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Audition du général Stéphane Abrial, commandant suprême allié Transformation (SACT) à l’OTAN.
La séance est ouverte à dix heures dix.
M. le président Guy Teissier. Mes chers collègues, je suis particulièrement heureux de souhaiter en votre nom la bienvenue au général Stéphane Abrial, commandant suprême allié Transformation à l’OTAN, que nous connaissons tous bien. Nous sommes ravis de le retrouver dans cette nouvelle fonction.
Je rappelle, mon général, que vous avez été notamment chef du cabinet militaire de deux premiers ministres, Jean-Pierre Raffarin en 2004 et 2005, et Dominique de Villepin en 2005, puis commandant de la défense aérienne et des opérations aériennes, avant d’être nommé chef d’état-major de l’armée de l’air en juillet 2006. Vous exercez vos fonctions actuelles à l’OTAN depuis le 10 septembre dernier.
Vous allez nous exposer votre mission à Norfolk, mais je souhaiterais d’emblée que vous nous éclairiez sur trois autres points : quelles ont été depuis un an les conséquences du retour de la France dans le commandement intégré de l’organisation ? Quelle appréciation portez-vous sur les conclusions du groupe de travail présidé par Madeleine Albright sur le nouveau concept stratégique, rendues la semaine dernière ? Comment voyez-vous la place de l’Europe de la défense au sein de l’Alliance dans les années à venir ?
M. le général Stéphane Abrial, commandant suprême allié Transformation (SACT) à l’OTAN. Je voudrais d’abord vous remercier de m’offrir cette occasion de partager avec vous mes réflexions, un peu plus d’un an après la décision du Président de la République de pleinement réintégrer les structures de l’OTAN, et presque neuf mois après mon arrivée à la tête du Commandement allié pour la Transformation (ACT) – le premier commandement stratégique occupé par un Européen dans l’histoire de l’Alliance atlantique.
L’heure n’est sans doute pas encore aux bilans, mais je voudrais néanmoins vous faire part de mes observations et de mes aspirations dans un contexte très riche.
Le moment de notre pleine réintégration dans la structure militaire n’a pas été anodin : il a été concomitant avec d’autres changements importants – entre autres, la nomination d’un nouveau secrétaire général de l’OTAN en la personne de M. Rasmussen ; le lancement d’un nouveau concept stratégique ; et l’engagement d’une série de réformes associées, notamment celle de la structure militaire intégrée.
Ce contexte est donc caractérisé par une dynamique de mouvement inédite depuis l’après-Guerre froide. La volonté de réforme a véritablement atteint une masse critique, ouvrant la perspective de profonds changements. C’est une grande satisfaction pour moi que nous, Français, soyons maintenant pleinement acteurs dans cette large réforme. C’est dans ce cadre que j’ai d’ores et déjà inscrit mon action pour contribuer au remodelage de l’OTAN dont nous avons besoin.
Ainsi, à la tête de mon commandement, j’ai dégagé trois lignes-force : être toujours au service des nations ; construire autant que possible sur l’existant afin de garantir en ces temps de crise un emploi optimal des ressources ; contribuer à inscrire l’OTAN dans un cadre international fait d’une diversité croissante de partenaires.
La première traduction de ma volonté d’être résolument au service des nations est que mon commandement continue à prendre toute sa part au soutien de nos opérations, spécialement en Afghanistan.
Parmi les dynamiques de changement qui sont intervenues parallèlement à la décision française, j’aurais pu citer la refondation de la stratégie de l’Alliance en Afghanistan sous l’impulsion du général McChrystal. Mon commandement ne ménage pas son soutien à ses efforts dans toute une série de domaines.
Cela commence par notre rôle moteur en matière d’exercices et d’entraînement, par le biais de nos centres de Stavanger en Norvège et de Bydgoszcz en Pologne, puisque ces deux entités sont impliquées au plus près dans la préparation opérationnelle des états-majors avant leur déploiement. Leur rôle est crucial : le général McChrystal lui-même a estimé que le personnel qui avait bénéficié de cet entraînement était au moins 50 % plus efficace lorsqu’il prenait ensuite ses fonctions dans un état-major déployé. Mais notre action en matière d’exercice et d’entraînement doit être en adaptation permanente, car toute modification dans la conduite des opérations, en Afghanistan comme ailleurs, peut avoir des conséquences sur la préparation à fournir.
Nous avons également la responsabilité de l’analyse après action, puisque le centre interarmées de retour d’expérience de Monsanto, au Portugal, dépend également de mon commandement. Ses rapports jouissent déjà d’une grande considération et débouchent sur des adaptations concrètes – son analyse récente de la manière dont sont recueillies et traitées les données relatives aux engins explosifs improvisés (EEI) dans la force internationale d’assistance et de sécurité (FIAS) en Afghanistan a par exemple été d’une grande utilité. Mais je voudrais qu’il aille plus loin encore dans la réactivité et la capacité à recueillir les analyses d’autres centres, notamment nationaux, au sein de l’Alliance, qu’il les partage plus largement, et que les nations soient plus allantes dans ce processus.
Enfin, le soutien de mon commandement aux opérations en cours se traduit également dans le domaine du développement des capacités, où trois chapitres mobilisent l’essentiel de nos efforts.
D’abord, nous sommes engagés dans l’élaboration d’un socle commun de doctrine en contre-insurrection. En effet, le général McChrystal a besoin que l’ensemble de sa force parle un même langage. La diversité des expériences nationales, qui est une richesse, ne doit pas se traduire par des incohérences dans l’action d’ensemble. Une doctrine complète est en cours de discussion entre les nations ; parallèlement, nous publierons sous peu des documents provisoires qui serviront de référence aux forces dans l’intérim.
