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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2015-2016

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mardi 07 juin 2016

SOMMAIRE

Présidence de Mme Laurence Dumont

1. Transparence, lutte contre la corruption et modernisation de la vie économique

Discussion des articles (suite)

Article 9

Mme Anne-Yvonne Le Dain

M. Jean Lassalle

Amendement no 674

M. Sébastien Denaja, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice

Amendements nos 1145 , 1034 , 1146 , 1035 , 1148 , 1330 , 1348

Article 9 bis

Amendement no 1436

Article 10

Amendements nos 962 , 1508 , 1510 , 320 , 1038 , 181 rectifié, 182 rectifié , 1039

Après l’article 10

Amendements nos 1095 , 814 , 422

Article 11

Amendements nos 1437 , 1040 , 971

Après l’article 11

Amendement no 1264

M. Romain Colas, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Article 12

Amendement no 1439

Après l’article 12

Amendements nos 498 , 200 , 778 , 482 , 1187, 701

Article 12 bis

M. Alain Bocquet

M. Pierre Lellouche

Amendement no 782

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Amendement no 321

M. Dominique Potier, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques

Amendements nos 1350 , 1351 , 743 rectifié , 1529 (sous-amendement) , 745 rectifié , 1393 , 1530, 1532, 1531 (sous-amendements) , 776 , 1372 , 777 , 1376 , 1042, 1044 , 1043 , 1373 , 1533 (sous-amendement) , 1045, 1046 , 1390 , 1417

Suspension et reprise de la séance

Article 12 ter

M. Yann Galut

Amendement no 1440

Article 12 quater

Amendement no 972

Article 12 quinquies

Amendement no 1048

Article 13

M. Jean-Luc Laurent

Mme Monique Rabin

M. Sergio Coronado

M. Dominique Potier, rapporteur pour avis

M. Olivier Marleix

Mme Delphine Batho

M. Bertrand Pancher

M. Sébastien Denaja, rapporteur

Mme Marie-Christine Dalloz

M. Charles de Courson

Mme Véronique Louwagie

Amendements nos 396 , 811 , 812 , 798 , 232 , 640

2. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de Mme Laurence Dumont

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Transparence, lutte contre la corruption et modernisation de la vie économique

Suite de la discussion d’un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (nos 3623, 3785, 3756, 3778).

Discussion des articles (suite)

Mme la présidente. Cet après-midi, l’Assemblée a poursuivi l’examen des articles du projet de loi, s’arrêtant à l’article 9.

Article 9

Mme la présidente. Deux orateurs sont inscrits sur l’article 9.

La parole est à Mme Anne-Yvonne Le Dain.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Madame la présidente, monsieur le ministre de la justice, garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, monsieur le rapporteur, je voulais intervenir sur cet article car il prévoit les peines qui concernent les personnes morales. À ce propos, il me paraît important de souligner un certain nombre de points.

Les crimes et les délits commis par la personne physique responsable d’une personne morale peuvent aussi être sanctionnés par des peines supportées par cette dernière, en l’occurrence une société : sa dissolution ; l’interdiction d’exercer pendant plusieurs années ; généralement cinq ans ; la fermeture définitive ou pour une durée de cinq ans de ses établissements concernés ; l’exclusion des marchés publics ; l’interdiction définitive de répondre à une offre publique ; l’interdiction d’émettre des chèques ; la peine de confiscation ; l’affichage ou la diffusion de la décision prononcée.

Il existe donc une série de peines applicables aux personnes morales mais il m’a paru important d’aller au-delà de ce rapport aux crimes et délits. Ainsi, les personnes morales peuvent être dissoutes, après quoi l’action publique s’éteint. Dès lors qu’une action en justice est engagée à son encontre, il ne me semble pas bon qu’une personne morale puisse être dissoute. En effet, l’extinction de l’action en justice conduit beaucoup de personnes à des situations extrêmement douloureuses et difficiles. Sont pénalisées non seulement des personnes morales mais aussi des personnes physiques, qui se trouvent ainsi démunies de toute possibilité de voir sanctionnée, d’une manière ou d’une autre, une action hors la loi qui leur a été profondément préjudiciable. Il m’a semblé opportun de soulever ce point à ce stade du débat ; tel est le sens de l’amendement que j’ai déposé mais je ne reprendrai pas mon argumentation tout à l’heure.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Lassalle.

M. Jean Lassalle. Monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, je mesure le travail considérable que vous et nous avons accompli pour préparer ce projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique – c’est l’occasion de bien passer en revue la situation présente.

Cela dit, l’examen de ce texte amène forcément à évoquer les questions que tout le monde se pose. Je suis surpris de notre pusillanimité à l’égard des très puissants – ceux du CAC 40, qui représentent 1 à 2 % et fonctionnent avec 50 à 60 % de fonds de pension américains – et de notre férocité à l’égard des petites entreprises de notre pays, qui luttent au jour le jour pour survivre. Autrefois bienveillante, désormais technocrate, l’administration est devenue féroce.

Je suis également surpris par l’absence de sens. Et je ne m’adresse pas à vous, monsieur le garde des sceaux, mais, bien au-delà, à nous tous depuis vingt ans. Nous discutons comme des gestionnaires : il n’y a plus de politiques pour savoir redonner des marges de manœuvre à la France et savoir recréer des emplois. Quand il y a beaucoup d’emplois, les problèmes ne se posent pas avec la même acuité. Quand un pays croit en lui, il n’a pas besoin de tricher. Quand un pays croit en lui, il le montre et il est fier, et nous avons besoin de cette fierté.

Merci, néanmoins, de nous éclairer par un rapport de la situation aussi approfondi.

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Yvonne Le Dain, pour soutenir l’amendement n674.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. L’amendement est défendu, je n’y reviendrai pas. Dès lors qu’une action en justice a été engagée à leur encontre, les personnes morales doivent rester en vie, faute de quoi l’action publique s’éteint.

Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Denaja, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission sur cet amendement.

M. Sébastien Denaja, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. La commission a émis un avis défavorable. Sachant que je rejoins la position du Gouvernement, je laisse le soin au garde des sceaux de préciser le fond de l’argumentation qui nous conduit à repousser cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice, pour donner l’avis du Gouvernement.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Le Gouvernement est malheureusement défavorable à votre proposition, madame Le Dain. Tout d’abord, la rédaction de l’amendement est imprécise puisqu’il ne vise pas uniquement les personnes morales mises en examen mais également celles placées sous statut de témoins assistés, c’est-à-dire celles contre lesquelles il n’y a pas d’indices graves ou concordants laissant présumer qu’elles ont commis une infraction. Au-delà de cette réserve, l’amendement conduirait à instaurer une mesure disproportionnée et sans garantie puisque la survie de la personne morale serait imposée en dehors de tout contrôle juridictionnel.

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Yvonne Le Dain.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. J’entends l’argument juridique mais il me désole car cet état de fait conduit nombre de personnes à se retrouver dans des situations extrêmement compliquées et sans aucun recours. J’aurai l’élégance de retirer mon amendement, mais je continuerai ce combat – peut-être en le reprenant en seconde lecture – car des personnes se permettent des actions scandaleuses, puis éteignent l’action en justice en utilisant ce subterfuge consistant à dissoudre la personne morale concernée. Beaucoup de fraudes passent de cette manière et sont de facto absoutes.

(L’amendement n674 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Giraud, pour soutenir l’amendement n1145.

M. Joël Giraud. Comme cet après-midi, j’aurais bien vu l’insertion de l’adverbe « notamment », pour signifier que la corruption exige, chaque année, de mettre en œuvre de nouvelles mesures et procédures. Mais je sens que je recevrai la même réponse.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. En effet, monsieur Giraud, même réponse. Comme il s’agit de prévoir des sanctions, le texte doit être précis. Or l’adverbe « notamment » créerait un flou – vous connaissez la suite de la phrase. L’avis de la commission est défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je peine à formuler des arguments plus convaincants que ceux du rapporteur… (Sourires.) Même avis.

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Giraud.

M. Joël Giraud. M’étant assuré de la permanence des arguments, je retire mon amendement.

(L’amendement n1145 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Denaja, rapporteur, pour soutenir l’amendement n1034.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Amendement rédactionnel.

(L’amendement n1034, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Giraud, pour soutenir l’amendement n1146.

M. Joël Giraud. Ce sujet est évoqué dans l’avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme – la CNCDH – rendu le 16 mai 2016. Il s’agirait de prévoir une évaluation annuelle de l’efficacité des mesures instaurées, afin de maintenir une vigilance minimale et régulière face aux faits de corruption et de trafic d’influence. Cet ajout, après l’alinéa 12 de l’article 9, permettrait de se conformer à l’avis de la CNCDH.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Mêmes causes, mêmes effets : comme lors de la discussion de l’article 8, avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Même avis.

(L’amendement n1146 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Denaja, rapporteur, pour soutenir l’amendement n1035.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Amendement rédactionnel ; il est défendu.

(L’amendement n1035, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques, nos 1148, 1330 et 1348.

La parole est à M. Joël Giraud, pour soutenir l’amendement n1148.

M. Joël Giraud. La durée minimale d’un an inscrite dans la rédaction actuelle du projet de loi nous semble insuffisante ; nous voudrions la porter à trois ans, comme aux États-Unis, où il existe une peine similaire. Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d’État avait d’ailleurs proposé d’étendre la durée maximale de la peine de trois à cinq ans.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Bocquet, pour soutenir l’amendement n1330.

M. Alain Bocquet. Lorsqu’une société a commis des manquements à ses obligations en matière de lutte contre la corruption, il est possible de s’interroger sur les raisons qui l’y ont amenée. Pour lever tous les doutes pesant sur cette société, le délai prévu d’un an n’est pas suffisant. De plus, il faut un certain temps pour mettre en place le programme de mise en conformité et le suivi ne peut être levé tant que ce programme n’est pas entré dans les mœurs de l’entreprise. Avant de lever le suivi de la société, il faut s’assurer qu’une culture de l’intégrité et de l’éthique s’est développée en son sein. Or cela nécessite du temps, d’autant plus lorsque la société vient de se rendre coupable de manquements. La lutte contre la corruption doit s’inscrire à long terme dans la société concernée et non se résumer à un simple réajustement à la suite d’une condamnation. C’est pourquoi une durée de trois ans apparaît nécessaire : la société pourra prendre conscience de l’enjeu et ancrer la lutte contre la corruption dans ses principes les plus fondamentaux.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour soutenir l’amendement n1348.

Mme Sandrine Mazetier. Défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements identiques ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. L’avis de la commission est défavorable. Il semble y avoir une confusion : la peine est bien de trois à cinq ans ; il sera simplement possible d’y mettre fin de manière anticipée, au bout d’un an, si l’Agence française anticorruption constate que les obligations sont strictement respectées. Il s’agit d’interrompre le processus de sanctions s’il est constaté que les obligations sont respectées, mais la peine n’est pas modifiée. La peine est bien de trois à cinq ans, mais le terme peut être anticipé s’il est constaté que les obligations sont respectées.

Si j’ai dit trois fois la même chose, c’était sans doute utile pour répondre à vos trois amendements ! C’est sans doute aussi que le texte entretenait un certain flou ; j’espère l’avoir dissipé.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Défavorable également.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. Je précise qu’aux États-Unis, la peine minimale est de trois ans ; voilà pourquoi nous avons proposé cette durée. Je me range néanmoins à l’avis du rapporteur et je retire l’amendement n1348.

(L’amendement n1348 est retiré.)

Mme la présidente. Monsieur Bocquet, maintenez-vous votre amendement ?

M. Alain Bocquet. Oui.

Mme la présidente. Et vous, monsieur Giraud ?

M. Joël Giraud. Oui.

(Les amendements identiques nos 1148 et 1330 ne sont pas adoptés.)

(L’article 9, amendé, est adopté.)

Article 9 bis

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux, pour soutenir l’amendement n1436, tendant à supprimer l’article 9 bis.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Cet amendement tend à supprimer une disposition, adoptée en commission, qui permettrait aux repentis de bénéficier d’une exemption de peine pour les délits de tentative de corruption. D’abord, la tentative de ces délits n’est pas punissable ; l’incrimination de la tentative serait inadaptée puisqu’il s’agit d’une infraction formelle. Ensuite, la loi de décembre 2013 prévoit déjà des réductions de peines pour les repentis ayant permis de faire cesser l’infraction ou d’identifier, le cas échéant, les autres auteurs ou complices.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. La commission, qui s’est réunie en application de l’article 88 dans des conditions difficiles, a émis un avis défavorable. Cependant, je me repens de cette décision.

M. Joël Giraud. Ah, la repentance ! Quelle horreur !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Le débat nous a déjà permis de progresser et de commencer à douter de la pertinence du dispositif prévu à l’article 9 bis. Il a certes mis la lumière sur l’utilité, d’une certaine manière, de libérer la parole des repentis pour obtenir des informations et mieux réprimer les infractions ; il ne s’agit donc pas d’une disposition laxiste. Cela étant, le dispositif présente de vraies faiblesses puisque, comme le garde des sceaux l’a souligné, la tentative des délits n’est pas punissable.

Je pensais peut-être opportun de repousser cet amendement au profit de celui de M. Molac, qui aurait permis de combler ces faiblesses. Au final, la commission a émis un avis défavorable mais le rapporteur, à titre personnel, émet un avis favorable. Je crois en effet que cet article n’était pas bien rédigé et que la question n’est pas mûre. En conséquence, il y a lieu d’avoir la sagesse de suivre le Gouvernement dans ses recommandations.

(L’amendement n1436 est adopté ; en conséquence, l’article 9 bis est supprimé et les amendements nos 970, 1036 et 1037 tombent.)

Article 10

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements pouvant être soumis à une discussion commune, nos 962, 1508 et 1510.

La parole est à Mme Danielle Auroi, pour soutenir l’amendement n962.

Mme Danielle Auroi. Cet amendement vise à réformer le délit de favoritisme, plus précisément à l’élargir. Le rapport remis par Jean-Louis Nadal en janvier 2015 soulignait : « En dépit d’une extension aux marchés à procédure adaptée accomplie par la jurisprudence, ni les contrats de partenariat public-privé, ni les opérations relevant de l’ordonnance du 6 juin 2005 ne sont aujourd’hui visés par le code pénal. » L’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics n’a pas modifié cette disposition pénale pour inclure les contrats de partenariat. Une telle évolution apparaît pourtant nécessaire ; c’est ce que nous vous proposons de faire par cet amendement.

Mme la présidente. Les amendements nos 1508 et 1510 sont identiques.

La parole est à M. le garde des sceaux, pour soutenir l’amendement n1508.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement a le même raisonnement mais a la faiblesse de penser que la rédaction de son amendement est plus performante.

Mme la présidente. La parole est à Mme Danielle Auroi, pour soutenir l’amendement n1510.

Mme Danielle Auroi. Défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements en discussion commune ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Puisqu’il faut bien un arbitre des élégances rédactionnelles, je vous suggère de retirer l’amendement n962, madame Auroi. Vous vous êtes manifestement aperçue vous-même de la faiblesse de sa rédaction puisque vous avez épousé la solution du Gouvernement en déposant un amendement identique au n1508.

Je suis favorable à l’adoption des amendements identiques nos 1508 et 1510.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n962 ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Défavorable.

Mme la présidente. Madame Auroi, le retirez-vous ?

Mme Danielle Auroi. Oui, je le retire.

(L’amendement n962 est retiré.)

(Les amendements identiques nos 1508 et 1510 sont adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Marleix, pour soutenir l’amendement n320.

M. Olivier Marleix. Lors de l’examen du texte en commission des lois, un amendement du rapporteur a rendu la peine complémentaire d’inéligibilité obligatoire en cas de condamnation pour une infraction à la probité. Il faut savoir que, dans notre droit, les peines complémentaires, incompatibles avec le principe d’individualisation de la peine, sont par principe facultatives pour le juge. Les rares exceptions – comme la confiscation d’un objet dangereux, notamment d’un véhicule, dans des cas d’infraction au code de la route – répondent en général à des considérations pratiques.

Notre collègue Lionel Tardy a récemment interrogé le Gouvernement à propos de cette peine complémentaire obligatoire pour les élus en cas de condamnation pour atteinte à la probité publique. Je tiens à vous lire la réponse ministérielle : « les échanges entre praticiens n’ont pas témoigné de l’opportunité ou de la nécessité d’instaurer une peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité, s’agissant au demeurant d’une mesure de nature à restreindre le pouvoir d’appréciation des juges, et le principe d’individualisation des peines ». Ces mots pleins de sagesse sont ceux de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, Jean-Jacques Urvoas.

J’aimerais que nous nous tenions à la parole ministérielle et que nous supprimions les alinéas 4 à 7 de l’article 10. Par souci de cohérence, je rappelle du reste que, sur la base des mêmes arguments juridiques, le Gouvernement a refusé d’introduire une peine complémentaire obligatoire pour les pédophiles ; le faire pour des élus serait exagérément sévère, me semble-t-il.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Je constate que l’ensemble de votre groupe politique a signé cet amendement et demande par conséquent la suppression des alinéas 4 à 7 de cet article. Vous en assumez donc collectivement la responsabilité politique,…

Mme Sandrine Mazetier. Eh oui !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. …qui est majeure.

Mme Sandrine Mazetier. Absolument majeure !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Si nous supprimions ces dispositions, adoptées en commission conformément à une recommandation de M. Nadal, président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, dans le rapport qu’il a remis en 2015 au Président de la République, nous négligerions un moyen de rétablir un lien de confiance entre les citoyens et leurs élus. Nos concitoyens qui nous regardent ou qui, demain, liront le compte rendu de nos travaux, en seraient très étonnés.

Pour ma part – et c’est ce qui a motivé notre vote en commission –, je crois qu’il est normal que le juge décide si un élu corrompu peut se présenter à nouveau devant le suffrage universel.

M. Olivier Marleix. Et le fait qu’un pédophile puisse se présenter à nouveau devant une classe ne pose pas de problème !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. L’objet de cet article est de faire en sorte que la peine complémentaire d’inéligibilité soit appliquée plus fréquemment en cas de condamnation pénale pour manquement à la probité. La peine serait obligatoire mais pas automatique – la distinction est importante. Elle serait prononcée sauf décision contraire, spécialement motivée par le juge. Celui-ci resterait libre de déterminer la durée de l’inéligibilité – j’y reviendrai – dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui. Il ne s’agit donc pas d’une peine d’inéligibilité à vie, qui serait manifestement contraire à notre Constitution. Nous avons prévu que le juge puisse déroger à cette peine complémentaire obligatoire ; de ce fait, son appréciation sera individualisée et le principe constitutionnel, auquel je viens de faire allusion, sera donc respecté.

Quels actes seront concernés par cette peine complémentaire ? Les manquements à la probité commis par des personnes exerçant une fonction publique, c’est-à-dire la concussion, la corruption passive, le trafic d’influence, la prise illégale d’intérêts, l’atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public, la soustraction et le détournement de biens. Ne pensez-vous pas que le juge devrait être obligé, à tout le moins, de s’interroger sur l’opportunité d’adjoindre une peine complémentaire d’inéligibilité à la peine d’un élu qui se serait rendu coupable de l’une de ces infractions ?

M. Olivier Marleix. Ce n’est pas la question !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. La peine ne sera pas automatique.

Mme Véronique Louwagie. Mais si !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Ce qui sera obligatoire, en vérité, c’est que le juge se pose la question de l’inéligibilité. Je l’ai déjà dit en commission : la peine ne sera pas automatique : si le juge s’abstient de la prononcer, elle ne figurera pas dans la décision et il appartiendra éventuellement au degré supérieur de juridiction de réparer cette erreur de droit. Le juge aura simplement l’obligation de se poser la question de l’inéligibilité, en appréciant les circonstances de l’espèce, la personnalité de l’auteur, son âge, par exemple, ou son état de santé – on peut espérer, par exemple, qu’il considère totalement inopportune une peine d’inéligibilité à l’encontre d’un élu de quatre-vingt-quinze ans.(Sourires.) Bref, il pourra individualiser cette peine complémentaire.

Nous devons faire preuve de responsabilité sur ce sujet car nos concitoyens attendent que nous rétablissions le lien de confiance avec eux.

Pardonnez-moi, madame la présidente, de prendre du temps, mais ce sujet sérieux mérite une argumentation juridique – quelques remarques me seront d’ailleurs peut-être faites par plus expert que moi.

Le mécanisme de la peine complémentaire obligatoire est bien connu dans notre droit. Dans le code pénal, des peines de ce type figurent par exemple aux articles 221-8 pour les atteintes à la vie de la personne, 224-9 pour les atteintes aux libertés de la personne, 225-20 pour les atteintes à la dignité de la personne, et 311-14 pour les vols commis avec violence ou punis d’une peine criminelle. De telles peines sont aussi prévues aux articles L. 234-12 et L. 234-16 du code de la route, en cas de conduite sous l’influence de l’alcool. Vous voyez donc bien que cette nouvelle peine complémentaire obligatoire ne révolutionnera pas le droit pénal et que nous sommes « dans les clous » par rapport à la Constitution.

