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Séance du vendredi 14 mars 1913

  • Recrutement (discussion générale - suite)

    Présidence de M. de Montebello

    Recrutement (discussion générale - suite)

    Suite de la discussion générale du projet de loi du recrutement.

    M. Bénazet déclare qu’il ne faut pas réduire à un problème de couverture le vaste problème d’organisation militaire nouvelle que pose devant l’opinion française les renforcements successifs apportés par l’Allemagne à ses troupes et à ses armements.

    Il est tout d’abord inexact de prétendre que la couverture française égale approximativement ce qu’on est convenu d’appeler la couverture allemande.

    L’hon. membre montre ici, commentant les tableaux du ministère, que les troupes allemandes situées près de la frontière sont à effectif plus renforcé que les nôtres et possèdent des moyens d’action (projecteurs, téléphones, télégraphes, aérostation) très supérieurs aux nôtres.

    Le plan de mobilisation allemand correspond à une idée tactique nouvelle ; alors que chez nous, on a tendance à s’en remettre aux réserves du soin de défendre le pays, les Allemands conçoivent une armée de métier aussi nombreuse que possible, toujours prête à partir, merveilleusement outillée et destinée à frapper dès la première heure un coup terrible à son adversaire. S’il est exagéré de dire que 700 000 allemands tomberont à la fois et dès la mobilisation sur la France, il est raisonnable d’admettre qu’une vague continue déferlera sur notre frontière à dater du 1er jour et que dès les 3e 4e et 5e jours des corps nombreux viendront renforcer les troupes du premier choc déjà plus nombreux et mieux outillés que nos corps de couverture. En arrière, il restera toujours assez de vieux sous-officiers et d’officiers dans les dépôts pour organiser les réserves. On a dit que pour renforcer la couverture, il suffirait de gratter, comme le veut l’expression consacrée, les fonds de tiroir, mais c’est à peine si les hommes ainsi ?? ?? suffiraient à doter les sections de projecteurs, de mitrailleuses, de téléphones et de télégraphes, d’aérostation qu’il faut créer de toute nécessité. On ne peut songer encore à prélever des hommes sur les compagnies des régiments de l’intérieur déjà réduites à des effectifs notoirement insuffisants. Alors ? Force est donc de songer à augmenter la durée du service.

    M. Jaurès a demandé qu’on fît un plus profond appel aux réservistes résidant sur le territoire des corps frontière, mais notre collègue a méconnu ainsi les règles de notre mobilisation.

    Nos régiments de couverture mobilisent en trois échelons. Le premier échelon part tout de suite, ce sont les hommes de l’active et les réservistes locaux des premières classes, soit par compagnie 180 h à 200 h. Le deuxième échelon est constitué par les réservistes des autres classes de la région qui se concentrent dans des dépôts et rejoignent ensuite le 1er échelon sur la ligne de combat. Vient enfin le 3e échelon constitué uniquement par des formations de réserve.

    M. Jaurès D’après la note qui nous a été remise, es formations de réserve ne forment qu’une brigade par corps d’armée, soit deux régiments, au lieu de huit. Que deviennent les autres régiments de réserve ?

    M. Bénazet Pour tirer parti des réserves, encore faut- il pouvoir les encadrer. Les réservistes n’ont pas seulement à prendre leurs effets et leurs armes dans un dépôt, il faut encore qu’ils soient constitués en une formation encadrée d’éléments actifs. Or, si nos compagnies de l’intérieur voient leurs effectifs s’abaisser au-dessous d’un certain chiffre, nos réserves ne seront plus encadrées. Les troupes qui viendront à un moment donné de l’intérieur renforcer nos armées de première ligne seront ce que nous aurons su les faire par nos effectifs à l’intérieur. L’instruction est en fonction des effectifs squelettes. Songer à augmenter l’armement c’est en même temps songer à augmenter les effectifs ; les [mots barrés] appareils délicats exigent des hommes de métier pour les faire fonctionner. Où les prendre ?

    L’hon. membre insiste donc vivement auprès de la Commission pour qu’elle adopte sans plus tarder le principe du [mots barrés] service de trois ans, il y va de la sécurité du pays [mot barré], de son indépendance et de ses libertés.

