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Mme la présidente . La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux (n os 2169, 2204).
Les temps de parole restant pour la discussion de ce texte sont de huit heures vingt-deux pour le groupe UMP, neuf heures cinquante-sept pour le groupe SRC, cinq heures quarante-cinq pour le groupe GDR, quatre heures quinze pour le groupe NC et cinquante minutes pour les députés non inscrits.
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Le Roux, pour un rappel au règlement.
M. Bruno Le Roux. Mon intervention concerne l’organisation de la séance.
Mme la présidente. Sur quel article la fondez-vous? L’article 58, alinéa 1, par exemple?
M. Yves Durand. L’article 49!
M. Bruno Le Roux. Par exemple, sur l’article 49 ou sur l’article 58, alinéa 1, mais cela importe peu; je veux surtout parler de l’organisation de nos débats.
Le fil rouge de notre discussion a été l’avis de l’assemblée générale du Conseil d’État, qui semble essentiel en ce qui concerne notre texte. Il a été évoqué à maintes reprises et même lu en grande partie dans cet hémicycle. Je souhaiterais donc savoir si nous pouvons enfin en disposer ou si le Gouvernement, après nous en avoir donné une lecture partielle, souhaite encore le conserver par-devers lui.
M. Laurent Fabius. Une lecture partielle et partiale!
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marleix, secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales.
M. Alain Marleix, secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales. Monsieur le député, l’avis du Conseil d’État, comme cela a déjà été dit cet après-midi, se trouve sur le site du Point : www.lepoint.fr. Je ne vais donc pas le distribuer ici. Cela ne se fait d’ailleurs pas, vous en conviendrez.
M. Bruno Le Roux. Cela s’est parfois fait!
M. Alain Marleix, secrétaire d’État. Tous ceux qui veulent consulter ce texte, en connaître le contenu, peuvent se rendre sur ce site.
Je vous donnerai cependant quelques éléments relatifs à l’avis du Conseil d’État sur ce projet de loi – j’insiste sur la précision: ce projet de loi –, puisque M. Laurent Fabius et vous-même y avez fait référence.
Première observation, il ne faut évidemment pas confondre ce que l’on appelle, au Conseil d’État, un document de travail, émanant de la section de l’intérieur, et 1’avis officiel du Conseil d’État, rendu par son assemblée générale et avalisé par la signature du vice-président du Conseil d’État.
M. Le Roux a d’ailleurs bien voulu reconnaître qu’il s’était référé à tort…
M. Bruno Le Roux. Non! À raison!
M. Alain Marleix, secrétaire d’État. …à un document de travail, celui que j’avais évoqué en réponse à la motion de rejet préalable défendue par M. Fabius. J’aurais aimé que celui-ci fît de même, en admettant qu’il avait invoqué, dans ses déclarations publiques, notamment sur France Info le 22 octobre dernier, un document qui n’exprimait pas la position officielle du Conseil d’État.
Deuxième observation: M. Fabius a lu dans son intervention le paragraphe qui exprimait la conclusion de l’avis adopté par l’assemblée générale le 15 octobre. Je n’hésite pas à vous relire ce passage : « Dans ces conditions, le Conseil d’État a disjoint les dispositions du projet relatives au mode de scrutin ainsi que, par voie de conséquence, l’ensemble du titre premier et l’ensemble des dispositions du projet de loi relatif à la concomitance des élections cantonales et régionales qui étaient liées à la mise en place des conseillers territoriaux. »
Il est facile de tirer des conclusions de ce paragraphe si l’on oublie, sciemment, de citer celui qui le précède, alors qu’il faut naturellement savoir à quoi le Conseil d’État fait allusion quand il écrit « dans ces conditions ». Or, dans le paragraphe précédent, le Conseil d’État disait exactement ceci : « Il a estimé que les modalités retenues pour mettre en œuvre ces objectifs, d’ailleurs amendées en séance par le Gouvernement, ne pouvaient, eu égard à la complexité qu’elles conservaient et à défaut de l’examen approfondi qu’elles auraient en conséquence exigé, recueillir en l’état son avis favorable. Le Conseil d’État invite dès lors le Gouvernement à étudier des modalités alternatives de nature à respecter les principes applicables au suffrage et les objectifs qu’il s’assigne, notamment l’intelligibilité nécessaire à la sincérité des opérations électorales, la préservation d’une suffisante liberté de candidature et l’égalité entre les candidats comme entre les électeurs. »
Comme je vous l’ai dit, le Gouvernement a alors modifié son texte. Nous y reviendrons d’ailleurs lorsque nous discuterons du projet de loi relatif à l’élection des conseillers territoriaux. Ce qu’il faut retenir, pour ce qui concerne le texte dont il est question aujourd’hui, ce sont les mots « par voie de conséquence ».
Le Conseil d’État a lié dans son avis les trois textes électoraux, parce que ceux-ci lui ont été présentés ensemble, globalement, et qu’ils ont été étudiés au cours des mêmes séances, avec les mêmes rapporteurs, et qu’ils ont fait l’objet d’un avis unique. Les critiques émises par le Conseil d’État à l’encontre des modalités figurant à l’époque dans le projet de loi gouvernemental l’ont donc conduit à englober dans ces critiques les autres textes électoraux, dont celui dont nous débattons aujourd’hui.
C’est le Gouvernement lui-même qui était à l’origine de cet examen et de cette position simultanés, mais l’avis du Conseil d’État est évidemment favorable au texte sur la concomitance, indépendamment des autres textes électoraux, qui seront discutés ultérieurement.
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Fabius. Dans le cadre du temps programmé, la durée de son rappel au règlement sera décomptée du temps restant au groupe SRC.
M. Laurent Fabius. Nous avons écouté la réponse de M. le secrétaire d’État, qui confirme ce que plusieurs d’entre nous disent depuis longtemps, et dont il est bien obligé de convenir. Ce n’est d’ailleurs pas un mystère, puisque cela figure – cela a été rappelé – sur le site du Point : le Conseil d’État a disjoint les dispositions relatives au mode de scrutin et les dispositions concernant la concomitance des scrutins. C’est d’ailleurs écrit noir sur blanc. Certes, les avis du Conseil d’État sont souvent difficiles à interpréter, mais les mots ont un sens.
Cela dit, vous n’avez pas répondu, monsieur le secrétaire d’État, à une question que j’avais posée. À partir de cette lecture négative du texte par le Conseil d’État et d’éventuelles démarches entreprises par le Gouvernement dont j’ignore la teneur, qu’est-ce qui vous permettait, le 15 décembre dernier, d’affirmer que le projet de loi sur la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux a fait l’objet d’un avis du Conseil d’État – je cite vos mots – et, à l’instant, de redire – le compte rendu de la séance en attestera – que le Conseil d’État a bien évidemment approuvé votre projet de loi? Certains éléments nous échapperaient-ils? Auriez-vous soumis à nouveau – pourquoi pas, même si personne, du moins sur les bancs de l’opposition, n’en a connaissance – un texte, en l’occurrence celui que vous nous présentez aujourd’hui? Le cas échéant, quel a été l’avis du Conseil d’État?
Si ce n’est pas le cas, absolument rien ne vous permet de prétendre que le Conseil d’État a approuvé le texte. Il l’a, au contraire, désapprouvé. J’aimerais donc, pour la clarté du débat, que vous ayez la gentillesse de nous répondre, faute de quoi nous serions évidemment en droit de considérer que ce que vous dites est le contraire de la réalité.
Mme la présidente. Nous en venons à la discussion générale.
M. Laurent Fabius. Vous ne répondez pas, monsieur le secrétaire d’État? Qui ne dit mot consent. Vous avez donc menti!
M. Alain Marleix, secrétaire d’État. Le procédé est un peu facile!
M. Yves Durand. Si vous ne répondez pas…
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Maurice Leroy.
M. Maurice Leroy. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, sans vouloir prolonger les échanges intervenus lors des explications de vote antérieures, je dois avouer que je continue de trouver curieuse la situation dans laquelle nous nous trouvons. On nous administre régulièrement des leçons de morale à propos de la séparation des pouvoirs, de l’équilibre des pouvoirs, etc. Or le début de l’examen de ce texte nous donne l’occasion de vivre, de ce point de vue, des moments assez remarquables. Que ne dirait-on pas si les rôles étaient inversés et si la majorité actuelle jetait en pâture tel ou tel avis du Conseil d’État? Je tiens d’ailleurs à vous remercier, monsieur le secrétaire d’État, car je trouve formidable que vous ayez eu l’élégance, la gentillesse et la courtoisie de répondre assez longuement. Je me permets de relever au passage que nous n’avons pas connu cela sous beaucoup de gouvernements.
Avec l’examen de ce projet de loi organisant la concomitance du renouvellement des conseils généraux et des conseils régionaux, nous abordons la discussion d’un texte qui, malgré son apparence courte et technique, marque en réalité le coup d’envoi de nos débats sur l’un des principaux aspects de la réforme des collectivités locales initiée par le Président de la République : le remplacement, à l’horizon 2014 des conseillers généraux et régionaux par des conseillers territoriaux élus pour siéger simultanément au département et à la région.
Permettre aux conseillers territoriaux de voir le jour à cette date implique ainsi une harmonisation du calendrier électoral nécessitant à son tour de réduire la durée de certains mandats locaux, notamment celui des conseillers généraux appelés à être élus en 2011, qui, pour leur part, verront leur mandat réduit de six à trois ans.
En la matière cependant, à défaut d’exigences constitutionnelles fermement établies, la tradition républicaine veut que, si le législateur est compétent – et, permettez-moi cette incidente, jusqu’à preuve du contraire, c’est encore ici qu’est votée la loi et c’est encore au législateur qu’il appartient de le faire, quels que soient les avis rendus par le Conseil d’État –, si le législateur, disais-je, est compétent pour fixer le régime électoral et donc la durée des mandats des assemblées locales, il s’abstient de réduire la durée de mandats ayant déjà commencé.
Tel est donc l’un des objets de ce texte, monsieur le secrétaire d’État: fixer les règles préalablement aux élections, notamment aux élections régionales de mars prochain, afin de ne pas reporter à une échéance trop lointaine la pleine application de la réforme territoriale dont notre assemblée commence seulement à débattre dans cet hémicycle.
Néanmoins, mes chers collègues, ne nous y trompons pas, en dépit de son caractère de préalable à la réforme de nos collectivités locales, ce texte possède également un objet qui lui est propre – vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, à plusieurs reprises, et le groupe Nouveau Centre souscrit à vos propos – et qui le rend dès lors pleinement autonome par rapport aux autres projets législatifs constituant à ce jour la réforme envisagée des collectivités territoriales. S’il rend techniquement possible l’élection en 2014 des conseillers territoriaux dont le comité Balladur avait proposé la création, son adoption ne préjugerait en aucune manière la décision qui sera en fin de compte celle du législateur.
Indépendamment du débat qui aura lieu dans cette assemblée d’ici à quelques mois, le texte qui nous est aujourd’hui soumis se suffit à lui-même en proposant de mettre fin à l’émiettement dans le temps des scrutins locaux pour stimuler la participation de nos concitoyens à ces élections.
Les élections régionales et cantonales auraient désormais lieu de manière simultanée et, conséquence de ce regroupement dans le temps, le système de renouvellement triennal par moitié des conseils généraux, en vigueur dans notre pays depuis 1871, serait pour sa part abandonné.
Ironie de l’histoire – je ne résiste pas au plaisir d’y revenir – la concomitance des élections régionales et cantonales avait été en 1990 instituée par un gouvernement, celui de Michel Rocard,…
M. Thierry Benoit. Eh oui!
M. Maurice Leroy. …et une majorité socialistes, monsieur Fabius, pour être abandonnée quelques années plus tard par le gouvernement d’Édouard Balladur.
M. Thierry Benoit. Il fallait le dire!
M. Maurice Leroy. En 1994, lorsqu’il avait restauré ce système, parfois surprenant pour le non-initié, de renouvellement triennal par moitié des conseils généraux, le législateur avait mis en avant la nécessaire continuité de l’action départementale, ainsi que la possibilité qu’il offrait aux électeurs de se prononcer à intervalles plus réguliers sur la politique menée par l’exécutif de leur département.
Si ces arguments n’ont pas perdu de leur rationalité, il faut néanmoins les rapporter à la faible participation qui n’a, depuis de longues années, de cesse de caractériser les élections cantonales. Notre collègue rapporteur, Dominique Perben, l’a montré dans son rapport écrit. Depuis vingt ans, c’est le plus souvent à peine plus d’un électeur sur deux qui se déplace pour élire son conseiller général en milieu urbain, la participation étant plus forte, comme vous le savez tous, dans les cantons ruraux.
M. Thierry Benoit. C’est vrai!
M. Maurice Leroy. Deux fois seulement depuis 1988, le chiffre de la participation a dépassé la barre des 60 %, en 1992 et en 2004, soit deux années où les élections cantonales intervenaient simultanément avec les élections régionales. Au-delà de cette faible participation, je veux souligner que l’émiettement des consultations électorales conduit à un émiettement du débat local lui-même.
Faute de pouvoir identifier clairement le sens de l’élection à laquelle ils sont convoqués, nos concitoyens sont le plus souvent tentés de se prononcer sur la base de considérations strictement nationales, contribuant ainsi à priver de son contenu notre démocratie locale.
Ce qui unit en réalité ce texte au reste du projet de réforme de nos collectivités locales, c’est cette ambition de refonder notre démocratie locale pour franchir, près de trente ans après les grandes lois décentralisatrices et cinq ans après ce que l’on avait alors appelé, sous le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, l’acte II de la décentralisation, une nouvelle étape de ce long processus.
La concomitance des élections cantonales et régionales en 2014 permettra ainsi d’instituer dans le calendrier électoral un rendez-vous majeur avec nos territoires, qui sera le gage d’un débat local revitalisé et rehaussé et qui servira plus fidèlement l’idée que nous nous faisons de la démocratie locale.
Pour sa part, la création d’un collège unique d’élus désignés, appelés à siéger simultanément dans les assemblées régionales et départementales contribuera à donner une plus grande cohérence aux différentes politiques locales; elle donnera également à nos concitoyens des élus locaux certes moins nombreux mais dont le rôle sera désormais mieux identifié et dont les responsabilités seront accrues, favorisant ainsi l’avènement d’une démocratie locale plus transparente et sans doute plus responsable.
Je ne vois pas en quoi il y aurait une « cantonalisation » des régions. Je trouve d’ailleurs le propos assez dégradant pour les conseillers généraux,…
M. Thierry Benoit. Absolument!
M. Maurice Leroy. …comme si le fait d’avoir des élus départementaux siégeant dans une assemblée régionale pouvait diminuer l’esprit et la façon d’animer cette dernière. Voilà pour le moins une curieuse conception! Je ne sais pas ce qu’en pense le président de l’ADF – l’assemblée des départements de France – Claudy Lebreton, mais je ne suis pas certain que le concept de « cantonalisation » lui plaise. Cela montre qu’il y a parfois des contradictions entre collèges électoraux et qu’il faut faire attention aux comparaisons.
M. Thierry Benoit. Tout à fait!
M. Alain Marleix, secrétaire d’État. D’autant qu’ils sont, eux, vraiment élus!
M. Maurice Leroy. Oui, et de surcroît, élus au suffrage universel! J’ai eu le bonheur de présider l’Union des conseillers généraux de France pendant plusieurs années, avec un bureau pluraliste, et je rappelle que le conseiller général est élu, comme le député et le Président de la République, au suffrage universel direct.
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. À deux tours!
M. Maurice Leroy. Cependant, mes chers collègues, il nous appartient à ce stade de faire part de nos réflexions en ce qui concerne le mode de scrutin actuellement retenu pour l’élection des futurs conseillers territoriaux.
Ce collège unique est appelé à succéder à deux collèges élus selon des modalités différentes.
M. Laurent Fabius. Je croyais que cela n’avait pas de rapport!
M. Maurice Leroy. C’est vrai…
M. Pascal Deguilhem. Ce n’est pas le texte!
M. Maurice Leroy. …et j’ai dit, en commençant mon intervention, que ce n’était pas le texte.
Si les conseillers généraux sont, à l’heure actuelle, encore élus au scrutin majoritaire dans le cadre de leur canton, les conseillers régionaux sont pour leur part désignés à l’issue d’un scrutin proportionnel de liste.
En d’autres termes, la loi électorale privilégie actuellement au niveau du département le lien pouvant exister entre l’élu et ses électeurs là où, au niveau régional, c’est le pluralisme, la diversité des opinions, mais aussi la parité entre hommes et femmes qui se trouvent favorisés par le scrutin proportionnel.
Près de deux ans après que le caractère pluraliste de notre démocratie a été gravé dans le marbre constitutionnel, le premier enjeu de nos débats sur les modalités de l’élection des conseillers territoriaux sera, le moment venu, de définir un mode de scrutin préservant le lien entre l’élu et les citoyens qu’il représente, tout en permettant l’expression de l’ensemble des courants de pensée qui traversent la société française.
Derrière les apparences, monsieur le secrétaire d’État, ces deux exigences sont loin d’être antinomiques, et les exemples étrangers peuvent à ce titre contribuer à éclairer nos débats. Pour notre part, au Nouveau Centre, nous connaissons bien l’exemple du mode de scrutin prévalant à l’élection du Bundestag allemand. Au terme d’un tour d’élection où chaque citoyen dispose de deux voix, la première lui permet de désigner un candidat se présentant dans le cadre de sa circonscription, la seconde d’exprimer une préférence politique au niveau fédéral au sein d’une assemblée dont 50 % des membres sont élus au scrutin majoritaire. C’est bien la composition de l’ensemble de l’assemblée qui reflète le nombre de secondes voix obtenues par chacun des partis. En l’état du projet gouvernemental, la part qui sera laissée aux formations politiques autres que les deux principales présente le risque d’être doublement marginale. Marginale, car limiter à 20 % le nombre de sièges à pourvoir au scrutin proportionnel ne permettra pas, selon nous, de contrebalancer suffisamment les très fortes distorsions de représentation induites par le mode de scrutin uninominal majoritaire à un tour. Marginale, car la vocation de la part de proportionnelle est bien de recycler les voix des battus, non de corriger véritablement ces distorsions de représentation.
Pour permettre un réel pluralisme dans la vie politique locale, il semble donc nécessaire aux députés du Nouveau Centre non seulement d’accroître la dose de proportionnelle mais aussi de changer la vocation de la part de proportionnelle pour se rapprocher du système allemand où elle permet une réelle correction des distorsions de représentation.
Mes chers collègues, tous ici sur ces bancs nous partageons sans doute cette ambition d’une démocratie locale refondée, plus en phase avec les aspirations de nos concitoyens qu’elle ne l’est à l’heure actuelle. L’instauration, dans notre calendrier électoral, d’un rendez-vous véritablement majeur avec nos territoires constitue une étape à ne pas négliger de cette refondation que j’évoquais à l’instant. C’est à ce titre que les députés du groupe Nouveau Centre soutiennent ce projet de loi.
Toutefois, mes chers collègues, il est un débat, celui portant sur le mode de désignation des conseillers territoriaux, qui ne fait que commencer aujourd’hui dans cet hémicycle, y compris au sein de la majorité. Aussi, comme le propose le Gouvernement, je forme le vœu qu’il nous permette, dans un esprit de consensus, de retenir des modalités à même de servir véritablement cette ambition pour notre démocratie locale.
M. Thierry Benoit. Sage propos!
Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Verchère.
M. Patrice Verchère. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux qui nous est aujourd’hui soumis est le premier texte portant réforme des collectivités territoriales dont nous sommes saisis.
En effet, je rappelle que la réforme des collectivités territoriales se compose d’un ensemble de quatre textes: un projet de loi électoral, un projet de loi organique, un projet de loi institutionnel et le présent projet.
L’objet principal et unique de ce projet de loi est de permettre l’expiration simultanée, en mars2014, des mandats de l’ensemble des conseillers généraux, c’est-à-dire de ceux qui ont été élus en mars2008, dont le mandat arrive naturellement à son terme en mars2014, et de ceux qui seront élus en mars2011, ainsi, enfin, que des mandats des conseillers régionaux qui seront élus au mois de mars prochain. Ce texte se contente donc, comme son titre l’indique, d’organiser la concomitance de ces renouvellements.
Pour quelle raison est-il examiné avant les autres? Tout simplement pour respecter le principe de sincérité du scrutin, qui impose de présenter ce projet de loi avant la tenue des élections régionales de mars2010, afin que les électeurs puissent se prononcer en toute connaissance de cause.
Par ailleurs, je tiens à souligner que ce texte a le même fondement que la loi du 11 décembre 1990, présentée par le gouvernement de Michel Rocard. Il en a le même objectif fondamental, à savoir lutter contre l’abstentionnisme. En effet, la concomitance, instituée par la loi du 11 décembre 1990, a eu des résultats bénéfiques sur la participation électorale.
Ainsi, si l’on s’en réfère aux données statistiques, le taux d’abstention aux élections cantonales, qui était supérieur à 50 % lors des élections de 1988, a fortement chuté avec l’instauration, en 1992, d’élections régionales et cantonales concomitantes, puisqu’elle ne représentait plus que 29,8 % au premier tour, avant de remonter à 40 % environ lors des élections de 1994.
Si cette corrélation n’est pas systématiquement établie, on s’aperçoit néanmoins que, lorsqu’il y a concomitance, le taux de participation augmente. Nous constatons, à chaque élection, et nous le déplorons tous, un certain désintérêt des électeurs pour le scrutin. Par conséquent, le fait de jumeler l’élection des conseillers généraux et celle des conseillers régionaux est une bonne chose et devrait transcender nos éventuels clivages.
Je suis convaincu que cette concomitance encouragera les électeurs à se déplacer. Car, ne l’oublions pas, lorsque l’abstention dépasse 50 %, voire 75 % pour une élection partielle, la démocratie en prend un coup.
La mise en place d’élections territoriales concomitantes renforcera également la complémentarité et la solidarité entre les élus locaux. En effet, les élus départementaux et les élus régionaux sont actuellement désignés pour une même durée de six ans, mais selon une périodicité dissociée. Dans ce contexte, il est naturellement difficile d’articuler efficacement les politiques publiques de chaque niveau de collectivités. La suppression de ce décalage dans le temps favorisera le renforcement des liens entre les départements et les régions et, par conséquent, elle leur permettra de mieux coordonner leurs actions.
Ce projet de loi favorise, enfin, la mise en place d’une déconnexion des enjeux électoraux locaux par rapport aux enjeux électoraux nationaux. En effet, si ce nouveau calendrier était mis en œuvre, il éviterait, pendant près de vingt ans, c’est-à-dire jusqu’en 2032, tout « télescopage » entre des échéances locales et des échéances nationales.
Dans ce projet de loi, il n’est pas question de la création des conseillers territoriaux ou de leur mode d’élection. Toutefois, mes chers collègues, s’il convient de reconnaître que ce texte constitue un préalable indispensable à la création éventuelle des conseillers territoriaux qui fera l’objet d’un prochain débat, il n’implique pas pour autant la création des conseillers territoriaux. Le terme « conseiller territorial » ne figure d’ailleurs pas dans les deux articles du présent projet de loi.
