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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Deuxième session extraordinaire de 2008-2009

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mardi 15 septembre 2009

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Marc Laffineur

1. Loi pénitentiaire

Discussion générale (suite)

Mme George Pau-Langevin

M. Patrick Braouezec

M. Daniel Garrigue

M. Claude Bodin

M. Jacques Valax

Mme Martine Aurillac

Mme Michèle Delaunay

M. Philippe Goujon

Mme Élisabeth Guigou

M. Christian Kert

Mme Sylvia Pinel

M. Étienne Pinte

Mme Laurence Dumont

M. Christian Vanneste

Mme Marylise Lebranchu

M. Éric Ciotti

Mme Catherine Lemorton

M. Jacques Alain Bénisti

Mme Aurélie Filippetti

Mme Marietta Karamanli

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice

2. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Marc Laffineur,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Loi pénitentiaire

Suite de la discussion d'un projet de loi adopté par le Sénat

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi pénitentiaire, adopté par le Sénat, après déclaration d’urgence (n°1506, 1899).

Discussion générale (suite)

M. le président. Cet après-midi, l’Assemblée a commencé d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

La parole est à Mme George Pau-Langevin.

Mme George Pau-Langevin. On a rappelé cet après-midi que le degré d'évolution d'une société se juge au sort qu'elle réserve aux plus faibles : les mineurs, les handicapés, les fous, les prisonniers. Il est vrai que nos prisons sont, encore aujourd’hui, des lieux où trop de femmes et d’hommes demeurent soumis à des conditions de vie dégradantes et humiliantes. Cette situation est dénoncée depuis longtemps, par exemple dans le remarquable rapport écrit en 2000 par les députés Jacques Floch et Louis Mermaz.

Depuis cette date, les réformes indispensables attendent et les détenus désespèrent. Encore récemment, les états généraux de la condition pénitentiaire avaient invité tous les candidats à l’élection présidentielle à prendre position sur ce sujet. Alors que nous entamons nos travaux, nous devons rappeler les engagements que le Président de la République a pris à cette occasion, en réaffirmant que « la dignité de la condition carcérale devrait être une priorité », et que « la dignité humaine exige cet engagement, mais aussi la protection des victimes, car tout détenu qui sort de prison avec un projet de réinsertion a beaucoup moins de chances de récidiver ». « Le principe de l’encellulement individuel pour toute personne qui le souhaite doit être garanti », ajoutait-il ; « les règles pénitentiaires érigées par le Conseil de l’Europe indiquent les normes considérées comme indispensables. À nous de les appliquer. »

Nous sommes tous d’accord sur le constat fait par le Président de la République. Encore faut-il désormais avancer ! Or nous hésitons trop à le faire, et je me demande si ce n’est pas parce que les femmes et les hommes qui sont en prison sont des pauvres, précaires, exclus. Les milieux populaires et ouvriers y sont surreprésentés, de même que les personnes à la santé mentale fragile, voire très perturbée. En somme, ces gens pèsent peu dans nos sociétés et, de surcroît, n’ont qu’un faible poids électoral.

Aujourd’hui, vous n’avez pas vraiment tranché, dans votre politique pénale, entre deux conceptions : soit la prison est un lieu de garde et de sûreté qui met à l’écart les mauvais pauvres que l’on veut châtier, soit elle est un lieu de réinsertion. Or, force est de constater que, quand une personne sort de prison aussi illettrée ou perturbée que lorsqu’elle y est entrée, et qu’elle est sans argent, sans logement et sans personne pour l’épauler, alors la rechute est fort probable.

Un tel projet de loi et une politique pénitentiaire adéquate exigent que l’on fasse attention aux conditions de détention et que l’on offre des aménagements de peine corrects. Ainsi, on tend la main non seulement à l’homme qui a failli en lui permettant de se racheter, mais aussi aux victimes, en assurant leur sécurité ultérieure.

Aujourd’hui, il me semble que nous devons emprunter résolument la voie de l’aménagement et de la réinsertion. Trop souvent, ce texte et le débat qu’il suscite donnent l’impression que l’on affirme un principe avant de revenir immédiatement sur son application. Ainsi, les fouilles à corps sont humiliantes et dégradantes. Vous dites qu’il faudra y renoncer, mais, aussitôt, vous remettez l’application de ce principe à une date ultérieure. C’est ce type de reculs que nous ne comprenons pas, et que nous n’acceptons pas !

Par ailleurs, comme je l’ai dit en commission, les étrangers sont les grands oubliés de ce projet de loi. Ils constituent pourtant plus de 21 % de la population carcérale, précisément parce qu’ils n’ont pas les garanties de représentation qui permettent d’éviter la détention préventive, ni la possibilité de présenter des plans satisfaisants en vue d’une libération conditionnelle – ne serait-ce que parce que leur situation administrative est souvent devenue un véritable imbroglio au cours de la détention. En outre, s’ils obtiennent une libération conditionnelle, c’est souvent, contrairement à ce que l’on nous avait annoncé en matière de double peine, à la condition de partir. Ils ne peuvent donc pas utiliser la période de détention pour préparer leur réinsertion. Ce sujet est bien absent de votre texte ! Dans ces conditions, l’article 729-2 du code de procédure pénale, qui permet un aménagement de peine, est inapplicable pour les étrangers.

Je conclurai en indiquant que notre rapport sur les centres de détention relève une anomalie dans l’articulation entre détention et rétention. En effet, on attend trop souvent la libération d’un détenu pour enclencher les procédures de reconduite à la frontière.

M. le président. Veuillez conclure, je vous prie.

Mme George Pau-Langevin. Vous n’avez pas non plus abordé ce sujet, alors que cela s’imposait.

Pour toutes ces raisons, cette loi représente un espoir inassouvi. Nous attendons encore la grande et indispensable loi pénitentiaire ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. Cette loi pénitentiaire était attendue comme le grand rendez-vous de la France avec ses prisons, comme une étape importante dans l'histoire de la construction de notre démocratie. Le chemin à parcourir pour opérer la transformation du système carcéral était clairement jalonné pour qu’il se conforme enfin aux exigences de l’État de droit.

Il y a près de dix ans, ont été énoncées les conditions indispensables de la réforme à mener. Le législateur devait assumer pleinement ses attributions constitutionnelles en ne laissant pas à l'exécutif le soin de régir, par un droit subordonné et mouvant, le fonctionnement des prisons. Pour mettre fin à l'arbitraire carcéral, la règle de droit devait limiter précisément les pouvoirs de l'administration pénitentiaire. Pour que les rapports entre personnels et détenus ne soient pas la cause d'un surcroît de violences, les règles applicables devaient constituer une référence claire pour tous les membres de la collectivité carcérale. Le statut du détenu devait ensuite être défini en considération de sa pleine appartenance à la nation – c’est-à-dire en le consacrant comme citoyen à part entière, privé de sa seule liberté d'aller et de venir. Le droit pénitentiaire devait enfin s'insérer pleinement dans son environnement juridique, en intégrant la jurisprudence de la Cour européenne.

Suite aux états généraux de la condition pénitentiaire et grâce à l'engagement de notre collègue Robert Badinter, les dix organisations réunies – syndicats de surveillants, de magistrats et d'avocats et associations de défense des droits de l'homme – avaient présenté une série de revendications collectives qui, loin de viser la satisfaction de besoins immédiats et catégoriels, portaient, en miroir des recommandations européennes, aussi bien sur le fonctionnement interne des prisons que sur les orientations d'une politique pénale rationnelle et responsable.

Aux termes de cette déclaration, la loi pénitentiaire devait faire de la prison une sanction de dernier recours, réservée aux auteurs d'infractions les plus graves. Elle devait consacrer le principe selon lequel toute personne dont l'état de santé – physique ou mental – est incompatible avec la détention doit être libérée. Elle devait permettre aux exigences de l'État de droit de s'imposer effectivement, en organisant et en garantissant l'exercice de l'ensemble des droits fondamentaux des personnes détenues – exception faite de la liberté d'aller et de venir. Le pouvoir disciplinaire devait s'exercer dans le respect des principes du procès équitable et n’admettre que des sanctions garantissant le respect de la santé et de la dignité. L'ensemble des services publics devaient investir l'espace carcéral et y assumer pleinement leurs missions. La préparation et l'accompagnement du détenu à la libération devaient être érigés en mission première de l'administration pénitentiaire. La loi devait assurer une transformation de la condition des personnels pénitentiaires.

Les dix points de la déclaration des états généraux sont seuls susceptibles de faire cesser les violations permanentes des droits de l'homme, d'améliorer la condition de tous ceux qui vivent et travaillent en prison et de mieux assurer la sécurité de tous, en faisant preuve de plus d'intelligence dans l'exécution des peines tout en réduisant le recours à l'emprisonnement et la durée des sentences.

Ici, non seulement le compte n'y est pas, mais nous devons redouter l'accentuation de l'exception carcérale qu'induit ce texte de loi. Force est de constater qu’il n'est pas de nature à faire cesser l'arbitraire. Nous sommes invités à voter une simple litanie de vœux pieux concernant le respect des droits fondamentaux et de la dignité, tandis que le véritable droit de la prison s'élabore dans notre dos, au sein des bureaux du ministère de la justice. Alors qu'il nous revenait de définir les restrictions admissibles aux droits des détenus, nous sommes appelés à doter les prisons, par les régimes différenciés, d'un système de droits conditionnés, d’un pouvoir disciplinaire déguisé et sans garde-fou. De même, l'affirmation du rôle des services pénitentiaires dans la protection de la sécurité intérieure du pays n'est qu'un rideau de fumée destiné à masquer le refus d'améliorer la condition des personnels. Enfin, ce texte ne permettra en rien d'enrayer la surpopulation carcérale, phénomène qu’il tente en vain de limiter par un traitement des flux.

Devant une entreprise qui ne vise qu'à expédier une fois pour toutes le débat sur le rôle de la prison, notre groupe ne peut que se dégager de la logique gestionnaire imposée par ce projet, et continuer à faire entendre une autre voix en vue d'opérer les évolutions décisives que commande l'impératif démocratique. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Garrigue.

M. Daniel Garrigue. Vous abordez ce texte très difficile, madame la ministre d’État, dans un souci de clarté et de netteté. Hélas, il est loin de répondre à la gravité du problème particulièrement sensible des personnes souffrant de troubles psychiques, problème que souligne l’ensemble des professionnels.

Les évaluations menées font état de 20 % au moins de détenus qui souffrent de troubles psychiques ou neuropsychiques, soit plus de 12 000 personnes. Compte tenu de leur état, la situation de ces personnes n’est pas légitime et, de surcroît, pose d’énormes problèmes dans la gestion des établissements, au grand dam des responsables de ceux-ci, des personnels et des autres détenus.

Il existe trois manières complémentaires d’aborder le problème. La première relève naturellement de la politique de santé mentale. L’Assemblée a, il y a quelques mois, débattu du texte relatif à la réforme hospitalière : vous savez comme moi qu’y manquait le volet concernant les établissements psychiatriques et, de façon plus générale, la politique de santé mentale. Or, une réforme demeure indispensable si l’on ne veut pas que la rue – je pense aux SDF – ou la prison deviennent les soupapes de sûreté, face aux défaillances de notre politique de santé mentale.

Le deuxième outil permettant de traiter cette question, c’est la procédure pénale, et en particulier l’article L.122-1 du code pénal, qui dispose que les troubles psychiques ou neuropsychiques peuvent constituer une cause d’irresponsabilité pénale. En la matière, le problème est manifeste : en l’espace de dix ans, le pourcentage des condamnés pour lesquels a joué cette clause d’irresponsabilité pénale est passé de 4 % à 1 %, soit environ 200 personnes par an. Du point de vue des victimes, il est vrai que cela peut être pris pour un progrès. Cependant, une évolution aussi brutale de la jurisprudence exige que nous nous interrogions. Il serait bon, madame la ministre d’État, que vos services et le Parlement se penchent avec attention sur la question, car elle est sans doute pour partie à l’origine des difficultés que nous rencontrons aujourd’hui.

Enfin, le troisième instrument d’action réside dans les conditions d’exécution des peines et de réinsertion des personnes qui souffrent de ces troubles. La loi de 1994 – cela a déjà été rappelé – a permis un suivi sanitaire des détenus censé être comparable à celui de l’ensemble des citoyens. Cela étant, la mise en place de ces dispositifs a souvent connu des difficultés. Si les services médico-psychiatriques régionaux – les SMPR – et les unités de consultations et de soins ambulatoires – les UCSA – fonctionnent, les unités hospitalières spécialement aménagées – les UHSA –, quant à elles, sont installées à un rythme plus lent : les 700 places prévues ne seront disponibles qu’en 2011, si j’ai bien compris. Et encore, 700 places suffiront-elles au regard du nombre de personnes concernées ?

Bien des questions restent donc en suspens. La commission des affaires sociales du Sénat s’est par exemple demandé si ces détenus souffrant de troubles ne devaient pas, au-delà d’un certain délai, être tout simplement réadmis dans un établissement psychiatrique. Je regrette certes le caractère d’automaticité trop marqué de l’amendement qu’elle a présenté sur ce point, mais il est dommage que l’examen de cette question n’ait pas pu se poursuivre.

Par ailleurs, s’agissant de la réinsertion, lorsque j’ai visité, il y a quelques jours, un établissement pénitentiaire de ma circonscription les personnels de l’UCSA ont attiré mon attention sur le problème qui se posait en matière d’exécution des peines, de libération conditionnelle ou de réduction de peine dans la mesure où nombre de personnes atteintes de tels troubles, qui ont parfois des injonctions de soins, ne parviennent pas à trouver, à l’extérieur, des personnels de santé en mesure de les suivre.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur le député !

M. Daniel Garrigue. Il y a donc manifestement un blocage dans l’application des peines. Je regrette, madame la ministre, que cette difficulté extrêmement préoccupante pour les établissements pénitentiaires n’ait pas été mieux prise en compte par ce projet de loi.

M. le président. La parole est à M. Claude Bodin.

M. Claude Bodin. Madame la ministre d’État, ce projet de loi est particulièrement attendu, car il va enfin doter notre pays d’un grand texte fondateur dans le domaine pénitentiaire. Il comporte des avancées majeures qu’il convient de souligner.

Plusieurs chiffres attestent de la gravité de la situation : 63 000 détenus pour 53 000 places, un taux d’occupation des maisons d’arrêt dépassant 140 % !

La situation des prisons françaises a d’ailleurs été dénoncée sur tous les bancs de cette assemblée, laquelle a créé, en 2000, une commission d’enquête dont le seul titre ne pouvait laisser subsister la moindre ambiguïté : « Les prisons : une humiliation pour la République ».

Malgré le processus de réforme engagé depuis 2002, qui nous permettra de disposer de 60 000 places de prison en 2012, beaucoup reste encore à faire.

Dans le rapport qu’il a récemment présenté, M. Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté, établit ce même constat : surpopulation carcérale, nombreux lieux de non-droit où toutes les violences se propagent, taux de suicide en progression, désarroi des personnels dont la tâche devient impossible...

L’emprisonnement doit toujours s’effectuer dans des conditions qui s’accordent avec le respect de la personne humaine. Ainsi la privation de liberté ne doit-elle pas signifier la privation de l’accès au droit.

