avis en amont, vous avez cependant, ainsi que le rapporteur, tenu compte des remarques, propositions et inquiétudes de commissions ou organismes dont le rôle est de vous alerter ou de vous éclairer. Ainsi, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, le Défenseur des enfants, ont été, fût-ce partiellement, entendus. Je m'en réjouis.
Pour conclure, j'émettrai cependant une crainte et une demande.
Plusieurs articles renvoient à des décrets d'application. S’agissant d’un texte aussi sensible, et dans le cadre plus général de la modernisation de nos institutions, je souhaiterais que le Parlement ainsi que des organismes spécialisés soient associés à leur rédaction. En effet, trop souvent, on le voit avec l'affaire de la loi instituant le droit au logement opposable, les décrets complexifient la loi, voire en dénaturent l'esprit.
S’agissant d’une loi comme celle que vous nous proposez, simple dans son esprit mais si complexe dans sa mise en œuvre, il me semble que nous devons aller, dans notre action de parlementaire, jusqu'au bout de notre responsabilité, c'est-à-dire jusqu'au contrôle de l'application de la loi. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Comme le Président de la République, monsieur le ministre, vous inscrivez votre politique d’immigration dans une démarche de rupture avec les politiques passées, souvent stigmatisées pour leur laxisme. Par ces mesures, dont vous n’hésitez pas à revendiquer la fermeté, vous prétendez changer la politique de l’immigration en France en essayant de la rendre la plus efficace possible. Je voudrais mesurer à l’aune de cette ambition d’efficacité le résultat des politiques mises en œuvre depuis la fermeture de Sangatte et essayer de décrire la situation réelle sur les ports trans-Manche cinq ans après cette décision prise par le ministre de l’intérieur de l’époque devenu Président de la République.
D’abord, je rappelle que la fermeture de Sangatte était adossée à un accord passé avec la Grande-Bretagne par lequel la France s’engageait à assurer un contrôle plus important de l’immigration sur son territoire ainsi, semble-t-il, qu’un autre accord stipulant que la France reprendrait sur son territoire les réfugiés passés de façon clandestine à travers les mailles du filet du contrôle de la police de l’air et des frontières françaises en Grande-Bretagne. Aujourd’hui, cinq ans après la mise en œuvre de cette politique, lancée à grands renforts d’effets d’annonce, quelle est la réalité dans les ports trans-Manche ?
Je ferai quatre constats.
Premier constat : si cette décision a bien fait disparaître Sangatte, elle n’a pas fait disparaître les réfugiés de Sangatte qui demeurent sur le territoire national, livrés à eux-mêmes. Errant dans les villes, confrontés à une précarité extrême qui les conduit parfois à poser des problèmes de sécurité, malgré eux, dans les villes, ils connaissent des problèmes sanitaires, des problèmes de santé, des problèmes de nutrition. Ils ne peuvent compter que sur les municipalités, dont, vous le savez, ce n’est pas la compétence légale…
Deuxième constat : lorsque les associations et les villes viennent au secours de ces réfugiés livrés à eux-mêmes, confrontés à l’extrême souffrance, de l’isolement, de l’abandon, du froid pendant les périodes hivernales, de la non-nutrition, l’État leur reproche d’encourager leur venue en France. Avons-nous un autre choix, quand la misère est là, à nos portes, et qu’on la voit, que celui de nous substituer à l’État dans ses prérogatives pour faire en sorte que l’irréparable, c'est-à-dire à la disparition de ces réfugiés, ne se produise pas ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Enfin, dernier constat : lorsque, en conformité avec les accords passés par M. Sarkozy avec M. Blunkett, nous demandons des forces de police et de maintien de l’ordre supplémentaires pour rendre ces ports étanches, de manière que, conformément à votre discours, on ne puisse pas nous faire le reproche d’avoir envoyé le signal aux réfugiés qu’ils pouvaient passer vers la Grande-Bretagne, et que nous saisissons les ministres compétents, nous n’obtenons pas de réponses et restons confrontés à l’insécurité des ports, dans lesquels des coups de feu sont parfois échangés entre les réfugiés et la population locale, ou les passagers du transmanche.
Alors, monsieur le ministre, puisqu’une politique se mesure à son efficacité…
Premièrement, quelles décisions entendez-vous prendre pour renforcer la sécurité dans les ports trans-Manche ?
Mais venons-en au texte.
Ce texte serait inutile, selon certains. Il est au contraire essentiel, car il est essentiel, dans une démocratie, que les engagements pris devant les électeurs soient tenus. Ce n'est pas une petite affaire : il en va de la crédibilité de la politique dans notre pays.
Sur le fond, je partage la vision pragmatique de ce texte, qui vient, après la loi de juillet 2006, et dans sa droite ligne…
C'est une bonne nouvelle pour les étrangers qui, sur notre territoire, souhaitent investir dans leur pays d'origine et, une bonne nouvelle pour les habitants de ces pays qui, trop souvent, ne voient pas la traduction concrète des aides d'État à État.
Basile Boli, avec qui j’ai travaillé sur cet amendement…
Le projet est ambitieux. Il est réalisable. Comment ? En permettant à des étrangers qui sont régulièrement installés sur notre territoire d'aider au financement de projets aussi divers que des entreprises d'élevage, des exploitations agricoles, des commerces de gros ou de détail, des organismes de formation, des sociétés d'hôtellerie ou de restauration, des pharmacies ; en leur permettant d'aller plus loin en aidant à créer des emplois sur la terre qu'ils ont quittée, faute d'en trouver un pour eux-mêmes.
Il faudra mobiliser les banques. Je suis certain, monsieur le ministre, que vous saurez convaincre le Gouvernement de s’engager dans cette voie.
Le livret d'épargne codéveloppement que je vous propose devrait recueillir, je n'en doute pas à la lecture du texte de Faouzi Lamdaoui, le secrétaire national du parti socialiste à l’égalité, un accueil positif sur tous les bancs.
C’est ce que je vous propose aujourd’hui. Je ne doute pas que chacun et chacune, sur tous les bancs, aura à cœur d'aider à la concrétisation de ce livret.
Avant de conclure, monsieur le ministre, je voudrais vous demander d'accepter de sous-amender l'amendement que je présente à notre assemblée, pour prévoir, après la période de trois ans pendant laquelle l'épargne sera bloquée, une prime de l'État. Celle-ci devrait être suffisamment attractive pour faire de ce dispositif une réussite. Je souhaite que nous puissions aller jusqu'à l'équivalent de 2,5 %, et pourquoi pas 3 % par an ? L'article 40 de la Constitution, que chacun connaît ici, ne m'a pas permis d'aller jusque-là. Je souhaite que le Gouvernement aille dans ce sens. Vous avez publié cet été une tribune qui a beaucoup été commentée sur cette question du codéveloppement.
Je sais que nous pouvons compter sur vous pour que le Gouvernement nous aide à traduire cette volonté au cours de la discussion de ce projet de loi et je sais que beaucoup, sur tous les bancs, seront à nos côtés, à vos côtés, pour réussir cette belle idée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Un peuple libre est un peuple qui a le droit de choisir qui il veut accueillir sur son territoire.
Députés de la nation, il est de notre devoir de légiférer pour protéger l’intégrité de notre territoire. C’est la raison pour laquelle les députés de la majorité soutiennent ce projet de loi qui demande aux candidats à l’immigration d’apprendre les rudiments de la langue française et de connaître les valeurs qui caractérisent notre peuple, afin de les respecter.
Ces nouvelles mesures relèvent tout simplement du bon sens, tout comme l’exigence d’avoir un revenu du travail suffisant pour bénéficier du regroupement familial.
Quant à la question de l’analyse ADN, il suffit de quelques dollars pour obtenir de certains pays un document de filiation.
Nous sommes un certain nombre à regretter que ce projet de loi ne prévoie pas d’imposer cette analyse ADN aux ressortissants de pays ne possédant pas d’état civil, tout comme le fait que la formation à la langue française exigée ne soit pas sanctionnée par un examen, comme c’est le cas dans certains pays européens.
Les constitutions de 1946 et 1958 ont été écrites à l’époque où la France était encore un empire colonial. Nous donnons acte au Gouvernement que le bloc de constitutionnalité ne permet pas actuellement d’aller plus loin dans ces domaines.
Comme à l’accoutumée, certains esprits préfèrent déformer l’objet et la finalité de cette loi. Ils ne se rendent pas compte, tout du moins je l’espère, qu’ils font ainsi le nid des polygames et de ceux qui pensent que les femmes sont nées pour être voilées, voire lapidées le cas échéant. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Nous connaissons ces esprits manipulés qui, pour certains d’entre eux, vont jusqu’à dissimuler des clandestins condamnés par la justice de la République plutôt que de faire respecter les lois votées dans cet hémicycle, symbole même de la démocratie.
Mesdames, messieurs, le monde nous regarde. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Cette loi n’est pas une loi partisane. Elle correspond à une attente du peuple de France, ouvert au monde à condition d’être respecté dans ses convictions les plus profondes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
La parole est à M. le ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement.
Je n’hésite pas à le dire : ce lien existe effectivement. Lorsque l’immigration est mal maîtrisée, c’est l’intégration qui est mise en échec. Voilà la leçon de ces dernières années, et plus particulièrement de la période où vos amis, madame Dumont, étaient au pouvoir. Les socialistes ont gouverné sans partage pendant une époque – c’était la démocratie qui l’avait voulu – et cela a abouti à ce que vous n’avez pas vu, madame Dumont. Je vous ai en effet écouté avec beaucoup d’attention et, selon vous, tout va très bien, il ne faut surtout rien changer.
Libre à vous, madame Dumont, de considérer que tout va bien. Libre à vous de théoriser sur l’immigration dans un monde idéal. Libre à vous d’instruire de faux procès qui sont autant de caricatures. Moi, je n’ai rien contre les mariages mixtes. Je sais aussi bien que vous que l’augmentation du nombre de titres de séjour délivrés à des conjoints de Français traduit, pour une part, une évolution sociologique dont le Gouvernement prend acte. Mais je sais aussi, et je vous l’apprends semble-t-il, que la fraude existe, qu’il faut la combattre…
Permettez-moi une parenthèse. Je souhaite, pour la dignité du débat, que chacun respecte ici autant que possible les règles de courtoisie qui doivent être les nôtres. Vous avez été, sur ce plan, au-delà de ce qui est acceptable pour des personnes humaines.
Monsieur Perruchot, vous avez su trouver les mots justes pour apporter le soutien du groupe Nouveau Centre à ce projet de loi. Vous avez rappelé, à juste titre, que, pour bien accueillir, il faut la volonté, de part et d’autre, de vivre ensemble. Je saisirai l’occasion de la discussion des articles pour vous répondre dans le détail sur les modalités de mise en œuvre et de financement des tests de français et de la formation complémentaire.
