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Mercredi 19 juin 2013

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 73

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Examen, ouvert à la presse, du rapport de la mission d’information sur la biomasse (Mme Sophie Rohfritsch et M. François-Michel Lambert, rapporteurs)

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a examiné le rapport de la mission d’information sur la biomasse (Mme Sophie Rohfritsch et M. François-Michel Lambert, rapporteurs).

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vous informe d’ores et déjà de deux auditions importantes qui auront lieu prochainement : nous auditionnerons, mercredi 10 juillet à 16 heures, conjointement avec la commission des finances, M. Jacques Rapoport, président de Réseau ferré de France (RFF), sur les aspects financiers de la réforme ferroviaire ; mercredi 17 juillet à 16 heures 30, M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agro-alimentaire et de la forêt, principalement sur l’agro-écologie mais également sur le plan abeilles ou le plan d’action national loups. Notre dernière réunion aura lieu le 24 juillet avec l’audition de M. Pierre Cardo, président de l’ARAF (Autorité de régulation des activités ferroviaires), toujours dans le cadre de la réforme ferroviaire.

Depuis le début de la législature, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a créé quatre missions d’information, sur le suivi de l’application de la loi Grand Paris, sur la biomasse, sur la gestion des déchets radioactifs – les rapporteurs Julien Aubert et Christophe Bouillon nous présenteront bientôt leurs conclusions – et, plus récemment, sur les éco-organismes et les filières REP. Pour la mission sur la biomasse au service du développement durable, décidée par le bureau le 18 juillet 2012, la commission avait nommé deux co-rapporteurs : M. François-Michel Lambert, pour le groupe écologiste, et Mme Sophie Rohfritsch, pour le groupe UMP ont commencé leurs travaux en septembre dernier et présentent aujourd’hui leurs conclusions ; ils ont effectué plus de 70 auditions et plusieurs déplacements sur site.

La présentation hier, par notre collègue Jean-Yves Caullet, président de l’Office national des forêts (ONF), des conclusions de sa mission sur la filière bois me paraît tout à fait complémentaire de notre débat d’aujourd’hui.

Mme Sophie Rohfritsch, corapporteure de la mission d’information. François-Michel Lambert et moi avons travaillé pendant de longs mois pour auditionner à peu près toutes les parties prenantes du secteur de la biomasse énergie, de façon à appréhender ses problématiques avec la meilleure information possible. Il s’agit de faire en sorte que la France respecte les engagements européens du paquet énergie-climat : efficacité énergétique, limitation des rejets de CO2, et surtout une contribution des énergies renouvelables au bouquet énergétique à hauteur de 23 %.

Un certain nombre de rapports d’information ont été présentés devant cette commission, depuis 2009, sur les énergies renouvelables. Je pense notamment aux missions sur le photovoltaïque de 2009 et sur l’éolien de 2010. C’est dans la même logique que François-Michel Lambert et moi nous sommes intéressés à la biomasse, déjà évoquée hier soir par notre collègue Jean-Yves Caullet à l’occasion de son rapport sur la filière bois.

Nous avons observé comment les ressources de biomasse pouvaient être amenées à contribuer à la production d’électricité, de chaleur et de carburants – même si ce dernier point, les biocarburants comme on les appelle toujours, me semble un peu distinct des autres. Le législateur a défini la biomasse, en 2005, comme « la fraction biodégradable des produits, déchets et résidus provenant de l’agriculture, y compris les substances végétales et animales, de la sylviculture et des industries connexes ainsi que la fraction biodégradable des déchets industriels et ménagers ». Sa transformation en énergie emprunte des voies technologiques variées comme la méthanisation, la pyrolyse ou encore la combustion, qui est la méthode la plus ancienne et que nous connaissons le mieux.

J’aborde immédiatement ce qui me semble un des plus grands paradoxes de cette mission d’information : la biomasse produit à elle seule les deux tiers de l’énergie renouvelable française alors que 85 % des investissements sont dirigés vers l’éolien et le photovoltaïque. La filière est également méconnue du grand public, qui ne l’imaginera guère au-delà des bûches brûlées dans les cheminées et les poêles domestiques. On ignore souvent les perspectives de développement du biogaz, y compris d’ailleurs dans le domaine des transports. Il faudra déployer une grande pédagogie au cours du débat sur la transition énergétique pour populariser la biomasse comme une solution crédible.

Le bois-énergie a été très bien détaillé hier par Jean-Yves Caullet, qui a évoqué les freins au développement que sont le morcellement forestier et les difficultés d’acheminement vers les lieux de transformation qui dégradent le bilan carbone en fonction de la distance à parcourir. De fait, nous recommandons de soutenir fortement les unités locales de taille raisonnable. L’usage du bois d’œuvre doit être privilégié dans une approche en cascade, en partant des industries à forte valeur ajoutée, comme en Alsace, où la région encourage la construction de maisons à ossature de bois, autant pour l’aspect durable des bâtiments que pour la structuration de la filière de sciage. Nous devons conserver notre matière première sur le territoire et non l’exporter.

Concernant le biogaz, il procède de la valorisation des ordures ménagères, de la digestion des boues des stations d’épuration, des effluents agricoles et industriels – même si les entreprises de papeterie connaissent actuellement une crise importante qui peut les conduire à se reconvertir vers de nouvelles opportunités comme la fabrication de biocarburants à partir de la lignine du bois, ce qui est le sens du projet BTL d’UPM à Strasbourg. Les agriculteurs attendent beaucoup de la méthanisation à la ferme à la suite des réussites annoncées du modèle allemand. Nous avons été attentifs à ces expériences et à leurs conséquences en termes de conflit d’usages ; or nous doutons que l’agriculture puisse se résumer à faire pousser des plantes pour les brûler dès leur récolte effectuée.