Ensuite, nous avons été chargés par le secrétaire général de l’OTAN de la coordination globale de la lutte contre les EEI, qui sont la cause de la majorité des décès de soldats de la coalition en Afghanistan. Nous avons élaboré contre cette menace, avec un fort sentiment d’urgence, un plan d’action que le Comité militaire a agréé.
Devant une nouvelle menace de ce type, ma détermination à construire d’abord sur l’existant prend tout son sens : nous réalisons nos plus grands progrès en faisant bénéficier l’ensemble des nations du travail déjà effectué dans des centres spécialisés de toute l’Alliance. Nous sommes par exemple en train d’élaborer un mécanisme qui permette au centre anti-EEI interarmées américain de renforcer en personnel nos équipes mobiles, qui se déplacent au sein des armées nationales pour les former à la lutte contre ces engins selon les standards de l’Alliance. De surcroît, pour renforcer notre expertise, nous accompagnons le développement, à l’initiative de l’Espagne, d’un centre spécialisé dédié à la lutte contre ce fléau, qui ouvrira ses portes cet été près de Madrid.
Mon troisième et dernier exemple de soutien aux opérations concerne l’interopérabilité des systèmes de commandement en Afghanistan. Aujourd’hui, les réseaux informatiques de l’état-major de la FIAS ne peuvent communiquer directement avec ceux des états-majors subordonnés. Nous comptons résoudre ce problème en mettant en place dans les mois qui viennent, en étroite collaboration avec le commandement américain de la transformation, le Joint Forces Command, un nouveau système permettant aux différents réseaux d’enfin communiquer.
J’attache donc, vous le voyez, beaucoup d’importance à la part de mon activité consacrée au soutien à nos engagements actuels.
J’ai coutume de dire que les opérations sont l’alpha et l’oméga de mon action – mais en disant cela, je pense tout autant à celles à venir. Je dois donc plaider, d’une part, pour le maintien d’une saine répartition entre les activités de mon commandement et celles du Commandement allié pour les Opérations, et moi-même veiller, d’autre part, à conserver un juste équilibre entre mon soutien aux engagements en cours et la préparation de l’avenir.
Dans toute organisation, le risque existe, dans des temps de défis et de pression des événements, d’hypothéquer l’avenir au profit de la « dictature du présent ». Il y a quelques années, le Commandement allié pour la Transformation consacrait cinq fois plus de ressources à la préparation du futur qu’au soutien aux opérations. Aujourd’hui, le taux est de 1 pour 1. Un rééquilibrage était sans doute nécessaire, mais je veux éviter que s’instaure un déséquilibre inverse qui obérerait l’avenir. Toutes les analyses des menaces – celle menée par mon commandement dans son projet futurs multiples, comme celle du Livre blanc de 2008 – peignent le tableau d’années à venir riches en défis et lourdes d’incertitudes.
Trois mois après ma prise de fonction, j’ai donc dessiné une série d’axes d’effort qui constituent mes priorités en matière de transformation.
Mon premier axe est une meilleure mise en réseau et l’ouverture mutuelle des institutions de transformation, incluant les capacités de formation et de réflexion, des pays membres. Cet axe est au croisement des deux impératifs que j’ai énoncés en introduction : celui d’être à l’écoute des besoins des pays, car c’est en leur sein que s’opère vraiment la transformation ; et celui de faire un meilleur usage des capacités qui existent déjà.
Nous nous efforçons ainsi de consolider les efforts nationaux et de les mettre en réseau pour faire progresser l’Alliance dans son ensemble au meilleur coût.
J’ai ainsi développé une relation réciproque formelle forte avec le commandement américain de la transformation, qui est géographiquement voisin de mon état-major, et j’ai écrit à l’ensemble des nations pour proposer d’établir une relation similaire avec leur institution équivalente. Je veux en effet mettre en valeur les adaptations les plus prometteuses, qu’elles proviennent de « poids lourds » de l’Alliance ou d’autres pays qui, eux aussi, ont une riche expérience et développent une réflexion digne d’intérêt.
Je veux aussi rentabiliser les capacités nationales existantes, par exemple en développant un catalogue des stages et entraînements nationaux qui pourraient être certifiés par l’ACT et ouverts aux autres pays. C’est pour moi un moyen d’aider les nations dans leur ensemble à mieux tirer profit de leurs capacités et à éviter les duplications involontaires.
J’encourage également le développement de nouvelles capacités, notamment par le réseau de plus d’une douzaine de centres d’excellence. Chacun d’eux développe une expertise dans un domaine répondant à un besoin de l’ensemble des membres de l’Alliance : opérations menées à partir de la mer, dans un centre aux États-Unis ; actions civilo-militaires aux Pays-Bas ; cyber-défense en Estonie ; soutien médical en opérations en Hongrie ; ou chez nous, en France, le CASPOA, que je connais bien, spécialisé dans le commandement et le contrôle dans le domaine aérien.
Mon second axe concerne le rôle de l’ACT comme laboratoire de pensée, ou « think tank », de l’OTAN. Ce n’est pas un rôle nouveau pour lui, et sa finalité est très concrète puisque la réflexion, notamment prospective, est tout naturellement au cœur de la préparation de l’avenir. Je désire toutefois approfondir cette fonction, afin que l’OTAN sache qu’elle peut compter de notre part sur le plus haut niveau de professionnalisme, de réactivité et de fiabilité.
Cette fonction s’est d’ores et déjà traduite de diverses manières. Plusieurs pays, par exemple, nous ont demandé d’évaluer leur stratégie de défense nationale – une marque de confiance dont je tire une grande satisfaction.