Je voudrais remercier Richard Mallié d’avoir rappelé l’importance du travail comme facteur d’intégration. C’est d’ailleurs pour cette raison que le Gouvernement présentera un amendement rendant obligatoire le bilan de compétences pour tous les signataires du contrat d’accueil et d’intégration. Je le remercie également d’avoir rappelé qu’il ne fallait pas avoir honte d’être français. Comment pourrions-nous conduire une politique d’intégration généreuse si nous n’étions pas fiers d’être français ?
Je remercie aussi Jacques Kossowski d’avoir rappelé qu’une politique d’immigration digne de ce nom doit tenir compte des capacités d’accueil de notre pays. Pour l’avoir trop souvent oublié dans le passé, nous avons connu, notamment il y a deux ans, un réveil douloureux dans certaines banlieues.
Plusieurs d’entre vous ont rejoint le Gouvernement en se réjouissant des garanties nouvelles que ce texte offre aux véritables réfugiés politiques et de la volonté du Gouvernement de tirer les conséquences des directives européennes et des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. Je pense notamment à Eric Ciotti et à Alain Joyandet. Je partage leur volonté de bien distinguer les questions d’immigration des problèmes d’asile et je veillerai, dès les prochaines semaines, lors de la constitution de l’administration centrale de mon ministère, à créer, pour la première fois dans notre pays, un service de l’asile et des réfugiés.
Madame Crozon, lors de ma visite la semaine dernière à Villeurbanne de l’association Forum réfugiés, j’ai compris tout l’intérêt que vous manifestiez pour la question des femmes et qui repose sur votre expérience professionnelle puisque vous étiez déléguée régionale des femmes pour la région Rhône-Alpes. Je suis sensible, comme vous, à la situation des femmes étrangères dont le statut juridique peut être effectivement très précaire. Je pense en particulier à un cas qui m’a été signalé par les associations, celui des femmes qui entrent en France au titre du regroupement familial, mais qui se trouvent en réalité contraintes de quitter le domicile conjugal avant même d’avoir obtenu une carte de séjour. Je souhaite que la discussion des articles permette de combler ce vide juridique. Des amendements, déposés notamment par Étienne Pinte, Alain Joyandet et Françoise Hostalier, répondront à ce problème. Vous pourrez vous y associer sans difficulté.
Monsieur Cazeneuve, j’ai écouté avec attention votre intervention. Je rappellerai simplement que la fermeture de Sangatte, décidée conjointement par Nicolas Sarkozy et le gouvernement de Tony Blair en 2002, a été une mesure décisive, non pas pour supprimer, bien sûr, mais pour réduire considérablement la pression migratoire qui s’exerce sur le Calaisis et, par contagion, à Cherbourg et Dunkerque.
Cela dit, monsieur Cazeneuve, j’entends vos préoccupations. À Cherbourg, c’est vrai, quelques dizaines de migrants cherchent à gagner l’Angleterre et nous devons, à l’évidence, renforcer la présence policière. Je vous le dis très clairement en réponse à votre interrogation : je souhaite une augmentation du nombre des interpellations de passeurs et d’étrangers en situation irrégulière. Je l’ai dit au préfet de la Manche – mais vous le savez certainement – lorsque je l’ai reçu la semaine dernière lors de la réunion consacrée aux éloignements d’étrangers en situation irrégulière.
J’ai, de plus, demandé au ministre de l’intérieur qu’une demi-compagnie républicaine de sécurité soit affectée à Cherbourg pour appuyer l’action de la police aux frontières et de la sécurité publique. Mme Alliot-Marie m’a donné son accord ce matin et je suis donc heureux de vous indiquer que les renforts arriveront dès cette semaine.
J’ai également demandé au préfet un usage systématique de la borne Eurodac, qui permet de faire réadmettre dans des pays européens les étrangers interpellés qui sont passés par ces pays. Chacun doit prendre ses responsabilités.
Enfin, pour terminer sur cet aspect, espérant vous avoir répondu aussi précisément que possible, je continue naturellement à dialoguer avec les autorités britanniques sur la situation du Calaisis et j’ai demandé à la police aux frontières un audit du dispositif de sécurisation du port de Cherbourg. Je demanderai donc aux autorités britanniques, le cas échéant, de participer au partage de ce que cela suppose si des travaux de sécurisation supplémentaires se révèlent nécessaires. Les filières doivent comprendre que Cherbourg, pas plus que Calais, n’est une porte ouverte vers l’Angleterre.
Au cours de mon récent voyage en Guyane…
J’ai d’ailleurs noté que M. Lurel m’invitait – à juste titre – à davantage de fermeté, bien que je l’aie trouvé injuste sur certains points, notamment en ce qui concerne la Guadeloupe. Début 2006, en effet, une antenne de l’OFPRA y a été créée. En mars 2006, un accord de réadmission a été signé avec la Dominique, dont le protocole d’application a été ratifié en novembre. Je rappelle aussi, entre autres, l’extension et la modernisation du centre de rétention administrative, et l’augmentation, à hauteur de vingt-quatre agents, des effectifs de la police aux frontières. Enfin, M. Lurel m’a paru injuste en ce qui concerne les autres départements et collectivités, puisque, en 2006, le nombre des éloignements réalisés à partir de ces territoires a été aussi important qu’à partir de toute la métropole.
Je remercie Mme Gabrielle Louis-Carabin
Je remercie également tous les orateurs – Nicolas Perruchot, Richard Mallié et Jacques Kossowski – qui ont évoqué la nécessité d’inscrire notre politique en matière d’immigration et d’intégration dans une perspective européenne, comme l’a également fait François Loncle.
La France saisira l’occasion de sa présidence pour faire aboutir, dans toute la mesure du possible et avec beaucoup de détermination, le pacte européen d’immigration que le Président de la République a déjà évoqué avec nos partenaires.
Monsieur Pinte (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche), je connais et respecte bien évidemment l’approche qui guide vos interventions sur les différents projets de loi concernant l’immigration. Vous êtes avant tout, vous l’avez rappelé, respectueux des personnes, et chacun dans cet hémicycle partage votre souci humaniste. Il y a bien sûr des chiffres dans la politique d’immigration, mais je ne considère jamais les personnes comme des numéros. Je relève cependant avec satisfaction que vous approuvez les dispositions du projet de loi relatives à l’asile, et je suis convaincu que la discussion des articles vous permettra de marquer votre accord sur l’essentiel et de lever certains malentendus.
Vous avez eu raison, monsieur Loncle, d’évoquer les accords de codéveloppement et de souligner qu’il faut continuer dans cette voie. Mais les accords de gestion concertée des flux migratoires et de codéveloppement que nous avons commencé à signer avec certains pays ne me semblent pas des coquilles vides. Je pense comme vous qu’il faut les densifier et les remplir davantage, car il ne s’agit pas d’une chimère. Qu’il s’agisse de la délivrance des visas de circulation, de l’organisation de l’immigration étudiante, des dispositifs de réadmission, dont on sait combien ils sont compliqués, de la coopération policière, de projets concrets de codéveloppement – certains sont engagés avec le Mali, d’autres le seront prochainement avec le Bénin – ou d’autres actions de coopération, ces accords ont un contenu. Nous en avons d’ores et déjà signé avec le Sénégal et le Gabon ; j’espère en signer d’autres avec les pays que j’ai cités.
Madame Françoise Hostalier, votre témoignage aura touché et mobilisé tous ceux qui l’ont écouté. Croyez-moi : la lutte contre l’immigration irrégulière n’est pas une tâche toujours facile. Je suis attentif aux conseils qui sont donnés, mais j’entends parfois, dans d’autres bouches que la vôtre, plus de critiques que de propositions. Ce sera d’ailleurs, peut-être, une des marques de ce débat. Les policiers, les gendarmes, les préfets et le ministre que je suis sont sensibles à des situations humaines difficiles. Mais la politique d’immigration repose sur un équilibre fragile. Pour ma part, je suis le ministre de la loi et ma mission consiste à la faire appliquer et respecter, ce qui suppose – oui – la reconduite des étrangers clandestins en situation irrégulière, même si des cas particuliers méritent à l’évidence un examen. J’entends veiller très fortement, comme je l’ai indiqué tout à l’heure, à la protection des immigrés en situation régulière, qui respectent nos lois et partagent nos valeurs.
Madame Taubira a fait une belle rime : hérésie politique, indigence éthique.
Telles sont, mesdames et messieurs les députés,…
La parole est à M. Patrick Braouezec, pour une durée qui ne pourra excéder trente minutes.
Messieurs les ministres, mes chers collègues, avec ce nouveau projet de loi, ce sera la quinzième fois depuis 1981 que le Parlement légifère sur la maîtrise de l’immigration et la quatrième en cinq ans. En tant que parlementaire, je ne suis pas sûr que ce texte réponde à une impérieuse nécessité…
Vous me permettrez d’abord de m’intéresser à la reconnaissance du droit des migrants.
Monsieur le ministre, dans la lettre de mission datée du 9 juillet dernier que vous a adressée le président de la République, un objectif a retenu mon attention : l’engagement de concertations pour l’élaboration d’un traité multilatéral définissant les droits et devoirs des États en matière de gestion des flux migratoires. Or, permettez-moi de rappeler qu’un instrument international adopté par l’ONU le 18 décembre 1990, et entré en vigueur treize ans plus tard, le 1er juillet 2003, existe déjà : il s’agit de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. À ce jour, trente-sept États dans le monde l’ont ratifiée, dont l’Algérie, le Sénégal, le Maroc ou encore la Turquie, mais, malgré plusieurs interpellations du Parlement européen, aucun État membre de l’Union européenne n’a mis son paraphe au bas de ce traité.
Cette convention, dont l’objectif premier est de protéger les travailleurs migrants de l’exploitation et de la violation de leurs droits humains, institue un cadre propre à garantir des conditions équitables en ce qui concerne les migrations internationales. Le seul argument en faveur de la non-ratification développé par la France, en août 2005, par l’intermédiaire du ministre des affaires étrangères, dans une réponse à la Commission nationale consultative des droits de l’homme, invoque des dispositions fiscales contraires à notre droit, ce qui, à mon sens, ne devrait pas être un obstacle insurmontable.
La question des migrations oblige à s’arrêter quelques instants sur la situation des principaux pays dont sont issus les migrants. Aujourd’hui, les pays de l’OCDE fournissent l’équivalent de 100 milliards de dollars – 73,69 milliards d’euros – d’aide annuelle. Peut-être pensez-vous qu’un tel chiffre n’est pas négligeable. Mais il est à rapprocher des 360 milliards de dollars d’intérêts de la dette que les pays en développement remboursent chaque année. N’oublions pas que la France devrait consacrer à cette aide, selon la règle de l’ONU, 0,7 % de son PIB, ce qui n’est pas le cas. Si le Gouvernement voulait vraiment parler du codéveloppement, il faudrait d’abord qu’il mette fin immédiatement à la participation directe de l’État aux politiques imposées par des institutions financières internationales. Il devrait ensuite contrôler les sociétés transnationales et leur activité et enfin cesser de soutenir tout programme d’ajustement structurel imposé au pays pauvres. Par ailleurs, la France devrait être exemplaire et transparente sur la nature de son aide et abandonner les artifices comptables qui consistent à élargir l’assiette de l’aide au développement en y inscrivant certaines dépenses liées au DOM-TOM – c’est le cas pour Wallis-et-Futuna ou Mayotte –, au développement de la francophonie, ou au coût du dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile.