L’état des lieux du secteur de la biomasse-énergie en France, aujourd’hui, est encourageant. Le bois compte pour 46 % des énergies renouvelables françaises. Le biogaz a des perspectives intéressantes de développement ; nous avons même imaginé comparer son potentiel aux hypothèses qui circulent dans les médias à propos des réserves françaises de gaz de schiste. Gageons que les 11 % qu’il représente parmi les énergies nouvelles ne sont qu’une première marche. Quant aux biocarburants, l’éthanol et le biodiesel pourraient atteindre 10 % de l’énergie consacrée au secteur des transports, mais les insatisfactions que suscitent ces filières de première génération laisse penser que ce seuil ne sera atteint qu’avec les prochaines ruptures technologiques attendues à l’horizon 2017 ou 2020 pour la seconde génération, aux alentours de 2030 pour la troisième génération et les cultures d’algues dont on entend déjà parler.

La crise touche aussi la filière biomasse. Les investissements nécessaires à la bonne exploitation des ressources font encore défaut, notamment dans le secteur du bois. Exporter des bois d’œuvre pour réimporter les déchets de bois n’est pas satisfaisant. Une production locale nous semble la meilleure des réponses, d’autant qu’elle suppose un bilan carbone tout à fait positif. C’est aussi vrai pour les territoires ultramarins auxquels nous consacrons un développement au sein du rapport.

L’état des lieux est encourageant ; les perspectives le sont aussi. Ils supposent notamment une collecte de la production annuelle de la forêt pour remplir nos objectifs, mais aussi un engagement dans le biogaz et, dans un futur proche, dans les biocarburants. L’État devra se consacrer à une fonction stratégique plus que directive, pour accompagner les projets sur les territoires. C’est bien localement que la biomasse, au plus près des besoins industriels et résidentiels, au plus près des réseaux de chaleur et de gaz, sera le mieux employée.

M. François-Michel Lambert, corapporteur de la mission d’information. Je veux remercier la commission de nous avoir confié cette mission sur un sujet que les médias, comme les politiques d’ailleurs, laissent trop souvent dans l’ombre alors qu’il est essentiel à la réussite de la transition écologique. Sophie Rohfritsch et moi avons travaillé pour lever le voile, dans une excellente relation dont je la remercie.

La biomasse est un réservoir essentiel de la biodiversité. Elle se décline en six fonctions que sont les « six F » : les fourneaux pour l’alimentation humaine, les fourrages pour l’alimentation animale, les fumures pour la fertilisation des sols, la forêt pour la biodiversité, les fibres pour les industries, et le fioul pour la production d’énergie. Ces six enjeux, tous fondamentaux, doivent être ménagés. La biomasse est aussi un puits de carbone, la seule à dégrader le carbone qu’elle libère.

Nous sommes attachés à la hiérarchie des usages du bois en fonction de la valeur ajoutée. Je ne m’y attarderai pas puisque le sujet a largement été abordé lors de l’audition hier de M. Jean-Yves Caullet, sinon pour préciser qu’à la fin du processus, les cendres issues de la combustion doivent revenir nourrir les sols dans une logique d’économie circulaire.

Je précise que le rapport analyse le secteur des biocarburants, et que cette terminologie a été retenue et reste inscrite dans la loi que nous ne sommes pas encore parvenus à faire évoluer.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Sur ce sujet, vous êtes sous influence ! (Rires)

M. François-Michel Lambert. Mon opinion personnelle est que les biocarburants de première génération doivent être désignés comme des agrocarburants, et c’est le terme que j’emploierai devant vous. Des études sont en cours à propos de la réalité de leur empreinte carbone et sur la problématique de la captation des terres arables. L’objectif de l’agriculture doit être de nourrir les hommes plutôt que d’alimenter les véhicules en énergie.

Je souhaite aborder plus précisément la méthanisation et les promesses portées par le biogaz. Un des scénarii de la transition énergétique est construit sur la prévalence du biogaz dans le bouquet énergétique de l’avenir. GRTgaz et quatre autres transporteurs européens de gaz ont indiqué qu’ils visent 100 % de gaz neutre de point de vue du carbone dans leur réseau en 2050. La méthanisation, dont on parle si peu, est un enjeu fondamental de demain. Notre pays, très divers, regorge de ressources en déchets de toutes sortes et, éventuellement, d’algues. Nous avons abordé la mission d’information en pensant surtout bois et biocarburants ; nous la concluons avec cette conscience forte du rôle de la méthanisation.

Le Fonds Chaleur, mis en place par le précédent Gouvernement et confirmé par l’actuelle majorité, a permis de produire de l’énergie à des niveaux de prix très modérés, de l’ordre de quarante euros la tonne équivalent pétrole (Tep). Le développement de la filière n’autorise pas, pour le moment, de se passer de soutien public : nous plaidons donc pour le maintien et pour le renforcement du Fonds Chaleur.

Les autres mesures d’encouragement, comme le tarif d’achat attaché au biogaz, nous semblent pertinentes. Le crédit d’impôt sur les investissements en matière de développement durable est très important pour accélérer le renouvellement des équipements individuels de chauffage au bois par les particuliers. Un foyer ouvert présente un rendement de l’ordre de 10 % quand les matériels modernes labellisés Flamme verte dépassent les 70 %. C’est le véritable défi de ce segment de marché très particulier, dans lequel le flux de bois bûche a vocation à demeurer constant.

Les quatre appels à projet de type CRE semblent se solder par un échec. Orientés vers la production d’électricité et vers des dimensionnements très importants, ils ont soulevé des difficultés d’approvisionnement qui ont eu pour conséquence un taux de chute important. De plus, la rentabilité énergétique de la conversion de biomasse plaide pour un usage de chauffage (80 %) plutôt que pour une production électrique (30 % approximativement). En effet, même si elle est abondante, nous appelons à considérer la biomasse comme une ressource rare devant faire l’objet d’une allocation optimale. Le programme des communes forestières de France, « Mille chaufferies en milieu rural », a provoqué la création de plus de 500 installations apportant d’excellentes solutions, territorialisées et performantes. Nous avons découvert à Embrun, dans les Hautes-Alpes, une approche collaborative des parties prenantes orchestrée par la commune, qui va d’ailleurs évoluer en société coopérative d’intérêt collectif pour renforcer l’implication de chacun : ce projet local, adapté à la ressource locale, mobilise avec succès toute la chaîne locale.

La réglementation publique doit limiter les effets négatifs de l’usage énergétique de biomasse, dont il ne s’agit pas de nier l’existence. Je pense notamment à la pollution de l’air par des microparticules générées, entre autres, par les chauffages au bois de mauvaise qualité.

