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Séance du mardi 18 mars 1913

  • Recrutement (discussion générale - suite)

    Proposition de M. de Montebello tendant à la clôture immédiate de la discussion générale

    Proposition de M. Jaurès tendant à la clôture de la discussion générale après avoir entendu les orateurs inscrits

    Adoption de la proposition de M. de Montebello

    Suite de la discussion renvoyée au jeudi 20 mars 1913

    Présidence de M. Joseph Reinach, vice-président

    Recrutement (discussion générale - suite)

    Suite de la discussion générale du projet de loi du recrutement.

    M. Treignier expose les efforts successifs faits par l’Allemagne pour augmenter ses effectifs qui au 1er janvier 1913 ont atteint 708 000 hommes. Il indique qu’à cet accroissement d’effectifs n’a pas correspondu une augmentation corrélative du nombre des unités. Tous les régiments seront, il est vrai, à trois bataillons si les mesures projetées encore sont adoptées. Mais ce qu’il faut noter surtout, c’est que le nombre de bataillons à effectifs renforcés sera considérablement augmenté. On pourra dire que l’armée allemande sera en quelque sorte mobilisée dès le temps de paix, ce qui ne veut pas signifier qu’elle ne recevra pas de réservistes. L’honorable membre estime que l’Allemagne renforce ses effectifs en dehors de toute pensée agressive contre la France. Elle a dû envisager cet accroissement à raison de la situation nouvelle créée par la Triple Alliance dans les Balkans et lorsqu’elle aura réalisé cet accroissement sa situation européenne sera encore inférieure à ce qu’elle était avant le conflit balkanique.

    Quelles sont les forces allemandes et françaises en présence ? Il doit tout d’abord être entendu que ni la France ni l’Allemagne ne peuvent faire la guerre avec leurs effectifs de paix.

    Chez nous, trois ou quatre classes des réserves seront à la mobilisation incorporées aux régiments actifs : un certain nombre de classes constitueront des formations de réserve et trois classes ½ iront dans les dépôts (5 à 600 000 h) Dans la loi récente des cadres de l’Infanterie on a prévu l’accouplement d’un régiment de réserve de 2 bataillons à chacun de nos régiments actifs, mais pour les formations de réserve supplémentaires tout reste à faire et il faudra de toute nécessité voter un projet analogue au projet Baudin pour organiser ces formations et les encadrer fortement. Les dernières classes de réserve dans les dépôts manqueront de S/officiers.

    Le nouveau projet militaire allemand va donner trois bataillons à 18 régiments qui n’en avaient que deux, il va renforcer les effectifs des compagnies, notamment à la frontière, créer 92 compagnies de mitrailleuses, 6 régiments de cavalerie, un plus grand nombre de batteries à cheval et permettre d’acheter 30 000 chevaux. L’hon. membre signale l’intérêt qu’il y a à arrêter ces achats en France. On prévoit encore l’augmentation du nombre de compagnies de projecteurs, de bataillons de téléphonistes ; la création de 6 compagnies du génie, de 18 compagnies cyclistes et de 18 bataillons de chasseurs à pied.

    Même avec cet accroissement, l’Allemagne ne fera pas la guerre avec ses seules forces actives et quelques jours après la mobilisation il n’y aura pas de part et d’autre un homme de plus dans les armes après l’adoption des projets militaires.

    Notons que les réservistes allemands de troupe de couverture viennent – pour la raison que tout le monde comprend – non pas d’Alsace mais de l’intérieur ; les nôtres sont à pied d’œuvre.

    Tout le problème à envisager pour la France est un problème de concentration derrière sa couverture.

    Notre couverture doit nous permettre de gagner du temps ; ce faisant, elle nous permettra de gagner des batailles. Nous sommes tous d’accord pour la vouloir très puissante. Si un danger immédiat est envisagé de ce côté, il faut en effet prendre immédiatement des mesures pour y parer, mais ce n’est pas le projet de loi qui nous permet de prendre ces mesures immédiates. Convoquons plus de classes de réservistes ; plaçons dans l’Est un certain nombre de régiments de l’intérieur, casernons-y toute notre armée coloniale (9 000 hommes) stationnée en France et pour doter en hommes nouveaux les services nouveaux de projecteurs, du téléphone, etc., affectons à ces services les compagnies divisionnaires du génie qui ne servent à rien.

    Pour les régiments de cavalerie appelons des réservistes immédiatement ; appliquons immédiatement la loi des cadres à notre couverture ; provoquons des engagements et des rengagements par des avantages sérieux, autorisons les rengagements de six mois, facilitons les devancements d’appel en portant le pourcentage légal de 4% à 10 % sans exiger de périodes de réserve supplémentaires. Si nous prenons toutes ces mesures immédiatement, notre couverture sera rapidement portée au degré de puissance voulue.

