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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2010-2011

Compte rendu
intégral

Troisième séance du mardi 7 juin 2011

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Marc Laffineur

1. Projet de loi de finances rectificative pour 2011
Première partie (suite)

Article 1er (suite)

Amendements nos 504 à 523, 1233, 1543 (sous-amendement) rectifié, 410, 1497 rectifié, 358 rectifié

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’Etat

Rappel au règlement

M. Jean-Pierre Brard

Article 1er (suite)

Amendements nos 70 rectifié, 406, 524 à 543

2. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Marc Laffineur,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Projet de loi de finances rectificative
pour 2011
Première partie (suite)

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2011 (n°s 3406, 3503, 3501).

Cet après-midi, l’Assemblée a commencé l’examen des articles de la première partie, s’arrêtant aux amendements n°s 504 à 523 à l’article 1er.

Article 1er (suite)

M. le président. Je suis saisi d’une série d’amendements pouvant être soumis à une discussion commune : les amendements identiques nos 504 à 523, les amendements identiques nos 1233, 410 et 1497 rectifié, et l’amendement n° 358 rectifié.

L’amendement n° 1233 fait l’objet d’un sous-amendement n° 1543 rectifié.

Nous commençons par les amendements nos 504 à 523 du groupe SRC. Pour chacun d’eux, je donnerai la parole à son premier auteur, s’il est présent en séance.

La parole est à M. Pierre-Alain Muet, pour soutenir son amendement.

M. Pierre-Alain Muet. Cet amendement vise à élargir l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune en y incluant les œuvres d’art. Un bon impôt doit avoir une assiette large. Nous devons par conséquent nous interroger sur les éléments qui en sont exonérés. Ce débat se justifie d’autant plus lorsqu’on sait que l’impôt sur la fortune a aussi pour fonction de taxer le capital dormant, de faire vivre le capital, donc de le rentabiliser quand il est productif, et d’éviter les rentes. S’agissant du capital artistique, le sous-amendement de notre collègue Jérôme Cahuzac tend à préciser que les œuvres d’art qui ont vocation à être mises à la disposition du public dans des musées peuvent être exonérées de l’ISF. Le débat mérite donc d’avoir lieu.

M. le président. La parole est à M. Christian Eckert, pour soutenir son amendement.

M. Christian Eckert. Pierre-Alain Muet a tenu des propos intéressants. L’assiette doit être large et le taux progressif. Tel est également l’objectif de cet amendement. De plus, le sous-amendement du président Cahuzac, que nous soutiendrons, tend à exonérer de l’ISF les œuvres d’art mises à la disposition du public, et notamment des musées nationaux.

M. le président. La parole est à M. Guy Chambefort, pour soutenir son amendement.

M. Guy Chambefort. Mes collègues Muet et Eckert ont précisé notre position. Il est vrai que le sous-amendement proposé par M. Cahuzac nous permettrait sans doute de trouver une solution. En effet, dans le contexte actuel, la disposition prévue par l’article 885 I du code général des impôts ne se justifie pas. Nous proposons en conséquence sa suppression.

M. le président. La parole est à M. Michel Liebgott, pour soutenir son amendement.

M. Michel Liebgott. Ce sujet ressemble à bien d’autres évoqués depuis le début de cette législature. Nous constatons souvent que le Gouvernement prend des mesures en faveur des plus favorisés tout en veillant à ce que l’intérêt économique soit bien senti. Je ferai une rapide comparaison avec le choix qui a été fait lors de l’examen de la loi TEPA en 2007. Une des dispositions de cette loi existe encore aujourd’hui, c’est l’exonération des heures supplémentaires, qui coûte tout de même 4 milliards chaque année. Cette mesure aurait dû être en toute logique abandonnée dès lors qu’il y a eu la crise. La France a – et c’est paradoxal – permis à certaines entreprises de recourir aux heures supplémentaires et de faire par conséquent travailler davantage des personnes qui avaient déjà un emploi, alors que les entreprises de pays voisins comme l’Allemagne, qui s’en sont beaucoup mieux sortis, ont eu abondamment recours au chômage partiel payé par l’État, permettant d’offrir une activité à ceux qui n’en avaient pas. C’est dire la contradiction permanente de notre gouvernement ! Nous retrouvons la même contradiction s’agissant de ce dossier. En réalité, on essaie de faire croire que l’on s’oriente vers davantage de justice, tout en prévoyant un certain nombre d’exceptions, lesquelles ne sont pas acceptables. Je ne sais pas si le sous-amendement de Jérôme Cahuzac est suffisant. Quand bien même le serait-il, il est inacceptable d’exclure d’une base d’imposition ce qui est considéré comme du luxe, qu’on le veuille ou non, dans cette période de crise. Les œuvres d’art ne me semblent pas être le sujet essentiel. L’objectif aujourd’hui doit être d’instaurer une plus grande justice fiscale.

M. le président. La parole est à M. Jean Mallot, pour soutenir son amendement.

M. Jean-Pierre Soisson. Avec mesure !

M. Jean Mallot. Avec mesure, en effet, et donc peut-être avec plus de force, cher Jean-Pierre Soisson. Je pense que vous allez répondre à ce sujet, car le débat va naturellement se nouer !

L’exposé des motifs de notre amendement est assez clair et précise notre démarche. « Dans la période de crise économique et sociale que nous connaissons, demander un effort mesuré aux contribuables les plus aisés est une mesure de justice. » Les prémisses sont ainsi posées. 

Je ne me lasse pas de lire l’hommage rendu par M. le rapporteur général dans son rapport n° 3503 à l’impôt de solidarité sur la fortune. Je lis beaucoup vos rapports, monsieur le rapporteur général et je lis également énormément les évaluations préalables jointes aux projets de loi, car j’y trouve nombre d’arguments tout à fait utiles, n’est-ce pas Jean-Pierre Gorges ? Je cite M. le rapporteur général : « Calculé avec précision sur la valeur vénale du patrimoine, l’ISF incite à investir et limite la tendance de l’économie à la concentration des richesses. » Je pourrais citer ce rapport plus longuement, car il y a là, effectivement, des arguments que nous souhaitons reprendre.

Je conçois qu’il soit difficile d’estimer les œuvres d’art. Cela dit, toute personne qui possède des œuvres d’art déclare leur valeur à un assureur. C’est ici un premier moyen d’estimation. On nous oppose de plus l’obstacle culturel : à savoir le mécénat et l’encouragement à la production artistique. Nous l’avons pris en compte.

M. le président. Il faut conclure, monsieur Mallot.

M. Jean Mallot. Le sous-amendement de Jérôme Cahuzac va en effet dans ce sens dans la mesure où il prévoit d’exonérer les œuvres temporairement mises à la disposition du public, en particulier dans les musées. Lorsque l’impératif culturel est satisfait et lorsque les œuvres sont assurées, nous disposons de tous les éléments permettant d’assujettir ce patrimoine à l’impôt de solidarité sur la fortune.

M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur, pour soutenir l’amendement n° 1233 de la commission des finances.

M. Marc Le Fur. J’adhère totalement à la réforme fiscale voulue par le Gouvernement. En effet, il sera ainsi mis un terme au taux de 1,8 %, lequel pouvait être considéré comme confiscatoire. Désormais, les taux seront de 0,25 % et de 0,50 %. Les exceptions à l’impôt qui pouvaient se justifier à une époque où les taux pouvaient être considérés comme confiscatoires ne se justifient plus. Ces nouveaux taux raisonnables ont pour contrepartie une assiette large. Telle est la logique de la réforme voulue par le Gouvernement et portée par notre rapporteur général. Celui-ci nous explique très régulièrement, et je l’écoute, qu’il faut en finir avec les niches fiscales. Nous y sommes !

La seule différence, monsieur le rapporteur général, c’est que vous appliquez ce raisonnement sur les niches fiscales – auquel j’adhère – uniquement à l’impôt sur le revenu, alors que je l’applique pour ma part également à l’ISF. À partir du moment où des taux raisonnables ont été décidés, la logique voudrait que l’assiette englobe l’ensemble du patrimoine. Pourquoi les deux vont-ils de pair ? Un impôt est bon lorsque les taux sont raisonnables et lorsque les contribuables qui le paient estiment être traités à égalité avec les personnes placées dans la même situation. Or tel n’est pas le cas ici. Je peux en effet vous dire que, dans les quelques jours qui ont précédé ce débat, j’ai reçu de multiples soutiens de personnes assujetties à l’ISF alors qu’elles ont fondé leur entreprise, qu’elles y ont placé leur argent, qu’elles ont pris des risques et ont créé des emplois. Or, au terme de leur existence professionnelle, lorsqu’elles cessent d’être mandataire social, elles paient l’ISF « plein pot » tandis que d’autres, qui n’ont pas pris de risques et qui n’ont pas créé d’emplois, sont épargnés.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Marc Le Fur. Permettez-moi de poursuivre très brièvement mon propos, monsieur le président.

La logique voudrait que le privilège, l’avantage, la niche, soit assorti d’une contrepartie. Que nenni ! Les œuvres d’art sont exonérées de l’ISF sans aucune contrepartie ! Un Degas, dans un coffre à la banque, bénéficie de cet avantage. Que l’on ne vienne pas me parler des mécènes et des dations ! Bravo pour les mécènes et pour les dations, mais c’est autre chose ! Celui qui ne pratique ni le mécénat ni la dation, celui qui ne fait pas en sorte que son œuvre d’art soit mise à la disposition du grand public…

M. le président. Vous avez largement dépassé votre temps de parole !

M. Marc Le Fur. …est lui aussi exonéré du paiement de cet impôt. Nous devons y mettre un terme. On m’opposera un certain nombre d’arguments et je me permettrai de reprendre la parole pour y répondre, monsieur le président. Mais aucun ne vaut. On me dit qu’une œuvre d’art ne rapporte pas tant qu’elle n’est pas vendue. C’est vrai, mais la résidence principale ne rapporte pas davantage tant qu’elle n’est pas vendue, mes chers collègues !

M. Jean-Pierre Brard. Très juste !

M. Marc Le Fur. Or les meubles de la résidence principale sont également imposés. Pardonnez-moi de pousser le paradoxe : le meuble de cuisine entre dans l’assiette de l’ISF, au titre de la résidence principale…

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Non : s’il a plus de 100 ans, le meuble de cuisine est considéré comme une œuvre d’art ! (Sourires.)

M. Marc Le Fur. …et non le tableau de maître dissimulé dans un coffre.

Tels sont les éléments sur lesquels je reviendrai. C’est une question d’équité. Notre réforme est bonne, mais elle doit être complétée si l’on veut qu’elle soit juste! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Borloo, pour soutenir l’amendement n° 1497 rectifié.

M. Jean-Louis Borloo. Les arguments sont convaincants, justes et partagés. Nous nous accordons en effet à reconnaître qu’un certain nombre de biens spéculatifs ou de très haute valeur ne peuvent pas échapper totalement à la solidarité nationale. Un certain nombre de collègues insistent sur les difficultés de l’évaluation et les risques d’inquisition. J’entends tous ces arguments. Mais je suis convaincu que, dans le monde moderne d’aujourd’hui, l’art en général et spéculatif en particulier ne peut pas échapper à la solidarité et à la prise en compte de la plus-value.

Parmi les amendements qui nous sont soumis, certains permettent d’intégrer les œuvres d’art dans l’assiette de l’ISF – avec les difficultés évoquées par Charles Amédée de Courson dont j’ai bien entendu les arguments –, d’autres reviennent sur la taxation des plus-values, qui est aujourd’hui très avantageuse. En effet, les œuvres d’art sont soumises à un prélèvement de 5 % sur les plus-values à titre forfaitaire et les métaux précieux bénéficient d’un taux de 8 %. À ces niveaux-là, il s’agit quasiment d’exonérations ! Pour quelles raisons économiques ? Pour quelles raisons sociales ? Pour quelles raisons morales ?

Je suis convaincu qu’une convergence se dessinera pour que nous adoption l’une des deux mesures : soit celle concernant l’ISF, soit celle mettant fin à l’exonération sur les plus-values, c'est-à-dire sur la création de richesses réelles et marchandes – j’ai déposé un amendement en ce sens après l’article 5.

