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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2008-2009

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mardi 23 juin 2009

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Marc Le Fur

1. Lutte contre les violences de groupes

M. Éric Ciotti, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Exception d’irrecevabilité

Mme Delphine Batho

M. Éric Ciotti, rapporteur, Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, M. Nicolas Perruchot, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Michel Vaxès, M. Éric Raoult

Question préalable

M. François Pupponi

M. Éric Ciotti, rapporteur, Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, M. Dominique Raimbourg

Discussion générale

M. Michel Herbillon

M. Laurent Fabius

M. Michel Vaxès

2. Convocation du Parlement en session extraordinaire.

3. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Marc Le Fur,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Lutte contre les violences de groupes

Discussion d'une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Christian Estrosi et plusieurs de ses collègues renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d’une mission de service public.

La parole est à M. Éric Ciotti, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Patrick Roy. Nous allons voir si le rapporteur sait lire ! (Sourires.)

M. Éric Ciotti, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la ministre d’État, permettez-moi d’abord de vous présenter, au nom de l’ensemble de la représentation nationale qui siège dans cet hémicycle, nos plus sincères félicitations pour votre nomination en qualité de garde des sceaux.

Je tiens également, dans le cadre de cette situation inédite qui m’amène à rapporter ce texte à la place de Christian Estrosi, à lui adresser également nos sincères félicitations pour sa nomination. Il était le rapporteur de cette proposition de loi, qu’il avait initiée et déposée avec plusieurs de nos collègues.

Monsieur le président, mes chers collègues, depuis sept ans, grâce à la détermination sans faille de Nicolas Sarkozy (Rires sur plusieurs bancs du groupe SRC) et à une lutte acharnée contre la délinquance, notre pays a enregistré de bons résultats en matière de lutte contre la délinquance, avec, notamment, une baisse des faits constatés de 15 % sur la période et un taux d'élucidation passé de 26 à 39 %.

M. Philippe Vuilque. Cela ne veut rien dire ! C’est grotesque !

M. Éric Ciotti, rapporteur. Malgré ces résultats, notre pays est aujourd’hui confronté à l’augmentation des affrontements entre bandes, des actes de haine dirigés contre les représentants de l'autorité républicaine et des institutions de la République, des intrusions au sein d'établissements scolaires avec des armes, des guets-apens tendus aux forces de l'ordre, des violences commises contre les agents du service public. Ces actes intolérables sont autant de défis lancés à notre cohésion républicaine, que cette proposition de loi suggère de relever avec détermination.

Au mois d'avril dernier, le Président de la République a souhaité confier à la représentation nationale l'élaboration d'une proposition de loi visant à lutter contre les violences de groupes et à sanctuariser les établissements scolaires. C'est tout à l'honneur de notre assemblée d'avoir élaboré ce texte, qui a pour vocation d'être ferme avec les délinquants et juste avec les victimes.

Ce texte comprend deux volets : d'une part, la lutte contre les violences de groupes ; d'autre part, la sanctuarisation des établissements scolaires.

S’agissant d’abord de la lutte contre les violences de groupes, il ressort des nombreuses auditions auxquelles la commission des lois a procédé que de grands progrès en matière de lutte contre la délinquance ont été accomplis : instauration des peines planchers, développement de la vidéoprotection, instauration des GIR – les groupes d’intervention régionaux. Toutefois, notre arsenal législatif reste très largement insuffisant pour lutter contre les phénomènes de bande, et ce pour deux raisons principales.

Tout d'abord, l'infraction d'association de malfaiteurs ne vise que la préparation de délits punis d'au moins cinq d'emprisonnement. Cette infraction ne s'applique donc pas aux actes commis par les bandes, qui sont majoritairement des violences volontaires commises en réunion qui causent une interruption temporaire de travail de moins de huit jours et ne sont donc punies que de trois ans d'emprisonnement.

Ensuite, la qualification pénale des faits est souvent complexe : en application du principe fondamental de la responsabilité pénale individuelle, il convient d’établir pour un même délit la responsabilité de chaque individu auteur, coauteur ou complice.

Aussi, l'article 1er de la proposition de loi propose de créer une infraction nouvelle réprimant spécifiquement la participation en connaissance de cause à une bande ayant l'intention de commettre des violences ou des atteintes aux biens de manière concertée. Cette disposition ne constitue pas une réécriture de l'incrimination de groupe, de la trop célèbre loi anti-casseurs, abrogée en 1981,…

M. Jean-Jacques Urvoas. Excellente abrogation !

M. Éric Ciotti, rapporteur. …et qui présenterait, nous le savons, de gros risques constitutionnels. Il s’agit d’un instrument efficace pour engager des poursuites contre les auteurs, sans pour autant avoir à distinguer l’auteur du coauteur ou bien le coauteur du complice.

Par ailleurs, il est important de signaler que la visée de cet article est avant tout préventive : la disposition s'appliquera en amont de la commission des faits de violence ou de dégradation. Une fois le drame survenu, il est malheureusement trop tard pour agir.

En complément du décret pris samedi dernier par Mme la ministre de l’intérieur, qui interdit le port de la cagoule dans les manifestations, l'article 3 de notre texte vise à instaurer une circonstance aggravante lorsque l’auteur de certaines violences sur des personnes ou de dégradations de biens dissimule volontairement tout ou partie de son visage afin de ne pas être identifié. En effet, la dissimulation complique fortement le travail des enquêteurs, qui doivent identifier les auteurs des faits afin de les poursuivre. En outre, la dissimulation du visage contribue à impressionner les victimes et peut aggraver leur traumatisme.

Par ailleurs, l'article 4 de la proposition de loi prévoit que les enregistrements audiovisuels ou sonores des arrestations pourront être versés à la procédure afin d’éviter toute contestation.

Le deuxième pilier de ce texte concerne la sanctuarisation des établissements scolaires. Nous avons tous à l’esprit le drame survenu à Gagny ou les événements particulièrement choquants et inadmissibles qui se sont produits dans certains établissements scolaires et dont les enseignants, le personnel éducatif ou les élèves ont été victimes.

Ces actes intolérables ne peuvent ni ne doivent être tolérés dans la République.

S'agissant de la violence scolaire, il ne fait aucun doute que l'école doit être un sanctuaire de la République.

Aussi, l'article 5 de la proposition de loi procède-t-il à la réécriture de la disposition qui prévoit, d'ores et déjà, l'aggravation des peines encourues par les auteurs de violences commises sur les personnes chargées d'une mission de service public en raison de leurs fonctions, pour viser expressément les enseignants et les personnels travaillant dans les établissements d'enseignement scolaire, au même titre que les agents des entreprises de transports publics, déjà visés.

Par ailleurs, le texte propose d'aggraver l'incrimination des vols et extorsions commis dans les écoles ou à proximité, comme c'est déjà le cas pour les violences volontaires.

Nous proposons également – c’est un point essentiel du texte – de correctionnaliser l'intrusion dans les établissements scolaires. Désormais, entrer dans une école sans y être autorisé constituera un délit passible d'une peine d'emprisonnement d’un an et de 7 500 euros d'amende, s'il est commis par une personne avec une intention délictueuse. Le délit sera aggravé s'il est commis en bande ou par une personne porteuse d'une arme. Cette correctionnalisation a, en outre, l'intérêt de permettre de mettre en garde à vue le ou les délinquants.

Pour compléter ces dispositions et afin de lutter contre la prolifération des armes dans les établissements scolaires, la commission des lois a introduit un article additionnel tendant à punir toute intrusion d’une personne non autorisée dans un établissement. Il ne vise pas, par définition, les élèves inscrits régulièrement dans l’établissement concerné.

Devant la multiplication des cas d'élèves apportant des armes dans leur établissement, les commissaires aux lois ont souhaité que soit instaurée une infraction spécifique d'introduction d'une arme dans un établissement scolaire.

Ces mesures importantes sont assurément complémentaires de la politique de prévention de la délinquance dont notre pays s'est doté avec la loi du 5 mars 2007 et dont il apparaît désormais clairement qu'elle est trop peu appliquée sur le terrain.

Enfin, les dispositions relatives à l'absentéisme scolaire sont également peu appliquées alors même que le décrochage scolaire constitue très souvent et trop souvent le premier clignotant vers la délinquance.

Conscient de ces difficultés, le Président de la République a annoncé, pour septembre prochain, un plan de prévention de la délinquance qui répondra à ces difficultés et, j'en suis certain, constituera le pendant de cette proposition de loi sur le plan préventif.

Ces deux actions successives confirment que l'action du Gouvernement et de sa majorité est équilibrée et que la répression ne va pas sans la prévention. Une politique de prévention sans répression serait vouée à l’échec, une politique de répression sans prévention serait une hérésie.

Pour conclure, les crimes ou les délits ne sont pas plus excusables parce qu'ils sont commis en bande. La mort d'un jeune ne doit, ne peut pas être le résultat de guerres stupides de territoires. Je crois que nous pouvons tous nous retrouver sur ces points. Le seul territoire que je connaisse, c'est celui de la République. Ce territoire, c'est celui de la France et des Français. La République, c'est la garantie de notre État de droit, sur laquelle nous ne devons jamais transiger. Il n'est pas question de céder des territoires de la République à ceux qui voudraient les ériger en lieux de non-droit.

Il nous faut donc ensemble adresser un message clair et, je l’espère, unanime, compte tenu de l’importance de l’enjeu. C'est tout l'objectif de cette proposition de loi, qui, je l'espère, sera approuvée sur tous les bancs de notre assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, représentant le Gouvernement à l’occasion de la discussion de cette proposition de loi, j’ai le sentiment que, dans la logique de l’action que j’ai exercée depuis deux ans et dans la logique de nos discussions, nous sommes face à un problème qui intéresse l’ensemble de notre société, puisqu’il s’agit de la délinquance, mais également de la protection de nos concitoyens contre la violence.

Nous le savons, la violence est un phénomène qui a toujours existé dans les sociétés, mais qui prend, à certains moments, des formes ou une acuité nouvelle. La société change, la délinquance change. Nous devons donc faire en sorte d’adapter nos moyens techniques et juridiques à ces changements.

Alors que nous enregistrons une baisse générale de la délinquance depuis maintenant sept ans (« Non ! » sur les bancs du groupe SRC)…Faites attention, je vais vous communiquer de nouveau les chiffres !

M. Laurent Fabius. Et alors ?

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État. Je les ai encore en tête !

Je pense que, ce soir, nous pouvons effectivement affirmer que, si la délinquance baisse en général, nous constatons aussi de nouvelles formes de délinquance et de violence. Nous notons, en particulier, depuis la fin de l’année dernière, notamment au moment des événements de Gaza, une recrudescence des violences, particulièrement des violences non crapuleuses.

M. Daniel Goldberg. Quel est le lien ?

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État. Les violences intrafamiliales sont, elles aussi, plus nombreuses en termes de déclarations, ce qui est d’ailleurs une bonne chose.

M. Robert Lecou. Très bien !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État. Nous devons, à mon sens, continuer à proposer aux victimes un meilleur accueil afin de les amener à révéler un certain nombre de faits.

Il nous revient aussi de prendre les mesures nécessaires pour protéger nos concitoyens contre ces violences, qui peuvent être individuelles, mais qui sont encore plus insupportables lorsqu’elles sont collectives.

La proposition de loi déposée par Christian Estrosi répond à cette préoccupation, puisqu’elle tend à donner les moyens de faire face à certains types de violences – essentiellement les violences commises en bande et celles commises dans ou autour de l’école.

Face à cela, il faut bien constater que notre droit est lacunaire. En effet, s’il nous permet de réprimer certaines formes de violences, il y en existe d’autres contre lesquelles nous ne pouvons juridiquement pas lutter.

Je ne reviendrai pas sur les phénomènes de bandes dont nous avons souvent parlé. Ainsi, 222 bandes ont été répertoriées dont les activités sont très souvent liées au trafic de drogue. Nous devons également constater que certaines violences sont commises non par des bandes constituées elles-mêmes, mais simplement à l’occasion d’attroupements. Que ce soit à Gagny, à Lagny-sur-Marne ou dans le Val-d’Oise, nous avons effectivement pu mesurer l’impact que cela pouvait avoir, y compris dans les établissements scolaires. Je crois qu’il y a unanimité sur ces bancs pour reconnaître que l’école doit être un sanctuaire de stabilité et de sécurité parce que nous le devons à nos enfants et parce que, si nous voulons que le savoir soit transmis dans les meilleures conditions, il doit avant tout l’être en toute sécurité.

M. Robert Lecou. Tout à fait !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État. Nous disposons aujourd’hui d’un certain nombre de moyens. Les attroupements sur la voie publique peuvent être effectivement sanctionnés. Toutefois, les phénomènes de bandes ou de groupes de jeunes, parce qu’ils ne sont pas statiques, ne constituent pas un attroupement au caractère permanent et immobile. Il en va de même de l’association de malfaiteurs, incrimination qui n’est pas adaptée à la réalité de ce que sont aujourd’hui un certain nombre de bandes.

L’incrimination nouvelle prévue par la proposition de loi qui vous est soumise aujourd’hui tend justement à combler ces lacunes du droit qui ne nous permettent pas d’agir efficacement contre la violence des bandes ou d’un certain nombre de groupes.

Il est donc prévu – vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur – que la participation à une bande constituée pour commettre des atteintes aux personnes ou aux biens sera désormais punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Cette disposition présente l’avantage de ne pas avoir à attendre que le groupe ait déjà commis des violences, des agressions et ait déjà réalisé des dommages. Ce texte permet une action préventive efficace. Celui qui a été confronté à l’action de ces bandes – c’est le cas d’un certain nombre d’élus locaux de la région parisienne – sait que l’action préventive représente effectivement le seul moyen d’agir.

De plus, l’infraction de participation à une bande violente permet d’appréhender le phénomène dans son ensemble, qu’il s’agisse du regroupement de personnes qui se connaissent, telles les bandes dans les quartiers, ou qui ne se connaissent pas mais se retrouvent dans un lieu commun pour mener une action violente, préméditée ou non. C’est essentiellement le cas des « black blocs », dont on a pu constater, par exemple à Strasbourg, l’impact des actions menées. C’est vrai aussi des groupes de casseurs que l’on rencontre, dans un certain nombre de cas, dans les manifestations. Ces gens s’y joignent sans aucune idée à défendre – je rappelle que la possibilité de manifester est une liberté fondamentale dans notre pays – mais sont essentiellement, voire uniquement, là pour causer des dégradations ou pour mener des actions violentes.

Cette nouvelle incrimination permet également de lutter contre l’impunité souvent recherchée par des personnes qui agissent en groupe. L’idée du groupe, c’est de se mettre au milieu, d’agir et de déclarer, lorsque l’on est interpellé, que l’on n’y est pour rien. Il est essentiel, comme l’envisage la proposition de loi, d’imputer précisément et personnellement à chaque individu arrêté des actes qu’il a lui-même commis et de le poursuivre, comme c’est effectivement le cas aujourd’hui, mais de pouvoir également le faire sans avoir à apporter spécifiquement la preuve qu’il a directement participé aux violences ou aux dégradations commises.