Nous appelons l’État à se faire stratège pour le développement de la filière. L’Allemagne a choisi de mobiliser des millions d’hectares pour la seule production de cultures énergétiques destinées aux méthaniseurs, au détriment des cultures alimentaires. Ses agriculteurs allemands ne sont plus des agriculteurs complétant leurs revenus par la méthanisation ; certains sont devenus des industriels dont la fonction unique est l’alimentation du méthaniseur. Vous aurez compris que la stratégie allemande ne nous enthousiasme pas, mais qu’elle est clairement tracée.

FranceAgriMer a conçu un observatoire recensant les ressources biomasse de tous types. Il permet de différencier les territoires et de sélectionner l’installation la plus adaptée à l’environnement local : entre une forêt et un ensemble urbain, les réponses pertinentes seront différentes. Faisons en sorte que chaque territoire trouve sa voie ; ne cédons pas à la facilité d’infrastructures conçues ailleurs et calquées partout, sans intelligence des lieux. Enfin, une fiscalité moins évolutive aiderait sans doute les investisseurs à constituer leurs dossiers avec une plus grande sérénité.

Le biométhane est la grande promesse de demain, je l’ai déjà expliqué. Il pourrait être notre énergie principale en 2050, et nous devons nous préparer dès aujourd’hui à cette éventualité. Quant aux biocarburants de deuxième génération – car le sort de la première nous semble scellé, chacun l’aura compris –, la France poursuit des recherches très ambitieuses qui pourraient révolutionner le secteur des transports à moyen terme, vers 2020, dans le respect du développement durable. Ceci étant, je rappelle que la même biomasse ne sert qu’une fois : il faudra arbitrer entre gaz, chaleur et agrocarburant.

Nous devons garder à l’esprit que la rareté de la ressource suppose de toujours l’employer dans des conditions optimales. Nous avons visité à Narbonne un centre de l’INRA, qui est le premier producteur mondial de brevets sur la méthanisation. Dans notre pays, la connaissance existe ; le savoir-faire est présent. À nous de nous en saisir !

Mme Sophie Rohfritsch, corapporteure. Nous formulons sept propositions à l’issue du rapport, qui sont liées les unes aux autres. Je vais vous présenter les trois premières.

Nous souhaitons la définition d’un modèle français dans le cadre européen. Le Gouvernement a formulé des lignes directrices pour le secteur de la méthanisation, mais la situation est moins claire pour les autres filières de bois-énergie et de biocarburants. Les choix doivent être clairement exposés pour être appropriés par tous.

Tracer une stratégie est désormais plus facile, depuis que FranceAgriMer a réalisé l’inventaire des ressources biomasse du territoire national. Il pourrait servir de base à un schéma national servant de guide aux initiatives locales.

La localisation des productions sécurise l’approvisionnement et la chaîne de production. Appuyons-nous sur la bonne connaissance du territoire et sur les outils locaux !

M. François-Michel Lambert, corapporteur. La quatrième proposition tient à la dynamisation de la filière bois. Nous en avons largement parlé hier et aujourd’hui.

La rareté de la ressource impose une hiérarchisation des usages pour une meilleure valorisation. On l’a beaucoup dit pour le bois ; la même logique prévaut dans le monde des déchets : il faut privilégier un recyclage des matières en premier lieu, et envisager une destruction de la matière par méthanisation uniquement dans un second temps. Quels sont les choix autres que l’énergie, et quelle énergie retenir le cas échéant ?

Le souvenir de la bulle du photovoltaïque est encore cuisant : il nous rappelle les dangers d’effets d’aubaine. Le système de soutien public nous semble globalement adapté aux besoins, donc propre à empêcher un emballement.

Enfin, les aides sont fréquemment offertes au moment de la construction des infrastructures. C’est notamment le cas pour le Fonds Chaleur. Or nous voyons bien que les difficultés de la filière se situent en amont. La répartition des subsides publics doit être réalisée tout au long de la chaîne de production pour ne pas laisser de côté son premier maillon.

M. Jean-Paul Chanteguet, président. Je souhaiterais tout d’abord vous féliciter pour la qualité de votre travail. La décentralisation énergétique me paraît un sujet majeur, dans la perspective du développement de l’usage de la biomasse pour produire de l’énergie. Certes, il existe la possibilité de développer des réseaux de chaleur, mais quid de la distribution d’électricité ou de gaz produits grâce ce moyen par les collectivités locales qui souhaitent prendre ce type d’initiatives ? Faut-il leur en donner la possibilité ? Actuellement, seule l’existence d’entreprises locales de distribution d’électricité, que ce soit dans les Deux-Sèvres, la Vienne, ou la Haute-Savoie chère à Martial Saddier, permet aux collectivités de gérer de façon autonome leur distribution d’énergie. Faudra-t-il demain élargir cette faculté à toutes les collectivités désireuses de prendre des initiatives en la matière ? Certaines s’y préparent d’ores et déjà, quand bien même la loi de 1946 bloque actuellement leur liberté d’action dans ce domaine. Nous nous trouvons devant une difficulté qu’il nous faudra trancher : soit opter pour le statu quo, soit ouvrir à la voie à des expérimentations en matière de production et de distribution de gaz ou d’électricité. Encore une fois, le problème a été réglé pour les réseaux de chaleur.

Dans le débat sur la transition énergétique, quelle place a été selon vous accordée à la biomasse dans les différents scénarii envisagés ? Je pense en particulier au scénario dit négawatt2011 qui fait la part belle au biogaz.

M. Jean-Yves Caullet. Sans concertation préalable, et cela n’en donne que plus de force à nos réflexions, nous aboutissons à des conclusions convergentes, vous sur la biomasse, moi sur la filière bois.