Il faut donc se féliciter que le présent projet de loi renforce les droits et garanties reconnus aux détenus en matière d’information, de communication, de vie privée et familiale, prenant ainsi en compte les règles pénitentiaires européennes.

Il comporte également de sérieuses avancées pour les personnels pénitentiaires auxquels je souhaite rendre hommage, car ils exercent leurs missions dans des conditions souvent extrêmement difficiles.

Bien sûr, une des missions du service public pénitentiaire est d’aider à la réinsertion des détenus afin de prévenir la récidive, mais surtout et avant tout, le but est de sanctionner des actes de délinquance et de protéger la société contre des personnes et des actes qui peuvent être dangereux.

La première mesure pour éviter la récidive est la sanction. Les statistiques, notamment celles présentées par l’Observatoire national de la délinquance, montrent que six mineurs sur dix qui passent par le milieu carcéral ne récidivent pas.

C’est aussi une obligation vis-à-vis des victimes et un devoir de la société. Or, à ce jour, mes chers collègues, près de 45 000 peines exécutoires ne sont pas exécutées... faute de places en prison !

A cet égard, je ne peux qu’émettre de très fortes réserves quant au second volet ajouté par le Sénat, qui prévoit le caractère quasi automatique de l’aménagement de peine pour les condamnations à deux ans de prison ferme ou pour lesquelles deux ans restent à accomplir.

Le projet de loi ainsi amendé accroît considérablement les prérogatives du juge d’application des peines puisqu’il peut désormais transformer en placement sous surveillance électronique, semi-liberté et placement à l’extérieur, les peines d’emprisonnement dont la durée n’excède pas deux ans.

Le texte restreint considérablement la marge d’appréciation du juge d’application des peines en instaurant une forme d’automatisme.

Encourager un juge, voire l’obliger, dans le secret d’un huis clos, à défaire les peines prononcées publiquement par le tribunal, c’est miner la crédibilité que nos concitoyens accordent à la justice. Madame la ministre d’État, cette disposition adresse aux victimes et à leurs proches un message alarmant, et aux délinquants un message d’impunité potentielle ! Le poids symbolique de la peine est en effet réduit à néant lorsque la sanction appliquée n’est pas celle qui a été prononcée.

Par ailleurs, chers collègues, s’il s’agit de lutter contre la surpopulation carcérale, le seuil d’un an est amplement suffisant puisqu’il concerne 80 % des peines prononcées chaque année et que les juges d’application des peines sont déjà submergés sous les dossiers qui leur parviennent. Il convient donc de conserver le seuil actuel d’un an d’emprisonnement. Je défendrai un amendement en ce sens.

La commission des lois a justement limité l’extension des possibilités d’aménagement de peine lorsqu’il s’agit de délits commis en récidive légale. Le texte issu du Sénat était en effet en contradiction avec les peines planchers en cas de récidive, instituées l’an dernier.

La commission n’a pas souhaité prévoir une limitation similaire pour les infractions violentes ou de nature sexuelle. Pour ces infractions, il paraît néanmoins nécessaire de rendre obligatoire, préalablement à la mesure d’aménagement, une expertise psychiatrique évaluant le risque de récidive.

M. le président. Il faut conclure, monsieur Bodin !

M. Claude Bodin. Ainsi les juges seront-ils pleinement informés avant de prendre leur décision. Ce dispositif fait l’objet d’un de mes amendements auquel mon collègue Guy Geoffroy s’est associé.

Madame la ministre d’État, votre projet de loi pénitentiaire soulève de fortes attentes. Il propose des réponses majeures, et l’important travail de notre rapporteur lui a apporté des améliorations utiles et pertinentes.

Cependant, il n’est pas d’amélioration possible et durable du service public pénitentiaire sans une bonne adéquation des moyens humains et matériels, sans un programme ambitieux de construction et de rénovation du parc pénitentiaire qui doit demeurer une priorité absolue. Je ne doute pas, madame la ministre d’État, de votre volonté en ces domaines. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Valax.

M. Jacques Valax. Beaucoup de choses ont déjà été dites, mais je vous prie d’avance, madame la ministre d’État, de bien vouloir m’excuser si je répète certaines d’entre elles. Je le ferai sans excès, avec une certaine résignation pourrais-je dire.

Cela fait à peine deux années que je suis dans cette assemblée, mais je vous le dis comme je le ressens : je suis déçu par notre façon de travailler, par cette espèce de logorrhée judiciaire qui nous emporte, par ce flot de textes auxquels nous sommes confrontés. D’un jour à l’autre, d’une minute à l’autre, nous devons nous rendre dans une commission, assister à une audition, exposer certains éléments, alors que j’idéalisais la fonction de député, pensant que celui-ci pouvait prendre un peu de distance par rapport à l’événement, qu’il avait le temps de réfléchir.

Je le dis paisiblement, avec regret et tristesse : j’ai l’impression d’être ce hamster qui, dans la chambre de ma fille, pédalait inexorablement dans une roue et avait l’impression d’être utile. (Sourires.) Suis-je utile ? Telle est la question que je me pose aujourd’hui. Alors, madame la ministre, en sortant de cet hémicycle, ne m’appelez pas le hamster, fût-il de gauche – à la limite ce serait un élément qui me permettrait d’assumer dignement ma fonction ! Sachez que j’éprouve beaucoup d’amertume, de tristesse, et je me dis que nous devrons, les uns et les autres, accepter un jour de changer ce mode de fonctionnement. Je vous présenterai d’ailleurs bientôt un texte sur le non-cumul des mandats et, une fois celui-ci adopté à l’unanimité – cela sera le cas, je n’en doute pas ! –, peut-être aurons-nous le temps de réfléchir aux textes de loi qui nous sont soumis !

J’irai vite maintenant, car c’est ce cri du cœur que je voulais vous faire entendre. Que vais-je faire des quelques minutes qu’il me reste ? (« Rien ! C’est fini ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Dire des banalités, répéter ce que d’autres ont déjà dit avec davantage de talent ? Simplement, madame la ministre, sans vouloir être désagréable à l’égard de votre ministère, je regrette, comme d’autres, que ce texte soit examiné dans le cadre d’une procédure dite d’urgence. Nous aurions pu prendre le temps de la réflexion !

En outre, ce projet intervient dans un contexte de durcissement et d’inflation de lois pénales incontestablement de plus en plus répressives, dont la loi du 10 août 2007 sur la récidive des majeurs et des mineurs – loi portant instauration des peines planchers – contre laquelle je me suis battu et qui est l’illustration la plus emblématique de la volonté du Gouvernement d’une répression accrue, et cela sans aucune utilité. En effet, contrairement aux chiffres que vous avez avancés, la délinquance ne cesse d’augmenter.

Ce contexte répressif a pour corollaire implacable l’inflation carcérale qui aggrave les conditions de détention. La situation de surpopulation carcérale sans précédent que nous connaissons rend illusoire toute amélioration de la condition pénitentiaire. Je ne reviendrai pas sur les chiffres qui vous ont été donnés, sur ces seize maisons d’arrêt présentant un taux d’occupation supérieur ou égal à 200 % – Noël Mamère en parlait tout à l’heure – et ces cinquante et un établissements ayant une densité comprise entre 120 % et 150 %. Simplement, sans vouloir polémiquer, sans même chercher d’où vient ce problème, comment peut-on, dans un tel contexte, prétendre réformer la prison et améliorer les conditions de travail du personnel pénitentiaire ?

Que constatons-nous aujourd’hui sur le terrain ? Après les incidents récents de Perpignan et Nancy, la semaine dernière, un surveillant de la maison d’arrêt d’Albi – je suis député du Tarn –, qui terminait son service de nuit, s’est fait violemment agresser dans le parking situé au sous-sol de son immeuble.

Au-delà des pressions quotidiennes et des agressions multiples sur leur lieu de travail, c’est maintenant directement dans leur vie privée que les personnels sont touchés. Je ne dis pas que ce sont des agressions inacceptables ; je dis qu’il va falloir faire quelque chose et que ce genre d’agressions est révélateur du malaise qui existe au sein des maisons d’arrêt.

J’apporte mon soutien à ce gardien meurtri dans sa chair et au plus profond de lui-même.

M. le président. Veuillez conclure !

M. Jacques Valax. Ces personnels travaillent durement, c’est évident, et méritent d’être mieux considérés, mieux rémunérés, de travailler dans des conditions acceptables. Ils veulent, dans leur métier, une autre pratique.

M. le président. Il faut terminer, monsieur Valax !

M. Jacques Valax. Ils veulent « positiver » leur fonction. Ils veulent être respectés comme ils respectent ceux qu’ils surveillent. Plus que surveiller, ils voudraient pouvoir accompagner. Je ne pense pas que ce texte contienne des éléments permettant de les rassurer et je le regrette.

Mon temps de parole est écoulé et je n’ai pu exprimer qu’une partie de ce que je voulais vous dire. Il y a dans mon propos, vous le sentez, beaucoup d’amertume et de regrets. Je suis convaincu que nous aurions dû prendre le temps nécessaire pour que la profession de surveillant soit en tête de nos préoccupations, ce qui ne semble pas être le cas. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Martine Aurillac.

Mme Martine Aurillac. Monsieur le président, madame la ministre d’État, en juin 2000, le rapport Jacques Floch de la commission d’enquête sur la situation de nos prisons, créée par Laurent Fabius et à laquelle j’ai pu participer, mettait déjà en tête de ses préconisations la nécessité d’une grande loi pénitentiaire.

Nous y dénoncions la surpopulation carcérale, les conditions de détention inadaptées et très inégalitaires, une administration désorientée, la situation des femmes et des mineurs, une prise en charge gravement déficiente des personnes atteintes de troubles mentaux qui demandent un traitement à part, et au-delà même de ces maux, nous soulignions la nécessité de repenser la place et la mission de la prison, le sens de la peine, le maintien du lien social, l’exigence du droit en prison, et le rôle indispensable de la réinsertion pour prévenir la récidive.

Certes, comme l’a souligné notre rapporteur, bien des progrès ont été accomplis : programmes de construction et rénovations, augmentation et meilleure formation des effectifs, mise en place des services d’insertion et de probation, ouverture vers l’extérieur, création du contrôleur général des lieux de privation de liberté en octobre 2007.

Cette nécessité d’une grande loi pénitentiaire, le Gouvernement a eu le mérite de se l’être enfin appropriée pour nous présenter aujourd’hui un projet en accord avec les recommandations du Conseil de l’Europe. Le texte cherche à clarifier les missions du service public en dépassant les contradictions entre l’indispensable surveillance, le droit des victimes et la réinsertion, à protéger les personnels grâce à des repères précis, à réaffirmer les droits des détenus comme de tout citoyen, à développer les aménagements de peine ainsi que les alternatives à l’incarcération, notamment dans le cadre des mesures de sûreté.

Les mesures prévues pour améliorer les conditions de vie des détenus et le remplacement, lorsqu’il est possible, de la détention par des aménagements de peine constituent une réelle avancée pour désencombrer les prisons des prévenus et des condamnés à de courtes peines, et pour remédier à la non-exécution des peines.

Notre commission des lois, qui a voté une série d’amendements, a, comme à son habitude, bien travaillé. Pour ma part, j’avais, dès l’origine, une réserve sur les articles 46 et 48 du projet voté par le Sénat. La loi encadre la décision du juge – qui peut d’ailleurs être presque instantanément modifiée par un juge de l’application des peines, lequel n’a pas toujours le recul nécessaire – dans un quantum de peine de moins de deux ans, sans l’inviter expressément à prendre en compte les motifs qui, en eux-mêmes, sont porteurs de graves troubles à l’ordre public, comme les délits sexuels et les actes avec violence contre les personnes. Mais nous savons tous que, dans ce monde imparfait, les risques de récidive ne sont guère réduits par le port d’un bracelet électronique, dont la surveillance peut-être aléatoire.

M. Christian Vanneste. Tout à fait !

Mme Martine Aurillac. À plusieurs reprises, dans un passé récent, nous en avons eu la triste démonstration.

M. Christian Vanneste. Absolument !

Mme Martine Aurillac. Il me paraît donc que le seuil des deux ans ne peut être maintenu que si l’on exclut du dispositif les récidivistes – mesure que vous avez approuvée, madame la ministre – et les délinquants sexuels. Notre commission y a heureusement pourvu.

Quant aux droits des détenus, si l’encellulement individuel peut relever de leur choix, le droit à un travail et à une formation est essentiel, de même qu’un meilleur accès aux soins. En outre, il apparaît que les points d’accès au droit devraient être présents dans tous les établissements. Enfin, même si c’est secondaire, des inventaires contradictoires devraient être établis pour les effets personnels des détenus. C’est peu, mais cette mesure est très demandée.

J’ai écouté avec attention nos collègues de l’opposition qui, pour un peu, du fait du manichéisme qui semble guider certaines de leurs interventions, nous accuseraient de mépriser, sinon de haïr les prisonniers.

Mme Pascale Crozon. Ben voyons !

Mme George Pau-Langevin. Vous avez mal entendu !

Mme Martine Aurillac. Qui, après avoir visité des centres de détention et des maisons d’arrêt, pourrait avoir de tels sentiments ? Cependant, comment ne pas penser aux victimes, aux difficultés des juges, à la protection nécessaire de notre société ? C’est tout l’équilibre de ce texte, qui constituera, pour autant que les moyens suivent ces excellentes intentions, un progrès très sensible et très attendu. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Christian Vanneste. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Michèle Delaunay.

Mme Michèle Delaunay. Monsieur le président, madame et monsieur les ministres, mes chers collègues, ce texte est sans aucun doute une très belle occasion de nous interroger sur le sens de la peine et de cet outil qu’est la prison.

Mme Laurence Dumont. Une occasion manquée !

Mme Michèle Delaunay. Si je ne suis pas sûre que l’une et l’autre aient la possibilité de réinsérer en totalité une population souvent marginalisée depuis longtemps et particulièrement fragile, je suis certaine qu’il faut tout faire pour leur donner les moyens d’y parvenir.

Et, tout d’abord, il faut veiller à l’état de santé physique et psychique des détenus. Voilà en effet un homme, une femme, qui, en étant privés de liberté, perdent aussi la possibilité de recourir aux soins, aux actions de dépistage et de prévention, à l’information comme à l’éducation en matière de santé. L’administration pénitentiaire et ses partenaires, au premier rang desquels figure le ministère de la santé, doivent tout faire pour qu’ils sortent de prison en meilleure santé qu’ils n’y sont entrés. C’est ce que prévoit le code de la santé publique que mentionne le texte.

Cela suppose d’abord qu’à son entrée en prison, on propose au détenu un bilan de santé suffisamment complet, expliqué et compréhensible, pour qu’il prenne la mesure de l’intérêt qu’il a à s’y soumettre : examen clinique approfondi, examen hématologique permettant de juger de l’état hépatique, dépistage de la tuberculose, sérologie VIH, sans parler d’un bilan psychiatrique. Mais ne négligeons pas des examens plus modestes, comme le contrôle de l’état bucco-dentaire.