Je tiens à préciser très clairement que l’incrimination prévue dans la loi n’établit en aucun cas une responsabilité collective. Vous savez que c’est un point sur lequel notre droit est très ferme. Chacun des membres du groupe poursuit, en fait, un même objectif délictueux qui le rend personnellement coupable. Pour le reste, chacun demeure bien entendu pénalement responsable de ses actes et des violences ou dégradations commises. Ces incriminations sont spécifiques.

La proposition de loi qui vous est soumise complète très utilement ce dispositif de lutte contre les bandes par l’introduction d’une nouvelle circonstance aggravante applicable aux infractions le plus souvent commises à visage dissimulé. Vous le savez, j’ai déjà eu l’occasion d’en parler à un certain nombre d’entre vous. Dans notre pays, quand on veut manifester des idées et des positions, on peut le faire à visage découvert.

Quand on est en groupe, quand on va dans une manifestation en se dissimulant le visage, en essayant de faire en sorte que son identité ne puisse pas être prouvée, c’est en général que l’on a des arrière-pensées qui ne sont pas si claires que cela. C’est bien la raison pour laquelle il est prévu une aggravation des peines pour les actions commises à visage couvert.

Cela va d’ailleurs dans le sens du décret en Conseil d’État du 19 juin 2009 que j’avais fait rédiger, qui incrimine le fait de dissimuler volontairement son visage en marge d’une manifestation afin de ne pas être identifié dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l’ordre public. En l’espèce, comme c’est normal pour un décret, il s’agissait d’une contravention, mais la disposition de la loi est totalement légitime lorsqu’il s’agit d’actes répréhensibles.

Ces phénomènes de bandes et d’exactions commises à visage caché rendent d’autant plus légitime une autre disposition de cette proposition de loi : l’enregistrement audiovisuel par les services de police de leurs interventions, que ce soit en maintien de l’ordre public ou dans un cadre judiciaire.

Je pense très sincèrement que cela permet d’améliorer le fonctionnement de la justice. Il est important que, même lorsque quelqu’un a essayé de dissimuler son visage, des images permettent a posteriori de disposer d’éléments objectifs pouvant contribuer à confondre les auteurs d’agressions. Cet enregistrement facilitera l’administration de la preuve, qui est souvent difficile dans un contexte de violences de groupe.

C’est également un gage de bonnes pratiques policières. L’enregistrement permet, en effet, et j’y tiens beaucoup, d’établir la vérité sur les circonstances et sur les actions menées par les services de police. L’on évitera ainsi des critiques appuyées, comme je l’ai souvent constaté, sur des images prises à la sauvette par des manifestants qui, bien entendu, ne montraient que les aspects qui les intéressaient. Avec des images bien encadrées, il n’y aura pas de contestation possible.

L’article 4 de la proposition de loi fixe, très opportunément, le régime juridique applicable à ces enregistrements lorsqu’ils sont joints à une procédure judiciaire. Ce régime, inspiré de celui applicable aux enregistrements audiovisuels des gardes à vue, est équilibré : c’est une garantie pour les droits de la défense, qui ne fragilise pas les procédures.

La disposition supplémentaire introduite par votre commission des lois à l’article 4 bis va dans le même sens. Elle permettra aux services de police d’exploiter les bandes de vidéosurveillance des immeubles d’habitation pour les besoins de leurs missions. C’est un élément extrêmement important, qui nous a notamment permis de retrouver des assassins.

Je terminerai par le dernier volet de la proposition de loi, celui qui vise à sanctuariser l’école. Je vous en parlais tout à l’heure et c’est un souci exprimé par tout le monde : l’école doit être absolument protégée, ce qui suppose la protection des lieux eux-mêmes et de leurs abords, mais également celle des personnes qui y travaillent.

Le rapporteur l’a justement relevé : l’intrusion dans un établissement scolaire est punie seulement aujourd’hui d’une contravention de cinquième classe. Les événements récents ont démontré la nécessité de rehausser le niveau de répression. C’est ce qui vous est proposé à l’article 7. Pénétrer dans l’enceinte d’un établissement sans y être autorisé sera un délit puni d’un an d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende. La peine pourra aller jusqu’à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende lorsqu’il est commis par plusieurs personnes armées.

Le texte n’aurait toutefois pas été complet sans un amendement de votre rapporteur adopté par la commission des lois. Si c’est un élève de l’établissement qui y vient avec des armes pour commettre un certain nombre d’actes, la peine sera de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. C’est un élément qui doit amener à réfléchir et donc à renforcer la sécurité dans les établissements.

Il y a aussi ce qui se passe autour des établissements. Des agressions ont en effet lieu régulièrement à l’extérieur. L’article 6 de la proposition de loi complète le code pénal en ajoutant une même circonstance aggravante pour les faits de vols et d’extorsions commis aux abords des établissements scolaires. Quand on fait du chantage à des jeunes, quand on leur arrache leur portable, quand on les menace, il faut pouvoir sévir.

Enfin, la sécurité des personnels eux-mêmes doit être renforcée, à l’intérieur des établissements bien entendu, mais également à l’extérieur. Un enseignant peut en effet se faire agresser dans une boutique ou dans un stade, non par hasard mais bien parce qu’il est l’enseignant de l’élève. Il doit être protégé. Sinon, on n’assurera pas le contexte de sécurité que l’on souhaite établir, qui est nécessaire pour que l’enseignement se passe dans un lieu où chacun se sente bien, et soit donc apte à développer le plus possible ses capacités.

Ce texte permettra d’améliorer concrètement, pragmatiquement et de façon équilibrée la sécurité face à des phénomènes qui se développent et qui, si nous ne les arrêtons pas, risquent de représenter un véritable danger pour les lieux les plus fragiles de la société – je pense à un certain nombre de quartiers, mais aussi aux établissements scolaires et à ceux qui les font vivre. Je souhaite donc qu’il soit largement approuvé.

Vous savez, l’autorité de l’État ne peut en aucun cas s’accommoder d’une logique telle que l’on utilise la violence pour contester des événements quels qu’ils soient ou des personnes.

Ce qui me frappe, c’est que nous sommes dans une société où l’autorité est contestée en soi. Les forces de police ou de gendarmerie sont l’objet d’agressions. À plusieurs reprises au cours de ces dernières années, des pompiers ont été attaqués et n’ont pu faire les gestes de premier secours, ce qui a causé la mort de certaines personnes, tout cela parce qu’ils représentaient l’autorité. Des conducteurs de bus sont attaqués, non pour être volés, mais parce qu’ils représentent une autorité.

Je m’adresse aux représentants de la nation : l’autorité de la loi, qui doit être sereine, doit être aussi respectée. La loi, c’est le fondement de l’unité de notre société. Nous n’avons pas le droit de laisser certains, au nom d’on ne sait quoi, contester cette autorité en mettant à mal la vie ou l’intégrité des autres. C’est aussi le problème que nous avons à régler, sur tous les bancs. La justice est un facteur de l’unité nationale ; il est indispensable de donner ce message très fort.

Des hommes et des femmes ont décidé de consacrer leur vie à la défense des autres, au respect de la justice. Nous devons leur donner les moyens de le faire, en sachant qu’ils ne vont pas agir seuls. La sécurité de tous et l’autorité de l’État ne pourront résulter que d’une action commune. Les élus, les maires, la justice, la police, la gendarmerie et les associations ont leur rôle, mais, sans les fondamentaux de notre société, c’est-à-dire la sécurité et le caractère pacifié, les autres actions sont impossibles.

Soyez-en persuadés, la détermination du Gouvernement en la matière est totale, car c’est notre responsabilité d’assurer de façon permanente, en tout lieu et en tout temps, les règles qui sont celles de la République et qui commencent d’abord par la protection des personnes et des biens.

C’est la raison pour laquelle je vous invite à voter ce texte. Je suis persuadée que c’est un moyen supplémentaire pour que chacun se trouve bien dans ce pays, pour que l’on retrouve l’envie de partager un destin commun à tous parce que chacun s’y retrouve. Au-delà des divergences idéologiques que nous pouvons avoir, c’est un devoir pour nous, ne l’oublions pas, et c’est aussi la grandeur de notre mission. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Exception d’irrecevabilité

M. le président. J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une exception d’irrecevabilité déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à Mme Delphine Batho.

Mme Delphine Batho. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous attendons ce débat depuis longtemps, car nous attendons depuis longtemps un véritable débat entre la majorité et l’opposition sur la lutte contre l’insécurité.

L’auteur de cette proposition de loi avait fait preuve d’un activisme certain dans la promotion de ce texte, dont je veux croire qu’il n’était pas un simple prétexte dans la perspective d’un remaniement. (Protestations sur plusieurs bancs du groupe UMP.) En tout cas, nous nous trouvons dans cette situation un peu curieuse où il n’est pas là pour la défendre, mais, au fond, les ministres et les rapporteurs changent, le texte reste le texte, et c’est tout ce dont nous devons débattre ce soir.

M. Éric Raoult. Il a eu une promotion !

M. Jean-Pierre Door. Il faut le féliciter !

Mme Delphine Batho. Puisque nous parlons de gouvernement, de remaniement et des responsabilités ministérielles, je vous avoue qu’à plusieurs reprises, ces dernières semaines, en entendant le rapporteur initial de ce texte, comme à nouveau M. Ciotti tout à l’heure, décrire l’évolution et la mutation des phénomènes de violences, et notamment de celles qui sont commises par des bandes délinquantes, je me demandais qui avait été le principal ministre de l’intérieur au cours des sept dernières années.

Si la gauche était au pouvoir (« Oh non ! » sur les bancs du groupe UMP) et qu’un jeune de dix-sept ans avait été tué au Blanc-Mesnil dans la nuit de samedi à dimanche,…

M. Jean-Pierre Gorges. Qu’auriez-vous fait ?

Mme Delphine Batho. …si la gauche était au pouvoir et que des policiers s’étaient fait tirer dessus à l’arme de guerre à La Courneuve, si la gauche était au pouvoir et qu’en dépit de la mobilisation de 14 200 policiers et gendarmes lors de la nuit de la fête de la musique, il y avait eu six blessés par balle et arme blanche, vous ne seriez pas là en train de parler de consensus, d’unanimité, de large approbation, vous seriez en train de demander la démission de plusieurs ministres. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Oui, les problèmes sont graves et, je l’affirme pour commencer, l’évolution des phénomènes de bandes délinquantes est la conséquence directe de la politique menée depuis 2002.

Ces bandes violentes ne sont pas à proprement parler un phénomène nouveau. « L’éradication des zones de non-droit livrées à l’économie souterraine et à la loi des bandes constitue un devoir prioritaire », proclamait Nicolas Sarkozy ici même en juillet 2002 en présentant son projet de loi d’orientation pour la sécurité.

Honnêtement, l’opposition, comme tout le monde, comme chaque Français, aurait préféré que cet objectif soit atteint et que vous ayez réussi. Hélas, c’est un fait que les zones de non-droit n’ont pas été éradiquées et que la République continue de reculer.

Pourquoi ? Quelles difficultés avez-vous rencontrées ? Avez-vous dégagé les moyens nécessaires ? Au bout de sept ans, ne pensez-vous pas que le moment soit venu de tirer quelques leçons de cet échec ? Et ce d’autant plus que de nouveaux paliers sont franchis dans la gravité des actes, quand on en est à tirer sur des policiers ?

Tous les acteurs de terrain que nous avons auditionnés ont souligné le caractère protéiforme des phénomènes de bande, en distinguant celles liées à l’économie souterraine et à la délinquance mafieuse, et les groupes beaucoup moins structurés, plus spontanés, dont les affrontements sont le plus souvent fortuits mais peuvent être d’une extrême violence.

Derrière ces violences de bandes, il y a bien sûr de graves carences dans la socialisation des adolescents, marqués par l’échec scolaire, le racisme, la pauvreté, le ghetto. S’y ajoute votre échec sur trois fronts majeurs : l’économie souterraine, les zones de non-droit, l’impunité.

C’est l’économie souterraine, tout d’abord, qui structure les bandes, par l’organisation des trafics mais aussi par le modèle de comportement qu’elles véhiculent : consumérisme, argent roi, contre-société où la violence est omniprésente. Le combat contre cette économie souterraine n’est pas réellement mené, notamment contre les petits trafics. Les GIR étaient un dispositif utile, mais, trop éloignés du terrain, ils ne peuvent se substituer à une stratégie méthodique de police judiciaire à l’échelle locale d’un territoire pour démanteler les réseaux d’économie souterraine, stratégie qui fait actuellement défaut.

En ce qui concerne les zones de non-droit, loin de la reconquête promise, un partage territorial a été acté, ces territoires étant désormais traités comme des territoires extérieurs à la République. Non seulement la police de proximité a été supprimée, mais encore le terrain a été abandonné. La police tourne, fait parfois des incursions, des opérations coup de poing superficielles, mais ne protège pas la population au quotidien.

Nous assistons aussi à l’exacerbation des tensions et à une logique d’affrontement ; la police est harcelée et fédère désormais contre elle bien au-delà des délinquants, ce qui n’est pas le moindre des problèmes de la situation actuelle. Cette situation est d’ailleurs telle, madame la ministre d’État, que vous avez tenté de mettre en place un dispositif correctif, avec les UTEQ.

Enfin, alors que l’impunité était au cœur de votre campagne en 2002 – vous en aviez même fait un slogan : « L’impunité zéro » – rien n’est réglé de ces situations que tous les élus de terrain dénoncent depuis des années et qui pèsent lourdement sur le moral des policiers, situations dans lesquelles la police intervient, interpelle, défère à la justice, sans qu’aucune sanction soit prononcée ou sans que la peine soit jamais exécutée. La seule réponse que vous avez apportée à ce problème a été une inflation législative sans précédent pour durcir les peines.

Toute votre politique repose sur l’idée fausse que durcir les peines serait dissuasif et efficace. Or ce n’est ni l’un ni l’autre. Refusant toute analyse objective, tout examen pragmatique des résultats de votre politique, la majorité parlementaire sacrifie régulièrement à une fuite en avant dans l’inflation du droit pénal, comme on sacrifie à une croyance religieuse.

Peu importe que toutes les recherches scientifiques récentes en criminologie montrent que le recours renforcé à la prison et des peines plus lourdes n’ont pas d’impact sur la criminalité et augmentent la récidive. La politique que vous menez depuis sept ans s’avère contre-productive ; elle contribue en fait à structurer une criminalité encore plus endurcie. J’en veux pour preuve l’évolution récente la plus marquante, qui est le passage d’une délinquance de rue au banditisme.

Même si le phénomène des bandes en France n’est en rien comparable avec celui des 24 500 gangs qui sévissent aux États-Unis ni avec celui des gangs de rue du Canada, responsables à eux seuls de 20 % des homicides dans ce pays, nombreux sont les acteurs de terrain qui soulignent que la montée en puissance des bandes délinquantes, notamment en Île-de-France, constitue une véritable bombe à retardement.

C’est ma deuxième affirmation dans ce débat. Il y a urgence à agir. Une autre politique de sécurité est nécessaire et doit être mise en place.

Nous avons bien entendu le rapporteur initial, M. Estrosi, en appeler désormais à une adaptation permanente de la politique de sécurité et même parler de « sécurité durable », reprenant ainsi, ce qui ne manque pas d’ironie, le concept central inscrit dans le projet socialiste de 2006, qui proposait de « garantir une sécurité durable pour tous et partout ».

