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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Deuxième session extraordinaire de 2014-2015

Compte rendu
intégral

Première séance du lundi 28 septembre 2015

Présidence de Mme Laurence Dumont

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures.)

1

Création, architecture et patrimoine

Discussion d’un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (nos 2954, 3068).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre de la culture et de la communication. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, mesdames, messieurs les députés, « l’expérience que nous tentons, c’est la transformation de la condition humaine ». Ainsi parlait Léo Lagrange, alors que le gouvernement auquel il appartenait, il y a près de quatre-vingts ans, se présentait devant cet hémicycle, avec l’ambition généreuse et inouïe d’arracher à leur destin les femmes et les hommes de ce pays. Déterminés à prouver qu’une vie asservie par le travail n’était pas digne d’être vécue, convaincus que l’art et la culture étaient cet antidestin qu’ils recherchaient – pour nous libérer de nos servitudes, pour bouleverser les hiérarchies d’un ordre social immuable, un antidestin capable de nous rassembler dans une communion laïque –, déterminés et convaincus, les hommes et les femmes de ce gouvernement ont engagé la France dans un vaste mouvement de démocratisation par la culture. Ils l’ont fait pour la jeunesse ; ils l’ont fait pour les classes populaires, pour les libérer du mépris dans lequel elles étaient tenues et éclairer à nouveau leur avenir.

L’art et la culture mis au service d’une conquête, celle de la dignité : tel était le projet de société du Front populaire. Et, dans une France qui hésitait alors à lâcher la proie pour l’ombre de la nuit, épuisée par des années de crise, ce fut un moment solaire. Bien sûr, tout ne fut pas accompli en l’espace de dix-huit mois. Mais l’idéal était là et il s’était frotté au réel. Il fallait encore que des hommes et des femmes se mobilisent afin que la nation s’efforce de donner à tous le temps et les moyens qui manquaient pour accéder à l’art et la culture. Il fallait encore l’action résolue de gouvernements successifs, comme de grands mouvements populaires. Il fallait encore mai 1981 pour que cette ambition ne cède ni devant les rêves de grandeur, ni devant la folie de la spéculation ou l’illusoire splendeur du profit. Il fallait des artistes visionnaires et des hommes d’État – ils furent parfois les deux –, de généreux philanthropes et des maires audacieux, pour que cette ambition continue de prendre corps, continue activement de transformer la condition humaine. Il fallait tout cela. Nous en sommes les héritiers autant que les tributaires.

Le Président de la République s’inscrit dans ces pas. Le gouvernement auquel j’appartiens s’inscrit dans ces pas parce que cette voie est grande ; parce qu’elle est juste et libératrice ; parce que, dans le maquis du réel, qui ne cesse de muter et de s’étoffer, il faut veiller sans cesse à la tracer, à l’élargir de nouveau pour ne pas la perdre. Nous sommes dans un moment comme celui-là. Un de ces moments où le maquis du réel s’étoffe, et peut nous étouffer. Un de ces moments de grande mutation, inédit par son ampleur, inédit par sa nature, comme l’humanité en a peu connu par le passé, où l’émergence du numérique nous renvoie à celle de l’imprimerie, et la mondialisation à la découverte de l’Amérique ; où le présent semble s’éterniser dans de perpétuelles transitions. Un de ces moments de crise, où le doute nous saisit. Un de ces moments où la société s’abîme dans de nouvelles fractures. Une part d’elle se découvre frileuse devant la nouveauté, voudrait même parfois arrêter la marche du temps ou courir se réfugier parmi les morts, à la recherche d’une identité première qui n’a pourtant jamais existé. Elle craint par-dessus tout l’effacement. Et c’est alors que les malveillants et les extrémistes font entendre leur chant : le chant du repli et de la fermeture.

Si je suis devant vous, aujourd’hui, pour présenter ce projet de loi, au nom du Premier ministre et du Gouvernement de la République, c’est parce que je crois que, dans le monde qui vient, il existe aussi des opportunités réelles, inconnues jusqu’alors, pour que la jeunesse de notre pays puisse avoir une vie meilleure et une vie plus juste. C’est parce que j’appartiens au camp des optimistes, de ceux qui croient que le réel se transforme, pourvu qu’on en ait la volonté. C’est parce que j’appartiens au camp des progressistes, de ceux qui croient qu’une vie réussie n’est pas qu’une vie de consommation. C’est parce que je suis persuadée que l’art et la culture, les œuvres et les pratiques, sont un miroir de notre monde comme une réponse à nos peurs. Et c’est parce que je suis convaincue que l’art et la culture nous libèrent et nous rassemblent à la fois, en nous ouvrant toujours davantage à l’autre.

Ce projet de loi, vous l’aurez compris, ne cherche pas à définir ce que seront l’art et la culture dans le monde qui vient. L’État n’est pas oracle, ce n’est pas son rôle. C’est aux artistes de l’inventer. L’avenir pour l’art, l’accès de tous à l’art, voilà ce que l’État doit préparer et permettre. Là est son rôle, sa responsabilité, une responsabilité que ce Gouvernement assume : il en a fait le choix. Ce projet de loi, qui a été enrichi par les propositions du rapporteur et le débat en commission – je veux saluer leur travail aujourd’hui – s’inscrit de fait dans un ensemble de mesures que le Gouvernement a prises en faveur de l’art et de la culture : une loi sur l’audiovisuel public, rétabli dans son droit et son indépendance ; un budget qui a toujours préservé la création et l’éducation à l’art et à la culture, et qui sera en 2016 résolument orienté à la hausse – je le présenterai mercredi –, conformément à l’engagement fort du Premier ministre ; un régime, l’intermittence, stabilisé et désormais reconnu par la loi ; des pactes avec les collectivités territoriales pour donner à tous ceux qui font vivre la culture dans nos territoires l’assurance de moyens constants ; des Assises pour préparer l’avenir de la jeune création ; une stratégie nationale pour l’architecture afin de dessiner l’avenir de la profession.

Tous ces choix, nous les avons faits ; toutes ces initiatives, je les ai prises. Mais cela ne suffit pas à garantir l’émergence des arts, aujourd’hui et demain.

M. Michel Herbillon. Enfin un peu de lucidité, madame la ministre !

Mme Fleur Pellerin, ministre. Si nous n’empêchons pas les velléités des extrémistes et des malveillants qui se nourrissent de nos peurs pour s’en prendre aussi aux artistes, rien ne le garantira. Si nous n’empêchons pas de nuire les artisans du retour à l’ordre moral et tous ceux qui s’arrogent le droit de définir ce que l’art peut ou ne peut pas dire, rien ne le garantira. Si nous ne réduisons pas à néant les désirs de certains exécutifs de se faire galeristes ou directeurs de théâtre, prêts à intervenir sur les œuvres, sur leur programmation et leur diffusion…

M. Michel Herbillon. C’est inadmissible !

Mme Fleur Pellerin, ministre. …si nous n’intervenons pas pour éviter qu’en retour des artistes, anticipant la censure, optent pour l’autocensure, rien ne le garantira. Rien ne garantira que l’art, aujourd’hui et demain, aura encore la possibilité de provoquer, de se réinventer, de se déployer, de s’exposer, d’être partagé et conservé en héritage par les générations futures. Rien ne garantira que la France restera cette terre d’accueil de l’art et des artistes. Seule la loi peut le garantir. Et cette garantie tient en une phrase : « La création artistique est libre. » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

« La création artistique est libre » : c’est le premier article de la loi sur lequel vous êtes invités à vous prononcer. Après la liberté d’expression, après la liberté de conscience, après la liberté de la presse, voilà que nous nous apprêtons à instituer la liberté de création. Ils sont rares, ces moments où la représentation nationale a l’occasion d’inscrire dans la loi de nouvelles libertés.

M. Marcel Rogemont. Vous avez raison !

Mme Fleur Pellerin, ministre. Ils sont si rares d’ailleurs que certains d’entre vous s’interrogent sur l’opportunité de le faire aujourd’hui. Les premiers se questionnent sur son utilité. À quoi bon graver dans le marbre que la création artistique est libre, alors qu’en pratique, tout tend à montrer qu’elle l’est déjà ? À quoi bon vouloir distinguer la liberté de création de la liberté d’expression, alors que la seconde recouvre déjà la première ? À quoi bon, quand la jurisprudence fait son œuvre ? À quoi bon ? Voilà ce qu’il m’est arrivé d’entendre, ces derniers jours comme ces derniers mois : « À quoi bon ? » À quoi bon, en effet, lorsqu’un maire prend l’initiative de repeindre une œuvre d’art qui irrite son bon goût ? À quoi bon, en effet, lorsque l’installation d’un grand artiste, exposée dans le parc de l’un de nos plus célèbres monuments, est défigurée, saccagée, profanée même, par des vandales ? À quoi bon, en effet, lorsque des spectacles sont annulés, des expositions poursuivies par la vindicte de militants qui s’érigent en censeurs et pourfendeurs d’un art qu’ils disent « dégénéré » ? À quoi bon ?

M. Yves Durand. Très bien !

Mme Fleur Pellerin, ministre. Le réel résiste farouchement à cet « à quoi bon » ! Nous savons tous ici qu’une jurisprudence se nuance, voire se renverse, tandis que la loi, elle, est immuable. Quand le risque est là, seule la loi peut l’écarter. Et c’est alors que, parmi ceux qui doutent de la pertinence d’inscrire la liberté de création dans la loi, d’autres nous font part d’une nouvelle réserve. N’est-on pas aujourd’hui en train de créer un privilège ? Ne faut-il pas ajouter quelques codicilles à cette liberté, sous peine de la voir nous échapper ? Nous échapper : mais c’est précisément l’objectif de cet article, qui acte la séparation du politique et de l’artistique. Son objectif est que l’art nous échappe ! Non pas la culture, et j’insiste sur ce point, mais l’art. Nous devons nous assurer qu’il ne soit plus jamais au service du politique. Nous devons nous assurer qu’il continue de déranger car un art qui sert le pouvoir et ne dérange jamais, nous connaissons tous son nom.

M. Michel Piron. Cela s’appelle l’art officiel !

Mme Fleur Pellerin, ministre. Malraux a dit un jour, en 1934 : « La liberté qui compte pour l’artiste n’est pas de faire n’importe quoi : c’est la liberté de faire ce qu’il veut faire. » Cette liberté, nous devons la lui donner, en conscience et en confiance. C’est dans sa sobriété que réside la force de cet article premier. Il fait écho à un autre article fondateur : « L’imprimerie et la librairie sont libres ». Cette grande loi de 1881 sur la liberté de la presse, qui prétendrait aujourd’hui réfuter sa portée symbolique, juridique, politique ? La liberté de création n’est pas une liberté sans responsabilité, disons-le clairement. Mais plutôt que de concentrer nos débats sur les limites qu’il faudrait lui apporter – elles existent et c’est légitime –, plutôt que de limiter une liberté avant même de l’avoir reconnue, commençons par l’affirmer, l’assumer et même la revendiquer.

La création est libre, sans codicille. Elle est libre, comme sont libres ses corollaires : la diffusion et la programmation. Elle est libre, non seulement pour les artistes, mais pour tous les Français.

Cette liberté est au fondement de l’institution culturelle. Elle doit être organisée, et c’est précisément ce que font les articles suivants, qui rendent concrètement possible l’émergence des arts de demain et leur transmission à tous nos concitoyens. C’est là notre responsabilité.

Ce texte offre d’abord un cadre pérenne à l’intervention des pouvoirs publics en matière culturelle. Il définit les grands objectifs des politiques publiques. Il donne une base juridique indiscutable aux labels, qui sont l’un des instruments essentiels de l’action culturelle de l’État, aux côtés des collectivités territoriales. Il reconnaît aussi le caractère public des collections des fonds régionaux d’art contemporain et renforce leurs missions.

Avec ce texte, nous garantissons qu’à l’avenir, les pouvoirs publics seront toujours des acteurs majeurs de la vie culturelle. Votre commission a veillé à ce que, dans chaque région, cette compétence partagée qu’est la culture soit pleinement exercée.

Ce texte offre aussi un cadre pérenne aux artistes pour qu’ils puissent exercer leur liberté de création.

Il reconnaît – enfin ! – les professions du cirque et des marionnettes en les ajoutant à la liste des métiers artistiques, ce qui leur donne accès aux droits sociaux.

Il clarifie aussi les relations entre les artistes-interprètes, les producteurs et les diffuseurs, en les rendant toujours plus transparentes, notamment pour la musique et pour le cinéma. Nous vous proposons également de confirmer que cette approche s’applique aussi au livre par la validation de l’ordonnance sur le contrat d’édition.

Il permet à l’État de réguler des secteurs professionnels qui vivent en première ligne la grande mutation du numérique. La création d’un médiateur permettra, par exemple, de disposer d’une instance de conciliation pour résoudre les conflits entre les parties prenantes du monde de la musique.

M. Michel Herbillon. Personne n’en veut !

M. Hervé Féron. Si, nous !

Mme Fleur Pellerin, ministre. Nous compléterons ces dispositions au cours du débat, afin d’assurer, toujours dans le domaine de la musique, un partage plus équitable des revenus issus du numérique car, en la matière, la loi du marché ne garantit pas les droits des artistes à une juste rémunération.

Ces dispositions s’intègrent par ailleurs dans le combat que je conduis en faveur des droits d’auteur auprès des institutions européennes. C’est à cette échelle que nous pourrons peser suffisamment pour inventer de nouvelles régulations, afin de soutenir la création artistique et sa diversité.

Nous voulons cette intervention de l’État, parce qu’elle donne aux artistes la possibilité de savoir comment sera calculée leur rémunération, notamment pour l’exploitation de leurs œuvres sur Internet. Être rémunéré pour son travail, c’est une condition nécessaire à l’exercice de cette liberté de création.

Ce texte ne se contente pas de garantir l’exercice effectif de cette liberté : il offre de nouvelles possibilités de création dans le monde de demain.

Il le fait en révisant le cadre de formation des artistes en devenir et en permettant aux élèves des écoles d’art de se faire une place à l’international. Il protège davantage ceux qui préparent ces écoles.

Il offre aussi de nouvelles possibilités aux architectes, en leur permettant, dans des conditions précises, de déroger à certaines règles d’urbanisme pour expérimenter des solutions innovantes. C’est ce fameux « permis de faire », que votre rapporteur a proposé d’introduire dans ce texte pour les bâtiments publics, parmi d’autres dispositions prévues dans ce projet de loi en faveur de l’architecture.

Nous voulons que l’État joue son rôle de régulateur, mais nous voulons aussi qu’il aménage l’espace et la souplesse nécessaires pour favoriser la création.

Nous voulons élargir les conditions dans lesquelles il faut faire appel à un architecte pour les constructions individuelles ou les lotissements, qui structurent de plus en plus les paysages de notre pays.

M. Michel Herbillon. Très bien !

Mme Fleur Pellerin, ministre. Les interventions des architectes contribueront à rendre cet aménagement plus durable autant qu’à l’embellir, parce que le beau ne doit pas être le privilège de quelques-uns. C’est l’esprit même de la stratégie nationale pour l’architecture que j’ai engagée.

Et c’est parce que le beau, l’art et la culture concernent tous les Français que ce texte continue d’élargir la participation et l’implication de tous nos concitoyens dans la vie culturelle. Je l’ai dit plus tôt : la liberté de création n’a de sens que si elle bénéficie à tous.

Cette loi doit donc changer le quotidien culturel des Français.

Une vie culturelle qui ne fait pas davantage de place aux personnes en situation de handicap n’est pas une vie culturelle ouverte à tous. Ce projet de loi leur offre un accès élargi aux œuvres, tout en adaptant le droit au numérique.

Une vie culturelle qui ne fait pas de l’éducation artistique l’un de ses piliers n’est pas une vie culturelle ouverte à tous. C’était déjà l’une des priorités majeures du Gouvernement, qui a choisi de lui consacrer davantage de moyens. En inscrivant l’éducation à l’art et à la culture dans la loi, nous l’affirmons comme un objectif majeur, pour aujourd’hui et pour demain. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Une vie culturelle qui ne permet pas à chacun d’avoir accès à la pratique musicale de son choix n’est pas une vie culturelle ouverte à tous. C’est le sens du retour de l’État dans les conservatoires et de la priorité donnée à la diversification des disciplines enseignées.

Une vie culturelle qui ne reconnaît pas la pratique amateur, c’est-à-dire la manière la plus forte et la plus partagée de vivre les arts, n’est pas une vie culturelle ouverte à tous. Ce projet de loi reconnaît cette pratique, qui concerne aujourd’hui 12 millions de personnes.

Une vie culturelle qui ne s’attache pas à faire grandir l’accès aux œuvres dans toute leur diversité n’est pas une vie culturelle ouverte à tous. C’est pourquoi vous avez souhaité renforcer les dispositions en faveur de la diversité dans la programmation des radios et, dans le même esprit, permettre que les œuvres cinématographiques et audiovisuelles soient mieux exploitées, et donc plus accessibles.

Une vie culturelle qui ne fait pas en sorte, enfin, que chacun puisse lire et comprendre son patrimoine, le patrimoine de son quotidien, n’est pas une vie culturelle ouverte à tous. Comme en témoigne le succès des Journées européennes du patrimoine, c’est là un profond désir des Français. Tel est le sens de la création des « cités historiques », qui viendront se substituer aux zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager et aux aires de valorisation de l’architecture et du patrimoine. Comme chacun de nos concitoyens connaît l’importance des monuments historiques, chacun reconnaîtra l’importance de ces cités.

Mesdames et messieurs les députés, le patrimoine, la création et l’architecture sont assemblés aujourd’hui dans un même projet de loi. C’est mon choix – un choix délibéré, car la politique culturelle s’appuie sur ces deux piliers : la création et le patrimoine. Nous légiférons donc, en ces domaines, dans le même esprit.

Aujourd’hui, nous avons la chance immense d’avoir un patrimoine préservé, grâce à ceux qui en prennent soin au quotidien : les propriétaires de monuments historiques, les associations de défense du patrimoine et les professionnels qui s’attachent à le conserver, à le faire vivre, à le valoriser et à le restaurer. Leur savoir-faire et leur travail sont reconnus partout dans le monde. Je veux leur rendre hommage aujourd’hui. Je veux surtout qu’ils puissent continuer d’agir demain avec la même intensité.

Le patrimoine sera donc protégé avec une égale exigence. Sa préservation sortira même renforcée de cette loi.

Ainsi, la nation reconnaîtra désormais dans son droit le patrimoine mondial de l’humanité classé par l’UNESCO. Elle reconnaîtra également le patrimoine immatériel, à l’initiative de votre commission.

La loi permettra de définir des domaines nationaux, aux liens exceptionnels avec l’histoire de la nation, qui seront inaliénables. Elle renforcera la protection des objets mobiliers. Elle apportera une protection nouvelle aux vestiges archéologiques, qui deviendront, après leur découverte, propriétés de la nation, et elle donnera plus d’outils pour renforcer notre archéologie préventive.

Elle étendra même au monde entier l’attachement que nous portons à la préservation des œuvres là où elles se trouveraient menacées par les guerres ou par la barbarie, comme c’est le cas aujourd’hui sur les bords du Tigre et de l’Euphrate.

C’est par fidélité à nous-mêmes que nous nous sommes engagés à renforcer encore davantage notre lutte contre le trafic de biens culturels et que nous nous proposons d’accueillir sur notre territoire les œuvres menacées dans leur intégrité. La France sera aux côtés des États qui le demanderont.

La protection du patrimoine repose sur un partenariat étroit et essentiel entre l’État et les collectivités territoriales. Ce que nous proposons de faire aujourd’hui, c’est d’adapter cette protection, en prenant en compte trente ans de décentralisation en matière d’urbanisme et en tirant les conclusions des insuffisances de notre législation.

Songeons qu’en 1962, Malraux prévoyait 400 secteurs sauvegardés. Aujourd’hui, il n’y en a que 105, dont 85 seulement sont dotés d’un plan de sauvegarde. La modernisation de notre droit s’impose. Elle préservera le rôle de garant de l’État – j’y ai veillé.

Ce que nous apportons à la protection du patrimoine, c’est de la clarté et de la lisibilité car, sans clarté et sans lisibilité, on finit par se désintéresser des règles qui protègent, par les contester, puis par passer outre.

La vie culturelle, mesdames et messieurs les députés, c’est un espace qui rassemble et un lien qui libère.

La vie culturelle, Jean Zay voulait en faire un ministère, pour qu’à côté de l’éducation nationale naisse et grandisse l’expression nationale. Il voulait la libérer et la faire grandir, pour la jeunesse de France. C’est qu’il avait confiance en elle et qu’il avait confiance en la culture pour inventer l’avenir. C’est qu’il croyait au pouvoir de l’imaginaire.

J’ai fait partie de cette jeunesse de France. Je fais partie, comme sans doute nombre d’entre vous, de ceux qui doivent à l’école publique et à la culture d’avoir pu vaincre les déterminismes sociaux inscrits dans leur généalogie.

Nous avons reçu ce qu’André Malraux et Jack Lang ont offert aux générations qui venaient : un patrimoine restauré et protégé, une vie artistique féconde et libre, toujours plus ouverte à tous, et de grandes fêtes populaires.

À chaque génération, il s’est trouvé depuis lors des femmes et des hommes pour perpétuer cette ambition, pour rendre à la jeunesse ce désir d’audace, de liberté, de création et pour lui ouvrir grand les portes, en confiance. En toute confiance. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Marcel Rogemont. Excellent !

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Bloche, président et rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation.

M. Patrick Bloche, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c’est avec joie et émotion que je rapporte, aujourd’hui devant vous, au nom de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, sur le projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine.

Ce texte va, en effet, inscrire pour la première fois dans la loi les objectifs des politiques poursuivies par le service public de la culture dans notre pays. Il répond ainsi à la revendication forte d’une loi d’orientation pour le spectacle vivant portée depuis des années par les acteurs culturels et, en matière de protection du patrimoine, fait très directement référence à la loi, adoptée voilà un peu plus d’un siècle, relative aux monuments historiques.

Dans un calendrier certes serré, je suis particulièrement heureux du travail collectif que nous avons réalisé lors de son examen en commission. Ainsi, durant dix-huit heures et en votre présence, madame la ministre, nous avons adopté plus de 150 amendements – de la majorité comme de l’opposition.

En conséquence, le texte que nous examinons aujourd’hui couvre désormais un champ plus large que le projet de loi initial et j’ai la faiblesse de croire que nos apports lui donnent encore plus de force et d’assise.

Mme Marie-George Buffet. Tout à fait !

M. Patrick Bloche, rapporteur. Disons-le ici en préalable : ce texte est cohérent, non seulement dans sa forme, mais aussi par sa philosophie, car il embrasse tous les champs de la création, en affirmant pour la première fois la nécessaire filiation qui existe entre la création et le patrimoine, entre les œuvres de l’esprit d’aujourd’hui et l’héritage culturel de demain – ce que j’ai déjà qualifié d’« alliance historique entre les Circassiens et les Cisterciens » ! (Sourires.)

M. Marcel Rogemont. Oh la la !

M. Patrick Bloche, rapporteur. Sa force, que je viens d’évoquer, le projet de loi la tire tout d’abord de son article 1er, qui ajoute à l’édifice des droits et libertés la liberté de création, en la consacrant explicitement. Nous n’avons pas souhaité modifier cet article, en considérant que sa rédaction originelle – « la création artistique est libre » – lui donnait toute son intensité et sa future portée jurisprudentielle.

L’article 2, quant à lui, fixe, pour la première fois, un cadre législatif clair aux politiques culturelles publiques mises en œuvre conjointement par l’État, les collectivités territoriales et les établissements publics. C’est essentiel !

La commission a souhaité compléter la définition de ces objectifs en précisant qu’ils doivent soutenir la création d’œuvres originales en langue française, favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes, contribuer à la promotion des initiatives portées par le secteur associatif ainsi que par les lieux intermédiaires et indépendants, mais aussi participer à la valorisation des métiers d’art.

Je ne saurais oublier, concernant la partie création, les dispositions concernant le partage de la valeur et la transparence des rémunérations, là encore enrichies par notre commission, ou celles consacrées à l’emploi artistique, sujet dont notre commission s’était saisie dès le début de la législature.

Un mot sur le secteur musical pour vous préciser, chers collègues, que, dans l’attente des conclusions de la mission Schwartz, votre rapporteur a pris l’initiative d’un amendement visant à ouvrir la perspective de la gestion collective obligatoire, privilégiée par nombre de rapports comme une solution à une meilleure répartition des revenus au sein de la chaîne de valeur – à suivre donc, comme on dit.

Dans un autre domaine, il a paru indispensable à votre rapporteur d’inclure des dispositions relatives aux archives afin d’adapter leur régime aux évolutions de notre temps, en y intégrant explicitement les documents numériques, en facilitant la mutualisation de la conservation des archives numériques entre les différents services publics d’archives et en améliorant la protection des fonds privés classés comme archives historiques. Les archivistes attendaient ces mesures et je vous remercie, madame la ministre, d’avoir accompagné cette démarche avec bienveillance.

Votre projet de loi, madame la ministre, vise aussi à renforcer la protection et à améliorer la diffusion du patrimoine culturel. Vous avez souhaité le compléter en commission par un amendement dit « Palmyre » traduisant l’engagement de notre pays pour assurer la sauvegarde de biens culturels inestimables appartenant au patrimoine de l’humanité et directement menacés de disparition, voire de destruction.

La commission a aussi fait le choix d’intégrer le patrimoine immatériel dans la définition juridique du patrimoine culturel afin de mieux reconnaître et protéger les savoir-faire, les traditions orales et les pratiques sociales porteuses d’une identité, nationale comme locale.

Je ne vais volontairement qu’évoquer la réforme du régime juridique des biens archéologiques et des instruments de la politique scientifique d’archéologie préventive, tant le travail conduit par notre collègue Martine Faure, qui a trouvé sa traduction législative par l’adoption de plusieurs amendements, a été particulièrement utile.

M. Marcel Rogemont. Quel talent !

M. Patrick Bloche, rapporteur. Je m’arrêterai, par contre, quelques instants sur les dispositions relatives au patrimoine. Car la fusion des dispositifs des secteurs sauvegardés, des ZPPAUP et des AVAP en une seule servitude d’utilité publique appelée « cité historique » a pu faire naître des interrogations et même des inquiétudes quant au maintien, pour l’avenir, du meilleur niveau de protection possible de notre patrimoine monumental.

En confortant le rôle de la commission régionale du patrimoine et de l’architecture, en incluant les paysages dans le champ de la protection et en adaptant le dispositif aux intercommunalités, nous avons répondu aux attentes fortes qui se sont exprimées. La garantie parallèlement apportée par le Gouvernement, en commission, du maintien de l’assistance technique et financière de l’État pour l’élaboration et la révision du plan de sauvegarde et de mise en valeur ou du plan local d’urbanisme couvrant le périmètre de la cité historique, permet de lever définitivement les doutes ou les éventuelles ambiguïtés.

À l’aune de la consécration, dans le projet de loi, des FRAC qui contribuent de façon majeure, depuis plus de trente ans, à l’accès de tous et de toutes à l’art contemporain et au soutien à la création dans les territoires, je me réjouis que la commission ait conféré une valeur législative à la labellisation des centres culturels de rencontre. Ces structures qui ont pour objectif de développer, dans des sites qui présentent un intérêt patrimonial majeur, un projet artistique et culturel, étaient très attachées à cette reconnaissance.

