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Document E4398
(Mise à jour : 07 octobre 2010)


Proposition de décision-cadre du Conseil relative à l'exploitation et aux abus sexuels concernant des enfants et à la pédopornographie, abrogeant la décision-cadre 2004/68/JAI.


E4398 déposé le 1er avril 2009 distribué le 9 avril 2009 (13ème législature)
   (Référence communautaire : COM(2009) 0135 final du 25 mars 2009, transmis au Conseil de l'Union européenne le 27 mars 2009)

Ce document a été présenté par M. Guy GEOFFROY , rapporteur, au cours de la réunion de la Commission du 10 novembre 2009.

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La présente proposition de décision-cadre vise à lutter contre l’exploitation et les abus sexuels concernant les enfants et la pédopornographie.

Le 22 décembre 2003, le Conseil a adopté une décision-cadre d’harmonisation des incriminations et des sanctions en matière d’exploitation sexuelle des enfants et de pédopornographie.

Depuis, la convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels a été adoptée le 25 octobre 2007 (convention dite de Lanzarote). Elle est à ce jour la norme la plus élevée en matière de protection des enfants dans ce domaine. Vingt-quatre Etats membres (dont la France) ont signé la convention et seule la Grèce l’a ratifiée. Par anticipation, dès 2007, le droit pénal français a été mis en conformité avec la convention.

Afin d’intégrer ses acquis dans le droit de l’Union, la présidence suédoise a fait de la proposition de décision-cadre de la Commission européenne une de ses priorités. Néanmoins, le texte soulève encore beaucoup de difficultés et ne sera vraisemblablement pas adopté avant 2010.

Selon la Commission, «  malgré l’absence de statistiques précises et fiables, les études tendent à montrer qu’en Europe, une minorité non négligeable pourrait être la cible d'agressions sexuelles durant l’enfance, et des recherches donnent à penser que ce phénomène ne diminue pas avec le temps, mais qu’au contraire, certaines formes de violence sexuelle sont en augmentation . »

I. La proposition de la Commission européenne

Il est proposé d’abroger la décision-cadre actuelle (2004/68/JAI) et de lui substituer un texte complet présentant plusieurs avancées :

- les incriminations seraient développées afin de couvrir l’organisation de voyages à but sexuel et la définition de la pédopornographie serait complétée pour la rapprocher de celle de la convention du Conseil de l’Europe ;

- de nouvelles formes d’exploitation et d’abus sexuels facilitées par les nouvelles technologies de l’information et de la communication seraient érigées en infractions pénales (cas où la consultation de matériel pédopornographique sur des sites web sans téléchargement ou stockage d’images n'est pas assimilable à la «possession» de matériel pédopornographique ou au «fait de se procurer» ce matériel). La sollicitation d'enfants à des fins sexuelles (« grooming ») est intégrée en tant que nouvelle infraction en suivant de près le libellé convenu dans la convention de Lanzarote) ;

- pour les poursuites à l'encontre des auteurs d'infractions commises à l'étranger, les règles de compétence seraient modifiées pour veiller à ce que les délinquants pédophiles et les exploiteurs d'enfants originaires de l’Union européenne (résidents européens) fassent l’objet de poursuites même s'ils ont commis leurs crimes en dehors de l 'Union européenne ;

- de nouvelles dispositions sont prévues pour protéger les victimes ;

- la prévention des infractions serait renforcée.

Par rapport à la convention de Lanzarote, la proposition de la Commission européenne va au-delà sur certains points (niveau des sanctions, accès à une aide juridique gratuite pour les enfants victimes et répression des activités encourageant les abus et le tourisme sexuels impliquant des enfants) et la complète sur d’autres (mesures visant à interdire aux auteurs d’infractions d’exercer des activités impliquant des contacts avec des enfants, blocage de l’accès à la pédopornographie sur Internet, criminalisation du fait de contraindre un enfant à se livrer à des activités sexuelles avec un tiers et des abus sexuels commis sur des enfants en ligne).

II. Des problèmes de définition des incriminations risquant de mener à une harmonisation de façade

La décision-cadre de 2003 retenait une définition large des infractions liées à l’exploitation des enfants et à la pédopornographie. Néanmoins, un nombre important de possibilités «  d’opt-out  » existait pour les Etats membres qui pouvaient ne pas retenir un certain nombre d’incriminations (matériel pornographique représentant une personne réelle paraissant être un enfant mais ayant en réalité plus de 18 ans, production et détention d’images d’enfants ayant atteint la majorité sexuelle pour un usage privé, images réalistes d’un enfant qui n’existe pas produites et détenues pour un usage privé).

La proposition de la Commission européenne ne retient plus les clauses «  d’opt out  » tout en étendant les définitions. Il en résulte que les définitions retenues sont trop larges et, en l’état actuel, ne sont pas jugées satisfaisantes par les autorités françaises. Le risque est grand en effet que des clauses soient négociées tendant à les rendre en partie inapplicables, ce qui aurait pour effet de créer une harmonisation de façade des incriminations.

Les principales difficultés soulevées par les autorités françaises sont les suivantes :

- la définition de la pédopornographie comme, s’agissant des représentations de personnes paraissant être des enfants, tout matériel représentant une personne semblant être un enfant se livrant à un comportement sexuel explicite réel ou tout matériel représentant une personne semblant être un enfant se livrant à un comportement sexuel explicite simulé à des fins principalement sexuelles. Cette définition n’est pas compatible avec le code pénal français dont l’article 227-23 dispose en son dernier alinéa que les dispositions relatives aux images pédopornographiques sont applicables aux images d’une personne dont l’aspect physique est celui d’un mineur, «  sauf s’il est établi que cette personne était âgée de dix-huit ans au jour de la fixation ou de l’enregistrement de son image »  ;

- la définition du spectacle pornographique comme une exhibition d’un enfant, le critère actuel ayant trait au fait qu’elle se déroule devant un public étant supprimé, ce qui risque de trop étendre l’incrimination (il conviendra de ne pas viser les relations consenties entre adolescents de moins de 18 ans ayant atteint la majorité sexuelle);

- en France, le fait, «  en vue de sa diffusion, de fixer, d'enregistrer ou de transmettre l'image ou la représentation d'un mineur lorsque cette image ou cette représentation présente un caractère pornographique  » est réprimé pénalement. Le critère tenant à la diffusion n’est pas repris dans la proposition de décision-cadre, contrairement à celle de 2003 ou à la convention de Lanzarote.

En l’état actuel des négociations, plusieurs Etats membres se sont opposés à des définitions jugées trop larges. Il conviendra de ne pas accepter de recul par rapport à la convention de Lanzarote et de veiller à ce que l’harmonisation recherchée à un haut niveau de protection soit réelle et non assortie de clauses dérogatoires.

Le projet, eu égard au fait que les négociations ne sont pas terminées, comprend quelques incohérences qu’il conviendra de lever.

Par ailleurs, la définition du niveau minimal des peines encourues n’a pas encore été discutée, les Etats membres n’ayant pas encore atteint de consensus sur la définition des incriminations. Il faudra veiller à ne tolérer aucun recul par rapport la décision cadre de 2003 qui fixe des niveaux de sanctions pénales allant d’au moins 1 an de prison à au moins dix ans. La proposition initiale de la Commission européenne visait des peines d’emprisonnement comprises entre au moins six ans et au moins douze ans an cas de circonstances aggravantes.

Le projet d’article 8 traite, afin de rendre effectives les mesures d’interdiction provisoire ou définitive de toute activité impliquant un contact régulier avec des enfants, des dispositions dérogatoires à la décision-cadre du conseil relative à l’organisation et au contenu des échanges d’informations extraites du casier judiciaire entre les Etats membres. Chaque Etat membre devra s’assurer que toute mesure d’interdiction de contact prise dans un autre Etat membre soit reconnue et exécutée sur son territoire, l’interdiction devant figurer au casier judiciaire de l’Etat membre de condamnation. Ces mesures ne sont cependant pas suffisamment détaillées et ne permettent pas de régler concrètement la question. Elles sont pour l’instant trop opaques. Les négociations n’ont pas débuté. Sur le principe, cet article est positif mais il devra être retravaillé.

Comme dans la convention de Lanzarote, une clause de non application des sanctions à l’encontre de victimes est prévue. Le délai de prescription pour engager les poursuites devrait courir pendant une période suffisante pour permettre l’engagement effectif des poursuites après que la victime a atteint l’âge de la majorité.

L’article 13 relatif à la compétence étend, par rapport à la décision-cadre de 2003, la compétence des Etats membres aux cas dans lesquels l’auteur de l’infraction réside habituellement sur son territoire (cela est déjà prévu par la convention de Lanzarote et, en droit français, par exception à l’article 113-6 du code pénal. La possibilité de poursuivre un résident français commettant une infraction à l’étranger existe pour la répression du tourisme sexuel (article 225-12-3 du code pénal)). Les négociations s’annoncent plus complexes sur la possibilité de poursuivre lorsque la victime est un résident habituel mais que les faits ont été commis à l’étranger.

S’agissant de la protection et de l’assistance apportées aux victimes, la proposition ne reprend pas l’ensemble des protections prévues par la convention de Lanzarote (droit à être informé, droit à la vie privée) car la Commission européenne souhaite engager des travaux distincts dans le domaine de la protection des victimes vulnérables.

L’article 15 propose plusieurs mesures tendant à protéger les enfants victimes au cours de l’enquête et des procédures judiciaires. Les Etats membres devront veiller à ce qu’un représentant de l’enfant soit désigné lorsque les titulaires de la responsabilité parentale sont en situation de conflit d’intérêt avec l’enfant ou si l’enfant est seul. Les auditions de l’enfant ne devront pas avoir lieu après un délai trop long une fois que les faits ont été rapportés aux autorités. Les auditions de l’enfant auront lieu avec des professionnels formés à cet effet, toutes les auditions devant de préférence être conduites par la même personne et devant en tout état de cause être limitées au strict nécessaire. L’enfant devrait pouvoir être accompagné de son représentant légal ou d’une personne de son choix, à moins qu’un motif existe de s’opposer à la présence de la personne choisie. Dans la mesure où cela est compatible avec les règles de droit pénal, les auditions de l’enfant devraient être enregistrées et les enregistrements utilisés comme preuve au cours du procès. L’enfant devrait également pouvoir être entendu au procès sans être présent grâce aux moyens de télécommunication. Ce type de mesures est d’ores et déjà applicable en France.

Enfin, l’article 18 prévoit que chaque Etat membre prend les mesures pour bloquer l’accès par les internautes aux sites contenant ou diffusant de la pédopornographie. Une telle mesure semble très difficile à appliquer s’agissant des sites établis à l’étranger.

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L’exposé de M. Guy GEOFFROY , rapporteur, a été suivi d’un débat.

« Le Président Pierre LEQUILLER . Quels sont les Etats qui soulèvent des difficultés dans les négociations sur ce texte ?

M. Guy GEOFFROY , rapporteur. Les difficultés sont principalement liées aux incriminations et aux sanctions. Elles sont soulevées par un grand nombre d’Etats membres, dont l’Allemagne, comme d’ailleurs sur la seconde proposition de décision-cadre.

M. Jérôme LAMBERT . La décision-cadre de 2003 fixe des niveaux de sanctions pénales allant d’au moins un an à au moins dix ans de prison. Cette fourchette est-elle fonction des incriminations ?

M. Guy GEOFFROY , rapporteur. Oui, selon l’incrimination dont on parle, la sanction minimale va d’au moins un an à au moins dix ans d’emprisonnement. Il ne faudrait pas que dans le courant des négociations sur la nouvelle décision-cadre on revienne en arrière par rapport au texte de 2003.

M. Philippe Armand Martin. Va-t-on ainsi vers une meilleure harmonisation des incriminations et des sanctions ?

M. Guy GEOFFROY , rapporteur. Absolument.

M. Jérôme LAMBERT . Quelle est la portée juridique exacte d’une « décisioncadre » ? Faudra-t-il en transposer les dispositions en droit national, comme pour une directive ?

M. Guy GEOFFROY , rapporteur. Oui, les décisions-cadres doivent faire l’objet d’une transposition en droit national. Il s’agit d’un instrument juridique propre au « troisième pilier », qui va disparaître avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. »

Sur proposition du rapporteur, la Commission a adopté les conclusions suivantes :

« La Commission des affaires européennes,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de décision-cadre du Conseil relative à l'exploitation et aux abus sexuels concernant des enfants et à la pédopornographie, abrogeant la décision-cadre 2004/68/JAI (E 4398),

Rappelle la nécessité impérieuse de lutter contre ces crimes et de renforcer les instruments juridiques existant,

Rappelle que les négociations en cours doivent permettre, au minimum, d’atteindre les standards européens les plus élevés en la matière, principalement ceux de la convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels du 25 octobre 2007, et qu’aucun recul par rapport à ces dispositions ne saurait être accepté ;

Estime que l’Union européenne se doit également d’aller au-delà des standards internationaux ;

Souligne que la nouvelle décision-cadre doit également constituer un progrès marqué au regard de la décision-cadre 2004/68/JAI du Conseil du 22 décembre 2003 relative à la lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants et de la pédopornographie, notamment en matière d’harmonisation des incriminations et du niveau des sanctions. »