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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2008-2009

Compte rendu
intégral

Troisième séance du mardi 30 juin 2009

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Rudy Salles

. Débat d’orientation des finances publiques pour 2010

M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan

M. Didier Migaud, président de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan

M. Pierre Méhaignerie,

M. Jean-Claude Sandrier

M. Charles de Courson

M. Jérôme Chartier

M. Jérôme Cahuzac

M. François de Rugy

M. Philippe Vigier

Rappel au règlement

M. Jean-Pierre Brard

Reprise du débat

Mme Marie-Françoise Clergeau

M. Dominique Souchet

3. Clôture de la session ordinaire 2008-2009

Présidence de M. Rudy Salles,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

Débat d’orientation
des finances publiques
pour 2010

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat d’orientation des finances publiques pour 2010.

La parole est à M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État.

M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les députés, tous les efforts du Gouvernement tendent à un seul but : préparer l’avenir. Pour cela, il faut d’abord sortir de la crise, amplifier la lutte contre nos déficits structurels et surtout identifier les secteurs stratégiques dans lesquels nous devons redoubler d’efforts.

Vous le voyez, jamais la politique budgétaire n’a été autant au cœur de nos débats publics, jamais elle n’a été autant sollicitée. En ces temps de crise, où nous ne pouvons plus, comme par le passé, faire jouer les seules mesures monétaires pour pallier l’insuffisance d’activité, la politique budgétaire est devenue l’instrument politique par excellence.

Je rappelle cette simple vérité : si les déficits se creusent, c’est uniquement en raison de la crise – j’ai tenté de le montrer hier –, de son coût et du prix de la relance. Ce constat fait, le défi que nous avons à relever est clair. Il faut s’assurer que la politique budgétaire accompagne non seulement la reprise, mais aussi la croissance de long terme, tout en consolidant la soutenabilité de nos finances publiques.

Vous vous en souvenez peut-être : dès 2007, dans cet hémicycle, j’ai privilégié les dépenses d’avenir dans la construction du budget qui ne répondait pas encore aux règles de la LOLF. J’avais en effet à cœur de séparer les dépenses d’avenir des dépenses courantes. J’ai également eu l’occasion de travailler avec certains d’entre vous, comme Jérôme Chartier, lors de nos débats à propos de la règle d’or, pour définir les dépenses de fonctionnement.

II nous faut maintenant systématiser cette approche. La logique qui a présidé au lancement de la révision générale des politiques publiques doit être prolongée et étendue, dans une deuxième phase, notamment aux dépenses d’intervention, aux opérateurs, ainsi qu’aux niches fiscales et sociales, car c’est bien l’ensemble de la dépense publique qu’il faut tourner vers l’avenir.

Avant de développer ces propos, je commencerai par faire le point sur l’année en cours.

Le déficit public devrait atteindre 7 à 7,5 points de PIB en 2009. Cette dégradation d’un peu plus de 4 points par rapport à 2008 est intégralement due à la crise. Elle s’explique par la baisse des recettes en lien avec la récession et par la mise en place des mesures de relance.

Notre prévision de baisse du PIB, identique à celle de l’INSEE, est de 3 %, soit près de 5 % en deçà de la croissance potentielle. En temps normal, l’effet de baisse de l’activité se traduirait par une hausse des déficits d’un peu moins de 2,5 points de PIB. Mais nous ne sommes absolument pas en temps normal, et les recettes fiscales se replient en fait beaucoup plus vite que le PIB. Ainsi, les recettes d’impôt sur les sociétés, qui atteignaient 50 milliards d’euros l’année dernière, retomberaient brutalement entre 20 et 25 milliards cette année. Cette diminution de recettes de 25 à 30 milliards représente une baisse de plus de 50 % par rapport à 2008.

La sur-réaction à la baisse de certaines recettes par rapport à l’activité explique un peu moins d’un point de PIB de déficit. Il nous faudra en analyser les raisons dans les mois à venir. S’agissant de l’impôt sur les sociétés, je crois pouvoir d’ores et déjà confirmer l’intuition que j’avais exprimée devant la commission : il pâtit non seulement de la baisse des résultats d’exploitation des sociétés, mais aussi de la baisse de leurs résultats financiers. Nombre d’entreprises ont passé des provisions pour dépréciation de leur portefeuille de participations boursières, ce qui réduit leur résultat fiscal. Selon moi, la chute brutale du prix des actifs financiers concomitante au ralentissement de l’activité explique en grande partie cette sur-réaction.

À ce jeu des stabilisateurs automatiques, sans précédent par son ampleur, s’ajoute naturellement le coût budgétaire des mesures de relance, pour environ encore trois quarts de point de PIB. La dégradation de près de quatre points de PIB s’explique donc intégralement par l’effet de la récession sur les recettes et les dépenses sociales, ainsi que par le coût des mesures prises pour lutter contre la récession et relancer l’économie.

À l’inverse, les dépenses hors crise, ou ordinaires, sont parfaitement maîtrisées. Les dépenses de l’État hors relance sont contenues au niveau voté par le Parlement. Ainsi, cette année, pour la première fois depuis 1997, l’objectif de dépenses d’assurance maladie sera respecté ou quasi-respecté.

Le déficit de l’État atteindrait 125 à 130 milliards d’euros en comptabilité budgétaire. Le déficit hors crise, c’est-à-dire courant, représente un peu plus de 40 milliards, et le déficit de crise environ 85 milliards, soit les deux tiers. Notons qu’environ 15 milliards ne pèsent pas sur le déficit maastrichtien, notamment les prêts au secteur automobile ou les sommes versées au Fonds stratégique d’investissement.

Pour le déficit du régime général de la sécurité sociale, de l’ordre de 20 milliards d’euros, environ 10 milliards d’euros doivent être imputés à la crise.

Nous ne sommes évidemment pas les seuls à voir nos déficits augmenter fortement. L’Espagne vient de réactualiser ses prévisions à 9,5 points de PIB pour cette année. D’après les dernières prévisions de l’OCDE, les États-Unis dépasseraient 10 points de PIB en 2009 – ils atteindraient probablement 12 points – et le Royaume-Uni 11 points. Même le déficit allemand, moins important en volume, se dégraderait d’environ 4 points de PIB en 2009, évoluant ainsi au même rythme que le nôtre.

Le déficit public serait globalement stable entre 2009 et 2010. L’amélioration du déficit budgétaire de l’État serait en effet compensée par la poursuite de la dégradation des déficits des comptes sociaux.

En 2010, le déficit budgétaire se réduirait. Les recettes de l’État se rétabliraient un peu avec le retour – modeste – de la croissance, et l’amorce du retour de recettes d’impôts sur les sociétés à un niveau moins atypique.

De plus, une large part des dépenses de relance disparaîtrait. Celles-ci seraient ramenées à 3,5 milliards. La maîtrise des dépenses hors relance se poursuivrait. Elles respecteraient la norme « zéro volume », malgré la révision à la baisse de l’inflation. Ces dépenses hors relance progresseront de 1,2 %, ce qui correspond au taux d’inflation prévisionnel.

Je tiens à souligner le rôle majeur que la loi de programmation des finances publiques, imposée par la commission des finances et le ministère du budget, a joué dans l’élaboration du projet de budget pour 2010. Avec mes collègues et sous l’autorité du Premier ministre, j’ai pu concentrer mon attention sur les budgets les plus concernés par la crise et ses impacts macroéconomiques. Dans une situation extraordinairement fluctuante, cette boussole nous a permis de nous repérer.

Plusieurs budgets ont dû être revus à la hausse. C’est le cas non seulement de l’emploi, pour faire face à la montée du chômage, mais aussi d’un certain nombre de dotations sociales, compte tenu du nombre croissant de leurs bénéficiaires. Le prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne augmente également, car notre situation économique s’est relativement moins dégradée que celle de nos partenaires.

À l’inverse, la révision à la baisse de l’inflation a conduit à réduire certaines dépenses comme les pensions ou les charges de la dette, ou encore la défense qui fait l’objet d’une programmation en euros constant, comme j’ai eu l’occasion de l’expliquer à la commission de la défense. La baisse des taux d’intérêt a également allégé la charge de la dette en 2009 et continuera de le faire en 2010.

Pour la plupart des autres budgets, les modifications ont été marginales par rapport à la loi de programmation. Cela justifie qu’en dépit des incertitudes économiques, j’ai tenu à mener au bout, avec vous, la discussion et le vote de cette loi pluriannuelle, qui demeure une référence majeure.

Par ailleurs, nous poursuivrons évidemment le non-remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux,…

M. Bernard Derosier et M. Jean-Claude Sandrier. Pourquoi « évidemment » ?

M. Éric Woerth, ministre du budget. …avec des réductions d’effectifs atteignant 34 000 équivalents temps plein.

Comme je l’ai annoncé, l’amélioration du déficit budgétaire serait compensée par la poursuite de la dégradation des comptes sociaux. En effet, le recul de 0,5 % de la masse salariale en 2010 pèserait à nouveau sur les recettes du régime général, des régimes complémentaires de retraite et de l’UNEDIC. Au total, le déficit s’établirait ainsi, comme cette année, entre 7 et 7,5 points de PIB.

On ne peut évidemment pas se réjouir de ces déficits, mais ils traduisent de manière très concrète l’utilisation de la politique budgétaire face à la crise. Certains nous reprochent même de ne pas aller assez loin.

Selon l’INSEE, le pouvoir d’achat des transferts sociaux devrait croître de 4,8 % en 2009, soit deux fois la moyenne de ces vingt-cinq dernières années. Voilà qui devrait clore définitivement la vaine querelle sur la relance par la consommation ou la relance par l’investissement, qui a animé nos débats durant les rendez-vous budgétaires de ces derniers mois.

Cette dynamique des transferts aux ménages, c’est notre système social qui joue à plein pendant la crise, et c’est l’action du Gouvernement, une action de justice sociale, soutenant les plus modestes, par l’augmentation du minimum vieillesse et de l’allocation adulte handicapé, la prime exceptionnelle de fin d’année, la prime de solidarité active et bien sûr le RSA, mis en place à partir du 1er juin et payable à partir du 1er juillet.

Compte tenu de ces données, et en complément du soutien au revenu, la priorité du plan de relance devait être à juste titre le soutien à l’investissement et à la trésorerie des entreprises pour conserver le maximum de notre appareil productif.

En ce moment, grâce à l’aide de Patrick Devedjian, le plan de relance est en marche dans toutes ses composantes. Les lois ont été votées, les primes versées, les crédits d’impôt restitués, les chantiers engagés, les dispositifs d’aide à l’emploi activés. Je ne suis pas sûr qu’un autre pays puisse afficher un tel rythme de mise en œuvre. D’ailleurs, il n’y a plus beaucoup d’observateurs objectifs pour critiquer le plan de relance. Au contraire, le FMI et l’OCDE en saluent le ciblage et le calibrage.

La question aujourd’hui est donc plutôt de savoir ce qu’il faut faire pour préparer l’après-crise. Tout le monde reconnaît l’incertitude du calendrier dans ce domaine. Quelle sera la force de la reprise après une telle récession ? Comment évolueront les prix d’actifs ? Quelle sera la croissance potentielle du pays après la crise ?

Le Conseil européen de juin a intégré cette incertitude dans son approche. Le redressement des finances publiques doit se faire au rythme de la reprise de l’activité. La politique budgétaire devra continuer à être réactive, comme elle l’a été depuis le début des difficultés, afin d’ajuster au mieux le rythme d’assainissement des finances publiques. Dans les années 90, à vouloir consolider trop tôt, après quelques rares signes positifs, le Japon a tué sa croissance pour dix ans, notamment en augmentant prématurément la TVA.

Ce sont les grandes orientations de l’après-crise que le Président de la République a indiquées dans son discours du 22 juin 2009 devant le Congrès, et que le Premier ministre a eu l’occasion de préciser dimanche dernier, lors du séminaire gouvernemental.

Une première condition pour réussir l'assainissement à moyen terme des finances publiques est claire : les mesures de relance doivent être temporaires. Le Gouvernement s'y est engagé, car c'est l'erreur qui avait été trop souvent commise dans notre pays par le passé.

Une deuxième condition, c'est que la hausse des prélèvements obligatoires est exclue. C'est bien une condition sine qua non, et non une position idéologique. Augmenter les prélèvements obligatoires, c'est sans doute envisageable dans d'autres pays. Mais ils représentaient encore environ 43 points de PIB en France en 2008. En Allemagne et au Royaume-Uni, ce ratio avoisine 37 points de PIB et il est de moins de 30 aux États-Unis. Nous avons donc six points de PIB de différence avec l’Allemagne et le Royaume-Uni, ce qui est considérable – cela représente quasiment le montant de notre propre déficit.

Augmenter les prélèvements obligatoires ne ferait qu'obérer, briser la compétitivité et la croissance potentielle française, et pèserait in fine sur la soutenabilité des finances publiques. Au contraire, c'est bien la stimulation de la croissance potentielle qui permettra un assainissement durable des finances publiques, plus de croissance potentielle se traduisant par durablement plus de revenu et donc par une réduction pérenne des déficits et de la dette.

Le Président de la République a clairement défini une stratégie en trois axes pour nos finances publiques : ...

M. Dominique Baert. « Clairement » ? Il ne faut pas exagérer !

M. Jérôme Chartier. Si, c’est très clair !

M. Éric Woerth, ministre du budget. Une fois que je vous l’aurai indiquée, elle sera claire ! (Sourires sur les bancs du groupe SRC.)

...sécuriser les recettes, réduire le poids de la dépense courante, investir massivement dans les projets d'avenir.

Je considère que ces trois objectifs sont exactement au même niveau. Il ne faut pas se leurrer : atteindre le troisième objectif, c’est-à-dire pouvoir investir massivement dans l'avenir, n'est possible que si l'on atteint aussi les deux autres. Ces trois objectifs forment un tout cohérent. Je veillerai donc à ce que tous soient respectés.

Premièrement, il faut sécuriser les recettes. Afin de compenser les pertes de recettes dues à la dégradation de l'activité, le surcroît de recettes qui interviendra au rythme de la reprise sera intégralement consacré à la réduction du déficit.

Deuxièmement, la lutte contre les déficits doit être poursuivie. Depuis deux ans, je fais un effort constant pour infléchir puissamment la dépense courante. Je relâcherai d'autant moins cet effort que le Président de la République nous appelle résolument à l'accentuer.

Soyons clairs : la dépense courante, pour moi, ce ne sont pas seulement les gommes et les crayons, très loin de là. J'en ai une vision extensive, qui inclut notamment les dépenses d'intervention ou les dépenses courantes des opérateurs. Il faut évidemment élargir le champ de cette définition de la dépense de fonctionnement si nous voulons avoir des résultats.

La méthode que nous avons utilisée jusqu'à maintenant a porté ses fruits. Nous avons contenu la dépense publique à moins de 1 % en euros constants l'année dernière. Mais cela ne suffira pas pour les défis qui nous attendent et l'ampleur du champ auquel il faut s'attaquer. Il faut donc élargir et renforcer cette méthode.

Avec l'aide du Parlement, dans la lignée des états généraux de la dépense publique, une identification systématique de toutes les dépenses inutiles sera réalisée.