Monsieur le président, vous l’avez dit, notre paradigme industriel – une matière première de plus en plus homogène, une production de plus en plus massifiée, de façon à bénéficier d’économies d’échelle, pour des produits de plus en plus standardisés – se trouve remis en question par le formidable potentiel de la biomasse, par essence multisectoriel, multiforme, déconcentré et hétérogène selon le territoire. Les producteurs d’inputs pour le secteur de la biomasse viennent eux-mêmes d’horizons différents : industriels, agriculteurs ou forestiers. Les usages - production de carburant pour les véhicules, d’électricité pour les ménages, co-génération pour les industriels – reflètent également cette diversité. Ce système matriciel demande un effort de conception, d’organisation, de recherche et développement tout à fait considérable et constant, qui seul peut nous permettre d’atteindre les objectifs fixés pour 2020, 2030 et 2050. Il ne nous faudra pas baisser la garde sur l’organisation des réseaux et la complémentarité entre filières, ainsi que sur la réflexion décentralisée. Les obstacles seront nombreux, mais la constance de nos efforts et l’importance de l’enjeu font que je ne doute pas que nous connaîtrons des succès.

Que pensez-vous de la logistique inversée – c’est-à-dire qui permettrait de faire transiter les flux de déchets des consommateurs vers les producteurs - de la filière fruits et légumes pour offrir à la partie non consommée une réelle chance de valorisation ?

S’agissant des agrocarburants, ne doit-on pas considérer le colza comme une source de protéines, dont l’huile ne constituerait qu’un sous-produit, et non l’inverse ? Une réflexion s’impose sur l’indépendance protéique de notre pays : finalement quand on produit une plante, la destine-t-on prioritairement à l’alimentation ou à la production d’énergie ?

L’hydrogène me paraît de nature à la fois à réduire les émissions de CO2, à produire du méthane et à stocker l’énergie intermittente, c’est-à-dire à faire le lien entre les sources énergies intermittentes, comme le solaire photovoltaïque ou l’éolien, et la biomasse : quand pensez-vous que nous reconstituerons, comme les végétaux à leur échelle, cet arbre industriel complet ?

M. Christophe Priou. Le groupe des commissaires UMP se trouvait hier quelque peu déraciné en l’absence de son président Martial Saddier, mais, comme la forêt française, il se régénère grâce à une nouvelle pousse, personnifiée par notre Rapporteure Sophie Rohfritsch, à l’ombre d’un pin méditerranéen incarné par son co-rapporteur… (Sourires) Je les remercie tous les deux d’avoir souligné l’apport des rapports d’information déposés sous la précédente législature sur différentes filières comme l’éolien ou le solaire photovoltaïque. Cela illustre l’importance et la pertinence des travaux de notre commission : tous les commissaires vous soutiendront, jusqu’à la fin de la législature, lorsque vous les défendrez, monsieur le président. Je vous remercie également pour la cohérence du programme de nos auditions. (Approbations)

L’un de vos chapitres s’intitule « la biomasse, ressource renouvelable mais fragile » : cela rappelle les débuts de l’énergie solaire photovoltaïque et de l’éolien, et montre qu’en dépit de l’adhésion de nos concitoyens à leur déploiement, le développement des énergies renouvelables peut être perverti par un effet d’aubaine et perturbé par une instabilité fiscale.

Plutôt qu’à un observatoire de la biomasse, notre préférence irait à des investisseurs, fussent-ils publics dans un premier temps.

Une production de biomasse ne peut se concevoir que de manière territorialement décentralisée : je prendrais l’exemple d’une laiterie en Loire-Atlantique, qui regroupe des producteurs de Bretagne, de Poitou-Charentes et des Pays de la Loire, et où une chaudière à biomasse a été installée. À elle seule, elle consomme 30 à 40 % de la biomasse produite dans le grand Ouest. Il faut concilier stabilité des approvisionnements et stabilité des prix pour permettre à de tels projets de voir le jour.

La forêt publique, nous l’avons vu hier lors de l’audition de Jean-Yves Caullet, ne représente que 30 % des 15 millions d’hectares de la forêt Française, qui compte 3,5 millions de propriétaires, majoritairement de parcelles de petite taille, de l’ordre de 5 hectares. Comment, dans ces conditions de mitage du tissu forestier, mobiliser la forêt privée pour la biomasse ?

Pensez-vous que nous atteindrons l’objectif « grenellien » de 23 % de la consommation énergétique finale issus d’énergies renouvelables en 2020 ? L’utilisation de la biomasse ne doit pas se faire au détriment de l’utilisation des forêts et des productions alimentaires : dans ces conditions, comment développer son exploitation ?

Quid du Fonds Chaleur de l’ADEME ? Quelle sera la position du Gouvernement si l’Europe fait prévaloir les objectifs de réduction du CO2, ce qui pourrait constituer un frein au développement de la biomasse française ?

J’observe, quel que soit le Gouvernement, que l’on tient peu compte des rapports parlementaires, qui mériteraient une meilleure diffusion et infusion.

M. Jean-Paul Chanteguet, président. Je souscris totalement à ce qui vient d’être dit.

M. Yannick Favennec. La biomasse représente 65 %, soit la majorité, des énergies renouvelables en France, dont 46 % de bois, suivi du biogaz obtenu par fermentation de matière organique, les biocarburants fermant la marche avec 11 %. La France occupe la troisième place – derrière l’Allemagne, mais devant la Suède - en Europe.

Les objectifs restent ambitieux avec 23 % de la consommation énergétique finale issus d’énergies renouvelables en 2020, le Grenelle de l’environnement ayant également assigné à la biomasse la responsabilité de réaliser 42 % de cet effort. Le bois-énergie a vocation à en réaliser la moitié. La production de chaleur issue de la biomasse doit de surcroît être multipliée par trois entre 2010 et 2020.

France biomasse énergie a sollicité du fonds chaleur de l’ADEME une dotation de 500 millions d’euros : elle ne s’élèvera en 2013 qu’à 250 millions. Des moyens financiers doivent donc être déployés en faveur du réseau de l’ADEME, afin de mettre en place des unités de valorisation de la biomasse. Or les crédits affectés au fonds chaleur - 200 millions d’euros, alors qu’il en faudrait le double pour atteindre les objectifs que j’ai mentionnés - restent insuffisants. Le secteur de la chaleur renouvelable s’est pourtant fixé comme objectif la création de 100 0000 emplois à horizon de 2020. Quelles sont vos propositions dans ce domaine ?

