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SOMMAIRE
Présidence de M. Marc Laffineur
1. Création d'une commission d'enquête sur les conditions de libération des infirmières bulgares (n° 273)
M. Roland Blum, rapporteur de la commission des affaires étrangères.
M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères.
M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes.
Discussion générale
MM. Claude Goasguen,
Pierre Moscovici,
Alain Bocquet,
François Rochebloine,
François Loncle.
M. le ministre.
Article unique
Explications de vote
MM. Noël Mamère, Claude Goasguen.
Adoption de l’article unique de la proposition de résolution.
2. Convention fiscale France-Japon (nos 185, 241)
Article unique. – Adoption
3. Accord France-Italie relatif au tunnel routier de Tende (nos 179, 272)
Mme Rama Yade, secrétaire d’État chargée des affaires étrangères et des droits de l’homme.
M. Jean-Claude Guibal, rapporteur de la commission des affaires étrangères.
Discussion générale
MM. Alain Bocquet,
Michel Bouvard.
Mme la secrétaire d’État.
Article unique
Explications de vote (p.
MM. Noël Mamère, François Loncle.
Adoption de l’article unique du projet de loi.
4. Ordre du jour des prochaines séances
(La séance est ouverte à quinze heures.)
Discussion d’une proposition de résolution
tendant à la création d’une commission d’enquête
Le rapport de la commission porte sur les propositions de résolution déposées, d’une part, par M. Jean-Marc Ayrault et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, d’autre part, par M. Alain Bocquet.
La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires étrangères.
Cette affaire a lourdement pesé sur les relations de la Libye avec les pays occidentaux, alors que celle-ci avait pourtant réalisé depuis quelques années des progrès dans la voie de la normalisation de ses relations avec eux : en particulier, les relations franco-libyennes étaient entrées dans une phase de relance depuis la conclusion, le 9 janvier 2004, d'un accord privé entre les familles des victimes de l'attentat contre le DC10 d'UTA et la Fondation Kadhafi. Mais ce que l’on a appelé « l'affaire des infirmières bulgares » empêchait d'avancer dans ce processus. La levée de cet obstacle devait donc permettre naturellement d'approfondir nos relations bilatérales, ainsi que les relations entre la Libye et l'Union européenne.
C'est justement la conclusion de mémorandums d'accord entre la France et la Libye au lendemain de la libération des soignants bulgares qui est à l'origine du dépôt des deux propositions de résolution que nous examinons aujourd'hui.
Je ne vais pas revenir en détail sur la chronologie de la détention du médecin et des cinq infirmières. Je rappelle seulement qu'ils ont été arrêtés, l’un, fin janvier 1999, les autres, début février de la même année, et accusés d'avoir sciemment transmis le virus du SIDA à 426 enfants traités à l’hôpital de Benghazi. Bien que plusieurs experts, parmi lesquels le professeur Luc Montagnier, aient conclu à une contamination des enfants causée par de mauvaises conditions sanitaires, et alors même que les accusés n'avaient jamais soigné certains des petits malades, ils ont tous les six été condamnés à mort le 6 mai 2004. Après un recours devant la Cour suprême libyenne, ils ont été rejugés et à nouveau condamnés en décembre 2006, peine confirmée définitivement par la Cour suprême le 11 juillet 2007.
Les mauvais traitements qu'ils ont subis pendant leur détention et le fait que leurs aveux aient été obtenus par la torture ont entraîné une mobilisation de l'opinion publique et de la communauté internationale. Mais ni les autorités bulgares, ni les États ayant successivement présidé l'Union européenne, ni la commissaire européenne chargée des relations extérieures n'étaient parvenus à obtenir leur libération.
Ce n'est qu'après la confirmation de la seconde condamnation à mort par la Cour suprême que le processus s'est accéléré : dès le lendemain, Mme Cécilia Sarkozy a effectué une visite en Libye pour rencontrer les six condamnés, les familles des enfants contaminés et le colonel Kadhafi ; trois jours plus tard, les familles ont accepté un dédommagement d'un million de dollars par enfant contaminé, ce qui représente 400 millions de dollars au total. L'extradition des cinq infirmières et du médecin ayant été accordée, ils ont finalement été transférés en Bulgarie le 24 juillet, dans l'avion de la présidence française par lequel Mme Ferrero-Waldner, Mme Sarkozy et le secrétaire général de l'Élysée, M. Claude Guéant, s'étaient rendus en Libye deux jours plus tôt. Les six condamnés ont été graciés et libérés dès leur arrivée à Sofia.
Les conditions dans lesquelles leur libération a été obtenue ont naturellement retenu l'attention des médias. Celle-ci s'est d'abord focalisée sur l'intervention de Mme Sarkozy et sur le rôle joué par le Qatar, qui aurait versé les 400 millions de dollars destinés aux familles. Puis elle s'est intéressée à la conclusion d'un mémorandum sur les relations entre la Libye et l'Union européenne, et aux contreparties que la France aurait accordées à la Libye. Selon certains, ces contreparties incluraient la signature d'un mémorandum d'accord sur le nucléaire civil portant sur la fourniture d'un réacteur nucléaire permettant de dessaler de l'eau de mer, ainsi que la signature d'un contrat d'armement. La prétendue existence de ce contrat a été annoncée par l'un des fils du colonel Kadhafi, qui a précisé, dans un second temps, que ce n'était pas une contrepartie à la libération des soignants bulgares.
Les deux propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête portent précisément sur les conditions de la libération des six Bulgares et sur les éventuelles contreparties accordées à la Libye par la France.
Selon l'exposé des motifs, la commission d'enquête demandée par la proposition de résolution no 150 du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et apparentés porterait « sur les conditions exactes de la libération des otages de Libye et sur les protocoles d'accord – mémorandum – entre la France et la Libye qu’a conclus le Président de la République à Tripoli au lendemain de cette libération ».
La proposition de résolution de M. Alain Bocquet vise à « savoir à quoi s'est en fait engagé notre pays » alors que règne « le flou autour de cette affaire ».
Il apparaît en outre que les deux propositions de résolution remplissent les trois conditions nécessaires à leur recevabilité : il n'y a pas eu de commission d'enquête sur le même sujet au cours de l’année passée ; les faits en cause ne font pas l'objet de poursuites judiciaires ; les propositions déterminent avec précision les faits qui donnent lieu à enquête.
Seule l’une des deux propositions devant être adoptée, puisqu'il n'est pas question de créer deux commissions d'enquête, la commission des affaires étrangères a retenu la proposition n° 150 car celle de M. Alain Bocquet vise notamment « les conséquences susceptibles de résulter » des accords conclus,…
Sur ma proposition, la commission des affaires étrangères a modifié la rédaction de l'article unique de la proposition de résolution no 150 sur deux points, et a précisé son titre : dans le dispositif, la commission a remplacé le terme d' « otages », qui était impropre puisque les personnes étaient emprisonnées dans le cadre de poursuites judiciaires, par celui de « détenus », et a clarifié la rédaction de la fin de l’article ; elle a aussi complété le titre qui ne mentionnait que les infirmières et pas le médecin, et a souhaité qu'il évoque seulement les accords franco-libyens récents et non tous les accords conclus entre les deux pays depuis qu'ils ont des relations diplomatiques. Ces modifications ne visent nullement à changer l'objet de la résolution, mais seulement à rendre celle-ci plus claire.
La commission des affaires étrangères a donc adopté la proposition de résolution n° 150 ainsi modifiée, et vous demande, mes chers collègues, de faire de même. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
L'affaire était délicate et les tentatives menées par différents États et l'Union européenne n'avaient pas conduit jusque-là à la libération des prisonniers. Le fait que celle-ci ait finalement été obtenue dans la semaine qui a suivi la confirmation de leur seconde condamnation à mort, et à l'issue de deux visites de l'épouse du chef de l'État et du secrétaire général de l'Élysée à Tripoli, a suscité de nombreuses interrogations.
Devant la commission des affaires étrangères, monsieur le ministre, vous êtes venu le 31 juillet dernier apporter des précisions sur les modalités de financement du fonds d'indemnisation des familles et des enfants victimes du SIDA, mais également sur le mémorandum concernant les relations entre la Libye et l'Union européenne ainsi que sur le mémorandum d'accord sur le nucléaire civil entre la France et la Libye.
Toutefois, en dépit de ces éclaircissements, deux propositions de résolution ont été déposées, visant à créer une commission d'enquête sur les conditions de libération des infirmières et du médecin détenus en Libye, l'une par le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et apparentés, l'autre par notre collègue Alain Bocquet. Puisque ces propositions de résolution étaient juridiquement recevables, comme le rapporteur de la commission des affaires étrangères l'a montré, seules des considérations d'opportunité auraient pu conduire à les rejeter. De telles considérations sont régulièrement mises en avant pour écarter des propositions de résolution déposées par l'opposition : au cours des législatures précédentes, les majorités successives ont utilisé cet argument, souvent de manière fondée, mais parfois pour éviter d'attirer l'attention d'une commission d'enquête et donc de l'opinion publique sur des événements peu glorieux pour la République.
Dans le cas présent, et bien qu'un grand nombre de personnes de nationalité et de statut différents soient intervenues dans cette libération, la commission des affaires étrangères a jugé légitimes les demandes formulées par l'opposition et a souhaité que cette commission d'enquête voie le jour. Elle a dû choisir l'une des deux propositions – comme l’a rappelé Roland Blum – puisqu'elles avaient toutes les deux le même objet, mais l'adoption de la proposition déposée par le groupe socialiste satisfait, à notre connaissance, pleinement la demande de M. Bocquet.
Il me semble très important que notre assemblée fasse la lumière sur les conditions de la libération des infirmières et du médecin, car, comme le Président de la République l'a souhaité, la République doit être irréprochable. Le même souci d'établir la vérité animera, j'en suis sûr, l'ensemble des trente membres, issus de tous les groupes parlementaires, que comptera la commission d'enquête. Je ne doute pas que ses travaux se dérouleront dans une atmosphère courtoise et constructive, et que les enjeux de fond l'emporteront sur les éventuelles questions de personnes. C'est dans cet esprit, et conformément à la décision prise par la commission que je préside, que je suis favorable à la création d’une telle commission d'enquête. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire, du groupe Nouveau Centre et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Rappelons d’abord une évidence : cette libération est un grand succès pour notre pays et pour l’action du Président de la République. Bien entendu, nous n’avons pas été les seuls impliqués dans cette longue négociation qui a mobilisé les efforts des Européens – en particulier ceux de la présidence allemande et ceux de la commissaire Benita Ferrero-Waldner. Mais, en fin de parcours, dans les derniers moments décisifs, dans la nuit décisive, notre contribution, celle de la France, a été essentielle pour mettre fin au calvaire de ces cinq femmes et de cet homme détenus depuis huit ans, sans raison.