La réforme de l'administration sera poursuivie, et en particulier le non-remplacement d'un fonctionnaire partant à la retraite sur deux.

La réforme des collectivités locales sera menée à bien, notamment sur la répartition des compétences, afin que tous les échelons d'administrations contribuent plus efficacement à la consolidation des finances publiques.

Toutes les options envisageables pour la réforme des retraites seront examinées, avec des décisions à la mi-2010.

La maîtrise des dépenses de santé sera accrue. Il me paraît possible, et je partage cette opinion avec Roselyne Bachelot, de limiter l'ONDAM à 3 % dès 2010 – il est de 3,3 % en 2009 – compte tenu de la baisse de l'inflation. Nous allons travailler en ce sens avec la ministre de la santé dans le cadre du PLFSS.

Les niches sociales feront l'objet d'un examen systématique. Elles représentent 42 milliards d'euros : 33 milliards d'exonérations de cotisations sociales, 9 milliards d'exemptions d'assiettes diverses, allant de l'épargne salariale aux aides au comité d'entreprise. Depuis deux ans, j'ai agi sur deux leviers, avec l'appui de Pierre Méhaignerie et d'Yves Bur. Nous avons rationalisé plusieurs dispositifs d'exonérations peu efficients, nous avons fait contribuer les stocks-options, les parachutes dorés ainsi que l'intéressement et la participation au financement de la sécurité sociale. J'entends poursuivre et accentuer cette action dans le PLFSS 2010, notamment sur les retraites chapeaux et d’autres sujets.

J'entends également conduire un examen aussi critique des dépenses fiscales dans les mois qui viennent. Avec l'appui notamment du président de la commission des finances, Didier Migaud, et de son rapporteur général, Gilles Carrez, nous avons déjà travaillé sur deux axes, en réduisant certaines niches spécifiques et en instaurant l’année dernière le plafonnement global. Il faut poursuivre sur ces deux voies, continuer de questionner certains dispositifs dont la pertinence et l'efficacité ne sont pas avérées, réfléchir aussi à une manière peut-être plus transversale de réduire le poids de la dépense fiscale globale.

Aucune niche prise séparément n'est illégitime, mais l'immense chenil qu'elles forment toutes ensemble cache une meute ingérable pour les finances publiques.

M. Jérôme Cahuzac. Quelle belle phrase ! (Sourires.)

M. Éric Woerth, ministre du budget. Elle est de moi !

Il faut donc là aussi redoubler d'effort.

Avec la sécurisation des recettes et la réduction des dépenses courantes, le troisième pilier de la stratégie présentée par le Président de la République consiste à réorienter de manière résolue la dépense publique vers des projets d'avenir.

Le débat s'est focalisé sur les modalités de l'emprunt. Je le dis, on se trompe de débat, car l'emprunt n'est qu'un moyen. La finalité, c'est le redéploiement de nos dépenses vers les projets d'avenir. Ces projets seront financés par un emprunt dédié. Cela veut dire que le financement permis par cet emprunt ne sera pas indistinct ; il ne pourra financer que des projets d’avenir prioritaires clairement identifiés après un débat. Aucune fongibilité ne sera possible avec le financement de la dépense courante. Cela nous conduira, et c'est crucial, à rendre compte régulièrement sur les dépenses ainsi financées et à apporter la preuve qu'elles ont un intérêt et un rendement important pour les générations futures. Ce processus débutera d'ailleurs soit par une loi de finances rectificative soit – pourquoi pas ? – par un mini-débat d'orientation budgétaire au début de l’année 2010, puisqu'en fin de compte, ce sera bien le Parlement qui devra décider à la fois des priorités et en même temps des modalités de l'emprunt, qui peuvent être très diverses.

Je voudrais profiter de ce débat pour m'arrêter un instant plus précisément sur la définition même des dépenses d'avenir.

Leur nature est de fait très variée. Il peut s’agir d’engagements financiers pour soutenir des entreprises dans des secteurs de pointe, des investissements physiques dans de nouvelles technologies ou encore certains investissements en capital humain, comme l'enseignement supérieur ou la recherche. Toutes ont une légitimité.

Mais, à mon sens, l'emprunt étant par définition une opération ponctuelle, il ne peut servir à financer que des dépenses non récurrentes. Cela ne préempte en rien naturellement le montant et les modalités de l'emprunt. Cela signifie simplement que des dépenses, même d'avenir, qui se renouvellent chaque année ont vocation à être financées par des recettes qui se renouvellent également. Mais cela n'est évidemment possible que si nous nous attelons parallèlement, comme je viens de le rappeler, à la réduction drastique des autres dépenses courantes encore plus rapidement que ce que nous faisons jusqu’à présent.

Par ailleurs, pour être efficace, il faut faire des choix. D'où l'absolue nécessité de la grande consultation qui commence – le Premier ministre a encore répondu à une question tout à l'heure – pour pouvoir choisir et hiérarchiser les priorités que nous voulons partager ensemble dans notre communauté nationale. On ne peut pas tout traiter sur le même plan.

Le Premier ministre a indiqué dimanche que cette consultation devrait déboucher dans la première quinzaine de novembre sur des projets forts et structurants, mais en nombre restreint. Ils devront apporter la preuve qu'ils ont une rentabilité financière et socio-économique élevée et devront associer le plus possible des cofinanceurs externes pour démultiplier les efforts de l'État.

L'enjeu, c'est donc bien de parvenir à faire le partage dans les dépenses publiques. En tant que ministre du budget, je tiens à souligner que je mettrai la même énergie à identifier les dépenses les plus productives pour notre pays qu'à continuer à supprimer celles qui ne le sont pas, ou qui sont moins efficaces.

M. Philippe Vigier. Très bien !

M. Éric Woerth, ministre du budget. Ces réformes permettront de réorienter l'effort public vers les dépenses d'avenir, la progression de l'ensemble des dépenses publiques restant limitée à environ 1 % par an en volume. Il s’agit là d’un effort considérable par rapport à tout ce qui a été fait par le passé.

En ce qui concerne l'évolution globale de nos finances publiques à l'horizon 2011, on peut raisonnablement miser sur une reprise de la croissance plus forte, et surtout des recettes plus dynamiques lors de la reprise de l'activité. En prenant à nouveau l'exemple de l’impôt sur les sociétés, passer du niveau 2009 de 20 à 25 milliards d’euros pour simplement retrouver le niveau de 2007-2008 qui était de 50 milliards d’euros, c'est 100 % de plus, déjà plus d'un point de PIB de retrouvé, sans augmentation d'impôt, juste par la reprise de l’activité et le retour du prix des actifs à une valeur plus en lien avec leur valeur fondamentale. Entre la maîtrise de la dépense et ce dynamisme des recettes, on peut ainsi espérer une amélioration de l’ordre d'un point de PIB par an.

Nous irons plus vite si la croissance est plus forte. Mais l'important c'est bien de marquer une inflexion par la dépense.

L’objectif d’un retour à trois points de PIB de déficit en 2012, dans la mesure des informations qui sont disponibles actuellement, n'est donc pas atteignable sans un rebond extrêmement fort de la croissance, qui ne peut être exclu, mais qu'on ne peut prendre comme référence dans un débat d'orientation budgétaire.

Dire cela, ce n'est pas renoncer au pacte de stabilité, c'est la réalité des effets de la crise. Nous conservons l'esprit du pacte : nous ferons le meilleur effort d'assainissement possible des finances publiques, sans casser le retour de la croissance et en préparant la croissance de demain, pour retourner au plus vite sous trois points de PIB. La quasi-totalité des pays européens sont confrontés à cette situation. Même l'Allemagne a annoncé qu'elle ne pourrait revenir sous trois points de PIB de déficit qu'au mieux en 2013, voire 2014.

Dans ces conditions, ma tâche, c'est bien de trouver les voies et moyens d'une réduction des déficits d'une façon qui ne soit pas artificielle, sans faux-fuyant comme un hypothétique et bien improbable retour de l'inflation. Ma tâche, c'est de gagner durablement en efficacité sur la dépense publique, et de stimuler tout aussi durablement la croissance sans se tromper mais en faisant face à la réalité sans vouloir se la cacher. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Philippe Vigier. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, mes chers collègues, ce débat d'orientation des finances publiques se tient cette année dans un contexte exceptionnel : la France, nous en sommes tous conscients, traverse la pire crise économique qu’elle a connue depuis la Libération. Je rappelle les chiffres : la croissance sera probablement en diminution de près de 3 % en 2009 et elle sera peut-être, comme le prévoit le Gouvernement, de 0,5 % en 2010. Cette situation n’a rien à voir avec l’année 1993 qui avait connu une croissance en berne de moins 1 %.

Une situation aussi difficile nous oblige à essayer d’y voir plus clair sur ce que pourrait être l’évolution de nos finances publiques à moyen terme. Comme l’a indiqué le ministre à plusieurs reprises dans son intervention, nous devons aborder la préparation du budget 2010 en nous dotant de règles de bonne gouvernance publique, affirmées, confirmées par rapport à ce que nous avons fait au cours de ces deux dernières années.

M. Didier Migaud, président de la commission des finances, de l’économie générale et du plan. Respectons-les !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Quelles sont les perspectives d’exécution du budget 2009 ?

Autant on peut dire que c’est surtout au dernier trimestre 2008 que nous avons subi l’impact de la crise, autant pour 2009 cet impact sera visible sur toute l’année. En matière de recettes, lorsqu’on a un dernier trimestre aussi difficile que celui de 2008, cela veut dire que l’on part sur une base extrêmement fragile, négative pour l’année suivante. Aussi devons-nous nous attendre à une véritable hémorragie sur nos recettes, hémorragie qui est de l’ordre de 30 milliards d’euros pour les seules recettes fiscales, à comparer à la recette fiscale moyenne de ces dernières années qui s’élève à 260 milliards d’euros environ. Face à cette situation, nous devons absolument tenir la dépense 2009, comme nous l’avons fait en 2008.

Cette dépense 2009 est d’autant plus difficile à tenir qu’une partie d’entre elle, plus de 30 milliards d’euros, relève du plan de relance et a été isolée dans la mission spéciale créée en loi de finances rectificatives au début de cette année. Il conviendra de faire preuve de rigueur dans l’identification et la tenue des dépenses hors plan de relance, c’est-à-dire des dépenses courantes. Or, nous savons d’ores et déjà que nombre de ces dépenses augmenteront du fait de la crise. Je pense aux dépenses sociales et aux dépenses de la mission « Emploi », en particulier celles engagées pour les contrats aidés que nous devrons bien entendu favoriser. Heureusement, nous pourrons réaliser des économies en 2009.

Tout d’abord, l’inflation étant aujourd’hui très inférieure à celle de 2008, nous pourrons dégager environ 400 millions d’euros d’économies sur les dépenses de pension.

Par ailleurs, nous allons très certainement, et c’est paradoxal, constater plusieurs milliards d’économie sur les intérêts de la dette. Nous avons inscrit 43 milliards en loi de finances initiales 2009, mais nous n’atteindrons probablement pas les 40 milliards en exécution, alors même qu’en 2009, nous battrons tous les records en matière de mobilisation d’emprunt – environ 250 milliards. En effet, en 2008, nous avons dû inscrire des provisions très importantes à cause de l’augmentation subite de l’inflation et de l’indexation de 15% du stock de notre dette à moyen et long terme sur l’inflation. Nous avons reconduit cette provision en 2009 mais l’inflation étant plus basse, nous n’aurons pas besoin d’inscrire ces provisions. Je le répète, monsieur le ministre, vous serez en état de tenir la dépense, à condition d’être très ferme sur la définition des dépenses normales par rapport aux dépenses exceptionnelles du plan de relance.

Nous discutions à l’instant, avec le président de la commission des finances, des différentes propositions que des membres du Gouvernement, selon certains journaux, vous auraient faites dimanche après-midi lors du séminaire intergouvernemental. Monsieur le ministre, tenez bon face à leur créativité dépensière ! Si nous ne maîtrisons pas la dépense, les déficits atteindront des niveaux historiques !

M. Dominique Baert. C’est déjà fait ! Il faudrait surtout tenir les recettes !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Même si nous tenons les dépenses, l’hémorragie des recettes est telle que le besoin de financement public en 2009 sera extrêmement préoccupant !

M. Dominique Baert. Absolument !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Faisons les comptes ensemble. Vous l’avez dit, monsieur le ministre, nous enregistrerons sans doute sur le budget de l’État un déficit de l’ordre de 120 ou 125 milliards d’euros !

M. Dominique Baert. Plutôt 130 ! Il faut tenir compte du déficit de la sécurité sociale.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Probablement 25 milliards pour les comptes sociaux – je parle sous le contrôle de M. Jean-Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. Je préfère parler de besoin de financement plutôt que de déficit.

M. Dominique Baert. Et l’UNEDIC ? Et la CADES ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Le besoin de financement des collectivités territoriales atteindra un niveau jamais égalé puisqu’il devrait avoisiner les 10 milliards d’euros – 0,5 point de PIB – alors que, jusqu’en 2004 inclus, les collectivités territoriales étaient excédentaires et contribuaient à la baisse du déficit global !

M. Dominique Baert. Évidemment ! Le Gouvernement les a étranglées !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Que pouvons-nous, dans ces conditions, imaginer pour 2010 ?

Quelques députés du groupe SRC. Imaginons

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Il est probable, vous l’avez dit, monsieur le ministre, que le déficit de l’État diminue suite à l’engagement des 32 milliards de dépenses au titre du plan de relance en 2009. L’essentiel aura donc été dépensé au titre de l’année 2009.

M. Didier Migaud, président de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. Attention, l’emprunt arrive !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. En 2010, nous poursuivrons le plan de relance, en particulier en direction du fonds d’intervention sociale et des territoires d’outre mer, le tout pour environ 2 milliards.

Il faudra très certainement faire plus d’effort. La situation des collectivités territoriales, en termes de besoins de financement, ne s’améliorera pas en 2010 car beaucoup, comme les départements, subiront l’augmentation des dépenses sociales et les droits de mutation, n’est-ce pas monsieur le président du conseil général de Haute-Corse ?

Par ailleurs, et je me tourne vers M. Pierre Méhaignerie, les recettes des comptes sociaux étant essentiellement assises sur la masse salariale, laquelle étant la plus vulnérable à l’augmentation du chômage, nous devons nous attendre à ce que le déficit des comptes sociaux se creuse encore davantage, peut-être de trente milliards d’euros. En 2010, notre déficit public ne se redressera donc sans doute pas, peut-être même s’aggravera-t-il légèrement. J’espère que nous ne dépasserons tout de même pas les huit points de PIB – nous devrions tourner autour de 7,5, comme vous l’annonciez hier, monsieur le ministre.

Aujourd’hui, nous devons en priorité veiller à ce que la dette ne s’emballe pas. Début 2002, elle représentait 58 % du PIB. Elle atteindra 80 % à la fin 2009. Nous ne pourrons réduire cette dette, ou même simplement stopper son évolution, qu’à condition de retrouver, dès 2011, une croissance d’au moins 2,5 %.

La réflexion sur le grand emprunt national doit tenir compte de la progression sans précédent de notre dette publique. C’est vrai, tous les pays sont endettés et la solution sera sans doute à trouver au niveau européen. Jérôme Chartier a récemment proposé un excellent rapport, riche en propositions, mais pour l’instant, nous n’avons pas obtenu l’accord de nos partenaires pour étaler la dette sur les générations futures, au niveau européen.