Le codéveloppement ne peut se réduire à la question des investissements financiers des migrants dans des entreprises privées, telle que l’aborde l’article 1er de la loi relative à l’immigration et à l’intégration du 24 juillet 2006 ! Est-ce le secteur privé qui permettra de développer des pays pauvres ? Assurera-t-il l’éducation et la santé ? Permettra-t-il à chacun de recevoir de l’eau à des prix supportables par tous ? Heureusement aujourd’hui, les migrants sont là pour éviter que les leurs ne meurent de faim. Car aujourd’hui, c’est bien l’argent des migrants et non celui de l’aide qui constitue l’aide concrète la plus importante.
Dès lors, en tant que parlementaires, notre travail consiste à œuvrer pour que les voies d’échange soient maintenues et à organiser la péréquation entre des espaces socio-économiques très inégalitaires. C’est assurément avec les migrants – et non pas sans eux ou contre eux – qu’il importe d’agir, notamment en les intégrant à part entière parmi les acteurs de la coopération et des échanges.
Monsieur le ministre, puisque les carences de notre pays sont déjà manifestes en matière d’aide au développement, nous avons tout à craindre de ce fameux codéveloppement, surtout depuis qu’il est tombé dans l’escarcelle de votre ministère. Il est vrai que ce gouvernement a la volonté de renforcer les murs entre les exclus, les pauvres, les marginalisés, les précaires d’un côté et ceux qui possèdent tout de l’autre. Écoutez la voix d’Édouard Glissant et de Patrick Chamoiseau : « Les murs qui se construisent aujourd’hui au prétexte de terrorisme, d’immigration sauvage ou de dieu préférable ne se dressent pas entre des civilisations, des cultures ou des identités, mais entre des pauvretés et des surabondances, entre des ivresses opulentes mais inquiètes et des asphyxies sèches. Donc, entre des réalités qu’une politique mondiale, dotée des institutions adéquates, saurait atténuer, voire résoudre. Ce qui menace les identités nationales, ce n’est pas les immigrations, c’est par exemple l’hégémonie étasunienne sans partage, c’est la standardisation insidieuse prise dans la consommation, c’est la marchandise divinisée, précipitée sur toutes les innocences, c’est l’idée d’une essence occidentale, exempte des autres, ou d’une civilisation exempte de tout apport des autres, et qui serait par là même devenue non humaine. C’est l’idée de la pureté, de l’élection divine, de la prééminence du droit d’ingérence, en bref, c’est le mur identitaire au cœur de l’unité-diversité humaine. »
Ces voix demandent à ceux qui veulent bien les écouter et les entendre – et j’ose espérer que, sur ces bancs, nous faisons partie de ceux-là – de ne pas se tromper d’ennemis. Le Gouvernement ne respecte en rien les valeurs de la République (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) et met en grand danger l’équilibre démocratique de notre société…
Nous savons tous que les morts et les blessés sont nombreux parmi ceux qui ont été obligés de retourner dans le pays qu’ils avaient fui. Je pense à M. Isufi, qui, devant le mur de refus dressé par la France alors qu’il demandait le droit d’asile pour lui et sa famille, a fini par rentrer au Kosovo. À son arrivée, sa fille a subi trois agressions, son fils a été roué de coups et lui-même a été laissé pour mort. Aujourd’hui, ils sont de retour mais se retrouvent devant le même mur de refus. Leur témoignage est-il toujours suspect ?
Il y a aussi la famille Popov que l’on tente par tous les moyens d’expulser en ce moment même. Beaucoup d’éléments plaident pourtant en faveur de cette famille intégrée, les parents maîtrisent le français, les enfants sont nés en France et n’ont plus d’attaches au Kazakhstan, une promesse d’embauche a été faite au père. Mais il y a surtout la perte de leur nationalité kazakhe qui est attestée par un document de l’ambassade du Kazakhstan – ceci dit, tant que nous y sommes, nous pourrions aussi douter de la fiabilité de ce document ! –, et le risque avéré pour leur intégrité physique en cas de retour dans leur pays natal. Depuis 2002, ils essaient de se faire entendre et personne ne les écoute. Heureusement, des associations comme RESF mettent en avant le droit à la solidarité et résistent afin que les Popov bénéficient d’un examen sans suspicion de leur dossier.
Je pourrais donner d’autres exemples de femmes et d’hommes dans la même situation. Chaque cas laisse un sentiment de révolte et un amer goût de honte. Comment en est-on arrivé là ? Comment un député peut-il demander l’instauration d’un test biologique pour vérifier la réalité du lien de filiation lors d’une demande de visa de long séjour. Il n’est pas vain de dire que ce type de fichage génétique est attentatoire aux libertés individuelles…
C’est à l’administration de prouver que les documents d’état civil présentés sont des faux et non pas au demandeur de justifier son lien de parenté en produisant des documents supplémentaires. Sur le plan diplomatique, de quel droit la France remet-elle en cause de façon systématique l’authenticité d’actes d’état civil établis par des autorités étrangères ? Et s’il y avait carence, ne serait-il pas plus positif d’aider ces pays à procurer des documents d’état civil fiables. S’il faut passer un test pour obtenir des droits, à quand le test ADN pour les familles françaises avant de pouvoir bénéficier des allocations familiales ?
Je voudrais m’arrêter quelques minutes sur ces immigrés dont on prétend qu’ils nous envahissent, qu’ils prennent conjoints Français et veulent travailler, s’éduquer, se soigner au détriment des citoyens français. Le dernier rapport de l’INSEE en recense quatre millions et demi. Parmi eux, deux millions ont acquis la nationalité française. Un quart d’entre eux vient d’un pays européen. En 2006, au titre du regroupement familial, 9 000 enfants sont entrés en France. Ces chiffres sont à rapprocher des quelque 1,2 million de français vivant à l’étranger. Sont-ils traités comme nous traitons les migrants ou les demandeurs d’asile ? Non ! Mais si tel était le cas, l’accepterions-nous ?
Concernant le regroupement familial, en moins de quatre ans, cette procédure a été modifiée par deux réformes législatives, deux décrets, trois circulaires et un arrêté. S’ajoutant aux restrictions précédentes, votre projet prévoit un nouveau durcissement du regroupement familial, que vous identifiez à de l’immigration « subie ».
Soyons sérieux : selon le rapport au Parlement établi par le comité interministériel de contrôle de l’immigration, le regroupement familial ne représentait en 2005 qu’un peu plus de 23 000 premiers titres de séjour, alors qu’en 2002 ce chiffre s’élevait à un peu plus de 30 000. Sur près de 200 000 titres de séjour délivrés en 2005, toutes catégories confondues, le regroupement familial ne représente donc que 11 % des titres délivrés !
Par ailleurs, ce même comité précise que le regroupement familial « est appelé à diminuer au cours des prochaines années en raison de l’attrition progressive de ses sources. Les demandeurs de regroupement sont en effet des personnes entrées en France de longue date ».
Que veut-on donc nous faire croire ? Ce qui est sûr, c’est que ces mesures sont régies par une politique d’immigration répressive, dont la logique est incompatible avec les normes internationales concernant l’obligation de respecter les droits humains. Non contents de nous avoir fait voter en juillet dernier le traité multilatéral visant à approfondir la coopération transfrontalière, en vue de lutter contre le terrorisme, la criminalité transfrontalière et la migration illégale, le Gouvernement veut maintenant encore un peu plus criminaliser les migrants et leur famille. L’amalgame dénoncé lors des débats est encore de rigueur : cette loi suit la même logique et s’ancre dans le processus des politiques qui, selon Jérôme Valuy, professeur de sociologique politique à Paris I, constituent « un phénomène d’institutionnalisation de la xénophobie ».
La mesure relative à l’évaluation du degré de connaissance par les ressortissants étrangers de la langue française et des valeurs de la République présentée dans l’article 1er ne présente aucun intérêt au regard de la finalité d’intégration : elle apporte seulement une réponse idéologique à la question de l’immigration présentée comme subie et donc constituant à vos yeux un problème, voire un fléau menaçant l’identité nationale. Le projet prévoit de tester les connaissances relatives à la langue et aux principes de la République en amont, dans le pays de résidence des membres de famille pour lesquels est sollicité un regroupement familial, sans que ni l’évaluation de ces connaissances, ni la formation éventuelle, ne conditionnent quant au fond le regroupement familial.
Le rapporteur insiste sur l’importance de cet article, qui « constitue un des apports majeurs du projet de loi ». Il précise aussi, pour se donner bonne conscience, « qu’un dispositif plus contraignant est déjà applicable aux Pays-Bas et depuis peu en Allemagne ». Sont-ce de bonnes raisons et en quoi est-ce une garantie que ces mesures respectent le droit fondamental de vivre en famille ? Je signale que cette disposition s’appuie sur des affirmations erronées car les « rejoignants » et les conjoints de Français bénéficient déjà à leur arrivée d’une formation portant sur la langue et les valeurs de la République dans le cadre du contrat d’accueil et d’intégration que vous avez voté.
Pour conclure sur cette disposition, je dirai qu’elle constitue une atteinte excessive au droit de mener une vie familiale normale et peut valoir à la France une autre condamnation de la part de la Commission européenne des droits de l’homme.
D’autres dispositions relatives à l’immigration familiale vont encore compliquer la vie des bénéficiaires du regroupement familial et des conjoints de Français.
Ainsi, la condition de ressources requises pour bénéficier de ce regroupement est renforcée et doit être modulée selon la taille de la famille. Je rappelle qu’une disposition similaire avait été introduite par l’Assemblée nationale en 2003 et avait été rejetée par le Sénat. La commission des lois avait alors estimé que « dans la mesure où le montant du SMIC mensuel est considéré comme assurant un niveau de vie suffisant pour les Français, il semble raisonnable – mais vous avez sans doute perdu la raison – de considérer que les étrangers atteignant ce niveau ont des ressources suffisantes ». Nouvelle tentative en 2006, que le Sénat rejette à l’unanimité, estimant qu’il « n’y a pas lieu d’établir de distinction, s’agissant des ressources, entre la situation des familles étrangères et celle des familles françaises. Par conséquent, s’il est considéré qu’un revenu égal au SMIC permet à une famille française de vivre dans des conditions acceptables, il en va de même pour une famille étrangère ». Pourquoi revenir sur cela et même en élargir le champ d’application puisque la commission des lois a adopté l’amendement n° 25 qui précise que cette exigence de revenus modulables vaut aussi pour les titulaires d’une carte de résident longue durée-CE qui souhaiteraient vivre avec leur famille ?
