Accueil > Travaux en séance > Les comptes rendus > Les comptes rendus de la session > Compte rendu intégral

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2013-2014

Compte rendu
intégral

Première séance du mardi 03 juin 2014

SOMMAIRE

Présidence de M. Claude Bartolone

1. Proclamation d’une députée

2. Questions au Gouvernement

Réforme territoriale

M. Christian Jacob

M. Manuel Valls, Premier ministre

Réforme territoriale

M. Guillaume Garot

M. Manuel Valls, Premier ministre

3. Souhaits de bienvenue à une délégation étrangère

4. Questions au Gouvernement (suite)

Protection de la forêt amazonienne

M. Jean-Louis Roumegas

M. Harlem Désir, secrétaire d’État chargé des affaires européennes

Réforme territoriale

M. François Sauvadet

M. Manuel Valls, Premier ministre

Interpellation du tueur présumé du Musée juif de Bruxelles

M. Gérald Darmanin

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Lutte contre les filières djihadistes

M. Nicolas Bays

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Réforme pénale

Mme Virginie Duby-Muller

M. Manuel Valls, Premier ministre

Intégration des congés de maternité dans le calcul des retraites

Mme Bernadette Laclais

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé

Lutte contre le terrorisme

M. Jacques Myard

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

Réforme territoriale

Mme Jeanine Dubié

M. Manuel Valls, Premier ministre

Société nationale Corse Méditerranée

M. Sauveur Gandolfi-Scheit

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche

Réforme pénale

M. Dominique Raimbourg

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

Difficultés d’accès en deuxième année de master

Mme Huguette Bello

Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d’État chargée de l’enseignement supérieur et de la recherche

Financement des opérations extérieures

M. Pierre Lellouche

M. Manuel Valls, Premier ministre

Vieillissement

Mme Joëlle Huillier

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie

Suspension et reprise de la séance

Présidence de M. Christophe Sirugue

5. Suspension des poursuites engagées par le Parquet de Paris contre M. Henri Guaino

M. Matthias Fekl, rapporteur de la commission chargée de l’application de l’article 26 de la constitution

M. Henri Guaino

M. Alain Tourret

M. Jean-Jacques Urvoas

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement

Vote sur la proposition de résolution

Suspension et reprise de la séance

6. Prévention de la récidive et individualisation des peines

Présentation

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

M. Dominique Raimbourg, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Motion de rejet préalable

M. Georges Fenech

M. Dominique Raimbourg, rapporteur

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux

M. Marc Dolez

Mme Marie-Anne Chapdelaine

M. Jean-Frédéric Poisson

M. Sergio Coronado

M. Alain Tourret

Motion de renvoi en commission

M. Éric Ciotti

M. Éric Ciotti

M. Dominique Raimbourg, rapporteur

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux

M. Marc Dolez

Mme Cécile Untermaier

M. Guy Geoffroy

M. Sergio Coronado

M. Alain Tourret

7. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Proclamation d’une députée

M. le président. Je souhaite, en votre nom à tous, la bienvenue à Mme Laurence Arribagé, élue, dimanche dernier, députée de la troisième circonscription de la Haute-Garonne. (Mmes et MM. les députés des groupes UMP et UDI se lèvent et applaudissent vivement.)

2

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Réforme territoriale

M. le président. La parole est à M. Christian Jacob, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

S’il vous plaît ! Écoutez au moins votre président de groupe !



M. Christian Jacob. Monsieur le président, ma question s’adresse à M. le Premier ministre. Nous avons voté, dès 2010, la réforme territoriale. Nous avons alors créé le conseiller territorial, ce qui permettait d’avoir un élu territorial ancré dans le territoire, donc de rapprocher département et région. Vous avez supprimé cette loi. L’arrivée de François Hollande à l’Élysée se traduit, une fois de plus, par deux années perdues pour la France.

Aujourd’hui, paniqué par vos échecs électoraux, monsieur le Premier ministre, vous improvisez sans aucune concertation une réforme totalement bâclée. Tous les ingrédients d’un échec sont réunis. Son objectif est, en fait, de repousser les élections pour vous éviter une nouvelle bérézina électorale ! (Exclamations sur divers bancs.)

M. le président. S’il vous plaît ! Il y a trop de bruit dans l’hémicycle !

M. Christian Jacob. Cette réforme a été préparée dans le plus grand secret, au gré d’arrangements entre amis du Président de la République et au gré d’arrangements scandaleux entre barons et baronnes du parti socialiste (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.!

Où est la cohérence de ce découpage ? Sur quel bassin de vie, sur quel bassin économique, sur quelle réalité historique repose-t-elle ? Sur aucune ! À votre arrivée à Matignon, monsieur le Premier ministre, vous disposiez d’une majorité de 340 députés de gauche. Ils n’étaient plus que 306 à vous soutenir lors de votre discours de politique générale ! Quinze jours après, ils n’étaient plus que 265 à vous apporter leur soutien lorsque vous avez présenté votre programme de stabilité !

Monsieur le Premier ministre, un chef de gouvernement, ainsi lâché par sa propre majorité deux mois après sa prise de fonction et nommé par un Président de la République aussi affaibli, a-t-il la capacité de présenter une telle réforme ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président Jacob, une mission m’a été confiée par le Président de la République. Je suis convaincu que nous devons réformer notre pays…

M. Bernard Deflesselles. Pas n’importe comment !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …pour qu’il soit prêt à faire face aux grands défis du monde. Nous devons pour cela, bien sûr, renforcer notre économie, soutenir sa compétitivité et ses entreprises, réduire notre dette et nos déficits, mais nous devons aussi réformer en profondeur les structures de notre pays. On parle, depuis des années, de la réforme territoriale. On trouve d’ailleurs trace sur le site de l’UMP d’une proposition de création de huit régions avec la suppression des départements là où existe une métropole. (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Cette proposition remonte au 18 décembre 2013, comme l’un d’entre vous l’a d’ailleurs rappelé ce matin sur une radio. Il faut réformer le pays. Le Président de la République, et cela ne peut pas vous surprendre, a indiqué en janvier dernier qu’il souhaitait le regroupement des régions. Je l’ai moi-même annoncé lorsque j’ai prononcé mon discours de politique générale. Le chef de l’État a pensé qu’il était absurde de faire voter les Français dans un cadre régional qui serait modifié quelques mois après.

Nous allons donc décaler de quelques mois les élections. Ce n’est pas cela qui empêchera nos compatriotes de s’exprimer, dans un sens ou dans un autre. Mais ce que les Français attendent, ce n’est pas le jeu politicien, ce n’est pas le reniement des positions des uns et des autres. Vous avez vous-même proposé le regroupement des régions et la suppression des départements !

M. Bernard Deflesselles. Et alors ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Mais, parce que c’est cette majorité qui le fait, vous n’êtes plus d’accord ! (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) C’est précisément ce dont nos concitoyens ne veulent plus ! Alors, oui, je l’assume devant vous, cette réforme doit se faire, non pas parce que le Président de la République le souhaite, mais parce qu’elle est nécessaire pour le pays, nécessaire pour l’intérêt général, nécessaire pour nos régions et nécessaire pour renforcer notre économie !

Le débat va s’engager. Bernard Cazeneuve présentera le texte relatif à la réorganisation des régions dans quelques jours, et Marylise Lebranchu et André Vallini proposeront le texte de loi sur les compétences, qui vise à renforcer les régions et l’intercommunalité et qui ouvre, oui, la perspective de la suppression des départements, et ce avec tout le temps nécessaire pour réaliser dans de bonnes conditions le transfert des compétences et des agents, à qui nous devons le respect,…

M. Yves Nicolin. Baratin !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …et pour régler aussi la question de la proximité, notamment dans les territoires ruraux. Cessez de nous invectiver…

M. Christian Jacob. Je ne vous invective pas !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …et de nous faire je ne sais quel procès ! Vous évoquez les élus dans de drôles de termes alors que vous entendez les défendre ! Vous parlez de « barons » et de « baronnes » ! Qu’est-ce que cela signifie ? Nous sommes en République ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) C’est de l’unité du pays, c’est de la France que nous parlons ! Nos concitoyens attendent ces réformes ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Alors, avançons ensemble lors de la discussion qui va se dérouler au Sénat et à l’Assemblée, car il y va de l’intérêt du pays ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs des groupes écologiste et RRDP.)

Réforme territoriale

M. le président. La parole est à M. Guillaume Garot, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Guillaume Garot. Ma question s’adresse également à M. le Premier ministre et concerne la réforme territoriale, dont le Président de la République a présenté les grandes lignes : quatorze régions au lieu de vingt-deux aujourd’hui, un renforcement des intercommunalités avec la disparition, à terme, des conseils généraux.

Vous l’avez souligné, monsieur le Premier ministre, c’est une réforme nécessaire pour sortir de la superposition des collectivités et de l’empilement des compétences.

C’est une réforme qui ne peut pas attendre si nous voulons agir plus efficacement pour développer l’emploi et les entreprises et garantir l’accès aux services publics dans les territoires ruraux mais aussi urbains, avec les transports, les lycées, les collèges et le très haut débit, bref si nous voulons faire mieux et moins coûteux à la fois.

C’est en fait un rendez-vous de vérité pour chacun d’entre nous ici, et nous verrons bien, monsieur Jacob, qui est pour et qui est contre, qui veut aller de l’avant et qui est debout sur le frein, qui veut vraiment réformer et qui n’en a pas le courage.

Nous avons la responsabilité collective de réussir cette nouvelle organisation de la République décentralisée, de sortir des postures politiciennes, parce que c’est une étape majeure, décisive pour l’avenir de notre pays.

Nos concitoyens le savent bien, et attendent de nous que nous soyons à la hauteur de l’enjeu. Alors, ne manquons pas cette occasion de redonner du sens à la politique et d’être clairs pour les Français !

Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous nous préciser aujourd’hui le calendrier de cette réforme difficile, exigeante sans doute, mais tellement indispensable pour donner aux régions et aux intercommunalités…

M. le président. Merci, monsieur Garot.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Vous venez de rappeler, monsieur Garot, les fondements mêmes de cette réforme, son caractère indispensable.

Je veux rappeler mon attachement, qui, je n’en doute pas un seul instant, est partagé sur tous les bancs, à l’unité de la nation, de la République, laquelle n’est, bien sûr, en rien contradictoire avec la décentralisation. Depuis trente ans, le Président de la République le rappelait d’ailleurs dans son texte publié ce matin, il y a eu, sous la présidence de François Mitterrand comme de Jacques Chirac, des avancées considérables en matière de décentralisation, mais nous voyons bien qu’il faut aller plus loin, rendre l’action publique plus lisible, plus efficace, au service de nos concitoyens comme des entreprises, d’où cette réforme.

Cette réforme doit être bâtie sur de grandes régions. Nous devons évidemment être attentifs à toutes les poussées identitaires. Dans un très beau livre publié il y a quelques semaines, une biographie sur Jules Ferry, grand réformateur mais toujours avec le sens de la nuance et de la méthode, l’homme qui a permis l’élection des conseils municipaux au suffrage universel, une grande historienne, bretonne, républicaine, profondément française, Mona Ozouf, rappelait combien, pour lui, il était important de faire vivre l’unicité de la République et la vie de nos territoires.

C’est le défi qui nous est proposé aujourd’hui : réorganiser notre territoire, réorganiser les territoires de la République, les régions, réorganiser l’intercommunalité pour la rendre encore plus puissante et tracer la perspective de la disparition des départements, mais avec aussi une volonté très forte que nous incarnons, qui est de rendre l’État plus efficace, notamment au niveau des départements.

Le texte sera présenté le 18 juin au conseil des ministres. Il doit être soumis en première lecture au Sénat au mois de juillet et, j’espère, à l’Assemblée nationale quelques semaines après pour être adopté définitivement et promulgué avant la fin de l’année afin que les élections régionales et départementales puissent être organisées à l’automne 2015. Voilà ce qui permet de respecter le rythme démocratique des élections et en même temps de réformer, et je ne doute pas un seul instant du soutien de la majorité. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

3

Souhaits de bienvenue à une délégation étrangère

M. le président. Avant de donner la parole à M. Roumegas, je tiens à signaler la présence dans nos tribunes du cacique Raoni Metuktire, chef suprême du peuple Kayapo d’Amazonie brésilienne, accompagné du cacique Megaron Txucarramãe. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.)

4

Questions au Gouvernement (suite)

Protection de la forêt amazonienne

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Roumegas, pour le groupe écologiste.

M. Jean-Louis Roumegas. Ma question, à laquelle j’associe mon collègue Sergio Coronado, s’adresse au ministre des affaires étrangères mais, tout d’abord, je tenais à vous remercier, monsieur le président, au nom du groupe écologiste, d’avoir accepté de recevoir le cacique Raoni et son successeur, le cacique Megaron, qui l’accompagne. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

Depuis sa première tournée internationale il y a vingt-cinq ans, le cacique Raoni éveille les consciences, alerte sur la déforestation et porte la voix des peuples autochtones à travers le monde.

Le cacique Raoni est engagé aujourd’hui contre la construction, en plein cœur de l’Amazonie, du barrage de Belo Monte. Avec ce barrage, 668 kilomètres carrés de forêt primaire seraient inondés, 20 000 personnes déplacées, les ressources vivrières d’au moins vingt-quatre peuples menacées.

La forêt amazonienne est notre patrimoine commun. Rappelons-nous, en cette veille de coupe du monde de football au Brésil, que l’équivalent de la surface d’un terrain de football y disparaît toutes les quatre minutes. À l’heure où notre poumon brûle, la France, qui accueillera en 2015 la conférence sur le climat, ne peut fermer les yeux.

Notre pays est d’autant plus concerné que des entreprises françaises sont impliquées : Alstom à Belo Monte, mais aussi GDF Suez ou encore EDF sur d’autres projets de barrages géants. La perspective de contrats juteux ne peut nous faire oublier la responsabilité sociale et environnementale de nos entreprises.

La France est également titulaire du triste titre de premier importateur européen de bois illégalement abattu. Le Gouvernement est-il prêt à lutter avec détermination contre les importations illégales ?

Peut-on espérer le voir, en septembre prochain, à la conférence de l’ONU sur les peuples autochtones, prendre des engagements pour que la France et ses entreprises ne collaborent plus à des projets portant atteinte à l’environnement et aux droits de l’homme ? (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Harlem Désir, secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Je vous remercie, monsieur le député, de votre question, qui, en présence du cacique Raoni, attire notre attention sur l’importance particulière que nous devons attacher aux droits des peuples autochtones.

La France, vous le savez, s’est mobilisée pour les droits de ces peuples. Elle a ainsi soutenu la négociation de la déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, processus qui a duré plus de vingt ans mais qui a permis l’adoption de ce texte par l’assemblée générale des Nations unies en 2007. La France a co-parrainé cette déclaration et s’est engagée pour qu’elle soit adoptée très largement. Elle coopère évidemment activement aux mécanismes des Nations unies pertinents en la matière.

En Amazonie, le parc national amazonien de Guyane coopère étroitement avec le parc national brésilien du Tumutumaque pour créer les conditions d’une meilleure prise en compte des questions autochtones dans l’aménagement des territoires.

C’est également le cas de notre coopération en matière de défense de la forêt et de lutte contre le trafic de bois, en particulier, le trafic illégal. Nous avons fait adopter par l’Union européenne des mesures qui sont en vigueur depuis 2013 et nous participons très activement avec le Brésil à la lutte contre ces trafics. C’est ainsi que nous développons la coopération scientifique académique dans la zone amazonienne et que nous faisons en sorte que, dans le cadre de l’accord franco-brésilien de 2008, le développement durable dans toutes ses dimensions permette d’assurer la préservation de la forêt amazonienne et du biome amazonien.

Le barrage de Belo Monte va permettre de fournir de l’électricité à 18 millions de personnes. En même temps, il confirme le choix du Brésil de faire reposer sa production d’électricité principalement sur des énergies renouvelables…

M. le président. Je vous remercie, monsieur le ministre.

Réforme territoriale

M. le président. La parole est à M. François Sauvadet, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. François Sauvadet. Monsieur le Premier ministre, franchement, nous sommes dans une situation invraisemblable ! Nous sommes dans un pays où l’on découvre par un communiqué de presse de l’Élysée, à vingt et une heures quatre, une nouvelle carte des régions de France, qui, c’est le moins que l’on puisse dire, suscite de vraies interrogations et, en tout cas, relève de l’improvisation la plus totale. D’ailleurs, quelques minutes avant ce second communiqué – il y en avait eu un premier –, on avait laissé en blanc le nombre des régions, pour parfaire, visiblement, le dialogue qui a eu lieu avec quelques ministres ou influents présidents socialistes de conseils régionaux.

Vous qui prônez le dialogue, monsieur le Premier ministre, comme vous l’avez dit dans votre discours de politique générale, je vais vous poser une question simple : est-ce qu’on peut conduire une réforme d’une telle ampleur depuis un bureau parisien, fût-ce celui de l’Élysée, sans que les Français ni les 500 000 élus locaux qui font la République au quotidien n’aient été appelés à en débattre ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

Ce n’est pas la réforme elle-même qui est en cause, mais la logique qui la sous-tend, et la méthode que vous avez employée. Quels sont les critères qui vous ont conduit à ne pas toucher à sept régions et à en regrouper d’autres par des mariages forcés, à deux ou à trois ? Pourquoi quatorze régions plutôt que onze ou sept ?

Ce que je veux dénoncer ici solennellement, au nom du groupe UDI, c’est la méthode. Tout cela a un goût d’amateurisme. On parle de structure avant de parler de compétences ; on parle de redécoupage mais on ne parle pas du fond,…

M. Jean-Christophe Lagarde. Très bien !

M. François Sauvadet. …des moyens donnés à chaque échelon, ni des objectifs. Quant aux économies attendues, là encore, c’est le flou le plus total. Votre gouvernement nous annonce de 8 à 25 milliards d’euros d’économies. D’où viennent ces chiffres ?

Je vous demande deux choses, monsieur le Premier ministre. La première est que vous saisissiez la Cour des comptes afin qu’elle puisse attester les gains supposés de la réforme. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.) La seconde est que vous engagiez des états généraux dans chaque territoire de France, pour que nous en parlions avec le peuple et les élus. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président Sauvadet, je connais votre intérêt et celui de votre groupe pour ces questions.

M. Sylvain Berrios. Et les autres ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je ne les oublie pas, mais j’ai aussi répondu à d’autres groupes.

Un député du groupe UMP. Monsieur est bien bon !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Quand on évoque les problèmes de méthode, c’est souvent parce que l’on ne veut pas parler du fond.

M. Jean-Christophe Lagarde. Non !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Ce que je voudrais savoir, monsieur Sauvadet, c’est si vous êtes favorable à une transformation profonde de notre organisation territoriale. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. Sylvain Berrios. Et nous ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Êtes-vous d’accord avec la réorganisation autour de régions fortes qui nous permettent d’être plus compétitifs sur le plan économique ? (Exclamations sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

Bernard Roman me rappelait les projets de Pierre Mauroy. J’ai en tête les travaux de la commission Balladur, les propositions de Jean-Pierre Raffarin et d’Yves Krattinger au Sénat.



M. Franck Gilard. Pierre Mendès France !

M. Manuel Valls, Premier ministre. On parle, on discute, mais on n’avance pas. J’ai, en ce qui me concerne, reçu l’ensemble des associations d’élus. Le ministre de l’intérieur, les ministres en charge de la décentralisation ont reçu des présidents de région, discuté avec des parlementaires, des présidents de groupe. Le débat s’engage, il commencera dans quelques semaines au Sénat et à l’Assemblée nationale. Un texte sur la carte des régions sera présenté en conseil des ministres en même temps que celui concernant les compétences. Ce débat est indispensable ; il aura lieu dans votre assemblée tout au long de l’année 2014, à la fois sur la carte des régions et sur les compétences.

À force d’attendre, à force d’expliquer qu’il faut des états généraux, de dire qu’il faut consulter, nous n’avançons pas ! Eh bien, cartes sur table – c’est le cas de le dire –, avec des projets concrets, qui pourront, pourquoi pas, être modifiés – ce sera le rôle du Parlement –, nous pouvons désormais avancer. Il était temps de franchir cette étape, afin que le débat ait lieu, et vos propositions sont évidemment les bienvenues pour faire avancer ce débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Interpellation du tueur présumé du Musée juif de Bruxelles

M. le président. La parole est à M. Gérald Darmanin, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Gérald Darmanin. Monsieur le Premier ministre, samedi 24 mai dernier, Mehdi Nemmouche a perpétré un crime odieux au Musée juif de Bruxelles. La représentation nationale dans son ensemble, j’en suis sûr, partage la douleur des familles des victimes. Chacun ici condamne avec la plus grande force cette folie meurtrière.

L’auteur de cet acte ignoble a été interpellé suite à un contrôle et l’emballement médiatique s’est tourné vers deux villes. Je le dis en tant que maire de Tourcoing et aussi au nom de Guillaume Delbar, maire de Roubaix : que Mehdi Nemmouche ait vécu à Roubaix et à Tourcoing n’a pas de lien avec le fait qu’un islamiste radical, parti en Syrie vivre la violence de la guerre, commette des crimes monstrueux à son retour. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Faisant fi de cette analyse, depuis dimanche, de très nombreux médias traitent nos villes comme des laboratoires du radicalisme religieux. (Mêmes mouvements.) Il faut le dire, à Roubaix et Tourcoing, comme sur tout le territoire national, de nombreux Musulmans français vivent non pas à côté de la République française mais assimilés à elle. Ils respectent, ils aiment notre pays, comme l’a bien souvent démontré dans notre histoire le sang versé par nos compatriotes musulmans quand il a fallu défendre la France. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

L’antisémitisme, monsieur le Premier ministre, est un drame horrible contre lequel il faut lutter sans relâche, partout et toujours. Et nos villes et nos populations refusent les amalgames alors même que, malgré les difficultés sociales et économiques, les citoyens de nos communes, quelles que soient leurs croyances, souhaitent simplement protéger leurs familles et réussir à vivre du fruit de leur travail.

Merci de préciser, avec la solennité que la situation exige, que vous comptez protéger ces populations des fous furieux qui ne respectent ni n’aiment notre pays. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, vous avez, avec des mots justes et beaucoup de dignité, exposé la situation de nombre de nos quartiers, confrontés à l’existence sur leur territoire de jeunes qui ont basculé dans l’extrémisme, la violence et le radicalisme. Tourcoing n’est pas la seule ville confrontée à ce problème, il y en a d’autres en France, et c’est bien la difficulté à laquelle nous sommes confrontés.

Je voudrais à mon tour, comme vous l’avez fait, m’incliner devant la mémoire de ceux qui ont perdu la vie au Musée juif de Bruxelles, et dire, comme vous l’avez dit, que ces actes d’une extrême violence, d’une grande barbarie n’ont rien à voir avec l’islam de France, qui est intégré à la République et en partage les valeurs. Il faut se garder des amalgames. Je veux rendre hommage à votre propos pour l’avoir rappelé. (Applaudissements sur tous les bancs.)

Je veux également dire très clairement notre détermination à lutter, sans trêve ni pause, contre cette violence, ces meurtres, ce terrorisme. Nous le faisons par le biais d’un plan présenté en conseil des ministres à la fin du mois d’avril et qui fera l’objet d’un débat au Parlement au cours des prochaines semaines. Je présenterai en outre en conseil des ministres, à la demande du Président de la République et du Premier ministre, à la fin du mois de juin, des dispositions législatives en appui à ce plan.

Celui-ci repose sur trois axes : prévenir les départs – c’est important car c’est sur le théâtre des opérations que la violence s’opère – ; démanteler les filières ; accompagner les familles. C’est autour de ces trois axes que nous aurons à débattre au Parlement d’un plan fort, efficace, pour qu’aucune place ne soit laissée à cette violence dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

Mme Claude Greff. Et le retour ?

Lutte contre les filières djihadistes

M. le président. La parole est à M. Nicolas Bays, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Nicolas Bays. Monsieur le ministre de l’Intérieur, de nombreux jeunes Européens, dont plus de sept cents Français, sont aujourd’hui recrutés par des groupuscules djihadistes ou bien s’autoradicalisent. Coupés de leurs familles, ils partent combattre dans des guerres qui ne sont pas les leurs ; entraînés, programmés à tuer, ils sont ensuite, à leur retour, poussés à se retourner contre l’Europe, le drame de Bruxelles en étant malheureusement l’exemple. Ne nous y trompons pas : cette menace est réelle, elle touche le cœur de la cohésion nationale et appelle une vigilance de tous les instants.

Des groupuscules opèrent en France depuis le début des années 1980. Ils sont parvenus à constituer de véritables filières de recrutement, jusque dans l’enceinte de nos prisons, exploitant les pertes de repères de la jeunesse française, attisant les haines à des fins de déstabilisation, cherchant à casser le vivre ensemble, important des conflits sur le territoire français, allant à l’encontre des préceptes religieux qu’ils disent défendre, refusant les droits de l’homme et la démocratie, reniant les valeurs de la République, entachant ses symboles. Ces groupuscules menacent la pérennité de notre pacte républicain.

Face à la gravité et à l’urgence de cette situation, la République française doit être ferme, intraitable et unie. Il nous faut lutter contre ces menaces, ces menaces aux mille visages, sans faire d’amalgames douteux entre croyance et fanatisme, entre musulmans et intégristes. Il faut accroître l’effort que fournissent l’ensemble de nos services de sécurité et d’investigation, auxquels je tiens aujourd’hui à rendre hommage après l’arrestation rapide de Medhi Nemmouche. Il faut porter haut les valeurs de la démocratie, poursuivre la coopération avec nos partenaires européens.

Monsieur le ministre, vous travaillez actuellement, en complète coordination avec vos homologues européens, à la mise en place d’un plan de lutte contre les filières djihadistes. Pouvez-vous aujourd’hui en présenter les grandes lignes à la représentation nationale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

Mme Claude Greff. Parlez-nous du retour !

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, je voudrais, en complément de ma réponse à M. Darmanin et en réponse à votre question, préciser quelles sont les mesures incluses dans ce plan. J’indiquais la volonté que nous avons de prévenir les départs : dès le lendemain de la présentation de ce plan en conseil des ministres, j’ai pris une instruction qui permet, dès lors que des parents nous ont signalé le départ possible de leurs enfants, d’interdire la sortie du territoire de ces mineurs en les inscrivant au système d’information Schengen et au fichier des personnes recherchées. Cette inscription enclenche mécaniquement la coopération de tous les pays de l’Union européenne pour empêcher ce départ sur le théâtre des opérations djihadistes en Syrie. Pour les majeurs, il faut prendre une disposition législative ; celle-ci sera inscrite dans le texte de loi dont vous aurez à débattre après qu’il aura été présenté en conseil des ministres à la fin du mois de juin.

Par ailleurs, il faut démanteler ces filières, il faut combattre l’accès sur internet à des vidéos, à des instruments de propagande, à des photos incitant ces jeunes à basculer, car beaucoup de ces jeunes basculent dans la violence par une relation sur internet exclusive de toute autre. Je sais que, sur tous les bancs de cette assemblée, des propositions sont en cours de préparation : elles seront examinées avec la volonté de les faire aboutir. Le plan, qui sera présenté sous forme de texte de loi au Parlement, permettra d’aller au bout de cet objectif.

Enfin, une fois que les personnes sont revenues sur le territoire national après avoir été confrontées à la violence, il faut des dispositifs de suivi, il faut des dispositifs d’empêchement, il faut que la sécurité soit assurée. C’est la raison pour laquelle tous nos services de renseignement et de police travaillent ensemble, mais aussi avec les autres services des pays de l’Union européenne, pour faire en sorte que ces terroristes ne soient jamais en état d’agir sur le territoire national. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

Réforme pénale

M. le président. La parole est à Mme Virginie Duby-Muller, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Virginie Duby-Muller. Monsieur le Premier ministre, sur la réforme territoriale, François Hollande et vous-même avez changé quatre fois d’avis en deux ans ! Sur la réforme pénale, c’est la même chose ! Votre indécision et vos volte-face font que nous ne savons pas quelle est la ligne du Gouvernement. Ministre de l’intérieur, vous aviez durement condamné l’avant-projet de loi de Mme Taubira ; Premier ministre, vous lui avez pourtant accordé un créneau parlementaire pour discuter dans l’urgence, pour convenance personnelle de la Garde des Sceaux (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), de ce texte mal ficelé et surtout néfaste pour la lutte contre la délinquance.

Qu’on en juge : avec ce projet de loi, la prison devient désormais l’exception ; avec la contrainte pénale, vous ouvrez grand les portes et les fenêtres des prisons. (Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. S’il vous plaît ! Écoutez la question !

Mme Virginie Duby-Muller. L’élargissement du champ de la contrainte pénale pour l’ensemble des délits a d’ailleurs été effectué sans étude d’impact et risque de se traduire par des alourdissements des charges pesant sur les policiers et les gendarmes.

M. Yann Galut. C’est faux !

Mme Virginie Duby-Muller. Cette extension revient aussi à nier les faits les plus graves qui doivent pourtant recevoir une réponse de fermeté ; elle est donc porteuse d’un message d’impunité. II est vrai que vous avez décidé de supprimer du jour au lendemain le programme que nous avions lancé de construction de vingt mille places supplémentaires de prison ! Vous supprimez également par dogmatisme les peines plancher permettant de sanctionner plus lourdement les multirécidivistes – et tout est à l’avenant !

En commission des lois, votre ministre de la justice se laisse même battre par votre majorité. Il est vrai que c’est une illustration supplémentaire du fait qu’ici, à l’Assemblée nationale, votre majorité s’étiole de jour en jour ! Monsieur le Premier ministre, quand allez-vous cesser de désarmer la justice face aux délinquants ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. Nicolas Dupont-Aignan. Bravo !

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Madame la députée, je vais vous dire très franchement ce que je pense de votre question : notre pays crève littéralement de ce genre de polémiques et de positions ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.) Face à la délinquance et à la violence, face au crime organisé, mais également face à toute cette délinquance qui pourrit la vie quotidienne de nos concitoyens, ces derniers attendent autre chose que ces caricatures et ces polémiques stériles ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Dans un instant, le débat concernant la réforme pénale va commencer. Si les peines plancher, si toutes les lois qui ont été votées depuis dix ans avaient donné de si grands résultats, nos prisons ne seraient pas pleines comme elles le sont aujourd’hui ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.) Nous n’aurions pas la délinquance que nous connaissons depuis des années, avec une augmentation des violences, et, surtout, nous n’aurions pas une augmentation de la récidive !

Oui, le texte qui est présenté par la garde des Sceaux a comme objectif clair, net, efficace, de lutter contre la récidive. Quand je lis par exemple ce que votre collègue, le sénateur Lecerf, dit sur la loi pénale, je me dis qu’à droite comme à gauche il y a des hommes et des femmes capables de s’entendre sur l’essentiel, c’est-à-dire une justice efficace, et de faire en sorte que ce sujet ne soit pas au cœur de polémiques qui nous font perdre du temps. Dire que nous souhaitons vider les prisons, dire que c’est Mme Taubira qui souhaite vider les prisons n’a aucun sens : c’est un mensonge, et cela ne fait pas avancer le débat d’un iota ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDPGDR. – Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Sur ces questions, si les uns et les autres, les républicains notamment, n’ont pas compris que cela fait monter le Front national, que cela discrédite la vie politique, que cela discrédite la parole politique, c’est que vous n’avez pas compris la situation dans laquelle nous sommes ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP. – Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Et je le dis aussi bien à l’opposition qu’à la majorité : sur ce sujet, point de posture, point d’idéologie ! Un seul objectif, un seul intérêt : celui des Français ! (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDPGDR.)

Intégration des congés de maternité dans le calcul des retraites

M. le président. La parole est à Mme Bernadette Laclais, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Bernadette Laclais. Madame la ministre des affaires sociales, la réforme des retraites adoptée en janvier dernier s’inscrit dans la volonté de relever le défi du financement de notre système de répartition et de garantir sa pérennité tout en engageant de nouvelles avancées sociales qui permettent de combattre les inégalités. C’est vrai avec l’intégration de la pénibilité dans le calcul des retraites, c’est vrai aussi à travers une meilleure prise en compte des difficultés rencontrées par les travailleurs précaires, c’est vrai enfin avec la réduction des inégalités entre les femmes et les hommes dans l’accès à la retraite.

