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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2008-2009

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du jeudi 7 mai 2009

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de Mme Catherine Vautrin

1. Rappels au règlement

M. Daniel Garrigue

Mme la présidente

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement

M. Patrick Bloche

Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication

Mme Françoise de Panafieu

Mme Martine Billard

M. Jean-Pierre Brard

2. Protection de la création sur internet

Article 3

Article 4 bis A

Amendements nos 28, 29, 122

Article 4 bis

Amendement no 30

Article 6

M. Patrick Bloche

Amendements nos 31, 197, 199, 32, 175, 208, 33, 34, 202, 205, 127, 216

Article 7

Article 7 bis

Article 8

Amendement no 130

Article 9 bis A

Mme Muriel Marland-Militello

Amendement no 35

Article 9 bis

Amendements nos 36, 39, 40

M. Jean-Pierre Brard

Article 9 ter

Amendement no 131

Article 9 quater

Article 10 A

Article 10

Amendements nos 69, 176, 177

Mme Christine Albanel, ministre de la culture

Mme Martine Billard

Amendements nos 147, 217

Article 10 bis A

Amendements nos 223, 222, 192, 218, 219, 220, 221, 37, 193

Article 10 bis B

Article 10 bis C

Amendement no 132

Article 10 bis

Article 10 ter

Amendements nos 133, 137

Article 10 quater

Amendement no 38

Article 11

Article 12

Amendement no 224 rectifié

Article 13

M. Patrick Bloche

M. Jean-Pierre Brard

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois

3. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de Mme Catherine Vautrin,
vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Rappels au règlement

M. Daniel Garrigue. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Garrigue.

M. Daniel Garrigue. Madame la présidente, je souhaite présenter un rappel au règlement sur l’organisation de nos débats, au titre de l’article 58 du règlement de l’Assemblée nationale.

Depuis mardi, le feuilleton inscrit quotidiennement à l’ordre du jour l’examen de la proposition de résolution du président de l’Assemblée nationale tendant à modifier le règlement de notre assemblée. C’est en fonction de ce calendrier que la date de clôture pour le dépôt des amendements a été fixée lundi 4 mai à dix-sept heures. Quand on sait que le texte n’a été mis en ligne que le jeudi 30 avril à vingt heures trente, on mesure la brièveté des délais laissés aux députés pour l’amender.

Or la date à laquelle nous entamerons ce débat reste incertaine, d’autant qu’on nous annonce une troisième séance publique ce soir à vingt et une heures trente.

Est-il normal que nous ne sachions toujours pas, un jeudi à quinze heures, veille du 8 mai, si un texte aussi important viendra en discussion aujourd’hui, cet après-midi ou à vingt et une heures trente, ou à une autre date ? Le bruit a couru que la conférence des présidents s’est réunie en fin de matinée. A-t-elle pris une décision ? Peut-être les groupes en ont-ils été informés, mais je rappelle que ceux-ci ne représentent pas la totalité des députés.

Est-il raisonnable de prévoir une séance publique un 7 mai à vingt et une heures trente, sachant que beaucoup de députés doivent parcourir un long trajet pour rejoindre leur circonscription et assister aux cérémonies de commémoration de la victoire de 1945 ?

Enfin, est-il sérieux, à l’heure où l’on met en cause – indûment – l’absentéisme des parlementaires, d’apporter aussi peu de rigueur à l’organisation de nos débats ?

Mme la présidente. Avant de donner la parole à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, je vous rappelle, monsieur Garrigue, que l’ordre du jour de l’Assemblée a été voté mardi matin par la conférence des présidents, laquelle a établi un calendrier prévisionnel de nos débats. Vous êtes un parlementaire expérimenté, monsieur Garrigue…

M. Daniel Garrigue. Justement ! Je n’ai jamais vu cela !

Mme la présidente. Je vous ai laissé parler ; à présent, écoutez-moi.

Pour l’instant, nous poursuivons la discussion du projet favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet. La suite dépend de l’avancée de nos travaux. Mais, à l’heure où je vous parle, il est fort peu probable, voire improbable, que nous commencions aujourd’hui l’examen de la proposition de résolution tendant à modifier le règlement de l’Assemblée nationale. Sachez enfin que la conférence des présidents ne s’est pas réunie aujourd’hui à midi.

La parole est à M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Monsieur Garrigue, en la matière, la tradition est – malheureusement ou heureusement – établie et si vous vouliez plaider pour un calendrier établissant un temps programmé et des journées très cadrées, votre intervention apporte la preuve qu’il faudrait modifier totalement notre organisation.

La vérité est extrêmement simple. Nous avons inscrit à l’ordre du jour le débat sur la protection de la création sur Internet. Il est impossible de prévoir combien de temps il durera. La discussion des amendements, les interruptions de séance et les rappels au règlement prennent du temps. De ce fait, la conférence des présidents prévoit que, quand un texte est terminé, le suivant peut être appelé.

Depuis mardi, nous avons avancé dans l’examen du texte sur Internet, mais nous n’avons rien fait pour le bousculer. J’espère toutefois que nous le terminerons cet après-midi et qu’il n’y aura pas de séance ce soir, car je suis bien conscient des contraintes de déplacement auxquelles sont soumis les députés qui doivent assister dans des circonscriptions éloignées aux cérémonies du 8 mai. Dans ce cas, la séance du lundi 11 mai n’étant qu’éventuelle, nous n’entamerions que mardi l’examen de la proposition de résolution tendant à modifier le règlement de l’Assemblée nationale. Tout cela est très clair.

M. Daniel Garrigue. Alors, pourquoi ne pas l’avoir dit ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Nous l’avons dit très clairement.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Mon rappel au règlement, sur le fondement de l’article 58, porte sur le bon déroulement de nos travaux.

Je voudrais, au nom de mon groupe, évacuer un sujet qui fait l’actualité. Si elle le souhaite, mon propos n’ayant rien de contraignant, Mme la ministre de la culture et de la communication pourrait profiter de notre débat pour donner à la représentation nationale quelques éléments d’information sur les conditions dans lesquelles M. Bourreau-Guggenheim a été licencié de TF1.

Après avoir suivi nos débats, ce jeune cadre dirigeant, passionné par le web, a adressé le 18 février à la députée de sa circonscription, Mme de Panafieu, ici présente, un courriel critiquant le projet de loi, et semblable en cela à beaucoup de ceux que nous recevons. Notre collègue confirmera sans doute ce que son assistante parlementaire a révélé à la presse : ayant trouvé ce mail intéressant, elle l’a transmis au cabinet de Mme Albanel, afin qu’une réponse comportant tous les éléments de fond puisse lui être adressée.

Mme la présidente. Merci, monsieur Bloche.

M. Patrick Bloche. Je n’ai pas terminé, madame la présidente.

Malheureusement, ce mail a été transmis du cabinet de la ministre à la direction de TF1, qui a décidé de licencier son auteur. La situation aurait été bien différente si ce cadre s’était exprimé publiquement. Dans ce cas, en effet, la direction de TF1 aurait pu considérer que cette position publique portait atteinte à l’image de l’entreprise ou risquait de compromettre sa stratégie.

Le problème est qu’il s’agit ici d’une correspondance privée ; nous avons beaucoup parlé de ce sujet hier soir. Ce cadre exprimait donc une opinion à titre privé et, jusqu’à présent il ne s’agit pas d’un délit que l’on peut sanctionner. Pour qu’un tel délit ne surgisse pas à l’occasion de ce projet, et dans la mesure où nous sommes prêts à prendre en compte la bonne foi des uns et des autres, je pense souhaitable, afin de terminer le débat sereinement aujourd’hui, comme le souhaite le ministre des relations avec le Parlement, que la ministre donne à la représentation nationale les éléments d’information que nous attendons.

M. Antoine Herth. Nous sommes au Parlement, pas devant les prud’hommes.

Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication.

Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication. Je n’étais absolument pas au courant de cette affaire. J’ai été alertée lorsque Jean-Pierre Brard y a fait allusion hier soir.

M. Jean-Pierre Brard. D’où l’utilité du Parlement !

Mme Christine Albanel, ministre de la culture Renseignements pris, il s’avère qu’un mail avait été adressé à Françoise de Panafieu – elle en dira peut-être un mot – , laquelle l’avait fait suivre au ministère, pour obtenir des éléments techniques, qui lui ont effectivement été communiqués. A ma connaissance, il n’y a rien eu de plus ; rien n’a été ensuite transmis.

Je tiens à dire solennellement que je n’ai jamais demandé à personne la tête de qui que ce soit. C’est quelque chose que je ne ferai jamais ; ce n’est ni dans mes habitudes ni dans ma nature. Je ne suis jamais intervenue, jamais, ni sur les programmes ni sur la gestion des chaînes. Cela ne me viendrait même pas à l’esprit. Je ne suis naturellement pour rien dans cette affaire. Il s’agit de décisions internes à la société TF1; je ne sais pas sur quel fondement elles ont été prises – en fait je ne connais pas bien le dossier, mais sans doute s’agit-il d’une différence de stratégie plus globale, du moins je l’imagine.

Je regarderai de plus près bien sûr, mais c’est tout ce que je peux dire à ce stade. A ma connaissance, rien n’a été transmis et, bien entendu, je n’ai jamais demandé la tête de quiconque. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise de Panafieu.

Mme Françoise de Panafieu. Comme chaque député, je reçois quotidiennement de très nombreux mails, une soixantaine par jour en ce qui concerne cette loi, plus tous les autres bien sûr. Certains sont spirituels, d’autres le sont beaucoup moins, d’autres encore sont très bien construits. Celui dont il est question faisait partie de cette dernière catégorie. Devant les arguments donnés par son auteur, je l’ai transféré au ministère de la culture, un peu à titre d’exemple, et cela le 19 février dernier, en suggérant qu’on s’en inspire pour établir une sorte de contre-argumentaire à l’intention des députés du groupe. Cela a été fait et j’ai reçu l’argumentaire.

Je précise qu’en aucun cas l’auteur du mail ne demandait la confidentialité sur son identité. Or beaucoup de ceux qui nous envoient des mails la demandent, et certains utilisent des adresses composées pour l’occasion : c’est gratuit et il faut dix secondes pour créer une adresse du genre antihadopi@wanadoo.com. Au contraire, pour donner plus de crédibilité à ses arguments, qui étaient de vrais arguments fondés, l’auteur a indiqué qu’il travaillait dans le secteur des médias et de l’internet et a même précisé le nom de son entreprise.

J’aurais pu - on peut le faire -, sélectionner une partie du message pour le transmettre. Cependant quand l’auteur ne demande pas la confidentialité, on se sent autorisé à appuyer sur la touche forward. Que celui qui ne l’a jamais fait lève le doigt. Il est évident qu’on en fait usage, et chacun sait que la diffusion d’un mail est exponentielle : il est envoyé à deux personnes, puis à dix et, au bout d’une demi-heure, 500 personnes sont au courant.

J’ai transmis ce courrier au ministère pour avoir des renseignements techniques, uniquement pour cela, et je les ai reçus.

Par ailleurs, je constate que la lettre envoyée par TF1 l’a été il y a trois semaines, et que nous avons été mis au courant cette nuit fortuitement par vous, monsieur Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Heureusement que je suis là ! (Sourires.)

Mme Françoise de Panafieu. Sur le moment, je ne savais pas de quoi vous parliez. Comme vous n’êtes pas quelqu’un de malicieux ou de méchant (Murmures et rires sur les bancs du groupe UMP)…

M. Jean-Pierre Brard. Méchant ? Jamais.

Mme Françoise de Panafieu. …je me suis dit que j’allais regarder ce qu’il en était.

Enfin, pas plus que la ministre, ni personne ici, je n’ai la prétention de vouloir intervenir dans la politique salariale d’une entreprise. A chacun son travail. Ce n’est pas le nôtre que d’intervenir dans la politique salariale de TF1. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. J’ai écouté avec attention Mme la ministre et Mme de Panafieu. Nul ici ne met en cause les personnes, bien évidemment.

Toutefois que révèle cette affaire ?

En premier lieu, elle renvoie au débat que nous avons eu sur la correspondance privée. À un moment, on avait en effet introduit dans la loi une obligation de sécurisation pour les mails, donc des correspondances privées, avant d’y renoncer. Nous y reviendrons à propos de l’article 6.

D’autre part, lorsqu’on transfère un mail, la ou les adresses d’origine passent en texte. Il est donc très facile de les supprimer. C’est un principe de ce qu’on appelle la netiquette que de rendre ainsi les mails anonymes avant de les transférer, sauf si l’auteur initial a précisé qu’il était d’accord pour que son mail soit diffusé plus largement.

Mme la ministre dit qu’elle n’était pas au courant ; je veux bien le croire. Elle n’a pas transféré ce mail, elle n’a pas de temps à consacrer à ce genre de choses, et heureusement pour le gouvernement de la France ! Reste que dans la lettre de licenciement, il est indiqué, semble-t-il, « cette correspondance nous est parvenue via le cabinet du ministre de la culture » qui l’a adressée le jour même à la société TF1.

Dès lors, madame la ministre, allez-vous procéder à une enquête interne dans votre ministère pour savoir qui s’est permis de transférer ce mail à une société privée qui n’a rien à voir ni rien à faire dans ce débat, quoi qu’il en soit de la petite erreur technique commise initialement, qui aurait pu être sans plus de conséquence. Allez-vous procéder à une enquête et prendre des sanctions en conséquence ? L’affaire est quand même grave. Il ne s’agit pas de politique salariale. M. Jérôme Bourreau-Guggenheim est licencié. Il est contraint d’aller devant le tribunal des prud’hommes, qui reconnaîtra qu’il y a licenciement abusif car la jurisprudence en la matière est constante : on ne peut être licencié pour avoir émis une opinion par voie d’une correspondance privée, encore moins quand cette opinion concerne un projet de loi. Il est quand même surprenant que TF1 l’ai fait, parce qu’un de ses salariés a émis une opinion et dit ses interrogations sur des aspects pratiques du projet, tout en indiquant son opposition au piratage.

M. Antoine Herth. Ne vous mettez pas à la place du juge.

Mme Martine Billard. Que TF1 ose dire qu’un salarié n’a pas à avoir d’avis sur un projet de loi et que cela peut être un motif de licenciement est totalement abusif. Ce salarié gagnera devant les prud’hommes ; mais en attendant, il est chômeur.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Que Mme la ministre n’ait pas transmis ce mail, cela va de soi ; que Mme de Panafieu ne l’ait pas transmis à M. Bouygues, cela va de soi également, sinon je ne sais plus dans quel monde nous vivons.