Mais il ne suffit pas de reprendre nos mots et de s’inspirer de nos concepts ; il faut aller jusqu’au bout du raisonnement et opérer quatre changements stratégiques dans la politique de sécurité.

Nous défendrons au cours de la discussion quinze propositions concrètes sous formes d’amendements. Elles s’appuient sur l’expérience de nos élus locaux, mais aussi, pour une part, sur l’exemple du plan d’intervention québécois sur les gangs de rue pour la période 2007-2010, qui prévoit trente-quatre mesures concrètes auprès des jeunes à risque ainsi qu’un budget de 92,3 millions de dollars.

Premier changement à opérer : celui de la présence de la police sur le territoire et de ses modes d’interventions. Contre l’économie souterraine et les zones de non-droit, il faut déployer partout où cela est nécessaire une véritable police de quartier, une police, j’allais dire, « normale », présente au quotidien, disposant du panel des différents services et, en priorité, des moyens de renseignements et d’investigation judiciaire permettant de mener les enquêtes à même de casser l’organisation des trafics qui mettent les quartiers en coupe réglée.

Nous proposons donc un dispositif bien différent, bien plus conséquent que celui du saupoudrage des UTEQ. Nous proposons très concrètement de redéployer 8 000 policiers sur les territoires d’insécurité prioritaires ; c’est le nombre de policiers que le Gouvernement considère comme inutiles et prévoit de supprimer d’ici à 2013 dans le cadre de la révision générale des politiques publiques.

Dans chaque commune où ce dispositif de police de quartier sera mis en place, nous proposons également de généraliser des groupes opérationnels chargés des violences urbaines et des phénomènes de bandes, avec tous les partenaires concernés, afin d’inscrire le travail de la police dans une stratégie territoriale globale.

Deuxième changement : contre l’impunité, il faut un système de sanction précoce, permettant de sanctionner les primo-délinquants de façon ferme, solide, avec un suivi intensif et de réelles prises en charge alternatives à la prison, pour qu’ils ne récidivent pas. Plusieurs amendements seront présentés, notamment par mon collègue Dominique Raimbourg, afin de réduire les délais de jugement des primo-délinquants et d’instaurer un système de tuteur référent chargé de la sanction comme de la prise en charge globale du délinquant.

Troisième changement : contre les violences juvéniles, nous proposons une grande politique de prévention précoce. Absentéisme, décrochage scolaire, enfants à la dérive et incontrôlables, parents désemparés, crispation des jeunes garçons sur leur identité masculine, absence de repères : voilà les facteurs clefs qui favorisent l’entrée dans une culture de la rue et de la violence. Alors que le besoin d’éducation n’a jamais été aussi fort, la majorité parlementaire n’évoque la prévention que comme une formule de politesse, que vous répétez rituellement dans chaque débat de ce genre.

Jamais les dispositifs et les moyens nécessaires n’ont été déployés. J’en veux pour preuve que le budget interministériel de prévention que vous aviez vous-même créé, madame la ministre d’État, avec la loi de 2007, a été presque entièrement détourné de sa vocation initiale, qui était de soutenir les actions préventives de terrain, pour financer l’installation de systèmes de vidéosurveillance. Nous ferons également des propositions sur les phénomènes de déscolarisation et de violences scolaires ; elles seront présentées par ma collègue Sandrine Mazetier.

Le quatrième et dernier changement à opérer porte sur le combat, qui n’est pas réellement mené aujourd’hui, contre la loi du silence et pour soutenir les victimes. Nous proposerons une mesure très simple, j’allais dire élémentaire : le droit pour chaque victime de violence d’avoir un avocat dès le dépôt de plainte.

Voilà les solutions que nous mettons sur la table, avec sérieux et méthode. Si la majorité choisit d’aller dans cette direction, nous le dirons et nous nous en féliciterons. Malheureusement, le débat en commission a montré que vous étiez prisonniers d’une vision dogmatique.

Dans le débat de ce soir, deux conceptions, deux stratégies s’opposent : l’une moderne, pragmatique, autour de la démarche nouvelle de fermeté et de précocité d’action ;…

M. Jean-Pierre Gorges. C’est ça !

Mme Delphine Batho. …l’autre, archaïque, qui consiste à poursuivre dans la voie d’une inflation législative permanente et inopérante.

Cette proposition de loi trahit non seulement une méconnaissance des véritables urgences, ce qui est grave, mais elle constitue aussi, hélas, un refus d’y répondre, ce qui est dramatique.

Pour la quinzième fois en sept ans, on nous propose de légiférer en matière de droit pénal. En soi, c’est un élément.

Malgré cette prévention, nous avons voulu examiner ce texte de façon approfondie. Outre les auditions organisées par le rapporteur, nous avons, de façon complémentaire, organisé nous-mêmes vingt-sept auditions de policiers, de magistrats, de criminologues et de maires de banlieues.

Nombre d’élus socialistes sont confrontés à ces problèmes au quotidien et travaillent sur ces sujets depuis des années ; ils savent donc de quoi ils parlent. C’est pourquoi notre seule méthode, notre seule boussole, en examinant de façon approfondie votre texte, a été de nous demander s’il apportait quelque chose et s’il serait efficace.

Bien sûr, nous discuterons au cours du débat de chacune des dispositions et peut-être nous rejoindrons-nous sur certaines d’entre elles, notamment en ce qui concerne la protection des personnels de l’enseignement scolaire ou encore l’enregistrement audiovisuel des interventions de la police.

Mais là n’est pas le cœur de cette proposition de loi, qui vise les violences de groupes. Y a-t-il un vide juridique empêchant de lutter contre les bandes violentes ? La réponse est non.

Soit nous avons affaire à une bande structurée par l’économie souterraine, et elle tombe alors sous le coup des dispositions relatives aux bandes organisées, à savoir l’article 132-71 du code pénal : « Constitue une bande organisée au sens de la loi tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’une ou plusieurs infractions. » On ne saurait faire définition plus large.

Soit nous avons affaire à des violences commises en groupe, et l’arsenal est, là aussi, très précis.

Si ces violences visent les forces de l’ordre, elles correspondent aux situations visées par les dispositions relatives à la rébellion, au guet-apens et à l’embuscade ; ce sont les articles 433-6 et suivants, 222-15-1 et 132-71-1 du code pénal.

S’il s’agit de violences entre bandes rivales, les dispositions réprimant la violence en réunion peuvent s’appliquer – huitième alinéa des articles 222-8, 222-10, 222-12, 222-13 –, de même que celles relatives aux atteintes aux biens commises en réunion – article 322-3-1 – et, préventivement, celles relatives aux attroupements – articles 431-3 et suivants.

Bref, tous les comportements que cette proposition de loi prétend viser sont déjà constitutifs de délits dans l’état actuel du droit pénal.

Ce texte sera-t-il efficace ? En d’autres termes, constituera-t-il un outil supplémentaire pour les policiers et les magistrats ? La réponse est non.

Le rédacteur du texte a tenté de répondre par une illusion aux difficultés que rencontrent parfois les policiers pour établir qui a précisément fait quoi. Cette illusion, c’est celle qui prétend que l’instauration d’une responsabilité pénale collective – j’y reviendrai – permettrait de contourner la nécessité de la preuve.

Mais des preuves, il en faudra toujours ! Ainsi, l’application de l’article 1er nécessitera toujours de prouver qu’un individu a, en connaissance de cause, pris part à une bande, dont il faudra prouver qu’elle avait elle-même le but de commettre des violences ou des dégradations. Loin de clarifier le droit, comme le propose notre amendement sur la notion de coauteur, chaque terme, chaque virgule de cet article 1er donnera lieu à interprétation.

C’est pourquoi de nombreux policiers et magistrats se sont montrés si réservés sur ce dispositif. Je citerai ceux que nous avons auditionnés.

C’est le Syndicat des personnels de direction de l’Éducation nationale qui dénonce des mesures « totalement inappropriées ».

C’est la proviseure du lycée de Gagny qui souligne que « la peur de la sanction ne fera rien ».

C’est Jean-François Molins, procureur de la République à Bobigny, qui écrit : « Je ne suis pas persuadé qu’en réalité la création d’une infraction nouvelle de participation à une bande armée apporte véritablement grand-chose en termes d’efficacité répressive par rapport à l’arsenal dont nous disposons. »

M. Éric Raoult. Vous tronquez ses propos !

Mme Delphine Batho. C’est Alain Bauer, président de l’Observatoire national de la délinquance, qui affirme : « La rédaction du texte, qui rappelle celui de 1970, peut susciter de légitimes interrogations sur les difficultés judiciaires quant à son application. »

C'est l’UNSA-Police qui a « beaucoup de réserves ». C’est Sylvie Feucher, secrétaire générale du Syndicat des commissaires de la police nationale, qui dit : « En affichage on aura un texte dédié. On aura un affichage certes, mais un affichage sans réponse. On est dans le zapping sécuritaire. » Et d’ajouter : « En ce qui concerne la cagoule, je souhaite bien du mal aux magistrats. »

C’est Nicolas Comte, secrétaire général du Syndicat général de la police-Force Ouvrière, qui dit : « Ce ne sera pas un outil supplémentaire pour les policiers. Ce n’est pas l’arsenal juridique qui manque ; on manque d’une politique de sécurité qui ne soit pas morcelée. En renseignement, on n’a pas les moyens de travailler sur les violences urbaines ».

Même les plus favorables à votre texte ne cachent pas leurs doutes. C’est le Syndicat indépendant des commissaires de police qui se dit « plutôt en accord avec le texte mais très dubitatif sur l’application » et demande une modification de l’article 1er : « Il faut parler d’actes qui ont été commis. Il faut des éléments objectifs et il en faudra toujours ».

C'est Bruno Beschizza, de Synergie Officiers, qui rappelle : « on a déjà l'expérience de textes qu'on a soutenus et qui n'ont pas été appliqués ».

C'est le Syndicat indépendant des officiers de police qui, dans un communiqué, souligne « que les applications techniques seront parfois difficiles à mettre en œuvre ».

M. Éric Raoult. C’est malhonnête de citer comme cela !

M. Philippe Vuilque. Écoutez !

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Cela vous gêne ?

M. le président. Mes chers collègues, nous écoutons Mme Batho.

Mme Delphine Batho. Je ne parle même pas de l'Union syndicale des magistrats, qui dit « avoir été consternée de constater que sa consultation n 'était que de façade » et qui estime « l'arsenal législatif existant suffisant pour réprimer l'ensemble des comportements décrits ».

M. Éric Raoult. Oh !

M. Jean-Jacques Urvoas. Venez aux auditions, monsieur Raoult, vous verrez !

Mme Delphine Batho. En fait, ce texte n'a pas été écrit à partir des besoins concrets de ceux qui sont sur le terrain et qui font un usage quotidien de la loi. En termes d’efficacité, ce texte n'est pas à la hauteur.

Mais le devoir du législateur, c'est aussi de respecter les règles qui lui sont imposées. Or ce texte ne respecte pas les règles constitutionnelles. C'est pourquoi nous défendons cette motion, non pas comme un exercice formel, mais sur le fond, car les motifs d'irrecevabilité sont nombreux.

Premier motif d’irrecevabilité : la légalité des délits et des peines, qui impose au législateur de définir précisément les éléments constitutifs d'une infraction. Or la lecture de l'article 1er est délicate. L'incertitude est partout et la précision nulle part.

Incertitude sur la notion de participation « en connaissance de cause » : la connaissance doit-elle concerner le fait de participer à un groupe, ou le fait de participer à un groupe qui poursuit un but violent ?

Incertitude sur la notion de groupement : quelle est la nature du groupement visé ? Cet article ne le précise pas, contrairement aux textes définissant la bande organisée ou l'association de malfaiteurs.

Incertitude sur le but poursuivi. La rédaction « un groupement qui poursuit le but » suppose qu'un groupement en lui-même serait capable d'avoir une volonté distincte de celle des membres qui le composent.

Incertitude sur cette formulation « qui poursuit le but, caractérisé par un ou plusieurs faits matériels » alors que l'article 450-1 du code pénal fait référence, lui, en ce qui concerne les faits matériels, à des actes préparatoires.

Incertitude quant aux termes « dissimulant volontairement en tout ou partie son visage », termes qui ne sont pas dans le décret du 19 juin sur les cagoules, pris, lui, après avis du Conseil d'État.

Le législateur n'exerce pas non plus pleinement les compétences que lui confère l'article 34 de la Constitution.

L'article 1er prévoit des peines identiques sans distinguer selon la gravité des violences ou des dégradations projetées. Que les violences soient aggravées ou pas, que les dégradations entraînent un danger pour les personnes ou pas, la peine prévue est identique. Que le groupement ait projeté de dégrader des nains de jardins dans le voisinage, de déchirer des affiches publicitaires dans le métro, ou, fait beaucoup plus grave, que ce groupement ait décidé d'une expédition punitive dans un lycée à coup de batte de base-ball comme à Gagny, la peine encourue est la même.

Deuxième motif d'irrecevabilité : cette proposition de loi méconnaît le principe selon lequel « nul n'est punissable que de son propre fait ». Ce principe a été rappelé dans la décision du Conseil constitutionnel du 16 juin 1999. Or ce texte prévoit bien de punir pour le fait d'autrui.

L'article 2 prévoit ainsi qu'un tiers, par exemple un simple manifestant, qui ne porte pas d'arme et qui n'aura pas forcément vu qu'une ou plusieurs personnes à proximité de lui sont des casseurs qui portent des armes de façon apparente, sera passible de la même peine que celui qui porte une arme.

De même, l'article 1er instaure de fait une responsabilité pénale collective. Évidemment, monsieur le rapporteur et vous-même, madame la ministre d’État, vous vous en défendez. Mais, si telle n'était pas votre intention, vous auriez procédé différemment, vous auriez, par exemple, abaissé le seuil de l'association de malfaiteurs aux délits punis de trois ans d'emprisonnement.

Ce n'est pas ce que vous avez fait et toute la rédaction de la proposition montre bien cette volonté qu'une personne puisse être jugée pour des intentions ou des actes commis par un groupe, donc par des tiers, sans qu'il soit besoin d'établir que la personne en a été coauteur ou complice.

L'article 1er supprime ainsi la nécessité d'établir l'élément intentionnel : être vu dans le groupe prouvera l'intention d'en faire partie. Et si je prends l’exemple de ce que nous avons vécu pendant les violences urbaines de l’automne 2005, le père de famille qui se trouve près d’un groupe, qui essaie, par ses propos, de calmer, d’empêcher qu’une voiture soit incendiée, ne pourra voir, avec ces dispositions, sa responsabilité pénale exonérée.

Ce texte est en fait un texte idéologique.

Il est tout entier construit autour de cette mystification du rétablissement d'une responsabilité pénale collective. C'est le vieux rêve de la droite de rétablir la loi anticasseurs de 1970.

Mme George Pau-Langevin. Absolument !

Mme Delphine Batho. C'est pour la majorité parlementaire une obsession, car, depuis 2002, pas moins de six propositions de loi ont été déposées, par MM. de Robien, Garraud, Fenech, Raoult, Martin, Julia, visant à rétablir certaines des dispositions abrogées en 1981.

