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Document E4399
(Mise à jour : 12 décembre 2009)


Proposition de décision-cadre du Conseil concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène, ainsi que la protection des victimes, abrogeant la décision-cadre 2002/629/JAI.


E4399 déposé le 1er avril 2009 distribué le 9 avril 2009 (13ème législature)
   (Référence communautaire : COM(2009) 0136 final du 25 mars 2009, transmis au Conseil de l'Union européenne le 27 mars 2009)

Ce document a été présenté par M. Guy GEOFFROY , rapporteur, au cours de la réunion de la Commission du 10 novembre 2009.

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La présente proposition de décision-cadre vise à renforcer la prévention et la lutte contre la traite des êtres humains ainsi que la protection des victimes. La traite des êtres humains se définit comme le recrutement, le transfert ou l'accueil de personnes déplacées sous la contrainte, par tromperie ou par abus d'une situation, à des fins d'exploitation, y compris sexuelle ou de leur travail, de travail forcé, de servitude domestique ou d'autres formes d'exploitation. Elle constitue une infraction pénale sévèrement réprimée au sein de l’Union.

Pour autant, la décision-cadre actuellement en vigueur (décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil, du 19 juillet 2002, relative à la lutte contre la traite des êtres humains) est incomplète et doit être renforcée.

Plusieurs Etats membres constituent des pays d’arrivée de la traite des êtres humains et il est établi que la traite s’effectue au sein même de l’Union.

Au plan international, le protocole additionnel à la convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, adopté à Palerme en 2000, d’une part, et la convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains signée à Varsovie le 16 mai 2005, d’autre part, constituent un cadre global et cohérent mais souffrent des carences propres aux instruments internationaux, c'est-à-dire la lenteur des processus de ratification. Vingt-trois Etats membres ont ratifié le protocole additionnel et quatre l’ont signé. Douze Etats membres ont ratifié la convention de Varsovie et treize l’ont signée uniquement.

La nécessité de progresser sur la voie de l’harmonisation : définition des incriminations et des sanctions

Il est nécessaire que l’Union européenne se dote d’un instrument qui soit au niveau des nouveaux standards internationaux (convention de Varsovie).

L’instrument de la décision-cadre permettrait de progresser plus rapidement dans la mise en œuvre des avancées de la convention de Varsovie. Il s’agirait d’un facteur d’harmonisation des législations beaucoup plus puissant. Il convient de veiller cependant à ce que les négociations relatives à la décision-cadre ne ralentissent pas les processus de ratification des conventions internationales.

La convention de Varsovie définit la traite des êtres humains comme «  le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes  ».

La définition actuelle de la décision-cadre de 2002 reste en deçà de la définition de Varsovie (sur le prélèvement d’organes par exemple). Il est proposé de reprendre la définition de Varsovie en allant au-delà sur certains points : la mendicité forcée serait citée comme forme de travail forcé et l’exploitation à des fins criminelles serait ajoutée à la définition de l’exploitation.

Sur la question du prélèvement d’organes, la question a été posée d’inclure également les prélèvements de tissus ou de cellules reproductrices comme cela s’est déjà vu mais cette proposition suscite de très nombreuses réserves, beaucoup d’Etats, tels que l’Allemagne, y étant totalement opposés.

La fixation des sanctions à l’article 3 de la proposition de décision-cadre a généré de nombreux débats. La proposition initiale établissait des peines minimales allant de six ans à douze ans d’emprisonnement. Puis les négociations ont remis en cause cette échelle des peines. Les incriminations d’instigation, de participation ou de tentative de traite des êtres humains ont même, au cours des négociations, été exclues de la liste des faits devant être réprimés par des peines privatives de liberté minimales alors qu’elles doivent, en application du droit européen actuel, être au moins punies d’un an de prison.

Il semble que l’on s’oriente actuellement vers l’obligation pour les Etats membres de fixer une sanction minimale d’emprisonnement :

d’un an pour l’instigation, la complicité ou la tentative de traite des êtres humains ;

de cinq à dix ans pour la traite des êtres humains ;

de dix ans pour des circonstances aggravantes, telles que la mise en danger de la vie des victimes, l’usage de violence grave ou le fait de causer un préjudice particulièrement grave à la victime, le fait que le crime ait été commis contre une personne particulièrement vulnérable (enfant), le fait de commettre la traite dans le cadre d’une organisation criminelle.