Néanmoins si cette affaire n’implique pas les deux personnes que je viens de citer, elle traduit autre chose, à savoir la consanguinité entre l’appareil d’État et les grands capitalistes (Murmures sur les bancs du groupe UMP), les majors de la communication et du bâtiment.

M. Jean-Pierre Gorges. C’est de la paranoïa ! Il ne sera pas licencié.

M. Jean-Pierre Brard. Ce n’est pas de la paranoïa : il est licencié. Ne savez-vous pas comment vos amis règlent les problèmes d’emploi ? Il faut redescendre sur terre.

Pour que chacun puisse montrer sa bonne foi, je propose une procédure exceptionnelle : que quatre députés, un du groupe UMP – au hasard, Mme de Panafieu –, M. Dionis du Séjour peut-être pour le Nouveau centre, un député du groupe SRC et un du groupe GDR aillent ensemble voir M. Martin Bouygues (Rires sur les bancs des groupes UMP et SRC) pour que cette personne soit réintégrée, que l’affront soit lavé et que justice soit faite sans avoir recours aux prud’hommes.

M. Antoine Herth. Vous voulez contourner la justice.

M. Jean-Pierre Brard. Chacun se grandirait et si M. Martin Bouygues n’a pas été le coupable, qu’il en tire les conséquences : qu’il prenne des sanctions et fasse le ménage chez lui.

2

Protection de la création sur internet

(Nouvelle lecture) (suite)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet (n°s 1618, 1626).

Hier soir, l’Assemblée a poursuivi l’examen des articles, s’arrêtant à l’article 3.

Article 3

(L'article 3 est adopté.)

Article 4 bis A

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Billard pour défendre l’amendement n° 28.

Mme Martine Billard. Par cet amendement, je propose de préciser à l’article L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle que les dispositions du présent chapitre ne sont pas applicables lorsque la reproduction a été faite à des fins privées et n’a pas donné lieu à une mise à disposition du public ou à la recherche d’un profit commercial.

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Riester, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission sur cet amendement.

M. Franck Riester, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication, pour donner l’avis du Gouvernement.

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Défavorable.

(L'amendement n° 28 n'est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Billard pour soutenir l’amendement n° 29.

Mme Martine Billard. Notre amendement n° 29 est dans le même esprit. Je rappelle à ce propos que, dans la loi DADVSI, on faisait initialement cette distinction entre ceux qui avaient simplement procédé à un téléchargement abusif pour leur usage, sans respecter le droit d’auteur, et ceux qui en avaient fait une utilisation commerciale. Je propose donc de compléter le premier alinéa de l’article L. 335-4 du code pour bien faire apparaître cette différence entre ceux qui ont procédé à une copie privée et ceux qui ont procédé à une mise à disposition du public, avec ou sans recherche de bénéfices commerciaux.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Avis défavorable. L’amendement excède le champ des limites posées à l’exception pour copie privée par la directive de 2001 ainsi que par l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce.

(L'amendement n° 29, repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Bloche pour défendre l’amendement n° 122.

M. Patrick Bloche. Cet amendement tend à compléter l’article 4 bis A par l’alinéa suivant :

« Aucune poursuite pénale pour contrefaçon ne peut être engagée pour des faits pour lesquels la commission de protection des droits de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet a été antérieurement saisie. »

Il s’agit d’éviter le cumul entre des sanctions pénales et des sanctions administratives. Alors que l’exposé des motifs du projet souligne que la riposte graduée via la HADOPI « a vocation, en pratique, à se substituer aux poursuites pénales actuellement encourues par les internautes qui portent atteinte aux droits des créateurs », il y aura bien cumul de sanctions. De plus, j’y insiste, on donne un pouvoir exorbitant au représentant des ayants droit car c’est lui qui, en cas de constat d’infraction, choisira, à la tête du client, de saisir le juge pour contrefaçon afin d’obtenir une sanction pénale ou de rester sur le pan administratif en saisissant la HADOPI pour manquement de surveillance de la connexion Internet. Je ne rappelle pas l’avis de la CNIL ni les considérations de la Commission européenne. Cet amendement vise à atteindre l’objectif fixé dans votre projet.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Défavorable. Nous avons déjà longuement parlé de ce sujet dès la première lecture, puis au début de cette semaine.

(L’amendement n° 122, repoussé par la Gouvernement, n’est pas adopté.)

(L’article 4 bis A est adopté.)

Article 4 bis

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Billard pour soutenir l’amendement n° 30..

Mme Martine Billard. Cet amendement vise à supprimer l’article L. 336-1 du code de la propriété intellectuelle.

Cette disposition avait été votée lors du débat sur la loi DADVSI pour lutter contre le peer to peer ; je suppose qu’aujourd’hui certains voudraient s’attaquer aux VPN. Elle pénalise injustement la technologie alors que les outils en question sont utilisés aussi bien par les entreprises que par les universités et par les chercheurs. Il est particulièrement absurde de s’attaquer globalement à une technologie utile, uniquement parce que certains en font un usage détourné.

Par ailleurs, l’article L. 336-1 est quasiment inutilisable puisqu’il prévoit : « Le président du tribunal de grande instance, statuant en référé, peut ordonner sous astreinte toutes mesures nécessaires à la protection de ce droit et conformes à l’état de l’art ». Dans les faits, une telle disposition me semble inapplicable. J’aimerais d’ailleurs savoir, madame la ministre, s’il en a été fait usage depuis le vote de la loi DADVSI. En tout cas, je n’y crois pas.

L’abrogation de cet article permettrait aussi de rétablir en partie la confiance du monde de l’informatique qui créé et utilise ces outils ; elle permettrait de lutter contre le téléchargement abusif autrement que par des moyens qui, en fait, ne sont pas utilisables.

(L’amendement n° 30, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

(L’article 4 bis est adopté.)

Article 6

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Bloche, inscrit sur l’article.

M. Patrick Bloche. Hormis l’article 10 bis A, consacré au droit d’auteur des journalistes, cet article est le dernier grand article de ce projet de loi. L’article 5, autre article contesté, a été voté dans les mêmes termes par les deux assemblées ; il ne revient donc pas devant nous

Plus que jamais, en particulier à la lumière des événements qui se sont déroulés à TF1, nous devons affirmer dans la loi que la HADOPI ne doit pas surveiller les correspondances privées. Aujourd’hui, il ne faut pas que nous terminions notre débat sans avoir assurer collectivement et unanimement à nos concitoyens internautes que l’on n’ouvrira pas leur courrier électronique.

Pour faire simple, si l’on prenait notre courrier dans notre boîte aux lettres pour le lire avant de l’y remettre, nous réagirions tous mal. Or c’est un peu la même chose. Il faut donc empêcher que le courrier électronique ne soit ouvert et lu, car de tels procédés bafoueraient le principe de la confidentialité de la correspondance privé.

L’article 6 détermine, en quelque sorte, le champ d’action de la HADOPI. Il est très joliment présenté dans le rapport sous l’intitulé suivant : « Obligation et contrepartie pour l’abonné à Internet de veiller à ce que son accès ne soit pas utilisé dans le non-respect des droits d’auteurs et voisins. » Il pose selon nous trois problèmes.

Tout d’abord, nous considérons qu’en l’état, il s’attaque aux libertés individuelles, en permettant une surveillance trop généralisée de la correspondance privée. En 2004, le législateur, en votant la loi sur la confiance dans l’économie numérique, avait bien veillé à définir les différentes modalités des communications électroniques, pour éviter, notamment, de soumettre la correspondance privée au même régime que les autres formes de communications électroniques comme les services audiovisuels ou le web. J’ai encore en mémoire nos débats dans cet hémicycle. Or le présent projet de loi abolit cette frontière, ouvrant la porte à des dérives que la défense du droit d’auteur ne saurait justifier.

Ensuite, cet article encourage la généralisation du cryptage des échanges pour éviter que l’on puisse lire le contenu des messages, avec tous les problèmes que cela pose pour le dépistage d’infractions autrement plus graves que le téléchargement illégal comme le terrorisme ou la pédopornographie. Incidemment, il s’agit aussi d’un vrai souci pour les opérateurs qui, n’ayant plus de visibilité sur l’écoulement de leur trafic, auront du mal à dimensionner leur réseau.

Enfin, l’article 6 engendre des coûts considérables pour la surveillance des échanges, laquelle nécessite l’implémentation au niveau des équipements d’accès, soit aujourd’hui dans les milliers de nœuds de raccordements d’abonnés, les NRA, où sont installés ces équipements de type DSLAM, d’une technologie intrusive consistant à analyser chaque paquet Internet pour déterminer ce qu’il contient. Au bas mot, on parle d’une dépense d’une centaine de millions d’euros par opérateur, ce qui va alourdir considérablement les coûts supportés par l’État.

Nous sommes donc opposés à cet article.

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements de suppression de l’article 6, nos 31 et 197.

La parole est à Mme Martine Billard pour présenter son amendement n° 31.

Mme Martine Billard. L’article 6 que cet amendement veut supprimer correspond finalement à l’essentiel de votre projet de loi.

En effet, ce texte intitulé « Diffusion et protection de la création sur Internet » est devenu une loi « Filtrage et mouchard sur Internet ». Quel paradoxe ! Tout tourne autour de l’absurdité technique que constitue l’obligation faite aux particuliers de sécuriser leur connexion Internet, alors même que les administrations et les entreprises, pour lesquelles il s’agit d’un impératif vital, mobilisent des bataillons d’informaticiens pour y parvenir. Je prends l’exemple de l’Assemblée nationale pour laquelle travaillent une cinquantaine d’informaticiens, parmi lesquels trois ingénieurs sont spécialisés en matière de sécurité.

Les failles sur le terrain de la sécurité passent en général par les logiciels qui permettent éventuellement de contrôler les ordinateurs.

Madame la ministre, vous avez beaucoup parlé de pare-feu, mais, pour que ces derniers soient efficaces, ils doivent être administrés au jour le jour. Une solution consiste à surveiller son journal d’activité afin d’être en mesure de détecter les tentatives d’intrusion et les anomalies. Toutefois, pour que cela ait un sens, il faut être en mesure de modifier les paramétrages à chaque détection. Or croyez-vous qu’il soit à la portée de tous de modifier le paramétrage d’un pare-feu ?

À l’heure actuelle, Windows fournit un modèle de pare-feu intégré : tous les utilisateurs vont donc penser qu’ils disposent d’une protection. Or il a été démontré que le pare-feu en question n’assurait aucune protection : il a même reçu la note zéro dans un test comparatif. En France, la plupart des usagers utilisent Windows : ils se croient donc protégés alors qu’il n’en est rien.

Quoi qu’il en soit, le mot « pare-feu » n’est pas vraiment adapté puisque les pare-feu visent à contrôler certains ports de communication, ce qui n’a rien à voir avec notre sujet.

Vous nous indiquez également qu’il faut sécuriser le Wi-Fi. Si vous pouvez obliger les fournisseurs d’accès à Internet à mettre des mouchards sur leurs box, même si ce n’est pas pour demain, on ne voit pas bien comment vous allez procéder avec les routeurs, puisque aucun d’entre eux n’est français.

Quant aux box, comme la Live box, la Free box ou la Neuf box, l’utilisateur n’a ni la possibilité ni le droit d’intervenir pour la sécuriser puisqu’il la loue et qu’elle ne lui appartient pas. En fait, actuellement, il est impossible pour un utilisateur de bonne foi de prouver que sa box a été piratée. En effet, le journal de log qui indique quel ordinateur s’est connecté à la box, et à quel moment, n’est pas archivé.

Pour ce qui concerne l’Internet nomade, un excellent passage du rapport du conseil général des technologies et de l’information explique que, si Internet est suspendu à leur domicile, les internautes « continueront à en profiter sans aucunes autres contraintes que celles liées à la technique en nomadisme ou en mobilité ». Le CGTI ajoute : « L’internaute nomade n’est pas totalement identifiable. Au total il y aurait une population de seize millions d’utilisateurs qui ne sont pas, à ce stade, véritablement traçables. » Madame la ministre, voilà la démonstration que la solution idéale que vous voulez nous vendre pour résoudre le problème du piratage n’a aucune efficacité.

Mme la présidente. Madame Billard, votre temps de parole est écoulé.

Mme Martine Billard. Je termine.

J’ajoute que d’autres matériels dont vous ne nous avez pas parlé, comme les iPhones, proposent aujourd’hui des liaisons à haut débit grâce au Wi-Fi, ils permettent donc de télécharger.

Pour conclure, madame la ministre, le directeur général adjoint de la fédération française des télécoms vous fait remarquer que, compte tenu de toutes les charges qui s’accumulent pour les fournisseurs d’accès à Internet, le coût de la mise à niveau rendue nécessaire par la loi HADOPI a désormais largement dépassé les cent millions d’euros prévus.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Bloche pour présenter l’amendement n° 197.

M. Patrick Bloche. Mme Billard a été très complète dans la défense de son amendement.

Nous souhaitons la suppression de l’article 6 car il crée un lien indirect, mais néanmoins bien réel pour l’internaute, entre le téléchargement illégal et l’obligation de surveillance de la connexion Internet.

Ce projet de loi est présenté comme étant dissuasif et pédagogique, et nous avons appris hier de la bouche de Mme la ministre qu’il visait seulement à créer un cadre psychologique. Finalement, il ne sanctionne pas l’internaute qui télécharge illégalement, mais celui qui manque à l’obligation de surveillance de sa connexion.

Ce choix nous pose problème, notamment à la lumière du vote massif exprimé au Parlement européen hier. Si nous avions plus sagement et plus simplement confié le soin de décider de la coupure de la connexion Internet à un juge, chacun de nos concitoyens aurait bénéficié des garanties de la procédure judiciaire. En l’occurrence, il n’en sera rien.

Selon nous, il est grave d’établir ainsi un lien direct entre le téléchargement illégal et la sanction, car le principe de l’imputabilité de la faute n’est pas respecté. Ce principe fait partie d’un tout propre à la procédure judiciaire, comme la présomption d’innocence ou les droits de la défense .

L’article 6 inverse également la charge de la preuve, ce qui est tout aussi grave. En matière de téléchargement illégal, l’internaute voit désormais peser sur ses épaules une présomption de culpabilité puisqu’il devra prouver son innocence.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Défavorable.

Comme l’a rappelé Mme Billard, cet article est essentiel puisqu’il précise le fondement juridique de notre dispositif. Les abonnés ont ainsi l’obligation de surveiller l’usage qui est fait de leur accès Internet. Si cet article devait être supprimé, il n’y aurait plus de projet de loi.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Je précise que les sociétés auteurs de logiciels, comme Microsoft ou IBM ont pris position contre ce point : elles ne souhaitent pas se trouver dans l’obligation, sur décision d’État, de modifier tous leurs logiciels.