Je suis donc vraiment très étonné que le groupe Les Républicains se prononce, ce soir, contre cette disposition. Compte tenu des arguments que j’ai présentés, vous pourriez retirer votre amendement, afin que la représentation nationale tout entière montre son souci de bâtir ensemble une République exemplaire. À défaut de retrait, l’avis de la commission est défavorable.

M. Joël Giraud, Mme Martine Lignières-Cassou et Mme Sandrine Mazetier. Très bien !

M. Alain Tourret. Excellent, monsieur le rapporteur !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Sagesse ? (Sourires.)

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. La semaine dernière, j’ai adressé à l’ensemble des procureurs généraux une circulaire de politique pénale bâtie autour d’un concept et d’une volonté : la confiance dans la justice, donc dans l’institution judiciaire. Le Gouvernement est par principe hostile à toute automaticité des peines, car c’est la négation de la capacité d’appréciation du juge – nous nous retrouvons tous sur ce point. Aussi suis-je extrêmement attentif à ce qu’elles puissent être individualisées.

L’article 10 du projet de loi, dans la rédaction proposée, permet au juge de déroger à l’application de la peine complémentaire d’inéligibilité ; celle-ci ne revêt donc pas un caractère automatique. Elle est cependant obligatoire – le rapporteur l’a très bien dit –, ce qui ne constitue pas une innovation en droit positif : il existe d’autres peines complémentaires obligatoires. Je ne me souviens pas avoir voté, pendant cette législature, de mesure supprimant de telles peines, alors que j’ai voté beaucoup de suppressions de peines automatiques. Tout à l’heure encore, le Gouvernement a donné des avis défavorables à tous les amendements portant création de peines automatiques.

Je me retrouve donc assez bien dans l’argumentation du rapporteur. Le Gouvernement est lui aussi défavorable à l’amendement d’Olivier Marleix.

Mme Sandrine Mazetier. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Marleix.

M. Olivier Marleix. Je regrette simplement que le Gouvernement fasse une application à géométrie variable des principes qu’il vient de rappeler. Quand l’opposition a proposé des peines complémentaires obligatoires pour les crimes pédophiles, le Gouvernement nous a opposé le principe d’individualisation des peines.

Mme Cécile Untermaier. Mais cela n’a rien à voir ! En l’occurrence, il ne s’agit pas d’une peine plancher !

M. Olivier Marleix. Je suis un peu surpris de constater que la hiérarchie dans la gravité des actes n’est pas tout à fait la même sur tous les bancs de cet hémicycle. Je maintiens donc cet amendement. Pour répondre à l’interpellation du rapporteur, je précise que je prends acte : désormais, lorsque nous proposerons une peine complémentaire obligatoire, vous ne pourrez nous opposer le principe d’individualisation des peines.

(L’amendement n320 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Denaja, rapporteur, pour soutenir l’amendement n1038.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Amendement de précision.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Sagesse.

(L’amendement n1038 est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 181 rectifié et 182 rectifié, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.

La parole est à M. Arnaud Viala, pour les soutenir.

M. Arnaud Viala. Ils sont défendus.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. La commission est défavorable à ces deux amendements, qui tendent à instituer une peine complémentaire d’inéligibilité en cas de condamnation pour corruption. Ils présentent d’abord un problème d’ordre rédactionnel puisqu’ils visent les personnes morales. En outre, pour le coup, la peine d’inéligibilité ne serait pas obligatoire, mais automatique ; or, comme nous venons de le dire, le garde des sceaux et moi-même, nous sommes opposés à ce type de peines.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. L’avis du Gouvernement est défavorable. Je ne vois pas bien comment on pourrait appliquer une peine d’inéligibilité à des personnes morales. Il y aurait là une petite difficulté de concrétisation.

(Les amendements nos 181 rectifié et 182 rectifié, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Denaja, rapporteur, pour soutenir l’amendement n1039.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Amendement de précision.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Sagesse.

(L’amendement n1039 est adopté.)

(L’article 10, amendé, est adopté.)

Après l’article 10

Mme la présidente. La parole est à M. Bertrand Pancher, pour soutenir l’amendement n1095.

M. Bertrand Pancher. Cet amendement, cosigné par les parlementaires de mon groupe politique, vise à améliorer, sur le plan judiciaire, la transparence des candidatures à toutes les élections.

Comme vous le savez, chaque Français ayant la qualité d’électeur peut faire acte de candidature, sous réserve des cas d’incapacité et d’inéligibilité prévus par la loi. En pratique, une déclaration de candidature doit être envoyée à la préfecture, avec, en annexes, une preuve de l’inscription sur les listes électorales ainsi qu’un extrait du bulletin n3 du casier judiciaire. Ce préalable permet de vérifier que les candidats remplissent les conditions d’âge et de nationalité, et qu’ils ne sont pas privés de leurs droits civils et politiques.

Cependant, cette procédure ne garantit pas que les candidats aient respecté leurs devoirs en matière de probité. Dans la situation actuelle de défiance des Français envers la classe politique, il paraît nécessaire de rétablir la confiance, en empêchant les citoyens condamnés pour atteinte à la probité de se présenter aux élections.

Notre amendement propose donc d’imposer aux candidats de fournir, en annexe à leur déclaration de candidature, le bulletin n2 de leur casier judiciaire, sur lequel les condamnations de cet ordre sont inscrites.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Ce débat, que nous avons déjà eu en commission, rejoint celui relatif aux peines automatiques, puisque l’adoption de votre amendement reviendrait à en créer une, mon cher collègue.

Sachant que vous attachez du prix au droit constitutionnel, je vous fait en outre observer, après l’avoir déjà fait en commission, qu’une telle disposition ne pourrait pas concerner les parlementaires, puisque le présent texte n’est pas un projet de loi organique. Ne seraient donc visés que les élus locaux. Nous enverrions là un message vraiment pour le moins troublant à nos concitoyens, qui risqueraient de surinterpréter notre vote : « tiens, les députés se mettent à l’abri d’obligations que par ailleurs ils vont imposer aux élus locaux », pourraient-ils se dire.

Enfin, j’ai déjà indiqué en commission que le casier B2 n’est pas accessible, sur demande, aux intéressés, et personne n’a proposé que cela change.

La commission a estimé que cela faisait tout de même beaucoup de raisons pour émettre un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement a le même avis : défavorable.

J’ajoute que l’inéligibilité automatique est contraire à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui établit le principe de la nécessité de la peine.

De plus, cet amendement serait à coup sûr censuré car il ne précise pas ce qu’est « une atteinte à la probité », alors qu’il ne s’agit pas d’une infraction du code pénal mais d’un chapitre complet dudit code. On serait donc bien éloigné de la précision qui doit caractériser la loi. Cet amendement n’aurait aucune chance de passer l’épreuve du Conseil constitutionnel ; évitons de lui donner du travail superflu.

Mme la présidente. La parole est à M. Pancher.

M. Bertrand Pancher. Je retire mon amendement, madame la présidente.

(L’amendement n1095 est retiré.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 814 et 422, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Bertrand Pancher, pour soutenir l’amendement n814.

M. Bertrand Pancher. Cet amendement propose que tout candidat à une élection satisfasse à une exigence de conformité sur le plan fiscal. L’expérience nous a en effet prouvé combien la révélation a posteriori de turpitudes fiscales pouvait troubler l’opinion publique.

Mme la présidente. La parole est à Mme Delphine Batho, pour soutenir l’amendement n422.

Mme Delphine Batho. Si vous le permettez, madame la présidente, je voudrais d’abord remercier le rapporteur pour l’esprit de camaraderie dont il a fait preuve, cet après-midi, en reprenant à son compte deux amendements que j’avais déposés alors que j’étais retardé à cause d’une annulation de train.

J’en reviens à l’amendement n422. Il fait suite au débat que nous avons eu, en commission, à propos d’un amendement déposé par Charles de Courson, tendant à instaurer un certificat de conformité fiscale pour les candidats aux élections, en particulier aux élections législatives. Cette proposition est importante car elle répond, je le rappelle, à la proposition 2 du rapport remis par Jean-Louis Nadal au Président de la République, intitulé « Renouer la confiance publique ».

Le rapporteur, en commission, avait objecté un problème juridique : l’amendement ne s’appliquerait pas immédiatement aux élections parlementaires. Je souhaite toutefois vraiment qu’un certificat de conformité fiscale soit mis en place, notamment pour les élections législatives. À défaut de l’insertion de cette disposition dans le présent texte, j’attendrai une proposition du rapporteur, du président de la commission des lois ou du Gouvernement pour qu’elle soit applicable dès les prochaines législatives.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Madame Batho, vous me permettrez de filer la métaphore : nous avons tous raté un train, celui des lois relatives aux élections nationales, qui viennent d’être examinées dans l’hémicycle, car il s’agissait là d’un véhicule organique.

Dans ces deux amendements, ce n’est pas le quitus fiscal qui me gêne – nous voyons tous à quoi cela répond, nous pensons tous que l’idée est bonne et devrait être reprise.

Néanmoins, comme pour les amendements précédents, comme il s’agit d’un projet de loi ordinaire, cette mesure, en tout état de cause, ne s’appliquerait qu’aux élus locaux. En commission, certains avaient dit que ce serait déjà un bon signal. Si ce n’est que les prochaines élections locales, hors scrutins partiels, n’auront lieu qu’en 2020. D’ici là, je pense, nous aurons le temps de légiférer pour tout le monde, en évitant ainsi de donner l’impression que les députés se mettraient eux-mêmes à l’abri de l’obligation, par ailleurs tout à fait justifiée, de produire pour l’année prochaine un quitus fiscal.

Sans doute avons-nous collectivement raté le train des textes relatifs aux élections présidentielle et législatives, d’autant que nous sommes désormais à exactement un an des législatives – le premier tour aura lieu le 7 juin 2017 et nous somme le 7 juin 2016 – et qu’il est de tradition, dans notre pays, de ne pas modifier les règles électorales à moins d’un an du scrutin.

M. Pascal Terrasse. Merci pour l’info ! (Sourires.)

M. Sébastien Denaja, rapporteur. L’avis est donc défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement partage le point de vue final du rapporteur : avis défavorable.

Aux arguments qui viennent d’être soulevés, concernant le caractère organique de la disposition proposée aux parlementaires, le Gouvernement souhaite apporter des éléments supplémentaires.

Je fais observer que ce certificat ne pourrait servir qu’à mettre en évidence une irrégularité formelle, quand la détection d’une fraude demanderait un travail d’investigation qui, en l’espèce, ne serait pas conduit.

Et puis, se pose une question sur laquelle je n’ai pas de conviction arrêtée. Je rappelle que 932 000 personnes se sont portées candidates aux élections municipales de 2014. Avoir à fournir un tel certificat à chaque candidat imposerait donc des charges supplémentaires importantes à l’administration, ce qui conduirait probablement à devoir décaler les délais de dépôt des candidatures. Le Gouvernement s’interroge : cela ne risquerait-il pas de porter une atteinte excessive au principe de libre candidature ?

M. Olivier Marleix. Très bien !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Ce n’est pas une certitude mais simplement un argument ; évidemment, seule l’épreuve des faits pourrait le confirmer ou l’infirmer.

Autre interrogation, aujourd’hui, seul un juge peut interdire à un citoyen d’être candidat. Or ces amendements donneraient à l’administration la possibilité d’en faire autant. Je ne suis pas sûr que cela soit compatible avec certains principes.

Voilà pourquoi l’avis du Gouvernement est défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Marleix.

M. Olivier Marleix. Je rejoins les arguments développés par le garde des sceaux dans son propos plein de sagesse. Si, sur le fond, personne n’a de problème avec ce qui est proposé, je voudrais appeler tout de même l’attention de nos collègues sur les problèmes matériels qu’une telle disposition engendrerait. Les candidats rencontrent déjà de plus en plus de difficultés pour se faire délivrer les attestations d’inscription sur les listes électorales : le nombre de contentieux augmente à chaque élection et les intéressés sont obligés de saisir le préfet parce que les mairies censées fournir les documents font – parfois malgré elles, peut-être – de la rétention. Le garde des sceaux a raison : il ne faudrait pas créer une entrave à la liberté de candidature en ajoutant encore plus de complications, avec la délivrance de ce nouveau quitus fiscal.

Je vais donner un exemple : dans mon département, il y avait vingt-quatre perceptions ; grâce à l’action très efficace de ce gouvernement, il n’y en a plus que six.

M. Bertrand Pancher et M. Joël Giraud. Oh !

M. Olivier Marleix. Dès lors, aller chercher son quitus fiscal aux heures d’ouverture des perceptions relève aujourd’hui du parcours du combattant. Au demeurant, en pleine campagne électorale, un candidat a aussi autre chose à faire.

Soyons donc à la fois très attentifs et très prudents.

Mme la présidente. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. J’appuie ce que vient de dire mon collègue à propos de cette éventuelle obligation de présenter un certificat de conformité fiscale délivrée par l’administration avant de se présenter à une élection. Je veux pointer deux problèmes.

Premièrement, on peut être en litige avec l’administration fiscale tout en étant de bonne foi.

M. Joël Giraud. C’est vrai !

M. Julien Aubert. Dans ce cas, celle-ci ne pourra pas certifier que le contribuable a effectivement payé son dû, écartant ainsi de l’élection quelqu’un qui pouvait avoir toute légitimité à se présenter.

Deuxièmement, au cas où nous serions amenés à revenir un jour sur le sujet, je note que ces amendements sont trop imprécis : leurs exposés sommaires laissent entendre que sont visés les revenus, alors que le libellé de l’amendement n814 ne mentionne que la déclaration et le paiement des impôts. Il n’y a pourtant pas que l’impôt sur le revenu : un contribuable peut tricher sur l’impôt sur les sociétés ; or il serait tout à fait anormal qu’un dirigeant d’entreprise incivique fiscalement puisse se présenter aux élections. Si le sujet se représente dans notre hémicycle, il conviendrait donc de revoir la rédaction afin de préciser le champ de la mesure : doit-on viser le seul impôt sur le revenu, les impôts fonciers aussi ou encore tous les impôts. Ce dernier cas donnerait un travail encore plus complexe à l’administration fiscale pour établir les certificats de conformité, d’autant qu’un contribuable peut détenir plusieurs entreprises et que les modalités de paiement ne sont pas tous annuels – pour l’impôt sur les sociétés, notamment, il est triennal.

Mme la présidente. La parole est à Mme Delphine Batho.

Mme Delphine Batho. Toutes ces objections ont été largement prises en compte dans le rapport Nadal : il y répond de façon suffisamment précise, me semble-t-il, pour que nous ne puissions considérer qu’il est urgent de rien faire. Après avoir entendu les argumentations du rapporteur et du garde des sceaux, je souligne que, selon moi, la priorité est d’avancer sur les candidats aux élections parlementaires.

Mme Martine Lignières-Cassou. Bien sûr !

Mme Delphine Batho. Certes, le fait de ne pas raisonner dans le cadre d’un projet de loi organique et d’avoir loupé le train législatif précédent pose un problème, mais je souhaite que ma proposition progresse et puisse s’appliquer aux parlementaires.

Eu égard à cet argument, je me vois obligée de retirer mon amendement mais je ne souscris pas pour autant aux autres objections qui ont été avancées.

(L’amendement n422 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bertrand Pancher.

M. Bertrand Pancher. J’ai été très sensible aux arguments déployés à la fois par M. le garde des sceaux et par mes collègues. Je suis confronté, moi aussi, à un regroupement de trésoreries dans mon département et, même si l’on peut théoriquement télécharger les documents administratifs, compte tenu de l’état du haut débit et du nombre d’élus locaux, cela me paraît un peu mission impossible. Je vais donc considérer mon amendement comme un amendement d’appel et le retirer.

(L’amendement n814 est retiré.)

Article 11

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux, pour soutenir l’amendement n1437.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement partage la volonté de la commission d’aggraver les peines encourues, mais elle a érigé en crime certaines des infractions visées dans le projet de loi. Le Gouvernement est hostile à cette modification puisque, s’il est attaché à l’existence d’un jury populaire, représentation d’une justice rendue au nom du peuple, ces infractions exigent une spécialisation certaine. Chacun se félicite d’ailleurs ici de l’activité des JIRS, les juridictions interrégionales spécialisées, et de la création du parquet national financier.

C’est justement parce qu’il s’agit d’infractions complexes qu’il a été prévu un parquet spécialisé. Si elles sont déplacées dans le champ de compétence des cours d’assises, cela induira une lourdeur, inhérente aux procédures criminelle, ce qui n’améliorera pas le traitement des dossiers que nous souhaitons voir sanctionnés le plus rapidement. Les procédures pour ce type d’infractions sont déjà longues par essence ; elles le seront encore plus si elles relèvent de la cour d’assises.

Le Gouvernement considérant donc que ce serait finalement contraire à la bonne administration de la justice, propose de revenir à la rédaction adoptée en commission.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Vous proposez, monsieur le garde des sceaux, de revenir sur l’introduction de circonstances aggravantes pour les principales atteintes à la probité. C’est pourtant suivant l’exemple du traitement réservé aux infractions pour fraude fiscale, prévu à l’article 1741 du code général des impôts, que la commission a complété l’article 11, afin de prévoir des circonstances aggravantes, comme l’agissement en bande organisée ou l’interposition d’une structure offshore pour l’ensemble des manquements au devoir de probité.

Tel est tout de même l’objet du texte : lutter plus efficacement contre la corruption. Je regrette donc que vous souhaitiez revenir en arrière, monsieur le garde des sceaux, car notre souhait était de progresser vers le prononcé de peines réellement dissuasives.

Le rapport de 2014 du service central de prévention de la corruption du service central de prévention de la corruption – SCPC –, auquel succédera bientôt l’Agence française anticorruption, en témoigne, page 23 : en moyenne, les peines prononcées s’élèvent à moins de 8 000 euros – 7 993 euros précisément – et huit mois de prison. Toutes les institutions internationales le dénoncent, soulignant que les peines prononcées sont insuffisamment dissuasives, notamment s’agissant des questions de corruption.

Cela étant, j’entends totalement ce que vous dites, monsieur le garde des sceaux : ce mécanisme de circonstances aggravantes reviendrait à criminaliser certaines infractions ; par ailleurs, passer de la 32chambre du tribunal de grande instance de Paris à la cour d’assises nuirait peut-être même à une bonne administration de la justice. C’est pourquoi j’avais proposé un compromis à vos services : maintenir la notion de circonstances aggravantes en cas de bande organisée ou de l’interposition d’une structure offshore, tout en maintenant le plafond de dix ans – juridiquement, c’est tout à fait possible –, ce qui aurait permis de tirer le bénéfice des circonstances aggravantes sans tomber dans l’écueil de la criminalisation.

À ce stade, mes chers collègues, je vous propose donc de ne pas suivre le Gouvernement et de maintenir le texte en l’état, pour montrer notre volonté d’instituer des sanctions plus efficaces et des peines plus dissuasives. Au cours de la navette, nous répondrons à toutes vos objections, monsieur le garde des sceaux, en fixant ce plafond de dix ans, afin d’éviter le passage du tribunal correctionnel – la 32chambre – à la cour d’assises. Je vous propose ce compromis intelligent – si j’ose dire – entre nos deux positions. Au demeurant, monsieur le garde des sceaux, cela relève de la tactique législative, enseignée dans un très bon ouvrage que j’ai lu lors de mon élection, en 2012. (Rires.)

L’avis de la commission est donc défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. En bons guérilleros et guérilleras parlementaires (Sourires), ayant lu le « petit Urvoas », comme nous l’appelons entre nous, nous suivrons la proposition du rapporteur. De fait, nous n’avions pas l’intention de faire passer ce type d’affaires aux assises ; le législateur a seulement pour intention de prévoir des circonstances aggravantes et des peines aggravées et effectivement prononcées. Connaissant la grande créativité de l’exécutif, je suis sûre qu’une solution sera trouvée.

(L’amendement n1437 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Denaja, rapporteur, pour soutenir l’amendement n1040.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Il est défendu.

(L’amendement n1040, repoussé par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Alauzet, pour soutenir l’amendement n971.

M. Éric Alauzet. Cet amendement vise à élargir le régime des repentis aux infractions de corruption, afin d’encourager réellement la collaboration de coauteurs ou de complices avec l’autorité de poursuite. La justice reconnaîtrait ainsi l’apport exceptionnel d’une collaboration déterminée à la manifestation de la vérité.

La rédaction adoptée en commission peut encore être améliorée dans le sens le plus favorable à la pratique judiciaire. L’article 9 bis du projet de loi fait référence aux tentatives d’infraction, faits qui ne sont pas incriminés en droit, puisque le délit se consomme par la seule proposition ou sollicitation de l’avantage indu ; l’infraction est donc immédiatement commise. Il est proposé de le préciser dans l’article 11.

Par ailleurs, cet amendement vise à rendre possible, et non automatique, l’exemption de peine, pour offrir une marge de négociation avec l’autorité de poursuite, afin de garantir une collaboration réelle avec la justice.