M. Jean-Jacques Urvoas. Ils sont tous là !

Mme Delphine Batho. À croire qu'un esprit de revanche sur 1981 vous anime encore. Vous vous trompez d'époque !

Je faisais le parallèle avec la loi de 1970 à l'instant, mais j'avais tort. Car ce texte est, en réalité, bien pire que la loi de 1970.

La loi de 1970 faisait un amalgame entre les instigateurs de violences dans un rassemblement et les personnes qui étaient simplement là, qui n'avaient pas participé à des violences. Mais, au moins, ce qui était concerné, c’était des faits !

Rien de tel dans cette proposition de loi, où ce ne sont plus les faits qui sont pris en considération, mais la seule intention de les commettre, ce qui est bien différent.

M. Jean-Jacques Urvoas. Exactement !

Mme Delphine Batho. M. Estrosi avait raison d'écrire, page 37 de son rapport, que « cette disposition n'est pas une réécriture de l’incrimination prévue dans la loi anticasseurs, abrogée en 1981, qui présenterait de gros risques constitutionnels ».

Non, ce n'est pas une réécriture ; c'est bien plus grave. Et le gros risque constitutionnel est toujours là.

L'article 1er aurait ainsi, selon lui, une visée préventive. Il s'agirait de démanteler les bandes avant qu'elles n'agissent. N'en étant pas à un excès près dans la justification d'une telle interprétation, M. Estrosi était même allé jusqu'à prétendre que sa proposition de loi aurait permis d’éviter l'assassinat d'Ilan Halimi.

Pour agir en amont, nous avons besoin non pas de droit pénal, mais d'une précocité de la prévention et de la sanction telle que nous la défendons, d'une police judiciaire d'investigation au plus près du terrain, capable de conduire, en amont, les enquêtes nécessaires en utilisant la notion classique de bande organisée et d'actes préparatoires, d'auteurs et de co-auteurs. Or, selon le rédacteur de cette proposition de loi, l'article 1er s'appliquera alors qu'aucune violence ou dégradation n'aura été commise.

La logique de cet article ne manquera pas alors de poser un problème au Conseil constitutionnel, qui doit s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue, comme il l’a rappelé dans sa décision du 9 août 2007.

Le mécanisme que prévoit l'article 1er aboutit en effet à ce que l'intention de commettre un délit sera plus sévèrement punie que la commission du délit lui-même. Ainsi, l'intention de commettre des dégradations en groupe sera punie de trois ans, alors que la dégradation elle-même est punie de deux ans. De même, l'intention de commettre des violences sera punie de la même peine que si ces violences ont été effectivement commises et ont abouti à une ITT de moins de huit jours.

Songeons aux effets pervers qu'un tel mécanisme risque d'engendrer.

Comme le dit Sébastian Roché, chercheur au CNRS, spécialiste de la délinquance des mineurs, « si on introduit une procédure qui permet de condamner des personnes sur la base d'une intention, sans avoir de preuve de leur implication individuelle, il faut s'attendre à des retours de bâton, voire à des émeutes, comme des décisions de justice controversées ont pu en déclencher en France, aux États-Unis ou ailleurs ».

Enfin, nos inquiétudes concernant notamment les articles 2 et 7 de la proposition de loi n'ont pas été dissipées. Ces dispositions pourront être utilisées à une tout autre fin que la lutte contre les bandes.

Des policiers ont affirmé, lors des auditions, que, si ce texte sera difficile à appliquer et relativement inefficace concernant les phénomènes de bandes, il sera, en revanche, particulièrement applicable concernant les manifestations et les contestations sociales.

L'article 2, je le disais tout à l’heure, permettra de s’en prendre à un simple manifestant qui aurait participé tranquillement à un défilé si d'autres personnes, par exemple des casseurs, portent des armes.

L'article 7, lui, rend passible d'un an de prison et donc de la comparution immédiate n'importe quel parent d'élève ou lycéen qui se sera simplement maintenu dans un établissement scolaire, sans commettre la moindre dégradation. Cet article pourrait s'appliquer par exemple à la nuit des écoles organisée par des parents d'élèves, ou bien à une assemblée générale ou une occupation décidée par des lycéens.

M. Éric Raoult. C’est excessif !

Mme Sandrine Mazetier. Lisez le texte, monsieur Raoult !

Mme Delphine Batho. D'ailleurs, les lycéens seront sans doute étonnés d'apprendre que, pendant que M. Descoings était chargé de les rassurer sur la réforme des lycées, M. Estrosi s'est chargé de les criminaliser. (Protestations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme Marie-Louise Fort. Tout ce qui est outrancier est excessif !

Mme Delphine Batho. On retrouve, ici encore, la même philosophie, la même inspiration que celle de la loi de 1970, qui avait été principalement appliquée, non pas aux casseurs, mais à des responsables d'organisations syndicales, à des syndicalistes ouvriers, enseignants, ainsi qu'à de nombreux syndicalistes agricoles.

M. Jean-Jacques Urvoas. Absolument !

Mme Delphine Batho. C'est un motif d'irrecevabilité supplémentaire.

Cette disposition heurte les droits d'expression qui découlent de l'article XI de la Déclaration des droits de l'homme, rappelés par la décision du Conseil constitutionnel du 18 janvier 1995. Cet article 7 fait fi des règles constantes de la procédure pénale selon lesquelles un acte politique, l'occupation d'un établissement scolaire, ne peut en aucun cas être passible de la comparution immédiate.

Chers collègues, il n'y a pas de vide juridique qui justifierait, qui excuserait l'impuissance et l'incapacité d'agir du Gouvernement face aux phénomènes de bandes. Ce texte n'apporte pas d'efficacité nouvelle, mais risque, par sa complexité, de rendre plus difficile l'application du droit. Il est, en plusieurs points essentiels, absolument contraire à bien des règles élémentaires prévues par notre Constitution.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, l'Assemblée nationale doit avoir la sagesse de voter l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Jean-Pierre Door. Certainement pas !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Madame Batho, je relèverai d’abord les arguments politiques que vous avez soulevés et qui ne me paraissent pas avoir de place dans ce débat.

M. Philippe Vuilque. Les arguments juridiques vous gênent !

M. Éric Ciotti, rapporteur. Associer la préparation du remaniement au texte qui nous réunit ce soir me paraît un argument d’un simplisme totalement dépassé. Ce qui s’est passé à Gagny et dans plusieurs autres lieux de notre territoire n’était évidemment pas organisé en fonction du remaniement. Les accusations que vous avez portées contre Christian Estrosi me paraissent donc totalement déplacées.

M. Daniel Poulou. Très bien !

M. Éric Ciotti, rapporteur. Sur le reste, je laisserai Mme la ministre d’État rappeler l’évolution de la délinquance qu’elle a combattue avec beaucoup d’efficacité. Cela vous gêne de constater les résultats du Gouvernement ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Philippe Vuilque. Quelle efficacité ?

M. Jean-Claude Bouchet. C’est la vérité !

M. Éric Ciotti, rapporteur. Ainsi, grâce à une meilleure efficacité de la police de la République, 2 millions de victimes ont été épargnées. Cela vous gêne, mais c’est la vérité. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

Ensuite, vous avez fait parler beaucoup de personnes, des syndicalistes, des magistrats, des policiers. J’ai assisté, tout comme vous, à l’ensemble des auditions aux côtés de Christian Estrosi.

M. Philippe Vuilque. Pas aux nôtres !

M. Éric Ciotti, rapporteur. Manifestement, nous n’avons pas entendu les mêmes arguments, nous n’avons pas écouté les mêmes personnes. Je ne veux pas alourdir le débat, je ne ferai que reprendre un propos cité dans le rapport de Maurice Signolet, le chef du service d’investigations de la DPUP, la direction de la police urbaine de proximité de la préfecture de police de Paris, selon lesquels l’article 1er apportera « un outil extraordinaire » à la police pour faciliter les investigations. C’est l’expérience d’un policier concret, qui ne peut pas être suspecté de partialité puisque c’est vous qui avez proposé son audition.

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Bravo !

M. Éric Ciotti, rapporteur. Sur le fond, vous avez posé deux questions essentielles et qui doivent en effet nous préoccuper : est-ce utile, est-ce constitutionnel ?

Ce texte est-il utile ? La réponse est oui. Là aussi, je relève une contradiction dans votre propos liminaire. Vous disiez, en évoquant notamment le Canada ou les États-Unis, que les bandes étaient une bombe à retardement qui menaçait notre pays. Vous ne pouvez pas pointer ce risque de bombe à retardement, et sur ce point on peut tous être d’accord – d’ailleurs, en commission, des voix pleines de sagesse telles celles de Manuel Valls ou de M. Pupponi, qui sont des élus de terrain confrontés à ces difficultés, ont tenu des propos consensuels –,…

M. Philippe Vuilque. M. Pupponi va vous répondre.

M. Éric Ciotti, rapporteur. …et en même temps prétendre qu’il est totalement inutile de légiférer, que la situation actuelle est parfaite.

Ce texte est-il constitutionnel ? Je ne peux pas vous laisser dire que nous répéterions ici la loi anti-casseurs en substituant à une responsabilité individuelle une responsabilité collective. Rien n’est plus faux. Cette proposition sanctionne seulement la participation à un groupe violent. Ce délit spécifique est individuel. En effet, il serait contraire aux principes fondamentaux de notre droit comme aux décisions du Conseil constitutionnel de créer un délit collectif.

J’insiste sur le fait que ce texte a une visée préventive : il permet d’incriminer avant la commission de l’infraction. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Philippe Vuilque. Le Conseil constitutionnel va se régaler !

M. Éric Ciotti, rapporteur. Nous verrons bien quand il statuera !

Mme Batho a rappelé que le code pénal réprime certains délits, comme les attroupements ou le crime en bande organisée. Mais il s’agit là de sanctionner des faits après qu’ils ont été commis tandis que l’objectif de ce texte est, je le répète, de prévenir la commission de certaines infractions.

Enfin, je veux rétablir la vérité sur un point : l’article 450-1 du code pénal réprime l’association de malfaiteurs, c’est-à-dire la formation d’un groupement en vue de préparer des crimes ou délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement. Or tous les maires – y compris ceux qui siègent sur vos bancs, qui l’ont reconnu en commission avec beaucoup de sagesse – savent que les actes commis par les bandes entraînent généralement des incapacités totales de travail de moins de huit jours, et sont à ce titre passibles de peines de prison inférieures à trois ans. Ces délits ne sont donc pas concernés par l’article 450-1.

Ainsi, la proposition de loi est utile. Vous en avez vous-même montré la nécessité. Elle est constitutionnelle, fondée juridiquement, concrète, pragmatique et pertinente.

Mme Laurence Dumont. N’importe quoi !

M. Éric Ciotti, rapporteur. Dans toute cette mesure, elle s’éloigne de l’idéologie naïve que prône votre groupe ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre d’État.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État. Vous avez parlé d’idéologie, madame Batho, mais je crois que celle-ci réside plus dans vos propos que dans ce texte. (« Absolument ! » sur les bancs du groupe UMP.) Je regrette d’ailleurs que vous ayez choisi le registre de la caricature outrancière, alors que la proposition de loi méritait mieux. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Loin d’être idéologique, celle-ci est avant tout pragmatique, et ceux qui sont confrontés aux situations qu’elle vise doivent le reconnaître. Elle tend seulement à nous donner un outil supplémentaire, qui n’existe pas dans le droit actuel, puisque la définition des délits d’attroupement ou d’association de malfaiteurs ne recouvre pas les réalités auxquelles certains d’entre vous sont confrontés.

Je m’étonne d’ailleurs de la démarche qui a été la vôtre dans la défense de cette motion : n’est-il pas contradictoire de déclarer le texte irrecevable et de proposer en même temps de l’amender ? (« Si, bien sûr ! » sur les bancs du groupe UMP.) Il faut choisir !

M. Philippe Vuilque. On ne peut tout de même pas vous laisser faire n’importe quoi !

M. Jean-Paul Garraud. La logique n’étouffe pas les socialistes !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État. Et, quand on soutient des contrevérités, il faut en assumer les conséquences. Je me réjouissais de n’avoir pas à rappeler, pour une fois, les chiffres de la délinquance, mais vous m’obligez à le faire.

Mme Delphine Batho. Parlons-en justement !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État. Depuis sept ans, pendant lesquels le ministre de l’intérieur resté le plus longtemps en exercice a été M. Sarkozy, la délinquance a baissé. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Laurence Dumont. Vous allez le répéter en boucle toute la soirée ?

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État. Alors que, entre 1997 et 2002, la délinquance générale a augmenté de plus de 15 %, elle a diminué de 15 % depuis 2002. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Laurent Fabius. C’est faux !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État. Quant à la délinquance de proximité, elle a baissé de 30 %.

M. Michel Herbillon. Voilà un rappel très utile !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État. Je vous avais prévenue : chaque fois que vous voudrez m’attaquer sur ce point, je rappellerai ces chiffres établis par des organismes extérieurs et, partant, incontestables. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.) J’ajoute qu’ils se fondent pour les deux périodes sur des critères identiques. Il y a quelque temps, en effet, je vous ai annoncé que je n’accepterais de changer les critères considérés que dans le consensus, afin que nous nous fondions sur des références communes à tous.

Vous prétendez que rien n’est fait contre l’économie souterraine qui sévit dans certains quartiers. Là encore, c’est faux. Il n’existe plus de zones de non-droit aujourd’hui. C’est d’ailleurs ce qui rend le travail de la police si difficile : si les UTEQ ou les BAC sont attaquées, c’est précisément parce qu’elles se rendent dans des quartiers où elles n’allaient plus et parce qu’elles traquent ce qui intéresse les bandes : la drogue. Voilà pourquoi j’ai relancé les GIR et mené, avec les UTEQ, une véritable politique de police territorialisée – et ce ne sont pas des policiers qui jouent avec les délinquants, mais des policiers qui font véritablement leur travail.

Mme Laurence Dumont. Vous feriez mieux de vous exprimer en ministre de la justice !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État. Par ailleurs, ne prétendez pas que rien n’a été fait en matière de sanction. Les peines planchers ont permis de lutter contre la délinquance violente et contre la récidive. Nous leur devons une bonne partie des résultats que nous avons obtenus ces dernières années.

Enfin, pourquoi affirmer que l’on ne s’occupe pas des victimes ou de l’accès aux avocats ? Vous devriez savoir que toutes les victimes, qu’elles soient accueillies dans des commissariats ou des gendarmeries, sont systématiquement orientées vers les permanences mises en place par les barreaux dans les différents ressorts.

Mme George Pau-Langevin. Évidemment, cela ne coûte pas cher !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État. Elles peuvent dès lors bénéficier de consultations juridiques et, quels que soient leurs moyens financiers, trouver un avocat.

Si ce texte n’est pas idéal, il propose du moins un outil supplémentaire qui comble les lacunes du droit et complète le code pénal, dont les incriminations actuelles – appartenance à une association de malfaiteurs ou à une bande organisée, actes de délinquance commis en réunion – ne correspondent pas aux phénomènes que nous observons. En outre, il est de notre devoir à tous de protéger l’école, ses élèves et ses personnels.