    M. Augagneur Nous avons autant que qui que ce soit le souci de la défense nationale ; notre groupe n’a jamais refusé les crédits qui lui étaient demandés pour assurer cette défense. Nous ne sommes pas des inertes. Ce n’est pas à nous qu’il faut faire un reproche d’inertie, c’est peut être à ceux qui ayant eu des crédits à leur disposition en sont arrivés à ce point que 500 millions leur font défaut. Nous voterons ces crédits s’ils nous apparaissent comme nécessaires, après discussion, après examen attentif, après avoir recherché et établi les responsabilités.

    Nous consulterons le peuple de France sur la question des trois ans : il n’a pu jusqu’à ce jour juger la situation que par une campagne de presse. Nous lui demanderons le nécessaire, mais non l’inutile. M. Bénazet a comparé les forces de couverture françaises et allemandes et il a conclu à la supériorité manifeste de ces dernières. la situation a donc changé depuis le jour où M.M. Millerand, Étienne, et Joseph Reinach affirmaient à la Chambre que du côté de la couverture nous n’avions rien à craindre.

    M. Driant Je n’ai pas été dupe de la réponse que m’a faite alors M. Millerand.

    M. Jaurès Et nous, nous ne le serons pas de beaucoup d’autres.

    M. Augagneur Si l’administration militaire nous a trompés hier, elle peut nous tromper aujourd’hui. Nous avons donc raison de lui demander les raisons de son changement d’attitude.

    M. Bénazet a ajouté dans ses commentaires de la note du ministre les 9% d’incorporations ne s’ajoutant pas à l’effectif ; ils rendent seulement ce dernier invariable puisqu’ils ne servent qu’à remplacer individuellement les déchets.

    M. Bénazet En fait, ils s’ajoutent bien.

    M. Augagneur En ce qui concerne la [mots barrés] supériorité des forces d’artillerie et de cavalerie allemandes, j’aurais aussi beaucoup à dire, mais je passe, je ne conteste pas que l’Allemagne n’ait accru ses forces et je ne conteste pas davantage que nous avons certaines précautions à prendre.

    L’Allemagne voit ses effectifs de paix passer de 700 000 h à 800 000 h ; l’augmentation est donc égale au 7e.

    Notre système défensif, lorsque vous aurez une classe de plus sous les drapeaux ne sera pas modifié, vous renforcerez seulement votre couverture. Le maintien d’une classe de plus sous les drapeaux n’ajoute pas un homme à l’armée mobilisable.

    Que faut-il donc pour renforcer cette couverture ? Actuellement, cette couverture est formée par trois corps d’armée, les 6e 7e et 20e corps ; j’admets qu’il puisse paraître indispensable de leur ajouter les 8e et 2e corps. Quelles seraient les conséquences de cette mesure au point de vue des effectifs ? Je laisse de côté le projecteur, les télégraphes et téléphones ; au fond, ce qui importe ce sont les combattants. Quels sont nos effectifs actuels ? Je les prends au budget de 1913.

    Nous avons 2 112 compagnies d’infanterie à 107 hommes et 10 caporaux, soit 117 hommes.

    178 compagnies de chasseurs à pied à 152 h.

    395 escadrons à 155 sabres y compris les officiers.

    744 batteries à 99 hommes et brigadiers.

    Quel est le problème à résoudre ? C’est de porter les unités des 5 corps de couverture à un effectif renforcé. Pour porter une compagnie de 117 hommes à 160 h, il faut 43 hommes de plus. Nous avons dans les 5 corps de couverture 552 compagnies.

    552 x par 43 = 24 000 hommes.

    Pour doter nos 92 escadrons de couverture de 25 sabres de plus, il nous faut 2 300 h.

    Pour porter nos batteries de couverture à 110 h, 1 260 hommes sont nécessaires. Au total 27 560 hommes soit en chiffres ronds : 30 000 hommes.

    La question qui se pose est donc de savoir si avec la loi des deux ans, il est possible de trouver ces

    30 000 hommes sans bouleverser, comme on le propose, tout notre recrutement. Je ne crois pas que cela soit fort difficile.

    M. Bénazet a dédaigné les fonds de tiroir, voyons donc ce qu’ils peuvent nous donner.

    1 797 hommes, actuellement ordonnances d’officiers sans troupes, actuellement perdus pour la mobilisation.