Enfin, il est proposé de limiter l’exemption à la seule peine privative de liberté, ce qui présenterait le double mérite d’autoriser le prononcé d’une amende contre les repentis considérés, en fonction du degré de gravité de leur comportement, et de limiter l’intérêt de ce statut aux seules personnes physiques, en excluant donc les entreprises et les autres personnes morales.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. J’avais moi-même réfléchi à ce sujet – sans doute avons-nous puisé aux mêmes sources, je pense aux analyses de quelques experts universitaires que j’ai auditionnés. Il s’agirait d’importer en droit français un mécanisme en vigueur dans le droit italien. En matière de corruption, l’Italie peut parfois faire figure de contre-exemple, mais aussi de modèle, notamment au regard des moyens qu’elle met à la disposition de la lutte contre la corruption. Par exemple, l’agence italienne compétente en la matière emploie 350 agents.

M. Yann Galut. Absolument !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Suivre cet exemple pourrait nous tirer vers le haut, une fois créée l’Agence française anticorruption.

Sans m’appesantir sur ce sujet, il me semble qu’il mériterait une expertise beaucoup plus poussée, beaucoup plus approfondie. C’est en effet une démarche qui exige énormément de temps et de moyens. Moi-même, dans le temps qui m’était imparti, j’ai finalement renoncé à aller au terme du processus. Je ne sais ce que nous en dira le garde des sceaux. L’avis de la commission est défavorable mais, à titre personnel, sur ce sujet ardu, je m’en remettrai à la sagesse du Gouvernement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement n’est pas convaincu de l’existence d’une lacune à combler. En tout état de cause, dans les rapports que je reçois des parquets, elle n’est pas signalée. Je ne connais pas non plus d’organismes internationaux qui l’évoquent : ce n’est le cas ni du rapport des Nations unies contre la drogue et le crime, ni de celui du Groupe d’États contre la corruption du Conseil de l’Europe, le GRECO, ni de celui de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE. Personne ne pointe du doigt cette originalité. Je ne dis pas que cette mesure est inutile par principe mais je n’en vois pas le besoin. Il est vrai, enfin, qu’il conviendrait de conduire une étude d’impact minimale, ce qui n’a évidemment pas été possible dans le délai imparti. Pour toutes ces raisons, le Gouvernement a un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Alauzet.

M. Éric Alauzet. Je m’en remets à votre avis, monsieur le ministre, et je retire l’amendement. Il semblerait cependant qu’un certain nombre d’experts aient un avis sensiblement différent sur la question et considèrent qu’il existe un vide à combler. Toutefois, n’étant pas un expert en la matière, je laisse le débat prospérer.

(L’amendement n971 est retiré.)

(L’article 11, amendé, est adopté.)

Après l’article 11

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Bocquet, pour soutenir l’amendement n1264.

M. Alain Bocquet. Le présent amendement, déposé par nos collègues sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen, a été adopté par le Sénat le 30 mars dernier, dans le cadre de l’examen du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et le financement, contre l’avis du Gouvernement. L’exécutif sera finalement parvenu à obtenir son retrait par la commission mixte paritaire du 11 mai dernier.

Cet amendement partait du constat de la grande confusion des genres entre grande fraude fiscale économique et financement du terrorisme. Nous devons appréhender cette situation et, pour y faire face, nous munir d’outils à la fois efficaces et respectueux des règles élémentaires de toute société démocratique.

La constitution d’un parquet financier, doté de certaines prérogatives, a représenté une avancée importante. Malheureusement, cette juridiction demeure confrontée à un problème fondamental : le mur de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales, qui fait de la commission des infractions fiscales, la CIF, organisme placé auprès du ministère des finances et des comptes publics, le juge d’instruction des affaires de fraude pouvant donner lieu à la transmission d’un dossier au pénal. C’est bien du fameux verrou de Bercy ou monopole de Bercy, au nom de la sacro-sainte technicité, dont il est question ici – un verrou et un monopole qui biaisent l’efficacité de la lutte contre la fraude fiscale et la délinquance financière.

Disons-le clairement, depuis les révélations des Panama Papers, ces mécanismes ont perdu toute crédibilité. Ils mettent en lumière les manquements de notre pays en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. L’impunité fiscale reste la norme, le faible nombre de condamnations pénales pour fraude fiscale en témoigne. Monsieur le garde des sceaux, je vous mets au défi de me citer le nom d’un fraudeur fiscal actuellement enfermé dans les geôles de la République.

Par ailleurs, alors que, depuis dix ans, les effectifs de Bercy ont fondu comme neige au soleil, la grande majorité des plaintes pour fraude fiscale déposées par l’administration ne concernent en aucun cas les gros poissons, mais plutôt de petits entrepreneurs, pas assez habiles pour transiger avec le fisc et échapper à une condamnation pénale.

Il est donc important, essentiel même, que ce pouvoir et cette exclusivité soient levés. L’amendement vise à ce que certaines infractions puissent être poursuivies et que l’ensemble de leurs implications soient prises en compte, notamment quand la fraude fiscale et économique s’assigne pour objet le financement d’activités criminelles dangereuses pour la sécurité publique.

J’invite l’Assemblée à prendre ses responsabilités aujourd’hui, sur ce point fondamental. C’est bien la question de la transparence fiscale dont il est question ici. Ce projet de loi ne saurait être satisfaisant sans une remise en cause du monopole de Bercy.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. L’avis de la commission est défavorable ; elle estime que ce débat a été tranché par la loi de 2013 sur la fraude fiscale et qu’il n’y a pas lieu d’y revenir.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement a évidemment le même avis. Cet amendement revient systématiquement, chaque fois que nous débattons de ce genre de sujets. Il avait été déposé et rejeté en 2013, et à nouveau cette année. Monsieur le député, le Gouvernement n’a rien obtenu en CMP, puisqu’il n’y siège pas ; seuls les parlementaires des deux chambres se réunissent, et je n’imagine pas qu’ils délibèrent autrement que de façon souveraine.

Mme la présidente. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Pour avoir contrôlé les contrôleurs fiscaux dans une autre vie, je suis assez d’accord avec l’argument de notre collègue Bocquet : on manque parfois un peu de visibilité sur la politique du contrôle fiscal. Dans un pays parfois réfractaire à l’impôt, il existe une tentation de reconduire à l’identique les contrôles fiscaux, d’en effectuer le même nombre puis de ne pas véritablement donner d’orientation. Ce que vous qualifiez de « verrou de Bercy », monsieur Bocquet, c’est vrai, illustre une forme d’inertie empêchant, dans une certaine mesure, de mettre en valeur cette politique pénale, empêchant le ministre de dire ce qu’il veut faire en la matière.

Néanmoins, au regard des arguments qui ont été avancés spécifiquement au sujet du financement du crime organisé et du terrorisme, isoler ce type d’activité criminelle présente un véritable intérêt. Mais je n’ai pas compris, dans les arguments avancés par le rapporteur et le garde des sceaux, ce qui s’opposait à cette discrimination ou, autrement dit, cette différenciation. Il me semble que celle-ci serait utile.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Cet amendement est déposé pour la troisième fois !

M. Julien Aubert. C’est peut-être, mais ce n’est pas la première fois que, dans cet hémicycle, nous remettons un ouvrage sur le métier. Ce n’est pas parce que l’amendement a été rejeté les deux fois précédentes qu’il faut le rejeter une troisième fois. En tout état de cause, à titre personnel, je partage le point de vue qui a été exprimé par notre collègue communiste.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. Je voudrais rappeler à l’ensemble de nos collègues que notre assemblée a décidé, en décembre 2013, que les commissions permanentes compétentes en matière de finances de l’Assemblée nationale et du Sénat puissent débattre chaque année de la politique transactionnelle menée par l’administration fiscale, à partir du rapport publié par le ministre chargé du budget. Avant la phase pénale, peuvent en effet avoir lieu des transactions fiscales. À titre d’exemple, on a constaté que le nombre de transactions fiscales consenties allait de 1 à 18 selon les départements. Et les différences sont autant quantitatives que qualitative. Il nous a donc semblé que nous avions tout intérêt à nous intéresser à ce sujet.

Il ne s’agit pas pour moi de vous répondre directement, cher collègue Bocquet, mais de rappeler l’imminence de décisions qui risquent d’avoir des conséquences en cascade très importantes, du fait de l’application du principe non bis in idem entre peines fiscales et peines pénales. Tant qu’il y existe des peines fiscales, appliquons-les, au moins. Jusqu’à présent, comme vous l’avez vous-même noté, les amendes auxquelles sont condamnées les personnes mises en cause dans ces affaires sont ridiculement faibles et très peu de personnes sont incarcérées. À titre personnel, cela ne me gêne pas ; j’ai toujours fait de la liberté la règle, et de sa privation l’exception. Il me semblerait plus utile de condamner les fraudeurs fiscaux à des travaux d’intérêt général, pour dix, quinze ou vingt ans s’il le faut,…

M. Pierre Lellouche. Rien de moins !

Mme Sandrine Mazetier. …plutôt que de les incarcérer. Cette forme de réparation serait plus utile à la société. Nous sommes confrontés, exécutif comme législateur, à une véritable difficulté à surmonter : que se passera-t-il, dans les semaines à venir, quand des décisions fondées sur le principe non bis in idem seront rendues dans les dossiers Cahuzac, Wildenstein et bien d’autres ?

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Bocquet.

M. Alain Bocquet. Monsieur le garde des sceaux, il faut arrêter le bal des hypocrites. Vous disiez tout à l’heure qu’il faut accorder la plus grande confiance à la justice. Mais, dans ces affaires, que nenni ! Le message adressé à la justice est « circulez, il n’y a rien à voir ! » Elle ne peut même pas s’autosaisir d’affaires de fraude fiscale, c’est un vrai problème. Comment cela se passe-t-il avec Bercy ? Tout le monde le sait : les Google, les McDo, qui se livrent à de la fraude fiscale, ou à de l’optimisation fiscale – entre les deux notions, vous le savez, le mur est de papier –, savent d’avance qu’au terme d’une négociation longue de plusieurs années, ils paieront moins d’impôts que ce qu’ils auraient dû, pénalités comprises. C’est comme cela que ça se passe.

Nous qui sommes le Parlement, nous qui représentons le peuple devons garder les yeux ouverts. Cette situation, rejeter massivement par nos concitoyens, ne peut perdurer.

Cette enceinte a été le théâtre d’un triste exemple. : comment le ministre délégué au budget Jérôme Cahuzac, responsable de ces opérations de contrôle, aurait-il pu ester en justice contre le contribuable Jérôme Cahuzac, fraudeur vis-à-vis du fisc ? Une telle situation n’est pas acceptable, nous ne pouvons continuer ainsi.

M. Bernard Accoyer. Ce serait préférable, en effet !

M. Alain Bocquet. Or, le fameux verrou de Bercy, c’est précisément cela. Il faut donc mettre fin à ce monopole ; il revient à la justice française de traiter ces dossiers, en particulier lorsqu’ils touchent au terrorisme et au grand banditisme.

Je dois publier, en septembre prochain, un document dans lequel je décrirai quelques exemples concrets.

M. Pierre Lellouche. Ah !

M. Romain Colas, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Teasing !

M. Alain Bocquet. Il faut mettre fin à ce monopole pour des raisons évidentes : la démocratie, l’exigence de transparence et le respect de la justice française.

Mme la présidente. La parole est à M. Yann Galut.

M. Yann Galut. C’est un vrai débat, que nous alimentons depuis 2013. Je salue les avancées réalisées cette année-là et la volonté du Gouvernement d’aller extrêmement loin dans la lutte contre la fraude fiscale.

Dans son intervention, dont je partage la philosophie, mon cher collègue Bocquet a évoqué l’affaire Google. La semaine dernière, ou peut-être la précédente, après le dépôt d’une plainte par Bercy, le parquet national financier a mené une opération au cours de laquelle une centaine d’enquêteurs ont perquisitionné les locaux de Google. Je suis comme vous soumis au secret de l’instruction, mais il me semble avoir compris que l’on avancerait bientôt sur cette affaire.

Aujourd’hui, monsieur le garde des sceaux, M. Sapin et vous-même donnez corps à la volonté gouvernementale très forte de lutter avec efficacité contre la fraude fiscale en s’appuyant tant sur Bercy que sur la justice. Cependant, je m’interroge : les gouvernements passent, et je ne suis pas sûr que, dans un proche ou un lointain avenir,…

M. Julien Aubert. Un avenir de plus en plus proche !

M. Yann Galut. …la position du ministre des finances à l’égard des fraudeurs fiscaux reste la même. C’est pourquoi le verrou de Bercy me pose problème. J’ai bien compris les arguments qui ont été avancés – et le sujet a déjà été tranché. Cependant, malgré les progrès indéniables de Bercy comme de vos services sur cette question, je regrette que la France soit encore la seule démocratie où un tel verrou existe.

M. Alain Bocquet. Eh oui !

M. Yann Galut. Peut-on continuer ainsi ? Certes, le Gouvernement actuel lutte contre la fraude fiscale internationale. Néanmoins, si vous maintenez votre position au sujet de ce verrou et si vos successeurs n’ont pas la même volonté politique que vous, monsieur le garde des sceaux, je crains que nous ne rencontrions des difficultés.

Mme la présidente. La parole est à M. Romain Colas, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.

M. Romain Colas, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Je ne voudrais pas rallonger inutilement nos débats mais je me dois de rassurer notre collègue Aubert, qui s’inquiétait de la capacité de ce gouvernement et de cette majorité à montrer leur détermination à lutter contre la fraude fiscale. Mon cher collègue, je vous invite simplement à vous rapporter aux résultats qui ont été enregistrés chaque année, depuis le début de cette législature, car ils démontrent l’existence d’une volonté en matière de lutte contre la fraude. Je vous renvoie notamment au projet de loi de règlement que nous examinerons prochainement : il démontre que l’année 2015 a marqué un record historique en termes de sommes recouvrées dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale, avec plus de 12,5 milliards d’euros récoltés.

M. Julien Aubert. L’effet Cahuzac, sans doute !

M. Alain Fauré. Occupez-vous plutôt de Balkany ! Le montant à récupérer est d’un autre ordre !

M. Romain Colas, rapporteur pour avis. À cet égard, si on veut établir des comparaisons historiques, résultat pour résultat, volonté pour volonté, cette majorité et ce gouvernement n’ont pas à rougir, je pense.

Concernant le consentement à l’impôt, j’ai une suggestion simple à vous faire. Vous vous inquiétez de la réticence à payer l’impôt dans ce pays. Pour que les Français consentent à l’impôt, il faut éviter de présenter celui-ci comme un glaive contre lequel on doit se défendre,…

M. Dominique Potier, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Eh oui !

M. Romain Colas, rapporteur pour avis. …en inventant par exemple un mécanisme appelé « bouclier fiscal ». (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Dominique Potier, rapporteur pour avis. Très bien !

M. Alain Fauré. Et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres !

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. J’aimerais seulement dire un mot au sujet du bouclier fiscal. Le débat est de nature philosophique mais il porte aussi sur l’efficacité de l’impôt.

M. Alain Tourret. Et sur l’exemplarité !

M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois. Il est certainement regrettable, sur le plan philosophique, que les fraudeurs ne soient pas renvoyés devant le tribunal. Toutefois, en termes d’efficacité, le fisc est bien davantage en mesure de faire payer les fraudeurs que ne l’est la justice, dont les jugements interviennent des années après les faits, à l’issue de procédures interminables, pour finalement réclamer des amendes ridiculement basses. En agitant la menace du passage devant le tribunal, le fisc parvient à obtenir des fraudeurs le paiement de sommes dont, autrement, ils ne se seraient pas acquittés.

Pour agir différemment, nous devrions procéder à une réforme complète de la justice, afin d’accélérer son fonctionnement et de faire en sorte qu’elle puisse exercer des pressions sur les fraudeurs avant même leur comparution, pour les faire payer.

M. Alain Bocquet. Dans une grande République, c’est désolant.

M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois. Certes, mais telle est la réalité.

M. Alain Bocquet. Donc on peut tricher !

M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois. Non ! Si l’on veut faire entrer dans les caisses de l’État l’argent des fraudeurs fiscaux, cela suppose de ne pas toucher au verrou de Bercy dans l’immédiat.

M. Alain Bocquet. Donc on peut tricher ! Je vais vous donner quelques exemples !

Mme la présidente. Monsieur Bocquet, s’il vous plaît !

M. Alain Bocquet. On triche et on s’arrange avec Bercy ! C’est scandaleux !

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. J’aimerais ajouter à cette discussion passionnante sur la règle non bis in idem entre le volet pénal et le volet fiscal, une dimension malheureusement absente du projet de loi, bien que dominante aujourd’hui en Europe : la dimension internationale. Ce texte a en effet aussi pour objet de moderniser notre appareil économique.

Je note que les multinationales américaines dont M. Galut parlait voilà quelques instants font en sorte de ne payer presque aucun impôt en Europe, jouant de la concurrence fiscale entre les États. Pour échapper à l’impôt, elles sont d’ailleurs puissamment aidées, monsieur Galut, par le fait que la loi américaine leur permet de ne pas être taxées, dans la mesure où elles ne rapatrient pas leurs revenus – car le résident américain est taxé de toutes parts s’il rapatrie son argent.

Il n’en demeure pas moins, monsieur le garde des sceaux, que votre gouvernement – mais vous êtes sans doute moins en cause que vos collègues de Bercy – a fait ratifier par le Parlement une convention fiscale franco-américaine à mes yeux parfaitement scandaleuse. Il y a un an, nous avons intégré dans le droit français, à la virgule près, une loi américaine, le Foreign Account Tax Compliance Act, ou FATCA, qui, au nom de la lutte contre la fraude fiscale, fait de Bercy l’auxiliaire de l’Internal Revenue Service, en obligeant la totalité des institutions bancaires françaises à transmettre automatiquement toutes les données relatives aux nationaux américains. Or le fisc français ne reçoit pas réciproquement les données bancaires des contribuables français résidant aux États-Unis, ce qui crée un déséquilibre majeur.

Ainsi, trois sources de déséquilibre entre nos deux pays se superposent : premièrement, la concurrence fiscale échevelée entre les pays membres de l’Union, animée en particulier par l’Irlande et cette lessiveuse fiscale qu’est le Luxembourg ; deuxièmement, la concurrence entre les grands groupes américains, qui échappent à l’impôt, et les grands groupes français, qui s’en acquittent ; troisièmement, une convention fiscale complètement déséquilibrée.

Mme la présidente. Veuillez conclure, cher collègue !

M. Pierre Lellouche. Nous pouvons débattre toute la soirée sur l’opportunité de traîner les fraudeurs devant le juge pénal mais j’aurais aimé que le Gouvernement s’intéresse à ces sujets.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Monsieur le garde des sceaux, nous devons choisir entre une certaine efficacité et une absence d’exemplarité. Je ne suis pas certain qu’il faille opter pour la première.

En tant que professionnel, je peux vous dire que les fraudeurs n’ont peur que d’une chose : la prison. Les amendes ne les effraient aucunement car ils savent qu’elles seront payées, soit par les entreprises, soit par les bénéfices redistribués. Le système de transaction fiscal tel qu’il existe actuellement encourage donc la fraude, dans la mesure où il neutralise le risque. Le seul risque étant la prison, la suppression de l’éventualité d’une peine de prison vaut suppression du risque, donc encouragement de la fraude, que vous le vouliez ou non. Monsieur le garde des sceaux, serez-vous celui qui aura encouragé la fraude fiscale ?

(L’amendement n1264 n’est pas adopté.)

Article 12

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux, pour soutenir l’amendement n1439.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Cet amendement vise à supprimer le critère de l’exercice de l’activité économique sur le territoire français pour rendre applicable la loi pénale française à des faits de corruption et de trafic d’influence commis à l’étranger.

L’extension de l’applicabilité de la loi pénale pour ces faits figure dans le projet du Gouvernement, qui a introduit le critère de la résidence habituelle en France.

Néanmoins, le critère qui a été adopté par la commission, celui de l’activité économique, est susceptible de concerner, à l’heure de la mondialisation, l’ensemble des personnes morales exerçant leur activité en dehors du cadre strictement national. Le Gouvernement est dubitatif, voire hostile à cette perspective, d’autant que sa concrétisation n’a pas pu faire l’objet d’une expertise approfondie, qui aurait permis d’en mesurer la portée réelle.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. La semaine dernière, sur l’initiative de notre collègue Pierre Lellouche, la commission des lois a effectivement élargi la portée de l’article 12, en incluant dans son champ les délits commis à l’étranger non seulement par des Français ou des entreprises françaises, mais également par toute entreprise exerçant totalement ou partiellement son activité dans notre pays.

J’avoue que le plaidoyer de notre collègue était comme d’habitude convaincant ; je m’en étais pour ma part remis à la sagesse des membres de la commission. Pour l’auteur de l’amendement, qui précisera sans doute sa pensée, il s’agissait de permettre aux autorités judiciaires françaises de poursuivre, avec la même facilité que le département de la justice américain, des entreprises étrangères s’étant rendues coupables à l’étranger de fait de corruption d’agent public ou de magistrat.

La question est donc la suivante : faut-il répondre à l’impérialisme judiciaire américain par un impérialisme judiciaire français ?

Mme Sandrine Mazetier et Mme Cécile Untermaier. Mais non !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Tel est le débat, mais vous y reviendrez sans doute, madame Mazetier, tout comme d’autres collègues, probablement désireux de s’exprimer pour nourrir ce débat, sur un sujet extrêmement complexe, qui nous a déjà occupés en commission.

Quoi qu’il en soit, saisie au titre de l’article 88 du règlement, la commission a émis un avis favorable sur l’amendement du Gouvernement.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Marleix.

M. Olivier Marleix. Le rapporteur a très bien résumé le sujet. Il faut en effet pouvoir poursuivre à l’étranger non seulement les personnes ayant leur résidence habituelle en France mais aussi les personnes menant une activité économique régulière dans notre pays. C’est ce que font très bien les Américains, et il serait regrettable de nous priver de cet outil, qui, à ce jour, ne présente pas le moindre inconvénient.

Le Gouvernement nous a fait le procès tout à l’heure de vouloir reculer par rapport aux formidables avancées obtenues en commission. J’observe que plusieurs amendements qu’il a déposés visent à revenir en arrière par rapport à des propositions assez allantes de la commission, initiées d’ailleurs par des députés siégeant de part et d’autre de cet hémicycle.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Je voudrais tout d’abord remercier monsieur le rapporteur et un certain nombre de collègues de la majorité d’avoir bien voulu écouter les arguments de bon sens que j’ai présentés. Ces arguments ont d’ailleurs été pris en considération dans d’autres pays : en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, une législation similaire a été adoptée.

Le problème est de nature politique, c’est un problème de souveraineté : nous devons disposer des mêmes droits à l’égard d’un état tiers que ceux dont il dispose à notre endroit ; c’est aussi basique que cela.

M. Daniel Fasquelle. Absolument !

M. Pierre Lellouche. J’espère que le Gouvernement ne va pas revenir sur un principe fondamental du droit international et céder une partie de la souveraineté de notre pays. Dans la mesure où les Américains se permettent de faire la police chez nous et à l’encontre de sociétés étrangères commettant des actes à l’autre bout du monde, sans contact avec leur territoire, au motif qu’elles sont cotées aux États-Unis ou qu’elles y ont implanté une partie de leurs activités, faisons la même chose !

Nous voulons être extrêmement sévères dans la répression de la corruption impliquant des citoyens français, dont acte ; nous vous soutenons totalement, et c’est d’ailleurs l’objet de la convention de l’OCDE qui a été ratifiée sous Jacques Chirac. Cependant, ladite convention dispose aussi que les États ont le droit de punir toute corruption sur leur sol, y compris lorsqu’elle est le fait de filiales de sociétés étrangères ayant toute une partie de leur activité sur le territoire national.

Ce que je demande n’a donc rien d’exorbitant, monsieur le garde des sceaux ; ce serait une règle de droit normale, conforme à ce que font les Américains, les Britanniques et les Hollandais. Rien ne justifie – ce serait même contraire au principe d’égalité devant la loi – que soit punie une entreprise française se livrant depuis la France à des actes de corruption, par exemple en Indonésie, et que la filiale d’un groupe américain, ou devenu américain – suivez mon regard ! – et se livrant aux mêmes activités illicites ne soit pas inquiétée, parce qu’elle est américaine. Pour être plus précis, Alstom serait condamné aux États-Unis, en tant que groupe français, mais sa branche énergie, rachetée par General Electric, ne serait pas susceptible d’être poursuivie par la justice française. Que quelqu’un m’explique la logique d’une telle position ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Excellent !

M. Alain Bocquet. Il a raison !

M. Olivier Marleix. C’est effectivement ridicule !

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. L’exemple évoqué par notre collègue Lellouche soulève la question de la souveraineté, qui se suffirait à elle-même, mais il faut aussi mentionner la lutte contre l’impunité, celle des tortionnaires et des génocidaires, ou celle des personnes morales corruptrices dans le monde, et le rôle qu’y joue la France. C’est une question extrêmement importante et il n’est pas anodin qu’une grande démocratie, forte d’une justice irréprochable, montre des signes de recul en matière de lutte contre la corruption à l’échelle internationale, en considérant que le critère de l’activité économique exercée en France, à l’heure de la mondialisation, est trop vaste. Il est vrai que de nombreuses entreprises exerçant une activité économique en France pourraient être poursuivies pour des faits de corruption commis à l’étranger.

M. Pierre Lellouche. C’est bien le but !

Mme Sandrine Mazetier. C’est vrai, la France doit émettre un tel signal. Et celui-ci trouverait tout à fait sa place dans ce projet de loi, qui entend justement rehausser la France à la hauteur des plus hauts standards internationaux de lutte contre la corruption, pour les raisons de souveraineté explicitées par notre collègue Lellouche, mais aussi pour des raisons, sinon d’exemplarité – à l’échelle internationale, nous en sommes loin –, du moins de remise à niveau et même de mise en mouvement d’une dynamique. Il faut que les personnes morales commettant des actes de corruption à l’échelle internationale craignent de se voir poursuivies en France, aux États-Unis, aux Pays-Bas, en Allemagne ou en Grande-Bretagne. La France ne doit pas reculer sur ce point. Il serait donc dommage d’adopter l’amendement proposé par l’exécutif.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. C’est la concorde nationale !

Mme la présidente. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. On a beaucoup parlé d’extraterritorialité, mais celle-ci, en droit international, n’est pas forcément illégale. Ainsi, le principe de personnalité active ou passive des lois s’oppose au principe de territorialité. La loi Helms-Burton constitue un cas typique d’extraterritorialité illégale au sens du droit international car elle frappe des entreprises n’ayant aucun rapport avec le territoire américain. Enfin, le cas évoqué par notre collègue Pierre Lellouche relève de la théorie dite « des effets », consacrée par la jurisprudence américaine, selon laquelle une entreprise étrangère ayant un impact économique direct sur le territoire américain peut être passible de poursuites ou d’un effet de la loi américaine. C’est sur la base de cette théorie, également appelée « principe de territorialité objective », que les Américains ont bâti leur doctrine.

Il me semble nécessaire, à l’heure de la mondialisation, de faire évoluer notre conception de la loi. C’est certes compliqué, car nous avons une tradition juridique très forte et très ancrée. Cependant, si nous voulons être compétitifs et surtout éviter d’être pris dans un combat asymétrique avec d’autres puissances, il me semble que c’est une nécessité. Celle-ci découle aussi de l’évolution de l’interdépendance économique et de la large déconnexion, de nos jours, entre activité et territoire : pour punir les fauteurs de troubles, il faut par conséquent aller chercher là où ils se trouvent.

Je soutiens donc le point de vue de notre collègue Pierre Lellouche : il me semble utile, pour ne pas dire indispensable, de voter contre l’amendement du Gouvernement.

M. Daniel Fasquelle. Très bien !

(L’amendement n1439 n’est pas adopté.)

(L’article 12 est adopté.)

Après l’article 12

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Alauzet, pour soutenir l’amendement n498.

M. Éric Alauzet. Cet amendement tend à aligner la loi française sur la quatrième directive anti-blanchiment pour ce qui concerne la définition du blanchiment – justification mensongère de l’origine de biens ou de revenus tirés d’un crime ou d’un délit.

Sur le fond, il s’agit, d’une part, de faire évoluer la définition du blanchiment, actuellement limitée à la notion d’origine, en y ajoutant des références à la nature, l’emplacement, la disposition, le mouvement et la propriété réelle, et, d’autre part, d’élargir la notion d’intermédiaire aux faits d’incitation, de conseil ou de facilitation. Il s’agit donc bien de renforcer la loi française.

Sur la forme, deux arguments plaident pour l’adoption de cet amendement. Le premier est juridique : l’harmonisation des dispositions en vigueur dans l’ensemble des pays de l’Union européenne, afin d’éviter que des réglementations distinctes ne provoquent une forme de fragilisation, voire, le cas échéant, des contestations. Le second est stratégique : améliorer et rendre plus efficace la coordination des actions judiciaires dans les pays de l’Union européenne.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable. Je ne me prononcerai pas sur le fond mais elle a estimé qu’il n’y a pas lieu de rouvrir des débats tranchés très récemment, une loi ayant été votée sur ce sujet en 2013. Tel est l’avis, en tout cas, de la commission.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement émet un avis défavorable pour trois raisons. D’abord, certaines précisions proposées par l’amendement n’apportent rien au droit applicable existant ; par exemple, les notions de facilitation et de conseil font déjà partie de la définition de la complicité. D’autres précisions, en revanche, nuisent à l’exigence de clarté de la loi pénale ; par exemple, le sens de la notion de propriété réelle, en droit des biens distinct, diffère de celui auquel les auteurs de l’amendement semblent se référer. Enfin, le champ très vaste de l’infraction risquerait de contrevenir aux exigences de nécessité et de proportionnalité de la loi pénale.

(L’amendement n498 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement n200.

M. Alain Tourret. Cet amendement tend à ajouter, après l’article 9 du code de procédure pénale, relatif aux prescriptions et à leur point de départ, un article indiquant que « le délai de prescription de l’infraction occulte ou dissimulée court à compter du jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique ». Il précise qu’une infraction occulte, est celle qui, « en raison de ses éléments constitutifs, ne peut être connue ni de la victime ni de l’autorité judiciaire » et qu’une infraction dissimulée est celle « dont l’auteur accomplit délibérément toute manœuvre caractérisée tendant à en empêcher la découverte ».

Nous avons déjà voté sur ce sujet, en mars. Il se trouve que le Sénat ne nous a malheureusement pas suivis et a renvoyé le texte en commission, à une date incertaine. Je souhaite donc, en accord avec M. le rapporteur, que cet amendement soit adopté, de sorte à relancer opportunément le train législatif.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. C’est bien volontiers, monsieur Tourret, que la commission a émis un avis favorable sur cet amendement, dont vous êtes le premier signataire et que vous avez porté devant nous. Nous regrettons avec vous que le rapporteur du Sénat ait jugé bon de convaincre ses collègues de renvoyer le texte en commission, c’est-à-dire de l’enterrer pour un certain temps. Vous l’exhumez pour l’inscrire en dur dans le présent projet de loi, que nous sommes déterminés à faire aboutir dans des délais très brefs, et nous soutenons votre démarche.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement comprend la démarche d’Alain Tourret et je veux le rassurer. La semaine dernière, j’ai défendu la proposition de loi au Sénat et celui-ci n’a pas l’intention d’enterrer le texte. Le président de la commission des lois de la Haute assemblée, Philippe Bas, l’a dit publiquement, ainsi que le rapporteur, et tous les groupes ont fait part de leur souhait de faire aboutir le texte. Il a néanmoins semblé fort légitime que le Sénat dispose d’un peu de temps pour procéder à des auditions, compte tenu du travail que vous avez accompli, monsieur Tourret, et du vote unanime de l’Assemblée nationale. Il ne s’agit pas d’une démarche partisane du Sénat car tous les groupes de la commission des lois du Sénat ont voté le renvoi du texte en commission.

Mme Marie-Christine Dalloz. M. le rapporteur devrait écouter le garde des sceaux !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. J’ai donné mon sentiment : j’étais évidemment favorable au texte adopté par l’Assemblée nationale et soutenu par le Gouvernement mais il aurait été inconvenant de refuser au Sénat l’exercice légitime de sa capacité d’expertise.

Mme Marie-Christine Dalloz. Très bien !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le renvoi du texte en commission n’est donc pas une démarche dilatoire ; il répond à une logique de travail. Du reste, si les sénateurs n’inscrivaient pas la proposition de loi à leur ordre du jour – mais ils ne sont pas du tout dans cet état d’esprit actuellement –, le Gouvernement utiliserait ses prérogatives pour que ce soit fait.

Le Gouvernement n’est donc évidemment pas hostile à votre amendement et je voudrais vous rassurer, monsieur Tourret : il est bien déterminé à faire aboutir le texte que vous avez voté avant la fin de la législature.

Mme la présidente. Mais quel est l’avis du Gouvernement sur cet amendement ce soir, monsieur le garde des sceaux ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Si je dis « joker », que me répondez-vous, madame la présidente ?

Mme Cécile Untermaier. En français, cela signifie « sagesse » ! (Sourires.)

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement est favorable à l’amendement du député Tourret mais je trouve dommage, compte tenu du vote unanime de l’Assemblée nationale, de reprendre par une petite fenêtre ce qui va revenir par la grande porte.

M. Alain Bocquet. Cela ne mange pas de pain !

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. J’entends les propos de M. le garde des sceaux mais je suis un homme prudent. Ce n’est pas toute la proposition de loi qui est visée là mais simplement un de ses aspects : les délits économiques. Il faut savoir que, depuis 1935, la chambre criminelle de la Cour de cassation rend des décisions contra legem. C’est insupportable, on ne peut plus l’admettre. Dès lors, sur ce simple aspect de la proposition de loi, il me semble qu’il faut d’ores et déjà voter mon amendement.

M. Alain Bocquet. Ceinture et bretelles !

M. Alain Tourret. Nous émettrons ainsi un signe important en matière de criminalité économique.

M. Alain Bocquet. Très bien !

(L’amendement n200 est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n778.

M. Sergio Coronado. Cet amendement vise à permettre au procureur de la République financier d’exercer pleinement son rôle en faisant en sorte qu’il soit saisi des plaintes tendant à l’application de sanctions pénales en matière d’impôts directs, de taxe sur la valeur ajoutée et autres taxes sur le chiffre d’affaires, de droits d’enregistrement, de taxe de publicité foncière et de droits de timbre. Bien entendu, la commission des infractions fiscales continuera à jouer son rôle en émettant un avis sur l’opportunité des poursuites.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Nous avons longuement débattu de ce sujet, sur lequel la commission a constamment adopté les mêmes positions. Son avis est défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. L’avis du Gouvernement est aussi défavorable. L’amendement revient sur des choix effectués en 2013. Le simple manque de recul ne nous encourage pas à procéder à une évolution.

(L’amendement n778 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements, nos 482, 1187 et 701, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Olivier Marleix, pour soutenir l’amendement n482.

M. Olivier Marleix. Cet amendement prolonge les discussions que nous avons eues cet après-midi, à l’initiative de notre collègue Karine Berger, sur la loi du 26 juillet 1968 dite « de blocage », qui permet d’interdire la transmission par une entreprise française d’informations relatives à notre souveraineté ou à nos intérêts économiques, fût-ce dans le cadre d’une demande judiciaire ou d’une procédure de justice négociée. Contrairement à ce qui a été dit tout à l’heure, la nouvelle agence aura bien pour mission, assez peu claire au demeurant, de veiller à l’application de la loi de 1968, à l’initiative du Premier ministre.

Pour qu’elle puisse le faire, encore faut-il qu’elle dispose de l’information précise de la sollicitation émise auprès de l’entreprise française par une puissance étrangère, un État étranger ou une autorité judiciaire étrangère. Cet amendement a donc pour but de contraindre les entreprises françaises faisant l’objet d’une sollicitation à le déclarer aux autorités. Sans cette procédure, l’article 3 restera complètement inopérant, sauf à l’initiative des pouvoirs publics, une fois qu’ils seront informés.

Mme la présidente. Monsieur Lellouche, pouvez-vous présenter conjointement vos amendements nos 1187 et 701 ?

M. Pierre Lellouche. Comme vient de le dire mon collègue Marleix, il s’agit ici des cas de transactions pénales engagées par un État étranger contre des entreprises françaises, plus précisément des cas actuels, malheureusement nombreux, de convocations d’entreprises françaises par la justice américaine, qui leur demande de se confesser, de s’auto-accuser et de livrer toute pièce en vue de leur accusation, avant de décréter, sur cette base, des amendes et des processus de mise en conformité.

Le processus de mise en conformité prévoit la nomination d’un monitor – appelé « commissaire » dans la législation française –, payé par la société et dont la mission consistera essentiellement à collecter toutes les informations relatives aux contrats en cours ou à venir. Ces documents absolument stratégiques pour l’entreprise seront ensuite transmis à l’OFAC – Office of Foreign Assets Control–, basé à Washington et relevant du département de la justice. Nous sommes donc victimes, je pèse mes mots, d’un système d’espionnage économique organisé au nom des meilleures intentions du monde. Qui, en effet, pourrait être défavorable à la lutte contre la corruption ou contre des manœuvres plus ou moins douteuses ?

Par son amendement, M. Marleix voudrait imposer aux entreprises de prévenir immédiatement les autorités françaises lorsque des pressions de ce genre s’exercent à leur encontre. C’est la moindre des choses – même si, en réalité, les conventions, les procédures de plaider-coupable, ou guilty plea, font l’objet de publications de la part du procureur américain.

L’amendement n1187, le premier que je vous soumets, tend à obliger le monitor à transmettre les documents à l’administration française avant de le faire à Washington. Pour que cette disposition soit pleinement efficace, monsieur le garde des sceaux, encore faut-il que le Quai d’Orsay prévienne les Américains que, s’ils entendent poursuivre de nouvelles sociétés françaises, la convention de plaider-coupable prévoira l’intermédiaire des autorités françaises. J’ai déjà pu lire des dispositions analogues dans certains guilty plea. Ma proposition, qui éviterait de transférer massivement des données essentielles à notre concurrent américain, n’est donc pas totalement aberrante.

Quant à mon autre amendement, le n701, il vise à renforcer la loi de blocage de 1968. Lorsque les Américains, en 1996, suite au blocus de Cuba, ont voté la scandaleuse loi Helms-Burton, les Européens, qui réagissaient encore à l’époque, ont décidé de ne pas se soumettre à cette mesure intolérable et ont fait savoir aux Américains que, au cas où ceux-ci engageraient des procédures de sanction contre les entreprises européennes, les Européens saisiraient l’OMC et prendraient des sanctions équivalentes. Du coup, les Américains ont reculé, ce qui prouve qu’il s’agit vraiment d’un rapport de forces.

Aujourd’hui, les Américains continuent à martyriser nos entreprises en profitant de la sévérité insuffisante de la loi de blocage de 1968. D’où l’idée de l’amendement n701 : aggraver les peines, ce qui videra leur argument de sa substance, parallèlement à notre affaire de transaction pénale – c’est ainsi que je l’appelle, même si vous avez changé de terme, mais chacun comprend bien de quoi il ressort.

Autrement dit, je vous propose un double mécanisme : une loi de blocage renforcée et une obligation de transférer les informations d’abord à la France, puis la transaction. Ces amendements s’insèrent donc dans une cohérence d’ensemble et je vous remercie de les appréhender ainsi, au-delà des clivages partisans.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Ces débats de fond sont passionnants et fondamentaux car ils touchent à la souveraineté. Nous devons donc nous montrer capables, sur ces sujets, de transcender les clivages partisans les plus stériles. C’est d’ailleurs ce que vous faites, monsieur Lellouche, en travaillant avec Karine Berger sur l’extraterritorialité de la législation américaine. Mais, en l’espèce, le problème est évident : cette proposition dépasse largement le périmètre de ce projet de loi ; la réflexion que vous avez engagée dans votre rapport d’information a vocation à déboucher dans les meilleurs délais sur une proposition de loi.

M. Pierre Lellouche. Non.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Il convient certainement de revoir la loi de blocage dans son ensemble et les mécanismes qu’elle met en œuvre.

Quoi qu’il en soit, la commission n’a examiné ce rapport qu’en périphérie, sur les points qui entraient en interaction avec certains points du projet de loi. Il faudra donc mener la réflexion plus avant.

L’amendement n1187 pose par exemple un problème, en ce qu’il tend à soumettre la désignation d’un moniteur à l’accord d’une autorité administrative. Imaginons que les Américains fassent de même et que, pour une procédure de monitoring décidée par l’Agence française anticorruption, nous devions attendre l’avis des Américains ! Ce serait la même logique.

La commission a donc bien cerné le sujet de fond, qu’il convient de continuer à explorer mais qui dépasse le champ de la loi elle-même. Aussi, pour des raisons de pure prudence, a-t-elle émis un avis défavorable sur ces trois amendements. En tant que rapporteur de ce texte, j’appelle cependant le Gouvernement à favoriser l’inscription à l’ordre du jour d’un texte de loi pour traiter ces sujets en profondeur, sur la base des travaux que vous avez menés avec notre collègue Karine Berger, monsieur Lellouche.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement a exactement le même avis car le champ des modifications proposées va bien au-delà du seul domaine des infractions à la probité. En l’état, il est incapable d’avoir une expertise avérée sur ce sujet. Par précaution, son avis est donc défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Je suis franchement stupéfait. Voici un projet de loi pour lutter contre la corruption et moderniser la vie économique. C’est le moment où jamais de traiter ces sujets, d’autant que des sociétés françaises se retrouvent aujourd’hui sous le coup de poursuites américaines ou de procédures de mise en conformité. J’espère que notre système, à l’avenir, nous prémunira contre d’autres affaires de ce genre, mais ce n’est pas certain.

Encore récemment, une société hollandaise a été frappée par une condamnation en Hollande et par une autre, aux États-Unis, via une transaction pénale, malgré une loi de blocage hollandaise sévère. Au final, tenez-vous bien, monsieur le ministre du budget et des comptes publics, la Hollande et les États-Unis se sont partagé l’amende !

C’est maintenant que nous devons trouver des solutions. Contrairement à ce que prétendait M. Denaja, la mission d’information que j’ai l’honneur de présider et dont Mme Berger est rapporteure, aborde plusieurs sujets : les sanctions, la fiscalité et la corruption. Puisque nous en sommes au volet corruption, nous avons voulu, avec Karine Berger, vous apporter le fruit d’un premier défrichage.

Je veux bien entendre votre promesse de revoir ce texte pour l’améliorer….

M. Olivier Marleix. Sapin 3 !

M. Pierre Lellouche. Il y aurait donc une loi Sapin 3 ? Mais peut-être pas l’année prochaine.

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Non ! Dans vingt ans ! (Sourires.)

M. Pierre Lellouche. Je ne serai plus là, je vous l’assure. Franchement, pour que les dispositions que vous prenez dans ce texte aient du sens et soient efficaces, vous devrez très rapidement les compléter. J’aurais souhaité que nous en discutions sérieusement dès ce soir.

(Les amendements nos 482, 1187 et 701, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

Article 12 bis

Mme la présidente. Deux orateurs sont inscrits sur l’article 12 bis.

La parole est à M. Alain Bocquet.

M. Alain Bocquet. Cet article, qui s’inspire d’une procédure britannique, le Bribery Act, permet aux sociétés entrant dans le champ d’application de l’article 12 bis, de négocier une amende.

Rappelons le parcours de cette disposition. La toute première version du projet de loi proposait d’instaurer une convention de compensation d’intérêt public mais le Conseil d’État a retoqué cette mesure. Celle-ci est revenue dans une version revisitée, par le biais d’un amendement adopté en commission. Nos réserves sont nombreuses à l’égard du nouveau dispositif proposé, dont nous avons bien du mal à percevoir le réel impact potentiel. En tout état de cause, nous sommes très réservés quant à sa philosophie : en échange d’une amende, en échange d’un chèque, on efface l’ardoise. Quand on a beaucoup d’argent, on peut donc acheter, son impunité, voire une immunité. Les richissimes « triche-fisc » ont encore de belles années de tranquillité devant eux…

Certes, ce dispositif présente l’avantage de la rapidité : l’affaire se résout très vite. Cependant, nous sommes pour le moins dubitatifs car on irait clairement vers une déresponsabilisation des personnes morales, en soldant les poursuites par une amende, sans procès. C’est bien dans cette direction que l’article 12 bis semble nous conduire, ce qui viendrait alimenter le sentiment d’une justice à deux vitesses, entre ceux qui auraient les moyens de régler l’ardoise et ceux que l’on renverrait au pénal, un peu comme en matière de fraude fiscale, où une transaction avec le fisc permet de ne pas être poursuivi pénalement.

Pour toutes ces raisons, si le texte reste en l’état, notre groupe ne votera pas cet article.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Je ne reviendrai pas sur l’argument à mon sens essentiel dans cette affaire : l’argument politique. Il y va en effet de la souveraineté nationale. Quelles que soient nos sensibilités, nous sommes tous fondamentalement fiers d’être Français. Il est donc hors de question de laisser perdurer une situation dans laquelle un très grand État, allié de la France, avec qui nous menons des guerres, s’octroie le droit de faire la police à la place de l’administration française, en ignorant complètement notre pays et en l’accusant même d’incurie. Car c’est bien cela, son argument.

Je vous invite à prendre le temps de lire les plaider-coupable, monuments presque nord-coréens de mise en accusation publique. L’entreprise en question se retrouve convoquée – naturellement, au préalable, ses conversations ont été écoutées et ses mails interceptés, quand certains de ses cadres, quoique ressortissants étrangers, n’ont pas été interpellés – et elle est amenée à se confesser publiquement, à s’incriminer elle-même. Une fois sa confession publique achevée, elle se retrouve très lourdement pénalisée et, comme cela n’est pas encore suffisant, elle se voit imposer une mise en conformité commandée depuis Washington, par un moniteur désigné et payé par l’entreprise, sous le contrôle des Américains, qui continueront leur surveillance pendant un certain temps. Il est juste impossible, pour un Français d’accepter des pratiques pareilles. J’ai beau avoir suivi des études de droit aux États-Unis, cela me révolte ; je n’ai jamais rien vu de tel, il faut que cela cesse.

Par ailleurs, monsieur Bocquet….

Mme la présidente. Ah non, vous avez épuisé votre temps de parole. Vous pourrez vous exprimer sur les amendements.

M. Pierre Lellouche. Comment peut-on travailler dans de telles conditions !

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n782, tendant à supprimer l’article 12 bis.

M. Sergio Coronado. Mon argumentation sera similaire à celle de notre collègue Bocquet. Comme il l’a rappelé, cet article permettra aux sociétés concernées de négocier une amende et ainsi d’éviter un procès. Cette procédure s’inspire d’une disposition américaine, qui permet aux sociétés de passer un accord avec le département de justice de leur État : en échange d’une amende, la justice s’engage à ne pas lancer de poursuite pénale. La motivation avancée est la rapidité de ce mode de résolution des contentieux.

Nous restons néanmoins très réservés à propos du maintien de cette disposition. D’abord, l’importation de cette procédure ne la rendrait pas forcément efficace. Ensuite, l’absence de reconnaissance de culpabilité et le passage à une justice à deux vitesses – entre ceux à même de mener à bien des négociations et les autres, toujours les mêmes, obligés de payer lorsque la justice frappe – nous semblent problématiques.

Notre amendement tend à supprimer l’importation de cette procédure juridique en droit français.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Je me contenterai, sans revenir sur les détails, de quelques propos d’ordre général. Lorsque j’ai été désigné rapporteur de ce texte et que j’ai découvert les dispositions relatives à la transaction pénale, j’ai émis les mêmes réserves que vous, MM. Bocquet et Coronado, quant aux risques de voir émerger une justice à deux vitesses.

J’étais donc bardé d’a priori à ce sujet, d’abord parce que je suis un juriste français et que nous avons des traditions juridiques auxquelles il est parfois difficile d’échapper. Voilà pourquoi je veux vous dire quel a été mon cheminement après cinquante heures d’audition, cent vingt et une personnes rencontrées et un déplacement de travail à Londres.

Il ne s’agit pas d’instaurer une transaction pénale, mais bien d’imaginer un dispositif qui corresponde à la tradition juridique française.

Ce qui m’a le plus frappé, ce sont la première audition et la dernière. Nous avons en effet commencé par entendre le Service central de prévention de la corruption et sa chef de service, Mme Siméoni. Le parcours de cette dernière est éloquent : elle a été juge d’instruction pendant vingt-cinq ans, notamment au pôle financier, puis présidente de cour d’assise. À ma question sur ce qu’elle pense du dispositif, elle répond qu’ayant toute sa vie ouvert des dossiers de cette nature et constatant comme tous les citoyens que nous n’avons jamais condamné une seule personne morale en France pour de tels faits, elle estime qu’il s’agit d’un outil supplémentaire qui pourrait être profitable à notre pays.

Lors de la dernière audition, je pose la question à Mme Houlette, procureur national financier, qui peut s’enorgueillir d’un curriculum vitae tout aussi éloquent en la matière. Elle aussi, alors qu’elle partageait avec Mme Siméoni les mêmes préventions au départ, répond qu’elle pense qu’il peut s’agir d’un bon outil, dans la mesure où les procédures classiques ne permettent pas de condamner les personnes morales visées.

Car l’objectif est bien celui-ci : condamner des personnes morales qui, de toute façon – et pour cause ! –, n’iront pas en prison. Au demeurant, le dispositif conçu par Mme Mazetier n’exclut absolument pas la poursuite des personnes physiques.

M. Dominique Potier, rapporteur pour avis. Très bien !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. On ne peut donc vraiment pas parler de justice à deux vitesses. Plusieurs précisions rédactionnelles très utiles, dont certaines de votre rapporteur, viennent clarifier encore ce point. Le mécanisme imaginé par notre collègue est, sous cet aspect, exempt de toute critique.

M. Dominique Potier, rapporteur pour avis et M. Romain Colas, rapporteur pour avis. Très juste !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Je veux aussi évoquer le déplacement que nous avons effectué avec les rapporteurs pour avis à Londres, où nous avons interrogé les magistrats de la structure qui correspond au parquet national financier français. Nous avons constaté la capacité de la justice britannique à actionner un mécanisme tout à fait transparent, où la publicité joue pleinement son rôle. Il nous a été montré qu’en matière de corruption transnationale, il existait aussi – et vous y serez peut-être sensible comme moi, monsieur Bocquet – la possibilité de rendre à ceux qui ont été lésés, en particulier des États africains, des sommes considérables, de l’ordre de plusieurs dizaines de millions d’euros. Or il faut bien que cet argent soit rendu à ceux qui en ont été privés.

Je terminerai en évoquant deux chiffres.

Le premier, c’est zéro, car aucune personne morale n’a jamais été condamnée à titre définitif pour des faits de corruption, ce qui se traduit aussi, évidemment, par zéro euro d’amende.

Second chiffre : 2,5 milliards d’euros, qui ont été donnés au Trésor américain.

M. Michel Sapin, ministre. Eh oui ! Par des sociétés françaises !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. En effet, Alstom lui a versé 772 millions de dollars en 2014, Total 398 millions de dollars et Technip 338 millions, sur un montant global de 917 millions.

M. Pierre Lellouche. Vous oubliez Alcatel !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Bref, comme vient de le dire M. Lellouche, les entreprises françaises ont versé ces dernières années 2,5 milliards de dollars au Trésor américain.

M. Alain Bocquet. C’est un vrai problème, bien sûr !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Si l’on opère une conversion approximative en euros en s’affranchissant du change, cela représente le financement de 60 000 postes d’enseignants dans l’éducation nationale…

Mme Marie-Christine Dalloz. Et en réduction du déficit, qu’est-ce que cela représente ?

M. Olivier Marleix. Mieux vaudrait réduire les impôts des Français !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. …et cela aurait permis d’alléger d’autant les impôts, ce que nous ferons à l’automne. Chacun sait ce que l’on peut faire avec 2,5 milliards d’euros : nous, nous avons décidé de créer en cinq ans ces 60 000 postes de professeurs, mes chers collègues de l’opposition.

Voilà ce que je mets dans la balance de notre réflexion. Devant tant d’inefficacité de notre système juridique, on peut se dire : « Essayons, expérimentons ». De toute façon, le Parlement souverain aura la possibilité, dans quelques années, de revenir sur les décisions qu’il prend aujourd’hui… (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Marie-Christine Dalloz. Mais non, nous ne reviendrons pas là-dessus !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. …s’il constate que nous tombons dans les écueils que vous redoutez, monsieur Bocquet.

M. Alain Bocquet. Ce sont toujours les mêmes arrangements avec Bercy ! La justice ne fonctionne pas, on ne lui donne pas de moyens et ce texte n’est qu’une fuite en avant !

Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Tels sont les éléments qui me conduisent, en toute humilité, à réfléchir et à considérer que la solution imaginée par Mme Mazetier mérite quelque attention…

M. Alain Bocquet. Eh bien, les fraudeurs vont être contents ! La fraude fiscale, c’est 60 milliards d’euros !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. …et une discussion plus approfondie que ces cris d’orfraie. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Dominique Potier, rapporteur pour avis. Très bien !

Mme la présidente. Votre avis sur l’amendement de suppression est donc défavorable, monsieur le rapporteur…

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Oui, madame la présidente.

Mme la présidente. Je vous rappelle que c’est à vous de le dire, mon cher collègue ! (Sourires.)

La parole est à M. le ministre des finances et des comptes publics, pour donner l’avis du Gouvernement.

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Le Gouvernement a observé et encouragé les députés tout au long de leur travail sur ce texte. Il s’en remettra donc, sur ce sujet, à la sagesse de l’Assemblée, dans un esprit très positif – je le dis dès maintenant.

M. Pierre Lellouche. Allons, monsieur le ministre ! Un peu de courage !

M. Michel Sapin, ministre. Monsieur Lellouche, il ne sert à rien de pousser, sinon des cris d’orfraie, du moins de tels soupirs ! (Sourires.)

M. Bocquet a évoqué l’avant-projet de loi, je vais le faire à mon tour de la manière la plus transparente possible. Cet avant-projet comprenait effectivement un volet de cette nature, que nous désignions alors par un autre titre que celui qui a été choisi. Ces dispositions ont été critiquées par le Conseil d’État, lors d’un débat d’ailleurs très équilibré et assez complexe. Le Conseil a formulé des remarques que la commission a prises en compte dans son travail.

L’attitude du Gouvernement consiste d’abord à respecter votre travail, mesdames et messieurs les députés. Ce que vous avez accompli ici, et qui peut évidemment être critiqué, complété, amendé, ce n’est pas un travail à la va-vite : c’est un travail en profondeur résultant d’une vraie réflexion.

Je me suis rendu avec vous à Londres au moment du sommet contre la corruption. Nous avons rencontré ensemble des parlementaires, des magistrats, des universitaires – bref, toutes les personnes que se sont interrogées sur le sujet, et ce fut très intéressant.

Je me suis également rendu aux États-Unis, tout en étant de ceux qui considèrent qu’il n’y a pas de modèle parfait et qu’il faut surtout éviter de copier à tel endroit un dispositif au prétexte qu’il serait efficace à tel autre. La France a ses propres principes en la matière – j’y reviendrai –, qu’il convient de respecter. Aux États-Unis, disais-je, j’ai moi aussi constaté ce que vient de décrire M. le rapporteur, à savoir l’efficacité extraordinaire de la justice américaine à l’endroit des sociétés non seulement étrangères, mais également américaines,…

M. Pierre Lellouche. Beaucoup moins quand il s’agit de sociétés américaines !

M. Michel Sapin, ministre. …sa rapidité et les montants payés. Toutes ces procédures ne se déroulent pas dans une arrière-chambre, puisque nous en parlons aujourd’hui et que je suis capable de vous citer les entreprises condamnées ces dernières années par la justice américaine.

Vous avez accompli, je le répète, un très beau travail que je salue et que je respecte. À cet égard, m’en remettre à votre sagesse, comme je viens de le faire, pour le vote de cet amendement, est aussi une manière de rendre hommage à ce travail.

Pour ma part, je serai attentif à trois éléments.

Premièrement, il faut que le dispositif ne s’applique qu’à des personnes morales – ce qui est bien le cas ici –, sans quoi la critique selon laquelle il s’agirait d’une manière d’échapper à la prison pourrait être exacte. En l’espèce, la procédure ne peut concerner une personne physique. Même dans des dossiers comprenant des poursuites à la fois contre une personne morale et contre une personne physique, ce n’est pas ce dispositif qui sera appliqué à cette dernière, mais bien évidemment le dispositif classique de la justice française, en fonction des incriminations figurant dans le code pénal ou dans d’autres textes.

Le deuxième élément correspond à une tradition forte de la justice française en termes de garanties des libertés et d’équilibre des mesures décidées par le parquet : il s’agit de la présence du juge. Le juge devra être présent aux moments les plus importants, en particulier au moment de la conclusion des discussions, afin de dire en toute indépendance qu’il considère que le dispositif est équilibré.

Le troisième élément, qui figure d’ailleurs dans le texte, est la publicité. Il faut qu’il y ait un ou des moments où la décision est rendue publique. L’objectif n’est pas de se cacher, de dissimuler, mais d’atteindre une efficacité pleine et entière.

Tels sont les trois critères – la personne morale, le juge, la publicité – qui permettront au Gouvernement de considérer votre travail de manière bienveillante. Je le dis à M. Bocquet, à M. Coronado et à tous ceux qui ont exprimé des réticences bien compréhensibles : si ces trois critères sont respectés, nous aurons une belle réforme, non seulement conforme à nos traditions mais efficace, alors que la lutte contre la corruption transnationale a été jusqu’à présent, en France, un échec.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. M. le rapporteur et M. le ministre ont expliqué avec beaucoup d’éloquence pourquoi il fallait voter contre l’amendement de M. Coronado. Je suis entièrement d’accord avec leur analyse. Il ne s’agit pas de singer un modèle américain – j’ai également fait des études de droit en France et je suis très fier de notre droit –, il s’agit de chercher l’efficacité, d’abord pour punir ceux qui se livrent à des actes de corruption.

Il est avéré, depuis que nous avons signé la convention de l’OCDE, qu’il est très difficile d’aller à l’autre bout du monde, muni de commissions rogatoires internationales, pour démasquer la corruption. Il est bien plus efficace d’intercepter des informations et d’amener ensuite les sociétés à se confesser, d’abord parce que celles-ci doivent ne pas être condamnées pénalement pour continuer à faire leur business, c’est-à-dire pour pouvoir répondre à des marchés publics. Le pire qui puisse arriver à un grand groupe, c’est d’être condamné pénalement. Il faut donc le sanctionner tout en lui permettant de continuer de travailler, d’où la mise en conformité. C’est pourquoi ce système est efficace.

Il est également efficace sur le plan économique, puisqu’il permet d’offrir une compensation à ceux qui ont été volés et qu’il prive la société poursuivie de l’argent qu’elle a gagné par la corruption. L’État va récupérer cet argent et le préjudice subi par les parties civiles pourra être compensé. Rien dans ce texte – ni, je le précise, dans la loi américaine – n’interdit les poursuites pénales contre les personnes et les recours des parties civiles.

Nous avons donc un système conforme à l’histoire de notre droit et qui permettra enfin de lutter efficacement contre la corruption. J’invite mes collègues à prendre cela en compte et à ne pas mener une guerre idéologique.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. Même si le dispositif semble s’apparenter à la convention de compensation d’intérêt public telle qu’elle figurait dans l’avant-projet, il existe deux différences majeures.

La première est que le dispositif prend en compte les victimes, ce qui n’était pas le cas de la convention de compensation d’intérêt public. Les victimes sont associées à l’évaluation du préjudice qu’elles ont subi, donc à la réparation qu’elles sont en droit d’attendre tout autant que la société.

La seconde est que la convention d’intérêt public était à la main du seul procureur, alors que le dispositif que la commission a adopté sur ma proposition peut être actionné non seulement par le procureur, mais aussi par le juge d’instruction, c’est-à-dire après que l’action publique a été engagée. Le rapport de forces n’est donc pas le même, puisque l’on ne se situe pas à la même étape. Il n’y a plus seulement des victimes, il y a désormais des parties civiles qui sont parties au procès.

L’objectif est d’obtenir des sanctions beaucoup plus lourdes – oui, beaucoup plus lourdes – que celles que notre droit prévoit actuellement mais n’obtient pas dans la réalité, beaucoup plus rapides également, ainsi qu’une réparation et une prévention de la réitération de faits analogues.

Il est compréhensible que l’on puisse considérer le dispositif comme importé du système américain. Pourtant, il constitue au contraire une tentative pour résoudre les difficultés que vous dénoncez, monsieur Bocquet, et pour le faire à la française, dans le respect du principe du contradictoire et avec une réparation beaucoup plus immédiate pour les victimes et pour la société.

Mme la présidente. Merci, ma chère collègue.

Mme Sandrine Mazetier. Car, comme l’a justement indiqué le rapporteur, les entreprises qui ont souffert des actes de corruption à l’étranger peuvent également faire partie des victimes.

Mme la présidente. La parole est à M. Yann Galut.

M. Yann Galut. Lorsque ce projet de loi a été présenté, je faisais partie des sceptiques car le dispositif en question ne fait pas partie de nos traditions ; je dirais même qu’il remet en cause, d’une certaine manière, notre vision de la justice.

Cela dit, cher collègue Bocquet – et vous savez que je partage nombre de vos combats –, j’ai été plus que rassuré par le dispositif proposé par Mme Mazetier, dont je salue le travail : il respecte les spécificités de notre droit et garantit la transparence et l’efficacité.

Monsieur le ministre, vous avez vous aussi avancé des arguments que je fais miens : le dispositif ne vise que les personnes morales, le juge – et non pas simplement le procureur – intervient dans la procédure et une audience publique doit se tenir. Le juge se voit également accorder la possibilité de refuser la validation. La publicité est un point très important car il signifie que cela ne se fera pas en catimini.

Enfin – c’est un élément sur lequel nous n’avons pas suffisamment insisté mais que j’ajouterai quant à moi aux trois critères énumérés par M. le ministre –, les personnes physiques qui ont pris part à la corruption pourront, parallèlement à l’élaboration de la convention, être poursuivies. En effet, le texte rédigé par Mme Mazetier ne prévoit aucune clause atténuant ou dégageant la responsabilité des dirigeants.

Le texte vise donc l’efficacité, contrairement au droit actuel – comme l’a rappelé le rapporteur, combien de procès et pour quels résultats ? De plus, il apporte toutes les garanties en termes de transparence et de publicité.

Mme la présidente. Beaucoup d’orateurs sont inscrits sur cet amendement de suppression. Je laisse la discussion se poursuivre, ce qui, par la suite, nous permettra de gagner du temps.

La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Mes chers collègues, il s’agit d’une affaire délicate. Deux questions se posent.

Tout d’abord, pourquoi le dispositif existant ne fonctionne-t-il pas ? C’est un point qui n’a pas été suffisamment approfondi. Il ne fonctionne pas pour plusieurs raisons.

Mme Delphine Batho. Il n’y a pas de volonté politique !

M. Charles de Courson. La première est l’absence de moyens de contrôle et de juges. Sans moyens, il n’y a aucun risque que cela fonctionne.

Mme Sandrine Mazetier. C’est vrai !

M. Charles de Courson. La deuxième raison est l’extrême lourdeur du système français.

Mme Delphine Batho. Mais non !

M. Charles de Courson. À coups de recours, d’appels et de pourvois en cassation, on peut tenir dix, quinze, voire vingt ans. Le cas de Total, par exemple, dont le jugement n’est pas encore définitif, porte sur des faits qui remontent à vingt ans. En ce qui concerne les moyens, nous pouvons espérer que, en passant de quatre agents et demi, il y a trois ans, à soixante-dix, cela commence à fonctionner. Toutefois, reste le problème de l’extrême lourdeur du système français qui, il faut dire les choses telles qu’elles sont, défend la canaille : quand on a dispose de moyens financiers importants, on peut tenir dix ans, quinze ou vingt ans. Ce n’est pas satisfaisant. Nous ne nous sommes donc pas posé suffisamment cette question : comment rendre le système français efficace, tout en restant dans le cadre du droit français ?

Ma seconde question, monsieur le ministre, est la suivante : pourquoi le Gouvernement a-t-il renoncé à son projet après le passage devant le Conseil d’État ? Et pourquoi, face au dispositif que nous appellerons « Mazetier », vous en remettez-vous à la sagesse de l’Assemblée ?

Mme la présidente. Merci, de conclure, monsieur le député !

M. Charles de Courson. J’en viens maintenant au fond. (Rires.)

Mme la présidente. J’en suis désolée, mais c’est trop tard !

M. Charles de Courson. Ce n’était pourtant que l’introduction, madame la présidente ! (Sourires.)

Mme la présidente. Tant pis, vous prendrez de nouveau la parole sur les autres amendements.

M. Charles de Courson. J’estime que je ne me suis pas exprimé !

M. Romain Colas, rapporteur pour avis. La prochaine fois, cher collègue, vous irez tout de suite au fond !

Mme la présidente. La parole est à Mme Delphine Batho.

Mme Delphine Batho. Pourquoi le système français ne fonctionne-t-il pas ? Pour répondre à cette question, il faut aussi insister sur l’absence de volonté politique de poursuivre les faits de corruption commis par de grandes entreprises afin de conquérir des marchés à l’étranger.

Je ne suis pas, pour ma part, favorable au statu quo, et suis donc d’accord pour dire qu’il faut faire quelque chose. Par ailleurs, je salue moi aussi le travail de Sandrine Mazetier. Toutefois, l’alinéa 14 continue de me poser problème. Il énonce en effet : « L’ordonnance de validation n’emporte pas déclaration de culpabilité ».

M. Sergio Coronado. Eh oui !

Mme Delphine Batho. Je suis favorable à une procédure parfaitement similaire à la CRPC – comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Le président Raimbourg a fait une excellente remarque : il a rappelé, en commission, que la CRPC permet une dispense d’inscription au casier judiciaire. Nous aurions pu nous inspirer de ce dispositif pour rester le plus possible dans les clous du droit commun. C’est pourquoi, malgré l’excellent travail réalisé par nos collègues, je voterai l’amendement de suppression de l’article.

Mme la présidente. La parole est à M. Romain Colas, rapporteur pour avis.

M. Romain Colas, rapporteur pour avis. J’irai, pour ma part, directement au fond en revenant sur quelques arguments qui ont été développés.

Tout d’abord, j’approuve tout à fait l’intervention de Charles de Courson. En effet, aujourd’hui, nos procédures sont inefficaces – et c’est tout l’intérêt de ce que propose Mme Mazetier, dont je salue le travail – parce qu’elles n’incitent pas les personnes et les entreprises qui se rendent coupables de corruption à coopérer avec la justice – leur intérêt étant de faire traîner les procédures.

L’avantage du dispositif qui nous est proposé est de faire entrer les entreprises dans un dispositif de sanction, de réparation du préjudice, mais également de mise en conformité. Il s’agit donc, non seulement de sanctionner la corruption, mais également d’essayer de la prévenir. Réprimer et prévenir : rien ne correspond mieux à l’objectif que nous devrions toutes et tous poursuivre.

Je ne reviens pas sur l’enjeu de souveraineté, mais je voudrais vous inviter à la lecture d’un article que j’ai lu hier soir sur le site internet d’un hebdomadaire. Figurez-vous qu’il y a, dans le monde, une police particulièrement heureuse : celle de l’État de New York. Elle vient en effet d’être dotée d’un matériel « dernier cri », en particulier de bateaux pour la police fluviale, dont elle rêvait depuis toujours. Eh bien, savez-vous qui les a payés ? BNP Paribas – certes, il s’agissait de la violation de l’embargo, et non d’une affaire de corruption, mais c’est bel et bien une banque française qui a payé l’équipement de la police de l’État de New York.

J’aimerais que, lorsque des entreprises françaises se rendent coupables de corruption, la sanction puisse non seulement réparer le préjudice subi par les victimes mais également alimenter le fonctionnement de nos services publics et, pourquoi pas, celui de la justice.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Très bien !

M. Pierre Lellouche. Absolument !

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Bocquet.

M. Alain Bocquet. Ce débat mériterait d’être approfondi. De plus, j’ai le sentiment que l’on nage en plein angélisme. Moi aussi, j’ai eu l’occasion de commettre un rapport pour la commission des affaires étrangères sur les problèmes d’évasion fiscale et de corruption. J’ai moi aussi discuté avec tous nos services – les douanes, mais aussi la justice. Il ne faut pas se raconter d’histoires : on peut voter tous les textes qu’on veut, si on ne se donne pas les moyens, si les pauvres représentants de Bercy – un malheureux inspecteur, parfois accompagné d’un informaticien – continuent, quand ils contrôlent un grand groupe, à se trouver confrontés à dix ou quinze personnes, dont des experts de toute sorte, notamment des avocats fiscalistes, la messe est dite.

Si nous continuons à accepter cette domination purement financière, votre loi restera lettre morte, tandis que les escrocs – bien plus nombreux qu’on ne le pense – vivront royalement. Si nous ne prenons pas des mesures redonnant pleinement son rôle à la justice et si nous ne lui procurons pas les moyens nécessaires, nous ne réussirons pas. Alors qu’il faudrait des escadrons entiers pour combattre ce mal qu’est la corruption, nous tirons avec un petit pistolet à bouchon. Cela ne peut pas fonctionner.

Nous devons prendre des mesures de fond, mais nous n’osons pas le faire, au nom de la tradition française. Pourtant, la fraude fiscale représente 60 à 80 milliards d’euros – 1 000 milliards à l’échelle de l’Europe – qui échappent à nos services fiscaux et nous font défaut. Face à cela, nous devons, je le répète, prendre des décisions fortes.

(L’amendement n782 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Lellouche, pour soutenir l’amendement n321.

M. Pierre Lellouche. Cet amendement va permettre de faire un travail de comparaison, un peu compliqué mais utile, entre la « version Mazetier » – si j’ose dire – de ce dispositif de compensation et la version que propose le groupe Les Républicains.

En vérité, leur architecture est très semblable. L’un et l’autre prévoient l’initiative du procureur de la République, la présence du juge, la publicité des sanctions, l’instauration d’une amende lourde, la mise en place d’un système de mise en conformité et l’intervention d’un commissaire chargé d’effectuer le travail. La seule différence notable, en dehors du montant des amendes – celui-ci est un peu plus flexible dans le texte proposé par le groupe Les Républicains, tandis que les plafonds sont chiffrés dans le texte de Mme Mazetier – réside dans la possibilité d’une deuxième procédure dans laquelle intervient le juge d’instruction.

En réalité, le système proposé par Mme Mazetier ouvre deux voies à la compensation, que pour ma part j’appelle la transaction vénale.

La première se situe avant le déclenchement des poursuites, lorsque le procureur de la République propose une convention. Dans ce cas, les poursuites ne sont pas engagées dans la mesure dès lors que la convention est sanctionnée par le juge. C’est également ce que nous proposons et ce qui existe dans les législations américaine, britannique, ou encore hollandaise.

La seconde voie – et c’est là que Mme Mazetier fait preuve d’une imagination que je qualifierais de « politique » – consiste, dans le cas où des poursuites pénales ont été engagées par un juge d’instruction, celui-ci peut prendre l’initiative d’une transaction.

Je vous le dis honnêtement : cela me paraît un peu baroque. Je ne pense pas, pour ma part, que ces deux voies soient réellement compatibles. La procédure ne peut, selon moi, intervenir qu’avant le début des poursuites, car dès lors que le processus pénal est engagé, en sortir sous la forme d’une transaction me semble quelque peu étrange sur le plan du droit.

Je comprends votre problème politique, madame Mazetier : vous devez rassurer vos collègues de la majorité. Toutefois, j’ai du mal à accepter, sur le plan du droit, ce que vous proposez. Il faut faire preuve de cohérence : soit l’on n’engage pas l’action publique pénale parce qu’il existe une convention ferme et publique – ce qui n’interdit en rien, au demeurant, d’entamer des poursuites pénales contre les individus qui se sont rendus coupables et la réparation du préjudice pour les parties civiles –, soit l’action pénale a débuté, auquel cas on n’ouvre pas la possibilité d’établir une convention, sous peine de retomber dans les travers d’une procédure longue, lente et inefficace.

En ouvrant conjointement ces deux voies, comme vous l’avez fait, pour essayer de trouver un consensus au sein de votre groupe, vous avez fabriqué une chose un peu étrange – je ne parlerai pas de monstruosité juridique, mais d’une sorte d’animal à deux têtes qui, à mon avis, risque de se mordre la queue à un moment ou un autre de la procédure. (Sourires.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Avis défavorable. Les doutes que j’ai exprimés sur la procédure ne peuvent être levés que la rédaction proposée par Mme Mazetier.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Sagesse.

M. Charles de Courson. Il n’y a plus de gouvernement !

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. Tout d’abord, monsieur Lellouche, nous ne proposons pas du tout, vous et moi, le même dispositif. Ensuite, les sanctions ne sont pas uniquement financières, puisque l’entreprise est soumise à un programme de mise en conformité pendant plusieurs années, précisément afin de prévenir le risque de récidive.

Par ailleurs, le dispositif que vous préconisez, monsieur Lellouche, exclut totalement les victimes.

M. Pierre Lellouche. Mais non !

Mme Sandrine Mazetier. Or pour nous, leur prise en compte est centrale, tant pour l’évaluation du préjudice que pour sa réparation.

Vous n’admettez pas que la convention puisse intervenir aussi bien lors de l’enquête préliminaire qu’une fois que l’instruction est lancée. Je ne comprends pas ce point de vue, puisqu’il s’agit là d’étapes différentes de l’action publique et que les rapports de force ne sont pas non plus les mêmes.

Je saisis cette occasion pour répondre à Mme Batho, qui a évoqué la reconnaissance préalable de culpabilité. Si l’on s’en tenait à la proposition, d’ailleurs fort intelligente du président de la commission des lois, des personnes mises en cause ne pourraient pas entrer aux États-Unis en cochant sur leur demande de visa la case « Je n’ai jamais été condamné », puisqu’elles l’auraient été au titre d’une reconnaissance de culpabilité.

Monsieur Lellouche, nous ne partageons pas le même point de vue, quoique nous poursuivions le même objectif. La publicité de l’audience, et son caractère contradictoire, que des amendements de Mme Untermaier tendent à renforcer, sont au centre du dispositif que nous proposons, non du vôtre. C’est pourquoi nous voterons contre votre amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Je voudrais poser une question tant à M. Lellouche qu’à Mme Mazetier. Supposons que soit mis en œuvre le mécanisme, qui, on l’a rappelé, ne s’applique qu’aux personnes morales. Quid des dirigeants, qui sont des personnes physiques ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. J’ai déjà répondu !

M. Charles de Courson. Je vais aller jusqu’au bout de ma question, monsieur le rapporteur. Seront-ils systématiquement poursuivis ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Systématiquement, non !

M. Charles de Courson. Si l’on instaure ce dispositif, la personne morale sera sanctionnée dans le cadre de la transaction, mais cela ne sera-t-il pas, pour les dirigeants, le moyen de s’en sortir, d’acheter leur non-condamnation ? L’amendement de M. Lellouche et le texte adopté sur l’initiative de Mme Mazetier nous garantissent-ils que les grands corrupteurs de ce monde seront sanctionnés quand ils sont pris la main dans le sac ?

J’aimerais que nos deux collègues nous répondent, puisque le ministre, lui, ne se mouille pas. Toutefois, je note avec amusement que M. Lellouche a plutôt repris le texte du Gouvernement – mais cela, c’est de la cuisine, ce n’est pas bien grave ; l’essentiel est que nos collègues répondent à ma question.

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Potier, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques.

M. Dominique Potier, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Philosophiquement, j’étais plutôt hostile à la position de Mme Mazetier, mais j’ai été convaincu par ses arguments. C’est parce qu’elle propose l’addition des poursuites pénales possibles et de la transaction que je défends avec vigueur sa proposition.

Un mot pour répondre à la question de la prévention, qu’a posée M. Colas. Je signale que, dans la proposition de loi relative au devoir de vigilance sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, le Gouvernement a souhaité que nous rajoutions un plan de prévention de la corruption, lequel prévoit amendes civiles, astreintes et publication de la peine, ce qui constitue un risque important pour la réputation des entreprises.

M. Romain Colas, rapporteur pour avis. Très bon texte ! Votons-le rapidement !

M. Dominique Potier, rapporteur pour avis. Voilà qui répond du même coup à la question de M. de Courson. Dans une grande entreprise, l’absence de plan de prévention sera sanctionnée et versée à l’opprobre public. C’est une sanction complémentaire. Les deux textes s’articulent parfaitement. Je souhaite qu’ils s’appliquent le plus tôt possible.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. J’ai déjà répondu à la question posée par M. de Courson, que j’invite à relire le texte : « Les représentants légaux de la personne morale demeurent responsables en tant que personnes physiques. »

M. Charles de Courson. Ce n’est pas ma question !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Mais si ! Vous m’avez demandé si les personnes physiques pourront échapper à des condamnations, après avoir d’une certaine manière favorisé la condamnation de la personne morale. Le texte prévoit que les représentants légaux de la personne morale demeurent responsables en tant que personnes physiques.

M. Charles de Courson. La vraie question est : que fera le procureur ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Il appartiendra aux juges de savoir s’ils poursuivent les personnes physiques. En effet, on ne peut pas prévoir un mécanisme automatique de poursuite des personnes,…

M. Charles de Courson. Ah bon ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. …qui serait unique au monde.

Je vous rappelle un élément clé : aujourd’hui, il y a zéro condamnation de personnes morales.

M. Michel Sapin, ministre. Eh oui !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Donc, en tout état de cause, les personnes physiques que vous voudriez voir condamner échappent à toute sanction. Avant de nous demander si elles pourront se soustraire à un mécanisme qui n’appartient pas encore au droit positif, reconnaissons que le dispositif en vigueur ne produit aucun résultat.

M. Dominique Potier, rapporteur pour avis. Tout à fait !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Le texte n’empêche en aucun cas la mise en jeu de la responsabilité des personnes physiques ni l’engagement de poursuites, selon le droit commun qui s’applique en la matière. La convention judiciaire est l’apanage du juge du siège ; la poursuite contre les personnes physiques, celui du parquet.

M. Charles de Courson. Justement, que fera le parquet ?

(L’amendement n321 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour soutenir l’amendement n1350.

Mme Sandrine Mazetier. J’ai déposé sur cet article une série d’amendements de précision et de clarification, qui n’ajoutent ni ne retranchent rien, mais tendent à rétablir la chronologique de la description du dispositif.

Sur l’initiative du rapporteur, nous avons auditionné le président de l’Association française des magistrats instructeurs, qui a trouvé très intéressante la convention judiciaire d’intérêt public, la CJIP – ce n’est pas là le « dispositif Mazetier », c’est celui de la commission des lois.

(L’amendement n1350, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour soutenir l’amendement n1351.

Mme Sandrine Mazetier. Il est défendu.

(L’amendement n1351, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l’amendement n743 rectifié, qui fait l’objet d’un sous-amendement n1529.

Ma chère collègue, pourriez-vous présenter en même temps l’amendement n745 rectifié ?

Mme Cécile Untermaier. L’amendement n743 rectifié vise à garantir les droits de la défense de la personne morale concernée par cette procédure en prévoyant que la personne mise en cause doit, dès la proposition du procureur de la République de conclure une convention judiciaire d’intérêt public, être informée de son droit d’être assistée d’un avocat tout au long de la procédure. Cette garantie est d’autant plus nécessaire qu’aucun recours n’est prévu, tout exercice par la personne morale de son droit de rétractation donnant lieu à une transmission de la procédure au juge d’instruction.

L’amendement n745 rectifié est moins important. Il vise à préciser que la signature de la personne représentant la personne morale doit figurer sur la convention.

Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Denaja, pour soutenir le sous-amendement n1529, et donner l’avis de la commission sur l’amendement n743 rectifié.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Le sous-amendement est rédactionnel. Sous réserve de son adoption, j’émets un avis favorable sur l’amendement n743 rectifié, même si je ne suis pas convaincu qu’il apporte beaucoup, car la convention judiciaire d’intérêt public n’est pas ouverte aux personnes physiques.

Avis défavorable, en revanche, sur l’amendement n745 rectifié.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n743 rectifié, sur le sous-amendement n1529 et sur l’amendement n745 rectifié ?

M. Michel Sapin, ministre. Même avis que le rapporteur sur l’amendement n743 rectifié. Avis favorable au sous-amendement et défavorable, en revanche, à l’amendement n745 rectifié.

(Le sous-amendement n1529 est adopté.)

(L’amendement n743 rectifié, sous-amendé, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Je retire l’amendement n745 rectifié.

(L’amendement n745 rectifié est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour soutenir l’amendement n1393.

Cet amendement fait l’objet de trois sous-amendements, nos 1530, 1532 et 1531, de M. Denaja.

Mme Sandrine Mazetier. L’amendement, que j’ai cosigné avec M. Colas, vise à clarifier le rôle central du juge dans la validation de la convention judiciaire : celui-ci ne prend sa décision qu’à l’issue d’une audience contradictoire lors de laquelle l’ensemble des parties sont entendues. Les parties civiles, c’est-à-dire les victimes, peuvent formuler des observations, voire déclarer qu’elles refusent absolument qu’une convention soit conclue.

Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Denaja, pour soutenir les trois sous-amendements, nos 1530, 1532 et 1531, et donner l’avis de la commission sur l’amendement n1393.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Les sous-amendements no1530 et 1531 sont rédactionnels. Le sous-amendement n1532 tend à corriger une erreur matérielle.

Sous réserve que ces trois sous-amendements soient adoptés, j’émets un avis favorable sur l’amendement, au nom de la commission des lois, sur le dispositif qui est aussi celui de la commission des lois.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Avis favorable aux trois sous-amendements et, sous réserve de leur adoption, à l’amendement.

(Les sous-amendements nos 1530, 1532 et 1531, successivement mis aux voix, sont adoptés.)

(L’amendement n1393, sous-amendé, est adopté et l’amendement n1041 tombe.)

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n776.

M. Sergio Coronado. Il est défendu.

(L’amendement n776, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour soutenir l’amendement n1372.

Mme Sandrine Mazetier. Il est défendu.

(L’amendement n1372, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n777.

M. Sergio Coronado. Il est défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Avis favorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Sagesse.

(L’amendement n777 est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour soutenir l’amendement n1376.

Mme Sandrine Mazetier. Il est rédactionnel.

(L’amendement n1376, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. Les amendements no1042 et 1044 de M. Sébastien Denaja sont rédactionnels.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. En effet, madame la présidente.

(Les amendements nos 1042 et 1044, acceptés par le Gouvernement, sont successivement adoptés.)

Mme la présidente. Il en va de même pour l’amendement no 1043.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Tout à fait.

(L’amendement n1043, accepté par le Gouvernement, est adopté et l’amendement n1369 tombe.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour soutenir l’amendement n1373, qui fait l’objet d’un sous-amendement n1533.

Mme Sandrine Mazetier. Mon amendement est rédactionnel.

Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Denaja, pour soutenir le sous-amendement n1533, et donner l’avis de la commission sur l’amendement n1373.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Sous réserve de l’adoption du sous-amendement, qui est rédactionnel, avis favorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement et le sous-amendement ?

M. Michel Sapin, ministre. Favorable à l’amendement sous réserve de l’adoption du sous-amendement.

(Le sous-amendement n1533 est adopté.)

(L’amendement n1373, sous-amendé, est adopté.)

Mme la présidente. Les amendements no1045 et 1046 de M. Sébastien Denaja sont rédactionnels.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. C’est bien cela.

(Les amendements nos 1045 et 1046, acceptés par le Gouvernement, sont successivement adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour soutenir l’amendement n1390.

Mme Sandrine Mazetier. Rédactionnel.

(L’amendement n1390, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté et l’amendement no 1047 tombe.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Marleix, pour soutenir l’amendement n1417.

M. Olivier Marleix. L’amendement vise à poser une question : que deviennent, en cas d’échec de la procédure, tous les éléments que l’entreprise aura fournis de sa propre initiative ? Une fois dans les mains du magistrat instructeur auquel le procureur transmettra le dossier, pourront-ils devenir des éléments à charge ?

Si tel était le cas, on imagine évidemment que la voie de la convention serait moins attractive, compte tenu du risque couru par l’entreprise.

Je pose la question car je ne suis pas certain que, dans les dispositifs étrangers dont nous nous inspirons un peu, bien que nous nous en défendions, on rencontre le même type de process.

Il me semble notamment que le Serious Fraud Office britannique conserve les éléments qui lui ont été spontanément transmis, et que l’instruction reprend comme si de rien n’était. J’aimerais au moins des éclaircissements sur la façon dont vous entendez procéder. C’est un point dont nous pourrons reparler au cours de la navette.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Je comprends votre intention, monsieur Marleix ; vous souhaitez prévoir que les éléments transmis ne puissent être utilisés par le juge d’instruction en cas d’échec de la transaction. Néanmoins, il y a quelques faiblesses dans la rédaction de cet amendement. Tout d’abord, il est incomplet, car vous ne visez que l’information judiciaire. Ensuite, il manque de précision – alors que dans la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité – CRPC –, par exemple, il existe une procédure de retrait des pièces confiées au parquet. Nous pourrons y revenir au cours de la navette, mais avec une autre rédaction permettant d’éviter ces deux écueils. Avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Je voudrais comprendre l’amendement de notre collègue. Si je lis bien, en cas d’échec ou de révocation de la convention – par exemple pour non-respect des mécanismes de prévention –, le dossier devra être conservé par l’Agence française anticorruption et ne pourra être transmis au juge d’instruction. Est-ce à dire que tout le travail qui a été fait va être perdu ? Et pourquoi conserver le dossier ? Dans un système judiciaire qui fonctionne, la transmission d’une juridiction à une autre est normale, surtout lorsque les faits dont il est question peuvent appeler des sanctions de nature pénale.

M. Olivier Marleix. Fournir ces éléments, c’est le travail des enquêteurs !

M. Charles de Courson. Pourquoi donc l’Agence française anticorruption conserverait-elle ces pièces ? Pour ne rien en faire ?

(L’amendement n1417 n’est pas adopté.)

(L’article 12 bis, amendé, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. Je demande une suspension de séance, madame la présidente.

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue le mercredi 8 juin 2016 à zéro heure, est reprise à zéro heure vingt.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Article 12 ter

Mme la présidente. La parole est à M. Yann Galut, inscrit sur l’article.

M. Yann Galut. Je profite de cet article pour évoquer les conséquences qu’aura la législation dont nous discutons et que nous adoptons en ce moment sur les moyens du parquet national financier.

En décembre 2013, nous avons créé le parquet national financier, à la suite d’une proposition du Président de la République, François Hollande. J’ai eu l’honneur d’être le rapporteur du projet de loi relatif au procureur de la République financier. L’étude d’impact prévoyait 22 magistrats, avec un ratio moyen de huit dossiers pour chacun. En réalité, le parquet national financier regroupe aujourd’hui 15 magistrats dont 13 seulement sont opérationnels, qui traitent chacun 27 dossiers – 358 affaires sont en cours.

À titre de comparaison, le nombre de dossiers financiers liés aux juridictions interrégionales spécialisées, les JIRS, de Paris s’élève à 20 par magistrat. En outre, les dossiers traités par le parquet national financier sont complexes et comportent souvent une dimension internationale. Citons par exemple l’affaire Google et celle des Panama Papers, ou encore les cas de corruption à l’Association internationale des fédérations d’athlétisme – IAAF.

À l’étranger, le Serious Fraud Office anglais, dont nous avons rencontré les représentants avec M. le ministre, dispose de 480 personnes. Il s’est vu attribuer 10 millions d’euros supplémentaires après la révélation du scandale des Panama Papers. En Espagne, les 40 magistrats du parquet national anticorruption, l’équivalent du parquet national financier, gèrent 340 affaires.

J’insisterai enfin sur les difficultés que connaît actuellement l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales, également créé par la loi que nous avons adoptée en 2013, et qui rassemble aujourd’hui 83 fonctionnaires au lieu des 95 postes prévus en 2013. Cette police fiscale est placée sous la double responsabilité du ministère de l’intérieur et de Bercy – une collaboration qui s’avère très intéressante. Plus de 300 enquêtes sont en cours.

Je connais, monsieur le ministre des finances, votre intérêt pour le parquet national financier et l’Office central, mais il semble que le Gouvernement devrait en renforcer les moyens. C’est du moins la volonté de nombreux députés.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre, pour soutenir l’amendement, n1440, qui vise à supprimer l’article 12 ter.

M. Michel Sapin, ministre. Il est défendu. (Sourires.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Avis défavorable, mais je vais, quant à moi, développer un peu l’argumentation.

Cet article a été introduit, sur l’initiative de notre collègue Sandrine Mazetier, avec mon approbation. L’article 12 ter modifie le champ de compétence exclusive du parquet national financier à compétence nationale en cas de trafic d’influence ou de fraude fiscale en bande organisée. Il résulte de nos auditions, notamment de la demande en ce sens formulée par les représentants du parquet national financier. Celle-ci paraît justifiée en raison du degré d’expertise de ces magistrats, sur des affaires réellement complexes, puisqu’il s’agit de bandes organisées.

Aussi, même si M. le ministre ne les a pas explicitées, je ne comprends pas les réticences des services de la chancellerie sur ce point. La jeunesse de cette institution explique peut-être que celle-ci ne soit pas encore pleinement installée dans le paysage institutionnel et judiciaire français.

Mme la présidente. La parole est à M. Yann Galut.

M. Yann Galut. Je ne comprends pas l’amendement de suppression présenté par le Gouvernement s’agissant du parquet national financier.

M. Michel Sapin, ministre. J’ai pourtant été clair et complet ! (Sourires.)

M. Yann Galut. Notre collègue Sandrine Mazetier, après en avoir auditionné les représentants, avec le rapporteur, avait rédigé cet article, qui est tout à fait logique. Aujourd’hui, je ne vois pas pourquoi une compétence partagée s’impose. Nous avons créé le parquet national financier précisément pour traiter ce genre de dossiers.

Il n’est pas logique que le Gouvernement dise – vous ne l’avez pas fait, monsieur le ministre – qu’il soutient le parquet national financier, bras armé de la lutte contre la corruption, tout en présentant cet amendement de suppression, après le travail exceptionnel qu’a mené la commission des lois.

Je ne comprends donc pas la logique consistant pour le Gouvernement à supprimer cette avancée adoptée à l’instigation de Sandrine Mazetier.

À titre personnel, je voterai donc contre cet amendement de suppression.

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Le groupe de l’Union des indépendants et des démocrates ne comprend pas non plus cet amendement.

Nous avons créé un parquet national financier pour que des magistrats spécialisés se concentrent sur des enquêtes très complexes. Or l’exposé sommaire de cet amendement de suppression est flou.

M. Alain Bocquet et M. Jean-Luc Laurent. C’est donc qu’il y a un loup !

M. Charles de Courson. Il affirme notamment qu’« il apparaît préférable de maintenir une compétence concurrente ».

Sous cette formulation distinguée, aucune n’est raison n’est invoquée, hormis à la fin du texte : « afin de ne réserver la saisine du parquet national financier que pour les faits qui le justifient ». Vous avouerez, monsieur le ministre, que c’est un peu court : l’argument relève d’un arbitraire « tel est notre bon plaisir ». Cela n’est pas raisonnable : il faut donc voter contre l’amendement du Gouvernement.

(L’amendement n1440 n’est pas adopté.)

(L’article 12 ter est adopté.)

Article 12 quater

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Alauzet, pour soutenir l’amendement n972.

M. Éric Alauzet. Cet amendement vise à ajouter, à des fins de cohérence, la possibilité de recourir aux techniques d’enquête spéciales, prévues par cet article pour le délit aggravé dit de favoritisme – des atteintes à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public –, accompagné de la circonstance de bande organisée.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Avis défavorable car le texte de la commission va d’ores et déjà très loin. Nous avons sensiblement renforcé notre capacité à utiliser ces techniques d’enquêtes spéciales.

Nous avons déjà sensiblement renforcé cet aspect et il nous faut en rester là. Restons prudents et satisfaisons-nous des progrès déjà réalisés.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Alauzet.

M. Éric Alauzet. Je retire mon amendement.

(L’amendement n972 est retiré.)

(L’article 12 quater est adopté.)

Article 12 quinquies

Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Denaja, pour soutenir l’amendement n1048.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Il est rédactionnel.

(L’amendement n1048, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 12 quinquies, amendé, est adopté.)

Article 13

Mme la présidente. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article 13.

La parole est à M. Jean-Luc Laurent.

M. Jean-Luc Laurent. À l’occasion de cette intervention sur l’article 13, je souhaite saluer l’initiative du Gouvernement qui a proposé un dispositif ambitieux pour encadrer l’activité des représentants d’intérêts, autrement appelés les lobbyistes.

Je voudrais, chers collègues, défendre un principe simple, fort, un jacobinisme intransigeant, qui ne trie pas, qui ne hiérarchise pas les expressions parmi les intérêts privés.

L’objectif de cette législation est de voir sortir de l’ombre les lobbyistes. Nous avons même besoin qu’ils fassent du bruit. Chacune des dispositions de l’article 13 doit être, en quelque sorte, un grelot à la cheville du représentant d’intérêts. (Sourires.)

M. Michel Sapin, ministre. Bien !

M. Jean-Luc Laurent. Je regrette, à ce stade, qu’il nous faille y revenir : encadrer, gêner, rendre bruyants les lobbies, est une excellente chose. Mais pour attaquer le problème à la racine, c’est-à-dire comprendre l’appropriation de la chose publique, de la décision publique par des groupes d’intérêts, par des minorités bien organisées, bien financées, il faut réarmer le citoyen ordinaire, lequel a besoin de clarté, au-delà même de la transparence, et de reprendre confiance dans la res publica.

J’ai bien conscience que cela n’est pas l’objet du texte. L’on pourra également m’opposer qu’il y va d’une discussion d’ordre constitutionnel. C’est justement cette question qui, à mon sens, devra faire l’objet d’un des débats au cœur de la campagne de 2017, pour éclairer l’avenir.

Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Rabin.

Mme Monique Rabin. Comme M. Laurent, je me félicite que le projet de loi s’attaque, au moyen de l’article 13, à la question du lobbying. C’est un enjeu important pour notre démocratie. Nous sommes nous-mêmes, parlementaires, des cibles, et cela nécessite de notre part beaucoup de courage et, surtout, beaucoup de travail.

S’agissant de la lutte contre le lobbying, je ferai deux constats.

Le premier paraîtra peut-être mineur : il s’agit du niveau de la sanction. Une sanction de 30 000 euros n’a aucun sens au regard des enjeux de l’article.

M. Alain Bocquet. Bien sûr ! C’est peanuts !

Mme Monique Rabin. C’est exactement comme lorsqu’on se gare mal en faisant le pari que l’amende coûtera moins cher que la place de parking. L’amende est très inférieure au gain permis par la fraude. Au-delà de la mesure technique, nous avons une orientation politique à donner : il faudra y travailler à travers les amendements.

Second constat : la définition du lobby est tout à fait insuffisante. Cela pose une question démocratique. Tous les représentants d’intérêts sont-ils comparables, alors que certains s’intéressent sincèrement à l’intérêt général – à titre d’exemple, Oxfam défend non pas ses propres intérêts, mais l’intérêt général à travers l’aide au développement –, tandis que d’autres tentent d’influer sur la décision publique pour leur propre compte, dans le cadre d’une activité purement privée ? Qu’est-ce qui compte, en vérité ? Je me demande si l’on ne passe pas d’une belle idée à une perte pour la démocratie ; au fond, nous allons à travers cet article davantage réguler les rapports marchands au pouvoir qu’instaurer un débat public éclairé.

Il s’agit donc d’un article très politique, qui mériterait plus de maturité. J’espère que le débat viendra nous éclairer ou, tout au moins, que nous pourrons l’approfondir à l’occasion d’une lecture ultérieure.

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Il est évident qu’il s’agit d’un des articles les plus importants du projet de loi. Il concerne le lobbying, qui est souvent mal compris par une partie de nos concitoyens.

Le lobbying a une utilité pour les décideurs – nous sommes d’ailleurs régulièrement destinataires du travail des organisations de lobbying –, à condition toutefois qu’il soit à la fois transparent et encadré. C’est ce que propose le texte, qui représente en cela un progrès. Les écologistes sont depuis longtemps favorables à la création d’un registre commun à l’ensemble des décideurs publics. Lors de l’examen des projets de loi relatifs à la transparence de la vie publique, le Gouvernement, par la voix d’Alain Vidalies, nous avait répondu qu’il n’était pas encore temps, mais que cela viendrait dans le courant de la législature. L’heure est donc venue ; nous nous félicitons du travail effectué en commission, qui a permis d’élargir et d’enrichir le registre.

Je veux saluer ici les efforts des associations – Regards citoyens, Bloom, Anticor ou Transparency International –, qui ont poussé à la création de ce registre : sans elles, le projet de loi n’aurait sans doute pas comporté cet article.

Toutefois, à ce stade, j’ai encore quelques interrogations importantes sur certains sujets.

Premièrement, les obligations pesant sur les décideurs publics : la Commission nationale consultative des droits de l’homme – CNCDH – nous a alertés sur l’asymétrie des obligations entre lobbyistes et décideurs publics. Il faudrait au moins prévoir la possibilité de rendre public le nom d’un décideur public qui aurait commis un manquement grave aux règles d’encadrement.

Deuxièmement, il serait bon d’aller plus loin en matière d’empreinte normative. Comme à la Commission européenne, et comme le recommandait le rapport Nadal, les lobbyistes devraient indiquer le nom des personnes rencontrées ; ils devraient aussi transmettre leurs notes et rédactions d’amendements – il arrive d’ailleurs souvent que, dans un souci de transparence, les parlementaires qui défendent des amendements citent les associations qui les ont inspirés.

Troisièmement, en l’état, les sanctions sont trop peu dissuasives. En cas de première infraction, seule une mise en demeure non publique est prévue : c’est totalement insuffisant.

Mme Cécile Untermaier. Très bien !

M. Sergio Coronado. Enfin, il n’y a aucune raison de ne pas inclure le Conseil d’État dans les décideurs publics concernés par le registre.

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Potier, rapporteur pour avis.

M. Dominique Potier, rapporteur pour avis. Juste un mot pour aller dans le sens de Monique Rabin. Je ne pense pas que l’on puisse englober sous le même terme de « lobby » tout ce dont traite le projet de loi. Je pense notamment aux représentants des religions : ce serait leur faire offense que de les mettre au même niveau que les représentants d’intérêts particuliers, car ils contribuent historiquement, dans notre pays, au débat sur la recherche du bien commun. Il faut impérativement les sortir du champ de l’article ; sinon, ce serait une régression par rapport à notre conception de la laïcité, qui est ouverte.

De surcroît, sur le plan pratique, ce serait quasi infaisable, vu les relations qu’entretiennent les religions dans diverses institutions : non seulement les cultes et l’intérieur, mais aussi l’armée, la santé, l’éducation nationale.

M. Philippe Gosselin. Tout à fait !

M. Dominique Potier, rapporteur pour avis. Symboliquement, ce serait désastreux. Notre pays a besoin de s’élever et d’établir un dialogue de bon niveau entre les spiritualités, garantie de la liberté de conscience de chacun, et surtout de ne pas introduire de confusion : nous sommes à la recherche du bien commun, non en train d’abaisser des lieux de débat public.

M. Philippe Gosselin. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Marleix.

M. Olivier Marleix. Dominique Potier a parfaitement raison, il y a quelque chose d’assez étonnant dans la manière dont le texte est rédigé : les représentants des cultes y sont considérés comme des représentants d’intérêts, alors que les inspecteurs des finances, par exemple, ne sont absolument pas concernés par ces dispositions.

M. Jean-Luc Laurent. C’est pourquoi il faut élargir la liste !

M. Olivier Marleix. Je salue les efforts de notre rapporteur pour essayer de donner une définition du représentant d’intérêts, car ce n’est pas simple, mais on est encore loin du compte.

Pour l’heure, je vois se dessiner trois types de représentants d’intérêts. D’abord, il y a les pauvres lobbyistes de base, qui ont le malheur de se présenter comme tels ; eux vont, sinon s’en prendre plein la tête, du moins avoir plein d’obligations sur le dos, notamment celle de déclarer leurs activités tous les six mois. Ensuite, il y a la catégorie des lobbyistes avocats, qui bénéficieront de plus de protections du fait de leur statut d’avocat. Enfin, il y a la caste des intouchables, ceux dont on ne parle pas et qui sont pour moi un problème vu l’influence qu’ils exercent : ce sont ces dix générations d’anciens élèves de l’ENA qui pantouflent aujourd’hui dans le secteur privé – car l’équivalent de dix promotions de l’ENA sont partis dans le privé.

M. Charles de Courson. Cela leur fait du bien !

M. Olivier Marleix. Tant mieux pour leur ouverture d’esprit, mais cela pose tout de même quelques questions. Pour l’heure, le texte est totalement insuffisant, puisqu’ils sont à peine dans le viseur de l’article 13. Il nous faut impérativement progresser sur ce point.

Mme la présidente. La parole est à Mme Delphine Batho.

Mme Delphine Batho. En préambule au débat sur l’article 13, je voudrais rappeler que le défi lancé par les lobbies à la démocratie est bien plus grave et profond que le fait que certaines personnes se présentent à des décideurs publics avec un badge « lobby » – ce qui n’est pas, en soi, un véritable problème. Les stratégies d’influence auxquelles nous sommes confrontés sont beaucoup plus sournoises, et il ne suffira pas de créer un registre des représentants d’intérêts pour régler le problème. Au sein de l’Union européenne, où ce registre existe, on a tous les jours des exemples de l’influence de certains lobbies, par exemple sur le glyphosate, les questions liées à l’automobile ou d’autres sujets.

L’enjeu est de rétablir une frontière étanche entre le service de la République, ou de l’État, et la défense d’intérêts privés. Or l’entre-soi des élites est une particularité française, qui fait qu’un certain nombre de très grandes entreprises sont dirigées par d’anciens hauts fonctionnaires.

M. Alain Bocquet. Eh oui !

Mme Delphine Batho. C’est un des sujets qu’il faudra un jour mettre sur la table.

Si l’article 13 constitue un progrès, il y a cependant un gros problème : c’est qu’il n’y a aucune disposition qui ferait pendant et prévoirait que, pour l’ensemble des décisions publiques – lois, décrets,… –, on indiquerait quelles personnes ont été consultées et quelles positions elles ont défendu. En outre, l’article confond dans une même catégorie les personnes qui défendent des intérêts privés – notamment ceux des entreprises –, ce qu’elles ont parfaitement le droit de faire, mais pour lesquelles la décision publique aura un impact sur les profits, et celles qui défendent l’intérêt général, et qui sont des acteurs du débat public. Je défendrai un amendement sur le sujet dans quelques instants.

M. Alain Bocquet. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Bertrand Pancher.

M. Bertrand Pancher. Au moment d’aborder la partie du texte relative à la transparence des rapports entre les représentants d’intérêts et les pouvoirs publics, je voudrais – à tout seigneur, tout honneur – rendre un vibrant hommage aux organisations environnementales, car sans elles nous n’en serions pas là : il suffit de comparer le point de départ du texte et le point d’arrivée aujourd’hui. C’est le fruit d’une grande mobilisation collective.

Je veux aussi rendre hommage aux lanceurs d’alerte et aux médias, qui, par les informations qu’ils ont révélées, ont su nous faire réagir.

Ce projet de loi contient beaucoup d’avancées, notamment dans le titre que nous abordons, mais il convient de reconnaître qu’il y a beaucoup de trous dans la raquette, certains étant particulièrement gros. On ne nous empêchera pas de penser que si le texte n’est pas modifié par les amendements que nous examinerons dans quelques instants, il y aura un cheval pour une alouette entre celles et ceux qui seront contrôlés et celles et ceux qui ne le seront pas. On ne comprendrait pas que l’on exige tant de transparence de la part d’un certain nombre d’entre nous, alors qu’on n’en exige pas de la part de l’Élysée et de Matignon, ou que l’on exclue du champ de l’article 13 les organisations syndicales alors que l’on y laisse les organisations professionnelles. J’appelle votre attention sur cette question, car on nous attendra sur le résultat final.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Je voudrais appeler l’attention des collègues sur le fait qu’il nous reste 1 081 amendements à examiner. Le mieux serait de poursuivre cette discussion en examinant les amendements, car il nous faudra de toute façon revenir sur la question du périmètre, ou de qui doit être inclus dans le registre. Nous l’avons dit en commission : il reste des choses à affiner, comme la question des associations à objet cultuel ou celle des organisations syndicales et patronales. Nous le ferons, mais, de grâce, pas dans une discussion générale, mais en examinant les amendements ; si l’on pouvait descendre sous la barre des 1 000 avant une heure du matin, ce serait merveilleux ! (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Monsieur le rapporteur, l’inscription sur l’article est de droit. Je continue donc la liste des inscrits.