Sur ce dernier point, le décret du 1er juin 2014 est une avancée importante qui était attendue par les femmes, et elle ne relève pas que du symbole. De quoi s’agit-il ? Jusqu’à présent, un seul trimestre de congé maternité par enfant était validé au titre du droit à la retraite alors que le congé maternité, on le sait bien, excède très souvent cette durée. Dorénavant, tous les trimestres de maternité seront pris en compte dans le calcul de la durée de cotisation. Vous avez également souhaité prendre en compte le cas spécifique des parents adoptants : là aussi, cette mesure était très attendue. Le décret du 1er juin est une nouvelle étape dans le juste combat de l’égalité.

Madame la ministre, chers collègues, nous savons bien que la maternité peut être un frein dans la vie professionnelle des femmes : avancement gelé, promotions retardées, opportunités ouvertes à d’autres ; être mère ne peut pourtant pas être une raison de renoncer à un déroulement de carrière semblable à celui des hommes, et ce sans compter l’injustice au moment de prendre sa retraite. Une telle situation n’est pas une fatalité, mais il faut la mobilisation de tous pour surmonter ces difficultés.

Alors que se réunit cette semaine, à Paris, le Sommet mondial des femmes, notre pays, avec ce décret comme avec le projet de loi, prouve qu’il produit des actes concrets en faveur de l’égalité. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Madame Laclais, vous avez raison de souligner que la loi sur les retraites n’a pas seulement garanti dans la durée le financement de nos régimes de retraites (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), mais a aussi permis, à l’initiative du Gouvernement et des parlementaires de la majorité, des avancées sociales majeures.

M. Bernard Accoyer. Vous savez bien que c’est faux !

Mme Marisol Touraine, ministre. Parmi ces avancées majeures, il y a celles qui vont dans le sens de l’égalité entre les hommes et les femmes. En effet, aujourd’hui, la retraite des femmes est en moyenne de 30 % inférieure à celle des hommes, et nous ne pouvons pas l’accepter. Bien entendu, l’égalité en termes de retraite ne se joue pas uniquement au bout du parcours professionnel, et il faut se battre pour conquérir de nouveaux droits tout au long de la carrière. À cet égard, il est important que la conciliation entre parcours professionnel et vie familiale soit favorisée.

C’est ainsi que la mesure que vous avez relevée, qui vient en effet de faire l’objet d’un décret, est importante : 70 000 femmes vont pouvoir compter sur des trimestres supplémentaires au moment du calcul de leur retraite lorsqu’elles ont trois enfants et plus ou, par exemple, des jumeaux, ou encore pour celles qui adoptent. Cette mesure importante s’ajoute à d’autres qui figurent dans la loi sur les retraites et qui vont permettre une meilleure prise en compte du travail à temps partiel, lequel touche principalement les femmes. Je rappelle aussi la double revalorisation du minimum vieillesse cette année, soit 80 euros de plus pour les plus petites retraites, sachant que celles-ci sont perçues à 80 % par des femmes.

Vous le voyez, madame la députée : le Gouvernement œuvre en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes, y compris au moment de la retraite. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.)

Lutte contre le terrorisme

M. le président. La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard. Monsieur le ministre de l’intérieur, nous ne vivons pas dans un monde de « bisounours ». La France est en guerre au Mali, en Centrafrique, et désormais nous devons faire face au djihadisme sur le territoire national. Nous sommes tous ici des républicains et chérissons nos libertés, mais nous ne pouvons pas tolérer que ces libertés profitent aux assassins. Le djihadisme ne se combat pas avec de bons sentiments. La sécurité des Français et de tous les Européens exige des mesures fortes et concrètes !

Il s’agit d’abord, monsieur le ministre, de renforcer nos services en hommes et en matériels. Ils doivent être préservés du rabot budgétaire, au même titre que tout le budget de la défense ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Paul Giacobbi. Très juste !

M. Jacques Myard. En ma qualité de membre de la délégation parlementaire au renseignement, je tiens ici à rendre un vibrant hommage aux femmes et aux hommes de nos services qui servent, parfois au péril de leur vie, la République pour assurer notre sécurité. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

M. Paul Giacobbi. Très bien !

M. Jacques Myard. Ces femmes et ces hommes de l’ombre servent dans un grand service public de la nation ! À ce titre, il est inadmissible d’entendre parfois, sur certains bancs de gauche, une dénonciation de principe, par idéologie, des écoutes nécessaires pour protéger la population et éviter les attentats ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Il est impératif, monsieur le ministre, de rétablir des contrôles à nos frontières, véritables passoires.

Nous devons renforcer notre coopération avec la Turquie et le Liban afin qu’ils contrôlent l’arrivée sur leur territoire de Français.

Exigeons des Américains qu’ils ferment les sites djihadistes qu’ils hébergent sur leur territoire !

Criminalisons la participation des Français à des conflits du type syrien.

Monsieur le ministre, les Français attendent des mesures concrètes et fortes ! Qu’allez-vous faire ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur Myard, vous avez parlé, avec beaucoup de pertinence, de sujets très sérieux sur lesquels nous sommes rassemblés.

Vous évoquez d’abord les moyens. Vous avez tout à fait raison de dire qu’il faut que nos services de renseignement et notre police disposent des moyens nécessaire à la lutte contre l’insécurité sous toutes ses formes, plus particulièrement à la lutte contre le terrorisme. C’est la raison pour laquelle, après que près de 17 000 emplois ont été supprimés dans la police et dans la gendarmerie entre 2007 et 2012 (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe UMP),…

M. Bernard Deflesselles. C’est faux !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …nous avons décidé de reprendre les recrutements, à hauteur de près de 500 postes par an.

Pour ce qui concerne les services de renseignement, je veux aussi vous rassurer tout à fait, monsieur Myard : alors qu’au cours de la période 2007-2012 la DCRI avait perdu près de 300 emplois, la DGSI va en gagner 416 (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC) car, comme vous, nous pensons qu’il n’est pas souhaitable de désarmer nos services de sécurité et de renseignement au moment où ils doivent faire face à des défis aussi importants.

Vous avez raison également de souligner qu’il est nécessaire de procéder à des écoutes, des interceptions de sécurité, dans le cadre du droit en vigueur pour assurer le bon fonctionnement de la justice et pour lutter efficacement contre ceux qui commettent des actes délictueux. Vous avez certainement remarqué que, lorsque les interceptions de sécurité servent la justice, ce n’est généralement pas sur les bancs de la majorité que l’on s’en plaint. (Applaudissements et rires sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Je tiens enfin à vous indiquer que le Gouvernement est absolument déterminé à ce que l’Union européenne joue totalement son rôle en matière de renseignement et de coopération entre les services de police. C’est la raison pour laquelle j’ai organisé avec la ministre de l’intérieur belge une réunion le 8 mai dernier à Bruxelles, et il y en aura une autre demain à Luxembourg. Il s’agit que, dans ce monde dangereux, l’Europe s’arme pour être efficace contre le terrorisme. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

M. Gérard Charasse. Très bien !

Réforme territoriale

M. le président. La parole est à Mme Jeanine Dubié, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

Mme Jeanine Dubié. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

Monsieur le Premier ministre, nous sommes tous persuadés qu’une réforme territoriale d’ampleur s’imposait. Nous l’étions déjà lorsque l’acte III de la décentralisation nous a été proposé, et nous le sommes restés après le vote de loi de modernisation de l’action publique, il y a six mois.

Nous avons voté le rétablissement de la clause générale de compétence, vous allez nous proposer sa suppression.

Nous avons confirmé le dispositif de rationalisation de l’intercommunalité contenu dans la réforme de 2010, vous allez nous en proposer un autre. Dont acte.

Les circonstances semblent dicter la réforme annoncée par le Président de la République dans sa tribune d’hier. Cependant, pour l’instant, cette réforme n’est constituée que par une carte des nouvelles régions métropolitaines. Bien évidemment, les parlementaires reviendront sur cette carte qui n’est qu’un élément, certes le plus visible, de la réforme globale à venir.

Une réforme territoriale cohérente concerne à la fois la définition des compétences des collectivités sous l’angle de l’efficacité de l’action publique et le problème de la démocratie locale.

Concernant l’efficacité de l’action publique, les régions et les nouvelles intercommunalités devraient se voir transférer dans les trois ans, une large part des compétences départementales. Selon quelle répartition ? Les compétences résiduelles des départements subsisteront-elles jusqu’à leur suppression actuellement envisagée en 2020 ? Quelle autonomie financière auront ces collectivités ? Quelle sera la date de la révision constitutionnelle annoncée ? Les conseils généraux et les agents territoriaux concernés ont besoin d’y voir clair.

S’agissant de la démocratie locale, les intercommunalités auront, le moment venu, toute leur légitimité démocratique. Deviendront-elles des collectivités de plein exercice ? S’oriente-t-on vers la création d’un quatrième échelon de collectivité ou remplaceront-elles, à terme, les départements ? Si la réforme ne concerne dans l’immédiat que les régions, les élections départementales pourront-elles être reportées ?

Monsieur le Premier ministre, nous nous posons légitimement beaucoup de questions. Pourriez-vous nous donner plus de visibilité et de précisions sur ces réformes à venir ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Madame Dubié, vous êtes une élue de proximité, vous connaissez bien les territoires, et vous avez raison de poser ces questions qui seront au cœur des textes que vous aurez à examiner très prochainement, à partir du mois de juillet.

Le premier axe de cette réforme détaillée ce matin par le Président de la République, c’est le renforcement des régions. Regroupées et dotées d’une taille suffisante, elles seront plus fortes et plus puissantes.

M. Yves Censi. C’est totalement monarchique !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Grâce à des blocs de compétences cohérents et renforcés, elles devront accompagner le développement économique et promouvoir l’emploi et la cohésion territoriale.

Le deuxième axe, c’est la montée en puissance des intercommunalités, qui doivent être renforcées pour améliorer l’efficacité des politiques de proximité. Cette orientation avait été amorcée par les lois Chevènement, et je sais la part qu’y avait pris Jean-Michel Baylet.

Ces intercommunalités feront forcément évoluer le département. Le Président de la République le rappelait : à partir du 1er janvier 2017, toutes les communes devront être intégrées à une intercommunalité d’au moins 20 000 habitants. Cela étant, des exceptions doivent exister – je pense notamment aux zones de montagne – et il faudra approfondir le débat.

Enfin, que deviendront les conseils généraux ? Puisqu’une réforme constitutionnelle n’était pas envisagée dans l’immédiat – nous verrons plus tard –, nous avons choisi de faire en sorte, pour les trois ans à venir, que les compétences et les agents soient transférés aux régions ou à l’intercommunalité et que subsiste un bloc de compétences autour du social et des services départementaux d’incendie et de secours. Ce sera l’objet de la discussion sur le texte présenté par Marylise Lebranchu et André Vallini.

À la fin, il faut qu’il y ait de la cohérence et de la complémentarité, que le rôle de l’État soit bien défini à tous les niveaux – de la zone, du département, de la région – pour gagner en efficacité et en proximité.

Nous ne pouvons plus attendre. Il fallait engager ce débat. Vous avez la carte…

M. Yves Censi. Ça oui, on a la carte !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …et les grandes orientations définies par le Président de la République. Vous aurez bientôt les textes de loi. Autour de toutes vos questions s’organisera le débat indispensable pour notre pays. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Société nationale Corse Méditerranée

M. le président. La parole est à M. Sauveur Gandolfi-Scheit, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Sauveur Gandolfi-Scheit. Ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État aux transports, à la mer et à la pêche.

Monsieur le secrétaire d’État, les syndicats de marins de la SNCM ont déposé pour le 24 juin un préavis de grève reconductible. Cette nouvelle grève, si elle devait avoir lieu, mettrait définitivement en péril l’économie insulaire.

Je me fais aujourd’hui le porte-parole de l’inquiétude et de la colère de toute la population corse mais surtout de tous les socioprofessionnels insulaires. Les entreprises corses ne peuvent plus compter que sur la réussite de la saison d’été pour essayer de sauver leurs activités et leurs emplois.

Des responsables politiques, de gauche comme de droite, les syndicats et les médias évoquent la perspective d’une liquidation de la compagnie et d’une vente à la découpe dont le Premier ministre Jean-Marc Ayrault nous assurait pourtant en janvier qu’elles n’auraient jamais lieu. La disparition de la SNCM ou la réduction de son périmètre d’activités pourraient avoir des conséquences dramatiques pour les personnels de la compagnie et pour des centaines de sous-traitants en Corse comme à Marseille.

Tous les jours, vous nous parlez de redressement industriel et d’emploi, alors que le revirement du gouvernement après les élections municipales conduit à l’abandon par Transdev du plan à long terme accepté par les syndicats de la SNCM.

Aujourd’hui, après des mois d’improvisation, de déclarations contradictoires et de promesses non tenues, vous ne pouvez plus vous cacher derrière les décisions de la Commission européenne.

M. Camille de Rocca Serra. Très bien !

M. Sauveur Gandolfi-Scheit. C’est votre politique, ou plutôt votre absence de politique, qui est en cause.

Quelles mesures compte prendre le Gouvernement afin d’assurer la pérennité de la délégation de service public accordée à la SNCM pour dix ans ? Cette perspective d’une nouvelle grève démontre, une fois de plus, l’impérieuse nécessité de l’instauration d’un service minimum dans le transport maritime, afin d’assurer la continuité du service. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le député, depuis de longs mois, le Gouvernement travaille à assurer le redressement et la pérennité de cette société.

Pour éclairer votre question, il aurait été utile que vous rappeliez l’origine des difficultés de la SNCM, notamment – je parle sous le contrôle du président Giacobbi – de l’amende de 440 millions d’euros infligée par Commission européenne, qui pèse sur son avenir.

Cette condamnation est motivée par deux faits : d’une part, les conditions dans lesquelles votre majorité, celle que vous souteniez, a privatisé la SNCM (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean Glavany. Parfaitement !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. …et, d’autre part, les conditions du versement de subventions dans le cadre de la délégation de service public au titre de la continuité territoriale.

M. Dominique Bussereau. Et la CGT ?

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État. Le Gouvernement se bat et poursuit un objectif clair : assurer le redressement sans délai de cette entreprise pour qu’elle puisse continuer à assumer sa délégation de service public au titre de la continuité territoriale jusqu’en 2023.

Pour cela, il faut respecter le plan de redressement : départs volontaires mais aussi renouvellement de la flotte. Or vous savez que la SNCM n’obtiendra pas de garanties bancaires tant qu’elle sera sous le coup de cette amende de 440 millions d’euros. En outre, une clarification est nécessaire en ce qui concerne l’actionnariat.

Vous avez raison de vous montrer solidaire des travailleurs de la SNCM et des collectivités, compte tenu de ce que représente cette société sur les territoires. D’un autre côté, il aurait été utile que vous puissiez ajouter vos forces à celles…

M. le président. Merci, monsieur le secrétaire d’État.

Réforme pénale

M. le président. La parole est à M. Dominique Raimbourg, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Dominique Raimbourg. Ma question s’adresse à Mme la garde des sceaux. Elle concerne le projet de réforme pénale que notre assemblée va étudier tout à l’heure. Ce projet fait l’objet de débats, c’est bien naturel, mais aussi de caricatures ; on l’a constaté avec la précédente question qui la concernait. On lui reproche pêle-mêle de vouloir remplacer les peines d’emprisonnement par des peines de contrainte. (« C’est vrai ! » sur les bancs du groupe UMP.) C’est une accusation extraordinaire, lorsque l’on sait que 120 000 peines d’emprisonnement sont prononcées chaque année et que la contrainte ne concernera, au maximum, que 20 000 personnes.

Mme Claude Greff. Quand même !

M. Dominique Raimbourg. On lui reproche par ailleurs de vouloir vider les prisons,…

M. Bernard Deflesselles. C’est vrai !

M. Dominique Raimbourg. …alors qu’aujourd’hui nous comptons 67 000 détenus et que jamais, comme l’a dit M. le Premier ministre tout à l’heure, les prisons n’ont été aussi pleines. On lui reproche, ensuite, son laxisme, terme général, alors que, pour la première fois, on s’intéresse à la question du suivi de ceux qui sortent de prison. Suivre, contrôler, aider aussi les 70 000 condamnés qui, chaque année, sortent de prison, il s’agit là de mesures extrêmement nouvelles, et tout à fait intéressantes.

Alors, madame la ministre, il y a un consensus qui se fait, largement, sur l’idée que le triptyque police-justice-pénitentiaire ne fonctionne pas très bien dans notre pays. Pouvez-vous nous donner des explications, des précisions sur la réalité de ce texte, la libération sous contrainte, le suivi de ceux qui sortent de prisons, la contrainte pénale éventuelle ? (« Allô ? Allô ? » sur les bancs du groupe UMP.) Pouvez-vous nous donner des précisions sur la philosophie et l’économie de ce texte ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Merci, monsieur le député Raimbourg, merci, surtout, pour le travail de très, très grande qualité que vous avez fourni sur ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC), dont la caractéristique principale est la maturation. Nous avons commencé à y travailler au mois de septembre 2012, nous y avons travaillé avec une méthode délibérément rigoureuse et perméable aux divergences. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe UMP.) Vous y avez ajouté quelque 300 auditions, qui vous ont permis de préciser les choses.

Avec ce texte de loi, effectivement, le Gouvernement s’est fixé pour ambition de parvenir à réduire la récidive, c’est-à-dire ces nouveaux actes de délinquance, qui font de nouvelles victimes et que les lois des années précédentes n’ont pas réussi, malgré l’intention affichée du législateur, à réduire, encore moins à éradiquer.

Telle est donc notre ambition : réduire la récidive.

On s’est attaqué à ce problème dans d’autres pays, et même ici, en d’autres circonstances. Nous connaissons les méthodes qui permettent de réduire la récidive, nous savons ce qui peut y aider : l’individualisation de la peine. Il faut que les magistrats puissent prononcer une peine qui soit individualisée, non seulement au moment du prononcé, mais aussi dans son exécution et dans le suivi de celle-ci. Ce qu’il faut rappeler, c’est que les peines prononcées ont une durée et que les condamnés finissent par sortir de prison. Nous savons que lorsqu’ils le font sans aucun encadrement, sans aucun accompagnement, sans aucun suivi, sans aucune contrainte, les risques de récidives sont au moins deux fois plus élevés que lorsque des dispositions alternatives ou d’aménagement sont prises.

Nous allons évaluer cette loi, lorsqu’elle aura été votée, si elle l’est. Et c’est la preuve que nous comptons sur son efficacité. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.)

Difficultés d’accès en deuxième année de master

M. le président. La parole est à Mme Huguette Bello, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Mme Huguette Bello. Ma question s’adresse à Mme la secrétaire d’État chargée de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Alors que se profile la fin de l’année universitaire, de très nombreux étudiants qui ont validé leur quatrième année d’études supérieures vont découvrir, après des milliers d’autres, que la première année de master ne leur ouvre pas automatiquement les portes du master 2, qu’une redoutable sélection leur est imposée au beau milieu de ce cycle et qu’il leur sera bien souvent impossible de poursuivre leur cursus.

À l’origine de cette situation, la réforme de 1998 organise l’enseignement supérieur autour de trois niveaux de diplômes : licence, master, doctorat. Commun à l’ensemble de l’Europe, le système LMD ne s’est pas accompagné, en France, d’une modification des modalités d’accès. Les règles en vigueur sont toujours celles qui existaient avant que le master ne remplace, en 2002, l’ancienne maîtrise.

La chute des effectifs entre les deux années du master est telle que les étudiants sont contraints de se livrer à un véritable tour de France des universités, de multiplier les candidatures, de mobiliser des moyens financiers sérieux et de faire des choix par défaut. Pour les étudiants des universités d’outre-mer, l’éloignement est un obstacle supplémentaire. Le sentiment d’avoir été dupés est réel et décourageant pour tous ceux qui, faute de place, se retrouvent sur le marché du travail avec un master 1 assimilé à une licence et non reconnu sur le plan international. Cette situation explique sans doute pourquoi la France reste le pays d’Europe où le nombre de titulaires de diplômes de niveau « bac plus 5 » est le plus faible.

Au moment où une volonté de simplification conduit à la définition d’une nouvelle nomenclature nationale des masters, les procédures d’accès aux formations conduisant au diplôme du master seront-elles revues en sorte qu’elles n’entravent plus la réussite de trop nombreux étudiants ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d’État chargée de l’enseignement supérieur et de la recherche. Madame la députée, les masters comptent aujourd’hui 290 000 étudiants, dont 150 000 en master 1 et 140 000 en master 2. On ne peut donc pas dire qu’il y ait déperdition entre les deux, mais vous avez raison de souligner que le taux de passage de l’année de M1 à l’année de M2 pour les primo-arrivants en master n’est que de 65 %. Si ce taux a très fortement progressé – de 20 % – au cours des dix dernières années, il demeure néanmoins insatisfaisant. Par ailleurs, dans certaines filières, comme la psychologie, soumise à certaines réglementations, il n’est que de 30 %. Il faut donc prendre des mesures spécifiques. C’est ce que nous avons commencé à faire, en dialogue avec les étudiants, premiers concernés, et les enseignants.

J’ai aussi simplifié, vous l’avez dit, l’ensemble de la nomenclature des formations. Nous avions 10 000 masters en France parce que, par négligence, nous les avions laissés se multiplier. Avec 5 500 intitulés différents, l’offre était illisible pour les jeunes, pour leurs familles, mais aussi pour les employeurs. C’était injuste socialement car seuls les jeunes disposant de réseaux relationnels qui les renseignaient pouvaient se diriger vers les masters qui offraient les plus grandes possibilités d’insertion. Nous avons donc simplifié, et il n’y a plus aujourd’hui qu’un peu plus de 300 masters. C’est une bonne chose, du point de vue social, du point de vue, aussi, de l’insertion.

Ma priorité, la priorité du Gouvernement, c’est bien l’insertion des étudiants. Il s’agit notamment de favoriser les réorientations, de mettre davantage de fluidité dans le passage de l’année de M1 à l’année de M2 pour, précisément, améliorer le taux de réussite à la fin de l’année de M1. Je rappelle que le taux d’insertion professionnelle, lorsqu’on obtient un master, est de plus de 90 %. Il faut donc poursuivre la réforme, au bénéfice de l’insertion professionnelle des étudiants. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Financement des opérations extérieures

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Pierre Lellouche. Monsieur le Premier ministre, mon collègue socialiste François Loncle et moi-même étions il y a une dizaine de jours au Mali, dans le cadre d’une mission de contrôle de la politique de la France au Sahel. Nous avons été les témoins directs de la reprise de la guerre dans le nord du Mali, entre l’armée malienne et le MNLA – Mouvement National de Libération de l’Azawad, indépendantiste touareg – dans la région de Kidal. Cette opération s’est soldée par un fiasco pour l’armée malienne. Un sentiment anti-français très fort se fait jour, la France étant accusée de complicité envers le MNLA parce qu’elle a refusé de l’éradiquer militairement.

Dans le même temps, des choses très graves se produisent en République Centrafricaine, où notre armée est littéralement coincée entre la violence des anti-musulmans et les musulmans de la Séléka.

Tout cela alors même que le Gouvernement se divise ouvertement, depuis plusieurs semaines, à propos d’éventuelles coupes dans les crédits affectés à la défense nationale. Après une série de déclarations contradictoires et souvent ambiguës venues de différents côtés – y compris de Matignon, monsieur le Premier ministre –, le Président de la République est intervenu hier et, comme toujours, il est intervenu pour louvoyer ! Tout en annonçant qu’il ne toucherait pas à la loi de programmation militaire qui vient juste d’être votée, il a ajouté une condition : que la trajectoire budgétaire « s’accompagne d’une amélioration des conditions de gestion de nos matériels et projets ».

J’aurais voulu que François Hollande fût avec nous ces derniers jours à Gao, dans le nord du Mali, auprès de nos soldats – auxquels je rends hommage : ils vivent dans des conditions extrêmement difficiles et utilisent des véhicules qui ont le double de leur âge. Ces véhicules tombent en panne en permanence ; ils ne peuvent même pas les réparer dans des abris climatisés ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

Au risque de nous enliser, François Hollande a engagé la France dans des opérations militaires difficiles. Le coût des opérations extérieures représente le triple du montant inscrit dans le budget de la défense. Monsieur le Premier ministre…

M. le président. Merci, monsieur Lellouche.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur Lellouche, même sur le Mali vous trouvez le moyen de polémiquer ! Même sur le Mali, vous trouvez le moyen de mettre en cause le chef de l’État ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Même sur le Mali, vous mettez en cause le Président de la République, alors qu’en décidant d’intervenir pour lutter contre le terrorisme au Mali il a pris une des décisions les plus importantes de son quinquennat. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Yves Censi et M. Claude Goasguen. Mais répondez, enfin ! Répondez à la question !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur Lellouche, si vous voulez que nous ayons un débat apaisé et intelligent sur les questions liées à la défense nationale, changez de ton quand il s’agit du chef de l’État ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Très vives protestations sur les bancs du groupe UMP, dont de nombreux membres se lèvent et quittent l’hémicycle.)

M. Georges Fenech. C’est inacceptable !

Plusieurs députés du groupe UMP. Scandaleux ! Incroyable !

M. le président. Mes chers collègues, si vous voulez sortir, faites-le, mais discrètement…

Vieillissement

M. le président. La parole est à Mme Joëlle Huillier, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Joëlle Huillier. Ma question s’adresse à Mme la secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie.

Notre pays est engagé dans une révolution : celle de l’âge. Alors que les personnes âgées de 60 ans et plus sont aujourd’hui 15 millions, elles devraient être 20 millions en 2030 et près de 24 millions en 2060. C’est une chance pour les Français, qui vivent plus longtemps, et c’est une chance pour la France, qui trouve là des nouveaux moteurs de croissance, de développement économique et de créations d’emplois. Mais c’est aussi un défi majeur pour notre société, qui doit s’adapter pour permettre à tous de profiter dans les meilleures conditions de ce formidable progrès, et qui doit accompagner celles et ceux pour lesquels l’âge signifie fragilité et perte d’autonomie.

Des avancées importantes ont été réalisées, notamment la mise en place de l’allocation personnalisée d’autonomie par le gouvernement de Lionel Jospin en 2001, mais il reste encore beaucoup à faire. En 2007, la droite avait promis une réforme de la dépendance : elle en parla sans cesse, la reporta sans cesse, et finalement l’abandonna, laissant des millions de familles dans la détresse. La gauche, elle, est au rendez-vous : le Président de la République, François Hollande, en a fait l’un de ses « 60 engagements pour la France ». Nous avons prévu un financement avec la CASA – la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie – et le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a lancé une grande concertation en 2013.

Je tiens d’ailleurs à saluer le volontarisme de votre prédécesseure, notre collègue Michèle Delaunay, qui a beaucoup œuvré pour aboutir à ce projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Ce projet est fondé sur ce que l’on appelle les trois « A » : anticipation, pour prévenir et retarder la perte d’autonomie ; adaptation de nos politiques ; accompagnement.

Madame la secrétaire d’État, vous avez présenté ce matin en Conseil des ministres cette belle et grande réforme de société. Pouvez-vous nous préciser son calendrier et son contenu ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie. Madame la députée, les Français veulent vieillir chez eux le plus longtemps possible et dans les meilleures conditions de vie possibles. C’est à cette préférence de vie que le projet de loi – que Marisol Touraine et moi-même avons présenté ce matin en conseil des ministres – veut répondre. C’est cette espérance de vie qu’il veut accompagner.

Il s’agira d’une loi d’adaptation et de programmation, d’une loi au long cours, qui est attendue à la fois par les familles, par les collectivités territoriales et par les professionnels. Elle a fait l’objet d’une large concertation avec tous les acteurs concernés. Je salue à cet égard le travail réalisé par Mme Delaunay pour mener cette concertation et la faire aboutir à un projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Ce projet de loi fait aujourd’hui largement consensus chez tous ceux qui s’intéressent au vieillissement. Il propose de mobiliser la société autour des enjeux du vieillissement, de la prévention et de la prise en charge de la perte d’autonomie. Vous avez mentionné les trois piliers de ce texte : anticipation, adaptation, accompagnement. Il faut anticiper, car on vieillit mieux, collectivement et individuellement, quand on y est préparé. Il faut aussi adapter le logement, l’urbanisme et les transports au vieillissement, car vieillir chez soi ne signifie pas rester chez soi. Il faut enfin accompagner : c’est le sens de l’acte II de l’allocation personnalisée d’autonomie – l’APA.

Avec ce projet de loi, des milliers de familles, des milliers de personnes âgées dépendantes bénéficieront d’un nombre d’heures supplémentaires d’aide à domicile avec un reste à charge inférieur. Plus d’heures d’aide à domicile, et moins de reste à charge : vous voyez que cette réforme est une réforme de justice sociale, madame la députée !

Enfin, le Gouvernement a choisi, pour financer cette réforme, un financement solidaire, avec la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie. Nous nous retrouverons pour en discuter après l’été ; nous discuterons de tout ce texte dans les meilleurs délais car je vous garantis, madame la députée, qu’il sera adopté. Beaucoup de ministres chargés des personnes âgées ont voulu cette réforme ; elle a été souvent, au cours des dix années passées, reportée, différée. Je pense qu’elle sera prochainement adoptée ; je souhaite qu’elle le soit par le plus grand nombre de parlementaires possible. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Christophe Sirugue.)

Présidence de M. Christophe Sirugue

vice-président



M. le président. La séance est reprise.

5

Suspension des poursuites engagées par le Parquet de Paris contre M. Henri Guaino

Discussion d’une proposition de résolution

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution de M. Henri Guaino tendant à la suspension des poursuites engagées à son encontre par le parquet de Paris pour outrage à magistrat et discrédit jeté sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance (nos 1954 et 1989).

La parole est à M. Matthias Fekl, rapporteur de la commission chargée de l’application de l’article 26 de la Constitution.

M. Matthias Fekl, rapporteur de la commission chargée de l’application de l’article 26 de la constitution. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour débattre de la proposition de résolution déposée par M. Guaino visant à suspendre les poursuites judiciaires engagées par le parquet de Paris à son encontre pour outrage à magistrat et discrédit jeté sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance.

Les faits ont été exposés dans la proposition de résolution de M. Guaino : à la suite de la décision prise par des magistrats de mettre en examen M. Nicolas Sarkozy du chef d’abus de faiblesse, M. Guaino s’est exprimé dans des termes très vifs à la fois contre la décision elle-même et contre le juge à l’origine de la décision. Il est donc poursuivi pour outrage à magistrat et discrédit porté sur un acte ou une décision de justice.

M. Guaino invoque l’article 26 de la Constitution, complété par l’article 80 du règlement de l’Assemblée nationale. La commission en charge de l’examen de la résolution, que j’ai l’honneur de présider, s’est réunie mercredi dernier. Elle m’a désigné comme rapporteur, la présidence de la réunion ayant par la suite été assurée par Mme Capdevielle, que je remercie, ainsi que tous les membres de la commission, pour la qualité de nos débats.

Selon des modalités arrêtées par son bureau, la commission a procédé à l’audition de M. Guaino. Après un débat, elle s’est prononcée par un vote à main levée sur la proposition de résolution. Suivant en cela ma proposition, la commission a majoritairement décidé de rejeter la proposition de résolution. Il me revient aujourd’hui de vous présenter le rapport et de retracer devant vous le raisonnement qui a conduit à ces conclusions.

Pour fonder sa proposition de résolution, Henri Guaino invoque deux principes fondamentaux de notre droit : l’irresponsabilité et l’inviolabilité parlementaire. Ces principes sont au cœur de notre État de droit. Ils forment le socle de toute démocratie parlementaire et de tout système représentatif.

Le principe d’inviolabilité a été proclamé le 23 juin 1789, aux premières heures de la Révolution française, avant même la prise de la Bastille. C’est Mirabeau qui invite l’Assemblée nationale à assurer sa protection contre « la puissance des baïonnettes », et qui demande aux États généraux que la personne des députés soit déclarée inviolable.

À la même époque est consacré le principe de l’irresponsabilité pour les votes et les propos émis par un parlementaire, dans le cadre de son mandat et l’exercice de ses fonctions.

Il s’agit là de principes fondamentaux et supérieurs. Ils ont une histoire, douloureuse et glorieuse à la fois. Ils sont nés avec les démocraties, longtemps menacées par les violences de toute nature qui visaient les représentants de la nation. Ils sont indissociables de notre République, jadis menacée par l’anti-républicanisme d’une justice peu indépendante.

Mais les menaces d’hier ne sont plus celles d’aujourd’hui. C’est d’ailleurs pour cela que les protections des parlementaires ont fait l’objet d’une modernisation très importante, avec la loi constitutionnelle du 4 août 1995.

En effet, les immunités parlementaires ont été revues dans un sens beaucoup plus restrictif. Les poursuites judiciaires peuvent désormais être engagées sans aucune intervention préalable du Parlement, sauf arrestations ou mesures privatives de liberté.

Ainsi que l’a écrit le regretté professeur Guy Carcassonne, « tout parlementaire doit [… ] désormais répondre de ses actes devant la justice, dans les mêmes conditions que les autres citoyens ». Il précise que « cette réforme a ramené les immunités à ce qu’elles doivent être : la protection du seul mandat, contre les seuls abus qui pourraient y porter atteinte ». Il ajoute, avec un brin de malice, que « pour promulguer la loi constitutionnelle qui a aboli un privilège suranné, la date du 4 août était donc bien choisie ».

Auparavant, en 1993, Philippe Séguin – dont nul ne conteste ici le sens de l’État ni la liberté de parole – avait d’ailleurs plaidé pour aller encore plus loin, puisqu’il suggérait alors de supprimer complètement la procédure de suspension des poursuites prévue par l’article 26 de la Constitution, invoqué aujourd’hui par M. Guaino.

Il y a donc incontestablement un avant et un après 1995 en matière d’immunités parlementaires. Avant 1995, elles étaient assez larges, voire générales. Depuis 1995, elles sont très strictes. Avant 1995, les demandes de suspension de poursuites étaient rares : dix cas sous la Troisième république, sept sous la Quatrième, trois sous la Cinquième – M. Guaino les rappelle également dans sa proposition de résolution.

Depuis 1995, cette procédure a eu tendance à disparaître totalement de notre paysage institutionnel, une seule application en ayant été faite depuis 1995 avant la demande que nous examinons à présent : elle a eu lieu en 1997 au Sénat, à l’initiative de M. Charasse. Il n’y a donc qu’un seul précédent, au Sénat et non à l’Assemblée nationale, depuis la réforme du droit parlementaire, en 1995.

Les principes sur lesquels reposent ces immunités ont un sens, qui ne doit pas être dévoyé. Il faut en respecter l’esprit et la lettre. Ils sont faits pour servir l’intérêt général, non l’intérêt particulier. Ils servent à protéger l’exercice des mandats parlementaires, non à soustraire les députés à la loi de la République. Ils doivent conserver leur force, non être affaiblis par des utilisations autres.

Il convient ici de bien cadrer les débats et de préciser la question qui est soumise à notre appréciation dans le cadre de la procédure de l’article 26 de la Constitution. Comme l’avait rappelé Philippe Séguin en 1980 dans son rapport sur la demande de suspension des poursuites à l’encontre de parlementaires ayant participé à des radios libres, « ce que les assemblées ne doivent pas faire, c’est "juger", c’est-à-dire porter un jugement sur les faits, les qualifier, se prononcer sur la culpabilité ».

Notre rôle n’est pas de juger, ni de préjuger de quoi que ce soit. Nous n’avons pas ici à juger M. Guaino, ni ses propos. Nous n’avons pas non plus à porter de jugement sur les procédures judiciaires, qu’il s’agisse de la procédure visant M. Guaino, objet de la présente proposition de résolution, ou de celle ayant visé M. Sarkozy, au sujet de laquelle il s’était exprimé. Faire cela reviendrait à nous substituer aux juges et à méconnaître la séparation des pouvoirs.

Notre rôle dans le cadre de cet examen n’est pas non plus de nous prononcer sur le fond. La liberté d’expression est assurément un droit fondamental que personne ne saurait prendre à la légère. Elle est protégée par notre droit, à commencer par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Son article 11 dispose que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »

Elle est protégée aussi pour les parlementaires, afin de leur permettre de s’exprimer librement dans le cadre de leur mandat. La commission a été très attentive à cette question, et nous le serons aussi aujourd’hui, en séance publique.

Cependant, ce n’est pas à nous de trancher cette question dans le cas particulier de M. Guaino, ou de tout autre parlementaire. Le constituant et le législateur sont compétents pour fixer les principes et les inscrire dans les textes – M. Guaino, comme chacun d’entre nous, est parfaitement libre de prendre des initiatives pour réécrire des textes qu’il jugerait inadaptés ou mal fondés – pas pour juger dans des situations particulières.

Ce faisant, nous sortirions de notre rôle. Nous nous substituerions aux juges ; nous commettrions un abus de pouvoir ; nous ferions un immense retour en arrière dans l’histoire de notre pays, en revenant aux arrêts de règlement qui avaient cours sous l’Ancien Régime.

M. Paul Giacobbi. Quel rapport ?

M. Matthias Fekl, rapporteur. S’agissant des chefs d’incrimination, on peut en critiquer le fondement, comme l’a d’ailleurs fait M. Guaino dans sa proposition de résolution et lors de son audition devant la commission. On peut même, parce que c’est notre responsabilité de législateur, réfléchir à une nouvelle rédaction, plus claire, plus respectueuse de la liberté d’expression si l’on considère que ces principes ne sont pas atteints. C’est d’ailleurs ce qui a été fait en juin 2012 avec la suppression du délit d’offense au chef de l’État. La liberté d’expression ne doit pas faire peur : je l’appelle de mes vœux. Mais sachons en user avec responsabilité, dans les limites fixées par nos textes et leur interprétation par les juridictions compétentes.

C’est devant les juges que M. Guaino, comme tout citoyen, peut faire valoir ses droits légitimes. Devant le juge de première instance d’abord, puis, si la décision ne lui semble pas justifiée, en appel, puis, si la décision d’appel ne lui semble pas justifiée, en cassation, puis, si la décision de cassation ne lui semble pas justifiée, devant la Cour européenne des droits de l’homme, que je me réjouis d’ailleurs de voir invoquée ici pour son rôle fondamental dans la protection des libertés. C’est le cours normal de la justice, pour chaque citoyen.

Mes chers collègues, certains débats sont légitimes. Mais dans le cadre de l’article 26, nous avons à nous prononcer sur une question, et une seule : les poursuites engagées contre M. Guaino entravent-elles la possibilité pour lui d’exercer librement son mandat de parlementaire ? C’est ce sujet qui est en débat aujourd’hui.

Mme Sandrine Mazetier. Très juste !

M. Matthias Fekl, rapporteur. L’art oratoire et la rhétorique ont fait les riches heures de notre Parlement.

M. Alain Tourret. Heureusement !

M. Matthias Fekl, rapporteur. Mais aujourd’hui, aucune envolée, aucune invocation, aucune emphase – à supposer qu’il y en ait au cours de nos débats de ce jour – ne doit nous détourner de ce point fondamental.

La commission a placé ses travaux dans les pas d’une « jurisprudence » – le terme est impropre – désormais bien établie par les assemblées en matière d’immunité. Suivant en cela les principes arrêtés par le bureau de notre assemblée, lorsqu’il est saisi de demandes de levée d’immunité, la commission a veillé à assurer l’équilibre qui doit être impérativement préservé entre deux objectifs contradictoires : sauvegarder l’indépendance des parlementaires, afin d’éviter qu’ils ne soient victimes de poursuites qui les empêchent d’exercer leur mandat parlementaire dans de bonnes conditions ; maintenir l’égalité de tous les citoyens devant la loi, en limitant au strict nécessaire la prérogative que constitue l’immunité parlementaire.

Je me permets de citer à cet effet les propos de René Capitant, rapporteur en 1963 de la première proposition de résolution tendant à la suspension des poursuites déposée sous la VRépublique : « Le rôle de l’Assemblée n’est pas d’arrêter le cours de la justice, mais seulement de le suspendre…, et encore sous réserve que le trouble apporté à l’ordre public par cette suspension ne soit pas tel qu’il l’emporte sur l’atteinte à la souveraineté nationale résultant des poursuites intentées contre un membre du Parlement ».

S’agissant de la première considération, à savoir le fait que M. Guaino serait empêché d’exercer son mandat dans de bonnes conditions, il apparaît que ni la lecture de la proposition de résolution ni l’audition de son auteur par la commission – au cours de laquelle M. Guaino a été interrogé sur ce sujet – n’ont permis d’identifier une quelconque entrave à l’exercice du mandat parlementaire. D’après les informations que nous avons pu avoir, la première convocation par le juge aurait lieu au mois d’octobre, alors même que M. Guaino, dans le cadre de la présente procédure, nous invite à faire cesser les poursuites jusqu’au 30 juin.

D’ici à la fin du mois de juin, aucun élément concret caractérisant les poursuites n’est prévu. Au vu de ces éléments, il est évident que rien ne permet d’étayer la thèse d’une entrave à l’exercice du mandat parlementaire de M. Guaino.

La demande de suspension de poursuites nous semble donc juridiquement infondée. Pour ce seul motif déjà, je vous propose de la rejeter. En effet, si nous adoptions cette proposition de résolution, nous commettrions un détournement de procédure juridiquement injustifiable.

J’ajoute que nous ferions aussi preuve d’une immense irresponsabilité politique, alors que notre pays traverse depuis plusieurs années une crise profonde. Une crise démocratique, une crise de confiance, une crise qui mine nos institutions et menace d’ébranler notre République.

M. Jean-Frédéric Poisson. Hors sujet !

M. Matthias Fekl, rapporteur. Dans ce contexte de désarroi, qui pourrait comprendre que les députés s’arrogent le droit de suspendre des poursuites judiciaires pour l’un des leurs, à sa demande, alors qu’aucun motif valable d’intérêt général, aucun fondement juridique sérieux ne le justifie ?

M. Bernard Deflesselles. Haro sur le baudet !

M. Matthias Fekl, rapporteur. Pour ces raisons, mes chers collègues, je vous propose de rejeter la proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Henri Guaino.

M. Henri Guaino. Monsieur le président, mes chers collègues, je suis parfaitement conscient que le dépôt de cette proposition de résolution a pu surprendre beaucoup d’entre vous et susciter des incompréhensions, jusque dans les rangs de la commission des immunités.

Permettez-moi, monsieur le rapporteur, de vous dire qu’à la lecture de votre rapport, je me suis demandé si nous avions étudié la même histoire, lu les mêmes comptes rendus des débats. Une chose est certaine, nous n’avons pas la même compréhension de la procédure dont nous débattons aujourd’hui.

Vous avez des excuses, tant il est vrai que cette procédure est inhabituelle, bien qu’inscrite dans la Constitution et solidement ancrée dans l’histoire de notre parlement. Prévue à l’article 14 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875, reprise dans l’article 22 de la Constitution du 27 octobre 1946, elle figure aujourd’hui dans l’article 26 de notre loi fondamentale : les poursuites engagées contre un membre du Parlement sont suspendues si l’assemblée à laquelle il appartient le requiert.

Depuis 1875, cette assemblée a eu à se prononcer à seize reprises dans le cadre de cette procédure. Quinze fois, monsieur le rapporteur, elle a suspendu les poursuites. Une seule fois, dans les années 1920, cas tout à fait exceptionnel, elle a refusé la suspension des poursuites à deux députés, renvoyés devant les tribunaux pour être allés haranguer les grévistes allemands en Rhénanie occupée par les troupes françaises en application du traité de Versailles. Nous étions bien loin du cas qui nous occupe aujourd’hui.

M. Matthias Fekl, rapporteur. C’est sûr !

M. Henri Guaino. C’est donc au nom d’une tradition républicaine bien établie que je me présente devant vous. Une tradition qui a toujours ignoré les partis et les camps. C’est en conscience, non en suivant des consignes de vote, que nos prédécesseurs ont, sous toutes les républiques et toutes les majorités, répondu à la question qui vous est posée aujourd’hui. Car c’est de l’institution parlementaire elle-même, de son indépendance et de sa dignité qu’il s’agit, non de celle d’un député en particulier et de son parti.

Préciserai-je, puisqu’il semble qu’il faille le rappeler, que la réponse de cette assemblée a toujours été, et sera aujourd’hui encore, de l’ordre du symbole ? L’Assemblée peut suspendre les poursuites, non les arrêter. Les suspendre jusqu’à quand ? Jusqu’à la fin de la présente session, c’est-à-dire jusqu’au 30 juin. Ensuite, la justice reprendra son cours. Vous l’avez dit, cela n’aura aucun effet sur la procédure judiciaire qui me concerne. En 1963, puisque vous citiez René Capitant, les poursuites furent même suspendues pour un seul jour.

M. Bernard Deflesselles. C’est une question de principe !

M. Henri Guaino. C’est assez dire que je n’attends pas de vous, mes chers collègues, une protection, protection que, par ailleurs, vous ne pourriez m’accorder ; je n’attends pas davantage une absolution ni une condamnation. L’Assemblée nationale n’est pas un tribunal de substitution et je ne viens pas devant vous comme un accusé devant ses juges. Je viens devant vous comme membre de cette assemblée, pour la saisir d’une question de principe qu’aucun d’entre nous ne peut considérer comme accessoire, puisqu’il s’agit de la liberté d’expression des parlementaires ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe RRDP.)

M. Jean Lassalle. Bravo !

M. Henri Guaino. J’ai déposé moi-même cette proposition de résolution ; cela a provoqué, ici ou là, un émoi qui est venu s’ajouter à l’incompréhension de la procédure. Mais aurait-il été plus honorable de me cacher derrière un prête-nom ? Comment espérer faire partager une conviction quand on n’est pas capable de l’assumer soi-même ?

Le choix de déposer en mon nom cette proposition de résolution ne justifie aucun des cris d’orfraie poussés ça et là, dans la mesure où je n’ai rien à vous demander pour moi-même. Sans doute une bonne part de l’incompréhension qui s’est manifestée vient-elle du fait qu’aucune procédure de suspension n’a été examinée par notre assemblée depuis trente-quatre ans, très exactement depuis 1980.

Certains, élus depuis plus longtemps, s’en souviennent certainement. Cette année-là, l’Assemblée fut saisie d’une demande de suspension des poursuites engagées contre huit députés appartenant au groupe socialiste. Six d’entre eux, dont François Mitterrand, Laurent Fabius et Claude Evin, parce qu’ils avaient participé à des émissions sur des radios libres, en violation de la loi, et deux d’entre eux, dont Jean Auroux, parce qu’ils avaient participé à des manifestations, qui avaient interrompu le trafic ferroviaire – excusez du peu.

M. Jean Glavany. Quel rapport ?

M. Henri Guaino. Le même jour, l’Assemblée eut à examiner une demande de suspension des poursuites contre un député du groupe communiste, qui avait lui aussi participé à des émissions sur des radios libres. Philippe Séguin était le rapporteur de la commission des immunités.

M. Jean Glavany. Je m’en souviens fort bien !

M. Henri Guaino. Comment ne pas regretter que la hauteur de vue et l’ouverture d’esprit républicaine dont il fit preuve dans son rapport manquent parfois si cruellement à nos travaux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Comment une conscience républicaine ne serait-elle pas incitée à réfléchir par le souvenir de cette assemblée, qui suspendit à l’unanimité les poursuites engagées contre neuf députés de l’opposition, dont le futur candidat de la gauche à l’élection présidentielle, s’inscrivant ainsi dans la tradition de notre République ?

M. Olivier Marleix. Ce n’était pas le même niveau !

M. Henri Guaino. À vous suivre, monsieur le rapporteur, l’Assemblée aurait dû refuser la suspension : ces poursuites n’entravaient pas par elles-mêmes l’activité du législateur et le trouble à l’ordre public provoqué par des députés qui violaient délibérément la loi et arrêtaient les trains était bien plus grave que la reconnaissance de la liberté d’expression du parlementaire. Ce fut l’honneur de cette assemblée, et l’honneur de son rapporteur, d’avoir suivi une voie différente ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Le problème qui fut soulevé lors de ce débat est toujours le même. André Chandernagor, député socialiste, conseiller d’État, futur ministre et futur Premier président de la Cour des comptes, l’a résumé ainsi : « L’exercice du mandat parlementaire déborde aujourd’hui très largement l’enceinte de cette assemblée […] Le parlementaire est un intercesseur, un médiateur ; sa médiation à lui s’exerce sur le tas, au contact direct de ses mandants. C’est l’honneur de notre mandat. Et cet honneur, nous le savons tous, a parfois sa difficile contrepartie de servitudes. » Lequel d’entre nous viendrait contredire ces propos ?

En déposant ce projet de résolution, c’est très précisément le problème sur lequel j’ai souhaité que l’Assemblée nationale puisse de nouveau se prononcer. J’ajoute que, dans le cas d’espèce, il n’y a aucune ambiguïté, puisque seule la liberté d’expression est en cause et que l’article 26 de la Constitution précise qu’« aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions. »

Rappeler que la protection de la liberté d’expression du parlementaire n’est pas un privilège mais une condition de la démocratie : voilà tout l’esprit de la proposition de résolution que je vous soumets ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. Henri Guaino. Assumer que la liberté d’expression du parlementaire doit être particulièrement garantie, parce qu’il prend davantage de risques dans le débat public, pour remplir le mandat qui lui est confié de parler au nom des autres : voilà le devoir de notre assemblée, le devoir de chacun d’entre nous ! Mes chers collègues, ne soyons pas dupes nos propres sentiments !

À l’incompréhension d’une procédure qui n’a pas été mise en œuvre depuis trente-quatre ans, s’ajoute la crainte de ce que pourrait être la réaction d’une opinion publique que l’accumulation de toutes les crises rend de plus en plus sévère à l’égard du monde politique. Cette crainte, monsieur le rapporteur, vous l’avez exprimée – et avec quelle insistance ! – dans votre rapport et dans votre discours.

Devons-nous cependant avoir peur d’une opinion qui pourrait être abusée par les démagogues ?

M. Guy Geoffroy. Excellent !

M. Henri Guaino. Comment ne pas répondre à cette question par une autre : devant l’océan de démagogie qui menace de nous submerger, faut-il rester debout ou se coucher ? Pourtant, si nous décidons de nous coucher en n’ayant pas même le courage de défendre ce qui nous paraît légitime, en ayant honte du statut de parlementaire, en ne faisant pas valoir que ses droits ne sont que la contrepartie de ses devoirs, en ne répliquant pas au mot « privilège », qu’on lui jette sans cesse à la figure, par le seul mot qui nous justifie, le mot « démocratie », autant laisser tout de suite le terrain aux démagogues ; leur victoire est assurée. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Lequel d’entre nous, en effet, quel que soit le banc sur lequel il siège, pense au fond de lui-même que la liberté d’expression du parlementaire n’est pas nécessaire à l’accomplissement de sa mission ? Qui pense que l’accomplissement de cette mission est borné par les murs de cet hémicycle ? Que l’institution judiciaire doit être tenue à l’écart du débat politique, à l’abri de toute critique ? Que la séparation des pouvoirs ne doit pas aussi protéger le Parlement ? Qui d’entre nous le pense ?

Sur l’exercice des fonctions parlementaires, André Chandernagor a tout dit. Je n’y reviens pas, sauf pour constater ce qu’il y a de totalement incongru à ne pas pouvoir être poursuivi judiciairement pour les propos les plus outranciers tenus à cette tribune – propos désormais filmés et retransmis sur toutes les chaînes de télévision et sur tous les réseaux sociaux – et à pouvoir être poursuivi pour les mêmes propos tenus sur les plateaux des mêmes chaînes de télévision ? Qui trouve cela normal, logique, cohérent ?

M. Claude Goasguen. Très bien !

M. Henri Guaino. S’agissant de la liberté d’expression, qui ne voit la discordance de plus en plus grande entre nos juridictions et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ? Oserais-je même dire la discordance entre les grands idéaux que notre nation a forgés pour l’humanité tout entière et l’application de notre droit ? Vous me rétorquerez – vous l’avez d’ailleurs fait – que c’est par la loi que cela peut se corriger. Vous aurez raison, mais ce n’est pas ce que nous allons faire aujourd’hui.

En attendant, notre devoir n’est-il pas de rappeler que l’intention du législateur n’a jamais été de battre en brèche ces grands idéaux et que dans le débat politique, selon la formule de la Cour européenne des droits de l’homme, « il est permis de recourir à une certaine dose d’exagération, voire de provocation » ? N’est-ce pas précisément ce que nous faisons chaque jour dans cet hémicycle, parfois même de façon excessive ? Imaginez ce que deviendrait le débat parlementaire si toutes les exagérations et les provocations lui étaient interdites !

Notre assemblée se trouve confrontée à un autre problème de principe auquel le législateur ne peut demeurer indifférent et que vous avez esquivé, monsieur le rapporteur : cent sept de mes collègues ont publiquement partagé mes propos dans une lettre ouverte au procureur de Paris. Il n’a engagé de poursuites qu’à mon encontre, ce qui pose la question – qui n’est pas anodine – de l’égalité des députés devant la loi dont ils sont les auteurs. En confiant au parquet l’opportunité des poursuites, en effet, le législateur n’a jamais entendu rompre avec ce principe d’égalité. Qu’en est-il donc ? Est-ce la volonté de faire un exemple ? Si la justice doit être dissuasive pour le délinquant, elle n’est pourtant plus la justice lorsqu’elle se met en tête de faire un exemple. Ce rappel est, me semble-t-il, salutaire alors que, dans quelques instants, nous allons débattre de la réforme pénale.

Liberté d’expression, égalité devant la loi, séparation des pouvoirs : cela fait beaucoup de principes sur lesquels, dans une démocratie, le Parlement a peut-être son mot à dire. Certes, l’Assemblée n’a pas à juger les faits et n’a pas à les qualifier pénalement. Elle ne peut pas non plus les ignorer. Elle ne peut pas ne pas faire une différence entre l’opinion – fût-elle outrancière aux yeux de certains – et la menace. Elle ne peut pas ne pas faire une différence entre le jugement de valeur et l’accusation diffamatoire. Chacun, en conscience, se forgera son opinion à la lecture de l’exposé des motifs où mes propos sont reproduits.

Reste tout de même une dernière question : la liberté d’expression est-elle bâillonnée lorsqu’il s’agit de l’institution judiciaire ? Les principes les plus essentiels à la démocratie, mes chers collègues, nous l’interdisent. Il est certes légitime de fixer des limites à cette liberté. En matière judiciaire, la limite ne peut être que l’entrave au fonctionnement d’une justice indépendante. Or, qu’un député critique – même violemment – le fonctionnement de l’institution judiciaire n’empêche nullement celle-ci d’accomplir sa tâche. À cet égard, un juge de la Cour européenne des droits de l’homme a eu la formule suivante : « Je ne vois pas comment un simple manque de considération pour un tribunal pourrait empêcher l’autorité du pouvoir judiciaire d’imposer l’obéissance à ses arrêts ou autres actes judiciaires ».

Si j’avais appelé à entraver l’action du juge, j’aurais failli à mon devoir de député et placé mes propos en dehors de l’exercice de la fonction parlementaire ; ce n’est pas le cas. Si j’avais contesté violemment, dans le prétoire, une décision de justice, ou menacé le juge dans son cabinet au cours d’une procédure dont j’aurais été partie prenante, j’aurais agi en tant que personne privée et non dans l’exercice de mes fonctions ; ce n’est pas le cas. La justice a suivi son cours. Pardonnez-moi, mais la suite de l’histoire m’a donné raison, non sur la forme mais sur le fond, puisque la mise en examen à la clôture de l’instruction a débouché, sans qu’aucun acte d’instruction ni aucun fait nouveau ne soient intervenus, sur une ordonnance de non-lieu prouvant par elle-même que les indices réels et sérieux justifiant une mise en examen n’existaient pas.

Toutefois, la suite de l’histoire aurait-elle été différente, monsieur le rapporteur, que le problème aurait été le même. L’opinion et l’entrave sont deux choses différentes. Pour toute personne, la mise en examen est un acte grave. Combien de vies brisées, combien d’honneurs perdus alors même que le tribunal a fini par prononcer la relaxe ?

La mise en examen d’un ancien Président de la République pour un motif assez infamant ne peut pas être sans conséquence sur nos institutions et sur l’image de notre pays. Elle ne peut donc pas être tenue à l’écart du débat politique. On objectera que le secret de l’instruction ne permet pas d’argumenter. Finissons-en donc avec l’hypocrisie : toute l’instruction était dans la presse ! Comment dès lors tenir à l’écart du débat public ce qui y est déjà ? Comment reconnaître comme le fait la Cour européenne des droits de l’homme que « les limites de la critique admissible sont plus larges à l’égard d’un homme politique, visé en cette qualité, que d’un simple particulier » et refuser à un parlementaire le droit de faire part de son indignation devant le comportement d’une institution publique ou d’un agent public ? Comment admettre que les condamnations pour injures au Président de la République soient annulées – car ce délit, vous l’avez rappelé, a été supprimé – par la Cour européenne des droits de l’homme parce qu’elles émanent d’un militant politique et, dans le même temps, considérer qu’un député n’est pas dans l’exercice de ses fonctions lorsqu’il s’exprime ès qualités à la télévision ou à la radio sur une question éminemment politique ?

Vous m’avez fait, monsieur le président de la commission des lois, parvenir un courrier dans lequel vous m’expliquiez que j’avais parlé non pas en tant que parlementaire mais en tant qu’ami du Président Sarkozy. Un membre de la commission m’a demandé si je n’avais pas agi en tant qu’ancien conseiller spécial du Président de la République plutôt qu’en tant que député.

Mme Catherine Coutelle. Eh oui !

M. Henri Guaino. Pardonnez-moi, mais j’ai trouvé l’échappatoire bien dérisoire.

M. Alain Chrétien. Et même mesquine !

M. Henri Guaino. Je ne vais pas disserter sur l’importance que peut revêtir l’amitié dans la vie, et même dans l’exercice des fonctions d’un député. Si, si, monsieur le président de la commission des lois, je vous l’assure : c’est important l’amitié, même pour un député…

Mme Catherine Coutelle. Ce n’est pas le sujet !

M. Henri Guaino. Combien de fois ne s’est-elle pas manifestée dans cet hémicycle, à gauche comme à droite, à propos de décisions de justice ?

M. Jean Glavany. Proposez-vous de continuer ainsi ?

M. Henri Guaino. Soyons sérieux : croyez-vous que, retourné dans mon corps d’administration ou parti exercer des responsabilités dans le secteur privé, je me serais précipité à la radio et à la télévision pour tenir les propos que j’ai tenus ? Allons ! Je ne sais quel rôle a joué l’amitié mais je sais quelle conception de l’État, de la République et de la justice a heurté en moi, et avec quelle violence, cet acte judiciaire que le juge a, en quelque sorte, renié lui-même quelques mois plus tard. Au nom de cette conception de l’État, de la République et de la justice, j’aurais été tout aussi indigné s’agissant de n’importe quel autre ancien Président de la République, quel que soit son parti, qui aurait été mis en examen de cette façon. « Un mauvais coup porté à la justice », s’est écrié maître Kiejman qui, excusez du peu, fut ministre délégué à la justice de François Mitterrand dans le gouvernement de Michel Rocard.

M. Alain Marty et M. Alain Chrétien. Très bien !

M. Henri Guaino. En tant qu’élu, en tant que député, ai-je le droit d’exprimer la même indignation ou suis-je obligé de la taire de crainte de me retrouver devant un tribunal ? Tout agent public a des comptes à rendre à l’opinion. Dois-je rappeler que l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne fait pas une exception pour les magistrats ? Dois-je rappeler que l’on ne peut impunément insulter le Président de la République, le Gouvernement, le Parlement et les parlementaires et dénigrer la loi ? Et c’est bien normal, parce que dans une démocratie, on répond à la polémique par la polémique, et non par la censure ! N’a-t-on pas, sur tous les bancs de cette Assemblée, crié un jour : « La caricature plutôt que la censure ! » ?

Les magistrats, me direz-vous, ont un devoir de réserve et ne peuvent pas répondre. Rassurez-vous : les syndicats de magistrats répondent à leur place, et avec quelle violence ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Arlette Grosskost. Voilà qui est bien vrai !

M. Henri Guaino. Critiquer la justice, est-ce le propre d’un seul parti ? Qui le croira ? Depuis les débuts de la République, la critique est alternativement de droite et de gauche. Il arrive en effet, oui, que la justice exagère, que la justice abuse. Rappelez-vous quelles réactions suscita la condamnation de notre collègue Henri Emmanuelli à l’interdiction des droits de vote et d’éligibilité pour une durée de deux ans. Lionel Jospin déclara ceci : « La sanction qui frappe Henri Emmanuelli est inique », et Laurent Fabius, dans cet hémicycle même, déclara cela : « Nous ne pouvons pas admettre que l’institution de la justice soit indépendante de la vertu de justice et nous ne pouvons pas accepter une décision qui, compte tenu des faits, apparaît comme une décision politique et comme une décision d’injustice ». Ici, il n’est pas poursuivi ; dehors, il l’aurait été.

M. Jean Glavany. Vous mélangez tout !

M. Henri Guaino. Trouvez-vous cela normal, chers collègues ? Telle est la seule question qui doive être posée. « Justice RPR ! » hurlait dans l’hémicycle l’un de nos collègues socialistes, qui siège encore parmi nous, comme avant lui on a crié sur les bancs de la droite : « Justice socialiste ! » – et comme on le criera encore après. Philippe Séguin, alors Président de cette assemblée, n’avait pas hésité à déclarer : « Cette condamnation est démesurée ». Et Pierre Mazeaud, président de la commission des lois, avait dit ceci : « Cette peine d’inéligibilité est choquante ». Je rappellerai aussi bien les réactions suscitées à droite lors de la condamnation en première instance d’Alain Juppé à une peine d’inéligibilité, elle aussi démesurée, de dix ans !

Je voudrais pourtant vous faire entendre une autre voix, un autre jour de polémique judiciaire : « Cour de cassation ou pas, toute institution démocratique peut être critiquée ». Ces mots sont de Simone Veil. Commentant cette phrase, Daniel Soulez-Larivière écrit : « Elle ouvre sur l’idée que les juges ne doivent pas avoir le cuir trop sensible, et qu’ils ne peuvent échapper au débat démocratique qui, par définition, est rude ». Qu’il soit rude, nous le savons bien, les uns et les autres.

Bien sûr, il y a la loi sur l’outrage et celle sur le discrédit jeté sur une décision de justice. Je ne résiste pas à la tentation de vous citer quelques mots prononcés par un grand républicain, Jules Favre, devant le corps législatif en 1863 : « L’outrage est un délit dont la définition est impossible. On sent l’outrage. Quant à le caractériser, cela est impossible. Cette définition ne peut être l’œuvre d’un jurisconsulte ou d’un législateur ; aussi le législateur s’en tire en ne donnant pas de définition ». Cela n’a pas changé. Un siècle et demi plus tard, toujours pas de définition. Pas de définition non plus pour le discrédit, délit plus récent. Pas de définition : c’est-à-dire le flou, donc l’arbitraire.

Je ne résiste pas non plus à citer de nouveau ce juge anglais de la Cour européenne des droits de l’homme, qui écrit à propos de ce délit que le droit britannique baptise le contempt of court : « Nous n’utilisons jamais cette notion pour défendre notre propre dignité. Celle-ci doit reposer sur des fondements plus sûrs. Nous ne nous en servons pas non plus pour faire taire ceux qui nous critiquent. Nous ne les craignons pas et ne leur en tenons pas rigueur. En effet, l’enjeu est autrement plus important, puisqu’il s’agit de rien moins que la liberté d’expression ». Nulle guerre donc entre les pouvoirs ! L’enjeu est autrement plus important qu’un enjeu de pouvoir : il ne s’agit de rien moins que de la liberté d’expression.