J’ajoute, et cela est assez consternant de la part de ce gouvernement qui parle sans cesse d’égalité et de respect de la diversité, que cette condition de ressources concerne aussi les personnes handicapées. Ce projet ne tient aucun compte d’une recommandation émise par la Haute autorité de lutte contre les discriminations en décembre 2006. La HALDE a estimé que la condition de ressources appliquée à des personnes handicapées constituait non seulement une atteinte au droit de ces personnes à mener une vie familiale normale, mais encore une discrimination indirecte et que « si la règle posée par l’article L. 411-5 répond à un objectif légitime, elle s’avère en revanche injustifiable dans le cas des travailleurs handicapés bénéficiaires de l’allocation adulte handicapé ». Le collège de la Haute autorité recommandait donc au ministère de l’intérieur d’initier une réforme du regroupement familial et d’adresser des instructions aux préfectures afin qu’il soit procédé, sans attendre, à un examen particulier des demandes faites par des personnes handicapées.
Il ne faut pas non plus oublier les populations particulièrement vulnérables comme les retraités, les malades ou les invalides, dont le niveau de ressources est bien souvent inférieur au SMIC et qui ont, encore plus que les autres, besoin d’être entourées de leurs proches.
La France va-t-elle accepter encore longtemps d’être la mauvaise élève en matière de respect des normes européennes et internationales et d’être montrée du doigt pour traitement discriminatoire ?
Mais votre projet ne s’arrête pas là. Il instaure aussi un contrat d’accueil et d’intégration pour la famille, qui comprend une formation sur les droits et les devoirs des parents en France et dont le non-respect sera sanctionné par la mise sous tutelle des prestations familiales. Les dispositions de cet article sont contraires au principe de non-discrimination largement consacré par la jurisprudence de la CEDH et reconnu par le droit international.
Avec l’article 3, le travail entamé depuis plusieurs années se poursuit : il consiste à jeter le soupçon sur les ressortissants étrangers, désignés comme de mauvais parents, dont le mode d’éducation ne serait en tout cas pas adapté à la vie sur le territoire français.
Si l’objectif du contrat d’accueil et d’intégration est, conformément à l’exposé des motifs, de favoriser la sacro-sainte « intégration » de la famille étrangère dans la société française, la différence établie entre les parents étrangers, selon qu’ils respecteraient ou non le contrat d’accueil et d’intégration, est sans rapport avec l’objectif prétendument fixé et viole de fait le principe d’égalité.
Saisie de cette question, la Haute autorité de lutte contre les discriminations, se fondant sur l’application combinée des articles 14 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, a qualifié cette distinction de discriminatoire. Quant à la défenseure des enfants, elle n’a pas manqué de souligner que cette disposition violait l’article 3-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant. Ces deux autorités ont, en outre, rappelé la recommandation du 4 juin 2004 adressée à la France par le Comité de suivi des droits de l’enfant des Nations unies, qui se prononçait pour l’attribution de plein droit des prestations familiales pour les enfants dont les parents séjournent régulièrement en France.
Votre projet viole les dispositions issues de l’article 3-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant. En effet, les prestations familiales sont versées pour l’enfant et participent aux conditions de son éducation et de son développement. Prévoir la possible suspension de cette allocation au seul motif que les parents ne respecteraient pas le contrat d’accueil et d’intégration contrevient indéniablement à l’intérêt supérieur de l’enfant. J’avais fait état des mêmes arguments lors de l’examen de la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, quand il s’est agi de légiférer contre des parents qui ne respecteraient pas l’obligation d’assiduité scolaire ou qui seraient responsables d’une carence éducative. Puisque le rapporteur se réfère à cette loi, je tiens à préciser que l’on ne peut mettre sur le même plan la carence éducative et le refus de signer un contrat d’accueil et d’intégration pour la famille. Le faire, c’est violer incontestablement l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.
La sanction du non-respect du contrat d’accueil et d’intégration révèle l’approche répressive, inquisitoriale et discriminatoire de votre projet de loi.
Par ailleurs, le Gouvernement revient sur un amendement voté par le Sénat l’année dernière, qui permet au conjoint de Français entré régulièrement – avec un visa court séjour – sur le territoire français et qui justifie de six mois de vie commune de demander au préfet un visa long séjour. Si votre proposition est adoptée, ce conjoint devra retourner dans son pays d’origine pour y solliciter un visa long séjour permettant de bénéficier par la suite d’un titre de séjour. Le rapporteur a expressément indiqué que le dispositif dérogatoire en place jusqu’à maintenant n’est pas compatible avec l’objectif affiché par le Gouvernement, qui souhaite que l’étranger commence le parcours d’intégration dans son pays d’origine.
Mais est-ce au Gouvernement de décider à quel moment un étranger va rejoindre son conjoint français, dès lors que l’acte est transcrit officiellement sur les registres d’état civil du consulat ? Au prétexte de simplifier un système trop complexe, le Gouvernement va rendre infernale la vie des couples et des familles et leur imposer un vrai parcours du combattant ! Il aurait été plus respectueux du droit à la vie familiale et privée, du droit à vivre en famille, de permettre aux étrangers mariés avec des Français de rejoindre leur conjoint ou leur famille sans visa ni formation linguistique. C’est à croire qu’un étranger ne sait pas penser et que la personne qui se marie avec lui n’a pas tous ses esprits.
Ainsi, ce serait pour éviter les erreurs que le Gouvernement, dans sa grande bienveillance, chercherait à protéger les 90 700 mariages mixtes – selon les chiffres de 2005 – célébrés en France et à l’étranger. Mais il n’avait pas spontanément pensé aux femmes violentées par leur conjoint avant la délivrance du premier titre de séjour ou avant le renouvellement du titre. Parce que la vie commune a été rompue par le conjoint ou par elles-mêmes – leur vie étant en danger –, ces femmes se sont vu refuser le titre et se trouvent ainsi sous le coup d’une obligation de quitter le territoire, sans aucun recours possible. Là encore, il faut remercier les associations qui les prennent en charge et leur permettent de trouver des solutions. Combien de fois sommes-nous intervenus, les uns et les autres, dans de tels cas ?
La seconde cible du projet de loi est le droit d’asile. Le texte introduit en effet une réforme majeure et hautement symbolique, puisqu’il transfère la tutelle de l’OFPRA au ministère de l’immigration. Cette disposition, qui est l’aboutissement d’une évolution initiée par le ministre de l’intérieur en 2003, s’inscrit, selon le Gouvernement, dans la tendance observée chez nos voisins européens. Pourtant, les exemples de ministères de l’immigration responsables de l’asile ne sont pas si nombreux. Dans la plupart des pays européens, celui-ci est en effet placé sous le contrôle du ministère de l’intérieur, ce qui n’est d’ailleurs pas forcément mieux.
Je rappelle que l’asile est une institution de droit international, largement reconnue par tous les États et régie par des normes de droit international. En tant que telle, elle devrait donc relever de la compétence du ministère des affaires étrangères. Lier l’asile à la maîtrise de l’immigration et à l’intégration reflète une approche répressive obsédée par les chiffres et témoigne d’une vraie dérive identitaire et sécuritaire.
Il faut ajouter que, à l’heure actuelle, de très nombreuses procédures de référé-liberté déposées par des demandeurs d’asile ou des migrants sont rejetées par simple ordonnance, sans avoir fait l’objet d’une audience. Or cette disposition est incompatible avec les exigences de la CEDH. L’effectivité du recours devrait en effet prévaloir pendant toute la durée de la procédure, et non pas seulement en première instance. Mais ce n’est pas la seule disposition qui pose problème.
Pour saisir l’OFPRA, le demandeur d’asile doit remplir un formulaire spécifique dans un délai précis. Les dispositions réglementaires prévoient que la demande doit être rédigée en français dans un délai de vingt et un jours dans le cadre de la procédure normale, de quinze jours en cas de procédure prioritaire et de cinq jours si l’étranger est placé en rétention. Compte tenu de cette double exigence, le demandeur non francophone rencontre de grandes difficultés pour faire enregistrer sa demande, en particulier lorsqu’elle est faite en rétention où, depuis 2003, elle est strictement encadrée dans un délai de cinq jours. Les dispositions réglementaires limitent en outre la prise en charge des frais d’interprétariat par l’État aux seules procédures d’éloignement. La directive européenne sur les procédures d’asile prévoit pourtant dans son article 10 que les demandeurs d’asile « bénéficient, en tant que de besoin, des services d’un interprète pour présenter leurs arguments aux autorités compétentes ». Le Gouvernement aurait donc été bien inspiré de proposer un article transposant cette disposition européenne afin que l’État prenne en charge les frais d’interprétariat liés à la demande d’asile.
Ce gouvernement semble se jouer des normes européennes et internationales. Pourtant, la France dispose d’un siège de représentant permanent au Conseil de sécurité de l’ONU et notre nouveau Président lui-même a appelé au maintien de la tradition française de soutien aux persécutés du monde entier. Il conviendrait donc que notre État mette tout en œuvre pour respecter ses obligations internationales.
Lors de la discussion sur le projet de loi relatif à l’immigration et à l’intégration, j’avais signalé que la politique dans laquelle s’engageait le Gouvernement était dangereuse. C’est encore plus vrai aujourd’hui. J’avais notamment souligné les manquements au respect de certains droits fondamentaux garantis par la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Convention européenne des droits humains et le Pacte relatif aux droits économiques et sociaux et culturels. Il serait préférable que l’on suive les recommandations du Conseil européen de Tampere en faveur de l’élaboration d’une législation commune en matière de droit d’asile et d’immigration, qui définissent une base politique permettant à l’Union européenne d’harmoniser sa législation dans ce domaine. Ces principes sont les suivants : un traitement équitable pour tous les migrants, la mise en place d’une politique d’intégration et de lutte contre la discrimination et l’amélioration de la coopération – dans le cadre d’un codéveloppement élaboré à partir de mesures politiques équitables et durables – avec les pays tiers dont sont issus les migrants, afin de renverser le processus des flux migratoires.
Contrairement à ce que vous prétendez, monsieur le ministre, ce projet n’est pas ambitieux. Qu’on le veuille ou non, l’immigration, légale ou non, est la plupart du temps l’ultime recours d’hommes et de femmes qui paient cher des politiques économiques contraignantes et injustes et l’ouverture de leur pays à un marché mondial qui enrichit les nations riches. C’est pourquoi, au lieu d’être l’épouvantail brandi par des politiciens occidentaux qui manquent de mémoire et de vision, les migrations peuvent et gagneraient à être l’un des lieux privilégiés de l’indispensable renouvellement de la réflexion sur l’état réel du monde, sur les rapports de force qui le sous-tendent, sur les enjeux et les exigences d’une autre manière de vivre tous ensemble.