Alors, gardons-nous de toute caricature. Il est toujours possible d’inventer des exemples absurdes en imaginant la manière dont pourra être appliqué un texte, mais notre but est seulement de donner des moyens juridiques aux magistrats. Souvenez-vous que le nouveau code pénal adopté en 1992 – quand les socialistes étaient au pouvoir – punissait de dix ans de prison le vol en réunion commis dans le métro avec dégradations. Visait-il pour autant à faire condamner à une telle peine deux personnes qui auraient volé des bonbons en fracassant un distributeur ? Vous voyez bien que des telles caricatures ne sont pas sérieuses. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Elles ne sont pas dignes de ce débat ni de la représentation nationale. Le texte vise à donner les moyens de la sanction. Ensuite, il appartiendra aux magistrats de procéder aux adaptations nécessaires. Ignorez-vous ce principe, qui est pourtant au programme de la première année de droit ? (Protestations sur les bancs du groupe SRC.) Je l’ai moi-même appris à mes étudiants. Les magistrats appliquent le droit en fonction des faits. Faites-leur confiance : ils le méritent ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Nicolas Perruchot.

M. Nicolas Perruchot. Nul ne sera surpris d’apprendre que le groupe Nouveau Centre ne votera pas l’exception d’irrecevabilité. Mme Batho a tenté de nous expliquer, ce qui n’est pas une tâche aisée, que la gauche s’était réconciliée avec la sécurité. Je me souviens que, lors de l’examen de la LOPSI, quand Nicolas Sarkozy était ministre de l’intérieur, M. Caresche ou M. Valls répétaient qu’ils avaient une expérience de terrain et que leur pensée politique évoluait. J’ai malheureusement l’impression qu’aujourd’hui nous sommes revenus quinze ans en arrière. (« Oui ! » sur les bancs du groupe UMP.)

M. Philippe Vuilque. Carabistouilles !

M. Nicolas Perruchot. Madame Batho, votre propos se fondait sur un seul terme : la prévention. Je ne pense pas que cette notion suffise aujourd’hui à répondre aux défis de la sécurité.

Vous nous avez également expliqué que les articles étaient inapplicables, avant de nous montrer comment ce texte devrait être appliqué. Un tel propos manque pour le moins de cohérence.

M. Philippe Vuilque. Vous l’avez mal écouté !

M. Nicolas Perruchot. Sans doute était-ce un moyen de prolonger votre intervention à la tribune, pour faire durer le plaisir. Mais, concrètement, j’ai trouvé beaucoup de mauvaise foi dans ces explications.

Vous ne voulez pas de règles strictes, mais sachez que la délinquance a beaucoup évolué. La gauche est manifestement allergique aux évolutions technologiques, comme l’a montré la discussion sur la vidéosurveillance. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Laurence Dumont. N’importe quoi !

M. Nicolas Perruchot. Vous imaginez que les trafics de stupéfiants peuvent être démantelés grâce à la prévention et qu’en face des bandes de jeunes qui ne sont plus scolarisés et passent leur temps à chercher comment organiser des délits à plusieurs, il suffit de déployer des bataillons d’éducateurs.

M. François Pupponi. Nous n’avons jamais dit cela !

M. Nicolas Perruchot. Nous ne partageons pas cette conception de la délinquance. Il faudrait que le parti socialiste évolue enfin !

Vous avez du moins approuvé les mesures du texte relatives au milieu scolaire. De fait, si nous ne trouvons pas ensemble le moyen de faire cesser les trafics de stupéfiants qui s’organisent dans les lycées, ils se répandront demain dans les collèges et peut-être un jour à la porte des classes de CM2.

Pour toutes ces raisons, le groupe Nouveau Centre ne votera pas l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas.

M. Jean-Jacques Urvoas. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, nous sommes ici pour voter la loi, et chacun d’entre nous en tire honneur. Nous le faisons avec humilité, quand il faut relever un défi, comme celui de la violence, et avec conviction, dans le respect des valeurs que nous pensons servir en agissant pour le bien commun.

À ce titre, il n’y a parmi nous ni juristes ni énarques ni diplômés de Sciences Po, mais des législateurs. C’est pourquoi, négligeant de répondre à certains arguments, j’en viens à l’essentiel : nous pouvons nous tromper – le Conseil constitutionnel en décidera –, mais il nous semble que vous vous apprêtez à instituer une responsabilité pénale collective. C’est du moins ainsi que nous lisons votre texte.

Mme Batho a mené sa démonstration avec rigueur et sans polémique, ajoutant à son analyse certaines propositions qui vous ont manifestement agacés. Son propos est simple : en se fondant sur le cœur du droit, elle a tenté de vous montrer que le texte n’est pas constitutionnel. N’étant pas parvenus à vous en convaincre, lors de nos travaux en commission, nous avons déposé des amendements. Agir ainsi n’a rien d’original : nous nous sommes contentés de faire notre travail de parlementaires.

Qu’a donc dit Mme Batho ? Que vous allez à l’encontre de principes fondamentaux du droit pénal, élevés au rang constitutionnel – ce qui n’est pas rien. Que vous allez porter atteinte au principe constitutionnel, affirmé en 1999, du caractère personnel et intentionnel de la faute. Dois-je vous rappeler les articles VIII et IX de la Déclaration des droits de l’homme, que le Conseil constitutionnel a cités dans le septième considérant de sa décision du 16 juin 1999 ? En tout état de cause, je fais état de ces éléments afin que, demain, le Conseil constitutionnel puisse se référer à sa propre jurisprudence, selon laquelle « la définition d'une incrimination, en matière délictuelle, doit inclure, outre l'élément matériel de l'infraction, l'élément moral, intentionnel ou non, de celle-ci. » Et le Conseil rappelait aussi que « nul n’est punissable que de son propre fait. »

Or, avec le texte que nous examinons, vous inventez le délit préventif et la responsabilité pénale collective. Nous répétons, sans autre prétention que celle de dire ce que nous pensons juste, que vous faites une erreur au regard de nos règles constitutionnelles.

Vous allez porter atteinte au principe de légalité, au principe de proportionnalité, et au principe de l’individualisation des peines. Évidemment, nous débattrons de cette proposition de loi et, comme toujours, vous serez sans doute majoritaires. Mais il faudra bien en venir à une autre question : ce texte est-il utile ? Est-il efficace ?

Comme Delphine Batho l’a fait, et comme le fera dans un instant François Pupponi, nous examinerons les prétendus vides juridiques que le rapporteur affirme avoir repérés – il en cite deux à la page 21 de son rapport – et nous nous ferons un devoir de vous montrer que ces vides n’en sont pas. Lors de toutes les auditions – pas seulement une ou deux ou trois : toutes ! –, tous les magistrats, tous les syndicats de police nous ont dit que ce texte, en l’état, était non seulement inutile mais de plus inefficace.

Monsieur Ciotti, je salue votre brio : vous avez été élu rapporteur cinq minutes avant l’ouverture de la séance, mais votre discours, que j’imagine improvisé, était exhaustif. Vous maîtrisez donc votre sujet et je ne doute pas que nous aurons le débat au fond que nous demandons. En effet nous ne nions pas les problèmes, nous ne rejetons pas votre texte d’un revers de manche : nous avons des propositions en la matière, nous voulons nous battre. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès, pour le groupe GDR.

M. Michel Vaxès. Notre débat n’est pas nouveau, et la succession des lois répressives nous conduit à entendre en permanence les mêmes arguments.

Lorsque nous discutions de la loi de 2007 qui devait améliorer la sécurité, j’avais souligné qu’elle risquait d’être contre-productive. Je soulignais alors que la mise en œuvre des dispositions de cette loi conduirait très exactement aux résultats inverses de ceux que vous recherchiez ; qu’il en résulterait plus de violence, des violences plus graves, et donc plus d’insécurité. Je concluais : « Prenons rendez-vous, nous verrons ! » Aujourd’hui, nous voyons !

En effet, il faut aller au-delà des chiffres qui affirment que la délinquance baisse. Pour ne pas être soupçonné de prendre parti en utilisant des références tirées de sources qui me seraient proches idéologiquement, je vous cite Le Figaro : « La délinquance générale a baissé de 0,86 % en 2008 par rapport à 2007, mais cette tendance s’accompagne d’une forte augmentation des vols à mains armées – plus de 15 % –, et des règlements de compte – plus de 117 %. »

M. François Brottes. Voilà la vérité !

M. Michel Vaxès. La lecture de l’ensemble de l’article en question vous montrerait que ces chiffres sont confirmés par d’autres, et que la violence s’est, en fait, aggravée dans sa forme, même si le nombre de petits délits a diminué. Voilà la réalité !

Je crains de devoir réitérer mes propos de 2007 : les dispositions que vous prenez aujourd’hui vont avoir pour effet d’aggraver encore la situation en matière de sécurité – et croyez-moi, je pèse mes mots.

Nous avons deux philosophies opposées quant à la façon de traiter la délinquance, et nous sommes effectivement en conflit sur cette question qu’il ne faut pas prendre à la légère.

Dans cette proposition de loi, je constate que vous définissez, en quelque sorte, un délit préventif d’intention, fondé sur la participation à un groupement « en connaissance de cause ». Je m’interroge : comment établirez-vous matériellement la circonstance « en connaissance de cause ? Comment établir celle relative à l’intention ? Ce texte propose de sanctionner « celui qui poursuit le but » de commettre des violences volontaires, mais comment établir matériellement cette intention ? Peut-être dans le cours du débat pourrez-vous nous apporter des réponses ; en tout cas, je pose la question.

Comment établir matériellement la présomption d’appartenance à une bande ? Vous créez une nouvelle catégorie de délit : le délit de mauvaises fréquentations.

Vous introduisez également un principe de responsabilité collective – vous le niez, mais que se passera-t-il si tel ou tel adolescent est proche d’un autre, détenteur d’une arme, sans savoir que celle-ci existe ?

Vous envisagez de permettre aux forces de l’ordre de se raccorder au système vidéo des bailleurs…

M. le président. Monsieur Vaxès, merci de bien vouloir conclure.

M. Michel Vaxès. Il ne s’agira donc pas seulement de retrouver la scène d’une commission de délit ou d’intervenir en flagrant délit, mais bien de surveiller en permanence le va-et-vient des populations qui occupent les logements fournis par les bailleurs en question.

Pour toutes ces raisons, notre groupe votera la motion d’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Éric Raoult, pour le groupe UMP.

M. Éric Raoult. Madame la ministre d’État, je vais vous faire une confidence : je connais bien Delphine Batho, c’est une élue de terrain.

Élue de l’opposition, elle est aujourd’hui commise d’office, mais elle a eu, avant cela, une longue expérience. À la région Île-de-France, elle était collaboratrice d’un vice-président chargé de la sécurité – auquel j’adresse aujourd’hui une pensée d’amitié et de solidarité – qui lui a répété pendant des années qu’on ne pouvait pas parler de sécurité sans avoir fréquenté des policiers, sans avoir travaillé avec des magistrats, sans avoir parlé à des parents dont un enfant vient d’être assassiné – un certain nombre de collègues sauront de quoi je parle.

Ma première rencontre avec ce collègue socialiste qui n’est pas là ce soir, elle a eu lieu quand nous nous sommes rendus après une fusillade sur la tombe d’un garçon de dix-huit ans, tué d’une balle dans la tête. Ce jour-là, avec ce collègue socialiste, député d’Épinay, j’ai pu discuter en toute sincérité de ce que nous allions dire au père de cet enfant.

Mes chers collègues, ce soir, nous avons un peu parlé pour nous. Mme Batho était commise d’office,…

Mme George Pau-Langevin. C’est inadmissible !

M. Éric Raoult. …elle a fait son intervention d’élue de l’opposition ; elle a parfois un peu tronqué certaines déclarations – je ne suis pas persuadé que le procureur de la République en Seine-Saint-Denis soit défavorable à ce texte…

Mme Delphine Batho. Je répète qu’il est défavorable à l’article 1er.

M. Éric Raoult. …ni que tous les syndicalistes policiers qu’elle a cités pourront confirmer l’ensemble de leurs propos.

Je ne rappellerai qu’une chose à Delphine Batho : samedi soir, ceux du 212 étaient face à ceux des Tilleuls, ils se sont regardés, et il y en a eu un qui a sorti son pistolet et qui a abattu Mehdi, dix-sept ans. Je serais tenté de proposer à Delphine de venir avec moi voir le père de Mehdi : nous lui dirions qu’il faut faire quelque chose contre les bandes. Seulement, nous ne pouvons pas tenir ici un discours différent de ce que nous lui dirions là-bas, dans la cité du Blanc-Mesnil.

Mme Sandrine Mazetier. C’est honteux ce que vous faites !

M. Éric Raoult. Cette proposition de loi pourra être utile en fonction de ce que nous dirons durant ce débat, et selon la façon dont elle sera appliquée. Elle est constitutionnelle parce que la sécurité est une liberté. Gilbert Bonnemaison est le premier à avoir écrit sur le problème des bandes, son rapport s’intitulait : Face à la délinquance : répression, prévention, solidarité – ainsi répression et prévention n’étaient pas séparées.

Mme George Pau-Langevin. Il n’aurait jamais fait ce que vous faites !

Mme Marylise Lebranchu. Certainement pas !

M. Éric Raoult. Nous avons écouté Delphine Batho, elle a du talent. Mais elle remplace une personnalité qui avait fait des propositions fortes, suggérant par exemple, dans certains cas, d’envoyer l’armée pour surveiller les jeunes – ce qui ne devait pas être tout à fait constitutionnel. (Sourires sur les bancs du groupe UMP.)

Et, parmi les ministres de l’intérieur qui se sont succédé, on retiendra sûrement les noms de Michèle Alliot-Marie, de Nicolas Sarkozy, de Jean-Pierre Chevènement. Mais on se souviendra aussi d’une phrase d’une très grande honnêteté intellectuelle prononcée par Lionel Jospin : « C’est vrai que sur l’insécurité, j’ai été naïf. »

Mme Marylise Lebranchu. La phrase est tronquée !

M. Éric Raoult. Nous, Delphine, nous ne voulons pas être naïfs ! Tout ce qui pourra permettre de lutter contre les bandes et de mettre fin aux intrusions dans les établissements scolaires ira dans le bon sens.

Malgré toute la sympathie que je porte à celle qui était ce soir la députée socialiste commise d’office contre le texte relatif aux bandes violentes,… (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Laurence Dumont. Le commis d’office, aujourd’hui, il est ministre !

M. Éric Raoult. …le groupe UMP repoussera cette exception d’irrecevabilité qui n’est ni exceptionnelle ni recevable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

(L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.)

Question préalable

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. François Pupponi.

M. François Pupponi. « Enfin ! » : voilà ce que je me suis dit lorsque j'ai appris qu'une proposition de loi avait été déposée afin de lutter contre la violence des groupes.

« Enfin ! », car, comme d’autres, je sais que l’aggravation de certaines formes de délinquance depuis plusieurs années est principalement due à la prolifération des bandes et à leur évolution.

« Enfin ! », car déposer cette proposition de loi, c’est aussi reconnaître que vous n’avez pas été capables, depuis sept ans, d’appréhender au niveau national ce phénomène qui trouble souvent, dans des conditions dramatiques, la vie de nos cités.