Je vais, vous n’en serez pas surpris, terminer par les dispositions relatives à l’architecture. Car je suis, madame la ministre, particulièrement heureux d’avoir pu intégrer dans ce projet de loi nombre de propositions formulées par la mission parlementaire sur la création architecturale et s’inscrivant dans la stratégie nationale pour l’architecture que vous avez vous-même, depuis, définie.

Le retour au seuil des 150 mètres carrés de surface de plancher au-dessus duquel le recours à l’architecte est obligatoire est sans nul doute un marqueur de notre volonté politique commune et un signe donné à la profession. Mais rappelons ici qu’il s’agit aussi d’une mesure de simplification pour tous nos concitoyens tant le calcul actuellement en vigueur manque de clarté et de lisibilité.

Par ailleurs, nous sommes convaincus que des mesures incitatives comme l’expérimentation des permis simplifiés, la consécration législative du concours d’architecture, la possibilité offerte d’ouvrir une phase de dialogue au cours de la procédure du concours, sont des apports tout aussi essentiels résultant de l’examen en commission.

En outre, offrir une majoration supplémentaire, soit de l’emprise au sol, soit de la hauteur pour faciliter l’innovation ou lancer une expérimentation nouvelle, pour les bâtiments publics, en fixant des objectifs à atteindre plutôt que les moyens d’y parvenir redonneront à l’architecture française la pleine capacité de créer et d’innover plus librement. Car c’est la recherche de la plus grande valeur d’usage possible qui doit aussi pouvoir aiguiller le travail de l’architecte. C’est le sens des dispositions que nous avons adoptées.

Madame la ministre, mes chers collègues, nous avons attendu ce texte longtemps. Il s’inscrit dans un cadre rendu aujourd’hui plus favorable de par la volonté du Gouvernement. Je pense naturellement au projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, qui a conforté la logique d’exercice conjoint d’une compétence culturelle partagée par les différents échelons territoriaux ; à la consécration législative des annexes 8 et 10 de la convention sur l’indemnisation du chômage qui a enfin offert aux intermittents un cadre juridique sécurisé ; mais aussi à l’augmentation, en 2015, des crédits du ministère de la culture, qui devrait se prolonger l’année prochaine.

Ce projet de loi est ambitieux. Il va de la musique aux monuments historiques, en passant par l’archéologie préventive, les pratiques amateurs et les écoles d’art. Il répond à nombre de préoccupations qui animent, depuis plusieurs années, l’ensemble des acteurs culturels et que nous sommes un certain nombre, sur tous les bancs de cet hémicycle, à avoir voulu porter avec constance. Le moment est donc venu, chers collègues, ici et maintenant, de passer des discours aux actes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Motion de rejet préalable

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe Les Républicains une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.

La parole est à M. Christian Kert.

M. Christian Kert. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, je viens d’écouter votre excellent propos. Inutile de vous dire que je ne partage pas tout à fait votre bel optimisme sur le texte et la façon dont nous avons travaillé en commission.

Nous nous attendions à un texte ambitieux, comme vous le souhaitiez, et nous nous trouvons face à un texte dont on dirait qu’il a été écrit par un scribe, certes un personnage important, mais qui se contente d’écrire pour les autres.

Monsieur le président, le travail que nous avons conduit en commission, certes en concertation, était quand même un peu chaotique, dans les délais d’audition, de production des documents, pour un texte dont l’essentiel tient dans son titre : « liberté de création », et dans sa volonté, avouée et à laquelle nous nous associons, de définir une politique publique de la culture.

Mais très franchement – et vous n’y êtes pour rien – cela sentait l’amateurisme. Attendre un texte annoncé depuis trois ans à plusieurs reprises par deux ministres successives, le voir brutalement propulsé à l’Assemblée nationale par un gouvernement dont on se doute qu’il veut rassurer ses soutiens du monde de la culture ; des auditions qui commencent après la fin de la session extraordinaire de juillet et s’achèvent juste avant celle de septembre. Ajoutons des amendements du Gouvernement qui, madame la ministre, nous arrivent du haut de votre splendeur ministérielle, l’avant-veille, voire quelques minutes avant la discussion en commission, ce qui nous empêche d’en appréhender toutes les conséquences.

M. Marcel Rogemont. Cela se passe toujours comme ça !

M. Christian Kert. C’est le cas, entre autres exemples nombreux, du nouvel article 11 A sur les pratiques amateurs, qui avaient été étrangement oubliées.

Je citerai encore des articles qu’on discutera à l’aune de la mission Schwartz, dont la médiation n’a toujours pas abouti : on voit d’ailleurs que des amendements ont été déposés pour en quelque sorte influer sur la négociation en cours.

M. Michel Herbillon. Curieuse façon de légiférer !

M. Christian Kert. Madame la ministre, monsieur le président de la commission, il y a quand même de quoi désespérer le législateur, surtout un lundi après-midi au cours d’une session extraordinaire. On ne craint pas le surpeuplement !

Pour le reste, ce texte semble ignorer les enjeux nouveaux, économiques et sociétaux qui attendent la sphère culturelle. On pensait à une proposition innovante : on nous soumet un livre de comptes avec des contraintes supplémentaires dont, avec mes collègues, nous allons reparler.

La question du partage de la valeur n’est pas traitée de manière exhaustive et ce texte met sous le boisseau la question, pourtant importante, de la contribution des acteurs du numérique au financement de la création.

Pour l’anecdote, madame la ministre, il se trouve que ce soir-même, vous allez être pendant quelques instants l’héroïne d’un documentaire diffusé par une chaîne du secteur public de l’audiovisuel, si j’en crois le journal Le Monde. Il semblerait, si j’en crois ce journal, que l’on vous voie écouter votre première leçon de ministre de la culture par le Président de la République lui-même. Nous sommes un agréable soir du mois d’août à l’Élysée et le Président vous donne ses premiers conseils – vous venez de devenir ministre. « Va voir Jack – il s’agit de Jack Lang – il a des idées, lui ». Et le Premier ministre ajoute : « Et vois Monique. » Il s’agit de Monique Lang, mes chers collègues.

Le meilleur est à venir : « Va au spectacle tous les soirs, et dis que c’est beau. Ils veulent être aimés. »

M. Marcel Rogemont. Nul !

Mme Virginie Duby-Muller. C’est révélateur !

M. Christian Kert. Cela vous fait peut-être sourire, mais pour nous ce qui importe dans cette scène, c’est qu’on mesure là combien le temps est loin où le mot de culture avait un sens pour vous, chers collègues de gauche : les budgets culturels avaient doublé, la grande loi sur le prix unique du livre fut votée, de grands travaux étaient conduits, la fête de la musique naissait, que sais-je encore. La gauche était alors conforme à ses convictions

Tout est dit : les budgets culturels rabotés, des nominations à l’emporte-pièce qui auraient fait hurler si un gouvernement de droite les avait effectuées, et deux projets de loi ramassés en un seul dans une formule fourre-tout que vous affectionnez : on y met beaucoup de petites choses, ça évite de voir qu’il manque l’essentiel.

Et pourtant l’essentiel, c’est que l’État conserve un rôle considérable en matière culturelle, celui de financer et d’offrir à des publics sans cesse élargis ce qu’il y a de meilleur et d’exemplaire dans l’ordre culturel. On le voit dans le second volet de votre projet de loi, l’État a également mission de sauvegarder un patrimoine national qui, laissé aux mains de marchands, se transformerait volontiers en parc d’attractions !

Comme nos collègues des autres groupes, le groupe des Républicains s’est organisé sur ses pôles d’intérêt pour décrypter votre projet. François de Mazières, Michel Herbillon, Annie Genevard, Virginie Duby-Muller, Franck Riester, Patrick Martin-Lalande et nos collègues spécialisés dans l’enseignement Patrick Hetzel et Frédéric Reiss ont tous concouru à cette réflexion. Tous vous diront en quoi votre texte, en quoi vos solutions pèchent.

Car nous considérons, madame la ministre, que ce texte ne contient rien de ce qui pourrait en faire un grand projet sur la création : un appel à l’expérience de la beauté, un usage des nouvelles technologies mais un refus de l’intelligence artificielle comme substitut à notre propre intelligence humaine et à l’intelligence du passé.

Je sais que nous sommes d’accord : la culture est œuvre d’amour et de connaissance. Pourquoi ne pas l’avoir dit avec autant de force ?

Il est vrai, madame la ministre, et nous le savons, que vous êtes prise en étau entre la voracité de Bercy et le laxisme de l’Éducation nationale. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Marcel Rogemont. Oh ! C’est scandaleux !

M. Christian Kert. Voracité de Bercy qui, durant deux ans, a raboté les crédits de votre ministère – du jamais vu pour un gouvernement de gauche qui avait fait de la culture l’une de ses priorités.

Voracité de Bercy, encore, qui siphonne des crédits pourtant actés au contrat d’objectifs et de moyens de France Télévisions, ce qui vous laisse dans une situation paradoxale : des audiences excellentes, un déficit annoncé.

Voracité de Bercy, enfin, qui en rognant de façon drastique les dotations budgétaires aux collectivités locales conduira forcément ces dernières à faire de nouvelles économies…

M. Marcel Rogemont. Comment ferez-vous 150 milliards d’économies, vous ?

M. Christian Kert. …synonymes de réductions dans les engagements culturels.

Voilà pourquoi il nous paraît hasardeux de parier sur de nouveaux engagements des collectivités locales, comme le prévoient pourtant un certain nombre de dispositions.

Je le disais : laxisme de votre collègue de l’Éducation nationale, qui passe son temps – et vous a un peu fait perdre le vôtre – à s’interroger sur la théorie du genre (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen)…

M. Marcel Rogemont. C’est faux !

M. Yves Durand. Cela n’a rien à voir !

M. Christian Kert. …pendant que l’école, ascenseur social, descend à la cave et y reste en panne.

M. Marcel Rogemont. Cela n’a rien à voir avec une motion de rejet préalable !

M. Christian Kert. L’école, ce n’est pas vous, madame la ministre, mais veiller à la pérennité de l’enseignement des humanités, cela relève de votre responsabilité, cela vous concerne ! L’école, pour vous, c’est l’enseignement artistique, alors n’invitez surtout pas votre collègue de l’Éducation nationale au banquet des Lumières, ne cédez pas à la passion égalitaire !

Second grief que l’on peut vous adresser après celui de l’amateurisme, certainement celui du génie de la mise en antagonisme des professionnels de la création au lieu de vouloir les fédérer.

M. Yves Durand. Nous vous avons connu meilleur.

M. Christian Kert. Comment voir les choses autrement lorsque vous allez opposer les producteurs de musique et les artistes interprètes avec la création très contestée, vous le savez, du poste de médiateur de la musique, que personne ne réclamait…

M. Michel Herbillon. Personne !

M. Christian Kert. …à l’inverse du médiateur du livre, et dont les pouvoirs tels que vous les prévoyez paraissent exorbitants ?

La création de ce poste va à l’encontre de l’objectif de simplification que le Gouvernement auquel vous appartenez appelle de ses vœux et cette nouvelle autorité administrative indépendante fera doublon avec la commission de conciliation instituée par la convention collective nationale de l’édition phonographique signée en 2008.

Cette création d’un médiateur de la musique témoigne d’une certaine méconnaissance du marché de la musique, dont le fonctionnement diffère de celui du cinéma et de l’édition.

M. Michel Herbillon. Absolument.

M. Christian Kert. Plutôt que d’apaiser les tensions, la création de ce poste suscite de vives oppositions de la part de l’ensemble des acteurs du secteur.

Antagonisme, encore, avec l’affaire des quotas sur les radios. On a senti un tel flottement, madame la ministre, que vous avez dû vous résoudre à vous en remettre à la sagesse de la commission lors de nos travaux. On comprend bien, aux réactions enregistrées depuis, que le sujet divise et continuera à diviser.

Après ce secteur sensible de la musique, vous avez traité celui du cinéma – ce qui ne saurait sans doute déplaire à nos collègues Marcel Rogemont et Michel Herbillon qui co-président le groupe de travail sur ce sujet.

Néanmoins, votre proposition laisse totalement en jachère la question de la création et de la production audiovisuelles car, alors même que notre cinéma – l’un des meilleurs d’Europe – demeure un exemple de l’excellence culturelle française, l’audiovisuel, lui, peine depuis quelques années à s’adapter au défi numérique et à l’internationalisation des œuvres, et ce de façon désormais inquiétante.

Le constat a été fait : la France est le seul pays européen où les fictions américaines sont plus regardées que les fictions nationales. Nous savons qu’il y a des raisons à cela et nous les avons répertoriées en commission, monsieur le rapporteur.

Peut-être conviendra-t-il de déverrouiller les frontières si étanches entre les genres de production, flux et stock, afin de favoriser un peu les programmes courts ou les émissions de flux de qualité.

Il faudra aussi protéger notre industrie de l’audiovisuel : une œuvre dite française doit être créée en France par des auteurs employés en France et créant des emplois en France. Si les règles en vigueur ne sont pas modifiées rapidement, notre pays subira une perte de compétitivité majeure – il faut d’ailleurs espérer que la prochaine loi de finances apportera des réponses, tant pour le cinéma que pour la production audiovisuelle.

Ce sujet me permet de revenir un instant sur la défense de la langue française : elle y est simplement mentionnée dans ce projet mais un amendement en commission à l’article 2 permet de remédier partiellement à cet état de fait.

Souvenez-vous de Camus, madame la ministre : « J’ai une patrie, et cette patrie, c’est la langue française. » Collectivement, sommes-nous encore dignes de cette assertion, certains de nos ressortissants n’osant plus aimer cette langue française « touillée par les siècles » ?

Utiliser l’audiovisuel comme outil de l’excellence culturelle française : c’est cette volonté que j’aurais aimé vous voir exprimer !

Alors que Mme Ernotte est venue vous dire ce qu’elle entendait faire de France Télévisions avec, soit dit en passant, un argent qu’à notre connaissance vous n’avez pas encore trouvé, rappelez-lui donc ces impératifs et la nécessité, pour la France, de générer des champions nationaux de la création et de la production audiovisuelles !

En ce qui concerne le chapitre de l’emploi et de l’activité professionnelle artistique, le fait que vous ayez demandé à notre collègue Jean-Patrick Gille – dont on connaît l’excellent travail sur le dossier de l’intermittence du spectacle – de retirer les amendements qu’il entendait présenter pour attendre les résultats d’une négociation a en quelque sorte vidé l’initiative parlementaire de sa substance en la matière.

Vous savez, madame la ministre, quelqu’un a dit qu’il fallait du courage pour avoir du talent et il ne faudrait pas que nous découragions la naissance de nouveaux talents – ni ceux qui sont déjà connus – afin qu’ils puissent s’épanouir. Veillons à ce que notre système ne rende pas impossible l’apparition de nouveaux artistes !

Je dis cela en ayant bien conscience, comme nos collègues, que le régime de l’intermittence du spectacle n’a pas que des adeptes, nous le savons bien.

Second grand chapitre de votre projet, celui de l’archéologie, du patrimoine et de l’architecture.

Si, par malheur, nous ne votions pas cette motion de rejet préalable, mon collègue François de Mazières prendra la parole…

M. Marcel Rogemont. Il faudrait savoir !

M. Christian Kert. …pour défendre une seconde motion et reviendra dans le détail sur cette partie-là de votre texte.

M. Marcel Rogemont. Qu’est-ce qui justifie donc une motion de rejet préalable ?

M. Christian Kert. Le patrimoine, madame la ministre, est un porteur de sens et de récits sur nous, sur ce que nous avons été, sur ce que nous deviendrons, c’est le chemin des hommes qui conduit jusqu’à nous.

Mais observez les difficultés qui se font jour entre l’intervention de l’État – qui est indispensable –, la mobilisation du mécénat, la coopération internationale : vous êtes bien malgré vous empêtrée dans la vente des deux tableaux de Rembrandt, pourtant, il nous semble que la loi actuelle suffisait.

Avez-vous trop rapidement fait preuve d’optimisme ou avez-vous eu une réaction trop lente ? Quoi qu’il en soit, nous le savons : reste le problème des moyens, la loi ne pouvant pas tout.

En revanche, nous vous incitons à la prudence s’agissant des diverses approches des pratiques archéologiques. Les missions dévolues à l’Institut national de recherches archéologiques préventives ne sont-elles pas trop élargies ?

Le principe d’une présomption de propriété publique sur l’ensemble des biens archéologiques qui seront mis à jour postérieurement à l’entrée en vigueur du projet de loi nous paraît lui aussi trop large.

Face au risque de fraude que ce régime pourrait entraîner, il est nous semble-t-il nécessaire de souligner que la présomption de propriété publique se heurte à la propriété privée, qui est un droit constitutionnellement reconnu.

Le régime actuel avait le mérite de reconnaître la propriété de l’État, du propriétaire et de l’inventeur, et de distinguer les conditions de la découverte permettant ainsi d’atteindre un équilibre. En l’état actuel du projet de loi, il ne paraît pas raisonnable de le remettre en cause.

L’inquiétude semble aussi réelle chez les défenseurs du patrimoine quant à la future « cité historique » et quant à la cohérence des responsabilités entre le PLU et les nouveaux dispositifs de protection.

Madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, assurer la liberté de la création demande un courage, un éveil, un élan.

Du courage, vous en avez, madame la ministre ; un éveil aux choses de ce monde, probablement aussi, mais l’élan vous fait défaut.

Votre texte esquisse ce que pourrait être une politique publique culturelle.

M. Michel Herbillon. C’est le début du commencement d’une esquisse.

M. Christian Kert. Mais où sont le souffle, l’âme, qui inciteraient la création artistique, le mécénat privé, les amateurs éclairés à imaginer ensemble une politique culturelle du XXIsiècle ?

Ensemble et avec beaucoup de sincérité, madame la ministre, nous avons déploré qu’à Palmyre, un homme d’excellence âgé de 82 ans, « Monsieur Palmyre » comme les Bédouins l’appelaient, soit torturé et exécuté au seul prétexte qu’il incarnait la grandeur de ce site dont il a assuré la sécurité de quelques-unes des plus belles pièces qui racontaient ce passé prestigieux.

Cet été – j’étais en revanche un peu seul – j’ai déploré qu’au festival d’Aix-en-Provence, on transforme le chef-d’œuvre de Mozart L’Enlèvement au sérail en une ode à la culture Daech, simulacre de décapitation compris. Liberté de création, sans doute, mais peut-être pas jusqu’à faire entrer les barbares dans la culture européenne.

La culture, en effet, doit répondre aussi à la barbarie puisque celle-ci revient en ce siècle. Peut-être est-elle « la » réponse, madame la ministre ! Peut-être est-elle, et elle seule, la clef de l’intégration, la recette pour l’établissement d’une Méditerranée de la compréhension ! Imaginez-vous que votre texte puisse être à la hauteur de cet enjeu-là ?

Comme, sur les bancs des Républicains, nous pensons qu’il ne l’est pas, je demande à l’Assemblée nationale, au nom de ce groupe, d’adopter cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Michel Herbillon. Très bien !

M. Marcel Rogemont. Mais sur quel motif ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Fleur Pellerin, ministre. Monsieur le député Kert, je ne crois pas avoir entendu quoi que ce soit dans vos propos qui démontrerait de façon argumentée l’inconstitutionnalité de ce texte – alors que cela, normalement, est me semble-t-il l’objet même d’une motion de rejet préalable – à moins que vous ne considériez que la liberté de création ne soit contraire à la Constitution…

M. Marcel Rogemont. Vous avez raison, madame la ministre. Il faut le rappeler.

Mme Fleur Pellerin, ministre. …ou que l’article 2 définissant ce que doit être aujourd’hui une politique culturelle partagée entre l’État et les collectivités territoriales le soit également ?

Au début de nos débats, monsieur Kert, je croyais que nous nous situions dans une perspective un peu constructive. Les travaux de la commission ont duré de nombreuses heures. Vous avez d’ailleurs été très présent et extrêmement constructif, ce qui nous laissait espérer un début de discussion un peu plus ouvert et ambitieux. Je suis donc un peu déçue par cette posture.

M. Michel Herbillon. Nous sommes quant à nous déçus par votre texte, madame la ministre.

Mme Fleur Pellerin, ministre. Je crois que la tribune de la séance publique vous a donné envie de briller mais je ne suis pas sûre que vous nous ayez convaincus.

Je souhaite simplement dire que le débat nous permettra sans doute de retrouver à nouveau un ton constructif et de poursuivre l’enrichissement de ce texte.

M. Marcel Rogemont. Ce sera en effet une bonne occasion.

Mme Fleur Pellerin, ministre. Pour ma part, j’entre dans ce débat avec un esprit toujours aussi constructif, celui-là même qui m’a animée en commission au cours des 18 heures de discussion.

Au fond, je pense que ce qui vous gêne, contrairement à ce que vous dites, ce sont les ambitions contenues dans ce texte pour affirmer la liberté de création et c’est la volonté d’inscrire pour la première fois dans la loi la reconnaissance par la République des pratiques des amateurs – c’est là un aspect très important de la participation des citoyens à la culture.

Vous lui reprochez aussi d’affirmer pour la première fois la valeur que nous donnons à l’éducation artistique et culturelle ainsi que la volonté de réguler un secteur touché par les mutations numériques – le partage de la valeur, en effet, devient extrêmement compliqué, donc, l’établissement des rémunérations des uns et des autres.

Vous lui reprochez enfin de protéger davantage les sites archéologiques et de faire en sorte que la France soit à la hauteur de sa tradition d’accueil des antiquités menacées par la guerre ou la barbarie – vous y avez fait allusion à l’instant.

Je pense que nous aurons l’occasion, au cours du débat, de revenir sur ces questions. Pour ma part, je suis fière de porter à la connaissance des députés l’ensemble de ces mesures qui feront beaucoup, je le crois, pour le quotidien culturel de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Marcel Rogemont. Excellent !

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Bloche, rapporteur.

M. Patrick Bloche, rapporteur. Je n’ai pas grand-chose à ajouter, mais je ne voudrais pas laisser croire, en restant silencieux, que j’ai prêté une oreille insuffisamment attentive à l’intervention de notre collègue Christian Kert.

Lorsque j’ai appris que le groupe Les Républicains allait déposer une motion de rejet préalable, je me suis demandé quels trésors d’imagination son défenseur allait déployer pour la nourrir.

M. Patrice Martin-Lalande. Un simple effort de mémoire vous aurait permis de répondre à cette question !

M. Patrick Bloche, rapporteur. Je n’en veux donc pas à notre excellent collègue Christian Kert d’avoir finalement fait une liste non exhaustive des divergences que nous pouvons avoir en matière de politique culturelle – divergences qui s’exprimeront au travers d’amendements déposés sur ce texte.

Cela dit, je ne voudrais pas que l’on réduise la portée de ce texte. Nous estimons – je crois pouvoir m’exprimer au nom des députés de la majorité – que ce texte porte une véritable ambition et répond aux enjeux de ce que doit être une politique culturelle en ce début de XXIsiècle. Sans doute sera-t-il nécessaire de compléter certains aspects de ce texte dans le projet de loi relatif au numérique, afin de lever les inquiétudes que suscite la puissance des GAFA, qui menace la diversité des expressions culturelles. Mais chaque chose viendra en son temps.

Gardons à l’esprit l’essentiel : il s’agit là d’un grand texte sur la création et le patrimoine, qui traduit pour la première fois dans la loi, notamment dans le domaine de la création, des dispositifs dont certains sont mis en œuvre depuis longtemps. Vous avez évoqué avec raison, madame la ministre, la figure tutélaire de Jean Zay et l’idée fondamentale de la culture pour tous et par tous, défendue par le Front populaire. Vous avez également évoqué les figures incontournables d’André Malraux et de Jack Lang. L’un et l’autre ont été amenés, au moment où ils occupaient les responsabilités ministérielles qui sont aujourd’hui les vôtres, à introduire des dispositifs que nous consacrons dans la loi pour la première fois. C’est toute l’ambition des articles 2 et 3 de ce projet de loi.

Pour terminer, je vous inviterai à ne pas réduire la portée législative de cette liberté de création, qui est au fondement de l’article 1er. Jusqu’ici, la liberté de création n’était bien souvent considérée par le juge que comme un sous-élément de la liberté d’expression. Et l’on a constaté ces derniers temps une dérive de la part des tribunaux, qui ont eu tendance à considérer que les atteintes à la liberté d’expression étaient des atteintes à des idées ou à des opinions. Or personne ne pourra contester le fait qu’une œuvre artistique va au-delà de la seule expression d’une idée ou d’une opinion. Il va de soi qu’une œuvre artistique peut exprimer une idée ou une opinion, mais elle a une autre dimension. C’est pourquoi la notion de liberté de création doit être consacrée dans la loi, au même titre que celles de liberté d’expression ou de communication.

Poursuivons donc nos travaux et abordons les sujets de fond à l’occasion de l’examen des amendements. Ne ratons pas ce rendez-vous essentiel pour la culture dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. Au titre des explications de vote, la parole est à M. Michel Pouzol, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Michel Pouzol. Mon cher collègue, c’est un euphémisme de dire que votre argumentation ne m’a pas convaincu. Sur le fond, je n’ai pas vraiment compris le sens de votre motion. Je ne reviendrai pas sur vos allusions au documentaire que vous ne verrez pas ce soir, car ce niveau d’argumentation est trop éloigné de l’ambition de ce projet de loi, et surtout de vos manières habituelles.

Ce projet de loi a été annoncé dès le début du quinquennat. Je m’étonne donc d’entendre que vous avez été pris par le temps sur un dossier dont les contours et les grandes lignes sont connus depuis deux ans maintenant. Ce texte, qui a été présenté en Conseil des ministres le 8 juillet, a nécessité de nombreuses auditions – 53 très exactement, pour 138 personnes auditionnées – qui ont contribué substantiellement à l’amélioration du texte initial, notamment sur la question des artistes amateurs, que vous avez évoquée. Il est vrai que certaines de ces auditions se sont faites au détriment de quelques jours de vacances supplémentaires, mais vous conviendrez que cela n’a pas entamé notre dynamisme en ce début d’année parlementaire.

Je tiens enfin à rappeler que l’examen du projet de loi n2954 en commission des affaires culturelles et de l’éducation a duré plus de 18 heures. Dix-huit heures pour 46 articles, 18 heures de débats sur l’ensemble des thématiques de ce texte, dont certains nous ont occupés dans la nuit du jeudi 17 au vendredi 18 septembre. J’estime donc que la représentation nationale a pu effectuer sa mission dans de bonnes conditions, en conscience. Je vous rappelle par ailleurs que le Gouvernement n’a pas engagé la procédure accélérée sur ce texte : nous aurons donc tout le loisir de débattre des sujets qui vous semblent avoir été oubliés à l’occasion d’une seconde lecture, si cela n’a pas été fait en première lecture.

Pour vous répondre, cher collègue, c’est parce qu’il fait preuve de courage et d’éveil que le groupe socialiste, républicain et citoyen votera contre cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Marcel Rogemont. Avec élan !

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Mme Marie-George Buffet. Cher collègue, en vous écoutant très attentivement, je n’ai entendu aucun motif valable justifiant une motion de rejet préalable. J’ai entendu, en revanche, quelques arguments auxquels vous ne nous aviez pas habitués, qu’il s’agisse de votre allusion à une émission télévisée ou de celle que vous faites à la théorie du genre, qui réapparaît ici d’une manière pour le moins étonnante.

Nous avons entamé un très grand travail en commission, pendant 18 heures. J’ai moi-même été déçue lorsque le projet de loi nous a été soumis, mais le travail effectué en commission, à partir des amendements de nos collègues, de notre rapporteur et de Mme la ministre, a permis d’améliorer considérablement ce texte. Et nous avons la possibilité de l’enrichir encore substantiellement par notre travail parlementaire.