Permettez-moi d’achever mon propos sur quelques règles de gouvernance.

La première ne vous étonnera pas, monsieur le ministre, puisque vous venez vous-même de la mettre en avant : nous devons maîtriser la dépense publique, notamment en ce qui concerne les effectifs. Il faudra rester ferme et tenir l’objectif de non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux. Nous avons atteint un taux de 40% en 2008 mais nous devrons parvenir aux 50%. Je suis bien conscient que cet objectif pose problème pour l’éducation nationale qui concentre presque la moitié des effectifs de l’État, mais il faut tenir bon.

Il convient également de clarifier la notion de dépenses liées au plan de relance. Le fonds d’intervention sociale représente-t-il une dépense temporaire au titre du plan de relance, ou une dépense pérenne ? Les centaines de millions d’euros dépensés en faveur des départements et des territoires d’outre mer ont-ils vraiment leur place dans le plan de relance ? Ne s’agit-il pas plutôt de dépenses récurrentes, normales pour une remise à niveau ?

La commission des finances vous aidera, monsieur le ministre, à accomplir cette tâche.

Vous avez par ailleurs mis en avant, non sans raison, la programmation triennale, qu’il faut respecter, avec la stabilisation en volume des dépenses de l’État. Cela autorise, en valeur, 4 milliards d’euros supplémentaires par rapport à 2008, lesquels seront probablement consommés dans le domaine de l’emploi et de la solidarité. J’espère que le coût de la dette ne sera pas une mauvaise surprise en 2010. Je ne le pense pas, mais une éventuelle remontée des taux d’intérêt impacterait dès à présent le budget 2010.

J’en viens à la révision générale des politiques publiques qui doit être amplifiée. Nous nous sommes arrêtés à l’organisation de l’appareil de l’État. Pour avoir participé à beaucoup de réunions, je sais quel travail extraordinaire vous avez accompli, monsieur le ministre, et je salue votre ténacité et votre clairvoyance.

M. le président. Veuillez conclure !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Nous devons aujourd’hui nous attaquer aux dépenses d’intervention, aux relations entre l’État et ses opérateurs, à la vérification de certaines dépenses sociales et fiscales.

Surtout, nous devrons impérativement nous astreindre les uns et les autres, en 2010, à ne pas financer de dépense fiscale ou de réforme fiscale par la dette ou le déficit ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) La commission des finances vous proposera, sur une base unanime, une réforme de la taxe professionnelle qui présente trois avantages : respecter davantage les finances de l’État, respecter davantage les intérêts des collectivités territoriales, soutenir plus efficacement nos entreprises industrielles.

M. Philippe Vigier. Très bien !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. J’espère, monsieur le ministre, que vous serez à nos côtés pour défendre cette proposition qui est par ailleurs gagée par une taxe carbone à hauteur des 4,5 milliards nécessaires. Je souhaite, monsieur le ministre, que vous réaffirmiez haut et fort dans le projet de budget pour 2010 les règles que nous avons inscrites dans la loi de programmation : toute dépense fiscale nouvelle doit être compensée par la suppression d’une dépense à même hauteur – même chose pour le social – et toute réforme fiscale doit être gagée, y compris la baisse de la TVA sur la restauration. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. La parole est à M. Didier Migaud, président de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan.

M. Didier Migaud, président de la commission des finances, de l’économie générale et du Plan. Je suis heureux de succéder à cette tribune à notre rapporteur général, M. Gilles Carrez, dont j’aurai l’occasion de reprendre quelques-unes des observations.

L’examen des comptes de l’année 2008 m’a conduit hier à établir deux constats : la situation de nos comptes publics était dégradée avant même que la crise ne produise ses effets et la France occupe une position défavorable en Europe.

Cette situation résulte des politiques fiscales et budgétaires menées depuis 2002, amplifiées depuis 2007.

M. Jérôme Cahuzac. Très bien !

M. Didier Migaud, président de la commission des finances. Je voudrais insister ce soir sur trois points : les perspectives d’évolution de nos finances publiques sont inquiétantes – vos propos, monsieur le ministre, ainsi que ceux du rapporteur général, sont loin de nous avoir rassurés –, les règles de gouvernance sont très malmenées et la France est de plus en plus affaiblie.

En ce qui concerne le premier point, il convient de noter que si la crise a eu peu d’effet en 2008 – vous l’avez rappelé, monsieur le ministre –, elle pèse dans des proportions beaucoup plus importantes en 2009, ce dont vous avez du reste déjà tenu compte à travers deux lois de finances rectificatives, mais sans réviser, à l’époque, vos hypothèses de croissance qui demeuraient très positives. Vous avez récemment reconnu que la récession atteindrait vraisemblablement 3 % en France et que le niveau des déficits des comptes publics varierait entre 7 % et 7,5 %. Encore cette estimation peut-elle paraître optimiste puisqu’elle ne prend pas en compte le besoin de financement des collectivités territoriales, qu’a rappelé le rapporteur général. C’est pourquoi le déficit approchera vraisemblablement les 8 % en 2009.

L’objectif d’un retour à l’équilibre en 2012 est abandonné – était-il nécessaire de le préciser ? –, tout autant que celui d’un retour à 3 %. En fait, il est à craindre que le déficit ne dépasse encore les 6 % en 2012 – vous l’avez reconnu, monsieur le ministre – après avoir peut-être connu un nouveau pic en 2010, au-dessus des 8 %, voire des 9 %.

Je ne partage pas l’optimisme de Mme Lagarde, selon laquelle la reprise serait d’ores et déjà là. Je pense au contraire que la sortie de crise sera lente, observation qui vaut également pour nos comptes publics. L’augmentation de l’endettement conduit à alourdir durablement les charges d’intérêt. La dérive des comptes sociaux, liée notamment à l’aggravation du chômage, ne sera pas rapidement résorbée. Les dépenses augmenteront tandis que les recettes diminueront en raison de la contraction de la masse salariale. De plus, tous les économistes le soulignent, les crises financières sont toujours plus longues que les autres et la sortie en est d’autant plus lente. Il est à craindre que les recettes fiscales ne connaissent une faible élasticité. Enfin, il convient de rappeler que le retour de la croissance n’entraîne pas obligatoirement la réduction du déficit : en 2007, avec un taux de croissance de 2,3 %, vous avez réussi le tour de force de dégrader la situation des comptes publics.

M. Jean Mallot. Ils sont forts !

M. Didier Migaud, président de la commission des finances. S’il est vrai que la crise pèse, monsieur le ministre, elle n’explique malheureusement pas tout ! En effet, non seulement notre déficit structurel est élevé – la Cour des comptes l’évalue à 3,5 % –, mais, de plus, nous menons une politique de réduction des recettes dangereuse, au travers de mesures fiscales qui sont ciblées, comme le paquet fiscal, ou qui ne le sont pas du tout, comme la baisse de la TVA dans la restauration. Je ne reprendrai pas l’argumentation que j’ai développée hier, lors de l’examen du projet de loi de règlement, sur la perte considérable de recettes due à la réduction d’impôts décidée depuis 2002 et amplifiée depuis 2007.

Monsieur le rapporteur général, agir sur la seule dépense ne suffit pas à rétablir les comptes si, parallèlement, on multiplie les mesures de réduction de nos recettes. J’ai écouté vos propos avec une grande attention et j’ai remarqué que vous les applaudissiez, monsieur le ministre : dans ces conditions, la baisse de recettes due à celle de la TVA dans le secteur de la restauration sera-t-elle compensée ? La réforme de la taxe professionnelle sera-t-elle financée ?

Face à cette situation dégradée, on ne nous propose qu’un enrichissement du vocabulaire, ce qui est intéressant. Le déficit est désormais décomposé en déficit « structurel », « de crise » ou « d’avenir ». Il y a un « bon » et un « mauvais » déficit, comme il y aura vraisemblablement un « bon » et un « mauvais » emprunt. Il n’en reste pas moins que le mot « déficit » demeure commun à toutes ces expressions et que celui-ci s’aggrave, ce qui augmente la dette.

Outre cet enrichissement de vocabulaire, on nous propose un « grand emprunt ». Oui, la crise exige, monsieur le ministre, d’utiliser tous les leviers permettant de lutter contre elle : c’est la raison pour laquelle je suis de ceux qui regrettent les insuffisances de votre plan de relance. Emprunter peut être légitime, encore faut-il prendre des décisions efficaces et justes. De même, la situation doit rester sous contrôle. Or ces conditions ne sont pas remplies.

En effet, on aggrave la baisse des recettes et on emprunte tous les jours ! Rien que pour le budget – cela a été rappelé – le besoin de financement en 2009 s’élèvera à 240 milliards d’euros : 130 milliards de financement du déficit budgétaire et 110 milliards de refinancement d’emprunts arrivés à échéance. Dois-je rappeler que le déficit du solde primaire, que nous avons évoqué hier, nous contraint à emprunter non seulement pour rembourser les intérêts de la dette, mais également pour payer une partie des charges courantes ?

Du reste, on parle beaucoup de « grand emprunt » – vous en avez parlé, monsieur le ministre, tout comme le rapporteur général. Or, puisqu’on emprunte déjà 250 milliards d’euros, à quelle hauteur situez-vous ce « grand emprunt » ? Les mots « grand emprunt » signifient-ils que cet emprunt dépassera les 250 milliards d’euros ?

M. Dominique Baert. On peut le craindre !

M. Éric Woerth, ministre du budget. S’agit-il d’une proposition ?

M. Didier Migaud, président de la commission des finances. L’État fera-t-il un emprunt à l’intérieur des emprunts, avec seulement des modalités différentes, dont l’appel aux particuliers, ou cet emprunt s’ajoutera-t-il à ceux déjà envisagés ? Ou bien – ce qui revient au même –, les dépenses d’avenir que cet emprunt doit financer constitueront-elles des dépenses supplémentaires ou se substitueront-elles à des dépenses existantes ? Dans ces conditions, de quelles dépenses s’agit-il et pour quel montant ? Comment ce qu’il n’a pas été possible de faire ces sept dernières années – chasser les mauvaises dépenses et privilégier les dépenses d’avenir, chacun ne pouvant qu’être favorable à ces principes – le deviendrait-il dans des délais record sans augmenter la dette et sans dégrader très fortement la situation des comptes publics ? La révision générale des politiques publiques – faut-il le rappeler ? – vise à réaliser 6 ou 7 milliards d’euros d’économie – un chiffre qui est très en deçà de ceux dont il est question dans le cadre de cet emprunt supplémentaire.

Les dépenses correspondantes feront-elles l’objet d’une nouvelle mission, comme c’est déjà le cas des dépenses du plan de relance, au risque de rendre l’action du Gouvernement de moins en moins lisible et le contrôle du Parlement de plus en plus difficile, puisque cette action se voit éclatée en plusieurs missions qui ont pourtant le même objet ?

Qu’est-ce qui fait qu’une idée jugée, il y a peu, absurde par la presse, devient pertinente ? Quelles seront les modalités de cet emprunt ? Pourquoi choisir une formule plus coûteuse ? La LOLF dispose que les emprunts émis par l’État ne peuvent prévoir d’exonération fiscale, mais un appel direct aux particuliers – nous le savons – est toujours plus coûteux : les exemples sont suffisamment nombreux dans l’histoire pour que je n’aie pas besoin d’insister.

Je ne fais pas nécessairement de l’emprunt une question de principe. Emprunter, c'est-à-dire s’endetter pour financer de nouvelles dépenses, peut être justifié lorsqu’il s’agit notamment de l’investissement ou de la recherche. Encore faut-il que cette démarche soit précédée de la suppression du paquet fiscal et d’une nouvelle réforme des niches fiscales et sociales. Cette démarche doit donc être accompagnée de nouvelles relations financières entre l’État et les collectivités territoriales – ces dernières, qui représentent les trois-quarts de l’investissement public civil, intervenant également dans des domaines aussi essentiels que la recherche ou la formation. En revanche, si ces conditions ne sont pas remplies, cet emprunt auprès des particuliers ne saurait avoir d’autre justification que politique. Ce sera une mesure coûteuse, favorable aux épargnants, avec des effets d’éviction possible, notamment sur le livret A, mais défavorable aux contribuables. De plus, compte tenu de la forte concentration du taux d’épargne, seulement une partie des Français sera concernée par la levée de cet emprunt. Il s’agit donc davantage d’une opération de communication, bienvenue à l’approche des élections régionales,…

Mme Catherine Lemorton. C’est certain !

M. Didier Migaud, président de la commission des finances. …d’une opération de camouflage, d’enfumage,…

M. Jérôme Cahuzac. Le candidat au secrétariat d’État à l’enfumage ne sera bientôt plus député : c’est Frédéric Lefebvre !

M. Jean Mallot. Il faut bien lui trouver une occupation !

M. Didier Migaud, président de la commission des finances. …ou encore de report, après l’échéance de 2012, de décisions difficiles à prendre à partir du moment où les baisses d’impôts ne seraient pas remises en cause.

En ce qui concerne les règles de gouvernance – c’est mon deuxième point –, la loi de programmation des finances publiques constitue, avec la LOLF, comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner, monsieur le ministre, un progrès incontestable. Il s’agit-là de règles de comportement utiles et pertinentes. Le problème est que, dès leur adoption, elles n’ont pas été respectées et que les entorses sont nombreuses. Les missions doivent correspondre à une politique identifiée, ce qui n’est plus réellement le cas pour la mission « Plan de relance ». Et je suis inquiet devant la perspective d’une mission « Dépenses d’avenir », d’autant que, comme l’a souligné le rapporteur général, certaines des dépenses incluses dans la mission « Plan de relance », qui devait s’éteindre au bout de deux ans, ont vocation à être pérennisées. Or elles échappent à la norme des dépenses ainsi qu’à l’évaluation de la performance. En ira-t-il de même avec l’emprunt annoncé, d’autant que celui-ci devrait être lancé en janvier, c'est-à-dire après le vote de la loi de finances pour 2010 ? Quelle signification aura l’examen de celle-ci si nous examinons dès le mois de janvier suivant un projet de loi de finances rectificative dont les conséquences sur le contenu de la politique budgétaire pourraient être très importantes ?

M. Jérôme Chartier. Ce fut déjà le cas en 2009.

M. Didier Migaud, président de la commission des finances. Si nous commençons dès janvier, comment garantir qu’il n’y aura qu’une loi de finances rectificative ?

Ces règles de bonne gouvernance et de maîtrise des finances publiques risquent fort de ne pas être respectées. J’en veux pour preuve le débat que nous avons eu sur la réduction du taux de TVA dans la restauration. Je le répète : cette dépense fiscale n’est pas encore compensée et son évaluation est vaine puisque, si la loi pose le principe de l’évaluation fiscale, dans le même temps, le ministre chargé du dossier a annoncé que la décision a été prise de manière définitive. Nous pouvons craindre le recours au même raisonnement en ce qui concerne la taxe professionnelle et le degré de compensation des allégements consentis. Le rapporteur général a évoqué les raisons qui rendent le scénario de la commission bon pour les finances de l’État, acceptable par les collectivités territoriales et susceptible de conforter les entreprises industrielles. J’ai peur que ce ne soient précisément autant de bonnes raisons pour ne pas retenir ce scénario !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Ne soyons pas pessimistes !