Comme Éric Raoult le rappelait, ce phénomène est connu et ancien – ces bandes sévissent depuis presque vingt-cinq ans sur nos territoires. Il traduit un durcissement de l'insécurité concentrée géographiquement, avec pour racines de graves carences dans la sociabilité adolescente, et l'installation de formes de contre-sociétés liées à la ghettoïsation et à l'influence culturelle des valeurs consuméristes véhiculées par l'économie souterraine.

Ces phénomènes de socialisation parallèle extrêmement inquiétants se nourrissent à l’évidence de l’échec scolaire et de la pauvreté et ils procurent un sentiment d’appartenance à un groupe social de substitution. Si tous les professionnels et spécialistes auditionnés soulignent que la situation française n’est, à ce stade, en rien comparable avec les phénomènes de gangs tels que peuvent les connaître des pays comme les États-Unis ou le Canada, tous soulignent une situation d’autant plus alarmante que de nouveaux paliers semblent avoir été franchis dans la gravité des actes commis : tirs d’armes à feu sur des policiers, guet-apens, rixes hyperviolentes. Les spécialistes estiment que le pire reste à venir.

Je voudrais, à ce propos, vous faire part de mon expérience de député de la huitième circonscription du Val-d’Oise, celle de Villiers-Le-Bel, où, il y a environ un an, deux jeunes sont décédés lors d’un accident de moto dans lequel était impliqué un véhicule de police. Quelques minutes plus tard, le commissaire Illy, que je tiens à saluer, était sauvagement agressé. Depuis un an, toutes les semaines, voire tous les soirs, des heurts se produisent entre les jeunes et la police. Le dialogue n’est pas renoué et, chaque nuit, je crains que l’on me réveille pour m’annoncer encore le décès d’un jeune ou d’un policier.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Je suis convaincu que vous avez échoué parce que, soit par ignorance, soit par idéologie, vous n’avez jamais considéré que le phénomène des bandes était la cause première du développement d’une certaine forme de délinquance. Dès lors, vous n’avez pas pu mettre en œuvre une politique efficace. Pis, certaines de vos décisions n’ont fait qu’aggraver la situation. Je pense en particulier à la suppression de la police de proximité – tant décriée à une certaine époque (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC) et aujourd’hui partiellement remplacée par les UTEQ –, qui nous a fait perdre de nombreuses années dans la lutte contre les bandes. Je pourrais également citer la faiblesse des moyens destinés à la prévention ou la suppression de postes dans l’éducation nationale.

Parfois, la crise économique et la discrimination dont sont victimes les habitants de ces quartiers, en particulier les jeunes, n’ont fait qu’accélérer le processus. Comprenons-nous bien, il n’est pas question pour moi de trouver une excuse à des actes délictueux : rien ne peut justifier la violence et la délinquance. Mais il est parfois utile de comprendre comment celles-ci se développent pour lutter plus efficacement contre ces phénomènes.

Face à ce constat dramatique, il n’est pas question, pour nous, d’adopter, sur un sujet aussi grave, la posture politique simple et facile de l’opposition systématique. Nous voulons autant que vous, monsieur Raoult, éradiquer ce phénomène et mettre hors d’état de nuire les membres de ces groupes en mettant tout en œuvre pour éviter qu’un jeune bascule dans la violence. Nous le voulons d’autant plus qu’au-delà de la lutte contre la délinquance des jeunes, qui est la priorité, les victimes sont souvent les plus vulnérables, qu’il s’agisse de jeunes qui, comme au Blanc-Mesnil, il y a trois jours, perdent la vie en prenant une balle perdue ou de personnes âgées agressées à la sortie du bureau de poste où elles ont retiré leur maigre retraite. C’est aussi pour elles que nous voulons lutter contre le phénomène des bandes.

Madame la ministre d’État, monsieur le rapporteur, une seule question m’intéresse : votre texte sera-t-il efficace ? Hélas ! la réponse est non. Et nous le vivons comme un drame, tant le sujet est important pour nos populations.

Pourquoi cette proposition de loi ne permettra-t-elle pas d’améliorer la situation ? Certes, beaucoup de thèmes importants y sont abordés : les bandes elles-mêmes, l’école – où elles se retrouvent souvent pour régler leurs comptes –, les cages d’escalier – qui sont, permettez-moi l’expression, leur siège social –, les cagoules et autres moyens de dissimulation du visage, qui correspondent à leur mode opératoire. Mais vous oubliez la prévention et, surtout, il manque l’essentiel : un vrai plan de lutte contre ce fléau. En effet, une succession d’articles, empilés les uns sur les autres dans une quatorzième loi sur la sécurité en sept ans, ne fait pas un plan réfléchi et efficace. Je vous le dis avec beaucoup de solennité, compte tenu de la gravité du sujet : vous manquez d’ambition. Or, en l’espèce, ce manque d’ambition peut être dramatique.

Je ne prendrai qu’un exemple de l’inapplicabilité et de l’inefficacité de votre texte : son article 1er. Celui-ci sera inapplicable pour des raisons non seulement juridiques, mais aussi pratiques. Il sera en effet très difficile pour les policiers d’établir une procédure solide et pour les magistrats de prononcer des condamnations, compte tenu de la difficulté qu’ils auront à démontrer la réalité du nouveau délit que vous nous proposez de créer.

Avant même de parler de condamnation, la mise en œuvre pratique du dispositif sera quasiment impossible. En effet, le seul intérêt de cet article serait éventuellement de faciliter l’interpellation d’une bande lorsque celle-ci, à l’occasion d’un conflit avec une bande rivale, se déplace en force, armée et cagoulée, afin d’affronter l’adversaire.

M. Jean-Paul Garraud. C’est déjà pas mal !

M. François Pupponi. Dans ce cas, ce sont souvent plusieurs dizaines de jeunes qui s’affrontent. Or, comment voulez-vous que, dans ces quartiers, les quelques policiers présents le soir ou le week-end puissent interpeller tout ou partie des membres de ces groupes ? La loi les y autorise d’ailleurs déjà. Mais, souvent, ils ne le font pas, car le rapport de force leur est défavorable. Lorsque plusieurs jeunes sont, malgré tout, interpellés, les cellules de garde à vue ne sont pas assez nombreuses et, souvent, la bagarre continue dans les locaux du commissariat, car les policiers sont obligés de placer les membres des deux bandes rivales dans les mêmes cellules. Demain, les policiers des quartiers concernés ne seront pas plus capables qu’ils ne l’étaient hier d’interpeller les membres de ces bandes, faute de moyens suffisants.

Je pourrais continuer à démontrer, article par article, l’inapplicabilité de votre texte, mais d’autres l’ont fait avant moi.

Le groupe SRC a décidé d’adopter une attitude constructive en matière de sécurité. Certains continuent à en sourire, mais il y a bien longtemps que nous avons décidé, sur le terrain et au niveau national, de mener une action efficace dans ce domaine. La majorité est au pouvoir depuis maintenant sept ans et l’on ne pourra pas nous reprocher notre action pendant des décennies. Nous avons essayé de bien faire ; parfois, nous avons obtenu des résultats, parfois non. Mais que l’on regarde ce que nous faisons concrètement. Forts de notre expérience d’élus locaux des territoires concernés par ce phénomène et du travail que nous menons depuis de nombreuses années sur le sujet avec des sociologues, des policiers et des magistrats, nous sommes convaincus que, seul, un plan national de lutte contre les bandes, structuré jusqu’à l’échelle des quartiers, peut être efficace.

Ce plan doit mêler le travail de renseignement, la coordination des institutions concernées et la mobilisation des moyens policiers, y compris et surtout la police d’investigation. Les magistrats doivent y être étroitement associés. Il ne peut faire l’impasse sur le renforcement de la prévention, seul moyen efficace pour qu’un jeune ne bascule pas dans la délinquance et ne vienne grossir les rangs de ces bandes. On pourrait ainsi imaginer un centre national pour la prévention des violences juvéniles, qui trouverait sa déclinaison, au niveau local, dans un groupe opérationnel obligatoirement constitué au sein des conseils locaux de prévention et de sécurité.

En bref, certains ont déclaré la guerre à nos territoires, à leurs habitants et à nos institutions. La République doit leur répondre avec fermeté et efficacité, en élaborant une stratégie globale adaptée aux enjeux. Nos propositions, qui ont été détaillées par Delphine Batho, vont toutes en ce sens – je n’y reviens pas. Mais soyez conscients, monsieur le rapporteur, madame la ministre d’État, qu’elles sont le fruit de l’expérience de nombreux maires, confrontés depuis longtemps à ce phénomène.

Si nous ne réagissons pas plus efficacement, ce qui arrive dans nos communes et nos quartiers se produira bientôt ailleurs également. Ne croyez pas en effet que seules les villes dites « sensibles » soient concernées : ce phénomène risque de s’étendre à 1’ensemble des centres urbains. Si nous ne mettons pas en œuvre ce grand plan stratégique, d’autres jeunes mourront ou seront blessés, parmi lesquels des victimes innocentes. Tenez compte de notre expérience : nous avons obtenu des résultats.

Je voudrais, moi aussi, vous faire part d’une expérience douloureuse. En 1997, nouvellement élu à la tête de la ville de Sarcelles avec Dominique Strauss-Kahn, il m’a fallu annoncer à une mère de famille que son fils de dix-sept ans avait été tué par balles. Lorsque nous avons essayé de comprendre comment ce drame était arrivé, nous nous sommes aperçus qu’il avait pour origine le vol, quelques semaines plus tôt, devant le collège, d’une casquette Lacoste verte. Nous avons décidé de ne plus jamais accepter cela. Nous avons donc travaillé avec la police, la justice et l’éducation nationale, et nous sommes parvenus à faire régresser le phénomène des bandes. Ce qui prouve bien que, lorsqu’on a décidé d’attaquer celui-ci de front, en menant une politique globale, on obtient des résultats plus que satisfaisants.

Ce qui me gêne, monsieur le rapporteur, c’est qu’en commission, votre prédécesseur a balayé d’un revers de la main toutes nos propositions, lesquelles n’avaient pourtant qu’un but : améliorer et rendre plus efficace le texte, y compris en durcissant des articles parfois répressifs, démontrant ainsi que, pour nous, la sécurité et la prévention ne sont ni de droite ni de gauche ; elles sont républicaines. L’attitude du premier rapporteur ne me paraît pas responsable, en tout cas pas à la hauteur de l’enjeu. Aussi, j’espère que, si cette question préalable est rejetée et que nous abordons l’examen du texte, votre attitude sera différente. La lutte contre les bandes n’a que faire des dogmes et des clivages politiques. Nous vous avons fait des propositions, essayez de les entendre. Je le répète, elles n’ont qu’un objectif : rendre la lutte contre les bandes plus efficace, en tenant compte de l’expérience de certains d’entre nous qui, depuis quinze à vingt ans, luttent sans répit contre ce fléau.

Madame la ministre d’État, monsieur le rapporteur, le groupe SRC décidera de son vote à l’issue des débats. Mais nous ne voterons jamais un texte inefficace. Sur un tel sujet, qui touche les Français au plus profond d’eux-mêmes, il serait irresponsable de voter un texte dans le seul but de répondre à des événements médiatisés et de rassurer à court terme nos concitoyens, sans rechercher une réelle efficacité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Nous n’en avons pas le droit, car nous connaissons trop bien les conséquences d’une telle attitude.

Si vous adoptez cette proposition de loi en l’état, vous saurez, certes, communiquer à son sujet, nos concitoyens, en tout cas ceux qui croient encore à vos promesses dans ce domaine, espéreront et les délinquants seront un peu impressionnés. Mais, constatant que cette loi n’est pas plus appliquée que ne l’a été le texte sur les regroupements dans les halls d’immeuble, nos concitoyens seront rapidement déçus. Les Français concernés perdront d’autant plus espoir que les délinquants, après quelques semaines de doute, se rendront rapidement compte de l’inefficacité du dispositif et se feront un malin plaisir de réaffirmer leur présence afin de montrer qu’ils tiennent leur quartier et que même la volonté présidentielle et législative n’a rien pu y faire. Alors, la délinquance ne fera que s’aggraver et ce seront de nouveau les plus fragiles qui en seront les victimes.

Parce que je me refuse, en conscience, à participer à une telle opération, qui met en péril les fondements mêmes de notre démocratie et, en l’espèce, la sécurité de nos concitoyens, en votant une loi dont on sait qu’elle sera inapplicable et donc inefficace, je vous appelle à voter la question préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Monsieur Pupponi, vous avez invoqué votre expérience de maire de terrain. Vous avez rappelé, comme Éric Raoult avant vous, les expériences douloureuses auxquelles vous avez été confronté. Vous vous êtes montré ouvert au débat. Je remarque, du reste, qu’une telle attitude est quelque peu contradictoire avec la question préalable que vous avez défendue, puisque celle-ci a pour objet de décider qu’il n’y a pas lieu à délibérer. Néanmoins, vous avez ouvert la porte au débat et nous sommes à l’écoute de vos propositions. De plus, vous avez annoncé que vous décideriez de votre vote à l’issue de notre discussion. Il convient donc de délibérer.

Mme Claude Darciaux. Les députés UMP reviennent. Voilà l’armée des commis d’office !

M. Éric Ciotti, rapporteur. Nous sommes tous préoccupés par la gravité de la situation, et inquiets. Si je suis d’accord avec vous lorsque vous dites que rien ne peut excuser la délinquance, je le suis moins lorsque vous portez un jugement très réducteur sur le texte. Faut-il rappeler qu’en matière de prévention, nous avons décidé, à la demande de M. Sarkozy et de Mme Alliot-Marie lorsqu’elle était ministre de l’intérieur, des avancées essentielles ? Un autre texte consacré à ce sujet viendra, du reste, en discussion à la rentrée.

Après avoir écouté votre propos concret et pragmatique, plus mesuré que celui de Mme Batho (Protestations sur les bancs du groupe SRC), je crois que nous pourrions enfin nous mettre tous ensemble au travail pour bâtir un texte efficace…

M. François Pupponi. Nous avons fait des propositions !

M. Éric Ciotti, rapporteur. …dont vous avez vous-même souligné l’intérêt et l’utilité.

M. Jean-Jacques Urvoas. Ne fermez pas les portes, monsieur le rapporteur !

M. le président. La parole est à Mme la ministre d’État.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État. Monsieur Pupponi, pour avoir eu l’occasion d’en parler à de nombreuses reprises avec vous, notamment sur le terrain, je sais que vous connaissez bien les phénomènes de bande contre lesquels la proposition de loi a pour objet de lutter. Ces phénomènes existent depuis bien plus de vingt-cinq ans : on les voit apparaître puis disparaître, mais ils sont récurrents.

Cela dit, les problèmes de violence sont, eux aussi, relativement anciens, même s’ils ne se manifestent pas de façon régulière. Alors que j’étais ministre de la jeunesse et des sports, en 1995, il existait des bandes de skinheads qui n’avaient pas grand-chose à envier aux bandes actuelles.