S’agissant des ressources en biomasse, la forêt reste négligée. Le Grenelle avait pourtant exigé une utilisation de 40 % des sous-produits du bois. Manque un plan de mobilisation de la forêt, que l’absence de moyens financiers ne peut à elle seule expliquer : doivent pêle-mêle être invoqués l’absence de mobilisation et de remembrement des petites parcelles forestières et le manque de réflexion sur la question du transport du bois. Or la France dispose du troisième massif forestier en Europe : des milliers d’emplois se perdent donc. Que préconisez-vous ?

Enfin la méthanisation produit du biogaz que les agriculteurs peuvent valoriser : je m’en suis rendu compte sur un projet très important dans ma circonscription, en Mayenne. Là se trouve une solution à l’élimination des effluents d’élevage des filières bovines et porcines. La filière porcine allemande a d’ailleurs développé cette technologie, assurant ainsi aux éleveurs concernés un complément de revenu utile. Quelles solutions proposez-vous pour accélérer son développement en France, sachant qu’elle constitue une forme de soutien à notre élevage ?

Mme Laurence Abeille. Le titre de votre rapport – « La biomasse au service du développement durable » – revêt à mon sens une importance toute particulière : il ne s’agit pas de mesurer la compatibilité du développement de la biomasse et du développement durable, mais bien de mettre l’un au service de l’autre.

Ce rapport pose bien des questions, identifie des technologies et évalue les conséquences de leur déploiement sur notre territoire : il s’agit d’un gisement de pistes de réflexion fort riche et fort utile.

La question du bilan carbone de la biomasse, mais aussi de son bilan écologique global, dès lors que l’on prend en compte son impact sur la biodiversité et sur les ressources forestières et agricoles, reste posée. De nombreux rapports et avis d’agences publiques citent la biomasse comme l’exemple même de la fausse bonne idée pour réduire notre empreinte carbone. Je pense également au rapport de Greenpeace en 2011, qui allait jusqu’à parler de « bio-mascarade ». Le comité scientifique de l’Agence européenne de l’environnement affirmait la même année « qu’une législation qui encourage le remplacement des carburants fossiles par des carburants d’origine agricole sans prendre en compte la source de la biomasse pourrait avoir pour résultat d’augmenter les émissions de carbone, accélérant ainsi le réchauffement climatique ». Avez-vous donc évalué l’impact de la biomasse sur le climat et sur l’évolution des forêts ?

Ceci dit, s’agissant du bois-énergie, lorsque la filière alimente localement des unités de production avec des résidus de coupes locales pour produire de la chaleur en co-génération, l’impact environnemental peut être positif. Mais si cette même filière se transforme en mode de combustion à grande échelle des forêts, il en va tout autrement, en raison du carbone libéré, même s’il serait, semble-t-il, recapté par la pousse de nouveaux arbres. Mais ce processus peut prendre entre 40 et 50 ans : que se passe-t-il pendant ce laps de temps ? Peut-on de plus remplir nos objectifs de réduction des gaz à effet de serre (GES) si l’on prend en compte ce déficit carbone ?

Quid par ailleurs du bilan carbone des agro-carburants, dès lors que sont prises en compte la concurrence sur les terres agricoles et l’utilisation des engrais azotés ? De celui de la méthanisation, si l’on considère les fuites de méthane, qui est un GES vingt et une fois plus nocif de ce point de vue que le CO2, au sein des installations ?

Il faut produire grâce à la biomasse de l’énergie, mais également rester dans la sobriété, le raisonnable, la proximité : ce n’est qu’à cette condition que la biomasse pourra trouver toute sa place dans notre mix énergétique. Il nous faut imaginer sur nos territoires des économies circulaires en matière de production et de distribution d’énergie, avec des ressources locales, mais sans les piller et sans alourdir le bilan carbone.

M. Philippe Plisson. Je souhaite à mon tour féliciter les auteurs de ce rapport…

M. François-Michel Lambert, corapporteur. Voici le retour des biocarburants !

M. Philippe Plisson. « C’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup ! », comme disait France Gall (Rires).

Je suis convaincu depuis longtemps par la méthanisation, pour avoir lancé dans ma circonscription trois projets infructueux, mais comme je ne me décourage pas, je travaille actuellement à un quatrième projet de production de méthane à partir de résidus de la vigne après distillation. La principale question qui se pose, à mon sens, est celle du cadre législatif, des financements et des accompagnements sur le terrain pour que les projets qui émergent sur l’ensemble de nos territoires deviennent des réalisations concrètes.

Par ailleurs, vous évoquez à raison l’utilisation du bois pour le chauffage, notamment sous forme de plaquettes, que nous appliquons déjà dans nos territoires avec les réseaux de chaleur pour lesquels les élus locaux sont encouragés. Comment expliquez-vous ce soutien par les pouvoirs publics contraire à l’utilisation de la biomasse ?

M. Jean-Marie Sermier. Tout en soulignant le remarquable travail accompli par nos collègues, je souligne, de manière liminaire, qu’il faut se garder d’opposer la biomasse et l’énergie nucléaire, car nous avons besoin de toutes les formes d’énergie dans le mix. J’en viens au plan d’approvisionnement : pour pouvoir investir dans le bois, notamment le bois déchiqueté, il est nécessaire d’évaluer les besoins et de les recoller. Or les collectivités territoriales ont accompli ce travail mais qu’en est-il au niveau national ?

Avez-vous par ailleurs travaillé sur le bois sous forme de bûche, principalement exploitable en zone rurale, mais qui présente le mérite de recourir à peu d’énergie pour être produit ?

S’agissant de la cogénération, nous pensons souvent aux grandes chaudières mais qu’en est-il des petites chaudières, par exemple dans les scieries, qui ne peuvent se développer en raison du faible prix d’achat proposé par Électricité de France ?

Mme Geneviève Gaillard. Il est primordial de recourir à la biomasse, mais il ne faut pas conduire cette politique sans de solides repères environnementaux. Le Québec et l’ensemble du Canada montrent que l’usage intensif du bois peut conduire à de graves problèmes environnementaux. Comment avez-vous évalué ce problème ?