    Sapeurs-pompiers de Paris, 1 600 hommes.

    3 350 hommes pour les secrétaires d’État-major.

    7 700 hommes employés dans les bureaux de l’intendance ou comme ouvriers d’intendance.

    700 soldats dans les écoles.

    5 000 h à trouver dans les musiciens

    500 h à trouver dans les ouvriers d’artillerie trop nombreux.

    Au total, 19 847 hommes.

    Nous avons vu qu’il fallait 29 000 hommes nous avons donc 10 000 à trouver encore. Où les prendre ? Je réponds : dans l’infanterie ? Répartie sur nos 2 112 compagnies la saignée ne serait que de 8 hommes par compagnie.

    C’est là le système que je propose.

    La question de nos réserves locales a été très mal étudiée. Vous laissez en arrière quantité de réservistes dont l’emploi et l‘encadrement n’est pas prévu.

    Je suis convaincu que le jour où l’État-Major voudra organiser nos réserves, il le pourra. Notre rôle, contrairement à ce qu’a dit M. Driant, n’est pas d’accepter sans les discuter les conclusions des praticiens militaires.

    Réunissez l’Académie de médecine et demandez-lui ce qu’il faut faire pour combattre la tuberculose. On aboutira à des projets dont le coût se chiffrera par milliards. À côté de l’idéal technique, il y a la solution pratique. Si on avait posé au Conseil Supérieur de la Guerre la question de savoir qu’il était partisan du service de 4 ans, de 5 ans, il eût très vraisemblablement répondu oui.

    Je ne crois pas que l’instruction de la compagnie serait compromise par une diminution de 8 hommes. Pour l’instruction dans la section, évidemment pas, et pour l’instruction dans la compagnie il suffirait de jumeler deux unités. L’instruction serait aussi rendue plus intensive si vous créez des camps d’instruction, comme il avait été entendu, lors du vote de la loi de 1905.

    Comment se fait-il qu’on dise aujourd’hui et tout à coup que l’instruction ne vaille plus rien ? Au mois d’août, on n’a pas tari d’éloges sur nos troupes ; il faudrait s’entendre une bonne fois.

    Reste l’autre question : l’encadrement des réserves. A-t-on ou non confiance en elles ? Si on ne croit qu’à une armée de caserne, alors, mais alors seulement le service de trois ans se justifie et encore faudra-t-il encadrer les réserves. Mais ici une observation s’impose : Il y a une hiérarchie humaine qu’on méconnaît. On veut encadrer des hommes faits par des jeunes gens, d’est une erreur, cela était bon quand les soldats faisaient cinq ou sept ans, mais les soldats de 2 ou 3 ans n’auront aucune autorité sur des réservistes de 30 ans.

    On nous a parlé de l’insuffisance du temps de service pour la cavalerie. Je pense qu’on regrette par là de voir des cavaliers faits quitter le régiment lorsqu’ils sont instruits, mais qu’on ne prétende pas qu’il faut plus de deux ans pour faire un cavalier. Si un home n’est pas cavalier au bout de deux ans, il ne le sera jamais. La cavalerie de Murat ou de Lassalle n’avait pas, que je sache, deux ans de manège.

    Le moment critique de l’arrivée des recrues existe des deux côtés de la frontière en même temps.

    La question du dressage des chevaux doit être envisagée d’une façon nouvelle ; il n’est pas avantageux d’immobiliser les meilleurs cavaliers pour le dressage au lieu de les envoyer au service en compagnie.

    Achetez donc des chevaux tout dressés, ils coûteront plus chers à acheter, mais vous dépenserez moins qu’à les dresser dans nos régiments. J’ai consulté les éleveurs : ils acceptent tous ce système.

    Au point de vue de la remonte des hommes et non seulement en chevaux l’innovation serait utile : les fils d’éleveurs formeraient ainsi une véritable pépinière d’écuyers et vous voyez quel serait l’avantage le jour où le recrutement se décidera à affecter les hommes sachant monter à cheval à la cavalerie.