Pour mieux comprendre ce dénouement, il faut se pencher sur l’histoire récente des relations franco-libyennes. Ces relations ont été heurtées, il n’est pas question de l’oublier.
Il n’est pas davantage question d’oublier que la Libye a, dans le passé, montré un intérêt suspect pour le développement clandestin de programmes d’armes de destruction massive.
Mais, à partir de 1999, ce pays a opéré des revirements spectaculaires et a accepté, par étapes, de se conformer aux exigences internationales, qu’il s’agisse d’indemniser les victimes de l’attentat – les derniers dossiers sont en voie de règlement – ou de renoncer volontairement à ses programmes de développement d’armes de destruction massive. La Libye d’aujourd’hui n’est plus celle d’hier. La communauté internationale en a pris acte depuis longtemps déjà : les sanctions onusiennes ont été levées, l’embargo européen n’est plus.
La Libye est donc revenue au sein de la communauté internationale. Nos principaux partenaires européens, qu’il s’agisse de la Grande-Bretagne, de l’Italie ou de l’Allemagne, ont renoué avec elle un partenariat actif. À Luxembourg, le 15 octobre, c'est-à-dire lundi prochain, les Vingt-sept devraient adopter des conclusions pour la relance des relations entre la Libye et l’Union européenne. Quant aux États-Unis, ils opèrent aussi un rapprochement, puisque la nomination d’un ambassadeur est annoncée.
Ce retour de la Libye au sein de la communauté internationale est une bonne nouvelle comme il y en a peu dans la vie internationale. C’est une bonne nouvelle pour la Libye, qui, en échangeant avec le reste du monde, s’ouvre à de nouveaux projets et idées. C’est aussi une bonne nouvelle pour le Maghreb et pour la Méditerranée – une partie du monde dont le développement représente une priorité absolue pour la France et pour l’Europe.
À cet égard, il est encourageant de constater que la Libye marque son intérêt pour l’Union euro-méditerranéenne, alors qu’elle était jusqu’alors restée en marge de ce partenariat. Comment pourrions-nous envisager des projets concrets concernant la pollution de la Méditerranée ou le sauvetage en mer, comme nous souhaitons le faire dans le cadre de l’Union, en tenant la Libye à l’écart ? Comment pourrions-nous réfléchir sérieusement au sort des migrants d’Afrique, et tenter d’apporter une réponse adaptée à ce drame, sans discuter avec la Libye, l’un des principaux pays de transit ? Et ne devons-nous pas approfondir encore notre dialogue avec la Libye sur les grandes crises qui affectent l’Afrique, à commencer par celle du Darfour, la plus aiguë d’entre-elles ? (« Très juste ! », sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, nous ne pouvons ignorer l’évolution salutaire de la Libye quelles que soient les blessures et les cicatrices du passé. Compte tenu de l’importance particulière que revêtent le Maghreb et la Méditerranée pour notre pays, nous nous devions d’être au rendez-vous de la Libye avec la communauté internationale.
Je me souviens de la rencontre inattendue entre François Mitterrand et Mouammar Khadafi en Crète. Je me souviens que, en novembre 2004, Jacques Chirac se rendit en visite officielle en Libye. Son déplacement fut suivi par beaucoup d’autres. C’est ainsi que début 2005, Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la défense, relançait une coopération militaire entre nos deux pays. Je cite cet exemple à dessein, pour clarifier un point important : notre coopération militaire, qui avait cessé en raison des sanctions internationales, a été relancée dès la levée de celles-ci, donc bien avant la visite du Président de la République au mois de juillet dernier. Dans le domaine nucléaire, le Commissariat à l’énergie atomique a renoué le dialogue avec son interlocuteur libyen dès 2006.
La visite du Président de la République, si elle n’a été possible qu’après la libération du personnel médical bulgare – et j’y reviendrai – a emprunté des pistes déjà existantes et balisées. Il en va de même pour les accords conclus à cette occasion. S’inscrivant dans une continuité, cette visite a en effet permis de signer cinq textes portant sur les grands axes de notre coopération, en toute transparence.
En revanche, le mémorandum d’entente sur le nucléaire civil n’ayant pas le statut d’un accord gouvernemental, il n’avait pas vocation à être rendu public. Toutefois, j’ai dévoilé la teneur de cet accord à votre commission des affaires étrangères lorsque je me suis exprimé devant elle, le 31 juillet dernier.
L’accord de coopération en matière de défense comporte, comme c’est l’usage, une clause de confidentialité et ne peut être divulgué qu’avec l’agrément des autorités libyennes. Je suis heureux de vous apprendre que cet agrément nous ayant été signifié, l’accord vient d’être publié. Vous disposez donc de tous les éléments pour juger ce qui a été signé entre la Libye et la France, lors de la visite du Président de la République.
Que révèlent ces éléments ? J’ai signé un accord-cadre de partenariat global fixant les grands axes de notre coopération avec la Libye : culture, économie, éducation, formation, médecine, défense. Ce sont les domaines classiques d’échanges entre deux partenaires. De son côté, Jean-Marie Bockel a signé des conventions plus détaillées, notamment dans le secteur de la recherche scientifique et de l’enseignement supérieur.
Quant à l’accord de coopération dans le domaine de la défense que j’ai évoqué tout à l’heure et qui est désormais public, vous constaterez qu’il s’agit d’un accord classique, de portée générale, qui permet notamment d’engager des actions de formation et d’instruction. Contrairement à ce que certains prétendent, cet accord de défense pas plus que l’accord-cadre ne prévoient de clause d’assistance militaire en cas d’agression.
En revanche, il comporte un volet sur le partenariat industriel en matière de défense, lui aussi très classique. Il liste le champ des possibles, sans privilégier un secteur. Il revient aux industriels d’approcher les partenaires libyens éventuels, et il revient à l’État, au travers des mécanismes de contrôle de la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre, d’examiner au cas par cas les projets envisagés et de les autoriser – ou de les refuser – aux différents stades de leur avancement. Il ne s’agit pas là d’une nouveauté concernant la Libye. De tels contacts existent depuis la levée de l’embargo européen, et des contrats ont déjà été signés par des industriels français ou d’autres partenaires européens. Néanmoins, même si la question a déjà été posée et même si j’y ai déjà répondu, j’insiste : il n’y a pas eu de signature de contrat à l’occasion de la visite du Président de la République.
Pour autant, il existe des perspectives en matière de contrats d’armement avec la Libye. Nous n’avons rien à cacher. En 2006 et début 2007, la commission que je viens de citer, la CIEEMG, a autorisé des industriels à faire des offres et à conclure des accords. Ces autorisations sont données par l’État, au cas par cas, après un examen particulièrement rigoureux de leur conformité à nos engagements internationaux. Il appartient ensuite aux seuls industriels, s’ils le souhaitent, d’apporter plus de détails sur les négociations passées et en cours, et sur les livraisons de matériels. C’est dans ce cadre qu’a été annoncée la signature d’un contrat par une filiale d’EADS.
Enfin, j’ai signé un mémorandum d’entente sur le nucléaire civil. Il constitue une première étape et répond à l’intérêt manifesté par la Libye pour une coopération avec la France dans ce domaine. Ce type de coopération n’est pas limité à la Libye mais nous le proposons à plusieurs pays de la région : le Maroc, l’Algérie, la Jordanie, les Émirats arabes unis, pour ne donner que quelques exemples.
Ce texte et ces projets ont suscité une inquiétude qui ne nous semble pas justifiée. Le partenariat auquel nous sommes disposés à réfléchir avec la Libye est sûr. D’une part, si nous sommes amenés à signer un accord en bonne et due forme, celui-ci sera communiqué à nos partenaires d’Euratom. D’autre part, l’Agence internationale pour l’énergie atomique travaille dans de bonnes conditions en Libye – elle l’affirme – et nos activités potentielles dans le domaine nucléaire dans ce pays seraient placées sous le contrôle de cette agence. Ainsi, la nature de ce partenariat n’aurait rien de proliférant et chacun pourrait en être assuré.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, vous avez pu saisir, à travers ce bref exposé, l’exacte nature des relations entre la France et la Libye : elles sont normales, voire prometteuses, mais entourées de garanties sérieuses.
Pour autant, la visite du Président de la République n’aurait pas été possible si les infirmières et le médecin injustement détenus n’avaient pas été libérés. Malgré le rapprochement en cours entre nos deux pays, cette détention constituait, à nos yeux, un obstacle majeur à son approfondissement.
Vous souhaiterez sans doute me poser un certain nombre de questions sur les circonstances de cette libération. Je me tiens à votre disposition pour y répondre.
Mais pour finir, je voudrais vous dire ma fierté que la France ait contribué – avec d’autres, certes, mais de façon décisive – à ce dénouement heureux.
C’est l’honneur de la France d’être parvenue à faire fructifier ces efforts et d’avoir convaincu les autorités libyennes, en appuyant l’action de Mme Benita Ferrero-Waldner, commissaire chargée des relations extérieures. Pour aboutir à cette solution heureuse à la détention des soignants, la France et l’Union européenne ont suivi la même logique, qui relève d’une double solidarité : envers les enfants contaminés de Benghazi et leurs familles d’une part ; envers les infirmières et le médecin prisonniers, d’autre part.
Nous avons accepté de regarder en face la souffrance de ces familles dont les enfants avaient été infectés par le virus du Sida, et nous nous sommes efforcés d’y répondre. C’est pour cette raison que, de leur côté, les familles ont accepté de ne plus réclamer le prix du sang pour apaiser leur douleur.
Cette logique d’humanité nous a amenés, avec l’Union européenne, à soigner au mieux les enfants contaminés, sur place et parfois en Europe. Cette démarche de solidarité nous conduit aujourd’hui à envisager de renforcer notre coopération médicale avec la Libye en aidant l’hôpital de Benghazi.
C’est précisément parce que nous avons été capables de porter ce regard-là sur le drame de Benghazi, que nous avons pu demander à nos interlocuteurs libyens de considérer la tragédie des infirmières bulgares pour ce qu’elle était, et d’y mettre un terme. C’est ce qu’ils ont accepté de faire, et j’en suis heureux.