M. Marc Le Fur. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard pour soutenir l’amendement n° 358 rectifié.

M. Jean-Pierre Brard. Si nous faisions une recherche en paternité, nous reconnaîtrions dans le sous-amendement de M. Cahuzac des gènes qui ne me sont pas totalement étrangers.

Exceptionnellement, nous avons l’occasion, à partir d’une proposition simple, de faire converger des arguments raisonnables pour parvenir à une position consensuelle protectrice de la création contemporaine. Cette solution n’hypothèque pas la possibilité que les personnes riches qui possèdent des œuvres d’art soient exonérées. Elle pose une condition : ces derniers doivent présenter les œuvres une fois par an au public.

Pourquoi ne pas considérer les propriétaires d’œuvres d’art comme les gardiens bénévoles d’un patrimoine universel ? Ils en ont obtenu la garde grâce à leur fortune, mais ils sont dans l’obligation de les présenter au public. Je ne vois pas pourquoi telle ou telle œuvre de Picasso ou de Modigliani serait interdite au public. Si le propriétaire fait l’effort de présentation, alors il sera exonéré.

En ce qui concerne les modalités d’évaluation, vous constatez que notre amendement laisse au contribuable la possibilité d’opter pour une évaluation forfaitaire égale à 5 % du patrimoine taxable – taux que Jean-Louis Borloo trouve extrêmement modéré – sur une base déclarative.

Le consensus me parait possible.

Par ailleurs, monsieur le ministre du budget, vous savez parfaitement que les œuvres d’art peuvent constituer pour les gens peu scrupuleux un vecteur de fraude et de blanchiment d’argent sale. Le fait de permettre aux possesseurs d’œuvres de faire sortir celles-ci de l’assiette de l’ISF par une déclaration et en les exposant mettra en valeur les honnêtes gens. Vous le savez, il existe une face sombre du marché de l’art qui permet dans certains cas de blanchir l’argent de la prostitution ou de trafics divers. Il arrive que, parmi les partenaires du marché de l’art, on trouve des gens peu scrupuleux. Je ne citerai pas les noms de certains commissaires-priseurs qui ont pignon sur rue à Paris ; ils ont déjà défrayé la chronique.

Nous avons l’occasion de voter une mesure dont la dimension anti-fraude est incontestable, de même que sa dimension culturelle. Le ministre de la culture a affirmé qu’elle provoquerait un effondrement du marché de l’art.

M. Jean-Pierre Soisson. Il a raison !

Mme Muriel Marland-Militello. Absolument !

M. Jean-Pierre Brard. C’est sans doute que le ministre de la culture connaît mal le marché de l’art.

Monsieur Soisson, je connais une grande artiste qui vous est chère. Si vous achetiez demain l’une de ses œuvres, cette dernière ne serait pas taxée car, Dieu merci ! son auteur est de ce monde. Cela dit, je suis certain que vous ne manqueriez pas de présenter ce bien dans une cave de Saint-Bris, par exemple à l’occasion des vendanges. Vous seriez donc exonéré deux fois.

M. le président. La parole est à M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances pour présenter le sous-amendement n° 1543 rectifié.

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. Ce débat est inévitable à partir du moment où l’ISF n’est pas supprimé. Il est maintenu sous une forme édulcorée pour certains ; selon d’autres, il devient plus juste. Il reste qu’il est maintenu pour tous.

Dès lors, la question de l’assiette de cet impôt se pose. Les arguments de M. Le Fur semblent assez judicieux puisque aux dires mêmes du Gouvernement qui propose la réforme, les taux de l’ISF, que de nombreux membres de la majorité dénonçaient hier comme confiscatoires, sont devenus raisonnables et acceptables : il n’y a donc plus aucune raison objective pour que l’assiette soit purgée d’un certain nombre de biens.

Je comprends que les œuvres d’art ne sont peut-être pas tout à fait des biens comme les autres, et cet argument a été développé par Jean-Pierre Soisson. Je suis prêt à faire le distinguo. Toutefois il semble délicat, comme le soulignait Marc Le Fur, d’exonérer de toute taxation un tableau de maître qui n’est contemplé que par les quatre parois d’un coffre-fort. Les cas sont suffisamment nombreux pour inciter chacun à admettre que nous devons traiter de ce problème.

J’entends l’argument relatif au marché de l’art, même si je le connais moins bien que certains de nos collègues. J’ai intuitivement un peu de mal à imaginer en quoi le fait d’inclure les œuvres d’art dans l’assiette de l’ISF ferait s’écrouler le marché, mais puisque certains, qui semblent être de bons connaisseurs, l’affirment, acceptons cette hypothèse, au moins pour le temps de ce débat.

Dans ce contexte, j’ai déposé un sous-amendement qui me semble pouvoir rallier des opinions opposées et divergentes. Ne seraient incluses dans l’assiette de l’ISF que des œuvres d’art dont les propriétaires refusent obstinément qu’elles soient présentées au public. Ces derniers feraient le choix d’acquitter cet impôt en choisissant de conserver pour eux seuls – et pour leurs proches – le plaisir de profiter de ces œuvres d’art. À partir du moment où les propriétaires s’engageraient à accepter la présentation de leurs œuvres, dès lors que la demande leur en serait faite par un musée national, les biens en question seraient exclus de l’assiette de l’ISF.

Je veux bien retenir l’hypothèse relative à l’impact de la mesure envisagée sur le marché de l’art et concevoir que l’effondrement de ce dernier poserait un problème. Mais c’est précisément parce que les œuvres concernés constituent un bien public d’intérêt supérieur et certainement pas un bien uniquement privé d’intérêt très étroit. Allons jusqu’au bout de ce raisonnement et décidons que l’ISF ne s’appliquera qu’à ceux qui estiment qu’une œuvre d’art n’appartient qu’à eux et à eux seuls. Conservons le bénéfice de l’exonération pour ceux qui acceptent que les œuvres d’art dont ils sont propriétaires puissent être appréciées par d’autres dans le cadre d’expositions.

Je souligne que le sous-amendement ne précise pas la fréquence de la mise à la disposition du public des œuvres : il est seulement demandé aux propriétaires de s’engager à accepter de les prêter si, par extraordinaire, un musée national souhaitait les exposer.

M. Daniel Boisserie. Pas uniquement les musées nationaux !

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. Ce dispositif permet d’éviter tout risque de sortie des œuvres d’art du territoire. Si elles devaient sortir malgré tout, ce serait sans conséquence pour notre pays puisque leurs propriétaires ne souhaitaient pas les faire partager. Qu’elles se trouvent à Paris, à New York ou à Genève est alors rigoureusement sans importance.

Cette mesure permettrait aussi d’éviter tout risque d’effondrement du marché de l’art. Dès lors que nous parlons d’un bien public et que les œuvres peuvent être présentées, je ne vois pas en quoi la mesure pourrait entraîner un écroulement du marché.

Nous mettrions fin à une exonération que même certains membres de la majorité ne comprennent pas, et qui pourrait être incomprise bien au-delà.

Au moins sur ce sujet, nous pourrions mettre un terme à cette malédiction qui veut que les uns et les autres aient des points de vue qui changent quand ils sont dans la majorité ou dans l’opposition. Pour une fois, essayons de voter ce que nous souhaitons tous lorsque nous nous trouvons dans l’opposition. Il revient aujourd’hui à la majorité de faire l’effort nécessaire car c’est vous, chers collègues de la majorité – Gilles Carrez s’en souvient –, qui aviez accepté cette réforme lorsque vous étiez dans l’opposition. Souvenez-vous de ce que vous pensiez alors, et essayons ensemble d’adopter un compromis qui réponde à l’ensemble des arguments de ceux qui, jusqu’à aujourd’hui, s’étaient toujours opposés à cette réforme.

M. le président. La parole est à M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, pour donner l’avis de la commission sur les amendements en discussion commune et le sous-amendement.

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Monsieur le président, tous les amendements ont été rejetés par la commission à l’exception de l’amendement n° 1233 de notre collègue Marc Le Fur. Je n’ai pas réussi à convaincre une majorité de collègues de la nécessité de le repousser.

Au cours des trente dernières années, nous avons déjà eu quatre ou cinq fois le même débat à peu de choses près.

La question des œuvres d’art s’est posée en 1982, lors de la création de l’impôt sur les grandes fortunes. À l’époque, le choix a été fait de ne pas les assujettir au nouvel impôt parce qu’elles ne produisaient pas de revenus et que le marché de l’art français commençait à se fragiliser. Notre pays perdait pied ; il ne fallait pas prendre de risques.

Le débat reprend en 1988, lors du rétablissement de cet impôt devenu l’impôt de solidarité sur la fortune. La majorité de l’époque décide de maintenir l’exonération des œuvres d’art.

À l’automne 1998, le sujet ressurgit à partir d’un amendement très intelligent de notre collègue Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Merci !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Cet amendement proposait de maintenir l’exonération des œuvres d’art à condition qu’elles soient régulièrement rendues disponibles pour le public grâce, par exemple, à des expositions.

Je me demande si, à l’époque, je n’ai pas voté cet amendement.

M. Jean-Pierre Brard. C’est le cas !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Vouloir inciter les propriétaires à montrer leurs œuvres d’art au public plutôt que de les laisser enfermées dans des coffres-forts me semble intéressant. À ce sujet j’observe que le sous-amendement de Jérôme Cahuzac puise à bonne source puisqu’il reprend l’amendement de Jean-Pierre Brard.

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. Ce n’est pas le même !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Nous sommes à nouveau réunis ce soir autour du même débat.

Je veux dire à Jean-Louis Borloo, qui a été un remarquable ministre du logement et de l’équipement, qu’il faut qu’il fasse très attention en matière de fiscalité. Prenons l’exemple de l’impôt sur les portes et fenêtres : il a influencé négativement et durablement l’architecture de notre pays. Faites attention, monsieur Borloo : mettre en place, à l’emporte-pièce et de façon improvisée, une fiscalité, certes tentante, sur les œuvres d’art pourrait avoir des conséquences aussi néfastes que celles qu’a eues, en son temps, l’instauration de l’impôt sur les portes et fenêtres !

M. François Sauvadet. Arrêtez ! Ce n’est pas sérieux !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Cela étant, monsieur le ministre du budget, les arguments fiscaux de nos collègues ne peuvent pas être balayés d’un revers de main. Nous examinerons ultérieurement l’article 6, qui tente de moraliser les trusts et vise à améliorer la transparence en la matière. Aujourd’hui, qui ne connaît pas de trusts ayant pour fonction de rassembler des œuvres d’art à partir de financements plus ou moins occultes ? Je pourrais citer de nombreux exemples datant de ces dernières années.

Il faut aussi prendre en compte l’argument de M. Cahuzac. Monsieur Soisson, un prélèvement très faible contribuerait-il vraiment à détruire le marché des œuvres d’art dans notre pays ?

M. Jean-Pierre Soisson. Oui !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Quoi qu’il en soit, je pense que nous n’avons pas le droit de prendre le risque.

Mais, comme l’a souligné Jean-Louis Borloo, le régime fiscal des œuvres d’art mérite sans doute qu’on y revienne. Une œuvre d’art ne produit certes pas de revenus mais peut se vendre selon un régime spécifique : soit on choisit le régime de droit commun des plus-values grâce auquel on bénéficie d’une exonération qui croît en fonction de la durée de détention de l’œuvre, si bien que si vous détenez un tableau depuis plus de douze ans, vous ne serez pas assujetti à l’impôt ; soit, autre option des plus favorables et tout à fait curieuse, même si l’on vend une œuvre après l’avoir détenue pendant deux ans, on peut choisir d’être assujetti à un droit forfaitaire de seulement 4,5 %, Marc Le Fur l’a rappelé.

M. Jean-Louis Borloo. Voilà !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Cela, monsieur le ministre, mérite réflexion.

