Logo du site de l'Assemblée nationale

Document E3777
(Mise à jour : 12 décembre 2009)


Projet de décision du Conseil sur le renforcement d'Eurojust portant modification de la décision 2002/187/JAI du Conseil du 28 février 2002 instituant Eurojust afin de renforcer la lutte contre les formes graves de criminalité, telle que modifiée par la décision 2003/659/JAI du Conseil.


E3777 déposé le 6 février 2008 distribué le 7 février 2008 (13ème législature)
   (Référence communautaire : 5037/08 COPEN 1 EUROJUST 1 EJN 1 du 7 janvier 2008)

Ce texte a été présenté par M. Guy GEOFFROY , rapporteur, au cours de la réunion de la Délégation du 8 juillet 2008.

*

Eurojust a été créée par la décision du Conseil n° 2002/187/JAI du 28 février 2002 afin de renforcer la lutte contre les formes graves de la criminalité organisée. Eurojust intervient dans le cadre d’enquêtes et de poursuites concernant au moins deux États membres afin de promouvoir et améliorer la coordination entre les autorités compétentes des États membres et de soutenir les autorités pour renforcer l’efficacité de leurs enquêtes et de leurs poursuites.

L’unité Eurojust est un organe de l’Union européenne doté de la personnalité juridique qui agit en tant que collège ou par l’intermédiaire des membres nationaux. Eurojust est composée de 27 membres nationaux (un par État membre) qui doivent avoir la qualité de juge, de procureur ou d'officier de police ayant des prérogatives équivalentes. Ce sont les États membres qui établissent la nature et l'étendue des pouvoirs de leur représentant national. Eurojust est une unité de coordination des enquêtes et des poursuites mais ne peut pas effectuer d'actes d'investigation. Elle ne peut que demander aux autorités judiciaires des États membres d'engager une enquête ou des poursuites, de se dessaisir au profit d'une autre autorité judiciaire ou de mettre en place des équipes communes d'enquête.

En 2007, Eurojust a été saisie de 1.085 dossiers( 1), soit une hausse de 41 % par rapport à 2006. 263 dossiers ont été soumis afin de favoriser la coordination des enquêtes et poursuites, 688 afin d’améliorer la coopération et 815 pour soutenir les autorités compétentes des États membres (un dossier peut avoir été soumis en visant plusieurs de ces objectifs). 49 activités criminelles différentes ont été recensées dans ces dossiers, le trafic de drogue et l’atteinte au patrimoine et aux biens publics représentant le pourcentage le plus élevé. Les réunions organisées ou soutenues par Eurojust ont pu réunir jusqu’à trente pays.

Le réseau judiciaire européen est le principal partenaire d’Eurojust dans la coopération judiciaire. Par le biais d’une action conjointe du 29 juin 1998, le Conseil des ministres de l’UE a créé le Réseau judiciaire européen en matière pénale (RJE) afin d’améliorer l’entraide judiciaire entre les États membres de l’Union, principalement pour lutter contre le crime organisé, la corruption, le trafic de drogue et le terrorisme. Il se compose de points de contact judiciaires établis dans chaque État membre de l’Union européenne et au sein de la Commission européenne. Son but est d’aider les juges et les procureurs nationaux à mener des enquêtes et poursuites transfrontalières. Le RJE facilite l’établissement de bons rapports entre les points de contact, organise des réunions périodiques rassemblant les représentants des États membres, fournit un certain nombre d’ informations de base à jour, notamment par le biais d’un réseau de télécommunications adéquat.

Les principales difficultés que rencontre Eurojust sont la disparité des compétences des membres nationaux( 2), les ambiguïtés du cadre juridique et un manque d'information de l'unité sur les procédures en cours. Ce projet de décision tend à renforcer le rôle et les capacités d'Eurojust en intervenant sur plusieurs points.

Cette proposition est complémentaire de la proposition de décision du Conseil tendant à renforcer le réseau judiciaire européen en matière pénale.

Ce projet de texte constitue une avancée importante pour Eurojust.

Le rapprochement des statuts des membres nationaux et le renforcement de leurs pouvoirs

Le mandat des membres nationaux devrait être au minimum de quatre ans et ils devraient obligatoirement bénéficier de l’assistance d’un adjoint et d’un membre assistant. Ils devraient être établis de manière permanente au siège d’Eurojust à La Haye.

