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Séance du vendredi 21 mars 1913

  • Recrutement

    Contre-projet de M. Messimy (suite)

    Contre-projet de M. Jaurès

    Rejet

    Renvoi du contre-projet du général Pédoya à une autre séance

    Contre-projet de M. Messimy (suite)

    Non prise en considération du contre-projet de M. Messimy

    Présidence de M. Treignier

    Recrutement

    Contre-projet de M. Messimy (suite)

    Suite de l’audition de M. Messimy sur son contre-projet. Il insiste sur la différence de la mise en congé et de la libération. Le contre-projet supprime la période de crise qui s’étend du moment où la classe est libérée à celui où les recrues sont mobilisables. Le jeu du contre-projet sera plus facile que celui de l’art. 33 et n’appellera pas au même degré l’attention étrangère.

    Le contre-projet s’inspire de l’esprit de la loi de [mot barré : « trois »] deux ans ; il sauvegarde le principe de l’égalité, son application devra se compléter de toutes les mesures aptes à réaliser l’utilisation maxima de nos forces militaires. (engagements de trois ans, pelotons de robusticité)

    Établir le service intégral de trois ans serait dépasser le but ; on aurait presque des effectifs surabondants et le gaspillage en irait croissant.

    Au contre-projet on ne peut faire que deux reproches qui sont d’ailleurs des éloges pour son auteur : il rend impossible la création d’unités nouvelles, alors que le service intégral de trois ans permettra de créer un corps d’armée de plus.

    Le second reproche est celui-ci : le fait de la mise en congé d’une classe en février caractérise une politique défensive, ce qui ne veut pas dire : tactique ou stratégie défensive. C’est au contraire pour M. Messimy l’éloge le plus marqué du projet.

    M. Jaurès demande si M. Messimy a la certitude que certaines augmentations d’effectifs sont, dans l’esprit du gouvernement, destinées à des créations d’unités nouvelles.

    M. Messimy répond affirmativement. (Deux régiments de cavalerie, artillerie lourde, unités techniques)

    M. Jaurès demande si la mise en congé doit s’appliquer également à la couverture.

    M. Messimy  À toute l’armée.

    M. Dutreil demande si l’art. 6 jouera par simple décision du commandant du corps d’armée ou par décision ministérielle.

    M. Messimy En règle générale, le commandant du corps d’armée ne fera rien sans en référer au ministre ; j’ai voulu éviter de souligner la gravité éventuelle des évènements.

    M. Driant dit qu’il avait été tout d’abord très séduit par le contre-projet de M. Messimy, mais qu’à la réflexion il s’était aperçu que ce contre-projet aboutirait, au moment de la mise en congé, à réaliser une situation inférieure au statu quo, puisqu’on serait amené à amputer d’un tiers l’effectif des compagnies.

    M. Jaurès dit qu’il faudrait savoir si les hommes envoyés en congé seraient considérés comme réservistes du 1er ou du 2e échelon.

    M. Messimy se retire.

    Contre-projet de M. Jaurès

    M. Jaurès développe son contre-projet.

    Je discuterai en même temps le contre-projet de M. Vaillant.

    Vous avez à faire face à un problème qui se détermine par la nécessité de renforcer la couverture. Je tiens à déclarer que nous sommes préoccupés au plus haut degré de ce problème. Il était impossible que l’Allemagne ne fut pas tentée d’user de l’augmentation de sa population pour développer sa puissance militaire et c’est bien avant le dépôt des projets allemands que nous avons présenté la solution qui seule, à notre avis, permet d’y répondre. Nous ne faisons donc pas aujourd’hui une vaine manifestation.

    C’est un fait que dans le monde on s’oriente vers le service à court terme et l’utilisation de plus en plus intensive des réserves.

    La Suisse, la Belgique ont le service de 18 mois pour l’infanterie et le service d’un an y est prochain. L’exemple des armées balkanique est caractéristique. Ce sont non pas des armées miliciennes, mais de armées où les traits de la milice prédominent. Ces armées ont donné des preuves de leur valeur, de leur endurance et de leur élan.

    Les Serbes et les Bulgares n’ont en réalité qu’un service de six mois. Dans leurs armées mobilisées, la part de l’active est au regard de la part faite à la réserve huit fois moindre.