Ce projet de loi est très attendu, par seulement par les acteurs et les actrices de la culture, mais par tous les citoyens, hommes et femmes de culture, depuis des années. Il est urgent de s’atteler au travail, au lieu d’essayer de renvoyer encore une fois ce texte aux calendes grecques. Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera donc contre cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Herbillon, pour le groupe Les Républicains.

M. Marcel Rogemont. Le ton va changer !

M. Michel Herbillon. Je rends hommage à votre lucidité, mon cher collègue. (Sourires.)

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous invitons évidemment l’Assemblée à voter le rejet préalable de ce projet de loi, pour des raisons extrêmement simples, et qui tiennent en quelques mots. Ce projet de loi n’est pas à la hauteur des enjeux. Il n’est pas à la hauteur de ce que nous étions en droit d’attendre. En résumé, on pourrait dire que, pour une grande ambition, qui aurait pu faire consensus et que nous partageons tous, nous avons un petit texte fourre-tout, un empilement législatif qui sera extrêmement préjudiciable à la cause qu’il entend servir.

Il est vrai que nous avons travaillé en commission, et je rends d’ailleurs hommage à notre rapporteur, mon excellent collègue Patrick Bloche, mais la qualité d’un texte de loi ne se mesure pas au nombre d’heures qu’a nécessité son examen.

M. Yves Durand. C’est vrai…

M. Michel Herbillon. Et je le dis d’autant plus volontiers que j’ai été présent de la première à la dernière minute. Le problème, c’est que les conditions dans lesquelles nous avons travaillé ne sont pas acceptables : notre impression, c’est que ce texte a été casé dans une fenêtre, juste avant la fin de la session extraordinaire. Le rapporteur a été contraint d’organiser les auditions, comme on le disait de la présence de la culture à la télévision, la nuit, l’été. En l’occurrence, ce n’était pas la nuit, mais c’était bien l’été. Ce ne sont pas, madame la ministre, des conditions sereines pour légiférer, pour examiner un texte présenté comme essentiel et comme un marqueur du quinquennat.

C’est la raison pour laquelle je vous invite à voter le rejet préalable de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Motion de renvoi en commission

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe Les Républicains une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à M. François de Mazières.

M. François de Mazières. Madame la présidente, madame la ministre de la culture et de la communication, monsieur le président et rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, mes chers collègues, au moment d’engager la discussion générale sur le projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine, posons-nous la question de la place que nous accordons aujourd’hui à la politique culturelle.

Dans cet hémicycle qui vibre encore des voix d’André Malraux et de Jack Lang, inquiétons-nous de voir la culture passer au second plan de nos préoccupations. Un seul projet de loi pour tout le quinquennat, alors même que votre majorité s’était engagée à nous présenter deux grandes lois, l’une sur la création, l’autre sur le patrimoine ! Un seul projet, soumis à un processus d’auditions entièrement cantonné à la période des vacances parlementaires ! Où est le grand débat démocratique autour de la culture que vous nous aviez promis ?

M. Michel Herbillon. Il est passé à la trappe !

M. François de Mazières. Un débat dont tous les acteurs de la culture soulignent l’impérieuse nécessité, alors que jamais la question de la défense de l’exception culturelle ne s’est posée avec autant d’acuité ; que jamais, depuis les lois de décentralisation, le modèle de financement global de la culture en France n’a été aussi menacé par les coupes sombres des dotations de l’État aux collectivités territoriales.

Madame la ministre, depuis trois ans, Aurélie Filippetti et Jean-Marc Ayrault, puis Manuel Valls et vous-même avez fait naître une grande attente en annonçant à maintes reprises une grande ambition pour la culture. La déception est d’autant plus forte, et ce n’est pas vous faire injure que de reprendre à notre compte l’avis très généralement exprimé par nos différents interlocuteurs : ce projet n’est pas un grand projet de loi. Personne ne s’y retrouve : pour les acteurs du patrimoine, il est avant tout un texte consacré à la création ; pour les acteurs de la création, un texte essentiellement patrimonial.

Mme Valérie Corre. Il s’agit donc d’un texte équilibré !

M. François de Mazières. Qui peut encore croire qu’il fera date ? Tout au plus restera-t-il dans les mémoires comme le Macron de la culture, une macronade !

M. Michel Herbillon. Et Macron, ras le bol, comme dirait Mme Aubry !

M. François de Mazières. Une nouvelle conception du travail législatif, où le Gouvernement, à partir d’une trame disparate, faite de juxtapositions de mesures hétéroclites, certaines de détails, d’autres de plus grande portée, force la main aux parlementaires, leur imposant d’examiner, à un rythme de travail effréné…

Mme Brigitte Bourguignon. Ce n’est quand même pas la mine !

M. François de Mazières. …des mesures où les obsessions et les frustrations de nos administrations pointent le nez sans vergogne.

Ne cherchons donc pas à ce nouvel ovni législatif de notre politique culturelle une ligne directrice claire. Parlons davantage d’un pêle-mêle culturel, d’un texte fourre-tout, évoluant au gré des interventions et groupes de pression. Monsieur le rapporteur et président de notre commission, votre connaissance du domaine culturel et votre courtoisie méritent certes d’être soulignées. Nous tenons également, madame la ministre, à vous remercier pour votre présence constante et votre écoute pendant les 18 heures qu’a duré l’examen de ce texte par notre commission. Nos travaux ont ainsi pu se dérouler, sous la présidence de notre collègue Michel Ménard, dans un esprit relativement constructif, et vous avez accepté nombre de nos suggestions, comme nous avons voté nombre de vos amendements.

M. Michel Pouzol. Alors de quoi vous plaignez-vous ?

M. François de Mazières. Composite, ce projet n’est donc, à nos yeux, ni totalement mauvais et inutile, ni complètement satisfaisant et sans danger.

Les macronades, ces enfants chéris du couple Hollande-Valls, sont ainsi comme la grenouille de La Fontaine : elles enflent, gonflent, rêvent de faire un effet médiatique « bœuf », mais à la fin, hélas, il y a tout lieu de craindre qu’elles ne fassent « pschitt » ! À moins qu’acceptant de faire revenir ce texte en commission, vous ne vous permettiez d’en approfondir les bonnes dispositions et d’en bannir les mauvaises. Un échange pour écouter l’expérience des élus, souvent engagés de longue date aux côtés des artistes et des associations de patrimoine, vous donnerait une vision plus réaliste des attentes de nos concitoyens. La culture n’est ni de gauche ni de droite : elle appartient à ce socle identitaire commun, hérité du passé, à cette énergie créatrice façonnant notre avenir, qui fait la fierté de la France et pour lequel il convient d’unir nos forces.

Je souhaiterais maintenant aborder les trois principales thématiques de votre projet de loi. La création tout d’abord. L’article 1er qui proclame la liberté de création ne peut que recueillir notre soutien : notre pays est fier d’offrir à ses artistes et à ses créateurs un cadre privilégié. Toutefois cet article était-il véritablement utile ? N’est-ce pas, pour reprendre le célèbre titre de la pièce de Shakespeare, « beaucoup de bruit pour rien » ? La liberté de création n’est-elle pas déjà protégée, comme il se doit, dans notre pays ? Nous sommes en présence de ce que le Conseil économique, social et environnemental nomme dans son rapport un « droit mou », un droit à valeur déclarative.

Dans l’exposé des motifs de la loi, vous nous expliquez qu’il s’agit de préserver les artistes contre les tentatives qui se multiplieraient d’atteinte à leur liberté de créateur. Mais le juge est heureusement là depuis longtemps pour préserver leurs droits. Les tags sur l’œuvre d’Anish Kapoor sont odieux et j’ai, comme vous, manifesté ma totale indignation. Mais ne nous trompons pas de combat : Anish Kapoor n’a pas été interdit de créer. Il a été accueilli au château de Versailles par un dîner de 700 couverts, digne des plus grands chefs d’État de la planète. Il a pu faire d’importants terrassements, pendant plusieurs mois, sur la perspective centrale à quelques pas du château, autorisation jamais encore donnée à quiconque. Le budget initial, inscrit dans les comptes du château, se montait à 800 000 euros, alimenté par du mécénat, sans compter les dépenses supplémentaires liées aux suites de ce scandale à rebondissements.

M. Patrice Martin-Lalande. Heureusement !

M. François de Mazières. La vraie menace qui pèse actuellement sur nos artistes, celle contre laquelle nous, élus amoureux de culture, nous battons au quotidien, c’est celle qui vise, dans nos territoires, tous ceux qui ne bénéficient pas de la notoriété internationale, qui ne trouvent plus de résidence d’accueil, et qui pourraient ne plus vivre de leur art, s’ils étaient soumis aux impératifs d’une culture business ou spoliés de leurs revenus d’artistes.

Dès 1964, dans son discours d’inauguration de la Maison de la culture de Bourges, André Malraux proclamait : « Il y a cent ans, il allait à Paris trois mille personnes à un spectacle par jour. Si l’on tient compte de la télévision » – cela vous fera sourire – « il en va aujourd’hui probablement trois millions. Or quelles sont les conséquences ? Les conséquences, c’est que l’humanité tout entière est investie par d’immenses puissances de fiction et ces puissances de fiction sont aussi des puissances d’argent. […] Et nous sommes dans une civilisation qui est en train de devenir vulnérable, au fait très simple que ce qui est le plus puissant sur les rêves des hommes […] c’est le domaine du sexe et le domaine du sang. » Magnifique vision prémonitoire de notre grand ministre écrivain. Plus que jamais l’irruption, dans le domaine de la création, d’Internet et de ses puissants acteurs livre aujourd’hui nos compositeurs, interprètes, artistes, auteurs ou cinéastes à la tyrannie de la rentabilité. La force et l’honneur de notre pays sont d’avoir su imaginer de puissants moyens de régulation dans le domaine culturel : le CNC – Centre national du cinéma et de l’image animée –, les quotas en matière musicale, le prix unique du livre, la copie privée.

« Pour pouvoir créer, encore faut-il au préalable dîner », écrivait Beaumarchais : une phrase qui prend toute sa valeur au moment où est mise en avant, de façon trompeuse, la gratuité de la diffusion des œuvres de l’esprit par des supports numériques. La réforme en cours de la directive européenne du droit d’auteur est lourde de menaces pour l’indépendance et la liberté des créateurs et, partant, pour la diversité culturelle dans son ensemble. Dans votre projet initial, pas une seule fois n’apparaissait la défense de la propriété intellectuelle. Je me réjouis que vous ayez pris la mesure de cet enjeu, en vous montrant favorable à l’adoption d’un amendement de notre groupe à l’article 2 – une longue énumération qui, à vouloir devenir exhaustive, a le défaut d’en perdre de la lisibilité. C’est pourquoi nous vous suggérons de compléter votre article 1er en précisant que « la création artistique est libre dans le respect des dispositions du code de la propriété intellectuelle ». Texte à portée symbolique plus que juridique, il deviendrait alors une déclaration forte d’intention de votre ministère, pour défendre notre culture contre les menaces qui pèsent sur le droit d’auteur, menaces notamment orchestrées par les géants de l’Internet.

Une deuxième inquiétude porte sur la liberté de création : elle touche au rayonnement culturel de la France et de notre langue. Oui, notre langue est devenue mortelle. Un combat urgent est à mener pour la défense des artistes d’expression française et la défense du français dans le monde. Je suis heureux que vous ayez accepté un amendement de l’opposition intégrant à l’article 2 « le soutien de la création d’œuvres d’expression originale française ». Il nous faut également améliorer le fonctionnement de notre outil de diffusion culturelle à l’étranger en réfléchissant notamment à un rapprochement entre l’Institut français et le réseau des Alliances françaises. À l’heure des politiques marquées par la rationalisation budgétaire et du renforcement des synergies, il est temps pour notre pays de se doter d’un outil de promotion culturelle moins dispersé et plus efficace.

Aider les artistes, aider la création, c’est aussi défendre 1’accès à la culture et aux pratiques culturelles. Le texte du Gouvernement ne prévoyait rien sur les enseignements artistiques : vous savez, madame la ministre, mon total engagement sur cette question et sur la question de la défense du financement des conservatoires. Votre Gouvernement, à juste titre, défend le principe de la démocratisation culturelle et en a fait une priorité. Il était dès lors paradoxal que soit supprimée, dans la loi de finances 2015, pour la première fois, la ligne budgétaire par laquelle l’État contribue au financement des conservatoires. À la suite de notre mobilisation et de celle des professionnels du secteur, vous avez, et je salue votre décision, admis qu’il s’agissait d’une erreur. À notre instigation, au cours de l’examen en commission, vous avez réaffirmé le rôle de l’État dans le cofinancement de ces structures, sans toutefois en préciser le montant : je vous demanderai, ici, de bien vouloir le faire.

Je tiens également à insister sur une autre évidence : il aurait été beaucoup plus efficace de réaffirmer le principe énoncé dans la loi de décentralisation de 2004, qui indique une claire répartition des responsabilités, en transférant le financement du troisième cycle des conservatoires aux régions : c’est la pratique en matière de formation professionnelle. Ne pas vouloir clarifier ce sujet fait prendre un risque évident : l’enseignement des arts étant un lourd investissement pour les collectivités, celles-ci préfèrent parfois, comme l’État, financer des actions de type événementiel, plus valorisantes au plan médiatique.

Les articles 5, 6 et 7, sont consacrés à la filière musicale. Vous suggérez la création d’un médiateur de la musique. Là encore, nous craignons que cette nouveauté ne soit motivée plutôt par la volonté de montrer que vous agissez, que pour répondre à une réelle demande du secteur. De plus, en l’état actuel de sa rédaction, le projet de loi pourvoit ce médiateur d’une très large compétence puisqu’il pourra être saisi par la quasi-totalité des acteurs du secteur. Il s’agit donc de l’installation d’une véritable autorité administrative indépendante aux très larges pouvoirs d’investigation et de recommandations, ce qui pose immédiatement la question des moyens qui lui seront alloués. C’est pourquoi nous préférons à ce système la création d’un observatoire, du reste réclamée par les professionnels. Votre ministère doit également mener une politique d’incitation à la poursuite de démarches de type « accord professionnel ».

On peut également regretter qu’un sujet aussi essentiel que les pratiques amateurs ait été intégré, comme par surprise, au détour d’un article déposé en commission au cours des débats. Si le rôle des pratiques amateurs est fondamental dans notre pays, rien ne justifiait une telle précipitation à légiférer sur un domaine aussi important et sensible. À ouvrir la boîte de Pandore, vous risquez fort de déstabiliser un équilibre fragile entre professionnels et amateurs.

Le deuxième grand sujet, qui aurait dû faire l’objet d’une loi à part entière, est le patrimoine. En accumulant mesurettes et changements radicaux, ce texte ne porte pas la marque d’une vision globale. Or, ce qu’attendaient les associations et les amis du patrimoine, c’est une déclaration d’amour, c’est-à-dire l’affirmation forte que le patrimoine n’est pas seulement une dépense, mais également un secteur économique à part entière, participant, via notamment le développement touristique, de la promotion de l’ensemble du territoire français. De plus, le très long article 24 consacré à la « cité historique » inquiète les acteurs du secteur, qui se demandent quelle est la raison d’être de cette réforme. On leur a dit qu’elle était devenue indispensable en raison de l’obligation de transformation des ZPPAUP en AVAP d’ici au 14 juillet 2016. Cet argument est dérisoire : il était autrement plus facile, comme je vous l’ai proposé en commission et comme je vous le proposerai de nouveau en séance publique, de maintenir ce dispositif qui a fait toutes ses preuves.

Quel but poursuivez-vous à travers cette réforme ? Aujourd’hui, existent trois secteurs de protection : les secteurs sauvegardés, régis par la loi de 1962, les zones de protection du patrimoine architectural urbain et paysager, créées en 1979, et les aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine, créées en 2010. Les secteurs sauvegardés, au nombre d’une centaine, constituent la protection maximale. Vous prétendez qu’ils ne fonctionnent pas bien : la preuve en serait qu’ils sont au nombre de 100 alors qu’André Malraux, leur auteur, en avait prévu 400. C’est l’argument que vous nous avez donné vous-même en commission. Or votre réponse ignore la réalité du terrain. Si les secteurs sauvegardés sont restés au nombre d’une centaine, c’est parce qu’ils ont été complétés par les ZPPAUP, qui sont au nombre de 600 et qui répondent parfaitement à la préservation d’éléments architecturaux remarquables sans toutefois exiger le niveau de protection très sophistiqué des secteurs sauvegardés. La pratique a donc amélioré le dispositif prévu par la loi initiale de 1962. Vos services en sont parfaitement conscients, puisqu’ils proposent le maintien du régime du secteur sauvegardé sous le chapeau désormais unique de « cité historique ».

La faille de votre projet provient de la suppression des ZPPAUP et des AVAP. Vous fixez en effet un délai de dix ans pour leur disparition. Certes, vous nous assurez que la protection inhérente à ces secteurs sera entièrement préservée grâce à leur intégration dans les PLU. Pendant toute la préparation de la loi, vous nous avez ainsi habitués à l’expression de « PLU patrimonial » jusqu’à ce coup de théâtre de notre rapporteur soulignant en commission que ce nouveau vocable n’était pas compatible avec le code de l’urbanisme et qu’en conséquence votre projet de loi n’y ferait pas explicitement référence. Avouez qu’il est difficile de faire réforme plus confuse et incertaine. Le monde du patrimoine est donc inquiet, car il sent une grande fébrilité dans vos services, qui peinent eux-mêmes à interpréter votre volonté.

Prétendre que les ZPPAUP, qui sont des documents aujourd’hui indépendants des PLU, puissent être fondus dans les PLU relève soit d’une méconnaissance du droit de l’urbanisme, soit d’un pur mensonge. Les actuels ZPPAUP et AVAP permettent d’inclure des servitudes de valorisation bien supérieures à celles qu’autorisent le code de l’urbanisme et la jurisprudence qui s’en dégage. Prenons un seul exemple : le code de l’urbanisme interdit d’avoir des prescriptions en matière de matériaux, alors que ces prescriptions sont une disposition essentielle des ZPPAUP. Dire que les protections sont de même nature dans la « cité historique » est donc faux et votre projet de loi va créer la plus grande confusion et instabilité juridique. Les maires, soucieux de maintenir les actuelles protections du patrimoine, incluront des servitudes dans leur PLU qui dépasseront le cadre normal du code de l’urbanisme et qui, ce faisant, risqueront de faire l’objet de recours puis d’être annulées.

Si ce projet de loi est adopté en l’état, nous serions donc certains d’assister durant plusieurs années à une fragilisation très importante des protections actuelles du patrimoine. Ce risque est d’autant plus fort que la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové – ALUR – a prévu le transfert de la compétence de l’urbanisme aux intercommunalités. Or les maires ont une connaissance fine de leur territoire. Ils adhèrent très généralement à la défense de leur patrimoine, qu’il soit exceptionnel ou même simplement anecdotique. Quand la compétence est transférée à un niveau intercommunal, ce qui devient désormais la règle, la connaissance du patrimoine de proximité s’éloigne et l’attachement affectif du maire vis-à-vis d’une histoire locale peut se trouver battu en brèche par une logique de développement économique ou de construction, voire, ne négligeons pas ce facteur, par des enjeux partisans.

Pourquoi également vouloir transférer aux maires la responsabilité de la protection patrimoniale à travers les PLU, tout en essayant par un artifice complexe de préserver la capacité de l’État à dire non ?

En réalité, c’est un mauvais cadeau fait aux élus : les quelques maires parlementaires ayant participé aux débats en commission ont tous dit, quel que soit leur bord politique, qu’il était important que la loi les protège contre les multiples pressions qui peuvent s’exercer sur eux.

Face à ces craintes, vous proposez de soumettre le règlement du PLU des cités historiques à l’approbation de la commission régionale du patrimoine et de l’architecture. Pourtant, nos expériences d’élus montrent que ce n’est pas le bon véhicule. Une ville comme Versailles…

Mme Valérie Corre. Au hasard ! (Sourires.)

M. François de Mazières. …qui a un secteur sauvegardé important, a l’habitude d’ajuster celui-ci par des modifications régulières concertées avec l’architecte des bâtiments de France. Soumettre ces modifications à l’avis de la commission freinerait de tels ajustements. On arrive donc à un paradoxe : non seulement la loi fragilise le régime de protection actuel, mais elle crée, en plus, des complexités.

Il a sans doute manqué un travail interministériel, entre le ministère de la culture et celui du logement, pour que cette loi soit véritablement efficace au profit de tous. Le nom même de « cité historique » suscite, au sein même de votre majorité, les plus grandes réticences car il n’englobe pas les sites naturels ; on sait pourtant combien la préservation des environnements est devenue aujourd’hui une préoccupation majeure.

Pour toutes ces raisons, il semble indispensable à notre groupe que vous reveniez, madame la ministre, à plus de pragmatisme. La notion de cité historique suscite plus de questions qu’elle n’en résout. On ne réforme pas par oukase une législation longuement élaborée, et la frénésie à vouloir toujours réformer, comme s’il fallait absolument que chaque ministre donne son nom à une loi, porte atteinte à ce qui est au cœur même de la protection du patrimoine : le sens de la durée.

Pour terminer sur cette question du patrimoine, demandons-nous un instant ce qui pourrait être fait de façon plus utile et pertinente.

En premier lieu, nous aurions souhaité une loi de programmation. Tout ce grand barouf autour de la notion de cité historique sert à cacher une réalité : la baisse très significative des crédits du patrimoine entre 2013 et 2014…

Mme Virginie Duby-Muller et Mme Annie Genevard. Eh oui !

M. Patrick Bloche, rapporteur. Parlons aussi des années 2000 !

M. François de Mazières. …baisse qui ne sera pas compensée en 2016, malgré les annonces réitérées du Premier ministre et de vous-même d’un budget de la culture sanctuarisé. L’amputation de 110 millions d’euros sur la mission « Patrimoines » pour les années 2013 et 2014 est, hélas, durable.

Si l’on examine de plus près ce qui est annoncé pour 2016, les musées devront à nouveau se serrer la ceinture, puisque l’annonce prématurée de l’ouverture sept jours sur sept de nos trois grandes institutions que sont le Louvre, le musée d’Orsay et le château de Versailles ne fera l’objet d’aucune compensation budgétaire.

Je vous ai proposé d’étudier un moyen complémentaire de financement par un tirage exceptionnel du Loto. Certes, cette suggestion n’est pas nouvelle, et depuis de longues années, nous sommes nombreux à noter qu’à la différence d’autres pays européens, les jeux de hasard ne participent pas au financement du patrimoine. En Angleterre, en Allemagne, en Italie, en Espagne, ces jeux sont tous, à des hauteurs différentes, un moyen de soutenir la préservation du patrimoine. Pourquoi la France reste-t-elle à l’écart de ce modèle de financement ?

On peut comprendre que ce tirage soit limité : c’est pourquoi je vous ai proposé, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2015, de faire réaliser un rapport sur le bénéfice que l’on pourrait tirer d’un tirage spécial du Loto organisé à l’occasion des journées européennes du patrimoine. L’amendement ayant été adopté, avec le soutien de notre rapporteur, un rapport devait nous être remis pour le 1er mars. Nous l’attendons encore !

Mais je ne désespère jamais d’une juste cause. Au cours de l’examen du présent texte en commission, ayant su que vous souhaitiez trouver de nouveaux crédits à allouer à la Fondation du patrimoine, j’ai donc déposé un amendement proposant que le bénéfice d’un tirage spécial du Loto soit alloué à cette Fondation du patrimoine. Vous m’avez répondu qu’au lieu d’un financement par le Loto, vous cherchiez d’autres moyens pour abonder les crédits de cette fondation. Fort bien ! Mais, madame la ministre, compte tenu du maintien en 2016 des crédits du programme « Patrimoines » au même niveau qu’en 2015, je m’interroge : où allez-vous trouver de nouvelles pistes pour abonder ce programme ?

Concernant l’archéologie, nous convenons tous de l’importance de la connaissance de nos origines, qui est un élément déterminant pour notre culture. Nous saluons la qualité du travail de notre collègue Martine Faure, qui a incontestablement permis de nourrir ce projet de loi et d’apporter d’utiles clarifications.

Mme Valérie Corre et M. Yves Durand. Bravo !

M. François de Mazières. Pour autant, nous voudrions apporter un bémol à cette partie du projet de loi globalement positive, concernant la priorité systématique accordée aux demandes de l’INRAP. Certes, cet organisme d’État est essentiel et mérite toute notre attention, mais il ne faut pas oublier que l’ouverture à la concurrence a été, même pour cet établissement, un aiguillon très utile. Nous sommes ainsi très réservés quant à l’idée d’étendre son monopole aux fouilles sous-marines et à plusieurs dispositions qui limiteront la participation des services des collectivités territoriales ou des opérateurs privés à des appels d’offres.

De même, la transmission de toutes les offres aux services régionaux ne paraît pas judicieuse au regard de la capacité des services de l’État à traiter celles-ci. Durant les débats en commission, j’ai souligné que l’engorgement actuel des services régionaux d’architecture était patent. Vous m’avez répondu, madame la ministre, que vous étiez consciente de cette difficulté et que vous veilleriez à assurer les financements adéquats pour ces services. J’ose espérer que cette nouvelle promesse – une de plus ! – n’est pas une promesse de Gascon.

Le troisième domaine qui aurait pu faire l’objet d’un texte spécifique est celui de l’architecture. Avec mes collègues de l’opposition, nous approuvons les mesures prises en faveur de ce secteur qui subit particulièrement la crise économique. L’architecture constitue une dimension essentielle de l’action culturelle ; elle est l’art démocratique par excellence, puisqu’elle se donne à voir à tous, gratuitement. Stendhal écrivait : « La beauté n’est que la promesse de bonheur. » Quel beau programme politique !

M. Michel Piron. Quand la politique se mêle du bonheur, cela me fait peur ! C’est dangereux !

M. François de Mazières. Nous serons à vos côtés s’il s’agit d’embellir notre quotidien. Il y a tant à faire, hélas ! L’obligation de recourir à un architecte à partir d’une surface de 150 mètres carrés, la possibilité de l’expérimentation et le recours à un architecte pour les lotissements vont dans le bon sens, et nous soutenons ces mesures.

Toutefois, il nous paraît nécessaire d’étendre votre réflexion à la question plus large de l’urbanisme et du paysage. Les dérogations prévues dans le cadre d’expérimentations ne doivent pas aboutir à une juxtaposition de gestes architecturaux disparates. C’est quand il existe une trame commune forte qui n’exclut pas l’originalité que les projets urbains sont les plus réussis. Jacques Lacan décrivait ainsi le travail de l’architecte : « La problématique de fragmentation aboutit à la conception d’un ensemble dans lequel ce sont moins les parties individuelles qui priment que leur organisation complexe, la dialectique de leurs rapports. »

M. Michel Piron. Aristote l’avait déjà dit !

M. François de Mazières. C’est cette pensée forte que nous devrions traduire dans ce projet de loi.

L’autre élément que nous souhaiterions voir développer dans ce projet de loi est la prise en compte de la dimension environnementale et paysagère. Au moment de la COP 21, il serait bon que ce nouveau volet législatif relatif à l’architecture consolide le métier de paysagiste, une profession à laquelle on accède après une formation d’exception, dont la France peut s’enorgueillir.

Pour conclure, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous souhaitons contribuer à l’amélioration de ce texte. Certes, il n’est pas le meilleur vecteur d’un nouveau dynamisme culturel, car il aurait fallu maintenir le projet initial du Gouvernement, à savoir le dépôt de deux projets de loi distincts complétés par un projet de loi sur l’architecture, mais l’urgence de redonner du lustre à la question culturelle apparaît aujourd’hui trop évidente pour que l’on campe sur des positions idéologiques et sur des regrets.