À cela s’ajoute le problème des logiciels libres, sur lequel vous n’avez jamais répondu à nos questions. Un ordinateur équipé uniquement de logiciels libres ne pourra pas répondre à l’obligation légale.

(Les amendements identiques nos 31 et 197 ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Bloche pour défendre l’amendement n° 199.

M. Patrick Bloche. Cet amendement vise à limiter aux personnes physiques l’obligation de surveillance de la connexion Internet.

Le rapporteur nous dira sans doute que nous avons déjà tellement parlé de ce sujet qu’il est inutile d’y revenir.

M. Franck Riester, rapporteur. C’est vrai !

M. Patrick Bloche. Si ce projet de loi cherche vraiment à créer un cadre psychologique en luttant, comme vous l’indiquiez, madame la ministre, avant tout « contre le téléchargement illégal pratiqué avec opiniâtreté », vous avez même dit « frénétique » ; si, en bref, il s’agit d’intimider, vous ne pouvez pas créer une obligation de surveillance aussi lourde. Surtout, vous ne pouvez pas l’étendre indifféremment aux personnes physiques et aux personnes morales.

Je veux plaider la cause des artisans qui m’ont envoyé de très nombreux mails ces derniers jours pour me demander de parler d’eux dans l’hémicycle. Ces chefs de petites ou de très petites entreprises m’écrivent que, dans un contexte de crise, ils ne cherchent qu’à maintenir leur entreprise à flot, et que ce n’est pas simple. Leur tâche est rude : ils n’arrêtent pas de travailler sans compter leurs heures.

Compte tenu de l’importance qu’a prise l’outil Internet dans la vie de leurs entreprises – puisqu’il permet notamment à leurs clients de les contacter et de passer commande de divers travaux –, les artisans s’inquiètent de savoir comment ils pourront satisfaire à l’obligation de surveiller leur connexion que leur imposera la loi. En effet, si, en raison de la masse de travail et des difficultés économiques actuelles, ils manquent à cette obligation, on leur coupera leur accès à Internet. Or je vous laisse imaginer les conséquences néfastes qu’aurait pour leur activité le fait d’être ainsi privés de ce moyen de communiquer avec leurs clients.

Il me semblait en tout cas important de faire entendre la voix des artisans de France dans cette enceinte. Les grandes entreprises, elles, ont les reins solides : même si cela ne sera pas simple, elles peuvent dépenser beaucoup d’argent pour sécuriser leur connexion, en s’offrant notamment les services de sociétés spécialisées. En revanche, les milliers d’artisans, de chefs de petites et de très petites entreprises de notre pays, qui représentent, comme ils le disent « le premier employeur de France », ne pourront pas, quant à eux, assumer la responsabilité qu’on leur impose.

Ne serait-ce que parce qu’il protège les artisans, cet amendement est un amendement de raison. Puisqu’il nous faut nous inscrire dans la logique du projet de loi, limitons au moins l’obligation de surveillance de la connexion à Internet aux personnes physiques : excluons-en les personnes morales, c’est-à-dire les entreprises et les collectivités locales, où vous êtes nombreux, chers collègues, à avoir des responsabilités.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Monsieur Bloche, il est vrai que nous avons déjà abordé ce sujet à de multiples reprises, mais nous pouvons y revenir.

Ce qui compte, ce n’est pas tant la nature juridique de la personne titulaire de l’abonnement – personne physique ou morale – que l’utilisation qu’elle a de son accès à Internet. Il est évident – et cela est prévu dans la loi – que, si une sanction devait être prononcée, la commission de protection des droits prendrait en compte, le cas échéant, l’usage professionnel de la connexion à Internet.

En première lecture, nous avions évoqué à ce propos le cas du télétravail, qui concerne de nombreux Français : dès lors que l’accès à Internet est utilisé à des fins professionnelles, l’abonnement ne sera pas suspendu.

Mme Laure de La Raudière. Très bien !

M. Patrick Bloche. Alors votez notre amendement !

M. Franck Riester, rapporteur. Non, monsieur Bloche, car votre amendement vise à exclure toute personne morale du champ d’application de cet article. Or une association pourrait parfaitement être créée dans le but de permettre le téléchargement illégal. C’est pourquoi nous avons préféré inscrire dans le texte que la HADOPI tiendra compte de l’utilisation que l’abonné fait de son accès à Internet. Ainsi les artisans, auxquels vous avez fait allusion, ne pourront pas être pénalisés par une éventuelle suspension de leur abonnement.

Au demeurant, nous ne pouvons que les inciter à mieux surveiller leur accès à Internet et à vérifier que leur liaison sans fil n’est pas piratée, ce qui pourrait d’ailleurs porter préjudice à leur activité. Actuellement, un artisan sait parfaitement que, pour garantir la sécurité de son installation informatique, il doit installer un antivirus. Eh bien, grâce à la HADOPI, il sera également averti si son accès à Internet est piraté par des gens qui téléchargent illégalement des biens culturels. Le dispositif a donc également une vertu pédagogique à cet égard.

Mme Laure de La Raudière. Très bien !

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Il est vrai, comme l’a indiqué le rapporteur, que la distinction entre personnes physiques et personnes morales n’est pas forcément satisfaisante. Toutefois, je souhaite revenir sur la situation des petites entreprises. Pour en équiper beaucoup dans le cadre de mon activité professionnelle, je sais que leurs responsables ne sont pas – comme la plupart des particuliers, du reste – des professionnels de l’informatique.

Le rapporteur a évoqué les logiciels antivirus. Normalement, ceux-ci sont faciles à utiliser : il suffit de les installer, puis de télécharger les mises à jour. Or je me suis aperçu que ces logiciels n’étaient jamais à jour.

Mme Martine Billard. Tout à fait !

M. Lionel Tardy. Autre exemple : dans les trois quarts des cas, la sauvegarde des données de l’entreprise, qui est tout de même un élément stratégique, n’est pas réalisée.

Dès lors, vous imaginez bien qu’un système de protection contre le téléchargement illégal, non seulement ne sera jamais à jour – car il y aura toujours une faille –, mais pourra être détourné à l’insu du chef d’entreprise par le premier stagiaire venu. On va donc se retrouver dans des situations inextricables.

Vous nous dites, monsieur le rapporteur, que les entreprises pourront bénéficier d’une procédure particulière – laquelle reste, d’ailleurs, encore à définir – avant que leur abonnement ne soit suspendu. Néanmoins j’ai bien peur que, compte tenu du nombre de décisions qui seront prises, certaines d’entre elles ne soient sanctionnées, parfois à tort,…

Mme Martine Billard. C’est évident !

M. Lionel Tardy. …puisque, ainsi que nous l’avons démontré, l’adresse IP n’est pas une donnée fiable. Dans ce cas, se posera la question des dommages et intérêts. En effet, si, demain, la HADOPI coupe par erreur l’accès d’une entreprise à Internet et que celle-ci se retourne contre l’État, que se passera-t-il ?

Il aurait été intéressant d’introduire une distinction dans la loi, mais cet amendement ne me semble pas parfaitement rédigé.

Mme Sandrine Mazetier. Il peut être sous-amendé !

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. L’intervention de notre collègue Lionel Tardy relève du bon sens. La rédaction de cet amendement n’est peut-être pas satisfaisante, mais il a été déposé dès la première lecture. Vous auriez donc pu, madame la ministre, monsieur le rapporteur, proposer un autre amendement qui permette de mieux encadrer les différentes situations.

Monsieur le rapporteur, on peut se demander si vous ne vivez pas dans un autre monde, car les artisans ont autre chose à faire que de se battre avec leur système informatique. Par ailleurs, les tests de comparaison ont démontré que le pare-feu vendu par Windows, par exemple, n’était pas efficace. Pour autant, les internautes qui l’achètent sont de bonne foi.

Certes, vous nous dites que l’artisan de bonne foi qui a une utilisation professionnelle de son accès à Internet ne sera pas sanctionné. Cependant il faudrait définir des critères précis, au moins dans un décret, même si la moindre des choses serait que nous sachions ce qu’il en est exactement. Tel qu’il est rédigé, le texte crée une rupture du principe d’égalité puisque, selon que l’abonné sera entrepreneur ou non, il encourra des sanctions différentes. On ne peut pas rédiger la loi ainsi.

(L'amendement n° 199 n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques, nos 32, 175 et 208.

M. Franck Riester, rapporteur. La commission y est favorable ! (Sourires.)

Mme Martine Billard. Attendez qu’on les défende !

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Billard, pour soutenir l’amendement n° 32.

Mme Martine Billard. Cet amendement est le dernier d’une série qui concerne les communications électroniques, c’est-à-dire les e-mails, que l’on a évoqués au début de la séance.

En commission, plusieurs amendements ont été défendus, qui visaient à supprimer les mots : « ou de communications électroniques », notamment dans le texte proposé pour l’article L. 331-30 et à l’alinéa 6. Le président de la commission est intervenu en ce sens, ce qui est une bonne décision. Néanmoins, lors de la réunion de la commission qui s’est tenue mardi soir au titre de l’article 88, le rapporteur a refusé d’accepter notre amendement en nous expliquant que, à l’alinéa 2 de l’article 6, les mots : « communications électroniques » ne posaient pas de problème. Pourtant, la rédaction retenue oblige l’abonné à sécuriser sa messagerie, ce qui est totalement impossible.

Ainsi, l’adoption de cet amendement est une question de cohérence et de bon sens. Je me réjouis donc que le rapporteur soit revenu à la raison en l’acceptant.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. La raison ne l’a jamais quitté. Je peux en témoigner ! (Sourires.)

Mme Martine Billard. Je souhaite que cela serve de leçon à ceux de nos collègues qui étaient présents en commission et qui ont suivi le rapporteur comme un seul homme ; cela est d’autant plus proche de la réalité que presque tous les députés présents étaient des hommes. (Sourires.) Ce n’est pas parce que nous sommes dans l’opposition que nous avons forcément tort. Je dirais même que nous avons montré, au cours de ce débat, que nous comprenions peut-être beaucoup mieux les enjeux techniques du texte que certains députés de la majorité.(Murmures sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. Madame Billard, nous n’allons pas chercher à savoir qui comprend le mieux.

Mme Martine Billard. J’ai encore certaines remarques en travers de la gorge !

Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement n° 175.

M. Lionel Tardy. C’est un amendement que je défends avec conviction, car il s’agit d’un point qui me paraît important. En effet, la HADOPI ne doit pas surveiller les correspondances privées. Or un amendement de la commission vise à étendre les obligations de l’abonné en lui imposant de veiller à ce que son accès non seulement aux services de communication publique en ligne – qui n’englobent pas la correspondance privée, comme les e-mails –, mais aussi à tous les services de communication électronique – y compris la correspondance privée échangée par voie électronique – ne serve pas à pirater des contenus protégés.

L’article 6, qui détermine le champ d’action de la HADOPI pose de nombreux problèmes – que je me contenterai d’énoncer, puisqu’ils ont déjà été évoqués –, qu’il s’agisse de la surveillance de la correspondance privée, de l’encouragement à la généralisation du cryptage des données pour éviter que l’on puisse lire le contenu de ces messages ou des coûts considérables que représentera la surveillance des échanges.

Pour ces différentes raisons, il paraît nécessaire de revenir à la rédaction initiale de l’article 6, qui n’évoquait que les services de communication au public en ligne, c’est-à-dire les services transmis sur demande individuelle n’ayant pas un caractère de correspondance privée. Contrairement à d’autres, je ne souhaite pas supprimer l’article 6 ; je propose uniquement de supprimer les mots : « ou de communications électroniques ».

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour soutenir l’amendement n° 208.

Mme Sandrine Mazetier. Le rejet de ces amendements par le rapporteur témoigne de sa réticence à accepter un certain nombre de fondamentaux.

M. Franck Riester, rapporteur. J’ai dit que nous étions favorables à ces amendements !

Mme Sandrine Mazetier. Il est en effet préoccupant qu’il n’entende pas le président de la commission des lois lorsque celui-ci estime que l’alinéa 2 de l’article 6 pose problème en raison de la référence qui y est faite aux communications électroniques.

L’histoire terrible du licenciement de ce salarié qui a eu le tort d’exprimer, en tant que citoyen, son opinion dans un e-mail adressé à une députée révèle combien certains fondamentaux sont perdus de vue, sinon par les cabinets ministériels, du moins par les directions juridiques et des ressources humaines de certaines grandes entreprises privées de l’audiovisuel et du BTP.

Au rapporteur, qui a manifestement perdu certains repères, je vais donc donner lecture de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui proclame le droit au respect de la vie privée et familiale : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » Vous voyez que nous sommes très éloignés de ce cadre.

Mme la présidente. Veuillez conclure, madame Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. Je tiens à vous donner également lecture de l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (Murmures sur les bancs du groupe UMP): « Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes. » Vous vous apprêtiez donc, monsieur le rapporteur, à bafouer l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Mme la présidente. Si j’ai bien compris, monsieur le rapporteur la commission a un avis favorable à ces trois amendements identiques !

M. Franck Riester, rapporteur. Tout à fait !

M. Lionel Tardy. Très bien !

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Favorable.

(Les amendements identiques nos 32, 175 et 208 sont adoptés.)

Mme la présidente. Je constate que le vote est acquis à l’unanimité. (Exclamations et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Brard pour défendre l’amendement n° 33.

M. Jean-Pierre Brard. Il est défendu.

(L'amendement n° 33, repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 34 et 205.

La parole est à Mme Martine Billard, pour soutenir l’amendement n° 34.

Mme Martine Billard. Actuellement, nous n’avons aucune garantie que les moyens de sécurisation sont adaptables à l’ensemble des configurations informatiques. Dès lors, la moindre des choses serait de ne pas prévoir de sanctions contre un abonné qui n’aurait pas pu respecter la loi parce que le marché ne le lui permet pas.

Donc, monsieur le rapporteur, madame la ministre, j’aimerais qu’au moins cet amendement soit adopté. À défaut, nous risquons de nous trouver dans des situations absurdes.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Bloche, pour soutenir l’amendement n° 205.

M. Patrick Bloche. Nous souhaitons effectivement qu’un geste soit fait en cette fin de discussion. Vous n’avez malheureusement pas accepté l’amendement que nous avions déposé à l’alinéa 98 de l’article 2, qui visait à inscrire dans la loi que les moyens de sécurisation mis gratuitement à la disposition des consommateurs sont interopérables.