Ainsi, on pourra dispenser dès l’entrée en prison les soins nécessaires, au lieu de se contenter, selon l’étrange formule qui figure dans le texte, de « perpétuer » les soins prescrits antérieurement, lesquels peuvent n’être plus de mise. Cela suppose que l’on donne aux détenus les moyens de leur santé. Le texte fait allusion aux problèmes de l’alimentation et de la promiscuité. Il faut aussi penser à l’activité physique, qui doit être considérée comme un droit, ainsi que l’activité tout court. Il importe par exemple de mettre en place des moyens de compenser le déficit d’autonomie des détenus âgés ou handicapés. Puisqu’ils ne peuvent recourir à des aidants naturels, les moyens techniques et humains nécessaires doivent être mis à leur disposition. De même, il faut songer à la prévention et la vaccination, notamment – mais pas seulement – dans le cadre de la pandémie grippale.

Autant de mesures qui doivent être inscrites dans la loi, laquelle ne mentionne curieusement que l’examen de sortie, utile, certes, mais infiniment moins que le bilan d’entrée. Celui-ci permettra en effet de mettre à profit la période de détention pour effectuer des soins indispensables au détenu, qui bénéficieront également à ses codétenus et au personnel pénitentiaire.

M. le président. Il faut conclure, madame Delaunay.

Mme Michèle Delaunay. À cette fin, nous avons déposé plusieurs amendements, qui sont tombés sous le couperet de l’article 40. Je demande toutefois au Gouvernement de bien vouloir les accepter, voire les gager, afin que ce lieu privatif de liberté qu’est la prison ne soit pas aussi un lieu privatif de santé. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon.

M. Philippe Goujon. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, s’il est des lois qui marquent une époque, par les changements profonds qu’elles consacrent, tel sera incontestablement le cas de ce texte fondateur dans le domaine pénitentiaire, mais qui va bien au-delà, puisqu’il modifie le rapport même de notre société à la sanction.

On le doit à ce Gouvernement, comme on lui doit la rénovation de notre parc pénitentiaire ou encore l’installation d’un contrôleur général des lieux de privation de liberté, par une loi que j’ai rapportée devant vous et qui a institué pour la première fois un contrôle indépendant, cité comme modèle dans l’Europe tout entière.

Le projet que nous examinons est une véritable loi de rupture, dont l’ambition est que la prison de demain ne ressemble ni à celle d’hier ni à celle d’aujourd’hui. Mais disons-le clairement : elle n’a pas pour but de vider les prisons ni d’instaurer un injuste numerus clausus. Elle conçoit une prison où l’enfermement ne s’oppose plus au respect de la dignité humaine, où le détenu est mieux pris en charge, pour mieux préparer sa réinsertion et prévenir la récidive. De la sorte, elle complète pleinement la politique pénale de fermeté conduite depuis 2007 et voulue par nos compatriotes.

Pour lutter contre la récidive, nous avons adopté les peines planchers. Pour protéger la société des criminels les plus dangereux, nous avons créé la rétention de sûreté. Mais la fermeté n’exclut pas l’humanité. Porter une attention particulière à la situation des victimes et donc sanctionner les délinquants va en effet de pair avec une amélioration des conditions de détention, parce que l’État de droit ne s’arrête pas aux portes des prisons.

La prison n’étant pas l’alpha et l’oméga de notre politique, le texte promeut un développement ambitieux des alternatives à l’incarcération. Cependant, pour éviter les incohérences et ne pas loger tous les délinquants à la même enseigne, le principe de l’individualisation de la peine et de son exécution doit prévaloir. On ne saurait tolérer qu’une personne condamnée à deux ans d’emprisonnement, par exemple pour agression sexuelle, ne passe pas un seul jour derrière les barreaux. (« En effet ! » sur les bancs du groupe UMP.) Au moins pour les récidivistes et les délinquants sexuels, le quantum de peine maximum doit donc être ramené à un an.

La même cohérence doit s’appliquer à l’encellulement individuel. Réaffirmer le principe est heureux, mais on le fait depuis 1874. Il est donc temps que ce principe devienne réalité et qu’on en finisse avec les moratoires successifs.

Si certains arguments – comme la prévention du suicide ou le souhait des détenus – plaident en faveur du placement en cellule collective, il doit s’agir de cellules modernes, conçues à cet effet, et non de ces dortoirs sordides de maisons d’arrêt où les détenus entassés dorment sur un matelas à même le sol. C’est pourquoi, il faut dès à présent concevoir encore un plan supplémentaire de construction de prisons, en plus du « programme 13 200 ».

Une question locale à ce propos : où en est la rénovation de la Santé et comment s’articule-t-elle avec la réalisation envisagée d’un nouvel établissement de 1 000 places en région parisienne ?

La question se pose avec une acuité particulière pour les détenus atteints de troubles mentaux. De gros efforts ont été accomplis depuis les lois de 1994 et de 2002. Cependant, il est indispensable que l’augmentation des moyens suive celle des besoins et que le nombre des psychiatres intervenant en établissement pénitentiaire augmente en conséquence.

Notre collègue Étienne Blanc a démontré que l’offre de soins souffre actuellement d’un manque de pilotage stratégique au niveau national comme au niveau régional. Dans cet esprit, il est primordial de développer les UHSA, les unités hospitalières spécialement aménagées, et de procéder à une évaluation complète de l’établissement public national de santé de Fresnes afin que son avenir soit précisé au-delà de 2012, date annoncée de l’ouverture d’une unité hospitalière sécurisée interrégionale d’une centaine de lits dans l’hôpital d’Évry.

Enfin, nous ne pourrons pas nous dispenser d’une réflexion approfondie sur la responsabilité pénale des personnes atteintes de troubles mentaux, qui constitue leur voie d’entrée en prison, alors que leur place serait plutôt à l’hôpital. Cette situation met en lumière le mérite quotidien des personnels pénitentiaires auxquels, à mon tour, je rends hommage.

L’amélioration de leur statut n’en est que plus légitime. Heureusement, jamais les recrutements n’ont été aussi nombreux, comme c’est le cas aussi pour les personnels du service pénitentiaire d’insertion et de probation. Les surveillants d’aujourd’hui n’ont plus rien à voir avec les gardiens d’hier. Leurs missions sont de plus en plus délicates, mais aussi variées ; ils ne sont plus les simples porte-clés du siècle dernier.

D’un mot, je souligne encore l’importance d’une mission particulière : la prévention du prosélytisme islamiste. Ce phénomène particulièrement préoccupant appelle des mesures fortes.

Avec cette loi, notre politique pénitentiaire entre résolument dans le XXIe siècle. Elle est assez ferme pour protéger la société, mais digne de la France des droits de l’homme, en favorisant l’amendement et la réinsertion des détenus. Il faut voter ce texte pour ne pas laisser passer la chance historique qu’il nous offre de faire en sorte que notre République n’ait plus jamais honte de ses prisons. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Guigou.

Mme Élisabeth Guigou. Monsieur le Président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nos prisons sont une honte pour la République.

J’ai ressenti cela il y a douze ans lorsque, pour la première fois, j’ai visité une prison.

De multiples voix se sont élevées ces dernières années pour mettre fin à ce scandale : les associations, les missions parlementaires de l’Assemblée nationale et au Sénat en 2000 et, plus récemment, le Président de la République devant le Congrès.

Ce consensus républicain, si rare, devrait rendre possible une grande loi pénitentiaire. Hélas, le projet qui nous est soumis en urgence – ce qui est dommage pour un texte concernant les droits fondamentaux des personnes – est décevant.

Dans les cinq minutes qui me sont imparties, je ferai cinq propositions – c’est ce que vous nous demandez – pour une grande loi de consensus.

D’abord, ce serait une loi qui respecte les règles européennes. Notre pays a été à de multiples reprises condamné par l’ONU, par le comité européen de prévention de la torture et par le Conseil de l’Europe. Le rapport Canivet, qui m’a été remis en 2000, a recommandé une loi pénitentiaire. Notre groupe, à l’initiative de Marylise Lebranchu, a rédigé des propositions de loi, malheureusement rejetées par votre majorité.

Une seule des mesures que nous avons proposées a été retenue par votre gouvernement et votre majorité sous la pression de l’Europe : l’instauration d’un contrôleur général des peines privatives de liberté, poste que M. Delarue occupe de façon excellente. Mais, hélas, Mme Dati a décidé en mai dernier un moratoire sur l’application des règles pénitentiaires européennes. Où est, dans votre projet, l’engagement de respecter intégralement les règles européennes ?

Ma deuxième proposition est de faire une loi qui donnerait à l’administration pénitentiaire les moyens de remplir sa mission. Votre texte rappelle le sens de la peine. Mais où sont les moyens pour que le détenu prenne conscience de son acte, le regrette, accepte de payer sa dette à la société et ait la volonté, à la sortie, de ne pas recommencer ? Pour obtenir cela des détenus, il faut un suivi médical, social et judiciaire dès le début de la peine jusqu’à la sortie et, pour certains détenus, après la sortie. C’est ce que la loi de 1998 a prévu pour les délinquants sexuels. C’est le rôle des conseillers d’insertion et de probation qui, depuis 1999, interviennent aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des prisons. Ils sont aujourd’hui 3 000 pour suivre 222 000 personnes, soit un travailleur social pour 75 personnes : mission impossible, bien sûr. Ma proposition est de se donner les moyens de la politique annoncée.

Ma troisième proposition est que la prison respecte les lois de la République et la dignité des détenus. Or la prison est un lieu de violences en tous genres : entre détenus, du détenu sur lui-même – mutilations, suicides –, des détenus sur les surveillants et parfois, hélas, de ceux-ci sur les détenus – isolement disciplinaire, fouilles corporelles. La prison doit redevenir un lieu où la loi et les droits sont respectés, car « on ne peut réinsérer une personne privée de liberté qu’en la traitant comme un citoyen » pour citer Guy Canivet.

Certes, votre texte annonce des droits pour les détenus ; Jean-Jacques Urvoas a dit ce qu’il fallait en penser. Bien traiter les détenus, c’est aussi prévenir les suicides. Mais il ne suffit pas de prévoir des draps et pyjamas spéciaux. La vraie prévention des suicides dont nous avons besoin, « c’est chercher, non à contraindre le détenu à ne pas mourir, mais à le restaurer dans sa dimension d’acteur et de sujet de sa vie », comme l’affirmait ma circulaire de 1998.

Il y a d’autres formes de violence : la saleté, les toilettes ouvertes aux regards, les cellules et douches insalubres, la promiscuité. Les règles européennes sont claires : chaque détenu doit pouvoir dormir dans un lit. J’aurais aimé le lire dans votre loi, car 500 détenus passent la nuit sur des matelas par terre.

Ma quatrième proposition est d’assurer une préparation sérieuse à la réinsertion. Vous-même l’avez dit, les sorties sèches, non préparées, poussent à la récidive. La solution est dans les aménagements de peine : bracelet électronique, semi-liberté, libération conditionnelle, placement à l’extérieur permettent des transitions entre la prison et l’extérieur. Quant aux courtes peines, il vaut mieux les exécuter ailleurs qu’en prison. Le texte initial prévoyait d’élever d’un an à deux ans le seuil en dessous duquel il est possible d’exécuter la peine hors de prison. Sous les pressions, vous avez reculé, puis, ici même, cet après-midi, vous avez approuvé le seuil de deux ans ; tant mieux, mais c’est avec des conditions qui, pour les délinquants sexuels, ne me paraissent pas recevables.

Enfin, aucune mesure d’humanisation ou d’aménagement ne sera correctement appliquée tant que subsistera la surpopulation actuelle. Quand des détenus sont entassés à trois ou quatre dans des cellules prévues pour un seul, l’hygiène est inexistante, les tensions et les agressions multipliées, les mouvements à l’intérieur de la prison limités, il y a moins de douches, de sorties de cellule pour le travail ou les visites médicales. Si l’on veut prévenir la récidive, il ne faut pas que les détenus restent 23 heures sur 24 en cellule mais qu’ils puissent travailler, s’instruire, se soigner, faire du sport. Tout cela est impossible en cas de surpopulation.

La construction de nouvelles places de prison est une fuite en avant qui ne résoudra rien tant que l’on continuera à considérer la prison comme la seule peine possible.

J’en profite pour vous dire, madame, que contrairement à ce que vous avez affirmé cet après-midi, j’ai lancé dès 1998, et financé, la construction de six nouvelles maisons d’arrêt ; mais c’était pour fermer des prisons vétustes. La première, à Avignon, a été inaugurée six ans après, donc dans un délai normal, par M. Perben.

Vous aurez 63 000 places en 2012 mais, au rythme actuel, il y aura alors 80 000 détenus. Cela ne résoudra donc rien.

Et ne comptez pas régler le problème de la surpopulation en supprimant le droit à une cellule individuelle. Ce droit, voté en 1875, rendu obligatoire par la loi du 15 juin 2000 au plus tard pour 2003, date butoir sans cesse repoussée par vos prédécesseurs, a finalement été abandonné par Mme Dati et par vous, sous de faux prétextes. Je ne peux pas voter une loi qui supprime le droit à l’encellulement individuel.

Pour conclure, le problème de fond est de mettre en cohérence la politique pénale et la politique pénitentiaire. On ne peut mener une politique pénitentiaire qui prétend vider les prisons quand on mène une politique pénale qui les remplit sans cesse plus ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Au Sénat, Robert Badinter espérait que cette loi ne serait pas une occasion manquée. Je crains, hélas, que ce projet tant attendu ne soit qu’une espérance déçue. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Christian Kert.

M. Christian Kert. Madame la garde des Sceaux, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, je consacrerai mon propos à un phénomène souligné par certains orateurs, dont Mme Guigou à l’instant, et qui n’est d’ailleurs pas toujours explicable : le nombre inquiétant des détenus qui se suicident dans nos prisons. Dans mon département des Bouches-du-Rhône, que vous connaissez bien, au centre de détention de Salon, à la maison d’arrêt d’Aix-en-Provence et à la prison des Baumettes, trois détenus se sont donné la mort – un dans chaque établissement – rien que cet été. Je ne peux, nous ne pouvons rester silencieux ou indifférents face à ce problème.

S’il est vrai que les suicides surviennent généralement dans les premiers temps de la détention, le danger ne se limite pas à cette période. La détention en quartier disciplinaire, l’éloignement, voire l’absence de contact avec les familles, la mauvaise appréhension du danger que les sujets représentent pour eux-mêmes par un personnel surveillant pourtant extrêmement vigilant, sont autant de facteurs aggravants des prédispositions suicidaires.

Vous avez montré que vous en étiez consciente, madame la ministre d’État, en réagissant durant l’été et en proposant une batterie de mesures dont la convergence pourrait améliorer une situation que nous n’avons plus le droit de « laisser filer ». Il me semble que l’on peut aller au-delà.

Si l’on considère que le premier danger vient du choc à l’entrée dans le monde carcéral, il faut créer partout des quartiers spécifiques de « première condamnation » ; aménageons les courtes peines en milieu ouvert ou semi-ouvert ; offrons aussi un horizon aux détenus, en leur permettant de travailler ou de se former durant leur temps de détention ; de toute façon, créons là où ils font défaut les quartiers de nouveaux entrants comme il en existe déjà dans de nombreux établissements – vous en avez visité cet été – afin que les personnels aient le temps de « jauger » les nouveaux et de ne pas commettre d’erreur d’appréciation dans l’analyse du comportement à observer à leur égard.

Ensuite, notre société, pourtant ouverte, s’est durcie. J’en veux pour preuve le nombre de patients dans les cabinets psychiatriques ou psychanalytiques. La société carcérale est à l’identique de la société tout court : le nombre de personnes qui ont besoin d’une assistance psychique ne fait qu’augmenter.

Trois structures interviennent dans le traitement du détenu : l’administration pénitentiaire, l’unité de consultations et de soins ambulatoires et le service psychiatrique de l’établissement. Mais ces trois acteurs communiquent peu ou mal. Le médecin n’a pas toujours connaissance du dossier psychiatrique et jamais du dossier judiciaire du détenu ; le psychiatre connaît le dossier judiciaire mais pas toujours le médical ; le directeur de la prison ne connaît ni le dossier médical, ni le dossier psychiatrique du détenu !

Je plaide pour le principe d’un dossier médical commun au médecin de l’unité de soins et au psychiatre, tel qu’il existe dans le monde hospitalier. Je plaide également pour que tous les médecins soient tenus de participer aux commissions pluridisciplinaires uniques dans lesquelles on évalue la situation et les demandes des détenus. Or certains médecins refusent d’y participer.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. C’est bien le problème.

M. Christian Kert. Ces unités médicales, dont nous demandons que les effectifs soient renforcés, pourraient prévenir les actes suicidaires et aussi seconder les surveillants dans la détection de sujets à risque. Elles pourront également assister les surveillants eux-mêmes, qui affrontent des conditions de travail souvent dures. Ainsi le suicide d’un des détenus constitue, pour eux, un véritable drame dont ils doivent pouvoir évacuer le stress. Un établissement pénitentiaire a aussi besoin que ses surveillants soient équilibrés. Au moins ceux-ci peuvent-ils se flatter du fait que, par rapport au nombre de suicides réussis – quel que soit ce nombre, il est regrettable –, bien des gestes suicidaires n’ont pas abouti grâce aux surveillants et à l’organisation des établissements.

En troisième lieu, le placement en quartier disciplinaire accroît aussi la vulnérabilité du détenu. S’il n’est pas question de proposer l’abandon de cette formule, du moins peut-on tenter de faire qu’elle n’aggrave pas une dépression existante. On a fait l’expérience de placer des postes de radio dans ces cellules. Ce simple outil de communication, s’il ne rompt pas l’isolement, atténue le sentiment d’abandon que ressent le détenu.

Enfin, instaurer un autre mode de relation avec la famille serait aussi une solution simple. Il faut permettre que le lien familial ne soit pas totalement rompu, et qu’une relation entre les surveillants et la famille puisse s’installer afin que la famille soutienne le détenu à la suite de l’« alerte » que le personnel aura pu lancer.

Vous le constatez, madame la ministre, nous sommes plus dans la mobilisation de moyens humains que de moyens technologiques. Nous rejoignons cette affirmation de votre prédécesseur Robert Badinter : « La prison n’est pas faite pour détruire les êtres humains ».

Mme Martine Aurillac. Très bien.

M. le président. La parole est à Mme Sylvia Pinel.

Mme Sylvia Pinel. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État,mes chers collègues, en 1789, les représentants du peuple français désignaient très justement « l’ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'homme comme les seules causes des malheurs publics ». En 2009, l’état désastreux des prisons françaises, véritable humiliation pour notre République, est une parfaite illustration du non-respect de ces droits.

Il est urgent, en effet, de regarder nos prisons « en face », et de doter notre pays d’une loi pénitentiaire qui soit en mesure, d'une part, de garantir à tous nos concitoyens placés sous main de justice le respect de leurs droits fondamentaux et, d'autre part, de rétablir le sens de la peine nécessairement imposée par la transgression des règles de droit.

Mes chers collègues, l'enjeu est de haute importance puisqu'il nous appartient enfin de définir un cadre législatif qui devra permettre au service public pénitentiaire de punir sans pour autant détruire tout sens de l'humain ni anéantir tout espoir.

Il est vrai que, sur un certain nombre de points, ce projet de loi pénitentiaire va dans le bon sens, et je ne manquerai pas de saluer ici nos collègues du Sénat pour les importantes avancées qu’ils ont introduites dans ce texte.

Nous ne pouvons ainsi que souligner l’apport de mesures visant à garantir avec force le respect de la dignité et des droits élémentaires reconnus aux détenus en qualité d'êtres humains, tant dans leur existence, leur intimité, leur vie familiale, sociale, cultuelle, culturelle, qu'en ce qui concerne le suivi de leur état de santé.

Nous ne pouvons qu’encourager cette volonté d'ouvrir la prison sur l'extérieur et sur l'avenir. Elle permet de valoriser le service pénitentiaire de l'emploi, de reconnaître l'insertion par l'activité professionnelle, de privilégier les mesures alternatives à l'incarcération et de simplifier les procédures d'aménagement de peine dès lors que la personnalité du détenu le permet, l'incarcération devant rester l'ultime recours.

Néanmoins, malgré ces quelques avancées par rapport auxquelles, d'ailleurs, notre commission des lois a cru bon de faire un pas en arrière, ce projet de loi manque d'envergure, et les solutions proposées restent, pour le moins, largement insuffisantes.

En effet, un véritable changement des conditions de détention implique nécessairement l'engagement de moyens humains, matériels et financiers témoignant d'une réelle volonté politique.

Il serait illusoire de penser que nous pouvons doter la France d'une grande réforme pénitentiaire alors que, dans le même temps, la politique pénale menée depuis 2007 s'embarrasse seulement de considérations sécuritaires, privilégiant le recours à l'emprisonnement, aux peines planchers et à la banalisation de la détention provisoire.

Avec un taux de surpopulation carcérale compris entre 150 et 200 %, peut-on raisonnablement prétendre à un renforcement du principe de l'encellulement individuel – d’autant qu'il pourra être dérogé à son application durant cinq longues années ?

Les radicaux de gauche regrettent tout autant l'absence d'une politique éducative ambitieuse que la timidité des dispositions visant les femmes et les mineurs détenus. La condition spécifique des femmes incarcérées ne peut être abordée sous le seul aspect médical : sur cette question, le projet de loi ne répond pas à nos attentes.

Que penser de l'absence de réponses spécifiques aux besoins de près d'un quart de la population détenue, dont l'ampleur des troubles mentaux nécessite un placement non pas en cellule, mais bien en établissement psychiatrique ?

Dans l'esprit d'un texte résolument tourné vers l'humanisation de nos prisons, comment ne pas déplorer l'absence de mesures traduisant une politique efficace et responsable de prévention des suicides ?

De toute évidence, la question du suicide en prison doit être appréhendée comme un problème de santé publique, et le plan de prévention annoncé le 18 août dernier dévoile déjà ses limites. Faute de pouvoir prévenir les comportements suicidaires par un suivi médical et psychiatrique personnalisé, il est proposé une adaptation du matériel cellulaire pour empêcher le détenu de mettre fin à ses jours. Il est également prévu de déléguer à un « détenu de soutien » la charge d'accompagner la détresse psychologique de ses codétenus. Permettez-nous de douter sérieusement de l'efficacité d'une telle mesure.

Vous l'aurez compris, pour les radicaux de gauche, profondément attachés au respect des droits fondamentaux de tous les hommes et à la qualité du service public, le compte n’y est pas !

Par ses carences manifestes, le projet de loi pénitentiaire soumis à l'examen de notre assemblée peine à prendre la juste mesure de ses ambitions. C’est pourquoi nous n'avons nullement l'intention de nous satisfaire de l'affichage d'un projet de loi qui, en l'absence de toute portée concrète et de moyens suffisants, ne sera qu'une simple déclaration de bonnes intentions.

La France se doit à présent de tout mettre en œuvre pour que, dans les faits, nos prisons ne soient plus « l'école du crime » et la honte de la République ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Étienne Pinte.

M. Étienne Pinte. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, depuis plusieurs années, je me suis engagé en faveur de l'humanisation de nos prisons, c’est-à-dire de l’encellulement individuel et du numerus clausus.

L'article 49 du projet de loi pose le principe du libre choix entre 1’encellulement individuel et l’encellulement collectif. Pour ma part, j’approuve ce principe car ce qui compte avant tout, c'est que le détenu puisse être en mesure de choisir lui-même les conditions dans lesquels il sera détenu. Toutefois, le projet de loi précise : « Le choix du détenu doit être satisfait [...] sauf si sa personnalité y fait obstacle. » Madame le garde des sceaux, la disposition prévoyant cette exception est rédigée de telle sorte que le risque d'arbitraire est grand.

Quant à l'alinéa 4, il pose le principe « une place, un détenu », que je soutiens depuis très longtemps. En effet, le numerus clausus pénitentiaire conjugué à l'augmentation des aménagements de peine permettrait d'endiguer la surpopulation carcérale qui est, en grande partie, à l’origine des conditions indignes qui prévalent malheureusement dans nos prisons.

Je parle de principes, et ces derniers sont fondamentaux dans une démocratie. Mais un principe a vocation à être appliqué. Quels sont les moyens mis en œuvre afin que ces principes ne demeurent pas virtuels ?

Une seconde question me préoccupe beaucoup, comme vous-même, madame la ministre d’État : celle de la vie privée et familiale des détenus et de leurs relations avec l’extérieur.

Il y a toujours lieu de se rappeler qu’un détenu reste un citoyen, momentanément privé de la liberté d'aller et de venir. On ne peut tolérer qu'il soit privé d’autres droits fondamentaux, au nombre desquels le droit au maintien des liens familiaux ou amicaux.

J’insiste sur les liens amicaux. En effet, souvent, hélas, les liens des détenus avec leur famille sont distendus, voire rompus. Il arrive aussi que les familles vivent l’incarcération dans la honte et, par conséquent, qu’elles ne souhaitent pas rendre visite au proche détenu. Seuls des amis maintiendront alors le lien avec l’extérieur.

Ce droit est fondamental et ne saurait, par conséquent, être limité que dans des circonstances exceptionnelles, très encadrées par le législateur. Les restrictions prévues, rédigées, hélas, en des termes imprécis, ne permettent pas un plein exercice de ce droit. Je le déplore, nonobstant l'obligation de motivation, nouvellement posée.

La suspension de ce droit ne doit en aucun cas être une mesure de rétorsion à l’encontre du détenu qui se serait « mal comporté ». À ce sujet, je vous confie deux réflexions.

La rencontre entre le détenu et sa famille doit pouvoir s'organiser dans des lieux appropriés et conviviaux, en particulier lorsque des enfants sont concernés. Ce n'est malheureusement pas encore toujours le cas.

Par ailleurs, je regrette que certains procureurs refusent la délivrance de permis de visite à des enfants. Je souhaite que vous donniez des instructions aux parquets afin qu'ils ne s'opposent pas à la visite des enfants des détenus, sauf situation exceptionnelle. N'oublions pas que ces contacts sont une véritable « bouffée d'oxygène » pour les détenus.

Par ailleurs, je ne peux qu'encourager les collectivités locales à rendre plus faciles les accès aux établissements pénitentiaires en développant les transports en commun. La plupart du temps, ces établissements sont éloignés des villes, et y accéder constitue, pour nombre de familles, un véritable parcours d'obstacles. Jean-Marie Delarue n'a-t-il pas dénoncé le « parcours du combattant » des proches ?

J'ai été amené, lors de la mission sur le logement social et l'hébergement d'urgence que m'avait confiée le Premier ministre l’année dernière, à constater qu'un certain nombre de « sortants de prison » se retrouvaient à la rue parce que rien n'avait été prévu pour l’éviter. Certes, ceux qui n'ont pas d'adresse peuvent élire domicile auprès de l'établissement pénitentiaire. Certes, les aménagements de peine favorisent la réinsertion. Il n’en demeure pas moins que l’accès à un hébergement ou un logement doit être anticipé.

J'ai fait référence au rôle des collectivités locales, je terminerai mon propos en rappelant qu'elles peuvent s'impliquer dans l'humanisation des prisons, au-delà du point précis des transports que je viens d'évoquer. Ainsi lorsque j'étais maire de Versailles, j'ai eu à cœur de faire entrer la société civile au sein de la maison d'arrêt de femmes. J'ai, par exemple, organisé des partenariats avec la bibliothèque municipale et avec notre théâtre.

Tous, chacun à notre niveau, nous pouvons participer au maintien des liens entre les détenus et la société. Créer ces ponts ne veut nullement dire oublier la victime et sa souffrance. Je regrette que, trop souvent, le débat sur la prison soit pollué par le prétendu antagonisme entre le respect dû aux victimes et le respect de la dignité des détenus.

Mme Pascale Crozon. Excellent !

M. Étienne Pinte. À mes yeux, la question de la privation de liberté ne peut souffrir la moindre once de démagogie. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP et sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Dumont.

Mme Laurence Dumont. En 1943, du fond de sa cellule, Jean Wahl, philosophe, écrivait ces vers :

« Ces jours dans la prison sont comme un temps moisi
(…)
Un vieil espoir grelotte au fond de l’air transi. »

Soixante-cinq ans après, mes chers collègues, le temps en prison est encore beaucoup trop souvent ce temps moisi, ce temps mort.

Ni nous, ni vous, chers collègues de la majorité, n’avons le droit de manquer l’occasion qui nous est donnée avec l’examen, enfin, de ce projet de loi pénitentiaire.

Nous n'en avons pas le droit, et pourtant, à l'heure de l'ouverture de nos travaux et au vu de ce qui s'est passé la semaine dernière en commission des lois, j'avoue que je suis inquiète. Je crains fort que tous les rapports et les travaux qui ont dénoncé le caractère inacceptable de l'état des prisons françaises n’aient été publiés pour rien. Je crains aussi que les critiques du commissaire européen en charge des droits de l'homme ne soient même plus entendues, encore moins écoutées. Dès 2005, il écrivait pourtant : « Une telle situation est inacceptable en soi. […] Au lieu de conduire vers la réinsertion, cette tendance pourrait endurcir la personne et provoquer sa révolte contre les règles de la société. »

Madame la ministre d’État, ce projet de loi constitue une occasion manquée ; en effet, il ne s'attaque pas au principal problème de la condition pénitentiaire : la surpopulation.

Nous connaissons les chiffres en la matière et je n'en citerai que deux. Aujourd’hui, le quartier des hommes de la maison d'arrêt de Caen compte 463 détenus pour 200 places. Aujourd’hui, comme l’indiquait M. Pinte, plusieurs centaines de personnes – 500 ou 600 – seraient détenues en France sans même disposer d'un lit, avec seulement un matelas pour dormir par terre.

Le constat est là, partagé, unanime. Si vous n’agissez pas sur le fléau de la surpopulation, les mesures que vous proposez resteront lettres mortes. Ainsi, avec une surpopulation de 200 % en maison d’arrêt, la sélection pour être admis au travail est plus rude, le nombre des personnes en situation d'indigence augmente à mesure que le travail diminue, l'accès au parloir est plus réduit, l'accès aux soins presque inexistant, la sécurité n'est pas assurée...

Par ailleurs, tout suivi et tout parcours de réinsertion se révèlent impossible, car il ne peut être exigé du détenu de respecter, à sa sortie, les règles de la société si l'institution carcérale, elle-même, dans son fonctionnement, n'a pas respecté le détenu en tant que sujet de droit.

Cette situation a également un impact considérable sur les conditions de travail du personnel, insuffisant en nombre et sous tension permanente.

Madame la ministre d’État, les maisons d'arrêt explosent en raison d'une politique pénale ultra-répressive qui fait de la prison non pas l'ultime recours qu’elle devrait être, mais la seule voie.