M. Laurent Furst. Je suis toujours étonné par la capacité que nous affichons à fixer des objectifs pour 2050 alors que les technologies, les filières ou encore le contexte économique évoluent très rapidement. Soyons prudents sur ce dossier qui à mon sens n’est encore qu’en phase expérimentale et non à un stade de politique industrielle.

Ma question porte sur les boues et effluents des stations d’épuration. La France dispose d’un réseau remarquable, géré soit par le secteur public, soit par le secteur privé. Pourrions-nous mettre en place un développement industriel de ce réseau sur le territoire national ? Quelles sont vos réflexions sur ce potentiel ?

Mme Catherine Quéré. Vous avez souligné les solutions qu’apporte la méthanisation face à certaines pollutions, comme les lisiers d’élevage de porcs. Si l’on se réfère à l’Allemagne sur ce dossier, connaît-on le niveau des aides publiques pour soutenir cette politique ? Les projets en France sont difficiles à mettre en place car les exploitations locales ont besoin d’approvisionnement.

Mme Valérie Lacroute. Six millions de foyers français ont recours au bois. C’est un secteur dynamique, pourtant confronté au paradoxe d’être sous-exploité. L’ensemble de la filière est en souffrance alors que le Grenelle de l’environnement a fixé à 23 % la part des énergies renouvelables. Pour atteindre cet objectif, il faudrait augmenter la production de 12 millions de mètres cube de bois énergie. Or le gisement disponible est mal connu et dans l’immédiat comme à l’avenir, la France est importatrice alors qu’elle dispose de la troisième forêt de l’Union européenne. Les coûts d’exploitation iront croissants et se répercuteront sur la facture du consommateur. Ne serait-il pas plus pertinent d’inciter les propriétaires à augmenter leur production ?

M. Jean-Jacques Cottel. La méthanisation constitue une ressource mal exploitée. Comme on ne peut recycler tous nos déchets, pour des raisons d’acheminement vers les centres de traitement, transformer ces derniers en gaz est une réponse. Malheureusement, chaque projet engendre plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Dans le monde agricole, beaucoup d’acteurs émettent des idées qui trouvent peu de solutions concrètes. J’ai ainsi trois exemples dans ma circonscription, avec l’utilisation potentielle des racines d’endives, la mise en réseau de la chaleur produite par les bâtiments d’élevage et des habitations et enfin, la transformation de l’huile de colza afin de la mélanger à certains carburants pour les machines agricoles ou les bateaux, qui présente l’avantage de produire également des tourteaux pour le bétail. Peut-on apporter un soutien public à de tels projets ?

M. Michel Heinrich. J’ai beaucoup d’admiration pour les agriculteurs qui se lancent dans des projets de méthanisation, mais ne pensez-vous pas qu’on les place face à des dossiers trop complexes à monter ? Sinon, plus de projets verraient le jour…

S’agissant de la ressource en bois, les industriels du papier ou des panneaux craignent que l’utilisation du bois pour l’énergie provoque l’augmentation du coût de leur matière première. Or nous avons du mal à évaluer nos ressources en biomasse alors que vous mettez en lumière dans votre rapport l’importance de la forêt française et le fait que la collecte annuelle se limite à la moitié de sa croissance naturelle.

Enfin, je souhaiterais souligner que certains projets CRE n’aboutiront pas mais ils empêcheront d’autres projets d’émerger.

M. Guillaume Chevrollier. Chacun soutient naturellement le développement des énergies renouvelables et, en particulier, celui de la biomasse. Chacun espère également que ce développement s’accompagnera d’une réduction de la consommation des énergies fossiles, et donc des émissions de gaz à effet de serre. Certains territoires ruraux comptent également sur cette activité pour créer de la richesse, notamment au sein des exploitations agricoles.

Des difficultés demeurent pourtant : disponibilité incertaine de la biomasse elle-même, nouvelle organisation des filières à établir, investissements de départ importants, procédures administratives souvent lourdes. Les petits projets de valorisation locale n’échappent pas à ces difficultés : il conviendrait donc de mieux les faire connaître dans les territoires, afin de faciliter leur décollage.

La biomasse étant, de surcroît, une source d’énergie particulièrement importante dans les pays en voie de développement, l’aide technique qui serait susceptible de leur être apportée pourrait nourrir une coopération efficace. Une telle coopération existe-t-elle aujourd’hui – car la coopération, c’est aussi du développement durable ?

Mme Martine Lignières-Cassou. La question de la biomasse, comme le traitement de la forêt, ne s’appréhende correctement qu’au niveau local. Les territoires rencontrent aujourd’hui de grandes difficultés pour monter leurs stratégies de transition énergétique, ne serait-ce que parce que les collectivités locales ne sont pas reconnues comme des acteurs à part entière, qu’elles ne disposent pas d’états des lieux précis et actualisés, et qu’EDF défend une vision extrêmement centralisée de la production d’électricité.

Les réflexions sectorielles que nous conduisons dans cette commission montrent que le niveau local est déterminant, sans pour autant que les collectivités disposent aujourd’hui des moyens nécessaires.

M. Jean-Pierre Vigier. En France, troisième pays producteur de biomasse au sein de l’Union européenne, celle-ci représente 65 % de la production énergétique d’origine renouvelable. Utilisée pour lutter contre le réchauffement climatique et pour diversifier les sources d’énergie, la biomasse apporte un soutien important au développement des territoires ruraux. Elle permet la diversification des activités agricoles et le maintien – ou la création – d’emplois.

Les ressources de la biosphère ne sont néanmoins pas inépuisables, alors que les besoins en énergie paraissent toujours croissants. Une politique énergétique focalisée sur la biomasse risquerait de conduire à un appauvrissement de ces ressources. Par ailleurs, la mobilisation de la biomasse n’est pas sans effet sur l’environnement – par exemple, le rejet de particules et de dioxyde de soufre. Comment, dès lors, concilier une utilisation raisonnable et nécessaire de la biomasse et la préservation de la qualité de l’environnement et celle de nos produits agricoles ?

M. David Douillet. Un grand constructeur automobile me disait encore récemment considérer que le diesel demeurerait, de son point de vue, l’avenir de l’automobile. Une telle analyse m’a surpris, pour ne pas dire choqué.