M. Pascal Deguilhem et M. Yves Durand. Mais il est dans l’exposé des motifs!
M. Laurent Fabius. On ne parle que de ça!
M. Patrice Verchère. Par conséquent, nous ne sommes pas liés par des textes qui ne sont encore que de simples projets de loi. Il n’est pas non plus question ici du mode de scrutin des conseillers territoriaux.
Ainsi, adopter ce texte sur la concomitance ne préjuge en aucun cas le vote que nous exprimerons sur les trois autres projets de loi.
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Ben voyons!
M. Patrice Verchère. De même, l’adoption de ce texte ne nous engage pas sur le fond, puisque rien n’empêcherait qu’en mars2014 on élise à nouveau des conseillers généraux et régionaux.
Ainsi, dans l’hypothèse où le Parlement adopterait ce projet de loi sans adopter, dans quelques mois, celui qui visera à instituer le conseiller territorial, les élections cantonales et les élections régionales de 2014 auraient tout simplement lieu le même jour selon le mode de scrutin que nous connaissons aujourd’hui.
Vous voyez bien, mes chers collèges, que si nous votons ce texte, nous ne serons pas pour autant obligés, dans quelques mois, d’avaliser la mise en place des conseillers territoriaux.
M. Patrick Braouezec. Vous faites une annonce!
M. Patrice Verchère. À l’inverse, si le présent projet de loi n’était pas approuvé dans les plus brefs délais, il serait de facto impossible que les conseillers territoriaux soient effectivement créés en mars2014. Nous nous priverions ainsi de la possibilité d’adopter l’article du projet de loi de réforme des collectivités territoriales qui, dans sa rédaction actuelle, institue le conseiller territorial, ce qui reviendrait à nous lier les mains nous-mêmes et, pire, à nous enlever toute possibilité d’en discuter, d’échanger et de confronter nos opinions à ce propos. Or je suis certain que vous seriez frustrés de ne pas pouvoir le faire.
En conclusion, ce projet de loi peut légitimement être adopté, tant par ceux qui s’opposent à la création des conseillers territoriaux que par ceux qui soutiennent ce projet. Le groupe UMP votera bien évidemment ce texte, acte I de la réforme de nos collectivités territoriales. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. Patrick Braouezec. S’il y a un premier acte, c’est bien qu’il y en a un second! Cela s’appelle une pièce, ou plutôt une mise en pièces!
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont.
Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, a priori , nous devions débattre ce soir d’une toute petite loi comprenant seulement deux articles. Son apparence est en effet anodine puisqu’il s’agit simplement, selon ce que l’on veut nous faire croire, d’organiser la concomitance du renouvellement des conseils généraux et régionaux.
Un tel projet est, certes, cohérent avec la réorganisation déjà engagée de notre calendrier électoral, et il pourrait sembler répondre à la revendication de renouvellement en une seule fois des conseillers généraux exprimée depuis plusieurs années par la grande majorité des présidents, au sein de l’Assemblée des départements de France. Il est effectivement essentiel que les assemblées départementales puissent inscrire leur mandature dans une durée suffisante pour la mise en œuvre de leurs projets, et que soit ainsi renforcée l’action des départements, maillons essentiels des politiques de solidarité dans notre pays.
Aussi, sans l’exposé des motifs qui l’accompagne et les intentions qui le sous-tendent, ce texte pourrait nous donner satisfaction, d’autant qu’il reprend le dispositif de regroupement des scrutins régionaux et cantonaux prévu par la loi du 11 décembre 1990, voté sur proposition d’un gouvernement de gauche, que la droite revenue au pouvoir s’est empressée de supprimer par la loi du 18 janvier 1994.
Mais, en fait, et notre débat en atteste, cette toute petite loi est fondamentalement perverse car elle va permettre d’étayer la création des conseillers territoriaux qui, sans elle, ne pourraient être mis en place dès 2014, en raison de l’impossibilité de raccourcir un mandat dès lors que l’élection a eu lieu.
Le moins que l’on puisse dire est que ce procédé, qui consiste à faire légiférer sur les conséquences avant même de se prononcer sur la cause, est inconvenant et qu’il fait bien peu de cas de la représentation nationale. C’est ainsi que l’exposé des motifs, pour justifier la réduction de la durée des mandats, se réfère explicitement à la création des conseillers territoriaux prévue dans le projet de réforme des collectivités territoriales, ce qui, vous en conviendrez, est pour le moins baroque puisque notre assemblée n’est même pas encore saisie du texte définitif de cette réforme.
M. Laurent Fabius. Très bien!
Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. Le malaise avec lequel vous nous avez donné des explications, monsieur le secrétaire d’État, atteste au demeurant de cette incongruité.
Les conseillers territoriaux n’ont pour l’heure aucune existence légale, pas plus que leur mode de scrutin ou leur circonscription électorale. Mais réjouissons-nous, nous savons au moins qu’ils seront élus pour six ans! Nous ne connaissons ni le nombre de cantons pour chaque département ni leur périmètre, lesquels seront fixés, nous dit-on, par ordonnance. Beau procédé démocratique sur un sujet qui ne concerne rien de moins que la représentation locale de nos concitoyens! Mais, encore une fois, réjouissons-nous puisqu’on nous affirme qu’il y aura au moins quinze cantons par département, sachant que le nombre moyen est aujourd’hui de quarante cantons! Belle avancée en termes de rapprochement de l’élu de ses concitoyens!
Quant au mode de scrutin annoncé, que le Parlement n’examinera pas avant la fin de l’année 2010 ou le début de 2011, ce que nous en connaissons aujourd’hui nous paraît totalement invraisemblable au regard de notre tradition républicaine, et nous savons tous, quoi que vous en disiez, monsieur le secrétaire d’État, qu’il a suscité d’extrêmes réserves de la part du Conseil d’État au regard du respect de l’égalité et de la sincérité des suffrages découlant de son application.
Et que dire de la question de la constitutionnalité? D’évidence, elle ne manquera pas d’être posée. À cet égard, je ferai miens les propos d’un éminent universitaire qui déclarait dans un grand quotidien ce week-end: « La Constitution n’empêche pas les politiques de gouverner ni de réformer la société; elle ne limite pas la liberté d’action des hommes politiques, elle contient seulement l’arbitraire. »
Il faut dire qu’un scrutin uninominal à un tour, qui permettra d’être élu sans être majoritaire, est pour le moins inédit en France. Je ne ferai pas l’offense d’imaginer qu’une telle idée ait germé dans le cerveau enfiévré d’un expert ès élections, après un examen attentif des résultats des formations politiques arrivées en tête au premier tour lors des précédentes consultations électorales, tellement cette pratique s’apparenterait à celles d’une démocratie balbutiante s’initiant aux délices du suffrage universel. Et pourtant, cela y ressemble beaucoup!
Sans doute est-ce pour limiter ces critiques qu’il a été prévu que 20 % des conseillers seraient élus à la proportionnelle. Ceci constituera, en quelque sorte, un tour de repêchage pour permettre aux formations politiques laminées par la brutalité du scrutin uninominal à un tour de ne pas être purement et simplement éliminées, et de siéger à parité de droits et de devoirs avec les élus directement choisis par nos concitoyens. C’est bien la seule « parité » qui sera en l’occurrence préservée. Elle nous éclaire sur la conception particulière d’une démarche dont le souci, en introduisant cette part de proportionnelle, est surtout de tenter de rallier l’un ou l’autre à cet invraisemblable mode de scrutin.
Il est d’ailleurs clair que celui-ci ne rencontre pas une adhésion sans faille de l’ensemble de la sphère politique, et pour cause. Il vous sera bien difficile d’expliquer aux électeurs qu’il correspond à une conception démocratique de la République, tant il sent le tripatouillage électoral.
Mais il est vrai que les collectivités locales conservent, contrairement au Gouvernement, la confiance des deux tiers des Français. Voilà une raison somme toute suffisante pour s’attaquer à ces pouvoirs décentralisés, vécus par votre gouvernement comme d’inacceptables contre-pouvoirs, et pour mettre à bas la démocratie locale et la proximité qui ont fondé leur efficacité et une légitimité incontestable
Monsieur le secrétaire d’État, nous ne nous exprimerons pas ce soir sur le cœur de la réforme territoriale, qui n’est pas le sujet du jour, mais soyez certain que nous serons au rendez-vous du débat à venir, tant pour dénoncer la dangerosité du big bang territorial que vous annoncez que pour formuler des propositions d’évolution. En effet, des évolutions sont nécessaires, mais elles doivent aller dans le sens de l’intérêt de nos concitoyens en amplifiant la décentralisation dont les acquis ne sont plus à démontrer. Car vous le savez bien, en un quart de siècle, les collectivités territoriales ont prouvé que, sous le contrôle a posteriori des chambres régionales de comptes, et surtout sous celui des électeurs, elles géraient mieux que l’État, quel qu’il soit, et au plus près des besoins de nos concitoyens.
Oui, nous avons des propositions d’évolutions à présenter qui sont le fruit de deux années de travail mené au sein de l’Association des départements de France, car nous n’avions pas attendu le discours de Toulon pour réfléchir à l’avenir de nos collectivités et à celui de la France décentralisée. Ces propositions, validées par les présidents des conseils généraux de toutes obédiences politiques, portaient, entre autres points, sur la théorie des deux blocs définie par Bruno Le Roux, avec le bloc local des politiques de proximité relevant du département, des intercommunalités et des communes, et le bloc de prospective et de planification relevant des régions, de l’État et de l’Europe.
Seulement, ces propositions, vous n’avez pas voulu les entendre! Peut-être est-ce parce que notre légitime postulat consistait à demander qu’avant toute réforme l’État règle la question de sa dette colossale à l’égard des départements. L’origine de cette dette se trouve dans les politiques sociales que l’État a demandé aux départements de gérer à sa place: sans leur donner aucune prise sur celles-ci, il leur a seulement demandé de payer à sa place. Ces propositions que vous n’avez pas voulu entendre avant la réforme, monsieur le secrétaire d’État, nous les reprendrons dans le cours du débat.
Pour l’heure, nous nous limiterons à dénoncer les non-dits du texte que vous soumettez aujourd’hui à notre vote; un texte qui, je pèse mes mots, relève de la malhonnêteté intellectuelle car il anticipe sans le dire cette régression insensée que vous voulez mener à terme, contre vents et marées, tant pour des raisons idéologiques et électorales que pour vous refaire une santé financière sur le dos des collectivités. Monsieur le secrétaire d’État, soyez assuré que nous combattrons cette régression avec force et vigueur tant elle est contraire à l’intérêt de nos concitoyens qui est le seul fil directeur de notre action. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Braouezec.
M. Patrick Braouezec. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avec ce texte, a priori anodin, nous abordons la première étape d’une réforme qui s’annonce pourtant essentielle tant son impact sera grand sur le fonctionnement de notre République ainsi que sur les principes fondamentaux de la décentralisation engagée depuis plusieurs décennies maintenant. Je parle de la fameuse réforme territoriale dont nos collègues sénateurs ont eu la primeur et dont ils commencent l’examen aujourd’hui.
Il s’agit donc moins de discuter des deux mini-articles qui composent ce projet de loi que de lire entre les lignes et de noter les absences du rapport qui l’accompagne, rapport que nous devons à notre collègue Perben et dont nous démonterons les arguments, tant ils ne peuvent justifier un tel chamboulement électoral.
Vous avez beau affirmer, monsieur le rapporteur, que « cet aménagement ciblé » portant sur la concomitance du calendrier électoral ne liera pas le législateur quant à l’institution ultérieure de conseillers territoriaux communs aux départements et aux régions, nous nous interrogeons sur le sens des prochaines échéances cantonales et régionales, dont le seul impératif est pourtant de répondre à la création des futurs conseillers territoriaux.
Le projet de loi qui les institue, s’il a été déposé au Sénat, n’est pas encore inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Il s’agit donc pour nous de nous prononcer sur un texte dont la majeure partie n’est pas encore discutée. Le texte que nous examinons anticipe donc clairement sur la réforme territoriale, et cela au mépris du Parlement, convoqué en dernière instance pour valider les décisions gouvernementales. De nouveau, la procédure d’urgence est engagée: elle devient en quelque sorte la norme de nos travaux. Le parcours de la décision législative est certes respecté à la lettre, mais l’esprit n’y est décidément plus, comme nous l’avons encore constaté cet après-midi.
Ce projet de loi n’a de sens que s’il est accompagné des trois autres. Mais, si vous avez tenu à décliner la réforme des collectivités territoriales sous la forme d’une sorte de kit de quatre projets de loi dépendant les uns des autres, vous n’avez néanmoins de cesse de répéter que le texte que nous examinons n’est pas intrinsèquement lié à la mise en place des conseillers territoriaux et au reste de la réforme.
Ainsi, vous nous répétez qu’il s’agit avant tout de réaliser des économies, l’organisation d’élections différentes et, surtout, les élus représentant un coût trop important. Ce coût est indéniable, mais nous considérons qu’il est justifié, dans la mesure où ces élus, par leur mandat et leur implication sur le territoire qu’ils représentent, sont garants de la démocratie représentative, laquelle – vous en conviendrez, puisque c’est le sens de votre réforme – serait particulièrement fragilisée. Mais de cela, il n’est jamais question.
Penser que les électeurs seraient perdus face à un trop grand nombre d’échéances électorales, c’est nier la question de la proximité. Vouloir y remédier en cumulant les mandats, c’est nier le statut spécifique et « bénévole » de l’élu. Il est vrai que la démocratie a un coût, mais pousserez-vous votre obsession du rabotage budgétaire jusqu’à la paralyser pour faire des économies? Tel est, en tout cas, le sens de la réforme territoriale dont ce texte est la première étape.
En outre, la création de conseillers territoriaux, qui porteront la charge de conseillers, nous entraîne vers une professionnalisation de l’élu, alors que nous n’avons eu de cesse de proposer un statut de l’élu, qui respecte sa fonction et son ancrage dans le territoire qu’il représente. La fonction d’élu local relève en effet bien souvent du bénévolat, sans que cela soit reconnu. Or, avec cette réforme, la charge de travail représentée par les mandats de conseillers généraux et régionaux sera monumentale et ne permettra plus la proximité. Bien au contraire, elle aura pour effet majeur de déterritorialiser les élus: passer de6000 à3000 élus, c’est, par définition, aller contre la proximité. Sachant que, par ailleurs, vous avez mis en œuvre la révision générale des politiques publiques, on comprend que l’objectif de cette réforme est moins de couper l’herbe sous le pied à l’ensemble de la représentation publique que de faire réaliser des économies aux collectivités territoriales.
Il s’agit tout simplement d’une remise en cause fondamentale de la décentralisation, pourtant bien engagée, qui a permis, ces dernières années, de faire face au désengagement de l’État. Non seulement la majorité ne s’acquitte pas des transferts financiers équivalents aux transferts de compétences, essentiels pour que ces derniers soient réalisés en bonne et due forme, mais elle réforme la taxe professionnelle. Après le débat sur le Grand Paris, qui s’assoit sur les collectivités locales pour installer un « Grand 8 » au détriment des intérêts locaux, cette réforme achève l’offensive gouvernementale contre les collectivités territoriales, derniers contre-pouvoirs locaux à la politique néolibérale du Gouvernement.
Que deviendront nos territoires, en Seine-Saint-Denis et ailleurs, sans les politiques volontaristes des communes, de leurs communautés d’agglomération, des conseils généraux et régionaux? Territoires où, soit dit en passant, il est difficile d’envisager l’augmentation de la taxation des ménages à revenu moyen, déjà largement taxés, et où les élus sont parvenus à créer un véritable lien avec les entreprises, sans nuire pour autant à leur capacité d’investissement et à la création d’emplois.
Mes chers collègues, j’ai bien compris l’argumentaire que le Gouvernement et sa majorité ont servi à nos collègues sénateurs lors de l’examen de ce texte devant la chambre haute. Dès que les sénateurs de l’opposition expliquaient les conséquences dramatiques de la réforme des collectivités territoriales, leurs collègues de l’UMP au grand complet leur répondaient que le projet de loi n’organise que la concomitance de deux élections et n’a aucun rapport avec la réforme des collectivités. C’est faux!
Du reste, j’en viens maintenant au point à mon sens le plus scandaleux du « kit territorial » préparé par M. Hortefeux: le mode de scrutin qui s’appliquera en mars2014 si le présent projet de loi est voté; nous sommes donc en plein dans le sujet. Nicolas Sarkozy a retenu le scrutin uninominal à un tour, avec une mini-dose de pseudo-proportionnelle de liste. Outre qu’il vise à asseoir l’autorité du parti majoritaire actuel au niveau local, ce mode de scrutin balaie complètement les principes du pluralisme politique, qui est pourtant un des piliers fondamentaux du paysage politique et du débat démocratique français.
Inspiré du modèle anglo-saxon, il permettrait en effet d’installer durablement le bipartisme dans notre pays. Sans vouloir défendre à tout prix le groupe auquel j’appartiens, il me semble que l’existence, la légitimité et la reconnaissance élective de différents partis sont un signe de bonne santé démocratique, de débat politique légitime. Le contraire est synonyme de régression démocratique. Notons au passage que nous n’avons pas eu recours à ce mode de scrutin depuis 1852. Celui-ci implique que le choix de la personne prime sur le programme, que seuls les grands partis seront représentés. Or le pluralisme de la représentation politique est un moteur du dynamisme démocratique de notre République. Le bipartisme ne peut être considéré comme une avancée démocratique; au contraire, il est synonyme de régression démocratique.
Comment expliquer aux administrés la non-représentation de certains courants, quels qu’ils soient? Aujourd’hui, selon les élections et les assemblées, entre 15 et 30 % des électeurs qui se sont déplacés pour voter ne sont pas représentés. Ce n’est pas normal! La vie politique française ne se limite pas au bipartisme, qui, encore une fois, est synonyme de régression démocratique. L’Assemblée, presque bicolore, n’est pas le miroir de l’expression des suffrages, et encore moins celui de notre réalité et de notre diversité politiques. Il ne peut en être de même au sein de nos assemblées territoriales.
Lors du débat sur la réforme constitutionnelle, nous avions insisté sur la question de la proportionnelle, qui est loin d’être annexe. Là encore, nos propositions ont été balayées d’un revers de main. Permettez-nous donc de douter de la sincérité de votre propos quand vous affirmez que la justification essentielle de cette réforme est de réconcilier les citoyens avec le politique.
Si le seul risque qu’il comportait était celui du bipartisme, nous ne serions pas aussi révoltés contre ce mode de scrutin. Mais il y a beaucoup plus grave: le choix d’élections à un seul tour. Celles-ci permettraient en effet à l’UMP de rafler la majorité des mandats au prix d’une surreprésentation grotesque. Souvenez-vous des résultats des élections européennes de 2009: le nombre des élus UMP est disproportionné par rapport au score de ce parti, et ce en raison des déformations du scrutin à un seul tour.
Par ailleurs, ce mode de scrutin rend quasi impossible le respect de la parité. La valeur contraignante de la loi de 1999 s’envole en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. L’exemple régional, dont la représentation est la plus égalitaire, va donc disparaître. En bref, cette loi s’assoit, là encore, sur une avancée majeure de la vie politique française de ces dernières années. Or il faut rappeler que nous sommes encore très en retard sur la question de la parité: il suffît de regarder cet hémicycle, même si, ce soir, nous ne sommes pas trop mal lotis.
M. Pascal Deguilhem. Dans nos rangs!
M. Patrick Braouezec. Puisque nous discutons d’un projet de loi qui organise la concomitance des élections des conseillers régionaux et des conseillers généraux, je souhaiterais aborder la question tout à fait centrale du droit de vote et d’éligibilité des résidents étrangers non communautaires. Dans bon nombre de communes, les habitants ont été consultés sur ce sujet et, chaque fois, une majorité d’entre eux s’y est dite favorable. C’est, du reste, un sentiment partagé dans l’opinion publique. Ainsi, en 2008, plus de 50 % des Français considéraient qu’il serait juste d’accorder le droit de vote aux étrangers non communautaires pour les élections locales et un sondage récent montre que cette tendance s’est encore renforcée.
Or il semblerait que M. Sarkozy ait tout simplement décidé de revenir sur ses engagements de campagne, faute d’avoir converti sa majorité à ses vues. Mais comment peut-on encore penser qu’un immigré, d’où qu’il vienne, a plus à voir avec un pays où il ne vit plus qu’avec celui où il a choisi de s’installer, de travailler, de fonder une famille, de scolariser ses enfants, de payer ses impôts, d’agir dans la cité et de créer des richesses, participant ainsi au « rayonnement de la France », pour reprendre l’une de vos expressions favorites en matière de droits des étrangers? En quoi ces résidents seraient-ils moins méritants que les citoyens nés ou naturalisés Français ou membres de la Communauté européenne? Nous pensons au contraire que l’égalité des droits, notamment en ce qui concerne la participation à la vie politique de son lieu de résidence, est une condition indispensable à une véritable représentation de la souveraineté populaire dans son ensemble.
Où se situe l’anomalie: dans le traitement égalitaire des étrangers qui résident sur notre territoire depuis au moins cinq ans ou dans le choix de faire l’impasse sur une réforme qui aboutirait enfin à une réelle justice, à une véritable modernité démocratique, telle qu’elle existe dans de nombreux autres pays européens?
Ce projet de loi aurait été l’occasion parfaite d’innover et d’ouvrir le droit de vote aux étrangers, bref de moderniser réellement les institutions. Mes chers collègues, non seulement vous nous égarez en multipliant des réformes qui ne sont pas abordées dans le bon sens et qui mettent de côté des sujets aussi importants que la parité, le pluralisme politique, le respect des engagements liés à la décentralisation et le droit de vote des étrangers, mais, surtout, vous vous attaquez à des domaines qui sont très éloignés des préoccupations des Français. La réforme des collectivités locales, le débat sur l’identité nationale ou encore les pseudo-problèmes de sécurité sont autant de sujets qui nous détournent des véritables problèmes: l’emploi, le logement, les transports, l’accès à l’enseignement
Nos concitoyens ne sont pas dupes. Ils sont tout à fait capables de comprendre que les collectivités locales sont trop souvent le dernier représentant public véritablement présent dans les territoires, en particulier dans les plus populaires d’entre eux, c’est-à-dire ceux qui ont le plus besoin d’un appui et d’une présence publics. Cette réforme territoriale et, en tout premier lieu, ce projet de loi compliquent nos institutions et éloignent un peu plus les élus de leur terrain. Force est de constater que vous mettez la charrue avant les bœufs. En effet, en voulant vous inscrire dans des logiques électoralistes et donc court termistes, vous oubliez le fond du problème: la participation des citoyens à la vie de la cité et à la vie démocratique.
En un mot et pour conclure, nous sommes, depuis la rentrée, confrontés à trois propositions – réforme du Grand Paris, suppression de la TP et réforme des collectivités locales – qui participent d’un même projet politique très bien orchestré. Ne perdons pas de vue que tout est absolument lié. La dynamique engagée par le Gouvernement va clairement dynamiter les logiques de survie des territoires les plus vulnérables. C’est pourquoi les députés de notre groupe se mobiliseront contre le projet de big bang territorial et voteront résolument contre l’ensemble de ces textes.
Mme Danielle Bousquet. Très bien!
Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Guigou.