Nous devons être très vigilants sur ce sujet, car les actes violents sont évidemment susceptibles de causer des drames humains. Puisque cela n’a pas été dit ce soir, je veux souligner que nous assistons actuellement à une montée de la violence dans l’ensemble de l’Europe. Ainsi, les tirs d’armes à feu sur les policiers ont tendance à se multiplier, notamment en Grèce, où l’on a récemment déploré un mort, de même qu’en Allemagne et en Grande-Bretagne. S’il ne faut pas y voir une raison de ne rien faire dans notre pays, cela doit nous aider à prendre la mesure du phénomène.

En ce qui concerne Villiers-le-Bel, je rappelle que je m’étais rendue dès le lendemain du drame dans la famille du jeune décédé. J’avais, en cette occasion, pris conscience des risques d’embrasement de la cité. Après une période d’accalmie, nous sommes à nouveau confrontés, depuis quelque temps, à de nombreuses attaques contre les forces de police. J’ai lancé les GIR dans Villiers-le-Bel afin de lutter, dans le cadre d’une action globale, contre les trafics de drogue et les bandes qui s’adonnent à ces trafics ou les protègent. Comme je le disais tout à l’heure, la question de la sécurité ne se résume pas à ce texte : la sécurité est une chaîne dans laquelle chacun à son rôle à jouer. C’est pourquoi, si j’ai souhaité que la police puisse intervenir sous toutes ses formes, notamment les UTEQ et les compagnies de sécurisation, j’ai bien conscience qu’elle ne réglera pas le problème à elle seule. Nous avons également besoin des maires pour mener un certain nombre d’actions, le cas échéant avec l’aide de la DSU et de la DDU ; nous comptons également sur l’éducation nationale, sur l’ensemble des associations et, bien entendu, sur la justice.

Le problème est de donner à tous ces intervenants les moyens de poursuivre leur action. Or, en l’état actuel du droit, nous n’avons pas les moyens d’être efficaces contre les bandes, notamment de les empêcher d’agir lorsqu’elles commencent à se rassembler. À quoi sert-il de repérer, grâce au réseau de caméras installé dans le RER, les petits groupes qui se réunissent, si nous n’avons pas les moyens d’intervenir avant qu’ils n’agissent ? Certes, nous pouvons agir une fois que la violence a été commise, mais il serait préférable de pouvoir intervenir avant qu’elle n’ait lieu. La violence peut être empêchée de deux façons : très en amont, ou juste avant qu’elle ne soit commise. Après, c’est trop tard, et comme vous, monsieur Pupponi, nous avons conscience que cela peut se traduire par le drame d’un enfant assassiné par d’autres jeunes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Pour les explications de vote sur la question préalable, la parole est à M. Dominique Raimbourg.

M. Dominique Raimbourg. Monsieur le président, madame la ministre d’État, monsieur le rapporteur, ce texte porte en lui à la fois ce qui nous rassemble et ce qui nous divise.

Ce qui nous rassemble, c’est que nous refusons tous de voir un jeune homme étendu sur le trottoir d’une ville de banlieue, un soir de week-end, en train de se vider de son sang après avoir été atteint par une balle perdue – un jeune homme dont il ne restera bientôt plus qu’une silhouette tracée à la craie par les techniciens de la police scientifique.

Ce qui nous divise, c’est que nous nous demandons, pour notre part, si ce texte constitue vraiment la bonne réponse.

M. Jean-Pierre Door. Bien sûr !

M. Dominique Raimbourg. Est-ce la bonne réponse que de mélanger la délinquance en général et cette forme très particulière de délinquance que sont les violences urbaines ? Est-ce la bonne réponse que d’oublier la montée des violences, que d’oublier que nous avons eu affaire, en 2005, aux émeutes les plus graves que notre pays ait jamais connues depuis la guerre d’Algérie – au point qu’il a été nécessaire d’instaurer l’état d’urgence pour une durée de près d’un mois par un décret du 8 novembre 2005 ?

Est-ce la bonne réponse que de ne pas associer les moyens policiers permettant le renseignement, l’infiltration, l’interpellation et l’enquête dans la lutte contre les bandes ? Cet après-midi, alors que vous étiez encore ministre de l’intérieur, madame la ministre d’État, vous nous avez expliqué que pour lutter contre les violences familiales, il fallait mettre en place des brigades spécialisées dans la répression de ce type de faits. Dès lors, comment penser que la loi pourra, à elle seule, changer quelque chose aux violences de groupes ? Pourquoi ne pas penser à la prévention, d’autant que, de l’avis général, la loi du 5 mars 2007 sur le sujet est tombée en désuétude et ne se trouve jamais appliquée ?

Nous ne pensons pas que la simple présentation d’un texte législatif puisse constituer la réponse à la situation que nous connaissons. Il n’est pas bon de susciter des espoirs qui seront déçus, pour ne pas dire trahis, faute d’une politique de sécurité adéquate. Je vous le dis au nom de l’ensemble de mes collègues du groupe SRC qui, tous, sont commis d’office – et vous savez que les commis d’office ont ce mérite que, n’étant pas payés par ceux qu’ils défendent, ils parlent au nom de leurs convictions. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

(La question préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Michel Herbillon.

M. Michel Herbillon. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, le texte qui nous est présenté aujourd’hui est nécessaire, adapté et courageux.

Il est nécessaire, tout d’abord, car il répond aux nouvelles formes de délinquance et aux nouveaux problèmes d’insécurité auxquels sont confrontés nos concitoyens, particulièrement dans les grandes agglomérations.

Il est nécessaire, ensuite, car il met fin à ce sentiment d’impunité présent chez certains groupes qui se caractérisent par leur aspect ouvertement violent. Ce sentiment tient à deux éléments. Le premier est que ces personnes sont, la plupart du temps, cagoulées pour échapper à toute identification. Le second est qu’elles jouent sur l’effet de nombre pour s’affranchir de toute responsabilité individuelle vis-à-vis de la justice et des forces de l’ordre.

Pourtant, chaque jour, de nombreux Français, souvent d’origine modeste, sont victimes de l’irruption de ces nouveaux phénomènes de violence. Ces Français modestes souhaitent que la majorité prenne des mesures efficaces pour lutter contre la prolifération de bandes violentes, trop souvent impunies en raison de l’inadaptation de notre arsenal juridique.

Ces mêmes Français attendent également que leurs enfants puissent apprendre dans les meilleures conditions possibles dans les écoles de la République. Ils nous demandent d’endiguer le développement préoccupant de la violence au sein des établissements scolaires et qu’on ne permette plus à personne d’y pénétrer armé. Bref, les Français attendent de la fermeté et de la volonté face aux voyous qui se livrent aux pires exactions. Ce texte permettra de répondre à cette attente sur le double terrain de la justice et de l’ordre public.

Cette proposition de loi est donc vivement souhaitée par nos concitoyens, d’autant plus que le texte est adapté à l’évolution des nouvelles formes d’insécurité. Il comble en effet un vide juridique en introduisant dans le code pénal un nouvel article aux termes duquel le simple fait d’appartenir à un groupement ayant des visées violentes pourra être sanctionné avant même que ce groupement ait commis des exactions. La définition du délit d’association de malfaiteurs ne couvrait pas le phénomène d’appartenance à des bandes violentes et ne permettait donc pas de le sanctionner comme il conviendrait. La définition de ce nouveau délit permettra de donner une réponse sur mesure aux troubles que ces violences occasionnent. Les forces de l’ordre pourront alors agir efficacement contre les 222 bandes identifiées en France, et dont on connaît les membres, mais qu’on ne peut réprimer efficacement. C’est, pour elles, la fin annoncée de leur impunité.

Ces bandes sont bien plus organisées qu’on ne peut le penser, et revendiquent très fréquemment leurs intentions violentes par divers moyens d’expression, notamment Internet. Dans certains cas, il s’agit de véritables communautés, de gangs possédant leurs propres codes et leurs propres vecteurs d’identité. La vocation du texte n’est pas, bien sûr, de réprimer le fait de se réunir à plusieurs, mais bien de se donner les moyens de lutter contre un ennemi clairement défini qui non seulement contribue très fortement à la prolifération du trafic de drogue, mais n’hésite pas à semer la terreur parmi nos concitoyens et à défier les institutions de la République.

Certains prétendent qu’il serait inutile de légiférer à nouveau sur les questions de sécurité. Quelle naïveté, alors qu’au contraire nous devons légiférer régulièrement puisque la délinquance évolue et est en mutation permanente !

M. Jean-Paul Garraud. Eh oui !

Mme Delphine Batho. Cela ne suffit pas !

M. Michel Herbillon. Quant à ceux qui craindraient ce qu’ils appellent une « dérive sécuritaire », je leur rappelle que le texte de loi établit les bases d’une action irréprochable et incontestable de la police : par son article 4, il confère aux services de police la capacité d’enregistrer les opérations de maintien de l’ordre et les arrestations.

La proposition de loi propose, en outre, une solution pour chacun des autres cas auxquels nous sommes maintenant confrontés : intrusion dans les écoles, port d’armes par les élèves, actes de vandalisme perpétrés par des individus masqués – autant d’actes qui ne nous étaient pas familiers il y a encore peu de temps, et qu’il faut empêcher de se reproduire. Des mesures essentielles de civisme que nous étions en train de laisser à l’abandon seront remises en valeur par ce texte. Il était temps ! L’apparition de la violence en milieu scolaire est symbolique et révélatrice d’une dérive inquiétante de notre société, qui met trop souvent en avant les comportements violents, la force physique et la brutalité.

L’école est un lieu qui doit être protégé et sanctuarisé. Il ne s’agit pas seulement de répondre sur le terrain du droit et de l’ordre public à des débordements de violence. Il s’agit aussi d’adresser un signal à ceux qui se livrent à ces actes de violence inacceptables et aussi à ceux qui les regardent avec une certaine complaisance. Ce texte vise à éveiller la conscience des Français, notamment celle des jeunes, sur ces comportements qui sont à bannir.

Voilà pourquoi j’estime que ce texte est courageux. Il ne cède pas à la mode du moment, il ne cède pas à la tentation laxiste…

Mme George Pau-Langevin. Il faut le dire vite !

M. Michel Herbillon. …consistant à dire que s’il y a de la délinquance, c’est de la faute à pas de chance, ou que les délinquants sont des victimes de la société. Il faut penser un peu aux victimes !

La sécurité est la première des libertés publiques, elle conditionne toutes les autres. Elle est indispensable à la cohésion de notre société. Nous nous devons de prendre tous les mesures nécessaires pour la préserver. C’est pour cette raison que nous voterons avec conviction et détermination cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Fabius, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Laurent Fabius. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, nous nous trouvons ce soir dans une situation particulière. Quelles que soient les convictions de chacun, je saisis l’occasion qui m’est donnée de féliciter M. Estrosi pour ce que l’on comprend être une promotion – même si la nature du texte qu’il rapportait ne semblait pas le prédestiner à se voir confier le portefeuille de l’industrie – et de souhaiter le même destin à M. Ciotti, qui a repris au pied levé, et avec brio, le rôle de rapporteur du texte qui nous est soumis ce soir. Je félicite également Mme Alliot-Marie, dont nous interprétons le changement de ministère comme une promotion aussi.

Cela étant, ce n’est pas à ces changements-ci que la situation doit son caractère particulier. Elle ne le doit pas non plus à ce qui s’est passé hier à Versailles, lors du congrès du Parlement. Le Président de la République y a dressé un tableau intéressant des sujets qu’il considère comme essentiels pour la nation mais, étrangement, en particulier si l’on considère ce que l’on pense être au centre de son intérêt, les problèmes de sécurité n’ont pas été une seule fois mentionnés. Peut-être estimait-il que ces questions seraient traitées ce soir…

Non, le caractère particulier de ce débat tient à autre chose. Madame la ministre d’État, vous me corrigerez si je me trompe, c’est, je crois, la quinzième loi relative à la sécurité qui intervient depuis 2002. Or, ainsi que viennent de me le confirmer Mme Batho et MM. Urvoas, Pupponi et Raimbourg, grands spécialistes de ces questions, tous les textes précédents étaient des projets de loi. Cette fois-ci, il s’agit d’une proposition de loi. Je ne crois pas du tout à l’explication selon laquelle cela aurait un rapport avec la destinée particulière de M. Estrosi. Je crois en revanche à un argument juridique, auquel, je l’imagine, chacun ici sera sensible.

Comme vous le savez certainement, mes chers collègues, la différence entre un projet de loi et une proposition de loi, c’est que le Conseil d’État n’a pas à examiner la seconde. Or le Conseil d’État, qui est mon ancienne maison, est très à cheval sur les problèmes juridiques. Dans sa sagesse, et avant le Conseil constitutionnel, il se serait donc penché sur les arguments que Mme Batho, notamment, a énoncés avec beaucoup de force.

Du point de vue de la légalité des délits et des peines, principe général de notre droit, ce texte pose en effet une question particulière. Incriminer l’intention, et non pas le fait, serait une première en droit public français. Je ne reviendrai pas sur les autres arguments qu’avec pertinence, Mme Batho a rappelés.

Lorsque le Conseil constitutionnel sera saisi de ce texte – car il en sera ainsi –, il devra se prononcer, avec sa sagesse habituelle, mais aussi sans perdre de vue que, cette fois-ci, le Gouvernement – ce sont les mots du rapporteur et ils m’ont choqué en tant que député – a demandé à un parlementaire de présenter une proposition de loi, non pas pour rendre service à ce dernier, mais pour se garder de la censure préventive du Conseil d’État, laquelle nous aurait évité une partie de ce débat.

J’interviens ici comme parlementaire mais aussi comme quelqu’un qui, depuis bien longtemps maintenant, gère une ville, une ville ouvrière, et qui préside aujourd’hui une agglomération de près de 500 000 habitants. Je ne fais pas référence à l’expérience que j’ai pu avoir en dirigeant le Gouvernement. Mais puisque tel ou tel a fait allusion tout à l’heure à des sentiments personnels, je dirai que je n’ai jamais eu la réputation d’être du côté de la naïveté ou du laxisme. On m’en donnera volontiers quitus…

M. Éric Raoult. Ce n’est pas certain pour Jospin !

M. Michel Herbillon. Vous n’êtes pas le parti socialiste à vous tout seul.

M. Laurent Fabius. Chers collègues, je voudrais vous dire trois choses. La première, et j’espère ne pas choquer la droite disant cela, c’est que, malheureusement, il apparaît, au terme de ces sept ans ou de ces deux ans – je ne sais quelle comptabilité adopter – que la politique de M. Sarkozy en matière de sécurité n’est pas une réussite. Je crains même que ce ne soit un échec.

M. Michel Herbillon. Que dire de celle de Jospin ?

M. Laurent Fabius. Certes, vous allez mettre en avant les chiffres. Mais vous écoutant précisément invoquer ces chiffres, madame la ministre, j’ai pensé à cette phrase d’un grand esprit : quand les chiffres arrivent, la vérité sort. Je pourrais encore citer celle-ci, que vous connaissez peut-être : les statistiques sont la forme moderne du mensonge.