    Reste la période critique de 3 ou 4 mois à l’arrivée de la classe ; je suis convaincu qu’on pourrait parer à ce danger par des rengagements à court terme et des primes de libération accordées aux hommes qui resteraient quatre ou cinq mois de plus au régiment.

    Tout cela serait utile, tout cela donnerait de bons résultats, si on veut enfin s’employer à utiliser les réserves. Vous dites que ces réserves ne sont pas encadrées. Il faut réaliser cet encadrement. C’est là une question vitale. En incorporant une classe de plus, vous allez dépenser 188 millions par an, ne serait-il pas plus rationnel de dépenser l’argent pour encadrer vos réserves, pour mieux payer vos officiers subalternes ?

    Je me résume : votre loi de trois ans ne vous donnera pas un homme de plus le jour de la bataille ; ne pouvez-vous renforcer votre couverture sans y recourir. Ce qui importe surtout, c’est la valeur morale de l’armée, la valeur des cadres, la solidité de ses réserves. Il n’y a pas là une question politique, il y a là une question d’appropriation des forces vices de la nation, en conformité avec ses tendances naturelles. Moi aussi, je reçois des lettre relatives au projet en discussion et mes correspondants y affirment leur volonté de sacrifice mais à la condition que l’utilité d’une prolongation du temps de service leur soit démontrée.

    Pour moi, je crois que la solution consiste à renforcer notre couverture par les procédés que j’ai indiqués et pour le reste à appliquer dans sa lettre et dans son esprit, en lui faisant donner tout son rendement, la loi de deux ans.

    M. Joseph Reinach M. Jaurès a déclaré que les partisans du service de trois ans se partageaient en deux groupes : ceux qui y voient la solution d’un problème de couverture, ceux qui y cherchent l’amélioration de l’organisation générale de l’armée.

    Je désire être rangé à la fois dans les deux groupes. Je reconnais que le problème s’est posé devant l’opinion à propos de la faiblesse de notre couverture, mais je considère que la réorganisation militaire doit réaliser les trois objets suivants :

    1° Organiser et constituer notre couverture de telle façon qu’à toute époque de l’année elle soit, en hommes instruits, une barrière solide contre toute attaque brusquée des corps de choc allemands.

    Le général de Leczinski a caractérisé comme suit l’œuvre de l’Allemagne depuis vingt ans : « En raison de la situation politique de l’Europe, pouvoir disposer en permanence dans les régions frontalières d’unités actives, d’effectifs suffisants pour permettre leur entrée en campagne instantanée, aussi bien vers l’Ouest que vers l’Est. »

    2° Organiser et constituer nos armées montées de sorte qu’à toute époque de l’année, leurs effectifs en hommes instruits les mettent à hauteur de leur mission ;

    3° Constituer les forces de campagne mobilisées de nos armées de telle façon qu’à condition au moins égales en valeur et en armement, elles puissent présenter sur le champ des opérations décisives des effectifs équivalents à ceux des Allemands.

    Or, il est évident que pour réaliser le premier et le second objet la question des effectifs du temps de paix est primordiale.

    Et il n’est pas moins évident qu’à moins de renoncer au principe d’égalité, principe qui n’est, sans doute, appliqué aux différentes armes, qu’en France, mais que les Chambres républicaines ont toujours déclaré intangible, le troisième objet ne peut, lui aussi, être atteint que par le service de trois ans, service qui peut comprendre des congés de trimestre, mais qui ne saurait comporter aucune dispense.

    Après le rapport de M. Bénazet, avec le livre du général Maitrot, nous aurions commis une faute lourde. Or, même dans le cas où l’Allemagne n’aurait pas renforcé ses effectifs, nous n’avions pas envisagé la prolongation de temps de service dans les armes montées ; je l’ai dit lors du vote de la loi des cadres. Il n’y a pas ici à envisager qu’une question d’éducation du cavalier, il y a aussi à considérer la mobilisation à un moment donné de l’armée. Il y a enfin la question du dressage pour laquelle M. Augagneur n’envisage qu’une solution d’avenir.

    Pour notre couverture en général, il ne faut pas envisager que les hommes, il faut aussi regarder du côté de cadres ; tant valent les cadres, tant vaut la troupe.