M. François Sauvadet. Ah !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. C’est pourquoi je propose la création d’un groupe de travail sur ce sujet important. (Rires.) Le ministre nous a démontré, à l’occasion de ce collectif remarquablement équilibré, cohérent et qui donne satisfaction à tous, à quel point la réunion d’un groupe de travail pendant plusieurs mois se révélerait utile. Constituons-le donc et, en attendant, je vous propose de rejeter tous ces amendements. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur ces amendements ?

M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’Etat. J’apprécie l’ambiance de groupe et le travail ne manque pas. Doit-on pour autant répondre favorablement à la proposition de M. le rapporteur général ? Concentrons-nous déjà sur le présent débat, qui n’est pas médiocre et a suscité des positions que je respecte mais qui amènent le Gouvernement à émettre un avis défavorable à l’amendement défendu par M. Le Fur, ce qui n’est pas une surprise pour lui puisque nous en avons longuement et souvent discuté, et au sous-amendement du président Cahuzac, cela pour trois raisons.

D’abord, les dispositions prévues par ces amendements constituent un non-sens culturel à l’impact plus qu’hypothétique…

M. Michel Bouvard. Eh oui !

M. Jean-Pierre Brard. Mais non !

M. François Baroin, ministre. …et qui pourrait même, selon certains spécialistes, se révéler désastreux. Il n’est nul besoin d’être grand clerc pour imaginer la première réaction des détenteurs d’œuvres d’art ou des artistes eux-mêmes : ils quitteront le territoire national.

M. Jean-Pierre Brard. Mais non !

M. Michel Herbillon. Bien sûr que si !

M. François Baroin, ministre. Toutes les valeurs cotées seront expatriées. En effet, la taxation des œuvres d’art provoquera une restriction du marché, une raréfaction des acheteurs. Quelqu’un pourvu de talent, et coté, partira à l’étranger où il pourra disposer du temps et des moyens nécessaires pour poursuivre son œuvre.

M. Richard Mallié. CQFD !

M. François Baroin, ministre. Ensuite, si l’on considère que 90 % des collections publiques se constituent au fur et à mesure des donations et des dations, il existe un risque puissant d’appauvrissement pour la constitution de ces collections si le dispositif que vous préconisez était appliqué, ce qui, par ricochet, pénaliserait, j’y insiste, les collections publiques.

M. Michel Piron. Tout à fait : voilà le vrai enjeu !

M. François Baroin, ministre. La deuxième raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis défavorable est le non-sens économique de ces amendements. L’impact économique des mesures que vous proposez serait désastreux pour le marché de l’art français et l’attractivité de la place de Paris.

La France, immense pays producteur d’œuvres d’art de grande qualité au cours des derniers siècles, a été dépassée par un autre immense pays, une très grande civilisation, la Chine. Nous ne tenons plus le troisième rang, occupé pendant longtemps, et sommes par conséquent descendus du podium. Il est si vrai que la place de Paris s’affaiblit que le Gouvernement, lucide et conscient de cette réalité, propose un aménagement de toutes les salles des ventes et non pas seulement de celles de Paris où se réalisent les grandes opérations, les grandes enchères impliquant de grandes maisons internationales. Il s’agit d’organiser un maillage du territoire permettant la préservation des salles des ventes situées, la plupart du temps, au sein des préfectures.

La mesure que vous défendez nuirait par ailleurs à la compétitivité de la France, aucun autre pays n’imposant les œuvres d’art. Nous irions à rebours des autres pays. Le secteur économique en question est important puisque les 400 sociétés de vente réalisent 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires.

Enfin, troisième raison, ces amendements représentent un non-sens fiscal. Comment procéder à l’évaluation immédiate proposée si, d’aventure, on intégrait les œuvres d’art dans l’assiette de l’ISF ?

M. Jean-Pierre Brard. Grâce aux déclarations de polices d’assurances !

M. François Baroin, ministre. La déclaration de la part du titulaire ne suffirait pas à l’administration fiscale, même si elle n’est pas censée douter de sa bonne foi. La confiance n’excluant toutefois pas le contrôle, le rôle de l’administration est de juger sur pièces et sur place de la réalité de la déclaration. Or vous nous proposez un dispositif de contrôle fiscal permanent. Dans l’esprit de Marc Le Fur, l’œuvre d’art est élégante, revêt une dimension particulière, une valeur d’exception culturelle et reste attachée à la France. Du point de vue fiscal, il s’agit de l’ensemble des biens de la famille qui se sont transmis de génération en génération.

M. Jean-Pierre Brard. Oh là là !

M. Michel Herbillon. Comment évaluer une œuvre d’art ?

M. François Baroin, ministre. Qu’est-ce qu’une œuvre d’art, combien vaut-elle ? Vous imaginez les histoires de famille que cela provoquerait ; on touche là à l’intimité des transmissions.

Pour achever de convaincre les plus hésitants, j’insisterai sur le fait que le rendement fiscal d’une telle mesure sera incertain. Il y a quelques années, il avait été évalué à quelques dizaines de millions d’euros, rendement largement contrebalancé par les conséquences économiques que je viens d’évoquer.

Voilà la position claire, constante, du Gouvernement.

M. Michel Bouvard. Il s’agit de la position de tous les gouvernements successifs !

M. François Baroin, ministre. Certes.

Puisque nous discutons d’exception culturelle, d’œuvres d’art, ne privons pas de ses droits d’auteurs la gauche de l’hémicycle puisqu’elle est à l’origine de l’exonération des œuvres d’art de l’ISF. Tout le monde sera ainsi satisfait du statu quo.

M. Michel Herbillon. Un rappel utile !

M. François Baroin, ministre. Le Gouvernement n’est pas non plus favorable au sous-amendement du président Cahuzac. Dans son esprit, il s’agit d’encourager les collectionneurs privés à prêter leurs œuvres, mais il faut laisser aux institutions compétentes, publiques ou privées, la liberté de s’adresser aux collectionneurs en fonction de leurs projets de programmation, qu’il n’appartient pas à l’État de définir.

M. Jean-Pierre Brard. Tout cela est de mauvaise foi !

M. François Baroin, ministre. Je dirai un dernier mot à l’attention de M. Borloo, dont je salue la présence, après celle de M. Hollande. Le Gouvernement est très fier de profiter de leurs encouragements et de leur implication.

Plusieurs députés des groupes SRC et UMP. Et M. Mallot ?

M. Christian Jacob. M. Mallot aussi est présidentiable !

M. François Baroin, ministre. J’ai en effet oublié M. Mallot, dont les perspectives personnelles me paraissent très encourageantes pour peu qu’il entre dans la danse.

J’en reviens à M. Borloo, qui a évoqué la taxation des métaux précieux, sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir à l’article 5. La taxe de 5 % sur les œuvres d’art en question n’affecte pas la plus-value mais la valeur du bien au moment de la cession, ce qui n’a rien à voir et permet de constater qu’il s’agit d’un prélèvement sage et responsable. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. Michel Bouvard. Excellent !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. Sous-amender le dispositif proposé par notre collègue Le Fur constituerait donc un non-sens culturel. Il me semble au contraire que l’adoption de mon sous-amendement créerait un puissant mécanisme permettant aux collectionneurs privés d’exposer leurs œuvres d’art et d’en faire ainsi bénéficier le plus grand nombre. C’est refuser ce dispositif qui représente un non-sens culturel, sauf si l’on estime que faire œuvre culturelle revient à réserver à quelques-uns le bénéfice d’œuvres d’art qui appartiennent pourtant au patrimoine culturel mondial. Le partage de ces œuvres par le plus grand nombre s’inscrit davantage dans ce qu’on est en droit d’attendre d’une politique culturelle.

M. Richard Mallié. Ben voyons !

M. Michel Bouvard. Que faites-vous des dations ?

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. La dation évoquée par le ministre et défendue avec fougue par notre collègue Michel Bouvard ne souffrirait en rien de ce dispositif. En quoi le fait, pour leur propriétaire, d’accepter de voir des œuvres exposées et, ce faisant, d’être exonérées d’ISF, entraverait le mécanisme de la dation, dont chacun ne peut ici que se féliciter ? On peut bien chercher, pour des raisons conjoncturelles plus que de fond, à effrayer mais je ne vois vraiment pas dans quelle mesure, j’y insiste, l’amendement de notre collègue Le Fur, sous-amendé par mes soins, perturberait le mécanisme de la dation.

Ensuite, il faut, selon vous, laisser aux institutions la liberté de choisir les œuvres d’art qu’elles souhaitent exposer. Cette liberté n’est en rien limitée par nos amendements. Les institutions ne sont pas obligées d’exposer des œuvres déclarées par leur propriétaire afin d’être exonéré de l’ISF ; il ne s’agit que d’une possibilité. Les propriétaires ne sont pas soumis à l’obligation d’exposer leurs œuvres sous peine de devoir s’acquitter de l’ISF. On ne leur demande que d’accepter le principe de cette exposition dès lors qu’une institution en fait la demande. La liberté des institutions chargées d’organiser des expositions est donc totale et certainement pas entamée par ce dispositif.

Quant au contrôle, l’ISF est un impôt déclaratif. Ces biens ne seraient pas davantage contrôlés que ceux qui font aujourd’hui partie de l’assiette mais, évidemment, pas moins. Encore qu’on peut se demander si le contrôle n’en serait pas grandement facilité puisque c’est l’intérêt même des propriétaires de ces œuvres de les déclarer en s’engageant à accepter leur exposition. Cette déclaration permettrait précisément à l’administration de recenser de manière plus satisfaisante qu’avec les dispositions en vigueur notre patrimoine culturel.

M. Louis Giscard d'Estaing. Ah oui ?

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. Ce contrôle ne serait pas renforcé mais, au contraire, allégé, le dispositif permettant dans le même temps une meilleure connaissance du patrimoine en question.

Il ne s’agit donc pas d’un non-sens culturel, puisque plus nombreux seraient ceux qui profiteraient de ces œuvres d’art. Nous favoriserions ainsi la diffusion de la culture. Le régime de la dation n’est en rien modifié – vous avancez un argument d’autorité irrecevable. La liberté des institutions d’exposer n’est en rien menacée. Quant au contrôle, il s’en trouverait allégé et certainement pas renforcé.

L’ISF est maintenu alors qu’il devait être supprimé ; reste à en redéfinir l’assiette. Régler la question des biens culturels, qui se posera quoi qu’il en soit, par le biais de l’amendement de M. Le Fur sous-amendé par mes soins, permettrait d’en finir.

M. Michel Piron. C’est l’ISF qui est en question !

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. Enfin, je constate la puissance de ceux qui, manifestement, ne souhaitent pas que soit connue l’étendue de notre patrimoine culturel,…

Mme Aurélie Filippetti. Très juste !

M. Louis Giscard d'Estaing. Ce n’est pas vrai !

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. …puissance qui s’exerce sous tous les gouvernements et manifestement avec la même efficacité.

M. Michel Herbillon. Ce n’est pas un argument, monsieur Cahuzac !

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. C’est un constat !

M. le président. Étant donné l’importance du débat, je donnerai la parole aux inscrits, après quoi nous passerons au vote. Dans l’ordre s’exprimeront : M. Chartier, M. de Courson, M. Sauvadet, M. Tardy, Mme Génisson, M. Perruchot, M. Boisserie, M. Vigier, M. Jacob, M. Brard et M. Le Fur.

M. Michel Herbillon. Pourquoi ne pas laisser s’exprimer tous les cosignataires ?

M. le président. J’estime que le nombre de députés qui vont s’exprimer, onze, est déjà suffisamment important. Les cosignataires des amendements sont cent dix !

M. Jean Mallot. Certes, mais leur donner la parole est important pour le débat !

M. le président. C’est bien eu égard à l’importance de la discussion que je vais donner largement la parole.

M. Michel Vergnier. Présidez, président, nous vous faisons confiance !

M. le président. La parole est à M. Jérôme Chartier.

M. Jean-Pierre Brard. Un grand amateur d’art !

M. Jérôme Chartier. Les propos de Gilles Carrez comme ceux du ministre ont été très éclairants. Depuis que les amendements et le sous-amendement de M. Cahuzac ont été présentés on note un vrai hiatus. On a le sentiment que ces amendements ne concernent qu’une même catégorie d’œuvres d’art : celles destinées à être exposées – les grands tableaux des grands maîtres, les grandes sculptures.