La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz.

Mme Marie-Christine Dalloz. Nous ne ferons pas de rappel au règlement, mais nous avons la liberté de nous exprimer sur chaque article, monsieur le rapporteur – vous devriez le savoir !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Je ne m’oppose pas à l’exercice de votre liberté !

Mme Marie-Christine Dalloz. L’article 13 traite de la création d’un répertoire des représentants d’intérêts auprès des pouvoirs publics. Vous nous dites que l’on examinera dans chaque domaine les conséquences de la création de ce répertoire.

Pour ma part, je constate que, dans la culture anglo-saxonne, l’attitude envers les lobbies est totalement différente. Aux États-Unis, non seulement le rôle des groupes d’intérêts dans la formation de la loi est reconnu, mais cela apparaît souvent comme une condition nécessaire à la démocratie. C’est tout de même extraordinaire ! La vérité est que nous avons une vision totalement différente.

M. Olivier Marleix. Totalement !

Mme Marie-Christine Dalloz. Ce qui me perturbe, c’est que l’on a tendance ici à considérer que tout lobbyiste est par nature infréquentable, non recommandable et qu’il faut impérativement l’encadrer et le cantonner dans son rôle.

Mme Cécile Untermaier. Pas du tout !

Mme Marie-Christine Dalloz. Or j’entendais tout à l’heure ceux qui sont les premiers à dénoncer les lobbyistes citer des groupes de réflexion qui pourraient leur être apparentés. Il faut donc être très prudent.

Lorsqu’on travaille sur un texte de loi – c’était vrai pour nous lorsque nous étions dans la majorité, c’est aujourd’hui vrai pour vous –, on rencontre nécessairement des personnes qui ont une compétence reconnue dans un domaine : il importe d’avoir leur avis. Vous ne pouvez pas, dans un même texte de loi, créer un statut pour encadrer et protéger les lanceurs d’alerte ainsi qu’un fonds destiné à les indemniser et interdire tout lobby. À un moment donné, il faut rétablir une forme de parallélisme et un équilibre. Les deux conceptions ne sont pas incompatibles ; mais il faut que, de part et d’autre, on soit raisonnable.

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Je voudrais juste vous faire part d’une petite réflexion avant que nous n’attaquions l’examen des amendements.

Il y a ceux qui pensent que l’élaboration du droit, les règles qui régissent notre société, doivent venir de la base – comme on dit en anglais : bottom-top. (Sourires.)

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Bottom-up, plutôt !

M. Charles de Courson. Dans cette conception, les lobbies ont tout leur rôle ; ils sont même indispensables au bon fonctionnement d’une démocratie. À l’UDI, nous sommes plutôt adeptes de cette philosophie.

Et puis, il y a les hégéliens. Ils sont respectables ; ils pensent que la loi est, comme l’État, l’incarnation de la raison dans l’histoire. Il doit donc y avoir de grands démiurges. Eux pensent top-down.

La culture française a été pendant très longtemps de ce côté-ci. Nous défendons, pour notre part, une conception pluraliste, de diversité : nous sommes loin de penser que ceux qui ne pensent pas comme nous ne sont pas respectables. Le lobbyiste doit être encadré mais – nous y reviendrons – la croyance selon laquelle la révélation du lobbyisme modifiera sensiblement le fonctionnement de notre démocratie me laisse sceptique. Mais nous en reparlerons en examinant cet article.

Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Louwagie.

Mme Véronique Louwagie. L’article 13, qui a trait à la transparence des rapports entre les représentants d’intérêts et les pouvoirs publics, tend à créer un répertoire de ces représentants auprès du pouvoir exécutif.

S’il y a un vide, et si ce projet de loi a pour vocation d’essayer de le combler, il convient d’être très vigilant. Si le texte constitue une avancée dans la régulation du lobbying, d’autres questions émergent : les propos des uns et des autres, depuis quelques minutes, le montrent.

Sur un sujet de cette nature, les questions de définition sont majeures et indispensables, et le périmètre déterminant : toute la difficulté, finalement, est là. Si le lobbying est mal défini, ou s’il ne l’est pas avec précision, des ambiguïtés persisteront et nous n’aurons pas fait le travail jusqu’au bout.

Nous avons évoqué différents cas : représentants des cultes, du monde financier, défenseurs d’intérêts privés, d’intérêts publics ou encore groupes de réflexion. Tout cela est très large et très vague. Le cadre mérite donc une définition précise si nous voulons apporter une vraie réponse.

Mme la présidente. Nous en venons aux amendements à l’article.

La parole est à Mme Delphine Batho, pour soutenir l’amendement n396.

Mme Delphine Batho. Monsieur de Courson, les entreprises, les représentants d’intérêts privés, participent à la construction de l’intérêt général,...

M. Charles de Courson. Je n’ai pas dit autre chose !

Mme Delphine Batho. …mais l’intérêt général n’est pas la somme des intérêts particuliers ; et, sur un certain nombre de sujets, l’intérêt général va à l’encontre d’intérêts particuliers, dans les domaines de la santé ou de l’environnement, par exemple – et l’on pourrait multiplier les exemples. C’est à ce niveau qu’une certaine clarté s’impose.

L’amendement n396 concerne la définition du représentant d’intérêts. Tout le monde n’est pas lobbyiste : de ce point de vue, le fait de mettre sur le même plan des acteurs du débat public et des représentants d’intérêts privés est source de confusion car il existe, entre les premiers et les seconds, une différence de nature et de finalité.

Tel qu’il est rédigé, le texte, comme je l’avais dit en commission, met sur le même plan La Croix-Rouge et Total, une association de phyto-victimes et le groupe Monsanto, Emmaüs et le lobby immobilier. Je regrette profondément qu’aucun travail n’ait été fait pour établir cette distinction : si l’intervention des acteurs publics dans la construction d’une loi ou d’un texte réglementaire doit être tracée, c’est aux représentants d’intérêts que l’on demande de justifier les dépenses de lobbying ou de retracer l’ensemble de leurs interventions. Tel est le sens du présent amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Nous avons déjà eu en commission ce débat fondamental, au demeurant fondamental. Votre amendement a, comme souvent, le mérite de la cohérence, madame Batho.

Sa logique est d’identifier les intérêts privés, partant de réserver les dispositions du texte aux personnes morales de droit privé. D’autres amendements poursuivent une logique différente, qui consiste à étendre ces dispositions à l’intégralité des personnes morales de droit public.

La commission, sur mes recommandations, a retenu une position d’équilibre. Pour l’essentiel, le texte vise des intérêts privés, donc des personnes morales de droit privé ; mais nous avons étendu le registre à certains acteurs publics, même si j’ai personnellement refusé de l’étendre aux collectivités territoriales ou aux personnes morales de droit public au sens large du terme. Le texte, au final, ne vise que certaines personnes morales de droit public, notamment celles qui, parce qu’elles interviennent dans le secteur concurrentiel, sont assimilables à des entreprises du secteur privé. Telle est la logique qui a été suivie : elle a permis de ne pas se limiter à l’appréciation d’un critère organique stricto sensu.

Nous ne mettrons pas sur le même plan les uns et les autres. In fine, je l’ai dit en commission, il y aura des rubriques, comme cela existe au niveau européen : les associations constitueront l’une d’elles. On ne mettra pas sur le même plan, je vous rassure, Total et Emmaüs, qui diffèrent en nature, même si, globalement, les uns et les autres pourront figurer sur le même registre, comme c’est le cas, là encore, au niveau européen.

Je ne l’ai pas fait lors de la discussion générale, mais j’aimerais reprendre les propos du ministre dans une interview accordée à L’Obs : ce texte, loin de jeter l’opprobre sur les lobbyistes, suggère qu’ils exercent une activité normale dans une démocratie adulte et mature.

Mme Cécile Untermaier. Tout à fait !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. C’est en rendant cette activité transparente que l’on pourra dire à nos concitoyens qu’il est tout à fait légitime, dans une démocratie, de tenter d’influer sur un processus normatif. La seule condition est la transparence.

Le texte n’est donc pas une insulte à certaines associations, comme l’affirmaient certains : bien au contraire. Je ne crois pas, au demeurant, que de grandes associations cultuelles aient eu à se plaindre, par exemple, de la publicité donnée à leurs positions dans certains débats. En général, celui qui tente d’influer sur certaines décisions le fait – sauf s’il agit pour des intérêts répréhensibles – au vu et au su de tous, car nous sommes en démocratie. Le but, en somme, est de faire progresser la démocratie, et non simplement de lutter contre les actions répréhensibles du lobbying le plus opaque, que Mme Batho visait très légitimement. Avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Même avis : je salue l’excellence du rapporteur.

M. Charles de Courson. Il a du fond !

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Je comprends les préoccupations de Mme Batho, mais il ne s’agit pas, en l’occurrence, de qualifier les domaines public et privé ou la pression qui s’exerce sur le décideur. Il convient donc de rassembler les lobbys privés et publics, tout en les qualifiant bien sûr, dans un registre. Il faut aussi apprécier et rendre transparente l’influence qu’ils peuvent avoir, positive ou négative – qu’ils soient privés ou publics – vis-à-vis du décideur public.

Mme la présidente. La parole est à Mme Delphine Batho.

Mme Delphine Batho. L’article 13 n’assure nullement la traçabilité de l’influence : ce point relèverait d’une loi organique. Je suis favorable à la traçabilité de toutes les activités et de tous les acteurs, que les choses soient bien claires ; mais le texte, en l’espèce, pose un problème de principe car il colle l’étiquette de « lobbyiste » sur tous les acteurs, indistinctement, si bien qu’il génère de la confusion sur leur identité et sur les objectifs poursuivis.

L’objectif, selon moi, doit être la création d’un registre où sont consignées certaines informations – telles que le chiffre d’affaires –, dans la transparence, de façon à mettre au jour des influences privées sur des décisions publiques. Nous avons donc un désaccord.

Malgré tout, je donne acte au rapporteur d’avoir apporté de nombreuses améliorations en commission, et de ses propos – puisque les débats parlementaires éclairent l’interprétation de la loi – sur la typologie introduite au sein du registre. Je regrette que l’on ne soit pas allé plus loin, dans la rédaction de l’article, pour distinguer le niveau d’exigence – mais peut-être la Haute Autorité sera-t-elle en mesure de le faire.

(L’amendement n396 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson, pour soutenir l’amendement n811.

M. Charles de Courson. Si vous le permettez, madame la présidente, je le présenterai en même temps que l’amendement n812.

Mme la présidente. Je vous en prie, mon cher collègue.

M. Charles de Courson. Le texte de la commission élargit le champ aux établissements publics à caractère industriel et commercial, les EPIC. Un problème me semble donc se poser pour certaines entités hybrides, ayant une partie industrielle et commerciale et une autre qui ne l’est pas.

J’ai donc déposé ces deux amendements pour avoir, sur ce point, une réponse du ministre s’agissant du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives – le CEA –, dont la direction des applications militaires, par exemple et notamment, ne relève pas de la partie industrielle et commerciale.

La même question se pose pour la Caisse des dépôts et consignations, dont les activités sont assimilables, pour partie, à des activités privées, et, pour une autre, à des activités publiques.

Il serait plus logique, à mon sens, d’inclure ces deux établissements dans le champ des établissements publics à caractère industriel et commercial : de mémoire, d’après la jurisprudence, ils constituent une « catégorie d’établissement public », au sens de l’article 34 de la Constitution.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Je réitère, monsieur de Courson, les arguments développés en commission – mais peut-être serez-vous plus rassuré s’ils reçoivent l’imprimatur ministériel.

Le CEA est bien rattaché à la catégorie des établissements publics à caractère industriel et commercial ; il le dit lui-même sur son site internet et dans ses rapports annuels. Il est donc bien couvert par l’alinéa 4 de l’article : si le ministre confirme cette analyse juridique, peut-être pourrez-vous retirer votre amendement n811.

Le même argument vaut pour l’amendement n812, qui concerne la Caisse des dépôts et consignations : si elle est effectivement une institution publique sui generis, elle est bel et bien un « groupement public » – j’insiste sur cette expression, qui reprend la lettre du texte de la commission. Bref, la Caisse des dépôts est elle aussi couverte par l’alinéa 4 de l’article : si le ministre confirme, là encore, mes propos, peut-être pourrez-vous retirer cet amendement aussi.

À défaut d’un retrait de vos deux amendements, l’avis serait défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Je veux aider M. de Courson à retirer ses amendements, car ils sont satisfaits. Des deux établissements que vous avez mentionnés, l’un est effectivement un EPIC, même s’il est aussi un établissement public scientifique et technique ; l’autre, établissement public sui generis, n’en est pas moins inclus dans la grande catégorie des établissements visés à l’alinéa 4. Vous avez donc satisfaction.

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Je retire les deux amendements.

(Les amendements nos 811 et 812 sont retirés.)

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements, nos 798, 232 et 640, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Charles de Courson, pour soutenir l’amendement n798.

M. Charles de Courson. Je souhaite apporter une précision. Certains lobbyistes agissent en tant que personnes ; c’est pourquoi je propose, avec cet amendement, de compléter l’alinéa 4 par l’adjonction des mots : « et les personnes physiques ». Cela me semblerait plus prudent, car certaines personnes, je le répète, agissent intuitu personae, non pour des sociétés juridiques quelconques.

Mme la présidente. La parole est à M. Bertrand Pancher, pour soutenir l’amendement n232.

M. Bertrand Pancher. La notion d’établissement public est déjà intégrée à l’alinéa 4. L’amendement, dans un souci de simplification, vise à élargir la définition des représentants d’intérêts aux personnes morales de droit public, afin de ne pas laisser en dehors de la nasse ceux auxquels on n’aurait pas pensé aujourd’hui : cela répondrait en grande partie, me semble-t-il, à plusieurs des questions qui viennent d’être soulevées. Cet amendement reprend d’ailleurs une proposition de Transparency International.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Laurent, pour soutenir l’amendement n640.

M. Jean-Luc Laurent. À travers cet amendement, je veux prolonger les propos que j’ai tenus au début de l’examen de cet article : notre discussion ne porte pas sur le sexe des anges, elle est très concrète et vise à définir ce que sont les représentants d’intérêts. Selon moi, nous devons adopter une définition large, car nous nous dotons d’un cadre législatif ambitieux, destiné à reconnaître cette activité légitime. Or je pense que cette activité doit, pour reprendre les termes utilisés par des associations spécialisées, laisser une empreinte.

Pour ma part, je refuse les distinctions portant sur les finalités : toute personne morale qui entre en communication avec des élus ou des fonctionnaires en vue de peser sur la décision publique pratique le lobbying. Il ne s’agit pas là de moutons noirs ou de demi-mondaines : nous parlons bien de l’immense majorité des interlocuteurs des acteurs publics, et de personnes dont c’est le métier. Il convient de le préciser ainsi. C’est pourquoi, à l’alinéa 4, après le mot : « privé », l’amendement vise à insérer, tout simplement, les mots : « ou de droit public ».

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements en discussion commune ?

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Comme je le disais précédemment, nous visons essentiellement les personnes morales, sans exclure totalement les personnes physiques, lesquelles sont visées un peu plus loin dans le texte, notamment celles ayant le statut d’indépendants – je veux parler de lobbyistes exerçant cette activité seuls et ayant ce statut entreprenarial particulier.

En dehors de ce cas, l’intention du législateur – je crois que nous la partageons tous – n’est pas, je le dis clairement, d’élargir à l’ensemble des personnes physiques la catégorie des représentants d’intérêts. Si nous le faisions, nous tomberions dans les écueils relevés par le Conseil d’État dans une partie de son avis et troublerions le jeu normal de la démocratie ainsi que les rapports entre les citoyens et les autorités visées.

S’agissant de l’amendement n232 de M. Pancher, comme des autres, nous étions tombés d’accord en commission pour repousser l’idée d’inclure toutes les personnes publiques. En effet, l’intérêt public et général se nourrit tout de même de l’intérêt public local et de l’intérêt public tel qu’il peut être défendu au niveau national.

Assimiler les collectivités locales à la défense d’intérêts particuliers constituerait en outre une entorse faite à la conception la plus traditionnelle de l’intérêt général en France.

En revanche, je pense, monsieur Laurent, que nous partageons l’idée selon laquelle, lorsqu’un lobbyiste entre en contact avec des autorités locales, il est nécessaire de bien encadrer ces relations. Du reste, c’est ce que prévoit le projet de loi, puisque nous avons voté en commission l’extension du registre aux collectivités territoriales – celles-ci étant considérées, non pas en tant que représentantes d’intérêts mais en tant qu’objets de l’influence des représentants d’intérêts. De fait, elles font partie des acteurs publics concernés par l’action de lobbying, sans pour autant être, en tant que telles, des lobbyistes : si nous les considérions autrement, nous irions au-devant de graves difficultés.

J’espère avoir répondu à tous les arguments. Quoi qu’il en soit, l’avis de la commission est défavorable sur ces trois amendements.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Même avis, en soulignant une fois encore l’excellence du rapporteur.

Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Je prends acte des propos du rapporteur : les personnes physiques sont bien visées par le projet de loi, ce qui n’est pas évident à sa lecture.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Si !

M. Charles de Courson. Non, on n’y parle jamais de personnes physiques.

M. Michel Sapin, ministre. Il en est question un peu plus loin, à l’alinéa 13.

M. Charles de Courson. Certes, mais elles ne figurent pas dans la définition des représentants d’intérêts. Quoi qu’il en soit, si vous me le confirmez, je retire mon amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Sébastien Denaja, rapporteur. Pour que les choses soient claires pour tous ceux qui nous écoutent – et nous sommes écoutés, sur ces sujets, même à cette heure, je le vois notamment sur les fils des réseaux sociaux –,…

M. Michel Sapin, ministre. Surtout par les lobbyistes !

M. Sébastien Denaja, rapporteur. …l’alinéa 13 dispose : « Sont également des représentants d’intérêts, au sens du présent article, les personnes physiques qui ne sont pas employées par une personne morale mentionnée au premier alinéa du présent I et qui exercent à titre individuel une activité professionnelle répondant aux conditions fixées aux neuf premiers alinéas du présent I. »

L’amendement n798 de M. de Courson est donc satisfait par l’alinéa 13, qui certes figure un peu plus loin. L’architecture globale d’un texte de cette nature est parfois aussi une œuvre difficile. Nous avons fait au mieux : c’est assez clair et en tout cas explicitement et expressément dit dans le texte.

(L’amendement n798 est retiré.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Laurent.

M. Jean-Luc Laurent. En réponse au rapporteur, je conviens – même si le sujet mériterait d’être approfondi – que les collectivités locales qui participent de la puissance publique ainsi que de l’État, d’une certaine façon, sont au service de l’intérêt général et le servent. Cela dit, elles se comportent parfois comme des représentants d’intérêts catégoriels.

M. Michel Sapin, ministre. Ce n’est pas bien !

M. Jean-Luc Laurent. Par conséquent, le fait de considérer que, par principe, les collectivités locales n’ont rien à voir avec les représentants d’intérêts revient à adopter une logique ne tenant pas compte de la réalité. C’est sur ce point que nous sommes en désaccord.

Ma vision n’est pas moralisatrice ; elle se veut large, afin d’identifier les acteurs puis de fixer le cadre législatif permettant de distinguer le bon grain de l’ivraie – or, pour ce faire, il faut d’abord nommer les choses.

Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Rabin.

Mme Monique Rabin. Je voudrais, à, partir d’un exemple, soutenir l’amendement de M. Laurent. Comme je l’ai dit au début de l’examen de cet article, la rédaction de l’article 13 manque un peu de maturité.

M. Laurent parle des collectivités locales. Je veux, pour ma part, évoquer les « lobbyistes de lobbyistes ». Un exemple : actuellement, l’Association des maires de France défend beaucoup le principe de la délégation de service public afin de permettre à certaines entreprises de s’introduire dans la politique de l’enfance et de la jeunesse menée par nos collectivités : dans un premier temps, des consultants poussent l’AMF à prôner la délégation de service public et, par la suite, l’association joue de son influence afin que soit complètement revue l’organisation de la politique de l’enfance et de la jeunesse dans notre pays.

Les lobbyistes de lobbyistes existent, et les associations d’élus, notamment, peuvent être leurs instruments. Je répète donc que nous devrions revoir la rédaction de l’article 13, qui manque vraiment de maturité. Il convient surtout de revenir à l’objectif politique de départ.

(Les amendements nos 232 et 640, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. L’amendement n25 n’est pas défendu.

Je vous informe qu’à la demande du Gouvernement, l’Assemblée examinera demain mercredi 8 juin, par priorité, à partir de vingt et une heures trente, les articles 30 A à 31 septies, ainsi que les amendements portant article additionnel avant et après ces articles relatifs aux exploitations agricoles.

Puis, à l’issue de cette discussion, le jeudi 9 juin, l’Assemblée examinera les articles 36 à 49, consacrés principalement aux parcours de croissance pour les entreprises.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, aujourd’hui, à quinze heures :

Questions au Gouvernement ;

Suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ;

Suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, de la proposition de loi organique relative à la compétence du Défenseur des droits pour la protection des lanceurs d’alerte.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 8 juin 2016, à une heure dix.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly