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Séance du jeudi 27 mars 1913

  • Audition de M. Louis Barthou, Président du conseil

    Audition de M. le ministre de la Guerre

    Audition de M. Louis Barthou, Président du conseil

    M. Joseph Reinach, président Monsieur le Président du Conseil, hier soir M. le Ministre de la Guerre m'a prié d'ajouter à l'ordre du jour de la séance d'aujourd'hui de la commission de l'armée l'audition du président du Conseil et du ministre de la guerre. Nous nous sommes réunis d'abord à trois heures; nos collègues ont pensé qu'ils devaient suspendre leur séance jusqu'à quatre heures, heure à laquelle il serait possible de vous entendre et d'entendre M. le ministre de la guerre.

    M. Louis Barthou, président du conseil Je remercie la commission de l'armée d'avoir bien voulu m'entendre. Il est très exact, comme l'a rappelé votre président, qu'hier soir je lui ai demandé, au nom de M. le Ministre de la guerre et en mon nom personnel, de vouloir bien nous convoquer aujourd'hui, ou plutôt faire savoir à la commission de l'armée que nous nous rendrions devant elle.

    Mon collègue M. le ministre de la guerre est retenu au Sénat. J’ai appris par M. le président que vous aviez suspendu votre séance jusqu'à quatre heures. Je n'ai pas voulu prolonger davantage cette suspension, et je tiens à vous faire une déclaration, en l'absence de M. le ministre de la guerre, mais, cela va de soi, complètement d'accord avec lui.

    Je tiens à protester tout d'abord contre le caractère qui a été donné dès ce matin à la démarche que j'ai faite auprès de la commission de l'armée. Il n'a pu entrer à aucun moment, ni dans mon esprit ni dans l'esprit de M. le ministre de la guerre, d'essayer d'exercer une pression sur la commission de l'armée, ni de vouloir dans une mesure quelconque, brusquer les délibérations de cette commission. Mon désir d'être entendu par la commission de l'armée a procédé d'un sentiment tout a fait différent, et je tiens à dire tout de suite, pour dissiper tout malentendu, que c'est par déférence pour cette grande commission et pour l'importance de ses travaux, que j'ai voulu être entendu par elle. J’ai fait, en effet, des déclarations à la tribune de la Chambre des députés, j'ai fourni des explications à la suite de la déclaration ministérielle. Ces explications n'ont pas paru être comprises de tout le monde, et je veux les confirmer devant vous, en essayant de les préciser.

    Un premier point d'abord : les déclarations que je fais, je les fais comme président du conseil, et de même que M. Briand, mon prédécesseur, avait déclaré que son cabinet tout entier était solidairement partisan de la loi de trois ans, c'est au nom du Gouvernement tout entier que je viens vous dire que nous maintenons les termes du projet qui a été déposé par l'honorable M. Étienne.

    Je répète qu'il n'est pas dans les intentions du Gouvernement de précipiter les travaux de la commission. Le Gouvernement se rend compte de l'importance des projets que la commission doit examiner; ces projets engagent des intérêts de toutes natures et qui sont des intérêts vitaux pour le pays. Nous comprenons à merveille qu'ils exigent une discussion approfondie. La commission de l'armée s'y est livrée, nous l'en remercions.

    D'un autre coté, à plusieurs reprises j'ai fait des déclarations très nettes, soit avant la constitution du ministère, soit une fois le ministère constitué. Ce qui importe évidemment, ce sont les seules paroles qui engagent ma responsabilité de président du conseil; au surplus, loin de les contredire, elles se font que confirmer les déclarations que j'avais faites au moment où j'étais chargé de constituer le cabinet.

    Je déclare que, si nous sommes irréductibles sur le principe de la loi de trois ans, nous n'avons jamais dit, nous n'avons jamais pensé que le projet qui a été déposé par l'honorable M. Étienne soit un projet intangible dans toutes ses dispositions. Ce projet de loi ne constitue pas un dogme dont on ne puisse modifier aucune disposition.

    Il est donc entendu que le Gouvernement est prêt à donner toute sa collaboration à la commission de l'armée, non seulement pour faire adopter le principe sur lequel il est irréductible, mais pour examiner une à une les dispositions mêmes du projet de loi. Nous le faisons, Messieurs, d'abord pour respecter la liberté de la commission, à laquelle personne ne pourrait songer à porter atteinte, pour respecter ensuite la liberté de la Chambre, à laquelle personne encore ne songerait à attenter. Nous le faisons avec la conviction que cette discussion approfondie aura pour résultat de démontrer, surtout en présence des armements extérieurs, la nécessité inéluctable du service de trois ans.

    Messieurs, il était dans mes intentions hier de vous demander d'examiner tout d'abord l'article 12. L'article 12 du projet déposé par l'honorable M. Étienne pose, en effet, le principe de la durée du service militaire de trois ans, et l'on peut dire que l'ensemble du projet est subordonné à cet article, dont les différentes dispositions du projet ne sont que l'application.

    La commission de l'armée, avant d'y être respectueusement invitée par le Gouvernement, avait pris cette décision; je sais qu'elle délibérait sur l'article 12. M'est-il permis, Messieurs, d'exprimer un désir, un simple désir, mais de l'exprimer très nettement : c'est que la commission de l'armée statue, s'il lui est possible, avant de se séparer, sur l'article 12.

    La question de la durée du service militaire est grave; elle occupe, elle passionne - et elle passionne légitimement l'opinion publique. Le Gouvernement a pris là-dessus une attitude très nette; le Gouvernement a l'espoir profond que la commission de l'armée se trouvera d'accord avec lui. Si la commission de l'armée est d'accord avec nous, si elle accepte le principe inscrit dans l'article 12, nous lui demandons de la faire avant de se séparer, à la fois pour manifester son accord avec le Gouvernement et pour renseigner l'opinion publique.

    Enfin, il est une dernière déclaration que je dois à la commission de l'armée. On a dit que le Gouvernement avait l'intention d'appliquer l'article 33 de la loi du 21 Mars 1905 sur le recrutement de l'armée. Je n'ai pas besoin d'insister, devant des membres de la commission de l'armée, sur le caractère de cet article et sur ses dispositions. Voulez-vous me permettre pourtant, pour que mes explications soient à la fois plus brèves et plus claires, de le rappeler :

    "Dans le cas où les circonstances paraîtraient l'exiger, le ministre de la guerre et le ministre de la marine sont autorisés à conserver provisoirement sous les drapeaux la classe qui a terminé sa seconde année de service. Notification de cette décision sera faite aux Chambres dans le plus "bref délai possible.

    Il s'agit par conséquent dans l'article 33 d'un acte, d'une décision - le mot est dans la loi - qui est prise par le Gouvernement sous sa responsabilité. Le Gouvernement doit apprécier si les circonstances paraissent exiger le maintien de la classe provisoirement, je ne dis pas pendant une année entière, mais provisoirement, à la date où la classe devait être libérée, pendant un temps plus ou moins long. Il s'agit d'un acte qui relève de l'autorité du Gouvernement, et qui en même temps engage la responsabilité du Gouvernement.

    Seulement le législateur, très prévoyant et pour marquer ce que cet acte a d'exceptionnel, a voulu que les Chambres fussent averties dans le plus bref délai possible.

    Contrairement à ce que l'on a dit, il n'a pas été dans les intentions du Gouvernement, il n'est pas résulté des délibérations du Gouvernement que le ministre de la guerre et le ministre de la marine eussent l'intention de notifier aux Chambres, avant leur séparation, le maintien de la classe 1910 après la date de sa libération.

    J'ajoute, pour prévenir toute question et pour dissiper toute équivoque, qu'il n'est pas davantage dans les intentions du Gouvernement de mettre en œuvre pendant les vacances parlementaires la disposition de l'article 33. Mais le Gouvernement a eu une préoccupation : Il résulte des dispositions du projet de loi dont vous êtes saisis que, si le service de trois ans est voté, la classe qui actuellement fait sa seconde année serait, en vertu du projet de loi, maintenue sous les drapeaux. Cette situation, cette éventualité prévue dans le projet de loi, le Gouvernement a dû s'en préoccuper. Et pourquoi? Si, comme nous l'espérons très fermement, le Parlement vote le service de trois ans, cette classe sera maintenue pendant une troisième année : il faut que le ministre de la guerre, que l'administration de la guerre ait la possibilité de loger ces soldats, il faut se préoccuper de la question de casernements ou de baraquements. Or, il ne le faut pas faire la veille du jour où la classe serait libérée. Ce n'est pas au mois d'octobre que l'on peut prendre ou que l'on peut préparer des dispositions de cette nature, il faut le faire avant.

    Nous avons demandé à l'Administration de la guerre quelle est, selon elle, la date extrême à laquelle il serait possible de préparer ces dispositions. L'administration de la guerre a répondu que c'est dans le courant du mois de mai qu'il faudrait organiser les mesures nécessaires pour pouvoir caserner les soldats qui seraient gardés en vertu de la loi qui vous est soumise.

    Messieurs, la déclaration que je fais, au nom du Gouvernement, est celle-ci, et j'en dirai les conséquences : C'est dans le courant du mois de mai que le Gouvernement examinera cette question; c'est à ce moment qu'il pourra mettre en œuvre l'article 33, et qu'il fera au Parlement la notification de cette décision. Voilà le fait, voilà l'intention du Gouvernement. Pourquoi le Gouvernement le dit-il ? Le Gouvernement le déclare pour qu'il n'y ait aucune surprise; le Gouvernement aurait pu attendre le mois de mai pouf faire une déclaration de cette nature; il ne l'a pas voulu, parce qu'il ne veut pas que ses intentions soient discutées sur des erreurs. Il ne veut pas que tous les jours ou toutes les semaines, on annonce telle intention du Gouvernement, qu'il serait dans l'obligation de contredire. Il a trouvé qu'il était plus loyal, qu'il était préférable pour tout le monde qu'il s'en expliquât nettement devant la commission de l'armée.

    Deux conséquences : l'une, c'est que la liberté du Parlement sera entière. J’ai dit quel est notre souci de permettre à la Chambre de discuter de la manière la plus approfondie la question de la durée du service militaire. Mais si la liberté de la Chambre doit être entière, la responsabilité du Gouvernement doit être sauvegardée. Cette responsabilité, nous l'engagerons; nous devons réserver la liberté du Parlement, mais nous ne pouvons pas être un Gouvernement imprévoyant qui, le jour où la loi serait votée, n'aurait pas pris les mesures nécessaires pour appliquer la loi.

    C'est dans ces conditions que j'ai été appelé à faire une déclaration, au nom du Gouvernement, devant la commission, et je n'aurai qu'un mot à ajouter; je ne doute pas des décisions de la commission de l'armée, j'espère très fermement, je veux être tout à fait sûr que la commission de l'armée adoptera le principe de la loi de trois ans. Mais parmi les adversaires de la loi de trois ans, parmi les auteurs des contre-projets, il s'en est rencontré très peu qui n'aient reconnu les inconvénients de la loi de 1905. On a, à propos du projet de loi déposé par le précédent cabinet et maintenu par celui-ci, parlé de désaveu, on a parlé de recul. Il n'y a pas, Messieurs, désaveu d'une législation antérieure quand les faits nouveaux exigent une législation nouvelle. Il n'y a pas, en matière de défense nationale, de recul. Quand des mesures qu'on a cru nécessaires à un moment donné pour protéger le pays, apparaissent ensuite insuffisantes pour assurer la sécurité nationale, il y a la constatation des faits, devant laquelle on doit s'incliner. Mais pour la loi de 1905, il n'est personne, je le répète, qui ne considère qu'à l'heure actuelle elle présente des lacunes, que ces lacunes il y a lieu de les combler; et parmi les adversaires de la loi de trois ans, il s'en rencontre très peu qui ne reconnaissent la nécessité de prolonger le service militaire de deux ans, du moins pendant quelques mois. Pour ceux-là mêmes qui sont partisans de ces systèmes, si ces systèmes triomphent, il est nécessaire que le Gouvernement ait pris les mesures indispensables pour permettre, ne serait-ce que pendant quelques mois, la prolongation de ce service militaire.

    Telle est, Messieurs, la déclaration que je devais faire au nom du Gouvernement devant la commission de l'armée. J’ai essayé de la rendre très claire, de répondre à toutes les questions, de dissiper toutes les préoccupations et, pour tout dire en un mot, j'ai voulu en respectant la liberté de la commission de l'armée, sauvegarder et engager à la fois la responsabilité du Gouvernement.

    M. le président Quelqu'un demande-t-il à poser une question à M. le président du conseil ?

    M. Jaurès Si M. le président du conseil veut bien accepter.

    M. le président du Conseil Mais certainement. Il va de soi, Monsieur Jaurès, que je ne pourrais pas répondre à des questions d'un caractère technique.

    M. Jaurès Je ne suis pas plus technicien que vous.

    M. le président du Conseil Vous êtes plus compétent.

    M. Jaurès Est-ce que M. le président du conseil est sûr de la légalité de l'interprétation qu'il donne à l'article 33 ? Si j'ai bien compris, Monsieur le Président du conseil, c'est au mois de mai, c'est à dire six mois avant la libération de la classe, que le Gouvernement prononcerait et notifierait aux Chambres que la classe libérable sera provisoirement gardée au-delà du terme des deux ans.

    Messieurs, je ne crois pas que ce soit légal. La loi ne prévoit pas que vous déciderez avant la date de la libération. Les circonstances dont il s'agit, ce ne peut être des faits profonds et durables, qui devraient entraîner un remaniement de la législation. Les circonstances, ce sont des faits passagers et contemporains du moment où la classe doit être libérée. Le texte est formel : "Dans le cas où les circonstances paraîtraient l'exiger, le Ministre de la guerre et le Ministre de la marine sont autorisés à conserver provisoirement sous les drapeaux la classe qui a terminé sa seconde année de service."

    J'attire très respectueusement l'attention de M. le président du conseil et de ses légistes sur ce texte formel et qu'il me permette de lui dire que parmi les députés qui ont l'habitude de l'interprétation des lois, il y avait tout à l'heure, je puis dire dans tous les camps, unanimité. Il n'y a pas, aux yeux des députés qui ont voté la loi, une hésitation possible sur le sens : c'est au moment où vous devez renvoyer la classe, c'est au moment où elle a terminé, où elle a terminé ses deux ans, que vous décidez, à raison des circonstances immédiates et contemporaines de la libération, s'il y a lieu de la garder provisoirement.

    Mais, six mois avant, prévoir des circonstances futures à une telle échéance, c'est expliquer le maintien, non plus par des circonstances, mais par une situation permanente, à laquelle alors il faudrait faire face par une loi.

    Je crois, Monsieur le Président du conseil, que l'interprétation que vous donnez est absolument contraire à la loi, et je vous demande de vouloir bien soumettre aux Juristes de la Couronne la question de légalité, avec la loyauté même que vous avez mise dans votre déclaration. Je suis obligé de vous dire que nous serons nombreux qui contesterons la légalité de votre décision.

    M. le président du Conseil Vous faites appel aux juristes de la Couronne! Il n'y a plus de Couronne, mais je suis un peu juriste, et je ne veux pas me livrer devant la commission à une discussion juridique. Je comprends très bien et je sens la portée des objections que vous avez faites; mais très sincèrement et juridiquement, je pense que la loi peut être interprétée dans le sens que nous donnons.

    Vous faites allusion aux députés qui ont voté la loi de 1905. Il n'y a pas eu discussion sur l'article 33.

    M. Jaurès Il y a eu intelligence.

    M. le président du Conseil Mais en 1905 on a emprunté cet article 33 à un article précédent de la loi de 1889. J'ai lu la discussion de la loi de 1889, je l'ai lue avec attention : il n'y a rien qui confirme votre interprétation, et surtout il n'y a rien qui contredise la mienne.

    M. Jaurès Il y a le texte.

    M. le président du Conseil je me garderai bien, Monsieur Jaurès, de faire intervenir dans la discussion des témoignages étrangers; mais je peux dire, j'ai le droit de dire que j'ai consulté sur la question des personnes qui ont joué dans le vote des lois de 1889 et de 1905 un rôle important et peut-être même décisif; elles se sont trouvées d'accord avec moi pour donner à la loi l'interprétation que je lui donne.

    Au surplus, si la commission de l'armée et si la Chambre estimaient que le texte ne permet pas au Gouvernement de prendre des mesures qu'il considère comme indispensables, dans ce cas le Gouvernement n'hésiterait pas à saisir la Chambre d'une disposition précise qui mettrait fin à toute équivoque. Mais il y a une chose que le Gouvernement ne fera pas, dont il n'acceptera pas la responsabilité : comme il ne doute pas que la loi de trois ans ne soit votée - et je n'entre pas dans le fond du débat, ce n'est pas mon rôle -mais comme le Gouvernement ne doute pas que la loi de trois ans ne soit votée, il ne prendra pas devant le pays cette responsabilité qu'au moment où la loi doit entrer en application, elle ne puisse pas être appliquée.

    M. Jaurès Et si, par une hypothèse qui vous paraît absolument invraisemblable, et sur la vraisemblance de laquelle nous ne pouvons pourtant pas discuter, parce que ni vous ni moi ne pouvons enchaîner les décisions futures du Parlement....

    M. le président du Conseil Nous sommes d'accord, Monsieur Jaurès.

    M. Jaurès... Vous pouvez peser sur elle par des moyens dont le Gouvernement dispose en engageant sa responsabilité, et dont aucun député ne dispose; mais ni vous ni moi ne pouvons prévoir les décisions de la Chambre - Si donc, par hypothèse, la Chambre repoussait la loi de trois ans et par là-même rendait impossible ou, en tous les cas, difficile le maintien de la troisième classe sous les drapeaux - car enfin, il serait bien difficile, si la Chambre disait que la défense nationale doit être assurée avec deux ans de service, de garder la classe qui sortirait.

    M. Méquillet Votre hypothèse est invraisemblable, Monsieur Jaurès. On ne peut pas supposer que la Chambre refuserait de voter la durée nécessaire du service.

    M. le président Chacun des membres de la commission posera la question comme il voudra; mais ne discutons pas actuellement.

    .

    M. Méquillet Nous ne pouvons pas discuter dans l'invraisemblable.

    M. Jaurès je crois que j'ai fait très courtoisement usage de mon droit de représentant.

    M. le président du Conseil Très courtoisement, en effet.

    M. Jaurès Je serais étonné qu'il y eût quelqu'un dans la commission pour trouver que nous n'avons pas le droit de reposer à M. le président du conseil des questions, dans la forme correcte où nous le faisons.

    M. le président du Conseil Parfaitement, Monsieur Jaurès, j'ai très bien compris.

    M. Jaurès Le vote de la loi de trois ans n'est pas une réalité actuelle; cette loi est en ce moment en délibération devant le Parlement, et ce n'est rien de scandaleux que de prévoir l'hypothèse où elle ne serait pas acceptée par la Chambre. Dans cette hypothèse, vous auriez engagé des travaux et des dépenses peut-être considérables.

    A-t-on chiffré les dépenses qu'entraînera l'aménagement des casernes pour la troisième classe ?

    M. le président du Conseil M. le Ministre de la guerre s'en est occupé et pourra là-dessus "vous fournir tous les renseignements que vous désirerez; mais quant à moi, entrant dans cette hypothèse que vous posez en effet avec une courtoisie que je reconnais, je déclare que dans ce cas, la question ne se poserait pas pour le Gouvernement, puisqu'il va de soi que le Gouvernement n'accepterait pas la responsabilité du rejet. Et même si les dépenses avaient été engagées, laissez-moi vous dire que le Gouvernement aurait eu le sentiment d'avoir fait son devoir envers le pays les Chambres apprécieront.

    M. Jaurès j'ai une dernière question à poser. M. le président du conseil a prévu tout naturellement l'entière liberté de discussion de la commission, et nous ne pourrions pas en douter. Il tient seulement à ce que le principe de l'article 12 - quand la commission aura examiné cet article avec le sérieux qu'elle doit y mettre soit le plus rapidement possible voté par la commission.

    MM. les présidents de la commission vous diront que ni mes amis ni moi ne nous sommes opposés à ce qu'on mette d'emblée l'article 12 en discussion. Nous l'avons, au contraire, accueilli comme une bonne méthode de travail.

    Mais M. le président du conseil se rend bien compte que, sous la formule générale "loi de trois ans" peuvent prendre place des modalités extrêmement diverses, notamment quant à la durée substantielle du séjour à la caserne. je ne serai pas indiscret en disant à M. le président du Conseil que beaucoup de membres de la commission, qui sont favorables au principe de la loi de trois ans, estiment qu'en fait, a la condition que les citoyens restent soldats une troisième année, qu'ils gardent leur uniforme, qu'ils soient soumis directement et immédiatement à l'autorité militaire, des congés - non pas des congés arbitraires et qui pourraient entraîner des faveurs ou des disgrâces -mais des congés légalement institués, organisés par la loi, légalement prévus dans leur durée, devraient alléger le fardeau de la loi de trois ans pour le pays, en particulier pour ce peuple des campagnes-, auquel dans de nombreuses périodes les bras des enfants sont indispensables.

    Je demande à M. le président du conseil s'il ne croit pas qu’il y aurait péril à ce que la commission se borne à promulguer une formule générale "loi de trois ans", sans dire en même temps au pays quelle sera l'étendue réelle de la charge qui en résultera. M. le président du conseil ne croit-il pas qu'il serait de bonne méthode que la commission se prononce en même temps sur le principe ?

    M. le président du Conseil Il ne m'appartient pas d'indiquer une méthode à la commission de l'armée. je dis qu'il est intéressant et qu'à mon sens il est nécessaire « je vais même jusqu'à dire, pour donner à ma pensée toute sa force, qu'il est indispensable - que la commission de l'armée se prononce pour la durée du service de trois ans.

    Si la commission de l'armée se prononce pour la durée du service de trois ans, si elle ne croit pas possible de conserver la durée du service de deux ans, ni même suffisant d'instituer le service de trente mois, la décision de la commission de l'armée aura une importance considérable. Quant aux modalités, la commission les examinera; il ne m'appartient pas de donner, au nom du Gouvernement, des explications sur ces modalités.

    M. Fournier-Sarlovèze Monsieur le président du conseil, après les déclarations si claires que vous avez faites à la Chambre et celles que vous venez d'ajouter, vous avez terminé en disant : "Le Gouvernement ne doute pas que la loi de trois ans ne soit votée". Moi, je n'en doute pas non plus. Vous nous avez dit que vous étiez décidé à faire fonctionner au mois de mai l'article 33; dans votre pensée, ce n'est que l'attente d'une loi qui ne serait pas encore terminée & cette date. Vous avez manifesté le pressant désir de voir voter l'article 12 par la commission. Ne croyez-vous pas qu'il vaudrait mieux pour tout le pays non seulement la délibération de la commission, mais celle de la Chambre tout entière? Le vote de la commission ne devrait-il pas être sanctionné immédiatement par la Chambre?

    M. Vandame Au moins, le plus tôt possible.

    M. le président du Conseil Le plus tôt possible, mon cher collègue, je suis d'accord avec vous. Mais, je le déclare très loyalement ~ la commission me rendra cette justice que je me suis exprimé clairement sur tous les points - je n'entrevois pas la possibilité d'une discussion s'engageant dans les conditions que vous indiquez; je ne crois pas que la Chambre puisse immédiatement être appelée à statuer uniquement sur le principe posé à l'article 12.

    Mais, si vous me le permettez, avant de me retirer, je voudrais ajouter une observation à celles que j'ai présentées en réponse à M. JAURÈS. En admettant que l'interprétation du Gouvernement sur l'article 33 soit contestable, la Chambre sera appelée à statuer. Du moment où nous sommes dans l'obligation légale de notifier à la Chambre notre décision, et que nous le ferons aussitôt après avoir pris cette décision, la Chambre et le Sénat statueront; et alors, de deux choses l'une : ou la Chambre et le Sénat blâmeront la notification, et par conséquent les mesures ne seront pas prises, en même temps que le Gouvernement quittera le pouvoir - ou bien, au contraire, la Chambre et le Sénat approuveront le Gouvernement d'avoir pris la décision qu'il aura prise.

    Par conséquent, l'argument de l'incertitude du texte, invoqué par M. Jaurès, ne porte pas au point de vue parlementaire.

    M. Vandame Il ne nous est pas permis, en ce moment, de discuter, ni d'exprimer une opinion. Je voudrais cependant faire connaître la mienne au sujet de l'article 33. Vous me permettrez de le faire sous forme/de question. Je suppose que l'argumentation de M. Jaurès soit exacte, et qu'en réalité le Gouvernement ne puisse pas apprécier six mois à l'avance les circonstances qui doivent motiver l'application de l'article 33, et je vous pose cette question : Le législateur, en inscrivant ce texte dans la loi de 1905 a-t-il pu le faire avec la pensée que ce texte resterait inapplicable? Pour mon compte, je ne le crois pas.

    Si j'avais l'honneur d'appartenir au Gouvernement, je me dirais : "Etant donné que peut-être au mois de novembre les circonstances seront telles que je serai amené à maintenir provisoirement, pendant quelque temps, la classe libérable sous les drapeaux, je considère comme de mon devoir de prévoir immédiatement la possibilité de la loger, de la caserner" et alors, dès le mois de mai, je n'éprouverais aucune hésitation à prier les services de l'armée à de prendre les mesures nécessaires, non pas seulement pour l'année 1913, mais pour n'importe quelle époque, n'importe quelle année, afin de mettre le Gouvernement en situation de pouvoir, s'il y a lieu, faire jouer l'article 33 au moment où réellement il y aura lieu de prendre une décision de ce genre.

    M. le président du Conseil Je crois, mon cher collègue, avoir répondu déjà à la question que vous m'avez posée.

    M. Vandame En effet, c'était pour moi la manière de faire connaître mon opinion.

    M. le président du Conseil Alors, ce n'est pas pour connaître la mienne, que j'ai déjà exprimée.

    M. Vandame C'était pour répondre à M. Jaurès; je n'avais pas d'autre moyen de le faire que sous forme de question.

    M. le président du Conseil Ce que je puis ajouter, c'est ceci : Le Gouvernement a la certitude que les circonstances, au point de vue international, seront les mêmes au mois d'octobre qu'aujourd'hui. Je ne puis pas faire des allusions précises; chacun me comprend. Vous avec, comme députés, une liberté" de parole que je n'ai pas au même degré comme membre du Gouvernement; mais enfin, tout le monde sait qu'il y a des pays où des lois sont proposées qui risquent d'être votées à une date extrêmement prochaine, et j'ai le droit de dire, par conséquent, que non seulement les circonstances seront au mois d'octobre ce qu'elles sont aujourd'hui, mais que nous avons la certitude qu'elles seront plus graves.

    C'est une raison de plus pour que le Gouvernement remplisse tout son devoir.

    M. Maurice Binder je suis, en ce qui me concerne - et je crois que toute la commission sera d'accord avec moi - tout à fait reconnaissant à M. le président du conseil de la netteté des déclarations qu'il a apportées loi. je lui demande seulement si dans ces déclarations très nettes et très catégoriques il n'y a pas une contradiction avec un communiqué qui a été affiché dans les couloirs de la Chambre, où on faisait savoir que le Président du conseil se rendrait aujourd'hui à la commission de l'armée avec le ministre de la guerre, et qu'il n'insisterait ni sur l'urgence du vote de l'article 12, ni sur l'urgence de l'application de l'article 33. Cette note est signée de l'agence Havas.

    M. le président du Conseil je n'ai pas sous les yeux le texte de cette note; mais elle n'est pas en contradiction avec les déclarations que je viens de faire. Cette communication avait pour but de mettre au point exactement les intentions du Gouvernement et de démentir des informations qui n'étaient pas rigoureusement exactes. On avait ce matin répandu le bruit que le Gouvernement avait pris la décision de demander à la commission de l'armée de rapporter immédiatement l'article 12 pour en saisir la Chambre. La communication faite à l'agence Havas dément cette information, et vous voyez que je reste d'accord avec moi-même, puisque je ne vous demande pas de rapporter l'article 12 pour le faire voter par la Chambre.

    On a dit encore ce matin que le Gouvernement avait décidé, dans le conseil de cabinet d'hier, d'appliquer dès aujourd'hui l'article 33 et d'en faire la notification aux Chambres. Vous voyez encore que ce n'est pas exact, et que les déclarations que j'ai faites n'ont rien de contradictoire avec la note de l'agence Havas. Au surplus, mon cher collègue, ce qui importe actuellement, ce sont les déclarations que j'ai faites au nom du Gouvernement. Vous voulez bien reconnaître qu'elles sont claires et nettes. Je demande s à la commission de s'y tenir.

    M. le président Permettez-moi de faire observer, à mon tour, qu'il y a une harmonie complète entre la communication qui m'a été faite hier par M. le Ministre de la guerre, et dont j'ai rendu compte à la commission de l'armée, et la note de l'agence Havas, qui dément des assertions absolument différentes des déclarations qui m'ont été faites et qui concorde rigoureusement avec les déclarations que vient de faire M. le président du conseil.

    M. Jaurès Il n'y a que l'Echo de Paris qui ne concorde pas.

    M. le président du Conseil Je remercie la commission, et je la prie de me permettre de me retirer : je suis appelé à la tribune.

    M. Jaurès Un mot seulement : Il est donc entendu que vous considéreriez toute disposition légale introduite dans l'article 12 pour donner 4, 5 ou 6 mois de congés dans des conditions déterminées, comme une atteinte au principe même de la loi de trois ans ?

    M. le président du Conseil Je me suis réservé de ne pas répondre à cette question; elle relève de la compétence du ministre de la guerre, et non de la mienne. J’ai fait une déclaration au nom du Gouvernement, celle-là, j'ai pu la faire; mais sur des modalités relatives à tel ou tel article, ce n'est pas mon affaire.

    (M. le Ministre se retire).

    [La séance est reprise à 5 heures et demie]

    Audition de M. le ministre de la Guerre

    M. le président Monsieur le ministre de la guerre, nous avons entendu M. le président dû conseil qui nous a exposé les résolutions du gouvernement en ce qui concerne l'application de l'art. 33 de la lui de 1905 et qui nous a fait connaître le vif désir du gouvernement, tout en se montrant très respectueux de la liberté de la commission de l'armée, devoir aboutir le plus tôt possible la discussion de la commission sur 1 'art. 12 du projet de loi ?

    D'autre part; un certain nombre de nos collègues MM. Jaurès, Vandame .Fournier-Sarlovèze ont posé une question à M. le président du conseil au sujet des congés et des permissions. M. le président du conseil a répondu que ces questions étaient du ressort exclusif du ministre de la guerre. Nous avons donc attendu votre présence et nous vous remercias d'avoir bien voulu venir donner à la commission les explications nécessaires.

    M. le ministre de la Guerre Voici ce que nous avons projeté en ce qui concerne non pas les congés - le mot est impropre - mais les permissions. Il

    Il n y aura pas de congés, il y aura des permissions.

    Parmi les soldats qui ne feront pas intégralement les trois ans de service militaire parce qu'ils n’appartiennent a des familles nombreuses, il y aura deux catégories : ceux qui appartiennent à une famille comptant 5 enfants, et ceux qui appartiennent à - ne famille de déplus de 5 enfants. Les premiers, qui font 30 mois de service, auront deux mois de permission, les autres, qui feront deux ans de service, auront un mois de permission...

    Plusieurs membres Par an ?

    M. le ministre En tout.

    M. Jaurès Ceux qui feront 30 mois de service feront pratiquement 28 mois de caserne.

    M. le ministre Ceux qui ne feront que deux ans de service se trouveront exactement dans la situation des jeunes gens qui, en vertu de la loi de 1905 font deux ans de service actuellement. Ils ont 15 jours de permission par an. Nous leur maintenons ce traitement.

    Enfin ceux qui feront la totalité, trois ans de service auront trois mois de permission.

    M. Jaurès Si bien que la présence à la caserne sera de 23, 28 ou 33mois.

    M. le ministre Telle est la proposition que nous faisons. Ceux qui appartiennent à une famille de plus de 5 enfants [auront une] permission d’un mois, [ils feront] 24 mois moins un, c'est a dire 23 mois, ceux qui font 30 mois de service parce qu'ils ont 4 frères ou sœurs vivants, c'est-à-dire qui appartiennent à une famille de 5 enfants feront 30 mois de service moins 2, c'est-à dire 28 mois, et les autres feront 3 ans de service avec trois mois de permission, soit 33 mois.

    M. Jaurès Et ce sera dissémine sur les trois ans ?

    M. le ministre Sur les trois ans.

    M. Jaurès Donnerez-vous un mois par an ou pouvez vous donner les trois mois en une fois ?

    M. le ministre Nous pensons qu'il faut laisser au commandement le soin d'accorder les permissions.

    Il y aura des nécessites de service ou des nécessités d'ordre extérieur ou même intérieur qui pourront s’opposer à ce qu'on envoie les soldats an permission. À d'autres moments, comme il n'en résultera aucune gêne pour le service on pourra envoyer les soldats en permission.

    M. Lannes de Montebello. Et ce sera un droit.

    M. le ministre Ce sera un droit d’avoir, suivant le cas, un, deux ou trois mois de permission.

    M. Jaurès L’échéance seule reste incertaine.

    M. le ministre L’échéance reste incertaine. Voyez-vous avantage à fixer les époques auxquelles on enverra les soldats en permission ? Ce serait très gênant aussi bien pour les soldats que pour le commandement.

    M. Maurice Binder Il y a des professions différentes et des besoins différents.

    M. le ministre Il faut mettre un peu de jeu dans le fonctionnement de ce système.

    M. le président En résumé, monsieur le ministre, voici ce que vous déclarez :

    Les militaires qui feront deux ans de service, c est à dire ceux qui ont plus de 4 frères ou sœurs vivants, pourront avoir et auront une permission d'une durée de 60 jours -auront - Ceux qui feront 30 mois de service, les militaires ayant 4 frères ou sœurs vivants, légitimes ou reconnus, auront 60 jours de permission; et les militaires qui feront l’intégralité du service, trois ans, auront 90 jours de permission.

    M. Maurice Binder Vous ne comprenez pas dans les 90 jours les permissions de 24 ou 48 heures.

    M. le président Les dimanches et jours fériés sont, par un principe général de la loi, exclus de la loi actuelle

    M. le rapporteur Les jours fériés ne sont pas un droit.

    M. le ministre Les dimanches et jours fériés sont en dehors.

    M. Albert Denis Verriez-vous un inconvénient à augmenter légèrement la durée de ces permissions ?

    M. le ministre Si c'était possible, je ne demanderais pas mieux. Ce que nous désirons, c'est maintenir des effectifs qui permettent d'avoir des unités assez fortes. Il est nécessaire de fixer les effectifs des unités de toutes les armes. Ces unités fixées, on pourra se montrer plus 1arge dans l'avenir. Pour l'instant je demande que nous restions dans ces limites, pour ne pas compromettre la force et la vigueur de nos unités.

    M. Jaurès Pensez vous que des congés ainsi, fragmentés et, en somme, aussi courts, ré pondront au seul objet pour lequel vous pouvez les accorder ? Ce n est pas pour être agréable aux hommes, ce n'est pas parce qu'ils s'ennuieront à la caserne que vous leur direz : Allez prendre l'air. C'est pour qu'ils puissent être utiles dans la vie économique du pays, utiles des deux côtés, les ouvriers dans l'industrie qui en a grand besoin, et les paysans dans la culture.

    Pensez-vous qu'un congé d'un mois -- car cela se traduit pour les ouvriers et les paysans dans un congé d'un mois par an, c'est, si je comprends bien un congé d'un mois par an …. Sera-t-il possible de bloquer ces trois mois ?

    M. le ministre C’est possible.

    M. Jaurès Croyez-vous qu'un ouvrier auquel vous allez donner, imposer un mois de congé, car ce n'est plus une permission, vous le congédiez ?

    M. Lannes de Montebello. Non.

    M. Seydoux. L'homme ira en permission sur sa demande.

    M. Lannes de Montebello. Seulement c'est un droit.

    M. Jaurès Pensez vous qu'il puisse user de ce droit, c'est-à-dire avoir la moindre chance, dans ce délai d'un mois, de trouver un emploi qui lui permette de vivre ? Car ce n’est pas tout de donner aux ouvriers le droit de sortir de la caserne. Ils n'ont vas d'avances, ils n'ont p de capital. Plusieurs de nos collègues - ce n'est pas nous, c'est M. Leygues - avaient parlé de 6 mois de permission. On comprend qu'un patron prenne un ouvrier pour 6 mois, mais un ouvrier qui arrive de la caserne, qui, en somme, a 28 jours devant lui ; n'a aucune chance de trouver du travail, et il n'y aura parmi les pauvres gens de vos casernes, à profiter des congés annuels d'un mois, que l'infime exception de ceux qui auront des ressources et qui pourront être à la charge de leurs familles sans qu'elles en soient accablées.

    En sorte que pour ceux la qui avec votre régime d'un mois de permission par an, ne trouveront presque jamais de travail, le congé équivaut ou bien à les en priver, à le leur rendre pratiquement impossible, et vous devinez dans quel état d'esprit ceux qui seront obligés de rester à la caserne uniquement parce qu'ils n'ont pas de pain ni de travail pendant que les autres, les plus heureux, partiront, vous devinez dans quel état d'esprit ils resteront à la caserne ;ou bien, s'il s ont une famille qui peut les recevoir, il se trouve qu'en réalité l’État va se décharger pendant un mois d l'entretien de ces soldats.

    Au point de vue des ouvriers, permettez-moi de vous dire que ce sera considéré je ne veux pas dire comme une dérision, mais comme une chose inutilisable et douloureuse.

    Et maintenant pour les paysans, ne vous y trompez pas. M. le ministre n'est il pas frappé de ce fait qu'en exceptant de la 3ème année ou d'un semestre de la 3ème année les enfants des familles nombreuses, il y aura des régions entières qui ne feront que deux ans, les régions à prolification abondante, par exemple l'Ouest. Plusieurs de nos collègues m'ont dit - et je crois qu'ils ont tout à fait raison- qu'en fait c'est la loi de deux ans pour certaines parties de la Bretagne. Il y a dans certaines régions de la Bretagne exclusivement des familles nombreuses. Est-ce un signe de civilisation supérieure, c'est un autre problème. Dans tous les cas, on ne peut pas ne pas être frappé de ce fait que cela va prendre un caractère tout à fait régional.

    Il y aura des régions de deux ans et des régions de trois ans. Je fais appel, devant M. le ministre, à votre expérience rurale. Ces millions de petits propriétaires paysans qui forment la démocratie de votre pays et que vous voulez retenir au sol malgré tout, ils n'ont pas beaucoup d'enfants. À l'heure actuelle le paysan n'a pas beaucoup d'enfants, il a -un ou deux enfants dont il a besoin et il en a d'autant plus besoin qu'il en a moins, et qu'il a compté sur la main d'œuvre du fils pour l'aider à travailler le petit domaine. Ceux-là, vos millions de petits propriétaires cultivateurs .parce qu'ils n'ont pas 5 et 6 enfants …

    Un membre de la commission. Qu'ils en fassent!

    M. Jaurès Qu'ils en fassent, c'est un peu tard. Et puis, moi, je ne crois pas à ces générations à distance. Je ne crois pas qu'on fasse un enfant pour que, dans 20 ans il fasse six mois de moins de service militaire. Ce n'est pas comme cela que je comprends la production des enfants.

    En fait, jusqu'à ce que vous ayez modifie l'état d'esprit de vos paysans, et ce sera long, ce sont vos millions de petits propriétaires cultivateurs qui ne bénéficieront pas de votre dispense de la troisième année, et vous allez leur donner un mois, c’est entendu, un mois que choisiront vos chefs, un mois de permission dont 1e paysan ne saura même pas d'avance à quelle date il pourra en être assuré.

    Vous allez voir. Je ne veux pas en dire davantage.

    M. le ministre Voyez cependant l'avantage. À l'heure actuelle, on fait deux ans de service et l'on a un mois de permission. Pour un an de service de plus nous donnons deux mois de plus.

    M. Jaurès Vous donnez dix mois de plus.

    M. le ministre La loi de l905 est sévère pour les permissions, elle ne donne que 15 jours par an. Pour un an de plus, nous donnons deux mois de permission de plus.

    Ce qui nous détermine, je me permets de le répéter, c'est que nous désirons que nos effectifs ne retombent pas dans la situation véritablement misérable où ils se trouvent actuellement. Si, par la déduction des hommes appartenant aux familles nombreuses, vous enlevez un effectif notable à la classe et si vous ajoutez des permissions un peu longues, vos effectif s vont fondre, et nous serons la troisième année dans la situa ion où nous sommes aujourd’hui. Je ne demanderais pas mieux que de prolonger les permissions, j'en serais très heureux.

    M. Voilin. Dans le texte qui nous est proposé par le gouvernement (il n’est aucunement question de permissions. L'art. 38 de la loi de 1905, celui qui accordait 30 jours de permission, vous proposez de le supprimer, et vous ne le remplacez par rien. Or, aujourd’hui, vous êtes disposé à accorder des permissions et non pas des congés.

    M. le ministre Dans la loi de l905, il s'agit non pas de congés, mais de permissions.

    M. Voilin. Ce que vous proposez ce sont des permissions. Vous rétablissez l'art. 38. Nous savons que les permissions et les congés sont choses tout à fait différentes.

    M. le ministre Le permissionnaire peut être rappelé à tout moment.

    M. Voilin. Un militaire demande une permission, on la lui accorde ou on la lui refuse suivant qu'il a de bonnes ou de mauvaises notes, le chef de corps apprécie s'il croie devoir l'accorder ou la refuser c'est une latitude. D'autre part, les 30 jours, les deux mois ou les trois mois sont un maximum.

    M. le ministre Parfaitement.

    M. Voilin. Ce n'est pas la question que je croyais qu'on vous posait, je croyais qu'on vous posait cette question : Le ministre de la guerre accepterait-il un amendement à son projet qui accorderait des congés organisés légalement et d'une assez longue durée aux soldats de trois ans ? Voilà la question que je croyais qu'on vous posait.

    Vous mettez dans la loi que vous rétablissez l'art. 38 de la loi de 1905. On pourra, car c'est "on pourra". Il faut bien s’entendre. Le chef de corps sera-t-il obligé de donner les congés ?

    M. le ministre Parfaitement.

    M. Voilin. Alors ce ne serait plus comme dans la loi actuelle. Il y a un maximum. On peut refuser les permissions.

    M. le ministre A l'heure actuelle, on doit accorder 15 jours par an.

    M. Voilin. On n'est pas forcé.

    M. le ministre Pour la clarté de la discussion, je crois devoir donner lecture du § 2 de l'article 38 : « Les militaires accomplissant la durée légale du service ne pourront, en dehors des dimanches et jours fériés, obtenir de permissions que jusqu'à concurrence d'un total de trente jours au maximum pendant leur présence sous les drapeaux. »

    M. Lucien Voilin " Ne pourront", dit l'article.

    M. Jaurès Et puis, c'est un maximum.

    M. le ministre de la Guerre C'est un maximum en effet.

    M. Lucien Voilin C'est un maximum qui peut être accordé, mais qui peut aussi être refusé.

    M. Georges Vandame Les permissions sont subordonnées aux exigences du service.

    M. Lucien Voilin Je pourrais citer de nombreux cas où ces permissions ont été refusées et il n'est peut-être pas un d'entre nous qui n'ait eu à intervenir auprès d'un chef de corps pour faire accorder à un soldat, dans des cas très particuliers comme le décès d'un membre de sa famille, des travaux urgents ou la misère de ses proches, ces huit ou quinze jours de permission que la loi permet d'accorder aux militaires. Mais ce n'est qu'une faculté pour les chefs de corps, ce n'est pas une obligation. Est-ce dans le même esprit qu’à l'avenir vous accorderez des permissions.

    M. Driant Non, ce sera un droit.

    M. Lucien Voilin Alors, il faut l'inscrire dans la loi.

    M. le ministre de la Guerre Nous le mettrons.

    M. Lucien Voilin Ce n'est pas d'ailleurs là la question que je croyais qu'on devait vous poser, monsieur le ministre.

    M. Messimy dans son contre -projet, et un certain nombre de nos collègues se sont déclarés partisans du principe posé par le projet de loi du Gouvernement, mais ils ont ajouté qu'ils se proposaient de déposer un amendement tendant à faire accorder aux militaires accomplissant leur troisième année de service un congé d'assez longue durée.

    Quelle est, à cet égard, la pensée de M. le ministre de la guerre ?

    M. le ministre de la Guerre Je ne crois pas que M. Messimy ait parlé d'un congé.

    M. Georges Vandame Toute permission de plus de trente jours est dénommée congé.

    M. le président D'après le contre-projet de M. Messimy les hommes accomplissant leur troisième année de service étaient envoyés en congé à partir du mois de février, mais ils restaient inscrits sur les contrôles des unités, pouvaient être rappelés à tout moment et devaient l'être obligatoirement à l'époque des manœuvres d'automne suivant leur envoi en congé.

    M. Driant Pour répondre à la préoccupation de M. Jaurès, qui estime qu'un homme, ouvrier ou cultivateur, ne peut rendre de grands services aux siens en un mois, M. le ministre de la guerre ne pourrait-il, tout en maintenant son chiffre de trois mois de congé, décider que ces trois mois seraient, sur la demande des intéressés, accordés ou à raison d'un mois par an, ou en deux périodes de six semaines, ou en deux périodes l'une d'un mois, l'autre de deux, ou enfin en une seule permission de trois mois ?

    M. Paul Bénazet. Sans changer le caractère de la permission.

    M. Pierre Goujon. Il sera bien dur pour un homme de rester deux ans entiers sans permission.

    M. Maurice Binder Quel travail voulez-vous qu'il trouve en un mois ?

    M. le ministre de la Guerre Il peut y avoir des inconvénients.

    M. Fournier-Sarlovèze On a parlé tout à l'heure des hommes appartenant à une famille de quatre enfants. Mais ceux qui seront mariés et qui auront deux enfants sont intéressants, eux aussi. Or, ils ne seront pas nombreux. Ne pourrait-on faire quelque chose pour eux? Je reste convaincu qu'à un moment donné vous aurez sous les drapeaux des effectifs trop nombreux.

    '

    M. le ministre de la Guerre Je le souhaite.

    M. Fournier-Sarlovèze Puisque vous le souhaitez, ne pouvez-vous prévoir dans la loi le renvoi anticipé d'une partie de ces effectifs.

    Depuis l'ouverture de cette discussion, nous n’avons parlé que des effectifs, mais sans nous préoccuper un seul instant de leur recrutement ni de leur quotité. Je voudrais bien en conséquence que M. le ministre de la guerre mît à la disposition de la commission de l'armée des tableaux d'effectifs correspondant non pas à la loi de 1905 et à la loi des cadres votée dernièrement, mais aux modifications que le projet de loi en discussion apporte aux lois en vigueur. Nous aurions ainsi une base de discussion. Je voudrais, en un mot, si ma demande n'est pas indiscrète, que M. le ministre de la guerre nous fournît un tableau indiquant l'affectif normal minimum qu'il juge nécessaire 1° pour les corps de couverture, 2° pour les autres corps d'armée.

    M. le ministre de la Guerre je vous le donnerai.

    M. Fournier-Sarlovèze Je reste convaincu qu'avec les engagés et les appelés vous aurez sous les drapeaux, à un moment donné, beaucoup trop de monde.

    M. le ministre de la Guerre Le jour où j’aurai plus de monde qu'il ne m'en faut, je donnerai beaucoup plus de congés.

    M. Fournier-Sarlovèze Cependant, si vous insérez dans la loi que vous ne donnerez aux hommes qu'un mois de congé par an, vous serez bien obligé de vous maintenir dans les limites de ces dispositions.

    M. Driant Le ministre est toujours libre d'augmenter les permissions.

    M. Forest Ce sera un minimum.

    M. Fournier-Sarlovèze Il vaudrait mieux, à mon avis prévoir dans la loi la possibilité pour le ministre de renvoyer dans leurs foyers, au cas où les effectifs seraient trop nombreux, un certain nombre d'hommes choisis parmi ceux appartenant à l'une des catégories intéressantes dont on parlait tout à l'heure.

    M. le ministre de la Guerre Parfaitement, cela me va très bien.

    M. Fournier-Sarlovèze Je déposerai un amendement an ce sens et je prie par avance M. le ministre de la guerre de bien vouloir l'examiner avec bienveillance.

    M. Maurice Binder Nous comprenons très bien que M. le ministre de la guerre soit avant tout préoccupé d'avoir sous les drapeaux les effectifs indispensables. Mais les explications de M. Jaurès ont fait ressortir le manque d'intérêt des permissions d'un mois prévues dans le projet de loi.

    M. le ministre de la Guerre Actuellement, on ne donne pas davantage.

    M. Lucien Voilin On ne donne même jamais un mois la fois.

    M. Maurice Binder En admettant qu'on donne un mois à la fois, il y aura toujours lieu d'en déduire le jour du départ, celui du retour et les quatre ou cinq dimanches compris dans ce mois.

    M. le ministre de la Guerre Avec la loi de 1905 les hommes n'ont qu'un mois de permission.

    M. Jaurès Oui, mais ils ne font que deux ans de service.

    M. Maurice Binder Quelles que soient les exigences que vous croyiez devoir maintenir dans votre projet, je le voterai. Mais nous, devons tout de même nous efforcer de rendre la loi le moins lourde possible et pour les finances de l'État et pour les familles intéressantes.

    M. le ministre de la Guerre Certainement, et tout ce que je pourrai faire en ce sens, je le ferai.

    M. Maurice Binder Nous ne pouvons donc pas ne pas avoir cette préoccupation, tout en votant le principe de la loi de trois ans je me joins en conséquence à M. Driant pour vous demander, monsieur le ministre, s'il ne serait pas possible de bloquer les trois mois de congé prévus pour permettre à un agriculteur, à un ouvrier de trouver du travail.

    M. le ministre de la Guerre Vous parlez des hommes appelés pour trois ans ?

    M. Maurice Binder Oui, je ne parle que de ceux-là. Vous avez dit que les hommes appelés pour deux ans ne feraient que 23 mois, que ceux appelés pour 30 mois n'en feraient que 28 et qu'enfin ceux qui seraient astreints à faire trois ans auraient trois mois de congé à raison d'un mois par an. Je vous demande, après M. Driant, s'il ne serait pas possible de donner à ces derniers, s'ils le désirent, leurs trois mois de congé soit en une seule fois, soit en deux fois par périodes de six semaines ou d'un mois et deux mois.

    M. le ministre de la Guerre Il y a de gros inconvénients. Mais, étant donnée la réserve faite par M. Fournier-Sarlovèze, il est possible que nous puissions arriver à ce résultat.

    M. Maurice Binder Si les hommes ne peuvent pas travailler pendant leur permission, que voulez-vous qu'ils en fassent ? Ils crèveraient de faim.

    M. le général Pédoya Si j'ai bien compris vos paroles, monsieur le ministre, les articles 13 et 14 du projet de loi ne subsistent plus.

    M. le ministre de la Guerre Pourquoi ?

    M. le général Pédoya Vous dites que les hommes appelés pour 30 mois ne feront que 28 mois et d'autre part vous prévoyez pour eux une permission de deux mois; ils ne feront donc que 26 mois. Par conséquent....

    M. le ministre de la Guerre Non, ils feront 30 mois moins deux mois de permission, soit 28 mois.

    M. le général Pédoya Ah bien! je n'avais pas compris.

    M. Fournier-Sarlovèze Il est donc bien entendu, monsieur le ministre de la guerre, que vous n'êtes pas hostile à l'introduction dans la loi d'une disposition permettant de décongestionner les effectifs au cas où, à un moment donné, ils seraient congestionnés ?

    M. le ministre de la Guerre Je veux bien.

    M. Jaurès Mais quelles bases allez-vous prendre pour vos effectifs ?

    M. Forest Les trois mois de permission prévus constitueront donc un droit pour les hommes. En conséquence, c'est un minimum, ce n'est pas un maximum.

    M. le ministre de la Guerre C'est un maximum.

    M. Braibant C'est ainsi que je l'avais compris.

    M. Forest Les soldats, ayant droit à trente jours de permission, ne peuvent-ils en avoir davantage ?

    M. le ministre de la Guerre Si j’ai la possibilité de le faire, je ne demande pas mieux. Si mes effectifs sont au complet, s'ils sont ce que je désire qu'ils soient, si j'ai une certaine marge, je donne ces congés.

    M. Forest Dans ce cas, ce serait donc un minimum?

    M. le ministre de la Guerre Oui.

    M. Georges Vandame Dans le cas où l'examen de vos effectifs vous montrerait que vous avez Une certaine marge, permettriez-vous exceptionnellement aux hommes mariés, pères d'un ou deux enfants, de suivre les obligations de leur classe ? Je m'explique

    Un homme marié est ajourné, je suppose, deux années de suite, la troisième année, il est incorporé; d'après le projet de loi il devra accomplir ses trois ans et rester en conséquence au régiment de 24 à 27 ans, alors qu'il peut avoir plusieurs enfants.

    M. Maurice Dutreil C'est la discussion des articles.

    M. le président En effet. Monsieur Vandame, veuillez vous borner à poser des questions

    M. Georges Vandame Dans les conditions actuelles d'application de la loi de 1905 un homme marié incorporé, même après ajournement, n'a normalement pas plus de deux enfants, étant donné son âge. Mais si, en vertu de votre projet de loi, vous le retenez sous les drapeaux jusqu'à 27 ans, il pourra fort bien en avoir quatre ou cinq. Ne vous semble-t-il pas, dans ces [mot barré : questions] [conditions] – et c'est la question que je désire vous poser, monsieur le ministre, - qu'il serait excessif d'appliquer le même régime aux hommes mariés qu'à ceux qui ne le sont pas ?

    M. le ministre de la Guerre Il faudra que j’étudie la question.

    M. Lucien Voilin M. le ministre de la guerre nous enverra-t-il un texte relatif aux permissions et répondant à ses nouvelles déclarations?

    M. le ministre de la Guerre Oui.

    M. Lucien Voilin Malgré les explications échangées à c sujet, la question reste obscure. Il y a confusion entre les permissions et les congés; ce sont deux choses bien différentes cependant. Les permissions accordées en vertu de la loi de 1905 ne sont pas des permissions ininterrompues d'un mois, pas plus que ne le seront sans doute, quoi qu'en puissent penser certains de nos collègues, les permissions prévues par le projet de loi du Gouvernement. Les hommes obtiendront bien un mois de permission par an, mais fractionné en petites permissions de quatre ou de huit jours; encore faut-il qu'il s'agisse d'hommes que leur famille peut recevoir. Quoi qu'il en soit, il semble bien qu'il s'agisse là d'un maximum.

    Mais si M. le ministre de la guerre veut bien nous faire parvenir un texte, nous discuterons.

    M. le ministre de la Guerre C'est entendu.

    M. Lucien Voilin Autre question au sujet des congés.

    Il y a, à mon avis, une certaine obscurité dans les déclarations de M. le ministre de la guerre relatives aux congés qu'il accordera en cas d'engorgement des effectifs. Comment le ministre usera-t-il de ce qui ne sera pour lui qu'une latitude ? S'il y a vraiment trop d'hommes sous les drapeaux, à un moment donné, dira-t-il aux uns : Allez-vous promener, et gardera-t-il les autres ? Ce serait chose inacceptable. Nous en discuterons d'ailleurs ultérieurement. Quoi qu’il en soit voici la question que je pose : Le ministre de la guerre accepterait-il des amendements instituant des congés légaux ?

    M. le ministre de la Guerre Je vous apporterai ma formule; vous la discuterez.

    M. Étienne Rognon Je voudrais avoir de M. le ministre de la guerre quelques éclaircissements. Je n'y comprends plus rien du tout, je l'avoue.

    J'ai sous les yeux l'article 13 du projet du Gouvernement. J'y lis ce qui suit :

    " Le ministre de la guerre et le ministre de la marine sont autorisés à renvoyer dans leurs foyers en attendant leur passage dans la réserve :

    " 1° Après trente mois de service les militaires ayant obtenu le certificat de bonne conduite et qui, soit au moment de leur comparution devant le conseil de révision, soit postérieurement, ont quatre frères et sœurs vivants, légitimes ou reconnus.

    " 2° Après deux ans de service les militaires ayant, dans les mêmes conditions, plus de quatre frères ou sœurs vivants, légitimes ou reconnus.

    " Après les grandes manœuvres, le reste de la classe dont le service actif expire le 30 septembre suivant peut être renvoyé dans ces foyers en attendant son passage dans la réserve."

    Les propositions nouvelles que vous venez de faire aujourd'hui, monsieur le ministre, viennent-elles s'ajouter aux dispositions du projet de loi ou viennent-elles les restreindre ? -

    M. le ministre de la Guerre Non.

    M. Étienne RognonL'article 13 prévoit le renvoi d'une certaine catégorie de soldats après 30 mois de service, celui de certains autres après deux ans. D'autre part, aujourd'hui vous nous parlez de donner trois mois de congé à ceux qui font trois ans de service deux mois à ceux qui font trente mois et un mois à ceux qui font deux ans. Ces nouvelles propositions détruisent-elles l'article 13 ou s'y ajoutent-elles ?

    M. le ministre de la Guerre Elles s'y ajoutent.

    M. le président L'article 13 vise les congés, l'article 14 les permissions.

    M. Étienne Rognon Je tiens à signaler ce fait que déjà, avec la loi de 1905, les longues permissions ne sont accordées qu'après enquête auprès des mairies pour savoir si les familles peuvent recevoir leurs enfants. L'enquête est des plus sérieuses, j'en ai été témoin bien souvent et des interventions sont parfois nécessaires. Je suis de ceux qui ont la prétention de connaître les milieux ouvriers et je puis vous dire qu'avec des congés aussi réduits que ceux qui sont prévus jamais votre loi ne pourra fonctionner : obligés en effet de tenir compte des nécessités du service, vous risquerez d'envoyer les hommes en permission à des moments qui ne correspondront pas aux périodes de production industrielle. La disposition visant les congés sera donc inopérante.

    En tout cas, il est indispensable que la décision que vous prendrez figure dans la loi sous la forme d'une disposition.

    M. le ministre de la Guerre C'est entendu.

    M. Étienne Rognon Je fais remarquer cependant que nous sommes appelés à nous prononcer, en ce moment, sur l'article 12. Or toutes les déclarations qui nous sont faites tendent à restreindre la durée du service; elles sont donc intimement liées, l'article 12. Comment ferons-nous, dans ces conditions, pour nous prononcer sur cet article, en connaissance de cause, si nous ne sommes pas saisis d'un texte ?

    M. Jaurès C'est demain que nous aurons ces textes ?

    M. Lorimy M. le ministre peut-il nous dire comment et à quel moment il constatera que les effectifs sont congestionnés ou anémiés, en un mot quel est la chiffre des effectifs désirables ?

    M. le ministre de la Guerre Je vous ferai parvenir un tableau fixant le minimum d'effectifs au-dessous duquel les unités ne pourront pas descendre. Tout ce qui sera en plus pourra être mis en congé.

    M. Jaurès Voici pourquoi je demandais si nous aurions ces textes demain.

    La commission de l’armée, - je ne suis pas indiscret en le disant à M. le ministre de la guerre, - a décidé de siéger demain et de s'ajourner après la session des conseils généraux. Il y a donc le plus grand intérêt, si vous voulez, messieurs, vous prononcer sur l'article 12 et faire en même temps un travail sérieux, précis pour que dans le pays on sache ce que signifie l'expression "loi de trois ans", il y a le plus grand intérêt à ce que vous puissiez dès demain incorporer dans l'article 12 les dispositions relatives aux permissions ou congés. C'est pour cela que je demandais à M. le ministre de la guerre de nous produire dès demain, avant la séance, le texte qu'il propose sur cette question.

    M. le ministre de la Guerre Je vous le transmettrai le plus rapidement possible. Mais c'est un travail que je dois faire.

    M. Jaurès Nous ne pourrons pas nous prononcer....

    M. Maurice Binder Mais si !

    M. le président Messieurs, ceci est de la discussion. Il ne s'agit plus d'une question à poser à M. le ministre de la guerre. Nous examinerons la chose quand M. le ministre de la guerre se sera retiré.

    Personne n'a plus de question à poser à M. le ministre de la guerre ?...

    Nous vous remercions, monsieur le ministre et nous vous rendons votre liberté.

    (M. le ministre de la guerre se retire.)

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