Pour faire face aux situations d’urgence, une cellule de coordination d’urgence serait mise en place grâce à laquelle un système de permanence serait accessible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

Un régime de responsabilité civile de l’unité serait créé pour réparer les dommages causés du fait du collège ou du personnel d’Eurojust.

Les membres nationaux verraient leurs compétences élargies : ils pourraient demander la mise en œuvre de techniques d’enquête spéciales ou de toute autre mesure justifiée. Dans le texte initial, ils pouvaient également demander un complément d’enquête en cas d’exécution partielle ou insuffisante d’une demande de coopération.

Afin de réaliser les objectifs d’Eurojust, les membres nationaux auraient un accès renforcé aux informations contenues dans les fichiers nationaux mis en œuvre dans leur État (le casier judiciaire, les registres des personnes arrêtées, les registres d’enquête et les registres ADN). Le texte pose le principe d’un droit d’accès intégral mais non direct aux fichiers. Ce doit d’accès se déroulerait dans des conditions identiques à celles applicables aux autorités ayant accès aux données dans les États membres.

Les membres nationaux pourraient participer aux équipes communes d’enquête.

En accord avec l’autorité nationale compétente, les membres nationaux pourraient bénéficier de pouvoirs plus étendus et avoir un pouvoir décisionnel propre: ils pourraient émettre et exécuter dans leur État membre des demandes de coopération judiciaire, ordonner dans leur État membre des mesures d’enquête jugées nécessaires ainsi qu’autoriser et coordonner des livraisons contrôlées.

En cas d’urgence, les membres nationaux pourraient autoriser et coordonner des mesures de livraison contrôlée et exécuter une demande de coopération judiciaire.

Une limitation à l’exercice de ces pouvoirs « délégués » serait posée lorsque, soit des règles constitutionnelles, soit des aspects fondamentaux du système de justice pénale relatifs à la répartition des pouvoirs entre les procureurs et les juges, à la répartition hiérarchique des tâches entre les procureurs ou à la structure fédérale de l’État concerné seraient incompatibles avec une telle délégation. En ce cas, le membre national pourrait adresser une demande d’exercice de ces pouvoirs qui serait traitée sans délai.

En l’état actuel des négociations, les dispositions relatives aux pouvoirs propres des membres nationaux, aux pouvoirs délégués ainsi qu’aux exceptions applicables ne font pas l’objet d’un consensus.

Il convient de souligner que le texte, dans sa dernière version, est équilibré et permettra de renforcer Eurojust afin d’en faire un acteur central de la lutte contre le terrorisme en Europe.

Les échanges d’information

Pour faciliter les échanges entre les autorités nationales et Eurojust, chaque État devrait mettre en place un « dispositif de coordination nationale Eurojust » qui assisterait l’unité avec un ou plusieurs correspondants nationaux pour Eurojust. Les dépenses liées au système de coordination (matériel, location) pourraient être prises en charge par le budget d’Eurojust.

Les transmissions d’information entre les États membres et les membres nationaux seraient détaillées.

Une obligation d’information s’appliquerait aux États lorsque trois États ou plus sont concernés (dont deux États membres) par une affaire pour laquelle une demande de coopération judiciaire a été émise. Seules les infractions punissables de cinq ou six années de prison et comprises dans une liste de domaines précis ou les affaires dans lesquelles une organisation criminelle est impliquée ou les affaires pouvant avoir une incidence transfrontière grave seraient concernées. Le type d’informations devant être transmises est également détaillé. Par ailleurs, Eurojust devrait être informée de la préparation d’une équipe commune d’enquête, des cas où des conflits de compétence se présentent, des livraisons contrôlées concernant au moins trois États, dont deux membres, et des difficultés récurrentes dans l’exécution des demandes de coopération judiciaire.

La portée de cet article s’est trouvée limitée au cours des négociations notamment puisque les États pourraient, en l’état actuel du texte, invoquer la menace d’un intérêt national majeur en matière de sécurité ou la compromission de la sécurité d’une personne pour ne pas transmettre des informations. Par ailleurs, le texte impose le respect des dispositions des accords conclus avec des pays tiers (cas dans lesquels les informations proviennent de pays tiers ayant émis des restrictions sur l’utilisation des données), ce qui est très large. Le texte s’est ainsi éloigné de la proposition d’origine, ce qui est regrettable.