M. Michel Herbillon. C’est l’ancien ministre du budget qui dit cela !

M. Laurent Fabius. Et qui a réfléchi aux déficits que vous accumulez… (Rires sur les bancs du groupe SRC.)

M. Patrick Roy. Et pan !

M. Laurent Fabius. Cher collègue Herbillon, en tant que maire, il doit vous arriver de consulter les habitants de votre commune. Eh bien, si vous leur dites que la sécurité a progressé, que la délinquance a reculé et que c’est un grand succès pour le Gouvernement, je crains que vous n’ayez qu’une réaction d’estime de leur part. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Les gens que je rencontre protestent sans cesse. « Cela ne va pas. Où sont les policiers ? Que se passe-t-il ? », nous demandent-ils. On leur répond que les policiers font le maximum mais aussi que 8 000 postes vont être supprimés d’ici à 2013. Est-ce ainsi qu’on peut lutter efficacement contre la délinquance ? Chers collègues, on ne convaincra personne du terrain que la délinquance a reculé en France.

L’autre argument utilisé est celui du laxisme. Monsieur Herbillon – ne m’en veuillez pas de vous apostropher –, vous l’avez invoqué. Le prétendu laxisme de l’opposition revient en boucle. Certes, comme vous êtes honnêtes, vous ne pouvez y faire référence s’agissant de la période actuelle. Alors vous faites allusion à je ne sais trop quand, à il y a quelques années. Pourquoi ne pas remonter à la guerre de 70 ?

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Et la naïveté ?

M. Laurent Fabius. Faites attention : la caricature que vous faites des positions de la gauche ne vous exonère pas en excusant la minceur de vos résultats. Et la réalité, c’est que la gauche n’a absolument pas les positions que vous lui prêtez. Il y a ici des responsables de terrain du parti socialiste qui vous disent que notre position n’a rien à voir avec celle que vous décrivez.

S’il y a un échec de votre part, celui-ci est dû à deux grandes raisons. La première, c’est que vous considérez que, plus il y a de lois, mieux cela va fonctionner. Guy Braibant, grand juriste malheureusement décédé, disait qu’il en est de l’inflation législative comme de l’inflation tout court, c’est-à-dire qu’elle abaisse la valeur des lois qu’on produit. À chaque fois que vous ajoutez une nouvelle loi, vous diminuez la force de la loi.

La seconde, c’est qu’une partie des terrains est abandonnée parce que les policiers ne sont pas toujours en nombre suffisant, parce que la prévention n’est pas au rendez-vous, parce que l’éducation n’est pas ce qu’elle devrait être, parce que, et ce n’est pas une excuse, il y a des réalités économiques et sociales, des problèmes de logement.

Il ne suffit pas de faire preuve de triomphalisme, d’affirmer que la politique menée est un grand succès et que les problèmes sont engendrés par un phénomène nouveau : les bandes. Comme cela a été souligné, celles-ci existent depuis très longtemps. Il faut donc bel et bien constater que votre politique est, malheureusement, un échec.

Une nouvelle loi est donc proposée aujourd’hui. Elle est l’occasion de dire que deux conceptions s’affrontent. Peut-être serai-je trop schématique… J’ai relu avec attention le rapport de M. Estrosi. Il est intéressant et même amusant à lire. Il nous explique en effet du début à la fin que la réussite en matière de sécurité passe par un triptyque composé du Président de la République, de la législation et de la communication. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) C’est sur ce triangle que tout repose. Pas une phrase, j’exagère à peine, qui ne fasse référence à M. Sarkozy, sous sa double espèce : ministre de l’intérieur – hier –, Président de la République – aujourd’hui.

M. le président. Il faut conclure, monsieur le Premier ministre !

M. Laurent Fabius. Encore deux minutes, monsieur le président.

S’agissant de la législation, il nous explique que plus il y a de lois et mieux cela va fonctionner, alors que c’est l’inverse qui se produit.

Enfin, il y a la « législature du vingt heures », c’est-à-dire la politique des « coups ».

Nous avons, quant à nous, une position très différente, qui a été fort bien rappelée par les orateurs précédents. Notre triptyque n’est pas le vôtre. Avec nous, c’est : fermeté, rapidité, proximité. Et cela ne correspond pas du tout à votre caricature.

Et pour que nul ne puisse invoquer un quelconque procès d’intention, je vous propose un test. Le groupe socialiste a beaucoup travaillé sur ce texte et propose plusieurs amendements. Nous verrons si vous les acceptez. En commission, ils ont été refusés. Ce test nous permettra de savoir si, oui ou non, vous voulez que les choses avancent en ce domaine.

Rapidité, disais-je : parce qu’il faut intervenir de façon précoce, nous avons déposé un amendement, numéroté CL2 pour l’examen en commission des lois, proposant un jugement rapide des primo-délinquants. En outre, par l’amendement CL4, nous avons proposé une sanction éducative prononcée dans un délai maximal de trois mois.

Sur la proximité, nous proposons non seulement un rapport sur les dispositions concernant la sécurité des élèves et des personnels aux abords des établissements, mais également la création d’un nouveau corps de surveillants. C’est l’objet de notre amendement CL30. Nous proposons encore le droit à un avocat dès le dépôt de plainte pour chaque victime de violences physiques.

Enfin, nous voulons de la fermeté, mais sans dérive. Nous ne prenons pas comme base une sorte de délit préventif. Nous ne remplaçons pas la culpabilité par une dangerosité supposée. Nous avons donc déposé un amendement CL16 pour refuser qu’on assimile indûment les manifestants à des casseurs. Nous demandons également qu’on n’assimile pas à des bandes les lycéens ou les parents d’élèves qui occuperaient des établissements – c’est l’amendement CL33.

C’est à partir des réponses que vous ferez sur ces amendements que nous nous déterminerons. Si vous les refusez, vous montrerez que votre vision est purement idéologique.

Mes chers collègues, on ne lutte pas contre la délinquance en accumulant des textes et en faisant de la communication. Cette lutte passe par la présence des hommes sur le terrain et par une stratégie faite de fermeté, de rapidité et de proximité. Telle est la seule position des socialistes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès, dernier orateur de cette séance.

M. Michel Vaxès. L'intrusion violente d'une bande de jeunes encagoulés et armés le 18 mars dernier dans un lycée de Gagny a suscité chez chacun une vive émotion. Il est en effet inacceptable, intolérable, que des élèves puissent être menacés dans les écoles de la République, là où ils vont pour apprendre et non pour être agressés.

À la suite de ce fait divers spectaculaire, la réaction prévisible du Président de la République ne s'est pas fait attendre. Comme à son habitude, la seule réponse qu'il nous a proposé était une énième loi sécuritaire. Le calendrier parlementaire ne lui offrant pas la possibilité de la faire examiner dans un délai lui permettant de satisfaire son souci d'affichage – à moins qu’il ne s’agisse de la crainte des observations du Conseil d’État –, il a passé commande à sa majorité qui porte aujourd'hui cette proposition.

Nous discuterons donc, puisque vous l’avez voulu ainsi, de la dix-huitième loi sécuritaire de votre majorité, de votre gouvernement, de votre président.

Probablement parce que vous sentez confusément qu'un fait divers ne peut raisonnablement justifier à lui seul la modification d'une législation, l'une des plus répressives au monde, le Gouvernement et les porteurs de ce texte nous livrent des chiffres inquiétants sur les phénomènes de bandes. Ils sont d'une précision surprenante : sur notre territoire, 5 000 personnes, mineures pour la moitié, appartiendraient à l'une des 222 bandes connues en France, se décomposant en 2 500 membres « permanents » et autant « d'occasionnels ».

Mais vous taisez que ces chiffres qu'on nous annonce en augmentation sont largement contestés. Ainsi, Laurent Mucchielli, sociologue spécialiste de la délinquance, estime qu'« il n'y a aucune donnée pour étayer l'augmentation du phénomène des bandes ». Un constat partagé par Christophe Régnard, président de l’USM, l'Union syndicale des magistrats : « Il y a en ce moment un leitmotiv prétendant que ce phénomène serait en augmentation. Mais rien ne le montre ! »

Un récent rapport du Parquet de Paris, rédigé par un commissaire de police et un membre de la Protection judiciaire de la jeunesse, exprime le même scepticisme.

Ce fait divers, combiné à ces chiffres, est suffisant à vos yeux pour justifier une nouvelle modification du code pénal, qui viendra s'ajouter à la quarantaine de celles qui ont déjà été effectuées depuis 2002. Pourtant, notre législation pénale est aujourd'hui largement suffisante pour punir les infractions que vous prétendez viser.

L'incrimination supplémentaire créée par l'article 1er et concernant les violences commises en bande, passibles de trois ans de prison et de 45 000 euros d'amende, va venir s'ajouter à l'arsenal juridique dont disposent déjà les juges pour sanctionner les faits commis en bande. Faut-il rappeler l'existence de l'incrimination de complicité, celle d'association de malfaiteurs, celle d'actes commis en réunion, celle enfin de bande organisée ?

Les intrusions dans les établissements scolaires visées à l'article 7 sont, elles aussi, déjà sanctionnées par le code pénal, de même que les personnels de l’enseignement sont, en leur qualité de « personnes chargées d'une mission de service public », déjà protégés par notre législation.

Enfin, le délit de port d'armes, introduit par la commission à l’article 7, est déjà sanctionné d'une peine de trois à cinq ans d'emprisonnement, selon les caractéristiques de l'arme détenue.

Ainsi, pour reprendre le cas de l'agression commise à Gagny, la législation actuelle a-t-elle permis de répondre par des sanctions, puisque les auteurs ont été déférés et sont aujourd'hui incarcérés. Ils encourent, au regard de notre droit, au moins trois ans de prison, voire dix ans pour violences contre un membre du corps enseignant.

Quant à faire croire à l'opinion publique que ce nouveau texte aurait permis d'empêcher le meurtre du jeune Halimi, c'est particulièrement choquant et insultant pour sa famille ! Comment osez-vous prétendre devant ses parents que la nouvelle incrimination prévue par l'article 1er aurait pu sauver leur enfant ?

Vous le savez, l'article 1er, qui crée un délit préventif sera inapplicable. Ce nouveau délit de participation à une bande violente vise « le fait de participer, en connaissance de cause, à un groupement, même formé de façon temporaire, qui poursuit le but, caractérisé par un ou plusieurs faits matériels, de commettre des violences volontaires contre les personnes ou des destructions ou dégradations de biens ». Cette qualification du délit est bien trop floue et imprécise, et la présomption d'appartenance à une bande sera, pour les juridictions, quasiment impossible à démontrer. Notre collègue Christian Estrosi, devenu ministre depuis ce soir, n'a d'ailleurs à aucun moment donné de détails sur les « faits matériels » censés caractériser l'infraction.

Cela est d'autant plus inquiétant que l'article 1er entend punir la simple « intention », laquelle, ne pouvant être étayée par des faits précis, ouvrira la porte à l'arbitraire. Concrètement, ce dispositif n'aboutira qu'à augmenter le nombre de gardes à vue, qui n'a jamais été aussi élevé que ces derniers temps : 577 816 personnes résidant en France et âgées de plus de treize ans ont été placées en garde à vue en 2008 !

Les sanctions prévues à l'article 1er seront « également applicables à toute personne qui, sans être elle-même porteuse d'une arme, participe volontairement à un attroupement dont une ou plusieurs personnes portent des armes de manière apparente ». Cet article 2, qui s'ajoute au premier article, crée une nouvelle catégorie de délit, celui de mauvaise fréquentation. Ils introduisent tous deux dans notre droit un principe de responsabilité collective inédit – si l'on excepte la loi anticasseurs des années soixante-dix, abrogée en 1981. Dans cette logique du risque, qui ne consiste plus à s'intéresser aux seuls délinquants mais à tous les présumés délinquants, ce sont tout simplement les principes généraux du droit qui sont remis en cause.

Les deux premiers articles de ce texte ne sont pas les seuls à ouvrir la porte à des dérives. Prenons, pour autres exemples, le nouvel article 4 ter sur les halls d'immeuble, ou encore l'article 4 quinquies sur la vente forcée dans les lieux publics : ils sont non seulement inutiles mais dangereux, car ils ne contribueront concrètement qu'à augmenter, là encore, le nombre de gardes à vue, sans résultat.

Sans compter que, quoi que vous puissiez nous garantir la main sur le cœur aujourd'hui, ce texte contribuera à la répression de la contestation sociale, les articles 2 et 7 étant tout à fait transposables aux manifestations ou aux occupations d'établissement par les élèves ou leurs parents.

Loin de sanctuariser l'école, votre texte élargit le cercle des délinquants sans hésiter à venir les chercher dans les cours de récréation, Avant même la sortie de ce texte, M. Bertrand Rothé, qui a revisité La Guerre des boutons dans son livre Lebrac, trois mois de prison, avait fait le constat que Petit Gibus et ses copains seraient de nos jours considérés comme de dangereux délinquants.

En 2009, ce sera cinq ans de prison pour un petit canif taille-crayon dans son cartable ! Les sanctions prévues par cette proposition de loi sont, en effet, surréalistes, pas très éloignées des peines infligées aux criminels ! La punition toujours plus lourde est devenue une sorte de tranquillisant devant la grande peur des enfants qui s'est emparée de notre société et de son Parlement.

Qui aurait pu imaginer il y a encore quelques années que six policiers seraient envoyés à la maternelle pour arrêter un enfant de six ans soupçonné à tort d'un vol de bicyclette ? Qui aurait pu croire que des élèves seraient fouillés dans une classe, tenus en respect par des chiens policiers ? Auriez-vous imaginé, chers collègues, vous qui avez connu les cours de récréation, qu'un jour un petit bagarreur de huit ans serait entendu pour coups et blessures volontaires ? Cette intolérable banalisation du passage de l'enfant dans la sphère policière et judiciaire a été dénoncée à juste titre le 27 mai dernier, dans un communiqué commun de l’Association des régions de France et de l’Assemblée des départements de France.

Non, ce texte n'assure en rien la sanctuarisation de l'école ; il instaure au contraire un climat de peur et de méfiance généralisées qui ne pourra que rendre plus pesante l’atmosphère dans les établissements scolaires. Il s'inscrit dans une logique d'alourdissement des peines qui a pourtant fait la démonstration de son inefficacité.

Loin du glorieux bilan brandi par le chef de l'État et votre majorité, les chiffres officiels témoignent des insuffisances et des impuissances de la politique sécuritaire que vous menez depuis sept ans : si les atteintes aux biens ont diminué de 22 % entre 2003 et 2008, les agressions contre les personnes ont, elles, progressé de 14 %. L'arsenal invraisemblable de lois, tout terrain, tous azimuts, tout public, se révèle à la fois inutile et dangereux. Il est grand temps que vous vous interrogiez sur la philosophie, la méthode et les moyens qu’appelle la résolution des problèmes auxquels notre société est confrontée. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

Convocation du Parlement
en session extraordinaire.

M. le président. M. le président de l'Assemblée nationale a reçu de M. le Premier ministre communication du décret de M. le Président de la République en date de ce jour, portant convocation du Parlement en session extraordinaire, le mercredi 1er juillet.

L’ordre du jour de cette session extraordinaire sera publié au Journal officiel de ce jour, mercredi 24 juin.

3

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Questions au Gouvernement ;

Suite de la proposition de loi sur les violences de groupes.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 24 juin 2009, à zéro heure dix.)