Malheureusement, vous suivez les pas de votre prédécesseur qui, au Sénat, avait présenté la construction de nouvelles prisons comme unique action de lutte contre la surpopulation carcérale.

Je vous en conjure, faute d'entendre la gauche de cet hémicycle, écoutez au moins la CNCDH, la commission nationale consultative des droits de l’homme, selon laquelle « la surpopulation et l'inflation carcérales ne pourront être contenues par le développement incessant de programmes immobiliers » !

Il y a deux solutions pour combattre la surpopulation : augmenter le nombre de places et/ou diminuer le nombre de détenus, sans pour autant laisser de peines non exécutées. À elle seule, la première solution ne peut suffire. Pour lutter vraiment contre la surpopulation en maison d'arrêt, nous vous proposons, à la suite d’Étienne Pinte, la mise en place d’un numerus clausus, qui existe de fait dans les centres de détention.

En 1989, il y a vingt ans déjà, Gilbert Bonnemaison, préconisait une telle solution. Ce numerus clausus permettrait une détention dans la dignité, que nous réclamons sur tous les bancs de cet hémicycle, une détention qui aurait du sens. Dès le premier jour, on travaillerait à la préparation de la sortie du détenu : c’est l'intérêt de ce dernier mais aussi celui de la société.

Il y a quelques jours, dans Le Monde, un philosophe dénonçait « des prisons pleines, mais vides de sens » et, un peu plus loin, « des ministres de la justice qui se succèdent sans idées ni courage ». Madame la ministre, vous en avez appelé, au début de notre débat, à notre responsabilité. Permettez-moi d’en appeler à votre courage, pour que plus jamais aucun poète n’écrive, du fond de sa cellule, que les « jours dans la prison sont comme un temps moisi ». (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Christian Vanneste.

M. Christian Vanneste. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le travail de la commission des lois me rappelle souvent ce dessin animé dérangeant qu’accompagnait de sa voix Claude Piéplu. En effet, j’y ai souvent l’impression d’assister à des séances de plomberie juridique obéissant au principe : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Bref, à force de chercher le diable dans les détails, on manque l’essentiel.

La loi pénitentiaire le confirme. Elle présente une apparence et une réalité, et brouille l’écart entre l’une et l’autre. L’apparence, c’est le souci d’humaniser les prisons, d’affirmer la dignité des détenus et de favoriser leur réinsertion, comme on l’a souvent entendu ce soir. Or, cette évolution contraste quelque peu avec les accents martiaux des lois répressives que nous avons votées encore dernièrement – je pense au texte consacré aux bandes. La réalité lancinante, qui demeure, c’est la surpopulation carcérale : le véritable problème auquel cherche à répondre cette loi.

Soyons objectifs : le nombre de personnes incarcérées en France n’a rien d’exceptionnel. Le taux d’incarcération y est plus faible qu’aux États-Unis, bien sûr, mais aussi qu’en Grande-Bretagne ou en Allemagne. (Murmures sur les bancs du groupe SRC.)

Par ailleurs, le double dysfonctionnement qui tient au rapport entre le nombre de détenus et le nombre de places, et au nombre de condamnations non exécutées résulte, non pas du caractère trop répressif des lois, mais de l’insuffisance des moyens. La population française augmente, la criminalité croît plus vite encore. Le seuil des 4 millions de crimes et délits avait été franchi avec le millénaire, madame Guigou. La majorité actuelle n’a à rougir ni du nombre d’infractions, qui a baissé, ni du nombre de places de détention, qui s’est accru – hélas trop lentement. En marge du plan qui vise à créer 13 200 places d’ici à 2012, cette loi a pour but d’accélérer le flux pour l’adapter aux capacités d’accueil.

Au-delà de cette apparence et de cette réalité, je voudrais rappeler quelques idées qui me paraissent essentielles.

Première idée : une société qui croit en ses valeurs ne doit pas avoir honte de punir ceux qui les transgressent.

Deuxième idée : les objectifs de la punition ne sont pas seulement la protection de la société et la réinsertion du condamné, mais aussi l’apaisement des victimes et la cohésion sociale – ce que Durkheim caractérisait comme la réponse que la justice doit apporter à la blessure infligée à la conscience collective par le crime. Ce dernier point est aujourd’hui tragiquement oublié. Au reste, la prison n’est ni le seul ni le meilleur moyen de répondre à cette exigence.

Troisième idée : les moyens de la peine doivent être cohérents et adaptés. Le paysage actuel est baroque : il y a des condamnés à la prison qui n’y sont pas ; il y a, dans les prisons, des détenus qui ne devraient pas y être, par exemple ceux qui relèvent de la psychiatrie ; il y a ceux que les bavures judiciaires ont relâchés trop vite ; il y a le succès des gadgets électroniques qui fascinent autant le monde judiciaire qu’Harry Potter celui du cinéma ; il y a, enfin, l’insuffisante mise en œuvre du travail d’intérêt général.

Une peine cohérente et adaptée doit obéir à trois principes : elle peut et doit être pénible, dans un premier temps au moins, lorsque cela contribue à la prise de conscience de la faute. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Laurence Dumont. Vous vous caricaturez vous-même !

M. Christian Vanneste. La peine doit aussi protéger les victimes et écarter la récidive. Lorsqu’elle permet à un agresseur de narguer, de menacer sa victime ou d’en faire une nouvelle, elle inverse alors les rapports : c’est la victime qui voit sa liberté et sa dignité restreintes. Les statistiques des libérations réussies ne valent rien auprès de la jeune femme violée et assassinée par un agresseur en semi-liberté.

Enfin, cette peine doit être graduée afin de permettre au condamné, quand c’est possible – et, pour quelques exceptions, cela ne l’est jamais – de redevenir un citoyen à part entière. Le travail doit jouer un rôle essentiel, soit dans le cadre carcéral, soit à l’extérieur, sous la forme du travail d’intérêt général. C’est la seule activité qui allie l’idée de la peine, satisfaisante pour la conscience collective et pour les victimes, et celle de la rédemption, qu’on appelle aujourd’hui, laïquement, la réinsertion. Travailler, c’est se rendre utile, c’est pouvoir retrouver l’estime de soi et aussi celle des autres.

D’une certaine manière, l’évolution actuelle de la justice pénale – et ce projet de loi le confirme – donne raison à Michel Foucault, qui soulignait plusieurs glissements : tout d’abord, de la peine vers la condamnation, l’exécution de celle-ci étant différée ou assouplie ; ensuite, de la punition vers la guérison, alors que, si, malheureusement, certains détenus sont malades, tous ne le sont pas : ni génétique, ni sociologique, l’acte libre existe et il doit être sanctionné ; enfin, de la sanction des hommes libres au contrôle des êtres dangereux, et le bracelet électronique est le signe le plus évident de cette malheureuse tendance.

Pour conclure, j’invite mes collègues de la majorité à retrouver la philosophie de la liberté qui nous anime, sans cette mauvaise conscience qui risque de nous inciter à insérer dans la loi des mesures contradictoires avec celles que nous proposons depuis sept ans. Les droits des détenus doivent être reconnus.

M. Jean-Jacques Urvoas. Ouf, on l’a échappé belle !

M. Christian Vanneste. Pour autant, cela ne doit pas entraver l’exigence légitime du bien commun : la sécurité de tous les citoyens.

M. le président. Il faut conclure, monsieur Vanneste.

M. Christian Vanneste. Je souhaiterais donc que le texte actuel soit corrigé dans un plus grand souci d’équilibre et que l’on fasse preuve de la lucidité qui consiste à reconnaître que la justice exige des moyens qu’elle ne possède pas actuellement. C’est là que se situent le véritable problème et sa solution.

La personnalisation des peines, que vous avez soulignée à juste titre, madame la ministre d’État, est une excellente idée.

M. le président. Veuillez conclure.

M. Christian Vanneste. Mais elle demande des moyens que 5 000 nouvelles places ne donneront pas, pas plus que l’accélération des flux. Plus de fermeté dans cette loi, plus de diversité dans le traitement des condamnés,…

M. le président. Concluez, monsieur Vanneste.

M. Christian Vanneste. …plus de moyens : voilà ce qui est nécessaire ! La philosophie personnaliste est une excellente philosophie, monsieur Blanc, mais elle exige beaucoup de moyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Monsieur le président, je ne crois pas avoir beaucoup dépassé le temps qui m’était imparti.

M. le président. Si, monsieur Vanneste. Mais tout le monde a fait de même…

La parole est à Mme Marylise Lebranchu.

Mme Marylise Lebranchu. Madame la ministre d’État, je n’avais pas prévu d’évoquer ce point, mais, puisque, tout à l’heure, vous avez répondu avec une certaine brutalité à nos arguments, je souhaiterais vous rappeler, car cela me tient à cœur, que, lorsque j’étais au poste que vous occupez actuellement et qu’une évasion ou un accident avaient lieu, mes interventions, lors des questions d’actualité, étaient accueillies par les hurlements de l’opposition et par des appels à la démission. Or, récemment, alors que des événements analogues, des drames, se sont produits, l’opposition ne s’est pas manifestée bruyamment, car nous pensons que la République mérite beaucoup mieux que cela. Je tenais à vous le dire, ce soir. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Ce texte – mais il est vrai que vous n’étiez pas encore garde des sceaux lorsqu’il a été déposé devant le Parlement – porte une triple marque négative. Tout d’abord, votre prédécesseur a déclaré qu’il ne fallait pas prendre la prison pour un hôtel, et ce langage a sans doute déstabilisé beaucoup d’interlocuteurs du dossier.

Ensuite, le projet de loi a fait l’objet d’une déclaration d’urgence. Or, soit il y a urgence, et l’on va vite, soit il n’y a pas urgence et on prend le temps de discuter. Une loi mal préparée est, ainsi que vous l’avez dit vous-même, une loi difficile à appliquer. Aussi, je vous plains d’avoir à prendre les décrets d’application de ce texte.

Enfin, la situation des prisons empire année après année. Vous nous reprochez de n’avoir rien fait. Lorsque je suis arrivée au ministère de la justice, un certain nombre de dossiers étaient sur mon bureau – Avignon, Toulon, Meaux, Toulouse, Liancourt, Fleury – qui a bénéficié d’une importante réhabilitation –, la Santé, Fresnes, les Baumettes, Lyon et Draguignan – et j’ai dû exécuter les décisions prises par mon prédécesseur, comme mes successeurs ont eu à exécuter les décisions que j’avais prises.

Toutefois, le processus que nous avions lancé a été entravé par la décision de M. Bédier relative aux partenariats public-privé. Nous avons ainsi perdu quatre ans, alors que des crédits – dix milliards de francs – avaient été affectés par la loi de finances à un programme de construction et qu’un projet de loi avait été déposé au Parlement. Ce texte, qui était le fruit de longs mois de travail, effectué par des parlementaires issus de tous les groupes, faisait l’objet d’un consensus. Mais il devait venir en discussion pendant la campagne électorale et les députés RPR nous ont dissuadés de l’examiner à cette période, en nous indiquant que les circonstances ne leur permettraient pas de nous suivre. Alors, de grâce, ne réécrivez pas l’histoire et ne nous reprochez pas de n’avoir rien fait ! Encore une fois, nous avions élaboré un programme de construction et un texte de loi était prêt, dont M. Perben m’a dit, en 2002, que c’était un bon texte. Pourquoi avoir attendu 2009 ? Il y a eu un loupé, et nous en subissons encore les conséquences.

Vous défendez votre projet de loi en utilisant pour principal argument la construction de nouvelles places de prison, destinées à répondre au flux dont vous estimez qu’il augmentera d’année en année jusqu’en 2012. Mais n’est-il pas temps de reconnaître que l’on régulera la surpopulation carcérale en traitant, non pas le problème des sorties, mais celui des entrées ? Cela a été dit sur tous les bancs : il y a, en prison, des gens qui ne devraient pas s’y trouver, car on a eu le tort de ne pas faire de la prison l’ultime recours. S’agissant des aménagements de peine, du bracelet électronique, du travail d’intérêt général ou de la semi-liberté, on parle d’« alternatives », alors que ce sont des sanctions à part entière. C’est cette question que nous devons prendre à bras-le-corps, en offrant aux juges, à qui nous devons faire confiance, les moyens de moins emprisonner.

À ce propos, si le texte marque quelques progrès – et nos collègues du Sénat ont bien travaillé à cet égard –, il comporte néanmoins certains éléments qui sont choquants. Ainsi, pourquoi confier à l’administration pénitentiaire le soin de proposer les aménagements de peine ? Certes, c’est le JAP qui, in fine, prendra la décision, mais cette mesure traduit une certaine défiance à l’égard des magistrats. Alors que nous nous accordons à reconnaître, avec la majorité actuelle, qu’il faut améliorer la juridictionnalisation des peines, vous cassez un dispositif qui, au fond, ne fonctionnait pas si mal.

Après m’être beaucoup reproché de ne pas m’être assez battue pour que le projet de loi que nous avions élaboré vienne en discussion au Parlement après mai 2002, aujourd’hui, c’est au personnel pénitentiaire que je pense avant tout. Notre administration pénitentiaire fait bien son travail. Certes, on peut déplorer que, comme dans tout groupe humain, l’un ou l’autre de ses membres n’applique pas une décision ou se comporte mal. Mais n’oublions que c’est cette administration qui garantit les fondamentaux de la République, car elle est la dernière à intervenir, après la police et la gendarmerie.

Or, de quoi souffre la prison ? De conditions de détention indignes, de l’humiliation infligée aux détenus, qui entrent avec la rage et sortent avec la haine. Pourquoi ? Parce que les personnels n’en peuvent plus. En effet, quelle que soit la maison d’arrêt où ils travaillent, on ne leur permet pas de nouer avec les détenus le dialogue qui permettrait à ceux-ci d’oublier un peu leur rage et de penser à leur victime. C’est sur ce point que doivent porter nos efforts.

Par ailleurs, je m’étonne que l’on considère comme une grande avancée le fait de reconnaître désormais au personnel pénitentiaire le statut de force dont dispose l’État pour assurer la sécurité intérieure, dont ils deviennent ainsi le troisième maillon, aux côtés de la police et de la gendarmerie. Ce n’est pas leur travail ! Bien entendu, ils doivent assurer la sécurité, mais ils sont également chargés d’accompagner les détenus, de dialoguer avec eux, bref : d’entretenir une relation humaine. Comme ils n’y parviennent pas, on les équipe de béquilles électroniques ou informatiques. Si ce n’était pas si grave, on sourirait en apprenant que le robot de Corbas ne sait plus quand il faut ouvrir ou fermer les portes, de sorte qu’une famille s’est retrouvée bloquée. Ce n’est pas ce type d’outils qui améliorera la qualité de la relation humaine à l’intérieur des prisons, si importante pour la réinsertion des détenus.

Au reste, et je me souviens d’en avoir longuement parlé avec Élizabeth Guigou, nous n’avons sans doute pas suffisamment agi en faveur de l’éducation, de la culture et du travail en prison. Quoi qu’il en soit, nous avions pensé qu’une première étape aurait consisté, en accord avec les personnels, à faire signer un contrat au détenu qui travaille pour l’administration pénitentiaire et à le payer correctement.

Toutes ces mesures figuraient dans notre projet. J’ajoute que nous n’avions pas oublié de garantir la sécurité des personnels. Nous insistions ainsi en premier lieu auprès de l’architecte – et on peut le constater sur les plans – pour qu’il prenne avant tout en compte la nécessité, pour un surveillant, de bénéficier d’une vision suffisante pour pouvoir protéger ses collègues.

