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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session extraordinaire de 2007-2008

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 3 juillet 2008

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Marc Laffineur

1. Rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail

Discussion des articles (suite)

Avant l’article 16 (suite)

Amendements nos 171, 276à290

Article 16

M. Alain Vidalies

M. Christophe Sirugue

M. Régis Juanico

Mme Danièle Hoffman-Rispal

M. Jean Mallot

M. Jean-Patrick Gille

M. Christian Eckert

M. Marc Dolez

M. Roland Muzeau

M. Francis Vercamer

Mme Catherine Lemorton

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur

Amendements nos 113, 256, 291à305

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité

Amendements nos 306à320, 114, 321à335, 257

2. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Marc Laffineur,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Rénovation de la démocratie sociale
et réforme du temps de travail

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence,d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (nos 969 rectifié, 992, 999).

Discussion des articles (suite)

M. le président. À la fin de la dernière séance, nous avons examiné les amendements identiques avant l’article 16.

Je rappelle qu’avant le passage au vote sur ces amendements, j’ai été saisi par le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche d’une demande de quorum.

Avant l’article 16 (suite)

M. le président. Sur le vote des amendements identiques, nos 171 et 276 à 290, je suis saisi par le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

…………………………………………………………….

Nous allons maintenant procéder au scrutin.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

Les amendements nos 171 et 276 à 290 sont rejetés.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Article 16

M. le président. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article.

La parole est d’abord à M. Alain Vidalies.

M. Alain Vidalies. À ce stade du débat, je crois qu’il serait utile que le Gouvernement et la majorité s’expriment sur les objectifs de ce texte de loi.

Au fond, on nous présente une mécanique mais, sauf erreur de ma part, nous n’avons pas eu d’étude d’impact. Qu’attendez-vous de l’application de ce texte ? Espérez-vous des créations d’emplois, une amélioration de la compétitivité ? Dans cette dernière hypothèse, quel ratio de redistribution des richesses envisagez-vous ? Sur tout cela, vous êtes extrêmement silencieux.

Pourtant, c’est le cœur du problème. On ne modifie pas impunément autant d’articles du code du travail sans dire clairement quels sont les objectifs visés. Vous nous donnez quelques explications sur un besoin accru de flexibilité à l’intérieur des entreprises.

Pourtant, au vu des réactions, on constate que votre initiative ne reçoit aucun soutien de la part des très petites entreprises. Les représentants de l’UPA, de la CAPEB, mais aussi ceux de l’Union des professionnels libéraux ont considéré que le fait d’avoir des négociations au niveau de l’entreprise ne présentait strictement aucun intérêt pour eux, et que leur référence – comme nous le soutenons – devait être l’accord de branche.

De leur côté, les plus grandes entreprises se situaient plutôt dans une dynamique du respect de l’accord. Vous avez pu constater qu’après les négociations et la présentation du projet de loi, vous avez réussi à constituer une sorte de front uni regroupant toutes les organisations syndicales, mais aussi tous les signataires de l’accord, qui se sont étonnés : pourquoi ce texte, pourquoi maintenant, alors qu’avec la rédaction de l’article 17 nous avions répondu aux préoccupations des entreprises en obtenant l’accord des syndicats ?

Vous êtes passés outre et, depuis trois jours, nous attendons avec impatience que vous nous expliquiez pourquoi. Évidemment, il existe bien un cadrage idéologique dans lequel vous poursuivez votre travail mais, s’il présente probablement un grand intérêt pour l’UMP, il n’en a strictement aucun pour la France. Nous attendons vainement que vous nous indiquiez quelles sont vos attentes.

Lorsque vous débattez de la situation de la France, vous vous arc-boutez sur des statistiques. Pourtant, monsieur le ministre, comme on a pu le constater mardi soir lors de votre échange avec notre collègue Pierre-Alain Muet, vous êtes extrêmement gêné lorsque vous êtes confronté à la réalité. Pour pouvoir mener votre démarche à bien, vous devez surfer sur des idées reçues dont vous avez parfois réussi à convaincre l’opinion publique, mais qui ne reposent sur aucune réalité. La principale consiste à prétendre que la mauvaise situation de l’emploi en France serait due aux rigidités auxquelles serait confrontée la société.

Tout cela est totalement inexact. Pierre-Alain Muet vous a donné des statistiques, issues d’Eurostat, qui ne vous font pas plaisir – je le comprends bien – mais dont vous disposez aussi, pour vous montrer que cela ne sert strictement à rien de continuer à raconter partout que la durée du travail en France serait désastreuse comparée à celle de nos partenaires, tout simplement parce que les modes de calculs diffèrent. Lorsqu’on divise le nombre d’heures effectuées par le nombre de salariés qui travaillent à temps plein, les chiffres que tout le monde peut consulter sur Eurostat montrent bien que la France se situe plutôt au-dessus de ses partenaires.

Le débat politique, celui que nous devrions avoir si vous dépassiez cette affirmation idéologique, porte bien sur le contrat social et sur un choix de société. Cela ne revient pas au même de focaliser l’activité sur les gens qui travaillent à temps plein et, d’une certaine façon, se désintéresser des autres – ce qui est le modèle social actuellement en vigueur dans divers pays et notamment en Grande-Bretagne, et qui explique la contradiction des statistiques – ou de viser à ne laisser personne au bord de la route.

Chaque salarié a droit à cette considération. Surtout, au moment où les statistiques font apparaître une augmentation des maladies professionnelles, où le stress au travail devient l’une des préoccupations majeures pour l’avenir et dont les partenaires sociaux se sont saisis, on ne peut pas continuer à organiser la société autour de la précarité, de la flexibilité. On ne peut pas constater que beaucoup de salariés, cadres ou non cadres, sont harassés et rencontrent de plus en plus de difficultés au travail, et venir ici, sans aucune considération pour cette situation, proposer encore plus de flexibilité, d’insécurité.

M. le président. Monsieur Vidalies, il faut conclure.

M. Alain Vidalies. Je termine d’une phrase, monsieur le président. Au-delà de la valeur travail, il y a des hommes et des femmes – nous devrions au moins être d’accord sur le fait de ne pas l’oublier dans nos débats. Aujourd’hui, la réalité est difficile à vivre pour beaucoup de gens. Cela n’est pas théorique.

M. le président. La parole est à M. Christophe Sirugue.

M. Christophe Sirugue. L’article 16 est essentiellement consacré à la détermination du contingent annuel d’heures supplémentaires, à leurs conditions d’utilisation et à la contrepartie en repos.

Il n’est donc pas inutile que nous nous arrêtions quelques instants sur la logique des heures supplémentaires. Cette logique économique voudrait qu’à l’intérieur de l’entreprise les rapports soient de plus en plus basés sur la souplesse – la flexibilité dit-on aujourd’hui. Cette logique mérite d’autant plus d’être analysée que, depuis 2002, les différents gouvernements ont choisi d’augmenter le nombre d’heures supplémentaires. Pour quel résultat ? Il n’est pas à la hauteur des espérances de celles et ceux qui ont fait ce choix. Aujourd’hui, on peut remarquer que les heures supplémentaires ne concernent qu’un tiers des salariés à temps complet. En moyenne, elles atteignent 55 heures par an, bien en deçà des 220 heures autorisées actuellement.

À l’évidence, une question se pose : pourquoi voulez-vous à ce point permettre d’accroître le nombre d’heures supplémentaires, si celles qui sont déjà disponibles ne sont pas utilisées ?

Vous voulez sans doute le faire pour donner un gage à ceux de vos amis qui considèrent que, dans notre société, les salariés doivent être la variable d’ajustement de la recherche de profits toujours plus élevés. Nous pensons au contraire que, pour travailler au mieux dans l’entreprise, chacun doit y trouver son compte, y compris, tout simplement, au regard du respect de sa vie. La dérégulation que vous appelez de vos vœux permettra bien sûr aux entrepreneurs de bénéficier de souplesse, mais obligera les salariés à s’adapter systématiquement aux demandes de l’employeur.

De surcroît, l’accord que vous proposez s’entend dans l’entreprise, de gré à gré, au plus près – dites-vous – du terrain et de la relation sociale. Soit, mais quelles sont les bases de la relation sociale dans les très petites entreprises, où, on le sait, le salarié est le plus en situation de fragilité ? Supprimer l’accord de branche au profit de l’accord par entreprise revient à supprimer les sécurités collectives acquises depuis de nombreuses années.

L’article 16 est funeste, d’autres l’on dit avant moi. Si nous ne voyons pas ce qu’il apporte en plus, nous voyons en revanche ce qu’il retire, notamment en ce qui concerne le repos compensateur. Dans votre texte, celui-ci devient au fond une contrepartie obligatoire en repos. Les mots ont un sens : ce que vous proposez, c’est une flexibilité à outrance. Il est clair, dans ces conditions, que l’article 16 n’est pas acceptable pour nous.

M. Jean Mallot. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Régis Juanico.

M. Régis Juanico. Nous quittons les rives tranquilles de nos débats pour entrer, avec la deuxième partie du texte, dans une zone de turbulences, et je dirai même une zone de non-droit. Pas pour les employeurs : je vous rassure, monsieur le ministre. Ceux-là bénéficient de votre part d’une mansuétude qui ne nous a pas échappé, puisque, au regard des dispositions adoptées dans la première partie, ils n’auront pas à prouver la représentativité que vous exigez pour les organisations syndicales. Une zone de non-droit, disais-je, pour les millions de salariés qui auront à subir les conséquences de votre texte dans leur vie professionnelle au quotidien.

Vous nous avez répété qu’il fallait sortir du carcan des 35 heures et de sa rigide uniformité. C’est là toute notre différence : ce que vous appelez rigidité ou carcan, nous considérons que ce sont des garanties fondamentales et des protections élémentaires pour les travailleurs et les salariés de notre pays.

Pendant la campagne présidentielle, Jaurès et Blum ont été invoqués. Et hier soir, dans la bouche du rapporteur, ce fut au tour de Jean Auroux.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. En effet !

M. Régis Juanico. Il se trouve que je le connais bien. Nous sommes tous deux Ligériens : lui est Roannais et moi Stéphanois. Je pense qu’il dirait exactement la même chose que moi s’il était encore parlementaire. Ne l’oublions pas, en 1982, il fut un grand ministre du travail ayant fait voter des lois de progrès, qui consistaient à octroyer aux salariés des droits nouveaux dans l’entreprise et en termes de représentation. Il aurait donc lui aussi appelé garanties fondamentales ce que vous nommez rigidité.

Beaucoup plus qu’un assouplissement, votre texte organise le démantèlement des règles relatives au temps de travail. Ainsi, on déterminera au niveau de l’entreprise des dispositions qui, jusqu’alors, étaient encadrées par la loi, précisément parce que le législateur les jugeait essentielles pour la santé et la sécurité des salariés. Fin du repos compensateur, banalisation et déréglementation des conventions de forfait, unification par le bas des accords de modulation : autant de garde-fous qui tomberont.

Alain Vidalies et Christophe Sirugue viennent d’y faire allusion : vos positions sur le temps de travail relèvent de l’acharnement thérapeutique.

M. Jean Leonetti. Et les vôtres de l’obstination déraisonnable !

M. Régis Juanico. Comme je l’ai dit avant-hier, ce texte est le sixième que vous pondez sur le sujet en sept ans.

Or la souplesse existe déjà. Ainsi que l’a fort justement observé Alain Vidalies, aucune étude d’impact n’est proposée. Quels ont été les résultats des six réformes adoptées au cours des sept dernières années ? La loi du 27 janvier 2003 a porté le contingent d’heures supplémentaires de 130 à 180 heures, lequel est passé à 220 heures avec le décret du 21 décembre 2004 ; la loi du 31 mars 2005 a permis aux entreprises d’aller encore au-delà, en accord avec le salarié ; la loi du 21 août 2007, dite loi TEPA, a instauré les exonérations de cotisations pour les entreprises – d’impôts pour les salariés – ayant recours aux heures supplémentaires ; enfin, la loi du 8 février 2008 a permis au salarié de racheter des jours de RTT.

M. le président. Merci de conclure.

M. Régis Juanico. Cette politique, monsieur le ministre, ne marche pas. Christophe Sirugue l’a souligné : le déplafonnement du contingent des heures supplémentaires est un échec. Très peu d’accords ont été signés et une étude de la DARES en 2006 montre que seulement 25 % des salariés sont concernés, pour une moyenne de 55 heures par an. Quant au dispositif de la loi TEPA intéressant les heures supplémentaires, il a également échoué : Didier Migaud a publié une étude qui montre qu’il est coûteux et inefficace.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Un article dans Le Monde, pas une étude !

M. le président. Merci, monsieur Juanico.

M. Régis Juanico. Et ce dispositif ne touche que 20 % des salariés, de même que celui du rachat des RTT, comme l’indique une étude de l’URSSAF.

M. le président. Il faut vraiment conclure.

M. Régis Juanico. Bref, monsieur le ministre, vous créez des dispositifs pour 20 % des salariés : c’est tout le problème !

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. Ils concernent 4 millions de personnes, tout de même !

M. Régis Juanico. Nous pensons, nous, à tous les salariés, qui auront à subir les conséquences du présent texte.

Voilà ce que nous tenions à rappeler au sujet de l’article 16.

M. Christian Eckert. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Danièle Hoffman-Rispal.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Depuis le début de nos débats, plusieurs d’entre nous vous ont interpellé, monsieur le ministre, sur l’inversion de la hiérarchie des normes. Vous nous parlez de proximité avec le terrain et prétendez que tout ira mieux ainsi pour les entreprises. Or 4 millions de salariés travaillent dans de très petites entreprises. Certains membres de la majorité ont-ils été dans ce cas ? Lorsque trois ou quatre salariés ont à négocier avec leur employeur, il me semble que l’accord de branche peut aider…

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. Mais non !

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Je pense que nous sommes quelques-uns à avoir vécu comme moi cette situation, monsieur le rapporteur. L’accord de branche, disais-je, peut aider le salarié à négocier car il le fait dans un cadre.

Dès lors que ce dernier disparaît, et en l’absence de syndicats, les salariés des très petites entreprises se trouveront seuls face à l’employeur. Quel cadre auront-ils pour négocier ? Comment s’organisera une femme ayant des enfants à qui l’on donnera des heures supplémentaires qui n’auront pas forcément été prévues longtemps à l’avance ? Je comprends que les entreprises puissent avoir des besoins ponctuels. Pour avoir travaillé dans la mode, je sais par exemple qu’un afflux de commandes peut intervenir en 48 heures. Mais ce n’est pas la règle toute l’année. Sans un cadre tel que l’accord de branche, comment fait-on pour négocier quand on a des enfants à élever et de longs déplacements à faire ? Comment fait-on pour refuser des heures supplémentaires parce que l’on n’a, par exemple, personne pour garder ses enfants le soir ?

Bref, une telle inversion de la hiérarchie des normes est très grave pour les petites et moyennes entreprises. Dans des structures plus importantes, avec des syndicats, il est bien sûr plus facile de négocier. Mais dans une entreprise de moins de onze salariés, c’est impossible. Cela fait 48 heures que nous vous interpellons sur ce sujet, monsieur le ministre. Mme Billard, qui connaît elle aussi très bien la question, l’a fait longuement. Il ne s’agit pas de proximité avec le terrain mais, je le répète, d’une sécurité que l’on enlève aux salariés, lesquels souffriront d’un tel dumping social. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à M. Jean Mallot.

M. Jean Mallot. Nous reprenons donc nos débats après un repos compensateur bien mérité, notamment pour les personnels de l’Assemblée, que je remercie pour leur assistance, repos obtenu grâce au président Ayrault.

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Et pas négocié !

M. Jean Mallot. Vous ne vous souciez guère des conditions de travail des personnels de l’Assemblée, monsieur le ministre, mais c’est normal : c’est la séparation des pouvoirs !

M. Hervé de Charette. Démago !

M. Jean Mallot. Autocritique !

L’article 16 du présent texte permettrait de fixer le contingent des heures supplémentaires par accord d’entreprise, lequel, aux termes de votre exposé des motifs, prévoirait « les conditions de dépassement du contingent et les contreparties obligatoires en temps de repos, en sus de la majoration salariale attachée à ces heures supplémentaires, pour les heures supplémentaires accomplies au-delà du contingent ». La mécanique est donc en place pour faire disparaître les limites à l’augmentation du nombre d’heures supplémentaires, et parallèlement les limites à la baisse de leur rémunération.

En défendant un amendement visant à supprimer cette partie scélérate du projet de loi, j’ai modestement essayé, dans les quelques minutes qui m’étaient imparties, de mettre votre démarche en perspective, en établissant notamment le lien entre le présent texte et le type de société qu’il prétend instaurer avec le projet de loi relatif à la modernisation de l’économie, encore en navette avec le Sénat. Comment les choses vont-elles se passer ? Un salarié effectuera des heures supplémentaires – avec ou sans limite, selon le bon vouloir du patron –, tout en pouvant devenir, grâce au dispositif prévu dans le projet LME, un autoentrepreneur. Nous avons eu sur ce sujet des débats nourris. M. Novelli, anticipant sur le vote de ce projet de loi, n’a pas hésité à nous distribuer le kit de l’autoentrepreneur. J’ignore s’il se trouve parmi nous, notamment à l’UMP, des députés qui comptent profiter de la mesure,…

M. Christian Eckert. M. Copé ?

M. Jean Mallot. Peut-être, en effet !

J’ignore, disais-je, si certains de nos collègues entendent ainsi, après les séances de nuit, se consacrer à un petit boulot pour compléter leurs émoluments…

Ce qui est intéressant dans le kit de M. Novelli, c’est qu’il explicite fort bien l’espèce de concurrence interne, et pour le moins étrange, entre, d’une part, l’autoentrepreneur salarié dans une entreprise et, de l’autre, l’entreprise dont il est salarié. M. Novelli, connu pour être un idéologue, certes respectable, de l’ultralibéralisme,…

M. Régis Juanico. Un auto-idéologue !

M. Jean Mallot. …entend aider les futurs autoentrepreneurs pour savoir où trouver l’idée de l’entreprise qu’ils veulent créer.

