Accueil > Travaux en séance > Les comptes rendus > Les comptes rendus de la session > Compte rendu intégral

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Consulter le sommaire
Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Deuxième session extraordinaire de 2007-2008

Compte rendu
intégral

Première séance du lundi 22 septembre 2008

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Bernard Accoyer

1. Ouverture de la session extraordinaire

2. Hommage aux soldats français morts en Afghanistan

3. Décès d’un député

4. Accueil de deux nouveaux députés

5. Démission d’un député

6. Nomination d’un député en mission temporaire

7. Débat et vote sur l’autorisation de la prolongation de l’intervention des forces armées en Afghanistan

M. François Fillon, Premier ministre

M. Jean-Marc Ayrault

M. Noël Mamère

M. François Sauvadet

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes

M. Hervé Morin, ministre de la défense

8. Revenus du travail

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État chargé de l’emploi

Présidence de M. Marc Le Fur

M. Gérard Cherpion, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales, et sociales

M. Patrick Ollier, président et rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, saisie pour avis

M. Louis Giscard d'Estaing, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du plan

M. Didier Migaud, président de la commission des finances, de l’économie générale et du plan, saisie pour avis

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales

Rappel au règlement

M. Jean-Pierre Brard

Exception d'irrecevabilité

M. Christian Eckert

M. Alain Vidalies, M. François Cornut-Gentille, M. Jean-Pierre Brard, M. Francis Hillmeyer

Rappel au règlement

M. Christian Eckert

9. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Bernard Accoyer

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Ouverture de la session extraordinaire

M. le président. En application des articles 29 et 30 de la Constitution, je déclare ouverte la deuxième session extraordinaire de 2007-2008, convoquée par décret du Président de la République des 1er et 27 août 2008.

2

Hommage aux soldats français
morts en Afghanistan

M. le président. Mes chers collègues, le 18 août dernier, nos forces armées en Afghanistan ont perdu dix soldats, tombés au combat au cours d’une mission de reconnaissance. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent.)

Cette perte tragique a soulevé l’émotion de nos compatriotes ; une émotion partagée sur tous les bancs de l’Assemblée nationale. Elle illustre le courage de ces hommes, elle souligne la difficulté et le danger qui s’attachent à leur mission.

Aux victimes et à leurs familles, à leurs camarades, j’adresse, au nom de tous les députés, les condoléances de la représentation nationale.

3

Décès d’un député

M. le président. L’Assemblée a également eu la tristesse de perdre l’un de ses membres en la personne de Jean Marsaudon, député de l’Essonne. Je prononcerai prochainement l’éloge funèbre de notre regretté collègue.

Je vous invite, mes chers collègues, à marquer maintenant notre émotion en observant une minute de silence. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement observent une minute de silence.)

4

Accueil de deux nouveaux députés

M. le président. J’ai reçu, le 15 septembre 2008, de la part de Mme la ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales, une communication m’informant que, le 14 septembre 2008, M. Jean-Pierre Gorges a été élu député de la première circonscription d’Eure-et-Loir. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

J’ai par ailleurs reçu, en application des articles 176-1 et 179 du code électoral une communication de Mme la ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales, en date du 18 septembre 2008, m’informant du remplacement de notre regretté collègue Jean Marsaudon, par Mme Françoise Briand.

5

Démission d’un député

M. le président. J’informe l’Assemblée que j’ai pris acte, au Journal officiel du mercredi 17 septembre 2008, de la démission de M. Renaud Dutreil, député de la première circonscription de la Marne. (« Ah ! » sur plusieurs bancs des groupes SCR et GDR.)

M. Jean Glavany. Il était temps !

6

Nomination d’un député
en mission temporaire

M. le président. Enfin, j’ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m’informant de sa décision de charger M. Jean-Paul Charié, député du Loiret, d’une mission temporaire auprès de Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi.

7

Débat et vote sur l’autorisation
de la prolongation de l’intervention
des forces armées en Afghanistan

M. le président. L’ordre du jour appelle, en application de l’article 35 alinéa 3 de la Constitution, le débat et le vote sur l’autorisation de la prolongation de l’intervention des forces armées en Afghanistan.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. François Fillon, Premier ministre. Monsieur le président, messieurs les ministres, mesdames et messieurs les députés, nous mesurons tous le poids de notre responsabilité dès lors que le sort de nos soldats est engagé. Il l’est en Afghanistan et nous l’avons éprouvé douloureusement. Il l’est aussi en Côte d’Ivoire, au Tchad, au Kosovo ou au Liban.

Douze mille cinq cents militaires français sont engagés sur des théâtres extérieurs. La France répond ainsi à ses devoirs de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies et aux exigences de ses intérêts et de ses alliances dans le monde. Elle obéit aussi aux nécessités de la nouvelle donne stratégique. Depuis la fin de la guerre froide, notre sécurité ne se joue plus exclusivement à nos frontières. L’interdépendance des enjeux et des menaces nous contraint à agir loin, parfois puissamment. Cette évolution stratégique n’est pas sans incidence sur le lien, si nécessaire, entre la nation, nos armées et leurs missions.

Se battre sur nos frontières est une chose ; se risquer pour d’autres, loin de l’hexagone, en est une autre. L’entreprise est d’autant plus sensible que notre société, qui vit en paix, n’est naturellement pas rompue aux épreuves de l’affrontement.

Faut-il s’engager pour Beyrouth ? Pour le Koweït ? Pour Sarajevo ? Pour Kaboul ?

La nouvelle donne stratégique nous conduira, de plus en plus souvent, à nous poser la question et la réponse ne sera plus seulement du ressort du Président de la République et du Gouvernement, puisque, dorénavant, conformément à l’article 35 de la Constitution, chacun d’entre-vous sera aussi conduit à se prononcer par un vote.

Voulue par le Président de la République et adoptée par la majorité de votre assemblée, cette nouvelle clause institutionnelle – qui signe la fin du domaine réservé – sera un progrès pour notre démocratie. Elle sera un atout pour notre politique étrangère et de défense qui, par votre intermédiaire, sera l’affaire de toute la nation. Elle contribuera au soutien de nos armées qui doivent pouvoir sentir le Parlement à leur côté.

Mesdames et messieurs les députés, pour l’Afghanistan, je crois à la nécessité du consensus national, et ce consensus – j’en suis conscient – ne se décrète pas.

M. Jean-Marc Ayrault. Il faut en créer les conditions !

M. François Fillon, Premier ministre. Il se bâtit dans l’écoute des convictions et des interrogations de chacun.

La situation afghane ne se prête ni aux postures ni aux caricatures. Il n’y a pas, d’un côté, les « militaristes » et, de l’autre, les « pacifistes » ; il n’y a pas, d’un côté, les « héros », et, de l’autre, les « lâches ». (Exclamations sur les bancs des groupes SCR et GDR.)

Sept ans après la mise en fuite des talibans et de leurs protégés terroristes, chacun est en droit de se poser des questions sur la stratégie militaire, sur les résultats de l’aide civile, sur les capacités du gouvernement afghan à s’imposer, sur la capacité au combat des rebelles, sur l’état de la société afghane.

Il faut regarder lucidement les choses en ne cédant ni à l’angélisme, ni au catastrophisme.

M. Jean Glavany. Très bien !

M. François Fillon, Premier ministre. Nous sommes, ensemble, suffisamment au fait de nos devoirs pour débattre de la situation avec gravité et avec responsabilité.

Depuis deux ans, la situation s’est tendue sur le terrain, notamment dans l’Est et le Sud de l’Afghanistan. C’est sur la base de ce constat que la France a insisté pour rénover la stratégie de la coalition et décidé, au printemps dernier, d’augmenter le nombre de ses hommes. L’Allemagne vient d’ailleurs à son tour d’annoncer qu’elle comptait porter ses effectifs à 4 500 soldats. Les talibans et les insurgés accentuent leur pression. Leur organisation et leurs méthodes se sont sophistiquées. Ils misent sur notre lassitude et aussi sur nos doutes.

Le 18 août, dans la vallée d’Uzbeen, dix de nos soldats sont morts au combat, vingt et un autres ont été blessés. Vous connaissez les circonstances de cette embuscade.

M. André Gerin. Pas du tout !

M. François Fillon, Premier ministre. Les événements se sont déroulés dans une région qui n’avait été le théâtre jusque-là que d’affrontements de faible intensité, conduits par des insurgés qui ne s’accrochaient pas au terrain.

Partis pour une simple mission de reconnaissance, nos hommes sont tombés dans une embuscade tendue par une centaine de rebelles lourdement armés et aguerris. Au cours de cet accrochage violent qui a duré plusieurs heures et occasionné des pertes importantes également chez nos agresseurs, nos troupes ont fait preuve, sous le feu, d’une cohésion et d’une vaillance exemplaires, allant jusqu’à des actes héroïques. (Applaudissements prolongés sur les bancs des groupes UMP et NC et sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

Je ne reviens pas sur les déclarations du ministère de la défense en réponse aux légitimes questions, mais aussi aux rumeurs infondées de ces dernières semaines. (Murmures sur les bancs du groupe GDR.) En réponse aux toutes dernières d’entre elles – relayées par un journal canadien qui se fonde sur un compte rendu à chaud qui ne recoupe pas les informations complètes que nous avons recueillies – je veux toutefois confirmer à nouveau un certain nombre de points.

D’abord, les forces engagées dans les combats du 18 août ont toujours été en mesure de riposter aux tirs de leurs adversaires ; plus de trois tonnes de munitions supplémentaires ont été acheminées durant les combats à cette fin. Ensuite, les moyens de communication, contrairement à ce qui a été dit, n’ont pas manqué ; une section d’infanterie est aujourd’hui équipée de vingt postes radio de différentes natures ; l’un d’entre eux, destiné aux liaisons avec l’arrière au sein de la section tombée dans l’embuscade, est resté muet quelques minutes seulement lorsque le soldat qui le portait a été mortellement touché. Enfin, un seul de nos soldats a été tué à l’arme blanche et aucun d’entre eux n’a été capturé.

Mesdames et messieurs les députés, la réalité est suffisamment cruelle pour que l’on n’y ajoute pas le mensonge et la désinformation. (Vifs Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. –Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Depuis 2001, nos alliés ont perdu près d’un millier d’hommes et vingt-quatre militaires français ont trouvé la mort en Afghanistan. Je sais votre assemblée solidaire de nos soldats, et je veux, avec vous, saluer leur professionnalisme et leur courage. Ceux qui sont tombés sous le feu ennemi étaient jeunes ; en découvrant leurs visages, chacun en a eu le cœur serré, mais ils étaient des soldats entraînés et motivés dont l’engagement était réfléchi et souvent passionné.

M. Philippe Folliot. Tout à fait !

M. François Fillon, Premier ministre. J’affirme avec force que leur mission était et demeure juste. Je récuse la thèse de ceux qui pensent que nos soldats sont « tombés pour rien ».

M. François Sauvadet. Très juste !

M. François Fillon, Premier ministre. Nos troupes ne sont pas en Afghanistan pour annexer qui que ce soit. Elles n’y sont pas pour des intérêts économiques. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP.) Elles sont sur place pour assurer notre sécurité collective en faisant en sorte que l’Afghanistan ne redevienne pas le sanctuaire du terrorisme international. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Elles sont là-bas, auprès du peuple afghan, pour reconstruire un pays ruiné et longtemps déchiré. Elles y sont dans le cadre d’un mandat de l’Organisation des Nations unies,…

M. Maxime Gremetz. Non !

M. François Fillon, Premier ministre. …aux cotés de trente-neuf nations, dont vingt-cinq sont membres de l’Union européenne. Elles y sont pour permettre au peuple afghan de vivre en paix, de façon souveraine et démocratique.

M. Maxime Gremetz. Non !

M. François Fillon, Premier ministre. Ce 18 août, notre peuple s’est associé à la douleur des familles, dont la dignité fait figure de leçon.

Le Président de la République et le Gouvernement ont tiré tous les enseignements de cette embuscade meurtrière. Nous avons décidé de renforcer nos moyens militaires dans les domaines de l’aéromobilité, du renseignement et de l’appui. Ces moyens seront sur place dans quelques semaines. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Concrètement, des hélicoptères Caracal, des Gazelle canon, des drones, des moyens d’écoute, des mortiers supplémentaires seront envoyés, avec les effectifs correspondants, soit une centaine d’hommes.

M. Jean-Paul Lecoq. L’engrenage !

M. François Fillon, Premier ministre. Mesdames et messieurs les députés, la situation exige un discours de vérité. Même si cette vérité est difficile, nous partons du principe que la France peut et doit l’assumer.

Depuis le jour où Jacques Chirac et Lionel Jospin décidèrent de notre engagement, la réalité afghane est devenue la nôtre. C’est une réalité contrastée, où les progrès incontestables de la société afghane depuis l’éviction des talibans se heurtent à des obstacles inhérents à toute nation divisée et clanique. Une réalité complexe dans laquelle l’émergence de l’état de droit est longue. Une réalité fuyante, où l’adversaire use de toutes les armes de la guérilla. Une réalité qui n’est pas seulement sombre, car il existe aussi, en Afghanistan, une envie de construire, de prospérer, de se moderniser et, pour cela, de se libérer de la peur.

Voilà la réalité et, au regard de celle-ci, il faut parler clairement : la sécurité et la paix ne pourront s’imposer en Afghanistan sans ténacité, sans confiance partagée, mais aussi sans prise de risque, et, je le crains, sans probables pertes.

Les Français doivent savoir que nous ne sommes nullement en guerre avec le peuple afghan,…

M. Maxime Gremetz. Si, c’est une guerre !

M. François Fillon, Premier ministre. …mais que nos troupes peuvent être engagées ou impliquées dans des opérations de guerre. Ils doivent savoir que le redressement de ce pays est une œuvre lente et difficile, mais qui porte ses fruits. Il a fallu, mesdames et messieurs les députés, plus de dix ans pour que, sur notre propre continent, en ex-Yougoslavie, les conditions de la paix s’imposent dans les cœurs et dans les faits. Penser que l’Afghanistan puisse aller plus vite sur le chemin de la concorde et de la prospérité est, à l’évidence, une illusion.

Je ne doute pas de la légitimité de l’action que nous menons en Afghanistan, et je sais qu’il en est de même pour une grande majorité d’entre vous.

Ne pas agir, ce serait laisser le champ libre aux Talibans et à Al Qaida.

M. Guy Geoffroy. Absolument.

M. François Fillon, Premier ministre. Ne pas agir, ce serait laisser le peuple afghan aux mains de ses bourreaux. Ce serait nous exposer à la résurgence du terrorisme international. Ce serait rompre tous nos engagements internationaux. Ce serait laisser à nos partenaires le soin de combattre pour nous. Ce serait renoncer aux valeurs universelles pour lesquelles une majorité d’Afghans se bat et espère. Ce serait, enfin, mettre un coup d’arrêt au développement d’une société qui n’est pas condamnée au malheur éternel.

En 2001, seuls 800 000 garçons étaient scolarisés en Afghanistan ; les écoliers sont aujourd’hui 6 millions, dont 40 % de filles. Quatre mille écoles ont été construites et le nombre de professeurs a été multiplié par sept. Le taux de mortalité infantile a baissé de plus de 25 %. Plus de 10 000 personnels de santé ont été formés et déployés depuis 2002. Le nombre de centres médicaux a été accru de 60 %. Ce pays, qui ne comptait que 50 kilomètres de routes praticables, en possède désormais plus de 4 000. La production d’électricité a triplé. Plus de 20 % de la population ont désormais accès à l’eau potable, contre 4 % en 1990. Lors de l’élection présidentielle de 2004, 70 % des électeurs afghans ont voté. Le Parlement afghan compte près de 30 % de femmes.

Le Gouvernement croit à l’action qui a été engagée. Cependant il est aussi parfaitement conscient des difficultés rencontrées.

Pourquoi ces difficultés ?

D’abord, parce que, après avoir chassé la dictature des talibans, l’effort des alliés s’est concentré sur Kaboul et ses environs. Les zones plus lointaines n’ont pas fait l’objet de la même attention. Seules les opérations coup de poing de l’opération Liberté immuable contre les talibans et les réseaux terroristes s’y déployaient.

Ce n’est qu’à partir de 2006 que la FIAS s’est engagée à sécuriser l’ensemble du territoire. Aujourd’hui, c’est vers ces zones que nos efforts sont tendus et, par là même, les occasions d’affrontement s’y multiplient.

Ensuite, parce que la présence de jihadistes internationalistes s’est accrue. Parce que l’approche strictement militaire, avec ses drames collatéraux, a trouvé ses limites, chaque erreur pouvant faire basculer la population afghane dans la désolation, quand ce n’est pas dans la défiance ou l’hostilité.

Enfin, parce que l’aide à la reconstruction n’a pas été assez rapide et coordonnée.

Parce que la corruption et le trafic de drogue continuent de gangrener de larges pans de la société afghane.

M. Maxime Gremetz. Jusqu’au sommet de l’État !

M. François Fillon, Premier ministre. Tout cela, la France le pressentait, et elle ne s’y résout pas. Voilà pourquoi, sous l’impulsion du Président de la République, notre pays est à l’origine de la rénovation de la stratégie internationale entérinée lors du sommet de l’OTAN de Bucarest d’avril 2008. Cette stratégie rompt avec la vision quantitative et d’abord militaire qui prévalait jusqu’alors.

Voilà aussi la raison pour laquelle notre pays s’est impliqué à fond dans la conférence de Paris pour la reconstruction de l’Afghanistan, qui s’est tenue le 12 juin dernier.

Pour construire la paix, il faut en toute circonstance rappeler l’objectif central : donner au peuple afghan le pouvoir d’assurer par lui-même et pour lui-même sa sécurité, sa prospérité et sa souveraineté.

Pour atteindre cet objectif, il faut d’abord et avant tout gagner la confiance des Afghans. Des expériences locales nous encouragent dans cette voie et prouvent que l’échec n’est pas une fatalité.

Le redressement de la situation dans la plaine de Shamali, que nos soldats parcourent depuis 2003, en est une démonstration. Cette plaine, qui compte 400 000 habitants, connaît une véritable renaissance : les champs y sont en culture ; les écoles fonctionnent ; les lignes électriques ont été rétablies ; les échanges commerciaux reprennent.

Tout cela, c’est le fruit d’une démarche déterminée, où l’équilibre est constamment recherché entre les actions offensives et les actions de reconstruction, entre le retour de la sécurité et l’amélioration des conditions de vie.

La paix se gagne par la confiance. Elle se gagne par la responsabilisation des autorités élues, par le dialogue avec les communautés locales, là où les engagements concrets et réciproques peuvent être tenus. Elle se gagne par le respect des Afghans, par le respect de leur dignité, de leurs traditions, qui ont été bafouées par les talibans, et certainement pas en imposant nos schémas et nos modèles.

Cette confiance exige une approche globale, celle, précisément, que le Président de la République a fait acter lors du sommet de Bucarest et lors de la conférence de Paris.

Mesdames et messieurs les députés, notre stratégie, c’est celle de l’afghanisation. Plus vite les Afghans seront en mesure de stabiliser leur pays et de prendre leur destin en main, plus vite nous nous retirerons.

M. Philippe Folliot. Très bien !

M. François Fillon, Premier ministre. L’armée afghane compte environ 60 000 hommes. Plus de 300 de nos soldats participent à sa formation. Notre objectif est de former et d’équiper une armée de 80 000 hommes d’ici à 2010, et, à terme, une armée de 130 000 hommes.

L’armée nationale afghane est dès à présent impliquée dans 80 % des opérations de la FIAS conduites en zone centre, et elle assure la planification et la conduite de la moitié d’entre elles. Le transfert de la responsabilité de Kaboul aux autorités militaires afghanes est en cours depuis le 28 août dernier, et celui de la région centre est prévu pour le mois d’avril 2009.

Notre stratégie y est celle de la reconstruction rapide de l’Afghanistan. La conférence de Paris, dont le succès doit beaucoup à Bernard Kouchner, est la marque d’une urgence : l’urgence d’intensifier l’aide civile, l’urgence que la population afghane en perçoive tous les bénéfices, l’urgence d’améliorer nos procédures.

Nous avons identifié les domaines dans lesquels les résultats ont été insuffisants : la réforme de la police ; la lutte contre la corruption ; l’agriculture, dont dépendent 80 % de la population et qui a été jusqu’à présent trop négligée, alors que la crise alimentaire menace.

À Paris, 20 milliards de dollars ont été recueillis et une feuille de route pour les trois ans à venir a été ainsi fixée.

Néanmoins tout cet argent n’a de sens que s’il n’est pas dispersé. Il n’a d’efficacité que s’il s’inscrit dans le cadre d’une politique afghane rationalisée, hiérarchisée et évaluée. Il n’a de véritable utilité que s’il s’articule avec les opérations de sécurisation.

La coordination civile et militaire était insuffisante. Nous avons demandé et obtenu qu’elle soit placée sous l’égide de l’ONU, et sous l’autorité d’un nouveau représentant, le norvégien Kai Eide. Sous son impulsion, l’instance de coordination de l’aide internationale a été remaniée afin d’assurer une direction politique à la reconstruction.

Quant au Gouvernement du Président Karzaï, il a présenté une stratégie nationale de développement. Elle signe la volonté des Afghans de tracer leur avenir, mais elle est aussi la contrepartie de l’engagement de la communauté internationale.

Les autorités afghanes doivent intensifier leurs efforts en faveur des réformes, du respect des droits de l’homme, de la lutte contre la corruption et la drogue.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. François Fillon, Premier ministre. Mesdames et messieurs les députés, la conférence de Paris ne s’est tenue qu’il y a deux mois. Le délai est encore trop court pour en apprécier les résultats, mais, d’ores et déjà, nous pouvons dire que les autorités afghanes ont pris des mesures conformes à ses conclusions : elles ont fait des efforts en direction des provinces, elles cherchent à mieux associer les chefs locaux aux actions de développement, elles ont accéléré l’entrée en vigueur de la loi anti-corruption.

Le 17 septembre dernier, votre mission d’information a auditionné Antonio Maria Costa, le directeur de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime. Il vous a indiqué qu’en 2008, pour la première fois, la superficie cultivée comme la production ont baissé.

Le nombre de provinces considérées comme libres de culture a fortement augmenté, la production se concentrant désormais dans les provinces du Sud, particulièrement le Helmand, là où l’insécurité est encore forte.

Nous devons amener les autorités locales comme le gouvernement central à faire plus, y compris en exigeant – ce que nous faisons – le limogeage des personnalités impliquées dans le narcotrafic.

La France prend toute sa part de cet effort. Nous avons lancé une action importante contre le trafic des précurseurs chimiques, utilisés pour la transformation de l’opium en héroïne et c’est à notre initiative que le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté, en juillet 2008, la résolution 1817, qui demande à tous les États concernés, à commencer par l’Afghanistan et ses voisins, de renforcer le contrôle des précurseurs.

Ce combat contre la drogue est évidemment très difficile et il est vrai qu’il est souvent mal vécu par les populations locales. Il suppose le développement de cultures alternatives, qui doivent pouvoir être rentables pour les paysans.

Notre stratégie, c’est aussi celle de la démocratie et de la réconciliation de l’Afghanistan.

La démocratie, ce n’est pas seulement le privilège des seules nations développées. Elle est aussi une arme contre ceux qui misent sur la servitude et le mutisme du peuple afghan. Huit millions d’électeurs ont voté lors de l’élection présidentielle de 2004, et cinq millions aux législatives de 2005.

L’élection présidentielle et l’élection des conseils provinciaux se tiendront à l’automne 2009. Quant aux élections législatives et à celles des conseils de district, elles auront lieu à l’été 2010. Pour les institutions afghanes, ce sera un rendez-vous décisif ! Et c’est justement ce rendez-vous que nous devons accompagner et protéger pour qu’il aille jusqu’à son terme.

Pour garantir le succès de la démocratisation de l’Afghanistan, il faut aller vers une réconciliation nationale. Les autorités afghanes doivent créer les conditions d’un dialogue politique avec tous ceux qui sont susceptibles de respecter les institutions et de déposer les armes.

Pour notre part, nous devons réfléchir à la nature même de l’insurrection à laquelle nous sommes confrontés.

L’adversaire ne constitue pas un bloc unifié. Il nous faut explorer la manière de séparer les jihadistes internationalistes de ceux qui inscrivent davantage leur action dans des logiques nationales ou tribales. Des efforts en ce sens sont menés par des pays sunnites comme l’Arabie Saoudite.

Nous devons nous appuyer sur les structures traditionnelles et réintégrer ceux des insurgés, notamment pachtounes, qui n’ont pris les armes que parce qu’ils se sont sentis exclus de l’effort de reconstruction.

Sécurisation, afghanisation, reconstruction, démocratisation et réconciliation : c’est cette approche globale qui est au cœur de la stratégie rénovée et de la conférence de Paris. C’est celle que nous pratiquons dans la région centre, que nous commandons. C’est celle que nous défendons dans toutes les instances politiques et militaires : à l’ONU, au Conseil de l’Atlantique Nord et au sein de l’état-major de la FIAS.

Mesdames, messieurs, cette approche globale réclame une grande maîtrise dans les opérations militaires. Les armées de la coalition doivent impérativement veiller à faire un usage proportionné de la force. Nos soldats ne peuvent parvenir à nouer une relation de confiance avec une population qui continuerait à être meurtrie par des actions offensives insuffisamment ciblées. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP.) Nos soldats sont particulièrement sensibilisés à cet impératif.

Concernant l'engagement de ses propres forces, la France exerce un contrôle national permanent, extrêmement strict, sur l'action de son contingent. Nos pilotes ont pour instruction de ne tirer que sur des cibles identifiées à 100 %. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Cette vigilance que nous nous imposons, il importe que nos alliés, tous nos alliés, en fassent preuve également. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. Pascal Terrasse. Ce n’est pas le cas !

M. François Fillon, Premier ministre. Cette maîtrise des opérations exige aussi une complémentarité entre les forces de la FIAS et celles de l'opération Liberté immuable. La première, vous le savez, est une force internationale de sécurisation disposant d'un mandat annuel du Conseil de sécurité de l’ONU. La seconde intervient dans le cadre de l'article 51 de la Charte de l’ONU. C'est une force essentiellement américaine, dont la mission est consacrée au combat contre les réseaux terroristes. Ces deux forces distinctes sont légitimes car elles ne font pas le même travail mais nous devons nous assurer que l'action des uns ne contredit pas celle des autres.

Le commandement actuel de la FIAS, assuré par le général David McKiernam, vient de se voir également confier le commandement des troupes américaines de l'opération Liberté immuable. Il faut que cette double casquette soit mise à profit pour renforcer la complémentarité des objectifs et des missions des deux forces.

Cette maîtrise des opérations suppose enfin une vision géopolitique. Nous ne pourrons pas stabiliser la situation si nous ne sommes pas capables d’agir en lien avec les pays voisins, en particulier avec le Pakistan. Le Pakistan frappé samedi de plein fouet par le terrorisme. Le Pakistan tiraillé par ses exigences internationales et ses tensions internes.

Il est évident que les talibans profitent de la porosité de la frontière entre les deux pays. Il est hors de question de les laisser se réorganiser au Pakistan sans réagir. Il faut agir, mais il faut le faire avec les Pakistanais, avec leur autorisation. Nous incitons Islamabad à faire davantage pour contrôler les zones tribales frontalières. Nous allons amplifier notre relation politique et sécuritaire avec ce pays. Nous entendons le convaincre de ne pas relâcher ses efforts. C’est dans cet esprit que Bernard Kouchner s’est rendu à plusieurs reprises au Pakistan et c’est dans cet esprit que Nicolas Sarkozy s'entretiendra demain avec le président Zardari.

Mesdames et messieurs les députés, dans quelques instants vous allez être amenés à vous prononcer sur la poursuite ou non de notre engagement militaire en Afghanistan. Certains doutent de son bien-fondé. Pour ceux-là, le sort de cette terre étrangère ne mérite pas nos efforts et moins encore de la souffrance.

Ceux qui suggèrent que nous nous retirions d'Afghanistan sont souvent les mêmes, qui, il y a dix ans, s'indignaient de la passivité de la communauté internationale face à la barbarie des talibans (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC), face à la destruction folle des statues de Bamiyan, face au sort effrayant réservé aux femmes. Il faut être cohérent : si l'on croit à des valeurs universelles, alors il faut prendre le risque de lutter pour elles. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Sur le terrain, nos soldats en font bien plus pour ces valeurs que tous les donneurs de leçons ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. – Exclamations sur les bancs du groupe GDR.) Pour d'autres en revanche, et j'appartiens à ceux-là, la cause afghane est une priorité, une exigence morale et une opportunité.

C’est une priorité parce que la France ne peut pas tourner égoïstement le dos à un conflit dont les enjeux nous concernent tous. Nul ne doit s'y tromper : nous ne sommes pas à l'abri du terrorisme qui a frappé à New York, à Djerba, Bali, Casablanca, Madrid, Londres, Amman, Alger et Islamabad. C’est une exigence morale parce que nous ne pouvons nous replier sur nous-mêmes au moment où se décide, dans ces contrées lointaines, le sort d'une nation qui nous fait confiance, là où se joue l'avenir d'une certaine conception de l'homme en laquelle nous croyons.