Mme Élisabeth Guigou. Monsieur le secrétaire d’État, sur ce grand sujet qu’est la réforme de l’organisation territoriale, vous auriez dû rechercher le consensus républicain, et vous auriez pu y parvenir si vous l’aviez voulu.
M. Patrick Roy. Mais ils ne l’ont pas voulu!
Mme Élisabeth Guigou. En effet, la décentralisation, initiée il y a vingt-cinq ans par les grandes lois Mauroy-Defferre, a convaincu, depuis, une majorité de députés, sur tous les bancs de l’Assemblée. La décentralisation a fait ses preuves: elle a considérablement amélioré la vie quotidienne de nos concitoyens et contribué amplement au développement de notre pays.
M. Patrick Roy. Eh oui!
Mme Élisabeth Guigou. Hélas, vous avez choisi la défiance au lieu de la confiance, la stigmatisation des élus locaux plutôt que l’achèvement de la décentralisation. Ce n’est pas une réforme que vous nous proposez, mais une contre-réforme. Vous ne vous étonnerez donc pas que nous soyons résolument opposés à vos projets. Toutefois, peut-être accepterez-vous enfin d’écouter nos propositions.
M. Patrick Roy. Ça m’étonnerait!
Mme Élisabeth Guigou. Votre projet est inacceptable d’abord parce qu’il ne respecte ni le Parlement ni la Constitution, ensuite parce qu’il aboutirait, s’il était voté, à une régression. J’espère vous convaincre qu’une vraie réforme est possible, sur la base des propositions que nous avons défendues depuis plusieurs mois maintenant.
Votre projet de loi ne respecte ni le Parlement ni les obligations constitutionnelles. En effet, nous sommes ici face à une grande première: on fait délibérer le Parlement sur la concomitance du renouvellement des mandats de conseillers généraux et régionaux pour permettre la fusion de ces deux mandats, alors même que le Parlement n’a pas décidé de cette fusion. Nous sommes donc appelés à nous prononcer sur un projet de loi dont l’utilité et la mise en œuvre dépendent de textes futurs, par définition purement virtuels, pour l’instant en tout cas. Nous sommes ici face à un cas d’école d’insécurité juridique, que les plus hautes cours européennes, ainsi que le Conseil d’État, ont déjà eu l’occasion de condamner
Vous allez me dire qu’il est mentionné, dans l’exposé des motifs du projet de loi, qu’« à l’avenir, les conseillers généraux et les conseillers régionaux formeront un ensemble unique d’élus, les conseillers territoriaux, siégeant à la fois au conseil général de leur département d’élection et au conseil régional de la région à laquelle appartient celui-ci ». Mais ce fameux conseiller territorial, qui n’est mentionné que dans l’exposé des motifs, n’a pour l’instant aucune existence, ni législative ni juridique. Il s’agit d’un homo politicus virtuel, sur lequel le Parlement ne s’est pas encore prononcé. Si, d’aventure, celui-ci venait à rejeter le projet de loi instituant le conseiller territorial – ce qui est possible, après tout, compte tenu des oppositions qui se manifestent un peu partout –, les dates des élections auraient donc été modifiées vainement. Pourquoi cette chronologie absurde et anticonstitutionnelle a-t-elle été choisie? Serait-ce pour mieux étouffer la colère des élus de tous bords, y compris ceux de votre majorité?
En tout cas, rarement Parlement été autant malmené. J’ai appartenu à un gouvernement dont les liens avec le Parlement étaient d’une tout autre nature: en cinq ans, jamais le gouvernement dirigé par Lionel Jospin n’a utilisé l’article 49-3. Jamais il n’a manqué de respect aux élus de la nation. Jamais il n’a considéré le Parlement comme une vulgaire chambre d’enregistrement des décisions de l’exécutif. Mais il est vrai que je vous parle d’un temps que même le prédécesseur de M. Accoyer, Jean-Louis Debré, regrette publiquement.
L’ombre de l’inconstitutionnalité plane sur le texte. Laurent Fabius et Bruno Le Roux l’ont déjà fait avant moi, mais permettez-moi à mon tour, monsieur le secrétaire d’État, de vous alerter, dans un esprit républicain, sur le double risque que vous encourez: juridique et politique.
Le risque juridique, d’abord. Dans vos interventions – le 15 décembre de l’année dernière, mais également aujourd’hui même –, vous semblez faire peu de cas de l’avis du Conseil d’État, qui s’est prononcé le 15 octobre sur la réforme des collectivités territoriales. Au risque de vous déplaire, je veux rappeler que la plus haute juridiction administrative critique sévèrement le mode de scrutin de ces nouveaux élus. Malheureusement, cela ne semble pas suffisant pour vous encourager à suivre son avis, pourtant motivé par le risque de remise en cause de la légalité et de la sincérité du scrutin, et par le risque de créer des institutions ingouvernables – ce qui fait tout de même beaucoup!
Je vous épargnerai les citations des décisions du Conseil d’État, qui ont déjà été abondamment commentées. Je soulignerai néanmoins qu’à la lecture de ces arguments, on comprend que vous ayez souhaité ne pas faire publier officiellement l’avis du Conseil d’État, en dépit de nos demandes pressantes. Il eût pourtant été sage d’écouter les recommandations de cette haute juridiction au lendemain des camouflets répétés que subit le Gouvernement. Combien de projets de loi censurés par le Conseil constitutionnel? Les déconvenues rencontrées par la loi sur la rétention de sûreté, la loi HADOPI, ou la taxe carbone devraient vous rendre plus respectueux de nos règles de droit. Souvenez-vous que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 6 juillet 1994, dans le cas d’un texte prévoyant la concomitance de deux scrutins, avait rappelé que « le principe de sincérité impose que le choix opéré par le législateur en faveur d’un regroupement dans le temps de consultations s’accompagne de modalités matérielles d’organisation destinées à éviter toute confusion dans l’esprit des électeurs. » Or, en l’espèce, vous n’évitez pas la confusion; vous l’organisez, vous l’institutionnalisez! Qui peut croire que le « conseiller territorial », hybride du conseiller général et du conseiller régional, pourra exercer correctement deux mandats très différents – siéger le matin dans son département, l’après-midi à la région – pour rendre compte le soir dans sa commune? Pourquoi institutionnaliser le cumul des mandats alors que la sagesse et la volonté de faire vivre nos institutions démocratiques inciteraient au contraire à aller vers le mandat unique?
À l’évidence, ce nouveau motif d’inconstitutionnalité ne vous effraie pas. Je suis personnellement une fervente partisane du respect des règles et des procédures classiques. Et puisque André Gide nous disait que « le classicisme tout entier tend vers la litote », permettez-moi d’en user ici: je crois savoir que votre majorité est loin d’être enchantée par la création de cet élu nouveau. Peut-être serez-vous plus sensible au risque politique qu’au risque juridique?
Votre réforme suscite des oppositions de tous bords. Certes, la gauche à laquelle j’appartiens s’oppose farouchement à cette réforme, certes, les élus locaux de mon bord manifestent leur mécontentement. Mais je crois pouvoir dire que, cette fois, quelques-unes des attaques les plus violentes contre cette réforme viennent de votre propre camp. Je ne peux résister à l’envie d’illustrer mon propos: « La méthode employée consiste à se foutre du monde [...] Avec l’État, on sait comment ça commence, pas comment ça finit ». Non, mes chers collègues, je n’ai pas entendu cette phrase lors d’une réunion du groupe socialiste. C’est Alain Juppé, ancien Premier ministre et membre éminent de l’UMP, qui l’a prononcée. Un autre Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, ne manifeste pas non plus un grand enthousiasme à la lecture de cette réforme, à moins que je ne l’aie pas bien compris lorsqu’il s’était plaint que l’État mette les collectivités sous tutelle et que la décentralisation recule. François Baroin qui, je crois, appartient également à votre majorité, qualifie votre réforme de « recentralisation ». Certains élus préfèrent garder l’anonymat mais je n’ai pas le souvenir d’avoir entendu pareille unanimité contre un texte du Gouvernement.
Votre réforme est synonyme d’une triple régression: sociale, démocratique et territoriale. Depuis début janvier, j’ai participé à de nombreuses cérémonies de vœux dans mon département de Seine-Saint-Denis. J’ai rencontré de nombreux élus et électeurs de gauche comme de droite; j’ai entendu, monsieur le secrétaire d’État, l’angoisse des maires et des présidents de conseils généraux et régionaux qui n’osent plus financer des projets faute de ressources, qui craignent de ne plus pouvoir mener à bien leurs missions, qui redoutent de devoir renoncer à leurs engagements. J’ai vu l’inquiétude dans le regard de nos concitoyens, qui vont pâtir des conséquences de vos projets, qui vont subir la dégradation des services publics, qui vont étouffer sous le poids des impôts locaux. J’ai mesuré combien tous – élus, présidents d’associations, citoyens – étaient effrayés par les conséquences d’une réforme qui s’annonce comme un cataclysme.
Depuis le retour de la droite au pouvoir, les projets régressifs s’accumulent dans tous les domaines. Nous avons connu des reculs sociaux majeurs sur les retraites, sur le code du travail, sur le système de santé, sur le pouvoir d’achat, sur l’indemnisation des chômeurs – un million d’entre eux vont arriver en fin de droits – et sur la lutte contre la précarité. Nous avons également assisté à d’inacceptables régressions démocratiques, la plus récente étant sans doute le redécoupage des circonscriptions législatives, dont nous parlions cet après-midi. Force est de reconnaître que vos ciseaux se sont révélés cruellement tranchants, surtout pour la gauche. Enfin, l’asphyxie financière des collectivités territoriales n’a cessé d’augmenter. Les gouvernements ont désengagé financièrement l’État, y compris dans ses domaines de compétences. Je pense aux lignes de trains à grande vitesse, au financement desquelles les collectivités locales ont été sommées de participer. Le Gouvernement a également transféré des compétences aux collectivités territoriales sans juste compensation financière. Un seul exemple: l’allocation personnalisée d’autonomie pour les personnes âgées dépendantes, partagée en deux parts égales entre l’État et les départements lorsque j’ai fait voter la loi, est aujourd’hui financée aux trois quarts par les départements.
Le texte que nous examinons aujourd’hui est un sommet dans son genre: il cumule les défauts, les reculs, les injustices. Vous avez réussi à concentrer en une réforme une triple régression: fiscale et sociale, démocratique et territoriale.
Je passerai rapidement sur la régression fiscale, puisque nous avons déjà débattu ici même de la suppression de la taxe professionnelle. Je veux simplement faire remarquer que vous avez justifié cette suppression, qui va considérablement alléger l’impôt payé par les entreprises au niveau local, en répétant à l’envi: « si on ne supprime pas la TP, les entreprises vont délocaliser ». Or, moins d’un mois après l’adoption de cette réforme, et malgré les aides de l’État, le constructeur Renault menace encore de délocaliser totalement la fabrication de la Clio.
Les collectivités locales vont perdre l’autonomie fiscale que leur garantit pourtant la Constitution. Les régions n’auront plus le droit de lever l’impôt elles-mêmes, celui-ci étant compensé – d’ailleurs imparfaitement – par l’État. Croyez-vous aller dans le sens de l’histoire en recentralisant notre pays, à l’heure où l’État n’a pas les moyens d’assurer ses missions? Ne croyez-vous pas, monsieur le secrétaire d’État, que les élus locaux soient les mieux placés pour dessiner l’avenir de leurs territoires? Ne croyez-vous pas que ceux qui, chaque jour, se confrontent à l’épreuve du terrain, ceux qui, chaque jour, sont à l’écoute de leurs concitoyens, ceux qui, chaque jour, tissent du lien social, ceux qui, chaque jour, arpentent leurs territoires pour réfléchir à les améliorer, soient aussi les plus compétents pour décider des projets à entreprendre et des mesures à prendre? La confiance dans les élus locaux avait guidé les premières lois de décentralisation, mais aussi, je dois le dire, celles votées à l’initiative de M. Raffarin en 2003. Il semble que l’heure soit désormais à la défiance, et je m’en désole.
Les collectivités territoriales, orphelines d’un véritable impôt économique, mais obligées d’assumer les missions que l’État ne veut plus ou ne peut plus assurer, devront trancher un dilemme cornélien. Deux solutions seulement s’offrent à elles pour compenser ce manque à gagner: ou la qualité des services publics rendus à la population diminuera, faute de ressources suffisantes pour entretenir les infrastructures et payer les personnels, ou le niveau des rentrées financières sera maintenu – mais dans ce cas, ce sont les impôts locaux qui seront augmentés, et ce sont les ménages qui paieront la facture. La triste réalité est bien là: nous allons à nouveau assister à un appauvrissement des plus vulnérables.
Je veux également dénoncer, à mon tour, la manipulation électorale à laquelle vous procédez, qui a pour conséquence de porter atteinte à la démocratie. Avec la création d’un éventuel « conseiller territorial », le Gouvernement prétend vouloir débroussailler le « mille-feuille administratif français » et faire des économies. Balivernes! Les conseillers généraux et régionaux comptent pour 1 % du nombre total d’élus locaux, et leurs indemnités représentent moins d’un millième du budget des collectivités concernées.
Il est même probable que les conseillers territoriaux que vous voulez créer seront à l’origine de dépenses supplémentaires: d’abord parce qu’il faudra bien rémunérer leur double mandat, mais aussi parce que les hémicycles de certaines régions risquent d’être trop petits pour les accueillir, ce qui nécessitera d’en construire d’autres. S’il s’agissait de faire rentrer de l’argent dans les caisses de l’État, la suppression du bouclier fiscal serait sans doute nettement plus efficace!
Mais voyons le fond. Il s’agirait donc de créer une nouvelle catégorie d’élus, qui siégeraient à la fois à la région et au département. D’abord, je veux redire mon attachement à la spécialisation des compétences des élus. Le conseiller général s’engage auprès des personnes âgées dépendantes, des personnes handicapées, de l’insertion des RMIstes, de la protection des femmes battues, de la petite enfance et de toutes les formes d’action sociale. Par ses actions de proximité, il crée un lien précieux avec nos concitoyens. Le conseiller régional, lui, travaille au développement économique, aux transports, à l’aménagement des territoires, à construire ou rénover les établissements scolaires, il soutient la formation, l’emploi, contribue à la mobilité des jeunes et s’inscrit dans une démarche plus globalisée à l’échelle européenne. Le brouillage entre ces deux catégories présente un grand danger, et ce n’est pas mépriser les élus que de le dire, au contraire. Dans l’organisation que vous préconisez, les régions deviendront des fédérations de grands cantons, où chaque élu sera tenté de ne représenter que son territoire d’élection. Quant aux élus départementaux, ils ne seront plus en mesure d’assurer leurs missions sociales et d’assumer correctement leur rôle d’élus de proximité. Avec le conseiller territorial, on réussira l’exploit d’affaiblir à la fois la région et le département!
Mais ce n’est pas tout: cette confusion inédite des rôles, cette nouvelle situation où la même personne serait à la fois l’élu du département et de la région, pose un nouveau problème constitutionnel. En effet, par cette confusion, non seulement vous institutionnalisez le cumul des mandats, mais vous portez atteinte à l’autonomie des collectivités. Les grandes lois de décentralisation de 1982 étaient guidées par un principe très clair: l’absence de tutelle d’un niveau de collectivité sur un autre. Qu’implique ce principe? Des assemblées et des élus distincts, pour des dossiers et des intérêts divers. Inutile de dire que le projet que vous nous soumettez, qui organise la confusion des fonctions, ne répond pas exactement à ce principe, désormais consacré par la Constitution. Je rappelle l’article 72, alinéa 3 de notre loi fondamentale qui impose que « coexistent de manière distincte deux assemblées qui ne sauraient être confondues ». Là encore, le risque d’inconstitutionnalité est fort.
Le mode de scrutin est également très abscons. Je serai brève sur ce point déjà largement évoqué par Bruno Le Roux.
Je veux rappeler moi aussi les propos tenus par M. Nicolas Sarkozy, même s’il est vrai qu’il était alors seulement ministre. Il avait déclaré: « Le scrutin le plus simple, c’est incontestablement le système anglais: scrutin uninominal majoritaire à un tour. Il est d’une simplicité biblique, mais d’une brutalité sauvage! » Or c’est ce mode de scrutin que vous voulez nous faire adopter.
Il est bien entendu contraire à l’objectif de parité inscrit, comme l’a rappelé Laurent Fabius avec beaucoup d’éloquence, à l’article 1 er , alinéa 2, de notre Constitution: « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales. »
Cela fait dix ans, monsieur le secrétaire d’État, que le gouvernement auquel j’appartenais a fait adopter la loi sur la parité. J’avais eu l’honneur de porter ici même le texte de la révision constitutionnelle. Les mentalités avaient évolué et la droite avait alors intégré que les femmes savaient faire autre chose que les tâches ménagères. Quelle triste manière de célébrer l’anniversaire de cette avancée majeure pour la cause des femmes et de cet approfondissement de la démocratie qu’a été la parité!
Si votre projet était adopté, le recul de la parité dans les régions de notre pays serait rude, car seul le scrutin de liste garantit son respect. C’est ainsi que la France peut s’enorgueillir d’avoir aujourd’hui 47,6 % de conseillères régionales. Pour les élues, particulièrement mobilisées à l’Assemblée nationale comme au Sénat, quel que soit leur groupe politique, c’est un recul inacceptable de l’égalité démocratique qui s’annonce.
Des projections montrent qu’en2014 les femmes perdraient 58 % des sièges qu’elles détiennent dans les conseils généraux et régionaux. Non, monsieur le secrétaire d’État, vous ne pourrez pas apaiser la colère des femmes élues, ainsi que celle de beaucoup d’hommes, en prétendant les consoler en leur disant qu’elles pourront être des suppléantes. Les femmes ne se contenteront pas du rôle de modestes suppléantes!
Surtout, avec le mode de scrutin que vous nous annoncez au nom de la simplification du système administratif français, il s’agit de brouiller la répartition des compétences, d’instaurer la confusion dans l’esprit des citoyens et de conduire à la création de collectivités potentiellement ingouvernables. Je crois vraiment qu’il faut saluer l’exploit qui consiste à vouloir faire élire les 20 % de conseillers territoriaux qui resteraient désignés à la proportionnelle « en fonction du nombre de suffrages […] obtenus dans chaque canton par les candidats qui n’ont pas été élus au mandat de conseiller territorial ».
J’avoue que, lorsque j’ai lu cela, je n’en ai pas cru mes yeux. En effet, ne seraient pris en compte que les votes exprimés en faveur de ceux qui n’auraient pas été élus au scrutin uninominal. Autrement dit, les conseillers territoriaux élus à la proportionnelle le seront grâce aux suffrages qui ne se seront pas portés sur eux pour les élire au mandat de conseiller territorial.
Voulez-vous donc rester dans l’histoire comme celui qui aura organisé la valse des battus? Ou bien s’agit-il là d’une « assurance mandat » pour tous les ministres récemment malheureux aux élections municipales? Quel que soit le motif, en tout cas, j’imagine que l’explication sera simple à fournir aux citoyens... Permettez-moi une nouvelle fois de vous rappeler l’exigence d’intelligibilité de la loi.
Cette solution absurde, absconse, inefficace, inconstitutionnelle et antidémocratique n’a été retenue en réalité que parce qu’elle est une arme contre la gauche, qui, c’est vrai, gagne les élections locales et a bien l’intention de continuer.
Je voudrais maintenant insister sur la consécration, dans votre projet, des inégalités territoriales. En effet, vous voulez supprimer la clause de compétence générale pour les départements et les régions. Selon votre projet, seules les communes pourraient continuer d’en bénéficier. Je voudrais vous alerter et vous redire pourquoi nous sommes opposés à ces dispositions.
Évidemment, la spécialisation des compétences respectives des régions et des départements est déjà importante; elle constitue d’ailleurs un fait majeur. On sait que la quasi-totalité du budget des régions va à leurs compétences propres, que j’ai déjà citées tout à l’heure. De la même façon, la quasi-totalité du budget des départements est dédiée à leurs compétences de proximité. Par conséquent, pour ce qui est des compétences partagées, qui représentent entre 5 % et 15 % des budgets et qui concernent la culture, le sport et les associations, il est vrai, en effet, que l’on peut simplifier les procédures. Mais nous avons sur ce sujet des propositions que je détaillerai tout à l’heure. Et, de grâce, conservons les cofinancements par les communes, les régions et les départements!
Vous me direz que, dans le projet que nous allons avoir à examiner, les cofinancements sont maintenus. Certes, mais ils seraient strictement encadrés. Les projets municipaux ne pourraient bénéficier de subventions des départements et des régions que si la commune assure la moitié du financement. Conjugué à la suppression de la taxe professionnelle, ce dispositif constitue un gros problème pour les investissements. J’ajoute que les communes pauvres, urbaines ou rurales – et je suis l’élue de l’une d’entre elles, en Seine-Saint-Denis‚– n’auront pas la capacité de fournir la moitié des financements.
Qu’adviendra-t-il alors des associations, des activités culturelles et du sport amateur? Tout cela sera condamné à disparaître. Or, si ces éléments sont partout indispensables, ils le sont tout spécialement dans les territoires défavorisés. La diminution des ressources des collectivités grèvera encore plus le pouvoir d’achat de nos concitoyens, notamment dans les collectivités les plus pauvres. Je crois que les conséquences, pour nos enfants, pour nos aînés, pour notre vie au quotidien et pour notre vie associative, seront terribles.
Pourtant, une autre réforme est possible – et j’en terminerai par là. Il s’agirait d’une réforme audacieuse et juste, pour un nouvel acte, un acte III, de la décentralisation.
Vous auriez pu obtenir le consensus, monsieur le secrétaire d’État, s’il y avait eu une vraie concertation. Et il n’est peut-être pas trop tard, car, contrairement à ce que vous affirmez souvent, nous ne sommes pas pour l’immobilisme. Nous appelons de nos vœux, et depuis plusieurs années déjà, une réforme territoriale digne des grandes lois de décentralisation initiées par les gouvernements socialistes. En effet, vingt-cinq ans après les lois Mauroy-Defferre et dix ans après les premières lois sur l’intercommunalité, des améliorations sont nécessaires. Mais la grande différence entre votre projet et le nôtre, c’est que la réforme que nous proposons est guidée par la confiance que nous avons dans les élus locaux, et non par la défiance et les faux procès. Car la décentralisation, cela marche: nous le voyons dans les transports publics, les lycées, les actions sociales de proximité ou encore la vitalité culturelle et sportive.
Quelles sont nos propositions? D’abord, évidemment, il ne peut pas y avoir de réforme de l’organisation territoriale avec le projet fiscal que le Gouvernement a fait voter. Nous avions notre propre projet, que nous avions détaillé ici même et que je ne rappellerai donc que brièvement. Il est très important que la réforme territoriale soit guidée par trois exigences majeures: la solidarité, l’égalité et la démocratie.
Une réforme fiscale et financière globale constitue un préalable à tout approfondissement ou à toute modernisation de la démocratie territoriale. Comme vous le savez, nous proposons cette refonte de la fiscalité locale autour de trois grands principes: une vraie péréquation entre territoires riches et territoires pauvres; l’équilibre entre l’impôt acquitté par les entreprises et celui versé par les ménages; une meilleure égalité de l’impôt sur les ménages.