C’est généralement en observant son milieu professionnel qu’une personne décide de créer une entreprise, avec dans l’idée d’améliorer les produits fabriqués, les méthodes de production ou de commercialisation, et c’est pour mettre ses idées en pratique qu’elle crée sa propre entreprise.

Nous attendons, monsieur le ministre, des réponses précises car nous avons du mal à comprendre l’articulation entre des législations qui vont mettre des personnes en concurrence avec elles-mêmes. C’est là la quintessence de l’article 16 ! Vous allez devoir expliquer cela à vos bons amis de l’UPA, à qui vous accordez des niches depuis quelque temps et qui ont récemment exprimé leur colère en déclarant dans une motion « rejeter catégoriquement la création du statut d’auto-entrepreneur qui, en instaurant un régime dérogatoire au profit de petites activités, impose une concurrence déloyale aux entreprises existantes et menace un tissu économique aujourd’hui performant ».

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean Mallot. Nous sommes là au cœur du débat. Naturellement, nous reviendrons sur les autres aspects de l’article – nous avons pour cela tout notre temps, n’est-ce pas, monsieur le président ? Nous attendons de M. le ministre qu’il nous explique clairement comment s’articulent ces différentes dispositions et comment fonctionne cette nouvelle société qu’il nous propose.

M. le président. La parole est à M. Jean-Patrick Gille.

M. Jean-Patrick Gille. L’article 16, nous l’avons tous compris, est au cœur du piège auquel ont été prises les organisations syndicales.

M. Benoist Apparu. Avez-vous si peu de considération pour elles ?

M. Jean-Patrick Gille. À partir d’un codicille, l’article 17 de la position commune, celles-ci ont consenti, comme à regret si l’on en croit la longueur de l’article – il ne comprend que huit lignes – de permettre, à titre expérimental, le dépassement des contingents d’heures supplémentaires par un accord majoritaire.

Vous en faites la règle générale en passant de l’expérimental, appliqué dans un cadre restreint, à la règle générale, mais également – j’insiste sur ce point – d’un accord majoritaire à un accord minoritaire, fixé à 30 %, ce qui permettra de renégocier l’ensemble des accords sur le temps de travail. Et surtout, par une double manœuvre, vous systématisez les dispositions de la loi Fillon de 2004, qui permettaient aux accords d’entreprise de déroger aux accords de branche. La dérogation devient donc la règle : tel est le véritable objectif de l’article 16, qui consacre l’inversion de la hiérarchie des normes sociales.

Ainsi, la règle des 30 % permettra – selon les propres termes des organisations syndicales – de décricoter tous les accords sur le temps de travail, jusqu’à présent négociés à la majorité. De plus, la référence à l’inspecteur du travail – son information et son autorisation en cas de dépassement des contingents – disparaît totalement, tout comme l’information des branches et l’évaluation paritaire qui en découle, prévues dans l’article 17 du texte issu de la position commune.

En passant de la négociation collective à un dialogue social flou, nous allons vers l’individualisation des rapports sociaux. Ne nous faites pas de faux procès : nous sommes favorables au dialogue social et, comme vous, nous sommes persuadés qu’un bon climat social dans l’entreprise est le gage de son efficacité économique. Mais nous pensons que ce dialogue social a besoin de règles : c’est ce que nous appelons la négociation collective. Au contraire, vous voulez déréguler et déconstruire ces règles !

Nous, nous pensons qu’il existe dans notre pays un droit à la convention collective, un droit garanti par la Constitution puisqu’il est cité dans son préambule,…

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. Ah bon ?

M. Jean-Patrick Gille. …mais il existe aussi un droit de la négociation collective, qui s’appuie sur des négociations interprofessionnelles, de branche et d’entreprise, selon une hiérarchie qui protège les salariés. Il est nécessaire de les protéger car, même si les chefs d’entreprise ne sont pas diaboliques, la relation entre un salarié et son employeur est, par nature, déséquilibrée. C’est ce que vous ne voulez pas entendre ! Le contrat de travail n’est pas un contrat comme un autre, mais un lien de subordination, même si le chef d’entreprise est un homme parfait, qui ira droit au paradis.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. Qui a dit cela ?

M. Jean-Patrick Gille. Le dialogue social, s’il n’est pas médiatisé par des organisations syndicales, n’est pas équilibré ; et dans le face à face individuel, le salarié est forcément en position de faiblesse, quelle que soit la qualité morale de son interlocuteur. C’est pourquoi le législateur doit défendre le droit de la négociation collective.

M. Marc Dolez. Eh oui !

M. Jean-Patrick Gille. Or, avec l’article 16, vous allez au-delà de l’assouplissement – dont nous aurions pu discuter – et vous contribuez à déconstruire ce droit en substituant l’accord d’entreprise à l’accord de branche.

Vous allez plus loin encore sur certains aspects que personne, sauf M. Muzeau, n’a encore évoqués. Vous écrivez notamment qu’à défaut d’accord collectif, l’employeur, à condition que le comité d’entreprise ou les délégués du personnel, s’ils existent, ne s’y opposent pas, l’employeur décidera. Il faut oser écrire cela ! Vous obtenez ainsi ce que vous souhaitez : l’individualisation totale des relations du travail et des rapports sociaux ! Cela répond, monsieur le rapporteur, à la question que vous me posiez en commission sur la distinction entre le dialogue social et la négociation collective. C’est pourquoi nous ne pouvons approuver l’article 16.

M. Roland Muzeau. Belle démonstration !

M. le président. La parole est à M. Christian Eckert.

M. Christian Eckert. Monsieur le ministre, votre gouvernement est composé d’artistes, tout comme votre majorité : nous avons évoqué la plume de M. Poisson…

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. En l’occurrence, il s’agit plutôt d’écailles ! (Rires.)

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Vous ne le prendrez pas dans vos filets !

M. Benoist Apparu. C’est un poisson volant !

M. Christian Eckert. Par petites touches successives, vous nous peignez le tableau de la société que vous voulez construire. Une loi après l’autre, vous détruisez tout ce que les travailleurs ont acquis, et, sous prétexte de modernisation et de réforme, vous procédez à des retours en arrière comme jamais notre vie sociale n’en a connu. Nous avons l’impression de revivre les périodes les plus noires des relations sociales dans notre pays.

Inversion des normes, nivellement par le bas des conditions sociales : la négociation sera désormais la variable d’ajustement, et les entreprises, sous couvert de compétitivité, de modernité – que de mots intéressants – pourront prendre des décisions sans tenir compte de la santé des travailleurs.

Je voudrais insister sur un point qui a été peu évoqué : le rôle de l’inspection du travail. Jusqu’à présent, une partie des évolutions du monde du travail étaient soumises à l’information de l’inspecteur du travail, voire à son autorisation. Désormais, tout cela est rayé d’un trait de plume – certainement celle de M. Poisson…

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. C’est obsessionnel !

M. Christian Eckert. …puisque ces dispositions disparaissent – je ne sais d’ailleurs pas à quoi vous allez occuper les inspecteurs du travail. Pour vous, l’action politique consiste uniquement à laisser faire, éventuellement à transcrire, lorsque cela vous arrange, ce qui a été négocié. La RGPP aura, là aussi, du grain à moudre…

Quant à la disparition de la notion de repos compensateur, elle est assez croquignole. Vous évoquez « la contrepartie obligatoire en repos », mais sans prévoir de seuil minimum ni de cadre. Encore une fois, aucune protection pour les travailleurs !

Dans le cas où, comme l’a indiqué Jean-Patrick Gille, aucun accord n’est trouvé – c’est la cerise sur le gâteau –, l’employeur peut le fixer de façon unilatérale. Voilà votre conception des relations à l’intérieur de l’entreprise !

Vous comprendrez donc que nous contestions violemment l’article 16, et nous ferons de même pour les suivants. Si encore vous pouviez nous prouver qu’en France nous travaillons moins qu’ailleurs !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. C’est pourtant le cas !

M. Christian Eckert. C’est un élément fondamental ! Après la discussion que nous avons eue ces jours derniers, et qui j’espère sera reprise par l’opinion publique, il est clair que l’on travaille autant, sinon plus, en France qu’ailleurs, en tout cas plus qu’aux États-Unis : les chiffres d’Eurostat sont formels. J’ai entendu un de nos collègues de la majorité dire que ce calcul prenait en compte les chômeurs. C’est faux : il est le résultat du nombre d’heures travaillées divisées par le nombre de gens qui travaillent. D’ailleurs, vous êtes allés jusqu’à dire qu’il ne tiendrait compte que des salariés qui travaillent à temps plein.

Nous nous battrons sur chaque point de cet article et nous ne laisserons pas passer ce qui, pour nous, est une extraordinaire régression. Vous pouvez compter sur la mobilisation de notre groupe pour mettre à mal les dispositions scélérates contenues dans cet article. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Roland Muzeau. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Scélérat : c’est bien le mot qui convient pour qualifier cet article 16. D’ailleurs, la deuxième partie de ce projet de loi constitue dans son ensemble un recul considérable et une régression sociale inéluctable, car elle remet en cause des piliers de notre droit du travail en inversant la hiérarchie des normes et en réduisant le rôle de la branche, pourtant essentielle pour les très petites entreprises.

Cet article important pose une question très grave. Pour ma part, je suis frappé, dans ce débat – et ce fut particulièrement vrai hier soir –, par la volonté du Gouvernement et de la majorité d’assumer pleinement ces dispositions.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. Eh oui !

M. Marc Dolez. C’est très bien, car ainsi les choses sont parfaitement claires : vous assumez la déréglementation du droit du travail et le recul des avancées sociales acquises depuis plusieurs décennies.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. Pouvez-vous préciser combien de décennies ?

M. Marc Dolez. Nul besoin d’expliquer aux personnes qui se trouvent dans les tribunes quelle est la différence entre la droite et la gauche, au-delà de la position des uns et des autres dans l’hémicycle : cet article est significatif de tout ce qui nous oppose !

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. La différence entre la droite et la gauche, c’est le courage !

M. Marc Dolez. On renverra désormais à la négociation d’entreprise le soin de fixer la limite du contingent annuel d’heures supplémentaires, leur majoration, la contrepartie en repos compensateurs. C’est la porte ouverte au dumping social, au détriment des salariés ! Pourtant, le rôle du droit du travail et des normes sociales est de protéger les salariés dans leur relation avec l’employeur, qui ne saurait être égalitaire du fait du lien de subordination juridique qui existe entre eux.

L’article 16 et les suivants portent de graves coups à ce que les salariés et les organisations syndicales ont acquis par la lutte au cours des décennies précédentes.

Ce débat est affligeant…

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Ne soyez pas sévères avec vous-mêmes !

M. Marc Dolez. …pour tous ceux qui ont le souci de protéger les salariés de notre pays et de garantir leurs droits. En assumant parfaitement cet article, le Gouvernement et la majorité décident d’aller encore plus loin dans la déréglementation et, ce qui n’avait encore jamais été fait de façon aussi évidente, dans la satisfaction des revendications du patronat et du MEDEF. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau.

M. Roland Muzeau. Avec l’article 16, nous entamons l'examen de la seconde partie du projet de loi qui, non seulement ne transpose pas la position commune, mais va sciemment à l’encontre du compromis négocié à son article 17 – compromis dont vous osez dire, monsieur le ministre, qu’il ne change rien !

L'article 17 de la position commune prévoyait : « Des accords d'entreprise conclus avec des organisations syndicales représentatives et ayant recueilli la majorité des voix aux élections des représentants du personnel peuvent dès à présent, à titre expérimental, préciser l'ensemble des conditions qui seront mises en œuvre pour dépasser le contingent conventionnel d'heures supplémentaires prévu par un accord de branche antérieur à la loi du 4 mai 2004, en fonction des conditions économiques dans l'entreprise et dans le respect des dispositions légales et des conditions de travail et de vie qui en découlent. »

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Cela vous convenait-il, monsieur Muzeau ?

M. Roland Muzeau. Non, et jamais, en tant que syndicaliste, je n’aurais signé ce texte. Mais il l’a été ! Vous connaissiez ma réponse puisque j’avais déjà évoqué cette question en commission.

M. le président. Revenez à votre intervention, monsieur Muzeau !

M. Roland Muzeau. C’est comme si je vous demandais, monsieur le ministre, si vous êtes d’accord avec tout ce que vous signez !

Ces dispositions représentaient pour les syndicats de salariés signataires une concession de taille. Vous avez décidé de passer outre, allant jusqu'à provoquer l'ire de la CFDT et de la CGT, ainsi que, plus étonnamment, celle de la présidente du MEDEF, laquelle a vertement critiqué la volonté du Gouvernement de passer par-dessus les partenaires sociaux pour assouplir encore davantage la loi sur les 35 heures.

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Tout arrive ! Vous citez le MEDEF !

M. Roland Muzeau. Même si ce sont vos amis, je les cite…

Bien sûr, cela n’empêche pas Mme Parisot d'approuver l’amendement de la majorité fixant à 235 le nombre maximum de jours de travail par an pour les salariés au forfait. Quoi qu’il en soit, sa réaction témoigne de l'unanimité qui se fait jour dès lors qu'il s'agit de reconnaître que votre projet de loi ne respecte pas le principe de concertation préalable énoncé dans la loi de janvier 2007.

Mais il y a plus grave. Votre texte inverse un principe essentiel en droit du travail français quant à la hiérarchie des normes : l'accord de branche devient subsidiaire par rapport à l'accord d'entreprise. Ce sale boulot, il est vrai, avait été engagé par M. Fillon en 2004.

Il dénonce en outre tous les accords précédents sur la durée du travail – plus de 40 000 –, qui obéissaient la plupart du temps à la règle majoritaire. C'est à ce prix qu'ils déclenchaient les allégements de cotisations patronales. Ces derniers sont maintenus et prolongés pour les employeurs, qui continuent par ailleurs à bénéficier des gains de productivité réalisés. Mais les salariés, eux, sont sommés de renoncer aux contreparties qu'ils avaient obtenues en termes de temps de travail et de repos : c'est un véritable marché de dupes !

Enfin, vous donnez aux employeurs la possibilité de se passer d'accords avec les syndicats et de déréglementer le temps de travail, soit par décision unilatérale, soit par convention de gré à gré, et chacun sait que le lien de subordination met le salarié en position d’infériorité dans une pseudo-négociation.

Ce projet n'a qu'un seul mérite : la cohérence avec le revirement opéré par votre gouvernement sur la directive européenne relative au temps de travail – mais nous y reviendrons. Pour le reste, il constitue une offensive sans précédent contre notre droit du travail. Il vise à le démolir et à nier la notion même d'ordre public social puisque, pour résumer votre position, l'État n'aurait plus à s'immiscer de quelque manière que ce soit dans les rapports entre employeurs et salariés. Vous voulez nous faire croire à la fiction juridique de l'égalité des parties au contrat de travail, c'est-à-dire que vous niez la légitimité même d'un droit du travail et l'existence de droits fondamentaux que l'État a vocation à garantir, parmi lesquels le droit à une vie familiale normale, et surtout le droit à la santé.

Ce projet de loi augmente le temps de travail, accroît la flexibilité, fait reculer la maîtrise de leur temps par les salariés et porte atteinte à leur santé. Les forfaits en jours des cadres et des salariés itinérants ne seront plus soumis au maximum de 218 jours par an ; en l'absence d'accord d'entreprise ou de branche, ils pourront être imposés par convention individuelle modifiant le contrat de travail. Le président de la CGC annonce qu’il est maintenant possible pour les cadres de travailler jusqu’à soixante-dix-huit heures par semaine. La France a pourtant déjà été condamnée par l'Europe pour violation de la Charte sociale européenne. L’obstination et la morgue de votre gouvernement sont presque incroyables.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Muzeau.

M. Jean Mallot. C’est pourtant intéressant, monsieur le président !

M. Roland Muzeau. Toutes les dispositions protectrices concernant le temps de travail annualisé ou réparti sur des cycles de plusieurs semaines sont supprimées : les conditions économiques et sociales justifiant le recours à la modulation, la définition des périodes hautes et basses, le programme annuel et les durées hebdomadaires ou mensuelles de travail. Si l'employeur est toujours contraint de respecter un délai de prévenance – déterminé par simple négociation d'entreprise – pour changer les horaires des salariés, les contreparties actuelles disparaissent dans le nouveau dispositif. Je pense en particulier aux repos compensateurs.

M. le président. Il faut vraiment conclure !

M. Roland Muzeau. Monsieur le président, cela m’évitera d’y revenir…

Les repos compensateurs pour les heures supplémentaires effectuées dans le cadre du contingent conventionnel sont supprimés.

Ce nouveau projet est, nous l'avons dit, une fuite en avant, qui vous précipite dans une impasse économique et démontre l'échec du Gouvernement sur les heures supplémentaires. Il faut croire que les intérêts que vous servez vous font perdre toute mesure et tout sens du bien commun. Ce dont nos concitoyens ont besoin, c'est de croissance, de pouvoir d'achat et d'emploi. L'urgence est de développer de nouvelles ambitions en matière d'investissement, de politique industrielle, de développement des services publics, certainement pas de dérégulation économique et sociale.

Nous exigeons donc le retrait de cette partie du projet de loi. Cette exigence vous fera sans doute sourire – c’est d’ailleurs le cas. Il est très facile d'obtenir l'accord d'une majorité aux ordres. Mais autre chose sera d'imposer votre réforme face au mouvement social ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. le président. La parole est à M. Francis Vercamer.

M. Francis Vercamer. Revenons à l’essentiel et au fond du texte. Il s’agit d’abord de laisser un peu de souplesse aux entreprises afin qu’elles puissent s’adapter à l’environnement international. Il y avait deux solutions : soit exporter Martine Aubry dans les pays émergents pour y instaurer la loi des 35 heures, ce qui aurait réglé le problème des socialistes pour leur prochain congrès,…

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. On aimerait entendre M. Dolez, député du Nord, sur cette question !

M. Francis Vercamer. …soit réformer en France pour s’adapter à l’environnement international. Je pense que M. le ministre a une préférence pour la deuxième solution, la première relevant d’une hypothétique décision du parti socialiste !

On a d’un côté le dogmatisme de la gauche, qui s’arc-boute sur des positions légitimes et raisonnables et sur le fond desquelles on ne peut qu’être d’accord : depuis des années, le temps de travail légal tend à diminuer en France. Il n’est pas idiot de le noter, et nous sommes tous d’accord. C’est pour cette raison que le Gouvernement a laissé le temps de travail légal fixé à 35 heures dans la loi. Il veut seulement permettre aux entreprises de dépasser ce seuil. Il faut donc faire preuve de pragmatisme et se demander comment adapter l’entreprise à l’environnement international. C’est toute la différence entre la droite et la gauche : la gauche reste sur ses positions, au prix de fermetures d’entreprises et de délocalisations qui jettent des salariés à la rue. Pour notre part, nous essayons de faire en sorte que les entreprises soient mieux adaptées à leur environnement.

M. Jean Mallot. Vous êtes donc à droite !

M. Francis Vercamer. Je suis au centre ! (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. le président. Seul M. Vercamer a la parole.

M. Francis Vercamer. Nous voulons permettre aux entreprises de faire des heures supplémentaires pour pouvoir s’adapter aux à-coups de l’environnement économique et faire face aux demandes des clients. Le groupe Nouveau Centre a demandé certains aménagements à cette loi. Il souhaite par exemple que les heures supplémentaires soient encadrées par des seuils, et, hors de l’entreprise, par les branches. Or il est inscrit dans le texte qu’en l’absence d’accord dans l’entreprise, ce sera, par défaut, la branche qui fixera le cadre. Le Gouvernement a déjà posé dans le projet de loi le principe selon lequel la branche peut fixer une règle générale. Incitons donc les branches à conclure ces accords, cela évitera aux entreprises de devoir le faire.

La deuxième demande du Nouveau Centre est qu’il faut gagner plus si l’on travaille plus.

Mme Jacqueline Fraysse. Non, ça, c’est le Président Sarkozy qui le dit !

M. Francis Vercamer. Nous demandons donc des aménagements, notamment pour les repos compensateurs, et nous avons déposé des amendements sur ce point.

Notre troisième demande concerne le volontariat.

M. Roland Muzeau. Il n’y a pas de volontariat ! Si le salarié refuse de faire des heures supplémentaires, c’est un motif de licenciement !

M. Francis Vercamer. Au-delà d’un certain seuil d’heures supplémentaires, nous souhaitons que le salarié soit volontaire.

M. Régis Juanico. Le volontariat, c’est valable dans l’armée, pas dans l’entreprise !

M. Francis Vercamer. Les heures supplémentaires étant à l’initiative de l’employeur, il ne s’agit pas de lui donner tous les droits, d’autant que le refus d’un salarié peut être considéré comme une faute grave.

Au Nouveau Centre, nous sommes partisans du dialogue social et nous aurions préféré que M. le ministre confie la négociation aux partenaires sociaux. Ce n’est pas le choix qu’il a fait, mais c’est son droit. Nous sommes déjà très heureux qu’il n’ait pas agi comme Mme Aubry, qui a décidé unilatéralement de légiférer, sans consulter les partenaires sociaux. Le Gouvernement, quant à lui, les a sollicités.

M. Régis Juanico. Combien d’accords ont été négociés ?

M. Francis Vercamer. Certes, il n’a pas retenu leurs propositions, mais au moins, il les a sollicités, ce qui n’était pas le cas de Mme Aubry. Voilà pourquoi j’ai demandé qu’on l’envoie en Asie. Ce serait peut-être la meilleure solution !

Nous faisons confiance aux partenaires sociaux pour réguler le marché du travail dans l’entreprise. Voilà la différence fondamentale entre la droite et la gauche. Vous voulez le « tout État » : il faut que tout soit réglé de la même façon pour tout le monde. (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Marc Dolez. Nous voulons protéger les salariés !

M. Francis Vercamer. Pour notre part, nous estimons que la règle doit être adaptée, parce que les entreprises ne sont pas toutes semblables. Les problèmes ne sont pas les mêmes pour une entreprise de 100 000 salariés et pour une de cinquante, les marchés non plus, en fonction de la branche.

M. le président. Il va falloir conclure, monsieur Vercamer !

M. Francis Vercamer. Au Nouveau Centre, nous souhaitons un système équilibré. Le dialogue social doit se poursuivre dans l’entreprise afin de régler les problèmes en son sein. Nous ne voulons pas que la loi fixe tout.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Lemorton.

Mme Catherine Lemorton. Je remercie M. Vercamer pour sa brillante démonstration. Si l’on a parfois l’impression qu’il appartient au Nouveau Centre, on réalise très vite qu’il est bien à droite ! Merci de cette clarification ! (Exclamations sur les bancs du groupe Nouveau Centre et du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

J’évoquerai à nouveau les 4 millions de salariés qui sont oubliés dans cette affaire, ceux qui travaillent dans les très petites entreprises que, personnellement, je connais bien, pour avoir été des deux côtés de la barrière, notamment celles qui n’ont ni délégués du personnel ni comité d’entreprise. Dans ces dernières, le rapport est inégal et le gré à gré n’est qu’une vitrine, voire un leurre ou un mirage. Il eût été judicieux, depuis six ans que vous êtes à la tête de notre pays, de vérifier si le code du travail, tel qu’il est écrit aujourd’hui, à cette heure – car c’est une question d’heures –, y était bien appliqué. Il eût aussi été judicieux, au lieu d’occuper les syndicats pour s’asseoir ensuite sur leurs accords, d’augmenter le nombre d’inspecteurs du travail, qui, aujourd’hui, est inférieur à ce qu’il était au début du XXe siècle. Je rappelle à ce titre un fait dramatique qui s’est produit il y a quelques années : deux inspecteurs du travail ont perdu la vie en allant contrôler une entreprise pratiquant le travail au noir.

Depuis hier, nous vivons une situation ubuesque : le titre II de ce projet de loi est défendu par un rapporteur qui, il y a quelque temps, me semble-t-il, a établi un rapport sur la pénibilité du travail.

M. Benoist Apparu. Excellent rapport !

Mme Catherine Lemorton. La situation est ubuesque quand nous voyons M. Xavier Bertrand, ancien ministre de la santé, et donc, a priori intéressé par la santé de nos concitoyens – dont on ne peut pourtant pas dire que le bilan de l’époque ait été satisfaisant au regard des comptes de l’assurance maladie – laisser le bébé à Mme Bachelot !

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Nous avons divisé le déficit par trois !

Mme Catherine Lemorton. Au-delà du non-respect de l’accord entre les partenaires sociaux, cet article 16, nous le répétons, est scélérat. Nous pensions que vos attaques s’arrêteraient à mai 1968 et à ses avancées, mais nous nous rendons compte que cela ne vous suffit pas et que vous voulez nous faire régresser jusqu’au début du XXe siècle. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. Je souhaite apporter quelques éléments de précision car j’ai l’impression qu’un certain nombre de nos collègues confondent le titre II et l’article 16.

Monsieur Juanico, j’ai également beaucoup de considération pour Jean Auroux, mais il convient de rappeler que les lois de 1982 qui portent son nom ont remplacé l’autorisation systématique de recourir aux heures supplémentaires par la définition d’un contingent…

Mme Martine Billard. Cela devrait vous plaire !

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. Je ne dis pas le contraire, mais cela ne fait que confirmer ce que je disais hier : la contractualisation du travail est un mouvement continu.

Ces lois ont également remplacé l’horaire collectif impératif par un horaire collectif de référence.

M. Régis Juanico. Mais toujours collectif !

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. Enfin, elles ont installé les normes légales comme supplétives des conventions. Je persiste donc : dans ce mouvement général de rééquilibrage entre le contrat et la loi dans le code du travail, ce projet de loi ne représente qu’une étape, …

Mme Martine Billard. Il faudrait plutôt parler de déséquilibrage !

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. …à l’instar des lois Auroux ou Aubry.

M. Christophe Sirugue. Pas du tout !

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. Je remercie notre excellente collègue Catherine Lemorton d’avoir fait référence à mon rapport, …

Mme Catherine Lemorton. En revanche, je n’ai jamais dit qu’il était excellent !

M. Benoist Apparu. Vous auriez dû !

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. …lequel concernait, j’y insiste, la pénibilité au travail, et non la pénibilité du travail. La nuance est importante. Mais je rappelle que ce gouvernement et le gouvernement précédent ont créé 700 postes d’inspecteurs du travail en trois ans, …

Mme Catherine Lemorton. Ce n’est pas assez !

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. …faisant ainsi la preuve de l’intérêt qu’ils portent à ces questions.

Par ailleurs, il n’est pas exact de dire que l’article 16 laisse place aux accords de gré à gré sur la question du contingent d’heures supplémentaires. Dans ce domaine, toutes les règles sont définies de manière collective ou, à défaut, par décret. Tous ceux d’entre vous qui ont invoqué le gré à gré se sont trompés, soit d’article, soit de texte : cela ne figure pas dans l’article 16.

Quant au III de l’article, relatif au repos compensateur de remplacement, il n’a rien à voir avec le contingent ni avec le déclenchement du repos compensateur obligatoire. Tous ceux qui ont allégué cet argument se sont donc trompés.

M. Christophe Sirugue. C’est un tout !

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. Bien sûr, « tout est dans tout et réciproquement », comme disait Pierre Dac…

Cette partie de l’article – dont je vous rappelle, monsieur Eckert, que la commission l’a supprimée – porte sur le mode de majoration des heures supplémentaires.

Je veux bien que l’on fasse des reproches, mais il convient de faire preuve d’exactitude. L’un de vous invoquait hier un nouveau monde, une zone de non-droit.

M. Christian Eckert. C’était M. Vidalies !

M. Régis Juanico. Et moi ce matin même !

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. Pourquoi pas le monde de Goldorak ou de Capitaine Flam ? (Applaudissements et rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Trêve d’exagération !

Enfin, il est fallacieux d’évoquer le dépassement du contingent dans le cadre du forfait jours prévu à l’article 17. Soit on parle de l’article 16, soit on parle du suivant ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Sur un tel sujet, j’invite chacun à faire preuve de clarté, la confusion empêchant le déroulement normal du débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. Je suis saisi d’une série d’amendements identiques, nos 113 et 256, et 291 à 305, tendant à supprimer l’article 16.

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard, pour soutenir l’amendement n° 113.

Mme Martine Billard. On comprend mieux aujourd’hui pourquoi, à l’occasion des travaux de recodification du code du travail, vous avez transféré la question de la durée du travail de la partie consacrée aux conditions de travail à celle intitulée « salaires, intéressement, participation et épargne salariale ». Cela résume bien votre philosophie : pour vous, la durée du travail n’a plus grand-chose à voir avec la santé, elle n’est qu’une variable d’ajustement de la rémunération. Vous dites aux salariés que si leur salaire ne leur suffit pas à vivre, ils n’ont qu’à travailler davantage !

Or une telle philosophie n’a rien à voir avec la valeur travail, mais tout avec la valeur marchande des salariés. Ces derniers n’ont plus que le choix entre se ruiner la santé ou se serrer la ceinture. Disant cela, je ne fais pas du Zola ; ce n’est pas un hasard si les salariés se sont battus pendant un siècle pour la réduction du temps de travail : ils voulaient protéger leur santé et avoir plus de temps à consacrer à leur famille et à d’autres activités.

Dès lors que le temps de travail n’est plus lié à la santé et à la sécurité, il est en effet cohérent de supprimer l’obligation de repos compensateur. Certes, un repos compensateur obligatoire peut être prévu si le contingent d’heures supplémentaires n’atteint pas le plafond. Mais si, à la suite des négociations, ce contingent est au taquet, il n’y a plus de repos compensateur obligatoire, dont l’existence est liée à l’application du contingent légal. Il y a donc bien suppression du repos compensateur obligatoire, créé par la loi Stoléru de 1977, …

M. Christian Eckert. Trente ans !

Mme Martine Billard. …et qui a pris une valeur constitutionnelle depuis une décision de 2004.

Deuxième caractéristique de cet article, l’inversion de la hiérarchie des normes, déjà entamée par la loi de 2004 relative au dialogue social. À l’époque, j’avais dénoncé les conséquences dont ce choix idéologique était porteur. Nous y sommes : dorénavant, les accords d’entreprise priment sur les accords de branche. Vous allez plus loin – même si cela n’est précisé à aucun moment, y compris dans le rapport – : vous supprimez l’obligation de conclure des accords de branche étendus, ce qui n’est pas rien. Les entreprises pourront ainsi s’affranchir de l’obligation de respecter les accords de branche.

Comme l’a souligné notre collègue Danièle Hoffman-Rispal, quand un chef d’entreprise tentait d’enfreindre le droit, on pouvait jusqu’à présent invoquer le code du travail et faire appel à un inspecteur du travail afin d’empêcher le dépassement du contingent légal d’heures supplémentaires – si un accord de branche ne l’autorisait pas – et d’imposer l’application des dispositions relatives au repos et à la rémunération. De telles situations s’observent fréquemment, notamment dans les petites entreprises.

Mais en supprimant à la fois la nécessité d’une autorisation par l’inspecteur du travail et le contingent légal, vous ôtez toute protection aux salariés des entreprises dépourvues d’implantation syndicale et de celles où le rapport de force leur est défavorable du fait de la pugnacité des dirigeants ou d’une compétition internationale particulièrement dure. Il ne s’agit pas de laisser une plus grande souplesse ni de donner à l’entreprise les moyens de répondre à un coup de feu, mais de permettre au dirigeant de faire ce qu’il veut et de priver les salariés de tout recours pour faire valoir leur droit aux compensations – leur droit à la santé, tout simplement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse, pour défendre l’amendement n° 256.

Mme Jacqueline Fraysse. L’article 16 modifie le contingent annuel des heures supplémentaires et supprime le repos compensateur. Il ouvre ainsi la voie à une utilisation massive des heures supplémentaires par les employeurs – sans aucune garantie, d’ailleurs, en termes d’augmentation de salaire.

Actuellement, le contingent d’heures supplémentaires est soit fixé par la loi, soit décidé librement dans le cadre d’un accord de branche ou d’entreprise. L’autorisation de l’inspecteur du travail est requise pour tout dépassement. La loi prévoit également un repos compensateur des heures effectuées au-delà d’un certain seuil, généralement fixé à hauteur du contingent annuel. Dans les entreprises de moins de vingt salariés, ce repos est fixé à 50 %, et à 100 % dans les entreprises de plus de vingt salariés.

Le texte de votre projet introduit une nouveauté en fixant les conditions dans lesquelles le contingent d’heures supplémentaires pourra désormais être dépassé. Ce faisant, il va nettement au-delà de l’article 17 de la position commune, puisqu’il vide de sa substance la notion même de contingent. En effet, que dit le texte du projet de loi ? « Une convention ou un accord […] fixe […] l’ensemble des conditions d’accomplissement d’heures supplémentaires au-delà du contingent annuel ainsi que la durée, les caractéristiques et les conditions de prise de la contrepartie obligatoire en repos due pour toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent annuel ».

Les modifications apportées par le projet de loi se soldent donc par la disparition de l’autorisation de l’inspecteur du travail, qui pouvait interdire le recours aux heures supplémentaires afin de favoriser la création de nouveaux emplois, et par la suppression du repos compensateur obligatoire, le texte ne fixant aucune durée minimale.

Ce sont de puissants motifs pour nous conduire à demander la suppression pure et simple de l’article 16.

M. Roland Muzeau. Très bien !

M. le président. Nous en venons aux quinze amendements de suppression, nos 291 à 305, du groupe SRC.

La parole est d’abord à M. Christophe Sirugue.

M. Christophe Sirugue. L’article 16 est clairement en contradiction avec la position commune conclue par les organisations syndicales et patronales. Alors que vous vous faites les chantres de la démocratie sociale, on a du mal à comprendre comment vous pouvez tour à tour respecter presque à la lettre la position commune, puis l’ignorer, voire la bafouer, selon ce qui vous arrange. Ce texte ferme la porte aux propositions avancées par les organisations syndicales. L’article 17 de la position commune représentait pourtant un effort significatif de leur part, mais vous avez choisi de ne pas l’accompagner.

L’article 16 est extrêmement dangereux pour le droit du travail. La déréglementation des heures supplémentaires passe par la nouvelle définition de la hiérarchie des normes, ou plutôt par sa suppression, en faveur des accords d’entreprise. Hier, les orateurs ont insisté sur le dumping social qui ne manquera pas d’en résulter. La disparition de la hiérarchie des normes fait en effet courir le risque d’une concurrence à outrance entre entreprises de la même branche professionnelle. Chaque effort consenti par une entreprise, en matière d’innovation ou de formation, par exemple, sera anéanti par cette concurrence, au détriment des salariés et du tissu économique et industriel de notre pays.

Quant à la disparition du rôle de l’inspecteur du travail, qu’en est-il, monsieur le ministre, de la sécurité que vous évoquiez en invoquant, à propos d’une loi récente, la flexi-sécurité ?

M. Roland Muzeau. Au placard !

M. Christophe Sirugue. Nous avons certes la flexibilité à outrance, mais aucun élément pour garantir la sécurité que les salariés sont en droit d’attendre. Pire encore, vous remettez en cause le repos compensateur. Dois-je rappeler que celui-ci a été mis en place en 1977, par un gouvernement de droite ? Et qu’il a été complété à mesure qu’était étendue la flexibilité ?

Même si ce propos vous choque, il y va de la santé au travail.

M. Jean Mallot. Bien sûr !

M. Christophe Sirugue. En ce moment même, des discussions ont lieu entre les organisations syndicales et patronales sur la question du stress.

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Elles sont terminées depuis hier !

M. Christophe Sirugue. Les organisations patronales admettent – enfin ! – qu’un tel problème se pose dans les entreprises.

M. Benoist Apparu. Et qui a suscité ces négociations ?

M. Christophe Sirugue. Il est inutile de lancer des débats pour ne pas les conclure ! C’est bien vous qui avez proposé aux organisations syndicales et patronales de se réunir pour travailler sur la position commune et qui, au bout du compte, en niez les conclusions ! Donc, comme pour la pénibilité, nous attendons des résultats.

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Ils ont signé hier soir, je le répète à nouveau !

M. Christophe Sirugue. Nous voulons maintenant des actes et pas simplement des incantations !

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Ils ont signé hier soir, je le répète à nouveau !

M. Christophe Sirugue. En l’absence de toutes ces assurances, nous demandons la suppression de l’article 16. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Patrick Gille.

M. Jean-Patrick Gille. Je reviendrai, sans toutefois me répéter, sur le piège que vous avez tendu aux organisations syndicales. Je vous accorde toutefois encore quelques minutes le bénéfice du doute.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. C’est gentil !

M. Jean-Patrick Gille. Ne seriez-vous, en effet, pas vous-même tombés dans une sorte de piège ? Depuis des mois, et avec ténacité, vous vous êtes posés en champions de la négociation sociale, bâtisseurs d’une flexisécurité à la française qui aurait pu, au moment de la présidence française de l’Union européenne, être un modèle pour l’Europe. Je vous concède que nous n’étions pas tout à fait dupes. Nous avons constaté que les éléments de flexibilité étaient bien supérieurs aux éléments de sécurisation, renvoyés à demain. Cette fois, c’est clair, il n’est même pas question de sécurité. Vous nous proposez un texte de flexibilité pure et absolue sans aucune contrepartie pour les salariés. En quelques heures – et c’est là une énigme –, vous avez brisé votre image de négociateur et rompu le mécanisme de démocratie sociale qui semblait s’installer dans ce pays et que nous avions nous-mêmes soutenu. Avez-vous voulu ou avez-vous subi, monsieur le ministre, cette espèce d’extension de la dérogation rendue possible par la loi Fillon ?

M. Roland Muzeau. Il l’a voulue !

M. Jean-Patrick Gille. Est-ce de nouveau M. Fillon qui, par un arbitrage, vous a imposé ce choix ?

M. Jean Mallot. Fillon a bien sûr piégé Bertrand !

M. Jean-Patrick Gille. C’est bien en tout cas la conception des rapports sociaux de M. Fillon – rappelons-nous sa loi de 2004 – qui s’impose.

Après un tel coup de force, un tel changement de méthode, une telle rupture de confiance, qui êtes-vous, monsieur Bertrand ? Dites-le nous  !

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. Enfin, on va savoir ! (Sourires.)

M. Jean-Patrick Gille. Êtes-vous le bon Docteur Xavier au chevet de la démocratie sociale ou le Mister Bertrand qui veut déréguler à marche forcée et qui n’utiliserait la thématique de la flexisécurité que pour mieux mener ses coupables forfaits : développer uniquement la flexibilité ?

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Parlons du forfait jours ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Mme Martine Billard. On va en parler !

M. Jean-Patrick Gille. Les partenaires sociaux – et le MEDEF en tête – ont dit leur sentiment d’une trahison.

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Vous citez le MEDEF, maintenant !

M. Jean-Patrick Gille. Cet article remet en cause, je m’en suis longuement expliqué tout à l’heure, la hiérarchie des normes et le repos compensateur. Il entraînera surtout la renégociation des accords sur le temps de travail, conclus par une majorité, mais revus à la baisse par une minorité, créant irrésistiblement une tendance au dumping social.

Ce sera, au cœur de l’été, un peu en catimini, un moment de vérité pour vous, monsieur le ministre.

M. le président. Je vous rassure, monsieur Gille, je n’ai jamais eu l’impression que vous vous répétiez ! (Rires.)

La parole est à M. Jean Mallot, pour soutenir l’amendement n° 294.

M. Jean Mallot. Je vous remercie de me donner la parole. Je ne me répéterai pas.

Je veux, à ce stade, resituer l’article dont nous demandons la suppression. Nous devons cadrer ce débat, puisque vous ne nous répondez jamais, monsieur le ministre. Vous ne faites pas vraiment votre travail !

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Vous parlez tout le temps !

M. Benoist Apparu. Ce sont des amendements identiques !

M. Jean Mallot. M. le ministre ne nous répond pas depuis le début de la discussion !

M. Benoist Apparu. Il vous répondra.

M. le président. Monsieur Mallot, vous avez la parole pour soutenir votre amendement et le principe veut que le ministre réponde après que les amendements ont été défendus. Je suis sûr qu’il vous répondra !

M. Jean Mallot. Je vous remercie, monsieur le président, d’avoir pris cet engagement.

Aux termes de l’article 16 : « Des heures supplémentaires peuvent être accomplies dans la limite d’un contingent annuel défini par une convention, ou un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche. » Cet article ne reprend aucune des dispositions négociées par les partenaires sociaux dans l’article 17 de la position commune du 9 avril 2008.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. Ce n’est pas vrai !

M. Jean Mallot. Nous y reviendrons lorsque nous examinerons les articles 17, 18 et 19. L’article 16 n’est que la première étape de la mise en œuvre du fameux dumping social qui mettra en concurrence les entreprises entre elles et naturellement les salariés entre eux. On mesure les dégâts que cela causera.

Monsieur le ministre, vous renvoyez, dans votre article 16, aux accords d’entreprise. Toutefois, l’alinéa 4 précise : « À défaut d’accord collectif, un décret détermine ce contingent annuel et la durée, les caractéristiques et les conditions de prise de la contrepartie obligatoire en repos pour toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent annuel. » Je n’ai pas souvenir que vous nous ayez beaucoup parlé de ce décret. C’est en quelque sorte la voiture-balai. Que comptez-vous y mettre ? Quel sera le contenu de ce décret ? Pouvez-vous nous en transmettre une première mouture ? J’imagine en effet que vous ne travaillez pas sans filet et que vous ne comptez pas prendre ce genre de décision dans six mois. Il est indispensable que nous obtenions des précisions sur ce point pour pouvoir nous prononcer.

Vous développez depuis longtemps – vous l’avez fait avec la loi TEPA, par exemple – le concept selon lequel le salarié aura le choix d’effectuer ou non des heures supplémentaires. À vous entendre, le salarié qui veut gagner plus n’a qu’à travailler plus. Il peut donc, selon vous, aller trouver son patron pour lui demander de faire des heures supplémentaires. Vous connaissez l’entreprise : cela ne se passe absolument pas ainsi. Seul le patron peut décider de proposer ou non au salarié de faire des heures supplémentaires. De plus, aux termes de l’alinéa 10 consacré à la rémunération, « Le salarié peut, en accord avec son employeur, renoncer à ce repos compensateur et obtenir le paiement des heures supplémentaires correspondantes. » Le salarié n’a donc aucune marge de manœuvre pour faire des heures supplémentaires et, avec le deuxième verrou posé par l’alinéa 10, il ne peut pas demander à gagner plus en renonçant à son repos compensateur !

Vous devrez nous expliquer, monsieur le ministre, comment vous pourrez tenir les engagements de campagne de l’actuel Président de la République avec des mécanismes de ce genre.

Compte tenu de ces observations, nous demandons la suppression de cet article scélérat.

M. le président. La parole est à Mme Danièle Hoffman-Rispal.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. À vous écouter, chers collègues de la majorité, la France connaîtrait une durée du travail hebdomadaire indécemment faible par rapport à nos voisins européens. Les chiffres sont cruels pour votre discours. Je suis au regret de vous rappeler – et j’espère que vous ne hurlerez pas comme avant-hier soir en écoutant mon collègue Pierre-Alain Muet – que la durée hebdomadaire du travail en France, temps pleins et temps partiels compris, est de trente-six heures et demie et correspond à la moyenne européenne. Elle est supérieure de deux heures à celle de l’Allemagne, bien supérieure à celle des Pays-Bas et même à celles des États-Unis. Je peux vous faire parvenir le document publié par Eurostat faisant état du PIB par habitant exprimé en standards de pouvoir d’achat – SPA – par heure de travail dans la zone euro. Je vous rappelle que la productivité par heure de travail est largement supérieure à la moyenne européenne et qu’elle a profité des 35 heures ! Nous tenons tous ces chiffres à votre disposition, monsieur le ministre.

Pour ma part, j’assume idéologiquement la réduction du temps de travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) On attaque Mme Aubry et ses lois du matin au soir !

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Personne ne la défend !

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Pourquoi oublie-t-on la loi de Robien ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Rappelons les choses telles qu’elles se sont passées, y compris dans cet hémicycle !

Les 35 heures ont profité à l’économie française. Ne soyons pas obtus, mes chers collègues ! Prenons en considération d’autres facteurs. Il n’y a en effet pas que l’économie dans la vie. Devrions-nous abandonner le temps gagné grâce à cette mesure ? Qu’avons-nous à proposer à la place du bien-être ? La suppression du repos compensatoire ? Qu’y gagnerons-nous, si ce n’est plus de stress, une dégradation des conditions de travail et, sans doute, une augmentation des accidents du travail ? La réduction du temps de travail, phénomène continu dans les économies occidentales – faut-il rappeler les 3 200 heures gagnées par an au début du XXe siècle ? –, ne s’est jamais justifiée par une quelconque fainéantise et je ne sais quel refus de la valeur travail, pour reprendre vos mots, ou par des envies de sabordage économique. Je préférerais d’ailleurs que l’on parle de valorisation du travail car, pour moi, la valeur, c’est la liberté et l’égalité, ce n’est certainement pas que le travail.

Des collègues du groupe de la Gauche démocrate et républicaine ont évoqué la dégradation des conditions de travail des cadres à la technopole de Renault qui ont conduit à de nombreux suicides. Les partenaires sociaux se sont retrouvés hier pour achever leurs discussions sur le stress au travail. Peut-être aurait-il été judicieux de connaître les conclusions de cette négociation avant de remettre en cause la législation relative au temps de travail.

C’est la raison pour laquelle nous vous demandons la suppression de cet article. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à M. Régis Juanico.

M. Régis Juanico. Nous demandons la suppression de l’article 16. En effet, l’État doit respecter sa parole envers les partenaires sociaux. Si on réfléchit bien, cet article 16 et les suivants, et nous le répéterons tout à l’heure, ce soir ou lundi,…

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Et pourquoi pas mardi ?

M. Christophe Sirugue. Ou mercredi !

M. Jean Mallot. Après le conseil des ministres !

M. Régis Juanico. …n’auraient pas dû voir le jour. Vous deviez logiquement respecter la position commune – et notamment son article 17 – signée par l’ensemble des partenaires sociaux. Au lieu de cela, nous connaissons le résultat. Certains partenaires sociaux ont même parlé, vous concernant, de méthode malhonnête.

M. Benoist Apparu. La méthode a été annoncée d’emblée !

M. Régis Juanico. Après la négociation, vous avez ajouté ces articles qui modifieront profondément soixante articles du code du travail.

Vous saviez qu’il n’y avait pas d’accord entre les partenaires sociaux sur la représentativité syndicale. Quand on réfléchit bien à ce qui s’est passé lors de leurs discussions, on se demande si l’objectif non avoué du Gouvernement n’était pas d’instiller durablement la division. Nous devons reconnaître que vous y êtes parvenus. Aujourd’hui, en effet, les organisations syndicales sont profondément, et peut-être durablement, divisées…

M. Bernard Debré. Comme le parti socialiste !

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Pas autant !

M. Régis Juanico. …sur leur représentativité, mais peut-être aussi sur d’autres sujets. Vous les avez ensuite roulées dans la farine en ajoutant ces dispositions sur le temps de travail. Nous n’avons pas fini d’en mesurer les conséquences sur la qualité du dialogue social.

Vous nous répétez à l’envi, comme une antienne, que le recours aux heures supplémentaires est un véritable parcours du combattant pour les entreprises, qui doivent avoir l’avis de l’inspecteur du travail ou des instances représentatives du personnel. Aujourd’hui, le recours aux heures supplémentaires n’est pas un souci majeur pour les entreprises, car il y avait déjà de la souplesse dans les lois Aubry, on l’a même parfois reproché à Martine Aubry, avec les accords de modulation, l’annualisation du temps de travail, la question de l’activité saisonnière, la prise en compte des spécificités des entreprises dans l’organisation du temps de travail tout au long de l’année.

Le problème, surtout, c’est qu’il y a eu six changements de législation concernant les heures supplémentaires depuis six ans. Pour quels résultats ? D’habitude, monsieur le ministre, vous êtes très prolixe sur les résultats de votre politique, vous l’êtes un peu moins depuis deux jours.

M. Benoist Apparu. Regardez le taux de chômage !

M. Régis Juanico. Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de l’article 16.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Lemorton.

Mme Catherine Lemorton. Avec l’article 16, je l’ai dit avant-hier soir à la tribune, vous inscrivez dans le marbre les théories néolibérales de Hayek et Friedman.

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Et vous, vous avez oublié Jaurès !

Mme Catherine Lemorton. Les salaires deviennent une variable d’ajustement au bénéfice du profit. Vous institutionnalisez la précarité, la peur du lendemain, comme moyen de chantage sur les salariés. À quand le retour aux journaliers ?

Vous enlevez à l’État tout moyen d’intervention puisque vous supprimez l’autorisation de l’inspecteur du travail pour les heures supplémentaires hors contingent. Il faut toujours plus d’heures supplémentaires, toujours travailler plus, en dépit de la pénibilité, au détriment de la santé.

Avec de tels outils, travailler plus pour gagner plus, cela signifie surtout que vous n’accordez aucune valeur au travail des salariés, et nous le regrettons. C’est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de l’article 16.

M. Jean Mallot. Très bien ! C’est clair !

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Je l’ai dit tout à l’heure, l’article 16 est un article scélérat, et nous demandons à l’Assemblée de le supprimer

Il y a évidemment plusieurs raisons de procéder à une telle suppression, chacune se suffisant à elle-même.

Première raison, cette nouvelle pratique du droit social, c’est-à-dire le renvoi à la négociation au niveau de l’entreprise et l’inversion de la hiérarchie des normes, va conduire les salariés et leurs représentants à accepter une remise en cause de leurs droits en matière de temps de travail, de rémunération des heures de travail effectuées et de repos nécessaire à la protection de leur santé, pour faire face à la perte de leur pouvoir d’achat. De plus, très souvent, il y aura un chantage à l’emploi et la menace de voir l’entreprise délocaliser ou fermer.

Deuxième raison, cet article supprime tout contrôle et autorisation de l’inspection du travail, notamment en cas de dépassement du contingent d’heures supplémentaires.

Troisième raison, c’est l’accord d’entreprise qui va désormais fixer la contrepartie obligatoire en repos pour toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent annuel. La notion de repos compensateur disparaît d’ailleurs du droit du travail. Les articles relatifs à ce repos sont supprimés. Jusqu’à présent, c’était fixé par la loi, dont c’est le rôle de protéger les salariés.

Enfin, les accords de branche comme d’entreprise relatifs aux heures supplémentaires ne pourront s’appliquer que jusqu’au 31 décembre 2009. Ils seront caducs à compter du 1er janvier 2010. Ils doivent être renégociés et s’adapter au nouveau cadre. La renégociation risque évidemment de se dérouler dans un cadre beaucoup plus défavorable aux salariés et conduira certainement à des accords revus à la baisse. C’est en ce sens que, comme nous ne cessons de le dire, cette disposition consacre, hélas, la suppression du régime de faveur engagé par la loi Fillon de 2004.

Pour toutes ces raisons, il nous apparaît absolument indispensable de supprimer l’article 16.

M. Roland Muzeau. Très bien !

M. le président. Sur le vote des amendements de suppression n°s 113, 256 et 291 à 305, je suis saisi par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Je suis à la fois surpris, inquiet et attristé par certains propos que je viens d’entendre.

Sur le nombre d’heures travaillées, chacun donne les statistiques d’Eurostat. Si nous ne sommes pas d’accord sur le fait d’intégrer ou pas le temps partiel, il y a au moins une statistique que personne ne peut contester, c’est que la France est l’avant-dernier des pays de l’OCDE pour le nombre d’heures travaillées dans une vie.

M. Roland Muzeau. Et pour la productivité ?

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles. Il n’y a pas un économiste qui ne dise que, pour relever notre potentiel de croissance, il faut accroître ce nombre.

M. Jean-Paul Charié. C’est évident !

M. Jean Mallot. Quelle conclusion en tirez-vous ?

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles. Quand j’entends certains propos, mesdames, messieurs les socialistes, je me dis que nous sommes encore très loin de l’exigence de vérité que certains de vos collègues appellent votre groupe et votre parti à mettre en œuvre. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Marc Dolez. Qu’est-ce que ça veut dire ?

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles. Vous vous croyez au XIXe siècle, vous parlez de concurrence à outrance. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Savez-vous que, dans une entreprise, l’heure supplémentaire coûte plus cher que l’heure normale ? Croyez-vous que c’est pour le plaisir que l’entreprise va payer 400 heures supplémentaires qui coûtent 25 ou 50% de plus ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Jean-Paul Charié. Revenez aux réalités !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles. J’ai l’impression en vous écoutant que vous considérez les entreprises comme des administrations douées de l’immortalité. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Pascal Clément. Très bien !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles. L’un des meilleurs économistes, respecté de tous, vient de sortir un rapport sur l’enseignement de l’économie à l’école. Il y a un vrai problème, que vous alimentez.

M. Jean Mallot. Vous mélangez tout !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles. Non, je ne mélange pas tout.

M. Roland Muzeau. Il faut brûler les manuels de gauche !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles. Il explique que les programmes mettent plus l’accent sur les problèmes de notre société que sur les réussites. Ainsi, on trouve de longs développements sur le chômage ou la précarité,…

M. Marc Dolez. C’est la vérité de la société d’aujourd’hui !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles. …mais jamais sur l’élévation du niveau de vie dans notre pays ou sur notre régime de protection sociale, qui est le meilleur. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Franchement, arrêtez la caricature.

M. Marc Dolez. C’est vous qui êtes dans la caricature !

M. Jean-Paul Charié. C’est la réalité !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles. Nous sommes aujourd’hui vice-champions de la dépense publique, vice-champions de l’impôt sur le capital, vice-champions de l’impôt sur le travail.

M. Roland Muzeau. Mais non !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles. J’aimerais que vous meniez une réflexion sur vous-mêmes et sur votre passé. Moi, j’écoute ce que disent vos partenaires sociaux-démocrates depuis vingt-cinq ans. La France a-t-elle progressé avec les nationalisations ?

M. Jean Mallot. Mais oui !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles. A-t-elle progressé avec les 35 heures ? (« Non ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) A-t-elle progressé avec la croissance des dépenses publiques ? Non.

Mme Jacqueline Fraysse. Les gens vivent-ils mieux ?

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles. Vous n’aurez pas une France plus juste sans une France plus active, et vous n’aurez pas une France plus active si vous pensez que l’économie, c’est toujours plus de rigidité et de lenteur, alors que le monde d’aujourd’hui exige souplesse et rapidité.

M. Jean-Paul Charié. Et réactivité !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles. Nous vivons dans deux mondes différents. J’ai l’impression que vous êtes toujours dans le monde de l’éducation, de l’administration, mais jamais dans celui de l’entreprise soumise à la compétition mondiale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Mallot. C’est un ancien fonctionnaire qui parle !

M. le président. La parole est à M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Dommage qu’un ministre ne puisse pas applaudir !

M. Roland Muzeau. Vous ne vous en privez pas !

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Je voudrais revenir sur la hiérarchie des normes.

Effectivement, et nous l’assumons, nous plaçons la négociation d’entreprise au centre,…

M. Jean Mallot. Au centre ou à droite ?

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. …comme nous l’avons d’ailleurs fait dans la loi sur le service garanti dans les transports terrestres. Ce n’est pas la première fois.

M. Marc Dolez. Il y a une logique, absolument !

M. Roland Muzeau. Vous êtes bien de droite, c’est clair !

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Une telle solution permet de rapprocher le droit du travail, et notamment le droit conventionnel, de la communauté de travail des salariés. Qui peut soutenir que l’accord de branche est le mieux adapté pour définir l’organisation du temps de travail dans les entreprises ?

Cette solution est garantie par l’accord majoritaire, il ne doit pas y avoir plus de 50% d’opposition. C’est donc un vote de confiance pour le délégué.

Cela dit, il y a des dispositions d’ordre public, auxquelles un accord collectif ne peut déroger, notamment en matière de santé au travail.

Sur le droit communautaire, un certain nombre de choses ont été dites. Le présent projet s’oppose totalement à la logique de l’opt out, qui n’est pas dans notre tradition. Nous préférerons toujours l’accord collectif à l’accord individuel. Tout repose sur l’accord collectif et non pas sur la relation individuelle.

Nous sommes préoccupés par les différentes jurisprudences, comme Viking, Laval, Rüffert, relatives aux règles applicables aux salariés détachés, au dumping social. J’ai d’ailleurs demandé au directeur général du travail de me représenter au symposium organisé la semaine dernière à Berlin, parce que j’ai souhaité interroger les pays concernés au premier chef par les conséquences de ces arrêts. Cela dit, si la Cour de justice des Communautés européennes dit le droit, c’est aussi parce que les politiques n’ont pas suffisamment élaboré de droit social ces dernières années.

Le temps de travail reste, sur des points essentiels, du domaine de la loi. Dès lors, toutes les dispositions sur la durée maximale ou la durée légale sont applicables aux salariés détachés, sans incidence des jurisprudences récentes de la Cour de justice des Communautés européennes.

Monsieur Vidalies, je n’esquive pas du tout le débat de fond sur la négociation d’entreprise et la négociation dans les branches. Nous avons des divergences sur ce point, et il me paraît important de bien les montrer. Je ne suis pas pour le politiquement correct qui consisterait à dire qu’il doit y avoir une pensée unique. Assumons nos divergences. Nous pensons, nous, qu’il est indispensable de distinguer clairement ce qui relève de la loi, de l’accord collectif et du contrat de travail.

M. Jean-Paul Charié. Très bien !

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. La question du meilleur niveau de négociation de l’accord collectif se posera forcément. Pour notre part, je le répète, nous avons fait un choix et nous l’assumons : j’aimerais bien que vous procédiez à votre tour à une vraie clarification. J’ai bien entendu vos critiques : j’attends avec impatience vos propositions. J’aimerais pouvoir dire que j’en ai entendu de votre part, mais ce n’est pas le cas…

M. Jean Mallot. Vous ne nous écoutez pas !

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. … sauf à considérer que le statu quo et l’immobilisme sont synonymes de clarté.

Comme Pierre Méhaignerie, je crois que, dans de nombreux domaines, vous êtes isolés et quasiment les derniers. Reconnaissons-le : nous sommes dans un monde qui bouge.

M. Jean Mallot. Vous, vous allez à reculons !

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Sans vouloir paraphraser Tony Blair,…

M. Roland Muzeau. Il est à droite !

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. … dans un monde qui bouge, si vous ne bougez pas vous-mêmes, nous ne serons pas les seuls à vous taxer d’archaïsme. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Soisson.

M. Jean-Pierre Soisson. Je voudrais m’adresser tout particulièrement à nos collègues socialistes. J’ai été ministre du travail pendant trois ans – période durant laquelle j’ai travaillé avec certains d’entre vous, notamment Alain Vidalies, que je salue – et je tiens au code du travail. Mais celui-ci ne peut pas rester à l’extérieur des évolutions économiques : nous devons tenir compte de la réalité de l’entreprise. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Marc Dolez. Vous faites l’inverse !

M. Jean-Pierre Soisson. Toutes les majorités qui se succèdent depuis des années se sont efforcées d’aménager le code du travail, pour séparer ce qui relève du domaine de la loi et ce qui relève du domaine de la convention, et pour le faire évoluer en tenant compte des nouvelles contraintes de l’entreprise. Nous savons bien que l’économie actuelle ne permet plus que tout soit régi par les conventions interprofessionnelles nationales. C’est donc pour maintenir la spécificité du code du travail et protéger les salariés que nous devons accepter et encadrer son évolution.

Je l’avais dit, en d’autres circonstances, devant la Confédération européenne des syndicats : la France ne peut pas s’isoler en maintenant un droit du travail exceptionnel au regard de celui des autres pays européens. Il doit connaître une évolution maîtrisée, afin de tenir compte de la réalité de l’entreprise et de se rapprocher des autres droits européens …

M. Roland Muzeau. Il faut faire progresser les autres !

M. Pascal Clément. Personne ne veut de notre droit du travail !

M. Roland Muzeau. Les Français ne veulent pas du leur !

M. Jean-Pierre Soisson. … en distinguant plus clairement ce qui relève du domaine de la loi et du code du travail et ce qui relève de la négociation. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin public, précédemment annoncé, sur les amendements nos 113, 256, et 291 à 305 .

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

Les amendements de suppression sont rejetés.

Je suis saisi de quinze amendements identiques du groupe SRC, nos 306 à 320.

La parole est d’abord à M. Alain Vidalies.

M. Alain Vidalies. Je mettrai à profit la présentation de cet amendement, destiné à rétablir les dispositions de la position commune, pour interroger le Gouvernement. Connaissez-vous, monsieur le ministre, un seul pays qui ait imaginé un système où l’heure supplémentaire coûte moins cher que l’heure d’embauche ?

Mme Catherine Lemorton. Peut-être le Timor oriental ?

M. Alain Vidalies. Avez-vous un exemple de pays, un seul, qui ait eu cette idée folle que vous voulez appliquer en France ? Je me permets de vous retourner le compliment que vous nous servez depuis des années sur les 35 heures : aucun pays au monde n’a imaginé ce que vous avez imaginé.

M. Christian Vanneste. Et l’Italie ?

M. Alain Vidalies. Votre système d’exonération des cotisations rend l’heure supplémentaire moins cher pour l’employeur que l’heure d’embauche. Cette politique est unique au monde, monsieur Soisson, vous qui nous recommandiez de ne pas nous isoler.

Aucun des rapports que la majorité a produits ne dit où cette politique aurait été menée, ni avec quel succès. C’est que vous l’avez inventée : elle n’existe qu’en France, où ses dégâts risquent d’être lourds. En effet, vous avez reconnu vous-mêmes, et je vous en donne acte, que la question de l’emploi des seniors et des jeunes était une difficulté majeure pour notre pays, mais en inventant cette règle vous mettez un véritable carcan à l’embauche. Car s’il y a bien un carcan dont il faudra sortir un jour, c’est celui des heures supplémentaires et de cette idéologie que vous essayez d’imposer à la France.

Quand vous nous dites, monsieur le ministre, qu’une souplesse est nécessaire, cette affirmation ne traduit pas les réalités de l’économie et de l’entreprise, au respect desquelles vous nous avez rappelés. Nos débats, que je sache, n’opposent pas une armée de fonctionnaires obtus qui n’auraient jamais vu une entreprise de leur vie à des gens qui seraient ici les porte-parole naturels de la modernité économique. Quand j’entends, moi qui suis travailleur indépendant, de tels propos dans la bouche d’un fonctionnaire, je me dis qu’il les a appris dans les livres, alors que je me suis, moi, instruit sur le terrain. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) De nous deux, celui qui a créé des emplois, c’est moi, et non vous, et je n’accepte pas de recevoir vos leçons.

Mme Martine Billard. Eh oui !

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Apparemment vous avez oublié les leçons du terrain !

M. Alain Vidalies. Je sais que ça fait mal, monsieur le ministre, mais c’est la réalité. S’il ne s’agissait que de nous, ce ne serait rien. Mais pourquoi êtes-vous aussi sourd à ce que vous disent les représentants des petites entreprises ?

Quant à savoir quel est le bon niveau de négociation des accords collectifs, c’est évidemment la branche professionnelle : ne faites pas semblant de le découvrir, alors que cela figure dans les propositions de notre parti.

Ce n’est pas parce que vous faites de la marche arrière que vous êtes moderne, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Revenir aux accords d’entreprise, ce n’est pas aller de l’avant : c’est retourner à une époque antérieure à 1930. Quand on regarde en arrière comme vous le faites, on pense évidemment avancer : en réalité vous reculez, alors faites attention à ne pas trébucher en chemin !

Vous nous invitez à regarder la réalité, mais nous y sommes très attentifs. Nous recevons les partenaires sociaux tout autant que le groupe UMP ; nous entendons ce que nous disent les représentants de l’UPA …

M. le président. Il va falloir conclure, monsieur Vidalies.

M. Alain Vidalies. Je reprendrai ce débat, monsieur le ministre, car c’est une question politique de fond. En attendant, j’attends que vous nous expliquiez où vous avez pêché cette idée folle d’exonérer de cotisations les heures supplémentaires. Y a-t-il des précédents étrangers, et comment notre pays sortira-t-il de cette folie qui fait que l’heure supplémentaire y coûte moins cher que l’heure d’embauche ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à M. Christophe Sirugue .

M. Christophe Sirugue. Cet amendement, mes chers collègues, est au cœur de notre démarche, qui est de respecter les engagements pris par les partenaires sociaux.

Parmi les éléments forts de cette position commune, s’il en est un qui le soit indéniablement, c’est bien la disposition qui considère comme légitimes pour signer les accords entre les partenaires sociaux les organisation syndicales représentant plus de 50 % des salariés.

M. Benoist Apparu. Pourquoi, alors que c’est 30 % pour tout le reste ?

M. Christophe Sirugue. Nous nous interrogeons fortement sur les raisons qui vous poussent à revenir sur cet acquis important de la position commune. À chaque fois que vous vous présentez comme les hérauts de la modernité, comme vient de le dire Alain Vidalies, vous oubliez que toute avancée doit être approuvée par tous pour devenir réalité dans le monde économique. Ce n’est pas en prétendant faire le bien d’autrui contre son gré ou à son insu que vous ferez avancer l’économie de ce pays. Ce que nous vous demandons, c’est de respecter la position commune en rétablissant les dispositions qu’elle contient.

M. le président. La parole est à M. Christian Eckert.

M. Christian Eckert. Pourquoi, monsieur le ministre, les Français se méfient-il autant de l’Europe –  tout le monde reconnaît le décalage entre un mouvement soi-disant pro-européen et la rupture entre notre peuple et les instances de l’Union – sinon parce qu’ils craignent l’absence d’Europe sociale ? Ils ont bien compris que les délocalisations sont la conséquence du fait que les législations sociales varient considérablement d’un pays européen à l’autre. Sans reprendre l’exemple du plombier polonais, on peut évoquer celui des entreprises de transport. En l’absence d’harmonisation des législations sociales, les conditions d’une concurrence loyale entre les entreprises européennes ne sont pas réunies, au détriment notamment des plus petites.

Or vous nous proposez, par cet article 16, d’introduire ces disparités à l’intérieur même de notre pays, où le code du travail et les réglementations que vous supprimez avaient au moins le mérite d’harmoniser les règles de concurrence, en ne permettant pas à celle-ci de s’imposer au détriment de la protection sociale, du droit du travail et de la santé des salariés. Au contraire, le système que vous mettez en place fait des normes sociales les variables d’ajustement de la concurrence entre les entreprises, ce qui va nécessairement les tirer vers le bas. Vous êtes en train d’organiser à l’intérieur de notre propre pays ce que les Français redoutent le plus de l’Europe, à laquelle nous croyons au moins autant que vous. Mais si nous souhaitons construire une Europe sociale, c’est précisément pour nous éviter les dérives que vous allez autoriser.

Il aurait été beaucoup plus prudent que vous vous en teniez, comme ces amendements le demandent, à la rédaction de l’article 17 de la position commune, qui constituait déjà une avancée, en dépit de vos affirmations.

M. le président. La parole est à M. Jean-Patrick Gille.

M. Jean-Patrick Gille. L’honnêteté intellectuelle imposait qu’on consacrât à ces sujets deux textes distincts, l’un dévolu à la démocratie sociale, l’autre au temps de travail. En effet, en allant à l’encontre de ce qui a été négocié par les partenaires sociaux, vous imposez votre conception du temps de travail et des rapports sociaux.

Preuve de notre bonne foi et de notre respect de la démarche des partenaires sociaux, nous vous proposons une nouvelle rédaction de cet article, qui reprend exactement les dispositions de l’article 17 de la position commune relatives à la possibilité de dépasser le contingent d’heures supplémentaires par accord d’entreprise.

C’est une rédaction bien différente. D’abord, ce dispositif s’appliquerait à titre expérimental, conformément à la position commune, alors que vous en faites la règle, voire une obligation d’ici fin 2009.

Nous proposons ensuite que les accords autorisant le dépassement soient majoritaires, alors que 30 % suffisent dans votre rédaction : c’est toute votre astuce. Nous souhaitons également qu’ils soient soumis à l’évaluation préalable de la commission paritaire nationale de branche, alors que, dans tout votre projet, l’accord de branche est désormais supplétif. Nous souhaitons enfin l’information de l’autorité administrative, sur laquelle vous tirez un trait. Ajoutons que, dans votre enthousiasme, vous remettez aussi complètement en cause le repos compensateur. Cet amendement vise donc à montrer que nous faisons confiance à la négociation sociale, alors que – la preuve est faite – vous l’instrumentalisez.

Contrairement à ce que vous essayez de faire accroire, nous ne sommes pas opposés, je le répète, aux accords d’entreprise. C’est d’ailleurs bien par des négociations dans chaque entreprise qu’ont été mises en place les 35 heures, et ce fut un grand moment. Pour présider plusieurs établissements sous statut privé, je peux témoigner que lorsque nous nous sommes donné, voici quelques années, les moyens et le temps de mener ces négociations, cette belle réussite nous a permis, au-delà des 35 heures, de remettre à plat et de repenser toute l’organisation de l’entreprise, en définissant mieux le statut et le rôle de chacun. Ce fut indéniablement une avancée.

La différence entre vous et nous, c’est que nous voulons un cadre de négociation qui protège les salariés. Si l’on veut qu’il y ait de vraies discussions collectives au niveau de l’entreprise, si on veut, comme vous le dites – et pourquoi pas ? – faire avancer la contractualisation, la condition est que les accords doivent être adoptés à la majorité. C’est là, je l’ai dit, toute l’astuce de votre texte : si vous en liez les deux parties, c’est parce que l’article 16 de la seconde renvoie à l’article 6 de la première, qui fonde la représentativité syndicale sur un score de 30 %. Vous établissez un lien abusif entre les deux pour faire en sorte que les accords sur le temps de travail soient conclus sur la base de 30 %. Ce n’est pas une bonne manière d’aborder la contractualisation, et il y a là une certaine malhonnêteté intellectuelle.

Le débat n’est pas entre la loi et la contractualisation,…

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. Allons donc !

M. Jean-Patrick Gille. Non, c’est simplificateur de le prétendre. Je suis favorable à la contractualisation, mais il y a de la malhonnêteté dans la manière dont vous procédez. La contractualisation doit reposer sur un accord majoritaire, ce qui n’est pas le cas.

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. La règle qu’ont fixée les partenaires sociaux, c’est 30 % !

M. Jean-Patrick Gille. Pas pour les heures supplémentaires : pour la représentativité.

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Pourquoi ?

M. le président. La parole est à M. Jean Mallot.

M. Jean Mallot. L’amendement n° 309 tend à modifier l’article 16 pour revenir au texte de la position commune. Nous avons eu ce débat à plusieurs reprises, monsieur le ministre, et je voudrais, dans le sillage de Jean-Patrick Gille, souligner à nouveau la nécessité de concilier les résultats de la négociation et la loi. La négociation sociale doit se dérouler dans le cadre fixé par la loi et nous en avons un bel exemple avec la position commune, que vous envisagez de transcrire en la trahissant.

Nous proposons de revenir à la position commune, comme nous l’avons fait à propos de nombreux articles du projet de loi transcrivant l’accord national interprofessionnel. Si d’ailleurs, comme l’a rappelé hier Danièle Hoffmann, nous nous sommes finalement abstenus sur ce projet de loi, c’est bien parce que la transcription n’était pas complète et que vous mettiez beaucoup plus d’ardeur à transcrire les éléments de flexibilité que les éléments de sécurisation.

Aux termes de la position commune, à laquelle nous voulons revenir par respect pour la conclusion de cette négociation collective, ce sont les organisations syndicales de salariés ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés dans l’entreprise qui peuvent conclure, à titre expérimental, une convention ou un accord collectif ou d’établissement précisant l’ensemble des conditions d’accomplissement des heures supplémentaires, en fonction – j’insiste sur ce point – des conditions économiques dans l’entreprise et dans le respect des dispositions légales et des conditions de travail et de vie privée des salariés.

Le deuxième alinéa de l’amendement reprend également la position commune ; il renvoie les accords d’entreprise ou d’établissement conclus selon ces modalités à l’évaluation préalable de la commission paritaire nationale de branche, avant leur dépôt auprès de l’autorité administrative compétente. Le recours à l’autorité administrative apporte une garantie. Vous l’avez d’ailleurs réintroduit dans plusieurs dispositifs d’application de l’ANI, notamment à propos de la rupture conventionnelle, qui doit être validée par l’autorité administrative. Nous vous invitons à renouveler cette bonne initiative.

Pour conclure – car je sens que notre rapporteur attend la chute – je rappellerai un épisode de nos débats, déjà évoqué à l’occasion d’une question d’actualité. Au nom de ce que vous appelleriez le respect pour les partenaires sociaux, le groupe UMP a auditionné voici quelque temps des responsables syndicaux de la CGT et de la CFDT, et je dois avouer que, comme mes collègues socialistes et de l’ensemble de la gauche, j’étais heureux de voir la mine réjouie des députés UMP qui, tout ébaubis par leur propre audace, avaient rencontré des syndicalistes ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Dupont. Quel mépris !

M. Jean Mallot. C’était très beau et très émouvant, mais ce qui est beaucoup plus triste, c’est qu’ils ont prétendu avoir écouté, voire entendu ces responsables syndicaux, alors même que ceux-ci ont fait état, en sortant, du sentiment de trahison qu’ils éprouvaient au vu de la méthode utilisée par le Gouvernement, sentiment confirmé par l’attitude des députés UMP au cours de cette audition. Il fallait souligner cet aspect des choses, qui montre bien, messieurs, la faible considération que vous portez en réalité aux organisations syndicales.

M. le président. Qui montre aussi que vous avez beaucoup d’humour, monsieur Mallot !

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures trente-cinq, est reprise à onze heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à Mme Danièle Hoffman-Rispal.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Je tiens d’abord à rappeler à l’intention de M. Soisson et de M. Méhaignerie – même si ce dernier ne nous a pas encore rejoints – que nous connaissons aussi l’entreprise et que nous y avons travaillé. Vous n’avez pas le monopole de la connaissance de l’entreprise ! Il me semble archaïque de penser que, parce que nous sommes sur les bancs de l’opposition, nous ne la connaîtrions pas.

Nous proposons par ces amendements de modifier l’article 16 en revenant à la position commune pour ce qui concerne les modalités de fixation, par accord collectif, des conditions d’assouplissement du contingent annuel d’heures supplémentaires. En effet, cet article est vraiment, en l’état, beaucoup trop éloigné de la position commune. Je l’ai dit hier : les syndicats en sont fâchés.

Certes, le monde bouge, l’entreprise a besoin d’évoluer, nous en sommes tous d’accord, mais Alain Vidalies a rappelé que nous étions sans doute le seul pays à défiscaliser les heures supplémentaires, et les premières statistiques sur les effets des mesures de défiscalisation de la loi TEPA montrent bien que les heures supplémentaires ne sont pas utilisées. Depuis 2001, il y a eu six lois qui, régulièrement, ont augmenté le contingent. Une telle réitération devient obsessionnelle puisqu’elles n’ont pas d’effet ! Pourquoi alors toujours assouplir, si ce n’est, là aussi, par idéologie ? Vous nous reprochez notre approche idéologique, mais nous avons tout de même le droit de dire dans cet hémicycle que ces six lois ne servent à rien, d’autant que, comme l’ont indiqué mes collègues, que ce soit en termes d’emplois ou d’organisation du travail, il n’y a pas non plus de grands résultats. On a cité hier une étude de la DARES, mais on pourrait aussi revenir sur celle de l’ACOSS, qui n’a malheureusement guère été reprise. Mais, à chaque fois que l’on vous cite des statistiques défavorables, vous n’en tenez pas compte. Peut-être que la contradiction vous gêne…

De plus, dans le cadre de ce dispositif d’augmentation des heures supplémentaires, que deviennent les personnes à temps partiel qui, elles, souhaiteraient travailler à temps plein ? Cela mériterait bien une négociation puisque, là encore, cela fait six ans que vous traînez.

Monsieur Méhaignerie, monsieur Soisson, pourquoi sommes-nous toujours le pays où l’emploi des seniors est le plus faible ? Selon les chiffres récents, il y a en France 38 % d’employabilité chez les cinquante-cinq à soixante-cinq ans, contre 44 % en Europe. Ne faut-il pas faire en sorte que les emplois des seniors se développent ?

M. Benoist Apparu. C’est ce que nous faisons !

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Pourquoi être toujours obsédé par l’assouplissement du contingent d’heures supplémentaires, et ne pas réfléchir aux autres aspects du problème du temps de travail ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. le président. La parole est à M. Régis Juanico.

M. Régis Juanico. En proposant de substituer le contenu de l’article 17 de la position commune à la rédaction actuelle de l’article 16, nous voulons rétablir le chemin qu’aurait dû suivre ce texte de loi s’il avait respecté la parole donnée aux partenaires sociaux.

Pierre Méhaignerie a parlé d’exigence de vérité, mais il a été extrêmement caricatural. Il y a en effet plusieurs façons d’aborder le monde de l’entreprise : on peut en avoir une vision tronquée en épousant le point de vue de quelques employeurs, mais ce ne saurait être le point de vue global de l’entreprise. Vous ne pouvez donc pas nous reprocher de prendre également en compte celui des millions de salariés qui créent des richesses dans les entreprises, et qui en sont aussi la richesse.

Mme Martine Billard. Absolument !

M. Régis Juanico. Pierre Méhaignerie a indiqué que nous sommes les avant-derniers dans le classement de l’OCDE en termes de nombre d’heures travaillées tout au long de la vie. Mais il a oublié de préciser que le salarié français est parmi les meilleurs au monde en termes de productivité horaire. Il faut être complet quand on parle d’un tel sujet. Je tiens à cet égard à rendre hommage aux salariés français : oui, la souplesse et la réactivité existent déjà dans l’entreprise !

Il a ajouté qu’il était scandaleux que les enseignants en sciences économiques et sociales n’abordent en cours que les questions de chômage et de précarité. C’est caricatural !

M. Benoist Apparu. C’est malheureusement vrai !

M. Régis Juanico. C’est dénigrer, une fois de plus, la qualité de notre éducation nationale ! Nous avons parmi les meilleurs enseignants au monde en matière économique, y compris dans le secondaire. Parler de chômage ou de précarité serait aujourd’hui un scandale, alors que c’est la réalité du marché du travail ! Dans notre pays, les trois quarts des embauches se font sous CDD et les contrats temporaires représentent 15 % de l’emploi salarié.

S’agissant de la réalité du monde de l’entreprise, je rappelle que M. Poisson est l’auteur d’un rapport d’information sur la pénibilité au travail, et nous étions d’accord sur son constat. Il faut prendre en compte les conditions de travail parce que la réalité, aujourd’hui, c’est l’intensification du travail dans l’entreprise, et c’est aussi, comme l’a fort justement mentionné M. Poisson dans le même rapport, un écart d’espérance de vie entre les cadres et les ouvriers qui atteint six ou sept ans.

M. Benoist Apparu. C’est vrai.

M. Régis Juanico. Il y a aussi l’augmentation des maladies professionnelles et, comme on l’a vu malheureusement à l’occasion de plusieurs drames récents, l’accroissement des suicides sur le lieu de travail.

Mme Martine Billard. Hélas oui !

M. Régis Juanico. Je rappelle enfin qu’il y a dans ce pays 1,6 million de salariés qui travaillent de nuit, deux millions qui sont en travail posté, douze millions dans des contraintes posturales et dix-neuf millions en horaires alternants ; avec votre texte, vous allez leur imposer de nouvelles contraintes horaires. Telle est aujourd’hui la réalité des conditions de vie et de travail de millions de salariés, et pourtant, la philosophie de tout ce projet de loi, c’est d’accroître encore la flexibilité. C’est pourquoi nous défendons ces amendements. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Roland Muzeau. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Catherine Lemorton.

Mme Catherine Lemorton. Il conviendrait de légiférer à partir de la position commune, au lieu de l’afficher comme la vitrine d’une « démocratie sociale » – vous aimez bien cette expression, monsieur le ministre –, sur laquelle d’ailleurs vous vous asseyez ! Je me demande si derrière le non-respect de la position commune, au-delà de vos méthodes qui me semblent inacceptables et indignes d’une démocratie, il n’y a pas la volonté masquée de décrédibiliser les partenaires sociaux, surtout les syndicats de salariés, et donc, au fond, de les affaiblir. L’article 16 rédigé sans tenir compte de la position commune montre votre mépris des représentants des organisations syndicales.

M. Jean Mallot. En effet !

Mme Catherine Lemorton. Eux, sans aucun doute, voulaient avancer, mais vous, monsieur le ministre, vous voulez régresser, tant sur le fond que sur la forme.

Vous avez évoqué les sociaux-démocrates européens, mais je vous demande, avant d’utiliser ces termes, d’aller en vérifier la définition. Vous méprisez tellement les syndicats, et donc les salariés, que quand ceux-ci ont un accident de travail, vous osez leur faire payer les franchises médicales ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Benoist Apparu. Oh là là !

M. Franck Gilard. Ce sont des assertions inacceptables  !

M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Muet.

M. Pierre-Alain Muet. Hier, j’ai cité les chiffres d’Eurostat sur la durée hebdomadaire moyenne du travail : ils montrent que la France, avec 36,5 heures pour tous les salariés, se situe exactement dans la moyenne européenne, et que les Français travaillent deux heures de plus par semaine que les Allemands, qui sont à 34,5 heures, et trois à quatre heures de plus que les pays d’Europe du Nord.

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Une contrevérité, même dite sur un ton professoral, reste une contre-vérité !

M. Pierre-Alain Muet. Monsieur le ministre, je vous ai déjà donné ces chiffres, je vous ai invité à les consulter. Vous avez des collaborateurs qui peuvent très bien aller sur Eurostat pour les vérifier.

Mme Martine Billard. Ça ne vous plaît pas, monsieur le ministre !

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. C’est le ton professoral qui me déplaît !

M. Pierre-Alain Muet. Quand on débat de tels sujets, on doit donner des chiffres exacts, monsieur le ministre ! Vous, vous citez toujours des chiffres tronqués, qui ne comprennent que les salariés à temps complet. Quand on parle d’efficacité économique, il faut prendre pour référence la durée hebdomadaire moyenne de l’ensemble des salariés. Un dernier chiffre donc : cette durée est de 29,5 heures aux Pays-Bas parce que, comme chacun sait, le taux de travail à temps partiel y est important – mais encadré par les négociations sociales.

Je vous ferai volontiers cadeau d’un graphique que je vais donner à la presse,…

M. Jean Mallot. Non, pas de cadeau pour lui ! (Sourires.)

M. Pierre-Alain Muet. …qui met en relation la durée hebdomadaire du travail et la productivité de l’économie. Vous y verrez que les pays qui ont la plus forte productivité par personne occupée, à savoir la Norvège d’abord, puis la plupart des autres pays du Nord, sont ceux qui travaillent le moins.

Mme Martine Billard. et M. Régis Juanico. Bien sûr !

M. Pierre-Alain Muet. La France, pour sa part, se situe dans la bonne moyenne. Je ne parle pas de la productivité horaire, mais bien de la productivité par personne occupée. Des pays qui ont une durée du travail plus faible devraient avoir une productivité plus faible. Or ce n’est pas du tout ce que l’on observe. Ce phénomène est général, ce qui montre que la réduction du temps de travail fait partie des composantes du développement économique, les économies performantes et développées ayant presque toujours une durée hebdomadaire du travail plus faible.

Monsieur le ministre, vous faites complètement fausse route parce que vous allez introduire, en démantelant le droit social, la possibilité d’accords d’entreprise comme ceux qu’on a vus à Bosch Vénissieux, en 2004, et, récemment, dans une filiale de Peugeot. Ces accords conduisent à baisser les salaires, à travailler plus sans gagner plus – puisque c’est pour exactement le même salaire. Vous introduisez en fait le dumping social, et ainsi une concurrence par le bas que tous les pays européens, notamment après la Seconde guerre mondiale, ont voulu empêcher parce qu’ils avaient en tête le souvenir des années trente. La Grande dépression a eu lieu parce que tous les pays et toutes les entreprises ont essayé d’améliorer leur situation en réduisant les coûts salariaux. Retenant la leçon, la plupart des pays, après la guerre, ont construit des systèmes de protection sociale, avec notamment une hiérarchie des normes : il fallait que les négociations d’entreprise soient encadrées par des négociations de branche, pour que ne se reproduise plus cette course à la dépression. Je ne dis pas que nous allons vers une dépression de ce type, mais vous laissez la porte ouverte à des mécanismes de dumping social qui ne correspondent pas du tout à ce qui constitue aujourd’hui la compétitivité des économies développées.

M. le président. Il faudrait conclure, monsieur Muet.

M. Pierre-Alain Muet. Je termine en rappelant que les pays d’Europe du Nord ont construit leur très forte compétitivité sur la formation et en accordant à leurs salariés une très forte protection sociale, avec en contrepartie, certes, plus de souplesse, de flexibilité. Mais celle-ci était permise parce qu’il y avait, au Danemark par exemple, une très grande sécurité. Vous faites complètement fausse route parce que c’est dans cette direction que l’on devrait construire la compétitivité de la France. Et Dieu sait si elle en a besoin : il y a eu 31 milliards de déficit extérieur en 2007. Mais, au lieu de construire la compétitivité de la France, vous l’engagez sur la pente descendante du dumping social. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Jean-Patrick Gille. On attend votre réponse, monsieur le ministre !

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. L’article 16 n’ayant pas été supprimé,…

M. Benoist Apparu. Heureusement !

M. Marc Dolez. …je soutiens ces amendements de réécriture qui reviennent à la position commune. Ils prévoient notamment, et c’est une garantie, que les accords d’entreprise soient soumis à l’évaluation préalable de la commission paritaire nationale de branche.

M. Soisson nous a donné il y a quelques minutes un éclairage inquiétant sur la deuxième partie du texte, en particulier sur cet article. Je trouve ses propos extrêmement graves. Je ne sais pas s’il s’est exprimé à titre personnel ou au nom de son groupe, mais en tout cas il n’y a pas eu de réaction, ni du Gouvernement ni du rapporteur.

Vous nous avez expliqué mon cher collègue, qu’il faut savoir évoluer et que, dans le monde où nous sommes, l’objectif est d’aligner le droit du travail français sur ce qui se fait ailleurs en Europe. C’est bien ce que vous avez dit, n’est-ce pas ?

M. Jean-Pierre Soisson. Pas exactement.

M. Marc Dolez. J’y vois l’aveu de votre volonté de remettre en cause le modèle social français, ce modèle spécifique qui est au cœur de notre pacte républicain depuis plus de soixante ans et qui est indispensable à la cohésion de la République. Vouloir aligner le droit social français sur ce qui peut se faire ailleurs en Europe, c’est être favorable à un alignement vers le bas. Nous sommes bien sûr résolument opposés à cette conception. Nous souhaitons, quant à nous, mettre l’Europe sociale à l’ordre du jour, ce qui n’est malheureusement pas le cas, avec une harmonisation par le haut.

Cette question est essentielle. Les propos de notre collègue ont parfaitement éclairé la philosophie qui sous-tend ce texte. Ils apportent également un éclairage significatif sur votre conception de la construction européenne. Au moment où la France commence à exercer la présidence de l’Union, cette déclaration est lourde de conséquences. A-t-elle été formulée à titre personnel par M. Soisson, ou résume-t-elle la position de la majorité ? Il est important de le savoir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. Sur le vote des amendements identiques nos 306 à 320, je suis saisi par le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Quel est l'avis de la commission sur ces amendements ?

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. La commission a rejeté ces amendements pour les raisons que j’ai déjà exposées. De la même manière qu’il ne faut pas repousser l’article 16, il ne faut pas en modifier la rédaction. Vous voulez revenir à la notion d’évaluation préalable. Certes, c’est le texte de la position commune. Mais il me paraît difficile de voir dans cette notion une quelconque hiérarchie de norme mécanique qui redonnerait de l’autorité à la branche par rapport à l’accord d’entreprise. L’évaluation préalable concerne les modalités selon lesquelles on peut poursuivre l’expérimentation engagée dans l’esprit de la position commune et ne fait en aucun cas dépendre l’accord d’entreprise d’une validation par la branche. Ce n’est pas une validation mécanique.

M. Jean-Paul Charié. Exactement !

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. En l’occurrence, le retour à la position commune n’est pas tout à fait cohérent avec votre position de principe sur cet article. Voilà une raison de plus de repousser vos amendements.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Même avis que la commission.

M. le président. La parole est à M. Francis Vercamer.

M. Francis Vercamer. J’ai noté une absence de cohérence dans les différentes interventions de nos collègues socialistes. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Alain Vidalies. Cela ne risque pas de se produire dans votre groupe : vous êtes seul ! (Sourires.)

M. Francis Vercamer. Le premier nous a expliqué qu’il voulait en revenir à l’article 17 de la position commune par respect pour cet accord. Le deuxième considère, quant à lui, qu’il faut distinguer les deux parties du projet.

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Et alors ?

M. Francis Vercamer. Or la seconde partie du texte a été rédigée par le Gouvernement à partir de l’article 17 de la position commune. Certes, la rédaction des articles 16 et suivants du projet n’est pas conforme à la position commune. Mais il s’agit tout de même d’une transposition.

Pire encore, nos collègues socialistes, avaient présenté auparavant des amendements de suppression de l’article 16. Si ceux-ci avaient été votés, il n’était plus question de revenir à la position commune puisque tous les autres amendements sur l’article seraient devenus sans objet. Le positionnement de nos collègues est donc totalement incohérent. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

L’article 16 vise en fait à laisser aux partenaires sociaux dans l’entreprise la possibilité de s’adapter à l’environnement international, qui est de plus en plus dur. Dans un tel contexte, Lionel Jospin avait dit : « On ne peut rien faire ! » (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Eh bien, nous, nous laissons les partenaires sociaux tenter de s’adapter à cette situation ! Et de par la disparité de leur taille, des métiers, de la concurrence qu’elles subissent, les entreprises s’adapteront forcément de manière différente.

Je ne répondrai pas aux propos caricaturaux. Je m’arrêterai simplement aux arguments qui reposent sur le fameux temps de travail moyen. Hier, le ministre a souligné que le temps de travail en France était inférieur à la moyenne internationale pour les emplois à temps plein. Vous répliquez à cela que si l’on inclut les emplois à temps partiel, les Français travaillent plus longtemps. Cela signifie qu’ailleurs il y a davantage de salariés à temps partiel. Quelle société défendez-vous, celle de la précarité ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Pierre-Alain Muet. Ce n’est pas sérieux !

M. Francis Vercamer. Je ne comprends pas bien votre position. Nous, nous voulons des emplois à temps plein.

Quant aux heures supplémentaires non utilisées, est-ce une raison pour ne pas réformer la loi ? Je ne vois pas le rapport. Il s’agit de réformer la loi sur les 35 heures – qualifiée de catastrophique par M. Muzeau, rappelons-le – pour laisser plus de liberté aux entreprises. Certaines n’utilisent pas leurs heures supplémentaires et c’est leur droit. D’autres y auront recours et cela leur permettra de s’adapter.

Pour toutes ces raisons, le groupe Nouveau Centre – et je pense qu’il en ira de même pour le groupe UMP – ne votera pas ces amendements.

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin public, précédemment annoncé, sur les amendements nos 306 à 320.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

Les amendements nos 306 à 320 sont rejetés.

Je suis saisi d’un amendement n° 114.

La parole est à Mme Martine Billard, pour le soutenir.

Mme Martine Billard. Le président de la commission nous a expliqué que le monde d’aujourd’hui exigeait souplesse et rapidité, puis d’autres orateurs de la majorité ont repris cette idée. Je rappelle que le contingent d’heures supplémentaires légal est actuellement de 220 heures, soit 5 heures par semaine en moyenne, ce qui amène à travailler 40 heures. Si l’on ajoute à cela l’annualisation, les accords de modulation et les forfaits, on ne peut pas dire que l’économie française n’a pas les moyens de s’adapter aux nécessités de l’économie.

Pierre Méhaignerie nous a dit ensuite qu’il fallait relever le potentiel de croissance. Or, comme l’a démontré Alain Muet, plus le temps de travail augmente et plus la productivité stagne ou baisse. C’est humain : après un certain nombre d’heures au travail, on n’a plus le même allant et la productivité marginale tombe. Corrélativement, le nombre d’erreurs augmente. Du reste, certaines entreprises ne cherchent pas à augmenter les heures pour éviter cette production au rebut. Enfin, le nombre des accidents professionnels s’accroît.

Le président de la commission nous a expliqué encore qu’il fallait anticiper les évolutions économiques. Messieurs les ministres, que n’avez-vous fait vôtre cette formule précédemment ! Le Gouvernement aurait pu, par exemple, anticiper l’évolution du prix du pétrole. Les députés Verts l’avaient pourtant alerté. De même, pourquoi n’a-t-il pas anticipé les réponses à apporter au réchauffement climatique ? Là encore, il ne peut pas prétendre que les écologistes ne l’avaient pas mis en garde. Des experts avaient soulevé le problème, y compris dans votre camp. Aujourd’hui, la crise est là et nous allons devoir la gérer de la plus mauvaise manière.

Pourquoi le Gouvernement n’a-t-il pas appliqué cette belle formule pour permettre à l’économie française de se positionner sur les bons créneaux ? Je pense à ceux liés au développement durable. Cela aurait permis de modifier les modes de production d’énergie dans notre pays et cela aurait ouvert des capacités d’exportation à notre économie, car il est plus facile d’exporter des panneaux solaires, des éoliennes, les technologies de la biomasse et de la géothermie que des centrales nucléaires, dont le nombre sera toujours limité.

Pourquoi le Gouvernement n’a-t-il pas appliqué cette belle formule pour pousser l’économie française à fabriquer des produits durables ? Il faut en finir avec l’hymne à la croissance et avec les produits de mauvaise qualité, qui se détruisent vite et ne sont pas réparables. Il y a là une divergence sur le fond : il faut choisir entre deux types d’économie, celle du gaspillage ou celle de la sobriété, particulièrement nécessaire en période de crise écologique et alors que la planète est à bout.

Notre amendement implique une philosophie différente. Nous ne sommes pas favorables à une augmentation sans limite des heures supplémentaires.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. Nous non plus !

Mme Martine Billard. Monsieur le ministre, vous nous dites que le dispositif est encadré par des accords. Alors indiquez-nous quel sera le nombre d’heures supplémentaires fixé dans le décret applicable en l’absence d’accord.

Quant à l’encadrement du dispositif, monsieur Soisson, seules les lois européennes fixant la durée maximale à 48 heures s’appliqueront. Dès lors qu’il n’y aura plus de contingent légal et que tout sera possible, rien n’empêchera de travailler 48 heures dans la semaine. La seule limite, en droit français, c’est de ne pas faire plus de 44 heures sur douze semaines. Mais cela peut signifier 48 heures sur six semaines et 40 heures sur les six autres…

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. C’est vrai !

Mme Martine Billard. Monsieur le ministre, vous allez être le ministre des 48 heures !

M. Benoist Apparu. Quelle est la différence avec ce qui se passe aujourd’hui ?

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Avez-vous proposé de modifier cette limite, madame Billard ?

Mme Martine Billard. Jusqu’ici, l’Europe sociale est quasiment inexistante. Mais nous sommes obligés de constater que, sans cette limite des 48 heures par semaine dans le droit européen, vous iriez peut-être plus loin encore. Vous n’avez même pas besoin d’opt out : vous disposez des forfaits jours. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. La commission a repoussé cet amendement. Certains de mes collègues considèrent que le rapporteur Poisson est pris dans la nasse de son rapport sur la pénibilité. (Sourires.) D’autres, et je leur en sais gré, m’invitent à ne pas me laisser rouler dans la farine par le ministre. Cette sollicitude me ravit. Merci, chers collègues, du soin que vous prenez de votre rapporteur ! (Sourires.).

Cela étant, au-delà de la productivité nationale, nous avons d’autres points de désaccord. Un certain nombre de sujets nous permettant de prendre une vision globale de la législation du travail sont aujourd’hui sur la table : la pénibilité, l’emploi des seniors, la formation professionnelle…

M. Jean Mallot. Le travail du dimanche !

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. Certains d’entre vous, et je leur en sais gré, ont manifesté leur souci des très petites entreprises et de leurs 4 millions de salariés. Que n’ont-ils voté l’amendement que j’ai défendu hier sur le dialogue social dans les petites entreprises !

Madame Billard, je comprends votre préoccupation mais je ne vois pas en quoi, pour les durées maximales, la situation sera différente de celle d’aujourd’hui.

M. Roland Muzeau. Pourquoi délibère-t-on, alors ?

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. Pour repousser l’amendement, monsieur Muzeau, car il fait peu de cas de la négociation collective d’entreprise ou de branche sur laquelle le dispositif est fondé. Seul un accord collectif pourra déterminer le niveau du contingent, les conditions d’accomplissement des heures supplémentaires et les contreparties obligatoires en repos. À défaut, cela sera fixé par décret. Quant à l’autorisation administrative, elle relève d’une logique à laquelle nous sommes hostiles.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Soisson, contre l’amendement.

M. Jean-Pierre Soisson. J’ai respect et estime pour mes collègues socialistes, et je ne voudrais pas que l’on puisse tenir ici des propos caricaturaux qui déforment les pensées des uns et des autres. Personne n’a le monopole des relations avec les organisations syndicales, et chacun s’efforce de trouver les moyens d’une croissance accrue qui permette à la France de tenir son rang. Or cette croissance ne peut reposer aujourd’hui que sur un nombre d’heures travaillées plus important.

Mme Martine Billard. Mais non !

M. Jean-Pierre Soisson. J’ai présidé, en 1989, le Conseil des ministres des affaires sociales qui a élaboré la Charte sociale européenne, et  je vous rappelle, monsieur Dolez, les difficultés auxquelles nous avons été confrontés, car cette charte avait été imposée par le Président François Mitterrand au Conseil de Strasbourg, alors que la plupart des pays n’en voulaient pas : ni la Grande-Bretagne, ni les Pays-Bas, ni l’Irlande. Lorsqu’on parle d’Europe sociale, il faut avoir en tête les réticences de la grande majorité des vingt-six autres pays membres, qui ne nous suivent pas dans cette direction.

J’apporte ici le témoignage de mon expérience. Nous rencontrons les uns et les autres nos collègues européens. À l’initiative de Jean-François Copé, le groupe UMP a organisé une réunion avec les représentants des différents pays au sein du PPE ; nos discussions ont bien montré à quelles difficultés serait confrontée la présidence française, ce que nous pouvions espérer et ce que nous ne pouvions pas espérer. Il ne faut pas rêver l’Europe !

M. Jean Mallot. Il faut la faire !

M. Roland Muzeau. C’est bien ce qu’ont dit les Irlandais : il ne faut pas rêver !

M. Jean-Pierre Soisson. Car si nous rêvons l’Europe et si nous nous arc-boutons sur un projet européen qui n’est que le nôtre, il n’y aura aucun progrès dans la construction européenne.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 114.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi par le groupe SRC de quinze amendements identiques, nos 321 à 335.

La parole est d’abord à M. Alain Vidalies.

M. Alain Vidalies. Contrairement à ce que vous dites, monsieur le ministre, nous sommes conscients des divergences qui nous opposent. Mais vous ne pouvez pas à la fois constater ces divergences et conclure chacune de vos interventions, sous les clameurs de vos amis, par cette facilité de langage qui sonne comme un réflexe : « Vous, les socialistes, n’avez rien à proposer ! »

Vous nous demandez quelles sont nos propositions, en voici une, essentielle : nous sommes pour l’accord de branche ; vous êtes pour l’accord d’entreprise. Nous aurons le temps dans les heures qui viennent d’en décliner d’autres.

Nous que vous qualifiez d’archaïques, nous sommes pour la présence obligatoire des salariés dans les conseils d’administration des entreprises. Cela figure dans le programme socialiste parce que nous pensons que, pour créer de la richesse, le capital ne suffit pas, il faut aussi du travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Voilà que vous reparlez du travail !

M. Alain Vidalies. Il me semble qu’il s’agit là d’une question sur laquelle la droite et vous-même faites du surplace.

J’aimerais enfin vous entendre au sujet d’un article publié hier par Le Monde etdans lequel, usant de l’une de vos expressions favorites, vous reprochez au parti socialiste sa « démagogie » à propos de l’Europe sociale,…

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Ah oui !

M. Alain Vidalies. …simplement parce que nous avons regretté que l’Europe sociale ne soit pas l’une des priorités du Président Sarkozy. Ce que le Président de la République a lui-même justifié avec les arguments suivants, qui valent ce qu’ils valent : « Nous avons en France le meilleur système de protection sociale d’Europe. Vous ne voulez quand même pas que je mette en discussion cela avec les autres pays. » (Rires sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Voilà ce qui a suscité nos regrets et, en retour, votre agression, puisque vous jugez légitime la déclaration du Président de la République.

Mais chacun a ses passions et ses travers, et les miens me conduisent régulièrement à jouer les archivistes. M’interrogeant sur ce qu’étaient devenues vos anciennes ambitions au sujet de l’Europe sociale, je me suis reporté à la conférence des ministres des relations sociales à laquelle vous avez participé à Bruxelles. C’était, il est vrai, il y a fort longtemps – le 26 février 2008, précisément. Vous déclariez, à l’issue de cette rencontre, que la France voulait contribuer à recréer une dynamique sociale en Europe sur le long terme, ajoutant, je cite : « L’Europe sociale sera un enjeu essentiel de la présidence française. Le statu quo n’est plus possible, sinon on jugera que l’Europe sociale est en panne. » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Je ne l’ai pas dit qu’en février, je l’ai aussi dit en juin !

M. Alain Vidalies. Et voici que, lorsque le Président de la République préconise de ne plus en parler pour ne pas prendre de risque, vous applaudissez.

M. Jean-Paul Charié. Ce n’est pas ce qu’il a dit !

M. Alain Vidalies. Qui faut-il croire ? Le Xavier Bertrand du 26 février ou celui du 3 juillet ?

Mme Martine Billard. C’est ce qu’on appelle la souplesse !

M. Alain Vidalies. Vous conviendrez que vous avez de cette question une appréciation pour le moins à géométrie variable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Jean-Paul Charié. Vous faites des amalgames !

M. le président. La parole est à M. Christophe Sirugue.

M. Christophe Sirugue. L’amendement que nous vous proposons s’inscrit dans une logique d’ensemble que je voudrais rappeler à M. Vercamer.

En premier lieu, nous considérons que cette seconde partie du projet de loi aurait dû donner lieu à un débat plus approfondi avec l’ensemble des partenaires sociaux, et nous souhaitons la suppression de chacun des articles composant le Titre II.

Contrairement à ce qui a été dit par le ministre et d’autres intervenants, nous ne renonçons pas à défendre notre politique, et c’est ce que nous faisons au travers de nos amendements et de celui-ci en particulier, qui revient à la question des heures supplémentaires. Mes collègues ont rappelé combien la fuite en avant à laquelle vous vous livrez en augmentant le nombre d’heures supplémentaires légales, alors même que toutes ne sont pas utilisées, fragilisait notre économie. Nous souhaitons au contraire, et c’est l’objet de cet amendement, revenir au système de fixation du contingent annuel d’heures supplémentaires en vigueur avant les lois Fillon.

Nous considérons également que la fixation du contingent d’heures supplémentaires doit être inscrite dans les accords de branche et non dans les accords d’entreprise. Là encore, ce n’est pas par idéologie mais par souci de préserver l’ensemble des salariés des risques contre lesquels les protègent les accords de branche.

Protéger les salariés n’est pas un retour en arrière. C’est même quelque chose qui, normalement, devrait tous nous motiver en permanence.

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. C’est le cas !

M. Christophe Sirugue. Non, à l’évidence cette ligne ne semble pas être la vôtre aujourd’hui.

Cet amendement entend donc restituer aux accords de branche la priorité sur les accords d’entreprise. Cela n’exclut pas de faire preuve de souplesse dans les négociations, mais l’accord de branche empêche que se joue entre les entreprises une compétition qui les éloigne du cercle vertueux que j’ai déjà évoqué. Ce cercle vertueux, c’est celui qui permet que la compétition se solde par un gain économique pour tous, là où vous proposez que les efforts soient toujours exigés des mêmes, des salariés, au prétexte qu’il faudrait systématiquement s’adapter à des évolutions économiques, dont Pierre-Alain Muet vient de rappeler qu’elles ne sont pas aussi claires que vous voulez bien le dire.

Notre amendement est un amendement de substitution qui remplace les alinéas 2 à 4 de l’article 16. Il s’inscrit dans cette logique que nous entendons défendre conformément à nos principes et à nos valeurs. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Patrick Gille.

M. Jean-Patrick Gille. Cet amendement vise à éviter les problèmes que ne va pas manquer de poser votre choix politique – c’est bien le terme – qui contredit les discussions que vous aviez eues avec les partenaires sociaux. Ces derniers avaient accepté d’ouvrir une porte ; vous choisissez de les écraser en enfonçant la porte avec un bélier.

M. Christian Eckert. C’est brutal !

M. Jean-Pierre Soisson. Il ne faut pas exagérer!

M. Jean-Patrick Gille. Quelles seront les conséquences de vos choix ? Ils vont aboutir à un détricotage progressif de l’ensemble des accords d’entreprise sur l’organisation du temps de travail, puis, dans la mesure où nous sommes désormais dans un système ascendant, des accords de branche.

Ils vont surtout permettre aux employeurs d’exercer sur leurs salariés une véritable pression – et je ne me situe pas au plan moral, mais au plan économique et social – d’autant plus lourde au sein de l’entreprise qu’il n’y aura plus ni garantie collective ni garantie de branche.

M. Méhaignerie a cru décocher l’argument suprême en affirmant qu’aucun employeur ne voudrait jouer avec des heures supplémentaires qu’il paierait plus cher. Mais Alain Vidalies lui a aussitôt rétorqué que ce n’est plus le cas, puisque toute votre politique sur le pouvoir d’achat – qui, certes, ne brille ni par sa réussite ni par son efficacité – se fonde sur la réduction du coût de ces heures pour l’employeur. Voilà donc qui l’incitera à faire pression.

Cette pression va de surcroît entraîner une distorsion de concurrence entre les entreprises, une forme de dumping social, qui ne manquera pas à terme de se développer également entre les salariés. En effet, la tentation sera grande pour l’entreprise de fonctionner avec un cœur de salariés enclins, pour des raisons que je n’ai pas à commenter, à multiplier les heures supplémentaires, les autres n’ayant plus qu’à se débrouiller avec le temps partiel.

Le développement du temps partiel est une tendance lourde de notre marché du travail, et les processus que vous êtes en train de mettre en place ne vont faire que l’accentuer, tout cela à cause de votre aveuglement idéologique sur les 35 heures, que vous considérez comme un carcan qui paralyse l’économie et coûte trop cher. C’est un paradoxe, car vous dénoncez les fameux 15 milliards d’euros que coûteraient chaque année les 35 heures à notre économie, mais votre dispositif de détaxation des heures supplémentaires coûte à lui seul 5 milliards d’euros à l’État !

Voilà pourqoi nous proposons de revenir à l’état antérieur du droit du travail.

M. le président. La parole est à Mme Danièle Hoffman-Rispal.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Cet amendement a pour objet de rétablir le système de fixation du contingent annuel d’heures supplémentaires et les conditions de dépassement de ce contingent en vigueur avant les lois Fillon du 17 janvier 2003 du 4 mai 2004.

L’autre point important est l’information de l’inspecteur du travail. Vous n’y voyez qu’une formalité administrative, une perte de temps, un archaïsme : les inspecteurs du travail, auxquels Catherine Lemorton vient de rendre un hommage mérité, apprécieront ! Nous continuons de penser que les heures supplémentaires devraient conserver un caractère exceptionnel ; de ce point de vue, l’information des inspecteurs du travail était symboliquement importante.

La tendance actuelle à revenir à un travail à la tâche – quel que soit le nom qu’on lui donne – et le caractère de plus en plus contraignant des échéances font exploser la notion de temps de travail. Dois-je vous rappeler que la 81e convention internationale sur l’inspection du travail dans l’industrie et le commerce précise que « le système d’inspection du travail sera chargé d’assurer l’application des dispositions légales relatives aux conditions de travail et à la protection des travailleurs dans l’exercice de leur profession, telles que les dispositions relatives à la durée du travail, aux salaires, à la sécurité, à l’hygiène et au bien-être » ? Vous trouvez ce genre de texte archaïque, mais si la fixation du contingent annuel d’heures supplémentaires doit tenir compte des nécessités économiques, elle doit aussi et surtout tenir compte des impératifs de respect des conditions de santé et de sécurité des salariés.

M. Francis Vercamer. Je n’ai jamais dit le contraire !

Mme Danièle Hoffman-Rispal. C’est pour cette raison que les inspecteurs du travail trouvaient toute leur place dans le contrôle des règles régissant les heures supplémentaires, mais vous avez supprimé les dispositions les concernant. Voilà pourquoi j’invite l’Assemblée à adopter cet amendement.

J’ajoute, à l’intention de M. Vercamer, que nos amendements successifs ne sont pas contradictoires : ce sont les syndicats signataires de la première partie de ce texte qui nous demandent de l’amender en profondeur en raison de sa dangerosité. Lisez la presse !

M. le président. La parole est à M. Jean Mallot.

M. Jean Mallot. Contrairement à ce que prétend M. Vercamer, nous sommes totalement cohérents dans ce débat. Nous avons commencé, avec des arguments forts, par défendre un amendement de suppression de l’article 16, mais vous n’avez pas souhaité nous suivre. Nous avons alors défendu un amendement substituant à l’article 16 la rédaction de la position commune.

M. Benoist Apparu. Non !

M. Jean Mallot. Si, lisez le compte rendu des débats ! Et puisque vous n’avez pas retenu la position commune, nous essayons maintenant de rétablir les dispositions du code du travail en vigueur avant les lois Fillon de 2003 et 2004, garanties que le Gouvernement veut supprimer. C’est d’une cohérence imparable, monsieur Apparu.

M. Christian Eckert. Absolument !

M. Benoist Apparu. Rassurez-vous, nous serons, nous aussi, très cohérents !

M. Jean Mallot. L’amendement vise donc à substituer aux alinéas 2 à 4 de l’article 16 les deux alinéas suivants :

« Article L. 3121-11. – Des heures supplémentaires peuvent être accomplies dans la limite d’un contingent annuel fixé par décret, après information de l’inspecteur du travail… »

« Le contingent annuel d’heures supplémentaires peut être fixé à un volume supérieur ou inférieur à celui déterminé à l’alinéa précédent par une convention ou un accord collectif de branche étendu. »

Quant aux propos tenus tout à l’heure par M. Vercamer et M. Méhaignerie, ils démontrent à quel point ces chrétiens sociaux…

M. François Rochebloine. Et alors ?

M. Jean Mallot. …sont écartelés entre leur philosophie de base et la loi de la jungle que le Gouvernement souhaite instaurer dans notre pays. Ils sont mal à l’aise mais, comme la soupe est bonne, ils restent dans la majorité ! Et ils nous font des discours ! En plus, n’ayant plus d’argument – M. Méhaignerie l’a démontré – ils nous assènent des affirmations, mais c’est somme toute assez classique dans ce genre de débat. Nous, nous argumentons, nous montrons les effets pervers de votre texte et défendons des amendements proposant des rédactions alternatives. Vous, messieurs du Nouveau Centre, qui faites partie de la vieille droite, comme on dit, vous êtes très mal à l’aise. Vous êtes deux ce matin, mais c’est déjà beaucoup. M. Poisson, lui, suit un peu votre philosophie et est également très ennuyé : il nage… Quant à M. Méhaignerie, il a parlé de façon très curieuse tout à l’heure, en haussant le ton…

M. le président. Revenez à votre amendement, monsieur Mallot !

M. Jean Mallot. N’ayant plus d’argument, disais-je, nos collègues du Nouveau Centre et M. Méhaignerie assènent ce qu’ils appellent des vérités.

M. François Rochebloine. Ça vous gêne !

M. Jean Mallot. Pour conclure, l’amendement que nous proposons a au moins le mérite de supprimer les alinéas 2, 3 et 4 de l’article 16 pour les remplacer par les deux alinéas dont j’ai donné lecture. Mais au cas où il ne serait pas adopté, il faudrait au moins que le ministre réponde à la question que je lui ai posée tout à l’heure : quel sera le contenu du décret qu’il prévoit à défaut d’accord collectif ?

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Il n’y aura pas de changement !

M. Jean Mallot. L’alinéa 4 énonce : « À défaut d’accord collectif, un décret détermine ce contingent annuel », sans plus d’information, M. le ministre voulant garder les coudées franches, comme à son habitude !

M. le président. La parole est à M. Régis Juanico.

M. Régis Juanico. Pourquoi proposons-nous de revenir au système de fixation du contingent annuel d’heures supplémentaires et aux conditions de dépassement de ce contingent en vigueur avant les premières réformes Fillon de 2003 et de 2004 ? Pour une raison très simple : comme je l’ai dit tout à l’heure, nous, nous n’avons pas une vision dogmatique, tronquée ou partielle du monde de l’entreprise.

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Vous n’avez pas de vision du tout !

M. Régis Juanico. Si, nous en avons une, et je vais vous dire laquelle ! Nous avons une vision de l’entreprise qui part de ses besoins réels. Et la réalité du monde de l’entreprise, ce sont, bien sûr, les employeurs, dont la diversité est incontestable, mais aussi les 22 millions de salariés de ce pays, également dans toute leur diversité.

Or, aujourd’hui, les entreprises n’ont pas besoin d’avoir recours à davantage d’heures supplémentaires. Telle est la réalité. Une étude de la DARES parue l’an dernier n’a-t-elle pas indiqué que la demande d’heures supplémentaires n’était pas importante ? Le président de la commission des finances, Didier Migaud, a lui-même démontré il y a quelques semaines que si le pourcentage d’entreprises utilisant les heures supplémentaires avait augmenté, le volume, c’est-à-dire le nombre des heures supplémentaires avait baissé ces derniers mois.

J’aimerais que M. le ministre, qui n’a pas été très bavard jusqu’à présent, précise les résultats de la politique menée par la majorité depuis six ans. Quels ont été les effets des différentes modifications de la législation sur le temps de travail : le déplafonnement du contingent d’heures supplémentaires porte-t-il ses fruits ?

M. Benoist Apparu. Cela dépend des entreprises !

M. Régis Juanico. Enfin, privilégier les accords d’entreprise par rapport aux accords de branche et aux garanties collectives fondamentales est un véritable retour en arrière. Cette logique de l’atomisation conduira à un système non pas à deux vitesses, mais à deux millions de vitesses en matière de protection des travailleurs, chaque entreprise ayant un régime spécifique ! On mesure les conséquences qui en découleront en termes de santé et de sécurité pour les salariés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à M. Christian Eckert.

M. Christian Eckert. Le plaidoyer de M. Méhaignerie nous a interpellés. Étant mathématicien de formation, l’économie a souvent été pour moi une science un peu mystérieuse. Mais je m’y intéresse beaucoup et ayant écouté il y a quelques jours l’Américain Joseph Stiglitz, auquel le président Sarkozy a fait appel, je crois pouvoir dire que le Prix Nobel d’économie aurait été un peu surpris de vous entendre car ses thèses n’épousent pas vraiment votre point de vue.

Le PIB par habitant, qui est votre dogme, votre référence, n’est pas forcément le seul indicateur du bonheur !

Mme Martine Billard. C’est même un mauvais indicateur !

M. Christian Eckert. D’autres indicateurs existent, comme le PIB par actif dont Pierre-Alain Muet nous a parlé. Je me suis moi-même amusé à étudier sur Internet d’autres indices – comme l’IDH, l’indice de développement humain – qui prennent en compte, à côté du PIB par habitant, la durée de vie moyenne, le taux d’alphabétisation, etc. J’en ai conclu qu’un pays champion d’Europe ou du monde pour son PIB par habitant ne le reste pas si l’on change d’indicateur. Les classements changent suivant l’approche, j’allais dire presque éthique, de la conception que l’on a de la société.

Et vous, en multipliant les heures supplémentaires, croyez-vous faire le bonheur des salariés de ce pays ? Pour quelques-uns, tout au plus. En admettant que vous fassiez grimper notre pays de quelques places grâce à son PIB par habitant, ferez-vous le bonheur de nos concitoyens ?

Tout le monde n’a pas la même vision que vous de l’évolution économique de ces dernières années ; les questions environnementales, climatiques y sont probablement pour quelque chose, elles ont conduit à penser autrement le système économique et la société.

Monsieur le ministre, nous avons essayé, en vain, de supprimer l’article 16, puis adopté une démarche parfaitement cohérente, comme Jean Mallot l’a expliqué. Après avoir demandé de revenir à la position commune, ce que vous avez refusé, nous avons présenté des amendements de repli visant à rétablir la version antérieure du code du travail. Mais enfin, pourquoi faudrait-il systématiquement modifier ce qui fonctionne dans ce pays ?

Il faut desserrer le carcan, affirmez-vous. Nous n’avons cessé de vous dire que ce carcan n’est pas si étroit puisque toutes les entreprises utilisent, en moyenne, 55 heures du forfait qui en compte 220.

M. Benoist Apparu. Ce n’est pas la moyenne qui compte !

M. Christian Eckert. Il existe d’autres dispositifs : l’annualisation, les forfaits jours, vous le savez, monsieur Apparu !

En conclusion, je nous invite collectivement à réfléchir sur la première partie de mon propos et vous demande de voter cet amendement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Lemorton.

Mme Catherine Lemorton. Au moment où la France prend la présidence de l’Union européenne, les eurosceptiques sont nombreux parmi nos concitoyens, si nombreux que vous n’avez pas osé organiser un référendum en février dernier. Or l’article 16 n’est pas de nature à rassurer ces eurosceptiques, qui ne sont pas des antieuropéens, je tiens à le préciser, mais des gens qui observent et qui attendent : je pense notamment aux salariés des petites entreprises.

L’article 16 n’est pas de nature à les rassurer car, en privilégiant l’accord d’entreprise au détriment de l’accord de branche, il crée les conditions d’un rapport de forces qui, nous le savons tous, ne peut être que déséquilibré. Je crains – rejoignant Mme Billard – que nombre de salariés n’aient pas le choix et ne soient forcés de travailler 48 heures par semaine – durée maximale autorisée par la directive Travail – sur de longues périodes.

Il nous semble donc que l’information de l’inspecteur du travail est obligatoire. Pour clarifier le rapport entre le salarié et l’employeur dans les toutes petites entreprises, il faut veiller à la façon dont s’applique l’accord de gré à gré. L’inspection du travail est un outil de contrôle essentiel, tant pour le respect du contingent d’heures supplémentaires que pour celui des règles de sécurité dans les entreprises, dont dépend aussi la santé des salariés. Encore faut-il que le Gouvernement ait la volonté de l’utiliser. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Muet.

M. Pierre-Alain Muet. Réintroduire une hiérarchie des normes dans notre droit social revient à rétablir sécurité et cohérence. En outre, cela a un effet d’efficacité économique car, en la matière, il est un facteur essentiel : la confiance. Quand vous permettez aux entreprises – comme vous allez le faire avec l’article 16 – de décider chacune de son côté, sans qu’il y ait de cohérence au sein de la branche, vous insinuez de l’incertitude dans les échanges et dans la concurrence. Nombre d’économistes – y compris libéraux – vous diront que vous risquez ainsi de nuire à l’efficacité économique. Revenir à la hiérarchie des normes, c’est s’assurer que les normes essentielles sont définies par la loi ou par le décret ; pour les appliquer à des situations particulières, il faut recourir aux accords de branche et d’entreprise, la logique voulant que les seconds ne soient pas moins favorables que les premiers pour les salariés. Sinon on entre dans une concurrence sociale, ce qui est un gage d’inefficacité, puisque les entreprises passent alors leur temps à chercher à savoir ce que font les autres en matière de règles et qu’elles ajustent ensuite ces règles vers le bas. Cela peut conduire une économie à la paralysie ou l’entraîner dans une sphère dépressive.

Il est assez étonnant, dans la conjoncture actuelle, de s’interroger sur le contingent d’heures supplémentaires. Ce trimestre, la France connaît, hélas, une croissance dont il est vraisemblable qu’elle est à peu près nulle. La confiance des ménages atteint son plus bas niveau depuis la création de l’indicateur INSEE qui la mesure. Différentes données montrent qu’aujourd’hui les entreprises n’ont pas de problèmes d’heures supplémentaires. Ainsi, toutes vos incitations au développement des heures supplémentaires n’auront qu’un seul effet, désastreux pour la confiance en notre économie : les entreprises qui, ayant la chance de recevoir des commandes – ce qui n’est malheureusement pas le cas pour la majorité d’entre elles –, auraient pu embaucher, préféreront se rabattre sur les heures supplémentaires et ne créeront pas d’emplois. Vous devriez mettre ce que vous faites pour des raisons purement idéologiques en cohérence avec la réalité économique. Notre économie s’en porterait beaucoup mieux. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Régis Juanico. Ça, c’est du pragmatisme !

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. L’amendement de suppression de l’article n’a pas été adopté. Celui visant à revenir à la position commune ne l’a pas été non plus. C’est la raison pour laquelle je défends avec mes collègues ces amendements qui ont d’abord pour objet de redonner à la branche son rôle de régulateur pour les salariés. Il s’agit en même temps – que le rapporteur me pardonne de le contredire sur ce point – de combattre le risque de voir se développer les accords de gré à gré entre employeurs et salariés.

Nous proposons de revenir au dispositif d’avant 2003. Plusieurs de mes collègues l’ont dit avant moi, le problème, aujourd’hui, ce ne sont pas les heures supplémentaires. Depuis 2002, la majorité a profondément remis en cause la durée légale du travail, sans aucun résultat, que ce soit en termes d’emploi, de pouvoir d’achat ou d’organisation du travail. Le contingent annuel d’heures supplémentaires par salarié a été augmenté à plusieurs reprises. Or, selon l’étude de la DARES à laquelle il a déjà été fait allusion, la proportion des salariés effectuant des heures supplémentaires est restée de un tiers et la moyenne du nombre d’heures supplémentaires qu’ils effectuent se maintient à environ 55 par an. En définitive, ni l’augmentation du contingent, ni le paquet fiscal, ni l’exonération de cotisations n’ont entraîné une augmentation du nombre total d’heures supplémentaires. L’échec est patent. Les mesures vous nous présentez aujourd’hui sont dictées par des considérations idéologiques que les salariés apprécieront.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Défavorable.

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 321 à 335.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 257.

La parole est à M. Roland Muzeau, pour le soutenir.

M. Roland Muzeau. Le second alinéa de l’article 16 soulève toute une série de difficultés. Rappelons d’abord ce qui est écrit : « Une convention ou un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche ». L’accord de branche devient donc subsidiaire de l’accord d’entreprise par le seul jeu de l’introduction de la conjonction « ou », et au mépris de la hiérarchie des normes.

L’alinéa explique ensuite que cette convention « fixe » – et non pas : « peut fixer » – « l’ensemble des conditions d’accomplissement d’heures supplémentaires au-delà du contingent annuel ». Toutes les entreprises seront donc invitées et incitées au dépassement dudit contingent.

La convention fixe enfin « les caractéristiques et les conditions de prise de la contrepartie obligatoire en repos ». L’alinéa supprime donc d’un trait de plume l’autorisation de l’inspection du travail et la consultation préalable du comité d’entreprise et des délégués du personnel en cas de dépassement du contingent annuel d’heures supplémentaires. Il supprime le repos compensateur, se contentant de prévoir une contrepartie en repos, laquelle pourra désormais être négociée par accord d’entreprise ou, à défaut, de branche. Il s’agit donc d’une remise en cause radicale des dispositions d’ordre public social sur les repos compensateurs. Il sera désormais possible de prévoir des repos inférieurs aux 50 % et aux 100 % obligatoires actuellement.

Cet alinéa organise donc une grave régression qui permettra concrètement à l’employeur d’utiliser massivement des heures supplémentaires dans la seule limite légale des normes européennes, au mépris de la santé des salariés comme du respect de leur vie de famille. L’une des conséquences prévisibles de ce texte sera bien d’accroître les difficultés des salariés à articuler leur vie personnelle et leur vie professionnelle, et de nuire à leur santé. Cela justifie amplement la suppression de l’alinéa.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Frédéric Poisson, rapporteur. La commission a repoussé cet amendement. Nous avons là une divergence supplémentaire sur la confiance que nous avons dans la négociation collective.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 257.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Suite du projet de loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures cinquante-cinq.)