    Au Japon, j’en ai acquis l’assurance personnelle d’un homme d’État japonais, on étudie l’organisation des milices avec le service d’un an.

    Il est malaisé d’aller contre un courant aussi universel, mais je ramène le problème à la France. Je veux démontrer que la seule manière de parer au danger est non pas de rétrograder vers le service de 3 ans, mais d’aller au contraire vers les milices.

    Nous ne vous appelons pas à voter sur un système tout fait, mais sur une tendance.

    Qu’allez-vous faire ? Vous allez revenir au service de 3 ans ? Il y a entre votre attitude d’hier et celle d’aujourd’hui une contradiction qui ne peut qu’être funeste à notre organisation militaire.

    Au mois de juin, M. Millerand a envisagé une utilisation plus intensive des réserves bien encadrées. Il a dit que les formations de réserve participeraient aux batailles de choc. Où est l’esprit de suite ? Votre effort devait se porter sur l’augmentation des cadres et sur le perfectionnement de la préparation militaire de la jeunesse. Au lieu de cela, vous dites aujourd’hui : gardons une classe de plus.

    J’accepte l’idée d’un danger inattendu ; j’accepte cette idée de 350 000 allemands se ruant en deux ou trois jours sur notre frontière. En quoi votre loi des 3 ans va-t-elle permettre de parer à ce danger ? Si le péril est réel, c’est un crime contre la nation que de se borner à un expédient aussi inefficace. Vous avez 104 000 h sur la couverture ; on va jeter en deux ou trois jours 350 000 allemands contre eux. Pour avoir une force équivalente, il vous faut donc 250 000 h de plus. Or que vous donnera la loi des 3 ans ? 100 000 hommes. De sorte qu’en admettant l’envoi total de ces hommes sur la couverture, ce qui n’entre pas dans votre intention, il vous manquera 150 000 h pour être à égalité avec l’Allemagne.

    Mais vous n’envoyez que 50 000 h de plus à la couverture, alors ?

    Vous êtes en train de jeter la panique dans ce pays en lui annonçant un péril contre lequel vous prenez ensuite des précautions dérisoires.

    Et où mettez-vous ces 50 000[h] de plus ? Le gouvernement ne veut pas les porter en totalité sur les unités des corps frontière afin de pouvoir encadrer les réserves. Et il dirige ces 50 000 h non plus sur 3 mais sur 5 corps d’armée ; ainsi vous n’ajoutez à vos forces d’extrême frontière que 50 000 h environ.

    Voilà la loi des trois ans ; c’est une loi d’illusion ; vous aurez trompé le pays et empêché qu’on songe aux moyens efficaces de défense.

    Et vous commencez à ouvrir les portes de l’exemption.

    Ce qui constitue une charge, ce n’est pas d’avoir des enfants vivants, c’est de les avoir élevés.

    Le pullulement des enfants dans l’Ouest donnera en fait à cette région le service de 2 ans.

    Parmi ceux qui vont voter la prolongation du service jusqu’à trois années, il n’en n’est pas un sur dix qui ne soit d’avance résolu à accorder, au cours de la 3e année, de longs congés à nos paysans et alors quels seront les effectifs disponibles ?

    Vous aurez 30 000 [h] de plus sur la couverture pendant les quatre mois d’hiver, c'est-à-dire pendant ces mois où les chances d’agression sont les plus faibles.

    C’est une mystification ; ou bien vous réalisez le service de 5 ans ou de 6 ans qui vous donnera des forces égales à celles des Allemands ou vous vous bornez à faire une loi d’illusion.

    La résolution efficace pour la couverture, c’est celle du général Maitrot dont j’ai déjà parlé ; je rappelle à ce sujet le vœu émis par le Conseil général de la Meuse.

    Le total des 11 classes de réservistes habitant sur le territoire des 3 corps frontière dépasse, à ma connaissance, 200 000 h. Ajoutez ces 200 000 h aux 104 000 h de notre couverture actuelle, et vous obtenez 304 000 h. Pour 5 corps, le total serait de 500 000 h.

    Voilà ce qu’il faut faire.

    Or, vous n’incorporez que les 4 premières classes ; les réservistes des sept autres classes se forment en arrière. Pourquoi.