Or les amendements tels qu’ils sont rédigés visent toutes les œuvres d’art, tous les objets de collection.

M. Jean-Pierre Brard. Et alors ?

M. Jérôme Chartier. M. Cahuzac propose, avec son sous-amendement, que les dispositions de l’amendement n° 1233 ne s’appliquent qu’aux biens que le propriétaire ne s’engage pas à mettre à la disposition du public. Fort bien, mais il y a tant d’objets de collection susceptibles d’entrer dans l’assiette de l’ISF que les exposants ne sauront plus qu’en faire !

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. Mais ce n’est pas une obligation !

M. Jérôme Chartier. Il ne suffit pas que des voitures de collection ou des bijoux soient de belle facture pour que l’on décide de leur consacrer une exposition : il faut pour cela que ces objets soient des œuvres d’art exceptionnelles. Or toutes les œuvres ont vocation à entrer dans le calcul de l’ISF, pas seulement les toiles de Monet, Matisse et Picasso ! Que fait-on de tout le reste ?

Prenez, par exemple, une personne ayant dans sa famille des sculpteurs et des peintres depuis plusieurs générations et ayant, de ce fait, accumulé les œuvres d’art. Un jour, un inspecteur des contributions directes va se présenter chez elle afin de procéder à l’évaluation desdites œuvres. Et qui pourra contester cette évaluation ? Qui pourra déterminer si, oui ou non, la personne concernée doit être assujettie à l’ISF ?

Voilà toute l’absurdité de cet amendement, qui n’est limitatif en rien : ni en ce qui concerne les expositions, ni en ce qui concerne les évaluations. Débattre sur cette question, y réfléchir éventuellement dans le cadre d’une commission, je n’y vois rien à redire. Mais très honnêtement, je ne pense pas que la réforme de l’imposition sur le patrimoine dont nous débattons actuellement constitue le cadre idéal pour introduire les œuvres d’art dans l’assiette du calcul de l’ISF.

M. le président. La parole est à M. François Sauvadet.

M. François Sauvadet. J’aimerais que l’on en vienne au fond du sujet. J’ai été, avec les collègues de mon groupe, l’un des fervents partisans de la suppression du bouclier fiscal. À ce sujet, quand j’ai entendu tout à l’heure M. Ayrault dire que la suppression du bouclier fiscal concernait très peu de personnes, je suis tombé de ma chaise ! Comment, après avoir répété durant des mois et des années que le bouclier fiscal constituait un avantage accordé aux riches, peut-on ne pas se réjouir de sa suppression ? Cela ne me paraît pas être une attitude digne sur le plan politique ! (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)

Par ailleurs, je veux souligner que nous n’avons pas souhaité la suppression de l’impôt sur la fortune, même si cet impôt n’existe nulle part ailleurs. Il nous semble en effet nécessaire d’adresser un message à ceux qui souffrent, de leur faire savoir que nous estimons important de voir chacun participer à l’effort de redressement du pays. Adapter l’impôt sur la fortune pour tenir compte du bouclier fiscal et faire en sorte que les propriétaires d’une résidence principale puissent en être exonérés, cela me paraît juste. Je m’étonne par conséquent que vous contestiez aujourd’hui cette disposition : quand les temps sont difficiles, il faut un minimum de concorde publique.

C’est dans ce contexte que je veux aborder le sujet de la justice…

M. Christian Eckert et M. Jean Mallot. Cela n’a rien à voir avec les amendements en discussion !

M. François Sauvadet. Monsieur Mallot, pouvez-vous respecter vos interlocuteurs, s’il vous plaît ?

M. le président. Allons ! Seul M. Sauvadet a la parole !

M. François Sauvadet. C’est dans ce contexte, disais-je, que nous devons nous poser des questions de justice sociale.

Le marché de l’art est hautement spéculatif. Il ne s’agit pas de remettre en cause l’excellence française, de « revenir à un chef-lieu de canton », pour reprendre l’expression employée par un parlementaire, en taxant abusivement le marché de l’art. Pour autant, on ne peut balayer la question d’un revers de main quand on voit avec quelle frénésie les plus grandes fortunes françaises et internationales se précipitent sur les œuvres d’art, ce qui a pour effet d’augmenter leurs prix jusqu’à des chiffres dépassant l’entendement – des dizaines, parfois même des centaines de millions d’euros. Devant ces chiffres, et dans le contexte de la lutte contre les niches fiscales que nous avons engagée – une lutte nécessaire si l’on veut préserver l’outil de travail, la compétitivité de notre pays –, il est légitime que nous nous demandions de quelle manière chacun peut contribuer à l’impôt, notamment en permettant que l’argent qui dort soit taxé, car on ne peut autoriser l’enrichissement indu. C’est là une question qui mérite bel et bien d’être posée à l’Assemblée nationale française le jour où l’on débat de la taxation du patrimoine.

Deux questions essentielles se posent à nous. Premièrement, pouvons-nous considérer comme une mesure de justice le fait d’exonérer de toute imposition le détenteur de l’œuvre ? Vous avez fait des propositions qui nourrissent le débat. Ainsi, encourager la diffusion et la promotion de l’œuvre au moyen d’expositions peut être une piste à explorer.

Deuxièmement, en ce qui concerne la plus-value réalisée par les spéculateurs – car si les prix atteignent de tels sommets, ce n’est évidemment pas du fait du seul amour de l’art, mais parce que certains y trouvent un intérêt financier –, il me semble que ne pas se poser la question de la taxation de cette plus-value équivaut à adresser un mauvais signal. C’est pourquoi j’aimerais que vous ouvriez la porte, à l’article 5, à la proposition que nous avons faite de taxer les plus-values réalisées sur les œuvres, au même titre que les autres plus-values. C’est, nous semble-t-il, une mesure juste.

En tout état de cause, on ne saurait repousser à la fois la taxation des œuvres elles-mêmes et celle sur les plus-values réalisées lors de cessions : les Français ne comprendraient pas. Nos compatriotes aiment l’art et la culture – nous nous sommes tant battus pour l’exception française ! –, mais croyez-vous qu’ils ne soient pas choqués de constater que des dizaines de millions d’euros investis échappent à toute taxation ? Franchement, monsieur le ministre, je pense que l’Assemblée nationale se grandirait à mettre en œuvre un dispositif de taxation sur les plus-values réalisées lors de la cession d’œuvres d’art. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et sus plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Jean-Pierre Brard. L’école de la Renaissance !

M. Charles de Courson. Mes chers collègues, il me paraît nécessaire de commencer par rappeler que le traitement fiscal des œuvres d’art présente une particularité et une anomalie.

La particularité des œuvres d’art réside dans le fait qu’elles ne sont pas taxables au titre de l’impôt sur le revenu. Cela s’explique par le fait qu’une œuvre d’art ne génère pas de revenu – de la même manière, depuis 1962, les Français ne paient plus d’impôt sur le revenu sur le loyer fictif du logement dont ils sont propriétaires.

L’anomalie caractérisant le régime fiscal des œuvres d’art, c’est qu’il n’existe pas d’impôt sur la détention : les œuvres d’art sont exclues de l’assiette de l’ISF. Il existe bien un impôt sur la transmission, mais qui obéit à un régime dérogatoire. Si la transmission se fait à titre onéreux, le vendeur peut exercer un droit d’option entre le régime de droit commun des plus-values et une taxation forfaitaire de 4,5 % sur la valeur totale, à laquelle s’ajoute une taxation de 0,5 % au titre de la CRDS, ce qui explique que l’on parle d’une taxation de 5 % – en revanche, il n’y a pas de taxation au titre de la CSG. Si la transmission se fait à titre gratuit, c’est-à-dire dans le cadre des successions, un forfait de 5 % du montant des biens immobiliers est appliqué. Comme on le voit, il s’agit là d’un régime fiscal très dérogatoire.

Quelles solutions peut-on envisager pour améliorer cette situation ? Celle proposée par M. Le Fur, dont on discute depuis des années, consiste à assujettir les œuvres d’art à l’ISF, ce qui est totalement inapplicable. En effet, dans un souci de cohérence, ce qui se ferait pour l’ISF devrait également être fait pour les droits de succession.

M. le président. Il faut conclure, monsieur de Courson.

M. Charles de Courson. Par ailleurs, comment va-t-on procéder au contrôle ? Va-t-il falloir se rendre chez chaque personne afin de vérifier si elle ne possède pas des œuvres non déclarées puis, le cas échéant, procéder à leur évaluation ? (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Avec une telle mesure, nous ferions à coup sûr la fortune des cabinets d’évaluation !

La deuxième solution consiste à améliorer la taxation en cas de vente, c’est-à-dire d’augmenter le taux de taxation actuellement fixé à 4,5 %, tout en instaurant une nouvelle taxe au titre de la CSG.

Enfin, le sous-amendement de M. le président de la commission ne tient pas la route : il ne serait pas logique de favoriser l’exposition d’œuvres ne présentant pas d’intérêt particulier, alors que les caves du Louvre sont remplies d’œuvres d’art d’exception auxquelles on n’a pas trouvé de place pour les exposer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Je souhaite intervenir car il nous a été dit que cet amendement aurait un rendement fiscal incertain du fait de gros problèmes de contrôle, qu’il provoquerait une fuite de la base taxable, des œuvres, vers l’étranger, et qu’il constituerait un signal très négatif pour tout un secteur économique. Tout cela est certainement vrai, et je ne voterai donc pas cet amendement.

Toutefois, j’aimerais profiter du fait que nous sommes nombreux aujourd’hui dans l’hémicycle pour faire le parallèle avec une autre disposition dont nous discuterons plus loin dans l’examen de ce texte, à savoir la taxe dite Google sur les achats de services de publicité en ligne, instaurée par les sénateurs. Cette taxe va elle aussi poser de gros problèmes de contrôle : Internet n’ayant pas de frontières, il est très facile pour une entreprise de délocaliser ses achats de publicité sur Internet.

Mme Claude Greff. Il a raison !

M. Lionel Tardy. À moins d’éplucher soigneusement les contrats concernés, il est impossible de déterminer si une transaction entre une société luxembourgeoise et Google, dont le centre européen est installé en Irlande, porte sur une publicité destinée au marché français. Ce qui est certain, en revanche, c’est que les transactions ne se feront plus en France, ce qui va se traduire par une perte sèche en matière de TVA.

Pour ce qui est du signal négatif, comme en ce qui concerne les œuvres d’art, le monde de l’économie numérique est vent debout contre cette mesure depuis son adoption. Si l’on veut faire preuve de cohérence, monsieur le ministre, il faudra appliquer à cette taxe Google le même raisonnement que celui actuellement tenu pour refuser d’inclure les œuvres d’art dans l’assiette de l’ISF, donc revenir sur l’instauration de cette taxe Google par le Sénat.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson.

Mme Catherine Génisson. Pardonnez-moi, mes chers collègues, si je vous parais totalement béotienne dans ce débat où s’expriment de nombreux spécialistes en matière de politique fiscale.

Je veux simplement rappeler que nous parlons d’œuvres d’art, c’est-à-dire d’une chose fondamentale pour l’existence et l’épanouissement de chacun. Comme cela a été dit, le marché de l’art est hautement spéculatif et la valeur des arts d’une grande labilité. Souvenons-nous d’une chose : alors que Vincent Van Gogh s’est suicidé de désespoir parce qu’il n’avait vendu aucune toile, à l’exception d’une à son frère…

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. Le Fur assassin ! (Sourires.)

Mme Catherine Génisson. …la valeur de ses toiles est aujourd’hui inestimable.

Le sous-amendement de notre président de commission est basé sur la bonne volonté des collectionneurs à prouver qu’ils ont des œuvres d’art – ce qui ne signifie pas qu’elles seront exposées. Certes, les caves du Louvre sont pleines, c’est bien pour cela que l’on a créé le Louvre Lens et le Louvre Abu Dhabi…

M. Yves Censi. Les FRAC regorgent d’œuvres !

Mme Catherine Génisson. …et, en tout état de cause, favoriser l’exposition des œuvres me paraît essentiel.