    C’est pour permettre l’utilisation immédiate de leurs effectifs de paix que les Allemands ne sont renforcés en hommes et en cadres. je sais bien que les 800 000 hommes de l’armée allemande ne fondront pas sur nous en un seul bloc, mais il n’est pas exagéré de prétendre qu’une armée de 800 000 hommes dispose nécessairement de troupes de choc plus nombreuses qu’une armée de 470 000 hommes comme la nôtre.

    Je n’avais pas, je le répète, envisagé le retour au service de trois ans pour toutes les armes, il y a quelques mois, mais depuis, des faits nouveaux se sont produits en Allemagne qui ont permis à l’opinion française de comprendre son devoir en face du danger accru et puisque nous avons à notre honneur mis le principe de l’égalité à la base de nos lois de recrutement, j’accepte cette idée du service de trois ans pour tous. Certes, elle comportera dans sa réalisation, de lourds sacrifices. Nous en subirions peut-être de plus lourds plus tard si nous l’écartions aujourd’hui.

    M. Jaurès a cité le livre du général Maitrot, mais il n’en a pas donné les conclusions, les voici

    Les armées française et allemande ont ; à des titres divers, de bons outils de guerre sur l'emploi desquels chacune des deux nations peut fonder des espérances.

    S'il nous fallait, d'une manière plus précise, évaluer la valeur réciproque de leurs «différentes .parties, nous dirions qu'il y a, quant à la qualité :

    Pour l'infanterie, égalité ;

    Pour l'artillerie montée,"supériorité pour la France ;

    Pour l'artillerie à cheval et la cavalerie, supériorité pour l'Allemagne ;

    Pour l'ensemble du machinisme de guerre, égalité.

    Reste pour l'Allemagne, quant à la quantité, une énorme supériorité de 130 000 hommes dans l'armée active.

    La balance semble donc pencher en faveur de nos voisins. Pour rétablir l'équilibre, il nous faut des hommes, et seul un retour à la loi de trois ans peut nous les donner.

    II n'y a pas d'autre solution : tout le reste n’est que verbiage et mirage.

    [« ] La France comprendra-t-elle à temps ? »

    Demain, quand fonctionnera la nouvelle loi allemande, la supériorité de l’armée active allemande ne sera pas de 130 000 h, elle sera de 400 000 hommes ; à nos effectifs de paix de 460 000 hommes, l’Allemagne opposera 865 000 hommes et nos troupes de premier choc seront à celles de l’Allemagne dans les mêmes proportions.

    Je fais une hypothèse :

    M. Augagneur et M. Jaurès réussissent à nous persuader, à nous convaincre ; et il se forme une majorité dans la Commission de l’Armée d’abord, puis dans la Chambre pour repousser le projet de recrutement, pour maintenir le service de deux ans en y apportant je le concède, quelques modifications.

    Et puis demain, après demain – je me place sur le terrain de l’article officieux de la Gazette de l’Allemagne du Nord, - bien que l’Allemagne veuille la paix, bien que la France, la Russie veulent la paix, tout de même, à la suite d’un incident marocain ou balkanique, la guerre éclate ; et la formule qui a trahi Napoléon, qui a trahi les plus justes causes, la fortune nous trahit une fois de plus, pour cette raison, cette seule raison que, sur les champs de bataille de l’Est et du Nord-Est, toute la valeur de nos troupes, toute la science de leurs chefs ont été impuissantes contre la supériorité numérique de l’armée allemande, d’une infanterie plus nombreuse, d’une cavalerie plus nombreuse et plus entraînée, d’une artillerie plus abondante.

    Eh bien ! Je ne dis pas que la lutte serait terminée ce jour-là : la guerre de 1870 n’a été terminée ni par les premières défaites, ni par Sedan ; mais je dis que ce jour-là, si j’avais sur la conscience d’avoir écarté les conclusions formelles, unanimes, du Conseil Supérieur de la guerre, où siègent des hommes comme le général Gallieni, le général Pau, le général Joffre, le général Marion, pour suivre dans leurs conceptions politiques ou dans leurs conceptions stratégiques M. Augagneur ou M. Jaurès, je ne me le pardonnerais pas.