Faut-il encore rappeler à chacun le souvenir de Zola traîné en cours d’assises (Murmures sur les bancs du groupe SRC)

M. Alain Chrétien. Écoutez, cela vous instruit !

M. Henri Guaino. …pour avoir, dans J’accuse, porté atteinte à l’autorité de la chose jugée, condamné à un an de prison, s’exilant pour ne pas être jeté au cachot ? Sommes-nous encore capables de tirer pour nous-mêmes quelques leçons morales de ceux que nous citons en exemple à nos enfants ? Vous connaissez celle qu’en tira Clemenceau : « Gloire aux pays où l’on parle, honte aux pays où l’on se tait ! ».

Permettez-moi de citer quelques mots d’Henri Leclerc, qui présida longtemps la Ligue des droits de l’homme : « Nous avons critiqué bien des décisions judiciaires qui nous ont choqués. Ce droit, nous le revendiquons et ne pouvons le contester aux autres ». Il m’apparaît que c’est aux citoyens de réagir et non aux tribunaux, lorsqu’une décision est contestée.

Le premier parlementaire qui prit la parole à propos d’une proposition de suspension des poursuites a dit ceci à ses collègues : « Aujourd’hui, messieurs, voici votre droit, il est inscrit dans les lois constitutionnelles et je vous prie d’en faire une sage et première application ». C’était en 1879. Aujourd’hui, je vous dis cela, mes chers collègues : voici notre droit, il est inscrit dans notre Constitution. N’y renoncez pas, car toutes les arguties du monde n’y pourront rien ! Dans le climat si lourd de notre République et de notre démocratie, vous n’allez répondre au fond qu’à une seule question qui résume toutes les autres : voulez-vous un Parlement honteux, un Parlement qui baisse la tête et qui se tait, un Parlement muet qui ne défend pas même la première de ses libertés, sa liberté d’expression, ou bien voulez-vous un Parlement qui relève la tête pour affronter toutes les démagogies ? Voulez-vous un Parlement debout ou un Parlement couché ? Voilà la question posée à la conscience de chacun ! (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes UMP et RRDP.)

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, orateur pour la suspension des poursuites.

M. Alain Tourret. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, je suis là pour des principes. Je suis là pour des principes en tant que député de gauche qui s’apprête à apporter son soutien à la proposition de M. Guaino. (« C’est courageux ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Je suis un député radical, indépendant dans toute sa force de conviction et, ab initio, je voudrais mettre en exergue cette belle phrase de Voltaire : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire », monsieur Guaino. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDPUMP.)



M. François Loncle et M. Marcel Rogemont. Très bien !

M. Alain Tourret. Le 21 mars 2013, le juge d’instruction Gentil du tribunal de grande instance de Bordeaux mettait en examen l’ancien chef de l’État, Nicolas Sarkozy, du chef d’abus de faiblesse à l’encontre de Mme Bettencourt – délit puni de trois ans d’emprisonnement et d’une amende de 375 000 euros.

Le député des Yvelines, notre collègue Henri Guaino, ancien collaborateur du Président, contestait cette décision à trois reprises, au mois de mars 2013.

Le 22 mars 2013, sur Europe 1, il parlait d’une décision grotesque et irresponsable, qui salissait l’honneur d’un homme. « Je conteste », disait-il, « la façon dont il a fait son travail. Je la trouve indigne. Il a déshonoré un homme. Il a déshonoré la justice ».

Le 25 mars 2013, sur France 2, il soutenait à nouveau que le juge, dans cette affaire, avait déshonoré la justice. Le 28 mars 2013, sur BFMTV, Henri Guaino répétait ses accusations. « Cette décision », disait-il, « salit la France puisque cet homme » – à savoir Nicolas Sarkozy – « a incarné la France sur la scène du monde pendant cinq années. »

Le procureur de la République a décidé d’engager des poursuites contre le député Guaino pour atteinte à la dignité ou au respect de la fonction de magistrat et pour outrage, les articles 434-24 et 434-25 du code pénal réprimant ces délits.

Le 16 mai 2014, Henri Guaino déposait, en application de l’article 26 de la Constitution, une proposition de résolution tendant à la suspension des poursuites jusqu’au terme de la présente session, autrement dit jusqu’au 30 juin 2014.

La commission ad hoc de l’Assemblée nationale s’est réunie avec une célérité certaine et, sur la proposition de son rapporteur, M. Matthias Fekl, a rejeté à la majorité la proposition de résolution de M. Henri Guaino.

C’est en plein accord avec mon groupe RRDP et avec son président, Roger-Gérard Schwartzenberg, que je vais soutenir la proposition de résolution qui vous est soumise.

Je procéderai par observations.

Tout d’abord, nous sommes saisis de faits qui ne sont contraires ni à l’honneur ni à la probité ni aux bonnes mœurs. Nous sommes saisis d’une polémique qui oppose, d’une part, un magistrat et, d’autre part, un parlementaire. Jadis, ces querelles se réglaient sur le pré. (Sourires sur les bancs du groupe UMP.) Aujourd’hui, elles se termineront par un vote à l’Assemblée nationale.

Avant de se prononcer sur la suspension, encore faut-il savoir s’il y a lieu de statuer, autrement dit s’il existe des faits constitutifs de l’infraction. L’exercice est délicat, et Philippe Séguin – on a rappelé ses dires tout à l’heure –, ancien président de cette assemblée, indiquait, au mois de novembre 1980, dans l’affaire des radios libres qui mettait en cause plusieurs parlementaires, dont M. Fabius et François Mitterrand : « Ce que les assemblées ne doivent pas faire, c’est juger, c’est-à-dire porter un jugement sur les faits, les qualifier et se prononcer sur la culpabilité. »

M. Jean Glavany. Ça n’a rien à voir !

M. Alain Tourret. « Mais », disait-il, « l’examen des faits – rapide, certes – est indispensable ».

Que reproche-t-on à Henri Guaino ? Un outrage commis envers un magistrat, alors qu’il prenait la défense, non de lui-même, mais de l’ancien Président de la République. Ce qu’on lui reproche n’est donc pas d’ordre personnel, mais politique ! (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

L’outrage n’est pas une infraction exceptionnelle. Ainsi, en 2008, les faits d’outrage à personne dépositaire de l’autorité publique ont entraîné 18 532 condamnations. De nombreux jugements étaient assortis de peines de prison ferme – de plus de deux mois en moyenne.

Selon la jurisprudence, il appartient au parquet de démontrer, en plus des éléments constitutifs de l’infraction – qui sont au nombre de quatre –, que l’intention coupable est nécessaire. L’outrage est donc un délit intentionnel. Il appartiendra à la juridiction saisie de dire si la preuve des faits outrageants peut être rapportée comme en matière de diffamation, s’il existe une provocation constituant une cause absolutoire, si, enfin, la bonne foi peut être rapportée.

Remarquons seulement que M. Sarkozy a bénéficié d’une décision de non-lieu, sur réquisition conforme du parquet, le 7 octobre 2013, alors qu’aucun acte d’instruction complémentaire n’était intervenu dans les mois qui précèdent. Allez y comprendre quelque chose ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.) Cette décision de non-lieu sera à l’évidence invoquée par Henri Guaino comme constitutive d’un fait justificatif des paroles qui lui sont reprochées.

Plusieurs députés du groupe UMP. C’est clair !

M. Alain Tourret. Mais Henri Guaino n’est pas un simple particulier. C’est un député de la République. Il doit, dès lors, jouir des effets de l’immunité parlementaire, qu’on le veuille ou non. Ainsi que le rappelle le professeur Gicquel, « le mandat est protégé tant en ce qui concerne son indépendance qu’à l’égard des entraves qui pourraient être apportées à son exercice. Ces protections fonctionnelles et personnelles sont instituées, non dans l’intérêt du parlementaire » – en l’occurrence Henri Guaino – « mais dans celui du mandat » – et donc, de nous tous ! –, « et présentent, de ce fait, un caractère objectif. »

Autrement dit, ce régime est destiné à favoriser l’indépendance des élus et ne doit pas être interprété comme un privilège contraire au principe constitutionnel d’égalité devant la loi. Nous ne pouvons même pas y renoncer ! Les textes sont simples et clairs. Aux termes de l’alinéa 1 de l’article 26 de la Constitution, « aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions et votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions ».

L’origine de cette protection est ancestrale. Elle remonte au 23 juin 1789, pas à 1995 ! Cette irresponsabilité ne couvre bien évidemment que les actes directement rattachés à l’exercice du mandat. Qui peut dire qu’Henri Guaino ne remplissait pas son devoir de député, dans l’exercice de son mandat, en prenant la défense du Président de la République ? (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Cette irresponsabilité est donc incontestablement susceptible d’être invoquée. Reconnaissons que l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 prête à confusion puisqu’il concerne la diffamation et non l’outrage, et qu’il cible les lieux protégés et susceptibles d’être invoqués pour exiger l’immunité : « Ne donneront ouverture à aucune action les discours tenus dans le sein de l’Assemblée nationale ou du Sénat, ainsi que les rapports », puis les commissions d’enquête.

Il faut dès lors admettre que nous sombrons dans l’absurde : l’immunité est totale pour toutes les paroles prononcées ici, dans l’hémicycle, et serait inexistante, quinze mètres plus loin, dans la salle des quatre colonnes !

M. François Loncle. Hélas oui !

M. Alain Tourret. La télévision est venue perturber ce bel ordonnancement de la Troisième République. Aujourd’hui, les propos proférés par hypothèse outrageants sont diffusés dans tous les foyers de France. Nous tombons dans l’absurde, mes chers collègues ! Il n’est pas interdit de s’en sortir en affirmant que les opinions émises par un parlementaire, lorsqu’elles sont politiques, ne peuvent faire l’objet d’aucune poursuite, quel que soit le lieu où elles sont exprimées. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et UMP.)

M. François Loncle et M. Marcel Rogemont. Très bien !

M. Alain Tourret. C’est en cela que votre décision sera d’importance. Car, si vous ne votez pas cette proposition de résolution, vous vous bâillonnerez vous-même, ainsi que nous tous !

Nous pouvons, nous devons rappeler avec force que l’immunité dont jouit un parlementaire pour ses propos est le fondement même de la République. « Sans liberté de blâmer, il n’est pas d’éloge flatteur », rappelle tous les jours Le Figaro. Plus les parlementaires seront indépendants, plus ils seront forts. Alors, nous serons entendus par le pouvoir exécutif, qui nous méprise (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP), et nous serons respectés par l’autorité judiciaire.

Faut-il toujours s’exprimer comme des professeurs de droit, dans le respect scrupuleux de la modération juridique, au risque de ne plus être compris de nos électeurs, cher Roger-Gérard ? Je revendique donc pour Henri Guaino le droit à l’outrance, le droit à la provocation, le droit à la polémique. Ce n’est pas parce qu’Henri Guaino est insupportable pour ses amis (Sourires sur les bancs du groupe UMP) qu’il faut le victimiser ! (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Et par là même, je considère que rien ne peut lui être reproché.

Mais qu’en est-il de la seule demande dont vous êtes saisis, à savoir la suspension des poursuites pendant la session parlementaire ? La tradition parlementaire veut qu’on y fasse droit. Cela a toujours été le cas sous la Quatrième République et sous la Cinquième République. Cela fut le cas sous la Troisième République, à une exception près, le 1er décembre 1922 : elle concernait Marcel Cachin, qui était poursuivi pour propagande anarchiste. Henri Guaino n’est pas un anarchiste ! (Sourires sur les bancs du groupe UMP.) Et l’on voudrait rompre avec cette tradition qui a valeur de consensus républicain…

Au demeurant, cette suspension ne préjuge de rien. Elle permettra à Henri Guaino, comme jadis à Noël Mamère, qui a mis dix ans à faire reconnaître ses droits, de saisir enfin la Cour européenne des droits de l’homme, qui condamnera à nouveau la France, à la demande d’Henri Guaino. Nous aurons l’air malin, mes chers collègues, et ce sera une honte pour notre assemblée ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP, UMP et UDI.)

M. François Loncle et M. Marcel Rogemont. Très bien !

M. Alain Tourret. La Cour européenne des droits de l’homme a reconnu à Noël Mamère le droit à l’exagération, le droit de tenir des propos immodérés.

Au demeurant, y a-t-il urgence ? À l’évidence, non, puisque les faits remontent au mois de mars 2013. Selon la commission ad hoc, la suspension des poursuites créerait un trouble à l’ordre public. Selon vous, cher Matthias Fekl, faire droit à la demande d’Henri Guaino ajouterait à la profonde crise que connaît le pays.

M. Matthias Fekl, rapporteur. Eh oui !

M. Alain Tourret. Cette référence à l’ordre public est insupportable. Elle a permis aux juges d’instruction d’incarcérer des milliers d’individus, au détriment du principe de la présomption d’innocence ! Je le dis avec force, rejeter la demande d’Henri Guaino est une faute. Une faute politique. Une faute contre la démocratie parlementaire.

Invoquer l’ordre public pour justifier cette faute est une lourde erreur. C’est tout d’abord porter atteinte aux droits de l’opposition, car une telle mesure ne pourrait être prise qu’à l’unanimité. Faute de quoi, c’est bâillonner les membres de l’opposition ! (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe RRDP et du groupe UMP.)

Comment peut-on admettre de priver un député de l’exercice de sa fonction parlementaire ? Vous dites que cela ne changerait rien. Bien sûr que si, car le temps passé à sa défense, il ne peut le consacrer à son activité de parlementaire ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP. – Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean Glavany. Bravo ! Voilà un argument percutant !

M. le président. Il faut conclure, cher collègue !

M. Alain Tourret. En novembre 1980, Philippe Séguin ne s’y est pas trompé. Il a demandé et obtenu la suspension des poursuites menées contre Laurent Fabius et de celles menées contre François Mitterrand, dans l’affaire des radios libres. Il fut entendu par une majorité de droite. Aujourd’hui, une majorité de gauche s’opposerait à cette liberté élémentaire ? Réveillez-vous, mes chers collègues !

Il convient donc de faire droit à la demande de suspension des poursuites jusqu’à la fin de la session, présentée par Henri Guaino. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP. – Mmes et MM. les députés du groupe UMP se lèvent et applaudissent, en scandant : « Liberté ! liberté ! ».)

M. Jean Glavany. C’est de l’auto-amnistie !

M. le président. Sur le vote de la proposition de résolution, je suis saisi par le groupe de l’Union pour un mouvement populaire d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas, orateur contre la suspension des poursuites.

M. Jean-Jacques Urvoas. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’instar du rapporteur, je voudrais expliquer pourquoi la démarche de notre collègue ne paraît pas fondée. Je vais le faire avec, sans doute, moins de lyrisme qu’Alain Tourret. Je vais le faire – j’en suis également certain – avec moins d’excès. Qu’il mette cela sur le compte de la modération scrupuleuse des professeurs de droit, qu’il évoquait il y a un instant !

Chacun sait que la décision que nous allons prendre n’est pas anodine. D’abord parce qu’il s’agit d’un acte discrétionnaire de l’Assemblée nationale, qui n’est pas susceptible de recours. L’utilisation de cette prérogative ne peut donc qu’être délicate. Et ce, d’autant plus que le principal argument avancé par Henri Guaino est celui de la protection de la – de notre – liberté d’expression.

M. Guy Geoffroy. Ce n’est déjà pas mal !

M. Jean-Jacques Urvoas. Vous aviez d’ailleurs, monsieur le député, eu la courtoisie de venir m’en prévenir et de m’en expliquer la logique. Je vous avais alors dit combien j’étais, comme nous tous ici, attaché au régime juridique qui garantit, au-delà de la personne du parlementaire, l’intégrité de la représentation nationale.

C’est donc bien de principes que nous parlons et c’est uniquement sur ces bases que j’interviendrai, afin de souligner combien votre thèse manque assurément de fondement en droit. Car il ne suffit pas de revendiquer la capacité d’exercer cette liberté, il faut aussi en assumer les conséquences. Or au cas particulier, vous donner raison serait aboutir à une irresponsabilité totale. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Plusieurs députés du groupe UMP. Censure !

M. Jean-Jacques Urvoas. Cher collègue, dans votre proposition de résolution, vous semblez regretter que la jurisprudence ait, depuis longtemps – et de manière constante –, adopté une conception très restrictive de l’immunité qui protège les parlementaires. Vous l’évoquez dans votre résolution, mais vous ne dites rien du fondement de cette interprétation, de la raison pour laquelle cette conception est restrictive et affirmée de manière constante par tous les tribunaux.

Si, depuis trente ans, une telle lecture s’est imposée et a été adoptée par la Cour de cassation, le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel, c’est au nom d’un seul principe, celui de l’égalité devant la loi.

M. François Loncle. Contre l’arbitraire !

M. Jean-Jacques Urvoas. D’où la nécessité, pour bien comprendre, de préciser le cadre dans lequel vous avez prononcé les propos qui vous valent d’être poursuivi, cher collègue. En effet, vous pouvez bénéficier de la protection de la Constitution si et seulement si vos propos sont en lien direct avec les fonctions dévolues au Parlement. Et la défense du Président de la République, cher Alain Tourret, n’est pas une compétence du Parlement !

M. Christian Jacob. La légalisation des radios libres ne l’était pas davantage !

M. Jean-Jacques Urvoas. Nous sommes là pour faire trois choses : légiférer, contrôler le Gouvernement sans entraves et évaluer les politiques publiques.

M. Pascal Terrasse. C’est très restrictif !

M. Jean-Jacques Urvoas. Eh bien ! Je peine à classer les propos dont il est ici question dans l’une de ces trois catégories. D’ailleurs, dans aucune de vos interventions, vous n’avez, cher collègue, excipé de votre statut.

M. Claude Goasguen. Il était indiqué à l’écran !

M. Jean-Jacques Urvoas. Vous reconnaissez d’ailleurs implicitement cette fragilité. En effet, dans le verbatim de l’émission « Mots Croisés » du 25 mars que vous citez dans la proposition de résolution, vous omettez une phrase décisive par laquelle vous indiquez agir au nom de l’amitié que vous portez à l’ancien chef de l’État. Indiscutablement, l’amitié est chose respectable et même noble, cher collègue, mais elle n’a que rarement vocation, et à ma connaissance jamais, à figurer dans une argumentation juridique.

M. Laurent Wauquiez. Quel rapport avec la liberté ?

M. Jean-Jacques Urvoas. En réalité, du point de vue du droit que j’adopte et qui seul doit nous gouverner, les propos que vous avez tenus sont des actes parfaitement détachables de votre fonction de parlementaire. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Laurent Wauquiez. Évidemment non !

M. Jean-Jacques Urvoas. C’est pourquoi il est abusif de fonder votre résolution sur l’alinéa 1 de l’article 26 de la Constitution. Vos propos n’ont pas été tenus dans l’hémicycle ou en commission. Au regard de la Constitution, ils ne relèvent donc pas du régime de l’irresponsabilité. (Exclamations sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. Céleste Lett. Cessez de jouer au magistrat !

M. Jean-Jacques Urvoas. Et comme vous évoquez dans votre proposition de résolution l’arrêt de la Cour de cassation daté de 1988 relatif au président Raymond Forni, relisez-la en entier.

M. Céleste Lett. Insupportable !

M. Jean-Jacques Urvoas. Elle affirme sans ambiguïté que tous les comportements extérieurs à la fonction parlementaire relèvent du droit commun de la responsabilité, qu’il s’agisse d’un article de presse ou d’une intervention dans une réunion publique ou un débat à la radio ou la télévision. Tel est bien le cas ! On ne comprendrait pas qu’un parlementaire se prévale de sa qualité pour couvrir le moindre écart de langage en toute occasion ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Notre immunité, mes chers collègues, est depuis 1995 de droit étroit. L’égalité de tous devant l’action publique souffre des exceptions qui, pour être inévitables, n’en doivent pas moins et surtout être sévèrement limitées. J’ajoute que la dignité de parlementaire ne saurait être assortie d’un droit absolu à l’irresponsabilité pénale. Dans une société démocratique, caractérisée selon l’heureuse formule de la CEDH par « la prééminence du droit », un représentant de la nation ne saurait se prévaloir d’un quelconque privilège d’impunité au point d’être délié de l’observation des lois.

M. Bernard Deflesselles. Ce n’est pas ce dont il s’agit !

M. Jean-Jacques Urvoas. Vous évoquez encore, cher collègue, pour en appeler à leur respect, le poids des traditions parlementaires. Certes, depuis le début de la Cinquième République, les trois procédures menées à leur terme devant l’Assemblée nationale ont abouti à la suspension des poursuites.

M. Laurent Wauquiez. Par esprit de responsabilité !

M. Jean-Jacques Urvoas. Mais vous oubliez qu’aucune d’entre elles n’est postérieure à la révision constitutionnelle souhaitée en 1995 par le Président Chirac et sans doute votée par certains d’entre vous, chers collègues de l’opposition. Elle a profondément remanié notre régime d’immunité et trouvait sa justification, selon les termes de Pierre Mazeaud qui en fut le rapporteur au nom de la commission des lois, dans le fait que l’immunité « n’est plus réellement adaptée à notre temps, à nos mœurs, à l’état de l’opinion et aux procédures pénales modernes ».

À rebours de votre proposition de résolution, cher collègue, je défends donc l’idée selon laquelle un refus de suspension des poursuites aurait valeur d’approfondissement de l’État de droit. En les suspendant à mauvais escient, comme vous le proposez aujourd’hui, au-delà de ce qui est nécessaire à la défense de l’exercice du mandat parlementaire, nous prendrions à coup sûr le risque d’affaiblir un principe démocratique, celui de la légitime protection de notre liberté d’expression dans le cadre de notre fonction de député.

M. Claude Goasguen. C’est tout le contraire !

M. Jean-Jacques Urvoas. À la tradition bien établie de l’Assemblée que vous évoquiez, on peut préférer un Parlement exemplaire qui ne retarde pas artificiellement l’action de la justice contre l’un des siens. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) C’est pourquoi je souhaite que l’Assemblée nationale repousse la proposition de résolution que vous lui proposez. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. Huées sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. Je vous en prie, mes chers collègues. Chacun se doit de respecter les prises de position exprimées à l’Assemblée.

Avant de donner la parole à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, je vous rappelle que je ne peux donner la parole pour des explications de vote. En effet, selon les termes de l’alinéa 7 de l’article 80 de notre règlement, le débat sur la proposition de résolution est strictement organisé. L’Assemblée est invitée à se prononcer à l’issue d’un débat « auquel peuvent seuls prendre part le rapporteur de la commission, le Gouvernement, le député intéressé ou un membre de l’Assemblée le représentant, un orateur pour et un orateur contre ».

La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, au sujet de la suspension des poursuites, l’alinéa 3 de l’article 26 de notre Constitution est très clair. Il appartient à l’Assemblée nationale et à elle seule de traiter de la question. Dans ces conditions, vous ne serez pas surpris que, sans aucun mépris, cher Alain Tourret, mais avec beaucoup de respect, le Gouvernement s’en remette à la sagesse de l’Assemblée. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Céleste Lett. Enfin !

Vote sur la proposition de résolution

M. le président. Je me propose, mes chers collègues, de préciser l’objet du vote avant que nous ne l’engagions. La commission ayant rejeté la proposition de résolution, je vous précise que le vote porte, en application de l’article 80 de notre règlement, sur la proposition de résolution elle-même. Par conséquent, celles et ceux qui sont favorables à la levée des poursuites doivent voter pour, celles et ceux qui n’y sont pas favorables doivent voter contre.

Je mets aux voix la proposition de résolution.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants242
Nombre de suffrages exprimés240
Majorité absolue121
Pour l’adoption103
contre137

(La proposition de résolution n’est pas adoptée.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt-cinq, est reprise à dix-sept heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

6

Prévention de la récidive et individualisation des peines

Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines (nos 1413, 1974).

Je vous rappelle que la Conférence des présidents a décidé d’appliquer à cette discussion la procédure du temps législatif programmé, sur la base d’un temps attribué aux groupes de trente heures.

Chaque groupe dispose du temps de parole suivant : huit heures vingt minutes pour le groupe SRC, douze heures trente minutes pour le groupe UMP, trois heures trente minutes pour le groupe UDI, une heure cinquante-cinq minutes pour le groupe écologiste, une heure cinquante-cinq minutes pour le groupe RRDP, une heure cinquante minutes pour le groupe GDR, les députés non inscrits disposant de quarante minutes.

Présentation

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, le projet de loi, que votre commission a déjà bien enrichi, est un texte de protection de la société, car au cœur du contrat social se trouve le devoir de protection du citoyen incombant à l’État. C’est ainsi que fut conçu le contrat social : pour sortir de l’état de nature et assurer sa sécurité, l’homme entre dans l’état social en concluant un pacte avec les autres.

C’est dans ce cadre que Cesare Beccaria, auteur du traité Des délits et des peines, a forgé sa doctrine des peines strictement nécessaires. Le fait que l’état social soit institué au service de l’intérêt général – le peuple est souverain et sa souveraineté est indivise – est désormais un principe constitutionnel qui se trouve à la base de toute pénalité dans un État de droit. L’État, la puissance publique, doit donc veiller à protéger chaque citoyen dans son intégrité physique et psychique, ainsi que dans ses biens. L’État doit aussi garantir chacun contre toute forme d’arbitraire. Il renforce sa légitimité de ce que, outre la sécurité, il apporte à chacun le droit à la sûreté en préservant les libertés publiques et les droits fondamentaux de l’ensemble des citoyens. C’est ainsi que l’entendaient les rédacteurs de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, mais aussi le constituant de 1946 et celui de 1958, qui font référence à ce principe, et le Conseil constitutionnel qui, par une décision de 1971, l’a inclus dans le bloc de constitutionnalité.

Pour satisfaire l’attente légitime des Français en tenant compte de la dimension douloureuse des situations pénales, ce gouvernement a choisi, dès son arrivée aux responsabilités, de faire la promotion de réponses pénales efficaces, permettant de lutter de façon effective contre la récidive et d’éviter de nouvelles victimes. Nous avons choisi de fonder nos politiques publiques sur la connaissance la plus exacte possible des réalités et, pour cela, avons fait établir un bilan objectif des politiques et des mesures mises en œuvre par le passé. Ainsi, en dehors de toute idéologie sécuritariste ou nihiliste, nous avons choisi de retenir les réponses pénales qui donnent des résultats, et nous l’avons fait dans un esprit de rigueur, en acceptant le débat contradictoire mais en nourrissant notre réflexion de l’observation et de l’analyse du réel.

Je veux rappeler quelques éléments de l’état des lieux sur lequel nous reviendrons forcément durant la discussion.

D’abord une inflation législative, connue de tous et s’accompagnant d’injonctions contradictoires : incarcérer de plus en plus et, dans le même temps, aménager de plus en plus. La population carcérale a augmenté de 35 % en dix ans, sans correspondance ni avec le taux d’évolution démographique, ni avec l’évolution des taux de délinquance. Le taux de condamnation en récidive légale est passé de 4,9 % en 2001 à 12,1 % en 2011. La politique du chiffre exerçait une pression sur la police et la gendarmerie. Le taux de sortie sèche s’élève à 80 % en moyenne et à 98 % pour les courtes peines, alors que, nous le savons, les sorties sèches sont le terreau de la récidive. Par ailleurs, les politiques mises en œuvre n’étaient pas évaluées, ce à quoi nous avons remédié en commandant une étude portant sur 500 000 condamnés durant une dizaine d’années, consistant à mesurer le taux de récidive – 11 % – et le taux de réitération – 31 %. Enfin, des victimes ont été instrumentalisées, alors que les moyens mis à leur disposition n’ont cessé de décroître.

Nous avons choisi de mettre en place une conférence de consensus, acceptant par là même le risque d’avoir à constater un éventuel dissensus. Le comité d’organisation, que nous avons voulu diversifié, pluridisciplinaire, représentatif, a été composé d’universitaires français et étrangers, de magistrats, de personnels pénitentiaires, de représentants des forces de sécurité – commissaires divisionnaires, colonels de gendarmerie –, de représentants d’associations d’insertion et d’aide aux victimes, d’élus de la majorité et de l’opposition.

Les travaux du comité d’organisation, qui ont duré près de six mois, ont consisté à préparer ceux du jury de consensus en élaborant un état des savoirs sur le plan national et international, en recensant les expériences françaises et étrangères, en procédant à l’audition de 71 organisations syndicales et professionnelles, et en recueillant et en publiant plus de 120 contributions écrites. Le jury de consensus, qui a rassemblé 2 300 personnes, a fait valoir qu’il fallait sortir des schémas de pensée réducteurs. Sur les douze préconisations adoptées à l’unanimité par le jury, nous avons nous-mêmes ouvert trois cycles de consultations et avons pu bénéficier d’un matériau de très grande qualité, élaboré ou accumulé durant des années en France et à l’étranger.

L’État doit protection aux citoyens d’une façon générale et aux victimes en particulier. Les phénomènes de déviance étant inhérents à toute organisation sociale, on tromperait les gens de façon cynique en leur donnant à croire qu’il est possible de leur garantir une sécurité totale. Nous faisons et continuerons de faire tout ce qui est possible pour accompagner les victimes et pour éviter de nouvelles victimes – d’où ce projet de loi –, mais n’allons pas pour autant faire croire que puisse exister une société sans aucun acte de délinquance. C’est pourquoi nous œuvrons avec détermination et respect, mais sans tapage ni instrumentalisation, à rétablir le lien social brisé par l’acte de délinquance. Nous le faisons en montrant aux victimes la solidarité du corps social tout entier, à travers l’action de l’État.

Cela passe aussi par la reconnaissance de la place de la victime dans le procès. Historiquement, le système pénal français s’est construit sans la victime et même contre la victime, puisque la transgression de la loi était plus importante que l’agression de l’individu. Tandis que, dans de nombreux pays anglo-saxons, la victime est aujourd’hui encore exclue du procès pénal, en France, elle a trouvé sa place dans le procès pénal à la faveur de quelques mesures substantielles. Avant même la loi du 8 juillet 1983 relative à la protection des victimes d’infractions, à laquelle il a donné son nom, Robert Badinter avait créé en 1982 le premier bureau d’accueil et d’aide aux victimes au ministère de la justice, et avait encouragé la constitution de réseaux d’associations d’aide aux victimes. Le 15 juin 2000, la loi Guigou est venue modifier l’article préliminaire du code de procédure pénale, de façon à ce que l’autorité judiciaire veille à l’information et à la garantie des droits des victimes tout au long du procès pénal.

Aujourd’hui, il nous faut aller plus loin et, au-delà de la réparation pécuniaire, travailler à la restauration sociale et psychique de la victime. Lorsque celle-ci est particulièrement vulnérable, la souffrance qui lui est infligée par un acte de délinquance peut se révéler cataclysmique et, au-delà des conséquences directes de l’acte infractionnel, altérer durablement la relation de la victime aux autres. Nous nous donnons les moyens budgétaires, institutionnels et opérationnels de cette ambition – mais j’y reviendrai.

Outre la protection des citoyens et des victimes, l’État a le devoir de veiller à la réinsertion durable des condamnés. C’est l’un des objets du projet pénal républicain. Par la sanction la mieux adaptée, par l’exécution des peines, nous devons veiller à ce que la réinsertion du condamné soit durable. En effet, la peine est prononcée pour une durée et finit par atteindre son terme : nous ne pouvons pas faire comme si cette peine était exclusivement éliminatoire ou expiatoire. Parmi les décisions pénales prononcées, 3 % seulement portent sur des crimes et 5 % sur des contraventions ; ni les unes ni les autres ne sont visées par le texte.

Le reste des décisions – plus de 90 % d’entre elles – provient des tribunaux correctionnels. La moitié de ces décisions correctionnelles concerne des délits routiers. Certaines de ces infractions sont graves, et elles sont et continueront d’être sanctionnées lourdement par les tribunaux. En revanche, pour ce qui est de la petite et moyenne délinquance – quand je dis « petite et moyenne », je fais référence à la gradation des faits et aux sanctions prévues par le code pénal, mais l’emploi de ces adjectifs n’est pas incompatible avec le fait que les conséquences de cette délinquance puissent être préjudiciables aux victimes, et parfois même avoir des effets redoutables –, nous mettons à la disposition des magistrats, en sus des outils dont ils disposent déjà, une réponse pénale calibrée afin de leur permettre de décider de prononcer éventuellement une contrainte pénale.