À partir du moment où vous avez fait le choix de créer une obligation de surveillance de sa connexion à Internet, que le manquement à cette obligation va se trouver sanctionné par la HADOPI et que cela peut conduire jusqu’à l’interruption de la connexion à Internet, avec toutes les conséquences que cela peut entraîner, notamment sur le plan économique, je regrette, monsieur le rapporteur, que vous n’ayez pas accompli, sinon une ouverture, du moins un travail un peu plus fin, qui permettrait de sécuriser les chefs d’entreprise ; vous devriez être sensible à cet aspect de la question puisque vous êtes vous-même chef d’entreprise, nous dit-on.

Quand vous affirmez que la HADOPI veillera à ne pas pénaliser économiquement les entreprises, notamment les très petites, nous espérons que vous avez raison, mais c’est confier à la haute autorité un rôle assez arbitraire et aléatoire, non inscrit dans la loi. S’il fallait en exclure les associations, comme vous l’avez indiqué, nous aurions pu, par un travail collectif, exclure les personnes morales à but non lucratif. Bref, il était possible de sécuriser les petits entrepreneurs, mais vous avez choisi de nous faire voter la loi autrement.

Les sanctions prévues – Mme la ministre a annoncé 10 000 e-mails d’avertissement, 3 000 lettres recommandées et 1 000 suspensions de connexion à Internet par jour – vont conduire à la mise en place d’un système automatisé, un système de masse qui fait que de nombreux petits entrepreneurs vont voir leur ligne Internet coupée.

Il paraît donc nécessaire d’essayer d’établir au moins un élément d’exonération par rapport à cette obligation de surveillance de la ligne Internet, exonération justifiée par ailleurs par la nécessité de défendre le principe constitutionnel d’égalité des citoyens devant la loi. Avec notre amendement, qui ajoute une clause exonératoire à la liste figurant déjà dans la loi, nous visons explicitement le cas où aucun moyen de sécurisation ne serait disponible pour l’abonné du fait d’une configuration matérielle ou logicielle trop ancienne ou du fait de l’indisponibilité de ces moyens.

J’espère que vous accepterez enfin une discussion en fin de débat sur cette exonération de bon sens.

(Les amendements identiques nos 34 et 205, repoussés par la commission et le Gouvernement, ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 127 et 216, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Patrick Bloche, pour soutenir l’amendement n° 127.

M. Patrick Bloche. Nous examinons actuellement les alinéas de l’article 6 ayant trait aux conditions d’exonération de la responsabilité qui va désormais peser sur l’internaute, résultant de l’obligation de sécuriser sa ligne. Rien n’est prévu dans le cas où, par exemple, des salariés outrepasseraient les consignes adressées par leur employeur sur les limites de l’usage d’Internet dans leur entreprise. Notre amendement prévoit explicitement que, dans ce cas, la responsabilité du titulaire de l’accès ne pourra être retenue.

Monsieur le rapporteur, cet amendement n’intègre pas les associations que vous avez citées pour justifier le rejet de notre amendement visant à exclure les personnes morales de la surveillance de leur connexion à Internet. Il n’y a donc pas de raison pour que vous refusiez que l’on prévoie, au moyen de cet amendement, une exonération de responsabilité de l’employeur à partir du moment où il aura pris ses précautions et donné des consignes à ses salariés quant aux conditions et aux limites de l’usage d’Internet dans l’entreprise, et que les salariés n’auront pas respecté ces consignes. Il nous semble qu’il doit être mis hors de cause du moment qu’il a pris toutes les précautions nécessaires.

L’idée que la responsabilité des chefs d’entreprise – en particulier lorsqu’il s’agit de très petites entreprises, notamment d’artisans – puisse être engagée, n’est pas admissible. Nous demandons par conséquent l’irresponsabilité de l’employeur qui aura tout fait pour respecter la loi, mais aura vu ses consignes contournées. C’est un amendement de bon sens, qui vise tout simplement à prendre en compte des intérêts économiques, donc à préserver la croissance et l’emploi, et qui, à cet égard, dépasse largement le cadre du débat qui nous occupe.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour soutenir l’amendement n° 216.

M. Jean-Pierre Brard. Comme notre amendement précédent, l’amendement n° 216 vise à introduire une disposition supplémentaire d’exonération de culpabilité, en prévoyant que l’abonné qui apporte la preuve matérielle qu’il n’a pas pu procéder à des téléchargements pendant la période visée soit exonéré.

Tous les professionnels du secteur s’accordent pour dire qu’en matière de téléchargement illégal, seule la preuve matérielle constitue une preuve tangible et fiable, d’autant qu’il sera très difficile à un internaute mis en cause de prouver que sa connexion n’a pas fait l’objet d’une utilisation frauduleuse.

C’est donc un amendement de bon sens que nous vous proposons d’adopter, monsieur le rapporteur. il permettrait, à défaut de pouvoir sécuriser les procédures mises en place par la HADOPI dans la sphère virtuelle, de sécuriser une partie de la procédure de jugement.

Sans doute M. le rapporteur est-il déjà acquis au raisonnement que j’expose, puisqu’il n’a rien écouté de ce que j’ai dit. J’attends avec curiosité de prendre connaissance de son avis.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?

M. Franck Riester, rapporteur. Défavorable.

M. Jean-Pierre Brard. Et voilà !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. C’est bien ce que je pensais, madame la présidente : le rapporteur, qui n’a rien écouté de ce que j’ai dit, s’est contenté de répondre « défavorable ». Je compris que, en dépit des ambitions que vous nourrissez pour l’avenir, vous commenciez à donner des signes de fatigue à la fin de ce débat, monsieur le rapporteur. Mais vous êtes un jeune député plein de tonus – et sans doute d’avenir, si celui-ci ne vous fausse pas compagnie en cours de route ! (Murmures sur les bancs du groupe UMP)

Mme la présidente. Allons, monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard. Par conséquent, je souhaiterais, monsieur le rapporteur, qu’au lieu de vous exprimer par cet adjectif que vous avez utilisé cent fois durant le débat…

M. Antoine Herth. Bien plus que cela !

M. Jean-Pierre Brard. …vous répondiez à mon argumentation qui vise à exonérer l’internaute de sa culpabilité pour un acte qu’il n’a pas accompli.

(Les amendements nos 127 et 216, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

(L’article 6, amendé, est adopté.)

Article 7

Mme la présidente. La commission a adopté l’article 7 dans le texte du Sénat.

Je le mets aux voix.

(L’article 7 est adopté.)

Article 7 bis

Mme la présidente. La commission a maintenu la suppression de cet article voté par le Sénat.

Article 8

Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier pour soutenir l’amendement n° 130.

Mme Sandrine Mazetier. L’amendement n° 130 vise à ce que les fournisseurs d’accès qui sont censés informer et proposer des moyens de sécurisation de la ligne à leurs abonnés le fassent gratuitement. Dans le cas contraire, il conviendrait d’évoquer l’article 40 à l’envers au sujet de la loi HADOPI, puisque vous êtes en train de créer des obligations de dépenses à la charge des titulaires d’abonnement à Internet, en les obligeant à acquérir des moyens de sécurisation de leur ligne qu’ils n’avaient pas prévus initialement.

L’amendement n° 130, qui propose que lesdits moyens de sécurisation soient proposés gratuitement aux abonnés, devrait logiquement être adopté à l’unanimité. À défaut, ceux qui ne l’ont pas voté devront assumer devant nos concitoyens l’obligation qui leur sera désormais faite d’assumer des dépenses nouvelles liées à leur abonnement à Internet, dépenses dont personne ne les avait prévenus à l’origine. Une telle mesure insécuriserait totalement l’usage d’Internet et grèverait indûment le budget de nos concitoyens. Dans le contexte de crise que nous traversons, le pouvoir d’achat des Français ne mérite pas cela.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Défavorable. J’établis sur ce point une analogie avec les logiciels de contrôle parental, eux aussi payants, du fait que le développement et l’amélioration de ces logiciels ont un coût dont il est normal de s’acquitter.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Je vois pour ma part une différence de fond entre les deux notions : rien ne vous oblige à installer un logiciel de contrôle parental…

Mme Laure de La Raudière. Là non plus ! On peut contrôler son accès Internet comme on le souhaite !

Mme Martine Billard. Bien sûr que si ! Tout le monde sera obligé d’installer un logiciel de sécurisation de sa ligne Internet. (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.) C’est même le fondement de cette loi qui, comme l’a souligné M. le rapporteur, n’est pas une loi contre le téléchargement, mais sur l’obligation de sécuriser sa connexion Internet. Il y aura donc bien obligation de sécuriser sa ligne, ce qui implique l’obligation d’acheter un logiciel et toutes les mises à jour qui paraîtront ultérieurement. Cela représente un coût supplémentaire à la charge des internautes, y compris ceux qui ne téléchargent pas abusivement. Vous feriez mieux d’instaurer la licence globale, qui se traduirait par un coût équivalent.

M. Patrick Bloche. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Laure de La Raudière.

Mme Laure de La Raudière. Je veux simplement insister sur le fait que ce texte ne prévoit aucune obligation d’acheter un logiciel et de l’installer. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme Martine Billard. Mais si, c’est le noyau même de la loi !

Mme Laure de La Raudière. Absolument pas !

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Une personne qui ne pirate pas ne risque pas d’enclencher la procédure pouvant conduire à une suspension de sa connexion à Internet et n’est donc pas non plus obligée d’installer un logiciel de sécurisation.

Mme Martine Billard. Et si la ligne est piratée ?

Mme la présidente. Vous n’avez pas la parole, madame Billard.

M. Patrick Bloche. C’est incroyable !

Mme Martine Billard. C’est une contrevérité !

Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Je considère également que rien n’oblige à installer un logiciel de sécurisation. C’est la même chose que pour un antivirus : on en installe un ou non – à ses risques et périls. On peut déplorer le coût de tous ces logiciels mais, en ce qui concerne le logiciel de sécurisation, il n’y a, je le répète, aucune obligation. En effet, on ne devra démontrer que l’on a procédé à l’installation d’un moyen de sécurisation que si l’on a reçu un avertissement et que l’on est menacé d’une sanction. Les personnes qui estiment ne pas être exposées à ce risque – c’est mon cas – pourront très bien décider de ne pas installer un tel logiciel.

(L’amendement n° 130 n’est pas adopté.)

(L’article 8 est adopté.)

Article 9 bis A

Mme la présidente. La parole est à Mme Muriel Marland-Militello, inscrite sur l’article.

Mme Muriel Marland-Militello. L’article 9 bis A est un tout petit article, mais qui a une très grande importance. En effet, il s’inscrit dans la logique de cette loi marquée par la volonté pédagogique d’informer tout le monde des dangers du piratage pour le développement de la culture. Il était important d’informer préventivement les jeunes sur ces risques en un lieu où est assurée la liberté d’accès à tous : je veux parler de l’école, et, plus spécifiquement, des cours d’éducation artistique.

En effet, nombre de jeunes considèrent le piratage comme un geste anodin et n’ont pas conscience de la valeur du travail des artistes, ni du risque de voir la diversité de choix des œuvres cinématographiques ou musicales se tarir considérablement dans les années à venir. J’ai été étonnée de constater que, en dépit des multiples répétitions de la ministre et du rapporteur au cours de ce débat, tout le monde occultait ce qui fait l’âme de cette loi et qui sera très rapidement appliqué : que chacun fasse preuve d’un peu de bonne volonté. L’information est assurée, avec des magistrats indépendants ; l’éducation le sera également, avec des enseignants d’histoire de l’art, de la musique ou des arts plastiques.

Au fond, quel est le but de cette loi ? Tout simplement de dissuader les jeunes et les moins jeunes de pirater. C’est la vraie réussite de cette loi…

M. Jean-Pierre Brard. Je vous le dis, mes frères et mes sœurs ! (Sourires)

Mme la présidente. Monsieur Brard, laissez Mme Marland-Militello s’exprimer !

Mme Muriel Marland-Militello. …une réussite déjà acquise, grâce à la forte opposition de cette communication. En vérité, nous avons déjà gagné les trois quarts de notre pari.

Mme Laure de La Raudière. Très bien !

M. Jean-Pierre Brard. Amen ! Mais avec une âme pareille, vous irez en enfer !

Mme la présidente. Allons, monsieur Brard, vous n’avez pas la parole!

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Billard pour soutenir l’amendement n° 35..

Mme Martine Billard. Nous avions déjà une loi créant un cadre psychologique, voilà maintenant qu’elle a une âme !

Je reviens un court instant sur l’obligation d’acheter un logiciel pour sécuriser sa ligne, car c’en est bien une à partir du moment où votre connexion a 30 à 40 % de chances d’être piratée et que vous pouvez être sanctionné.

L’amendement n° 35 propose de compléter l’article sur l’information dans le cadre de l’éducation, en précisant que cette information doit être neutre et pluraliste, et qu’elle peut également porter sur la mise à disposition licite de contenus et d’œuvres sous licences ouvertes ou libres.

En effet, certains députés de l’UMP ont des difficultés à concevoir qu’il peut y avoir des échanges gratuits ; c’est ainsi qu’Éric Straumann nous expliquait mardi que tous les échanges étaient marchands. Il est donc important de faire comprendre aux jeunes qu’il existe des échanges marchands, mais également des échanges gratuits, qui ne signifient pas le non respect du droit d’auteur. Ils concernent des œuvres sous licences, comme la licence Art libre ou la licence Creative Commons, qui doivent être respectées. Voilà ce qu’il faut enseigner si l’on veut empêcher que certains pensent que, sous prétexte que des œuvres sont publiées sous licence libre, elles peuvent être utilisées sans l’autorisation de l’auteur.

Ces œuvres gratuites, dans le cadre d’échanges sans but lucratif, ne doivent être utilisées que dans le respect du droit moral de l’auteur, car il ne faut pas oublier que le droit d’auteur n’est pas seulement un droit patrimonial mais aussi un droit moral.

(L'amendement n° 35, repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)

(L'article 9 bis A est adopté.)

Article 9 bis

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Billard pour défendre l’amendement n° 36.

Mme Martine Billard. Cet amendement entend préciser que « cet enseignement comprend une sensibilisation à un usage raisonné des données personnelles sur les réseaux sociaux informatiques ». C’est fondamental car, aujourd’hui, beaucoup d’adolescents ne se rendent pas compte qu’ils courent un risque en étalant leur vie privée sur Facebook ou d’autres réseaux. Cela peut donner lieu, notamment, à des tentatives de détournement de mineur.

En commission, le rapporteur m’a répondu que notre amendement était un cavalier législatif, mais l’article 45 de la Constitution, qui a été modifié, sur proposition d’ailleurs de l’UMP, précise désormais que tout amendement est recevable dès lors qu’il présente un lien même indirect avec le texte déposé ou transmis.

Notre proposition est parfaitement en lien avec le texte, puisqu’il s’agit d’améliorer la formation dispensée dans le cadre scolaire sur l’utilisation d’Internet. Je maintiens donc mon amendement.

(L'amendement n° 36, repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Monsieur Brard, accepteriez-vous de défendre en même temps les amendements nos 39 et 40 qui concerne le même alinéa ?

M. Jean-Pierre Brard. Je présenterai mes deux amendements ensemble pour vous être agréable, madame la présidente…

Mmee la présidente . Merci, monsieur Brard.

M. Jean-Pierre Brard.…même si le côté lapidaire des réponses du rapporteur et de Mme la ministre donne l’impression que, sentant l’avoine fraîche, ils se précipitent vers l’écurie.

Nous souhaitons, par l’amendement n° 39, préciser que l'information diffusée aux élèves dans le cadre de cet article doit être « neutre et pluraliste », dans l’esprit de nos institutions laïques, afin de ne pas leur enseigner que la seule offre existante sur Internet est une offre commerciale. Monsieur le rapporteur, vous vous accorderez peut-être avec moi pour considérer en effet que l’on peut respecter les valeurs universelles sans être obligé de se prosterner devant le veau d’or.

La création, notamment sur les réseaux, est infiniment plus touffue que ce que veulent bien affirmer les majors. Foisonnement de la création artistique diffusée librement, voilà de quoi les faire frissonner ! Les offres commerciales ne sont pas l'alpha et l'oméga de la culture et n'ont pas le monopole de la créativité, loin s'en faut. Les sites tels que Jamendo ou Dogmazic, pour ne parler que des plus connus, sont une aubaine pour la culture et explorent des modes de diffusion qui sont une chance, une richesse pour la création et ouvrent résolument les portes de l’avenir.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission sur ces deux amendements ?

M. Franck Riester, rapporteur. Avis défavorable. Ces amendements pourraient en effet être perçus comme un signe de défiance vis-à-vis des enseignants qui ont évidemment pour mission de diffuser la connaissance d’une manière neutre et pluraliste, sans qu’il soit nécessaire de le préciser dans la loi.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Je suggère au rapporteur, puisqu’il est membre de l’UMP, de dispenser ses doctes conseils au ministre de l’éducation nationale, qui ne cesse d’envoyer aux enseignants des recommandations déplacées.

(Les amendements nos 39 et 40, successivement mis aux voix ne sont pas adoptés.)

(L'article 9 bis est adopté.)

Article 9 ter

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Bloche pour soutenir l’amendement n° 131.

M. Patrick Bloche. Je vous demande un effort sur cet amendement, monsieur le rapporteur, puisqu’il s’agit de la déclinaison des accords de l’Élysée. Ces accords datent de novembre 2007 et ont été conclus, comme vous le savez, sous la haute autorité du Président de la République. Ils comportaient, entre autres, l’engagement que les films bénéficiant d’un aide publique octroyée par le CNC soient disponibles en vidéo à la demande dans le respect d’une certaine fenêtre de diffusion et après un délai déterminé.

À partir du moment où nous avons souhaité, à l’unanimité – rappelons-le, car ce fut plutôt rare au cours de nos débats –, modifier la chronologie des médias, cet engagement de l’Élysée doit trouver sa place dans la loi, Nous donc souhaitons vivement, monsieur le rapporteur, que vous donniez un avis favorable à cet amendement qui s’inscrit dans la logique que vous défendez, puisqu’il s’agit de rendre disponible plus rapidement sur Internet ce qu’on appelle communément l’offre légale.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Défavorable.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Défavorable. Le but poursuivi est certes légitime, puisque l’amendement tend à améliorer la disponibilité des œuvres cinématographiques en ligne. Il ne permet toutefois pas d’atteindre cet objectif, car le soutien financier du CNC ne peut préjuger des futures exploitations de l’œuvre. C’est en effet impossible au stade où sont délivrées les aides les plus importantes à l’écriture et à la production, car les exploitations résultent d’accord contractuels ultérieurs.

Je veux cependant rappeler que le CNC a mis en place, depuis 2007, de nouvelles aides, en forte augmentation, destinées à la création sur Internet, à l’exploitation des œuvres en vidéo à la demande et à la numérisation des catalogues. En 2008, ces aides ont soutenu la numérisation et la mise en ligne de 1 200 longs métrages, 360 courts métrages, 700 heures de programmes d’animation et 900 heures de documentaires.

(L'amendement n° 131 n'est pas adopté.)

(L'article 9 ter est adopté.)

Article 9 quater

Mme la présidente. La commission a maintenu la suppression de l’article 9 quater, voté par le Sénat

Article 10 A

Mme la présidente. La commission a adopté l’article 10 A, dans le texte du Sénat.

(L'article 10 A est adopté.)

Article 10

Mme la présidente. Sur l’article 10, je suis saisie de plusieurs amendements.

La parole est à M. Jean-Pierre Brard pour défendre l’amendement n° 69.

M. Jean-Pierre Brard. Nous condamnons à plusieurs titres le système de la riposte graduée dont l’exercice sera confié à la Haute autorité, à laquelle vous donnez le pouvoir de juger et de sanctionner, ce qui, selon nous, doit rester une prérogative exclusive de l'institution judiciaire indépendante du pouvoir exécutif

Par cet amendement, nous voulons réintroduire dans la loi des principes essentiels du droit des personnes. En effet, votre texte est en totale contradiction avec la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, qui prévoit : « Toute personne à droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion ou de communiquer des informations ou des idées, sans qu'il puisse y avoir d'ingérence d'autorités publiques et sans considérations de frontières ». C'est ce que les amendements n° 138, adopté par le Parlement européen le 24 septembre 2008, par 88 % des eurodéputés, tout groupes confondus, puis n° 46, adopté en commission ITRE par une large majorité puis de nouveau par le Parlement européen, signifiaient.

Allez-vous, dans ces conditions, continuer à vous obstiner à maintenir la coupure prononcée par une autorité administrative, alors que le Parlement européen le condamne ? Nous vous offrons une ultime occasion de venir à résipiscence. Nous arrivons au bout du texte ; faites un bon geste, monsieur Riester, ce sera tout à votre honneur et l’occasion peut-être de franchir un pas qui, pour vous, peut marquer le début de l’histoire.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Défavorable.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Défavorable. Nous avons déjà longuement discuté hier de l’amendement Bono, et je rappelle que la présidence tchèque, qui s’exprime au nom des vingt-sept États membres, a dénoncé le vote de l’amendement Bono, parlant d’une prise en otage du paquet Télécoms dans le cadre d’une campagne préélectorale et soulignant que cet amendement n’avait rien à voir avec le paquet télécoms. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Merci, madame la ministre, de nous donner l’occasion, en cette fin de débat, de revenir sur la claque magistrale que le Parlement européen, à une écrasante majorité – 407 voix contre 57 –, a infligé au gouvernement que vous représentez dans cet hémicycle.

Je sais que, de manière surprenante, le président Copé a parlé à propos de ce vote d’une nouvelle « manip’ » de la gauche, comparant ainsi le vote du Parlement européen au vote du 9 avril. Pourtant quand 407 eurodéputés, de gauche mais aussi, ne vous en déplaise, de droite, décident qu’Internet relève pour nos concitoyens des libertés et des droits fondamentaux et que l’interruption de l’accès ne peut se faire qu'après décision de justice préalable, ils ne font que confirmer les positions déjà exprimées par le Parlement européen à l’automne dernier.

M. Franck Gilard. On s’en fout, du Parlement européen !

M. Patrick Bloche. Madame la ministre, vous sortez la présidence tchèque de votre chapeau, mais les eurodéputés ont la plus grande légitimité qui soit dans une démocratie, celle du suffrage universel.(Protestations sur divers bancs du groupe UMP.)

M. Jacques Myard. Mais non !

M. Franck Gilard. Être élu européen, c’est une pantalonnade !

Mme Martine Billard. Bravo ! Selon vous être élu est une pantalonnade !

M. Patrick Bloche. C’est cette légitimité qui nous permet, aux uns et aux autres, en tant que représentants du peuple français, d’intervenir dans cet hémicycle.

À un mois tout juste des élections européennes du 7 juin…

M. Antoine Herth. Vous faites bien de rappeler le contexte !

M. Patrick Bloche. … la contestation, dans cet hémicycle, de la légitimité que donne aux eurodéputés le suffrage universel est un mauvais signe donné à nos concitoyens : si vous voulez les faire venir aux urnes par ce moyen, je crains que vous ne les incitiez plutôt à rester chez eux.

MM. Antoine Herth et Franck Gilard. C’est laborieux !

M. Patrick Bloche. Il est vrai que le paquet Télécoms va prendre du retard. Mais, dans cette affaire, comment ne pas pointer la responsabilité première du Gouvernement français et du Président de la République…

Mme Muriel Marland-Militello. Et surtout de M. Bono !

M. Patrick Bloche. …qui, uniquement pour sauver le projet de loi HADOPI, avait saisi M. Barroso le 3 octobre 2008 pour barrer la route à l’amendement Bono.

M. Charles de La Verpillière. Vous l’avez déjà dit ! Finissons-en !

M. Patrick Bloche. Son ami politique M. Barroso lui avait d’ailleurs opposé une fin de non-recevoir.

Mme la présidente. Merci de conclure.

M. Patrick Bloche. J’en termine : il faut répéter que c’est le Gouvernement français, et lui seul, qui a pris le paquet Télécoms en otage.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. On évoque la république tchèque – petit peuple, mais qui rayonne en Europe depuis 1620, depuis la bataille de la Montagne blanche -…

M. Franck Gilard. Et depuis la défenestration de Prague ! C’est une grande tradition !

M. Jean-Pierre Brard.… et qui a apporté sa contribution à la culture universelle : pensons à des noms magnifiques comme Martinů, Janáček, Smetana, Julius Fučík avec les Écrits sous la potence, Venceslas et Charles IV ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jacques Lamblin. Et Mazaryc !

M. Jacques Myard. Ján Palach et Alexander Dubček !

M. Charles de La Verpillière. Un petit pays qui a survécu au nazisme, et au communisme !

M. Jean-Pierre Brard. Et ce petit pays, parce qu’il n’est, paraît-il, pas aussi important que le nôtre, a été humilié par le Président de la République depuis que la République tchèque exerce la présidence de l’Union ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Sur ce projet de loi, que se passe-t-il ?

En fin de discussion, madame Albanel, à court d’arguments, vous ne retenez de la République tchèque rien d’autre que son utilité à un moment où le président de l’Union, parce qu’il est tchèque et qu’il dit des sottises, vient à votre secours.(Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Antoine Herth. L’hôpital se moque de la charité !

M. Jean-Pierre Brard. On sait combien ce premier ministre tchèque est anti-européen.

M. Antoine Herth. Vous vous trompez !

M. Jean-Pierre Brard. Je pense que, la prochaine fois, vous devrez mieux choisir vos alliés !

Mme la présidente. Monsieur Brard, vous me permettrez de vous dire que, dans cet hémicycle, nous n’avons pas à qualifier les propos d’un Président de la République en exercice.

M. Jean-Pierre Brard. Il se mêle de tout, que voulez-vous y faire ! (Rires.)

Mme Laure de La Raudière. Vous aussi !

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard. Je suis assez sidéré du numéro d’acrobate de M. Bloche. Franchement, même si, au niveau européen, on affirme des droits – dans la Convention européenne des droits de l’homme, dans la Déclaration qui fait partie du traité de Lisbonne – cette affirmation ne s’oppose en rien à l’affirmation d’un principe de responsabilité, ni à la sanction contre ceux qui abusent d’un droit, ou qui le violent !

Mme Martine Billard. Dans ce cas, il faut saisir le juge !

M. Jacques Myard. Le Parlement européen affirme un droit comme une donnée essentielle des libertés publique. Cependant si la liberté publique est violée parce qu’elle excède son cadre, on peut être sanctionné !

Faites attention à ce que vous dites, car vos propos vous reviendront en boomerang d’une manière brutale : je trouve tout à fait déplacé qu’on vienne précéder quelque chose qui n’existe pas, dans cette assemblée où nous sommes souverains et où nous sommes responsables s’il y a un manquement vis-à-vis des décisions de la Cour de justice européenne ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.- Rires sur les bancs du groupe SRC.)

(L'amendement n° 69 n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 176 et 177, qui peuvent faire l'objet d'une présentation commune.

La parole est à M. Lionel Tardy pour les défendre.

M. Lionel Tardy. L’amendement n° 176 est important, car nous nous sommes aperçus, au fur et à mesure de l’examen de ce texte, que le problème de la prise en charge des coûts engendrés par ce texte est un vrai problème.

Pour résumer, ce projet met notamment à la charge des fournisseurs d’accès à Internet des tâches importantes : il s’agit d’abord de l’identification des adresses IP – qui leur seront transmises par la HADOPI via les ayants droit –, de la transmission des messages électroniques d’avertissement et, surtout, de la mise en œuvre des infrastructures techniques qui permettront la suspension de l’accès à Internet.

De nombreux chiffres circulent ; il y en a au bas mot pour plusieurs dizaines de millions d’euros. Même si vous avez encore confirmé, au cours de cette nouvelle lecture, que tout serait fait pour différer au maximum la sanction finale – la coupure de l’accès à Internet –, ces coûts seront bien là.

Ainsi que je l’ai déjà souligné en première lecture : je crois qu’il faut absolument préciser la rédaction. Le Conseil constitutionnel a en effet clairement posé, dans sa décision 2000-441 DC du 28 décembre 2000, que « s'il est loisible au législateur, dans le respect des libertés constitutionnellement garanties, d'imposer aux opérateurs de réseaux de télécommunications de mettre en place et de faire fonctionner les dispositifs techniques permettant les interceptions justifiées par les nécessités de la sécurité publique, le concours ainsi apporté à la sauvegarde de l'ordre public, dans l'intérêt général de la population, est étranger à l'exploitation des réseaux de télécommunications […] les dépenses en résultant ne sauraient dès lors, en raison de leur nature, incomber directement aux opérateurs. »

C’est là un point très important : nous sommes ici précisément dans le même cas de figure.

Mme Martine Billard et M. Patrick Bloche. Absolument !

M. Lionel Tardy. Si nous ne mettons pas en place une compensation pour les fournisseurs d’accès à Internet, le dispositif ne passera pas l’épreuve du Conseil constitutionnel.