Tout montre en effet une diminution de la place de la culture dans la vie publique nationale. La culture ne peut se réduire à des tweets ou à de grandes déclarations d’intention. La culture mérite que l’on y consacre du temps, que les débats de fond soient relayés par la presse et que l’on ne s’arrête plus à l’étude de scandales savamment organisés, à l’écume de déclarations provocatrices. Ce qui compte aujourd’hui, c’est une nouvelle répartition des compétences entre l’État et les collectivités. C’est un combat pour la diversité culturelle, aux niveaux européen et mondial. Sur ce sujet, madame la ministre, vous êtes motivée : continuez dans ce sens !

M. Marcel Rogemont. C’est bien de la reconnaître !

M. François de Mazières. C’est une clarification des intentions du Gouvernement quant à la protection de la propriété intellectuelle, au moment où est lancée une consultation publique sur le projet de loi pour une République numérique. C’est, au fond, de bannir tout cynisme qui consisterait à vouloir faire plaisir à tous en ne réaffirmant pas les principes fondamentaux qui ont fait l’honneur et la réputation mondiale de la politique culturelle française.

La tâche est lourde et nous sommes prêts à y contribuer, même si les conditions que vous avez créées sont épouvantables. Je me souviendrai longtemps, madame la ministre, du peu de cas que vous avez fait de mes collègues s’agissant de votre présence lors des auditions. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Marcel Rogemont. La ministre a toujours été présente !

Mme Brigitte Bourguignon. Soyez honnête, au moins !

M. François de Mazières. Nous avons fait nos efforts, j’aimerais aujourd’hui que vous fassiez les vôtres.

Madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, je vous présente au nom de mon groupe une motion de renvoi en commission afin que ce texte soit examiné dans des conditions plus normales…

M. Marcel Rogemont. Mais non !

M. François de Mazières. …afin que nous prenions le temps d’étudier l’impact réel de chacune de ses mesures, dont nous avons aujourd’hui grand mal à mesurer les conséquences durables.

M. Marcel Rogemont. C’est l’art de ne rien faire !

M. François de Mazières. Nous connaissons tous la célèbre sentence de Boileau sur la création artistique : « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage. » S’agissant de défendre la liberté de création, contentons-nous, madame la ministre, de la remettre seulement deux fois sur le métier. Elle n’en sera que meilleure. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Marcel Rogemont. Il y aura une deuxième lecture !

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Fleur Pellerin, ministre. Je vous remercie, monsieur de Mazières, d’avoir souligné la qualité du travail réalisé en commission. Vous l’avez à tel point appréciée que vous avez regretté que je n’aie pas été présente lors des auditions organisées par le rapporteur. (Exclamations et rires sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Mais je crois qu’il y aurait eu là une atteinte au travail parlementaire…

M. Yves Durand. À la séparation des pouvoirs !

Mme Fleur Pellerin, ministre. …à la séparation nécessaire du travail entre le Parlement et le Gouvernement.

Mme Marie-Odile Bouillé. Tout à fait !

Mme Fleur Pellerin, ministre. Monsieur le député, votre intervention ne comportait que des objections. J’ai noté néanmoins que vous étiez dans une disposition d’esprit extrêmement constructive, que vous vouliez contribuer à enrichir le texte.

M. François de Mazières. C’est la vérité !

Mme Fleur Pellerin, ministre. Vous avez remis en cause la nécessité d’affirmer solennellement la liberté de création. J’ai partiellement répondu à cette objection lors de mon discours introductif. Je vous remercie d’avoir soutenu Anish Kapoor au moment où son œuvre a été vandalisée, mais vous devriez peut-être aussi interroger Abou Lagraa, Zoulikha Bouabdellah, Brett Bailey, Alain Mila, Catherine Corsini, encore censurée récemment, Xavier Croci, le directeur du Forum du Blanc-Mesnil dont l’exécutif municipal a supprimé les subventions au motif que sa programmation ne serait pas assez populaire, le metteur en scène Olivier Letellier, le photographe Andres Serrano, Romeo Castellucci, ou encore Rodrigo García et Jean-Michel Ribes, actuellement poursuivis par Civitas. Tous ces réalisateurs, auteurs et artistes pourraient vous dire que les menaces contre la liberté de création ne sont pas théoriques. Elles sont réelles, grandissantes.

M. François de Mazières. Mais nous avons les outils juridiques pour y faire face !

Mme Fleur Pellerin, ministre. C’est pourquoi la liberté de création doit nécessairement faire aujourd’hui l’objet d’une protection politique et juridique renforcée. Telle est ma conviction – vous pouvez ne pas la partager, mais je crois que cette menace est bien réelle, et nous l’avons à l’esprit.

Nous aurons l’occasion de revenir sur vos autres arguments au cours de nos débats, mais je veux réagir dès à présent à l’une de vos remarques concernant le patrimoine. Comme vous avez eu l’honnêteté de le rappeler, ce projet de loi va sauver, concrètement, plus de 600 ZPPAUP qui étaient appelées à disparaître. Je ne veux pas polémiquer sans fin, car les débats en commission ont été très constructifs, mais il ne faut pas passer sous silence le fait que la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite « loi Grenelle »…

M. Marcel Rogemont. À l’époque, M. de Mazières n’était pas encore député !

Mme Fleur Pellerin, ministre. …a considérablement fragilisé la politique des espaces protégés. Pardonnez-moi de le dire : cette loi n’était pas favorable au patrimoine…

M. Marcel Rogemont. Eh non !

Mme Fleur Pellerin, ministre. …puisqu’elle ne donnait que cinq ans aux ZPPAUP pour se transformer en AVAP, alors que le présent projet de loi laisse dix ans aux ZPPAUP et aux AVAP pour se transformer en cités historiques.

Enfin, vous avez rappelé la nécessité de rendre notre réglementation lisible et intelligible pour nos concitoyens. Aujourd’hui, vous devez leur expliquer qu’il existe trois types de règlements : les secteurs sauvegardés sont régis par un PSMV, tandis que les ZPPAUP ont leur propre règlement, de même que les AVAP dont les ZPPAUP ont dû prendre la forme dans le délai de cinq ans fixé par la loi de 2010. Honnêtement, qui y comprend quoi que ce soit ?

M. François de Mazières. Tous les professionnels, madame la ministre !

Mme Fleur Pellerin, ministre. Personne n’y comprend rien.

M. François de Mazières. Vous devriez pourtant le comprendre ! Je peux vous l’expliquer moi-même !

Mme Annie Genevard. Si vous ne comprenez pas, c’est parce que vous n’êtes pas une élue locale !

Mme Fleur Pellerin, ministre. Nos concitoyens n’y comprennent rien. Demain, nous aurons des cités historiques qui pourront opter soit pour le PSMV des secteurs sauvegardés, soit pour des dispositions d’urbanisme prenant la forme de PLU patrimoniaux. C’est beaucoup plus simple ! Nous souhaitons que nos concitoyens puissent avoir accès à une réglementation compréhensible par chacun d’entre eux, tout en gardant un niveau élevé de protection par l’État.

M. François de Mazières. Répondez aux questions que j’ai soulevées, madame la ministre !

Mme Fleur Pellerin, ministre. Nous aurons l’occasion d’y revenir, mais il ne faut pas essayer d’enfumer les gens en présentant les choses de manière partielle.

M. François de Mazières. C’est vous qui nous enfumez !

Mme Fleur Pellerin, ministre. Aussi, monsieur le député, je retiens surtout votre proposition constructive d’avancer au cours du débat et de continuer à enrichir le texte.

S’agissant par exemple des pratiques amateurs, je souhaite vous préciser qu’il y a eu plus de six mois de concertation entre les organisations professionnelles, les associations qui représentent les pratiques amateurs. Dès lors, ne dites pas que cela a été fait dans l’urgence et au dernier moment !

M. François de Mazières. L’amendement est arrivé en commission !

Mme Fleur Pellerin, ministre. La vérité, c’est que jusqu’à présent, aucun ministre de la culture, aucune loi n’avaient parlé des pratiques amateurs…

M. Marcel Rogemont. C’est vrai.

Mme Fleur Pellerin, ministre. …en raison d’une réticence très forte à reconnaître cette forme de participation qui engage 12 millions de Français.

M. Marcel Rogemont. En effet !

Mme Fleur Pellerin, ministre. Aujourd’hui, nous reconnaissons les pratiques de 12 millions de Français et, je l’espère, après-demain, encore davantage. Faire de la musique, du théâtre, de la photographie est une très belle façon de s’approprier la culture et d’en être un acteur.

M. François de Mazières. Bien évidemment. Mais il ne faut pas menacer les artistes.

Mme Fleur Pellerin, ministre. Je souhaite que nous reconnaissions ces pratiques car c’est important. L’urgence, je l’assume car ces pratiques étaient ignorées ou méprisées depuis trop longtemps. Les concertations ont pris beaucoup de temps. Le rapporteur a procédé à un certain nombre d’auditions au mois de juillet, certes, au moment de la pause estivale au mois de juillet et en septembre…

M. François de Mazières. C’était un peu unique en son genre.

M. Marcel Rogemont. On ne se repose jamais.

Mme Fleur Pellerin, ministre. En tout état de cause, ces auditions étaient nombreuses. Nous avons passé de nombreuses heures à délibérer en commission. Je crois que nous pouvons désormais entrer dans le vif du sujet. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Michel Herbillon. Ce n’est pas le nombre d’heures passées qui fait la qualité d’un texte.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Patrick Bloche, rapporteur. Permettez-moi de rappeler précisément les chiffres puisque vous les évoquiez, madame la ministre : le projet de loi a fait l’objet de 18 heures d’examen en commission et plus de 150 amendements y ont été adoptés. Entre la fin du mois de juillet et le mois de septembre, il a été procédé à 53 auditions, soit 136 personnes entendues – toutes ces précisions figurent en annexe de mon rapport –, et le texte a donné lieu à 22 contributions écrites. J’ai même trouvé le temps vendredi dernier d’auditionner le Syndicat national de l’édition et, aujourd’hui, les radios privées…

M. Patrice Martin-Lalande. J’espère qu’ils vous ont convaincu.

M. Patrick Bloche, rapporteur. …afin que personne ne puisse dire qu’il n’a pas été écouté.

Comme pour la motion de rejet, il est pour le moins paradoxal que cette motion de renvoi en commission soit défendue par un député qui a été très présent en commission et lors des auditions. Vous avez du reste, cher collègue François de Mazières, tiré bénéfice de cette présence puisque certains amendements dont vous étiez l’auteur ont été adoptés. Preuve que le travail en commission n’a pas été fictif.

M. François de Mazières. J’ai préféré, en effet, améliorer un mauvais texte !

M. Patrick Bloche, rapporteur. Plutôt que de revenir en commission et de perdre du temps alors que ce texte est attendu depuis si longtemps, je vous suggère que nous engagions la discussion des articles, ce qui vous permettra de défendre vos positions parfaitement légitimes, de faire naître des controverses utiles au débat démocratique. Nous serons conduits à nous exprimer sur vos amendements : c’est là toute l’utilité du débat parlementaire.

M. François de Mazières. Heureusement, que nous sommes là !

M. Patrick Bloche, rapporteur. Je ne souhaite donc pas que nous retournions en commission, mais que nous poursuivions l’examen indispensable de ce texte.

Permettez-moi une dernière observation relative à l’insuffisance des crédits concernant le patrimoine et les monuments historiques dont vous tenez cette majorité pour responsable. Pour la bonne information de notre assemblée, je me dois de rappeler qu’il y a un peu moins d’une dizaine d’années, alors qu’était au pouvoir une autre majorité – en l’occurrence, la vôtre – les crédits destinés au patrimoine et aux monuments historiques avaient tellement plongé que le Premier ministre de l’époque, Dominique de Villepin, avait dû – tenez-vous bien – mettre en œuvre un plan de sauvetage mobilisant, si j’ai bonne mémoire, 150 millions d’euros sur deux exercices budgétaires.

Mme Annie Genevard. Vous n’aviez pas voté ces crédits !

M. Patrick Bloche, rapporteur. Je vous invite à ne pas avoir la mémoire trop courte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. Au titre des explications de vote, la parole est à M. Yves Durand, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Yves Durand. Notre collègue de Mazières a fait preuve de beaucoup de fougue et l’on ne peut que respecter la force de ses convictions. Cela étant, son intervention n’avait rien d’une motion de renvoi en commission, mais tenait davantage d’une intervention qui aurait eu sa place dans le cadre d’une discussion générale. Il a en quelque sorte un peu anticipé nos débats ! (Sourires.)

Certes, il a disposé de davantage de temps pour défendre sa motion que s’il avait été inscrit dans la discussion générale. Peut-être est-ce là la raison de cette motion. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Marcel Rogemont. Mais non ! (Sourires.)

M. Yves Durand. Mais je n’ose le croire !

M. Michel Herbillon. Vous ne l’avez peut-être jamais fait !

M. Yves Durand. Bref, tout ça pour ça ? Toutes les questions qu’il a posées, tous les problèmes qu’il a soulevés ont été largement abordés en commission, notamment par lui, et doivent faire partie du débat parlementaire qui nous attend.

À lui et à ses collègues de l’UMP…

Mme Annie Genevard. Des Républicains.

M. Yves Durand. …je dis qu’il faut d’urgence engager la discussion générale et ne pas perdre une seule seconde. Voilà pourquoi le groupe socialiste votera contre le renvoi en commission du texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Mme Marie-George Buffet. M. de Mazières a fait une intervention qui nous convainc de voter contre sa demande de renvoi en commission du texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Il est entré dans le vif du sujet avec passion et son intervention relevait davantage de la discussion générale, ce qui nous a donné l’envie de débattre au plus vite avec lui.

En outre, en ayant défendu nombre de ses amendements, il est déjà passé à la phase de l’examen des articles ! Ne perdons donc pas de temps et votons contre la motion de renvoi. Allons-y…

M. Yves Durand. Gaiement !

Mme Marie-George Buffet. Essayons d’améliorer encore cette loi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Genevard, pour le groupe Les Républicains.

Mme Annie Genevard. À mes collègues de la majorité, je dirai qu’ils n’ont pas bien écouté l’excellente motion de renvoi en commission défendue par notre collègue François de Mazières ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Pour ma part, j’ai pris quelques notes, vous auriez dû, chers collègues, faire de même. De quoi a parlé notre orateur ? Il a parlé d’approfondir le texte, de mieux écouter les élus dont je rappelle tout de même que ce sont eux qui organisent les politiques culturelles sur les territoires. Il a préconisé de consulter les acteurs de terrain, de passer d’un texte déclaratif à une politique effective, d’un texte qui n’est ni tout à fait mauvais, ni tout à fait satisfaisant à un texte enthousiasmant et qui redonne à la France les lettres de noblesse que lui ont valu les politiques culturelles que tant de pays nous enviaient.

Enfin pour aller un peu dans le détail, il y a tout de même deux sujets majeurs sur lesquels il faudra revenir. Le premier concerne la question du médiateur de la musique. Si le texte avait été aussi approfondi que vous le prétendez, le médiateur serait accepté par tous. Or personne n’en veut, preuve qu’il reste des problèmes à régler. À l’évidence, ce sujet est à retravailler.

Quant aux dispositions relatives à la protection du patrimoine, la pertinence de cette réforme n’est pas avérée. Vous le savez, beaucoup s’en inquiètent. Par ailleurs, des confusions demeurent en la matière qui sont sources d’insécurité juridique, François de Mazières l’a parfaitement démontré.

Il a conclu son propos en rappelant que nous espérions, que nous attendions une loi de programmation. Voilà à quoi pourrait aboutir un renvoi du texte en commission.

Enfin, il demeure un grand absent dans cette loi : le financement de la culture. Même si ces questions relèvent du projet de loi de finances, on ne voit pas néanmoins comment un grand nombre de déclarations qui ont été faites pourraient être financées. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Marie-George Buffet.

Mme Marie-George Buffet. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers et chères collègues, la représentation nationale est saisie d’un projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine. C’est un moment important, un moment attendu. Certains diront qu’il y a d’autres priorités. C’est vrai : il y a bien des urgences démocratiques, des urgences sociales, humanitaires dans notre pays et de par le monde, mais, pour y répondre, il importe que les libertés soient garanties.

Oui, face aux conservatismes, aux totalitarismes, aux reculs de la pensée, il est urgent d’inscrire dans la loi de notre République la liberté de création et de donner à cette liberté les moyens de résister à toute tentative de la cadrer ou de la museler.

La culture a ce pouvoir fantastique d’être en partage. Sans la liberté de création, il n’y a pas d’émancipation ni d’empreinte de l’humanité. Et c’est ce levier qui est aujourd’hui, comme dans tous les moments noirs de l’histoire, la cible de ceux qui veulent assassiner la liberté pour asseoir leur domination.

Palmyre en est un symbole, Daech l’a détruite comme il tue, avec barbarie. Rappelons-nous, en 2001, l’Afghanistan, la destruction des bouddhas de Bâmiyân, et l’enfermement des femmes afghanes. N’oublions pas non plus les autodafés de l’époque de l’Inquisition.

Oui, liberté de création et liberté tout court sont inséparables. On peut évoquer l’interdiction faite à Molière de jouer Tartuffe ou plus récemment, la velléité de quelques élus de dicter aux populations ce qui est bien pour elles en matière culturelle, en décidant de la déprogrammation d’un artiste ou des achats de livres dans les bibliothèques ou encore, il y a peu, les dégradations d’une œuvre d’art dans le parc du château de Versailles.

La République ne peut souffrir de censure d’où qu’elle vienne. Pour être pleinement égale et fraternelle, elle a besoin de liberté. La création artistique est et doit rester une dimension essentielle « de l’émancipation individuelle et de la citoyenneté » comme l’affirme à juste titre l’exposé des motifs du projet de loi qui nous est soumis. Notre commission a eu raison de maintenir, sans ajout ni condition, l’article 1er, affirmant la liberté de création.

Une liberté de création allant de pair sans se confondre avec la liberté d’expression, creuset de notre République. Une liberté d’expression qui a besoin des citoyens, des citoyennes, des auteurs, des éducateurs et des journalistes. Madame la ministre, l’examen de cette loi est une nouvelle fois pour moi, l’occasion de vous redire l’urgence d’inscrire à l’ordre du jour de notre assemblée la loi sur la protection des sources des journalistes, adoptée par notre commission.

Mme Isabelle Attard. Très bien.

Mme Marie-George Buffet. Ce projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine arrive devant la représentation nationale après avoir emprunté un long et difficile chemin. Le Président de la République, alors candidat, avait pris des engagements qui ont mobilisé de nombreux acteurs et actrices de la culture. Ainsi, dans ses propositions 44 et 45, il s’engageait à mettre en place « un plan national d’éducation artistique », à « voter une loi d’orientation sur le spectacle vivant » ou encore à faire adopter « une grande loi signant l’acte 2 de l’exception culturelle française ».

Depuis, à de nombreuses reprises, nous avons entendu parler de projets ministériels concernant des lois à venir sur le livre, le spectacle vivant… Malheureusement, en ce domaine aussi, il y a eu des déceptions.

D’abord, en matière budgétaire avec plusieurs années de recul pour le budget de la culture et des baisses de dotation pour l’audiovisuel public. J’espère que l’exercice 2016 constituera un tournant significatif. Ensuite, en matière de choix politiques. Notre assemblée s’est réunie en juin 2013 autour d’une résolution visant à défendre l’exception culturelle en Europe à la veille des négociations sur le traité transatlantique.

À cet égard, nous attendons, au plan européen, des actes forts du Gouvernement pour faire vivre cette exception culturelle en faisant sortir toutes les activités qui en relèvent du diktat de la concurrence libre et non faussée.

Nous y reviendrons, je l’espère, dans le débat à propos des amendements que nous avons déposés pour faire reconnaître d’intérêt général les entreprises du secteur de la création comme de la production culturelle. Nous attendons aussi des actes forts en ce qui concerne la maîtrise d’ouvrage par le secteur public en matière d’archéologie préventive.

Mais, je m’en réjouis, un projet de loi nous est enfin soumis. Ce n’est pas la loi d’orientation et de programmation pour la culture, espérée par de nombreux acteurs et actrices de l’activité culturelle. Ce n’est pas encore la grande avancée attendue par toutes ces femmes et tous ces hommes qui espéraient, avec la victoire de la gauche, passer de l’ère marchande en matière culturelle à une nouvelle avancée anthropologique portée par une politique publique audacieuse.

Mais le projet de loi qui nous est soumis peut être le moyen de franchir une étape importante, après avoir été considérablement amélioré par le travail en commission. Je remercie ici notre rapporteur pour son excellent travail et vous, madame la ministre, pour votre qualité d’écoute. Notre travail en commission a répondu à un certain nombre d’attentes exprimées par les organisations syndicales et d’autres acteurs au cours des nombreuses auditions réalisées. Ainsi, des secteurs complètement absents du projet de loi initial ont été introduits. Ce fut le cas de l’encadrement des pratiques amateurs dans le spectacle vivant, indispensable à leur épanouissement, même si la rédaction du texte peut et doit encore être améliorée.

Il en est de même des archives et de l’architecture. Le travail mené par de nombreux architectes, consigné dans le rapport qui vous a été remis, madame la ministre, trouve maintenant pour l’essentiel une traduction législative. Citons également l’introduction dans l’article 2 de la loi, relatif aux objectifs des politiques du service public en faveur de la création artistique, du parcours d’éducation artistique et culturel inscrit dans le code de l’éducation par la loi relative à la refondation de l’école. Soulignons aussi que cet article a pour objectif de favoriser la juste rémunération des auteurs et un partage équitable de la valeur, notamment par la promotion du droit d’auteur aux échelons européen et international.

Je me félicite de l’adoption d’un amendement favorisant l’équité territoriale proposé par notre groupe et d’un autre relatif au rôle des politiques publiques dans l’encouragement de la création et de l’accès du plus grand nombre aux activités et pratiques culturelles. Enfin, la reconnaissance du rôle des associations et donc de l’éducation populaire dans la réalisation de ces objectifs constitue un point positif. Je salue également l’amendement gouvernemental relatif à la lutte contre le trafic d’œuvres d’art. Toutefois, il reste encore du travail pour finaliser le projet de loi du point de vue des enjeux et des attentes. Comme le dit Marc Slyper, responsable de la CGT Spectacle, le projet de loi reste bloqué au milieu du gué. Je traiterai donc, afin de le faire avancer, de trois pistes de travail.

En matière de politiques publiques tout d’abord, il existe un risque de faire glisser les politiques publiques en matière d’art et de culture sous la seule responsabilité des collectivités territoriales, en particulier des treize régions créées par la loi NOTRe. Il me semble donc nécessaire de réaffirmer le rôle de l’État garant de l’égalité républicaine en prenant acte du rôle des directions déconcentrées et en créant les conditions d’un travail de mise en commun et en cohérence entre les différents acteurs que sont l’État, les collectivités et les organisations culturelles et professionnelles, au profit d’une grande ambition nationale. Nous présenterons un amendement à cette fin. En matière culturelle en effet, la responsabilité nationale est engagée et ne peut se résumer à la seule délivrance de labels ou à la signature de contrats avec des collectivités territoriales soumises par ailleurs à des réductions drastiques des dotations de l’État.

Deuxièmement, il convient de combler l’absence étonnante dans le projet de loi du secteur audiovisuel. On nous a indiqué en commission que la loi du 30 septembre 1986, qui le régit et qui a déjà été modifiée soixante-treize fois, ne doit pas être concernée par le projet de loi, mais peut-on envisager qu’un vecteur culturel essentiel pour le plus grand nombre en soit absent ? Comment gommer l’apport de cet outil populaire qu’est notre audiovisuel public à la création et à l’accès aux œuvres ? L’inclure dans le projet de loi vaudrait reconnaissance de son rôle et affirmation de ses missions ainsi qu’engagement à lui fournir les moyens de les accomplir. Peut-être est-ce là le problème !

Notre troisième préoccupation concerne les professionnels du spectacle, qui sont peu servis par le projet de loi alors que le Gouvernement s’est engagé auprès de leurs représentants à sécuriser les parcours professionnels des artistes et techniciens des métiers du spectacle. Ils ont certes obtenu un acquis important avec l’introduction dans la loi du régime spécifique des intermittents du spectacle, mais il nous faut encore légiférer pour faire reculer la précarité. Le spectacle ne peut vivre sans ses artistes et ses techniciens. Ces femmes et ces hommes doivent bénéficier des droits et protections dus à toute personne qui travaille. Tel est le sens de trois amendements présentés par les députés du Front de gauche.

Avant de conclure, je mentionnerai notre désaccord avec le titre III qui prévoit des habilitations à légiférer par ordonnance : un tel projet de loi mérite mieux ! Notre commission l’a déjà beaucoup enrichi, mais il doit encore être travaillé afin de répondre aux attentes des acteurs et actrices de la culture et réaliser toute l’ambition de cette loi attendue depuis plus de vingt ans. Les députés du Front de gauche comptent y contribuer et espèrent que notre assemblée saura se rassembler autour d’une grande ambition pour la culture. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Pouzol.

M. Michel Pouzol. Article premier : « La création artistique est libre ». Cinq mots seulement, mais cinq mots qui changent tout car ils inscrivent clairement dans la loi un principe fondamental. En effet, la création artistique ne peut se résumer à un chapitre de la liberté d’expression. Elle est à la fois plus et autre chose, une somme d’univers et de volontés, d’idées et de vagabondages qui trouve sa définition uniquement dans les multiples facettes et les véhicules nombreux et variés grâce auxquels elle existe. Oui, la création artistique est par essence liberté, dans toute sa force, toute sa diversité et toute son impertinence ! Chacun aura compris que le responsable du groupe SRC que je suis s’apprête à débattre du projet de loi avec un enthousiasme certain, épaulé par mes collègues Sophie Dessus pour la partie du texte relative au patrimoine, Martine Faure pour la partie relative à l’architecture et Hervé Féron pour la partie relative à la création.

Il s’agit d’un texte très attendu, en raison du principe premier qu’il affirme mais aussi de la richesse des territoires qu’il explore et des perspectives qu’il dessine pour des secteurs d’activité qui sont au cœur des travaux de la commission des affaires culturelles et de l’éducation que préside celui qui est aussi notre rapporteur, Patrick Bloche. Je tiens aussi à rappeler que ce texte est aussi l’aboutissement d’un travail global et de longue haleine mené conjointement par le Gouvernement et les membres de notre commission depuis le début du quinquennat, ce qui montre s’il en était besoin l’importance que notre gouvernement accorde à la culture et à la création et témoigne aussi d’une méthode de travail ouverte et de grande qualité dont je vous remercie, madame la ministre.

Le texte qui nous occupera cette semaine aborde en effet plusieurs thèmes qui ont été au cœur de nos travaux, tels que l’intermittence et la propriété artistique et littéraire. Il reprend aussi certains thèmes abordés dans le cadre de nos discussions budgétaires et comporte des articles traduisant les propositions des rapports relatifs à la rémunération pour copie privée, l’architecture ou encore la convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.

C’est en effet l’une des forces du texte gouvernemental, et l’une de vos réussites, madame la ministre, d’avoir été construit en partenariat avec la représentation nationale, qui fut pleinement écoutée. Je citerai ici quelques rapports d’information dus à nos collègues qui ont nourri le texte de leurs analyses et de leurs préconisations : celui de Martine Faure relatif au nouveau dispositif du service public de l’archéologie préventive, celui de Jean-Patrick Gille relatif aux conditions d’emploi dans les métiers artistiques, celui de Marcel Rogemont relatif au bilan et aux perspectives de trente ans de copie privée, ce qui n’est pas un mince sujet, et ceux de Patrick Bloche relatifs à la création architecturale et aux dix ans de la convention Unesco de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.