    (Présidence de M. Treignier)

    Et s’il est vrai, comme vous le dites, qu’on incorpore les 11 classes, alors de votre propre aveu vous avez 300 000 h.

    Mais la vérité est que ne les incorporez pas et que vous ne comptez pas sur vos réserves. Le général Joffre a dit d’elle qu’il faudrait un mois pour les mettre en train et il a ajouté qu’alors tout serait réglé. Or, pendant tout un temps, on a fait ?? ?? sur les réserves ; M. Millerand a proclamé leur valeur et la nécessité de leur emploi.

    Que le Conseil Supérieur de la guerre soit donc fidèle à lui-même.

    On dit que nos effectifs de l’intérieur sont des effectifs squelettes, mais de toutes façons, même après l’appoint que vous compter leur donner, ces régiments devront pour partir attendre leurs réservistes, vous ne hâterez donc pas leur mobilisation.

    Le mal vient de ce que vous considérez vos effectifs de caserne comme des effectifs essentiels, principaux. Le remède est de considérer le régiment actif comme une école militaire et non comme une force de combat immédiat.

    Pour la cavalerie, il y a la solution indiquée par M. Augagneur. (Préparation militaire, dressage en dehors des régiments)

    C’est dans ce sens qu’il faut chercher la solution ; la vôtre n’est pas seulement à nos yeux un déplorable retour vers un régime aboli, c’est un affaiblissement de la valeur morale de notre armée qu’envahira le ??défaut ??, que rongeront les dispenses, les privilèges de toutes sortes.

    Votre loi est une loi de routine et de paresse intellectuelle, vous faites ce qu’il y a de plus facile.

    Il est presque sans exemple qu’une grande administration comme est la Guerre – réforme d’elle-même ses méthodes pour les adapter à des nécessités nouvelles. Si les grandes corporations avaient dû se réformer elles-mêmes, il n’y aurait pas eu de révolution ; de même pour le parlement, l’Église, l’université.

    M. Augagneur L’académie de médecine a proclamé en 1866 que l’ovariotomie était un crime.

    M. Jaurès Et voilà pourquoi, quand on vient dire à un pays, incline toi parce que le Conseil Supérieur de la guerre le veut, on commet une erreur funeste à laquelle d’ailleurs on ne se tiendra pas. Notez en effet que le Conseil Supérieur a réclamé le service de 3 ans intégral. Que nous répondez-vous après avoir admis vos dispenses, lorsque nous objecterons à notre tour l’avis du Conseil Supérieur ?

    Notre contre-projet s’inspire cette idée ; il y a beaucoup à faire, beaucoup plus, infiniment plus que vous ne le faites vous-mêmes.

    M. Paté Il ne faut pas comparer la France à la Suisse ou à la Belgique, lorsqu’on envisage son organisation militaire. L’armée française ne doit pas se borner à être une armée défensive, de tactique exclusivement défensive.

    En ce qui concerne la nécessité d’améliorer la préparation militaire de notre jeunesse, je suis entièrement d’accord avec M. Jaurès.

    Pour les réserves, nous n’avons jamais douté d’elles et nous n’en doutons pas davantage aujourd’hui, mais encore faut-il pouvoir les encadrer.

    Pour le surplus, je m’en rapporte à mon rapport sur la proposition de loi de M. Jaurès et je prie la Commission de repousser le contre-projet de notre collègue.

    M. Jaurès Vous vous trompez si vous croyez avoir à faire à une proposition d’ordre purement théorique ; je suis convaincu que si vous allez au service de 3 ans, l’expérience sera si détestable, si désastreuse que vous aurez mûri et avancé d’une génération l’idée que vous allez sommairement écarter aujourd’hui.

    Notre projet n’est pas un saut dans l’inconnu ; nous ne demandons pas son application immédiate ; c’est le développement rationnel de la loi des deux ans qui, à nos yeux, n’a été qu’une étape.

    M. Joseph Reinach Je serais partisan du contre-projet de M. Jaurès que je ne me reconnaîtrais pas le droit de tenter l’expérience de son application en présence d’une augmentation aussi formidable que celle dont a bénéficié l’armée allemande. Nous devons agir sans retard. la situation actuelle est si grave que nous devons garder la classe en 7bre prochain. Les conceptions théoriques les plus belles doivent céder le pas à ce devoir. Je voterai donc contre le contre-projet.

    Rejet

    A la majorité de 17 voix contre 5, le contre-projet n’est pas adopté.

    Renvoi du contre-projet du général Pédoya à une autre séance

    Le contre-projet du général Pédoya est renvoyé à une autre séance.

    Contre-projet de M. Messimy (suite)

    Le contre-projet de M. Messimy est mis en discussion.

    M. de Montebello Le contre-projet de M. Messimy sauvegarde le principe du service de trois ans, tout en allégeant son application, mais il soulève des difficultés en ce qui concerne la mise en congé dont on ne sait pas si elle sera facultative ou obligatoire. Je demande donc à la Commission de ne pas prendre ce contre-projet en considération et d’aborder tout de suite l’examen de l’art. 12 du projet de loi qui pose le principe des trois ans. Les mesures d’allègement seraient envisagées ensuite.

    M. Voilin On ne gagnerait rien à cette procédure. Toutes les questions qu’on aurait disjointes ici, se poseraient à nouveau devant la Chambre.

    M. Jaurès Il ne vous sera pas possible en effet de vous en tenir, par le vote de l’art. 12, à une déclaration de principe. Après avoir écarté les contre-projets Pédoya et Messimy, vous resterez en face de tous les amendements qui prévoient des allègements au service. Ne dites pas au pays, nous votons le service de trois ans, si vous ne lui dites pas en même temps que ce service sera ou non de 3 ans pleins. Je repousse la procédure proposée par M. de Montebello.

    (Présidence de M. de Montebello)

    M. de Montebello J’ai dit que la meilleure méthode était à mon avis d’aborder la discussion du projet du gouvernement et j’ai simplement proposé de commencer par l’examen de l’art. 12 qui pose la question de principe.

    M. Fournier-Sarlovèze Pour moi, aller plus vite, j’étais prêt à aborder la discussion du contre-projet de M. Messimy par son art. 2 qui lui aussi pose la question de principe, mais je me rallie volontiers à la procédure proposée par M. de Montebello.

    M. Joseph Reinach Voter l’art. 2 du contre-projet Messimy et en disjoindre les autres articles, comme est dans l’intention de certains de nos collègues, ne serait pas gagner du temps ; j’appuie à ce sujet l’observation de M. Voilin ; toutes les questions ainsi éliminées se poseraient à nouveau devant la Chambre ; le mieux est d’aborder la discussion de l’art. 12 du projet de loi.

    M. Jaurès J’y consens, mais je ne veux pas qu’il y ait de malentendu; le mieux serait peut-être de combiner dans un article unique le principe de la durée du service et les mesures d’allègement.

    M. Fournier-Sarlovèze Je suis d’accord avec vous sur ce dernier point.

    M. Georges Leygues Si je pouvais prendre en considération le contre-projet de M. Messimy sans être lié jusqu’au bout, je le ferais volontiers parce qu’il contient le germe de dispositions dont je suis décidé à demander l’insertion dans la loi.

    Nous sommes obligés d’augmenter nos effectifs, nous sommes donc obligés d’augmenter la durée du service militaire. Nous devons instituer le service intégral de trois ans, j’espère que nous pourrons, je pense, mettre sur pied un projet qui assurera la défense du pays et n’imposera à notre peuple, à nos paysans que l’effort strictement nécessaire. je ne voterai pas le contre-projet de M. Messimy, mais je me réserve de m’inspirer de certaines de ses dispositions afin d’atténuer, dans la mesure du possible, la lourdeur du fardeau qui doit peser sur les épaules des citoyens de ce pays.

    M. Joseph Reinach et M. de Montebello s’associent à cette déclaration.

    M. de Montebello, Président. Lorsque viendra en discussion le projet du gouvernement, nous aurons tous droit d’amendement.

    Non prise en considération du contre-projet de M. Messimy

    La Commission décide, à l’unanimité, de ne pas prendre en considération le contre-projet de M. Messimy.

    Le contre-projet du général Pédoya est inscrit à l’ordre du jour de la prochaine séance.

    M. Denis est nommé rapporteur du N° 2601.

    Le président,

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