M. Didier Migaud, président de la commission des finances. J’espère que nous pourrons, ensemble, faire de ce scénario une réalité.

J’ai relu quelques débats sur la règle d’or et l’équilibre du budget.

M. Paul Giacobbi. C’est de l’archéologie financière !

M. Didier Migaud, président de la commission des finances. J’ai été impressionné par la qualité de vos propos, monsieur le ministre, et je souhaiterais avoir le temps d’en rappeler quelques-uns. Je pense qu’avant de se doter de nouvelles règles, nous devrions respecter celles que nous nous sommes déjà fixées. Il serait du reste pertinent d’établir une règle constituant la limite à ne jamais franchir : que le solde primaire soit toujours équilibré.

Je rappellerai enfin – c’est mon troisième point – que la France est déjà affaiblie et qu’elle risque de l’être plus encore lors de la sortie de crise. J’ai été frappé par les statistiques de la Commission européenne, qui montrent que la France, en 2010, sera dans une plus mauvaise situation que l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni. Notre déficit public sera notamment plus important que celui de l’Allemagne et de l’Italie. La majorité des pays de la zone euro étaient presque à l’équilibre en 2007 : leur démarrage en sera facilité. De plus, tous ces pays prennent des mesures visant à faciliter la reprise.

M. le président. Il vous faut conclure, monsieur le président de la commission !

M. Didier Migaud, président de la commission des finances. L’Allemagne, qui subira une récession beaucoup plus forte que la nôtre, connaît une dégradation du chômage moins importante.

M. Jérôme Chartier. Il faut relativiser, car c’est le chômage partiel qui fait la différence !

M. Didier Migaud, président de la commission des finances. Oui, il faut traquer la dépense inutile ! Oui, il faut privilégier les dépenses d’avenir ! Oui, il ne faut pas augmenter les impôts du plus grand nombre ! Ce sont des principes pleins de bon sens. Le problème est le décalage existant entre les principes affirmés et la réalité.

Le Président de la République pense que tout finira par s’arranger, croyant que l’économique suivra toujours le politique. Je crains un réveil douloureux après 2012 : on peut retarder le moment de la facture, on ne saurait la faire disparaître. L’économie a ses règles, qui risquent de s’imposer au détriment de la majorité de nos concitoyens et du pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, le Premier président de la Cour des comptes nous a présenté la semaine dernière des perspectives inquiétantes, non seulement pour les finances publiques et pour les finances sociales, mais pour la croissance de demain et pour la sortie de crise ; des perspectives inquiétantes aussi pour la cohésion franco-allemande. Ce diagnostic doit induire une réflexion sur les politiques sociales et sur les mesures correctrices à prendre.

Toutefois, ce jugement sur les finances sociales mérite d’être nuancé. L’an dernier, Yves Bur y reviendra, avec une croissance de 2,5 % – celle que nous espérions – l’ONDAM évoluait moins vite que nos recettes et, donc, quelques années auraient permis de réduire les déficits de l’assurance maladie. Quant aux dépenses vieillesse, nous espérions tous transférer un point d’UNEDIC vers le financement des dépenses de vieillesse sans augmenter les cotisations et sans remettre en cause les prestations.

Aujourd’hui, hélas, les prévisions pour 2009 et, plus encore, celles pour 2010 avec un déficit proche de 30 milliards d’euros, nous conduisent à débattre des orientations devant permettre de contrarier cette évolution des dépenses. Quelles orientations envisager ?

Le rapporteur général et le président de la commission des finances l’ont dit, on ne doit pouvoir engager de nouvelles dépenses sans redéploiement. Nous avons agi de la sorte pour le revenu de solidarité active ; nous espérons qu’il en ira de même pour la taxe professionnelle ; cela n’a en revanche pas été le cas pour la TVA sur la restauration.

M. Jérôme Cahuzac. Eh non !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles. En ce qui concerne les nouvelles niches, celle créée par la loi Scellier, par exemple, est efficace ; mais mesurons bien qu’elle représente aujourd’hui, pour ceux qui cumulent l’amendement Scellier et un PLS, avec, donc, une TVA à 5,5 %, une aide supérieure à 40 % !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Ce n’est pas normal !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles. Est-ce tenable aujourd’hui ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Il faut déconnecter les deux dispositifs.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles. On ne peut donc envisager de nouvelles dépenses sans redéploiement.

J’ai été personnellement critiqué comme étant le promoteur d’impôts nouveaux. Or ce n’est pas du tout le cas. Je serais plutôt partisan de la redistribution des impôts à enveloppe constante.

M. Didier Migaud, président de la commission des finances. Il s’agirait d’une bonne mesure !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles. Je ne demande qu’une chose, monsieur le ministre : non pas augmenter les impôts, mais cesser de baisser les recettes fiscales.

M. Jean-Claude Sandrier. Voilà qui est judicieux !

M. Jean Mallot. La majorité n’a rien fait en ce qui concerne le bouclier fiscal !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles. Si l’on compare l’IRPP en France avec celui de nos voisins européens, même en ajoutant la CSG, les États-Unis ont un impôt sur le revenu supérieur à 10 % de leurs richesses !

M. Didier Migaud, président de la commission des finances. Bien sûr !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles. Et je ne parle pas de nos voisins européens.

Sur 100 milliards que devrait représenter l’IRPP, on compte plus de 50 milliards de déductions fiscales. Il y a là une marge d’appréciation.

M. Paul Giacobbi. Quelle sagesse !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles. Au-delà des niches fiscales, j’ai toujours proposé l’impôt minimum alternatif pour les deux dernières tranches, comme aux États-Unis. Si vous disposez de tel niveau de revenus, vous ne pouvez pas payer moins d’un certain pourcentage d’impôts.

M. Jérôme Chartier. Ce serait bien !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles. Pour ce qui est des niches sociales, ensuite, la difficulté est plus grande parce qu’on risque de porter atteinte à la compétitivité des entreprises. Il existe tout de même deux pistes.

Celle de l’allégement des charges sociales est tentante – elle représente 30 milliards d’euros. Je ne suis pas contre l’examen d’une telle disposition à condition, monsieur le ministre, qu’elle ne porte pas sur les ouvriers de l’industrie qui gagnent entre 1,2 et 1,4 SMIC. Il vaudrait mieux monter de 20 % à 26 % les cotisations patronales au niveau du SMIC pour éviter la tentation de « smicardiser » la société française et pour protéger lesdits ouvriers.

M. Jérôme Chartier. Et le temps partiel ?

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles. Si cette évolution devait être de 1 à 1,1 SMIC, elle devrait concerner des emplois non-soumis à la concurrence internationale.

J’ai commencé à débattre avec les entreprises de services à la personne. Si j’approuve votre courage de ne pas augmenter le SMIC, monsieur le ministre, il reste possible de jouer sur l’allégement des charges sociales comme sur les aides à la personne. J’ai demandé au précédent ministre des affaires sociales qui, il est vrai, n’est pas resté longtemps en fonction,...

M. Jérôme Chartier. Ce qui ne l’a pas empêché de se montrer très efficace !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles. …s’il était favorable à l’unification des aides à la personne. Il a répondu par la négative. Or, on peut déplorer l’illisibilité de ce système, qu’il s’agisse des déductions fiscales, des exonérations, des chèques emploi service universel et j’en oublie. En remédiant à cette complexité, il serait possible de gagner quelques milliards d’euros !

Le Gouvernement fait preuve de courage en lançant le débat sur la retraite, qui constitue la seconde piste. Seulement, il convient de ne pas franchir une limite, monsieur le ministre : celle de la retraite à soixante ans pour ceux qui ont commencé à travailler tôt en exerçant des métiers manuels. Le différentiel d’espérance de vie en France est de sept ans selon les catégories professionnelles.

M. Jérôme Cahuzac. et M. Didier Migaud, président de la commission des finances. Tout à fait !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles. Il serait totalement injuste de demander à l’ouvrier du bâtiment ou à celui qui travaille dans les abattoirs depuis l’âge de dix-sept ans de partir à la retraite à l’âge de soixante-deux ou soixante-trois ans.

M. Jérôme Cahuzac. Qu’a fait Xavier Bertrand sur la pénibilité ? Rien !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles. Il y a donc une exigence absolue de traiter la question de la pénibilité.

J’en viens, pour finir, à la performance des politiques sociales. On compte 550 milliards d’euros de dépenses sociales. La France a dépassé la Suède. Mais, comme le déclarait le président des Semaines sociales de France, nous n’avons pas les ratios de résultats à la mesure de nos dépenses sociales. Il pensait bien sûr au taux de chômage des jeunes, aux 150 000 jeunes qui arrivent sur le marché du travail sans formation professionnelle. Il faut donc assurer l’efficacité des dépenses sociales d’autant que, du haut en bas de l’échelle, la tentation de grande de se débrouiller pour contourner l’ensemble des dispositions sociales et le civisme n’est pas toujours de mise.

M. Jérôme Cahuzac. L’exemple vient d’en haut !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles. Il faut commencer par le haut, en effet, et c’est la raison pour laquelle j’ai abordé la question des niches fiscales, monsieur Cahuzac.

La commission des affaires culturelles fera des propositions – Yves Bur aura l’occasion d’en parler –, parce que, dans une économie qui doit être une économie de la sobriété, l’hypercroissance dont rêvent certains s’apparente à un wishful thinking (Exclamations sur les bancs du groupe SRC)

M. Jérôme Cahuzac. Heureusement que M. Brard n’est pas là !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles. …ou, si vous préférez, à un vœu pieu. Il vaut mieux employer les deux expressions, pour des raisons affectives.

Monsieur le ministre, nous serons au rendez-vous. Le devoir du Parlement et du Gouvernement est de préparer l’après-crise. Et si un grand emprunt est lancé, des mesures doivent être prises pour réduire les déficits, d’autant que des marges existent. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC, UMP et SRC.)

Le président. Nous en venons aux orateurs inscrits.

La parole est à M. Jean-Claude Sandrier.

M. Jean-Claude Sandrier. Monsieur le ministre, je commencerai par un mot sur les résultats de votre politique, notamment depuis neuf mois.

Vous avez engagé déjà plus de 100 milliards d’euros pour les banques et fait voter un plan de relance a minima. Résultat : le nombre de chômeurs a augmenté de 18,4 % en un an ; l’année 2009 comptera 700 000 chômeurs supplémentaires d’après l’INSEE – soit 9 milliards d’euros en moins pour la sécurité sociale et les retraites – ; la croissance sera à moins 3 %, bien en deça de vos prévisions ; le moins 0,5 % de croissance que vous prévoyez pour 2010 est très hypothétique, comme toutes vos prévisions précédentes ; la masse salariale a fondu de 8 milliards d’euros, ce qui coûte très cher à la sécurité sociale – et ne dites pas que le pouvoir d’achat s’est amélioré ! – ; la pauvreté a crû de 15 % ces trois dernières années et continue d’augmenter.

Pas une semaine ne s’écoule sans l’annonce de nouveaux plans sociaux. De fait, l’INSEE confirme que l’investissement industriel devrait reculer cette année de près 16 %, chiffre record.

Voilà votre bilan. C’est celui d’un terrible échec qui fait suite à des choix politiques qui nous ont amenés là où nous nous trouvons. Pourquoi ? Parce que vous ne tirez aucune leçon des causes de la crise du système capitaliste que vous défendez. Mieux, vous faites tout pour les cacher.

Pour vous, la situation actuelle est avant tout, sinon exclusivement, la conséquence d’une crise dite financière en provenance de l’étranger. La crise est devenue, au fil du temps, une sorte d’objet volant non identifié qui se serait soudain abattu sur notre pays, une sorte de fatalité à laquelle nous devrions désormais faire face tous ensemble comme si les responsabilités étaient partagées. Or connaître la vérité sur les causes de cette crise demeure la seule façon de déterminer les bonnes réponses à y apporter.

Permettez-moi donc, monsieur le ministre, de citer un éminent économiste, un universitaire que l’on ne peut soupçonner d’être à gauche, et encore moins communiste, et qui a donné à ce jour probablement la meilleure des explications. Il s’agit de Patrick Artus, professeur à la Sorbonne. Dans un chapitre intitulé « Les racines du mal », tiré de son dernier livre, il écrit :

« Cette crise d’un monde où l’argent coule à flots n’est évidemment pas arrivée là par hasard, mais parce que l’ensemble des acteurs se sont tacitement entendus sur un objectif unique : la croissance la plus rapide du crédit, quel qu’en soit le prix ! Les faits sont là : banques centrales, gouvernements, institutions financières, banques commerciales, régulateurs, chacun à sa place a œuvré pour que le monde se gave de liquidités. Jusqu’à l’overdose ».

Eh bien, c’est cela la crise ! C’est le produit non seulement de votre système, mais aussi des choix politiques qui l’appuient, l’entretiennent et le défendent. Votre responsabilité politique est totale dans cette crise. Vous pourriez me répondre que le Président de la République a bien tiré les leçons de la situation puisqu’il a déclaré à Versailles que « le capitalisme [devenait] fou quand il n’y [avait] pas de règles ». Belle découverte !

Le malheur est que vous n’ayez jamais entendu ceux qui vous le disaient avant. Vous aviez alors le sourire narquois – vous ne l’avez plus aujourd’hui, il est vrai – de ceux qui croient savoir face à ces ringards qui veulent vous empêcher de tourner en rond. Mais, surtout, de quelles règles parle le Président de la République ?

Veut-il remettre en cause la libre circulation des capitaux inscrite dans le traité de Lisbonne ? Non ! Veut-il arrêter cet engrenage destructeur de « la concurrence libre et non faussée », véritable hymne européen ? Non ! Veut-il mettre un terme à toutes les déréglementations et atteintes aux services publics ? Non !

Alors, il y a tout lieu de penser que le capitalisme demeurera fou parce que la régulation ne restera qu’un mot pour amuser la galerie, de la même manière que les régulateurs n’ont jamais rien régulé. Non seulement vous ne voulez pas vous attaquer à la racine du mal, mais vos choix politiques débouchent sur un déficit abyssal : 7 % du PIB envisagé pour 2010 – j’ai même entendu parler de 8 % !

Le Premier président de la Cour des comptes a indiqué qu’il faudrait dégager 70 milliards d’euros d’économies pour rétablir l’équilibre. C’est un quart du budget de la France ! Monsieur le ministre, où allez-vous les prendre ? Vous devez le dire à nos concitoyens et, si vous les prenez, comme l’a indiqué le Président de la République à Versailles, dans la fonction publique et les services publics, si vous les prélevez sur les collectivités locales, sur la protection sociale, vous devez dire aujourd’hui ce que vous allez supprimer, en faire évaluer les conséquences sociales, économiques, en particulier en termes d’emplois.

Vous devez dire comment vous vous apprêtez à faire payer les classes moyennes de notre pays pour mieux épargner les plus riches. Quant aux plus démunis, malheureusement vous avez fait augmenter la pauvreté d’une telle façon que vous n’avez plus grand-chose à leur soutirer.