Je me félicite par ailleurs que nous débattions de cette grande loi sur la culture dans un contexte économique favorable. En effet, le budget alloué à la création nous permettra de mettre en œuvre dès l’année prochaine les principes cardinaux qu’elle édicte. 2015 sera donc l’année de la culture comme vecteur d’émancipation, au cœur du combat pour faire vivre les valeurs républicaines et donner à chacun dès le plus jeune âge des clés de lecture pour comprendre son environnement et s’émanciper des influences extérieures – de la culture comme point central de toutes nos libertés.

Mais notre époque, il faut bien le reconnaître, n’est pas toujours celle de l’ouverture et de la tolérance. Plus que jamais, la liberté de création est remise en cause. Des formes de censure d’ordre politique, moral, religieux, voire budgétaire, que l’on a crues disparues un peu hâtivement, envahissent le champ public. Il est donc de notre devoir de protéger les artistes contemporains et les auteurs, et plus encore l’acte créatif d’où qu’il vienne. Les dernières années témoignent de ce besoin impérieux, comme le prouvent les réactions parfois violentes que suscitent certaines œuvres. Du Lobster de Jeff Koons à Tree, l’arbre de Paul McCarthy vandalisé place Vendôme ou à Dirty Corner, l’œuvre d’Anish Kapoor exposée dans les jardins de Versailles, sans parler de la censure morale entourant le film Love de Gaspar Noé ni de celle subie par Catherine Corsini à cause de l’affiche du film La belle saison, ou encore des polémiques répétées voire incessantes dont certaines programmations théâtrales font l’objet un peu partout en France, le danger de repli est bien réel.

La création est par essence révolutionnaire, car elle bouscule les idées reçues, réinvente les possibles et recrée à la fois le monde et le regard que nous portons dessus pour faire basculer l’ensemble vers une réalité divergente. S’il incombe à l’État de garantir le maintien de l’ordre, la production artistique contemporaine doit être à même de s’exprimer librement dans l’espace public. Prétendre lui interdire le bouleversement des sens ou des conventions qui sont au cœur de sa volonté émancipatrice, c’est tout simplement nier la nature même de l’acte créatif.

Telle est bien l’ambition du projet de loi et des cinq petits mots de l’article premier qui accorde un fondement juridique à la liberté de la création artistique et permet la protection de l’artiste. L’ambition du projet de loi est aussi de protéger les formes d’expression de l’art et les artistes des influences intérieures, mais aussi des nouvelles formes d’influence et des menaces extérieures, et ce jusque dans les modes de rémunération issus du monde numérique. C’est pourquoi la liberté s’est adossée à un volet relatif au patrimoine culturel. Il est aujourd’hui vital de garantir juridiquement la préservation de notre patrimoine culturel qui est le socle de notre civilisation, d’une partie de notre histoire, et le support de notre mémoire individuelle et collective.

L’enjeu est avant tout politique. Ceux qui ont détruit les Bouddhas de Bâmiyân et ceux qui cherchent à détruire Palmyre, chef-d’œuvre classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, espèrent ce faisant priver l’humanité de trésors inestimables et inégalables pour celles et ceux qui veulent appréhender l’histoire de nos civilisations et leur devenir. Il est également nécessaire de protéger les échanges de biens culturels avec d’autres nations prises dans des conflits et dans un contexte de barbarie mettant des œuvres en péril. Tout cela a pour unique but la protection de notre mémoire collective d’où qu’elle vienne un peu partout sur la planète.

Enfin, la deuxième partie du projet de loi, relative à la modernisation de la protection du patrimoine, réforme le code de l’urbanisme afin d’associer la préservation de nos richesses patrimoniales et la nécessaire évolution de l’aménagement du territoire naturellement induite par l’évolution des normes environnementales et sociales, la démographie ou encore les nouvelles règles d’urbanisme.

Au fil des débats en commission et de l’examen des amendements, y compris des riches et nombreux amendements gouvernementaux, le texte s’est densifié, amélioré et complété. Je ne doute pas que cette semaine d’examen en séance publique viendra encore le renforcer afin qu’il réponde encore mieux aux attentes des acteurs de la culture, des créateurs, des collectivités territoriales, plus que jamais partenaires de l’État en la matière, des amateurs et des professionnels, et aux obligations qui nous incombent vis-à-vis de notre patrimoine matériel et immatériel – bref afin qu’il réponde à cette étrange vitalité, cette force de vie qui nous porte à toujours repousser les limites de la beauté, de la connaissance et de la créativité et à créer et gagner à chaque instant un supplément de liberté. La culture doit rester cette arme pacifique qui fait de l’émancipation de chacun un extraordinaire voyage et brise les barrières féroces du déterminisme social. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Herbillon.

M. Michel Herbillon. Enfin nous y sommes ! Il aura fallu être patient pour que la grande loi culturelle du mandat de François Hollande nous soit enfin révélée. Je dois avouer qu’on n’y croyait plus, madame la ministre, tant ce projet de loi est devenu au fil des années l’Arlésienne du quinquennat, maintes fois annoncé mais toujours reporté ! Votre prédécesseur au ministère de la culture, Aurélie Filippetti, ne cessait de vanter à chaque occasion les mérites d’un grand texte qu’elle n’a finalement pas présenté malgré deux années passées rue de Valois. À votre arrivée, il y a un an, un mois et deux jours, vous avez remis l’ouvrage sur le métier pour une année de plus. Bref, la gestation du projet de loi a été pour le moins laborieuse. Mais nous y sommes !

Vous l’avez présenté comme un « marqueur du quinquennat ». Avant vous déjà, votre prédécesseur promettait « une grande loi sur la culture » qui signerait « l’acte II de l’exception culturelle française » et ferait « entrer nos politiques publiques culturelles dans l’ère du XXIe siècle. » Rien de moins ! N’ayons pas peur des mots : après ces déclarations grandiloquentes, notre première surprise, en forme de désappointement, tient d’abord à la méthode choisie. Vous avez décidé d’inscrire votre projet de loi à la toute fin de la session extraordinaire, nous contraignant à organiser les auditions préparatoires au texte en plein milieu de l’été. Était-ce la meilleure façon de discuter d’un projet de loi censé faire date ? J’en doute !

M. Marcel Rogemont. Nous non !

M. Michel Herbillon. Quant au contenu de votre texte, la réalité nous oblige à dire, madame la ministre, que les attentes des acteurs du monde de la culture, suscitées par le Gouvernement pendant de longues années, ne peuvent être que déçues par ce projet de loi. La déception est grande en effet, tant il est éloigné de l’ambition, de la vision et du nouveau souffle pour la création et pour notre patrimoine que nous étions en droit d’attendre.

En lieu et place nous avons un texte fourre-tout, qui mélange de grands principes généraux, parfois incantatoires, et qui empile des mesures complexes qui suscitent l’inquiétude, voire l’hostilité d’un grand nombre d’acteurs culturels.

Naturellement, tout n’est pas à rejeter dans ce projet de loi, dont certaines mesures vont dans le bon sens. Je pense en particulier à la reconnaissance législative de la liberté de création artistique, à l’évidence un beau symbole, même si nous pouvons douter de sa réelle portée juridique.

Parmi les avancées, je tiens à saluer également plusieurs dispositifs dans le domaine de l’architecture. Vous avez d’ailleurs repris un certain nombre de préconisations de la mission d’information relative à la création architecturale, créée au sein de la commission des affaires culturelle ; elle a mené ses travaux pendant plusieurs mois et j’en ai été un membre actif, aux côtés du président Patrick Bloche. La volonté de replacer l’architecte au cœur du processus de construction dans notre pays pour refaire du beau et éviter la standardisation est une démarche que nous soutenons.

Malheureusement, en dehors de ces avancées, votre texte néglige des pans entiers de l’action culturelle : rien sur la création cinématographique, rien sur la démocratisation de la culture, rien sur l’audiovisuel, rien sur la nécessaire régulation des grands acteurs dominants de l’Internet, qui bouleversent les usages et les pratiques, trop peu sur l’enseignement artistique – et que dire du vide sur le rayonnement et la diffusion de la culture française et de notre langue !

Les faiblesses et les carences de votre projet de loi n’échappent à personne. Ainsi en matière de création, s’agissant des droits d’auteur et des revenus des créateurs, l’institution d’un médiateur de la musique est, vous le savez, vivement contestée car ni les producteurs, ni les artistes, ni les acteurs du monde de la musique ne pensent que cette énième autorité administrative indépendante résoudra les problèmes que chacun connaît.

Le problème de fond, à savoir la répartition des revenus d’un marché en pleine mutation, n’est pas traité alors que le Gouvernement nous parle de ce projet de loi depuis trois ans et qu’il a multiplié les rapports et les réflexions sur le sujet. Pour quel résultat ? À cette heure, en plein examen du texte, vous en êtes encore à attendre, comme dans le Désert des Tartares ou comme sœur Anne qui ne voit rien venir, les conclusions de la mission de médiation que vous avez confiée à Marc Schwartz, ruinant ainsi toute volonté législative et politique dans ce domaine essentiel qu’est la musique. Quelle légèreté, madame la ministre, dans cette manière de légiférer ! Elle traduit bien, en tout cas, l’absence de vision du Gouvernement et votre incapacité à arbitrer la question essentielle des relations entre producteurs et artistes.

Les mêmes faiblesses se retrouvent au sein du volet patrimoine du projet de loi et de ce qui en constitue le cœur, la création des « cités historiques ». Au-delà du terme qui peut séduire, cette nouveauté inquiète les élus locaux et les défenseurs du patrimoine. Votre souhait de simplifier les procédures est légitime et, disons-le, nécessaire sur de nombreux points. Mais, madame la ministre, vous risquez d’aboutir au résultat inverse.

Loin de moi l’idée de considérer que les élus locaux se désintéressent du patrimoine, même si certains y sont plus attachés que d’autres. Mais dans un contexte où nombre de collectivités sont exsangues financièrement, et où une pression constante des constructeurs et des promoteurs immobiliers, mais aussi de l’État, s’exerce sur les élus pour construire toujours plus, le risque est grand de voir les communes choisir le régime de protection le plus faible pour les espaces protégés, en particulier sur la délimitation des abords.

Ainsi, la protection du patrimoine risque de s’exercer de manière inégale selon la sensibilité des élus, la situation de telle ou telle commune et les moyens dévolus aux services de l’État, en particulier aux architectes des Bâtiments de France. Les zones de protection du patrimoine risquent de s’en trouver fragilisées. De plus en plus d’élus locaux, toutes sensibilités politiques confondues, tirent la sonnette d’alarme. Même l’un de vos illustres prédécesseurs, M. Jack Lang, que le Président Hollande souhaite voir devenir votre inspirateur et votre mentor, s’inquiète de la suppression des zones sauvegardées et des zones de protection du patrimoine.

Mme Brigitte Bourguignon. Elle n’a pas besoin de mentor !

M. Michel Herbillon. Je regrette également que votre texte reste totalement muet sur la question du mécénat, pourtant fondamental pour la préservation et le rayonnement du patrimoine, à un moment où, du fait notamment de la crise, il est en recul.

Vous le voyez, madame la ministre, votre texte ne répond pas aux attentes et n’est pas à la hauteur, hélas, des ambitions que vous aviez affichées. Le Président de la République et vous-même souhaitiez pourtant en faire, selon vos propres termes, un « marqueur du quinquennat ». Vous souhaitiez également en faire un étendard pour la gauche, comme vous l’avez affirmé en commission de façon politicienne et idéologique. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Pour notre part, nous considérons que le patrimoine, la création et la liberté artistique sont le bien commun de tous les Français.

En réalité, madame la ministre, votre texte ne sera qu’un énième dispositif législatif de plus. Le vrai marqueur du quinquennat de François Hollande en matière culturelle, c’est et cela restera la baisse historique des crédits du ministère de la culture. Aucun président de la République, aucun gouvernement ne s’était livré à une telle saignée des moyens dédiés à la culture depuis la création de la VRépublique en 1958. Certes, il y a quelques mois, Manuel Valls a reconnu que c’était une erreur. Il faut dire que, ces derniers temps, la repentance est à la mode au plus haut niveau de l’État (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen).

M. Marcel Rogemont. Surtout chez Sarkozy !

M. Michel Herbillon. Mais la repentance n’efface pas la faute commise. Surtout quand, dans le même temps, l’État impose aux collectivités locales une asphyxie financière sans précédent, qui conduit nombre d’entre elles, hélas, à réduire leurs ambitions en matière culturelle – autre marqueur funeste du présent quinquennat.

Madame la ministre, votre projet de loi est incontestablement une déception, et nous le regrettons. Outre qu’il n’apporte aucune réponse aux vrais enjeux et aux préoccupations du monde culturel, il soulève bien des inquiétudes en matière de patrimoine. Mais surtout, alors qu’il vous offrait une occasion de redonner espoir à un monde de la culture sceptique quant à la capacité de la Rue de Valois à redonner souffle et ambition à son action, il illustre hélas, de façon emblématique, le vide sidéral de la politique culturelle du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Isabelle Attard et M. François de Mazières. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Piron.

M. Michel Piron. Si ce que l’on appelle « la culture » recouvre des formes d’expression diverses, vous conviendrez sans doute, madame la ministre, que votre texte en aborde, à des degrés divers certes, beaucoup, et dans tous les secteurs.

Peut-être n’est-il pas inutile de rappeler ici, et vous l’avez vous-même suggéré en évoquant Malraux, que la culture et le patrimoine ne sont fort heureusement ni de droite, ni de gauche,…

M. Marcel Rogemont. Ni du centre ! (Sourires.)

M. Michel Piron. …même si leurs acteurs, ajouterai-je, peuvent appartenir à tel ou tel camp.

Les premiers débats que nous avons eus en commission, particulièrement à propos de l’article 1er, témoignent du relatif consensus de notre assemblée sur la liberté de création, qu’il nous faut encore et toujours protéger, et du patrimoine qu’il nous faut conserver.

Le texte qui nous est présenté sera-t-il pour autant un texte mémorable ? Constatons que la plupart de ses mesures répondent à un certain nombre d’attentes.

J’avais eu l’occasion de le dire en commission : on peut regretter que le titre, aux visées larges, cède parfois au superfétatoire, s’agissant notamment de l’article 1er. Auriez-vous oublié la Déclaration des droits de l’homme, madame la ministre ? La liberté n’est pas fille mais mère de la loi ; aussi ne saurait-elle se déduire, me semble-t-il, d’une loi qui la présuppose.

Ces prolégomènes posés, nous sommes tous conscients des contraintes budgétaires qui pèsent sur votre ministère, manque de moyens qui ne doit cependant pas nous empêcher d’être à la hauteur des enjeux auxquels doit fait face le monde de la culture. Nous pouvons ainsi nous retrouver sur certains sujets essentiels qui ne prêtent pas à polémique et qui rendent possible un débat de fond sur l’action de l’État.

Ce projet de loi affirme de grands principes auxquels chacun ne peut que souscrire : la liberté de la création artistique, affirmée dès l’article 1er, et les objectifs de l’action publique, énoncés à l’article 2. L’égal accès des citoyens à la création artistique, le soutien aux artistes, la promotion de la circulation des œuvres, la lutte contre la précarité de l’activité artistique sont autant de mesures chères au groupe de l’Union des démocrates et indépendants comme aux autres groupes. Deux récents événements – les tags sur la sculpture d’Anish Kapoor à Versailles et le retrait de l’affiche du film La Belle Saison dans un village du Vaucluse – doivent être l’occasion, pour la représentation nationale, de réaffirmer son attachement au service public de la culture.

Permettre au plus grand nombre de s’élever, de célébrer et de transmettre les valeurs d’une civilisation, partager un patrimoine commun et notre héritage culturel sont autant d’exigences qui requièrent une politique continue et déterminée. Pourquoi ? Parce que la notion de service public de la culture exprime l’idée qu’il doit être permis au plus grand nombre d’accéder à – et de partager – l’interrogation, l’invitation que porte toute œuvre d’art, quels que soient les moyens matériels de chacun.

S’agissant du texte en lui-même, je tiens à en saluer plusieurs dispositions, notamment en matière de valorisation et de protection du patrimoine. La simplification des régimes juridiques applicables est opportune, tout comme les dispositions de l’article 11 sur l’élargissement de l’accès à l’offre culturelle pour les personnes atteintes d’une ou plusieurs déficiences. Le renforcement des actions de labellisation devrait également permettre, à travers des critères harmonisés et clairs, un meilleur encadrement des procédures de sélection des projets artistiques.

Cependant plusieurs interrogations restent en suspens. Les différentes lois territoriales, loin de clarifier les compétences entre les différents échelons de décision, entre les collectivités et l’État, les ont plutôt compliquées et ce projet de loi ne résout pas – mais le pouvait-il ? – le désordre né de cet enchevêtrement.

Pour le maintien d’une activité artistique dans nos territoires, nous attendons, autant que des DRAC ou des FRAC, une collaboration vivante et efficace entre les acteurs de la culture, l’État et les collectivités locales. Nous souhaiterions qu’une véritable dynamique soit enclenchée, s’appuyant sur une politique d’intervention de l’État mieux ciblée et mieux articulée avec celle des collectivités, et sur une augmentation de la diffusion des spectacles favorisant la professionnalisation accrue des artistes et des diffuseurs. Des possibilités de rapprochement et de mutualisation d’institutions devraient aussi, à cet égard, être mises à l’ordre du jour.

L’organisation des compétences entre l’État et les collectivités en matière de décentralisation des enseignements artistiques doit également être précisée. Plus de dix ans après les lois de décentralisation, la cohérence territoriale de l’offre de formation n’est toujours pas assurée. Les régions doivent pourtant assumer un rôle de chefs de file et les missions des conservatoires doivent être valorisées.

Par ailleurs, je suis heureux que la discussion en commission ait été l’occasion d’examiner et de voter, sous forme d’amendement, une disposition que j’avais présentée il y a quelque temps sous forme de proposition de loi : la possibilité, pour les associations de protection du patrimoine culturel, de se constituer parties civiles. L’adoption de cette disposition permettra de lutter plus efficacement contre les vols et les trafics de biens culturels en élargissant les possibilités de recours à la justice. Je remercie, à cet égard, le rapporteur et président de la commission de sa compréhension.

Le groupe UDI tient également à saluer l’adoption à l’unanimité de l’amendement du Gouvernement visant à la création de refuges pour les biens culturels étrangers menacés par les guerres ou par les catastrophes naturelles. Notre réaction devant les pillages et destructions auxquels se livrent les soldats de Daech a été unanime. En Mésopotamie, l’un des berceaux de l’humanité, les musées sont désormais transformés en tribunaux ou en prisons. À Palmyre, il ne reste désormais plus rien du temple de Bel ni du musée archéologique. C’est une barbarie où s’anéantissent les vivants, et jusqu’au souvenir des morts.

Certes, il y eut, dans notre histoire, d’autres périodes sombres comme le pillage d’œuvres d’art au cours de l’Occupation. L’année dernière, j’ai eu l’honneur de travailler, avec trois de mes collègues de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, Isabelle Attard, Michel Herbillon et Marcel Rogemont, sur la gestion des musées de France. Nous avons eu l’occasion de traiter de la provenance, dans les collections des musées, des œuvres à l’origine douteuse.

Dans notre rapport, nous plaidons pour que la provenance soit systématiquement recherchée pour les œuvres produites antérieurement à 1945 et entrées dans les collections publiques à partir de 1933. Aussi ai-je déposé quelques amendements conformes à nos préconisations afin de mieux répondre à cette exigence.

J’ajouterai enfin qu’il convient d’être particulièrement sobre et vigilant en cette période d’inflation législative. L’harmonisation des procédures ou l’allégement des structures ne doit pas se faire au détriment de la simplification.

M. Marcel Rogemont. Vous avez raison.

M. Michel Piron. Il ne faudrait pas, particulièrement dans le domaine de l’architecture et de la protection du patrimoine, allonger des procédures déjà lourdes en les harmonisant sur le modèle le plus complexe.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, si certaines dispositions nous réjouissent et nous satisfont, d’autres nous laissent circonspects. Nous sommes là devant une somme de mesures utiles, certes, mais assez éloignées du texte ambitieux en faveur de la démocratisation de la culture que François Hollande avait promis lors de sa campagne et des premiers mois de son quinquennat.

Dans ce domaine, plus qu’en d’autres sans doute, la distinction entre les moyens de la politique et la politique des moyens demeure essentielle. Je crains que, dans ce débat, vous n’ayez, madame la ministre, tranché en faveur de la seconde option.

M. Marcel Rogemont. Oh, vous êtes un peu dur !

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Attard.

Mme Isabelle Attard. Il y a dix jours, alors que s’élevaient dans la chapelle de Saint-Vigor-le-Grand les premières notes du célèbre quatuor à cordes en fa majeur de Maurice Ravel, interprété par quatre virtuoses de l’Orchestre régional de Normandie dirigé par Jean Deroyer, je me suis interrogée : qu’aurait bien pu faire Maurice Ravel si Claude Debussy lui avait dit, en 1903, qu’il n’avait pas le droit de faire jouer son quatuor car, en le composant, il s’était inspiré de ce que Debussy lui-même avait écrit dix ans auparavant ?

Or nous sommes aujourd’hui ravis que Debussy ait inspiré Ravel, sans bataille juridique, en un naturel partage et en toute liberté de création. Non seulement Claude Debussy ne s’est pas senti spolié mais il en a été honoré, allant même en 1905 jusqu’à complimenter Ravel en ces termes : « Au nom des dieux de la musique, et au mien, ne touchez à rien de ce que vous avez écrit de votre Quatuor » !

La création n’a pas toujours un but commercial, et c’est tant mieux. Pourtant, elle peut parfois devenir rapidement une source de revenus. Prenons un exemple local : des Bayeusains anonymes, adeptes du street art et visiblement fans de l’artiste Banksy, décorent magnifiquement, depuis plusieurs mois, certains murs de la ville. Ces tags, pleins d’humour et de poésie, plaisent aux habitants qui les partagent à la vitesse de l’éclair sur Instagram ou entreprennent de les protéger des dégradations volontaires.

Quelques semaines plus tard, un club de photographes amateurs décide d’organiser une exposition intitulée « Dans la rue » et met justement en avant, sur une de ces photos artistiques, un de ces tags représentant Peter Pan et Wendy dans les airs. Si un catalogue est édité, il rapportera de l’argent au club de photographes, et à l’État par le biais de la TVA. Les artistes inconnus n’ont pas cherché à gagner de l’argent, ils ont fait de l’art dont d’autres profiteront. Ils ont utilisé des œuvres appartenant, ou non, au domaine public. D’autres artistes amateurs ont poursuivi cette démarche et mis en avant leurs œuvres, d’autres continueront. Telle est ma définition du partage de la culture et de la liberté de création.

Et puisque nous parlons du domaine public, Peter Pan y figure-t-il ? Ces artistes discrets sont-ils dans une double illégalité, d’une part en pratiquant le street art de façon illégale et d’autre part en adaptant une œuvre encore protégée par le droit d’auteur ? C’est extrêmement complexe et nous pourrions, cette semaine, simplifier la législation en la matière. Le roman de James Matthew Barrie est dans le domaine public mais pas le dessin animé de Walt Disney… Pas simple, n’est-ce pas ?

C’est pour répondre à ces questions et à bien d’autres que j’étais ravie d’étudier ici un grand projet de loi sur la culture. Malgré quelques ajustements bienvenus, et qui sont, madame la ministre, tout à votre honneur – par exemple l’accessibilité aux porteurs de handicap et la promotion de l’éducation artistique et culturelle – ce texte n’apporte malheureusement pas de solutions aux besoins des créateurs.

Les artistes d’aujourd’hui, comme cela a toujours été le cas, ont autant besoin d’être libres que d’être protégés. Les Français ont une créativité débordante, mais peuvent-ils justement en vivre ? Peuvent-ils la partager librement ? N’y a-t-il pas une confiscation très rentable des contenus culturels par quelques multinationales ou lobbies bien organisés ?

Avec cette loi, nous devrions répondre à ces questions et construire un cadre adapté à nos nouvelles façons de créer, à nos espoirs ainsi qu’à nos attentes pour les années à venir. D’autant que durant les trois longues années où nous avons attendu ce texte, la précarité de nos artistes n’a en rien été allégée. Pendant plusieurs mois, l’attente des conclusions du rapport Lescure a justifié l’absence de texte : or ses conclusions ont été rendues publiques il y a deux ans et demi ! Ce rapport n’était certes pas exempt de défauts, mais il soulevait de vraies questions.

Vous avez annoncé, madame la ministre, votre volonté de tenir compte des usages numériques, que je n’ose appeler nouveaux vu leur âge déjà avancé. (Sourires.) Ce rapport attirait justement l’attention sur les limites atteintes par le mécanisme de la copie privée face aux évolutions numériques. Il appelait à assouplir la chronologie des médias pour accélérer la mise à disposition des œuvres, et envisageait la possibilité de mettre en place des régimes de gestion collective obligatoire pour les exploitations numériques des œuvres.

Le rapport Lescure prenait totalement en compte la question des nouveaux usages. Il comportait une série de mesures importantes de rééquilibrage, avec la promotion de l’interopérabilité et le contrôle des DRM – digital rights management, le développement d’offres de ressources numériques en bibliothèque, l’extension des exceptions au droit d’auteur, notamment en faveur des usages pédagogiques et de recherche et des usages transformatifs dont vous aimez tant parler, comme les mashups et remixs, la consécration positive du domaine public et enfin l’utilisation des licences libres, en particulier pour les œuvres subventionnées par de l’argent public.

M. Marcel Rogemont. Ces licences sont une bonne initiative.

Mme Isabelle Attard. Nous souhaitons que ces points soient ajoutés à cette loi car il s’agit très probablement du seul texte de cette ampleur dont nous disposerons au cours de cette législature. Nous regrettons également fortement que, lors de l’examen en commission, de nombreux points aient été reportés dans l’attente des résultats de la mission confiée à Marc Schwartz.

En tant que chef de file du groupe écologiste, je réitère mes regrets de n’avoir pu travailler et préparer sereinement nos amendements compte tenu du calendrier des auditions du rapporteur, tenues en dehors des sessions extraordinaires de juillet et septembre. Ce projet de loi comporte de nombreux articles, comme de cela a déjà été relevé, qui traitent de manière technique de sujets très variés. Nous espérons que la deuxième lecture ne suivra pas instantanément le débat au Sénat, afin de nous laisser le temps de mener un travail approfondi et satisfaisant.

Votre loi, madame la ministre, consacre la liberté de création : c’est extrêmement important. La créativité des Français a une valeur inestimable. Certains, influents, puissants et peu nombreux, l’ont bien compris et essaient de l’accaparer, notamment par des contrats qui contournent les lois ou qui profitent de leurs angles morts liés à l’évolution technologique. Il est de notre devoir moral, éthique et philosophique de faire en sorte que les créateurs de demain aient accès sans contrainte à toute la création d’hier. La France est un pays mondialement connu grâce à ses artistes, quelle que soient leur discipline.

En commission, nous vous avons, madame la ministre, réclamé une définition positive du domaine public. Vous nous avez répondu que ce sujet serait traité dans la loi numérique. J’ai eu le plaisir de constater, avant-hier, que ce point figurait au nombre des articles proposés à la consultation publique de l’avant-projet de loi numérique. Chacun sait ici que je ne mâche pas mes mots lorsque le Gouvernement agit contre l’intérêt général. C’est donc avec un réel plaisir que je vous adresse, madame la ministre, mes félicitations, et à travers vous à tout le Gouvernement. Le projet de loi numérique comporte de nombreuses dispositions qui amélioreront la vie des Français, notamment en matière de création.