    Pour l’ensemble de l'armée d’autres mesures peuvent encore être envisagées qui en augmenteront la puissance Il faut supprimer les prélèvements faits sur l’armée de terre pur le service de la Flotte ou bien il faut qu’un nombre d’inscrits maritimes correspondant (2 500) soit affecté à l’armée de terre. Il faut admettre que des hommes n’ayant pas la taille réglementaire mais forts et bien constitués puissent être affectés au service armé ; il faut prolonger jusqu’à 25 ans la période d’utilisation des jeunes gens ajournés pour insuffisance de développement physique.

    Régler l’application de l’art. 24 de la loi du 21 mars 1905 et mettre ainsi un terme à la pléthore d’officiers de réserve d’où il résulte que nous manquons de sous-officiers. Affecter à différents corps de la métropole ( ?? midi ??) (couverture) des contingents algériens et tunisiens ?

    Affecter à la métropole deux régiments de chasseurs d’Afrique. Remplacer par des civils les militaires employés à des travaux ne constituant pas une préparation à la guerre : dans les bureaux, dans les ateliers, les hôpitaux et les services administratifs actifs. Supprimer les ordonnances des officiers sans troupe ; supprimer les musiques militaires, faire dresser les chevaux de la cavalerie par des cavaliers de remonte ayant satisfait à leurs obligations militaires. Organiser l’instruction militaire préparatoire. Rien n’a été fait encore pour encourager les initiatives privées ; il faut faciliter l’instruction au tir et à l’équitation et obtenir ensuite un recrutement intelligent : les hommes sachant monter à cheval devront êtres nécessairement affectés aux troupes montées.

    Notre chef lieu du 8e corps qui va être renforcé est très éloigné, trop éloigné de la frontière ; il faut tendre à pousser vers l’Est nos points de concentration ; développer nos moyens de transport, nos voies stratégiques qui sont notoirement insuffisantes. Réorganiser notre système de réapprovisionnement en vivres et en munitions. Se rappeler les exemples fâcheux des récentes manœuvres où des troupeaux entiers ont été égarés et où des divisions ont manqué de viande.

    Il faut, pour éviter des pertes d’effectifs à l’exercice, faire la cuisine non plus par compagnies mais par bataillons.

    N’ayons pas deux sortes d’instruction, une pour la couverture, l’autre pour l’intérieur. Créons à l’intérieur des unités d’instruction en jumelant les compagnies ; donnons tous nos soins au tir, un bon tireur remplace plusieurs hommes inexpérimentés.

    Donnons un camp d’instruction à chaque corps d’armée ; nous n’avons actuellement que 3 camps d’instruction, les Allemands en ont 29.

    Améliorons l’encadrement en améliorant la situation des S/officiers et des officiers subalternes.

    Améliorons notre matériel, dotons enfin notre cavalerie d’un canon ; donnons plus de portée à nos pièces de forteresse ; ayons aussi un matériel de place pouvant s’atteler, si nous ne voulons pas nous condamner d’avance à la défensive.

    Dotons d’urgence notre couverture de projecteurs, de téléphones. Mettons au point notre service aérostatique. Qu’on saisisse la Commission des conclusions de l’enquête qui a été ouverte.

    Toutes ces mesures permettront de ne pas revenir au service de trois ans ; toute augmentation du temps de service [mots barrés] est un pas vers l’armée de métier, or l’armée de métier ne convient qu’à une nation dont la population s’accroît ; pour les nations dont la population est stationnaire, seul le système de la nation armée peut être envisagé ; les réserves y deviennent nécessairement le centre de gravité. Avec un service de deux ans, l’armée active ne correspond qu’à un 5e de nos forces mobilisables ; avec un service de 3 ans, l’armée active correspond au quart de nos forces, et avec un service de 5 ans, un tiers.

    Nous ne pourrons pas suivre l’Allemagne sur le terrain de l’armée de caserne, force nous est de compter plus qu’elle sur nos réserves, organisons les donc.

    Conclusion : la loi de 2 ans n’a pas été appliquée comme il convenait ; elle n’a pas donné tout son rendement, donnons le lui. M. Aimond a dit au Sénat « Nous ne voterons les augmentations d’effectifs que si ces augmentations sont reconnues comme indispensables. La démonstration de cette nécessité qui a été faite ne m’a pas convaincu. Il n’y a pas à envisager un péril immédiat et si un tel péril menaçait, ce n’est pas le projet de loi qui permettrait d’y parer, mais bien des mesures immédiates du genre de celles que l’ai indiquées, et l’application de l’art. 33 de la loi du 21 mars 1905.