M. Yves Censi. Préparez les mouchoirs !

M. Jean-Claude Sandrier. La Cour des comptes a mis en évidence de quelle manière vous avez ponctionné les recettes de l’État sans effet positif en retour sur la croissance économique et l’emploi.

Le montant des exonérations de cotisations sociales en constitue l’un des exemples. Cette politique est demeurée sans effet sur l’emploi et la croissance. Quand la Cour des comptes parle, avec beaucoup d’euphémismes, des « effets incertains » de ces baisses, elle ne dit pas autre chose.

À vouloir accroître, par ailleurs, les bénéfices des protégés du régime en réduisant les recettes prélevées sur les plus favorisés, vous conduisez le pays dans une impasse.

Le manque à gagner qu’engendrent les niches fiscales représente un coût démesuré, près de 73 milliards d’euros – une augmentation de 7 % en un an. Je ne nie pas que certaines de ces niches présentent un caractère social, mais d’un autre côté un très grand nombre de dispositifs fiscaux dérogatoires ont été institués à des fins plus contestables, comme l’allégement de la fiscalité du patrimoine des ménages les plus aisés. Ils engloutissent, à eux seuls, près de 30 milliards d’euros par an, pas moins.

M. Christian Eckert. Eh oui !

M. Jean-Claude Sandrier. Les plus-values mobilières exonérées ont atteint plus de 15 milliards d’euros l’an dernier, bénéficiant à seulement 360 000 contribuables. C’est scandaleux !

Vos choix politiques et financiers sont ainsi responsables du déficit. Pour ces raisons, votre réponse à la crise et donc vos orientations budgétaires ne sont pas bonnes.

Vous avez fait un plan de relance a minima – 26 milliards d’euros –, qui joue sur 0,75 % de PIB. Ce n’est à la hauteur ni de la situation ni d’un certain nombre d’autres pays.

Je veux simplement rappeler qu’au titre de l’année 2008, les seules entreprises du CAC 40 vont distribuer l’équivalent du double du plan de relance à leurs actionnaires, représentant 45 % des bénéfices de ces entreprises.

Comment accepter ce genre de ponctions sur l’économie au moment où vous demandez tant d’efforts aux salariés qui sont licenciés, précarisés, dont les salaires sont compressés, que vous voulez faire travailler le dimanche, mettre à la retraite à 67 ans, en recourant demain, comme Philippe Séguin l’a indiqué dans son rapport, à une « hausse des prélèvements sociaux qui va s’imposer » ?

Prenez plutôt sur ce qui coûte cher à la France pour financer une vraie politique d’investissement.

Réduisez les cadeaux fiscaux et arrêtez les exonérations de cotisations sociales !

Arrêtez la dérive d’un enrichissement scandaleux des plus riches ! Ces huit dernières années la part des dividendes dans la valeur ajoutée a été multipliée par deux, selon le rapport Cotis. En dix ans, les 500 plus grosses fortunes françaises se sont enrichies de huit points de PIB : c’est 160 milliards d’euros !

Attaquez-vous aux paradis fiscaux ! Contrôlez et taxez la circulation des capitaux ! Élargissez l’assiette de l’ISF ! Arrêtez d’exonérer les plus riches avec le bouclier fiscal !

Donnez plus aux revenus du travail pour consommer et relancer l’emploi !

Contrôlez l’utilisation du crédit avec un pôle public bancaire et financier permettant de financer correctement l’investissement public et privé, la formation, la recherche !

Arrêtez d’étrangler les collectivités locales, qui réalisent 70 % des investissements publics !

Vos orientations budgétaires vont exactement à l’inverse des réformes et des ruptures qu’il serait nécessaire de mettre en œuvre aujourd’hui et qui passent par une autre façon de produire les richesses, une autre façon de les répartir, pour qu’enfin le choix de l’homme remplace le choix du fric pour quelques-uns. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais essayer, dans le cadre de ce débat d’orientation budgétaire, de cibler les principaux problèmes en cinq grands points.

La première question qui se pose, c’est naturellement une question qui fâche : les hypothèses sur lesquelles sont fondées les orientations budgétaires, à savoir une sortie de crise au second semestre 2010 et la reprise d’une croissance de 1,7 % en volume, sont-elles réalistes ?

Cette question est essentielle. En effet, puisque, comme je vais essayer de le démontrer, nous sommes dans une crise structurelle, dont la sortie sera lente et progressive, on ne peut pas espérer qu’une croissance revenue par miracle va résoudre nos problèmes.

La première suggestion que je voudrais vous faire, monsieur le ministre, c’est de faire un budget adaptable à des situations économiques totalement imprévisibles. Vous avez retenu une hypothèse de croissance, pour 2010, de 0,5 % en volume, après une chute de 3 % en 2009. Elle n’est pas invraisemblable. Quant à l’hypothèse d’une croissance des prix de 1,2 %, elle n’est, après tout, pas très différente de ce que l’on appelle l’inflation sous-jacente, c’est-à-dire celle qu’on calcule après élimination de la très forte hausse, suivie d’une très forte baisse, des matières premières et du pétrole.

Cependant, si l’on considère que nous sommes face à une crise structurelle, la sortie de crise sera lente et progressive. En effet, la restructuration des banques est loin d’être achevée. Le montant des provisions passées à fin 2008 est de l’ordre de 800 milliards de dollars. Pour les plus optimistes, il reste à passer environ 1 000 milliards, et pour les plus pessimistes, 2 000 milliards. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le FMI.

M. Jérôme Chartier. C’est une estimation par le haut.

M. Charles de Courson. Non. Cela veut dire que la restructuration du système bancaire international…

M. Paul Giacobbi. A à peine commencé !

M. Charles de Courson. …n’est pas achevée. Je pense plus, en disant cela, aux banques américaines qu’aux banques françaises, parce que, après tout, deux banques ont connu de graves problèmes, à savoir Dexia, une banque franco-belge, et les caisses d’épargne. Le système bancaire français est plutôt plus résistant, mais nous sommes interdépendants. Or les systèmes bancaires britanniques et américains sont dans un état de délabrement avancé. Ils ont d’ailleurs été en partie nationalisés.

De plus, les perspectives d’investissement ne sont pas bonnes. L’estimation est que les investissements des entreprises auront baissé de 9,4 % en 2009, et de 1,2 % en 2010. On ne peut donc pas accuser le ministre de faire des hypothèses optimistes. Quant aux investissements des ménages, pour ce qui est du logement neuf, la chute est de l’ordre d’un tiers.

La cause de la crise, c’est un endettement accéléré sur les dix dernières années. De ce point de vue, la France, si elle a été touchée, l’a moins été que les États-Unis, l’Espagne ou le Royaume-Uni. Et le désendettement des acteurs économiques prendra beaucoup de temps.

Le dernier élément qui n’est pas favorable à la croissance potentielle de notre pays, c’est la dégradation de la compétitivité de nos entreprises. Le Gouvernement estime à 0,4 % en moins la dégradation de la balance commerciale française. Sur les six dernières années, nous sommes autour de moins 0,5 % chaque année sur la croissance potentielle. En 2010, le chiffre ne figure pas dans le rapport du Gouvernement, mais on peut le calculer : c’est presque 0,3 % de négatif. Notre situation n’est donc pas celle de l’Allemagne, où le commerce extérieur a toujours soutenu la croissance.

Ce qui soutient la nôtre, c’est la consommation des ménages, que nous maintenons notamment avec beaucoup de prestations sociales. Et cette année, pour la première fois depuis dix ans – je trouve que le Gouvernement ne le souligne pas assez dans son rapport –, alors que nous sommes en pleine crise, les retraités vont avoir une augmentation importante de leur pouvoir d’achat.

M. Philippe Vigier. Absolument !

M. Jérôme Chartier. Et ils ne sont pas les seuls. C’est aussi le cas de tous ceux dont le revenu est indexé sur l’inflation.

M. Charles de Courson. Oui, il y a quelques autres bénéficiaires, mais cela concerne essentiellement les retraités.

M. Jérôme Chartier. Ceux qui touchent le SMIC sont dans le même cas.

M. Charles de Courson. Or, nous le payons aussi par un déficit croissant de nos comptes sociaux. C’est la contrepartie.

Je vous le dis tout net, chers collègues, les déficits publics colossaux des grands pays occidentaux posent le problème de leur financement. Les États-Unis ont des déficits publics situés entre 10 et 13 % de leur PIB, ils n’ont plus d’épargne des ménages – même situation en Grande-Bretagne – et ils n’ont plus d’épargne nette des entreprises, puisque l’autofinancement est loin d’être à 100 %. Je rappelle qu’en France, il est à 60 %. Qui va financer ces déficits publics colossaux ? C’est très simple : ceux qui, dans le monde, ont de l’épargne. Et qui sont-ils ? Les États pétroliers, le Japon, l’Allemagne, l’Inde, et la Chine.

M. Paul Giacobbi. Et les banques centrales.

M. Jérôme Chartier. Et la France aussi.

M. Charles de Courson. Mes chers collègues, pensez-vous que, dans ce contexte, nous aurons durablement un taux d’intérêt aussi bas ? Il me paraît évident, et c’est d’ailleurs ce que disent les principaux banquiers, que nous allons assister dans les deux ans qui viennent à une forte hausse des taux d’intérêt à long terme.

M. Paul Giacobbi. C’est déjà le cas.

M. Charles de Courson. Cela commence un peu, mais ils ne sont pas encore élevés.

Nous allons aussi assister à un effondrement de la parité euro-dollar, qui risque de peser encore un peu plus sur la compétitivité des entreprises françaises et des entreprises européennes en général. Et là, monsieur le ministre, vous qui êtes généralement un homme prudent, je vous trouve imprudent. Notre rapporteur général l’a rappelé à plusieurs reprises, il n’est pas réaliste, dans cette situation, de prévoir pour 2010 une baisse de 2,7 milliards des intérêts de la dette. Vous ne pouvez faire une telle prévision, monsieur le ministre, qu’en avançant l’hypothèse extrêmement dangereuse d’une poursuite de l’augmentation de la part des taux d’intérêt à court terme, qui est déjà passée de 10 à 20 % en deux ans. Pour être précis, elle est passée de 100 à 200 milliards, sur un total d’un peu plus de 1 000 milliards à la fin de l’année 2008.

Je pense que nous prenons là un risque considérable. À moyen terme, il n’est pas raisonnable d’équilibrer la dette avec une telle structure. Je vous mets en garde sur ce point. Nous avons eu de très mauvaises nouvelles en 2008, puisque tout le dérapage de la dépense de fonctionnement de l’État vient de là : 3,3 milliards en 2008. Je suis de ceux qui craignent beaucoup, dans les deux ans qui viennent, une très forte hausse des taux d’intérêt. Par conséquent, il ne faut pas jouer la carte d’une part croissante de la dette à court terme. Cela vous arrangera dans l’immédiat, monsieur le ministre, mais cela vous plombera d’ici deux à trois ans.

M. Jérôme Cahuzac. Pour l’année prochaine, ils n’ont pas le choix ! Ils n’ont plus le choix !

M. Charles de Courson. Voilà pour ce qui est du premier point.

Ensuite, je voudrais que nous réfléchissions tous ensemble à la théorie des trois déficits, c’est-à-dire au discours de Versailles. Le Président de la République a expliqué qu’il y avait trois déficits. Le mauvais déficit, c’est le déficit structurel, qu’il faut ramener à zéro, a-t-il dit, « en portant le fer dans les dépenses de fonctionnement qui s’avéreraient inutiles ou non-prioritaires ».

Le deuxième déficit, c’est le déficit de crise. Ce sont les recettes de la croissance qui le combleront, nous explique-t-on.

Le troisième déficit, c’est le bon déficit, celui qui finance des dépenses d’avenir et a recours à l’emprunt pour ce faire.

Dans son discours de Versailles, le Président de la République est resté très général. Mais moi, je voudrais essayer de faire des travaux pratiques pour quantifier ces trois déficits.

Je vais me fonder sur le budget 2009, dont le déficit est estimé par le ministre entre 125 et 130 milliards, ce qui, en l’état actuel des connaissances, est une évaluation tout à fait réaliste. Comment se décompose-t-il ?

Il y a un premier déficit très facile à calculer, c’est le déficit d’investissement. Quel est le montant des investissements ? Certains collègues n’ont pas voulu nous croire, M. le rapporteur général et moi-même, quand nous avons rappelé, hier soir, le montant des investissements directs de l’État en 2008 : 14 milliards. À vrai dire, notre rapporteur général a parlé de 19 ou 20 milliards. Pourquoi ? Parce qu’il a ajouté les 6 milliards de subventions d’investissement. Je retiens ce chiffre de 19 ou 20 milliards. Cela veut dire que sur un déficit total compris entre 125 et 130 milliards, il y a 20 milliards de « bon déficit », celui que l’on finance en s’endettant, même si l’on peut regretter que l’on s’endette à 100 % – si nous faisions cela dans nos collectivités locales que n’entendrait-on pas ?


Le deuxième déficit est imputable à la crise. On a de grands débats avec la Cour des comptes, le ministre et le rapporteur général pour savoir à combien il s’élève : disons autour de 3,5 % – c’est l’ordre de grandeur que l’on trouve dans le rapport du ministre –, soit 70 milliards environ. Dès lors, croire que les recettes de la croissance y pourvoiront est illusoire.

M. Jérôme Cahuzac. Complètement !

M. Charles de Courson. Dans le budget de 2008, les recettes brutes de fonctionnement sont de 275 milliards. Il faudrait qu’elles croissent de 25 % pour combler ce déficit dit lié à la crise. Or, dans le rapport du ministre, la croissance potentielle est estimée à 1,7 % en volume – ce serait bien beau d’y parvenir sur une longue période, mais je suis optimiste –, et la hausse des prix raisonnablement retenue à 1,2 % ou 1,3 %, ce qui signifie que l’on est à peu près à 3 % de croissance en valeur sur le trend. Combien d’années faudrait-il pour résorber cela ? Huit ans ! À supposer toutefois que la thèse Woerth durcie soit tenue, c’est-à-dire non pas la croissance des dépenses au niveau de l’inflation, mais la non-croissance, c’est-à-dire le maintien en euros courants. C’est un énorme pari de croire que la croissance va permettre de résorber le déficit dit de crise. Mes chers collègues, il faut des efforts supplémentaires si l’on veut atteindre l’objectif fixé par le Président de ramener progressivement le déficit de crise à zéro.

Le troisième déficit, désigné par le Président comme le mauvais déficit, est de 35 milliards à 40 milliards, représentant à peu près 10 % des dépenses brutes de fonctionnement de l’État, qui sont de 375 milliards dans les comptes 2008. Il faut réaliser un effort de 35 milliards à 40 milliards sur les dépenses de fonctionnement. Or les 7 milliards d’économies attendues de la RGPP…

M. Jérôme Cahuzac. Six milliards !

M. Charles de Courson. …n’interviendront pas immédiatement. Cela prendra quatre à cinq ans. Il faudrait donc multiplier par cinq les efforts pour atteindre l’objectif fixé par le Président de la République de supprimer le mauvais déficit.