L’Allemagne (tout comme les Etats baltes, la République tchèque et la Slovaquie) ne souhaite pas fixer de seuil minimal de sanction et voudrait laisser une plus grande marge aux Etats membres, principalement pour la tentative qui est toujours difficile à prouver. Mais il serait regrettable de revenir en arrière par rapport au droit existant. Un tel recul ne serait pas acceptable pour les autorités françaises, belges et britanniques.

Si les faits ont été commis par un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions, cela doit, en l’état actuel du projet, être retenu comme une circonstance aggravante (sans fixation de la peine minimale à dix ans d’emprisonnement). Là encore, malgré l’opposition de l’Allemagne, il ne faudrait pas revenir sur ce compromis, qui se contente de reprendre la convention de Varsovie.

Les autres avancées de la proposition

Le projet d’article 6 reprend une avancée de la convention de Varsovie (article 26) tendant à ce que les Etats membres prévoient la possibilité de ne pas poursuivre les victimes de la traite des êtres humains ou de ne pas leur infliger de sanctions pour avoir pris part à des activités illégales lorsqu’elles y ont été contraintes. Cette disposition pose à l’heure actuelle un problème pour les Etats appliquant un système de légalité des poursuites.

Le projet d’article 7 tend principalement à donner des outils puissants aux policiers, bien que les outils qui étaient au départ fixés dans l’article aient été énumérés et quelque peu affaiblis dans un considérant (écoutes téléphoniques, surveillance électronique, enquêtes financières).

Un autre point important a trait à la compétence des Etats membres pour poursuivre les auteurs. La possibilité de poursuivre un résident français commettant une infraction à l’étranger existe à l’heure actuelle en droit français pour la répression du tourisme sexuel (article 225-12-3 du code pénal).

Le principe général français est celui fixé par les articles 113-6 du code pénal : «  la loi pénale française est applicable à tout crime commis par un Français hors du territoire de la République. Elle est applicable aux délits commis par des Français hors du territoire de la République si les faits sont punis par la législation du pays où ils ont été commis. Il est fait application du présent article lors même que le prévenu aurait acquis la nationalité française postérieurement au fait qui lui est imputé  » et 113-7 du code pénal : «  la loi pénale française est applicable à tout crime, ainsi qu'à tout délit puni d'emprisonnement, commis par un Français ou par un étranger hors du territoire de la République lorsque la victime est de nationalité française au moment de l'infraction.  »

L’article 8 relatif à la compétence des Etats membres comprend une novation importante par rapport au droit actuel : il prévoit en effet qu’un Etat membre est compétent à l’égard des infractions dont l’auteur réside habituellement sur son territoire ou ayant été commises à l’encontre d’une personne résidant habituellement sur son territoire .

Une possibilité «  d’opt out  » pour ces dispositions est prévue par le projet de décision-cadre. Les autorités françaises sont, selon les informations transmises au rapporteur, favorables à ce que l’exception prévue pour le tourisme sexuel pour les résidents français ayant agi en dehors du territoire national soit étendue à la traite des êtres humains.

Les articles 9 à 13 contiennent des dispositions nettement plus détaillées que celles de la décision-cadre en vigueur sur l’assistance aux victimes, la protection des victimes pendant les investigations et les procédures judiciaires, ainsi que les protections spécifiques aux enfants victimes de la traite des êtres humains.

En matière d’assistance aux victimes, le projet prévoit que les victimes bénéficient de quoi assurer leur subsistance (hébergement sûr), des traitements médicaux nécessaires, y compris psychologiques (la convention de Varsovie se limite à l’aide médicale d’urgence), ainsi que des services de traduction et d’interprétation si nécessaire.

Les victimes devraient avoir accès à un conseil juridique, celui-ci devant être gratuit lorsque la personne n’a pas de ressources suffisantes pour le payer. Les Etats membres devraient, dans la mesure où cela est compatible avec les principes de base de leur système pénal, permettre de ne pas révéler l’identité d’une victime de la traite des êtres humains en tant que témoin. Une protection appropriée devrait être fournie en fonction des circonstances (programme de protection des témoins, entre autres mesures). La France ne met que très rarement en œuvre de tels programmes.

Sans porter atteinte aux droits de la défense, les victimes de la traite devraient bénéficier d’une attention tendant à éviter ce que l’on appelle la victimisation secondaire (répétitions inutiles des auditions, contact visuel entre la victime et l’accusé, grâce notamment aux nouvelles technologies, dépositions en audience publique, questions inutiles relatives à la vie privée).

Lorsque la victime est un enfant (personne âgée de moins de 18 ans ou étant présumée être un enfant lorsque son âge est incertain), le projet d’article 12 prévoit des mesures spécifiques de court et long terme pour l’aider sur les plans physique, psychologique et sociaux, compte tenu des circonstances particulières et des besoins de l’enfant. Lorsque cela est possible, la famille devrait bénéficier d’une assistance si elle se trouve sur le territoire de l’Etat membre.

Lorsque la victime est un enfant, au cours de l’enquête et du procès, les Etats membres veillent à ce qu’un représentant de l’enfant soit désigné si les titulaires de l’autorité parentale sont en situation de conflit d’intérêt avec l’enfant ou si l’enfant est seul. Sans porter atteinte aux droits de la défense, les auditions de l’enfant ne devront pas avoir lieu après un délai trop long une fois que les faits ont été rapportés aux autorités. En cas de besoin, les auditions de l’enfant auront lieu avec des professionnels formés à cet effet, toutes les auditions devant de préférence être conduites par la même personne et devant, en tout état de cause, être limitées au strict nécessaire. L’enfant devrait pouvoir être accompagné de son représentant légal ou d’une personne de son choix, à moins qu’un motif existe de s’opposer à la présence de la personne choisie. Dans la mesure où cela est compatible avec les règles de droit pénal, les auditions de l’enfant devraient être enregistrées et les enregistrements utilisés comme preuve au cours du procès. L’enfant devrait également pouvoir être entendu au procès sans être présent grâce aux moyens de télécommunication. Ce type de mesures est d’ores et déjà applicable en France.

L’article 14 constitue également une avancée par rapport à la décision-cadre actuelle en matière d’obligations de prévention pesant sur les Etats membres.

Dans les deux années suivant son adoption, les dispositions de la décision-cadre devraient avoir été transposées en droit interne.

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La proposition de décision-cadre constitue une priorité de la présidence suédoise et devrait pouvoir faire l’objet d’un accord politique au prochain Conseil Justice et affaires intérieures du 30 novembre 2009.

La traite des êtres humains doit être une préoccupation majeure au sein de l’Union qui est touchée par ce fléau et doit par conséquent se doter des outils juridiques les plus performants pour la prévenir, la poursuivre et la réprimer.

Le projet propose des avancées importantes et met le droit de l’Union au niveau des standards internationaux, allant même au-delà sur certains aspects. Il est impératif qu’au cours des négociations, aucun recul par rapport à la convention de Varsovie de 2005 ni, bien entendu, par rapport à la décision cadre de 2002 ne soit accepté.

Proposition de conclusions :

« La Commission

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de décision-cadre du Conseil concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène, ainsi que la protection des victimes, abrogeant la décision-cadre 2002/629/JAI (E 4399),

Rappelle la nécessité impérieuse de lutter contre ces crimes et de renforcer les instruments juridiques existant,

Rappelle que les négociations en cours doivent permettre, au minimum, d’atteindre les standards européens les plus élevés en la matière, principalement ceux de la convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains du 16 mai 2005, et qu’aucun recul par rapport à ces dispositions ne saurait être accepté ;

Estime que l’Union européenne se doit également d’aller au-delà des standards internationaux,

Souligne que le niveau des sanctions fixé dans la prochaine décisioncadre ne doit pas être inférieur à celui actuellement en vigueur en application de la décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil, du 19 juillet 2002, relative à la lutte contre la traite des êtres humains. »

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L’exposé de M. Guy GEOFFROY , rapporteur, a été suivi d’un débat.

« Le Président Pierre LEQUILLER . Je remercie le rapporteur pour ces deux présentations d’une grande clarté.

Pourquoi l’Allemagne et d’autres Etats comme la République tchèque soulèventils des difficultés sur ces textes ?

M. Guy GEOFFROY , rapporteur. Pour des raisons liées à leurs législations nationales. Ces pays sont d’accord sur le fond avec ces propositions, mais ils craignent d’une manière générale d’être, au travers de ces décisionscadres, trop contraints lorsqu’il s’agira de les transposer dans leur droit national. Sur la proposition relative à l’exploitation des enfants et à la pédopornographie, la suppression des possibilités d’opt  out explique certaines réticences. En revanche, s’agissant de la proposition relative à la traite des êtres humains, la présence d’une clause d’opt out dans le texte devrait permettre d’aboutir.

M. Jérôme LAMBERT . Je m’étonne que la convention de Varsovie du Conseil de l’Europe ait été signée ou ratifiée par si peu d’Etats, treize l’ayant signée et ratifiée et douze l’ayant seulement signée.

Il faut souligner que ces questions de traite des êtres humains sont notamment un problème interne à l’Europe, même si bien sûr d’autres pays sont touchés. Certains Etats de l’Union européenne sont très directement concernés. Il faut impérativement lutter contre l’existence au sein de l’Europe de telles organisations criminelles qui agissent sur une large échelle. Leur activité est peut-être moins visible en France depuis quelques années, du fait de l’évolution de la législation nationale, mais le phénomène se poursuit.

J’approuve les conclusions proposées par le rapporteur. Toutefois, s’agissant des enfants victimes, n’est-il pas plus exact de parler de « mineurs » ? N’y a-t-il pas une différence selon que la victime a 10 ans ou 17 ans ?

M. Guy GEOFFROY , rapporteur. En droit français on parle bien de « juge des enfants » même lorsqu’il s’agit de quasi-majeurs. Le terme « enfant » est retenu jusqu’à l’âge de dixhuit ans dans la proposition de décision-cadre.

M. Marc LAFFINEUR . Il faut souligner que la traite existe encore sur le territoire français !

M. Jérôme LAMBERT . En ce qui concerne l’échelle des peines de prison envisagée, la peine minimale d’un an d’emprisonnement « pour l’instigation » vise-t-elle le chef du réseau ?

M. Guy GEOFFROY , rapporteur. Non, le chef d’un tel réseau encourrait la peine de cinq à dix ans pour traite des êtres humains. Le problème est que dans les négociations, pour l’Allemagne, c’est l’idée même de fixer un seuil minimum qui n’est pas acceptable pour l’instigation et la tentative, même pour ce seuil d’un an.

M. Jérôme LAMBERT . Mais quelle est la différence entre l’instigation, la participation ou la tentative de traite, qui pourraient n’entraîner qu’une peine d’un an de prison, et la « traite des êtres humains », pour laquelle la peine serait au moins de cinq ans ? Quels cas recouvrent l’une et l’autre incrimination, quelle différence y a-t-il entre organiser la traite et y participer ?

M. Guy GEOFFROY , rapporteur. Je pense que, dans la plupart des cas, la deuxième catégorie d’infractions sera pertinente. Il peut toutefois y avoir des cas dans lesquels des criminels ne sont présents qu’au moment du lancement de l’opération, ou bien des cas dans lesquels des personnes se livrent à des tentatives avortées. Toutefois, je suis d’accord pour estimer que l’instigation en soi ne peut pas être considérée comme éphémère et devrait être sévèrement réprimée. Il convient donc d’amender en ce sens notre projet de conclusions, dans une rédaction qui permettrait toutefois de ménager la sensibilité particulière de l’Allemagne.

Sur proposition du rapporteur, la Commission a ensuite adopté les conclusions suivantes :

« La Commission

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de décision-cadre du Conseil concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène, ainsi que la protection des victimes, abrogeant la décision-cadre 2002/629/JAI (E 4399),

Rappelle la nécessité impérieuse de lutter contre ces crimes et de renforcer les instruments juridiques existant,

Rappelle que les négociations en cours doivent permettre, au minimum, d’atteindre les standards européens les plus élevés en la matière, principalement ceux de la convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains du 16 mai 2005, et qu’aucun recul par rapport à ces dispositions ne saurait être accepté ;

Estime que l’Union européenne se doit également d’aller au-delà des standards internationaux,

Souligne que le niveau des sanctions fixé dans la prochaine décisioncadre ne doit pas être inférieur à celui actuellement en vigueur en application de la décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil, du 19 juillet 2002, relative à la lutte contre la traite des êtres humains, et estime que le niveau des sanctions relatives à l’instigation, à la complicité et à la tentative doit être renforcé. »