J’attends également une clarification de la situation de l’archéologie préventive et des services d’archéologie opérant en France. Dans un contexte où opérateurs publics et privés se partagent un marché de plus en plus réduit, il est crucial d’éviter que le moins-disant financier sorte le plus souvent gagnant des appels d’offres, et que l’étape postérieure aux fouilles soit trop régulièrement la cinquième roue du carrosse.

Nous qui oeuvrons à la défense de l’intérêt général devons faire en sorte que des opérateurs publics, et notamment l’Institut national de recherches archéologiques préventives – INRAP – ainsi que les services archéologiques des collectivités territoriales, n’entrent pas dans une compétition délétère alors que le nombre de fouilles diminue. J’espère très sincèrement qu’ensemble nous trouverons un équilibre entre les opérateurs grâce auquel chacun pourra faire valoir ses qualités et ses spécificités scientifiques.

M. Marcel Rogemont. Martine Faure a fait un très bon travail.

Mme Isabelle Attard. Enfin, je souhaite que nous prenions le temps de penser l’activité archéologique amateur. L’amateur, c’est le curieux qui s’intéresse au patrimoine, celui qui veut être utile : il n’est pas condamné à rester stérilement l’ennemi juré des professionnels. C’est pourquoi j’ai demandé la rédaction d’un rapport à propos de ces découvertes fortuites. Il nous permettra peut-être, un jour, de créer une véritable alliance scientifique ainsi qu’une saine coopération entre amateurs et professionnels comme celles que l’on observe dans les pays nordiques qui vous sont, madame la ministre, aussi chers qu’à moi.

Un autre point majeur de ce projet de loi est l’intégration de l’appellation « cité historique » aux plans locaux d’urbanisme. Certains maires, dont des socialistes, se sont sentis abandonnés face à la simplification annoncée des protections actuelles du patrimoine urbain avec l’appellation unique « cité historique » et la gestion de cette appellation par le plan local d’urbanisme.

Cette simplification nous paraît aller trop loin et mettre en danger notre patrimoine. C’est pourquoi nous souhaitons que ces dispositions soient revues. Tel est le sens de notre amendement de suppression : nous ne défendons pas, madame la ministre, le statu quo, nous signalons simplement qu’il vaut mieux revenir sur ce point en deuxième lecture plutôt que de persévérer dans une direction dangereuse.

Madame la ministre, vous avez vous-même, dans cet hémicycle, convoqué Jean Zay en évoquant son grand ministère de la culture et de l’éducation. Vous n’êtes pas sans savoir qu’il a rédigé, juste avant la guerre, un projet de loi relatif à la réforme du droit d’auteur : l’histoire a voulu que ce projet reste dans les cartons. Malgré le côté désuet de certaines expressions et tournures de phrase, il est encore aujourd’hui d’une grande pertinence. J’espère que nous trouverons avant la fin de la législature le temps de nous en inspirer pour revoir en profondeur le droit d’auteur et l’adapter à notre société et ses usages.

M. François de Mazières. Aïe, aïe, aïe !

Mme Isabelle Attard. Aujourd’hui nous débutons les débats sur votre projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine. En l’état, nous y sommes plutôt favorables bien qu’il nous apparaisse sans réelle ambition. Nous attendrons toutefois la fin de nos discussions pour nous prononcer définitivement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Gilda Hobert.

Mme Gilda Hobert. L’étude d’un projet de loi qui traite de la culture dans un champ aussi large est, ainsi que nous l’avons vu en commission, un exercice complexe et exigeant.

Il est complexe car le concept de culture est divers. Ainsi, le très dense texte qui nous est soumis aborde trois domaines qui, s’ils se rejoignent, présentent des champs d’application différents.

Il s’agit d’un exercice exigeant car ce projet de loi requiert, comme d’autres, méticulosité, écoute des besoins, mais aussi prise en considération des personnes, des professionnels, des édifices, de nos espaces de vie comme de notre histoire passée, présente et future.

La culture n’est-elle pas ce qui définit l’évolution des sociétés au cours des siècles ? La malmener, l’ignorer, c’est enfermer, c’est entraîner vers l’oubli, c’est compromettre l’avenir, c’est asservir et empêcher de découvrir, de s’émouvoir et d’apprendre. L’anéantir par des actes barbares, c’est nier les femmes et les hommes dans leur histoire et leur devenir.

Je me réjouis, ainsi que les membres du groupe radical de gauche, que le Gouvernement ait décidé de légiférer, après un long cheminement, sur la création artistique, car, comme le rappelle très justement l’exposé des motifs du projet de loi, la culture « rend possible l’émancipation individuelle et la citoyenneté. Facteur de cohésion sociale, de transmission, de partage et d’innovation, la culture contribue au projet de notre République ».

La relation intime entre liberté et création est d’emblée affirmée dans l’article 1er du chapitre Ier du présent projet de loi. Ainsi, l’idée de censure est bannie par la loi car, oui, la censure est prison. La création et la liberté sont en effet interdépendantes, indissociables. Ainsi que l’écrivait Épictète, la liberté, c’est l’indépendance de la pensée. Il ne suffit pas de le proclamer, encore faut-il défendre ce concept par la loi. C’est ce que nous allons faire.

L’article 2 du projet de loi, par les différents points qu’il énonce, porte la volonté de protéger la liberté de création dans la production artistique. Il vise également à garantir la formation des artistes, la transmission des savoirs, l’éducation à la culture dès l’école, offrant par là même une sensibilisation aux formes et pratiques diverses des arts et des cultures en favorisant l’ouverture d’esprit, l’ouverture au monde, l’émancipation.

Concernant toujours l’article 2, je tiens à saluer ici l’ajout, par un amendement en commission, de la notion d’implication des artistes dans les actions d’éducation artistique et culturelle « à destination de toutes les personnes, notamment de celles qui sont les plus éloignées de la culture, des publics spécifiques, ainsi que des jeunes ».

Favoriser l’implication des artistes dans le parcours d’éducation artistique et culturelle en milieu scolaire est une direction tout à fait positive. Elle permettra aux publics les plus jeunes et les plus éloignés de la culture d’instaurer un dialogue direct avec les artistes, qui pourront, par la transmission de leur art, ouvrir à la curiosité et, pourquoi pas, susciter des vocations.

Les différents points énoncés, qui marquent la volonté de protéger la création et la production artistique, attendaient un encadrement législatif. Le voici.

Une avancée notable de ce projet de loi est la prise en considération des arts du cirque et de la marionnette, à l’article 14. Parce que les pratiques culturelles sont diverses et que chacune d’elles nécessite de l’imagination, de la passion mais aussi du travail, de l’opiniâtreté, de la persévérance, jusqu’à l’abnégation parfois, il était urgent de corriger ce qui s’apparentait à une injustice pour ces acteurs qui participent à la diversité de l’expression artistique et à la richesse de notre patrimoine culturel.

Le projet de loi clarifie un certain nombre de règles concernant les conditions d’emploi et de rémunération des artistes, règles essentielles pour permettre à ces artistes de créer et aux entreprises qui les produisent de subsister. L’équilibre doit absolument se faire dans le respect des uns et des autres. C’est ce à quoi tend ce texte.

Le groupe RRDP a cependant souhaité soutenir un amendement concernant la liberté de panorama, droit reconnu dans d’autres pays. Il s’agit de donner le droit de diffuser ses propres photographies ou films de sculptures ou de bâtiments dont l’architecte est décédé depuis moins de soixante-dix ans et se trouvant à demeure sur une voie ou une place accessible au public, en dépit de l’existence de droits de propriété intellectuelle de l’architecte ou de l’artiste.

Mme Isabelle Attard. Très bien !

Mme Gilda Hobert. Cette exception n’existe pas dans le droit français, qui interdit la publication de photos d’une œuvre architecturale ou artistique protégée par le droit d’auteur. Or cette restriction nous semble contre-productive car elle empêche notamment la diffusion d’un patrimoine culturel au plus grand nombre, en particulier sur internet, les sites publiant ces reproductions encourant un risque de poursuites en contrefaçon. Nous espérons être entendus sur cet amendement.

Durant les travaux en commission, notre groupe a également défendu des amendements visant à clarifier certaines mesures du projet de loi. Ainsi, à l’article 7, nous avons souhaité que le rôle du médiateur de la musique, créé par ce texte, soit mieux encadré. Nous avions, dans un premier temps, envisagé de calquer son mode de nomination sur celui du médiateur du cinéma.

M. Marcel Rogemont. Cela n’a tout de même pas la même importance !

Mme Gilda Hobert. Sur ce point, vous nous avez répondu, madame la ministre, monsieur le rapporteur, que le rôle du médiateur de la musique devait davantage s’inspirer de celui du médiateur du livre, dont les enjeux et les préoccupations étaient plus proches. Nous avons pris acte de vos remarques et vous proposons que le médiateur de la musique n’ait pas de pouvoir d’injonction, mais nous demandons qu’il soit choisi parmi les membres ou anciens membres du Conseil d’État, de la Cour de cassation ou de la Cour des comptes ou parmi des personnalités qualifiées. Ce mode de désignation garantirait la totale indépendance de cette nouvelle institution, qui devra se prononcer sur des problématiques aussi prégnantes que l’offre musicale en ligne.

Comme je l’avais déjà évoqué, madame la ministre, si le numérique et la dématérialisation participent formidablement à la connaissance, à la découverte de nos richesses patrimoniales et au partage des arts, nous devons rester attentifs pour qu’ils ne contreviennent pas à la création en matière d’exploitation physique, par souci de protection des auteurs et artistes, de la place à réserver au contact direct avec le public, mais aussi sur un plan économique.

Je salue enfin la place que vous avez souhaité donner aux pratiques amateurs. Cette reconnaissance leur était due.

Au tout début de mon intervention, je soulignais que les sociétés étaient en mesure d’évoluer et de progresser grâce à la culture, ainsi qu’à la connaissance du passé et à sa sauvegarde. Le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui contient une partie consacrée au patrimoine. Rappelons ici que le patrimoine n’est pas fondé sur la notion du passé seul et que, comme nous l’a démontré le succès des récentes Journées européennes du patrimoine, il permet d’observer notre temps contemporain et de se projeter dans l’avenir, notamment en matière d’environnement, de construction, dans le respect de ce qui fut et de ce qui sera.

Nous avons dans notre pays un service public de recherches archéologiques préventives particulièrement compétent, qu’il s’agit de soutenir, sans empêcher les opérateurs privés d’agir certes. Ils ont toute leur place mais certaines règles doivent être respectées. Aujourd’hui, ce sont trop souvent des critères économiques et non scientifiques qui motivent le choix de l’opérateur et des équipes de recherches archéologiques préventives. Dans un contexte où le moins-disant financier sort le plus souvent gagnant des appels d’offres, il existe un risque réel de dispersion croissante des données archéologiques récoltées, risque d’autant plus fort que lorsqu’une fouille est réalisée, il est impossible de la recommencer.

Il nous paraît essentiel de protéger le travail des opérateurs publics d’archéologie préventive, eu égard à la mission de service public dont ils sont investis. La question est d’autant plus importante que les opérateurs privés peuvent bénéficier du crédit d’impôt recherche. Ils ont ainsi les moyens de tirer les prix vers le bas et de placer l’opérateur public de recherches archéologiques préventives face à un véritable dumping social et scientifique. Nous avons proposé des amendements à l’article 20 du projet qui vont dans ce sens et comptons sur votre écoute, madame la ministre.

Je sais votre aptitude à entendre les arguments qui ont pu être les nôtres en commission. Ainsi, un amendement du rapporteur, analogue à celui que nous avions proposé, a été adopté pour permettre la reconnaissance du patrimoine culturel immatériel au sens de l’article 2 de la Convention internationale pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. C’est là un point essentiel auquel nous sommes tous attachés.

Voilà, madame la ministre, l’essentiel de ce que je voulais vous dire sur ce projet de loi que le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste approuve dans sa démarche d’ensemble, dans sa volonté de protéger la liberté de création et de clarifier et d’améliorer des dispositifs, tout en espérant trouver une oreille attentive aux aménagements qu’il propose. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Féron.

M. Hervé Féron. Nous voici enfin réunis pour examiner ce projet de loi que nous attendions depuis plusieurs années, à l’heure où la culture, la liberté d’expression et la liberté de créer sont mises à mal aux quatre coins de la planète.

Destruction du patrimoine en Syrie, en Irak, au Yémen, vandalisme vis-à-vis des œuvres de Paul McCarthy et Anish Kapoor, emprisonnement de l’artiste ukrainien Oleg Sentsov en Russie… Dans un tel contexte, on ne peut rester indifférent et on mesure toute l’importance de ce projet de loi.

Comme vous l’avez dit ailleurs, madame la ministre, c’est le propos de l’art que de ne pas être tiède. L’art est, par essence, destiné à émouvoir, à interpeller ou même à choquer. Il fait réfléchir, permet de prendre du recul, d’avoir un regard critique sur les choses qui nous sont présentées comme des vérités générales. C’est d’ailleurs pour cela que les régimes liberticides et obscurantistes affectionnent si peu les artistes. Comme on peut le lire dans Le Condamné à mort de Jean Genet, « écrire c’est lever toutes les censures ».

Mais l’art est aussi fraternel, il est républicain. Dans un monde qui se déchire, sujet à la tentation de l’entre-soi et au mirage de l’identité nationale, l’art rassemble autour de valeurs communes, invite au regard vers l’autre, renoue le lien social, crée le désir du vivre ensemble cher à Ernest Renan. Encore faut-il que personne n’en soit exclu, et surtout pas les jeunes, dont les pratiques culturelles sont le reflet d’un monde qui se transforme.

Madame la ministre, je me permets de reprendre vos termes pour dire que la « génération du dehors », celle des jeunes, doit devenir une « génération du dedans », qui se sente chez elle dans la vie culturelle. Pour cela, vous avez raison, ouvrons les bibliothèques le dimanche, les musées aux scolaires, la commande publique au street art. Surtout, profitons de l’exceptionnelle opportunité numérique, puissant vecteur de rayonnement et de développement pour nos artistes émergents, pour démocratiser l’art et créer une véritable égalité des places culturelles.

Afin d’aider les talents de demain à s’affirmer sur la scène artistique, les médias doivent également jouer leur rôle en se prêtant à certaines règles permettant d’assurer un minimum de diversité et de soutien aux artistes francophones. C’est l’objet d’un amendement adopté en commission, qui, je le sais, a suscité de vives critiques chez les radios privées. Néanmoins, je reste persuadé du bien-fondé de notre démarche. Nous avons reçu le soutien de toute la filière musicale pour notre proposition en faveur de la diversité culturelle et nous sommes prêts à débattre pour défendre cette mesure de bon sens.

Encourager la transition numérique ne doit pas nous faire perdre de vue les enjeux liés au partage de la valeur sur internet, dans lequel les artistes musicaux ne trouvent plus leur compte aujourd’hui. Victimes d’un véritable phénomène de paupérisation depuis des années, ils demandent un rééquilibrage des relations avec les plateformes de streaming et les maisons de disques.

Parce que l’on peut craindre que la mission de médiation de Marc Schwartz n’ait pas les résultats escomptés, je suis persuadé que nous saurons proposer des solutions équilibrées permettant d’assurer un niveau de rémunération décent pour les artistes-interprètes.

Madame la ministre, il nous faut soutenir les artistes-interprètes, du plus petit au plus célèbre, car sans eux, l’industrie du disque n’est rien, pas plus que la société. Si nous chassons les poètes de la cité, comme il est écrit dans La République de Platon, notre société n’aura plus d’identité, plus d’âme, car en faisant cela, nous la viderons de ce qu’elle a de plus beau et de plus précieux, à savoir l’accès privilégié au savoir et à l’émotion.

Nous aurons peut-être également l’occasion d’aborder des questions qui demeurent en suspens mais qui semblent relever du domaine réglementaire : la réforme de la classification des œuvres cinématographiques, l’exposition de la création musicale à la télévision publique, la concentration dans le spectacle vivant ou encore la réforme de la chronologie des médias. Sur tous ces sujets, qui reviennent régulièrement dans l’actualité culturelle, une grande partie des députés ici présents seraient désireux de connaître votre position.

Madame la ministre, les débats promettent d’être passionnants et je souhaite vous redire à quel point nous, députés socialistes, sommes heureux travailler à vos côtés. Ce projet de loi, j’en suis convaincu, dispose des atouts nécessaires pour répondre aux attentes du monde de la création. Il est de notre devoir de ne pas les décevoir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. Le hasard fait mal les choses, madame la ministre : ce soir, au moment même où vous présentez votre loi culture, France 3 diffuse un documentaire sur les coulisses du pouvoir. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Ne protestez pas ! Ce documentaire est extrêmement instructif. D’ailleurs, je vais même prendre la défense de la ministre.

M. Marcel Rogemont. Vous l’avez vu, ce documentaire ?

Mme Annie Genevard. Je l’ai vu. On y voit François Hollande vous donner quelques conseils, madame la ministre, à vous qui êtes manifestement inquiète à la perspective d’embrasser cet immense ministère. Il vous conseille « d’aller au spectacle tous les soirs », de vous « taper ça » avant de dire que « c’était bien, c’était beau », parce qu’ils « veulent être aimés ». Voilà, mesdames et messieurs les députés, l’opinion que le Président de la République se fait du rôle d’un ministre de la culture,…

M. Marcel Rogemont. Arrêtez ! Vous sortez les propos de leur contexte !

Mme Annie Genevard. …lui qui déclarait à Bourges, pendant sa campagne présidentielle, que « la culture est le cœur d’un projet politique ». En réalité, chez François Hollande, quel désintérêt profond pour la culture et pour les artistes, réduits à des personnages immatures et infatués qu’il suffit de flatter !

Cet autre passage, où l’on vous conseille d’aller chercher des idées chez Jack Lang,…

M. Marcel Rogemont. Pas seulement ! D’ailleurs, c’est un gars bien !

Mme Annie Genevard. …cette statue du Commandeur, est également cruel : comme si, à ce niveau de responsabilités dont il vous a confié la charge, vous ne pouviez pas en avoir vous-même ! Il y a là l’expression d’une réelle misogynie venant d’une famille politique qui professe en permanence les vertus de la parité et de l’égalité réelle entre les hommes et les femmes. Vous avez dû apprécier.

M. Michel Pouzol. Et les dossiers, vous les travaillez, de temps en temps ?

Mme Annie Genevard. S’agissant de la loi (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen), vous avez dû reprendre un texte attendu depuis deux ans. On le sait, il est toujours plus difficile de récrire que d’écrire. Cela donne un texte composite, fourre-tout, étrange comme l’ont dit certains, et qui déçoit. La culture fait partie de ces sujets sur lesquels on attend un texte législatif qui ait du souffle, de la profondeur et qui propose au législateur et, partant, aux Français, une vision.

Bien sûr, il y a les deux premiers articles, principiels pour reprendre votre vocabulaire. Sur la liberté de création, qui est votre grande cause, tout le monde peu ou prou est d’accord, même si, pour justifier les menaces qui pèsent sur elle, vous mélangez un peu tout. Les trois exemples que vous citez habituellement sont en effet très différents.

S’agissant de Kapoor, et des graffitis sur son œuvre, il n’a pas été empêché de créer. On lui a même donné le plus beau des écrins pour cela : les jardins du palais de Versailles. Non, c’est l’antisémitisme le plus révoltant – le mot n’a pas été prononcé – qui s’est exprimé là, que ne sauraient justifier les provocations d’un artiste désireux de « créer le chaos » avec ce Dirty corner – ce « coin sale » – dans un lieu imprégné de classicisme et de beauté. J’observe au passage que c’est moins l’œuvre elle-même que le titre donné par l’artiste et la proximité des abords du château qui ont fait scandale.

S’agissant du deuxième exemple que vous citez toujours, la sculpture repeinte en bleu à Hayange, c’est la preuve d’une grande bêtise et d’une méconnaissance du statut de l’œuvre d’art. Ce délit est déjà sanctionné aujourd’hui sans même avoir à recourir à votre loi.

Je vais m’arrêter un peu plus longuement sur votre troisième exemple. Vous citez les collectivités qui réduisent leur budget culture ou leurs subventions. Votre analyse pour en tirer argument que la création est attaquée est révoltante. D’abord, elle méconnaît un principe constitutionnel : celui de la libre administration d’une collectivité.

M. Marcel Rogemont. La ministre est libre de critiquer ! D’ailleurs, vous le faites vous-même !

Mme Annie Genevard. Ensuite, on ne peut déplorer sans cynisme les effets dont on chérit les causes, comme l’a dit Bossuet. Vous avez asséché les finances des communes et vous pleurez leur désengagement culturel.

Mme Valérie Corre. Ce sont des choix politiques ! Vous êtes de mauvaise foi.

Mme Annie Genevard. Vous les montrez du doigt, comme à Avignon ou devant le Conseil national des professions du spectacle. C’est insupportable de mauvaise foi, mais peu sont dupes !

Ce projet de loi, madame la ministre, affiche quelques ambitions, mais que les mesures proposées sont minces ! Nous y reviendrons tout au long de la discussion.

Mme la présidente. Merci de conclure, madame Genevard…

Mme Annie Genevard. Je terminerai avec quelques exemples. Vous professez la nécessité d’élargir l’accès à l’offre culturelle. Un mot est trop peu mentionné dans votre texte de loi, c’est celui de territoire. Il n’y a rien sur ce point, alors même que vous avez déclaré à Avignon que « sans culture, les territoires se meurent » ?

M. Marcel Rogemont. Ce sont les citoyens qui nous intéressent, pas les territoires !

Mme Annie Genevard. Nous reviendrons également sur la protection du patrimoine. Vous avez choisi d’affaiblir le niveau de protection du patrimoine architectural, ce qui est bien dommage. Votre texte fera date, hélas négativement, bien loin du marqueur culturel que vous prétendiez proposer. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Besse.

Mme Véronique Besse. Il y a plus d’un an était présenté l’avant-projet de loi sur la création artistique. Pesait alors sur lui un certain nombre d’interrogations, mais aussi de craintes. Si le voile vient d’être levé, permettez-moi aujourd’hui de relever trois points qui me semblent capitaux et qui se situent au cœur des enjeux du présent texte.

Le premier point est très concret. Je voudrais vous faire part des inquiétudes de nombreuses entreprises de construction. Vous le savez, madame la ministre, quand le bâtiment va tout va. Mais aujourd’hui, le bâtiment ne va pas bien. Or, différents éléments du texte et amendements déposés vont, s’ils sont adoptés, venir aggraver la situation qui est déjà bien fragile. Le recours presque systématique aux architectes et les avantages octroyés aux personnes qui s’y référeront dans les rares cas où ce ne sera pas obligatoire, notamment en termes de délais d’instruction des permis de construire, vont avoir des conséquences particulièrement douloureuses pour certaines entreprises de construction.

M. Patrick Bloche, rapporteur. Au contraire !

Mme Véronique Besse. Cela créerait une situation de concurrence déloyale au détriment des constructeurs et ces nouvelles obligations pèseraient lourd dans le portefeuille des Français. C’est la raison pour laquelle, avec bon nombre de mes collègues, nous nous opposerons à certaines de ces propositions.

Le deuxième point que je voulais évoquer concerne le patrimoine. Vous proposez dans le texte de faciliter la protection du patrimoine dans les communes, avec la création des « cités historiques ». Vous cherchez ainsi à rendre compréhensibles les règlements d’urbanisme, ce qui est un objectif tout à fait louable. Cependant, à quoi sert-il d’imposer une réglementation particulière et souvent drastique aux propriétaires qui entourent les sites patrimoniaux si ces mêmes sites tombent en ruine ?

En réalité, c’est là le point faible du texte. Aujourd’hui, dans beaucoup de communes, notre petit patrimoine est très dégradé, victime de l’usure du temps, du manque de moyens et de l’abandon des hommes, lequel est, le plus souvent, subi, avec regrets. Or, les Français y sont attachés, comme en témoigne le succès des Journées du patrimoine. Combien de conseils municipaux regrettent de ne pouvoir réaliser les simples travaux nécessaires à l’entretien de l’église de la commune ? Combien d’églises, de remparts, de moulins ou de bâtiments remarquables, souvent propriétés de collectivités locales, mériteraient d’être entretenus, restaurés, mis en valeur et ouverts au public ?

Notre patrimoine, ce sont nos racines ; c’est aussi un atout pour notre avenir, et notamment un atout touristique, conforme à l’image de la France à l’international. Il ne nous est pas permis de le laisser se dégrader. L’État et les communes doivent avoir les moyens nécessaires pour entretenir correctement les bâtiments remarquables dont ils ont la charge. Malheureusement, la seule réponse que nous ayons aujourd’hui, c’est une baisse drastique des dotations de l’État aux collectivités.

Je voudrais enfin évoquer la création artistique et le bénévolat. Vous avez entendu, madame la ministre, les inquiétudes et les appels de centaines de milliers de bénévoles qui, dans leurs communes et dans leurs associations, consacrent du temps à la création artistique et au spectacle vivant. Ces bénévoles, ce sont des passionnés qui, grâce à leur savoir-faire et à leur engagement personnel, font vivre l’âme de notre culture française et les traditions des peuples européens.

Or, avec le texte initial, les représentations régulières devant le grand public leur auraient tout simplement été interdites. Je pense notamment aux associations culturelles traditionnelles : les bagads bretons, les danseurs provençaux, les carnavals du Nord ou les bandas landaises. Et je pense aussi aux associations culturelles et artistiques et au rayonnement mondial.

Je pense tout particulièrement à l’association du Puy du Fou, située au cœur de ma circonscription. Cette association, constituée de 3 500 bénévoles, interprète chaque été, au cours d’une trentaine de soirées, et ce depuis trente-huit ans, la Cinéscénie qui réunit près de 400 000 spectateurs. C’est un spectacle inédit, récompensé par les Américains et salué par les Russes, ce qui, de nos jours, est suffisamment exceptionnel pour être souligné.

Le succès du Puy du Fou repose sur ce bénévolat qui a engendré la création du grand parc du Puy du Fou : le parc de l’Histoire de France. Il représente 1 500 emplois saisonniers, dont de nombreux intermittents du spectacle, 150 emplois à l’année, 5 000 emplois indirects et 350 millions d’euros de retombées économiques, sans un seul centime d’argent public.

Ce mécénat populaire que représente le bénévolat dans le spectacle vivant est une richesse qui fait partie intégrante du rayonnement et de la vitalité de la France. Cet enjeu, vous l’avez saisi, et je m’en réjouis. Grâce à un travail intelligent entre les associations et le ministère, vous avez privilégié la liberté au souhait de codifier de manière rigide les pratiques amateurs.

Aujourd’hui, dans ce projet de loi, vous laissez donc entière liberté aux bénévoles : liberté de n’être ni salarié, ni payé ; liberté d’offrir gratuitement leur temps, leur talent et leur savoir-faire. Vous entendez cependant limiter le nombre de représentations par voie réglementaire. Au nom de ces centaines de milliers de bénévoles, je vous remercie par avance de faire de cette liberté créatrice une réalité sans épée de Damoclès. Nous vous remercions de laisser aux bénévoles la possibilité de continuer à donner de leur temps sans compter ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Marcel Rogemont. C’est vrai !

Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Dessus.