Quant à l’emprunt national, je suis très proche des thèses du ministre, qui a le courage de dire tout haut ce que tous les gens sérieux pensent tout bas : l’emprunt n’est justifiable que pour financer des investissements créateurs de richesses. À cet égard, il y a deux conceptions : soit, comme l’a développé le ministre en commission des finances, extraire, dans les investissements de l’État, ceux qui sont créateurs de richesses ; soit aider, peut-être par une structure ad hoc, un certain nombre d’investissements créateurs de richesses, qui ne sont pas forcément des investissements de l’État. Il y a plusieurs possibilités dont il faudra discuter.

Mes chers collègues, permettez à celui qui, gouvernement après gouvernement, dans la majorité comme dans l’opposition, ou entre les deux, a dit que nous ne pouvions pas continuer à gérer les finances publiques de la France comme elles ont été gérées depuis vingt ans, de vous rappeler que la dette publique explose. Elle était de 63,8 % du PIB en 2007, 68,1 % en 2008, 77 % à la fin 2009 et elle atteindra, à la fin 2010, avec un déficit de l’ordre de 7,5 %, 85 %. Une telle dérive rend insoutenable la stratégie budgétaire si l’on ne fait pas des efforts considérables d’économies.

Je voudrais maintenant développer une troisième idée. Monsieur le ministre, vous avez le courage d’expliquer que les dépenses de fonctionnement croissent encore trop vite, et vous avez essayé de les maintenir en euros constants. Mais je vous le redis, puisque je l’ai dit lors de la discussion de la loi de règlement, c’est insuffisant. Il faut aller plus loin, car ce n’est qu’en apparence que les dépenses de fonctionnement n’ont crû que de 2,8 %. En effet, il faut ajouter d’autres dépenses : d’après les chiffres qui nous ont été fournis dans le rapport du Gouvernement, il y aurait plus 20 % de remboursements et dégrèvements sur les collectivités locales, plus 4 % de taxes affectées à un certain nombre d’organismes financeurs issus des démembrements de l’État, et plus 7,1 % de dépenses fiscales. Au total, j’arrive à 5 % d’augmentation.

Monsieur le ministre, vous avez fait des efforts dans l’élargissement de la norme, quand vos prédécesseurs se contentaient de la dépense nette. Vous l’avez élargie aux prélèvements des collectivités locales et au prélèvement européen. La Cour des comptes se trompe quand elle vous critique pour avoir intégré celui-ci. Vous avez eu raison de le faire, car vous êtes autour de la table du Conseil des ministres de l’Union européenne lors des discussions sur la stratégie budgétaire. Vous êtes coresponsable et il est normal qu’il soit inclus.

Par contre, vous n’avez pas encore suivi le conseil, que je me permets de vous donner au nom de mon groupe depuis déjà deux ans, d’intégrer les remboursements et dégrèvements des collectivités locales, ainsi que ceux sur les impôts d’État. Vous savez bien que vos collègues des autres ministères n’ont de cesse de faire voter des dispositions de crédits d’impôt, de déductions, qui minent la recette nette et donc votre mission. La recette nette, d’ailleurs, baisse constamment depuis trois ans en montant absolu.

M. Gérard Bapt. Ce ne sont pas seulement ses collègues qui le minent, c’est toute la politique du Gouvernement !

M. Charles de Courson. Il faut donc élargir aux dépenses fiscales et aux taxes affectées. Vous avez fait des propositions.

M. le président. Monsieur de Courson !

M. Charles de Courson. Je tiens le bon bout, monsieur le président ! (Sourires.)

M. le président. Il faut conclure !

M. Charles de Courson. Le groupe Nouveau centre va vous aider, monsieur le ministre, en déposant des amendements sur les dépenses fiscales et les niches sociales. Si l’on attaque niche fiscale par niche fiscale, on n’y arrivera pas. La seule manière, c’est la vieille méthode de la direction du budget : moins 5 % pour tout le monde !

M. Philippe Vigier. Très bien !

M. Charles de Courson. C’est simple, c’est clair, tout le monde râle mais au moins tout le monde est traité de la même façon. Compte tenu du montant de 70 milliards, on peut même aller jusqu’à 10 %, si vous voulez, et passer de 3,5 milliards à 7 milliards.

Et sur les niches sociales,…

M. le président. Monsieur de Courson !

M. Charles de Courson. J’ai fini.

M. le président. Je vois bien que non !

M. Charles de Courson. …une petite somme de 43 millions.

Je voudrais vous dire un petit mot sur deux derniers points. (Rires.) D’abord, ne touchons plus aux recettes, qui baissent depuis trois ans.

M. le président. Ne voyez-vous pas le chronomètre qui est sous vos yeux, monsieur de Courson ?

M. Charles de Courson. Et, s’agissant de la sécurité sociale, on se trompe complètement de débat sur les retraites. Il ne faut pas dire aux Français qu’on va augmenter l’âge de départ à la retraite. Ce n’est pas le problème. Ce qu’il faut, c’est passer à un système de retraite à points.

M. Philippe Vigier. Très bien !

M. le président. Voilà !

M. Charles de Courson. C’est la seule façon de résoudre le problème de ceux qui ont commencé à travailler tôt ou des gens fatigués, usés.

M. le président. Merci.

M. Charles de Courson. Voilà quelques recommandations pour ces orientations budgétaires.

M. Gérard Bapt. Vous prêchez dans le désert !

M. Charles de Courson. Même si elles vous paraissent dures, elles sont les seules susceptibles de permettre un redressement durable des finances de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Jérôme Cahuzac. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jérôme Chartier, pour cinq minutes et pas une de plus.

M. Jérôme Chartier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, messieurs les présidents des commissions, mes chers collègues,…

M. Jérôme Cahuzac. Plus que quatre minutes ! (Sourires.)

M. Jérôme Chartier. J’en suis à douze secondes, monsieur Cahuzac.

Chacun s’accorde sur un point : nous vivons une crise sans précédent et il faut trouver la solution pour réduire le déficit. C’est là que les difficultés commencent.

Tout le monde sait que la dépense publique n’est pas forcément improductive. D’ailleurs, qu’est-ce que la dépense publique ? C’est essentiellement de la masse salariale et, mis à part le remboursement de la dette, c’est de la dépense d’intervention et de fonctionnement. La période de crise que nous vivons aujourd’hui est-elle un moment favorable pour réduire de façon considérable le budget de l’État, sans conscience ? Non !

J’ai bien entendu ce qu’a dit le ministre Éric Woerth. J’approuve totalement qu’il envisage de poursuivre méthodiquement le plan de réduction de la dépense publique entamé depuis 2007 par le développement de la révision générale des politiques publiques,…

M. François de Rugy. Les dépenses sont en augmentation de 5 %, a dit M. de Courson !

M. Jérôme Chartier. …tout en rendant l’objectif de réduction du déficit de fonctionnement plus réaliste, par la séparation du déficit. Je m’explique.

Pensez-vous qu’aux yeux des Français on puisse tenir de façon crédible un discours de réduction du déficit avec un volume aussi colossal que celui estimé pour l’année 2009, à savoir 140 milliards à 145 milliards ? Non ! Il faut revenir à des montants crédibles. Pour cela, il faut bien distinguer la nature des déficits, comme l’ont fait le Président de la République et le ministre à l’instant, désigner le déficit de fonctionnement sur lequel il faut travailler et expliquer de quelle manière on va pouvoir le réduire.

M. Jean Mallot. C’est vous qui avez inspiré le Président de la République !

M. Jérôme Chartier. Voilà une perspective pour le budget pour 2010 ! Je me réjouis que le Gouvernement persévère dans cette voie et que nous puissions dire aux Français que l’engagement de 2007 sera respecté.

J’ai entendu beaucoup de propositions s’agissant de la gestion de l’endettement. Nous constatons tous, et Gilles Carrez l’a redit, la tendance actuelle à utiliser le taux à court terme pour alléger la charge de la dette. Mais cela présente, il est vrai, un risque : voir le spread du court terme augmenter subitement, faisant augmenter le taux du court terme, ce qui, du fait du renchérissement du coût, obligerait à réviser la charge du service de la dette. C’est là où je ne m’explique pas l’opposition de certains à la stratégie de l’emprunt proposé par le Président de la République à Versailles.

Au fond, cet emprunt a le double intérêt, en mobilisant l’ensemble de la nation autour d’une stratégie d’investissement dans les dépenses d’avenir, de produire de la croissance pour le pays et, à terme, des économies de gestion pour la puissance publique. C’est en fait une stratégie globale dont le véhicule serait l’emprunt, lequel serait le moyen de revenir à l’essentiel : la stratégie de réorganisation des services de l’État et la stratégie, prioritaire aujourd’hui, d’investissement pour faire de la France un pays de niveau mondial.

Lorsque, en 2007, le Président de la République a été élu, et la majorité à sa suite, quel a été notre objectif ? Pleinement conscients que la France avait besoin de se réorganiser, nous avons décidé d’entamer des chantiers colossaux. Puis, subitement, la crise est arrivée. Fallait-il tout arrêter, tout remettre à demain ? Au contraire, il fallait investir dans une stratégie, prendre des décisions douloureuses qui permettront, à moyen terme, d’avoir un pays qui fonctionne, tout comme ses services publics, et des Français dynamisés et volontaires dans une économie en croissance. Voilà ce que l’on doit voir dans cet emprunt d’État qui sera lancé au mois de janvier, d’après les très bonnes informations du président de la commission des finances.

Le Premier ministre le disait ce matin, le Parlement sera largement associé, dès les prochains mois, à la définition du contenu de l’emprunt – montant, modalités – et des priorités. Chacun pourra apporter sa valeur ajoutée à ce qu’il considère comme une priorité pour l’État et pour la nation française, bref comme un grand projet.

En troisième lieu, je veux revenir sur ce qui a été dit à plusieurs reprises s’agissant de la situation des autres pays.

Comparaison n’est pas raison ! Tout à l’heure, vous avez souligné, monsieur Migaud, que le taux de chômage en Allemagne était plus faible qu’en France. C’est vrai, mais chacun sait que les conditions du chômage partiel sont radicalement différentes. En effet, en Allemagne, 700 000 personnes sont en situation de chômage partiel. Or ce pays a rallongé de six mois les mesures accompagnant le chômage partiel outre-Rhin, afin que cela aboutisse au mois d’octobre. Chacun comprend l’objectif politique de cette mesure, compte tenu des élections qui auront lieu au mois de septembre.

Une épée de Damoclès est ainsi suspendue sur les chiffres du chômage allemand. En effet, ces 700 000 personnes risquent, dès le début du mois d’octobre, de gonfler le nombre de personnes sans emploi en Allemagne. Voilà pourquoi comparaison n’est pas raison.

Un autre exemple peut être donné en Angleterre où les 12 milliards de livres de baisse de TVA ont contribué à l’effondrement de la consommation en Angleterre.

M. le président. Mon cher collègue, veuillez conclure.

M. Jérôme Chartier. Cela montre que la situation doit être adaptée à chaque pays. C’est la raison pour laquelle le plan de relance a été particulièrement ajusté.

M. le président. Monsieur Chartier, je vous en prie, regardez le chronomètre.

M. Jérôme Chartier. Monsieur le président, vous avez été très souple avec le précédent orateur.

M. le président. Avec vous surtout !

Soyez de bonne foi.

M. Jérôme Chartier. Monsieur Woerth, je me félicite non seulement de vos nouvelles responsabilités, mais aussi du fait que vous poursuiviez la stratégie de réduction du volume de la dépense publique et de soutien à la stratégie visant à la réforme des finances publiques.

M. Yves Censi. Cela valait le coup d’attendre !

M. le président. La parole est à M. Jérôme Cahuzac, pour cinq minutes.

M. Jérôme Cahuzac. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous connaissons le montant de l’endettement. Cette année 250 milliards devront être levés sur les marchés : 120, 130 pour le budget de l’État, 20 pour la sécurité sociale, 10 pour les collectivités locales. Il y a malheureusement consensus sur ces chiffres. C’est un constat. Les conséquences de cet endettement et les politiques mises en œuvre pour les éviter prêtent peut-être davantage à débat.

La première conséquence à laquelle nous devons tous faire attention c’est l’appauvrissement de l’État. Les chiffres viennent d’être rappelés par Charles de Courson. Ils ne sont pas contestables. Pour un budget efficace, une fois neutralisés les prélèvements sur recettes pour les collectivités locales et pour l’Union européenne, il s’agit d’un budget de 250 milliards d’euros.

La vérité c’est que l’État ne peut mobiliser qu’une vingtaine de milliards d’euros pour investir. Cela est absolument pathétique quand – je crois que c’est le cas sur tous ces bancs – nous avons le sentiment qu’en France, l’État représente plus qu’une histoire et une culture ; c’est naturellement un besoin. Certains ici ont souhaité l’affaiblir, mais, majoritairement, la représentation nationale a toujours pensé que l’État devait être préservé. En réalité, la situation de nos finances publiques ne le permet plus.

C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles tant de financements relatifs à l’investissement sont désormais dirigés vers les collectivités locales qui n’en peuvent plus pour beaucoup d’entre elles.

Monsieur le ministre, face à cette situation vous avez une obligation quant à la dépense et quant aux recettes.

L’obligation face à la dépense c’est bien sûr la révision générale des politiques publiques. L’objectif fixé était 20 milliards d’euros d’économies. Or si vous obtenez 7 ou 8 milliards, ce sera le bout du monde. La vérité est que l’effort devrait être de 70 milliards. D’ici à la fin de cette mandature la réduction de la dépense publique par la révision générale des politiques publiques ne permettra pas d’assainir nos finances publiques au niveau requis par la situation que nous connaissons.

Cela est probablement compromis, je souhaite le souligner, par la réduction brutale et sans nuances du nombre de fonctionnaires. Certes elle est parfaitement légitime dans certaines administrations mais, parce qu’elle a été réalisée sans nuances, cette mesure a été rejetée par une partie des fonctionnaires et de la population dans les secteurs hospitaliers et de l’éducation nationale par exemple.

M. Dominique Baert. Et la sécurité !

M. Jérôme Cahuzac. Cette politique était, dans son esprit, probablement nécessaire. La façon dont elle est appliquée l’a rendu, c’est regrettable, coupable aux yeux d’une majorité de nos concitoyens.

L’un de mes collègues vient de citer, outre l’hôpital et l’éducation nationale, les services de sécurité. Cela ne contribuera évidemment pas, compte tenu de nos craintes, à rendre populaire cette politique. C’est dommage !

Les dépenses budgétaires sont ce qu’elles sont. Les dépenses fiscales ne sont pas davantage tenues. Nous savons ce qu’il en fut en 2008 : plus de 7 % de progression par rapport à 2007, 23 milliards d’euros de dépenses fiscales supplémentaires en 2008 par rapport à 2002.

Nous savons que l’année prochaine la baisse de la TVA s’appliquera de façon pleine. Il y aura donc 2,4 milliards de plus de dépenses fiscales. Il faut également compter sur l’imagination créatrice de certains collègues, sur tous les bancs, qui n’hésitent pas, à l’occasion de projets de loi, à ponctionner non pas les porte-monnaie des actuelles générations qui travaillent, mais ceux des générations futures qui auront à rembourser ces largesses fiscales, puisque aucune dépense fiscale n’est aujourd’hui financée soit par des recettes supplémentaires soit par des économies ; elles le sont toutes par l’endettement, la dernière en date étant celle de la baisse de la TVA dans la restauration.