Par ailleurs, il convient de protéger la création contemporaine et le marché de l’art contemporain, afin de protéger nos artistes eux-mêmes, qui sont une richesse pour notre territoire.

M. le président. La parole est à M. Nicolas Perruchot.

M. Nicolas Perruchot. Je veux d’abord dire que le marché de l’art n’est pas uniquement un marché hautement spéculatif, comme on l’entend dire depuis le début de nos débats. (« Bien sûr ! » sur les bancs du groupe UMP.) Il y a des centaines de collectionneurs qui possèdent des œuvres d’art pour le seul plaisir de les avoir chez eux, et n’ont aucune envie de les revendre pour en tirer des plus-values. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Certes, le marché de l’art n’échappe pas à la spéculation qui s’exerce partout ailleurs, mais de quelques exceptions – certes très voyantes –, ne faisons pas une généralité.

Le point sur lequel je souhaite principalement m’exprimer est le risque qu’il peut y avoir – même si, je le sais, nous ne sommes pas tous d’accord sur ce point – d’un appauvrissement de notre patrimoine. À ce titre, je peux apporter mon témoignage en tant que rapporteur spécial de la commission des finances chargé du budget « patrimoine », qui me confère la charge, laquelle est aussi une grande chance, de me rendre chaque année dans les plus grands musées tels que le Louvre, Orsay, Beaubourg ou le quai Branly, afin d’y inspecter l’état des collections et des expositions – en un mot, de faire le point sur le marché muséal français.

Ce marché se porte bien, évidemment, et nous en sommes tous ravis. Il participe de manière très importante au rayonnement culturel de la France et il permet à des dizaines de millions de touristes étrangers de profiter de ce rayonnement et de renforcer l’image de notre pays.

Marc Le Fur disait tout à l’heure qu’il souhaitait que l’on ait un débat sur l’élargissement de l’assiette de l’ISF. Je souhaiterais quant à moi que nous puissions réfléchir à l’impact d’une telle mesure en matière de rayonnement culturel et de nombre d’entrées dans les musées, mais aussi – le ministre l’a rappelé – d’appauvrissement des collections, puisque 90 % des collections muséales françaises sont le fait de donations, de dations ou de legs.

Je pense, même si je n’en suis pas encore intimement convaincu, que cette mesure aurait un impact sur ces donations et qu’elle entraînerait donc forcément un appauvrissement du patrimoine français. Or c’est une de nos richesses. Il y a urgence, comme l’a rappelé Gilles Carrez tout à l’heure, à faire en sorte que nous puissions étudier de manière concrète, dans tous ses aspects, l’impact de cette mesure, afin de prendre ensuite ensemble les bonnes décisions. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Boisserie.

M. Daniel Boisserie. Je reviendrai pour ma part sur ce que disait tout à l’heure M. le rapporteur général à propos de l’impôt sur les portes et fenêtres. Il y a aussi des portes qui sont des œuvres d’art ! Or on se rend compte que cet impôt a été largement remplacé du fait de l’augmentation du prix de l’énergie et on observe dans les réalisations contemporaines une réduction forte des baies que l’on réalisait il y a quelques années encore.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. C’est vrai.

M. Daniel Boisserie. Je salue aussi M. Sauvadet, qui a entendu la France d’en bas et celle du milieu,…

M. Jean-Pierre Brard. Pour celle du milieu, c’est normal ! (Sourires.)

M. Daniel Boisserie. …ce qui est un peu nouveau ! (Exclamations sur les bancs du groupe NC.)

En ce qui concerne le sous-amendement du président de la commission des finances, j’en approuve presque totalement les termes. J’ai tout de même été un peu inquiet d’entendre parler d’exonération pour tous ceux qui prêteraient leurs œuvres aux musées nationaux. Il n’y a pas que les musées nationaux qui peuvent accueillir de grandes œuvres ! Sur ce point, le texte pourrait être aménagé.

M. le président. Sur le vote du sous-amendement n° 1543 rectifié, je suis saisi par le groupe GDR d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Philippe Vigier.

M. Philippe Vigier. Chacun l’a bien compris en écoutant les propos du président Sauvadet : ce que nous n’acceptons pas, c’est le statu quo. Qui peut dire ici qu’il est opposé à la promotion culturelle, à l’identité culturelle et à la valorisation d’un patrimoine ?

J’ai bien entendu l’argument avancé tout à l’heure par Gilles Carrez, même s’il ne m’a pas convaincu, à savoir que ce n’est pas le fait de créer une commission et un groupe de travail, alors que ces problèmes se posent depuis plus de trente ans, qui permettra de trouver une solution. Nous souhaitons dire au rapporteur général du budget qu’il est absolument indispensable que les œuvres d’art puissent être comptabilisées dans l’assiette de l’ISF. Si nous le disons, c’est au nom de la justice sociale. Nos compatriotes ne comprendraient pas que les détenteurs d’œuvres d’art puissent échapper à cet effort collectif.

Enfin, je voudrais apporter un argument complémentaire, en l’occurrence une décision du Conseil constitutionnel qui a mis fin à la distinction entre les biens productifs de revenus et les autres biens. Selon le Conseil, en instituant un impôt de solidarité sur la fortune, « le législateur a entendu frapper la capacité contributive que confère la détention d’un ensemble de biens et de droits ; […] la prise en compte de cette capacité contributive n’implique pas que seuls les biens productifs de revenus entrent dans l’assiette de solidarité sur la fortune ».

Vous l’aurez compris, ce que nous souhaitons, c’est que la fiscalité existant à l’heure actuelle sur les œuvres d’art, qui est inacceptable par rapport au reste de la fiscalité, puisse être relevée. C’est la raison pour laquelle, monsieur le président, monsieur le ministre, nous soutenons cet amendement, tel que le président de la commission des finances propose de le sous-amender. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)

M. le président. La parole est à M. Christian Jacob.

M. Christian Jacob. Dans ce débat, il ne faut pas se tromper de sujet. Nous avons un vrai désaccord avec la gauche, qu’il faut assumer.

M. Christian Eckert. Le débat porte quand même sur un amendement de M. Le Fur !

M. Christian Jacob. Nous discutons d’un collectif budgétaire et d’une réforme qui est équilibrée, avec la suppression du bouclier fiscal, le relèvement des plafonds pour l’ISF et la modification des taux, que l’on finance par les donations et par l’exit tax.

Ensuite, je vois bien la logique de la gauche, qui a d’ailleurs été évoquée par le président de la commission des finances. Son seul objectif est de détricoter la réforme. Il ne faut donc pas être dupes.

Nous avons aussi une vraie opposition de fond sur le principe selon lequel l’impôt serait lié à la détention. Autant il est logique, lorsqu’on réalise une vente et que l’on a donc des rentrées financières, de payer l’impôt, autant le fait de détenir un bien n’est pas un élément qui favorise la création de l’impôt. Or sur ce point il existe une vraie opposition de fond entre nous. Je ne veux pas caricaturer en reprenant, comme il était bon de le faire à une certaine époque, des slogans tels que : « La propriété, c’est le vol », mais on n’en est pas loin. La gauche considère qu’à partir du moment où l’on détient un bien, on doit obligatoirement être taxé dessus. Cela, c’est aussi un vrai sujet de désaccord entre nous.

Enfin, et alors que nous sommes dans un pays où il y a une tradition artistique et culturelle on ne peut plus importante, pourquoi serions-nous le seul pays de l’Union européenne à taxer les œuvres d’art ?

M. Philippe Vigier. Et l’ISF, nous ne sommes pas les seuls à l’avoir ?

M. Christian Jacob. Au nom de quoi serions-nous l’exception dans ce domaine ? Ce serait là une vraie hérésie. Plusieurs orateurs l’ont dit tout à l’heure : on organiserait alors la fuite vers Bâle, Genève ou New York, c’est-à-dire vers d’autres places de vente des œuvres d’art. En ce qui nous concerne, nous ne voulons pas dévaloriser la place de Paris. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Ces arguments sont, dans l’ensemble, mal assis. Je suis étonné de la référence proudhonienne de Christian Jacob, qui n’a jamais été notre tasse de thé – je parle bien entendu de Proudhon, pas de Christian Jacob !

C’est tout à fait frappant quand on visite les très belles expositions présentées par exemple à la Pinacothèque ou au musée Jacquemart-André : beaucoup d’œuvres sont prêtées. Elles viennent de collections privées et les collectionneurs n’hésitent pas à indiquer leur nom. Où est le problème si les propriétaires d’œuvres sont connus ?

M. Michel Bouvard. Et les collections étrangères ?

M. Jean-Pierre Brard. Même les collectionneurs étrangers sont très contents d’être connus à Paris !

Tout cela ne tient donc pas la route. Nous ne sommes pas là pour organiser les détails de la mise en œuvre. Pour cela, il y a le Conseil d’État.

En vous écoutant tout à l’heure, monsieur le ministre, je me disais que vous aviez un vrai talent d’improvisateur. Mais, en réalité, vous êtes comme certains musiciens : vous faites des variations sur un thème qui a déjà été écrit. Or ceux d’entre vous qui étaient déjà là en 2000 se rappelleront certainement d’une intervention de Christian Pierret, qui remplaçait Florence Parly, celle-ci attendant un heureux événement. La discussion portait sur le même sujet que ce soir. Christian Pierret avait les mêmes arguments que les vôtres. Il lisait un texte et, en l’entendant, je trouvais cela bizarre car j’avais l’impression de le connaître. À ce moment-là, j’ai regardé dans mes papiers et j’ai retrouvé le texte en question. De qui était-il ? Pas du tout de Christian Pierret, mais de feu Mme Françoise Cachin, par ailleurs femme de talent et récemment disparue. C’étaient les lobbies qui avaient agi et qui s’exprimaient par la voix du ministre, ce qui me permit d’ailleurs de continuer la lecture du texte, qu’il avait interrompue parce qu’il était long. Or aujourd’hui, monsieur le ministre, avec votre talent d’improvisateur, vous avez décliné ce même texte.

M. Richard Mallié. Et si nous votions, monsieur le président ?

M. Jean-Pierre Brard. Comme l’a dit tout à l’heure le président de la commission, tous les gouvernements, qu’ils soient de droite ou de gauche, ont eu la même position, parce qu’en réalité votre position n’est pas la vôtre : c’est celle qui se décide dans les cocktails où des gens, qui appartiennent à ce qu’ils pensent être la bonne société, une coupe de champagne à la main, écrivent l’histoire du pays. Parfois se trouvent ainsi rassemblées la gauche caviar et la droite caviardisée (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), mais ce n’est pas là l’avenir du pays dans le domaine de la culture et de la création. Je pense quant à moi qu’il serait bien que nous adoptions les présents amendements, qui ouvrent quant à eux les portes de l’avenir.

M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur.

M. Marc Le Fur. Je trouve ce débat tout à fait éclairant. D’abord, il explique bien à la représentation nationale et à l’opinion qu’il y a trois dispositifs fiscaux extrêmement singuliers pour les œuvres d’art en matière d’ISF, de plus-values sur les mutations et de prélèvements sociaux. C’est donc à la fois fromage et double ration de dessert !

M. Jean-Pierre Brard. Voilà !

M. Christian Eckert. C’est un peu comme votre conception de l’ISF !

M. Marc Le Fur. Ce sont là des spécificités très singulières.

Permettez-moi maintenant, mes chers collègues, de vous parler, à titre d’exemple, d’un certain M. Durand, qui est à la tête d’un patrimoine important. Il est aujourd’hui soumis au taux maximal d’ISF, c’est-à-dire 1,8. Il possède 2 millions d’euros et décide de mettre 1 million dans une entreprise. Son investissement est pertinent ; cinq ans après, ce million a doublé et il paye 90 000 euros d’ISF, 190 000 euros d’impôt sur la plus-value – à raison de 19 % sur un million –, sans oublier 123 000 euros de prélèvements sociaux. Au total, cela fait 403 000 euros. Il a investi chez nous, cher Pierre Méhaignerie, dans l’agro-alimentaire, créant par la même occasion des emplois.