Mme Sophie Dessus. Croyez-vous au hasard quand les terroristes de Daech détruisent les cités antiques et s’acharnent sur le patrimoine afin d’effacer toute trace de civilisation, et cela avec le même acharnement méthodique que celui avec lequel ils assassinent hommes, femmes et enfants ? Ils le font parce qu’ils savent qu’en éradiquant les racines de la culture, ils réduisent à néant l’âme des hommes et anéantissent leurs espérances. Ils le font parce qu’ils savent que c’est la culture qui permet l’ouverture vers d’autres espaces mentaux, l’art qui abolit les frontières entre les nations, la création qui permet les dialogues entre les civilisations. Ils le font parce qu’ils savent que sans mémoire, il n’y a plus d’histoire, que sans histoire, il n’y a plus d’avenir et que détruire le patrimoine, c’est interdire la création.

Parce que nous, Français, encore plus que d’autres, nous sommes chargés, comme le concevait Malraux, de l’héritage du monde qui prendra la forme que nous lui donnerons, il nous fallait dans cette loi regrouper patrimoine et création, l’un ne pouvant aller sans l’autre, regrouper l’enracinement à nos valeurs et la remise en cause permanente de nos acquis. Le faire, c’est rappeler que si la culture émane d’une nation, elle appartient à l’univers, que si elle est le fruit d’une époque, elle est l’éternité, que si elle est nous, elle est aussi l’autre et que, en ce XXIe siècle, elle est sans doute seule à même de porter le message d’humanisme nécessaire à la survie de l’humanité.

Le texte s’ouvre sur la création, sa liberté et les profondes métamorphoses qu’elle doit affronter en entrant dans l’ère des nouvelles technologies, lesquelles remettent en cause la diffusion des œuvres, leur sauvegarde, les droits d’auteur ou encore les droits sociaux. Face à l’infantilisme que tentent d’imposer les réseaux dits sociaux, face à l’asservissement du normatif et à l’uniformité architecturale qui sclérosent, face au pouvoir économique tentaculaire représenté par les géants du net que sont Amazon ou Google, les quelques articles dont nous allons débattre sont le socle d’un long cheminement.

Les articles consacrés au patrimoine restent fidèles à l’esprit des grandes lois Malraux et Lang, tout en prenant en compte les évolutions contemporaines. Il en est ainsi de la nécessité de simplifier, à l’époque des regroupements intercommunaux et régionaux, tout en réaffirmant le contrôle de l’État sur ce patrimoine architectural si cher aux Français ou l’attachement tout aussi fort d’un peuple à son patrimoine immatériel : qu’il s’agisse de notre langue, véhicule de notre pensée, à travers les siècles, matrice de notre littérature, à laquelle nous devons tant et qu’il nous faut faire rayonner ; qu’il s’agisse encore des métiers d’art, de la nécessité de leur transmission, de la reconnaissance de leur savoir-faire, qui est indissociable de la réalisation d’une œuvre. Aujourd’hui, combien y a-t-il de maîtres et d’écoles chargés d’enseigner ces métiers patrimoniaux riches de promesses pour nos jeunes, non délocalisables et qui contribuent à l’excellence française ?

Enfin, en cheminant d’articles en articles, on voit surgir l’architecture. La question à laquelle il nous est demandé de répondre est des plus simples : quelle architecture dessinera le visage de la France de demain ? Autrement dit, quel héritage patrimonial léguerons-nous aux générations futures ? Soit nous revendiquons le droit au beau et à l’esthétique pour tous et partout, avec la volonté de réconcilier patrimoine, architecture, urbanisme, habitat et paysage, considérant qu’un logement, s’il est un abri, est aussi un art de vivre – exemple : La Cité radieuse voulue par Le Corbusier – soit nous sacrifions beauté et esthétique à des standards économiques et à l’uniformisation architecturale qui défigurent et sclérosent nos territoires. D’où la simplification, mais dans le respect de la préservation architectural ; d’où le transfert des ZPPAUP et des AVAP en cités historiques ; d’où la création d’un label pour le patrimoine du XXsiècle ; d’où certaines dérogations aux documents d’urbanisme pour laisser une place à l’imaginaire et une chance au Facteur Cheval du XXIsiècle.

Certains considèrent la culture comme secondaire, surtout en période de crise. C’est ignorer son poids économique et les retombées en matière d’emploi, soit plus de 75 milliards de chiffres d’affaires et 1,2 million de postes. Aussi, à nous de démontrer dans ce texte qu’à travers la culture, c’est le rayonnement, la compétitivité, la fierté d’être français qu’il nous faut afficher ! Cette culture porte les valeurs de la République. Elle a su réunir dans une même volonté créatrice le Blanc et le Noir, couleurs de l’humanité, celui qui croit au ciel et celui qui n’y croit pas, ou encore plus simplement l’homme et l’homme. « La culture ne s’hérite pas, elle se conquiert », a prévenu Malraux. C’est cette culture que nous nous devons construire jour après jour, culture qui a fait la France, son histoire et ses valeurs, et qui continuera à en porter haut les couleurs à travers le monde.

Telle est l’ambition que vous avez voulue pour ce projet de loi, madame la ministre, et nous vous en remercions.

M. Michel Pouzol. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Virginie Duby-Muller.

Mme Virginie Duby-Muller. Présenté comme un des marqueurs culturels de ce quinquennat, le texte sur lequel nous commençons à débattre aujourd’hui révèle la grande fragilité de la politique culturelle du Gouvernement. Bien que pavé de bonnes intentions, ce projet de loi se limite pourtant à de grandes déclarations, sans vision d’ensemble ni perspective pour ce domaine si particulier, si singulier qu’est la culture française.

Il s’agit d’abord de relever un manque global de soutien financier. Si le budget de la culture en 2015 a été sanctuarisé, il entérine néanmoins des crédits en chute libre : sur les trois derniers exercices, les moyens sont en effet en baisse puisqu’entre la loi de finances pour 2012 et le projet de loi de finances pour 2015, les crédits de paiement de la mission « Culture » ont été réduits de 166 millions d’euros, soit une baisse de 6 % en trois ans ! Par ailleurs, madame la ministre, alors que vous confiez un rôle accru aux collectivités territoriales en matière de protection du patrimoine, l’État diminue leurs dotations ! Ce désengagement, qui inquiète des élus locaux de tous bords, induira un effet ciseau qui sera contre-productif.

Le texte que vous présentez aujourd’hui est l’incarnation du manque d’ambition de votre politique : celle-ci se limite à des aspects déclaratifs s’inscrivant dans une forme de droit mou, ainsi que l’a constaté le Conseil économique, social et environnemental. En outre, il s’agit d’un fourre-tout, un patchwork étendu sur un très vaste périmètre. Madame la ministre, quelques principes généraux ’ont malheureusement jamais fait une politique culturelle.

Je pense notamment à l’exploitation numérique de la musique : vous avez confié, au mois de mai, une mission parallèle à M. Marc Schwartz, que je salue pour ses travaux, alors que le projet était déjà en préparation. Pendant notre travail en commission, il y a deux semaines, lorsque nous parlions de la musique, des relations entre les producteurs et les musiciens, nous étions donc systématiquement renvoyés aux conclusions de la mission Schwartz, dont on vient d’apprendre l’échec. La question de la répartition des fonds provenant du streaming n’est par conséquent pas réglée et devra être tranchée dans l’hémicycle. Cela dénote un manque de méthode, de cohérence, voire un amateurisme ce qui a conduit à la situation ubuesque où nous nous trouvons aujourd’hui.

Enfin, à l’heure où la création et les modes d’accès à la culture sont révolutionnés par les nouvelles technologies, ce projet de loi aborde à peine la question du numérique et la contribution de ses acteurs au financement de la création. L’économie numérique, c’est pourtant le bouleversement de notre époque, et sa prise en compte, sa valorisation nécessitent évidemment l’adaptation des lois actuelles. Mais voilà encore un sujet éludé, ou plutôt reporté, qui laisse un manque important dans ce projet de loi, au profit de propositions avant tout cosmétiques ou d’affichage. On nous parle ainsi de politique culturelle, mais d’une manière lacunaire, ponctuelle, au fond sans créativité.

Espérons que les travaux parlementaires permettront de donner à ce texte un corps, une consistance.

M. Marcel Rogemont. Il ne tient qu’à vous !

Mme Virginie Duby-Muller. Il s’agira aussi de clarifier certaines mesures : je pense notamment aux contrats des artistes-interprètes et des artistes musiciens précisés à l’article 5. Vous avez accepté une première avancée sur le sujet en commission en approuvant un amendement précisant que les producteurs de musique adressent déjà des redditions de comptes semestriels aux artistes-interprètes et que cette obligation ne concernera pas, en toute logique, les artistes musiciens. Mais nous restons mobilisés sur de nombreux sujets et nous ne manquerons pas de faire des propositions pour donner une cohérence au texte.

Je souhaite aussi revenir sur un enjeu qui me tient particulièrement à cœur : celui de la copie privée. Le sujet est survolé dans le texte, qui reprend certes quelques propositions du rapport rendu en juillet dernier par Marcel Rogemont au titre de la mission d’information que je présidais. Ces propositions permettront d’améliorer la transparence, grâce notamment à la mise en place d’une base de données regroupant l’ensemble des sommes versées par les sociétés de perception et de répartition des droits au titre de l’action artistique et culturelle, ou encore de consacrer le quart du fruit des perceptions provenant de la copie privée à l’éducation artistique et culturelle.

Cependant, madame la ministre, trop de questions restent en suspens, auxquelles le texte ne parvient pas à répondre. Trente ans après sa création et en dépit de l’évolution dynamique des montants perçus qui, je le rappelle, s’élèvent tout de même à près de 235 millions d’euros par an, le dispositif de rémunération pour copie privée est confronté à des défis considérables : je pense notamment au développement du numérique et du cloud, qui révolutionnent les modes de copie et favorisent l’accès aux contenus en ligne. Le dispositif traverse aussi une crise importante, avec des difficultés de gouvernance, et est confronté à des questions comme la territorialité de la redevance ou le montant de la rémunération et son assiette, qui restent également problématiques.

Le temps est clairement venu de s’interroger sur ce dispositif et surtout de le moderniser, avec des avancées de bon sens en tenant compte des évolutions technologiques. Malheureusement, les amendements proposés par le Gouvernement et la majorité socialiste ne répondent que partiellement à ces enjeux. On nous a, par exemple, proposé un amendement actant la présence de représentants des ministères pour les études d’usages, sans demander expressément des experts reconnus logiquement pour leur compétence dans le secteur de l’industrie culturelle. Le récent rapport Maugüé demandait pourtant des études d’usages soumises à une vraie « expertise indépendante » via un collège de personnalités. Le rapport de Marcel Rogemont allait même plus loin en proposant la création d’une autorité administrative indépendante chargée de l’homologation des barèmes. Ces propositions récentes n’ont visiblement pas retenu l’attention du Gouvernement, et nous le regrettons.

La question de la copie privée est ainsi un exemple parmi tant d’autres du manque de vision stratégique de ce texte, qui rassemble des mesures éparses, sans cohérence globale, ne permettant pas de parler d’une réelle politique culturelle.

La culture n’est pas un luxe, c’est une nécessité. Pour citer André Malraux, « La culture ne s’hérite pas, elle se conquiert ». Madame la ministre, c’est justement une telle ambition que je réclame de votre part aujourd’hui pour donner au milieu culturel les moyens de se réformer, de s’épanouir et d’innover. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Faure.

Mme Martine Faure. Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui présente une réforme du régime juridique des biens archéologiques et des instruments de la politique scientifique archéologique. En effet, l’état des lieux du dispositif de l’archéologie préventive, plus de douze ans après le vote des lois fondatrices de 2001 et 2003, nous imposait de revisiter son fonctionnement, de redéfinir le rôle des différents acteurs et d’améliorer les formes de coopération.

Avant tout, je veux rappeler la place et toute l’importance de l’archéologie dans notre vie. Cette science humaine et sociale s’est professionnalisée ces vingt dernières années. Elle permet de rendre sensibles les liens des sociétés humaines avec leur environnement. L’archéologie préventive ancre la discipline dans la vie économique du pays, et les archéologues participent aux aménagements du territoire tout en sauvegardant le patrimoine par l’étude scientifique.

L’archéologie suppose donc un travail d’équipe où l’interdisciplinarité est indispensable. À cet égard, le code du patrimoine précise que l’État veille à concilier les exigences respectives de la recherche scientifique, de la conservation du patrimoine et du développement économique et social. Il faut noter cependant que les acteurs sont nombreux : les aménageurs, souvent à l’origine de la mise en œuvre de la procédure d’archéologie préventive ; le ministère de la culture et ses services, au cœur du dispositif ; l’INRAP, opérateur historique présent sur l’ensemble du territoire ; les services des collectivités territoriales œuvrant grâce à leurs compétences et à l’impulsion politique de leurs élus ; les opérateurs privés, présents depuis la loi de 2003 ; enfin, tous les acteurs de la recherche – ministère de la recherche, CNRS, universités et tous ceux qui, après les fouilles, œuvrent pour la recherche.

Aussi, l’article 20 du projet de loi apporte des précisions, des corrections et des solutions afin de préserver cette grande politique scientifique et patrimoniale. Il y parvient en clarifiant le rôle des différents acteurs de la chaîne archéologique, dont l’État, lequel assurera désormais la maîtrise d’ouvrage scientifique des opérations et veillera au bon fonctionnement du service public de l’archéologie préventive dans toutes ses dimensions – scientifique, économique, sociale et financière. L’article précise les délais des diverses procédures afin de ne pas retarder les travaux, car, nous le savons tous, la relance économique, la réalisation des grands travaux reste un objectif fondamental, et reconnaît la forte implication des collectivités territoriales et des agents des services archéologiques. Il améliore la coopération entre l’ensemble des acteurs publics et confie à l’INRAP un monopole sur la réalisation des opérations sous-marines, les sols traités étant du domaine public et les compétences et équipements de l’INRAP à la hauteur du défi.

Il est aussi primordial, nous en avons parlé, madame la ministre, de faire œuvre de simplification dans la perception de la redevance d’archéologie préventive afin de pouvoir la reverser dans les meilleures conditions et dans des délais corrects. La budgétisation de cette redevance devrait indéniablement améliorer le dispositif.

Nous avons également évoqué en commission un sujet très important, sur lequel je me permets d’insister : il faut créer des passerelles professionnelles entre les différents univers de l’archéologie, notamment au sein des nombreux services de l’État.

En conclusion, je tiens à vous remercier très vivement, madame la ministre, d’accepter cette co-construction du projet de loi afin que nous puissions ensemble concrétiser ce nouvel équilibre dont l’archéologie préventive a besoin. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Marcel Rogemont. Excellent !

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Fleur Pellerin, ministre. Je serai très brève parce que nombre des points évoqués par les différents orateurs vont être discutés ce soir ou dans les jours qui viennent. Je veux juste remercier pour leur approche extrêmement constructive et pour leurs commentaires Gilda Hobert, Michel Pouzol, Sophie Dessus, Hervé Féron et Marie-George Buffet. Leurs interventions ont bien montré que nous partageons la même conception de la culture, ce qui n’est pas toujours le cas avec l’autre côté de cet hémicycle…

Il s’agit, disais-je, d’une même conception de la culture comme projet politique et pour l’émancipation de tous. Nous partageons également la même réflexion sur le rôle de l’État dans les politiques culturelles et la même ambition s’agissant de l’audiovisuel public ou encore des nouveaux droits à accorder aux professionnels. Je suis donc sûre que nous parviendrons à préciser un certain nombre de points et à enrichir ce texte afin de satisfaire encore davantage certaines de vos suggestions.

Ensuite, je voudrais revenir sur certaines contestations que j’ai à nouveau entendues concernant la liberté de création.

Tout d’abord, je tiens à dire qu’il est possible que la liberté de création existe à l’état naturel, mais qu’en tout état de cause, il est toujours préférable de la pouvoir l’abriter derrière la loi. La liberté de conscience et la liberté de la presse sont mieux protégées dès lors qu’elles sont inscrites dans la loi. Il est donc important d’affirmer très solennellement, comme nous le faisons dès ce soir, le principe de la liberté de création.

Mme Genevard s’est méprise ou a mal entendu mes propos lorsque j’ai cité des exemples d’atteintes à la liberté de création. Elles sont de différents types, et je ne les mélange pas. Certaines de ces atteintes – nous en avons rencontré de nombreuses récemment – relèvent de la volonté de financeurs, publics ou privés, de s’ingérer dans la programmation, selon le principe « qui paie décide », et d’imposer à des programmateurs, directeurs de scènes ou institutions culturelles de plaire au plus grand nombre, par populisme ou par bienséance, pour ne pas heurter telle ou telle conviction. Il en est allé ainsi ces derniers temps au Forum du Blanc-Mesnil, à Annonay ou à Fréjus.

D’autres, tout aussi dangereuses, procèdent de personnes ou de groupes constitués qui s’arrogent de plus en plus régulièrement le droit de contester ou d’empêcher la présentation d’une œuvre à un public. Nous l’avons vécu lors de la dégradation des installations d’Anish Kapoor – et je n’ai pas du tout mis en cause le rôle des institutions culturelles dans la présentation de cet artiste. Ces stratégies de manifestation et d’intimidation visant à empêcher le public d’accéder sereinement à l’œuvre constituent des menaces tout aussi fortes contre la liberté de création.

Des divergences sont apparues sur ce point lors de la discussion en commission. Mme Genevard s’est montrée désireuse d’introduire dans le projet de loi des dispositions visant à donner davantage de pouvoir aux collectivités qui financent les lieux culturels en matière de programmation et de diffusion. Nous sommes fondamentalement en désaccord sur ce sujet.

Par ailleurs, j’aimerais indiquer à Michel Herbillon qu’il ne peut à la fois déplorer un texte « fourre-tout » et réclamer des dispositions supplémentaires sur le rayonnement culturel à l’étranger, la régulation d’internet, la diffusion culturelle, la répartition de la valeur dans les industries créatives, le mécénat et le cinéma.

M. Michel Herbillon. C’est ça une grande loi culturelle !

Mme Fleur Pellerin, ministre. Monsieur Herbillon, il aurait fallu cent articles pour satisfaire votre voracité législative ! Mais, s’agissant du cinéma par exemple, des dispositions existent, qui ne sont pas nécessairement législatives. En matière de rayonnement international en particulier, le ministère de la culture a ainsi pu se voir de nouveau confier la tutelle de l’Institut français. Beaucoup d’autres dispositions qui ne relèvent pas de la loi conduisent à promouvoir la culture française à l’étranger. Je puis vous assurer que ce sujet me tient particulièrement à cœur.

En outre, je ne peux pas laisser dire que ce projet ne comporte pas de disposition sur l’audiovisuel et le cinéma. Il inclut en effet des mesures portant sur la transparence, issues d’une concertation très approfondie avec l’ensemble de la filière et qui permettront d’encourager encore davantage l’investissement dans la création cinématographique, en clarifiant et en sécurisant la remontée de recettes, c’est-à-dire la façon dont les recettes parviennent aux producteurs. Très attendues par le secteur cinématographique, ces dispositions favoriseront l’investissement et la création cinématographiques.

Quant à l’audiovisuel, il a fait l’objet, à ma demande, de négociations entre tous les acteurs de la filière. Je souhaite que le reste de la discussion parlementaire permette, le cas échéant, d’inscrire dans la loi les principes auxquels cette concertation aura abouti.

Il a également été question des conclusions de la mission que j’ai confiée à Marc Schwartz. Madame Duby-Muller, vous semblez très bien informée puisque vous évoquez l’échec de ces négociations avant même qu’elles ne soient achevées… Ces discussions sont en cours. Les nombreuses parties prenantes – représentants des artistes, des sociétés de perception et de répartition des droits, des producteurs, des diffuseurs, des plates-formes – sont actuellement autour de la table.

Laissez le temps à cette concertation d’aboutir, ce soir ou demain matin, avant d’estimer qu’elle a échoué. Pour ma part, j’en attends encore beaucoup. J’espère qu’elle nous permettra d’introduire des dispositions visant à mieux rémunérer le travail de création des auteurs-interprètes.

Telles sont les précisions non exhaustives que je souhaitais apporter, avant que nous n’entrions dans le vif des débats. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Discussion des articles

Mme la présidente. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.

Article 1er

Mme la présidente. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article.

La parole est à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, une loi sur la création est un oxymore. Légiférer sur ce sujet appelle une grande loi, ou rien. Je partage à cet égard les propos tenus par Virginie Duby-Muller, Annie Genevard et Michel Herbillon lors de la discussion générale : il aurait fallu un grand texte, qui n’est pas au rendez-vous.

On peut en outre reprocher à cette loi d’être défensive, et non offensive. Certains de ses articles sont sans effet, d’autres n’anticipent pas l’avenir de la culture et de la création.

On aurait pu imaginer des articles qui tentent d’appréhender le monde de demain, les emplois culturels, les métiers artistiques ; une loi qui anoblisse le droit d’auteur, attaqué à Bruxelles et ailleurs ; une loi qui prenne en compte le fait que les politiques de la culture devraient se faire avec les territoires d’une part et les professionnels d’autre part.

Au lieu de cela, avant le passage en commission, nous avons reçu une première mouture composite et amalgamée ; depuis les auditions, nombre d’amendements tentent de corriger ou du moins de rendre utiles certains articles. Je m’y essaierai pour ma part, avec mes collègues, au moyen de quelques amendements.

À défaut de transformer, par le biais d’amendements, une petite loi en une grande loi, nous pouvons – nous devons – réaffirmer que les questions de culture n’appellent pas une démarche défensive. Les milieux artistiques et culturels ont besoin de nous. La richesse créée par notre économie sera immatérielle demain.

Notre richesse culturelle est notre arme dans la mondialisation. Tel est le sens de l’amendement après l’article 1er que je défendrai.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. Dans ce débat relatif à la liberté de création, certains commentaires sont douloureux pour notre pays. Je citerai tout d’abord le propos de Jean-Jacques Beineix, estimant que la liberté de créer est bafouée aujourd’hui en France, ou celui d’Anish Kapoor, selon lequel on voit progresser l’intolérance en France.

M. Marcel Rogemont. C’est vrai !

Mme Annie Genevard. Ces affaires sont certes de nature différente. L’interdiction du film Love de Gaspar Noé, qui a suscité des débats, n’est pas de la même nature que les atteintes à l’œuvre d’Anish Kapoor. La conclusion est pourtant identique : la France ne défendrait pas la création, la France ne serait pas au rendez-vous de la culture. Un glissement s’opère là, qui est préjudiciable.

Il vous revient, madame la ministre, de défendre l’idée que la France reste la patrie des créateurs, comme elle l’a toujours été. Des actes antisémites, des atteintes envers les créateurs ou la diffusion de leurs œuvres ne peuvent légitimer un discours généraliste.

J’ajoute qu’en défendant la liberté de création, il faut veiller à ne pas devenir l’arroseur arrosé. A ce titre, je rappellerai la réaction du Premier ministre lors de la parution du roman Soumission de Michel Houellebecq. Que n’a-t-on dit de ce roman, y compris dans cette enceinte !

Plusieurs députés du groupe socialiste, républicain et citoyen. Et alors ?

Mme Annie Genevard. Les propos tenus contestaient la validité de la création par Michel Houellebecq. (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Mais si ! Manuel Valls a ainsi dit : « La France, ce n’est pas Michel Houellebecq, nous refusons ces discours qui traumatisent ». Si ce n’est pas un discours sur la liberté de création, de quoi s’agit-il ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Demarthe.

M. Pascal Demarthe. Ce projet de loi constitue un temps fort de la législature parce qu’il est l’occasion de réaffirmer, notamment à travers son article 1er, qui est sa pierre angulaire, que la culture est au cœur du projet républicain, ce projet que nous partageons tous sur ces bancs et qui veut les hommes libres, égaux et fraternels. Fidèle à son étymologie latine – colere, qui signifie « honorer » – la culture, la création artistique en particulier, met à l’honneur l’esprit humain. L’œuvre d’art, œuvre de l’esprit, n’a d’autre objectif que de donner à réfléchir sur soi et sur les autres, ce qui la distingue de l’artisanat. Ce faisant, elle participe de l’émancipation des êtres humains par la pensée, ce que l’on appelle « liberté ». Elle met en exergue ce qu’il y a d’universel dans l’humanité, preuve de l’égalité des hommes. Enfin, elle nous pousse à aller vers l’autre, à donner à l’autre, ce que l’on appelle « fraternité ». Oui, la création artistique est indispensable à la République, car elle contribue à rendre les hommes libres, égaux et fraternels.

C’est bien pour cela d’ailleurs que les ennemis de la République, ceux d’hier et ceux d’aujourd’hui, cherchent à la contrôler. Les autodafés d’hier, les actes terroristes d’aujourd’hui contre les artistes et le patrimoine culturel, architectural et archéologique participent d’une même logique visant à empêcher l’homme de penser et donc de se révolter.

C’est pourquoi il est fondamental, aujourd’hui, de réaffirmer notre attachement à la liberté d’expression en général et à la liberté de création artistique en particulier. C’est affirmer qu’elle fait partie de nos valeurs ; c’est opposer une barrière juridique à toute tentation d’ingérence du politique dans l’artistique ; c’est enfin reconnaître qu’il n’est pas de forme d’expression artistique supérieure aux autres.

Certes, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 fait déjà de la liberté d’expression un principe de valeur constitutionnelle. Mais il appartient au législateur de donner au citoyen toutes les garanties nécessaires à l’application de ce principe. C’est ce que nous faisons aujourd’hui en écrivant noir sur blanc que la création artistique est libre, comme toute autre forme d’expression.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Herbillon.

M. Michel Herbillon. La reconnaissance législative de la liberté de création artistique est un beau symbole. Nous soutenons ce dispositif : comme vous, nous réprouvons toutes les atteintes à la liberté de création artistique. Il nous faut être extrêmement vigilants pour nous préserver de toutes les menaces qui peuvent peser sur la liberté de création. Tous, ici, nous nous opposons à ce que vous appelez les « stratégies d’intimidation » visant à empêcher l’accès aux œuvres.

Tout en soutenant ce dispositif, nous nous interrogeons cependant sur la portée juridique réelle de cette affirmation. Peut-être nous éclairerez-vous, madame la ministre, sur ce point lors de la discussion sur l’article 1er : ce droit n’aurait-il pas seulement une valeur déclarative, constituant en quelque sorte un « droit mou » ? Quelle est donc la portée juridique de l’affirmation de la liberté de création artistique, qu’encore une fois nous soutenons ?

Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Avant d’entrer dans le détail des nombreux amendements, je souhaiterais donner ma vision sur ce projet de loi. Je pense que vous faites fausse route car vous envisagez la culture avant tout comme une affaire d’État – on pourrait même parler d’étatisation de la culture. Le cinéma, les structures labellisées ou les biens archéologiques en fournissent des exemples.

La liberté de création ne peut être qu’un principe : il faut aussi la traduire dans les faits. Or vous semblez envisager la liberté de façon bien trop restrictive, en laissant les artistes créer mais en voulant contrôler tout ce qu’il y a autour, en particulier les entreprises. Or, même dans le domaine de la culture, le terme « entreprise » n’est pas un gros mot…

Aussi, nous nous efforcerons de remettre la liberté au cœur de ce projet de loi. Je ne doute pas, madame la ministre, que vous serez attentive à nos suggestions, comme j’espère que vous entendrez mes propositions relatives à la copie privée. Elles n’émanent pas de vous mais permettront de remettre un peu de bon sens dans ce système.

Mme la présidente. La parole est à M. Marcel Rogemont.

M. Marcel Rogemont. La création artistique est libre. Quelle belle affirmation ! Nous pouvons cependant nous étonner de sa profération, ici même, comme s’il y avait une urgence.