Penchons-nous un instant sur ce que nous enseigne le droit sur l’histoire des peines, de leur évolution et de leur exécution. Le code pénal de 1791 supprime les supplices, à l’exception de l’amputation du poing droit pour parricide, qui ne sera supprimée qu’en 1832, année où la peine des fers pour les condamnés aux travaux forcés sera abolie, et où les juridictions seront invitées par la loi à déroger aux peines minimales figurant dans le code – et qui s’y trouveront jusqu’à l’adoption du nouveau code pénal en 1994 – sur la base de la personnalité de l’accusé et des circonstances de l’infraction. En 1848, c’est la suppression de la peine de mort pour motif politique. En 1885 est créée la libération conditionnelle, et en 1891 le sursis simple.

En 1958 est instauré le sursis avec mise à l’épreuve. En 1981, c’est l’abolition de la peine de mort. L’année 1982 voit l’ouverture du premier bureau d’accueil et d’aide aux victimes au ministère de la justice, que j’ai déjà évoquée, et l’année 1983 la création du travail d’intérêt général – le TIG. En 1991 intervient une réforme importante de l’aide juridictionnelle visant à améliorer la défense des plus démunis. Enfin, c’est en 2000 que sont adoptées la loi de renforcement de la présomption d’innocence et la loi de renforcement de la protection des victimes.

Ainsi se constitue l’ordre pénal républicain. Bien sûr, je n’ignore rien des parenthèses venues s’intercaler dans cet ordre pénal républicain, dont elles ont rompu la cohérence. Je pense notamment à la loi dite « Sécurité et liberté » de février 1981, ou à la centaine de lois pénales ou de procédure pénale adoptées de 2002 à 2012. Mais la meilleure preuve qu’au regard du temps lent du droit, ces textes n’ont été que de regrettables parenthèses, c’est la loi pénitentiaire adoptée par l’ancienne majorité en 2009.

M. Alain Vidalies. Très bien !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Sans doute n’est-il pas inutile de rappeler quelques extraits de l’exposé des motifs de cette loi pénitentiaire, notamment celui-ci : « La nécessité de limiter autant que possible l’incarcération d’une personne en lui substituant, lorsque cela est possible au regard de la situation de l’intéressé, des mesures de contrôle en milieu ouvert s’applique à tous les détenus, qu’il s’agisse de prévenus ou de condamnés. »

Je poursuis mon énumération. Conformément à la loi pénitentiaire de 2009, l’incarcération, doit, dans tous les cas, constituer l’ultime recours ; si elle ne peut être évitée, il convient de tout faire pour en limiter la durée en ayant recours dès que possible aux alternatives à la peine et aux aménagements de peine.

Nous pourrions lancer un appel au courage et citer, à cet effet, le mot de Pierre Mendès France, qui affirmait, à propos des combats menés par Jean Jaurès en faveur de la justice : l’optimisme de Jaurès est celui du courage, qui consiste, à ses yeux, à « ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe ».

Quant au contenu du texte qui vous est présenté, il comporte quatre axes clairs pour redonner sens à la peine et mieux protéger les victimes. Deux articles en constituent l’épine dorsale.

L’article 1er, qui est nouveau dans le code pénal, énonce les fonctions et les finalités de la peine : sanctionner l’auteur des faits, protéger la société, eu égard à ce que Durkheim nommait les « états forts de la conscience collective », et réparer les préjudices infligés aux victimes.

C’est l’acte qui est visé, mais la sanction doit aussi favoriser l’amendement, l’insertion et la réinsertion durable du condamné. Le principe d’individualisation ne nie pas la responsabilité de l’auteur des faits : au contraire, et tel que l’a conceptualisé Raymond Saleilles, c’est justement parce qu’il est responsable que ce dernier participe à l’efficacité de la peine, qui doit à la fois sanctionner l’infraction et préparer l’avenir.

Le deuxième article formant l’épine dorsale de ce texte est l’article 11, qui énonce les principes devant présider à l’exécution de la peine et rassemble des dispositions, jusque-là éparses dans le code de procédure pénale, qui concernent les droits des victimes. Nous renforçons ces droits, notamment en assurant aux victimes tranquillité et sûreté, y compris pendant la période d’exécution de la peine.

Ce projet de loi supprime les automatismes, qui entravent le pouvoir d’appréciation des magistrats et qui, d’ailleurs, lorsqu’ils ont été adoptés, ont été présentés comme un acte de défiance à l’égard du prétendu laxisme des magistrats. Nous redonnons à ces derniers la totalité de leur pouvoir d’appréciation et ajoutons à l’arsenal des réponses pénales de nouvelles dispositions à leur service.

L’application de ces automatismes concerne surtout les « petits délits » – j’emploie ce terme avec des guillemets : il s’agit, dans 47 % des cas, de vols et d’atteintes aux biens. Or, des études rigoureuses ont montré qu’en France, en Europe et au Canada, la récidive est plus forte à la sortie de prison qu’en cas d’aménagement de peine ou à la sortie sèche de prison qu’en libération conditionnelle.

Je rappelle par ailleurs que le code pénal prévoit, depuis 1791, le doublement des peines encourues en cas de récidive : ce principe est préservé.

Enfin, nous introduisons une possibilité de césure du procès pénal, qui permettra aux magistrats, s’ils le jugent nécessaire, de déclarer la culpabilité, de décider de l’indemnisation de la ou des victimes et de renvoyer à une autre audience la décision de sanction, à une échéance de deux ou de quatre mois, après analyse de la situation de l’accusé.

Ce projet de loi institue également la contrainte pénale. L’opposition a passé tant de temps à émettre des contre-vérités à son sujet…

M. Dominique Tian. Jusque-là, tout allait bien !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …qu’il me paraît important, en deux phrases, de dire ce qu’elle n’est pas.

La contrainte pénale ne supprime pas la prison, y compris, d’ailleurs, pour les courtes peines : si les magistrats l’estiment justifié, ils pourront toujours prononcer de courtes peines. Nous leur offrons toutefois, là encore, un pouvoir total d’appréciation.

Par ailleurs, la contrainte pénale ne fusionne pas toutes les peines en milieu ouvert, pas plus que les alternatives ou les aménagements. Il y aurait certes eu une logique à revoir l’architecture des peines, à l’aide d’un triptyque amende, contrainte pénale et prison. Mais cela aurait supposé un travail sur l’échelle des peines : or, dans ce texte, nous n’y touchons pas.

Mme Catherine Coutelle. Très bien !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Qu’est-ce que la contrainte pénale ? C’est une peine autonome, présentant tous les attributs de la peine, avec sa dimension rétributive. C’est, je le répète, une sanction : les obligations et les interdictions feront l’objet de suivi et de contrôles. Elle est prononcée publiquement. Elle conserve sa nature afflictive ; la stigmatisation sociale de l’acte commis demeure. Elle est immédiatement exécutoire. Elle a une durée fixée entre six mois à cinq ans ; or, les magistrats eux-mêmes considèrent que, pour un suivi individuel, cinq ans, c’est long. Elle est exécutée en milieu ouvert, parce que la réponse carcérale n’est pas la seule possible : en témoignent les alternatives à la peine et les aménagements de peine qui existent déjà dans le code de procédure pénale.

Cependant, la contrainte pénale, pour sa part, sera assortie d’un programme de responsabilisation individualisé, adapté et ajusté pour accompagner les efforts de « désistance », c’est-à-dire de sortie de la délinquance. En vertu d’une disposition de la loi, ce programme sera obligatoirement évalué.

Un tel suivi assurera l’effectivité de la peine. Certes, en vertu de la loi pénitentiaire de 2009, les courtes peines – jusqu’à deux ans – d’incarcération font l’objet d’un temps d’examen préalable à un éventuel aménagement, mais les juges d’application des peines ne prononcent un aménagement de la peine que dans 20 % des cas : cette situation n’est satisfaisante pour personne, ni pour la société, ni pour le condamné, ni pour la victime, ni pour la justice. Il est machiavélique de faire croire aux gens, aux victimes et au voisinage qu’on les débarrasse d’un délinquant sans se soucier le moins du monde de ce qui advient après que ce dernier a exécuté sa peine.

Le texte élargit les prérogatives des forces de sécurité – police et gendarmerie – en matière de retenue et de perquisition sous l’autorité du juge, de façon à assurer un réel contrôle du respect des obligations et des interdictions.

Si la contrainte pénale se révèle un échec, l’emprisonnement demeure possible.

La contrainte pénale étant plus contraignante que le sursis avec mise à l’épreuve, je proposerai, au nom du Gouvernement, un amendement qui incitera à privilégier le sursis avec mise à l’épreuve dans les situations caractérisées par des obligations objectives, repérables, mesurables, régulières et simples à vérifier, telles que, par exemple, l’indemnisation d’une victime ou le paiement d’une pension alimentaire. Cela ajoutera à la lisibilité de ces deux mesures et répondra aux interrogations qui se sont posées à ce sujet.

S’agissant de la libération sous contrainte, comme je le disais, les statistiques rigoureuses qui ont été établies en France, en Europe et au Canada montrent que le risque de récidive est deux fois plus élevé en cas de sortie sèche qu’à la suite d’une libération conditionnelle. Un certain nombre de pays européens en ont tiré des enseignements, en décidant d’instituer une libération conditionnelle automatique. Le Gouvernement a quant à lui choisi de maintenir le principe d’individualisation, y compris au regard de l’exécution de la peine. C’est pourquoi nous n’avons pas retenu la libération conditionnelle automatique, mais un examen obligatoire, après l’exécution des deux tiers de la peine. Cet examen vise à préparer la sortie qui, de toute façon, aura lieu – j’y insiste –, afin qu’elle soit accompagnée et progressive.

Bien entendu, la commission d’application des peines pourra décider d’une libération sous contrainte – sous forme de placement extérieur, de semi-liberté, de port d’un bracelet électronique ou de libération conditionnelle – ou du maintien en détention.

S’agissant des victimes, comme je vous l’ai dit, nous avons réécrit l’article 707 du code de procédure pénale pour consacrer et renforcer leurs droits.

Votre commission a ajouté deux dispositions ayant trait aux victimes, sur lesquelles nous avons longuement travaillé depuis le premier semestre 2013 et la mission confiée à Nathalie Nieson. La première disposition offre la possibilité à un condamné d’accomplir des versements volontaires au fonds de garantie des victimes s’il n’y a pas de demande des victimes. La seconde disposition institue une contribution qui sera prélevée sur les amendes et les décisions pécuniaires prononcées par les juridictions.

L’efficacité de ces dispositions est évidemment subordonnée à un certain nombre de conditions. C’est pourquoi nous les avons pensées dans le cadre de ce que nous appelons un « écosystème » : nous avons également travaillé sur les politiques publiques, l’articulation et la coordination de l’action de l’État avec les initiatives des collectivités, l’accompagnement des associations et la création des instruments nécessaires.

Les premiers moyens que nous accordons sont en faveur des victimes. Là aussi, tant de procès indécents nous sont faits qu’il me paraît utile de rappeler un certain nombre de choses.

Tout d’abord, au cours de la seule année 2013, nous avons créé et consolidé cent bureaux d’aide aux victimes, alors que, sous l’ancien quinquennat, le précédent gouvernement avait mis trois années à en créer cinquante. Nous avons décidé d’ouvrir un bureau d’aide aux victimes dans chacun de nos 161 tribunaux de grande instance. Les associations spécialisées ont reçu plus de 300 000 victimes.

Nous avons augmenté le budget de l’aide aux victimes, qui n’avait cessé de décroître au cours des trois dernières années du précédent quinquennat : il était passé de onze à dix millions d’euros en trois ans de baisse successive. Dès notre première année budgétaire, nous l’avons augmenté de 25,8 %, le faisant passer à 12,8 millions d’euros puis, l’année suivante, dans le budget pour 2014, nous avons procédé à une nouvelle augmentation de 7 %, le portant à 13,7 millions d’euros.

Nous avons rétabli les relations avec le Conseil national de l’aide aux victimes, qui n’avait pas été réuni depuis 2010 : nous le réunissons deux fois par an et le consultons régulièrement.

Nous avons organisé la première journée d’aide aux victimes, à la chancellerie, le 4 novembre dernier ; nous tiendrons à nouveau cette journée, cette année, en novembre.

Nous généralisons sur l’ensemble du territoire, dès cette année, le téléphone de très grand danger en faveur des femmes victimes de violences.

Nous avons décidé d’expérimenter, par anticipation, des dispositions contenues dans une directive européenne relative aux victimes, que nous devons transposer au plus tard fin 2015, et qui contient des dispositions en matière de droits, de protection et de soutien des victimes. Nous avons ainsi lancé, dès janvier 2014, une expérimentation dans huit tribunaux de grande instance, pour un suivi individualisé des victimes. Enfin, cette directive contient des dispositions relatives à la justice restaurative – j’y reviendrai.

Nous accomplissons un effort considérable s’agissant des conseillers d’orientation et de probation. Nous allons renforcer ce dispositif à hauteur de 1 000 emplois en trois ans – les 400 emplois de 2014 ayant déjà été créés –, ce qui représente une augmentation de 25 %, absolument sans précédent pour un corps de la fonction publique.

Nous ne travaillons pas seulement sur les effectifs mais également, depuis octobre 2013, sur les profils de recrutement, les méthodes d’encadrement, la formation initiale et continue et sur les outils d’analyse et d’évaluation.

Depuis 2013, nous avons commencé à renforcer les effectifs de magistrats d’application et d’exécution des peines, ainsi que ceux des greffiers.

Depuis dix-huit mois, nous avons engagé une politique interministérielle, qui nous permet d’articuler et de coordonner l’action des différents services de l’État en matière de santé, de lutte contre l’illettrisme, de logement et d’emploi.

Comme je le disais, nous coordonnons l’action de l’État avec celle des collectivités, sous forme de conventions et de programmes d’expérimentation.

Nous avons souhaité disposer de statistiques précises et indiscutables. Nous nous sommes inspirés des travaux de la mission conduite par Jean-Yves Le Bouillonnec et Didier Quentin pour modifier et réformer l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales – l’ONDRP. Le ministère de l’intérieur a créé en janvier 2014 son service statistique ministériel ; celui du ministère de la justice existe depuis 1973.

L’ONDRP va désormais réaliser des analyses transversales des phénomènes de délinquance observés sur l’ensemble du territoire.

Par ailleurs, sur la base de l’article 7 de la loi pénitentiaire de 2009, nous avons créé l’Observatoire de la récidive et de la désistance qui échappe à l’emprise du ministère et qui est chargé d’étudier, sur l’ensemble du territoire, les parcours de délinquance et d’identifier les facteurs de désistance, c’est-à-dire de sortie de la délinquance.

M. Alain Chrétien. Qu’est ce que la désistance ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous voulons évaluer notre politique. Nous avons confiance dans ce que nous faisons. Nous prenons donc le risque de mesurer et d’évaluer. Nous vous proposons à cet effet d’introduire dans la loi l’obligation d’évaluer ce texte après deux ans d’application.

J’ai également installé en mars 2014 une commission présidée par Bruno Cotte, ancien président de la chambre criminelle de la Cour de cassation et actuel président de chambre à la Cour pénale internationale, qui doit remettre des travaux à la fin de l’année 2015 sur l’application et l’exécution des peines. Douze personnalités de très haut niveau entourent M. Cotte.

Enfin, nous avons commencé la construction des 6 500 places de prison supplémentaires qui avait été décidée pour les trois prochaines années. Ces places sont budgétisées et seront financées, contrairement aux 20 000 places de prison qui avaient été annoncées au cours du quinquennat précédent mais dont pas un seul euro des 3,5 milliards d’euros nécessaires n’avait été budgétisé.

Le présent texte de loi ne supprime donc pas la prison ; en revanche, il va contribuer à ce que le temps passé en prison soit un temps utile qui prépare à la sortie et réduit la récidive.

En conclusion, je tiens à rappeler que l’exigence de réinsertion structure les pénalités modernes. Elle s’inscrit dans une tradition humaniste, souvent républicaine mais pas exclusivement, laïque et chrétienne, dans laquelle en d’autres temps la droite a su s’inscrire.

M. Bernard Roman. Ô combien !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Parmi les multiples exemples qui s’étendent tout au long du dix-neuvième siècle, on peut citer la Société générale des prisons, mais aussi, sous la Restauration puis sous la monarchie de Juillet, les écoles françaises pénitentiaires, dont la doctrine se trouve dans la circulaire du 3 décembre 1832, qui permet le placement en apprentissage des jeunes détenus pour leur éviter les effets de l’emprisonnement. Charles Lucas, inspecteur général des prisons, catholique social, démarche les députés pour les convaincre de la nécessité d’étendre ces mesures aux adultes. Et il affirme que le but principal de la peine est la réforme du coupable. C’est pourtant la période de la retentissante affaire Pierre Rivière.

Nous pourrions citer également les enseignements du père Jean-Joseph Lataste, aumônier des prisons dans les années 1860, ou encore, plus proches de nous, les travaux du père Belat ou du pasteur Brice Deymié.

Je pourrais citer encore le sénateur René Bérenger, républicain, catholique, qui, avec le grand Victor Schœlcher, athée notoire, a animé la commission d’enquête sénatoriale sur les conditions de détention. Et le sénateur Bérenger est à l’origine des deux grandes lois du dix-neuvième siècle en faveur de la réinsertion : la loi du 14 août 1885, dont j’ai parlé, qui instaure la libération conditionnelle, et la loi de 26 mars 1891, qui crée le sursis simple à exécution de la peine.

Je pourrais citer aussi deux grands gardes des sceaux de l’après-guerre : François de Menthon, résistant, gaulliste,…

M. Bernard Roman. Eh oui !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …président de l’ACJF, l’Action catholique de la jeunesse française, et Pierre-Henri Teitgen, résistant, membre du MRP, le Mouvement républicain populaire, comme l’abbé Pierre. Ces deux grands gardes des sceaux ont accepté d’inscrire leur action sous l’inspiration de la défense sociale nouvelle, dont la déclaration de principe proclamait que la peine de privation de liberté a pour but essentiel l’amendement et le reclassement social du condamné.

Quant à la gauche républicaine, évidemment, elle s’est toujours réclamée de cet héritage humaniste, avec le code pénal de 1791, tout d’abord, qui est issu de la philosophie des Lumières, mais aussi de l’ambition démocratique de 1789, selon laquelle l’éducation et le travail amendent l’individu et la justice est rendue au peuple.

Des années 1875 à 1885, ensuite, la gauche républicaine a refusé les lois d’exclusion, contraires aux valeurs de la République. Retenons la figure emblématique de Georges Clemenceau, qui incitait le gouvernement d’alors à engager une réforme pénale, qui s’est opposé aux lois de relégation dans les bagnes coloniaux, à la relégation des multirécidivistes en soutenant que toute pénalité qui n’aboutit pas à l’amendement du coupable est insuffisante comme mesure de préservation sociale.

Enfin, je vous parlais de la défense sociale nouvelle, animée par de très belles figures, comme Marc Ancel, magistrat, président de chambre à la Cour de cassation, Paul Amor, résistant, magistrat, procureur, directeur de l’administration pénitentiaire, Jean Chazal, qui était juge des enfants, Pierre Cannat, magistrat, contrôleur général des services pénitentiaires. Bien entendu, c’est dans cette tradition humaniste que se sont inscrits les grands gardes des sceaux : Robert Badinter, Élizabeth Guigou, Henri Nallet, Michel Vauzelle.

Cela n’a pas empêché que l’on décide, lorsque c’était nécessaire, de l’aggravation des peines punissant les délits et les crimes. Mais la dignité doit rester au cœur de la pénalité : la dignité des personnels, qui doivent pouvoir exercer leur mission de surveillance ou de suivi dans des conditions correctes et de manière efficace ; la dignité de la victime, à qui l’État doit protection et une part de la réparation ; la dignité du condamné, qui doit pouvoir réintégrer le corps social. Et cette dignité-là est inscrite dans une peine tournée vers l’avenir, pour la victime, pour la société, pour l’auteur des faits. Platon lui-même disait déjà que celui qui punit judicieusement punit en vue de l’avenir, de façon que le coupable ne retombe pas dans l’injustice.

Mesdames, messieurs les députés, voilà ce qu’attendent les Français.

M. Alain Chrétien. Non ! Ce n’est pas ce que les Français attendent !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Non pas le cynisme des manipulations et des accusations démagogiques, mais des solutions efficaces ; non pas de la diversion, mais des solutions efficaces. Le rapporteur et les responsables du texte, les orateurs des groupes, qui ont fait un travail considérable, vous en diront davantage.

Je veux réserver mes tout derniers mots à celles et ceux, de tous milieux – judiciaire et pénitentiaire, universitaire, associatif, politique, parlementaire –, qui ont, durant de nombreuses années, avec opiniâtreté, œuvré pour enrichir la réflexion collective sur ces sujets majeurs. Leurs travaux ont fourni le point d’appui du projet de loi que le Gouvernement vous présente aujourd’hui.

Ces derniers mots seront non pas les miens, mais ceux de Victor Hugo : « Les opiniâtres sont les sublimes. Qui n’est que brave n’a qu’un accès, qui n’est que vaillant n’a qu’un tempérament, qui n’est que courageux n’a qu’une vertu ; l’obstiné dans le vrai a la grandeur. Presque tout le secret des grands cœurs est dans ce mot : Perseverando. La persévérance est au courage ce que la roue est au levier ; c’est le renouvellement perpétuel du point d’appui. » (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP – Les députés des groupes SRC et RRDP se lèvent et applaudissent.)

M. Gérald Darmanin. Manger d’abord, philosopher ensuite !

M. Philippe Cochet. C’est de l’entêtement !

M. le président. La parole est à M. Dominique Raimbourg, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, je suis le rapporteur de ce texte de loi important. En tant que tel, ma première tâche est de vous faire état de ce que j’ai constaté au cours des auditions qui ont précédé cette séance. Ces auditions, j’ai déjà eu l’occasion de le dire, m’ont laissé un goût amer : celui d’une justice en difficulté sur beaucoup de points.

La première difficulté est celle des capacités de traitement des juridictions. À partir des années quatre-vingt, il a été demandé à la justice de traiter beaucoup plus de dossiers qu’auparavant, sous l’effet sans doute de la mise en place des dispositifs de prévention de la délinquance et de ce qu’on appelle le service de traitement direct, qui a mis en contact les officiers de police judiciaire et les procureurs par téléphone, mais aussi de cet indicateur qu’était le taux de réponse pénale. Cette donnée statistique permet effectivement de mesurer l’efficacité du procureur de la République à partir d’un taux unique, une mesure sans doute critiquable mais néanmoins bienvenue.

On trouve la trace de cette difficulté dans le nombre de décisions de justice rendues, qui a considérablement augmenté puisque, en dix ans, de 2001 à 2012, on est passé de 450 000 décisions en correctionnel à près de 600 000, sans que les moyens suivent, malgré les efforts d’augmentation budgétaire.

La justice est aussi à la peine quant aux relations entre ses différents acteurs. Le triptyque police, justice, administration pénitentiaire fonctionne avec difficulté et à tous les étages de la hiérarchie, de tous côtés, on entend un discours sans cesse repris : chacun critique l’autre et lui reproche de ne pas faire fonctionner correctement ce triptyque pénal, que d’autres appellent la chaîne pénale.

Durant les dix années qui ont précédé l’actuelle législature, la droite a bien senti ces difficultés. Mais, très curieusement, elle s’est concentrée sur quelque chose qui fonctionnait relativement bien, la sévérité de la peine, et non pas sur le temps de la décision. Une fois que les dossiers arrivent à l’audience, ils sont correctement traités. Contrairement à ce qui se dit, les juges ne sont pas laxistes ; ils prononcent les peines qu’ils estiment être nécessaires. Ce qui pose problème, en revanche, c’est l’avancement du flux des dossiers, la gestion de ces dossiers : le temps qui s’écoule entre la commission des faits et le jugement est un temps trop long, comme celui qui s’écoule ensuite entre le jugement et son exécution. C’est à ce problème que nous sommes confrontés.

La majorité de droite, pendant ces dix années, a développé un discours uniquement centré sur la question de la sévérité,…

M. Alain Chrétien. Caricature !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. … tel point que les mesures qui ont émaillé le dernier quinquennat, et qui ont été votées à l’unanimité, par exemple la mise en place de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, qui était une très bonne décision, n’ont jamais été mises en avant par nos collègues de droite, qui n’en parlent pas. Frapper la grande délinquance au portefeuille est pourtant extrêmement efficace. Curieusement, nous n’en avons jamais écho dans les débats.

On a donc vu passer le nombre de détenus de 49 718 en 2001 à 68 569 en 2013, quand dans le même temps le nombre de places de prison passait de 49 043 à 57 320 ; aux 8 000 places supplémentaires correspondait un afflux de 18 000 détenus.

M. Gérald Darmanin. Cela n’a aucun rapport !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Ainsi était justifié ce vieil adage qui veut que plus on construit de places de prison, plus on enferme de détenus dedans. J’ajoute qu’aujourd’hui on nous réclame 80 000 places de prison, en reprenant une décision prise à l’emporte-pièce par l’ancien Président de la République, M. Sarkozy, à l’occasion de sa visite du centre pénitentiaire de Réau. Alors qu’il n’y avait pas de financement, on s’est tourné vers des promoteurs privés pour leur demander de construire des places de prison qu’on louerait, un procédé extrêmement hasardeux qui aurait coûté plus de 3 milliards d’euros.

En outre, ce chiffre était tiré d’un rapport de M. Ciotti, qui avait pris la précaution de formuler un grand nombre de propositions autour de cette mesure chiffrée, qui est le seul élément que l’on retient aujourd’hui et que l’on agite tel un étendard pour demander la construction de nouvelles places. Nous construisons, et Mme la garde des sceaux l’a rappelé. Nous avons lancé le programme pour élever la capacité d’accueil du parc pénitentiaire à 63 000 places ; cet effort est donc bien réalisé.

J’en viens à la réforme pénale, qui s’articule en trois volets.

Le premier volet concerne l’effort fait en direction des victimes par la clarification des droits qui leur sont reconnus. À cet égard, la commission des lois a adopté, à l’initiative de Mmes Carrillon-Couvreur et Nieson, un amendement qui crée une sur-amende de 10 % pour abonder les associations d’aide aux victimes. C’est du concret, du pragmatique, du pratique.

Le deuxième volet, c’est la lutte contre la récidive par le contrôle, le suivi, l’encadrement de ceux qui sortent de prison et l’aide qui leur est apportée. La prison n’est pas le lieu magique où, par une sorte de prodige merveilleux, le délinquant se dissoudrait et ne ressortirait jamais.

M. Guy Geoffroy. Qui a dit cela ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Près de 80 % des 72 000 condamnés qui chaque année sortent de prison ne sont pas suivis. Il faut absolument remédier à cette situation.

Ce projet de loi, amendé par les soins de la commission des lois, se soucie du suivi de ceux qui sortent de prison, ce qui constitue une première. La commission a ainsi adopté un certain nombre d’amendements visant à organiser le suivi et le contrôle.

Mme la garde des sceaux vous a parlé de l’augmentation des moyens, avec notamment l’accroissement du nombre de conseillers d’insertion et de probation : en trois ans, ils vont passer de 4 000 à 5 000. On pourra dire de cette augmentation des moyens qu’elle n’est pas suffisante. Il n’en reste pas moins qu’elle existe. Parallèlement, le texte prévoit d’associer les forces de police et de gendarmerie au travail de suivi et de contrôle.

En effet, aussi extraordinaire que cela puisse paraître, dans notre pays, les forces de police et de gendarmerie ne sont pas informées de façon satisfaisante des interdictions et des obligations qui pèsent sur les personnes sortant de prison. Il est nécessaire de remédier à ce dysfonctionnement grave. Pour ce faire, le projet de loi vise à inscrire les interdictions et les obligations dans le fichier des personnes recherchées.

La commission des lois est allée un peu plus loin en instaurant une coordination, de façon à ce qu’un certain nombre de détenus sortant de prison, et dont on considère qu’il faut les suivre plus particulièrement, fassent l’objet de discussions.

La commission a également permis au juge d’application des peines de mettre en place, lorsque l’on soupçonne une violation des interdictions, la géolocalisation ou des écoutes téléphoniques.

Enfin, nous avons essayé de clore l’interminable discussion sur les réductions de peine. La commission des lois a ainsi proposé de rendre conditionnels, c’est-à-dire révocables, aussi bien le crédit de réduction de peine que les réductions de peine supplémentaires. Pendant une période égale au crédit de réduction de peine, il sera donc possible d’imposer une obligation particulière à une personne sortant de prison. La violation de cette obligation pourra également entraîner la révocation du crédit.

Le débat sur l’effectivité des peines est récurrent dans cette assemblée : on dit qu’il est anormal que les peines ne soient pas effectuées en totalité. Les crédits de réduction de peine, instaurés par ce texte, pacifieront la détention, amélioreront son déroulement et permettront un certain nombre d’avancées. En outre, même en dehors de la libération sous contrainte pénale ou de la libération conditionnelle, il sera possible de contrôler celui qui sort de prison. Ce faisant, on l’aidera à retrouver le « droit chemin », comme on dit dans les manuels un peu anciens.

Troisième volet de cette loi pénale, la question de l’individualisation des peines. Cela passe par la suppression des peines planchers, non pour des raisons idéologiques, comme cela nous est reproché,…

M. Guy Geoffroy. Bien sûr que si !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. …mais parce qu’elles n’ont pas fait la preuve de leur efficacité.

À cet égard, on a rappelé les chiffres : seules 42 000 ont été prononcées pendant cinq ans,…

M. Guy Geoffroy. Ce qui montre bien qu’elles ne sont pas systématiques !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. …quand, dans le même temps, les tribunaux correctionnels ont rendu 3 millions de décisions.

C’est donc dire que ces peines planchers sont statistiquement très minoritaires…

M. Guy Geoffroy. Alors, conservez-les !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. …et qu’elles n’ont pas eu le moindre effet sur la récidive et la réitération.

M. Guy Geoffroy. Les peines planchers ne sont pas faites pour la réitération !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Ce n’est pas la sévérité de la peine – sur ce point, je rejoins l’auteur que vous avez cité au début de votre propos, madame la garde des sceaux – qui garantit l’absence de commission de délit ; c’est la certitude de la peine.

M. Guy Geoffroy. C’est précisément le but des peines planchers !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Or la certitude de la peine n’est pas, aujourd’hui, suffisamment établie : compte tenu des délais de traitement, la peine n’est jamais certaine.

Celui qui a commis un certain nombre de délits peut toujours se dire que, vu le fonctionnement de la machine judiciaire, il coulera peut-être suffisamment d’eau sous les ponts jusqu’à ce qu’il soit condamné pour qu’on l’ait oublié. Ce n’est pas la sévérité qui est dissuasive, mais l’efficacité de la machine ; c’est elle qu’il nous faut retrouver.

Mme Catherine Coutelle. Très bien !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Je passe rapidement sur la révocation des sursis simples. Il est difficile d’expliquer son fonctionnement, mais elle aura un effet assez important. Nous aborderons cette question lors de l’examen des articles.

J’en viens à la question de la contrainte pénale.

Ne faisons pas de la contrainte pénale l’arbre qui cache la forêt. La contrainte pénale constitue bel et bien un effort pour penser une peine nouvelle. À cet égard, vous avez bien fait, madame la garde des sceaux – vous me permettrez de porter une appréciation qualitative, car je vous suis totalement dans votre démarche –, de replacer cette disposition dans l’évolution du droit pénal.

Cela dit, seules 20 000 contraintes pénales seront prononcées chaque année. Si l’on rapproche ce nombre des 120 000 peines d’emprisonnement ferme, des quelque 200 000 peines d’emprisonnement avec sursis et des 600 000 décisions correctionnelles, on se rend compte que l’on n’a pas affaire à un dispositif qui va remplacer totalement la prison. De telles allégations sont donc totalement fantaisistes, voire néfastes pour l’unité de notre corps social. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Ne nous focalisons donc pas sur cette question. Disons qu’il s’agit là d’un effort important, qui doit être accompagné et ne doit pas faire l’objet de critiques démesurées.

La commission des lois a aussi essayé d’ouvrir des pistes pour l’avenir, notamment en ce qui concerne la réduction du flux, dans une période où, comme le disent ceux qui utilisent le politiquement correct, nous avons des contraintes budgétaires serrées, ce qui veut dire en clair que nous n’avons pas beaucoup d’argent. Eh bien, si l’on n’a pas beaucoup d’argent à mettre, il faut essayer de réduire la charge de travail. Nous avons donc essayé de voir quels petits délits pourraient être traités directement par la police. Nous avons également instauré une transaction pénale qui est la copie de la transaction douanière. Nous avons prévu des possibilités de délégation du procureur en direction des officiers de police judiciaire. Ce sont là des pistes importantes. Il conviendra également de réfléchir au traitement d’un certain nombre de contentieux. Ce projet n’est donc, à l’évidence, qu’un premier pas vers la modernisation de notre appareil policier, judiciaire et pénitentiaire.

Voilà donc l’essentiel de ce texte – je ne veux pas allonger trop cette présentation, car nous entrerons plus tard dans le détail des articles.

Pour terminer, je voudrais dire que tout débat pénal est nécessairement complexe.

Vous l’avez dit, madame la garde des sceaux – et j’imagine que l’ensemble des orateurs le répéteront après moi –, la peine a un double aspect.

Elle possède, d’une part, une dimension symbolique : la peine est la mesure par laquelle une société s’unit pour dire tout le mal qu’elle pense du délit et du crime. Elle se doit donc d’être lisible et simple pour être comprise par tout le monde et faire en sorte que la société se rassure. Elle a pour but de réparer la brisure du lien social, la blessure que représente le crime pour tous ceux qui vivent au sein d’un même pays.

D’autre part, la peine doit être appliquée. Il ne faut surtout pas qu’il y ait un écart trop important entre le fonctionnement réel de la machine qui traite des dossiers et la dimension symbolique.

L’effort que vous faites, madame la garde des sceaux, et que nous accompagnons, consiste à essayer de créer, dans l’imaginaire collectif, une nouvelle peine faisant accepter à nos concitoyens la possibilité de remplacer l’enfermement, qui symboliquement fonctionne très bien, par un contrôle serré à l’extérieur de la prison, qui n’est pas liberticide puisqu’il s’applique à des gens ayant été condamnés.

C’est un pari. Vous avez raison, madame la garde des sceaux, de le placer dans la lignée de René Bérenger, des grands penseurs de la pénalité et des gardes des sceaux les plus importants. C’est un effort qui mérite d’être soutenu. Nous devrons l’accompagner en essayant, par nos modestes contributions, d’améliorer ce qui peut l’être dans ce texte. C’est en tout cas ce à quoi nous nous emploierons. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

Motion de rejet préalable

M. le président. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.

La parole est à M. Georges Fenech.

M. Georges Fenech. Je vous ai écoutée attentivement, madame la garde des sceaux. Vous ne m’avez pas convaincu. Vous conduisez la justice vers des rivages incertains, voire au bord du précipice.

Certes, comme vous nous y avez habitués dans d’autres circonstances, vous avez déployé dans votre discours une belle éloquence, fondée sur de belles références. Cela dit, et nous le démontrerons au cours de ce débat, il y a aussi, chez vous, à la fois beaucoup d’incohérences et peu d’efficience.

Je voudrais avant tout vous dire très sincèrement que vous n’avez pas le monopole de l’humanisme, pas plus d’ailleurs que celui de la justice. Nous sommes tout autant que vous attachés à la réinsertion des condamnés.

Contrairement à ce qu’a dit Dominique Raimbourg, nous n’avons pas pris seulement, lorsque nous étions aux affaires, des mesures de sévérité. J’ai moi-même été rapporteur du texte sur le bracelet électronique mobile. Nous aussi, nous sommes soucieux de peines alternatives et d’aménagement des peines.

Voyez-vous, madame la garde des sceaux, il s’est passé des choses avant vous. Vous n’avez pas tout inventé ; vous n’avez pas tout recréé de l’institution judiciaire, contrairement à ce que vous laissez croire – du moins, c’est ainsi que je le ressens.

Mme Cécile Untermaier. Elle n’a jamais dit cela !

M. Georges Fenech. Quoi qu’il en soit, notre assemblée est enfin saisie de ce projet de loi relatif, selon son intitulé initial, « à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines »…

M. Guy Geoffroy. Mme la garde des sceaux en a rabattu depuis !

M. Georges Fenech. …et rebaptisé tout à coup, en commission des lois, à la suite d’un amendement de notre rapporteur, « projet de loi tendant à renforcer l’efficacité des sanctions pénales ».

Je crois que ce revirement sémantique démontre à lui seul que vous pratiquez une certaine forme de navigation à vue, alors même que l’on ne se prive pas de présenter ce texte comme une grande réforme pénale…

M. Guy Geoffroy. Ce n’est pas ce que vient de dire le rapporteur !

M. Georges Fenech. …devant conduire – oserai-je le dire ? – à un changement de civilisation.

Mme Cécile Untermaier. N’exagérons rien !

M. Georges Fenech. Voilà donc ce texte, qui nous arrive après les élections municipales et européennes, mais aussi après beaucoup de polémiques.

Les Français attendent de voir ce que nous allons faire. En réalité, les dispositions de votre texte sont disparates et – je lâche le mot tout de suite – laxistes.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Ah ! Nous y voilà !

M. Georges Fenech. En effet, elles ne permettront en aucun cas de mieux lutter contre la récidive, ni même de rendre plus efficaces les sanctions pénales qui seront, dans les faits, dévitalisées.

Ce projet de loi, s’il devait être adopté, aurait pour conséquence de déconstruire le système répressif, d’aggraver le niveau de la délinquance et, au final, de mettre gravement en danger la sécurité de nos concitoyens.

Ces critiques, madame la garde des sceaux, vous les estimez injustes, infondées et caricaturales. Vous vous défendez avec force de vouloir vider les prisons et d’assurer l’impunité des délinquants. Vous rejetez en bloc toutes les accusations qui vous sont faites à cet égard.

Vous expliquez que la contrainte pénale n’est qu’une sanction supplémentaire, à la disposition du juge, lequel a toujours la possibilité de choisir l’enfermement quand cela s’impose. Voudrait-on culpabiliser les juges de punir qu’on ne s’y prendrait pas autrement. En fait, d’un côté, vous dites qu’il faut éviter la prison et, de l’autre, vous ajoutez aussitôt que les juges peuvent quand même décider de prononcer de la prison ferme. Je leur souhaite bien du plaisir d’aller à l’encontre de la volonté de votre Gouvernement.

Permettez-moi de vous dire que vous ne convaincrez pas l’opposition, pas plus d’ailleurs que les 75 % de Français qui, selon tous les sondages, rejettent cette réforme.

Pourquoi, madame la garde des sceaux, vous obstinez-vous à masquer vos intentions réelles ? À cet égard, j’ai retrouvé quelques-unes de vos déclarations.

Dans votre discours d’ouverture de la conférence de consensus, prononcé le 14 février 2013, vous avez dit : « Est-ce que nous sommes contraints de rester [… ] dans ce paradigme de l’incarcération et cette référence systématique, ou est-ce que nous serons en mesure de produire des peines qui sont des vraies peines, qui sont vécues comme étant des peines par ceux qui les prononcent, par ceux qui doivent les exécuter, mais aussi par l’ensemble de la société ? »

Vous avez récidivé, si j’ose dire, le 22 août 2013 à Marseille, sous l’ovation des militants PS réunis pour la circonstance : « nous allons détruire, pulvériser les méthodes qui consistent à prétendre que le bon sens veut qu’il faille enfermer, enfermer et enfermer sans cesse, alors que cet enfermement sans cesse crée du danger pour la société ».

Autrement dit, ce ne sont non pas les récidivistes qui créent du danger pour la société, mais la société elle-même, qui enferme ces récidivistes. Ubu roi pointe son nez, madame la garde des sceaux.

Vous ne voulez plus de la prison comme sanction ; dites-le donc clairement ! Pourquoi, sinon, auriez-vous abandonné le programme de 20 000 places de prisons supplémentaires, absolument indispensable pour mettre notre pays en conformité avec les normes européennes et, ainsi, faire exécuter effectivement les peines d’emprisonnement ? Le titre de votre projet de loi fait pourtant référence à l’effectivité de la sanction.

Souffrez, madame la garde des sceaux, que durant quelques minutes nous ayons encore le droit de vous contester, le droit de vous critiquer, le droit de nous opposer sans pour autant commettre de crime de lèse-majesté face, dit-on, à l’icône de la gauche que vous représentez aujourd’hui. Or, ce débat, plus que tout autre, ne doit pas être personnalisé ni répondre à quelque caprice de star ministérielle que ce soit (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.). Une réforme de cette nature n’aurait jamais dû, en outre, suivre la procédure accélérée au préjudice des droits du Parlement et d’un examen serein et contradictoire de textes qui engagent l’avenir de notre société.

Pourquoi avoir fait le choix de cette procédure accélérée ?

Mme Cécile Untermaier et Mme Marie-Anne Chapdelaine. Et alors ?

M. Georges Fenech. Certaines mauvaises langues expliquent qu’il fallait au plus vite vous permettre de faire adopter votre réforme pour que vous puissiez postuler au poste de défenseur des droits. C’est ce que l’on entend. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Cécile Duflot et Mme Elisabeth Pochon. C’est nul !

M. Damien Abad. Il a raison !

M. Guy Geoffroy. Il a le droit de s’exprimer, tout de même !

M. Georges Fenech. Oui, en effet, c’est nul ! Une loi d’arrangement personnel, en quelque sorte, mais qui risque de conduire toute votre majorité dans le mur, madame la garde des sceaux.

En tout cas je défends cette motion de rejet préalable pour dénoncer, non seulement tous les dangers de ce projet de loi, mais également ses atteintes aux principes généraux du droit et à la Constitution.

Madame la garde des sceaux, à votre arrivée place Vendôme, vous aviez soulevé d’immenses espoirs auprès de la magistrature. Force est de constater que la déception est aujourd’hui à la hauteur de ces illusions, si j’en crois le président de l’USM, le syndicat majoritaire, qui ne vous est pas foncièrement hostile : « Le problème, c’est qu’on ne sait pas où on va » se plaint-il, « sur la réforme constitutionnelle, on recule, sur la réforme pénale, j’ai l’impression que l’ensemble des préconisations de la conférence de consensus ont du plomb dans l’aile. »

Aujourd’hui même, le syndicat FO Pénitentiaire et Alliance Police Nationale ont demandé le retrait de votre projet de loi. Vous seriez bien avisée, madame la garde des sceaux, de renoncer à ce projet.

M. Guy Geoffroy. Ils ne sont pourtant pas à droite !

M. Georges Fenech. Ces derniers jours, vous avez même été recadrée par le Président de la République qui n’a pas apprécié que vous ne respectiez pas les arbitrages.

Mme Elisabeth Pochon. Ce n’est pas bien d’écouter aux portes !

M. Georges Fenech. Une première sous la Ve République ! Vous vous affranchissez de l’autorité du chef de l’État en espérant qu’avec l’appui de votre rapporteur Dominique Rainbourg, les députés socialistes vous suivent dans votre fuite en avant. Il sera intéressant de voir ce qu’il adviendra de cet amendement qui étend la contrainte pénale à tous les délits jusqu’à dix ans d’emprisonnement, adopté sans que vous ne réagissiez.

M. Guy Geoffroy. Allez-vous voter l’inverse de ce que vous avez adopté en commission ?

M. Georges Fenech. Précisons tout de même que ce n’est pas jusqu’à dix ans que la contrainte pénale s’appliquera, mais vingt ans, puisque les délits commis en récidive punis de dix ans, sont punissables de vingt ans. Ajoutez à cela la question de la correctionnalisation judiciaire. Combien de crimes sont-ils correctionnalisés ? Je pense aux vols avec armes par exemple. Eh bien, oui, madame la garde des sceaux, contrairement à ce que vous prétendiez tout à l’heure, la contrainte pénale s’appliquera aussi à des faits de nature criminelle disqualifiés.

M. Jean-Frédéric Poisson. Bien sûr !

M. Georges Fenech. Vous avez, en effet, laissé voter sans réagir cet amendement, en commission des lois. Oui, vous pouvez sourire, rire, ricaner, c’est tout le respect que vous témoignez à l’opposition quand elle s’exprime ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Vous apparaissez bien isolée au sein du Gouvernement. Même votre collègue André Vallini, un expert reconnu des questions de justice, considère que « cette réforme, qui suscite beaucoup de polémiques, devrait être expérimentée dans le ressort d’une ou deux cours d’appel, pendant deux ou trois ans… ». Une manière très soft de vous conseiller de l’enterrer purement et simplement.

Autre pourfendeur de votre projet de loi, Manuel Valls lui-même qui, lorsqu’il occupait la place Beauvau, s’était fendu d’une lettre assassine adressée au Président de la République, dont je vous cite quelques extraits : « J’attire votre attention sur les désaccords mis en lumière par le travail interministériel qui s’est engagé récemment autour du projet de réforme pénale présenté par la ministre de la Justice [… ] Ce projet de loi repose sur un socle de légitimité fragile : la conférence de consensus. [… ] Les conclusions du jury de consensus ont fait l’objet de fortes réserves au sein même de la magistrature ». Où est donc ce consensus ?

On ne peut être plus clair. Aujourd’hui devenu Premier ministre, nous l’avons entendu tout à l’heure, aux questions d’actualité, vous soutenir avec la plus ferme énergie. Il répondra lui-même devant le peuple, tôt ou tard, de ce reniement.

Voilà dans quel contexte nous examinons aujourd’hui, selon la procédure accélérée, ce projet de loi de réforme pénale.

J’en viens à présent, pour être plus pragmatique, à son contenu, qui justifie cette motion de rejet. Commençons par la suppression des peines plancher, principe dont le péché originel est d’avoir été adopté sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy.

Vous avancez trois arguments pour proposer leur suppression. Elles seraient tout d’abord automatiques…

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est faux !

M. Georges Fenech. …alors que, vous le savez bien, le Conseil constitutionnel a jugé qu’elles ne portaient atteinte « ni au principe de nécessité des peines, ni davantage au principe d’individualisation des peines ». En effet, le juge peut toujours descendre en dessous du seuil légal, en considération des circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur, ou lorsqu’il constate des efforts sérieux de réinsertion.

M. Guy Geoffroy. C’est ce qu’il a fait d’ailleurs !

M. Georges Fenech. Sa seule obligation est de motiver sa décision. C’est le moins que l’on puisse demander à un juge !

D’ailleurs, l’application des peines plancher a décru chaque année puisque, de 43 % en 2008, elle est passée à 37 % en 2011. On le voit, l’argument de l’automaticité est un faux prétexte, pour masquer votre véritable intention, celle d’éviter l’emprisonnement coûte que coûte.

Notons au passage que vous proposez en revanche, et c’est l’un des volets les plus critiquables de ce projet de loi, de rendre automatique l’examen d’une libération conditionnelle, aux deux tiers de la peine, en réalité à la mi-peine si on tient compte des réductions de peine. Ainsi ce qui ne vaut pas pour l’entrée en prison vaudrait pour la sortie. Nous sommes en pleine cohérence démagogique.

D’autre part vous estimez que les peines plancher sont à l’origine d’une surpopulation carcérale. C’est faux ! Aucune étude d’impact ne permet d’avancer une telle théorie.

Nous l’aurons compris, la suppression des peines plancher n’est qu’une posture idéologique.

M. Guy Geoffroy. Absolument !

M. Georges Fenech. Guy Geoffroy, rapporteur du texte qui les institua, saura les défendre avec conviction au cours de la discussion générale.

Vous avez la conviction, madame la garde des sceaux, que l’on incarcère trop en France, que la prison est criminogène et qu’il faut chercher d’autres solutions.

Personne ici n’est contre les peines alternatives mais personne ne peut pour autant prétendre qu’en France on incarcère trop. S’il y a trop de détenus, c’est simplement parce qu’il manque des places en prison. Au 1er septembre 2013, 67 000 personnes étaient incarcérées pour 58 000 places, soit un taux d’occupation supérieur à 115 % !

Je voudrais ici battre en brèche plusieurs contre-vérités que vous véhiculez inlassablement.

Tout d’abord, le taux de détention en France n’est pas plus élevé qu’ailleurs – 98 personnes détenues pour 100 000 habitants en 2013, quand la moyenne de l’Union européenne est de 137. Manuel Valls lui-même n’a-t-il pas déclaré : « Ce projet de loi part d’un premier postulat que je ne peux intégralement partager : la surpopulation carcérale, s’expliquerait exclusivement par le recours « par défaut » à l’emprisonnement, et par l’effet des peines plancher ». Voyez qu’il s’inscrit en faux, lui aussi, contre votre analyse.

Pour répondre au déficit du parc immobilier pénitentiaire, vous nous annoncez la construction de 6 500 places de prison. Or, je constate que le projet annuel de performance de la mission « Justice » du projet de loi de finances pour 2014 prévoit en réalité 2 258 places nettes entre 2014 et 2016.

Nous sommes loin des 6 500 places annoncées et en tout cas très loin des 20 000 places manquantes !

Citons encore, pour prouver que nous n’incarcérons pas plus qu’ailleurs, les données statistiques du criminologue que nous connaissons bien, Pierre-Victor Tournier, souvent classé à gauche et qui n’a jamais caché son opposition aux lois de Nicolas Sarkozy. Il constate que seulement 51 % des peines prononcées pour l’année 2012 comprennent de la prison. Et dans ces 51 %, seuls 21 % comportent de l’emprisonnement ferme. Ajoutons à cela qu’environ 100 000 peines de prison ferme sont en attente d’exécution et on sait qu’environ 20 000 ne seront jamais exécutées.

Il aurait fallu poursuivre le programme de construction de 24 000 places supplémentaires. Cela n’a pas été votre choix. Vous avez préféré changer de paradigme. Ce n’est plus le parc pénitentiaire qu’il faut adapter aux décisions de justice, mais plutôt la politique pénale à l’immobilier. C’est un peu comme si on voulait artificiellement réduire le nombre de malades face au sous-équipement hospitalier. Observons d’ailleurs qu’entre 1990 et 2011, les trois plans de construction portant sur 20 000 nouvelles places de prison ont tous été mis en œuvre à l’initiative de la droite.

Les conséquences de ce renoncement sont immédiates. Ainsi, les personnes condamnées ne sont plus toujours incarcérées faute de places en maison d’arrêt comme cela s’est passé à Chartres où les juges n’ont fait que suivre à la lettre votre circulaire du 19 septembre 2012 qui incite à tenir compte de la surpopulation carcérale avant de mettre à exécution les condamnations. C’est la logique inavouée du numerus clausus et de la gestion hôtelière des prisons, même si vous vous en défendez. Ajoutons qu’en enterrant le programme de construction pénitentiaire, les conditions de détention continueront à se dégrader et les chances de réinsertion à s’amoindrir.

J’en arrive à la deuxième mesure phare de votre projet de loi : la création de la contrainte pénale issue de la conférence dite de consensus.

Un mot d’abord sur ce consensus de façade. Vous avez énuméré les nombreuses personnalités nationales et internationales qui ont participé à cette conférence de consensus dont je persiste à dire que les membres du jury ont tous été triés sur le volet, que sa présidente, Nicole Maestracci, est bien connue pour ses sympathies à gauche et qu’elle a d’ailleurs été bien remerciée par une formidable promotion comme membre du Conseil constitutionnel.

Mais revenons au dispositif de la contrainte pénale pour en démontrer son incohérence et les violations des principes généraux du droit qu’il contient.

Le mécanisme retenu par le projet de loi établit trois phases distinctes. Au cours de la première, la juridiction pénale déclare la culpabilité et prononce la contrainte pénale. Elle peut en outre ajourner le jugement jusqu’à quatre mois pour faire procéder à des « investigations sur la personnalité », ce qui retardera d’autant plus la mise à exécution effective de la sanction et alourdira considérablement la tenue des audiences, déjà au bord de l’asphyxie – tous les praticiens vous le diront.

Vient ensuite la phase post-sentencielle, qui est la gestion par le juge d’application des peines du dispositif du suivi probatoire du condamné selon des modalités pratiques proches de celles de la mise à l’épreuve déjà existante – notons que ce juge prend, dans ce dispositif, une place majeure au détriment du tribunal.

Enfin une nouvelle phase juridictionnelle de sanction de la précédente, qui intervient dans le cas où le condamné ne respecterait pas les obligations mises à sa charge. Le président du tribunal pourrait alors fixer une peine d’emprisonnement.

Non seulement ce mécanisme est d’une extrême complexité, d’une extrême lourdeur, mais il pose aussi un certain nombre de questions en matière de légalité criminelle. En effet, ce projet de loi porte atteinte, à de nombreuses reprises, aux principes généraux du droit, et je ne suis pas le seul à le dénoncer.

Votre mentor Robert Badinter, que vous avez cité à plusieurs reprises, a lui-même, en sa qualité d’ancien président du Conseil constitutionnel, pointé le risque d’inconstitutionnalité.

Le projet de loi viole en effet le principe non bis in idem, en vertu duquel on ne peut être jugé deux fois pour les mêmes faits. Or, que l’on considère que la contrainte pénale institue deux peines principales alternatives ou une peine principale assortie d’une peine subsidiaire potestative, elle instaure en tout état de cause deux peines distinctes pour une seule infraction.

Une question se pose alors : la loi peut-elle prévoir deux peines dont le régime de l’une seulement serait fixé initialement – la partie de la peine correspondant à la fonction réparatrice – et qui serait également déterminée dans son quantum, la fixation de l’autre – la peine à finalité punitive – étant différée et subordonnée à l’appréciation par le juge du respect de la première ?

Il fait ainsi peu de doute que le président du tribunal appelé à se prononcer pour la révocation demandée devra procéder à un nouveau jugement au moins partiel, sinon de la culpabilité, du moins de la peine, qui avait été initialement limitée à sa fonction réparatrice. On aboutit ainsi à faire juger deux fois les mêmes faits, pour leur appliquer des peines de nature différente, dont la seconde plus élevée dans l’échelle des peines de surcroît, est destinée à se substituer à la première.

Mais ce n’est pas tout. Le projet de loi institue également une forme d’indétermination de la peine. Tout d’abord, selon le principe de la légalité des délits et des peines, c’est la loi qui fixe la peine encourue pour chaque infraction et ce même principe impose à la loi d’être suffisamment précise pour que le citoyen connaisse la peine encourue avant de commettre l’infraction.

Or la contrainte pénale ne permet de savoir ni quelle sera la durée de la peine, laquelle peut être comprise entre six mois et cinq ans, ni en quoi consiste son contenu effectif. En effet, la durée de la peine n’est plus fixée en considération de la gravité de l’infraction, mais de l’appréciation subjective par le juge de la personnalité de son auteur et de la durée prévisible des mesures à mettre en place pour assurer son amendement et sa réinsertion. Le nouvel ajournement prévu pour permettre au tribunal de procéder à des investigations de personnalité confirme bien l’indétermination intrinsèque de cette peine dont la durée ne dépend plus de l’infraction commise.

M. Jean-Frédéric Poisson. Absolument !

M. Georges Fenech. On touche là au cœur de ce qu’ambitionne d’être la contrainte pénale : non plus une sanction, mais une rééducation de l’homme délinquant. Son contenu est indéterminé. À l’incertitude de la durée, s’ajoute l’indétermination du contenu, alors que le citoyen doit savoir quel est le contenu de la ou des peines auxquelles il s’expose. Or la liste des obligations et interdictions qui constituent la contrainte pénale est totalement aléatoire et fluctuante. Ainsi, un condamné peut-il se voir interdire de rencontrer la victime et être obligé de suivre des soins tandis qu’un autre aura l’obligation d’exercer un emploi et d’exécuter un travail d’intérêt général.

La personne condamnée ne peut ainsi jamais connaître tant au moment de l’infraction, mais également tout au long de l’exécution de la peine elle-même quelles seront les obligations et interdictions qu’elle sera susceptible de recouvrir…

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est vrai !

M. Georges Fenech. …puisque celles-ci dépendent, au mieux, du tribunal qui prononce la sanction et même plus vraisemblablement du juge de l’application des peines qui déterminera en pratique ces obligations, lesquelles évolueront dans le temps. En réalité, madame la garde des sceaux, cette contrainte pénale est un cadre vide dont le contenu dépend des mesures que le tribunal et surtout le juge de l’application des peines décideront ou non d’y mettre. Je vous pose la question : peut-on admettre qu’une personne soit condamnée à une peine d’emprisonnement suspensive ou différée dont elle ne peut connaître le quantum et qui, de ce fait, demeure indéfinie ?

Ce projet de loi viole, de ce fait, l’égalité des citoyens devant la peine. En effet, comment le juge déterminera-t-il des critères objectifs pour choisir entre l’emprisonnement, la contrainte pénale ou le sursis avec mise à l’épreuve, dispositif très proche de la contrainte pénale ? Vous n’inventez rien, madame la garde des sceaux. La contrainte pénale, ce n’est pas nouveau. Le sursis avec mise à l’épreuve, vous l’avez précisé, remonte à 1958. La confusion est, là, tellement manifeste que vous nous avez annoncé dans votre discours que vous alliez réformer le sursis avec mise à l’épreuve.

C’est ce que j’ai compris. Vous allez limiter le sursis avec mise à l’épreuve à des obligations fixes, claires et bien déterminées. Vous annoncez ainsi brutalement un amendement du Gouvernement tendant à réformer un sursis avec mise à l’épreuve applicable depuis 1958 et étendu en 1970 sans aucune étude d’impact préalable. On se demande véritablement si ce projet de loi a été vraiment étudié et pensé. Vous vous êtes surtout aperçue du risque d’inconstitutionnalité. Vous tentez alors aujourd’hui par un subterfuge – la réduction du SME à la portion congrue – de justifier l’existence de cette contrainte pénale.

Nous ne pouvons pas vous suivre dans ce qui relève véritablement, comme je l’ai dit en introduction, de la navigation à vue. Outre que la contrainte pénale est complexe et inconstitutionnelle, elle n’ajoute rien et se trouve en concurrence avec le SME. Il convient aussi de préciser que ce sursis avec mise à l’épreuve est un échec dans notre pays. Ce n’est pas moi qui le dis, mais vos services, madame la garde des sceaux, puisqu’il est précisé dans l’étude d’impact que, je cite : « Le sursis avec mise à l’épreuve est devenu une peine prononcée pour des motifs, parfois peu lisibles, souvent par défaut ou pour éviter une incarcération… »

On ne peut être plus clair. Une fois décrypté ce langage administratif, on comprend parfaitement que le SME est un échec et qu’il ne répond plus aux objectifs qu’il est censé remplir. La contrainte pénale ne faisant que reprendre ce dispositif en l’aggravant, en allongeant la durée de la probation, il faudra beaucoup de conviction et d’ingénuité pour penser qu’elle saura le suppléer. Madame la garde des sceaux, le fait qu’une telle réforme soit guidée par l’intention apparemment généreuse de réduire l’emprisonnement pour les catégories les plus difficiles de la population pénale ne doit pas conduire à renoncer aux principes fondamentaux de notre droit.

Souvenez-vous, madame la garde des sceaux, de l’avertissement de Montesquieu, lequel estimait à juste titre que « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». Je vous invite donc, mes chers collègues, à faire preuve de sagesse en adoptant cette motion de rejet préalable. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Mon cher collègue, je n’ai absolument pas été convaincu par votre argumentation…

M. Jean-Frédéric Poisson. Cela m’étonne !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. …comme on pouvait s’y attendre. Je ne veux pas être excessivement lyrique. Je me permettrais toutefois de m’interroger. En décembre 1958, le Gouvernement, sous la direction du général de Gaulle dont vous vous réclamez légitimement parce qu’il était un grand homme d’État, s’est-il posé la question de savoir jusqu’où on pouvait appliquer le sursis avec mise à l’épreuve ? Il a offert aux magistrats un outil d’une simplicité totale, outil leur permettant, en effet, de prononcer un sursis avec mise à l’épreuve y compris en cas de crime.

Vous nous parlez de récidive. Mais, bien évidemment, en cas de récidive, cela pourra s’appliquer jusqu’à vingt ans de réclusion.

M. Georges Fenech. Absolument !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Où est le problème ? Aujourd’hui, le sursis avec mise à l’épreuve peut s’appliquer à l’ensemble des crimes et délits. Est-ce cet héritage que vous ne voulez pas assumer au nom d’une frilosité ? Vous nous dites que nous semons la peur partout dans le pays. Soyez raisonnables, mes chers collègues !

M. Georges Fenech. Cela n’a rien à voir !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Si vous voulez donner des arguments, trouvez-en d’autres ! Quant aux pouvoirs du juge de l’application des peines, en 2004, quand M. Perben a créé la juridictionnalisation de l’application des peines, personne n’a rien trouvé à redire ! Vous avez considéré, comme tout le monde, que c’était très bien. C’était tout de même une mesure importante.

M. Guy Geoffroy. C’était l’application des peines, pas le prononcé !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Qu’il y ait un suivi modulable et que le juge de l’application des peines puisse reprendre des peines ne vous semblait en rien extraordinaire. Or vous nous dites, aujourd’hui, que le juge de l’application ne doit pas pouvoir moduler la peine parce qu’elle serait quelque peu inconnue de l’auteur du délit au moment où il le commet ! Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui ait choisi de commettre le délit dont il savait par avance qu’il serait le moins cher payé ! Cela n’existe pas ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.) L’auteur d’un délit pense qu’il ne sera jamais attrapé !

Malheureusement pour lui et heureusement pour nous, il l’est de temps en temps ! Il est alors prononcé à son encontre une peine dont il ignore le quantum. En effet, compte tenu de l’étendue de l’échelle des peines, il ne sait pas quelle ampleur prendra sa condamnation. La pratique nous apprend de plus que, d’un tribunal à l’autre, il existe des différences dans le prononcé des peines. Parfois, un peu de nomadisme judiciaire permet de bénéficier de peines un peu moins sévères.

Ces arguments ne peuvent pas être repris et vous ne pouvez pas nous accuser de vouloir semer le danger dans le pays avec un texte qui essaie simplement de répondre le plus efficacement possible à la délinquance et de protéger les citoyens le plus en difficulté. En effet, les courtes peines sont prononcées à l’encontre de gens qui commettent des délits de proximité, près de chez eux et qui portent atteinte aux plus modestes d’entre nous.

Si nous pouvons, grâce à ce texte, trouver une solution et faire en sorte que tous ceux qui entrent en prison y soient traités correctement – la question de la surpopulation carcérale ne peut pas être non plus évacuée – et qui, à leur sortie, laissent en paix les plus modestes de nos concitoyens, donc ne s’installent pas dans un hall d’immeuble pour trafiquer du shit et ne crèvent pas les pneus des voitures de ceux dont ils pensent qu’ils les ont dénoncés à la police, nous en bénéficierons tous ! (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Alain Tourret. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le député Georges Fenech, je me contenterai de reprendre quelques éléments de votre propos. Je ne me permettrai pas de vous dire que votre démonstration du risque d’inconstitutionnalité des dispositions contenues dans ce projet de loi a été quelque peu laborieuse. Je ne souhaite pas être désagréable à votre encontre. Vous soutenez, par exemple, que la contrainte pénale pourrait être source d’une double peine. Je vous répondrai que la décision éventuelle d’incarcération ne sanctionne pas la faute initiale, mais le non-respect d’obligations ou d’interdictions.

M. Jean-Frédéric Poisson. Absolument !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il ne peut pas y avoir de double peine, mais une nouvelle peine pour une nouvelle faute.

M. Georges Fenech. C’est exactement ce que j’ai dit !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Tout est à l’avenant, pour reprendre votre formule. Je ne m’autoriserai pas à vous dire que votre pensée est circulaire, mais votre propos l’est peut-être. En effet, quoi qu’on vous dise et quoi que l’on mette à votre disposition, vous nous répétez exactement les mêmes choses. Nous perdons tout espoir de vous convaincre puisqu’il ne s’agit pas d’une discussion cartésienne nous permettant d’avancer des arguments en espérant qu’ils puissent être entendus et éventuellement récusés sur une base également cartésienne.