Malheureusement, devant les inégalités entre territoires qui n’ont cessé de croître, s’ajoutant aux inégalités sociales, la péréquation est pour l’instant extrêmement réduite. Or, pour nous, la péréquation des ressources entre les collectivités riches et les collectivités pauvres devrait constituer un préalable à toute réforme, et non pas un codicille inscrit pour la forme à la fin d’un texte. Pour la mise en place d’une réelle péréquation, verticale et horizontale, le concours de l’État est absolument nécessaire. Nous considérons que le quart au moins des dotations d’État devrait être affecté à la péréquation dans un délai de dix ans.
La taxe d’habitation doit être refondée, non seulement en révisant les bases, mais aussi en établissant un lien avec le revenu des habitants. En effet, monsieur le secrétaire d’État, est-ce que vous trouvez normal, est-ce que vous trouvez admissible, est-ce que vous trouvez décent que, dans un département que je connais bien pour en être l’élue – la Seine Saint-Denis‚–, la taxe d’habitation soit plus élevée que dans les Hauts-de-Seine? Sans abuser de clichés, tout le monde sait bien que les populations sont moins aisées dans mon département que dans celui qui fut la terre d’élection du Président de la République.
Quant à la défunte taxe professionnelle, il fallait bien sûr la réformer, mais en la remplaçant par un impôt sur les entreprises qui ne pénalise pas l’investissement et l’innovation, qui garantisse au contraire le lien avec les territoires et permette une intégration des entreprises dans le projet de territoire. Votre réforme, malheureusement, va en sens inverse; elle ne propose pas une réforme de la fiscalité locale qui permettrait de donner aux collectivités décentralisées une réelle autonomie en garantissant la dynamique de leurs ressources.
Enfin, les collectivités devraient être associées aux grands projets de l’État – je pense notamment au plan de relance. Je rappellerai que les collectivités réalisent 75 % des investissements publics, avec une dette dix fois moins importante que celle creusée par l’État.
Nos propositions concernent ensuite la simplification et la clarification des compétences. La réforme que nous réclamons partage des ambitions avec celle que vous proposez aujourd’hui: la clarification, la simplification et la modernisation. Toutefois, les solutions que vous avancez nous paraissent totalement à contre-courant des objectifs que vous avez énoncés.
Clarifier, simplifier et moderniser, ce n’est pas amputer un niveau et affaiblir les pouvoirs locaux, mais au contraire expérimenter, privilégier l’initiative locale et la confiance faite aux élus, bref renforcer la décentralisation. Or l’État recentralise. Et c’est pour cela que nous nous prononçons en faveur du maintien des trois niveaux constitutionnels de collectivités territoriales et de leur compétence générale. Car il est possible de simplifier et de clarifier sans supprimer cette clause.
Il faut pour cela que les régions et les départements interviennent dans le cadre du bloc de compétences qui leur a été dévolu par la loi. La collectivité compétente peut solliciter des financements d’autres partenaires; elle le ferait alors en tant que chef de file et dans le respect du principe selon lequel une collectivité ne peut exercer de tutelle sur une autre. Le fait de désigner des chefs de file qui organiseraient un guichet unique pour coordonner les financements croisés permettrait d’améliorer encore la spécialisation déjà bien engagée et de clarifier davantage les compétences.
Il est vrai que, dans le cadre européen, les régions ont vocation à se renforcer pour devenir l’échelon pertinent d’action en matière de développement économique et de structuration du territoire. Parallèlement, les départements qui investissent dans l’action sociale et la solidarité en faveur de certaines catégories fragiles devraient voir reconnu et déterminé par la loi leur bloc de compétences.
L’expérimentation chère à M. Raffarin pourrait avoir ici une utilité puisqu’elle permettrait de tester de nouvelles répartitions de compétences pour tenir compte de la diversité des situations locales et établir des conventions entre collectivités de niveaux équivalents ou différents. Les collectivités territoriales pourraient alors négocier entre elles des délégations de compétences.
Enfin, nos propositions concernent la démocratie locale. Pour nous – je serai brève sur ce sujet car nous y reviendrons dans les textes que vous nous présenterez dans le futur‚– il s’agit de privilégier trois axes. Premier axe: rationaliser les intercommunalités, car celles-ci doivent en effet être généralisées. Nous vous approuvons donc sur ce point, qui constituait d’ailleurs déjà une proposition de M. Mauroy. Comme quoi nous ne sommes pas dans l’opposition systématique et absolue! Encore faut-il se donner des règles pour éviter les doublons et favoriser l’élaboration de vrais projets d’intercommunalité.
Deuxième axe: développer la parité. Sur ce sujet, il va vraiment falloir, monsieur le secrétaire d’État, que vous nous disiez comment vous allez faire pour ne pas entraîner un recul de la parité, notamment dans les régions. Pour notre part, nous voulons la développer dans toutes les catégories de collectivités.
Troisième axe: accorder le droit de vote aux élections municipales aux étrangers non européens résidant en France depuis plus de cinq ans. J’avais, en2000, obtenu à l’Assemblée nationale une majorité sur cette proposition. Malheureusement, le texte n’a pas pu aller plus loin en raison de l’opposition annoncée du Sénat. J’avais noté avec beaucoup d’intérêt les propos tenus par le Président de la République et les promesses qu’il avait faites. J’espère que nous verrons un jour – rapidement‚– ces promesses tenues.
La clé de la réussite de la nécessaire réforme territoriale est donc entre vos mains, monsieur le secrétaire d’État. Il vous suffit d’abandonner les manœuvres électorales visant à reprendre politiquement en main les collectivités locales, au profit d’une ambition bien plus noble et plus digne de notre République: construire une véritable démocratie locale avec, au service des citoyens, qui permettra de mieux répondre à leurs préoccupations quotidiennes, à leurs aspirations, à leurs attentes et à leur volonté de peser sur leur destin.
Nous voulons mettre en œuvre une démocratie territoriale plus efficace et plus juste, soutenue par un État stratège qui assumera ses missions. C’est à ces conditions seulement que le dernier acte de la décentralisation pourra être réussi; c’est à ces conditions seulement que la démocratie locale pourra être renforcée, approfondie et dynamisée; c’est à ces conditions que les citoyens pourront vivre dans une République plus juste et plus égalitaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Souchet.
M. Dominique Souchet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Gouvernement ayant choisi de scinder la réforme des collectivités territoriales en plusieurs projets de loi successivement divulgués, nous sommes fatalement amenés, au cours du présent débat, à nous exprimer par anticipation – c’est-à-dire moins sur le texte très bref du projet de loi dit de concomitance que sur la réforme d’ensemble dont il est le prologue, telle que nous pouvons la pressentir.
En effet, ce texte se contente de fixer la date du big bang , sans nous en dévoiler encore la teneur. Cette situation a au moins un avantage: nous pouvons encore formuler des recommandations quant au fond et nourrir l’espoir qu’elles seront prises en considération d’ici au début de 2011.
Parmi ces questions de fond se pose d’abord celle du nombre d’échelons. On a beaucoup daubé sur le « mille-feuille », certains allant jusqu’à en conclure qu’il fallait procéder à l’élimination par évaporation de deux échelons, celui de la commune et celui du département.
Le seul problème, c’est qu’il n’y a pas de mille-feuille. L’existence en France de trois niveaux de collectivités n’est pas une anomalie. Elle correspond à des besoins partout reconnus. Elle est, en Europe, le droit commun, même s’il existe, à l’échelon régional, de très grandes disparités de taille entre nos petites régions et celles de nos partenaires.
On s’est beaucoup acharné sur le département. Certains, oubliant totalement l’existence même d’une ruralité, sont allés jusqu’à proposer le démantèlement des territoires départementaux autour des métropoles, des communautés urbaines et des communautés d’agglomération. D’autres souhaitaient transformer les départements en simples filiales des régions. Il semble que le Gouvernement, loin de retenir ces propositions destructrices, ait eu la sagesse de n’envisager la disparition ni d’un échelon de collectivités, ni de plusieurs. C’est une bonne chose.
Ce point étant acquis, reste la question centrale de la clause de compétence générale. Cette clause a souvent été caricaturée: on l’a présentée comme si elle permettait à toutes les collectivités d’intervenir dans tous les domaines, à tort et à travers, de manière compulsive, anarchique, redondante – en un mot, irresponsable.
La réalité est tout autre. En premier lieu, la clause de compétence générale n’entraîne ni surcoûts, ni dépenses inutiles. Le rapport du comité Balladur lui-même le reconnaît.
Ensuite, d’un point de vue juridique, aucun doublon n’est possible. Aucune collectivité n’agit dans tous les domaines. Lorsque les collectivités font jouer la clause de compétence générale, cette possibilité est juridiquement encadrée: elles ne peuvent agir que dans l’intérêt local, que lorsqu’il existe un intérêt local identifié et avéré et sous réserve que la compétence ne soit pas déjà dévolue à une autre personne publique. Le Conseil d’État l’a rappelé avec une grande clarté en 2001.
En revanche, cette clause constitue un instrument incomparable grâce auquel les collectivités de proximité peuvent satisfaire en permanence de manière adéquate les besoins changeants de leurs administrés. Elle permet d’apporter des solutions rapides, souples, réactives, adaptées et innovantes aux problèmes nouveaux qui se posent continuellement à l’échelle locale. Elle garantit aux citoyens que leurs demandes trouveront toujours une juste réponse. Elle est gage d’efficacité.
C’est encore la clause de compétence générale qui permet aux collectivités de répondre favorablement aux sollicitations de l’État lorsque ce dernier juge leur intervention indispensable à la réalisation d’équipements structurants. Or ces sollicitations ne devraient pas diminuer au cours des années à venir. Elles concernent déjà de très vastes domaines de compétence, des routes aux TGV, du logement à l’emploi, de l’économie à l’équipement hospitalier.
Cette clause conditionne la capacité d’initiative des collectivités locales. Sans elle, celles-ci n’ont plus qu’un rôle mécanique d’exécution qui tend à les assimiler à un guichet administratif. Dans notre monde en évolution constante, de nouveaux besoins surgissent en permanence; des solutions nouvelles doivent donc être trouvées en permanence. Le législateur l’a bien compris lorsqu’il a inscrit dans notre droit, en 2004, le droit d’expérimentation des collectivités territoriales. Et c’est la clause de compétence générale qui en constitue l’instrument privilégié.
La réforme de 2004, dont la logique était pourtant celle des blocs de compétences, n’avait nullement jugé ces derniers incompatibles avec la clause de compétence générale. Pourquoi ne pas rester fidèle à cet esprit?
Il semble au contraire que l’on veuille, dans le cadre de la présente réforme, restreindre la clause de compétence générale à un seul échelon, celui du bloc communal. Pourtant, interrogés, les communes et leurs groupements ne souhaitent absolument pas, dans leur immense majorité, être les seuls à en disposer. Au contraire, les communes et les communautés de communes redoutent plus que tout la disparition éventuelle de la clause de compétence générale, en particulier celle des départements.
En effet, elles savent que leurs investissements dans tous leurs domaines de compétence ne sont possibles que grâce à l’intervention et au financement conjoints des échelons communal et départemental, toujours, de l’échelon régional et de celui de l’État, souvent. Pourquoi, dès lors, réserver la compétence générale au seul échelon communal, qui, ne serait-ce que pour des raisons de taille, ne pourra manifestement assumer toutes les responsabilités ni, le plus souvent, financer à lui seul 50 % de l’investissement?
En outre, qu’envisage-t-on en lieu et place de la clause de compétence générale? La remplacera-t-on par des blocs de compétence exclusive absolument rigides, interdisant ou corsetant étroitement les interventions et les financements conjoints des différents échelons? Si tel est le cas, la situation sera intenable. À l’efficacité théoriquement attendue se substitueront l’inefficacité et l’arbitraire, et les investissements nécessaires ne seront plus consentis.
Tentera-t-on alors de compenser cette rigidité en introduisant des procédures complexes et lourdes de « constat de carence » ou de « chef de filat », comme certains l’envisagent? Plutôt que de s’orienter vers un tel système lourd et coûteux, aux antipodes des objectifs de la réforme, ne vaudrait-il pas mieux préserver la capacité de réaction et d’initiative, la liberté d’adaptation et d’innovation de toutes les collectivités de proximité, donc la clause de compétence générale?
Enfin, pour pouvoir s’exercer, cette indispensable capacité d’innovation des collectivités territoriales de proximité doit rester liée à une autonomie fiscale réelle. Il en va des recettes fiscales comme des compétences: ou nous nous en tenons à un système fondé sur l’initiative et la responsabilité, ou nous basculons dans une situation où les collectivités tendent à devenir des organes d’exécution disposant pour l’essentiel de ressources attribuées.
Or de nombreuses incertitudes demeurent quant à la nature et à l’évolution des ressources de compensation de la taxe professionnelle. Il me paraît essentiel que le Gouvernement conserve des marges de manœuvre substantielles afin de pouvoir adapter ces recettes de substitution à mesure que les simulations s’affineront, de sorte que les collectivités, et notamment les départements, puissent gager leur capacité d’innovation sur des ressources suffisamment dynamiques.
Vous le voyez, monsieur le secrétaire d’État, j’ai anticipé sur vos interventions à venir, afin d’adresser un message simple: le Gouvernement doit rester ouvert à des évolutions substantielles sur les questions essentielles de la clause de compétence générale et de l’autonomie fiscale, si l’on veut que les résultats de la réforme correspondent aux objectifs qu’on lui a assignés.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Straumann.
M. Éric Straumann. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce projet de loi prévoit de réduire de moitié la durée du mandat des conseillers généraux élus en 2011, lequel est donc ramené à trois ans. Il prévoit également de réduire de deux ans la durée du mandat des conseillers régionaux élus en 2010, afin qu’il expire en mars 2014.
M. Patrick Roy. Hélas!
M. Éric Straumann. La jurisprudence du Conseil constitutionnel impose en effet, au nom du principe de sincérité du scrutin, que les électeurs soient informés avant le début des opérations électorales des caractéristiques principales de l’élection, en particulier de la durée des mandats qu’ils confient à leurs élus.
Ce projet permet d’abord de mettre un terme au renouvellement par moitié des conseillers généraux, dénoncé par les associations d’élus. Il s’agit à mes yeux d’un aspect très important.
Le renouvellement triennal des conseils généraux n’est plus adapté aux lourdes compétences qu’assument aujourd’hui les départements. En effet, le président du conseil général détient désormais un véritable pouvoir exécutif, déterminant à l’échelle du département. Il faut donc lui donner les moyens d’assurer la continuité de l’action publique sur son territoire. Or une durée de trois ans me semble trop brève pour permettre à une majorité de mener à bien son programme. Du reste, ce renouvellement par moitié contribue à l’absence de lisibilité des programmes des candidats lors des campagnes électorales cantonales.
Il est également essentiel de donner une stabilité aux conseils généraux, responsables de la conduite de politiques publiques de proximité, notamment en matière d’infrastructures routières, de construction des collèges et de soutien aux projets structurants des collectivités locales. Or trois ans ne suffisent pas à un président pour mener une action susceptible d’être jugée par les électeurs: il est difficile de présenter un bilan à l’issue d’une si courte période.
On reproche souvent aux entreprises privées de rechercher le profit immédiat, mais l’action publique ne peut elle-même s’inscrire que dans une certaine durée et son efficacité ne peut être appréciée qu’au terme d’un délai minimal. Ce texte donnera donc au président du conseil général le temps d’assumer ses engagements et d’appliquer le programme en vue duquel il a été élu.
Nous le savons tous, ce projet constitue également le préalable à la création des conseillers territoriaux, prévue par le projet de réforme des collectivités territoriales dont la discussion s’est aujourd’hui ouverte en séance publique au Sénat. Le conseiller territorial siégera dans les assemblées délibérantes des départements et des régions. Pivot du couple formé par le département et la région, il aura vocation à permettre une articulation satisfaisante des compétences entre ces deux collectivités. Il contribuera à clarifier et à simplifier les structures locales, afin de mieux coordonner les politiques publiques.
M. Patrick Roy. Mon œil!
M. Éric Straumann. Nous avons eu en Alsace, comme ailleurs, un grand débat sur le rapprochement, voire la fusion, entre les deux collectivités – en l’occurrence, entre les deux départements du Rhin et la région. Il en ressort qu’aujourd’hui les acteurs publics et l’opinion ne sont pas prêts à remettre en cause la dualité des conseils généraux et du conseil régional. Même si elle germe dans les esprits, l’idée d’une fusion n’est pas encore mûre. Chaque collectivité devra donc conserver dans un premier temps son appellation et son mode de fonctionnement.
Toutefois, comme l’a indiqué le rapport Balladur, « le rapprochement organique des assemblées délibérantes devrait permettre de limiter les interventions concurrentes des départements et des régions sur un même projet et un même territoire ». Il correspond à une demande formulée avec force par nos concitoyens, qui ne comprennent plus le rôle des différentes collectivités: on ne sait plus qui fait quoi, qui donne l’ordre, qui conduit une opération, qui est responsable. Les Français souhaitent dans leur grande majorité que notre organisation administrative soit simplifiée. Au cours des réunions publiques que j’ai animées à ce sujet, notamment avec Dominique Perben, notre rapporteur, nous avons entendu nos concitoyens appeler ardemment de leurs vœux cette réforme.
Celle-ci sera difficile, parce qu’elle se heurtera aux inévitables immobilismes qui se ligueront probablement contre elle. Mais cette réforme indispensable sera sans doute l’une des plus importantes de notre législature.
Si ce projet de loi de concomitance n’est pas adopté, il sera en pratique impossible d’instituer les conseillers territoriaux en mars 2014.
M. Yves Durand. Tant mieux!
M. Éric Straumann. Sans préjuger des décisions ultérieures de notre assemblée, nous nous priverions ainsi des marges de manœuvre dont nous disposons pour fixer, conformément à l’article 34 de la Constitution, le régime électoral des assemblées locales.
Ce projet de loi, souhaité par une grande majorité de nos concitoyens, constitue une première étape importante de la modernisation de notre vie publique locale. Je me prononcerai donc évidemment pour ce texte, qui n’engage pas l’avenir, mais le permet. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Derosier.
M. Bernard Derosier. Un vieil adage de notre pays – certainement bien connu dans le Cantal, monsieur le secrétaire d’État, comme dans le Rhône, monsieur le rapporteur – veut que seuls les imbéciles ne changent pas d’avis. Comme vous n’êtes pas un imbécile, monsieur le secrétaire d’État, non plus que vous, monsieur le rapporteur, vous avez changé d’avis.
En 1982, vous étiez contre la décentralisation; puis vous vous y êtes ralliés, avant de constater que le pouvoir vous échappait dans les communes, les départements et les régions. Votre président a alors imaginé le dispositif de cette réforme territoriale.
Puis est venue la coopération intercommunale; vous étiez contre, mais vous avez changé d’avis quand vous vous êtes aperçus que vous déteniez ici ou là la présidence de communautés de communes ou de communautés d’agglomération.
Ensuite, ce fut, en 1990, le tour de la concomitance, dont nous avons déjà parlé. À l’époque, nous voulions nous aussi que les conseillers généraux soient élus pour six ans. Mais vous vous y êtes opposés, allant jusqu’à saisir le Conseil constitutionnel. Puis, lorsque M. Pasqua est redevenu ministre de l’intérieur, vous avez restauré le système encore en vigueur aujourd’hui.
Il y a eu l’appellation d’« élus départementaux ». Vous n’en avez pas voulu au Sénat et nous sommes donc toujours avec des conseillers généraux.
Bref, réformer le paysage institutionnel français, simplifier l’organisation des collectivités territoriales, clarifier la répartition de leurs compétences, cela aurait pu constituer un véritable grand projet pour notre République. Élisabeth Guigou vous a fait des propositions tout à l’heure, vous ne pourrez pas dire que nous sommes hostiles aux changements en matière de fonctionnement des collectivités territoriales.
Il faut beaucoup d’ambition en effet pour envisager une réforme qui affecte directement les conditions de l’exercice du pouvoir ainsi que l’équilibre des institutions. Seulement l’ambition, l’audace ne sont des qualités louables que lorsqu’elles soutiennent un projet politique cohérent et pertinent.
M. Jean-Pierre Gorges. Et surtout de gauche.
M. Bernard Derosier. Elles peuvent devenir de sérieux défauts lorsqu’elles conduisent à envisager des réformes précipitées et surtout attentatoires aux libertés locales.
M. Patrick Roy. Hélas!
M. Bernard Derosier. Or c’est bien de l’avenir du pays et des collectivités locales que les parlementaires débattent aujourd’hui. Un tel débat aurait mérité la présentation d’un texte porteur d’une réelle philosophie politique, à l’instar des lois initiées par Pierre Mauroy entre1982 et1983, qui étaient animées par une vision novatrice de nos institutions.
M. Bruno Le Roux. Nous en sommes loin!
M. Bernard Derosier. Éclatée en quatre projets de texte différents – et même cinq, si l’on compte la future loi qui devrait préciser la répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités –, cette contre-réforme se caractérise par sa complexité alors que paradoxalement l’un des objectifs poursuivis aurait été, à entendre les représentants de la majorité, la simplification et la clarification des structures existantes.
M. Patrick Roy. Raté!
M. Bernard Derosier. Le projet de loi organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux constitue donc l’un de ces quatre projets de texte.
L’urgence est déclarée. Voilà qui est caractéristique des méthodes qu’affectionne la majorité, soucieuse d’accélérer et de multiplier les réformes, fussent-elles malvenues, plutôt que de chercher à optimiser les moyens au service d’une action publique plus efficace et plus juste.
Je sais, vous allez me rétorquer que les gouvernements de gauche ont eux-mêmes utilisé cette procédure. Mais, monsieur le secrétaire d’État, ce n’est pas parce que des erreurs ont été commises dans le passé que vous êtes obligé de les répéter. En outre, au moment de la réforme constitutionnelle, nous nous sommes prononcés clairement sur cette procédure dite d’urgence.
En vérité, monsieur le secrétaire d’État, vous et votre gouvernement avez fait du Parlement la chambre d’enregistrement de la volonté présidentielle, comme Jean-Marc Ayrault le relevait cet après-midi.
Il suffit de regarder la feuille jaune: le groupe majoritaire ne va consacrer à ce texte que vingt minutes dans la discussion générale, c’est dire le peu d’intérêt des parlementaires UMP pour ce genre de débat. Et cela parce que de la rue Saint-Honoré est venue une feuille de route qu’ils sont tenus de respecter.
M. Patrick Roy. Où est l’UMP?
M. Guy Chambefort. Elle dort!
Mme Catherine Coutelle. Elle n’est plus jamais là!
M. Bernard Derosier. Plusieurs motifs justifient le rejet du texte que vous proposez.
Le premier de ces motifs se fonde sur la méconnaissance des conditions qui entourent l’examen de ce texte.
Le travail législatif est méprisé, une fois de plus: ce n’est pas, en effet, le premier exemple qui nous est donné de cet effacement des droits du Parlement au profit d’un représentant de l’État tout-puissant.