Nous avons également développé nos contacts parmi des instituts traitant de questions stratégiques et de défense, des deux côtés de l’Atlantique – j’ai moi-même eu des échanges avec des représentants de plusieurs dizaines de ces instituts et suis intervenu devant plusieurs d’entre eux dans différents pays. C’est dans le cadre de cette démarche que je m’exprimerai demain devant l’Institut français des relations internationales. Dans l’esprit de m’appuyer là encore sur l’existant, je veux que nous bénéficiions dans nos propres travaux de l’énergie intellectuelle et de la variété des perspectives apportées par ces laboratoires de pensée.
Mais la traduction sans doute la plus immédiate de notre rôle de laboratoire de pensée a été le soutien que nous avons fourni au groupe des experts réuni autour de Mme Albright et chargé de poser, dans le rapport rendu public la semaine dernière, les fondements d’un nouveau concept stratégique. Nous avons alimenté ces experts en documents d’information et de réflexion tout au long de leurs travaux, fournissant une aide d’autant plus appréciée que le groupe avait la particularité de ne compter aucun expert militaire parmi ses membres.
Mon troisième axe concerne le développement capacitaire au-delà de l’horizon des opérations en cours. Bien identifier les besoins capacitaires, et bien gérer les relations avec les industriels qui nous permettront de les remplir, nous aide à satisfaire ces besoins au meilleur coût et dans les délais les plus appropriés. Dans le contexte actuel, nos nations ont dans ce domaine moins que jamais de droit à l’erreur.
Je compte donc amener mon état-major à mieux recueillir, analyser et hiérarchiser les priorités capacitaires à venir, dans un dialogue étroit avec les nations.
Je veux aussi développer des relations suivies avec l’industrie, des deux côtés de l’Atlantique. Nous avons d’ores et déjà mis en place un cadre formalisant des coopérations, auxquelles des acteurs importants ont répondu favorablement, par exemple pour faire partie du bureau consultatif, qui sera une interface importante. Nous envisageons d’utiliser ce cadre sur des sujets aussi variés que la logistique, le soutien médical ou les systèmes de commandement et de contrôle maritime. Une première collaboration est déjà lancée, centrée sur l’utilisation d’imagerie vidéo en temps réel en Afghanistan.
Accroître notre connaissance mutuelle sera bénéfique pour les deux parties : cela permettra aux industriels de mieux percevoir, à l’échelle de 28 pays, quels sont les environnements dans lesquels nous envisageons d’opérer et quels pourront être à l’avenir les besoins militaires de nos membres.
En retour, cela nous permettra de mieux connaître l’état et les perspectives offertes par la technologie, les échéances des développements futurs et les coûts estimés. En rendant plus large, plus transparent et plus équitable l’accès des industriels à nos réflexions, nous espérons permettre à davantage d’acteurs du secteur, européens comme américains, de concourir à satisfaire nos besoins plus rapidement et au meilleur coût.
En quatrième lieu, je veux amplifier l’apport de l’ACT dans le développement des rapports de l’OTAN avec ses partenaires – j’entends « partenaires » au sens large. Cette volonté s’inscrit dans une évolution importante, dont on trouve la traduction dans le rapport remis par le groupe des experts : l’OTAN perçoit de plus en plus qu’il lui faut s’intégrer de manière plus suivie dans un paysage international qui compte de multiples autres acteurs.
Parmi les actions que j’ai entreprises figure le développement des contacts avec les interlocuteurs les plus pertinents de l’Organisation des Nations Unies – une institution avec laquelle, comme l’ont noté les experts, nous devons nous rapprocher. Sur tous les théâtres, l’ONU et ses agences civiles comptent en effet parmi nos interlocuteurs les plus importants : celles-ci sont présentes partout où nous le sommes et, militairement, nous devons être prêts à coopérer étroitement en cas de besoin, comme lorsque l’OTAN a relevé la FORPRONU en Bosnie en 1995.
Un autre de mes dossiers prioritaires est évidemment l’amélioration de la coopération entre l’Union européenne (UE) et l’OTAN. Le secrétaire général a déjà mis en cause à plusieurs reprises l’anomalie que représente leur faible niveau de coordination actuel. Cette faiblesse est source d’inefficacité : pour les 21 pays qui sont membres des deux organisations, les réflexions capacitaires, par exemple, menées par les deux organisations portent en réalité sur les mêmes forces.
Autant que possible, je cherche ainsi à faire bénéficier l’Union européenne de l’expertise de l’ACT et de l’OTAN, par exemple en matière de doctrine et de concepts dans la lutte contre les mines improvisées.
La politique européenne de sécurité et de défense n’est en outre pas encore pleinement prise en compte à l’OTAN, ni aux États-Unis, mais les progrès sont réels. Le rapport remis la semaine dernière par le groupe des experts marque de ce point de vue une étape importante puisqu’il appelle à un « partenariat véritablement complet » avec l’UE.
À mon niveau, et dans le respect du cadre et des procédures agréés par l’ensemble des membres de l’OTAN, je travaille également à favoriser cette compréhension mutuelle. J’ai ainsi engagé un dialogue avec le Parlement européen, dont une délégation a visité Norfolk, pour la première fois, il y a quelques semaines.
Je travaille surtout avec l’agence européenne de défense à une plus grande complémentarité des processus capacitaires et à une coopération concrète et pragmatique sur des sujets tels que le soutien médical ou la lutte contre les engins explosifs improvisés.
Par-delà ces quatre priorités, un fil rouge parcourt l’ensemble de mon action : le développement d’une approche globale bien comprise dans la gestion des crises. L’expérience opérationnelle récente et actuelle montre que les outils militaires ne peuvent, à eux seuls, régler une crise, mais qu’ils sont indispensables à la gestion de toute crise majeure. Ils sont fréquemment les seuls à pouvoir rétablir des conditions sécuritaires permettant l’action d’autres acteurs, les militaires disposant souvent de capacités humaines, logistiques et de coordination uniques sur un théâtre donné.