C’est enfin une opportunité parce qu'une victoire de la paix et de la démocratie en Afghanistan constituerait un coup porté à l'intégrisme qui est un dévoiement de la religion musulmane et une détestable mise en scène du conflit de civilisation. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.) Cette victoire de la paix et de la démocratie, je la crois possible. Le Gouvernement ne méconnaît ni les difficultés, ni les obstacles, ni les tragédies possibles qui parsèment le chemin de la concorde.

J'ai pris connaissance de la lettre du 13 septembre que le parti socialiste a adressée au Président de la République. Je me réjouis de voir que l'engagement de la France en Afghanistan n'est pas remis en cause par l'opposition. Je souhaite cependant vous répondre sur certains points.

Vous parlez « d'enlisement ». C'est un risque qui doit être constamment pesé mais les faits vous répondent : les talibans ont été chassés du pouvoir et l'obscurantisme avec eux ; l'Afghanistan n'est plus une plate-forme du terrorisme ; la démocratie a été instaurée ; les enfants vont à l'école, les femmes ne sont plus humiliées et les hôpitaux sont ouverts. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Vous suggérez la création d'un directoire de la coalition. C'est une suggestion qui fait l'impasse sur les structures internationales compétentes et qui laisse entendre que, parmi les quarante nations engagées, il conviendrait de faire un tri.

M. Henri Emmanuelli. Vous nous avez très bien compris !

M. François Fillon, Premier ministre. Vous en appelez à un dialogue politique entre les Afghans et à une clarification avec le Pakistan. Je vous ai répondu que la France militait pour une réconciliation politique et une discussion nourrie avec Islamabad. Je ne vois là rien qui nous distingue.

Enfin, vous réclamez un calendrier sur notre présence en Afghanistan.

Plusieurs députés du groupe SRC. Oui ! C’est essentiel !

M. Christian Vanneste. Ridicule !

M. François Fillon, Premier ministre. Je ne puis ici vous suivre dans votre requête. Vous savez que ce calendrier ferait le jeu de nos adversaires.

M. Jean-François Copé. Évidemment !

M. François Fillon, Premier ministre. En effet dès lors que vous fixez les dates de votre départ, vous leur ouvrez des perspectives. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Ce calendrier dépend des avancées de la stratégie globale que je viens de vous préciser. II est dicté par la réussite de deux objectifs majeurs : permettre aux afghans d'assurer leur propre sécurité et garantir la stabilité des institutions afghanes.

Le Gouvernement entend tenir le Parlement pleinement informé de l’évolution de la situation et des résultats de notre engagement. Vous avez créé une mission d'information sur l'Afghanistan. Je veillerai à ce qu'elle dispose de toutes les informations et le Gouvernement tiendra compte de ses recommandations. J’ai également demandé au ministre des affaires étrangères et au ministre de la défense de rendre compte, de façon régulière, de la situation à vos commissions.

Mesdames et messieurs les députés, aujourd'hui, votre vote constituera une première dans nos institutions.

M. Henri Emmanuelli. Non ! C’est faux, il y a eu l’Irak !

M. François Fillon, Premier ministre. Nul ne doit en relativiser la portée.

Un vote positif serait un encouragement à poursuivre nos efforts. Un vote négatif aurait, pour sa part, une conséquence directe : ce serait l'obligation donnée au Gouvernement de retirer nos forces, ce qui signifierait que tout ce que nous avons fait, tout ce pour quoi nous nous sommes battus était et serait vain.

M. Henri Emmanuelli. Caricature !

M. François Fillon, Premier ministre. C'est une haute responsabilité qui vous incombe.

Une responsabilité vis-à-vis de notre politique étrangère et de défense qui ne se prête pas aux jeux politiciens.

Une responsabilité vis-à-vis de nos alliés, de l'Europe et de l'ONU.

Une responsabilité vis-à-vis du peuple afghan, qui a, vous le savez, une affection particulière pour notre pays et sa culture.

M. Pierre Gosnat. De moins en moins !

M. François Fillon, Premier ministre. Une responsabilité aussi vis-à-vis des talibans, qui nous observent et qui savent jouer de nos hésitations.

Une responsabilité enfin vis-à-vis de nos soldats, qui prendront connaissance de votre choix.

M. Pierre Gosnat. Et leurs parents ?

M. François Fillon, Premier ministre. Cette responsabilité, c'est celle de la représentation nationale. Je la crois digne de ses devoirs et soucieuse de l'intérêt général. Je l'appelle ainsi à voter en faveur de la prolongation de notre action en Afghanistan.

Je le fais pour notre sécurité, pour nos valeurs. Je le fais en songeant à celles et ceux, qui, là bas, agissent pour la paix.

Je le fais pour la France, qui est une nation courageuse et généreuse. ( Mmes et MM. les députés des groupes UMP et NC se lèvent et applaudissement longuement. )

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, premier orateur inscrit.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, je souhaite, avec tous les députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche nous associer à l'hommage rendu à nos soldats tués dans la vallée d'Uzbin, à tous leurs camarades tombés avant eux, à leurs familles frappées par le deuil. Puissions-nous, dans nos échanges comme dans nos désaccords, être dignes de leur bravoure et de leur esprit de sacrifice. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, UMP et NC et sur divers bancs du groupe GDR.)

À travers eux, c'est le dévouement et le professionnalisme de l'ensemble de nos forces armées que je veux saluer. En Afghanistan mais aussi en Bosnie, en Côte d'Ivoire, sur tous les théâtres d'intervention militaire où elles sont appelées, elles s'acquittent remarquablement de leur mission de maintien de la paix dans des circonstances toujours difficiles et avec des moyens trop souvent précaires. Ces hommes et ces femmes méritent le respect de toute la nation. Ils défendent notre sécurité. Nous leur devons protection. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

C'est pour mieux les protéger que doivent être tirées toutes les leçons de ce tragique fait de guerre. À l'évidence, nos troupes manquent d'un matériel adapté notamment en matière de renseignement et d'héliportage ; l'actualité de ce week-end ne fait que confirmer, hélas ! cette situation. C'est la responsabilité des autorités politiques et militaires de la défense nationale d'y remédier.

Toutefois, pour nous, parlementaires, notre responsabilité est de savoir si les objectifs de la mission de nos troupes en Afghanistan, la sécurisation du territoire, l'éradication du terrorisme, la construction d'un État partie prenante de la communauté des nations, sont en voie de réussite. Nous devons décider, en toute responsabilité, s'il faut poursuivre l'effort de la France, le réorienter ou bien l'arrêter. C’est en cela que, pour nous, le débat d’aujourd’hui n’est pas formel et qu’il prend tout son sens.

Avant toute chose, je m'étonne que, pour prendre une décision aussi importante qui engage la vie de nos soldats, le Parlement ne dispose pas d'une évaluation précise de ce que nous avons fait en Afghanistan.

Depuis un an, les demandes du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche sans cesse renouvelées d'une mission d'information sont restées lettre morte. Ce n'est ni sérieux ni admissible au regard des enjeux humains et stratégiques, au moment où nous allons nous prononcer par un vote.

Sur le principe, sur le fond des choses, je veux dire d'emblée de la manière la plus claire que la France ne peut pas, au regard des valeurs qu'elle défend, se désengager soudainement de l'Afghanistan (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.) parce qu'elle assume un mandat des Nations unies, parce qu'elle refuse que se reconstruise à Kaboul le quartier général d'une organisation terroriste qui menace la sécurité de tous. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Néanmoins je veux le dire avec la même clarté : nous n'acceptons plus la dérive qui est à l'œuvre en Afghanistan.

En 2001, Jacques Chirac et Lionel Jospin avaient fixé un cadre précis à notre intervention : …

M. Guy Teissier. Les temps ont changé !

M. Jean-Marc Ayrault. … une solidarité envers le peuple américain, un acte de légitime défense, sous l'égide de l'ONU, pour briser le sanctuaire du terrorisme.

Depuis l’intervention américaine en Irak en 2004, nous sommes en train de glisser vers une guerre d'occupation qui n'a plus de limites de temps et d'objectifs. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Henri Emmanuelli. C’est vrai et vous le savez bien !

M. Jean-Marc Ayrault. Ce n'est ni la vocation de cette intervention, ni la conception de la France, ni l'intérêt de l’Afghanistan.

M. Bernard Deflesselles. Défaitiste !

M. Jean-Marc Ayrault. Jusqu'où allons-nous aller dans la logique de guerre ? Avec quels objectifs ? Avec quel calendrier ? Ces questions que nous avons posées au Président de la République…

M. Jean-François Copé. Il a répondu !

M. Jean-Marc Ayrault. …font partout débat en Europe et en Amérique ; elles sont même au cœur de la campagne des élections au Canada. (Murmures sur les bancs du groupe UMP.)

J’ai bien dit au Canada !

M. Jean Glavany. Eh oui : il faut écouter !

M. Jean-Marc Ayrault. Si le débat a lieu ailleurs, je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas débattre en France. Et j’ose espérer que ce débat ne consistera pas à commenter ce qui a été dit avant moi. En tout état de cause, ayons au moins la courtoisie de nous écouter les uns les autres. Pour ma part, je suis attentif aux propos que vous avez tenus comme à ceux que vous tiendrez.

M. Guy Teissier. Le parti socialiste est dans le bourbier !

M. Jean-Marc Ayrault. Depuis la chute du régime taliban, voilà sept ans, la situation de la coalition s'est gravement compliquée et détériorée.

Au plan militaire, les combattants talibans qui avaient été rejetés dans les zones tribales frontalières de l'Afghanistan et du Pakistan ont regagné près d'un tiers du territoire jusqu'à s'approcher des portes de Kaboul. Les troupes de la coalition sont harcelées dans une guérilla de plus en plus meurtrière. Plus de deux cents soldats ont été tués depuis le début de l'année. Des centaines d'autres ont été blessées.

Le plus grave est le retournement progressif de la population afghane. Accueillies comme des libérateurs, il y a sept ans, les forces alliées sont de plus en plus souvent perçues comme des occupants indésirables.

La stratégie américaine a grandement nourri ce ressentiment. En intervenant en Irak, en y détournant l'essentiel de ses forces militaires, en développant un message de croisade, elle a redonné souffle aux djihadistes et affaibli la légitimité de l'intervention en Afghanistan. Sur le terrain, la priorité donnée à l'éradication militaire des talibans a produit un effet contraire au but recherché. La « bunkerisation » des troupes pour défendre Kaboul et les grandes villes, les bombardements qui touchent les populations civiles, le manque d'aide et d'appui à leur endroit, notamment dans les campagnes et les montagnes, les ont trop souvent coupées de nous et jetées dans les bras des talibans.

C'est la principale raison pour laquelle nous nous sommes opposés, le 8 avril dernier, à la décision discrétionnaire du Président de la République d'envoyer des renforts en Afghanistan et de les faire monter en première ligne.

M. Philippe Cochet. Capitulards !

M. François-Michel Gonnot. Défaitistes !

M. Jean-Marc Ayrault. Il l'a fait non seulement en rupture avec son prédécesseur Jacques Chirac, mais aussi en contradiction avec ses propres engagements durant la campagne présidentielle. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Hélas, en prenant cette décision, la France a acquiescé sans dire mot aux demandes de l'administration Bush. Elle n'a formulé – or c’était l’occasion – aucune exigence sur les options politiques et militaires.

M. Hervé Morin, ministre de la défense. Ce n’est pas vrai !

M. Jean-Marc Ayrault. Elle a renoncé à infléchir une stratégie qui échoue.

J'entends le Président de la République – et M. le Premier ministre vient de le confirmer par des chiffres – parler d'un effort supplémentaire, de l'envoi de nouveaux renforts matériels et humains. C'est oublier les avertissements de l'ancien chef d'état-major de la coalition, le général McNeill, des militaires russes bien placés pour connaître les pièges de l'Afghanistan ou encore de nos amis britanniques. Si l'on veut gagner la guerre en Afghanistan – et nous devons dire cette vérité à nos concitoyens – ce ne sont pas quelques centaines d'hommes de plus qu'il nous faut sur le terrain mais une armée dix fois plus importante : on parle de 200 000 hommes rompus aux techniques de contre guérilla, immergés dans la population civile, préparés à un combat long et meurtrier. (Murmures sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-François Copé. C’est vous qui dites cela ?

M. Jean-Marc Ayrault. La représentation nationale doit se poser la question : la France est-elle prête, est-elle capable de participer à un tel engagement ? Sommes-nous sûrs de sa réussite quand on se rappelle les guerres d'Algérie, du Vietnam, de l'Irak ?

M. Bernard Deflesselles. Cela ne sert à rien alors ?

M. Jean-Marc Ayrault. C’est le Président de la République lui-même qui a donné la réponse avant son élection : « Si vous regardez l'histoire du monde, aucune armée étrangère n'a réussi dans un pays qui n'était pas le sien. ». Eh bien, nous souscrivons complètement à ce constat.

M. Jean-François Copé. Que proposez-vous alors ?

M. Jean-Marc Ayrault. La solution durable en Afghanistan ne sera pas militaire : elle sera politique ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SCR et GDR.)

Dans cet Orient compliqué, trop de simplismes…

M. Bernard Deflesselles. C’est vous qui êtes simpliste !

M. Jean-Marc Ayrault. … et d'anachronismes nous ont égarés : simplisme de l'administration américaine qui a divisé le monde entre le bien et le mal,…

M. Patrick Ollier. Ce fut maladroit.

M. Jean-Marc Ayrault. … entre la démocratie et le terrorisme ; simplisme du Président de la République qui s'est aligné sur cette vision en oubliant ce qui constitue notre autonomie de décision stratégique et militaire ; simplisme d'assimiler ce que nous faisons en Afghanistan au combat contre la barbarie nazie.

Non, il n’y a pas dans ce débat les libérateurs et les « munichois », les durs et les angéliques !

M. Jean-François Copé. Si, malheureusement !

M. Guy Teissier. Les angéliques, c’est vous !

M. Jean-Marc Ayrault. Cette vision manichéenne est non seulement inepte, mais elle est aussi inadaptée à un pays comme l'Afghanistan aux frontières incertaines, morcelé par ses traditions tribales, gangrené par la misère et le trafic de l'opium, sans tradition étatique ou démocratique. Alors non ! Ce n'est pas en diabolisant l'ennemi que nous allons le mettre en déroute, mais – et telle est notre position – en changeant de stratégie. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Laquelle ?

M. Jean-Marc Ayrault. C’est ce que nous avons demandé au Président de la République et que nous vous demandons à nouveau cet après-midi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.- Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Patrick Ollier. Que proposez-vous ? Que voulez-vous faire ?

M. le président. Je vous en prie, chers collègues.

M. Pierre Lellouche. Que proposez-vous ?

M. Jean-Marc Ayrault. J’y viens.

M. le président. Poursuivez, monsieur Ayrault. Le débat est suffisamment sérieux pour que nous nous écoutions les uns les autres !

M. François-Michel Gonnot. Ils n’ont rien à dire !

M. Henri Emmanuelli. Ça suffit ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Marc Ayrault. Si les Américains veulent un engagement renforcé de leurs partenaires de la coalition, alors ils doivent en accepter, comme nous vous le demandons, la contrepartie. Or nous n’avons eu à ce sujet aucune réponse de la part du Président de la République ni du Premier ministre : la mise en place d'un directoire politique et militaire au sein duquel les Américains acceptent de partager les responsabilités avec leurs alliés.

M. Claude Goasguen. Vous avez eu des réponses !

M. Jean-Marc Ayrault. Comment, en effet, accepter que l'Europe ait engagé sur le terrain le plus fort contingent sans qu'elle n'ait jamais son mot à dire ?

M. Pierre Lellouche. Parce qu’il ne se bat pas !

M. Jean-Marc Ayrault. Ce directoire est pour elle l'occasion d'exister et de peser. Il regrouperait les missions d'Enduring freedom et de l'ISAF et aurait pour tâche de définir de nouvelles options, de fixer un calendrier sur leur mise en œuvre et de prévoir l'échéancier d'un retrait progressif. L'ONU assurerait l'évaluation et le suivi de ce nouveau dispositif.

M. Philippe Cochet. Pitoyable !

M. Henri Emmanuelli. C’est vous qui êtes pitoyable !

M. Jean-Marc Ayrault. Là est notre plus grande divergence avec le Président de la République et la réponse qu'il nous a adressée. En écartant toute idée de calendrier, en refusant de reconsidérer la mission, en affirmant que « nous resterons aussi longtemps que nécessaire en Afghanistan », il donne comme seul horizon aux Français la poursuite d'une stratégie qui échoue. Eh bien, ce n'est plus possible. Nous ne pouvons pas dire oui à une fin de non recevoir. Nous ne pouvons plus accepter d'avancer, les yeux bandés, dans un conflit sans fin.

Dans le même esprit, il faut rompre avec le concept dangereux de la guerre des civilisations qui fait tant de mal en Afghanistan, en Irak et dans toute l'opinion arabe. La lutte contre le terrorisme et le fanatisme islamiste n'est pas une croisade occidentale comme le soutiennent les néoconservateurs. Ce n'est pas la démocratie face au reste du monde. Elle concerne le monde entier dont, au premier chef, les pays arabes, beaucoup plus touchés que nous par les attentats. Elle concerne aussi la Chine, la Russie et même l'Iran. Dès lors, associons-les à la recherche d'une solution en Afghanistan. Cherchons avec eux un partenariat durable face au terrorisme.

La troisième priorité est de reconquérir la confiance de la population afghane et de la couper des insurgés.

La limitation des bombardements aveugles et de ce que l'on appelle pudiquement les dommages collatéraux ne suffit plus. La reprise militaire de chaque pouce de territoire doit être accompagnée d'un véritable appui humanitaire et logistique ainsi que de la mise en place d'une ébauche d'administration ; vous l’avez d’ailleurs évoqué, monsieur le Premier ministre.

M. Guy Teissier. C’est ce que nous faisons !

M. Jean-Marc Ayrault. C'est la condition de ce que l'on appelle « l'Afghanisation » : construire un état afghan, une armée afghane, une communauté afghane à qui l'on donne les moyens de son développement et de sa stabilisation.

De l'aveu même du conseil de sécurité de l'ONU, nous en sommes très loin. L'armée afghane est faible et n'est pas représentative de la diversité du pays. La corruption et le trafic d'opium ont explosé. L'aide à la reconstruction, décidée à la conférence de Paris, est dispersée et arrive mal à la population. À cet égard, je regrette que la France ne donne pas l’exemple tant sa dotation financière est faible, inférieure même à celle des Pays-Bas.

On ne peut pas continuer ainsi. Il faut tout remettre en ordre, établir une planification, assurer un suivi drastique, que les militaires et les fonctionnaires afghans soient payés, que les structures éducatives et sanitaires se développent. On peut même réfléchir à favoriser les paysans afghans plutôt que les trafiquants en trouvant un débouché légal à la culture de l'opium, pour la fabrication de médicaments par exemple.

Tout doit être fait pour isoler les talibans et Al-Qaïda. Tout doit être conçu pour les séparer. Les insurgés qui combattent la coalition ne sont pas tous des fanatiques. C'est aussi une coalition hétéroclite de fondamentalistes, de nationalistes, de chefs de tribu. Comme l'ont proposé les Britanniques, il ne faut plus hésiter à ouvrir un dialogue politique avec une partie d'entre eux. Le régime du président Karzaï a besoin d'une base politique et ethnique beaucoup plus large qui permette de détacher le gros des troupes pachtounes d'Al-Qaïda. Là doit résider notre objectif central : assécher la base du terrorisme et éviter qu'il contamine d'autres pays.

En effet – et c'est le dernier terme de mon propos – il n'y aura pas de stabilisation de l'Afghanistan sans une clarification avec le Pakistan. On ne peut plus accepter que l'allié principal des États-Unis dans cette région continue d'équiper et d'armer ceux qui combattent les troupes alliées en Afghanistan. Je sais les efforts qu'ont consentis les autorités pakistanaises pour y remédier ; je connais les difficultés intérieures auxquelles elles ont à faire face – l’attentat d’hier nous le rappelle cruellement. Il faut les aider, non en s'arrogeant unilatéralement un droit de suite sur leur territoire, mais en leur proposant la mise en place d'un système de sécurité régionale qui intègre tous ses voisins et qui s'atèle à un règlement global des conflits de la région. Je pense à l'Afghanistan bien sûr, mais aussi au Cachemire. Une conférence régionale sous l'égide de l'ONU pourrait amorcer le processus.

Vous m’avez demandé, monsieur le Premier ministre, quelles étaient nos propositions. Voilà notre approche : un plan en six points pour construire les bases d'un règlement durable en Afghanistan.

Un directoire politique et militaire avec une redéfinition de la stratégie.

M. Hervé Morin, ministre de la défense. Cela existe déjà !

M. Jean-Marc Ayrault. L'élaboration d'un calendrier sur la mise en œuvre des objectifs et un échéancier sur le retrait progressif des troupes.

M. Jean-François Copé. Ridicule !

M. Jean-Marc Ayrault. La reconquête de la confiance de la population afghane par un véritable plan de développement.

L'isolement d'Al-Qaïda par l'ouverture d'un dialogue politique.

L'association de tous les pays concernés par la stabilisation de l'Afghanistan et par le terrorisme.

M. Pierre Lellouche. Il n’y a qu’à ! Il n’y a qu’à !

M. Jean-Marc Ayrault. La clarification de l'attitude du Pakistan.

Nous demandons que la France conditionne sa participation dans la coalition en Afghanistan à ce changement de stratégie ; qu'elle engage le débat avec nos alliés. Si nous acceptons une escalade sans fin de la guerre, si nous continuons de nous enliser dans une logique purement militaire qui échoue, alors soyons sûrs que, tôt ou tard, nous serons forcés de plier bagage, moins à cause des talibans que de nos opinions publiques. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Soit nous changeons, soit nous serons contraints de partir et alors nous aurons perdu ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SCR et GDR.)

Monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, je regrette que, face à un tel enjeu, le Président de la République n'ait pas su maintenir le consensus national que Jacques Chirac et Lionel Jospin avaient construit lors de l'intervention en 2001. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Mes chers collègues, la cause nous réunit : vaincre le terrorisme et ceux qui le soutiennent.

M. Michel Voisin. Formidable !

M. Jean-Marc Ayrault. Les moyens d’y parvenir nous séparent.

J’ai la conviction que le Président a mis le pays dans un engrenage et certains de ses propos, je vous le dis sincèrement, nous ont heurtés. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Il n’est pas admissible que la plus haute autorité de l’État puisse avant un vote d’une telle importance dire à notre endroit : « ceux qui voteront non au Parlement devront dire au pays que nos soldats sont morts pour rien ». (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – « Eh oui ! » sur les bancs des groupes UMP et NC.)

J’ai conscience que nous sommes dans ce moment de grande gravité devant une décision qui engage chacune et chacun d’entre nous. C’est justement parce que nous ne voulons pas que nos soldats meurent pour rien que nous demandons que la nation redéfinisse la mission que nous leur confions. C’est là notre responsabilité et c’est là notre devoir.

Nous ne voterons pas contre la poursuite de l’engagement de la France en Afghanistan, nous voterons contre une conception politique et militaire qui conduit à l’impasse. (Mmes et MM. les députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche se lèvent et applaudissent longuement. – Vives exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, chers collègues, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine s’associe à son tour à l’hommage qui a été rendu par M. le président aux dix soldats morts en Afghanistan.

M. François-Michel Gonnot. Vos collègues socialistes n’en ont rien à faire, ils s’en vont !

M. le président. Mes chers collègues, vous qui avez choisi de quitter l’hémicycle, faites-le au moins en silence afin que nous puissions écouter l’orateur.

M. Noël Mamère. Prenons soin de ne pas instrumentaliser ces morts pour des raisons politiciennes ; c’est le moindre des respects que nous devons à leur mémoire et à leurs familles. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

« Le courage aujourd’hui, ce n’est pas de maintenir sur le monde la nuée de la guerre, c’est ne pas laisser aux mains de la force la solution des conflits que la raison peut résoudre ». Cette phrase de Jaurès prononcée en 1903 devant les élèves du lycée d’Albi, à l’aube d’un siècle de feu et de sang, devrait inspirer l’esprit de nos débats et inciter à la prudence celles et ceux d’entre vous qui s’apprêtent à prolonger l’intervention de nos forces armées dans une guerre qui n’est pas la nôtre.

M. Philippe Vitel. Si, c’est bien la nôtre !

M. Noël Mamère. En effet il s’agit bien d’une guerre, monsieur le ministre de la défense, avec ses cercueils, ses douleurs, ses atrocités, ses trahisons. La guerre est sans doute la question la plus difficile qui puisse être posée aux représentants du peuple que nous sommes, celle qui importe le plus à une nation parce qu’il s’agit en fait de décider de la vie et de la mort de militaires mais aussi de civils, victimes de cette hydre insatiable, qui se nourrit du désespoir des plus démunis et du cynisme des puissants.

Voilà pourquoi je mesure la gravité de la tâche que m’a confiée le groupe de la Gauche démocrate et républicaine de m’exprimer en son nom.

Ce débat intervient dans un contexte qui s’est aggravé durant ces dernières heures après l’attentat meurtrier commis contre l’hôtel Marriott d’Islamabad. Il visait à la fois un symbole des États-Unis d’Amérique et la massive présence étrangère dans cette partie du monde. Elle est, vous le savez, de plus en plus ressentie comme une occupation qui ne change rien au sort des populations auxquelles on prétendait pourtant apporter la démocratie, la paix, l’émancipation, l’aide humanitaire, la protection contre les terroristes et les talibans. Sept ans après, le feu n’apporte que le feu, le massacre des civils et renforce ceux que l’on voulait éradiquer : c’est un échec sur toute la ligne.

C’est à ce tragique mensonge que la France participe depuis l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République.

Mme Marylise Lebranchu. Très juste !

M. Noël Mamère. Faut-il rappeler ici avec quelle désinvolture il a entraîné notre pays dans une politique contraire à ses intérêts ? Souvenez-vous : cela ne se passait ici devant notre assemblée mais devant la Chambre des Communes britannique, à l’époque de Tony Blair que l’on surnommait le « caniche de Bush ». Bafouant la représentation nationale, le Président de la République avait annoncé l’envoi de 700 soldats supplémentaires en Afghanistan, venant s’ajouter aux quelque 2 000 militaires français des forces spéciales déjà présents sur place.

Ce faisant, il a à la fois rompu la tradition républicaine et trahi la parole qu’il avait donnée, le 16 avril 2007, en pleine campagne électorale : « La présence des troupes françaises à cet endroit du monde ne me semble pas décisive. Le Président de la République – c’était Jacques Chirac – a pris la décision de rapatrier nos forces spéciales, c’est une politique que je suivrai. ».

« Si vous regardez l’histoire du monde, ajoutait-il, aucune armée étrangère n’a réussi dans un pays qui n’était pas le sien. Aucune ! » On ne pouvait mieux dire. Le candidat Sarkozy savait déjà que l’affaire tournait au bourbier. Alors pourquoi ce reniement de la parole donnée, quelques mois plus tard ?

Il n’existe aucune raison morale ou politique pour justifier le droit de jouer ainsi avec la vie de nos soldats et de la population afghane. C’est pourquoi le Président de la République et votre gouvernement doivent être considérés comme comptables de la mort de ces soldats comme vous serez comptables de toutes les autres victimes civiles de cette sale guerre si vous maintenez nos troupes dans de telles conditions. (Murmures sur les bancs du groupe UMP.)

C’est d’ailleurs aussi ce que disent à leur manière les militaires français, sous le couvert de l’anonymat. Ils ne comprennent pas comment et pourquoi l’on peut soumettre la conduite de cette guerre aux errements stratégiques du Pentagone ou s’engager avec des troupes sous-équipées, qui ne sont pas adaptées à la guerre de guérilla. Les 700 soldats envoyés à la va-vite en 2008 n'ont eu ni l'entraînement ni l'équipement nécessaire. (Protestations sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. Patrick Ollier. Qui dit cela ?

M. Bernard Deflesselles. Ce sont des contrevérités !

M. Noël Mamère. Si j’en crois mon collègue Joël Giraud, député des Hautes-Alpes, les soldats envoyés avant le 18 août ne sont pas passés par le centre national d’aguerrissement à la montagne de Briançon. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) À partir d’aujourd’hui et jusqu’au 3 octobre, la 27e brigade d’infanterie de montagne de Grenoble y est formée. Or qu’avez-vous décidé dans le Livre blanc de la défense, monsieur le ministre de la défense ? De fermer ce centre ! Qu’allez-vous donc faire de ceux qui, demain, seront appelés à venir renforcer les troupes françaises en Afghanistan ? (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Dans un rapport, le lieutenant-colonel Benoît Desmeulles constatait en mai dernier les manques dans le domaine de la connaissance des missions d'infanterie et dans les procédures de convoi qui nécessitent des compétences particulières et surtout maîtrisées. Durant l'embuscade du 18 août, même les gilets pare-balles manquaient, nous dit-on. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Autant d'informations qui semblent confirmées par un rapport secret de l'OTAN, aussitôt démenti par le porte-parole de l'Alliance atlantique puis par les hautes autorités de la hiérarchie militaire française. Mais à la lumière de ce qui s'est passé en Algérie ou au Vietnam, on sait ce que valent les démentis des militaires ! (Murmures sur les bancs du groupe UMP.)

M. Guy Teissier. Ils apprécieront !

M. Noël Mamère. Depuis sept années – une période aussi longue que celle de la guerre d'Algérie – une sale guerre est donc engagée, sous couvert d'une opération de police et de formation de l'armée afghane. Effectivement, la France n'est pas en guerre, monsieur le ministre, puisqu’elle a choisi de faire la guerre, ce qui est sensiblement différent, vous en conviendrez. Or, en l'état, cette guerre est perdue, parce que ses objectifs et sa stratégie sont faux et parce qu'ils nous conduisent vers un désastre programmé comme en Irak.

Il est donc temps de procéder à un bilan. Nous devons créer au plus vite une commission d'enquête parlementaire qui aura pour objet de faire le point sur les conditions dans lesquelles la France applique le mandat de l'ONU en Afghanistan, sur les buts de guerre, les méthodes, les moyens utilisés et les coûts mais aussi sur les conditions dans lesquelles les dix soldats français ont péri le 18 août. Nous devons la vérité aux familles et aux Français, de plus en plus hostiles à cette aventure meurtrière.

Ce bilan est d'autant plus urgent que le Président de la République nous invite une fois de plus à lui signer un chèque en blanc, en l'autorisant à augmenter nos effectifs en nombre et en moyens. Ne vous y trompez pas, chers collègues : il s'agit en fait de franchir une étape supplémentaire dans l'engagement de la France sous commandement américain. Si l'on ne sait pas où l'on va, on sait en tout cas qui l’on suit. Avoir accepté d'envoyer de nouvelles troupes sans négocier un changement de stratégie avec nos alliés est une faute politique grave. Je suis sûr que de nombreux parlementaires de la majorité partagent mon opinion, comme Pierre Lellouche ou Bruno Lemaire, qui exprimaient dernièrement leurs doutes sur la stratégie suivie.

M. Pierre Lellouche. Ne me prenez pas en otage !

M. Noël Mamère. En 2001, quand tout a commencé, j'avais été le seul député à dénoncer "une guerre contre le peuple afghan". On m'avait durement critiqué pour cette position qui, à l'époque, apparaissait en rupture avec la pensée unique. Je l'avais prise en toute connaissance de cause. Ce sont les mêmes raisons qui nous poussent aujourd'hui à refuser d'engager des troupes dans cette région et à demander au Premier ministre et au Président de la République d'ordonner le retrait du dispositif militaire.

Ce n'est pas un refus absolu d'intervention, au nom d'un pacifisme de renoncement, qui me guide, mais une analyse concrète, en rupture avec la rhétorique en vigueur de la lutte globale contre le terrorisme. Depuis le 11 septembre, pourquoi serions-nous condamnés à choisir entre la vengeance et l'impunité quand Bush choisit et la vengeance et l'impunité ? En effet, l'opération de police internationale décidée par l'ONU contre Al-Qaïda, dans le contexte de légitime défense, n'a jamais été menée à son terme. La reconstruction économique et sociale de l'Afghanistan en est à son degré zéro. Malgré toutes les promesses de financement, l'aide au développement d'un État afghan souverain s'est perdue dans les vallées tenues par les seigneurs de guerre.

Les États-Unis et les forces de l'ISAF apparaissent comme des occupants, sans plan de reconstruction et d'aide susceptible d’améliorer le sort des populations. L'accès à la santé, à l'eau ou à l'électricité, la lutte contre la pauvreté et les droits des femmes ont été négligés. Même les ONG, monsieur le ministre des affaires étrangères, disent ne plus pouvoir travailler et nous appellent à une « rupture stratégique » de l'engagement de la France et de la communauté internationale en Afghanistan. Elles tirent la sonnette d'alarme face à une situation qui s'est détériorée et aux dangers du tout-militaire.

Mme Françoise Hostalier. N’importe quoi !

M. Noël Mamère. Cinq millions de personnes sont en situation d'insécurité alimentaire sur une population qui en compte vingt millions et 80 % des puits sont asséchés. Va-t-on plus longtemps nier la souffrance du peuple afghan en ajoutant la guerre à la guerre ? Que pensez-vous, monsieur le ministre des affaires étrangères, vous qui avez été l’inventeur de l’action militaro-humanitaire, des cris d'alarme lancés par vos amis de l'humanitaire ? Vous allez sans doute démentir leurs propos, comme les militaires, et nous expliquer que tout va bien sur place. Pas un kilomètre de voie ferrée n'a été posé. Lorsque des routes sont construites, elles servent aux convois militaires.

M. Philippe Cochet. Est-ce que vous connaissez la géographie ?

M. Noël Mamère. Malgré de nombreux dons internationaux, la situation continue à se dégrader pour les Afghans. Ils se sentent méprisés par des militaires étrangers, ignorants des coutumes et de la culture locales, qui traitent avec les seigneurs de guerre et les chefs de village, sans se préoccuper des aspirations de la population, favorisant ainsi le détournement de l'argent de la communauté internationale au profit de structures corrompues à tous les niveaux.

« En opposant Mahométans contre Hindous, tribus contre tribus, castes contre castes », comme l'écrivait Marx en 1842 à propos des méthodes des officiers britanniques pour imposer leur suprématie, on empêche, aujourd'hui comme hier, l'existence d'un État afghan viable. Les Anglais ont été défaits, mais ils ont laissé une frontière de 1 500 kilomètres, la ligne Durand, du nom de l'officier qui a durablement séparé l'Afghanistan de l'Empire des Indes, puis du Pakistan.

C'est cette frontière coloniale, par laquelle les tribus pachtounes ont été divisées, qui fournit aujourd'hui une base arrière inexpugnable aux talibans et à Al-Qaïda pour déstabiliser le Pakistan. Les récentes interventions répétées des forces américaines dans ces zones font redouter une extension du conflit qui entraînera la coalition internationale, et donc la France, dans une logique de guerre régionale aux conséquences imprévisibles comme vient de le prouver l'attentat d'Islamabad.

La relance du trafic de drogue après 2001 a fait de l'Afghanistan le premier État narcotrafiquant du monde. La culture du pavot permet à 500 000 paysans de survivre. C’est pourquoi quand les forces de la coalition veulent détruire leurs champs, ils prennent les armes et deviennent des insurgés, alimentant l'engrenage inexorable de la guerre. Plus de 920 soldats de plusieurs nationalités, dont 24 Français, ont déjà trouvé la mort.

Comme en Irak, les pertes civiles sont incalculables. La politique de guerre dite de basse intensité se traduit par des bombardements aveugles et quotidiens, qui ressoudent la population autour de la fraction la plus radicale des talibans. On ne compte plus les mariages et les fêtes écrasés sous les bombes parce qu’ils sont faussement assimilés à des regroupements talibans. (Murmures.) Il faut se rendre à l'évidence : la coalition a perdu la guerre !

La confusion règne dans le commandement où plusieurs forces agissent parallèlement. Sept ans après avoir été chassés du pouvoir, les talibans regagnent du terrain et maîtrisent aujourd’hui près de 50 % du territoire afghan.

M. Jean-Christophe Lagarde. Donc, on peut partir !

M. Noël Mamère. La politique de pacification n’a pas plus d’efficacité : nos soldats luttent contre des combattants qui sont protégés par la population. Ils sont trahis par leurs interprètes ou leurs guides. Plus de 10 % des effectifs de l’armée afghane formés par nos soins sont considérés aujourd’hui comme des déserteurs.

M. Philippe Folliot. Ce n’est pas vrai !

M. Noël Mamère. Monsieur le Premier ministre, la stratégie suivie par l’OTAN vous entraîne dans une fuite en avant : toujours plus de soldats, de bombardements et de destructions, et une population qui bascule du côté des talibans. Quel beau bilan !

C’est pourquoi, avec le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, je me prononce contre l’envoi d’un seul homme de troupe dans cette sale guerre, mais aussi pour le retrait des troupes françaises. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.) Je demande la redéfinition des objectifs politiques et militaires de la France dans cette région, et, tout d’abord, le réexamen urgent du mandat de l’ONU.

Devant la montée en puissance des talibans, ce mandat a été détourné de fait en 2006 quand l’OTAN a étendu son emprise militaire sur tout le territoire afghan. L’opération Liberté immuable, tolérée dans le cadre de la légitime défense depuis 2001, et l’ISAF n’ont plus dans les faits qu’un seul objectif réel : trouver et détruire les forces rebelles, assimilant ainsi de fait Al-Qaida, talibans, opposants pachtounes, paysans producteurs de pavot. Il faut réexaminer le mandat et mettre un terme à cette hypocrisie qui déconsidère l’ONU.

La reconstruction de l’État afghan est devenue un leurre, le maintien de la paix un mirage, et l’ONU la grande dupe.

Le terrorisme ne se combat pas par la guerre mais par la politique, par la justice et par le droit, par la lutte contre la corruption, la coopération policière et le renseignement. En Afghanistan, toute stratégie acceptable ne peut passer que par la rupture avec la doctrine Bush, selon trois axes.

Premièrement, la relance du dialogue politique et la négociation entre les forces liées à l’actuel gouvernement et les insurgés, connus sous le nom générique de talibans.

Ce vocable cache en réalité une coalition de forces diverses dont une grande partie n’est pas liée politiquement à Ben Laden mais qui a repris les armes aux côtés des talibans pour chasser les occupants étrangers. Le dialogue entre Afghans est d’autant plus urgent que les groupes ethniques non pachtounes des régions Est, Nord et Ouest, pourraient décider d’entrer dans le conflit, constatant l’impuissance de l’armée nationale afghane d’un côté et des forces de la coalition de l’autre. Nos forces seraient alors prises sous le feu croisé des milices qui s’affrontaient déjà avant 2001. La négociation est donc urgente. Pour isoler Ben Laden, il faut d’abord une réconciliation entre les combattants afghans, sous l’égide de l’ONU.

Deuxièmement, la mise en œuvre d’une solution régionale du conflit.

Les bases arrières des talibans, situées au Waziristan, dépendent du soutien du Pakistan, notamment des services de renseignement de l’armée pakistanaise, l’ISI. On le sait maintenant, les militaires pakistanais ne s’attaqueront jamais aux talibans si l’esquisse d’un règlement politique du conflit avec l’Inde, à propos du Cachemire, n’est pas engagée. La situation est d’autant plus dangereuse que ces deux pays possèdent chacun un arsenal nucléaire en parfait état de marche. L’engagement de la France serait donc plus productif s’il consistait à engager avec l’Union européenne un travail de médiation entre les deux pays. L’organisation d’une conférence régionale pour la sécurité collective de la région serait un pas en avant dans cette direction, d’autant qu’un autre pays frontalier, l’Iran, est concerné par ce règlement régional.

Troisièmement, l’aide à la reconstruction de l’État afghan et à la population.

Depuis le début de la guerre, 140 milliards de dollars ont été injectés et pas seulement pour l’achat d’armements. En juin, la conférence de Paris a rajouté 20 milliards. On pourra nous dire que des écoles et des hôpitaux ont été construits, mais chacun sait ici que le compte n’y est pas et que la corruption organisée d’en haut par le gouvernement Karzaï empêche tout développement durable de l’Afghanistan. Pendant ce temps, les populations du Sud, les pachtounes, livrées à elles-mêmes, punies pour leur attitude pro-talibans, ne voient de l’aide occidentale que les bavures militaires. Sans une association des populations et des structures locales, sans une réorientation et un contrôle des crédits attribués, l’aide ne sera qu’un alibi humanitaire.

M. Frédéric Lefebvre. Vous considérez donc qu’il faut les abandonner !

M. Noël Mamère. La guerre est un échec sur toute la ligne, sauf pour le Pentagone qui a installé plusieurs bases militaires en Asie centrale, qui se sert de l’Afghanistan comme camp d’entraînement pour ses troupes et qui met en place une nouvelle OTAN redéployée stratégiquement hors des frontières de l’Europe, dans le cadre de sa doctrine de guerre préventive.

Mes chers collègues, nous devons prendre la mesure de l’alignement atlantiste du Président de la République. Sur le plan politique, le retour dans le giron de l’OTAN représente une grave rupture avec la politique étrangère de la France et empêche toute construction d’une politique de défense européenne, indépendante des États-Unis. L’OTAN, utilisée comme vecteur d’un rapprochement euro-américain, n’est en fait que l’outil de la guerre de civilisation théorisée par Huntington et mise en œuvre après le 11 septembre. En réalité, la politique américaine veut assurer son leadership dans une région stratégique pour le contrôle de l’énergie, face à la Chine, et dans un contexte de menace de guerre contre l’Iran.

Pourquoi entraîner l’opinion publique occidentale dans ce combat douteux entre les racines de l’occident qui se trouveraient dans le monde judéo-chrétien et le monde musulman dont les différences seraient irréductibles ?

Monsieur le Premier ministre, ne reprenez pas cette rhétorique dangereuse. Vous allez importer les germes de confrontation communautaire dans notre pays et faire de la France une cible de choix pour les groupes fascistes liés à Al-Qaida. Au nom des nouvelles menaces qui pèsent sur le monde, vous entraînez la France dans une guerre qui n’est pas la sienne, dans une aventure aux risques incalculables.

M. Jean-Paul Lecoq. Très juste !

M. Noël Mamère. Nous refusons que soit versé le sang de nos enfants au service d’une cause qui n’est pas la leur.

M. Philippe Folliot. Démago !

M. Noël Mamère. Parce que nous voulons donner un coup d’arrêt à cette politique dangereuse pour l’Afghanistan et les Afghans, pour la France et les Français, pour l’Europe et le monde, nous voterons clairement non à la poursuite de l’intervention française en Afghanistan, non à l’occupation et non à cette sale guerre. En notre âme et conscience et devant le pays, nous demandons le retrait des troupes françaises d’Afghanistan.

M. François Rochebloine. Quel courage !

M. Christian Vanneste. Oui aux talibans !

M. Noël Mamère. Monsieur le Premier ministre, si vous ne voulez pas que l’histoire vous demande des comptes, écoutez-nous ! (Protestations sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. François Rochebloine. C’est vous qui devriez nous écouter !

M. Noël Mamère. Retirez nos troupes et souvenez-vous de ce que déclarait Jaurès : « Le courage aujourd’hui, ce n’est pas de maintenir sur le monde la nuée de la guerre ». (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. François Sauvadet.

M. François Sauvadet. Monsieur le Président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous vivons aujourd’hui un moment important, et c’est avec gravité que le Nouveau Centre aborde ce débat devant les Français, débat qui vise à décider de l’opportunité et de la nécessité de poursuivre ou non une opération extérieure, celle menée actuellement en Afghanistan.

La réforme constitutionnelle voulue par le Président de la République nous donne une responsabilité nouvelle et nous devons l’aborder avec un grand sens de responsabilité.

Mesdames, messieurs les députés du groupe SRC, en quittant l’hémicycle alors que notre débat concerne l’engagement de nos hommes et l’affirmation de notre soutien, quelle image vous donnez à la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Pascal Terrasse. Où sont les députés UMP ?

M. Jean-Pierre Soisson. Nous sommes là !

M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Sauvadet.

M. François Sauvadet. Monsieur le président, permettez-moi de le dire ! Nous avons la chance de pouvoir nous exprimer aujourd’hui. Je comprends maintenant pourquoi la gauche n’a pas voté cette réforme constitutionnelle qui donne du pouvoir au Parlement. Pour notre part, nous voulons assumer la responsabilité qui est la nôtre devant les Français ! (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)

C’est de la paix qu’il s’agit, monsieur le Premier ministre, et vous avez exprimé d’emblée les enjeux de la sécurité et de la place de la France dans le monde. Il s’agit aussi du destin d’hommes et de femmes qui livrent un combat difficile au nom de la France, dans le cadre d’un mandat international en Afghanistan.

Monsieur Mamère, il y a une grande différence entre nous parce que le Nouveau Centre considère que ce combat qu’ils mènent au nom de la France c’est notre combat ! (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et sur quelques bancs du groupe UMP.)

Désormais, c’est au Parlement, représentant la nation française, que se prendront les grandes décisions concernant notre pays.

C’est aussi un moment à la fois solennel et émouvant, parce que c’est un drame qui nous réunit, celui qui a frappé notre nation, nos soldats. Ce message, je veux l’adresser aux familles qui sont dans la douleur, leur témoigner notre soutien et leur dire que, pour nous, ces soldats – leurs fils, leurs maris – ne sont pas morts pour rien : ils sont morts pour défendre des valeurs, ils sont morts pour la paix. J’ai été impressionné par la dignité des familles et l’esprit de solidarité qui s’est exprimé.

Être militaire est un choix courageux et noble, un choix que l’on fait en prenant le risque de perdre la vie. Je tiens tout particulièrement à associer à cet hommage rendu à nos soldats mon ami Philippe Folliot, député du Tarn, d’où sont originaires des soldats du 8e RPIMA. Élu de Castres, il a été profondément touché par ce drame qu’il a vécu au contact direct des familles. Je tenais à l’associer publiquement à ce message et lui dire combien nous avons tous apprécié le courage dont il a fait preuve lorsqu’il s’est rendu en Afghanistan. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)

Aujourd’hui, le premier signe que nous devons donner à nos soldats c’est de faire front uni derrière eux parce que l’unité nationale est nécessaire à leur moral. Nous devons d’abord penser à ceux qui vivent le risque au quotidien. Aujourd’hui, ils doivent pouvoir compter sur notre détermination, notre soutien et la force de notre engagement à leur côté.

Cette unité nationale et cette détermination doivent être aussi une réponse claire et sans équivoque adressée aux talibans qui cherchent à déstabiliser nos démocraties.

Chacun le sait, la dégradation de la situation militaire en Afghanistan était perceptible depuis bien des années dans le Sud et l’Est du pays. Elle s’est traduite par la perte de dix de nos soldats dans cette vallée d’Uzbeen, à quelques dizaines de kilomètres seulement de Kaboul. Le Président de la République a eu, au nom de la France, des mots forts et justes pour exprimer ce que la nation a ressenti.

Beaucoup de nos compatriotes, émus par le drame du mois d’août, s’interrogent sur les raisons de notre engagement en Afghanistan, comme vient de le faire M. Mamère, et sur la nécessité d’y conserver nos troupes. Nombre d’entre nous ont brutalement pris conscience du prix que pouvaient coûter les responsabilités que nous nous devons d’assumer en Afghanistan dans le cadre de ce mandat international, depuis près de sept ans, quand Jacques Chirac et Lionel Jospin ont, ensemble, choisi d’assumer cette présence de la France en Afghanistan.

Au moment où nous sommes appelés à nous prononcer sur la prolongation de notre présence, nous devons rappeler et réaffirmer le sens de cette présence auprès du peuple afghan ainsi que celle de nos alliés qui ont connu, eux aussi, dans leur pays les mêmes interrogations. Je pense en particulier au Canada où un grand débat national a eu lieu pour savoir s’il fallait poursuivre cet engagement.

C’est vrai, il faut dire aux Français que nous sommes engagés en Afghanistan dans une mission très difficile, périlleuse – et vous l’avez fait avec beaucoup de force et de courage, monsieur le Premier ministre – dans son volet militaire et complexe dans son volet civil. Cependant faut-il renoncer parce que c’est difficile ? (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.) Le groupe Nouveau Centre veut assumer avec courage la lutte contre le terrorisme aux côtés de nos alliés parce que ce combat juste est celui de la liberté.

M. Maxime Gremetz. Engagez-vous !

M. François Sauvadet. Soyez sérieux !

M. Roland Muzeau. Nous le sommes !

M. François Sauvadet. Ce débat est utile pour notre pays car les Français s’interrogent. Chacun doit pouvoir exprimer son point de vue.

M. le président. Monsieur Sauvadet, veuillez poursuivre !

M. François Sauvadet. Sur le plan militaire, les hommes de la force internationale d’assistance à la sécurité, à mesure qu’ils étendent leur contrôle sur de nouvelles régions d’Afghanistan, se voient opposer une résistance sans commune mesure avec celle de 2001.

En avançant dans des zones considérées comme des bastions talibans, les soldats de la force internationale et ceux de l’armée nationale afghane sont confrontés, sur ce terrain difficile, à des insurgés qu’on ne peut plus résumer à des bandes de fondamentalistes religieux. Certains sont devenus des vétérans qui ont déjà l’expérience du combat contre les troupes américaines en Irak, voire de ceux livrés contre l’armée soviétique. Rompus aux tactiques de la guérilla, ils disposent du soutien de réseaux terroristes établis. À ceux-ci se joignent à présent – vous l’avez rappelé monsieur le Premier ministre – des seigneurs de guerre et des narcotrafiquants, lesquels, grâce à la rente de l’opium, peuvent s’attacher les services de paysans qui prennent les armes pour de simples raisons économiques et financières puis s’en retournent à leurs activités une fois la bataille achevée.

On le voit bien, en sept ans la situation a changé et elle ne cesse de se complexifier, s’ajoutant aux difficultés rencontrées par les soldats sur le terrain.

J’ai trouvé assez choquants les propos tenus à cette tribune par M. Mamère mettant en cause le professionnalisme de nos armées. (Protestations sur les bancs du groupe GDR.)

M. Pascal Terrasse. Il n’a jamais dit cela !

M. François Sauvadet. J’ai confiance dans la formation et le professionnalisme de nos armées et je leur redis ma confiance aujourd’hui parce que ces hommes et ces femmes sont formés utilement pour leurs missions.

Cela étant monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de la défense, nous entendons, depuis quelques jours, des témoignages, non pas sur la formation des hommes mais sur leurs équipements. Pourriez-vous nous donner des indications précises pour mettre un terme à cette désinformation que nous avons encore entendue très longuement ce matin sur les ondes ?

Par ailleurs, notre présence en Afghanistan ne revêt pas qu’une dimension militaire. Elle est un véritable défi que la communauté internationale se doit de relever dans un pays qui a basculé, dans les années 80, dans le chaos. Il s’agit de construire avec les Afghans, de solidifier sur les bases les plus démocratiques, un État moderne. Vous l’avez rappelé, monsieur le Premier ministre, il s’agit tout simplement de permettre aux Afghans de se prendre en mains pour construire leur propre destin. Nous sommes à leurs côtés.

Ce processus – M. le ministre des affaires étrangères l’a d’ailleurs dit devant les commissions compétentes – sera lent et complexe. À l’échelon national, comme dans chacune des provinces, il nous revient d’aider l’Afghanistan à se doter d’une administration fiable, à lutter contre la corruption qui menace tout l’édifice. C’est d’ailleurs parce qu’elles sont elles-mêmes conscientes de cette menace que les autorités afghanes ont adopté un dispositif réprimant plus durement la corruption et mettant tout en œuvre pour que les déclarations soient suivies d’actes.

Pour autant, quel que soit le bilan que l’on puisse dresser aujourd’hui, et malgré la difficulté de la mission, sans doute l’une des plus complexes que la France ait eu à remplir depuis quelques années, nous devons rappeler que cette mission, dès son engagement, était justifiée par la nécessité de répondre aux terribles attaques, notamment celle du 11 septembre dont les images avaient horrifié le monde entier. Aucune nation ne pouvait laisser Al-Qaida bénéficier des moyens d’un État lui-même criminel, moyens que les terroristes auraient pu utiliser pour porter de nouvelles attaques contre nos populations civiles.

L’intervention était, chacun le sait, nécessaire. Elle le reste. La communauté internationale se devait de mettre hors d’état de nuire un régime entretenant un foyer de déstabilisation majeure à la frontière d’un Pakistan figurant parmi les États dotés de l’arme nucléaire et constituant à ce titre un risque majeur à l’échelle régionale.

Au-delà, ce régime avait également offert une base arrière aux terroristes dont l’histoire récente a malheureusement prouvé la capacité à frapper tout point de la planète, de New York à Bali en passant par Madrid, Londres et Casablanca. Il ne s’agit pas pour nous d’être simplement aux côtés des Américains, en Afghanistan, mais d’être aux côtés de la communauté internationale, de tous ceux qui veulent éviter qu’une base terroriste ne se reconstitue, avec les conséquences qu’elle pourrait avoir sur l’ensemble de la communauté internationale. La France doit assumer vis-à-vis de la communauté internationale ses responsabilités en qualité de membre permanent du conseil de sécurité. Elle figure parmi les premiers pays contributeurs.

M. Philippe Folliot. Très bien !

M. François Sauvadet. Cette intervention était encore nécessaire afin de combattre l’obscurantisme du régime instauré par les talibans. Pour reprendre d’ailleurs l’expression de Lionel Jospin, il s’agit de mettre un terme à la tyrannie à laquelle le peuple afghan avait été condamné. Vous souvenez-vous des scènes de lapidation publique dont les maîtres de Kaboul avaient fait un spectacle et les mutilations dont ils avaient fait l’expression de leur justice ? Voilà l’enjeu de notre présence en Afghanistan.

Nous avons fondé notre République sur des valeurs universelles sur lesquelles, tous ici, nous nous retrouvons. Nous avons fait de ces valeurs le sens de notre engagement en Afghanistan. Ce sont des valeurs de liberté, de justice, de respect mutuel, de démocratie que nous souhaitons pour le monde. Ce sont pour ces valeurs que nos soldats sont tombés. Ces valeurs sont précisément les cibles des terroristes. Si nous renonçons à les défendre en Afghanistan, c’est sur notre sol qu’il faudra le faire. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et sur divers bancs du groupe UMP.) Les souvenirs ne sont d’ailleurs pas si loin d’un temps où le terrorisme frappait au cœur même de Paris.

Je le dis à la gauche, à M. Hollande, la sécurité de la France, de l’Europe, de nos concitoyens se joue à plusieurs milliers de kilomètres de nos frontières. C’était vrai lors de l’envoi de nos troupes en 2001 ; cela l’est toujours aujourd’hui.

Notre choix d’assumer pleinement notre désaccord avec nos alliés américains en Irak ne nous a d’ailleurs pas permis de nous prémunir contre toute attaque terroriste majeure. L’abandon du peuple afghan et de nos alliés ne constituerait en aucun cas une garantie de sécurité pour nos compatriotes, bien au contraire.

En 2001, le consensus primait dans l’ensemble de la classe politique. J’aurais aimé qu’il prime aujourd’hui sur cette question de prolonger ou non l’intervention des forces armées en Afghanistan. Nous devrions avoir la même position unanime. Bien sûr, le vote ne doit pas être dissocié de la nature de la responsabilité que nous devons assumer, mais ne pas voter la prolongation serait un mauvais signal pour la paix et les valeurs que nous défendons. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)

Les difficultés militaires ne doivent pas occulter l’étendue des réalisations permises par l’engagement de la communauté internationale auprès du peuple afghan lui-même. Le bilan de développement que vous avez rappelé, l’accès à l’école, ont permis d’avancer dans la voie de la paix et de la prise en charge par les Afghans de leur destin.

M. Roland Muzeau. Ce bilan n’est pas prouvé !

M. François Sauvadet. Cet objectif, monsieur le Premier ministre, vous l’avez réaffirmé. Il le fallait ! Il doit nous amener aussi à préciser les moyens que nous devrons mettre en œuvre pour y parvenir. En tous cas, les bases d’un État moderne ont également été jetées : le gouvernement afghan est issu d’élections législatives et présidentielles, et nous y avons contribué. Ces bases doivent être consolidées par les Afghans.

Nous devons viser trois objectifs.

Tout d’abord, les Afghans doivent prendre en main leur destin. Nous devrons poursuivre les transferts d’autorité en direction du gouvernement Afghan, continuer la formation des forces de sécurité afghane, inexistantes en 2002, et qui comptent aujourd’hui 50 000 hommes. C’est en donnant aux Afghans les moyens d’assurer eux-mêmes leur propre sécurité que nous pourrons nous désengager et envisager un véritable plan de sortie.

Il faudra également lutter contre la drogue, véritable fléau qui gangrène le monde, et surtout ce pays : 8 200 tonnes d’opium en 2007. Ce marché sert essentiellement à financer les terroristes, le pouvoir des seigneurs de la guerre locaux, la corruption des agents de l’État. Et que dire des conséquences de la consommation !

Enfin, il faudra stabiliser la région, notamment en permettant au Pakistan, puissance régionale, de mieux faire respecter son intégrité territoriale.

La France et la communauté internationale ont beaucoup de défis à relever en Afghanistan. Je souhaite que la représentation nationale soit régulièrement informée sur les conditions du déroulement de notre intervention. Le Nouveau Centre considère que la décision d’intervenir en Afghanistan en 2001 ne doit pas être remise en cause. Nous réaffirmons clairement cette position aujourd’hui. Elle doit être un signal fort donné à nos troupes et un message clair adressé aux talibans : nous ne renoncerons jamais, dans ce combat contre le terrorisme et pour la liberté. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Copé.

M. Jean-François Copé. En venant m'exprimer devant vous à cette tribune, et après avoir entendu des choses si surprenantes à gauche de cet hémicycle…

M. Jean-Pierre Brard. C’est un spécialiste qui parle !

M. Jean-François Copé. ...c'est d'abord à nos soldats engagés en Afghanistan aux côtés des forces afghanes et de nos alliés que je veux penser en votre nom. C'est aux vingt-quatre fils de France qui sont morts dans ce pays depuis le début de notre engagement en 2001 que je veux rendre hommage. C'est aux combattants blessés que je veux exprimer tout notre soutien et notre compassion.

Je veux le dire ici, avant toute chose, en participant à ce débat aujourd'hui, car chacun d'entre nous a en tête le sacrifice de ces Français qui ont donné leur vie pour nous protéger ces vingt-quatre Français fauchés au combat pour des valeurs qu'ils avaient choisi de défendre avec courage et au péril de leur vie.

Quand un soldat tombe pour la défendre, c'est la France tout entière qui est touchée.

Ces soldats morts au combat sont un exemple pour chaque Français. Dans notre monde souvent marqué par les stigmates de l’égoïsme, voilà des citoyens de France qui laissent le témoignage héroïque d'une vie donnée pour les autres. Ils nous transmettent un message plein d'exigence que nous devons entendre: nos valeurs et la paix sont des trésors si précieux que leur défense exige parfois jusqu'au don de sa vie.

M. Jean-Pierre Brard. Ce n’est pas à la bourse, cela, c’est au Panthéon. (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-François Copé. Comme je veux dire, au nom de l'ensemble des députés UMP, notre reconnaissance à nos 12 500 soldats engagés dans des opérations extérieures, en Afghanistan ou ailleurs. Nous sommes fiers d'eux et de notre armée professionnelle, au service de la nation, soumise à l'autorité politique.

A l'origine de toute action militaire, il y a une décision politique. Si certains l'oublient, la fête nationale nous rappelle tous les ans ce lien indissociable entre notre armée, le peuple français et ses représentants.

M. Maxime Gremetz. C’est pour cela que vous avez supprimé la conscription !

M. Jean-François Copé. Le défilé du 14 juillet, est chaque année une image marquante : nos militaires venant manifester leur loyauté et leur soumission au Président de la République, chef des armées, en lui rendant les honneurs. Quel plus fort symbole que les étendards de chaque régiment, sur la place de la Concorde, saluant tour à tour le chef de l'État élu par tous les Français ?

Chacun de nous dans cette assemblée doit comprendre que, désormais, il porte avec le Président de la République, une part de cette responsabilité. Avec l'article 35 de la Constitution, nous pouvons autoriser ou refuser la prolongation d'une opération militaire à l'étranger au-delà de quatre mois.

Cette co-responsabilité, qui prend effet pour la première fois aujourd'hui, est un changement historique. Que personne ne le minimise : de notre choix cet après-midi va dépendre la poursuite de l'engagement français en Afghanistan.

Peu importe l’incohérence de ceux qui, en septembre, se félicitent de pouvoir décider d’un sujet aussi crucial alors qu’en juillet ils ont tout fait pour que cette nouvelle prérogative ne voie jamais le jour. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC - Exclamations sur les bancs des groupes GDR et SRC.) Peu importent les outrances de ceux qui osaient dire que la réforme des institutions conduirait, selon le mot d’Arnaud Montebourg à une « monocratie présidentielle » alors même qu’elle met fin aujourd'hui au domaine réservé. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC – Rires et exclamations sur les bancs des groupes GDR et SRC.) Tout cela est du passé : ce qui compte, c’est la responsabilité que nous portons chacun, en ce jour, sur nos épaules.

Désormais, nous devons répondre personnellement du sort de nos soldats devant nos concitoyens,…

M. Maxime Gremetz. Vous allez en répondre !

M. Jean-François Copé. …quand nos armées sont à l’honneur, mais aussi quand elles sont à la peine. Une telle responsabilité doit faire changer notre façon de travailler : la défense ne peut plus rester une question de spécialiste. Chacun de nous a le devoir personnel de s’impliquer dans ces questions pour décider en connaissance de cause et pour rendre compte aux Français de nos décisions.

Qu’allons-nous faire de cette responsabilité ? Sera-t-elle instrumentalisée à des fins politiciennes ? Je ne veux même pas l’imaginer. Nous, députés de l’UMP, avons décidé d’assumer cette responsabilité. C’est pourquoi, pour éclairer nos consciences et former notre jugement, nous avons beaucoup consulté, auditionné, lu et écouté, à droite et à gauche, sans aucun préjugé. Certains d’entre nous se sont rendus sur le terrain, en Afghanistan, et, pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, nous avons fait intervenir le chef d’état-major des armées dans une réunion de notre groupe parlementaire. À huis clos, il nous a parlé très librement. De tels échanges sont désormais indispensables à l’exercice de notre mission.

Je veux exprimer ici ma conviction profonde. Bien sûr, la France n’a pas vocation à rester éternellement en Afghanistan mais le maintien de nos troupes dans ce pays est aujourd'hui légitime et nécessaire.

M. Maxime Gremetz. Monsieur le Premier ministre, avez-vous entendu ?

M. le président. Monsieur Gremetz, je vous prie de vous calmer. C’est un débat sérieux.

M. Jean-François Copé. En conscience, notre groupe exprime son soutien total au Président de la République et au Gouvernement qui nous demandent la poursuite de l’effort engagé.

Je regrette que certains l’aient oublié, mais, si l’engagement des troupes françaises en Afghanistan est aussi vital, c’est parce qu’il relève d’abord et avant tout de la sécurité nationale.

M. Maxime Gremetz. Le Premier ministre n’écoute pas, monsieur le président !

M. le président. Monsieur Gremetz, c’est un débat grave : je vous demande un peu de tenue !

M. Maxime Gremetz. Que le Premier ministre ait lui aussi de la tenue !

M. Jean-François Copé. Il faut que tous les Français le sachent : en Afghanistan, c’est leur protection directe qui est en jeu. En Afghanistan, nous ne sommes pas en état de guerre mais nous faisons la guerre au terrorisme. Il est des moments où il ne faut pas se payer de mots.

Le terrorisme, en effet, ce n’est pas un lointain souvenir, c’est une réalité cruelle qui a brisé des vies et qui frappe aveuglément. C’est un poison mortel et une expérience douloureuse, que la France a subis plusieurs fois. Les talibans n’ont qu’une idée en tête : reprendre le pouvoir. Avec Al-Qaïda, ils veulent revenir sept ans en arrière et refaire de l’Afghanistan la base logistique indispensable à la poursuite d’opérations terroristes à grande échelle.

M. Henri Emmanuelli. Bush !

M. Jean-François Copé. Le premier objectif de l’intervention alliée était de renverser le pouvoir des talibans, complices des terroristes : il a été atteint, mais cela n’est pas suffisant, on le sait très bien. Si nous étions repartis, monsieur Ayrault, la menace serait revenue aussitôt.

Pour notre sécurité, il faut atteindre un second objectif : aider les autorités afghanes, élues démocratiquement,…

M. Jean-Pierre Brard. Elles sont corrompues !

M. Jean-François Copé.…à stabiliser le pays pour empêcher un retour au pouvoir de la barbarie, objectif que le Premier ministre a parfaitement rappelé et auquel nous adhérons totalement.

C'est en effet à la demande expresse du gouvernement afghan que la France est engagée en Afghanistan et, n’en déplaise à la propagande d'Al-Qaïda, ce qui se joue dans ce pays, ce n'est pas le combat de l'islam contre l'occident, mais la lutte des autorités légales afghanes, avec le soutien de la communauté internationale, contre des forces insurgées et brutales.

Faut-il d'ailleurs rappeler que les premières victimes des talibans, ce sont évidemment les Afghans eux-mêmes et que les premières victimes du terrorisme islamiste à travers le monde, ce sont des musulmans ? Si nous soutenons l'engagement français en Afghanistan, c'est donc également afin de manifester notre solidarité à un peuple ami de la France depuis des décennies.

Je l'affirme ici avec force à l’adresse des députés socialistes et communistes, dont les propos et la position sont, au mieux, incompréhensibles, au pire, indéfendables : vous n'avez pas le droit d'abandonner nos amis afghans ! (Protestations sur les bancs des groupes GDR et SRC.) Pour le démontrer, je veux pousser votre raisonnement jusqu'au bout.

Si, demain, à la suite de votre vote, nous partions de Kaboul et si, demain, les lapidations de femmes reprenaient dans les stades de la capitale afghane, qui parmi vous oserait assumer son vote sans rougir ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC - Protestations sur les bancs des groupes GDR et SRC.) Qui parmi vous oserait encore parler sans honte de la vocation de la France au service des droits de l'homme ?

M. Maxime Gremetz. Et l’Arabie Saoudite ?

M. Jean-François Copé. Cela fait longtemps que j’ai envie de le proclamer : signer des pétitions et prendre des postures depuis Paris, c'est confortable, mais les droits de l'homme valent parfois la peine qu'on prenne des risques et qu’on s'engage vraiment au nom de la France ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC - Exclamations sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. Jean-Pierre Brard. Engagez-vous !

M. Jean-François Copé. Chers collègues, voter pour le retrait de nos troupes aujourd'hui, serait capituler devant une idéologie qui considère que la vie des autres ne vaut rien et celle des femmes encore moins. Voter pour le retrait de nos troupes aujourd'hui, serait également perdre toute crédibilité aux yeux de la communauté internationale.

Comment la France, membre permanent du conseil de sécurité de l'ONU, pourrait-elle expliquer l'abandon d'une mission sous mandat des Nations Unies alors que nous défendons en permanence le principe de la coopération internationale ? Comment la France, en pleine présidence de l'Union européenne, pourrait-elle justifier sa décision de quitter une opération engageant pour la première fois l’ensemble de nos partenaires européens, à l’exception de deux d’entre eux ? Une telle faiblesse aurait pour conséquence d’enterrer pour longtemps les chances de bâtir une véritable défense européenne. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Enfin, voter pour le retrait de nos troupes aujourd'hui, serait trahir nos valeurs et nos engagements sans préserver pour autant notre sécurité. Quelqu’un a évoqué tout à l’heure l’esprit de Munich. Je ne sais s’il faut aller aussi loin.

M. Henri Emmanuelli. Bushiste !

M. Jean-François Copé. Je tiens pour ma part à rappeler Churchill : lorsqu'on choisit le déshonneur pour s'épargner la guerre, on finit par avoir et le déshonneur et la guerre. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Notre soutien à l'engagement des forces françaises n'est évidemment pas un soutien aveugle. Nous avons bien conscience des difficultés sur place. Depuis la chute des talibans, des progrès majeurs ont été accomplis en Afghanistan mais, depuis un an, on le sait, les progrès marquaient le pas, en ce qui concerne notamment la sécurité, avec la multiplication des attentats, le développement économique, dont les populations locales attendent encore plus de résultats, ou l’effroyable trafic de drogue, fléau inquiétant qu’il convient de combattre avec force. C’est vrai : devant une situation aussi préoccupante, nous devons faire preuve de la plus grande vigilance.

Nous avons notamment demandé que toutes les leçons soient tirées de l'embuscade qui a coûté la vie à dix de nos soldats dans la vallée d'Uzbin. Vos propos, monsieur le Premier ministre, vont tout à fait dans le sens de ce que nous souhaitons. Donner des moyens supplémentaires était évidemment une sage décision.

En ce qui concerne la transparence nécessaire,…

M. Roland Muzeau. Vous enterrez les rapports !

M. Jean-François Copé. …vous savez combien nous désirons connaître précisément les choses parce qu’il y va désormais de notre responsabilité de parlementaires de la nation.

Par-delà cette attaque, qui ne résume pas la situation de nos forces en Afghanistan, l’enjeu crucial est celui de la stratégie capable de relancer la dynamique de progrès. Cela tombe bien puisque, au sommet de Bucarest, il y a cinq mois, la France a convaincu ses alliés de redessiner la stratégie de la coalition en Afghanistan. C’est du reste à cette redéfinition qu’était conditionné l’envoi de renforts stratégiques. De ce point de vue l'action du Président de la République a été décisive.

M. Henri Emmanuelli. Personne n’y croit !

M. Jean-François Copé. Je ne regrette qu’une seule chose : que, dans ce domaine-là non plus, l’opposition ne soit pas capable de reconnaître les faits, y compris lorsqu’ils sont à l’avantage de la France.

Bien sûr, des défis considérables restent à relever : je veux insister particulièrement sur quatre points.

Le premier, c’est le passage de relais aux Afghans.

Pour pacifier le pays et ouvrir la voie d'un retour progressif des troupes alliées, la condition sine qua non est une armée afghane, bien formée, bien payée et représentative de la diversité des populations locales. Des progrès ont été accomplis en la matière mais chacun comprend que, dans ce domaine, il n’est pas question de reculer ou de repartir tant qu’il n’existe pas d’armée afghane digne de ce nom pour continuer la lutte contre les talibans. Cela peut durer un certain temps mais rien ne serait pire que d’afficher un calendrier de retrait car ce serait la meilleure manière de permettre aux talibans d’organiser tranquillement leur agenda. Je comprends mal comment, à gauche, on peut aller aussi loin dans la démagogie et dans le non-sens. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC - Protestations sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. Henri Emmanuelli. Assez d’injures !

M. Jean-François Copé. Le deuxième impératif, c’est l'aide au développement et à la reconstruction, qui doit être une priorité absolue. À titre personnel, du reste, je regrette que la France n’ait pas les moyens de dégager plus de crédits à l’aide au développement et à la reconstruction civile.

En troisième lieu, je tiens, après vous, monsieur le Premier ministre, à évoquer le problème de la drogue. Le pavot est, hélas, le nerf de la guerre pour ceux qui financent les insurrections. Soyons clairs : il convient de lutter le plus brutalement possible contre les trafiquants, notamment en s’attaquant aux laboratoires.

Le quatrième et dernier impératif tient dans la nécessité d'une approche régionale globale de la question afghane ; je pense en particulier au Pakistan.

Mes chers collègues, s’il s’agit de refuser le fatalisme, je n’ai pas pour autant l’intention de nier la difficulté de la situation.

M. Henri Emmanuelli. Vous auriez du mal !

M. Jean-François Copé. Nous avons des défis considérables à relever. Je rejette toutefois avec fermeté le défaitisme de ceux qui se baladent avec à la bouche des mots tels que « enlisement », « bourbier », ou d’autres encore, qu’on entend galvauder depuis des années, dès lors que la France s’engage militairement au service de causes qui sont nobles et en cohérence avec les valeurs de notre patrie.

M. Jean-Pierre Brard. Et le Tchad ?

M. Jean-François Copé. Je rejette également le simplisme des donneurs de leçons habituels qui posent leurs exigences depuis Paris sans rien entendre à la complexité locale. Il serait absurde de donner rendez-vous aux talibans en leur disant par avance à quelle date nous pourrions partir, comme il est absurde de donner de son coin des leçons d’art militaire, un art qu’on ne maîtrise pas toujours autant qu’on pourrait le prétendre. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC - Exclamations sur les bancs des groupes SCR et GDR.)

M. Henri Emmanuelli. C’est de la provocation !

M. Jean-François Copé. Depuis 2001, nous avons prouvé que des progrès majeurs étaient possibles avec une stratégie clarifiée, des moyens conséquents et un engagement persévérant, jusqu’à redonner progressivement aux Afghans la maîtrise de leur propre destin. Tel est l'objectif que nous devons viser. C'est à condition de l'atteindre que nous pourrons revoir le dispositif militaire et le réduire progressivement.

Dans cette logique, monsieur le Premier ministre, je vous demande, au nom des députés du groupe UMP de procéder à une évaluation régulière de la situation militaire et civile sur le terrain et de nous en rendre compte aussi souvent que nécessaire, afin que nous puissions en débattre.

Durant trop d’années – j’insiste sur ce point – nous avons eu le tort de ne pas tenir de débat sur des questions aussi essentielles que l'envoi de nos soldats à l'étranger.

M. Roland Muzeau. La faute à qui ?

M. Jean-François Copé. Cela est d’autant moins acceptable que cette absence de débat explique pour une bonne part le fait que l’opinion publique française soit si peu sensibilisée à ces questions pourtant essentielles.

M. Jacques Desallangre. Elle l’est, au contraire !

M. Jean-François Copé. Nous devons donner toute sa place au débat sur ces questions.

Monsieur le président de la commission de la défense, nous, les députés de la majorité, veillerons constamment à être en première ligne pour débattre, écouter, comprendre et assumer les décisions !

M. Henri Emmanuelli. Allez-y en première ligne, mais en Afghanistan !

M. Jean-François Copé. Je souhaite de nouveau m'adresser à nos collègues socialistes, non pour polémiquer mais simplement dans un souci de clarté.

La question qui se pose aujourd'hui n'est ni celle des conditions de notre présence ni celle de la stratégie.

Bien sûr, nous avons évoqué ce point avec le Gouvernement, et il était important de le faire. Mais la question qui nous est posée aujourd’hui est celle de savoir si la France doit, oui ou non, se désengager de l’Afghanistan. (« Oui ! » sur plusieurs bancs des groupes SRC et GDR.) Or, je ne sais toujours pas ce qu’en pense le groupe socialiste. C’est d’autant plus troublant qu’il va bien falloir que chacun prenne ses responsabilités.

Ceux qui sont aujourd’hui dans l’opposition étaient hier dans la majorité et nous avaient alors demandé de voter avec eux pour l’envoi des troupes françaises.

M. Claude Goasguen. Absolument !

M. Jean-François Copé. Ce jour-là, nous avons été présents parce que c’était pour la France, pour la sécurité des Français. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.) Dans ce domaine, il ne peut pas y avoir de sectarisme ou de politique politicienne. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Qu’on ne vienne pas nous dire, comme je l’ai entendu il y a quelques mois, qu’en 2001, lorsque M. Jospin, aux côtés du Président Chirac, envoyait les troupes, c’était pour une mission humanitaire, car, à l’époque déjà, on envoyait des Mirage et 200 hommes des forces spéciales. Croyez-moi, c’était bien pour une intervention militaire !

Enfin, alors que c'est la première fois depuis longtemps que les Français suivent avec autant d'intensité une opération extérieure, je voudrais m'adresser à tous nos concitoyens.

Dans le combat que nous menons contre la misère, contre la terreur, dans le combat que nous menons pour les Afghans et pour la paix, dans le combat que nous menons pour la sécurité de notre pays, il ne faut pas flancher, même si nous risquons de payer encore, hélas, le prix du sang.

M. Henri Emmanuelli. Ce ne sera pas vous !

M. Jean-François Copé. Parmi les soldats qui ont survécu à l'embuscade de la vallée d'Uzbin, ils sont nombreux à vouloir repartir au combat. Après cette épreuve, ils ont une conscience encore plus claire du risque qu'ils prennent, mais ils ne le fuient pas. Ils sont prêts à se battre, avec courage et détermination.

Face à la guerre des images, aux chocs des photos, il est parfois difficile de dissimuler notre émotion. Les talibans en sont conscients. Ils jouent de notre système médiatique pour faire basculer l'opinion publique des pays engagés et inciter au retrait des troupes.

La course aux scoops et aux tirages records est le complice de fait de cette stratégie. Faut-il pour autant blâmer ou, pire, censurer tel ou tel journal ? Je ne le pense pas.

M. François Hollande. Vous n’avez pas besoin de ça, vous le faites tous les jours !

M. Jean-François Copé. Comme Tocqueville, je considère que, « pour recueillir les biens inestimables qu'assure la liberté de la presse, il faut savoir se soumettre aux maux inévitables qu'elle fait naître. » Je préfère en appeler à la conscience de chaque journaliste, de chaque responsable de presse, avant la publication d'un article ou d'une photo qui jouerait objectivement le jeu des talibans. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

J'invite chaque Français à éviter les pièges que nous tendent nos ennemis à travers la mise en scène de leurs horreurs. Tout autant que la soif de vengeance haineuse, bannissons le repli dicté par la peur. Gardons en tout temps notre lucidité : nous le devons à nos soldats.

Mes chers collègues, à nous aujourd'hui d'assumer notre responsabilité en votant clairement pour la prolongation de la présence française en Afghanistan,

Dans ce pays ami, la France refuse le choc des civilisations comme elle refuse de sortir de l'Histoire. Elle prend ses responsabilités, dans l'intérêt de nos concitoyens et de leur sécurité, dans l'intérêt de la paix et de nos valeurs. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. La parole est à M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères.

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis sept ans, la France est engagée sur le terrain afghan aux côtés d'une quarantaine d'autres nations. Il y a quelques mois, le Président de la République a pris la décision d'y renforcer notre dispositif militaire. Aujourd'hui, notre débat est important, en raison même de son sujet, et, surtout, parce que nous allons nous prononcer par un vote sur la prolongation ou non de l'engagement de l'armée française sur ce théâtre.

À cette fin, la commission des affaires étrangères a mené avec la commission de la défense toute une série d'auditions ces deux dernières semaines afin d'éclairer notre appréciation de la situation.

Dix soldats français ont été tués le 18 août dernier dans une embuscade. Je veux moi aussi saluer ici leur comportement héroïque face à l'ennemi. Ils sont tombés pour une cause juste : celles de la défense des démocraties et des droits de l'homme.

Décidée en 2001, sous un autre gouvernement, la participation de la France à l'opération alliée répond en effet à un impératif : empêcher le retour au pouvoir des talibans, synonyme de persécution du peuple afghan et en particulier des Afghanes, synonyme aussi de la reprise à grande échelle des actions terroristes en Occident.

Depuis la chute du régime des talibans, des avancées tangibles ont été enregistrées, dans différents domaines. Grâce à l'implantation de plusieurs centaines de points médicaux disséminés dans le pays, environ 80 % de la population a désormais accès à la santé. Première manifestation de ce progrès, la mortalité infantile a connu une baisse notable. Par ailleurs, pas moins de 6 millions d'enfants vont désormais à l'école, dont plus de deux millions de jeunes filles alors que la scolarisation de celles-ci était interdite sous le régime taliban.

La contribution de la France à ces progrès doit être soulignée. J'ai personnellement visité en juillet dernier le remarquable hôpital français pour enfant de Kaboul avec ses 2 000 consultations quotidiennes. J'ai également visité le lycée français où, pour assurer l'accueil d'un nombre d'élèves toujours plus important, il a été mis en place deux sessions d'enseignement par jour.

Parallèlement à ces avancées, le contexte sécuritaire s'est dégradé depuis un an. Les Nations unies estiment qu'environ 1 500 civils ont trouvé une mort violente en 2007, et la tendance s'est amplifiée en 2008, avec l'augmentation des attentats dans Kaboul notamment. Les actes de terrorisme des talibans et de leurs alliés se sont multipliés, et l’on voit bien que la durée du conflit pèse à la population, qui ne voit pas sa situation s'améliorer.

Tant que les terroristes n'auront pas été mis hors d'état de nuire, les Afghans se retrouveront dans un étau, devant supporter la présence sur leur sol de forces étrangères, tout en craignant de voir les talibans reprendre le pouvoir. La victoire contre l'insécurité et le terrorisme est donc un préalable incontournable.

Même si des progrès sont indéniables, en particulier dans le domaine civil, le pays est encore loin d'être pacifié. Aux talibans traditionnels se sont alliés les mercenaires de certains des Seigneurs de guerre, ainsi dénommés, auxquels se sont joints des terroristes étrangers venus des pays avoisinants d'Asie et même d'Europe.

La drogue, la corruption et la mauvaise utilisation de l'aide internationale rendent par ailleurs plus difficiles les efforts mis en œuvre pour sécuriser le territoire. La population reproche au Gouvernement Karzaï son incapacité à gérer convenablement le pays et à améliorer ses conditions de vie en dépit de l'importance de l'aide internationale, dont elle ne voit pas ou peu les retombées. La corruption qui sévit et un certain laxisme vis-à-vis du trafic de drogue contribuent à ternir davantage l'image des autorités politiques.

La drogue est un obstacle majeur à la sécurisation et à la stabilisation de l'Afghanistan. En dépit d’une réduction des superficies consacrées à la culture du pavot entre 2007 et 2008, l'Afghanistan produit 90 % de l'opium mondial, environ 8 000 tonnes par an. La drogue est la principale source de revenu des talibans, et aggrave les problèmes de corruption.

Face à ces difficultés, quelles options stratégiques s'offrent à la coalition internationale ?

La solution passe tout d'abord par ce qu'il est convenu d'appeler « l'afghanisation » de l'engagement militaire. Comme le rappelait le Président de la République, les armées occidentales n'ont pas vocation à s'éterniser. Les Afghans doivent, à terme, assurer eux-mêmes la sécurité de leur pays.

L'urgence de l'heure impose donc d'accélérer leur déploiement. Cela implique un renforcement en moyens humains de cette armée et l'accélération de la formation des nouvelles unités. Le nombre d'hommes nécessaires pour stabiliser le pays est probablement de l'ordre de 200 000 à 250 000. Encore faut-il que les soldats afghans soient correctement équipés, correctement rémunérés, et cela afin de garantir leur loyauté et leur fidélité au régime en place.

L'armée afghane pourra ensuite se voir transférer de plus grandes responsabilités, comme cela a été le cas récemment dans la région de Kaboul.

Mais une guerre anti-insurrectionnelle ne se gagne qu'une fois distendu le lien entre les insurgés et la société locale, et cette société locale a besoin de nouvelles perspectives, différentes de ce qu'elle vit actuellement. Une politique qui ne serait fondée que sur le « tout militaire » ne parviendra pas à pacifier le pays.

Alors même que la récente conférence de Paris a permis de clarifier les mécanismes de l'aide internationale, il faut désormais s'assurer que les autorités afghanes utiliseront au mieux les moyens mis à leur disposition.

Par autorité afghane, il faut comprendre le pouvoir central mais aussi les autorités locales, et en particulier les gouverneurs de province dont le rôle est déterminant dans l'application des politiques à mener.

Les projets de développement, qu'ils soient agricoles, éducatifs ou structurants, sont, à long terme, la meilleure garantie de stabilisation. Pour autant, leur viabilité sera compromise tant que des remèdes n'auront pas été trouvés dans deux domaines clés : la lutte contre la drogue et la sécurisation des régions frontalières avec le Pakistan.

Deux priorités peuvent être fixées pour lutter contre la drogue. Il faut d'abord offrir aux producteurs de pavot des alternatives de culture largement subventionnées afin de compenser leur manque à gagner.

Par ailleurs, la mission de l'OTAN doit être étendue, d'une part, à la lutte contre l'importation des précurseurs chimiques nécessaire à la fabrication de l’héroïne, et d'autre part, à la destruction des laboratoires clandestins de transformation.

Actuellement, la coalition se trouve dans une situation assez paradoxale, puisqu'elle n'est pas chargée de ces tâches alors qu'elle possède les moyens les plus efficaces pour les accomplir.

Soyons réalistes, en effet : si l’on ne s'attaque pas avec détermination à la lutte contre la drogue, les paysans afghans persisteront à cultiver du pavot dont les prix restent encore largement supérieurs à ceux de toutes les autres productions agricoles.

L'autre défi majeur à relever concerne les régions frontalières, celles des zones tribales. J'estime que ce problème commande toutes les autres difficultés en vue de parvenir à pacifier le pays. Autour de la ligne Durand, un ensemble de régions montagneuses, particulièrement difficiles d'accès, sert de refuge aux talibans, leur permettant de venir se ressourcer et se rééquiper. Ces territoires sont utilisés comme base de repli et d'entraînement.

Le contrôle de cette zone ne relève pas de la coalition bien que des frappes aériennes soient actuellement menées dans le cadre de l'opération « Liberté immuable », avec les risques d'extension du conflit que cela comporte.

L'arrivée d'un nouveau Président à la tête du Pakistan, qui s'est résolument prononcé contre le terrorisme, doit nous inciter à rechercher une solution globale, combinant action politique et action militaire, qui associerait les forces alliées et les autorités pakistanaises. L'attentat perpétré hier à l'hôtel Marriott d'Islamabad, qui a fait des dizaines de morts et des centaines de blessés, nous montre que le Pakistan sera de plus en plus concerné par les actions terroristes.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, en Afghanistan, nos troupes participent à un combat auquel l'ensemble de la communauté internationale a souscrit depuis le 11 septembre 2001 : prévenir le retour du régime taliban.

La situation, nous le voyons bien, est d'une extrême complexité, car toutes les dimensions de la crise afghane sont liées.

L'ampleur de ce qui reste à accomplir permet de mesurer le temps nécessaire avant de rendre leur pays aux Afghans, ce qui doit rester notre objectif ultime. En cela, un retrait des troupes de l'OTAN aujourd'hui reviendrait à renoncer à nos objectifs initiaux et conduirait l'Afghanistan à redevenir le sanctuaire du terrorisme international.

Notre présence reste pour l'instant nécessaire, et je vous invite donc, chers collègues, à vous prononcer en faveur du maintien des troupes françaises en Afghanistan. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. La parole est à M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, notre armée est engagée en Afghanistan depuis la fin de l'année 2001, aux côtés de nos alliés, dans une action menée contre le terrorisme international, un terrorisme aveugle fondamentalement orienté contre la démocratie, contre l'État de droit, contre la dignité humaine, contre les valeurs sur lesquelles s'est bâtie notre république, contre les valeurs sur lesquelles repose l'ONU.

C'est vrai, notre armée est engagée sur l’un des théâtres les plus difficiles qui soient, par la sévérité de son climat et la rugosité de son relief, par l'attitude parfois ambiguë de certains de ses habitants, paysans accueillants le jour et rebelles cruels dès la nuit tombée.

M. Jean-Pierre Brard. C’est les Aurès !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. C'est vrai, nous sommes engagés dans un pays qui a toujours eu une attitude hostile face aux puissances étrangères. C'est donc à une méfiance profondément ancrée dans les mentalités collectives que nous sommes confrontés, alors que notre but a toujours été et reste d'aider les Afghans à se libérer des influences extérieures en inscrivant leur destin sur le chemin de la paix et du développement.

C'est vrai, certains de nos hommes sont engagés dans des opérations armées qui ne disent pas leur nom, avec ce que cela suppose d'incertitudes, de risques et de menaces.

Pour autant, doit-on se retirer ?

M. Roland Muzeau. Oui !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. Pour autant, doit-on capituler ?

M. Roland Muzeau. Non !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. Eh bien, vous allez nous en donner l’exemple ! (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.) Car c'est bien de cela qu'il s'agit.

M. Pierre Gosnat. C’est vous qui capitulez devant les Américains !

M. le président. C’est un débat grave : je vous demande un peu d’attention et de hauteur.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. Si nous devons être prêts à étudier divers scénarios, il y en a un à exclure d'emblée : celui du retrait des forces françaises ou d'un retrait de toute mission de combat. En effet, les insurgés savent qu'ils ne peuvent pas gagner militairement…

M. Roland Muzeau. Ils ont déjà gagné deux fois !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. …, mais ils savent aussi qu'ils peuvent empêcher la coalition de gagner, en la divisant : en la divisant par la communication d'informations tendancieuses ; en la divisant en jouant sur les opinions publiques par la publication fort opportune de photographies scandaleuses.

M. Roland Muzeau. L’ennemi de l’intérieur !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. Notre responsabilité est de ne pas tomber dans ce piège pervers d'une guerre de l'information asymétrique.

Ma conviction est donc que notre engagement en Afghanistan est légitime et nécessaire.

Notre engagement est légitime car il constitue la réponse de la France à l'appel du Conseil de sécurité des Nations unies qui a, au lendemain des attaques du 11 septembre 2001, enjoint tous les États à agir pour prévenir les attaques terroristes à venir.

Il est légitime sur le plan du droit international, légitime sur le plan de la morale politique.

Notre engagement est aussi nécessaire car, sans lui, nous prendrions un risque majeur pour l'avenir, celui de voir les terroristes, dans leur dimension la plus obscurantiste et la plus intolérante qui soit, établir en Afghanistan une base durable pour exporter leurs pratiques les plus rétrogrades.

M. Roland Muzeau. Comme l’Arabie saoudite !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. Kaboul – nous le savons tous, et vous aussi, chers collègues de l’opposition – deviendrait l'épicentre du djihadisme, voire la capitale d’un terrorisme aveugle. On observe déjà des métastases incontrôlables se répandre au Pakistan, dont les incertitudes politiques et la possession de l'arme nucléaire font planer de lourdes menaces sur le monde.

Faut-il rappeler que notre participation à l'opération de stabilisation a été décidée conjointement en 2001 par le Président de la République de l’époque, Jacques Chirac, et le Premier Ministre Lionel Jospin ? Faut-il rappeler que cette décision a été soutenue par la quasi-totalité des forces politiques de notre pays, sans jamais avoir été remise en question dans son principe ?

Faut-il rappeler que la présence internationale en Afghanistan a permis de faire de grandes avancées et que, même si elle est imparfaite, la démocratie fonctionne ?

M. Maxime Gremetz. Parlez-nous de l’armée !

M. le président. Monsieur Gremetz !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. Au printemps 2008, le Président de la République et le Premier ministre ont décidé de renforcer notre présence en Afghanistan.

En s'exposant davantage en Afghanistan, notre gouvernement a voulu élever le niveau de solidarité avec nos alliés, tout en montrant au monde que la France était prête à assumer les responsabilités particulières qu'elle a en sa qualité de membre permanent du Conseil de sécurité.

En s'exposant davantage, la France a, en contrepartie, fait adopter au sommet de Bucarest une stratégie claire en quatre points, que vous avez rappelée, monsieur le Premier ministre, mais qu’apparemment M. Ayrault n’a pas entendue, puisque, sur les six questions qu’il a posées, il avait déjà quatre réponses. Ces quatre points sont : le maintien de l'engagement jusqu'au succès de la mission ;…

M. Jean-Pierre Brard. À la Saint-Glinglin !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. …  l'obligation de transférer la responsabilité du pays aux institutions afghanes ; la nécessité de mettre en place une coordination des actions ;…

M. Pierre Gosnat. Cela s’appelle un bourbier !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. … et la nécessité d'une stratégie politique d'ensemble tenant compte des voisins de l'Afghanistan, notamment du Pakistan. Voilà déjà quatre bonnes réponses, quatre pistes à suivre depuis Bucarest ; mais il semblerait que vous ne les ayez pas retenues, monsieur Ayrault !

Aujourd'hui, des voix divergentes s'expriment, des doutes naissent. Mais, de grâce, laissons de côté les postures politiciennes ou idéologiques. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Vous ne vous émouviez nullement à l’époque où l’Union soviétique envahissait l’Afghanistan : pas de comité, alors ! (Mêmes mouvements sur les mêmes bancs. – Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. Monsieur Teissier, poursuivez votre discours.

M. Pierre Gosnat. Les Russes en ont tiré la leçon, eux !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. D'aucuns disent : « Il y a deux poids et deux mesures pour nos camarades ». D’aucuns disent que « notre présence militaire est un non-sens » et ajoutent que la France se serait rangée dans un « axe du bien contre le mal », alors qu'une telle orientation n'a jamais caractérisé la diplomatie française.

M. Jean-Pierre Brard. Rendez-nous De Gaulle !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. On nous demande de mettre l'accent sur l'encadrement de l'armée afghane, mais c'est précisément ce que nous faisons depuis des années tous les jours !

On nous dit que nous devrions mettre l'accent sur la reconstruction ; or nos militaires ont consacré beaucoup d'énergie à l'amélioration du réseau routier, et les contribuables français ont financé une partie non négligeable de la construction de routes et de la réhabilitation d'hôpitaux ou d'écoles.

Mais c'est méconnaître le savoir-faire français en ce domaine. Tous les alliés, y compris les Américains, reconnaissent que le particularisme de nos militaires réside avant tout dans l'établissement d'une relation de confiance avec une population qui souhaite retrouver la paix,…

M. Pierre Gosnat. C’est la méthode Coué !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. … une relation de confiance reposant sur le recours à un mélange de fermeté et de tact vis-à-vis de la population, …

M. Jean-Pierre Brard. La trique et la carotte !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. …, la conduite simultanée d'actions de reconstruction concrètes et d'opérations militaires de sécurisation dans le but de montrer que la force est bien là pour aider la population, l'intégration de la police et de l'armée afghanes dans les opérations, en évitant absolument de les utiliser comme des supplétifs.

On nous dit qu'il faudrait élargir la coalition. Mais si c'est pour avoir plus d'alliés avec des restrictions d'emploi toujours plus nombreuses, comme c'est déjà trop souvent le cas, quel serait l'intérêt opérationnel ?

J'entends par ailleurs que certains de nos collègues souhaiteraient que l'on fixe une date de fin de mission : cela aurait-il un sens ? Peut être sur le plan politique pour des initiés – et encore ! –, mais sûrement pas sur le plan militaire.

Mes chers collègues, la nécessité de maintenir notre présence en Afghanistan ne fait pas de doute, mais il faut en tirer toutes les conséquences pour nos forces armées. Monsieur le Premier ministre, la dispersion des forces françaises dans le monde a probablement atteint ses limites. Une réflexion sur une hiérarchisation de nos priorités apparaît désormais nécessaire, et c'est pourquoi je souhaiterais qu'un débat public soit engagé dans cet hémicycle sur cette question.

En outre, l'équipement de nos forces est essentiel. À partir du moment où nos forces sont engagées, il est de notre responsabilité d'élus de veiller à ce que leur soit assuré un maximum de sécurité dans l'accomplissement de leur mission : drones, moyens de renseignement humain, hélicoptères de soutien aux forces au sol, munitions, moyens de communication… Je me réjouis que le Gouvernement ait décidé de faire siennes ces recommandations exprimées à mon retour d'Afghanistan avec les parlementaires qui m’accompagnaient.

Enfin, nous ne pourrons sans doute pas nous priver prochainement d'un examen attentif de la question du format de l'armée de terre, principale force contributrice aux OPEX.

Bien sûr, la stratégie de l'OTAN doit être réexaminée régulièrement en fonction de ses résultats, mais c'est moins dans sa dimension militaire que dans sa dimension politique que nous devons le faire, dans le sens d'un dialogue entre toutes les composantes de la société afghane.

La stabilisation de l'Afghanistan et l'assèchement des ressources financières des Talibans, qui conditionnent le retrait de nos forces, passent par le développement économique. Il faut donc s’interroger sur les moyens d'éradiquer le trafic de la drogue. Cela sera extrêmement difficile, quand on sait qu’il représente 40 % du PNB.

Quelle que soit notre décision, nous ne pouvons pas oublier que nos soldats risquent leur vie en Afghanistan. C'est ce sens du devoir et du sacrifice…

M. Jean-Pierre Brard. Avec la peau des autres !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. … qui honore notre armée et notre pays. Nous avons eu l'occasion de rendre hommage au professionnalisme et au dévouement de nos militaires, y compris sur place.

Je voudrais vous convaincre que nos pertes passées et peut-être, hélas, futures ne sont pas vaines. Il n'y a pas de petit engagement opérationnel. Il n'y a que des projections sur des zones à risque. Ce rappel est régulier – vous en connaissez les noms : Bouaké, le mont Ingman, le pont de Verbanja, le Tchad et, bien sûr, Beyrouth.

M. Jean-Pierre Brard. L’Algérie !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. La reprise du contrôle de la vallée d'Uzbin, avec les dix morts qu'elle nous a coûtés, est essentielle, comme l'avait été la reprise du pont de Verbanja à Sarajevo, en 1995, grâce au courage de soldats français du troisième régiment d’infanterie de marine.

M. Claude Goasguen. Très bien !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. C'est ce sens du devoir et des valeurs que nous défendons, incarnés par nos militaires, qui permet à la France de préserver son influence dans le monde et de diffuser les valeurs sur lesquelles elle s'est construite. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) La France s’est longtemps battue pour les libertés et la dignité ; notre action d'aujourd'hui n'est que le prolongement des valeurs de la République. (Mêmes mouvements.)

M. Jean-Pierre Brard. Aux abris !

M. le président. Poursuivez, monsieur Teissier.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. Je sais qu’il y a des vérités difficiles à entendre ! (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. Monsieur Teissier, je vous en prie : poursuivez et concluez.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. Notre débat doit être également l'occasion de rendre une fois encore hommage à nos militaires et à leur sens de l'engagement au service de nos valeurs.

Le métier de soldat n'est pas un métier ordinaire. Pour être bien assumé, il impose de renoncer à la facilité, de s'opposer quotidiennement à la banalisation de la vie de soldat. Il demande un engagement continu, un effort constant, une humilité permanente. Nous savons qu'ils ont fait le choix le plus courageux : celui d'être prêts, à tout moment, jusqu'au don de leur vie, s’il le faut, ce qui suppose un sens de l'abnégation et du sacrifice sans équivalent. Nos militaires ont aujourd'hui besoin de notre soutien, de tout notre soutien. C’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, ils ont besoin d'un consensus national. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. Jean-Pierre Brard. C’est du Bigeard !

M. le président. La parole est à M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR. – Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. Mesdames et messieurs les députés, je vais m’efforcer de répondre rapidement à quelques questions techniques. Après vous avoir entendus, je reste fermement et très sincèrement persuadé qu’il ne faut pas abandonner nos amis afghans,… (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Henri Emmanuelli. Quelle surprise !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. …quand bien même sont-ils des amis difficiles, incertains, et qui ne l’avouent pas eux-mêmes.

M. Jean-Pierre Brard. Vendu !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. Je voudrais corriger quelques erreurs. J’ai beaucoup écouté – et je les recevais ce matin encore – les ONG françaises, qui travaillent en Afghanistan depuis des années. Elles n’ont pas du tout demandé le retrait des troupes françaises. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Elles ont au contraire souhaité, comme nous l’avons fait avec le Président de la République, à Bucarest et à la conférence de Paris, que nous nous rapprochions davantage des populations afghanes. C’est d’ailleurs ce que vous souhaitez tous, comme l’a très bien rappelé M. Copé. C’est précisément ce que nous faisons, avec les ONG françaises qui sont elles aussi très courageuses d’être sur place depuis 20 ou 25 ans. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Elles n’ont donc pas du tout réclamé notre retrait, pas plus d’ailleurs que les ONG afghanes, que nous avons entendues lors d’une conférence spéciale à Paris avant la conférence des organisations internationales et des États. Elles nous ont demandé de rester…

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. …pour que nous leur apportions notre concours, et non pas pour que nous nous substituions à elles. Elles souhaitent que nous restions à leurs côtés.

Monsieur Sauvadet, nous sommes d’accord – et ce point fait d’ailleurs l’objet d’un consensus – : il n’y a ni certitude absolue, ni sauveur suprême en Afghanistan, et cela fait des années que cela dure.

M. Henri Emmanuelli. C’est un scoop !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. Pour ceux qui ont connu la révolte du peuple afghan contre l’occupation soviétique…

M. Roland Muzeau. Et anglaise !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères … et anglaise, oui, et même contre Alexandre, bien avant, c’est toujours la même chose.

En effet, il est difficile de comprendre cette résistance, cette obstination si particulière, conséquence de la culture, des difficultés et de la religion, chacune étant au premier plan. Devant le peuple afghan, nous sommes dans l’incertitude. C’est pourquoi il faut travailler beaucoup plus avec eux : nous avons besoin d’établir des échanges ; il faut que les parlementaires afghans soient reçus plus souvent dans votre assemblée, que les techniciens afghans soient reçus dans notre pays, que l’éducation soit à la fête chez eux comme chez nous, et que tous les progrès soient soulignés au lieu d’être sous-évalués – même si, bien sûr, il n’y en n’a pas assez !

On nous demande de changer de stratégie.

M. Jean-Pierre Brard. Oui !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. Or c’est exactement ce que nous faisons. Mais il est impossible de le faire en deux mois ! Nous l’avons dit avec force : il n’y aura pas de solution seulement militaire en Afghanistan. Nous l’avons affirmé à Bucarest et à la conférence de Paris. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP et NC.) Mais cela n’implique pas de tout abandonner pour qu’il n’y ait pas de solution du tout ! Au contraire, nous devons nous rapprocher des populations afghanes, qui le demandent. Je vous l’assure, dans leur majorité, les Afghans sont fatigués des attentats, des meurtres et des difficultés quotidiennes. Bien sûr que le développement agricole est insuffisant et que le système d’irrigation n’est pas satisfaisant mais les progrès sont manifestes : pourquoi refusez-vous de les voir ?

C’est à Bucarest et à Paris que nous avons amorcé le changement de stratégie, ce rapprochement vers les populations afghanes que vous appelez de vos vœux. Mais n’espérez pas que les choses se passent aussi vite ! C’est impossible ! Cela fait vingt-cinq ans que nous sommes aux côtés des Afghans, qui affrontent régulièrement des difficultés supplémentaires. Ne les trahissez pas (Protestations sur les bancs des groupes SCR et GDR) au moment où nous obtenons un certain nombre de résultats (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. Maxime Gremetz. Ce propos est honteux !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. Mesdames, messieurs les députés, on vous a abreuvés de chiffres. Moi, je ne vous en donnerai qu’un : alors qu’il n’y avait pas un seul dispensaire sur le territoire afghan, il y en a maintenant 718. Certes, ce n’est pas assez, mais le développement va se poursuivre. Satisfaisez-vous de ce chiffre pour le moment. Reconnaissez avec nous que, de ce point de vue, les choses vont bien mieux.

M. Guy Geoffroy. Très juste !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. Relisez les conclusions de la conférence de Paris, vous y retrouverez la quasi-totalité de vos demandes, comme vient de le rappeler le président de la commission de la défense.

M. Jean-Pierre Kucheida. Les généraux ont dit le contraire !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. Monsieur Mamère, ne vous trompez pas : les Afghans souhaitent précisément pouvoir travailler au plus près des populations. Cela exige que la sécurité soit suffisamment assurée dans un certain nombre de régions – bien entendu nous ne pouvons le faire sur tout le territoire. Les médecins afghans pourront ainsi se déplacer. Je rappelle que deux d’entre eux ont été assassinés par les talibans la semaine dernière. Il faut nous donner un peu de temps.

Quant à l’alignement sur Washington (Exclamations sur les bancs des groupes SCR et GDR), c’est absurde…

M. le président. Monsieur le ministre, je vous interromps un instant.

Mes chers collègues, c’est la première fois que nous usons d’un droit nouveau (« Non ! » sur de nombreux bancs des groupes SCR et GDR), celui d’autoriser par notre vote la prolongation d’une opération extérieure des armées françaises.

M. Henri Emmanuelli. Non, on a déjà voté sur un tel sujet !

M. le président. Je vous demande solennellement de vous mettre à la place de ceux qui suivent nos débats, des familles des soldats, des soldats eux-mêmes, et d’exercer ce droit nouveau dans la dignité. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Monsieur le ministre, je vous prie de poursuivre.

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. Je le répète donc, la thèse de notre alignement sur Washington ne résiste pas aux faits.

Tout d’abord, vous avez raison de demander que l’opération Enduring Freedom et la FIAS soient sous l’autorité d’un commandement unique. Il faut le demander avec insistance et nous le ferons. Mais reconnaissez aussi qu’en 2001, lorsque M. Lionel Jospin et le président Chirac ont proposé l’intervention de la France, c’était sous le seul commandement américain dans l’opération Enduring Freedom !

M. Jean-Christophe Lagarde. Exactement !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. À présent, il y a, d’une part, un commandement américain et, de l’autre, un commandement international. Alors, monsieur Mamère, ne faites pas d’amalgame. Vous dites que nous nous sommes alignés sur les Américains. Nous sommes au contraire en train de définir une position commune aux vingt-cinq pays européens engagés en Afghanistan. En ce moment, le débat a lieu principalement avec les Anglais, qui, je vous le rappelle, ont beaucoup plus d’hommes que nous sur le terrain, déplorent de nombreux blessés et tués, et ont une connaissance particulière de ce pays.

M. Pierre Gosnat. En effet, les Anglais ont l’expérience de l’Afghanistan !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. Nous nous engageons avec eux pour que l’afghanisation ne soit pas un vain mot. Aujourd’hui, toute la politique étrangère de la France, que ce soit à Damas, à Tripoli ou en Géorgie, c’est le contraire de l’alignement ! (Exclamations sur les bancs des groupes SCR et GDR.) Regardez les faits ! Les Américains étaient-ils à Damas, à Tripoli ou en Géorgie ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Toutes ces critiques constituent un tissu d’approximations.

Monsieur Ayrault, vous demandez un directoire politique. Celui-ci existe déjà : il s’agit du Conseil de sécurité des Nations unies. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Cet après-midi même, il va voter une résolution qui va reconduire pour un an la FIAS. Vous voulez un meilleur directoire ? Il n’y en n’a pas. Vous voulez un directoire militaire ? Pour le moment, c’est l’OTAN.

M. Roland Muzeau. Non, ce sont les Américains !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. La stratégie mise en place ne sera ni celle de la FIAS ni celle de l’OTAN. Ce sera une stratégie qui écoutera plus la France. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. Mes chers collègues, avant de donner la parole à M. le ministre de la défense, je vous indique qu’en application de l’article 35, alinéa 3, de la Constitution, je vais mettre aux voix l’autorisation de la prolongation de l’intervention des forces armées en Afghanistan.

Le vote se fera par scrutin public, à vos places.

Je fais d’ores et déjà annoncer le scrutin dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Hervé Morin, ministre de la défense.

M. Hervé Morin, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, quelques mots complémentaires pour répondre à certaines observations des orateurs des groupes.

Monsieur Jean-Marc Ayrault, quand vous dites qu’il ne peut y avoir une victoire seulement militaire, je vous réponds que vous avez totalement raison. C’est d’ailleurs ce qu’exprime la France à travers l’action qu’elle mène depuis un an ainsi que dans le cadre de la conférence de Paris, avec la volonté de transférer le pouvoir et la sécurité du pays à l’armée nationale afghane. C’est aussi ce qu’exprime la France à travers l’aide au développement, financé par les vingt milliards de dollars des donateurs. Mais, pour que les Afghans soient en mesure de prendre en main leur destin, il faut d’abord assurer la sécurité du pays, faire en sorte qu’il soit stable. Et pour parvenir à le stabiliser, il faut d’abord une action militaire.

M. Pierre Gosnat. Pour vous, cela signifie bombarder !

M. Hervé Morin, ministre de la défense. Au-delà des opérations de sécurité et de stabilisation que nous menons, nous appliquons un programme en faveur de la formation des officiers afghans : plus de 4 000 d’entre eux ont été formés grâce à l’armée française. Plus de 300 militaires assurent en permanence la formation de l’armée nationale afghane, laquelle, en l’espace d’un an, est passée de 20 000 à 50 000 hommes. Progressivement, elle devient une armée capable de conduire des opérations militaires.

M. Jean-Paul Lecoq. Avec quel matériel ? Cette armée est non équipée !

M. Hervé Morin, ministre de la défense. Nous ne menons pas qu’une opération militaire. Nous essayons aussi de développer la gamme totale des ressources dont le pays a besoin pour assurer sa reconstruction.

Monsieur Mamère, vous nous dites que les hommes ne sont pas assez préparés pour cette mission. Je vais donc préciser quelle a été la formation de la section Carmin 2 du 8e RPIMA qui s’est retrouvée dans la vallée d’Uzbin. Cette formation, qui a duré six mois, est fondée sur le résultat d’un travail effectué en partenariat avec l’armée britannique et sur le retour d’expériences vécues depuis un an. Elle est extrêmement dense, rude, complète, exigeante pour nos militaires.

M. Philippe Folliot. C’est vrai !

M. Hervé Morin, ministre de la défense. La formation dispensée assure bien entendu les savoirs fondamentaux du combattant, que ce soit à titre individuel ou au titre du combat de groupe. Il y a aussi des formations pour la lutte contre les IED – les engins explosifs improvisés –, pour le secourisme du combat, la relève des blessés. En outre, il y a des formations particulières pour le guidage des avions et des hélicoptères en appui, pour la qualification à la conduite des véhicules avants blindés, et pour l’utilisation des brouilleurs. Vous avez également parlé des camps. À ce sujet, je vous précise qu’avant de partir, nos hommes vont en camp d’entraînement et en centre d’entraînement commando. La formation globale dure près de six mois. C’est la plus complète que l’armée française n’ait jamais mise en œuvre pour une opération extérieure. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UMP et NC.)

Monsieur Mamère, vous évoquez le retrait. Mais comment peut-on parler de retrait quand la France est membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, et qu’elle a voté chacune des résolutions du Conseil depuis 2001, y compris avec la Chine et la Russie ?

M. Noël Mamère et M. Maxime Gremetz. Et alors ?

M. Hervé Morin, ministre de la défense. Comment pouvez-vous parler de retrait quand la France est présidente en exercice de l’Union européenne, dont vingt-cinq des membres sur vingt-sept sont présents en Afghanistan ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.) Comment pouvez-vous évoquer un retrait quand la France est la cinquième puissance mondiale, et qu’elle a, à ce titre, des responsabilités particulières ? Notre départ serait le signe dramatique de l’absence de volonté de notre pays alors que la communauté internationale tout entière (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes SCR et GDR) est en train de combattre contre le terrorisme ; ce serait le signe dramatique de l’abandon par la France de ses responsabilités.

J’en reviens à vous, monsieur Ayrault. Vous nous dites que la cause nous réunit. Oui, elle nous réunit, comme elle nous a réunis en 2001 où, sur tous les bancs de l’Assemblée nationale, nous avons ensemble…

M. Henri Emmanuelli. Il n’y a pas eu de vote ! On ne nous a rien demandé !

M. Hervé Morin, ministre de la défense. …considéré que l’envoi de troupes en Afghanistan était nécessaire.

Oui, monsieur Ayrault, nous voudrions l’unité du pays dans la lutte contre le terrorisme, l’unité du pays pour la défense des droits de l’homme, mais aussi, et c’est à moi de le dire plus particulièrement, l’unité du pays derrière les 3 200 hommes engagés aujourd’hui en Afghanistan et qui, au péril de leur vie, assurent une mission difficile que nous devrions soutenir tous ensemble plutôt que de la dénigrer ! (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. – Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean Glavany. Monsieur le ministre, c’est honteux de dire ça ! C’est minable !

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant procéder au scrutin sur l’autorisation de la prolongation de l’intervention des forces armées en Afghanistan.

Je vous prie de regagner vos places.

Le scrutin est ouvert.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Le scrutin est clos

Voici le résultat du scrutin :

L’Assemblée nationale a autorisé la prolongation de l’intervention des forcées armées en Afghanistan. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-huit heures.)

M. le président. La séance est reprise.

8

Revenus du travail

Discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi en faveur des revenus du travail (nos 1096, 1107, 1106, 1108).

La parole est à M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité.

M. Alain Vidalies. Et de la baisse du pouvoir d’achat !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Monsieur le président, messieurs les présidents de commission, messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, notre projet est clair : il vise à remettre le travail au cœur de notre modèle de société.

M. Dominique Tian. Très bien !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail. Pour partager des richesses, il faut d'abord en créer, et c'est par le travail que l'on crée des richesses, donc du pouvoir d'achat. C'est aussi par le travail que l'on prépare mieux l'avenir de la société. C’est toujours par le travail que l’on améliore sa situation personnelle.

Tous nos efforts, toutes les réformes engagées depuis un an en matière économique et sociale ont permis de donner une place centrale à la valeur travail. Avec ce texte, comme l'a rappelé le Président de la République, il s'agit de donner au travail la juste part des richesses qu'il contribue à produire, et de le faire dans le cadre du dialogue social.

M. Jean-Pierre Brard. Comme chez Renault ! Comme chez Alcatel-Lucent !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail. Il est évident qu'une société proposant la juste rétribution des efforts de chacun et privilégiant la discussion est plus forte et mieux armée dans la compétition économique. Il est évident que le capital et le travail sont tous les deux indispensables au développement économique et à la vitalité d'une entreprise : l'un ne va pas sans l'autre ; les opposer n'a jamais rien produit de positif et de constructif.

Dans le cadre de la participation, cinq millions de salariés ont touché un peu plus de sept milliards d'euros en 2006. L’intéressement a bénéficié à 4,3 millions de salariés et représenté un montant de sept milliards d'euros. Voilà un outil important pour continuer à améliorer le pouvoir d'achat des Français !

M. Jean-Pierre Brard. Et celui de Noël Forgeard !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail. L'intéressement et la participation donnent donc déjà des résultats, mais nous devons et pouvons faire plus et mieux. Car aujourd'hui ce dispositif reste essentiellement limité aux grandes entreprises : dans les PME de moins de 50 salariés, ces dispositifs bénéficient à seulement un salarié sur dix.

M. Jean-Pierre Brard. Dans la PME de Bernard Tapie !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail. Or les PME sont des partenaires importants, particulièrement dans la conjoncture économique actuelle : c'est là que nous saurons trouver de nouveaux gisements de croissance. Il nous faut donc dynamiser et faire connaître les bénéfices de ce système plus largement, au plus près du terrain.

M. Jean-Pierre Brard. Largement, c’est le cas de le dire !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail. Six millions de salariés ne bénéficient ni de l’intéressement ni de la participation. C’est cela qu’il nous faut changer !

Ce projet de loi nous l'avons préparé avec Christine Lagarde et Laurent Wauquiez, et nous avons voulu qu'il permette de développer les revenus du travail rapidement et efficacement. Nous avons voulu qu'il soit clair et simple à mettre en œuvre. C’est pourquoi il ne comporte que cinq articles qui présentent les deux versants de notre projet : l'intéressement et la participation pour mieux associer les salariés à la réussite économique des entreprises ; les salaires, parce qu'il faut aujourd'hui moderniser et dynamiser la politique salariale dans notre pays.

M. Jean-Pierre Brard. La dynamiter plutôt !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail. Je veux maintenant vous présenter les détails qui concernent l'intéressement, la participation et le SMIC, avant que Laurent Wauquiez vous présente plus précisément la conditionnalité des allégements pour les entreprises et les branches.

Mesdames et messieurs les députés, l'intéressement et la participation sont de belles et grandes idées, nous en convenons tous. Pourquoi alors ne pas en faire profiter le plus grand nombre de salariés, et notamment dans les PME ?

Ce projet s'inscrit dans une réhabilitation plus générale de la participation. Avec la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale, nous avons voulu permettre une plus grande participation des salariés au fonctionnement de l'entreprise. C'est dans ce but que nous avons souhaité renforcer la légitimité des représentants et appliquer aux contrats les principes de la démocratie.

Nous voulons donner une nouvelle impulsion à la participation financière. Pour cela, notre projet fixe des objectifs simples. Premier objectif : que les entreprises distribuent davantage à leurs salariés.

M. Jean-Pierre Brard. Tu parles !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail. Nous voulons doper l'intéressement, en doublant les montants distribués d'ici à 2012 : passer d'environ sept milliards d'euros par an actuellement à quatorze milliards d’euros par en 2012.

M. Jérôme Cahuzac. Au doigt mouillé !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail. Pour y parvenir, le projet de loi crée un crédit d'impôt des sociétés de 20 % sur l'augmentation des sommes distribuées.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, rapporteur pour avis. Très bien !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail. Si un chef d'entreprise distribue en plus 1 000 euros d'intéressement à ses salariés, cela lui coûtera 800 euros grâce au crédit d'impôts. C'est simple et immédiat.

M. Jean-Pierre Brard. Ah oui, ça rapporte !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail. Ce texte propose une mesure précise et concrète : 20 % de crédit d'impôt sur toutes les nouvelles sommes versées. Pour inciter les entreprises à jouer le jeu sans attendre, et pour que les salariés puissent percevoir immédiatement une prime, il est prévu de permettre aux entreprises qui auront signé un accord d'intéressement avant la mi-2009 de verser aux salariés une prime de 1 500 euros exonérée de charges et d'impôt.

Notre deuxième objectif est de faire confiance aux salariés en leur laissant la liberté de choix au moment où ils percevront leur participation : ils pourront soit disposer de leur épargne tout de suite, soit la bloquer.

M. Jean-Pierre Brard. Comme chez Airbus !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail. Il est temps de sortir d'une conception dirigiste…

M. Jean-Pierre Brard. Pour une conception dirigée vers la porte.

M. Jérôme Cahuzac. Pour aller dormir sous les ponts !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail… qui consistait à choisir à la place du salarié, pour lui constituer une épargne automatique sans prendre en compte sa situation, ses projets ou même ses besoins.

Naturellement, cette réforme n'entrera en vigueur que pour les droits à participation nouvellement distribués ; elle ne modifiera pas les cas de déblocage anticipé. Je tiens également à souligner qu'elle ne réduira pas non plus l'intérêt et le développement de l'épargne salariale. Celle-ci poursuivra son essor. Je sais que beaucoup d'entre vous – sur tous les bancs – y sont légitimement attachés.

En simplifiant les règles, nous voulons développer l’attrait de ces mécanismes pour les entreprises comme pour les salariés, car plus d'intéressement et plus de participation c’est plus de pouvoir d'achat ajouté aux salaires.

M. Jean-Pierre Brard. Bien sûr !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail. J'ai bien dit «ajouté », car l'intéressement et la participation ne remplacent pas les salaires mais s’y additionnent. D'ailleurs ce projet de loi est un tout : il dynamise également la politique salariale, l'échelle des salaires et la négociation sur les salaires.

Nous pensons aussi à ceux dont la rémunération se situe en bas de l'échelle des salaires, c'est pourquoi nous voulons moderniser la manière de fixer le SMIC. Depuis trop longtemps, la fixation du SMIC est devenue un rendez-vous politique de plus en plus déconnecté de la réalité économique et sociale.

Les coups de pouce gouvernementaux, les multiples SMIC liés aux 35 heures, le rendez-vous annuel autour de partenaires sociaux, qui plaident les uns pour une augmentation significative, les autres pour un statu quo, n'ont pas vraiment conduit à améliorer la situation des salariés et des entreprises. Ils n'ont pas davantage permis de disposer d'une rémunération plancher dynamique tant pour la croissance des entreprises que pour l'échelle des salaires. Il faut donc que l'évolution du SMIC soit davantage en phase avec les conditions économiques et le rythme des négociations salariales, et qu'on sorte d’un jeu de rôle.

M. Jean-Pierre Brard. Avec des experts !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail. En avançant la date de la revalorisation annuelle au 1er janvier, nous donnerons enfin de la visibilité aux négociations salariales annuelles dans les entreprises et les branches.

Nous proposons que des experts indépendants soient consultés…

M. Jérôme Cahuzac. Indépendants de qui, de quoi ?

M. Xavier Bertrand, ministre du travail… et remettent chaque année à la Commission nationale de la négociation collective et au Gouvernement, un rapport sur les évolutions souhaitables du SMIC.

Il s'agit, non pas de créer une commission de plus, mais de faire en sorte que la fixation du SMIC fasse l'objet d'une analyse sereine, objective et indépendante, comme chez nos voisins étrangers. Nous veillerons à ce que les nouveaux moyens soient mutualisés avec ceux d'une instance existante, comme la commission des affaires sociales le souhaite, monsieur le rapporteur.

M. Jean-Pierre Brard. Tartuffe !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail. Enfin, nous allons conditionner les allégements de charges afin qu'ils soient versés à ceux qui jouent le jeu de la négociation salariale. Laurent Wauquiez vous exposera plus en détail cet axe de notre projet, mais je voudrais insister sur certains points qui me tiennent particulièrement à cœur.

Est-il normal que presque le quart des entreprises qui ont l'obligation légale de négocier chaque année sur les salaires n'en fasse rien ?

M. Christian Eckert. Que fait votre ministère ?

M. Xavier Bertrand, ministre du travail. Il ne s'agit pas d'augmenter les salaires par la loi. Cependant, l'État peut en revanche choisir de retirer des allégements de charges sociales à ceux qui ne respectent pas un engagement minimal, à savoir dialoguer et échanger avec les représentants des salariés sur les possibilités de revalorisations salariales.

Les entreprises qui ne respecteront pas leur obligation de négociations salariales se verront retirer 10 % des allégements de charges dont elles bénéficient. C'est simple et surtout direct.

M. Jean-Pierre Brard. 90 % de matière grasse au lieu de 100 %, quelle horreur !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail. En outre, il n'est pas admissible que des minima de salaires fixés par la négociation de branche soient encore inférieurs au SMIC. Sept branches restent encore dans cette situation qui concerne plus de 200 000 salariés. Certes, des progrès ont été notés ces dernières années puisque, en 2005, la moitié des branches étaient encore dans ce cas ! Cependant, la situation actuelle n'est pas acceptable.

Une grille de salaires avec des minima inférieurs au SMIC, c'est autant de salariés qui perdent des perspectives d'évolution salariales et qui stagnent au SMIC. C'est le signe d'un dialogue social et de discussions qui s'enlisent. Pour remédier à cette situation, les allégements seront calculés, non plus sur le SMIC, mais sur le minimum de salaire le plus bas lorsqu'il est inférieur au SMIC.

Avant de conclure, je veux souligner un dernier point à mes yeux essentiel : il faut que chaque entreprise puisse mettre en œuvre ce système de la façon la plus simple et la plus adaptée à sa situation. C'est pourquoi je souhaite que nous fassions ensemble un immense effort de pédagogie sur ce sujet.

M. Jean-Pierre Brard. On va vous aider !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail. Pour notre part, nous avons commencé à prendre contact avec les experts comptables et avec les organisations professionnelles qui vont contribuer à expliquer le dispositif et à le rendre accessible, par exemple en proposant des canevas d'accords-type. C'est ce que j'appelle le service après vote, …

M. Jean-Pierre Brard. Xavier Darty !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail. …parce que je suis convaincu qu'une réforme n'existe vraiment que quand elle entre dans le quotidien de nos concitoyens, quand elle est appliquée, qu'ils la comprennent et en mesurent les effets, en un mot, lorsqu'ils se l'approprient.

Durant tout le débat parlementaire et donc avant le vote, le Gouvernement sera attentif aux propositions que vous pourrez faire pour améliorer le texte. Je veux d'ores et déjà saluer le travail de la commission des affaires sociales, de son président, de ses membres et de son rapporteur, Gérard Cherpion, dont les propositions d'amendements permettront d'enrichir le projet.

Je veux également dire combien je suis sensible aux propositions formulées par la commission des affaires économiques et son président et rapporteur pour avis, Patrick Ollier.

M. Jérôme Cahuzac. Particulièrement ravi de l’article 2 !

M. Xavier Bertrand, ministre du travail. Je tiens à saluer sa contribution et son investissement dans ce projet. Il sait que je partage son souci d'un développement économique et social dont les deux versants ne peuvent aller l'un sans l'autre. Je partage cette vision d'une économie où les salariés perçoivent les dividendes de leur travail, et les actionnaires les dividendes de leur apport et, plus largement, cette vision d'une société où le capital et le travail marchent de pair.

Je veux enfin saluer le travail du rapporteur pour avis de la commission des finances, Louis Giscard d'Estaing.

Avec ce texte, nous envoyons un signal clair aux entreprises et aux salariés. Nous créons les conditions pour que le partage des richesses favorise ceux qui travaillent. Nous poursuivons les réformes qui visent à développer le dialogue social pour mieux associer les salariés aux succès de leur entreprise. Nous pensons qu’il est juste que les salariés touchent le dividende de leur travail, aussi bien que les actionnaires perçoivent le dividende de leur investissement.

Avec ce projet de loi, l'action politique prend tout son sens moderne : la loi incite et fixe un cap, ce sont ensuite les acteurs de l'entreprise qui lui donneront toute sa portée. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État chargé de l’emploi.

M. Jean-Pierre Brard. M. alpha et oméga !

M. le président. Monsieur Brard, merci de me laisser annoncer les orateurs.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État chargé de l’emploi. Monsieur le président, messieurs les présidents de commission, messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés…

M. Alain Vidalies. Jusque-là tout va bien !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État… permettez-moi tout d'abord d'excuser Christine Lagarde qui ne peut être présente cet après midi, compte tenu d'engagements liés à la situation financière internationale. Je pense que vous le comprendrez.

Le projet de loi qui vous est présenté s'inscrit pleinement dans la philosophie générale de l'action du Gouvernement depuis dix-sept mois : la revalorisation du travail, en rupture avec la logique des 35 heures. Il a pour objectif clairement assumé, comme l’a dit Xavier Bertrand, de redonner des perspectives aux Français qui travaillent.

Pour être plus précis, ce projet de loi s'adresse en priorité aux ménages des classes moyennes modestes qui ont été trop souvent les grands oubliés de politiques menées depuis vingt-cinq ans en faveur des revenus. Je sais à quel point ce sujet tient à cœur au président de la commission des affaires sociales.

En effet, l’examen de l’évolution des pratiques salariales des vingt-cinq dernières années révèle de manière frappante que le SMIC a été utilisé comme l'alpha et l'oméga, monsieur Brard, de la politique des revenus du travail.

Résultat : on s’est focalisé sur la progression du SMIC…

M. Jérôme Cahuzac. Surtout les smicards !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. …en oubliant ceux qui ne retrouvent pas d’emploi et ceux qui gagnent juste un peu plus que le SMIC. Les débats se sont concentrés uniquement sur ces fameux coups de pouce – fruits d’une certaine démagogie politique – qui expliquent 60 % des hausses du SMIC depuis sa création en 1970, sans se demander quel est l’effet de ces coups de pouce sur l’ensemble des autres salaires, et notamment sur la situation des ménages modestes.

Et c'est ce que nous avons observé avec le pouvoir d'achat du SMIC : il a certes augmenté de près de 20 % depuis 1997 mais, dans le même temps, son écart avec le salaire des classes moyennes se resserrait année après année. C'est pourquoi nous avons aujourd'hui 3 millions de personnes rémunérées au SMIC, ce qui représente près de 15 % des salariés, soit un taux très supérieur à celui des autres pays de l'OCDE. Cela fait de la France, en termes de pratique de revenus, une exception. Par ailleurs, 50 % des salariés sont payés en dessous de 1 500 euros net par mois.

Ce que certains ont appelé une « smicardisation » de notre société est donc bien une réalité. Cela a surtout un impact sur les salariés payés légèrement au-dessus du SMIC, qui se trouvent rattrapés par les coups de pouce successifs donnés à ce dernier. Être rattrapé par le SMIC signifie souvent une perte en termes de perspective d’évolution ou pour la suite de la carrière. Trop de salariés se retrouvent, les un après les autres, « scotchés » au plancher du SMIC.

Deux chiffres permettent de mesurer l'étendue de ce phénomène : au milieu des années quatre-vingt, une personne sur sept gagnant le SMIC dépassait ce seuil deux ans plus tard ; au début des années 2000, les chances de sortir du SMIC étaient divisées par deux. Autrement dit, un salarié au SMIC a aujourd’hui très peu de possibilités de voir sa carrière évoluer et son salaire augmenter.

M. Jean-Pierre Brard. Vous allez donc lui permettre de baisser !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Non, monsieur Brard : ça, c’est votre projet !

De plus, contrairement à une image d'Épinal, les smicards ne sont plus majoritairement des ouvriers, pères de famille, travaillant en usine. En 2008, le « smicard » est plus fréquemment une jeune femme peu diplômée travaillant comme employée dans le secteur des services. Les salariés de moins de 25 ans sont approximativement deux fois plus souvent au SMIC que leurs aînés.

M. Jean-Pierre Brard. La faute à qui ?

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Le but du présent texte est donc bien de rompre avec une pratique salariale menée dans notre pays depuis plus de vingt-cinq ans. Il correspond bien au projet souhaité par le Président de la République. Il s’agit de recréer des perspectives de revenus, notamment pour les classes moyennes modestes, à travers trois volets.

Le premier, présenté par Xavier Bertrand, est le dispositif sur l’intéressement et la participation. Le deuxième outil concerne le mode de fixation du SMIC, avec la création d’un groupe d’experts indépendants, qui sera amené à se prononcer chaque année sur le SMIC. Cet outil doit permettre de fonder nos décisions de revalorisation non pas sur des arguments de démagogie politique, mais sur une réalité cohérente avec le rythme de croissance de l’économie et la progression des autres salaires.

M. Jean-Pierre Brard. Avec la bourse et les agents du grand capital !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Enfin, dans le même temps, il reste à dynamiser la conditionnalité des allégements de charges. Il s’agit de profiter de cet outil pour stimuler les négociations de salaires, de manière à recréer des perspectives salariales pour toutes celles et toux ceux qui, aujroud’hui, plafonnent au SMIC.

M. Christian Eckert. Que c’est beau !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. L’objectif est donc bien d’élargir les grilles de rémunération.

Je voudrais à ce sujet faire un commentaire sur la méthode retenue, laquelle a fait l’objet de débats au sein de la commission.

M. Jean-Pierre Brard. Un discours de la méthode ! C’est du Descartes dans le texte !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Il ne s’agit pas de choisir une méthode autoritaire et uniforme, fruit d’un idéologie dépassée, impraticable et néfaste à la compétitivité de nos entreprises. Le pari qui est fait est de faire confiance aux partenaires sociaux et d’inciter activement au dialogue social : cette méthode est plus adaptée à la situation de chaque secteur et de chaque entreprise.

Disons-le clairement : au niveau des salaires, il n'est pas normal que l'obligation de négocier annuellement sur les salaires dans les entreprises ne soit pas respectée.

M. Jean-Pierre Brard. Et que faites-vous contre cette situation ?

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. C'est pourtant aujourd'hui le cas dans une entreprise sur quatre, et les grandes entreprises sont autant concernées que les PME : je sais que ce sujet tient particulièrement à cœur au président de la commission des affaires économiques, Patrick Ollier.

Nous devons donc agir fermement pour mettre fin à ces situations choquantes et décourageantes pour les salariés. C'est en effet l'intérêt de l'entreprise comme du salarié que de respecter cette obligation d'avoir, au moins une fois par an, un vrai débat sur la question des salaires. Si, une année, l’évolution de ces derniers doit être limitée, il est normal que chaque salarié comprenne les raisons d’un effort collectif demandé à l’entreprise. Et si le salaire augmente significativement, il est aussi normal qu'on explique ce qui a permis d’atteindre ce résultat. La situation est claire : les entreprises qui ne joueront pas le jeu verront leurs allégements diminuer de 10 % chaque année.

En effet, la collectivité fait un effort budgétaire important pour réduire le coût des charges pour les entreprises, et donc stimuler l’emploi : c’est un outil essentiel de notre politique, qui a un effet particulièrement fort sur la création ou la préservation d’emplois. Il est cependant normal qu’en contrepartie, les entreprises respectent leurs obligations en matière de rémunérations. La commission des affaires sociales a, par le biais de son rapporteur, fait des propositions pour renforcer et améliorer la portée de cette obligation pesant sur les entreprises, notamment afin d’assurer une progressivité plus cohérente avec le comportement de chacune d’elles. Le Gouvernement y sera bien évidemment attentif, et je profite de l’occasion pour remercier Gérard Cherpion du travail particulièrement constructif qu’il a mené, notamment sur ces deux volets du projet de loi.

Du côté des branches, il n'est pas normal que le bas des grilles de salaires soit durablement décalé par rapport au SMIC. C'est le cas, par exemple, dans le commerce d'habillement, les grands magasins ou la parfumerie. Il faut bien en mesurer l’impact : évidemment, aucun salaire n’est inférieur au SMIC. Mais lorsque, dans une branche, une grille salariale commence sous le SMIC, tous les salaires et les perspectives d’évolution, y compris lorsque l’on a des responsabilités supplémentaires, restent « collés » au SMIC : plus le bas de la grille est inférieur au SMIC, plus il y aura de salariés au SMIC et sans véritable perspective d’évolution.

Un effort colossal a été fait par mon prédécesseur pour mener des négociations annuelles, afin d’améliorer les minima sociaux. Mais nous souhaitons un dispositif pérenne, qui n’entraîne pas une course-poursuite entre les négociations de branche et l’évolution du SMIC. Le but est d’être sur que, dans toutes les branches et durablement, les minima restent au niveau du SMIC. La négociation entre partenaires sociaux aidant, c'est l'ensemble du bas des grilles de salaires, et pas seulement le premier coefficient, qui pourra ainsi être réévalué. Dans les branches qui ne joueraient pas le jeu, les entreprises verraient leurs allégements de cotisations diminuer, puisque ceux-ci seront désormais calculés sur la base des minima conventionnels, et non plus du SMIC.

Inciter au développement de l'épargne salariale, moderniser la fixation du SMIC sans remettre en cause ses critères légaux et adopter des revalorisations salariales justes en renforçant le dialogue social, c'est-à-dire cohérentes avec la situation de chaque entreprise : tels sont les moyens que vous propose ce projet de loi, moyens principalement ciblés pour améliorer la situation des salariés modestes et des classes moyennes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

(M. Marc Le Fur remplace M. Bernard Accoyer au fauteuil de la présidence.)

Présidence de M. Marc Le Fur,
vice-président

M. le président. La parole est à M. Gérard Cherpion, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales, et sociales.

M. Gérard Cherpion, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales, et sociales. C'est avec un grand plaisir que j'ai préparé la discussion du présent projet de loi au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Je souhaite maintenant, puisque les dispositions du projet ont été exposées par M. le ministre et M. le secrétaire d’État, vous présenter les principaux apports résultant des travaux de la commission.

Avant toute chose, je souhaiterais insister sur un point que m'ont confirmé les vingt et une auditions menées pour préparer cette discussion : les mesures proposées constituent des leviers potentiellement puissants pour dynamiser les revenus du travail, mais rien ne se fera sans un effort de pédagogie. M. Xavier Bertrand a évoqué en commission la nécessité d'un « service après-vote », expression que je reprends volontiers à mon compte. Les mesures figurant dans les cinq articles du projet de loi ne pourront en effet trouver une pleine application, une fois votées, sans un effort quotidien d'explication sur le terrain. Car les attentes sont grandes sur les différents volets du texte.

En premier lieu, l'institution d'un crédit d'impôt au profit des entreprises – et tout particulièrement des plus petites d'entre elles – concluant des accords d'intéressement me paraît de nature à répondre au formidable défi que constitue la situation présente : moins de 10 % des salariés des entreprises de moins de 50 salariés bénéficient en effet aujourd'hui de l'intéressement.

La commission a souhaité encore enrichir le dispositif proposé par le projet de loi. D'une part, on sait que l'appropriation de dispositifs nouveaux soulève des interrogations spécifiques dans les petites entreprises. C'est pourquoi j'ai voulu proposer une mesure qui s'adresse tout particulièrement à elles, de manière qu'elles puissent, si elles le souhaitent, conclure des accords à partir de canevas que mettront à leur disposition les branches.

D'autre part, il a paru important à la commission de prévoir une évaluation du dispositif, laquelle sera réalisée par le Gouvernement au plus tard le 30 juin 2014. Cette date correspond à une échéance de six mois avant la date limite de conclusion des accords en application desquels les primes versées donneront droit au crédit d'impôt. Ainsi pourra être appréciée précisément la diffusion de l'intéressement dans les petites et moyennes entreprises et étudiée l'opportunité d'une reconduction du dispositif proposé.

S'agissant de la participation, l'article 2 du projet de loi, en posant le principe du libre choix du salarié entre versement immédiat et blocage des sommes issues de la participation, me semble essentiel car il favorise la responsabilisation du salarié. La commission a veillé à préciser la portée du dispositif, en adoptant un amendement indiquant que le libre choix est ouvert à chaque versement de participation, s'agissant des flux à venir. Car il est bien entendu que les stocks existants restent quant à eux bloqués.

La commission a aussi adopté des dispositifs complémentaires favorables au développement de l'épargne salariale, tant il est vrai qu'il ne faut pas opposer pouvoir d'achat immédiat et pouvoir d'achat différé. Elle a ainsi souhaité ouvrir la possibilité aux chefs d'entreprise et à leurs conjoints de bénéficier de la participation dans les entreprises de moins de cinquante salariés qui choisissent d'y recourir, ainsi que dans les entreprises de cent salariés ou moins dotées d'un accord dérogatoire de participation.

La commission a également adopté un amendement rendant possible l'abondement par l'employeur des sommes attribuées au titre de la participation et versées sur un plan d'épargne d'entreprise, par cohérence avec le dispositif d’intéressement déjà existant.

Enfin, il a paru important à la commission d'ouvrir le débat sur le plan d'épargne pour la retraite collectif, le PERCO. Les flux des avoirs portés sur ces plans doublent régulièrement depuis 2004. Il faut se donner les moyens d'aller plus loin encore, même si je suis conscient que le présent texte, compte tenu du lien avec la question des retraites, n'est pas nécessairement le plus approprié.

J'en viens à l'article 3 et à la modernisation des mécanismes de fixation du salaire minimum. Les auditions ont montré que la mesure relative à l'avancée au 1er janvier de la date de fixation du salaire minimum…

M. Christian Eckert. Quelle révolution !

M. Gérard Cherpion, rapporteur. …rencontre une large adhésion.

Il en va différemment de la création d'une commission du salaire minimum. Je crois, comme la plupart des personnes auditionnées, qu'il est vraiment nécessaire de procéder, préalablement à la fixation du salaire minimum de croissance, à une étude objective portant sur son évolution – comme, d'ailleurs, sur l'ensemble des revenus –, en lien avec une analyse du marché du travail. Mais faut-il céder aux vieux réflexes et créer pour cela une énième commission administrative ? Combien de rapports, ces dernières années, n'ont-ils pas dénoncé cette pratique bien française consistant à créer une nouvelle instance à chaque nouvelle loi ? À mon sens, il est important, sur cette question, de rompre avec la tradition. C'est pourquoi je propose de substituer à l'intervention d'une commission celle d'un groupe d'experts rattaché à une structure existante. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Pierre Brard. Quelle révolution ! Voilà un député qui va entrer dans l’histoire !

M. le président. Mes chers collègues, écoutons le rapporteur.

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Ce groupe se prononcerait chaque année sur l'évolution du salaire minimum de croissance et de l'ensemble des revenus, en établissant un rapport qu'il adressera à la Commission nationale de la négociation collective et au Gouvernement. Ce rapport sera public.

Dans le cas où le Gouvernement, devant la Commission nationale de la négociation collective, préalablement à la fixation annuelle du salaire minimum, s'écarterait des préconisations du rapport établi par le groupe d'experts, il serait obligé de motiver par écrit ces différences auprès de la Commission nationale de la négociation collective.

M. Jean-Pierre Brard. Et vous y croyez ?

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Ce groupe d'experts pourrait relever du Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale, le CERC, qui, composé de quelques membres seulement, effectue d'ores et déjà des analyses économiques sur l’évolution des revenus et de l'emploi. Je tiens en outre à insister sur le fait que, bien entendu, les missions de la Commission nationale de la négociation collective en matière de salaires minimums ne doivent en aucun cas être affectées par ces évolutions.

Enfin, le projet de loi se conclut par deux articles instaurant une conditionnalité pour certaines exonérations de cotisations sociales patronales, principalement la réduction générale dite Fillon. Sont ainsi mis en œuvre un engagement constant du Président de la République et l'une des conclusions du récent rapport de notre collègue Yves Bur au nom de la mission d'information commune à nos commissions des affaires sociales et des finances.

Pour autant, le projet de loi ne saurait être tenu pour un texte relatif aux exonérations de cotisations sociales. Bien sûr, ces différents mécanismes soulèvent des interrogations et certains d'entre eux méritent sans doute d'être revus. Mais ce serait méconnaître la cohérence du texte que de le compléter par des dispositions portant sur les exonérations, d'autant que l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 offrira prochainement un cadre général beaucoup plus approprié pour un tel débat.

Au demeurant, la nature incitative, et non pas répressive, des articles 4 et 5 du projet de loi montre que l’objectif n'est pas d'améliorer la situation des finances publiques en réduisant le montant des exonérations de cotisations sociales.

Au contraire, ces deux articles auront atteint leur but s’ils ne rapportent rien, c’est-à-dire s’il n’est pas besoin d’appliquer les mécanismes de sanction qu’ils créent.

En effet, l’article 4 conditionne le bénéfice de certaines exonérations de cotisations à l’ouverture par l’entreprise de la négociation annuelle obligatoire sur les salaires effectifs. Dorénavant, les entreprises qui ne respectent pas cette obligation seront privées de 10 % du montant de ces exonérations.

M. Jean-Pierre Brard. Quelle horreur !

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Dans la proposition qu’il a transmise en décembre dernier au Conseil d’orientation pour l’emploi, le Gouvernement avait envisagé un taux de 100 % dès la deuxième année de non-respect de cette obligation.

La commission a considéré qu’un taux de 10 % se justifiait pour les deux premières années, d’autant qu’il fait déjà peser une charge significative sur l’entreprise. Mais, sur ma proposition, elle a estimé qu’il serait opportun de porter ce taux à 100 % à partir de la troisième année consécutive de non-respect de l’obligation, car il s’agit ici d’assurer le respect d’une disposition qui, issue des lois Auroux, existe depuis plus de vingt-cinq ans.

M. Jean-Pierre Brard. Et qu’en dit Mme Parisot ?

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Dans les cas où l’entreprise refuse manifestement de façon délibérée d’appliquer la loi, le caractère dissuasif du système doit être fortement accru.

L’article 5 incitera fortement les branches qui ne l’auraient pas encore fait à adapter leurs minima salariaux à l’évolution du SMIC.

M. Roland Muzeau. Il y a de la marge !

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Le dispositif peut paraître sévère, puisque toutes les entreprises d’une même branche sont susceptibles de voir ainsi leurs allégements de cotisations sociales réduits du seul fait de leur appartenance à cette branche si celle-ci n’a pas porté ses minima au niveau du SMIC.

M. Roland Muzeau. Les patrons tremblent !

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Toutefois, ce dispositif se justifie pleinement, pour au moins trois raisons.

D’une part, grâce au succès du processus engagé depuis 2005 sous l’impulsion de M. Gérard Larcher, seules sept branches, employant environ 200 000 salariés, présentent encore aujourd’hui des difficultés structurelles d’ajustement de leurs minima salariaux. D’autre part, un temps d’adaptation de deux ans sera laissé aux branches, et ce aussi bien avant même l’entrée en vigueur du dispositif que lorsqu’il s’appliquera. Enfin, nous devons recourir à des incitations fortes si nous voulons vraiment stimuler la négociation là où elle demeure encore insuffisante, ce qui, au demeurant, se produit pour des raisons qui ne sont pas nécessairement liées aux questions salariales.

Le Gouvernement nous présente donc un texte équilibré et cohérent, propre aussi bien à améliorer les revenus du travail qu’à favoriser le dialogue social, tant à l’échelon des entreprises qu’à celui des branches. C’est pourquoi je vous invite, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, à adopter le projet de loi en faveur des revenus du travail. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. La parole est à M. le président et rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, saisie pour avis.

M. Jean-Pierre Brard. Voilà un homme d’expérience qui persévère dans l’erreur !

M. Patrick Ollier, président et rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, saisie pour avis. Monsieur Brard, vous êtes plus ancien que moi dans la persévérance et dans l’erreur – mais surtout dans l’erreur ! (Rires sur les bancs du groupe UMP.) D’ailleurs, les Français vous ont sanctionné en vous renvoyant dans l’opposition.

M. Jean-Pierre Brard. C’est une attaque personnelle ! (Sourires.)

M. Patrick Ollier, rapporteur pour avis. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi en faveur des revenus du travail que nous examinons aujourd’hui est, pour moi et pour la plupart d’entre nous, une occasion d’avancer un peu plus vers la généralisation de l’association capital-travail dans les entreprises.

M. Roland Muzeau. Vive la lutte des classes !

M. Patrick Ollier, rapporteur pour avis. Nous devons changer le vocabulaire et la conception des rapports dans l’entreprise, pour mieux préciser ce qui, pour notre majorité, constitue un véritable projet social.

En effet, ces dispositions ne doivent pas être considérées comme une ligne budgétaire de plus pour les entreprises, destinée à apporter un supplément au salarié dans le cadre de l’intéressement, de la participation ou de l’actionnariat salarié : au contraire, elles doivent être globalisées dans le projet que nous défendons. Je sais, monsieur le ministre du travail, que vous aussi, vous vous êtes engagé en politique pour défendre cette juste cause qui est l’association capital-travail.

M. Jean-Pierre Brard. Le cheval et le cavalier !

M. Patrick Ollier, rapporteur pour avis. Ce projet plonge ses racines dans les idées développées par le général de Gaulle dès 1947.

M. Jean-Pierre Brard. Laissez les mânes au repos !

M. Patrick Ollier, rapporteur pour avis. Cela vous fera du bien, monsieur Brard, d’apprendre ce que disait le général dans un discours prononcé à Strasbourg.

M. Jean-Pierre Brard. On connaît !

M. Patrick Ollier, rapporteur pour avis. Vous connaissez, mais vous ne l’avez jamais soutenu, alors que nous, nous avons combattu pour le défendre. Le général s’interrogeait alors sur les relations existant au sein des entreprises : « Faudra-t-il donc que nous demeurions dans cet état de malaise ruineux et exaspérant où les hommes qui travaillent ensemble à une même tâche opposent organiquement leurs intérêts et leurs sentiments ? Non ! La solution humaine, française, pratique de cette question qui domine tout n’est ni dans cet abaissement des uns, ni dans cette servitude de tous. Elle est dans l’association digne et féconde de ceux qui mettraient en commun » leur travail et leurs biens, c’est-à-dire leur capital. Tel est le projet de société qu’il avait alors défini. C’est en partant de cette réflexion que nous avons, les uns et les autres, mené le combat.

Je tiens à remercier le Président de la République qui, s’inscrivant dans cette logique, prend des positions courageuses qui nous permettent de faire progresser ensemble ce projet de société. J’ai souvenir que, avec Jacques Chaban-Delmas, nous avons aussi défendu ici même la « nouvelle société » qui se retrouvait dans ce combat.

Ces propos sont d’une actualité brûlante et d’une grande modernité pour améliorer encore le dialogue social et construire la société de demain. Certes, les dispositifs participatifs se sont considérablement étoffés depuis l’ordonnance du 7 janvier 1959. Mais il reste beaucoup à faire pour que, au sein de l’entreprise, les rapports de confiance se substituent aux rapports de contrainte. Nous voulons faire en sorte que cette confiance restaurée à travers ces dispositions permette de mieux construire le destin de l’entreprise. Je vous remercie, monsieur Bertrand, de commencer à mettre ce projet en œuvre de manière énergique et consensuelle. Je vous remercie des consultations, du travail en commun qui a été réalisé autour d’un texte qui marque une grande avancée.

M. Jean-Pierre Balligand. Il liquide la participation pour en faire de l’intéressement !

M. Patrick Ollier, rapporteur pour avis. C’est en gaulliste engagé que je porte cette ambition qui implique que soit attribuée de par la loi, à chacun, une part de ce que l’entreprise gagne et de ce qu’elle investit en elle-même grâce à ses gains. Ainsi, aujourd’hui, je veux contribuer avec mes collègues de la majorité à ouvrir encore plus le champ de l’intéressement et de la participation pour renforcer l’assise domestique du capital des entreprises françaises, et, ce faisant, pour faire émerger une nouvelle gouvernance d’entreprise. Il s’agit d’un élément du dialogue social et du pouvoir d’achat. Mais je m’inscris en faux contre les affirmations que certains ont encore répétées en commission : le système participatif n’a pas vocation à se substituer au salaire et il faut arrêter de faire semblant de le croire pour entraver le progrès que nous voulons construire. Le salaire rémunère le travail ; le dividende rémunère le capital ; la valeur ajoutée produite par l’association de l’un et de l’autre permet de disposer de richesses qui sont dûment réparties entre les uns et les autres. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Pierre Balligand. Le Gouvernement dit le contraire !

M. Patrick Ollier, rapporteur pour avis. Je veux le rappeler avec fermeté : la participation constitue une troisième voie qui bouleverse les clivages et les catégories de pensée traditionnels.

M. Jean-Pierre Balligand. Le Gouvernement liquide la participation !

M. Patrick Ollier, rapporteur pour avis. Monsieur Balligand, vous vous calmerez quand je vous aurai cité. La droite et la gauche pourraient en effet se retrouver autour de cette grande idée, de ce grand progrès social, qui bouleverse les clivages politiques. Dans un rapport au Premier ministre d’alors, M. Lionel Jospin, MM. Jean-Pierre Balligand et Jean-Baptiste de Foucauld considéraient en effet que l’objectif de la participation « n’est pas qu’elle se substitue au salaire, dans une conception de flexibilité défensive […] mais qu’elle ajoute sans risque pour l’entreprise, c’est-à-dire chaque fois que la situation de celle-ci le permet, un complément temporaire de rétribution à un salaire qui doit, pour sa part, continuer à croître modérément et régulièrement. » On ne peut dès lors que regretter que la participation soit encore trop peu diffusée, notamment dans les PME et les TPE.

M. Jean-Pierre Balligand. J’apprécie beaucoup ce que vous venez de dire, monsieur Ollier !

M. Patrick Ollier, rapporteur pour avis. Je vous félicite, monsieur Balligand : vous voyez bien que ce n’est pas la peine de vous énerver contre ce que je dis, puisque vous dites la même chose.

M. Jean-Pierre Balligand. Je ne m’énerve pas : je constate simplement que le projet du Gouvernement, ce n’est pas cela !

M. Patrick Ollier, rapporteur pour avis. Je ne reviendrai pas sur ce que M. Cherpion a parfaitement exposé à propos du dispositif des articles 1er et 2, et je conclurai en évoquant les amendements que je souhaite défendre. J’ai expliqué tout à l’heure que le moment était venu d’aller plus loin, dans toutes les directions. J’aurais souhaité, pour ma part, qu’un système obligatoire permette à chaque chef d’entreprise de choisir un ou plusieurs moteurs de cette participation : l’actionnariat salarié, l’intéressement ou la participation elle-même. Je comprends qu’on ne puisse aller jusque-là, et je vous remercie d’avoir été sensibles à certains amendements que je souhaite déposer.

Le premier concerne les entreprises publiques. Dans ce domaine-là, nous pouvons progresser. Si nous voulons mobiliser et encourager tous les agents des entreprises publiques, il faut que la loi permette très clairement de mettre en place un système participatif en fonction des souhaits de l’entreprise. Je suis membre du conseil d’administration de la SNCF et je peux parler en connaissance de cause des énormes difficultés que nous avons rencontrées lorsqu’il s’est agi d’offrir une prime d’intéressement à tous les cheminots : deux syndicats s’y étant opposés, l’affaire n’a pas pu être réglée, alors que, dans leur majorité, les cheminots y étaient favorables. Je souscris pleinement au constat de Guillaume Pepy, président de la SNCF, lorsqu’il explique que les cheminots ne comprendraient pas que l’on verse un dividende à l’État et qu’il n’y ait pas de retour vers eux, alors même qu’ils sont à l’origine des bons résultats de l’entreprise.

M. Jean-Pierre Brard. Augmentez les salaires !

M. Patrick Ollier, rapporteur pour avis. Mon amendement, qui propose de mettre en place, pour chaque entreprise publique, un système participatif, pourrait ainsi retenir l’attention de la majorité.

Le deuxième amendement concerne les petites entreprises. Je souhaite en effet étendre, par des mécanismes incitatifs, les possibilités de bénéficier de l’intéressement et de la participation, en simplifiant le fonctionnement des outils participatifs.

Le troisième amendement concerne le dividende du travail. Si nous voulons vraiment identifier l’association capital-travail, il faut que le salarié comprenne ce qu’il touchera en plus de son salaire, que ce soit par le dividende de l’action qui lui est attribuée gratuitement, par la prime d’intéressement ou par le système de la participation. J’avais fait voter dans la loi que l’ensemble de ces dispositions et de ces revenus prenait le nom de « dividende du travail ». La majorité s’honorerait de reconnaître la valeur travail au-delà du salaire dans un grand projet social, pour associer tous les salariés aux résultats de l’entreprise. Mon amendement précisera très clairement, dans le titre III du code du travail, ce que représente ce dividende du travail.

Enfin, un amendement prévoit que, lorsque l’entreprise va au-delà de l’accord légal, y compris dérogatoire, les sommes qui sont distribuées peuvent rester bloquées pendant cinq ans dans le fond spécial. Il s’agit là d’une incitation. On peut aller plus loin, avec un cliquet qui permettra au chef d’entreprise de faire également des choix.

Pour conclure, je veux rappeler que les engagements du Président de la République sont exactement conformes au projet qui est déposé aujourd’hui. Il déclarait en effet, le 8 janvier 2008 : « Nous introduirons davantage d’équité dans le système économique, et dans la volonté de faire en sorte que les salariés ne soient pas éternellement privés de la part qui leur revient dans le succès des entreprises [...]. Les salariés doivent avoir la juste récompense de leurs efforts. […] En 2008, la politique de civilisation s’exprimera dans notre capacité à mieux partager les rentes et les profits, à partager plus équitablement les résultats des efforts de tous. » Voilà pourquoi vous avez construit ce texte, monsieur le ministre, et que vous nous le présentez. Vous êtes dans la ligne du Président de la République et c’est avec beaucoup de détermination et d’enthousiasme que la majorité votera ce texte et, je l’espère, les amendements que nous vous présentons. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du plan.

M. Louis Giscard d'Estaing, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, messieurs les présidents de commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, c'est une importante réforme de l'épargne salariale et de la politique salariale, voulue par le Président de la République et la majorité parlementaire, qui est aujourd’hui soumise à notre assemblée.

Comme vous le savez, ce projet de loi comporte au total cinq articles. Cependant, étant donné la diversité des sujets abordés, la commission des finances s'est saisie pour avis des deux premiers articles du projet relatifs à l'intéressement et à la participation. J'insisterai donc davantage sur ces deux aspects, sans méconnaître pour autant la cohérence de l'ensemble des mesures proposées.

Un chiffre résume l'ampleur du chantier auquel s'attelle ce projet de loi : 5 millions de Français sont couverts par un accord d'intéressement, soit à peine un tiers des salariés. L'accès à l'intéressement demeure profondément tributaire de la taille des entreprises : moins de 10 % des salariés dans les entreprises de dix à quarante-neuf salariés peuvent bénéficier de l'intéressement, contre 20 % dans les entreprises de cinquante à quatre-vingt-dix-neuf salariés et près de 70 % dans les entreprises de plus de 1 000 salariés. L'article premier institue, pour inciter les entreprises à conclure des accords d'intéressement, un crédit d'impôt égal à 20 % des sommes versées à ce titre pendant six ans.

Deux mesures exceptionnelles complètent ce dispositif. Le bénéfice de ce crédit d'impôt est, d'une part, étendu aux entreprises qui modifieraient par voie d'avenant l'accord d'intéressement en cours pour accroître les sommes versées aux salariés. D'autre part, les entreprises qui concluraient un accord d'intéressement, ou un avenant à un tel accord, pourront accorder à leurs salariés, avant le 30 septembre 2009, une prime d’un montant maximum de 1 500 euros, exonérée de cotisation de sécurité sociale, conformément à toute distribution effectuée au titre de l’intéressement.

Un second chiffre mérite d'être rappelé : chaque année, plus de 7 milliards d'euros sont distribués aux salariés au titre de la participation, soit un versement moyen de 1 300 euros par salarié, suivi d’une période de blocage pendant cinq ans.

L'article 2 propose de mettre fin au principe de la non-disponibilité de la participation pendant cette période bloquée. Il prévoit d'offrir aux salariés le choix de percevoir immédiatement les sommes versées à ce titre, en acquittant l'impôt sur le revenu, ou de les bloquer pendant cinq ans pour profiter d'une exonération fiscale. Les modalités de versement de la participation sont ainsi alignées sur celles de l'intéressement. Avec ce nouveau dispositif plus compréhensible, les salariés pourront choisir de mobiliser rapidement ces sommes pour consommer ou investir, ou de placer celles-ci, pour bénéficier d'une exonération fiscale.

M. Jean-Pierre Balligand. Louis Giscard d’Estaing a bien compris le texte !

M. Louis Giscard d'Estaing, rapporteur pour avis. Ces deux réformes ont une ambition commune : répondre à la préoccupation de nos concitoyens quant à leur pouvoir d'achat, qui s'est aggravée en raison de la hausse des prix de l'énergie et des matières premières. Cette inquiétude, qui ne la partage pas ici ? La majorité parlementaire s'est mobilisée très tôt sur ce sujet puisque le groupe UMP a mis en place dès l'an dernier un groupe de travail chargé de formuler des propositions.

Le Gouvernement a, de son côté, engagé une action déterminée en proposant, depuis le début de la législature, trois textes ayant des applications en matière de pouvoir d'achat.

M. Jean-Pierre Balligand. Cela marche bien !

M. Louis Giscard d'Estaing, rapporteur pour avis. À ceux qui pourraient s’interroger sur la diversité des mesures prises, je répondrai que toutes les pistes doivent être explorées et tous les leviers utilisés pour répondre au défi lancé à notre pays, à notre économie, à nos entreprises et à nos salariés, pour relancer la progression du pouvoir d’achat. Ce texte y concourt : qui pourrait s’en plaindre ?

Les mesures proposées par le présent projet de loi marquent une nouvelle étape dans cette politique en faveur du pouvoir d'achat puisqu’il est de l’intérêt de notre économie, à un moment particulièrement critique sur le plan international, de faciliter le dialogue social dans nos entreprises et d'encourager les plus petites d'entre elles à proposer la mise en place de l'épargne salariale à l'occasion de la conclusion d'accords d'intéressement. Tel est le sens de l’amendement que j’ai déposé sur ce sujet et que notre commission a adopté.

Ces mesures permettent de renforcer l'aptitude de nos petites et moyennes entreprises à affronter avec succès les défis de la compétitivité et d’améliorer leur capacité à associer l'ensemble des salariés aux résultats auxquels ils concourent par leur travail. Elles donnent aussi l’opportunité de mieux diffuser les plans d’épargne d’entreprise dans toutes celles de moins de cinquante salariés, contribuant à alimenter l’épargne longue que l’absence de fonds de pension dans notre pays pénalise au regard de nombreuses autres économies.

Bien sûr, l’annonce de ce projet de loi a suscité quelques craintes et interrogations parmi les chefs d’entreprise ou les gestionnaires de l’épargne salariale. Les dirigeants de PME ou de TPE sont naturellement circonspects à l’égard des changements de législation et de réglementation – nombreux, il est vrai – en matière d’épargne salariale. Mais je suis certain qu’ils seront convaincus par ces mesures incitatives, d’autant qu’elles seront – là aussi, j’en suis assuré – améliorées à l’issue du débat dans notre assemblée.

Les organisations syndicales ont marqué plus de réserve, estimant que l'intéressement et la participation, qu’elles décrivent comme des « substituts aléatoires aux salaires », ne permettraient pas d'améliorer le pouvoir d'achat. À mon avis, les salariés leur donneront tort.

M. Jean-Pierre Brard. Et c’est un membre syndiqué du grand capital qui parle !

M. Louis Giscard d'Estaing, rapporteur pour avis. Avant de conclure, je voudrais, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, appeler votre attention sur l’impérieuse nécessité qu’il y a désormais à assortir un tel projet de loi d’une étude d’impact permettant d’éclairer le Parlement sur les conséquences – budgétaires ou de transfert de ressources pour les dispositifs existants – qu’entraînera l’application de ces mesures. Certes, la réforme de la Constitution a été votée récemment, le 21 juillet dernier, ce qui peut expliquer cette omission. Soyez assurés que notre assemblée vous engagera à la faire réaliser sans délai pour alimenter le dispositif d’évaluation que, comme vous, nous appelons de nos vœux.

M. Jean-Pierre Brard. Avec une génuflexion !

M. Louis Giscard d'Estaing, rapporteur pour avis. Je suis – vous l'aurez compris – convaincu de la nécessité d'une modernisation des dispositifs d'épargne salariale au profit d'une plus grande cohérence et d'une plus grande lisibilité, tant pour les salariés que pour les dirigeants d'entreprise.

Je partage aussi, comme tous les parlementaires de la majorité, le souci du chef de l'État de répondre sans retard aux inquiétudes des Français sur le pouvoir d'achat et j'estime que le présent projet, qui favorise la mobilisation de l'intéressement et de la participation, y contribuera de façon décisive. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances, de l’économie générale et du plan, saisie pour avis.

M. Didier Migaud, président de la commission des finances, de l’économie générale et du plan, saisie pour avis. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, messieurs les présidents de commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le pouvoir d'achat était un sujet lors de l'élection présidentielle.

M. Jérôme Cahuzac. Il est devenu un problème !

M. Didier Migaud, président de la commission des finances. Il l'est encore plus aujourd'hui à partir du moment où il a sensiblement faibli depuis douze mois : le rapporteur de la commission des finances, Louis Giscard d’Estaing, observe dans son rapport que les salariés ont perdu en un an 0,4 point de pouvoir d'achat.

Je reconnais que la conjoncture internationale n'est pas favorable et que l'inflation engendrée par les prix de l'énergie et des matières premières a sa part dans les difficultés que rencontre notre économie. Toutefois, dans ce contexte, nous avons une difficulté supplémentaire, que ne connaissent pas la plupart de nos voisins : une dette et un déficit public préoccupants, ainsi que des performances économiques moins bonnes que celles de nombre de nos voisins. Ces difficultés ne viennent pas de l'extérieur : elles sont les nôtres et il faut y remédier.

Dans un tel contexte, comment améliorer le pouvoir d'achat ou, à tout le moins, empêcher sa dégradation ? Vous allez me dire qu'il s'agit pour vous d'une préoccupation majeure et je vous en donne acte : pas moins de trois textes en dix-huit mois sur ce sujet…

M. Jean-Pierre Balligand. C’est vrai ! Quel effort pour quelle efficacité !

M. Didier Migaud, président de la commission des finances. Mais s'agit-il de constance ? D'un aveu d'impuissance ? De communication ?

Le texte présenté comme fondateur de la législature, le TEPA, n'a pas eu les effets escomptés. C'est une évidence du point de vue macro-économique : le point de croissance n'est pas là. J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer sur la mesure qui devait doper les heures supplémentaires, et je n'ai pas changé d'avis. À ce jour, rien ne prouve que leur volume est plus important que précédemment. Et les gains réels que retirent les salariés bénéficiaires du dispositif – que je ne conteste pas – sont sans commune mesure avec ceux évoqués pour l'exemple lors de la présentation du texte. Le débat n'est pas clos et nous le reprendrons au fur et à mesure de la parution des chiffres et des évaluations.

Ce qui est sûr, en revanche, c'est que ces mesures TEPA ont un coût très élevé. En réalité, elles ne sont pas financées, sinon par un creusement de notre déficit, ce qui nous empêche, contrairement à d'autres gouvernements – le gouvernement espagnol, par exemple – qui peuvent utiliser l'arme budgétaire, d'avoir la moindre marge de manœuvre. Cela explique que vous cherchiez toutes les mesures qui, les unes après les autres, doivent permettre de soutenir, vaille que vaille, la consommation : ce peut être le cas des sommes provenant de la participation, que vous souhaitez rendre disponibles immédiatement. Encore que, dans un accès de franchise, vous reconnaissiez – cela figure dans l'exposé des motifs – qu'une partie de ces sommes sera placée « dans une logique de pouvoir d'achat différé » ! Il serait intéressant, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, d’entendre votre analyse sur les effets des déblocages précédents, en 2004, en 2005 et en 2008. Je ne parle pas seulement des montants en jeu, mais de leur utilisation : quel a été l'arbitrage opéré, par les salariés qui en ont bénéficié, entre épargne et consommation ? S'il s'avère que les montants placés l'emportent sur les sommes dépensées, nul doute qu'il nous sera proposé prochainement un quatrième texte en faveur du pouvoir d'achat : mais où restera-t-il quelques liquidités à mobiliser et à quel prix ?

J'ajouterai que la constance avec laquelle vous proposez des textes ayant le même objectif dans une période aussi brève n'a d'égale que votre impréparation. En cela, je rejoins ce qu’a dit Louis Giscard d’Estaing au titre de rapporteur de la commission des finances. Et ce n’est ni dans l’esprit ni dans la lettre de la Constitution modifiée. On sait ce qu'il en a été pour le texte TEPA : l'estimation des heures supplémentaires réalisées, par exemple, s'est révélée totalement fantaisiste, ce qui rend les évaluations difficiles. Quelle est donc l'évaluation du versement de la prime exceptionnelle de 1 000 euros, prévu par la loi du 8 février 2008, et de son effet sur la consommation ? Là encore, peu d’indications nous sont apportées.

À mes yeux, la mesure qui aurait pu être favorable au pouvoir d'achat des salariés – je rejoins sur ce point le président Ollier – est l'extension du dispositif de la participation à l'ensemble des entreprises…

M. Patrick Ollier, rapporteur pour avis. Nous sommes d’accord.

M. Didier Migaud, président de la commission des finances. …qui, pour l'instant, ne sont concernées que lorsque leurs effectifs dépassent cinquante personnes : elle aurait été plus équitable et surtout plus efficace que celle qui tente de favoriser le système de l'intéressement.

Enfin, que penser de la création d'un nouveau crédit d'impôt, de surcroît dans un texte ordinaire, je veux dire en dehors d'une loi de finances ? N'est-ce pas, monsieur Méhaignerie, en totale contradiction avec les intentions affichées ces derniers mois ? Voulons-nous continuer à « miter » les recettes de l'État, alors même que l'on trouve extravagants le nombre et l'importance des exonérations fiscales ? C'est le constat de la récente mission d'information de la commission des finances de juin dernier, toutes sensibilités confondues.

M. Gérard Bapt. Eh oui !

M. Didier Migaud, président de la commission des finances. Est-il de bonne politique que le Parlement voie son attention éparpillée dans des textes de toutes natures et perde de vue le niveau d'ensemble des recettes ? Qu'en pense le ministre des comptes publics, qui semblait pourtant attaché à cette « vue d'ensemble » ?

Cela m'amène à la mesure de mise sous conditions de 1’allégement général des cotisations patronales de sécurité sociale, proposé par l'article 4 du projet. On ne peut qu'être très surpris de la trouver dans ce texte : est-ce bien là sa place ? Mes remarques concernant le crédit d'impôt et sa place en loi de finances valent aussi bien pour une mise sous conditions d'allégements de cotisations et sa place en loi de financement de la sécurité sociale.

M. Jérôme Cahuzac. Très bien !

M. Didier Migaud, président de la commission des finances. N'assiste-t-on pas, monsieur le président de la commission des affaires sociales, à un démembrement de cette loi de financement ? Un travail de fond vient d'être mené par les commissions des finances et des affaires culturelles, familiales et sociales qui a abouti, au mois de juin, à des propositions très intéressantes de son rapporteur, Yves Bur, et de son président, Gérard Bapt. La Cour des comptes a également fait des observations sur ce sujet dans son dernier rapport.

Ne faut-il pas replacer une mesure de cette nature dans le débat général qui doit s'ouvrir sur le dispositif des exonérations de cotisations ? Doit-il y avoir des allégements ? Lesquels ? Et dans quelles limites ? En accord avec les conclusions de la mission d'information, je considère que limiter aux 1 000, voire aux 500 premières rémunérations, les allégements généraux de cotisations permettrait d'éviter les effets d'aubaine pour les grandes entreprises. De la même façon, il faudrait calibrer les mesures d'allégement de manière à éviter toute incitation au temps partiel : diminuer le temps partiel subi, c'est lutter contre la précarisation des emplois salariés et augmenter le pouvoir d'achat.

Il ne me paraît pas pertinent de discuter aujourd'hui d'une mesure qui touche, par un tout petit biais, au système d'allégement des cotisations, cette mesure n'étant d'ailleurs qu'un rappel à la loi puisque la négociation salariale est déjà obligatoire. Les mesures proposées n'ont pas le caractère d'urgence que vous leur donnez. Elles pouvaient attendre la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale. Le vrai débat doit se tenir dans quelques semaines, au moment de la discussion sur les prélèvements obligatoires, des lois de finances et de financement de la sécurité sociale. Je souhaite, pour ma part, que nous l'ayons ! Je forme le vœu qu'il en soit bien ainsi. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Je voudrais poser une question au Gouvernement. Elle a trait à la fois à la perception par le salarié de son salaire…

M. Jean-Pierre Brard. Le problème, c’est qu’il ne le voit même plus !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles. …et à la comparaison des salaires au plan européen.

La France se situe aujourd’hui au troisième rang des quinze pays européens quant au coût horaire du travail, mais seulement au dixième rang quand on compare le salaire net, fruit du travail du salarié. Là peut se poser un double problème de perception et de comparaison.

Sans remettre en cause l’intéressement, je rappelle qu’au-delà du salaire sur douze mois, il peut y avoir le treizième mois, la participation, l’intéressement…

M. Jean-Pierre Brard. Le luxe, en vérité !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles.…les tickets restaurant, le CESU, la prime pour l’emploi, le revenu de solidarité active.

M. Roland Muzeau. C’est trop ! Les pauvres vont finir par pouvoir vivre !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles. Il y a un vrai problème de perception par le salarié et de comparaison au niveau européen.

Je le dis d’autant plus qu’il y a dix-huit mois, une étude menée par le Centre d’études des revenus et des coûts a clairement établi que se posait un vrai problème en France : l’essentiel de la productivité du pays a été absorbé par la montée des prestations et du salaire indirect. La perception du salaire direct soulève donc aujourd’hui une véritable difficulté. Ainsi, l’absorption de l’effort de productivité par les prestations et leur montée a eu deux conséquences : la compétitivité du pays n’a pas progressé au même rythme que celle de ses voisins et le salaire direct perçu par le salarié n’a pas été considéré comme un élément central de son revenu. En effet, nous additionnons, nous additionnons, mais le salarié tient énormément à la dernière ligne de son salaire direct.

Je sais que c’est une question générale. Quand nous étudierons le texte relatif au revenu de solidarité active, nous appréhenderons plus précisément le domaine des prestations. Nous devons donc, en termes de pédagogie, une véritable explication à nos concitoyens. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Pierre Brard. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Mon rappel au règlement se fonde sur l’alinéa 2 de l’article 58 de notre règlement, que connaît bien M. Bertrand et encore mieux M. Ollier ! Je tiens à éclairer le débat. Nous devons savoir de quoi nous parlons. Nous avons eu un double numéro à la tribune : celui de M. Bertrand puis, mezza voce, de M. Wauquiez qui nous ont fait prendre des vessies pour des lanternes.

M. le président. Mon cher collègue, il ne s’agit absolument pas d’un rappel règlement !

M. Jean-Pierre Brard. Mais j’y viens !

M. le président. Nous vous écoutons sur le règlement !

M. Jean-Pierre Brard. Si vous m’interrompez avant que je n’arrive au terme de mon propos, il est clair que vous n’allez rien comprendre !

M. Méhaignerie vient encore nous embrouiller un peu plus, comme il sait le faire avec beaucoup d’habileté.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail. Non, c’est de la pédagogie !

M. Jean-Pierre Brard. Tout à l’heure M. Cherpion a dit qu’il fallait faire preuve de beaucoup de pédagogie : comment, en effet, mieux emberlificoter nos concitoyens pour leur faire croire que cela va aller mieux alors que cela empire de jour en jour !

Quand on voit la lune, on n’en voit qu’une face. C’est ainsi que M. Méhaignerie nous a présenté le problème ! Or il faut nous montrer l’autre face ! Vous le savez, monsieur le président, parce que vous êtes un homme averti…

M. le président. Je vous remercie ! Mais nous sommes toujours aussi loin du règlement, mon cher collègue ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard. Mais non ! Vous savez qu’il faut consentir le détour théorique pour aller au fond du problème !

Nous sommes le deuxième peuple le plus productif de la planète et, cela, vous n’en parlez jamais !

M. le président. Monsieur Eckert se prépare pour exposer l’exception d’irrecevabilité…

M. Jean-Pierre Brard. Je termine mon propos, monsieur le président. Je suis sûr que MM. Bertrand et Wauquiez seront sensibles à cette citation de Romain Rolland dans Jean-Christophe

M. le président. Qui a su interpréter notre règlement, comme chacun sait !

M. Jean-Pierre Brard. Oh, il l’aurait mieux écrit ! Il maniait parfaitement l’imparfait du subjonctif que l’on ne trouve pas beaucoup dans le règlement ! Romain Rolland disait que la sincérité est un don aussi rare que l’intelligence et la beauté et que l’on ne saurait, sans injustice, l’exiger de tous. Ce n’est pas une raison suffisante, messieurs les ministres, pour que vous ne pratiquiez pas du tout cette sincérité !

Exception d'irrecevabilité

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Christian Eckert.

M. Christian Eckert. Monsieur le président, messieurs les ministres, messieurs les rapporteurs, chers collègues, depuis un peu plus d'un an, le Gouvernement a fait adopter non pas trois, mais quatre textes grâce auxquels il prétendait améliorer le pouvoir d'achat des Français. Tout d’abord, le paquet fiscal ou la loi TEPA de l'été 2007 fut un scandaleux conglomérat de cadeaux fiscaux : du bouclier fiscal à la mise en cause de l'ISF, objectif atteint pour une infime minorité de très gros contribuables, recevant des chèques de remboursement du Trésor public, de quoi changer un peu plus vite leur 4X4 ! Cela a représenté près de 15 milliards par an de recettes en moins pour l'État, plus que le cumul des déficits des comptes sociaux d'une seule année. J’ai encore en mémoire les propos de Mme la ministre Lagarde, larmoyant sur les pauvres banquiers qui faisaient la queue, Gare du Nord pour prendre l’Eurostar afin de se rendre au paradis fiscal outre-manche ! Les événements d’aujourd’hui et de ces derniers jours nous montrent l’excès de ses propos.

Vous avez, ensuite, en décembre 2007, fait adopter le projet de loi pour le développement de la concurrence au service des consommateurs. Cela devait faire baisser les prix. On en voit le résultat aujourd'hui ! J’y reviendrai. Une nouvelle loi a été votée le 31 janvier 2008 sur le pouvoir d'achat en faveur des consommateurs ; un jour on modernise, un jour on dynamise. Puis, ce fut le rachat des RTT. En avez-vous dressé aujourd’hui un bilan ? C’est une mesure dont on sait qu’elle ne fonctionne pas.

Mme Marie-Josée Roig. C’est faux !

M. Christian Eckert. Le déblocage de la participation a donné lieu à un bilan. Selon vos prévisions, 12 milliards devaient être débloqués, mais les derniers chiffres connus font seulement état de 3,9 milliards. Avez-vous fait, monsieur le ministre, le bilan de la prime exceptionnelle de 1 000 euros que pouvaient verser les employeurs ? Savez-vous combien de ces primes ont été versées ? Vous devriez pouvoir nous renseigner.

Puis, le 22 juillet, ce fut la loi de modernisation de l’économie. Elle devait tout libérer. Selon le compte rendu du conseil des ministres, elle avait pour objectif de donner 0, 3 % de croissance de plus et de créer 50 000 emplois par an. Le 29 novembre 2007, vous refusiez pourtant de passer à la discussion générale d'une proposition de loi de notre groupe visant à redonner du pouvoir d'achat aux Français et qui prévoyait, entre autres, de rendre le chèque transport obligatoire, de taxer les bénéfices énormes des compagnies pétrolières, d'ouvrir une négociation nationale et interprofessionnelle sur les salaires.

Votre obstination est grande et vous persistez dans l'erreur : aux grands maux les petits remèdes ! Vous niez d'abord le constat et continuez à dire que la baisse du pouvoir d'achat est plus une perception, un sentiment, une impression, qu'une réalité pourtant décrite par tous nos concitoyens comme persistante, inégalitaire et injuste. Vous avez vous-même évoqué en commission un rapport d’un cabinet qui expliquait que les salaires moyens avaient, en France, augmenté plus que l’inflation. Hélas pour eux et pour vous, monsieur Bertrand, votre ministère de l'emploi a lui-même publié le 19 septembre à huit heures quarante-six, l'indice définitif confirmant, sur un an, une baisse du pouvoir d'achat avouée de 0, 4 % et plus encore dans certains secteurs salariés.

Dans ce contexte, aggravé par la crise de l'économie dite virtuelle – quelle belle formule ! – et dont les effets sont graves sur la vie bien réelle de nos concitoyens, crise que M. Noyer, M. Trichet et Mme Lagarde ont minimisée depuis un an, notre espoir en voyant venir en urgence un texte en session extraordinaire sur les revenus du travail, était bel et bien immense et nous étions enthousiastes pour en débattre. Qu'avons-nous trouvé, hélas, en réalité ? Vous nous soumettez un texte mineur, inégalitaire, dangereux, pour tenter de gommer vos échecs successifs.

Je dirai un mot sur la méthode qui consiste à nous réunir dans des commissions qui siègent à la va-vite, qui examinent des dizaines d’amendements sans que nous ayons eu à en connaître auparavant et qui ne respectent donc pas les délais nécessaires à la réflexion et au travail serein.

Le groupe socialiste vous propose donc d'abord son irrecevabilité, mais si, ce dont je doute, vous persistez dans l'erreur, nous vous suggérerons sa réécriture complète, en vous offrant de mettre vos promesses et celles du Président de la République en accord avec vos actes.

Pourquoi ce texte est-il frappé d'irrecevabilité ? Tout d’abord, il est inconcevable pour nous, partisans d'une répartition juste des fruits du travail, de ne pas mettre au cœur de ce texte ce qui doit être pour tous les salariés la première contrepartie de leur travail, je veux dire leur salaire. Or, contrairement à ce que vous affirmez, le salaire de base évolue moins vite que l'inflation, même celle officiellement avancée parfois en décalage avec la réalité. La contradiction entre vous et certains membres de la majorité est évidente. Vous répondez à la baisse du pouvoir d’achat par le déblocage de l’épargne à long terme alors même que telle n’est pas la vocation de la participation.

Ensuite, votre texte est profondément inégalitaire. Il exclut les retraités, les étudiants, les fonctionnaires d'État, de la fonction publique territoriale ou hospitalière, les chômeurs et les salariés des entreprises dont la nature, la taille, les résultats, ou l'absence de volonté rendent inopérants les dispositifs d'intéressement. De plus, il n'est un secret pour personne, sans même viser à cet instant les seules stock-options, que ce dispositif favorise les hauts salaires dans les entreprises du fait d'une répartition souvent proportionnelle au salaire perçu. Combien cela coûtera-t-il à notre budget ? Didier Migaud vient d’y faire allusion. On évoque, dans une annexe, un coût d’environ un milliard d’euros, coût qui aurait été établi sur les bases d’un travail résultant d’un sondage effectué par un cabinet privé. On peut en douter. En tout cas, vos prévisions sont souvent mises à mal, comme nous l’a démontré la triste réalité.

Ce texte est aussi dangereux sur bien d'autres aspects. La disponibilité institutionnalisée à l'avenir de la participation risquera de diminuer les fonds propres de certaines entreprises alors même que la crise actuelle en accroît les besoins. De plus, monsieur Ollier, le Gouvernement nous présente ces déblocages comme une réponse au problème du pouvoir d’achat. Le risque de voir l'intéressement, par nature variable et aléatoire, ou la participation, inégalitaire et réservée à certains, se substituer aux légitimes revalorisations salariales est patent. C’est si vrai que vous avez cru bon d’écrire le contraire dans le texte de loi. Les entreprises ayant déjà mis en place l'intéressement seront défavorisées par rapport à celles qui, par effet d'aubaine ou carotte fiscale, le feront après votre loi.

Soulignons encore et surtout les dangers de vote texte pour le SMIC. Votre énième commission, nommée par décret, se substituera-t-elle à la Commission nationale de la négociation collective pour donner son avis sur le SMIC ? Si le rapporteur semble confirmer – et il faut l'en remercier – la place de la CNNC, en revanche, les critères retenus nous semblent éloigner le SMIC de sa vocation initiale. Je les cite : l’évolution de la productivité, le partage de la valeur ajoutée, la compétitivité des entreprises, l’évolution des salaires minima dans les pays comparables, les interactions entre salaires et emplois, la structure des salaires et l’évolution des prix.

Cela n’est pas sans nous inquiéter, car nous sommes persuadés que cette première mesure en masque à peine d’autres à venir, qui s’inscriront dans la continuité de votre entreprise de démantèlement du code du travail.

Nous souhaitons donc amender le texte afin de garantir un SMIC qui réponde à sa vocation : couvrir les besoins essentiels et constituer le socle de la rémunération du travail.

Enfin, vous prétendez équilibrer le texte par une prétendue conditionnalité des exonérations de charges. Je parle, bien sûr, des articles 4 et 5. Là encore, il s’agit de mesurettes. Votre projet manque d’ambition, ses exigences restent dérisoires. En effet, obliger les entreprises à ouvrir une négociation déjà obligatoire et remettre à 2011 l’alignement des minima de branche sur le SMIC, c’est de la poudre aux yeux. Vous aviez l’occasion immédiate, grâce à cette loi, de taxer les stock options,…

M. Gérard Cherpion, rapporteur. Et vous, quand vous étiez au pouvoir, n’avez-vous pas eu l’occasion d’agir en ce sens ?

M. Christian Eckert. …d’assurer un meilleur équilibre dans le partage de la participation, et de garantir l’épargne à long terme des salariés – chère à notre collègue Jean-Pierre Balligand.

Autre incohérence, Didier Migaud y a fait allusion : vous donnez un crédit d’impôt de 20 % aux entreprises – mesure qui coûterait un milliard d’euros – et, dans le même temps, vous voulez taxer, on ignore à quelle hauteur, par une flat tax – je crois que vous appelez ainsi ce genre de contribution –, les revenus versés au titre de l’intéressement. Or vous en profitez pour étendre ces compléments de ressource aux dirigeants, aux gérants, à leur conjoint – pourquoi pas à leur famille ? – risquant là, comme l’a souligné M. de Courson, de diminuer artificiellement des bénéfices qui, eux, sont assujettis à l’impôt.

Ce texte est donc très décevant, inégalitaire, dangereux et mérite l’irrecevabilité. Il met à nouveau en évidence que vos conceptions en matière économique et sociale demeurent à l’opposé des nôtres – c’est notre fierté.

Vous ne pouvez plus nier la baisse du pouvoir d’achat – vos propres services la constatent. Or par quelles mesures y répondez-vous ? Par la majoration des heures supplémentaires, sachant que la possibilité d’en faire est aléatoire ; par la possibilité de rachat des RTT, qui ne marche pas ; en autorisant les salariés – quelle grandeur d’âme ! – à sortir leur propre épargne qu’est la participation, en l’assujettissant au passage à l’impôt sur le revenu. En fait, vos réponses sont plus que partielles, quand elles ne sont pas partiales.

Nos nombreux amendements reprennent les propositions que vous avez balayées sans les discuter au cours de la séance du 29 novembre 2007. Rappelons quelques-uns de nos engagements : lancer une négociation nationale sur les salaires – vous qui multipliez les Grenelles – ; rendre le chèque transport obligatoire ; moduler – le mot est faible – une partie des énormes bénéfices des compagnies pétrolières ; remettre en cause les franchises médicales ; taxer les plus-values des stock options pour alimenter le fond de réserve des retraites ; baisser la TVA sur certains produits de grande consommation.

Oui, monsieur le ministre, nous formulons des propositions concrètes, réalistes, gagées, que vous pourriez reprendre à votre compte pour répondre aux demandes légitimes de nos concitoyens. Un texte relatif à la dynamisation des revenus du travail le permettrait. Ainsi, le présent projet aurait dû porter sur les revenus du travail, sur leur socle, sur le salaire et non pas sur les compléments de revenus que vous intégrez de fait dans la négociation sociale et qui, pour les salariés les plus modestes, seront vite « mangés » par leurs besoins quotidiens.

Le caractère inégalitaire et partiel de ce texte justifie à lui seul son irrecevabilité. Quant à votre théorie selon laquelle la seule façon d’améliorer le pouvoir d’achat c’est d’augmenter la quantité de travail et les plus-values réalisées par les entreprises, je vous renvoie au Prix Nobel d’économie, Joseph Stiglitz, invité par le Président Sarkozy à lui fournir de nouveaux indicateurs sur la réalité économique du pays.

M. Gérard Bapt. Excellent Prix Nobel !

M. Christian Eckert. Quand M. Stiglitz est venu en France, il y a quelques mois, savez-vous ce qu’il a répondu, sur France-Inter, lorsqu’on lui a demandé ce qu’il pensait de la formule « travailler plus pour gagner plus » ? Il a répondu que sa préconisation n’est pas de travailler plus pour gagner plus mais de travailler moins pour vivre mieux ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Pierre Brard. Très bien !

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Démagogie !

M. François Brottes. M. Stiglitz vote pour Obama !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles. Et pourtant, M. Obama ne dit pas cela !

M. Régis Juanico. En effet, il dit pire !

M. le président. Dans les explications de vote sur l’exception d’irrecevabilité, la parole est à M. Alain Vidalies, pour le groupe SRC.

M. Alain Vidalies. Au moment où les Français sont préoccupés par leur pouvoir d’achat, qui a baissé, selon l’INSEE, de 0,4 % pour l’ensemble des salariés, au moment où celui de millions de retraités va lui aussi baisser si l’on compare le taux d’inflation et celui, très modeste, de revalorisation des pensions, au moment où cette question apparaît dans l’opinion publique comme le souci majeur – qui s’est d’ailleurs exprimé au moment des élections municipales –, au moment où l’opposition ne cesse d’alerter la majorité sur le fait qu’à cause de la politique qu’elle mène les Français vivent de plus en plus mal, vous vous présentez devant nous avec ce texte affligeant.

En effet, comment penser un instant que vous allez pouvoir résoudre la question du pouvoir d’achat avec un texte qui n’a strictement aucun contenu ? Faut-il que vous en soyez réduits à vivre d’expédients pour oser nous le soumettre ? Les Français, quand ils vont prendre connaissance de vos arguments, pour peu qu’ils s’intéressent encore à votre communication, vont se dire que si vous n’avez que cette réponse à leur apporter, la situation doit vraiment être grave.

Du fait de la cacophonie générale des interprétations dont il est l’objet – de la part des rapporteurs eux-mêmes –, nous ne savons guère quelle est la philosophie de ce projet. La lecture des rapports est en effet édifiante.

M. Jean-Pierre Brard. Il faut donc se livrer à une exégèse !

M. Alain Vidalies. Ainsi, à quoi sert la participation ? Dans la majorité, certains y attachent une grande importance historique, M. Ollier l’a rappelé. Dans la même majorité, certains défendent une version moderne de la participation dans son rôle de maintien du capital des entreprises, de protection contre d’éventuelles OPA hostiles, autant d’idées que nous voulons bien partager.

Or le rapporteur de la commission des affaires économiques se trouve des plus gênés, puisqu’il soutient le contraire de la thèse du Gouvernement. Ainsi écrit-il dans son rapport : « La participation permet de renforcer l’assise domestique du capital des entreprises et, ce faisant, de faire émerger une nouvelle gouvernance d’entreprise tout en constituant un noyau d’actionnaires stables sur lequel l’entreprise peut s’appuyer en cas d’offre d’achat inamicale. » Vous proposez de piller la participation et le rapporteur écrit : voilà quel serait le rôle de la participation ! Ce n’est que le début de la cacophonie.

Ensuite, en effet, reste l’importante question de la substitution des salaires par le versement de primes au titre de la participation et de l’intéressement. M. le rapporteur de la commission des finances, en toute objectivité, il faut le reconnaître, écrit une phrase qui nous aurait fait accuser de procès d’intention si nous l’avions prononcée nous-mêmes : « Néanmoins, ces dispositifs participent tous de la rémunération globale du travail et la comparaison de la dynamique de ces dispositifs avec la croissance de la masse salariale suggère que la substituabilité entre les deux n’est pas nulle. » Comme cela est bien dit ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard. C’est du Giscard !

M. Alain Vidalies. Avec toutes les précautions d’usage, cette phrase signifie que le rapporteur a fait le même constat que l’opposition. Ainsi, nous nous trouvons, au début de la discussion, avec, d’un côté, un rapporteur de la commission des finances qui nous dit qu’il existe un gros problème,…

M. Louis Giscard d'Estaing, rapporteur pour avis. Non !

M. Alain Vidalies. …celui de la substitution de la rémunération normale des salaires par les mécanismes de participation et d’intéressement, et, de l’autre, un rapporteur de la commission des affaires économiques qui nous met en garde contre la mise à bas de la participation censée jouer un rôle spécifique dans la constitution du capital des entreprises.

Pourquoi donc présenter ce texte ? La presse évoque souvent vos initiatives en matière de pouvoir d’achat. Par exemple, dans un article intitulé : « Participation, à la recherche d’une grande réforme populaire », on trouve des interventions de certains d’entre vous qui soutiennent que cette grande proposition va sensiblement améliorer le pouvoir d’achat. Le seul inconvénient est que le journal dont je parle date du 3 octobre 2006. (Sourires.) Autrement dit, à chaque fois que vous avez un problème à propos du pouvoir d’achat, à bout d’arguments, vous revenez devant le Parlement avec cette sorte de mirage que sont la participation, l’intéressement.

Nous n’allons pas vous laisser faire et, à propos de l’irrecevabilité de ce texte,…

M. le président. Veuillez conclure.

M. Alain Vidalies. Je termine, monsieur le président.

M. Benoist Apparu. Tout de même !

M. Alain Vidalies. Mes bonnes lectures vous gênent !

Il existe un élément d’irrecevabilité majeur : le Conseil constitutionnel exige que la loi soit lisible. Or ce texte est totalement illisible, ce qui n’est pas surprenant puisqu’il est à l’image de votre politique ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. François Brottes. Très juste !

M. le président. La parole est à M. François Cornut-Gentille, pour le groupe UMP.

M. François Cornut-Gentille. J’ignore si je dois me trouver très à l’aise ou bien très ennuyé.

M. François Brottes. Les deux !

M. Jean-Pierre Brard. Que vous soyez mal à l’aise serait concevable !

M. François Cornut-Gentille. J’ai bien écouté M. Eckert et je pourrais répondre que sa motion d’irrecevabilité n’en est pas une. Nous pourrions donc en terminer là. Je n’ai en effet entendu aucun argument de nature constitutionnelle qui aurait dû sous-tendre son argumentation.

Alors que nous sommes en train de revaloriser le rôle du Parlement, que le parti socialiste nous reproche de ne pas être allés assez loin en la matière – ce qui peut être vrai –, au moins, si l’on veut aller plus avant, doit-on appliquer le règlement.

M. Bernard Deflesselles. Absolument !

M. François Cornut-Gentille. Je n’ai aucune envie de me montrer prétentieux mais répondrai néanmoins aux opinions de M. Eckert, qui a développé des thèmes et des leitmotivs quelque peu contradictoires, ceux habituels du parti socialiste.

Je n’ai ainsi pas compris si, dans l’esprit de l’opposition, nous nous intéressons trop ou pas assez au pouvoir d’achat. On nous reproche à la fois de nier le problème et de multiplier les textes le concernant. Or il apparaît que le Président et la majorité considèrent bien que la situation des Français est difficile et que la moindre des choses est de s’en préoccuper.

Vous nous accusez de multiplier des textes…

M. Christian Eckert. Vous multipliez les textes parce qu’ils ne marchent pas !

M. François Cornut-Gentille. …qui partiraient dans tous les sens et indiqueraient que nous n’avons aucune vision cohérente du sujet. C’était l’argument, un peu plus sérieux, de M. Migaud.

Il n’en est rien. C’est que nous n’avons pas la même conception du pouvoir d’achat que vous. (« C’est vrai ! » et rires et applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Jean-Pierre Balligand. Dont acte ! il n’y a aucun doute là-dessus !

M. François Cornut-Gentille. En effet, nous n’en avons pas la même conception que vous, si je me réfère aux 35 heures,…

M. Jérôme Cahuzac. Ne tentez pas de vous rattraper aux branches !

M. François Cornut-Gentille. …qui pensez que le pouvoir d’achat se décrète quelle que soit la situation. Nous pensons que la situation est difficile…

M. Jérôme Cahuzac. Vous l’avez remarqué ?

M. Alain Vidalies. Ce n’est pas la situation qui est difficile, c’est votre politique !

M. François Cornut-Gentille. …et qu’il faut multiplier les approches pour conduire dans le même mouvement des réformes de structure et des réformes de soutien à la consommation. C’est ce dosage que l’on retrouve dans tous nos textes et donc dans celui-ci portant sur l’intéressement, la participation et les négociations salariales.

M. Régis Juanico. Vous avez une conception baissière du pouvoir d’achat !

M. François Cornut-Gentille. On a avancé par ailleurs l’argument de l’inégalité, qui me paraît très curieux. Au contraire, nous allons, grâce à ce texte, corriger un certain nombre d’inégalités, nous allons susciter des débats salariaux dans des branches un peu à la traîne.

M. Jean-Pierre Balligand. Formidable !

M. François Cornut-Gentille. L’une des principales vocations de ce texte est de développer la participation dans les petites entreprises.

M. Jérôme Cahuzac. De combien de salariés ?

M. François Cornut-Gentille. L’inégalité pour les salariés consiste justement à ne pas pouvoir profiter de la participation dans les petites entreprises.

Enfin, j’ai entendu l’argument du manque d’ambition. Il me semble qu’il s’agit là de la position traditionnelle du parti socialiste, qui nous reproche de faire de « petits gestes » quand il faudrait, selon lui, tout chambouler.

M. Alain Vidalies. Il est vraiment petit, votre petit geste !

M. Jérôme Cahuzac. Très petit !

M. Jean-Pierre Balligand. Cela frise l’immobilisme !

M. Alain Vidalies. En matière salariale, vous êtes pour l’homéopathie !

M. François Cornut-Gentille. Mais je crois que ces gestes ont déjà le mérite d’être des gestes positifs et qu’au contraire, une attitude raisonnable serait de nous accompagner dans ce travail d’amélioration concrète de la situation des salariés.

Pour toutes ces raisons, nous repousserons évidemment cette exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour le groupe GDR.

M. Jean-Pierre Brard. Comme me le disait à l’instant ma collègue de Lorient, Françoise Olivier-Coupeau, on se demande s’ils vont chez Leclerc de temps en temps. Leclerc ou Carrefour, ou encore Auchan, ce que vous voulez.

M. Roland Muzeau. Tous des voleurs !

M. Jean-Pierre Brard. Je me mettais tout à l’heure à la place des gens qui étaient dans les tribunes. S’ils étaient français, ils ont dû se dire : « Ce n’est pas possible ! Nous ne sommes pas à l’Assemblée nationale ! Parce qu’ils ne parlent pas de nous, ni de nos problèmes. »

Quand on entend Xavier Bertrand ou Laurent Wauquiez, c’est Alice au pays des merveilles ou Noël avec trois mois d’avance.

Tout à l’heure a été évoqué M. Stiglitz. Quand, pour une fois, le Président de la République fréquente d’autres intellectuels que Johnny Hallyday et Doc Gynéco (Rires sur les bancs du groupe SRC), dès la deuxième rencontre, tout tombe par terre !

Vous dites que vous voulez améliorer le pouvoir d’achat, mais le pouvoir d’achat de qui ? Si vous parlez de celui de Forgeard, si vous parlez – j’ai sous les yeux un tract des syndicats d’Alcatel Lucent – de celui de Mme Russo ou de M. Tchuruk, qui ont soustrait entre 10 et 12 millions d’euros, si vous parlez de celui de M. Carlos Ghosn, qui est en train de détruire le fleuron de l’industrie automobile nationale, effectivement, vous les couvez d’yeux d’amour et vous remplissez leurs poches autant que vous pouvez !

Et pendant ce temps-là, les salariés de ces grands groupes, ou bien se retrouvent sur le sable, ou bien ont des fins de mois de plus en plus difficiles, si ce n’est impossibles.

Évidemment, vous avez un problème, dans notre pays, c’est que les Français aiment la politique…

M. Philippe Meunier. Mais pas le parti communiste !

M. Jean-Pierre Brard. …et sont informés. Derrière vos mots, ils cherchent à savoir où en est la réalité. Et comme disait le rapporteur tout à l’heure, reprenant Xavier Bertrand, on va faire du SAV, du service après vote. On entendait dans votre voix la difficulté de la tâche : « Comment allons-nous réussir à leur faire croire ce à quoi nous ne croyons pas nous-mêmes ? »

Il y a une chose importante dans votre texte, qui montre que vous êtes très cohérents. Tout à l’heure, M. Wauquiez a très bien expliqué qu’il fallait se débarrasser du SMIC. Version grand public, l’argument est qu’il empêche l’augmentation des salaires. On n’a pas encore vraiment compris pourquoi, mais il empêche l’augmentation des salaires. Dès lors, la conclusion logique de son discours est : « Faisons sauter le SMIC ! » On sait bien ce qui va se passer, évidemment : c’est encore l’abaissement du salaire minimum. On y reviendra. Et donc, pour compenser, vous ajoutez quelque chose qui n’est pas du salaire, et qui n’émargera pas pour les régimes sociaux. Vous agrandissez donc, en même temps, les trous de la protection sociale. Vous êtes cohérents : vous substituez au collectif de l’entreprise – parce que les salaires font souvent l’objet de négociations collectives – ce qui relève de l’individuel.

L’attaque idéologique, elle est très claire. Elle a été formulée à plusieurs reprises par le Président de la République, ou au moins par ceux qui lui tiennent le porte-plume et dont il répète les propos avec un certain talent, il faut au moins lui reconnaître cela.

Mais quand même, vous prenez des mesures résolues. Vous allez pénaliser les entreprises, celles qui refusent des accords : 10 % de perdus sur les exonérations de ce que vous vous acharnez à appeler des charges et qui ne sont que des cotisations. C’est-à-dire qu’en réalité, vous leur donnez une incitation pour ne pas conclure d’accord. Parce qu’avec une pénalisation de 10 %, évidemment, vous les poussez à ne pas conclure d’accord.

Monsieur le président, j’entends que vous commencez à vous impatienter, et je ne voudrais pas vous irriter en ce début de débat. Je rappellerai simplement ce qui a été dit par notre collègue Louis Giscard d’Estaing : il n’y a pas eu d’étude préalable. Comme d’habitude ! Pas plus que pour la loi TEPA, l’année dernière. Vous ne voulez pas en faire. Pourquoi ? Parce que vous connaissez l’objectif final de vos dispositions, qui est de remplir les coffres et d’alléger le porte-monnaie des salariés.

Vous le savez bien, et Didier Migaud l’a fort bien dit tout à l’heure, vos mesures ne peuvent pas augmenter le pouvoir d’achat. Tout cela, comme l’a dit un autre collègue, c’est de la poudre aux yeux. Tous vos textes n’ont qu’un objectif : essayer d’endormir l’opinion publique. L’année dernière, pendant que vous mettiez en place le RSA première formule, vous adoptiez la loi TEPA. Et vous croyez qu’on va s’y laisser prendre ?

M. le président. Merci…

M. Jean-Pierre Brard. Ce texte est évidemment irrecevable, parce qu’il est d’abord immoral ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC. – Exclamations et rires sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Sur le vote de l'exception d'irrecevabilité, je suis saisi par le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à M. Francis Hillmeyer, pour le groupe NC.

M. Francis Hillmeyer. Aujourd’hui, les salariés souffrent d’une véritable injustice selon la taille de leur entreprise. Certains Français sont orphelins de dispositifs qui permettent à d’autres de toucher une part du fruit de leur travail. On observe que seules 10 % des entreprises de moins de 50 salariés et 3 % des entreprises de moins de 10 salariés ont accès à ces dispositifs.

Bien entendu, la perfection n’est pas de ce monde. Mais ce texte représente tout de même un véritable progrès pour les salariés, car il va dans le sens de plus d’équité, de plus de justice. Il ne faut pas laisser filer cette occasion de permettre à nos salariés une petite amélioration de leur pouvoir d’achat. Et malgré toutes les critiques que l’on peut entendre ici et là, c’est un vrai progrès.

Le groupe Nouveau Centre repoussera donc cette exception d’irrecevabilité.

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur l'exception d'irrecevabilité.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

(L'exception d'irrecevabilité est rejetée.)

M. le président. Nous en venons maintenant à la question préalable…

M. Jérôme Cahuzac. À cette heure, il est un peu tard pour défendre cette motion, monsieur le président.

M. Christian Eckert. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Christian Eckert.

M. Christian Eckert. À cet instant, et compte tenu du dépôt d’un certain nombre d’amendements dont nous n’avons pu prendre connaissance que tardivement, je demande une suspension de séance de quinze minutes pour réunir mon groupe.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à dix-neuf heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Compte tenu de l’heure, la suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

9

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi en faveur des revenus du travail.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures quarante-cinq.)