Après Bruno Le Roux et Laurent Fabius, je veux dire combien le calendrier retenu pour l’examen des quatre projets de loi mettant en œuvre la réforme est définitivement absurde. Le théâtre d’Eugène Ionesco inspirait-il le Gouver nement lorsque celui-ci a arrêté l’ordre du jour des séances du Parlement? Assurément non, car le talent du célèbre auteur semble lui faire cruellement défaut.
M. Jean-Paul Bacquet. Bravo!
M. Bernard Derosier. Je ne veux pas vous interrompre, monsieur le secrétaire d’État, dans votre réflexion avec le rapporteur.
M. Dominique Perben, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Quelle prétention, monsieur l’orateur!
M. Bernard Derosier. Votre supplice n’est pas terminé, monsieur le secrétaire d’État, vous allez encore devoir entendre un certain nombre de déclarations.
M. Dominique Perben, rapporteur . Vous faites preuve de beaucoup de prétention, monsieur l’orateur, en voulant dicter notre attitude.
M. Bernard Derosier. Pas du tout, je suis seulement animé par la volonté de défendre les collectivités territoriales contre votre projet qui est « paritaricide », car le régime que vous voulez instaurer mettra à mal la parité,…
Mme Catherine Coutelle. Très bien!
M. Bernard Derosier. …et qui malmène la démocratie locale.
M. Patrick Roy. Absolument!
M. Jean-Paul Bacquet. Il fallait le dire!
M. Bernard Derosier. Pourtant, on peut déceler une certaine forme de dérision dans la démarche du Gouvernement à l’égard de notre système démocratique, lorsque le Parlement est invité à se prononcer sur un texte dont la portée et les contours ne sont pas encore connus.
Lorsqu’il s’agit de justifier le calendrier retenu, le Gouvernement défend l’autonomie de ce projet de loi, indépendant des autres volets de la réforme. Il n’impliquerait pas nécessairement l’adoption des autres projets de loi examinés ultérieurement.
Pourtant, la lecture de l’exposé des motifs contredit cette affirmation. Il rappelle que l’entrée en vigueur de la réforme territoriale, telle qu’elle est envisagée par le Gouvernement, prévoit l’élection des conseillers territoriaux en mars2014, appelés à siéger à la fois au conseil général de leur département d’élection et au conseil régional de la région à laquelle appartient celui-ci.
L’exposé des motifs précise expressément que, pour que l’élection de ces futurs élus soit possible, le mandat des conseillers généraux et celui des conseillers régionaux doivent nécessairement prendre fin simultanément. Je sais bien qu’on ne votera pas in fine l’exposé des motifs mais pourquoi ne pas dire clairement, quand vous présentez votre projet de loi, ce que vous avez écrit dans le document qui nous est remis?
Ce lien direct entre ces projets de texte n’est en aucun cas nié par le Gouvernement lui-même. Contester leur interdépendance reviendrait à nier l’évidence, vous en conviendrez.
À ce jour, ni le nombre ni la répartition par département de ces futurs conseillers territoriaux ne sont connus. Récemment, vous précisiez, monsieur le secrétaire d’État, que les éléments nécessaires à la détermination du seuil retenu pour le nombre de ces élus seraient connus au début de l’année 2010, lorsque le Conseil constitutionnel se sera prononcé sur le redécoupage des circonscriptions législatives.
Alors, je vous pose la question: quand les parlementaires pourront-ils connaître les éléments définitifs et indispensables à leur bonne information? C’est un peu comme avec la décision du Conseil d’État: vous gardez par-devers vous des informations et vous ne jouez pas la transparence.
Nous n’en savons pas davantage sur les domaines sur lesquels ces futurs élus seront appelés à délibérer. En effet, il nous faudra attendre l’adoption d’une loi ultérieure, prévue dans un délai de douze mois après l’adoption d’une première loi, pour connaître le détail de la répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités.
La conception de la démocratie dont se prévaut la majorité est décidément singulière, et ces pratiques sont d’autant plus inacceptables lorsqu’il s’agit de décider d’un enjeu aussi capital que l’avenir du paysage institutionnel français et des collectivités territoriales. Plus encore, c’est de l’organisation de l’État et de la démocratie qu’il s’agit. On peut craindre que les motivations ne soient purement démagogiques et électoralistes.
Par ailleurs, le texte en discussion s’inscrit dans le cadre d’un projet global à contre-courant des attentes des citoyens. Plutôt que cette réforme, ce qu’ils attendent, c’est d’abord d’avoir du travail et des revenus qui leur permettent de vivre dignement. Ensuite, s’ils s’intéressent de plus près au fonctionnement de leurs collectivités territoriales, ils veulent une réforme qui renforce la démocratie et qui approfondisse les acquis de la décentralisation.
M. Patrick Roy. Eh oui!
M. Bernard Derosier. Si tel était l’objectif du Gouvernement, la réforme territoriale mise en œuvre veillerait très certainement à prévoir les mesures nécessaires pour assurer la représentativité des différentes sensibilités politiques.
Un autre projet de loi traite de l’élection des conseillers territoriaux et du mode de scrutin. Or, parmi les différentes options possibles, celle proposée par le Gouvernement est la moins susceptible d’assurer cette représentativité. En effet, les 80 % d’élus au scrutin majoritaire uninominal à un tour et les 20 % d’élus à la proportionnelle constitueront des assemblées hybrides; cela a été suffisamment évoqué tout à l’heure et je n’insiste pas.
Ce mode de scrutin est tellement décrié que le président du groupe majoritaire, M. Copé, a évoqué il y a quelques jours la nécessité de constituer un groupe de travail qui serait chargé d’éclairer le rapporteur.
Dans ces conditions, comment pourrait-on croire le Gouvernement lorsqu’il invoque, pour justifier la rapidité de la procédure, la nécessité pour les électeurs de connaître la durée du mandat des conseillers régionaux au moment de leur vote, en mars prochain? Cet argument paraît bien peu crédible, et le souci du respect de la démocratie bien peu sincère, à l’examen du mode de scrutin proposé pour la désignation des conseillers territoriaux. En vérité, le Gouvernement poursuit sans nul doute des fins beaucoup moins nobles que la transparence due aux électeurs et le respect de la démocratie.
Enfin, si le Gouvernement était si soucieux de l’opinion publique, il tiendrait compte de la confiance exprimée par les Français dans la gestion des collectivités territoriales. Il marquerait davantage de considération pour l’attachement qu’ils expriment à ces collectivités.
Les résultats d’un sondage – et nous connaissons l’attachement de l’Élysée aux sondages – réalisé en novembre2009 à la demande de l’Assemblée des départements de France démontrent qu’une large majorité des Français estiment que ces collectivités, les départements, constituent l’échelon le plus efficace pour mettre en place des services publics destinés à répondre aux besoins de la population: 82 % d’entre eux ont déclaré être attachés aux départements.
Or la réforme territoriale telle qu’elle est envisagée constitue une attaque en règle dirigée contre les départements mais aussi contre les régions, qui se verraient privés de leur clause générale de compétence qui fonde aujourd’hui leur capacité à agir de manière libre et autonome.
Les communes ne seraient pas moins menacées puisque nombre de projets qu’elles mènent ne peuvent se concrétiser qu’à la condition de pouvoir bénéficier des subventions départementales ou régionales fondées sur cette disposition.
Ainsi, la réforme territoriale malmène la décentralisation initiée en 1982, qui a permis de refonder le pacte républicain en affirmant que l’unité de la République devait s’ancrer dans l’autonomie et la diversité de ses collectivités.
En 2010, alors que les bénéfices d’une organisation décentralisée sont désormais bien acquis, l’objectif premier d’une réforme territoriale devrait être de confirmer cette autonomie et cette diversité, seules garantes des intérêts de nos concitoyens.
Au lieu de cela, le Gouvernement propose une réforme territoriale dépourvue de toute philosophie politique, à contre-courant du processus engagé il y a vingt-huit ans. Loin de constituer le rendez-vous historique de la décentralisation, cette réforme opère, bien au contraire, une recentralisation de nos institutions. Certes, M. Perben affirmait tout à l’heure qu’il n’y avait pas recentralisation puisque l’État ne reprendrait pas des compétences. Mais cette tendance recentralisatrice est néanmoins sensible puisqu’elle suit immédiatement la réforme fiscale qui a entraîné la suppression de la taxe professionnelle et par voie de conséquence atténué sinon quasiment fait disparaître la responsabilité des élus dans le vote des impôts, ces élus locaux qui sont jugés trop dépensiers par le Gouvernement et doivent subir la vindicte de ses membres.
L’autonomie fiscale constitue une des clés de la liberté d’administration des collectivités. Peut-être est-ce précisément pour cette raison qu’elle est malmenée par le Gouvernement?
Nous assistons ici à une renationalisation des impôts, qui s’allie fort bien à la recentralisation qui se prépare avec la réforme territoriale.
Cette recentralisation devrait aggraver encore l’asphyxie financière des collectivités territoriales déjà observée au cours de ces dernières années.
M. Patrick Roy. Hélas!
M. Bernard Derosier. Je veux bien sûr évoquer la non-compensation intégrale des charges nées des transferts de compétences de l’État aux collectivités.
Au final, si l’on additionne les manques à gagner résultant de cette non-compensation, de la non-indexation des concours financiers de l’État sur l’inflation et des pertes dues à la suppression de la taxe professionnelle, on voit que les collectivités territoriales seront très prochainement dans une situation financière insoutenable.
Certaines d’entre elles le sont déjà, ce qui a amené le président de l’Association des départements de France à demander au Premier ministre de bien vouloir recevoir une délégation des quinze à vingt départements qui connaissent d’énormes difficultés. Le Premier ministre a non pas opposé une fin de non-recevoir, je ne veux pas lui faire un procès d’intention, mais différé l’audience demandée – sans doute pour se donner le temps, mais en laissant ces élus locaux dans les plus grandes difficultés.
À ce rythme-là, le Gouvernement n’aura même plus besoin de supprimer la clause générale de compétence: les collectivités territoriales n’auront de toute façon plus les moyens de l’exercer! Auront-elles même les moyens de faire face à leurs compétences obligatoires? La question est posée.
Il est inacceptable de faire supporter aux collectivités territoriales l’impossibilité dans laquelle elles se trouvent de répondre aux besoins des populations et, dans le même temps, d’avoir la tentation de renvoyer aux communes, aux départements, aux régions, la responsabilité de cette situation. Le texte en discussion est indissociable de ce débat puisqu’il se situe dans la continuité de cette évolution à rebours du sens de l’histoire.
M. Perben précise dans son rapport qu’il s’agirait « de renouer avec la logique de coïncidence des dates des scrutins locaux ». Comment ne pas légitimement douter que cette énième modification de la durée des mandats locaux soit guidée par l’intérêt général?
Nous sommes appelés à débattre d’un projet de loi qui aurait dû être l’aboutissement d’une éventuelle réforme territoriale, et non son commencement. Rédiger la conclusion avant même d’avoir écrit le corps de la copie, voilà ce qui nous est proposé, et c’est inacceptable. La précipitation, l’approximation, l’absence de cohérence semblent être devenues les caractéristiques principales de la méthode de travail du pouvoir exécutif. On l’a vu dernièrement pour la taxe carbone.
Faut-il poursuivre dans cette voie ou lancer avec sérieux des débats qui n’ont pas eu lieu? Il est encore temps de nous donner à nous-mêmes le pouvoir de la réflexion et de la proposition. Ainsi, la représentation nationale se grandirait en votant contre ce projet de loi.
Parce que la décentralisation est mise à mal, que vous le vouliez ou non, parce que la démocratie locale est remise en question – supprimer des élus traduit une volonté politique contraire aux principes de la démocratie locale –, parce que, en définitive, c’est à la République que vous vous en prenez, les députés socialistes s’opposeront de toutes leurs forces à votre projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Rousset.
M. Alain Rousset. En droit français, monsieur le secrétaire d’État, lorsqu’une société crée une seconde société avec les mêmes responsables et les mêmes actionnaires, cela porte un nom: l’une d’entre elles est une société fictive, une société écran. Voilà ce que prépare le projet de création d’un conseiller territorial; l’une des deux assemblées territoriales, la région ou le département, deviendra une assemblée fictive.
Tout à été dit sur la constitutionnalité du texte, sur le risque de tutelle d’une collectivité sur une autre, sur le retour à l’établissement public régional, sur les alternatives qui vous ont été proposées, sur l’acte III de la décentralisation, sur un texte mal préparé et plein d’incertitudes.
Je voudrais quant à moi insister sur les non-dits qui sous-tendent ce texte, les non-dits politiques ou politiciens d’abord. Imaginons le film sur le conseiller territorial. Les régions et les départements sont majoritairement à gauche. Il va falloir diviser par deux le nombre d’élus et l’on va enclencher une bataille infernale. On peut en sourire, on peut même y prendre du plaisir, mais à un moment donné la perversité se retourne contre celui qui l’a armée.
On peut plus fondamentalement se dire que ce texte est profondément recentralisateur, qu’aujourd’hui les régions et les départements sont non pas des contre-pouvoirs, mais des pouvoirs démocratiquement élus exerçant comme partout en Europe, comme dans tous les pays démocratiques, des politiques différentes de celles de la majorité nationale et concernant l’égalité des chances, l’innovation, le développement économique, la formation, la régénération des services publics. Tous les services publics qui ont été transférés aux collectivités locales, quelle que soit leur sensibilité politique, ont été régénérés. C’est à cela que vous allez mettre un terme. Le texte que vous portez est fondamentalement centralisateur et jacobin.
Autre non-dit: la disparition des départements – c’est le rapport Balladur, le rapport Attali – en formant avec les régions, dans un mariage forcé, un couple improbable dont on sait pourtant que les partenaires n’ont en commun qu’à peine 10 % des interventions. Le département et la région gèrent des compétences totalement différentes dont les contraintes financières ont marqué encore plus nettement la séparation. Un modèle de décentralisation à la française, différent de celui des autres pays d’Europe, est en train – j’allais dire: était en train – de se mettre en place en distinguant deux blocs cohérents de compétences qui allient, d’un côté, le monde de la formation et celui de l’entreprise; de l’autre, le monde de la solidarité et celui de l’équipement territorial. Tout le monde sait en effet – c’est l’exemple de Paris – que les compétences des départements sont beaucoup plus proches de celles des communes que de celles de la région.
Quel est donc le sens sous-jacent de ce texte si ce n’est que l’appareil d’État, les jacobins de notre pays, les centralisateurs sont aujourd’hui à l’œuvre pour mettre en cause ce modèle de décentralisation. Il n’est pas un exemple en Europe qui puisse valider cet autre modèle que vous proposez. Peut-il se prévaloir de quelque crédit pour l’efficacité des politiques publiques? Bien sûr que non! Progressivement, élus régionaux et élus départementaux acquéraient des compétences dans des domaines compliqués: le social, la solidarité, l’équipement territorial relèvent du département; le développement économique, la connaissance du monde industriel, la recherche, de la région. L’efficacité résultant de cette spécialisation ne va-t-elle pas être mise en cause?
Sur le plan de la démocratie, faisons le film encore une fois. Une élection locale portant sur des bilans différents, des projets différents, des majorités différentes, quel sens cela peut-il avoir, monsieur le secrétaire d’État? Comment mener campagne avec un département qui serait à droite et une région qui serait à gauche? Comment l’expliquer à nos concitoyens démocratiquement, les yeux dans les yeux? N’est-ce pas, d’une certaine manière, remettre ces élections dans l’ordre d’une élection nationale, contrairement à ce qu’expliquait l’un de nos collègues? N’est-ce pas politiser à l’extrême des élections locales qui pouvaient jusque-là faire apparaître des tendances différentes, des propositions différentes de celles prévalant au niveau national? Comment nos concitoyens vont-ils s’y retrouver dans l’élection d’un conseiller territorial qui serait un mélange hybride? Et puis, bonjour le cumul! Tous les partis politiques, de gauche et de droite, depuis quelques années, aspirent à une diminution du nombre des mandats, et là vous inventez un cumulard institutionnel. Il ne cumulera pas simplement ses deux mandats, mais pourra y ajouter ceux de président d’une communauté de communes et de maire, soit quatre mandats. Est-ce vraiment constitutionnel?
Parlons maintenant de la diversité. Les listes régionales donnaient à un corps politique peut-être figé, trop lié à l’administration, aux fonctionnaires, la possibilité de diversifier les origines des élus. Qu’en sera-il demain? L’élu cantonal, je l’ai dit, sera blanc, plutôt âgé, mais en tout cas pas issu de la diversité.
Mme Catherine Coutelle. Et ce sera plutôt un homme!
M. Alain Rousset. Qu’en sera-t-il également de la parité? Votre projet traduit un recul majeur de la modernité.
Au demeurant, il ne clarifie rien. Vous savez bien, et M. le rapporteur le sait parfaitement, que la vraie cause de complexité, aujourd’hui, c’est la présence de l’État dans les institutions des territoires. Nous sommes le seul pays à maintenir une présence de l’État aussi massive, aussi coûteuse, embrouillant autant les compétences. L’État fait aujourd’hui les poches des collectivités locales.
M. Alain Marleix, secrétaire d’État. Ce n’est pas vrai: il leur verse 97 milliards d’euros!
M. Alain Rousset. Il leur fait les poches parce qu’il ne respecte pas la séparation des compétences. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La région Aquitaine, comme la région Midi-Pyrénées, est obligée d’affecter l’équivalent d’un budget d’investissement annuel à une compétence qui relève de l’État. Si les régions et les départements n’étaient pas là pour payer les plans campus, il n’y aurait pas de campus en France! Allez voir en Espagne, en Allemagne, en Italie: jamais il n’y a eu une telle confusion des compétences, à cause d’une folie fiscale de l’État qui fait 23 milliards de cadeaux par an à ceux qui n’en demandaient pas tant!
C’est la fin de la région – l’appareil d’État jacobin va sans doute s’en réjouir – puisqu’elle devient un syndicat interdépartemental. Qui a le plus à perdre dans ces changements, ces non-dits derrière la fusion des dates?
Les entreprises d’abord, parce que les régions avaient progressivement acquis, depuis peu de temps, cette compétence d’innovation, de soutien à la recherche et au développement, d’aide à la modernisation et à la diversification industrielle. Qui va consacrer autant d’argent que l’ANR à la politique de recherche? Qui va porter tout cela?
C’est ensuite le monde de l’éducation qui va y perdre. Tout le monde constate, y compris le Président de la République, que nos lycées professionnels ont été bouleversés, régénérés, depuis la décentralisation, et il en est de même de beaucoup de compétences. Jean-Jack Queyranne pourrait dire la même chose que moi. La formation aussi y perdra parce que, demain, la logique de l’élection sera par définition une logique cantonale, contrairement à ce que l’on m’a objecté, parce que vous n’arriverez pas à supprimer la clause générale de compétence. Votre seul et unique objectif, en dehors du mode de scrutin, c’est la création du conseiller territorial pour mettre le feu aux poudres des institutions françaises – les régions – qui se rapprochent le plus aujourd’hui des institutions européennes.
La région va disparaître dans son autonomie, dans les politiques d’avenir qu’elle porte. Les contrats de plan État-région seront demain dictés par l’État. Le préfet va reprendre l’exécutif et nous nous retrouverons trente ans en arrière. Je ne sais pas qui va laisser son nom dans l’histoire de cette législation, et surtout dans la modernisation de notre appareil institutionnel, mais malheureusement, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, il n’y a rien à garder dans ces arrière-pensées et dans ces projets. Ce que vous faites est grave. Le texte est absurde, et vous n’aurez pas notre appui. Les élections régionales porteront aussi sur ce thème. (« Très bien! » et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Bernard Derosier. Là, ils sont ébranlés! M. le secrétaire d’État rumine!
Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Breton.
M. Xavier Breton. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, si nous devions établir en ce début d’année 2010 un bilan de la décentralisation, il serait sans aucun doute très largement positif.
M. Patrick Roy. Il faut continuer!
M. Xavier Breton. La décentralisation a beaucoup apporté à notre pays et à nos territoires.
M. Patrick Roy. Il faut continuer!
M. Xavier Breton. Mais nous devons constater, et regretter, que, depuis la fin des années 90, l’élan décentralisateur s’est affaibli. L’acte II de la décentralisation l’avait bien compris, mais il s’est malheureusement heurté, dans sa mise en œuvre, à l’inadaptation de notre administration territoriale.
M. Bernard Derosier. Mais qu’est-ce que ça veut dire?
M. Xavier Breton. Aujourd’hui, le fait est là: nos concitoyens doutent de plus en plus de la décentralisation. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Mme Marylise Lebranchu. Ce n’est pas vrai!
M. Xavier Breton. Ils ne se retrouvent plus entre les sept niveaux d’administration et de gestion qui se superposent dans notre pays, constituant ainsi un véritable « millefeuille administratif ». Pour l’exercice d’un certain nombre de compétences on ne sait plus qui fait quoi.
M. Patrick Roy. Mais si!
M. Xavier Breton. Il s’agit de domaines importants comme le développement économique, le tourisme, l’environnement, la formation, l’insertion ou encore le logement, autant de domaines dans lesquels chaque échelon territorial veut affirmer sa présence et afficher son utilité.
Cet empilement de structures, ce chevauchement de compétences ont un coût financier. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
M. Yves Durand. Inutile de nous resservir le bla-bla de Sarkozy!
M. Xavier Breton. La superposition de services qui instruisent les mêmes dossiers a un impact sur les charges de fonctionnement des collectivités territoriales, donc également sur le niveau de nos dépenses publiques.
L’efficacité de nos politiques publiques est aussi remise en cause, car la multiplication des intervenants dans un même secteur disperse les énergies et augmente les risques de surenchère et de saupoudrage.
Le coût est aussi démocratique: le citoyen, incapable d’identifier clairement le responsable de telle ou telle politique, ne peut plus, dans ces conditions, exercer un contrôle démocratique sur ses représentants.
Il est donc devenu indispensable de réformer en profondeur les structures territoriales de notre pays. Plusieurs projets de loi déposés par le Gouvernement vont dans ce sens. Nous devons examiner aujourd’hui celui organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux.
Ce texte traduit clairement la volonté de redonner un véritable élan à la décentralisation. En effet, organiser simultanément les élections des conseillers généraux et des conseillers régionaux rendra de l’intérêt à ces scrutins locaux. Nous savons que c’est la multiplication des échéances électorales qui conduit à l’absentéisme et à la désaffection des électeurs, lassés par une campagne électorale quasi permanente. De plus, la répétition fréquente d’élections n’est en rien propice à la mise en œuvre de politiques suivies dans le moyen et le long terme.
Organiser en même temps les élections pour les conseillers généraux et régionaux permettra aussi de donner une plus grande cohérence aux projets territoriaux qui seront proposés au choix des électeurs, puis mis en œuvre avec le même calendrier. Cette synchronisation permettra donc une meilleure maîtrise et une meilleure efficacité de la dépense publique locale.
M. Patrick Roy. Mon œil!
M. Xavier Breton. Enfin, organiser concomitamment ces deux élections permettra de mieux identifier les élus départementaux et régionaux en donnant plus de poids et de visibilité à leur élection. À ce sujet, j’ai été surpris de prendre connaissance d’un sondage publié en décembre dernier sur la notoriété des présidents de région. Il indiquait que 71 % des électeurs sont incapables de citer le nom de leur président de conseil régional.