Cette approche globale doit être flexible pour s’adapter à chaque situation ; elle doit aussi respecter la diversité des acteurs, qu’il s’agisse des agences gouvernementales civiles ou des organisations internationales ou non gouvernementales, car de leur mobilisation dépend le succès de tous.
Mon action dans ce domaine commence donc par une double clarification : je veux d’abord rassurer nos interlocuteurs civils en précisant d’emblée que nous ne cherchons pas à les intégrer dans notre organigramme hiérarchique ou à nous poser en propriétaires ; en un mot, nous ne voulons pas proposer une approche globale à « taille unique ». Je ne veux pas non plus entretenir l’illusion que l’OTAN puisse développer en interne l’essentiel des outils civils nécessaires à une telle approche. Personne ne comprendrait, dans le contexte budgétaire actuel, que nous dupliquions des capacités existant ailleurs, et ce n’est tout simplement pas le cœur de métier de notre organisation.
Ce que je m’efforce donc de faire, c’est de favoriser le dialogue civilo-militaire et l’instauration d’une culture de coopération entre les différents acteurs au niveau stratégique – souvent en retard sur le dialogue établi sur le terrain. Concrètement, j’espère pouvoir faire profiter à terme ces interlocuteurs de la mise à disposition de capacités d’entraînement et parvenir, dans la résolution de certaines crises, à une coopération dès la phase de planification. J’espère aussi parvenir à ce que nous partagions mieux nos expériences respectives, les leçons que nous en tirons et les meilleures pratiques que nous développons.
Permettez-moi en conclusion de vous faire part d’observations plus personnelles quant à l’impact d’un commandeur stratégique européen à la tête du seul état-major de l’OTAN sur le sol américain. Je crois que notre pays espérait, par l’attribution de cette fonction, modifier et améliorer la dynamique interne de l’Alliance atlantique. Je pense que cette aspiration se matérialise.
Mes interlocuteurs, américains comme européens, sont très sensibles à la charge symbolique que représente le fait d’avoir un commandeur stratégique américain en Europe et un commandeur stratégique européen en Amérique. Ce n’est pas seulement le symbole d’un lien transatlantique fort, c’est aussi celui d’une réciprocité réaffirmée et d’un meilleur partage des responsabilités.
De plus, justement en tant qu’Européen, je suis bien placé pour parler de l’OTAN aux décideurs américains, mieux sans doute que ne pouvaient l’être mes prédécesseurs américains. Être situé géographiquement au plus près de Washington, et non loin de New York, est également un atout non négligeable. Et je dois témoigner que je trouve chez mes interlocuteurs un degré et une qualité d’écoute très élevés.
Je sais qu’une expérience comparable est partagée par les nombreux autres militaires français qui se sont vu confier des responsabilités importantes dans plusieurs états-majors de l’OTAN. Ils ont eux aussi été accueillis par de grandes attentes, qui sont le pendant de leur solide réputation de compétence, de réalisme et d’expérience.
Je crois que nous ressentons tous que nos alliés n’attendent pas de nous que nous nous contentions du statu quo. Ils comptent au contraire sur nous pour apporter notre expérience spécifique particulièrement riche, notre réalisme et notre franc-parler. Ces temps sont particulièrement propices pour être, aux côtés de nombreux autres, des agents du changement, afin de bâtir l’OTAN dont nous avons besoin dans un monde lourd d’incertitudes et de menaces.
M. le président Guy Teissier. Je vous remercie pour cet exposé introductif extrêmement complet. Je cède tout de suite la parole à M. Philippe Vitel qui, je le rappelle, est membre titulaire de la délégation française à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN.
M. Philippe Vitel. Selon le 24e paragraphe du rapport stratégique de 1999, la rupture des approvisionnements en ressources vitales constitue un risque majeur pour la sécurité de l’Alliance. Or, j’observe que nombre des pays de l’OTAN sont aujourd’hui dépendants en matière d’approvisionnements énergétiques, ce qui peut peser sur le fonctionnement de leur économie mais aussi de leur outil militaire. La plupart de ces États sont également membres de l’Union européenne, mais cette dernière n’a jamais réussi à mettre en place une politique énergétique commune. Je relève enfin que la dépendance énergétique est particulièrement forte vis-à-vis de la Russie, ce qui pose une nouvelle fois la question de nos relations avec ce pays.
En tant que membre de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, j’ai commencé à travailler sur ces enjeux et je dois présenter mes premières observations ce samedi à Riga lors de notre session de printemps. À l’automne, je rendrai mon rapport intitulé « Une stratégie énergétique durable pour l’Alliance ».
Pensez-vous que l’OTAN a un rôle à jouer en matière de sécurité énergétique et de sécurisation des approvisionnements des États membres, ce qui l’amènerait nécessairement à conduire des actions plus larges et, surtout, au-delà de ses frontières actuelles ?
M. le général Stéphane Abrial. La sécurité énergétique est effectivement une préoccupation majeure : il est primordial de protéger notre accès à l’énergie. Sur ce sujet, je perçois une certaine hésitation et il ne me semble pas qu’un consensus se dégage entre les États membres. Il existe toutefois une volonté commune de défendre les installations énergétiques, étant entendu que les pays font bien la distinction entre les installations nationales, qui relèvent de la sécurité intérieure, et les installations de défense qui pourraient entrer dans le champ d’application des stipulations de l’article 5 du Traité.
Par ailleurs, des études sont en cours concernant les espaces stratégiques communs que sont la mer, l’air, l’espace et le cyber-espace. C’est à travers eux que passent tous les flux vitaux pour nos sociétés contemporaines. En matière énergétique, la mer est principalement concernée. Pourtant, elle n’avait jamais fait l’objet d’études approfondies au sein de l’OTAN : pendant la Guerre froide, nous nous contentions de sécuriser l’espace atlantique pour assurer le ravitaillement venant d’Amérique et nous nous intéressions aux zones arctiques, mais sous un angle purement militaire. L’actualité de la question maritime nous conduit à repenser cette doctrine autour des concepts de surveillance ou de sécurité pour faire face aux nouvelles menaces. Je pense par exemple au développement des actes de piraterie ou des trafics illicites. De même, nous sommes attentifs à l’impact du réchauffement climatique sur les voies maritimes. Enfin, la sécurité du transport des hommes et des biens nous occupe tout particulièrement.
Les travaux étant en cours, il m’est difficile de vous apporter une réponse définitive sur ce sujet, mais j’ai le sentiment que l’enjeu énergétique est désormais bien appréhendé. Il devrait d’ailleurs occuper une place conséquente dans le nouveau concept stratégique.
Quant aux relations avec la Russie, je constate que la question reste un sujet de discussions fort puisqu’il a été largement débattu au cours de la préparation de ce nouveau concept. Certains pays, notamment les nouveaux membres, sont très réticents à un rapprochement avec la Russie. Je crois que cela est en partie lié à la position de l’Alliance qui, depuis la fin de la Guerre froide, a mis l’accent sur le fait que sa sécurité ne s’arrête pas à ses frontières, ce qui a pu affaiblir l’idée de défense territoriale. Il nous appartient désormais de réaffirmer cet engagement, sur un plan politique, mais aussi en procédant à des exercices sur le terrain. Ce faisant, nous rassurerons les États membres et nous arriverons peut-être à leur montrer qu’une relation positive avec la Russie peut se faire au bénéfice de tous.
M. Damien Meslot. Quelle opinion les Américains ont-ils de la politique de défense française ? Est-ce que le retour de la France dans le commandement intégré a modifié cette vision ?
Mme Françoise Hostalier. Vous avez souligné la forte diversification des risques et indiqué réfléchir à une approche globale des crises. À votre poste, comment pouvez-vous promouvoir une stratégie globale d’anticipation des crises et comment défendre cette approche d’ensemble ?
M. le général Stéphane Abrial. Nos partenaires américains apprécient la position française et je crois que notre retour au sein du commandement intégré a renforcé ce sentiment. Ils ne manquent d’ailleurs pas de faire référence à la lettre que le président Lyndon B. Johnson avait adressée au général de Gaulle en 1966, où il lui indiquait qu’il veillerait à ce que la France retrouve toute sa place au sein de l’Alliance le jour où elle souhaiterait y revenir complètement. Les Américains constatent que notre pays a toujours participé aux opérations sous mandat de l’OTAN et ils ont une forte confiance dans nos armées. Je crois d’ailleurs pouvoir dire que nous sommes les seuls, avec les Britanniques, à pouvoir nous honorer d’un tel degré de confiance.
Par ailleurs, ils apprécient la qualité de notre réflexion, notamment en matière de réformes : la France n’ayant que très peu d’intérêts nationaux en ce qui concerne l’implantation géographique des quartiers généraux, elle peut effectivement proposer des solutions audacieuses et ainsi libérer la réflexion au sein de l’Alliance. Notre approche multilatérale et ouverte, assise sur une expérience riche, dépourvue de timidité, est aussi un facteur positif.
Les échos que je reçois de notre retour dans le commandement intégré montrent que les Américains en sont très satisfaits, estimant que la rapidité des changements intervenus récemment est liée à notre réintégration. Pour autant, le scepticisme n’a pas disparu : nos partenaires attendent des engagements concrets. Des doutes subsistent quant à la volonté européenne de s’engager et de s’impliquer dans les opérations. C’est donc bien sur nos résultats que nous serons jugés.
Je suis un fervent défenseur de l’approche globale. En tant que militaires, nous devons aller au-devant des autres acteurs au travers d’un dialogue bilatéral, même si cela est parfois difficile, certains interlocuteurs ne souhaitant pas nous rencontrer. Nous devons faire preuve de pédagogie pour expliquer qui nous sommes, ce que nous faisons et en quoi nous pouvons aider les civils dans les missions qui leur sont confiées ou qu’ils se confient eux-mêmes.
En décembre, dans une lettre que j’ai adressée au secrétaire général de l’Alliance, j’ai proposé que l’ACT contribue, pour la partie militaire, à la mise en œuvre de cette approche globale. À ce titre, je rencontre par exemple la semaine prochaine des hauts responsables à l’ONU qui ont manifesté leur intérêt pour la coopération avec l’OTAN, en particulier en ce qui concerne l’entraînement, le retour d’expérience et les enjeux capacitaires.
Je crois que le potentiel est fort ; j’en veux pour preuve le succès du site Internet que nous avons développé pour la gestion des crises. Tous les intervenants peuvent y trouver, à des degrés divers et selon leur niveau d’accès, des informations tactiques, politiques, économiques… précises et régulièrement mises à jour. C’est d’ailleurs à la demande des commandants d’opérations en Afghanistan et dans la Corne de l’Afrique – contre la piraterie – que nous avons créé cet outil, ce qui montre bien sa dimension opérationnelle. Lors de la crise haïtienne, nous avons pu mettre en ligne, en moins de 24 heures, une page spéciale répertoriant tous les contacts des organisations impliquées, militaires et civiles, mais aussi des points sur la météo ou le trafic aérien. Ce fut un véritable succès, avec 1 500 à 2 000 visiteurs par jour. Ces résultats sont en partie dus au fait que le sigle de l’OTAN n’apparaît nulle part. C’est encore une limite de notre action : certains acteurs ne veulent toujours pas travailler avec des militaires.
Nous devons réfléchir aux capacités de l’Alliance pour mieux agir entre civils et militaires. Deux orientations opposées existent : on peut juger suffisant que l’OTAN n’ait qu’un annuaire avec une liste de points d’accès ou, à l’autre bout du spectre, souhaiter qu’elle s’implique directement en constituant un véritable corps civil en son sein. Il me semble qu’il ne faut pas créer une nouvelle bureaucratie, l’Alliance devant se doter des moyens strictement suffisants pour assurer l’échange et le partage d’informations.
M. Yves Fromion. Quelle va être la place de la politique européenne de sécurité et de défense dans le nouveau concept stratégique ? Va-t-on se contenter de déclarations creuses ou est-ce que l’impulsion créée par le traité de Lisbonne avec, notamment, la coopération structurée permanente, permettra d’avancer concrètement ? Les États-Unis vont-ils se satisfaire des divisions européennes et de la médiocrité de notre engagement ?
M. Francis Hillmeyer. Quel regard portez-vous sur l’Assemblée parlementaire de l’OTAN ?
M. le général Stéphane Abrial. Au sein de l’Alliance, il n’y a plus de doute sur la nécessité d’une coopération étroite avec la politique européenne de sécurité et de défense. Le secrétaire général met d’ailleurs l’accent sur cette articulation à chacune de ses interventions et je sais qu’il en parle très régulièrement avec Mme Ashton. Avec 21 États en commun, il serait en effet contre-productif que les deux organisations ne travaillent pas ensemble.
À mon niveau, je travaille beaucoup avec l’agence européenne de défense (AED) sur les capacités militaires. Toutes les avancées faites en commun profitent à nos forces et permettent de mieux adapter leurs moyens aux besoins dans un contexte budgétaire difficile. Je suis convaincu que les progrès enregistrés au sein de l’OTAN servent et renforcent la politique européenne de défense.
Le prochain concept stratégique aura une forte dimension déclaratoire mais il devrait être nettement plus allant sur ce sujet que le précédent, comme l’a d’ailleurs montré le rapport des experts. Il ne pourra toutefois pas entrer dans un grand degré de détails car il doit être suffisamment court et lisible pour être accessible au grand public. Cela s’inscrit dans une stratégie de communication de l’Alliance, qui veut être mieux connue et reconnue par les citoyens. Bien que la volonté existe d’insister sur ce point, je pense que le lien avec la politique européenne ne sera pas très développé dans le nouveau concept, sauf peut-être dans un document en annexe.
Pour ma part, j’ai marqué ma volonté de coopération auprès de l’AED et de l’état-major de l’Union européenne et j’ai toujours reçu un accueil très favorable, y compris de la part des pays qui contribuent au blocage politique entre l’Union européenne et l’OTAN. Malheureusement, ces échanges sont aujourd’hui informels et ne concernent pas les nombreuses données classifiées. J’ai cependant assez de latitude pour engager un dialogue constructif me permettant d’avancer en attendant l’accord politique qui permettra de formaliser ces échanges.
Les États-Unis auront toujours une politique de puissance, notamment sur le plan industriel ; mais cela n’est nullement incompatible avec le rapprochement que j’évoquais. Au sein de l’OTAN, je cherche d’ailleurs à rééquilibrer l’aspect industriel. Les industriels européens ont répondu positivement mais ils peinent à placer des interlocuteurs permanents auprès de mes structures, au contraire des Américains qui sont très présents. Je note que les industriels américains ont accueilli favorablement ces initiatives, même si elles entraînent de fait un accroissement de la concurrence.
Nous avons donc de réelles marges de progrès, mais je crois que les avancées capacitaires bénéficieront à la fois à l’OTAN et à l’Union européenne.
Quant à l’Assemblée parlementaire, je ne peux que vous indiquer que je suis intervenu devant une délégation de cette Assemblée à Washington il y a quelques mois et que j’ai beaucoup apprécié nos échanges. J’espère d’ailleurs que ce type de rencontre va se systématiser et se multiplier.
M. Jean-Jacques Candelier. Vous occupez depuis le mois de septembre des responsabilités importantes à l’OTAN. J’aimerais que vous évoquiez le « bourbier » afghan, dans lequel nous sommes enfoncés depuis 2001. Je pense que cette guerre n’est pas notre guerre. C’est la guerre du pétrole, c’est celle des Américains.
Je crois qu’il serait temps d’établir un calendrier de retrait de nos troupes : la formation de la police afghane est en bonne voie – même s’il faudrait 150 000 soldats au lieu de 75 000 pour assurer pleinement cette mission. Le Président Obama et notre ministre de la défense ont évoqué la mi-2011. Nos compatriotes s’inquiètent : nous avons 3 800 soldats sur place et 42 ont été tués. Deux soldats de l’OTAN disparaîtraient chaque jour depuis mai 2009. Les taliban sont de plus en plus dangereux et le Président Karzaï ne semble pas être le partenaire idéal… J’aimerais donc savoir comment vous voyez le retrait de nos troupes.
M. Yves Vandewalle. Ma question porte sur les relations industrielles transatlantiques. Vous avez dit tout à l’heure que les Américains étaient pragmatiques et jugeaient aux résultats : que pouvez-vous nous dire du dossier des avions ravitailleurs ?
M. le général Stéphane Abrial. À propos de l’Afghanistan, je tiens tout d’abord à préciser que je ne suis pas responsable de la conduite des opérations. Je pense néanmoins que nous avons les bonnes personnes en place et que l’action conduite va dans le bon sens. Je veux être optimiste.
La date du retrait des troupes évoquée par le Président Obama tient naturellement compte de la situation sur place mais également du calendrier électoral américain.
En Afghanistan, mon commandement travaille principalement sur la lutte contre les engins explosifs improvisés, qui est un enjeu fondamental. C’est l’arme du pauvre, très facile à fabriquer, à disséminer, et très difficile à détecter. Ces engins ont provoqué les deux tiers des pertes alliées l’année dernière. À l’OTAN, notre objectif n’est pas de les éradiquer – nous savons que ce ne serait pas un objectif réaliste – mais de lutter contre les réseaux qui en sont à l’origine, d’où la nécessité d’une approche globale. Nous nous efforçons aussi de permettre à nos troupes de se sentir plus à l’aise dans leur environnement, de ne pas avoir peur de sortir de leurs bases. Il s’agit d’une mission capitale car c’est le seul moyen de diminuer les pertes humaines, qui frappent considérablement les opinions publiques.
L’autre enjeu sur lequel nous travaillons beaucoup est la formation des forces armées et de sécurité afghanes. Afin de décupler nos efforts, nous nous concentrons sur la formation des formateurs. Nous arrivons à un rythme de formation qui me rend optimiste au regard du calendrier actuel. Ce calendrier dépend par ailleurs de la conduite des opérations menées sur le terrain par le général McChrystal.
Concernant l’industrie, l’ouverture existe, au moins dans les esprits. Dans le dossier des avions ravitailleurs, nous avons clairement assisté à une défense des intérêts corporatistes locaux. Mais le seul fait que l’administration américaine ait rouvert le dossier est un signe positif. Cela ne garantit cependant pas le résultat lorsque le dossier sera examiné par le Congrès.
M. Daniel Boisserie. Votre mission est de préparer l’avenir dans un contexte de crise. Rencontrez-vous dès maintenant des problèmes de financement ? Êtes-vous inquiet de la réduction des dépenses militaires dans les années à venir ?
M. Christophe Guilloteau. J’aimerais avoir votre avis sur la défense antimissile balistique (DAMB) : la posture française est-elle assez développée ou devons-nous avoir, au contraire, une posture plus intégrée à l’OTAN ou à l’Europe ?
M. le général Stéphane Abrial. La question du financement est dans tous les esprits. Mon budget a été réduit de 14 % cette année et, comme nous devons faire face à de nombreux coûts fixes, j’ai perdu 50 % de notre capacité de transformation. Les nations en ont conscience.
Nous essayons désormais de partir de ce qui existe, et non d’une feuille blanche.
Mon action est double. D’abord, partir de l’existant, en essayant de voir ce qui peut être amélioré et en mettant l’accent sur l’interopérabilité, à la fois des hommes et des équipements. C’est pourquoi nous mettons en place de nombreux entraînements communs.
Deuxièmement, nous recherchons les meilleures méthodes pour développer les capacités dont nous aurons besoin demain. La piste la plus intéressante est naturellement celle des aventures multinationales. Cette notion permet à toutes les nations de contribuer, même de manière marginale.
Comment les nations vont-elles financer leur effort de défense à l’avenir ? Cela dépasse mon niveau de responsabilité, mais il est important pour l’Alliance d’avoir une bonne visibilité dans ce domaine. Il y a donc un travail de cohérence à faire entre les efforts que les nations sont prêtes à envisager et les missions que l’on souhaite voir remplies par l’Alliance.
La défense antimissile est un sujet capital. Le rapport du groupe d’experts recommande qu’elle devienne une mission de l’Alliance, et non plus une simple capacité. La question ne peut en effet être éludée : pourquoi protégerait-on les militaires et non les citoyens ? La défense du territoire est donc une question politique fondamentale. Elle comporte des problèmes techniques et financiers qui ne sont pas résolus, sachant que de nouveaux coûts entraîneront nécessairement des effets d’éviction. Elle inclut également un troisième aspect, celui du commandement et du contrôle. Or, le processus de décision de l’OTAN, à 28, par comités, ne peut être efficace dans ce domaine, qui exige une réponse rapide. Aujourd’hui, une seule nation a une capacité de décision en la matière. Un arbitrage politique doit donc être pris dans ce domaine, ce qui devrait être fait au prochain sommet de Lisbonne.
M. Jean Michel. Votre présence à Norfolk est la contrepartie de la réintégration de la France dans le commandement intégré. Je souhaite savoir quelle est votre position face à la restriction draconienne des moyens mis à votre disposition, un peu moins de 600 personnes, contre 6 000 pour le commandement américain pour la transformation.
Lorsque la France a quitté le commandement intégré de l’OTAN, en 1966, le chef de l’État en faisait une question de souveraineté, afin que la France ait les mains libres face à ses alliés. Après la réintégration, est-ce que la France a toujours les mains libres ? Les entreprises européennes ont les plus grandes difficultés à concourir aux appels d’offres américains.
Mme Patricia Adam. J’ai assisté ce matin même à la réunion du cercle de Brienne, auquel participaient de nombreux industriels. Notre impression est que nombre de décisions majeures concernant notre défense et la place de l’Europe dans ce domaine sont prises de l’autre côté de l’Atlantique, à Norfolk.
Compte tenu de l’importance de ces enjeux, pourriez-vous nous indiquer ce que les Américains sont prêts à concéder aux Européens en termes industriels, et notamment en ce qui concerne la recherche et le développement ? Des réflexions sont-elles en cours dans ce domaine ?
M. le général Stéphane Abrial. S’agissant de nos moyens, nous sommes partis de l’existant et occupons une partie des locaux précédemment occupés par le commandant américain. Nous sommes colocalisés de fait, mais cela correspond bien à ce que souhaitaient les nations.
Il existe certainement un déséquilibre entre les moyens du commandement américain, qui rassemble effectivement près de 6 000 hommes, et les nôtres. Cette disproportion est sensible et elle rappelle celle qui existe dans nos relations avec l’AED, qui ne compte que 100 personnes.
Les relations entre les deux commandements présents à Norfolk sont bonnes. Je note une véritable volonté américaine de comprendre la sensibilité européenne. Nous travaillons main dans la main, et les Américains nous donnent accès à beaucoup de leurs travaux. Nous en tirons des éléments utiles pour l’Alliance. Et ce, en grande partie grâce à cette colocalisation, sans laquelle nous serions nettement moins efficaces. De leur côté, les Américains voient leurs productions diffusées, tout en bénéficiant d’échanges. Ils portent en particulier un intérêt marqué pour notre culture multilatérale.
D’une façon générale, je dispose de moyens suffisants pour mener à bien ma mission, même si je n’ai pas d’avion pour me déplacer comme mes homologues américains.
En ce qui concerne les perspectives industrielles, il m’est difficile de répondre à votre question dans la mesure où nous ne sommes pas une agence d’acquisition. Nous sommes au contraire une force de proposition d’actions et veillons à conseiller les nations pour qu’elles effectuent des choix pertinents et réalistes. À cet égard, la crise peut être un moteur de transformation.
S’agissant des questions de souveraineté, je crois que notre pays ne s’est pas lié les mains en rejoignant les structures de commandement intégré de l’Alliance. Je rappelle que l’OTAN dispose de peu de forces en propre : la quasi-totalité des effectifs qu’elle peut mobiliser sont des troupes nationales et seuls quelques rares équipements lui appartiennent, tels que les systèmes de détection et de commandement aéroportés, dits « Awacs ». Quant aux moyens de transport stratégiques, ils relèvent d’une initiative multilatérale « logée » au sein de l’organisation.
Surtout, notre pays a gagné en capacité d’influence : nous sommes pleinement dans l’Alliance, tenons la plume et formulons nos propositions. Et il revient à nos interlocuteurs de trouver d’éventuels arguments pour les contredire.
En ce qui concerne la place de l’industrie européenne sur le marché militaire américain, je ne pense pas que les États-Unis seront plus bienveillants qu’hier. Mais je constate des inflexions positives dans les déclarations publiques américaines pour travailler ensemble sur le terrain. Cela changera-t-il pour autant leur attitude vis-à-vis de l’industrie européenne ? In fine, je ne suis pas loin de partager votre scepticisme.
M. Michel Voisin. Nous faisons tous le constat de la supériorité américaine dans le domaine de la sécurité moderne.
Que vous inspire la récente déclaration du président Obama indiquant que les États-Unis n’ont pas pour mission d’assurer seuls la sécurité mondiale ?
M. le général Stéphane Abrial. Le discours de West Point prononcé samedi dernier préfigure certains éléments de la stratégie américaine qui doit être publiée prochainement. Il s’agit d’abord d’une réponse à la doctrine de la précédente administration, pour laquelle les États-Unis avaient le droit d’intervenir où bon leur semblait et selon les moyens qu’ils jugeaient utiles pour défendre leur sécurité et celle de leurs alliés. Les Américains reconnaissent aujourd’hui qu’ils ne sont jamais aussi efficaces que lorsqu’ils agissent avec les autres.
À plus long terme, il s’agit d’un message à l’adresse de l’électorat américain, inquiet de savoir jusqu’où leur pays doit s’engager pour la sécurité des autres États. Peut-être s’engage-t-on dans un nouveau cycle, où les États-Unis se montreront moins interventionnistes.
La séance est levée à onze heures trente.
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Informations relatives à la commission
La commission a nommé :
– M. Christian Ménard, rapporteur du projet de loi (n° 2502), adopté par le Sénat, relatif à la lutte contre la piraterie et à l'exercice des pouvoirs de police de l'État en mer ;
– M. Jean-Pierre Dupont, rapporteur de la proposition de loi (n° 2157) modifiant la loi n° 99-418 du 26 mai 1999 créant le Conseil national des communes « Compagnon de la Libération ».
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Membres présents ou excusés
Présents. – Mme Patricia Adam, M. Jean-Claude Beaulieu, M. Jean-Louis Bernard, M. Daniel Boisserie, Mme Françoise Briand, M. Dominique Caillaud, M. Patrice Calméjane, M. Jean-Jacques Candelier, M. Laurent Cathala, M. Bernard Cazeneuve, M. Guy Chambefort, M. Gérard Charasse, M. François Cornut-Gentille, M. Bernard Deflesselles, M. Jacques Desallangre, M. Nicolas Dhuicq, M. Jean-Pierre Dupont, M. Laurent Fabius, M. Pierre Frogier, M. Yves Fromion, M. Franck Gilard, M. Christophe Guilloteau, M. Francis Hillmeyer, Mme Françoise Hostalier, M. Marc Joulaud, M. Jacques Lamblin, Mme Marguerite Lamour, M. François Lamy, M. Gilbert Le Bris, M. Michel Lezeau, M. Daniel Mach, M. Christian Ménard, M. Damien Meslot, M. Jean Michel, M. Étienne Mourrut, M. Alain Moyne-Bressand, M. Jean-Claude Perez, M. Daniel Poulou, M. Alain Rousset, M. Michel Sainte-Marie, M. Guy Teissier, M. Marc Vampa, M. Yves Vandewalle, M. Jean-Claude Viollet, M. Philippe Vitel, M. Michel Voisin, M. André Wojciechowski.
Excusés. – M. Patrick Beaudouin, M. Philippe Folliot, M. Guillaume Garot, M. Jack Lang, Mme Marylise Lebranchu, M. Philippe Nauche, Mme Françoise Olivier-Coupeau, M. Bruno Sandras, M. Jean-Pierre Soisson.
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