Il faut donc – malheureusement, car cela va coûter une petite fortune à l’État - compléter l’alinéa 1 pour corriger ce problème. Je le répète une dernière fois : si nous avions mis en place l’amende, il ne se poserait pas. (Exclamations sur divers bancs du groupe UMP.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. L’avis de la commission est défavorable pour les deux amendements.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Même avis. Je me réfère aux explications données lors de l’examen de l’amendement n° 201 : j’ai précisé quelles seront les conditions d’indemnisation des fournisseurs d’accès à Internet, et quels sont les engagements de l’État, tant en investissement qu’en fonctionnement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Je veux vous faire part d’un mail que j’ai reçu de la part du directeur adjoint de la Fédération française des télécommunications. Il écrit ceci : « Ayant suivi les débats hier, je tenais à vous apporter quelques précisions sur le montant des surcoûts qui sont actuellement avancés dans l’hémicycle.

« Les fameux 100 millions d’euros ne couvrent que les frais de développement technique nécessaire pour la mise en place de la suspension, mais non » – ces deux derniers mots sont en caractères gras, et soulignés – « les coûts correspondants aux demandes d’identification des internautes, envois de mails, mise en place de la black list, coût de la solution technique pour l’industrialisation des systèmes d’information afin de répondre aux demandes d’identification des internautes, qui excéderont, et de très loin, les 100 millions d’euros ».

Or, comme l’a très bien expliqué notre collègue Lionel Tardy, il y a une obligation légale de prise en charge de ces coûts par l’État ; c’est une décision du Conseil constitutionnel.

Cela signifie que plus de 100 millions d’euros seront défalqués du budget de la culture : ce sera autant d’argent en moins pour des actions culturelles dans les années à venir. Je crois qu’il est important de souligner qu’il serait tout de même plus intéressant d’attribuer cet argent à la création culturelle, aux auteurs, aux artistes, plutôt que d’entrer dans un tunnel de répression et d’impossible recherche de la sécurisation informatique.

Monsieur Myard, que dit le Parlement européen ? Il dit qu’on ne peut pas couper l’abonnement à Internet sans décision judiciaire. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.) C’est un désaccord que nous avons depuis le début : toute l’opposition – communistes, socialistes, Verts – demande qu’une décision judiciaire soit nécessaire pour couper l’abonnement à Internet. Nous sommes donc en accord avec les parlementaires européens !

(Les amendements nos 176 et 177, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Bloche pour soutenir l’amendement n° 147.

M. Patrick Bloche. J’ai été étonné d’entendre Jacques Myard, plutôt connu pour ses interventions que l’on pourrait qualifier – sans vouloir le vexer, mais en faisant référence à l’idée républicaine qui nous rassemble – de très souverainistes. Votre sensibilité politique, au sein de la droite française, vous amène en général à nourrir une méfiance naturelle pour les hautes autorités administratives indépendantes, dont vous estimez, à juste raison, qu’elles dépouillent souvent le législateur des pouvoirs qu’il peut exercer dans cet hémicycle.

M. Richard Dell'Agnola. C’est le plan B !

M. Patrick Bloche. Je vous ai entendu l’affirmer à plusieurs reprises, et nous vous rejoignons bien volontiers sur ce point.

Sans aller plus loin, je voulais vous indiquer que le Parlement européen – dont vous vous méfiez aussi, je le sais bien, mais c’est là un autre débat – nous a tout simplement rappelé que, pour sanctionner l’internaute par une coupure de son accès à Internet, il fallait d’abord une décision du juge.

Je vous donne cette précision parce que je connais vos convictions, et que je crois que l’amendement voté hier au Parlement européen les conforte plus qu’autre chose.

M. Jacques Myard. Je n’ai pas besoin de vos commentaires !

M. Patrick Bloche. Nous en sommes donc à l’article 10, qui prévoit – je le rappelle rapidement – que les sanctions, qu’il s’agisse de la suspension d’accès à Internet ou d’une injonction, ne pourront être prises qu’à l’expiration d’un délai de trois mois après la publication de la première liste de moyens de sécurisation.

Il est évidemment important que les abonnés puissent disposer des outils de sécurisation dont la mise en œuvre leur permet de ne pas voir leur responsabilité retenue, avant même qu’une sanction ne soit prononcé. La loi n’écrit pas, bien sûr, qu’un moyen de sécurisation est obligatoire : on peut avoir le courage, ou la témérité, de notre collègue Lionel Tardy qui nous a annoncé qu’il n’installera pas de logiciel de ce type.

Mme Martine Billard. Moi non plus ! (Sourires)

M. Patrick Bloche. L’incitation est néanmoins très forte ; c’est le moins que l’on puisse dire.

La rédaction proposée par le présent projet de loi rencontre, à nos yeux, un écueil : bien que les abonnés ne puissent être sanctionnés, ils pourront recevoir des recommandations alors même qu’aucune liste de moyens de sécurisation ne sera établie. Par conséquent, la procédure contre l’abonné pourra être enclenchée alors même qu’il ne dispose pas des moyens prévus expressément par ce projet de loi pour se protéger. Nous considérons que cette disposition introduit un grave déséquilibre dans le dispositif en défaveur de l’abonné.

Cet amendement a donc pour objet d’établir que les abonnés ne pourront recevoir ni sanction, ni recommandation, avant l’expiration d’un délai de trois mois après la publication de la liste des moyens de sécurisation.

(L'amendement n° 147, repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, avant d’en venir au dernier amendement sur cet article, je vous informe que, sur le vote de l'article 10, je suis saisie par le groupe de l’Union pour un mouvement populaire d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à M. Jean-Pierre Brard pour défendre l’amendement n° 217.

M. Jean-Pierre Brard. Il risque d’y avoir un blanc, car j’avais prévu d’être bref !

Mme la présidente. Une fois n’est pas coutume. (Sourires)

M. Jean-Pierre Brard. La pédagogie, si chère aux discours du Gouvernement, nécessite un minimum de conviction pour être de qualité et pour être mise en œuvre avec talent. De ce point de vue, le Gouvernement a une pratique peu pédagogique, et plutôt brutale vis-à-vis des internautes.

Dans la pédagogie, madame la ministre, existe une dimension extrêmement importante : celle de laisser du temps à la personne à laquelle vous expliquez pour qu’elle ait le temps de comprendre et d’assimiler.

Or vous laissez des délais brefs aux internautes qui, selon vos critères, violent la nouvelle légalité que vous mettez en place et qui est désavouée par le Parlement européen.

Aussi proposons-nous de doubler le délai que vous laissez aux internautes pour s’équiper convenablement afin de faire face aux contraintes que vous imposez : au lieu d’un délai de trois mois, nous proposons six mois.

Après tout, madame la ministre, monsieur le rapporteur, si, avec ce texte, vous affirmez des convictions, ce dont je ne suis toujours pas persuadé, doubler les délais ne devrait pas vous poser de problème. En effet, vous n’avez pas pour vocation première de réprimer, dites-vous, mais de convaincre.

(L’amendement n° 217, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur l’article 10.

(Il est procédé au scrutin.)

Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 73

Nombre de suffrages exprimés 73

Majorité absolue 37

(L’article 10 est adopté.)

(Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Article 10 bis A

Mme la présidente. Sur l’article 10 bis A, je suis saisie de deux amendements, nos 223 et 222, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Patrick Bloche, pour soutenir l’amendement n° 223.

M. Patrick Bloche. Avec l’article 10 bis A, nous abordons un sujet sérieux, le droit d’auteur des journalistes.

À l’occasion de cette nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, nous avons voulu revenir sur cette question importante qui intéresse aussi bien les journalistes que les éditeurs de presse. Peut-être certains d’entre vous ont-ils le souvenir de la manière dont nous avons été amenés à débattre de ce qui était la traduction, dans la loi, d’un engagement que le Président de la République avait pris lors de la présentation de ses vœux à la presse au mois de janvier dernier. Nicolas Sarkozy avait alors déclaré – je le cite de mémoire – qu’il souhaitait que le "Blanc” ait valeur législative le plus rapidement possible : le “Blanc”, rien que le “Blanc” ».

Le « Blanc » est un document d’équilibre qui a été élaboré conjointement par des journalistes et des éditeurs, et qui vise à pacifier le débat complexe et souvent polémique sur la propriété intellectuelle dans le domaine de la presse.

Alors que la presse, notamment la presse écrite, connaît une réelle crise, il paraît bien normal que les pouvoirs publics interviennent et prennent des mesures. Chaque fois qu’un journal d’opinion disparaît, ce sont la liberté d’expression et le pluralisme qui reculent, c’est un mauvais coup porté à la démocratie et à la République.

En l’occurrence, la feuille de route du Président de la République était claire : le « Blanc », texte d’équilibre entre éditeurs et journalistes, doit avoir force de loi. Que les choses soient claires pour nos collègues de la majorité : nous partageons cet objectif. Nous considérons en effet que le « Blanc » est un bon point d’équilibre, fruit d’un travail qui a duré de longs mois, voire plusieurs années. Nous pensions même que nous pourrions unanimement prendre en compte ce texte d’équilibre et lui donner force de loi à l’occasion du débat sur ce projet de loi .

Toutefois, en première lecture, le débat sur cet article a été confus. Un de nos collègues, que nous estimons par ailleurs beaucoup, Christian Kert, a déposé au dernier moment une foultitude de sous-amendements à l’amendement du Gouvernement qui ont semé la confusion. Mme la ministre a même été amenée, à propos de l’un des sous-amendements de Christian Kert, à s’en remettre à la sagesse de l’Assemblée. À l’arrivée, le texte adopté est déséquilibré et insatisfaisant, notamment pour les journalistes.

Nous avons donc souhaité profiter de cette nouvelle lecture – le vote du 9 avril aurait au moins eu cette utilité –pour vous ramener à la raison et parvenir à un vote unanime sur l’article 10 bis A. Pour cela, nous vous proposons de revenir au texte originel, dit le « Blanc », point d’équilibre entre les droits des auteurs, les droits des éditeurs et les droits des journalistes. C’est ainsi que l’amendement n° 223 reprend l’intégralité de ce texte dont nous souhaitons vivement qu’il soit adopté.

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Billard, pour soutenir l’amendement n° 222.

Mme Martine Billard. Comme vient de le rappeler notre collègue Patrick Bloche, les états généraux de la presse avaient abouti à un accord entre journalistes et entreprises de presse, accord consigné dans ce qui s’est appelé le « Blanc », et le Président de la République avait annoncé qu’il souhaitait que les principes de cet accord soient strictement conservés dans toute réforme du droit d’auteur des journalistes.

Nous avions donc, en première lecture, suivi le Gouvernement avec confiance quand il disait que son amendement reprenait intégralement le « Blanc ». Quelle ne fut pas notre surprise lorsque nous avons découvert le sous-amendement de notre collègue Kert qui visait à remettre totalement en cause le consensus qui avait été trouvé au sein de la profession !

Je souligne que ce consensus avait reçu l’aval non seulement des états généraux de la presse écrite et de la majorité présidentielle, mais également des partis de l’opposition. Au-delà de la profession elle-même, un consensus national avait été trouvé autour de cet accord. Malheureusement, ce consensus a volé en éclat en pleine nuit, à l’occasion de l’examen du sous-amendement de M. Kert.

Quelles conséquences peut avoir cette remise en cause ? Jusqu’à présent, un journaliste est payé pour la publication d’un article ; si l’article est reproduit sur un autre support, le journaliste est payé une autre fois. Le sous-amendement modifie cette façon de procéder, en permettant aux entreprises de presse de réutiliser un article autant de fois qu’elles le veulent, sur autant de supports qu’elles le souhaitent. Ainsi, un article écrit pour la version papier d’un journal pourra ensuite être utilisé pour la version en ligne ou sur d’autres supports.

Il est quand même surprenant que, dans un texte dont l’objectif principal et légitime est la défense du droit d’auteur – notamment des cinéastes, des producteurs, des musiciens, de tous les artistes –, on en vienne à dire qu’il n’est pas utile de protéger celui des journalistes, pas plus leur droit moral que leur droit patrimonial, sans parler du respect de leur contrat de travail : un journaliste a la maîtrise de ce que deviennent ses articles lorsqu’ils sont réutilisés sur d’autres supports – dorénavant, on ne lui demandera plus son avis. Avec le paiement, il y avait à la fois respect du droit moral et respect des droits patrimoniaux. Dans la loi telle qu’elle est dorénavant rédigée, ces deux droits ne seront plus respectés.

L’amendement n° 222 reprend celui que le Gouvernement avait déposé en première lecture, de façon à respecter et le droit moral et le droit patrimonial de artistes, ainsi que le droit du travail.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Défavorable. Je rappelle que le fameux sous-amendement de notre collègue Christian Kert a été voté en première lecture à l’Assemblée nationale et qu’il a été maintenu en commission mixte paritaire. Comme vous le savez, nous souhaitons conserver aujourd’hui le travail de synthèse qui a été longuement élaboré en commission mixte paritaire après les deux lectures, à l’Assemblée nationale et au Sénat. Nous ne pouvons donc accepter ces amendements.

Je rappelle en outre que le sous-amendement de Christian Kert permet de prendre en compte un point très important, qui est l’évolution du journalisme à l’ère numérique à laquelle nous sommes tous très attachés.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. L’affaire est trop importante pour que vous puissiez, madame la ministre, vous contenter de répondre « défavorable ». Vous savez combien la confusion a été grande en première lecture, lorsque Christian Kert a défendu ses sous-amendements. Vous-même avez hésité, entre l’avis favorable et l’avis défavorable, pour finalement vous en remettre à la sagesse de l’Assemblée sur ce sous-amendement qui a rompu l’équilibre.

Madame la ministre, avec les journalistes, nous aimerions que vous vous exprimiez devant la représentation nationale sur un texte qui ressemble de moins en moins au fameux « Blanc » que – Martine Billard vient de le rappeler – les états généraux de la presse avaient validé et que nous avions voulu traduire par nos amendements. Je rappelle que le rapporteur a fait voter, en commission, un certain nombre d’amendements qui ont rompu l’équilibre.

M. Franck Riester, rapporteur. Ce n’est pas vrai !

M. Patrick Bloche. En écoutant Franck Riester, on en vient à penser que, en définitive, l’objectif est moins de retrouver le bon équilibre entre les droits des éditeurs et ceux des auteurs que sont les journalistes, que de faire en sorte que les sénateurs y trouvent leur compte et puissent voter conforme, comme les y a si fermement invités M. Karoutchi…

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Pas du tout !