L’appauvrissement de l’État, toutes choses égales par ailleurs, monsieur le ministre, se poursuivra ce qui a amené, de manière assez logique, le Président de la République à évoquer ce grand emprunt national, probablement nécessaire pour investir, puisque l’État ne le peut plus, mais qui aggravera évidemment le niveau d’endettement du pays. Un emprunt auquel près de 85 % des Français sont réticents à souscrire, auquel souscriront ceux qui le peuvent et qui, parce que cet emprunt sera levé, non auprès des marchés, mais auprès d’investisseurs privés coûtera plus cher à l’État, un jour ou l’autre.

Le deuxième risque de cet endettement excessif est bien sûr l’emballement de la dette. Mon collègue Dominique Baert exposera la situation. Je me permets seulement de souligner ce que la Cour des comptes a pu en dire : « Les seuls intérêts de la dette avec un taux d’intérêt de 4 % couvriraient non pas la recette de l’impôt sur le revenu, comme ce fut le déjà cas en 2008, mais l’intégralité de la recette de la TVA, comme ce serait le cas si les choses étaient restées en l’état. »

M. le président. Mon cher collègue, je vous prie de bien vouloir conclure.

M. Jérôme Cahuzac. Je vous prie, monsieur le président de bien vouloir me laisser terminer. J’en ai pour quelques secondes.

Le troisième risque pèse sur la crédibilité de la signature de la France. Peut-être est-ce aussi l’une des raisons qui a poussé le Président de la République à émettre l’idée d’un emprunt national auprès de la population.

Le quatrième risque est économique, car les Français savent que tout cela se terminera par une augmentation des impôts. Cela génère une épargne supplémentaire et compromet la consommation des ménages. On sait que c’est la contrepartie pour près de 70 % de la croissance de notre pays.

Monsieur le ministre, hier je vous ai posé des questions. Je vous en ai posé une tout à l’heure. Vous prétendez avoir répondu hier, mais je n’ai pas trouvé de trace au compte rendu et je suis étonné de votre imprécision.

M. le président. Monsieur Cahuzac, il faut conclure.

M. Jérôme Cahuzac. Vous nous aviez habitué à un peu plus de lucidité ou de loyauté. Je vous repose donc cette question.

Le Président du groupe UMP a proposé de fiscaliser les indemnités journalières des accidents du travail. Y êtes-vous favorable oui ou non ? Il a proposé d’augmenter les cotisations retraites des fonctionnaires. Y êtes-vous favorable oui ou non ?

Si vous n’y êtes pas favorable, cela signifie qu’il n’y aura pas de levée d’impôt supplémentaire et que la dette deviendra donc insoutenable, comme l’a parfaitement démontré Charles de Courson. Si vous y êtes favorable, cela veut dire que, contrairement aux affirmations du Président de la République et du Premier ministre, il y aurait une augmentation des prélèvements fiscaux.

M. le président. Monsieur Cahuzac, je vous en prie.

M. Jérôme Cahuzac. Un dernier mot…

M. le président. Non, monsieur Cahuzac !

M. Jérôme Cahuzac. …pour indiquer à M. de Courson que je suis d’accord avec lui.

La seule façon de tenir compte de la pénibilité du travail pour la liquidation des retraites est de passer par le système suédois du compte notionnel ou du compte individuel de cotisation. Il n’y aura pas d’autre solution.

M. le président. Monsieur Cahuzac !

M. Jérôme Cahuzac. Pour cette mandature, il est trop tard pour engager cette réforme, qui était pourtant fondamentale. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous demande de respecter les temps de parole à la seconde près. Nous avons quatre heures de débat. Je ne vous laisserai pas dépasser votre temps de parole de 20 % ou 30 %. Je n’ai pas envie que l’on fasse quatre, six ou sept heures de séance cette nuit.

M. Jean-Pierre Brard. Vous êtes fatigué !

M. le président. Je suis en pleine forme, mais, je ne veux pas que vous vous fatiguiez ! (Sourires.)

La parole est à M. François de Rugy, pour cinq minutes au maximum.

M. François de Rugy. J’espère, monsieur le président, que je ne vais pas faire les frais de votre nouvelle rigueur concernant le temps de parole.

Je veux, avant de tenir des propos généraux sur l’orientation budgétaire de la France, m’interroger sur le fait de savoir s’il y a encore dans notre pays une droite bonne gestionnaire, douée du bon sens de la gestion, dont elle se parait autrefois.

M. Jean-Pierre Brard. Elle ne l’a jamais été ! Elle gère les intérêts du grand capital !

M. François de Rugy. Lorsque j’étais encore à l’école, au collège ou au lycée, il y avait ces images d’Épinal selon lesquelles la gauche était dépensière et la droite bonne gestionnaire. Nous n’avons plus le droit de dire aujourd’hui : « rigoureuse », car le mot « rigueur » est paraît-il devenu un gros mot. Pour ma part, je ne trouve pas que le qualificatif de rigoureux soit insultant, bien au contraire.

J’ai eu une première réponse à ma question avec l’intervention du président Méhaignerie qui était intéressante. Elle vient en contrepoint, tout comme celle de M. de Courson du discours du Président de la République à Versailles, qui était proprement surréaliste sur les bons et les mauvais déficits. Comme s’il suffisait de distinguer, comme il le fait souvent, les bons et les méchants pour arriver à mener une bonne politique.

Je tiens à insister tout particulièrement sur les propos de M. de Courson qui a tenu un discours sur le fait que les dépenses étaient maîtrisées depuis deux ans. En réalité, elles ont explosé en matière de dépenses fiscales. C’est le véritable piège dans lequel vous avez fait tomber les finances de la France. En effet, nous savons que, une fois votées, on ne revient jamais sur les exonérations d’impôts.

Si l’on examine les statistiques depuis 2002, depuis que vous êtes revenus au pouvoir, on constate une véritable explosion des inégalités. Les 0,01 % des plus riches de nos compatriotes ont vu leurs revenus augmenter de près de 50 % durant cette période. Dans le même temps, le reste de la population – soit 90 %, – la très grande majorité des Français ont connu une progression de leurs revenus particulièrement anémique d’à peine 0,6 % par an. Il est important de rappeler ces chiffres.

On nous avait dit qu’il devait y avoir, au sein du Gouvernement, une culture du résultat. C’est un résultat dont il faudrait pouvoir parler lors des débats d’orientation budgétaire. Il est le résultat direct de votre politique fiscale. Nous le savons parfaitement depuis que vous avez enchaîné les cadeaux fiscaux dont le bouclier fiscal.

Le secrétaire général de la CFDT, qui est l’un des deux principaux syndicats français…

M. Jean-Pierre Brard. Ce n’est pas le plus à gauche !

M. François de Rugy. …a mis en cause non seulement le bouclier fiscal mais aussi les exonérations des heures supplémentaires qui représentent un coût phénoménal pour les finances publiques, sans qu’il y ait un retour direct pour les Français puisqu’il s’agit d’un strict effet d’aubaine. Ce n’est d’ailleurs pas l’exonération qui coûte le plus cher en la matière, car il y en a en fait très peu. Les personnes qui perçoivent des heures supplémentaires paient très peu d’impôt, mais il faut ensuite compenser l’exonération des cotisations sociales.

Lorsque vous prétendez vouloir vous attaquer aux déficits, monsieur Woerth, ce qui pourrait être un objectif louable, et aux niches fiscales, on peut douter de votre crédibilité dans la mesure où vous n’avez pas cessé, ces deux dernières années, de multiplier les super niches fiscales ; j’en ai donné deux exemples : le bouclier fiscal et les heures supplémentaires. Nous avons encore vu une manifestation de cette politique avec la baisse de la TVA sur la restauration. Était-ce vraiment la mesure la plus urgente à prendre en matière d’efficacité économique, de justice sociale dans la période que nous vivons ?

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles. Non ! C’est sûr !

M. François de Rugy. N’est-ce pas plutôt une mesure démagogique supplémentaire ?

Le Président de la République prétend que l’augmentation des impôts pour les plus riches – il s’agissait de cela lors de la création du bouclier fiscal ou, avec notre proposition identique à celle des syndicalistes, de créer une tranche supérieure d’impôt sur le revenu – creuserait les déficits. Or il faut savoir que notre impôt sur le revenu – M. Méhaignerie l’a parfaitement expliqué – est devenu, en part de richesse, l’un des plus faibles des pays industrialisés.

M. le président. Je vous prie de bien vouloir conclure.

M. François de Rugy. C’est la méthode Coué ou, pire, de la supercherie politique et économique. Cela est particulièrement grave, quand on voit le niveau des déficits. On sait qu’en ajoutant un emprunt, paré des vertus de l’histoire, on ajoutera en réalité de la dette au surendettement.

M. le président. Concluez, monsieur de Rugy !

M. François de Rugy. À la fin, ce sont les Français qui paieront, vous le savez.

Monsieur Woerth, vous avez parlé des tabous dans la séance des questions au Gouvernement.

M. le président. Monsieur de Rugy, je vous en prie !

M. François de Rugy. Je termine.

(Le président coupe le micro à l’orateur.)

M. Jean-Pierre Brard. Parlez plus fort, monsieur de Rugy. Faites comme Jaurès !

M. François de Rugy. Remettez en cause vos propres tabous…

M. le président. La parole est à M. Philippe Vigier.

M. Philippe Vigier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, depuis plus de six mois, les rendez-vous budgétaires se succèdent. Entre les rendez-vous traditionnels et ceux imposés par les turbulences engendrées par la crise, nous avons eu à connaître pas moins de quatre lois de finances rectificatives depuis octobre dernier.

À chaque rendez-vous, les inquiétudes grandissent. Hormis en temps de guerre, comme le soulignait Gilles Carrez, jamais l’état de nos finances publiques n’a été aussi dégradé. À cette situation préoccupante, il convient d’apporter des réponses fortes, dans un contexte de visibilité dont chacun s’accordera à dire qu’il est faible. En raison de la qualité de ses diagnostics et de la pertinence de ses propositions, nous devrions suivre les conclusions de l’excellent rapport de la Cour des comptes.

Ma première question, monsieur le ministre, porte sur la situation financière des collectivités territoriales laquelle s’est dégradée.

Fin 2008, leur déficit a atteint le montant de 7,5 milliards d’euros avec un endettement global de 113 milliards d’euros. Certes, ce montant est très faible au regard de l’endettement de l’État qui s’élève à plus de 1 040 milliards d’euros. Néanmoins, cet enchaînement nous amène à conclure que, avec le déficit des collectivités territoriales, c’est aussi l’endettement de la France qui augmente.

L’état des finances locales est d’autant plus inquiétant qu’en 2008, nous avons assisté à une augmentation des dépenses et à un tassement des recettes de fonctionnement. Les collectivités subissent d’importantes pertes de recettes en raison du ralentissement de l’activité immobilière venant fortement réduire les droits de mutation – de 30 à 40 % dans certains départements – d’où une sérieuse diminution de l’autofinancement par un fort effet de ciseaux. Quelle sera leur situation en 2009 ? L’activité sur le marché immobilier restant faible, les droits de mutation le seront tout autant. Les recettes des collectivités diminueront et les dépenses sociales exploseront, ce qui concerne au premier chef les départements.

Sous l’effet du plan de relance, les dépenses d’investissement quant à elles augmenteront sensiblement – et c’est une très bonne chose – d’environ 54 %. Nous vérifierons si ces bonnes intentions seront suivies d’effets. Cependant, en tout état de cause, nous devrons respecter l’impératif de maîtrise des dépenses de fonctionnement et adopter de nouvelles règles de gouvernance d’autant que leurs besoins en financement augmenteront en 2010.

Ma deuxième question porte sur les perspectives des ressources des collectivités, notamment sur la réforme de la taxe professionnelle. Le sujet est d’importance.

Le remplacement de la taxe professionnelle concerne les collectivités territoriales qu’elle finance, les entreprises qui y sont assujetties, ainsi que les ménages qui risquent d’être touchés, directement ou indirectement, en cas de compensation non intégrale. Plusieurs pistes ont été évoquées, notamment celles issues des travaux de la mission d’information sur la réforme de la fiscalité locale à laquelle Jean-Pierre Balligand et Marc Laffineur ont participé activement et dont nous pouvons saluer le travail. À nos yeux, ces pistes représentent d’indéniables avantages par rapport à celles proposées par les services du ministère de l’économie et des finances. J’espère donc que la sagesse l’emportera au moment des arbitrages.

Comme vous le savez, nous sommes, depuis de nombreuses années, favorables à la réforme de la taxe professionnelle, très attendue par les entreprises qui la réclament depuis longtemps. Il est pour le moins surprenant qu’elle suscite tant de commentaires. Elle était fondée sur trois pieds. Le premier, la part reposant sur les salaires, a été supprimé par Dominique Strauss-Kahn en 2000, et voté par le groupe socialiste.

Il faut œuvrer en faveur d’une juste et intégrale compensation financière pour les collectivités territoriales. D’après les premières hypothèses dont nous disposons, le manque à gagner s’élèverait à 10 milliards d’euros, ce qui est une somme colossale. Or je n’imagine pas un seul instant, monsieur le ministre, que vous priviez les collectivités de cette somme. Si la compensation se fait par l’État en direction des collectivités, cela implique de trouver de nouvelles ressources et de gager les nouvelles dépenses.

L’inquiétude prévaut au sein des intercommunalités. Sur quoi sera bâti l’avenir des communautés de communes ou des communautés d’agglomération sous le régime de la taxe professionnelle unique ? Le groupe Nouveau Centre se bat en faveur de l’autonomie financière des collectivités territoriales, principe inscrit dans l’article 72-2 de la Constitution depuis les lois de mars 2003 et de juillet 2004. Nous tenons aussi à leur autonomie fiscale, pilier de notre engagement, et gage de la bonne démocratie locale. Il ne peut y avoir de réelle démocratie sans une vraie responsabilité des élus en matière de gestion. La réforme de la taxe professionnelle doit être conduite en gardant à l’esprit le principe d’autonomie.

Ainsi que vous nous l’avez indiqué en commission, monsieur le ministre, vous n’avez procédé à aucun arbitrage pour le moment. Vous pouvez compter sur notre soutien plein et entier quant à la conduite de cette réforme. Nous aimerions toutefois connaître vos intentions afin d’y voir plus clair, de rassurer nos collègues dans les collectivités territoriales et participer de façon constructive au débat.

Au-delà de cette question précise, je m’interroge sur la réforme globale des ressources des collectivités territoriales.

Si l’on veut mettre à profit les trois prochaines années, il semble qu’une révision des bases fiscales – très anciennes – s’impose. Depuis 1981, les valeurs locatives cadastrales n’ont pas été réévaluées. Ne rien faire, c’est aggraver les inégalités entre contribuables, mais aussi entre territoires. Il faut accorder aux collectivités des ressources fiscales aux bases dynamiques. Le groupe Nouveau Centre propose d’affecter une part de CSG au financement des régions ou des départements. Ainsi, le taux de la CSG nationale pourrait être abaissé de deux points et il faudrait permettre aux assemblées locales de fixer, en responsabilité, leur taux de CSG.

J’en viens au volet de la péréquation.

Réformer la fiscalité locale ne suffit pas : il faut aussi revoir les concours financiers de l’État. Nos départements, nos régions vivent, en effet, sous perfusion de dotations d’État. Deux remarques s’imposent à cet égard.