D’une loi à l’autre, nous sommes loin de ces objectifs. En revanche, nous sommes de plus en plus près de remporter l’Oscar de la violation constante de certaines conventions européennes et internationales. Il serait tout de même préférable que nous soyons remarqués pour avoir été le premier pays de l’Union européenne à signer et ratifier la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs familles.
Une fois de plus, ce projet de loi n’est qu’un répertoire de faux-semblants qui n’apporteront certainement pas de réponse à la question de la migration. Ce n’est pas grâce à lui que l’Europe se construira comme un lieu d’apprentissage de la paix et de la solidarité. Vous nous préparez un monde fermé sur lui-même, entouré des murs de l’identité nationale, régi par la maîtrise des flux et la gestion du chiffre. Vous nous enfermez dans une vieille Europe. Les citoyennes et les citoyens de ce pays aspirent à un monde ouvert, d’échanges et de rencontres. Même s’ils sont soucieux des problèmes sociaux actuels, ils n’en sont pas moins des citoyens responsables et solidaires.
Compte tenu de son non-respect des normes européennes, ainsi que du déni de droit et des discriminations qu’il instaure, je demande que ce projet de loi soit renvoyé en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Une convention sur les droits et les devoirs des migrants me semblerait de fait plus équilibrée. Quoi qu’il en soit, contrairement à ce que vous supposez, la France n’est pas isolée en Europe.
S’agissant du codéveloppement, j’ai été patient et je me suis abstenu de réagir mais, puisque vous m’y obligez, je vous rappelle que vos amis étaient au Gouvernement entre 1997 et 2002, et que c’est précisément la période où les crédits de l’aide publique au développement ont diminué, alors qu’ils ont augmenté entre 2002 et 2007.
Troisièmement, contrairement à ce que vous prétendez, notre projet de loi n’est pas exclusivement consacré au regroupement familial – lequel représente tout de même encore un quart du total de l’immigration pour motifs familiaux.
C’est vous qui êtes obsédé par le regroupement familial. Pour ma part, j’ai évoqué ce sujet de manière beaucoup plus large, car le Gouvernement a, une fois de plus, une vision plus exhaustive.
Par ailleurs, vous avez évoqué à plusieurs reprises la violation supposée de plusieurs conventions internationales. Nous avons pris toutes les précautions et recueilli tous les avis et conseils nécessaires : le projet du Gouvernement est strictement conforme à celui qui est ressorti du Conseil d’État. Ne criez donc pas au loup sur ce sujet, car vous risquez d’être déçu.
Enfin, pourquoi vous livrez-vous à des critiques systématiques ? Pas une seule ligne de notre projet ne trouve grâce à vos yeux ! Certes, et vous me le rappelez régulièrement, nous ne partageons ni les mêmes convictions ni les mêmes valeurs, mais vous pourriez tout de même reconnaître que le test de langue et l’apprentissage du français avant de venir sur notre territoire sont utiles pour favoriser l’intégration.
Le dispositif dont vous vantez l’efficacité ne peut en réalité pas être efficace. Ainsi, le délai de délivrance des visas par certains consulats d’Afrique, qui était déjà de trois ans et demi dans, va atteindre et sans doute dépasser cinq ans avec les lois sur la validité des mariages, la dernière loi sur l’entrée et le séjour des étrangers, et les nouvelles mesures proposées. À rendre toujours plus longues et plus complexes les procédures d’entrée des étrangers sans doter les consulats de moyens supplémentaires, on allonge encore les files d’attente. Ne rien faire pour remédier au malaise ainsi créé revient à jouer aux apprentis sorciers. Cette fuite en avant doit cesser, et il faut, pour cela, remettre cet ouvrage imparfait sur le métier, c’est-à-dire renvoyer ce texte en commission.
Pour ce qui est de la méthode, après avoir attaqué le mariage, vous vous en prenez à la filiation. En France, la filiation repose sur la possession d’état et non sur la génétique : le géniteur n’est pas nécessairement le père légal. Toutefois, le recours à la génétique est actuellement réservé à certains cas exceptionnels. Claude Huriet, sénateur honoraire et grand spécialiste de la bioéthique, a donné une interview à Libération où il se déclare catégoriquement opposé à la disposition prévue par l’amendement de M. Mariani. Quand on lui demande s’il est favorable à l’inclusion de tests génétiques de filiation dans les dossiers de demande de regroupement familial, il répond qu’il ne l’est « d’aucune façon ». Cette disposition nous semble donc devoir être supprimée, ou tout au moins rediscutée en commission.
Vous parlez de responsabilité, mais votre texte n’est pas responsable, comme cela a été démontré par plusieurs orateurs – notamment Laurence Dumont, dont la brillante intervention semble vous avoir touché, monsieur le ministre. (Rires.) Ainsi, le dispositif que vous proposez n’aboutira qu’à favoriser l’immigration clandestine. En effet, un étranger candidat à l’immigration devra préalablement se soumettre à l’obligation d’apprendre la langue française en suivant une formation de deux mois. Le surcoût d’environ 1 000 euros qu’entraînera cette obligation aura pour conséquence de placer les personnes concernées à la merci des organisateurs de filières clandestines d’immigration.
Je conclurai en évoquant la complexité et le manque de clarté des dispositifs que vous proposez. Comme l’a souligné M. Pinte, il n’est pas logique de vouloir imposer la maîtrise de la langue française avant l’entrée sur le territoire. Il serait plus approprié que l’apprentissage de la langue se fasse après l’entrée sur le territoire français, dans le cadre du contrat d’intégration.
Il est évidemment plus facile d’agiter ce genre d’épouvantail que de s’attaquer aux vrais problèmes de notre pays. Il n’aura échappé à personne que notre Président de la République s’est fait une spécialité d’occuper le terrain…
Nous ne pouvons pas être d’accord avec vous, monsieur le ministre, quand vous expliquez quel progrès formidable constituerait pour les candidats au regroupement familial l’obligation d’apprendre le français dans leur pays d’origine. Comme cela a été dit tout à l’heure, votre gouvernement est en train de réduire de 4 % la représentation diplomatique en Afrique. Par ailleurs, chacun sait qu’il est préférable que l’apprentissage de la langue se fasse en immersion dans le pays d’accueil, au contact des locuteurs naturels de cette langue. Personne ne réussira à nous convaincre de l’avantage qu’il y aurait, du point de vue de l’intégration, à effectuer l’apprentissage du français et des valeurs de la République durant un stage de deux mois effectué dans un village reculé d’Afrique. Ce n’est rien d’autre que de l’esbroufe, destinée à dissimuler vos intentions réelles.
Comment ne pas revenir sur cet amendement provocateur présenté par le rapporteur,…
On ne peut non plus accepter que vous compariez la France de 2007 au régime en vigueur aux heures les plus sombres de notre histoire. De telles assimilations sont scandaleuses.
Le renvoi en commission est évidemment inutile, car la commission a déjà bien travaillé – M. Blisko, en particulier, a assisté à toutes les auditions auxquelles a procédé le rapporteur – et elle a parfaitement accompli sa mission qui consiste à écouter et à entendre. Vous devriez, à votre tour, écouter le peuple de France, notamment votre électorat. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Je vous invite à une lecture qui ne vous est sans doute pas familière, celle du Figaro de ce jour, qui vous éclairerait utilement et vous aiderait peut-être à vous défaire de l’attitude démagogique qui est la vôtre. Bien entendu, le groupe UMP votera contre le renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Sur le fond, monsieur Braouezec, la situation que vous décrivez, phrase après phrase, paragraphe après paragraphe, est apocalyptique. En gros, il y a, d’un côté, les méchants, nous, a priori, et, de l’autre, les gentils, les blancs, vous, en l’occurrence. Pourtant, nous avons souvent confronté nos idées, à l’occasion de colloques, auxquels participait d’ailleurs le président Daubresse. Et j’ai le sentiment que vous avez deux langages : celui que vous réservez à cet hémicycle et celui que vous tenez en d’autres cénacles. En politique, il faut de la cohérence. À Saint-Denis, la situation est peut-être celle que vous décrivez, mais, rassurez-vous, ce n’est pas celle de l’ensemble du territoire national.
Oui, il y a des hommes et des femmes en souffrance. Et le travail que nous allons effectuer ici permettra d’améliorer leur sort. Mais il y a aussi, et nous le savons tous, des hommes et des femmes qui, parfois, viennent profiter d’un vide juridique.
Il importe à présent de passer à la discussion des articles. Le groupe Nouveau Centre ne votera donc pas cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau Centre et du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
(La motion de renvoi en commission n'est pas adoptée.)
La parole est à Mme Françoise Hostalier.
De plus, l’article 1er concerne le regroupement familial. On peut donc supposer que l'étranger accueilli le sera dans un milieu déjà intégré et qu'il lui sera très facile d'apprendre le français « en immersion ».
Vous nous avez présenté ce texte comme étant une mesure de protection du demandeur, et notamment des femmes qui risquent de venir dans notre pays sans connaître leurs droits et sans pouvoir les défendre, faute de s'exprimer en français.
Je ne crois pas cependant que cette mesure permettra de les aider, au contraire. Si leur mari – ou futur mari – ou si des réseaux divers veulent faire entrer une femme en France et l'y maintenir dans des conditions qui ne respecteraient pas ses droits, cela se passera autrement que par une demande officielle de visa, qui serait à coup sûr refusé à cause de cette mesure.
Pour préserver en France les droits des femmes immigrées qui arrivent sur notre territoire depuis des pays où ces droits n’existent pas, il importe de bien les encadrer à travers les contrats d’accueil et d’intégration. C'est là que tout se joue, en effet, pour l'apprentissage de la langue, pour la connaissance et l'adhésion à nos valeurs républicaines et pour l'accompagnement à l'intégration.
Par ailleurs, voici la quatrième loi sur l'immigration qui nous est proposée en cinq ans. Or, à ma connaissance, on n’a procédé à aucune évaluation des différents dispositifs.
En outre, à moins d'augmenter leur budget et de renforcer leur personnel, nos structures culturelles à l'étranger, qui ont déjà le plus souvent beaucoup de mal à vivre, et parfois à survivre, ne pourront pas assurer cette mission supplémentaire. Qui va payer, qui va faire, qui va valider ces formations ?
Pour terminer, je ferai remarquer que ce dispositif ne concernera que l'immigration de pays non francophones et pénalisera fortement les demandeurs de ces pays.
Ce projet de loi prévoit qu'un membre de la famille qui demande à rejoindre la France bénéficie dans son pays de résidence ou, s'agissant d'un conjoint de Français, dans celui où il sollicite le visa, d'une évaluation de son degré de connaissance de la langue et des valeurs de la République. Ainsi, il faudra, pour venir en France, non seulement comprendre le Français mais aussi nos valeurs républicaines. Sur le principe, personne ne peut être contre. Néanmoins, avant un départ vers la France, peut- être faudrait-il vérifier tout simplement que la personne connaît la vie dans notre pays. Ce serait aussi réaliste et n'empêcherait nullement de vérifier une connaissance sommaire de nos principes.