Pour ce qui concerne tant les moteurs des véhicules automobiles que les réacteurs d’aéronefs, les constructeurs sont-ils suffisamment informés des travaux et des avancées de la recherche ? De nouvelles étapes seront franchies dans l’aéronautique vers 2017-2020, avec ProBio3 ou BioTFuel, alors que les besoins – mais aussi la pollution – vont continuer à s’accroître. Je crains que ne coexistent, sans interagir ni être en adéquation, d’une part, une logique « constructeur » et, d’autre part, une logique « chercheur-fabricant ».

M. le président Jean-Paul Chanteguet. J’apporte une précision : chaque année, du fait de la diésélisation du parc automobile à hauteur de 60 %, la France importe aujourd’hui 15 à 16 milliards d'euros de gasoil et exporte de l’essence pour un montant avoisinant les 3 milliards d'euros. Notre pays est donc déficitaire d’environ 13 milliards d'euros sur ces catégories de carburant : c’est un chiffre qu’il faut conserver à l’esprit, dans le cadre des débats actuels sur le rééquilibrage de la taxation du diesel.

M. Martial Saddier. Nous sommes aujourd’hui confrontés à de multiples défis en matière de qualité de l’air et en phase précontentieuse avec la Commission européenne, s’agissant des PM10. Pensez-vous que le lien est aujourd’hui suffisamment établi entre la qualité de l’air, le débat sur la transition énergétique et les méthodes de chauffage domestique ?

Votre rapport souligne les problèmes posés par le chauffage au bois quant aux émissions de particules fines, PM10 et peut-être PM2,5. Que pensez-vous de l’expérimentation du fonds « Air-bois », conduite en Haute-Savoie par l’ADEME et les collectivités territoriales pour aider les particuliers – à hauteur de 1 000 euros par foyer – à remplacer leurs foyers ouverts par des foyers fermés ?

Par ailleurs, lorsqu’un bien est aujourd’hui vendu, on effectue un diagnostic de l’électricité, de l’assainissement autonome, le cas échéant, et de l’efficacité énergétique. Ne pensez-vous pas opportun de les compléter, dans ces mêmes circonstances, par un diagnostic du chauffage domestique ?

Mme Sophie Rohfritsch, corapporteure. Les nombreuses questions posées attestent de l’intérêt porté au sujet de la biomasse.

Qui doit payer pour mieux valoriser la biomasse ? En Allemagne, le choix a clairement été fait de faire peser le poids des investissements nécessaires sur les particuliers. Le consommateur se trouve, en quelque sorte, « surtaxé », afin de privilégier le développement économique et de permettre aux industriels d’avoir accès à des tarifs avantageux.

François-Michel Lambert et moi-même n’avons pas pris position sur ce sujet, qui dépassait le cadre de notre mission. À titre personnel – et ce n’est pas parce que je suis élue en Alsace (Sourires) – et sans engager mon corapporteur, j’estime que la solution allemande est intéressante, car elle permet de respecter les objectifs que l’on s’assigne en termes de mix énergétique tout en préservant la compétitivité économique de nos entreprises.

En réponse aux interrogations sur la dangerosité et le bilan carbone, le rapport préconise un effort important sur le plan technologique afin d’améliorer les rendements : plus les chaudières seront performantes, plus la ressource-matière sera valorisée, plus le rendement sera élevé et moins les pollutions seront significatives. De ce point de vue, la suggestion de notre collègue Martial Saddier de croiser les données relatives au chauffage individuel et celles relatives à la qualité de l’air me semble tout à fait judicieuse – y compris dans le cadre du diagnostic de vente d’un bien immobilier.

Quant au bilan carbone de la filière, le rapport reprend les résultats d’une étude très fine conduite par l’ADEME et préconise donc une utilisation de la matière au plus près de son site de production.

M. François-Michel Lambert, corapporteur. Ainsi que plusieurs intervenants l’ont souligné, la biomasse renvoie à des modèles techniques différenciés, adaptés aux réalités des territoires et articulés autour des concepts d’économie circulaire et de production décentralisée de l’énergie. La flexibilité s’impose pour faire émerger les projets et les rendre robustes, au cas par cas.

La biomasse jouera un rôle central dans les scénarios énergétiques à venir et doit donc trouver sa pleine place, tant dans les politiques publiques que dans les relais médiatiques.

Certains ont mis en doute l’intérêt de créer un Observatoire de la biomasse et souligné que la priorité était d’attirer des investissements. Mais pour attirer un investisseur, il faut lui donner une visibilité ! Aujourd’hui, nombre de projets échouent, parce qu’on ne connaît pas exactement le volume de la ressource disponible, mobilisable sur les vingt prochaines années. Telle sera bien la mission de cet Observatoire : dresser un état de l’existant, avant de faire appel à des investisseurs publics ou privés pour lancer des projets.

L’objectif de 23 % d’énergies renouvelables en 2020 est-il réaliste ? Pour ce qui concerne la biomasse, qui représente 60 % de ces énergies, il me semble qu’il est à notre portée. Il faudra sans doute que Fonds Chaleur soit renforcé et développe ses interventions à tous les niveaux de la chaîne énergétique, depuis le producteur jusqu’à la distribution.

Pour ce qui concerne le nombre de méthaniseurs en Allemagne, il faut rappeler que les effluents porcins et bovins ont un pouvoir méthanogène relativement faible et qu’ils nécessitent des compléments à base de lignite, paille et autres, à hauteur de 80 %. N’inversons donc pas les logiques de production agricole, à l’instar de ce projet de ferme-usine de « 1 000 vaches » dans la Somme, où les productions de lisier et de fumier constituent les ressources à la base du modèle économique de méthanisation et où la viande et le lait ne seraient plus que des sous-produits…

La question du bilan carbone est primordiale. Je rappelle sur ce point que la captation du CO2 est principalement effectuée par des arbres jeunes, lors de leur croissance, et non par des arbres anciens. Couper des arbres centenaires est une réalité que nous avons du mal à accepter en France. En sylviculture, c’est la rotation qui permet d’emprisonner le CO2.