    Il est possible que le Conseil Supérieur de la guerre se trompe dans ses conclusions. c’est pourtant l’évidence qu’à suivre le Conseil Supérieur de la guerre dans ses conclusions, je risque moins de me tromper qu’à suivre M. Jaurès ou M. Augagneur. Pour moi, il n’y a pas de doute sur le devoir.

    Nous sommes ici pour faire une loi de recrutement et non de stratégie en Chambre. Les projets du Maréchal Niel en 1867 ont échoué devant la Commission et non en séance publique. Nous n’aurions pas en 1913 les circonstances atténuantes admissibles pour 1867. Ne recommençons pas la même faute. Le mouvement admirable d’opinion qui a accueillie le projet de loi, c’est déjà pour le pays, une victoire morale. Le rejet du projet serait une défaite. Je supplie la Commission de ne pas laisser plus longtemps planer le doute sur ses conclusions. Nous examinerons dans le détail le projet qui nous est soumis, mais ne tardons pas à en ratifier le principe.

    M. Jaurès indique qu’il aurait à poser de nouvelles questions au ministre de la Guerre.

    M. Driant proteste et demande qu’on ne prolonge pas ce qu’il considère comme une comédie.

    M. Jaurès s’élève contre cette affirmation et demande que son droit soit respecté.

    Il désire savoir quelle part de l’effectif donné par l’incorporation d’une 3e classe sera affectée aux troupes de couverture. Je demande que le ministre de la Guerre précise ses intentions au sujet du renforcement des corps de couverture dont il a dit à la fois qu’ils seraient portés au plein, renforcés, et mis sur le pied de guerre. Il fait observer que le projet prévoit un effectif de 160 000 hommes pour la 3e classe incorporée, soit pour les 3 classes 480 000 hommes. Le gain ne serait donc que de 80 000 hommes, c’est un point à préciser. Que gagnerait en rapidité la mobilisation française si le recrutement était le plus subdivisionnaire possible (utilisation de réservistes locaux).

    Que deviennent enfin les formations de réserve qui ne prennent pas place dans l’unique brigade de réserve portée pour mémoire sur la note du ministre afférente aux effectifs de couverture ?

    M. Fournier-Sarlovèze se déclare suffisamment informé et il demande qu’on aboutisse. Le Conseil Supérieur de la guerre s’est prononcé ; le ministre a été entendu ; à retarder encore la solution d’une question aussi grave, la responsabilité de la Commission serait très sérieusement engagée.

    M. Vandame demande s’il n’y aurait pas intérêt à fixer une date à laquelle le vote de principe sur le projet de loi [mots barrés] devrait nécessairement être émis.

    M. Paté demande qu’on déclare close la discussion générale et qu’on aborde immédiatement le débats sur l’article 12 qui pose la question de principe et à propos duquel toutes les opinions pourraient se faire valoir.

    M. Jaurès fait observer que des contres projets ont été présentés dont l’ensemble peut et doit être opposé à l’ensemble du projet.

    M. Augagneur indique que le projet n’aura son effet qu’à dater d’octobre prochain ; il n’y a donc pas péril à prolonger d’une dizaine de jours la discussion.

    M. Driant fait observer que l’application de projet exige une préparation d’assez longue durée et il insiste pour qu’on aboutisse au plus vite.

    M. Augagneur ne conçoit pas qu’on n’admette pas une discussion plus sérieuse, plus approfondie. Si les arguments de ses adversaires triomphent après un large débat, ils n’en auront que plus de force devant ma Chambre.

    M. Maurice-Binder ne s’oppose pas à ce que les questions présentées par M. Jaurès soient posées au ministre ; il déclare aussi avoir retenu quelques unes des judicieuses observations de M. Augagneur, mais il déclare que quelques un de ses collègues et lui étant résolus à suivre purement et simplement l’avis du Conseil Supérieur de la guerre, un vote de principe peut être émis aujourd’hui [mot barré]], quelles que soient les modalités à envisager ultérieurement.

    M. Driant s’explique sur le sens qu’il convient d’attacher au mot « comédie » qu’il a employé tout à l’heure, à l’égard de M. Jaurès. Il n’a nullement entendu être désobligeant à l’égard de son collègue.

    La Commission inscrit à son prochain ordre du jour de mardi

    1° la suite de la discussion générale

    2° la discussion des contre-projets.

    Le président,

    de Montebello

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