Je note qu'une condition de ce type existe en Grande- Bretagne s'agissant de la vie qu'on y mène. Mais cela vaut pour ceux qui veulent devenir citoyens, ce qui me semble d'une autre nature que le simple fait de rejoindre sa famille sur le territoire. Peut-être le Gouvernement a-t-il tout simplement pour objectif, mais sans le dire, de freiner l'entrée légale sur le territoire des étrangers mariés avec des Français ?
Je veux à cet égard souligner la contradiction qui apparaît dans l’actuelle campagne de communication du ministère de l’intérieur intitulée « parler rugby ». Dans les différents clips, on voit en effet intervenir des joueurs de rugby, souvent étrangers, qui expliquent que vivre en France leur a permis d’apprendre le français et de comprendre les valeurs de notre République.
Cet article 1er est une mauvaise action. Nous ne pouvons absolument pas partager l’orientation qu’il sous-tend. Nous vous demandons donc sa suppression pure et simple. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Moi, je mets le Gouvernement en accusation car le ministre a déclaré, voilà quelques minutes, qu’à Sangatte, tout allait mieux. Or, tous les observateurs savent qu’il n’en est rien. Le problème a simplement été déplacé. Le Gouvernement s’honorerait à reconnaître cette réalité et, surtout, à ne pas laisser les élus locaux dans le désarroi. Je tenais à faire cette remarque, ayant été particulièrement heurté par l’accusation de mensonge.
S’agissant de l’article 1er, certes, mieux vaut parler français lorsqu’on veut vivre en France.
Ma seconde observation porte sur un aspect plus technique. Tout le monde sait – à l’exception peut-être des membres du Gouvernement – que le meilleur moyen d’apprendre une langue étrangère est d’y être constamment confronté. C’est donc en vivant en France que ceux qui veulent venir chez nous assimileront le mieux le français. À titre personnel, mais je ne suis pas le seul dans ce cas, j’ai bien plus progressé en anglais en quelques semaines en Angleterre ou aux USA que pendant des années sur les bancs du collège, du lycée ou de l’université. Je doute donc de l’efficacité de votre méthode.
Par ailleurs, comment pouvez-vous imaginer que le dispositif sera techniquement efficace ? À moins que vous ne dispensiez des cours particuliers. Mais comment ceux qui seront éloignés des centres où la formation pourrait être donnée feront-ils pour en bénéficier ? Là encore, nous n’avons pas obtenu de réponse. Vous avez été flou, monsieur le ministre, car vous n’avez rien à répondre.
J’espère en outre que vous prévoyez un apprentissage de la langue parlée – et donc utile dans la vie quotidienne –, et non pas littéraire.
Dernier point qui me laisse perplexe, vous indiquez que cette disposition concernerait les enfants de plus de seize ans. Je me pose donc la question des fratries : si une fratrie est composée d’enfants de plus de seize ans et d’autres, de moins de seize ans, comptez-vous la séparer ? Au regard de la protection de la famille et des droits de l’homme, ce serait une curieuse manière de faire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Cet article 1er semble pourtant aller à l’encontre de tous ces principes édictés sur le regroupement familial. Il est symptomatique de l'approche biaisée de ce gouvernement sur les questions d'immigration.
Votre projet de loi n'a d'autre but que de restreindre l'immigration légale de famille par tous les moyens, y compris les plus contestables. Cette mesure sur l’évaluation de la connaissance de la langue française attente directement au droit de vivre en famille, alors même que le nombre de personnes concernées est en baisse. Cette nouvelle condition porte un coup gratuit au droit de mener une vie familiale normale, sans aucune raison rationnelle.
Vous développez votre argumentation à partir d'un semblant de constat : l'immigration économique serait trop faible par rapport à l'immigration pour motif familial. À l'appui de cette assertion, vous prenez les chiffres bruts de 6,6 % de titres de séjour accordés sur la base d'un contrat de travail. Mais l'honnêteté intellectuelle commande que vous précisiez également que 70 % des personnes qui entrent en France au titre de l'immigration familiale travaillent. Il ne s'agit pas comme vous le dites d'immigration « subie ».
Le respect de la vie familiale est un droit que la France a inscrit dans ses principes fondamentaux, afin que nul ne puisse, au gré de la conjoncture, de ses calculs politiques ou de ses intérêts électoraux, y porter atteinte. Mais ce n'est pas seulement un droit, c'est également un gage essentiel d'intégration, pour tous ceux qui aspirent à s'insérer dans la société d'accueil au-delà du cadre de leur travail. Ici encore, ce texte va l'encontre des objectifs qu'il est censé poursuivre.
Par ailleurs, en durcissant les conditions du regroupement familial par un empilement de tracasseries administratives sans fondement, il y a un risque réel de favoriser l'immigration clandestine, car on ne peut pas durablement empêcher des familles de vivre ensemble. En matière de politique d'immigration, il faut que les contrôles et les restrictions soient justes ; sinon, ils font exploser l'inégalité.
J’ajouterai que le risque d'arbitraire et de sélection économique va toucher plus durement encore les femmes, et ce d'autant plus grand que la nature, le contenu comme les effets du dispositif sur l’évaluation de la langue française sont extrêmement vagues. Le flou est en effet entretenu concernant le niveau de connaissances exigible, les conditions de formation et le réseau utilisé pour dispenser celle-ci.
Ce texte peu réaliste dans les faits n’a en vérité pour seul objectif que d'exclure un maximum de personne de l'accès à ce droit au regroupement familial, pourtant élevé en principe général du droit par le Conseil d'État.
Vous avez d’ailleurs conscience de la complexité et de l’absurdité de cet article 1er, discriminatoire pour les Français eux-mêmes.
Vous avez créé une usine à gaz si intrusive pour la vie de nos concitoyens que vous avez dû créer cette exception de la carte « Talents et compétences ». Cela n’empêche, vous lésez les droits des étrangers et compliquez la vie des citoyens français qui ont le bonheur de vivre avec un étranger.
Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, nous vous demandons la suppression de l’article 1er. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Je suis saisi de deux amendements, nos 145 et 161, visant à supprimer l’article 1er.
La parole est à M. Jean-Paul Lecoq, pour défendre l’amendement n° 145.
S'ajoutant aux restrictions précédentes, ce projet de loi prévoit un nouveau durcissement du regroupement familial, qui symbolise aux yeux du Gouvernement une immigration « subie ». Mais soyons sérieux : selon le rapport au Parlement établi par le Comité interministériel de contrôle de l'immigration, le regroupement familial ne représente que 11 % des titres délivrés.
Les mesures incluses dans ce projet sont restrictives en matière de droits humains et sont régies par une politique d'immigration répressive, dont la logique est incompatible avec les normes internationales sur l'obligation de respecter les droits humains.
Je citerai une phrase du très beau texte écrit par Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau : « Chaque fois qu'une culture ou qu'une civilisation n'a pas réussi à penser l'autre, à se penser avec l'autre, à penser l'autre en soi, ces raides préservations de pierres, de fer, de barbelés, ou d'idéologies closes, se sont élevées. Ces refus apeurés de l'autre, ces tentatives de neutraliser son existence, même de la nier, peuvent prendre la forme d'un corset de textes législatifs, l'allure d'un indéfinissable ministère, ou le brouillard d'une croyance transmise par les médias qui, délaissant à leur tour l'esprit de liberté, ne souscrivent qu'à leur propre expansion à l'ombre des pouvoirs et des forces dominantes. »
La mesure que vous nous proposez ne présente aucun intérêt au regard de la finalité d'intégration ; elle apporte seulement une réponse idéologique – quand c’est vous, précisément, qui nous accusez d’idéologie – à la question de l'immigration. Nous vous demandons donc de retirer l’article 1er.
Pour ceux qui n’ont pas eu le temps de lire le rapport, je voudrais rappeler ici quelques vérités. Sommes-nous le seul pays en Europe à adopter cette démarche ? Non.
Concernant le niveau exigé, le rapport rappelle à la page 62 qu’il existe six niveaux linguistiques, classés de A1 à C2. Nous exigeons, mes chers collègues, le niveau A1.1, c'est-à-dire un niveau inférieur au niveau A1. Nos exigences sont donc très faibles, et l’on est par ailleurs en droit de s’interroger sur quelqu'un qui n’arrive pas à obtenir le niveau A1.1 en 180 heures de formation.
Enfin, nous sommes le seul de ces trois pays à offrir tout cela gratuitement. Si vous voulez apprendre le néerlandais, vous pourrez acheter au consulat des Pays-Bas, pour 65 euros, le kit de CD-Rom et le livre d’apprentissage de la langue. Vous paierez en plus 350 euros chaque fois que vous passez l’examen de niveau de langue. J’ajoute que certains critiquent le réseau des alliances françaises, des centres culturels et de l’ANAEM, mais que le réseau permettant d’apprendre le néerlandais dans le monde me paraît un peu plus restreint que celui permettant d’apprendre le français. Quant à l’Allemagne, le coût de l’examen y est de 50 euros, et il faut par ailleurs payer sa formation.
Ce que nous votons n’est donc pas une nouveauté en Europe. La plupart des pays arrivent à la même conclusion : il faut, pour s’intégrer, apprendre la langue nationale.
Avons-nous, contrairement à nos voisins européens des exigences extraordinaires ? Non. Nous sommes les seuls à proposer des cours gratuits.
Il faut donc voter contre ces amendements qui remettent en cause l’essentiel du dispositif.
Par ailleurs, aux Pays-Bas et en Allemagne, la gauche a voté ces dispositions. Alors, monsieur Mamère, je ne sais pas si mes amendements sont crapuleux et nauséabonds, je sais simplement que nous avons dans notre pays la gauche la plus archaïque, la plus sectaire et la plus à la remorque de certains groupuscules d’extrême gauche. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Vous êtes en train de le prouver en repoussant ce que vos amis européens ont accepté, parce qu’ils ont compris que la maîtrise de la langue c’est la liberté et la meilleure garantie d’émancipation. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
S’agissant d’évaluation et de formation, je précise qu’il n’y aura aucun refus de visa pour ceux qui se conformeront au dispositif. Cela signifie que le droit au regroupement familial ne sera en aucun cas touché.
Vous avez par ailleurs cité le cas de la Hollande. Comme l’a précisé M. Braouezec, si le paiement y a été décidé, ce fut sous la pression de l’extrême droite,...
