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Séance du jeudi 27 mars 1913

  • Recrutement

    Discussion générale

    Suspension de séance

    Reprise de la séance et audition de M. Barthou, Président du Conseil - voir sténographie

    Article 12 du projet de loi

    Amendement de M. Jaurès

    Audition de M. Étienne, ministre de la Guerre (voir sténographie)

    Vote sur l’amendement de M. Jaurès à l’article 12

    Rejet du 1er §

    Rejet du 2e §

    Adoption du 3e §

    Rejet du 4e §

    Rejet du 5e §

    Explications de vote de M. Painlevé

    Motion d’ajournement de M. Jaurès

    Rejet de la motion d’ajournement de M. Jaurès

    Explications de vote de M. Voilin

    Adoption de l’article 12

    Présidence de M. Joseph Reinach, vice-président

    Recrutement

    Discussion générale

    M. le président fait connaître à la Commission que MM. Barthou, Président du Conseil et Étienne, ministre de la Guerre lui ont téléphoné dans la matinée pour l’informer qu’ils comptaient se présenter devant la Commission dès l’ouverture de sa séance pour lui faire une communication. D’autre part, M. Étienne, retenu au Sénat par la discussion de la loi des cadres a fait savoir qu’il ne pourrait être présent à la Chambre avant 4 h.

    M. le président propose à la Commission d’aborder en attendant la discussion du projet de loi du recrutement.

    M. Jaurès dit qu’il convient avant de discuter ce projet au fond de connaître la communication du gouvernement et il demande une suspension de séance.

    Cette proposition mise aux voix est adoptée à l’unanimité.

    Suspension de séance

    La séance est suspendue à 3 h 5.

    Elle est reprise à 4 h.

    Reprise de la séance et audition de M. Barthou, Président du Conseil - voir sténographie

    MM. Barthou, Président du Conseil, est introduit.

    (Déposition sténographique).

    MM. le président du Conseil  se retire.

    Article 12 du projet de loi

    Amendement de M. Jaurès

    M. le président annonce qu’il a été saisi par M. Jaurès d’un amendement à l’article 12 par lequel la Commission a décidé de commencer la discussion du projet de loi. Cet amendement est ainsi conçu : « À partir du mois d’octobre 1914, le service actif sera d’une durée de 18 mois la classe sortante sera libérée le 10 avril.

    2 § Les jeunes gens de 17 ans à 21 ans seront tenus sur la convocation de l’autorité militaire à un jour par mois d’exercices, marches, tir équitation …

    3 § Le recrutement sera organisé de telle sorte que les réservistes soient le plus près possible du centre des unités actives où ils auront fait leur service et qu’ils devront rejoindre au moment de la mobilisation.

    4 § Indépendamment des convocations prévues à l’art. 41, les réservistes des quatre plus jeunes classes seront convoqués une fois par trimestre et pour une durée qui ne pourra dépasser deux jours à des manœuvres de marche et de tir avec des unités actives auxquelles ils appartiennent.

    5 § A partir du mois d’octobre 1916, la durée du service actif sera d’un an, et à partir du mois d’octobre 1918, elle sera de dix mois.

    M. Jaurès Je veux surtout à propos de cet amendement répondre à M. Georges Leygues. Avant de vous prononcer sur l’art. 12 et ses modalités, je demande qu’on entende M. le ministre de la Guerre sur la question à laquelle, au dire de M. Le Pt du Conseil, seul le ministre de la Guerre peut répondre.

    Au moment de la discussion du contre-projet de M. Messimy, MM. Georges Leygues, Joseph Reinach, Fournier-Sarlovèze ont indiqué qu’à leur sens si le principe du service de 3 ans devait être adopté, ce service n’en impliquait pas moins dans leur esprit l’octroi de larges congés pendant lesquels le soldats de la 3e année resteraient à la disponibilité du ministre.

    Or, pour le pays, ce n’est pas seulement le principe du service de 3 ans qui importe, c’est aussi, c’est surtout, la durée réelle, effective du service.

    Je demande donc à la Commission qu’elle ne se prononce pas seulement à l’art. 12, sur un principe, mais sur son application réelle. Il y a donc lieu d’entendre au préalable M. le ministre de la Guerre sur la durée des congés à inscrire à cet article.

    Sous cette réserve, j’aborde le fond du débat.

    M. Georges Leygues nous a dit qu’un peuple libre doit assurer son indépendance par ses propres moyens ; je suis à ce sujet d’accord avec lui ; l’alliance la plus précieuse serait un désastre et une servitude si elle apparaissait au pays comme la condition absolue et suffisante de sa sécurité. Je suis donc d’accord avec M. Georges Leygues sur la nécessité pour un peuple d’être le plus fort possible. Plus une nation se croit appelée à représenter une grande idée, plus forte elle doit être. Comme l’a dit Machiavel : « L’histoire rit des peuples désarmés ».

    Plus nous tenons à voir la France offrir l’arbitrage intégral, en cas de conflit, plus nous tenons aussi ce qu’elle dispose à ce moment d’une force défensive bien organisée.

    Comment se pose le problème ? Vous nous parlez des augmentations données à la puissance militaire allemande. Je vous réponds que nous sommes, dès l’abord, avec la loi de 2 ans, allés jusqu’au maximum de notre effort. L’Allemagne, elle, a réservé une part de ses forces, de son contingent ; elle pourra demain, après-demain faire des efforts nouveaux. Comment y pourriez-vous répondre ?

    M. J. Reinach a dit qu’il fallait établir à l’avance la fixité de nos effectifs déterminés d’après nos besoins. Non pas. C’est le peuple même de France, dans sa totalité d’énergie que vous devez organiser, armer, dresser contre les dangers extérieurs et le problème n’est pas de faire de nouvelles lois de recrutement mais bien de faire passer dans la réalité la loi de 2 ans que nous n’avons qu’inscrite sur le papier, de lui donner tout son rendement, de préparer militairement toute la nation à son devoir, d’organiser et d’encadrer nos réserves, toutes nos réserves.

    Nous proposerons à cet effet à la Chambre de dispositions législatives.

    Vous voulez habituer le pays à ne concevoir la résistance au choc allemand que par la force de son armée active ;cette conception peut nous être funeste. Vous vous méprenez d’ailleurs sur la nature même de l’esprit allemand qui, dans les questions militaires comme dans les autres, apporte une habitude de complexité. L’Allemagne est loin de n’envisager que la très simple hypothèse d’une attaque brusquée réalisée avec une partie de ses forces. Le général von Bismarck a déclaré lui-même « qu’une offensive ne voulait pas dire invasion brusquée ». Les Allemands savent que rien n’est varié et imprévisible comme la guerre, dont ils disent qu’elle est un « caméléon » et dans leur esprit, l’hypothèse d’une attaque brusquée n’exclut nullement les autres ; ils prévoient des combinaisons stratégiques où l’emploi total de leurs réserves sera nécessaire et ils disent qu’il vaudrait mieux être en retard que de compromettre la campagne par une hâte imprévoyante.

    Ils envisagent un ruineux effort d’enveloppement portant sur la totalité de notre frontière, appuyant aile droite à la mer, débordant sur la Belgique et la Hollande avec une pointe centrale sur le Luxembourg et se bornant sur l’aile gauche

    à contenir en Lorraine l’offensive française.

    On céderait un peu en Lorraine et on avancerait par le nord en ayant Luxembourg comme pivot et comme soutien la place de Trèves.

    Ce plan n’a rien de commun d’une attaque brusquée. Je n’exclus pas l’hypothèse d’une telle attaque, mais je veux que la France se prépare aussi contre tout autre éventualité. Vous, par contre, vous n’envisagez que cette hypothèse.

    M. Driant Parce que c’est la plus dangereuse.

    M. Bénazet La première.

    M. Jaurès Il y aurait à mon sens le plus grand danger à se borner à ne prévoir qu’elle. Or, pour se préparer à parer aux autres, il faut organiser l’ensemble de nos forces militaires et de nos réserves stratégiques, en même temps que fortifier au Nord comme à l’Est notre ligne de frontières. Mais la dépense de la loi de 3 ans vous permettra-t-elle de créer des fortifications ?

    Il est tout à fait fâcheux de constater que la nation ne se préoccupe qu’aux heures de crise de ses moyens de défense ; ses grands conseils techniques ne communiquent pas assez intimement avec elle. Si notre ligne de forteresses était plus forte, plus continue et si nos réseaux de communication étaient mieux établis et plus complets le problème angoissant de la couverture perdrait singulièrement de son acuité. Le devoir de la Commission de l’Armée serait de signaler les améliorations à réaliser.

    M. Driant Mais est-ce le moment ? Nous perdons notre temps à discuter et le temps presse.

    M. Jaurès Je réponds comme c’est mon droit à M. Georges Leygues. J’envisage un danger, je le signale, comme c’est mon devoir. Je désire proposer, étudier des solutions positives et non pas seulement faire œuvre négative, comme on nous le reproche parfois.

    Il ne suffit pas d’avoir des voies ferrées perpendiculaires à la frontières et y conduisant, il faut, de Dunkerque à Belfort, construire des lignes latérales qui permettront de transporter des troupes d’un point à l’autre de la ligne attaquée.

    La thèse de M. Georges Leygues est en contradiction avec celle de la plupart des défenseurs de la loi de 3 ans ; notre collègue demande lui – non plus un renforcement de 30 000 h sur la couverture – mais l’envoi en couverture de la presque totalité (100 000 h) de l’augmentation d‘effectif prévue. Même ainsi posée la question n’est pas résolue et l’écart entre nos forces et les forces allemandes reste considérable sur la couverture, il reste, si je prends les chiffres rectifiés du Temps de 500 000 h pour les Allemands, de 300 000 h. Toute la campagne pour le service de 3 ans est née de la nécessité partout démontrée d’augmenter notre force de couverture et vous n’atténuez le déséquilibre que d’un ¼.

    J’ajoute pour ceux qui ne suivent pas M. Leygues dans sa répartition des effectifs, que 70 000 de plus ajoutés aux effectifs de l’intérieur ne vous permettra nullement d’accélérer notre mobilisation puisque les régiments de l’intérieur devront tout de même attendre des réservistes avant de partir.

    La mobilisation ne peut être accélérée que par des dispositions du recrutement, la mise en état de tous les moyens de communication, la préparation militaire de tous, la constitution sur la frontière, comme le demande le général Maitrot d’une « marche lorraine » où tous les réservistes pourront partir sur l’heure. C’est là qu’est la solution et il ne faut pas la compromettre par un esprit de routine.

    Nous pourrions vous laisser faire l’expérience que vous allez tenter ; elle ne durera pas ; les choses qu’on fait contre les idées et les mœurs ne durent pas. Le service de 3 ans était acceptable lorsqu’il succédait au service de 5 ans ; le service de 2 ans est aujourd’hui acclimaté dans le pays. C’est un courant que vous ne remonterez pas. Vous essaierez, vous ferez un moment votre loi ; vous donnerez ainsi des arguments à ceux qui en dehors de France veulent maintenir les vieux systèmes militaires de castes et d’iniquités, vous barrerez la route au mouvement socialiste et libéral allemand.

    La Gazette de Voss propose déjà de ramener le service militaire des fantassins allemands à 18 mois, et, celui des cavaliers à 2 ans ; l’Allemagne y marche ; vous retarderez ce mouvement par votre loi de 3 ans, mais lorsque l’Allemagne aura institué pour toutes ses troupes le service de 2 ans, je vous défie de maintenir en France le service de 3 ans.

    Audition de M. Étienne, ministre de la Guerre (voir sténographie)

    Audition de M. Étienne, ministre de la Guerre (Sténographie)

    Vote sur l’amendement de M. Jaurès à l’article 12

    M. Driant Je demande à la Commission de se prononcer dès ce soir sur l’art. 12. Puisque la Chambre ne pourra donner son avis avant notre séparation de Pâques, il importe que la Commission tout au moins donne le sien.

    M. Jaurès Si vous voulez faire une manifestation, qu’elle soit tout au moins claire ; vous n’avez aucun intérêt à lancer dans ce pays indication imprécise.

    Rejet du 1er §

    Le 1er § de l’amendement de M. Jaurès est repoussé par 18 voix contre 4.

    Rejet du 2e §

    Le 2e § est repoussé par 13 voix contre 9.

    Adoption du 3e §

    Le 3e § est adopté par 13 voix contre 0.

    Rejet du 4e §

    Le 4e § est repoussé par 15 voix contre 7, après une déclaration de M. Vandame sur les difficultés insurmontables qu’entraînerait, à son avis, l’application de ce §.

    Rejet du 5e §

    Le 5e et dernier § est repoussé.

    M. le président donne lecture de l’art.12 qu’il se propose de mettre aux voix.

    Explications de vote de M. Painlevé

    M. Painlevé demande à expliquer son vote.

    L’honorable membre se refuse à se prononcer sur cet article, c'est-à-dire, sur le principe du service de 3 ans, avant de savoir ce qu’on entend faire du service militaire ainsi établi. On a donné jusqu’ici à la Commission qui ne valent qu’avec le service de 3 ans intégral et on a envisagé ensuite des atténuations dans la durée effective du service.

    D’autre part, la Commission ignore encore comment seront répartis les effectifs qui résulteront du nouveau système. On est en présence d’une véritable improvisation. D’autre part, la question est ainsi posée moralement que reculer devant le service de 3 ans serait exposer la France à consacrer sa déchéance devant le monde. L’honorable membre regrette vivement qu’on ait ainsi posé la question devant l’opinion, mais ceci dit, il ne saurait cependant accepter la responsabilité de voter dans la hâte et sans une étude attentive une réforme aussi importante pour le salut du pays Il fallait laisser l’Allemagne prendre d’abord ses responsabilités, tout en étudiant en même temps dans le silence et avec le plus grand soin les mesures qui auraient constitué notre réplique après le vote du Reichstag.

    Tout en reconnaissant la gravité morale de sa décision, l’honorable membre, se refusant à improviser des textes, dans le vague, et sans renseignements précis, déclare qu’il ne peut pas prendre part au vote.

    Motion d’ajournement de M. Jaurès

    M. Jaurès présente une motion d’ajournement ainsi conçue : « Le vote sur l’art. 12 est ajourné jusqu’au dépôt des textes annoncés par le ministre de la Guerre au sujet des congés à accorder aux hommes. »

    Rejet de la motion d’ajournement de M. Jaurès

    À la majorité de 16 voix contre9, cette motion n’est pas adoptée.

    Explications de vote de M. Voilin

    M. Voilin explique le vote des membres socialistes de la Commission. Le sacrifice qu’on demande au pays l’écrasera et il n’est pas démontré que ce sacrifice soit indispensable ou même donnera les résultats qu’on attend. On n’a pas dit quel usage serait fait des effectifs. Nous ne pourrons non plus nous prononcer sur le projet sans savoir quelle sera la durée effective du service. Sera-t-elle de 26, de 28 ou de 36 mois ? Vous laissez le pays dans l’incertitude. Pour toutes ces raisons, nous voterons contre l’art. 12.

    Adoption de l’article 12

    À la majorité de 20 voix contre 9, l’art. 12 est adopté.

    M. Paté dit qu’il s’entretiendra avec le ministre de la Guerre sur la question des congés et permissions.

    Le président,

    Joseph Reinach

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