La complexité et l’opacité du dispositif de dotations laissent perplexes, même les services administratifs. Ils ne comprennent ni leur finalité, ni leur portée, ni leurs modalités. Le système de péréquation doit donc être revu. En fait, il faut procéder à une réforme de la fiscalité locale et des concours financiers de l’État. L’autonomie financière et fiscale, le meilleur équilibre entre les territoires et le maintien de bases dynamiques sont les mots clés d’une réforme fiscale réussie. Profitons, mes chers collègues, de la réforme des collectivités territoriales pour répondre à la problématique de leur financement. Il faudra impérativement s’attaquer à cette réforme, ouvrir ce chantier en même temps que celui de la réorganisation des collectivités ; 2014 sera une année importante. Saisissons dès maintenant cette opportunité et la fenêtre de tir qui nous sont offertes.

Enfin, l’État doit rapidement réaliser des économies substantielles pour éviter une dérive encore plus grave de ses comptes publics. Au vu de la situation financière actuelle, on peut s’inquiéter de voir la charge de la dette devenir le premier poste budgétaire de l’État avant la fin de cette législature : elle est aujourd’hui supérieure aux recettes de l’impôt sur le revenu. La situation exceptionnelle liée à la crise actuelle nous impose de réagir de manière tout aussi exceptionnelle face à l’aggravation des déficits, ce qui implique un courage non moins exceptionnel. Du courage, il en faudra pour éviter d’en arriver à une dérive incontrôlée de la dette, pour reprendre les termes de la Cour des comptes. Celle-ci annihilerait toute marge de manœuvre pour les générations à venir. Aussi, 70 milliards d’économies semblent s’imposer d’ici à 2012 ; le chantier qui s’ouvre devant nous est énorme. Toute réduction de dépenses ou hausse de recettes a un impact économique important.

Parmi toutes les pistes évoquées, une a retenu mon attention : la réduction des niches fiscales et sociales, ce qui ne vous étonnera pas, monsieur le ministre. Le groupe Nouveau Centre demande, en effet, depuis longtemps le plafonnement des niches fiscales. Lors de l’examen du budget pour 2009, nous avons eu gain de cause – ce dont je vous sais gré, monsieur le ministre – en obtenant le plafonnement de quatre niches, mais de quatre niches seulement. Il faut aller au-delà, comme l’a proposé Charles de Courson dans son intervention. Il existe, en effet, quatre cents niches, ce qui représente un manque à gagner évalué entre 50 et 70 milliards d’euros. Un grand pas a été franchi l’année dernière. Le contexte budgétaire nous impose de nous interroger et, surtout, d’agir. Cette piste doit être poursuivie.

Le Président de la République a, lui aussi, abordé la question des niches fiscales. Elle devra être débattue et tranchée. Ces nombreuses exonérations amputent en effet l’assiette des prélèvements sociaux et génèrent 33 milliards d’euros de perte de recettes pour la sécurité sociale et créent, de facto, de fortes inégalités entre salariés. Nous avons récemment établi des règles visant à encadrer le recours aux dépenses fiscales et aux niches sociales avec l’obligation de mise en place d’une règle de compensation systématique de nouvelles mesures. Ce fut notamment le cas pour la baisse des taux de TVA dans la restauration ; nous verrons si la compensation sera au rendez-vous.

En tout état de cause, cela n’est pas suffisant. Nous devons réduire de manière rationnelle et responsable les niches sociales dont l’efficacité économique n’est pas reconnue. Dans le cadre de la RGPP, une évaluation des niches fiscales et sociales a été lancée. Nous aimerions, monsieur le ministre, savoir où en est cette évaluation et s’il est possible d’envisager les premières mesures pour le budget 2010.

Enfin, et la période de crise renforce cette exigence, l’effort des contribuables doit être équitablement réparti : ceux qui gagnent le plus participent le plus. Au nom du Nouveau Centre, je propose à nouveau la sortie de la CSG, du CRDS et des impôts locaux du bouclier fiscal car leur prise en compte coûte cher.

M. le président. Veuillez conclure.

M. Philippe Vigier. Le débat d’orientation budgétaire concerne les perspectives budgétaires jusqu’à la fin de la législature. Il est de notre responsabilité et de notre engagement devant les citoyens de prendre conscience de la gravité de la situation et d’adopter les mesures qui s’imposent. Je prends d’ores et déjà date pour la prochaine loi de finances pour 2010.

M. Jean-Pierre Brard. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Chacun reconnaît l’importance d’un débat d’orientation budgétaire. Or, à l’évidence, nos collègues de l’UMP n’ont pas reçu la convocation pour la séance d’aujourd’hui !

M. Éric Woerth, ministre du budget. Vous venez d’arriver dans l’hémicycle, monsieur Brard !

M. Jean Mallot. Il a reçu la sienne, puisqu’il est présent !

M. le président. Monsieur Brard, vous savez comme moi qu’il n’y a pas de convocation pour assister à une séance.

M. Jean-Pierre Brard. Alors, cela prouve, comme lors de l’examen de la loi HADOPI, que nos collègues de l’UMP sont en train de s’exprimer avec leurs pieds ! Je tenais à faire remarquer que leur absence posait problème pour le débat démocratique. Je ne voulais rien dire d’autre.

Mme Jacqueline Fraysse. C’est vrai qu’il n’y a personne sur les bancs de la majorité.

Reprise du débat

M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Clergeau, pour cinq minutes.

M. Jean Mallot. M. Chartier a largement dépassé son temps de parole !

Mme Marie-Françoise Clergeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat d'orientation budgétaire pour 2010 nous amène à examiner l'état actuel de nos finances publiques ainsi que les perspectives à venir et les orientations du Gouvernement.

L'état de nos finances publiques est inquiétant, mais je m'en tiendrai à la situation des finances sociales, qui, elles aussi, s'avèrent très préoccupantes, comme le confirme aujourd’hui même la Cour des comptes qui a refusé de certifier les comptes 2008 de la branche retraite et famille de la sécurité sociale ainsi que les comptes de la Caisse nationale d’allocations familiales et ceux de la Caisse nationale d’assurance vieillesse.

Le déficit de l'assurance maladie s'est stabilisé à un peu moins de 5 milliards d'euros sans pour autant respecter l'objectif de la loi de financement de la sécurité sociale avec 860 millions d'euros de déficit supplémentaires. Le déficit de la branche retraite a continué de s'aggraver à plus de 5 milliards d'euros contre 2 milliards en 2006. La branche famille, excédentaire en 2007, est aujourd'hui déficitaire de 300 millions d'euros et les perspectives ne sont pas bonnes.

Nous aurons l'occasion, au cours de l'examen de la prochaine loi de financement de la sécurité sociale, d'y revenir, aussi n'évoquerai-je que la partie retraite qui a fait l'objet d'annonces de la part du Président de la République et du Gouvernement.

La dégradation rapide des comptes de l'assurance vieillesse nécessite, chacun peut en convenir, l'ouverture d'une très large négociation sociale. Sur quelle base ? Sûrement pas sur la seule base du report de l'âge de la retraite comme vous semblez le proposer alors même que les discussions avec les partenaires sociaux ne sont pas engagées.

Lors de la séance des questions au Gouvernement de cet après-midi, le ministre des affaires sociales a confirmé la révision des droits familiaux et conjugaux de retraite en raison de l'évolution de la jurisprudence imposant l'application du principe d'égalité homme-femme à ce dispositif. Cette révision annoncée, couplée au débat général sur les retraites, engendre l'inquiétude : la majoration de la durée d'assurance pour les femmes est-elle menacée ? Je rappelle que ce dispositif permet de compenser de fortes inégalités dans le déroulement de la carrière professionnelle des femmes. Il ne faut pas oublier que les écarts persistent entre les hommes et les femmes en matière de travail et, par conséquent, de retraite.

Rappelons l'impact de la maternité sur l'activité professionnelle : lors d'une naissance, 22 % des femmes déclarent cesser leur activité ; plus d'une femme sur deux réduit son activité professionnelle ou l'interrompt à la naissance du troisième enfant, cette « inactivité » se concentrant aujourd'hui dans les années de la petite enfance.

En outre, les inégalités salariales ne se réduisent plus depuis une vingtaine d'années et les femmes connaissent des progressions de carrière moindres.

Enfin, l'activité à temps partiel est, la plupart du temps, subie.

En conséquence, la retraite des femmes reste sensiblement inférieure à celle des hommes. Le montant moyen des retraites perçues par les femmes est de 38 % inférieur à celui des hommes. Les seuls avantages de droits directs acquis par les femmes, c'est-à-dire les droits acquis en contrepartie de l'activité professionnelle, ne représentent que 55 % de ceux des hommes.

Seulement 44 % des femmes à la retraite ont pu valider une carrière complète contre 86 % des hommes, soit moins de la moitié.

Les avantages familiaux viennent donc compenser les conséquences des charges de famille sur la retraite : neuf femmes à la retraite sur dix en bénéficient. Il s’agit d’un élément qui joue massivement en leur faveur. La majoration de durée d'assurance pour enfant dans le régime général – deux ans par enfant élevé – représente en moyenne vingt trimestres et apporte un supplément de pension de 30 %.

Ces droits visent à concilier vie professionnelle et familiale mais n'y parviennent qu'en partie seulement. Ils sont malgré tout indispensables, compte tenu de la réalité du travail des femmes dans notre pays et du faible montant de leurs pensions.

Débattre des orientations budgétaires, c'est aussi envisager des réponses concrètes pour les hommes et les femmes de notre pays, afficher la volonté de s'attaquer aux inégalités ou contribuer à les renforcer en remettant en cause des droits acquis. Quelles sont les intentions du Gouvernement en la matière, monsieur le ministre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Souchet.

M. Dominique Souchet. Monsieur le rapporteur général, comme vous l’avez affirmé, le déficit du budget de l’État et des comptes publics est « insoutenable ». C’est aussi le message qu’est venu porter le premier président de la Cour des comptes à notre commission des finances, préalablement à ce débat, en soulignant l’ampleur des effets pervers d’un endettement aussi massif.

Il faut impérativement enrayer cette dérive des comptes publics pour plusieurs raisons : elle nourrit l’inquiétude des acteurs, les pousse à augmenter leur épargne et à réduire leur demande ; elle appauvrit l’État alors que la dépense publique finance essentiellement des dépenses de fonctionnement et d’intervention et non des investissements d’avenir ; elle peut s’emballer et entraîner un phénomène d’auto-alimentation de la dette ; elle risque, enfin, d’affaiblir la crédibilité de la signature de la France et d’aboutir à la remise en cause de politiques publiques.

Selon certains scenarii, …

M. Jean-Pierre Brard. Bravo pour ce pluriel !

M. Dominique Souchet. …la dette pourrait atteindre 100 % du PIB en 2018, avec des chiffres qui donnent le vertige.

Comment enrayer cette dérive ?

Certains suggèrent des solutions qui nous dispenseraient de tout effort. Pour les uns, il n’y aurait qu’à attendre le retour de la croissance ; or cette hypothèse d’une nouvelle phase de croissance dynamique à court terme n’apparaît pas crédible. Pour les autres, il n’y aurait qu’à compter sur un recours à l’inflation, recours illusoire car les taux d’intérêt appliqués à la dette publique auraient vite fait de s’ajuster sur la hausse de l’inflation.

Comme alors desserrer l’étau ?

Reconnaissons que le Gouvernement est placé devant des choix impossibles, puisqu'il ne peut augmenter l'impôt dans un pays où le taux des prélèvements obligatoires dépasse 43 % du PIB et ne peut emprunter davantage. Il devra veiller notamment à ce que le grand emprunt annoncé à Versailles ne vienne s'ajouter à la dette publique et soit compensé par des réductions de charges.

M. Dominique Baert. C’est peu vraisemblable !

M. Dominique Souchet. Quels moyens d'action reste-t-il ? Il en subsiste essentiellement deux : la réduction des dépenses publiques et le refus d’une concurrence internationale déloyale.

Il faut réduire les dépenses publiques les moins utiles. C'est une voie indispensable qu’il convient de prendre avec courage en veillant toutefois à ne pas aggraver la crise par une politique de rigueur inconsidérée et à cibler de manière pertinente les secteurs concernés. Les milliards consacrés à la formation professionnelle sont-ils efficaces ? Les milliards des niches fiscales sont-ils vraiment tous justifiés ?

Il faudra également prendre garde à ne pas affaiblir la capacité d'investissement des collectivités locales qui réalisent 73 % de l'investissement public et éviter de remettre en cause leurs clauses de compétence générale, notamment celle des départements : elle est source d'économies parce qu'elle utilise des circuits courts et permet des réponses de proximité.

Il est également indispensable de veiller à ne pas remettre en cause la synergie efficace entre conseils généraux et communes qui permet à ces dernières d'investir de manière pertinente et proportionnée et de maintenir la vitalité d'un tissu associatif essentiel à l'équilibre de notre société. Ce n'est pas le budget du secrétariat d'État chargé des sports qui permet à nos clubs sportifs de prospérer…

Mme Marie-Françoise Clergeau. C’est sûr !

M. Dominique Souchet. …ni celui des DRAC qui conforte nos associations culturelles.

Attention, par ailleurs, à ne pas remplacer la taxe professionnelle par des dotations d'État qui seraient déresponsabilisantes pour les élus et qui briseraient l’indispensable lien fiscal entre entreprise et territoire.

La réforme structurelle de nos administrations publiques est depuis longtemps nécessaire en France mais elle a été longtemps différée. Nous ne pourrons toutefois pas la mener à bien sous la pression d'une concurrence internationale déloyale. Les Français auraient alors le sentiment que, sous cette pression, subie sans réagir, on brade leurs services publics : ils ne l'accepteraient pas. Si l'on croit à la pertinence d'un marché européen, il faut redonner des frontières claires à l'Europe et les protéger autant que de besoin, pour que l'activité économique puisse se reconstituer à l'intérieur, permettant le déblocage de la réforme et favorisant le retour de la croissance, les deux étant étroitement liés. Ainsi pourra s'enclencher un cercle vertueux.

Pour y parvenir, il faut commencer par casser le cercle vicieux de la mondialisation sauvage qui pousse nos entreprises à délocaliser, augmente le chômage et exerce une pression générale en faveur de la déflation salariale. Si l'on s'attache à casser ce cercle vicieux, il sera beaucoup plus facile de mener à bien les réformes structurelles dont nous avons besoin et l'optimisme pourra revenir avec la croissance.

M. le président. La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance.

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Clôture de la session ordinaire 2008-2009

M. le président. Mes chers collègues, nous sommes arrivés au terme de la session ordinaire.

Je rappelle qu’au cours de la deuxième séance du mardi 23 juin 2009, il a été donné connaissance à l’Assemblée du décret de M. le Président de la République portant convocation du Parlement en session extraordinaire pour le 1er juillet.

Conformément à l’ordre du jour fixé par la conférence des présidents du mardi 30 juin 2009, la prochaine séance va avoir lieu dans quelques instants pour poursuivre le débat d’orientation des finances publiques pour 2010.

En application de l’article 28 de la Constitution, je constate la clôture de la session ordinaire.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures cinquante.)