Certains ont également évoqué les risques de fuites dans les processus de méthanisation. Tout ce qui se décompose provoque de toute manière un rejet de gaz dans l’atmosphère. Il vaut mieux en conséquence maîtriser nous-même la méthanisation afin de disposer d’une source d’énergie supplémentaire, même si des fuites sont inévitables. Il faut essentiellement disposer de matériel performant.

Notre collègue Philippe Plisson a évoqué les aides dont un projet peut bénéficier. Il est vrai que ces dernières interviennent tardivement lorsqu’un projet vise à créer une chaîne de valorisation du bois ou des déchets. En outre, l’ADEME agit selon un référentiel qui ne couvre pas toutes les innovations technologiques. Certains chercheurs proposent alors leurs idées à des sociétés étrangères, ce qui nous conduit ultérieurement à importer des technologies que nous aurions pu développer en France...

M. Jean-Yves Caullet. … et elles coûtent alors beaucoup plus cher !

M. François-Michel Lambert, corapporteur. Quant au bois sous forme de plaquette, la réponse me semble résider dans le circuit qu’il emprunte. S’il s’agit d’un circuit court, comme dans la région d’Embrun et des communes avoisinantes, nous nous trouvons en face de la valorisation d’une richesse locale. Si nous devons importer les plaquettes depuis le Canada ou l’Ukraine, le bilan carbone final est plus problématique.

Le bois sous forme de bûche a pour sa part un bel avenir, à la condition de changer les foyers actuels qui ont un faible rendement et sont générateurs de fortes pollutions. Le crédit d’impôt en faveur des énergies renouvelables peut permettre d’accélérer le renouvellement du parc des foyers.

La projection à 2050, sur laquelle notre collègue Laurent Furst s’interrogeait, me paraît pertinente car les investissements dans le secteur de l’énergie sont à très long terme, de l’ordre de plusieurs décennies. Il en est de même pour la croissance des arbres, qui mettent en moyenne 30 ans avant d’être exploitables. Il est normal que les acteurs économiques se projettent à cet horizon et que notre réflexion les suive. Quand GRTgaz et quatre autres opérateurs européens projettent de produire, en 2050, 100 % de gaz neutre en carbone, cela signifie que ce modèle ne se borne pas à être une utopie.

Je n’insisterai pas trop sur les boues, dont j’ai abondamment parlé, sinon pour souligner que la solution est plutôt locale que nationale, en raison de leur nature et de leur usage par les agriculteurs. Attention à bien comprendre le système allemand. La méthanisation des rejets des élevages porcins fonctionne parce que le tarif de rachat est à prix intéressant, mais rappelons qu’au final il s’agit de la confiscation de terres pour un usage industriel puisque l’on injecte dans le processus les produits de grande culture, comme le maïs. Ces produits ne sont plus destinés à l’alimentation humaine… C’est une forme de rupture par rapport à la finalité du travail de la terre, que nos agriculteurs n’apprécieraient guère.

Quant à la méthanisation des déchets ménagers, notre pays doit mettre en œuvre plusieurs projets, notamment la récupération systématique et différenciée des restes de nourriture dans les restaurants servant plus de cent couverts par jour.

N’oublions pas que l’utilisation d’huile de colza nous conduit à importer de l’huile de palme dont la production pose des problèmes sociaux et environnementaux, sans en parler des conséquences sanitaires.

La coopération internationale technique existe… C’est un des axes de travail de l’Agence française de développement, sous l’égide du ministère de la coopération. La question du disesel renvoie à une mission qui n’est pas actuellement à notre ordre du jour, sachant que les constructeurs automobiles continuent dans cette voie. Enfin, le diagnostic sur le chauffage domestique me paraît devoir être accompli lors de l’acte de vente d’un logement afin d’informer les nouveaux acheteurs de ce qu’ils gagneraient et feraient gagner à la collectivité.

En conclusion, la valorisation de la biomasse constitue bien une forme d’économie circulaire locale, pleine de promesses. C’est ce qui était enthousiasmant dans notre mission. Beaucoup d’acteurs sont prêts à innover technologiquement mais aussi financièrement, et appellent à une réforme de la gouvernance de la politique de l’énergie, à la hauteur des attentes de la nation.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vous remercie pour la qualité de votre travail, qui est aussi enrichissant pour nous, et la précision de vos réponses.

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La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a alors autorisé à l’unanimité la publication du rapport de la mission d’information sur la biomasse.

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Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 19 juin 2013 à 9 h 45

Présents. - Mme Laurence Abeille, M. Yves Albarello, M. Julien Aubert, M. Serge Bardy, Mme Catherine Beaubatie, M. Jacques Alain Bénisti, M. Philippe Bies, M. Florent Boudié, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, Mme Sabine Buis, M. Alain Calmette, M. Yann Capet, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, Mme Florence Delaunay, Mme Fanny Dombre Coste, M. David Douillet, Mme Françoise Dubois, Mme Sophie Errante, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Laurent Furst, Mme Geneviève Gaillard, M. Claude de Ganay, M. Charles-Ange Ginesy, M. Michel Heinrich, M. Jacques Kossowski, Mme Valérie Lacroute, M. François-Michel Lambert, Mme Viviane Le Dissez, M. Arnaud Leroy, M. Michel Lesage, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Philippe Noguès, M. Edouard Philippe, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, Mme Marie-Line Reynaud, Mme Sophie Rohfritsch, M. Martial Saddier, M. Gilbert Sauvan, M. Jean-Marie Sermier, Mme Suzanne Tallard, M. Jean-Pierre Vigier, M. Patrick Vignal

Excusés. - Mme Sylviane Alaux, M. Christian Assaf, M. Denis Baupin, Mme Chantal Berthelot, M. Vincent Burroni, M. Patrice Carvalho, M. Stéphane Demilly, M. Philippe Duron, M. Christian Jacob, M. Alain Leboeuf, M. Olivier Marleix, M. Franck Marlin, M. Philippe Martin, M. Jean-Luc Moudenc, M. Bertrand Pancher, M. Napole Polutélé, M. Gabriel Serville

Assistaient également à la réunion. - M. Daniel Goldberg, M. Éric Strauman, M. François Vannson