Les caricatures de Mahomet nous en rappellent l’urgente nécessité. Urgente nécessité aussi lorsqu’à Rennes, en 2011, des intégristes catholiques essayent d’empêcher la représentation d’une coproduction du Théâtre national de Bretagne, Sur le concept du visage du fils de Dieu, avec pour metteur en scène Romeo Castellucci. Les manifestants, bien que n’ayant pas vu la pièce, jugeaient insultant que le visage du Christ Salvator Mundi peint par Antonello de Messine puisse constituer l’argument d’une représentation théâtrale. La peur, insidieuse censure, est désormais présente.

Face à cela, une affirmation par la loi est nécessaire. Sera-t-elle suffisante ? Cela appelle de notre part, à nous, élus, un courage : celui de permettre la création, la diffusion de l’art. Nous le faisons en développant nos politiques plutôt qu’en les réduisant. Nous sommes les premiers artisans de la liberté de création ainsi que des conditions de son épanouissement grâce à nos actions, subventions, bâtiments, équipements. Le Gouvernement propose – enfin ! – que les crédits de la culture ne baissent pas ; ils sont même annoncés en croissance. C’est un signe. Que ce signe soit perçu par tous les élus comme un appel à ne pas baisser la garde. Les artistes ont besoin de nos politiques, de notre engagement pour la culture. Nul doute qu’ils seront attentifs à nos décisions, et ce, à raison.

Certains, à droite, jouent les offensés et font des propositions pour trouver 150 milliards d’économies : face à ces paroles éphémères, nous offrons, nous, la force de la loi.

M. Yves Durand. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Féron.

M. Hervé Féron. Ce projet de loi s’ouvre donc par une affirmation puissante et lapidaire, qui résonne comme une véritable déclaration d’intention : « La création artistique est libre ». C’est tellement fort que ce premier article pourrait appartenir à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ! (Murmures sur les bancs du groupe Les Républicains.) Y ajouter le moindre qualificatif, la moindre précision, comme cela a été proposé, reviendrait à ôter de la force à ce cri lancé au monde.

Si ce principe semble relever de l’évidence dans un pays démocratique, nous avons pu constater ces dernières années à quelle vitesse et dans quelles circonstances tragiques la liberté de création pouvait être piétinée du fait des dérives rétrogrades et obscurantistes de notre société.

Madame la ministre, quand on vous a demandé pourquoi vous parliez de la liberté de création, vous avez répondu que cette affirmation était une nécessité dans la France de l’après-Charlie. Alors que notre pays panse encore ses blessures, les remises en cause d’expositions et de programmations ne peuvent perdurer. Les velléités de création doivent être protégées des choix de pur opportunisme politique tout comme des actes de vandalisme fanatique.

François Hollande s’y était engagé, ce projet de loi le concrétise aujourd’hui. Il sera l’un des marqueurs culturels du quinquennat.

M. Michel Herbillon. Oh que non !

M. Hervé Féron. Au même titre que la liberté d’expression ou la liberté de la presse, la liberté de création figurera dans les textes constitutionnels français, comme c’est déjà le cas dans plusieurs autres pays européens.

M. Marcel Rogemont. Très bien !

Mme la présidente. Nous en venons aux amendements.

Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 151 et 277 rectifié.

La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement n151.

M. Lionel Tardy. Cet article 1er, de même que les articles 2 et 3, est purement programmatique : ce n’est pas moi qui le dis, c’est le Conseil d’État, dans son avis. Si j’étais mauvaise langue, je dirais même que ces trois articles relèvent du bavardage législatif.

Vous aurez compris que je ne suis pas fan de cet article, mais je sais que vous y êtes attachés. Admettons. Mais dans ce cas, autant être complet. Vous souhaitez écrire que la création artistique est libre. Nous sommes d’accord, mais la diffusion artistique aussi est libre. Pourquoi ne pas l’écrire aussi ? Les deux vont de pair, sans pour autant couler de source. Si un artiste est libre de créer, sa liberté à diffuser son œuvre est tout aussi importante. Inutile d’expliquer pourquoi : nous avons tous les événements de janvier et l’attaque contre Charlie Hebdo en tête.

Autant donc ne pas être restrictif sur l’idée de liberté et affirmer, comme le propose le présent amendement, que « la création et la diffusion artistiques sont libres. »

Certains députés socialistes avaient déposé un amendement similaire en commission. Vous aviez demandé, madame la ministre, son retrait en vue d’une étude plus approfondie. Passé le temps de l’étude, je pense qu’adopter un tel amendement coule de source. C’est ce que je vous propose de faire.

Mme la présidente. La parole est à M. Denys Robiliard, pour soutenir l’amendement n277 rectifié.

M. Denys Robiliard. Madame la ministre, je défends ici en effet de nouveau l’amendement que j’avais proposé en commission.

Quel est le propos ? Vous avez dit dans votre présentation que la liberté de diffusion est le corollaire de la liberté de création. Or si cela se dit, cela doit pouvoir s’écrire, et cela doit même pouvoir être inscrit dans la loi car quand on analyse les textes internationaux, l’évidence que vous énoncez n’est pas si claire que cela.

Contrairement à M. Tardy, je ne pense pas que l’affirmation de la liberté de création artistique soit purement programmatique ou emblématique. Elle a une portée juridique et servira devant les juridictions, qui en détermineront ensuite le contenu par la jurisprudence.

Il importe selon moi de mieux lier cette notion à la garantie constitutionnelle et conventionnelle de la liberté d’expression, qui a une double nature, à la fois de liberté de création et de liberté de diffusion. Outre la difficulté à créer, les artistes peuvent en effet rencontrer une difficulté à diffuser, en raison d’oppositions dans la confrontation avec le regard extérieur ainsi qu’avec les pouvoirs, y compris les pouvoirs économiques.

Affirmer la liberté de diffusion permettrait aux juges de recourir à un mécanisme d’interprétation bien connu : celui selon lequel, dès lors qu’un principe est affirmé, les exceptions doivent être interprétées de façon restrictive. Ce n’est donc pas par simple plaisir que je propose d’ajouter à l’affirmation que la création artistique est libre celle que la diffusion l’est également.

M. Lionel Tardy. Très bien !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements identiques ?

M. Patrick Bloche, rapporteur. Je comprends parfaitement le souci exprimé par Lionel Tardy et Denys Robiliard à travers ces amendements, qui ont d’ailleurs déjà fait l’objet d’un débat au sein de la commission. Je voudrais les convaincre que c’est dans l’article 2, qui fixe les objectifs des politiques culturelles menées par l’État, les collectivités territoriales et leurs établissements publics, que doit s’inscrire leur préoccupation concernant la liberté de diffusion, laquelle rejoint une autre liberté tout aussi fondamentale, qui est son corollaire : la liberté de programmation.

Vous avez raison, l’un et l’autre, de souligner que l’acte de création ne vaut que s’il est accessible.

M. Lionel Tardy. Alors, écrivons-le !

M. Patrick Bloche, rapporteur. Nous nous inscrivons, en tant que législateurs, dans la démarche retenue par le Gouvernement et selon laquelle les actes de censure et de déprogrammation, les pressions et interventions diverses doivent être empêchés grâce aux dispositions contenues dans ce projet de loi.

C’est la raison pour laquelle je souhaiterais qu’à l’issue de la première lecture dans cet hémicycle, la rédaction originelle de l’article 1er, celle qui a été proposée par le Gouvernement, soit conservée – « La création artistique est libre » – afin d’inscrire la liberté de création aux côtés de la liberté d’expression et de la liberté de communication. L’article 2 pourrait ensuite indiquer les moyens d’assurer cette liberté de création, via la liberté de diffusion et la liberté de programmation.

Je vous suggère donc de retirer vos amendements étant donné que le Gouvernement a tenu compte du débat que nous avons eu en commission et veut apporter, par l’amendement n462 à l’article 2, une réponse au souci que vous exprimez.

Mme la présidente. Et à défaut de retrait, monsieur le rapporteur, quel serait l’avis de la commission ?

M. Patrick Bloche, rapporteur. Je préférerais que les amendements soient retirés, mais la commission a émis un avis défavorable sur ces amendements identiques.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Fleur Pellerin, ministre. Avant de répondre avec précision aux auteurs des amendements, je voudrais revenir, d’un point de vue juridique, sur la qualité normative de cette disposition. La question est en effet au cœur de beaucoup d’interventions, parfois, notons-le, avec quelque ambiguïté, notamment chez Lionel Tardy : si cet article n’a aucune valeur normative, à quoi bon l’amender ?

M. Lionel Tardy. Autant être complet !

Mme Fleur Pellerin, ministre. La raison pour laquelle il me semble aujourd’hui indispensable d’affirmer le principe de la liberté de création, c’est que le juge doit, en cas de contestation, pouvoir prendre en considération la singularité, le caractère spécifique de la création artistique en tant que modalité particulière de la liberté d’expression. Cette dernière peut, elle, se prévaloir d’un ancrage constitutionnel et constitue l’un des droits fondamentaux alors qu’à l’heure actuelle, la spécificité de l’acte créatif artistique n’est pas prise en compte. L’affirmation, par l’article 1er, de la liberté de création permettra au juge, dans son appréciation des impératifs à concilier, de tenir compte de la légitime insolence ou de la provocation inhérente à certaines démarches artistiques.

J’ajoute que la formalisation juridique de cette reconnaissance répond à une exigence formulée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui, dans l’arrêt du 24 mai 1988 « Müller contre Suisse », fait explicitement référence au fait que « ceux qui créent, interprètent, diffusent ou exposent une œuvre d’art contribuent à l’échange d’idées ou d’opinions indispensables à une société démocratique ». C’est la raison pour laquelle il y a aujourd’hui, juridiquement, nécessité d’inscrire ce principe dans la loi.

Pour en revenir aux amendements, le rapporteur l’a rappelé, nous avons eu en commission des discussions fournies sur la nécessité ou non d’introduire le principe de la liberté de diffusion artistique dans l’article 1er. Tout comme le rapporteur, je comprends votre préoccupation : si une œuvre était créée sans avoir jamais la possibilité de rencontrer son public, il y aurait lieu de défendre la liberté de son créateur de la montrer à un public et du public à y accéder. Néanmoins, sur le plan juridique, la liberté de création englobe la liberté de diffusion. D’ailleurs, s’agissant de la liberté de la presse, on affirme que l’imprimerie et la librairie sont libres sans avoir besoin de préciser que leur diffusion l’est aussi : nous faisons là une démarche symétrique.

Je suis donc du même avis que le rapporteur. Je ne souhaite pas affaiblir la force de cet article 1er, qui réside dans sa sobriété et sa concision. En revanche, je suis sensible à vos arguments : c’est pourquoi je présenterai à l’article 2 un amendement visant à inscrire dans la loi la liberté de diffusion et la liberté de programmation en tant qu’objectifs de la politique publique que nous devons mener.

Au bénéfice de cette explication, je vous demande de bien vouloir retirer vos amendements ; à défaut, j’y serais défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Attard.

Mme Isabelle Attard. En commission, j’avais été sensible aux arguments de notre président et rapporteur selon lesquels la liberté de diffusion aurait davantage sa place dans l’article 2. Mais après mûre réflexion, j’estime que ce faisant nous risquerions d’apparaître comme des agneaux ou des naïfs.

M. Lionel Tardy. Oh que oui !

Mme Isabelle Attard. Denys Robiliard l’a rappelé : la création n’est rien si elle reste dans un tiroir. Or la diffusion est manipulée, captée par ces géants d’internet que nous ne cessons de critiquer dans l’hémicycle, quel que soit notre bord. Nous avons abordé le sujet il y a quelques mois dans le cadre de la loi dite « anti-Amazon » mais en définitive, nous n’avons pas changé grand-chose au comportement des géants d’internet, qui se sont adaptés à notre petite législation afin de continuer leur business, continuer à faire du profit et, surtout, continuer à ne pas payer d’impôts.

Inscrire dès l’article 1er le principe de la liberté de diffusion nous donnerait les moyens de garantir aux artistes que ces géants que nous ne cessons de critiquer ne disposeront d’aucun monopole ou emprise sur leur œuvre. Ce serait, madame la ministre, affirmer avec force que nous ne sommes pas dupes de ce qui se passe sur un marché désormais mondial, avec des montants énormes en jeu.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Piron.

M. Michel Piron. Je ne souhaitais pas m’exprimer sur ce point après la discussion générale, mais, madame la ministre, j’avoue avoir été quelque peu surpris par votre intervention.

Vous avez en effet cherché à opérer un distinguo subtil entre création artistique et expression ; c’était même là le fondement de votre argumentation. Or permettez-moi de vous rappeler que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen a valeur constitutionnelle, bien supérieure à celle de la loi que nous allons voter.

M. Marcel Rogemont. Bien sûr !

M. Michel Piron. D’autre part, il existe déjà une loi de 1881 sur la liberté de la presse et la diffusion. Permettez-moi donc de persister à penser que l’article 1er est plus près de la tautologie que d’une affirmation nouvelle. Qu’il fasse plaisir à certains, très bien, mais je doute qu’il ait une portée supplémentaire.

Quand vous dites, comme à l’instant, qu’il convient de donner des garanties juridiques à tout cela en distinguant la création artistique, qui peut donner lieu à des impertinences ou des insolences, et l’expression, j’ai envie de vous renvoyer à Malraux, que vous avez d’ailleurs cité. C’est dans Les Voix du silence, me semble-t-il, qu’il avait eu une de ses fulgurances, affirmant qu’une impression ne suffisait pas à faire une expression. C’est ainsi qu’il qualifiait la création artistique : la capacité de passer d’une impression à une expression. Je ne vois pas ce que pourrait être une création artistique qui ne serait pas une expression.

Par conséquent, veuillez m’en excuser, madame la ministre, je ne suis pas convaincu par l’argumentaire certes subtil que vous venez de développer.

M. Marcel Rogemont. Oh, voilà qui est joliment tourné !

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Pouzol.

M. Michel Pouzol. Au contraire, l’acte de création artistique est un acte particulier, qui n’est pas lié à la diffusion. Songez à Kafka brûlant ses livres ou au nombre de peintres qui ont détruit leurs toiles ou les ont recouvertes d’une autre œuvre ! L’histoire de l’art et de la création n’est pas celle de la diffusion. Ce sont deux choses très différentes.

Concevoir cet article 1er en fonction des seules réalités économiques de notre temps serait passer à côté de son essence même : l’acte créatif est d’abord un acte individuel et libre, dans quelques conditions que ce soit. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Valérie Corre et M. Marcel Rogemont. Excellent !

Mme la présidente. La parole est à M. François de Mazières.

M. François de Mazières. Nous sommes ici au cœur d’un sujet très important et l’intervention de Mme Attard était très intéressante. En effet, inscrire la diffusion dans l’article 1er induit clairement le risque que certains s’appuient sur cet article pour affirmer que tout est gratuit sur internet. Vous le savez bien, madame la ministre, et je suis étonné que vous n’ayez pas immédiatement donné cet argument, car c’est le cœur du problème.

En effet, le problème de la liberté de la création est aujourd’hui un problème financier : comment les artistes vivent-ils ? Il y a certes des cas scandaleux d’interventionnisme, mais ils sont très limités, alors que nous nous battons au quotidien dans nos villes pour faire vivre des troupes ou venir des artistes. Ces derniers doivent avoir des lieux de résidence et des moyens de vivre, il faut leur payer des droits artistiques.

Le danger est aujourd’hui l’omnipotence de ces grandes puissances que sont Google, Apple, Facebook et Amazon – les GAFA – qui, au nom de la liberté de diffusion, sont en train de priver ces artistes de la possibilité de vivre de leurs œuvres.

Voilà qui conforte encore ma demande d’inscrire dès l’article 1er la protection des droits de la propriété intellectuelle, sous peine de voir la situation déraper. Il est bien beau de parler de la liberté, mais ce que les gens attendent de nous, ce sont, au-delà des mots, la réalité et le pragmatisme !

La création est complexe. Je souscris, bien évidemment, à cet article, mais permettez-moi de conclure sur ce mot d’André Gide : l’art naît de contrainte, vit de lutte et meurt de liberté ! On peut tout dire, mais devons au moins veiller à affirmer qu’il faut protéger nos artistes dans leur droit de propriété, protéger leurs possibilités de vivre dignement. Après les propos de Mme Attard, vous devez l’inscrire dès l’article 1er.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. Je réitère une remarque que j’ai déjà formulée en commission sur la valeur juridique de cette affirmation, car je n’ai pas été très convaincue par les arguments avancés. Selon l’étude d’impact, qui émane, je suppose, de services qui ont sérieusement travaillé le sujet, la portée de cette affirmation est essentiellement symbolique. Vous affirmez que cet article 1er fournira des outils juridiques de protection des créateurs, mais il me semble dénoter plutôt de votre part l’intention de répondre à la conjoncture.

Quant à la liberté de la diffusion, il me paraît plus pertinent et plus intéressant de l’introduire dans l’article 2. Je défendrai tout à l’heure un amendement en ce sens.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Patrick Bloche, rapporteur. Mesurons le sens de ce moment. Avant nous, voilà bien longtemps, d’autres législateurs ont inscrit la liberté d’expression dans la grande loi républicaine de 1881. En 1986, la loi sur la liberté de communication, dont Mme Buffet a rappelé qu’elle avait été depuis lors réformée soixante-treize fois, a posé dans son article premier que « la communication est libre ».

M. Lionel Tardy. Ça, on le sait ! Nous parlons de la diffusion !

M. Patrick Bloche, rapporteur. Il nous revient aujourd’hui d’inscrire, comme le font d’autres pays à travers le monde, la liberté de création à l’égal de la liberté d’expression et de la liberté de communication. J’aurai donc de l’étude d’impact une lecture très différente de celle de Mme Genevard, ou plutôt de M. Tardy : il n’y est nullement dit qu’il ne s’agirait que d’une déclaration d’intentions qui ne sert qu’à se faire plaisir, d’une pétition de principe. En l’occurrence, nous posons une norme dont nous attendons qu’elle ait, dans les années futures, une vraie portée jurisprudentielle.

M. Lionel Tardy. C’est le Conseil d’État qui le dira !

M. Patrick Bloche, rapporteur. Cette norme est d’autant plus nécessaire que les tribunaux, dans leurs plus récents jugements, ont de plus en plus souvent tendance à considérer que les œuvres artistiques sont l’expression d’idées ou d’opinions, c’est-à-dire qu’au lieu de particulariser la liberté de création, ils ont tendance à l’assimiler à la liberté d’expression.

M. Pouzol a été très convaincant pour nous inviter, tous ensemble, ce soir, dans cet hémicycle, à distinguer deux libertés fondamentales, tout aussi importantes l’une que l’autre, mais différentes : la liberté d’expression et la liberté de création.

Mme la présidente. La parole est à M. Denys Robiliard.

M. Denys Robiliard. Monsieur le rapporteur, pourquoi refuser à la liberté de création le bénéfice de la liberté d’expression, qui assure une protection constitutionnelle et conventionnelle, et pourquoi refuser à la liberté d’expression cette double nature qui lui ferait protéger la création et sa diffusion ?

M. Pouzol disait tout à l’heure, à juste titre, que les artistes peuvent choisir de ne pas diffuser leurs œuvres ou de les détruire, c’est-à-dire qu’ils doivent pouvoir décider de leur diffusion, voire revenir sur leur décision. Il ne s’agit donc pas de la même chose et il ne faut pas affirmer que l’article 1er ne devrait porter que sur la seule création et que l’article 2 serait une conséquence, qu’il ne porterait que sur les moyens. Il s’agit ici d’une liberté composite.

Ne cherchons pas à opposer ces libertés. Nous créons un mécanisme d’affirmation. Il est vrai que la rédaction proposée par le Gouvernement est assez belle et peut-être pouvez-vous regretter qu’on l’affaiblisse en y ajoutant deux mots, mais cet argument d’ordre esthétique semble être le seul que l’on puisse opposer à notre proposition. Je retiens du débat qu’il y a bien deux libertés, et qu’il faut toutes deux les protéger. C’est ce à quoi tendent l’amendement de M. Tardy et le mien.

(Les amendements identiques nos 151 et 277 rectifié ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à M. François de Mazières, pour soutenir l’amendement n409.

M. François de Mazières. Nous devons aujourd’hui faire face à ce premier danger que représente une sorte d’appropriation de la création par autrui. Nous convenons tous que des excès ont pu se produire et nous les condamnons tous, mais regardons-y de près : le vrai problème, c’est de faire en sorte que l’on puisse vivre encore du métier d’artiste. Que vous soyez musicien, compositeur ou écrivain, si vous n’avez plus de revenus provenant de votre création, la liberté qui est atteinte.

Le président Obama ne déclarait-il pas récemment, en février dernier, me semble-t-il, « Internet nous appartient » ? Au moment où nous allions défendre au niveau européen cet indispensable point d’honneur que nous mettons à protéger les droits de la propriété intellectuelle, cette déclaration d’un grand président revenait à dire que l’on pouvait tout écraser, y compris la culture française !

Madame la ministre, je vous demande vraiment de mettre l’accent sur l’essentiel. L’article 2, auquel nous avons du reste contribué, est un article à la Prévert, qui s’efforce de reconstituer toutes les missions de votre ministère. Vous qui êtes intéressée par ce sujet, lequel constituait le cœur de votre précédente mission ministérielle, affirmez donc que cette loi est la vôtre, inscrivez dans l’article 1er que la création est libre « dans le respect des dispositions du code de la propriété intellectuelle » ! Dites que ce mot de « liberté » signifie réellement quelque chose !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrick Bloche, rapporteur. Elle a donné un avis défavorable. En effet, il est tout d’abord curieux d’écrire que la loi doit respecter la loi. En l’occurrence, dire que la liberté de création respecte le code de la propriété intellectuelle suscite quelques interrogations.

Surtout, pourquoi se référer au seul code de la propriété intellectuelle ? Pourquoi ne pas ajouter que la liberté de création doit respecter le droit de propriété, les droits sociaux, le droit au respect de la vie privée, l’interdiction de l’incitation à la discrimination et de l’apologie du terrorisme ? Il y aurait de très nombreux principes essentiels à respecter !

Enfin, la commission a largement pris en compte votre préoccupation.

M. François de Mazières. Dans l’article 2 !

M. Patrick Bloche, rapporteur. Oui, et alors ? Ce sera aussi un article de la loi, qui aura la même valeur normative que l’article 1er. Il définit pour la première fois dans la loi ce que sont les objectifs des politiques culturelles de l’État, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, autour de cette belle notion, à laquelle nous sommes attachés, de service public de la culture.

Je rappelle que l’article 2 précise, à l’alinéa 6, que la politique en faveur de la création artistique doit « favoriser l’accès du public le plus large aux œuvres de la création, […] dans le respect des droits des auteurs et des artistes ». Il précise également, à l’alinéa 8, que l’octroi de subventions doit se faire dans le « respect des droits sociaux et des droits de propriété intellectuelle des artistes et des auteurs ». Il fixe encore, à l’alinéa 14, un objectif de « juste rémunération des auteurs et un partage équitable de la valeur, notamment par la promotion du droit d’auteur aux plans européen et international ».

C’est en commission que nous avons ajouté ces trois dispositions, qui visent toutes le code de la propriété intellectuelle. Je pense donc que nous avons déjà bien travaillé. La commission a ainsi émis un avis défavorable afin que nous en restions là.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Fleur Pellerin, ministre. L’avis du Gouvernement est également défavorable. Je remercie M. de Mazières de m’avoir fait tout à l’heure crédit, dans son discours sur la motion, du fait que je me batte régulièrement au niveau européen pour défendre le droit des auteurs à une juste rémunération, en particulier à l’ère du numérique où la « répartition de la valeur », comme on dit aujourd’hui, répond à des critères qui nous échappent assez largement, notamment parce que certains, en particulier les multinationales, ont su trouver leur place dans cette chaîne de valeur et trouver les moyens d’accaparer une part croissante de la valeur sans jamais contribuer au financement de la création ou aux budgets nationaux des pays où ils opèrent.

La façon de résoudre ces problèmes, ou du moins d’y travailler, consiste à procéder comme nous l’avons fait depuis plusieurs mois : tenter d’imposer nos principes et nos valeurs au niveau européen et continuer à travailler notamment sur la question de la responsabilité des plates-formes. Celles-ci doivent aujourd’hui évoluer, et cela fera du reste l’objet de l’une des dispositions de la loi numérique. Quel doit être aujourd’hui le statut de ces plates-formes, qui ne sont plus aujourd’hui de simples hébergeurs se contentant de diffuser des contenus ? Le Parlement devra venir enrichir cette réflexion.

Le combat doit également se poursuivre sur le plan de la fiscalité, car nous n’avons toujours pas trouvé le moyen de rendre ces organisations et entreprises comptables vis-à-vis des budgets des États, de leur faire remplir leurs obligations en matière de financement – avec des taxes sur la vidéo à la demande – ou d’exposition de la diversité.

Je crois que nous devons mener ces combats-là à ce niveau et que votre préoccupation est satisfaite puisque nous l’avons intégrée à l’article 2. Mais, comme M. le rapporteur l’a dit, nous préférons maintenir une rédaction de l’article 1er extrêmement sobre, sur le mode d’une déclaration de principe, parce qu’encore une fois, affirmer que la création est libre ne signifie pas qu’elle est gratuite. Liberté ne veut pas dire gratuité. Lorsqu’on dit que l’imprimerie est libre, cela ne signifie pas que tous les journaux doivent être gratuits !

En fait, la confusion que vous craignez n’a pas de raison d’être. Quoi qu’il en soit, le juge saura formuler une juste interprétation.

Bref, comme M. le rapporteur, je suis soucieuse de préserver la force de cet article 1er tout en prenant en compte votre préoccupation et en l’intégrant à l’article 2. Au bénéfice de cette explication, je vous prie de bien vouloir retirer votre amendement. A défaut, vous le comprendrez, je serai défavorable à son adoption.

Mme la présidente. Monsieur de Mazières, le retirez-vous ?

M. François de Mazières. Lorsque nous avons examiné ce texte pour la première fois en commission, il ne contenait rien à ce sujet. Je me réjouis donc que mon insistance ait permis d’intégrer les droits de propriété intellectuelle dans l’article 2. Alors pourquoi ai-je à nouveau déposé cet amendement à l’article 1er ? C’est simple : le débat s’est porté d’emblée sur ce thème ! Nous avons vu immédiatement que cette question était essentielle.

Que peut-on reprocher à cette loi ? Vous n’aimez pas l’expression de « fourre- tout » mais c’est pourtant vraiment le sentiment qui en ressort. Je me suis un peu amusé en parlant de « macronade » : il est vrai que nous sommes confrontés à des textes qui enflent, qui enflent… Regardez l’article 2 : il n’a cessé d’enfler ! Nous en sommes coupables, y compris l’opposition.

M. Marcel Rogemont. Il n’y a pas de culpabilité à avoir !

M. François de Mazières. Puisqu’il s’agit du premier des combats, puisqu’une loi sur l’économie numérique va être discutée et que nous voyons très bien ce qui se passera – les interventions sur internet sont déjà nombreuses quant à la réintroduction de la question du droit d’auteur – je vous propose simplement, madame la ministre, de doter votre loi d’une colonne vertébrale.

C’était une proposition. J’ai entendu vos arguments, j’ai entendu qu’elle était prise en compte à l’article 2. Je retire donc cet amendement mais je suis content d’avoir pu mettre l’accent sur cette question.

(L’amendement n409 est retiré.)

(L’article 1er est adopté.)

Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures quarante-cinq :

Suite de la discussion du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures quinze.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly