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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2008-2009

Compte rendu
intégral

Première séance du mercredi 14 janvier 2009

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Bernard Accoyer

1. Déclaration du Gouvernement sur la situation au Proche-Orient et débat sur cette déclaration

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes

M. Jean-Christophe Cambadélis

Mme Martine Billard

M. François Rochebloine

Mme Nicole Ameline

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères

2. Application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution

Discussion générale ( (suite)

M. Claude Goasguen

Rappel au règlement

M. Jean Mallot

M. le président

Reprise de la discussion

M. Jean-Yves Le Bouillonnec

Rappel au règlement

M. Jean-Jacques Urvoas

Reprise de la discussion

M. Richard Mallié

M. Daniel Garrigue

M. Gérard Charasse

Présidence de M. Rudy Salles

M. Thierry Mariani

M. Bruno Le Roux

M. Hervé Mariton

Rappel au règlement

M. Jean-Marc Ayrault

Reprise de la discussion

M. Christophe Caresche

M. Lionel Tardy

Mme Danièle Hoffman-Rispal

Mme Marietta Karamanli

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement

Rappel au règlement

M. Arnaud Montebourg

M. le président

M. Jean-Marc Ayrault

Motion de renvoi en commission

M. Jean-Claude Sandrier

M. Jean-Luc Warsmann, président et rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, M. Marc Laffineur, M. Patrick Roy, M. Roland Muzeau

Rappels au règlement

M. Jean Mallot

M. Yves Durand

M. le président

M. Jean-Marc Ayrault

M. le président

M. Jean-Marc Ayrault

M. le président

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur

M. Jean-Claude Sandrier

3. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Bernard Accoyer

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Déclaration du Gouvernement
sur la situation au Proche-Orient
et débat sur cette déclaration

M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur la situation au Proche-Orient et le débat sur cette déclaration.

La parole est à M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes.

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je mesure la gravité de la préoccupation de la représentation nationale, et à travers elle du pays tout entier, face à la terrible crise de Gaza. Je partage votre émotion devant le gâchis de tant de vies, d'efforts et d'espérances. Je partage votre inquiétude devant le recul de la modération et du dialogue, au bénéfice de la violence.

Je ne partage pas, en revanche, le sentiment de ceux qui croient que les efforts diplomatiques n'ont servi à rien, même si les résultats attendus sont, hélas ! trop lents à se manifester.

La France, vous le savez, s'est pleinement engagée dès le premier jour et au plus haut niveau, pour rechercher une sortie de crise. Les combats n'ont pas encore cessé, mais nous avons créé et maintenu une pression qui, utile aujourd'hui, sera efficace dans quelques jours.

M. Maxime Gremetz. Mais combien y aura-t-il encore de tués ?

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. Je voudrais vous dire en quelques mots ce que nous avons fait, dans quel esprit, et avec quels résultats.

Nous avons agi tout de suite, dès le 27 décembre. Nous l'avons fait dans un esprit d'équilibre et de justice. Nous l'avons fait avec nos partenaires européens, en les mobilisant sous notre présidence, le 30 décembre, en appuyant ensuite les efforts de la présidence tchèque qui prenait le relais. Nous l'avons fait avec la double volonté d'obtenir un cessez-le-feu immédiat, pour épargner des vies et de la souffrance, tout en recréant les conditions d'un cessez-le-feu durable, qui garantisse la relance du processus de paix.

La France est lucide sur le partage des responsabilités dans le déclenchement des combats, et cette lucidité est la première condition de nos efforts.

Dès le 27 décembre, le jour où Israël a lancé l'offensive, nous avons condamné les provocations qui ont conduit à l'escalade. Nous avions aussi condamné le refus par le Hamas de reconduire la trêve de juin dernier et de rencontrer le président de l'Autorité palestinienne, comme la reprise des tirs de roquettes contre le sud d'Israël.

Mais nous avons condamné aussi l'usage disproportionné de la force par Israël, rappelant qu'il n'y avait pas et qu'il n'y aurait pas de solution militaire au conflit israélo-palestinien, y compris à Gaza. Nous avons appelé au plein respect du droit international humanitaire, notamment des conventions de Genève, qui prohibent toute punition collective des populations civiles en temps de conflit, comme au plein respect du droit de la guerre, qui définit l'usage licite de certaines armes. Cette position équilibrée est la seule sur laquelle on puisse bâtir la paix.

Bâtir la paix, cela veut dire d'abord obtenir l'arrêt des tirs de roquettes sur Israël, le retrait des troupes israéliennes et l'ouverture des points de passage, la levée du blocus. Cela passe nécessairement par la lutte contre la contrebande à la frontière entre l'Égypte et Gaza. Cela passe aussi par la reprise du dialogue interpalestinien entre le Fatah et le Hamas, sous l'égide d'Abu Mazen, démarche dans laquelle l'Égypte joue un rôle essentiel. Toutes ces lignes étaient en place dans le document adopté par les vingt-sept ministres des affaires étrangères de l'Union européenne, réunis à ma demande le 30 décembre, soixante-douze heures après le début des combats. À partir de là, nos efforts se sont déployés dans deux directions : sur le terrain et à l'ONU.

Sur le terrain tout d'abord. Face à l'urgence de la situation et au caractère intolérable des violences, le Président de la République a pris la décision et le risque de se rendre dans la région, en complément de la troïka européenne conduite par la présidence tchèque, rencontres auxquelles je participais. Le déplacement du Président de la République des 5 et 6 janvier l'a conduit successivement en Égypte, dans les territoires palestiniens, en Israël, en Syrie et au Liban, puis encore une fois en Égypte.

Je veux insister sur ce point : la France est l'un des rares pays qui peut parler avec les acteurs de la région, non seulement les parties prenantes – Israël et les Palestiniens –, mais encore l'Égypte, la Syrie ou le Qatar, qui sont des médiateurs indispensables.

Cette ouverture nous donne un rôle et une responsabilité particuliers. Cela ne veut pas dire que nous dialoguons avec n'importe qui, et à n'importe quelle condition. Nous avons du dialogue une conception exigeante. Le dialogue, c'est le moyen de favoriser la paix et la modération. C'est une opération réciproque, où chacun doit faire un effort. Mais on ne peut dialoguer avec ceux dont l'ambition principale et avouée est de détruire le processus de paix. Nous n'ignorons pas la réalité du Hamas, ni son succès électoral, ni son poids dans l'opinion palestinienne. Nous sommes prêts à engager avec lui un dialogue officiel dès qu'il renoncera à la violence, qu'il souscrira aux accords conclus par l'OLP et reconnaîtra Israël, comme nous le demande l'OLP elle-même. Nous avons dès à présent des contacts indirects pour lui faire passer des messages via des pays comme la Norvège, la Russie, la Turquie, la Syrie, le Qatar ou l'Égypte. Notez-le : nous ne sommes pas en compétition avec les pays que je viens de citer, ces actions parallèles sont complémentaires.

Le 6 janvier, à l'issue de cette tournée au Moyen-Orient, les présidents français et égyptien ont présenté à Charm el-Cheikh une initiative de paix fondée sur trois éléments principaux, qui reprennent et développent les paramètres que nous avions acceptés à vingt-sept à Paris.

D'abord, la cessation immédiate des hostilités en vue de l'ouverture d'un ou de plusieurs corridors humanitaires permettant l'acheminement effectif de l'aide ; l’invitation sans délai au Caire des parties israélienne et palestinienne pour discuter des garanties de sécurité susceptibles d'éviter une répétition de l'escalade et de permettre la levée du blocus, notamment en ce qui concerne l'arrêt de la contrebande d'armes vers le Hamas ; enfin, la relance des efforts égyptiens en vue d'obtenir une réconciliation palestinienne, indispensable à la relance du processus de paix.

Cette démarche doit aussi aboutir à la libération tant attendue de prisonniers palestiniens et israéliens.

Cette initiative a reçu un accueil positif de la part du président palestinien comme des autorités israéliennes. Mais elle a surtout provoqué un contexte favorable à des avancées. J'en retiens trois.

Premièrement, l'annonce par Israël d'une trêve quotidienne de trois heures, afin de permettre l'acheminement de l'aide humanitaire. C’est insuffisant, bien sûr, mais c'est déjà une avancée qui n’aurait pas été possible sans l'initiative franco-égyptienne.

Deuxièmement, la reprise des discussions entre l'Égypte et le Hamas, et le déplacement d'une délégation du Hamas au Caire.

Troisièmement, le déplacement en Égypte du collaborateur du ministre de la défense israélien Ehud Barak, le général Amos Gilad, et la reprise des négociations israélo-égyptiennes sur le contrôle de la frontière avec Gaza et la contrebande d'armes.

Voilà ce que furent nos efforts sur le terrain. Et nous poursuivons jour après jour nos contacts, nos avancées, nos reculs, nous affinons nos plans collectifs. Mais il restait à donner à cette initiative une reconnaissance plus large et une force plus grande, en obtenant le vote d'une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU. C’est ce qui a été fait, le 8 janvier, résolution qualifiée d’historique par M. Ban Ki-moon. C'est la première fois depuis 2004 que le Conseil de sécurité vote sur ce conflit du Moyen-Orient une résolution qui ne soit pas dénuée de substance. C'est la première fois que nos partenaires arabes acceptent de voter un texte qui condamne le terrorisme, qui dénonce aussi la contrebande d'armes, qui demande que la sécurité d'Israël soit garantie par un cessez-le-feu durable, en même temps que la réouverture de Gaza.

Nous n'avons pas obtenu le vote des Américains, auquel on pouvait croire pourtant jusqu'au dernier moment. Mais nous avons évité le veto, et ceci constitue une avancée très importante pour l’avenir. D'autant que Mme Rice a déclaré publiquement et fortement qu'elle soutenait le texte et ses objectifs. C'est notre premier motif de faible satisfaction : avoir rassemblé la communauté internationale autour d'une ligne équilibrée et modérée, qui est la condition indispensable du retour à la paix.

Cette ligne équilibrée se décline en une proposition concrète de sortie de crise, les principaux paramètres envisagés par les Européens le 30 décembre puis développés par l'initiative franco-égyptienne du 6 janvier : cessez-le-feu immédiat et durable conduisant à un retrait israélien et à l'ouverture de corridors humanitaires, négociations des conditions d'un cessez-le-feu permanent et durable grâce à la lutte contre la contrebande d'armes et la réouverture de Gaza, relance du processus politique de paix.

J'entends ceux qui disent : cette résolution ne sert à rien puisqu'elle n'est pas suivie d'effets et que les combats continuent.

M. Roland Muzeau. Les massacres !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. Les combats continuent, hélas ! Mais la résolution 1860 fait peser sur les belligérants une pression supplémentaire – le poids de la communauté internationale tout entière rassemblée. Et si nous n'avons pas eu le vote des États-Unis, je le répète, du moins nous avons eu l'abstention doublée d'une déclaration de soutien du texte et de ses objectifs.

M. Maxime Gremetz. Il y a des enfants qui meurent !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. Et le Secrétaire général de l'ONU, après une assemblée générale extraordinaire à New York demain, se rendra sept jours au Moyen-Orient pour trouver les moyens de faire appliquer la résolution, résolution qui n'exerce pas seulement une pression sur les belligérants mais prépare également l'avenir.

Elle renforce notre crédibilité et notre poids auprès de nos principaux interlocuteurs. Elle envoie le message à nos amis américains…

M. Jean-Paul Bacquet. Nos amis américains, comme nos amis chinois !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. …que nous ne sommes pas restés immobiles en attendant le président Obama. Lorsque Barak Obama arrivera à la Maison Blanche, il aura devant lui un texte qui fait l'accord de toute la communauté internationale et qui sera pour lui, je l'espère, une inspiration et une incitation. C'est le sens de la déclaration d'Hillary Clinton hier. C'est le résultat du document transatlantique que la présidence française de l'Union européenne a fait parvenir, dès leur nomination, aux responsables de la politique extérieure des États-Unis.

Cette résolution renforce aussi le poids de l'ONU – imaginons ce qui serait advenu si le Conseil de Sécurité avait échoué à se rassembler autour d'une résolution. Elle renforce enfin le poids de la France, qui présidait les débats du Conseil. Les uns et les autres savent maintenant que nous avons agi avec obstination, que nous continuerons de le faire mais que nous ne sommes, hélas, que partiellement écoutés.

Nos efforts, je le répète, n'ont pas produit l'effet visible et immédiat que nous attendons tous : l'arrêt des combats.

M. Roland Muzeau. Quand ?

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. Je dis bien l’arrêt. Mais nos initiatives ont suscité une convergence des vues qui finira par l'emporter si nous sommes assez audacieux et inventifs, et totalement déterminés. Dans la volonté patiente, obstinée, que l'on déploie pour surmonter l'obstacle, se dessinent des équilibres nouveaux, qui feront avancer l'histoire.

Toutefois, nous ne négligeons pas l'urgence. L'urgence, c'est la situation des populations sur place. On compte, pour l'instant, plus de 900 Palestiniens tués et 4 000 blessés.

Plus du tiers sont des femmes et des enfants.

M. Roland Muzeau. 150 enfants !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. Le bombardement de trois écoles gérées par l'ONU, le 6 janvier, a causé la mort d'une cinquantaine de civils et soulevé la vague d'indignation que vous savez. Côté israélien, dix soldats ont été tués au cours des combats. Des roquettes ont continué de s'abattre sur le sud d'Israël, tirées par dizaines depuis Gaza et causant la mort de trois civils israéliens. Il faut rappeler que la portée de ces roquettes a été étendue très récemment à plus de quarante kilomètres. Elles menacent désormais trois des plus grandes villes du pays, soit 1 million de civils, et se rapprochent de Tel Aviv.

L'urgence, c'est aussi la situation sanitaire et alimentaire, déjà critique en raison du blocus imposé par Israël depuis la prise du pouvoir par le Hamas. Mais elle s'est dramatiquement dégradée sous l'effet des opérations militaires.

M. Maxime Gremetz. De l’invasion !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. La moitié de la population n'a plus accès à l'eau potable tandis qu’un million de personnes sont privées d'électricité et que le déficit alimentaire s'accroît. Seulement neuf boulangeries fonctionnent sur les quarante-sept de Gaza et l'insécurité empêche le programme alimentaire mondial de travailler.

Les organisations internationales et les ONG ont en effet les plus grandes difficultés à opérer sur place. L'ONU a repris ses activités humanitaires à Gaza : elle avait dû les suspendre après qu'un de ses convois eut été touché par des tirs d'obus israéliens le 8 janvier, provoquant la mort d'un de ses chauffeurs.

Notre action se déploie dans deux directions. C’est tout d'abord l’aide directe, à travers l'envoi d'équipes chirurgicales, sur place et alentour, et de matériel humanitaire à Gaza, via l'Égypte et Israël. Nous tentons également d'installer un hôpital de campagne, pour donner sur place les premiers soins aux blessés. On nous propose un bateau hôpital : c'est une éventualité que nous examinons.

C’est ensuite l’aide financière : le ministère des affaires étrangères a alloué un peu plus de 3 millions d'euros de financements depuis le début de l'année, notamment aux organisations des Nations unies et aux ONG.

M. Roland Muzeau. Parlez-nous des crimes de guerre !

M. Maxime Gremetz. Et de l’agression !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. Il nous faut déjà penser à l'après cessez-le-feu. Il en sera question dès la rencontre de suivi de la Conférence de Paris que j’organise demain jeudi 15 janvier.

M. Maxime Gremetz. Des enfants meurent !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. Je le sais ! C’est la raison pour laquelle nous nous dévouons. N’enfoncez pas les portes ouvertes !

M. Roland Muzeau. Dénoncez-le alors ! Ne soyez pas complice !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. Nuit et jour nous sommes dévoués à cette cause. Vous n’avez rien fait de plus que moi ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC - Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Je le répète : il nous faut déjà penser à l’après cessez-le-feu. Demain nous réunissons au Quai d'Orsay M. Tony Blair, représentant du Quartet, Mme Benita Ferrero-Waldner, commissaire européenne, et mon homologue norvégien M. Jonas Stoere. Nous mobiliserons l'ensemble des parties prenantes et nous réaffirmerons avec force que le blocus de Gaza doit être levé et la ville reconstruite, développée et intégrée au sein du futur État palestinien, auquel nous consacrons tous nos efforts.

M. Maxime Gremetz. Arrêtons le massacre !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. Nous travaillons avec la présidence de l’Union européenne, la Commission, nos partenaires, les États-Unis et la Banque mondiale : la préparation d'une conférence chargée, demain, de la reconstruction est déjà en cours.

Voilà comment se conjuguent nos efforts, à Gaza, dans la région, au sein de l'Union européenne, à l'ONU et dans le cadre du Quartet.

M. Maxime Gremetz. Et on laisse faire le massacre !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. Une dynamique est lancée, les contacts se poursuivent, je le répète, quotidiennement. Nous ne cesserons pas de chercher la voie étroite qui conduit du terrain des luttes au champ des fraternités. Nous ne cesserons pas !

M. Maxime Gremetz. Ce sont des paroles !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. Oui, ce sont des paroles qui valent mieux que des cris !

M. Roland Muzeau. Il faut condamner Israël !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. J'ai la conviction que nos efforts aboutiront. Les contours d'un cessez-le-feu commencent à se dessiner,…

M. Maxime Gremetz. Il faut toujours attendre !

M. Michel Herbillon. Cela suffit, monsieur Gremetz !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. Je ne demande pas aux habitants de Gaza d’attendre, mais c’est de cette façon que le retour de la paix aura lieu ! Et nous y aurons contribué.

Je le répète : les contours d’un cessez-le-feu commencent à se dessiner même si nous devons encore faire face à des obstacles importants.

M. Maxime Gremetz. Des paroles !

M. le président. Monsieur Gremetz, laissez M. le ministre s’exprimer !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. Je suis encouragé par les débats et les interrogations que je perçois ces jours-ci.

Enfin, au nom du Gouvernement, je veux mettre en garde contre toute importation du conflit en France. Les manifestations sont légitimes, tout comme la passion et la solidarité. Je m'en félicite, même, car elles témoignent de la vitalité du débat démocratique et de l'ouverture vers les autres, vers l’ailleurs, loin du repli sur soi. Ces solidarités doivent toutefois s'exprimer dans le respect de la loi, sans débordement. Le Gouvernement sera particulièrement vigilant. Les Français de toutes confessions et de toutes origines doivent donner l'exemple et montrer qu'une coexistence sereine est possible. Le Gouvernement combattra fermement tout acte antisémite ou raciste. Les organisations religieuses se rencontrent et dialoguent, mettant en garde contre les excès.

J'ai la certitude, mesdames, messieurs les députés, malgré les épreuves, les guerres et les haines, que la paix l'emportera.

M. Maxime Gremetz. Après combien de morts ?

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. Le processus de paix va devenir une réalité tangible, répondant à l'espoir des Palestiniens qui sont désespérés par la progression inexorable de la colonisation. La France travaillera avec le président Obama, avec Abu Mazen et avec le prochain Premier ministre israélien, à ce que ce rêve, déjà vieux de soixante ans, incarné, ne l'oublions pas, par la résolution 181 de l'Assemblée générale des Nations unies de 1947, devienne une réalité : un État palestinien viable et démocratique, vivant en paix et en sécurité aux côtés d'Israël, avec Jérusalem pour capitale commune des deux États. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Cambadélis pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Jean-Christophe Cambadélis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au-delà de l'émotion face à cette nouvelle guerre au Proche-Orient, au-delà de la compassion légitime pour les populations endeuillées et les victimes, au-delà des craintes pour les répercussions dans le monde, plus particulièrement en France, au-delà des propositions du parti socialiste visant à créer une délégation ou un groupe de travail réunissant l’ensemble des groupes sur Israël et la Palestine, il nous faut, aujourd'hui, distinguer et proposer.

L'intifada, la guerre en Irak, la construction du mur, le retrait de Gaza, la victoire électorale du Hamas, l'affrontement entre le Hamas et l'Autorité palestinienne, l'enlèvement du soldat israélien Gilad Shalit, l'assassinat d'autres, le blocus de Gaza ou encore la guerre du Liban : la logique est là, implacable, inextricable, imbriquée dans une descente aux enfers rythmée par les attentats suicides, les tirs de roquettes contre Israël et la riposte de l'armée israélienne.

M. Maxime Gremetz. Il ne s’agit pas d’une riposte !

M. Jean-Christophe Cambadélis. Cette riposte provoque un chaos régional, la mort et la destruction. Le Proche-Orient est une plaie ouverte au flanc du monde. Évidemment le Hamas a rompu la trêve : lorsqu’on rompt une trêve, ce n'est pas pour faire la paix. Assurément la réponse, la riposte d'Israël est d'une violence implacable : lorsqu'on intitule une opération militaire « Plomb durci », ce n'est pas pour tendre la main. Évidemment, le Hamas réagissait à un blocus qui disait prendre sa source dans les attentats suicides et les tirs de roquettes. Mais le blocus était là avec son cortège de souffrances, de privations et de rancœurs.

Le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et le parti socialiste ont condamné les tirs de roquettes et l'intervention israélienne. Toutefois, la question n'est pas de distribuer les responsabilités d'hier mais de prendre nos responsabilités pour distinguer et proposer. Il faut dire, en France et hors de France, qu’il n'y a pas de peuple juif ni de peuple palestinien collectivement responsables ; il faut dire qu’Israël ne vivra pas en paix en faisant la guerre ; mais il faut dire également que ce n'est pas en proposant au peuple juif le cercueil ou la valise que les Palestiniens obtiendront un État. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Il faut dire encore et toujours qu'il n'y a pas de solution militaire. Nous le savons. Une grande partie de la classe politique israélienne, particulièrement la droite israélienne, pense l'inverse. Du premier Sharon à Netanyaou, elle chevauche un inquiétant complexe de Massada. La paix serait impossible car les conditions de survie d'Israël sont improbables. L'interdiction pour certains partis arabes de se présenter aux prochaines élections en Israël va dans ce sens. Cette vision n’était pas celle de Rabin ; elle n’est pas, non plus, celle de toute la société israélienne. C'est l'honneur de la démocratie israélienne que de permettre ce débat.

Dans le même temps le Hamas croit pouvoir réactiver « Septembre noir », ce moment en 1970 où le Fatah fut défait militairement et vainqueur politiquement. Ce sont des stratégies souvent suggérées par des puissances régionales ou motivées par des agendas américains ou européens, voire par des opportunités électorales, mais elles ne règlent rien. Elles créent au contraire les conditions du conflit suivant. Nous le savons : il n'y aura de solution durable et juste que politique.

M. Jean-Marc Ayrault. Très bien !

M. Jean-Christophe Cambadélis. Depuis soixante ans que dure ce conflit au Proche-Orient, nous avons désormais le recul historique pour comprendre qu'aucune victoire militaire momentanée n'a assuré à la société israélienne la possibilité de vivre durablement en paix.

Israël, en effet, n'affronte pas simplement des États ou des fractions armées dont elle pourrait détruire durablement le commandement et l'infrastructure. C’est pourquoi la seule solution passe par l'avènement d'une véritable Realpolitik israélienne, capable de se situer réellement dans le long terme. La disqualification successive de ses interlocuteurs est une impasse. Récuser le Fatah libère l'espace au Hamas, et ce processus est sans fin, avec des acteurs toujours plus radicaux. Israël doit revenir à l'intuition fondamentale d'Itzhak Rabin : « Je combattrai le terrorisme comme s'il n'y avait pas de processus de paix, mais je poursuivrai le processus de paix comme s'il n'y avait pas de terrorisme ». Combattre les attaques du Hamas contre son territoire n'empêche pas de discuter simultanément les conditions de la paix avec les interlocuteurs du camp d'en face. De même, ni la division du peuple palestinien ni son affrontement militaire interne ne renforcent sa cause. Quant à l'espoir de détruire l'État d'Israël pour instaurer un État peut-être islamique aux portes de l'Europe, ce projet qui est porté par la charte du Hamas mais n’est plus, semble-t-il, celui de tous les responsables du mouvement, est inacceptable : ce n’est qu’une illusion, source de souffrances pour le peuple palestinien. Yasser Arafat avait rompu avec la charte de l'OLP qui préconisait la destruction de l'État d'Israël, pour avancer vers la paix et l'État palestinien. La seule solution est connue et reconnue. François Mitterrand l'avait affirmée à la tribune de la Knesset en 1982 : il n'y a pas d'autre solution au Proche-Orient qu'une paix juste et durable sur la base d'une double exigence : le droit de l'État d'Israël à l'existence et à la sécurité et le droit des Palestiniens à un véritable État viable dans lequel ils pourront mener une vie digne.

M. Jean Glavany. Très bien !

M. Jean-Christophe Cambadélis. Cette vision de la paix a pour fondement la légalité internationale construite par l'ensemble des résolutions des Nations unies, notamment la résolution 1397, qui reconnaît clairement l'existence d'un État palestinien à côté de l'État israélien, et la résolution 1402, qui exige le retrait des troupes israéliennes des territoires occupés.

Cet objectif ne peut être atteint que par des négociations de paix entre les deux parties. Ceci fut accepté par tous, des accords d’Oslo à la conférence de Madrid ou lors de la rencontre de Taba en janvier 2001, en présence des représentants de l’Union européenne d’ailleurs. N’oublions pas non plus que les pays arabes ont eux aussi proposé un plan de paix globale en 2002, connu sous le nom de plan Abdallah, qu’ils ont réaffirmé en 2008. Nous connaissons donc tous les contours d’une véritable paix non seulement entre Israël et la Palestine mais entre Israël et ses voisins.

Mme Élisabeth Guigou. Très juste !

M. Jean-Christophe Cambadélis. Constatons que tous les points d’appui pour ce plan de paix se sont affaiblis dans tous les camps. C’est la raison pour laquelle le déblocage sera international. Israël refuse la résolution des Nations unies de cessez-le-feu. Nous le déplorons. Il faut proposer des résolutions contraignantes et utiliser la pression économique européenne. L’urgence est le cessez-le-feu, le retrait des troupes de Gaza, l’ouverture de couloirs humanitaires, l’envoi d’une force internationale protégeant les populations et garantissant la sécurité de tous.

Évidemment, on trouvera la vraie solution aussi bien à Washington qu’à Tel-Aviv, au Caire ou à Damas, surtout lorsqu’on ne peut, ou qu’on ne veut pas, aller jusqu’à Téhéran. Les États-Unis ne peuvent plus soutenir économiquement et militairement Israël sans contrepartie. Voilà pourquoi nous vous préférons, monsieur le ministre, aux Nations unies faisant voter un cessez-le-feu plutôt que soutenant du bout des lèvres le cavalier seul du Président de la République au Proche-Orient.

Il fallait, en l’espèce, jouer plus vite et plus nettement la carte d’une solution globale prônée conjointement par les Nations unies, par l’Europe et, si possible, par les États-Unis. Le multilatéralisme n’est pas un idéal abstrait, une perte de temps qui engendrerait la dilution pratique de la capacité d’influence des nations. Dans le monde d’aujourd’hui, l’approche multilatérale est au contraire une condition d’exercice efficace de la puissance. Ce cavalier seul a été une erreur parce qu’il est contraire à la nécessité et à la volonté de bâtir une politique étrangère européenne.

C’est précisément face à la crise, hier dans les Balkans ou en Irak, que se saisit ou se perd l’occasion de cette affirmation et de cette émergence. La question du rôle et de la place de l’Europe dans le monde dépend moins, en vérité, des avancées institutionnelles et juridiques dont nous ne cessons de débattre, que de ce qui se construit, se cristallise dans des épreuves comme celle que nous traversons. C’est dans des moments comme celui-ci que l’image de l’Europe – dont il s’agit de savoir si elle doit être une puissance politique intégrée ou une simple zone de coopération économique – se constitue pour ses propres peuples et pour le reste du monde.

Tout doit être tenté pour la paix, évidemment, mais était-il judicieux de faire cavalier seul, « kidnappant » au passage le plan égyptien, alors que s’achevait la présidence française de l’Europe et que nous professons le multilatéralisme ?

M. le président. Merci de bien vouloir conclure, monsieur Cambadélis.

M. Jean-Christophe Cambadélis. Monsieur le ministre, était-il juste, par ailleurs, d’organiser le forcing diplomatique pour obtenir dès décembre 2008 un « rehaussement » du rapport entre l’Europe et Israël malgré l’avis négatif du Parlement européen ? Les socialistes de tous les pays d’Europe voteront à l’unanimité contre cette disposition tant que l’État d’Israël ne respectera pas le droit humanitaire international tel que le prévoit la résolution adoptée.

Ce débat est utile mais, aussi bienvenu qu’il soit, il vient un peu tard, vous en conviendrez, monsieur le ministre.

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Ce n’est pas un débat !

M. Jean-Christophe Cambadélis. Plus les débats se tiennent tôt, plus ils ont d’ampleur et plus ils nous permettent de clarifier la position de la France et d’isoler ceux qui veulent ajouter à la guerre là-bas, la haine ici. Nous les condamnons. Nous condamnons tout acte antisémite avec la dernière énergie.

Je conclurai en affirmant que si notre communauté nationale n’est pas ennemie des communautés, elle n’est pas leur juxtaposition, elle est encore moins l’addition de drapeaux de nations en guerre. Elle n’en a qu’un et il est bleu-blanc-rouge. Elle n’a qu’une volonté : la paix là-bas, la République ici ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Jean-Michel Boucheron. Très bien !

M. Jean Glavany. Bravo !

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard, pour le groupe GDR.

Mme Martine Billard. Monsieur le président, messieurs et madame les membres du Gouvernement, face à la situation dramatique de la population palestinienne à Gaza, confrontée à l’une des offensives militaires les plus meurtrières de l’armée israélienne, il était urgent que le Parlement débatte de la position de la France. Aussi le groupe de la gauche démocrate et républicaine se félicite-t-il que sa demande ait été acceptée.

Gaza, c’est aujourd’hui un camp d’internement à ciel ouvert, ravagé par le chômage et la pauvreté, coupé du monde par un blocus militaire, pilonné par une des armées les plus puissantes du monde. Gaza, c’est aussi 360 kilomètres carrés contrôlés pour presque la moitié par une armée d’occupation, avec une population d’environ 1,5 million de Palestiniens sans aucune possibilité de fuir l’horreur des bombardements.

Dans ce contexte de guerre totale, il y a forcément de nombreuses victimes civiles. Comme l’écrit Uri Avnery, écrivain israélien : « Pour éviter les pertes parmi nos soldats, la doctrine est de tout détruire sur leur passage. Cela signifie le choix conscient d’une sorte de guerre particulièrement cruelle. » L’ONU ajoute que les civils ne sont en sécurité nulle part dans la bande de Gaza.

Cette nouvelle opération militaire intervient dans un moment de vacance de l’administration américaine, et l’on peut s’étonner, s’inquiéter du silence assourdissant de celui qui sera investi officiellement président des États-Unis ce 20 janvier. En laissant filer le temps, ce qui permet à l’armée israélienne de continuer et d’intensifier la guerre contre les Palestiniens de Gaza, la nouvelle administration américaine risque de compromettre sa crédibilité future à proposer une nouvelle feuille de route pour le Proche-Orient.

Cette fois-ci, il s’agit pour l’armée israélienne de laver l’affront subi en 2006 au Liban face au Hezbollah et de démontrer sa capacité à affaiblir durablement le Hamas qui a, pour sa part, un but de guerre très précis : encaisser les coups le plus longtemps possible pour gagner sur le terrain politique cette guerre asymétrique qu’il ne peut remporter sur le terrain militaire.

Après trois semaines passées sous les bombes, l’organisation islamiste a malheureusement déjà remporté une victoire politique décisive. En effet, transformer la vie des Gazaouis en enfer ne conduit pas la population à se soulever contre le Hamas mais, au contraire, à faire bloc derrière lui. Si Israël avait voulu faire la démonstration que l’Autorité palestinienne n’existait plus politiquement et que la seule autorité crédible était le Hamas, il n’aurait pas procédé autrement.

De quoi la population civile de Gaza est-elle coupable ? D’avoir choisi comme représentation politique le Hamas lors d’élections démocratiques que l’Union européenne avait encouragées mais dont elle n’a pas reconnu le résultat ? Si les propositions de paix, de négociations défendues par l’Autorité palestinienne ou par des représentants israéliens et palestiniens comme l’Appel de Genève de 2004 de MM. Beilin et Rabbo n’avaient pas été systématiquement écartés par les gouvernements israéliens qui se sont succédé, le désespoir n’aurait pas jeté les Palestiniens dans les bras du Hamas.

Aussi la responsabilité de l’Europe est-elle réelle dans le manque de soutien déterminé à ces initiatives. Rappelons également que lorsque la médiation des gouvernements arabes a abouti à un projet de gouvernement d’union nationale palestinienne, Israël, l’administration américaine et l’Union européenne ont refusé cette perspective et ont entériné la partition de fait entre Gaza et la Cisjordanie, renforçant ainsi malheureusement le sentiment des Palestiniens que le Hamas est la seule force sur laquelle ils peuvent compter.

Israël a négocié une trêve, en juin dernier, fondée sur deux principes : l’arrêt des tirs de roquettes contre les villes israéliennes et la levée du blocus de Gaza. Comme quoi, les gouvernements israéliens ne s’interdisent pas systématiquement – et c’est heureux – de négocier avec le Hamas.

Cependant, le blocus a été renforcé et Israël a procédé à une intervention militaire le 4 novembre 2008, brisant la trêve jusque-là respectée par le Hamas. Celui-ci a alors immédiatement repris les tirs de roquettes. Or, deux mois avant les élections israéliennes, c’était prendre ouvertement le risque de provoquer une intervention militaire. Il faut dénoncer sans nuances l’attitude du Hamas,…

M. Hervé Mariton. C’est bien la moindre des choses !

Mme Martine Billard. …approvisionné par l’Iran, et les tirs de roquettes sur le sud d’Israël. Il n’est cependant pas inutile de rappeler le contexte, ne serait-ce que pour éviter de sombrer dans cette logique qui consiste à ne pas établir de différence de nature entre les protagonistes de ce conflit, tellement nous sommes embrouillées par les postures, le spectre religieux et le poids de l’histoire qui nous tétanise. Dans ce petit espace où deux peuples vivent entremêlés, quelques vérités doivent être rappelées.

Il existe une situation coloniale. Israël doit comprendre qu’un État démocratique ne peut coloniser un peuple sans que celui-ci résiste. Israël a tort de penser que son projet de bantoustans peut se perpétuer et fonctionner. La transformation de la Cisjordanie en confettis palestiniens de plus en plus petits, isolés les uns des autres, ne peut qu’entretenir le désespoir d’une population palestinienne qui a l’impression que son espoir de pouvoir vivre un jour ou l’autre, en paix, dans un État indépendant, ressemble de plus en plus à une chimère.

Tant qu’un projet viable d’État palestinien, avec Jérusalem-Est pour capitale, ne sera pas à son ordre du jour, il n’y aura pas de paix et de sécurité durable pour Israël. On l’a dit : il n’y a pas de solution militaire. À moins de caresser le rêve fou d’évacuer la Cisjordanie de ses habitants et de mettre Gaza sous tutelle égyptienne.

On ne fait la paix qu’avec son ennemi. En son temps, le général de Gaulle a finalement négocié avec le FLN. Israël a construit politiquement le Hamas et liquidé le nationalisme laïque représenté par le Fatah. Il faudra donc qu’il se résolve un jour à dialoguer et à négocier avec le Hamas. Les plus de 900 victimes, dont 275 enfants et les 4 000 blessés de cette offensive ne constitueront qu’une nouvelle tache de sang, après Der Yassin, Sabra et Chatila et Jénine. Ils ne font que renforcer les partisans de la guerre de civilisation, du communautarisme, du racisme et de l’antisémitisme, partout dans le monde.

Le renforcement de l’intégration économique et politique avec Israël, sous la présidence européenne de Nicolas Sarkozy, et ce sans aucune condition, sans aucun engagement sur un règlement politique du conflit et le démantèlement des colonies, a privé l’Europe de capacités à agir en faveur d’un règlement politique du conflit.

Hélas, depuis 1948, le monde a été incapable de faire respecter la moindre résolution de l’ONU dans la région.

Les deux peuples doivent maintenant trouver en eux-mêmes la voie de la paix. Ils ne pourront y parvenir que si chacun renonce à son utopie : celle du Hamas, qui persiste à nier l’existence de l’État d’Israël ;…

M. Hervé Mariton. Curieuse utopie !

Mme Martine Billard. …celle d’Israël, qui continue la colonisation envers et contre tout, en misant sur le pourrissement de la situation interne aux Palestiniens et sur l’indifférence des États face à la tuerie.

Toutes les interventions militaires de l’armée israélienne ont été menées au nom de la recherche de la sécurité. La sécurité du peuple israélien n’est toujours pas assurée et cette offensive, comme les précédentes, est vouée à un nouvel échec politique. Elle ne fera que nourrir un peu plus la haine et le ressentiment.

Le gouvernement israélien est responsable des massacres en cours à Gaza. Accuser le Hamas de tenir la population civile en otage lorsque celle-ci n’a aucune solution de fuite puisque Israël ne lève pas le blocus ne rime à rien. Les Palestiniens ont droit, eux aussi, à la sécurité, à la dignité, au respect, et à leur terre.

Nous en sommes à la troisième semaine de l’opération « Plomb durci » et le massacre continue. Plus il y a de morts, plus on se sent impuissants, écœurés, révoltés face à l’ampleur de la tragédie.

Le plus terrible pour l’avenir, c’est que cette agression israélienne est en train de détruire la légitimité de l’État d’Israël aux yeux du monde arabe et, en premier lieu, aux yeux du peuple palestinien. Cette légitimité avait été acquise grâce au processus de paix et à la reconnaissance commune de l’OLP et de l’État d’Israël. Après Gaza, il faudra reprendre ce travail de Sisyphe, mais il est fort possible que ce soit, cette fois, malheureusement, le Hamas qui devienne le nouvel interlocuteur de l’État d’Israël. Triste bilan pour ces pompiers pyromanes !

Pour l’heure, il faut tout faire pour que cesse le carnage. Pour cela, il faut agir et contraindre le gouvernement israélien à cesser les opérations militaires. La présidence française est responsable d’avoir incité le Conseil des ministres de l’Union européenne, en décembre, à prendre la décision de rehausser les accords de coopération.

M. Claude Goasguen. Comment cela ?

M. Roland Muzeau. Eh oui !

Mme Martine Billard. Et cette décision a été prise contre l’avis majoritaire du Parlement européen, donnant ainsi une caution inespérée à cette intervention. Ces accords de coopération doivent être gelés tant qu’il n’y a pas un engagement ferme en faveur de la paix.

M. Roland Muzeau. Voilà !

M. Jean-Claude Sandrier. Bien sûr !

Mme Martine Billard. Il faut aussi prévoir une force d’interposition des Nations unies.

M. Maxime Gremetz. Bravo !

Mme Martine Billard. Je joins ma voix à la demande faite par des personnalités en faveur de l’envoi d’un navire-hôpital de la marine nationale au large de la bande de Gaza pour faire face au désastre humanitaire.

Les graves violations de la quatrième Convention de Genève relative aux crimes de guerre, le refus du gouvernement israélien et des porte-parole du Hamas d’appliquer la résolution n °1860 appelant à un cessez-le-feu doivent conduire le gouvernement français à saisir l’Assemblée générale des Nations unies en vertu de la résolution n° 377, « S’unir pour la paix ». Cette réunion est indispensable dans la mesure où le Conseil de sécurité est divisé sur les moyens à prendre pour rétablir la paix et la sécurité internationale.

M. Maxime Gremetz. Absolument !

M. le président. Je vous remercie de bien vouloir conclure, madame Billard.

Mme Martine Billard. C’est parce que nous agissons pour la paix et que nous soutenons les pacifistes des deux camps dont ces Israéliens opposés à la guerre qui manifestent tous les jours dans les rues de Tel-Aviv, c’est en agissant pour la paix et la justice que nous pouvons faire preuve d’autorité contre les débordements de haine et de racisme que cette guerre suscite, notamment sur notre territoire, et que nous condamnons de manière unanime.

M. le président. Je vous remercie, madame Billard.

M. Roland Muzeau. Laissez-la terminer, monsieur le président !

Mme Martine Billard. Les jours passent, le nombre de victimes augmente, la France va-t-elle accentuer sa pression sur Israël en s’en donnant les moyens afin d’arrêter cette guerre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. François Rochebloine, pour le groupe Nouveau Centre.

M. François Rochebloine. Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, le 27 décembre dernier, débutait l’offensive de l’armée israélienne dans la bande de Gaza. Comme à chaque fois, il est bien difficile aux observateurs extérieurs que nous sommes de nous faire une opinion précise sur l’évolution de la situation militaire et sur les intentions qui, en ce moment, animent les adversaires. L’expérience de guerres précédentes nous a, en outre, alerté sur les risques de manipulation et de déformation des faits par des actions délibérées de telle ou telle partie à un conflit. C’est pourquoi je ne peux m’empêcher de ressentir un certain sentiment de décalage entre, d’une part, les affrontements et les souffrances dont les médias nous renvoient l’écho, et, d’autre part, le cadre du présent débat.

Néanmoins, l’Assemblée nationale est pleinement dans son rôle quand elle examine cette situation, quand elle se préoccupe des enjeux d’un conflit qui s’enlise et n’en finit plus, quand elle s’interroge sur les initiatives que doivent prendre la France et l’Union européenne au service de la paix.

Dans ce conflit complexe, face à de tels affrontements, notre seul parti, la seule conquête que nous puissions viser, c’est la paix.

Mais il s’agit bien là d’une conquête : conquête sur la violence des belligérants, conquête sur le poids d’un passé très lourd et très pénible, conquête sur un ensemble de forces instable et en constante évolution.

Je n’insisterai pas, tant elle est évidente, sur l’urgence humanitaire. La conscience se révolte devant ces morts inutiles – plus de 900 victimes, dont un tiers d’enfants – et devant toutes ces souffrances.

M. Maxime Gremetz. Il faut faire cesser cela !

M. François Rochebloine. S’il y avait une seule justification à donner aux récents efforts du Président de la République en faveur de l’arrêt des combats, celle-ci emporterait la conviction. Hier, M. le ministre des affaires étrangères rappelait, en réponse à la question de notre collègue Michel Voisin, les efforts divers et importants consentis par la France pour prendre concrètement sa part de l’action humanitaire. Je veux ici rendre hommage à ces efforts et saluer les personnels qui sont à l’œuvre et à la peine sur le terrain.

Je veux également rendre hommage aux organisations humanitaires – et ce n’est pas vous, monsieur le ministre, qui me démentirez –, qui s’efforcent de procurer aux populations vivres, médicaments et soins.

M. Jean-Paul Bacquet. Et sacs de riz !

M. François Rochebloine. Je crois qu’il ne faut pas plaisanter sur des sujets aussi délicats, mon cher collègue.

M. Jean-Paul Bacquet. Ne vous inquiétez pas pour ça !

M. François Rochebloine. Je voudrais saluer, enfin, l’action inlassable du Haut Commissariat pour les réfugiés et de son responsable, M. António Guterres, aux côtés des personnes déplacées. Dans une de ses récentes déclarations, M. Guterres mettait en lumière une des caractéristiques les plus frappantes de la guerre de Gaza : c’est le seul conflit au monde où les civils n’ont même pas la possibilité de fuir, disait-il le 6 décembre. Un million et demi d’hommes et de femmes sont ainsi bloqués dans ce territoire de 360 km2, où les conditions de la vie quotidienne deviennent de plus en plus dramatiques.

À cet enfermement des corps répond l’enfermement des esprits. L’ambassadeur d’Israël nous disait, hier matin, en commission des affaires étrangères, que la population israélienne était soudée derrière son gouvernement et son armée, qu’elle en avait assez des frappes aveugles qui semaient l’insécurité et la mort parmi la population du sud du pays. Comment ne pas comprendre, humainement, cette réaction ? Toutefois, l’histoire est là pour rappeler à quel point est dangereuse l’unanimité dans la lassitude. On ne bâtit pas l’avenir sur un sentiment négatif.

Du côté palestinien, la division entre les mouvements et les courants d’opinion, outre qu’elle affaiblit la représentativité politique effective de l’Autorité palestinienne, est une source de surenchère dans l’hostilité à Israël, et aussi, sans doute, une cause de découragement. L’extrémisme se nourrit de l’absence ou de la faiblesse des perspectives politiques, avant d’être encouragé et stimulé par l’intervention extérieure.

Je partage l’opinion de celles et ceux qui condamnent les actes de terreur perpétrés par les milices du Hamas au détriment, eux aussi, de victimes innocentes. Les attentats suicides, les frappes de roquettes aveugles ne sont pas des procédés de guerre, ce sont des offenses à l’humanité. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.) Je comprends que l’on éprouve les plus vives réticences à traiter, ou même simplement à parler, avec un gouvernement formé ou soutenu par des personnes dont la négation de l’autre est le premier article du credo politique. Je comprends ce refus, considérant que l’existence d’Israël est un fait politique et une réalité humaine incontestables, contre lesquels aucune menace n’est acceptable.

Mais, en même temps, nous devons reconnaître que le gouvernement soutenu par le Hamas procède des urnes. Les Palestiniens de Gaza ont exprimé, en se prononçant majoritairement pour le Hamas, leur propre sentiment de révolte et de découragement. Ce sentiment ne doit pas être passé par pertes et profits au seul motif qu’il ne correspondrait pas à ce que l’on voudrait que les habitants de Gaza, et les Palestiniens en général, pensent. Il faut créer les conditions qui leur permettent de croire en la possibilité d’un autre choix.

Le dialogue direct entre les adversaires est actuellement impossible. Il y a entre eux trop de méfiance, de violence et de morts. Et pourtant, il est impossible de laisser la situation d’affrontement perdurer. Elle est fatale, à court terme, pour la vie, voire la survie, des populations impliquées. De plus, même si l’armée israélienne atteint les objectifs militaires qu’elle s’est fixés, sa victoire du moment laisse entières les causes profondes du conflit qui, tôt ou tard, resurgira.

Seule une impulsion extérieure permettra d’offrir aux parties en présence le cadre d’une négociation dont elles ont, en l’état, perdu la capacité politique d’admettre la nécessité dans leur propre intérêt. Le groupe Nouveau Centre soutiendra donc toutes les initiatives qui permettront la constitution, par des instances internationales, d’espaces de rencontres et de procédures de dialogue.

Dans l’immédiat, il appelle de ses vœux l’application effective et rapide du cessez-le-feu réclamé par le Conseil de Sécurité dans sa résolution 1860 du 8 janvier dernier, « menant au retrait total des forces israéliennes de Gaza » et comportant, dans l’immédiat, une intensification de l’aide humanitaire du Haut Commissariat pour les réfugiés et des organisations non gouvernementales.

Comme le Conseil, il constate que la réconciliation entre Palestiniens est un préalable à 1’ouverture et, à plus forte raison, monsieur le ministre, au développement de conversations entre les Palestiniens et Israël. On ne saurait imposer de l’extérieur cette réconciliation nécessaire, elle doit venir de la réflexion des parties en conflit, éventuellement encouragée de manière amicale et non directive. Dans cette perspective, le groupe Nouveau Centre ne peut qu’espérer la réussite des entreprises de médiation engagées dans le monde arabe, à l’initiative, notamment, du président Hosni Moubarak.

En outre, le groupe Nouveau Centre souhaite que la France continue de prendre une part active dans les efforts de reprise du dialogue israélo-palestinien, dans le prolongement de 1’action menée avec détermination par le Président de la République il y a quelques jours. Devant notre commission des affaires étrangères, un point a réuni l’ambassadeur d’Israël, M. Shek, et la déléguée générale de la Palestine en France, Mme Hind Khoury : la reconnaissance pour cette intervention. Je suis heureux d’en rendre ici témoignage. Je vois dans ce fait symbolique la consécration de 1’approche équilibrée que le Président de la République a souhaité promouvoir dans ses relations avec Israël et le monde arabe – et vous pouvez tout naturellement en témoigner, monsieur le ministre –, approche équilibrée dont la clé de voûte est un respect égal de chacun des partenaires de la France.

M. le président. Merci de conclure, cher collègue.

M. François Rochebloine. Chacun sait que le langage de vérité est l’une des formes éminentes du respect que l’on doit à ses amis : cela est vrai des personnes comme des États et des peuples.

Dans un entretien accordé à Politique internationale, et publié en automne dernier, Elie Wiesel déclarait : « Je crois toujours la paix possible, ne serait-ce que parce qu’elle est de plus en plus nécessaire ». Le conflit en cours à Gaza, par son intensité, par sa violence, par ses conséquences, ne fait qu’illustrer encore plus fortement cette idée.

M. le président. Merci.

M. François Rochebloine. Je termine, monsieur le président.

Certes, la paix n’est pas facile. Depuis 1948, Israéliens et Palestiniens vivent côte à côte, sur la même terre. Seuls des esprits criminels ou exaltés – et il en existe des deux côtés – peuvent croire que la solution puisse venir de l’anéantissement de l’autre. Mais il est vrai que la construction d’une solution durable passe par des renoncements et des compromis réciproques. Dans chaque camp, les esprits les plus lucides savent bien, au-delà des slogans, que c’est la seule voie praticable, ne serait-ce que pour assurer à chacun les conditions d’une vie normale. Et s’il ne fallait citer qu’un exemple de préoccupations vitales partagées, le problème de 1’approvisionnement en eau viendrait immédiatement à l’esprit.

M. le président. Merci.

M. François Rochebloine. Rien ne serait plus calamiteux qu’un conflit autour de cette ressource vitale. Tous auraient à gagner à une gestion coordonnée. Mais pour en arriver là, chacun imagine les méfiances et les obstacles qu’il faudra surmonter, alors qu’il y va tout simplement de la vie.

Oui, vraiment, monsieur le ministre, il n’y a pas d’autre issue que la paix. Et le plus tôt possible. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Ameline, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Nicole Ameline. Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, la France est engagée, nous en sommes fiers. Et nous soutenons naturellement avec une totale détermination l’ensemble des actions qui ont été entreprises par le Gouvernement et par le Président de la République.

La France est engagée avec discernement, équilibre, intelligence et détermination.

Elle est engagée en raison des liens étroits qui l’unissent à l’État Israël, tout d’abord, dont nous partageons l’histoire, mais aussi parce que les relations franco-palestiniennes sont anciennes et que nous soutenons la volonté légitime du peuple palestinien de vivre dans un État de droit, libre, viable, en paix.

La France est engagée parce que sa voix compte dans cette région du monde, où les conflits ont une résonance planétaire, affectent très directement notre sécurité collective, et génèrent des effets déstabilisateurs sur l’opinion publique internationale.

Mais la France est engagée, probablement et avant tout, face au désastre humanitaire que cette offensive militaire engendre. Je ne rappellerai pas les chiffres, ils sont connus, éloquents et tragiques.

M. Maxime Gremetz. Si, vous pouvez les rappeler !

Mme Nicole Ameline. Ils ajoutent au cortège de souffrances, de violences qui n’ont cessé de jalonner l’histoire de ces deux peuples, dont cependant les destins sont indissociablement liés.

Notre groupe parlementaire soutient sans réserve l’initiative de paix et l’appel immédiat à l’arrêt des combats portés courageusement par le Président de la République. Grâce à la confiance établie, grâce à l’esprit de dialogue qui a su être construit avec l’ensemble des acteurs régionaux, les premières bases d’un cessez-le-feu ont été posées. Le groupe d’amitié parlementaire dirigé par Claude Goasguen est du reste allé sur place, sur le terrain, relayer ce message de paix.

Rien n’est plus important – mais je crois que tous les orateurs l’ont dit à cette tribune – que de mettre un terme à ces combats. Et nous saluons, de ce point de vue, toutes les initiatives qui convergent dans ce sens. Je pense aux pays européens que vous avez cités, monsieur le ministre, la Suède, la Norvège, mais aussi, bien évidemment, aux autres pays, tels le Qatar ou bien encore la Turquie, qui ne ménagent pas leurs efforts.

En effet, si nous comprenons et si nous respectons le fait que l’État d’Israël mette au premier rang de ses préoccupations la sécurité et la protection de ses citoyens, si nous considérons que cette exigence, cette aspiration légitime doit être comprise et admise dans l’ensemble de la région, nous considérons que seule l’existence d’un État palestinien constitue la réponse durable à cette exigence.

La guerre ne saurait donc être une solution durable. Elle risque, au contraire, de fragiliser l’espoir de voir naître prochainement un État palestinien et de nourrir le ressentiment d’une partie du monde islamique à l’égard de l’Occident.

Nous en voyons parfois l’expression jusque dans nos propres territoires et ici même en France par l’augmentation inacceptable et inquiétante d’actes antisémites.

La guerre réduit, certes, la capacité militaire du Hamas. Mais ne risque-t-elle pas aussi, indirectement, d’en renforcer l’aura dans une certaine partie du monde ? La perpétuation du conflit israélo-palestinien avec son cortège de violences affecte sensiblement l’ensemble de l’équilibre non seulement de cette région, mais, on peut le dire également, notre sécurité européenne.

Monsieur le ministre, l’opération en cours, telle qu’elle est conduite, risque, à certains égards, de ne pas atteindre son objectif. Ainsi que l’écrit Dominique Moisi, il n’y a pas de victoire possible sur ceux qui ne sont pas seulement prêts à sacrifier leur vie, mais attendent la mort comme une victoire.

Que peut-il sortir d’un confit qui durerait ? Nous sommes évidemment dans une situation paradoxale où la force risque au contraire d’affaiblir le vainqueur. Du reste, les accusations, la condamnation, les critiques qui sont faites aujourd’hui vis-à-vis de l’État d’Israël démontrent, s’il en était besoin, que cet État est aujourd’hui en train d’en payer le prix et se trouve sous le regard du monde.

Que dire des populations civiles ? Nous sommes extrêmement sensibles au fait que, aujourd’hui, des femmes, des hommes, dans des conflits de plus en plus nombreux, lorsqu’ils impliquent des mouvements non étatiques, se trouvent exposés – je devrais dire instrumentalisés. Nous sommes bien loin du droit international et des conventions de Genève. Il serait très important que nous puissions nous saisir de cette question.

Nous sommes également inquiets quant à la stabilité régionale, précaire et aujourd’hui ébranlée. L’Iran, toujours avide de renforcer son influence dans cette partie de la Méditerranée, n’a pas ménagé son soutien, tant logistique que financier et politique. De son côté, la rue arabe exerce une pression croissante sur les États modérés, plus ouverts vis-à-vis de l’Occident. Les réponses que nous attendons sont bien sûr à la fois régionales et internationales.

Pensez-vous que la présence, aujourd’hui, du Secrétaire général de l’ONU dans la région, l’investiture prochaine dans quelques jours du nouveau président des États-Unis puissent accompagner de manière déterminante les efforts conduits par la France ?

Nous appelons à notre tour l’Europe à s’impliquer plus fortement encore. Nous soulignons qu’elle en a la légitimité, la capacité. L’Europe a été aussi la terre de batailles incessantes, de souffrances, de luttes épuisantes entre ses peuples, mais elle est aussi la terre qui a réussi, avec le multilatéralisme, dont elle est certainement un peu le dépositaire dans le monde, à démontrer sa capacité à résoudre les conflits.

Est-ce le moment – nous en sommes convaincus – de renforcer notre partenariat avec les États-Unis dans une relation plus forte, transatlantique, ciblée sur ces sujets essentiels, et notamment sur la lutte contre le terrorisme ?

L’Europe, je le disais, a la légitimité et la capacité à agir. Elle peut apporter une contribution déterminante à l’élaboration d’une solution nouvelle, durable, dont nous connaissons – vous les avez rappelés – les termes : deux États, deux peuples dans le respect des frontières connues, reconnues et garanties. Notre rôle est probablement celui-là : apporter des garanties et assurer les conditions d’un développement économique sans lequel la paix reste une illusion.

L’Europe, premier donateur de l’aide aux Palestiniens, doit, monsieur le ministre, porter son effort politique au niveau de son engagement économique. Or que constatons-nous ? Depuis des années, le taux de chômage est compris entre 30 et 40 % dans la bande de Gaza. La pauvreté y est intense. Elle alimente évidemment l’extrémisme.

L'Union européenne a compris depuis longtemps qu'elle devait aider au développement des territoires palestiniens. Cette aide considérable – près de 500 millions d'euros en 2008 – ne semble pas répondre aux critères d’efficacité nécessaires. Bien au contraire !

Il y a près d'un an, l'Union européenne lançait un nouveau mécanisme, qui remplaçait le système précédent, dont le coût était particulièrement élevé. Monsieur le ministre, quel bilan tirez-vous aujourd'hui de son fonctionnement ? Ne faut-il pas s’appuyer sur ceux qui, au niveau du peuple palestinien, sont engagés avec le souci de faire que cette aide soit particulièrement efficace et durable. Il y a là un vrai sujet de réflexion.

La présidence tchèque de l'Union européenne a annoncé son souhait d'organiser une conférence des donateurs pour répondre aux besoins humanitaires de la population de Gaza. Cette idée est intéressante. Nous avions déjà réuni, le 17 décembre 2007, à Paris, une conférence des donateurs. Comment concilier cette double démarche ?

Ne pensez-vous pas que, à plus long terme, un volet des projets à conduire dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée pourrait viser spécifiquement au développement économique de la bande de Gaza, en lien avec ses voisins ?

Je voudrais insister sur l’intérêt du déploiement d’une force internationale chargée de garantir un cessez-le-feu à Gaza. Le Parlement européen porte cette idée. Dans un instant, le président de la commission des affaires étrangères la reprendra. Je crois que c’est un élément très important.

L'Union européenne aurait tout à gagner à se faire le relais de cette demande auprès des Nations unies, puis à proposer d'en assurer la conduite. Le fait que la France assure actuellement la présidence du Conseil de sécurité ne peut d'ailleurs que l'y aider. L’Europe, vous l’aurez compris, doit, pour nous, s’affirmer comme une puissance d’équilibre régulatrice. La France est à sa place. Elle doit jouer son rôle. Elle doit poursuivre l’expression du droit et le faire avec courage, mais je dirai aussi de toute son âme et de toutes ses forces, convaincue et consciente qu’elle est qu’il n’y aura pas de paix durable, qu’il n’y aura pas de solution durable au Moyen-Orient si nous ne sommes pas tous persuadés que ce problème est le nôtre. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. La parole est à M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères.

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis trois semaines, le monde assiste à un désastre humanitaire dans la bande de Gaza. Cet épouvantable gâchis constitue un retour en arrière de plusieurs années : les espoirs d'Annapolis se sont envolés, les tentatives de rapprochement israélo-syrien sont réduites à néant.

Les torts sont incontestablement partagés.

M. François Rochebloine. Tout à fait !

M. Roland Muzeau. Non !

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. C'est le Hamas qui a rompu le cessez-le-feu en vigueur depuis le 19 juin dernier, et qui a repris les tirs de roquettes contre le Sud d'Israël.

M. Roland Muzeau. Ce n’est pas vrai !

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Israël, de son côté, n'a pas tenu son engagement à user de la trêve pour assouplir le blocus de Gaza et poursuit une politique de colonisation pour le moins critiquable.

Les considérations politiques internes, dans les territoires palestiniens comme en Israël, contribuent à accroître les tensions. Le Hamas persiste dans une position extrémiste de refus : refus du plan d'unité nationale soutenue par le Fatah, refus d'élections législatives anticipées dans les territoires, refus de toute considération humanitaire à l'égard de la population recluse dans la souricière de Gaza.

De l'autre côté, l'approche des élections à la Knesset, le 10 février prochain, provoque incontestablement une surenchère sécuritaire…

M. François Rochebloine. Eh oui !

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. …qui a conduit au renforcement du blocus de la bande de Gaza depuis des mois et à une riposte militaire disproportionnée ces derniers jours.

M. François Rochebloine. Tout à fait !

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Face à cette situation, il faut à la fois répondre à l'urgence et réfléchir à plus long terme.

M. Loïc Bouvard. Très bien !

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. L'urgence, c'est de mettre un terme à un conflit armé qui a déjà tué plus de 900 personnes et fait près de 4 000 blessés. La protection des populations palestinienne et israélienne est une impérieuse nécessité. On ne peut laisser plus longtemps les habitants de la bande de Gaza privés du minimum vital.

Je tiens à saluer ici tout particulièrement les efforts du président Sarkozy et ceux du président Moubarak. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.) Ils ont au moins obtenu un cessez-le-feu de trois heures chaque jour pour le passage de convois humanitaires et l'approvisionnement de Gaza en vivres et en médicaments. De son côté, l'Égypte s'est engagée à renforcer la surveillance de sa frontière avec la bande de Gaza, afin de s'efforcer de mettre un terme à la contrebande d'armes.

Pourtant, il me semble qu'avec l'accord des différentes parties, monsieur le ministre, l'envoi d'une force internationale de maintien de la paix est devenu nécessaire pour garantir un cessez-le-feu réel et durable et permettre à la fois un contrôle effectif de la frontière entre l'Égypte et Gaza et la fin du blocus qui étrangle Gaza.

M. François Rochebloine. Très bien !

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Il reviendrait logiquement aux Nations unies de la mettre en place, l'Union européenne ou l'OTAN pouvant éventuellement la conduire sur le terrain. La FINUL a fait la preuve de son utilité au Sud-Liban ; une force de même nature doit pouvoir conduire au même résultat à Gaza.

À plus long terme, il faut obtenir enfin le règlement politique d'un conflit vieux de soixante ans. Pour cela, deux points m'apparaissent fondamentaux. D'abord, même si les méthodes qu'il emploie sont inacceptables, on ne pourra pas progresser sans accepter de discuter à un moment ou un autre avec le Hamas.

M. François Rochebloine. Très bien !

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. L'Égypte remplit son rôle d'intermédiaire avec beaucoup de bonne volonté, mais il faudra en venir à des négociations associant directement le Hamas.

Ensuite, ces négociations doivent se placer dans un cadre régional. Depuis le début des opérations militaires dans la bande de Gaza, les pays arabes, à l'exception de l'Égypte, sont restés relativement silencieux, car, s'ils compatissent aux souffrances du peuple de Gaza, le soutien qu'ils apportent au Hamas est pour le moins discret.

M. Jean Roatta. C’est vrai !

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Cette prudence me semble traduire leur volonté persistante de résoudre ce conflit par la diplomatie, volonté qui s'est déjà exprimée par l'adoption, en mars 2002, de « l'initiative de paix arabe », proposée par l'Arabie Saoudite, et par sa réactivation en mars 2007.

Une négociation sur la base de cette initiative, par laquelle les États arabes proposaient notamment des alternatives au droit au retour des réfugiés palestiniens, m'apparaît comme le meilleur moyen de parvenir à une solution crédible et durable.

Alors que le prochain président des États-Unis a fait part de sa volonté de se saisir sans attendre de la situation au Proche-Orient, et que la position équilibrée du président Sarkozy fait de lui un interlocuteur reconnu des Israéliens comme des chefs d'État de la région, je veux croire qu'une solution est possible et qu'il faut s'y employer sans relâche et sans a priori.

Notre assemblée s'efforcera d'y contribuer en envoyant dans les prochaines semaines une délégation pluraliste de parlementaires au Proche-Orient. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je voudrais répondre très brièvement à certaines de vos interrogations et de vos légitimes questions.

J’ai bien écouté chacun d’entre vous et je n’ai pas été saisi par la nouveauté de vos propositions par rapport à la position que certains d’entre vous ont saluée et d’autres critiquée, ce qui est bien naturel.

Tout ce qui a été dit mérite non seulement que l’on s’y arrête, mais que l’on tente d’y répondre. Je ne vois rien que nous ayons négligé. Je vais m’en expliquer.

Monsieur Cambadélis, vous avez critiqué, je le comprends,  le « cavalier seul ». Mais le cavalier seul accompagnait la troïka pour la première fois. Il y avait un représentant de la présidence quelques jours avant et la Troïka européenne – les trois représentants : le Haut représentant de la politique extérieure, la Commission et, ensemble à Ramallah, le Président de la République française.

M. Jean-Pierre Brard. Quel mépris pour les Tchèques !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. Pourquoi criez-vous ainsi ? Cela ne vaut pas la peine.

M. Jean-Pierre Brard. Je ne crie pas ; mais je parle pour être entendu.

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. La présidence était assurée par les Tchèques, qui dirigeaient la troïka. Où avez-vous vu que les Tchèques  étaient absents ?

M. Jean-Pierre Brard. Cela a fait doublon !

M. le président. Monsieur Brard, je vous en prie ! Seul M. le ministre a la parole.

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. Me suis-je bien fait comprendre ?

Nous voulons être efficaces, en mariant ce que vous appelez le « cavalier seul » et la collectivité assurée par la troïka, c’est-à-dire les vingt-sept pays européens. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Pardonnez-moi d’avoir été un peu précis. Mais je n’ai pas à rougir d’avoir participé pour la première fois à la troïka, ce qui ne s’est jamais fait. Nous étions donc avec la représentation des vingt-sept pays.

Je salue l’analyse de M. Cambadélis, qui recoupe un certain nombre de points de vue exprimés au cours du débat. L’Union européenne a, les 3, 4 et 5 janvier derniers, traité du problème essentiel, à savoir le cessez-le-feu immédiat. Nous y travaillons ensemble et, je le répète, des contacts ont lieu tous les jours. Aussi, ne dites pas que nous avons fait cavalier seul. Nous sommes en contact permanent avec l’ensemble des vingt-sept pays de l’Union européenne et les États-Unis. M. Poniatowski a réclamé – peut-être à juste titre – que des contacts directs se nouent avec tout le monde.

M. René Couanau. Il a raison !

M. François Rochebloine. Oui !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. En tout état de cause, je peux vous affirmer que nous sommes en contact quasi quotidien avec l’Iran, qui joue un rôle évident. Je vous rappelle que ceux qui ont refusé – je les comprends – la venue de M. Bachar el-Assad à Paris sont maintenant bien contents que nous puissions parler aux Syriens ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.) Sa venue a tout de même joué un certain rôle, et, du reste, vous ne l’aviez pas vraiment critiquée à ce moment-là. Regardez les efforts que nous avons faits même si nous pouvons en faire d’autres.

Je voudrais répondre, je l’espère une fois pour toutes, à la critique qui nous est adressée de faire cavalier seul, avec l’Ukraine ou le Maroc. Nous avions demandé à Israël et aux Palestiniens, qui n’ont pas encore un État, qu’ils soient un partenaire privilégié. Je tiens à vous dire, madame Billard, que votre intervention a été fort intéressante et je vous rappelle que nous avons proposé aux Palestiniens et aux Israéliens de se rencontrer, dans le cadre d’un partenariat privilégié, une fois par an, ce qui est, il faut le reconnaître, fort peu. Quand nous aurons dépassé le dialogue politique, nous suivrons bien évidemment les décisions du Parlement européen. Ceux que l’on accuse de faire cavalier seul ont tout de même été capables de proposer l’Union pour la Méditerranée, qui rassemble quarante-trois pays, dont le secrétariat adjoint est assuré par les Palestiniens, les Israéliens et la Ligue arabe. Alors, de grâce, reconnaissez que nous avons, pour le moins, fait preuve d’efficacité. Certains ont proposé que l’Union pour la Méditerranée se réunisse. Hélas, elle ne veut plus se réunir. Nous allons bien sûr essayer de participer à cette entreprise de paix avec l’ensemble de ces pays. Mais pour le moment – cela peut se comprendre –, ils ne souhaitent pas se réunir.

M. François Rochebloine. Dommage !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. Certains ont regretté que ce débat ait été organisé trop tardivement. Le calendrier parlementaire étant chargé, il n’a pas été possible de l’organiser plus tôt. En tout état de cause, je suis prêt à venir parler devant vous de politique étrangère autant que vous le souhaitez.

Vous avez, madame Billard, évoqué l’initiative de Genève de M. Yossi Beilin et de M. Yasser Abd Rabbo, que je rencontre régulièrement. M. Rabbo participe aux négociations et représente l’Autorité palestienne. Quant à M. Beilin, qui animait le Haaretz, c’est l’un de nos interlocuteurs en Israël. Ces deux personnalités travaillent afin que le cessez-le-feu soit, de part et d’autre, proclamé le plus rapidement possible. Ne croyez pas que nous négligions quoi que ce soit !

S’agissant de la force d’intervention, il faut être deux, monsieur Poniatowski. Nous avons parlé, à mots couverts, d’une force d’observateurs et nous avons proposé que l’Union européenne avec des partenaires nombreux et sous la direction – pourquoi pas – des Nations unies participe à une telle force d’observation. Pour le moment, tant l’Égypte qu’Israël s’y opposent. Où, du reste, une telle force se déploierait-elle ? À Gaza ? Attendons le cessez-le-feu ; exigeons-le. Pour le moment, nous ne pouvons rien faire d’autre, même si c’est une bonne idée. Je vous rappelle qu’Israël, qui était au départ hostile à la FINUL, se félicite aujourd’hui de son existence. Le même problème se pose pour notre hôpital. Israël et l’Égypte refusent qu’il soit établi sur leur territoire. Sans cessez-le-feu, il est impossible d’installer cet hôpital comme nous le souhaiterions, pas plus, du reste, d’envisager la présence d’un bateau. Et dans ce domaine, j’ai une certaine expérience !

M. Jean-Pierre Brard. Oui, pour ce qui est de mener les gens en bateau…

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. L’Assemblée générale des Nations unies, c’est demain et nous l’avions réclamée. Or la décision de l’Assemblée générale des Nations unies est la seule décision qui ne soit pas contraignante, madame Billard. Toutes les décisions du Conseil de sécurité, y compris les déclarations présidentielles, sont, elles, contraignantes. Cela implique des sanctions économiques, mais cela ne va pas plus loin. Je souhaiterais évidemment que la déclaration de cessez-le-feu soit contraignante au point que les armes se taisent. Mais comment y arriver ? En envoyant une force militaire ? Contre qui ? Cela n’est pas envisageable. Il faut convaincre et saisir les occasions pour faire en sorte que la pression internationale soit plus forte. C’est ce que nous avons essayé de faire. M. Ban Ki Moon doit passer sept jours au Moyen-Orient pour essayer de convaincre et de faire jouer la pression internationale, mais rien ne serait plus contraignant qu’une décision du Conseil de sécurité des Nations unies.

M. François Rochebloine. Tout à fait !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. Vous avez dit que la réunion d’un comité interministériel contre le racisme et l’antisémitisme s’imposait. Merci d’avoir rappelé qu’en France le débat ne doit pas prendre ces formes d’identification et que les communautés doivent se respecter et se parler. Cela étant, les responsables des communautés l’admettent tout à fait. Nous déplorons bien évidemment les violences commises en France et nous ne les tolérons pas, mais il me semble que cela est compris dans notre pays.

Vous proposez de revenir aux conventions de Genève. Certes, mais vous savez bien, madame Ameline, que les guerres modernes ciblent les civils. Je le déplore, mais c’est ainsi.

M. Roland Muzeau. Il faut dénoncer les massacres !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. Les conventions de Genève devraient être révisées et appliquées. Mais comment l’exiger ? Comment, dans la pratique, y parvenir ?

Bien sûr, il faut revenir aux conventions de Genève et au droit humanitaire. Nous ne cessons de le demander. Concernant les bombes au phosphore, dont l’usage est licite, nous avons demandé qu’elles ne soient pas employées dans n’importe quelles conditions. Nous avons exigé qu’elles le soient de façon régulière. Est-ce suffisant ? Non, mais il n’empêche que nous l’avons fait et nous n’étions pas nombreux dans ce cas. Je partage vos analyses et vos anxiétés. Le Président de la République, le Gouvernement, tous, nous avons tous essayé d’être efficaces sur le terrain.

Monsieur Rochebloine, vos propos ont été mesurés, mais tout de même critiques. C’est indispensable, mais qu’avons-nous négligé ? Qu’avons-nous mal fait ?

M. Jean Glavany. Rien, on sait que vous êtes formidable !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. D’avoir fait cavalier seul ? Vous en avez tous appelé à l’Europe. Or c’est bien ce que nous avons fait les six derniers mois et, quand c’était efficace, vous n’avez rien trouvé à redire. Nous avons toujours soutenu la présidence tchèque et il n’est pas question de ne pas le faire.

En ce qui concerne la présidence française, nous avons été capables, au mois d’août, lors du conflit en Géorgie, de réagir tout de suite.

M. François Rochebloine. Très bien !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. Nous avons, immédiatement, réuni les ministres des affaires étrangères, le CAG – conseil des affaires générales – ainsi que les chefs d’État. Le CAG se réunira d’ailleurs dans quelques jours et j’espère que, d’ici là, le cessez-le-feu aura été proclamé ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. Le débat est clos.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt-cinq, est reprise à seize heures quarante.)

M. le président. La séance est reprise.

2

Application des articles 34-1, 39 et 44
de la Constitution

Suite de la discussion d'un projet de loi organique

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi organique relatif à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution (n°s 1314, 1375).

Discussion générale ( (suite)

M. le président. Hier soir, l’Assemblée a commencé d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

La parole est à M. Claude Goasguen, pour dix minutes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – « C’est beaucoup ! » sur les bancs du groupe SRC.)

M. Claude Goasguen. Quel plaisir de vous retrouver, mes chers collègues ! (Rires.)

M. Jean Mallot. Le plaisir est partagé !

M. Jean-Luc Warsmann, président et rapporteur de la commission des lois. Il est mutuel !

M. Claude Goasguen. Vous m’avez manqué ! (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. Merci de vous en tenir à votre discours, monsieur Goasguen.

M. Claude Goasguen. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, puisque nous sommes en début de séance…

M. Jean Mallot. Eh oui ! Bonne année !

M. Claude Goasguen. …, essayons d’examiner avec un peu de recul un texte qui suscite tant de controverses.

M. Patrick Roy. Légitimes !

M. Jean-Pierre Brard. C’est comme le canon de 75 : mieux vaut ne pas rester derrière !

M. Claude Goasguen. Étudions-le dans une perspective historique : d’où vient-il, et où allons-nous ?

M. Patrick Roy. Nous venions à la République, mais voilà que nous allons vers Bonaparte !

M. Claude Goasguen. Ne parlez pas de ce que vous ne connaissez pas ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Patrick Roy. On connaît ! On l’a enseigné !

M. Claude Goasguen. Je vous enverrai ma thèse sur Napoléon Bonaparte. Je ne sais pas si vous la lirez jusqu’au bout !

M. Jean-Pierre Brard. Dédicacée ?

M. Claude Goasguen. Si vous voulez !

M. le président. Je propose que nous écoutions l’orateur.

M. Jean-Pierre Brard. Ce n’est pas Napoléon, le problème, mais Nabot-Léon !

M. le président. Gardez vos commentaires pour vous, ou faites-les du moins à voix basse : seul M. Goasguen a la parole.

M. Claude Goasguen. Merci, monsieur le président.

Au fond, ce texte est issu de la réforme quinquennale. Nous avions alors adopté une position pour le moins conjoncturelle. Je parle à la fois de la droite et la gauche : vous voyez que je suis généreux ! Les arguments constitutionnels étaient assez faibles : en réalité, chacun pensait que l’instauration du quinquennat permettrait à son candidat de l’emporter. En outre, nous avons ajouté à cette initiative politicienne le report des élections législatives après l’élection présidentielle.

Le résultat ne s’est pas fait attendre : nous avons obtenu un système où le Parlement restait écrasé.

M. Jean Mallot. C’est vous qui l’avez permis !

M. Claude Goasguen. Non : vous avez fait voter le quinquennat…

M. Manuel Valls. Par le peuple ! Il y a eu un référendum, monsieur Goasguen ; permettez-nous de vous le rappeler !

M. Claude Goasguen. … et vous avez été vous-mêmes victimes de cette initiative malheureuse. Nous n’y sommes pour rien : ce n’est pas notre faute si M. Jospin a été battu !

Mme Fabienne Labrette-Ménager. Eh non !

M. Claude Goasguen.Vous avez ainsi mis en place un quinquennat exécutif auquel nous avons essayé de donner une verdeur parlementaire, dont il était dépourvu, en votant la réforme constitutionnelle au mois de juillet. Nous avons, ce jour-là, tenté d’instiller dans la Ve République une dose de parlementarisme, que vous avez refusée.

Mme Marie-Josée Roig. Tout juste !

M. Patrick Roy. C’est parce que nous savons lire !

M. Claude Goasguen. Aujourd’hui, avec ce projet de loi organique, vous nous renvoyez à des arguments auxquels vous ne semblez pas vous-mêmes croire, comme l’ont montré les débats d’hier. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

En réalité, la ligne politique que vous avez définie depuis la réforme constitutionnelle montre que vous êtes animés par l’idée que la Constitution doit vous servir à atteindre vos objectifs partisans. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Par cette manière d’être, je regrette de vous le dire, vous vous mettez en porte-à-faux avec l’image que l’on pourrait se faire d’un parti d’opposition…

M. Patrick Roy. Opposition que vous voulez museler !

M. Claude Goasguen. De plus, vous ne voulez pas comprendre que le schéma d’obstruction et de négation que vous avez choisi fait le jeu de l’exécutif que vous entendez combattre.

M. Patrick Roy. Oui, nous portons les valeurs de la résistance démocratique !

M. Claude Goasguen. Je m’en explique. Ce projet de loi organique contient des avancées en matière de droits du Parlement que je trouve personnellement insuffisantes. Comme je l’ai toujours affirmé en commission des lois, je suis partisan d’un parlementarisme accentué au sein de la Ve République et je n’ai pas attendu la réforme constitutionnelle pour le dire avec certains de mes amis.

M. Jean-Pierre Brard. Quel visionnaire : une vraie Mme Irma !

M. Claude Goasguen. Nous ne sommes pas tous d’accord à ce sujet au sein même de notre majorité. Mais par votre attitude sectaire, vous refusez des avancées incontestables s’agissant en particulier de la résolution, de l’impact.

M. Jean Mallot. Ce mot ne figure pas dans le texte !

M. Claude Goasguen. Pour l’analyse d’impact des lois, monsieur Mallot, nous devrons étudier les fondements de la décision gouvernementale, ses dates d’application ; autrement dit le Parlement sera doté de moyens supplémentaires, qui lui permettront de demander des comptes, ce que nous n’avons jamais réellement pu faire sous la Ve République.

Vous refusez la façon dont est organisée la discussion, alors que nous nous sommes engagés en commission – le Gouvernement l’a redit hier – à ce que, loin d’être réduite, la durée des débats puisse être augmentée.

M. Yves Censi. Ils ont beaucoup de mal avec les règles !

M. Claude Goasguen. À cet égard, je rappellerai que si la fameuse loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État a été longuement discutée, elle a fait l’objet de 300 amendements seulement, qui portaient sur des questions essentielles.

La lecture de vos amendements, dont certains portent sur les muselières ou le bonheur collectif, nous conduit à penser qu’en réalité, vous ne voulez pas débattre du sujet, préférant l’obstruction.

Votre argumentation revient à dire que ce projet de loi s’inscrit dans une période liberticide.

M. Roland Muzeau. C’est Copé qui a dit ça !

M. Claude Goasguen. La loi sur la presse : liberticide ! Vous avez même fait du juge d’instruction un défenseur des libertés, oubliant vite les convocations dont certains journalistes ont récemment fait l’objet. Mieux, chers collègues, nous serions dans une phase de « poutinisation » rampante. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Roland Muzeau. Enfin, vous l’admettez !

M. Claude Goasguen. Mais si, pour lutter contre la « poutinisation », vous n’avez trouvé que la crétinisation parlementaire, il me faut saluer votre tour de force. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean Mallot. Et que penser de la goasguenisation ?

M. Claude Goasguen. Permettez-moi de vous dire que ce n’est peut-être pas la meilleure manière de faire progresser le Parlement dans ses rapports avec l’exécutif, que vous êtes censé combattre dans ses excès.

M. Manuel Valls. C’est vous qui êtes excessif !

M. Claude Goasguen. Je dirai même que, par vos excès, vous êtes en train de conforter une vieille habitude de la Ve République, à savoir la tendance qu’ont l’exécutif et l’administration à prendre le dessus sur le Parlement, chaque fois que celui-ci refuse de prendre ses responsabilités.

Croyez-vous qu’il sera si facile de discuter de la nature des contrôles exercés sur le Gouvernement lorsque les études d’impact deviendront une réalité ? Croyez-vous que la haute fonction publique fera des cadeaux aux parlementaires en leur donnant tous les renseignements qu’ils souhaitent ? Croyez-vous que nous pourrons, en l’espace de quelques semaines, aller contre une tradition française qui remonte à un demi-siècle ? Ne comprenez-vous pas qu’aller contre cette tradition n’est pas un choix de droite ou de gauche mais la volonté de faire avancer la démocratie parlementaire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Alors, de grâce, mes chers collègues, au-delà des objectifs partisans qui sont les vôtres, admettez qu’il y a des débats qui ne sont ni de droite ni de gauche mais qui relèvent du rééquilibrage institutionnel. Ce rééquilibrage, vous n’en voulez pas, ce que je regrette pour l’ensemble de l’institution. Par votre attitude, vous accroissez nos difficultés face à l’exécutif, au Président de la République, au Gouvernement, à tous ceux qui ont l’habitude d’administrer la France, en donnant l’image d’un Parlement qui n’est pas à la hauteur de sa tâche. Vous nous mettez ainsi nous-mêmes en difficulté, ce qui est beaucoup plus grave, permettez-moi de vous le dire.

M. Manuel Valls. Si je comprends bien, vous nous demandez notre aide !

M. Claude Goasguen. Mais bien sûr, qui le nierait ! J’aurais voulu que le débat en séance publique se déroule de la même manière que celui en commission des lois. À cet égard, je rappelle que M. le président de la commission des lois a fait des ouvertures considérables. Lisez donc l’article de Guy Carcassonne, qui est l’un de vos amis politiques.

M. Manuel Valls. Il a dit deux choses !

M. Claude Goasguen. Elles ne sont pas incompatibles. Pour ma part, j’ai apprécié la position de M. Urvoas à propos de la résolution.

M. Jean-François Copé. Oui, il est bien Urvoas.

M. Claude Goasguen. Mais pensez-vous que votre choix de consacrer des amendements au port de la muselière soit la meilleure manière de faire accepter les propositions de votre collègue à la majorité ?

Je vous le dis, si vous adoptez une attitude plus cohérente et plus constructive, alors nous pourrons aller plus loin dans la rédaction proposée par Jean-Luc Warsmann. Je suis prêt pour ma part à discuter des problèmes relatifs au recours abusif à la procédure d’urgence ou à la résolution, tous problèmes qui n’ont rien de mineur. Je déplore que, par votre attitude, vous empêchiez notre assemblée de s’en saisir. Vous avez tort !

M. Jean Mallot. C’est vous qui avez tort !

M. Claude Goasguen. Vous donnez là une bien piètre image de la démocratie parlementaire. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

Je regrette que l’esprit d’ouverture dont nous avons fait preuve…

M. Jean Mallot. Et dont nous ne sommes pas dupes !

M. Claude Goasguen. …ne trouve d’autre écho chez vous que la multiplication des amendements. Encore une fois, pour lutter contre la « poutinisation » rampante, la crétinisation du débat parlementaire n’est pas une solution. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean Mallot. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean Mallot.

M. Jean Mallot. Je me fonde sur l’article 58, alinéa 1 de notre règlement, monsieur le président.

Comme vous, nous souhaitons que la discussion de ce projet de loi en séance publique soit irréprochable du point de vue du respect des procédures, les conséquences seraient, sinon, terribles.

M. Jean-François Copé. Nous saurons vous le rappeler !

M. Jean Mallot. Hier, si nos échanges n’ont pas abouti, c’est que vous avez annoncé votre décision de déclarer irrecevables un millier de nos amendements, en application de l’article 127-3 de notre règlement. Nous vous avons demandé quels étaient les précédents en la matière et n’avons pas obtenu de réponse à ce sujet. Aucun d’entre nous ne connaît de cas semblable dans l’histoire du Parlement. Nous avons également souhaité connaître les critères que vous aviez utilisés pour apprécier la légitimité d’appliquer cet article et nous n’avons pas obtenu de réponse non plus.

Toutefois, j’ai peut-être une porte de sortie à vous proposer, monsieur le président,…

Mme Sylvia Bassot. Vous êtes trop bon !

M. Jean Mallot. …car je suis de ceux qui pensent que vous avez choisi une très mauvaise voie en utilisant abusivement cette procédure. Il s’agit de l’article 98, relatif à la recevabilité des amendements, qui précise que, dans les cas litigieux, la question de la recevabilité des amendements est soumise, avant leur discussion, à la décision de l’Assemblée.

S’agissant d’amendements ayant été déposés en respectant les procédures, dont le lien avec le texte n’est contesté par personne, qui ont été présentés et discutés en commission et soumis à son vote, nous vous demandons, monsieur le président, de soumettre la question de la recevabilité de chacun d’entre eux à la décision de notre assemblée puisqu’il y a litige. À défaut, il y aurait escamotage et vice de procédure.

M. le président. Malgré le ton condescendant que vous avez employé, monsieur Mallot,…

M. Roland Muzeau. Plutôt pédagogique !

M. le président. …je tiens à vous dire que j’ai expliqué hier que si j’avais, en conscience, déclaré irrecevables environ un millier d’amendements,…

M. Roland Muzeau. Ce n’est pas une question de conscience mais de règlement !

M. le président. …c’était pour des raisons d’inconstitutionnalité ou de non-conformité au règlement.

Par ailleurs, j’ai indiqué des références précises à plusieurs reprises, que vous retrouverez dans le compte rendu des débats. Il est clair que jamais autant d’amendements n’avaient été déposés sur une loi organique, ce qui explique que beaucoup aient été déclarés irrecevables.

M. Roland Muzeau. De façon unilatérale !

Reprise de la discussion

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes tous ici des élus de la nation exprimant la souveraineté nationale. Nous avons reçu démocratiquement l’immanente charge de veiller à la préservation des droits et libertés en refusant toute atteinte à l’État de droit. Ensemble, nous en sommes de facto les gardiens.

Comptables de n'accepter aucune régression par rapport aux conquêtes si durement obtenues par des générations de nos compatriotes, une seule préoccupation devrait nous inspirer : apporter à nos concitoyens d’aujourd’hui comme aux générations futures les progrès d'une démocratie plus forte et plus vraie !

M. Patrick Roy. Il a raison !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Cette responsabilité, lourde mais essentielle, nous la portons au-delà de nos attachements partisans. En outre, dans notre fonction de législateur, les principes démocratiques fondateurs de la République nous font assumer une autre responsabilité : faire la loi, qui comble l'intérêt général, et à laquelle toute la population peut adhérer tout autant qu’elle doit s’y soumettre.

Une loi ne peut être la victoire d'un camp contre un autre. Elle est l'expression de la volonté générale. Mais pour que les citoyens y adhèrent pleinement, nous devons leur préserver le droit de la faire évoluer et de la faire modifier par leurs représentants. Par essence, les droits du Parlement ont vocation à permettre à chacune et à chacun de participer à l’œuvre législative, pour mieux être citoyens-membres du corps social.

Plus généralement encore, le Parlement, lieu de parole échangée et de débats contradictoires, est cathartique en remplissant en quelque sorte une mission d’édification sociétale, d’apaisement social. Indirectement, il sensibilise l’opinion publique, éveille les consciences, suscite les questionnements et les réflexions en interpellant notre patrimoine commun de valeurs démocratiques et humanistes. Pourquoi tentez-vous de l’affaiblir ?

Si nous ne maintenons pas le Parlement comme espace de débats, de confrontation d’idées, de compréhension des intérêts contradictoires, s’il n’est plus le lieu d’élaboration des solutions les plus pertinentes, des questionnements cruciaux de notre société contemporaine, mais aussi d’arbitrages, de convergences vers des consensus, nous ouvrons la porte à toutes les dérives incontrôlables de radicalisation de conflits et d’oppositions et, pire, nous les légitimons, dans des conditions ingérables aussi bien dans la durée que dans l’espace.

Vous en connaissez les conséquences prévisibles : la rupture et les conflits.

M. Patrick Roy. Eh oui !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. La séparation des pouvoirs est aujourd’hui fortement entamée par une « hyperprésidentialisation », par une pratique solitaire et autoritaire du pouvoir que révèlent, entre autres, les atteintes à l’indépendance de l’autorité judiciaire ou les menaces sur la liberté de la presse et l’autonomie de la télévision publique.

Il est donc compréhensible que la restriction des droits du Parlement provoque les plus grandes craintes.

Un contre-pouvoir, ce n’est pas l’inertie de l’autorité, ni son incapacité à agir. Non ! C’est l’instrument pour empêcher les abus et les excès.

Le droit d’amendement est donc, par nature, un droit fondamental dans une démocratie parlementaire. Il doit évidemment être absolu et incompressible.

L’instauration d’un temps global pour chaque groupe sur la discussion des textes, ainsi que la restriction du droit d’amendement signent irrémédiablement un changement sur la nature même du Parlement, devenant alors une simple chambre d’enregistrement, changement de nature qui, à terme, met en péril l’avenir de notre démocratie et donc de notre pacte républicain.

Les tensions sociales, les difficultés économiques, les contradictions d’idées et d’intérêts sont autant de circonstances, autant de facteurs potentiels de déstabilisation de notre société. Si le débat parlementaire ne remplit pas pleinement sa vocation, quelle autre voie s’ouvrira alors aux citoyens qui se considéreront écartés des préoccupations des pouvoirs publics ? Privés des instruments de la démocratie, ils emprunteront les chemins désespérés de la révolte.

Dois-je rappeler le contexte grave de crise économique et sociale que nous traversons ?

N’oubliez pas que la responsabilité des gouvernants est de ne jamais laisser s’opposer entre elles des parties du corps social qui ont vocation à vivre ensemble. Prenez-y garde ! Lorsque vous entamez le droit d’amendement, c’est ce risque que vous faites courir à notre nation et à son peuple. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Jean-Jacques Urvoas. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas.

M. Jean-Jacques Urvoas. J’espère, monsieur le président, ne pas utiliser un ton condescendant à l’égard de la présidence, car ce n’est ni mon intention ni ma nature, mais je vous demande une précision car ce débat qui, à l’évidence, va être précis, a besoin d’éléments de nature objective.

Vous avez déclaré hier soir l’irrecevabilité de 1 015 de nos amendements sur la base de l’article 127-3 et nous contestons le principe de cet appel à un article assez inusité dans l’histoire de notre assemblée.

Vous avez évoqué quelques utilisations assez parcellaires. Je rappelle qu’il y a eu une trentaine de lois organiques depuis 1958. Le compte rendu des débats de la séance d’hier soir n’étant pas encore disponible à quatorze heures sur le site de l’Assemblée nationale, je n’ai pas pu revoir les éléments que vous nous avez donnés. J’aimerais donc, pour que tout soit clair, que vous nous transmettiez le détail de ces décisions, que vous nous indiquiez quand elles ont été prises, sur quelle loi organique, combien d’amendements cela concernait. Je suis sûr que chacun d’entre nous y gagnerait parce que cela nous éviterait de revenir sur ce point.

Reprise de la discussion

M. le président. La parole est à M. Richard Mallié.

M. Richard Mallié. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la récente révision constitutionnelle de juillet 2008 a modifié les articles concernant la procédure législative. L’article 39 permet désormais de fixer dans une loi organique les conditions de présentation des projets de loi. L’article 44 prévoit quant à lui la définition d’un cadre organique pour l’exercice du droit d’amendement. Dans les deux cas, l’entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions est subordonnée à l’adoption de dispositions organiques, et non au règlement de notre assemblée.

M. Jean Mallot. Bien sûr que si !

M. Richard Mallié. Le présent projet de loi est destiné à permettre la pleine application de ces dispositions en s’articulant autour de trois réformes.

Il détermine tout d’abord les conditions dans lesquelles pourront être votées des résolutions. Ce nouvel instrument permettra à chaque assemblée d’exprimer une position en dehors de la procédure législative et de diversifier ainsi les modes d’expression du Parlement dans le débat public.

Il précise aussi les nouvelles modalités de présentation au Parlement des projets de loi. Le Gouvernement devra, par exemple, transmettre l’étude d’impact d’une future loi avant de la faire voter.

Enfin, il définit le cadre général dans lequel devra s’exercer le droit d’amendement. Ce cadre vise à promouvoir la clarté des débats et à contribuer à l’efficacité du travail parlementaire.

Comme l’a déclaré, dans un excès de clairvoyance, celui qui a défendu la question préalable,…

M. Jean Mallot. Il a un nom !

M. Richard Mallié. …« nous le savons pertinemment, la loi organique n’impose rien, en revanche, elle pose un cadre. »

Il est important de dire et de redire que le droit d’amendement est un droit fondateur de la démocratie parlementaire, un droit imprescriptible et sacré.

M. Patrick Roy. C’est pour cela que vous le limitez !

M. Richard Mallié. Cependant, l’inflation croissante du nombre d’amendements déposés…

M. Patrick Roy. Mais non !

M. Richard Mallié. …n’est plus acceptable, car elle dévalorise l’action même de notre assemblée.

Nous sommes passés de 4 600 amendements enregistrés sous la Ière législature, à 10 000 sous la IVe, 40 000 sous la VIIe, pour atteindre le chiffre extravagant de 248 000 sous la précédente législature, la XIIe.

Mme Chantal Robin-Rodrigo. Pour combien de textes ?

M. Roland Muzeau. Cela prouve qu’on travaille ! (Rires sur les bancs du groupe UMP.)

M. Richard Mallié. L’idée de définir un temps global pour débattre n’est pas nouvelle. Comme l’a souligné le ministre lors de son audition devant la commission, cette proposition avait été faite par un certain Léon Blum dans ses Lettres sur la réforme gouvernementale, et c’est sous son impulsion que Vincent Auriol avait mis en œuvre en 1935 la réforme dite du temps imparti.

J’entends ici et là des déclarations fracassantes de certains faisant référence aux combats de 1792 ou encore d’autres qui comparent l’obstruction stérile d’aujourd’hui aux riches débats parlementaires de 1901, 1905 ou 1906. Je constate dans cette affaire que l’opposition, dite progressiste, est surtout devenue conservatrice.

M. Jean-Jacques Urvoas. Aveu d’expert !

M. Richard Mallié. Pour y répondre, je prendrai l’exemple des prétendus 7 000 amendements déposés sur le texte relatif aux dérogations au repos dominical. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Roland Muzeau. Loi scélérate !

M. Richard Mallié. Se consacrant à de l’obstruction négative, l’opposition a souhaité étendre l’impossibilité de travailler le dimanche aux accouveurs, c’est-à-dire aux personnes qui s’occupent de l’éclosion des œufs, aux actuaires, spécialistes chargés des questions mathématiques,…

M. Jean Mallot. Ça vous donne du vocabulaire !

M. Richard Mallié. …aux amareyeurs, qui s’occupent du parcage des huîtres, aux balafongistes, ceux qui jouent du balafon, instrument à percussion,…

M. Yves Durand. C’est important !

M. Richard Mallié. …aux boucholeurs, qui élèvent des moules de bouchot, aux calfats, qui bouchent les trous des navires ou calfeutrent les mines pour éviter le grisou.

M. Yves Durand. C’est essentiel !

M. Richard Mallié. J’en passe et des meilleures, comme les collaborateurs des députés ou les administrateurs et administrateurs-adjoints de l’Assemblée nationale. Vous avez bien compris, mes chers collègues, que cela n’avait rien à voir avec l’ouverture dominicale des commerces.

M. Jean Mallot. Bien sûr que si ! S’il n’y avait pas de lien, nos amendements auraient été déclarés irrecevables !

M. Richard Mallié. L’opposition a également déposé des amendements pour que les nouvelles dérogations n’empêchent pas les tournois de fléchettes, de belote, ou encore les festivals de danse folklorique. Voilà la contribution constructive de l’opposition sur un texte qu’elle qualifie d’important !

Sachant que l’heure supplémentaire de séance coûte 35 000 euros à notre chambre, je pense que les Français, en ces temps difficiles, attendent autre chose de l’opposition, qui, depuis 2002, a des moyens de plus en plus importants, ce dont, en ma qualité de questeur, je puis témoigner.

Nous sommes aujourd’hui dans une situation où nous devons examiner des amendements rédigés à la chaîne, où on ne change qu’une virgule pour bien dire qu’il est différent. Un tel comportement est-il constructif ? Permet-il d’enrichir les débats ?

M. Patrick Roy. Oui !

M. Richard Mallié. M. Urvoas a lui-même confessé dernièrement que ce comportement agaçait nos concitoyens. (Approbations sur les bancs du groupe UMP.)

À l’UMP, nous avons la certitude qu’un groupe parlementaire est mieux respecté quand il dépose des amendements dont on peut discuter sans a priori plutôt que des milliers de pseudo-amendements dont le seul objet est de ralentir les débats. N’oublions pas que l’énergie que l’on met à empêcher le débat, c’est autant d’énergie que l’on ne met pas à enrichir les discussions.

Cette réforme est la seule façon de bénéficier totalement des nouvelles compétences accordées au Parlement, comme le contrôle de la moitié de l’ordre du jour ou le pouvoir de nomination des responsables d’organismes publics. Ce texte permettra de rendre notre démocratie parlementaire plus vivante, en renforçant l’efficacité du travail parlementaire et en diversifiant les modes d’expression du Parlement. Je le voterai. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Je vous précise que le compte rendu était en ligne sur le site réservé aux députés à quatre heures six cette nuit alors que la séance avait été levée à deux heures du matin.

La parole est à M. Daniel Garrigue.

M. Daniel Garrigue. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui a théoriquement pour objet de renforcer les pouvoirs du Parlement. C’est vrai qu’il y a certaines dispositions – les analyses préalables, les motions de résolution – qui, potentiellement, sont novatrices, mais tout le monde voit bien qu’en réalité, et c’est particulièrement le cas pour les députés non inscrits, au nom desquels je m’exprime aujourd’hui, l’élément essentiel de ce texte, c’est la volonté d’encadrer le droit d’amendement. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Jean Mallot. Quel aveu !

M. Daniel Garrigue. On nous dit qu’il faut en finir avec l’obstruction.

C’est une illusion, parce que l’obstruction existe sur un certain nombre de textes ayant une valeur politique ou une valeur de symbole, et qu’elle traduit surtout une réalité politique dans notre pays,…

M. Jean Mallot. Il a raison !

M. Daniel Garrigue. …liée à notre histoire et au caractère bipolaire de notre vie politique, qui fait que nous sommes beaucoup plus souvent dans l’affrontement que dans la recherche du consensus, comme cela existe dans un certain nombre d’autres pays.

C’est une illusion aussi parce que, si l’on encadre le droit d’amendement, l’obstruction se développera avec d’autres instruments beaucoup plus sommaire : les rappels au règlement, les suspensions de séance, les demandes de quorum. On demande le quorum en séance publique, mais tout le monde a oublié qu’on peut aussi le demander en commission. Ce que nous avons vu hier de la part de l’opposition était un peu un florilège de ces différents instruments. À aucun moment n’a été utilisé le droit d’amendement. Cela prouve bien que c’est très illusoire.

On nous dit aussi que cet encadrement serait la contrepartie de la limitation de l’usage du 49-3. Je regrette d’abord que l’on ne nous ait pas expliqué plus clairement les choses quand nous avons voté la réforme constitutionnelle au mois de juillet.

Mme Chantal Robin-Rodrigo. Eh oui !

M. Daniel Garrigue. Mais je voudrais dire également que les termes de l’échange ne sont guère équilibrés car si, d’un côté, il a été renoncé à une partie de l’article 49-3, qui n’était plus tellement utilisé depuis quelques années, de l’autre côté, est remis en cause l’instrument fondamental de l’exercice du mandat parlementaire, à savoir le droit d’amendement, qu’Eugène Pierre présentait comme la manière pour les parlementaires d’exprimer le plus simplement et le plus rapidement possible leurs idées.

Mais il y a plus grave, et c’est d’abord le fait de limiter le débat dans le temps. L’expérience montre – certains ont rappelé l’amendement Wallon, par lequel a été instituée la IIIe République en 1875, mais on pourrait également évoquer l’amendement Vallon de 1965 – que des questions très importantes peuvent venir en débat par voie d’amendements. Vouloir limiter dans le temps cette possibilité est donc extrêmement dangereux : nous n’allons tout de même pas prolonger les débats par SMS sous prétexte que les temps de parole sont épuisés !

Mme Chantal Robin-Rodrigo. Très bien !

M. Daniel Garrigue. Plus grave encore, les parlementaires, du fait d’une telle procédure, se retrouveront entièrement sous la coupe des groupes politiques, puisque ce sont ces derniers qui décideront de la répartition des temps de parole et donneront ou non à un député la possibilité de défendre des amendements. Il est vrai que certains groupes ont déjà une discipline dans ce domaine, mais c’est une discipline librement consentie et qui résulte du libre choix des parlementaires.

On peut rétorquer également que, dans les Parlements de certains pays voisins, un tel encadrement existe déjà, mais ces Parlements sont élus à la représentation proportionnelle et les systèmes en question ont souvent été bâtis autour des partis politiques. Ce n’est pas la philosophie de la République française, qui est fondée sur le principe du mandat représentatif, lequel a pour corollaire le caractère individuel des mandats, ce qui signifie que tout député ou sénateur est détenteur d’une parcelle de la souveraineté nationale et peut représenter à lui seul une minorité politique. Remettre en cause ce principe fondamental, c’est à mon sens tomber sous le coup du Conseil constitutionnel.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Ce n’est pas le cas !

M. Daniel Garrigue. Je pense que d’autres voies sont possibles. Le problème de l’inflation législative a été fort peu évoqué : la multiplication de ces projets de loi qui sont davantage des effets d’annonce que de véritables projets de fond, ou encore la multiplication de dispositions purement déclaratives, alors que la loi doit normalement avoir un caractère normatif.

Mme Chantal Robin-Rodrigo. Tout à fait !

M. Patrick Roy. Il a raison !

M. Daniel Garrigue. D’autres procédures auraient pu être définies. J’essaierai notamment de travailler, d’ici à la réforme du règlement, au moyen de confier au président de l'Assemblée nationale, dans les cas où le débat s’enliserait ou s’éterniserait, la possibilité de convoquer le Bureau en vue de dégager une approche commune plus responsable de l’organisation du débat.

En tout cas, en l’état actuel des choses, les députés non inscrits s’opposeront à ce projet de loi. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Jean Mallot. Les députés UMP n’applaudissent pas !

M. le président. La parole est à M. Gérard Charasse.

M. Gérard Charasse. Monsieur le ministre, mes chers collègues, pour évoquer ce texte, je n’ai que cinq minutes pour m'exprimer. C'est un exercice qui va me contraindre à aller à l'essentiel.

L'essentiel, c'est le dessein commun que nous avions tous sur ces bancs de réformer la Constitution. Depuis cinquante ans, le temps a fait son œuvre ; la norme suprême, dessinée le 16 juin 1946 et incarnée le 4 octobre 1958, ne fait plus guère sens aujourd'hui, car elle était une réponse à un monde sortant de la guerre, à une France de la IVe République, installée dans le trouble et le malaise, à une période heureusement brève et malheureusement discréditée. Le monde des blocs est parti, nous laissant d'autres défis plus complexes.

C'est dire que la VIe République devait venir comme une respiration, une rupture. Les radicaux de gauche furent les premiers à déposer ici une proposition complète de réforme constitutionnelle, laquelle figure dans notre programme depuis 1979. Et depuis 1958, nous n'avons cessé de militer en faveur d'une nouvelle République.

Toute profonde modification de la norme suprême ne peut qu’être issue d'un consensus dépassant les clivages traditionnels – la majorité qualifiée est d'ailleurs là pour cela. Voilà pourquoi – je vous l'avais dit, monsieur le ministre, aux premiers jours du débat, l'année dernière – les radicaux de gauche avaient tracé une ligne claire : rééquilibrage des pouvoirs au profit du législatif et renforcement des droits du Parlement et des parlementaires, pas seulement des groupes.

M. Roland Muzeau. C’est loupé !

M. Gérard Charasse. Et nous avons voté, en grande majorité, cette révision de juillet 2008…

M. Jean Glavany. Et vous êtes Gros-Jean comme devant !

M. Gérard Charasse. …qui, reprenant un certain nombre de nos amendements, ouvrait – et ouvre encore ! – la porte à une réelle revalorisation du Parlement, des droits de l'opposition et du rôle des minorités.

L’esprit comme la lettre de la révision constitutionnelle s'imposent au Parlement et au Gouvernement ; ils ne doivent pas être remis en cause mais prolongés par la loi organique et les modifications de notre règlement.

En lisant récemment le président Accoyer, qui ajoute à son désir « de ne pas transformer cette réforme profonde en une diminution des droits des parlementaires », sa volonté « de donner plus de droits à l’opposition », nous sommes confirmés dans notre démarche, et je ne vois vraiment pas comment la représentation nationale pourrait se satisfaire du projet de loi organique ainsi rédigé.

M. Jean Glavany. Il fait tout le contraire ! Il n’a pas de parole !

M. Gérard Charasse. À trois reprises — une première fois dès décembre, par lettre au Président de la République, une deuxième fois la semaine dernière, par mon intervention devant la commission des lois, et enfin par la question d'actualité de notre collègue Joël Giraud –, les radicaux de gauche ont expliqué que le texte, en particulier à ses articles 11, 12 et 13, ne prolonge pas la logique de revalorisation du Parlement entamée le 21 juillet à Versailles,…

M. Roland Muzeau. C’est du pareil au même : il ne fallait pas voter la révision constitutionnelle !

M. Gérard Charasse. …mais constitue une régression et donc une menace potentielle pour la démocratie parlementaire. Et de cette tribune, je le dis donc une quatrième fois : si la rédaction actuelle demeurait, le risque serait grand que le prochain règlement de notre assemblée nous fasse basculer dans la forfaiture.

Disposer de temps pour défendre un amendement doit demeurer un droit inaliénable et imprescriptible pour chaque parlementaire. Le droit d'amendement, c'est d'abord du temps pour s'exprimer, débattre, échanger et convaincre.

M. Bernard Gérard. Ce n’est pas l’obstruction !

M. Gérard Charasse. C'est donc ce qu'il y a de plus précieux pour que chacun d'entre nous, membre d'un groupe politique ou non, puisse, sans contrainte, exprimer ses convictions et porter les craintes et les attentes des Français dans cette enceinte.

Parce que ce texte est attentatoire au droit d'amendement et dangereux pour notre démocratie, il vous faut, monsieur le ministre, impérativement revoir votre copie ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Mariani.

(M. Rudy Salles remplace M. Bernard Accoyer au fauteuil de la présidence.)

Présidence de M. Rudy Salles,
vice-président

M. Thierry Mariani. Monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai souhaité prendre la parole à l'occasion de la discussion générale de ce texte et faire quelques remarques d'ordre général.

Je ne reviendrai que très brièvement sur les enjeux de ce texte, que mon collègue Claude Goasguen notamment, qui a une connaissance parfaite de notre assemblée, a parfaitement présentés tout à l'heure. Je ne m'étendrai pas sur les dispositions relatives à la présentation des projets de loi et aux évaluations préalables ; il s'agit de l'une des avancées majeures de ce texte, sur laquelle nous aurons l'occasion de revenir lors de la discussion des articles.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Absolument.

M. Thierry Mariani. Je ferai également l'impasse sur les résolutions, qui ont été déjà largement discutées lors de la révision constitutionnelle et avec lesquelles nous introduisons un nouveau moyen d'expression à notre service.

Si vous le permettez, je souhaite dire quelques mots de la polémique, habilement déclenchée par l'opposition, sur la question de l'expression des parlementaires et du droit d'amendement.

Voilà déjà quelques années que je siège sur ces bancs.

M. Yves Durand. Bien trop !

M. Thierry Mariani. Trop, peut-être. (Sourires.) Pendant longtemps, nous avons eu tendance à considérer qu'un bon parlementaire se reconnaissait à sa connaissance parfaite du règlement. La maîtrise des techniques parlementaires constitue à l'évidence un net avantage pour celui qui entend, au mieux faire passer ses idées, au pire, gêner l'action du Gouvernement et de la majorité.

Mais soyons honnêtes : est-il bien sérieux que nos travaux soient si souvent suspendus à la demande, par exemple, de notre collègue Noël Mamère – je le dis avec toute la sympathie que j’ai pour lui – pour prétendument « réunir son groupe », alors qu'il se trouve être le seul représentant de celui-ci dans l’hémicycle ?

M. Jean Mallot. Sur le repos dominical, c’est M. Copé qui a demandé la suspension !

M. Thierry Mariani. Est-il justifiable aux yeux des Français, au nom desquels – dois-je le rappeler ? – nous légiférons, que nous passions, dans les jours qui viennent, des heures à examiner des amendements farfelus, pour ne pas dire ridicules ?

M. Jean Glavany. Voulez-vous que nous vous rappelions ce que vous faisiez quand vous étiez dans l’opposition ?

M. Thierry Mariani. Je n'ai aucun mal à reconnaître que, sous d'autres législatures, j'ai moi-même, avec un certain nombre de mes collègues, pratiqué l'obstruction parlementaire. (« Ah ! » sur plusieurs bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Christophe Caresche. Vous avez péché !

M. Thierry Mariani. J’ai péché – pour faire plaisir à M. Caresche –, mais j’ai péché nettement moins que vous ! (Exclamations et rires sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Puis-je vous rappeler que nous péchions à l’époque avec 500 ou 600 amendements ?

M. Jean-Jacques Urvoas. Vous manquiez d’ambition !

M. Roland Muzeau. D’imagination !

M. Christophe Caresche. Ça change tout !

M. Thierry Mariani. Quand on voit que plusieurs milliers d’amendements sont régulièrement déposés, on se dit que l’on est tombé de l’excès dans le ridicule !

Nous avions alors beau jeu de rentrer dans nos circonscriptions en disant à nos concitoyens : « Vous voyez, je me suis battu toute la nuit. » Mais il s'agissait d'une autre époque, d'autres circonstances. Notre travail parlementaire doit changer ; la situation de notre pays l'exige ; les Français l'attendent de nous.

Il n'y a qu'à lire – faites-le, c'est instructif ; je l’ai fait il y a encore deux heures – les commentaires laissés par les personnes ayant visionné la vidéo mise en ligne par le groupe UMP concernant l'obstruction.

Mme Fabienne Labrette-Ménager. Très bien !

M. Roland Muzeau. Relayée par Bouygues et TF1 !

M. Thierry Mariani. L'image que l'on donne de notre travail aux Français est insupportable ; les réactions le prouvent.

Je l'ai dit, je reconnais volontiers les dérives qui ont été celles de ma famille politique en matière d'obstruction parlementaire ; nous avons été parfois un peu loin. Mais je dois dire que l'opposition dépasse aujourd'hui de très loin tout ce que nous avons pu faire.

M. Jean-Marc Ayrault. Les tests ADN, c’est pourtant vous !

M. Thierry Mariani. Rendez-vous compte, nous commençons aujourd'hui l'examen d'un texte visant à prendre acte que notre travail parlementaire a besoin d'être modernisé – rationalisé, comme on dit. Cela est sous-tendu par l’idée que la dynamique de réforme impulsée par le Président de la République et que nous soutenons ne peut être brisée par l'obstruction systématique et stérile organisée par l'opposition. Et comme pour mieux montrer l'intérêt de ce projet de loi, comme pour vous caricaturer vous-mêmes, chers collègues socialistes, vous avez décidé de présenter un nombre totalement disproportionné d'amendements, déposés à chaque fois à l’identique, à la virgule près, par quarante-quatre députés socialistes.

M. Jean Glavany. Disproportionné par rapport à ce que vous mériteriez !

M. Thierry Mariani. Vous avez ainsi gonflé de manière tout à fait artificielle le nombre de vos amendements pour ralentir nos débats. En somme, vous vous opposez à ce texte visant à lutter contre l'obstruction en faisant de l'obstruction systématique !

Je dois avouer que vos assistants parlementaires, ou les collaborateurs du groupe socialiste, ont une imagination sans bornes.

Mme Chantal Robin-Rodrigo. Ils sont meilleurs que les vôtres !

M. Thierry Mariani. Quelques amendements pourraient presque faire sourire. Je pense notamment à celui que nous avons malheureusement rejeté en commission des lois, qui prévoyait que les études d'impact devaient s'apprécier au regard de « leurs qualités rédactionnelles ».

M. Christophe Caresche. Il fallait le voter !

M. Thierry Mariani. Je ne ferai pas de commentaire sur celui faisant référence au « bonheur collectif » – je vois que c'est une aspiration forte rue de Solférino –, pas plus que je ne m'attarderai sur les quelques dix-sept amendements proposant autant de rédactions différentes de l'article 3.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Mariani.

M. Thierry Mariani. Monsieur le président, je souhaiterais profiter du temps de parole qui me reste…

M. Patrick Roy. Non ! C’est fini.

M. Jean Glavany. Vous faites de l’obstruction !

M. Thierry Mariani. …pour évoquer brièvement la question soulevée par le seul amendement que j'ai décidé de déposer sur ce texte et auquel je tiens tout particulièrement. (Brouhaha sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. Mes chers collègues !

M. Thierry Mariani. Pour toutes les raisons que je viens d'évoquer, je souscris pleinement au dispositif de temps global proposé. Pour autant – je pense en avoir à de nombreuses occasions fait la preuve –, je suis particulièrement attaché au droit d’expression individuel des députés, et je défendrai donc un amendement devant permettre à chaque parlementaire, quel que soit le texte et en dehors du temps de discussion globalisé, de pouvoir s’exprimer cinq minutes. Il peut arriver des moments où l’on a des impressions personnelles à faire passer, où l’on peut être en désaccord avec son propre groupe. Tel est le sens de la proposition que je ferai à l’article 13. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Marc Ayrault. Vous avez peur vous-même !

M. le président. Mes chers collègues, merci de permettre à nos collègues de s’exprimer dans le calme.

M. Jean Mallot. M. Bapt et M. Montebourg auraient aimé pouvoir s’exprimer dans le calme hier !

M. le président. Nous sommes aujourd’hui. À chaque jour suffit sa peine.

La parole est à M. Bruno Le Roux.

M. Bruno Le Roux. Je mets à l’aise mes collègues de l’UMP : leurs exclamations ne me dérangent pas, et je les décompte automatiquement de mon temps de parole.

Monsieur le ministre, je voudrais, pour commencer, vous féliciter, car vous avez réussi, avec le soutien d’ailleurs de M. Copé, à faire d’une des premières lois organiques – sans compter celle concernant le retour des ministres au Parlement qui vient d’être censurée, même si c’est légèrement, par le Conseil constitutionnel – un texte totalement partisan.

M. Patrick Roy. Eh oui !

M. Bruno Le Roux. C’est un texte conjoncturel puisque vous y avez ajouté, au mois de décembre dernier, un certain nombre d’articles en réaction à un débat où vous aviez senti les choses vous échapper. Même s’ils n’étaient pas partisans et conjoncturels, les éléments que vous avez ajoutés poseraient en tant que tels un problème énorme, compte tenu de notre pratique parlementaire et de la façon dont fonctionne notre parlement. Vous réussissez donc à faire d’un texte qui aurait dû susciter le débat et l’échange, un texte de confrontation droite-gauche parce que vous voulez museler l’opposition et, demain, le Parlement.

M. Henri Emmanuelli. C’est vrai !

M. Bruno Le Roux. Je souligne que vous faites en même temps une mauvaise manière au Parlement et au Président Accoyer.

M. Jean Glavany. Il se la fait lui-même !

M. Bruno Le Roux. Ce n’est pas un hommage que je lui rends car l’initiative qu’il avait prise n’a pas pu aboutir. Nous étions, depuis le début du mois de septembre, en train de travailler, entre parlementaires, car nous savions qu’il y avait nécessité à faire une réforme du règlement de l’Assemblée nationale. Nous étions en réflexion, en recherche de consensus. Nous avions d’ailleurs abouti à un consensus entre tous les groupes sur plus de trente points dans notre règlement qui pouvaient évoluer. Selon une méthode importante dans notre assemblée, celle de la recherche du consensus pour faire évoluer notre pratique, nos méthodes de travail et notre règlement, nous avons cherché un accord en dehors de la présence du Gouvernement. Vous avez, par le dépôt de ce texte et par la façon dont vous l’interprétez, interrompu un processus de concertation parlementaire destiné à prendre toute la mesure de la réforme constitutionnelle votée l’été dernier. Pourtant, celle-ci aurait dû permettre à notre règlement d’évoluer comme le texte constitutionnel lui en offre la possibilité. Je regrette, monsieur le secrétaire d’État, que le Gouvernement ait fait irruption…

M. Manuel Valls. Très juste !

M. Bruno Le Roux. …dans un processus qui relevait de la concertation parlementaire, pour défaire non pas seulement les droits de l’opposition, mais aussi l’équilibre qui existe aujourd’hui entre l’Assemblée nationale et l’exécutif, entre le Parlement et le Gouvernement. (« Très juste ! » sur les bancs du groupe SRC.)

Je vais maintenant aborder la question de l’obstruction.

Y a-t-il ici des textes en suspens, une impossibilité à légiférer contre la volonté du peuple, contre le mandat que votre majorité a reçu de lui ?

M. Arnaud Montebourg. Jamais ! On n’en trouve pas d’exemple !

M. Bruno Le Roux. Il n’y a aucun texte. On peut ouvrir tous les placards de toutes les commissions, on n’en trouvera aucun. Les seuls textes qui n’ont pas encore été examinés sont d’initiative parlementaire : ce sont ceux que vous ne voulez pas inscrire parce qu’ils viennent du Parlement. Mais aucun projet de loi ne dort ici, dans quelque placard, et ce que vous appelez « obstruction » n’a absolument rien à voir avec l’empêchement de légiférer.

Or vous voulez priver le Parlement, non pas sur tous les textes, mais sur ceux de votre choix, de la capacité à rentrer en résonance avec l’opinion publique. Vous voulez faire de la loi un objet et non plus un processus, une réponse aux injonctions du Président de la République ou à une commande – souvent à livrer immédiatement. Il faut, dès lors, qu’elle soit discutée le plus vite possible pour ensuite, malheureusement, ne quasiment jamais être appliquée. Car c’est la grande caractéristique des projets de loi que le Gouvernement nous propose depuis plusieurs mois : ils répondent à un problème ponctuel, ne font état d’aucune évaluation et remplacent des textes qui n’avaient même pas eu le temps d’être appliqués ; et, au final, ils sont eux-mêmes très rarement appliqués. La législation que vous faites, depuis un an et demi, est bien trop souvent une législation d’annonce, avec des lois sous injonction.

Demain, vous voudriez, en plus, nous empêcher de prendre le temps de débattre alors que vous avez déjà rogné, par votre propre pratique, le temps du débat parlementaire.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Oh !

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Le Roux.

M. Bruno Le Roux. Je termine par une question : quel est le temps du débat parlementaire depuis le début de cette législature ? C’est le temps des textes examinés en urgence, étudiés en commission à la va-vite, donc mal étudiés, avec un gouvernement bien souvent passif : nous ne comptons plus les ministres qui ne répondent à aucune question alors que, pourtant, il n’y a qu’une seule lecture !

M. le président. Monsieur Le Roux, c’est fini !

M. Jean Mallot. Monsieur le président, ce qu’il dit est important. M. Mariani a dépassé tout à l’heure son temps de parole, et vous n’avez rien dit !

M. Bruno Le Roux. Monsieur le secrétaire d’État, c’est un mauvais coup que vous faites en ajoutant au texte initial les articles 12 et 13. On veut restreindre le droit d’amendement, alors que le groupe socialiste, sur un texte de cette importance, ne dispose que de trente-cinq minutes dans la discussion générale (« C’est vrai ! » sur les bancs du groupe SRC)

M. le président. Monsieur Le Roux !

M. Bruno Le Roux. …et que ses orateurs sont interrompus dès qu’ils commencent leur conclusion !

M. Manuel Valls. C’est inacceptable !

M. Bruno Le Roux. Monsieur le président, par votre attitude, vous faites la démonstration que seuls les amendements permettent à l’opposition de prendre la parole dans cet hémicycle. Et c’est ce droit que la majorité souhaite modifier demain pour en empêcher l’exercice !

M. le président. Mes chers collègues, si le temps de parole est de cinq minutes, ce n’est pas six ou sept minutes.

M. Bruno Le Roux. Il n’y a plus de débat !

M. le président. C’est le règlement et je vous demande de le respecter.

M. Henri Emmanuelli. On n’est pas au commissariat, monsieur le président !

M. le président. Nous ne sommes pas au commissariat mais à l’Assemblée nationale, monsieur Emmanuelli, et il y a un règlement que vous connaissez aussi bien que moi ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Mariton.

M. Hervé Mariton. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je pense que notre débat et le projet de loi organique que le Gouvernement nous présente ne justifient pas autant de procès d’intention que l’opposition en annonce.

M. Henri Emmanuelli. On connaît le Gouvernement !

M. Jean Mallot. Ses intentions sont claires !

M. Hervé Mariton. Cela étant, il y a quelques mois, lorsque nous débattions du projet de loi constitutionnelle, je vous avais dit, monsieur le secrétaire d’État, que ce projet ne méritait ni excès d’honneur ni indignité. Je m’étais abstenu dans cette assemblée…

M. Henri Emmanuelli. Continuez !

M. Hervé Mariton. …et seules les exigences de la solidarité majoritaire…

M. Jean-Claude Sandrier. C’est bien dit !

M. Roland Muzeau. En plus court, cela se dit godillot !

M. Hervé Mariton. …m’ont conduit à voter, sans enthousiasme, la réforme constitutionnelle à Versailles. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Le projet de loi organique que vous nous présentez mérite probablement la même appréciation que le projet de loi constitutionnelle : ni excès d’honneur ni indignité. Il n’a pas tant d’avantages ; il ne mérite pas tant de procès d’intention.

M. Jean Mallot. Il n’y a pas de procès : l’intention est claire !

M. Hervé Mariton. L’énergie que nous dépensons actuellement sur ce texte est-elle bien employée ? C’est une vraie question. Mais la réforme de la Constitution prévoit une loi organique. J’avais dit que la révision constitutionnelle nécessiterait du temps pour examiner les lois organiques, la réforme du règlement et un certain nombre de textes législatifs à venir. Je pense que l’énergie de notre pays pourrait être mieux employée ailleurs, mais nous sommes dans la discussion sur le projet de loi organique. Dont acte. J’y prends donc ma part.

Comme d’autres ici, je crois qu’un des points essentiels, et un de ceux qui font le plus débat, c’est celui de la création de l’encadrement du droit d’amendement.

M. Patrick Roy. C’est la guillotine !

M. Henri Emmanuelli. Karoutchi, c’est l’encadreur !

M. Hervé Mariton. Vous vous souvenez, monsieur le secrétaire d’État, des débats que nous avons eus dans l’hémicycle lorsque ce sujet est venu dans la discussion constitutionnelle. Le président de notre assemblée, intervenant de son banc de parlementaire, a marqué la solennité et la gravité de la question. En effet, il s’agit d’une question grave, sur laquelle nous devons être rassurés.

Amender, dans Le dictionnaire de l’Académie française, c’est, pour un projet de loi, apporter des modifications en vue de l’améliorer. Il n’y a donc pas de raison de s’offusquer de l’existence d’amendements : c’est pour la bonne cause. Souvenons-nous du proverbe : « Mal vit qui ne s’amende », c’est faire un mauvais usage de la vie que de ne point se corriger. Se corriger ou corriger un texte ne peut être qu’une bonne chose et, par principe, un amendement est une action bonne et utile.

Avec les articles 11 et suivants du projet de loi, particulièrement l’article 13, je me dis qu’en effet, améliorer l’organisation du travail parlementaire est une bonne chose. Car ce qui arrange le plus le Gouvernement quand un parlementaire dépose un amendement, c’est que celui-ci, ne sachant quand son amendement sera appelé, finisse par se lasser et, quels que soient son sens du travail et son mérite, ne soit plus présent pour le défendre efficacement. Une meilleure organisation du travail parlementaire peut être utile pour nous et – heureusement – redoutable pour vous si elle nous permet de mieux organiser la défense de nos amendements en séance.

En effet, monsieur le secrétaire d’État, le travail en commission ne peut pas tout épuiser. Chacun a bien compris que la capacité et la liberté pour les parlementaires de défendre leurs amendements et leurs positions en séance ne peuvent être contestées, car c’est essentiel à la démocratie même. Nous ne sommes pas dans un système où une chambre voterait sans débattre et une autre débattrait sans voter.

M. Arnaud Montebourg. Ça, c’est le Consulat !

M. Hervé Mariton. Je crois que ce point est bien entendu.

Comment, dès lors, aménager le droit d’amendement ? Il faut assurément le faire en respectant l’opposition, mais aussi en respectant les diversités de la majorité. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) En effet, mes chers collègues, on peut poser des questions, y compris en formulant une crainte.

M. Jean Mallot. Vous venez de comprendre, monsieur Mariton !

M. Christian Eckert. Vous vous sentez visé !

M. Hervé Mariton.Puisque l’exécutif aime la diversité, il faut qu’il l’apprécie au sein même de sa majorité. À cet égard, la proposition de notre collègue Thierry Mariani est indispensable : la possibilité pour tout député de s’exprimer dans un débat parlementaire et de faire valoir son point de vue est un droit non négociable.

M. Jean-Claude Sandrier. Très bien !

M. Hervé Mariton. Il ne peut pas y avoir un projet de loi sur lequel un député, fût-il seul, ne pourrait s’exprimer, même à titre individuel. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. Monsieur Mariton, veuillez conclure.

M. Hervé Mariton. Nombre d’entre nous, à l’UMP, souhaitons résoudre la question de l’aménagement du droit d’amendement. J’ai compris que le Gouvernement y était attentif et que le président de notre assemblée l’était aussi. Il faudra alors, monsieur le secrétaire d’État, nous rassurer, de manière très claire et très formelle, quant à la possibilité d’améliorer l’organisation du débat et l’exercice du droit d’amendement tout en préservant la liberté de chaque député à faire valoir son point de vue et à s’exprimer en séance. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR et sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Marc Ayrault. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault. Mon intervention se fonde sur l’article 58-1. Je tiens à dire à quel point j’ai apprécié la qualité de l’intervention de M. Mariton et son ton. Je ne suis pas sûr que nous tombions d’accord à la fin mais, au moins, on débat de la question essentielle.

À cet égard, je proteste contre certains propos tenus par nos collègues de la majorité, qui n’ont pas d’autre but que de discréditer le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche à travers les amendements qu’il dépose. J’ai entendu M. Goasguen et M. Mallié ironiser sur notre exigence du bonheur collectif. Plutôt que de se moquer du monde et, en l’occurrence, des députés de mon groupe, ils devraient relire la Constitution, notamment la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui fait partie du bloc de constitutionnalité et qui énonce ce qui suit : « cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous. » Désolé de vous rappeler qu’il s’agit de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, mes chers collègues ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Je rappelle que le bloc de constitutionnalité n’a pas le mot « consulat » dans son vocabulaire !

Reprise de la discussion

M. le président. La parole est à M. Christophe Caresche.

M. Christophe Caresche. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je trouve que notre débat est riche et intéressant. Il montre, comme vient de le souligner le président Ayrault, que les interrogations ne proviennent pas seulement du groupe socialiste : elles sont aussi, à l’évidence, présentes au sein de la majorité.

Je tiens à dire à M. Goasguen que nous nous réjouissions tous de voir arriver une réforme permettant aux institutions de se rééquilibrer en donnant plus de pouvoir au Parlement et en tirant les conséquences de l’adoption du quinquennat. Mais il est vrai que la manière dont l’exécutif dans son ensemble conduit ce processus législatif nous inquiète et nous met en situation de refuser ce projet de loi.

Cette loi organique devrait poursuivre deux objectifs : contribuer au rééquilibrage des pouvoirs de nos institutions en faveur du Parlement ; concourir à l’amélioration de la qualité du travail législatif. Or l’instauration d’un crédit temps et l’encadrement excessif du droit d’amendement ne vont pas dans ce sens.

Sur le plan du rééquilibrage des institutions, la nouvelle Constitution comporte certains éléments positifs – le partage de l’ordre du jour en particulier – mais nous avons le sentiment, comme nombre d’observateurs, que le Gouvernement est tenté de reprendre d’une main ce qu’il a donné de l’autre.

M. Jean Mallot. Il n’a pas donné grand-chose !

M. Christophe Caresche. Peut-être inquiet de sa propre audace ou des volontés d’émancipation de sa majorité, il cherche le moyen de reprendre l’ordre du jour en main. En cantonnant les débats, il tente de récupérer un pouvoir accordé au Parlement par la Constitution.

Cela nous incite à penser que ce texte vise autant la majorité que l’opposition. Vous savez bien que M. Copé n’a pas été suivi par le Premier ministre et le Gouvernement lorsqu’il a évoqué le concept novateur de coproduction législative. Ces contradictions et ces ambiguïtés renforcent l’idée qu’avec la loi organique, le Gouvernement veut empêcher tant la majorité que l’opposition d’exercer les pouvoirs que leur donne la Constitution. C’est pourquoi nous regrettons profondément que le Gouvernement n’ait pas laissé l’Assemblée nationale aller jusqu’au bout de la discussion et présenter des propositions d’organisation du travail parlementaire, avant l’élaboration de la loi organique.

Quant à l’amélioration de la qualité du travail législatif, M. Warsmann a eu raison de souligner qu’il s’agit d’un point essentiel, car les citoyens sont souvent victimes des conditions d’élaboration de la loi. C’est ainsi qu’une partie des problèmes rencontrés par la justice s’explique par la mauvaise qualité du travail législatif à laquelle il faut remédier.

L’encadrement du droit d’amendement va-t-il permettre de le faire ? À l’évidence, non ! La dégradation du travail législatif vient d’abord de textes bâclés, proposés sous le coup de l’émotion.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Caresche.

M. Christophe Caresche. Cette dégradation ne sera certainement pas combattue par une limitation du droit d’amendement, mais par une meilleure organisation du travail législatif, instaurée après une réflexion que nous devons mener.

M. le président. S’il vous plaît, monsieur Caresche.

M. Christophe Caresche. Un mot, monsieur le président, pour dire que le Gouvernement doit retirer ce projet, afin que la commission du règlement puisse poursuivre le travail qu’elle a entamé et qui pourra servir de base à nos futures discussions.

M. le président. Vous aviez dit un mot, monsieur Caresche.

M. Jean Mallot. Christophe Careshe a raison ! Ses propos sont intéressants !

M. Patrick Ollier. Sans intérêt !

M. Christophe Caresche. À défaut, je ne pense pas que nous pourrons conclure positivement. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je crois qu'il est nécessaire, à ce stade de la discussion, de bien repréciser l’objet du débat.

À entendre les socialistes, le texte que nous examinons assassine littéralement l'opposition en la privant du droit de parole. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Chantal Robin-Rodrigo. C’est exactement ça !

M. Lionel Tardy. Je pense que ces propos sont particulièrement excessifs, surtout à ce stade de l'application de la réforme constitutionnelle. (Mêmes mouvements.)

Nous débattons ici d'une loi organique qui fixe un cadre, ouvre des possibilités et pose des limites à l'intérieur desquelles devra être réformé le règlement de notre assemblée. Le moment crucial sera donc bien l'examen de la réforme du règlement de l'Assemblée, lorsque nous serons appelés à définir concrètement et complètement la manière dont nous souhaitons que se déroulent nos débats.

Le point central et le plus contesté porte sur les conditions de l'exercice du droit d'amendement, mais d'autres mesures suscitent aussi vos critiques. Cette loi organique prévoit une procédure simplifiée d'examen en séance publique, sans possibilité d'amendement parlementaire. Sans aller aussi loin, des procédures simplifiées existent déjà et, à ma connaissance, elles n’ont jamais posé de problème. Celle qui est proposée dans ce projet de loi sera utilisée pour des textes techniques et sans enjeu politique, après décision en conférence des présidents.

Le projet prévoit aussi la possibilité de limiter la durée des débats en séance publique en fixant un temps de parole maximal et en permettant le vote de certains amendements sans débat. Tout d'abord, que savez-vous de la procédure précise qui sera retenue ? Nous n'en sommes qu'au stade de la loi organique qui fixe juste le cadre.

M. Henri Emmanuelli. Je rêve !

M. Lionel Tardy. Que savez-vous de la manière dont la procédure sera effectivement appliquée ?

M. Jean Glavany. C’est très révélateur !

M. Lionel Tardy. Vous n’ignorez pas que le règlement est souvent interprété et utilisé avec une très grande souplesse, que son application rigoureuse par la majorité est rare et toujours motivée par le comportement de l'opposition. Il ne nous viendrait pas à l'idée, sans raison, d'appliquer le règlement dans toute sa rigueur. Nous ne légiférons pas sur ce sujet pour les quelques années qui viennent, mais pour plusieurs décennies, je l'espère. D'ici là, nous nous retrouverons sans doute dans l'opposition – le plus tard sera le mieux. Nous serions stupides de mettre en place des procédures qui pourraient se retourner contre nous ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Arnaud Montebourg. Quelle naïveté de jeune homme !

M. Lionel Tardy. À la limite, nous n'avons pas besoin de cette procédure pour vous empêcher de faire de l'obstruction.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. C’est une vraie démonstration !

M. Lionel Tardy. Les mauvaises habitudes sont malheureusement bien ancrées. Une application beaucoup plus stricte du règlement et quelques modifications mineures suffiraient. On pourrait très bien décider de fusionner tous les amendements identiques, avec un orateur pour et un orateur contre, avant de passer au vote. On pourrait aussi limiter le nombre d'intervenants sur les débats, à propos d'amendements pouvant être mis en discussion commune. On pourrait enfin appliquer strictement l'article 41 de la constitution sur l'irrecevabilité réglementaire, et instaurer une procédure pour déclarer irrecevables les amendements n'ayant aucun rapport avec le texte en discussion.

M. Patrick Ollier. Très bonne idée !

M. Lionel Tardy. Rien qu'avec ces dispositions votre capacité à retarder les débats serait bien amoindrie. Mais force est de constater que vous n'avez jamais souhaité respecter les règles du jeu, depuis le début de cette XIIIe législature, sans quoi nous n'en serions pas là.

M. Henri Emmanuelli. Et que fait-on d’autre ?

M. Lionel Tardy. Enfin, il est un dernier point sur lequel nous devrons rester vigilants : à partir du moment où un temps de parole limité est attribué à chaque groupe, que certains amendements seront discutés en séance publique et d'autres pas, je ne souhaite pas que nous nous dirigions vers une restriction à outrance des possibilités d'initiative individuelle. Nous disposons actuellement, au sein du groupe UMP, d'une grande liberté de prise de parole, de dépôt d'amendements et de propositions de loi sans filtrage préalable du groupe parlementaire.

Mme Chantal Robin-Rodrigo. C’est fini !

M. Patrick Roy. Alea jacta est ! Le Gouvernement a franchi le Rubicon !

M. Lionel Tardy. J'apprécie beaucoup cette manière de fonctionner et je souhaite vivement qu'elle ne soit pas remise en cause par la réforme que nous sommes en train de voter.

M. Jean Mallot. Il commence à comprendre !

M. Lionel Tardy. Mes chers collègues de l'opposition, votre position m'attriste beaucoup, car elle révèle une grande défiance vis-à-vis des députés de la majorité. Vous semblez ne pas nous faire confiance…

M. Jean Mallot. Ça non !

M. Lionel Tardy. …alors que nous souhaitons une meilleure organisation de nos travaux, tout en respectant les droits de l'opposition. Cela fait maintenant un an et demi que je suis député…

M. Arnaud Montebourg. Ça se voit !

M. Lionel Tardy. …et je n'ai pas l'impression que vous ayez été brimés. Au contraire, vous avez toujours pu vous exprimer autant que vous le vouliez, même quand vous abusiez. Vous avez été constamment associés à l'organisation des travaux, votre accord a toujours été recherché lorsqu'il fallait terminer un peu plus rapidement l'examen d'un texte.

M. Jean Mallot. On connaît les règles du jeu !

M. Lionel Tardy. Dans ce projet de loi organique, vous voyez une volonté de porter atteinte à vos droits. Il s'agit là d'un procès d'intention, alors qu'il n'a jamais été question, au sein du groupe UMP, de porter atteinte aux droits de l'opposition.

Mme Chantal Robin-Rodrigo. Tu parles !

M. Jean Mallot. Nous ne sommes pas naïfs !

M. Lionel Tardy. Vous vous trompez de combat, et au lieu d'aller de l'avant, vous continuez, comme d'habitude, à privilégier l'obstruction.

M. le président. Merci de conclure, monsieur Tardy.

M. Lionel Tardy. C'est un choix, mais je crois sincèrement que les Français attendent autre chose de leurs parlementaires.

Mme Chantal Robin-Rodrigo. Et de vous aussi !

M. le président. La parole est à Mme Danièle Hoffman-Rispal.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, j'ai souhaité intervenir aujourd'hui, même si je suis plus familière des questions sociales que du droit constitutionnel.

En effet, il n'est pas nécessaire d'être une éminente juriste pour réaliser que le texte proposé constitue bien autre chose qu'un perfectionnement du règlement. Il s'agit d'une atteinte grave à un contre-pouvoir dont l'un des principaux torts est sans doute d'agacer M. le Président de la République. Ce contre-pouvoir, c'est notre Parlement et son droit d'amendement.

Le groupe UMP a réalisé une vidéo dont les titres sont très instructifs sur sa conception du mot débat. Le clip indique que « l'obstruction, ce sont des milliers d'amendements uniquement pour bloquer le débat ». Voilà un contresens bien étonnant ! Ce sont, au contraire, les amendements qui créent le débat. Ceux-ci ont pour objet d'améliorer la loi ou d’en réécrire quelques lignes. Ils visent à poser des questions – quitte à être retirés en séance, comme c'est parfois le cas – ou à sensibiliser l'opinion publique sur certains textes par le biais des médias. Oui, la parole publique le permet, bien plus que les propos tenus en commission !

Plutarque écrivait : « la politique n’a que la parole pour mettre en ordre la cité ». Or votre Gouvernement ne poursuit qu'un objectif : museler les paroles discordantes – et donc le débat – en installant des cordons de CRS autour du Président de la République, en procédant à l'arrestation des lycéens qui s’opposent à des réformes injustes, et enfin en limitant le temps de parole des parlementaires.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Franchement, c’est trop triste d’entendre des choses pareilles !

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Ce triple verrouillage correspond peut-être à la volonté de faire oublier une certaine impuissance politique. Je pense aux tensions dans votre majorité qui ont contribué, avec la mobilisation de nos bancs, au report du projet de loi sur le travail le dimanche. Je pense aussi à l'incapacité à produire des décrets d'application, dont nous ne pouvons pas, pour le coup, être tenus pour responsables – je vous renvoie au rapport du Sénat sur le sujet.

Ayant eu l'honneur de présider quelques séances, et donc d'assister à la défense de ces amendements que votre majorité qualifie d'obstruction, je pense être bien placée pour constater que c'est souvent le seul moyen d'aller au fond des choses. Jean-Jacques Urvoas l'a dit hier : la démocratie a besoin de temps, comme l’ont prouvé les débats sur le PACS, les nationalisations, les retraites ou l’audiovisuel. Or, l’appel constant à la procédure d’urgence en témoigne, vous préférez substituer la précipitation à la patience, et la course de vitesse à la course de fond.

Pour la survie de notre démocratie, il importe d'assurer les conditions de ce véritable débat. Nos concitoyens se moquent bien de savoir que tel ou tel ministre aurait souhaité quitter plus tôt le Palais Bourbon ; ils attendent que nous fassions notre travail de représentants. D’après vous, nous allons l'exercer encore davantage demain par le travail en commission. Mais cela ne remplacera jamais la présence dans l'hémicycle.

Quand nos concitoyens nous alertent sur les dangers des OGM, sur la suppression de la demi-part fiscale des parents isolés ou sur les risques du travail le dimanche, devrions-nous nous soumettre, au prétexte que nous sommes minoritaires ? Ils préfèrent nous voir défendre nos idées, quitte à agacer le Président de la République,…

M. Arnaud Montebourg. Nous agaçons Poutine !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Tout ce qui est excessif…

Mme Danièle Hoffman-Rispal. …pour que l'ensemble de la société prenne connaissance des tenants et des aboutissants de nos discussions.

Pour ce faire, chers collègues, abrogeons l'article 13 de ce projet de loi, sauvegardons le droit d'amendement et, par là même, la liberté d'expression de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Marietta Karamanli, dernière oratrice inscrite.

Mme Marietta Karamanli. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, trois dispositions du présent projet de loi organique nous inspirent de légitimes craintes : la limitation du droit d’amendement des députés aux seuls amendements adoptés en commission, après un délai qui sera éventuellement raccourci ; la possibilité donnée au seul Gouvernement de déposer des amendements après l’examen en commission ; la limitation du temps de la discussion, de façon à proscrire tout débat sur les amendements.

Nos craintes tiennent à trois raisons essentielles. La première est l’importation de dispositifs de « surcontrainte », lesquels ont une finalité orthopédique, c’est-à-dire, étymologiquement, de nature à rendre droits les enfants. En l’occurrence, il s’agit de corriger les éventuelles défaillances d’une majorité. Ces dispositifs existent dans d’autres parlements, mais leur importation dans un environnement qui n’est pas celui d’un régime parlementaire pose problème. Notre régime a en effet ceci de particulier qu’il cumule l’élection au suffrage universel d’un Président puissant, l’existence d’une majorité parlementaire qui dépend de ce dernier, et un contrôle de constitutionnalité qui, historiquement, fut créé non pour protéger les libertés mais pour surveiller le Parlement et le limiter dans ses initiatives. Autrement dit, le projet gouvernemental nous propose d’enserrer et de contraindre davantage encore le Parlement.

Le secrétaire général de l’Élysée, Premier ministre bis, a déclaré sur une chaîne privée, pas plus tard que dimanche dernier, qu’il s’agissait d’empêcher le « sabotage » et de faire passer les réformes présidentielles. En économie, le sabotage est un acte matériel tendant à empêcher le fonctionnement normal d’un service ; mais en régime parlementaire, faire délibérer des députés, leur permettre de s’exprimer parfois longuement et de contester, sous l’œil vigilant des citoyens et de l’opinion publique, c’est assurer le fonctionnement normal de la démocratie.

Mme Chantal Robin-Rodrigo. Très bien !

Mme Marietta Karamanli. Le deuxième motif de notre refus des outils qui visent à amoindrir l’opposition est l’absence de contre-pouvoirs. Dans les régimes parlementaires où de tels dispositifs existent, ils ne sont que des éléments d’un ensemble dont la balance est globalement plus favorable aux députés. J’en prendrai deux exemples.

Le temps guillotine, d’abord. Celui-ci existe au Royaume-Uni, mais il se justifie par le fait que, passée la session, en l’absence d’adoption, la discussion repart de zéro. Si une telle procédure est introduite en France, elle devrait donc être mise en rapport avec le temps effectif global disponible pour la discussion législative par session, et notamment le temps attribué pour la discussion des textes issus du couple exécutif-majorité parlementaire.

Deuxième exemple : la limitation de la discussion en séance publique des amendements, qui existe aussi au Royaume Uni. Mais la différence, c’est que le Parlement y vote une première fois le projet de loi en bloc avant de le renvoyer en commission, afin qu’il y soit discuté et voté article par article ; de plus, il existe une pratique « constitutionnelle » selon laquelle certaines lois sont naturellement de la compétence du Parlement. Rien de tel en France ! Quelles sont donc les garanties données en contrepartie de la diminution de nos capacités de présentation, de discussion et d’expression sur les textes ? Je ne les vois pas.

Le troisième et dernier motif de nos craintes tient à une utilisation sans limite de ces dispositifs. Le Gouvernement et sa majorité auront en effet toute possibilité d’utiliser ensemble tout cet appareillage de contrainte. Il y a la loi et la façon dont on l’applique, dont on y recourt. Le danger est que le couple Gouvernement-majorité parlementaire n’accepte plus les amendements des députés au-delà d’un délai fixé bien en amont de la discussion, dépose les siens au dernier moment, y compris pour autoriser une délégation législative « furtive » – laquelle permettrait à l’exécutif de rédiger à la place des députés –, et limite, enfin, l’examen de l’amendement à une lecture sans discussion.

On le voit, les dangers sont grands à importer des procédures de « surcontrainte » dans un régime déséquilibré, sans contrepartie donnée aux députés et à l’opposition, qui plus est avec le risque d’une utilisation sans limite.

Mme Chantal Robin-Rodrigo. Très bien !

Mme Marietta Karamanli. Le risque est grand de transformer les députés en spectateurs muets, en un mot, de priver le Parlement de sa dignité et la démocratie du conflit pacifique dont elle a besoin. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Roland Muzeau. Très bien !

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.

M. Henri Emmanuelli. M. Pécresse !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Monsieur Emmanuelli…

M. Henri Emmanuelli. C’était une plaisanterie !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Bien sûr. Je puis moi aussi plaisanter, si vous le souhaitez…

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, au terme d’une discussion générale au cours de laquelle se sont exprimées des craintes, des inquiétudes,…

M. Jean Mallot. Fondées !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. …mais aussi des motifs de satisfaction, je souhaite revenir sur quelques points, non selon l’ordre de passage des orateurs, mais de façon thématique.

Premier point : le calendrier et l’obligation d’une loi organique. Pourquoi, se sont demandé plusieurs d’entre vous, n’avoir pas tout simplement laissé se dérouler les discussions avec le président Accoyer ?

M. Jean Mallot. Je ne vous le fais pas dire !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Vous n’écoutez pas lorsque l’on vous parle !

M. Jean Mallot. Mais si !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Mais non ! Comme je l’ai indiqué lors de mon intervention liminaire, aux termes de la révision constitutionnelle, que vous n’avez pas votée,…

Mme Chantal Robin-Rodrigo. Et nous avons bien fait ! Ceux qui l’ont votée le regrettent !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. …la réforme du règlement de l’Assemblée dans les domaines concernés nécessite une loi organique.

M. Jean Mallot. Une loi organique, certes, mais pas celle-ci !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Sans loi organique, vos discussions avec le président Accoyer ne pourraient avancer, qu’il s’agisse du droit de résolution, des études d’impact ou du droit d’amendement.

Je ne puis laisser dire, comme l’ont prétendu plusieurs orateurs de gauche, notamment M. Caresche et Mme Billard, que le texte diminuerait les droits du Parlement et renforcerait ceux du Gouvernement. (Interruptions sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean Mallot. Tout le monde l’a vu !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Je vous ai écouté avec beaucoup d’attention…

M. Jean Glavany. Nous vous écoutons tout aussi attentivement !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Non, monsieur Glavany. Je note vos observations avec beaucoup d’attention, disais-je ; si les réponses ne vous intéressent pas, je puis m’en dispenser !

M. Henri Emmanuelli. Elles nous intéressent beaucoup, monsieur le secrétaire d’État ! Je me suis installé près de vous pour mieux les entendre. (Sourires.)

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Tant mieux.

Je m’adresse à ceux qui ont voté la révision constitutionnelle. (Approbations sur les bancs du groupe UMP. – Interruptions sur les bancs du groupe SRC.) Ne nous laissons pas intoxiquer : celle-ci a pris acte de l’élection au suffrage universel, du quinquennat et de l’inversion du calendrier des élections, laquelle avait, dans les faits, considérablement renforcé le pouvoir exécutif, et notamment présidentiel. C’est bien pour cette raison que nous avons souhaité renforcer les pouvoirs du Parlement, notamment par des dispositions applicables dès le 1er mars, même sans loi organique : je pense au partage de l’ordre du jour et à l’examen en séance du texte de la commission. Cette dernière mesure, pour laquelle nous avons beaucoup œuvré avec le président de la commission des lois, se traduit par une inscription dans la Constitution d’un délai de six semaines au profit du travail en commission. Or, dans votre assemblée comme au Sénat, cela fait des années que tout le monde se plaint de ce que les commissions manquent de temps pour travailler sur le fond :…

M. Roland Muzeau. Forcément, vous déclarez l’urgence sur tous les textes !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. …c’est le gouvernement auquel j’appartiens qui vous propose le délai de six semaines, de sorte que les parlementaires pourront débattre longuement en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Lors du débat sur la révision constitutionnelle, monsieur Montebourg, vous affirmiez que le texte et la vision qu’il proposait n’étaient pas très clairs. Or, d’une part, les amendements adoptés par la commission étant intégrés dans le texte débattu en séance, c’est désormais le Gouvernement qui devra y défendre ses amendements :…

M. Henri Emmanuelli. Ça, c’est bien !

M. Lionel Tardy. Vous voyez : vous le reconnaissez vous-même !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. …n’est-ce pas un renversement considérable et un renforcement des pouvoirs du Parlement ? (Approbations sur les bancs du groupe UMP.)

D’autre part, monsieur Montebourg, vous craigniez que l’article 18 dudit projet de loi constitutionnelle n’empêchent que les amendements rejetés par la commission puissent être de nouveau déposés. Or, comme nous nous y étions alors engagés, ils le pourront : les groupes, de même que les parlementaires à titre individuel, auront bien la possibilité de déposer des amendements et de les faire discuter dans l’hémicycle.

Évitons tout malentendu. Comme je l’ai dit au président de la commission, je suis tout à fait disposé à intégrer au présent texte certains des amendements adoptés en commission, à l’initiative de la droite comme de la gauche, s’ils permettent de clarifier les compétences du Parlement.

M. Jean Glavany. Monsieur est trop bon !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Le projet de loi organique soumis à votre examen ne mérite en effet ni excès d’indignité ni excès d’honneur.

M. Lionel Tardy. Tout à fait !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Il constitue le moyen législatif, pour les parlementaires et le président Accoyer, de réformer le règlement.

M. Yves Censi. C’est fort bien dit.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Il n’est donc en rien un texte d’encadrement ; son seul élément concret est le droit de résolution, que vous ne pouvez instituer par une réforme du règlement et qui nécessite par conséquent une loi organique.

M. Yves Censi. Tout à fait !

M. Henri Emmanuelli. C’est un leurre ! le Premier ministre pourra s’y opposer !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Il en va de même pour les études d’impact. Je l’ai dit devant la commission et je le répète ici : le Gouvernement est prêt à suivre la commission qui, tous groupes confondus, a souhaité que ces études soient plus complètes et qu’elles engagent davantage le Gouvernement. Nous allons donc travailler avec vous pour avancer sur ce point.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Très bien !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Nous n’arrivons pas dans ce débat avec un esprit guerrier : notre seul but est que le présent véhicule législatif permette aux parlementaires de réformer le règlement avec le président Accoyer.

M. Henri Emmanuelli. En accord avec M. Copé ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Tous les groupes participent au débat, monsieur Emmanuelli ; c’est à eux, et non au Gouvernement, qu’il revient de s’accorder sur la réforme du règlement.

Hier soir, M. Lagarde s’inquiétait de ce que les résolutions pourraient, faute de s’accompagner d’un droit d’inscription à l’ordre du jour, n’être jamais débattues. Nous en sommes d’accord, et souhaitons lui donner satisfaction sur ce point.

Je ne reviens pas sur les études d’impact : elles constituent un progrès, et nous suivrons, à leur sujet, les propositions de la commission, de même que celles de M. Garrigue et de plusieurs d’entre vous.

Quant au droit d’amendement, MM. Mariton, Tardy et Mariani ont observé que le texte, au fond, favorisait l’expression des groupes – de la majorité comme de l’opposition, d’ailleurs. Le problème, qui se pose au demeurant déjà, est en effet celui du droit d’expression d’un parlementaire défendant un amendement à titre individuel et non au nom de son groupe, dès lors que ce dernier n’a pas fait sien ledit amendement et que le temps, s’il est programmé, peut manquer. Là encore, je le dis à tous ceux qui sont intervenus sur le sujet, le Gouvernement est prêt à accepter des solutions et n’a aucunement l’intention d’empêcher l’expression individuelle d’un parlementaire si sa position diffère de celle de son groupe. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Nous prendrons des engagements très clairs à cet égard.

M. Garrigue a évoqué les droits des non-inscrits : c’est dans le même état d’esprit que nous allons aborder cette question au cours de nos débats. Nous pouvons trouver des solutions qui respectent tant le droit d’expression individuel que celui des non-inscrits.

Il a beaucoup été question d’obstruction. Les uns ont rappelé celle de la droite, les autres celle de la gauche, chacun se renvoyant les arguments. J’ai évoqué, hier, les propositions de Léon Blum sur le temps programmé. M. Urvoas a répondu que c’étaient celles d’un homme qui, juste après la Première Guerre mondiale, siégeait encore au Conseil d’État et n’était pas parlementaire, mais il voudra bien reconnaître que Léon Blum a repris ces mêmes propositions en 1936 dans une édition revue et complétée de son ouvrage : à cette époque, il n’était pas seulement le leader de la SFIO, mais il était parlementaire depuis longtemps.

M. Jean-Jacques Urvoas. C’était sous la IIIe République !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Certes.

M. Henri Emmanuelli. Ce n’était pas tout à fait le même régime !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Vous invoquez l’environnement politique. Mais les données politiques et parlementaires ont changé depuis vingt-cinq ou trente ans ! Notre système n’est plus ni celui de la IIIe, ni celui de la IVe, ni même celui des débuts de la Ve. Tantôt c’est la droite qui fait de l’obstruction, tantôt c’est la gauche.

M. Jean Glavany. Pour l’instant, c’est surtout la droite !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Les uns comme les autres, nous ne sommes pas appelés à rester éternellement dans la majorité ou dans l’opposition.

M. Arnaud Montebourg. Nous le craignons !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Vous craignez de rester éternellement dans l’opposition ?

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Qu’ils y restent !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Monsieur Montebourg, ne me faites pas rêver ! (Sourires.)

M. Arnaud Montebourg. Nous le craignons pour vous !

M. Henri Emmanuelli. Monsieur Pécresse !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Cela, monsieur Emmanuelli, vous l’avez déjà dit. C’est comme vos amendements : c’est répétitif, cela vous permet d’exister !

Ne pouvons-nous nous accorder sur une manière de travailler ?

Mme Christine Marin. Très bien !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Ne pouvons-nous imaginer – à propos des résolutions, des études d’impact, du temps programmé – des solutions acceptables pour tous, pour l’opposition ou la majorité, où, de toute façon, à un moment ou à un autre, nous serons tous appelés à siéger ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean Glavany. Ce n’est pas du tout ce qu’il y a dans le texte !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Tel est, en tout cas, l’état d’esprit du Gouvernement. Nous souhaitons tous pouvoir avancer dans cette direction. Nous avons quatorze articles et des milliers d’amendements à examiner.

M. Arnaud Montebourg. Je demande la parole !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Attendez que j’aie fini, monsieur Montebourg !

M. Arnaud Montebourg. Je veux vous répondre tout de suite !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Laissez-moi au moins terminer !

M. Yves Censi. Il y a encore un président !

M. Arnaud Montebourg. Ne vous troublez pas, monsieur le secrétaire d’État !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Je suis imperturbable !

Les choses sont simples. Je le dis à M. Urvoas comme à l’ensemble du groupe socialiste : si, à propos d’amendements que vous estimez fondamentaux, vous apportez réellement des éléments de débat, nous sommes prêts à les écouter. Si vous arrivez avec vos 3 800 ou 4 000 amendements – je ne sais pas combien il en reste…

M. Arnaud Montebourg. Il en reste beaucoup moins !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Non : à l’origine, il y en avait 5 000 !

M. Henri Emmanuelli. Ce n’est pas le problème !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. On ne peut débattre du fond avec 3 800 amendements.

M. Jean Mallot. Vous allez voir, si ce n’est pas le fond !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Le fond, seules quelques dizaines d’amendements l’abordent, ceux que vous aviez évoqués lors de l’audition en commission des lois. C’est sur ces amendements que nous sommes prêts à discuter. Si ces éléments de fond sont noyés dans une masse informe, cela dilue le débat, cela trouble notre vision commune.

M. Henri Emmanuelli. Il va falloir qu’on trouve autre chose ! On trouvera !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Au-delà des clivages politiques, je propose que nous ayons une vision commune du travail parlementaire qui fasse de l’Assemblée nationale comme du Sénat des chambres pour lesquelles les Français auront le plus grand respect. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Patrick Roy. Carabistouilles !

M. Arnaud Montebourg. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement

M. le président. Monsieur Montebourg, je veux bien vous donner la parole si c’est un vrai rappel au règlement. Si c’est une réponse au Gouvernement, je vous couperai tout de suite la parole. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Henri Emmanuelli. On n’est pas à Nice, ici ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Yves Censi. Aucun respect !

M. le président. Monsieur Emmanuelli, je vous dispense de vos commentaires ! Nous sommes à l’Assemblée nationale, j’en ai bien conscience. Et vous devriez en avoir conscience, vous aussi.

Monsieur Montebourg, vous avez la parole.

M. Arnaud Montebourg. Monsieur le président, nous n’avons pas, mes collègues et moi-même, à justifier quelque demande de rappel au règlement que ce soit. Le secrétaire d’État vient de s’exprimer et l’opposition a des choses à lui dire : elle veut les dire devant l’opinion publique et devant la majorité. Devrais-je me justifier de lever misérablement la main pour avoir le droit de parler ?

M. le président. Je vous rappelle simplement, monsieur Montebourg, ce qu’est un rappel au règlement.

M. Jean Glavany. Ça augure bien de la suite !

M. Arnaud Montebourg. Monsieur le président, j’entre dans ma douzième année de présence à l’Assemblée nationale, et je sais très bien ce que c’est ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Maryse Joissains-Masini. Le temps ne fait rien à l’affaire !

M. le président. Et moi, cela fait vingt et un ans !

M. Manuel Valls. On ne dirait pas !

M. Arnaud Montebourg. Je voudrais remercier M. le secrétaire d’État d’avoir répondu à chacun des députés, en réservant une place particulière à certaines individualités du groupe UMP qui ont soulevé des problèmes que nous avons également évoqués, en commission comme dans l’hémicycle. Cela prouve bien qu’il est parfois nécessaire que nos débats se prolongent pour que la vérité commence à apparaître. Il est en effet possible que, parfois, l’opposition ait raison.

Je veux également le remercier d’avoir lancé un appel à la raison en considérant que chacun doit pouvoir s’y retrouver. Excellente initiative ! Nous aurions pu commencer par là, au lieu d’utiliser les armes du rationalisme parlementaire consistant à couper d’abord la parole, à couper le son, avant de commencer à discuter. Cela s’appelle l’exercice un peu désagréable du rapport de forces. Nous sommes des adultes, nous sommes capables de comprendre que l’intérêt général et notre intérêt commun sont dans l’avènement d’une démocratie modernisée. Nous l’avons suffisamment montré dans les phases préparatoires du débat.

Nous avons cependant, mes chers collègues, un point de désaccord important. Nous considérons qu’il n’y a pas de problème d’obstruction.

M. le président. Monsieur Montebourg, il n’est pas prévu que vous répondiez au Gouvernement. Je considère donc que votre rappel au règlement est terminé. Nous en venons à la motion de renvoi en commission. (Vives protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Arnaud Montebourg. Attendez, monsieur le président ! Je n’ai pas fini !

M. Jean-Jacques Urvoas. Rappel au règlement !

M. Manuel Valls. Suspension de séance !

M. le président. Non, messieurs : je vais donner la parole à M. Jean-Claude Sandrier, qui doit défendre la motion de procédure.

M. Manuel Valls. S’il en est ainsi, ça va mal se passer !

M. Jean Glavany. Vous cherchez les incidents, monsieur le président !

M. le président. Mes chers collègues, une suspension de séance vous aidera à recouvrer votre calme.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt-cinq, est reprise à dix-huit heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

Je souhaite, mes chers collègues, que le débat retrouve sa sérénité.

M. Jean Glavany. C’est de votre faute s’il l’a perdue !

M. le président. Je ne vous permets pas…

M. Jean Mallot. Il y a manière et manière !

M. Arnaud Montebourg. Pourquoi n’ai-je même pas pu finir ma phrase ?

M. le président. Écoutez, jusqu’à présent, tout s’est bien passé. Je souhaite que le débat retrouve son cours normal.

M. Jean Glavany. Mais c’est de votre faute !

M. Arnaud Montebourg. Quand on ne sait pas présider, on fait autre chose !

M. le président. Allons ! Vous le savez bien : lorsque la discussion générale est close et que le ministre s’est exprimé, nul ne peut plus répondre au Gouvernement.

M. Arnaud Montebourg. Ce n’était pas une raison pour me couper ainsi la chique !

M. le président. Monsieur Ayrault, vous qui êtes président de groupe, vous le savez aussi bien que moi.

M. Jean Mallot. Un peu de finesse ne nuit pas, tout de même !

M. le président. Nous allons donc poursuivre le débat et passer à la motion de renvoi en commission.

La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault. Je ne souhaite pas polémiquer avec la présidence.

M. le président. Ni moi avec vous.

M. Jean-Marc Ayrault. Cela étant, la demande d’intervention de M. Montebourg n’avait pas pour objet de répondre au ministre, mais simplement de proposer un commentaire en guise de conclusion. Un peu de souplesse, de grâce, et les choses se passeront mieux : nous aurions ainsi pu éviter cette suspension de séance. Telle est l’observation que je tenais à vous soumettre au nom de mon groupe.

Écoutons maintenant M. Sandrier, qui défend une cause que nous partageons.

Motion de renvoi en commission

M. le président. J’ai reçu de M. Jean-Claude Sandrier et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 7, du règlement.

La parole est à M. Jean-Claude Sandrier.

M. Jean-Claude Sandrier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’ État, mes chers collègues, la réforme constitutionnelle de juillet dernier a été l’objet, chacun s’en souvient, de très vifs débats : l’adoption de ce texte allait-elle vraiment dans le sens d’un rééquilibrage de nos institutions et du renforcement des pouvoirs du Parlement ou, au contraire, assistions-nous à un jeu de bonneteau institutionnel visant à nous faire prendre des vessies pour des lanternes ?

Le premier et le seul mérite du projet de loi organique dont nous abordons l’examen est de lever toute ambiguïté sur les intentions initiales du Gouvernement et de sa majorité, à tel point que l’éminent professeur Carcassonne, membre de la commission Balladur, a pris quelque distance avec ce qu’il appelle leurs « bévues » – bévues qui sont en fait des choix politiques, déjà inscrits dans le texte même de la révision de la Constitution.

Nous étions donc fondés, dès l’origine, à dénoncer le véritable leurre que constituait la réforme constitutionnelle au regard de son objectif affiché : donner davantage de pouvoir au Parlement. Nous affirmions – et ce projet de loi organique nous le confirme – que, loin de revaloriser les droits du Parlement, votre réforme allait accentuer un peu plus les déséquilibres de notre régime politique au profit du Président de la République. Au fond, le cœur de votre réforme a consisté à offrir au Président de la République, dans notre loi fondamentale, la possibilité nouvelle de dicter ses projets directement au Parlement, et de placer de facto ce dernier dans une situation de soumission institutionnelle. Tout le reste se résumait à une accumulation d’artifices cosmétiques visant à rendre moins apparente la dérive présidentialiste à l’œuvre : une sorte de miroir aux alouettes.

À quoi se résumaient en effet les avancées en faveur du Parlement ? À quelques mesures favorables pour l’essentiel au parti majoritaire, et dont la portée reste mineure au regard de ce que devrait être une grande avancée démocratique en matière de droits du Parlement. De surcroît, ces mesures se paient de contreparties inacceptables en matière de respect du pluralisme démocratique et de reconnaissance des droits de l’opposition ; pire, ces mesures ignorent tout des questions essentielles auxquelles notre démocratie représentative se heurte – de la juste représentation de notre peuple aux pouvoirs réels reconnus aux députés en matière financière et budgétaire.

J’aborderai successivement les trois principaux chapitres du projet de loi organique, qui donnent la mesure des dangereuses dérives que ce texte propose de valider, dans le prolongement des dispositions constitutionnelles adoptées en juillet, par construction moins explicites.

Le chapitre 1er regroupe les dispositions de caractère organiques précisant les modalités d’application du nouvel article 34-1 de la Constitution, lequel prévoit que les assemblées « peuvent voter des résolutions ». Qu’en est-il exactement de ce soi-disant nouveau pouvoir accordé au Parlement ? La possibilité offerte aux parlementaires de débattre de propositions de résolutions honore la fonction tribunitienne qu’ont toujours exercée les assemblées représentatives dans les régimes démocratiques. Néanmoins, les conditions de mise en œuvre de l’exercice de cette fonction sont telles que les chances de mise en débat des propositions de résolution présentées par les groupes d’opposition relèvent au mieux du jeu de hasard. Il s’agit en fait de reconnaître un droit formel à débattre, mais, de telle sorte que ce débat demeure sans conséquence législative. Vous qui êtes en apparence si soucieux de l’utilité du temps de débat, vous devriez vous interroger sur la pertinence d’un exercice totalement formel et improbable pour l’opposition.

À l’occasion de la réforme constitutionnelle, nous avions souligné le déséquilibre exorbitant des pouvoirs en faveur de l’exécutif, qui n’a cessé de s’aggraver au cours de ces dernières décennies – notamment à la faveur d’une dégradation de la condition juridique de la loi et de l’émergence de notions telles que la gouvernance, qui trahissent l’affirmation du primat du droit sur la loi et du primat de l’approche proprement technicienne du travail politique sur les exigences du débat et de l’expression démocratique.

En séparant la notion de débat parlementaire de celle de délibération à caractère législatif, vous entérinez cette dangereuse évolution en accompagnant désormais la dégradation de la condition juridique de la loi d’une dégradation de la condition normative du débat parlementaire. Chacun est donc conduit à s’interroger sur la portée qu’auront réellement les résolutions adoptées, sachant que le Gouvernement ne sera entendu, en l’espèce, qu’à sa propre demande et surtout qu’il pourra s’opposer à tout moment, conformément au second alinéa de l’article 34-1 de la Constitution, à l’examen d’une proposition de résolution qu’il estimerait mettre en cause sa responsabilité ou contenir une injonction à son égard.

Autant dire que, dans les faits, notre Assemblée n’aura à connaître et à débattre que des seules propositions de résolutions agréées par le Gouvernement, ou de celles qu’il juge assez inoffensives pour ne pas contrarier ses propres objectifs – y compris en termes de communication – ou troubler l’opinion publique. Est-ce œuvrer dans le sens du renforcement des pouvoirs du Parlement, et singulièrement des pouvoirs de l’opposition ? Il est permis d’en douter ; disons même qu’il faudrait être bien naïf pour le croire !

Quid de la possibilité pour les parlementaires de l’opposition de disposer d’un véritable droit d’initiative, tant au plan législatif que sur les procédures de contrôle telles que la création de commission d’enquête, l’audition des ministres ou la saisine de la Cour des comptes ? Cela supposerait un tel renforcement des moyens des commissions et des groupes, afin qu’ils puissent exercer un contrôle parlementaire effectif, que ces droits risquent de rester bien théoriques.

J’en viens au second chapitre de votre projet de loi organique qui, cette fois, rassemble les mesures visant les nouvelles dispositions des troisième et quatrième alinéas de l’article 39, c’est-à-dire les nouvelles règles régissant la présentation des projets de loi. Ce chapitre est le moins polémique de tous et comporte quelques améliorations et précisions, essentiellement de nature technique. Qui pourrait bien s’opposer, en effet, à ce que les projets de loi soient précédés de l’exposé de leurs motifs, ou à ce qu’ils soient désormais accompagnés des documents rendant compte des travaux d’évaluation préalablement réalisés ? Certes, nous aurions souhaité que le texte du projet de loi organique soit plus rigoureux et plus précis, s’agissant de la teneur des évaluations en question. Reste que ces mesures vont dans le bon sens : celui d’une meilleure information du Parlement sur la portée des réformes envisagées par l’exécutif.

En revanche, nous sommes beaucoup plus circonspects quant à l’article 10, qui dresse l’inventaire des catégories de projets de loi pour lesquels le dépôt de documents d’évaluation n’est pas obligatoire. En particulier, il nous est difficile d’accepter que tant les projets de loi de programmation que les projets de loi de ratification échappent à la règle.

En tout état de cause, nous pourrions estimer que cet article est de nature à inciter le Gouvernement à contourner la procédure législative par la voie du recours à l’ordonnance plus fréquemment encore qu’il ne le fait déjà. Le recours à l’ordonnance constitue l’une des anomalies issues de l’excessive rationalisation de l’activité parlementaire – une anomalie à laquelle la réforme constitutionnelle de juillet dernier n’a pas apporté de réponse, pas plus qu’elle n’a abordé les enjeux décisifs que sont la suppression de l’article 40, celle de la procédure du vote bloqué ou celle de l’article 49-3.

De façon plus générale, les dispositions de l’article 7 du projet de loi organique revêtent à nos yeux un caractère trop peu contraignant. Dans les faits, le pouvoir exécutif aura tout loisir d’échapper aux dispositions qui le contraignent à porter à la connaissance du Parlement les documents d’évaluation utiles, et ce soit en recourant à la procédure des ordonnances, qui demeure trop peu encadrée, soit par la voie des modifications apportées aux règles de fixation de l’ordre du jour, qui vont permettre à l’exécutif de « faire porter » un nombre croissant de projets de loi par les parlementaires issus de groupes appartenant à la majorité, chargés de les déposer sous forme de propositions de loi.

C’est pourquoi nous proposerons, entre autres, et si la présente demande de renvoi en commission n’est pas adoptée, de soumettre à l’avenir les propositions de loi déposées par des parlementaires appartenant aux groupes de la majorité aux règles d’évaluation prévues à l’article 7.

M. Roland Muzeau. Très bien !

M. Jean-Claude Sandrier. Abordons pour finir le chapitre sans doute le plus contesté de ce projet de loi : celui qui concerne les dispositions organiques relatives à l’application du premier alinéa de l’article 44 de la Constitution, à savoir les modalités d’exercice du droit d’amendement. Rappelons en effet que la réforme constitutionnelle est venue ajouter une phrase à ce premier alinéa, lequel ne se borne plus à disposer que « les membres du Parlement et le Gouvernement ont le droit d’amendement », mais précise désormais que « ce droit s’exerce en séance ou en commission selon les conditions fixées par les règlements des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi organique ».

C’est ce fameux cadre que fixent les trois derniers articles de votre projet de loi. Qu’en dire, sinon que ces articles nous éclairent sur ce que nous avions déjà dénoncé lors de l’examen du projet de loi constitutionnelle : votre volonté, au prétexte d’un prétendu renforcement des droits du parlement, de museler l’opposition ?

En effet, le droit d’amendement est aujourd’hui la forme d’expression principale du droit d’initiative des députés : jusqu’à présent, plus de 20 000 amendements étaient ainsi déposés chaque année.

Partagé avec le Gouvernement, ce droit – déjà très encadré, rappelons-le – reste dans le principe libre et illimité. C’est un droit individuel, que chaque député peut exercer en son nom propre, en sa qualité de représentant de la nation.

Les plus importantes de ces restrictions portent actuellement sur la recevabilité financière – article 40 –, et législative : les amendements doivent relever du domaine de la loi. Cette dernière restriction a d'ailleurs été encore renforcée par l'article 41, alinéa 1, de la Constitution révisée.

Il existe bien entendu, d'autres restrictions, celles portant en particulier sur les délais de dépôt, qui ont considérablement évolué. Alors que les députés pouvaient déposer des amendements jusqu'au début de la discussion générale, ils doivent le faire désormais au plus tard la veille du débat à dix-sept heures. Le Gouvernement peut, quant à lui, déposer à tout moment des amendements, demander un nouveau vote sur un article si un amendement est adopté contre sa volonté. Le Gouvernement peut, dans le même esprit, s'opposer à la discussion des amendements qui n'ont pas été soumis à la commission saisie au fond.

Cette arme de procédure n'est généralement pas utilisée, mais, au total, cela témoigne du déséquilibre entre les droits consentis aux députés, notamment ceux qui appartiennent de fait à l'opposition, d'une part, et au pouvoir exécutif, d'autre part. Un déséquilibre que vous nous proposez d'abord de confirmer avec les dispositions de l'article 11, puis d'accentuer dans des proportions invraisemblables au moyen des articles 12 et 13.

Vous proposez en effet un dispositif inédit : un amendement pourra être mis aux voix sans discussion, au nom du respect des délais préalablement fixés pour l'examen d'un texte, ou purement et simplement déclaré irrecevable en séance publique, si devait être instituée la procédure d'examen simplifié.

Certes, nous sommes renvoyés ici à la future réforme des règlements de l'Assemblée et du Sénat. Il reste que votre texte pose clairement le principe de l'inscription des débats parlementaires dans un temps contraint, qui va de fait limiter, sinon vider de son contenu, le droit d'amendement, dans son exercice tant collectif qu'individuel. Or le droit d'amendement est la seule arme dont dispose l'opposition pour s'opposer, c'est-à-dire pour exercer le rôle de contre-pouvoir et de garant du pluralisme qui est le sien dans toute démocratie. Ce droit fondamental, démocratiquement vital, vous entendez le réduire à un droit formel.

Les députés pourront certes déposer des amendements, et même autant qu'ils le souhaitent, mais n'auront pas nécessairement la possibilité de les défendre individuellement en séance publique. Cette restriction a déjà commencé d’être appliquée avec l’examen de ce texte et ira beaucoup plus loin…

Pour contrer les objections de l'opposition, vous invoquez essentiellement deux arguments. Malheureusement, ni l'un ni l'autre ne sont recevables.

Le premier consiste à affirmer qu'il serait possible de limiter la durée des discussions, car le projet de loi discuté en séance publique serait celui amendé par la commission. Cela pose une question de fond, qui a déjà été évoquée : depuis quand le travail d'une commission remplace-t-il celui d'une assemblée plénière ? Quel pouvoir a une commission, de quelque assemblée que ce soit ? Aucun ! Le pouvoir appartient totalement à l'assemblée réunie en séance plénière, c'est-à-dire en présence de tous les députés qui souhaitent y assister, et publique, comme l’impose notre démocratie. Donc, le vrai débat doit avoir lieu dans l'hémicycle. Rien ni personne ne doit pouvoir l’édulcorer, le limiter ou le censurer. Que vous le vouliez ou non, même si vous contestez que ce soit votre objectif, procéder autrement qu’en laissant aux députés la liberté de parole dans l’hémicycle est une atteinte à la démocratie.

M. Patrick Roy. Eh oui !

M. Jean-Claude Sandrier. Le débat en commission peut être technique ; dans l'hémicycle, et conformément au mandat que chacun a reçu de ses électeurs, il doit être technique et politique.

Le second argument que vous avancez concerne l'obstruction. Il n'est pas plus recevable que le premier. Je n'ai pas besoin de multiplier les exemples démontrant le contraire, puisqu’ils ont été très nombreux depuis hier. Je veux simplement rappeler ce que vous disiez, monsieur le secrétaire d’État, dans le journal Les Échos du 23 décembre dernier. D'un côté, vous vous plaigniez de l'obstruction de l'opposition mais, deux colonnes plus haut, vous vous vantiez – à juste titre – d'avoir fait adopter en un an pas moins de cinquante-quatre projets et propositions de loi ce qui représente un texte et demi par semaine de session effective ! Je pense que vous avez même battu un record ! Et vous venez aujourd’hui nous parler d’obstruction : ce n’est pas sérieux ! Comment pouvez-vous affirmer que nous vivons sous le règne permanent de l'obstruction parlementaire ?

En vérité, au prétexte d’une lutte contre l'obstruction, nous assistons à un grave recul de nos institutions démocratiques. À l'heure où la majorité de nos concitoyens réclament davantage de démocratie et veulent être mieux associés aux décisions qui les concernent, où ils réclament avec toujours plus d'insistance que leurs représentants fassent leur travail, vous proposez, au nom d'un principe d'efficacité purement technocratique, qu'ils ne puissent plus, demain, délibérer et critiquer librement.

L'exigence démocratique requiert pourtant plus que jamais que soient levés les nombreux obstacles au débat et au travail parlementaire, qui ont contribué à faire du Parlement une simple chambre d'enregistrement. L'existence du débat parlementaire est une garantie constitutive de toute démocratie. Par-delà le renforcement des pouvoirs de contrôle du Parlement, qui doivent pouvoir être exercés par toutes les composantes des assemblées dans leur diversité, il est indispensable de permettre à chaque député, à chaque groupe de la majorité ou de l'opposition d'exercer pleinement la fonction législative qui est la sienne.

L'opposition ne peut remplir sa fonction que par la voie du droit d'amendement. Par-delà tous les clivages politiques, l'opposition d'aujourd'hui étant la majorité de demain et inversement, il importe au premier chef de garantir l'effectivité du droit d'amender et de la mise en discussion des amendements. Nous proposons donc qu'un travail collectif s'engage – vous avez semblé faire un premier geste à l’égard de l’UMP –, pour qu'ensemble nous puissions parvenir à un consensus large sur la rédaction des articles 12 et 13 du projet de loi, dont ni la lettre ni l'esprit ne sont actuellement acceptables. Nous sommes porteurs de propositions. Nous avons déposé un certain nombre d'amendements visant à mieux encadrer le recours aux procédures simplifiées en le soumettant à l'approbation de l'ensemble des présidents de groupes, et à préserver l'exercice du droit d'amendement sans faire droit à l'obstruction.

Nous souhaiterions que la commission se donne le temps du travail parlementaire, loin des pressions élyséennes : tel est le sens de notre demande de renvoi en commission. Nous savons que nous avons peu de chances d'être entendus, car vos propositions s'inscrivent, de fait, dans la logique voulue par le chef de l'État, celle d'une offensive du pouvoir exécutif et de la majorité pour contrôler tous les pouvoirs : judiciaire, médiatique et législatif.

M. Patrick Roy. Eh oui !

M. Yves Nicolin. Fantasme !

M. Jean-Claude Sandrier. Devant une situation marquée par la multiplication des reculs sociaux, par la volonté de faire payer à nos concitoyens la crise du système qui a creusé les inégalités d'une façon scandaleuse, le pouvoir cherche à contrer toute velléité de s'opposer à sa politique ; une politique qui accroît sa pression sur les salariés et les services publics, tout en accordant les plus grandes largesses au monde financier et aux actionnaires des entreprises du CAC 40.

Ce qui est en jeu derrière ce débat sur le pouvoir législatif, ce n'est pas un problème de règlement intérieur, mais un problème de démocratie. Et il concerne tous nos concitoyens. Une régression n’est pas plus justifiable en matière de démocratie et de liberté qu’en matière sociale.

Je vous propose en conséquence d'adopter la présente demande de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Warsmann, président et rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Jean-Luc Warsmann, président et rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. J’ai écouté attentivement la défense de cette motion de renvoi. Je tiens donc à rappeler que la commission a travaillé très sérieusement sur le projet de loi. Nous avons commencé par une audition de M. le secrétaire d’État, au cours de laquelle chacun a pu s’exprimer. Nombre de parlementaires qui ne sont pas membres de la commission nous ont fait l’honneur d’être présents, dont des présidents d’autres commissions et des présidents de groupe. L’audition a duré environ deux heures et demie et a permis à toutes celles et ceux qui voulaient intervenir de le faire. Ensuite, nous nous sommes réunis pendant plus de trois heures, un mercredi matin, pour traiter de l’ensemble du texte et adopter une cinquantaine d’amendements. Enfin, la commission s’est réunie au titre de l’article 88.

Je veux dire au président Sandrier que les amendements adoptés par la commission répondent à nombre de ses questions. Il aura ainsi satisfaction sur les limitations et les exclusions, qu’il estime trop importantes, relatives aux études d’impact. Il a fortement critiqué l’article 12 du projet de loi : un amendement de la commission lui donnera également satisfaction. Il a fait des suggestions en matière d’utilisation des ordonnances. Je rappelle que, lors de la révision constitutionnelle, nous avons fait un grand pas en avant. La ratification d’une ordonnance ne pourra plus passer inaperçue, puisque les lois de ratification devront être expressément discutées par notre assemblée et seront soumises au dispositif d’étude d’impact.

Évidemment, il reste des sujets de divergence entre nous. Mais un certain nombre d’amendements adoptés par la commission vont dans le sens que vous souhaitez, monsieur Sandrier, et j’espère que vous les soutiendrez.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, la commission vous appelle à rejeter cette motion de renvoi.

M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !

M. le président. Dans les explications de vote sur la motion de renvoi en commission, la parole est à M. Marc Laffineur, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Marc Laffineur. « En réalité, cette réforme s’est attelée à revaloriser les pouvoirs du Parlement et à donner des droits nouveaux aux citoyens. Sur bien des points, la réforme proposée apporte des réponses, certes perfectibles, mais attendues depuis de nombreuses années par de nombreux parlementaires. » Ce sont Manuel Valls, Gaëtan Gorce, Christophe Caresche et Jean-Marie Le Guen qui ont écrit ces phrases. Cela montre que la réforme constitutionnelle est attendue par tout le monde, depuis longtemps et sur tous les bancs de cette assemblée. Cette loi organique va permettre de renforcer les pouvoirs du Parlement, que ce soit par le droit de résolution, par le délai de six semaines entre le dépôt de la loi et la discussion en séance publique ou encore par la limitation du recours à l’article 49-3.

Il s’agit d’une réforme extrêmement importante. Le groupe UMP est donc pressé de débattre de ce texte et votera contre le renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Sur le vote de la motion de renvoi en commission, je suis saisi par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à M. Patrick Roy, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Patrick Roy. Vous ne serez pas surpris si je vous dis que notre groupe votera évidemment cette motion de renvoi en commission brillamment défendue par notre ami Jean-Claude Sandrier.

Nous entamons la discussion de ce texte liberticide dans un contexte qui nous inquiète passablement. En effet, depuis plusieurs mois – et cela semble même s’accélérer depuis quelques semaines – il règne, en France, un climat d’hostilité à la République et à l’échange entre les uns et les autres. Mon ami Arnaud Montebourg a employé le bon mot lorsqu’il a parlé de « poutinisation » rampante. Je tiens à lui rendre hommage pour la justesse de ce point de vue.

Je prendrai trois exemples malheureusement récents. Il y a d’abord eu la décision de laisser désigner par le Président de la République le futur président de France Télévisions. Toutes les démocraties du monde refusent de suivre ce chemin. C’est un retour en arrière, une véritable régression démocratique. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) La population s’en rend d’ailleurs compte et désapprouve.

Il y a eu ensuite l’annonce, voici quelques jours, de la disparition du juge d’instruction, laquelle inquiète beaucoup. Y aura-t-il bien dorénavant une séparation entre les pouvoirs ? Rien n’est moins sûr.

Enfin, nous discutons aujourd’hui de la limitation du droit d’amendement qui, c’est le moins que l’on puisse dire, n’est pas une avancée démocratique.

Il y a là un double langage insupportable que ce soit dans le domaine économique et social ou en matière de libertés. Ainsi, on vient de nous affirmer de nouveau qu’une loi renforcerait le pouvoir du Parlement alors qu’en fait, le Parlement se trouve bâillonné. On ne peut tenir des propos contraires à la réalité. Le Parlement est bâillonné, cela a été dit pendant la discussion générale, répété par Jean-Claude Sandrier et combattu avec force par le président Ayrault très présent, comme à son habitude. Le droit individuel des parlementaires se trouve à l’évidence bafoué.

Vous savez fort bien que nous avons raison, et cela vous gêne. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Vous utilisez alors des arguments fallacieux. Vous passez, par exemple, un clip en boucle. Vous extrayez du débat parlementaire les moments d’humour, d’ailleurs bien utiles. Je suis de ceux qui pensent que nous avons besoin, au cours de débats sérieux, de quelques petites respirations. Quand un parlementaire socialiste parisien – M. Bloche – évoque le canard Saturnin, c’est un instant d’humour absolument indispensable à la bonne marche de nos travaux. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Mais, en mettant en boucle ces moments de détente, vous travestissez la réalité et vous laissez croire à la population que nous ne faisons que parler, heure après heure, de Saturnin ou de Pimprenelle ! Ce procédé fallacieux ne fait pas honneur à la démocratie ! (Exclamations sur les mêmes bancs.)

M. le président. Un peu de calme, mes chers collègues !

M. Patrick Roy. De tels agissements de la part du groupe UMP nous mettent en colère ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Notre groupe votera donc le renvoi en commission et continuera à être extrêmement combatif face à ce texte liberticide ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Roland Muzeau. La réforme constitutionnelle, telle qu’elle a été adoptée, renforce – nous le pensons au même titre que de nombreux observateurs de la vie politique – la prééminence du Président de la République et réduit malheureusement le Premier ministre au rôle de factotum. De fait, le prétendu renforcement des pouvoirs du Parlement ne limitera qu’accessoirement les possibilités d’action du Gouvernement, placé sous tutelle, nous le constatons chaque jour, du Président de la République. Il ne s’agira pas d’un renforcement du Parlement, mais d’un renforcement de la majorité parlementaire.

Observons également que les nouveaux pouvoirs du Parlement ont été quasi exclusivement réservés à sa mission de contrôle. La réforme constitutionnelle a ainsi entériné le fait que le pouvoir normatif du Parlement était devenu secondaire.

La quintessence de l’opposition – le pouvoir de s’opposer – est désormais niée. La fonction d’opposition n’a été à aucun moment revalorisée, au contraire elle a été muselée. Le choix de débattre sur le texte de la commission et de limiter les débats en séance en sont l’exemple le plus frappant.

Vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, la dose fait le poison et le diable se cache dans les détails. C’est pourquoi nous avons examiné très attentivement ce texte de loi.

L’opposition, avec son nouveau statut découlant de la réforme constitutionnelle, se devra désormais d’accompagner l’exercice du pouvoir sans être véritablement en mesure de s’y opposer. De même, le groupe de travail sur la réforme du règlement nous invite à une démarche similaire. En effet, sous prétexte de lui conférer de nouveaux pouvoirs, on discrédite l’opposition dans ce qui fait sa dénomination et sa quintessence : le pouvoir de s’opposer. L’opposition se doit désormais d’être raisonnable, d’adopter une attitude constructive, sans d’ailleurs que lui en soient donnés les moyens.

Le glissement est perceptible dans les propos tenus par la commission Warsmann : « Un tel statut implique évidemment, en premier lieu, la reconnaissance des droits de l’opposition, mais également, en contrepartie, de ses devoirs, qui sont d’accepter la loi majoritaire, ce qui pose notamment la question de l’obstruction, et surtout de demeurer dans le cadre démocratique… » L’obstruction parlementaire, souvent présentée par les constitutionnalistes comme la seule véritable capacité de nuisance de l’opposition, est donc condamnée. À l’opposition d’assurer un fonctionnement harmonieux des institutions et à elle d’assumer la responsabilité d’un échec. C’est une injonction à la collaboration, à la co-élaboration de textes que, par ailleurs, nous sommes censés ne pas accepter dans un certain nombre de cas, nombreux ces derniers temps.

Le débat sur le texte de la commission et le droit d’amendement confirme que de nombreuses questions ne sont pas réglées. Ainsi, en réponse à M. Mariton sur le droit d’amendement de chaque député, vous venez de répondre, monsieur le secrétaire d’État, que le député en désaccord avec la position de son groupe pourra défendre son amendement. Cette réponse étonnante n’est pas recevable, chacun en conviendra aisément.

D’autres questions nombreuses restent en suspens : par exemple, les modalités d’intervention du Gouvernement en commission,…

M. Jean-François Copé. C’est une explication de vote ?

M. Roland Muzeau. Monsieur Copé, vous venez d’arriver, vous pouvez patienter cinq minutes !

M. Arnaud Montebourg. Il n’est jamais là !

M. Roland Muzeau. … la possibilité ou non pour le Gouvernement de demander un examen de son texte initial en lieu et place du texte remanié par la commission, la prise en compte des travaux des commissions saisies pour avis et des amendements des parlementaires qui ne sont pas membres de la commission. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-François Copé. Non, décidément, ce n’est pas une explication de vote !

M. Roland Muzeau. Monsieur le président, vous présidez toujours ? J’ai le droit de m’exprimer cinq minutes !

M. le président. M. Muzeau a seul la parole ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Henri Emmanuelli. L’UMP fait de la provocation, monsieur le président !

M. le président. Monsieur Emmanuelli, M. Muzeau n’a pas besoin d’un avocat !

Poursuivez, monsieur Muzeau. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Et calmez-vous, mes chers collègues ! Ne cherchez pas le moindre prétexte !

M. Roland Muzeau. Comment le parlementaire pourra-t-il légiférer sur l’ensemble des textes ? (Bruit sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Pour la dernière fois, n’empêchez pas votre collègue de s’exprimer !

M. Roland Muzeau. Les commissions se réuniront de fait en même temps pour étudier des textes différents, lesquels ne seront examinés conjointement que lorsque l’Assemblée en débattra en séance ; il ne sera alors plus possible de présenter des amendements.

La fixation de l’ordre du jour, le vote des résolutions par les assemblées, les débats thématiques, la procédure accélérée, la définition du fameux concept d’opposition et de celui de minorité, tous ces points demeurent sans solution. De plus, les déclarations de M. le secrétaire d’État, même si elles sont quelquefois rassurantes, justifient pleinement cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur la motion de renvoi en commission.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

(La motion de renvoi en commission n’est pas adoptée.)

(Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Avant d’aborder l’examen des articles, nous allons nous interrompre quelques instants.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures dix, est reprise à dix-neuf heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean Mallot, pour un rappel au règlement.

M. Jean Mallot. Monsieur le président, nous allons aborder la discussion des articles et je vois que les amendements sont toujours en cours de distribution. Tous nos collègues ne les ont pas encore en main.

M. le président. C’est pour cette raison que j’ai suspendu la séance.

M. Jean Mallot. Il est important que nous disposions de tous les éléments afin que nos débats soient fructueux, et je sais que vous y veillez.

La plupart des amendements déposés ont été examinés et soumis au vote en commission avant de venir en séance publique. Pourtant, le président Accoyer a décidé de déclarer irrecevables 1 015 d’entre eux, invoquant l’article 127, alinéa 3, de notre règlement, afin qu’ils ne viennent pas en discussion dans cet hémicycle.

Bien évidemment, nous avons eu l’occasion d’exprimer notre désaccord. Vous en conviendrez, il n’est pas possible de travailler convenablement sans avoir obtenu des clarifications à ce sujet : si, comme nous le pensons, la procédure utilisée par le président Accoyer était viciée, c’est toute la valeur de nos travaux qui serait mise en cause, ce que personne ici ne souhaite.

Nous vous demandons d’abord, monsieur le président, de nous faire connaître les précédents historiques qui fondent cette décision, c’est-à-dire de nous préciser quand cet article 127, alinéa 3, aurait été utilisé pour déclarer irrecevables autant d’amendements au motif qu’ils n’étaient pas conformes au caractère organique du texte. Ces précédents, d’après nous, n’existent pas. En effet, ceux que nous connaissons portent sur des amendements isolés pour lesquels le président avait pu donner, à chaque fois, les éléments sur lesquels il s’appuyait pour faire usage de cet article.

Ensuite, nous vous demandons un état précis, détaillé, des amendements aujourd’hui déclarés irrecevables, car nous ne savons plus lesquels sont encore en discussion et lesquels ne le sont plus.

Enfin, comment peut-on déclarer que des amendements collectivement considérés entacheraient le texte au motif qu’ils n’auraient pas un caractère organique, dans la mesure où le texte lui même comporte, dans sa quasi-totalité voire dans sa totalité, des dispositions qui ne relèvent pas d’une loi organique ? Nous sommes donc dans une situation absurde et, à cet égard, le président Accoyer porte une lourde responsabilité.

Je le répète, les amendements que nous avons présentés et discutés en commission ont un lien évident avec le texte, ce que personne n’a contesté. Pourquoi ces amendements ne seraient-ils pas discutés en séance ? Voilà qui est contraire à ce qui avait été affirmé lors de la révision constitutionnelle de juillet dernier, le président Accoyer étant venu lui-même, à une heure avancée de la nuit, expliquer à l’Assemblée que tout amendement discuté en commission le serait également dans l’hémicycle et qu’il ne serait aucunement porté atteinte au droit d’amendement.

Monsieur le président, nous vous demandons à nouveau un rapport détaillé sur le devenir de ces amendements et nous souhaiterions savoir pourquoi ils ont été écartés. Je pense, et je le dis avec une certaine solennité, que M. Accoyer a opéré un coup de force et porté gravement atteinte à notre droit d’amendement et, d’une certaine façon, à sa fonction. (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean Glavany. Il a raison !

M. Jean Mallot. Il en prendra conscience dans les heures qui viennent.

M. le président. Monsieur Mallot, il faut conclure. Votre temps de parole est écoulé.

M. Jean Mallot. Si le président Accoyer maintenait sa position sans l’avoir, à aucun moment, justifiée valablement, il en porterait la responsabilité devant l’histoire (« Oh là là ! » sur les bancs du groupe UMP),...

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Tout ce qui est excessif est insignifiant !

M. Jean Mallot. ...et il perdrait toute crédibilité. Ce serait, et nous aimerions le lui éviter, sa tunique de Nessus ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Charles de La Verpillière. Ce n’est plus de l’emphase, c’est de l’enflure !

M. le président. Monsieur Mallot, cette question a déjà été posée une dizaine de fois,...

M. Yves Durand. Et la réponse ?

M. le président. ...y compris au président de l’Assemblée nationale. Je vous renvoie donc à sa réponse.

M. Jean-Claude Lenoir. Il fallait être là hier !

M. Jean Glavany. Le fait qu’il ne nous réponde pas montre bien la façon dont il nous respecte !

M. le président. La parole est à M. Yves Durand, pour un rappel au règlement.

M. Yves Durand. Monsieur le président, vous avez raison de dire que la question a été posée à plusieurs reprises, mais nous serons dans l’obligation de la poser à nouveau tant que nous n’aurons pas obtenu de réponse claire. Le manque de réponse juridiquement fondée créerait en effet un précédent qui entacherait pour l’avenir l’ensemble des travaux de notre assemblée. Cela permettrait à tout président de décider, au début de la discussion générale, que tel ou tel amendement pourrait ne pas être discuté en séance publique alors qu’il aurait été examiné en commission. Ce serait un véritable coup de force !

En ne nous donnant pas de réponse alors que nous l’attendons depuis le début de l’examen de ce texte, le président porterait une terrible responsabilité devant cette assemblée.

M. Jean Glavany. Ce serait le discrédit !

M. Yves Durand. Nous serions alors dans l’obligation de dénoncer ce coup de force.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Le respect du règlement n’est pas un coup de force mais un devoir pour chacun !

M. Yves Durand. Nous ne pouvons pas commencer raisonnablement la discussion des articles sans savoir pourquoi, par quel miracle, 1 015 amendements ont été déclarés irrecevables.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Le président Accoyer l’a expliqué hier !

M. Yves Durand. Les raisons qui nous ont été données sont hautement contestables et ne tiennent pas, ni par rapport à la Constitution, ni par rapport au règlement lui-même.

Voilà pourquoi, monsieur le président, je vous demande d’intervenir auprès de M. Accoyer pour qu’il nous fournisse cette réponse avant que nous ne commencions la discussion des articles. Nous voulons sortir de l’obscurité. Nous souhaitons que le débat soit clair et transparent, car il s’agit d’un texte fondamental pour les droits du Parlement.

M. le président. Monsieur Durand, je vais vous répondre.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Ce n’est pas la peine puisque le président Accoyer l’a fait hier !

M. le président. Eh bien, nous allons recommencer, pour que l’argumentation soit bien claire aux yeux de tous.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Vous êtes bon !

M. le président. Nous sommes dans le cadre de la discussion de la loi organique. Or les amendements dont il est question ne sont pas du ressort d’une loi organique.

M. Jean-Marc Ayrault. Qui en juge ? C’est vous qui le dites !

M. le président. Pour que la position du président Accoyer soit bien claire, je vais vous donner lecture du communiqué de presse signé par lui et qui a été diffusé hier :

« Le président de l’Assemblée nationale a pour mission de veiller au respect de la Constitution et du règlement et peut refuser le dépôt d’amendements qui leur sont contraires.

« En vertu de ce pouvoir, M. Bernard Accoyer a déclaré irrecevables 1 015 amendements sur le projet de loi organique relatif à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.

« Une partie de ces amendements, 433, sont manifestement contraires à l’alinéa 3 de l’article 127 du règlement, qui interdit d’introduire dans un projet de loi organique des dispositions ne revêtant pas de caractère organique.

« D’autres, 577, attribuent des droits spécifiques à des députés en fonction de leur circonscription d’élection et sont donc contraires au principe constitutionnel selon lequel les députés représentent la nation tout entière et non la population de leur circonscription, et sont donc inconstitutionnels.

« Le dépôt de cinq autres amendements a également été refusé car ils empiètent sur les prérogatives constitutionnelles du Gouvernement, notamment en lui adressant des injonctions caractérisées.

« Le nombre d’amendements recevables sur le projet de loi organique s’élève à 3 875, dont 3 718 déposés par le groupe SRC et 3 489 amendements identiques ou répétitifs. »

Je crois, monsieur Mallot et monsieur Durand, avoir répondu à votre question. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Absolument !

M. le président. Je vais maintenant appeler, dans le texte du Gouvernement, les articles du projet de loi organique.

M. Jean-Jacques Urvoas. Monsieur le président, je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. Daniel Fasquelle. Cela s’appelle de l’obstruction !

M. le président. Non, monsieur Urvoas. Les rappels au règlement sont maintenant superfétatoires. Je crois que nous avons eu les explications nécessaires.

Je ne suis pas obligé d’accepter toutes les demandes de rappel au règlement. Nous en avons déjà eu deux qui étaient identiques, et j’y ai répondu.

La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, je pense que le communiqué de presse ne répond pas à la question que nous avons posée. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Daniel Fasquelle. Obstruction !

M. le président. Au contraire, il y répond très clairement, sauf à être de mauvaise foi !

M. Jean-Marc Ayrault. J’ai demandé hier un rapport sur l’application de l’article 127, en rappelant – de mémoire, mais je peux me tromper – que l’application de cet article avait été extrêmement rare, du moins depuis que je suis parlementaire.

J’ai demandé au président de l’Assemblée nationale de nous indiquer sur quelle jurisprudence il s’appuyait, mais il a été incapable de me répondre. Et il semble que l’administration n’ait pas été en mesure d’apporter la réponse que nous avions sollicitée.

Ce que j’ai demandé est extrêmement précis : c’est une analyse de tous les amendements qui ont été déclarés irrecevables en vertu d’une décision du président de l’Assemblée nationale prise en application de l’article 127.

Si vous disposez d’un tel rapport, texte par texte et amendement par amendement, je vous demande, monsieur le président, de le rendre public et, dans le cas contraire, de bien vouloir le faire réaliser.

En tout état de cause, je demande une suspension de séance afin de réunir mon groupe.

M. Daniel Fasquelle. Quelle honte pour le Parlement, et surtout pour vous !

M. le président. Monsieur le président Ayrault, je suis en mesure de vous fournir un relevé précis des cas où le dépôt d’amendements a été refusé sur le fondement de l’article 127 du règlement. Comme je vous l’indiquais tout à l'heure, ces cas sont rares puisqu’il y en a eu cinq depuis 1971.

Le 25 novembre 1971 : projet de loi organique relatif aux incompatibilités parlementaires.

Le 25 mai 1984 – vos amis étaient au pouvoir – : projet de loi organique relatif au Conseil économique et social.

M. Yves Durand. Combien d’amendements ?

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Qui était président de l’Assemblée ?

M. le président. Le 4 avril 1990 – vos amis étaient au pouvoir – : projet de loi organique sur le financement des campagnes électorales.

Le 28 mars 1991 – vos amis étaient toujours au pouvoir – : projet de loi organique sur le statut de la magistrature.

Le 12 décembre 2006 : projet de loi organique relatif au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats.

Cette rareté n'a rien de surprenant. Ce nombre doit être rapproché du nombre relativement peu élevé de lois organiques soumises au Parlement depuis 1971, 89 très exactement, alors que 3 555 lois ordinaires ont été promulguées depuis cette date.

Et je voudrais insister sur un point : notre assemblée n'a jamais été saisie d'un projet de loi organique qui, comme celui-ci, concerne son fonctionnement, la procédure législative. Elle n'a donc jamais été confrontée au problème du partage entre ce qui relève d'une loi organique et ce qui relève du règlement des assemblées.

Mme Claude Greff. C’est de la pédagogie !

M. Jean-Claude Lenoir. C’est clair !

M. le président. Or, s'agissant de ce sujet, il me paraît essentiel de respecter scrupuleusement la répartition prévue par la Constitution. De ce partage dépend en effet l'autonomie des assemblées dont le président de l’Assemblée nationale est, par nature et aussi par conviction, le premier défenseur. C'est ce qui justifie principalement sa décision d'appliquer à la lettre l'article 127 du règlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, je vous remercie de cette communication. Je souhaiterais simplement connaître le nombre des amendements concernés. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) En effet, si vous avez cité les projets de lois organiques, vous n’avez pas donné le nombre des amendements. Or c’est important de le connaître.

Je tiens à vous réitérer mes remerciements. Ils vont également à l’administration de l’Assemblée nationale, qui a fait ce travail de recherche, mais je ne comprends pas pourquoi on ne nous l’a pas transmis plus tôt alors que nous n’avons pas cessé de le réclamer. Aussi ne nous dites pas, mes chers collègues, que nous le faisons exprès pour embêter tout le monde et retarder l’examen des articles ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Il suffisait de donner ces renseignements dès le début de cette séance.

Monsieur le président, en complément d’information, je souhaite donc connaître le nombre des amendements concernés puisque, en ce qui concerne le présent projet de loi organique, 1 015 amendements ont été déclarés irrecevables, ce qui est loin d’être banal. C’est même très grave. De fait, c’est le projet tel qu’il est présenté qui suscite cette question, puisque vous reconnaissez vous-même qu’il est très rare qu’une loi organique porte sur le règlement de l’Assemblée nationale. C’est bien la raison de fond qui fait qu’il y a motif à interprétation, ce qui rend, à nos yeux, inopportune la décision qui a été prise de déclarer irrecevables ces 1 015 amendements. La prudence aurait commandé de les présenter en séance publique puisqu’ils avaient été examinés et soumis au vote en commission. Une telle décision aurait été raisonnable alors que ce qui a prévalu, c’est le sens tactique de certains qui, devant le grand nombre d’amendements déposés par l’opposition, ont cru bien faire en en faisant tomber 1 000 d’un coup ! Voilà la vraie raison de la décision qui a été prise.

C’est grave, monsieur le président. C’est la raison pour laquelle, je le répète, je souhaite connaître le nombre des amendements déclarés irrecevables lors de l’examen des précédentes lois organiques.

La question de fond étant bien posée, je réitère ma demande de suspension de séance en vue de réunir mon groupe.

M. le président. Monsieur le président Ayrault, les amendements qui ont été refusés par le passé seront analysés. Toutefois, au regard de l’ensemble des amendements proposés sur les textes concernés, leur nombre est proportionnel à celui des amendements déclarés irrecevables qui ont été déposés sur le présent texte, d’autant qu’il s’agit de séries d’amendements identiques.

M. Jean Mallot. Cet argument ne tient pas !

M. le président. Nous sommes dans une situation exceptionnelle. Nous ne l’avons jamais connue par le passé.

La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Au-delà du droit, quel est le fond du débat ?

M. Jean-Marc Ayrault. Le droit d’amendement !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Le fond du débat – c’est très important, mes chers collègues – consiste à savoir si on peut inscrire dans une loi organique qui porte sur les deux assemblées des dispositions qui n’ont rien à y faire.

M. Jean Mallot. Le projet de loi organique ne contient que cela !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Cela reviendrait à soumettre à l’approbation du Sénat des dispositions sur le fonctionnement de l’Assemblée nationale, puisque la loi organique devra être votée dans les mêmes termes par les deux assemblées. Nous porterions une grave atteinte à l’équilibre de nos institutions si nous soumettions à l’approbation de l’autre assemblée des dispositions que la nôtre a la liberté de fixer elle-même.

C’est la raison pour laquelle le président a eu raison de faire respecter cet écart.

Mme Claude Greff. Écoutez, c’est de la pédagogie !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Par ailleurs, monsieur le président, des propos d’une extrême gravité ont été tenus dans cet hémicycle, que je ne saurais laisser passer. Il s’agit des mots : « coup de force ».

M. Jean Mallot. C’est un coup de force !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. C’est le devoir de tous les députés et en premier lieu de notre président que de respecter la Constitution et le règlement. On ne peut jamais affirmer que respecter la Constitution, c’est perpétrer un coup de force ! Une telle affirmation est une honte ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC - Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Jean Mallot. 1 015 amendements !

M. le président. Mes chers collègues, je tiens à apporter un dernier élément de réponse à M. Ayrault. Nous parlons de 1 015 amendements : nous devrions parler en réalité de quarante amendements différents. (Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme Marie-Christine Dalloz. Voilà la vérité !

M. le président. Un peu de silence, je vous prie !

Je le répète : ces 1 015 amendements représentent en réalité quarante amendements différents.

M. Jean Mallot. C’est une atteinte au caractère individuel du droit d’amendement.

M. Yves Durand. Vous n’êtes pas dans votre rôle !

M. le président. Monsieur Ayrault, vous avez demandé une suspension de séance. Elle est de droit.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue pour cinq minutes.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à dix-neuf heures quarante.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. Jean-Claude Sandrier, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Claude Sandrier. Monsieur le président, ce rappel, fondé sur l’article 58, alinéa 1, de notre règlement, a pour objet de revenir à un point important dont il a déjà été souvent question : la sérénité de nos débats.

Je ne suis pas intervenu hier soir alors même que l’explication de vote de Mme Billard se déroulait dans un brouhaha invraisemblable. On en connaît la raison. Elle a même dû essuyer certaines réflexions irrespectueuses qui n’auraient pas dû être proférées dans cet hémicycle. C’est très regrettable.

Aujourd'hui, sous votre présidence, les débats se déroulaient plutôt bien et même très bien en ce qui concerne les explications de vote, les propos étant mesurés. Il est dans ces conditions d’autant plus impardonnable qu’un président de groupe, au dernier moment, soit venu tenir des propos provocateurs.

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. C’est le président Ayrault !

M. Jean-Claude Sandrier. Le président du groupe de l’UMP s’est en effet permis de déclarer que l’explication de vote de Roland Muzeau n’en était pas une. Mais où sommes-nous ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Gérard Hamel. C’était vrai !

M. Roland Muzeau. Non, ce n’était pas vrai.

M. Jean-Marc Ayrault. C’est le Parlement rationalisé !

M. Jean-Claude Sandrier. Vous avez sans doute raison : c’est le Parlement rationalisé.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Monsieur le président, je tiens à défendre le droit d’amendement en vous demandant de bien vouloir passer à l’examen des articles.

M. Jean-Claude Sandrier. Alors que, je le répète, cette explication de vote se déroulait dans de bonnes conditions, c’étaient, de la part d’un président de groupe, l’UMP en l’occurrence,…

M. Jean Mallot. Il a disparu, du reste.

M. Jean-Claude Sandrier. …des propos d’autant plus déplacés qu’il souhaite, avec son groupe, que les débats se déroulent sereinement. C’est inacceptable. Je demande donc que le président de l’UMP se reprenne.

M. Jean Mallot. Du groupe de l’UMP.

M. Jean-Claude Sandrier. En effet, il n’y a pas de président de l’UMP : vous faites bien de me le rappeler.

M. Jean Mallot. Le poste est vacant !

M. Roland Muzeau. C’est Nicolas qui l’occupe !

M. Jean-Claude Sandrier. Pour finir, monsieur le président, je tiens à ajouter que chacun sait, évidemment, que le député est député de la nation. Allez toutefois expliquer aux électeurs de votre circonscription que vous ne les représentez pas ! Je vous souhaite bien du courage !

M. le président. Monsieur le président Sandrier, cette dernière remarque n’a rien à voir avec l’examen de la loi organique. Je suis effectivement, comme vous, député de la nation et député de ma circonscription.

Mais je rejoins évidemment votre appel à la sérénité. Nous devrions tous partager ce point de vue.

M. Jean Mallot. Depuis que Copé est sorti, c’est du reste beaucoup plus calme.

M. le président. Je tiens toutefois à ajouter que M. Muzeau n’a pas été le seul à être pris à partie cet après-midi. Chacun en a eu pour son grade, y compris moi-même. Je le regrette, mais il ne servirait à rien d’épiloguer sur le sujet.

Puisque nous semblons tous d’accord pour repartir sur de bonnes bases, afin de retrouver un climat apaisé, je vous propose de lever la séance. Je suis certain qu’après un bon dîner nous nous retrouverons tous dans l’hémicycle en pleine forme pour débattre sur le fond.

3

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion du projet de loi organique relatif à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures quarante-cinq.)