    Le projet du gouvernement ne se préoccupe que des formations du temps de paix, il néglige les formations de réserve. Je fais observer, en passant, que nous aurons été les premiers à prendre des mesures pour l’augmentation de nos effectifs ; le Reichstag n’a pas encore statué sur les projets militaires allemands ; demander à la France ce très lourd sacrifice d’une année de service de plus, c’est prendre une très grande responsabilité, [mot barré : « on »] le gouvernement s’expose ainsi à diminuer encore et dans de notables proportions la production nationale, je ne l’y aiderai pas.

    M. le général Pédoya, inscrit dans la discussion générale, demande le renvoi de la discussion à demain.

    M. Pierre Goujon demande le renvoi à demain.

    À la majorité de 17 voix contre 12 la Commission décide de ne pas renvoyer à jeudi la suite de la discussion.

    Proposition de M. de Montebello tendant à la clôture immédiate de la discussion générale

    M. de Montebello fait remarquer qu’on pourrait clore la discussion générale qui a eu assez d’ampleur ; il renonce personnellement à la parole. Les auteurs des contre-projets et les orateurs qui restent inscrits dans la discussion générale pourraient présenter leurs observations sur les contre-projets.

    Il y a deux courants très nets dans la Commission. Il y a ceux qui croient qu’en améliorant la loi de deux ans on atteindra le but, il y ceux qui croient qu’aux augmentations d’effectifs en Allemagne doit correspondre chez nous à donner un maximum d’effort et à prolonger d’un an la durée du service actif ; l’hon. membre supplie ces derniers de clore la discussion générale : le pays attend la décision de la Commission,

    il ne lui pardonnerait pas un ajournement plus prolongé.

    M. Lachaud dit qu’il s’était fait inscrire dans la discussion générale pour exposer les raisons qui lui font croire que le gouvernement ne pourra pas donner aux hommes de la 3e classe le logement et les soins nécessaires. La Commission refuse de l’entendre ; il lui en laisse toute la responsabilité.

    M. le général Pédoya combat la clôture ; il désire présenter la question sous un jour nouveau ; il est inscrit dans la discussion générale, on lui refuse le droit de parole, il protestera devant la Chambre.

    Proposition de M. Jaurès tendant à la clôture de la discussion générale après avoir entendu les orateurs inscrits

    M. Jaurès demande à M. de Montebello de ne pas insister sur la clôture. Il ne veut pas retarder les débats de la Commission. Le gouvernement vient d’être renversé au Sénat et il pense qu’il serait en effet très mauvais que les travaux de la Commission puissent paraître à la merci d’un changement de cabinet, mais d’autre part M.M. Lachaud, Georges Leygues et le général Pédoya restent inscrits dans la discussion générale, il demande donc que la clôture de cette discussion ne soit pas prononcée qu’après les avoir entendus.

    M. de Montebello estime que la Commission précisément à raison de la chute du ministère doit être appelée dès aujourd’hui à émettre un vote.

    M. Treignier ne s’explique pas cette hâte ; il fait observer que les documents demandés au ministère ne sont pas encore parvenus à la Commission.

    M. le président La Commission se trouve en présence de deux propositions : celle de M. de Montebello qui demande la clôture de la discussion générale ; celle de M. Jaurès qui demande cette clôture après l’audition des trois orateurs qui restent inscrits.

    Adoption de la proposition de M. de Montebello

    À la majorité de 17 voix contre 16 la proposition de M. de Montebello est adoptée.

    M. Vandame demande à la Commission de nommer dès maintenant un rapporteur.

    M. P. Goujon demande qu’on renvoie la suite de la discussion à jeudi ; d’ici là l’émotion qui s’est emparée de certains de nos collègues se sera calmée et ils consentiront sans nul doute à présenter leurs observations sur les contre-projets.

    Suite de la discussion renvoyée au jeudi 20 mars 1913

    La Commission décide par 11 voix contre 3 de renvoyer à jeudi la suite de la discussion.

    M. Driant proteste contre les lenteurs de la discussion ; il s’étonne que la Commission puisse perdre son temps à examiner encore un contre-projet instituant les milices alors que la Chambre et elle-même ont déjà repoussé ce projet.

    M. le président fait observer que la Commission est régulièrement saisie de contre-projets et qu’elle doit réglementairement les examiner avant d’aborder la discussion du projet lui-même.

    La Commission fixe ainsi l’ordre du jour de sa prochaine séance de jeudi :

     1° Nomination d’un rapporteur provisoire

     2° Discussion des contre-projets

     3° Discussion du projet de loi.

    Le président,

    Joseph Reinach

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