Il investit son autre million d’euros dans l’art en achetant une toile de maître ou bien un artiste qui monte. Admettons, pour que les termes de la comparaison soient identiques, qu’il revend également cette œuvre 2 millions d’euros. La réalisation économique est donc la même. Sur ces deux millions… (Murmures sur les bancs du groupe UMP.) Laissez-moi finir, pour que l’opinion sache ce qu’il en est exactement. Sur ces 2 millions, il y a 4,5 % d’imposition forfaitaire sur le prix de vente, c’est-à-dire 90 000 euros, et il paie 10 000 euros au titre de la CRDS.

D’un côté, il a donc payé 403 000 euros d’impôts et, de l’autre, environ 100 000 euros. Le différentiel fiscal entre ces deux investissements est de 300 000 euros. Mes chers collègues de la majorité, sommes-nous du côté de l’entreprise, de ceux qui créent de l’activité et de l’emploi, ou bien du côté de ceux qui spéculent ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Cela dit, monsieur le président, je suis un esprit positif. J’ai entendu le ministre, et plus encore le rapporteur général. J’ai compris que l’on s’oriente vers un examen du calcul de la fiscalisation au moment de la mutation. Au vu de ces éléments, je crois que notre débat a progressé. De ce fait, je retire mon amendement et autorise le rapporteur général à retirer celui de la commission. (Exclamations sur les bancs des groupes NC, SRC et GDR.)

(L’amendement n° 410 est retiré.)

M. le président. Monsieur le rapporteur général, l’amendement n° 1233 est-il retiré lui aussi ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Oui, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 1233 est retiré.

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances, et M. Jean-Pierre Brard. Il est repris !

M. le président. L’amendement n° 1233 est donc repris.

La parole est à M. Louis Giscard d’Estaing.

M. Louis Giscard d’Estaing. Je voudrais simplement rappeler quelques éléments déterminants pour ce débat.

Premièrement, il y a une question de principe. On nous explique, dans cette réforme – et cela me semble être la ligne conductrice que nous souhaitons avoir –, que lorsqu’il n’y a pas de revenu il n’y a pas d’imposition annuelle. Je ne comprends pas comment on peut avoir ce raisonnement pour la résidence principale et ne pas l’appliquer aux œuvres d’art qui ne dégagent pas de revenus. Quant à l’argument développé à l’instant par Marc Le Fur, je rappelle que celui qui aurait vendu l’œuvre d’art en question aurait à ce moment reçu un capital sur lequel il paierait ensuite l’ISF. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Deuxièmement, et c’est un élément déterminant sur le plan de la politique culturelle, vous vous souvenez certainement, mes chers collègues, que le général de Gaulle avait, avec son ministre de la culture, André Malraux, et son ministre des finances, développé dans les années soixante un mécanisme fort, celui des dations en œuvres d’art pour le paiement des droits de succession. Ce mécanisme a été ensuite conforté par le président Pompidou avec l’appui de son ministre des finances.

M. Jean-Pierre Brard. Et comment s’appelait-il ? Faites attention, on va vous traiter de fils à papa !

M. Louis Giscard d’Estaing. Ce mécanisme est heureusement renforcé par la présente réforme. En effet, l’augmentation des droits de succession qu’elle propose crée une incitation supplémentaire à l’utiliser.

Or nous connaissons un déficit flagrant par rapport aux grands musées du monde quant à la capacité de fixer dans nos collections publiques des œuvres d’art qui viendraient de collections privées.

M. Jean Mallot. Comme à Chamalières !

M. Louis Giscard d'Estaing. Et vous voulez nous faire croire qu’en payant un impôt annuel, vous allez inciter des résidents fiscaux français à laisser leurs œuvres d’art en France pour que, à la fin du processus, au moment de la succession, ils les donnent en droits de succession ? Non, je crois qu’il faut être raisonnable ; si on veut que le mécanisme de la dation institué par le général de Gaulle soit appliqué, il faut s’opposer à cet amendement. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault. Tout à l’heure en vous écoutant, monsieur Le Fur, j’ai cru que, dans votre envolée, vous alliez convaincre la majorité, et puis, hop, vous vous êtes arrêté juste à temps, comme d’habitude.

M. Jean-Pierre Brard. Eh oui, comme d’habitude !

M. Jean-Marc Ayrault. C’est extraordinaire ! Cela fait plusieurs jours que vous amusez la galerie – parce que vous avez eu le mandat de le faire – pour faire oublier l’essentiel du débat de cette semaine, c'est-à-dire le recul que vous êtes en train d’opérer sur l’impôt sur les grandes fortunes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) C’est cela la réalité, et vous vous y mettez tous.

Monsieur Sauvadet, vous m’avez donné un petit cours de morale en me faisant le reproche de ne pas applaudir la suppression du bouclier fiscal. Mais cela fait plus de quatre ans que nous vous demandons de soutenir notre demande de suppression. Cela veut dire que, depuis plus de quatre ans, vous avez accepté que le bouclier fiscal coûte aux contribuables 3,5 milliards d’euros. C’est cela votre responsabilité !

Nous, nous avons toujours été contre le bouclier fiscal. Mais aujourd’hui, l’essentiel, c’est ce que vous êtes en train de faire, l’essentiel – puisque, comme les autres, monsieur Le Fur, après votre petit cours de morale, vous renoncez – c’est de faire passer la quasi-disparition de l’impôt sur la fortune, c’est de faire passer un cadeau fiscal de 2 milliards d’euros à 1,6 % des contribuables français. Voilà la réalité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Pierre Brard. Bien sûr !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. Je voudrais, très modestement, parler de l’amendement et du sous-amendement, laissant à d’autres manifestement plus capables que moi le soin d’aborder les autres points.

M. Le Fur a parfaitement le droit de retirer son amendement n° 410 mais l’amendement n° 1233 ayant été adopté par la commission des finances, je peux tout à fait, comme président de la commission, le reprendre et personne ne peut être choqué de cette annonce qui est bien, je crois, dans la tradition de notre assemblée.

Sur le fond, je me réjouis au moins autant que Louis Giscard d’Estaing du mécanisme de la dation. C’est un mécanisme intelligent, un mécanisme puissant qui permet de doter des institutions publiques d’œuvres d’art qu’elles n’auraient pas la possibilité d’acquérir, pas plus hier qu’aujourd’hui ni même demain probablement.

Simplement, je ne vois pas en quoi le fait pour des propriétaires d’œuvres d’art de s’engager - sur le principe - à les exposer si la demande leur en est faite, pourrait compromettre le mécanisme de la dation dès lors qu’accepter ce principe les exonère d’acquitter leur cotisation d’ISF au titre de ces œuvres d’art. Sauf si, naturellement, ces propriétaires ne veulent pas que ces œuvres soient exposées, soit parce qu’ils souhaitent en garder le bénéfice pour eux seuls – auquel cas, au nom de quoi ferions-nous un effort ? – soit parce qu’ils les ont acquises – c’est arrivé et cela arrive encore hélas ! – dans des conditions peu régulières et qu’ils ne souhaitent donc pas qu’en soit connue la possession.

M. Jean-Pierre Brard. Eh oui !

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. Il me semble que, au moins sur ce point-là, nous pourrions être d’accord pour qu’une certaine transparence soit de mise.

Quant à Charles de Courson, qui indique qu’il n’y aurait pas de quoi exposer l’ensemble des œuvres d’art du pays, il a évidemment raison. C’est la raison pour laquelle je l’engage à lire le sous-amendement : il constatera qu’y est évoqué un accord de principe, non une obligation. Un simple accord de principe exonèrerait de la cotisation d’ISF les propriétaires de ces œuvres d’art. Cela me semble un bon compromis, qui respecte ce qui a pu se faire jusqu’alors, qui doit lever toutes les craintes que certains ont pu manifester et qui permettrait de purger le débat de l’assiette constituée par les œuvres d’art au titre de l’ISF, un impôt que, mes chers collègues, au moins pour cette législature, vous avez décidé de conserver.

(Les amendements identiques nos 504 à 523 ne sont pas adoptés.)

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur le sous-amendement n° 1543 rectifié.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 242

Nombre de suffrages exprimés 241

Majorité absolue 121

(Le sous-amendement n° 1543 rectifié n’est pas adopté.)

(Les amendements identiques nos 1233 et 1497 rectifié ne sont pas adoptés.)

(L'amendement n° 358 rectifié n'est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, je demande une suspension de séance d’un quart d’heure pour réunir mon groupe.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-deux heures cinquante, est reprise à vingt-trois heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, la transparence de nos débats est très importante pour leur bon déroulement.

Cet après-midi, j’ai dit que Mme Bettencourt, qui payait jusqu’à présent 40 millions d’euros d’impôts, n’en paierait plus que 10. M. le ministre, avec ses mots très particuliers qui font qu’à la fin de son propos vous ne savez plus sur quelle planète vous habitez, a alors contesté mon affirmation sans la contester véritablement.

Monsieur le ministre, dans votre région de Troyes poussent de belles mirabelles et des quetsches, avec lesquelles on fait de la confiture. Je vous ai pris les doigts dans le pot de confiture précisément ! (Sourires.) Que lit-on dans le rapport de notre excellent rapporteur général, aux pages 180 et 228 ? On lit que le cumul des dispositions de suppression du bouclier fiscal et des nouveaux avantages que vous consentez permettra à Mamie Liliane de ne plus payer, l’année prochaine, que 10 millions d’euros au lieu de 40.

Je reviens à ce sujet pour que la vérité éclate , mais aussi parce qu’après le débat que nous venons d’avoir sur les œuvres d’art, d’une certaine manière et sauf votre respect, monsieur le ministre, nous continuons d’effeuiller le Gouvernement. Peu à peu, la vérité apparaît dans toute sa nudité ! Comme souvent, la nudité est choquante parce que vous ne nous aviez pas dit ce qu’il y avait sous les beaux atours que vous aviez présentés.

Article 1er (suite)

M. le président. Je suis saisi d'un amendement n° 70 rectifié.

La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Actuellement, les droits de propriété littéraire et artistique ne sont pas inclus dans l’assiette de l’ISF. Je comprends qu’au titre de l’encouragement à la création, on puisse exonérer les droits d’auteur d’ISF, mais j’ai plus de mal à comprendre que l’on exonère aussi les droits voisins, notamment ceux des producteurs dont l’action relève bien plus de l’investissement économique et financier que de la création artistique.

Dans la logique d’élargissement de l’assiette de l’ISF défendue par Marc Le Fur, je propose de supprimer l’exonération d’ISF pour les droits voisins, ne laissant le bénéfice de l’exonération qu’aux droits découlant directement de la création artistique.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. François Baroin, ministre. M. Tardy propose de supprimer l’exonération applicable en matière d’ISF aux droits des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes. Or les producteurs tiennent un rôle essentiel dans la création, d’une part, en se risquant à un investissement financier très aléatoire et, d’autre part, en favorisant la rencontre entre les artistes et les auteurs interprètes afin de permettre la création d’une œuvre commune. C’est un rôle essentiel, consacré et protégé par le code de la propriété intellectuelle, et qui reconnaît aux producteurs les mêmes droits qu’aux artistes interprètes. Dès lors, il n’apparaît pas légitime d’introduire une discrimination au détriment des producteurs.

En conséquence, le Gouvernement est défavorable à l’amendement.

(L'amendement n° 70 rectifié n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de plusieurs amendements identiques, nos 406 de M. Brard et 524 à 543 de membres du groupe SRC.

La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le ministre, à l’occasion de cette réforme, vous avez pris la décision de diviser par deux le rendement de l’ISF, qui est actuellement de 3,7 milliards d’euros, et de faire un cadeau de près de 2 milliards d’euros supplémentaires aux plus fortunés. Toutes vos acrobaties pour nous faire accroire le contraire n’y changent rien. Cette décision va représenter un coût exorbitant pour nos finances publiques.