M. Alain Rousset. Avez-vous fait la comparaison avec d’autres élus?
M. Xavier Breton. Est-ce vraiment cette décentralisation que nous voulons? Une décentralisation dans laquelle nos concitoyens ne connaissent plus leurs représentants, ne comprennent plus qui fait quoi, ne savent plus qui paie quoi? (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. Merci de laisser l’orateur s’exprimer. M. Patrick Roy. Il ne dit que des bêtises!
M. Xavier Breton. Ou bien voulons-nous une décentralisation fondée sur la proximité, sur la clarté et sur la responsabilité?
Le texte qui nous est proposé est une première étape,…
M. Patrick Roy. Ça promet!
M. Jean-Paul Bacquet. C’est exactement l’inverse de ce qu’ont dit le rapporteur et le secrétaire d’État!
M. Xavier Breton . …pour promouvoir cette nouvelle décentralisation que nous appelons de nos vœux. Refuser de franchir cette étape reviendrait à nous enfermer durablement dans le statu-quo, dans un conservatisme frileux. Franchir cette étape nous inviterait au contraire à engager une vaste et profonde réforme territoriale. Il nous appartiendra bien entendu d’écrire cette réforme, à nous de saisir notre chance pour réformer nos structures territoriales dans l’intérêt de notre pays et de nos territoires.
Mme la présidente. Mes chers collègues, permettez-moi de vous faire remarquer que vous ne pouvez, d’un côté, reprocher aux orateurs de l’UMP de ne pas s’exprimer et, de l’autre, crier lorsqu’ils s’expriment; le minimum serait de les écouter.
La parole est à Mme Danielle Bousquet.
Mme Danielle Bousquet. Mes collègues socialistes et de nombreux orateurs l’ont dit et répété: le projet de loi que nous examinons aujourd’hui n’a qu’une seule visée: la mise en place dès 2014 des conseillers territoriaux. Ils remplaceraient les conseillers généraux et régionaux actuels et ce serait la mesure phare de la contre-réforme territoriale que le Gouvernement s’entête à vouloir imposer aux Français.
En premier lieu, on ne peut que s’interroger sur l’opportunité de fusionner l’échelon départemental et l’échelon régional dans le seul but de n’avoir qu’un seul élu. Le diagnostic semble implacable et prêt à l’emploi pour communiquer et gagner l’opinion: « trop d’élus locaux, trop chers, trop d’échelons de décision ».
Mais les faits sont têtus: la seule vraie spécificité de l’organisation territoriale de la France est son nombre très élevé de communes. C’est ce qui explique son grand nombre d’élus locaux, mais, et vous le savez bien même si vous ne le dites pas, 70 % sont bénévoles et ne perçoivent aucune indemnité. C’est ainsi que le coût global de la fonction politique locale s’élève à 28 millions d’euros, soit quatre fois moins que le budget de l’Élysée!
De manière générale, quand ce gouvernement décide de faire des économies, il frappe toujours les catégories moyennes et modestes, alors que la justice sociale élémentaire conduirait à mettre d’abord à contribution nos concitoyens les plus riches.
M. Patrick Roy. Eh oui!
Mme Danielle Bousquet. Dans cette contre-réforme, la logique est la même: faire des économies de bouts de chandelle sur le dos des élus locaux et de la démocratie locale, alors même qu’au sommet de l’État on dépense sans compter: je fais référence à l’excellent rapport de notre collègue René Dosière, qui montre que le budget de l’Élysée augmente sept fois plus vite que le budget de l’État.
Au-delà du fait que les motifs invoqués pour la création de ces élus territoriaux sont fallacieux et démagogiques, leur mise en place entraînerait en outre des reculs considérables du point de vue démocratique.
Ainsi, comment un élu unique pourrait-il dans le même temps assurer la représentation de l’échelon départemental et de l’échelon régional, alors même que 90 % des compétences de ces collectivités sont dissociées? Comment pourrait-il intégrer l’impératif de politiques purement locales tout en étant par ailleurs investi dans de grandes politiques régionales? Doteriez-vous, monsieur le secrétaire d’État, les conseillers territoriaux du don d’ubiquité?
M. Patrick Roy. Peut-être…
Mme Danielle Bousquet. À vouloir être partout, ils risquent de n’être efficaces nulle part.
C’est d’ailleurs le pari que fait M. Sarkozy avec cette contre-réforme: affaiblir la démocratie locale en la désorganisant et en la privant de moyens, pour mieux asseoir le retour d’un pouvoir central hégémonique. C’est le pari de la recentralisation, d’autant plus dangereux qu’il n’est pas guidé par l’intérêt général. Il est en effet difficilement soutenable d’affirmer voir dans le mode de scrutin retenu pour l’élection des conseillers territoriaux la marque de l’intérêt général, à moins, bien sûr, que le Gouvernement ne le confonde avec l’intérêt de l’UMP.
Le scrutin uninominal à un tour est d’abord taillé sur mesure pour une UMP forte au premier tour mais en manque de réserves de voix pour le second tour. Chacun voit bien qu’un seul premier tour permettrait à la droite de revenir à la direction de nos régions tout en étant minoritaire dans les urnes.
Le scrutin uninominal est aussi une véritable machine à broyer la parité; comme l’indiquait notre collègue Marie-Jo Zimmermann cet après-midi à la tribune, c’est « une régression anachronique et totale ».
Parce que le scrutin uninominal n’est pas soumis à des mesures paritaires contraignantes, il a abouti à l’élection de seulement 12,3 % de femmes lors des élections cantonales de 2008. À l’inverse, le scrutin de liste, soumis à des mesures paritaires contraignantes, a permis l’élection, en 2004, de 47,6 % de conseillères régionales.
Les projections de l’Observatoire de la parité sont assassines. Il n’y aurait en 2014 que 19,3 % de femmes pour 80,7 % d’hommes parmi les futurs conseillers territoriaux. C’est un véritable crime de lèse-parité!
Mme Marie-Hélène Amiable. Absolument!
Mme Danielle Bousquet. Les projections région par région que j’ai commencé à distribuer à mes collègues annoncent de futurs déserts politiques féminins. En Corse, par exemple, si les femmes représentent aujourd’hui 26 % de l’ensemble des élus régionaux et départementaux, elles ne seraient plus que quatre à siéger sur les bancs de la future assemblée territoriale en 2014, soit la ridicule et humiliante proportion de 8,5 %.
L’exigence de parité n’est ni une lubie, ni un gadget! C’est le seul moyen de mettre fin au sexisme ordinaire, à la ségrégation durable qui tenait les femmes consciencieusement à l’écart de tous les mandats électifs. La parité est une des expressions forte de l’égalité entre les femmes et les hommes, et un des fondements de nos sociétés modernes, consacré par l’article 1 er de la Constitution.
On voit mal comment le texte que vous nous proposerez après les régionales, et dont le projet de loi aujourd’hui en examen est le préalable indispensable, pourrait satisfaire à cette exigence constitutionnelle, tant il est admis aujourd’hui que la régression en termes de parité sera forte et inéluctable. À l’évidence, vous devrez renoncer au scrutin uninominal, ne serait-ce que pour des raisons constitutionnelles.
Je souhaiterais également, monsieur le secrétaire d’État, que vous nous expliquiez comment vous pourriez respecter la loi du 31 janvier 2007, qui impose la parité dans la désignation des exécutifs régionaux, alors même que les assemblées de conseillers territoriaux ne seraient pas paritaires, du fait de votre refus d’instaurer le scrutin à la proportionnelle. Serait-il donc question d’abroger cette loi?
M. Alain Rousset. Bon argument!
Mme Danielle Bousquet. Pour votre défense, vous avancez l’argument de l’abaissement de 3500 à 500 habitants du seuil des communes devant répartir les postes à égalité entre les hommes et les femmes. Nous en prenons acte, mais cela pèse peu face à l’énorme recul que subiraient les femmes à l’échelon départemental et régional.
Le président de l’UMP propose quant à lui d’instaurer des sanctions financières pour les partis qui ne présenteraient que très peu de femmes, mais ce moyen est déjà utilisé depuis plusieurs années, et il s’est montré quasiment inefficace tant les partis politiques préfèrent payer plutôt que de sacrifier des candidats hommes. M. Xavier Bertrand devrait le savoir puisque l’UMP détient la palme de l’inefficacité en termes de parité et a payé de ce fait plus de 4 millions d’euros au titre de ces pénalités en 2008.
Au Sénat, le Gouvernement s’est dit ouvert à des propositions alternatives. Monsieur le secrétaire d’État, j’ai eu l’occasion de vous dire à maintes reprises avec les présidentes des délégations aux droits des femmes de l’Assemblée nationale et du Sénat que la seule alternative qui vaille, c’est la proportionnelle.
Des propositions, les socialistes en formulent également pour que de telles atteintes à la parité puissent à l’avenir être prévenues.
Nous proposons que tout projet de loi comporte systématiquement, dans son étude d’impact, un volet spécifique sur la parité. Nous demandons que toute proposition de loi pouvant avoir un impact sur le principe de parité soit soumise à l’avis des délégations aux droits des femmes de la chambre parlementaire qui en enregistre le dépôt.
Notons le paradoxe qui existe entre M. Copé, qui dit vouloir attaquer le « plafond de verre » empêchant les femmes d’accéder aux postes à responsabilité dans les entreprises – je fais allusion au texte qui sera examiné demain –, et sa majorité, laquelle s’apprête à instaurer un véritable plafond blindé en politique, qui cantonnera les femmes aux mandats locaux de proximité, comme hier on pouvait les cantonner à s’occuper des affaires domestiques.
La France se situe aux dernières places des pays démocratiques quant à la proportion de femmes élues, derrière, par exemple, le Rwanda, la Mauritanie, ou encore l’Égypte, pays, on le sait, très avancés en ce domaine… Parité et égalité de droits pour les femmes, c’est, dans notre pays, un combat de chaque instant face aux forces du conservatisme.
Monsieur le secrétaire d’État, je ne peux croire que vous vouliez vous inscrire dans cette longue lignée, et c’est pourquoi je vous demande de répondre à la contestation d’élus de tous les bords et des deux sexes, d’associations qui défendent la parité, de nombreux citoyens et citoyennes, pour qui cette contre-réforme serait un recul pour la démocratie, la parité, la mixité, l’égalité, et donc pour la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jack Queyranne.
M. Jean-Jack Queyranne. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, deux articles à la concision extrême, un projet de loi « modeste » selon notre rapporteur lui-même: voilà qui tranche en apparence avec les habitudes de notre assemblée, plutôt accoutumée aux « lois bavardes », comme les définissait Jean-Louis Debré, notre ancien président, aujourd’hui président du Conseil constitutionnel.
Mais, loin de constituer un progrès dans le débat parlementaire, ce projet de loi soumis à la procédure accélérée constitue une véritable régression – je dirai même pire: une forfaiture législative. Il résonne en effet comme une sanction à l’égard des conseils régionaux, dont le mandat sera réduit de deux ans. Une sanction qu’il faut exécuter vite, à moins de huit semaines du premier tour des élections régionales.
Monsieur le secrétaire d’État, sur un ton très patelin, nous a dit en ouvrant ce débat que la réduction de durée du mandat d’une assemblée locale n’est pas exceptionnelle; encore faut-il qu’elle soit justifiée par l’intérêt général. Et où est l’intérêt général dans ce texte dont la motivation n’est ni plus ni moins que de préparer la plus grande manipulation électorale de la V e République, qui n’en a pourtant pas été avare? En guise de grande ambition territoriale, cette loi d’arrière-pensées ne vise qu’à couvrir un véritable hold-up politique au profit du parti majoritaire: redécoupage de tous les cantons et instauration d’un mode de scrutin qui fait fi des traditions républicaines comme du principe de parité homme-femme, pourtant inscrit dans notre Constitution.
Il aurait été logique, sur le plan juridique et constitutionnel, que les deux articles dont nous débattons soient les dispositions finales d’une loi modifiant les compétences et les modes de représentation des régions et des départements. Mais l’hyper-parlement cher à monsieur Copé est devenu une machine a légiférer à l’envers et à la va-vite sous l’injonction de l’hyper-président. Vous avez choisi de débiter votre réforme territoriale en tranches. Je ne peux que partager l’opinion de Jean-Pierre Raffarin, qui déplorait l’absence de vision globale et concluait: « On va discuter du conseiller territorial maintenant et de son mode d’élection et de ses compétences plus tard. Tout cela manque de lisibilité. »
Cela a d’ailleurs commencé avec la réforme de la taxe professionnelle et son remplacement par la cotisation économique territoriale. Il aurait été logique de redéfinir les compétences des collectivités territoriales avant de leur attribuer des ressources. La majorité, pressée par l’Elysée, a fait l’inverse au prix d’un bricolage financier dont le Gouvernement a toujours voulu rester maître, modifiant même par amendement, ce qui est exceptionnel, le compromis élaboré en CMP.
En ce qui concerne les régions, et aussi les autres collectivités, on en connaît déjà les deux conséquences: des recettes en régression et une autonomie financière réduite à sa plus simple expression puisqu’elles n’auront plus aucune maîtrise de la fiscalité directe avec la renationalisation des taux. Certes, la loi de finances a créé une nouvelle recette, la taxe sur les wagons de chemin de fer: plus une région développera ses TER, plus elle se taxera elle-même! Il fallait vraiment trouver une telle source de financement!
Qu’adviendra-t-il de la création et du mode d’élection du conseiller territorial, projet dont la discussion devrait venir devant l’Assemblée au printemps? Nul ne paraît le savoir dans la majorité. Le président du Sénat, monsieur Larcher, avouait à la mi-décembre qu’il n’y avait pas de majorité pour voter ce texte en l’état.
Ainsi, le projet de loi qui nous est soumis parie sur d’autres textes dont rien n’assure qu’ils seront votés. Comment instituer un élu vraiment représentatif sans rien savoir du pouvoir des assemblées où il siégera? Vous inventez un nouveau jeu: le poker menteur législatif!
Votre projet de création du conseiller territorial repose sur une affirmation reprise par M. Perben dans son rapport: il faut mettre un terme à la concurrence de légitimité et de compétences entre les régions et les départements. Le conseiller territorial serait la clé de la future clarification puisqu’à lui seul il parviendrait à digérer ce fameux mille-feuille dont M. Breton vient de nous resservir une part.
Je m’inscris en faux contre cette interprétation au vu de la réalité de la région que je préside. En Rhône-Alpes, je travaille en bonne entente avec les huit départements, dont quatre ont une majorité de gauche et quatre une de majorité de droite. Il y a peu de domaines, comme le rappelait Alain Rousset, où les compétences se superposent: pour moins de 10 % du budget régional. Quand nous sommes appelés à gérer en commun des services, nous le faisons en bonne intelligence. J’en veux pour preuve les cités mixtes scolaires, où collèges et lycées cohabitent, ou la coordination dans les transports entre les bus départementaux et les trains régionaux, pour les horaires ou la tarification.
S’il faut bien sûr favoriser une meilleure harmonisation, ne peut-on le faire en approfondissant la notion de chef de file?
Qui peut croire que le futur conseiller territorial, ce cumulard institutionnel, conseiller général en début de semaine et conseiller régional en fin de semaine, pourra faire vivre correctement ces deux assemblées aux compétences et à l’esprit si différent?
Abaisser le pouvoir des assemblées a toujours été la marque des princes. Pourtant, notre Constitution, depuis la réforme de mars2003, établit que, dans la République « décentralisée », régions et départements sont deux collectivités distinctes, ne pouvant exercer de tutelle l’une sur l’autre.
Or la notion de collectivité territoriale se définit à partir du principe de l’élection. L’identité constitutionnelle de chaque collectivité, qui relève du principe de libre administration, suppose une certaine forme de monopole de représentation, de sorte que les élus de chaque organe délibérant d’une collectivité ne soient pas élus en même temps pour représenter les intérêts d’une autre collectivité.
Je reviens à la région Rhône-Alpes. L’assemblée régionale compte aujourd’hui 157 conseillers. Selon les projections du ministère de l’intérieur, elle en compterait plus de 250 si cette contre-réforme allait à son terme.
Mme Catherine Coutelle. Une belle économie pour construire la salle où elle se réunira!
M. Jean-Jack Queyranne. Le conseil régional deviendrait, selon l’expression judicieuse du professeur Bruno Rémond, « un congrès des départements », par « une pulsion à rebours de celle qui a suscité puis institué l’idée régionale en France ». Nous écririons l’histoire des régions à l’envers, revenant à l’établissement public régional qui a existé de 1974 à 1982. En présentant sa création en 1972, le Président de l’époque, Georges Pompidou, avait en effet défini la région comme « une union de départements ».
La région n’était pas alors une collectivité territoriale: l’EPR n’avait pas la compétence générale, mais des compétences spéciales, strictement énumérées par la loi. Ses moyens étaient limités. Son conseil était formé de parlementaires et de délégués des départements et des grandes communes. C’est dans cette voie que vous voulez engager notre pays.
Certes, il resterait une différence: le préfet, à l’époque, était l’exécutif de la région. Mais, avec la RGPP, les pouvoirs sont aujourd’hui concentrés entre les mains du préfet de région. Il ne lui reste plus, comme disait Alain Rousset, qu’à faire les poches des régions pour financer des politiques publiques que l’Etat désargenté et endetté ne peut même plus assurer.
En mars1968, le général de Gaulle soulignait que « l’effort multiséculaire de centralisation ne s’imposait plus ». Il ajoutait: « Au contraire, ce sont les activités régionales qui apparaissent comme les ressorts de [la] puissance économique de demain. »
M. Alain Marleix, secrétaire d’État. Pourquoi avez-vous voté non au référendum de 1969?
M. Jean-Jack Queyranne. Parce qu’il portait aussi sur le Sénat. Aujourd’hui, on peut dire que c’est dommage pour l’idée de région.
Quarante ans plus tard, à l’évidence, les régions sont devenues les ressorts de la puissance publique. Que serait le transport ferroviaire de proximité sans la régionalisation? Comment serait organisée la relation entre recherche et entreprises dans les pôles de compétitivité, dont l’exemple est venu de Grenoble avec MINATEC? Où en serait l’apprentissage? La région que je préside est passée de 32000 à 42000 apprentis en cinq ans.
Les Français ont besoin des régions parce leur action est efficace et qu’elles en ont fait la preuve. Elles sont une forme moderne de mise en oeuvre des politiques publiques. Notre pays a besoin de régions fortes, à l’instar des grands pays européens, pour préparer l’avenir et inventer la France de demain.
C’est pourquoi il faut dire non à ce premier projet de loi et porter un coup d’arrêt à une contre-réforme antidémocratique et rétrograde. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Bacquet.
M. Jean-Paul Bacquet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, à lire le rapport de M. Perben sur la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux, on pourrait se demander quelle en est la motivation. En effet, vous l’avez souligné monsieur le secrétaire d’État, ce n’est pas la première fois que l’on modifie la durée des mandats des conseils généraux. Mais c’est la première fois qu’on n’en comprend pas la raison. Il est vrai que les différents orateurs de l’UMP, eux, nous ont fait comprendre de quoi il s’agissait. Prenant systématiquement le contre-pied de vos propos, ils ont beaucoup plus parlé de la réforme territoriale que du projet de loi que vous présentez aujourd’hui.
Les conseillers généraux sont élus depuis la loi du 10 août 1871 au scrutin uninominal à deux tours et par moitié tous les trois ans afin d’éviter des changements trop brutaux de gouvernance. On reconnaît déjà en cela la volonté conservatrice d’atténuer la lecture politique des changements de majorité au niveau national. Il s’en est suivi nombre d’inconvénients. En effet, comment mener une véritable politique départementale quand une majorité peut ne durer que trois ans? Et au fil du temps cette élection a perdu de son intérêt au point que quelquefois, dans les villes en particulier, le taux de participation est inférieur à 25 %.
C’est pour permettre une meilleure participation que la loi du 11 décembre 1990 avait couplé les élections cantonales avec les régionales; un mandat de six ans devait permettre une véritable action politique départementale. Or, non seulement votre majorité n’a pas voté cette loi, mais elle s’y est opposée avec force, parlant « de loi corporatiste d’intérêt particulier, faussement finalisée ». Logiquement, en 1994, vous êtes revenus en arrière pour qu’elle ne soit pas appliquée. Voilà pourquoi j’avais déposé, le 13 février 2003, une proposition de loi reprenant les dispositions abrogées.
Pourquoi donc reprenez-vous aujourd’hui l’argumentation que nous défendions en 1990,…
M. Patrick Roy. On se le demande!
M. Jean-Paul Bacquet. …argumentation à laquelle vous vous étiez opposés avec véhémence, allant même jusqu’à abroger, en 1994, la loi que nous avions adoptée?
De plus, s’il est arrivé qu’on modifie la durée des mandats, il s’agissait toujours de les allonger pour les faire coïncider avec une élection ou pour éviter qu’en raison d’autres échéances électorales, il ne soit plus possible de les organiser. Mais jamais l’on n’a assisté à une diminution de la durée du mandat électif.
M. Dominique Perben, rapporteur . Si!
M. Jean-Paul Bacquet. Jamais, au moins, dans de telles conditions. Il vrai que, lors de la réforme de 1990, certains mandats ont été abrégés pour les faire coïncider avec le nouveau calendrier électoral, mais il s’agissait de mandats d’élus de cantons nouvellement créés.
On peut s’étonner que vous recouriez à l’urgence pour instaurer cette concomitance qui, si l’on vous lit, n’implique en rien juridiquement la création des conseillers territoriaux. La seule motivation de l’urgence est évidemment de vous mettre en situation, en 2014, d’appliquer la réforme territoriale que vous avez préparée, comme les orateurs de l’UMP viennent de nous le dire.
On peut aussi s’interroger sur le calendrier adopté. Commencer par la concomitance est une manœuvre pour faire voter ensuite la réforme territoriale; il aurait été plus logique de voter d’abord la réforme territoriale, que vous auriez ainsi pu défendre, et de fixer ensuite un calendrier pour la faire appliquer.
La ficelle est grosse, car chacun a bien compris, malgré vos dénégations, que la concomitance n’a qu’un but, conduire à la réforme des collectivités locales. Encore une fois, les orateurs de l’UMP l’ont bien dit.
M. Patrick Roy. Eh oui!
M. Jean-Paul Bacquet. Ce projet est le préalable indispensable à la création des conseillers territoriaux et à la modification du mode de scrutin, que les élus rejettent massivement. Le président Larcher a même dit qu’il n’y aurait pas de majorité au Sénat pour voter cette réforme du mode de scrutin.
Vous le savez bien, votre projet de réforme territoriale est impopulaire, il n’est pas accepté par une grande majorité d’élus quel que soit leur bord. C’est la raison pour laquelle vous n’avez pas eu le courage d’annoncer clairement que les deux projets de loi étaient liés!
Il y a une inquiétude, vous le savez, sur la disparition de la clause de compétence générale. Il y a une incompréhension sur le mode de scrutin envisagé, qui permettrait à certain d’être élus par le suffrage universel tout en étant minoritaires et à d’autres d’être élus au scrutin proportionnel tout en ayant été battus au scrutin majoritaire. Et que dire de la parité, que vous rayez d’un trait alors qu’elle était inscrite dans la loi relative aux scrutins régionaux?
Quant aux économies que vous prétendez réaliser en diminuant le nombre d’élus, est-il sérieux que ceux qui gouvernent avec un déficit budgétaire de 145 milliards d’euros, et qui continuent à dépenser alors que la dette s’élève à 1 500 milliards, donnent des leçons aux élus de terrain qui ont, eux, l’obligation d’élaborer des budgets en équilibre?
Monsieur le secrétaire d’État, ce qui manque à votre projet de loi organisant la concomitance, c’est le courage politique, c’est la vérité, c’est l’honnêteté intellectuelle, qui aurait consisté à reconnaître que cette loi n’a qu’un seul but: permettre la réforme territoriale. Je suis persuadé que la manœuvre que vous utilisez provoquera encore plus d’inquiétudes chez les élus – même chez les vôtres – et dans l’électorat face à la réforme à venir. Vous ne manquerez pas de vous en rendre compte lors de la discussion de la loi et, davantage encore, lors des élections régionales! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Lou Marcel.
Mme Marie-Lou Marcel. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui, voulu par le Président de la république et soutenu par le Gouvernement, fait grincer des dents les élus locaux et nationaux à gauche, mais aussi au-delà.
M. Patrick Roy. Il les fait hurler!
Mme Marie-Lou Marcel. Une chose est certaine, il demeurera dans les annales comme un texte à la présentation opaque mais aux intentions claires: en finir une bonne fois pour toutes avec la démocratie locale, l’autonomie des collectivités territoriales et la décentralisation. En effet, nous sommes aujourd’hui conduits à nous prononcer sur un texte de deux articles pouvant sembler, de prime abord, inoffensifs; mais, derrière ces deux articles, se cache ni plus ni moins une attaque en règle des départements et des régions, ainsi qu’une mise en cause directe de nos élus locaux.
Comme dans les images d’Épinal d’autrefois où l’on découvrait un personnage dissimulé dans un paysage, ce projet de loi cache dans ces deux articles le conseiller territorial. Il suffit de lire l’exposé des motifs du texte présenté au Sénat, le rapport de M. Perben ou l’étude d’impact pour le découvrir. Sous couvert d’un simple rapprochement entre deux dates d’élections, ce texte signe l’acte de naissance du conseiller territorial. Une naissance devrait toujours être réjouissante. Celle-ci ne saurait l’être car elle a pour corollaire un décès: celui de la décentralisation.
On connaît les raisons invoquées par le Président de la République pour justifier la création de cet être hybride que sera le conseiller territorial. À propos du millefeuille adminis tratif français, Nicolas Sarkozy n’a pas craint de nous dire que « la population est légitimement exaspérée ». Moi qui me rends, comme beaucoup d’entre vous, sur les marchés le week-end, je dois dire que j’ai souvent entendu les Français me parler de leur exaspération, mais c’était face à la taxe carbone, au bouclier fiscal ou encore au recul des services publics dans nos territoires, jamais face au mille-feuille administratif!
Quant à l’idée qu’il convient de clarifier les compétences, toute personne un peu honnête intellectuellement est à même d’affirmer que les chevauchements de compétences entre régions et départements sont rares. Plus de 80 % des budgets des régions ou des départements sont dédiés à leurs compétences propres: entretien des routes, financement des collèges et action sociale pour les départements; TER, financement des lycées, formation professionnelle et développement économique pour les régions. Il n’y a pas de doublon et donc pas de gâchis financier comme le laisse entendre, non sans démagogie, le Président.
Autre raison invoquée: l’économie substantielle réalisée grâce à cette opération qui diviserait par deux le nombre d’élus locaux. Or, ce n’est un secret pour personne, le coût des élus locaux est dérisoire pour le contribuable puisqu’il représente 0,02 % du budget des collectivités et que plus de 450000 élus sont bénévoles. Autrement dit, on voit bien que cet argumentaire de méfiance, voire de discrédit, vis-à-vis d’un élu local jugé dispendieux et dépensier, est un brin poujadiste et que la réalité est tout autre.
Dans ce registre tendancieux, on assure également que les collectivités locales seraient ruineuses et en déficit. Il y aurait l’État « fourmi » et les collectivités locales « cigales ». En réalité, c’est exactement l’inverse: les collectivités territoriales réalisent 73 % de l’investissement public. Par ailleurs, contrairement à l’État, elles remboursent toutes leurs dettes, capital et intérêts. Une fois de plus, le Président de la République, tordant le cou aux vérités les plus élémentaires, s’échine à faire passer en force et sous de fallacieux arguments un texte qui va participer à un mouvement de recentralisation.
Tous les gouvernements ont fait le pari de la décentralisation depuis la promulgation le 2 mars 1982, voilà bientôt trente ans, de la loi Defferre, jusqu’à l’inscription dans la Constitution, le 28 mars 2003, du principe que la France est une République dont « l’organisation est décentralisée ».
Il y aurait beaucoup à dire sur les décentralisations menées par des gouvernements de droite successifs, qui s’apparentent plus à des déconcentrations et à des transferts de charges vers les collectivités locales.
L’actuelle majorité, après avoir en 1982 critiqué une réforme qui mettait à mal, selon elle, le pouvoir des préfets, s’y est ensuite ralliée avec conviction. Il faut dire que, durant une vingtaine d’années, une écrasante majorité de départements et de régions portait ses couleurs. Depuis que la gauche est majoritaire dans la gestion des régions et des départements, il semble que le vent ait tourné et que l’heure soit venue de reprendre en main les collectivités locales. On a constaté, cet automne, les méthodes employées par le Gouvernement pour tenter d’y parvenir financièrement en supprimant la taxe professionnelle sans formule de substitution satisfaisante et au mépris des décisions adoptées à l’unanimité de la commission des finances, mesure qui réduit de façon drastique l’autonomie fiscale des collectivités locales: communes, communautés de communes, départements et régions.
C’était l’acte I de cette reprise en main; nous voici à l’acte II. Comme l’a fort bien dit Pierre Mauroy lors de l’examen de ce texte au Sénat, et comme l’a rappelé Jean-Jack Queyranne, « abaisser le pouvoir des assemblées a toujours été la marque des princes ».
Ne nous y trompons pas: ce texte vise à affaiblir la plus ancienne des assemblées décentralisées, l’assemblée départementale – si importante dans l’organisation des territoires, notamment en milieu rural –, comme il vise à affaiblir les régions, sans parler des petites communes, surtout les plus fragiles.
Avec la création du conseiller territorial, c’est la fin de l’ancrage de proximité, de l’expérience et du travail des élus, qui font rimer conviction avec indépendance d’esprit. La création de ce conseiller procède d’une autre logique que celle qui avait cours, où l’on voyait fonctionner, le plus souvent en bonne intelligence, le couple communes-département et le couple régions-État. Aujourd’hui, on privilégie les couples communes-communauté de communes et région-départements. Or le lien entre département et région ignore les différences majeures entre ces deux assemblées, la première étant une instance de proximité, la seconde une instance plus stratégique liée à l’État et à l’Europe.
À terme, ce qui est recherché, c’est soit la disparition de la commune et du département, ce que dans le rapport Balladur on appelait pudiquement leur « évaporation », soit la disparition des régions. Bien malin qui peut le dire... Je reprendrai ici un slogan de campagne: Avec Nicolas Sarkozy, « tout devient possible »!
Pour l’heure, à part nuire aux collectivités locales existantes et aux équipes qui sont à leur tête, la stratégie du Président et du Gouvernement, en matière de réforme des collectivités locales, est particulièrement brouillonne et erratique. Créer un conseiller territorial, c’est en tout état de cause, accélérer la mort des départements. Les circonscriptions d’élection seront environ quatre fois plus grandes que les actuels cantons. Comment, dès lors, ces conseillers pourront-ils être présents et à l’écoute de la population? Comment feront-ils pour participer aux conseils d’administration des collèges ou des établissements sanitaires et sociaux, comme aux assemblées générales des associations sportives, culturelles et professionnelles?
Par l’étendue de ces circonscriptions d’élection, on met à mal la proximité. On la met à mal doublement dans la mesure où le conseiller territorial représentera également la région. Compte tenu du nombre de délégations dont il sera pourvu, il sera très souvent amené à représenter les deux institutions dans l’ensemble de la région. C’est donc une source de confusion totale, de quasi-conflit d’intérêts, et cela pose un vrai problème constitutionnel. En effet, les lois de décentralisation Mauroy-Defferre imposaient un principe fort: l’absence de tutelle d’un niveau de collectivité sur un autre. Cela supposait que l’élu qui parlait pour la région ne s’exprimait pas pour le département, et réciproquement. Ce principe d’autonomie est, du reste, désormais inscrit dans la Constitution. En créant la confusion dans les fonctions, le Gouvernement institutionnalise la tutelle d’une collectivité sur une autre.
Par ailleurs, comment le conseiller territorial pourra-t-il conjuguer son mandat électif avec une activité professionnelle? Avec la création de cette nouvelle fonction, c’en est fini de l’élu qui exerce un métier à côté; place à l’élu professionnel, qu’il faudra bien indemniser en conséquence! On voit bien que l’argument économique ne tient pas la route une seule seconde!
M. Marcel Rogemont. Évidemment!
Mme Marie-Lou Marcel. Quant à l’élection de ce conseiller, parlons-en! On sait désormais que, selon la décision du Conseil constitutionnel du 6 juillet 1994, en cas de double scrutin, « le principe de sincérité impose que le choix opéré par le législateur en faveur d’un regroupement dans le temps de consultations s’accompagne de modalités matérielles d’organisation destinées à éviter toute confusion dans l’esprit des électeurs ». Or la confusion est au cœur même de votre texte de loi!
Par ailleurs, comment expliquer et justifier que 80 % des élus seraient désignés au suffrage uninominal, cependant que 20 % le seraient au suffrage proportionnel « suivant la règle du plus fort reste en fonction du nombre de suffrages obtenus dans chaque canton par ceux des candidats non élus au mandat de conseiller territorial ». En français, cela se traduit par: « ne sont pris en compte que les votes exprimés en faveur de ceux qui n’auront pas été élus au scrutin uninominal ». Autrement dit: les conseillers territoriaux élus à la proportionnelle le seront grâce aux suffrages qui ne se seront pas portés sur eux pour être élus conseiller territorial! Tout ceci nous ramène en arrière. Nous voilà bientôt revenus au Second Empire, au temps où l’on votait pour des candidats officiels!
Et que dire de la place des femmes dans ce projet de loi? Dans les assemblées, elle sera réduite à la portion congrue. Pour la seule région Midi-Pyrénées, leur nombre, selon les projections réalisées, passerait de soixante-seize à trente-cinq!
Le véritable enjeu de cette réforme aurait dû consister à rendre nos collectivités plus efficaces pour nos concitoyens. Au lieu de cela, on nous propose une recentralisation punitive. Le conseiller territorial, c’est la fin de l’élu de proximité, la fin de l’autonomie politique des collectivités locales, la fin de l’autonomie administrative des régions et des départements, la fin de l’indépendance politique de nos territoires.
M. Patrick Roy. Hélas!
Mme Marie-Lou Marcel. Avec ce projet de loi, on se trouve face à des problèmes quelque peu similaires à ceux soulevés par le changement de statut de La Poste: inégalité entre les territoires, voire délaissement de certains, fin de la décentralisation et de la démocratie locale, fin de l’unité et de l’égalité républicaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Roy pour un rappel au règlement.
M. Patrick Roy. Je veux simplement espérer, madame la présidente, que nos débats ne sont pas télévisés. Pendant toute la soirée, en effet, alors que nous débattons d’un sujet aussi important, l’opposition, et on voit là les conséquences de la réforme du règlement, a été de loin majoritaire, et j’ai presque envie de féliciter le seul membre de l’UMP qui soit présent.
M. Gérard Voisin. Nous sommes deux!
M. Patrick Roy. Je parle et un deuxième arrive… Le fait que deux députés de la majorité seulement soient présents en séance ce mardi soir, alors que la majorité des parlementaires de l’UMP sont sans doute dans les rues parisiennes, montre bien que nous avons un vrai problème démocratique, soulevé par le président Ayrault cet après-midi. Il faudra tout de même que nous nous penchions sur la question parce que, vraiment, si des citoyens français regardent ce que nous faisons aujourd’hui, ils ne vont rien y comprendre. Ce n’est pas valorisant pour la démocratie et pour notre assemblée.
M. Gérard Voisin. Combien êtes-vous?
Mme la présidente. Monsieur Roy, je vous rappelle simplement que nous sommes dans une discussion générale et que bon nombre des orateurs de votre groupe, comme ceux de l’UMP, sont partis après être intervenus.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Valax.
M. Jacques Valax. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après l’adoption en commission le 3 décembre 2009 du projet de loi organisant la concomitance des renouvellements des conseillers généraux et des conseillers régionaux, le rapporteur du texte au Sénat, Jean-Patrick Courtois, a justifié ce projet de loi par l’opportunité de mettre fin au renouvellement par moitié des conseillers généraux. C’était la seule base juridique donnée à ce texte qu’il nous appartient aujourd’hui d’examiner.
Rien n’était dit sur la création des futurs conseillers territoriaux et, aujourd’hui encore, vous n’avez de cesse de nous rappeler que votre texte se suffit à lui-même et qu’il est d’une limpidité extraordinaire.
Pourquoi, d’abord, ne pas évoquer simplement dans le titre la concomitance des élections des conseillers généraux et des conseillers régionaux au lieu de parler de renouvellement puisque, par définition, il s’agit d’une nouvelle élection? Rien que cette ambiguïté démontre la complexité du problème et la volonté de cacher certaines choses.
M. Alain Marleix, secrétaire d’État. C’est exactement le même titre qu’en 1990!
M. Jacques Valax. Ce n’est pas la peine de copier, soyez originaux!
J’ai personnellement le sentiment, une fois de plus, hélas,…
M. Patrick Roy. Hélas!
M. Jacques Valax. …que le Parlement est bafoué dans son fonctionnement et dans sa légitimité.
Je m’interroge aussi pour savoir ce que nos citoyens doivent penser de nous ou penseraient si nous votions ce texte sans protester énergiquement contre la méthode qui est la vôtre.
Cette méthode – pardonnez-moi ces qualificatifs un peu rudes –, elle est lamentable, elle est antidémocratique, elle est surtout révélatrice du peu de cas que vous faites de notre institution et de la représentation nationale. En effet, nous n’avons débattu ni de l’opportunité de créer des conseillers territoriaux, ni de leur répartition géographique – combien seront-ils par département, et sur quelle base géographique agiront-ils? –, ni des modalités de leur élection, que nous redoutons déjà.
En revanche, nous savons qu’ils seront créés ou, plus exactement, que vous voulez inexorablement nous les imposer, en donnant un certain nombre d’arguments que je vais reprendre très rapidement.
Il s’agirait d’abord de mettre fin au millefeuille territorial.
C’est faux puisque, par définition, vous nous dites que le conseiller territorial aura une double casquette et qu’il sera à la fois conseiller régional et conseiller général. Cela veut bien dire que vous entendez maintenir les deux collectivités, par manque de courage politique, alors que cette vertu aurait sans doute exigé une vraie réforme et peut-être la suppression d’une de ces deux collectivités. Il fallait aller jusqu’au bout de la logique.
Il s’agirait ensuite de faire des économies.
C’est faux. Un chiffre a été donné, 70 millions d’euros: une goutte d’eau dans l’océan des déficits, serais-je tenté de dire au risque de paraître peu soucieux des finances publiques, et vous auriez le droit de critiquer mon insouciance. Je ne m’aventurerai donc pas sur ce terrain mais je dirai – tautologie pertinente ‑ la vraie vérité, et ma démonstration sera pratique.
Dans le département du Tarn, il y a quarante-six conseillers généraux. Les conseillers territoriaux seront-ils 20, 23, 26? Nous ne le savons pas. En tout cas, j’ose espérer, parce que, géographiquement, ce sera une nécessité, qu’ils seront au moins 25 ou 26. Par conséquent, on économisera une vingtaine de conseillers généraux. Comme il y a huit conseils généraux dans la région Midi-Pyrénées, vous économiserez 160 sièges. Aujourd’hui, la région fonctionne avec 91 élus. Demain, 200 personnes environ auraient le titre de conseiller territorial.
Par conséquent, à cinquante personnes près, nous aurions globalement le même nombre d’élus, avec cette différence que l’élu que vous allez créer, le conseiller territorial, coûtera beaucoup plus cher à la collectivité à laquelle il sera rattaché. C’est simple. Un conseiller général est moins payé qu’un conseiller régional.
M. Marcel Rogemont. C’est une indemnité!
M. Jacques Valax. Qui plus est, les frais de déplacement, assumés par les collectivités, ce qui est normal, sont par définition moins élevés au niveau d’un département, la distance étant elle-même réduite. Globalement, d’un point extrême du département jusqu’au conseil général, il y a, selon la référence napoléonienne, 80 kilomètres, pas plus. Dorénavant, le conseiller territorial devra faire ces 80 kilomètres quand il siégera au conseil général mais, quand il sera à la région, il devra faire environ 200 kilomètres. Cela multiplie les frais par trois.
J’ajoute que la région Midi-Pyrénées a un bâtiment qui reçoit aujourd’hui, et c’est un maximum, 91 élus. Si, demain, il faut créer un lieu susceptible d’accueillir 191 à 200 élus, il faudra un nouvel investissement. C’est de la compétence normale des collectivités territoriales puisque, comme nous le plaidons chaque jour, ce sont elles qui financent 75 % des investissements, mais, malheureusement, ce sera peut-être le seul investissement que pourra faire la région puisque, par définition, elle n’aura plus aucun crédit, cela a été dit par ceux qui m’ont précédé.
Le critère de l’économie se réduit donc à néant au fur et à mesure qu’on l’examine sérieusement.
Autre argument, il s’agirait d’être plus efficace.
C’est faux. Comment le conseiller territorial pourra-t-il assumer sa mission territoriale? Il n’aura de territorial que le nom, il n’aura de conseiller que l’apparence puisqu’il sera loin de sa base, donc loin de ses électeurs.
Ces conseillers territoriaux ne seront plus au service des électeurs, comme ils le sont dans nos villages et nos territoires éloignés. Ils ne pourront plus accomplir le côté service public de leur mission. Il s’agit là encore d’une nouvelle atteinte aux institutions de nos territoires ruraux. D’une nouvelle atteinte à cette notion de service public qui existait encore au fin fond de nos villages.
Il s’agirait enfin d’aller vers plus de proximité.
Je viens de vous démontrer que ces conseillers seront plus éloignés de leur territoire, et je peux donc affirmer une fois encore que votre réforme n’amènera aucun progrès.
Pire encore, j’ose affirmer que cette réforme, qui est en réalité une revanche électorale, remet en cause grandement l’équilibre sociologique de notre société.
Je ne veux ici parler que d’un point particulier: la parité. Votre loi n’est ni plus ni moins qu’un moyen de faire reculer la parité ou, tout au moins, de la limiter alors qu’elle avançait de façon inexorable.
Enfin, le mode de scrutin annoncé serait, s’il était voté, une entorse grave à notre modèle républicain.
Je ne veux aucunement, à titre personnel, être complice de cette transgression de la loi de la République et je crierai jusqu’au bout mon indignation. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Marcel Rogemont.
M. Marcel Rogemont. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est vrai que nous, socialistes, avions souhaité que les élections départementales et régionales se déroulent le même jour. Le rendez-vous était fixé pour mars1998.
Vous aviez à l’époque refusé cette proposition, probablement pour conserver un renouvellement des élus départementaux en deux fois, essayant de dépolitiser le plus possible un scrutin qui favorise une représentation rurale plus forte. Aujourd’hui, l’argument tombe dès lors qu’une forte majorité des départements sont gérés par la gauche.
Sachez que, depuis des lustres, l’assemblée des départements de France sollicite le renouvellement des conseillers généraux en une fois afin d’affirmer la réalité d’une politique et, surtout, d’éviter que ces assemblées ne soient en perpétuelles élections, tous les trois ans.
Depuis des lustres aussi, l’Assemblée des départements de France demande que les conseillers généraux soient appelés « conseillers départementaux » et le conseil général « conseil départemental ».
Toutes ces propositions visent uniquement à donner plus de lisibilité et de visibilité à l’action des départements, qui sont de véritables acteurs de l’aménagement du territoire.
Telles sont les questions posées.
S’il ne s’était agi que de réduire le mandat des conseillers généraux renouvelable en 2011 à trois ans et celui des conseillers régionaux élus en 2010 à quatre ans afin que lesdites élections se déroulent en même temps, votre texte aurait retenu notre attention mais, contrairement à ce que vous avez répondu à l’excellente intervention de Bruno Leroux, monsieur Perben, en essayant de nous faire croire que vous ne faisiez que bouger à la marge les dates des élections cantonales et régionales, il ne s’agit pas que de cela.
Dans votre rapport, page 14, au paragraphe 2 intitulé « Un choix qui rend possible la création des conseillers territoriaux en 2014 »,…
M. Dominique Perben, rapporteur. Qui rend possible…
M. Marcel Rogemont. …vous écrivez que le projet de loi adopté par le Sénat, « s’il se borne à aligner ponctuellement la durée des mandats des prochains conseillers généraux et régionaux sur l’échéance électorale du mois de mars2014, n’en constitue pas moins la première étape d’une vaste réforme territoriale ». Vous indiquez ensuite que les conseillers territoriaux « seraient en charge à la fois des affaires départementales et des affaires régionales », nous donnant des informations tout à fait utiles pour le vote du texte que nous examinons.
Il s’agit donc bien de la première pierre d’une vaste réforme, que vous appelez peut-être de vos vœux, monsieur le rapporteur, mais qui nous déplaît fortement.
Au mois de janvier se succèdent les cérémonies de vœux; j’ai participé à nombre d’entre elles et j’ai pu constater que les inquiétudes sont partagées par un grand nombre d’élus locaux, pour ne pas dire tous.
Vous me direz, monsieur le secrétaire d’État, qu’ils sont inquiets par méconnaissance de la réforme. Probablement. Le problème, c’est que j’ai entendu aussi des députés et des sénateurs siégeant dans la majorité me faire part spontanément de leurs inquiétudes.
Hier, on ne pouvait aborder la réflexion sur le fonctionnement de notre République qu’en souhaitant que les décisions soient prises au meilleur niveau, notamment grâce à la décentralisation, et voilà qu’aujourd’hui tout cela est jeté cul par-dessus tête pour des motifs surprenants.
La justification de cette réforme ne peut être l’affirmation que le département serait de trop. Sur les vingt-sept pays de l’Union européenne, seuls trois, à ma connaissance, n’ont pas d’échelon départemental: Malte, qui représente un peu moins que l’agglomération de Rennes, Chypre, mais seule la moitié de l’île est concernée, et la République tchèque. Les vingt-quatre autres pays de l’Union ont tous ce niveau institutionnel, même s’il ne porte pas partout le nom de « département »; il faut dire qu’il y a plus d’une langue en Europe. (Sourires.)
Le deuxième point que je relèverai, c’est que, si ces trois niveaux de gestion locale existent dans la plupart des pays de l’Union européenne, il y a bien une singularité française: celle du mille-feuille, dont on nous a rebattu les oreilles. Toutefois, il ne s’agit pas de feuilles les unes sur les autres, mais de feuilles les unes à côté des autres: les communes. Et les lois organisant l’intercommunalité tendent à corriger, à réduire considérablement cette singularité française. Point n’est donc besoin de convoquer les départements et les régions lorsque l’on parle d’un mille-feuilles institutionnel.
De même cette réforme ne peut-elle s’appuyer sur l’affirmation visant à laisser penser aux Françaises et aux Français que les élus seraient des sortes de seigneurs ou de saigneurs, dans les deux orthographes et les deux sens. D’un côté, il s’agirait d’une sorte d’aristocratie républicaine vivant grassement des indemnités qu’elle s’allouerait en cachette. De l’autre, ce seraient d’infâmes personnages qui n’auraient d’autre volonté que d’augmenter les impôts locaux et donc de saigner leurs concitoyens.
Ce sont, de façon ramassée, les propos tenus par le Président de la République, propos indignes de la magistrature suprême et qui montrent le peu d’estime que le Président peut avoir des élus locaux et, surtout, sa méconnaissance de la réalité locale.
Les sondages montrent que les Français sont attachés tant au niveau départemental qu’au niveau régional. La singularité des fonctions assumées par chaque niveau, contrairement à ce que de nombreux propos laissent entendre, est largement plébiscitée par nos concitoyens. Une fois de plus, la caricature l’emporte sur la réflexion, la proposition, le débat.
Le summum de cette réforme en cours vient du Sénat. Constatant la variété des tâches assumées par les conseillers territoriaux, il en vient à proposer que les suppléants soient eux-mêmes conviés à participer à la représentation des collectivités départementales et régionales. Il fallait oser! Si l’objectif est la réduction du nombre d’élus, je ne comprends pas; et si c’est la réduction du coût des élus, c’est aussi très mal parti! Ainsi, c’est l’inanité des arguments déployés pour justifier votre réforme qui vient sur le devant de la scène.
Votre réforme supprime la région et non le département, car le mode d’élection fait de la région une sorte de syndicat de départements, lui ôtant sa force, son autonomie politique, pourtant saluée par tous.
S’il ne s’agissait que d’organiser la concomitance des élections des conseils généraux et régionaux, nous aurions pu voter le texte proposé, mais les intentions du Gouvernement sont autres, et il faut porter un coup d’arrêt net à cette panoplie de réformes qui tourne le dos à des années d’action visant à donner un contenu à la décentralisation.
C’est pourquoi, si la forfaiture est accomplie avec cet ensemble de réformes – il faudra tout de même, pour cela, que les députés de la majorité se réveillent au moment du vote –, j’ose espérer que le résultat des élections de 2012 nous permettra de la corriger. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut.
M. Jean-Yves Le Déaut. S’il était légitime de s’interroger sur la pertinence de notre découpage administratif, déjà ancien, ainsi que sur le fonctionnement de nos institutions locales, je crains que les réponses apportées par les conclusions du rapport de la commission Balladur sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la V e République et par votre texte de loi ne produisent l’effet inverse de celui qui était escompté.
M. Patrick Roy. Absolument!
M. Jean-Yves Le Déaut. Qu’attendait-on du comité Balladur si ce n’est un approfondissement du processus de décentralisation engagé depuis 1982? Cette réforme territoriale, au contraire, organise la déliquescence de la décentralisation, en mettant à genoux les collectivités locales, et plus particulièrement les régions, qui seront terriblement fragilisées.
De cette réforme, trois aspects me paraissent particulièrement contestables.
Le premier, c’est la suppression de la clause de compétence générale. Monsieur le secrétaire d’État, les élus s’inquiètent: dès lors que, pour les associations et le sport, par exemple, l’État paye 800 millions, à comparer aux 9 milliards apportés par les collectivités territoriales, comment voulez-vous, en annonçant la suppression de la clause, qu’il n’y ait pas une certaine crainte parmi ceux qui font le maillage de notre tissu social?
Je prends un deuxième exemple. En tant que premier vice-président de la région Lorraine, je m’occupe du développement, de la recherche, de l’innovation, de l’enseignement supérieur. L’État nous demande, dans les contrats de projets État-région, de financer un certain nombre de dossiers de compétence nationale. Vous nous demandez en particulier d’organiser le soutien à l’innovation au niveau des régions, et cela marche bien parce qu’il y a une compétence croisée entre l’État, des organismes comme OSEO et les régions. Pour des raisons strictement politiciennes, comme l’ont expliqué mes collègues, vous allez mettre à mal ce système qui fonctionne.
M. Alain Marleix, secrétaire d’État. Le sport et la culture ne sont pas concernés!
M. Jean-Yves Le Déaut. Et pourquoi?
M. Alain Marleix, secrétaire d’État. Parce que! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. Veuillez poursuivre, monsieur Le Déaut. Le Gouvernement répondra le moment venu.
M. Jean-Yves Le Déaut. À partir du moment où la clause de compétence générale est supprimée, le sport et la culture sont nécessairement concernés.
Le second point néfaste de cette réforme, c’est qu’elle est en retrait par rapport aux engagements du gouvernement Raffarin, qui avait préparé l’acte II de la décentralisation. La loi du 13 août 2004 prévoyait d’importants transferts de compétences. Vous nous avez ainsi demandé d’établir des schémas régionaux de développement économique, et les régions se sont mises au travail, avant que tout ne soit arrêté.
Pourtant, tout le monde convient que c’est au niveau régional que nous pouvons le mieux organiser les territoires. Dans une région comme la Lorraine, qui a perdu 28000 emplois industriels en six ans, il est évident qu’il faut préparer le renouvellement du tissu économique régional. Cela passe par l’organisation de l’innovation. Avec cette loi, pour des raisons politiciennes, vous allez mettre à bas tout le travail que nous avons accompli.
Vous dites que cette réforme permettra de réaliser des économies. Comme l’ont rappelé certains de mes collègues, le Gouvernement a accru la dette publique de 140 milliards d’euros au cours de cette année. Alors, une dépense réduite de 70 millions, si elle peut permettre, sur les écrans de télévision, de faire croire à des économies, exercice auquel s’est livré M. Perben l’autre jour,…
M. Dominique Perben, rapporteur. Et alors? C’est important, les économies! (Exclamations et rires sur les bancs du groupe SRC.)
M. Jean-Yves Le Déaut. …c’est en réalité 2000 fois moins que l’aggravation du déficit.
M. Patrick Roy. Les lycées d’abord!
Mme la présidente. Monsieur Roy, s’il vous plaît!
M. Jean-Yves Le Déaut. Un bon système aurait créé, d’une part, un pôle autour de la commune, de l’intercommunalité et du département, pôle de proximité, notamment pour les problèmes sociaux; d’autre part, un pôle autour de la région, de l’État et de l’Europe, parce que les régions gèrent déjà d’importants crédits du FEDER et que c’est à leur niveau que l’on peut construire l’espace européen. Pour des raisons politiciennes, encore une fois, vous avez refusé.
M. Jacques Valax. Eh oui!
M. Jean-Yves Le Déaut. Plus que d’une refonte opportuniste du système, au nom de je ne sais quelles économies, nous aurions souhaité que cette commission nous propose une clarification des compétences, que les régions ne soient plus attributaires de simples allocations fiscales, c’est-à-dire placées sous la tutelle totale de l’État – ce qui sera le cas si l’on accepte cette réforme territoriale – mais que le processus de décentralisation soit confirmé, notamment en dotant les collectivités locales de nouvelles compétences économiques.
Non seulement nous rejetterons ici ce texte qui ne va pas dans l’intérêt de la France, mais nous nous battrons pour qu’il ne soit pas voté dans notre République. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Langlade.
Mme Colette Langlade. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce texte relatif à la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux fait partie des différents documents qui concourent à la réforme des collectivités territoriales, six au total: trois textes électoraux, deux textes organisationnels et un texte financier. Il vise à réduire le mandat des conseillers régionaux élus en 2010 et des conseillers généraux élus en 2011, réductions censées permettre en 2014 l’élection simultanée des conseillers généraux et conseillers régionaux, qui vont devenir des conseillers territoriaux.
Loin de simplifier et de clarifier les choses, ce texte est la traduction de la méfiance du Gouvernement envers les élus locaux. Ceux-ci étant selon vous trop nombreux, vous préconisez la création de conseillers territoriaux qui siégeront dans les deux assemblées départementales et régionales, en lieu et place des 4200 conseillers généraux et 1800 conseillers régionaux.
Mais permettez-moi de vous dire que la création du conseiller territorial est un contresens.
M. Patrick Roy. Eh oui!
Mme Colette Langlade. Pourquoi? Parce que mettre des mêmes élus à la tête de deux collectivités différentes, c’est méconnaître la spécificité des échelons de collectivités. La région est l’échelon de stratégie, d’aménagement du territoire, celui des équipements structurants; le département, celui des politiques de proximité, principalement sociales. Comment un même élu pourra-t-il passer d’une casquette à l’autre sans confondre le rôle des deux échelons? En quoi l’action publique locale sera-t-elle plus lisible avec le conseiller territorial?
La fusion des élections nous privera d’un débat qui donne sens et réalité à la démocratie. Le principe de libre administration des collectivités territoriales reconnaît le droit à deux collectivités différentes de s’administrer librement, au sens de l’article 72 de la Constitution.
La création du conseiller territorial institutionnalise la pratique du cumul des mandats. Cela s’inscrit à contre-courant des réflexions actuelles pour clarifier les compétences de chacun des échelons territoriaux, dans la mesure où c’est organiser la confusion des élus et des politiques.
Vous portez également atteinte à la clause générale de compétence,…
M. Patrick Roy. Hélas!
Mme Colette Langlade. …sujet longuement débattu ce soir. La suppression de cette clause pour les départements est-elle la garantie d’un meilleur exercice de leurs compétences?
C’est l’État qui appelle les collectivités locales à participer au financement des équipements et infrastructures dont il a la charge mais qu’il ne peut plus assumer financièrement seul.
M. Marcel Rogemont. Eh oui!
Mme Colette Langlade. Le maintien de cette clause se justifie pour que les collectivités locales puissent répondre le plus efficacement et le plus rapidement possible aux besoins exprimés par la population.
M. Patrick Roy. L’État est mal géré!
Mme la présidente. Monsieur Roy, cela commence à suffire! Merci d’écouter votre collègue.
Mme Colette Langlade. Sa suppression reléguerait les collectivités au statut de prestataires de services ou de guichets des politiques publiques de l’État. Cela irait à l’encontre de la proclamation de la « République décentralisée ».
Instituer une clause prioritaire de compétence permettra de clarifier l’attribution des compétences sans empêcher l’action publique en cas de besoin.
Vous nous demandez également de nous prononcer sur un texte assez obscur.
M. Marcel Rogemont. Pour ne pas dire abscons!
Mme Colette Langlade. De nombreuses inconnues subsistent. Le texte sur les conseillers territoriaux ne nous a pas encore été présenté. Nous ignorons toujours, malgré les demandes insistantes que vous ont faites nos collègues sénateurs et que nous avons formulées à notre tour, le nombre de conseillers territoriaux et de cantons par département.
M. Patrick Roy. Nous nous faisons du mouron!
Mme Colette Langlade. Les effectifs, pour le moment inconnus, des conseillers territoriaux seront fixés par ordonnance.
M. Marcel Rogemont. Et voilà!
Mme Colette Langlade. Celle-ci procédera au redécoupage de tous les cantons, dans un délai d’un an après la promulgation de ce texte.
Vous avez indiqué vouloir vous fonder sur un principe de représentativité essentiellement démographique dans votre prise en compte des territoires, et éviter les conseils régionaux pléthoriques. Mais vous proposez pour l’élection des conseillers territoriaux le mode de scrutin des conseillers généraux. Ce choix, pour le moins discutable, méconnaît le principe de parité comme l’a indiqué la présidente de la délégation de l’Assemblée nationale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, Mme Marie-Jo Zimmermann, lors de son intervention cet après-midi. De plus, en confondant les deux élections et les deux élus, vous méconnaissez le principe de clarté de la consultation électorale énoncé par le Conseil constitutionnel en 1994 car vous créez une confusion dans l’esprit des électeurs.
M. Marcel Rogemont. Tout à fait!
Mme Colette Langlade. Je mentionnerai également la décision de l’assemblée générale du Conseil d’État en date du 15 octobre 2009. Celle-ci est d’autant plus intéressante qu’il y est indiqué que « le mode de scrutin projeté pour cette désignation est de nature à porter atteinte à l’égalité comme à la sincérité du suffrage ». Vous le reconnaissiez vous-même, monsieur le secrétaire d’État: « Le Conseil d’État a estimé que les modalités de mise en oeuvre de ce principe et de ce système étaient trop complexes et qu’elles nuisaient par conséquent à l’intelligibilité de la règle par les électeurs. Il a donc disjoint les dispositions qui posent des difficultés et demandé au Gouvernement d’étudier des modalités alternatives permettant de garantir notamment l’intelligibilité de la loi électorale par l’électeur. » L’avez-vous fait? Assurément non!
Le Conseil d’État estime également que cette réforme n’entraîne aucune économie et n’opère aucune simplification, et qu’elle constitue plutôt une manipulation électorale. Le mot est lâché! Oui, chers collègues, il s’agit bien de tripatouillages en faveur des élus locaux de droite, visant à confisquer le pouvoir et à reprendre le contrôle des collectivités, dirigées pour une grande partie d’entre elles – trop pour vous, monsieur le secrétaire d’État – par la gauche. Car votre discours préconisant moins d’élus ne cache pas l’objectif électoral qui est le vôtre. N’hésitant pas à rompre avec les scrutins à deux tours, le mode de scrutin envisagé, à un tour, vise clairement à affaiblir la gauche.
Loin de simplifier la carte territoriale, le projet la complique, renonçant ainsi à l’objectif de rationalisation et de simplification, et ce sans créer les instruments de gestion de la complexité locale.
Pour conclure, je soulignerai que cette réforme marque une rupture certaine par rapport au mouvement de décentralisation enclenché depuis 1982. L’État promeut la recentralisation du pouvoir à son profit et au détriment des collectivités locales. Cela est bien regrettable! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous avions envisagé de lever à une heure du matin, mais je constate que deux orateurs inscrits et encore présents ne se sont pas exprimés. Avec l’accord de M. le secrétaire d’État, je vais leur donner la parole.
M. Jean-Yves Le Déaut. Très bien!
Mme la présidente. Je leur demande seulement d’avoir la gentillesse de s’exprimer pour une durée raisonnable même si nous sommes dans le cadre de la procédure du temps programmé.
Si, en plus, M. Roy peut écouter deux orateurs de suite sans dire un mot, ce sera le bonheur absolu! (Sourires.)
M. Marcel Rogemont. On va essayer de le contenir, mais ça va être dur! (Sourires.)
M. Patrick Roy. Madame la présidente, pour vous être agréable, je vais me taire.
La parole est à M. William Dumas.
M. William Dumas. Vous nous dites, monsieur le secrétaire d’État, qu’il faut faire des économies, diminuer le mille-feuille, réduire les échelons territoriaux. Vous nous parlez du coût élevé des conseillers généraux et régionaux. Pourtant, leurs indemnités représentent seulement 1,2 % du budget de fonctionnement des collectivités territoriales concernées. M. Hortefeux, lors de sa venue à Clermont-Ferrand, a chiffré, devant l’Assemblée des présidents de conseils généraux, l’économie attendue à 70 millions d’euros. Que représente une telle somme alors que votre gouvernement vient, dans la gestion de la grippe H1N1, de gaspiller environ un milliard? D’ailleurs nos concitoyens, eux, ne critiquent pas le coût des élus locaux mais leur éloignement de la population. Or vous voulez les remplacer par des élus qui siégeraient dans deux assemblées et s’éloigneraient donc encore un peu plus du territoire.
Le conseiller général, du fait de son mode d’élection et de ses compétences, est un acteur irremplaçable de notre organisation territoriale. Il est et doit demeurer le garant de la cohésion sociale du territoire. Le conseiller à double casquette que ce texte vise à instituer siégera à la fois au conseil général et au conseil régional. C’est un moyen pour le Gouvernement de supprimer le quart des cantons, c’est-à-dire un millier de cantons ruraux, et ce dans des territoires où le contact avec les élus est essentiel: je pense notamment à ma région, les Cévennes, où les conseillers généraux connaissent pratiquement chacun des habitants et font remonter les informations sur leurs difficultés en s’attelant à les résoudre. Avec le maire, ils sont le dernier fil conducteur, le dernier lien social, depuis le désengagement de l’État et la disparition progressive des services publics.
Votre principal argument consiste à dénoncer un mille-feuille dans lequel on sait plus qui fait quoi. Je trouve inquiétant qu’un gouvernement remette en cause la répartition des tâches des collectivités. D’autant que le citoyen, lui, s’y retrouve très bien. Pour preuve: dans les sondages consacrés à la notoriété et à l’importance des élus, le conseiller général arrive en deuxième position, juste derrière le maire. C’est dire que les Français y sont attachés.
Quant au mode de scrutin prévu, il est en totale rupture avec la tradition républicaine puisqu’il permettra à un candidat d’être élu avec un tiers des suffrages. Quel bel exemple de démocratie! Il porte également atteinte à la parité et au pluralisme politique: avec un tel système, la représentation féminine sera réduite et les petits partis, y compris à la proportionnelle, laminés.
Mais le plus inquiétant, c’est qu’il ne s’agit que d’une première étape dans votre stratégie qui consiste, à terme, à supprimer totalement les départements, lesquels, on le sait, sont détenus pour la plupart par la gauche. Dans un premier temps, on commence par supprimer les numéros des départements sur les plaques minéralogiques – tout un symbole! Ensuite, on laisse les départements s’endetter en alourdissant leurs charges par des transferts de personnels – DDE, TOS, APA, etc. – sans compenser à l’euro près. Parallèlement, on lance le chantier de la suppression de la taxe professionnelle pour réduire les moyens des collectivités locales alors qu’elles réalisent pratiquement 75 % des investissements publics en France. Et pour finir on divise par deux le nombre de conseillers généraux et régionaux pour les remplacer par des élus hybrides en 2014.
Voilà la démonstration d’une manœuvre purement politique et électoraliste qui vise à se débarrasser de son adversaire avant la bataille dans les urnes. Vous avez programmé la mort des départements, la mort de la cohésion sociale que tant de nations nous envient. Sachez, monsieur le secrétaire d’État, que nous nous opposerons par tous les moyens à ce coup porté à notre démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Massat.
Mme Frédérique Massat. Madame la présidente, permettez-moi tout d’abord de vous remercier, ainsi que le Gouvernement, de me permettre de passer ce soir à la tribune.
Monsieur le secrétaire d’État, ce texte est court, mais pas anodin comme vous tentez de nous le faire croire. Il participe du bouleversement de nos institutions inscrit dans une réforme territoriale qui renie les principes fondamentaux de la décentralisation, puisque les collectivités territoriales vont perdre leur libre administration.
Les lois de décentralisation initiées par la gauche avaient pour objectif premier de servir la démocratie par le biais d’une démocratie locale de proximité. Partant du constat qu’une administration centrale ne permettait pas de répondre efficacement aux enjeux et aux besoins propres à chaque territoire, la décentralisation s’est imposée comme la meilleure solution pour pallier ces insuffisances. Dans des territoires ruraux et de montagne tels que l’Ariège, éloignés des lieux décisionnels, la décentralisation a permis de mettre en place des services publics de proximité. Efficaces, ces services le sont d’autant plus que leur organisation et leur gestion de proximité permettent d’adapter leur fonctionnement aux réalités et aux particularités locales. C’est un point d’autant plus important que le désengagement de l’État vise à supprimer les services publics dans nos campagnes et dans nos montagnes.
Le texte qui nous est présenté pose la première pierre de votre projet de réforme territoriale. La réduction des mandats que vous proposez va paralyser les collectivités. En effet, qui peut bâtir des projets politiques avec un mandat raccourci et une incertitude totale quant à leur avenir? Avec cette réduction de mandat et les incertitudes qui pèsent sur les compétences et les finances des collectivités, vous allez les contraindre à une longue période d’immobilisme.
Il y a un instant, je rappelais l’importance du rôle joué par la décentralisation. Or la fusion des conseillers généraux et régionaux au sein d’une même entité s’inscrit exactement à l’encontre du principe fondateur de la décentralisation, c’est-à-dire de la volonté de rapprocher les pouvoirs de décision des citoyens. Alors que, depuis 2007, votre gouvernement ne cesse de louer ses propres mérites en matière d’avancées démocratiques, nous préférons au contraire pointer le dangereux virage que vous faites prendre à notre régime.
Par ailleurs, la mise en place des conseillers territoriaux donnera lieu à des aberrations: elle va fragiliser le dynamisme des régions et l’action des départements, le mode de scrutin choisi va nuire à la parité femmes/hommes et les élus seront éloignés des territoires. Pour toutes ces raisons, nous sommes fortement opposés à cette réforme.
Loin de clarifier la donne actuelle, la création des conseillers territoriaux va la complexifîer davantage tout en détruisant les avancées apportées par la décentralisation.
Une fois de plus, voilà une réforme préparée dans la précipitation sans prendre la peine d’en vérifier les conséquences sur les territoires. Ainsi, si l’on s’en tient juste à l’organisation, comment voulez-vous que les futurs conseillers territoriaux puissent être proches des citoyens qu’ils sont censés représenter s’ils doivent se rendre le matin dans leur département et l’après-midi au conseil régional? Les conditions climatiques des dernières semaines ont rappelé, ô combien, qu’il était parfois difficile de se déplacer. Par conséquent, pour les zones rurales et de montagne, une telle organisation est impossible. Ces élus n’auront plus de « locaux » que le nom. Au vu des distances qu’ils auront à parcourir pour siéger et travailler dans les deux instances, ils ne pourront satisfaire le nécessaire besoin de proximité qu’exige pourtant leur mandat.
Tout sauf pragmatique, la réforme des collectivités voulue par votre gouvernement illustre parfaitement la façon dont vous entendez gérer la France. En recentralisant, vous tentez de mettre à mal tous les contre-pouvoirs locaux qui, sur nos territoires, agissent chaque jour pour mener une autre politique que la vôtre: une politique plus juste, soucieuse de servir efficacement l’intérêt général, une politique solidaire envers des populations de plus en plus démunies. Avec vos projets de réforme, vous installez la confusion entre le département et la région, ce qui porte atteinte à l’autonomie des collectivités, vous instituez la tutelle d’une collectivité sur l’autre et vous institutionnalisez le cumul des mandats.
Le véritable enjeu de cette réforme aurait dû être de rendre nos collectivités encore plus efficaces pour les citoyens. Au lieu d’une décentralisation poussée, gage de proximité et d’efficacité, votre gouvernement a fait le choix d’une recentralisation punitive.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce texte, première étape de la fin annoncée de la décentralisation. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Patrick Roy. Quel talent!
Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.
Mme la présidente. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures:
Proposition de loi sur la représentation équilibrée des hommes et des femmes au sein des conseils d’administration et de surveillance.
(La séance est levée, le mercredi 20 janvier 2010, à une heure dix.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l’Assemblée nationale,
Claude Azéma