Je citerai à cet égard, monsieur Mariani, un rapport de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France, qui, reconnaissez-le, n’est pas du tout un groupuscule d’extrême gauche. Portant sur l’intégration linguistique des migrants adultes, on peut lire dans ce document, en page 26 : « La question de l’obligation linguistique en soi a suscité des interrogations : comment se justifie le choix du niveau linguistique requis ? Comment identifier les besoins réels des migrants pour la participation à la vie en société et pour l’emploi ? Comment lier le/les niveau(x) requis à ces besoins et comment établir des objectifs réalistes en fonction des besoins et des capacités des personnes ?
« Dans quelle mesure le volume horaire retenu permet-il d’atteindre le niveau requis ? Le coût de la formation, quand il est supporté par le migrant,... »
Vous n’avez même pas évalué les effets de ce que vous avez mis en place voilà un an, c’est-à-dire le contrat d’accueil et d’intégration, ainsi que le dispositif de formation linguistique de l’ACSE. Avant de nous convoquer en session extraordinaire pour débattre des questions du regroupement familial et de l’obligation à connaître la langue française et les valeurs de la République, il aurait été bien évidemment nécessaire de dresser un bilan de ces deux dispositifs complémentaires.
À propos justement des valeurs de la République, nous avons déposé un certain nombre d’amendements, car chacun comprend bien qu’elles peuvent être interprétées de différentes manières. Ces valeurs de la République, à caractère universel, sont là pour répondre à l’arbitraire. À cet égard, il est très amusant d’entendre M. le ministre de l’immigration prétendre que si les dossiers des demandeurs sont conformes, ceux-ci auront leur visa.
Vous avez par ailleurs affirmé que les migrants n’auraient rien à payer. On peut pourtant lire dans votre rapport, à la page 71, que « le coût prévisionnel du dispositif est évalué à 17,5 millions d’euros par an », ajoutant qu’il « s’agit donc d’un simple transfert de la France vers l’étranger de dépenses déjà assumées par l’agence », à savoir l’ANAEM, et que, « afin de financer ce surcoût, plusieurs recettes nouvelles sont envisagées, telles que l’augmentation de la taxe sur les attestations d’accueil ou des frais de dossier pour les visas long séjour ». Qui va payer, sinon les migrants ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
J’approuve les conventions qui sont en cours avec divers pays d’Afrique, car je suis très favorable au codéveloppement. Tout le monde peut en effet y gagner. Cela permettrait, en particulier, d’éviter que la misère ne conduise nombre d’enfants africains à ne même pas pouvoir – comme le soulignait M. Mamère – se rendre là où l’on procède au test ADN, si jamais cette disposition...
Ensuite, la République gagnerait si la formation à la langue et aux valeurs de République, qui imprègnent l’existence quotidienne en France et qui ne peuvent s’acquérir par un simple cours sauf à n’enseigner que quelques bribes à des jeunes qui arrivent avec leur propre culture et leur propre conception de la communauté, n’était pas exigée au préalable, c’est-à-dire avant que l’on autorise ces enfants à rejoindre leur famille. Je le répète, la République y gagnerait si on les formait à ses valeurs, y compris en Afrique.
Vous avez cru bon, monsieur le ministre – mais ne prenez pas cela comme une attaque –...
Il s’agit, pour vos statistiques, monsieur le ministre, de réduire l’immigration familiale, parce que c’est elle qui pose aujourd’hui un problème en France par son volume. Mais pour la réduire, vos solutions sont inavouables, car, ce faisant, c’est à une conception d’enfermement que vous conduisez la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)
En défendant ce texte, vous leur dites, au fond, que, puisqu’elles ne maîtrisent pas notre langue, voire qu’elles ne savent ni la lire ni l’écrire, elles ne peuvent être considérées comme de bons citoyens sur le sol français. Voilà l’image désastreuse que vous renvoyez à ces personnes. Or on en connaît tous : aucun d’entre vous ne peut aujourd’hui prétendre ne pas avoir connaissance de personnes qui sont bien intégrées dans la vie de la cité et dans le monde du travail...
Puisque l’heure s’y prête, je vous raconterai une petite histoire, monsieur Mariani. Lorsque j’ai été élu maire la toute première fois, il m’a manqué une voix du conseil, alors que tous les maires adjoints firent par la suite le plein des voix. Je me suis dit que c’était dû probablement à quelqu’un à qui j’avais dû déplaire et qui me le faisait payer.
J’oubliais l’affaire, mais voilà que, un an plus tard, une conseillère municipale vint me voir pour m’en expliquer la raison : s’il m’avait manqué une voix, c’était la sienne, tout simplement parce qu’elle n’avait pas su écrire mon nom. D’origine étrangère, elle rencontrait en effet quelques difficultés à maîtriser la langue française. Vous me direz peut-être que Braouezec, ce n’est pas vraiment français, et qu’il conviendrait donc de me soumettre au test que vous préconisez ? Il est vrai que les Bretons qui arrivaient autrefois dans la région parisienne finissaient, à force de demander du pain et du vin dans les bistrots, par « baragouiner », faute de parler correctement le français et encore moins de le lire.
Imaginez donc l’image que vous renvoyez de leurs conditions à ces centaines de milliers de personnes qui vivent depuis des décennies sur ce territoire et qui, en républicains, respectent la République ! Ils ne pourront que considérer être bafoués par ce texte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
(Ces amendements ne sont pas adoptés.)
La parole est à M. Patrick Braouezec, pour le défendre.
(L’amendement n’est pas adopté.)
La parole est à M. Claude Bodin, pour le soutenir.
Monsieur le ministre, ces amendements, qui tendent à substituer au mot : « intégration » le mot : « assimilation » sont, ne nous y trompons pas, plus politiques que sémantiques. Ces deux termes ne sont, en effet, pas neutres et reposent sur des philosophies politiques différentes.
L’intégration exprime une dynamique d’échange dans laquelle chacun accepte de se constituer partie d’un tout où l’adhésion aux règles de fonctionnement et aux valeurs de la société d’accueil et le respect de ce qui fait l’unité et l’intégrité de la communauté n’interdisent pas le maintien des différences.
Le terme « intégration » intègre la notion de communautarisme où les diverses cultures et ethnies cohabitent sur un même territoire en conservant leurs spécificités, conduisant ainsi à la constitution de ghettos, à la juxtaposition de blocs pouvant devenir antagonistes.
L’assimilation, en revanche, consiste à favoriser l’insertion des individus au sein de la collectivité nationale dans laquelle ils doivent se fondre à terme. Contrairement au communautarisme, l’assimilation est davantage compatible avec la démocratie : elle suppose que tous partagent un projet commun, des valeurs communes, ce qui, monsieur le ministre, correspond, me semble-t-il, à l’esprit de la loi que vous nous proposez.
L’article 21-24 du code civil fait de l’assimilation une condition de la naturalisation. Nous ne parlons pas ici du droit de la nationalité mais d’immigration. En la matière, seule la condition d’intégration peut être prise en compte. Pour les raisons que j’ai déjà indiquées en commission, l’avis est également défavorable sur les autres amendements défendus par M. Bodin.
Eunice Barber, monsieur Mamère, avait eu la chance de venir à plusieurs reprises en France, à Reims en particulier, pour suivre des stages qui lui ont permis d’appréhender les notions de base du français.
(L’amendement n’est pas adopté.)
La parole est à M. Patrick Braouezec, pour le soutenir.
Je suis saisi d’un amendement n° 18, qui fait l’objet d’un sous-amendement n° 265.
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n° 18.
En revanche, comme M. Braouezec, nous ne voyons pas pourquoi vous imposez cette obligation aux jeunes dès l’âge de seize ans plutôt que de dix-huit ans. Pour nous, le mineur a, dans tous les cas, droit au regroupement familial. Il n’y a donc pas lieu de poser ce type de condition.
(Le sous-amendement n’est pas adopté.)
(L’amendement est adopté.)
La parole est à M. Serge Blisko, pour le soutenir.
Actuellement, un étranger qui désire venir sur notre territoire va au consulat pour formuler une demande. Par notre proposition, nous ne changeons rien ; il passera le test sur-le-champ.
Il n’y aura pas de coût supplémentaire, puisque l’étranger passera le test lorsqu’il se rendra au consulat.
La densité du réseau des centres culturels, des alliances françaises, mais aussi d’organismes privés permettra de faire suivre cette formation, qui dure de 80 à 120 heures.
Cela entraînera-t-il un surcoût ? Non ! Vous pensiez, monsieur Blisko, faire supporter le coût par la personne qui est candidate à l’émigration. Ce n’est pas la bonne solution, elle serait sans doute injuste.
Nous proposons que le surcoût soit financé par une élévation très modeste des droits de timbre exigés pour toute émigration. Ce sera donc réparti sur l’ensemble des candidats à l’émigration, et non simplement sur ceux qui bénéficient de cette formation. Le surcoût sera donc extrêmement limité.
(L’amendement n’est pas adopté.)
La parole est à M. Jean-Paul Lecoq, pour le soutenir.
L’impossibilité de suivre une formation dans le pays d’origine en raison du coût et des distances entraînera des refus de délivrance de visa. Il est pourtant illusoire de penser que les personnes accepteront une séparation familiale. Elles tenteront de venir en France sans passer par la procédure de regroupement familial et viendront grossir les rangs des sans papiers, exclus des dispositifs d’insertion.
Une des questions qui viennent naturellement à l’esprit est de savoir si cette connaissance de la langue sera exigée, quel que soit le pays de résidence et le niveau d’études et de qualification des personnes.
Le Monde diplomatique d’août dernier dans un article contre le « tout anglais », relatait l’histoire de Mme Russo, américaine de cinquante-quatre ans et présidente directrice générale de l’entreprise Alcatel, installée en France et relevant du droit français. Mme Russo a affirmé qu’elle n’avait aucune intention d’apprendre la langue de son pays d’accueil. Que se passera-t-il si Mme Russo demande un regroupement familial ? Le lui refusera-t-on ? Le refus est-il réservé à certains pays du Sud et non aux pays dits développés ?
Comme nous le savons, dans les pays du Tiers-monde ou du Sud, le niveau d’alphabétisation est minimal et la plupart des populations, suite aux politiques imposées par les institutions financières internationales, obligeant à une réduction drastique des budgets d’éducation et de culture n’ont pas accès au droit fondamental qu’est l’éducation.
De fait, il paraît absurde et démesuré d’exiger préalablement une connaissance de la langue, d’autant plus que cette évaluation doit se faire dans le pays de résidence. Cette évaluation risque de laisser la porte ouverte à tout type d’arbitraire de la part des fonctionnaires en charge de cette formation-évaluation et à des dérives discriminatoires. Cette évaluation fait plus penser à un désir d’imposer une nouvelle forme de colonialisme au détriment du droit de vivre en famille.
Dans son rapport sur « L’intégration linguistique des publics migrants », la Délégation générale à la langue française et aux langues de France mentionne page 27 : « La question de l’obligation linguistique en soi a suscité des interrogations : comment se justifie le choix du niveau linguistique requis ? Comment identifier les besoins réels des migrants pour la participation à la vie en société et pour l’emploi ? Comment lier le ou les niveaux requis à ces besoins et comment établir des objectifs réalistes en fonction des besoins et des capacités des personnes ?
Dans quelle mesure le volume horaire retenu permet-il d’atteindre le niveau requis ? Le coût de la formation, quand il est supporté par le migrant, n’est-il pas un facteur de discrimination pour les personnes de condition modeste ? Comment justifier l’examen de langue et les niveaux variables fixés par les pays ? L’examen de langue ne constitue-t-il pas un stress qui diminue d’autant le bénéfice de la formation ? » À toutes ces questions de fond, il ne peut être répondu par une mesure lapidaire.
Nous vous demandons de faire cette formation en France, où les choses seront mieux maîtrisées.
Si l’on adoptait l’amendement n° 228, il n’y aurait alors plus de différence avec le régime actuel du contrat d’accueil et d’intégration.
Je souhaite rassurer M. Lecocq, représentant du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, qui s’inquiète pour Mme Russo. Dans la loi, il existe la procédure de salariés en mission. Ils sont exemptés de la formation linguistique. Elle ne sera donc pas obligée d’apprendre le français.
Puisque vous défendez maintenant le PDG d’Alcatel, je vous indique que Mme Russo pourra faire venir sa famille, puisqu’elle bénéficiera également d’une procédure dérogatoire pour le regroupement familial.
(L’amendement n’est pas adopté.)
La parole est à M. Noël Mamère, pour le soutenir.
Dans le cadre du contrat d’accueil et d’intégration, il existe déjà un outil d’évaluation – l’Agence nationale d’accueil des étrangers et des migrations. Ne serait-il pas souhaitable de procéder à une évaluation, afin d’améliorer son fonctionnement – il n’en existe toujours pas.
Si l’évaluation est négative, vous imposez au candidat à l’émigration la formation dans le pays d’origine. En refusant le visa à cette personne, vous attentez à un certain nombre de droits fondamentaux reconnus notamment par l’article 8 de la Convention européenne pour la protection des droits humains et des libertés fondamentales et par la Charte des droits fondamentaux.
Nous réclamons que la formation se passe dans le pays d’accueil, en immersion. Ce faisant, vous feriez un geste positif et fort en direction de l’aide au regroupement familial, plutôt que d’imposer de nouvelles barrières. Ce texte ne vise pas à l’intégration mais au rejet. Vous considérez, monsieur le rapporteur, l’article 1er, comme fondamental. Cela montre l’esprit dans lequel vous vous trouvez.
Nous proposons d’ajouter à la fin de la première phrase de l’alinéa 2 de l’article 1er après le mot : « résidence » ; les mots : d’une aide à l’apprentissage du français, s’il y a besoin. »
Un certain nombre d’hommes et de femmes sont venus en France au début du siècle dernier. On est parfois allé chercher des hommes pour travailler et l’on n’a alors pas exigé qu’ils parlent et lisent couramment le français. Nous avons tous eu l’occasion de rencontrer dans le cadre de nos mandats locaux des ressortissants de pays, y compris de l’Union européenne, qui ont le droit de vote lors des élections locales. Certains d’entre eux parlent fort mal notre langue, alors qu’ils sont là parfois depuis plusieurs décennies et ne savent pas lire le français. Pourtant, ils sont intégrés dans notre pays et participent à sa richesse.
Ce projet de loi est orienté sur le « deux poids, deux mesures ». Vous n’aimez pas les couleurs de l’immigration d’aujourd’hui. (Murmures sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Vous ne voulez pas de ceux qui fuient leur pays, soit parce qu’ils sont victimes du sous-développement, soit parce qu’ils sont victimes de la tyrannie, souvent des deux à la fois, et des candidats au regroupement familial. Vous n’en voulez pas parce qu’ils ne nous ressemblent pas et ne correspondent pas à l’émigration que nous avons connue au début du siècle avec des blancs judéo-chrétiens et européens.
Les demandeurs d’asile ne sont soumis à aucune obligation linguistique. Toute personne réellement persécutée dans son pays a sa place en France.
Si votre amendement était adopté, il supprimerait toute obligation de formation et priverait le texte de son utilité.
Monsieur Mamère, je ne peux pas vous laisser dire que les lois précédentes n’ont pas été évaluées. C’est faux.
En vertu de la résolution Warsmann, j’ai fait deux rapports sur la loi de 2003. Le premier soulignait son application partielle, le second constatait sa totale application.
Vous prétendiez qu’aucun bilan n’avait été tiré du contrat d’accueil et d’intégration. C’est également faux. À la page 63 de mon rapport, figurent les premiers résultats. Pour le département de la Gironde, quatorze personnes l’ont réussi les six premiers mois et une a échoué.
On pourrait vous prendre à votre propre jeu. Vous proposez dans ce texte que l’OFPRA ne soit plus sous la responsabilité du ministère des affaires étrangères, mais sous celle du ministère de l’immigration. Vous instaurez donc la confusion entre l’immigré et le demandeur d’asile.
Les Polonais qui sont venus travailler dans les mines, parce que l’on avait besoin de bras n’étaient pas des demandeurs d’asile ; certains de leurs enfants sont aujourd’hui maires de villes du Nord.
Vous nous dites avoir fait des rapports. C’est très bien.
Vous prétendez que l’immigration familiale est extrêmement dangereuse, qu’il s’agit d’une menace pour notre pays. Rapport pour rapport, je préfère me référer à celui établi par le Comité interministériel de contrôle de l’immigration. Il indique que le regroupement familial ne représentait que 23 717 premiers titres de séjour en 2005, contre 30 118 en 2002. Sur près de 20 000 titres de séjour délivrés en 2005 toutes catégories confondues, le regroupement familial ne représente que 11 % des titres délivrés.
Par ailleurs, le Comité interministériel de contrôle de l’immigration précise que le regroupement familial « est appelé à diminuer au cours des prochaines années en raison de l’attrition progressive de ses sources. Les demandeurs de regroupement sont en effet des personnes entrées en France de longue date, y compris il y a plus de trente ans pour certains d’entre eux. Le vieillissement de ces générations d’immigrants conduit à la diminution rapide du nombre des membres de leur famille qu’ils sont susceptibles de faire bénéficier du regroupement. »
Telles sont les observations du comité interministériel de l’immigration. Or vous nous racontez, à coups de lois qui se succèdent depuis 2003, que l’immigration est un danger, alors même qu’il s’agit ici d’immigrés régulièrement installés dans notre pays, et non d’immigration clandestine. En vérité, vous agitez l’épouvantail de l’immigration, sujet commode pour faire oublier les turpitudes gouvernementales ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Il serait préférable, monsieur Mariani, que nous attendions l’évaluation à laquelle, je crois, nous procéderons ensemble. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
(L’amendement n’est pas adopté.)
La parole est à M. Jean-Paul Lecoq, pour le soutenir.
Les valeurs ne sont que des symboles : aussi, ne peut-on les déclarer universelles. Il y a dans ce concept revendiqué depuis un certain temps un relent identitaire sans réel contenu, si ce n’est une tentative d’imposer une vision dominatrice et hégémonique de la France et de l’Occident.
Je ne peux que m’interroger sur ce qu’entend ce Gouvernement par « valeurs républicaines ». Renvoient- elles aux expulsions massives – je pense à celles qui ont eu lieu cet été ? Aux chasses à l’enfant dans les écoles ou à leur sortie ? Aux contrôles policiers au faciès dans les banlieues – indispensables pour atteindre l’objectif de 25 000 expulsions ? Renvoient-elles aux nombreux cadeaux fiscaux et financiers dont bénéficient les riches au détriment des populations modestes ? À la destruction du système de santé et à la privatisation de l’assurance maladie ? Aux nombreux licenciements de salariés dans des entreprises réalisant des bénéfices exorbitants et que les patrons quittent avec des sommes colossales ?
Renvoient-elles à l’institutionnalisation de la xénophobie dont font mention plusieurs rapports du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, y compris de la Commission de droit international ? À la discrimination des migrants, des jeunes, de leurs parents, d’une grande partie de la société, mais aussi des mouvements sociaux et des pauvres ? Au choc des civilisations et à l’utilisation faite de la lutte contre le terrorisme ? Aux décisions d’un maire d’utiliser contre les sans-logis un produit répulsif ?
Renvoient-elles à l’interdiction d’aimer un sans-papiers mais aussi aux menaces adressées par un préfet à toute personne prenant sous sa protection un enfant de parent sans-papiers ? Au non-respect du droit international et à la violation du principe d’autodétermination des peuples tel que cela a été rappelé par la Cour internationale de justice – je pense au tramway de Jérusalem, dont le contrat a été signé entre l’État israélien, Alstom et la Connex, deux entreprises françaises, qui participent de ce fait à la légitimation de l’occupation du territoire du peuple palestinien ?
Renvoient-elles aux valeurs des entreprises françaises qui pillent les ressources naturelles de nombreux pays – je pense à la Bolivie avec Veolia pour l’eau, au Niger avec Suez pour l’extraction de l’or ou à l’Argentine avec Suez pour l’eau ? Aux activités de Total en Birmanie qui ont conduit à des crimes aussi graves que l’esclavage, le travail forcé, les exécutions sommaires, ou encore au déplacement forcé de populations et à la destruction de l’environnement et de l’écosystème ?
Vous comprendrez, dès lors, que nous demandions la suppression de ces termes dans la mesure où ces fameuses valeurs sont bien opaques. Si, pour ce Gouvernement, ce sont là les valeurs de la République, alors nous n’en avons pas la même conception.
(L’amendement n’est pas adopté.)
La parole est à M. Jean-Philippe Maurer, pour le soutenir.
Vous l’aurez compris, la première marche de la France pourrait s’exprimer avec la Marseillaise. Rappelons-nous que les jeunes d’antan devaient la chanter lors du certificat d’études. Quelle belle occasion de faire entendre notre hymne national partout dans le monde ! Je vous remercie par avance de l’intérêt que vous porterez à ma proposition de faire apprendre à ceux qui veulent rejoindre notre pays le refrain et le premier couplet de notre hymne national.
(L’amendement n’est pas adopté.)
(L’amendement n’est pas adopté.)
La parole est à M. Noël Mamère, pour le soutenir.
(L’amendement n’est pas adopté.)
La parole est à M. Nicolas Perruchot, pour le soutenir.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi, n° 57, relatif à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile :
Rapport, n° 160, de M. Thierry Mariani, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République ;
Avis, n° 112, de M. Philippe Cochet, au nom de la commission des affaires étrangères.
À quinze heures, deuxième séance publique :
Suite de l’ordre du jour de la première séance.
À vingt et une heures trente, troisième séance publique :
Suite de l’ordre du jour de la première séance.
La séance est levée.
(La séance est levée, le mercredi 19 septembre 2007, à une heure.)
Le Directeur du service du compte rendu intégral
de l’Assemblée nationale,
Jean-Pierre Carton