Nous aurions pu attendre du Gouvernement qu’il s’attache à compenser ces dépenses fiscales somptuaires, soit en élargissant l’assiette de l’imposition, soit en s’attachant au minimum à supprimer les niches fiscales de l’ISF, parmi lesquelles l’article 885 I bis, qui permet d’exonérer de l’impôt, à concurrence de la moitié de leur valeur, les parts ou actions des sociétés qui font l’objet d’un engagement de conservation. Mais vous avez fait le choix d’ajouter l’injustice à l’injustice et de permettre aux contribuables très aisés de réduire encore davantage leur imposition d’ISF. Ce n’est pas par deux ou trois qu’ils diviseront le montant de leur ISF, mais par quatre ou cinq, par le seul jeu des niches fiscales !

De toute évidence, vous avez fait de la suppression de l’ISF une de vos priorités politiques. En période de crise, un minimum de sens des responsabilités aurait dû vous conduire à en privilégier d’autres. Vous nous dites que la disparition de l’ISF est, au fond, le moyen le plus efficace de lutter contre l’expatriation fiscale, justifiant ainsi une fuite en avant désastreuse vers le moins-disant fiscal, qui favorise les comportements mercenaires au détriment des salariés, chômeurs et retraités sur lesquels s’exercent les transferts de charges.

Pour nous, la priorité n’est pas à la concurrence fiscale destructrice d’emplois et de richesses, mais à la lutte contre l’évasion fiscale et contre les paradis fiscaux, à propos desquels vous avez dit, monsieur le ministre, que le Gouvernement de 1997 à 2002 n’avait rien fait. Rappelez-vous que, dans son discours de septembre 2008, Sa Majesté avait fait des promesses. Quand nous avons été reçus, sénateurs et députés, nous avons fait des propositions : aucune n’a été retenue, bien que le Président de la République nous ait dit, la bouche en cœur, qu’elles étaient très intéressantes.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Muet, pour soutenir le premier amendement de la série n°s 524 à 543.

M. Pierre-Alain Muet. En France, notre fiscalité, tant en matière d’impôt sur le revenu que d’impôt sur les sociétés et d’ISF, a la caractéristique d’être mitée par près de 480 niches fiscales. L’ISF en comporte de très nombreuses qui consistent à assimiler à l’outil de travail des actifs qui n’en relèvent pas. C’est le cas de la des actions de sociétés dans lesquelles on a exercé des fonctions. C’est aussi le cas de la niche visée par cet amendement, qui permet d’être exonéré de l’ISF à hauteur de 50 % de la valeur des parts d’actions de sociétés à condition que ces titres soient détenus pendant plusieurs années. On sait très bien que cela permet à des personnes qui sont de véritables rentiers – ou rentières : on pourrait en citer de bien connues –, détenant des parts d’actions considérables, de s’exonérer de la moitié de cette détention au titre d’un soi-disant outil de travail alors qu’elles n’exercent aucune fonction dans l’entreprise.

Cet ISF mité ne joue pas son rôle. Quand vous vous permettez d’en abaisser les taux sans vous inquiéter de mettre en contrepartie un élargissement de la base imposable, vous faites une réforme complètement inefficace.

Tous les amendements que nous allons proposer tendent à supprimer ces niches d’assiette. En l’espèce, la niche visée représente une perte pour les finances publiques de 132 millions d’euros.

M. le président. La parole est à M. Christian Eckert, pour défendre son amendement.

M. Christian Eckert. 132 millions d’euros, c’est à peu près la somme que vous avez été chercher en fiscalisant les indemnités journalières des accidentés du travail. Mais il s’agit ici de parts ou d’actions de sociétés qui font l’objet d’un engagement de conservation mais ne constituent en aucun cas un outil de travail. Ce projet de loi n’est nullement pour nous l’occasion de réactiver le débat sur l’outil de travail, et nous sommes globalement d’accord pour le sortir de l’ISF. Mais je répète qu’en l’occurrence il ne s’agit pas de l’outil de travail mais de parts qui font l’objet d’un engagement collectif de conservation pour un certain laps de temps.

Pour nous, l’ISF, comme d’ailleurs les autres impôts, c’est une assiette large, débarrassée des niches fiscales qui prolifèrent. C’est dans cette perspective que nous proposons d’abroger l’article 885 I bis.

On pourrait en effet citer plusieurs exemples de personnes détenant des actions sans avoir travaillé dans l’entreprise et qui bénéficient de cet abattement de l’ISF. Vous avez réduit le taux de cet impôt. Puisque vous l’estimez désormais supportable, il n’y a aucune raison d’exonérer la détention de ces parts ou actions, même si elles font l’objet d’un engagement de conservation.

M. le président. La parole est à M. François Brottes, pour défendre son amendement.

M. François Brottes. Il est défendu !

M. le président. La parole est à M. Claude Bartolone, pour défendre son amendement.

M. Claude Bartolone. Défendu !

M. le président. La parole est à Mme Aurélie Filippetti, pour défendre son amendement.

Mme Aurélie Filippetti. Monsieur le président, comme vous ne m’avez pas donné la parole sur les œuvres d’art, je la prendrai ici.

M. le président. Vous ne l’aviez pas demandée !

Mme Aurélie Filippetti. Si, mais vous ne me l’avez pas donnée !

M. le président. Je l’ai pourtant donnée à beaucoup de monde…

Mme Aurélie Filippetti. Je voudrais rappeler le contexte dans lequel s’inscrit ce débat. La majorité vient, une fois de plus, de pérenniser une énorme niche fiscale sur les œuvres d’art, qui bénéficiera à quelques milliers de contribuables extrêmement fortunés. On a évoqué ici les détenteurs d’œuvres d’art, mais à aucun moment n’ont été mentionnés les créateurs, qui sont les premières victimes de la spéculation, étouffés qu’ils sont par une masse d’argent qui vient gonfler artificiellement le marché de l’art, en particulier dans notre pays. C’est inacceptable du point de vue de la création, mais également compte tenu du contexte social. Aujourd’hui, en effet, les sujets de préoccupation dans nos circonscriptions ne sont pas l’impôt sur la fortune mais ce qui se passe dans les écoles, dans les collèges et à l’éducation nationale. Ce sont les fermetures de classes, la suppression d’options comme les options européennes.

M. Éric Straumann. Quel rapport avec les œuvres d’art ?

Mme Aurélie Filippetti. On nous annonce des amendements censés soutenir la politique familiale, notamment l’un d’entre eux qui vise à attribuer 150 euros supplémentaires par enfant aux contribuables assujettis à l’impôt sur la fortune, mais à aucun moment on ne nous parle de l’éducation que l’on entend donner à ces enfants, pour qu’ils aient les moyens de réussir leur vie et d’obtenir une promotion sociale.

M. le président. Il faut conclure, madame Filippetti !

Mme Aurélie Filippetti. Nous n’avons pas les moyens, dans le contexte budgétaire qui est le nôtre, de conserver cette niche fiscale sur les actions faisant l’objet d’un engagement de conservation, dont le coût s’élève à 132 millions d’euros, à moins que tous vos propos sur la situation de disette budgétaire de la France soient nuls et non avenus. La véritable priorité, aujourd’hui, pour les Français, c’est l’éducation nationale et l’éducation de leurs enfants.

M. le président. La parole est à M. David Habib, pour défendre son amendement.

M. David Habib. Christian Eckert a rappelé qu’il ne s’agissait pas d’ouvrir le débat sur la fiscalité touchant l’outil de travail mais d’intégrer dans l’assiette de l’ISF des actions qui, au motif d’un engagement de conservation, pourraient échapper à la taxation. Les en exonérer est abusif, car cela ne protège en rien l’entreprise, ni même celui qui crée la richesse, mais celui qui dispose d’actifs échappant ainsi à la solidarité nationale, ce qui est totalement inacceptable !

Vous semblez indifférents à l’évocation des difficultés que rencontre le pays et aux coupes sombres dont sont victimes nombre de budgets publics, que ce soit en matière d’éducation, de sécurité, de recherche ou dans d’autres domaines encore où l’État se désengage.

Chacun voit bien quel usage pourrait être fait de ces 132 millions dans le budget de la nation, et il y a quelque chose d’insupportable à penser que seuls quelques-uns, parce qu’ils ont pu saisir cette astuce fiscale, pourraient optimiser leur situation, avec la bénédiction de l’Assemblée nationale ! C’est ce qui me conduit à demander la réintégration de ces actions dans l’assiette de l’ISF.

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire, pour défendre son amendement.

M. Jean-Louis Gagnaire. Ce dispositif d’optimisation fiscale permet à des détenteurs d’actions d’échapper, à titre personnel et privé, à l’imposition. Il ne s’inscrit donc nullement dans la perspective du développement des entreprises.

Nous ne nous laisserons pas prendre à cette argutie du développement des entreprises, notamment des plus petites, qui sont aussi parfois les plus performantes. Nous ne vous suivrons pas sur le thème des entreprises en situation délicate qui risquent de passer dans des mains étrangères, du fait d’une trop forte imposition du patrimoine. Vous savez très bien que la transmission des entreprises est liée à la question du financement et du développement de leur capital. L’impôt n’y change rien ; le problème est que les vendeurs ne trouvent guère de repreneurs parce que nous ne parvenons pas à mobiliser notre système bancaire pour qu’il soutienne des investisseurs capables d’entrer au capital.

Nous veillons très attentivement à ce que les entreprises ne soient pas déstabilisées lors des phase de succession, mais vous faites ici un cadeau à des détenteurs d’actions qui n’ont strictement rien à voir avec le développement des entreprises.

M. le président. Il faut conclure, monsieur Gagnaire.

M. Jean-Louis Gagnaire. Nous ne pouvons pas nous passer aujourd’hui de 132 millions d’euros. Vous répétez à l’envi qu’il faut économiser sur tout, et notamment sur les postes de fonctionnaires, d’enseignants et d’infirmières. Nous vous proposons ici de réintégrer 132 millions d’euros dans le budget et vous seriez donc très avisés d’accepter notre amendement et de le voter des deux mains.

M. le président. La parole est à Mme Pascale Crozon, pour défendre son amendement.

Mme Pascale Crozon. Je voudrais souligner que ce disposif privilégie les rentiers et surtout les rentières – vous voyez de qui je veux parler –…

M. Dominique Dord. D’Anne Sinclair !

Mme Pascale Crozon. …celles et ceux qui détiennent des parts de sociétés qui ne constituent pas un outil de travail mais permettent à leurs détenteurs de s’exonérer en partie de l’ISF. Même assorti d’une condition de conservation, ce dispositif n’a aucune justification. La mesure de justice serait de demander un effort mesuré aux contribuables les plus aisés, au lieu de quoi vous faites financer la réduction de l’ISF par l’ensemble des Français, en creusant l’endettement public. C’est pourquoi il est impératif de supprimer l’article 885 I bis.

M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, pour défendre son amendement.

M. Victorin Lurel. Il est défendu.

M. le président. Le vôtre l’est-il également, monsieur Mallot ?

M. Jean Mallot. C’était bien tenté, monsieur le président, mais j’ai quelques mots à ajouter, sur un ton beaucoup moins virulent que celui qu’aurait employé mon collègue Guy Delcourt, tant il est scandalisé par l’article 1er, qui vise à réduire de manière éhontée l’impôt de solidarité sur la fortune.

Le produit de l’ISF en 2012 aurait dû s’élever à 4,140 milliards d’euros ; il sera seulement de 2,283 milliards, soit un manque à gagner de 1,857 milliard. Et quand Guy Delcourt retournera dans sa circonscription dans quelques heures,…

M. Michel Piron. Si on a fini !

M. Jean Mallot. …ses concitoyens ne manqueront pas de lui faire remarquer le caractère absolument scandaleux de ce projet de loi que vous défendez en souriant, ce qui est tout aussi scandaleux ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Pour conclure, monsieur le président, puisque vous allez m’y inviter sous les quolibets de la droite qui assume son forfait, l’amendement que nous présentons constituerait, pour le budget de l’État, une économie de 132 millions d’euros, soit approximativement le quart du déficit des hôpitaux publics en France. Ce n’est pas une petite somme ! Tous ceux qui dans ce pays ont du mal à se soigner vous regardent et vous écoutent. Évitez donc les arguments comme ceux dont Louis Giscard d’Estaing a usé tout à l’heure à mon endroit.