Eurojust doit déjà actuellement garantir un niveau de protection des données équivalent à celui résultant des principes de la convention du Conseil de l’Europe du 28 janvier 1981 (Convention pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel). Eurojust dispose par ailleurs d’un délégué à la protection des données. Un organe de contrôle commun, constitué d’un juge non membre d’Eurojust par État, veille également à ce que les données personnelles soient traitées dans le respect des obligations qui incombent à Eurojust. Il est prévu, dans la dernière version du texte, de renvoyer en outre à la décision cadre du Conseil relative à la protection des données à caractère personnel traitées dans le cadre de la coopération policière et judiciaire en matière pénale en ce qui concerne le transfert de données à caractère personnel par les États membres à Eurojust.

Les autres avancées du texte

Le collège d’Eurojust n’aura pas de rôle décisionnel mais pourrait émettre des avis non contraignants, notamment en cas de conflit de compétence.

En matière de relation avec les États tiers, Eurojust pourrait mettre en place des magistrats de liaison sous réserve d’un accord avec l’État tiers approuvé par le Conseil statuant à la majorité qualifiée.

Le financement d’Eurojust ne fait pas encore l’objet d’un accord unanime, certains États préférant qu’Eurojust soit financé par des contributions d’États membres (le texte actuel prévoit que les membres nationaux et leurs adjoints seraient rémunérés par leur État et que les dépenses liées à leurs activités dans le cadre d’Eurojust seraient prises en charge par le budget d’Eurojust en tant que dépenses opérationnelles).

Enfin, Eurojust ne serait pas une agence de l’Union européenne, selon les dernières versions du texte en négociation.

En conclusion, le présent projet de décision constitue une avancée significative et doit être soutenu bien qu’un certain nombre de points aient été largement remaniés au cours des négociations. Il constitue une priorité de la présidence française en matière de coopération judiciaire pénale.

*

* *

L’exposé de M. Guy GEOFFROY , rapporteur, a été suivi d’un court débat.

M. Jacques MYARD a estimé que la coopération judiciaire était une nécessité mais qu’Eurojust posait un problème différent, dans la mesure où il serait compétent pour poursuivre des actes délictueux contre les intérêts de l’Union européenne, par exemple en matière de fraude. Il a souhaité savoir si, dans l’esprit de la proposition, ce parquet serait indépendant, ce qui n’est heureusement pas le cas en France.

M. Guy GEOFFROY , rapporteur, a répondu qu’il ne deviendrait pas indépendant parce qu’il ne devait pas le devenir. Dans l’hypothèse de poursuites à l’échelle européenne dans l’intérêt de la lutte contre la criminalité transnationale, il serait possible de se servir d’Eurojust comme d’un instrument a minima . Il agira de toute façon sous l’égide du Conseil, et il reviendra au Conseil de définir les conditions de création d’un parquet à partir d’Eurojust et les pouvoirs de ce parquet. L’indépendance n’est pas souhaitable ; en France, le parquet est sous l’autorité du Garde des Sceaux et applique les orientations générales du Gouvernement dans sa politique pénale.

M. Jacques MYARD , prenant l’exemple de fraudes sur les aides agricoles européennes dans un département insulaire, a observé qu’elles étaient constitutives d’un délit en droit français et que la Commission pouvait envoyer sur place des inspecteurs et saisir le parquet en France. L’échange d’informations peut être utile mais on peut s’interroger sur la nécessité de la volonté politique de mettre en avant Eurojust. M. Jacques MYARD a donc indiqué qu’il s’abstiendrait sur la proposition.

Le Président Michel HERBILLON a remercié le rapporteur d’avoir inscrit ses conclusions dans le contexte de la présidence française. Il a souligné que les citoyens européens attendaient des résultats concrets à travers le renforcement de la coopération judiciaire et pénale, afin de mieux lutter contre la criminalité transnationale.

Puis la Délégation a approuvé le texte.

(1) Rapport annuel d’Eurojust 2007.
(2) A titre d’exemple, la durée des mandats varie de un an à une durée indéfinie. Communication de la Commission sur le rôle d’Eurojust et du réseau judiciaire européen dans le cadre de la lutte contre le crime organisé et le terrorisme dans l’Union européenne, 23 octobre 2007, COM (2007) 644 final.