Tout d’abord, cette commission d’enquête marquera une étape importante : outre le problème, grave, de nos rapports avec la Libye, elle concerne plus généralement les relations entre le Parlement et l’exécutif à un moment où la commission présidée par M. Balladur réfléchit à la modernisation de nos institutions.
Du point de vue factuel – mot léger en la circonstance –, le Président de la République a eu une action décisive dans la libération espérée, préparée et négociée, des infirmières : nous ne pouvons tous – du moins je l’espère – que nous féliciter de constater que, dès les premiers jours de son arrivée à l’Élysée, il a tenu ses engagements sur ce point, qui n’était pas le plus facile. « Chaque fois, disait-il pendant la campagne, qu’une femme est martyrisée dans le monde, la France doit se porter à ses côtés. La France, si les Français me choisissent comme Président, sera aux côtés des infirmières bulgares condamnées à mort en Libye. »
Après les si nombreux discours qui avaient été tenus sur cette dramatique affaire, c’est par son investissement personnel et par son action que le Président de la République a permis une libération qui honore notre pays.
Cela ne pouvait rester sans réponse de notre part : nous ne pouvons pas accepter l’idée, formulée par des Libyens ou des Français, que la libération ait résulté d’un troc qui salirait notre image dans le monde. Le début de réponse que vous avez donné, monsieur le ministre, laisse à penser qu’il n’en est rien, ce dont, pour ma part, je n’ai jamais douté. Cependant, et je rejoins M. Moscovici sur ce point, la commission d’enquête auditionnera souverainement les personnes qui devront l’être. Et si, comme je l’espère, j’en fais partie, je n’entends pas perdre mon temps sur des échos parus dans la presse au sujet de telle ou telle personnalité – et vous non plus, monsieur Moscovici, si j’en crois vos dernières déclarations. Le sujet véritable sera l’examen de nos relations politiques avec un pays dont le moins que l’on puisse dire est qu’il n’a pas toujours une attitude conforme à ses discours.
Le second enjeu de cette commission d’enquête me paraît plus fondamental encore : les relations qui, je l’espère, vont s’établir entre le Parlement et l’exécutif. L’évolution n’est pas mineure pour nos institutions puisque, pour la première fois, une commission d’enquête va se saisir d’un problème de politique internationale : vous vous en êtes félicité, monsieur le ministre, et nous aussi. Il y a quelques années, la proposition faite par M. Mamère d’une commission d’enquête sur les conditions de libération otages du Liban avait été refusée. Je me souviens aussi qu’à la grande époque de la cohabitation, nous avions abordé le problème du Kosovo. Étant l’orateur du groupe libéral, je m’étais retrouvé bien isolé entre, d’un côté, le groupe du RPR qui tenait au domaine réservé du Président de la République, et, de l’autre, le groupe socialiste qui tenait à celui du Premier ministre. Notre pays avait ainsi réussi le tour de force de s’engager dans une action militaire et diplomatique de la plus haute importance sans que l’Assemblée nationale ait pu la voter ou même obtenir des informations avant la presse !
Je souhaite donc que la commission d’enquête sur les conditions de libération des infirmières bulgares nous permette d’en finir avec ce temps.
Il est donc temps de dire fermement que la politique étrangère doit aussi être débattue à l’Assemblée nationale.
Aussi, je suis fier que le groupe de l’UMP participe, avec l’ensemble des autres groupes de notre assemblée, à cette évolution institutionnelle, et plus particulièrement à cette commission d’enquête qui permettra d’éclairer l’opinion publique sur cette libération, qui honore la France, des infirmières bulgares.
Voilà pourquoi notre groupe votera bien entendu, et sans hésitation, la proposition de résolution présentée par nos collègues socialistes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire, du groupe Nouveau Centre et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Pourquoi, d'abord, une commission d'enquête sur ce thème ? Comme vous l’avez dit, monsieur le ministre des affaires étrangères, tout part de la situation, humainement très douloureuse, des infirmières bulgares et du médecin d’origine palestinienne, détenus injustement en Libye pendant plus de huit ans avant le dénouement heureux du 24 juillet dernier. La joie de cette libération et du retour dans leur pays de cet homme et de ces femmes, professionnels de la santé, dont chacun sait qu'ils étaient innocents, constitue un sentiment commun à tous les députés ici présents. C’est pourquoi j'y insiste après M. Goasguen : la commission d'enquête parlementaire ne doit pas être animée d’une volonté de critique systématique.
En premier lieu, la satisfaction de la libération des infirmières bulgares ne doit pas nous faire basculer dans la complaisance vis-à-vis du régime libyen, dans une sorte d'hommage que la vertu rendrait au vice.
Ces zones d'ombre, justement, quelles sont-elles ? J'en listerai quatre, qui pourront peut-être servir de pistes de travail pour la commission.
La première piste concerne le calendrier des négociations. Les autorités libyennes ont placé en détention les infirmières et le médecin travaillant à l’hôpital Al-Fatih de Benghazi le 9 février 1999. Cela n’a jamais suscité l’indifférence : les diplomaties européenne et française sont actives depuis plusieurs années déjà, et la libération des infirmières constitue, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, l’aboutissement d’un processus long et forcément complexe. L’une des tâches de la commission d’enquête sera donc de reconstituer la chronologie des négociations, d’en déterminer les tournants, les inflexions majeures, et de définir le rôle et l’importance exacte de la France dans ce cadre.
La deuxième piste, connexe à la première, est d'établir le rôle de chacun dans la libération. Dans le désordre : quel a été le rôle du Qatar ? Certains ont évoqué une médiation, d'autres un financement : le tableau n’est pas encore tout à fait clair. Quel a été le rôle des industriels français ? Des différents envoyés français ? De la diplomatie européenne et des présidences successives de l'Union ? Y a-t-il eu d'autres acteurs-clés ? Quel était leur statut ? Par souci d'efficacité peut-être – sans doute –, la diplomatie française a pu employer des canaux inhabituels dans le cadre des négociations avec le colonel Kadhafi. Je suis tout à fait d’accord sur ce point avec Claude Goasguen : l’important aujourd'hui est d'évaluer l'action diplomatique de la France, sur le plan de la méthode et de la forme. J'y vois une exigence démocratique, parce que cette question se rattache à la question de la représentation – donc de la légitimité – et qu’elle nous donne à tous une occasion de faire avancer les rapports entre le Parlement et l’exécutif sur ce sujet.
Troisième axe de travail, qui est sans doute l’axe central : quelles ont été les contreparties accordées à la Libye pour la libération des infirmières ?
Quelle est la nature de la coopération entre la France et la Libye dans le domaine nucléaire ? Le secrétaire général de l’Élysée, M. Claude Guéant, a évoqué le projet d’une nouvelle installation qui serait consacrée au dessalement de l’eau de mer pour la production d’eau potable, projet formalisé dans un « mémorandum d’entente sur la coopération dans le domaine des applications pacifiques de l’énergie nucléaire », et confié au constructeur français Areva. Dans la mesure où – c’est une litote – le régime libyen ne correspond pas exactement aux normes qui sont les nôtres en matière d’État de droit, nous devons être vigilants sur le contenu de cet accord et garantir sa conformité avec nos engagements dans le domaine de la non-prolifération nucléaire.
En ce qui concerne l’accord de coopération dans le domaine de la défense et du partenariat industriel de défense entre la République française et la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste, signé à Tripoli le 25 juillet 2007, le voile a été en partie levé sur cet accord avec la publication du décret, le 9 octobre, mais sa genèse reste à explorer – selon vous, elle avait commencé en 2004, et en 2006 pour le nucléaire – ainsi que son articulation avec la libération des infirmières et les perspectives en matière de défense.
La convocation d’une commission d’enquête parlementaire devrait aussi permettre d’en savoir plus sur les autres accords de coopération. Il lui faudra démêler, dans les contreparties accordées à la Libye, le commercial de l’humanitaire et l’industriel du médical.
J’en viens à la dernière piste à explorer. La commission d’enquête devra aussi examiner la nature des relations entre le régime libyen et la France. Il ne s’agit pas de remettre en cause les orientations de notre politique étrangère, car ce n’est pas le rôle d’une commission d’enquête, mais de comprendre les raisons et l’ampleur d’une réconciliation avec un régime controversé dont vous fûtes, monsieur le ministre, l’un des principaux contempteurs et qui, s’il ne fait plus l’objet d’un embargo sur les ventes d’armes depuis 2004, s’est affranchi des règles internationales pendant de nombreuses années. Cette évolution est sans doute salutaire, mais il reviendra à la commission d’examiner si la France a obtenu de la Libye des garanties suffisantes en matière de respect des droits de l’homme et du droit international, pour déterminer jusqu’où peut aller notre coopération avec le régime libyen.
J’aimerais dire quelques mots sur l’état d’esprit dans lequel le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche aborde cet exercice parlementaire. Une commission d’enquête a pour objectif d’établir des faits, de rechercher la vérité, d’éclaircir des zones d’ombre. C’est un travail précis, factuel, minutieux, qui doit être effectué dans un temps limité et qui obéit donc à une exigence d’efficacité. Une commission d’enquête n’est pas un procès, elle ne sert pas à nourrir une confrontation politique.
Pour que cette première commission d’enquête parlementaire de la commission des affaires étrangères soit un succès, elle devra viser un double objectif : éclairer et savoir. Cela implique un travail impartial et objectif, qui suppose une double discipline : discipline de l’opposition – et je puis vous assurer que nous la respecterons – qui devra s’écarter de toute tentation stérile de transformer la commission d’enquête en procès ; discipline de la majorité, qui devra se départir d’une attitude tout aussi stérile de protection crispée ou de défense aveugle. Nous devrons, en un mot, nous comporter en parlementaires – vous avez eu le mot juste, monsieur Goasguen –, et cela grandira notre assemblée.
Deuxième principe, cette commission d’enquête parlementaire s’est placée, dès l’origine, sous le signe de la transparence. M. Goasguen nous a confié sa joie, au nom du groupe de l’UMP. Mais je participais hier à la réunion de la commission des affaires étrangères, où j’ai pu constater que d’autres étaient un peu moins joyeux. Je les comprends. Je sais que certains parlementaires sur les bancs de la majorité jugent que cette commission est injustifiée….
Je dirai pour terminer quelques mots du rapport de M. Roland Blum sur la proposition de résolution. Ce rapport, d’une grande hauteur de vue, est objectif, équilibré et ouvert. Il propose trois amendements de forme, parfaitement justifiés, qui améliorent la rédaction du texte initial sans en dénaturer le fond. Ils permettent une reconnaissance du travail à accomplir et démontrent que le projet déposé par notre groupe est acceptable sur tous les bancs. Nous soutiendrons bien entendu les amendements pertinents de M. Roland Blum et nous les voterons.
Telles sont, messieurs les ministres, mes chers collègues, les directions dans lesquelles le travail de la commission d’enquête parlementaire pourrait s’orienter, et l’état d’esprit qui devrait présider à des travaux qui, pour aboutir, doivent être menés avec objectivité et sérénité. C’est la condition indispensable pour réussir cet exercice démocratique, encore trop rare. J’ai confiance en la capacité de notre assemblée à se montrer à la hauteur de l’enjeu ! (Applaudissements sur tous les bancs.)
Cependant, celui-ci n’aura pas été le fruit d’un retournement de dernière minute. Les autorités libyennes – il suffit de lire le rapport 2007 d’Amnesty International
Disant cela, je pense à la mobilisation d’associations humanitaires et d’organisations non gouvernementales, qui témoigne de l’immense étendue des soutiens acquis à ces otages dans le monde ; je pense à l’apport des médias pour gagner les consciences à la cause de ces innocents ; je pense aux collectifs d’avocats déterminés à défendre les inculpés, dans un contexte de mépris du droit qui demeure la réalité inacceptable de l’État libyen.
Je pense aussi aux personnalités de la science et de la médecine, engagées dans l’affirmation de la vérité des faits – la contamination de plus de 450 malheureux enfants frappés par le sida, dont près de soixante sont morts. Je pense en particulier à ces 114 lauréats du prix Nobel qui ont cosigné, le 9 novembre 2006, une lettre ouverte appelant à un procès juste, au nombre desquels le professeur Luc Montagnier, co-découvreur du virus du sida dès 1983, et qui, le 3 septembre 2003, témoignait déjà au procès des otages bulgares en s’appuyant sur les conclusions de la mission d’expertise qu’il avait dirigée avec le professeur Vittorio Colizzi. On sait le sort que les responsables de la justice et les dirigeants actuels de la Libye réservèrent à l’époque à ce rapport, au mépris de la vérité, de la science et du droit.
Enfin, considérant toujours la somme des efforts investis pour la libération des otages, je pense au rôle des États nationaux et des institutions internationales. Avant d’en évoquer plusieurs aspects, je souhaite revenir avec le politologue François Burgat, spécialiste du Maghreb, auteur d’un « Que sais-je ? » sur la Libye, sur la réalité de ce régime avec lequel nous renouons des liens hasardeux de coopération et des partenariats industriels, bancaires et militaires qui posent question.
« Kadhafi, souligne François Burgat, a redouté en 2003 de subir le même sort que Saddam Hussein. Ayant fait "un véritable hara-kiri nationaliste", il a estimé n’avoir pas été rémunéré pour ses multiples concessions, ni par les États-Unis, ni par l’Union européenne. Dans ce contexte, il se pourrait que le dossier des infirmières ait constitué l’arme du pauvre, une sorte d’"os nationaliste" à offrir à ses partisans, une manière de signifier qu’il n’avait pas complètement perdu sa capacité à défier la communauté internationale. » Voilà l’homme avec lequel ont été négociées la vie et la libération de six innocents !
Quant à l’État libyen, condamné pour les attentats terroristes de Lockerbie et du Niger, il y a à peine vingt ans, il n’a jamais fait mystère de sa stratégie guerrière ni de sa quête de l’arme nucléaire. La France des années soixante-dix ne craignait pas de commercer avec ce régime et de faciliter l’acquisition de Mirages Fl, d’hélicoptères Super-Frelon et Gazelle. C’était aussi l’époque, à laquelle renvoient les accords brusqués de juillet 2007, de la concession à Thomson de la couverture radar de ce pays. On connaît la suite de tout cela !
Par ailleurs, les recherches pétrolières très prometteuses reprises depuis trois ans par des compagnies étrangères en Libye ont pesé dans la balance. Alors que ce pays va devenir encore plus riche, il fallait – cette analyse a été largement développée dans la presse – « redonner à Kadhafi le minimum de respectabilité suffisant pour permettre de lui vendre ces choses qu’on ne peut décemment vendre qu’aux gens bien... ».
« Tout le monde a payé » résume pour sa part le chef de la diplomatie libyenne, Abderrahman Chalgham, tandis qu’un diplomate européen en poste à Tripoli constate pour sa part que, face au chantage, « l’Union européenne a cédé parce qu’elle y trouve son compte ».
Benita Ferrero-Waldner, commissaire européenne aux relations extérieures, ne dit rien d’autre en replaçant le dénouement dans un processus de négociations qui avait pris son essor dès 2005, sous la présidence britannique de l’Union, et en relativisant l’intervention de la France.
En l’espèce, la France est le pays qui cède à la Libye 300 millions d’euros d’armements. Qu’en est-il, à ce sujet, des affirmations du ministre de la défense contestant tout lien avec la libération des otages ? Quels documents attestent le déroulement d’une commission interministérielle sur ces ventes d’armes et un accord qui aurait été donné cinq mois plus tôt, en février 2007, selon M. Hervé Morin ?
C’est bien la France qui fournit un réacteur nucléaire à la Libye « pour le dessalement de l’eau de mer », comme le précise le secrétaire général de l’Élysée. Il semble que ce soit une première technologique, et il semble aussi qu’Areva lorgne sur les réserves d’uranium libyennes. Quelles technologies nous apprêtons-nous à livrer ? Que signifie – et l'affirmation est du Président de la République – une sécurité nucléaire assurée par « un système permettant de désactiver une centrale de l'extérieur » ? Comment concilier l'accord du 25 juillet, qui officialise cette coopération nucléaire, avec la déclaration faite la veille par Nicolas Sarkozy et selon laquelle « il n'a pas été question d'un quelconque accord dans le domaine nucléaire » ?
Le fils du colonel Kadhafi a fait état d'un « projet de manufacture d'armes pour l'entretien et la production d'équipements militaires ». Quels engagements ont été pris en ce sens ?
Un autre élément essentiel a été « le versement par les autorités libyennes d'un million de dollars par famille » – je cite les propos tenus par Bernard Kouchner le 31 juillet dernier devant notre commission des affaires étrangères. Si j’ai bien compris, le Qatar a payé la Fondation Kadhafi, qui a payé les familles. La question est : qui a payé le Qatar ou qui va le faire…
Vous l'aurez compris, si nous demandons une commission d'enquête, c’est parce que nous n’avons pas eu de réponse fiable à la question suivante : à quoi, au fond, s'est engagé notre pays ? Quels engagements ont été réellement pris ? Y a-t-il des clauses secrètes dans les accords passés ?
Toutes ces questions, qui renvoient à la matérialité des faits, posent aussi le problème du fonctionnement de nos institutions. Le Gouvernement pilotait-il les tractations touchant à la défense nationale et au nucléaire ou en était-il pleinement informé ? Où se situe le centre de décision en matière de politique internationale et militaire dans notre pays ? Où a-t-on apprécié l'opportunité de négocier du nucléaire avec la Libye ? Où ont été débattus les dangers pour l'avenir et les garanties à prendre ? Fallait-il, comme cela a été le cas, que le Parlement soit complètement exclu de la réflexion sur le positionnement de la France dans une affaire aussi difficile ?
D'autres situations semblables peuvent surgir demain. Aussi, nous souhaitons que la commission d'enquête aborde cette question à partir du dossier libyen et qu'elle débatte aussi des pratiques dans le « domaine réservé » et de la non-transparence – élément qu’il convient de remettre en cause – en matière de politique étrangère, même si la confidentialité est parfois indispensable.
Lorsque le ministre allemand des affaires étrangères, Günter Gloser, rappelle que c'est l'approche commune qui fait la force de l'Union européenne et non l'action de pays faisant cavalier seul, il met en lumière, et ce n'est pas à notre avantage, un enjeu de fond : celui des relations intra-européennes défaillantes, pouvant même être préjudiciables à la sécurité de nos peuples.
Tout cela pose la question de l'image et de la crédibilité de la France, telle qu'elle ressort de cette affaire, mais aussi celle de sa capacité à se doter d'une diplomatie nouvelle…
De là découle, à nos yeux, la première justification politique de la commission d'enquête : mettre en lumière, c'est-à-dire en valeur, les responsabilités positives de tous ceux qui, jusqu'au sommet de l'État, ont œuvré à cette libération. Je ne veux pas, en cet instant, relancer la polémique qui a immédiatement suivi l'heureux dénouement de cette affaire. Les auteurs des propositions de résolution, qui ont suscité ce débat, n'ont pas manqué de saluer, eux aussi, l'issue positive que constitue la remise en liberté des prisonniers. La suspicion que certains ont jetée sur ses modalités – pour reprendre le juste mot employé par notre rapporteur, Roland Blum – révèle peut-être, à côté de préoccupations tout à fait recevables, une certaine jalousie devant un succès obtenu, de surcroît, alors que la diplomatie française est désormais conduite par un ministre d'ouverture.
« Quand je délibère, les jeux sont faits », disait Jean-Paul Sartre. Il eût sans doute apprécié en connaisseur l'enfermement politicien dans lequel le dépit menaçait de conduire à des critiques, aussi délibérées que celles formulées dans l’opposition, des propositions de résolution.
Mais aujourd'hui, heureusement, le climat a évolué. Chacun admet, et je m'en félicite, qu'il ne s'agit pas, en créant cette commission d'enquête, de faire le procès de la France et de son gouvernement. Il s'agit de permettre au Parlement de se faire, dans un climat apaisé, une idée complète des modalités, des enjeux et des suites de cette négociation. Il s'agit aussi d'aider à comprendre comment certains milieux libyens en sont venus à un tel comportement obsessionnel de déni de l'évidence et à une telle imputation de responsabilités à l'étranger, à l'Europe et au monde développé.
Comme cette affaire l'a dramatiquement confirmé, la Libye est un pays déroutant, où les structures de pouvoir sont complexes, concurrentes et entremêlées : c’est tantôt le gouvernement, tantôt l'entourage immédiat du colonel Kadhafi, tantôt d'autres structures qui prennent les décisions, selon une logique que l'on ne perçoit guère de l'extérieur. Aussi faut-il appréhender avec prudence les propos provocateurs du fils du colonel Kadhafi et ses déclarations sur les contreparties consenties par la France ; il ne faut pas s'arrêter à leur contenu apparent, mais chercher à en comprendre le sens.
Comprendre, tel doit être à nos yeux le maître mot de la commission d'enquête que nous allons créer. Comprendre, par exemple, par quel enchaînement de détresse, de ressentiment et d'incompétence certains en sont venus, en Libye, à imputer aux infirmières une situation tragique dont il est scientifiquement établi qu'elles ne pouvaient être tenues pour responsables. Comprendre les rouages du système qui a fait que ces personnes ont été exposées, pendant huit années, à l’oppression et à des vexations, souvent accompagnées de décisions arbitraires prenant la forme de sentences judiciaires. Comprendre grâce à quels arguments, grâce à quelles pressions, au prix de quelles ouvertures les responsables qui ont représenté la France dans le règlement de cette affaire ont pu obtenir la libération des détenus. Comprendre, enfin, et cette énumération n'est pas limitative, les implications européennes et internationales de l'événement.
C'est dans un esprit constructif et de rassemblement que le groupe Nouveau Centre conçoit sa participation aux travaux de la future commission d'enquête. Nous souhaitons comprendre ce qui s'est passé pour éclairer l'opinion et associer le Parlement à la préparation de l'avenir.
Patrie des droits de l'homme, la France tient de son histoire une sensibilité particulière au respect de la dignité humaine, de la liberté, et des garanties fondamentales procurées par le droit démocratique. Il ne fait malheureusement aucun doute que ces valeurs n'inspiraient pas les procédés dont les six prisonniers ont été victimes. Le Président de la République a raison de considérer que les violations des droits de l'homme constituent un obstacle au développement de relations convenables avec les pays où elles sont commises, et cela vaut pour la Libye. Il a également raison de souligner qu'il faut chercher, par tous les moyens efficaces, à dialoguer avec les autorités de ces pays, y compris la Libye, pour leur montrer que leur intérêt politique bien compris passe par une modification des pratiques condamnées par la tradition démocratique.
Plus largement, le développement de la politique méditerranéenne de la France, que notre groupe soutient pleinement, s'accommode mal d'une impasse sur les relations franco-libyennes, alors même qu'existe apparemment, à Tripoli, une certaine volonté de les réactiver. La commission d'enquête permettra d'apprécier dans quelles conditions cette volonté peut être accueillie et encouragée.
Je n'aurai garde d'oublier l'autre fruit du dénouement heureux de l'affaire des infirmières : le renforcement de l'amitié entre la France et la Bulgarie. Au-delà d'une information éventuelle sur les conditions dans lesquelles les autorités des deux pays ont coordonné leurs efforts, les travaux de la commission d'enquête peuvent donner l'occasion, comme le suggère notre rapporteur, de réfléchir aux données géopolitiques qui confèrent une grande importance au développement des relations bilatérales. N'oublions pas, au-delà des négociations diplomatiques, que la francophonie est en Bulgarie une réalité, hélas méconnue, depuis le XIXe siècle où les intellectuels, hérauts de la libération nationale, exprimaient en vers français leurs aspirations.
Si la commission d'enquête permet de dresser un bilan exact des conditions de la libération des infirmières et du médecin, de mettre en valeur les responsabilités assumées avec succès, d'éclairer le Parlement et l'opinion sur les développements que le dénouement de cette affaire laisse prévoir dans notre action diplomatique et humanitaire, alors, elle aura rempli son rôle. C'est dans cet espoir que le groupe Nouveau Centre apporte sans réserve son appui à la création de cette commission d'enquête. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Je ferai seulement trois remarques. La première, c’est que le contrôle du Gouvernement – l’une des trois tâches essentielles des parlementaires – passe par la constitution de commissions d’enquête. Je regrette pour ma part qu’elles soient trop peu nombreuses sur les questions internationales. Pour y avoir participé et même présidé l’une d’entre elles, je rappelle que deux commissions d’enquête sur ces sujets ont eu lieu de 1997 à 2002, l’une sur la tragédie du Rwanda, l’autre sur les massacres de Srebrenica, et qu’elles ont contribué à la recherche de la vérité et des responsabilités.
Je regrette qu’entre 2002 et 2007, on n’ait pas créé une commission d’enquête sur les événements de la Côte-d’Ivoire, demande pourtant formulée à deux reprises par le groupe socialiste. Cela aurait été utile tant sur le plan politique que militaire. En effet, les évolutions positives qui ont lieu actuellement dans ce pays échappent progressivement à la France.
Mais aujourd’hui, alors que débute une nouvelle législature, vous avez fort heureusement fait droit à notre demande. Je rejoins ici Claude Goasguen : la réforme de nos institutions à laquelle réfléchit actuellement la commission présidée par M. Balladur passe à l’évidence par un rééquilibrage des pouvoirs au profit du Parlement,…
Deuxième remarque : Pierre Moscovici a demandé à juste titre que soient entendus tous les protagonistes de ce dossier. Or une polémique a éclaté à propos du rôle tenu par Mme Cécilia Sarkozy et du refus probable – mais non vérifié à ce jour – de son audition. Personne, y compris au groupe socialiste, n’a exigé l’audition de Mme Sarkozy, mais nous la souhaitons, parce qu’elle est l’une des protagonistes de cet heureux dénouement.
Laissez-moi citer un journaliste de talent, qui n’est pas du tout un adversaire du pouvoir actuel : Christophe Barbier, rédacteur en chef de l’Express. Il s’exprimait ainsi – en des termes fleuris mais, je crois, assez justes – dans un éditorial daté du 9 août : « Dans la politique moderne, héros et héraut sont confondus. Cécilia Sarkozy fut l’héroïne de l’affaire libyenne, elle nous en doit le récit. À l’Élysée, elle a trouvé une place inédite, toute d’influence et de mutisme. Ni potiche ni pythie, elle impose son style. Qu’elle s’affirme encore plus en mettant un terme aux rumeurs et aux racontars : madame Sarkozy, racontez-nous… » C’est exactement la demande que nous formulons – avec respect. (Sourires.)
Troisième et dernière remarque : tout ce qui s’est passé depuis le 24 juillet, toutes les questions ô combien pertinentes posées ici cet après-midi, nous conduisent à souhaiter ardemment la constitution de cette commission d’enquête. Elle est pleinement justifiée, y compris dans les termes où nous l’avons demandée avec Alain Bocquet. Comme l’a dit Pierre Moscovici, une commission d’enquête n’est pas un tribunal, c’est le lieu où sont recherchées des informations utiles, où sont conduites les investigations destinées à connaître la vérité. C’est pourquoi nous y participerons avec responsabilité et détermination. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
J’appelle maintenant l’article unique de la proposition de résolution dans le texte de la commission.
Oui, il y a un sérieux doute quant à l’action et à l’intervention de la diplomatie française et des plus hautes autorités de l’État. Ce doute s’est insinué non seulement dans une partie de l’opinion française, mais également au niveau européen, dont les institutions ont pu avoir le sentiment d’être instrumentalisées au service exclusif de la Présidence de la République française.
La politique étrangère de la France n’est pas un jeu de télé-réalité ni l’occasion de faire des coups politico-médiatiques. Kadhafi est au pouvoir depuis 1969 ; ce n’est pas un enfant de chœur. Il n’a pas cédé ce qu’il faut malheureusement qualifier de « prise de guerre » par la seule magie de la « première dame » de France et du secrétaire général de l’Élysée. Il faut donc entendre tous les acteurs de cette affaire ; non seulement parce qu’il n’y a pas de zone de non-droit en France – pas plus à l’Élysée qu’ailleurs –, mais parce que la commission d’enquête doit pouvoir recevoir tous ceux qui détiennent des informations susceptibles de l’éclairer, notamment l’épouse du Président de la République, titulaire d’une mission officielle et qui, à ce titre, doit pouvoir en rendre compte dans les conditions de sérénité requises. Cela est d’autant plus important au moment où nous discutons de l’évolution de nos institutions. Il ne faut pas donner à nos concitoyens le sentiment que les contre-pouvoirs du Parlement ne seraient que des faux-semblants. Le Parlement, comme d’ailleurs la presse, n’a pas à se voir imposer la liste des personnes qu’il peut ou doit auditionner. Il n’est pas le vestibule de la chambre royale. Il est libre et souverain, parce qu’il détient ses pouvoirs de la légitimité de l’élection et non d’un monarque, fût-il républicain. Nous sommes donc en droit d’exiger l’audition de Mme Sarkozy et nous le ferons. Faire respecter la Constitution est notre premier devoir. Ce n’est pas à notre assemblée de définir un statut extraconstitutionnel pour Cécilia Sarkozy.
La deuxième question essentielle est le contrat portant sur le nucléaire civil. Au vu des informations contradictoires et tronquées qui ont été rendues publiques par diverses parties concernées, et des éléments d’investigation établis partiellement et progressivement par la presse internationale, il apparaît en effet que cette libération s’est opérée dans le cadre de négociations concernant une coopération nucléaire au profit du régime libyen. Le 31 juillet, devant la commission des affaires étrangères, vous nous disiez, monsieur le ministre, qu’il ne s’agissait que d’une hypothèse, ce qui est malheureusement révélateur de la manière dont on traite le Parlement. Cette affaire doit donc être tirée au clair.
Au-delà de la question de la transparence, nous devons réfléchir, d’une part, à notre politique de « deux poids, deux mesures » concernant le nucléaire et, d’autre part, à la relation entre le nucléaire civil et le nucléaire militaire. N’oublions pas que nous avons aidé l’Irak de Saddam Hussein dans les années 70, comme nous l’avions fait pour l’Iran du Shah. Les régimes changent, les États restent et, dans ces deux pays, nous avons bien vu que la technologie utilisée dans le nucléaire civil n’était pas étanche et pouvait être en partie utilisée dans le cadre du nucléaire militaire. Le nucléaire n’est pas une technologie neutre. Penser que nous pouvons maîtriser la chaîne tout entière est une grave illusion. Il faudra donc que la commission entende ceux qui, parmi les scientifiques, soulignent la perméabilité entre les deux aspects du nucléaire.
Dernier élément important, la question des ventes d’armes à la Libye. La France est un des premiers fournisseurs d’armes dans le monde. Que désormais la Libye soit considérée comme un client potentiel n’est donc pas très étonnant. Mais – et cela ne vaut pas seulement pour la Libye – cette politique doit pouvoir être interrogée dans ses fondements. On ne peut pas, d’un côté, demander l’intervention d’une force internationale au Darfour et, de l’autre, accepter que nos armes puissent – c’est une hypothèse, mais qui peut aujourd’hui l’exclure formellement ? – se tourner contre les populations, voire – pourquoi pas ? – contre nos propres soldats. La politique de Janus a des limites qui doivent pouvoir être également contrôlées par notre Assemblée, alors que l’on estime à près de 300 millions d’euros les contrats de fourniture de missiles Milan signés par le régime contesté du colonel Kadhafi avec le groupe EADS.
À quoi s’est engagé notre pays ? Qui a engagé sa parole ? Quelle est la nature du matériel fourni à l’État libyen ? Quelles garanties avons-nous que ces armes resteront dans leurs arsenaux et ne seront pas livrées à des tiers ?
Il est plus que temps que la clarté soit faite. Nous devons savoir quelles initiatives, quels contacts, quelles décisions ont abouti à la confusion de la situation actuelle ; connaître la réalité des engagements souscrits par la France ; établir la responsabilité et le rôle respectifs du Président de la République et du Gouvernement ; évaluer, enfin, les conséquences qui peuvent résulter de cette affaire.
C’est pourquoi le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, les députés Verts, communistes et d’outre-mer le composant approuvent et voteront la constitution de cette commission d’enquête, mais seront vigilants quant au déroulement et au contenu de ses travaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Bien entendu, nous voterons pour la création de cette commission d’enquête. Notons que le Président de la République n’a pas hésité un instant à en accepter le principe, ce qui n’est pas si fréquent dans l’histoire de la notre pays, en particulier en matière de politique internationale. Par ailleurs, le secrétaire général de l’Élysée n’a pas hésité non plus à accepter de s’y rendre, alors qu’il aurait pu se couvrir derrière l’immunité présidentielle, ou du moins invoquer cet argument.
Monsieur le ministre, le débat que nous avons eu est exemplaire, et j’espère qu’il conservera cette tonalité. Je le répète, au-delà du sujet abordé – un sujet ô combien dramatique : n’oublions pas l’attentat qui a coûté la vie à nos compatriotes –, il y a la volonté d’établir de nouvelles relations entre le Parlement et le Gouvernement. C’est le moment du grand débat institutionnel, et j’espère que nous nous conduirons tous en parlementaires dignes de ce nom, et que cette commission d’enquête donnera une nouvelle dimension politique à l’institution parlementaire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
Je mets aux voix l’article unique de la proposition de résolution.
(L’article unique de la proposition de résolution est adopté.)
Procédure d’examen simplifiée
(L'article unique du projet de loi est adopté.)
Discussion d’un projet de loi adopté par le Sénat
La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée des affaires étrangères et des droits de l’homme.
Avant de détailler le contenu de cet accord, je voudrais vous en rappeler brièvement quelques éléments historiques.
Avant l'époque romaine, des sentiers parcourus par les troupeaux en transhumance reliaient la Ligurie maritime aux alpages de la haute Roya. Cette route, qui prendra au Moyen âge, l'appellation de « route du sel », sera une préoccupation des comtes de Provence puis des comtes et ducs de Savoie. Lorsque le comté de Tende passe sous la domination de la Maison de Savoie en 1581, une campagne de travaux lancée par Charles-Emmanuel Ier en 1592 permet de libérer les passages difficiles entre le col de Tende et le col de Brouis. C'est à cette époque, en 1614, qu'est d'ailleurs envisagée la première tentative de percement d'un tunnel sous le col de Tende.
Au cours du XVIIIe siècle, la circulation augmente et le gouvernement savoyard ordonne l'aménagement d'une route carrossable ainsi que le percement du tunnel du col de Tende. Ces travaux seront bien commencés en 1784, mais interrompus peu de temps après. Ainsi, jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, le trafic sur cette voie ne sera que muletier. Ce n'est qu'après de nombreuses études et pétitions qu'en 1872, l'unité italienne étant réalisée grâce à Napoléon III et à l'armée française, est lancé le percement du tunnel routier sous le col de Tende, finalement livré à la circulation en 1882.
Ce tunnel, s'il était entièrement italien lors de sa construction et de sa mise en service, est devenu franco-italien lors du rattachement de Tende à la France, en 1947.
Ce tunnel routier, long de 3 185 mètres, relie la route nationale RN 204, côté français, et la route nationale SS 20, côté italien. Ce tunnel monotube, avec une voie dans chaque sens, est très étroit et ne répond plus aux normes modernes de sécurité. Ses conditions d'exploitation sont de plus en plus difficiles au regard des impératifs de sécurité, alors que le trafic moyen journalier annuel atteint 3 700 véhicules par jour et 6 200 véhicules par jour en pointe estivale.
Le 26 novembre 1993, lors du sommet franco-italien de Rome, la France et l'Italie sont convenues de l'intérêt de négocier un accord portant notamment sur la reconstruction du tunnel de Tende afin d'assurer la continuité de la liaison régionale empruntant les vallées de la Roya et de la Vermenagna. À cet effet, une commission intergouvernementale – dite « CIG Nice-Cuneo » – a été instituée.
La CIG, réunie le 17 octobre 2003, a décidé de constituer un groupe de travail binational chargé de préciser les dispositions techniques de cette infrastructure dans un document d'études commun. Sur la base de ce travail et après avoir choisi en commun une des options techniques, deux accords ont été signés par la France et l'Italie. Le premier accord, signé lors du sommet franco-italien de Lucques en Italie le 24 novembre 2006, traite toutes les dispositions pouvant être mises en œuvre sans nécessité d'une autorisation parlementaire préalable. Le second accord, signé à Paris le 12 mars 2007, porte sur la totalité des sujets liés à la gestion unifiée du tunnel et à la réalisation des travaux du tunnel neuf. Il précise en particulier les conditions d'exercice de la maîtrise d'ouvrage unique qu'exercera l'Italie pour le compte des deux pays. Dans la mesure où ce second accord détaille par ailleurs leurs engagements financiers respectifs, il entre dans le champ d'application de l'article 53 de la Constitution.
L'accord transitoire signé à Lucques précise, d’une part, le rôle de la CIG dans la gestion du tunnel et son action particulière pour la mise au point d'un dossier de sécurité commun et de pratiques communes de gestion et fonde, d’autre part, de manière plus sûre l'existence du comité de sécurité et lui donne un mandat clair. L'accord signé à Paris a vocation à se substituer à celui signé à Lucques pour que le tunnel de Tende ne relève plus que d'un seul texte, complet et cohérent, allant dans le sens d'une simplification de notre droit positif.
La maîtrise d'ouvrage de l'opération, y compris pour sa partie en territoire français, est confiée à l'Italie.
La réalisation de l'ouvrage sera financée à 58,35 % par l'Italie et à 41,65 % par la France, répartis par tiers entre l'État, la région PACA et le département des Alpes-Maritimes. Les coûts d'entretien et d'exploitation sont répartis suivant la même clé. Pour ces dépenses, si la structure du trafic venait à évoluer de façon significative, il est prévu que la clé puisse être réajustée tous les cinq ans.
L'objectif principal de l'opération n'est pas d'augmenter la capacité sur l'itinéraire, mais d'améliorer la sécurité des usagers qui l'empruntent. Je sais toute l'importance qu'accordent à cette question les élus locaux. Il définit un cadre de gestion complet, avec un niveau exigeant de sécurité.
Les conditions de gestion de l'infrastructure actuelle seront significativement améliorées au grand bénéfice de la sécurité. Parmi les points les plus importants en ce sens, signalons que la CIG est instituée comme autorité administrative et que la gestion sera unifiée et confiée à un seul gestionnaire désigné par l'Italie. Les compétences en matière de sécurité d'exploitation et de circulation relèvent, côté français, selon les sujets, du préfet des Alpes-Maritimes et du directeur général des routes. L'itinéraire français est en cours de décentralisation : le conseil général des Alpes-Maritimes, qui sera substitué à l'État au 1er janvier 2008 pour la partie française du tunnel et de ses accès, est associé à la préparation de toutes les phases de décision.
Le Sénat a approuvé cet accord le 25 septembre dernier. Compte tenu de l'urgence, il vous est soumis dès aujourd'hui.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, les principales dispositions de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne relatif à la mise en place d'une gestion unifiée du tunnel routier de Tende et à la construction d'un nouveau tunnel et signé à Paris le 12 mars 2007. Je vous demande de l’approuver à votre tour. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Ce tunnel, long de 3 185 mètres dont 1 485 en France, permet de rejoindre depuis la province italienne de Cuneo, dans le Piémont, la côte méditerranéenne à hauteur de Vintimille, via la vallée de la Roya, en reliant la route nationale RN 204, côté français, et la route nationale SS 20, côté italien. Le trafic moyen annuel y est important, puisqu’il s’élève à 3 700 véhicules par jour et à 6 700 véhicules les mois d’été, ce qui transforme les routes de la vallée en un véritable itinéraire pour chenilles processionnaires.
Les poids lourds ne représentent, pour l’instant, que 3 à 4 % du trafic. Je me permets, madame la secrétaire d’État, d’insister fortement sur ce point. La vallée touristique de la Roya couverte d’oliviers est superbe. Les routes interrégionales à deux voies RN 204 et SS 20 sont anciennes et dédiées au tourisme, la vitesse moyenne autorisée n’excédant pas quatre-vingt-dix kilomètres à l’heure. Or cette belle opération que constitue la réalisation d’un nouveau tunnel, attendue depuis 1993, ne doit pas entraîner un afflux de poids lourds. En effet, le nombre de trente-cinq tonnes espagnols ou hongrois qui circulent entre la péninsule ibérique et l’Europe centrale est considérable. Aujourd’hui, ils empruntent une autoroute italienne entre Savone et Alessandria. La réalisation du tunnel de Tende ne doit donc pas permettre à ces véhicules d’emprunter la route de la Roya qui n’y survivrait pas. Si ce n’est pas encore le cas, des mesures techniques – en termes de gabarit – ou réglementaires doivent être envisagées pour éviter l’augmentation du charroi de véhicules lourds.
Les relations entre la France et l’Italie en matière de sécurité dans les tunnels alpins ont toujours été très fructueuses.
Tout tunnel transfrontalier est régi par une convention qui confie le contrôle de l’exploitation à une commission intergouvernementale, une CIG. Dans le cas du tunnel de Tende, la CIG Nice-Cuneo, intitulée aujourd’hui CIG pour l’amélioration des relations franco-italiennes dans les Alpes du Sud, a été créée à l’issue du sommet franco-italien du 26 novembre 1993.
Lors du sommet de Florence, le 6 octobre 1998, les deux États ont fait de la mise en sécurité du tunnel routier de Tende une priorité absolue. Le sommet de Périgueux, en 2001, a validé la proposition de la CIG de s’orienter vers la construction d’un nouvel ouvrage à Tende. Le 18 avril 2005, les ministres des transports ont adopté les conclusions d’un groupe de travail mis en place par la CIG, qui avait retenu la « solution haute », c’est-à-dire la réalisation d’une nouvelle galerie à la même altitude que le tunnel actuel. Une autre solution aurait été la construction de deux tubes à une altitude plus basse, mais cela posait des problèmes financiers et budgétaires et des problèmes d’environnement.
Cette décision a donné lieu à la signature de deux accords par la France et l’Italie.
Le premier, signé lors du sommet de Lucques, le 24 novembre 2006, permet d’améliorer la gestion du tunnel existant et de poursuivre le projet de tunnel neuf dans l’attente de la ratification du second accord.
Le second, qui fait l’objet du processus de ratification, se substituera au premier dès qu’il aura été ratifié.
La partie italienne a achevé, elle, sa procédure de ratification.
La solution retenue prévoit le percement et l’aménagement d’une galerie de 3 250 mètres de long, qui sera unidirectionnelle, ainsi que le réalésage et le réaménagement de la galerie existante. Du côté français, la route sera réaménagée sur 900 mètres afin de conserver deux lacets et un pont de 45 mètres de longueur. Ce tracé a été élaboré en concertation avec les services de l’environnement.
Les installations et les dispositifs de sécurité sont placés sous l’autorité du préfet des Alpes-maritimes et des autorités de la province de Cuneo.
Le calendrier prévoyant l’approbation du projet définitif et la procédure d’appel d’offres pour la fin 2008 doit être confirmé par la prochaine CIG de novembre 2007 dès lors que l’accord du 12 mars sera entré en vigueur.
L’autorité administrative est transférée à la CIG. Le gestionnaire unique sera l’ANAS.
Les coûts d’exploitation sont supportés à hauteur de 41,65 % par la partie française et de 58,35 % par la partie italienne, selon la clé de répartition fixée pour les coûts de construction. La part française incombe au propriétaire de la voie, à savoir le département à partir du 1er janvier 2008, la route nationale 204 devant la route départementale 6204.
Le montant de l’opération est estimé à 141, 2 millions d’euros, valeur 2002, hors taxes. La moitié du coût est répartie à parts égales entre l’Italie et la France tandis que l’autre moitié est répartie en fonction des trafics, les trafics nationaux étant pris en charge par chaque pays et le trafic international étant réparti à parts égales. La part française sera partagée en trois tiers égaux entre l’État, la région et le département des Alpes-maritimes.
Ce projet, ancien et urgent, qui touche à de véritables problèmes de sécurité, est sur le point de réaliser. La partie italienne ayant achevé sa procédure de ratification, dès que nous aurons adopté ce texte, comme je vous invite à le faire, les appels d’offres pour la réalisation des travaux pourront être lancés. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Vous pourriez vous étonner qu’un septentrional vienne parler d’un problème qui concerne le sud de la France (Sourires),…
Nous savons tous ici que le domaine des transports constitue l’un des secteurs clés par rapport au défi énergétique et à la question du réchauffement climatique.
En effet, dans le contexte actuel d’une augmentation des échanges et des déplacements, le transport, principale activité consommatrice de pétrole et productrice de pollution atmosphérique,…
Face au défi climatique, certains modes de transport sont plus « écolo-compatibles » que d’autres. Pardonnez-moi l’expression, elle est parlante.
Pourtant, le rail, mode de transport le plus sûr et le moins polluant, souffre d’un recul patent.
Alors que le réseau routier et autoroutier est saturé et engendre de fortes pollutions, le fret ferroviaire européen est en déclin. Le transport de marchandises a plus que doublé depuis les années 70, mais le fret ferroviaire a perdu un quart de ses parts de marché. Entre 1970 et 1998, le transport par route, lui, a été multiplié par 2,5 et a gagné 87 % de parts de marché en volume, au détriment du rail.
En dépit de l’augmentation du transport de marchandises, et alors qu’il serait nécessaire de réaliser de forts investissements sur le réseau ferroviaire, l’agence de financement des infrastructures de transport de France s’est vue privée de sa principale source de financement depuis la privatisation des autoroutes. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Même sur les bancs de votre propre majorité, le paradoxe avait été relevé à l’époque.
En outre, la répartition du budget de l’AFITF pour l’année précédente témoigne clairement d’un choix en faveur de la route, qui bénéficie de 45 % des moyens contre 55 % pour l’ensemble de tous les autres modes de transport. Le bleu budgétaire n’étant pas encore public, peut-être créerez-vous la bonne surprise. Nous attendons de voir.
Autre signe du manque de volontarisme dont souffre le secteur ferroviaire, la dette de RFF. Comment continuer quand la contribution pour la gestion de la dette de RFF est maintenue à 730 millions d’euros, après avoir été réduite de 70 millions en 2006 ?
Ainsi, si le transport ferroviaire est en difficulté et en recul, c’est avant tout en raison d’un manque de volontarisme politique patent.
S’agissant de la région alpine, nous nous réjouissons du projet ferroviaire Lyon-Turin, cher à M. Bouvard, qui devrait assurer le transport de voyageurs et de marchandises et donc permettre de réduire la circulation des voitures et des poids lourds. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) En effet, il y a urgence. En vingt ans, la part du rail entre la France et l’Italie a chuté de plus de moitié. À l’inverse, le nombre de poids lourds traversant les Alpes franco-italiennes n’a pas cessé d’augmenter : 1 million en 1984, 2,8 millions en 2004, et on en prévoit 4 millions d’ici à 2025. Les nuisances pour les habitants de la région ainsi que pour l’équilibre écologique sont réelles. Pourtant, ce projet a souffert de lenteurs importantes.
Comment votre majorité pourra-t-elle respecter les objectifs de Kyoto sans renouveau du chemin de fer ? Donner la priorité au ferroviaire, tant pour le fret que pour le transport de passagers, nécessite une réelle politique volontariste de rééquilibrage des modes de transport.
Il serait indispensable de mener une politique d’investissement résolue en faveur du ferroutage et des transports combinés, tout en accélérant la réalisation de la liaison Lyon-Turin. Il faudrait, comme l’avait déjà recommandé en 2000 la commission de la production et des échanges, alors présidée par mon ami André Lajoinie, lancer un grand emprunt européen pour réaliser en Europe un réseau de ferroutage efficace. On imagine quel gisement d’emplois serait un tel grand chantier d’avenir au service du développement durable !
Actuellement, seule une expérience privée est menée, entre Toulon et le port desservant Rome, par la compagnie Louis-Dreyfus. Une politique innovante et écologique devrait permettre de développer ce moyen de transport, aux côtés du ferroviaire. Or votre gouvernement n’a guère donné de signes en sa faveur.
La promesse du Président de la République d’augmenter de 25 % en cinq ans la part du fret non routier dans les transports risque fort de rester lettre morte…
Nous ne voterons pas contre ce texte, puisque son objectif premier n’est pas contestable… (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
La parole est à M. Michel Bouvard, à qui je rappelle que nous parlons du tunnel de Tende.
Les travaux vont donc s’engager. Cette heureuse nouvelle aurait mérité la présence de l’ensemble des groupes composant notre assemblée – je constate à regret l’absence des élus socialistes – réunis pour approuver cet accord.
Mais, au-delà du tunnel de Tende, vous me permettrez, madame la secrétaire d’État, d’élargir mon propos à la problématique générale des transports dans le massif alpin et à la nécessaire modernisation de nos infrastructures de transport entre la France et l’Italie. Alors que l’Italie est notre deuxième partenaire économique, les échanges entre nos deux pays sont très fragiles par le fait qu’ils restent à la merci, du fait de la configuration des lieux, du moindre accident, géologique ou physique, sur tel ou tel itinéraire ; rappelons enfin que ces échanges progressent de façon continue – 6 % par an –, singulièrement sur le littoral au niveau de Vintimille.
La mise à niveau des infrastructures existantes doit tout d’abord s’accompagner d’une maîtrise du trafic des poids lourds. De ce point de vue, je partage totalement les recommandations faites par Jean-Claude Guibal : la mise au gabarit en matière de sécurité et la modernisation d’une infrastructure ne doivent pas se traduire par une augmentation du trafic de poids lourds. Cela est vrai pour les grands cols alpins et les itinéraires des Alpes du Sud, mais cette remarque vaut également pour le col du Mont-Cenis en Savoie.
Cette modernisation des infrastructures doit se poursuivre par la réalisation attendue de la galerie de sécurité du tunnel du Fréjus, qui doit nous mettre à l’abri d’un accident similaire à celui que nous avons malheureusement connu il y a un peu plus de deux ans et qui a coûté la vie à trois personnes ; elle doit surtout aboutir au basculement des flux vers le trafic ferroviaire : rappelons qu’en 1970, les trois quarts du trafic de marchandises entre la France et l’Italie empruntaient le rail alors qu’aujourd’hui les deux tiers passent par la route !
Cette affaire relève des compétences du ministère des affaires étrangères à plusieurs titres. Pour commencer, la parcellisation actuelle des compétences entre les différentes commissions intergouvernementales, sans coordination systématique entre ces CIG, constitue un sérieux handicap en ce qu’elle ne nous permet pas de vision globale des transports alpins. En effet, outre la CIG pour les Alpes du Sud – la dernière en date, vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État –, il en existe une pour le tunnel du Mont-Blanc, une autre pour le tunnel du Fréjus, une enfin pour le tunnel ferroviaire du Mont-Cenis : nous en sommes à quatre structures intergouvernementales consacrées aux problèmes de sécurité et de gestion des flux dans un seul massif, alors que toute décision prise à un endroit a des répercussions sur tout le reste du secteur. C’est pourquoi les élus du massif alpin souhaitent aujourd’hui une coordination du travail de l’ensemble des CIG, à tout le moins une simplification de ces structures.
Le projet ferroviaire Lyon-Turin, très attendu, concerne également votre ministère. Notre collègue Alain Bocquet en a rappelé le cheminement. Des avancées importantes ont eu lieu, à l’initiative du Gouvernement : je pense notamment à la décision de demander à l’Union européenne de contribuer à hauteur de 725 millions d’euros à la réalisation du tunnel de base. Les autorités européennes auraient accepté, si j’en crois les propos tenus au président du conseil italien Romano Prodi par le président de la Commission européenne la semaine dernière.
Mais l’intervention de l’Union européenne ne réglera pas tous les problèmes : il restera à trouver le financement des contreparties nationales, à désigner un opérateur et sans doute à monter un partenariat public-privé. Mais ce qui importe dans l’immédiat, madame la secrétaire d’État, c’est de graver dans le marbre et de ratifier le mémorandum d’entente franco-italien signé entre nos deux pays à l’initiative de la CIG, et qui répartit les financements du tunnel de base à hauteur de 37 % pour la partie française et de 63 % pour la partie italienne. Cela suppose de négocier un avenant au traité de Turin signé en 2001 et ratifié par les Parlements français et italien. Nous souhaitons que cette démarche puisse être proposée au prochain sommet franco-italien.
Est également posée la question de l’autoroute ferroviaire alpine expérimentale. Sa mise en service, dans un délai de dix-huit à vingt mois, suppose l’achèvement des travaux de modernisation du tunnel historique du Mont-Cenis. Ce tunnel, dont la construction a été décidée en 1853 et dont on a fêté au mois d’août le cent cinquantième anniversaire des premiers travaux, doit être agrandi au gabarit B 1 afin de permettre un meilleur transfert du trafic de poids lourds vers le rail. Cela suppose la réalisation dans l’est lyonnais d’une nouvelle plate-forme de chargement complétant celle d’Aiton-Bourgneuf dans la vallée de la Maurienne et le Val Gelon. Il importe que cette démarche soit engagée, et que nous puissions établir avec notre partenaire italien de nouvelles relations pour améliorer le débit et la compétitivité de l’autoroute ferroviaire alpine, dont la phase d’expérimentation va s’achever au cours de l’année 2008.
Ces exemples vous montrent combien les attentes sont nombreuses à l’égard du ministère des affaires étrangères et du Gouvernement dans son ensemble. Les problématique des transports dans le massif alpin tient d’abord, je le répète, à la fragilité des échanges actuels. Elle impose ensuite qu’on anticipe l’évolution des trafics. Mais les problèmes sont également d’ordre environnemental, dès lors que les deux principaux tunnels routiers qui concentrent une grande partie des flux, le tunnel du Mont-Blanc ou celui du Fréjus, traversent des sites aussi remarquables que le Mont-Blanc ou le parc national de la Vanoise en France et le parc national du Grand Paradis en Italie pour le second.
Le littoral lui-même souffre d’un accroissement régulier du trafic de poids lourds, qui devient insupportable pour les populations riveraines et dont la cause tient précisément aux normes et réglementations nouvelles que nous avons édictées en matière de sécurité pour le tunnel du Mont-Blanc et celui du Fréjus… Cet exemple prouve la nécessité d’une vision globale en la matière : les nouveaux dispositifs de sécurité accroissant les délais de transit par les tunnels, les camions se reportent sur le littoral – entre Barcelone et Milan, qu’on passe par le littoral ou par les grands tunnels alpins, la différence est seulement d’un quart d’heure.
Tels sont, madame la secrétaire d’État, les quelques éléments dont je souhaitais faire part à l’occasion de la discussion de ce projet de ratification de l’accord relatif au tunnel de Tende. Cette préoccupation est bien évidemment celle des députés du groupe UMP, et au-delà de l’ensemble de la population et des élus du massif alpin, qui se sont engagés sur les priorités : modernisation des infrastructures existantes, puis réalisation de la liaison Lyon-Turin. C’est pourquoi nous espérons que le Gouvernement nous entendra et que, au-delà de cet accord, la négociation d’un avenant au traité franco-italien sera engagée dans les meilleurs délais. En attendant, le groupe de l’Union pour un mouvement populaire apporte un soutien total à cet accord. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Vous avez, monsieur le rapporteur, exprimé votre attachement à la préservation de la vallée de la Roya, qui vous honore. Soyez sûr que le Gouvernement partage votre préoccupation. La prise en compte du site exceptionnel de la vallée de la Roya est un élément permanent de la conduite du projet. C’est ainsi, par exemple, que la solution retenue a privilégié la réduction de la quantité des déblais provenant du tunnel et destinés à être stockés dans la vallée.
En ce qui concerne la circulation, je tiens également à rappeler que le seul objectif des travaux est de renforcer la sécurité du tunnel en rétablissant une circulation normale. Il ne s’agit donc pas d’une amélioration significative de l’itinéraire qui présente au demeurant une capacité assez réduite, du fait notamment de nombreux lacets à l’approche du tunnel. Il n’y a donc pas de risque particulier de voir cette route devenir un axe de transit important entre la France et l’Italie.
Par ailleurs, s’il est vrai que l’ANAS aura, comme vous l’avez relevé, la responsabilité de gestion du tunnel, ce sera sous le contrôle de la commission intergouvernementale des Alpes du Sud, qui aura autorité pour approuver les mesures d’exploitation qui lui auront été proposées par l’ANAS. La France conservera donc, par l’intermédiaire de la commission intergouvernementale, la possibilité d’intervenir au niveau réglementaire.
M. Alain Bocquet a dû partir…
La discussion budgétaire et les débats sur le Grenelle de l’environnement devraient permettre de le faire apparaître très clairement. Dans la région alpine, la liaison Lyon-Turin répond à cet objectif.
Enfin, monsieur Bouvard, soyez sûr que les services du ministère du ministère des affaires étrangères sont fortement mobilisés sur cette question. Si les commissions intergouvernementales sont en effet au nombre de quatre, je tiens à souligner que leur création répond à des nécessités opérationnelles, pour répondre au mieux aux problèmes très différents qui se posent pour le tunnel du Mont Blanc ou pour l’aménagement de celui de Tende. Une coordination existe donc, par exemple par l’intermédiaire de la mission des Alpes.
M. Bouvard évoquait tout à l’heure très justement l’inquiétude des élus de la Savoie. Je rappelle que nous avons été un certain nombre d’élus – pas de la Savoie, mais du territoire français – à nous battre contre la réouverture du tunnel du Mont Blanc au trafic routier, car il y a là une nécessité. Vous n’y étiez pas, monsieur Bouvard, mais nous étions quelques-uns à le faire…
Vous avez indiqué tout à l’heure, monsieur le rapporteur, que le tunnel de Tende était ancien et nécessitait des aménagements. Il me souvient des combats menés, sans résultat pour l’instant faute de réponse du Gouvernement, sur une autre ligne historique : la ligne ferroviaire Pau-Canfranc, encore abandonnée aujourd’hui, qui était un point de liaison très important pour le transport combiné et pour le transport ferroviaire entre l’Espagne et la France.
Je rappellerai aussi, puisque je suis aussi un élu du Sud-Ouest, le projet de grand contournement autoroutier de Bordeaux décidé par le Premier ministre – à l’époque M. Raffarin – qui, pour ce faire, avait, lors d’un comité interministériel, tordu le cou au débat public alors en cours. Il passe aujourd’hui près de 7 500 camions par jour au-delà de Bordeaux et l’on en prévoit 12 000 en 2020… Si donc la démarche du Grenelle de l’environnement était aussi sincère que votre gouvernement veut l’afficher, il retirerait l’appel qu’il a formulé contre la décision du tribunal administratif de Bordeaux qui a condamné le Gouvernement pour ne pas avoir respecté le débat public. Quand on prétend rassembler tous ceux qui, nous dit-on, ne se parlaient pas jusqu’à présent, on prend les moyens qui s’imposent, on remet le dossier sur la table et on essaie de voir comment favoriser un rééquilibrage entre le transport des marchandises par camion et le transport des camions par le train.
Une exception française de plus : 85 % des marchandises qui traversent notre pays sont transportées par des camions. J’attends qu’on m’explique cette logique : quelle baguette magique pourrait réduire, du jour au lendemain, le transport des marchandises par camion, quand on persiste à pêcher des crevettes au Danemark pour les décortiquer au Maroc, et à cueillir des patates bintjes en Hollande pour les conditionner en Italie ? Voilà ce qui donne, entre autres, la catastrophe du tunnel du Mont Blanc ! Nous savons bien pourquoi il en est ainsi : les « économies d’échelle », la nécessité de ce que les Anglais appellent le just in time, c’est-à-dire l’arrivée des marchandises juste à temps, et la gestion des stocks dans les camions plutôt que sur des territoires précis.
Tout cela se traduit par une politique totalement folle : ainsi, avec sa filiale Geodis, la SNCF est aujourd’hui le premier transporteur routier de France ! Savez-vous, madame la secrétaire d’État, que la vitesse moyenne d’un train de marchandises en France n’est plus que de dix-huit kilomètres à l’heure ? Et pendant ce temps, la SNCF réduit le nombre de ses gares de triage – ainsi la gare d’Hourcade, dont le personnel sera très fortement restreint – et profite de la mise en place de nouvelles plateformes pour supprimer tout ce qui avait un caractère régional et pouvait faciliter le transport des marchandises par le train.
C’est la raison pour laquelle nous ne pouvons que condamner aujourd’hui l’esprit que manifeste le Gouvernement dans le Grenelle de l’environnement. Quatre secteurs ont été « sanctuarisés », autrement dit ne donneront pas lieu à discussion, parmi lesquels les projets routiers et autoroutiers que le Gouvernement veut développer… Chacun sait, pour reprendre une vieille image, que si un tuyau d’eau n’amène pas forcément la pluie, les routes et les autoroutes amènent toujours plus de voitures et de camions !
Celle logique doit être combattue. C’est la raison pour laquelle je tenais, à propose de l’aménagement du tunnel de Tende et de la convention internationale dont nous débattons, rappeler ces quelques exemples.
Il n’y aura de Grenelle de l’environnement sérieux que le jour où l’on ne se contentera pas, comme cela semble s’annoncer, de petits bricolages, mais où l’on mettra en place une vraie fiscalité écologique, qui fera payer d’abord les pollueurs et rééquilibrera la concurrence entre le transport des marchandises par camion et le transport des camions sur les trains.
La parole est à M. François Loncle.
Monsieur Bouvard, votre remarque tout à l’heure n’était pas très courtoise, car vous connaissez mon engagement personnel…
(L’article unique est adopté.)
Questions au Gouvernement ;
Prestation de serment de juges de la Cour de Justice de la République ;
Discussion du projet de loi de finances pour 2008, n° 189 :
Rapport, n° 276, de M. Gilles Carrez, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du plan.
À vingt et une heure trente, deuxième séance publique :
Suite de la discussion de la première séance.
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-sept heures vingt-cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu intégral
de l’Assemblée nationale,
Jean-Pierre Carton