M. le président. La parole est à M. Apeleto Albert Likuvalu, pour défendre son amendement.

M. Apeleto Albert Likuvalu. Il est défendu.

M. le président. La parole est à M. Jacques Valax, pour défendre son amendement.

M. Jacques Valax. Je vais vous lire un petit texte qui remonte à 1890. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) J’entends, par cette lecture, vous rappeler les principes d’équité, de justice et de partage que vous semblez avoir oubliés. Pour que l’impôt soit juste, il faut qu’il soit redistributif et progressif.

Ce texte est contemporain des débats sur l’instauration de l’impôt sur le revenu : « Tous ceux qui aujourd’hui ne paient pas leurs parts d’impôt, les gros rentiers, les gros fonctionnaires – car il y avait à l’époque de gros fonctionnaires –, les médecins, les avocats à large clientèle, les gros industriels, seraient taxés selon leurs ressources, et l’on pourrait dégrever d’autant les cultivateurs, les petits commerçants, les ouvriers. Aujourd’hui, les financiers, tous ceux qui vivent du maniement des grands capitaux, ne paient presque rien. Ils ont des résidences multiples (« À New York ! » sur les bancs du groupe UMP), des châteaux, des parcs, des villas, des écuries de marque, des collections d’art (« À New York ! »), qui ne sont guère qu’une vanité de plus. Le secret de leurs affaires est subtil mais, s’ils cachent leurs moyens de fortune, ils étalent leur fortune, et c’est à la surface de leur vanité qu’il faut en prendre la mesure. C’est là ce que ferait l’impôt sur le revenu tel que nous le proposons. Et de combien de millions nous pourrions alors diminuer la charge de pauvres gens ! » Et c’est signé Jean Jaurès !

M. le président. Il faut conclure, monsieur Valax.

M. Jacques Valax. Je conclus : pour la mémoire de Jean Jaurès, pour ce qu’il a apporté dans cette assemblée, je vous demanderai de revenir à ces sains principes de justice, d’égalité et d’équité.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Dumont, pour défendre son amendement.

Mme Laurence Dumont. Il est défendu.

M. le président. Quel est l'avis de la commission sur ces amendements identiques ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général. La commission a rejeté ces amendements qui visent à supprimer un abattement de 75 % sur l’assiette de l’ISF dès lors que l’ensemble des actionnaires d’une entreprise, en général familiale, y compris les minoritaires, acceptent de conserver leurs actions pendant au moins six ans.

Ce dispositif fait suite à celui mis en place en 2000, le dispositif « Migaud-Gattaz », qui visait à favoriser les transmissions d’entreprises dans le cadre de successions. Peut-être certains se souviennent-ils de la malheureuse affaire UPSA où, à la suite d’un décès brutal et en raison de droits de succession extrêmement élevés, l’entreprise avait été vendue à un groupe américain.

Le gouvernement Jospin a réalisé qu’il fallait trouver une solution pour que des PME françaises ne passent plus sous la coupe de l’étranger. Nous avons, en 2003, adopté le même dispositif d’engagement de conservation au titre de l’ISF car il se passait exactement la même chose. Au bout d’une ou deux générations, les actionnaires de la PME familiale devenant plusieurs dizaines, seuls un ou deux d’entre eux exerçaient des fonctions de direction dans l’entreprise, les autres ne participant pas à la gestion mais détenant 1 ou 2 % du capital. Si l’entreprise voulait se développer, elle devait réinvestir chaque année l’essentiel de ses bénéfices, ce qui impliquait qu’elle ne distribue pas ou peu de dividendes. Dès lors, les actionnaires minoritaires assujettis à l’ISF étaient amenés à payer plus d’impôts qu’ils ne recevaient de dividendes. Inévitablement, au bout d’un certain temps, des dissensions survenaient et l’entreprise était vendue. Nous avons vu des dizaines et des dizaines de PME familiales quitter la France à cause de l’ISF.

Phénomène encore plus pervers : l’entreprise étant obligée de verser des dividendes aux actionnaires minoritaires familiaux pour qu’ils puissent payer leur ISF, elle était dans l’incapacité de réinvestir et de se développer. Je suis persuadé que cette fiscalité aberrante tant du point de vue des droits de succession que de l’ISF, a empêché pendant une bonne vingtaine d’années nos PME de se développer comme cela s’est passé en Allemagne. Nous en avons pris conscience aujourd’hui et cette question ne devrait pas être un sujet idéologique puisque c’est la majorité socialiste qui, en 2000, a amorcé le mouvement sur les droits de succession.

Nous avons mis en place un dispositif au titre de l’ISF qui est parfaitement équilibré – les pactes Dutreil – et l’intérêt général commande de le conserver. Si nous le mettions à bas comme le proposent nos collègues socialistes, des dizaines de PME un peu partout dans nos provinces et des milliers d’emplois seraient à nouveau en danger.

J’espère que nous sortirons ensemble de l’idéologie et que nous adopterons une approche pragmatique. La fiscalité, mes chers collègues, doit favoriser le développement des entreprises et de l’emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. François Baroin, ministre. Les arguments du rapporteur général sont ceux que le Gouvernement comptait développer devant la représentation nationale pour expliquer son avis défavorable aux amendements qui visent à supprimer le dispositif Dutreil.

Que M. Brard adopte une telle position, après tout, c’est son combat politique et c’est respectable. Ce n’est pas notre opinion, naturellement, mais nous ne nous y arrêterons pas. Que M. Muet, en revanche, avance sur ce terrain, soutenu par plus de cent de ses collègues, cela m’amène à ressortir des archives qui mettront à jour les contradictions entre le PS d’aujourd’hui et celui d’hier – et pourtant les visages ont si peu changé. Je vous lirai donc un extrait du rapport d’information 1989-1990 de la commission des finances, de l’économie générale et du plan sur la fiscalité du patrimoine, présenté par François Hollande.

M. Christian Eckert. C’était il y a tout juste vingt-deux ans…

M. François Baroin, ministre. Il a peut-être vingt-deux ans de plus à présent, mais après tout, il s’est exprimé il y a quelques heures. Que proposait-il à l’époque ? Que les titres transmis soient exonérés d’ISF pendant cinq ans à la double condition que le bénéficiaire conserve les titres transmis et ses fonctions dirigeantes pendant la même durée, que le propriétaire initial, défunt ou donateur, ait été lui-même exonéré d’ISF à raison des titres transmis pendant une période minimale de cinq ans avant l’ouverture de la succession ou de la donation. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Il vous suffira de rappeler à François Hollande, puisque vous devez avoir plus de contacts avec lui que le Gouvernement, ce qu’il disait en 1989-1990. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Alain Gest. On va le dire à Martine !

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Ils ont la mémoire courte. Ce rapport que je me suis permis de passer à M. le ministre, j’en ai parlé tout à l’heure à M. Hollande, en lui disant que ses amis étaient devenus fous puisque le Gouvernement ne fait rien de plus que reprendre ce qu’il proposait lui-même en 1990 ! Il est vrai qu’il avait été accusé d’être un « social-traître », comme on disait encore à l’époque.

Mes chers collègues, faites preuve d’un peu de cohérence intellectuelle car les entreprises ont besoin de stabilité fiscale. Cessez donc de vouloir, quand vous êtes dans l’opposition, l’inverse de ce que vous proposez lorsque vous êtes au pouvoir. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Muet.

M. Pierre-Alain Muet. C’est vrai, les entreprises ont besoin de stabilité fiscale : évitez par conséquent de multiplier les dispositifs dérogatoires, souvent incompréhensibles pour la plupart des entrepreneurs, simplifiez les impôts, asseyez-les sur une base large, avec des taux compréhensibles.

M. Alain Gest. C’est laborieux.

M. Pierre-Alain Muet. Plus vous compliquez la fiscalité, plus vous introduisez d’incertitudes dans l’économie. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Depuis 2002, vous n’avez pas cessé d’accumuler des dispositifs d’exonération dans tous les sens. On va encore en voir un dans l’amendement suivant : le pacte Dutreil, qui date d’après 2002. Moi, j’observe la situation économique avant et après. Contrairement à ce que prétend le rapporteur général, ce n’est pas pour l’essentiel la fiscalité qui joue sur les performances économiques. Pour ce qui est de l’Allemagne, si elle a su développer ses PME, c’est tout simplement parce que les Länder allemands ont mis en place depuis longtemps ce qu’on appelle les clusters, les pôles de compétitivité, bref des politiques industrielles où les grandes entreprises travaillent avec les petites. C’est cela, la réalité. La Cour des comptes nous a expliqué que la fiscalité n’y était pour rien.

M. Yves Censi. C’est l’interprétation personnelle de son rapporteur !

M. Pierre-Alain Muet. En tout cas, malgré tous les dispositifs que vous avez instaurés – et il y en a eu depuis 2002, des exonérations de plus-values immobilières et mobilières au bouclier fiscal que vous allez maintenant supprimer, en passant par la loi TEPA dont vous avez aussi supprimé bien des dispositions quatre ans après, sauf une, la plus absurde, la subvention aux heures supplémentaires – vous n’avez créé aucune des conditions de la croissance. En voici un exemple : la croissance économique depuis 2002 en France a été de moins de 2 % quand l’Europe atteignait les 2,4 %. J’exclus la crise, je m’arrête à 2008…

M. Alain Gest. Ah, tout de même ! Vous vous en souvenez !

M. Pierre-Alain Muet. En revanche, entre 1997 et 2002, la France faisait 3,2 quand l’Europe faisait 2,6. Ce qui compte pour la croissance, ce ne sont pas vos manipulations fiscales, ce n’est pas l’accumulation des niches fiscales – plus d’une quinzaine par an depuis que vous êtes au pouvoir –, c’est de s’appuyer sur une fiscalité stable et de mener une politique macro-économique, ce qui vous a complètement manqué depuis 2002 et plus encore depuis 2007.

M. le président. La parole est à M. Christian Eckert.

M. Christian Eckert. Depuis le début de cet après-midi, je me pose la même question : pourquoi aller chercher des références qui datent de plus de vingt ans ?

Plusieurs députés UMP. Et Jaurès alors ?

M. Christian Eckert. Vous-même, monsieur le ministre, m’avez répondu cet après-midi que je défendais des positions dépassées et qu’il était temps que j’ouvre les yeux. Comment pouvez-vous, dans ce cas, défendre en 2011 des mesures qu’un de nos collègues a préconisées en 1990 ? Ce n’est pas un argument.

Pierre-Alain Muet l’a dit très justement : au moment de la loi TEPA, vous avez pris des mesures que même la crise ne vous a pas conduits à revoir alors même que vous auriez eu des raisons de le faire. Vous ne cessez d’appeler au changement et à la lucidité : sachez que nous ouvrons les yeux et vous ne pouvez pas aujourd’hui nous reprocher de contester des mesures sous le prétexte qu’elles auraient été préconisées par un de nos collègues il y a plus de vingt ans, dans un contexte différent !

Il faut envisager la fiscalité dans son contexte et adopter une démarche globale. Vous ne vous intéressez aujourd’hui qu’à l’impôt de solidarité sur la fortune, en nous expliquant que si une mesure a été prise pour les droits de succession, elle vaudra tout autant pour l’ISF. Vous laissez de côté l’impôt sur le revenu. Faute de traiter de manière globale l’injustice fiscale dans ce pays, votre argumentation ne tient pas.

M. Yves Censi. Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent, n’est-ce pas ?

(Les amendements identiques nos406 et 524 à 543 ne sont pas adoptés.)

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, mercredi 8 juin à quinze heures :

Questions au Gouvernement ;

Création d'une commission d'enquête sur les emprunts contractés par les collectivités territoriales ;

Création d'une commission d'enquête sur les modalités de financement des acteurs du dialogue social ;

Suite du projet de loi de finances rectificative pour 2011.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures quarante-cinq.)