M. Patrick Bloche. …ce projet de loi le 14 mai prochain…

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Non, le 13 mai !

M. Patrick Bloche. …pour qu’enfin on en finisse et que le bon plaisir du Président de la République soit satisfait. (Protestations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Pierre Soisson. La volonté parlementaire est respectée !

M. Patrick Bloche. L’enjeu du débat que nous avons sur les droits d’auteur des journalistes dépasse le seul bon plaisir du Président de la République.

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Monsieur le rapporteur, vous nous dites qu’il faut prendre en compte l’évolution du journalisme à l’ère numérique. Il n’en est pas moins vrai que la rédaction du projet de loi ne correspond pas aux accords qui avaient été conclus entre la plupart des entreprises de presse et les syndicats de journalistes, accords qui avaient été validés par le Président de la République.

La remise en cause de ces accords se fait sous la pression d’une toute petite fraction d’éditeurs de presse particulièrement obstinés dont le seul objectif est non pas de faire évoluer le journalisme à l’ère du numérique, mais de réaliser des économies sur les coûts salariaux, en réduisant le nombre de journalistes dans leur groupe. En effet, au lieu d’avoir un journaliste écrivant pour chaque journal d’un groupe et pour chaque support – internet, télévision, radio –, un seul article pourra être reproduit à l’infini et le journaliste ne sera payé qu’une seule fois. Cela aboutira à une réduction du nombre de journalistes et à leur précarisation.

(Les amendements nos 223 et 222, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 192.

La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Puisque vous n’avez pas accepté notre amendement précédent qui, nous le répétons avec insistance, n’est que la reprise du « Blanc », c’est-à-dire du texte d’équilibre adoubé par les états généraux de la presse et validé par le Président de la République lui-même, nous vous offrons la possibilité de rectifier le tir. Nous considérons, en effet, qu’il convient de rétablir l’obligation de rémunération complémentaire des journalistes qui avait été supprimée par voie de sous-amendement en première lecture. Si vous ne réintroduisez pas cette obligation dans le projet de loi, rien n’empêchera qu’un accord d’entreprise, notamment dans les petites entreprises de presse, fixe une rémunération insignifiante, voire la supprime carrément. À un moment où la presse écrite traverse une crise évidente, marquée par une grande tension, des licenciements collectifs et la mise en œuvre de plans sociaux, nous voudrions éviter que les journalistes soumis à une forte pression économique consentent à cette renonciation qui remet en cause l’un des deux fondements de leur droit d’auteur : le droit patrimonial, c’est-à-dire le droit à une juste rémunération de leurs œuvres.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Lors du débat parlementaire du 2 avril dernier, un sous-amendement a été adopté qui prévoyait de compléter l’article L. 132-37 du code de la propriété intellectuelle par un nouvel alinéa précisant qu’une rémunération complémentaire est due aux journalistes professionnels visés à l’article L. 132-36 pour les exploitations visées à l’article L. 132-38. Or, cet alinéa faisait double emploi avec l’article L. 132-38 aux termes duquel : « L’exploitation de l’œuvre dans le titre de presse au-delà de la période prévue à l’article L. 132-37 du présent code est rémunérée sous forme de droits d’auteur ou de salaire dans des conditions déterminées par l’accord d’entreprise ou, à défaut, par tout autre accord collectif. » C’est la raison pour laquelle la commission mixte paritaire a supprimé cette redondance qui n’apportait rien au texte.

Le rapport de la CMP ne laisse aucun doute sur la portée de cette suppression : elle est purement rédactionnelle et ne retranche rien au contenu du texte. Je tiens à le dire fortement, car je sais que les organisations représentatives des journalistes s’en sont émues. Cet allégement ne porte notamment aucune atteinte au principe de la rémunération complémentaire des journalistes au titre de l’exploitation de leurs œuvres dans le titre de presse au-delà de la période de référence qui est garantie par les dispositions figurant dans le code de la propriété intellectuelle. Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.

(L’amendement n° 192 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements, nos 218, 219, 220 et 221, qui peuvent faire l’objet d’une présentation commune.

La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour les soutenir.

M. Jean-Pierre Brard. Évidemment, madame la ministre, je ne suis pas du tout d’accord avec ce que vous dites ! Certes, vous y mettez tout votre talent patelin (Sourires), mais, même avec du miel autour, ce que vous nous proposez est très indigeste ! Cela dit, il y a une grande cohérence dans la politique gouvernementale. Vous avez eu un moment d’hésitation au mois d’avril, mais, de même qu’il y a des majors dans l’audiovisuel, il y a des majors dans la presse. C’est le monde des puissants auxquels vous faites la courte échelle. Et vous le faites de telle manière que les principales victimes sont censées ne pas pouvoir comprendre de quoi il s’agit. Vous avez fait référence à des accords d’entreprise, madame la ministre, or les gouvernements d’avant et d’après 2007 ont un dénominateur commun : un élément permanent de l’équipe qui s’appelle Nicolas Sarkozy. Vous avez donc un fil rouge, encore que cela soit faire injure à cette couleur que de qualifier Nicolas Sarkozy de fil rouge !

Mme la présidente. Monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard. Je suis sûr, madame la présidente, que le Président de la République partage mon opinion. Vous ne le verrez jamais brandir le drapeau rouge !

Mme la présidente. Merci de poursuivre sur les fondements des amendements !

M. Jean-Pierre Brard. Au mieux, il brandit le drapeau de la renonciation et de la capitulation (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Mme la présidente. Pouvez-vous revenir aux amendements !

M. Jean-Pierre Brard. …dès lors qu’il s’agit de défendre les droits des gens modestes, la propriété des produits de l’intelligence. Et, en renvoyant aux accords d’entreprise, vous démantelez partiellement le droit du travail, vous le savez. Vous livrez ainsi pieds et poings liés, dans un rapport d’inégalité, les salariés à leur chef d’entreprise.

En réalité, vous êtes en train de démontrer l’absence de fiabilité de la parole présidentielle, puisque le Président s’était engagé, lors des états généraux de la presse. Seuls les naïfs l’avaient cru d’ailleurs, et nous n’étions pas dans cette catégorie. Il ne faut pas manquer d’audace pour dire, comme le fait le rapporteur, qu’il faut tenir compte de l’évolution du journalisme à l’ère du numérique ! En réalité, vous prolétarisez la plume et, comme l’aurait dit Marx, vous rendez le prolétaire extérieur à sa production. Jusqu’à présent, les travailleurs de l’intellect – si je puis les appeler ainsi – restaient propriétaires de leurs œuvres, mais vous les expropriez, ou plutôt vous mettez les créations à la disposition de celui qui a rémunéré la force de travail, mais celui qui a produit l’article en est dépossédé. Décidément, 1848 n’est pas si loin ! Vous élargissez le champ des prolétaires qui, comme en 1848, ont vocation à s’unir au-delà des frontières plus que jamais dans le cadre de la mondialisation. Madame la ministre, avec votre discours patelin, vous couvrez une démarche profondément significative sur le plan philosophique et sur celui du mouvement social et de l’histoire.

Je vois que Laure de La Raudière m’écoute avec attention, et cela ne m’étonne pas, car elle possède cette culture qui lui permet de comprendre chaque idée que je développe…

Mme Muriel Marland-Militello. Qu’est-ce que c’est que ces histoires personnelles ?

M. Jean-Pierre Brard. Je n’ai pas parlé de vous, madame Marland-Militello !

Mme Muriel Marland-Militello. Encore heureux !

M. Jean-Pierre Brard. Vous êtes jalouse ! (Rires.)

La mesure prise va beaucoup plus loin que ce que l’on nous dit, parce qu’il s’agit de l’expropriation du producteur de l’œuvre qui, normalement, donne droit à rémunération dans la durée. Or, via les accords d’entreprise, vous ouvrez la possibilité qu’il en aille autrement, le groupe et son propriétaire s’appropriant l’œuvre de façon exclusive.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Défavorable.

(Les amendements nos 218, 219, 220 et 221, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 37 et 193.

La parole est à Mme Martine Billard, pour soutenir l’amendement n° 37.

Mme Martine Billard. Cet amendement vise à supprimer le fameux sous-amendement de Christian Kert qui va permettre aux entreprises de presse d’utiliser un article écrit par un journaliste sur plusieurs supports, indépendamment du droit d’auteur, moral et patrimonial, de celui-ci.

Je voudrais revenir sur ce qui s’est passé en commission. Nous avions dit à Mme la ministre, en première lecture, que nous n’accepterions de voter des amendements que s’ils respectaient intégralement le « Blanc », conformément aux engagements du Président de la République. Elle nous avait répondu que cela ne posait pas de problème, mais nous avons découvert ensuite le sous-amendement de Christian Kert visant à substituer les seuls accords d’entreprise à tout autre accord collectif qui non seulement ne respecte pas le « Blanc », mais va dans le sens inverse. En commission, M. le rapporteur nous avait pourtant dit : « Je tiens à rassurer nos collègues. Ils n’ont aucune mauvaise surprise à redouter ; mes amendements reprennent ceux adoptés en CMP. »

Dans ces conditions, madame la présidente, je demande un scrutin public sur cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Bloche, pour soutenir l’amendement n° 193.

M. Patrick Bloche. Martine Billard a défendu l’idée selon laquelle il fallait supprimer les alinéas 36 et 37 de l’article 10 bis A, car c’est ce qui a malheureusement rompu l’équilibre en première lecture. Si nous voulons que cette nouvelle lecture ait non seulement un sens, mais aussi une utilité, voilà une possibilité de se rattraper.

En adoptant ces amendements – nous garderons jusqu’au bout l’espoir qu’ils le soient –, nous rappellerons tout simplement ce que sont les fondements du droit d’auteur en tant que tel, c’est-à-dire non seulement un droit patrimonial, mais aussi un droit moral, celui d’autoriser ou non la diffusion de ses œuvres, de son travail intellectuel. Avec les dispositions que nous voulons supprimer et qui ont déséquilibré le « Blanc », tout journaliste pourra en effet désormais être amené, du simple fait de son contrat, à travailler sur les différents supports d’un titre de presse. Ces deux alinéas attentent aux fondamentaux du droit d’auteur des journalistes, droit à la fois moral et patrimonial.

Mme la présidente. Sur le vote des amendements identiques nos 37 et 193, je suis saisie par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?

M. Franck Riester, rapporteur. Défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Les alinéas qu’il est proposé de supprimer visent à prendre en compte la révolution numérique en cours dans la presse en prévoyant que le journaliste peut être amené à travailler sur les différents supports du titre de presse, sur papier ainsi que sur le web. Afin de ne pas porter atteinte à la liberté contractuelle, ces dispositions précisent que le contrat de travail peut prévoir que le journaliste ne travaillera que sur un seul support. Ce point relève de l’organisation interne des entreprises de presse et du contrat de travail conclu entre l’employeur et son journaliste. En tout état de cause, cette disposition ne saurait être un motif de rupture du contrat de travail en cours.

J’ai fait part de certaines réserves à l’égard de ces dispositions, mais sur le plan de la méthode elles pouvaient en effet faire l’objet d’accords interprofessionnels puisqu’elles excédaient le contenu des discussions qui se sont déroulées dans le cadre des états généraux de la presse écrite. Néanmoins, sur le fond, le compromis d’ensemble qui s’est dégagé entre l’Assemblée nationale et le Sénat à l’occasion de la commission mixte paritaire, compromis auquel le texte de la commission des lois est fidèle, me semble suffisamment équilibré pour éviter d’être remis en cause par ces amendements. Mon avis est donc défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. De nouveau, les propos de Mme la ministre sont fort intéressants. Elle valorise le contrat à l’intérieur de l’entreprise et, par soustraction, elle déprécie le rôle de la loi. Or la loi est beaucoup plus protectrice que les accords d’entreprise, lesquels sont négociés dans des conditions de rapports de force qui ne sont pas optimaux.

Il faut reconnaître, madame la ministre, que vous êtes cohérente avec la politique de démantèlement du droit social qui est celle du Gouvernement. Chaque fois que vous le pouvez, vous faites reculer les acquis qui résultent des batailles du mouvement ouvrier depuis le Front populaire, depuis le programme du Conseil national de la Résistance. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Ces évocations vous gênent, parce qu’elles reviennent, en cette veille du 8-Mai, à vous tendre le miroir dans lequel vous voyez le reflet de vos turpitudes et de vos renoncements. Ce n’est pas que vous n’en soyez pas conscients, mais ce qui vous gêne, c’est que nous le disions et que nous vous dénoncions publiquement, nous qui sommes les héritiers fidèles du contrat signé pendant la Résistance entre les différentes parties prenantes au combat de libération du territoire national.

Ne vous en déplaise, madame de Panafieu, il en est bien ainsi. Et, au travers de vous, madame de Panafieu, je vois une tradition à laquelle certains – et vous savez de qui je veux parler – furent fidèles, et à l’égard de laquelle vous prenez, vous et vos amis de l’UMP, beaucoup de liberté.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Soisson.

M. Jean-Pierre Soisson. J’ai été ministre du travail pendant trois ans. Je ne laisserai pas dire ce que M. Brard vient de dire. Le contrat d’entreprise n’est pas le démantèlement du droit social et du droit du travail.

Mme Martine Billard. Il est moins protecteur que la loi !

M. Jean-Pierre Soisson. Un rôle essentiel est dévolu aux partenaires sociaux, à tous les niveaux. Nous avons toujours défendu le contrat d’entreprise. Ministre du travail d’un gouvernement à majorité socialiste, je n’avais pas cette position. Et vous êtes en contradiction avec tout ce qu’a pu faire la gauche autrefois. C’est scandaleux ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Monsieur Soisson, la gauche a toujours défendu la hiérarchie des normes. Il y a d’abord le code du travail : ce sont les bases minimales. Ensuite, il y a les accords de branche. Et c’est cette hiérarchie que le gouvernement précédent a inversée. Les conventions collectives étaient plus protectrices que les accords d’entreprise. Ces derniers, sauf quelques exceptions introduites au moment de la loi sur les 35 heures, ne pouvaient être que plus favorables aux salariés que les accords de branche. Et ce sont vos gouvernements UMP qui ont détruit cette hiérarchie des normes et qui ont réduit les accords, non seulement aux accords d’entreprise, mais aux accords d’établissement. Cela n’est pas possible dans la presse, et les journalistes sont, à cet égard, un peu préservés. Mais il est vrai que, de ce point de vue, comme l’a dit notre collègue Brard, vous avez une certaine cohérence.

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur les amendements identiques nos 37 et 193.

(Il est procédé au scrutin.)

Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 72

Nombre de suffrages exprimés 72

Majorité absolue 37

(Les amendements identiques nos 37 et 193 ne sont pas adoptés.)

(L’article 10 bis A est adopté.)

Article 10 bis B

Mme la présidente. La commission a adopté l’article 10 bis B dans le texte du Sénat.

Je le mets aux voix.

(L’article 10 bis B est adopté.)

Article 10 bis C

Mme la présidente. Sur l’article 10 bis C, je suis saisie d’un amendement n° 132.

La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Cet amendement vise à offrir à la majorité une nouvelle chance de se racheter, et surtout, ce qui est souvent le plus important en politique, d’être cohérente avec elle-même.

Vous nous avez dit à plusieurs reprises que ce projet de loi était dissuasif, pédagogique, qu’il visait à créer un cadre psychologique, peut-être même thérapeutique, puisqu’il s’agirait de soigner par la loi les internautes qui téléchargent, pour reprendre les termes de Mme la ministre, de manière frénétique ou opiniâtre.

Nous sommes face à une loi d’exception, et surtout face à une loi d’intimidation, dont tout prouve que, pour des raisons à la fois techniques et budgétaires, elle ne sera jamais appliquée. Mais nous voulons que vous puissiez au moins être en cohérence avec vous-mêmes. Toute la logique du projet de loi HADOPI vise à prendre en compte le fait que la loi DADVSI, adoptée il y a trois ans, n’a jamais été appliquée, ni d’ailleurs évaluée. Vous avez considéré que cette non-application nécessitait de légiférer à nouveau. Dès lors, en cohérence avec vos propos, avec l’exposé des motifs même de votre projet de loi, nous vous proposons par cet amendement d’abroger la loi n° 2006-961 du 1er août 2006 relative aux droits d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, dite loi DADVSI. Nous vous donnons ainsi la possibilité, non seulement de vous racheter, mais surtout d’être cohérents avec vous-mêmes. En politique, ça fait du bien !

(L’amendement n° 132, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

(L’article 10 bis C est adopté.)

Article 10 bis

(L’article 10 bis est adopté.)

Article 10 ter

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, nos 133 et 137, qui peuvent faire l’objet d’une présentation commune.

La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Le rapporteur a proposé et fait adopter en première lecture une disposition qui nous semble insuffisante, parce qu’elle relève de la déclaration d’intention et n’a pas fondamentalement de valeur normative, ou tout du moins de valeur contraignante.

À travers ces deux amendements, nous avons voulu entrer dans votre logique, qui est celle d’aider le plus possible au développement de l’offre légale. Pour que celle-ci soit plus abondante, il faut, assez logiquement – je n’ai pas besoin d’être long pour vous en convaincre –, qu’il y ait une libre circulation des œuvres et des programmes. Il faut évidemment éviter l’assèchement du marché et l’appauvrissement de l’économie de ce secteur.

En l’occurrence, la filière audiovisuelle fonctionne actuellement dans conditions telles que des chaînes, pour des raisons de concurrence, tendent à rallonger le délai de détention et d’exploitation des droits dont elles disposent. Ces œuvres sont donc bloquées et ne peuvent circuler. L’offre légale s’en trouve pénalisée.

Cette situation est aggravée par le principe du guichet unique. Divers articles de presse pourfendent, non sans raison – mais nous l’avions déjà dit dans cet hémicycle –, ce principe qui s’impose progressivement dans un groupe comme France Télévisions.

Nous jugeons donc nécessaire d’assurer la fluidité des droits, de ne pas limiter la propriété de ceux-ci par les diffuseurs. Il s’agit, en fin de compte, d’actualiser, de mieux adapter le cadre réglementaire. Tel est l’objet de ces deux amendements.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Défavorable. C’est un sujet important, sur lequel nous sommes revenus à de multiples reprises, que ce soit en commission ou lors de l’examen de ce projet de loi en première et deuxième lectures.

Cet article 10 ter nous semble une première étape importante, qui va faire bouger les lignes. Mais rien n’est possible sans discussion entre les partenaires de ces filières. Nous verrons si, dans l’avenir, cette première étape est suffisante ou pas pour faire évoluer les choses dans le sens d’une plus grande circulation des œuvres. S’il s’avérait qu’elle ne l’est pas, nous aurions l’occasion d’adopter des dispositions plus normatives. Pour l’instant, cette première étape nous paraît essentielle et suffisante.

(Les amendements nos 133 et 137, repoussés par le Gouvernement et successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

(L’article 10 ter est adopté.)

Article 10 quater

Mme la présidente. Sur l’article 10 quater, je suis saisie d’un amendement n° 38.

La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. L’alinéa 1 de l’article 10 quater prévoit que le Centre national de la cinématographie « est chargé d’initier ou d’élaborer, avant le 30 juin 2009, la mise en place d’un portail de référencement destiné à favoriser le développement des offres légales d’œuvres cinématographiques françaises ou européennes ». Je propose d’ajouter les mots : « , y compris les œuvres documentaires et les courts métrages ».

Nous savons en effet que ces œuvres sont souvent les parents pauvres de la production, et plus encore de la diffusion. Il me semble important que, s’il est mis en place – ce qui reste à voir, parce que j’ai du mal à croire qu’il puisse l’être avant le 30 juin 2009, c’est-à-dire dans moins de deux mois –, ces deux types d’œuvres ne soient pas les oubliés de ce portail de référencement.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Défavorable. Cette précision va de soi, madame Billard, mais il n’y a pas lieu de l’inscrire dans le texte. Le risque est de susciter des restrictions quant au champ de la mesure, par le biais d’une interprétation a contrario.

(L’amendement n° 38, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

(L’article 10 quater est adopté.)

Article 11

(L’article 11 est adopté.)

Article 12

Mme la présidente. Sur l’article 12, je suis saisie d’un amendement n° 224 rectifié.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Christine Albanel, ministre de la culture. Il s’agit d’un amendement de coordination.

(L’amendement n° 224 rectifié, accepté par la commission, est adopté.)

(L’article 12, amendé, est adopté.)

Article 13

Mme la présidente. La commission a adopté l’article 13 dans le texte du Sénat.

(L’article 13 est adopté.)

Mme la présidente. Nous avons achevé l’examen des articles du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet.

La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Nous voici donc parvenus au terme de ce débat. Un vote solennel, comme vous le savez, aura lieu la semaine prochaine. Sans abuser de notre temps à tous, je voulais, au nom de notre groupe, apporter une conclusion temporaire à ce débat avant l’explication de vote de mardi prochain.

Vous me permettrez de vous lire un texte que je trouve superbe, qui est une manière à la fois de conclure et d’ouvrir des perspectives par rapport à ce qui se passera après la loi HADOPI. Ce texte, tous nos collègues l’ont reçu, mais je voulais le lire dans cet hémicycle. Je n’ajouterai d’ailleurs rien d’autre. Il nous a été adressé par les auteurs, les traducteurs, les illustrateurs, les critiques et chroniqueurs, les essayistes, les libraires, les blogueurs, les éditeurs et directeurs de collection de la science-fiction, qui ont tenu à exprimer ainsi leur opposition à cette loi. Pourtant, ce sont des auteurs, des artistes. Voici ce qu’ils nous disent :

« C’est un truisme de dire que la science-fiction se préoccupe de l’avenir et que nombre de ses acteurs ont dénoncé les dérives possibles, voire probables, des sociétés industrielles et technologiques ; le nom de George Orwell vient spontanément aux lèvres. » Le texte mentionne également ici d’autres auteurs que je ne citerai pas.

« La science-fiction, poursuivent-ils, sait déceler les germes de ces dérives dans le présent, car c’est bien du présent que rayonnent les avenirs possibles, et c’est au présent que se décide chaque jour le monde de demain.

« La méfiance face aux nouveaux développements technologiques et aux changements sociaux qui en résultent, la peur de l’avenir et le désir de contrôle d’une société obnubilée par un discours sécuritaire,...

M. Jacques Myard. Tout ce qui est excessif est insignifiant !

M. Patrick Bloche. « …tout cela a déjà été abordé par la science-fiction, et s’il est une chose dont elle a permis de prendre conscience, c’est que les techno-sciences et leurs développements sont la principale cause de changement dans nos sociétés modernes. De ces changements en cours ou en germe, nul ne peut prévoir les retombées mais on sait aussi qu’élever des barrières ou des murs n’amène qu’à les voir tomber un jour, de manière plus ou moins brutale.

« Aussi, plutôt qu’interdire, la sagesse, mais aussi le réalisme, devrait inciter à laisser libre cours à la liberté d’innover et de créer. Le futur qu’il nous faut inventer chaque jour ne doit pas être basé sur la peur, mais sur le partage et le respect. »

M. Jacques Myard. Excessif !

M. Patrick Bloche. « Cette loi, dont on nous affirme qu’elle défendra les droits des artistes et le droit d’auteur en général, nous apparaît surtout comme un cheval de Troie employé pour tenter d’établir un contrôle d’Internet, constituant par là même une menace pour la liberté d’expression dans notre pays. »

M. Jacques Myard. Vous avez dit la même chose pour le code de la route !

M. Patrick Bloche. « Les artistes, les créateurs, tous ces acteurs de la culture sans qui ce mot serait vide de sens, se retrouvent instrumentalisés au profit d’une loi qui, rappelons-le, contient des mesures telles que le filtrage du Net, l’installation de mouchards sur les ordinateurs des particuliers, la suspension de l’abonnement à Internet sans intervention d’un juge et sur la base de relevés d’IP – dont le manque de fiabilité a depuis longtemps été démontré – effectués par des sociétés privées, et l’extension de mesures prévues à l’origine pour les services de police luttant contre le terrorisme à l’échange non autorisé de fichiers entre particuliers.

« Profondément attachés au droit d’auteur, qui représente l’unique ou la principale source de revenus pour nombre des travailleurs intellectuels précaires que nous comptons dans nos rangs, nous nous élevons contre ceux qui le brandissent à tout bout de champ pour justifier des mesures de toute façon techniquement inapplicables, certainement dangereuses, dont le potentiel d’atteinte aux libertés n’est que trop évident aux yeux de ceux qui, comme nous, pratiquent quotidiennement dans le cadre de leur travail l’expérience de pensée scientifique, politique et sociale qui est au cœur de la science-fiction.

« Également conscients de l’intérêt et de la valeur des communautés créatives, nous nous élevons aussi contre les dangers que cette loi fait peser sur le monde de la culture diffusée et partagée sous licence libre, qui constitue une richesse accessible à tous.

« Internet n’est pas le chaos, mais une œuvre collective, où aucun acteur ne peut exiger une position privilégiée, et c’est une aberration de légiférer sur des pratiques nées de la technologie du XXIe siècle en se basant sur des schémas issus du XIXe siècle, songez-y.

« Car l’avenir est notre métier.

« Qui contrôlera le futur ? », telle est la question qu’ils nous posent pour finir.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Je voudrais remercier, au nom de notre groupe, tous ceux qui ont travaillé pendant ces jours et ces nuits, qui nous ont assistés. Je ne parle pas des intermittents qui sont venus de temps en temps, sur ordre. Il faut reconnaître qu’il y a des collègues de droite qui, comme ceux de gauche, ont été présents depuis le début. Vous êtes de ceux-là, madame Marland-Milittello, qui me fixez d’un œil noir…

Mme Muriel Marland-Militello. C’est que je ne vous vois pas bien ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard. Ce n’est pas parce que vous défendez des points de vue archaïques que vous n’avez pas le mérite d’avoir joué ici le rôle de sentinelle au nom du Président de la République.

Mme la présidente. Allons, monsieur Brard.

M. Jean-Pierre Brard. L’un des principaux sujets de préoccupation de ce texte est son caractère liberticide – nous l’avons démontré tant et plus, il est inutile d’y revenir. De ce point de vue, vous avez déjà perdu la bataille politique.

Vous vous asseyez sur l’avenir à la façon dont Harpagon s’asseyait sur son coffre pour empêcher qu’on en soustraie le contenu. Vous pouvez essayer de maintenir l’éteignoir sur les progrès technologiques, ces progrès qui ouvrent des champs nouveaux. Il faut faire confiance, dans ces champs nouveaux, aux talents d’aujourd’hui pour qu’ils donnent leur plein déploiement, faire confiance au génie créateur des artistes, même si certains n’ont pas encore compris de quoi il s’agit.

Il faut faire confiance aussi au dialogue. Quelqu’un a dit tout à l’heure que nous allons conclure. Non ! Nous n’allons pas conclure, nous allons arriver au terme d’une étape avec le vote solennel qui aura lieu mardi. En réalité, il faut continuer le débat pour trouver les solutions de la rémunération du travail des créateurs, puisque votre texte ne répond pas du tout à cette préoccupation et ne vise qu’à préserver d’une façon illusoire les intérêts des majors.

Nous, du point de vue de la création, nous faisons confiance à l’avenir, mais nous nous appuyons aussi sur l’héritage, qu’il faut cultiver, parce que ce sont ces braises ardentes du passé qui éclairent les chemins de l’avenir. Tous ces jeunes que nous avons rencontrés pendant ces débats, sur Internet, qui nous ont suivis, hélas pour vous, ont vu combien vos points de vue étaient pervers.

Madame la ministre, monsieur le ministre, sortir de la crise, ce n’est pas seulement mettre 360 milliards sur la table pour les banques,…

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. C’est déjà pas mal !

M. Jean-Pierre Brard. …c’est aussi ouvrir les portes de l’avenir à l’intelligence, à la création. Nous avons les moyens technologiques pour libérer les contraintes qui restent. Mais vous, vous essayez de cadenasser ces possibilités ouvertes par les talents scientifiques d’aujourd’hui, auxquels ne demandent qu’à se conjuguer les talents de la création artistique.

Madame la ministre, d’une certaine manière, nous nous disons au revoir. Avec les internautes, nous allons pousser le Gouvernement aux fesses à l’occasion des assises de la création et d’Internet qui auront lieu à l’automne et qui seront un grand moment de dialogue, avec ou sans le Gouvernement.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois. Je remarque simplement que la grandiloquence de certains propos ne nous fera pas oublier que trois députés de l’opposition seulement nous ont fait l’honneur de leur présence cet après-midi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Exactement !

Mme la présidente. Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l’ensemble du projet de loi auront lieu le mardi 12 mai, après les questions au Gouvernement.

3

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, mardi 12 mai à quinze heures :

Questions au Gouvernement ;

Explications de vote et vote, par scrutin public, sur le projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet ;

Proposition de résolution tendant à modifier le règlement de l’Assemblée nationale.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-sept heures trente-cinq.)