Mais les murs, leur hauteur et la répartition des cellules ne sont pas tout, madame la ministre, et vous savez qu’il ne suffit pas, pour rendre sa dignité à un être humain, de construire de plus belles prisons, d’y diffuser de la musique de supermarché et d’y installer des salles de gym, comme on le fait aux États-Unis. Si personne ne parle à un détenu de la relation qu’il pourrait à nouveau avoir avec la victime, donc avec la société, si personne ne lui rappelle qu’il est citoyen, qu’il a peut-être, à un moment donné, perdu les pédales et fait quelque chose de grave, mais qu’il a encore une chance, on ne lui rendra pas sa dignité. Le plus souvent, les surveillants sont tellement pressés et obsédés par la sécurité en raison de la multiplication des bagarres, des violences, des viols, des accidents et des incidents, qu’ils ne font plus leur travail.

Rendre à la prison son rôle de réinsertion, c’est d’abord éviter la surpopulation, revenir sur toutes ces lois – notamment les mesures relatives aux peines planchers – qui font que les maisons d’arrêt sont, aujourd’hui, pleines de gens qui pourraient tellement mieux se réinsérer dehors. Il faut également dire aux surveillants qu’ils ont un grand rôle à jouer, celui de rendre la société plus sereine. Dans ce cas, madame la garde des sceaux, peut-être parviendra-t-on à enrayer l’augmentation, d’année en année, des violences non crapuleuses, due au fait que ceux qui sortent de prison ne sont pas préparés à le faire. J’entends bien que vous voulez faire mieux, mais je crois que l’on aurait pu faire beaucoup mieux. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, doter notre pays d’une loi fondamentale pour le service public pénitentiaire constitue un enjeu majeur pour notre démocratie et une noble ambition.

Le Président de la République l’a dit sans ambiguïté : l’état de nos prisons est une honte pour la République. Il est indispensable d’améliorer les conditions de détention, et je soutiens avec force le Gouvernement dans sa volonté d’accroître le respect de la dignité humaine dans nos prisons. C’est là un enjeu essentiel pour notre démocratie. Les dispositions de ce projet de loi représentent, en la matière, des avancées majeures. Ce que d’autres n’ont jamais fait en dépit de leurs belles déclarations, ce Gouvernement le fera, et c’est tout à votre honneur, madame la ministre d’État.

Mme Christiane Taubira. C’est le seul à y croire !

M. Éric Ciotti. Je suis, en revanche, plus réservé sur certaines dispositions du second volet de la loi relatives aux aménagements de peine. En effet, comme le soulignait Michel Foucault, il ne faut pas oublier que la prison est une nécessité dans une société où la délinquance est une réalité quotidienne. Elle a, d’une part, un effet neutralisant lorsqu’un condamné est placé en détention – la société est protégée –, et d’autre part un effet dissuasif, la certitude de la sanction constituant un frein majeur à la commission d’infractions.

Or, les profondes modifications apportées par la Haute assemblée à ce projet de loi conduisent à limiter dangereusement les effets salutaires de la sanction. La commission des lois, soutenue par Mme la garde des sceaux, a opportunément atténué certaines dispositions dangereuses introduites par le Sénat, notamment en excluant les récidivistes et les auteurs de faits criminels, de délits de violence ou de faits à caractère sexuel, des dispositions relatives aux aménagements de peine.

J’approuve ces restrictions que j’avais moi-même proposées par amendement. Il en est de même du relèvement à soixante-quinze ans du seuil pour l’octroi de la libération conditionnelle pour cause d’âge ou de la suppression de la notion imprécise de « projet d’insertion ou de réinsertion » à l’article 33, au sujet desquels j’avais déposé des amendements qui ont été adoptés en commission.

Néanmoins, il subsiste dans ce texte des dispositions qui doivent nous inviter à la prudence. Tout d’abord, l’article 32 du projet de loi conduit à faire de la prison une exception en matière de sanction pénale. Alors que l’exemplarité de la sanction doit avoir une valeur essentielle, cet article dispose que la peine d’emprisonnement constitue le « dernier recours » si la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire. Dans ce cas, la peine doit être aménagée sauf « impossibilité matérielle ». Ces dispositions pourraient, si l’on n’y prend garde, bouleverser la nécessaire réparation que l’on doit aux victimes tout en adressant aux délinquants un message risqué de clémence, qui pourrait vite inspirer un sentiment d’impunité.

Par ailleurs, le projet de loi multiplie les recours aux aménagements de peine et leur octroie, désormais, un caractère quasi automatique pour les condamnations à moins de deux ans d’emprisonnement ferme ou pour lesquelles deux ans de prison restent à accomplir. Comment expliquer qu’une peine prononcée publiquement par un juge pénal, par un tribunal, puisse être dénaturée discrètement par un autre magistrat ? Les syndicats de police s’en sont inquiétés. Pour Synergie-Officiers, ce projet de loi pourrait « mettre en péril toute la chaîne de lutte contre la criminalité » et, à terme, avoir « un effet boomerang » sur la délinquance.

Nous sommes certains que vous saurez prévenir ces risques, madame la ministre d’État, car nous connaissons votre détermination et votre courage – si Mme Dumont a évoqué des gardes des sceaux sans idées ni courage, nous connaissons vos idées et votre courage.

M. le président. Il faut conclure, monsieur Ciotti.

M. Éric Ciotti. La sanction doit demeurer, dans la loi, un pivot de notre politique pénale. Comme l’a rappelé Brice Hortefeux, ministre de l’intérieur, la première prévention, c’est « la certitude de la sanction ». C’est pourquoi ce projet de loi doit s’inscrire dans le cadre d’une politique plus globale de lutte contre la délinquance et de défense du droit des victimes – droit essentiel qui a, selon moi, au moins autant de valeur que celui des détenus.

C’est pourquoi je proposerai des amendements cosignés par nombre de nos collègues pour rappeler cette exigence, notamment pour revenir au seuil d’un an en matière d’aménagement de peine. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Lemorton.

Mme Catherine Lemorton. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, de nombreux sujets importants ont été évoqués depuis cet après-midi. Je souhaiterais, pour ma part, revenir sur celui de la toxicomanie en prison.

Selon l’Observatoire français des drogues et toxicomanies, un tiers des détenus consomment des substances illicites. Le cannabis est la première substance consommée, mais 7 à 8 % des entrants souffrent d’une addiction à l’héroïne ou à la cocaïne ; 31 % ont un problème avec l’alcool et 78 % sont fumeurs. Enfin, il est à noter que la polyconsommation est très importante en milieu carcéral. Si cette réalité ne peut qu’être connue de tous grâce aux études menées par l’OFDT, la prise en compte intégrale de la toxicomanie en milieu carcéral semble encore sous-évaluée.

Concernant le cannabis, les principales problématiques concernent le marché noir qui sévit en prison – nous avons tous entendu parler de ces fameuses savonnettes de haschich qui tombent du ciel par-dessus les murs d’enceinte – et les conséquences psychologiques et sanitaires de l’utilisation de cette substance par une population déjà fragile. Rappelons en effet que les troubles psychologiques et psychiatriques sont vingt fois plus élevés en prison qu’en milieu ouvert et que 20 % des entrants déclaraient, d’après une étude de 2004 de l’INSERM et du Comité consultatif national d’éthique, avoir fait une tentative de suicide au cours des douze mois précédents.

Concernant l’héroïne et la cocaïne, la situation est encore plus complexe et encore plus difficile à assumer pour l’administration pénitentiaire. La circulaire n° 2002/57 du 30 janvier 2002 offre aux médecins exerçant en milieu carcéral la possibilité de prescrire de la méthadone, puis de la Buprénorphine haut dosage, dite BHD, ce qui est une bonne chose.

Pour autant, un certain nombre de questions et de situations restent aujourd’hui sans réponse. D’abord, il faut savoir que 28 % des prescriptions de produits de substitution en prison sont des primo-prescriptions. Réalisées le plus souvent dans l’urgence et sans que le continuum avec le suivi éventuel en amont de l’incarcération soit évalué, ces prescriptions peuvent parfois se révéler inefficaces, voire dangereuses.

L’hétérogénéité des pratiques d’organisation de la prescription pose problème. La situation est particulièrement paradoxale et grave : le milieu carcéral nie la réalité des conduites addictives des détenus ayant une dépendance aux opiacés. Ce sont souvent des « injecteurs compulsifs » qui ne peuvent retrouver la même sensation avec de la BHD sous forme perlinguale et qui, de fait, vont tout tenter pour continuer leurs injections en milieu carcéral.

Une étude menée par des étudiants-chercheurs en santé publique auprès des personnels des établissements pénitentiaires a révélé que près de 40 % des établissements estimaient le détournement des produits de substitution comme étant « fort » ou « très fort ». Cette réalité impose une réflexion sur l’accompagnement de ces conduites. À titre de comparaison, les acteurs des réseaux de produits de substitution à l’extérieur des prisons ont, depuis longtemps, pris l’habitude de donner à certains patients sous BHD des kits « stéribox » afin de s’assurer qu’aucun risque ne sera pris avec des seringues usagées…

D’une manière plus générale, ce sujet est à rapporter à celui des conduites à risque en milieu carcéral et, surtout, à la manière de les envisager. Soit l’on continue de penser que la prison ne connaît pas de conduites à risque, et nous nous trouvons face à un déni de réalité avec toutes les conséquences que cela implique, soit l’on admet que sexualité et mésusages de la BHD existent, et il faut ouvrir le débat.

C’est d’ailleurs ce qu’a fait Mme Bachelot, dans une audition du groupe d’étude sur le sida du 28 mai 2008, où elle proposait avec beaucoup de bon sens de « briser les tabous et les non-dits » en affirmant vouloir mettre en place un système de distribution de préservatifs et d’échange de seringues en prison.

Si la prison est là pour protéger la société de personnes l’ayant mise en danger, ne doit-elle pas aussi protéger ces mêmes personnes dans certaines de leurs pratiques ? Lors de votre présentation, madame la ministre, vous avez – rapidement – évoqué ce grave problème de santé publique qu’est la toxicomanie hors les murs des prisons et en prison.

À la lecture de ce projet de loi, je ne crois pas, madame la garde des sceaux, que vous ayez pris la mesure de ce fléau dans nos prisons, qui ressemblent davantage à des lieux de non-retour qu’à des lieux de réinsertion. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Alain Bénisti.

M. Jacques Alain Bénisti. Monsieur le président, madame la ministre d’État, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte qui nous est présenté aujourd’hui est un texte attendu par beaucoup depuis de nombreuses années, et respecte à la lettre, comme vous le savez, les engagements du Président de la République, qui a toujours été sensible à ces questions.

C’est également un texte équilibré, qui allie notre volonté d’humaniser le milieu carcéral et de veiller au respect de la dignité des détenus, et celle de préparer bien en amont la sortie et la réinsertion de ces derniers, sans oublier l’amélioration des conditions de travail des personnels de l’administration pénitentiaire.

Mais en dépit de l’angélisme de certains, ces dispositions ne doivent pas nous faire oublier la première raison d’être de l’incarcération qui, en plus de l’application scrupuleuse de la peine prononcée par le juge, est aussi la première des dissuasions contre la récidive, donc une protection pour les citoyens, en particulier pour les plus vulnérables. Je vous rappelle que six primo-délinquants sur dix ne récidivent pas après un premier séjour en milieu carcéral. Ce sont autant de victimes potentielles épargnées.

M. Henri Plagnol. Très bien !

M. Jacques Alain Bénisti. De même, l’aménagement de la peine doit rester une alternative et non constituer une obligation, comme certains le pensent. Il s’agit aussi de faire attention à ce que des condamnés multirécidivistes ayant des profils plus « lourds » ne deviennent pas éligibles à cette alternative.

Je pense donc, madame la ministre d’État, que l’aménagement de la peine doit pouvoir être examiné au cas par cas, par le juge de l’application des peines, en fonction de la personnalité de chaque détenu. Elle doit aussi s’accompagner de conditions d’exemplarité du comportement, afin de garantir la sérénité et le calme dans l’environnement carcéral.

Séparer les détenus des prévenus ; instaurer un vrai parcours de détention personnalisé ; prendre les mesures nécessaires pour laisser le libre choix entre l’encellulement individuel et l’encellulement collectif ; proposer des sanctions alternatives à l’emprisonnement ; améliorer les conditions de vie en cellules ; faire respecter les droits fondamentaux des détenus : voilà autant de mesures de ce texte qui sont des mesures de bon sens, et qui auraient dû, madame la ministre d’État, faire l’unanimité dans cet hémicycle.

Ce texte, équilibré et raisonnable, marquera une étape historique dans l’histoire du droit pénitentiaire de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Pierre Gorges. Bravo !

M. le président. La parole est à Mme Aurélie Filippetti.

Mme Aurélie Filippetti. Depuis que Michel Foucault a publié en 1975, peu après les révoltes de Toul, Melun et Nancy, son brûlot Surveiller et punir, nous sommes toujours dans l’ère de ce qu’il est convenu d’appeler « le grand silence ».

Or l’État de droit ne saurait s’arrêter à la porte de nos prisons. « Le grand silence » : ces mots sont particulièrement appropriés concernant les conditions de détention des femmes. Ce projet de loi continue, hélas, à observer ce silence.

Pourtant, madame la ministre d’État, vous savez très bien qu’au-delà de certaines similarités, les problèmes rencontrés en détention par hommes et femmes sont considérablement différents.

Largement minoritaires au sein des établissements pénitentiaires – elles ne représentent que 3,4 % des détenus, soit environ 2 000 femmes pour 62 000 hommes – les femmes incarcérées sont les grandes absentes de cette réforme.

Lors de votre audition en commission, monsieur le secrétaire d’État, vous nous avez dit que les quartiers pour femmes devraient représenter un exemple pour les quartiers pour hommes. Cette réponse n’est pas acceptable, et le rapport remis par notre collègue Guénhaël Huet et par la délégation aux droits des femmes est à ce titre absolument exemplaire.

Le Gouvernement pourrait d’ailleurs s'appuyer en cette matière – comme en tant d'autres – sur les règles pénitentiaires européennes. Au mois de mars, au Sénat, la garde des sceaux avait affirmé que le projet de loi n'était rien d'autre que la transcription intégrale de ces règles. Or il n'en est rien, et en particulier en ce qui concerne les femmes.

Ainsi, la règle pénitentiaire européenne n° 34-1 reconnaît la spécificité de l'incarcération des femmes. Je cite : « Outre les dispositions des présentes règles visant spécifiquement les détenues, les autorités doivent également respecter les besoins des femmes, entre autres aux niveaux physique, professionnel, social et psychologique, au moment de prendre des décisions affectant l'un ou l'autre aspect de leur détention. » Le Parlement européen, rappelle lui aussi, dans son rapport sur la situation particulière des femmes en prison, la « spécificité » des prisons pour femmes et insiste « sur la mise en place de structures de sécurité et de réinsertion pensées pour les femmes. »

Malheureusement, en France, l’univers carcéral a été et demeure pensé par les hommes et pour les hommes – on dit d’ailleurs « quartiers pour femmes », mais on ne dit jamais « quartiers pour hommes ».

Il n’est pas jusqu’à l'article D. 241 du code de procédure pénale qui, dans l’énumération des motifs qui ne sauraient faire l'objet de discriminations, n’omette la discrimination fondée sur le sexe.

Les établissements pénitentiaires sont pensés pour les hommes, non seulement en matière d'hygiène et de soins médicaux mais également en matière de santé psychologique, d’activité sociale, de formation, d’activité professionnelle.

Or la détention est souvent vécue de manière plus dure encore par les femmes, qui sont – du fait de leur parcours personnel – bien plus stigmatisées, voire abandonnées, par leurs familles. Elles souffrent de troubles psychiques importants et spécifiques ; elles ne trouvent que peu d’aide psychologique adaptée, faute de formation spécifique du personnel pénitentiaire.

Ainsi, un seul des vingt-six services médico-psychologiques régionaux est habilité à recevoir des femmes atteintes de pathologies psychiques ou de dépression. L’addiction aux stupéfiants, fréquente chez les femmes détenues, mais surtout les violences de tous ordres dont elles ont très majoritairement été victimes dans leur passé, devraient pourtant amener à les faire suivre en priorité.

Les quartiers pour femmes sont peu nombreux : seuls cinq établissements pour peines disposent de quartiers qui leur sont réservés. Cela entraîne un éloignement géographique qui fragilise encore les liens avec les familles. Les femmes détenues sont plus nombreuses à ne pas recevoir de visites du tout. Lorsqu’elles ont des enfants, il est très rare que le père biologique leur rende des visites.

Enfin, si la surpopulation globale est faible, elle est concentrée sur certains endroits : à Metz Queuleu, par exemple, trente femmes sont détenues pour dix-neuf places théoriques, soit un taux de 158 %.

Leurs activités sont moindres, car le principe de non-mixité joint à leur faible nombre fait que, selon l’administration pénitentiaire elle-même, « seuls les hommes bénéficient de fait des locaux conçus pour les activités collectives ». Les formations qui leur sont proposées sont stéréotypées : en plus des ateliers pédagogiques, on leur propose des formations d'agents de restauration, d'agent de propreté, de bureautique.

Pour les détenues en état de grossesse ou accompagnées de jeunes enfants, il faut bien sûr développer les unités de vie familiale, et surtout les alternatives à la détention.

Enfin, je tiens, madame la ministre d’État, à attirer votre attention sur le cas des jeunes filles mineures en détention. Elles sont en effet doublement isolées.

M. le président. Merci de conclure.

Mme Aurélie Filippetti. Le principe de mixité des activités dans les établissements pour mineurs est difficile à mettre en œuvre en raison du très faible nombre de jeunes filles détenues. Elles sont donc dans un isolement total et ne partagent souvent aucune activité sportive ou culturelle. Dans l'établissement pour mineurs de Quiévrechain, qui pourtant a été pensé pour la mixité, il est arrivé que l'on trouve une seule mineure pour quarante garçons.

Merci, donc, de ne pas oublier dans ce texte de loi les femmes en prison. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Le projet tel qu’il a été adopté par la commission traite aussi de l’enfermement des mineurs, à travers deux courts articles.

Ces deux articles sont certes utiles…

M. Jacques Alain Bénisti. Quand même !

Mme Marietta Karamanli. …mais ils sont largement insuffisants.

En effet, deux principes auraient dû figurer dans ce texte mais ne s'y trouvent pas.

D'une part, et conformément aux engagements internationaux de notre pays, l'enfermement des mineurs doit rester l'exception.

D'autre part, le projet de loi ne pose ni le principe d'un enfermement individuel des mineurs, ni celui d'un enfermement adapté où les mineurs n'entrent pas en contact avec des adultes condamnés.

Il est donc bon de revenir aux fondamentaux. La Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989 dispose dans son article 37 que « l'arrestation, la détention ou l'emprisonnement d'un enfant doit être en conformité avec la loi, n'être qu'une mesure de dernier ressort, et être d'une durée aussi brève que possible ».

De façon générale, seule la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur peuvent conduire le juge à déroger au principe de non-enfermement.

Aujourd'hui, les peines de prison représentent en France un tiers des peines prononcées à l’encontre des 13-16 ans et près de 40 % de celles prononcées contre les 16-18 ans, ce qui n'est pas négligeable, et montre que la justice n'est pas spécifiquement laxiste les concernant.

Classiquement, on oppose les pays dits de « protection » où la prison des mineurs est réellement l'exception, aux pays de « justice » où prévaut une assimilation croissante des mineurs aux adultes.

Pourtant, il existe un modèle digne d'intérêt : la justice réparatrice. Elle prévoit des mesures de substitution, qui permettent la réparation du dommage causé, sont socialement utiles et permettent aux jeunes de saisir l'importance de leurs actes – quand ils sont négatifs, mais aussi, par différence, quand ils sont positifs. Elles permettent de responsabiliser les jeunes face à l'infraction commise.

L'affirmation selon laquelle la prison doit rester l'exception renvoie à l'idée que la société et la justice doivent toujours avoir la possibilité de proposer, et d'appliquer, des mesures alternatives à l'accueil dans des lieux fermés, peu ou pas éducatifs, et bien évidemment alternatives à la prison. Si nous souhaitons d'autres mesures, c'est qu'une telle orientation se justifie par les nombreux constats faits tant par les spécialistes que par le bon sens.

D’autre part, le projet de loi ne pose ni le principe d'un enfermement individuel des mineurs, ni celui d'un enfermement adapté où les mineurs n'entrent pas en contact avec des adultes condamnés. C’est plus que regrettable.

En effet, on sait que l'enfermement peut désocialiser les jeunes encore plus qu’ils ne le sont déjà ; il peut les mettre en relation avec de grands délinquants ou criminels – ce point est extrêmement important puisqu'il renvoie à l'efficacité même de l'enfermement. Enfin, il peut les priver de droits fondamentaux peu garantis, comme le droit aux soins.

Dans ces conditions, ne pas prévoir que les jeunes soient isolés d'adultes délinquants ou de condamnés ayant l'expérience du crime et du vice, élevés – si j'ose dire – au rang de modes de vie, paraît difficilement concevable. C'est pourtant ce qui résulte de la loi.

En 2008, le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe a mis en cause la possibilité, en France, pour les mineurs d'entrer en contact avec des condamnés adultes, problème que ne résout pas la mise en place des établissements pénitentiaires spécialisés pour mineurs – qui ont toutefois, c’est vrai, permis de fermer certains quartiers pour mineurs.

Aujourd’hui, soixante et une prisons pour adultes peuvent toujours héberger des mineurs et toutes ne disposent pas de bâtiments distincts pour les mineurs et les majeurs, ni de cours séparées.

Si nous ne pouvons que nous émouvoir de ces deux manques flagrants du projet, la liste des oublis est plus longue encore.

Je me contenterai d'indiquer que si l'article 26 prévoit que l'administration doit proposer des activités éducatives aux mineurs qui ne sont pas soumis à l'obligation scolaire, le projet de loi ne précise aucunement que ces activités doivent être adaptées à leur âge – ni à leur sexe, comme Aurélie Filippetti l’a rappelé tout à l’heure.

Le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe a souligné, en 2008, que la France manquait de structures et d'activités adaptées aux mineurs et notamment aux jeunes filles.

Nous avons tous lu un certain nombre d’ouvrages de Montesquieu. Nous avons pu y lire qu’« une chose n'est pas juste parce qu'elle est loi ; mais elle doit être loi parce qu'elle est juste ». Ce projet aurait pu en faire la démonstration ; il ne l'a pas faite, et c'est dommage ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice. Avec Mme la ministre d’État, nous avons, depuis bientôt trois mois, eu l’occasion de multiplier les contacts sur le terrain, dans les établissements. Nous avons parlé avec des responsables de l’administration pénitentiaire, mais aussi avec des personnels, des représentants syndicaux, des associations, différents organismes – souvent très directs, voire critiques. J’ai, nous avons le sentiment que ce texte répond à nombre des questions qui nous ont été posées, et qu’il marque une étape importante.

Nous savons, bien sûr, qu’il faudra ensuite le faire vivre, le décliner à travers des textes réglementaires et des circulaires. Mais nous avons ici une base qui va beaucoup plus loin, y compris sur le plan législatif, que ce que nous avions jusqu’à présent.

Monsieur le rapporteur, dans votre introduction très approfondie, vous avez d’ailleurs évoqué cet aspect des choses : le droit pénitentiaire, comme vous l’avez dit, est aujourd’hui composé de strates successives, essentiellement réglementaires. Il y a eu, bien sûr, des textes de loi. Mais, comme plusieurs orateurs l’ont souligné, c’est un domaine qui affecte directement les libertés publiques : il est donc important que le Parlement inscrive aujourd’hui dans la loi un certain nombre de principes. Je partage votre avis sur ce point.

Beaucoup d’orateurs ont évoqué un manque d’ambition de ce texte, la passivité supposée du Gouvernement face au problème carcéral et à toutes ces plaies que vous avez rappelées, les uns et les autres.

Avant de répondre à plusieurs questions qui ont été posées dans cette discussion générale fort intéressante et fort riche, je veux rappeler quelques chiffres qui, pour certains, vont à l’encontre d’opinions émises parfois, je dois le dire, avec peu d’objectivité.

Ainsi, au 1er septembre 2009, le nombre de personnes incarcérées se montait à 61 787, soit une baisse de 1,7 % en un an. Sur la même période, le nombre de prévenus a baissé de 7,6 %. Voilà la réalité. Au contraire, le nombre d’aménagements de peines aujourd’hui, avant même l’examen de ce texte, a progressé de 19,3 % en une année.

J’ajoute que le programme de construction de 13 200 places qui se met en œuvre année après année ne signifie en aucun cas, je l’évoquais tout à l’heure, une fuite en avant carcérale. Il s’agit notamment de remplacer un certain nombre de cellules, voire de prisons, vétustes et inadaptées, même si, au fil des années, ce programme offrira quelques places supplémentaires. Je rappelle en outre qu’en comparaison avec nos pays voisins, le taux d’incarcération est, en France, inférieur à la moyenne européenne, tout comme le nombre de places disponibles est inférieur à celui existant en Allemagne, en Espagne, au Royaume-Uni, pour ne prendre que des grands pays européens assez proches de nous.

M. Christian Vanneste. Absolument !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. D’aucuns prétendent que nous ne ferions qu’organiser une fuite en avant qui ne permettra pas de lutter contre la surpopulation des prisons. Ce n’est pas la réalité.

Plusieurs d’entre vous sur tous les bancs l’ont relevé, un des objectifs de cette loi c’est de préciser le sens de la peine privative de liberté. Nous sommes convaincus que l’emprisonnement doit concilier à la fois des objectifs de sécurité, de protection de la société, de prise de conscience, et bien sûr des objectifs de réinsertion des condamnés. Il ne s’agit pas d’opposer l’un à l’autre, toute personne détenue ayant vocation à réintégrer la société civile. D’ailleurs, aujourd’hui déjà mais encore plus demain après le vote de ce texte, le service public pénitentiaire articule sa démarche autour de ces deux axes, sans privilégier l’un par rapport à l’autre, le but étant que les personnes concernées soient en capacité, à l’issue de la peine, de mener une vie responsable et exempte d’infractions. Je dis cela parce que nous nous situons là, comme très souvent dans ce texte, dans les règles pénitentiaires européennes, qui sont très clairement, Mme la garde des sceaux l’a affirmé à plusieurs reprises, notre fil conducteur. Ainsi, le sens de la peine, que Michel Vaxès a évoqué, se réfère très précisément à la RPE 102-1.

Beaucoup d’articles du projet traitent de ce sujet de manière concrète, au-delà des principes généraux que je viens de rappeler, que ce soit le développement du travail et de l’enseignement, le maintien de l’exercice de nombreux droits en détention, comme le droit de vote quand il est préservé ou le droit au maintien d’une vie familiale grâce aux unités de vie familiale pour ne citer que quelques exemples.

MM. Bodin, Ciotti, Bénisti ont notamment évoqué la dimension de protection de la société. Grâce aux aménagements de peines et à la diversification de la réponse pénale, y compris par la prison lorsque c’est nécessaire, ce texte permettra de diminuer le nombre de peines non exécutées et de non-réponse que nos concitoyens ne comprennent pas, à juste raison. Dans ce domaine, le texte va dans le bon sens.

J’ajoute que ce projet de loi ne prévoit pas d’aménagement automatique. Même le placement sous surveillance électronique quatre mois avant la sortie sera soumis à l’appréciation du procureur, qui pourra s’opposer à cette automaticité. S’agissant de l’exigence d’une expertise psychiatrique qui se prononcerait sur le risque de récidive avant la mise en place de certains aménagements, c’est à coup sûr une piste intéressante. Le projet ne remet pas en cause, vous le savez, monsieur Ciotti, la possibilité pour les tribunaux de procéder à un emprisonnement lorsqu’ils le jugent nécessaire. Il ne remet pas en cause la possibilité pour le tribunal correctionnel de décerner un mandat de dépôt à l’audience, en comparution immédiate par exemple, ou de prolonger les effets d’un mandat de dépôt après une information judiciaire. Il permet d’étendre les aménagements mais n’empêche pas une réaction rapide ou une incarcération immédiate lorsque le tribunal le décide.

M. Braouezec a évoqué l’importance de la jurisprudence européenne. Il est vrai que celle-ci a permis de multiples changements et évolutions dans notre droit pénitentiaire : l’introduction du principe du contradictoire, la motivation des décisions, notamment en matière d’isolement, de parloir, de transfert, l’ouverture des voies de recours, un droit disciplinaire ainsi qu’une amélioration – même si nous savons que nous avons encore du chemin à parcourir, mais tout ne peut pas être résolu par cette loi – des procédures de fouille dans le respect de la dignité de la personne.

À propos de ces règles pénitentiaires, plusieurs d’entre vous, notamment Mme Guigou, ont évoqué la question du moratoire de ce printemps. Je disais en introduction de mon propos, et Michèle Alliot-Marie le soulignait également au début de ce débat, l’application de ces règles est, pour nous, l’objectif. D’ailleurs, dans la pratique, vous savez que beaucoup d’établissements, y compris des établissements pour mineurs, madame Filippetti, se réfèrent à certaines de ces règles, principales, pour obtenir un label. Cela ne veut pas dire que les 108 règles ne sont pas prises en compte et ne sont pas notre fil conducteur dans ce domaine. Nous allons continuer à progresser.

Mme Laurence Dumont. Il y a de la marge !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Certes, mais il faut voir aussi d’où l’on vient.

S’agissant de l’humanisation des prisons, M. Blisko a parlé du droit des détenus. Plusieurs d’entre vous l’ont remarqué, la privation de liberté ne doit pas empêcher les détenus de bénéficier d’autres droits fondamentaux, j’ai donné quelques exemples tout à l’heure, j’aurais aussi pu parler de la motivation des décisions de l’administration, du respect de la correspondance, du respect de la vie familiale. Des dispositions réglementaires renforceront ces droits effectifs mais beaucoup d’améliorations figurent déjà dans le texte lui-même.

Je reviens sur la question des fouilles, évoquée par Mme Pau-Langevin. Il est vrai que nous allons élever au niveau législatif ce qui était contenu dans les règlements, s’agissant du respect de la dignité et de la limitation des fouilles intégrales. Nous pourrons évoquer cela dans les jours à venir durant le débat.

La question du suicide a été soulevée par de très nombreux intervenants, notamment M. Huygue et M. Kert – si je devais oublier dans mon propos un député, croyez bien que ce serait totalement involontaire de ma part et que j’essaierais de réparer cet oubli au cours du débat. Les positions que nous avons été amenés à prendre cet été ont parfois été caricaturées.

M. Jean-Jacques Urvoas. Ce n’est pas notre genre !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Il convenait de préciser un certain nombre de choses, et la publication du rapport Albrand a apporté de la transparence à ce débat. Mais Mme la garde des sceaux n’en est pas restée là puisqu’une nouvelle mission a été confiée à M. le professeur Terra, dont la compétence, le sérieux, la connaissance de ces questions sont reconnus et qui avait déjà, il y a quelques années, rédigé un rapport sur le sujet.

Nous avons cessé de croire, et l’administration pénitentiaire avec nous, qu’à chaque fois qu’on améliore la condition pénitentiaire, cela se fait forcément au détriment des personnels, et inversement. De plus en plus, nous sortons de cette contradiction par le haut. J’en profite pour remercier toutes celles et ceux qui ont rappelé l’engagement de l’administration pénitentiaire, sa motivation, son rôle, les difficultés auxquelles elle est confrontée mais également sa volonté de faire progresser les choses.

La question des suicides ne nous laisse évidemment en aucune façon indifférents. Avant de parler de quelques mesures concrètes de prévention directe qui sauvent des vies, et on a bien fait d’en parler, nous inscrivons ces mesures dans une vision d’ensemble. La persistance des suicides est un marqueur, un signal, qui prouve que nous avons encore beaucoup de travail à faire. Nous savons bien qu’il y a à la fois le choc carcéral – beaucoup de suicides interviennent dans les deux mois et 45 % des suicides concernent des personnes en préventive. Nous savons par ailleurs que les questions de surpopulation, de manque d’activité, que beaucoup d’entre vous ont évoquées, les questions d’isolement, avec la possibilité d’avoir un co-détenu solide, préparé, jouent également un rôle. Je visitais la semaine dernière, à la demande de Mme la garde des sceaux, l’école d’Agen qui forme l’ensemble, de la base aux directeurs, des agents des services pénitentiaire et que beaucoup d’entre vous connaissent. Vous savez l’importance du travail psychologique préventif de compréhension, de dialogue, de sang-froid par rapport à tout ce que le personnel peut entendre et subir. Tout cela contribue à une prise de conscience. Et puis, cela a été dit, les addictions, les maladies psychiatriques jouent également un rôle.

Nous savons que nous avons du retard à rattraper par rapport à d’autres pays européens même si nous avons fait des progrès. Par moments, nous avions le sentiment de bien progresser puis nous avons eu de nouveau une année plus difficile, alors que la situation objectivement ne s’est pas détériorée. Cela nous a bien sûr interpellés, mais sachez que poursuivre la démarche de prévention du suicide est pour nous une ardente obligation.

Nous ne découvrons pas le problème aujourd’hui. Nous sommes engagés depuis plusieurs années, particulièrement depuis 2003, dans un renforcement de cette politique de prévention, de vigilance, d’attention.

Prévenir le suicide de manière générale, humaniser les prisons, mettre en œuvre toutes les novations qui figurent dans ce texte, suppose bien sûr, Mme Guigou l’a évoqué, des moyens humains.

Mme Laurence Dumont. Parlons-en, il n’y a rien dans le texte !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. J’essaie de répondre le plus honnêtement et le plus précisément possible à un certain nombre de questions que vous avez posées. Les moyens seront inscrits.

Mme Laurence Dumont. Il fallait mettre des moyens dans le texte !

Mme Michèle Alliot-Marie, garde des sceaux. Les moyens dépendent de la loi de finances, vous le savez bien !

Mme Laurence Dumont. Tout n’est pas dans le texte, vous le savez bien. Certains d’entre vous ont reproché à juste titre le nombre croissant d’articles. Tous les articles que nous avons rajoutés sont nécessaires, mais n’allons pas au-delà, ne rédigeons pas un texte pléthorique. Ce texte est important, il constitue un progrès important, tous les sujets que vous évoquez n’ont pas vocation à être dans un texte de loi et vous le savez très bien.

Les efforts en matière de moyens de personnels se poursuivent de manière intense. D’ailleurs, le nombre d’emplois supplémentaires est à la limite des capacités de formation que nous avons car il s’agit de professionnaliser la démarche. Mais je ne pense pas que des arguments budgétaires aient été mis en avant pour empêcher des embauches qui permettent d’accompagner à la fois le nombre de places supplémentaires mais également toutes les réformes qualitatives qu’avant même cette loi nous avons déjà commencé à mettre en œuvre.

Les questions de santé ont été évoquées par plusieurs d’entre vous. M. Blanc a dressé un tableau tout à fait réaliste de la situation qu’il connaît bien. Depuis 1994, des progrès ont été faits. Le schéma hospitalo-pénitentiaire constitue, avec la création des unités de consultation et de soins ambulatoires et les unités hospitalières interrégionales, un cadre utile, même si nous avons tous conscience qu’il faut aller encore plus loin.

Madame Delaunay, vous avez beaucoup insisté sur ce sujet en parlant du dépistage, des soins, des actions de prévention et d’éducation de la santé par les SPIP. Je voudrais vous rappeler, mais vous le savez sûrement, qu’une visite médicale est d’ores et déjà obligatoire dès l’entrée. Par ailleurs, les médecins visitent systématiquement les détenus placés en quartier disciplinaire et d’isolement. Et tournés vers l’avenir, les nouveaux établissements comprennent des cellules « handicapés ». Enfin, l’article 20 de la loi est extrêmement clair, il rappelle cette nécessité de soins équivalents au milieu libre.

Sur la question plus sensible de la psychiatrie en prison, dont nous savons tous qu’elle est devenue peut-être beaucoup plus importante encore qu’elle ne l’était jadis, nous ne pouvons qu’être en phase avec le constat dressé par M. Garrigue.

J’ai rappelé que la loi garantissait le principe de soins équivalents. Cela vaut aussi pour la médecine psychiatrique. Il y a déjà eu une réunion sur ce sujet avec Michèle Alliot-Marie et il y en aura d’autres avec Roselyne Bachelot, car nous allons renforcer la dimension interministérielle et développer les unités spécialisées. Nous avons pleinement conscience qu’il s’agit d’un aspect très important.

Sur le droit à la santé, des progrès ont été faits. Ils vont se poursuivre en prenant également en compte les personnes âgées. Plusieurs d’entre vous en ont parlé. J’ai aussi évoqué les personnes handicapées.

Mme Lemorton, ainsi que d’autres députés, a évoqué la question de la toxicomanie. Plusieurs aspects doivent se croiser, dont la lutte contre l’introduction de produits illicites. C’est une réalité. À cet égard, certaines fouilles ne sont pas inutiles. C’est aussi la raison d’être de mesures prises contre le trafic – je pense aux caillebotis – pour limiter ce type d’échanges. Il y a également une dimension de prévention, de santé publique avec les produits de substitution et le suivi du patient. Là aussi, les unités spécialisées renforcent cette dimension de manière très professionnelle. Nous travaillons d’ailleurs en lien étroit avec la mission interministérielle de lutte contre les toxicomanies.

Monsieur Goujon, vous avez posé le problème spécifique de la prison de la Santé. Mme la garde des sceaux et moi-même pouvons vous dire que le projet a été relancé, à la suite du discours du Président de la République le 22 juin à Versailles. Il s’agit de 1 400 places, soit près de 1 000 places de plus que la capacité actuelle du site dans lequel seul le quartier bas et quelques cellules du quartier haut fonctionnent encore. Ce projet sera conduit sous la forme d’un partenariat public privé. La livraison de cet établissement est prévue pour 2013.

Michel Hunault a évoqué, dans son intervention, des questions très importantes. Je le dis non pour lui être agréable, car je sais, pour y avoir siégé également, comme plusieurs d’entre vous, qu’au Conseil de l’Europe, il fait, avec plusieurs collègues de toutes sensibilités et de tous pays, un travail très intéressant. Le Conseil de l’Europe a certes joué un rôle important dans l’établissement des règles pénitentiaires dont je parlais tout à l’heure, mais il continue à travailler, au-delà de la mise à jour de ces règles en 2006. On sous-estime parfois, je balaie aussi devant ma porte, dans les différents exécutifs, le travail remarquable, les propositions et les idées neuves du Conseil de l’Europe, les échanges de bonnes pratiques et les expérimentations.

Le numerus clausus, vrai sujet évoqué par plusieurs d’entre vous, en citant certains pays, comme la Pologne, pose un problème constitutionnel d’égalité des personnes condamnées devant la loi, mais aussi un problème de crédibilité de la réponse pénale et de justice. Je ne suis pas sûr que, dans un pays comme le nôtre, ce type de réponse soit bien compris…

M. Christian Vanneste. C’est une loterie judiciaire !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Je ne dis pas que là où il est mis en œuvre, ce ne soit pas un moindre mal par rapport à ce qui préexistait. Mais essayons d’avoir une autre ambition que de nous en sortir de cette façon ! En tout cas, tel est aujourd’hui notre état d’esprit.

Sur la question de l’encellulement individuel, nous en avons beaucoup parlé et nous en parlerons encore longuement lors de l’examen des articles. Aussi, en m’excusant de ne pas citer tous les orateurs qui se sont exprimés sur ce sujet, je dirai simplement que le libre choix en matière d’affectation en cellule individuelle ou collective procède de la règle pénitentiaire européenne 17-3. C’est l’un des éléments du débat, mais certains amendements nous permettront de faire la synthèse avec le Sénat. Cette question, dont je comprends les tenants et les aboutissants, ainsi que le souci d’un vrai choix – j’ai en mémoire tous les éléments du débat – correspond à une réalité, et le libre choix n’est pas un archaïsme français : c’est un vrai sujet qui est aujourd’hui clairement évoqué dans les règles européennes auxquelles nous nous référons tous.

S’agissant des aménagements de peines, nous en avons longuement parlé et ce sera l’un des sujets importants traités lors de l’examen des articles et des amendements. Nous sommes tous plus ou moins d’accord sur ce point, avec certes différentes sensibilités sur la manière de le faire. Nous nous accordons tous à dire qu’une bonne réinsertion et une prévention effective de la récidive sont notre objectif et que cela ne doit pas être une variable d’ajustementde la surpopulation carcérale.

Madame Aurillac, en réalité, le juge d’application des peines aura une possibilité, mais jamais une obligation, même avec l’extension à deux ans. Le juge prendra en compte à chaque fois la personnalité, le projet de la personne condamnée et les risques encourus. Ce n’est pas un droit à l’inexécution de la peine – mais je pense que personne ne dit cela…

Les placements sous surveillance électronique sont actuellement au nombre de 4 700, avec moins de 3 % d’échec. Personne ne peut donc contester que ce soit une piste parmi d’autres.

Sur les points d’accès au droit que vous avez évoqués, la loi les généralise et c’est très bien.

Sur la détention des femmes, M. Huet, en tant que rapporteur, au début de notre débat, a fait quelques propositions très intéressantes. Mais si certaines sont dans la loi, beaucoup sont dans la pratique et dans la gestion quotidienne des établissements. Nombre de projets ont déjà été mis en place, comme la boîte aux lettres dans les parloirs familles, l’accès aux documents scolaires des enfants des détenus. Il faut continuer à étendre ces dispositions et à en rappeler d’autres. Cela fera l’objet d’une circulaire début octobre. Il en est de même pour l’extension des unités de vie familiales.

S’agissant toujours de la détention des femmes, Mme Pau-Langevin est intervenue sur le respect des droits fondamentaux et l’affirmation du respect de ces droits pour l’ensemble des détenus, hommes et femmes, ou d’autres critères, comme les étrangers. Ce sont des questions auxquelles nous sommes extrêmement sensibles.

Madame Filipetti, si je vous rappelle certaines mesures existantes concernant les jeunes enfants et la santé, vous me répondrez, comme vous l’avez fait en commission, qu’il ne faut pas prendre en considération le seul aspect de la maternité, si important soit-il, mais aussi la spécificité concernant notamment des jeunes femmes, qui sont une ou deux dans certaines prisons. Vous avez cité quelques exemples. Cette question ne relève pas vraiment du domaine de la loi. Elle nécessite plutôt un soutien à chaque établissement afin qu’il puisse agir de manière différenciée, adaptée aux situations.

Pour ce qui est des activités avec mixité, certaines d’entre elles sont expérimentées avec succès dans des établissements. Nous ne sommes pas opposés à cette idée, mais là aussi, elle ne relève pas forcément de la loi.

Pour ce qui est de la place de la victime, monsieur Vanneste, il y aura, lors de l’examen des articles, un amendement consistant à baisser de dix à cinq ans le seuil permettant à l’avocat des parties civiles d’être associé à la décision de libération conditionnelle. Nous aurons sans doute une discussion intéressante à propos de cet amendement.

Madame Lebranchu, nous devons maintenir notre confiance dans le magistrat chargé de l’application des peines en lui laissant l’initiative de la mesure et plus généralement en le confirmant au centre de l’ensemble du dispositif, comme c’est le cas depuis 2004.

Je rappelle également le rôle central des SPIP dans la préparation de la sortie – et dans la loi. Ils sont au contact des détenus et constituent une aide importante pour les juges de l’application des peines.

Vous avez également évoqué, madame Lebranchu, le PSE-fin de peine. L’exécution de fin de peine sous surveillance électronique sera proposée systématiquement par l’administration pénitentiaire, mais il n’y a pas de pouvoir discrétionnaire : c’est le procureur qui décidera, le cas échéant, de demander au JAP de statuer sur la mesure s’il s’y oppose. Ce sont donc les magistrats, et non l’administration, qui prendront la décision sur cette mesure d’exécution de la peine hors les murs de la maison d’arrêt.

Madame Karamanli, au 1er septembre, il y avait 700 mineurs incarcérés, contre 733 il y a un an. Il ne s’agit donc pas d’une surenchère carcérale. Nous considérons que, dans ce cadre, l’encellulement individuel est la norme. Surtout, nous poursuivons l’ouverture des établissements pour mineurs, au nombre de six, soit 360 détenus en EPM. Nous allons dans le bons sens pour ne parler que de l’aspect matériel, même si celui-ci est important. Quant à la prise en compte de la spécificité des mineurs, nous en faisons une priorité.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je vais m’arrêter là. Il est possible de tout dire tant dans la discussion générale que dans l’examen des articles. La critique, surtout lorsqu’elle est assortie de propositions, sera utile à la construction du texte. Cela étant, que de leçons, voire de procès d’intention, avons-nous entendus ! Je fréquente les prisons depuis plus de trente ans, en tant que jeune avocat pour commencer, puis j’ai suivi les évolutions, notamment sociologiques, et vu apparaître de nouvelles difficultés. Il y a là matière à modestie, pour nous tous. Savoir balayer devant sa porte nous permettra de progresser. Avec Mme la garde des sceaux, nous sommes modestes et très fiers d’être partie prenante de ce texte et de ce débat.

Mme Élisabeth Guigou. On peut être modeste et ne pas dire de mensonges !

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

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Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, mercredi 16 septembre, à quinze heures :

Suite du projet de loi pénitentiaire.

La séance est levée.

(La séance est levée à minuit.)