Vous avez de nouveau cité le sondage de mars 2013 commandé par une association, le seul que vous connaissez et reconnaissez. Je ne vous répéterai pas ce que je vous ai dit l’autre jour. Un sondage beaucoup plus récent le contredit totalement. Je n’espère donc pas vous convaincre. Je vous remercie, en revanche, chaleureusement pour vos propos sur la construction des places de prison, parce que cela me permettra d’informer la représentation nationale sur leur état d’avancement.

Le Gouvernement s’est ainsi engagé sur la construction budgétisée et financée. Il est vrai qu’il y a là une rupture de pratique et de méthode absolument incontestable ! En effet, les 80 000 places de prison annoncées n’ont été ni budgétisées ni financées. Comme l’a précisé le rapporteur, il a été prévu de privatiser les prisons alors que les États-Unis s’interrogeaient et constataient le danger que représentait pour la société la privatisation de leurs établissements pénitentiaires. De la même façon, les peines plancher ont été introduites alors que les pays anglo-saxons, notamment l’Australie, y renonçaient.

Concernant les constructions immobilières, je tiens à souligner qu’en 2012 ont été livrées 475 places et 438 en 2013 ; en 2014 nous en livrerons 1 053 et 1 650 en 2015. Avant même la fin du triennal, 5 169 places auront été créées et financées. Je vous remercie donc de m’avoir donné l’opportunité d’apporter cette précision ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Nous en venons aux explications de vote.

La parole est à M. Marc Dolez, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Marc Dolez. Notre groupe ne votera pas cette motion de rejet préalable dont l’adoption signifierait le rejet du projet de loi que nous examinons cet après-midi.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est sûr !

M. Marc Dolez. Nous considérons, au contraire, que ce projet de loi est opportun, utile et nécessaire. Il est opportun parce que le temps nous semble venu de tirer les leçons de l’inflation législative de la décennie écoulée et d’une politique pénale qui n’ont assurément pas amélioré la sécurité de nos concitoyens et qui se sont même avérées contre-productives puisque, comme cela vient d’être rappelé, le taux de personnes condamnées en état de récidive légale est passé dans cette période de 4,9 % à 12,1 %.

Ce texte est utile et nécessaire puisque, comme cela a été également souligné, il est le fruit d’un vaste travail d’évaluation et de consultation. Ce texte permet de repenser le droit de la peine et de son exécution autour de cette question centrale de prévention de la récidive. Prévenir efficacement la récidive passe assurément, là aussi, par une meilleure individualisation des peines, ce qui suppose de rendre le pouvoir d’appréciation aux juges et de construire un parcours d’exécution des peines efficace.

Comme j’aurai l’occasion de le détailler dans la discussion générale, nous approuvons les principes et les objectifs de ce texte. C’est la raison pour laquelle nous voterons contre cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Puisque nous débattons aujourd’hui d’une réforme relative à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines, je crains, messieurs, que nous ne soyons obligés de dresser un bilan peu flatteur des politiques d’un proche passé. Ce qui nous est légué – surpopulation carcérale, défiance de la justice, épuisement et usure des personnels pénitentiaires, inflation des contentieux, anémie des moyens dédiés à la réinsertion – est, en effet, le résultat de dix années d’un abus frénétique de dispositions législatives et de déclarations tapageuses.

Ce qui nous est légué, c’est l’invasion du quotidien des Français et de leur institution par une quantité infinie de lois prétendument sécuritaires, avec, à chaque fait divers, l’invention d’un délit et une nouvelle loi.

Ce n’est pas en qualifiant les juges de laxistes, en refusant de renouveler les postes nécessaires au bon fonctionnement de notre système judiciaire et carcéral, ce n’est pas non plus en choisissant de privilégier l’horizon du béton gris à celui du savoir que l’on lutte contre la délinquance et la récidive. Ce n’est ni en jouant des douleurs des victimes, ni en feignant de s’émouvoir de la détresse et de la misère que l’on peut rendre notre société meilleure. Ce n’est ni au karcher (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Alain Chrétien. Pas de provocation !

Mme Marie-Anne Chapdelaine. …ni derrière le filtre commode des caméras qu’une politique pénale se construit.

Ce qui compte, c’est de ne céder ni au fatalisme ni à la résignation, c’est de lutter de toutes nos forces contre ceux et celles qui voudraient nous faire croire que les personnes ne peuvent pas changer.

Ce projet de loi est juste et humaniste. Le groupe SRC votera donc contre la motion de rejet car cette réforme, patiemment travaillée, ciselée, dirais-je même, par Mme la garde des sceaux et M. le rapporteur, vise juste, dans un souci de fermeté et d’efficacité animé par le courage et le refus de céder aux sirènes de la démagogie. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jean-Frédéric Poisson. Il faut au moins rendre cette justice à M. Fenech qu’il a respecté la forme de l’exercice, ce qui n’est pas toujours le cas, et pas seulement dans cette législature.

M. Fenech a pris le soin de détailler les raisons pour lesquelles, à ses yeux, non seulement il n’y avait pas de novation particulière dans ce texte et il n’était pas utile de légiférer mais, en plus, il comportait des risques importants d’inconstitutionnalité. Contrairement à notre rapporteur, mais cela ne le surprendra pas, et contrairement à vous, madame la garde des sceaux, mais cela ne vous surprendra pas non plus, je trouve que son argumentation a tout de même été convaincante.

Personne ici n’est opposé au fait de ne pas vouloir enfermer en prison des gens qui n’ont rien à y faire. Je l’ai rappelé en commission, c’est un souci constant et nous avons des échanges réguliers avec M. Raimbourg sur les conditions de détention ou les prisons, tout le monde le sait.

Le problème, comme cela a également été rappelé en commission, c’est de trouver l’équilibre entre ce qui doit relever de la force symbolique et donc collective de la loi et de la peine, d’un côté, et, de l’autre, la prise en compte des situations individuelles. Notre sentiment, c’est que vous allez trop loin dans la prise en compte des situations individuelles, au point que vous finissez par affaiblir la force de la loi, l’image de la peine, l’ordre général de la sanction.

Vous avez dit, monsieur le rapporteur, quelque chose qui nous a un peu surpris. Selon ce vieux principe du droit romain, nul ne doit ignorer la loi. Évidemment, si les 63 millions de Français connaissaient toutes les lois auxquelles ils sont soumis, ce serait une forme d’exploit et même un record du monde sans précédent, et tel n’est pas le cas. On ne demande pas que la loi soit connue, on demande qu’elle soit claire pour que l’on puisse précisément la connaître. Que celui qui commet un délit ou un crime se contrefiche de la sanction qu’il va encourir, on peut volontiers l’entendre. Cela justifie-t-il pour autant que la loi perde de sa clarté parce que cela n’aurait pas d’importance ? Évidemment pas. Je sais bien que ce n’est pas ce que vous avez dit mais reconnaissez que, si l’on tirait un peu sur le fil, on pourrait arriver assez rapidement à cette conclusion.

À partir du moment où la contrainte pénale telle que vous l’envisagez dans ce texte n’offre pas la clarté suffisante sur le contenu et les modalités d’exécution des peines qu’encourent les délinquants ou les criminels, le système, comme l’a expliqué M. Fenech, comporte des risques d’inconstitutionnalité sur l’égalité des citoyens devant la loi, le principe de légalité et l’exigence que nous devons avoir d’écrire la loi de manière claire. C’est là encore l’une des compétences constitutionnelles de notre Parlement.

En dehors des très bonnes objections de fond, sur lesquelles nous reviendrons dans les quelques heures que nous allons passer ensemble au fil des articles, M. Fenech a suffisamment montré, je le répète, l’inutilité de légiférer sur ce sujet et de cette façon et les risques d’inconstitutionnalité que comporte ce texte. Pour ces deux raisons, le groupe UMP votera cette motion de rejet. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour le groupe écologiste.

M. Sergio Coronado. Nous pouvons partager des critiques, notamment sur la manière dont le texte a été élaboré, la procédure accélérée, le travail interministériel, qui rend parfois les choses difficilement compréhensibles, le fait que des amendements soient déposés au dernier moment, revenant sur des décisions prises très majoritairement par la commission des lois, mais, pour autant, pour reprendre un peu l’approche de Marc Dolez, je pense qu’il est urgent d’agir.

L’on ne peut pas se contenter de la situation qui est aujourd’hui celle de notre système pénal, qui consiste finalement à mettre à l’ombre pour quelques mois des délinquants, et la réflexion ayant conduit la garde des sceaux à présenter ce texte, c’est-à-dire la nécessité d’adapter la punition à chaque forme de délinquance, est une piste utile.

Nos désaccords sont connus, nous avons eu neuf mois pour les évoquer, dans l’Assemblée mais également par voie de presse. Nous pensons par exemple, contrairement à M. Fenech, que la surpopulation carcérale favorise la récidive, qu’il faut travailler à la réinsertion et s’interroger sur le sens de la peine. Quel sens a-t-elle quand quelqu’un est deux ou trois mois à l’ombre, qu’il n’y a aucun moyen pour combattre une addiction, travailler à un projet de réinsertion, bénéficier d’un accompagnement social ou pédagogique lui permettant de retrouver un emploi ou une formation une fois qu’il l’aura accomplie ? En plus, on sait que les courtes peines sont suivies la plupart du temps d’une sortie sèche.

On peut avoir des désaccords, on peut trouver le texte imparfait, mais je n’ai pas trouvé dans les propos de M. Fenech d’éléments tangibles susceptibles de nous convaincre qu’il y a des dispositions contraires à la Constitution.

L’un de ses arguments m’a d’ailleurs étonné, comme M. Raimbourg. Il semblerait qu’avant de commettre une infraction, il faille connaître la nature de la peine, ce qui serait presque une obligation constitutionnelle.

M. Guy Geoffroy. Ce n’est pas ce qu’il a dit !

M. Sergio Coronado. J’ai parfois eu la chance d’ouvrir quelques livres de droit constitutionnel, je n’ai pas l’impression que l’on y trouve des arguments pour soutenir cette motion de procédure. Cela plaide plutôt pour l’apprentissage du droit pénal dès le collège pour que les jeunes puissent avoir peut-être un enseignement sur l’effet dissuasif des peines qu’ils encourent s’ils commettent des infractions, mais je n’ai pas eu l’impression que cela suffisait à rejeter ce texte.

Ce texte répond à un besoin, il est utile, il est temps qu’on en discute. Nous avons eu un débat intéressant en commission, et celui que nous aurons, si vous évitez l’outrance et les simplifications auxquelles vous nous avez habitués,…

M. Jean-Frédéric Poisson. Parole d’expert !

M. Sergio Coronado. …sera également de qualité parce que vous avez des arguments pertinents, notamment sur le périmètre et les éléments de flou qui demeurent sur la contrainte pénale. C’est la raison pour laquelle le groupe écologiste ne votera pas cette motion de procédure.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est étonnant !

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Alain Tourret. Madame la ministre, c’est une belle et bonne loi que vous nous proposez, parce que c’est une loi de compromis. En matière de procédure pénale et de droit pénal, il ne peut y avoir que des lois de compromis si l’on veut que ce soient des lois pérennes.

M. Alain Vidalies. Très bien !

M. Alain Tourret. Faute de quoi, elles sont immédiatement vouées à être modifiées par la majorité qui suit.

M. Alain Vidalies. Tout à fait !

M. Alain Tourret. Il y a aujourd’hui deux positions. La droite, les conservateurs estiment que l’incarcération, l’élimination, assurent un surplus de sécurité, et nous croyons exactement le contraire. Nous sommes persuadés que, lorsqu’il y a incarcération, le petit délinquant rencontre le grand délinquant, et le grand délinquant le caïd.

Un certain nombre de crimes sont commis par des gens qui, normalement, n’auraient pas dû les commettre et qui les commettent parce qu’ils ont rencontré lors de leur incarcération, en particulier dans le cadre de ce que l’on appelle le djihad, un certain nombre de personnes qui les poussent à agir ainsi, et je me demande quelle a été l’incidence de l’incarcération de l’assassin présumé du crime commis à Bruxelles.

Oui, madame la garde des sceaux, vous avez pris le problème par le bon bout, en considérant qu’il fallait une individualisation, et la plus grande possible. Pour M. Fenech, il y a trop d’individualisation. Non, il n’y en a jamais assez. La peine est quelque chose d’essentiellement relatif, qui dépend bien évidemment de la gravité du crime mais, surtout, de la personnalité de l’individu.

Vous vous appliquez à faire en sorte qu’il y ait un suivi à la sortie de prison, et vous avez totalement raison. Comment ne pas être persuadé que celui qui sort de prison au bout d’un certain temps se retrouve naturellement soumis aux pires des tentations ? C’est la raison pour laquelle il y a non seulement de la récidive mais en plus de la réitération.

Nous vous suivrons donc dans le cadre de cette loi ; nous vous en félicitons, vous avez su prendre la mesure des choses. Nous félicitons également notre ami Raimbourg. C’est la raison pour laquelle nous rejetterons la demande, bien argumentée au demeurant, de notre ami Fenech. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.)

(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Motion de renvoi en commission

M. le président. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons ce soir marquera incontestablement cette législature. Les parlementaires de l’actuelle majorité ne se s’y sont d’ailleurs pas trompés, en déclarant, par la voix de Mme Capdevielle, que ce texte marquera un tournant dans l’histoire du droit pénal français.

Oui, madame la garde des sceaux, ce texte marquera un tournant, mais un tournant particulièrement dangereux pour la sécurité quotidienne des Français. Je veux vous dire l’immense inquiétude qu’il nous inspire.

Aucune mise en garde ne vous a fait malheureusement prendre conscience de la gravité de la situation, ni la montée des violences et des cambriolages dans notre pays depuis plusieurs mois, ni les sondages que vous commentiez il y a quelques instants en les niant, selon lesquels 75 % de nos compatriotes sont opposés à votre réforme, ni les mises en garde du numéro trois de la gendarmerie nationale, le général Soubelet, ni celles des syndicats de policiers, ni celles des préfets dans leur rapport au Gouvernement sur le découragement des forces de l’ordre, ni celles du syndicat national des directeurs pénitentiaires, ni celles des constitutionnalistes, ni même celles de votre Premier ministre.

M. Jean-Frédéric Poisson. Eh oui !

M. Éric Ciotti. C’est dire que vous persistez dans votre erreur, pour des raisons purement idéologiques et politiques.

Sur un sujet qui devrait nous rassembler, qui devrait constituer le socle de ce pacte républicain contre la délinquance, vous avez choisi délibérément le clivage et l’idéologie.

Sur la forme, vous avez décidé d’inscrire en urgence ce texte à l’ordre du jour de notre assemblée. Après avoir reporté son examen pendant des mois,…

M. Bernard Deflesselles. Exactement !

M. Éric Ciotti. …en tout cas après les échéances électorales, municipales et européennes, craignant certainement et légitimement la sanction électorale du peuple français, voilà que vous vous précipitez pour qu’il soit examiné en urgence par le Parlement. Vous montrez ainsi le peu de respect que vous avez pour le travail parlementaire mais, de plus, comme l’a fait excellemment Georges Fenech, nous ne pouvons que nous interroger sur le lien entre l’examen express de ce projet de loi et la vacance de certains postes à la tête d’autorités administratives indépendantes. Ces artifices ne doivent donc tromper personne, il ne s’agit que d’empêcher l’opposition de faire valoir pleinement ses arguments dans le délai imparti.

M. Bernard Deflesselles. Absolument !

M. Éric Ciotti. Sur le fond, alors que la montée de la courbe des crimes et délits, observée depuis plusieurs mois désormais, devrait inciter le Gouvernement à changer radicalement de politique, vous nous présentez ce texte qui aboutira, dans les faits, à un nouvel affaiblissement de la sanction pénale,…

M. Jean-Frédéric Poisson. Oui !

M. Éric Ciotti. …que nous ne pouvons accepter.

Non seulement je conteste, donc, les fondements idéologiques de votre projet, mais surtout je dénonce sa dangerosité pour la sécurité quotidienne de nos compatriotes. Vous parliez tout à l’heure, madame la garde des sceaux, de « logique sécuritariste », pour dire qu’une telle logique n’était pas au fondement de votre projet, mais, madame, la sécurité c’est le respect de la première des libertés, car ne pas vivre en sécurité, dans une démocratie, c’est ne pas vivre en liberté. On n’est pas dans le sécuritarisme en dénonçant votre texte, mais dans le respect des libertés auxquelles sont légitimement attachés nos concitoyens.

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !

M. Éric Ciotti. Pour toutes ces raisons, ce projet doit être renvoyé à l’examen de la commission, car une autre politique pénale garante de l’effectivité de la peine est plus que jamais nécessaire et indispensable.

Votre projet de loi est animé par une vision idéologique de la justice, que je dénonce car elle ne correspond à aucune réalité. La loi, théorisait Carré de Malberg, est l’expression de la volonté générale. Or cette volonté générale réclame, vous le savez, plus de fermeté à l’encontre des délinquants et l’effectivité réelle des peines prononcées.

La peine, c’est la menace de la loi, expression de cette volonté générale, à l’égard de celui qui ne respecte pas les règles. La peine est un acte de foi de la société en elle-même, le premier message parmi tous les signaux que la société peut envoyer à ses membres. Elle vaut par elle-même, parce qu’elle découle d’une nécessité consubstantielle à la vie en société. Or tout converge dans ce projet de loi pour altérer, dévitaliser, voire annihiler le sens de la peine et de la sanction. Comme s’il s’agissait plus ou moins d’évacuer la peine du système pénal. Comme s’il s’agissait plus ou moins d’effacer l’autorité de la loi. Comme il s’agissait plus ou moins de gommer l’idée même de sanction.

La peine, l’autorité, la sanction sont des mots que vous rejetez par idéologie. Pour masquer cette idéologie de pseudo-considérations scientifiques, vous avez même organisé une conférence de consensus. Or, comme l’a très bien dit notre collègue Georges Fenech, « en guise de conférence de consensus, nous avons assisté à une conférence de "pré-convaincus" soigneusement triés sur le volet ».

Face à cette situation, le Premier ministre Manuel Valls, dans son courrier à François Hollande, en juillet 2013, mettait en lumière « le socle de légitimité fragile » sur lequel reposent votre projet de loi et cette conférence de consensus. Il avait raison : le socle de légitimité de votre projet est particulièrement fragile. Réunir des gens d’accord entre eux, et intituler cela des commissions, ne constitue pas une politique pénale. Le fait que l’Institut pour la justice, par exemple, n’ait pas été convié à cette conférence de consensus, alors qu’il porte la voix de beaucoup de victimes, même si vous le contestez, viciait dès le départ le travail qui allait résulter de cette conférence.

M. Jean-Frédéric Poisson. Bien sûr !

M. Éric Ciotti. Pourtant, vous le savez, les Français partagent très largement la conviction que la certitude et la fermeté de la sanction participent de l’équilibre social et sociétal. Le caractère certain de l’application d’une sanction rapide, et proportionnée, bien sûr, favorise la prévention du passage à l’acte, de la réitération et de la récidive. Avec la contrainte pénale, vous prônez pourtant l’inverse dans ce texte.

Autre volet sous-jacent de ce projet : l’idée selon laquelle la prison serait l’école du crime. La réalité est bien différente et beaucoup plus complexe. Ce n’est pas la prison qui crée la récidive mais bien la récidive qui crée la prison, aujourd’hui. Pour reprendre l’expression d’un ancien juge d’instruction, « si la prison est l’école du crime, on y rentre au moins avec un diplôme en poche ».

De cette erreur d’analyse découle une volonté de lutter contre la croissance de la population carcérale avec des méthodes erronées. Vous nous avez appelés, madame la garde des sceaux, à un raisonnement cartésien. Je vous invite en retour à suivre le nôtre, parce que vous faites fausse route. Je ne doute pas de votre sincérité, je sais que vous croyez en ce que vous dites, et c’est peut-être cela le plus dangereux, d’ailleurs (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC), mais vous faites fausse route. En la matière, il faut en finir avec les contre-vérités assénées : une contre-vérité répétée ne devient jamais une vérité. Il faut en finir avec la fameuse fable du « tout carcéral » dans lequel aurait sombré notre pays.

Quelques chiffres pour démonter votre analyse, qui ne correspond en rien à la réalité. Les dernières statistiques pénales du Conseil de l’Europe, les études Space I et Space II, que vous connaissez, madame la garde des sceaux, ont été publiées il y a quelques jours. Elles montrent que la France a un taux de détention de 117 détenus pour 100 000 habitants, ce qui la situe très largement en dessous de la moyenne des pays du Conseil de l’Europe, qui est de 150 détenus pour 100 000 habitants.

Le chiffre est encore plus probant quand on retire à ces 117 détenus le nombre de personnes non écrouées, c’est-à-dire celles qui bénéficient d’un placement sous surveillance électronique. Il y en avait, au moment de ces statistiques, c’est-à-dire en 2013, environ 10 000 ; on a aujourd’hui dépassé ce nombre, déjà très important et qui ne permet pas aux services de l’administration de suivre : les couacs se multiplient sur la surveillance des PSE. Si l’on retire le nombre de ces personnes, la France arrive, avec un taux de 102 détenus pour 100 000 habitants, à la trente-troisième position des pays du Conseil de l’Europe en matière de taux d’incarcération, parmi les derniers pays ! On est très loin de cette image d’un pays prisonnier d’une approche particulièrement carcérale.

Je voudrais comparer avec d’autres pays. Vous nous citez, et vous ne manquerez pas de le faire dans ce débat, l’exemple du Canada. Le Canada est à bien des égards un modèle en matière d’application d’une politique pénale ferme et juste. Le taux de détention y est de 118 détenus pour 100 000 habitants : nous sommes à 102 en France. Là aussi, nous administrons la démonstration que vous faites fausse route.

Plus intéressant encore, dans ces mêmes études Space, la France, en matière de surpopulation carcérale, se situe parmi les plus mauvais élèves du Conseil de l’Europe. Le taux était de 122 détenus pour cent places de prison en juillet 2007.

Mme Catherine Coutelle. C’est vous qui avez laissé se créer cette surpopulation !

M. Éric Ciotti. La population carcérale avait diminué en cinq ans, passant à 117 détenus pour cent places en juillet 2012. Nous sommes aujourd’hui à 119 %, parmi les plus mauvais élèves de la classe.

Mme Catherine Coutelle. Les prisons inhumaines !

M. Éric Ciotti. À l’appui de cette démonstration sur le sous-dimensionnement carcéral français, nous pourrions d’ailleurs évoquer la lettre de Manuel Valls,…

Mme Marie-Anne Chapdelaine et Mme Cécile Untermaier. Ah ! Encore !

M. Georges Fenech. Eh oui ! Elle existe !

M. Éric Ciotti. …cette fameuse lettre qui vous gêne et qu’il avait adressée à François Hollande quand il s’opposait, l’été dernier, à cette réforme pénale. Il écrivait alors – je le cite avec beaucoup de plaisir : « Nous ne pouvons totalement ignorer la question du dimensionnement du parc immobilier pénitentiaire. » Soulignant que « nous disposons de 57 235 places de prison », Manuel Valls ajoutait que « l’Espagne compte presque 76 000 places de prison pour une population d’un peu moins de 50 millions d’habitants, le Royaume-Uni environ 96 200 pour une population identique à la nôtre ». Voilà la réalité sur cette question de la politique carcérale et de la lutte nécessaire contre la surpopulation carcérale.

Votre politique pénale, qui sous-tend ce projet de loi, procède donc d’une lourde erreur d’analyse. Vous considérez que la surpopulation carcérale n’existe qu’en raison de la trop grande sévérité des magistrats et du code pénal, sans vous interroger sur le sous-dimensionnement structurel de notre parc pénitentiaire. Ce n’est pas à la loi pénale de se soumettre aux contingences matérielles, mais votre projet procède très exactement du raisonnement inverse. Ce sont en réalité aux contingences matérielles de s’adapter à l’application souveraine de la loi pénale, aux jugements prononcés par les tribunaux souverains qui se prononcent au nom du peuple français. La décision des tribunaux ne peut être contrainte, limitée, déconstruite pour de simples considérations matérielles.

Les Français attendent aujourd’hui des responsables publics qu’ils mettent fin à cette forme d’hypocrisie qui consiste à légitimer des aménagements de peine systématiques, voire quasi automatiques, ou à laisser les condamnés à de courtes peines en toute liberté pour compenser la faiblesse de nos capacités carcérales.

C’est d’ailleurs là que peut le plus s’apprécier l’ampleur du divorce entre le virtuel et le réel : la vérité du système pénal n’est plus seulement aujourd’hui dans son moment judiciaire, mais surtout dans son moment pénitentiaire. On disait sous l’Ancien Régime : « Les peines sont arbitraires en ce royaume. » On pourrait malheureusement dire aujourd’hui : « Les peines sont virtuelles en cette République. »

M. Pascal Cherki. Non !

M. Éric Ciotti. Les Français ne le comprennent plus. Ils ne peuvent comprendre que la peine soit systématiquement déconstruite, par l’aménagement automatique de la peine, par l’inexécution de la peine, par la réduction de la peine. Cela génère un profond et dangereux sentiment de défiance envers notre justice.

M. Jean-Frédéric Poisson. Oui !

M. Éric Ciotti. Lorsqu’un tel sentiment se fait jour, des ferments particulièrement dangereux pour la démocratie apparaissent.

Votre projet de loi est le fruit de cette erreur et de cette idéologie. Il prévoit ainsi de faire sortir davantage de détenus de prison et d’éviter de recourir, par principe, à l’incarcération. Ce faisant, il instaure dans les faits une forme d’impunité légale. C’est ce que nous voulons combattre durant ces trente heures de débat.

Ce projet de loi considère, à tort, que la surpopulation carcérale s’expliquerait exclusivement par le recours par défaut à l’emprisonnement et par l’effet des peines planchers. Notre rapporteur, Dominique Raimbourg, dont je salue la sincérité, a d’ailleurs admis lors d’un entretien avec la presse spécialisée, le 28 avril dernier, que l’objectif n’était pas de vider les prisons mais que ce serait une des conséquences de ce texte.

« Vider les prisons sera l’une de ces conséquences de ce texte » : mes chers collègues, entendez bien cette phrase qui marquera l’avenir de notre politique pénale dans les mois et dans les années à venir ! Au lieu de prendre vos responsabilités et de créer des places de prison, comme nous l’avions fait sous la précédente législature, votre raisonnement consiste à dire : « Puisque les peines sont les seules responsables de la surpopulation,…

Plusieurs députés du groupe SRC. C’est faux !

M. Marcel Rogemont. Baratin !

Un député du groupe SRC. On veut des exemples !

M. Éric Ciotti. Rassurez-vous, je vais vous le démontrer dans quelques instants !

Au lieu de prendre vos responsabilités et de créer ces places de prison dont notre pays a un crucial besoin, votre raisonnement consiste à dire : « Puisque les peines sont les seules responsables de la surpopulation, changeons les peines ou [pire !] supprimons-les ! »

M. Marcel Rogemont. Les deux ne sont pas antinomiques !

Mme Catherine Coutelle. Lamentable !

M. Éric Ciotti. Le projet de loi, dans son article 5, propose ainsi d’abroger les peines plancher pour les délinquants récidivistes, mises en place par la précédente majorité.

M. Marcel Rogemont. Si elles avaient été efficaces, cela se saurait !

M. Éric Ciotti. Ces peines plancher ont été appliquées dans 40 % des cas éligibles. Elles ne contredisent en rien, mes chers collègues, le principe constitutionnel d’individualisation de la peine, puisqu’elles laissent précisément à chaque magistrat sa capacité d’individualiser la peine.

Mme Elisabeth Pochon. C’est faux !

M. Éric Ciotti. En outre, les juges y ont recouru de manière très ciblée puisque ces peines sont prononcées à plus de 60 % contre des auteurs de violences aux personnes et de délits sexuels. Les condamnations sont plus sévères en matière de vol, de destruction, de délit sexuel, de violence et d’infraction à la législation des stupéfiants. Pour les récidivistes, la durée moyenne de la peine est ainsi passée de neuf à seize mois d’emprisonnement.

C’est un principe de précaution – oui, un principe de précaution ! – qui a été appliqué en faveur des victimes. Ce principe a fait ses preuves contre la récidive en s’attaquant au noyau dur de la délinquance composé des 5 % de délinquants responsables de plus de 50 % des délits ! En dépit de ce bilan favorable, votre majorité veut abroger ces peines plancher par pure idéologie, simplement parce qu’elles avaient été adoptées par le précédent gouvernement.

M. Jean-Frédéric Poisson. Exactement !

M. Éric Ciotti. Je dénonce donc cette idée pour le moins paradoxale, pour le moins inédite, d’un texte qui affiche l’objectif de lutter contre la récidive, qui prétend lutter contre la récidive et qui, dans le même temps, prévoit la suppression des sanctions minimales pour les récidivistes, alors que, depuis le premier code pénal, qui date de 1791, le « repris de justice » – c’était le terme utilisé dans ce premier code pénal issu de la Révolution française – encourt une peine généralement du double de celle prévue pour la première infraction. Cette volonté idéologique de traiter sur un pied d’égalité, contrairement à tous les principes républicains, la délinquance des multirécidivistes avec celle des primodélinquants transparaît pourtant dangereusement dans votre projet de loi.

Ce projet de loi prévoit également l’examen automatique de tous les dossiers des détenus pour les libérer au bout des deux tiers de leur peine. L’article 16 prévoit l’examen par le juge d’application des peines, aux deux tiers de la peine, de la situation de chaque personne détenue, même condamnée en situation de récidive légale, dans la perspective de l’éventuel octroi d’une mesure d’aménagement de peine, donc de libération conditionnelle.

La commission des lois a par ailleurs fait le choix, dans un article 7 bis, d’aligner le régime applicable aux récidivistes sur le régime de droit commun des crédits de réduction de peine – là encore, même logique particulièrement contestable. Avec les crédits de réduction de peine automatique, cet examen aura donc lieu en réalité à la moitié de la peine. Au total, on estime que ce système de libération quasi-automatique des détenus permettra de libérer de façon anticipée entre 2 600 et 6 600 délinquants dans les trois ans qui viennent.

Or, aucun consensus scientifique crédible n’existe sur le lien entre libération conditionnelle et réduction de la récidive, contrairement à vos affirmations qui se basent exclusivement sur l’étude d’Annie Kensey et d’Abdelmalik Benaouda. Comme l’indiquent clairement les deux chercheurs de cette étude, les bénéficiaires d’une libération conditionnelle sont choisis sur leurs meilleurs potentiels de réinsertion, ce qui peut suffire à expliquer le différentiel de récidive. L’étude se base sur les meilleurs profils pour affirmer, ainsi que vous le faites dans vos conclusions, que la liberté conditionnelle serait favorable à la prévention de la récidive.

Enfin, la mesure phare du projet de loi – sans doute la plus dangereuse – est la création de cette fameuse peine de probation pompeusement baptisée "contrainte pénale", qui n’a de contrainte que le nom.

Or, la France, je le répète, s’inscrit déjà parmi les pays qui ont le plus développé le suivi des condamnés en milieu ouvert. Depuis la création, en 1958, du sursis avec mise à l’épreuve – le SME évoqué tout à l’heure par notre rapporteur –, le suivi en milieu ouvert des personnes condamnées, dont je ne conteste pas le principe, n’a cessé de se développer, au point que la population des personnes placées sous main de justice en milieu ouvert a dépassé la population incarcérée depuis le milieu des années 1970. Il y avait, au 1er janvier 2013, 51 251 condamnés écroués hébergés – sur un total de 67 075 personnes détenues –, pour 175 200 condamnés exécutant une peine en milieu ouvert – c’est-à-dire qu’il y a aujourd’hui trois fois plus de personnes condamnées placées sous main de justice en milieu ouvert qu’en milieu fermé : voilà la réalité, que vous vous obstinez à occulter ou à présenter de façon tronquée dans ce débat !

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !

M. Éric Ciotti. Imaginée lors de la conférence de consensus, et à la différence de tous les dispositifs de sursis avec mise à l’épreuve, la contrainte pénale gomme, par pure idéologie, toute référence à la prison ! À l’origine, le projet de loi prévoyait que cette peine concernerait des délits passibles de cinq ans de prison fermes au maximum. Cambriolage : contrainte pénale, nous disiez-vous ! Agression sexuelle : contrainte pénale, nous disiez-vous ! Violence volontaire : toujours la contrainte pénale ! Selon votre majorité, certaines agressions sexuelles ne sont pas suffisamment graves pour justifier une incarcération, mais seulement une peine en milieu ouvert ! (Exclamations sur divers bancs du groupe SRC.)

M. Philippe Vitel. C’est incroyable !

M. Éric Ciotti. Ce n’est pas, nous le disons très clairement et très solennellement aujourd’hui, notre position !

Sur proposition de certains parlementaires parmi les plus extrêmes du groupe socialiste,…

M. Marcel Rogemont. Cela n’existe pas !

M. Éric Ciotti. …et avec votre complicité, madame la garde des sceaux, mais manifestement contre l’avis du Premier ministre, vous avez adopté en commission un amendement qui étend la contrainte pénale à l’ensemble des délits. Vous avez en outre osé aggraver le contenu de ce texte : alors que, dans le projet de loi que vous aviez déposé, madame la garde des sceaux, la contrainte pénale concernait les délits passibles de cinq ans de prison fermes, les commissaires socialistes de la commission des lois ont étendu la probation, ou contrainte pénale, à tous les délits – et vous avez été complice de ce choix, puisque vous n’avez absolument rien objecté à Mme Capdevielle lorsqu’elle a motivé et défendu son amendement !

M. Jean-Frédéric Poisson. Ahurissant !

M. Philippe Vitel. Eh oui !

M. Éric Ciotti. Derrière cet amendement se cache la possibilité de ne plus envoyer en prison des personnes qui seraient condamnées pour des agressions sexuelles aggravées, c’est-à-dire contre les mineurs, pour des violences volontaires graves contre les forces de l’ordre, pour du proxénétisme ou encore pour trafic de stupéfiants. Cela est purement scandaleux ! Les Français sont une nouvelle fois otages des conflits entre le Gouvernement et la branche la plus extrême de la majorité. (Exclamations sur divers bancs du groupe SRC.) Nous atteignons le summum dans cette entreprise de déconstruction du sens de la peine. Si tous les délits étaient désormais éligibles à la contrainte pénale, cela enverrait une nouvelle fois un message totalement irresponsable et particulièrement dangereux aux délinquants.

Cette peine de probation, outre qu’elle va encombrer une palette répressive déjà très fournie et largement suffisante pour des juges capables d’appréhender la complexité des situations et des mis en cause, aggravera encore, sur le plan des moyens tant humains que matériels, la pénurie des services de l’application des peines. D’ailleurs, même ceux qui sont favorables à votre projet sur le fond redoutent un manque de moyens. Ainsi, Robert Badinter lui-même parle d’un « bon texte inachevé » et estime que « l’enveloppe ne suffira pas".

De même, questionné sur la faiblesse des moyens dégagés pour le suivi des délinquants hors de la prison, Dominique Raimbourg a reconnu avec une grande lucidité, et avec une non moins grande sincérité, que les moyens étaient un peu dérisoires – ils sont même particulièrement dérisoires, devrions-nous dire ! En réalité, avec la création de ces nouveaux dispositifs – contrainte pénale, libération sous contrainte –, ce sont plus de mille emplois de conseillers de probation et d’insertion – sans doute beaucoup plus ! – qu’il faudrait recruter, uniquement pour maintenir le service existant.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Et vous, combien de postes avez-vous créés ? Zéro !

M. Éric Ciotti. Il est profondément irréaliste d’annoncer ces renforts alors que les besoins sont bien supérieurs. Pire, dans les faits, le ministère de la justice sera bien évidemment dans l’incapacité pratique de mettre en œuvre ces recrutements, et vous le savez, même si vous refusez de le reconnaître. Rappelons qu’il faut au moins vingt et une semaines pour former un agent de probation à l’École nationale de l’administration pénitentiaire, l’ENAP.

D’ailleurs, ce n’est pas moi qui le dis mais la Cour des comptes qui, dans son dernier rapport datant de mai 2014, rappelle que contrairement à la prévision du projet de loi de finance initiale de 2013, les 479 créations annoncées dans votre ministère n’ont pas été réalisées : seuls 126 postes ont été créés, soit à peine plus du cinquième des promesses que vous aviez faites ! Vous n’avez pas tenu vos promesses !

M. Michel Vergnier. Et vous, qu’avez-vous fait ?

M. Éric Ciotti. Je sais que cela vous gêne mais si hier vous n’avez pas tenu vos promesses, bien évidemment, vous ne les tiendrez pas demain. Le vote de cette contrainte pénale n’en sera que plus dangereux, parce qu’il n’y aura pas les moyens d’encadrer, d’entourer les personnes qui seront remises en liberté ou qui ne seront pas incarcérées.

En outre, cette réforme aura naturellement un impact négatif sur la charge de travail des forces de l’ordre, sans bien sûr qu’elle soit compensée. L’étude d’impact indique pudiquement que « Cette réforme aura des répercussions sur les forces de sécurité, comme cela a déjà été constaté lors de la réforme de la garde à vue en 2011, même s’il n’est pas possible à ce stade de traduire cet impact en équivalents temps plein reconstitués. » Qu’en langage technocratique cela est bien dit !

En conclusion,…

Plusieurs députés du groupe SRC. Enfin ! Il était temps !

M. Éric Ciotti. Ce n’est pas encore terminé : rassurez-vous !

En conclusion,…

M. Michel Vergnier. On ne boude pas notre plaisir !

M. Éric Ciotti. Je n’en doute pas, cher collègue : nous allons donc continuer pour que vous puissiez goûter ce plaisir !

En conclusion, c’est donc sciemment que le Gouvernement met en œuvre un nouveau dispositif de suivi des délinquants en milieu ouvert qui ne sera jamais doté des moyens nécessaires, en aggravant très certainement les faiblesses antérieures, que vous avez raison de reconnaître.

La réforme de la probation aurait dû précéder la réforme pénale,…

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est certain !

M. Éric Ciotti. …comme le suggérait Manuel Valls, dans ce même courrier au chef de l’État – je sais que vous allez réagir car ce courrier vous gêne, mais pour moi, il reste une référence importante !

Dans son avis, que le Gouvernement s’est bien gardé de rendre public, le Conseil d’État en a pourtant fait un élément central dans son analyse. Oui, la réforme de la probation aurait dû précéder cette réforme. Mes chers collègues, face à ce projet de loi, des solutions alternatives existent pourtant.

Il convient tout d’abord de rendre les peines plus lisibles et plus prévisibles. Il nous faut reconstruire le sens de la peine en garantissant son effectivité. Pour le dire autrement, il faut passer d’une justice virtuelle à une justice effective.

Mme Cécile Untermaier. Merci pour ceux qui travaillent dans les services judiciaires !

M. Éric Ciotti. La certitude de l’application rapide d’une sanction à l’encontre de ceux qui ont enfreint la loi constitue l’un des piliers essentiels de notre édifice démocratique et une exigence absolue envers les victimes. Comme l’affirmait Beccaria, « plus le châtiment sera prompt, plus il suivra de près le crime qu’il punit, plus il sera juste et utile ». Or on sait qu’actuellement, près de 100 000 peines de prison ferme sont en attente d’exécution. Monsieur le rapporteur, vous le reconnaissez avec beaucoup de pertinence dans votre rapport. Il est plus que jamais indispensable, pour garantir la solidité de notre pacte républicain, de mettre fin à cette anomalie démocratique.

Il est donc essentiel, comme je l’avais proposé dans le rapport que m’avait demandé le Président Sarkozy au début de l’année 2011, de prendre des mesures concrètes pour renforcer l’efficacité de l’exécution des peines telles que, notamment, l’accroissement du parc carcéral car notre pays a besoin de 80 000 places de prison, et c’est le cap que fixait la loi de programmation pour l’exécution des peines à l’horizon 2018,…

M. Michel Vergnier. Il n’y avait pas un sou !

M. Éric Ciotti. …loi que vous avez déconstruite, madame la ministre. Notre pays a besoin de s’orienter vers la reconversion de son parc pénitentiaire, avec des prisons mieux adaptées au profil des détenus, des bâtiments moins importants, plus légers, peut-être en particulier d’anciens bâtiments militaires aujourd’hui inutilisés. Il faut adapter notre parc carcéral aux différents profils des détenus et non plus mélanger dans des centres pénitentiaires gigantesques, inhumains,…

Mme Catherine Coutelle. C’était votre politique !

M. Éric Ciotti. …des personnes qui ont des profils et une dangerosité différents. Nous proposions par ailleurs la création d’une peine de service citoyen, avec un encadrement de type militaire, pour les mineurs récidivistes, mais là aussi, madame la ministre, vous avez mis un terme à ce dispositif. Nous proposions également la limitation des pouvoirs du juge de l’application des peines au profit de ceux du parquet, qui deviendrait ainsi pleinement responsable de toute la chaîne de l’exécution des peines. Sur ce dernier point, je note, et Georges Fenech en a fait une éclatante démonstration, que la constitutionnalité du rôle du juge de l’application des peines dans votre texte est éminemment contestable. En effet, plusieurs éminents juristes ont souligné que le projet de loi lui confie le pouvoir non seulement de constater un éventuel manquement à la peine de probation, mais aussi de décider de l’opportunité ou pas de le sanctionner. Autrement dit, ce juge qui est censé ne veiller qu’à l’exécution des peines va se retrouver doté de pouvoirs de poursuite au même titre qu’un procureur. En outre, en cas de non-respect de la peine de probation, le juge de l’application des peines pourra renforcer l’intensité du suivi ou compléter les obligations ou les interdictions auxquelles le condamné est astreint. Ainsi, il disposera également, contrairement à ce que vous avez prétendu, d’un pouvoir de jugement, ce qui constitue un cumul de fonctions contraire à notre Constitution, contraire à toute la jurisprudence.

Au total, madame la ministre, vous allez porter atteinte par ce dispositif à trois principes juridiques fondamentaux : celui du non bis in idem, selon lequel on ne juge pas deux fois pour les mêmes faits ; celui du principe de l’interdiction des peines indéterminées ; enfin, celui de l’égalité des citoyens devant la loi pénale.

Madame la garde des sceaux, vous avez proposé en commission des lois que l’efficacité des dispositions du texte soit mesurée au bout de trois ans – J’ai même compris que vous aviez trouvé sur ce point un compromis assez chaotique entre l’amendement de Mme Capdevielle et la position du Premier ministre. Les Français, qui vont faire quotidiennement pendant ces trois ans les frais de votre réforme, n’attendront pas aussi longtemps !

Pour toutes ces raisons, ce texte doit donc être retiré. À tout le moins, il doit être soumis, pour examen complémentaire, à l’avis et aux expertises d’institutions qui n’ont pas été amenées à se prononcer jusqu’alors. C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous demande d’adopter cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Georges Fenech et M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Je ferai cinq observations rapides.

Ma première observation porte sur les statistiques du Conseil de l’Europe. Celles-ci concernent quarante-sept pays, notamment des pays à tradition d’incarcération extrêmement forte : la Russie – 600 détenus pour 100 000 habitants – ou encore la Pologne, la Roumanie ; nous, nous situons à 102 détenus pour 100 000 habitants.

M. Éric Ciotti. Et la Grande-Bretagne ?

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Le Grande-Bretagne est à 150 pour 100 000… Mais j’ai des contre-exemples qui arrivent, monsieur Ciotti : l’Allemagne est passée de quatre-vingt-dix-huit à quatre-vingt-dix, les pays scandinaves tournent autour de soixante à soixante-dix. Nous ne nous situons donc pas à un taux d’incarcération ridicule.

Deuxième observation :…

M. Éric Ciotti. Vous n’avez pas mentionné l’Espagne !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. …je n’ai jamais dit qu’on était dans le tout sécuritaire avec la politique que vous et les vôtres avez menée pendant dix ans.

M. Gérald Darmanin. La garde des sceaux, si !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je n’ai jamais dit ça !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Néanmoins, en dix ans, sous votre majorité, le taux d’incarcération est passé de 75 pour 100 000 à 100 pour 100 000. C’est dire qu’il y a eu un accroissement très important de la détention sans que pour autant – même si vous en avez construit – le nombre de places ait suivi.

Troisième observation : la situation était tellement complexe que vous avez dû adopter une loi pénale qui a profondément divisé vos rangs, loi par laquelle les peines étaient aménagées jusqu’à deux ans ferme pour les non-récidivistes. C’est dire que vous vous êtes trouvés confrontés à une surpopulation que vous avez constituée pendant ces dix ans et que vous ne vous en êtes pas sortis.

Mme Elisabeth Pochon. Absolument !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Je rappelle au passage que l’ancien président de la République, M. Sarkozy, avait pris une décision sage : celle de supprimer la gestion des stocks carcéraux par le biais des grâces présidentielles annuelles. Mais il aurait fallu trouver alors une vraie solution, ce que vous n’avez pas fait. La loi Dati était emblématique du type de mesures que vous preniez alors.

Quatrième observation : vous nous reprochez de vouloir vider les prisons, prétendant que je l’ai dit, alors que j’ai bien précisé que ce n’était pas le but, mais que c’en sera la conséquence. (Exclamations sur quelques bancs du groupe UMP.) Monsieur Ciotti, écoutez la suite, vous allez voir, c’est très éclairant : il devrait y avoir une diminution de 4 000 détenus sur un total actuel de 68 000… On est loin de prisons vides et de maisons des courants d’air.

M. Éric Ciotti. Vous oubliez que la population française augmente !

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Enfin, dernier point : vous nous proposez un renvoi en commission, mais est-ce bien raisonnable, après nous avoir décrits comme des personnages aussi extrémistes, irresponsables et dangereux que de vouloir retravailler avec nous ? Où sont les évolutions possibles avec des gens tels que nous ? Ce ne serait pas sérieux. Je ne veux pas vous infliger ce sacrifice et j’appelle donc au rejet de la motion de renvoi en commission. (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, j’ai noté à plusieurs reprises que M. Ciotti avait très vraisemblablement, et c’est logique, préparé son propos avant même le début de la séance, mais il aurait pu en nuancer certains après nous avoir écoutés. Il s’est exprimé comme si ni mon intervention ni celle du rapporteur n’avaient eu lieu.

M. Jean Launay. Il n’a pas écouté !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je prends acte du fait que quoi que nous disions et quel que soit le moment, il renvoie à ma circulaire. Je vais revenir sur quelques points.

Tout d’abord, s’agissant du taux de détention pour 100 000 habitants, je n’ai jamais dit que la France était un des pays qui incarcérait le moins. Je sais bien que depuis deux ans, vous passez votre temps, monsieur Ciotti, à me prêter des propos que je n’ai pas tenus, et que vous m’en prêtez tant que vous finissez par y croire, mais je n’en ai jamais parlé parce que pour moi, ce n’est pas un sujet. L’incarcération est la suite d’une décision judiciaire, un point c’est tout. Il ne s’agit pas de se demander si un pays voisin en fait plus ou moins. Il y a des gens qui ont des tropismes d’envie, qui passent leur temps à guetter le voisin, mais ce n’est pas mon cas. Par conséquent, je réfléchis sur un sujet en tant que tel, sur la cohérence avec le contexte, sur les réalités, sur les codes culturels et historiques de notre pays, et sans guetter ce que font les voisins. Néanmoins, puisque vous en parlez, je vous rappelle que le taux de détention est de 102 pour 100 000 habitants en France. C’est sans conteste moins que la Lituanie – 327 –, moins aussi que la Pologne – 218 –, que le Royaume-Uni – 123 –, mais plus que l’Allemagne – 76,1 –, la Suède – 67,8 –, les Pays-Bas – 66,5.

M. Éric Ciotti. Et l’Espagne ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le taux moyen en Europe de l’Ouest – convenez avec moi que ce sont des pays comparables en termes de niveau de démocratie, de solidité des textes et des institutions, de prévisibilité et de contre-pouvoirs – se situe à quatre-vingt-dix-huit détenus pour 100 000 habitants. Je répète que cela n’a pas de pertinence pour moi, mais je vous apporte des éléments pour corriger vos statistiques fantaisistes.

M. Éric Ciotti. Ce sont les statistiques du Conseil de l’Europe !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il ne s’agit pas de faire de l’arithmétique comparative mais de pratiquer la responsabilité d’État, et c’est à ce titre que le Gouvernement et la majorité conçoivent des politiques publiques sur la base d’éléments rigoureux et vérifiables.

M. Éric Ciotti. On va vérifier !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous le pouvez bien sûr, monsieur le député.

Vous m’interpellez sur la lutte contre la surpopulation carcérale, mais je n’ai jamais tenu les propos que vous me prêtez : notre but n’est pas de lutter contre la surpopulation en tant que telle, je l’ai dit à plusieurs reprises, y compris en commission, mais de donner du sens à la peine pour qu’elle soit efficace. Or vous et votre majorité, par contre, aviez prévu dans la loi pénitentiaire de 2009 des mécanismes de gestion des flux carcéraux. Mais, du fait des fameuses injonctions contradictoires – des textes de plus en plus répressifs…

M. Éric Ciotti. M. Raimbourg a dit le contraire !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …tout en demandant aux magistrats d’aménager de plus en plus les peines –, on incarcérait davantage chaque année. Vous vous êtes rendu compte qu’il fallait inventer des mécanismes de gestion des flux carcéraux, ce que vous avez fait avec la PSAP – la procédure simplifiée d’aménagement des peines – et la SEFIP – la surveillance électronique de fin de peine. Mais ces mécanismes n’ont pas fonctionné parce qu’il n’est pas logique de vouloir gérer les flux carcéraux.

M. Éric Ciotti. Ça n’a presque jamais été appliqué ! Juste une dizaine de fois !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Comme ils n’ont pas fonctionné, on les a supprimés.

M. Darmanin disait tout à l’heure – dans la convivialité ambiante hors de l’hémicycle des dialogues s’instaurent – que j’ai parlé de mettre un terme au tout carcéral. Il se trouve que cette expression ne fait pas partie de mon vocabulaire. En deux ans, nul ne trouvera une telle phrase dans ma bouche, et ce conformément à la logique que je viens d’énoncer : le sujet n’est pas de gérer les flux de la population carcérale mais d’avoir une peine efficace, une peine qui ait un sens et qui permette de réduire la récidive. On dit que votre majorité d’alors faisait du tout carcéral : mais est-ce que la dépénalisation du droit des affaires en était ? (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Est-ce que l’intention de supprimer le juge d’instruction correspondait au tout carcéral ? Et la suppression de nombre de postes d’enquêteurs et de magistrats, était-ce du tout carcéral ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) La réponse est non à toutes ces questions. Je ne peux donc pas vous accuser d’en avoir fait.

M. Éric Ciotti. Si vous n’avez que ça comme argument, ce n’est pas très sérieux !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ensuite, vous nous parlez des peines doubles, mais vous n’avez pas écouté l’un des exemples, ce qui prouve que vous en êtes resté à votre intervention sans écouter : j’ai rappelé à la tribune que nous ne touchons pas au principe du doublement des peines, inscrit dans le code pénal depuis 1791.

Voyez que vous êtes totalement hors sujet.

M. Éric Ciotti. Vous supprimez les peines planchers !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous citez en référence les 5 % de délinquants qui sont responsables de 50 % des délits. Ce n’est pas une statistique crédible pour la simple raison qu’elle émane d’une étude qui n’est pas à mettre en cause mais qui a été effectuée par le sociologue Sebastian Roché sur la base de déclarations recueillies auprès d’un panel.

M. Éric Ciotti. Vous ne considérez que vos statistiques !

M. Georges Fenech. Il y a des études en Grande-Bretagne !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. À l’instar du député Fenech, vous vous accrochez comme à une bouée à un chiffre quelles qu’en soient la validité, la crédibilité et l’extension.

M. Éric Ciotti. Vous le contestez ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous affirmez aussi que 100 000 peines sont non exécutées. Ce n’est pas exact.

M. Éric Ciotti. C’est M. Raimbourg qui le dit !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Environ 100 000 peines sont en cours d’exécution. C’est un flux régulièrement alimenté puisque les juridictions prononcent des peines tous les jours.

M. Georges Fenech. 20 000 !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le député Fenech, 30 % des peines, les plus lourdes, sont exécutées le jour même.

M. Éric Ciotti. Heureusement !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Oui heureusement, mais ne dites pas le contraire !

M. Éric Ciotti. Le scandale c’est le reste !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Quant aux autres peines, monsieur le député, elles sont exécutées dans les quatre mois pour la moitié d’entre elles.

M. Éric Ciotti. Non !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cela peut vous déranger mais c’est la réalité statistique : la moitié des peines sont exécutées dans un délai de 3,7 mois très exactement. Évidemment, la loi pénitentiaire prévoit un temps d’examen pour un éventuel aménagement. Reconnaissez que ce temps d’exécution des peines de quatre mois montre que les magistrats font diligence.

M. Éric Ciotti. Vous niez le problème !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’ai déconstruit 20 000 places non financées et je ne sais quoi encore, avez-vous dit à deux reprises. J’en conviens, vos 20 000 places, je les ai déconstruites au sens que le philosophe Derrida donne à ce mot : je suis remontée pour voir ce qu’elles signifiaient. J’ai découvert une méthode de flibuste. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Éric Ciotti. C’est scandaleux de dire ça !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. De ce strict point de vue du philosophe Derrida, effectivement j’ai déconstruit, c’est-à-dire que je suis remontée à la source des choses pour comprendre leur signification exacte. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, RRDP, GDR et Écologiste.)

M. Matthias Fekl. Il n’y avait pas l’argent de la première pierre !

M. le président. Nous en venons aux explications de vote sur la motion de renvoi en commission. La parole est à M. Marc Dolez, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Marc Dolez. Chacun a bien compris que cette motion de renvoi en commission n’a pas pour but d’améliorer le texte dans le respect de sa philosophie mais qu’elle vise à l’enterrer.

M. Éric Ciotti. Pas faux !

M. Marc Dolez. C’est la raison pour laquelle nous allons voter contre cette motion.

Grâce à l’implication exceptionnelle de notre rapporteur, la commission de loi a effectué un travail que nous jugeons absolument remarquable.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. C’est vrai !

M. Marc Dolez. De plus, le texte a été très significativement amélioré grâce aux amendements adoptés la semaine dernière. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons que la discussion s’engage tout à l’heure sur le texte tel qu’il a été adopté par la commission. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Cécile Untermaier. Très franchement, nous sommes d’accord pour considérer que la sécurité est la première des libertés. C’est précisément ce souci qui nous anime.

Comme vous, nous avons le sens de la peine et de la sanction et nous ne sommes pas contre l’emprisonnement. Mais nous voulons aussi éviter que la sanction n’engendre pas elle-même la délinquance.

Un constat : vous avez échoué dans la lutte contre la récidive au moyen des lois qui se sont échelonnées au cours des cinq dernières années. Admettons-le et travaillons ensemble.

Nous devons considérer que le condamné sort toujours de prison. À sa sortie, il faut qu’il soit moins dangereux pour la société qu’il ne l’était auparavant.

Vous avez dénaturé ce texte, ce que je regrette. Contrairement à ce que vous avez dit, c’est un texte de loi construit. Prenez vos responsabilités et travaillez avec nous dans un débat utile.

Une très sérieuse concertation a été menée en amont, par le biais de cette conférence de consensus. Nous avons une étude d’impact de qualité. Le rapporteur a effectué un travail remarquable et 300 auditions.

La commission avait prévu une séance sur deux jours mais, faute de combattants, nous avons épuisé l’ordre du jour le mardi soir. Pourquoi ? Nous n’avions plus qu’un député de l’opposition en face de nous, M. Fenech, à partir de dix-huit heures. Certes, dans la salle d’à côté, il y avait une réunion et des questionnements sur une situation que nous aimerions bien ne pas avoir à connaître. Vous savez de quoi il s’agit, je ne le citerai pas dans l’hémicycle, mais d’autres pourront le faire.

Pour toutes ces raisons, nous avons travaillé sérieusement. La commission des lois était là. Vous pouviez travailler avec nous. Vous avez déposé des amendements. Il n’y a aucune raison pour que nous acceptions cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Guy Geoffroy. Nous sommes très reconnaissants à Georges Fenech et Éric Ciotti d’avoir, pour leurs interventions très complètes, construites et volontairement déterminées à susciter le débat.

M. Michel Vergnier. Et très impartiales !

M. Guy Geoffroy. Elles ont justement réussi à susciter ce débat.

Les propos liminaires de Mme la ministre dans sa fresque traditionnelle et ceux de notre rapporteur qui a fait tout ce qu’il fallait pour présenter le texte de manière très étale pour ne choquer personne laissaient un peu sur sa faim.

Ce projet de loi mérite vraiment le débat auquel nous aspirons. Vous venez de le dire d’une certaine manière parce que nous commençons à vous y amener : il n’y a pas dans cet hémicycle ou dans notre pays, d’un côté les vertueux – vous, nos collègues de gauche – qui sauraient ce qu’est la justice juste, comment répondre aux interrogations de la population et des victimes et comment punir de manière juste, et, de l’autre côté, les obsédés de l’incarcération…

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Quel beau titre ! (Sourires.)

M. Guy Geoffroy. …qui n’auraient à l’esprit que cette seule réponse aux infractions pénales.

Le sujet n’est pas là et d’ailleurs les clivages sont ailleurs : chez vous, entre le ministre de l’intérieur et la garde des sceaux hier (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP)…

Mme Elisabeth Pochon. C’est le débat !

M. Guy Geoffroy. …entre le Président de la République et la garde des sceaux aujourd’hui. Ils sont chez vous, à gauche, où il existe une vraie ligne de fracture entre les réalistes et les idéalistes…

M. Matthias Fekl. Ce n’est pas contradictoire !

M. Guy Geoffroy. …qui ne sont, en fait, que des idéologues. C’est cela que nous voulons combattre tout au long de ce débat et de la séance de commission que nous souhaitons voir se réunir à nouveau. Nous voulons échanger avec vous et vous pousser dans vos retranchements pour que vous montriez l’exacte vérité de ce texte.

Quelle est-elle ? Vous ne le prétendez plus maintenant puisque vous l’avez retiré du titre en commission, mais c’est prétendre mieux protéger les Français de la récidive des délinquants en supprimant les peines planchers.

La vérité de ce texte, c’est supprimer la révocation automatique du sursis simple en cas de récidive.

La vérité – et je suis surpris que notre rapporteur n’y ait pas fait référence un seul instant, parce que nous en avons beaucoup parlé en commission sans vraiment avancer – c’est que le problème n’est pas tant la récidive légale que la réitération, c’est-à-dire la commission d’un nouvel acte par un même délinquant. Un réitérant, c’est un délinquant avec un nombre incroyable d’actes de délinquance à son compteur et qui donne le sentiment de ne faire l’objet d’aucune sanction efficace. C’est cela la vérité, la réalité.

Pourquoi demandons-nous le renvoi en commission ? Pour que certains sujets qui vont être évoqués à propos d’un amendement que vous allez présenter, madame la ministre, fassent l’objet d’une réécriture. Je propose que nous refassions le film de cet amendement du groupe socialiste (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) que le Gouvernement aurait dû refuser et qu’il a laissé passer.

Je propose que nous le fassions en commission et non pas ici (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) à partir d’un amendement édulcoré et non conforme à la réalité de ce qui vous divise.

Ce texte conduit à la division des Français, nous n’en voulons pas.

M. Michel Vergnier. N’ayez pas peur de l’hémicycle !

M. Guy Geoffroy. C’est parce que vous nous mettez dans l’obligation de lutter contre, que nous demandons son retour en commission.

Pour terminer mon propos, je veux m’adresser à la représentante du Gouvernement qui ne m’écoute pas, peu importe (Protestations sur les bancs du groupe SRC), cela figurera dans le compte rendu.

Sur ce texte, le Gouvernement a pris le temps non pas de la réflexion mais celui de l’oubli parce qu’il y avait un problème au sein de l’exécutif entre le ministre de l’intérieur et la garde des sceaux, et il n’a pas été tranché.

Ce projet, vous avez décidé de le soumettre à la va-vite au Parlement (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), pour qu’à l’été tout soit fini. Vous avez décidé ce cumul de la procédure d’urgence et du temps programmé. Vous nous mettez dans l’obligation de lutter et nous ferons, madame la ministre, avec nos arguments qui ne sont pas circulaires. C’est votre bla-bla qui est circulaire ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Matthias Fekl. C’est honteux !

M. Michel Vergnier. Quel mépris !

M. Guy Geoffroy. Pied à pied, point par point, nous allons vous obliger à défendre vos positions et à avoir une ligne construite car, pour l’instant, elle ne l’est pas : vous êtes en pleine contradiction les uns avec les autres et nous sommes là pour vous le dire. Le retour du texte en commission s’impose de lui-même.

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour le groupe écologiste.

M. Sergio Coronado. Non seulement peu propice au dialogue, ce ton est assez insupportable. Rien dans le bilan des dix années qui viennent de s’écouler, avec la dizaine de lois pénales, ne vous autorise à utiliser ce ton de procureur. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Avez-vous fait diminuer les délits, les crimes, les taux de récidive et de réitération ? Non, vous ne l’avez pas fait. C’est cela votre bilan. C’est cela la situation dont a hérité le Gouvernement. C’est pour cela qu’il faut agir.



Chers collègues, vous avez rappelé l’amendement qui fait litige et dont nous aurons l’occasion de discuter. Vous n’étiez pas en commission pour vous y opposer. Personne de votre groupe n’a pris la parole pour s’y opposer, je vous le rappelle. Ce débat s’est déroulé entre le groupe socialiste et Pascal Popelin, le seul député de la commission à trouver à redire à l’amendement déposé. À l’époque, au moment des travaux de la commission, vous étiez, je crois, occupés à d’autres affaires judiciaires. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)



Mme Brigitte Allain et M. Pascal Cherki. Très bien !

M. Sergio Coronado. En outre, si cette commission avait eu lieu au mois de mars,…

M. Gérald Darmanin. Vous auriez perdu les municipales !

M. Sergio Coronado. …nous n’avions à l’époque qu’une trentaine d’amendements déposés par le groupe UMP. C’est grâce à la décision du président de la commission des lois que vous avez pu déposer des amendements qui ne sont d’ailleurs pas tous différents les uns des autres : il y a beaucoup de réitérations, pour utiliser un mot à la mode, pour ne pas dire de répétitions. Vous avez eu l’occasion de présenter ces amendements. Quelques-uns l’ont fait mais, comme cela a été rappelé, il ne restait plus que M. Fenech pour défendre la position de l’UMP en fin de commission.

Depuis neuf mois, nous avons eu l’occasion de mener ce débat. C’est pourquoi le groupe écologiste ne votera pas cette motion de renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Alain Tourret. Monsieur le président, madame la ministre, j’ai fait un mauvais rêve cette nuit : Georges Fenech était garde des sceaux (Exclamations sur tous les bancs)…

M. Guy Geoffroy. C’est visionnaire !

M. Alain Tourret. …et Éric Ciotti était ministre de l’intérieur.

Mme Marie-Anne Chapdelaine et M. Jean Launay. C’était un cauchemar ! (Sourires.)

M. Alain Tourret. Ces deux compères, qui s’opposent en général, étaient au contraire totalement d’accord.

M. Olivier Audibert Troin. C’était prémonitoire !

M. Alain Tourret. J’ai vu dans mon rêve qu’ils venaient de rétablir les peines planchers et de les rendre obligatoires.

M. Éric Ciotti. Elles existent encore !

M. Alain Tourret. J’ai vu dans mon rêve qu’ils venaient de décider la suppression des libérations conditionnelles et les alternatives à la prison.

M. Olivier Audibert Troin. C’est un rêve éveillé !

M. Alain Tourret. J’ai vu ces prisons qui regorgeaient d’individus et qui affichaient un taux d’occupation de 200 %. La France venait d’exploser. Chacun le comprend, ce « beau » rêve, je n’en veux pas. Je ne veux pas de cette France sous les barreaux. Je ne veux pas de cette volonté d’élimination des individus. Ce que je veux, c’est le texte qui nous est proposé aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP, écologisteSRC.)

(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

7

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion du projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures quinze.)

Le Directeur du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Nicolas Véron